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R.K. Merton […] refuse de s'enfermer dans une théorie générale. Il s'interroge sur le phénomène suivant :
pourquoi certains individus, dans certaines situations, se définissent-ils ou se référent-ils positivement à un
groupe social qui n'est pas leur groupe d’appartenance ? (Petites filles qui ne veulent pas jouer à la poupée et
préfèrent monter aux arbres, enfants immigrés qui refusent la tradition familiale et valorisent les attitudes de
leurs copains autochtones...).
Une esquisse de réponse est abordée par l'auteur à l'aide de son concept de socialisation anticipatrice. Il
s'agit du processus par lequel un individu apprend et intériorise les valeurs d'un groupe auquel il désir
appartenir (groupe de référence). Cette socialisation l'aide finalement à « se hisser dans ce groupe » et
devrait faciliter son adaptation au sein du groupe. […]
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A.Beitone, C. Dollo, J. Gervasoni, C. Rodrigues, Aide-Mémoire Sciences Sociales , Sirey, 7ème Edition
Imane M., née à Lyon, a obtenu 7,9/10 à l’évaluation. Quelles sont […] les raisons de la « réussite » scolaire
de l’enfant ? Le père est ouvrier qualifié et la mère sans emploi, leurs niveaux de diplôme n’ont rien
d’exceptionnel, mais c’est dans la trajectoire du père que l’on trouve la clé principale de compréhension des
dispositions familiale extrêmement favorable à la scolarité des enfants.
Très cordial, cet homme a encore pour un ensemble d’attitudes en harmonie avec l’école : politesse, langage
explicite, construit, concret, précis, ton posé, douceur et calme dans la voix, gestes accompagnant son
discours... Ces modalités de l’expression verbale et corporelle sont sans doute liées d’une part au passé
militant de M.M qui a acquis l’habitude du discours formel, explicite (à travers la participation à de
nombreuses réunions où il s’agissait d’argumenter ou la rédaction fréquente de textes) et d’autres par un
passé professionnel dans une compagnie aérienne nationale. Son militantisme syndical et politique l’a amené
non seulement à lire beaucoup de journaux et de revues politiques (jeune Afrique), mais, plus largement, à
apprécier des produits culturels légitimes tels que des poètes et chanteurs égyptiens ou des écrivains arabes.
C’est toujours M.M qui s’occupe de la scolarité des enfants. Il suit les notes d’Imane régulièrement. Il parle
souvent d’école avec ses enfants : « Souvent, d’ailleurs, c’est la première question que je pose moi en se
mettant à table : « alors qu’est-ce que vous avez fait ce matin ? » » [...] C’est encore lui qui amène ses
enfants à la bibliothèque tous les 15 jours. Outre cela les rythmes familiaux sont très réguliers (à 21h
maximum les enfants sont couchés) et le père donne même à ses enfants des conseils sur la manière
d’organiser leur travail, de le planifier [...].
Bernard Lahire, tableaux de familles : heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, 1995
Question 2. Imane a-t-elle évolué dans un milieu à priori favorable à la réussite scolaire ?
Question 3. Relevez les passages dans le texte montant l’importance de la famille dans la réussite scolaire ?
Question 4. En quoi cet exemple illustre un cas de socialisation anticipatrice ?
Dans son premier roman, cet écrivain de 21 ans revient sur ses malheurs d'enfant homosexuel dans le
lumpenprolétariat picard. Mais sa famille et son village sont ulcérés par le portrait qu'il fait d'eux.
Samedi 15 février,Monique M., résidente à Hallencourt (Somme), est «descendue» à Paris pour voir son fils,
qui y est «monté» trois ans plus tôt. Elle ne l'a pas prévenu. Elle s'est rendue à la Fnac Montparnasse. Le fils,
récemment devenu écrivain, y participait à un «forum», dans un sous-sol plein à craquer de gens venus
l'écouter, lui qui n'a que 21 ans mais fascine comme s'il avait vécu mille vies. [...]
EddyBellegueule : l'auteur a longtemps porté ce blaze épique et invraisemblable, typiquement picard. Tout
récemment, il a changé son état-civil. Ce n'est pas rien. Il a dû prendre un avocat, et supporter la défiance de
l'administration, qui n'aime pas les identités instables. Il s'appelle désormais Edouard Louis. Le roman qu'il
présentait aux chalands de la Fnac laisse peu de doutes sur sa sincérité quand il dit vouloir en finir avec
Eddy Bellegueule, ce nom de pauvre dont il ne veut plus mais qui le rend célèbre.
Sa mère a une nouvelle fois entendu son fils raconter son calvaire : être né homosexuel et efféminé dans le
lumpenprolétariat d'Hallencourt. Sept à la maison, avec le drapeau noir qui flotte sur la marmite. Et le petit
Eddy qui fait la fille. A ceux qui voient le genre comme un choix, le livre montre à quel point il n'a rien
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choisi: « Quand j'ai commencé à m'exprimer, à apprendre le langage, ma voix a spontanément pris des
intonations féminines [ …] Chaque fois que je prenais la parole, mes mains s'agitaient frénétiquement, dans
tous les sens, se tordaient, brassaient l'air. ». Il roule des hanches, préfère la danse au foot. [...] La famille
moque ses «airs de folle». On n'a peutêtre jamais lu une dissection aussi clinique du sentiment de honte. Au
collège, l'injure est permanente. Deux brutes le persécutent chaque jour, lui crachent à la gueule, lui cognent
la tête contre le mur. [...]
Peu à peu, il se met à tout haïr: la télévision constamment allumée chez lui, l'alcool omniprésent, la vulgarité
triomphante, les diatribes contre les «crouilles»et les pédés, le virilisme, la méfiance vis-à-vis de l'école, de
la culture, de la médecine. Son récit est quasiment dénué de cette tendresse qu'on exige des souvenirs
d'enfance. [...]
« J'en voulais aux individus. J'en voulais à ces deux garçons. La sociologie m'a permis de réaliser que la
violence est produite par des structures sociales. Cette violence est invisible. Les enfants pauvres qui sèchent
l'école croient faire un choix, sans voir qu'ils subissent des mécanismes violents .»
Sa mère assurequ'elle ne comprend pas la sévérité de son fils. « Il a reçu de l'amour. On n'a jamais été
homophobes .»Elle se sent insultée. On la traite publiquement de mère indigne. Elle a acheté le livre début
janvier, le jour de sa parution, dans une gare parisienne, en remontant vers la Somme après avoir rendu
visite à son fils, qui étudie la sociologie à Normale-Sup. C'est la dernière fois qu'ils se sont parlés
tendrement. [...] Dans le village, les mêmes mots reviennent. Le livre est un «torchon» ;le petit
Bellegueule«s'est fait manipuler par son éditeur», «est tombé dans une secte».[...]
La tante d'Edouard Louis, côté paternel, est furieuse de l'image déplorable donnée de la lignée Bellegueule,
cette dynastie locale de durs à cuire qui fait le bonheur des commères et des pinardiers du Vimeu depuis des
générations. Sur la place centrale, elle menace aussi d'attaquer son neveu en justice. [...]
[Edouard Louis] a refusé les invitations des librairies picardes, «par peur de se faire alpaguer»,dit-on chez
Ternisien, à Abbeville. Sans doute à raison. Le maire d'Hallencourt, d'un ton fataliste, confirme: « Ah ça, vu
l'ambiance, je lui conseille de ne pas revenir ici !» On dit que le père, qui vit à Abbeville depuis la séparation
du couple parental, l'a renié. Son grand frère est hors de lui. Edouard Louis a reçu des menaces.[...]
Interne au lycée Michelis d'Amiens, il milite. Il est reçu par Xavier Darcos au ministère de l'Education
nationale pour protester contre une réforme déjà oubliée. Il passe plusieurs fois sur France 3 Picardie. [...]
La Picardie était trop petite pour lui. A la fac d'Amiens, étudiant brillant, il rencontre Didier Eribon. C'est
son chemin de Damas. Le sociologue, lui aussi homosexuel né dans le monde prolétaire, vient de publier
«Retour à Reims», où il raconte sa famille, son enfance, la violence et la honte. [...]
« Adolescent, pour gommer ce que j'avais d'efféminé, je me suis acharné à travailler sur mon corps, conclut
Edouard Louis. Je m'entraînais à parler, à rire. Puis c'est devenu naturel .» A Normale-Sup, on lui a fait des
remarques sur sa dentition négligée, dont il a honte comme d'un héritage de ses années de misère: il s'est fait
poser un appareil. « De même, je me réinvente en auteur. C'est la grande absurdité de la condition humaine:
nos vies n'ont pas d'essence propre. Nous trouvons des rôles à endosser. C'est la seule chose à faire .»
David Caviglioli, « Qui est vraiment Eddy Bellegueule ? », Le Nouvel Observateur, 12 mars 2014
Histoire familiale : famille malienne de confession musulmane, aîné d’une fratrie de quatre enfants, il
grandit dans le quartier (HLM) des géraniums à Suresnes (Hauts-de-Seine) ; il perd son père à l’âge de 11
ans. Travail, respect des autres et humilité ont été, d’après les témoignages sûrs (ses amis d’enfance ou
éducateurs), les préceptes éducatifs qui l’ont formé et être socialement ce qu’il est : une personne très
réservée, éminemment modeste et altruiste.
«Toujours dans le sens du jeu, de l’équipe»
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Histoire sportive. Il prend sa première licence de foot à l’âge de 9 ans, se révèle vite au-dessus du lot.
Malgré son petit gabarit il est «surclassé» chaque année (il joue dans l’équipe de catégorie d’âge supérieur).
Tout le monde lui prédit un destin de professionnel mais, moment décisif dans sa carrière, il ne parvient pas
à entrer dans un centre de formation d’un club professionnel : «Trop petit», «trop ci, trop ça», les recruteurs
des centres de formation ergotent sans cesse. [...]Ses coachs de Suresnes s’arrachent les cheveux de le voir
être recalé alors que chaque dimanche, le joueur survole le match de sa classe. Quand il joue en promotion
d’honneur, ses copains de quartier viennent au match pour voir la star locale. Leur slogan, qu’ils scandent
tout le match, est «Kanté au Barça !» tant son jeu semble être fait pour cette équipe au jeu modèle. Kanté va
donc rester dans son club formateur en continuant ses études au lycée (il décrochera à Boulogne un BTS
comptabilité).
Ce n’est qu’en 2012, à l’âge de 21 ans, qu’il attire l’attention du club pro de Boulogne-sur-Mer alors en
Ligue 2. L’anecdote veut que Kanté (sans permis de conduire) aille à l’entraînement chaque soir, à quatre
kilomètres de chez lui, en courant ou à trottinette. A Boulogne, la première année, il reste cantonné dans
l’équipe réserve. L’année suivante, quand Boulogne descend en National, il devient titulaire et «explose»
dans le jeu, attirant l’attention du club de Caen qui le fait signer par avance un contrat (1). L’année d’après,
N’golo Kanté brille en Ligue 2 avec Caen et participe à la remontée du club. Lors de sa première année en
Ligue 1, il subjugue tous les observateurs français : les grands clubs français «dorment» et laissent filer la
pépite pour une «misère» (10 millions d’euros) à Leicester qui devient champion en grande partie grâce à
lui. [...]
Creuser le fil de l’histoire de N’golo Kanté permettrait sans doute de montrer, outre le rôle décisif de son
environnement familial, tous les petits coups de pouce dont il a bénéficié durant son enfance et lors de sa
carrière, de la part de ses coaches successifs, des dirigeants de Suresnes (c’est le président du club qui
contribue à le placer à Boulogne-sur-Mer).
Article dans libération, 26 juin 2018, S.Beaud
Question 1. Pourquoi peut on dire que la trajectoire de N’Golo Kanté est improbable ?
Question 2. Quels sont les facteurs qui expliquent ce changement de destinée ?
Document :
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Question 2. A l’aide du document, vous comparerez les professions exercées par les enfants de cadres
et d’ouvriers.
Question 3. A l’aide du document et de vos connaissances, vous expliquerez comment les trajectoires
individuelles improbables peuvent exister
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