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Chap I. Le Donatisme Avant Saint Augustin

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CHAP.

I : LE DONATISME AVANT SAINT AUGUSTIN

I.1. ORIGINES DU DONATISME1

L’histoire du donatisme est très controversée. Elle a fait couler et


continue à faire couler beaucoup d’encre. Cela est généralement dû au fait que le doute
enveloppe encore certains événements historiques qui lui sont connexes.

I.1.1. Les sources

Si les origines du donatisme sont difficiles à déterminer, c’est surtout


parce que le gros de la documentation remonte au IVème siècle et provient le plus
souvent des auteurs catholiques en polémique avec les donatistes mêmes 2. Pour ces
derniers, la narratio ou le récit des faits historiques était déjà un argument pour la
défense de leur position. C’est un récit motivé par la polémique qu’ils menaient. A ce
sujet, Brisson note justement que « il ne s’agissait pas pour eux de chercher à
appréhender par la discussion une vérité qui leur serait restée incertaine ; il s’agissait
d’éclairer de la lumière d’une vérité qu’ils ne mettaient pas en doute des gens dont ils
ne mettaient pas non plus l’erreur en doute. L’histoire du donatisme qu’ils ont écrite
était une des pièces de leur système de conviction »3.

Cependant, comme le note Markus, compte tenu du fait qu’il y a une


douloureuse carence du matériel provenant des sources donatistes 4, quiconque cherche à
reconstruire l’histoire du donatisme, le matériel archéologique et épigraphique
fournissant une aide limitée et étant souvent d’origine très discutée, doit se contenter de
ces textes traditionnels des polémistes catholiques. Il s’agit principalement d’Optat de
Milev et d’Augustin.

1
Dans ce chapitre, nous nous baserons principalement sur la reconstitution historique du mouvement
donatiste offerte par W.H.C. Frend dans son The Donatist Church. A movement of protest in Roma North
Africa, œuvre dont la valeur est indiscutable pour l’étude du donatisme mais dont les conclusions sont à
prendre avec beaucoup de réserves. Cette reconstruction historique de Frend sera toujours complétée et
évaluée par rapport à l’œuvre fondamentale de P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique Chrétienne
depuis les origines jusqu’à l’invasion arabe les tomes III et IV ainsi que d’autres écrits relatifs à
l’argument, en particulier J.P. Brisson, Autonomisme et christianisme dans l’Afrique romaine de Septime
Sévère à l’invasion vandale. Au-delà de tous ces ouvrages, les informations que nous fournissent Optat et
Saint Augustin demeurent de très grande importance.
2
Cfr. R. A. Markus. Introduzione dans Opere di Sant’Agostino XV/1, p. vii.
3
J. – P. Brisson, Autonomisme et christianisme dans l’Afrique romaine de Septime Sévère à l’invasion
vandale, Paris 1958, p. 2.
4
Cfr. R. A. Markus, p. vii.
Toutefois, fait remarquer ingénieusement Frend, on peut se fier de ses
textes dans la mesure où les Donatistes auraient dû et pu les contester au cas où ils
n’auraient pas été conformes à la réalité, surtout dans le cas d’Augustin qui a plus
employé le genre épistolaire. Et les Donatistes ne l’ont pas fait 5. L’authenticité des
œuvres d’Optat et d’Augustin, longtemps contestée, est aujourd’hui à grande partie
reconnue6.

I.1.2. La Grande Persécution et la question des Traditores

L’histoire du donatisme commence avec la Grande Persécution, de 303 à


305 ap. J.-C. Vers 260, l’édit de Gallien – dont le texte ne nous est pas parvenu –
autorisa l’exercice du culte chrétien et des rescrits leur restituèrent églises et cimetières.
Ces mesures ouvrirent pour le christianisme une période de coexistence pacifique avec
l’Etat Romain. et inaugura « la petite paix » de l’Eglise qui dura environ quarante ans7.
Et pendant cette période, le christianisme fit des progrès énormes. Et elle n’était plus
une Eglise d’une petite minorité mais elle avait étendu son influence sur toutes les
classes et dans les coins les plus éloignés des provinces romaines. Ecrit Duchesne : « il
y avait dans l’empire des régions où il n’était pas loin de représenter la moitié ou même
la majorité de la population »8. Et pour le cas spécifique de l’Afrique, note Monceaux,
« en même temps qu’il étendait son domaine géographique, le christianisme pénétrait
de plus en plus dans les hautes classes sociales (…) la foi nouvelle trouvait des adeptes
dans l’armée, dans la bourgeoisie ou l’aristocratie locale »9. En plus du fait
d’enregistrer une augmentation du nombre des chrétiens, il y avait aussi un
développement matériel des communautés. Les biens ecclésiastiques devenaient plus
importants. Cette diffusion et cette prospérité du christianisme avaient aussi entrainé
une certaine baisse du zèle des débuts. En effet, continue Monceaux, « comme toujours,
la longue paix religieuse et la prospérité des Eglises avaient eu pour effet de
compromettre la discipline (…) Ce relâchement de la discipline dans les communautés
africaines explique d’avance beaucoup des incidents de la persécution et beaucoup des
événements qui suivront » 10. Eusèbe de Césarée lui-même l’affirme en disant : « (…)

5
Cfr. W. H. C. Frend, The donatist church, p. xiv-xvi.
6
Cfr. R.A. Markus, p. viii.
7
Cfr. S.C. Mimouni – P. Maraval, Le christianisme des origines à Constantin, Paris 2006, p. 346.
8
L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Eglise, t. II, Paris 19083 , p. 6.
9
P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne depuis les origines jusqu’à l’invasion arabe, t.
III. Le IVè siècle, d’Arnobe à Victorin, Paris 1905, p. 9.
10
Ibid., p. 20.
par suite de la pleine liberté, nos affaires tournèrent à la mollesse et à la
nonchalance »11.

Ce fut dans l’armée qu’advint l’un de premiers signes avant-coureurs de


la Grande Persécution, pendant le règne de Dioclétien 12. Des mesures furent prises pour
épurer l’armée des soldats chrétiens. C’est pendant cette période que remonte le martyre
de certains soldats chrétiens tels que Marcel ou Maximilien. Et en 302, un édit fut
promulgué contre les Manichéens, en posant comme principe que « la vieille religion ne
devrait pas être critiquée par une nouvelle », ce qui pouvait s’appliquer aussi bien au
christianisme13.

Dès 303, fut publiée une série d’édits de persécution 14. Le premier
ordonnait de détruire les églises, de confisquer les Saintes Ecritures et privait les
chrétiens de leurs biens et de certains de leurs droits. C’est la période des perquisitions,
qui est communément appelé les dies Traditionis15 ou, comme l’appelle Augustin,
persecutio codicum tradendorum16.A l’automne de l’année suivante, après un décret qui
ordonnait l’arrestation des chefs des églises, en suivit un autre plus sévère qui ordonnait
que tout le monde devait accomplir un geste rituel, tel que l’encensement, pour
témoigner de sa loyauté aux Empereurs et aux dieux protecteurs de l’Empire. C’est la
période des sacrifices, appelée dies Thurificationis17. La désobéissance à l’édit était
punie par la peine de mort.

La persécution ne fut pas de la même intensité partout en Afrique e tous


les chrétiens ne réagirent pas de la même façon. Mais, plus ou moins partout, certains
tinrent fermes dans la profession de leur foi jusqu’au martyre, d’autres fuirent ou se
cachèrent18 mais d’autres aussi abdiquèrent. En effet, face à la cruauté de la persécution,
11
Eus., H.E., VIII, 1, 7 (SCh. 55, 5)
12
Eus., H.E., VIII, 1, 7 (SCh. 55, 5): « Ce fut parmi les frères qui étaient dans les armées que commença
la persécution ».
13
Cfr. S.C. Mimouni – P. Maraval, p. 347.
14
Eus. Ces., H.E., VIII, 2, 4 (SCh 55, 7) : « C’était alors la dix-neuvième année du règne de Dioclétien
(…) lorsque partout furent affichés des édits impériaux qui ordonnaient de raser au sol les églises et de
jeter les Ecritures au feu, et qui proclamaient déchus de leurs fonction ceux qui étaient en charge, privés
de la liberté ceux qui étaient en service chez des particuliers, s’ils demeuraient fidèles à leur profession.
Tel fut le premier édit contre nous ; peu de temps après, d’autres édits nous attaquèrent qui ordonnaient
tout d’abord de mettre aux fers tous les chefs des Eglises en tout lieu ; puis ensuite de les forces à
sacrifier par tous les moyens ».
15
Cfr. W. H. C. Frend, p. 4.
16
Cfr. Aug., Cresc., III, 26, 29 ( CSEL 52, 435).
17
Ibidem.
18
Optat., I, 13 (CSEL 26, 15) : « (…)  per totam Africam persecutionis est divagata tempestas quae alios
fecerit martyres, alios confessores, nonnullos funestam prostavit in mortem, latentes dimisit illaesos ».
« comme au temps de Cyprien, le nombre d’apostasies, dans le clergé comme dans le
peuple, fut à nouveau considérable »19. Mais d’autre part, la persécution était pour
beaucoup une opportunité pour combattre les forces du mal. Le culte du martyre très
enraciné en Afrique du Nord produisait ses effets. Duchesne nous rapporte qu’«on vit
des exaltés courir au martyre, se dénoncer eux-mêmes, faire esclandre devant les
tribunaux, insulter la police »20. En conclusion, nous pouvons affirmer avec Monceaux
que « si l’on considère d’ensemble toutes nos données sur l’application des édits de
Dioclétien dans les différentes provinces africaines, on constate à la fois beaucoup de
défections et beaucoup de martyrs »21.

A Carthage, au même moment, se déroulaient certains événements qui


peuvent être considérés comme le début proprement dit du schisme donatisme 22. A la fin
de l’an 303, l’évêque Fundanus d’Abitina, en Afrique proconsulaire, avait cédé devant
les autorités et leur avait remis les Saintes Ecritures, devenant ainsi un traditor.
Toutefois, la communauté continuait à se rassembler sous la guide du prêtre Saturninus
dans la maison d’un lecteur de nom Emeritus. Un jour, ils furent surpris et tous arrêtés,
puis portés à Carthage. Leur procès met en évidence leur vaillance à défendre la foi.

Le sort de ces martyrs n’est pas connu mais les Donatistes soutenaient
qu’on les laissa mourir de faim et accusaient Cécilien, alors diacre due l’évêque de
Carthage Mensurius, d’avoir utilisé des méthodes brutaux pour empêcher aux chrétiens
de leur porter à manger23. Ce qui est plus intéressant, le rédacteur des Acta rapporte que
dans la prison, les confessores - c’est-à-dire ceux qui avaient confessé publiquement
leur foi devant les autorités – s’étaient réunis et avaient condamné de la manière la plus
ferme le clergé traditor. Ils affirment qu’altérer seulement une lettre des Saintes
Ecritures était un crime, mais les détruire entièrement sous l’ordre de magistrats païens
méritaient le châtiment éternel dans l’Enfer. Et ils conclurent en disant que quiconque
continuerait à être en communion avec les traditores ne participera pas avec eux aux

19
F. Décret, Le christianisme en Afrique du nord ancienne, Paris 1996, p. 132.
20
L. Duchesne, p. 22.
21
P. Monceaux, t. III, p. 38.
22
Nous sommes informés sur ces événements grâce aux Acta Saturnini, écrits évidemment par des
opposants aux catholiques mais dont il ne serait pas sage d’ignorer la valeur des faits qu’ils décrivent.
(Cfr. E. Buonauti, Il Cristianesimo nell’Africa Romana, Bari 1928, p. 295).
23
Acta Saturnini, 17 (PL 8, 700-701) : « Idemque [Caecilianus] lora et flagra cum armatis ante fores
carceris ponit, ut ab ingressu atque aditu cunctos qui victum potumque in carcerem martyribus
afferebant, gravi affectos injuria propulsaret ».
joies célestes24. Ce texte est d’une très grande importance parce qu’il marque la
séparation des confessores de leurs évêques. Les premiers s’arrogeaintt le droit de
désavouer et de condamner des évêques et des prêtres. La discipline hiérarchique
ecclésiastique était gravement atteinte25. Les événements successifs en sont la preuve car
dans les jours successifs «les mécontents invoquèrent ce manifeste contre l’évêque
Mensurius de Carthage ; ils s’en servirent plus tard pour contester la validité de
l’élection de Caecilianus »26.

I.1.3. La fin de la persécution et ses problèmes

Vers la fin de l’an 304, la persécution perdit de sa vigueur. La dernière


exécution d’un chrétien enregistré fut celle de Crispine de Thagora le 5 décembre 304
reporté dans les Acta Sanctae Crispina. Et dès les premiers mois de 305, sans que les
édits eussent été officiellement rapportés, la persécution avait complètement cessé 27.
Toutefois, la fin de la persécution ne porta pas la paix à l’Eglise africaine. Trop de gens
avaient trahi ou sacrifié aux dieux païens, y compris les membres du haut clergé. Et le
sentiment contre ces traditors était très fort28.

En effet, la situation de tolérance qui s’est installée après les persécutions


fit exploser les tensions qui s’étaient accumulées dans les communautés chrétiennes
durant cette période. Les laïcs ainsi que leurs pasteurs avaient réagi avec différents
niveaux de fermeté par rapport aux autorités. En général, il y avait dans différentes
factions dans les Eglises. Certains étaient plus ou moins rigoristes, d’autres fanatiques
ou encore enclins à un prudent compromis. La livraison des copies des Ecritures Saintes
aux autorités (traditio) de la part du clergé fut considérée, en général, comme apostasie.
Mais on arriva à créer différents types d’attitudes par rapport aux collaboratori, ou ceux
qui n’avaient pas adopté une position suffisamment ferme pendant la résistance29.

24
Ibid., 18 ( PL 8, 700): « Si ergo additus apex unus aut littera una dempta de libro sanctu radicitus
amputat, et sacrilegum facit et subvertit auctorem, necesse est omnes eos qui testamenta divina legesque
venerandas omnipotentis Dei et Domini nostri Jesu Christi profanis ignibus tradiderunt exurendas
aeternis gehennae ardoribus atque inextinguibili igne torqueri… Si quis traditoribus communicaverit,
nobiscum partem in regnis caelestibus non habebit ».
25
Cfr. E. Buonaiuti, p. 297.
26
P. Monceaux, t. III, p. 143.
27
Cfr. Ibid., p. 38.
28
Cfr. W. H. C. Frend, p. 10.
29
Cfr. R. A. Markus, p. viii.
Probablement, durant cette même période, il y eut une correspondance
entre Secundus, le Primat de Numidie, et Mensurius, le Primat de Carthage 30. Le
premier demandait au second une explication sur ce qui était advenu pendant la
persécution. En effet, l’Eglise de Carthage s’était divisée face au comportement prudent
et conciliateur de leur évêque par rapport aux autorités séculaires, sa tendance à éviter
des contrastes qui n’étaient pas nécessaires, à décourager la recherche fanatique du
martyre et les honneurs excessifs donnés aux confessores emprisonnés durant la
persécution. En plus, Mensurius devait se défendre des accusations de traditio. Il se
chargea donc d’informer son collègue Secundus sur le fait qu’il avait remis aux
autorités des écrits hérétiques et non les Saintes Ecritures. Secundus, quant à lui, lui
répondit en donnant sa version de son échauffourée avec les autorités. Bien que le ton
de la lettre soit amical, on pouvait percevoir une suspicion réciproque et une rivalité
latentes entre les deux primats. Toutefois, il n’y eut aucun incident entre Carthage et la
Numidie jusqu’à la mort de Mensurius.

I.1.4. L’élection de Cécilien

En Afrique, il s’était créé l’usage que l’évêque de Carthage, chef de


l’Eglise africaine, soit ordonné par le Primat de la Numidie. Mais, comme le souligne
Monceaux, « en verité, ce n’était qu’un usage, non une règle de discipline »31. Le clergé
carthaginois, de sa part, s’opposait énergiquement à ce privilège, et cela dénote la
grande rivalité qui existait entre les Eglises de Numidie et de Carthage à cette époque32.

C’est ainsi que Botrus et Célestius, qui partageaient tous deux l’ambition
de devenir évêque de Carthage33, firent tout pour que l’ordination aie lieu seulement
avec les évêques voisins avant que n’arrivent les Numides. Mais aucun de deux ne fut
choisi. Le choix tomba sur Cécilien, l’archidiacre de Mensurius. On se souviendra que
c’est celui que les Donatistes accusaient d’avoir empêché que les chrétiens portent la
nourriture aux confessores par des méthodes brutales dans les Acta Saturnini. De plus, il
était connu pour être un opposant de ce qu’il considérait une estime exagérée du
martyre34. Il avait beaucoup d’ennemis. En plus des deux candidats malchanceux à
30
Une correspondance perdue, connue uniquement par le résumé qu’Augustin fait de son utilisation par
les Donatistes à la Conférence de Carthage de 411. Cfr. Aug., brevic., III, 13, 25 (CSEL 53, 73).
31
P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne depuis les origines jusqu’à l’invasion arabe. t.
IV. Le donatisme, Paris 1912, p. 18.
32
Cfr. W.H.C. Frend, p. 16.
33
Cfr. Botrus in PCBE, p. 163.
34
Cfr. W.H. C. Frend, p. 17.
l’épiscopat, il s’était aussi l’inimitié des seniores35 qui ne voulaient pas rendre les objets
précieux que l’évêque Mensurius leur avait confiés avant sa mort 36. Il y avait également
la riche espagnole Lucille qui résidait à Carthage à qui il avait reproché publiquement
avant la Persécution une dévotion suspecte consistant à embrasser avant de participer à
l’eucharistie les os d’un supposé martyr 37. Entretemps, Cécilien fut consacré par trois
évêques au lieu de douze selon la tradition africaine présente chez Cyprien 38. Parmi eux,
il y avait Félix de Abthungi39 suspecté d’être un traditor.

I.1.5. La naissance officielle du schisme

Les Numidiens en général, et le Primat Secundus en particulier, n’étaient


pas prêts à accepter cette situation. Il intervint donc à cœur-joie, quand il fut invité à le
faire,40 accompagné de soixante-dix évêques41. Secundus s’était presque certainement
compromis pendant la persécution42. Mais il assuma dès lors personnellement le rôle du
champion de la cause rigoriste43. Cette situation est l’une des autres contradictions
rationnellement incompréhensibles de cette réalité complexe qu’est le donatisme.
Augustin, lui-même, ne manque pas de relever cette contradiction44.

Secundus convoqua un concile auquel Cécilien était invité à se présenter.


Mais Cécilien refusa de s’y présenter et exigea que Secundus vienne dans son Eglise à
lui et présente ses plaintes45. Mais Secundus ne pouvait pas accepter cela car ce serait
reconnaitre Cécilien comme un évêque légitime. Dans ce climat se tint finalement le

35
Les seniores constituent un phénomène typiquement africain. Ce sont des laïcs dont la fonction devait
être d’administration et de conseil. Ils n’étaient pas des prêtres mais étaient également à distinguer des
simples fideles (Cfr. A. Di Berardino, s.v. Seniores, in NDPAC III, 4848-4849).
36
Optat., I, 18 (CSEL 26, 20) : « Cum reddere [seniores] cogerentur, subduxerunt communioni pedem ».
37
Cfr. Lucilla in PCBE, p. 649.
38
Canon 39 du Concile Catholique de Carthage de 397 (ed. Bruns, p. 129) : « nonnisi a duodecim
conseatis episcopo rum celebrari ordinationes”.
39
Optat., I, 18 (CSEL 26, 20) : “(…) et manum imponente Felice Autumnitano episcopus ordinatur”.
40
Ibid., I. 19 (CSEL 26, 20)  : “Ad Secundum Tigisitanum missum est, ut Carthaginem veniretur ».
41
Markus, se basant sur B. Kriegbaum, Kirche der Traditoren oder Kirche der Märtyrer ? Die
Vorgeschichte des Donatismus. (Innsbrucker theologische Studien, Bd. 18), Innsbruck-Wien 1986,
soutient que Secundus a intervenu, dans un premier temps, par un intermédiaire. Cfr R. A. Markus, p. ix.
42
P. Monceaux, t. III, p. 36 : « (…) Secundus de Tigisi, n’avait assurément rien d’un héros. (…) au
lendemain de la persécution, accusé formellement d’avoir faibli comme les autres ; il ne répliqua rien et
parla d’autre chose ». Notre auteur se fonde sur Aug, brevic., III, 13, 25- 15, 27 (CSEL 53, 73-77); c.
Gaud., I, 37,47 (CSEL 53, 246).
43
Cfr. R.A. Markus, p. ix.
44
Aug., c. ep. Parm., I, 3, 5 (CSEL 51, 24) : “ Qui [Numidi episcopi] venientes cum primate suo tunc
Secundo Tigisitano et aliis, quibus traditionis confessa crimina Secundus ipse donaverat veluti paci
consulens, sicut ecclesiastica gesta testantur”.
45
Optat, I, 19 (CSEL 26, 20) : « Tunc a Caeciliano mandatum est : ‘Si est, quod in me probetur, exeat
accusator et probet’ ».
concile. De façon unanime, Cécilien fut condamné parce que sa consécration avait été
invalide et parce que, comme diacre, il avait refusé la nourriture aux martyrs
d’Abitina46. Sous l’influence de la riche Lucille, le Concile élut Majorinus, qui était l’un
de ses serviteurs, comme évêque à la place de Cécilien47.

Ainsi la dispute sur la consécration de Cécilien avait généré un schisme.


La double élection pour l’unique siège de Carthage avait signé une fracture dans
l’Eglise africaine qui allait durer plus d’un siècle. Optat décrit la situation de façon
pittoresque : «  (…) et un autel a été dressé contre un autre »48. A la mort de Majorinus
quelque temps après, Donat lui succéda. C’est de lui que le schisme hérita son nom.

I.1.6. Donat

Les discussions qui entourent l’histoire du donatisme n’épargnent pas


non plus son fondateur, Donat. La damnatio memoriae qui l’a frappé, lui et ses œuvres,
ne permet pas de bien connaitre le personnage, son histoire personnelle, sa vie.

Toutefois, les discussions ne touchent pas le rôle qu’il a joué dans le


schisme, mais plutôt son identité. « Jusqu’en 411, note Congar, Augustin, qui s’est tant
appliqué à bien s’informer et qui discutait avec les Donatistes depuis une quinzaine
d’années déjà ne connaît qu’un unique Donat »49. Mais pendant le grand concile de
Carthage de 411, le même Augustin reporte que les Donatistes distinguaient deux
Donat, l’un des Cases Noires et l’autre de Carthage. Il en parle dans le contexte des
calomnies des Donatistes contre le pape Miltiade dont il accusait un des diacres d’être
un traditor par le simple fait qu’il portait le même nom qu’un autre diacre dont la
traditio est référée dans des actes. Augustin, partant même des exemples évangéliques,
montre comment deux personnes peuvent porter le même nom, comme dans le cas des
Donat50.
46
Aug., brevic., III, 14, 26 (CSEL 53, 73) : « cum esset diaconus, victum afferri martyribus in custodia
constitutis prohibuisse dicebatur ».
47
Optat., I, 19 (CSEL 26, 21): « Maiorinus, qui lector in diaconio Caeciliani fuerat, domesticus Lucillae,
ipsa suffragante episcopus ordinatus est ».
48
Optat., I, 15 (CSEL 26, 18) : “(…) contra altare altare erex(er)it”.
49
Y. M. J. Congar, Introduction dans Œuvres de Saint Augustin 28, Paris 1963, p. 14.
50
Aug, brevic., III, 18, 36 (CSEL 53, 85-86) : “Post Collationem sane etiam de Cassiano Miltiadi
calumniati sunt, quia etiam hoc nomen et in diaconis invenitur, quos ad praefectum misit Miltiades, et in
illis gestis ubi facta traditio recitata est. Quod si in Collatione dicerent, facile potuit a Catholicis
responderi, in tanta turba Romanorum clericorum nihil mirum fuisse si duo vel plures, non solum
Stratones, sed etiam Cassiani reperirentur; cum in duodecim Apostolis, non solum duo Iudae, sed etiam
duo Iacobi legerentur: nisi forte ipsis licuisset Casensem a Donato Carthaginensi distinguere, cum
timerent ne maior auctor ipsorum Donatus Carthaginensis damnatus in Miltiadis iudicio putaretur; et
Dans ses œuvres postérieures au Concile de Carthage, Augustin prendra
très en considération cette affirmation des donatistes sur deux Donat distincts. En effet,
il se rétracte de sa position précédente et parlera désormais de deux Donat51.

Cependant, les historiens modernes présentent généralement une


unanimité sur l’unité du personnage. Donat des Cases Noires serait Donat le Grand, dit
Donat de Carthage52. En effet, note Congar, « on a toutes les raisons d’identifier les
deux Donat et de penser que les Donatistes ont, cent ans après la rupture, voulu
accréditer une version qu’ils estimaient avantageuse »53.

I.2. LE DONATISME ET L’EMPIRE ROMAIN

I.2.1. Constantin et le donatisme

Avec l’avènement de l’empereur Constantin au pouvoir après sa victoire


sur Maxence, le problème posé par la présence de deux Eglises rivales en Afrique
devient une question d’intérêt public54. L’édit de Milan, promulgué par les empereurs
Constantin et Licinius en avril 313, voyait l’Eglise en général bénéficiaire de certains
privilèges. Pour l’Afrique déchirée par le schisme donatiste, la question se posait de
savoir qui serait bénéficiaire de ses largesses : l’Eglise catholique ou l’Eglise donatiste ?

Catholicis non liceret in tanta multitudine clericorum Romanorum habere plures similibus nominibus
appellatos. Falsum enim erat quod Donatistae dixerant, convenire personas, convenire loca, convenire
regiones: quando nec loca, nec regiones, nec ipsae expressae personarum dignitates de utrisque gestis,
sed sola nominum convenientia legebatur, quam in diversis personis generis humani consuetudo
frequentare non cessat”.
51
Aug, retr., I, 21, 3 (CCL 57, 63) : “Item quod dixi: Donatum, cuius epistolam refellebam, rogasse, ut
Imperator inter ipsum et Caecilianum transmarinos episcopos iudices daret, non ipsum sed alium
Donatum, eiusdem tamen schismatis, hoc fecisse probabilius invenitur. Ille autem non erat
Carthaginiensis Donatistarum episcopus sed a Casis Nigris, qui tamen primus apud Carthaginem ipsum
nefarium schisma commisit”.
Aug., haer., LXIX, 2 (CCL 46, 332) : “ Huius haeresis principem accepimus fuisse Donatum, qui de
Numidia veniens, et contra Caecilianum christianam dividens plebem, adiunctis sibi eiusdem factionis
episcopis, Maiorinum apud Carthaginem ordinavit episcopum. Cui Maiorino Donatus alius in eadem
divisione successit, qui eloquentia sua sic confirmavit hanc haeresim ut multi existiment propter ipsum
potius eos Donatistas vocari”.
52
Cfr. P. Monceaux, t. IV., p. 20; E. Buonaiuti, p. 306.
53
Y. M. J. Congar, p. 14.
54
Cfr. R. A. Markus, p. ix.
I.2.1.1. La première intervention de Constantin

Constantin donna son jugement sur la question donatiste sans aucune


consultation des parties en conflit, en condamnant les donatistes 55. Dans une première
lettre56 adressée au proconsul d’Afrique Anulinus, il accordait des biens aux églises et
se disait informé du désordre introduit par certains individus irresponsables dans la très
sainte Eglise Catholique. Dans une deuxième lettre 57, il transmettait sa décision
d’exempter de l’impôt les membres du clergé catholique tout en précisant que cela
s’appliquait au seul parti de Cécilien. En effet, il condamnait expressément les
donatistes dans cette lettre..

On pourrait justement se demander comment Constantin a pu rendre un


tel jugement. Selon bon nombre d’auteurs58 cela s’explique très probablement par
l’influence d’Osius de Cordoba dans la cour impériale. Celui-ci, par exemple, envoya
aux gouverneurs un memorandum avec une liste de noms des évêques à considérer
légitimes, liste que Constantin tient en considération dans ses décisions 59. Au-delà du
rôle joué par Osius, il serait peut-être plus juste de voir tout le groupe d’évêques
occidentaux qui se ralliaient à la cause de Cécilien, tel que cela se révélera plus
clairement dans les conciles successifs. A ce sujet, Markus écrit justement qu’il semble
que les évêques européens s’étaient rangés dans le camp de Cécilien. Et quand
l’empereur en l’an 312 ou 313 se mit à distribuer des faveurs et des privilèges aux
Eglises chrétiennes, il fit sien le point de vue soutenu par l’évêque de Rome et d’autres
évêques européens et considéra donc la communauté de Cécilien comme l’Eglise
officiellement reconnue60.

Dans un rapport qui date du 15 avril 313, quelques jours après avoir reçu
l’ordre de la part de l’Empereur d’exempter le camp de Cécilien des munera, le
Proconsul Anulinus parle du recours que les opposants de Cécilien présentent auprès de
l’empereur dans un document intitulé : « Mémoire de l'Eglise catholique sur les crimes

55
Cfr. W. H. C. Frend, p. 145 : “Without waiting to hear what the opposition had to say, Constantine
decided that Caecilian was the rightful Bishop of Carthage” et J. – P. Brisson., p. 247 : “(…) leur affaire
fut ainsi jugée avant même d’avoir été entendue » ou p. 254 : « Avant même d’avoir été officiellement
informé du conflit (…) »
56
Cfr. Eus., H. E., X, 5, 1-4 (SCh 55, 104-105)
57
Ibid. X, 7, 1-2 (SCh 55, 112-113).
58
Cfr. J. – P., Brisson, p. 250.
59
Cfr. Eus., H. E. X, 6, 2 (SCh 55, 111).
60
Cfr. R. A. Markus, p. ix.
de Cécilien, présenté par le camp de Majorinus »61. C’est ainsi que naquit l’occasion du
concile de Rome.

I.2.1.2. Le Concile de Rome de 313

Dans sa réponse au Proconsul Anulinus, Constantin d’abord très fâché de


la tournure que prenait les choses, décida de recevoir le recours des Donatistes. Il
demanda donc au Pronconsul d’envoyer à Rome Cécilien avec dix évêques de son camp
ainsi qu’un nombre égal de ses opposants62.

Pour résoudre le conflit, l’Empereur eut toutefois recours à une procédure


ecclésiastique63. En effet, il transmit l’affaire à un tribunal présidé par le pape Miltiade,
lui aussi un Africain64. L’Empereur adjoignit certains évêques des Gaules selon la
volonté des Donatistes car ceux-ci retenait que c’était « le seul pays où la persécution
de Dioclétien n’avait guère sévi et où, par conséquent, le clergé ne comptait pas de
traditeurs »65. Mais le pape Miltiade accueillit l’occasion pour transformer ce petit
tribunal ecclésiastique en un vrai et propre concile, où il invita aussi des évêques
italiens. Le concile ouvrit ses sessions le mercredi 30 septembre de l’an 313 dans la
maison de Fausta, épouse de l’Empereur, située au Latran66.

Pour le jugement final, les différences conceptions théologiques ont


sûrement joué un rôle décisif. Rome n’a jamais été partisans d’un second baptême. En
Afrique et aussi en Egypte, par contre, c’était un usage fréquent. Ainsi pour les évêques
occidentaux présents au concile, sanctionner l’usage du second baptême, même d’un
clergé qui avait trahi la foi, se révélait une dangereuse innovation67.

Au verdict final, Cécilien fut reconnu innocent par rapport aux


accusations qui lui avaient été faites et Donatus, successeur de Majorinus décédé

61
Cfr. Aug., ep. 88, 2 (CSEL 34.2, 408). Mais ce point sera plus abordé dans le dernier chapitre de notre
travail.
62
Cfr. Eus. Ces., H. E., X, 5 (SCh 55, 109-110).
63
Aug., ep. 88, 3 (CSEL 34.2, 408) : “Post hanc relationem ad se missam iussit Imperator venire partes
ad episcopale iudicium in urbe Roma faciendum”
64
Aug, c. ep. Parm., I, 5, 10 (CSEL 51, 29) : “fassus est ipsos suos adisse etiam Constantinum et eius
arbitrio a iudicibus episcopis causam esse cognitam, quibus praefuit Miltiades Romanae urbis
episcopus”. Augustin se réfère évidemment à la lettre de Parménien qui avait lui aussi rapporté les faits
du concile de Rome.
65
Y. M. J. Congar, p. 15.
66
Cfr. W. H. C. Frend., p. 148.
67
Cfr. Ibidem.
entretemps, fut condamné pour avoir perturbé la discipline ecclésiastique, avoir
rebaptisé le clergé et avoir causé un schisme68.

Mais les Donatistes n’étaient pas prêts à accepter cette sentence. C’est
ainsi qu’ils contestèrent les juges en général69, et, en particulier, accusèrent le Pape
Miltiade de traditeur70. En plus d’accuser Miltiade d’être traditor, les Donatistes
avancèrent trois autres raisons pour contester le jugement délivré par le concile de
Rome. Primo, ils faisaient noter que les accusations contre Félix d’Aptugni, un des
évêques qui avaient consacré Cécilien et qui était considéré par eux un traditor,
n’avaient pas été examinées. Secundo, l’empereur ne leur avait pas donné des évêques
en provenance des Gaules comme ils l’avaient demandé. En effet, il n’en eut que trois,
les autres furent des évêques italiens. E tertio, il fallait donner beaucoup plus de poids
au concile de soixante-dix évêques, sous la présidence de Secundus, qui avaient
condamné Cécilien71.

Ils firent donc un nouvel appel à l’Empereur. Celui-ci, de nouveau,


consentit à leur demande et décida de la tenue d’un nouveau concile pour donner une
solution définitive à cette question. Il décida que le concile aurait eu lieu à Arles sous la
présidence de l’évêque du lieu, Marin, avec la participation des représentants de toutes
les provinces se trouvant sous sa juridiction72.

I.2.1.3. Le Concile d’Arles de 314

Entretemps, Constantin exigea une enquête sur le cas de l’évêque Félix


d’Aptugni. Il s’agissait d’établir s’il était traditor ou non. Jusque-là, l’Empereur avait
laissé tout le traitement de la question entre les mains de la juridiction ecclésiastique.
Mais à ce point, « la justice séculière (…) fut (…) mise en jeu comme auxiliaire de la
justice ecclésiastique pour lui fournir les preuves matérielles de la tradition de Félix
d’Abtugni »73. Heureusement, beaucoup de personnes ayant vécu la Grande Persécution

68
Optat., I, 25 (CSEL 26,27) : “Sufficit ergo et Donatum tot sententiis esse percussum et Caecilianum
tanto iudicio esse purgatum”.
69
Aug., cath. fr., 18, 46 (CSEL 52, 291): “Nempe ipsi postea litteras ad imperatorem Constantinum
dederunt datisque ab eo, sicut petiverant, disceptatoribus episcopis non consenserunt eosdemque
postmodum apud illum tamquam iniquos iudices accusaverunt”.
70
Aug., c. ep. Parm., I, 5,10 (CSEL 51, 29) : “ (…) eumdem Miltiadem crimine traditionis accusant”.
71
Cfr. W. H. C. Frend, p. 149.
72
Cfr. la copie de la lettre par laquelle l’empereur Constantin ordonne de tenir un second synode
conservée dans Eus., H.E., X, 5, 21 (SCh 55, 109)
73
J. – P. Brisson, p. 248.
et y ayant joué un rôle étaient encore vivants. Parmi eux, il y avait l’ex Duumvir Alfius
Caecilianus74.

Mais les Donatistes, qui étaient décidés à faire condamner Cécilien,


n’hésitèrent pas à falsifier les documents. En effet, un de leurs agents de nom Ingentius,
approcha Alfius pour faire produire un document qui aurait prouvé que Félix avait brulé
les Saintes Ecritures. Devant le refus de ce vieil officiel à le rencontrer, Ingentius,
passant par un de ses amis, réussit à lui faire faire un document. Mais ce dernier
reportait plutôt que les Ecritures avaient été emmenées et brulées à l’absence de Félix.
Mais un tel document ne faisait évidemment pas l’affaire car Félix n’était nullement mis
en cause. Alors Ingentius ajouta un postscriptum où Félix était supposé avoir livré les
clés de l’église au Duumvir et lui avoir dit de prendre les Ecritures. Bien que cet ajout
était très clairement en contradiction avec contenu du document qui affirmait que
l’évêque était absent, les Donatistes l’utilisèrent et réussirent à l’authentiquer devant un
magistrat païen durant une enquête préliminaire du Conseil de la Cité. Ce document fut
ainsi inséré dans les rapports officiels 75. Les Donatistes se faisaient donc forts d’un
document qu’ils pouvaient toujours brandir pour entourer de suspicion la personne de
l’évêque Félix.

Mais à Arles, les évêques réunis ne se montrèrent pas plus cléments que
ceux de Rome face à la cause donatiste. Les schismatiques laissèrent une mauvaise
impression pendant la tenue du concile et furent de nouveau76. Toutefois le concile
d’Arles ne donna pas la solution définitive à la question donatiste, comme l’espérait
Constantin. Bien que certains Donatistes se soumirent aux décrets conciliaires, d’autres
s’entêtèrent, persistèrent à soutenir Donat et continuèrent plus tard à présenter d’autres
recours auprès de l’empereur 77. Mais l’empereur lui-même, très occupé avec la guerre
contre Licinius, ne prit aucune autre disposition sur la question.

74
Alfius Caecilianus 2 in PCBE, p. 175 : “dumvir à Abthugni (…), en fonction en 303 lors de la
persécution de Dioclétien, a exécuté dans la localité l’ordre de saisie des Livres saints et des biens
d’église ».
75
Cfr. L. Duchesne, pp. 115-117.
76
Cfr. W. H. C. Frend, p. 152.
77
Aug., ep. 88, 3 (CSEL 34/2, 409) : “Unde ille alterum episcopale iudicium dedit habendum in
Arelatensi Galliae civitate, ubi multi vestri, vana et diabolica dissensione damnata, cum Caeciliano in
concordiam redierunt; alii vero pertinacissimi et litigiosissimi ad eumdem imperatorem appellaverunt”.
I.2.1.4. Le jugement définitif de Constantin

Entretemps en Afrique, la tension entre les deux partis était loin de se


calmer. Pour l’Africain ordinaire, il était inconcevable que les Proconsuls et les officiels
impériaux, persécuteurs d’hier et considérés comme émissaires de Satan, puissent
prendre des décisions en matière religieuse. Ainsi les Africains identifiaient leur cause à
celle de Donat et trouvaient en ce dernier un vrai leader78.

Entretemps fut reprise l’enquête sur le cas de Félix d’Aptugni qui


continuait à trainer. Le dossier fut traité en audience devant le Proconsul Aelianus le 15
février 31579. L’enquête avait non seulement révélé que l’accusation de tradition contre
Félix était une pure diffamation, mais encore que les accusateurs n’avaient pas hésité,
pour étayer leurs diffamations, à recourir à l’usage de faux. Les malversations
d’Ingentius furent portés au grand jour et il finit par les confesser. Le Proconsul ordonna
sa détention et Félix fut reconnu innocent80.

Malgré tout le développement de la situation, les décisions du concile


d’Arles avaient de la peine à être appliquées. Alors Constantin pensa à convoquer
Ingentius de telle sorte que Donat et ses partisans, à qui il n’avait pas encore été autorisé
de rentrer en Afrique, puissent entendre de leurs propres oreilles que les charges contre
Cécilien n’étaient pas fondées. Ainsi le calme serait revenu entre les partis en conflit81.

Mais, inexplicablement, Cécilien ne se présenta pas pour cette


confrontation que l’Empereur voulait définitive 82. Ainsi cette opportunité de
clarification de la situation voulue par Constantin s’envola.

Entretemps, les rapports du nouveau Vicaire de l’Afrique, Domitius


Celsus, faisaient parvenir à l’Empereur des nouvelles alarmantes de l’Afrique. En effet,

78
Cfr. W. H. C. Frend, p. 155.
79
Aug., c. Don.. 33, 56 (CSEL 3, 158): “Aelianus proconsul causam Felicis audivit, Volusiano et
Anniano consulibus, quinto decimo calendas martias”.
80
Optat., I, 27 (CSEL 26, 30) : “Unde repulsa atque extersa infamia cum ingenti laude de illo iudicio
recessit”.
81
Aug., Cresc. III, 70, 81 (CSEL 52, 486-487) : “Unde volumus eumdem ipsum Ingentium sub idonea
prosecutione ad comitatum meum constantini augusti mittas, ut illis, qui in praesentiarum agunt atque
diurnis diebus interpellare non desinunt, audientibus et coram adsistentibus apparere et intimari possit
frustra eos Caeciliano episcopo invidiam comparare atque adversus eum violenter insurgere voluisse. Ita
enim fiet, ut omissis, sicuti oportet, eiusmodi contentionibus populus sine dissensione aliqua religioni
propriae cum debita veneratione deserviat”.
82
Aug., ep. 43, 7, 20 (CSEL 34/2, 102) : “ (…) cum Caecilianus nescio qua causa non occurrisset”.
un des évêques Donatistes, Ménalius, était en train d’inciter des révoltes contre Cécilien
et son camp83.

Cécilien et Donat étaient encore détenus en Italie. Quelque temps plus


tard, Constantin fit acheminer les autres évêques donatistes à Milan sous escorte car
certains commençaient à s’échapper84. Mais, à cause de la menace des incursions des
Francs, l’empereur ne put de nouveau statuer sur la question. Les donatistes profitèrent
de ce moment de répit pour s’attirer la faveur de certains officiels de la cour impériale.
Parmi eux, Philumenus mérite une attention particulière. « Partisan (suffragator) de
Donat, [il] suggère en conséquence à l’empereur, et obtient de lui, qu’il fasse «
retenir » à Brescia l’évêque catholique de Carthage Caecilianus avant de rendre son
jugement en appel sur le différend opposant les deux églises rivales d’Afrique »85.

Pour ce fait, deux prélats – Olympius et Eunomius – furent choisis et


envoyés en Afrique pour désigner un nouveau candidat. Mais ils furent accueillis de
façon très hostile. Ils furent boycottés par les Donatistes et il y eut des émeutes. Après
quarante jours, ils durent retourner sans aucun résultat. Toutefois, ils purent entrer en
contact avec le clergé du camp de Cécilien avant de quitter86.

Peu de temps après, Donat s’échappa et Cécilien, peu après lui, le


rejoignit en Afrique. Devant la tournure que prenait la situation, Constantin envoya des
instructions à Domitius Celsus et déclara sa volonté venir en Afrique pour résoudre
personnellement et de façon définitive la question après avoir renvoyé les évêques
encore retenus en Italie. Il voulait leur montrer, selon ses propres mots, de quelle
manière il fallait adorer le Dieu véritable87.

Mais l’Empereur ne put jamais réaliser son dessein, c’est-à-dire venir en


Afrique en personne pour trancher la question donatiste. Pour quelle raison ? Là-dessus,
on ne peut que faire des suppositions. Intéressantes celles que fait Frend : il avait peut-
être peur des répercussions que ses décisions auraient eu vu que les Africains étaient
83
Cfr. la correspondance entre Celsus et l’empereur Constantin transmis par Optat de Milev (CSEL 26,
210-212).
84
Aug., ep. 43, 7, 20 (CSEL 34/2, 102) : « (…) Tunc se aliqui eorum subtrahere coeperant (…) Quod ubi
cognovit providus Imperator, reliquos ab officialibus custoditos fecit Mediolanum pervenire ».
85
Filuminus in PCBE, p. 456.
86
Cfr. W. H. C. Frend, pp. 156-157.
87
Optat., Appendix VI (CSEL 26, p. 211) : « verum lecta hac epistola tam Caeciliano quam hisdem
palam facias, qudo cum favente pietate divina African venero ; plenissime universis tam Caeciliano quam
his, qui contra eum agree videntur, lecto dilucido iudicio demonstraturus sum, quae et qulis summae
divinatit sit adhivenda veneration et cuiusmodi cultus delectare videatur”.
plutôt assez remuants, ou l’expérience eue avec Olympius et Eunomius n’encourageait
pas une telle intervention, ou encore, en fin stratège, il avait peur de sembler prendre
parti pour un des groupes en conflit, ce qui n’aurait pas joué en sa faveur 88. De toutes les
façons, l’Empereur eut l’occasion de revoir le dossier et il déclara Cécilien innocent et
ses adversaires furent jugés des calomniateurs. Et le 10 novembre 316 89, il informa le
nouveau vicaire d’Afrique, Eumalius, de sa décision 90. Cette décision était d’une très
grande importance. Et, dans les jours à venir, les Catholiques ne cesseront de le brandir
comme la condamnation définitive du donatisme.

I.2.1.5. La première répression du donatisme (317-321)

Après la condamnation officielle du donatisme, il fallait procéder à


l’étape suivante, c’est-à-dire l’application concrète de cette décision impériale.
Constantin promulgua très probablement une loi dont le texte n’a pas,
malheureusement, survécu. Toutefois, à partir des écrits de Saint Augustin, nous
pouvons déduire que ce fut une loi sévère91.

Cette loi prévoyait la confiscation des basiliques appartenant aux


Donatistes. Mais il y eut une grande résistance de la part des Donatistes. A Carthage,
par exemple, ils réfusèrent de céder leurs basiliques si bien que Cécilien recourut au
pouvoir séculier. Il reçut l’aide du Dux Leontius et du Comes Ursatius. Des basiliques
furent attaquées et tout finit par un massacre92.

Paradoxalement, cette violente répression du donatisme des années 317-


321 produisit un effet contraire. Loin de les dissuader, elle eut plutôt l’effet de les
renforcer contre les rangs de leurs adversaires. Utiliser la violence contre les donatistes
jouait en leur faveur. Cela faisait grandir leur réputation comme descendance de l’Eglise
de Cyprien, représentante de l’orthodoxie africaine et comme l’« Eglise des martyrs »

88
W. H. C. Frend, p. 158.
89
Aug., c. Don., XXXIII, 56 (CSEL 53. 158): “Constantinus ad Eumalium vicarium de purgatione
Caeciliani scripsit, Sabino et Rufino consulibus, quarto idus novembres”.
90
Aug., Cresc., III, 71, 82 (CSEL 52, 487): “Insero adhuc et verba Constantini ex litteris eius ad
Eumalium vicarium, ubi se inter partes cognovisse et innocentem Caecilianum comperisse testatur. Cum
enim narrasset in his, quae supra locutus est, quemadmodum ad iudicium eius post episcopalia iudicia
partes perductae fuerint: "In quo pervidi - inquit - Caecilianum virum omni innocentia praeditum ac
debita religionis suae officia servantem eique ita ut oportuit servientem, nec ullum in eo crimen repperiri
potuisse evidenter apparuit, sicut absenti fuerat adversariorum suorum simulatione compositum”
91
Aug., ep. 105, 2, 9 (CSEL 34/2, 601) : “Tunc Constantinus prior contra partem Donati severissimam
legem dedit”.
92
Cfr. W. H. C. Frend, pp. 159-160.
persécutée par les forces du Diable représentés par Cécilien en alliance avec des
magistrats païens93.

Finalement, Constantin dut reconnaitre l’inutilité de ces efforts à vouloir


restaurer l’unité religieuse en Afrique. Dans une lettre circulaire aux Catholiques, il se
contenta de les exhorter à la modération et à la patience 94. Dans les années suivantes,
bien qu’il ne perdit pas complètement de vue la situation de l’Afrique, Constantin dut
plus s’occuper de la crise arienne qui retenait toute son attention.

Entretemps, le mouvement schismatique patronné par Donat s’enracinait


et s’étendait toujours plus en Afrique. Il y eut même une communauté donatiste à Rome.
Vers 330, Donat put réunir un concile avec environ 300 évêques. Et, à la mort de
Constantin en mai 337, le donatisme était très florissant et Donat lui-même était au plus
haut de sa gloire tandis que Cécilien avait presque disparu après Nicée95.

I.2.2. Le donatisme, de la mort de Constantin à l’avènement d’Augustin (337-


393 ?)

I.2.2.1. Les Macariana tempora

Après la mort de Constantin, digne de note dans la longue histoire du


donatisme dans l’Empire Romain est l’intervention de son fils Constant. En 347, date à
laquelle se situe cette intervention, ce dernier était empereur de l’Occident catholique
tandis que son frère Constance, de l’Orient à majorité arienne.

Il n’y a pas d’unanimité sur les raisons qui poussèrent l’empereur


Constant d’intervenir dans le problème donatiste. Frend. sur la même ligne que Congar,
justifie cette intervention par une requête même de Donat vers l’an 346 afin d’être
reconnu comme seul évêque de Carthage96. Notre penseur le fait en s’appuyant sur des
textes d’Optat de Milev97 qui aurait écrit ses deux éditions de son œuvre De Schismate
Donatistarum probablement vers 365-7 et 385 et de qui dépend, principalement, la
reconstruction de cette partie de l’histoire du Donatisme98.
93
R. A. Markus, p. x.
94
Optat., Appendix IX ( CSEL 26, 213) : “verum dum caelestis medicina procedat, hactenus sunt
consilia nostra moderanda, ut patientiam percolamus et, quicquid insolentia illorum pro consuetudine
intemperantiae suae temptant aut faciunt, id totum tranquilitatis virtute toleremus”.
95
Cfr. W. H. C. Frend, p. 168.
96
Cfr. W. H. C. Frend, p. 177.
97
Notamment Optat., III, 1 (CSEL 26, 67-68) et III,3 (CSEL 26, 73s).
98
Cfr. W.H. C. Frend, p. 169.
De notre part, nous pencherons plus vers l’interprétation de Monceaux
qui voit dans cette intervention une initiative personnelle de l’empereur et ne parle pas,
par conséquent, d’une éventuelle requête de Donatistes. Brisson est du même avis. Pour
Monceaux, « L’empereur Constant, de qui dépendait alors l’Afrique, pensa pouvoir
réussir là où avait échoué son père  ; il se crut assez fort ou assez habile pour rétablir
la paix, et résolut de supprimer le schisme africain »99. Brisson lit, derrière cette
intervention de l’empereur, une motivation politique. A ce propos, il écrit : « L’unité
constantinienne (…) se trouvait ainsi brisée et chacun de deux frères [Constance et
Constant] songeait sans doute à la rétablir à son profit personnel sur le plan politique,
et sur le plan religieux au profit de l’Eglise dont il s’était fait le protecteur »100.

Quoi qu’il en soit des véritables motivations de l’empereur, il envoya par


la suite deux commissaires en Afrique : Paulus et Macarius, les fameux operarii
unitatis101. Pour Optat, à l’origine, l’empereur Constant n’a pas envoyé Paul et Macaire
pour rétablir l’unité, mais avec des aumônes destinées à soulager les pauvres et à leur
procurer, dans chaque église, un peu de répit, des vêtements, de la nourriture et de la
joie 102. Mais, pour les Donatistes, il s’agissait d’une corruption 103. Par la suite, les deux
commissaires furent accueillis de façon très hostile par Donat qui leur lança : « Qu’a de
commun l’empereur avec l’Eglise ? ». Et puis il envoya aux communautés dépendant de
lui des lettres qui leur interdisaient d’accepter tout secours de la part des commissaires
impériaux104.

Ces derniers, se déplaçant vers la Numidie, rencontrèrent une forte


résistance de la part des Donatistes. En particulier, ils se heurtèrent à un autre Donat,
évêque donatiste de Bagai. Ce dernier fit recours auprès des Circoncellions pour

99
P. Monceaux, t. IV, p. 34.
100
J. – P. Brisson, p. 259.
101
Cfr. Optat., III, 4 (CSEL 26, 85) ; III,5 (CSEL 26,85) etc.
102
Cfr. Ibid., III, 3 (CSEL 26, 73) : « aut quis negare potest rem, cui tota Carthago principaliter testis
est, imperatorem Constantem Paulum et Macarium primitus non ad faciendam unitatem misisse, sed cum
eleemosynis, quibus sublevata per ecclesias singulas posset respirare, vestiri, pasci, gaudere
paupertas ? ».
103
Cfr. P. Monceaux, t. IV, p. 34.
104
Optat., III , 3 (CSEL 26, 74) : « et cum illi, qui missi fuerant, dicerent se ire per provincias singulas et
volentibus accipere se daturos, ille dixit ubique se litteras praemisisse, ne id, quod adlatum fuerat,
pauperibus alicubi dispensaretur ».
soutenir son œuvre de résistance105. Ainsi, les Circoncellions faisaient leur entrée auprès
des Donatistes dans la lutte contre l’Empire et l’Eglise Catholique.

Les Circoncellions, dont nous aurons largement à parler plus loin dans le
présent travail, font partie d’un « mouvement révolutionnaire, en relation avec l’Eglise
donatiste, provoqué par le mécontentement religieux et agraire, en particulier en
Numidie et en en Mauritanie, au IVème siècle et au début du Vème s. »106. Ils tirent leur
nom de circum cellas, du fait qu’ils vivaient dans le voisinage des cellae (granges) 107 ou
des tombes des martyrs. Ils font parler pour la première fois vers l’année 340 où des
évêques donatistes – les mêmes qui recourront à leur aide plus tard – adressent une
lettre à l’alors comes d’Afrique, Taurinus, pour qu’il mette fin à leurs exactions qui
semaient l’insécurité et la terreur en Numidie, guidés par Axido et Fasir 108. Saint
Augustin peint un tableau bien sombre de Circoncellions, qui sont considérés comme le
bras armé du donatisme109.

Contre l’évêque Donat de Bagai, soutenu par les Circoncellions, les deux
commissaires impériaux demandèrent au comes Sylvestre d’envoyer un contingent
armé. Après des incidents, ce dernier attaqua la basilique où étaient retranchés les
révoltés et tout finit par un bain de sang. Donat même fut tué110.

Les évêques donatistes de Numidie se réunirent et envoyèrent auprès de


Macarius une délégation de dix évêques pour protester. Mais ce dernier les fit arreter et
fouetter. L’un deux, Marculus, fut retenu. Après quatre jours de détention, il fut exécuté
(selon la version donatiste) ou se suicida (version catholique). D’où la Passio
Marculi111.

105
Ibid., III, 4 (CSEL 26, 81) : “et cum ad Bagaiensem civitatem proximarent, tunc alter Donatus (…)
eiusdem civitatis episcopus, impedimentum unitati et obicem venientibus supra memoratis opponere
cupiens, praecones per vicina loca et per omnes nundinas misit, circumcelliones agonisticos nuncupans,
ad praedicum locum ut concurrerent invitavit”.
106
W. H. C. Frend, s.v. Circoncellions in DECA I, 493.
107
Aug., en Ps. 132, 3 (CSEL 95/3, 322) : “Nam Circumcelliones dicti sunt, quod circum cellas
vagabantur : solent enim ire hac illac, nusquam habentes sedes ».
108
Cfr. W. H. C. Frend, The donatist church, p. 176.
109
Aug., c. Gaud., I, 28, 32 (CSEL 53, 231): “Quis enim nescit hoc genus hominum in horrendis
facinoribus inquietum, ab utilibus operibus otiosum, crudelissimum in mortibus alienis, vilissimum in
suis, maxime in agris territans, ab agris vacans, et victus sui causa cella circumiens rusticanas unde et
nome Circumcellionum accepit”.
110
Cfr. Optat., III, 4 (CSEL 26, 81-85)..
111
Cfr. Macarius 1 in PCBE, p. 656.
Entretemps à Carthage, le proconsul publia un décret impérial
proclamant l’union des deux Eglises sous l’évêque Gratus, successeur de Cécilien 112.
Quelque temps plus tard, Donat et d’autres leaders de son parti furent arrêtés et exilés.
Et Donat ne reverra plus l’Afrique jusqu’à sa mort. En fin de compte, l’Eglise d’Afrique
semblait avoir repris son unité. Et durant le concile de Carthage en 348 ou 349, l’évêque
Gratus pouvait se permettre de remercier les serviteurs de Dieu, Paulus et Macarius,
pour leur sainte œuvre et de saluer le retour à l’unité113.

Mais, conclut Monceaux, « les ‘artisans de paix’ laissèrent en Afrique


une réputation de sinistres bourreaux ; les Catholiques eux-mêmes étaient assez
embarrassés pour défendre leur mémoire. On en voulait surtout à Macarius, qui s’était
montré le plus intraitable et le plus impitoyable »114. C’est ainsi qu’on pouvait entendre
parler de « Macariana tempora »115et les Catholiques être appelés « pars Macarii »116.

I.2.2.2. De Julien l’apostat à Théodose le Grand

Après la persécution de Paul et Macaire sous l’empereur Constant. il faut


attendre l’avènement de Julien l’Apostat à la mort de Constance le 3 novembre 361,
devenu plus tard unique empereur, pour noter une étape importante dans l’histoire du
donatisme dans l’Empire Romain. En effet, Julien qui tendait à faire ressusciter et
consolider le paganisme déclinant aux détriments du christianisme, inaugura une
politique d’indifférence par rapport aux conflits internes de l’Eglise. Mais d’autre part,
prenant des dispositions pour que soient abolies les mesures prises par ces prédécesseurs
en matière religieuse, il décréta que tous les évêques exilés puissent reprendre leur
siège. Vu son indifférence par rapport aux problèmes du christianisme, cette mesure de
clémence fit penser qu’il tentait ainsi d’affaiblir l’Eglise117 .

Les Donatistes, de leur part, ne pouvaient que tirer profit de la situation.


C’est ainsi que trois de leurs évêques, Pontius, Rogatien et Cassien, présentèrent à
l’empereur une pétition où ils demandaient un retour de leaders donatistes de l’exil. Le
112
Cfr. Passio Maximiani et Isaaci, I (PL 8, 768).
113
Gratus apud Conc. Carth. a. 345-348 (CCL 149,3) : « Gratias Deo omnipotenti et Christo Jesu, qui
dedit malis schismatibus finem, et respexit Ecclesiam suam, ut in ejus gremium erigeret universa membra
dispersa : qui imperavit religiosissimo Constanti imperatori, ut votum gereret unitatis, et mitteret
ministros sancti operis famulos Dei Paulum et Macarium”.
114
P. Monceaux, t. IV, p. 37.
115
Aug., ep. 44, 2, 4 (CSEL 34/2, 112) ; 3, 5 (CSEL 34/2, 113).
116
Id., c. litt. Pet., II, 39, 92.94 (CSEL 52, 76) ; 46, 108 (CSEL 52, 82).
117
M. Simonetti, La crisi ariana, Roma 1975, p. 354.
nouvel empereur, évidemment, le leur concéda mais aussi il décréta que les basiliques et
autres biens qui leur avaient été confisqués par les Catholiques devaient être restitués.
La situation redevenait comme avant 347118.

Le retour des leaders Donatistes, autorisés par le rescrit impérial à


reprendre leurs basiliques et leurs propriétés, fut accompagné de divers actes violents.
Ils furent aidés en cela par les Circoncellions. On peut en lire une description très
sombre chez Optat de Milev, qui écrit justement les son œuvre polémique et
apologétique en cette période119. Parménien, élu successeur de Donat, s’installa à
Carthage. Il fut pour le mouvement schismatique africain « un organisateur et un porte-
parole remarquable »120. Le donatisme amorçait ainsi une phase de réorganisation et se
consolidait.

Cette consolidation du donatisme ne serait pas pratiquement ébranlé


jusque vers les années 380 bien que deux documents aient été entretemps promulgués
contre le mouvement schismatique. En effet, l’empereur Valentinien I, le 20 février 373,
déclara indigne du sacerdoce l’évêque qui réitère le baptême 121, une pratique poussée à
l’extrême avec le retour des exilés, tandis que Gratien, 17 octobre 377, décida de leur
confisquer les lieux de culte122.

Comme le notre Brisson, « malgré leur inefficacité probable, ces deux


constitutions [de Valentinien I et de Gratien] préparaient la répression finale du
donatisme »123. Cette répression finale, nous pouvons déjà la remonter à la déclaration
de l’Eglise Catholique comme religion d’Etat par Théodose le 28 février 380 124 et par la
suite, l’assimilation de l’hérésie à un délit de droit commun qui était frappé par une

118
Aug., c. Litt. Pet., II, 97, 224 (CSEL 52, 142): “Hoc [Iulianum] quoque supplicantibus Rogatiano,
Pontio, Cassiano, et ceteris episcopis, sed et clericis, accedit ad cumulum, ut abolitis quae adversus eos
sine rescripto perperam gesta sunt, in antiquum statum cuncta revocentur”.
119
Optat., II, 17, 1 : “Venistis rabidi, venistis irati membra laniantes ecclesiae, subtiles in seductionibus,
in caedibus immanes, filios pacis ad bella provocantes”.
120
Y. J. M. Congar, p. 20.
121
CTh XVI, 6, 1 (SCh 497, 340) : « Antistem, qui sanctitatem baptismi inlicita usurpazione geminaverit
et contra instituta omnium eam gratiam iterando contaminaverit, sacerdotio indignum esse censemus”.
122
CTh XVI, 6, 2 (SCh 497, 340. 342) : « Eorum condemnamus errorem, qui apostolorum praecepta
calcantes christiani nominis sacramenta sortitos alio rursus baptismate non purificant, sed incestant,
lavacri nomine polluentes. Eos igitur auctoritas tua erroribus miseris iubebit absistere ecclesiism quas
contra fidem retinent, resitutis catholicae”.
123
J. – P., Brisson, p. 265.
124
CTh XVI, 1, 2 (SCh 497, 114) : “Cunctos populos, quos clementiae nostrae regit temperamentum, in
tali volumus religione versare, quam divinum Petrum apostolum tradidisse Romanis religio usque ab
nunc ab ipso insimuata declarat quamque pontificem Damasum sequi claret et Petrum Alexandriae
episcopum”.
amende de 10 livres d’or125. Cette loi sera très exploitée plus tard contre les Donatistes
même si ces derniers étaient en réalité schismatiques et non hérétiques126. Mais tout cela
n’était qu’un prélude à la bataille finale.

Autour de l’an 390, la communauté carthaginoise, alors sous la guide de


Primien, se divisa en deux factions. Il s’agit du schisme maximiniaste 127. Mais,
désormais, la chance était en train de tourner contre le camp donatiste. Une intense
activité contre les schismatiques verra le jour avec Aurèle, évêque catholique de
Carthage, et surtout Augustin, qui deviendra lui aussi évêque d’Hippone. C’est sur
l’activité anti-donatiste de ce dernier que se penche le chapitre suivant de notre travail.

125
Cth XVI, 5, 21 (SCh 497, 262) : “In haereticis erroribus quoscumque constiterit vel ordinasse clericos
vel suscepisse officium clericorrum, denis libris auri viritim multandos esse censemus”.
126
Ce point sera élucidé dans le prochain chapitre du présent travail.
127
Le schisme maximianiste également fera l’objet de notre dernier chapitre.

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