Nyabirungu, Interpretation, Cassation, Annulation
Nyabirungu, Interpretation, Cassation, Annulation
Nyabirungu, Interpretation, Cassation, Annulation
INTERPRÉTATION,
CASSATION ET
ANNULATION EN
DROIT CONGOLAIS
2013
INTERPRÉTATION,
CASSATION ET
ANNULATION EN
DROIT CONGOLAIS
2013
Avant-propos
Le droit est une discipline des sciences sociales, une technique de ré-
solution des conflits et un mécanisme nécessaire à la paix, à la tranquillité
et à l’harmonie dans les rapports entre les composantes d’une société, qu’il
s’agisse des individus ou des institutions.
On comprend des lors quelle énorme responsabilité pèse sur ceux-là qui
sont chargés de connaitre le droit et de le mettre en œuvre. On comprend
l’immensité de la charge que portent sur eux les juristes. Ceux-ci, pour s’ac-
quitter de leur mission, doivent connaître le droit et en faire une bonne appli-
cation. Ils doivent interpréter les sources du droit, au sommet desquelles se
Nyabirungu Mwena Songa Raphaël, En vérité, on doit conférer à l’interprétation une double acception :
Professeur ordinaire et Doyen de la faculté de Droit de l’Université de Kinshasa La première veut qu’il y ait interprétation chaque fois qu’il faut partir, ou
assurer le passage d’une loi qui, par définition, est générale, impersonnelle
et abstraite, à un cas concret qu’il s’agit nécessairement de résoudre. Car, il
ne faut pas perdre de vue que le juge a l’obligation de juger, de donner une
réponse à la question qui lui est posée, de trouver une solution au litige qui
lui est soumis, sous peine d’engager sa responsabilité, tant pénale que civile,
pour déni de justice, car, « tout texte est censé apporter une solution de droit
et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compa-
tible avec la réalisation de son objet1 » . Toute interprétation d’un texte doit
assurer « l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions
suivant leurs véritables sens, esprit et fin »2 .
1
Voir les termes de l’article 12 de la loi d’interprétation fédérale canadienne.
2
Article 41 de la loi d’interprétation québécoise.
En fait, ces deux acceptions en valent une : pour résoudre un litige, le juge
doit trouver la solution dans la loi (1ère acception) et lorsque celle-ci est insa-
tisfaisante, trouver toujours une solution (2ème acception), le déni de justice
étant considère comme le mal judiciaire absolu.
Nécessité de l’interprétation tutionnelle ou légale de l’ordre public. Notre constitution recourt à maintes
reprises à la notion d’ordre public, qu’elle ne définit par ailleurs nulle part.
Il en est ainsi aux articles 16 sur le droit à la vie, 20 sur la publicité des
audiences des cours et tribunaux, 22 sur la liberté de pensée, de conscience
IL EST VRAI QUE LORSQUE LE LÉGISLATEUR promulgue une loi, il et de religion, 23 sur la liberté d’expression, 24 sur le droit à l’information
entend apporter une solution de droit à un problème. Ce qu’il attend comme ou 26 sur la liberté de manifestation.
suite est que les citoyens obéissent à la loi et qu’en cas de contestation, le juge De même, les lois recourent à la notion d’ordre public sans la définir.
tranche en appliquant la loi. Pour François Rigaux, l’absence de définition a une explication : « comme
Mais, la réalité est autre : de nombreuses lois ne livrent leur secret qu’au notion fonctionnelle, les tentatives de définition sont toutes condamnées à
contact de la réalité, de la contestation à apaiser et du problème à résoudre. l’échec »4. Pour le professeur Jacques Ghestin, « l’ordre public est une notion
Bien plus, le législateur n’utilise souvent des concepts qu’il ne définit particulièrement fuyante qui ne se laisse guère enfermer dans une définition
pas ou qu’il définit mal. Le juge est obligé de définir, voire de suppléer aux précise ». Il cite à ce sujet des auteurs qui se sont avoués vaincus, comme
carences inévitables du législateur. Il doit interpréter. Pilon qui refuse de « s’aventurer sur les sables mouvants » ou Alglave sur « un
Les exemples qui suivent sont une parfaite illustration de notre pensée : sentier bordé d’ épines », tandis que Ph. Malaurie a relevé 22 définitions dans
-- La notion d’ordre public ; la doctrine et la jurisprudence5.
-- Le principe nullum crimen ; Il parait plus adéquat de travailler sur l’hypothèse de plusieurs notions
-- La notion de bonnes mœurs ; d’ordre public, dont les contenus respectifs varient dans des cadres distincts
-- L’équité. les uns des autres6.
Mais, nous resterions sur notre soif, s’il n’existait même pas une tentative
A. NOTION D’ORDRE PUBLIC de définition. À cet effet, nous sollicitons Planiol qui considère qu’une dis-
position est d’ordre public « toutes les fois qu’elle est inspirée par une consi-
De manière générale, nous pouvons dire que l’ordre public est la notion dération d’intérêt général qui se trouverait compromise si les particuliers
fondamentale de l’État, voire la raison d’être de l’État et la justification de étaient libres d’empêcher l’application de la loi »7.
cette autre notion floue et variable qu’on appelle raison d’État.
Et dans toutes les procédures judiciaires ou administratives, il existe des B. PRINCIPE NULLUM CRIMEN SINE LEGE
exceptions d’ordre public, c’est-à-dire des moyens que les parties comme le
juge doivent soulever d’office à tous les stades de la procédure et qui, s’ils On ne peut perdre de vue que ce principe est requis par le bien public et
sont fondés, mettent fin au litige. la sécurité des citoyens et impose au législateur de s’exprimer en des termes
Le recours à la notion d’ordre public permet au droit civil de limiter le clairs, le contraire constituant une mise en cause du principe et de l’intérêt
champ d’application de l’autonomie de la volonté individuelle, telle qu’elle protégé. En cas des définitions vagues et imprécises de l’infraction, et le
est formulée par l’article 33, livre III : « les conventions légalement formées juge ne pouvant pas de lui-même déterminer le fait punissable ou la peine
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». applicable, la bonne interprétation consistera en l’acquittement de l’accuse.
Le principe parait absolu, et pourtant il connaît des limitations dues au Cependant, malgré cette exigence de la précision et de la clarté des
respect de l’ordre public. termes dans la rédaction de la loi, il arrive qu’une loi souple ou floue, rédigée
La loi des parties est une règle générale en matière civile, mais l’ordre en des termes souples ou ambivalents, soit le seul instrument disponible
public est une règle supérieure, parce qu’il équivaut à la finalité de l’État,
puissance publique, garante de la souveraineté nationale, de l’intégrité du 3
F. Ost, Le temps du droit, Ed. Odèle Jacob, Paris, 1999, p. 295.
territoire et de la sécurité des personnes et des biens.
4
F. Rigaux, Les notions à contenu variable en droit international privé, in Les notions à
contenu variable en droit, op. cit., pp. 240-241.
En droit pénal, celui-ci est défini comme l’instrument direct au service 5
Jacques Ghestin, in Les notions à contenu variable, op. cit., p. 78.
de l’ordre public et de la tranquillité publique. C’est pourquoi, il est le sanc- 6
Loc. cit
7
Jacques Ghestin, in Les notions à contenu variable, op. cit., p. 78.
pour faire face à des situations non-désirables. d’une question de fait. Mais, on ne saurait non plus perdre de vue la relati-
À titre d’illustration, nous pouvons citer l’article 7 de la convention vité d’un tel débat. Il existe des hiérarchies qui, abstraitement ou concrète-
européenne des droits de l’homme, qui renvoie aux principes généraux de ment, ne posent pas de problème :
droit. Mais aussi l’ordonnance du 14 mai 1886 de l’Administrateur général -- La valeur humaine pèse plus qu’un bien matériel ;
du Congo, qui dispose comme suit : « quand la matière n’est pas prévue par -- La défense peut être légitime pour protéger une personne alors
un décret, un arrêté ou une ordonnance déjà promulgues, les contestations qu’elle peut perdre cette légitimité quand il s’agit de défendre un
qui sont de la compétence des tribunaux du Congo seront jugées d’après les bien ou l’honneur.
coutumes locales, les principes généraux du droit et l’équité »8. Les principes généraux de droit annoncent les principes supérieurs d’hu-
Dans des matières autres que pénales, la mise en œuvre de telles disposi- manité qui, malgré leur généralité et leurs contours indéterminés, occupent
tions pose peu de problèmes. Mais en matière pénale, on se heurte de front une place considérable par le biais de la clause dite de Martens, dans le cadre
au principe de la légalité des infractions et des peines. du droit humanitaire : « en attendant qu’un code plus complet des lois de la
L’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit guerre puisse être édicte, les hautes parties contractantes jugent opportun de
la répression d’une action ou d’une omission qui, au moment ou elle a été constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires
commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauve-
par les nations civilisées ». garde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des
Le juge doit d’abord évacuer la question de « nations civilisées » en la usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences
situant dans le contexte de l’époque. Il doit ensuite comprendre que, dans le de la conscience publique»12.
cadre du nouvel ordre mondial issu de l’adoption de la Charte des Nations- Les lois de l’humanité sont aussi appelés les règles premières, les règles-
Unies en 1945, et de l’avènement de nouveaux états issus de la décolonisa- valeurs, selon l’expression de Ch. Perelman13. Ainsi, quand il s’agit des
tion, tous les états sont égaux, souverains et civilises, à moins que par des usages établis entre nations civilisées, « nous croirions tout au moins qu’il
pratiques criminelles, ils se mettent en marge de la communauté internatio- n’est pas nécessaire de recourir à des subterfuges d’interprétation quel-
nale, comme ce fut le cas avec les Khmers rouges, et comme ont tente de le conque pour reconnaitre que les « lois de l’humanité » ainsi que les exigences
faire les Jihadistes au nord du Mali. de la conscience publique ne sauraient pas admettre le recours à des armes
Quant « aux principes généraux de droit » portes aussi bien par la susceptibles d’anéantir d’un coup des millions, voire des millions d’êtres
Convention européenne que par l’Ordonnance du 14 mai 1886, il faut com- innocents »14.
prendre qu’il existe des règles supérieures, porteuses des valeurs communes à C’est sur base de la clause de Martens que sont condamnés par le droit
toutes les nations et à tous les systèmes juridiques et qui permettent d’appor- international humanitaire la menace ou l’emploi d’armes nucléaires.
ter aux litiges semblables des solutions semblables. « Certes les armes nucléaires ont été inventées après l’apparition de la plu-
Comment concilier les principes généraux de droit ainsi définis et le part des principes et règles du droit humanitaire applicable dans les conflits
principe de la légalité des délits et des peines, sinon par le constat que des armes, les conférences de 1949 et de 1974-1977 n’ont pas traité de ces armes
crimes graves, notamment ceux portant atteinte à la paix et à la sécurité de et celles-ci sont différentes des armes classiques tant sur le plan qualitatif que
l’humanité, resteraient impunis si l’on s’enfermait dans les limites des textes sur le plan quantitatif. On ne peut cependant en conclure que les principes
précis ? et règles établis du droit humanitaire applicable dans les conflits armes ne
Quels sont ces principes supérieurs ? Pour Perelman, il s’agit des « valeurs s’appliquent pas aux armes nucléaires. Une telle conclusion méconnaitrait
universelles, admises par tous, telles que le Vrai, le Bien, le Beau, le Juste »9. la nature intrinsèquement humanitaire des principes juridiques en jeu, qui
À cette liste, N. Mac Cormick ajoute le Raisonnable10. imprègnent tout le droit des conflits armes et s’appliquent a toutes les formes
« Les valeurs universelles, que l’on considère comme des instruments de guerre et a toutes les armes, celles du passe, comme celles du présent et
de persuasion par excellence, sont désignées, nul ne s’en étonnera, par les de l’avenir. Il est significatif à cet égard que la thèse selon laquelle les règles
notions les plus confuses de la pensée»11, tant il est vrai qu’il n’existe pas du droit humanitaire ne s’appliqueraient pas aux armes nouvelles, en raison
des hiérarchies des valeurs qui soient abstraites. Elles sont tributaires des même de leur nouveauté, n’ait pas été invoquée en l’espèce »15.
cultures historiques et varient selon les circonstances. Il s’agit, pour le juge,
12
Préambule à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son
8
Article 1 de l’Ordonnance de l’Administrateur Général au Congo – Principes à suivre dans
er
Annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre
les décisions judiciaires, in B.O., 1886, 88 et 189. 1907, Moniteur belge du 6 novembre 1910.
9
Ch. Perelman, L’Empire Rhétorique : Rhétorique et Argumentation, Paris, 1977, p. 40. 13
Annales de philosophie politique, n° 3, PUF, 1959, pp. 223 et S.
10
N. Mac Cormick, On Reasonableness, in Les notions à contenu variable en droit, Études 14
Nahlik, Annuaire français de droit international, 1978, p. 17.
publiées par Chaïn Perelman et Raymond Vander Elst, Bruylant, Bruxelles, 1984, 131. 15
C.I.J., 08 juillet 1996, Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
11
Ch. Perelman, Traité de l’argumentation, cité par J. Verhaegen, op. cit., p. 12. nucléaires, §86.
C. LA NOTION DE BONNES MŒURS Les bonnes mœurs ne peuvent recevoir partout et en tout temps la même
définition. Il s’agit d’une notion variable et les comportements peuvent être
La notion de « bonnes mœurs » est au cœur du droit, et notre Consti- attentatoires aux bonnes mœurs dans un pays et non dans un autre, dans
tution la sollicite souvent comme une des limitations légitimes aux libertés une tribu et non dans une autre, à une époque plutôt qu’à une autre.
fondamentales. Ainsi : Aujourd’hui encore, la querelle sur l’homosexualité en est une illustra-
-- « Toute personne a droit à la vie, a l’intégrité physique ainsi qu’au tion parfaite. La bible condamne l’homosexualité comme un crime contre
libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de nature, mais aujourd’hui, les pays chrétiens sont divises, les uns la considé-
l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes mœurs »16 ; rant comme l’exercice d’une liberté fondamentale et la mise en œuvre du
-- La publicité des audiences des cours et tribunaux cesse dès qu’elle principe d’égalité, les autres comme un phénomène tolérable mais qui ne
est jugée dangereuse pour l’ordre public et les bonnes mœurs17 ; peut autoriser l’entrée des homosexuels dans l’armée ou dans le mouvement
-- Le droit de manifester sa religion ou ses convictions est soumis au scout, et encore moins « le mariage pour tous ». Pendant ce temps, quand
respect … des bonnes mœurs18 ; l’Ouganda menace d’incriminer l’homosexualité, des pays amis tradition-
-- Le droit d’expression doit être respectueux des bonnes mœurs19 ; nels le menacent de la cessation de toute aide au développement. En Répu-
-- Le droit à l’information est garanti sous réserve de respect des blique Démocratique du Congo, l’homosexualité est peu débattue.
bonnes mœurs20 ; Saisi d’un comportement attentatoire aux bonnes mœurs, le juge, dans
-- L’ordre est manifestement illégal s’il est contraire aux bonnes son pouvoir souverain d’appréciation, n’en est pas moins livré à lui-même et
mœurs21. doit donner à sa décision une motivation, et au comportement jugé une qua-
Quant à notre code civil, livre III, portant le droit des obligations et des lification juridiquement fondée et praticable, afin de rendre compte de cette
contrats, il dispose, en ses articles 30 et 32, respectivement comme suit : « sensibilité spéciale du genre humain, qui pousse à une certaine réserve à
-- « L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause l’endroit de la chose sexuelle »25. Il doit être compris que la souveraine appré-
illicite, ne peut avoir aucun effet » ; ciation du juge ne doit pas dégénérer en un pouvoir arbitraire26.
-- « La cause est illicite quant elle est prohibée par la loi, quand elle
est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ». D. L’ÉQUITÉ
Les atteintes aux bonnes mœurs renvoient, dans le cadre du code pénal
congolais, aux outrages publics aux bonnes mœurs, des articles 175 et sui- L’Ordonnance du 14 mai 1886 de l’Administrateur Général du Congo,
vants : « quiconque aura exposé, vendu ou distribue des chansons, pam- que nous avons déjà citée, renvoie à l’équité comme source du droit.
phlets ou autres écrits, imprimés ou non, des figures, images, emblèmes ou Devant les difficultés d’appréciation et d’évaluation des dommages et
autres objets contraires aux bonnes mœurs … ». intérêts, le juge congolais tranche ex aequo et bono.
Les auteurs et tous les praticiens du droit savent que « de façon géné- La constitution prévoit que lorsque le conseil d’état « connait, dans les
rale la détermination des bonnes mœurs est aujourd’hui difficile »22, et peut cas où il n’existe pas d’autres juridictions compétentes, de demandes d’in-
même conduire, dans un même système ou ordre juridique, à des jugements demnités relatives à la réparation d’un dommage exceptionnel, matériel ou
contradictoires ou inconciliables. moral résultant d’une mesure prise ou ordonnée par les autorités de la répu-
Tel est le cas lorsque le TGI de Paris annule d’office une convention de blique. Il se prononce en équité en tenant compte de toutes les circonstances
strip tease23 , alors qu’un arrêt de la cour de la même ville accorde des dom- d’intérêt public ou privé »27.
mages-intérêts à une danseuse de strip tease qui, après un accident, restait L’article 38, 2 du statut de la cij cite la possibilité pour celle-ci de statuer
marquée d’une cicatrice au bas-ventre24. ex aequo et bono : « la présente disposition ne porte pas atteinte a la faculté
Le sentiment de pudeur publique peut revêtir des formes et impliquer pour la cour, si les parties sont d’accord, de statuer ex aequo et bono ».
des exigences variables dans le temps et dans l’espace. Autant l’équité tombe sous le sens, autant il est difficile d’en donner une
définition juridique, voire une définition tout court. Sous le sens en effet,
16
Article 16, 1 de la Constitution. lorsqu’elle est définie comme « le sentiment sûr et spontané du juste et de
17
Article 20 de la Constitution.
18
Article 22 de la Constitution.
l’injuste »28. Mais « l’équité a toujours embarrassé les juristes en raison de la
19
Article 23 de la Constitution.
20
Article 24 de la Constitution. 25
Marciano, cité par J. Verhaegen, op. cit., p. 10.
21
Article 24 de la Constitution. 26
H. Capitant, F. Ferre et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Tome II,
22
J. Ghestin, L’ordre public, notion à contenu variable, en droit privé français, in Les notions à Obligations, Contrats spéciaux, sûretés, 12e éd., Dalloz, Paris, 2008, n° 161.
contenu variable, op. cit., p. 85. 27
Article 155, al. 3 de la Constitution.
23
D. 1975, 401, notes M. Puech, Rev. trim. dr. civ., 1974, 806, obs. Loussouarn 28
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, Paris, 2006, V°
24
Rev. trim. dr. civ., 1960, 646, obs. A. Tunc. Équité.
difficulté qu’ils ont éprouvée pour la définir de manière univoque et pour la de la justice dans les circonstances de l’espèce33. Dans l’affaire du plateau
situer précisément par rapport au droit … l’équité s’oppose à la loi ou bien la continental (Tunisie C/Jamahiriya Arabe Libyenne), la Cour se devait d’«
prolonge, l’améliore, voire la corrige »29. appliquer les principes équitables comme partie intégrante du droit interna-
Ici, l’on vient de nous dire ce que fait l’équité, mais pas encore ce qu’elle tional et poser soigneusement les diverses considérations qu’elle juge perti-
est. Peut-être qu’un recours a Portalis, dans son discours préliminaire, serait nentes, de manière à aboutir à un résultat équitable »34.
plus significatif : « l’équité est le retour à la loi naturelle, dans le silence, L’équité est largement sollicitée comme une nécessité et un impératif
l’opposition ou l’obscurité des lois positives ». Ainsi, « l’équité ne sera donc absolu qui doit caractériser la procédure, de la phase pré-juridictionnelle à
jamais qu’un supplément à la loi positive pour traiter les cas que celle-ci la fin du procès.
n’aurait pas prévus et tenir compte du détail et du caractère variable des De nombreux instruments internationaux proclament les principes d’un
actions humaines ; le juge doit alors décider de son chef, mais uniquement procès équitable :
comme le législateur lui-même aurait décide »30. 1. L’égalité de tous devant les tribunaux ;
En droit pénal, l’équité n’a aucun rôle créateur dans la détermination 2. Le droit d’être entendu équitablement et publiquement par un tri-
des infractions et des peines, celle-ci relevant d’un texte de loi formel et bunal compétent, indépendant et impartial ;
préexistant, au nom du principe majeur de la légalité ou, mieux encore, de 3. La présomption d’innocence jusqu’à établissement définitif de la
la textualité. L’équité renvoie à des valeurs supérieures se référant toutes à culpabilité ;
l’idée de justice. « L’équité, dit la cij, en tant que notion juridique procède 4. D’autres garanties telles que le droit a l’information et a la défense
directement de l’idée de justice » et la cour dont la tâche est d’administrer la par soi-même ou par une personne de son choix, le droit au recours,
justice ne saurait manquer d’en faire application31. le droit a l’indemnisation en cas de révision de la condamnation,
C’est cet ancrage dans des valeurs métajuridiques morales ou supérieures non bis in idem35, etc.
qui a permis au juge de Nuremberg de trouver une parade appropriée aux Les considérations qui précédent démontrent que l’équité est en aval de
allégations de la défense selon lesquelles les principes de la légalité et de la l’administration de la justice. Mais, en vérité l’équité, en tant qu’exigence
non-rétroactivité de la loi pénale avaient été violés. Il est évident que, d’après fondamentale de tout ce qui est juste, doit avoir aussi sa place en amont,
une telle conception du droit, celui-ci ne saurait être enferme dans le droit c’est-a-dire dans les attentes et les aspirations d’une société déterminée et
positif, dans des textes donnes. Il devient transcendant au nom du droit dans l’élaboration des lois qu’elle se donne, dans les attentes et les intérêts
naturel et de l’équité. de la communauté internationale et dans les sources du droit qui lui servent
En droit international, le principe de la légalité est clairement posé et de référence. Depuis longtemps, Saint Augustin disait que même les lois
formellement nuancé par l’article 15, al. 2 du pacte international relatif aux devaient être justes car la justice était la première condition de leur obéis-
droits civils et politiques, lorsqu’il dispose comme suit : « rien dans le présent sance. Une loi inique n’est pas une loi. Et le législateur se doit de faire des lois
article ne s’oppose au jugement ou a la condamnation de tout individu en justes et nécessaires. Comme lois iniques d’aujourd’hui, on pourrait citer :
raison d’actes ou omissions qui, au moment ou ils ont été commis, étaient 1. En matière pénale :
tenus pour criminels, d’après les principes généraux de droit reconnus par -- Les lois homicides, c’est-a-dire celles qui tuent ou appellent au
l’ensemble des nations ». meurtre ;
Comme ces principes généraux ne sont codifiés nulle part, ils ne peuvent -- Les lois liberticides ;
relever que de la sagesse des nations, de ce qu’elles considèrent comme -- Les lois discriminatoires, etc.
juste, possible, nécessaire et raisonnable. Et seule l’équité contient de telles 2. En matière civile, commerciale ou fiscale :
marques en son sein. -- Les lois confiscatoires ;
Et effectivement, « la notion juridique d’équité est un principe général -- Les lois mettant en cause le droit à une réparation intégrale ;
directement applicable en tant que droit »32. Entre plusieurs interprétations -- Les lois portant atteinte grave à l’environnement et à la qualité de
possibles, le juge choisit « celle qui lui parait la plus conforme aux exigences la vie, etc.
29
Charles Jarrosson et François-Xavier Tentu, V° Équité, in Dictionnaire de la culture juri-
dique, sous la direction de Denis Alland et Stéphane Rials, 1ère éd., PUF, Paris, 2003, p. 635. 33
Loc. cit.
30
Charles Jarrosson et François-Xavier Tentu, op. cit., p. 638. 34
Loc. cit.
31
CIJ, Affaire du Plateau continental (Tunisie c/Jamahiriya Arabe Libyenne, arrêt du 24 février 35
Article 14 du PIDCP. Voir aussi articles 55, 66 et 67 du Statut de Rome ; articles 55, 66 et
1982, §71. 67 du Statut de Rome; articles 21du Statut du TPIY et 20 du Statut du TPIR ; article 6 de la
32
CIJ, Affaire du Plateau continental (Tunisie c/Jamahiriya Arabe Libyenne, arrêt du 24 février Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
1982, §71. article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Les sources d’interprétation du ménage fondé sur le mariage et la sauvegarde de son unité et
de sa stabilité ».
Le code de la famille contient beaucoup d’autres exemples d’interpréta-
tion authentique contextuelle, notamment :
ON PEUT, A PRIORI, PENSER que tout le monde peut interpréter la loi, -- L’article 173, relatif à l’absence ;
étant donne que tout le monde est censé se soumettre a la loi et que nul n’est -- L’article 337, relatif aux fiançailles ;
censé l’ignorer. ce serait cependant une erreur qu’une matière aussi précieuse -- L’article 443, relatif au ménage ;
que la loi soit abandonnée a l’appréciation de tous et de chacun, au risque de -- L’article 699, relatif au père et à la mère ;
nous retrouver devant autant d’avis et d’interprétations qu’il y a d’habitants -- L’article 701, relatif à la famille ;
dans chaque état, d’installer celui-ci dans l’anarchie, l’arbitraire, la jungle, -- L’article 173, relatif aux libertés ;
et de le transformer ainsi dans un non-droit, dans la négation et le rejet de -- L’article 829, relatif à l’ayant cause ;
ce qui fait l’État de droit. -- L’article 873, relatif à la donation entre vifs ; etc.
Il importe donc que pour l’existence, le fonctionnement et la survie de
l’état, l’interprétation relève des instances compétentes, qu’il faut aussi ap- b) En droit des biens
peler les sources d’interprétation. La loi du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier
Il existe quatre sources d’interprétation principales : et immobilier et régime des sûretés, définit les concepts de base.
-- L’interprétation authentique ; Ainsi,
-- L’interprétation judiciaire ; -- Sont des biens immobiliers « tous les droits réels qui ont pour objet
-- L’interprétation doctrinale ; des immeubles, ainsi que les droits de créance tendant a acquérir
-- L’interprétation des normes internationales. ou a recouvrer un droit réel sur un immeuble »36 ;
-- Sont des biens mobiliers « tous les autres droits patrimoniaux et
A. L’INTERPRÉTATION AUTHENTIQUE (dite aussi législative) notamment les actions et intérêts dans les sociétés, associations et
communautés qui jouissent de la personnalité civile encore que des
Elle émane du législateur lui-même et revêt une force obligatoire pour immeubles appartiennent à l’être moral »37 ;
le juge, car elle est l’œuvre de l’autorité même qui a rédigé la loi. Elle peut -- « La propriété est le droit de disposer d’une chose d’une manière
prendre deux formes : absolue et exclusive, sauf les restrictions qui résultent de la loi et
-- Interprétation contextuelle des droits réels appartenant a autrui »38 ;
-- Interprétation postérieure -- « La concession est le contrat par lequel l’État reconnait à une
collectivité, à une personne physique ou à une personne morale
I. Interprétation contextuelle de droit privé ou public, un droit de jouissance sur un fonds aux
Elle est ainsi qualifiée lorsqu’elle est donnée par la loi même qu’on inter- conditions et modalités prévues par la présente loi et ses mesures
prète. Nous en trouvons des exemples à travers différents textes. d’exécution »39 ;
-- « La concession perpétuelle est le droit que l’État reconnait à une
a) Dans le code de la famille personne physique de nationalité congolaise, de jouir indéfiniment
Ainsi, dans la loi 87-010 du 1er aout 1987, portant code de la famille, de son fonds aussi longtemps que sont remplies les conditions de
nous pouvons citer : fond et de forme prévues par la présente loi »40.
-- L’article 3 qui définit le mineur comme « l’individu n’ayant pas Relèvent aussi de l’interprétation authentique contextuelle :
encore atteint l’âge de 18 ans révolus » ;
-- L’article 4 qui définit la nationalité congolaise par appartenance,
36
Article 3.
37
Article 4.
l’article 5, par filiation et l’article 7, la nationalité congolaise par 38
Article 14.
présomption de la loi ; 39
Article 61.
-- L’article 160 qui définit la résidence comme « le lieu ou une per- 40
Article 80.
-- L’article 110 qui définit l’emphytéose ; Dans le cadre du droit compare, nous pouvons citer le code pénal russe
-- L’article 132 qui définit l’usufruit ; de 1997 qui définit tous les concepts qu’il utilise et se pose ainsi en modèle
-- L’article 141 qui définit l’usage ; etc. d’interprétation authentique contextuelle. À titre d’exemples, nous pouvons
citer :
c) En droit des obligations et des contrats -- L’article 105 relatif à l’homicide, «c’est-à-dire le fait intentionnel
Le code civil, livre III, contient des dispositions portant interprétation d’avoir donné la mort à autrui » ;
authentique contextuelle, comme en font foi : -- L’article 129 relatif à la diffamation, « c’est-à-dire le fait de ré-
-- L’article 1er, selon lequel « le contrat est une convention par laquelle pandre des renseignements que l’on sait faux et qui portent atteinte
une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs à l’honneur et à la dignité de la personne d’autrui, ou qui nuisent
autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » ; à sa réputation » ;
-- L’article 124, qui définit la clause pénale comme « celle par laquelle -- L’article 130 relatif à l’injure, « c’est-à-dire le fait de flétrir l’hon-
une personne, pour assurer l’exécution d’une convention, s’engage neur et la dignité d’autrui en s’exprimant grossièrement » ;
a quelque chose en cas d’inexécution » ; -- L’article 131 relatif au viol, « c’est-à-dire les rapports sexuels obte-
-- L’article 223, alinéa 2, définit un commencement de preuve par nus soit par emploi de la violence, soit par menace de son emploi
écrit comme étant « tout acte par écrit qui est émane de celui sur la victime ou d’autres personnes, ou obtenus en profitant du
contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente, fait que la victime se trouve hors d’état de se défendre ».
et qui rend vraisemblable le fait allègue » ;
-- L’article 225 définit les présomptions comme étant « des consé- e) En droit pénal militaire
quences que la loi où le magistrat tirent d’un fait connu à un fait L’article 106, alinéa 2 du code judiciaire militaire définit les assimiles : «
inconnu » ; les membres de la police nationale et les bâtisseurs de la nation pour les faits
-- L’article 263 définit la vente comme étant « une convention par commis pendant la formation ou a l’occasion de l’exercice de leurs fonctions
laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer ». au sein du service national ».
Non seulement le code des obligations comporte de nombreuses dispo- Bien plus, le même code pose une règle d’interprétation en son article
sitions relatives à l’interprétation authentique contextuelle, mais aussi pose 76, alinéa 3 : les juridictions militaires « sont compétentes pour interpréter
des règles d’interprétation des contrats, aux articles 54 à 62. les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la
Ainsi, est affirmée la primauté de la commune intention des parties sur légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur
le sens littéral des termes, la primauté, en cas d’ambigüité, du sens qui puisse est soumis ».
avoir quelque effet ou du sens qui convienne le plus au contrat, le recours à
ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé, le principe de l’inter- II. Interprétation postérieure
prétation des clauses contractuelles les unes par les autres, « en donnant à Elle est ainsi appelée lorsque, après la promulgation de la loi et à l’ occa-
chacune le sens qui résulte de l’acte entier ». sion des difficultés qu’elle soulève, une nouvelle loi vient en préciser le sens
Cependant, il convient de rappeler que les principes ainsi formules ne re- et la portée. La loi interprétative s’impose au juge et est considérée comme
vêtent pas un caractère impératif et ne peuvent donc donner à ouverture en faisant partie intégrante de la loi qu’elle interprète. Cela est généralement
cassation : ils « constituent des conseils donnés au juge par le législateur pour accepté car le législateur est l’organe le mieux place pour préciser sa pensée
l’interprétation des conventions et non des règles absolues dont l’inobser- en cas de difficulté d’application d’une loi nouvelle.
vation entrainerait l’annulation de la décision qui les aurait méconnues »41. Cependant, les lois interprétatives ne sont pas a l’abri de toute critique,
car on peut avoir des raisons de craindre que, par elles, le législateur ne tente
d) Dans le code pénal de se substituer au juge et ne cherche à trancher un litige. Dans un système
-- L’article 212 du cp définit l’attentat; tyrannique, le mal passera inaperçu, alors que dans une démocratie, peut en
-- L’article 213 définit le complot; pâtir le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs.
-- L’article 214 définit le mot «armes»;
-- L’article 2 du nouveau code de la route (1978) donne une série B. L’INTERPRÉTATION JUDICIAIRE
de définitions des termes qui seront utilises tout au long du texte
portant code de la route. Elle est l’œuvre des cours et tribunaux. Elle est l’ensemble des décisions
des cours et tribunaux, rendues dans le cadre de l’accomplissement de leur
41
H. Capitant, F. Ferre et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Tome II, op. mission, et de l’exercice de leur fonction de dire le droit. On l’appelle aussi
cit., n° 160. jurisprudence.
Elle constitue une source importante du droit dans la mesure où les déci- Lorsqu’elle statue sur un pourvoi en cassation, la cour suprême de jus-
sions judiciaires sont toujours interprétatives et constituent généralement tice, section judiciaire, peut rendre notamment :
une source d’inspiration pour le législateur, car celui-ci prend la mesure de 1. Un arrêt d’irrecevabilité ;
l’évolution des réalités sociales à travers notamment la pratique judicaire et 2. Un arrêt de rejet du pourvoi ;
les difficultés rencontrées par les cours et tribunaux dans la mise en applica- 3. Un arrêt de cassation avec renvoi ;
tion des lois existantes. 4. Un arrêt de cassation sans renvoi ;
Les juges sont eux-mêmes aides dans cette tâche par la doctrine (opinion 5. Un arrêt donnant acte de désistement.
des auteurs) et la pratique (opinion de certaines personnes privées comme Selon la complexité des affaires et des situations, des arrêts d’une autre
les avocats et les notaires qui peuvent proposer aux magistrats une interpré- nature sont possibles.
tation de la règle de droit).
a) Un arrêt d’irrecevabilité
Ces institutions servent donc ainsi de guide précieux aux tribunaux pour La cour de cassation rend un arrêt d’irrecevabilité du pourvoi lorsque
l’interprétation à donner aux normes juridiques. celui-ci comporte un vice de forme, et dont la conséquence immédiate est
cependant, avant d’aller plus loin, il importe de distinguer la jurispru- de mettre le juge dans l’impossibilité d’examiner le bien-fondé du pourvoi.
dence, selon qu’elle est l’œuvre des juridictions de l’ordre judiciaire, des Il interviendra pour divers motifs tels que le défaut de qualité44, le dépas-
juridictions de l’ordre administratif et de la cour constitutionnelle, la juris- sement du délai pour se pourvoir (40 jours francs à dater du prononce de
prudence des juridictions militaires faisant partie intégrante de la première l’arrêt ou du jugement rendu contradictoirement, 3 mois pour le ministère
catégorie. public)45, l’absence de confirmation du pourvoi, l’absence d’une procuration
spéciale dans le chef de l’avocat signataire de la requête, l’absence d’élection
I. Interprétation judiciaire proprement dite de domicile dans la ville de Kinshasa, l’absence d’inventaire des pièces for-
La jurisprudence n’a pas d’autorité de droit. mant le dossier, l’absence de qualité dans le chef du procureur général qui
Ainsi, les arrêts d’une cour ou les jugements d’un tribunal de l’ordre forme un pourvoi dans l’intérêt de la loi alors que celui-ci ne peut être formé
judiciaire n’ont pas une force obligatoire, et ne s’imposent donc pas aux que par le Procureur Général de la République46. De même, un pourvoi sans
autres juridictions. Il en est de même des arrêts de la cour de cassation, objet doit être déclaré irrecevable. Tel est le cas d’un pourvoi formé contre
rendus sur le fond. un jugement par défaut dont l’opposition a été vidée par un autre jugement
Toutefois, ces mêmes arrêts et jugements, rendus par une cour ou par un réputé contradictoire, celui-ci seul devenant susceptible de cassation47.
tribunal, ont une autorité de fait, et s’agissant des arrêts de fond de la cour
suprême de justice, cette autorité de fait devient plus grande encore. b) Un arrêt de rejet du pourvoi
Cette autorité de fait des décisions judiciaires rendues sur le fond d’une Il peut être rendu par la cour de cassation lorsque celle-ci, après avoir
affaire provient de l’idée qu’aucun juge sage et intelligent ne peut apporter examiné le bien-fondé du pourvoi, refuse au demandeur la cassation de la
de solution définitive à un litige sans se référer à ce qu’ont décide d’autres décision attaquée.
juges antérieurement saisis des faits proches ou semblables. Les motifs d’un tel arrêt « varient à l’infini »48. Nous pouvons citer :
De même, les parties tirent argument des décisions judiciaires anté- -- Les moyens nouveaux, ceux qui sont présentés la première fois par
rieures pour faire triompher leurs prétentions, et arracher au juge une déci-
sion favorable. 44
C.S.J., 13 février 1976, RP 214, OTCZ c/M.P. et Ingombi, inédit.
En ce qui concerne l’autorité des arrêts de la cour suprême de justice,
45
C.S.J., 25 août 1999, en cause Succession Dibalu Didi c/MP et Mlle Bango Bango, inédit;
25 août 1999, en cause Tshiabu Kabuya c/MP et Batubenga Badibanga Alphonse, inédit ; 27
siégeant en cassation, il importe de relever que celle-ci ne constitue pas un janv. 1999, en cause Futa Zekanda c/MP, Lusunzi Vima Marie Yvette et crts, inédit ; 28 oct.
troisième degré de juridiction. « Sa mission est de décider si le juge du fond 1998, en cause Pumbulu Mikanda c/MP et Teleme Mokwa, inédit ; 19 janv. 2000, en cause
s’est conformé à la loi en résolvant les contestations qui lui sont soumises »42. Lusambo Mpanda Wa Lusambo c/MP, Kasende-Kasende et crts, inédit ; 10 déc. 1997, en
Elle est juge des jugements en ce sens qu’à la requête des parties, elle cause Succession Amba Lokondji c/MP et Lonyemba Ondjembe, inédit ; 10 déc. 1997, en
cause Société SOPEX c/MP et Monsieur Lufungula, inédit ; 19 sept. 1997, en cause MP c/
vérifie leur conformité au droit et à la loi. Elle ne connait pas du fond des Mwena et crts, inédit ; 30 déc. 1998, en cause Kayembe Mbwembwe c/MP, Andimi Emina et
affaires dont elle est saisie43. crts, inédit ; 2 juin 1999, en cause Mme Bajana Kamunga c/MP et Mukendi Kalala, inédit ;
26 janv. 2000, en cause G. Soumis c/MP et Lemfuka, inédit ; 16 fév. 2000, en cause Mokando
42
P. Leclercq, Nature du contrôle de La Cour de cassation, Tome II, Bruylant, Bruxelles, 1966, c/MP et Marie José Ifili, inédit.
n° 245, p. 363. 46
C.S.J., 14 mai 1985, en cause MP c/Ndosali Songombembe, B.A., 1985-1989, 2002, 32.
43
Voir sur l’ensemble de la question Kengo-Wa-Dondo, L’évolution jurisprudentielle de la 47
C.S.J., 24 juillet 1984, en cause Lombo dia Makay c/MP et Bonia Bankende, B.A., 1980-
Cour Suprême de Justice en République Démocratique du Congo (1968-1979), in Bull. 1979, 1984, 2001, p. 493.
167-307. 48
Kengo-Wa-Dondo, op. cit., 231.
et qui pouvaient être aussi bien de fond, d’irrecevabilité que de cassation à l’article 179 du code pénal, livre II, tout fait quelconque ayant
proprement dite. pour effet d’empêcher, de retarder ou d’interrompre l’exercice d’un
La loi 078-10 du 15 février 1978 portant révision de la constitution du 24 culte »63 ;
juin 1967 indique que le législateur doit avoir eu les mêmes appréhensions -- « Que la juridiction de renvoi devra examiner les éléments consti-
devant une autorité aussi étendue des arrêts de la cour suprême de justice, tutifs de chacune des infractions mises à charge du prévenu »64 ;
et a décidé d’innover sur la question en prévoyant expressément l’hypothèse -- « Que la juridiction de renvoi devra préciser les peines accessoires
de cassation avec renvoi et en disposant, en son article 101, alinéa 4 : « en aux travaux forcés à prononcer à charge du demandeur en cassa-
cas de renvoi après cassation, les cours et tribunaux inferieurs sont tenus de tion »65.
se conformer à l’arrêt de la cour suprême de justice sur le point de droit jugé Siégeant en matière civile et commerciale, la cour a renvoyé le pourvoi et
par cette dernière ». dit pour droit :
Depuis lors, cette disposition fait partie du droit constitutionnel positif -- « Que la juridiction de renvoi devra, en cas de changement de
congolais58, même si, par ailleurs, la constitution de la troisième république, la composition du siège, ordonner la réouverture des débats, les
se contente de disposer que « la cour de cassation connait des pourvois en parties dument appelés et reprendre l’instruction de toute l’affaire
cassation formes contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par ou faire un résume des débats antérieurs qui sera acte à la feuille
les cours et tribunaux civils et militaires »59. d’audience »66 ;
Lorsque la cour de cassation renvoie après cassation, elle doit s’exprimer -- « Que le défendeur ayant par sa mutation approuvée par l’autorité
de manière que le dispositif indique avec précision la juridiction de renvoi compétente, perdu sa qualité de délégué syndical, la juridiction de
et, si l’affaire est portée devant la juridiction siégeant au deuxième degré, la renvoi ne pourra déduire de l’absence d’approbation du licencie-
règle de droit (dit pour droit) que celle-ci devra impérativement et absolu- ment de la part de l’inspecteur du travail, le caractère abusif de la
ment appliquer. Ce n’est donc que dans cette hypothèse de cassation avec résiliation du contrat qui liait les parties »67 ;
renvoi que les arrêts de la cour suprême de justice acquièrent une autorité -- « Que la juridiction de renvoi devra déterminer la date de la réso-
absolue, et seulement sur le point de droit jugé par elle. lution du contrat de b.a. Il avenu entre Kiaku et Nougbode et
Dans l’affaire Tshipama Kalunga c/m.p., la cour suprême, après avoir décider s’il y a lieu ou non à remboursement des impenses »68 ;
examiné le moyen du demandeur en cassation selon lequel ce dernier n’avait -- « Que la juridiction de renvoi devra à défaut de libérer les lieux,
pas la qualité de fonctionnaire et ne pouvait donc pas répondre de l’in- condamner Konate à payer les deux zaïres de convention »69 ;
fraction de détournement prévue et punie par l’article 145 du code pénal, -- « Que la juridiction de renvoi après avoir relevé que l’acte d’appel
déclaré le moyen fondé et, en conséquence, « Casse l’arrêt attaqué ; renvoie relate que l’avocat de la demanderesse était porteur de procuration
la cause devant le tribunal de grande instance de Kalemie. Dit pour droit spéciale ne pourra déclarer cet acte d’appel nul pour absence de
que la juridiction de renvoi devra juger le demandeur sur base de l’infraction procuration spéciale au dossier que s’il y a preuve littérale contraire
d’abus de confiance, le demandeur n’ayant pas qualité d’une personne visée établissant l’inexistence de cette pièce ou la fausseté des constata-
à l’article 145 du code pénal, livre II »60. tions de l’acte d’appel »70 ;
Dans d’autres arrêts de cassation avec renvoi en matière répressive, la -- « Que la juridiction de renvoi devra se conformer à l’article 227 de
cour, avec la même constance dans sa technique de renvoi, a dit pour droit : la loi n° 73/021 du 20 juillet 1973 qui prescrit l’inattaquabilité du
-- «Que la juridiction de renvoi ne devra pas se contredire dans ses droit de propriété constaté par un certificat d’enregistrement »71.
motifs et dispositif »61 ;
-- «Que la juridiction de renvoi devra répondre aux chefs de conclu- d) Arrêt de cassation sans renvoi
sion sur l’interruption de la prescription de l’action publique des La loi prévoit la cassation avec renvoi s’il reste quelque litige à juger. A
parties demanderesse »62 ; contrario, il y a cassation sans renvoi si, après cassation, il n’y a plus rien à
-- « Que la juridiction de renvoi devra considérer comme trouble vise
63
C.S.J., 23 févr. 2000, en cause Église Évangélique Libre d’Afrique (EELDA asbl) c/MP et
58
Voir aussi articles 97, al. 3 de l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la Senga Bululu, inédit.
période de Transition, 102, al. 2 de l’Acte constitutionnel et 131, al. 3 du projet de Constitu- 64
C.S.J., 14 août 1984, B.A., 1980-1984, 2001, 504.
tion de la Conférence Nationale Souveraine. 65
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 87.
59
Article 153 du projet. 66
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 41.
60
27 juin 1979, Bull., 136, 1984, 136. 67
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 78.
61
C.S.J., 23 déc. 1998, RP 1. 371, en cause Monsieur Mingiedi c/MP et Monsieur KILESI, 68
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 112.
inédit. 69
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 113.
62
C.S.J., 10 déc. 1997, RP 1360, en cause Le Club de Kin et crts c/MP et Monsieur Braulio 70
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 207.
Suarez Reynoso, inédit. 71
C.S.J., 7 oct. 1980, B.A., 1980-1984, 2001, 237.
juger.Il y aura cassation sans renvoi lorsqu’après le prononcé de l’arrêt de la posent pas aux juridictions inferieures. Ils jouissent toutefois d’une
cour de cassation «on se trouve en face d’une sorte de néant juridique, de grande autorité morale et la pratique judiciaire montre même qu’ils
telle manière que la cour soit dans l’impossibilité de prendre une décision ont une autorité de fait ; citer une jurisprudence de la cour suprême
juridictionnelle nouvelle »72. est considéré par les parties au procès comme un argument, sinon
Il en sera ainsi en cas de saisine irrégulière du juge de fond73, d’extinction décisif, du moins important.
de l’action publique par le décès du prévenu, d’amnistie ou de prescription74, Il convient de relever que, même dans le cadre du système juridique dit
ou de constat par la cour suprême de justice de l’inexistence de l’infraction. de «Common Law», et où la jurisprudence jouit d’une autorité juridique in-
contestable, la légalité s’est largement imposée à travers de nombreux textes
e) Arrêt de désistement législatifs « statues », la jurisprudence pénale (antécédents) a beaucoup perdu
Lorsque le demandeur en cassation déclare se désister de son pourvoi, la de son rôle créateur des incriminations, et les juridictions retrouvent de plus
cour suprême de justice lui en donne acte par un arrêt75. en plus leur autonomie vis-à-vis des décisions rendues par les juridictions
supérieures. De sorte que l’on peut affirmer aujourd’hui que «la substance
f) D’autres arrêts possibles du droit pénal est presqu’entièrement légale. En effet, quand la chambre des
Outre les formes d’arrêts ci-dessus cités et expliqués, d’autres arrêts sont lords a déclaré, dans l’affaire Shaw, qu’il restait loisible aux juges d’établir
possibles. Par exemple, le 26 janvier 1983, la cour suprême de justice, sié- des catégories délictuelles de droit commun, de sévères critiques se sont éle-
geant en cassation en matière civile et commerciale, a rendu un arrêt consta- vées de toutes parts »79.
tant la dissolution d’une personne morale en cours d’instance et demandant
au Procureur Général de la République de recueillir des renseignements sur II. Interprétation administrative
l’identité des parties à l’égard desquelles la reprise d’instance pouvait avoir La question d’interprétation se pose, en droit administratif, notamment
lieu76. De même, la cour suprême de justice peut casser le jugement et, quant lorsqu’il s’agit d’interpréter un acte administratif, c’est-à-dire, lorsqu’il s’agit
au renvoi, prononcer un avant dire droit ordonnant aux parties d’évaluer d’en découvrir le sens exact ou les intentions réelles de son auteur80.
leur litige77. Dans le contentieux d’interprétation des actes administratifs, il faut dis-
Dans d’autres arrêts, la cour suprême de justice a déclaré les pourvois tinguer selon qu’il s’agit des actes réglementaires et des actes non réglemen-
prématurés rappelant notamment que s’agissant d’un jugement rendu par taires.
défaut, aux termes de l’article 39, al. 2 de l’Ordonnance-loi n° 69/2 du 08
janvier 1969 relative à la procédure devant la cour suprême de justice, le a) Interprétation des actes réglementaires
pourvoi n’était ouvert et le délai ne commençait à courir à l’égard de la par- Les solutions en la matière sont imposées par « la nature des choses et
tie défaillante que le jour où l’opposition n’était plus recevable78. l’application des principes fondamentaux du droit »81.
Ainsi, le juge, autre que le juge administratif, peut et doit interpréter le
g) Conclusion texte réglementaire, qu’il s’agisse d’une ordonnance, d’un décret, d’un arrêté
En conclusion sur cette question de l’autorité des arrêts de la cour de et de toute autre décision revêtant la qualité d’acte administratif, du moment
cassation, nous formulons l’essentiel en deux points : qu’il doit l’appliquer à l’occasion d’une affaire dont il est saisi.
-- En cas de renvoi après cassation, l’autorité des arrêts de la cour de Ce pouvoir lui est reconnu par la constitution en son article 153, ali-
cassation est impérative et absolue car la règle qu’elle dit pour droit néa 4, lorsqu’elle dispose que « les cours et tribunaux, civils et militaires,
s’impose aux juridictions inferieures saisies par le renvoi ; appliquent les traités internationaux dument ratifiés, les lois, les actes régle-
-- Dans tous les autres cas, les arrêts de la cour de cassation ne s’im- mentaires, pour autant qu’ils soient conformes aux lois … ».
72
Kengo-Wa-Dondo, op. cit., p. 246. b) Interprétation des actes non réglementaires
73
C.S.J., 24 mars 1961, RP 23 Mamalingas c/M.P. et Malias, inédit.
74
C.S.J., 17 mai 1978, RP 194, Kabeya Nkongolo c/M.P. et Kisumbele, inédit ; Cass. 1er mars 1) Principe
1994, R.D.P.C., 1205; C.S.J. 9 septembre 1980, Mamputu Manza et Mambwene Lukaku
c/M.P., B.A., 2001.
Lorsqu’il s’agit des actes non réglementaires, c’est-à-dire des actes indivi-
75
C.S.J., 28 oct. 1998, en cause Muyaya Tshifwaka c/MP et Mulumba Bakajika ; C.S.J., 27
nov. 1990, en cause SONAS c/MP et crts, Bull. 1990-1999, 2003, 45. 79
Norman S. Marsh, Q.C., Quelques réflexions pratiques sur l’usage de la technique compa-
76
C.S.J., 26 janv. 1983, en cause La compagnie africaine d’automobiles au Zaïre c/ Maleu rative dans la réforme du droit national, in Revue de droit international et de droit comparé,
Makunsa (R.C. 342), in B.A., années 1980 à 1984, 2001, 356-357. 1970, 88.
77
C.S.J., 21 janv. 1981, en cause Muya Lumbala c/Ngamiswa (R.C. 212), in B.A., années 80
F. Vunduawe te Pemako, Traité de droit administratif, Afrique Éditions, Larcier, Bruxelles,
1980 à 1984, 2001, 1971. 2007, p. 670.
78
C.S.J., 16 avril 1980, en cause Kibiswa Kuye c/Tshikuna, B.A., 1960-1984, 2001, 48-49. 81
F. Vunduawe te Pemako, loc. cit.
duels, particuliers ou collectifs, le principe est que la juridiction administra- de Premier Ministre et par sa représentation à l’investiture du Président de
tive est seule compétente pour les interpréter. En d’autres termes, il n’existe la République. L’examen de la régularité desdites ordonnances … nécessite
pas de compétence concurrente des juridictions administratives et des autres ainsi le contrôle préalable de la régularité de ceux-ci. Or, en vertu de la
juridictions ordinaires. disposition de l’article 87, alinéa 3, de l’ordonnance-loi précitée, la cour ne
Lorsqu’au cours d’un procès devant les juridictions ordinaires une ques- contrôle pas les actes législatifs ».
tion se pose concernant l’interprétation d’un acte administratif individuel, Dans ce cas d’espèce, la Cour considère que les actes et procédures in-
le juge du fond se trouve devant une question préjudicielle : il doit donc tervenues pour la désignation, la présentation et l’investiture d’un Premier
surseoir à statuer jusqu’à ce que la question soit tranchée par l’autorité admi- Ministre sont des actes législatifs selon les dispositions légales précitées.
nistrative ou la juridiction administrative compétente. Pour la cour, le vocable « acte législatif » couvre non seulement les lois
Comme en toute autre matière, le problème de l’interprétation de l’acte stricto sensu ou les textes ayant valeur de loi, mais également tout document
non réglementaire ne se pose que lorsque celui-ci est obscur ou ambigu82. ou acte émanant ou accompli dans l’exercice du pouvoir législatif.
C’est ainsi que la Cour Suprême de Justice, section administrative, sta-
2) Jurisprudence tuant contradictoirement, en annulation et en dernier ressort, se déclara
incompétente pour connaitre du litige déféré devant elle …
• Affaire usoral
L’arrêt 320 du 21 août 1996 est relatif aux ordonnances n° 94/039 et n° • Affaire de 315 magistrats révoqués
94/042 du 6 juillet 1994 du Président de la République portant respecti- Le Président de la République, en date du 6 décembre 1999, prit son dé-
vement investiture d’un Premier Ministre et nomination des membres du cret n° 144 portant révocation de 315 magistrats. Cent trente-quatre d’entre
Gouvernement. eux saisirent la Cour Suprême de Justice aux fins de l’annulation du décret
L’usoral avait introduit une requête en date du 6 janvier 1995 sollicitant pour détournement et excès du pouvoir.
de la Cour Suprême de la Justice, section administrative, l’annulation de ces Se basant sur l’article 87, alinéa 2 de l’ordonnance-loi relative à la pro-
ordonnances pour illégalité, excès et détournement du pouvoir. cédure devant la cour suprême de justice, celle-ci se déclara incompétente,
En rapport avec sa compétence, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article motif pris que l’acte incriminé avait un caractère politique et qu’il rentrait
147 du code de l’o.c.j, sa section administrative ne connait que des recours dans le cadre de la politique du Gouvernement visant l’assainissement des
en annulation formés contre les actes administratifs pris par les autorités mœurs au sein de la magistrature et le meilleur fonctionnement d’un des
centrales. Or, constate-t-elle, « l’objet principal du litige tel qu’il résulte trois pouvoirs de l’État.
de l’ensemble des moyens développés par les requérants, consiste à obtenir Le décret incriminé, poursuivait la cour, faisait partie des actes du gou-
l’annulation des ordonnances présidentielles en tant qu’elles ont entériné … vernement et échappait au contrôle juridictionnel car étant relatif à la poli-
les illégalités commises par le Haut Conseil de la République–Parlement tique de la nation menée par le Gouvernement ou le président de la répu-
de Transition … » dans sa procédure de présentation et d’investiture d’un blique.
nouveau premier ministre.
En plus, la cour relève qu’en vertu de l’article 87, alinéas 2 et 3, du même III. Interprétation constitutionnelle83
code, « elle apprécie souverainement quels sont les actes du conseil qui L’article 160, alinéa 2 de la constitution, dispose comme suit : « Les
échappent à son contrôle ». lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements intérieurs des
Aussi, sur base du principe de la souveraineté, la cour constate-t-elle chambres parlementaires et du congrès, de la commission électorale natio-
que les ordonnances mises en cause ont été prises par le Président de la nale indépendante ainsi que le conseil supérieur de l’audiovisuel et de la
République en exécution des actes et des procédures accomplies par le Haut communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la
Conseil de la République–Parlement de Transition. Et, à ce titre, sont des- cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la constitution».
tinés, en l’espèce, à doter le pays d’un gouvernement. La Cour les considère
donc comme des actes de gouvernement à caractère politique essentielle- a) Contrôle de constitutionalité des lois organiques
ment pour assurer le fonctionnement des pouvoirs publics. C’est ainsi que le président de la république a saisi, en date du 23 aout
Enfin, la Cour relève qu’« … il ressort de la nature même du litige (que) 2006, la cour constitutionnelle pour solliciter l’examen de la conformité à la
les deux ordonnances dont l’annulation est demandée sont intimement liées constitution de la République Démocratique du Congo de la loi organique
aux actes et procédures accomplis par le Haut Conseil de la République– 83
Une thèse de doctorat vient d’être défendue à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa
Parlement de Transition en vue de la désignation de Léon Kengo, en qualité et constitue une bonne référence à ce sujet : Léon Odimula Lofunguso Kos’ongeyi, La justice
constitutionnelle à l’épreuve de la juridicisation de la vie politique en droit positif congolais,
82
Loc. cit. Kinshasa, Année académique 2012-2013, voir particulièrement les pages 202-287.
Dans son arrêt, la cour se prononce d’abord sur la notion d’acte législatif vinciales ne renvoie pas expressément à l’article 160 de la même constitution,
en le définissant comme couvrant « non seulement les lois stricto sensu ou il ne serait pas exact de soutenir que les règlements intérieurs des assemblées
les textes qui ont valeur de loi, mais également tout document ou tout acte provinciales ne doivent pas être soumis à la cour constitutionnelle pour exa-
émanant ou accompli dans l’exercice du pouvoir législatif à l’instar de la men de leur conformité à la constitution.
motion de défiance concernée »88. La volonté du constituant d’inclure les assemblées provinciales dans le
Quant au fond, la cour examine les premiers moyens pris de la violation champ d’application de l’article 160 est sans équivoque des lors qu’à l’alinéa
des articles 146 et 198, alinéa 6 de la constitution en ce que l’Assemblée Pro- 2 de cette disposition, il utilise les vocables chambres parlementaires, étant
vinciale du Kasaï occidental a adopté la motion de défiance contre le gouver- entendu que les assemblées provinciales sont, elles aussi, des chambres par-
neur de province, Trésor Kapuku, alors que le programme d’action de son lementaires, et que l’énumération faite à l’article 197 alinéa 6 n’est pas ex-
gouvernement n’avait pas encore été approuvé ni le gouvernement investi. haustive, la disposition concernée étant ainsi libellée : « sans préjudices des
Ce moyen est déclaré fondé par la Cour. En effet, l’investiture du Gou- autres dispositions de la présente constitution, les dispositions des articles
verneur par l’ordonnance du Président de la République ne suffit pas pour 100, 101, 102, 130, 107, 108, 109 et 110 sont applicables, mutatis mutandis,
que le gouverneur entre en fonction, car suivant l’article 198, alinéas 6 et 7 aux assemblées provinciales et à leurs membres ».
de la constitution, l’entrée en fonction est conditionnée par la présentation, En l’espèce, la cour suprême de justice relève que la procédure suivie
par le gouverneur, du programme d’action et son adoption à la majorité pour arriver au vote de la motion de défiance, laquelle procède du règlement
absolue des membres qui composent l’assemblée provinciale. intérieur de l’assemblée provinciale de Bandundu est viciée, des lors que ce
Or, en l’espèce, la motion de défiance a été déposée contre le requérant règlement n’a pas été soumis à la cour constitutionnelle pour examen de
alors que celui-ci n’avait pas encore présenté à l’assemblée provinciale son conformité à la constitution. Les considérations émises par ladite assemblée
équipe gouvernementale et son programme d’action. Il en résulte, selon la suivant lesquelles le demandeur ne peut invoquer l’inconstitutionnalité de
cour, que seuls les actes posés à l’entrée en fonction peuvent être concernés ce règlement étant donné qu’il a lui-même été élu et qu’il a travaillé sur base
par une motion de défiance. de celui-ci pendant quatre ans, tout en estimant que les actes ainsi accomplis
Estimant que le deuxième moyen, relatif à la violation de l’article 46, ali- par l’exécutif provincial et l’assemblée provinciale doivent être ratifiés car
néa 3 devient superfétatoire, la cour déclare inconstitutionnelle la décision ayant produit des effets juridiques, ne peuvent justifier une dérogation à la
de l’assemblée provinciale du Kasaï occidental du 7 juin 2007. constitution.
88
Arrêt R. Const. 51/TSR du 31 juillet 2007, 4ème feuillet. 89
R. Const. 128/TSR du 28 janvier 2012, inédit, 9e feuillet.
e) Contrôle de constitutionnalité des actes du pouvoir exécutif lité de tout acte législatif ou réglementaire ».
Il s’agit d’examiner le contrôle de constitutionnalité, d’une part, des trai- Ne disposant pas d’une jurisprudence sous la nouvelle constitution, nous
tés et accords internationaux et, d’autre part, des autres actes de l’exécutif. pouvons néanmoins penser à l’arrêt RA 266 du 8 janvier 1993 dans l’affaire
dite des Témoins de Jéhovah.
1) Contrôle de constitutionnalité des traités et accords internationaux En 1998, le Président Fondateur du MPR, Président de la République,
S’agissant de traités et accords internationaux, nous devons nous référer avait pris une ordonnance d’expropriation de l’asbl «les témoins de Jéhovah»
à l’article 216 de la constitution : de son domaine de la Mikonga.
«Si la cour constitutionnelle consultée par le Président de la République, En date du 16 juillet 1991, l’asbl sollicita l’annulation de l’ordonnance
par le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale ou le Prési- présidentielle n° 86/086 du 12 mars 1986 par laquelle le Président de la
dent du Sénat, par un dixième des députés ou un dixième des sénateurs, République avait retiré à la requérante sa personnalité juridique.
déclare qu’un traité ou accord international comporte une clause contraire à La requérante faisait grief à l’ordonnance attaquée d’avoir violé les dispo-
la constitution, la ratification ou l’approbation ne peut intervenir qu’après la sitions des articles 17 et 18 de la constitution alors en vigueur, et de l’article
révision de la constitution ». 24 du décret du 18 septembre 1965 relatif aux asbl, en ce que l’ordonnance
La cour constitutionnelle a rendu un arrêt en la matière (l’arrêt r. const. en cause n’avait pas précisé les motifs de la mesure de dissolution, violant
112/tsr du 5 février 2010, en réponse à la requête tendant à obtenir un avis ainsi les droits garantis aux particuliers par la constitution.
consultatif sur la contrariété éventuelle à la constitution, de certaines dispo- Faisant sien ce motif, la Cour annula en conséquence l’ordonnance que-
sitions du traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des rellée, car elle n’était pas suffisamment motivée et portait ainsi atteinte aux
affaires en Afrique (OHADA). articles 17 et 18 de la constitution de 1967.
Le président de la république a cité notamment, à titre non exhaustif, les
articles 18, 20 qui lui paraissaient être en contrariété avec l’article 153, alinéa f) Interprétation de la constitution
2 de la constitution qui dispose : Aux termes de l’article 161, alinéa 1er de la constitution,
« Sans préjudice des autres compétences qui lui sont reconnues par la « La cour constitutionnelle connait des recours en interprétation de la
présente constitution ou par les lois de la République, la cour de cassation constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement,
connait des pourvois en cassation formes contre les arrêts et jugements ren- du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée Nationale, d’un dixième
dus en dernier ressort par les cours et tribunaux civils et militaires ». des membres de chacune des chambres parlementaires, des Gouverneurs de
De même, le Président de la République a cité les articles 5, 6, 9 et 10 du Province et des Présidents des Assemblées Provinciales ».
traité, qui devraient être confrontés aux articles 100, 122 point 8, 73, alinéa Sur base de ce texte, nous nous proposons de rendre compte de trois
2, 136 et 142, alinéa 1er de la constitution. arrêts :
Dans ses réquisitions, le ministère public a estimé qu’au regard de l’article -- L’arrêt R. const. 28/tsr du 24 février 2006 relatif à l’interprétation
217 de la constitution, le traité ohada ne comportait pas de clause contraire des articles 99, 102, 105 et 108 de la constitution de la transition ;
à la constitution et que sa ratification n’appelait pas une révision préalable -- L’arrêt R. const. 38/tsr du 15 septembre 2006 relatif à la prolonga-
de cette dernière. tion au 29 octobre 2006 du délai d’organisation du second tour du
Et la cour constitutionnelle rendit un arrêt aux termes duquel le traité de scrutin présidentiel ;
l’ohada ne comportait aucune clause contraire à la constitution, au motif que -- L’arrêt R. const. 050/tsr du 23 mai 2007 relatif à l’interprétation
de l’examen des dispositions lui soumises par le Président de la République, de l’article 114 de la constitution.
il ressortait que celles-ci étaient des clauses de transfert de compétence et de
limitation de souveraineté des états membres au profit de l’OHADA, sus- 1) L’arrêt R. const. 28/tsr du 24 février 2006 relatif à l’interprétation des
ceptibles d’être adoptées en vertu de l’article 217 de la constitution : articles 99, 102, 105 et 108 de la constitution de la transition
« La République Démocratique du Congo peut conclure des traités ou À la demande du Président de la République, le procureur général de
des accords d’association ou de communauté comportant un abandon par- la république a saisi, en date du 20 janvier 2006, la Cour Suprême de Jus-
tiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine ». tice aux fins d’obtenir l’interprétation des articles 99, 102, 105 et 108 de la
constitution de la transition.
2) Contrôle de constitutionnalité des autres actes de l’exécutif Deux questions étaient posées, à savoir :
S’agissant du contrôle de constitutionnalité des autres actes de l’exécutif, -- Si un membre du parlement qui n’appartient plus à une compo-
nous renvoyons à l’article 162, alinéa 2 de la constitution qui prévoit que « sante ou à une entité désignée dans l’annexe ib de l’accord global
toute personne peut saisir la cour constitutionnelle pour inconstitutionna- et inclusif pouvait continuer à siéger comme député ou sénateur ;
-- Si un membre du bureau de l’une ou l’autre chambre du parlement mentaire) ou du droit international (conventions et traités à caractère bila-
qui n’appartient plus à une composante ou entité mentionnée dans téral ou multilatéral). Les savants du droit ou les juristes éminents se pro-
l’annexe ib pouvait continuer à siéger comme sénateur ou député à noncent sur le sens et la portée de tel arrêt ou de tel jugement rendus par les
exercer ses fonctions. cours et tribunaux. Bref, ils s’expriment sur les sources et les règles de droit
Dans son arrêt du 24 février 2006, la Cour Suprême de Justice, toutes et prennent position sur les écrits de leurs collègues à travers des recensions
sections réunies, décida ce qui suit : et des comptes-rendus. Les ouvrages de droit, les articles qui paraissent dans
« Dès qu’un député, un sénateur ou un membre du bureau de l’une de des revues sont autant d’écrits qui forment la doctrine. Celle-ci joue un rôle
deux chambres n’appartient plus à la composante qui l’avait désigné, il ne considérable dans la formulation du droit et sur les autres sources d’inter-
peut plus continuer à siéger comme député ou sénateur et à exercer ses fonc- prétation de la loi. En effet, un législateur avisé consulte, avant toute élabo-
tions ». ration et toute promulgation d’une nouvelle loi, les meilleurs juristes du pays
ou de l’étranger, experts ou spécialistes, soit à travers leurs publications, soit
2) L’arrêt R. const. 38/tsr du 15 septembre 2006 relatif à la prolongation à travers des commissions de législation, de codification ou de révision dont
au 29 octobre 2006 du délai d’organisation du second tour du scrutin pré- ces mêmes spécialistes font généralement partie.
sidentiel De même, aucun juge serein et consciencieux ne peut rendre sa décision
La Commission Électorale Indépendante, agissant par son président, a, sans prendre la précaution de vérifier le dernier état de la question dans la
en date du 6 septembre 2006, adressé une requête à la Cour Suprême de Jus- doctrine. Et les spécialistes eux-mêmes se consultent à travers leurs publi-
tice aux fins d’obtenir la prolongation, au 29 octobre 2006, du délai d’orga- cations, leur coopération, leurs échanges, à travers congrès, colloques, sé-
nisation du second tour du scrutin présidentiel, pour cas de force majeure, minaires pour une doctrine toujours plus riche et plus complète dans ses
tiré notamment des contraintes d’organisation et de logistique qui rendaient sources et ses analyses. S’agissant de la force de la doctrine, certains auteurs
matériellement impossible l’organisation dudit scrutin dans le délai de 15 ont même établi expressément et formellement sa prévalence sur la jurispru-
jours prévus aux articles 71 de la constitution et 114 de la loi électorale. dence : «n’a-t-on pas vu des jurisprudences s’établir, d’autres s’effondrer sous
Elle sollicitait en outre le respect pour la campagne électorale du délai de l’autorité des écrits »?91
15 jours précédant la date du 29 octobre 2006. S’exprimant à propos des sources du droit international, le président
La Cour Suprême de Justice déclara la requête fondée et prolongea le Manfred Lachs confirme la même idée : « il n’est point rare que la doctrine
délai de 15 jours à 50 jours pour l’organisation du second tour du scrutin que constituent les enseignements guident les tribunaux dans leurs juge-
présidentiel, délai qui prenait cours le lendemain de la proclamation des ments »92.
résultats définitif du premier tour90. Devant le silence de la loi, la doctrine est constamment sollicitée.
Ainsi, dans l’affaire Songo Mboyo93, le tribunal militaire de garnison de
3) L’arrêt R. const. 050/tsr du 23 mai 2007 relatif à l’interprétation de Mbandaka se réfère à l’article 276 du code judiciaire militaire pour relever
l’article 114 de la constitution que si cette disposition prévoit les décisions contre lesquelles l’appel peut
Le Président de l’Assemblée Nationale saisit, en date du 18 mai 2007, être interjeté, elle ne dit pas qui a le droit de faire appel. Pour résoudre cette
la Cour Suprême de Justice en vue de l’interprétation de l’article 114 de la question, le tribunal se réfère à G. Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc pour
constitution. dégager la solution suivante :
Dans son arrêt du 23 mai 2007, la cour considéra que « La validation des « Au silence de la loi, la doctrine enseigne et renseigne que le droit de
pouvoirs confiée au parlement par l’article 114 de la constitution concernait faire appel est accordé à toute partie au procès en premier ressort, c’est-à-dire
la vérification des faits tels que l’identité des députés nationaux ou des séna- au prévenu, à l’officier du ministère public, à la partie civile et au civilement
teurs proclamés provisoirement élus et ne vise pas le mandat des personnes responsable »94.
dont la régularité de l’élection a été constatée par les instances judiciaires
dont les décisions s’imposent à tous ».
C. L’INTERPRÉTATION DOCTRINALE 91
Il s’agissait en l’occurrence, des écrits de François Rigaux, professeur à l’Université Catho-
lique de Louvain, dont il est question dans une recension faite de son ouvrage « La loi des juges
C’est l’œuvre des savants du droit (professeurs, magistrats, avocats...) qui », éd. Odile Jacob, Paris, 1997, par Paul Martens, Parallèlement, in J.T., 1998, 63.
se prononcent dans leurs écrits sur le sens et la portée d’un texte. Celui-ci
92
Cité par André Oraison, L’influence des forces doctrinales académiques sur les prononcés de
la C.P.J.I. et de la C.I.J., in Rev. Belge de Droit international, 1999, 235.
peut relever du droit interne (disposition constitutionnelle, légale ou régle- 93
Cour Militaire de Mbandaka, 7 juin 2006, Affaire Songo Mboyo, 29ème feuillet.
94
G. Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc, Procédure pénale, 10ème édition, Dalloz, 1987, p.
90
B.A., Contentieux 2006-2007, p. 395. 989.
D. INTERPRÉTATION DES NORMES INTERNATIONALES problème d’interprétation quant à son application par nos juridictions mili-
taires quand il s’agit de déterminer et de qualifier les faits punissables, de
À ces sources d’interprétation à la fois principales et traditionnelles, nous prononcer la peine et de trancher la question de la loi applicable.
avons ajoute les normes internationales, tant il est vrai que les intérêts de Aussi, l’interprétation du gouvernement est-elle à ce jour sans objet.
la communauté internationale connaissent une convergence accrue, et la Il faudrait ici relever l’erreur courante devant nos juridictions militaires
coopération internationale se développe par des traités et des conventions lorsqu’elles expliquent leur recours au Statut de Rome : celui-ci recevrait
contenant notamment des dispositions qui s’imposent tantôt au législateur, application car il « est très favorable aux prévenus en écartant la peine capi-
tantôt au juge national. tale et dispose des mécanismes protecteurs des victimes efficaces pour être
C’est le cas notamment de tous les traités visant la poursuite et la répres- retenu dans le cadre du procès en cours »99.
sion des atteintes les plus graves à l’ordre public international, telles que L’application des lois plus favorables est une solution apportée au pro-
le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes blème posé par le conflit des lois dans le temps. Elle suppose qu’on est en
contre la personne humaine (apartheid, esclavage, torture, …), le terrorisme, face des deux lois, c’est-à-dire deux textes ayant la même valeur juridique
les crimes contre les intérêts sociaux et économiques, les atteintes à l’envi- mais apportant des solutions différentes au problème posé par la définition
ronnement, le trafic des stupéfiants, la corruption, le blanchiment des capi- des incriminations et la détermination des peines. On n’est pas dans cette
taux, le crime organisé, etc. hypothèse, le statut de Rome étant, à l’instar de tous les traités régulière-
ment ratifiés par la République Démocratique du Congo, supérieur aux lois
I. Dispositions générales de la République.
Notre système juridique consacre la primauté de l’ordre international sur Dès lors, lorsque les juridictions congolaises appliquent le Statut de
l’ordre interne, et la prévalence des traités et accords internationaux sur les Rome, elles ne tranchent pas un conflit des lois dans le temps, mais ap-
lois de la République. « Les traités et accords internationaux régulièrement pliquent un texte juridique supérieur et permettent ainsi à l’état congolais
conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celles des lois, de s’acquitter d’une obligation juridique internationale. L’application du
sous réserve pour chaque traite ou accord, de son application par l’autre Statut de Rome n’est pas un choix qui s’offre aux juridictions nationales.
partie »95. Elle s’impose à elles, et s’imposerait encore même si ses dispositions étaient
De même, si la cour constitutionnelle déclare qu’un traité ou accord défavorables ou sévères.
international comporte une clause contraire à la constitution, la ratification De même, il importe de rappeler le principe majeur d’interprétation du
ou l’approbation ne peut intervenir qu’après révision de la constitution. Statut de Rome, contenu en son article 21, alinéa 3 :
Les conventions internationales sont des actes de haute administration, « L’application et l’interprétation du droit prévues au présent article
qui ne peuvent être interprétées, s’il y a lieu, que par les puissances entre doivent être compatibles avec les droits de l’homme internationalement
lesquelles elles sont intervenues96. reconnus et exemptes de toute discrimination fondée sur des considérations
On considère que l’interprétation des traités échappe à l’autorité judi- telles que l’appartenance à l’un ou l’autre sexe tel que défini à l’article 7,
ciaire lorsqu’elle soulève des questions relatives à l’ordre public international, paragraphe 3, l’âge, la race, la couleur, la langue, la religion ou la conviction,
et seule l’interprétation du gouvernement par la voix du Ministre ayant les les opinions politiques ou autres, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la
affaires étrangères dans ses attributions doit s’imposer au juge et recevoir fortune, la naissance ou toute autre qualité ».
application97. Il est évident que par cette disposition, les droits de l’homme internatio-
Il est évident que le recours à l’interprétation gouvernementale ne s’im- nalement reconnus sont la première source du droit applicable en matière de
pose à une juridiction judiciaire que lorsque le traité qu’il s’agit d’appliquer crimes internationaux et qu’aucune interprétation ne peut être validée si elle
est obscur ou ambigu, dans sa totalité ou dans l’une de ses dispositions. contrarie ces droits.
Lorsqu’il est clair, l’interprétation du Ministre des Affaires Étrangères est De même, aucune interprétation n’est recevable si elle est fondée sur la
sans utilité98. discrimination telle qu’elle est définie par l’article 7, paragraphe 3 du Statut
de Rome.
II. Traité de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale
Le traite de Rome, entre en vigueur le 1er juillet 2002, ne pose pas de 99
Tribunal Militaire de Garnison de Mbandaka, 12 avril 2006, Affaire Songo Mboyo, 12ème
feuillet ; Tribunal Militaire de Garnison de Mbandaka, 20 juin 2006, Affaire Auditeur mili-
95
Article 215 de la Constitution. taire, ministère public c/ Kahenga Mumbere et crts, RMP 279/GMZ/WAB/05 RP 086/005 et
96
Crim. 29 juin 1972, Bull., n° 226 ; Gaz. Pal. 1. 27 ; J.C.P. 1973, II, 17457, Note Ruzie. RP 101/006, in Rapport d’observation du procès sur les crimes contre l’humanité, mars 2007,
97
Crim. 30 juin 1976, Bull. , n° 236 ; D. 1977, 1, Note Coste-Flore ; J.C.P. , II. 18435, p. 46 ; Tribunal Militaire de Garnison de l’Ituri, 24 mars 2006, Affaire Auditeur militaire c/
rapport Mongin ; Crim. 26 janv. 1984, Bull., n° 34. Bongi Massaba, RMP n° 244 PEN/06, RP 018/2006, Rapport d’observation du procès sur les
98
Merle et Vitu, Traité, 7ème éd., Paris, 1997, p. 310. crimes de guerre, Ligue pour la paix et les droits de l’homme, Section Bunia, sept. 2006, p. 48.
III. Interprétation selon la convention de Vienne sur le droit des traités 2. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente
(1969) pour tout État se comportant en la matière conformément à la
La convention de Vienne comporte des dispositions relatives à l’inter- pratique habituelle et de bonne foi ».
prétation des traités.
Nous en citerons particulièrement les articles 31 et 32 :
-- Article 31 :
1. « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire C H A PI T R E 3
à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de
son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre
le texte, préambule et annexes inclus :
a. Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre
toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;
Les principes et méthodes de
b. Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion
de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant l’interprétation
qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte : IL EXISTE trois méthodes d’interprétation :
a. De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de
l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions; - L’interprétation littérale ;
b. De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du - L’interprétation téléologique et
traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’in- - L’analogie.
terprétation du traité;
c. De toute règle pertinente de droit international applicable dans A. INTERPRÉTATION LITTÉRALE
les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que On l’appelle aussi judaïque, traditionnelle ou restrictive. Elle veut que,
telle était l’intention des parties ». pour découvrir le sens et la portée de la loi, on se limite à ses termes. La lettre
-- Article 32 : de la loi prédomine sur son esprit. C’est une interprétation très étroite qui
« Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interpréta- écarte tout ce qui ne figure pas expressément dans le texte. C’est cela qui a
tion, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances fait dire à Montesquieu : «le juge est la bouche qui prononce les paroles de
dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le la loi».
sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le Celles-ci ne sont rien d’autre que « le code de la nature, sanctionné par la
sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 : raison et garanti par la liberté »100, selon la fameuse proclamation de Cam-
a. Laisse le sens ambigu ou obscur; ou bacérès, un des auteurs du code civil napoléonien.
b. Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou dérai- On a aussi parlé de l’école de l’exégèse. Celle-ci s’efforce de rechercher
sonnable ». la signification des lois par l’analyse de leurs textes et des travaux prépara-
De même, pour une bonne lecture, une application pleine et une inter- toires sans oublier le recours à certains procédés de raisonnement tels que
prétation saine des traités, on doit garder présents à l’esprit les articles 27 et le raisonnement par analogie, le raisonnement a fortiori, le raisonnement
46 de la convention : a contrario, l’induction, la déduction, le silence du législateur et même le
-- Article 27 : « une partie ne peut invoquer les dispositions de son recours à l’histoire101.
droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Cette Le raisonnement par analogie permet de résoudre une difficulté pra-
règle est sans préjudice de l’article 46 » ; tique par comparaison avec la situation donnée à un cas analogue. En effet,
-- Article 46 : « 1. Le fait que le consentement d’un État à être lié par
un traité a été exprimé en violation d’une disposition de son droit 100
Fenet, Travaux préparatoires du Code civil, tome 3, p. 109.
interne concernant la compétence pour conclure des traités ne
101
Bonnecase, L’école de l’exégèse en droit civil, 2ème éd. 1924 et Précis de droit civil, T I, 2ème
éd. 1938, n° 48 et suivant. E. Gaudemet, l’Interprétation du code civil en France depuis 1804,
peut être invoquée par cet État comme viciant son consentement, Bale-Paris, 1935 ; Ph. Rémy, le rôle de l’exégèse dans l’enseignement de droit au 19ème siècle,
à moins que cette violation n’ait été manifestée et ne concerne une annales de l’histoire des facultés de droit, 1985, p. 91 ; Dubondel, l’école de l’exégèse, Rev.
règle de son droit interne d’importance fondamentale. rech.jur. 1986. 209.
lorsque la loi est muette sur un cas particulier, on applique la règle prévue se fondant sur les données économiques ou sociales existant en ce moment
pour le cas voisin. Quant au raisonnement a fortiori, il s’applique lorsqu’il (à l’état actuel ou idéal du moment) pour poser la règle la mieux adaptée aux
s’agit d’un cas plus grave qu’un autre dont on connait déjà la solution. A besoins actuels qu’il aura observés.
fortiori signifie : « à plus forte raison ». Bref, c’est à la volonté actuelle du législateur qu’il convient de se référer
S’agissant du raisonnement a contrario, son application vise surtout les ici en cas d’obscurité ou de lacune d’une loi même ancienne105.
situations exceptionnelles dont on estime qu’elles ne peuvent s’appliquer sur En cas de contradiction entre la volonté du législateur et le texte de la loi,
les cas normaux. En fait, le raisonnement a contrario se révèle donc dange- celui-ci doit être préféré.
reux en ce qu’il consiste à donner à une espèce que l’on estime en opposition Dans le cadre du droit pénal, en cas d’ambiguïté ou d’obscurité du texte,
avec celle résolue par la loi, la solution contraire à celle adoptée par le texte. le juge doit retenir l’hypothèse la plus favorable au prévenu (in dubio pro
L’induction, pour sa part, permet de découvrir la règle recherchée dans reo).
les solutions données à des cas voisins tandis que la déduction tire du prin- Cette méthode a été longtemps en vigueur, en application de l’adage
cipe posé par le législateur, la solution d’une espèce particulière demeurée «odiosa sunt restringenda».
hors des prévisions légales. Elle nait et se développe en même temps que le principe de la légalité
Enfin, le silence du législateur est considéré par l’école de l’exégèse des délits et des peines et s’explique par l’esprit de cette époque : combattre
comme une façon pour lui de maintenir la règle antérieure et le recours à l’arbitraire de l’ancien régime. Aussi comprend-on qu’elle ait eu les faveurs
l’histoire permet de rechercher l’état du droit lors de la rédaction du code de Beccaria et de Montesquieu, notamment.
civil. Mais comme le feront remarquer Merle et Vitu106, cette méthode est
C’était donc au législateur et à lui seul que revenait le rôle de fixer souve- inexacte et stérilisante.
rainement la teneur de la loi. « Dès l’instant où le code napoléon eut réalisé Inexacte, car elle suppose la perfection de la loi ; perfection qui n’existe
ce projet, la tâche des juristes – auteurs, magistrats ou avocats – ne pouvait ni quant au fond, ni quant à la forme : la loi comporte souvent des erreurs,
plus consister qu’à développer et appliquer ce code en faisant l’exégèse »102. des lacunes, des contradictions, des ambiguïtés. L. Husson parle même de
La méthode exégétique s’avéra cependant assez subjective et devint ainsi l’« imperfection radicale des règles juridiques »107. Inexacte aussi, car la mé-
difficile à appliquer à mesure que l’on s’éloignait de 1804 (date d’élabora- thode littérale exagère le rôle du législateur aux dépens de celui du juge. La
tion du code civil), que les conditions socio-économiques se modifiaient et loi ne pouvant pas tout prévoir, il appartient au juge d’appliquer la loi, par
qu’apparaissaient d’importantes lacunes dans le code civil. définition abstraite, à la multitude de cas concrets qui lui sont soumis. Loin
« Seulement les changements sociaux résultant de la révolution indus- d’être un «distributeur automatique» des peines que voudrait faire de lui la
trielle sont bientôt venus poser en grand nombre des problèmes nouveaux et méthode littérale, il doit être un dispensateur de la justice.
modifier sur bien des points les données des problèmes anciens, de telle sorte Stérilisante, la méthode littérale l’est en ce sens qu’elle fige le droit alors
qu’il devint impossible d’en découvrir la solution par une stricte exégèse. il que celui-ci doit être adapté au mouvement des faits sociaux qu’il régit. Il est
fallut donc, pour satisfaire aux besoins de la pratique, avoir recours à des plus indiqué de laisser le juge procéder aux adaptations nécessaires.
artifices, voire à des expédients, que François Gény devait dénoncer à la fin Il importe cependant de retenir que lorsque la signification des termes
du siècle dans un livre retentissant103 : notamment le prêt au législateur sans d’une loi est claire et nette, le juge ne peut que se soumettre à leur inter-
indices suffisants d’intentions simplement présumées, et l’édification sur la prétation littérale, en donnant aux mots cette signification et en en faisant
base des textes de constructions intellectuelles plus ou moins ingénieuses une application rigoureuse. « Si, sans équivoque aucune, il n’est possible de
dont la logique pouvait être sans défaut mais qui étaient trop souvent écha- donner qu’une seule interprétation à des termes clairs, évidents et dépourvus
faudées de toutes pièces»104. d’ambiguïté, ces termes doivent être interprétés de cette façon »108.
Ainsi, apparut à la fin du 19eme siècle et au début du 20eme siècle, une
autre méthode d’interprétation des lois par la doctrine qualifiée de : « la B. INTERPRÉTATION TÉLÉOLOGIQUE
libre recherche scientifique ». Cette dernière méthode fut mise en œuvre
par François Gény et s’appuie sur le principe que lorsque la loi est obscure, Cette méthode d’interprétation consiste à dégager le but de la loi, la
incomplète ou lacunaire, le tribunal doit chercher la solution applicable en volonté du législateur. Elle fait prédominer l’esprit sur la lettre de la loi.
L’interprétation doit être déclarative de la volonté du législateur. Cette mé-
102
Léon Husson, Examen critique des assises doctrinales de la méthode de l’exégèse, in Revue thode, partagée par toutes les disciplines juridiques, est la seule actuellement
trimestrielle de droit civil, 1976.
103
François Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Paris, Chevalier- 105
F. Chabas, op. cit., p .155.
Marescq et Cie, 1899, 2ème éd. en 2 vol., Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 106
Op. cit., n°111.
1919. 107
Loc. cit.
104
Léon Husson, article déjà cité, loc. cit. 108
Tpiy, Jugement Celebici du 16 novembre 1998, §161.
admise en droit pénal109. Le juge doit toutefois y recourir sans se départir de II. Techniques d’interprétation téléologique
la prudence inhérente à sa tache.
a) L’étude grammaticale
I. Les principes de l’interprétation téléologique en droit pénal Le sens de la loi sera dégagé à partir du texte lui-même. En principe, les
mots doivent être pris dans leur sens usuel et normal.
Le droit pénal étant d’interprétation stricte, le juge se soumettra aux Il existe une « obligation fondamentale et largement reconnue qui est
deux principes suivants : faite à l’interprète de la loi, ou au juge, de donner, honnêtement et fidèle-
-- La loi pénale doit être appliquée à tous les cas rentrant dans ses ment aux termes utilisés par le législateur leur signification première et un
termes ; sens rationnel, et de servir les desseins de ce dernier »111.
-- La loi pénale ne peut être appliquée qu’aux seuls cas d’espèce ren- C’est par le recours au sens grammatical de la loi que la jurisprudence
trant dans ses termes110. interprète l’article 258 du code civil, livre III, comme concernant aussi bien
le dommage matériel que le dommage moral. En effet, cette disposition aux
a) La loi pénale doit être appliquée à tous les cas rentrant dans ses termes termes de laquelle quiconque par sa faute cause à autrui un dommage est
En conséquence, le juge ne peut rien ajouter aux conditions d’existence obligé de le réparer, s’applique, par la généralité de ses termes, aussi bien au
de l’infraction, ni créer une cause justificative ou exonératoire de responsa- dommage moral qu’au dommage matériel.
bilité non prévue par le droit. Ainsi : Par suite, c’est à bon droit qu’un arrêt décide que la douleur éprouvée par
-- Il ne peut pas faire de la conservation du bien volé un élément les enfants d’une personne, morte victime d’un accident, suffit, en l’absence
constitutif du vol ; de tout préjudice matériel, pour permettre à ces enfants d’exercer contre
-- Il ne peut pas faire de l’intention de nuire un élément constitutif l’auteur de l’accident une action en dommages-intérêts112.
du meurtre (art.44 cp) ; En droit pénal, cette obligation est un corollaire naturel et logique du
-- Il ne peut pas retenir le consentement de la victime comme une principe de la légalité qui veut que ce soit le législateur, et non le juge, qui
cause de justification. définisse l’infraction et impose la sanction113.
Ce sens premier, usuel et normal n’est pas nécessairement celui du droit
b) La loi pénale ne peut être appliquée qu’aux seuls cas rentrant civil. Exemple : bien mobilier, cheque, etc. ce n’est qu’en cas de volonté pré-
dans ses termes cise de la loi que les termes sont entendus dans un sens technique. Exemples:
Ce principe est une conséquence de la légalité du droit pénal. Il signifie complicité, assassinat, excuse, etc. parfois, les mots à signification technique
qu’un fait ne rentrant pas dans les termes de la loi pénale ne peut être puni sont employés dans leur sens usuel. Exemple: complicité d’adultère.
sous prétexte qu’il présente une similitude fondamentale avec un autre fait Si l’étude grammaticale ne suffit pas, il faudra chercher le sens et la
réprimé par elle, ou pour le motif que son impunité constituerait une lacune portée de la loi dans des éléments extérieurs au texte.
dangereuse pour l’ordre public. C’est en application de ce principe que l’in-
terprétation analogique est prohibée. b) Le ratio legis
L’interprétation téléologique permet donc de dégager tout le sens de la Le juge peut déterminer le sens de la loi en tenant compte de sa rai-
loi sans rien y ajouter ou retrancher. Par elle, le juge donne à la loi sa capacité son d’être. Celle-ci peut apparaitre notamment si l’on situe la loi dans son
maximale d’application dans les limites voulues par le législateur. contexte et si l’on en dégage l’idée centrale.
L’interprétation téléologique permet de déterminer le but que se propose Bouzat donne l’exemple suivant114 : un règlement sur la police des che-
le législateur ou même celui qu’il se serait proposé s’il s’était représenté le cas mins de fer interdisait aux voyageurs de «descendre ailleurs que dans les
concret qu’il s’agit maintenant de résoudre. gares et lorsque le train est complètement arrêté». L’interprétation gram-
Dans cette recherche, le juge tient compte, certes, de la lettre et de l’esprit maticale fait comprendre qu’il faille descendre avant que le train ne soit
de la loi, mais aussi de la ratio legis, des travaux préparatoires, de l’évolution complètement arrêté, lorsqu’il est encore en marche. C’est l’interprétation
sociale, scientifique et technique, etc. que soutenait un voyageur grincheux, poursuivi pour avoir sauté pendant
Donc, tout en étant stricte, l’interprétation pénale ne saurait être restric-
tive. Elle doit sauvegarder le bon sens, la logique et permettre des adapta- 111
TPIY, Jugement Celebici, 16 novembre 1998.
tions justifiées par l’ordre social actuel. 112
Cass. fr., Civ. 13 février 1923 (DP 1923. 1. 52, note Lalou, S. 1926. 1. 325), H. Capitant,
F. Ferre/Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Tome 2, Obligations, Contrats
spéciaux, Sûretés, 12e édition, Paris, Dalloz, 2008, p. 290.
109
Voir Gaëtan di Marino, Le recours aux objectifs de la loi pénale dans son application, in 113
Loc. cit.
R.S.C., 1994, 505-517. 114
Traité de droit pénal et de criminologie, Tome I, Droit pénal général, Dalloz, Paris, 1963,
110
Voir J. Verhaegen, Éléments de droit pénal et de procédure pénale, UCL, 1977-1978, p. 15. n° 89.
que le train était en marche. Le juge a rejeté cette interprétation littérale et d) Interprétation évolutive
finalement fantaisiste qui méconnaissait la pensée certaine du législateur115. Si, après sa mise en vigueur, des faits se manifestent qui entrent dans sa
En droit pénal comme dans toutes les disciplines juridiques, une in- formule, la loi les punira, alors même qu’au moment de son élaboration, le
terprétation a pour objet et pour but de donner une solution au problème législateur ne pouvait pas se les représenter.
concret qu’il s’agit de résoudre par le recours aux termes de la loi. Mais C’est ainsi qu’il a été décidé que le juge peut appliquer la loi pénale à
lorsque ceux-ci conduisent à une absurdité, il faut y renoncer en recherchant des faits que le législateur était dans l’impossibilité absolue de pressentir à
la véritable intention du législateur. l’époque de la promulgation de la disposition pénale à la double condition
que la volonté du législateur d’ériger des faits de cette nature soit certaine et
c) Les travaux préparatoires que ces faits puissent être compris dans la définition légale de l’infraction119.
Le juge se référera avec intérêt à l’exposé des motifs, aux rapports des Dans l’affaire celui-ci, il a été jugé que le principe de l’interprétation
commissions et aux interventions des rapporteurs et d’autres orateurs qui stricte n’était pas violé lorsqu’on donne aux termes de la loi leur pleine signi-
proposent des amendements. fication « ou un autre sens plus en accord avec l’intention du législateur et
Un exemple: dans une espèce où il s’agissait d’appliquer l’article 61 du cp traduisant mieux cette intention »120.
sur la mutilation de cadavre, le tribunal de 1ere instance de Buta116 a donné Cette adaptation des textes se fera au regard, d’une part, des progrès
au terme «mutiler», son sens courant, retrancher. Mais en fait, un recours techniques et, d’autre part, des besoins de la politique criminelle.
aux travaux préparatoires aurait permis de découvrir que la loi utilise ce
terme dans un sens technique et dont la portée était plus large. 1) Exemples d’adaptation aux progrès techniques :
En effet, il y avait un projet qui disait : «celui qui aura frappé, meurtri ou -- Les dispositions pénales relatives à l’outrage public aux mœurs
mutilé». Le conseil colonial supprima les mots «frappé» et «meurtri» parce (art.175-178 cp) sont applicables à des figures ou images véhiculées
que d’après lui, ils étaient compris dans le mot «mutilé». par des vidéocassettes121.
Faisant appel à ce sens technique large, la cour d’appel d’Élisabethville -- Les articles 74 et 75 du code pénal congolais sont appliqués aux
à jugé que «l’incinération» d’un cadavre humain, sauf si l’auteur a obéi à diffamations et injures par la télévision.
une intention ou un but licite, est constitutive de l’infraction de mutilation -- Les dispositions sur le vol (art. 79 et s) ont, dans la doctrine clas-
de cadavre. Par l’emploi du terme «mutiler», le législateur a voulu atteindre sique, toujours été comprises comme ne devant s’appliquer qu’aux
tout outrage aux cadavres, par une atteinte matérielle contraire au respect choses matérielles. L’évolution récente, par contre, reconnait que
dû aux morts117. certaines choses immatérielles sont susceptibles de soustraction
Toutefois, il faudrait plutôt se méfier des interventions improvisées faites frauduleuse. Tel est le cas notamment de l’électricité122. De même
au cours des débats. Elles ne sont pas toujours œuvre de spécialiste. Et même la jurisprudence décide que les données d’un ordinateur sont sus-
lorsqu’il s’agit des spécialistes, le cadre est tel qu’on ne peut pas toujours ceptibles de vol, puisqu’elles peuvent être reproduites, ont une
attendre l’expression la plus adéquate. valeur économique et font dès lors partie du patrimoine du pro-
L’article 112 sur la destruction et la dégradation d’arbres, récoltes ou priétaire123.
autres propriétés porte que «seront punis des peines portées à l’article pré- -- A été appliqué à un bateau à moteur diesel un texte visant unique-
cédent...». ment dans ses termes les bateaux à vapeur. Un bateau à moteur
La simple étude grammaticale fera comprendre que l’article précédent
soit l’article 111. Mais en fait, il s’agit des peines portées à l’article 110118. 119
Cass. 15 mars 1994, Pas. I, 261 ; voir aussi Cass. 18 nov. 1992, Pas. I, 1269 et Cass., 11
sept. 1990, Pas. I, 36.
120
TPIY, Jugement Celebici, 16 novembre 1998, §412.
115
Crim. 8 mars 1930, Gaz. Pal., 1930, I, 663. 121
Cass. b., 11 sept. 1990, Pas., 1991, I, 36 ; 15 mars 1994, Pas., I, 261.
116
3 août 1930, R.J.C.B., 1931, 125. 122
Crim., 3 avril 1912, S., 1913, I, 337, note Roux ; 12 déc. 1984, Bull., n°403; R.S.C., 1985,
117
Élis, 16 mars 1943, 98. «Sur l’infraction de mutilation de cadavre», voir l’étude de V. 579, chron. P. Bouzat ; D. 1985, I.R. 186. Voir aussi S. Brahy, Les vols d’eau et d’énergie, le
Servais, J.T.O., 1956, 20. vol d’usage, J.T. 1975, 597 ; G. Hubrechts, Les vols d’eau, de gaz et d’électricité, in R.D.P.C.,
118
Piron et Devos, se référant à la jurisprudence, donnent, sous l’art.112 du code pénal 1935, 236 ; Cass. b., 23 sept. 1982, Pas. 1982, I, 120 ; Élis. , 27 février 1940, R.J.C.B., 1943,
congolais, les détails suivants: «L’art.112 du code pénal constituait dans l’ancien code l’article 103.
32 qui renvoyait aux peines prévues par l’article précédent, l’article 31. Lors de l’élaboration du 123
Cour d’appel d’Anvers, 13 déc. 1984, in Rechtskundig weekblad, 1985-1986, 244-246,
nouveau code pénal, le législateur a intercalé entre les articles 31 et 32 devenus respectivement obs. Verstraten, 215-230, Recensé in R.D.P.C., 1988,429 ; Corr. Brux., 24 juin 1993,
110 et 112, l’ancien article 31 bis devenu l’article 111. Comme il apparaît des travaux prépara- J.L.M.B. , 1994, 444 ; R.D.P.C., 1994, 1336. Voir aussi M. Briat, La fraude informatique ;
toires qu’il n’est pas entré dans l’intention du législateur de modifier les peines comminées par une approche du droit comparé, in R.D.P.C., 1985 ; 287, J.P. Spreutels, Les infractions en
l’ancien 32 (actuel 112), c’est sur la base de l’article 110 et non 111 qu’il faut apprécier la peine matière d’informatique dans le projet de réforme du code pénal français, in R.D.P.C., 1991,
à appliquer en cas d’infraction à l’article 112 du code pénal ». Léo, 30 janv.1945, R.J.C.B., 35 1027 et S ; La criminalité informatique, Éditions du Conseil de l’Europe, Affaires juridiques,
; Élis., 15 mai 1945, R.J.C.B., 163. Strasbourg, 1990, 125.
diesel, dénommé l’hirondelle circulant sans permis de navigation, pendant des mois et déterminé ainsi une affection nerveuse chez
son propriétaire Bruel fit l’objet d’un procès-verbal pour infrac- le voisin du dessus128.
tion à l’article 138 du code des voies navigables, fut poursuivi et -- La même infraction de coups et blessures volontaires a été retenue
condamné de ce chef à une amende. Le condamné invoqua devant dans le chef de l’individu qui se livre à une agression téléphonique
la chambre criminelle (cassation), à l’appui de son pourvoi, la vio- par des appels multiples et intempestifs ayant entrainé une atteinte
lation de l’article 4 du cpf et de la règle nulla poena sine lege, en à la santé du destinataire129.
ce que le texte prétendument violé ne pouvait s’appliquer à l’hiron- -- L’infraction d’escroquerie a été déclarée établie dans le chef d’un
delle, bateau à moteur diesel, du moment qu’il visait uniquement individu qui place une rondelle sans valeur dans un parcmètre, au
les bateaux mus par moteur à vapeur. motif que la remise, un des éléments essentiels de l’escroquerie, est
La cour donna cette réponse : «Attendu que (...) cette décision aussi réalisée lorsque l’agent paie moins qu’il ne devait, et qu’elle
est justifiée ; qu’en effet (...) la découverte ultérieure de nouveaux peut porter atteinte aussi bien sur la chose que sur le service130.
procédés de propulsion mécanique ne saurait avoir pour effet de Aujourd’hui, avec l’avènement de l’internet, une nouvelle forme de cri-
dispenser les bateaux qui en sont pourvus d’une obligation aussi minalité, connue désormais sous le nom de cybercriminalité, est entrain de
essentielle; qu’ainsi, sans porter atteinte au principe d’interpréta- se développer et, à défaut des textes légaux adaptes, force sera de recourir aux
tion (stricte) de la loi pénale, l’extension de l’article 138 à tous les lois existantes en leur appliquant une interprétation évolutive.
modes de propulsion mécanique correspond à la seule interpréta-
tion raisonnable dudit article... »124. 3) Intérêt d’une intervention législative
-- Il a été jugé que celui qui, sans droit, dactylographie et fait appa- Il est évident que l’interprétation évolutive pose problème au regard des
raitre sur écran le code électronique servant de mot de passe au principes de la légalité et de l’interprétation stricte de la loi pénale.
Premier Ministre, se rend coupable de faux en écritures, l’écrit au Aussi, est-il souhaitable que le législateur, à l’occasion d’une reforme du
sens du code pénal n’étant pas réservé à un système d’écritures code pénal ou par des lois complémentaires, intègre les acquis jurispruden-
déterminé et ne dépendant pas de la nature du support sur lequel tiels en formulant expressément de nouvelles incriminations plus précises et
il apparait125. plus explicites. Une des raisons pour une intervention législative est que, à
-- Il a été jugé que celui qui, ayant utilisé le code électronique servant force d’interprétation évolutive, on ne mette à mal le principe de l’interpré-
de mot de passe au Premier Ministre et ayant eu accès de manière tation stricte.
illicite au système informatique, se rend coupable d’usage de faux L’interprétation législative a alors pour « but de confirmer et d’infirmer
en écritures126. une jurisprudence extrêmement riche. »131 Telle a été l’attitude du législateur
-- La soustraction par photo copiage est bien établie en jurispru- français de 1992 en ce qui concerne notamment le vol de l’énergie, les appels
dence. Les agissements d’un salarié consistant à photocopier des téléphoniques malveillants et les atteintes aux données d’un ordinateur, qui
documents auxquels il avait accès, sont considérés comme un vol, ont été érigés en infractions spécifiques.
du moment « qu’en effectuant des copies des pièces qui ne lui ap-
partiennent pas, et en prenant possession et en disposant à son gré 1. Le vol de l’énergie
des documents litigieux, le prévenu s’est approprié les informations « La soustraction frauduleuse d’énergie au préjudice d’autrui est assimi-
et a porté atteinte au droit de propriété de l’employeur. »127 lée au vol » (art. 311-2 du ncpf)
2) Exemples d’adaptation des textes aux besoins de la politique 2. Les appels téléphoniques malveillants
criminelle : «Les appels téléphoniques malveillants ou les agressions sonores, réitérés
-- Il a été jugé que constitue l’infraction des coups et blessures vo- en vue de troubler la tranquillité d’autrui sont punis … » (art. 222-16).
lontaires le geste de l’individu qui frappe au plafond chaque nuit
3. Les atteintes aux systèmes de traitement automatisés de données
124
Cité par R. Combaldieu, A propos d’un conflit entre la «raison» et l’interprétation restrictive
Le ncpf punit respectivement :
en droit pénal, in R.S.C., 1956, 833.
125
Corr. Brux., 8 novembre 1990, J.T., 1991, 11; R.D.P.C. Tables jurisprudentielles et analy- 128
Crim., 22 oct. 1936, D. II, 1937, 38.
tiques 1991, 1150. 129
Crim., 3 janv. 1969, D. 125.
126
Idem. 130
Crim., 10 décembre 1970, D. 1972, 155, note de Roujou de Boubee et J.C.P., 1972, II,
127
Crim., 8 janv. 1974, D. 509, Note P. CORLAY ; 29 avr. 1986, D. 1987. 131, Note Lucas 17277, note Gassin.
de Leyssac ; R.S.C. , 701, obs. P. Bouzat ; 24 oct. 1999, B. n° 355 ; 8 déc. 1998, B., Droit 131
Gabriel Roujou de Boubee, Jacques Francillon, Bernard Bouloc et Yves Mayaud, Code
pénal, 1999, Comm. 67, obs. M. Veron, R. Ottenhof, Chr. Juris., in R.S.C. 1999, 822-823. pénal commenté, Dalloz, Paris, 1996, p. IX.
138
Voir Jiménez de Asua, L’analogie en droit pénal, in R.S.C., 1949, 189.
139
Chris. Hennau et J. Verhaegen, op. cit., n° 116 ; Haus, op. cit., n° 151.
140
Civ., Ière, 3 mai 2006, D. 2006, 2037, H. Capitant, F. Ferre et Y. Lequette, op. cit., n° 290.
141
Op. cit, n° 302. 142
www.droitcivil.uottawa.ca/index.php?option=com_docman
C H A PI T R E 1
143
Jean Vincent et crts, Institutions judiciaires, 6 me édition, Dalloz p 504
144
J. Bouineau et J. Roux, 200 ans du code civil, Doc français, Ministère fr.A E p150
pas dans « le contrat social », que « la loi, expression de la volonté générale, La censure d’un jugement ou arrêt pour défaut de base légale n’entraine
ne pourrait connaitre d’autres limites que la volonté du législateur, ce qui pas nécessairement la modification de la décision au niveau du juge de ren-
devait lui conférer une souveraineté absolue » ! Ceci constitue une claire voi, il peut s’agir de la modification sur la manière de procéder. Cependant,
interdiction faite au tribunal de cassation de s’adonner à l’interprétation de si les précisions à apporter par le juge de renvoi conduisent à l’anéantisse-
la loi. C’est finalement, la loi du 1er avril 1837 intervenue quarante six (46) ment de la décision, celui-ci procédera sans l’ombre d’aucun doute, à l’annu-
ans après qui viendra supprimer le référé législatif en même temps que le lation de la décision.
rattachement du tribunal au pouvoir législatif. Vu sous l’angle dans lequel il vient d’être décrit, le manque de base légale
peut être défini comme une insuffisance affectant les constatations des faits
SECTION 2 : LE DÉFAUT OU MANQUE DE BASE LÉGALE, nécessaires pour s’assurer de l’application correcte du droit146. Maitre Fous-
CRÉATION JURISPRUDENTIELLE DU TRIBUNAL sard estime que ce qui aurait pu être regardé comme une immixtion du juge
DE CASSATION de cassation à la compétence du juge du fond est pour la cour une prise en
compte des considérations tenant à l’effectivité de la règle, à sa raison d’être
Du point de vue historique, nous savons que de 1790 (décret des 27 voire aux usages ou encore aux règles d’expérience. Il conclut qu’à cela la
novembre – 1er décembre 1790) au 1er avril 1837 (loi), le tribunal de cas- cour est sensible à toute sorte d’incitations relevant non des fautes au sens
sation était rattaché au pouvoir législatif. Pendant cette période, la toute des données de l’espèce mais bien du droit au sens large, en tant qu’il inclut
puissance de la loi avait conduit à l’interdiction faite au Tribunal de l’in- la politique jurisprudentielle. L’intérêt de l’ouverture à cassation dénommée
terpréter. Or, c’est entre 1808 et 1809145, en pleine période d’interdiction, manque ou défaut de base légale se trouve dans le fait qu’il préserve le juge
que l’on assiste à la création jurisprudentielle de l’ouverture à cassation sous de l’erreur. Toute cette minutie et ces exigences de perfection dans l’appli-
examen. Que le juge du Tribunal de cassation ait préféré affronter l’hostilité cation de la norme qu’affiche cette ouverture à cassation, le manque de base
du Parlement en ce qui concerne l’interprétation et passer outre l’interdic- légale, a fait dire à Dominique Foussard que le défaut de base légale est une
tion de s’occuper des éléments de faits de la cause, il faut penser que cette école de rigueur et il marque une répugnance à l’égard des approximations
ouverture était d’une grande importance dans la gestion de la cassation. et des à peu-prés.
Pour comprendre l’importance accordée à cette ouverture, il convient de
garder présent à l’esprit que l’objectif fixé à l’instance de cassation est celui SECTION 3 : DE 1837 À NOS JOURS
de censurer la non-conformité du jugement ou arrêt attaqué à la loi visée.
Concernant le manque de base légale, il s’agit plutôt d’une règle de droit. Voici comment les auteurs français présentent aujourd’hui leur cour de
Pour que la décision du juge soit conforme à la règle de droit, il faut que ses cassation après son parcours historique d’un peu plus de trois siècles: « la
motifs permettent de vérifier dans la cause, la présence des éléments néces- juridiction nationale, unique et sédentaire, siégeant à Paris, que le législateur
saires à l’application de la loi ou de la norme. Il faut également voir si le juge a placée au sommet de la hiérarchie judiciaire, pour apprécier, en partant
du fond ne commet pas un vice par son silence ou ne s’abstient pas de faire des faits souverainement constatés par les juges du fond, la légalité des juge-
des vérifications voire des recherches nécessaires, pour couvrir une situation ments et arrêts rendus en dernier ressort par les cours et tribunaux et casser
qui le gène dans sa décision. les décisions dont les dispositions sont entachées d’une violation de la règle
Certes, le juge du fond peut procéder aux analyses, vérifications ou re- de droit »147.
cherches prétendument nécessaires à l’application de la norme, mais que ces Comme on le voit, nous sommes là, loin des célèbres auteurs français
constatations ou analyses se révèlent insuffisantes, imprécises, impropres ou Montesquieu et J.J. Rousseau qui confinaient le Tribunal de cassation à un
inopérantes, la décision du juge sera censurée pour manque ou défaut de rôle de porte voix du Parlement ou de la sentinelle de la loi ; la cour de cas-
base légale. Avant de parler des effets de la censure pour manque ou défaut sation de Paris va au-delà de la loi et s’occupe de la violation de la règle de
de base légale, il est nécessaire de souligner qu’aucun caractère de novelleté droit qui comprend la loi stricto sensu et les principes qui fondent le droit.
ne peut être attribué à un moyen du pourvoi en cassation critiquant une Comme nous venons de le voir, la cour de cassation a reçu de la loi le rôle
décision d’avoir manqué de base légale car comme un défaut de motif, cette de contrôle de la légalité des jugements parce qu’il n’est de juge des juges que
ouverture se révèle uniquement à la suite de la décision du juge. Mais, faut-il d’un autre juge. L’auteur belge du livre intitulé : « la loi des juges », François
que le moyen porte sur les demandes formulées devant le juge de fond ? La Rigaux148, estime que le dogme qui fonde ce contrôle est la croyance en la
réponse est affirmative, ce qui est exigé c’est que les faits soient au dossier, limpidité et à l’univocité de la loi, et même, à l’origine du texte. Il en tire la
dans la cause.
146
Dominique Foussard, opus citatus
145
Dominique Foussard, Cycle droit et technique de cassation, Le manque de base légale. 147
J. Bore, cassation civile, Éd. Dalloz, p. 3, 1997
Internet format pdf 148
François Rigaux, La loi des juges, Éditions Odile Jacob, p177
conviction (conséquence) qu’un organe juridictionnel de l’application de la tion dans l’idéologie judiciaire ; celui qu’il situe avant la révolution française
norme à des situations particulières est à même d’en dévoiler le sens à la fois et qui se caractérise par l’accent mis sur le caractère juste de la décision
premier et ultime. mais ne se souciait guère de la motivation de celle-ci. Le deuxième niveau
À cela, François Rigaux rejoint la conception d’un bon nombre d’auteurs commence avec la révolution française et pendant un peu plus d’un siècle,
modernes qui pensent que l’auteur véritable, exclusif et libre de la norme l’on a mis l’accent sur la légalité et la sécurité juridique. L’aspect déductif du
juridique n’est pas celui qui en adopte le texte mais uniquement celui qui raisonnement judiciaire gagne du terrain. On rapproche en ce moment là,
en interprète pour la suite, les termes. Dans ce sens, monsieur Jean-Louis la science du droit des mathématiques. On dit que ce rapprochement devait
Nadal149, Procureur Général prés la Cour de Cassation de Paris, rappelait, garantir le caractère prévisible et impartial de la décision judiciaire. Il va
dans sa mercuriale de la rentrée judiciaire de 2005, les propos tenus en 1900 sans dire que cette façon de concevoir le droit faisait dépendre davantage
par le Premier Président Ballot-Beaupré qui, s’adressant aux magistrats leur le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif. À partir des années 1960 naît
disait ceci : « appliquons la loi d’après ses termes mêmes, lorsqu’elle est clai- un nouveau courant, c’est le troisième niveau qui met l’accent sur le droit
rement impérative ; sinon interprétons-la libéralement, humainement; ren- prétorien et fait du juge d’aujourd’hui un véritable législateur voire même
dons, avec l’indépendance des consciences honnêtes, une justice à la fois l’unique parce que c’est lui qui finalement dit ce que la loi est. L’on se rap-
impartiale, égale pour tous, secourable, dans la mesure du possible, aux pellera la cote mal taillée du doyen Jacques Verhaegen152 et la théorie du
faibles et aux humbles ». corps inscrit dans une circonférence de l’autre doyen A. Rubbens153. Cette
Ainsi donc, lorsque le législateur dans un texte de loi a laissé la possi- dernière étape cherche pour chaque litige une solution équitable, acceptable
bilité d’un double sens dans son application, le juge saisi des faits est fondé et raisonnable. Cette nouvelle évolution permet au juge de tempérer la rigu-
d’en déterminer le sens lorsqu’il fait l’application de la loi. Ceci fait dire à eur de la loi par le recours à la règle du droit représentée par les principes
François Rigaux150 que le juge devient le ministre du sens, c’est-à-dire que généraux du droit. Cette recherche d’une solution équitable, raisonnable et
le dispositif judiciaire va consister à choisir un sens parmi tous ceux qui acceptable est limitée par ce que le système de droit autorise le juge à faire.
s’offrent au juge dans les circonstances de lieu et de temps bien déterminées. Au sujet des systèmes de droit, il suffit de rappeler que la plupart d’auteurs
Devenu ministre du sens, le rôle de contrôle du juge devient de plus en les regroupent en deux grandes catégories : le système romano-germanique
plus important au niveau de la cour de cassation eu égard à l’abondance des et les pays de Common Law. La première catégorie regroupe les pays du
textes législatifs ainsi que des techniques d’interprétation mises en place. continent européen (sauf les pays socialistes) et ceux de l’Amérique latine
Dans ce contexte, le juge de cassation acquiert une ascendance particulière mais également les anciennes colonies des pays appartenant audit système.
car non seulement le juge du niveau inferieur est enclin à suivre son interpré- Ce sont des pays dont le droit est issu du droit romain mais dont le contenu
tation pour éviter la sanction par la cassation de sa décision mais aussi parce est constitué d’un mélange des notions romaines et germaniques. La loi est
que la loi lui fait obligation, à certains niveaux de procédure, à se conformer essentiellement la source de droit dans ce système et les textes sont codifiés
aux points de droit que la cour a tranchés. Pour assurer pleinement ce rôle, (code napoléon). La seconde catégorie englobe l’Angleterre, l’Irlande et les
les différentes cours de cassation sont allées, comme il a déjà été dit, au-delà États-Unis d’Amérique. Le droit est d’origine jurisprudentielle et générale-
de la loi stricto sensu aux fins de sanctionner la violation des règles de droit ment non codifié.
tels les principes généraux de droit, les principes fondamentaux de procé- La tendance actuelle rapproche les deux familles parce que nous avons
dure, la méconnaissance des limites du litige, etc. déjà parlé de cette conception des auteurs modernes qui croient que le véri-
La cour de cassation est passée, ce faisant, d’une conception restrictive table législateur et l’unique n’est pas celui qui en adopte les termes de la loi
de son rôle à la tète des juridictions de l’ordre judiciaire à celle élargie qui mais bien celui qui en fait l’application dans les causes. Et de l’autre côté,
lui permet d’aller au-delà de la bouche qui prononce les paroles de la loi François Terré nous apprend que le droit anglo-saxon issu des décisions des
de Montesquieu. La cour a acquis un champ d’application plus étendu de juges est de plus en plus mis en jour, modifié et complété par la législa-
ses compétences et des techniques d’intervention diversifiées parce que les tion154. Les conventions et accords internationaux contribuent davantage au
acteurs judiciaires, les juges, les officiers du ministère public et les avocats rapprochement de deux systèmes. La conception actuelle du droit est donc
ont compris que le droit évolue comme évolue les sociétés et que le raisonne- non formaliste parce qu’il se préoccupe de la manière dont il (le droit ou la
ment juridique subit également les effets de cette évolution. À ce sujet, Perel- décision) est accepté par la société qu’il régit. Il n’est pas non plus arbitraire
man151, professeur à l’université de Bruxelles, retient trois niveaux d’évolu- car la cour régulatrice du droit est soumise à la loi.
149
Jean-Louis Nadal, Mercuriale à la rentrée judiciaire du 07 janvier 2005, publication de la C. 152
Jacques Verhaegen, cour d’introduction au droit, doyen à la faculté de droit, Université
Cass, doc pdf Lovanium
150
François Rigaux, opus citatus, p 233 153
A. Rubbens, cour des procédures pénale et civile, doyen à la faculté de droit, Université
151
Ch. Perelman, logique juridique nouvelle rhétorique, Dalloz, 1979, deuxième édition, n° Lovanium
71 à 73 154
François Terré, Introduction générale au droit, Dalloz 8° édition, n° 60-61 pages 54 et 55
Voici quelques exemples que le professeur Perelman donne et ou les lois veau. Ce rôle s’avère utile parce qu’il prévient des pourvois en cassation qui
votées par le parlement, régulièrement promulguées ne représentent point viendraient encombrer la cour. La cour de cassation de Paris tient le bureau
la réalité juridique dans le pays et où le rôle du magistrat a été de rappro- de la cour, le service de documentation et d’études ainsi que l’assemblée
cher la règle du droit à la possibilité d’une mise en œuvre raisonnable de la générale de la cour de cassation.
loi: (1) avant la modification de la loi sur l’avortement dans plusieurs pays
européens, la rigueur de la loi approuvée par la population et qui condam-
nait l’auteur de l’avortement et ceux qui l’y aidaient était telle que l’autorité
politique, évitant des manifestations hostiles, s’est abstenue de modifier la C H A PI T R E 2
loi dans le sens de l’adoucissement mais elle a prescrit au ministère public
de ne pas poursuivre. (2) un autre exemple porte sur le principe de réci-
procité qui était formulé en droit français et belge comme suit : l’étranger
jouira en France ou en Belgique des mêmes droits civils que ceux qui sont ou
seront accordés aux français ou belges par les traités de la nation à laquelle
ils appartiennent. Cette règle posait problème tant aux apatrides qu’aux
La cassation en matière civile
personnes dont les pays n’avaient aucun traité signé en cette matière avec PA R B OJ A BWA B O N D I O N J E KO M I C H E L
les pays visés. Fallait-il dans le respect du droit positif priver les personnes
concernées des droits élémentaires comme celui d’ester en justice ou de se
marier devant l’officier de l’État civil ? La jurisprudence a donné des solu- SECTION 1 : ORGANISATION DE LA COUR DE CASSATION EN
tions qui s’éloignent du texte de la loi. En effet la cour de cassation de Bel- RDC ET SA COMPOSITION
gique en 1880 a, au lieu d’opposer les droits civils aux droits politiques, les
a opposés aux droits naturels pour décider que l’étranger jouit en Belgique Paragraphe 1. Données historiques
des droits naturels indépendamment de toutes conditions de réciprocité : LE PROFESSEUR Matadi Nenga Gamanda, Député national et avocat à
le mariage, la propriété, l’action et témoignage en justice, etc.. La cour de la Cour Suprême de Justice présentant en 2001, son ouvrage intitulé : « la
cassation de France a, elle, décidé simplement dans une espèce semblable question du pouvoir judiciaire en RDC » a relevé avec justesse et pertinence
que les étrangers jouissaient en France des droits qui ne leur sont pas expres- le fait que le rétablissement de la justice congolaise implique un ordonnan-
sément refusée. Ils sont présumés jouir de tous les droits civils, à moins d’une cement du système juridique tout entier et une rapide reforme constitution-
disposition expresse de la loi en sens contraire. nelle d’essence démocratique. Le constituant du 18 février 2006 a entendu
Exerçant son pouvoir d’interprétation de la loi, le juge de cassation rap- ce vœu et a pris, après sa réforme constitutionnelle, notamment la décision
pelle François, dit ce que la loi est et il ne saurait être censuré dans l’exercice de créer une cour constitutionnelle et les deux ordres des juridictions, à
de cette fonction155. savoir : l’ordre des juridictions judiciaires composé des cours et tribunaux
Ainsi donc, la cour de cassation de la République Démocratique du civils et militaires placés sous le contrôle de la cour de cassation ainsi que
Congo sera par l’activité que les magistrats y imprimeront, digne ou non celui des juridictions administratives composé du conseil d’État et des cours
d’un État de droit, indépendante et véritablement régulatrice du droit. C’est et tribunaux administratifs.
le lieu pour inviter les hauts magistrats à faire leurs les propos du Premier La cassation telle qu’organisée par l’ordonnance-loi n° 80-017 du 31
Président Ballot-Beaupré s’ils tiennent à leur propre épanouissement et à mars 1982 portant procédure devant la Cour Suprême de Justice et le code
celui de la cour. de l’organisation et de la compétence judiciaires nous provient du Conseil
La cour de cassation dans son fonctionnement peut aussi exercer, en plus Supérieur colonial et de la loi belge du 15 avril 1924.
de son rôle de contrôle de légalité, d’autres rôles juridictionnels ou non juri- Le Conseil Supérieur, institué par décret du 16 avril 1889 et dont le siège
dictionnels suivant les besoins du pays ; c’est un combat qui reste à mener situé à Bruxelles, était composé d’un président, des conseillers, des auditeurs
plus tard parce que le législateur congolais de 2006-2011 n’a fait droit à au- et d’un secrétaire, tous nommés par le Roi souverain avait entre autres com-
cune reforme dans ce sens. En France, par exemple, la cour de cassation a la pétences, celle de cassation pour le Congo.
compétence d’avis en matière civile tout comme en matière répressive dans Par le décret du 2 mars 1922, le conseil supérieur avait été supprimé et
une moindre mesure. Elle peut en effet, être saisie pour un avis à donner en par la loi belge du 15 avril 1924, le pouvoir de contrôle de la Cour de cassa-
matière civile lorsque les juridictions des degrés inferieurs sont confrontées à tion belge était étendu sur les décisions rendues par les tribunaux coloniaux.
des problèmes soulevés dans leurs ressorts par l’application d’un droit nou- Ce contrôle s’exerçait sur les décisions rendues en dernier ressort par les
tribunaux coloniaux. Cette situation a perduré jusqu’à l’indépendance de la
155
François Rigaux, opus citatus, p 202
République Démocratique du Congo le 30 juin 1960156. et promulguées. C’est à leur entrée en vigueur que la cour de cassation verra
La cour de cassation à installer en République Démocratique du Congo le jour.
n’est pas une innovation de la constitution du18 février 2006, elle avait été
prévue à l’article 189 alinéa 1er de la loi fondamentale du 19 mai 1960 qui Paragraphe 2 : Organisation
avait confié ce rôle à la cour de cassation de Belgique en attendant que soit Le projet de loi en discussion au Parlement prévoit que la cour aura les
installée au Congo une cour de cassation. C’est à partir de la constitution formations suivantes : les chambres réunies, quatre chambres et des forma-
du 1er aout 1964 dite de Luluabourg, en son article 126, que le contrôle des tions restreintes près chaque chambre.
juridictions de l’ordre judiciaire a été confié à la cour suprême de justice qui
comprend les sections judiciaires, administratives et constitutionnelles. a) Les chambres
Les différentes constitutions qui ont suivi ont prévu la création d’une La cour disposera des formations qui sont appelées chambres. Il s’agit
juridiction de cassation. des formations de jugement. En gros, il y aura les chambres réunies et les
Il a fallu attendre une loi du 10 juillet 1967 pour voir organisée la cour chambres ordinaires.
suprême de justice au sein de laquelle était prévue une section judiciaire qui Les chambres réunies seront présidées par le premier président de la cour
s’occuperait de la cassation des décisions rendues en dernier ressort pour vio- de cassation. Elles seront composées de tous les présidents de chambres.
lation de la loi et de la coutume. Ensuite viendra, en janvier 1968, un texte Elles connaîtront des pourvois qui soulèvent des questions de principe
qui a organisé la procédure à suivre. C’est ce dernier texte qui a connu des ainsi que ceux comportant des moyens relevant de la compétence de plu-
modifications qui forment aujourd’hui l’ordonnance n° 82-017 du 31 mars sieurs chambres et qui sont susceptibles de recevoir des solutions divergentes.
1982 portant code de procédure devant la cour suprême de justice. Elles connaîtront également des pourvois soumis à la cour lorsque le
juge de renvoi ne se sera pas conforme aux points de droit jugés par la cour
Situation actuelle de cassation.
Les pourvois en cassation sont de la compétence de la cour suprême de Elles seront en outre saisies en cas de revirement de la jurisprudence
justice en vertu de l’art. 51 de l’ordonnance-loi n° 82-020 du 31 mars 1982 ou lorsqu’un pourvoi du procureur général sera introduit sur injonction du
et de l’art. 223 de la constitution du 18 février 2006 qui reconnait à la cour ministre de la justice.
suprême de justice l’exercice des compétences de la cour de cassation. C’est Elles connaîtront enfin des pourvois initiés par le procureur général dans
donc effectivement la section judiciaire de cette cour qui connait des recours l’intérêt de la loi.
en cassation. Cette situation est transitoire car, en vertu de l’art. 153 de la La cour comprendra quatre chambres ordinaires. La première chambre
constitution du 18 février 2006, il est institué une cour de cassation placée connaitra des pourvois en cassation en matière civile, la deuxième des pour-
au sommet de la hiérarchie des juridictions de l’ordre judiciaire. l’al. 2 de la vois en cassation en matière commerciale, la troisième des pourvois en cassa-
disposition constitutionnelle précitée dit notamment que la cour de cassa- tion en matière sociale avec compétence sur les procédures spéciales devant
tion connait des pourvois en cassation formes contre les arrêts et jugements la cour, enfin, la quatrième des pourvois en cassation en matière pénale avec
rendus en dernier ressort par les cours et tribunaux civils et militaires. compétence sur les appels formes contre les arrêts rendus au premier degré
L’art. 149 de la même constitution dispose que le pouvoir judiciaire est par les cours d’appel en matière répressive.
dévolu aux cours et tribunaux qui sont la cour constitutionnelle, la cour de Il sied de signaler, à titre d’information, qu’avec l’adhésion de la Répu-
cassation, le conseil d’état, la haute cour militaire, les cours et tribunaux blique Démocratique du Congo à l’Organisation pour l’Harmonisation en
civils et militaires, ainsi que les parquets rattaches à ces juridictions. Il se Afrique du Droit des Affaires (OHADA), la connaissance des pourvois en
dégage de cela que la cour suprême de justice est appelée à éclater en une matière relevant du droit des affaires sera soustraite de la compétence de la
cour constitutionnelle, une cour de cassation et un conseil d’État. cour de cassation en faveur de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
de l’OHADA siégeant à Abidjan.
Situation après l’éclatement de la cour suprême de justice
Comme dit ci-haut, la cassation relèvera de la compétence de la cour de b) Formations restreintes
cassation qui aura aussi d’autres compétences qui lui sont reconnues par la Chacune des chambres citées ci-avant comprendra une formation res-
constitution et dont d’autres lui seront dévolues par une loi organique. treinte composée de trois magistrats désignés par le président de chambre.
Les lois sur l’organisation, la compétence et la procédure sont déjà en Elle se prononcera sur des pourvois manifestement irrecevables ou infondés.
élaboration devant le Parlement. Elles seront très prochainement adoptées Il y a lieu de signaler à ce niveau une autre innovation. Contrairement à
la procédure encore actuellement en vigueur ou les pourvois sont examinés
156
Katuala et Yenyi, Cour suprême de justice : historique et textes annotés de procédure, éd. par l’assemblée plénière de tous les magistrats de la cour, chaque chambre
Batena Ntambua, 2000, Kinshasa, pp 11 à 14) instruira et jugera les affaires de sa compétence. Elle sera présidée par son
président ; en cas d’absence ou d’empêchement de ce dernier, par le plus vera un greffier en chef assisté des greffiers principaux, des greffiers division-
ancien des conseillers qui y sont affectés. naires, etc. Tandis que celui du secrétariat du parquet général comprendra
Le premier président de la cour de cassation pourra présider toute un premier secrétaire qui sera assisté d’autres agents.
chambre de la cour lorsqu’il l’estime convenable.
Les arrêts de la cour de cassation seront rendus, sauf dans les formations SECTION 2 : NORMES DONT LA COUR SUPRÊME
restreintes, par une composition de cinq membres au moins. CONTRÔLE L’APPLICATION ET
L’INTERPRÉTATION
Paragraphe 3 : Composition
La Cour Suprême de Justice exerce son contrôle aux normes qui rem-
Cour de cassation plissent certains caractères. Ces normes doivent être écrites, être congolaises
La cour de cassation comprendra un premier président, un ou plusieurs et être très larges ou générales. La cour veille aussi à ce que lesdites normes
présidents, des conseillers et des conseillers référendaires. reçoivent une interprétation uniforme sur tout le territoire congolais afin
Le premier président aura, en plus de sa mission de juge, l’administration que l’égalité de tous devant la loi soit assurée.
de la cour. Dans le cadre de l’administration, il prendra notamment le règle-
ment intérieur de la cour, des instructions pour la bonne marche de celle-ci, Paragraphe 1 : Textes législatifs
etc. Il est l’ordonnateur du budget du pouvoir judiciaire. On doit considérer comme textes législatifs, les lois votées par l’auto-
Les présidents et les conseillers ont des tâches essentiellement judiciaires, rité investie du pouvoir législatif, promulguées et publiées au journal officiel
c’est-à-dire, étudier le dossier en faisant rapport sur les faits des causes et des dans les formes prévues par la constitution en vigueur lors de leur publica-
procédures, proposer des solutions aux pourvois en leurs notes juridiques. Ils tion. Contrairement au point de vue de la cour suprême de justice qui était
peuvent aussi joindre à leurs rapports un ou plusieurs projets d’arrêt. Mais en vigueur au moment où nous étions à la cour, le terme de la loi doit être
le premier président peut aussi leur confier des tâches administratives telles pris dans un sens plus large comprenant aussi certains actes réglementaires
que l’inspection des juridictions inferieures. ayant un caractère général pris par le pouvoir exécutif.
Le terme de la loi doit s’étendre aussi aux actes pris par l’exécutif habi-
Parquet général lité par le législatif tels que les ordonnances-lois ou les décrets-lois, les actes
Comme toutes les juridictions, il est attaché à la cour de cassation un accomplis par le pouvoir exécutif au lendemain des révolutions, un certains
parquet général à la tête duquel se trouvera un procureur général qui aura nombre de principes jurisprudentiels considérés comme déduits de la loi
sous ses ordres un ou plusieurs premiers avocats généraux et des avocats gé- elle-même.
néraux prés la cour de cassation. Le procureur général exercera les fonctions
de ministère public. Ce parquet général sera aussi pourvu des magistrats Paragraphe 2 : Textes réglementaires
référendaires qui auront pour tâche d’assister les magistrats dans l’accom- Leur champ d’application est souvent aussi large que celui de la loi elle-
plissement des tâches qui leur sont dévolues. même. Les règlements revêtent, dans la plupart des cas, un caractère général
et abstrait comme la loi. Dans certains cas, ils régissent même les rapports
Magistrats référendaires entre des citoyens. Leur application peut mettre les citoyens en conflits pour
Les conseillers référendaires sont des magistrats des juridictions infe- lesquels ils peuvent s’adresser aux cours et tribunaux. À cette occasion, les
rieures affectés pendant un temps à la cour de cassation comme assistants cours et tribunaux les interpréteront avec la possibilité de les violer. Ainsi,
des magistrats de cette cour dans l’exercice des missions qui leur sont dévo- la Cour Suprême de Justice saisie d’un pourvoi exercera son contrôle sur la
lues. L’introduction des magistrats référendaires au niveau de la cour de correcte application du règlement invoque.
cassation est une initiative heureuse parce qu’elle permet à ces magistrats de
connaître les raison pour lesquelles les décisions des juridictions inferieures Paragraphe 3 : Les traités internationaux
sont cassées. Ainsi, ils pourront servir comme porte-paroles de la cour de Aux termes de l’art. 215 de la constitution, les traités et accords inter-
cassation auprès des juridictions de fond, une fois qu’ils y seront rentres. nationaux régulièrement conclus et ratifiés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord
Personnel administratif de son application par l’autre partie.
En plus des magistrats, la cour de cassation et son parquet général au- Les traités dont il est question et qui peuvent être invoqués sont ceux
ront, pour leur fonctionnement, un personnel administratif. Le personnel qui ont un effet direct, c’est-à-dire ceux qui créent des droits en faveur des
administratif du greffe comprendra des greffiers au sommet duquel se trou- particuliers. Un justiciable peut valablement asseoir son action en justice en
invoquant un traité sur lequel il fonde sa demande. S’il estime que le juge a
mal appliqué le traité qu’il a invoqué à l’appui de sa demande, il peut s’adres- Paragraphe 2 : Saisine de la cour
ser devant le juge de cassation qui va contrôler si les dispositions du traité
invoqué par le demandeur ont été correctement appliquées. Dans la néga- Requête introductive de pourvoi
tive, le juge de cassation prononcera l’annulation de la décision entreprise. Comme toutes les juridictions, pour pouvoir juger, la cour doit être saisie
par une ou des parties. Ainsi, la Cour Suprême de Justice sera saisie par une
SECTION 3 : PROCÉDURES DE CASSATION EN MATIÈRE requête des parties ou par un réquisitoire du procureur général157.
CIVILE Cette requête devra remplir un certain nombre de conditions. Elle devra
être signée par un avocat à la cour suprême de justice ou à la cour de cassa-
Le constituant ou le législateur congolais ne semble pas avoir défini la tion et être datée. Elle devra mentionner les noms, les prénoms, la qualité,
notion de pourvoi en cassation; mais nous pouvons, de l’examen de l’article la demeure ou siège de la partie adverse et l’inventaire des pièces formant le
153 alinéa 2 de la constitution et du code de l’organisation et de la com- dossier. L’omission d’indication de la date ne sera pas une cause d’irreceva-
pétence judiciaires, forger une définition du pourvoi en cassation. Ainsi, bilité car la date importante, c’est celle de réception indiquée par le greffier
nous pouvons définir le pourvoi en cassation comme étant un recours dirigé sur la requête qui permet de vérifier le délai de procédure.
contre une décision rendue en dernier ressort par une juridiction et ten- L’inventaire comprendra notamment l’assignation, les conclusions, les
dant à obtenir l’annulation de cette décision pour violation d’une règle de feuilles d’audiences, bref, toutes les pièces du premier et du deuxième degré
droit (loi, coutume, principes généraux de droit, etc.). Le dernier ressort doit ainsi que la décision attaquée.
s’entendre comme le dernier degré de juridiction. La décision rendue dans Le défaut d’inventaire amènera la cour à ne pas recevoir le pourvoi. La
ces circonstances ne peut être entreprise que par voie de cassation. requête contiendra également l’élection de domicile par le requérant au cabi-
net d’un avocat à la cour suprême de justice sous peine d’irrecevabilité.
Paragraphe 1 : Décisions susceptibles de pourvoi en cassation Selon l’alinéa 2 de l’art. 8, toute requête, réquisitoire ou mémoire devra
L’article 153 de la constitution du 18 février 2006 ouvre le pourvoi en avoir été en toute matière préalablement signifié à la partie contre laquelle la
cassation « contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les demande est dirigée. Dans la pratique, la cour ne sanctionne pas le requérant
cours et tribunaux civils et militaires ». Toutefois, ce texte de la constitution qui aura déposé sa requête sans l’avoir préalablement signifiée des lors que
doit être rapproché de certaines dispositions légales qui le précisent ou inter- la partie adverse qui en a reçu signification après le dépôt a pris un mémoire
disent le pourvoi contre certaines décisions. C’est ainsi que nous essayerons en réponse, cela, en vertu de l’adage qui dit qu’il n y a pas de nullité sans
de déterminer les conditions générales que doit remplir la décision attaquée grief. Toute requête produite devant la cour doit être accompagnée, sous
pour pouvoir faire l’objet d’un pourvoi en cassation. peine d’irrecevabilité, de deux copies signées par l’avocat ainsi que d’autant
Le pourvoi doit être dirigé contre une décision. La requête doit indiquer d’exemplaires qu’il y a des parties désignées à la décision entreprise158.
cette décision. Celle-ci doit avoir tranché totalement ou partiellement le En outre, pour l’application de l’article 4 du code ci-dessus indiqué, la
principal. Une simple décision à caractère administratif rendue par une juri- cour s’est montrée souple estimant que dès lors que les parties ont reçu signi-
diction siégeant au deuxième degré ne peut pas être attaquée en cassation. fication de la requête et qu’il ne reste au dossier qu’un exemplaire signé, il n’y
Un pourvoi dirigé contre une telle décision doit être déclaré irrecevable. Une a aucun préjudice dans le chef d’aucune partie. En vertu de l’adage ci-haut
décision qui ordonne une simple mesure d’instruction ne peut pas non plus indiqué, il n’y a pas lieu à décréter l’irrecevabilité de la requête en dépit des
être attaquée en cassation. Un pourvoi contre elle sera déclaré irrecevable. termes impérieux de la loi.
Certains jugements avant-dire droit rendus par une juridiction de der-
nier ressort ne peuvent être attaqués en cassation qu’au même moment que le Réquisitoire du procureur général de la république ou du procureur
jugement définitif. Tel est l’esprit de l’article 35 al. 2 de la procédure devant général prés la cour de cassation
la cour suprême de justice. Le procureur général prés la Cour Suprême de Justice peut aussi intro-
Toutefois, nous faisons observer que si le jugement avant-dire droit ren- duire un pourvoi en cassation à la suite d’une injonction à lui, faite par le
du par la juridiction de dernier ressort a eu pour effet de dessaisir le juge et Ministre de la Justice.
de mettre fin à l’instance, il peut être attaqué en cassation. Tel serait le cas Le réquisitoire du ministère public fait à la suite d’une telle injonction
lorsqu’une juridiction d’appel déclare un appel irrecevable.
Pour pouvoir être attaquée en cassation, la décision décriée ne doit pas 157
Art 1er Code de procédure devant la CSJ : « la cour est saisie par requête des parties ou par
avoir fait l’objet d’un acquiescement exprès ou tacite du requérant. réquisitoire du Procureur général de la république, déposé au greffe
158
Art 4 Code de procédure devant la CSJ : Toute requête ou tout mémoire produits devant la
Avec la création des juridictions de l’ordre administratif, la décision atta- Cour Suprême de Justice doivent être accompagnés sous peine d’irrecevabilité, de deux copies
quée en cassation doit émaner des juridictions congolaises de l’ordre judi- signées par l’avocat ou, en matière administrative, par la partie elle-même s’il ya lieu, ainsi que
ciaire. d’autant d’exemplaires qu’il y a des parties désignées à la décision entreprise.
sera notifié aux parties qui pourront prendre des conclusions159. La décision à une requête déposée tardivement à la suite des tels faits ? La jurisprudence
de la cour rendue à la suite d’un tel pourvoi pourra nuire ou profiter aux de la cour, en conformité avec la loi161 relève le requérant défaillant de la
parties. déchéance encourue pour cas de force majeure. La cour ne le fait que lorsque
Dans d’autres pays, notamment en France, une telle injonction n’est faite le requérant expose les faits constitutifs de force majeure et demande à la
qu’en cas d’excès de pouvoir par le juge qui a rendu la décision critiquée. cour d’être relevé de la déchéance encourue. En dehors de ces cas, le pourvoi
Mais en République Démocratique du Congo, l’injonction du ministre de introduit au delà du délai de la loi ne sera pas reçu.
la justice s’étend à toute violation de la loi. Cela a pour conséquence de créer
une certaine insécurité juridique dans la mesure où cette injonction semble Paragraphe 4 : Parties à l’instance en cassation
porter atteinte à l’autorité de la chose jugée des lors que le ministre peut Logiquement, seuls devaient être considérés comme parties le deman-
intervenir à tout moment, même plusieurs années après que la décision soit deur et le jugement déféré en cassation car le juge de cassation ne juge pas
devenue définitive. La cour suprême de justice a connu de tels cas, à cause de le litige qui avait opposé les parties devant le juge de dernier ressort. Néan-
cette insécurité, la Commission Permanente de Reforme du Droit Congo- moins, il est admis que les parties qui ont gagné le procès devant le juge
lais avait, dans l’avant-projet du texte relatif à la procédure devant la cour de de dernier ressort ayant un intérêt à voir le pourvoi rejeté sont considérées
cassation propose une limitation de l’étendue de l’injonction du Ministre de comme défendeurs. Donc, sont parties en cassation, tous ceux qui ont été
la Justice dans le temps. parties au procès devant le juge du fond à moins que le requérant n’ait limité
son pourvoi.
Paragraphe 3 : Les délais de pourvoi
Le délai pour se pourvoir en cassation est fixé par le législateur. Il est de SECTION 4 : OUVERTURES À CASSATION
trois mois en matière civile et commence à courir à dater de la signification
du jugement contradictoire ou à dater du jour où le jugement par défaut L’ouverture à cassation n’est pas définie par le législateur ; mais nous
n’est plus susceptible d’opposition160. Les jours de départ du délai et celui pouvons, avec Gérard Cornu, la définir comme étant des « hypothèses déter-
d’échéance sont désignés par les expressions latines dies a quo et dies ad minées par la loi dans lesquelles un recours extraordinaire peut être exercé ».
quem. De manière simple, nous pouvons dire qu’il s’agit des moyens qu’un deman-
Le dies ad quem peut tomber un jour férié, un dimanche ou un jour deur en cassation peut invoquer comme violation de la loi pour obtenir la
où le greffe est fermé. Que doit être l’attitude du juge lorsque le dépôt de cassation d’une décision judiciaire rendue en dernier ressort et qui lui fait
la requête a été fait le lendemain de ce jour ? La réponse à cette question grief.
vient de la loi qui dispose en son art. 13 al. 2 que les délais de signification
et de notification sont comptés en toute matière comme prévu au code de Paragraphe 1 : Les ouvertures à cassation
procédure civile. Dans le cas où le dernier jour utile tombe un dimanche, un L’art. 156 du code de l’organisation et de la compétence judiciaires in-
jour férié ou un jour où le greffe est fermé, la requête peut valablement être dique la violation de la loi ou de la coutume comme une ouverture à cas-
déposée le prochain jour ouvrable. sation. Le même article précise ce qu’il faut entendre par violation de la loi
Certains événements peuvent aussi paralyser l’activité dans une ville : la en disant que « la violation de la loi comprend notamment l’incompétence,
grève des fonctionnaires des greffes, des troubles graves dans la ville et em- l’excès de pouvoir des cours et tribunaux, la fausse application ou la fausse
pêcher ainsi le requérant d’agir dans le délai. Quelle suite peut être réservée interprétation de la loi, la non-conformité aux lois ou à l’ordre public de la
coutume dont il a été fait application et la violation des formes substantielles
159
Art. 36 de la Procédure devant la CSJ : Le Procureur Général de la République ne peut se prescrites à peine de nullité ». Il résulte de l’adverbe notamment que cette
pourvoir en toute cause et nonobstant l’expiration des délais que sur injonction du Ministre
de la Justice ou dans le seul intérêt de la loi. Dans ce dernier cas et sous réserve de ce qui est
énumération n’est pas limitative. D’autres ouvertures peuvent également
prévu à l’article 50, la décision de la Cour ne peut ni profiter ni nuire aux parties. Lorsque le être invoquées à l’appui d’un pourvoi. Nous pouvons citer à titre d’exemple,
Procureur Général se pourvoit sur injonction du Ministre de la Justice, le greffier notifie ses certaines maximes et des principes généraux de droit tels que nul ne plaide
réquisitions aux parties qui peuvent se faire représenter à l’instance et y prendre des conclu- par procureur, l’immutabilité du siège qui examine une cause, etc. Nous
sions. L’arrêt rendu sur pourvoi formé sur injonction du Ministre de la Justice est opposable
aux parties.
160
Art. 39 al. 1er et 2 du code de procédure devant la CSJ : Hormis le cas où la loi a établi un 161
At13 dernier al. de la procédure devant la C.S.J. : Les délais préfix sont des délais francs
délai plus court, le délai pour déposer la requête est de trois mois à dater de la signification de comme prévu au code de procédure civile. Les délais de signification ou de notification ainsi
la décision attaquée. Toutefois, lorsque l’arrêt ou le jugement a été rendu par défaut, le pourvoi que les délais de distance sont comptés en toute matière comme prévu au code de procédure
n’est ouvert et le délai ne commence à courir l’égard de la partie défaillante que du jour où civile. Les délais courent contre les incapables. La Cour peut cependant relever ceux-ci de la
l’opposition n’est plus recevable. L’opposition formée contre la décision entreprise suspend déchéance s’il est établi que leur représentation n’avait pas été assurée. En cas de décès d’une
la procédure en cassation. Si l’opposition est déclarée recevable, le pourvoi sera rejeté faute partie en cours de délais préfix, celui-ci est prorogé de deux mois. En tout état de cause, la
d’objet. Cour peut relever les parties de la déchéance encourue, en cas de force majeure.
n’allons pas examiner toutes les ouvertures à cassation mais nous n’examine- énonce que la demande apparait « juste et bien fondé ». Une telle motivation
rons que quelques ouvertures à titre d’exemple. Dans la pratique, plus pré- n’en est pas une. Elle exposerait l’arrêt ou le jugement entrepris à la cassa-
cisément dans les requêtes et arrêts de la cour, les ouvertures sont présentées tion.
sous l’appellation des moyens de cassation.
Ainsi parlerons-nous de quelques uns à titre indicatif. 3. Motivation par voie de référence
Il est de principe qu’une décision judiciaire doit se suffire à elle-même,
A. Le défaut de motif c’est-à-dire qu’elle doit contenir tous les éléments de sa propre régularité
Nous pouvions parler aussi d’un autre moyen de cassation mais si nous parmi lesquels les motifs qui soutiennent son dispositif.
avions choisi le défaut de motif, c’est en raison du nombre très élevé des La cour de cassation a considéré comme une absence de motifs la moti-
arrêts de cassation rendus sur base de ce moyen. vation par voie de référence à une décision rendue dans une autre cause.
L’obligation de motiver les jugements est légale. Elle est imposée par La cassation sera prononcée sur base du défaut de motifs, un jugement
l’art. 23 al. 2 du code de procédure civile ; la Constitution du 18 février ou un arrêt qui se borne à se référer à une jurisprudence sans en donner
2006 énonce la même obligation à son article 21 al.1162. les motifs, ni relever les circonstances particulières aux faits de la cause,
Elle constitue une garantie pour le justiciable contre l’arbitraire éventuel propres à en justifier l’application. Pourra être également cassé, un arrêt ou
du juge. Elle permet au justiciable de connaître les raisons qui ont amené le un jugement qui statue par simple référence à un rapport d’expertise établi à
juge à se prononcer dans tel sens et à lui faire comprendre que sa cause a été l’occasion d’un autre litige que celui qui oppose les parties.
sérieusement examinée. Toutefois, la motivation par voie de référence peut être admise lorsque
Le principe en cassation est qu’aucun moyen nouveau ne peut être invo- le juge du fond se réfère à une jurisprudence, à une décision antérieure ren-
qué devant le juge de cassation. Les moyens qui n’avaient pas été débattus due entre d’autres parties ou à une décision concomitante rendue entre les
devant le juge du fond et qui seraient invoqués pour la première fois en cas- mêmes parties à la double condition de rappeler les motifs de cette juris-
sation sont nouveaux. Le juge de cassation les déclare irrecevables. Le moyen prudence et de ces décisions et de constater l’analogie des situations qui en
tiré du défaut de motif échappe à ce principe car généralement, il n’est révélé justifie l’application163.
que par la décision rendue. Malgré son caractère nouveau, il est recevable. Il
en est de même des moyens d’ordre public qui peuvent être invoqués à toute 4. Contradiction des motifs
fin, même pour la première fois en cassation car ils sont supposés être dans Les motifs d’un jugement ou d’un arrêt sont le soutien nécessaire du
la cause. dispositif. Lorsque deux motifs qui sont supposés soutenir le dispositif se
Ce principe et son exception, ayant été énoncés, nous pouvons examiner contredisent, nous sommes, dans ce cas en présence des motifs qui se dé-
les différentes formes que peut revêtir le défaut de motif. Nous pouvons truisent, par conséquent s’annihilent réciproquement. Aucun d’eux ne peut
nous trouver en présence d’une absence de motifs, d’une contradiction de être retenu comme fondement ou soutien du dispositif. Il en résulte une
motifs, des motifs dubitatifs ou hypothétiques ainsi qu’en présence de défaut absence de motif qui donnera lieu à cassation du jugement ou de l’arrêt.
de réponse à conclusion. La contradiction des motifs ne donnera lieu à cassation que si cette
contradiction reprochée à la décision attaquée affecte la pensée même du
1. Absence de motifs juge et n’est pas le résultat d’une simple erreur de langage ou de plume. Le
L’absence de motifs vise la situation où le juge du fond n’a donné au- moyen sera également écarté si la contradiction résulte d’une simple erreur
cune justification de sa décision. Serait entaché d’une absence de motifs, un matérielle.
jugement ou un arrêt qui a omis de se prononcer sur une exception et s’est La contradiction peut également exister entre le motif et le dispositif.
prononcé sur le fond, soit en accueillant la demande sans dire pourquoi il Pareille contradiction est assimilée traditionnellement à la contradiction des
l’accueille. Il s’agit la d’un défaut total de motif qui, s’il était invoqué par motifs et conduit à la cassation. La contradiction entre les motifs de droit ne
le demandeur en cassation donnerait lieu à la cassation du jugement ou de suffit pas à elle seule à entrainer la cassation car la cour peut faire abstraction
l’arrêt attaqué. en les déclarant surabondants pour ne s’en tenir qu’à ceux qui justifient le
dispositif.
2. Motivation de pure forme Par contre, la contradiction entre les motifs de fait conduit toujours à la
Il arrive des cas où la décision attaquée se borne à déclarer que le moyen cassation.
invoqué « n’est pas sérieux », « n’est pas recevable », « n’est pas fondé » ou
162
Art.21 al 1(Const) : Tout jugement est écrit et motivé. Il est prononcé en audience
publique. 163
Bore, op.cit., §77.66, p. 373
5. Motif dubitatif ou hypothétique invité les parties à l’audience. Nous nous sommes toujours opposés à cette
Le dispositif d’un jugement ou d’un arrêt est généralement tranché et façon de faire. Nous croyons qu’après avoir déclaré les débats rouverts, le
catégorique. Les motifs qui soutiennent ce dispositif cadrent mal avec le juge doit reprendre toute l’instruction de la cause afin de permettre aux nou-
caractère tranche et catégorique que nous venons de rappeler. C’est pourquoi veaux membres du siège d’entendre les parties eux-mêmes et de se faire une
le motif dubitatif ou hypothétique est considéré comme incompatible avec le idée précise sur la cause. C’est ainsi que tous les arrêts de cassation rédigés
dispositif qu’il est censé soutenir, d’où la cassation. par nous l’ont été dans ce sens dans ledit pour droit.
relative à l’hypothèse constitue une fausse qualification de la situation de fait cassation mais, celle d’invoquer le moyen tendant à obtenir la cassation.
aboutissant à une application de la loi qui régit une hypothèse étrangère à Le demandeur ne pourra invoquer que le moyen qui critique le jugement
cette situation. Il en résulte que la violation de la loi peut se rencontrer sous entrepris en tant qu’il lui a causé préjudice. C’est ce préjudice qui lui donne
trois formes distinctes : le refus de l’application, la fausse application et la non seulement l’intérêt mais aussi la qualité pour demander la cassation de
fausse interprétation de la loi167. Nous ne connaissons pas de cas de refus la décision.
d’application dans notre jurisprudence. C’est pourquoi, nous n’en parlerons
pas dans la présente étude. Nous aborderons sommairement la violation de c) Défaut de nouveauté
la loi sous sa fausse application, ainsi que sous sa fausse interprétation. En dehors des moyens révélés par la décision entreprise et des moyens
d’ordre public, le moyen invoqué à l’appui du pourvoi ne doit pas être nou-
a. Fausse application veau. Les moyens nouveaux, abstraction faite des exceptions citées ci-avant,
La fausse application de la règle de droit consiste dans le fait que le juge seront déclarés irrecevables.
dont la décision est entreprise a appliqué la règle de droit ou la loi à une
situation de fait qu’elle ne devait pas régir, c’est-à-dire que la situation de fait d) Le moyen doit viser la disposition légale dont on invoque la violation.
a été faussement qualifiée avec cette conséquence que le juge lui a appliqué À défaut de l’avoir fait, le moyen sera déclaré irrecevable.
une loi autre que celle qui devait la régir.
e) Le moyen doit être clair et faire ressortir le grief qu’il fait à la décision
b. Fausse interprétation entreprise
La fausse interprétation de la loi consiste dans le fait pour le juge dont la C’est dans les conditions exposées ci-avant que le bien-fondé ou le mal
décision est attaquée d’avoir adopté une interprétation non conforme au sens fondé d’un moyen de cassation peut être examiné.
réel du texte. Dans ce cas, il y a violation de l’esprit de la loi.
Nous avons examiné ces quelques ouvertures à cassation qu’à titre il- SECTION 5 : DU CONTRÔLE DE LA QUALIFICATION DES FAITS
lustratif car il existe bien d’autres moyens de cassation que le magistrat de
cassation rencontre lors de l’examen des pourvois en cassation. Nous citons Il convient une fois de plus de rappeler que le juge de cassation n’est
par exemple la violation de la foi due aux actes, la violation du principe du pas, comme le juge du fond, juge du fait car sa mission n’est pas de juger le
contradictoire, la violation du principe selon lequel nul ne plaide par procu- procès mais de juger la légalité de la décision à laquelle la règle de droit a
reur, la violation de l’autorité de la chose jugée, etc. été appliquée. L’appréciation et la constatation de fait de la cause relèvent de
Le magistrat peut, par la lecture des ouvrages de cassation et la juris- l’appréciation souveraine du juge du fond de telle sorte que l’on peut dire que
prudence, se familiariser avec les différents moyens de cassation ainsi que la le juge de cassation juge la décision qui lui est déférée.
technique tendant à les mettre en œuvre. Par la même occasion il apprendra Mais il y a des règles de droit ou le législateur utilise certaines qualifi-
aussi la technique de cassation. cations de fait pour tirer des conséquences de droit. Nous pouvons citer à
titre d’exemple en matière du travail, la résiliation du contrat pour faute pro-
Paragraphe 2 : Admissibilité des moyens de cassation fessionnelle lourde, l’injure grave en matière de divorce, le comportement
Pour pouvoir être examiné, tout moyen de cassation doit remplir un frauduleux, sans en définir les éléments. La loi ne dit pas quand une faute est
certain nombre de conditions de recevabilité dont nous citerons rapidement lourde. C’est le juge de fond qui, appréciant le fait, dira dans une instance en
quelques unes. divorce que l’injure invoquée par le demandeur est grave ou pas.
Nous avons rappelé ci-haut que la qualification de fait relevait de l’appré-
a) Intérêt ciation souveraine du juge de fond ; cela veut dire que cette appréciation
Le moyen de cassation ne peut être invoqué que par la partie qui a intérêt échappe au contrôle du juge de cassation. Mais ce problème n’est pas aussi
à le faire. Tel serait le cas d’une partie qui a perdu le procès et qui a intérêt simple que ça car, il se dégage plusieurs théories dont certaines sont restric-
à invoquer en cassation les moyens qui sont susceptibles de donner lieu à tives et d’autres générales.
la cassation d’une décision. C’est cette lésion qui fait naître dans son chef Sans vouloir nous engager dans ce combat de théories, nous considé-
l’intérêt à obtenir la cassation de la décision entreprise. rons que certaines des notions comme celle d’injure grave ou de bonne foi
relèvent d’une appréciation morale. Comme telles, elles doivent échapper au
b) Qualité contrôle de la cour de cassation.
La qualité dont il est question ici, ce n’est pas celle de se pourvoir en
167
Bore J. et Bore L., op.cit, 72.09, p.330
Cassation en matière pénale irrecevable. Toute déclaration devra être confirmée par le dépôt dans les
trois mois d’une requête dite confirmative.
Paragraphe 4 : Décision de la cour les dommages-intérêts ont été alloués d’office jouir des dommages-intérêts
qui n’ont plus d’assises dans l’hypothèse ou les faits qui en ont été à la base
Les arrêts de la cour peuvent être des arrêts d’irrecevabilité du pourvoi, ont été anéanties par l’arrêt de cassation.
des arrêts de rejet, des arrêts de cassation totale sans renvoi, des arrêts de cas- Quant à l’arrêt rendu suite au pourvoi fait par le ministère public sur
sation totale avec renvoi, des arrêts de cassation partielle avec ou sans renvoi. injonction du ministre de la justice, celui-là peut profiter et nuire aux par-
Les arrêts d’irrecevabilité sont assimilables aux arrêts de rejet. Dès lors ties, celles-ci ayant été appelées à la cause au cours de laquelle elles pouvaient
qu’un pourvoi est déclaré irrecevable ou non fondé, la décision attaquée prendre des conclusions.
acquiert l’autorité de la chose irrévocablement jugée et sera exécutée dans Dans les deux cas, pourvoi sur injonction et pourvoi dans le seul intérêt
tous ses aspects. de la loi, que peut être le sort d’un condamné qui exécutait sa peine en déten-
Les arrêts d’irrecevabilité sont généralement rendus à la suite d’un vice tion ? Il demeure dans cet état jusqu’à la décision définitive. Toutefois, cette
de procédure notamment en cas de défaut d’élection de domicile dans le ca- partie peut s’adresser à la cour pour solliciter sa mise en liberté provisoire.
binet d’un avocat près la cour suprême de justice, en cas de dépôt en nombre
insuffisant d’exemplaires de la requête, etc. Par ces arrêts, la cour n’examine
pas le fond de la requête.
Par contre dans les arrêts de rejet, la cour a reçu la requête et en a exa-
miné son bien-fondé. Si de cet examen il résulte qu’aucun moyen n’est fondé,
la cour dira non fondé le pourvoi et le rejettera. Dans cette hypothèse, la
décision entreprise acquiert l’autorité de la chose irrévocablement jugée.
En cas de cassation totale sans renvoi, les parties et la cause sont remises
dans leur état d’avant la décision cassée. Il peut en être ainsi lorsque la déci-
sion cassée avait reçu un appel irrégulièrement formé ou tardif.
De manière générale, la cour rend des arrêts de cassation avec renvoi de
la cause devant la juridiction qui a rendu le jugement ou l’arrêt cassé, mais
autrement composée pour l’examen du fond ou devant une autre juridiction
de même rang.
Lorsque la cour prononce une cassation partielle sans renvoi, la décision
entreprise se trouve maintenue dans les limites de la cassation prononcée.
C’est pourquoi on l’appelle aussi cassation par voie de retranchement parce
que l’on retranche la partie de la décision affectée d’un vice.
Mais si la cour prononce une cassation partielle avec renvoi, la juridic-
tion de renvoi ne jugera la cause que dans les limites de la cassation.
En cas de cassation avec renvoi, la cour exprime sa doctrine dans ce que
le jargon appelle « le dit pour droit ».
Les arrêts rendus par la cour en matière de cassation sont sans recours.
Toutefois, par requête d’une partie intéressée, la cour saisie peut rendre des
décisions de rectification d’erreurs matérielles ou d’interprétation.
Comme en matière civile, le ministère public peut se pourvoir en cassa-
tion dans le seul intérêt de la loi. Les parties à la décision attaquée ne sont pas
appelées à la cause pour la bonne et simple raison que c’est dans le seul inté-
rêt de la loi que ce pourvoi a été introduit avec cette conséquence que les par-
ties à la décision entreprise ne peuvent pas se prévaloir de l’arrêt de cassation
intervenu dans ces circonstances. Toutefois, l’art. 50 de la procédure devant
la c.s.j. fait une exception à ce principe en disposant que l’acte du ministère
public qui a agi dans le seul intérêt de la loi profite au condamné quant
aux seules condamnations pénales. Nous considérons que le législateur s’est
arrêté en chemin en laissant éventuellement la partie civile ou la partie dont
SECTION 1 : PROCÉDURE DEVANT LA COUR SUPRÊME SECTION 2 : L’ORDRE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES
DE JUSTICE
Selon l’exposé des motifs de la constitution du 18 février 2006, pour
L’Ordonnance-loi relative à la procédure devant la cour suprême de plus d’efficacité, de spécialité et de célérité dans le traitement des dossiers,
justice a prévu quelques maigres dispositions de procédure en matière de les cours et tribunaux ont été éclatés en deux ordres et une cour constitu-
contentieux administratif. tionnelle parmi lesquels celui de l’ordre administratif coiffé par le conseil
S’agissant de la saisine de la cour, celle-ci est opérée par une requête d’État. Il se dégage de cette option constitutionnelle que les procès contre
déposée au greffe. La même loi ne fait pas obligation au requérant de faire si- l’administration ne sont plus de la compétence des juridictions de l’ordre ju-
gner sa requête par un avocat. Le requérant peut lui-même signer sa requête. diciaire. L’organisation des juridictions administratives se présentera désor-
Bien sûr, la requête doit remplir certaines conditions pour sa recevabilité. mais, après le vote des lois organiques sur l’organisation, la compétence et la
Elle doit être datée et doit mentionner : procédure, sous la forme d’une pyramide ayant à la base les tribunaux admi-
1. Le nom, s’il y a lieu les prénoms, qualité ou siège de la partie requé- nistratifs, puis des cours administratives d’appel et enfin le conseil d’État.
rante ; Nous n’avons pas eu l’occasion de prendre connaissance de différents textes
2. L’objet de la demande ; organiques y afférents, mais nous pensons que la loi définira les compétences
3. L’inventaire des pièces formant le dossier. de chacune de ces juridictions, leurs organisations ainsi que les procédures
Mais avant de saisir la cour, il existe une procédure préalable qui doit à suivre devant elles.
être effectuée sans quoi le recours devant le juge risque d’être déclaré irre- Les tribunaux administratifs seront des juridictions de premier degré
cevable. Cette procédure est prévue par l’art. 88 de la procédure devant la dont la loi définira les actes qu’ils seront compétents de juger. Leurs juge-
cour suprême de justice qui dispose qu’aucune requête en annulation n’est ments seront déférés en cas d’appel devant les cours administratives d’appel.
recevable si le requérant n’a pas, au préalable, introduit, dans les trois mois Les arrêts rendus sur appel par les cours administratives d’appel pourront
qui suivent la date de la notification à lui faite personnellement de l’acte être attaqués en cassation devant le conseil d’État.
entrepris, une réclamation auprès de l’autorité compétente tendant à voir Au deuxième échelon, il y aura les cours administratives d’appel dont
rapporter ou modifier cet acte. La requête en annulation doit être introduite les compétences de premier degré seront définies par le législateur. Leurs
dans les trois mois à compter du jour où le rejet total ou partiel de la récla- arrêts pourront être déférés en appel devant le conseil d’État. Donc, les cours
toute mesure inspirée par un mobile politique. Cette conception consacrait a) L’incompétence matérielle
l’idée de raison d’État, donc l’arbitraire. À la fin du XIX ième siècle, elle a été Celle-ci est réalisée quand une autorité administrative intervient dans
abandonnée par la jurisprudence. une matière qui ne rentre pas dans ses attributions. Elle est désignée en latin
Aucune définition rationnelle n’ayant été trouvée, on est passé à une par la locution incompétence ratione materiae. Cette incompétence peut se
conception empirique de cette notion. Il n’y a plus désormais qu’une liste réaliser lorsqu’une autorité administrative décide dans une matière relevant
jurisprudentielle des actes de gouvernement. notamment du législateur ou du juge. Il s’agirait d’un empiètement ou d’une
À titre d’exemple, nous citerons des actes du pouvoir exécutif dans ses usurpation de pouvoir ou encore d’un excès de pouvoir.
rapports avec le parlement, ainsi que les actes relatifs aux relations interna-
tionales. b) L’incompétence territoriale (en raison du lieu ; en latin ratione loci)
Elle se réalise lorsqu’une autorité administrative exerce en se trouvant
SECTION 2 : VICES SUSCEPTIBLES D’AFFECTER LES ACTES dans un lieu autre que celui où elle devait siéger. Ce serait par exemple le cas
ADMINISTRATIFS du bourgmestre de la Gombe matériellement compétent qui prendrait une
décision concernant sa commune à N’djili.
Dans cette section, nous essayerons de présenter des moyens juridiques Une deuxième possibilité d’incompétence territoriale peut résulter du
par lesquels on peut contester la légalité d’un acte administratif et que l’on fait pour une autorité administrative de prendre des décisions étrangères à
peut notamment invoquer à l’appui d’un recours dirigé contre une décision sa juridiction.
ou un acte de l’administration. Ces moyens sont désignés traditionnelle-
ment comme étant des ouvertures du recours contre une décision de l’admi- c) L’incompétence temporelle (en raison du moment ; incompétence
nistration. Ils peuvent être invoqués à l’appui d’un recours adressé à l’admi- ratione temporis)
nistration ainsi qu’à l’appui d’un recours adressé au juge administratif. Elle est en rapport avec la date à laquelle l’autorité administrative a pris
la décision concernée.
A. Classification des moyens de légalité Elle peut résulter du fait que l’autorité administrative dont la décision est
Selon la tradition, on distingue quatre moyens d’illégalité : l’incompé- entreprise n’était pas encore compétente ou bien du fait qu’elle ne l’est plus,
tence de l’autorité, auteur de la décision critiquée, le vice de forme, la viola- son mandat étant venu à expiration.
tion de la loi et le détournement de pouvoir. Les décisions ou les actes de l’autorité administrative pris dans ce cadre
peuvent être considérés comme pris par une personne incompétente et sont
B. Distinction des moyens selon qu’ils sont ou non d’ordre public susceptibles d’annulation suivant les procédures en vigueur.
Les moyens d’ordre public sont ceux qui intéressent le statut des juri- Ces cas d’incompétence peuvent également être assimilés à certains vices
dictions ; ce sont ceux qui sont tirés de l’incompétence de juridiction ou de procédure. Tel serait le cas lorsqu’un membre du gouvernement prend
de l’irrecevabilité du recours ; le principe est que des illégalités susceptibles seul une décision alors qu’elle devait être prise par le conseil des ministres ou
d’affecter l’action administrative ne sont pas d’ordre public. Il appartient après consultation de celui-ci.
à la partie qui entend s’en prévaloir de les invoquer tandis que les moyens
d’ordre public peuvent être invoqués en tout état de la procédure, même en II. Vices de procédure
cassation. L’un des moyens le plus important et le plus anciennement consa- La prise de certaines décisions peut être soumise à certaines conditions
cré est l’incompétence de l’autorité administrative, auteur de la décision ou ; notamment prendre un ou plusieurs avis ; lorsque ces règles de procédures
de l’acte. n’ont pas été respectées, la décision est illégale et une telle décision est sus-
ceptible d’être attaquée en annulation.
I. L’incompétence
L’on parle d’incompétence quand une autorité prend une décision sans III. Violation de la loi
avoir la qualité pour le faire, c’est-à-dire alors qu’elle n’est pas habilitée par Comme nous l’avons dit plus haut, la décision administrative doit être
la loi à se comporter comme elle l’a fait. L’incompétence, moyen d’ordre prise conformément à la loi, aux actes réglementaires non abrogés et à cer-
public, peut revêtir plusieurs variétés que nous essayerons d’épingler ci-des- taines conventions internationales, régulièrement ratifiées et publiées. Bref,
sous. nous pouvons dire que les cas d’ouverture en annulation peuvent être résu-
més en une seule ouverture qui est la violation de la loi ; cela veut dire que
Variétés d’incompétences dans sa mission et dans les différents actes ou décisions qu’elle peut être
L’on distingue trois variétés de l’incompétence. appelée à prendre, l’administration doit se conformer aux normes que nous
avons énumérées plus haut, sans quoi les décisions illégales peuvent être
frappées d’annulation. tion d’observer les règles qui régissent normalement leur action.
Le principe de légalité est ainsi adapté de diverses manières au fait que les
IV. Illégalité circonstances peuvent sortir de l’ordinaire. C’est ainsi que la Constitution
Un acte ou une décision administrative peut être entachée d’illégalité en de la République Démocratique du Congo a prévu certaines mesures qui
raison soit de son contenu, soit de ses motifs, soit de son but. De ce qui pré- peuvent être prises lorsque des conditions graves menacent, d’une manière
cède, nous pouvons relever les modalités de l’illégalité : l’illégalité en raison immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles
du contenu de l’acte, l’illégalité en raison des motifs de l’acte et l’illégalité provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions : la
en raison du but de l’acte. proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège par le Président de
la République. Les modalités d’application de l’état d’urgence ou de l’état
a) L’illégalité en raison du contenu de l’acte de siège seront déterminées par une loi. En cette occasion, des mesures ex-
L’illégalité en raison du contenu de l’acte affecte l’objet de l’acte. C’est ceptionnelles peuvent être prises par l’autorité sous réserve du respect des
la norme édictée, considérée en elle-même, qui n’est pas conforme à la léga- principes fondamentaux énumérés à l’art. 61 de la constitution, notamment
lité et plus précisément aux normes qui lui sont supérieures. Ce serait par le droit à la vie, la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’interdic-
exemple un acte du gouvernement pris en application d’une loi qui contien- tion de la torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, etc. Il
drait des dispositions incompatibles avec celles de la loi supérieure ou encore s’agit de la théorie de circonstances exceptionnelles qui assure l’extension
une sanction disciplinaire infligée à un fonctionnaire qui ne rentrerait pas des pouvoirs des autorités administratives autant qu’il le faut pour qu’elles
dans le cadre de celles limitativement énumérées ou déterminées par le sta- puissent prendre des mesures imposées par le caractère exceptionnel des cir-
tut de la fonction publique. constances. Ces circonstances exceptionnelles sont susceptibles d’étendre le
Nous pouvons, de ce qui précède, dire que cette illégalité appelée aussi pouvoir des autorités administratives au-delà de ce qu’elles peuvent être en
violation directe de la loi est une illégalité simple. vertu de régime normal.
Toutefois, comme à l’ordinaire, le contrôle du juge s’exercera une fois
b) L’illégalité en raison des motifs de l’acte saisi pour se prononcer sur la justification des mesures prises pendant les
Cette forme d’illégalité est complexe. En présence de l’acte dont on ap- circonstances exceptionnelles. Cette justification sera toujours subordonnée
précie la légalité, la question que l’on se poserait est de savoir quelle est sa à certaines exigences, notamment le fait que l’administration a été, du fait
cause, c’est-à-dire en raison de quoi cet acte a été fait. Il y aura illégalité en des circonstances, placée dans l’impossibilité d’agir conformément au prin-
raison de ses motifs s’il apparait que l’acte possède soit une erreur de droit, cipe de légalité.
soit une erreur dans la qualification juridique de fait. Nous pouvons, de ce qui précède, conclure que l’administration doit,
dans son activité, agir dans le respect du principe de légalité et que, devant
c) L’illégalité en raison du but de l’acte certaines situations exceptionnelles, l’administration peut voir ses pouvoirs
Dans cette hypothèse, la question qui se pose au juge est de savoir dans s’étendre sous réserve de ce qui est dit à l’art. 61 de la constitution.
quel but tel acte a été fait. Le but, contrairement au motif, est une donnée
subjective d’ordre psychologique qui permet d’apprécier le but en vue duquel SECTION 4 : DES RÈGLES DE FORME POUR LA RÉDACTION
l’autorité administrative a agi ; c’est rechercher ce qu’ont été ses mobiles, son DES ACTES ADMINISTRATIFS
intention. Avant de parler des règles de forme, nous voulons préciser que l’admi-
Si l’autorité a agi avec une intention ne correspondant pas au but pour nistration peut prendre, dans l’accomplissement de son activité plusieurs
lequel les pouvoirs lui ont été conférés, c’est-à-dire dans un but d’intérêt catégories d’actes ou de décisions. Elle peut prendre notamment des actes
public, son acte serait entaché d’une illégalité appelée le détournement de réglementaires ou des actes individuels. Les actes réglementaires à caractère
pouvoir. Si un tel acte est attaqué en annulation, celle-ci peut être obtenue. général peuvent être pris, soit en exécution d’une norme supérieure, soit
dans le cadre du pouvoir réglementaire de l’administration. Celle-ci peut
SECTION 3 : DES ADAPTATIONS AUX CIRCONSTANCES également prendre des actes individuels qui peuvent concerner une personne
DU PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ ou une catégorie des personnes.
Ce sont tous ces actes qui peuvent être attaqués en annulation lorsqu’ils
Le droit n’existe pas pour le droit. Il a pour finalité l’organisation de la n’ont pas respecté le principe de légalité. Mais une question peut se poser,
vie sociale. Il découle de cela qu’il ne faut pas que le respect qui lui est du c’est celle de savoir sous quelle forme ils doivent être pris.
se retourne contre les intérêts qu’il a pour mission de servir. C’est pourquoi Dans le code de procédure civile, le législateur indique quelques éléments
le législateur, tout comme le juge ont été sensibles à la nécessité d’affranchir que doit contenir un jugement pour sa présentation extérieure, notamment
dans certaines circonstances les autorités administratives de la stricte obliga- le fait que le jugement doit être écrit, signé par ses auteurs et le greffier et
motivé. Il n’y a rien de pareil en matière administrative. Nous pouvons, leurs destinataires n’entrent en vigueur que par la notification qui leur en est
toutefois, relever que dans la pratique et de manière générale, les décisions faite. Nous précisons que c’est à la date de la publication ou de la notification
où les actes administratifs sont pris par écrit et ces écrits portent le nom de ou encore de l’affichage que le délai de recours commence à courir.
l’autorité qui en est l’auteur. C’est ainsi que nous avons des actes adminis-
tratifs pris par décret ou par arrêté repartis en une suite d’articles numérotés SECTION 6 : DEVOIR D’OBÉISSANCE AUX DÉCISIONS
précédés du visa des avis intervenus au cours de leur élaboration. ADMINISTRATIVES
Dans certains pays, il existe des textes qui imposent la motivation de
certaines décisions. Mais en République Démocratique du Congo, nous Les décisions administratives sont revêtues de la présomption de légalité.
n’avons pas connaissance de l’existence d’une telle obligation. Toutefois, Dans la mesure où ces décisions, réglementaires ou non, édictent des obli-
nous constatons que certaines décisions sont motivées dans leur préambule. gations, elles doivent être obéies non seulement par des agents des services
Nous pensons que l’obligation de motivation chez nous découlerait d’un administratifs, mais aussi par les administrés.
principe général de droit ou de la jurisprudence administrative et que l’exi- L’administré n’est pas admis à se faire juge de la légalité des décisions qui
gence de l’écrit va de soi pour des raisons de notification ou de publication s’imposent à lui. Il n’a qu’une seule possibilité : celle de les contester devant
et de conservation. l’administration elle-même ou devant le juge. Son recours devant l’une ou
Des considérations qui précédent, nous pouvons conclure qu’en dépit de l’autre de ces autorités n’a aucun effet suspensif de l’exécution de la décision
l’absence d’un code en matière administrative, les décision administratives contestée. En cas de refus ou d’abstention par l’administré de se conformer à
doivent être écrites, motivées, signées par leurs auteurs pour permettre la l’obligation résultant pour lui d’une décision qu’il conteste, l’autorité admi-
vérification de la qualité de l’autorité et datées pour vérifier si l’auteur avait nistrative peut, pour obtenir le respect de la décision, exercer des poursuites
qualité au moment de la prise de la décision. pénales ou recourir à l’exécution forcée.
a) Des règlements
Leur entrée en vigueur, c’est-à-dire leur application est subordonnée à la
publicité officielle qui leur est donnée par le moyen de leur publication ou de
Déroulement de l’instance
leur affichage. En République Démocratique du Congo, les actes tels que les
ordonnances, les décrets et les arrêtés doivent, pour entrer en vigueur, être
en annulation
publiés au journal officiel. Cette publicité a pour effet de porter le règlement
à la connaissance du public et de le rendre opposable à ce public. Mais le
règlement peut aussi déterminer la date de son entrée en vigueur et dire COMME NOUS L’AVONS déjà énoncé plus haut, le législateur congolais
qu’il entre en vigueur, par exemple, dix ou quinze jours après sa publication. n’a pas prévu un code de procédure en matière administrative applicable
Avant sa publication ou avant la date de son entrée en vigueur, le règlement devant les sections administratives des cours d’appel. Devant cette lacune,
ne peut entrer en vigueur. les cours d’appel appliquent la procédure civile élaborée par le décret du 17
mars 1960 tel que modifie à ce jour comme procédure de droit commun.
b) Des actes administratifs individuels
L’entrée en vigueur de l’acte individuel des autorités administratives SECTION 1 : RECOURS PRÉALABLE
est subordonnée à leur notification à la personne ou aux personnes qu’il
concerne. Toutefois, une certaine jurisprudence admet que les actes qui sont La procédure devant la cour suprême de justice prévoit quelques dispo-
favorables à leurs destinataires, notamment qui sont de nature à leur confé- sitions relatives à la procédure en matière administrative. C’est ainsi qu’elle
rer des droits entrent en vigueur dès leur signature sans qu’aucune mesure impose au requérant qui a des raisons de contester une décision administra-
d’information officielle soit nécessaire tandis que les mesures défavorables à tive d’introduire une réclamation préalable auprès de l’autorité, auteur de
l’acte contesté, tendant à dénoncer les illégalités que contiendrait la décision