Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Croissance Urbaine Et Innovations Dans Les Filiere

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 24

Croissance urbaine et innovations dans les filières vivrières :

Cas du maïs et du niébé dans les savanes du Cameroun

Auteur(s)
Eric Joël Fofiri Nzossié¹, Joseph-Pierre Ndamé¹, Ludovic Temple², Robert Ndjouenkeu3,
Michel Simeu Kamdem4

¹ Département de Géographie, Université de Ngaoundéré fofiri_eric@yahoo.fr /


ndamejoseph@yahoo.fr ; BP : 454 Ngaoundéré (Cameroun)
² Cirad-Montpellier, UMR MOISA’ ludovic.temple@cirad.fr
3
ENSAI, Université de Ngaoundéré rndjouenkeu@yahoo.fr
4
Institut National de Cartographie (INC), Yaoundé (Cameroun), michelsimeu@yahoo.fr

2èmes journées de recherches en sciences sociales

INRA SFER CIRAD


11 & 12 décembre 2008 – LILLE, France
Résumé
L’accroissement des populations urbaines dans la région soudano sahélienne du
Cameroun modifie les stratégies productives sur la diversification des productions vivrières.
Le maïs et le niébé comptent parmi les cultures dont le niveau actuel de production est l’un
des plus remarquables. Si l’autoconsommation contribue à absorber plus de la moitié de la
production suivant les localités et les habitudes alimentaires, les marchés urbains par
hypothèse constituent les principaux points d’acheminement de la production commercialisée
qui génère des revenus aux producteurs, et créée des conditions favorables à des changements
technologiques. Quelle est la réalité de cette hypothèse ? Pour la tester nous mobilisons une
enquête de consommation réalisée en août 2007 à Ngaoundéré, Garoua et Maroua, principales
villes des savanes du Cameroun, sur un échantillon de 450 ménages. Cette enquête montre
que c’est en période de soudure qu’apparaissent les principaux problèmes d’insécurité
alimentaire qui de fait, rendent les productions de riz et de maïs incoutournables. Deux
explications sont soulignées. La première porte sur le caractère limité des surplus de céréales
locales des zones rurales pendant cette période difficile. La deuxième porte sur l’innovation
des producteurs qui diversifient leurs systèmes vivriers.
Mots clés : Savanes du Cameroun, graines alimentaires émergentes, consommation,
sécurisation vivrière, revenu.

2
Introduction
Contexte de l’étude et position du problème
La croissance démographique et l’urbanisation rapide constituent les principales
évolutions récentes des savanes du Cameroun. Ces évolutions se manifestent dans un contexte
international caractérisé par l’accélération de la globalisation alimentaire et le désengagement
de l’Etat des secteurs productifs. Ce contexte qui se traduit notamment par l’augmentation des
coûts des intrants et une désorganisation des encadrements institutionnels de la production
agricole, a amplifié pour certains auteurs la pauvreté principalement dans les zones rurales.
Cependant, l’extension des marchés urbains ouvre des opportunités et génère des stratégies
d’adaptation paysannes centrées sur la diversification des productions vivrières, dont
principalement le maïs et le niébé dans le Nord-Cameroun, grâce à l’introduction d’un certain
nombre d’innovations techniques1. Ces deux céréales passent d’un statut d’autoconsommation
à un statut marchand dominant dans les agricultures familiales d’où le concept de « graines
émergentes » que nous utilisons. Ce constat a conduit à la formulation d’un programme de
recherche agricole dans les savanes d’Afrique centrale sur les filières d’intérêt socio-
économiques (coton, lait et porc, graines alimentaires, fruits, intrants et crédit) dénommé
ARDESAC (Appui à la recherche régionale pour le développement durable des savanes
d’Afrique centrale). La présente étude qui s’inscrit dans le cadre du « Sous Programme 3.3
sur les graines alimentaires émergentes maïs et niébé », vise à comprendre les dynamiques
paysannes locales en vue de proposer des actions appropriées par rapport à l’accroissement
des revenus des producteurs et à l’amélioration de la sécurité alimentaire rurale et urbaine.
Cette étude est le résultat des enquêtes de consommation menées en août 2007 à Ngaoundéré,
Garoua et Maroua, principales villes des savanes du Cameroun. Elle vise à préciser la place
du maïs et du niébé dans les dynamiques urbaines de consommation et à déterminer dans
quelle mesure ces deux cultures peuvent jouer un rôle important dans l’augmentation de la
production locale et la sécurisation vivrière.
De 1990 à 2004 la production de maïs et de niébé dans les savanes du Cameroun2 a
connu une augmentation importante malgré les variations interannuelles notamment en 1997,
2000-2002 et 2004 dues aux aléas climatiques. On est passé de 57 418 tonnes de maïs à
297 307 tonnes en 14 ans (30% de la production nationale), et de 19 940 tonnes de niébé à
88 120 tonnes (95%). L’autoconsommation représente environ 60% pour le maïs suivant les
localités et les habitudes alimentaires (Fusillier J.-L., 1993), et près de 50% pour le niébé. Ce
qui correspondrait en moyenne à 178 000 tonnes de maïs et 53 000 tonnes de niébé
consommés en 2004. Les centres urbains constituent dès lors les principaux points
d’acheminement de la production commercialisable susceptible de générer des revenus aux
producteurs et de créer des incitations à l’accroissement de la production locale. Les trois
principales villes des savanes du Cameroun (Ngaoundéré, Garoua et Maroua) abritaient en
2006 près de 900 000 habitants, soit environ 40% de la population urbaine régionale
(Annuaire Statistique du Cameroun, 2004 et projections).
L’analyse de la consommation alimentaire des ménages des villes du Nord-Cameroun
en 1996 révélait cependant un faible niveau de consommation du maïs (2,7% de la structure
des produits de base) par rapport au riz, blé et pâtes alimentaires (56%), et au mil/sorgho
1
Des actions spécifiques d’appui au développement des cultures vivrières ont été menées dans les savanes du
Cameroun : Projet Bénoué qui débuta en 1964, recherches variétales au sein de l’IRA (Institut national de
Recherche Agronomique) à partir de 1980, de la NCRE (National cereal research and extension) (1980-1994) ;
du CRSP (Collaborative research support program) commencé en 1980 ; du Projet Garoua (1988) (Abraao,
1994 ; Njomaha, 2004).
2
Les savanes du Cameroun regroupent trois provinces administratives : l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord,
et s’étendent sur 165 000 km², soit 35% de la superficie du pays.

3
(34,3%) (Dury S. et al., 2000). Pour ce qui est des légumineuses et des légumes qui
complètent d’un point de vue nutritif les aliments de base, ils concernent principalement le
niébé qui représentait 19,6% de la structure des produits d’accompagnement contre 41,8%
pour l’arachide et 22,6% pour les légumes feuilles. Ces résultats obtenus dans le cadre de la
première enquête camerounaise des ménages (ECAM 1) réalisée en 1996, confirmaient ainsi
ceux obtenus en 1990 par Requier-Desjardins à Garoua, principale métropole de la région. Ils
tendraient à confirmer des perceptions pessimistes selon lesquelles la croissance urbaine ne se
traduit dans les pays en développement qu'en termes d'exode rural, d'acculturation, de
dépendance alimentaire, de pauvreté et d'insécurité. Pourtant d’autres auteurs en l’occurrence
Bricas N. (1997), oppose une vision plus optimiste qui voit dans la ville une occasion pour le
développement agricole dans la mesure où le marché qu'elle représente offre des débouchés
aux producteurs, prenant le relais d'un marché international très instable (Hatcheu T., 2003 :
25).
Nous proposons de tester l’hypothèse selon laquelle la croissance des marchés urbains
dans le Nord-Cameroun se traduit par des innovations dans les systèmes de production
agricoles à travers les productions de maïs et de niébé. L’adoption du maïs dans la
consommation alimentaire serait consolidée par sa disponibilité saisonnière par rapport au
mil/sorgho, la diversité de ses formes de consommation qui s’intègrent plus facilement dans
les habitudes alimentaires des divers groupes ethno-linguistics d’une part, et par
l’amélioration des procédés de transformation depuis une quinzaine d’années d’autre part.

L’approche méthodologique adoptée


Le choix du ménage comme échelle d’observation pour cette étude se justifie par sa
capacité à reconstituer un certain nombre d’informations relatives à la consommation
alimentaire (produits consommés, formes, coûts, fréquences…) sur une période relativement
importante (un à cinq ans)3. Nous n’avons pas pris en compte la consommation hors ménage
plus disparate et difficile à reconstituer sur un temps relativement long.
Les données ont été collectées à l’aide d’un questionnaire d’enquête adressé à 450
ménages dans les chefs-lieux de provinces des savanes du Cameroun : Ngaoundéré, Garoua et
Maroua, soit 150 ménages par ville. Bien que l’étude était centrée autour de la consommation
du maïs et du niébé, nous avons cherché à cerner plusieurs éléments pouvant permettre de
situer ces deux céréales dans le contexte global de la consommation alimentaire urbaine :
- les produits consommés en fonction de diverses catégories socio-économiques des
ménages et des circonstances ;
- l’organisation de la consommation prenant uniquement en compte les conditions
d’approvisionnement.

Cette démarche a déjà été appliquée par divers auteurs pour étudier la consommation
alimentaire de nombreuses villes africaines (Bricas N., 1990 ; Requier-Desjardins D. , 1993 ;
Abraao S., 1994 ; Dury S. et al., 2000 ; Leporrier S., 2002 ; Diawara B. et al., 2002).
Les ménages enquêtés ont été choisis de façon raisonnée sur la base de trois variables
qui déterminent d’un point de vue socio-économique les habitudes alimentaires : le type
d’habitat qui indique le niveau de vie d’un ménage, le groupe ethno-linguistic et la religion.

3
Nous retenons la définition officielle du ménage considéré comme l’ensemble de personnes (ayant de lien de
sang, de mariage ou non), vivant dans la même unité d’habitation, prenant le plus souvent leurs repas en
commun, généralement subvenant en commun aux dépenses courantes et reconnaissant généralement l’autorité
d’une seule personne comme chef de ménage (Dury S. et al., 2000).

4
Ces trois variables d’après les travaux précédents déterminent en effet les formations des
habitudes alimentaires des ménages, et influencent également leur installation dans les
quartiers au Nord-Cameroun et dans nombre de villes africaines. Ce facteur a guidé le choix
du quartier comme unité d’enquête. Nous avons bénéficié de l’appui des Services Provinciaux
des Statistiques de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord dans l’échantillonnage, le
choix des quartiers et la conduite de l’enquête, qui s’est déroulée du 15 au 30 août 2007, dans
20 quartiers les plus représentatifs sur le plan socio-économique.
La période d’enquête se situe entre les mois de juillet et d’août qui correspondent à la
période de soudure alimentaire c'est-à-dire la période où du point de vue de la saisonnalité des
productions locales, les problèmes de sécurité alimentaire sont le plus intenses pour les
populations concernées et où le prix des produits alimentaires est par hypothèse le plus élevée.
Les données obtenues ont subi un double traitement :
- un traitement manuel qui a porté sur la taxonomie des questions ouvertes afin de
permettre leur interprétation ;
- un traitement informatique qui a consisté en une saisie à plat des questions fermées
préalablement codifiées dans un tableur Excel, suivie d’une analyse à l’aide du logiciel
XLSTAT.

Résultats et discussion

Croissance démographique urbaine et demande alimentaire au Nord-Cameroun

Le phénomène urbain précède la colonisation dans le Nord-Cameroun grâce à la


conjonction entre l’organisation politique des Etats musulmans et le développement des
réseaux d’échanges sur les voies « transversales » soudano sahéliennes (Nigeria-Cameroun-
Tchad). L’essor de Maroua, Garoua et Ngaoundéré (figure 1) montre l’importance de
quelques sites privilégiés, qui se sont imposés dès le XIXième siècle. La période coloniale
voit l’émergence de centres urbains dans des secteurs restés jusque-là inorganisés (Mokolo,
Yagoua, Guider, Meiganga), même si le rayonnement était limité à leur seule fonction de
commandement administratif (Roupsard, 1987 : 440). Cependant l’urbanisation a connu une
évolution remarquable en 20 ans (1980-2000), grâce à un ensemble de phénomènes
convergents : développement des activités industrielles liées à l’économie rurale 4,
désenclavement du Nord-Cameroun par l’amélioration de l’état des infrastructures de
communication qui le relient au sud du pays, développement des villes administratives créées
dans le souci d’un meilleur contrôle du territoire national par le pouvoir central, récurrence
des crises socio politiques au Tchad et en République centrafricaine qui ont favorisé un afflux
massif de réfugiés dans la région.

4
Les réalisations industrielles du Cameroun septentrional avaient pour principal objectif d’opérer une première
transformation des productions agricoles et pastorales, le plus souvent en préalable à l’exportation. De
nombreuses infrastructures ont ainsi été construites dans et autour des villes proches des sites de production dont
les usines d’égrenage de la SODECOTON (Mora, Maroua, Guider, Ngong, Touboro) ; les huileries de Kaélé,
Maroua et Garoua ; la CICAM (Cotonnière industrielle du Cameroun) ; la SABC (Société anonyme des
brasseries du Cameroun) créée en 1967 ; la CIMENCAM (Ciments du Cameroun) à Figuil (Roupsard, 1987).

5
Figure 1 : Les métropoles des savanes du Cameroun

Le taux d’urbanisation qui était de 17% en 1960, est passé à 41% en 1990, et se situe
aujourd’hui autour de 52%. Le taux de croissance urbaine quant à lui est passé de 5,75% entre
1960 et 1970, à 6,47% entre 1980 et 1990 (Ndamé et Briltey, 2004). En 1987, les zones
rurales abritaient encore 2 403 131 habitants, soit 75,50% de la population régionale, contre
779 914 habitants (24,50%) pour les espaces urbains. On estimait à près de 1 700 000 le
nombre de citadins en 2004 (Annuaire statistique du Cameroun, 2004), et les projections
montrent que cette population est appelée à croître davantage (figure 2), avec un taux de
croissance moyen de 5%/an.
Effectifs population urbaine

1600000
1400000
1200000
1000000
800000
600000
400000
200000
0
1960 1970 1990 2000
Années

Adamaoua Nord Extrême-Nord Total

Figure 2 : Evolution de la population urbaine du Nord-Cameroun (1960-2000)


Source : Ndamé et Briltey (2004)

6
Cette croissance est surtout soutenue par les principaux centres urbains, chefs-lieux
des provinces : Ngaoundéré, Garoua et Maroua qui concentrent près de 40% des citadins
(tableau 1).

Tableau 1 : Evolution de la population des principales villes du Nord-Cameroun (1960 – 2006)


Villes 1960 1970 1980 1990 2000 2006
Garoua 12000 34000 87000 178000 215000 395000
Maroua 14000 38000 85000 147000 195000 320000
Ngaoundéré 11000 24000 51000 95000 120000 186000
Total 37000 96000 223000 420000 530000 901000
Source : Description du peuplement de l’Afrique de l’Ouest, commentaire de la base de données, 1994 ; Minpat,
2000 et Estimation

Elle concerne des villes cosmopolites grâce à d’importants mouvements migratoires.


A partir de l’échantillon enquêté, tous les groupes ethno-linguistics du pays y sont représentés
à des proportions variables (figure 3), selon la proximité géographique par rapport au Nord-
Cameroun, les activités dominantes, et la propension de chaque groupe à la mobilité spatiale.
Ces proportions varient d’une ville à une autre, selon son importance dans le maillage urbain
régional. Les allochtones sont majoritairement constitués de ressortissants tchadiens, suivis
des nigérians, centrafricains et du groupe des occidentaux faiblement représentés.

180
160
Effectifs ménages

140
120
100
80
60
40
20
0
d
d

d
l

re
er
ua

st

or

st
ra

Es

or
Su

ue
nt
ng

ue
tto

N
ao

N
Ce

e-

O
ra
m

Li

d-

m
Et
da

or

trê
A

Ex

Provinces d'origines

Figure 3 : Distribution de l’échantillon des ménages enquêtés selon la province d’origine

Toutefois plus que la croissance elle-même, c’est le déséquilibre dans la répartition


relative de la population qu’elle pose entre zones urbaines et rurales qui fait problème. En
1987, au moins trois ruraux produisaient pour un citadin au Nord-Cameroun, alors
qu’aujourd’hui la tendance est à l’équilibre relatif. Cet équilibre est cependant en train d’être
rompu au détriment des campagnes, avec le phénomène de vieillissement de la main d’œuvre
agricole suite à un exode rural qui s’accélère depuis bientôt dix ans. Entre autres causes
notons la saturation foncière et la baisse de fertilité des sols dans de nombreux bassins de
production (plaines du Logone et de la Bénoué), le coût élevé des intrants agricoles de plus en
plus prohibitif pour de nombreux paysans et la mise en défens de vastes espaces dans la

7
région5.
Les villes du Nord-Cameroun représentent aujourd’hui un important marché de
consommation à l’échelle locale. Les urbains actuels sont seulement de première ou de
deuxième génération. Or, les changements sociaux et culturels sont lents en matière
d’alimentation (Bricas, 1996 in Padilla 1997 : 8). L’accélération du phénomène urbain est,
selon Padilla, source d’inquiétude car il faut rapidement drainer des flux croissants de
marchandises vers ces points de concentration et organiser la distribution interne aux villes. Et
dans la gamme relativement variée de produits vivriers qu’offre la région, le maïs et le niébé
semblent s’inscrire, au regard de l’augmentation de la production en 15 ans, dans cette
perspective.

Le maïs et le niébé dans la consommation alimentation urbaine

Afin de situer la place du maïs et du niébé dans l’alimentation des ménages, nous
avons enregistré les fréquences de tous les produits consommés au cours du mois qui a
précédé nos enquêtes, en distinguant les bases alimentaires (céréales, racines, féculents et
tubercules) des produits d’accompagnement (légumineuses et légumes). Nous n’avons pas
pris en compte les produits carnés (viande, poisson), les fruits et les boissons. Il se dégage de
nos enquêtes un certain nombre de constats.

Un modèle alimentaire essentiellement basé sur les céréales


L’étude confirme la prépondérance du modèle alimentaire de la région basé sur les
céréales (90% de la structure des bases alimentaires contre 10% pour les tubercules et
féculents). L’analyse des groupes de produits révèle cependant de profondes disparités. Le riz
représente 38,79% de la structure, suivi du maïs, 36,19%, du mil/sorgho, 15,60% (figure 4).
Le riz est l’aliment de base de 78% des ménages enquêtés, et se consomme en moyenne 1 jour
sur 2. Sa consommation est cependant plus importante à Ngaoundéré et Garoua qu’à Maroua,
et est plus portée par les ménages à revenu mensuel moyen, et de taille relativement
importante (7-15 personnes). L’augmentation actuelle des prix du riz sur le marché
international interpelle quant à son incidence sur la sécurité alimentaire régionale notamment
pendant cette période de soudure alimentaire.
Le maïs qui se caractérise par la diversité de ses formes de consommation (épis bouilli
ou grillé, couscous, bouillie de maïs, sanga6), l’une ou l’autre pouvant être consommée par
tous les groupes ethno-linguistics, intervient comme le deuxième aliment de base pendant
cette période de soudure.

5
Les savanes du Cameroun sont couvertes d’un vaste réseau d’espaces mis en défens. Dans la seule province du
Nord qui s’étend sur 66 090 km² (40% du territoire nord-camerounais), ces espaces concernent les aires
protégées. Crées entre 1932 et 1980, les aires protégées se composent de trois parcs nationaux (Bénoué 180 000
ha, Faro 330 000 ha, Bouba Ndjidda 220 000 ha) et 27 zones cynégétiques (ZIC) ou réserves de chasse dont 23
sont affermées aux guides de professionnels de chasse essentiellement expatriés. Tout ce vaste réseau d’aires
protégées représente près de trois millions d’hectares, soit 44% du territoire de la province. Elles sont à cheval
sur trois des quatre départements qui la composent, à savoir la Bénoué 13 614 km², le Faro 11 785 km², et le
Mayo-Rey 36 520 km² (Ndamé JP, 2007 : 146). Ces espaces se localisent dans les principaux bassins de
production vivrière de la province.
6
Le sanga est un mets très apprécié des populations du sud du Cameroun, obtenu à partir du mélange de grains
de maïs frais et de légumes feuilles. Il se prépare non salé, laissant la latitude au consommateur d’ajouter du
sucre à sa convenance.

8
45,00
40,00
35,00
Proportions (%) 30,00
25,00
20,00
15,00
10,00
5,00
0,00
Tubersules Maïs Mil/sorgho Riz
Produits cons ommés

Figure 4 : Structure de la consommation des produits de base

La proportion du mil/sorgho enregistrée à la suite de cette enquête ne recoupe pas les


résultats constatés dans la strate « Nord semi-urbain » (34,3%) en 2000 par Dury et al.
Cependant les différences méthodologiques entre les deux enquêtes n’autorisent pas des
conclusions comparatives trop rapides.
En effet la méthodologie adoptée pour la réalisation de la première enquête
camerounaise auprès des ménages (ECAM 1) analysée par les auteurs, avait regroupé dans la
« strate Nord semi-urbain », l’ensemble des villes moyennes (au moins 50 000 habitants en
1996), qui présentaient sur le plan économique un profil associant les activités agricoles et
non agricoles (Dury et al., 2000 :11). Cette approche reprise lors de l’ECAM 2 en 2001,
présente le risque de généralisation des modèles de consommation existants aux villes
principales et secondaires, ces dernières étant pour la plupart bâties autour d’un noyau
administratif fortement « ruralisé ». La population dominante ayant pour base alimentaire le
mil/sorgho, on pourrait comprendre la forte proportion enregistrée en 1996. Cette céréale reste
tout de même la base alimentaire des ménages originaires des provinces de l’Extrême-Nord et
du Nord, des allochtones constitués notamment des tchadiens, nigérians et centrafricains
(tableau 2). En revanche nos résultats poseraient pour hypothèse que la croissance des villes
se traduit par une substitution du mais aux céréales plus anciennes localement qui sont
principalement consommées dans les zones rurales.
En raison du nombre élevé de groupes ethno-linguitics dans le pays (plus de 200),
nous avons retenu l’échelle de la province pour désigner l’origine du chef de ménage7.

7
Lors de l’analyse nous avons regroupé les non camerounais dans la modalité « Etranger ».

9
Tableau 2 : Consommation du mil/sorgho selon l’origine géographique du chef de ménage
Provinces Effectif ménages Effectifs
% consommateurs
d’origine enquêtés consommateurs
Adamaoua 60 12 8,00
Littoral 10 1 0,67
Etranger 26 11 7,33
Est 12 0 0,00
Centre 23 1 0,67
Sud 4 0 0,00
Nord 86 21 14,00
Nord-Ouest 3 0 0,00
Extrême-Nord 171 104 69,33
Ouest 43 0 0,00
Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)

La consommation du mil/sorgho varie d’une ville à une autre, elle se fait à 60% à
Maroua, 25% à Ngaoundéré et à 15% à Garoua. Elle reste circonscrite dans et autour des
bassins de production (provinces de l’Extrême-Nord et du Nord). Le mil/sorgho rentre dans
les circuits vivriers courts, réduisant ainsi la chaîne des agents d’intermédiation qui
contribuent quelques fois à la hausse des prix au détail, le producteur pouvant directement
vendre sur les marchés urbains. La proximité des bassins de production facilite également un
approvisionnement direct des consommateurs dans leur village d’origine, ces derniers pouvant
prélever sur leurs propres récoltes, recevoir en don, ou acheter sur les marchés ruraux. De fait
les stratégies d’approvisionnement de proximité voire de redistribution ou de stockage de
précaution tendent à limiter les surplus exportables vers les grandes villes, pour protéger les
conditions de réalisation de la sécurité alimentaire dans les zones rurales.
L’analyse montre par ailleurs qu’au-delà de la variable « origine géographique », la
consommation de cette céréale est fortement corrélée au revenu du ménage. Plus de 60% des
ménages qui la consomment ont un revenu mensuel compris entre 25 000 et 100 000 Fcfa. La
taille du ménage a par contre une influence peu significative sur sa consommation. Moins de
50% des ménages concernés comptent plus de 10 personnes.
Les racines, tubercules et féculents (manioc, patate, igname, plantain) restent des
produits de consommation marginale 8, probablement à cause du faible intérêt des populations
majoritairement originaires du Nord-Cameroun.
Le manioc tubercule le plus consommé, est surtout transformé en cossettes pour être
préparé sous forme de boule par quelques groupes de l’Adamaoua (Gbaya, Mboum, Dii). En
général, les sud Camerounais sont, comme le soulignait déjà Requier-Desjardins (1993) pour
la ville de Garoua, les seuls à choisir comme base de manière prédominante les tubercules. La
consommation du plantain reste culturellement connotée et souffre davantage de son coût
élevé proposé aux consommateurs à Ngaoundéré, Garoua et Maroua. Le niveau élevé de ces
coûts trouve un pan d’explication dans l’éloignement des centres de production situés dans la
partie méridionale du pays (Temple et al., 1993 et 1997), et la faible circulation de
l’information de marché entre les agents économiques de cette filière qui, amène très souvent
les grossistes à drainer plus de 60% des flux régionaux sur le marché de Kousseri, frontalier
au Tchad, au détriment d’autres centres urbains. Au total les fréquences de consommation des
bases alimentaires varient d’un produit à un autre, selon l’intérêt qu’y accorde chaque ménage
(figure 5).

8
L’Adamaoua est le plus gros producteur de patate et d’igname de la région, cependant près de 2/4 de la
production sont acheminés vers certains pays voisins (Tchad et Soudan).

10
Proportion (%)
100%
80%
60%
40%
20%
0%

s
s

s
rs

oi

oi
ai

oi
eu

/m
m

/m

/m
at

ja

ép

ép

ép
m Riz

pr

pr

pr
so
om

15
7

20
oi
ns

2-
Mil/sorgho

7-
/m
co

de
ép
on

us
pr

Maïs

pl
N

Fréquences de consommation Tubersules

Figure 5 : Fréquences de consommation des bases alimentaires


Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)
Dans l’ensemble, le riz a été le produit le plus consommé au cours du mois de juillet
qui a précédé nos enquêtes (en moyenne 1 préparation tous les 2 jours), suivi du maïs (1 jour
sur 3) et du mil/sorgho. Cependant, dans les ménages où prédomine la consommation du
mil/sorgho, les fréquences enregistrées sont supérieures à 20 préparations au cours du mois.
Les tubercules reflètent leur proportion dans la structure des bases (en moyenne 1 jour sur 5).

La boule, principale forme de consommation du maïs


Le maïs se consomme sous plusieurs formes : épis bouilli ou grillé, sanga, bouillie,
beignet et couscous. La consommation en frais est cependant limitée à la période de maturité
(un à deux mois) avant le début du séchage en champ. La mise en valeur de nombreuses zones
marécageuses urbaines, permet d’approvisionner plus régulièrement les villes. Si la forme
bouillie ou grillée n’a pas de frontière culturelle, le sanga (mélange de grain de maïs frais et
de légumes feuilles), est un mets très prisé des ressortissants de la province du Centre. Il est
consommé par 8% de ménages.
La consommation de la bouillie préparée à base de maïs fait partie des habitudes
alimentaires et se consomme tout au long de l’année au nord comme au sud. Sa valeur
socioéconomique dans les ménages est aujourd’hui indéniable. La bouillie sert d’aliment
d’entrée pendant le jeûne du Ramadan où sa consommation augmente considérablement ; elle
est aussi utilisée pour la prise de médicaments chez les adultes et enfants malades (Kouebou,
2008). Elle représente une source de revenu monétaire non négligeable pour les jeunes filles
dans la région. Les fréquences de préparation dans les ménages sont néanmoins faibles (1 jour
sur 5).
Le couscous (ou la boule) reste cependant la forme la plus consommée (annexe 1).
79% de ménages l’ont consommé au cours du mois qui a précédé l’enquête, et 76% de cette
proportion l’ont préparé au moins 1 jour sur 2 (tableau 3).

11
Tableau 3 : Fréquences de consommation de la boule de maïs au cours du mois
Fréquences de
Effectifs %
consommation
Moins de 2 prép/mois 24 7
2 à 7 prép/mois 63 18
7 à 15 prép/mois 118 33
plus de 20 prép/mois 152 43
Total 357 100
Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)

L’analyse montre toutefois que ce dérivé du maïs est fortement corrélé à l’origine
géographique (figure 6). La boule de maïs est l’aliment de base des ressortissants de
l’Extrême-Nord, du Nord, de l’Adamaoua et de l’Ouest. Elle s’accommode bien des ménages
qui ont un nombre de personnes élevé (plus de 7).

50
Effectifs consommateurs

40
30
20
10
0

d
l

re

d
t
er
ua

st
ra

st
or
Es

or
Su

ue
nt
ng

ue
tto
ao

N
N
Ce

O
ra

e-
m

Li

d-
Et

m
da

or

trê
A

Ex

Origine gé ographique

moins de 2 prép/mois 2 à 7 prép/mois 7 à 15 prép/mois plus de 20 prép/mois

Figure 6 : Fréquence de consommation de la boule de maïs selon l’origine géographique du ménage


Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)

Dans plusieurs ménages, sa consommation obéit davantage au goût de son chef de


sexe masculin qu’à celui de l’épouse et des enfants qui, expriment davantage leur préférence
pour le riz et les tubercules. Les mobilités de travail participent à ces changements des
habitudes alimentaires des enfants, notamment pour les ménages nord Camerounais ayant
résidé plus de 10 ans hors de leur région d’origine.

Le niébé, un produit de consommation localisée


Divers légumes et légumineuses accompagnent les bases alimentaires : arachide,
gombo, tomate, grains et feuilles de niébé, feuilles de baobab. Dans l’ordre d’importance, le
gombo représente 27,14% de la structure de consommation, suivi de l’arachide, 23,92%, des
grains de niébé,19,12%, de la tomate, 14,16% et des feuilles de niébé, moins de 5% (figure 7).

12
30
25

Proportions (%)
20
15
10
5
0
Tomate Grain de Feuille de Gombo Arachide Feuille de
niébé niébé baobab
Produits

Figure 7 : Structure de consommation des produits d’accompagnement


Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)
La préparation des feuilles de niébé et de baobab reste culturellement limitée à certains
groupes de l’Extrême-Nord et du Nord (Moundang, Toupouri, Guidar, Guiziga, Fali…). Mais
la faible proportion des feuilles de niébé dans la structure des produits d’accompagnement
s’explique davantage par les possibilités réduites de sa consommation dans le temps et dans
l’espace. Elles se consomment surtout en frais ; il s’agit des jeunes pouces tendres qui, au-delà
de 8-10 semaines, ne sont plus appréciées des consommateurs. Leur consommation est donc
limitée dans le temps (1 à 2 mois par rapport au cycle végétatif qui varie entre 90 et 120
jours), mais aussi dans l’espace (zones rurales). La consommation urbaine se fait
majoritairement en sec en raison de ces contraintes, ou en frais pour les feuilles provenant des
champs périurbains9. Les feuilles de baobab se consomment par contre en sec, et peuvent
ainsi s’étaler tout au long de l’année, d’où sa proportion relativement importante.
La prépondérance des légumes fruits (gombo et tomate) résulte quant à elle du
développement des cultures maraîchères dans les campagnes proches des grands centres
urbains depuis une dizaine d’années : Mbé et Bélèl pour la ville de Ngaoundéré, Pitoa, Laïndé
Karéwa et Ngong pour Garoua, Mora et Mokolo rural pour Maroua ; mais surtout de
l’expansion du maraîchage urbain (Iyebi-Mandjek, 2005 ; Fofiri, 2005 ; Fofiri et Ndamé,
2007). Le niveau de consommation du gombo est plus important à Maroua et Ngaoundéré
(respectivement 38% et 36%), qu’à Garoua (27%) ; il l’est davantage pour la tomate à
Ngaoundéré (48%), qu’à Garoua (34%) et Maroua (18%). Leur consommation ne subit pas
l’influence des variables ‘ethnie’ et ‘revenu’ du ménage. Ces deux légumes restent accessibles
tout au long de l’année.
Dans la famille des légumineuses, les fréquences de consommation de l’arachide sont
plus élevées (1 jour sur 3) que celles des grains de niébé (en moyenne 1 jour sur 7).
L’arachide rentre dans l’alimentation de tous les groupes ethniques à divers degrés. Plus de
95% de ménages originaires des provinces du Centre, de l’Est, du Littoral et de l’Ouest la
consomment en moyenne 1 jour sur 3, tandis que plus de 60% des ménages de l’Extrême-
Nord et du Nord affirment en préparer 1 fois tous les 5 jours. L’arachide constitue pour les
ménages de forte consommation, un ingrédient incontournable dans la préparation des sauces
servant à l’accompagnement des tubercules et féculents (manioc de bouche, macabo, patate,
banane plantain) et du riz. Dans le Nord et l’Extrême-Nord par contre, l’arachide se prépare
rarement seule, elle accompagne presque toujours d’autres ingrédients (grains de niébé,

9
Le niébé rentre cependant très faiblement dans l’agriculture urbaine.

13
feuilles de niébé ou de baobab et autres légumes feuilles traditionnels). Ce qui pourrait
expliquer la régularité dans la consommation du niébé par les ressortissants de l’Extrême-
Nord et du Nord, fortement représentés à Maroua et à Garoua (figure 8). Et comme le précise
Roupsard (Op. Cit : 72), toutes les villes, même les plus importantes, sont largement dans leur
composition ethnique, le reflet de leur proche région. Nous avons affaire à des peuples
historiquement mobiles, dont la direction privilégiée est nord-sud, les trois villes servant de
zones de transition pour Yaoundé ou Douala respectivement capitales politique et économique
du Cameroun. La consommation est plus importante à Maroua (41%) et Garoua (37%). A
Ngaoundéré, le niébé est surtout consommée par les ressortissants de la province de l’Ouest,
sous forme de gâteau (plus connu sous l’appellation de « koki » -annexe 2-), même si elle
s’étend progressivement à d’autres groupes.

200
Effectifs

150
100
50
0

d
l

re

d
er
ua

st

st
ra

or
Es

or
Su

ue
nt
ng

ue
tto
ao

N
N
Ce

O
ra

e-
m

Li

d-
Et

m
da

or

trê
A

Origine géographique des ménages Ex

Effectfs enquêté Consommateurs arachide Consommateurs niébé

Figure 8 : Consommation de l’arachide et du niébé en fonction de l’origine géographique des ménages


Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)

Si le niveau de consommation du niébé est resté quelque peu statique par rapport à la
proportion obtenue en 1996 (19,6% de la structure alimentaire), celui du maïs par contre a
connu une augmentation significative dans l’alimentation des ménages urbains, bien que
tributaire d’un certain nombre de variables. Cette importance mérite d’être analysée afin de
saisir les déterminants de cette augmentation.

Le maïs, un produit de consommation saisonnière ?


La forte proportion du maïs (35%) dans la structure des bases alimentaires suscite le
besoin de comprendre les facteurs explicatifs possibles d’une telle émergence dans la
consommation urbaine en 10 ans. Les éléments de réponse peuvent être recherchés à partir de
l’analyse des disponibilités annuelles des produits de consommation courante (mil/sorgho, riz,
maïs), à travers le calendrier agricole régional (tableau 4).

14
Tableau 4 : Calendrier agricole des principales graines alimentaires au Nord-Cameroun
Spéculations Jan. fév. mars avril mai Juin Juil. août Sept. Oct. Nov. Déc.
Sorgho Ss Ent Cult Récolte Pépinière Repiquage Ent Cult
Sorgho Sp Semis Semis Ent Cult Récolte Récolte
EN et N
Mil Semis Ent Cult Récolte Récolte
Maïs Semis Semis Ent Cult Récolte
Ad Maïs Semis Semis Ent Cult Récolte Récolte Récolte Récolte
EN et N Repiquage Ent Cult Récolte
Riz pluvial
Ad Semis Semis Semis Ent Cult Récolte Récolte Récolte Récolte
Arachide Semis Ent Cult Récolte
EN et N
Niébé Semis Ent Cult Récolte
Source : IRAD (2002). Rapport de synthèse du diagnostic discontinu de base (Extrême-Nord, Nord et Adamaoua)
Sorgho Ss = (saison sèche) Sorgho Sp = (saison pluvieuse)
Entretien des cultures = Ent. Cult Extrême-Nord (EN) et Nord (N) Adamaoua (Ad)

Outre la production de contre saison qui porte sur le mouskwari cultivé sur les terres
argileuses (septembre-mars), celle des céréales de consommation courante s’étend
globalement de mai à octobre, avec de légers décalages d’une province à l’autre10. C’est
pendant cette période que les problèmes de sécurité alimentaire se posent avec acuité dans le
Nord-Cameroun, du fait notamment de la pénurie des céréales locales, base alimentaire en
zone rurale. Au-delà de l’importance du poids des céréales traditionnelles dans cette zone,
cette pénurie pourrait principalement s’expliquer par deux éléments :
- le niveau de prélèvement des semences sur les stocks de mil/sorgho demeure encore
important malgré l’appui à la production et à la vulgarisation des semences
améliorées, par un certain nombre de programmes et projets11. Les agriculteurs
utilisent 10 à 20% de leurs stocks de mil/sorgho pour les semences, contrairement au
maïs et au riz, dont la production des semences améliorées est plus importante. En
effet entre 2005 et 2007, la production régionale de semences certifiées a été de 544,79
tonnes en sorgho, 912,05 tonnes en riz et 3 431 tonnes en maïs (PARFAR, 2008).
L’offre en semences améliorées des céréales locales reste donc faible pour une
superficie moyenne annuelle en mil/sorgho de 240 000 ha (MINADER/Agri-Stat n°13,
2007) ;
- les céréales locales rentrent dans la fabrication de la bière traditionnelle (bilbil), dont
la valeur sociale dans la région n’est plus à démontrer. La fabrication et la
commercialisation du bilbil longtemps confinées dans les campagnes, se sont
fortement développées dans les villes depuis près de 20 ans. Seignobos C. (2005) a
identifié dans la seule ville de Maroua entre 1100 et 1200 brasseuses de bière de mil.
Et selon l’auteur, « la recherche du meilleur sorgho reste une préoccupation première
des brasseuses. Il ne faut pas utiliser de « mauvais mil ». Ainsi, le sorgho qui a
longtemps séjourné dans les silos souterrains […] ou le sorgho charançonné vont mal
germer. Les sorghos nouveaux ne conviennent pas non plus. Il faut un sorgho sec et
pas trop fraîchement récolté » (Seignobos 2005 : 5-7)12. L’utilisation des céréales

10
Ces décalages s’expliquent par les variations pluviométriques dans les savanes du Cameroun : (en moyenne
1500 mm/an) dans l’Adamaoua, (1000-900 mm) au Nord et (900-500 mm) à l’Extrême-Nord.
11
Le Programme d’Amélioration du Revenu Familial Rural dans les provinces septentrionales du Cameroun
(PARFAR) financé par la BAD comprend une composante semences chargée d’appuyer les opérateurs privés
dans la mise en place d’une filière semencière au Nord-Cameroun. La vulgarisation est assurée par le
Programme National de Vulgarisation et de Recherche agricole (PNVRA), la SODECOTON et les ONG.
12
La production moyenne de bilbil par chaque brasseuse serait à Maroua de plus de 100 litres de bière par cycle
de production pour une mise de 40 kg de sorgho E. Lopez et J. Muchnik (2001 : 153) in Seignobos (2005 : 6). A
raison de deux brassages par semaine et par femme, on pourrait estimer pour cette seule ville, à 128 960 kg la

15
locales dans le brassage de la bière traditionnelle a toujours suscité de vives
inquiétudes, tant de la part des pouvoirs publics que des acteurs de développement.
« L'administration coloniale s'est très tôt émue des méfaits de la bière de mil sur les
indigènes, et le jugement qu'elle portait sur eux en termes « d'imprévoyance » reposait
en partie sur le « gaspillage » du mil pour des brassages de bière jugés excessifs. […]
Les rapports de la Sodecoton et le journal « Le paysan » stigmatisent régulièrement
les cultivateurs qui courent encore les marchés à bière au lieu de nettoyer leurs
champs pour être prêts aux premières pluies. L'objectif est double. Il vise, d'une part,
à lutter contre la déperdition de mil avec le brassage de bière et qui risque de faire
défaut au moment de la soudure et, d'autre part, à combattre l'oisiveté » (Seignobos
C., Op. Cit : 2-4). La consommation alimentaire de ces céréales autant dans les villes
que dans les campagnes, souffrirait donc de cet autre usage tout aussi exigent du point
de vue de la qualité. Cette sollicitation des grains pour le brassage de la bière concerne
aussi bien la production de saison de pluie que celle de contre saison qui, contribue au
renforcement de l’offre en céréales locales pendant la période de soudure (juin-août).

Le maïs par contre est très faiblement utilisé pour la fabrication de la bière
traditionnelle, ce qui pourrait concourir à assurer sa disponibilité sur le marché local en
période de soudure.

Ces deux éléments peuvent ainsi justifier la faible disponibilité du mil/sorgho et par
conséquent la baisse du niveau de consommation lors de nos enquêtes au mois d’août, période
de soudure, par rapport au maïs et au riz qui peuvent être plus facilement approvisionnés sur
les marchés nationaux et internationaux. Le Nord-Cameroun est en outre le principal bassin
national de production de riz, qui se fait notamment dans les aménagements hydro-rizicoles
de la Société d’expansion et de modernisation de la riziculture de Yagoua (SEMRY) depuis
1952 (Engola Oyep J., 1991). En 2004, la production nord Camerounaise de riz était de
41 431 tonnes, soit 83% de la production nationale (49 958 tonnes) (MINADER/Agri-Stat
n°13, 2007). A cette production locale il faut ajouter les importations qui renforcent la
disponibilité en riz dans la région. Cette analyse montre ainsi que le maïs et le riz joueraient
un rôle important dans la diminution de l’insécurité alimentaire temporaire en période de
soudure dans les villes du Nord-Cameroun.

Quel marché urbain pour le maïs et le niébé au Nord-Cameroun ?

L’achat, principal mode d’acquisition du maïs et du niébé


L’acquisition des grains par les consommateurs se fait suivant trois modes : l’achat, le
don et l’autoproduction, l’importance de chaque mode variant d’un produit à un autre. Pour le
maïs frais l’achat représente 64%, la récolte (20%) et le don (16%). Le maïs grain est obtenu à
75% par achat, tandis que 13% proviennent du village d’origine du chef de ménage, 8% sont
issus de la production urbaine et 4% sont reçus en don. La farine de maïs et les grains de
niébé sont entièrement achetés sur le marché urbain. La farine de maïs est transformée de
manière artisanale alors que celle de transformation industrielle assurée par la seule agro-
industrie MAISCAM (Maïserie du Cameroun) installée à Ngaoundéré depuis 1982, reste peu
connue des consommateurs de Garoua et Maroua.

quantité moyenne de sorgho utilisée pour la fabrication de la bière au cours d’une année. Des estimations à
l’échelle régionale pourraient révéler des quantités beaucoup plus significatives.

16
La diversité des modes d’approvisionnement en maïs frais et en grain séché s’explique
par le développement de l’agriculture urbaine qui, à Ngaoundéré et Garoua porte surtout sur le
maïs, contrairement à Maroua où prédomine le mil/sorgho (figure 9).

Effectifs des ménages enquêtés


80
70
60
50
40
30
20
10
0
Ngaoundéré Garoua Maroua
Ville enquêtée

Achat Don Récolte

Figure 9 : Modes d’approvisionnement du maïs frais selon la ville


Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)
Cette agriculture se développe cependant sur des espaces réduits (en moyenne 1/4 ha),
et ne permet pas d’assurer une production de masse pour une consommation annuelle. C’est
ce qui justifie la prédominance de l’achat dans l’approvisionnement en maïs grain. Tout
comme pour le mil/sorgho, de nombreux ménages gardent encore des liens d’attachement
avec leur village d’origine et y reçoivent directement le maïs et/ou le niébé consommés
(figure 10).
Effectifs des ménages enquêtés

120
100
80
60
40
20
0
Ngaoundéré Garoua Maroua
Ville enquêtée

Achat Don Récolte En provenance du village

Figure 10 : Modes d’approvisionnement du maïs grain selon la ville


Source : Enquêtes ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)
L’achat se fait sur les marchés officiels (60%), les marchés de quartier (25%) et les
marchés périphériques ou de gros (15%), les trois villes disposant chacune d’un réseau de
marchés périphériques hebdomadaires qui servent de lieux de transition entre les marchés
ruraux et urbains.

17
Essai de quantification de la consommation urbaine du maïs et du niébé

Dans l’hypothèse que les proportions de maïs et de niébé obtenues ci-dessus seraient
constantes sur l’année, il s’agit à partir des quantités consommées au cours du mois de
l’enquête par les ménages de l’échantillon, d’estimer la proportion annuelle de la production
régionale absorbée par les villes locales. Les données collectées auprès des enquêtés ont porté
sur la quantité de maïs (grain et farine) et de niébé consommée. A partir de la moyenne
mensuelle de consommation et de la proportion des consommateurs dans la population
urbaine totale des trois villes, nous avons estimé la quantité annuelle pour chaque produit
(tableau 5). Cette méthode a été appliquée par Leporrier (2002) pour évaluer les quantités de
mil achetées dans deux villes Namibiennes (Oshakati et Ongwediva).

Tableau 5 : Quantité annuelle de maïs et de niébé consommée dans les


villes du Nord-Cameroun (2007)
Spéculation
Maïs Niébé
13
Nombre de ménages enquêtés 441 441
Nombre de ménages consommateur 335 185
Poids dans l'échantillon (%) 76 42
Quantité moyenne consommée par ménage par mois (en kg) 66 15
Nombre de ménages urbains consommateurs (*) 97 776 53 996
Quantité annuelle consommée dans les trois villes (en tonne) 77179 9932
Source : Enquêtes et estimations ARDESAC, Programme 3.3 (août 2007)
(*) : La population totale des trois villes a été divisée par 7, taille moyenne par ménage au
niveau national, pour obtenir à partir du poids des consommateurs de chaque spéculation dans
l’échantillon, le nombre de ménages urbains.
Cette extrapolation est certes contestable compte tenu de la localisation des enquêtes
en période de soudure qui à priori conduit à donner plus de poids aux productions céréalières
qui peuvent être importées d’autres régions du pays ou du marché international comme le riz
et le mais principalement. Elle constitue néanmoins un essai destiné à estimer grossièrement
les volumes de céréales qui assurent la sécurité alimentaire des villes du Nord-Cameroun.
Un ménage consomme en moyenne 66 kg de maïs au cours d’un mois dans les villes
du Nord-Cameroun. S’il est vrai que des écarts significatifs sont observés selon l’origine
géographique (0,3-400 kg), cette valeur nous donne une idée du niveau de consommation.
Elle nous permet d’estimer la quantité consommée au cours d’une année, soit 77 000 tonnes
(26% de la production régionale de 2004). Cette proportion relativement élevée du surplus
commercialisé (40%), peut toutefois se justifier par la période du déroulement des enquêtes
(août) comme nous l’avons mentionné plus haut.
Quant au niébé, on assiste à une situation se traduisant par un faible niveau de
consommation urbaine (11,27% de la production), par rapport à la part commercialisée sur les
marchés transfrontaliers avec le Nigeria et sud camerounais, 38,73% (tableau 6).

13
L’enquête a porté sur 450 ménages équitablement répartis entre Ngaoundéré, Garoua et Maroua. L’écart
observé par rapport à cet échantillon correspond aux non réponses automatiquement supprimées lors de l’analyse
statistique.

18
Tableau 6 : Part des affectations du maïs et du niébé dans la production régionale (2004)
Maïs Niébé
Affectations Production Production
% %
(t) (t)
Autoconsommation + pertes post-récoltes 178 384 60,00 44 060 50
Consommation urbaine 77 180 25,96 9 932 11,27
Commerce régional et transfrontalier 41 743 14,04 34 128 38,73
Production régionale en 2004 (*) 297 307 100,00 88 120 100
(*) : Source : Agri-Stat n°13, 2007).

L’estimation des quantités annuelles consommées d’une ville à une autre dégage
l’importance de Ngaoundéré et Garoua pour le maïs (80%) et le niébé (74%). Si cette
situation peut paraître normale pour la première culture à cause des conditions agro
écologiques favorables à sa production dans l’Adamaoua et le Nord, elle surprend pour ce qui
est du niébé. La province de l’Extrême-Nord dont Maroua est le chef-lieu, assure près de 70%
de la production nationale. Ce faible niveau de consommation pourrait toutefois s’expliquer
par l’importance des pertes au stockage (Ntoukam G. et al., 1996)14, face auxquelles les
agents économiques (stockeurs, grossistes et détaillants) préfèrent ne pas prendre de risques,
contrairement au maïs dont la relative maîtrise des techniques de stockage permet une
conservation sur un temps relativement long (plus de 10 mois). Le niébé rentre ainsi dans les
circuits commerciaux moyens (Garoua, Ngaoundéré et Nigeria situées respectivement à 209
km, 487 km et 250 km de Maroua) et longs (Yaoundé, Douala, Bafoussam, Libreville situés à
plus de 850 km).
La validation des résultats de l’extrapolation annuelle ci-dessus implique des enquêtes
complémentaires qui détermineront les tendances des niveaux de consommation au cours des
périodes d’abondance des céréales locales (octobre-avril).

Les freins à la consommation urbaine du maïs et du niébé

L’enquête réalisée révèle cependant un certain nombre de difficultés auxquelles font


face les consommateurs urbains de maïs et de niébé : l’insuffisance du nombre de moulins de
maïs et les coûts jugés élevés des prestations. Cette insuffisance se vit à travers de longues
files d’attente devant les meuniers. On assiste à une concentration des moulins dans les
quartiers situés au centre urbain, au détriment des quartiers périphériques de plus en plus
étalés et densément peuplés. Cette situation s’observe avec acuité à Garoua et dans une
moindre mesure à Maroua. Ces deux villes ont connu au cours de ces dix dernières années une
dynamique spatiale importante, qui a entraîné l’étalement des quartiers périphériques de plus
en plus éloignés des noyaux urbains. Plus que l’insuffisance des unités de transformation,
c’est donc leur répartition spatiale qui ferait problème dans les villes.
Un diagnostic mené auprès de 20 transformateurs dans la ville de Garoua par Kouebou
(2008), révèle que les coûts élevés des prestations s’expliquent par l’augmentation des
charges de fonctionnement (courant électrique ou produits hydrocarbures, services de
maintenance, prise en charge du meunier…). Il faut cependant souligner la vétusté de

14
Outre les traitements chimiques, la recherche a développé des méthodes de stockage du niébé applicables en
milieu soudano sahélien : construction des fours solaires à l’aide des matériaux localement disponibles
(plastiques transparents et noirs) utilisables dans la désinfection des graines contre les bruches à des températures
supérieures ou égales à 57° C, pouvant contenir jusqu’à 50kg de graines ; le stockage du niébé dans la cendre, le
stockage dans les gousses (Ntoukam et al., 1996 : 331-332). Ces méthodes restent cependant pratiques en milieu
rural, et seraient d’application difficile par les stockeurs/grossistes urbains qui achètent des quantités importantes
(plus de 50 sacs de 100 kg).

19
nombreux appareils dont la moyenne d’âge est de 10 ans, ce qui oblige les meuniers à
effectuer une double mouture pour réduire la granulométrie des farines de maïs, entraînant des
surcoûts de consommation d’énergie.
La principale difficulté rencontrée par les consommateurs de gâteau de niébé (koki) est
la présence de l’odeur de divers ingrédients dans la pâte, les moulins publics servant à
plusieurs usages : broyage des plantes condimentaires, de la tomate, des arachides, des
cossettes de manioc…
Face à ces difficultés, les consommateurs de la boule de maïs optent (35%) pour
l’achat des farines de transformation artisanale vendues au détail sur le marché, ou se
rabattent sur le riz, la patate et le manioc (tubercules les plus disponibles au cours de l’année
et les plus accessibles en terme de prix contrairement à l’igname et à la banane plantain
–figure 11-).

Indice des prix produits alimentaire - Garoua

600,00

500,00

PRODUITS ALIMENTAIRES
400,00
Source : Données de l'INS

CEREALES ET PRODUITS CEREALIERS


Mil et Sorgho variété courante la plus consommée
Maïs
300,00 Farine de maïs
Farine de blé
Riz
Pain
200,00
FECULENTS ET AMIDON

100,00

0,00
Ja 7

ju 0

ju 2

ju 4
j a 99

j a 01

j a 03

04
Ja 4

Ja 5

ja 98

ju 9

ju 1

ju 3
Ja 6

ja 00

ja 02
Ju 94

Ju 9 5

96

Ju 7

Ju 9 8
.9

-0

-0

-0
9

-9

-0

-0
9

il-

il-

il-

il-
il-

il-
et

et
n

nv

nv

nv
et

il

nv

nv

nv
ill
Ja

Ju
ill

ill
ill

Figure 11 : Indice des prix alimentaires à Garoua (1994-2004)


Source : DSCN/INS, 2005

La figure ci-dessus met en exergue la disponibilité des produits de consommation de


base à travers les fluctuations des prix sur les marchés urbains au cours de l’année d’une part,
et d’une année à l’autre d’autre part. Ces fluctuations ont surtout porté sur les céréales locales
(mil/sorgho) entre 1994 et 2002, par rapport au maïs, au riz et aux féculents, renforçant ainsi
leur disponibilité saisonnière. La tendance à l’augmentation des prix du riz et du maïs
observée en 2004, interpelle comme nous l’avons souligné plus haut, quant à son incidence
sur la sécurité alimentaire régionale, qui pourrait ainsi toucher toutes les céréales.

20
Conclusion
L’analyse de l’évolution de la consommation alimentaire urbaine au Nord-Cameroun
confirme la prépondérance du modèle basé sur les céréales, en même temps qu’elle révèle des
formes d’adaptation des ménages axées sur les disponibilités des produits de consommation
courante sur les marchés locaux. Le poids de chaque spéculation dans la structure de
consommation varierait ainsi d’une période à une autre (période d’abondance ou de soudure).
Dans ce contexte les céréales locales (mil/sorgho) souffriraient de leur forte saisonnalité en
raison d’un certain nombre de contraintes d’usage, contrairement au riz et au maïs qui peuvent
faire l’objet d’importations. Le riz a intégré les habitudes alimentaires des populations locales.
Il est devenu la première production alimentaire en période de soudure15. Le maïs quant à lui a
connu une croissance forte. Sa disponibilité tout au long de l’année par rapport au mil/sorgho
base alimentaire de la région, la diversité de ses formes de consommation, sont toutefois des
facteurs qui favorisent sa consommation actuelle et principalement en période de soudure. Ces
deux céréales ont un rôle important croissant pour la diminution de l’insécurité alimentaire
saisonnière du Nord-Cameroun. Cependant nos travaux ne permettent pas pour l’instant de
qualifier le pourcentage de l’approvisionnement des villes qui est issu de la production locale
et celui qui provient d’importations internationales ou d’autres régions du Cameroun. Des
travaux complémentaires impliquent cependant de préciser les conditions de généralisation
annuelle des résultats obtenus en vue de situer véritablement la place du maïs dans la
consommation urbaine en savanes du Cameroun, et de confirmer l’existence d’un marché
urbain capable de contribuer à la dynamisation de la production régionale. Car sa
consommation permettrait le développement des circuits commerciaux courts plus accessibles
aux paysans, très souvent confrontés aux difficultés d’acheminement de leur production vers
les centres de consommation éloignés, en raison des coûts élevés des transports vivriers.
Notons toutefois qu’en ce qui concerne le maïs, des interrogations demeurent sur sa capacité à
confirmer le rôle de "pilier émergent" de la sécurité alimentaire dans les zones soudano-
sahéliennes, compte tenu des nombreuses sollicitations dont il fait l'objet au niveau de
l'alimentation animale voire d'usages non alimentaires (bière, énergie), et qui conduisent à
l'augmentation très forte des prix internationaux et les risques induit liés à l'instabilité
croissante de ces prix. Le maïs représente plus de 60% des ingrédients dans l’industrie de la
provenderie ; il rentre de plus en plus dans l’alimentation bovine suite aux fluctuations du prix
des tourteaux de coton16. Par ailleurs, le maïs étant une plante fortement consommatrice d'eau
et d'énergie, l'évolution des contraintes sur les ressources en eau interroge son avenir dans les
systèmes de production.
Le niébé reste pour sa part un produit essentiellement destiné à l’exportation vers le
Nigeria, le Sud Cameroun, le Gabon. Ce commerce qui rentre dans les circuits longs, reste
néanmoins défavorable aux producteurs en termes de répartition de la plus value, à cause du
bradage de la production dans les marchés ruraux enclavés par rapport aux centres de
consommation. Tout comme la boule de maïs, sa consommation urbaine est limitée à
quelques groupes ethno-linguistics de l’Extrême-Nord, du Nord, de l’Ouest et de

15
Engola Oyep relevait en 1991 la faible place qu’occupait le riz dans l’alimentation des Camerounais.
« L’enquête budget-consommation réalisée auprès des ménages entre septembre 1983 et septembre 1984
indiquait, en effet, une consommation annuelle moyenne de 11,5 kg par habitant pour l’ensemble du pays. […] le
riz ne participait que pour 5,2 % dans les dépenses alimentaires moyennes des Camerounais. […] On ne
[pouvait] donc pas le considérer comme « stratégique » dans une éventuelle politique alimentaire » (Engola
Oyep J., 1991 : 53).
16
Le prix d’un sac de tourteau de coton de 45-50 kg est compris entre 4 000 et 5 000 Fcfa d’octobre à avril, et
7 000 à 9 000 Fcfa de mars à septembre. D’où le recours au maïs dont le prix d’un sac de 100 kg équivaut
sensiblement à celui d’un sac de tourteau de 50 kg.

21
l’Adamaoua). Au-delà de cet élément culturel, les consommateurs trouvent sa préparation
fastidieuse et très consommatrice en source d’énergie (3 à 4 heures de cuisson sur le feu de
bois), ce qui interpelle une fois de plus la recherche d’un point de vue technologique sur le
vivrier. L’évolution du phénomène urbain couplée à la rareté du bois de chauffe dans un
espace victime des aléas climatiques, et la cherté du prix des sources d’énergie
conventionnelles (gaz domestique, pétrole lampant) risquent ainsi de réduire davantage le
niveau de consommation actuel de cette légumineuse (11%).

Bibliographie
Abraao S. (1994). La diffusion du maïs au Nord Cameroun : dynamique de
l’innovation et culture technique locale, Thèse de doctorat en Géographie, Ecole des hautes
études en sciences sociales, 448 p.
Bricas N. (1993). ‘Les caractéristiques et l’évolution de la consommation alimentaire
dans les villes africaines : conséquences pour la valorisation des produits vivriers’ in Muchnik
J. (Sous la Coordination de), Paris, L’Harmattan (pp 127-160).
Bricas N., Pape Abdoulaye S. (2004). ‘L’alimentation des villes du Sud : les raisons de
craindre et d’espérer’ in Cahiers Agriculture n°13 (4-10)
Darpy, Pierre Volle D. (2003). Comportement du consommateur : concepts et outils,
Paris, Dunod, 298 p.
De Garine I., Loung J-F, Froment A. (1987). Anthropologie alimentaire des
populations camerounaises, Rapport d’activité scientifique, MESRES-ORSTOM-CNRS, 75
p.
Diawara B., Ouedraogo J-B. (2002). Les pratiques alimentaires à Ouagadougou,
Burkina Faso : Céréales, légumineuses, tubercules et légumes, CNRST, CIRAD, 147 p.
Direction de la Statistique et de la Comptabilité Nationale (DSCN) (2002). Conditions
de vie des ménages et profil de pauvreté à l’Extrême-Nord Cameroun en 2001, 131 p.
Direction de la Statistique et de la Comptabilité Nationale (DSCN) (1986). Enquête
Budget-Consommation : principaux résultats définitifs sur les dépenses des ménages,
Yaoundé, Tomes 1 et 4, 220 p.
Direction de la Statistique et de la Comptabilité Nationale (DSCN) (2005). Indice des
prix à la consommation à Garoua.
Dury S., Gautier N., Jazet E., Mba M., Tchamda C., Tsafack G., 2000. La
consommation alimentaire au Cameroun en 1996 : données de l’enquête camerounaise
auprès des ménages (ECAM). DSCN, CIRAD, IITA, Yaoundé, Cameroun, 283 p.
Engola Oyep J. (1991). ‘Du jumelage à la péréquation au Cameroun : assurer la survie
des périmètres hydro-rizicoles à l’heure de l’ajustement structurel’ in : Cahiers sciences
humaines, 27 (1-2), pp 53-63
Fofiri N. E. J. (2005). Le maraîchage à Ngaoundéré : acteurs et stratégies des
exploitants, Mémoire de Maîtrise de géographie, Université de Ngaoundéré –Cameroun-, 80p.
Fofiri N. E. J., Ndamé J. P. (2007). ‘Le maraîchage périurbain, un facteur de
recomposition socio territoriale au nord Cameroun : le cas de Ngaoundéré’, Communication
présentée au colloque international « Les agricultures périurbaines : un enjeu pour la ville »,
Paris-Nanterre, 10, 11, 12 octobre 2007, actes sous presses

22
Fusillier J.-L. (1993). La filière maïs au Cameroun – quelles perspectives de
développement de la production de maïs ? Multigr., CIRAD, Montpellier, 58 p.
Fusillier J.L. et BOM KONDE P.-C., (1997). ‘Eléments sur la filière céréalière au
Nord-Cameroun’. In Seiny Boukar L., Poulain J.-F., Faure G. (éds) Agriculture des savanes
du Nord Cameroun : vers un développement solidaire des savanes d’Afrique centrale. Actes
de l’Atelier d’échange, 25-29 novembre 1996, Garoua, Cameroun, Montpellier, France,
Cirad-CA, pp 359-367.
Hatcheu E. T. (2003). L’approvisionnement et la distribution alimentaires à Douala
(Cameroun) : logiques sociales et pratiques spatiales des acteurs, Thèse de Doctorat de
Géographie, Université de Paris I Panthéon Sorbonne/IEDES, 454P.
Iyebi-Mandjek O. (2005). ' Les flux commerciaux à Maroua’, in : Raimond C. (ed.),
Garine E. (ed.), Langlois O. (ed.). Ressources vivrières et choix alimentaires dans le bassin
du lac Tchad, Colloque International Méga-Tchad (FRA), Paris : Editions IRD, Prodig,.
(Colloques et Séminaires).
Kouebou P. C. (2008). Examen de la transformation et des dérivés du maïs au Nord-
Cameroun, Rapport de recherche, ARDESAC (Programme 3.3), 13p.
Leporrier S. (2002). La consommation urbaine du mil en Namibie Résultats d'enquêtes
menées à Oshakati, Mémoire (DESS) Nutrition et alimentation dans les pays en
développement Académie de Montpellier Université de Montpellier II, 62 p.
Moustier P. (1996). ‘Le maraîchage : un diagnostique agroéconmique’, in :
Agriculture des savanes du Nord-Cameroun : vers un développement solidaire des savanes
d’Afrique centrale, (document provisoire communications présentées à l’atelier d’échange 25-
29 novembre 1996, Garoua, Cameroun), Tome I, (207-223).
Ndamé J-P (2007). ‘L’aménagement difficile des zones protégées au Nord Cameroun’,
in AutrePart, Révue de sciences sociales au Sud, (Variations), IRD Editions, Armand Colin,
pp 145-161.
Ndamé J-P, Briltey B. (2004). ‘Croissance urbaine, mutations agricoles et dépendance
alimentaire dans le Nord-Cameroun’, in Recherches Africaines n°3, octobre-décembre 2004,
faculté des Lettres, Langues, arts et Sciences Humaines (FLASH) de l’Université de Bamako,
Mali.
Njomaha C., 2004. Agricultural change, food production and sustainability in the Far
North of Cameroun, Leiden, Institute of Environmental Sciences, 245 P.
Ntoukam G., Endondo C., Ousman B., Mekontchou T., Hamasselbe A., Njomaha C.,
Ndikawa R., Abba A. (1996). ‘Production des légumineuses à graines: acquis de la
recherche’, in: Agricultures des savanes du Cameroun, Actes du Colloque PRASAC, 25-29
novembre 1996, Garoua, Cameroun, pp 327-335.
Padilla M. (1997). La sécurité alimentaire des villes africaines : le rôle des SADA,
Communication présentée au séminaire sous-régional FAO-ISRA « Approvisionnement et
distribution alimentaire des villes de l’Afrique francophone » Dakar, 14-17 avril 1997,
Collection « Aliments dans les villes » AC13-97, 46p.
Programme d’Amélioration du Revenu Familial –PARFAR- (2008). Rapport annuel
d’activités, 182 p.
Requier-Desjardins D. (1993). ‘La consommation alimentaire à Garoua, permanences
et changements : éléments pour l’approche « filières courtes »’, in Muchnik J. (Sous la
Coordination de), Paris, L’Harmattan (pp 53-93).

23
Seignobos C. (2005). ‘Trente ans de bière de mil à Maroua’, in : Raimond C. (ed.),
Garine E. (ed.), Langlois O. (ed.). Ressources vivrières et choix alimentaires dans le bassin
du lac Tchad, Colloque International Méga-Tchad (FRA), Paris : Editions IRD, Prodig,.
(Colloques et Séminaires), p. 527-561.
Temple L., Chataigner J. (1997). Le marché du plantain au Cameroun, des
dynamiques de l’offre au fonctionnement du système de commercialisation, Revue Fruits
Temple L., Chataigner J., Kamadjou F. (1993). Les systèmes de production du
plantain et les perspectives d’intensification dans le sud-ouest du Cameroun, Revue Fruits.
Temple L., Dury S. (2003). Instabilité du prix des produits vivriers et sécurité
alimentaire urbaine au Cameroun, Montpellier, France, Cirad, Série Urbanisation,
Alimentation et Filières vivrières, n°6, 28 p.
Varlet F. (1993). Dynamique de l’alimentation au Cameroun, présentation et
interprétation des données quantitatives disponibles pour la période 1970-1992, CIRAD,
Montpellier, 200 P.

Annexes

Annexe 1 : La boule de maïs


Cliché : Kouebou C., Garoua (février 2008)

La consommation de la boule qu’il s’agisse du


maïs, du mil/sorgho ou du riz dans les ménages
originaires du Nord-Cameroun se fait
généralement en groupe, contrairement au riz
grain, patate, manioc, igname… qui sont servis
individuellement. Ce qui confère encore à la
boule une valeur sociale forte parmi les bases
alimentaires.

Annexe 2 : Gâteau de niébé « koki »


Cliché : Kouebou C., Garoua (février 2008)

Cette forme de consommation du niébé


importée de la partie méridionale du Cameroun
s’est répandue depuis une dizaine d’années au
Nord-Cameroun, et occupe désormais une place
importante dans l’alimentation de rue. Elle
s’obtient par mélange de la pâte de niébé à
l’huile rouge, et accompagne racines,
tubercules et féculents, et même le pain.

24

Vous aimerez peut-être aussi