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Le Romantisme

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LE ROMANTISME

Le Naufrage du « Minotaur » de William Turner (1810)

DEFINITION GENERALE :

Le romantisme est un mouvement culturel et artistique qui est apparu à la fin du XVIII°
siècle, et s'est imposé dans la première moitié du XIX° siècle en Europe.

Mouvement culturel et artistique, le romantisme a concerné les différents genres littéraires (poésie,
théâtre, roman...), mais aussi la peinture, la musique, la sculpture ou la danse.

Mouvement européen, le romantisme est apparu d'abord en Allemagne et en Angleterre, puis en


France, en Italie et ailleurs en Europe.

En France, dans le domaine de la littérature, le mouvement romantique sera essentiellement


constitué d'écrivains nés autour de 1800-1810 (mais certains peuvent être plus vieux, d'autres plus
jeunes). La plupart des écrivains de cette « génération romantique » se connaissent, se fréquentent
et se revendiquent romantiques. Victor Hugo (1802-1885) jouera parmi eux le rôle de chef de file,
notamment pour imposer le romantisme au théâtre, lors de ce que l'on a appelé « la bataille
d'Hernani » (voir le cours sur le théâtre au XIX° s.).

I/ LES CIRCONSTANCES DE L'APPARITION DU ROMANTISME

Le romantisme est apparu en réaction contre le rationalisme des Lumières, et, en France, contre le
classicisme.

1) UNE REACTION CONTRE LE RATIONALISME DE LA PHILOSOSPHIE DES


LUMIERES

La philosophie des Lumières, qui s'est répandue en Europe au XVIII° s., avait pour
but de permettre aux êtres humains de comprendre le monde à la lumière de la raison. C'est
pourquoi elle a cherché à développer le savoir et à diffuser les connaissances dans tous les
domaines. Son objectif était le suivant : instruire les Hommes pour leur permettre de mieux agir,
d'améliorer leur existence, de créer par eux-mêmes les conditions de leur bonheur sur terre. Dans
cette perspective, la raison était donc vue comme ce qui permet d'accéder au bonheur. C'est
cette croyance, cette confiance en la raison que l'on appelle le rationalisme des Lumières.
Les romantiques ne rejettent pas forcément les combats de la philosophie des
Lumières, mais pour eux, son rationalisme est étroit, limité. Il ne permet pas de rendre compte
de la totalité de l'expérience humaine, et, surtout, il ne peut pas satisfaire toutes les aspirations
des êtres humains, car ceux-ci ne sont pas uniquement des êtres pourvus d'intelligence, ils sont
aussi des êtres doués d'émotions, de sentiments.

2) LE PREROMANTISME, ou PREMIER ROMANTISME

Dès la fin du XVIII° s., surtout en Allemagne et en Angleterre, mais aussi en France, se sont
exprimés chez certains auteurs le goût de la solitude, l'expression d'émotions mélancoliques, de
sentiments intimes, l'aspiration à être libre et à trouver au contact de la nature un refuge en
dehors des contraintes de la société. C'est à cette tendance qu'on a donné a posteriori, au XX° s.,
le nom de préromantisme ou de premier romantisme.
Les Rêveries du promeneur solitaire (1782) de Jean-Jacques Rousseau, par ailleurs l'un des
philosophes des Lumières, sont une œuvre marquante de ce courant préromantique. L'auteur s'y
livre à son « goût de la solitude et de la contemplation », en se promenant au sein de la nature, dont
il souligne l'harmonie avec ses sentiments. Ce livre, probablement d'une grande sincérité, est
composé de façon très libre et très poétique.

Cette gravure du XVIII° s.


représente le tombeau de
Jean-Jacques Rousseau,
mort en 1778. La tombe,
située dans les jardins
d'Ermenonville, est isolée
sur une île, au milieu
de la végétation, dans une
atmosphère qui présente
déjà des caractéristiques
romantiques.

3) UNE RÉACTION CONTRE LE CLASSICISME

En France, le romantisme va aussi naître d'une réaction contre le classicisme. Le classicisme


est un courant littéraire et artistique qui s'est développé en France à partir de la deuxième moitié du
XVII° siècle. Les écrivains que l’on rattache à ce courant avaient en commun de s’inspirer des
grands écrivains antiques (les « classiques », ceux que l'on étudiait en classe).

L'une des caractéristiques du classicisme était de valoriser l'ordre, de penser que, pour
qu'une œuvre soit réussie, il fallait qu'elle respecte certains critères. Cela s'est traduit par exemple
au théâtre, avec des règles comme celles des trois unités : unité de lieu (toute la pièce devait se
dérouler dans un seul décor) ; unité de temps (les événements de l'histoire représentée devaient tenir
dans le cadre d'une seule journée) ; unité d'action (toutes les péripéties de la pièce devaient se
rattacher à l'action centrale). Par opposition, les auteurs romantiques valorisent l'originalité et
aspirent à plus de liberté créatrice. C'est pourquoi ils rejettent les règles classiques, et créent
un nouveau genre théâtral : le drame romantique (voir le cours sur le théâtre au XIX° s.).
Le classicisme et le romantisme vont également différer dans la façon de représenter
l'existence humaine. Ainsi, le classicisme condamne la passion amoureuse, qui est représentée
comme destructrice ; un résumé de la tragédie classique Phèdre, de Jean Racine le montre bien :
Phèdre est la jeune épouse de Thésée, roi d'Athènes. Elle tombe passionnément amoureuse
d'Hippolyte, le fils que Thésée a eu d'un premier mariage. Thésée, parti en voyage et n'ayant plus
donné de nouvelles depuis longtemps, passe pour mort. Phèdre va alors oser révéler à Hippolyte ses
sentiments pour lui, qu'elle avait tus jusque-là. Mais Hippolyte la repousse avec horreur. C'est alors
que Thésée, toujours vivant, revient. Phèdre, de peur qu'Hippolyte ne la dénonce à Thésée, prend les
devants et accuse Hippolyte d'avoir essayé de la violer. Emporté par la colère, Thésée n'écoute pas
les protestations d'innocence de son fils, il le chasse et appelle sur lui la malédiction des dieux,
provoquant ainsi la mort du jeune homme. Sous l'emprise de ses remords, Phèdre s'empoisonne et
meurt après avoir révélé la vérité à Thésée, qui ne peut que se lamenter d'avoir provoqué la mort de
son fils. Emportés par leurs passions, par des sentiments auxquels ils n'ont pas su résister, Phèdre et
Thésée ont provoqué leur propre malheur et celui de leur entourage. La passion est donc représentée
de façon tragique.
Le romantisme, au contraire valorise la passion amoureuse : pour les romantiques,
mieux vaut éprouver la passion amoureuse, quitte à souffrir, quitte à en mourir, que de
n'avoir jamais connu la force d'un tel sentiment. Prenons cette fois l'exemple de Ruy Blas, drame
romantique de Victor Hugo : Ruy Blas, un simple laquais, est passionnément amoureux de la reine
d'Espagne. A la suite de circonstances qu'il serait trop long de raconter ici, Ruy Blas usurpe
l'identité d'un noble. Il s'attire la protection de la reine, devient une sorte de premier ministre, et,
inspiré par son amour pour la souveraine qui le pousse à se transcender, se révèle un homme d’État
exceptionnel. Cet amour reste cependant impossible : la reine est mariée, et Ruy Blas ment sur son
identité et son statut social. Complice malgré lui d'un complot contre la reine, il parvient à sauver
celle-ci, mais s'empoisonne pour expier ses fautes envers elle. Dans la dernière scène de la pièce,
Ruy Blas meurt, mais a le bonheur de se savoir pardonné par la reine et aimé d'elle. Si sa destinée
est tragique, sa passion amoureuse a fait de celui qui n'était à l'origine qu'un valet, un véritable
héros, presque l'égal d'un roi.

III/ PRINCIPAUX THEMES ET CARACTERISTIQUES ROMANTIQUES

1) LE LYRISME

Le lyrisme est l'expression de sentiments intimes que celui qui parle (personnage ou
auteur) cherche à faire partager au lecteur. C'est une caractéristique essentielle de la poésie
romantique, mais on peut la retrouver aussi à travers des romans ou des personnages de théâtre par
exemple. Cette dimension lyrique est particulièrement sensible lorsqu'une œuvre est
autobiographique.
Exemple : Alphonse de LAMARTINE (1790-1869) publie en 1820
le recueil de poésies lyriques intitulé MÉDITATIONS POÉTIQUES.
Ce recueil poétique fut inspiré à l'auteur par la perte d'un être cher : à
l'automne 1816, il avait fait la rencontre à Aix-les-Bains d'une jeune
femme malade de la tuberculose, Julie Charles, épouse d'un physicien
célèbre de l'époque qui avait 37 ans de plus qu'elle. Les deux jeunes
gens s'étaient liés d'amour, mais Julie Charles mourut un an après leur
rencontre. Les 24 poèmes qui constituent les Méditations poétiques
évoquent cet amour brisé, les souvenirs et les regrets du poète, ses
espérances et son désespoir, les méditations sur l'existence que lui
inspire la mort de l'être aimé. Lamartine par Decaisne (1839)
Les vers suivants sont révélateurs du lyrisme de ce recueil. Ils sont extraits d'un poème intitulé
« L'ISOLEMENT » :

Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante


Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,


Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. "

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,


Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

2) LA QUÊTE D'UN IDÉAL, D'UNE SPIRITUALITÉ

La sensibilité de l'artiste ou du personnage romantique le fait rêver à un idéal, qui peut


prendre différentes formes (idéal amoureux, idéal politique, idéal esthétique...).

Exemple 1 :
En 1830, une révolution met fin au
régime réactionnaire et oppressif de
la Restauration. Dans cette célèbre
peinture, LA LIBERTÉ GUIDANT
LE PEUPLE, le peintre romantique
Eugène DELACROIX (1798-1863)
a représenté la lutte des révolution-
naires de 1830 pour la Liberté. La
figure féminine qui domine le tableau
est l'allégorie de la Liberté. Elle est
mise en valeur par le jeu des couleurs,
et la composition de l'image. C'est
pour elle, pour cet idéal politique qui
les transcende, que les révolutionnaires
combattent, comme le montre le regard
que l'homme blessé coiffé d'un foulard
rouge lève vers son visage.

Exemple 2 : Le tableau reproduit ci-dessous est du peintre romantique allemand Caspar
David FRIEDRICH (1774- 1840). Il est intitulé VOYAGEUR CONTEMPLANT UNE MER DE
NUAGES (1818). L'homme représenté ne regarde pas seulement un paysage. La contemplation
de ce voyageur solitaire a une dimension spirituelle : en s'élevant au-dessus des nuages, c'est en
quelque sorte à un autre monde qu'il accède, un monde où le spectacle sublime de la nature lui
permet de rencontrer la Beauté, la Vérité absolues, de contempler l'infini, peut-être même le divin.
Exemple 3 : de nombreux poèmes du recueil LES FLEURS DU MAL, publié en 1857 par Charles
BAUDELAIRE (1821-1867), expriment l'aspiration à l'idéal. C'est le cas de « L'INVITATION
AU VOYAGE », dont un extrait figure ci-dessous. Le poète y exprime son aspiration à vivre avec
la femme aimée dans un lieu qui serait à l’image de celle-ci, un lieu où son âme ressentirait une
harmonie profonde avec le monde qui l'entoure :

Mon enfant, ma sœur, Des meubles luisants,


Songe à la douceur Polis par les ans,
D'aller là-bas vivre ensemble ! Décoreraient notre chambre ;
Aimer à loisir, Les plus rares fleurs
Aimer et mourir Mêlant leurs odeurs
Au pays qui te ressemble ! Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les soleils mouillés Les riches plafonds,
De ces ciels brouillés Les miroirs profonds,
Pour mon esprit ont les charmes La splendeur orientale,
Si mystérieux Tout y parlerait
De tes traîtres yeux, À l'âme en secret
Brillant à travers leurs larmes. Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. Luxe, calme et volupté.

3) LE REJET DE LA SOCIÉTÉ, JUGÉE MATÉRIALISTE

Le romantisme se développe à une époque où le pouvoir de la bourgeoisie s’accroît,


notamment du fait de l'expansion de l'industrie, et prend de plus en plus de pouvoir sur le plan
politique. L'importance accordée aux questions d'argent devient fondamentale dans la classe
dominante. Attention à ce sujet à ne pas confondre noblesse et bourgeoisie : dans la société
d'Ancien Régime, c'est la noblesse (l'aristocratie) qui avait le pouvoir, et la noblesse, si elle
s'accompagne généralement de la richesse, ne vient pas d'elle, mais de la naissance ; la valeur
suprême est pour elle l'honneur. En revanche, la bourgeoisie étant constituée de gens du peuple
ayant acquis une certaine fortune, c'est bel et bien l'argent qui la définit.

Les artistes romantiques attachant de l'importance aux sentiments, à la sensibilité, à


l'art, se sentent à l'opposé du matérialisme de cette société pour qui comptent avant tout la
richesse et les biens matériels.

Exemple 1 : dans son roman intitulé LE ROUGE ET LE NOIR (1830), STENDHAL (1783-1842)
décrit une petite ville de province imaginaire, Verrières. Après avoir vanté la beauté du site, voici
comment il décrit la mentalité des habitants, faisant d'eux le portrait de gens cupides et dépourvus
de sensibilité :

«  Voilà le grand mot qui décide de tout à Verrières : RAPPORTER DU REVENU. A lui seul il
représente la pensée habituelle de plus des trois quarts des habitants.
Rapporter du revenu est la raison qui décide de tout dans cette petite ville qui vous semblait si jolie.
L'étranger qui arrive, séduit par la beauté des fraîches et profondes vallées qui l'entourent,
s'imagine d'abord que ses habitants sont sensibles au beau ; ils ne parlent que trop souvent de la
beauté de leur pays : on ne peut pas nier qu'ils n'en fassent grand cas, mais c'est parce qu'elle
attire quelques étrangers dont l'argent enrichit les aubergistes, ce qui […] rapporte du revenu à la
ville. » (Le Rouge et le Noir, livre I, chapitre 2).

Paysage de Franche-Comté. C'est dans cette région que


Stendhal a placé Verrières.

Exemple 2 : le sentiment de vivre dans une société matérialiste donne naissance au thème de
l'artiste incompris. Dans son poème « L'ALBATROS », extrait du recueil Les Fleurs du Mal,
Charles BAUDELAIRE, en héritier du romantisme, décrit le Poète en le comparant à un albatros :
l'oiseau de mer, fait pour planer majestueusement dans le ciel, marche maladroitement une fois au
sol, gêné par la longueur de ses ailes. Loin d'être sensible à sa beauté lorsqu'il est en vol, les marins
ne pensent qu'à le capturer pour se moquer de lui et le maltraiter. De la même façon, l'artiste est fait
pour le monde de la pensée, le monde de l'art, de l'Idéal ; sa sensibilité, indispensable à son art,
devient un handicap pour vivre en société, ce qui lui vaut les moqueries et l'hostilité des autres
Hommes qui ne comprennent pas sa grandeur et sont indifférents à la beauté de ses créations
artistiques.
L'Albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,


Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !


Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid  !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait  !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer  ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

4) LE GOÛT DE LA SOLITUDE

Le rejet de la société et le sentiment d'en être incompris amènent au goût de la solitude, qui
permet de méditer, d'être soi-même au lieu de se plier aux rituels de l'hypocrisie sociale. Cela ne
signifie pas pour autant que les romantiques se désintéressent du sort de l'humanité, comme nous le
montrerons par la suite.
Exemple : Levasseur,
LE JEUNE ROMANTIQUE (1822) :
Cette gravure représente un jeune homme qui tient une plume pour écrire
à la main gauche et un livre dans sa main droite. Il peut donc s'agir d'un
écrivain, d'un poète. Il semble avoir éprouvé le besoin de s'isoler, puisqu'il
est assis à l'orée d'un bois, dans l'ombre, à l'écart des bâtiments situés à
l'arrière-plan. Il ne se désintéresse cependant pas de la société des
Hommes, puisqu'il regarde dans la direction de ces bâtiments.
Les reproductions du Voyageur contemplant une mer de nuages (page 5),
du Barde (page 8), ou le titre du poème « L'isolement » de Lamartine
(page 4), sont d'autres exemples de ce goût de la solitude.

5) LA COMMUNION AVEC LA NATURE

Pour l'artiste ou le personnage romantique, la nature est à la fois un refuge à l'écart de la


société et un lieu avec lequel il se sent en accord ou qui déclenche en lui des émotions qui
l'emportent.

Exemple 1 : Dans le poème « LE LAC », extrait de Méditations poétiques, LAMARTINE trouve
dans le lac qui a été témoin de ses amours avec Julie un ami, un confident avec qui partager ses
souvenirs et ses peines :
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, [...]
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Où tu la vis s'asseoir ! Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
[…] Au moins le souvenir !
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Exemple 2 :

John Martin :
LE BARDE (vers 1817)

De nouveau nous retrouvons un poète isolé


dans la nature : grimpé sur une roche élevée,
une lyre dans la main gauche, le bras droit
levé, le barde semble déclamer ses poèmes en
s'adressant à la nature qui l'entoure. Le vent,
les nuages, les montagnes escarpées et
sauvages, le torrent, sont autant d'éléments qui
rendent le décor tourmenté, et suggèrent les
sentiments passionnés qui animent et
emportent l'artiste.
Ce goût des paysages sauvages et
tourmentés est particulièrement net dans la
littérature et l'art romantiques, car il s'agit
d'un moyen de suggérer la force des
passions.

6) LA MÉLANCOLIE

L'expression de ce sentiment de tristesse accompagné de rêverie est très fréquente dans les
textes romantiques. Cette mélancolie peut par exemple naître de la souffrance amoureuse, du
sentiment de ne pas trouver sa place dans la société, ou encore de la conscience du caractère
limité et éphémère de l'existence humaine.

Exemple 1: dans le poème « L'AUTOMNE », extrait de Méditations poétiques, de


LAMARTINE, le poète, désespéré par la disparition de l'être aimé, se promène dans une nature
automnale à qui il se confie, et fait ses adieux à la vie. L'automne, moment où la nature dépérit, est
par excellence la saison des romantiques, qui se sentent en accord avec son atmosphère
mélancolique. L'extrait de ce poème placé ci-dessous réunit plusieurs des caractéristiques vues
jusqu'ici : lyrisme, goût de la solitude, communion avec la nature et mélancolie.
Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !
Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire,
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois !
Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits,
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !
[...]
Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !

Exemple 2  :
RENÉ (1802) est un roman largement autobiographique de François-
René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), paru en 1802. Le
personnage éponyme et narrateur du récit est un jeune homme qui
aspire à une vie intense et sent en lui de violentes passions qui le
tourmentent. Toutefois, ces passions restent vagues, car elles ne se
fixent sur aucun être, ni aucun objet, sans doute parce que
l'existence humaine est trop limitée pour elles. Dans l'extrait
suivant, René parcourt la campagne et s'adonne à ses rêves au milieu
des tempêtes de l'automne qui s'accordent à ses tourments intérieurs.
Sentant que ce à quoi il aspire n'est pas de ce monde, il attend avec
impatience d'être emporté dans l'Au-delà, vers une autre vie :

Chateaubriand méditant sur les


ruines de Rome, Giraudet (1808).

Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives, que j’éprouvais dans mes promenades ?
Les sons que rendent les passions dans le vide d’un cœur solitaire ressemblent au murmure que les
vents et les eaux font entendre dans le silence d’un désert ; on en jouit, mais on ne peut les peindre.
L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans les mois des
tempêtes. Tantôt j’aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et
des fantômes, tantôt j’enviais jusqu’au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l’humble
feu de broussailles qu’il avait allumé au coin d’un bois. J’écoutais ses chants mélancoliques, qui
me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime
le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous
sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour je m’égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu’il fallait peu de choses à
ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s’élevait
dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord sur le tronc d’un
chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le clocher solitaire,
s’élevant au loin dans la vallée, a souvent attiré mes regards ; souvent j’ai suivi des yeux les
oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats
lointains où ils se rendent ; j’aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait ; je
sentais que je n’étais moi-même qu’un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire : "Homme,
la saison de ta migration n’est pas encore venue ; attends que le vent de la mort se lève, alors tu
déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande."
"Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie !" Ainsi
disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant
ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur.
Exemple 3 : Le suicide.
La mélancolie peut déboucher sur l'aspiration à la mort, soit pour en finir avec l'existence, soit pour
entrer dans l'Au-delà et trouver une autre existence, détachée des contingences terrestres. Il n'est pas
rare que des personnages d’œuvres romantiques se suicident ou provoquent volontairement leur
mort. On pourrait citer à titre d'exemples Werther, dans Les Souffrances du jeune Werther de
l'écrivain allemand Goethe ; Chatterton, poète anglais ayant véritablement existé, dans la pièce
d'Alfred de Vigny qui porte son nom ; Ruy Blas, héros éponyme d'une pièce de Victor Hugo,
Gwynplain dans L'Homme qui rit, roman du même auteur. Julien Sorel, héros du Rouge et le Noir
de Stendhal, pousse ses juges à le condamner à mort lors d’un procès dont il est l’objet. Plusieurs
écrivains ou artistes romantiques se sont d'ailleurs véritablement suicidés : l'écrivain Gérard de
Nerval s'est pendu dans une rue de Paris par une nuit d'hiver ; le compositeur allemand Robert
Schuman, interné dans un asile suite à une tentative de suicide, s'est laissé mourir ; l'écrivain
allemand Heinrich von Kleist s'est suicidé avec sa bien-aimée.

La Mort de Chatterton, par Henry Wallis (1856)

7) LE MAL DU SIÈCLE

La mélancolie, nous l'avons dit dans le point précédent, peut naître du sentiment de ne
pas trouver sa place dans la société : on peut alors parler de « mal du siècle » (comprendre : le
mal provoqué par une époque).

Exemple 1 : Dans LA CONFESSION D'UN ENFANT DU SIÈCLE (1836), Alfred de MUSSET
(1810-1857), décrit l'état d'esprit de nombreux jeunes gens nés comme lui au début du XIX° siècle.
La période napoléonienne (1799-1815), durant laquelle ils avaient grandi, avait été marquée par
des guerres qui provoquèrent plusieurs centaines de milliers de morts, mais elle donna également à
des jeunes gens, même issus de milieux modestes, l'occasion de mener une vie aventureuse, de
trouver la gloire sur les champs de bataille, de découvrir le monde (Napoléon mena des
campagnes militaires en Égypte, en Italie, en Russie...). Une telle existence avait bien sûr de quoi
faire rêver ceux qui n'étaient alors que des enfants. Mais après la chute de l'Empire napoléonien,
vint l'époque de la Restauration : le nouveau pouvoir restaura la monarchie et essaya de faire
revivre un monde mort, le monde de l'Ancien Régime, celui d'avant la Révolution et l'Empire. Dès
lors, les désirs d'aventure et de gloire des jeunes gens nés sous l'Empire, et qui rêvaient
d'imiter leurs aînés, se heurtèrent à la frilosité d'une société dominée par l’Église et l'égoïsme
d'émigrés n'aspirant qu'à retrouver leurs anciens privilèges (le mot « émigrés » désignait les
nobles partis se réfugier à l'étranger durant la Révolution et l'Empire ; beaucoup d'entre eux
revinrent à la Restauration).

Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes
d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient
rêvé pendant quinze ans 1 des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides 2 ; on les avait trempés dans le
mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par
chaque barrière 3 de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils
regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses
résonnaient seules dans le lointain.4
De pâles fantômes, couverts de robes noires 5, traversaient lentement les campagnes ; d’autres 6
frappaient aux portes des maisons, et dès qu’on leur avait ouvert, ils tiraient de leurs poches de grands
parchemins tout usés, avec lesquels ils chassaient les habitants. De tous côtés arrivaient des hommes encore
tout tremblants de la peur qui leur avait pris à leur départ, vingt ans auparavant. Tous réclamaient,
disputaient et criaient ; on s’étonnait qu’une seule mort 7 pût appeler tant de corbeaux.
Le roi de France était sur son trône, regardant çà et là s’il ne voyait pas quelque abeille 8 dans ses
tapisseries. Les uns lui tendaient leur chapeau, et il leur donnait de l’argent ; les autres lui montraient un
crucifix, et il le baisait [...] ; d’autres encore lui montraient leurs vieux manteaux, comme ils en avaient bien
effacé les abeilles, et à ceux-là il donnait un habit neuf.
Les enfants regardaient tout cela, pensant toujours que l’ombre de César 9 allait débarquer à
10
Cannes et souffler sur ces larves ; mais le silence continuait toujours, et l’on ne voyait flotter dans le ciel
que la pâleur des lis 11. Quand les enfants parlaient de gloire, on leur disait : Faites-vous prêtres ; quand ils
parlaient d’ambition : Faites-vous prêtres ; d’espérance, d’amour, de force, de vie : Faites-vous prêtres.

Notes : 1. Quinze ans : durée de la période durant laquelle Napoléon fut au pouvoir. 2.Référence aux campagnes menées par
Napoléon en Égypte et en Russie. 3.Barrières : portes des villes. 4.La phrase oppose le monde dont rêvent les jeunes gens et celui
qu'ils voient autour d'eux. 5.Référence aux prêtres et à l'importance prise par l’Église durant la Restauration. 6. Référence aux
émigrés. 7.Référence à la mort de Napoléon. 8.L'abeille était l'un des emblèmes de l'Empire napoléonien. 9. César : l'empereur,
référence à Napoléon. 10.Cannes : après avoir perdu le pouvoir une première fois en 1814, Napoléon avait été exilé à l'île d'Elbe. Il
avait ensuite débarqué à Cannes, en 1815, pour reprendre le pouvoir, avant d'être définitivement vaincu à Waterloo. 11. Lis ou lys :
emblème de la royauté en France.

En 1798, Napoléon Bonaparte


dirige une expédition en
Égypte, afin de bloquer la route
des Indes à son grand ennemi,
la Grande-Bretagne. Il
remporte en 1799 la bataille
d'Aboukir, représentée ci-
contre. Cette peinture de
Lejeune (1804) met en avant
l'exotisme du cadre et
l'héroïsme des combattants.
Elle permet de comprendre ce
qui faisait rêver les jeunes gens
dont parle Musset dans La
Confession d'un enfant du
siècle.
En 1800, Bonaparte, à la tête de 40.000 hommes, franchit les
Alpes au col du Grand Saint Bernard pour affronter en Italie une
coalition d'armées ennemies. Le peintre David, dans cette
peinture de 1804, le représente comme un héros d'épopée qui
aura marqué l'histoire à jamais. Son nom est gravé dans la roche
à côté de ceux de Charlemagne et Hannibal, deux autres grands
conquérants qui avaient, eux-aussi, franchi les Alpes avec leurs
armées. Des images de ce type ont contribué à développer ce que
l'on appelle « la légende napoléonienne ».

L'état d'esprit décrit par Musset dans La Confession d'un enfant du siècle se retrouve chez
Julien Sorel, le héros du ROUGE ET LE NOIR de STENDHAL : né vers 1808, Julien Sorel voue
un véritable culte à Napoléon. Ce jeune homme ambitieux aurait rêvé de trouver la gloire au
combat, mais ses origines modestes l'en empêchent : durant la Restauration, seuls les nobles
peuvent devenir officiers. Il se résout donc à faire carrière dans l’Église, quoiqu'il n'ait aucune
vocation religieuse. Le titre du roman peut symboliser, entre autres choses, la situation de Julien : le
rouge représente la flamboyance de l'uniforme militaire, et s'oppose au noir, couleur portée par les
prêtres.

Exemple 2 : Le « mal du siècle » n'est cependant pas circonscrit à la société de la


Restauration. Le texte qui suit est extrait de PAULINE (1838), un roman d'Alexandre DUMAS
dont l'action se déroule après la Restauration, en 1834. Le personnage dont il est question, le comte
Horace de Beuzeval, est de retour en France après de longs voyages en orient. Il oppose la vie libre
et exaltante qu'il a connue alors, et qui permet au génie individuel de s’épanouir, à l'existence
conformiste, bornée, médiocre, étouffante et désespérante que mène la haute société en France :
«  [Le comte] nous raconta ses courses dans le golfe du Bengale, ses combats avec les pirates
malais  ; il se laissa emporter à la peinture brillante de cette vie animée, où chaque heure apporte
une émotion à l'esprit ou au cœur ; il fit passer sous nos yeux les phases tout entières de cette
existence primitive, où l'homme dans sa liberté et dans sa force, étant, selon qu'il veut l'être, esclave
ou roi, n'a de liens que son caprice, de bornes que l'horizon, et lorsqu'il étouffe sur la terre, déploie
les voiles de ses vaisseaux, comme les ailes d'un aigle, et va demander à l'Océan la solitude et
l'immensité ; puis, il retomba d'un seul bond au milieu de notre société usée, où tout est mesquin,
crimes et vertus, où tout est factice, visage et âme où, esclaves emprisonnés dans les lois, captifs
garrottés dans les convenances, il y a pour chaque heure du jour de petits devoirs à accomplir, pour
chaque partie de la matinée des formes d'habits et des couleurs de gants à adopter, et cela sous
peine de ridicule, c'est-à-dire de mort ; car le ridicule en France tâche plus cruellement que ne le
fait la boue ou le sang.
Je ne vous dirai pas ce qu'il y avait d'éloquence amère, ironique et mordante contre notre société
dans cette sortie du comte [...]c'était une de ces organisations orageuses se débattant au milieu des
plates et communes exigences de notre société ; c'était le génie aux prises avec le monde, et qui,
vainement enveloppé dans ses lois, ses convenances, et ses habitudes, les emporte avec lui comme
un lion ferait de misérables filets tendus pour un renard ou pour un loup.[...] Alors cette figure si
impassible avait jeté son masque de glace ; elle s'animait à la flamme du cœur, et ses yeux
lançaient des éclairs : alors cette voix si douce prenait successivement des accents éclatants et
sombres ; puis tout à coup, enthousiasme ou amertume, espérance ou mépris, poésie ou matière,
tout cela se fondait dans un sourire comme je n'en avais point vu encore, et qui contenait à lui seul
plus de désespoir et de dédain que n'aurait pu le faire le sanglot le plus douloureux. »

8) LE GOÛT DE L'AILLEURS

Le dégoût du monde contemporain a créé chez certains auteurs romantiques l'envie de


se plonger dans d'autres mondes. Les premières lignes de l'extrait de Pauline de Dumas cité ci-
dessus témoignent d'un goût pour les mondes exotiques. Le tableau ci-dessous illustre quant à lui le
goût des romantiques pour le passé. Y figurent les titres de quelques œuvres romantiques (romans
ou pièces de théâtre) et les époques auxquelles leurs intrigues se passent.

Victor Hugo Notre-Dame de Paris France, XV° s.


Le Roi se meurt France, XVI° s.
Hernani Espagne et Allemagne, XVI° s.
Lucrèce Borgia Italie, XVI° s.
Ruy Blas Espagne, XVII° s.
L'Homme qui rit Angleterre, fin XVII°, début XVIII°
s .
Les Burgraves Allemagne, XII° s.
Alfred de Musset Lorenzaccio Italie, XVI °s.
André del Sarto Italie, XVI° s.
Alexandre Dumas La Reine Margot France, XVI° s.
Les Trois Mousquetaires France et Angleterre, XVII° s.

On remarquera que ce goût du passé ne concerne pas l'antiquité. Cela s'explique par le rejet du
classicisme (voir I,3) : le classicisme, rappelons-le, reposait sur la volonté de s'inspirer des auteurs
antiques, et les tragédies classiques reprenaient dans l'immense majorité des cas des épisodes de la
mythologie ou de l'histoire antique.

9) L’INTÉRÊT POUR LE SORT DU PEUPLE

Le fait que les auteurs ou les personnages romantiques aiment la solitude et rejettent le
matérialisme de la société ne signifie pas qu'ils se désintéressent du sort du peuple, bien au
contraire. Lorsqu'ils évoquent des époques passées, les auteurs romantiques parlent souvent de
façon détournée de leur propre époque ; dans Ruy Blas (voir le résumé de la pièce en I,3), Victor
Hugo montre, à travers le personnage éponyme, que le peuple serait capable de gouverner par lui-
même, si on lui en laissait la possibilité. Et le célèbre roman Les Misérables confirme l'intérêt de
Hugo pour le sort des plus pauvres, sujet qu'il aborde cette fois de façon frontale, et non par un
détour historique, puisque l'intrigue se déroule au XIX° siècle.
De plus, de nombreux auteurs romantiques se sont engagés concrètement : le poète anglais
Lord Byron (1788-1824) rallia les combattants grecs en lutte contre la domination turque (il mourut
en Grèce, victime de la fièvre des marais). V. Hugo, parmi d'autres, soutint la révolution de 1830
(voir plus haut l'analyse du tableau La Liberté guidant le peuple) ; il proclama à cette occasion : « le
romantisme, c'est le libéralisme en politique » (le mot libéralisme désignait à l'époque les partisans
des idéaux de la Révolution française). En 1848, en France, une nouvelle révolution chassa du
pouvoir le dernier des rois (Louis-Philippe), et mit en place la Seconde République ; celle-ci
instaura des réformes politiques et sociales importantes (par exemple l'abolition de l'esclavage, ou
l'instauration du suffrage universel masculin). Alphonse de Lamartine fut un des chefs de file de
cette révolution et occupa un temps les fonctions de ministre des affaires étrangères ; Victor Hugo
fut élu député (Alexandre Dumas, également candidat aux élections législatives de 1848 fut, lui,
battu). Lorsque Louis-Napoléon Bonaparte mit fin à la Seconde République par un coup d’État, en
1851, Hugo et Dumas, devenus opposants politiques, durent s'exiler. Hugo utilisa alors sa plume
pour combattre le nouveau régime, le Second Empire. Dumas, quant à lui, est également connu pour
avoir soutenu les combats de Garibaldi pour l'indépendance de l'Italie, notamment par l'achat
d'armes.
Tous les auteurs romantiques ne partagèrent cependant pas ces engagements :
Chateaubriand, par exemple, soutenait la monarchie et fut ministre et ambassadeur durant la
Restauration. Quant à Alfred de Musset, s'il était sensible aux idées libérales, il ne croyait pas à
l'action politique et son pessimisme le détourna de tout engagement ; dans son drame le plus
célèbre, Lorenzaccio (1834), il montre l'échec de l'assassinat d'un tyran et d'une tentative de
soulèvement étudiant à Florence, au XVI° siècle, et constate la capacité de la classe dominante,
noblesse et bourgeoisie, à se maintenir au pouvoir pour préserver ses intérêts. Ce constat, fait à
propos de l'Italie du XVI° s., vaut aussi, selon lui, pour la France du XIX°.

CONCLUSION : LE RECUL DU ROMANTISME

Si le romantisme domine la première moitié du dix-neuvième siècle, il perd de son


importance ensuite. Cela peut s'expliquer par plusieurs facteurs :

• Si la révolution de 1848 marque l'arrivée au pouvoir du romantisme, elle marque aussi


l'échec de ses idéaux politiques. Cette année-là, de multiples tentatives de révolution ont
lieu en Europe (c'est ce que l'on appellera « le printemps des peuples »). Mais en Italie, en
Autriche, en Allemagne, en Pologne, les insurrections sont réprimées. En France, où une
révolution a amené la Seconde République, des dissensions apparaissent rapidement : des
réformes sociales généreuses, comme la limitation de la durée des journées de travail, ou la
création d'ateliers nationaux pour donner du travail aux chômeurs, sont d'abord mises en
place ; mais les mouvements ouvriers et progressistes sont ensuite réprimés, et ce sont les
factions conservatrices qui finissent par prendre le pouvoir. Les rêves politiques du
romantisme sont brisés au contact de la réalité.

• Les œuvres romantiques ont pu parfois prendre une dimension caricaturale,


notamment par la répétition des mêmes thèmes devenant à force des clichés. Si le
romantisme prônait l'expression sincère de sentiments personnels, cette sincérité a pu
sembler disparaître au profit d'un phénomène de mode. C'est ce qu'illustre la caricature
de Chéyère ci-dessous : deux « romantiques » à la pose outrée se livrent l'un à la
déclamation lyrique, l'autre à la méditation au contact de la nature ; ils ont pour cela choisi
le cadre solitaire d'une montagne escarpée et de ruines mélancoliques. Mais le fait qu'ils sont
deux présente leur comportement comme une mode, et les thèmes romantiques sont
tellement appuyés que tout cela en devient caricatural, comme le souligne la présence de
chauves-souris, symboles de mélancolie, voletant dans le ciel.
(Chéyère, Les Romantiques, gravure – 1830)

• En définitive, par son rejet du rationalisme et de l'ordre social bourgeois, le


romantisme était à l'origine un mouvement contestataire visant à libérer l'individu ; en
prenant une position dominante dans les arts et la littérature, il a perdu de son sens.

• Cependant, le romantisme ne meurt pas en 1848 : Victor Hugo, par exemple, publie
nombre de ses œuvres après cette date ; certains auteurs, comme Charles Baudelaire, ne sont
pas à proprement parler des auteurs romantiques, mais ont été profondément influencés par
le romantisme. Et lorsque Edmond Rostand fait jouer Cyrano de Bergerac en 1897, tout à la
fin du siècle, c'est de l’esthétique du drame romantique qu’il s’inspire

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