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Obama

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

UN NOIR À LA MAISON-BLANCHE :DU PROCESSUS DE RACIALISATION AU


RÊVE AMÉRICAIN. ANALYSE DE LA MISE DE L'AVANT DES IDENTITÉS DE
«RACE», DE GENRE ET DE SEXUALITÉS EN CONTEXTE ÉLECTORAL.

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE

DE LA MAÎTRISE EN SCIENCE POLITIQUE

PAR

VALÉRIE LAPOINTE

JUILLET 2013
UNIVERSITÉ OU QUÉBEC À MONTRÉAL
Service des bibliothèques ·

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le~ respect des droits de son auteur, qui a signé
le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail dB recherche de cycles
supl§rfeurs (SDU-522- Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que ccconformément à
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l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre dea ·
copies de. [son] travail de recherche à dea flna non commerciales sur quelque support
que ce soit, y compris l'Internet Cette licence et cette autorisation n'entralnent pas une
renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété
intellectuelle. Sauf ententé contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de
commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire ..~
REMERCIEMENTS

Je tien s ici à remercier A llison Harell, ma directrice, pour son soutien, sa patience et surtout
sa foi en mes capacités . Sans son encadrement rigoureux, ses nombreux encouragements et sa
passion contagieuse du milieu universitaire, ce projet de vie serait resté inaccompli. Je lui
serai à jamais redevable des p01ies qui s' ouvriront devant moi désormais. Mille fo!s merci. Je
remercie également Frédérick Gagnon , mon codirecteur, pour son temps, sa minutie et ses
exigences qui me pe1mettent aujourd'hui d ' être fière de ce mémoire.

Je ne pourrais passer sous silence l'amour de ma conjointe, Arielle, et le suppo1i qu'elle m'a
apporté pendant ma rédaction. Nos échanges intellectuels, nos di scussions de nature politique,
son écoute et son aide furent autant d'éléments nécessaires à ma réu ss ite. Merci de m ' avoir
accompagné dans ce projet et de lui avoir laissé une aussi grande place dan s ta vie. Merci
également à Pierre, mon beau-père, pour ses encouragements, la fie1té qu' i 1 rn ' a démontrée
pendant mon parcours universitaire et surtout, sa présence infaillible à toutes les grandes

étapes de ma vie. Merci à mon petit frère, Maxime, d'avoir accepté d'être mon premier public
avant mes conférences et pour son esprit critique. Si nous ne partageons pas toujours les
mêmes opinions, nous partageons les mêmes valeurs et à toute fin pratique, le mê me art de
di scourir. Ton opinion m ' imp01iera toujours petit frère, je suis fière de l' homme que tu es
devenu. Merci à mon père Louis pour son intérêt face à mes projets de vie, dont ce mém o ire
fait pmti e. Merci également à ma grand-mère, Cletus, pour sa lecture attentive de mes
chapitres et ses précieux commentaires, à moh amie Julie pour sa compréhension face à mon
absence pendant la réd action, à mes amies Melissa et Cynthia pour leur intérêt constant face à
mes étud es et à ma vie, malgré la distance et nos moments espacés.

E nfin , je dédi e ce travail à ma mère, Diane, san s qui rien de tout cel a n' aurait été poss ible.
Sans son amour inconditionnel, son soutien permanent, son écoute, sa compréhension et ses
inn ombra bles encouragements, cette maîtrise n 'aurait pas été envisageab le. Ma sco larité j e te
la dois, ma man, en tota lité. M erci de m 'avo ir laissé me découvrir en tant qu 'adulte, merci
d'approuver mes choix, d 'en être fi ère, merci de m'avo ir permis de fa ire de ma vie« un chef
d' œuvre, sinon rien »!
TABLE DES MATIERES .

RÉSUMÉ ......... ....... .. ... ...... .. .............. ..... ............ ..... ... ........... .......... .. .. .. ... .. .... ... ...... ... .... .. ....... N

INTRODUCTION ........................................................................................................... ..... :... . 1

CHAPITRE I

L'institution présidentielle américaine d'hier à aujourd'hui ...... ........ .. .................. ...... .... ........ . 6

1.1 Les approches classiques de la présidence américaine .............. .... ...................................... 7

1.1.1 L'approche fonctionnaliste ; « why rather than what or how »... ............. ................ 8

1.1 .2 L ' approche réaliste ..... .... .................................................................. ..... ... ............ .. 10

1.1.3 L'approche hi storique ...... .......................... ......................................... .. ........ .. ........ 11

1.1.4 L'approche« opinion publique et medias de masses » ................. .. ... .. ...... ..... ........ 12

1.1. 5 Les classiques et 1' identité de la présidence .... .............. .. ...... ........ .... .. ... ................ 16

1.2 L'histoire de la présidence américaine : l'héritage de la Constitution et des pères


fondateurs à la nation américaine .............................................. ................ .. ................ .... 18
1.2. 1 L'institution présidentielle n'est pas neutre ........................................ ...... .............. 18

1. 3 Dialogue entre classiques et critiques : identités transcendantes ou institutionnalisées? .24

1.3.1 La place du chercheur et son influence sur l'occultation des identités .. ...... .. ......... 24

1.3.2 Rien n' échappe aux systèmes, pas même le hasard ...................... .... ...... ... ......... .. .. 26

1.3.3 Analyse des enjeux identitaires : mais de quelles identités parle-t-on ? ................. 27

1.3 .4 Visibilisation des identités genrées et racisées .... ............ .... .. .... .. .... .. .. .. ........ .... ..... 29

1.3 .5 Et la sexualité? ........ ............ ............. .... .. ................................................................. 31

1.3 .6 L'intersectionnalité comme vecteur de réflexion et outi l d'analyse .................. .. ... 32


iv

CHAPITRE 2

IDENTITÉ RACIALE: ENTRE REPRODUCTION, AGENTIVITÉ ET SUBVERSION .. .. 38

2.1 Bref regard su r les conjonctures entotu·ant nos études de cas .......... .. .. ...... ....................... 39

2.2 « Race» et subversion: quelle limite? .... .. ................... :.: ........ ........ ..... .... .. .. .... .... .......... .... 44

2.2.1 . « J'étais trop jeune pour savoir que j'avais besoin d' une race »: processus de
raciali sation et prise de ·c onscience de la subordination raciale ...... .. .. .. .. .............. 44
2.2.2 Dénonci ation et agentivité ... ............................................... .. ..... .. ...... ............. ..... ... 47

2.3 La ca1te raciale : utile, mais pemicieuse .. .... .. ........ ............ .. .................................. .. .... .. .... 49

2.3 .1 Le rêve américain .. .................................................... .... .. .... ... .... ........ .................... 51

2.3.2 L'appel au changement .. ..... .... .. .................................................... ... ............. .. ....... 55

CHAPITRE 3

AUX FRONTIÈRES DU GENRE : LA SEXUALITÉ .............. .......... .... .. .. ........................... 59

3.1 La masculinité comme fondement du rôle présidentiel.. ...... .. .. ...... ..... .. .. .................... ...... 60

3.1.1 Reproduction de l' importance accordée au self-made man ...................... .. ...... .... .. 62

3. 1.2 Le sport : haut lieu de valorisation de la masculinité ................ .. ............................ 66

3.2 II n'y pas de sujet sans altérité .............. .. .................... .......... .................................... .. ....... 70

3.2 L invisibili sation des rapports de pouvoir genrés .. .. ...... .............. ........ .. ............ .............. .. 7 1

3.3 Réité ration .de la «place» des femmes dans la sphère privée .. ........ .... .. .. .... .. .................... . 74

3.4 Le sex-symbol des États-unis est aussi président .. .. .............. .. .... ...... ................................ 80

3 .4.] Le dés ir hétérosexuel et la mascu linité noire .............. ...... .... .................. .......... .... .. 81

3 .4 .2 Obama et sa sexualité .... .......... .. .. .... ...... .. ...... .. ........ .. .................. ...... ...... ............ .. . 83

3.4.3 La position d'Obama sur le mari age hom osexuel.. .. .... ........................................... 87

3 .4.4 Sexualités et institution familiale ........ ............ .. ...................................................... 89

CONCLUSION .. .... .. .... ..... ..... ................................................... .............................................. 94

BIBLIOGRAPHIE .... ........... ....... ...................... ........... ............ .... ...... .. ..... ... ... ..... ... ....... .. .. ..... 98
v

RÉSUMÉ

Mots-clés : institution présidentiell e américa ine, genre, « race », sexualité, rêve américain.

Le 4 novembre 2008, le 44° prés id ent des États-Unis est élu . Un noir fait son entrée à la
Maison-Blanche. Obama aura eu raison de dire Yes we can . Par sa victoire, il marqu era
l'histoire de la nation américaine : il sera, à j amais, le premi er prés id ent no ir des États-Uni s.

L ' élection d'Obama à la présidence permet de mettre en exergue le caractère exc lusif qu e
potiait la « race» de l' instituti on présidenti elle avant son arrivée à ce haut poste de déc ision .
Ainsi, pattant du postulat que l' institution présidentielle n'est pas neutre, mais qu 'ell e a un
genre, une « race » et une sexualité précises, nous entendons nous intéresser aux identités
qu ' il est nécessaire de mettre de l'avant pour atteindre la présidence. Pu isque l' élection
d'Obama représente un moment clé dans l' analyse des identités, ce mémoire en fe ra son
étu de de cas. Pattant de deux all ocutions publiques, soit A More Pe1ject Union et The Victory
Speech, ainsi que de deux autobiographies écrites par Obama (Les rêves de mon p ère et
L 'audace d 'espérer), nous étu dions la mise de l'avant des id entités en contexte électoral.
L'analyse discursive des all ocutions publiques et des autobiographies nous permettra
d' avancer l' hypothèse qu' en mettant de l' avant son identité racisée et en la juxtaposant à
l' idée du rêve améri cain (Yes we can), Obama a non seulement ré itéré les id entités
dominantes de la prés idence améri caine (homme, hétérosexuel), ma is il a également
dépolitisé les enj eux rac iaux aux États-Uni s. Enfin, l'originalité de la présente recherche se
situe au niveau de la prise en compte de l'identité sexuell e de l'actuel président améri cain,
dans la mesure où cell e-ci ne fait pas l'objet d'analyse dans la littérature, qu 'e ll e so it
c lassiqu e ou critique.
INTRODUCTION

Si chaque présidence américaine vient avec son lot de particularités, a ucun e n'a
autant bouleversé l' image corporelle de l' institution prés identielle qu e la prés idence de
Barack Obama. Huit ans après l'élection de George W. Bush fil s, sept ans après les attaques
terrori stes contre les to urs du World Trade Center, cinq ans après le début de la gue rre en Irak,
le slogan Yes we can d 'Obama eu son lot d'effets positifs . Or, si la « race» de l' actu e l
prés ident des États-Uni s fut l'obj et de nombreuses analyses, nous croyons que ce n 'est pas
l'unique constituante de son id entité qui mérite une attenti on particu lière. Dans le champ d e
la politi que américaine ainsi que dans le champ des étud es sur les identités politiques, la
présence d 'Obama à la présid ence met en lumière l'absence de neutralité de l'i nstituti on en ce
qui a trait aux identités qui la constituent. En effet, l' une des parti cul ari tés entourant les
élections de 2008 se situe au niveau de l' utilisation di scursive d 'Obama pour mettre en ava nt
pl an sa diffé rence raciale, tout en gardant invis ible d' autres facettes de son identité.
Questionner ce choix politique au lend emain des dernières élections prés id entielles nous
sembl ait nécessa ire pour l'enri chi ssement de notre champ d 'étud es et pour la compréhens ion
du phénomène po litique que représente l'électi on du premi er présid ent Afro-A mé ri cain des
'
États-Unis. De plus, nous croyons qu e la prés idence est l' un des symbo les fmts de la
reproduction nationale. En ce sens, elle est le porte-étendard des différents systèmes qu i
traversent la société amér icai ne puisqu 'ell e est invest ie de rappotis de pouvo ir. Par
'
conséq uent, s' in téresser aux discours d'Obama 1 en ce qui a trait à son identité raciale, c'est
également s'intéresser à ces autres composantes identitaires qui fure nt invisibilisées au se in
des quatre discours qu i composent notre étude de cas. À ce titre, il nous semb le légitime de
nous interroger sur l'uti lisation discursive d' Obama pour traiter de son identité publique, et
ce, à travers l'étude de ses propos politiques et biographiques.

1
Notre étude de cas sera composée de quatre discours : Le discours de Philadelphie : The More Perfect
Union, le discours de la victoire d'Obama le soir de son élection (The Victory Speech), ainsi que ses
deux autobiographies : Les rêves de mon père et L'audace d'espérer: un nouveau rêve américain.
2

Par aill eurs, répondre à cette question nécessite qu e l' on remette en · contexte les
élections prés identi elles d e 2008 . En effet, si Obama fut le premier Afro-américain de
l' hi sto ire à remporter les primaires démocrates, son ascension au sein du parti est auss i
inusitée qu e celle de la candidate qu ' il affrontera durant ces mêmes primaires : Hi llary
Clinton. 2008 fut donc une année électorale sans précédent aux États-Uni s puisqu e l'on a pu
assister à la fois à l'éclatement des barrières identitaires normalement en vigueur pour
atteindre l' institution prés identiell e et à la victoire d' un noir à la présidence. Par conséquent,
les élections américaines de 2008 peuvent être considérées comme étant maj eures pour
l' hi stoire nati onale des États-Uni s2 . En effet, le choix des parti sans démocrates en juin était
fo rt différent de ceux des années précédentes : les électeurs devaient voter soit pour une
femm e blanche, soit pour un homme noir. Bien que nou's connaissons désormais les résultats
de ces primaires ainsi que ceux 'de la présidentielle, il reste néanmoins nécessaire de
s' intéresser d ' un peu plus près à la conj oncture de 2008 .

La campagne électorale américaine de 2008, comme nou s venons de le souli gner, se


démarque des campagnes électorales précédentes notamment par le contexte économiqu e et
politique du pays, ma is également par les enj eux identitaires qu ' elle soulève. En ce sens, bien
que nous aurions pu consacrer un chapitre uniquem ent à la description du contexte électora l
de 2008, nous avons fait le choix de n' en tracer que sommairement les grand es lignes, car ce
sont l' utili sati on des identités qui nous intéressent pmiiculièrement et non les différents
débats soc iaux sur l' économie, la politique étrangère ou l'éducati on qui anim ent alors les
parti s démoc rate et répub licain . Prenant en compte le contexte dans lequel Obama a évo lué ,
nou s pensons qu e cette élection se distingue des autres par troi s éléments influents. D ' abord ,
Obama était le premi er homme noir à faire parti e des favoris dans la course à la chefferi e
d' un des deux partis maj eurs aux États-Uni s. Ensuite, sa principale adversaire démocrate éta it
une fe mm e (ce qui était également une premi ère aux États-Uni s) . Enfi n, comme nous l'avons
menti onn é, le président répub li cain sortant (George W. Bush) ne jouissait pas d' une grande
popu larité, ce qu i était un désavantage pour l'adversaire républicain d'Obama en 2008 :John
McCain .

2
Valeria Sinclair-Chapman et Melanye Priee,« Black Politics: The 2008 Election, and the (lm)
Poss ibility of Race Transcend ence », PS: Political Science and Politics, vo1.4 1,octobre 2008 , p. 739.
3

L'élection du quarante-quatrième président des États-Unis se fait, de plus, dans un


contexte économique particulièrement difficile où la faiblesse historique du dollar américain
et la chute des prix de l'immobilier inquiètent les électeurs et-forcent les candidats à traiter
davantage d ' économie que lors de l' élection précédente 3 . Ainsi, les huit années sous la
présidence de Bush et son impopularité en fin de mandat, causée notamment par le contexte
économique du pays et les débats sur la guerre en Irak, ont orienté la campagne présidentiell e
4
d'Obama et forgé des types de discours distincts entre démocrates et républicains . Dès lors,
la course à la chefferie démocrate se fait à la fois sur le ton de la dénonciation de l'ère Bush,
mais également dans un contexte hors du commun où la femme d'un ex-président, qui porte
le nom de fami ll e de son mari , s'oppose à un Afro-Américain, relativement jeune, pour
concourir à la chefferie du parti. Ainsi, bien que notre analyse sur les stratégies électorales
d'Obama en ce qui a trait à ses identités multiples ne se fasse pas en comparaison avec les
stratégies identitaires utilisées par Clinton lors de la course à l'investiture démocrate, l'aspect
encore inusité de cette confrontation politique au regard des identités de la présidence mérite
quand même d'être sou levé en introduction. En effet, il est plus que probable qu e l' utili sation
que fait Obama de ses identités ait été influencée par ce contexte particulier et que ce
contexte fut l' objet d ' impératifs politiques importants pour ce dernier. Dès lors, il nous
semblait utile de présenter brièvement le contexte dans lequel il a évo lu é. C'est également
pourquoi, à quelques reprises dans le présent mémoire, ces identités issues d'un contexte
particu.lier (une femme blanche versus un homme noir) seront prises en considération dans
notre ana lyse. Par ai ll eurs, nous tenterons de dépasser l' analyse binaire et dichotomique que
sous-tend souvent ce contexte identitaire pour en dégager à la fois l' imbrication des identités
et leur complexité.

3
En effet, l'élection de 2004 qui opposait George W. Bush et John Keny portait davantage sur des
question s de sécurité nationale et sur la guene en Irak bien que l'économie était également un thème
très important, du moins selon Jean-Marc Lucas. 2008 . Élection américaine : le choix du contexte, le
choc des programmes, Conjoncture, vol. juillet 2008 , p.J.
4
Érin MacMUiny, Trois débats et une élections: débats à l 'occasion de l 'élection présidentielle
américaine de 2008 (Obama-McCain). JADT : 1Oth Intemational Conference on Statistical A nalys is of
Textual Data,2 0 10, p.766.
4

Il est également pertinent de rappeler qu 'Obama affronte le candidat républicain


blanc McCain pour la course à la présidence. Ce dernier, âgé de 72 ans (Obama en a alors 48)
se di ssoc ie d' Obama à de nombreux égards. McCain est notamment reconnu pour son
expérience patriotique marquée par son implication de combattant lors de la guerre du
Vietnam et sa scolarité acquise à l'école militaire. Sa carrière militaire se solde par son
élection à la Chambre des représentants en 1982 (Obama n'a alors que 22 ans), puis par son
élection comme sénateur de l'Arizona en 1986. Son expérience politique et sa fibre
patriotique font donc très rapidement partie de la « plus-value » de McCain, avec laquelle
Obama devra apprendre à jongler pour atteindre la présidence américaine. Par ailleurs,
comme nous l'avons exprimé précédemment, Bush ne bénéficie alors pas d' une popularité
notoire auprès de la population . Le parti républicain et McCain sont donc contraints par la
réputation de Bush et cela n'est pas particulièrement favorable au candidat républicain en
5
2008 .

Comme nous venons d 'en faire état, le contexte dans lequel Obam.a évolue permet
donc de comprendre en partie sa stratégie électorale. Les candidats qu'il affro nte orientent ses
actions et ses di scours, tout comme les conjonctures éconÇJmiques, politiques et soc iales qui
composent le paysage américain. En lien avec ces considérations, nou s dés irons nous
qu estionner dans la présente recherche sur l'usage explicite des id entités en contexte électoral.
Nous poserons donc la question suivante: dans quelle mesure l' institution présidentielle
américaine, et plus précisément la présidence d ' Obama, utiliseles identités genrées, sexuelles
et raci alisées en contexte électoral ? Nous avons divisé le mémoire en trois pa1ties di stinctes .
D'abord, au sein du premier chapitre, nous ferons une revue de la littérature pou r être en
mesure de problématiser notre recherche et de conceptualiser notre analyse à l'aid e d'un
oadre théorique. Ainsi, nous nous intéresseron s à la genèse de l' institution présidentielle et à
l' identité des Pères fondateurs de la Constitution américaine. Ce faisant, nous serons en
· mesure de rendre visib les les identités de la présidence, ce qui nous permettra également de
re lever la problématique préalable à notre analyse. En effet, comme notre revue de la
littérature en fera état, les identités de la présidence au se in des recherches universitaires ont

5
Jean-Marc Lucas, Élection américaine: le choix du contexte, le choc des programm es, Conjoncture,
ju ill et 2008, p.2.
5

hi storiqu ement été occultées, ce qui a eu pour effet indirect de rendre universelles ceJiaines
ident ités et d 'en occulter d 'autres. Pa1iant de cette idée, l' un des objecti fs de notre mémoire
sera de rendre vis ibl es les identités dominantes de la prés idence et de démontrer leur
interd épendance. Dès lors, le premier chapitre fera également usage de la littérature critique
pour mettre en exergue les effets d ' un tel universalisme identitaire, ce qui permettra
l'élargissement de notre compréhension de cette institution . En somme, ce chapitre sera
davantage de nature théoriqu e que les deux autres, oscillant entre notre revu e de littérature,
l'élaboration de notre cadre théorique et la présentation de notre postulat de base.

Ensu ite, l'analyse spéc ifique de notre étud e de cas, soit Barack Obama, sera l'obj et
de notre deuxième chapitre. Au sein de celui-ci seront analysées la projection de 1' identité
rac iale d 'Obama et la juxtapositi on de cette identité à l' idée du rêve am éricain . Nous
soutiendrons que cette identité a été .mise de l'avant et fut rendue visible au contraire de son
id ent ité genrée et de son id ent ité sexuelle. De plus, nous ferons l'analyse du caractère
implicite de ceJiains di scours sur la « race» en démontrant l'aspect plus politique de cette
id entité en comparaison aux deux autres.

Enfin , le troisième chapitre s' intéressera à ses deux identités invisibilisées au sein des
di scours et des autobi ographies, c'est-à-dire le genre et l'orientation sexuell e. Nous
souti endrons, au sein de ce derni er chapitre, que le genre et l'orientati on sexuelle sont l'o bjet
de di scours natu ralisants et biologisants qui favori sent la cristallisation des rapports soc iaux
au contraire des di scours tenu s par Obama sur la« race ».

Notre mémoire nous perm ettra ainsi de soutenir la thèse qu 'en mettant de l'avant son
id entité rac ialisée et en la juxtaposant à l' id ée du rêve américain (Yes we can ), Obama a,
consc iemment ou non, ré itéré l' impo1iance des identités « dominantes» de la prési dence
américaine (homme, hétérosexuel) et, du même coup, dépo litisé les enj eux raciaux aux États-
Unis.
6

CHAPITRE I

L'INSTITUTION PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE D 'HIER À AUJOURD ' HUI

La présidence américaine est l'objet d' une fascination qui transcende largement les
frontières de nos voisins du sud. Depuis sa création jusqu'à aujourd'hui, les romans, film s,
conférences et études scientifiques ne cessent de s'en insp irer que ce so it pour construire
l' im aginaire collectif ou pour créer du savoir. Or, s'intéresser aux transformations identita ires
qu'a provoquées la présence d' Obama à ce haut poste décisionn el nécess ite que l'on trace les
grand es li gnes du savo ir uni versitaire portant sur l'instituti on présidentielle améri caine.
Avant de présenter brièvement les approches marqu antes du champ d'études sur la
prés idence ainsi que leur positionnement sur les identités de celle-ci, il impOlie de
comprendre en quoi cette création du savoir sur l'i nstitution présidentielle fut nécessaire à la
reproduction des id entités constituantes de l'institution. Ainsi, dans un premi er temps, nous
présenterons les qu atre approches théoriques principales des études sur la présidence
américa ine. Nous sou li gnerons notam ment l'androcentrisme de celles-ci et illustrerons
comment cette institution, forte de par sa symboliqu e, participe à la reconduction des
identités dominantes. Dans un deuxième temps, nous tenterons de démontrer comment le s
identités de la présidence s' inscrivent dans l' histoire nationale des États-Un is et comment
elles sont jusqu'à présent restées ém inemment statiques. Dans un troisième et dernier temps,
nous proposerons un mode d'analyse alternatif pour répondre à notre qu estion de recherche et
démontrer que le genre, la «race» et l'orientation sexuell e de la présidence transcendent
l' individu qui occupe la fo nction .
7

1.1 Les approches class iques de la prés id ence américaine

Pour aborder les enjeux identitaires liés à 1' institution présidentiell e américain e et
po ur fa ire une analyse soutenu e des identités «performées» par Obama lors de la campagne
électorale de 2008, il faut d'abord s'outiller scientifiquem ent. Pour ce fair~, il sembl ait
nécessaire de s' intéresser aux approches dominantes dans Je champ des étud es sur la politiqu e
américain e. Par ailleurs, si ce savo ir s'avère fmi utile pour notre compréhension générale de
l' institution, nous avons relevé plusieurs limites à même de nous aid er à analyser les ident ités
de la présidence: notamment celle de l'absence de propos explicites sur les identités. Nous
en som mes donc venu s à nous questionner: comm ent peut-on expliquer qu ' un si grand intérêt
scienti fi que pour la prés idence, son histoire, ses pouvo irs et sa symbolique s'accompagne
d' un e inv isibili sation des enj eux id entitaires de la présidence au sein de la littérature?
Répondre à cette qu estion nécess ite que nous fassio ns état des grandes approches au sein de
la littérature sur la prés idence et sur le charisme présidenti el, et ce, pour cerner les pr incipaux
intérêts de ces approches et leur impact sur la reprodu cti on des identités dominantes.

Se lon l' anthologie de Ceaser et Drew, il existe dans le champ des étuqes sur la
prés idence qu atre cadres théoriques prédom inants: l'approche fo nctionn ali ste, 1'approche
réaliste, l'approche hi storiqu e et l' a pproche «opini on publique et médi as de masse 6 ». Ces
qu atre cad res ont enri chi Je savo ir sur l' instituti on présid entiell e et méritent ainsi qu e l'on s'y
attarde. Il sera ainsi poss ibl e de tracer les contours des apports respectifs de ces cad res
théori ques pour ultimement mettre en lumière f' absence de ce1iaines thématiqu es et la
nécess ité, avec l'élection d 'Obama, d 'élargir le champ des études sur la prés id ence
américai ne.

6
James W . Cease et Rich ard Drew,« The Study of American Politics: A Bibliographie Survey », En
ligne, Civi c Initiative, http://www.civicinitiative.com/Ceaser%20USG%20essaybiblio3 .pdf , consultée
le 18 janvier 201 O.
8

7
1. 1.1 L'approche fonctionna li ste ; « Why rather than what or how ».

L'approche fonctionnaliste, dont les auteurs les plus éminents- sont Clinton Rossiter
et Edward S. Corwin, tente de comprendre pourquoi le président adopte différentes attitudes
selon les contraintes et les évènements. Contrairement à l'approche réaliste, dont nous
présenterons les auteurs principaux dans la partie suivante, l'approche fo ncti onnali ste ne
cherche pas à illustrer co mment s'y prend le président pour atteindre tel ou tel objectif. Elle
8
vise plutôt à décrire pourquoi il agit de telle façon dans Je cadre de ses fonctions . En ce sens,
l'approche fonctionnaliste est piutôt descriptive puisqu 'elle a pour objet principal les grandes
li gnes de la fonction présidentielle . Elle fait donc 1'analyse de la présidence en amont
s' intéressant particulièrement à ses pouvoirs. Alors que, comme nous le verrons plus loin,
l'approche réa li ste s' intéresse aux mêmes fonctions en aval, s' intéressant davantage aux
sources d'influences et causes des diffé rentes prises de décisions.

Cet angle d' analyse, qui se matérialise en premier lieu dans l'ouvrage de Clinton
· Ross iter intitulé «The American Presidency» à la fin des années 1950, est certainement l' une
des plus anciennes approches dans. le champ des études sur la présidence. Rossiter s'est
su tiout intéressé aux pouvo irs des prés idents depuis la création de l' institution jusqu'à la
parution de son li vre ( 1960). Il est 1' un des prem iers auteurs à consacrer un ouvrage enti er à
la présidence américai ne et à fai re 1' analyse hi storique du processus décisionne l qui entoure
cette fo ncti on. Le politologue s' intéresse notamment à la manière dont les Pères fondateurs
ont conçus l' inst itution présidentielle au dépati. À titre d'exemple, Rossiter rappelle que
l' une des décisions des Pères fondateurs concerne l'i nd épendance du pouvoir exécutif par
rapport au pouvoir législatif. À cet effet, selon Rossiter, l'une des huit règles (la deuxième
règle) qui dictent ce que représente la présidence américaine est l' idée que le pouvoir exécutif
sera incarn é par un seul individu : « The executive will consist of one man, a president of the
United States 9 ». Dans ce même ouvrage, Rossiter fait également l'analyse des limites du

7
Gregory M. Herek, «Can Functions Be Measured? A New Perspective on the Functional Approach to
Attitudes», Social Psycho/ogy Quarter/y, vol. 50, no 4, décembre 1987, p.287.

8
Idem.
9
Clinton Rossi ter, The Presidency in History, New-York, New-York Harcourt, Brace Ann World,
1960, p.72.
9

pouvoir présidentiel et étab lit un palmarès des « meilleurs » et des «pires » présidents de
l'histoire. Enfin, l' auteur aborde brièvement les dimensions identitaires de · l'instituti on
présidentielle. II affirme : «A man who aspired ta the American -Fresidency must be
according ta unwritten law, a man, white and Christian, he ought ta be a self made-man and
he cannat be according ta unwritten law: a Negro, a woman, a jreak10 ». Rossityr fa it donc
état des traits identitaires auxquels un individu doit (ou ne doit pas) correspondre s ' il espère
accé~er à la présidence. Il tente dans The American Presidency de présenter les diverses
facettes de la présidence américaine et d ' en décrire les composantes de manière globale.

À l' instar de Rossiter et Corwin, autre auteur important de l' approche fonctionnaliste,
s' intéresse surtout à 1'atiicle II de la Constitution américaine. Dans son livre The American
Presidency, Corwin procède à une description des pouvoirs présidentiels et du partage des
pouvoirs entre la présidence, le Sénat et le Congrès américain . Il mentionne notamment que
le président est le commandant en chef de l'armée américaine et de la marine et qu'il est le
seu l à pouvo ir pardonner des offei1ses fa ites à la nation américaine. Or, malgré ses pouvoirs,
ce lui-ci a besoin d ' argent pour accomplir efficacement ses fonction s et c'est au Congrès
qu'appartient la décision d' approuver ou non ce1iaines dépenses. En somme, comme le
mentionne COI-win, la fonction présidentielle représente le déchirement entre deux visions
comp lètement différentes de la présidence : l' une qui la considère comme autonome et
indépendante et l' autre qui conço it ce poste comme le prolongement du pouvoir législatif.
Pour C01·win , la présidence est finalement le résultat d ' un compromis entre ces visions
opposées qui animaient les Pères fondateurs lors de la rédaction de l' miic le II de la
11
Constitution américaine • Selon le politologue, le « compromis » qui émane dès la genèse de
l' institution est problématique puisque le président et le Congrès sont en tension perpétuelle,
notamment sur les questi ons budgétaires. Corwin propose donc, à la toute fin de ·son ouvrage ,
une présidence plus institutionnalisée, offrant moins de latitude à l' homme derrière la
fonction . En ce sens, cette institutionnali sation perm ettrait de ne plus s'en remettre au
pouvoir d' influence du seul président face au Congrès, mais engendrerait des règles claires et
préétablies déterminant les champs des compétences respectifs du Congrès et de la

10
Ibid. ,p.l 94.
11
Edward S.Corwin, The President: Office and PowerS:" 1787-1 984, New York: New-York
University Press, 1984; p.354.
10

présidence. Ce la perm ettrait une me illeure cohabitation entre le Congrès et le président et


év iterait ainsi que la personnalité de l' homme derrière la fonction n 'affecte trop
profondément l'institution présidentielle en elle-même. C ' est ce qtt ' il nomme « the
2
institutionnalized presidenc/ ».

Ces deux auteurs, qui sont parmi les plus importants de l' approche fonctionnaliste,
tentent donc de comprendre comment fonctionne la présidence américaine et quel portrait on
peut en faire à l' heure actuelle. Pour y parvenir, les deux politologues se sont intéressés à la
genèse de la présidence et ont trouvé des réponses à l'intérieur même de la Constitution
américaine. C' est notamment à travers l' histoire que la présidence est abordée, discutée et
analysée.

1.1.2 L'approche réaliste

L ' approche réaliste, en opposition à l' approche fonctionnaliste, s' intéresse plutôt aux
instruments du pouvoir présidentiel et aux différents leviers dont le président disposent pour
atteindre ses buts. Les tenants de cette approche tentent de comprendre comment s'organisent
les pouvoirs de la présidence et la place qu ' ils occupent dans le système politique américain.

L'un des principaux tenants de cette approche est Richard Neustadt, politologue et
auteur de nombreux ouvrages sur la présidence. Dans son plus célèbre ouvrage, « Les
pouvoirs de la Maison-Blanche », Neustadt s'affaire à décrire les différentes facettes du
pouvoir présidentiel, notam ment dans sa relation avec le Congrès, mais également dan s sa
relation avec les hauts fo nctionn aires et les électeurs. Pour Neustadt, le plus grand défi d' un
président rés id e dan s sa capacité de négociation avec le Congrès. Il rappelle que puisque le
Congrès et le prés ident ne dépendent pas du même groupe d'électeurs, cela influence les
13
. intérêts de chacun et rend difficile la négociation . Pour le politologue, « la tâche de
persuasion d ' un prés ident est, par essence, de convaincre un tel homme que ce que la

12
lbid.,p.359.
13
Richard Neustadt, Men in Office, New-York, Free Press, l991, p.l 35 .
11

14
Maison-Blanche attend de lui coïncide avec son propre intérêt et sa propre autorité. » Les
ressources dont dispose le président relèvent donc de la fonction et non de la personne
occupant la fonction. En effet, Neustadt avance l'idée que c'est le prestige-populaire rattaché
à la fonction qui donne au président un aussi impmiant pouvoir de persuasion. Bien que le
politologue nuance ses propos en affirmant que la personnalité du président en place puisse
soit amoindrir soit amp lifier le prestige qu 'on accorde au président, c'est sur la symboliqu e
de la fonction que Neustadt base smiout son analyse. Ainsi, un problème peut non seulement
s'appréhender, mais également se résoudre de manière similaire, indépendamment du
président. Cela semble particulièrement évident au sein du chapitre « Le prestige populaire »,
car pour Neustadt le prestige est la ressource la plus impo1iante du président, mais cela est
rattaché à sa fonction , non à l'homme qui l'incarne: « L'image de la fonction et non l'image
de l'homme, tel est le facteur dynamique du prestige présidentiel. 15 ». Cette conception du
prestige présidentiel est certainement l'une des plus citées dans le domaine de l 'American
Politics. Il semble donc impmiant que l'on souligne cet apport conceptuel, puisqu'il sera
largement remis en question par des auteur(e)s critiques de la présidence. Nous aborderons
cette critique dans le présent mémoire.

1.1.3 L 'approche historique

Une autre approche impmiante des · classiques qlll étudient la présidence est
l'approche historique. L'approche historique fait 1'analyse du développement de la
présidence, partant de sa genèse et analysant les changements qui ont eu cours depui s sa
création. Pour les tenants de l' approche historique, la modification de certaines composantes
de la présidence permet d'anticiper les décisions du président selon les circonstances. En
effet, l'analyse historique de l'institution permet de conclure que l' histoire de la présidence
est cyclique et caractérisée par plusieurs récurrences. C'est du moins ce qu'affirme Milkis

14
Idem.
15
Richard Neustadt, Presidential Power and the Modern Presidents, New-York, Free Press, 1991,
p.219.
12

16
dans son livre The American Presidency: Origins and Development 1776-200 7 . Pour
l'auteur, l' une des transfonn ation s les plus impmiantes de la prés id ence est qu e la populàtion
s' intéresse aujourd 'hui davantage à l' homme qui occupe cette fonction qu 'au pmii politique
qu ' il représente. A insi, il fut poss ible à travers l' histoire de la présid ence de constater un
changement au niveau des stratégies électorales des présidents, ce qui eut comme principale
conséquence de rendre plus difficil e encore la relation entre le présid ent et le Congrès. En
effet, selon Mil kis, les courses présid enti elles sont désormais moins représentative du pa1ii et
davantage axées sur le candidat. En ce sen,s, les négociations au Congrès, même si le pmii du
président est maj oritaire, dev ient de plus en plus ardues pour le chef d 'État. M ilkis s'oppose
ainsi à la thèse principale de Neustadt en accord ant une impmiance première à l' individu
derri ère la fo ncti on.

1.1.4 L'approche« opinion publ iqu e et medias de masses»

La dernière approche classique d ' impm:tance s' intéresse à l' impact de l'opini on
publique · sur l' instituti on présidentiell e. Trois auteurs maj eurs ont contribu é à son
développement: Jeffrey Tu lis, Joseph A. Pika et John Antony Maltese.

Dans son ouvrage The Rhetorical Presidency, Jeffrey Tulis . s' intéresse à la
transformation des médi as en institution autonome ainsi qu 'à la nécessité des prés id ents
d 'aj uster leur rhétoriqu e et leurs stratégies de communicati on pour répondre à l'évolution du
paysage médi atiqu e. Il affi rme qu e la rhétoriqu e est liée au talent de l' homme qui incarne le
rô le de prés ident et que la plupart des prés idents possèdent d'emb lée ce talent. Il affirme
également que le discours joue un rôle central dans la politique présidentielle. Il dit
notamment : « ft is increasingly the case that presidential speeches themselves have become
the issues and events of modern politics rather than the medium through which issues and

16
Sydn ey Milkis, The American Presidency : Origins and Development 1776-200 7, CQ Press, 2008,
pA80 .
13

events are discussed and assessed17 ». Pour Tulis, s'intéresser à la présidence, c'est d'abord
s' intéresser à son rapport avec le public, à son image et à la portée des discours.

À l'instar de Tulis, Pika et Maltese conçoivent la présidence comme une institution


largement influencée par l'opinion publique. Ils estiment que le président doit constamment
soigner son image pour répondre aux attentes des citoyens américains. Dans The Politics of
Presidenc/ 8, les deux auteurs tentent de comprendre la relation qui existe entre l'expérience
d' un président, ses traits psychologiques et son talent. Ils affirment qu ' il y a un lien causal
entre la performance d' un président et ses qualités personnelles. Pour les tenants de cett
approche, étudier la présidence, c'est aussi étudier l' homme qui occupe cette fonction.

Enfin, si les approches classiques sur la fonction présidentielle pennettent de


comprendre comment s'a1iicule le pouvoir présidentiel selon différents angles, nous croyons
important de ne pas limiter notre présentation des classiques seulement à ce champ d'études.
En effet, si la littérature classique nous permet de comprendre l' institution qu 'est la
présidence américaine, nous pensons qu ' il est important de souligner l'app01i de certains
aute:urs sur les connaissances que nous avons des campagnes présidentielles ainsi que sur. le
charisme présidentiel. E n effet, notre analyse d'Obama se situe dans un espace temps précis,'
so it celui de la campagne électorale de 2008 .-Nous pensons que cette campagne est Je polie-
étend ard de symbolique fo1ie en ce qui a trait aux enjeux identitaires puisque cette dernière
consiste à faire la promotion aussi bien des idées du pmii que du candidat en lui-même. Ainsi,
comme le souli gne Toinet : « ( ... )il s'agit moins de convaincre l' électorat que de fournir à la
presse belles images et formules à l'emp01ie-pièce ( ... )À l' heure actuelle, on estime que les
candid ats présidentiels utilisent plus de la moitié de l'allocation publique dont ils disposent
n fi ais médi atique , dont 60 % pour la seule télévision 19 ». Par conséquent, si nous croyons
que les propos du candidat impo!ient en cam pagne électorale, nous abondons dans le même
sens que Toinet en ce qui concerne l' imp01iance de l' image publique que se forgera le
candidat en campagne électorale. Gagnon et Prémont affirm ent d'ailleurs que« Le président

17
Jeffl"ey Tu lis, « Dilemm as of Governance », Chap. in The Rhetorical Presidency, Princeton,
Princeton Uni versity Press, 1987, p.l79.
18
Joseph A. Pika et John Antony Maltese, «The Pres ident and the Public». Chap. in The Politics of the
Presidency, p. l-35, Was hington, Congress ional Quarterly Press. 201 O.
19
Marie-France Toi net, « Être élu ». Chap. in La présidence américaine, Collection clefs, Paris,
Montchresti on, Paris, 199 1, p.23.
14

est le politicien qui fait l'objet de la plus grande attention populaire aux États-Unis( ... ) Les
Américains sont donc socia li sés et formés à concevoir la présidence comme le cœur du
système politique américain 20 ». En ce sens, les campagnes électorales présidentielles
permettent de mettre au jeu l'imp01iance de l'opinion publique, non seu lement face à
l'institution présidentielle, mais également face à celui qui incarnera l' institution. À cet effet,
Gagnon et Prémont en viennent à dire que les campagnes électorales sont des préoccupations
21
permanentes pour le président, même en dehors des périodes prescrites . Ainsi, s'intéresser à
l'institution présidentielle et à ses constituantes identitaires en période de campagne
électorale représente un moment clé pour notre analyse. Certes, le président est toujours
soucieux de son image, mais c'est en période de campagne électorale que celle-ci se définit et
se peaufine auprès de l'opinion publique. C'est lors de cette période que l' image du président
se cristallise pour nombre d'électeurs.

Toutefois, comme le sou li gne Nelson Polsby et Aaron Wildavsky faire une
campagne électorale s' est également se doter de ressources financières suffisantes pour
22
pouvoir promouvoir cette image . La proximité et la facilité d'obtenir ces ressources
essentielles pour la promotion de l'image change que l' on se présente candidat à l' investiture
du pa1ii ou que l'on soit dans la course à la présidence. La première course laissant le
candidat seul avec ses démarches de recherche de capital tandis que la deuxième offre aux
23
deux candidats potentiels pour gagner la présidence nombre de ressources financière s . Ces
ressources financières sont importantes pour contrô ler l' information sur le candidat
potentielle et acheter de l'espace médiatique. Comme le sou li gne John Hmi, l' image publique
d ' un candidat et ultimement d' un président sont des préoccupations constantes puisqu'elle
24
oriente les choix électoraux des citoyens américains .

2
°Fréderick Gagnon et Karine Prémont, «Le président et l' opinion publique ». Chap. in La présidence
des Etats-Unis, sous la dir. de Élizabeth Vallet Enjeux Contemporains, Sainte-Foy, Presse de
1'Université du Québec, 2005, p.241.
21
ldem.
22
Nelson Polsby et Aaron Wildavsky. 2004. « Rules and ressources », in Presidential Elections :
Strategies ans Structures ofAmerican Politics, Il e ed. Lanham : Rowman & Littlefield, p.53
23
Idem.
24
John Hart. 2003, « The Presidency », in Robert Singh, Governing America: The Politics of a Divided
Democracy, Oxford University Press, New York, USA, p.184
15

E n so i, la littérature sur les campagnes électorales est diversifiée. Ell e s' intéresse au
resso urces et capitaux nécessai res pour atte indre la foncti on présidentielle, e lle s' intéresse
également aux intenti ons de vote des électeurs (pourqu oi tel État est-il historiquement
démocrate ou répùblicain 25 ), e lle tente de comprendre les rouages des campagnes électora les
et les déterminants d ' une campagne qui se sold e par un succès et de celle qui se solde par un

échec.

Ainsi, bi en que notre problé matique prenne ses assises sur les approches classiques
de l' institution présidenti ell e, il est important de souligner l'apport de la littérature sur
l' image prés identielle en campagne électora le. Cela permet d 'articuler les symboliqu es
id entitaires de la présidence avec l' institution. Cette littérature démontre ams1
l' interd épendance qui existe entre l'opini on publique, l' homme qui incarne la fo ncti on et la
fo nction en elle-même.

Comme nous venons de le mettre en lumi ère, les études sur . la présidence sont
animées par différentes perspectives et cadres d'ana lyses. Dans le cas des recherches
pos itivistes 26 , il existe en effet quatre approches imp011antes en dehors des études sur les
campagnes prés identie ll es: l'approche fo nctionna liste, l'approche réaliste, l'approche
hi storiqu e et l'approche opini on publiqu e et médias de masses. Ces approches sont utiles
pour comprendre le fo nctionnement de l' institution présidentiell e, les responsabilités qui en
découl ent, le partage des pouvoirs entre cette instituti on et le Congrès, l' hi stoire de la
présid ence et le processus de prise de décision liée à cette fo nction. Or, bien que ces
approches soient intéressants pour les étud es sur la présidence américa in e, leurs champs
d'intérêt sont re lativement loin des n ôtres . En effet, leurs angles d'analyses ne permettent pas
d répondre à la que ion qui nous anime et qu i guide notre analyse du cas spécifique qu ' est

25
Nelson Po lsby et Aaron Wi ldavsky, 2004, « Voters », in Presidential Elections : Strategies ans
Structures ofAmerican Politics, 11e ed. Lanham : Rowman & Littlefield, p.7-24.
26
Nous empruntons la définition d'une approche positiviste à Alex Macleod et Dan O'Meara, qui
écrivent qu'une approche pos itiviste fait une distinction nette entre le sujet et l'obj et d'une recherche et
considère que le monde social, tout comme le monde naturel, comporte des régularités que l'on peut
découvrir à travers les théories. Qui plus est, les positivistes estiment que la façon de déterm iner la
vérité d' une aftinnation passe par la référence aux faits. Lire Alex McLeod et Dan O'Meara, 2009
«Théories des relations internationales: contestations et resistances, 2e édition », Montréal, Édition
Athéna, p.21
16

Obama. Cela ne veut toutefo is pas dire que ces auteurs se sont désintéressés des enjeux
identitaires liés à la présidence. Au contraire, la prochaine sous-section présente le
positionnement des approches dominantes sur cette facette de l'étude de la préside1tc

1.1.5 Les classiques et l'identité de la présidence

Même si les auteurs classiques ne traitaient pas directement d'identité, à l'exception


de Rossiter, elles app01taient quand même, implicitement, une ce1taine vision de l'identité
présidentielle. Dans cette présente partie du chapitre, nous allons présenter les différentes
idées que soulèvent les auteurs classiques en ce qui a trait aux identités présidentielles.

D 'entrée de jeu, il convient de noter que notre définition de 1'identité est celle de
Mary Douglas, qui écrit ceci : «La constitution d'une identité est une activité de polarisation
27
et d'exclusion . Elle implique de tracer des frontières ce qui est très différent de mesurer ».
En ce sens, une identité se construit toujours en opposition à une autre identité ou en relation
avec celle-ci. L ' identité n' est donc pas indépendante des différents systèmes d'interprétation
qu 'on lui assigne et son existence même sous-entend des axes d'exclusions identitaires qui à
la fois consolident et confrontent sa propre définition. Dès lors, il est intéressant de mettre en
exergue la vision de l'identité retrouvée dans les travaux des théoriciens classiques de la
présidence pour, ensuite, la comparer à la vision qu'ont les auteurs critiques de l' identité . Les
approches critiques ayant · comme visée d ' accorder une importance aux identités
traditionnellement exclues de la production du savoir scientifique.

Comm nou l'a on ou lign' plus haut, l'approche fon tionnali te telle que
développée par COI-win n'accorde pas une grande imp01tance à l' identité. Néanmoins,
Corwin rappelle qu ' il est ob ligatoire d'être né aux États-Unis et d'avoir atteint un certain âge
pour se présenter comme candidat28 . C01·win ajoute à cet égard que le premier président du
pays né sous le drapeau amér icain fut Ma1tin Van Buren, le 8° président du pays. Avant Van

27
Mary Douglas, «C'est l' institution qui décrète l' identité», Chap. in Comment penser les
institutions?, Paris, La Découverte, 1999, p .95 .
28
Edward S,Corwin , « Résumé». Chap. in The President: Office and Powers: 1787-1 984,New York:
New-York Uni versity Press, l 984, p.3 8
17

Buren, tous les présidents ont vu le j our sous le drapeau britannique29 . Ainsi, il affirme que si
la Grande-Bretagne laissa en héritage aux Américains une peur collective de la monarchie,
elle légua également une part de sa culture. Pour C01-win le désir de se constituer en système
politique indépendant et différent des Britanniques touche strictement aux structures
décisionnelles et à la nature des institutions politiques aux États-Unis. En ce sens, la création
de la présidence par les Pères fondateurs est motivée par le désir d' un système non-
monarchique et fonctionnel. La thèse de Michael Kimmel montrera l'aspect problématique de
cette vision restreinte de l' héritage des Britanniques un ' peu plus loin dans le chapitre (voir
section 1.2.1). Par ailleurs, lorsque Corwin s'intéresse aux identités constituantes de
l'institution présidentielle, il le fait à travers l'historique du processus décisionnel qui entoure
la Constitution et, ultimement, la création de l' institution présidentielle américaine, sans
toutefois mettre en lumière les violences qu'ont créées certaines normes identitaires.

Toujours au sem des th éories classiques, il importe de souligner la vision qu 'a


Rossiter des facteurs identitaires liés à la présidence. À la différence de Corwin, Rossiter
aborde de manières différentes les traits identitaires de la présidence. Il affirme que
l' institution présidentielle est basée sur huit décisions des Pères fondateurs dont la première
est textuellement celle-ci : « The executive power will consist of one man, a President of the
United States 30 ». Il ajoutera qu elques pages plus loin (voir secti on 1.1.1) que seul un homme
blanc de religion chrétienne peut aspirer à occuper ce genre de fonction.

Rossiter expose ainsi les identités qu ' il faut posséder pour accéder à la présidence et
celles qui sont historiquement exclues pour occuper un tel poste. Ce qui le rattache à Corwin
cependant, outre son intérêt pour la présidence et ses pouvoirs, est l'épistémologie31• En effèt,
Rossiter, tout comm 1 s t nants d s différentes approches clas igues, présente « les faits te ls
qu'ils sont », sans opinion explicite ou commentaire, simplement une description minutieuse
de l' hi stoire de la présidence avec ses évènements et ses contradictions. Dès lors, cette v ision

29
Idem.
3
°C linton Rossiter,· «The Presidency in History », Chap. in. The American Presidency, Co il. Harvest
book, New-York, New-York Harcourt, Brace Ann World, 1960, p. 73 . '
31
L'épistémologie est la façon de concevoir l'acquisition de la connaissance. Lire Alex McLeod et Dan
O'meara. 2007. Théories des relations internationales: contestations et resistances, 2e édition,
Montréal. Édition Athéna, p.J.
18

commune de la science tire ses racines de l'épistémologie positiviste. En effet, les différents
auteurs classiques étudient la présidence avec une approche objet/sujet, c' est-à-dire qui fait
une distinction nette entre faits et valeurs, donc entre le chercheur et l'objet de recherche. En
ce sens, bien que les auteurs classiques sur la présidence s'intéressent à divers enjeux
entourant ce poste gouvernemental, les racines épistémologiques de leurs recherches
permettent uniquement de problématiser les questions identitaires touchant la présidence et
non de réfléchir aux conséquences des normes de l'institution en ce qui a trait aux différents
enjeux identitaires. De plus, leurs écrits sur les identités de la présidence sont influencés par
leur propres présuppositions, ce qui ne leur pennet par d'imaginer un noir, une femme ou un
homosexuel dans ce type de fonction.

1.2. L'histoire de la présidence américaine : l'héritage de la Constitution et des Pères


fondateurs à la nation américaine

Dans cette section du chapitre, nous permettrons un dialogue entre les théoriciens
classiques et critiques de la présidence américaine, et ce, pour illustrer les di stinctions qui
existent entre les visions de ces approches et les enjeux identitaires. Avant toute chose, nous
aimerions postuler, en opposition aux théories classiques que nous venons de présenter,
l'absence de neutralité de ladite institution . Cela nous permettra de mettre en exergue les
propos critiques sur les enjeux identitaires pour ensuite problématiser notre recherche à la
fo is sur l'i nstitution prés identielle et sur le cas de Barack Obama.

1.2.1. L'institution présidentielle n 'est pas neutre

32
Pour postuler l' absence de neutralité de l' institution présidentielle américaine, il
impolie, avant toute chose, de définir le concept d'institution. Nous empruntons ici la
définition de François Bastien et ses collègues : «les institutions, quelles qu'elles soient

32
L'absence de neutralité de l'institution présidentielle est postulé par Achin et al. dans l' article
Catherine Archin, Juliette Rennes et Elsa Dorlin. 2008. « Capital corporel identitaire et institutions
présidenti elle: réfl exions sur les processus d'incarnation s des rôles politiques». Raisons politiques,
no 3. Ce ll es-ci défendent la thèse que l' institution présidentielle est investie de rapports de pouvoir et
qu 'en ce sens, ell e ne fait pas office de neutra lité.
19

(ég li se, armée, famille , parlement . . . ) sont appréhendées comme un ensemble de pratiques, de
tâches particulières, de rites et de règles, mais aussi, indissociablement, comme l' ensemble
33
des croyances ou des représentations qui concernent ces pratiques ». Le concept
d' institution et plus spécifiquement celui d' institution présidentielle américaine dépasse ainsi
largement l' individu qui gouverne, mais concerne également les pratiques, tâches, règles et

croyances qui donnent un sens à l'institution présidentielle.

Par conséquent, on ne peut postuler qu ' il y a absence de neutralité au sem de


l' institution présidentielle sans revenir sur sa genèse, sans revenir au siècle des Pères
fondateurs, à la Constitution américaine et surtout aux identités dominantes qui ont marqué
celle-ci. Pour Kimmel , historien et féministe, le travail des Pères fondateurs n' est pas
exclusivement politique et juridique; il est également genré. En effet, si ces hommes de loi se
sont affairés à penser une Am érique indépendante en opposition au modèle britannique, il
faut également rappeler que les citoyens américains n'étaient, au départ, que des hommes
blancs. L'auteur affirme qu'avant l' adoption de la Constitution, trois types de masculinité se
dessinent en sol états-unien : le gentil patriarche (genteel patriach), 1'miisan héroïque (heroic
artisan) et l' homme d'affaire américaine (self-made man). Le premier, directement hérité de
l'Europe, conespond à la figure de l' homme aristocrate doté de bonnes manières, d' une
sensibilité raffinée et du sens de la morale et du devoir34 . Pour le « genteel patriarch », la
virilité s'appuie sur la propriété privée, l' autorité à la maison et l' éducation tran smise aux fils.
Le deuxième type de masculinité, the heroic artisan, tire également son origine d'Europe. Il
correspond à l' image de l'homme travaillant, honnête et indépendane 5 . À la ferme ou dans
son atelier, il travaille avec ses mains pendant de longues heures sans s'arrêter. La virilité de
1'heroic artisan se traduit smiout par ses manières brusques avec les femmes et par sa loyauté
envers ses pairs. Enfin , le troisi ème et dernier type de masculinité est celui du self-made man.
36
Le self-made man est l' homme d ' affaires am érica in . Il se démarque des nouveaux rich es
d'Europe par l' absence de lignée aristocratique dans sa famill e. Le self-made man a fait
fort une grâce à son sens des affaires et à son talent. Il ti re l'entièreté de sa viri lité de la sphère

33
Bastien François, Jacques Lagroye et Frédéric Sawicki, Sociologie politique, Dalloz, Paris, 2002,
p.J40 .
34
M ichael Kim mel, Manhood in America: A Cultural His tory, New-York, The Free Press, 1996, p. l 6.
35
Idem.
36
Jbid, p.l7.
20

publique (sphère exclusivement masculine) où sa valeur est déterminée en fonction de son


capital social et monétaire, ses déplacements fréquents, son désir d'accumulation, son amour
pour la compétition et son agressivité en affa ires.

Ce dernier représente une VISIOn de l' idéal américain puisqu'il est vu comme la
preuve du succès de la démocratie et du capitalisme américain . C'est cette identité, affirme
Kimmel , qui finira par s'imposer comme l' identité masculine dominante en Amérique et qui
illustrera les différences identitaires et 1' indépendance de 1'Amérique par rapp mi à 1'Europe.
Car, comme le souligne Kimmel, le système politique américain s'est construit en opposition
à celui de l'Europe. L'envie de rompre avec le mod èle aristocratique européen et le pouvoir
monarchique a guid é les discussions des Pères fondateurs et largement influencé l'écriture
d ' une Constitution basée sur le partage des pouvoirs et sur des valeurs démocratiques. De la
même manièi·e, les identités américaines ont pris une forme différente des identités
européennes, et ce, à commencer par 1' identité des hommes.

L'identité de l' homme typique américain, le self-made man, se construit en


opposition à l' identité des femmes, contraintes à se confiner à la sphère privée. Cette
situation force les femmes à se concentrer . sur leurs rôles de soutien, soit celui de mère et
d 'épouse, ce qui confère aux hommes un contrôle incontestable sur les affaires de la cité :
« Separate spheres allowed insecure men to feellike men, bath in the homosocial workplace
and when they returned to the ir homes 37 ». Le 19• siècle est donc caractérisé par le
renforcement de l'identité masculine dominante basée sur l'exclusion des femmes. Ainsi,
cette identité masculine domine aux États-Uni s et prend ses assises au cœur de l'histoire
nati onale qui elle, tire ses fondements de la Constitution.

Comme le souligne Kimmel, la construction de l' id ée du self-made man est


largement guidée par la crainte que l'Amérique ressemble à la Grande-Bretagne. Non
seulement le système politique américain est-i l conçu de telle manière à ce qu ' il y ait rupture
avec la monarchie britannique, mais la masculinité américaine se distingue également de la
masculinité britannique: « By contrast, British manhood and, by extension, aristocratie
extensions of manhood were denounced as feminized, lacking man/y resolve and virtue, and

31
l bid., p.S3.
- - - - - - - - - -- - - - - - - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ,

21

therefore, ru ling arbitraril/ 8 ». À 1'époque des Pères fondateurs, les aristocrates britanniques
étaient donc perçus comme féminins et moins viri ls que Je self-made man américain : « The
self-made man seemed to be born at the same time as his country. A man on the go, mad(;for
action, and the bustling scenes of moving !ife, and not the poetry or romance of existence.
Mobile, competitive, aggressive in business (. ..) the self-made man came to defeat the
aristocratie British39 ».

L'identité masculine dominante dans l' histoire des États-Un is est liée intimement à
l'institution présidentielle, dans la mesure où la création de cette institution était non
seulement déjà genrée, mais également et surtout exclusive à un genre précis. En effet, être
homme n'était pas suffisant pour pa11iciper à la création du système politique, il fallait
également être un homme self-made. À juste titre, les Pères fondateurs illustrent nos propos :
Thomas Jefferson possédait déjà au début de la vingtaine une importante f011une personnelle.
Pour sa part, Benjamin Franklin, peu de temps après avoir ouvert une imprimerie, gagne le
marché de l'impression de monnaie en Pennsylvanie, achète d'imp011antes boutiques dans la
région et devient imprimeur officiel de l'État. Ainsi, ceux que l'on appelle les Pères
fondateurs de l'Amérique pm1agent la même identité genrée (mais également racisée et
40
sexuée ).

La prise en compte des identités des signataires de la Constitution américaine pour


postuler l'absence de neutralité de l' institution présidentielle se fonde sur l'épistémologie
féministe qui soutient qu'une véritable objectivité implique que le positionnement politique
des auteurs so it conscient et explicite quant à leur caractère historiquement et soc ialement
41
situé • «L'objectivité est fondée sur une définition de la démocratie, réellement antisexiste et
antiraciste, considérant que le fo nctionnement routinier des écrits et de la science repose sur
un statu quo maintenu par un e élite, sur une matrice de privilèges, de classe, de genre et de

38
Jbid. , p.19.
39
Idem.
40
Une identité rac1see, genrée et sexuée renvoie aux différents processus qui participent de sa
construction identitaire en lien avec le genre, la race et la sexualité. Ces processus de construction des
identités seront respectivement présentés au sein du chapitre 2 et 3. La définition conceptuelle des
identités sera abordée aux pages 28 et suivantes du présent chapitre.
41
E lsa Dorlin, «Épistémologies féminis tes». Chap. in Sexe, genre et sexualité, Paris Coll.
«Ph ilosophes », 2008 , no 194, p.28.
22

« race » 42 ». Les féministes critiques tentent donc de subvertir les sources du savOir, non
seulement en dénonçant la prétention à l'objectivité, mais en se positionnant soi-même. C'est
43
ce que Donna Haraway appelle le savoir situé . Le savoir situé est donc un savoir qui prend
en compte le positionnement identitaire des gens qui publient, puisque les positions
idéologiques s'arriment avec les diverses expériences personnelles qui, elles, se juxtaposent
aux i·dentités individuelles et collectives. Reconnaître l'impact des identités sur ses écrits,
44
c'est, comme le mentionne Elsa Dorlin, «produire un savoir démocratique >>: Dès lors,
notre postulat de départ sur l'institution présidentielle, à savoir que celle-ci n'est pas neutre,
s'inspire de cette épistémologie du savoir et nous encourage à pousser encore un peu plus
loin notre analyse sur l' identité masculine.

À la lumière de cet app011 conceptuel, un dernier élément devient pertinent pour


valider notre postulat de départ. Ce dernier se situe au niveau des inspirations philosophiques
qui ont guidé la création de l'institution présidentielle. Dans l'ouvrage de référence de
Edmond Orban et Michel Fortmann Le système politique américain nous pouvons lire:
« John Locke a été politiquement le maître à penser des Américains. Ces derniers le lisaient
beaucoup et l'invoquaient souvent, que ce soit dans leur lutte contre le despotisme et la
. métropole, ou quand ils ont rédigé leur Constitution 45 ». Par ailleurs, si Locke influença
f011ement les Pères fondateurs , il demeure l' un des philosophes de l'époque des Lumières les
46
plus critiqués par les auteures féministes actuelles . Rappelons simplement, à titre d'exemple,
que Locke affiimait dans son célèbre« Traité du gouvernement civil » que l'assujettissement
des femmes aux hommes repose sur un fondement de nature, puisque « le mari est
47
naturellement plus fort et donc plus capable de régner sur celle-ci » . Rappelons également
qu ' à travers la réflexion de Locke sur le contrat social se trouve le concept d'individu-citoyen,
qui demeure exclusif aux hommes. Pour Locke, tout individu est libre de décider par lui-

42
1bid.,p.29 .
43
Donna Harawa, « Savoirs si tués : La question de la science dans le féminisme et le privilège de la
perspective partiell e », Chap. in Des singes, des cyborgs et des femmes : la réinvention de la nature,
Pari s, 1991, p.323 .
44
Elsa D01·lin, «Épistémologies féministes », Chap. in Sexe, genre et sexualité, Paris Coll.
«Philosophes », 2008 ,no 194, p.28.
45
Edmond Orban et Michel Fortmann, Système politique américain, Presse de l'université de Montréal,
2004, p.37.
46
Caro le Pateman dans son livre The Sexual Contract lui consacre 3 chapitres.
47
Locke John, Traité du gouvernement civil, Paris, Édi tion Flammarion, 1999, p.152.
23

même en toute conscience et d'exercer son propre jugement, et ce, dans toutes les sphères de
48
sa vie . Or, pour Carole Pateman, qui a fait une analyse féministe du contrat social, le
concept d'individu-citoyen de Locke est genré. L ' individu, au sein de la société civile, est
constitué sur la base de l'exclusion des femmes et reste donc éminemment exclusi:fl 9 . Si
Pateman met en lumière le caractère genré des propos de Locke, il est également pertinent de
noter que le concept de Locke est exclusif aux hommes de « race » blanche. Ainsi, il n'est
pas étonnant de constater qu 'à l'intérieur de la Constitution américaine, une pluralité
d' identités ait été occultée pour ne laisser place qu 'aux normes identitaires dominantes à
l'époque. Les articles de la Constitution concernant la création de i' institution présidentielle
ne pouvaient qu'en être fortement imprégnés.

En outre, si les Pères fondateurs , largement influencés par Locke, ont rédigé la
Constitution et donc défini les rôles présidentiels en invisibilisant leur savoir situé, leurs
identités n'en demeurent pas moins constituantes de leurs écrits et influent, encore à l' heure
actuelle, sur les identités de la présidence. À cet effet, de manière beaucoup plus actuelle, il
est possible de lire dans des ouvrages de référence sur l' institution présidentielle des phrases
comme celles-ci : «Comme le roi de l'ancienne monarchie absolue, le président américain
est un composite : il est politicien, il est administrateur public, il est chef politique, il est aussi
l' in carnation d' idéaux politiques, symbo le d' unité nation ale, le père protecteur et celui dont
50
souvent on voudrait qu'il fût le thaumaturge de la nation ». Comme le démontre cette
citation, la prés idence est fortement imprégnée du genre masculin . Ce n'est donc pas un
hasard s' il n'y a jamais eu, dan s l' hi stoire de la prés idence, une femm e, un homosexuel, un
sourd ou, avant aujourd'hui, un noir à ce poste. Certes, l'affi liation religieuse des présidents a
connu qu elques transformations au cours des ann ées, mai s c 'est l'un des seuls traits
identitaires de la présidence qui a connu des changements imp01iants dans l' histoire.

Il nou s apparaît ainsi évident que 1' instituti on présidentiel!~ n'est pas neutre elle a
hi storiq uement un genre, une sexualité et une «race» qui pèse fortement sur notre
compréhension et perception de l' institution, et les personnes qui se po1ient candidates pour

48
Locke John, A Letter Concerning Tolera/ion, Filiquari an Publi shing, LLC, 2007, p.22.
49
Pateman Caro le, The Sexual Contract, Polity, 1988, p.ll O.
5
°Claude Corbo, «Aux origines de l' institution présidentielle américaine». Chap. in La Présidence des
États-Unis, Montréal : Presses Université dù Québec, 2005 , p.30 1.
24

l'incarner. Postulant l'absence de neutralité de la présidence, nous avons démontré comment


les approches classiques sur celle-ci ne permettaient pas de faire une analyse approfondie des
bouleversements identitaires liés à l'aiTivée d ' Obama à la Maison-Blanche. À ce titre, il est-
donc nécessaire de pousser plus loin notre compréhension de l'institution grâce aux théories
critiques, qui , de par leur épistémologie et leur positionnement, offrent des pistes de
réflexions utiles pour notre analyse.

1. 3. Dialogue entre classiques et critiques : identités transcendantes ou institutionnalisées ?

1.3.1 La place du chercheur et son influence sur l' occultation des identités

Comme on l' a vu dans les pages précédentes, les auteurs classiques prennent
position, que ce soit implicitement ou explicitement dans leurs écrits, sur les traits
identitaires de l' institution présidentielle. Douglas a dit « Les institutions confèrent
l' identité 51 ». Néanmoins, la question se pose: est-il plus juste de dire que l' institution
détermine la définition de l'identité ou que les identités transcendent les institutions? Qu'en
est-il de l'institution présidentielle plus particulièrement? À l'instar de Douglas, Corwin et
Neu stadt ne répondent pas spécifiquement à cette question, mais offrent tout de même des
éléments de réponse implicites dans ce1tains a1ticles. À juste titre Neustadt affinne:

L'image de la fonction et non l' image de l'homme, tel est le facteur dynamique du
prestige présidentiel. L'impression produite par le personnage se forme tôt et dure
longtemps, mais les valeurs assi gnées par les hommes à ce qu'ils voient peuvent
s ' a 1terer
' assez rap1"dement52 .

Cette citation est éloquente à deux égards : d ' un e pa11, parce qu ' elle abonde dans le
même sens que les propos de Doug las, à savoir qu e l' institution décrète l' identité, que la
fonct ion et la personne qui l'occupe peuvent s'analyser de mani ère ind épend ante et qu ' en ce

51
Mary Douglas, «C'est l' institution qui décrète l' identité». Chap. in Comment penser les
institutions?, Paris, La Découverte, 1999, p.99.
52
Richard Neustad, Presidential Power and the Modern Presidents, New-York, Free Press, 1991 ,
p.2 19.
25

sens, l' individu derri ère la foncti on n'agit qu e de manière limitée. D ' autre part, parce que
Neustadt traite de l' homm e non pas comme une identité spécifique, mai s plutôt comm e
l' universel, comme une absence d' identité, une norme qu ' il est inutile de nommer. Cette
valorisati on des identités considérées comme universelles (homme, blanc, hétérosexuel ,
bourgeo is, etc.) se retrouve également dans l' œuvre de Corwin qui commence un chapitre de
son livre, intitulé The Apparatus of Presidency, de cette manière : « The office got off ta a
good star! under a very good man 53 ». A insi, notre lecture de Corwi n et Neustadt nous amène
à croire qu ' ils universali sent le masculin et qu ' ils naturali sent les normes qui sous-tendent
cette universalisati on. En ce sens, lorsque D ouglas dit : « Les soc iétés décrivent la réalité à
54
l'aid e de classificati ons dichotomiques qui refl ètent leur organi sati on dualiste », il sembl e
que cela soit vrai dans la vi sion institutionn ell e des politologues réali stes. En effet, si le
masculin est l' universel, il doit s'opposer à l'autre, le non universe l et cet autre, c'est
principalement ceux qui n 'ont pas accès à l' instituti on, ceux ou plutôt celles, qu 'on
invisibilise, car c'est dans« la nature des choses». A in si, lorsqu e Rossiter affirm e:

Let me conclude this brief survey as dramatically as 1 can, no power of the


presidency is more fateful and symbolic than ils power ta force al! thinking
Americans ta speculate constant/y abo_ut the identity of the next man ta occupy
it55.

Il dé montre clairement comment le masculin « man » n'est pas une id entité, ma is


plutôt le référent. A ins i, la liste exhaustive que fait Ross iter des identités qu ' il fa ut (ou qu ' il n e
faut pas) incarn er pour occuper le poste de président, tel que mentionné à la section 1.1.1 , n' est
pas une liste qu i remet en qu estion la ~orm e, mai s simpl ement un e li ste des identités qui
réitèrent la norme, qui l'essentiali sent et de ce fait même la j ustifi e. Dès lors, lorsqu e Rossiter et
T uli s tra ite nt de l' impotiance de l'article II de la Const itution, ou lorsqu 'i ls ana lysent la crainte
des Pères fo ndateurs de créer un système semblabl e à ce lui de l' Angleterre, non seul emen t
traitent-i ls uniquement du système po litique (démocratie/monarchie) en des tennes binaires et

53
Édouard Corwin, « The Apparatus of the Presidency ». Chap in . The President : Office and Powers :
1787-1984, New York: New-York University Press, 1984, p.38.
54
Mary Douglas, «C'est l'in stitution qui décrète l'identité », Chap. in Comment penser les
institutions?, Paris, La Découverte, 1999, p.91.
55
Ciinton Rossiter, «The Hlring of the Presidency», Chap. in The American Presidency, Coll. Harvest
book, New-York, New-York Harcourt, Brace Ann World, 1960, p.182 .
26

dichotomiques, mais ils invisibilisent l' importance des identités dans la genèse de l' institution 56 .
Ils invisibilisent l' identité masculine, car dans le champ de la politique américaine le masculin
est le référent, l'universel, la norme et qu ' en ce sens, ce silence apparaît comme naturel. Les -
classiques mettent de l'avant une vision réductrice des identités qui est normalisante et
essentialisante. Tout comme le pouvoir, ils perçoivent les identités comme étant
institutionnalisées, c'est-à-dire, comme étant propres à l' institution présidentielle. Or, c'est
précisément la violence des normes identitaires que les auteures critiques qui adoptent une
57
épistémologie postpositiviste veulent rendre visible, nommer et ultimement, déconstruire. Cela
semble donc particulièrement intéressant de les f.aire dialoguer avec les classiques, non
seulement pour rendre compte des limites de ceux-ci en ce qui a trait aux enjeux identitaires
entourant la présidence américaine, mais également pour enrichir notre réflexion et ultimement
éviter les mêmes écueils.

1.3.2. Rien n'échappe aux systèmes, pas même le hasard

Ce que les théoriciennes féministes, postmodernes et postcoloniales, ainsi que les


auteures critiques de la présidence nou s apprennent, c' est qu ' il n'y a pas de hasard dans le
fait que tous les présidents américains avant Obama aient été des hommes blancs
hétérosexuels. Ces théoriciennes affirment également qu'il est essentiel de traiter ce thème
dans les recherches scientifiques. Les thèses des auteures critiques sur la présidence
divergent d' un ouvrage à l'autre. Cependant, elles partagent un postulat de base qui bouscule
nombre d' idées issues des auteurs classiqües: l' idée selon laquelle la présidence américaine
n' est pas neutre car celle-ci est investie de rappo1is de pouvoir identitaires . En effet, comme
Je souligne Catherine Achin, Elsa Dorlin et Juliette Rennes: « (notre) ana lyse nous oblige à
penser la neutralité du pouvoir politique, à redécouvrir que Je « masculin n ' est pas neutre» et
58
qu ' il modifie en cela la figure de chef d'État ». Nou s avons démontré précédemment qu ' en

56
Michael Kimmel , op.cit. , p.17.
57
Par épistémologie postpositiviste nous renvoyons à la définition de MacLeod et O' Meora, qui
écrivent qu'elle « est axée davantage sur la compréhension des phénomènes que sur leurs explications.
A lex MacLeod et Dan O 'm eara. 2007 . Théories des relations internationales: contestations et
resistances, 2e édition , M ontréal. Édition Athéna, p.234.
58
Catherine A chin , Juliette Rennes et Elsa Dorlin, « Capital corporel identitaire et institution s
prés identie lle : réfl exions sur les processus d' incarnation des rô les politiques », Ra isons politiques,
Vol. 3, no 3 1, 200 8, p.S.
27

effet l' institution présidenti elle américaine depuis sa genèse est teintée par des identités
relativement statiqu es et qu e cela fa it état de so n absence de neutralité. En opposition avec
Cm-win, Neustadt ou Rossiter, qui ne considéraient pas le mascu lin comme une id entité, ·car
comme il fut démontré précédemment, le masculin représente l' universel chez les classiques,
les critiques s'entendent pour dire que l' institution présidentielle est genrée et racisée. Achin,
Dorlin et Rennes iront jusqu' à dire aux auteurs class iques: «Affranchie d ' une hi stoire
indigène de l' instituti on qui se contente de décrire les présidents success ifs, qui se contente
de relayer leurs petites phrases et leurs potiraits, l'analyse peut se concentrer sur la manière
dont les détenteurs du rôle présidentiel « habitent » leurs fonctions 59 ». Ains i, ces auteures
féministes dépassent la catégorie naturelle du corps et des identités pour en faire une
catégorie politique qui se réfléchit et s'analyse en termes de rapports de pouvoir. Elles
s'engagent à rendre visibles ces identités, notam ment en mettant à j our leur historicité et les
rouages qui leur permettent de se matéri aliser. S'inspirant de ce projet intellectuel , notre
mémoire tentera d'élargir ces frontières pour non seulement rendre visible les identités
genrées et racisées de la présidence américaine, mais également pour démontrer l'importance
des id entités sexuelles au sein des identités publiques des politiciens. Ces identités sont
jusqu'à présent t'estées peu, voire pas du tout abordées dans la li ttérature sur la présid ence
américa in e, que cell e-ci so it de type classique ou critique.

1.3.3 Analyse des enj eux id entitaires : mais de qu ell es id entités parle-t-on?

Nos lectures nous ont fait prendre consc ience d'une limite considérab le de la
littérature classique et cr itique pour étud ier le cas de la présidence de Barack Obama. En
effet, à en cro ire ces auteur( e)s, deux enj eux impmiants concernant les identités sont
intéressants à analyser dans le cadre de notre mémoire, ce lui de la « race» et celui du genre.

Or, si ces atticles demeurent effectivement très pertinents pour notre étude de cas,
nous croyons qu'ils compot}ent tous la même limite: ces études ne dépassent jamais les
frontières de la sexualité. De surcroît, même les auteures qui proposent une analyse

59
Ibid., p.l O.
28

intersecti onnelle60 , oublient de parler de ! ~ imp ortance de l' identité sexuelle comme facteur
explicatif de la victoire d' Obama en 2008 . Ainsi, nous croyons que l' identité sexuelle est
tout aussi impotiante que le genre ou la « race » lorsqu 'on s' intéresse aux enjeux identitaires
touchant la présidence. En effet, la sexualité s' imbrique à l' intérieur des di fférents systèmes
et institutions qui constituent la société améri caine, incluant celles de « race » et de genre.
Elle traverse l' instituti on famili ale, l' institution maritale, mais également l' institution
présidentielle. La sexualité est régie par des normes (hétérosexuelles) et est défini e en
1
contraste avec des altérités (l ' hom osexualité, la bisexualité). La littérature sur la sexualité
illustre bien comment celle-ci est un lieu de rapports de pouvoir et de luttes incessantes. Dès
lors, pour la suite du mémoire, nous proposons de tenir compte du genre et de la « race»
pour réfl échir sur les identités déterminantes de l' électi on d' Obama, mais également de la
sexualité, un thème qui a été peu mobilisé pour étudi er l' identité de la présidence.

À cet égard , il semble impmiant de fa ire le point sur l'appareil conceptuel qui sera.
utilisé pour répondre à notre questi on de recherche. Nous puiserons celui-ci à l' intersection
de trois approches criti ques du politique, à savoir les approches fémini stes, postcoloniales et
postmodernes. Afin de rendre compte de la compl exité des enj eux identitaires de la
présidence américaine et plus spécifi quement de la pluralité des identités d ' O bam ~, nous
avons choisi d ' utiliser l' outil d' analyse intersectionn el. Ce derni er est l'outil le plus
approprié pour fa ire le pont entre nos troi s approches et ainsi combler la lacune principale au

60
Qui se défin it généralement par une 'analyse à l' intersection des oppressions. C'est-à-dire qui
reconnait « les effets conjugés du sexisme, du racisme, du classisme ou encore de l' homophobie »
selon Christine Corbeil et Isabelle Marchand. 2007. L 'intervention f éministe intersectionnelle : un
nouveau cadre d'analyse et d 'intervention pour rép ondre aux besoins pluriels des f emm es
marginalisées et violentées, En ligne,
http://www. unites. uqam.ca/arir/pdf/interventionfemin ineintersectionne Ile marchand corbeil.pdf,
consultée le 8 novembre 20 12.
61
Nous vetTons dans le chapitre 3 comment le genre et la sexual ité sont des identités distinctes.
Néanmoins, nous pouvons donner ici une brève défi nition de ces deux concepts. Par genre, nous
entendons la construction sociale du mascul in et du fémini n alors que par sexualité, nous entendons la
constructi on sociale du désir et les formes soc iales de contraintes liées aux prati ques sexuelles. Voir à
ce sujet Judith Butler. Ces corps qui comptent: de la matérialité et des limites discursives du sexe,
Paris, Éditions Amsterdam, 2009. Michel Foucault Histoire de la sexualité: la volonté de savoir.
volume 1, Pari s, Ga ll imard, 1976. et Mari e-Hélène Sourcier. 2005. Sexopolitique : queer zone 2, Paris,
La Fabrique, 320 pages. Beatriz Préciado. « Biopolitique du genre », in. Le corps, entre sexe et genre,
sous la dir. de Hé lène Rouch, Elsa Dorlin et Dominique Fougeyroll as-Schwebel, p.61 -85, Paris, Coll.
Cahiers du Cedref, l'Harmattan, 2005.
29

sein de la littérature sur l'élection d'Obama. C'est donc à travers les ouvrages des auteures
postcoloniales, postmodernes et fémini stes qu'on trouve un e série de thèses, réflexions et
apports conceptuels particulièrement intéressants concernant les identités (voir le chapitre 2
pour l' identité raciale et le chapitre 3 pour l' identité de genre et l'identité sexuelle) C'est
également à partir de ces perspectives critiques qu'il est désormais possible de réfléchir les
identités en termes politiques. En effet, alors que les approches critiques vi sent à mettre en
évidence les rapports de pouvoir qui touchent les identités, la vision classique, comme nous
l'avons vu précédemment, analyse plutôt les id entités de manière biologisante et
naturalisante. C'est-à-dire que la« race », comme Je genre ou la sexualité ne se réfléchissent
pas comme des identités investies de pouvoirs, mais plutôt comme des catégories naturelles
que l' on peut observer.

Ainsi , l' originalité de notre mémoire se situe dans la pn se en considération de


l'identité sexuell e d'Obama. En effet, l' arrivée d'Obama à la présidence ain si que la
campagne présidentielle contre son adversaire :Clinton, fut l'objet d' analyse sur la mise en
scène des identités. Or, si les conjonctures en font un objet d ' étude intéressant pour l'analyse
des identités, le genre .et la (( race » nous semblent insuffisants pour rendre visible les
discours identitaires qu ' Obama a utilisées pour rempo1ier la présidence. Ce n'est qu ' en
étudi ant le genre, la «race » et la sexua lité que nous pouvons rendre visible 1'utilisation
politique des id entités 62 et enrichir la littérature scientifique sur cette question.

1.3.4 Visibilisation des identités genrées et racisées

Nou s avons démontré jusqu 'à présent que l' institution prés identielle avait été
construite sur les bases de la masculinité dom inante de l' époque de Pères fondateurs ,
masculinité que Kimmel nomme le self-made man. Cette masculinité hégémonique fut
construite sur la base de l' exclusion des femmes de la sphère publique ainsi que sur

62
Une analyse plus approfondie des discours identitaires en période électorale aurait également pu être
faite considérant la classe soc iale et la religion d'Obama. Néanmoins, aux fi ns du présent mémoire,
nous avons choisi de ne pas prendre en compte ces identités.
30

3
l' exc lusion du fé minin au sens plus largé • La bin arité que l'on retrouve dans de nombreuses
ana lyses sur les id entités découle de l' interdépendance qui existe entre la norme et l' altérité.
Comm e K imme l l'a démontré, cela concerne le genre (masculin/féminin), mais cela peut
auss i, comme le mettent en lumière les auteures issues des théori es fé mini stes postco loniales,
toucher les « races» (bl anc/non-blanc). Ir is Mario n Youn g disait: «race is a structure of
oppression at !east as basic as class or gender64 ». A in si, la « race » traverse les identités de
J' in stitution présidentiell e en fai sant de l' homme bla nc la norme (l ' universe l) et des hommes
non blancs l'autre (l 'altérité).

Tali Mendelberg s'est intéressée aux enj eux qui entourent la race en po litique et son
constat rej o int celui de Kimmel, Achin, D m·lin et Rennes en ce sens qu 'elle affirme
également que l' institution n 'est pas neutre . Or, au lieu de soutenir comme les précédent(e)s
théoricien(ne)s fémini stes que la présid ence a un genre, elle affi tme que celle-c i a également
une « race », idée qu i a été occultée par les auteurs classiqu es. Mende lberg soutient la thèse
qu 'au cœur de l' hi stoire po litique des États-U nis, il y a l' histoire de l'oppress ion raciale et
qu e cette oppression fut instrumentali sée à des fi ns de stratégie é lectorale. E lle démontre
également comment la « race » est un e constituante des relations de pouvoir en tant que
catégorie politique de la différence. En ce sens, celle-c i devra it être abordée en po litiqu e
selon la norme contextuell e de l'époque:« Jus t as today it is political suicide for politicians
to appear to violate the norm of racial equality, then it was suicide to appear to violate the
norm of racial inequalit/ 5 ». Ainsi, la « race » fut et est to uj ours constituante des discours et
des in sti tuti ons po litiques. Tout comme le genre, la « race » est normée et instrumentalisée
aux fi ns d ' un système patri arcal raciste qui uni versali se les hommes bl ancs, au détriment des
« autres». Pour Mende lberg, la « race » et le genre sont intrinsèq uement liés et
interdépendants. La «race» no ire sous-entend certa ins comportements qui ne peuvent être
séparés de la masculin ité, à travers le sport, par exem ple (voir chapitre 3). À cet égard, les

63
Comme nous l'avons vu précédemment, c'éta it le cas pour les hommes britann iques qui étaient
perçus comme fémin ins et qui représentaient ce que les Américains ne voulaient abso lument pas
reprodu ire.
64
Iris Marion Young, « Five !Faces of Oppress ion », Chap. in Justice and the Politics of Difference,
Princeton, Princeton University Press, 1990, p.51.
65
Tali Mendel berg, « The Norm of Racial Inequality, Electoral Strategy and Explicit Appeal », Chap.
in The Race Card: Campaign Strategy, lmplicit Messages, and the Norm of Equality, New-Jersey,
Princeton Un iversity Press, 2001, p.29.
31

auteures féministes et postcoloniales tentent de rendre visibles les identités genrées et


racisées qui traversent les institution s et d' illustrer comment ces identités sont construites et
constamment reproduites par les normes implicites que sous-tendent certaines institutions
comme la présidence (ces normes sont abordées plus en détail dans les chapitres 2 et 3).

1.3 .5 Et la sexualité?

66
Pour Michel Foucault, la sexualité trouve ses fondem ents à travers l' hi stoire .

Seulement, pour le philosophe, c'est surtout via le discours que la sexualité trouve sa
matérialité. Puisque nous nous intéressons au thème des identités dans quatre discours ciblés
d'Obama, Foucault est un auteur f01i pertinent pour notre mémoire.

Depuis cent cinquante ans bientôt, un di spositif complexe est en place pour produire
sur le sexe des. discours sur le vrai: un di spositif qui enj ambe largement l' histoire
puisqu ' il branche la vieille injonction de l'aveu sur les méthodes de l'écoute clinique.
Et c' est au travers de ce di spositif qu 'a pu app,araître comme vérité du sexe et de ses
7
plaisirs quelque chose comme la « sexualité» .

Ainsi, l' auteur décrit comment s' est déve loppée une «science de la sexualité » avec
la distinction entre le «vrai », c 'est-à-dire le naturel , la mécanique, le biologique, le médical
du sexe, et le «faux», c'est-à-dire les discours alternatifs entourant la construction sociale
de la sexualité 68 . L ' utilité de Foucault dans le cadre de notre analyse vient de la
démon stration des multiples rapports de pouvoir qu i traversent les enjeux sur la sexualité.
Pour Foucault :

La multiplicité d·es rapports de pouvo ir est immanente au domaine où ils s'exercent,


et sont constitutifs de leur organisation; le jeu qui par voie de luttes et
d'affrontements incessants les transforme, les renforce, les inverse; les appuis que
ces rapp01is de force trouvent les uns dans les autres, de manière à former chaîne ou
système, ou, au contraire, les décalages, les contradictions qui les iso lent les uns des
autres; les stratégies enfin dans lesq uelles ils prennent effet, et dont le dessin général
ou la cristallisation institutionnelle prennent corps dans les appare ils étatiques, dans
la formulation de la loi, dans les hégémonies sociales69 .

66
Foucau lt, M ichel, Histoire de la sexualité: la volonté de savoir volume 1, Paris, Gallimard, 1976,
p.91
67
l bid., p.91.
68
lbid. , p.76.
69
lbid.,p .1 22.
32

Dès lors, la sexualité comme le genre et la « race » se matéri alise grâce ou, plutôt, à
cause des rapp01is de pouvoir qu'il s sous-tend ent. Un sujet ne décide donc pas de sa« race»,
de son genre ou de sa sexualité: la « race », le genre et la sexualité font plutôt pmiie du sujet,
puisque le sujet est le .produit d 'une socialisation, c'est-à-dire d ' une réitération de normes et
de règles qui conditionnent le sujet et qui ultimement le définissent. À cet effet, Judith Butler
recoupe Foucault quand elle écrit que le discours matérialise la sexualité et que ce discours
en est venu à créer un «vrai » et un «faux » discours 70 • Néanmoins, si Foucault s'intéresse
au discours sur la sexualité en ce qui concerne les pratiques sexuelles marginales (fétichisme,
pédophilie, gérontophilie), Butler concentre plutôt son analyse sur l'hétérosexualité comme
la matérialité de la sexualité, à travers les di scours et la performance. Pour Butler, penser le
genre et la seX.ualité comme une construction exige de repen ser la signification de la
construction elle-même 71 . En ce sens, bien qu 'aucun auteur n'en fasse mention, il nous
semble indispensable de considérer la sexualité comme parti e intégrante des identités
constituantes de l' institution présidentielle américa!ne.

1.3 .6 L ' intersectionnalité comme vecteur de réfl exion et outil d'analyse

L'outil d'analyse intersectionnel est l' un des outils les plus appropriés pour répondre
à notre question de recherche lorsqu ' il s'agit d'étudier les identités plurielles . Ce que
l' intersectionnalité propose est, en fait, de cesser de considérer les identités comme étant
indépendantes l' une de l'autre, mais plutôt de les concevoir comm e interreliées et ainsi non
hiérarchisables. « There is no hierarchy of oppressions72 » écrivait A udrey Larde. Dès lors,
le genre, la «race» et la sexualité se doivent d'être pris en compte comme des identités se
nourri ssant l' une et l'autre et ne pouvant être ana lysées de manière indépendante. Néanmoins,

70
Le di scours pour Butler et pour Foucau lt renvo ie aux forces langagières sur la sexualité. Le langage
crée la réalité sur la sexualité.
71
Judith Butler, Ces corps qui comptent: de la matérialité et des limites discurs ives du sexe, Paris,
Éditions Amsterdam, 2009, p.l3 .
72
Audrey Lorde, « There Is No Hiera.rchy of Oppressions», Interracial Books Bulletins, Women
Center Missouri, (En ligne), http ://womenscenter.missouri.edu/wp-content/uploads/20 10/08/There-Is-
No-I-Iierarchy-of-Oppressions.pdf, le 20 janvier 20 12.
33

nos lectures mettent en lumière le danger qui existe à faire une analyse intersectionnelle qui
ne prend pas en compte l' historicité des oppressions:

Il semble essentiel de résister au modèle de pouvoir qui établit un parallèle ou une


analogie entre racisme, homophobie et misogynie. En effet, l'affirmation de leur
équivalence abstraite ou structurelle conduit à négliger les histoires spécifiques de
leur construction et de leur élaboration, en même temps qu ' elle retarde l'impmiante
tâche de penser les façons dont ces vecteurs de pouvoir se requièrent et s'utilisent les
. 1ations
uns 1es autres pour 1eurs propres aJiJcu . 73 .

Ainsi, 1' intersectionnalité permet de dépasser le binarisme des classiques et de


certain( e)s auteur( e )s critiques pour aller au croisement des identités, à leur chevauchement.
Cet outil d'analyse pennet donc de rendre visibles les identités plurielles qui traversent le
corps présidentiel et ses symboliques. Nous croyons que l'originalité de notre travail se situe
ainsi dans cette volonté de mettre en lumière des identités genrées, sexuées et racisées. Car,
même les auteures critiques du politique qui se sont intéressées à l'élection d'Obama avec
l'outil intersectionnel ont arrêté leur analyse aux frontières des sexualités. C'est pourquoi
nous entendons défendre la thèse qu'en mettant de l'avant son identité racisée et en la
juxtaposant à l'idée du rêve américain (Yes we can), Obama a non seulement réitéré
l'impo1iance des identités « dominantes » de la présidence américaine (homme, hétérosexuel),
mais il a également dépolitisé les enjeux raciaux aux États-Unis.

Afin d'illustrer nos propos, nous nou s baserons sur quatre allocutions publiques dont
nous ferons une analyse, celle de Philadelphie, (The More Perfect Union), celle de la victoire
d'Obama le soir de son élection, ainsi que ses deux autobiographies: Les rêves de mon père et
L'audace d'espérer: un nouveau rêve américain. D'une pa1i, les deux premiers discours ont
74
été choisis, car ils sont les deux discours publics les plus importants qu'a faits Obama en
2008. Également, parce qu'à travers ses deux discours à la nation (celui sur la «race»· et
celui sur sa victoire), Obama met l'accent sur les enjeux identitaires et le« rêve américain».
D'autre part, nous croyons que les deux ~utobiographies sont pe1iinentes puisqu'elles
constituent des déclarations publiques sur sa« vie privée». L'analyse de ces quatre discours

73
Judith Butler, Ces corps qui comptent: de la matérialité et des limites discursives du sexe op.cit.,
p.33 . .
74
Par importance, nous entendons les discours avec le plus grand nombre d'auditeurs.
34

qui juxtaposent le« personn el » et le politique vient mettre en év idence la dim ension multiple
du politique en ce qui a trait aux identités de l' instituti on présidentielle. De surcroît, nous
émettons la sous-hypothèse qu ' au sein de ses autobiographies, le di scours d' Obama sera de
nature moins politique que lors de ses di scours offi ciels à la nati on. Par conséquent, l'analyse
de ces deux types de « discours » devient fort intéressante puisqu e cela problémati se la
frontière entre le privé et le public et démontre comment le privé sert le politique.

Si nous avons décidé de faire une analyse de discours, c'est principalement parce
que nous reconnaissons que les di scours j ouent un rô le central dans la reproduction des
75
oppressions et des di fférentes formes de domination . À cet effet, notre analyse de di scours
entend s' inspirer du « Critical Discourse Analysis » tel que défini par Van Teun Dijk :
« Critical discou'rse analysis wants to know what structures, strategies or other properties of
text, talk, verbal interaction or communicative events play a role in these modes of
reproduction 76 ». Ainsi, il est intéressant d'étudier la relation qui existe entre les structures
du discours et les relations de pouvoir que cela met en exergue. Dès lors, l'analyse des qu atre
di scours d' Obama implique une prise en compte de son statut hi érarchique au sein de la
77
société américaine et une compréhensi on de la capacité performative de son langage
puisque celui-ci possède le privilège de la pri se de parole. Dès lors, l'étude de l' actuel
président Afro-Américain devient encore plus intéressante puisqu ' ell e représente un symbole
clé de la reproduction nationale.

Par conséqu ent, lors de nos lectures, nous accord erons une attenti on pa1i iculière aux
différents thèmes id entitaires, c'est-à-dire aux menti ons qui concernent legenre, la« race» et
la sexualité. Ensuite, nous tenterons de détenni ner que ll e part du discours est imputable à la
« nature » t quell e pmi est imputab le à la « cu lture» selon Obama. Nous émettron s la sous-
hypothèse qu 'Obama tra itera de la «race » sous l' angle culture l, alors qu' il abordera sa

75
Van Teun , Dj ik, «Princip le of Cri ti cal Discourse Analysis », Dis course and Society, vo1.4 , no 2,
1993, p.249.
76
Ibid, p.SO.
77
Nous empruntons la définition de Judith Butler sur la perform ativité du discours lorsqu 'e lle dit : «La
performativité n'est donc pas un acte singulier, elle est toujours la réitération d' une norme ou d' un
ensemble de normes; dans la mesure où elle acqu ie1t un statut d' acte dans le présent, ell e masque ou
dissimu le les conventions dont ell e est la répétition». Judith Butler. 2009. Ces corps qui comptent: de
la matérialité et des limites discursives du sexe, Paris, Éditions Amsterdam, p.27.
35

masculinité et sa sexualité selon une perspective « naturelle »78 . Cela permettra de faire le
rapprochement entre les identités « dominantes » d'Obama (homme, hétérosexuel) et sa
vision essentialisante sur celles-ci, qui justifie en soi les privilèges qui lui sont accordés :
« Thus, we have seen thal the reproduction of dominance in conteinporary societies often
requires justification or legitimation : it is « just » necessary or « natural » thal we have
privileged access to valuable social ressources79 ». De plus, si notre méthode de lecture
propose de traiter séparément les identités, c'est pour pouvoir faire des rapprochements plus
efficaces entre chacune d'elles lors de notre analyse grâce à l' analyse intersectionnelle.

En somme, ce chapitre a permis de démontrer que l' institution présidentielle n'était


pas neutre, mais qu 'elle avait au contraire un genre, une « race » et une sexualité bien précise
qui agissent en interrelation. Il a également été défendu .que ces identités dépendantes les
unes des autres ont une histoire nationale que l'on peut rattacher à la genèse de l'institution
et à l'époque des Pères fondateurs . En effet, nous avons conclu comme Kimmel , que la
masculinité hégémonique aux États-Unis lors de la création de la Constitution américaine
portait le nom de self-made man et était construite en opposition avec la masculinité
britannique, les femmes et la féminité . Ainsi , cette masculinité a largement influencé
l' institution présidentielle et est restée, jusqu 'à ce jour, relativement statique. Puisque l' un
des objectifs principaux du mémoire est de rendre vi sibles les identités dominantes de
l'institution présidentielle américaine, nous nous sommes intéressés à la littérature qui porte
sur celle-ci et avons rapide~ent problématisé notre recherche en démontrant les limites de
cette littérature.

D'une part, les recherches classiques sur la présidence ne s' intéressent pas
xp licitement aux identités qui traver ent l'institution . E ll es s ' intére sent à divers enjeux tels
les pouvoirs présid entiels ou la rel ation tumultueuse entre le Congrès et la prés idence, ma is
taisent les enjeux identitaires qui concernent la « race », le genre et surtout la sexualité.

78
Par « naturelle », nous entendons tout ce qui fait référence à la biologie et aux comportements
hum ains qui découleraient de la nature et qui seraient immuabl es. Par « culture »,nous entendons tout
ce qui fait référence aux constructions sociales et donc aux possibi lités de changements desdites
caractéristiques.
79
Van Teun , Djik, Principle ofCriti ca l Discourse Analysis », Discourse and Society, vol.4, no 2,
1993,p.263.
36

Toutefois, au sem de leurs écrits, on peut déceler une réitération des normes
identitaires qui se manifeste par l'androcentrisme de leurs recherches et le caractère universel
qui est attribué au genre masculin. Dès lors, les quatre approches dominantes dans le champ
des études sur la présidence américaine ne suffisent pas à rendre compte de la complexité et
·de la pluralité des identités de celle-ci. D'autre pa1t, nous avons vu que les théories critiques
sur la présidence américaine pe1mettaient d'atteindre notre objectif premier, qui est de mettre
en relief les traits identitaires de la présidence qui ont été occultés dans l'histoire,mais aussi
de dénoncer la domination et 1'exclusion que l'absence de neutralité rend possible. Ainsi, la
littérature critique sur la présidence a démontré que celle-ci pmticipait à la reproduction des
structures racistes et sexistes et que cela était problématique dans la mesure où l'institution
présidentielle est un symbole f01i de la nation américaine. Or, ce que nos lectures ont illustré,
c'est que bien que le genre et la «race » aient été largement documentés, la communauté
scientifique a laissé tomber tout un pan identitaire, so it celui de la sexualité. Ainsi, nous
désirons concentrer nos recherches sur cet aspect moins corinu qui pmticipe de l'illusion de
80
la « neutralité sexuelle et raciale» des institutions . Pour y parvenir, nous ferons l'analyse à
la fois du genre, de la «race» et de l'orientation sexuelle du président afin de mettre en
exergue leur interdépendance.

Nous désirons donc faire le pont entre les approches féministes, postmodernes et
postcoloniales en considérant la « race », la sexualité et le genre comme des identités
interdépendantes et constituantes de la présidence américaine. Alors que le féminisme et le
postcolonialisme nous pennettront d'appréhender théoriquement ses diverses identités, le
postmodemisme va baliser notre recherche en nous donnant les outils nécessaires pour
comprendre la force du discours et son pouvoir reproductif sur ces mêmes identités. Dès lors,
l'analyse des stratégies politiques utilisées par Obama pour atteindre la présidence s'i mpose
d' elle-même comme étude de cas, puisqu'elle rend visible la complexité des enjeux
identitaires li és à la présidence. De surcroît, l'élection d' Obama représente un moment clé
dans l'analyse des intersections puisqu'il est le premier président Afro-Américain de
l' histoire des États-Unis. Par conséquent, les deux prochains chapitres tenteront de répondre

8
°
Catherine Archin, Juliette Rennes et Elsa Dorlin, « Capital corporel identitaire et institutions
présidentielle : réflexions sur les processus d' incarnations des rôles politiques », Raisons politiques, no
31, 2008, p. JI.
-

37 '

à la question suivante: dans quelle mesure l' institution présidentielle américaine, et plus
précisément la présidence de Barack Obama, utilise les identités genrées, sexuelle et racisées
en contexte électoral ?
38

CHAPITRE 2

IDENTITÉ RACIALE: ENTRE REPRODUCTION, AGENTTVITÉ

ET SUBVERSION

Au premier chapitre, nou s avon s postulé l' absence de neutralité de l' institution
présid entielle américaine. Il a également été observé que la prés id ence prenait ses ass ises au
sein de la Constituti on américaine qui est, ell e-même, influ encée par une masculinité
dominante, celle du self-made man, exclus ive aux hommes de « race » bl anche, et construite
en opposition avec les femme s et la fé minité. Le postulat de dé part s ' est conso lid é lorsque
nous avons pris conscience de l'invisibilité de certain es identités au se in des théories
dominantes dans les champs d 'études sur la présidence américain e. Or, si nous nous
intéressons, en conformité avec les théor ies critiques, aux croyances, pratiqu es et rites qui
traversent l' institution prés identi elle 81, nous portons un e attention particuli ère à l' arrivée
d ' Obama au sein de ladite instituti on . En effet, comm e il a été souli gné au premi er chapitre,
nous croyons qu e l'élection d ' Obama à la prés id ence représente un moment clé dans
l'analyse des intersecti ons. En tant qu e premi er présid ent Afro-Améri cain, ouve11ement en
fave ur de l'avortement et grand utili sateur des nouvelles technologies de communicati on, il a
réussi à créer un engouement in contestabl e auprès des jeunes électeurs américains et a
suscité la fasc ination autant dan s les universités qu e dans les médias. C'est pourqu oi nous
j ugeons pert in ent de nous attarder, dàns les deux prochains chap itres, à un aspect de la
présidence d ' Obama qui a été moins étud ié j usqu'à présent, c'est-à-d ire les discours uti lisés
par ce dernier et son équ ipe en ce qui concerne ses identités, d' abord son identité raciale (ch .
2) et puis ses identités genrée et sexuell es (ch. 3). C'est cl one en s'intéressant aux

81
Catherine Achi n, Juli ette Rennes et Elsa Dorlin, « Capital corpore l identitaire et institutions
prés identielle : réfl exions sur les processus d' incarnation des rôl es politiques», Raisons politiques, no
31' 2008, p.9.
39

autobiographies d'Obama, qui juxtaposent le personnel au politique, et aux di scours officiels


à la nation, qu 'il sera possible de mettre en lumière les discours implicites qui concernent ses
identités dominantes (homme hétérosexuel) tout en démontrant que les di scours sur la
« race » ont eu l'effet pervers de dépolitiser les enjeux raciaux.

Ce que nou s tenterons de démontrer dans le présent chapitre est donc qu 'au contraire
de sa masculinité et de sa sexualité, l'identité racisée d'Obama est largement mise de l'avant.
En effet, alors que Les rêves de mon père constitue le récit de sa rencontre avec ses origines
africaines, L 'audace d'espérer consacre un chapitre entier à la question rac iale qui , sans
grande subtilité, est intitulé « race ». Également, le discours The More Perfect Union porte
strictement sur la « race », alors que son discours de victoire en traite éga lement de manière
explicite. Il est ainsi aisé de croire que la « race » fut mise de l'avant à des fins électorales
par Obama et son équipe. Or, cette utili sation diffère de celle qu e fait Obama des deux autres
identités à l'étud e. En effet, non seulement l' id entité raciale est-elle explicitement mi se de
l'avant, mais elle est de surcroît juxtaposée au rêve américain. Ce qui a pour effet
« pervers » une dépolitisation des enjeux raciaux aux États-Unis.

Le présent chapitre sera donc divi sé en deux temps : d'une part, nous ferons état des
conjonctures entourant nos études de cas: la parution des deux autob iographies et des
allocutions publiques. D'autre part, nou s tenterons de démontrer que l' identité raciale
s'enracine non seulement dans un processus de raciali sation dont Obama fa it l'obj et, mais
également dans une logique de représentation à la fois du rêve amér icai n et de la possibilité
de changement et que cela a pour effet la dépo litisation des identités.

2.1. Bref regard sur les conjonctures entourant nos études de cas

À des fins d'analyse, nous avons décidé d'utiliser comme étude de cas deux
autobiographies d' Obama, c'est-à-dire Les rêves de mon père, version frança ise parue en
2004, et publié pour une première fois en anglais en 1995 et L 'audace d 'espérer, parue en
2006. Il est utile, ici, de faire état du contexte de publication de ces deux ouvrages. Comme
le mentionne McDonald :
40

An articulation is an assoéiation or a link between distinctive ideological elements


thal operate in a specifie historical place and lime with identifiable consequences.
Methodologically, this suggests thal cultural analysis is an interpretive act requiring
the exploration ojboth text(s) and context(s) 82 .

À cet effet, rappelons que la première expérience en politique fédérale 83 d'Obama a


été la course pour la Chambre des représentants en 2000, dans le premier district de l'Illinois.
Obama affrontait alors l'Afro-Américain Bobby Rush , qui siégeait à la Chambre depuis 1993 .
84
Cette course se solda par un échec pour Obama qui n' alla chercher que 30% des votes . La
population de ce district était, et est encore à ce jour, composée majoritairement d' Afro.,.
Américains et, outre son manque de fonds, Obama avoue que son échec est en partie lié au
fait que, comparativement à son adversaire démocrate, il n ' était pas considéré comme
« suffisamment noir ». Rush, l'opposant d'Obama, est connu pour avoir milité dans le
mouvement des droits civiques et pour avoir commis des actes de désobéissance civile pour
ce mouvement. Il est notamment le cofondateur des Black Panthers, un groupe militant pour
la libération des Noirs, et un ex-détenu ayant été emprisonné pendant six moi s pour être entré
dans un poste de police muni d'un fu sil. Son parcours atypique pour un politicien (décrocheur
scolaire, ancien militaire et activiste reconnu au sein du mouvement des droits civiques, etc.)
a représenté un défi pour Obama et a miné sa crédibilité en ce qui concerne les luttes raciales .

Ainsi, s' il est vrai que Dreams from my Father: A Story of Race and Inheritance est
publié en 1995, peu de temps avant sa victoire au Sénat de l'Illinois, et n'est donc pas écrit en
lien avec une course politique fédérale, sa réédition quatre ans plus tard, soit 8 mois suivant
son élection comme sénateur des États-Unis ne peut être étrangère aux ambitions politiques
de son auteur. En effet, alors que la première édition de 1995 bénéficie tout au plus d'un
comi article dans le New-York Times 85 , sa rééditi on en 2004 avec un nouvel éditeur donne à
la biographie un nouveau souffle et permet dés01mais au x électeurs américains de se

82
Mary J. McDonald, « Michael Jordan's Familiy Values: Marketing, Meaning and Post-Modern-
Reagan America» . Chap. in The American Body in Context : an Anthology, sous la dir. de Jessica R .
Johnston, Wilmington, Scholarl y Ressources, 2001 , p. 147.
83
Son expérience en politique était, jusqu 'alors acquise dans le cadre de ses foncti ons comme élu au
Sénat de l'Jllinois.
84
Barack Obama, L 'audace d'espérer : un nouveau rêve américain, op.cit. , p.22 .
41

familiari ser avec le se sénateur n01r des États-Unis. Comme le souli gne Obama en
introduction de la version française de cet ouvrage : « Ce qui se retrouve dans ces pages est le
récit d ' un voyage personnel, intérieur, la quête d ' un garçon à la recherche de son père et, à
travers cette quête, le désir de donner un sens utile à sa vie de Noir américain 86 ». Dans ce
livre, Obama trace un portrait de son enfance, de sa naissance à son entrée à la prestigieuse
Harvard University. Il raconte aux lecteurs l' histoire de ses origines : une mère et des grands-
parents typiques de 1'Amérique blanche87 et un père africain qui ressemblait étrangement au
88
chanteur de jazz Nat King Cole . À travers le récit de sa jeunesse, Obama nous fait découvrir
une Amérique encore déchirée par des enjeux raci aux où l'on découvre le monde complex,e
d'une adolescence à Hawaii, les études, le rythme effréné de la vie new-yorkai se ainsi que les
« ghettos noirs » de Chicago. Comme il l' affirme à l'endos de son livre, « c ' est le récit de
son voyage dans la société américaine » qu'il nous livre : « une Amérique en noir et blanc ».
Si l'autobiographie d' Obama ne peut avoir été stratégiquement envisagée comme outil
électoral pour la présidence puisqu'elle fut écrite en 1995, on ne peut nier aujourd ' hui, de par
89
ses ventes records et ses mentions élogieuses , la vitrine impo1iante qu 'ell e a représenté lors
de son élections prés identielle. En effet, les ventes du livre de sa première biographie ont
augmenté considérablement l' année de la course à la chefferie du Parti Démocrate. Comme le
souligne Jeff Zeleny du New-York Tim es : « Senator Barack Obama released hi s 2007 tax
retum on Wednesday evening, reporting a hou sehold income of $4.2 million due to a sharp
increase in the sales of his books (Dreams from my Father) durin g the first year of his
90
presidential campaign ». De surcroît, en juillet 2008, le livre Dreams from my Father se
classe en liste des meilleurs vendeurs aux États-Uni s pour une 104e semaine. Ce succès est
redevable à la campagne politique d ' Obama, puisque depuis la sortie du livre en 1995, les
v ntes n'avai nt jamais 't' aussi important s. Ainsi, la hauss d s nt t'moignent d
l' intérêt marqué pour les électeurs américains pour Obama et de l'outil de vente électoral

86
Barack Obama, Les rêves de mon père : l 'histoiré d 'un héritage en noir et blan c, op. cit. ,p.21.
87
Jbid., p .43.
88
Jbid., p.44.
89
En 20 11 , le Time Magazine l'i ntroduit dans son top 100 des biographies les plus influentes et
importantes, surtout qu 'ell e fut écrite avant son entrée en politique.
90
Jeff Zeleny, Book Sales Lifted Obamas' Jncome in 2007 to a Total of$4.2 Million, New-York Times
magazine, 17 avril 2008, en ligne http ://www.nytimes.com/2008/04/17/us/politi cs/17obama.htm l? r=O,
page consultée le 20 juin 2013.
,42

considérable que son autobiographie a pu représenter en 2008 contre Clinton et McCain. En ·


ce sens, l' utiliser comme étude de cas nous semblait pe1iinent.

Dans le même ordre d' idées, la date de parution de la deuxième autobiographie


d' Obama intitulée The Audacy of Hope: Thoughts on Reclaiming the American Dream n'est
pas étrangère à sa décision de briguer la prés idence américaine. L'ouvrage est mi s en vente le
91
17 octobre 2006, soit seulement quatre mois avant la mise en candidature officielle
d'Obama à l' investiture démocrate. Par ailleurs, cette deuxième autobiographie po1ie surtout
sur les opinions politiques, les réflexions et les visées pour l'Amérique d 'Obama, ce qui la
différencie du premier livre. La structure de Audacity of Hope se distingue également de
celle de Dreams from my Father. En effet, Audacity of Hope est divi sée en chapitres et
renvoie à des thèmes précis qui sont souvent abordés lors d ' une campagne é lectorale aux
États-Unis(« .La Constitution», «La famille», «La« race »»,« La politique», «La foi»,
« Le monde au-delà de nos frontières » etc.). Le livre offre donc un menu de plus de 500
pages à quiconque désire connaître Obama et ses opinions sur différents enjeux et sa
plateforme électorale.

Étant donné que les autobiographies sont davantage de l'ordre du littéraire que du
politique, il est important de s'intéresser aux di scours politiques de Obama et notamment à
deux de ces di scours officiels destinés à la population américaine. La première allocution
publique choisie est le discours de Philadelphie po1iant sur les enjeux raciaux A More Perfect
Union. Ce discours est paru peu de temps après le « scandale » entourant le di scours du
révérend Jeremiah Wri ght. Cet homm e, qui a baptisé Obama, est à la tête de la Trinity
92
Church, une église de Chicago Afro-Américaine, où Obama a rencontré la foi pour la
pr mïr fois. L r'v'r nd, dont Obama fait m ntion dans s s autobiographi s, a tenu un
di scours largement médiatisé qui concernait l'opposante démocrate d'Obama, Hillary C linton,
lors des primaires de 2008. Rapidement, dans les médias ainsi que sur le web, ce discours a
été intitulé The Hate Speech of Reverend Wrighl 3, car celui-ci tenait des propos qualifiés de

91
0bama an nonce qu ' il fera partie de la course à l'investiture démocrate le 10 février 2007.
92
Barack Obama, Les rêves de mon père: 1'histoire d'un heritage en noir et blanc, op.cit., p.122.
93
New-York Times, «An Angry Obama Renounces Ties to His Ex-Pastor »,En ligne,
http://www.nvtimes.com/2008/04/30/us/politics/30obama.html? r=l &ref= , consulté le 10 janvier
2012.
43

haineux à l'égard des Blancs. C'est en réponse à ce discours, qui risquait de lui faire perdre
bon nombre de votes de l'électorat progressiste blanc, qu 'O bama a écrit et récité
publiquement son discours A More Perfect Union. Dans ce discours sur les enjeux raciaux, il
parle de sa relation avec le révérend Wright, mais aborde également les grands défis relatifs à
la diversité ethnique aux États-Unis. Ce discours, d' une durée de 45 minutes, fait parti à
l'étude puisqu ' il représente la plus longue et la plus importante allocution publique du
président sur les enjeux raciaux.

La deuxième allocution publique retenue, le Discours de la victoire 94 de Barack


Obama, nous semblait également intéressante puisqu ' elle marque la transition entre la
campagne électorale et l'entrée en poste du président. Comme le souli gne Achin et al.,
étudier l' institution présidentielle nécessite de s'intéresser au processus d'incarnation du rôle
de président et cela n'affecte pas seulement la campagne présidentielle, mais également la
présidence elle-même 95 . En ce sens, il semble pertinent d'étudier la première allocution
publique d' Obama, prononcée à un moment jugé « historique» celle du premier président
Afro-Américain.

Comme il vient d'être présenté, les conjonctures qui entourent nos études de cas
permettent de croire qu'Obama a publié des ouvrages et prononcé des discours qui relèvent,
entre autres leurs intérêts politiques. Dans ces discours, la mise de l'avant de son identité
racisée contraste avec 1' identité raciale « traditionnelle » de 1' institution présidentielle et
occupe un espace imp011ant. Ainsi, puisque ce mémoire vise à mettre en lumière les identités
de genre, de sexe et de (<race» dans les discours de l'actuel président, la contextualisation
des autobiographies et des discours à l'étude nous semblait nécessaire. La prochaine section
du m'moire permettra de pm1er une attention particulière à l'identité racisée d'Obama.

94
0 bama, Barack, « Yictory Speech », Transcript CNN, En ligne,
http://edirion.cnn.com/2008/POLITJCS!l 1/04/obama.transcript/, consultée le 10 janvier 2012.
95
Catherine Achin, Juliette Rennes et Elsa Dorlin, « Capital corporel identitaire et institutions
présidentielle: réflexions sur les processus d'incarnation des rôles politiques », Raisons politiques, no
31 , 2008, p.9.
44

96
2.2.« Race» et subversion : quelle limite?
97
2.2.1. «J'étais trop jeune pour savoir que j'avais besoin d'une race »:processus de
racialisation et prise de conscience de la subordination raciale

Il est clair que l'arrivée de Obama à la présidence est venue bouleverser les référents
identitaires de l'institution dans la mesure où celui-ci est à l'encontre de l'ordre établi. Ce qui,
comme nous en avons fait la démonstration dans le premier chapitre, est normalement
contraire aux identités dominantes de la présidence. En effet, jusqu'à Obama, aucun président
n'avait été d'une autre « race» que blanche et aucun n'avait autant tenu à mettre de l'avant
son identité raciale. En ce sens, Obama est donc le premier à rendre visible la « race » au sein
de la présidence. Il importe donc de comprendre à la fois la manière dont cette identité est
mise en évidence et la façon dont elle s'atiicule à travers les autobiographies et les
allocutions publiques à l'étude.

Dans Les rêves de mon père, Obama place son processus de racialisation au cœur de
son autobiographie. S'il convient davantage de parler de processus de raciali saton, c'est
notamment parce que celui-ci met en exergue la découvetie de cette identité et la façon dont
il a« choisi 98 » de la vivre. En quatrième de couverture, Obama dit à cet effet: « J'étais trop
jeune pour savoir que j'avais besoin d ' une race », faisant référence à son entrée au jardin
d'enfance. A insi, alors que son identité genrée et sexue ll e n'a pas été l'objet d'une prise de
99
conscience puisqu'elle représentait la norme sociale , l'identité racisée d'Obama fut, en
contrepartie, catégorisée et vécue comme étant l'altérité. À ce titre, le processus de
racialisation renvoie donc aux représentations, mais smiout aux catégories norme/altérité qui
font qu'en Occident, les hommes blancs sont perçus comme étant la nonne et les autres
comme étant l'altérité. Christian Poiret, Odile Hoffmann et Cédric Audebert. définissent bien
le processus de raciali sation quand ils écr ivent ceci :

96
Par subversion nous entendons ce qui va à l'encontre de l'ordre établi et qui en ce sens, en montre le
caractère construit. Comme le souligne Butler avec son exemple. ·
97
Barack Obama, Les rêves de mon père: l 'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., 4e de
couverture.
98
Nous ven·ons dans ce chapitre comment l'articulation de l'identité raciale avec le rêve américain
renvoie à la notion de choix.
99
Masculin, hétérosexuel.
45

La racialisation se réfère aux pratiques et aux représentations racistes qui , selon les
contextes, reposent sur une interprétation des apparences phys iques censées traduire
des origines communes ( .. . ) la racialisation est fondée en nature, elle relève de
l' hérédité et non de l' héritage, et elle s'inscrit toujours dans des rapports de
domination/subordination contraignant la vie quotidienne des individus. Même si le
processus de racialisation peut comprendre un mouvement de retournement du
stigmate qui amène les dominés à revendiquer et à retravailler la catégorie qui est au
cœur de leur domination, d'un point de vue historique, elle commence toujours par
une imputation catégorielle imposée par le groupe dominant. Ce dernier pouvant lui-
même, selon les contextes historiques et sociopolitiques, smiir ou non de son
100
indétermination et se revendiquer ou pas comme groupe racisé .

Par conséquent, si le processus de racialisation renvoie à une déterm in ation


identitaire, ce qui est important de soulever, c'est que ce processus ne s'accompagne pas
d ' une assimilation identitaire. Prendre conscience de sa « race» d'Afro-Américain n' a pas
permis à Obama de devenir «B lanc » par la suite. Sa propre prise de conscience sur le plan
racial passe donc par la détermination sociale de sa« race». Ainsi, «parce qu 'elle se réfère à
de l' inné et qu 'elle construit une altérité insurmontable, tendanci ell ement, la racialisation ne
s'accompagne pas d' inj onction à l'assimilation, mais plutôt de pratiques de ségrégations et de
contention 101 ». À cet égard, il est donc faux de parler de « race » sans parler d'abord de
processus de racialisation. La «.race » n'existe pas en dehors des catégories raciales. Ces
catégories sont généralemenf basées sur une dynamique d'inclusion et d'exclusion qui a
comme référent des particularités physiques (telles la couleur de la peau ou la texture des
cheveux), mai s également des caractéristiques culturelles fondées sur des stéréotypes rac iaux.

Dans ses ouvrages, Obama a mis en évidence cette prise de conscience qu ' a engendré
le processus de racialisation. Il situe dans l'espace-temps cette prise de conscience
notamment dans le livre Les rêves de mon père. Obama raconte ainsi au lecteur qu ' il a
découvert le « prob lème» de sa «race» en lisant dans sa jeunesse un artic le du magazine
Life. Dans cet article, il était question d'un homme noir qui avait essayé de devenir blanc en

10
°Christian Poiret, Odile Hoffmann et Cédric Audebert. 20 Il. «Éditori al : Contextualiser pour mieux
conceptualiser la racialisation», Revue européenne des migrations internationales, vol. 27, no l.p.6.
101
Idem.
46

se faisant pâlir la peau. À cette époque, Obama se rappelle ainsi de l'anxiété qui l'avait alors
gagné: «Cette photo-là m'avait révélé autre chose: il y avait un ennemi caché quelques pmi,
102
un ennemi qui pouvait m'atteindre sans que personne le sache, pas même moi ».L'ennemi
dont faire part Obama, c'est le racisme ou la hiérarchisation des «races » comme mode de
fonctionnement normatif. De surcroît, il mentionne comment, à pmiir de ce jour, jour où il
découvrit qu ' il était racisé, son regard sur le monde avait été modifié, et ce, de manière
définitive :

Dans les émissions de télévision étrangères qui passaient maintenant le soir, je


remarquais que Crosby ne faisait jamais la conquête de la fille dans I spy, que le Noir
de Mission impossible passait tout son temps sous terre. Qu'il n'y avait personne
comme moi dans le catalogue de Noe) de Sears Roebuck que Toot et Gramps nous
avaient envoyé, et que le père Noël était Blanc.

Je gardais ces observations pour moi, en décrétant que soit ma mère ne le voyait pas,
soit elle essayait de me protéger, et que je ne devais pas lui montrer que ses efforts
avaient échoué. J'avais toujours confiance en ma mère et son amour .. . mais,
désormais, il m'apparaissait que sa présentation du monde, et de la place de mon père
103
dans ce monde n'était pas tout à fait complète .

Ainsi, contrairement aux autres identités à l' étude, l'identité raciale d' Obama est
mise en lumière à l'intérieur d'un processus de racialisation , où l'identité en question est
l'altérité et, où les représentations sociales de sa « race » sont reléguées au second rang. Dans
le cas d'Obama, la «race» devient donc tangible, matérielle. Cette matérialité, Butler la
conçoit comme un effet du pouvoir, elle souligne :

La « matérialité » désigne un certain effet du pouvoir ou, plutôt, elle est le pouvoir
dans son effet formateur ou constitutif. Dans la mesure où le pouvoir parvient à
constituer un domaine d'objets, un champ d' intelligibilité, un domain e d'être dont on
considère qu ' il relève de l'évidence, ses effets matériels sont considérés comme des
données matérielles, ou comme un donné premier [sic]. Cette positivité matérielle
paraît extérieure au discours et au pouvoir, elle semble être leur référence
.
mcontesta . "fiJe' transcen danta 1104 .
bi e, 1eur s1gm

102
Barack Obama, Les rêves de mon père : l 'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit. , p .88.
103
Barack Obama, Les rêves de mon p ère : l 'histoire d 'un héritage en noir et blanc, op.cit. , p.8 8.
104
Judith Butler, Ces corps .qui comptent: de la matérialité et des limites discursives du sexe, op.cit.,
p.47.
47

Ainsi , Butler, largement inspirée des apports conceptuels de Foucault en ce qui a trait
105
au pouvoir , conçoit la matérialité des corps et, par extension, la « race » comme une
représentation des rapports de pouvoir. Pour Butler, il faut questionner 1' identité en cessant
de la définir comme une position préexistante, afin de la voir plutôt comme une « partie
d'une carte dynamique du pouvoir » dans laquelle les identités sont déployées, paralysées,
constituées ou effacées 106 • Obama souligne donc les effets matériels des rapports de pouvoir
investis par les identités. Les quelques extraits de Les rêves de mon père que nous avons cités
précédemment démontrent la prise de conscience d' Obama des rapports de pouvoir en ce qui
a trait à sa« race ».

Ceci place l' identité racisée d ' Obama sur un différent niveau d'analyse que son
identité genrée. En effet, pour Obama, l' identification à la « race » no ire passe par une prise
de conscience de la sous-représentation des Afro-Américains. D 'abord à la télévision puis
dans les magazines et enfin au niveau des symboliques sociales. Alors que 1' identité genrée.
d'Obama s'articule dans ses discours et ses autobiographies de manière implicite (voir chap.
3) invisibilisant ainsi les différents rappotis de pouvoir qui traversent les genl·es, l'identité
raciale d' Obama est non seulement mise de l'avant, mais est également objet de dénonciation
et de revendication . Toutefois, si l' identité de genre et l' id entité de « race » d 'Obama
s'atiiculent différemment dans nos objets d' études, elles n'en demeurent pas moin s
interdépendantes. En ce sens, la masculinité d ' Obarna et sa « race» sont co nstituantes l' une
de l'autre et deviennent ainsi structurantes pour la campagne électorale de l'actu el président.

2.2.2 Dénonciation et agentivité

Force est donc de constater qu 'Obama ne se contente pas uniqu ement d rendr
vis ibl e son identité raciale de mani ère explicite, mais dénonce éga lement les in éga lités dont
font l' objet les gens de sa « race ». Par ailleurs, si la « race » est rendue visib le elle est
éga lement l' objet d' un effoti de revendication à de nombreux égard s au se in de ses écrits et
de ses discours. En effet, Obama fait mention à plusieurs reprises, notamment dans Les rêves

105
Butler dans son ouvrage « Ces corps qui comptent » se pose en dialogue, mais également en rupture
avec l'ouvrage : Michel Foucault. 1975. Surveiller et Punir, Gallimard, Paris, 318 pages.
106
Judith Butler, Ces corps qui comptent: de la matérialité.et des limites discursives du sexe, op.cit. ,
p. I 26 .
48

de mon père, de l'existence de disparités entre les Blancs et les Noirs. Il sou li gne: «La
minorité s'assimilait dans la culture dominante, ce n'était pas l' inverse. Seule la culture
blanche pouvait être neutre et objective. Seule la cu lture blanche pouvait être non-raciale,
prête à adopter 1'exotique occasionnel dans ses rangs. Seule la culture blanche était formée
107108
d'individus ». Ce passage du livre provient de ses années universitaires alors qu'il était
au début de la vingtaine, années qu'Obama qualifie lui-même d'années de révolte. Or, même
si Obama semb le adoucir le ton sur les questions raciales tout au long de Les rêves de mon
père, cet extrait sélectionné pour publication a pour effet direct de rendre visible la
dichotomie norme/altérité, Blanc/Noir, mais également les disparités en ce qui concerne la
production du savoir « neutre et objectif».

Également, un autre point qui doit être souligné est l'impotiance que Les rêves de
mon père accorde aux années passées par Obama à titre d 'organisateur communautaire à
Chicago, dans l'un des quartiers noirs les plus pauvres de la vi ll e. Plus d'une centaine de
pages qui composent cette autobiographie Les rêves de mon père sont consacrées à ces deux
années de sa vie, où il a côtoyé en même temps que la cu lture noire, la pauvreté, les
problèmes de nutrition, la violence, mais sutiout, l' indifférence des politiciens face aux
problèmes de ghettoïsation. Dans ce chapitre, il est possible de lire des critiques à l'égard du
rapport de pouvoir qui traverse l'identité raciale ainsi qu'aux di sparités qui existent entre
Noirs et Blancs. À titre d'exemple, Obama dit, en référence au quartier dans lequel il
travaillait: « À présent que les emplois n'existaient plus, et que les gens qui le pouvaient
étaient déjà patiis, il semb lait tout à fait naturel d'utiliser l'endroit comme décharge. Une
109
décharge ... est un lieu pour y loger les Noirs pauvres ». De plus, comme il fut souligné
précédemment, le livre L 'audace d'espérer contient un chapitre entier portant sur la « race ».
Dans ce chapitre, il est notamment question du nombre négligeable de sénateurs issus de la
communauté hispanophone ou Afro-Américaine, alors que ces communautés représentent
chacune près de 15% de la population américaine. Obama note également la sous-
représentation de ces mêmes groupes dans les conseils d'administration s et les postes

107
Barack Obama, Les rêves de mon père : 1'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.149.
108
La citation est au passé parce qu ' Obama fait cette remarque en parlant de ses années universitaires.
Or, puisque cette citation apparaît dans l 'a utobio gr~phie , nous décidons de la considérer comme une
composante narrative qui se veut dénonciatrice. .
109
Barack Obama, Les rêves de mon père: 1'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.346.
49

hi érarchiques 11 0 • Par ailleurs, Obama ne se contente pas uniquement d' identifier les sphères
de la société améri caine où les Noirs sont minoritaires. Il dénonce également le rac isme vécu
qu otidiennement par les Afro-Américains aux États-Unis ainsi que le rac isme qu ' il a lui-
même vécu à titre personn el. Il dit à cet égard :

De plus, si mon éducati on personnelle n'est en aucun cas typique de la minorité noire,
et si, en grande partie grâce à la chance et au hasard, j 'occupe aujourd ' hui une
position qui me protège de la plupmi des plaies et bosses qu e le Noir moyen doit
endurer, je peux quand même réciter la litanie des petits affronts qui m'ont été
infligés pendant mes quarante-cinq années d' existence: les vigiles qu i me suivent
lorsque je fais des courses dans un grand magasin, les couples blancs qui me lancent
les clefs de leurs voitures quand je me tiens devant l'entrée d' un restaurant et que
j'attends le vo iturier, les policiers qui m'ord onnent sans raison apparente de me garer
le long du trottoir. Je sais ce que c'est qu 'entendre des gens me dire que j e ne peux
pa.s faire telle ou telle chose à cause de la colère ravalée 11 1•

Dès lors, il est clair qu ' Obama, que ce soit dans Les rêves de mon père ou
dans L 'audace d 'espérer, rend visible le racisme ambiant aux États-U nis et les différentes
oppressions vécues par les gens racisés . Sa propre racialisation qui fonde son expérience
matéri elle est l' un des points de départ de ses ouvrages et est, sans nu l doute, utilisée à des
fin s de stratégie politique. C' est ce qu e de nombreux auteurs en science politique désignent
comme la carte raciale 112 . Or, comment cette carte fut-elle utilisée par Obama? Quelle place
Obama lui a-t-il accord ée dans ses deux autobiographies et ses deux di scours à la nation? En
qu oi la cmie raciale est-elle différente des deux autres identités à l'étud e? La prochaine
section du présent chapitre propose des réponses à ces qu esti ons.

2.3 . La carte raciale: uti le, mais pernicieuse

À la lumière de la précédente secti on du chapitre, il est évident qu ' Obama a rendu


publ ique . son expérience de racialisation et en a fa it un des suj ets principaux de ses
autobiographies. Obama a donc j oué la carte raciale. Pour Mend elberg, ce que l' on désigne

110
Barack Obama, L 'audace d'esp érer : un nouveau rêve américain, op.cit., p.286.
11 1
Barack Obama, L 'audace d 'esp érer: un nouveau rêve américain, op.cit., p.287.
112
Dans cette recherche, nous utiliserons le terme catte rac iale (traduction libre) pour référer à
l'expression anglaise« race card ».
50

comm e la carte raci ale est l' utilisation stratégique en politique de l' identité raciale. I 13
Comme il fut souligné dans le premier chapitre, Mendelberg soutient que puisque la « race »
est constitu ante dès relations de pouvoir en tant que catégorie politique de la différence, les
11 4
norm es contextueÙes des époques où la carte raciale est utilisée importent . Dans le cas
d ' Obama, le contexte est particulièrement intéressant. En effet, lors des primaires démocrates,
celui-ci affrontait Clinton, qui est rappelons le, une femme blanche fortun ée mari ée à un
ancien président. Un nombre notoire d'articles se sont intéressés à cette confrontation et,
comme le souligne Enid Lynette Logan, la carte raciale aux États-Unis était, dans le contexte,
une carte identitaire plus facile à utiliser que celle du genre (pour Clinton). Elle
mentionne : « There was a clear sense, from the beginning, thal Obama 's candidacy was
somehow more potentially transf ormative f or the nation than was Clinton 's 11 5 ». La victoire
d ' Obama en 2008 peut ainsi s'expliquer en partie par la représentati on subversive dans
1' imagin aire collectif que suscitait la carte raciale au détriment de la cm1e du genre. Car,
comme Logan le souligne, la nation américaine traîne avec elle le fardeau de l'esclavage et,
pour nombre d' Am éricains, la victoire d'Obama signifie la rupture avec cet héritage
coloni al 11 6 . En ce sens, Obama est rapidement devenu le symbole du progrès racial aux États-
Uni s.

Toutefoi s, si le contexte est intéressant pour l'analyse de la mi se de l' avant de s


id entités, la façon dont la carte raciale fut utili sée importe également. Puisque les
autobi ographies d' Obama participent clairement à la stratégie po litiqu e, il n'est pas faux de
dire qu ' Obama a su déployer la carte raciale de manière efficace. D ' une pmi , il est clair que
l' incarnati on qu ' il fait du self-made man n' est pas étrangère à la carte raciale et qu e la mise

11 3
Tali Mendelberg,« The Norm of Racial Inequality, Electoral Strategy and Explicit Ap peal ». Chap
in . The Race Card : Campaign Strategy, lmplicit Messages, and the Norm of Equality, New-Jersey,
Prin ceton University Press, 2001, quatri ème de couverture.
11 4
Ta li Mendelberg, «The Norm of Racial Inequa1ity, Electoral Strategy and Explicit Appeal » Chap in.
The Race Card: Campaign Strategy, Jmplicit Messages, and the Norm of Equality, New-Jersey,
Pr inceton University Press, 2001 , p.29.
11 5
Enid Lynette Logan, « The Feminist (?) Hero Versus the Black Messiah: Contesting Gender and
Race in the 2008 Democratie Primary». Chap. in The Obama Ef!ect: Multidisciplinary Renderings of
the 2008 Campaign, sous la dir. de Heather Harris, Kimberly Moffits et Catherine Squ ires, New-York,
Uni vers ity of New-York Press, 2010 , p.257.
116
ldein.
51

117
de l'avant de son orientation sexuelle non plus • Par ailleurs, ce qui a fait de la carte raciale
un puissant outil stratégique pour Obama est la manière dont l'actuel prés id ent des États-Uni s
a lié explicitement les enjeux raciaux à sa propre identité raciale.

2.3 .1 Le rêve américain

Si Je livre Les rêves de mon père permet de connaître le récit de vie d'Obama, de son
enfance à l'âge adulte, l'autobiographie L'audace d'espérer est davantage une rencontre avec
le po liticien qu 'avec l'individu . Comme nous l'avons mentionné précédemment, chacun des
chapitres de cette deuxième autobiographie renvoie à un enj eu important de politique
américaine, si bien qu 'Obama présente ce qui ressemble de très près à un programme
politique. Ainsi, alors que Je processus de racialisation d'Obama est mis de l'avant
explicitement dans Les rêves de mon père, L'audace d'espérer propose plutôt de retracer le
parcours politique d' Obama pour démontrer au lecteur comment un Afro-Américain issu
d'une fami lle monoparentale à revenu moyen a réussi à devenir ce qu ' il est. Le livre explique
donc comment, de par ses origines et son parcours de vie, Obama incarne le rêve américain.
Il illustre également comment les Américains faisant les bons choix de vie peuvent eux aussi
atte indre leurs objectifs personnels, d'où le fameux Yes we cqn. La stratégie di scurs ive agit
donc à deux niveaux: d' une part, Obama tente de faire la démonstrati on qu 'en votant pour lui,
les électeurs rendent le rêve américain réel et matériel. D 'autre part, Obama rappelle que
réaliser le rêve américain exige des efforts et de la vo lonté personnelle; qu ' espérer demande
de l'audace et de la discipline, mais qu'en Amérique tout est possible . Ce faisant, la notion de
cho ix qu'Obamajuxtapose au rêve américain tend à invisibi liser les structures oppress ives et
raci stes qui existent aux États-Uni s et met l'accent, une fo is de plus, sur les vo lontés
individuelles plutôt que sur les obstacles institutionnels. Obama incarne donc, comme
d' autres avant lui, le self-made man de l'Amérique, un self-made man à la fois identique à
ceux qui l' ont précédé (de par sa symbolique forte de volonté individuelle) et subvers if (de
par la « race » de ce lui qu ' il incarne).

11 7
Nou s consacrerons le troisième chapitre aux identités dom inantes d ' Obama et à leur mise de l' avant
dan s la campagne électorale de 2008.
52

Dans cette mesure, sa victoire à l'élection de 2008 renforce également l' idée du rêve
américain, ce qui , selon McDonald, est une juxtaposition relativement courante lorsqu'il est
question de la « race » et du succès aux États-Unis. Elle affirme : « The racial victory is
explained in mainstream media discourses through stories reinforcing the ideo logy of the
American Dream of hard work and limitless opportunity for all and of a race-relations
history encompassing slow, steady progress 118 ».Bien que son chapitre porte sur l' histoire de
Michael Jordan (le joueur étoile de basketball) et Oprah Winfrey (l'animatrice d'une
émission télévisuelle du même nom), il semble que l'analyse que fait McDonald s'applique
également à notre étude de cas. En effet, dans L 'audace d 'espérer, Obama parle de ses
débuts en politique comme les années les plus difficiles de sa vie, notamment parce qu ' il
n'était pas connu du milieu. Il raconte que sa campagne électorale pour devenir sénateur fut
parsemée d'embûches, car ses adversaires avaient deux choses que lui ne possédait pas : la
richesse et les relations. Tom Hynes, son adversaire de l'époque, possédait une richesse
personnelle notoire, mais également des assises importantes dans le milieu de la politique,
notamment à cause de son père. Un héritage de capital financier et social qui avait tôt fait de
faire craindre le pire à Obama et son équipe de campagne. L'autre adversaire d ' Obama lors
de cette campagne était, quant à lui, un riche homme d'affaires . Néanmoins, en travaill ant
fort et en étant à l' écoute des gens qu ' il rencontrait, Obama réussit à se forger une réputation
et à bien faire dans les sondages. Sa victoire fut donc redevable davantage à ses efforts et sa
volonté, moins qu ' à un héritage. Ce sont les conclusions que sont invités à tirer les lecteurs
11 9
du chapitre intitulé « La politique ».À cet effet, Obama consacre également dans le même
livre un chapitre entier à une thème qu ' il nomme « Les chances à saisir », et dans lequel il
affirm e : « Tout individu ayant assez d 'énergie et de talent pourra se hi sser au sommet 120 ».
C'est précisément ce quet nte d d' montr r Obama a ec son parcours p r onnel en po liti que .
Ains i, Obama fait appel à la non-victimisation face aux identités (raciales ou autres) et à la
responsabilisati on de soi .

118
Mary G. McDonald «Michael Jordan's fami liy va lues: Marketing, meaning and post-modem-
Reagan america ». Chap. in The American body in context: an anthology, sous la dir. de Jessica R.
John ston, p.l 45- 175, Wilmington, Scholarl y Ressources 2001.p. l 45
119
Barack Obama, L'audace d'espérer : un no:ttveau rêve américain, op.cit. , p.l29-1 79.
120
lbid. , p. l89.
53

Alors qu ' Obama se présente comme le symbole du progrès racial ayant eu lieu dans
les dernières décennies aux États-Unis, il affirme en contrepartie qu ' il est également là parce
qu ' il a mis l'énergie nécessaire pour y arriver (et que cela ne peut être possible qu ' en
Amérique). Ce stratagème au niveau de la rhétorique cache donc f01i bien les contradictions
qui subsistent entre le progrès racial, la dénonciation des structures racistes aux États-Unis et
le rêve américain qui renvoie strictement à la notion de choix individuel. Comme le souli gne
Dina Gavrilos:

While it is historically, culturally, and sentimental/y powerful that an African


American has achieved the highest position of political power in the United States,
this cannat be celebrated without noting a major contradiction - that national
structures of power (economie and social policies, cultural ideologies and political
practices) did not help produce this historie moment but aligned systemically to work
against it. The proof of this stubbornly-held power is that thirty-plus years of
regressive neoconservative economie and political policies did not make it easier for
an Obama to emerge, but harder (. ..) 721 .

Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme Gavrilos, l'actuel prés ident des États-Unis
se présente comme la matérialisation du rêve américain et tend à nous faire remarquer que les
institutions laissent toujours le choix aux individus. Certes, il consent que cela n'est pas
touj ours facile pour quiconque veut atteindre un objectif, mai s dan s L'audace d 'espérer il
démontre bien qu 'en faisant les bons choix et en concentrant ses énergies au bon endroit, tout
est possibl e.

Pour se frayer un chemin dans un tel monde, une enfant noire doit chasser le surcroit
d ' hés itation qu' elle peut éprouver quand elle se tient su r le seuil d'une classe
majoritairement blanche le premier jour d 'école; une Hispanique doit combattre le
doute lorsqu'elle se prépare à un entretien d 'embauche dans une entrepri se où la
plupart des employés sont Blancs( ... ) Je maintiens cependant que dans l'Amérique
d'aujourd'hui ces préjugés sont moins ancrés qu'avant, et donc sujet à réfutation. Un
adolescent noir qui marche dans la rue suscitera la peur d'un coup le blanc, mais s'i l
s'avère que c'est un camarade de lycée de son fils, le même coup le l'invitera peut-
être à dîner. Un Noir peut avo ir de la difficulté à trouver un taxi tard le so ir, mai s si
c 'est un ingénieur en logiciel compétent, Microsoft n' hésitera pas à l'embaucher 122 •

Dina Gavrilos, « White Males Lose Presidency for the First Time: Exposing the Po~er of Whiteness
12 1

Through Obama's Victory». Chap. in The Obama Effect: Multidisciplinary Renderings of the 2008
Campaign, sous la dir. de Heath er Harris, Kimberly Moffits, New-York, University of New-York
Press, 2010, p.S .
122
Barack Obama, L'audace d'espérer: un nouveau rêve américain, France, op.cit. , p.29 1.
54

En réponse à cette citation, on peut se demander ce qu'il en est de l'ingénieur en


logiciel qui n'est pas convoqué en entrevue malgré ses compétences, ou encore du camarade
noir dans un lycée qui n'arrive pas à se faire des amis blancs? Ce qu 'Obama souligne
participe de l'invisibilisation des structures oppressives et bien qu'i l admette que certains
préjugés raciaux persistent aux États-Unis, il renvoie le poids de ceux-ci aux individus et non
aux structures. L'effet pervers est donc double : d' une part, il demande aux Blancs de faire
usage de « bonne foi» à l'égard des êtres qui peuvent les effrayer parfois (Afro-Américains,
Hispanophones, etc.). D'autre part, il rassure les personnes racisées sur la neutralité des
institutions, ce qui les incite à redoubler d'efforts et d'énergie pour parvenir à leurs fins.
« Through speeches declaring that « only in America is (his) story possible », Obama
forwarded the notion that in va ting for him, whites demonstrated the ir « core goodness », the
United States proved itself to be a place of opportunity and tolerance 123 ». Or, comme nous
l'avons souligné au premier chapitre, les institutions ne sont pas neutres et, à l'instar de
George Lipstiz qui affirme que les privilèges blancs sont construits historiquement par les
États 124 , nous pensons que ce type de discours participe de la reproduction des inégalités
raciales aux États-Unis. Par ailleurs, c'est précisément ce qui fait dire à Gavrilos qu 'Obama
n'est pas plus gu ' un être extraordinairement talentueux : « Rather than painting to a black
man fin ally crossing a racial barrier, we can pain! Ob a ma as an extraordinay gifted once-in-
. . . 12s
a- lifi
z etzme po 1ztzc ».

123
Enid Lynette Logan, « The Feminist (?) Hero versus the Black Messiah: Contesting Gender and
Race in the 2008 Democratie Primary». Chap. in The Obama Effect : Multidisciplinary Renderings of
the 2008 Campaign, sous la dir. de Heather Hanis, Kimberly Moffits et Catherine Squires, New-York,
University ofNew-York Press, 2010, p.259. .
124
George Liptiz, The Possessive Jnvestment in Whiteness: How White People Profit from Jdentity
Politics, Philadelphia, Temple University Press, 1998, p.52.
125
Enid Lynette Logan, « The Feminist (?) Hero versus the Black Messiah: Contesting Gender and
Race in the 2008 Democratie Primary». Chap. in The Obama Effect: Multidisciplinary Renderings of
the 2008 Campaign, sous la dir. de Heather Hanis, Kimberly Moffits et Catherine Squires, New-York,
University of New York Press, 2010, p.S.
55

2.3.2 L'appel au changement

Par ailleurs, Je rêve américain est intrinsèquement li é à l' id ée de chan gement, car
Obama a réuss i à démontrer qu ' en votant pour lui, les électrices et électeu rs participeraient à
la rupture finale avec le passé colonial et esclavagiste des États-Unis. Dans cette section,
nous mettrons donc en exergue, d'une part, ce qu'est l'appel au changement qu 'Obama
incarne et, d'autre pmi, en quoi cela est problématique pour la visibilisation plus générale des
enjeux raciaux aux États-Unis.

Mendelberg souligne que l'utilisation de la carte raciale par les politiciens aux États-
Unis s'est transformée à travers Je temps, passant des discours explicites sur le maintien des
inégalités raciales au 19e siècle à des discours implicitement raci stes au 20e sièc le 126 • Cette
transformati on peut s'expliquer, comme l'auteure le mentionne, par un change ment des
normes, passant de l'acceptation sociale du raci sme à la dénonci ati on de celui-ci, mal gré la
reproduction des structures oppressives. Dans Je cas d ' Obama, le caractère unique de son
utilisation de la carte raciale réside donc dans les références explicites qu'il fa it à la« race »,
autant au sein de ses allocutions publiques que de ses autobiographies. Ce qui aurait été un
pari dangereux pour les précédents prés idents, parler de la « race » sem blait quelqu e chose
d ' inévitable pour Obama. Toutefois, si la « race » comme objet discursif semblait être une
nécessité, en parler autant démontre l' importance pour un politicien de traiter de son statut
subversif. Cet usage discursif, comme nous le démontrons tcJ , dépolitise les structures
raciales aux États-Unis.

En effet, Obama tenta de faire la démon stration qu ' en votant pour lui, les électeurs et
électrices voteraient pour un changement. Ce changement représen e e entiell em nt la
rupture avec Je passé colonial et raciste, et la chance de faire de 1'Amériqu e une rée ll e terre
d'oppottunité pour tous ses citoyens . Cec i s'observe notamm ent dan s le discours de
Philadelphie sur la race The More Perject Un ion où Obama ne cesse de faire des ponts entre
le passé (colonial) et le futur (plus ouvert, s'i l est élu). Comme le mentionne Sarah

126
Tali Mendelberg, « The Norm of Racial In equality, Electoral Strategy and Explicit Appeal » Chap in .
The Race Card: Campaign Strategy, Jmplicit Messages, and the Norm of Equality, New-Jersey,
Prin ceton University Press, 200 1, p.64.
56

McCaffrey : « in (The More Perfect Union) the present moment is thefulcrum of action for
127
changing the future and remedying the injustices of the past ». Obama explique qu'en
votant pour lui (un Afro-Américain), les électrices et électeurs feront la preuve que
l'Amérique a changé et qu ' il est maintenant possible de tourner la page sur l'esclavagisme et
les inégalités raciales pour commencer une nouvelle ère où il n'y aura plus de ségrégation,
mais une unité, une Amérique. Il mentionne notamment : « This is where we start. ft is where
our union grows stronger. And as sa many generation have come torea/ize over the course of
the two-hundred and twenty one years since a band of patriots signed thal document in
Philadelphia, thal is where the perfection begins 128 ». Ainsi, non seulement Obama parle-t-il
explicitement de la« race»; mais il le fait toujours en parallèle avec sa propre expérience de
racialisation, avec son identité raciale. C'est ce qui rend la candidature d'Obama unique en ce
qui a trait aux enjeux identitaires. Comme le mentionne McCaffrey : «« The need ta « perfect
the union » and undo the injustices of past structures thal enabled racism, slavery, and
oppression merges with his cal! to bridge the spatial gap between the imperfect present and a
more perfect, prosperous future; it is this me/ding ofpast and present thal opens the do or for
129
contradictory assessment of his approach to race relations ». Il apparait important de
mentionner que les discours qu'Obama tient sur la «race» représentent le fondement de
l'incarnation qu ' il fait de l'espoir (hope). Sa rhétorique consiste principalement à dire que
puisqu'il se présente dans ses allocutions publiques comme le futur représentant de
1'Amérique, il est important que 1'Amérique démontre sa « bonne foi » en élisant un
président à 1' image de celle-ci. Une des citations les plus éloquentes à cet égard réside dan s A
More Perfect Union lorsqu'il dit :

127
Sarah McCaffrey, Ghosts and Gaps : A Rethorical Examination of Ternporality and Spatial
Metaphors in Barack Obama's «A More Perfect Union». Chap. in The Obama E.!Ject :
Multidisciplinary Renderings of the 2008 Campaign, sous la dir. de Heath er Harris, Kimberly Moffits,
New-York, University ofNew-York Press, 2010, p.33.
128
Barack, Obama, «A More Perfect Union », Washington Wire, En ligne,
http:/lb logs. ws j .com/washwire/2008/03/ 18/text-of-obamas-speech-a-more-perfect-union/, Page
consultée le 8 janvier 2012.
129
Sarah, McCaffi"ey, « Ghosts and Gaps : A Rethorical Examination of Temporality and . Spatial
Metaphors in Barack Obama's «A More Perfect Union». Chap. in The Obama E.!Ject :
Multidisciplinary Renderings of the 2008 Campaign, sous la dir. de Heather Harris, Kimberly Moffits,
New-York, University of New-York Press, 2010, p.34.
57

« 1 can no more disown him (Reverend Wright) .than 1 can disown the black community. 1
can no more disown him than 1 can disown my white grand-mother - a woman who
helped ra ise me, a women who sacri.ficed again and again for me, a woman who loves me
as much as she loves anything in this world, but a woman who once confessed her fear of
black men who passed by her on the street, and who on more than one occasion has
uttered racial or ethnie stereotypes that made me cringe. These people are a part of me.
And they are part ofAmerica, this country that 1 love 130 ».

Il est donc clair qu'Obama met de l'avant son identité" raciale, non pas uniquement
celle d'un Noir, mais également celle d'un Blanc. Il incarne donc non seulement l'espoir
d'une rupture définitive avec le passé colonial et esclavagiste, mais également l'espoir d'une
cohabitation possible entre les« races ». En ce sens, Obama est la symbolique d' un ambitieux
projet d'égalité raciale. C'est d'ailleurs ce qui lui permet d'incarner aussi fidèlement Je self-
made man américain, cet heureux mariage entre l'absence d' héritage aristocratique
(notamment issue de son parcours afro-américain) et sa propre volonté (historiquement
valorisée au sein de la masculinité blanche dominante). Toutefois, cette incarnation ne peut se
faire uniquement par la dénonciation des inégalités, car Je risque électoral serait trop
important. Si 1'on peut être simultanément issu de la culture noire et de la culture blanche
comme Obama tente de Je démontrer dans ses deux autobiographies et dans ses allocutions
publiques, il faut savoir jongler entre la dénonciation des inégalités, sans la dénonciation de
l'oppresseur. Obama a su trouver le fil conducteur lui permettant de rester un symbole f01i de
l'égalité raciale, et ce, sans avoir à sacrifier l'espoir de l'unité : celui du rêve américain. Par
conséquent, bien qu'Obama ait mis de l'avant son identité racisée et ait rendu explicite son
processus de racialisation, nous avons essayé de démontrer que cela ne fut que l' utilisation de
la ca1ie raciale. En effet, en présentant son élection comme la fin alité du changement en ce
qui a trait aux enjeux raciaux et en juxtaposant le tout avec l' incarnation qu ' il fait du rêve
américain, Obama a dépolitisé ceux-ci, alors même qu'il prétendait faire Je contraire.

En somme, tel qu ' il fut démontré dans ce chapitre, la contextualisation de nos études
de cas est nécessaire pour comprendre la construction de l' identité raciale qu ' Obama à mis en

130
Barack, Obama, « A More PerfectUnion »,Washington Wire, En ligne,
http ://blogs.ws j.com/was hwire/2008/03/ 18/text-of-obamas-speech-a-more-perfect-union/, Page
consultée le .8 janvier 201 2. ·
58

avant. L'utilisation discursive de cette identité a eu le double rôle de rendre visible la


« race » de 1' institution présidentielle tout en dépolitisant les enjeux raciaux. Par conséquent,
si Les rêves de mon p ère, A More Perfect Union et L'audace d'espérer abordent la question
raciale de manière explicite, cela concorde avec un programme politique très précis
concernant cet enjeu en campagne électorale. Par ailleurs, nous avons observé dans nos
études de cas qu'Obama met de l'avant le processus de racialisation qu'il a vécu . Ce faisant,
il rend visibles les rapports de pouvoir qui traversent les identités raciales et va même jusqu ' à
dénoncer le manque de r~présentation raCiale au sein des institutions politiques. Sa propre
expérience de racialisation est donc 1'un des points importants de nos études de cas dans la
mesure où elle est utilisé en contexte éléctoral De plus, nous avons démontré qu ' en
juxtaposant la carte raciale à l'idée du rêve américain, Obama a dépolitisé les enjeux raciaux
qu'il dénonçait en premier lieu. En effet, alors qu'Obama admet qu'il existe du racisme et
que cela transparaît dans nombre de structures aux États-Unis, il responsabilise du même
souffle les individus. Par conséquent, en mettant de l'avant une rhétorique axée sur le choix
des individus, Obama dépolitise les enjeux raciaux aux États-Unis.
- - -- -- -- - - - - - - - -- - - - -

59

CHAPITRE 3:

AUX FRONTIÈRES DU GENRE: LA SEXUALITÉ

Le chapitre précédent a démontré qu'à travers le processus de racialisation dont il fut


l'objet, Obama a rendu visibles les différents rapports de pouvoir qui caractérisent l'identité
raciale. En abordant la « race » explicitement, Obama en a fait un des sujets prédominants à
la fois de ses autobiographies et de ses allocutions publiques, répondant ce faisant aux
différentes conjonctures entourant la campagne électorale de 2008. Nous avons démontré
qu'en présentant sa victoire comme enjeu de changement et qu'en juxtaposant sa propre
réussite avec 1'idée du rêve américain, Obama en est venu à dépolitiser les enjeux raciaux
alors qu'il prétendait faire le contraire. Ainsi, la différence majeure entre l' identité raciale
d'Obama et les deux autres identités à l'étude se situe donc à la fois dans sa composante
« hors-norme » par rapport aux identités antérieures de la présidence, mais également dans
l'utilisation discursive qu'il en a fait, c'est-à-dire un traitement explicite. Or, si la« race» est
abordée sans retenue au sein des autobiographies et des allocutions publiques, l'identité
genrée et sexuelle de l'actuel président n'est pas abordée explicitement. Par conséquent,
comme nous l'avons souligné en conclusion du premier chapitre, nous émettons la sous-
hypothèse que la réitération des identités dominantes au sein des autobiographies et des
allocutions publiques d' Obama, notamment en ce qui a trait au genre masculin, se fait via un
discours naturalisant sur celui-ci qui, par conséquent, cristallise les rapports sociaux de genre.
Par ailleurs, puisque l'identité sexuelle est l'identité la moins présente dans les analyses
critiques de la: campagne électorale d' Obama en ce qui a trait aux enjeux identitaires, nous
traiterons également de son usage discursif. Il sera démontré que comme l'identité genrée,
l' identité sexuelle d' Obama est mise de l' avant de manière implicite. Réitérer
l'h étérosexualité comme unique sexualité présidentiable permet en effet à Obama de prendre
pos ition de mani ère explicite sur le mariage homosexuel, ce qui n'est pas sans conséquence
pour l'institution familiale et le rapport à l' intime. Obama devient donc un des véhicules
60

politiques du discours sur Je «vrai » de la sexualité, ce qui permet la marginalisation des


désirs non hétérosexuels. Par conséquent, Je présent chapitre s'intéressera d'abord au
traitement de l' identité genrée du président puis à celui de l'identité sexuée. Cette analyse
démontrera qu'Obama incarne, au niveau matériel, l'identité dominante aux États-Unis et que
cette incarnation est observable notamment dans ses autobiographies et ses discours publics.
Elle mettra aussi en évidence l' importance que prend le sport au sein de ses écrits, ce qui
renforce son image de masculinité noire et hétérosexuelle. De plus, nous mettrons en lumière
l'i nvisibilisation des rapports de pouvoir de genre qui subsistent dans les autobiographies et
les discours d ' Obama et qui ont, comme conséquence directe, la réitération de « la place des
femmes» dans la sphère privée. Nous tenterons, comme l'exige une analyse féministe, de
rendre l'invisible visible, c'est-à-dire de démontrer qu ' il existe des enjeux identitaires qui ne
sont pas exclusifs à la « race » (bien qu ' intimement reliés) et qui illustrent que la masculinité
est non seulement au centre de la campagne présidentielle d'Obama de 2008, mais également
au coeur de l' institution prés identielle américaine.

3.1 La masculinité comme fondement du rôle présidentiel

Afin de répondre à notre question de recherche, il faut dépasser les analyses binaires
sur la candidature d'Obama à l'investiture démocrate et démontrer la pertinence de consid érer,
non plus uniquement l'identité raciale, mais également les identités privilégiées au sei n de la
société, dont la masculinité. Comme le souligne Anne-Marie Hancock :

leaving women of color as the only race-gendered political candidates is deeply


problematic, as it avoids deconstructing the practices of categorical power (. ..)
Intersectional scholars would use race and gender as analytical categories
applicable to bath candidates in arder to reveal a more complete picture of the
power relations at work between Senators Clinton and Obama on the primary
. . 13 1
campazgn traz 1 .

Par conséquent, si l'on s' intéresse seu lement aux identités lorsqu'e lles sont
confrontées à d'autres identités, on limite notre ana lyse aux rapports hiérarchiques des

13 1
Anne-Marie Hancock, «An Untraditional Intersectional Analysis ofthe 2008 Election» Politics and
Gender, volS . no 1, 2009, p.99.
- - - - - - -- - -- -- - -

61

relations identitaires. Cela oriente inévitablement l'analyse scientifique puisqu 'elle


invisibilise les identités privilégiées. Ainsi, nous croyons qu ' il est réducteur de dire que,
comme le souligne Éric Passin en référence à la confrontation électorale d'Obama et Clinton:
« ( ... ) la politique minoritaire se réduisait à un « jeu à somme nulle »: la victoire de l' un
serait inéluctablement la défaite de l'autre». En utilisant l'outil intersectionnel, nous devons
dépasser cette simple dichotomie et étudier non seulement la « race », mais également le
genre et la sexualité, comme des identités interdépendantes qui agissent une sur l'autre et se
construisent mutuellement.

C'est dans ce contexte que sera faite l'analyse du genre masculin comme identité
réitérée à maintes reprises, notamment au sein des deux autobiographies mentionnées
précédemment. Nous soutenons que la masculinité, et plus spécifiquement la virilité, ont été
utilisées pour renforcer l'identité homme d'Obama. Les discours essentialisant d'Obama sur
sa masculinité contrastent avec les discours qu'il tient à propos de son identité raciale. En
effet, le discours politique qu 'Obama fait de sa racialisation contraste avec les arguments
naturali sant qu'il met de l' avant pour parler de la masculinité. Dans cette mesure, nous
abondons dans le même sens qu 'Achin et al. lorsqu'elles disent:

Comme la virilité, si elle a fonctionné en politique comme un privilège historique


dont il était inutile de se prévaloir tant il est effectif, s'est transformée [sic] , au moins
depuis une trentaine d'années en « ressource » qui doit être (ré) affirmée. Ces
ressources sexuelles et raciales ne sont donc pas simplement des positions ou des
signes de statut dans le champ des rapports sociaux, mais bien des capitaux qu'il
peut être utile, voire indispensable, d'exploiter politiquement 132 .

Cette VISion des identités comme ressources et capitaux semble particulièrement


intéressante dans le cas d'Obama puisque, comme il a été souli gné précédemment, Les rêves
de mon père est une réponse directe aux reproches qui ont concerné son identité raciale en

132
Catherine Arch in, Juliette Rennes et Elsa Dorlin, « Capital corporel identitaire et institutions
présidentielle : réflexions sur les processus d'incarnations des rôles politiques », Raisons politiques,
no 31 , 2008, p. l7.
62

2000. Il fa ll ait donc réfl échir à l' utili satio n de la« race» comme ressource, mais également à
l' utili sati on du ge nre et de la sexualité. D ans la prochaine partie de ce chapitre, il sera _d écrit
dans qu elle mesure O bama incam e un symbo le masculin et réitère de ce fait les normes liées
au genre en cri stallisant les di fférences entre les genres.

3 .1 .1 Reprod ucti on de 1' importance accordée au Self-Made Man

L' instituti on présidentielle n 'est pas neutre, mais elle a un genre, une « race » et une
sexualité précise. N ous avons fa it la démonstration que l' identité rac iale de la prés idence
améri ca ine fut mi se de l' avant par Obama et juxtaposée à l' idée du rêve américa in : ce qui eut
pour effet de dépolitiser les enjeux raciaux aux États-Unis. Or, comme nous le soutenons,
1' instituti on présid enti e ll e a égalem ent un genre précis et une sexualité normée. P ar
conséqu ent, nos propos sur le genre ont été exemplifiés à l'aide de la conceptu ali sati on qu e
fa it Kimm e l de la masculinité dominante, celle du self-made man . Cette identité de genre qui
s' est imposée dès la genèse de 1' instituti on présidentielle américa ine, notamm ent avec
l' incarnati on de cette masculinité par les Pères fo ndateurs, est encore celle qui domine à ce
j our au se in de la soci été américa ine et, puisqu 'elle est un symbo le de ce ll e-c i, au sein de la
présid ence. Néanmo ins, K imme l affirme que cette masculinité a perdu en importance en
ra ison des transformations apportées par la. lutte pour les droits civ iques 133 . A ujourd ' hui ,
l'hi storien parl e d' un e masculinité plus inc lusive et pluri elle qui accorde davantage de pl ace à
134
la famill e et qui se veut plus «sen sibl e » • Or, si nous abondons dans le même sens qu e
K imme l en ce qui concerne sa conceptua li sati on initiale de la masculinité dominante (voir
chapitre 1), nous ne pm1ageons pas sa vision qui g lorifie la masculinité actue lle . Ce11es,
comm e le souli gne l'auteur, la lutte pour les dro its civiques a été une force transformatri ce au
niveau id entitaire, ma is cela n 'a pas suffi à éradiquer une identité de genre domin ante, ni
même à la transform er de mani ère substanti elle. A insi, alors que Ki mme l parle d ' identités
plurielles, Jeffords parle de mutation de l'identité dominante. Si pour Susan Jeffords la
prési dence a un corps spécifique, ce corps se lit et se comprend à travers un prisme identitaire.
Sa conceptua li sation du « hard body», qu 'ell e associe notamment avec la présid ence de

133
Michael Kimmel,op.cit., p.305.
134
Ibid., p.333 .
63

Reagan , s'est également transformée avec les luttes des années 60 et 70. Or, pour l'auteure,
cette nouvelle identité reste dominante, mais revêt des caractéristiques différentes :

Rejecting the male bonds that typified many films of the 1970s, these heroes prove
themselves through their isolation from other men, deriving their power not from
male solidarity and communication but from alliances with the larger institutional
systems ofjustice ta which they turn for the solution of social problems 135 .

Ainsi, comme le souligne Jeffords, ce n'est plus une masculinité exacerbée qu1
domine le champ des identités de genre, mais plutôt une masculinité moins typique. Si le
« Rambo » des années Reagan s'est transformé dit-elle, c'est pour laisser la place à un
homme plus près des valeurs familiales que de l'action en situation de guene.

Pmiant de la conceptualisation contemporaine que donnent ces deux historiens de la


masculinité aux États-Unis, nous pouvons observer l'utilisation discursive que fait Obama de
cette «nouvelle» masculinité et sa façon de l'incarner, autant au sein de ses écrits que de ses
discours. L'incarnation du self-made man d'Obama diffère de celle des présidents qui l'ont
précédé dans la mesure où celui-ci est racisé. Ainsi, à son arrivée à la présidence, Obama est
venu bouleverser l'identité jusqu'alors statique de l'institution présidentielle exclusivement
blanche s'appuyant sur un symbole architectural fort (The White House). Par conséquent,
l'identité raciale d'Obama est une partie intégrante de l'incarnation qu'il fait du self-made
man américain. En effet, au cœur de ses écrits, Obama montre à quel point son histoire est à
la foi s unique, en raison de sa «race», mais également semblable à celle de nombre
d'Américains si l' on met en exergue sa classe sociale. Ainsi, incarner le self-made man pour
un Afro-Américain renvoie à la capacité de dépasser les contraintes raciales pour être en
mesure de se « hisser au sommet».

L ' identité du self-made man, qui est l'incarnation typique du rêve américain, est
promue implicitement dans chacune des deux autobiographies d'Obama. C'est donc à travers

135
Susan Jeffords, Hard Bodies: Hollywood Masculinity in the Reagan Era, Library of Congress,
United States of America, 1994, p.136.
64

le récit de vie d'Obama que le lecteur est amené à prendre conscience de l'incarnation qu'il
fait du self-made man . Son hi stoire démontre ainsi clairement qu ' il est « parti de rien » et
devenu président des États-Unis. En effet, dans Les rêves de mon p ère, Obama retrace son
parcours qui lui a permis de passer d'homme « ordinaire » à sénateur de l' Illinois. Il relate
son ascension tout en accordant une grande place à la classe moyenne de sa mère et de ses
grands-parents 136 . Ainsi , il présente les origines de sa famille maternelle en mettant l'accent
sur le caractère modeste de celles-ci. Sa grand-mère et sa famille étaient d'origine
« respectable 137 » dit-il, une famille à l'image de la peinture de Grant Wood « The American
Gothie » 138 . Son grand-père, quant à lui, a été élevé par ses propres grands-parents, « des gens
139
convenables qui travaillaient dans les puits de pétrole ( .. . )Il a été mis à la porte du lycée à
140
quinze ans et a toujours travaillé depuis » • Enfin, la mère d'Obama l' a élevé seule pendant
les six premières années de sa vie en travaillant comme institutrice. Obama dit d ' ailleurs de
sa jeunesse : « Je me rappelle l' envie que je ressentais vis-à-vis de mes copains quand ils
141
m'invitaient à venir jouer avec eux dans ces grands jardins, ou à nager dans leurs piscines »,
insistant ainsi sur le faible revenu de sa mère monoparentale et de ses conditions de vie
relativement précaires . Malgré l'absence d'aisance financière, Obama a quand même eu accès
au meilleur lycée d' Honolulu, Punahou Academy, grâce à la pression faite par le patron de
142
Gramps (le grand-père d'Obama) sur l'administration • Puis, il entra à l'Université de
Colombia à New York où il s' infligea une rigueur de travail afin de réussir à obtenir son
diplôme. Il dit de cette époque : « Je me mis à courir, à raison de cinq kilomètres chaque jour,
et àjeüner [sic] le dimanche. Pour la première fois depuis des années, je m' investis dans mes
14 3
études et tins un journal où je consignais mes réflexions et de très mauvais poèmes ». Grâce
à cette constance qu'il conserva durant ses étud es à l'Université de Co·lumbia, Obama obtint
son diplôme . Puis, par soucis pour la communauté noire, Obama devint organisateur

136
11 est important de mentionner que les grands-parents d'Obama (du coté maternel) sont très présents
dans ses deux ouvrages, puisque ceux-ci en ont eu la garde pendant quelques années lors de son
adolescence.
137
Barack Obama, Les rêves de mon père : l 'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.39.
138
· Jbid, p.3 7.
139
fbid, p.39.
140
Ibid, p.40.
141
Ibid, p.449.
142
Jbid, p.96.
143
Ibid, p. J 74.
65

communautaire à Chicago, refu sant ainsi un travail bien rémunéré avec possibilité

d'avancement qui lui avait été proposé à New York après l'obtention de son diplôme . Cet

emploi d'organi sateur communautaire à Chicago occupe plusieurs chapitres dans l' ouvrage
Les rêves de mon père et est présenté comme une étape significative dans la vie d'Obama. Il
a investi de nombreu ses heures supplémentaires et a sacrifié deux ans de sa vie pour cette

cause. Néanmoins, Obama aura d'autres ambitions et entrera à l'école de droit de l'Université

Harvard , université la plus prestigieuse du pays. Mentionnons que son passage à Harvard ne
prend que quelques lignes dans ses autobiographies. Ainsi, Je deuxième ouvrage souligne son

arrivée en politique en rappelant son premier échec contre Bobby Rush ainsi que sa victoire
et son entrée au Sénat en 2004.

Ce récit de vie démontre donc comment Obama a réussi à se hisser à la plus haute

fonction des États-Unis en ne partant de « rien » : aucun héritage considérable de capitaux


financiers et sans nom de famille rattaché à une histoire connue. Il avait si mplement une

réelle volonté de changement, beaucoup de rigueur et de patience. C'est donc sa réussite

éminente au sein de la sphère publique, qui est redevable à sa volonté individuelle, qui fait de
144
lui un self-made man. L'agentivité d ' Obama se situe ainsi dans l' incarnation qu'il fait de
la symbolique du « rêve américain», ce qui ne relève d'ailleurs pas strictement de son

identité raciale . Néanmoins, cette incarnation est largement exclusive à un genre précis,

comme J'ont démontré Kimmel et Jeffords . Être self-made n'existe pas en dehors du genre

«man». Le «rêve américain» n'est possible que s'il est exclusif. Par conséquent, nous
contestons la thèse de Frank R.Cooper lorsqu ' il avance: « 1 argue that Obama was more

feminine than most mainstream candidates because he is a black male 145 ». Au contraire,
nous avançons plutôt la sous-hypothèse que sa masculinité fut mise de 1'avant en
juxtapos iti on avec sa «race» et son orientation sexuelle. Cette imbrication, comme nou s

allons le démontrer dans la prochaine section , se fait notamment à travers la valorisation du

144 Nous empruntons la définition du concept d'agentivité (agency) à Judith Butler lorsqu'elle affi1me ·
que l'agentivité renvoi à la capacité d'agir:« cette notion , qui tente d'articuler notre marge de
manœuvre, notre pou~oir de résister au pouvoir » dans Judith Butler. 2005. Trouble dans le genre : le
féminisme et la subversion des identités, Paris, La Découverte, p. 22.
145 Frank R. Cooper,« Our First Unisex President: Black Masculinity and Obama's Feminine Side »,
Denver University Law Review, No. 09, 2009, (En ligne) http://csdc-
cecd.mcgill.ca/gmp/pages/publications/conventional.pdf, Consulté le 18 janvier 2010, p.635.
66

sport, un sport favorisant non seulement un genre, mais également une race et une orientation
sexuelle.

3.1.2 Le sp01t: haut lieu de valorisation de la masculinité

Si nous soutenons que les identités d 'Obama sont mises de l'avant dans nos objets
d 'études, il est tout de même important de mettre en lumière une différenciation majeure
entre 1' utilisation politique de certaines identités et la possibilité, pour un individu, en
l' occurrence Obama, de choisir ses identités et de les instrumentaliser selon sa propre volonté.
Butler affi rme :

Il ne s'agit pas d ' un sujet qui se tiendrait à distance de ses identifications et


déciderait, comme s'il s'agissait d ' instruments à sa disposition, s'il souhaite,
aujourd'hui, se servir de l' une ou de l'autre, et comment. Au contraire, le sujet est
l'imbrication d ' identifications mobilisées simultanément bien qu'elles soient
incohérentes entre elles; il est constitué par l' itérabilité de sa performance, et cette
répétition a pour effet à la fois de légitimer et de délégitimer les normes de réalité
46
par lesquelles il est produitr .

Comme 1'exp lique Butler, il faut comprendre le concept de la performativité du genre


non pas comme un acte prémédité et conscient, mais plutôt comme une réitération constante
47
des normes de genre qui constituent et définissent le sujet r • Cette auteure souligne
également que «La performativité n 'est pas un «acte » singulier, elle est toujours la

réitération d ' une norme ou d'un ensemble de nonnes; dans la mesure où elle acquiert un
statut d'acte dans le présent, elle masque ou dissimule les conventions dont elle est la
148
répétition ». C'est à partir de cette conceptualisation que fait Butler de la performativité du
genre que nous désirons observer la «mise en scène» du genre à travers les discours
d'Obama. Nous croyons que la valorisation du sport au sein de ses discours n'est pas anodine,

146
Judith Butler,Ces corps qui comptent : de la matérialité et des limites discursives du sexe, Paris,
Éditions Amsterdam, 2009, p.l3 8.
147
Judith Butler, « Actes corporels subversifs ». Chap in. Trouble dans le genre: le féminisme et la·
subversion des identités, Paris, La Découverte, 2005, p.263.
148
Judith Butler, Ces corps qui comptent: de la matérialité et des limites discursives du sexe, op.cit.,
p.27.
67

mai s patiicipe plutôt de cette performativité. Dans le cas d ' Obama, cette « norme » identitaire
se retrouve à 1' intersection de la « race » et du genre, et le sp01i en est 1'une de ses
manifestation s.

Dans ses écrits, Obama accorde une place importante à son amour du sport et plus
patiiculièrement à sa participation active, lors de l'adolescence, à des activités parascolaires
de cette nature. Dans sa première autobiographie, Les rêves de mon p ère, Obama souligne :
« Je pouvais jouer au basket, avec une passion dévorante qui dépasserait toujours les limites
de mon talent
149
». Il est nécessaire de f~ire le lien entre le basketball que pratique Obama à
l'adolescence et la masculinité noire qui en découle. McDonald dit à propos de Michael
Jordan , le joueur étoile de baskeiball d'origine Afro-Américaine :

The ways in which he [Jordan] is represented also assist in the reconstruction,


legitimation and embellishment of larger cultural associations between natural
athleticism and masculinity (especially black masculinity) which play a significant
role in the era of contemporary gender relations 150 •

Le con stat que fait McDonald en ce qui concerne Michael Jordan s'applique
également à Obama dans la mesure où la mise en valeur du basketball dans ses écrits
participe à la construction raciale de ce sport dans l' imaginaire collectif et n' est pas exempte
de stéréotypes genrés. Par conséquent, McDonald soutient également que Jordan représente
l'espoir de la libetié et la possibilité de sortir des préjugés et des structures sociales qui
15 1
entravent la prospérité économique et la stabilité psychologique des Afro-Américains .

Nous croyons que les propos de McDonald s'appliquent également à Obama, qui est devenu
un symbole fort de réuss ite sociale.

149
Barack Obama, Les rêves de mon père: l'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.l22 .
150
Mary J. McDonald, «M ichael Jordan's Family Values: Marketing, Meaning and Post-Modem-
Reagan America ». Chap. in The American Body in Context: An Anthology, sous la dir. de Jessica R.
Johnston, Wilmington, Scholarly Ressources, 2001, p.l55.
15 1
l bid. , p.149.
68

Dans le même ordre d'idées, si le simple fait de jouer au basketball demeure


insuffisant pour rendre compte de la perfonnativité du genre qui s'exerce à travers la pratique
de ce sport racisé, l' un des passages du livre Les rêves de mon père démontre clairement
1' interdépendance qui existe entre le genre, la « race » et 1' orientation sexuelle.

Le cadeau de Noël de mon père [ballon de basket] était arrivé à une époque où
l'équipe de basket de l'Université d 'Hawaii avait accédé au classement national grâce
à un cinq de dépmi constitué exclusivement de Noirs que l'école avait faire venir du
continent. Ce même printemps, Gramps m'avait emmené voir un match, et j 'avais
observé les joueurs pendant l'échauffement. C'étaient encore de jeunes garçons; mais
pour moi c'étaient des guerriers pleins d'aisance et d'assurance, qui riaient et
plaisantaient entre eux, adressaient des signes aux filles assises sur les côtés sans
prêter la moindre attention à leurs serviles supporteurs [ ... ]Je décidai de faire partie
de ce monde et me mis à m'entraîner sur un terrain de jeu proche de l'immeuble de
' 1ac 1asse 152 .
mes gran ds-parents, apres

Cet extrait de l'autobiographie d'Obama démontre qu'il n'est pas seulement question
de spOiilorsqu'il décrit l'importance du basketball dans sa vie, mais bien de la performativité
du genre à travers le sport. « .Le monde » auquel désire appmienir Obama est finalement celui
des nonnes sociales qui composent et définissent le genre. En seulement quelques lignes,
Obama réitère l'imbrication du sport avec la «race»(« exclusivement noire»), le genre:
(«jeunes garçons ( ... ) des guerriers pleins d ' aisance et d'assurance ») et 1' hétérosexualité :
(«adressaient des signes aux filles assises sur les côtés»). Dans son analyse des primaires
démocrates de 2008, Hancock dit :

Obama 's ability ta emulate the black male elite ath/ete ta « talk sports » with the
guys is structural/y available ta him, not because all men love sports and all women
do not know about them but because of the gender privilege he enjoys as a male in a
.
sport-orzente d, patrzarc hal soczety 153 .
0
0

152
Barack Obama, Les rêves de mon père: 1'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., p. 122 .
153
Anne-Marie, Hancock, « An Untraditional Intersectional Analysis of the 2008 Election », Politics
and Gender, no 5, 2009, p.l 03.
69

Dans cette analyse, Hancock renforce les propos de McDonald en visibilisant


davantage les privilèges de genre qui concernent cette passion pour le sport et

'1
1' interdépendance avec la « race ». L'objectif visé par Ob am a, dans la pratique du basketball,
1

ne concerne qu 'en partie la maîtrise stratégique du jeu étant donné qu 'elle concerne surtout
les privilèges qui viennent de ce sport, tels que décrits dans la citation suivante.
L 'adolescence devient donc, à travers le spo1i, l'espace où l'imbrication de son identité de
genre, son identité sexuelle et son identité raciale se consolide.

À cet effet, Obama écrit également dans le même ouvrage :

Quand j 'entrai au lycée, je jouai dans l'équipe de Punahou, et je pus m'entraîner sur
les tenains de l' université, où une poignée de Noirs, pour la plupart des accros à la
salle de gym et des anciens sportifs, m'enseignèrent par .leur exemple quelques
règles qui ne se limitaient pas au :Sport. À inspirer le respect par ce que vous faisiez
et non par ce qu'était votre papa. À provoquer un adversaire pour le déstabiliser,
mais aussi à fermer votre gueule si vous n'aviez pas les moyens d'assurer derrière. À
ne laisser personne s' approcher de vous en traître, au risque de lui permettre de voir
154
des émotions- comme la peine ou la peur- que vous ne voudriez voir .

Ces deux précédents extraits font état de l' exclusivité de ce sp01t. Grâce au basketball ,
Obama apprend à ne pas montrer certaines émotions, « comme la peine ou la peur ». Il
apprend également le combat dans un contexte sp01iif. Cependant, les termes utili sés par le
prés ident pour décrire ces combats nou s renvoient à un univers influencé par le genre. Les
termes « adversaire », « déstabilisation », « respect », « guerrier », « aisance » et « assurance
»sont éminemment genrés et pmiicipent à la réitération de l' importance de la virilité dan s le
spo1i et, plus largement, de son importance au sein de 1' institution prés identiell e américaine.
Comm e le souli gne Joane Nagel: « [those terms] are hard to distinguish as either nationalistic
155
or mascu linist, since they seem so thorou ghly tied both to the nation and manllness ». Si,
comme nous J'avons démontré en début de chapitre, les livres d'Obama sont apparus à des
moments électoraux stratégiques, il est aisé de penser que l'importance que prend Je spo1i au
se in des écrits d' Obama participe à la cristallisation de l' identité publique d 'Obama, une

154
Barack Obama, Les rêves de mon père: l 'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.l22.
155
Joane Nagel, « Masculin ity and Nationalism: Gender and Sexuality in the Making of Nations »,
Ethnie and Racial Studies, vol. 21, no . 2, 1998, p.252 .
70

identité qui doit s'accorder avec les identités présidentielles. Par conséquent, à travers
l'autobiographie Les rêves de mon père, Obama livre aux lectrices et lecteurs son
apprentissage de ce que Kimmel appelle« the manhood», que l'on peut traduire librement
par masculinité. Le sport est l'une des facettes à travers lesquelles Obama exprime sa
construction de genre (et son interdépendance avec son identité raciale) et celle-ci est mise de
l'avant dans ses écrits. Or, nous interprétons l'implicite du texte, comme la mise de l'avant de
sa passion pour ce spo11 à des fins de réitération de sa virilité. Ainsi, la performativité du
genre pour Obama se matérialise à travers le sport, qui devient un lieu privilégié de la
réitération des normes associées à la masculinité noire 156 . Si l' usage stratégique de la virilité
relève de la conscience de son importance en politique, les termes implicites liés à cette
masculinité sont, comme le souligne Butler, la simple réitération des valeurs et des normes
sociales déjà en place.

3 .2 Il n'y pas de sujet sans altérité

II va sans dire que la pratique sportive n'est pas l'unique démonstration de la


masculinité d'Obama. Certes, le self-made man qu'il incarne par sa réussite sociale et sa
passion pour le sp011 est majeur pour l'incarnation de sa fonction, mais la virilité et la
masculinité ne peuvent exister sans altérité et donc sans l'exclusion, aujourd'hui implicite, de
ce qui ne représente pas Je genre masculin. La construction identitaire qui s'exerce à travers
les deux discours à la nation ainsi que les deux autobiographies à l'étude se fait ainsi en
opposition au genre féminin et, plus spécifiquement, aux femmes qu'Obama contraint à la
sphère privée. La valorisation de sa masculinité passe donc à la fois par l'invisibilisation des
rapports de pouvoir genrés et par la réitération constante de la « place » des femmes dans la

156
La masculinité noire (black masculinity) fait l'obj et d'une vaste littérature dans le champ des études
sur le genre. Cette littérature tente de mettre en exergue l' interdépendance qui existe entre la
masculinité et la « race » noire dans des espaces de valorisation de la masculinité tels le sport et la
sexualité. En somme, les interactions qui subsistent entre le genre et la <<"race » sont mi sent en lumière
à travers l'historique de ségrégation raciale spéc ifique à la culture afro-américaine. Lire notamment
Messner, Michael. 2008. Boyhood, organized sports, and the construction ofmasculinities. Sociology:
Exploring the architecture of everyday !ife, 7th edition, David M. Newman and Jodi A. O'Brien. New
York: Pine Forge Press, p.87-98 et Ferber, Abby. L. 2007. «The construction of black masculinity
white supremacy now and th en ». Journal of Sport & Social Issues, vol 31, nol, p.ll-24. Obama en ce
sens se doit d'être analysé à l'intersection entre les études sur la masculinité noire et celles sur la
masculinité dominante (blanche).
71

sphère dite privée. Par conséquent, si les discours sur la « race » tenus par Obama mettent en
exergue les inégalités raciales qui perdurent aux États-Unis, l'identité masculine de celui-ci
revêt plutôt un aspect essentialisant réitérant ses privilèges de genre en invisibilisant les
structures inégalitaires entre les genres.

3.2.1 Invisibilisation des rapports de pouvoir genrés

Comme le souligne Butler: « le langage est producteur, constitutif, voire pourrait-on


soutenir, performatif, dans la mesure où cet acte signifiant délimite et trace les contours du
157
corps dont il prétend ensuite qu ' il précède ». La performativité du langage comme
productrice de matérialité s'applique à notre analyse discursive d'Obama dans la mesure où
les discours binaires et dichotomiques tenus par le président sur la « place » des genres agit
non seulement sur le réel , mais constitue en soi la réitération du réel. Ainsi, faire l'analyse du
di scours sur la masculinité d'Obama nécessite la prise en considération des discours sur les
femmes. Néanmoins, l'époque dans laquelle est articulé le di scours nous oblige non pas à
chercher des formes explicites de discrimination dans le contenu de ses livres et de ses
allocutions publiques, mais plutôt à y relever les fmmes implicites de di scrimination qui
passent notamment par I' essentialisation des genres et l'appel à la nah1ralité des di ffé rences
de genre. Mendelberg souligne à cet effet :

In the case of gender, the negative predispositions do not contain fear, resentment,
and other negative emotions so much as role expectation (. ..) negative
predispositions about gender focus on the sphere of home, family and sexuality, with
spillover effects in the workplace and in politica! participation 15 8•

Ainsi, dans les di scours d' Obama, nous avons relevé deux aspects implicites qUI
participent à la cristallisation des genres et à la réitération de l' importance de la virilité en ce
qui concerne la présidence .

157
Judith Butler, Ces corps qui comptent: de la matérialité et des limites discursives du sexe, op.cit.,
p.42.
158
Tali Mendelberg, « Implicit Com munjcation Beyond Race: Gender, Sexual Orientation and
Ethnicity ». Chap. in The Race Card: Campaign Strategy, lmplicit Messages, and the Norm of
Equality, New-Jersey, Princeton University Press, 2001, p.240.
72

Le premier aspect · consiste à invisibiliser les rapports de pouv01r genrés qm


s'exercent de manière structurelle aux États-Unis. Notamment, dans L 'audace d 'espérer,
Obama met en lumière, dans le chapitre « Les valeurs », ce qu ' il considère être « le point de
départ de la société américaine » : « Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités
suivantes : tous les hommes sont créés égaux; ils sont dotés par leur créateur de certains
droits inaliénables : parmi ces droits se trouvent la vie, · la liberté et la recherche du
bonheur 159 ». Cette citation nous renvoie au premier chapitre du présent mémoire où le
masculin, présenté comme l' universel, du moins selon la vision androcentriste qui domine les
études sur ia présidence, balise l'absence de neutralité de celle-ci. Par conséquent, par cette
simple phrase, Obama réitère une de ses identités dominantes en mettant de l' avant le projet
exclusif de « l'égalité » américaine. De plus, à la lecture des autobiographies, il est
intéressant de constater que l'analyse critique que fait Obama de la Constitution ne concerne
que l'esclavage« racial », invisibilisant, une fois de plus, les rapports de pouvoir de genre de
l'époque et les formes d'esclavages exercées sur les femmes .

De surcroît, Obama, dans le même ouvrage, dit à propos de la Constitution


américaine :

Je pense en outre que le génie de l'Amérique a toujours résidé en partie dans sa


capacité à intégrer de nouvelles venues, à forger une identité nationale à partir des
grouyes disparates débarquant sur nos côtes. Nous avons été aidés en cela par une
Constitution qui - bien que souillée par le péché originel de l'esclavage- renferme
en son cœur l'idée d' une citoyenneté égale devant la loi, et par un système
économique qui , plus que tout autre, a donné une chance à chacun, indépendamment
. ou de 1a positiOn
du rang, du titre . . 160 .

Comme Pateman en fait état, la citoyenneté, depuis le contrat social des Lumières, a
toujours exclu les femmes et, s' il est vrai que la Constitution américaine était« soui llée par le
péché de l' esclavage», cec i n'est pas exclusif à là« race», mais également genre. Ainsi, tout
porte à croire que les problèmes sociaux majeurs de la société américaine, pour Obama, sont
de deux ordres. D'une part, il existe des disparités raciales et d'autre part, il existe des

159
Barack Obama, L 'audace d 'espérer: un nouveau rêve américain, op.cit., p.72.
160
Ibid, p.285.
73

disparités économiques (ou de classe), bien qu 'en ce qui concerne l'économie : « le système
économique a donné une chance à chacun », sou ligne-t-il. Par conséquent, l'invisibi lisation
des rapports de pouvoir de genre dans les écrits d' Obama reflète l'absence de considération
Privilèges qui ren~oient à la
161
de ses propres privilèges dans sa réflexion du politique •

possibilité d'acqu érir (et de mettre en scène) une viri lité qui se matérialise à travers le sport et
les discours sur le sport. De surcroît, les discours rendent également possible l' incarnation du
self-made man, l' identité nécessaire, comme il fut mis en év idence précédemment, pour
atteindre 1' institution présidentielle.

À travers nos études de cas, Obama semble non seulement inconscient de ses
privilèges, mais il en fait également bon usage à travers plusieurs situations. À titre
d 'exemple, toujours dans Les rêves de mon père, Obama raconte aux lectrices et lecteurs la
tournure d 'une de ses so irées lorsqu'i l était à l' université. Cette so irée avait été donnée en
l' honneur de la première allocution publique de celui-ci sur le campus universitaire. Son
allocution po1tait sur la di scrimination raciale à l' université. Cette all ocution avait remporté
un vif succès et ava it également marqué le début de l'amour d'Obama pour les discours
politiques. Lors de cette soi rée, Obama s'était fait félicité par une collègue qui militait avec
lui dans un comité de défense des droits des Afro-Américains. À cela, Obama lui avait
répondu : « Écoute, Régina, l' interrompis-j e, tu es très mign onne. Et j e su is content qu~ ma
petite prestation d ' aujourd'hui t'ait plu, mai s c'est la dernière fois que vous m ' entendez faire
un speech. Je vais te laisser le soin de porter la bonne parole. Moi, j 'ai décidé que ce n' était
162
pas mon affaire de parler au nom des Noirs. » Quelques li gnes plus loin, Obama avait
renchéri en lui di sant : « tu n 'es pas stupide Régin a, mai s tu es naïve 163 ». Et puis, quelques
minutes plus tard , un am i d'Obama était intervenu dans la di scussion en relatant les bons
moments qu e l'actuel prés ident et lu i avaient eus durant les années de leur parcours
universitaire:« C'était quelque chose, je ne te dis pas, Régina. Quand les femmes de ménage
rappliquaient le lundi matin, on était encore affalés dans le couloir, des vrais zomb ies.

161
Nous disons « du politique», car il est évident que ses deux autobiographi es ne revo ient pas
uniquement à l' action directe qui , elle, serait politique, mais fait plutôt état des valeurs qui l'englobe et
concernent donc éga lem ent le domaine du politique.
162
Barack Obama, Les rêves de mon père: l 'histoire d 'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.l60.
163
ldem.
---------------- - - - -- -- -- - - - - - - - - - - - - - - - - - ,

74

164
Y'avait des bouteilles partout, des mégots, des journaux ... Et le dégeulis [sic] aussi ».
Ainsi, ce court extrait, tiré de l' une de ses autobiographies, a un potentiel subversif dans la
- mesure où celui-ci met en évidence les inégalités de genre. Or, ce qui est étonnant avec ce
passage est l'analyse qu'en fait Obama a posteriori. Au lieu de mettre en exergue la
ghettoïsation des femmes Afro-Américaines dans des métiers traditionnels qui les
maintiennent dans des conditions de pauvreté, Obama se place au centre d' une réflexion sur
la lutte exclusivement raciale. Pour actualiser ce récit, l'auteur ajoute sa réflexion sur les
évènements et dit: «Cette peur constante et rampante d'être chez-moi nulle part, qui me
faisait croire que, à moins d'esquiver, de dissimuler, de faire semblant d'être ce lui que je
n'étais pas, je resterais pour toujours à l'extérieur, toujours soumis au jugement du reste du
165
monde, noir et blanc ». Cette réponse à un enjeu qui n'est pas uniquement racial, mais qui
est également genré, démoùtre, une fois de plus, l' invisibilisation qui est à l'œuvre dan s le
contenu de son autobiographie en ce qui concerne les rapports sociaux de genre et les
inégalités qui en découlent. Qui plus est, cela met en exergue l'absence de prise de
conscience de ses propres privilèges reliés à son genre. Cet extrait fait également état du
paternalisme contenu dan s le livre lorsque Obama parle à des femmes. En di sant : «Écoute,
Régina, l' interrompis-je, tu es très mignonne. Et je suis content que ma petite prestation
d 'aujourd ' hui t'ait plu ( .. . ) », Obama sexualise son interlocutrice («tu es mignonne ») et la
ramène ainsi à un genre visib le et désirable. Ce ton paternaliste, qui sera abordé dans la sous-
section suivante, est présent dans ses discours et ses ouvrages, et · témoigne de la
cristallisation des rapports de pouvoir genrés.

3.3 Réitération de la «place» des femmes dans la sphère privée

La réitération des identités dominantes de la présidence américaine 166 passe donc par
l'invisibilisation des rapports de pouvoir genrés au sein des discours, mais également, comme
nous allons Je soutenir dans cette partie du chapitre, par la perpétuation de
la «place naturelle» des femmes ·au sein de la sphère privée. Ainsi , il est possible d'observer à

164
Jbid. , p.l61.
165
Ibid.., p.l63 .
166
Masculinité hégémonique et hétérosexualité (qui sera notamment abordée plus loin dans ce
chapitre).
75

travers les allocutions publiques et les autobiographies d'Obama un rapport sujet/objet entre
les hommes et les femmes , mais également et surtout une cristallisation des rôles genrés qui
-fige la distinction binaire et dichotomique entre le privé et le public.

Un des exemples intéressants du rapport objet/sujet qui différencie les genres dans la
sphère publique se trouve au sein du discours de la victoire qui fut largement médiatisé. Lors
de cette allocution publique, Obama fait référence au caractère historique de sa victoire. Il fait
le parallèle entre sa victoire et la vie d' Ann Nixon Cooper, une femme âgée de 108 ans et
affirme:

She was born just a generation past slavery; a time when there were no cars on the
roads or planes in the sky; when someone like her couldn 't vote for two reasons-
because she was a woman and because of the co lor of her skin. And tonight, 1 think
about ali that she 's seen throughout her century in America- the heartache and the
hope; the struggle and the progress; the times we were told that we can 't and the
people who pressed on with that American creed: Yes we can 167 .

Cet exemple illustre le fait qu' Ann Nixon Cooper, comme bien d'autres femmes dans
ses autobiographies, a été un témoin de l'histoire et non un sujet constituant l'histoire
nationale. Au sein du même discours, Obama fait des références à des acteurs importants de
la nation américaine: les Pères fondateurs, Abraham Lincoln, Neil Armstrong qui sont
présentés comme des hommes ayant forgé la nation et changé les perspectives, mais en ce qui
concerne Ann Nixon Cooper, qui est la seule femme (avec Michelle Obama et ses filles) à
occuper une place au sein de ce di scours, celle-ci est présentée comme une observatrice ou
une actrice passive. Comme si elle avait regardé l'histoire passer au lieu d'y participer
activement. Loin . d' être subversif, ce propos n' est pas sans rappeler ceux des auteurs
classiques présentés dans le premier chapitre, qui universalisaient l' expérience présidentielle
en invisibilisant le genre féminin .

167
Barack Obama, « Victory speech », Transcript CNN, En ligne,
http://edition.cnn .com/200 8/POLITlC S!l l /04/obama. transcript/, consultée le 10 j anvier 201 2.
76

· Outre cette allocution pJJblique, c ' est plus particulièrement au cœur du récit de vie
d' Obama que l'on trouve les exemples les plus éloquents de l'utilisation discursive de la
nivision publique/privée comme mode d 'organisation central de la famille. Dans le chapitre
«La famille », Obama insiste notamment sur la nécessité, en politique, de réussir à concilier
le travail et la famille. Parlant de la naissance de son premier bébé, il dit: «Elle [Malia]
arriva à un moment idéal pour Michelle comme pour moi: le Parlement n'était pas en session
et je ne donnais pas de cours pendant l'été, aussi pouvais-je passer toutes les soirées à la
maison; de son côté, Michelle avait décidé d'accepter un emploi à temps partiel à l'université
de Chicago afin d'av~ir plus de temps pour s'occuper du bébé 168 ».Ainsi, alors que Michelle
Obama avait obtenu un diplôme en droit de l'université Harvard et commencé une carrière
dans un prestigieux bureau d'avocat, l'arrivée du bébé a signifié l'abandon de ses
perspectives de carrière pour un travail à mi-temps. Barack Obama, quant à lui, a réussi à
optimiser ses vacances d'été tout en jouant son nouveau rôle de père, et ce, sans que celan 'ait
un impact réel sur sa carrière et ses plans d'avenir. Comme le souligne Brachet dans son
étude sur l'utilisation différenciée du congé parental, les hommes sont généralement plus
enclins à prendre le congé parental en saison estivale lorsque les activités professionnelles
sont faibles. Les conséquences pour leur carrière sont donc généralement réduites
169
puisqu 'elles coïncident avec les vacances saisonnières . Dans le cas de Barack Obama, le
partage du congé parental a donc été utilisé de manière différenciée et il est ainsi évident que
la conciliation travail-famille a eu un impact plus important pour la carrière de Michelle
Obama. Néanmoins, ce qui est intéressant de noter est que cet impact (dü au genre) est
soulevé dans le même chapitre : « Les hommes comme les femmes ont dü s'adapter à ces
réalités nouvelles, mais on ne peut guère contredire Michelle quand elle affirme que les
fardeaux de la famille moderne pèsent davantage sur les femmes 170 ». Par conséqu ent, bien
que cette phrase renvoie à une tentative de visibilisation de la ségrégation de genre qui
perdure au sein de l' institution familiale, la façon dont est abordée cette visibilisation et le
reste du contenu de ce chapitre laissent perplexes quant à sa capacité subversive. En effet, les
deux pages qui suivent cette affirmation viennent bouleverser le potentiel subversif des

168
Barack Obama, L'audace d'espérer: un nouveau rêve américain, op.cit. , p.414.
169
Sarah Brachet, «Po litique fami liale et congé parental : le cas de la Suède» Dossiers d'études,
Université de Pari s X, no 21. 2001, p.43.
170
Barack Obama, Les rêves de mon père: l'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit.p .413.
77

propos d'Obama dan s la mesure où les messages implicites concernant la dichqtomie


publique/privée consolident les structures classiques de l'institution familiale. À titre
dl-exemple, soulignons le fait qu 'Obama soutient que, bien que sa femme ait «dû procéder
aux ajustements nécessaires 17 1», c'est notamment grâce à leur statut social et leurs revenus
i~portants qu'ils ont pu offrir à leurs filles le nécessaire pour avoir une bonne éducation 172 .
En soi, le succès de leur famille repose certes sur les sacrifices qu 'a faits Michelle Obama,
mais, aussi sur la réussite de la carrière de l'actuel président qui offre beaucoup plus que le
173
nécessaire à la famille . Ceci semble avoir plus de valeur que lesdits sacrifices •

Dans notre analyse discursive, ce qui nous pousse à croire qu'il y a réitération de la
division ·publique/privée dans notre corpus de textes est également la notion du double salaire
telle que comprise par Obama. Il mentionne notamment :

Le revenu supplémentaire ,que les mères rapportent à la maison ne va pas aux


dépenses de luxe. Il est presque totalement consacré aux dépenses que les familles
considèrent comme un investissement pour l'avenir de leurs enfants: école
maternelle privée, frais de scolarité et, surtout, domicile dans un quartier tranquille
avec des bonnes écoles publiques 174 .

Le terme «revenu supplémentaire » renvoie à un revenu de souti en et donc, un


revenu quï s'ajoute à celui dont profite d'emblée une famille nucléaire. Ainsi, s'il est vrai que
la présence des femmes sur le marché du travail n'est pas questionnée, le message implicite
suggère que les femme s travaillent principalement pour s'assurer du bien-être de leurs
enfants. Par conséql!ent, on y retrouve deux aspects pmticulièrement contraignants pour les
femmes. D'une part, cela sous-entend que, si le revenu des mères ne sert qu'à assurer un
maximum de bien-être matériel aux enfants, du moment que ce bien-être est comblé par le
salaire plus élevé du père, la présence des mères dans la sphère publique n'est plus une
nécessité. D'autre pmi, cela sous-entend également que les mères n'occupent qu ' un emploi
de « survie » et renforcent ainsi la ghettoïsation des métiers traditionnellement attribués à un

171
lbid., p .415.
172
Idem.
173
Nous disons que cela prend plus de valeur, car les sacrifices de Michelle Obama ne sont en rien
proportionnels à la« place »que prend la carrière d' Obama dans ses écrits.
174
Barack Obama,, L'audace d'espérer: un nouveau rêve américain, op.cit., p. 4 12 .
78

genre. Dès lors, vouloir une carrière pour s'accomplir et performer devient un non-sens pour
les femmes. Leur intégration dans la sphère publique passe donc par une fmie valorisation
morale de leur présence dans la sphère privée. Comme le souligne Mendelberg, ce qui est
important de noter est le caractère implicite du message. Celui-ci n' est pas sexiste de manière
explicite, il qui suggère fortement la « naturalité » des rôles de genre au sein de la société et,
de manière encore plus exacerbée, des rôles de genre au sein de l'institution familiale.
« Predispositions about gender are negative, not in the way thal they are for race, but in a
way that emphasizes women 's primary responsibility for the home and children which
reinforce women 's inequality relative to men 115 ». Cette inégalité homme/femme que relève
Mendel berg est particulièrement présente au sein du couple présidentiel puisqu'il est
désormais évident que la carrière de Michelle Obama passe après celle de son époux.

Enfin, les exemples de discours qui touchent la « place » naturelle des femmes au
sein de la sphère privée pullulent dans les deux autobiographies. En effet, alors qu'Obama,
dans ses livres ainsi que dans son discours de victoire, s'insurge, à plusieurs reprises, devant
le racisme de ses grands-parents, il ne fait aucune mention du sexisme qui a affligé sa mère .
On a effectivement interdit à celle-ci l'accès à une bourse sous prétexte qu'elle n'était pas
assez âgée. De plus, le père d'Obama a fait certains choix qui ont poussé sa mère à se
retrouver monoparentale à deux reprises.

Un autre passage rque nous trouvons impo1iant de relever est présent dans les
dernières pages de la première autobiographie d'Obama, Les rêves de mon père. À la toute
fin du livre, Obama réussit finalement à saisir l'ampleur des épreuves traversées par son père,
son grand-père et son arrière grand-père. Il consacre plus d'une cinquantaine de pages à
raconter aux lectrices et lecteurs la vie et le parcours de sa famille . C' est notamment à travers
l'histoire coloniale du Kenya que 1' on découvre 1'univers des Obama. Le président actuel
nous transpo1ie à l'époque de son anière grand-père, où sa famille vivait dans des huttes
avant l' arrivée de« l'homme blanc ». II raconte avec une précision impressionnante l'histoire

175
Tali Mendelberg, « Implicit Communication Beyond Race: Gender, Sexual Orientation and
Ethni city ». Chap. in The Race Card: Campaign Strategy, Implicit Messages, and the Norm of
Equality, New Jersey, Princeton University Press, 2001 , p.241.
79

coloniale et l'esclavagisme noir qui a bouleversé les mœurs ancestrales du pays de ses
ancêtres. À la toute fin du livre, Obama se recueille sur la tombe de son père et dit: « Oh,
père;- dis-je en pleurant, tu n'avais pas à avoir peur de ta confusion, ni de ton père avant toi .
La seule honte, c'était le silence qu ' avait engendré la peur. C ' est le silence qui nous a trahis
176
( .•• ) ». Ce passage mérite que l'on s'y attarde puisque la violence avec laquelle Obama
invisibilise celle faite aux femmes à cette époque est évidente. Si Obama traite du
colonialisme comme d'une mvaswn qui aura eu des conséquences désastreuses sur les
hommes du Kenya, il aborde également avec une incroyable banalité la violence physique,
économique, psychologique et sexuelle que son arrière grand-père, son grand-père et son père
ont fait vivre à leurs sœurs, leurs épouses et leurs filles. En effet, différents épisodes du
mariage des Obama sont présentés de manière succincte au sein du livre Les rêves de mon
père. On peut notamment y lire certains témoignages sur l'absence de désir de la grand-mère
d'Obama pour son mari et la force que celui-ci employa pour « assouvir ses besoins » sexuels.
Il y a également quelques passages sur les coups de fouet administrés aux femmes et aux
enfants lorsque, ivre, le grand-père d' Obama rentrait à la mai son. Néanmoins, ces courts
passages sur le viol dans le foyer familial ou la violence physique ne sont pas objet de
dénonciation . Au contraire, l'absence complète de contestation et d' indignation d 'Obama sur
ces questions étonne: c'est comme si Obama se disait que « c'était simplement la culture de
l'époque », une idée souvent utilisée dans l' imaginaire populaire comme justification à de
tell es violences.

Le passage cité ci-haut fait donc état de la peur et de la honte li ées à la « domination
rac iale ». C'est à travers sa racialisation qu 'Obama comprend les privilèges des Blancs, peut
les observer, les nommer et les contester. C'est à travers son histoire africaine qu'il comprend
la complexité de son identité en « noir et blanc », et qu ' il se sent représenté dans l' hi sto ire
coloniale du Kenya. Or, cette id entité rac iale ne sem ble pas lui donner accès à une sensibilité
à l' égard de la domination masculine et aux inégalités de genre. L ' histoire des Obama
regorge de récits de femmes victimes de violence conji.tgale, de mariages forcés, de viols, de
séquestrations et d' esclavagisme, et ces maltraitances font pmiie intégrante de la vie des
femmes. L ' illustration la plus importante de cette invisibilisation se trouve à la fin de sa

176
Barack Obama, Les rêves de mon père : l 'histoire d 'un héritage en noir et blanc, op.cit., p.554.
80

première autobiographie lorsqu'il elit: «La douleur que je ressentais était celle de mon père.
177
Mes questions étaient celles de mes frères. Leur lutte, mon droit acquis à la naissance ».

Comme le démontre cette partie du chapitre, il est possible d'avancer la thèse qu'il y
a eu une réaffirmation de l'identité masculine au sein de la présidence avec l'arrivée
d'Obama puisque celui-ci a bénéficié de privilèges inhérents à son genre. Cette réitération de
l'identité dominante pour Obama passe notamment par l'incarnation genré qu'il fait du self-
made man, l'un des socles identitaires de la présidence américaine depuis la genèse de
l'institution. Également, la mise en valeur de son intérêt pour le sport, plus particulièrement
pour le basketball, réaffirme la masculinité noire de celui-ci. Enfin, cette réitération de
l'identité masculine comme élément nécessaire à l'obtention du plus haut poste de décision
aux États-Unis ne pourrait être possible sans altérité. Ainsi, l'identité de genre d'Obama se
construit et se présente en opposition avec le genre féminin et plus particulièrement avec les
femmes. Non seulement le président actuel invisibilise-t-il les rapports de pouvoir de genre
qui font partie · du système américain, mais, de surcroît, il réitère la dichotomie
publique/privée dénoncée par plusieurs féministes comme enjeu central pour l'atteinte à
l'égalité entre les genres.

3.4 Le sex-symbol des États-Unis est aussi président

Alors que la plupart des études portant sur l'élection d'Obama et son impact sur les
enJeux identitaires se sont intéressées soit à la « race », soit à sa masculinité, soit à
l' intersection de sa « race» et de sa masculinité, peu d'études ont porté attention à
l'orientation sexuelle d' Obama comme ressource. Pourtant, s'il est vrai que l'orientation
sexuelle est rarement nommée, au contraire de la. « race » et de la masculinité, elle demeure
aussi centrale que les autres identités. Largement abordée de manière implicite via des
thèmes comme la famille ou le désir, la sexualité cl'Obama se retrouve à l' intérieur de ses
deux autobiographies, au même titre que la mascùlinité. S'il n'est pas possible de parler de

177
Ibid. , p.555.
81

178
«carte sexue ll e » comme il est possible de parler de carte raciale ou de carte du genre, il
est tout de même souhaitable de considérer l'orientation sexuelle comme une identité qu'il
importe- de réitérer pQur atteindre la présidence. À cet effet, un peu comme la masculinité
d ' Obama, la sexualité participe de la cristallisation des identités dominantes de la présidence
et s'imbrique à la fois dans l'identité de genre et dans l'identité raciale. Ainsi, nous croyons
comme Achin et al. que l'orientation sexuelle joue un rôle prépondérant dans la construction
des identités politiques et, en ce sens, mérite que l'on s'y attarde 179 • Dans cette dernière sous-
section, il sera donc question de l'orientation sexuelle d'Obama et de son importance comme
identité dominante de la présidence. Nou s ferons la démonstration que bien que les di scours
sur la sexualité soient implicites au sein de nos études de cas, Obama naturalise le désir et
l'hétérosexualité, ce qui a tôt fait d'essentialiser par ricochet la mascu linité. Également, nous
ferons état des discours qu ' Obama tient sur l'institution familiale, non pas pour rendre visible
la réitération de la place des femmes au sein de la sphère privée à 1' œuvre dans nos études de
cas, comme cela fut démontré dans précédemment, mais pour faire état de l' importance
qu'accorde Obama à la reproduction de cette .institution qui a comme fondement
l' hétérosexualité, la monogamie et ultimement, la reproduction.

3.4.1 Le désir hétérosexuel et la masculinité noire

Si, comme le soutiennent Achin et al., l'orientation sexuelle est une ressource, tin
capital qu ' il est utile, voire indispensable d ' exploiter politiquement 180 , il n'est pas surprenant
de trouver à l'intérieur de nos étud es de cas de nombreuses références implicites au désir
hétérosexuel. Toutefois, l'identité sexuell e demeure foncièrement différente des dei.Jx autres
identités dans la mesure où l'altérite (toute forme de désir qui n 'est pas hétérosexuelle) ne
bénéficie pas, au contraire de la « race » ou du genre, de normes discursives qui tendent vers
l'égalité.

178
Au contraire de « race card »et « gender card », la cmte sexuelle n'est pas utili.sée dans la littérature
à l'instar des deux autres concepts.
179
Catherine Achin, Juliette Rennes et Elsa Dorlin. « Capital corporel identitaire et institutions
présidentielle: réflexion s sur les processus d' incarnation des rôles politiques», Raisons politiques, no
31, 2008.p.13.
180Jbid., p.17.
82

Sexual orientation is close to the case of race where party coalition are concerned,
but it has beenjar from the case of race on the questions ojnorms. Gays and lesbians,
more than African-Americans or women, suffer from social stigma. The norm
concerning sexual orientation has, in the last severa! decades, been quite unequa/ 181.

Or, s'il existe des différences discursives entre l'orientation sexuelle et les autres
identités à l'étude, nous croyons que les n01mes en politique tendent à changer et qu'il n'est
plus possible désonnais pour un candidat à la présidence d'éviter la prise de position sur la
question de la diversité sexuelle. Les sexualités sont donc à la fois un enjeu de politique
américaine ,et un capital qu'il est nécessaire d'utiliser pour atteindre le plus haut poste de
décision aux États-Unis. «Entre l'État et l'individu, le sexe est devenu un enjeu, et un enjeu
182
public; toute une trame de discours, de savoirs, d'analyses et d'injonctions l'ont investi »
écrit Foucault.

Comme nous en avons fait mention à quelques reprises dans cette recherche, nous
émettons la sous-hypothèse que, comme l'identité genrée d'Obama, la sexualité de celui-ci
fera l' objet d'un discours essentialisant et biologisant. L'impact d'un tel discours sur les
sexualités renvoie à la cristallisation, à la naturalisation du désir hétérosexuel et à la
réitération de son impo11ance pour l' institution présidentielle. Comme le souligne d'ailleurs
Young en référence aux stéréotypes généraux ( concemant le genre, la « race » · ou la
sexualité) : « The stereotypes éonfine them to a nature which is often attached in some way to
their bodies, and which thus cannat easily be denied183 ». Bien que les référents à la sexualité
soient en grande partie implicites, il est évident que l'effet naturalisant renforce les
stéréotypes dont parle Young. Par conséquent, les discours sur les sexualités d'Obama sont
de deux ordres : d' une pmi, ils concernent les sexualités marginalisées (non-hétérosexuelles),
d' autre part, ils abordent sa propre sexualité et ses désirs hétérosexuels.

181
Tali Mendelberg, « Implicit Communication Beyond Race: Gender, Sexual Orientation and
Ethnicity ». Chap. in The Race Card: Campaign Strategy, lmplicit Messages, and the Norm of
Equality, New Jersey, Princeton University Press, 2001 , p.246.
182
Michel Foucault, Histoire de la sexualité: la volonté de savoir volume 1, op.cit. , p.37.
183
Iri s Marion Young, « Five Faces of Oppression ». Chap. in Justice and the Politics of Difference,
Prin ceton, Princeton University Press, 1990, p.59.
83

Il importe toutefois de définir ce que nous entendons par discours implicites sur les
sexualités. Nous emprunterons ici la conceptualisation de Mendel berg: «A ward belongs in
the implicit category if it do es not directly refers for example to whites or Ajrican-American
184
but has a racial association at the tin1e ». La définition que donne Mendelberg des
références aux identités englobe également l' identité sexualisée. Par ailleurs, comme nous
allons l'illustrer, les mentions sur les sexualités ne concernent spécifiquement que la propre
sexualité d'Obama.

3.4.2 Obama et sa sexualité

Dans ses deux autobiographies, Obama pe1met ainsi au lecteur d'apprendre à


connaître l'homme et le politicien. Cette rencontre prend ses assises à travers son récit de vie,
comme nous l'avons souligné auparavant. À travers celui-ci, Obama ne décrit donc pas
uniquement la prise de conscience de sa « race » ou le renforcement de son identité
masculine, mais également la construction de son désir hétérosexuel, et ce, en insistant
notamment sur son passage de l'adolescence à l'âge adulte. À juste titre, il mentionne:

Cinq ans avaient passé depuis la visite de mon père, en surface au moins ce fut une
période sans histoire, marquée par les rites et les rituels que 1'Amérique attend de ses
adolescents: quelques rares rappels à l'ordre et convocations dans le bureau du
proviseur, des boulots à temps partiel dans une chaîne de fast-foods, de l'acné, le
permis de conduire et des désirs bouillonnants. Je m 'étais fait des amis à l' éco le, et
malgré ma gaucherie j'étais sorti de temps en temps avec une fille 185 .

Ainsi, deux choses sont soulignées de manière implicite dans ce cours passage.
D ' une part, sa conformité aux normes sociales. En mettant l'accent sur: « les attentes de

184
Tali Mendelberg, «The Norm of Racial Equality, Electoral Strategy and Explicit Appeal ». Chap; in
The Race Card: Campaign Strategy, lmplicit Messages, and the Norm of Equality, New Jersey,
Princeton University Press, 2001, p.77.
185
Barack Obama, Les rêves de mon père: l 'histoire d'un héritage en noir et blanc, op.cit. ; p.ll7.
- - - -- - - - -- - - - - - · - - · - - - - - - - - - · -

84

l'Amérique» face à l'adolescence (norme sociale) et ultimement sa conformité («période


sans histoire ») face à celles-ci, Obama invisibilise son orientation sexuelle. Ce qui est ici
défini comme étant «sans histoire », ce sont donc à la fois ses désirs bouillonnants pour les
filles et la matérialisation de ses désirs (« j'étais sorti de temps en temps avec une fille »).
D'autre part, Je côté normatif de cette citation renvoie également à la naturalité du désir
hétérosexuel. Le «désir bouillonnant» d'Obama pour les filles n'est pas sans rappeler les
stéréotypes genrés sur les rapports homme/femme au sein de la matrice hétérosexuelle. Ces
stéréotypes renforcent l'idée que les garçons ont des désirs forts, voire incontrôlab les lors de
l'adolescence (et parfois même jusqu'à l'âge adulte), les plaçant dans une situation de sujet
désirant, tandis que les filles sont davantage essentialisées dans leurs besoins de plaire, ce qui
les catégorise comme des objets de désir. Cette binarité renforce l'idée de complémentarité
qui est à la base de l'hétérosexualité.

À cet égard, un autre passage de 1'autobiographie L 'audace d'espérer mérite notre


attention, soit celui qui concerne la rencontre d'Obama avec sa femme, Michelle Obama.
Dans le chapitre du livre intitulé La famille, l'actuel président des États-Unis raconte le jeu de
séduction qui s'opéra entre sa femme et lui lors des premiers mois de leur rencontre. Il
mentionne que puisque Michelle Obama était à l'époque, sa supérieure dans un bureau
d'avocats où il effectuait un stage, les multiples tentatives de séduction qu'il mettait en œuvre
se heurtaient aux barrières éthiques de sa femme . Or, ne se laissant pas abattre si facilement
par les refus, Obama insista: « J'ai fini par l'avoir à l'usure 186 ». II rajoute égalem ent en
parlant de leur première sortie: « Je lui ai demandé si je pouvais l'embrasser. Elle accepta
187
timidement. Ses lèvres avaient un goût de chocolat ». Dès lors, ce passage du livre
démontre, comme le précédent d'ailleurs, les rôles genrés qui ont pris place dans la rencontre
des deux protagonistes. Une fois de plus, nous assistons à une dynamique suj et désirant et
objet désiré où c'est Obama qui com1ise et Michelle Obama qui est désirée. Cela reproduit
donc les stéréotypes associés au masculin/féminin dans une relation hétérosexuelle. De plus,
l' aisance avec laquelle Obama parle de la rencontre avec sa femme ainsi que l'aisance avec
laquelle il parle de ses premières amourettes d'adolescent montre combien il est « naturel »
de traiter de ces sujets dans ses autobiographies. Cela dissimule mal ses privilèges sexuels,

186
Barack Obama, L 'audace d 'espérer: un nouveau rêve américain, op.cit., p.402.
187
lbid.p.403.
85

privilèges qu ' il semble ignorer par ailleurs. En effet, alors que les relations amoureuses qui
sortent du cadre traditionnel hétérosexuel sont reléguées au ran g de la sexualité, les
rencontres hétérosexuelles découlent plutôt de la romance. Lorsqu'Obama parle de sa
rencontre avec Michelle Obama et de leur premier baiser, il n' y a rien de sexuel en apparence,
rien de « déplacé ». Néanmoins, on ne saurait dire la même chose d' une orientation sexuelle
marginale. De part la mise en évidence de son orientation sexuelle et de ses désirs
hétérosexuels, Obama participe à la naturalisation et à la cristallisation des identités sexuées
et réitère ainsi l'importance d ' incarner les normes dominantes pour atteindre la présidence
américaine.

Une autre illustration du renforcement de l' id ée de la naturalité à la fois des désirs


hétérosexuels et de la dynamique genrée d<:; ce désir se trouve dans un passage de L 'audace
d 'espérer. Dans le chapitre qui porte sur son parcours politique, il explique le sentiment qu 'i l
a ressenti lors de sa défaite contre Bobby Rush en 2000 :

C'est Je genre de sentiment que la plupart des hommes n'ont plus éprouvé depuis Je
lycée, quand la fille pour qui vous vous mouriez d'amour vous a mis plus bas que
terre devant tous les copains, ou quand vous avez raté troi s lancers francs décisifs
pour l'issue d' un match capital, le genre de sensation que la plupart des adultes
188
cherchent à éviter en organisant sagement leur vie •

Ce qui est important de souli gner c'est donc les référents d'Obama pour illustrer le
sentiment d'échec et de honte. Ces référents renvoient d' une part à l'hétérosexualité et,
d' autre part, à la masculinité. Le terme « la plupmi des hommes » agit dans cette citation
comme l'élément normatif. La plupmi des hommes sont hétérosexuels et spmiifs . Puisque ces
deux éléments (hétérosexualité et masculinité) agissent comme des identités dominantes au
sein de la présidence américaine, et qu 'en contrepartie, ceux-ci font partie intégrante
d' Obama, les référents ne sont pas à revoir, mais plutôt à utili ser comme capital. Cette phrase
est donc performative du genre en ce sens: la v irilité comme ressource ou capital ne peut se
réfléchir en dehors de l'hétérosexualité, puisque ces identités sont profondément

188
Barack Obama, L'audace d'espérer: un nouveau rêve américain, op.cit. , p.286.p.l36.
- - - - - - - - -- - -- - - - - -- - - - - - - - - - - - - - -- - - - - - - -

86

interdépendantes l'une de l'autre. Cette imbrication Préciado la conceptualise comme les


identités cohérentes de la société. Elle dit : « la société travaille constamment à rétablir la
relation originelle entre le sexe, le genre et la sexualité, faire du corps une inscription lisible
189
et référentielle de la vérité du sexe (hétérosexuelle ou perverse) ». Ainsi, Obama représente
cette cohérence identitaire entre sexe (homme), genre (masculinité) et sexualité
(hétérosexuel) comme symbo lique de l' identité nationale. Bien que cette cohérence soit
naturalisée dans les discours d'Obama, elle demeure un privilège important dans la société
américaine et son utilisation permet de cristalliser cette cohérence des identités dont parle
Préciado. Par conséquent, nous pourrions dire que cela relève à la fois d'une obligation et
d ' un outil pour pouvoir se lancer dans la course à la présidence.

Par ailleurs, comme Logan le sou li gne, ce n'est pas uniquement ses désirs
hétérosexuels qui sont mis de l'avant, mais également son charme, son attrait sexuel. Elle

affirme:

And as a man, Obama automatically commanded a kind of authority and legitimacy


in his quest to become the president of the United States that a woman could not. But
the senator 's masculine appeal went deeper than this. Ob am a was uncommonly
attractive, and known for his white-collar masculine swagger. Regularly described as
handsome, dashing, cool, and swoon-worthy, the American press corps and women
190
everywhere were said be to « in love» with the Senator .

Cette citation démontre une fois de plus 1'importance de considérer de manière


interdépendante la masculinité et 1'hétérosexualité comme des ressources politiques. Bien
qu ' Obama ne se décrive pas comrrie un homme pmiiculièrement séduisant, ce qui serait fort
probablement contreproductif par ailleurs, ceci ne l'empêche pas de faire référence à sa

189
Beatriz Preciado, « Biopolitique du genre ». Chap. in Le corps, entre sexe et genre, sous la dir. de
Hélène Rouch, Elsa Dorlin et Dominique Fougeyrollas-Schwebel, Coll. Cahiers du Cedref,
l'Harmattan, Paris, 2005, p.64.
190
Enid Lynette Logan, « The Feminist (?) Hero versus the Black Messiah : Contesting Gender and
Race in the 2008 Democratie Primary ». Chap. in The Obama Effect : Multidisciplinary Renderings of
the 2008 Campaign, sous la dir. de Heather Harris, Kimberly Moffits et Catherine Squires, New York,
Uni versity of New York Press, 2010, p.262.
87

virilité et à son hétérosexualité dans de nombreux passages de ses autobiogràphies. Et s' il est
impossible de prouver que ses autobiographies ont eu un impact considérable sur son
charisme politique, on peut à tout le moins démontrer l'utilisation discursive qu ' il a su faire
pour mettre en valeur ses identités dominantes au sein de ces mêmes autobiographies. Par
conséquent, si Obama parle implicitement de son orientation sexuelle en fa isant référence à
des thèmes comme le désir « naturel » hétérosexuel et la séduction, il prend néanmoins
position sur les sexualités via un discours politique sur le mariage homosexuel et les
pratiques qu i découlent d'une saine sexualité.

3.4.3 La position d'Obiuna sur le mariage homosexuel

Dans L 'audace d'espérer, Obama prend position sur pl1,1sieurs enJeux politiques :
politique étrangère, avortement, laïcité, etc. L'une de ses prises de position concerne plus
191
particulièrement le mariage homosexuel • Obama met l'accent sur deux aspects spéc ifiques
de la sexualité en lien avec cet enjeu : les .pratiques sexuell es et la compos ition fami li ale.

À cet égard, Obama mentionne ceci :

Peut-être suis-je aussi sensib le sur ce sujet parce que j ' ai vu la souffrance que ma
propre légèreté a causée. Avant mon élection, pendant ma période de débats avec M.
Keyes, j'ai reçu un message téléphonique d'une de mes plus ferventes
sympathisantes. C'était . une commerçante, une mère, une personne réfléchie et
généreuse. C'était aussi une lesbienne, qui avait une relation monogame avec sa
partenaire d puis dix ans. Elle savait, quand elle avait décidé de me soutenir, que
j ' étais opposé au mariage entre personnes du même sexe et elle m' avait entendu
déclarer qu ' en l' absence d'un consensus significatif l'accent mis sur le mariage
détournait l'attention d' autres mesures accessibles pour empêcher la discrimination
192
contre les gays et les lesbiennes .

19 1
Nous sommes consciente qu ' Obama a changé de pos ition récemment en se déclarant en faveur du
mariage homosexuel. Or, puisque notre analyse a été faite antéri eurement et que nous nous
concentrons sur deux de ses allocutions publiques et deux de ses autobi ographies, nous nous en
tiendrons à son positionnement au sein de ceux-ci. ·
192
Barack Obama, L'audace d'espérer : un nouveau rêve américain, op.cit., p.274.
88

Plusieurs aspects de ce court extrait sont impmiants ici. D ' une part, Obama réitère sa
position sur le mariage gai, à savoir qu ' il est contre le mariage homosexuel (car le mariage
doit être entre un homme et une femme). II se dit cependant pour une union civile qui
reconnait aux gais et lesbiennes des droits légaux similaires à ceux des hétérosexuels
mariés 193 . D ' autre part, Obama met l' accent sur la longue durée de la relation monogame de
cette femme lesbienne et tend ainsi à mettre en valeur le confonnisme de cette relation. Cela
renvoie donc aux éléments normatifs de la sexualité et au discours du « vrai » sur celle-ci.
Dans une logique foucaldienne, il n ' y a rien d' étonnant au fait qu ' Obama tienne un tel
discours sur les sexualités marginales (autre qu'hétérosexuelle), car bien qu ' il existe souvent
_l'impression qu'en Occident (plus particulièrement aux États-Unis) les sexualités ont été
réprimées, dans les faits, la sexualité fut 1'objet de discours incessants sur le « vrai » et le
«faux ». Comme le note Foucault :

II faut donc sans doute abandonner 1'hypothèse que les sociétés industrielles
modernes ont inauguré sur le sexe un âge de répression accrue. Non seulement on
assiste à une explosion visible des sexualités hérétiques. Mais surtout- et c' est là le
point important- un dispositif fort différent de la loi, même s'il s' appuie localement
sur des procédures d' interdiction, assure, par un réseau de mécanismes qui
s' enchainent, la prolifération de plaisirs spécifiques.194

Ainsi, pour Foucault, il existe un discours du « vrai » sur la sexualité qui s'appuie
non seulement sur un système de loi, mais également sur une panoplie de mécanismes
sociaux. Ce discours du « vrai » sur la sexualité perm et donc de différencier les « bonnes »
des «mauvaises » pratiques sexue lles; de les hiérarchis r. Ce processus de différenciati on et
de hiérarchisation nous semble perceptible dans le positionnement d 'Obama sur le mariage
homosexuel. En proposant, pour les couples gais et lesbiennes, des structures juridiques

93
J Sa position politique en 2008 est la suivante : « 1 be li eve marriage is between a man and a
women ( ... ) I also think that same-sex partners should be able to visit each other in hospitals, they
shou ld be able to get the same federal rights and benefi ts that are conferred onto married couples »
Mary K. Bloodsworth-Lugo. 201 O. « Threatening Bodies in the Age of Obama », chap in, Containing
(Un) American Bodies: Race, f)exuality, and Post-911 1 Constructions ofCitizenship , Edition Rodopi ,
Nouve ll e-Zé lande, p.86.
194
M ichel Foucault, Histoire de la sexualité : la volonté de savoir volume 1, op.cit. , 1976, p.67.
89

différentes de celles qui balisent l'institution du manage hétérosexuel et en valorisant


l'impOiiance des relations longues et monogames, Obama participe à la réitération des
contraintes sexuelles. Comme le souligne Foucault, le sexe est constitué comme un enjeu de
vérité 195 . Or, cette vérité n'est pas libre de contraintes puisqu'elle est entièrement traversée
par des rapports de pouvoir 196 . Par conséquent, ce rapport de pouvoir se matérialise dans les
discours qui deviennent à la fois le commencement et l'aboutissement du «vrai» et du
« faux » sur la sexualité.

3 .4.4 Sexualités et institution familiale

Comme nous l'avons mentionné, les propos d'Obama touchent à la fois l'institution
familiale et les « bonnes pratiques » sexuelles. Nous avons fait la preuve que les discours
d'Obama sur la famille avaient pour effet de reconduire les rôles genrés au sein de la société
en reproduisant principalement les stéréotypes sur la place des femmes au sein de la sphère
privée. Toutefois, si l'institution familiale est un haut lieu de contraintes pour les identités de
genre, il en est de même pour les sexualités. Comme le mentionne Foucault:

Le couple, légitime et procréateur, fait la loi. Il s'impose comme modèle, fait valoir la
norme, détient la vérité, garde le droit de parler en se réservant le principe du secret.
Dans l'espace social, comme au cœur de chaque maison, un seul lieu de sexualité
reconnu, mais utilitaire et fécond: la chambre de ses parents 197 .

Ainsi, la famille est le lieu de reproduction . Reproduction humaine certes, mais


également reproduction des rapports sociaux, reproduction de la force de travail et
reproduction d'une sexualité utile au niveau économique et conservatrice au niveau politique.
C'est cette vision de la famille qu 'Obama reproduit. dans L'audace d'espérer. Il répond aux
critiques républicaines qui lui sont adressées sur l'enjeu du «déc lin de la famille
américaine » en disant :

195
Ibid., p.76.
196
lbid. , p.81.
19
~Michel Foucault, Histoire de la sexualité: la volonté de savoir volume 1, op.cit., 1976, pl O.
- - - - -- - - - - - - - - - ----------------------

90

Les républicains prétendent qu'elle [la famille américaine] subit les assauts des films
hollywoodiëns et des défilés de la gay pride ( ... )Notre culture populaire contribue à
tirer le signal d'alarme avec des histoires de femmes condamnées au célibat,
d'hommes refusant tout engagement durable, de jeunes se livrant à des aventures
sexuelles sans fin. Plus rien ne semble établi comme par le passé. Face à cet accès de
désespoir, il est peut-être utile de prendre du recul et de constater que l'institution du

manage n , est pas pres
' de d"ISparaitre 198 .
A

Comme l'illustre cette citation, Obama donc un certain nombre de menaces qm


pèseraient apparemment sur la« famille américaine ». Pour Obama, il y a d'abord les femmes
« condamnées » au célibat. Le terme « condamnées » renvoie à 1' absence de choix des
femmes célibataires. Elles le sont par dépit, car, comme le souligne Obama, certains hommes
refusent les engagements durables. Il y a également les jeunes qui découvrent les plaisirs
sexuels avec plusieurs partenaires et, comme le font remarquer les Républicains, il y a les
gais qui vont même jusqu'à parader publiquement. À la suite de cette citation, Obama y va de
chiffres rassurants illustrant notamment que les gens se marient autant même si un peu plus
tard qu'avant 199 Obama concède cependant que la nature des familles américaines a changé,
ce qui n'est pas sans effets négatifs pour les enfants et ultimement pour l'Amérique.

Comparés à nos grands-parents, nous sommes plus tolérants envers le sexe avant le
mariage, plus nombreux à vivre maritalement et plus nombreux à vivre seuls. Nous
sommes aussi plus nombreux à élever nos enfants dan s des familles non
traditionnelles [ .. .] Quels que soient les effets sur les adultes, ces tendances ne sont
pas aussi bénéfiques pour nos enfants. Beaucoup de mères seules - y compris celle
qui m'a élevée- accomplissent une tâche héroïque pour leurs enfants. Pourtant ces
enfants ont cinq fois plus de chance d'être pauvres. Ils sont aussi plus nombreux à ne
pas finir leurs études secondaires et à devenir des parents adolescents, même à revenu
familial égal. Et il est évident qu'en moyenne les enfants qui vivent avec leur mère et
leur père biologique réussissent mieux que ceux qui vivent dans des familles
recomposées ou dans un foyer de concubins.

Les quelques pages suivantes du livre sont un en faveur de la famille nucléaire, à


l' intérieur duquel Obama cite beaucoup sa propre famille en exemple. Son rapport à l' intime

198
Barack Obama, L'audace d 'espérer : un nouveau rêve américain, op.cit. , p.286
199
l bid., p.406.
91

est donc dévoilé de manière implicite puisqu'il se définit publiquement comme faisant partie
(nous pourrions même dire comme Je chef) d' une famille traditionnelle américaine. C'est
ainsi que via sa prise- de position sur le mariage homosexuel, Obama réitère l' importance
d'une famille traditionnelle et utilise son identité sexuelle (faisant lui-même partie de ce type
de famille), à la fois pour prendre position contre l'institutionnalisation des sexualités
marginalisées et pour reproduire un discours du « vrai » sur la sexualité. Les formes de plaisir
sexuel doivent donc (selon la logique hétérosexuelle et patriarcale) se retrouver dans une
intimité normée et balisée qui a comme fondement des rôles profondément genrés, basés sur
une complémentarité sexuelle et des pratiques monogames qui, dit-on, favorisent la longévité
de la relation. L'organisation hétérosexuelle de la famille comme mode d'organisation
sociale est donc réitérée via le parcours de vie d' Obama et ses di scours. Toutefois, en
opposition avec l'identité raciale, Obama ne mentionnera jamais de manière explicite qu'il
est hétérosexuel, puisque dans une logique naturalisante et biologisante cela va de soi.

Il participe ainsi à ce que Foucault appelle le dispositif de la sexualité à l'intérieur


duquel un des mécanismes de ce dispositif se conceptualise par l'instance de la règle. Selon
Foucault, l'instance de la règle signifie que le sexe se trouve placé sous un régime binaire et
dichotomique : permis et défendu, licite et illicite. Par ailleurs, ce régime ou cette prise de
pouvoir sur le sexe se fait par un langage ou par un acte de discours, créant « du fait même
qu'il s'articule, un État de droit » 200 . À pmiir de l'apport conceptuel de Foucault, nous
pouvons donc dire qu'Obama applique l'instance de la règle au sexe. D ' abord, le binarisme
et la vision dichotomique des sexualités sont utilisés de manière implicite au sein de ses
ouvrages. L 'homosexualité, dans cette perspective, est donc l' altérité de l'hétérosexualité.
Tout autre forme de désir sexuel se trouve complètement invisibilisée non seulement au
niveau structurel, mais également au niveau individue l. Ensuite, le fait qu ' Obama articule ce
type de discours sur les sexualités renforce les symboliques identitaires, d' autant plus qu'il
se présente comme le prochain président des États-Unis. Enfin, Obama se veut rassurant
lorsqu'il parle de la citoyenne lesbienne, en insistant sur la relation monogame et stable
qu ' elle entretient. Cela s'oppose aux stéréotypes sur la vie des homosexuels qui seraient, à en
croire cette idée préconçue, davantage frivol es et polyamoureux. Par conséquent, Obama

200
Michel Foucault, Histoire de la sexualité: la volonté de savoir volume 1, op.cit., 1976, p.ll O.
92

respecte le « style de vie » qui découle des relations homosexuelles tant que les ga1s et
lesbiennes n'enfrei gnent pas certaines règles morales ou ce que Foucault appelle les règles de
1'État de droit : c 'est=à-dire la monogamie. Par conséquent, tandis que la famille a
traditionnellement été définie comme une cellule qui exclut la sexualité, nous pensons au
contraire qu 'elle est un haut lieu de production des réalités sexuell es et des discours sur le
«vrai » de la sexualité. La famille est donc l' un des socles de la sexualité et, en ce sens, nous
pouvons affirmer que le fait pour Obama d'y faire constamment référence relève de sa
volonté de projeter l'image d' un individu « normal » dans un contexte de campagne
électorale.

En conclusion, ce chapitre a démontré que la réitération des identités dominantes se


fait via un discours naturalisant et bioiogisant qui cristallise à la fois les rapports sociaux de
genre et de sexualité. Ainsi, nous avons entamé notre analyse spéc ifique au genre masculin
en suggérant que l'incamation qu ' Obama fait du self-made man, identité masculine
largement valorisée au sein de la société américaine, est non seulement cohérente avec celle
mise de l'avant par les Pères fondateurs, mais également pa1iie intégrante de l'institution
présidentielle américaine. Ensuite, nous avons mis en exergue le lien qui existe entre la
valorisation du sport et les privilèges de genre qui en découlent. Nous avons démontré que,
dans le cas de Barack Obama, le sport se1i implicitement d 'outil pour réitérer sa masculinité
et sa virilité. Ainsi, il fut démontré, notamment avec le concept de performativité du genre de
Butler, que le spo1i est un lieu privilégié de la réitération des n01mes associées à la
masculinité. Il n' est ainsi pas surprenant de constater l'espace grandi ssant que prend le sport
et plus particulièrement le basketball au sein des autobiographies d'Obama. Enfin, nous
avons mis en lumière les passages de ses di scours et de ses récits de vie qui servent à réitérer
les id entités dominantes de la présidence américaine, notamment l' identité masculine. Par
conséquent, nous avons observé deux méthodes implicites qui participent à cette réitération.
D ' une pmi, nous avons constaté qu ' il y une invisibilisation des rapports de pouvoir de genre
au sein de la structure narrative et, d'autre pmi, nous avons observé une essentialisation de
« la place des femmes » au sein de la sphère privée.

Par ailleurs, si Obama bénéficie de privilèges quant à son genre, l'étude de ses autres
identités nécess ite que l'on s' intéresse de près à son identité sexuelle, puisque celle-ci, bien
93

que souvent invisibilisée dans la littérature sur les enjeux identitaires de la présidence, est
interdépendante des autres identités à l'étude. Il fut ainsi démontré que l' identité sexuée
d' Obama est abordée dans nos études de cas, mais seulement de manière implicite.
L ' hétérosexualité et le désir ont donc été naturalisés, participant à la marginalisation des
autres identités sexuelles. Il fut également avancé que l'identité sexuelle et l'identité genrée
sont interdépendantes et qu'Obama est un symbole de la cohérence sexe, genre, sexualité: À
ce titre, puisque cette cohérence identitaire est une nécessité pour atteindre la présidence,
Obama y fait constamment référence, ce qui l 'a poussé, notamment, à prendre position en
défaveur du mariage homosexuel. Enfin, sa prise de position sur le mariage a entraîné une
réitération de 1'institution familiale traditionnelle où le désir doit être hétérosexuel, et les
rôles à l' intérieur de celle-ci genrés.
94

CONCLUS ION

Le 4 novembre 2008, le 44e président des États-Unis est élu. U n noir fa it son entrée à
la Maison-Blanche. Obama aura eu raison de dire .Yes we can. Par sa v ictoire, il marquera
l'histoire de la nation américaine : il sera à j amais le premier prés ident noir des États-Uni s.

Ce mémoire avait pour premter obj ectif de démontrer 1'absence de neutralité de


l' institution présidentielle américaine en rendant v isible les identités dominantes qui la
traversent. Pour ce faire, nous avons d 'abord problémati sé notre recherche en démontrant
comment les auteurs dominants du champ de la politique améri ca ine ont, d' une part,
invisibilisé les identités multiples de la prés idence et, d ' autre pa11, universalisé celles qu ' ils
abordaient dans leurs écrits. Ain si, Je premier chapitre fait état à la fo is de la littérature
dominante sur la présidence améri cain e et des limites de l' utili sati on d' une telle littérature
pour questionner les identités plurielles de cette institution. Ensuite, nous avons établi un
dialogue entre les auteurs class iques et les auteurs critiques de notre champ d 'études afin
d 'élargir la notion d' identité et de permettre de souligner les exc lus ions qu e rend poss ible
l'universalisme des classiques. Ce faisant, nous avons statu é sur l' utilisati on nécessa ire de
l'approche intersectionnelle comme cadre théoriqu e puisqu e ce sont les identités multipl es
qui sont à l'étude dans la présente recherche et que ce ce ll es-ci sont à la fo is interdépendantes
et constituantes de la prés idence améri caine. Enfi n, le prem ier chapitre a permi s d 'énoncer les
bases théoriques de notre étude en définissant les identités constituantes de la prés id ence, so it
le genre et la «race», largement abordés dans la littérature critiqu e, mais également de
dépasser cette littérature j usqu 'aux fro ntières de la sexualité. En somme, l'originalité de notre
recherche se situe à deux niveaux: d ' une pat1, la m ise en contexte de la «race» d'Obama
comme un e id ent ité po lit isée a petm is de mettre en exergue Je processus de racialisation et de
dépolitisation inhérent aux discours d'Obama. D'autre part, la prise en compte du genre et de
la sexualité a permis d'étudier des constituantes des identités de la présidence (Obama) qui
avaient été peu étudiées j usqu 'ici.
95

Les chapitres deux et trois du mémoire s'engagent donc étayer l'hypothèse suivante:
en mettant de l'avant son identité racisée et en la juxtaposant à l'idée du rêve américain (Yes
we can), Obama a non seulement réitéré l' importance des identités « dominantes » de la
présidence américaine (homme, hétérosexuel), mais il a également dépolitisé les enjeux
raciaux aux États-Unis. Pour ce faire, Je deuxième chapitre du mémoire s'attarde à l'identité
racisée d'Obama puisqu'elle se distingue des deux autres identités à l'étude. Afin de valider
notre hypothèse de recherche, nous avons utilisé quatre études de cas, soit deux discours à la
nation américaine faits par Obama et deux autobiographies. Le deuxième chapitre s'emploie
ainsi à présenter les conjonctures entourant nos études de cas pour démontrer leur usage
stratégique en campagne électorale et lors de la journée de sa victoire. Par ailleurs, le
deuxième chapitre s'emploie également à démontrer comment la « race» s'articule
différemment du genre et de la sexualité dans nos études de cas. En effet, alors que le genre
et la sexualité sont naturalisés et biologisés dans nos études de cas, la « race », elle, est
davantage abordée sous l'angle politique, rendant visible, par exemple, le processus de
racialisation et les différentes structures oppressives pour les noirs aux États-Unis.
Néanmoins, les discours qu'Obama tient sur la «race» représentent le fondement de
l'incarnation qu'il fait de l'espoir. En lui permettant de devenir président, lui, un Afro-
Améric~in, la nation américaine peut rompre définitivement avec son passé colonial et
esclavagiste et démontrer toutes les possibilités qui se cachent derrière le rêve américain. Ce
type de juxtaposition, comme nous l'avons démontré, a toutefois des effets pervers. En effet,
en présentant son ascension à la présidence comme la finalité du changement en ce qui
touche les enjeux raciaux et en mettant Je tout en parallèle avec sa propre incarnation du rêve
américain, Obama dépolitise les enjeux raciaux, alors même qu 'i l prétend faire le contraire.
Ainsi, au lendemain de la deuxième élection de Barack Obama, il apparaît clair qu ' il ne
suffisait pas d'élire un Noir à la présidence pour contrer le racisme dans la société américaine.

Enfin, le chapitre trois du mémoire se consacre à l'analyse du genre et de la sexualité.


Au contraire de la « race », ces identités sont abordées dans nos études de cas via un discours
naturalisant et biologisant, rendant donc invisibles les structures politiques qui régissent ces
identités. Ainsi, il fut démontré qu'Obama incarnait la masculinité dominante aux États-Unis
(celle du self-made man) et reproduisait ainsi l'importance de cette masculinité au sein de
l' institution présidentielle américaine. Cette identité, intimement liée à sa réussite dans la
96

sphère publique, ne peut néanmoins exister sans le caractère exclusif qu'elle compmte. Par
conséquent, la valorisation de la masculinité qu 'Obama incarne dans nos études de cas passe
à la fois par sa réussite sociale et sa passion pour le sport, mais également par l'exclusion de
ce qui ne représente pas le genre masculin (principalement le genre féminin et les femmes).
Ainsi, l'invisibilisation des rapports de pouvoir genré et la réitération de la «place» des
femmes dans la sphère privée participe de cette même action qu 'est la valorisation de la
masculinité pour atteindre l' institution présidentielle. Par ailleurs, l' identité de genre et la
sexualité sont intimement liées et sont donc abordées dan s le même chapitre, sans toutefois
faire l'objet de la même analyse. En effet, les sexualités sont un nouvel enjeu de politique
intérieure et s'il était possible au siècle précédent de ne pas s'y intéresser pour devenir
président américain, Obama lui, a dû prendre position sur des question s d 'orientation sexuelle
et d 'institutions maritales. Pour ce faire, Obama a dû , d'une part, mettre en exergue son
propre désir hétérosexuel et en faire la promotion via différents types de propos (notamment
sa rencontre avec sa femme) et, d'autre part, il a dü prendre explicitement position sur le
mariage homosexuel et les désirs hors-normes . Par ailleurs, l'actuel président des États-Unis
a cristallisé un discours du «vrai » sur les sexualités en consacrant notamment un chapitre
entier sur la « famille », haut lieu de productions des réalités sexuelles et en mettant de
l'avant, au sein de ses autobiographies, des discours permettant la cohérence identitaire sexe,
genre, sexualité.

Ainsi, nous pensons ·que notre hypothèse de départ se trouve validée à travers notre
recherche. En effet, à la lumière du présent mémoire, nous croyons qu'il est possible
d ' affi rmer qu'en mettant de l'avant son identité racisée et en la juxtaposant à l' idée du rêve
américain (Yes we can), Obama a non seulement réitéré l' importance des identités
« dominantes » de la présidence américaine (homme, hétérosexuel), mais il a également
dépoliti sé les enjeux raciaux aux États-Unis.

S'il est vrai que cette mise en lumière des identités se transforme au fil du temps 20 1, la
question de son utili sation discursive à des fins de stratégie électorale demeure entière. En
effet, il ne fut pas possible de démontrer qu'Obama uti lisait consciemment ses identités

20 1
À titre d' exemple, nous pourrions penser à la position nouvelle d' Obama sur le mariage
homosexuel , pour lequel il est désormais en faveur.
97

comme stratégie, car prétendre de son intention serait un pari troprisqué. Or, nous avons pu
démontrer l'importance des identités dans ses discours et pouvons donc affirmer qu'Obama
participe - peut-être inconsciemment - à la reproduction des normes identitaires dominantes
que nous avons identifiées dans ce mémoire. À cet égard, 1'ironie est que celui qui parlait
tant de changement en 2008 n'en incarne peut-être pas autant un qu'il le croit et voulait le
faire croire.
- ---------- - - - - - - - - - - -

98

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