Daghmi PDF
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Tilila MOUNTASSER
Docteur en Sciences de l'information et de la communication
Université Ibn Zohr
tilila112@gmail.com
Fathallah DAGHMI
Maître de Conférences
Université de Poitiers
fdaghmi@univ-poitiers.fr
Farid TOUMI
Professeur Habilité
Université Ibn Zohr
ftoumi2000@gmail.com
Résumé
Cet article s’intéresse au rôle de la chaîne télévisée Tamazight TV dans le processus de
construction de l’identité culturelle amazighe dans la région d’Agadir au Maroc en se basant
sur les études des usages inspirées du courant des Cultural Studies. Notre approche empirique
s’articule autour d’une enquête menée sur un échantillon de plus de 1000 personnes
complétée par des entretiens avec les producteurs et acteurs médiatiques.
Mots-clés
Télévision, culture, identité, amazigh, Maroc
Abstract
This article focuses on the role of the Tamazight channel in the process of building the
Amazigh cultural identity in the region of Agadir in Morocco, based on the reception studies
inspired by the current “Cultural Studies” and through a survey conducted on a sample of
more than 1000 individual supplemented by interviews with producers.
Key Words
Television, culture, identity, Amazigh, Morocco
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French Journal For Media Research – n° 8/2017 – ISSN 2264-4733
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Introduction
Au Maghreb comme dans d’autres régions du monde, les politiques ont favorisé, pendant
la deuxième moitié du siècle dernier, la diffusion, via les médias de masse, de l’idée d’un
nationalisme servant la construction des identités nationales. Les identités des minorités
ethniques, linguistiques, religieuses ou régionales se sont alors retrouvées reléguées au second
plan. Ce fut le cas du Maroc qui privilégia la culture arabo-musulmane au détriment d’autres
identités culturelles et religieuses existantes, y compris la culture amazighe 1. Depuis la
« libéralisation » des médias audiovisuels au Maroc en 20052, de nouvelles formes de
médiation audiovisuelle se sont développées. Dans ce sens, une chaîne télévisée nationale
publique Tamazight, est créée en 2010 dans le but officiel de promouvoir, préserver et
valoriser la langue et la culture amazighe.
L'identité est un processus constructif et évolutif basé sur des choix et des perceptions.
Selon Ollivier, l’identité est « un système de représentations et de références que choisissent
des acteurs ou des groupes d’acteurs. Elle est le résultat d’une construction. » (Ollivier,
2010 : 35). L’identité culturelle est l’une des composantes de l’identité sociale, cette dernière
est le résultat des diverses interactions de l’individu ou d’un groupe avec son environnement
social, proche et lointain, de telle manière à ce que cet individu ou ce groupe puisse se repérer
et être repéré dans le système social. Cette définition sociale permet de se situer par rapport
aux autres individus ou groupes d’individus en terme d’exclusion et d’inclusion. L’identité
culturelle est ainsi une identification basée sur la différence culturelle.
Les médias, en tant que moyens de communication et de diffusion des cultures, des
symboles et des identités, constituent indéniablement des lieux de reconnaissance jouant un
rôle dans la définition de soi (Malonga, 2008 : 163). Toute minorité cherche à être visible
médiatiquement afin de légitimer son appartenance à la nation et d’améliorer son image,
« afin de promouvoir la reconnaissance de la diversité et de l’identité de cette minorité »
(Tilli, 2013 : 396). Le processus identitaire, qui consiste en l’appropriation du sujet de la
réalité qui lui est présentée en la construisant pour l’intégrer dans son système de valeurs
(Jodelet, 1989 : 37), se concrétise dans ce cas par un processus de non-représentation et
d’absence des minorités du paysage médiatique (Tilli : 387). « Ce déni d’existence construit
par la télévision ne fait que renforcer un sentiment d’exclusion et de rejet déjà
1 Appelée également « berbère », les désignations peuvent refléter des connotations politiques ou
militantes. Notre utilisation du terme « amazigh » se base sur l’appellation officielle de cette culture au Maroc
et ne revêt aucun positionnement idéologique.
2 Dans un premier temps, un décret-loi, datant de septembre 2002, abroge le monopole d’État sur la
radiodiffusion (Bulletin Officiel, en arabe, du 12 septembre 2003). La création de la Haute Autorité de la
Communication Audiovisuelle (HACA), organisme indépendant en août 2002 dont l’objectif pour but affiché est
la régulation du paysage audiovisuel marocain autant public que privé confirme cette nouvelle tendance. Le
dahir, loi n°77-03 relative à la communication audiovisuelle, (7 janvier 2005) poursuit dans cette optique de
libéralisation du champ des médias audiovisuels. La HACA change de statut en 2012 et devient un organisme
constitutionnel guidé par le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle pour garantir le respect de la
pluralité. Les modalités et les formes de cette « libéralisation » posent moult questions relatives à la sincérité
de la politique d’ouverture du champ audiovisuel portée par l’initiative marocaine. Pour mieux cerner l’aspect
juridique du champ médiatique marocain voire les deux contributions de Ahmed Hidass, « La régulation des
médias audiovisuels au Maroc », L’Année du Maghreb, II | 2005-2006. URL :
http://anneemaghreb.revues.org/163 ; DOI : 10.4000/anneemaghreb.163 ; « Quand « l’exception » confirme la
règle. L’encadrement juridique de la liberté de la presse écrite au Maroc », L’Année du Maghreb, 15 | 2016.
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douloureusement vécu dans la réalité. » (Malonga, 2007 : 66). Les représentations (positives)
véhiculées par les médias permettront une cohésion et une valorisation identitaire « Lorsque le
groupe adhère aux mêmes représentations, il renforce son lien social et affirme une identité
sociale avec l’objectif de garder une image gratifiante. » (Tilli : 396)
Si les médias ne sont que des facteurs d’influence parmi d’autres sur les perceptions et les
représentations de la réalité sociale de la part des individus (Malonga, 2007 : 61), ils ont un
rôle important dans la modification des perceptions d’autant qu’ils ont pénétré massivement
l’environnement culturel et l’histoire de vie des individus.
Par le choix du sujet des pratiques culturelles médiatiques minorisées, fortement inspirée
par les problématiques des Cultural Studies, notre recherche s’intéresse à l’articulation entre
les stratégies de la production et les attentes de la réception de la télévision, en termes de
rapports socioculturels et de logiques d'actions. Le courant des Cultural Studies est
pertinemment décrit par Éric Macé comme « la tentative la plus achevée ď articulation de la
question des rapports sociaux et culturels de domination et de pouvoir avec celle de la
réception des messages médiatiques » (Macé, 2000 : 250). Si nous analysons les logiques des
usages, notre perspective se différencie de celle de l’approche des « usages et gratifications »
en pensant la réception non comme une communication de messages qui circulent et
produisent des effets et des réactions mais, comme l’indique Martín-Barbero :
« (…) dans une perspective prenant la culture pour champ : les conflits que la
culture articule, les métissages qui la tissent, les anachronismes qui la sous-
tendent et, enfin, la manière dont l’hégémonie travaille, avec les résistances
qu’elle suscite et, par conséquent, la mise en évidence des modalités
d’appropriation et de riposte des classes subalternes. » (Martín-Barbero, 2002 :
185)
Nous interrogeons à travers cet article le rôle de la chaîne télévisée Tamazight TV dans les
processus de construction de l’identité culturelle amazighe dans la région d’Agadir. Nous
partons du postulat que la chaîne amazighe s’impose désormais en tant que lieu d’affirmation,
de reconstruction et de revendication identitaire. À travers une enquête3 menée auprès de la
population locale, complétée par des entretiens avec les producteurs4, nous analyserons le rôle
de cette chaîne télévisée dans la construction (ou reconstruction) de l’identité culturelle de ce
pan de la population. Nous présenterons en premier lieu un bref aperçu du contexte
médiatique au Maroc en prise avec les revendications amazighes, avant d’exposer et
3 Enquête par questionnaire menée entre janvier et avril 2016 sur 1142 individus de 15 ans et plus dans la
région d’Agadir et son arrière-pays immédiat. La distribution s’est faite par lieu d’habitation. Le traitement s’est
fait à l’aide du logiciel Sphinx.
4 Entretiens semi-directifs menés avec les responsables des chaînes nationales amazighes (radio et
télévision).
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d’analyser les résultats de notre enquête menée dans la région d’Agadir5, une région fortement
peuplée d’amazighophones.
La population du Maroc, depuis l’Antiquité, a toujours été marquée par la structure tribale.
Les puissances méditerranéennes (phénicienne, carthaginoise, romaine) se succédèrent l’une
après l’autre sur ces terres mais sans changer drastiquement l’organisation sociale et les
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habitudes des populations locales (Kably, 2011 : 132). Les Arabes, originaires du Moyen-
Orient, se sont imposé vers la fin du VIIe siècle en s’employant à unifier et à islamiser
l’Afrique du Nord (Pouessel, 2010 : 13). Lors du VIIIe siècle, la plupart des habitants, qui
étaient de confession juive, chrétienne, ou païenne, deviennent musulmans. Cette époque fut
le début de l’ère des « grands empires berbères » (les Almoravides, les Almohades, les
Mérinides et les Wattasides) qui dura environ cinq siècles et fut ponctuée par l’échec des
tentatives d’unification politique (Kably : 163).
Après l’indépendance du Maroc en 1956, l’État adopte un idéal d’une culture commune et
homogène représentant le nationalisme marocain, à savoir la culture arabo-musulmane. Toute
différence tribale, linguistique et culturelle était généralement et officiellement bannie, perçue
comme menace à l’unité du pays7. Les rebellions qui éclatèrent refusant de se soumettre
furent rapidement contenues. A partir des années soixante, la cause amazighe au Maroc a
émergé à travers des mouvements associatifs. Cependant, l’existence de la culture amazighe
n’a été reconnue qu’en 1994, après que le roi Hassan II ait prononcé un discours où il
préconise l’intégration de l’amazigh dans l’enseignement et dans les médias (Feliu, 2004 :
278). Toutefois, aucune mesure n’a été prise si ce n’est que la première chaîne télévisée
publique commença à émettre des journaux d’informations de quelques minutes dans les trois
variantes à côté du journal en espagnol (Aït Mous, 2011 : 124). Le roi Mohammed VI adopte
en 2001 un mode de gestion identitaire quasiment identique à celui de l’Algérie de 1995 (Aït
Kaki, 2003 : 111). Quelques années après son accession au trône, il institutionnalise la
question amazighe, en appliquant les promesses faites par son prédécesseur notamment la
création d’un institut spécialisé dans l’étude amazighe, l’Institut Royal de la Culture
Amazighe (IRCAM) en 2002, et l’intégration de celle-ci dans l’enseignement (2003).
Néanmoins, l’officialisation de la langue amazighe ne se fit que dix ans plus tard, concrétisée
par l’adoption par référendum de la nouvelle constitution promulguée le 1er juillet 2011. Suite
aux manifestations du mouvement de « 20 février », qui rentrent dans le cadre des
soulèvements arabes, le roi Mohamed VI prononça un discours le 9 mars 2011, où le statut de
la langue amazighe est déclaré comme officiel, même s’il reste en position seconde par
rapport à la première langue officielle, l’arabe (Aït Mous : 128). L’intégration de la langue et
de la culture amazighes dans les médias marocains figure parmi les principales actions de leur
7 Il faut néanmoins signaler que, jusqu’à la fin des années 1990, la RTM radio diffusait ses programmes en
arabe (ou en français mais aussi en espagnol pour les informations) mais aussi « un mini-programme de neuf
heures en berbère à raison de trois heures pour chacun de ses trois parlers (Tachelhit, Tamazight et Tarifit).
Depuis une dizaine d’années, il a été porté à 12 heures » (Hidass, 1999).
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La première chaîne de télévision est celle qui a une dimension protocolaire proéminente, à
tel point que « son alignement inconditionnel sur le discours officiel a fortement nui à son
image, provoquant une dissociation par rapport au vécu de la société » (Mouhtadi : 152) ; ce
qui n’est pas tout à fait le cas de la deuxième chaîne, car même si celle-ci reprend le discours
officiel et souligne les points forts du pays et ses potentialités, elle s’est tout de même
« accroché à cette volonté de reconnaître les faiblesses (y compris lorsqu’elle est passée sous
le giron de l’Etat) » (Mouhtadi : 179).
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L’introduction des chaînes satellitaires qui proposent des programmes bien plus variés,
notamment les chaînes arabophones dont la langue et la culture sont mieux comprises et
assimilées que celles francophones, constitue une concurrence ardue aux chaînes nationales.
L’Etat a vainement tenté de limiter la propagation de la parabole lors de ses débuts par des
moyens techniques et juridiques (Mouhtadi : 152-155).
Selon plusieurs études (Daghmi, Toumi, Pulvar, 2010 ; Jaïdi, 2010 ; El Berrhouti, 2012), les
Marocains regardent les chaînes nationales généralement pour les principaux journaux
d’informations. Seules quelques séries mexicaines, turques ou égyptiennes bénéficient d’un
certain intérêt. De nouvelles émissions de divertissement ou à thèmes sociaux ont attiré
cependant ces derniers temps une audience soutenue (Toumi, Amsidder, Mountasser, 2014).
Le croisement de ces résultats avec la variable de l’âge révèle que ce sont les plus âgés (à
partir de 55 ans) qui préfèrent les chaînes marocaines. 2M et Medi1 TV sont les seules chaînes
dont la préférence ne varie pas autant selon l’âge des répondants ; l’écart entre les
pourcentages des préférences par rapport à l’âge n’est pas aussi important pour ces deux
chaînes que pour les autres chaînes marocaines, notamment Tamazight TV qui est choisie par
plus ou moins 15% des jeunes âgés de 34 ans et moins, et par plus de 50% chez les seniors
âgés de 65 ans et plus. Les chaînes documentaires (National Geographic et JSC
Documentary) et les chaînes de sport sont choisies le plus fréquemment par les jeunes adultes
entre 25 et 34 ans, alors que les chaînes d’information continue sont préférées surtout par les
personnes entre la quarantaine et la cinquantaine. Les plus jeunes (de 15 à 24 ans) répondent
davantage aux offre des chaînes divertissantes/cinéma telles que MBC 2, MBC 4, MBC
Bollywood, Zee Aflam, Zee Alwan, MTV et Rotana.
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La comparaison par genre nous révèle que les chaînes sportives, les chaînes d’information,
les chaînes documentaires et les chaînes des films hollywoodiens sont plus souvent choisies
par les hommes, alors que les chaînes marocaines (sauf Al Aoula), les chaînes de films et de
divertissements, surtout arabes et indous, ainsi que les chaînes culinaires et religieuses sont
davantage choisies par les femmes.
Le croisement des chaînes préférées avec le milieu d’habitation (urbain ou rural) démontre
que les chaînes marocaines Al Aoula (généraliste), Tamazight, Arriadia (sport), Assadissa
(religieuse) et Arrabiâa (culture) sont plus appréciées dans le monde rural, alors que 2M
(généraliste) est autant appréciée en milieu urbain qu’en rural et que Medi1 TV (généraliste)
est plus appréciée en urbain. En somme, nous déduisons que les chaînes marocaines en
général et les chaînes du Moyen-Orient présentant les divertissements turques et indous sont
plus appréciées dans les zones rurales que dans les zones urbaines en raison de la proximité
culturelle et de la facilité de compréhension.
En comparant encore une fois les mêmes résultats avec le niveau d’étude, nous relevons
une corrélation entre le choix des chaînes de télévision marocaine et le niveau d’instruction ou
de qualification. En effet, Tamazight TV est plus appréciée chez les personnes n’ayant aucun
diplôme, notamment en raison de leur unilinguisme ou parce qu’ils maitrisent mieux
l’amazigh qu’une autre langue. Medi1 TV fait encore une fois figure d’exception. Cette
chaîne, assez moderne, attirent plus les personnes poursuivant ou ayant poursuivi des études
en enseignement supérieur. Le choix des chaînes d’information continue, des chaînes
documentaires et des chaînes françaises croît avec le niveau d’étude, sauf pour les chaînes
d’information continue Al Jazeera et Al Arabia qui semblent intéresser tous les niveaux.
Les chaînes marocaines sont également les chaînes télévisées les plus regardées en famille,
notamment à cause de la proximité qui fait leur particularité et du fait qu’elles soient
considérées comme des chaînes décentes, offrant la possibilité d’être regardées par tous les
membres de la famille sans provoquer d’embarras. Tamazight TV se place deuxième chaîne la
plus regardée en famille, juste derrière 2M. La proximité culturelle et linguistique de la chaîne
Tamazight ainsi que son caractère « respectable » joue en sa faveur en qualité de chaîne
familiale dans les foyers amazighophones ou ceux dont l’un des parents est amazighophone.
Le pourcentage des personnes ne regardant pas la télévision en famille est faible (2,5%).
La traditionnelle réunion familiale autour des repas et de la télévision reste importante dans la
région d’Agadir, et ne faiblit pas malgré le taux d’équipement élevé dans la plupart des foyers
qui comptent deux téléviseurs ou plus ainsi que les autres outils de communication moderne
tels que les Smartphone, tablette, ordinateurs, etc. La différence entre les choix personnels en
matière de télévision et le choix familial revient au fait que ce dernier choix correspond à
celui de la personne influente qui détient ce pouvoir (les parents), en plus de la contrainte du
contenu décent adapté au contexte familial. En dehors des réunions familiales, chacun s’isole
autant qu’il le peut du reste de la famille pour satisfaire ses propres goûts en matière de
télévision. De plus, la langue amazighe est surtout utilisée dans un contexte familial. Le choix
de Tamazight TV comme chaîne familiale rejoint cette logique de transmission et de partage
de la culture et de la langue amazighe entre les membres de la famille. Charmarkeh (2012),
dans une étude des pratiques médiatiques des Somaliens au Canada, conclut que la
construction identitaire des somaliens se fait à travers les réunions familiales autour des
médias somaliens leur permettant de négocier leurs « propres valeurs, appartenances et
traditions en lien avec d’autres membres de cette communauté et d’autres niveaux
sociopolitiques » (Charmarkeh : 56).
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La langue amazighe est plus choisie comme langue de divertissement que d’information.
Le cantonnement de cette langue pendant des années à l’usage domestique en a fait qu’elle
semble difficilement joignable au sérieux et au professionnel. Les journaux d’information des
chaînes marocaines sont surtout diffusés en arabe classique – l’arabe marocain étant
également perçu comme une langue domestique dont l’usage ne peut être professionnel – et
peu en français. Les langues maternelles en général sont essentiellement orales et empreintes
d’une intimité et d’une familiarité. Dans le cas du Maroc, les langues maternelles restent
cantonnées à ce rôle, car malgré l’institutionnalisation de l’amazigh, ce dernier ne s’est pas
encore détaché des représentations en tant que langue informelle, de l’intime. Ainsi nos
répondants le préfèrent plutôt comme langue de divertissement.
La langue amazighe peut être écrite et possède un alphabet spécial, le tifinagh. Cependant
c’est le caractère oral qui est le plus prégnant, l’écriture étant maîtrisée par très peu de
personnes en raison de l’analphabétisme et du manque de l’enseignement à l’école de la
langue amazighe écrite. Par ailleurs, la culture amazighe est associée par les personnes
interrogées à la langue, l’origine, les traditions… Alors que le tifinagh ne récolte que 0,3%
d’occurrences.
Les médias audiovisuels sont les supports les plus adaptés pour la diffusion d’une langue
dont l’oralité est prégnante. Cependant, si l’audiovisuel peut encourager l’intégration de cette
langue et sa diffusion médiatique, il la limite au seul cadre de l’oralité de manière à ce que
l’intimité et de la familiarité lui soient toujours accolées. Dans ce sens, le directeur des
chaînes nationales amazighes nous a fait part du manque d’émissions en amazigh que nous
qualifions de « sérieuses » en raison du manque de moyens et de la prégnance de l’aspect
folklorique de cette culture. Toutefois, le divertissement est un genre important pour faire
saisir l’intérêt des publics. D’après nos répondants, la télévision est d’abord regardée pour se
divertir ensuite s’informer. Le divertissement s’avère donc être un créneau porteur et
représente toujours, au-delà de la visée idéologique, une arme redoutable de diffusion des
signes, symboles et univers des appartenances collectifs.
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La première raison qui pousse les téléspectateurs à regarder la chaîne Tamazight TV est la
recherche du divertissement (15%). Le téléspectateur marocain privilégie en effet la qualité du
contenu sur toute revendication d’ordre identitaire, linguistique ou culturelle (Daghmi et al.,
2012). Cependant, cela ne diminue pas l’importance de la quête de la proximité culturelle et
linguistique dans le choix de la chaîne à regarder. En effet, la deuxième raison est liée aux
origines amazighes des téléspectateurs qui l’expriment de manière récurrente ainsi « Je suis
Amazigh ». Cet argument est suffisant selon eux pour expliquer les raisons de l’intérêt pour la
chaîne. La troisième raison est l’écoute de la langue maternelle sur la télévision, suivi par la
recherche de la culture d’origine, la considération du téléspectateur que cette chaîne le
représente, et la possibilité qu’offre cette chaîne d’apprendre encore plus sur la culture
amazighe. De ce fait, une proportion non négligeable (près de 40%) des téléspectateurs de
Tamazight TV s’identifient ainsi à « leur » télévision : c’est la télévision qui représente leur
culture, leur appartenance, leur langue et leur origine. Quant au contenu, les films viennent en
premier lieu avec près de 22% des citations. Mais il s’agit surtout des films anciens et les
films d’origine amazighe, la traduction en amazigh qui se fait des films marocains arabes
déçoit une grande partie des téléspectateurs qui regrettent le manque de nouveautés et la
reprise des programmes des autres chaînes marocaines pour les traduire en amazigh. Les
autres programmes très appréciés sont les soirées musicales et les films documentaires qui
montrent le patrimoine marocain amazigh.
Certains amazighophones ont adopté des positions de rejet de cette chaîne censée les
représenter. La première raison est le manque d’attraction au contenu et le manque d’intérêt.
L’attractivité au contenu reste toujours le premier facteur du choix d’une chaîne. Le manque
de qualité de la chaîne est également déploré. Cependant, il convient de souligner que les
personnes qui ne regardent pas la chaîne Tamazight sont surtout celles qui déclarent ne pas
comprendre la langue, même si certains non-amazighophones regardent la chaîne puisqu’elle
comprend des sous-titres en arabe dans ses productions et certaines émissions en arabe ou en
français. La plupart des personnes qui ne sont pas Amazighs ne s’intéressent pas à la chaîne
parce que ce n’est pas leur culture, ils n’ont donc pas idée du contenu de cette chaîne qui ne
les concerne pas selon eux parce qu’elle ne leur est pas adressée.
Les téléspectateurs de cette chaîne expriment une frustration due à l’incompréhension des
autres variantes amazighes et espèrent que la variante Tachelhit (variante de l’amazigh parlée
dans la région du Souss) ait plus de place dans la diffusion des programmes aux côtés de
Tarifit et de Tamazight (variantes du Rif et de l’Atlas). Certains vont jusqu’à demander que
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chacune des variantes ait sa propre chaîne. En effet, la chaîne cible la totalité des
amazighophones du pays au-delà des différentes variétés linguistiques changeant d’une région
à l’autre.
Une autre sollicitation importante des personnes interrogées est l’augmentation de la durée de
diffusion ainsi que l’amélioration de la qualité de la chaîne et la modernisation des techniques
et des équipements. Plus de cinq ans après sa création, la chaîne n’est toujours pas arrivée à
augmenter son volume horaire de manière satisfaisante8, à améliorer sa qualité et à diffuser un
contenu en majorité de production amazighe.
Une grande partie des téléspectateurs trouve toutefois que la chaîne amazighe représente la
culture amazighe totalement (30%) ou partiellement (14,5%), et ce à travers l’utilisation de la
langue amazighe comme langue principale, ainsi que la diffusion et la promotion du
patrimoine, de l’art, des traditions et des coutumes amazighes au Maroc. Les personnes qui
pensent que cette chaîne est loin de représenter la culture sont de 20% (14% catégoriquement
non et 6% plutôt non), et trouvent que cette chaîne résume l’amazighité au folklore, ou qu’elle
ne devrait pas diffuser des programmes d’origine non amazigh et utiliser d’autres langues de
diffusion, ou encore que c’est une chaîne publique qui reste sous le contrôle de l’Etat et ne
dispose pas du budget et de la liberté suffisants pour bien représenter la culture. Les uns et les
autres sont d’accord sur le fait que la chaîne a besoin de plus d’efforts et d’améliorations pour
atteindre un niveau acceptable.
Discussion
Les résultats de notre enquête ont ainsi mis en relief l’importance de l’appréciation du
contenu dans le choix d’une chaîne télévisée. Les téléspectateurs de la région d’Agadir, bien
qu’étant majoritairement amazighophones, se tournent vers des médias présentant un contenu
qui les attirent et non vers des médias représentant la culture amazighe (Daghmi et al., 2012).
L’appréciation du contenu s’avère plus déterminante qu’une quelconque revendication
d’ordre culturel ou identitaire. La même déduction a été faite dans une étude menée au
Québec par Proulx et Bélanger sur les pratiques des immigrants :
8 10 heures de diffusion quotidienne en 2015. En comparaison, la télévision corse Via Stella, trois ans après
sa création en 2007, est passée d’un volume horaire de 5 heures à 15 heures par jour (D’Orazio, 2011, p. 97).
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l’existence de ce média s’appuie sur la seule base d’une stratégie politique de l’Etat pour faire
taire les protestations, dépourvue d’une réelle intention de répondre aux attentes de la
communauté amazighe.
Nous observons que les publics semblent avoir intégré l’idée d’une culture amazighe
marocaine générale composée des trois variantes, notamment à travers le rassemblement des
trois cultures dans une même chaîne télévisée. Si certaines personnes sont favorables à cette
cohésion qui se construit autour d’une télévision visant à créer une communauté imaginée
d’Amazighs du Maroc (Anderson, 1996), d’autres le sont moins et désirent que chacune des
trois variantes ait sa propre télévision régionale, notamment en raison de la difficulté de
compréhension des variantes des « autres ». Ils critiquent d’ailleurs la prégnance des
émissions des autres variantes et n’arrivent pas à différencier la variante rifaine de celle de
l’Atlas ou de l’amazigh standardisé. D’un côté, la cohésion sociale de la communauté
amazighe et la standardisation de la langue est favorable à cette culture qui aura alors plus de
poids et sera plus coordonnée, Or cette cohésion sociale semble devoir se faire au détriment
des particularités régionales, notamment des variétés linguistiques. D’un autre côté, la vision
d’une communauté amazighe marocaine est freinée par la diversité des variantes et des
dialectes, ainsi que la réticence de chacun face à l’autre, ce sont les différences et les
disparités qui sont le plus souvent soulignées.
Conclusion
L’identité amazighe de la population gadirie est loin d’être un moteur important dans leurs
pratiques médiatiques. En effet, les usages et pratiques de la télévision de la part des
amazighophones nous poussent à écarter l’hypothèse d’une revendication d’ordre identitaire à
travers la consommation audiovisuelle de la chaîne Tamazight TV d’autant plus qu’il s’agit
d’une émanation du pouvoir central qui a sa propre logique imprégnée de calcul et de ruse
politiques. Les publics recherchent surtout une reconnaissance de cette identité, un pari gagné
par l’Etat qui, en officialisant la langue amazighe et en l’intégrant dans les médias en tant que
culture commune à tous les Marocains, a pu devancer les revendications des militants
amazighs. S’il s’agit en conséquence d’une réponse au besoin des Amazighs d’être reconnus
comme partie intégrante du pays il n’en reste pas moins que ce projet en lui-même est
fondamentalement marqué par la politique d’affichage habituel et provoque moult
frustrations.
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