Chrysostome Et Le Sens Du Pauvre
Chrysostome Et Le Sens Du Pauvre
Chrysostome Et Le Sens Du Pauvre
et
théologie du Corps du Christ
chez saint Jean Chrysostome
Texte source :
Eglise Orthodoxe Russe
Représentation près les Institutions Européennes
Jean Chrysostome (1) a été surnommé "Jean l'Aumônier", a cause de sa pratique de l'aumône
et de sa prédication sur l'aumône.
Chrysostome est, par excellence, l'apôtre de la charité, dit Aimé Puech, de tous les pères du
IVe siècle, il est le panégyriste par excellence de l'aumône (2). Ses homélies sur l'aumône (3)
datent de ses années de presbytérat à Antioche (386-398). C'est en se rendant de son domicile
à l'église, un jour d'hiver, qu'il voit des mendiants gisant sur le sol et improvise l'une de ses
plus belles homélies sur l'aumône C'est dans la troisième homélie sur l'aumône qu'il fait
référence à saint Paul qui parle des pauvres dans toutes ses lettres et demande à ses fidèles que
"personne ne se croit déchargé de cet office (leitourgia )"(4). Car il y a bien une liturgie des
pauvres à laquelle tous les chrétiens sont conviés, depuis l'évêque jusqu'au simple fidèle.
Cette liturgie des pauvres est fondée sur une théologie du Corps du Christ qui est à la fois le
Corps eucharistique du Christ et le Corps ecclésial du Christ. Le Christ est présent dans le
corps ecclésial sous les espèces sacramentelles du Corps et du Sang du Christ, mais il est aussi
présent dans ses membres souffrants qui participent à sa passion et il appelle ses disciples à le
servir dans les pauvres.
L'eucharistie est le fondement de la diaconie des pauvres, et l'on ne peut séparer le don du
Pain de vie du partage du pain quotidien, c'est pourquoi le discours de saint Jean Chrysostome
sur les pauvres où aumône n'est pas seulement un discours social, mais un discours
théologique et sacramentaire.
La "diaconie" des pauvres est la suite nécessaire de l'eucharistie, comme le service des tables
qui avait été confié au diacre Etienne, dans la communauté primitive (Act. 6,3-4) ; elle est
aussi fondée sur l'identification du pauvre au Christ pauvre : "En vérité, je vous le dis, dans la
mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez
fait " (Mt 25,40). C'est pourquoi le service du pauvre est le service du Christ dans les pauvres
et l'imitation du Christ qui s'est fait Serviteur, par philanthropie. Enfin cette présence du
Christ en quelque sorte caché dans les pauvres est un mystère qui ne sera révélé qu'au
jugement dernier lorsque le Christ reviendra juger les vivants et les morts et séparer ceux qui
l'ont servi de ceux qui l'ont méconnu en maltraitant ou en laissant mourir de faim et de soif les
pauvres. L'utilisation abondante, par Jean Chrysostome du texte de Matthieu 25, 31-46 donne
au service des pauvres ou à cette "liturgie" des pauvres un sens eschatologique qui ne sera
découvert qu'à la fin des temps.
Ce sont ces trois aspects du service des pauvres que je veux traiter : tout d'abord la relation
entre eucharistie et diaconie, ensuite la philanthropie divine et l'amour des pauvres, et, enfin,
la dimension eschatologique de cette liturgie des pauvres à partir de Matthieu 25, 31-46.
I. Eucharistie et diaconie
C'est principalement dans les Homélies sur la Première Epitre aux Corinthiens et les Homélies
sur Matthieu que Jean Chrysostome développe la relation entre l'eucharistie et la diaconie (5).
Saint Paul reproche aux Corinthiens que, lorsqu'il se réunissent en commun, ce n'est plus le
"Repas du Seigneur" qu'ils prennent : Dès qu'on est à table, en effet, chacun prend son propre
repas et l'un a faim, tandis que l'autre est ivre " (1 Co 11,21). Chrysostome, commentant ce
verset ajoute que, lorsque les fidèles se détournent des pauvres qui ont faim et soif, ils
transforment le "Repas du Seigneur" en un "repas privé" et l'église, en une maison privée.
Conclusion
La doctrine sociale de Jean Chrysostome est inséparable de sa théologie du Corps du Christ.
Lorsqu'il voit, un matin d'hiver, les pauvres, comme Lazare, mourir de froid à la porte des
riches, il n'est pas seulement ému de compassion, il est scandalisé car c'est le Corps du Christ
qui est ainsi délaissé par ses membres.
Il a le sentiment du "mystère" qui habite les pauvres, le "mystère du Christ" caché en eux qui
ne se révélera que dans la gloire du jugement dernier. Le Christ est à la fois le Christ mendiant
et le Christ juge.
Contre la caractérisation de la prédication de Chrysostome comme prédication morale,
Brandle a raison de citer Bossuet : "On veut de la morale dans les sermons pourvu qu'on
entende que la morale chrétienne est fondée sur les mystères chrétiens" (17).
De même, sa critique du luxe des basiliques d'Antioche ou de Constantinople, ornées de
colonnes d'or, de draperies de soie, de coupes et de vaisselles d'or (car la symbolique de l'or
est ambivalente : signe de pouvoir et objet de concupiscence, gloire divine ou impériale et
désir de cette gloire dans la possession de ce métal précieux), sa critique ne peut se légitimer
que s'il y a un ordre de priorité non seulement humaine : la vie humaine est plus précieuse que
l'or, mais aussi théologique : le temple spirituel du Corps du Christ est supérieur au temple en
pierre de l'église Pour percevoir cet ordre et cette urgence, il fallait un regard de foi, c'est
pourquoi Chrysostome n'a pas été compris. Il a été persécuté à Constantinople avant de
choisir lui-même l'exil où il est devenu "le Christ errant, étranger, soufrant". Il est mort sur la
route de l'exil, épuisé par les marches forcées, le 14 septembre 407, jour de la fête l'Exaltation
de la Croix.
Bibliographie sur la pauvreté et l'eucharistie
chez saint Jean Chrysostome
(par ordre chronologique).
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Luc Meyer, S. J. Chrysostome, maître de perfection chrétienne, Paris, 1933.
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après J.C., Paris, 1961. (+ ses préfaces aux SC).
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F. Quere-Jaulmes, coll. Lettres chrétiennes 6, Paris, 1962.
L'Eucharistie dans l'Antiquité chrétienne Textes recueillis et présentés par A. Hamman, trad.
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St John Chrysostom, On Repentance and Almsgiving, translated by Gus George Christo, The
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Notes
[1] A. Wenger, "Jean Chrysostome", D Sp, t. 8, Paris, 1974, col. 331-355 et H.J. Sieben, "Jean
Chrysostome (Pseudo-)", col. 355-369.
[3] St John Chrysostom, On Repentance and Almsgiving, translated by Gus George Christo,
The Catholic University of America Press, 1998. Elles sont classées par Adalma dans les
oeuvres pseudo-chrysostomiennes (J.A. de Adalma, Repertorium Pseudochrysostomicum,
Paris, 1965).
[5] Cf. B. Bobrinskoy, "L'Esprit du Christ dans les sacrements chez Jean Chrysostome et
Augustin", in : , surtout Dimension fraternelle et sociale de l'eucharistie", p. 272 ss. ; C.
Stocker, Eucharistische Gemeinschaft bei Chrysostomos, p. 310 ss. ; B. Reicke, Diakonie,
Festfreude und Zelos , p. 33-35 (textes cites par R. Brandle).
[6] Jean Chrysostome, Hom. sur l'Evangile de Matthieu 65, 2-4 ; PG 58, 619-622.
[7] Cf. Jean Chrysostome, Hom. In Matt. 50,3 ; PG 58,508 ; Hom. In ev. Joh . 59,4 ; PG 59,
327 ; Hom. In ep. II ad Cor. 20,3 ; PG 61, 540.
[8] Textes de Jean Chrysostome sur Mt 25, 31-46 et l'eucharistie : In ev. Matt. Hom. 45,3 ;
PG 58, 474 ss. ; Hom. 50, 3 ; PG 58, 508 ; Hom . 89, 3 ; PG 58, 784 ; In ep. II ad Cor. Hom.
20,3 ; PG 62, 539 ss.
[10] Cf. G. Dagron (Naissance d'une capitale, Paris, 19, p. 117 ss.) montre que le conflit
théologique entre l'impératrice Eudoxie et Jean Chrysostome avait un soubassement
économique. Sur les pauvres et les riches à Constantinople, voir la 11e Homélie sur les Actes
des Apôtres . Il y a 100. 000 chrétiens dont la moitie de pauvres (pente ").
[11] Jean Chrysostome, Hom. 82 sur Matthieu (PG 57, 737-746), in : L'Eucharistie. Textes
présentés par A. Hamman, Les pères dans la foi, DDB, Paris, 1981, p. 115.
[12] Jean Chrysostome, Hom. XV,3 sur Jean (PG 59, 101).
[13] Cf. J.-P. Cattenoz, "Philanthropia", Melanges en l'honneur de Henri Crouzel , Paris,
1992, p. 61-76. M. Zitnik, "Theos Philanthropos bei Johannes Crisostomos", OCP 41 (1975)
76-118.
[15] R. Brandle, Matth. 25, 31-46 im Werk des Johannes Chrysostomos : ein Beitrag zur
Auslegungsgeschichte und zur Erforschung der Ethik der griechischen Kirche um die Wende
vom 4. zum 5. Jahrhundert, Tubingen, J.C.B. Mohr, 1979. Voir aussi : G. Zaphiris, Le texte
de l'Evangile de Matthieu d'après les citations de Clément d'Alexandrie comparées aux
citations des pères et des théologiens grecs du IIe au XVe siècle, Gembloux, 1970 ; A.-M.
Malingrey, "Les sentences des sages dans la prédication de Jean Chrysostome" et M.-L.
Guillaumin, "Bible et Liturgie dans la prédication de Jean Chrysostome", in : Jean
Chrysostome et Augustin, Paris, 1975.
[16] Jean Chrysostome, Hom. Sur les Actes des Apôtres 45 ; PG 60, 318-320.
[17] Oeuvres de Messire Jacques-Benigne Bossuet, vol. 7, Venise, 1752, p. 475, cite par
Brandle, p. 285.