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Nathalie Nabert - Prières Cachées Des Chartreux

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Du même auteur

Les Larmes, la nourriture, le silence


Essai de spiritualité cartusienne
Beauchesne, 2001
Liturgie intérieure
Ad Solem, 2005
Prix des écrivains croyants 2005
Le Maître intérieur
Ad Solem, 2006
100 Prières de chartreux
Salvator, 2006
Sanctuaire
Ad Solem, 2008
Terre des vivants
Presses de la Renaissance, 2008
Les Moniales chartreuses
Ad Solem, 2009
La Figure de Marie en Chartreuse
Beauchesne, 2009

ISBN 978-2-02-101055-8

© Éditions du Seuil, avril 2009

www.editionsduseuil.fr
Table des matières
Couverture

Table des matières

Introduction

1 - La liturgie des heures

La grâce de Pâques

Élévation sur le Christ à Complies

Prière à la plaie du Sacré-Cœur, qu’on peut réciter vers 3 heures


(None)

Complies, récollection avant de se coucher

Offrande de la veille pour les frères convers qui ne vont pas à Matines

Après Matines et Vêpres, prière de retour dans la cellule

2 - Prières, rites et sacrements

Oraison sur la cuculle, le jour de la profession du novice

Oraison sur le novice, le jour de sa profession

Rituel cartusien de consécration des vierges

Méditation X sur la communion

Oraison dominicale

Confiteor
Le Directoire des mourants

Acte de contrition des frères convers avant de se coucher, pour se


purifier intérieurement

Consécration eucharistique

3 - Oraisons psalmiques et scripturaires

Oraisons sur les Psaumes

Oraisons sur les Psaumes des montées

L’Église comme un jardin bien clos, d’après le Cantique des cantiques

Hymne à la beauté de la terre, d’après le Cantique des cantiques

Oraison sur les Psaumes des montées

Évocation de la Jérusalem céleste

Psalterium decachordum

Entretien céleste sur le Psaume 109, Dixit dominus

Louange de la création sur le Psaume 110, Confiteor

4 - L’oraison du cœur

Prière de l’habitant de la cellule sur la résurrection

Élévation

Exhortation à fuir l’ambition

Prière pour bien prier

Nécessité de la discrétion
Divini amoris pharetra

Prière en regardant des arbres

Prière pour demander au Christ de nous donner son esprit

Offrande de sa prière

Prière méditée des moniales La solitude de l’esprit

Prière sous forme de dialogue avec le Christ sur les tentations de la vie


solitaire

Oraison du frère convers en revenant à la cellule après le travail

Oraison du frère convers avant la lecture spirituelle

Prière du soir pour écarter la lassitude

5 - L’invocation de Dieu

Du désir de Dieu

Misère de l’homme, bonté de Dieu

Dieu de miséricorde

Méditation sur Dieu notre créateur

Louange de Dieu en tant qu’être

Paraphrase du Notre Père et de l’Ave Maria

Offrande à Dieu le Père des saintes plaies de son Fils pour les besoins


de l’Église

Hymne à l’amour de Dieu

Louange à la Bonté
Louange à la Sagesse

Louange à la Miséricorde

6 - L’ombre de la Croix

Page de méditation sur l’humanité du Christ

Prière à la plaie du côté du Christ

Tout est consommé

De la prière de Notre Seigneur Jésus, alors qu’il est pris d’une sueur de


sang

Le Cœur de Jésus est la ville de refuge

Le Cœur attire le cœur

Exercices spirituels par lesquels on s’entraîne et se concentre en Dieu

Comment il faut honorer le Cœur de Jésus

Reconnaissance au Cœur de Jésus

Petite semaine du Sacré-Cœur

L’agonie du Cœur de Jésus

L’abeille mystique

Prière du Christ souffrant pour la protection des chartreux

Le Cœur de Jésus ouvert

Prière sur l’Incarnation du Christ pour les âmes du Purgatoire

Sur la solitude du Christ au jardin des Oliviers et dans le Saint


Sacrement
Prières à Jésus-Christ La Transfiguration du Christ

C’est dans le Cœur adorable de Jésus que l’âme affligée cherche sa


consolation

Tendres sentiments de confiance et d’amour envers Jésus

La dernière prière de Jésus

7 - Le manteau de Marie

Méditation VIII sur la nourriture de Dieu

Contemplation de l’Assomption de Marie

Marie protectrice des chartreux

Offrande au Sacré-Cœur et à Marie des actions qu’on a faites pendant


la journée

Prières au saint cœur de Marie

La vie de Marie

Offrande à la très Sainte Vierge

Joie et satisfaction qu’éprouve une âme en songeant que le cœur de


Marie est le salut des pécheurs et le refuge de tous les malheureux

Colloque affectueux avec la très sainte Vierge, Mère de Jésus et notre


Mère

Annonciation

Marie, chemin de contemplation

Marie dans les secrets de Dieu


Marie aimée de Dieu

Difficulté de contempler Marie

Magnificat

8 - Les saints solitaires

Litanie des saints

Salut, ô Christ

Éloge de saint Bruno

Éloge de saint Jean-Baptiste

Prière à saint Laurent pour la modestie de la vocation

Sainte Marie-Madeleine

Sainte Barbe

Élévation en la solennité de Marie-Madeleine

Notices biographiques et bibliographiques


Introduction

Les chartreux appartiennent à un ordre discret par vocation et ancien,


puisque sa fondation remonte au XIe  siècle, en 1084, quand Bruno de
Cologne, chanoine et éminent professeur à l’École cathédrale de Reims,
éprouva le désir de se retirer dans le désert du massif de la Grande
Chartreuse, avec six compagnons, loin des préoccupations du monde, pour
mener une vie de contemplation et de prière. De cet appel à la solitude, à la
vie cachée et à la pauvreté devait naître l’un des plus grands ordres de
l’histoire du monachisme.

Naissance d’un ordre

Dans le renouveau foisonnant du paysage spirituel que connut


l’Occident à la fin du XIe siècle, l’accentuation de la tradition ascétique des
Pères du désert, qui entraîna la réforme du cénobitisme triomphant, de
Cluny à Cîteaux, par Robert de Molesne, en 1098, fut prépondérante. Elle
est à l’origine d’expériences érémitiques vécues à la même époque avec
plus ou moins de succès : celle de Romuald, dans les Apennins, qui aboutit
à la création de l’ordre des Camaldules en 1027, regroupant des moines
ermites  ; celle de Jean Gualbert, en Toscane, qui permit la fondation de
Vallombreuse, dont le mode de vie à la fois érémitique et cénobitique
annonce celui des chartreux ; ou bien encore celle d’Étienne Muret qui, en
se retirant à Grandmont, en Limousin, en 1074, fut à l’origine du futur ordre
des Grandmontains, largement répandu au Moyen Âge1. Aussi l’initiative
de Bruno de Cologne n’est-elle pas isolée, mais remarquable par sa
longévité et la transmission du charisme originel à ses successeurs.
Des deux lettres authentifiées qu’il nous reste de saint Bruno, on peut
retirer un des principes essentiels du propositum cartusien : la recherche de
la solitude pour l’amour de Dieu, ainsi qu’on en trouve l’expression dans la
lettre qu’il écrit à son ami Raoul le Verd qu’il invite à «  quitter
prochainement les ombres fugitives du siècle pour [se] mettre en quête des
biens éternels2  ». Aussi, la fondation du premier monastère près de
l’actuelle chapelle Saint-Bruno, répondant au nom de Casalibus –  en
référence aux simples cabanes qui constituèrent les cellules des premiers
chartreux –, correspond-elle à cette humble initiative qui conduisit Bruno de
Cologne et six frères à s’installer dans le massif de la Chartreuse sous la
protection de l’évêque Hugues de Grenoble. Cette expérience initiale allait
imprimer à l’ordre des chartreux sa structure de type semi-érémitique, qui
rassemble une petite communauté de solitaires. Les tâches sont réparties
entre des « frères », ou convers, au nombre de 16, voués au travail manuel
et à la prière, et des «  pères  », ou moines de chœur, au nombre de 13,
entièrement voués à la prière.
Appelé à Rome en 1090 par le pape Urbain II, quelques années après
son installation dans le massif de la Chartreuse, Bruno de Cologne n’écrit
pas de Règle de vie communautaire. C’est à son successeur, Guigues  Ier
(1083-1136), que revient cette tâche, au moment où il convient de
transmettre les coutumes des premiers chartreux aux prieurs des autres
fondations de l’ordre, notamment au prieur de la Chartreuse de Portes3. Le
succès de l’ordre, les nombreuses fondations qui virent le jour au cours du
XIIe  siècle et des suivants, ainsi que la création de la branche féminine en
1150 dans le Sud de la France, exigèrent une législation plus rigoureuse afin
de maintenir la fidélité à l’esprit de saint Bruno. C’est ainsi qu’est créé un
chapitre général, en 1140, dont les différentes ordonnances, ajoutées aux
Coutumes de Guigues  Ier, ont constitué les Statuts4. Ceux-ci furent
augmentés trois fois au cours de leur histoire  : une première fois en 1271
par dom Riffier, prieur entre 1257 et 1267, sous le titre d’Antiqua Statuta.
En 1368, le prieur dom Guillaume Raynald fit réaliser une nouvelle
compilation des ordonnances des chapitres généraux, postérieurs aux
Statuts de 1271  : ce sont les Nova Statuta, qui viennent compléter les
anciens Statuts. La fin du Moyen Âge, marquée par une intense activité
législative, compile les principales décisions notées dans les cartes –
  chartae  – des chapitres généraux  : elles sont intégrées par la suite aux
Statuts qui deviennent ainsi la Tertia compilatio, réalisée en 1509 sous le
priorat de François Dupuy. Le dernier état des Statuts, réalisé après le
concile de Vatican  II, est mis en forme en 1991 sous le titre de Statuta
ordinis cartusiensis. Les statuts contemporains attestent ainsi de la longue
fidélité à l’esprit de solitude, de pauvreté et de contemplation voulu par
saint Bruno et qui caractérise de façon unique l’ordre cartusien. Le chapitre
consacré aux moines de cloître résume avec force ce qui éclaire la vie des
chartreux depuis plus de neuf cents ans :
Nos pères dans la vie cartusienne ont suivi une lumière venue de l’Orient, celle de ces anciens
moines, voués à la solitude et à la pauvreté de l’esprit, qui peuplèrent les déserts à une époque
où le souvenir tout proche du sang répandu par le seigneur était encore brûlant dans les cœurs.
Et puisque les moines du cloître s’engagent sur le même chemin, ils doivent, à l’exemple de
ces premiers pères, demeurer dans un ermitage suffisamment éloigné des lieux habités, et dans
des cellules où ne parviennent pas les bruits du monde, ni ceux de la maison ; par-dessus tout,
ils doivent se rendre eux-mêmes étrangers aux rumeurs du siècle5.

La discrétion des chartreux, qui éditent peu leurs textes et de façon


anonyme – à de rares exceptions près6 –, par souci d’humilité, et leur petit
nombre –  un peu moins de cinq cents moines et moniales sont répartis
aujourd’hui dans le monde7 – expliquent que leur prière demeure, comme
eux, cachée et ignorée de tous, réservée à Dieu seul dans le silence et le
secret des cellules. Cette prière ne peut donc être comprise qu’à la lumière
de la vie contemplative.

Un esprit de silence
et de contemplation

Pour expliquer le lien qui unit au désert austère de la Chartreuse la vie


contemplative des ermites de saint Bruno, il faut revenir aux premiers
textes. Plusieurs sont révélateurs d’une prédisposition chez ceux qui se
sentent appelés à une vie d’enfouissement, loin de l’agitation du monde,
comme en témoigne cette méditation de Guigues Ier, résumant à elle seule
la vocation cartusienne : « Tu n’as pas été créé pour être vu, connu, aimé,
admiré ou loué, mais pour voir, connaître, aimer, admirer et louer le
Seigneur. Cela seul t’est utile, et rien d’autre8.  » On peut citer encore
l’éloge de la vie cartusienne, rédigé au XVIe siècle par le Chartreux Pierre
Cousturier (dit Sutor), qui s’attarde longuement à décrire l’espace sauvage
entourant le premier monastère comme un lieu âpre et propice à la
conversion à la vie divine :
C’est un massif élevé, rocheux, fécond en arbres inféconds, qui s’appelle la Chartreuse. Il est
situé à 10 miles de la ville de Grenoble. Il comporte trois sommets s’avoisinant et ayant une
base commune ; au pied de l’un d’eux il y a une plaine en pente où est située la maison de la
Chartreuse. L’accès en est difficile, l’entrée extraordinaire. Le lieu est austère, le site effrayant.
L’accès est en effet si élevé et si étroit qu’on ne peut s’efforcer de le franchir sans être
essoufflé. Il y a deux entrées qui sont si impressionnantes qu’elles remplissent de frayeur ceux
qui arrivent. L’une, que l’on appelle le pont de la Chartreuse, est située entre deux rochers
d’une hauteur extraordinaire qui s’élèvent verticalement au point de se rejoindre presque dans
le Ciel ; l’autre est encore plus difficile et plus impressionnante : c’est un sentier vertigineux à
travers les deux sommets dont nous avons parlé qui, pendant 4  miles, rencontre tant de
difficultés et de dangers que leur seule vue remplit de peur ceux qui les regardent. Tu veux
voir l’austérité du site de la Chartreuse ? Si tu élèves ton regard tu ne vois que pentes, masses
rocheuses , neiges glacées, sapins qui s’accrochent aux flancs des monts. Si tu regardes en
bas, tu vois un torrent menaçant qui rugit au pied de la montagne. Considère l’aspect
redoutable du lieu : rien de beau, aucune consolation, aucun des agréments terrestres, à peine
la terre est-elle couverte de l’herbe souriante, à peine l’oiseau chante-t-il, à peine les bêtes
sauvages y font-elles leurs tanières. Quoi encore ? Les neiges resplendissent d’une blancheur
éternelle, mais le froid de la neige affecte les corps de ceux qui y vivent d’une pâleur livide.
L’austérité de ce lieu est telle que ni le désert de Scété ni les solitudes d’Égypte ne peuvent
être comparés à ce massif. Il s’agit plus d’une horrible prison et d’un lieu d’expiation que d’un
site propre à la vie des hommes. […] Bruno a bien choisi le site de la Chartreuse pour
souligner l’harmonie et la ressemblance entre le lieu et la vie cartusienne ; à l’austérité de cette
vie convenait une région encore plus austère. […]
Les chartreux ont cherché les lieux les plus éloignés pour que la fréquentation des hommes
n’interrompe pas leurs prières, ne leur fasse pas abandonner l’étude des Écritures, ne rompe
pas le silence, pour ne pas entendre les bruits du monde et pour que la vanité du monde ne
pénètre pas leur mémoire, pour que l’acédie9 ne les arrache pas à leur propos et ne menace pas
trop leurs études, leur mode de vie, leur idéal, leur désir de conversion et le salut de leurs
âmes10.

Cette adéquation soulignée entre le lieu et la vocation érémitique


indique que la solitude, l’ascèse des yeux et du corps et la garde du silence
sont les éléments nécessaires à la vie de prière. Ils permettent en effet un
recueillement favorable à la contemplation que le désert et l’ermitage
configurent extérieurement, et que la discrétion et le silence favorisent
intérieurement11. Aussi la prière des chartreux apparaît-elle indissociable de
cette donnée ascétique qui règle toutes les formes de la vie pour conduire,
par la purification des sens, à plus de silence en vue de l’union à Dieu. Il en
va donc ainsi de l’alimentation, végétarienne, qui existe depuis le Moyen
Âge, mais qui admet le lait, les œufs, le fromage et le poisson hors des
strictes périodes de jeûne  ; la pauvreté en tout se veut une imitation de
Jésus-Christ, indiquée dès les Coutumes de Guigues  : «  Car à tous les
moines, mais à nous surtout, il convient assurément de porter des vêtements
humbles et usagés, et de se servir en tout d’objets sans valeur, pauvres et
misérables12. » De même le sommeil est interrompu, à la manière des Pères
du désert, par un long office de nuit qui réunit au chœur la communauté de
23 h 30 à 2 h 30, ou 3 h 30, selon les solennités, pour la louange de Dieu.
C’est cette dimension à la fois solitaire et collective qui tisse les liens entre
les membres de la communauté, et entre la communauté et Dieu, de façon
immuable depuis l’origine de l’ordre. Le chapitre 4, consacré à « la garde
de la cellule et du silence  » dans les Statuts contemporains, rappelle cette
donnée fondamentale de la vie cartusienne :
Notre application principale et notre vocation sont de vaquer au silence et à la solitude de la
cellule. Elle est la Terre sainte, le lieu où Dieu et son serviteur entretiennent de fréquents
colloques, comme il se fait entre amis. Là, souvent, l’âme fidèle s’unit au Verbe de Dieu,
l’épouse à l’Époux, la terre au Ciel, l’humain au divin. Mais longue est la route, arides et
desséchés sont les chemins qu’il faut suivre jusqu’à la source, au pays de la promesse13.

Après le désert, la cellule14 est donc le lieu du silence où la vie


contemplative peut s’épanouir. Comme l’âme du chartreux, elle doit être
nue pour accueillir Dieu en solitude, ainsi que l’exprimait, en
septembre  2001, à l’occasion du neuvième centenaire de la mort de saint
Bruno, le révérend père général de l’ordre :
Notre secret, si nous en avons un, c’est le message de notre fondateur saint Bruno. Il nous
invite, au-delà des siècles, à ne jamais perdre de vue que la vocation suprême de l’homme
c’est de demeurer toujours avec le Dieu tout-autre qui est aussi le tout-amour. Dans la solitude
et le silence, nous accueillons l’absolu et cherchons à nous y abandonner totalement. La
Chartreuse offre au monde une grâce de prière, de paix et d’abandon. Nous cultivons la
sobriété intérieure et extérieure, pour être le plus possible réceptifs à Dieu et tout recevoir de
lui15.

La place de la prière
dans les exercices de la cellule
Se tenir en présence de Dieu relève d’une discipline intérieure
rigoureuse, qui repose sur les exercices spirituels pratiqués en cellule.
Guigues II le Chartreux, au XIIe siècle, a exposé avec succès cette discipline
dans sa Lettre sur la vie contemplative selon la base d’une échelle à quatre
degrés, lecture, méditation, prière et contemplation :
Un jour pendant le travail manuel, je commençais à penser à l’exercice spirituel de l’homme,
et tout à coup s’offrirent à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels  : lecture,
méditation, prière, contemplation. C’est l’échelle des moines, qui les élève de la terre au
Ciel16.

Dans cet exposé simple et concis, il accorde une place spécifique à la


prière dont la fonction médiane est d’intercéder pour permettre au moine
d’accéder à la pureté de cœur et voir Dieu, ainsi qu’il l’explicite un peu plus
loin :
L’âme a donc vu qu’elle ne peut atteindre par elle-même la douceur désirée de la connaissance
et de l’expérience. Plus elle s’élève, plus Dieu est distant. Alors elle s’humilie et se réfugie
dans la prière : Seigneur, que seuls les cœurs purs peuvent voir, je recherche, par la lecture et
la méditation, ce qu’est la vraie pureté de cœur et comment on peut l’obtenir, pour devenir
capable par elle de vous connaître au moins un peu17.

Ayant emprunté l’image de l’échelle à la Genèse18 et la qualification


des trois degrés – purification pour les commençants, illumination pour les
progressants et voie unitive pour les parfaits – à Origène, Guigues II ouvre
un chemin sur lequel les auteurs chartreux postérieurs s’engageront. Ainsi
s’affirme une théologie mystique scalaire, au sein de laquelle la prière tient
une place centrale. Hugues de Balma en systématise les étapes dans sa
Théologie mystique, à travers la détermination des trois voies –  purgative,
illuminative et unitive  – au terme desquelles Dieu se laisse percevoir
fugitivement et par ignorance, dans un rapport ineffable dont Hugues
emprunte la source à Denys l’Aréopagite19 :
Quand l’absence de toute connaissance est totalement ignorée, meilleure est l’union, car la
connaissance élevée au-dessus de l’esprit ne reconnaît rien. La nécessaire condition de cette
appréhension très élevée est donc qu’en cette élévation même cesse toute connaissance
spéculative parce qu’elle-même est ignorée de l’intellect, auquel il est nécessaire que même
celle-ci soit abandonnée s’il désire parvenir à la connaissance au-dessus de l’esprit20.
Plus pratique que Hugues de Balma, et suivant en cela le modèle laissé
par Guigues  II, Guigues du Pont, à la fin du XIIIe  siècle, voit dans les
exercices de la cellule le moyen de lutter contre l’oisiveté. Mais l’ordre
qu’il propose – lecture, prière, méditation – fait de la prière non pas le seuil
de la contemplation mais celui de l’activité réflexive, dans une liberté
d’interprétation de la tradition patristique qui emprunte à saint Grégoire sa
prudence à l’égard de la vie mystique :
En outre, disons brièvement que tous les vices que sont les désirs de la chair luttent contre la
vie céleste et que la faiblesse humaine, comme le dit saint Grégoire, ne peut demeurer bien
longtemps dans la contemplation  ; il faut donc, pour ne pas être pris au piège de l’oisiveté,
s’exercer aux premiers degrés, la lecture, la prière, la méditation […]21.

Ces trois références majeures des premiers auteurs chartreux font de la


prière une étape nécessaire et fondamentale dans le long cheminement de la
vie contemplative, indéniablement associée à la lectio divina qui
«  recherche la douceur de la vie bienheureuse  », à la méditation qui «  la
trouve  » et à la contemplation qui «  la goûte  »22. Les auteurs spirituels,
d’une génération à l’autre, inviteront à prolonger cette présence de l’homme
à Dieu par « la prière continue », qui doit imprimer fugitivement le visage
de Dieu dans l’âme de celui qui prie, lequel doit chercher à l’imiter, dans la
vérité. C’est ce que suggère Guigues  du  Pont, en se référant à
Grégoire de Nazianze :
Saint Grégoire  de  Nazianze parle aussi de cette vision bienheureuse et dit que Dieu ne peut
être contemplé que par le regard de l’âme, et un regard très subtil, et dans une vision rapide qui
porte non pas sur ce qui est en lui mais sur ce qui l’entoure, de sorte que l’homme contemple
le visage même de la vérité, non pas tant dans la vérité même que par ce qui lui est proche23.

C’est donc un motif traditionnel de la littérature cartusienne que


d’inviter à prier sans cesse, puisque telle est la vocation des chartreux24.
Cette prière, liée à la liturgie, aux rites communautaires, mais aussi, et
essentiellement, à la cellule où s’écoule la vie du moine, peut contenir des
intentions précises, mais elle est plus généralement offerte à Dieu pour
porter l’humanité souffrante et rendre grâce. Aussi est-elle associée aux
heures de chaque jour, comme l’explique, au début du XXe siècle, Augustin
Guillerand dans Face à Dieu :
La prière est de toutes les heures : c’est la respiration de l’âme ; il faut prier sans arrêt comme
on respire sans cesse. C’est là le mouvement profond de l’âme dont on a à peine conscience.
En prendre conscience le plus possible est un trésor. Vivre dans la conscience actuelle de ce
mouvement, de celui qui en est le Principe et le Terme, c’est la grâce des grâces, c’est le Ciel
sur terre25.

Mais quelles sont les sources et les formes de cette prière intérieure et
permanente qui habite l’esprit et le cœur des ermites chartreux ?

La prière continue

La pratique de la prière continue en chartreuse est certainement


l’héritage le plus vivant du patrimoine biblique et patristique. Les pères
chartreux n’hésitent pas à se référer à leurs sources dans leurs traités : saint
Paul, Cassien, Jean Climaque et saint Grégoire. L’élargissement du cœur à
la sensibilité lacrymale présente dans les Dialogues de saint Grégoire
retient l’attention des auteurs du XIIIe  siècle, comme Guigues  du  Pont.
L’écoute de l’Esprit-Saint « qui gémit en nous », tel que le décrit saint Paul
dans son Épître aux Romains26, revient souvent dans les conseils des
premiers chartreux :
Est encore efficace la prière continuelle et instante, si bien que saint Grégoire dit  : «  Il faut
demander avec de grands gémissements à notre créateur la grâce des larmes » 27.
Mais nous, nous avons une inexprimable nécessité de solliciter instamment ses bienfaits avec
un ardent désir. Or nous pouvons faire cela d’autant plus efficacement que la grâce du Saint-
Esprit daigne venir en aide à notre faiblesse, car l’Apôtre a dit  : «  Nous ne savons que
demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit-Saint lui-même demande pour nous en des
gémissements ineffables »28.

Ces documents révèlent que la prière continue se fonde sur une


diversification des attitudes et des formes enseignées dans les traités, et sur
un choix issu des courants ascétiques marqués par la simplicité et le goût du
silence dont, au XXe  siècle, Augustin Guillerand témoigne dans Liturgie
d’âme  : «  Mon Dieu j’ai supprimé les mots et les voix de la terre pour
mieux entendre les mots et les voix du Ciel29. »
C’est donc dans la stricte lignée de saint Paul et de Cassien que la
tradition cartusienne établit ses propres modèles d’oraison. Ainsi, dans sa
lettre à Latold, Jean de Montemedio, de la Chartreuse de Portes, assigne-t-il
tel ou tel verset des psaumes à l’obsécration, la promesse, la demande et
l’action de grâces, construisant ses propres formules de prière au Père au
Fils et à la Sainte-Trinité, comme on peut le constater dans ce bref extrait
consacré à la prière de demande, qui prend la forme d’une oraison
psalmique : « Les textes suivants des Psaumes sont propres à demander le
pardon de nos fautes  : “Purifie-moi, Seigneur, de mes fautes secrètes”
(Ps 18,13)30. »
Et si l’oraison a une telle importance dans le quotidien des moines,
c’est parce qu’elle accompagne chaque moment de la vie, prenant en
compte à la fois la fragilité humaine et la grandeur de Dieu, comme
l’exprime, au XVe siècle, Denys le Chartreux dans son De oratione :
L’oraison est le premier et principal exercice de toute personne religieuse, sa meilleure
occupation et celle qui préserve des péchés à venir. Elle est la médecine des fautes, le réconfort
des malades et la richesse de tout voyageur ; elle conserve les bons, conduit les aveugles, et
console les tristes et désolés. C’est pourquoi Notre Seigneur a dit par ses apôtres  : «  Si
quelqu’un d’entre vous est triste, qu’il prie de bon cœur (Jc  5,13)  ; quelqu’un a besoin de
sagesse, qu’il la demande à Dieu, et elle lui sera donnée (Jc  1,5).  » […] Outre la prière de
demande, l’oraison comprend en elle la louange et la contemplation de Dieu, car celui qui prie
ne voit pas seulement son propre péché, sa propre insuffisance et pauvreté, mais aussi il
considère, il élève, loue et confesse la toute-puissance, la douceur, la bonté et l’excellence du
très haut créateur : il met alors en lui son espérance comme en son prince souverain qui seul
peut le sauver31.

Là se dessinent des attitudes intérieures et extérieures que reflètent les


dispositions du corps en prière, telles que Hugues de Balma les a décrites au
XIIIe  siècle dans sa Théologie mystique en se référant aux grandes figures
bibliques : Moïse les mains levées vers le Ciel, Salomon, les genoux fléchis,
Marie-Madeleine prosternée et en larmes, Marie de Béthanie assise et
écoutante aux pieds du Christ, le Christ lui-même, au jardin des Oliviers, à
genoux et le visage tourné vers la terre, puis sur la croix, les mains étendues
et le corps dressé, enfin les Apôtres, le visage levé vers le Ciel et implorant
dans leur cœur32.
Ces dispositions du corps en prière donnent une indication précieuse
pour comprendre, d’une part, la liberté dont dispose chacun en cellule pour
trouver l’attitude la plus appropriée au recueillement et, d’autre part, l’esprit
d’humilité, de simplicité et de fidélité à l’Écriture qui caractérise la prière
cartusienne. Les textes s’y réfèrent en permanence et contribuent ainsi à
édifier la figure d’un orant pauvre et humble, fuyant les constructions
élaborées de l’oraison au profit de formes brèves et épurées qui conviennent
à la faiblesse humaine. Dans sa deuxième méditation, Guigues  II le
Chartreux présente en action l’attitude de ce «  pauvre spirituel  » sous le
regard de Dieu, totalement abandonné, comme celui qui ne possède rien et
reçoit tout de Dieu :
Parlez, Seigneur, au cœur de votre serviteur, afin que mon cœur s’entretienne avec vous.
Parlez à l’orphelin qui a été abandonné entre vos mains. C’est à vous que le pauvre
s’abandonne, vous serez un secours pour l’orphelin33.

Fondée sur le Psaume  10,14, cette méditation s’inscrit dans la


perspective du Chant du serviteur souffrant et confiant  : «  Le Seigneur
Yahvé me vient en aide, c’est pourquoi je ne ressens pas les outrages.  »
(Is  50,7.) Elle prolonge le principe de l’éloge de la pauvreté, nécessaire
pour atteindre les richesses célestes, évoquée dans la première béatitude de
Matthieu (Mt 5,1). L’image du serviteur souffrant et abandonné génère donc
celle du mendiant spirituel, cheminant vers Dieu les mains ouvertes, dont
les écrits cartusiens retirent, au fil des siècles, une fécondité spirituelle et
esthétique qui rappelle le suppliant décrit par Jean Climaque dans son
Échelle sainte34.
Guigues du Pont consacre à cette pauvreté d’esprit une des plus belles
pages de son Traité sur la contemplation :
Le pécheur fidèle doit pourtant avoir bien soin de ne jamais mettre son assurance dans ses
mérites, dans quelque état qu’il se trouve, mais de s’avancer les mains vides pour mendier
l’aumône du Seigneur, tout comme un pauvre petit mendiant entièrement dépouillé35.

Ainsi la prise en compte de la faiblesse de l’homme et de son peu


d’aptitude à l’oubli de soi esquisse-t-elle, au cours des siècles, une
physionomie de la petitesse dans laquelle les auteurs chartreux voient la
valeur apostolique de leur vie cachée en Dieu. C’est ce que rappelle, au
XXe siècle, Jean-Baptiste Porion, dans un sermon adressé à ses frères :

Notre petitesse et notre misère sont aussi un moyen puissant d’apostolat. Avec cette fausse
monnaie de plomb dont personne ne veut sur la Terre, nous pouvons racheter des âmes
infiniment précieuses, si nous savons l’offrir à Notre Seigneur36.
C’est donc dans cette perspective de dépouillement et de grande
simplicité que la prière rythme la journée de solitude et de travail en cellule
par un retour assidu à Dieu. Son rôle unifie la vie de l’esprit au sein de la
vocation contemplative et ouvre au silence intérieur. Dans une longue et
magistrale analyse, André Poisson, père général de l’Ordre jusqu’en 2005,
insiste sur cette fonction.
Faire oraison, la formule est étrange, car elle laisserait facilement croire qu’il s’agit de
produire quelque chose, d’obtenir un résultat, de fabriquer. On retrouve là la vieille tentation
de la pensée contemplative occidentale, symbolisée par le jongleur de Notre-Dame. […]
Il ne s’agit pas de faire , même pas de faire silence. Le silence ne se fabrique pas. Lorsqu’on
arrive devant le Seigneur avec l’esprit rempli d’images, l’activité intérieure encore en
mouvement, les émotions toutes vibrantes, on se rend compte que l’on a besoin de silence et la
tentation est alors de faire le silence. Comme s’il s’agissait de revêtir un vêtement de silence,
de jeter sur tout ce bruissement intérieur une chape qui le camouflerait ou l’étoufferait. Cela
n’est pas faire silence ; c’est camoufler le bruit ou plutôt l’enfermer en nous-mêmes, de telle
sorte qu’il y demeure toujours prêt à réapparaître à la première occasion. Il n’y a pas à créer le
silence, il n’y a pas à l’introduire en nous. Il y est déjà et il s’agit tout simplement de le laisser
revenir en surface de lui-même, de sorte qu’il élimine par sa seule présence tous les bruits
importuns qui nous ont envahis. Le silence peut être un pur néant ; le silence de la pierre, le
silence d’un esprit noyé dans la matière ou les préoccupations extérieures. Ce n’est pas le vrai
silence. Le seul silence qui compte est la présence de celui qui n’est rien.
L’oraison ne consiste-t-elle pas souvent simplement à revenir progressivement au vrai
silence  ? Non point en faisant quelque chose, en s’imposant un carcan quelconque, mais au
contraire en laissant peu à peu se décomposer d’elle-même toute notre activité sous la poussée
intérieure du vrai silence qui reprend peu à peu ses droits. Lorsque l’on a déjà entendu en soi
le vrai silence, on a soif de le retrouver. Il faut seulement échapper à l’idée que l’on peut de
soi-même le fabriquer à nouveau. […] De même, le silence est plus profond que toutes les
méditations les plus légitimes : lectio divina , lumières du Seigneur qui nous font pénétrer ses
mystères, réflexions nécessaires sur des thèmes que l’on doit approfondir, etc. Tout cela est
bon. Tout cela est une approche de la vérité. Tout cela est nécessaire en son temps.
Mais le silence est plus profond et rien ne saurait le remplacer. Il y a des jours où il faut savoir
s’en priver pour donner à l’esprit une nourriture dont il a alors besoin. Mais il ne faut pas se
laisser griser par l’enivrement d’une vérité partielle qui se manifeste à nous ; notre soif est plus
profonde et elle vise à une vérité aussi proche que possible de la Vérité totale. Seul le silence,
même s’il est ténèbres, nous approche de la Lumière complète. Même la Parole de Dieu ne
nous est vraiment accessible que si elle est messagère du silence. L’Office divin atteint son
équilibre lorsqu’il sécrète au fond de notre âme le vrai silence contenu dans le Verbe éternel37.

Les formes de la prière


Ainsi, née du silence, la prière doit y ramener. C’est pourquoi, à côté
des formes plus élaborées et souvent proches de la méditation que sont les
oraisons écrites, consignées dans des cahiers à l’intention des novices ou
insérées dans des traités ascétiques comme modèles, se développe avec
succès l’oraison brève et sensible qui laisse toute la place à Dieu et au
silence. Qu’elle repose sur des paroles personnelles ou sur la récitation des
psaumes, comme le précise Jean de la Chartreuse de Portes à Hugues, dans
sa lettre sur l’action de grâces38, l’oraison brève utilise les «  élans de
l’intime du cœur39  ». Cette ressource du cœur, qui constitue le fondement
de la théologie mystique, est bien souvent avec le chapelet la seule prière,
en dehors de l’office canonial, des sœurs et des frères convers. C’est que
ceux-ci, occupés à de multiples tâches, sont moins disponibles pour les
longues oraisons que les sœurs et les pères de chœur. Empruntée à la plus
ancienne coutume des Pères du Désert, cette prière du cœur, centrée sur le
nom de Jésus dans le monde byzantin, et sur un mot, un verset des Psaumes
ou des Évangiles dans la tradition occidentale, trouve son modèle dans
L’Échelle sainte de Jean Climaque et se caractérise par son économie de
paroles :
Quand tu pries, ne recherche pas de mots compliqués, car le bégaiement simple et sans variété
des enfants a souvent touché leur Père des Cieux.
Ne cherche pas à beaucoup parler quand tu pries, de peur que ton esprit ne se distraie à
chercher des mots. Un seul mot du publicain apaisa Dieu et un seul cri de foi sauva le
larron40.

Les maîtres des novices la présentent comme idéale pour les débutants,
parce qu’ils ont encore peu de pratique. Des premiers chartreux à Innocent
Le Masson, elle est donc recommandée sous les noms variés d’«  oraison
brève  », d’«  oraison  jaculatoire  », d’«  aspiration  », d’«  élévation  » et
accompagne les différentes activités de la journée, comme le montrent ces
formules transmises par Denys le Chartreux et Innocent Le Masson :
Pendant le reste de la journée jusqu’à Vêpres, sois occupé à quelque utile travail des mains, de
manière cependant à l’entrecouper par de brèves oraisons41.
Pendant la promenade et l’entretien, vous vous souviendrez de Dieu, et vous tirerez occasion
de le bénir, par quelque oraison jaculatoire, de la vue des campagnes et de toutes les belles
variétés de paysages qui paraîtront devant vous42.
Que chacun fasse ce dont il est capable et ce qui est le plus fructueux pour lui, mais qu’il ne
s’arrête pas toujours à la même occupation. À l’exemple de saint Antoine, qu’il vaque tantôt
aux exercices spirituels, tantôt aux activités manuelles. Il n’est pas bon cependant d’oublier le
spirituel pendant les travaux manuels. Il est utile d’avoir une formule à laquelle on peut revenir
pour diriger l’esprit vers Dieu et ramener l’attention au but de notre vocation43.
La vie d’un chartreux bien réglée est presque une oraison continuelle  ; c’est pourquoi nous
n’assignons aux commençants qu’une demi-heure pour l’oraison mentale qu’ils doivent faire
en forme à l’oratoire, jugeant que c’est assez pour eux s’ils ont bien soin d’animer d’esprit
intérieur toutes les actions qu’ils font dans leur solitude44.

Sous ses formes les plus diverses, la prière contribue donc à maintenir
un dialogue avec Dieu, qui s’associe aux actes de la journée et maintient un
climat divin dans la cellule.
Élaborée ou simplifiée, l’oraison reflète la sensibilité de chacun. Elle
s’adresse à Dieu, au Christ, à Marie, aux saints, à la Sainte-Trinité, elle
s’insère dans les heures canoniales, à l’office de la Sainte Vierge – dit office
de Beata – et dans les activités de la cellule. Elle contribue à faire du cœur
un sanctuaire, comme l’écrit Bernard au reclus Raynaud dans son
enseignement sur la vie d’oraison, et un lieu de grâce et d’union, selon le
vocabulaire mystique de Guigues  du  Pont, lequel emprunte ses images au
Cantique des cantiques :
Alors confiant dans le secours de l’Esprit-Saint qui, selon la parole du Seigneur, enseigne aux
saints à prier « en des gémissements ineffables », entre dans le sanctuaire de ton cœur, ferme la
porte aux vanités et aux pensées impures, dont l’ennemi tente de t’envahir, et prie ton Père en
secret. En tout temps, selon tes possibilités et la grâce du Seigneur, mais surtout en ces
moments-là, garde ton cœur avec un soin extrême45.
Alors l’âme aimante est doucement ointe pendant que, par grâce, elle touche dans sa chambre
secrète celui qui a reçu l’onction plus que ses compagnons et qu’elle porte la main sur lui.
C’est là que l’âme aimante prend conscience parfois de la présence du bien-aimé entièrement
désirable jusqu’à un tel embrasement qu’elle goûte par avance à quel point Dieu est un feu
consumant et la source de vie, le feu, la charité et l’onction spirituelle46.

Fondement de la vie cartusienne avec l’office de nuit au chœur et la


messe, la prière occupe l’essentiel du temps en chartreuse, aussi peut-on
comprendre qu’elle constitue un riche trésor dont les traces écrites relèvent
du patrimoine littéraire et spirituel de l’ordre.

Présentation des textes


L’anthologie présentée47 ici ne prétend pas à l’exhaustivité, mais à la
représentativité d’un ensemble diachronique qui couvre la production
textuelle, des origines à l’époque contemporaine. Ces documents, inédits ou
introuvables pour la plupart, ont été classés thématiquement en fonction de
leur place dans la vie cartusienne et de leurs destinataires. Huit chapitres
rythment l’ouvrage  : la liturgie des heures, les oraisons psalmiques et
scripturaires, la prière liée aux rites et aux sacrements, l’oraison quotidienne
–  à laquelle nous avons donné le nom d’oraison du cœur à cause de son
caractère intime et personnel – et enfin les quatre invocations traditionnelles
des Églises chrétiennes, l’invocation à Dieu, au Christ, à Marie et aux
saints. À l’intérieur de ces parties, le classement retenu est chronologique.
Certains thèmes théologiques et spirituels comme l’humanité du Christ
et la protection de Marie ont favorisé une abondante production, parfois très
ornée, et que nous avons tenté de refléter ici. Certains chartreux
particulièrement prolixes, comme Ludolphe le Chartreux au XIVe  siècle,
Denys le Chartreux au XVe, Jean-Juste Lansperge au XVIe, Innocent Le
Masson au XVIIe, Gabriel-Marie Fulconis au XIXe, François de Sales Pollien
et Augustin Guillerand au XXe  siècle, ont laissé de nombreuses prières
remarquables dont ce livre offre un choix représentatif.
L’ensemble ainsi constitué devrait pouvoir faire largement entendre
ces voix du passé et du présent de la prière contemplative, à laquelle le
lecteur ordinaire a rarement l’occasion d’accéder.
 
 
Que ce trésor de paroles austères, fleuries, abondantes ou lapidaires,
mais toujours émouvantes, ne fasse pas perdre de vue l’esprit de simplicité
et de silence qui les a façonnées et que Jean-Baptiste Porion résumait ainsi,
avec le sens de la formule percutante qui caractérise sa pensée : « Ce qui est
juste est simple, ce qui est faux est compliqué. La simplicité est le signe de
Dieu48. »
1.
Sur l’érémitisme camaldule, voir Cécile Caby, De l’érémitisme rural au monachisme urbain.
Les camaldules en Italie à la fin du Moyen Âge , Rome, École française de Rome, 1999. Voir
également, sur la spiritualité camaldule aujourd’hui, Un ermite camaldule, Éloge de
l’enfouissement , Paris, Parole et Silence, 2002. Sur la place de l’érémitisme cartusien à son
époque, voir Daniel Le Blévec, « Un érémitisme tempéré », « La voie cartusienne » (dossier
dirigé par Nathalie Nabert), Carmel , n° 107, mars 2003, p. 11-19 et sur l’histoire de la Grande
Chartreuse, voir Un chartreux (Cyprien-Marie Boutrais), La Grande Chartreuse par un
chartreux , Correrie de la Grande Chartreuse, 1991, et Pierrette Paravy (dir.), La Grande
Chartreuse au-delà du silence , Grenoble, Glénat, 2002.
2.
Lettres des premiers chartreux , t. I, Paris, Cerf, « Sources chrétiennes », 1988, p. 77.
3.
Guigues Ier, Coutumes de chartreuse , Paris, Cerf, « Sources chrétiennes », 1984.
4.
Sur l’origine de l’ordre et sur les premiers chartreux, voir André Ravier, Saint Bruno le
chartreux , Paris, P.  Lethielleux, 1981, rééd., 2003  ; et Le Premier Ermitage de chartreuse.
Juin 1084-30 janvier 1132 , Correrie de la Grande Chartreuse, 2001. Voir également la somme
réalisée par Maurice Laporte, Aux sources de la vie cartusienne , Grande Chartreuse, 1960-
1970, 7 vol.
5.
Statuta ordinis cartusiensis, 1991 , éd. J.  Hogg, Salzbourg, Institut für Anglistik und
Amerikanistik, Universität Salzburg, «  Analecta cartusiana  » (désormais simplement
« Analecta cartusiana »), n° 99, t. XII, 1992, chap. III, « Les moines de cloître », p. 25.
6.
C’est le cas de dom Augustin Guillerand, entré à la chartreuse de la Valsainte en 1916, et
auteur de nombreux textes spirituels, dont Silence cartusien , qu’il fut autorisé à signer de son
nom.
7.
Onze pays accueillent des monastères cartusiens : la France, l’Allemagne, le Brésil, la Corée
du Sud, l’Espagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Portugal, la Suisse, et l’ex-
Yougoslavie.
8.
Guigues  Ier (profès de la Grande Chartreuse), Les Méditations , Paris, Cerf, «  Sources
chrétiennes », 1983, méditation 288, p. 195.
9.
État de torpeur propre à la vie monastique.
10.
Pierre Cousturier dit Sutor (profès de la chartreuse de Paris), De vita cartusiana , II, Paris
1522, trad. par un chartreux, in Petite Anthologie d’auteurs cartusiens. XIIe-XVIe  siècle ,
Grande Chartreuse, 1987, fol. XXIII, 1, livre 1, Tractatus , 2, chap. VII ; fol. XXV, 1, p. 368-
369 ; fol. XXXIII, 1, p. 370.
11.
Voir sur ce thème du silence, N.  Nabert, Les Larmes, la Nourriture, le Silence. Essai de
spiritualité cartusienne, sources et continuité , Paris, Beauchesne, 2001.
12.
Guigues Ier, Coutumes de chartreuse , op. cit ., chap. XXVIII, p. 223.
13.
Statuta ordinis cartusiensis, 1991 , op. cit. , t. XII, p. 31.
14.
Le mot cellule renvoie à l’ermitage de l’architecture cartusienne constitué de quatre pièces :
l’antichambre, appelée Ave Maria parce que le moine y récite cette prière avant de pénétrer
dans le cubiculum , pièce où il prie, fait sa lectio divina , prend ses repas et se repose, le
bûcher et l’atelier où il accomplit un travail manuel. Un jardinet complète l’architecture de
l’ermitage.
15.
Propos du R. P. M. Theeuwes, La Croix , 29-30 septembre 2001, p. 4-7.
16.
Guigues  II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative. Douze méditations , Paris, Cerf,
« Sources chrétiennes », 2001, chap. II, « Les quatre degrés de l’échelle spirituelle », p. 80, 82.
Sur l’influence de Guigues II en chartreuse et sur la place des exercices spirituels en cellule,
voir « La prière dans l’ordre des chartreux » (dossier dirigé par N. Nabert), Transversalités ,
n° 87, juillet-septembre 2003.
17.
Guigues II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative , op. cit. , chap. VI, « Fonction de la
prière  », p.  95. Sur la tradition de la prière en chartreuse et le témoignage des premiers
chartreux, voir N.  Nabert, Chr.  Trottmann et al. , «  La prière dans l’ordre des chartreux  »,
Transversalités , n° 87, juillet-septembre 2003, p. 125-211.
18.
Gn 28,12 : « Voilà qu’une échelle était plantée en terre et que son sommet atteignait le Ciel et
les anges de Dieu y montaient et descendaient ! »
19.
Denys l’Aréopagite, Théologie mystique , Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite ,
éd. M. de Gandillac, Paris, Aubier-Montaigne, 1948.
20.
Hugues de Balma, Théologie mystique , Paris, Cerf, «  Sources chrétiennes  », 1996, t.  II,
p. 159, 161.
21.
. Guigues du  Pont, Traité sur la contemplation , «  Analecta cartusiana  », n°  72, 1985, t.  II,
p. 391.
22.
Guigues II, Lettre sur la vie contemplative , op. cit. , p. 85 et 87.
23.
Guigues du Pont, Traité sur la contemplation , op. cit. , t. I, p. 219 et 221.
24.
Voir la lettre de Bernard de Portes sur l’éloignement du monde : « Selon votre demande, nous
prions chaque jour le Seigneur pour vous  », in Lettres des premiers chartreux , t.  II, Les
Moines de Portes. Bernard, Jean, Étienne , Paris, Cerf, « Sources chrétiennes », 1999, p. 101.
25.
Augustin Guillerand, Face à Dieu , Rome, Benedettine di Priscilla, 1957, p. 31.
26.
« Pareillement l’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander
pour prier comme il faut  ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements
ineffables et celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession
pour les saints correspond aux vues de Dieu. » (Rm 8,26-27.)
27.
Guigues  du  Pont, Traité sur la contemplation , op.  cit. , t.  I, p.  115. La citation de saint
Grégoire est empruntée aux Dialogues , 1.3, c. 34, PL, 77, col. 300c.
28.
« Lettre de Jean à Latold : de la manière de prier », in Lettres des premiers chartreux , t.  II,
op. cit ., p. 151.
29.
Un chartreux (Augustin Guillerand), Liturgie d’âme , Rome, Benedettine di Priscilla,
catacombe di Priscilla, 1959, p. 42.
30.
Lettres des premiers chartreux , t. II, op. cit. , p. 157-163.
31.
Denys le Chartreux, De oratione , trad. fr. J. Morice, Chronique de l’extase , Paris, Parole et
Silence, p. 123-124.
32.
Hugues de Balma, Théologie mystique , op. cit. , t. II, p. 103 et 105.
33.
Guigues II, Lettre sur la vie contemplative , op. cit. , p. 133.
34.
Jean Climaque, L’Échelle sainte , éd. P.  Deseille, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de
Bellefontaine, «  Spiritualité orientale et vie monastique  », «  Vingt-huitième degré  : de la
prière », p. 294 : « Si nous ne sommes pas seuls au temps de la prière, formons au-dedans de
nous l’attitude de la supplication. Mais si personne n’est avec nous qui puisse nous adresser
des louanges, prenons même extérieurement l’attitude du suppliant. Car en ceux qui sont
imparfaits, l’intellect se conforme souvent au corps. »
35.
Guigues du Pont, Traité sur la contemplation , op. cit. , t. I, p. 199.
36.
Jean-Baptiste Porion, Écoles de silence , Paris, Parole et Silence, 2001, p. 104.
37.
André Poisson, «  L’oraison, mystère de silence  », 1973, document provenant de la Grande
Chartreuse.
38.
Lettres des premiers chartreux , t. II, op. cit. , p. 187.
39.
Ibid.
40.
Jean Climaque, L’Échelle sainte , op. cit. , « Vingt-huitième degré », n° 9 et 10.
41.
Bernard au reclus Raynaud, in Lettres des premiers chartreux , t. II, op. cit. , p. 55.
42.
Innocent Le Masson, Directoire des novices chartreux , Avignon, Aubanel frères, 1867,
p. 130.
43.
Denys le Chartreux, Vie et but des solitaires , Opera omnia , Tournai, t.  XXXVIII, 1907,
p. 265, trad. Ph. Dahl, in Petite Anthologie d’auteurs cartusiens , op. cit ., p. 293.
44.
Innocent Le Masson, Directoire des novices chartreux , op. cit. , p. 80.
45.
Lettres des premiers chartreux , t. II, op. cit. , p. 65.
46.
Guigues du Pont, Traité sur la contemplation , op. cit. , t. I, p. 141.
47.
Voir également N.  Nabert, Cent prières de chartreux , Paris, Salvator, 2006. Les textes
présentés dans cette première anthologie sont tous différents de ceux que l’on pourra lire ici.
48.
Jean-Baptiste Porion, Amour et silence , Paris, Seuil, 1951, p. 133.
1

La liturgie des heures

Les heures canoniales règlent la vie monastique et les offices célébrés


au cours de la journée. Elles suivent les couleurs du temps liturgique qui
leur donne leur densité théologique : Avent, Noël, Carême, Pâques, temps
ordinaire. Chantées au chœur dans la plupart des ordres monastiques, ces
heures sont psalmodiées en cellule, à l’oratoire, par les chartreux à
l’exception des Vêpres et des Matines, suivies immédiatement des Laudes
chantés au chœur, respectivement vers 16  h  30 et minuit. La vie solitaire
implique naturellement de rester dans sa cellule. Il faut donc insérer des
activités humaines dans le temps divin de la liturgie canoniale qui structure
la journée, associée à la récitation de l’office de la Vierge, l’office de Beata,
propre à la cellule : Prime à 7 h, Tierce à 10 h, Sexte à 12 h, None à 14 h,
Vêpres à 16 h, Complies à 18 h 45, Matines et Laudes de 23 h 30 à 2 h 30
ou 3 h 30.
L’office choral, comme celui de la cellule, suit la sobriété de la
mélodie grégorienne à laquelle les chartreux sont fidèles depuis l’origine de
l’ordre1. Ils y retrouvent le goût du recueillement et le respect absolu de la
tradition qui empêche tout ajout ou tout retrait intempestif. Dans l’étude
qu’il consacre aux origines du missel des chartreux, Augustin Devaux
dégage trois principes qui ont présidé à la formation de l’antiphonaire
cartusien : un principe de concentration sur l’Écriture sainte qui exclut tout
autre texte, un principe de simplicité qui consiste à réduire de façon
considérable le répertoire et, enfin, un principe de conservation qui interdit
toute création de pièce, exigeant d’emprunter les sources à la matière
liturgique préexistante2. Au XVe  siècle, fort de cette pratique, Denys le
Chartreux rappelle dans son De oratione la nécessité de faire œuvre de
charité en respectant les coutumes édictées par les pères du passé, tant pour
les heures chantées au chœur que pour celles psalmodiées en cellule et que
pour les oraisons :
Il y a des oraisons et des prières de louange de Dieu établies par l’Église ou par les saints pères
auxquelles certains sont tenus par leur loi […]. Certaines sont brèves ou assez brèves, ainsi de
toutes les autres heures ; nous ne pouvons ni changer, ni abréger, ni prolonger ces oraisons car
cela ne dépend pas de notre autorité puisqu’il faut s’en acquitter en leur totalité. […] En outre,
pour pouvoir nous acquitter des oraisons, des louanges et des heures auxquelles nous sommes
tenus avec une attention ferme et fervente, efforçons-nous de progresser en charité vraie3.

Rigueur, concentration et simplicité contribuent donc à faire de la


célébration des heures une occasion de recueillement avec le Christ en
cellule et au chœur, où la solitude de chacun doit être respectée, comme le
rappellent les Statuts contemporains :
À l’église, par respect envers la divine Majesté, nous devons nous abstenir de tout bruit ; nous
nous tenons dignement et gardons les mains en dehors de la cuculle4. Nous observons toujours
et partout la modestie des yeux, mais plus qu’ailleurs à l’église et au réfectoire5.

Dans l’intimité de la cellule, cette organisation particulière du temps


humain donne naissance, parallèlement aux prières imposées par la liturgie
canoniale, à une libre improvisation en relation avec le calendrier liturgique
– Avent, Nativité, Carême, temps pascal et temps ordinaire – qui reflète les
péricopes de la vie du Christ ou, plus simplement, avec les différents
moments de la journée, et notamment les sorties de cellule pour se rendre à
l’église.
Les prières ainsi composées ramènent donc au silence intérieur et à la
paix lors des activités temporelles entièrement ordonnées à Dieu. Les
directoires de novices insistent beaucoup sur cet aspect de la liturgie des
heures en cellule, particulièrement en ce qui concerne les frères convers
soumis à la distraction et à la dispersion par la nature matérielle de leurs
activités, comme le redisent les textes législatifs :
Nous ne prétendons pas toutefois qu’ils [les frères] s’occupent tellement à ces exercices
extérieurs [le travail matériel] qu’ils négligent de s’acquitter des spirituels dans le temps qu’ils
doivent y employer  ; c’est pourquoi il faut qu’ils se lèvent tous les jours pour assister aux
Matines6.
La grâce de Pâques7

L’agneau grillé devant la flamme était seul servi sur la table avec des
pains azymes et des laitues amères. S’il est dit dans l’Évangile que Jésus
s’assit, il ne faut l’entendre que de la fin du repas où la manducation de
l’agneau était achevée.
L’agneau grillé devant la flamme, votre piété ne l’ignore pas, c’est la
victime du salut qu’ont dévorée les ardeurs de sa charité. Mais aux ardeurs
de la charité divine nous devons joindre celles de notre amour, et c’est ce
que signifie Moïse en disant  : Vous ne mangerez rien qui soit cru ou cuit
dans une eau insipide : tout doit passer par le feu. Les pains azymes nous
rappellent quelle doit être à ce divin repas la simplicité de notre foi. Les
laitues amères représentent l’amère condition de nos péchés. Amour, foi et
pénitence, telles sont les trois principales dispositions à la digne réception
de l’Eucharistie. Il en est d’autres encore  : on doit la manger debout  ; car
nous devons être détachés des choses terrestres et dans une continuelle
aspiration vers une autre patrie qui est la véritable et l’éternelle. Les bâtons
à la main signifient la résistance et le combat contre les tentations qui
assiègent l’homme ici-bas. La ceinture autour des reins, c’est la pureté de la
pensée  ; les sandales préservent nos pieds des souillures que nous
contracterions en marchant sur cette terre de fange et de boue. Ô mes
frères ! Quand nous serons ainsi préparés par le feu de l’amour, les larmes
de la pénitence, la pureté de la foi, le détachement, la prière, la pratique des
œuvres, hâtons-nous de manger le sacrifice de la Pâque  ! Que le sang de
l’agneau lave nos fronts, qu’il y imprime la marque du salut ! Nous serons
par là délivrés, en ce monde, du péché, et en l’autre de la peine, suivant ce
qu’a promis le Seigneur. Ceux sur qui je verrai le sang de l’agneau, je les
délivrerai de toutes les plaies de l’Égypte.
Ludolphe le Chartreux (1295-1377)

Élévation sur le Christ à Complies8


Septième évocation à l’heure de Complies. Comment notre
Rédempteur fut enseveli, et du douloureux gémissement de la Sainte Vierge
et de son retour chez elle au mont Syon avec une très grande amertume.
Juan de Padilla (1468-1520)

Prière à la plaie du Sacré-Cœur,


qu’on peut réciter
vers 3 heures (None)9

Je vous suis infiniment redevable, ô Jésus mon Sauveur, d’avoir voulu


que votre Côté fût ouvert avec une lance pour nous faire voir, jusque dans le
fond de votre Cœur, l’amour que vous avez pour nous, et d’avoir permis
que votre saint Corps, étant descendu de la Croix, fût aussitôt remis entre
les bras de votre Bienheureuse Mère qui le reçut toute baignée de larmes et
ayant le Cœur tout brisé et percé d’une très violente douleur. Je vous
supplie, Seigneur, de me percer le cœur d’une véritable plaie d’amour, de
laver mon âme de toutes ses taches avec l’eau qui sortit de votre Côté et de
guérir ses infirmités par le remède de votre Sang. Faites-moi la grâce de
participer aux douleurs que votre très sainte Mère a souffertes durant votre
Passion et à votre Mort ; et faites qu’étant un de ses plus fidèles et dévoués
serviteurs, elle daigne me recevoir sous sa protection et me secourir dans
mes peines et mes besoins, particulièrement à l’heure de ma mort.
Antoine Molina († 1612)

Complies, récollection
avant de se coucher10
«  La direction des religieux du Cloître porte que la demi-heure qui précède
Complies doit être précieusement employée à la récollection, qui se partage en
deux, la moitié pour faire une revue de ses bons propos de l’oraison du matin
avec l’examen de la conscience, et l’autre moitié pour faire la lecture spirituelle ;
c’est à quoi il faut que les frères se conforment autant qu’il leur est possible11. »

Ômon Père céleste  ! Je commence par vous confesser que je ne suis


capable que d’abuser de vos grâces, et de dissiper les biens que vous
m’avez donnés.
Si vous voulez contester contre moi, je n’aurai pas une bonne réponse
à donner sur milles choses que vous m’imputerez avec justice, et si vous
observiez toutes les iniquités, Seigneur, qui pourrait vous soutenir ?
Je viens donc me mettre à vos pieds pour vous avouer mes négligences
et mes ingratitudes, pour me reconnaître indigne de vos bienfaits, et pour
vous prier de me faire connaître mes fautes et de me les pardonner.
Mais qu’ai-je fait, Seigneur, dans ce jour, pour fuir le mal et pour faire
le bien que je me suis engagé à faire dans votre Maison, où je dois rendre
mes services ?
Éclairez mes ténèbres, afin que je le connaisse.
Faites-moi, s’il vous plaît, une bonne correction intérieure de mes
fautes, et fortifiez ma volonté, afin qu’elle vous soit dorénavant plus fidèle.
Statuts (XIXe siècle)

Offrande de la veille pour les frères


convers qui ne vont pas à Matines12

Cette prière se fait avant de se coucher. Elle consiste à offrir à Dieu les actes
de la journée afin de se remettre en mémoire ce qui doit animer chacun d’entre
eux et de porter universellement le monde dans cette offrande au cœur de la nuit.

Mon Dieu, je vous demande très humblement pardon de toutes les


fautes et négligences que j’ai pu commettre pendant l’office divin, et je
vous offre cette veille en union avec celles de notre adorable Sauveur, de la
Très Sainte Vierge et de tous les saints.
Je vous l’offre en souveraine adoration de votre Majesté infinie, et en
union avec les hommages que vous rend l’humanité sacrée de Notre
Seigneur Jésus-Christ ; en action de grâces des prérogatives et de la gloire
que vous avez accordées à l’Humanité sainte de Notre Seigneur, à la Très
Sainte Vierge, à tous les anges et à tous les saints, en particulier à mon saint
Ange Gardien et à mes saints Patrons  ; comme aussi en remerciement de
tous les bienfaits que j’ai reçus de votre miséricorde et que vous avez
répandus sur toutes vos créatures.
Je vous l’offre pour l’expiation de mes péchés et de tous les péchés du
monde, particulièrement de tous les crimes qui se sont commis pendant
cette veille, et pour la délivrance ou le soulagement des âmes du Purgatoire.
Pour obtenir de votre bonté toutes les grâces qui me sont nécessaires
dans ma vocation, pour les besoins de l’Église, pour la conversion des
pécheurs, pour la consolation des malades, des pauvres et des affligés, pour
le salut des agonisants  ; pour mes supérieurs, mes parents, bienfaiteurs et
amis et pour tous ceux qui se sont recommandés à mes prières.
Ô vous tous, saints et saintes de la cour céleste, suppléez par la
perfection de vos louanges aux défauts des miennes, et obtenez-moi de la
bonté de Dieu la grâce de la persévérance finale, afin que je sois un jour
associé à votre bonheur. Ainsi soit-il.
Ordinaire des frères (XIXe siècle)

Après Matines et Vêpres,


prière de retour dans la cellule13

Entrez, Seigneur, avec moi dans la demeure de ma solitude, et faites-


moi la grâce d’y apprendre à vos pieds, avec votre Sainte Amante
Magdeleine, à bien vaquer à mon unique nécessaire.
Faites-y moi demeurer seul à seul avec vous sans y laisser rien entrer
avec volonté, qui puisse attacher mes affections et me retirer de vous.
Gravez enfin sur les tables de mon cœur votre Loi et votre amour,
comme vous avez gravé de votre doigt le Décalogue sur les tables de pierre
de Moïse, lorsqu’il était seul à seul avec vous.
Statuts (XIXe siècle)

1.
Voir à propos du chant grégorien en chartreuse  : «  L’office choral et le chant aux premiers
temps de la Chartreuse, Un commentaire du prologue de Guigues à l’antiphonaire », in Cantus
planus , Actes du colloque de Eger (Hongrie), 1993, Budapest, 1995, p. 292.
2.
Ces principes ont été posés par le Dr  H.-J.  Becker dans sa thèse, «  Die Responsorien des
Kartäuserbreviers   »  ; voir A.  Devaux, Les Origines du missel des chartreux , «  Analecta
cartusiana », n° 99, 1995, p. 3.
3.
Denys le Chartreux, De oratione , Opera omnia , op. cit ., t. XLI, 1902-1913, chap. XVIII.
4.
La coule que va enfiler le novice au moment de sa profession.
5.
Statuta ordinis cartusiensis, 1991 , op. cit. , t. XIII, p. 413.
6.
Statuts de l’ordre des chartreux , nouveau recueil, Avignon, Aubanel imprimeurs, 1866, p. 28.
7.
Ludolphe le Chartreux, Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ , Paris, Ernest Thorin, 1870, t. II,
chap. II, « Célébration de la Pâques légale », p. 261-26
8.
Juan de Padilla, Retablo de la vida de Cristo , Séville, Kromberger, 1505, tableau  III,
lamentation 7, trad. S. Cantera Montenegro.
9.
Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 287-288.
10.
Statuts de l’ordre des chartreux , op. cit ., IIIe partie, p. 163-164.
11.
Ibid. , p. 162.
12.
Ordinaire des frères de la Grande Chartreuse , Montreuil-sur-Mer, 1888, chap. II, « Exercices
de la nuit », p. 78-79.
13.
Statuts de l’ordre des chartreux , op. cit. , p. 161
2

Prières, rites et sacrements

Les rites de la vie cartusienne, le passage de la postulation au noviciat,


du noviciat à la profession temporaire, puis solennelle après sept à neuf ans
de formation, sont autant d’étapes fondamentales dans la vie des chartreux,
tout comme la consécration virginale pour les moniales. Chacune
s’accompagne de prières propres au rituel cartusien et d’oraisons
personnelles. Parmi celles-ci, l’oraison sur la cuculle a une place à part car
elle représente symboliquement la totalité de l’être, le corps et la vie
engagés dans un chemin de purification. Ainsi, passer cette partie du
vêtement monastique revient à revêtir le Christ sur les traces duquel
s’engage le moine ou la moniale. À cette prière répond celle de toute la
communauté qui accueille le novice au milieu des siens car « à dater de cet
instant, celui qui a été reçu se considère comme étranger à tout ce qui est du
monde1 ».
Il en est de même pour l’accompagnement des mourants autour
desquels toute la communauté se réunit en prière, comme l’indiquent les
Statuts : « Si [le moine] tarde à mourir, après avoir récité les prières pour les
agonisants la communauté se retire, et ceux que le président désigne pour
rester auprès de lui lisent les Passions, ou d’autres dévotes oraisons pour le
temps de la mort2. »
Quant aux prières liées aux sacrements de la confession, qui purifie
l’âme et le corps, et à l’Eucharistie, qui unit au Christ, elles se caractérisent
par leur performativité3. Ainsi les mots de l’offertoire, en baignant la
liturgie eucharistique de la méditation sur les plaies du Christ, rendent-ils le
sacrifice divin d’autant plus présent qu’il est ramené à la mémoire par la
force évocatrice de l’anamnèse : « Du côté de Notre Seigneur Jésus-Christ
jaillit du sang et de l’eau pour la rédemption du monde4. »
Les prières rapportées ici sont issues des rituels et de la libre
improvisation des moines.

Oraison sur la cuculle, le jour


de la profession du novice5

Seigneur Jésus-Christ qui a daigné revêtir le vêtement de notre chair


mortelle, nous supplions l’immense abondance de ta générosité, daigne
bénir cet habit que les saints pères renonçant au siècle ont décidé de porter
en signe d’innocence et d’humilité, afin que ton serviteur ici présent qui
s’en servira mérite de se revêtir de toi, qui vis et règne avec Dieu le Père.
Guigues Ier le Chartreux (1083-1136)

Oraison sur le novice,


le jour de sa profession

Seigneur Jésus-Christ qui es la voie sans laquelle nul ne vient au Père,


nous demandons à ta clémence si bienfaisante de conduire dans le chemin
de la discipline régulière ton serviteur que voici, détaché des désirs de la
chair. Et puisque tu as daigné appeler les pécheurs en disant  : «  Venez à
moi, vous tous qui portez un fardeau, et je vous réconforterai  », fais que
cette parole d’invitation de ta part devienne en lui si puissante qu’il dépose
le poids de ses péchés, goûte combien tu es bon et mérite de se nourrir de
toi-même ; et comme tu as daigné l’attester au sujet de tes brebis, compte-le
parmi celles-ci, afin que lui-même te connaisse en sorte de ne pas suivre un
étranger, de ne pas entendre la voix d’autres pasteurs, mais la tienne qui a
dit : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive », toi qui vis et règnes.
Guigues Ier le Chartreux (1083-1136)

Rituel cartusien
de consécration des vierges6

Renouvellement du vœu de virginité par


les futures consacrées, dans les mains de l’évêque

Recevez, Père, ma décision irrévocable de vivre dans la virginité en


suivant le Christ.
Avec la grâce du Seigneur, j’en fais profession devant vous et devant le
peuple de Dieu.

Prière solennelle de la consécration des vierges


prononcée par l’évêque après le renouvellement
des vœux par les moniales

Seigneur notre Dieu, toi qui veux demeurer en l’homme,


tu habites ceux qui te sont consacrés, tu aimes les cœurs libres et purs.
Par Jésus-Christ, ton Fils, lui par qui tout a été fait,
tu renouvelles en tes enfants ton image déformée par le péché.
Tu veux non seulement les rendre à leur innocence première,
mais encore les conduire jusqu’à l’expérience des biens du monde à
venir ;
et dès maintenant, tu les appelles à se tenir en ta présence
comme les anges devant ta face.
Regarde, Seigneur, nos sœurs N. et N. :
en réponse à ton appel, elles se donnent tout entières à toi ;
elles ont remis entre tes mains
leur décision de garder la virginité
et de se consacrer à toi pour toujours.
Comment un être de chair pourrait-il, en effet,
maîtriser les appels de la nature,
renoncer librement au mariage
et s’affranchir des contraintes
de toutes sortes, si tu n’allumes ce désir, Seigneur,
si tu n’alimentes cette flamme
et si ta puissance ne l’entretient ?
Sur tous les peuples, tu répands ta grâce ;
et de toutes les nations du monde
tu te donnes des fils et des filles,
plus nombreux que les étoiles dans le Ciel,
héritiers de la nouvelle Alliance, enfants nés de l’Esprit,
et non pas de la chair et du sang.
Et parmi tous les dons ainsi répandus,
il y a la grâce de la virginité :
tu la réserves à qui tu veux.
C’est en effet ton Esprit-Saint
qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes
conscients de la grandeur
et de la sainteté du mariage et capables, pourtant,
de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant
à la réalité qu’il préfigure :
l’union du Christ et de l’Église.
Heureux ceux qui consacrent leur vie au Christ
et le reconnaissent comme source
et raison d’être de la virginité.
Ils ont choisi d’aimer celui qui est l’époux de l’Église
et le Fils de la Vierge Mère !

Chant de l’antienne par les moniales après


la consécration et la remise des insignes :
le voile, l’anneau, l’étole et le livre de prière

Je suis donnée en épouse à celui que servent les anges, à celui dont la
beauté émerveille le soleil et la lune.
Qu’ai-je donc dans le Ciel et quelle est, sinon toi, ma joie sur la terre ?
Ma chair et mon cœur sont usés : ma part, le roc de mon cœur, c’est Dieu
pour toujours.

Méditation X sur la communion7

« Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle. »
Apprenez-nous, bon Maître, vous qui seul enseignez à l’homme le savoir,
apprenez-nous comment nous devons manger votre chair et boire votre
sang. Nous savons en effet, Seigneur, que vos paroles sont esprit et vie  ;
mais l’homme charnel ne perçoit pas ce qui est de l’esprit de Dieu. Car ceux
qui voulurent comprendre cette parole par eux-mêmes en discutaient entre
eux ; aussi n’ont-ils pu goûter le miel du rocher ; mais certains même de vos
disciples blessèrent leur superbe contre ce roc et retournèrent en arrière,
disant  : «  Cette parole est dure.  » Cependant vous, Seigneur, vous avez
frappé la pierre, et l’eau jaillit en abondance, la communauté en but ainsi
que le bétail. Mais le peuple buvait au rocher spirituel qui l’accompagnait,
tandis que les animaux ne peuvent boire des eaux spirituelles, parce qu’ils
sont animaux.
Vous avez abaissé les Cieux, Seigneur, et vous êtes descendu
jusqu’aux modes très humbles de notre langage, puis de nouveau vous avez
fait des nuées le char de votre ascension, nous transportant par votre chair
jusqu’à l’esprit. Autrement, la chair ne sert de rien à ceux qui demeurent
seulement dans la chair  ; mais elle profite à ceux qui par elle progressent
jusqu’à l’esprit.
Certes, nous n’ignorons pas, Seigneur, que votre chair est mangée, que
votre sang est bu corporellement en toute vérité, mais comment votre chair
et votre sang sont-ils mangés et bus spirituellement, puisqu’un esprit ne
mange ni ne boit  ? Nous vous en supplions, enseignez-le nous par votre
Esprit.
Guigues II Le Chartreux († 1193)
Oraison dominicale8

Après avoir appelé de nos désirs et de nos prières les grâces célestes
qui ont à la fois, s’il est permis de le dire, Dieu et l’homme pour moyen et
pour objet, nous demandons les grâces du temps qui nous sont nécessaires
pour mériter les biens éternels.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour !
Donnez-nous le pain, c’est-à-dire ce qui est indispensable au soutien
de la vie du corps. Donnez avec le nôtre celui de nos frères  : panem
nostrum. Donnez aux pauvres par le moyen des riches, et faites que le riche,
distribuant aux pauvres son superflu, ne dévore pas le pain de ses frères, ne
mange pas un pain que vous ne lui aviez pas destiné. Enfin, ô mon Dieu !
Donnez-nous ce pain même que notre prévoyance a préparé, afin que,
passant par vos mains, il nous revienne purifié, et que, de pain terrestre
qu’il était, il se change en un pain céleste, utile au salut.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour !
Le chrétien ne demande pas le pain de l’année, il ne demande que le
pain du jour, de telle sorte qu’à chaque moment, il regarde sa nourriture
comme un don immédiat du Seigneur. Ô sagesse éternelle, ô divine
Providence  ! Vous l’avez ainsi voulu  ! Nous ne vous demandons que du
pain, et pour un seul jour et pour tous nos frères  ! Comment vos cœurs
donneraient-ils place à l’avarice, à l’envie, et comment la douce charité, la
confiance filiale n’y germeraient-elles pas ?
Nourriture journalière dans la méditation  ! Donnez-nous de les
pratiquer, puisque c’est là l’aliment que nous devons chercher d’après la
parole de Jésus-Christ : Cherchez la nourriture qui ne périt pas ! Nourriture
de chaque jour, nourriture éternelle cependant, puisque par elle nous
arriverons à la vie bienheureuse.
Donnez ce pain à la fois spirituel et sensible, le pain eucharistique, le
pain qui surpasse toute substance  : Panem nostrum supersubstantialem.
C’est notre pain cependant, c’est notre pain quotidien. Tous les jours il est
offert pour nous sur l’autel, nous en avons besoin tous les jours, vous nous
invitez à le recevoir tous les jours.
Nourrissez-nous du pain de la doctrine et de l’intelligence, suivant ce
qu’il est dit  : Cibauit illum pane vitae intellectus (Ec  15,3). Ne nous
épargnez pas, s’il le faut, le pain des larmes. Cibabis nos pane lacrymarum
(Ps  79,6), pourvu qu’un jour vous nous donniez celui dont il est dit  :
Bienheureux celui qui le mange dans le royaume de Dieu, Beatus
quimanducat panem in regno Dei. Ce pain, ô Seigneur ! c’est votre volonté
sur la terre, et dans le Ciel votre gloire dont nous serons rassasiés alors
qu’elle nous sera communiquée ; c’est cette gloire après laquelle soupirait
le psalmiste, disant : je ne serai rassasié que par la gloire de Dieu.
Ludolphe le Chartreux (1295-1377)

Confiteor9

Sauveur et Rédempteur plein de bonté, je jette toutes mes misères et


mes fautes dans votre Cœur très aimant et très compatissant : ô mon Dieu,
ayez pitié de moi, misérable pécheur, ô Seigneur mon Dieu, si seulement, je
ne vous avais jamais offensé  ! Pardonnez-moi dans votre infinie
miséricorde, pardonnez-moi, et mettez dans mon âme une contrition très
grande, très profonde, qui me fasse regretter et pleurer amèrement toutes
mes offenses. Changez-moi, convertissez-moi ; qu’à l’avenir je m’abstienne
de tout péché par amour pour Vous. Seigneur Jésus, enlevez-moi mon cœur
pervers, insensible, ingrat, infidèle, et donnez-m’en un nouveau, semblable
au vôtre, humble, fidèle, pur, charitable, qui ne s’attache qu’à vous seul,
vous aime, et se transforme en vous. Ainsi soit-il.
Innocent Le Masson (1628-1703)
Le Directoire des mourants10

Aspirations dévotes ou oraisons


jaculatoires d’union avec Jésus-Christ
et sa très sainte Mère au moment de mourir

Mon Seigneur et mon roi, en quelque lieu que vous soyez, soit à la vie
soit à la mort, votre serviteur ne vous abandonnera pas. Soit que nous
vivions, soit que nous mourions, nous vivons et nous mourons pour le
Seigneur, par conséquent, soit à notre vie, soit à notre mort nous lui
appartenons.
Que mon âme meure de la mort des justes, mais principalement de
celle de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère, et que ma dernière fin soit
semblable à la leur.

Aspirations dévotes ou oraisons jaculatoires


pour demander du secours dans les peines,
les tentations et les souffrances

Je vous adresserai mes cris dans la violence de mon mal.


Élevez-vous, Seigneur, prévenez-le et faites-le tomber, tirez mon âme
d’entre les mains de l’impie.
Élevez-vous, Seigneur, aidez-nous et délivrez-nous.
Je me suis appuyé sur vous dès le ventre de ma mère, et c’est dès ce
temps-là que vous êtes mon protecteur.
C’est à vous que j’adresse mes louanges, je suis devant vous comme
un prodige à beaucoup de personnes, et vous êtes mon puissant secours.
Ne m’abandonnez pas, parce que mon affliction est proche, et qu’il n’y
a personne qui m’assiste.
Ayez, Seigneur, la bonté de me délivrer de mes maux, Seigneur,
regardez-moi pour venir à mon secours.
Je vous ai adressé mes cris du plus profond de l’abîme, Seigneur,
exaucez mes prières.
Nos Pères ont mis en vous leur confiance, ils ont espéré et vous les
avez délivrés, ils ont crié à vous et vous les avez sauvés, ils ont espéré en
vous, et ils n’ont point connu de confusion.

Aspirations dévotes ou oraisons jaculatoires


pour demander la miséricorde de Dieu,
quand vient la mort

Détournez vos yeux de dessus mes péchés, Seigneur, n’entrez point en


jugement avec votre serviteur. Si vous prenez garde à nos iniquités,
Seigneur, qui pourra soutenir votre présence ?
Traitez votre serviteur selon votre miséricorde. Ô mon Dieu, soyez-
moi favorable, à moi, dis-je, qui suis pécheur.
Ô Père des miséricordes, ne vous souvenez pas de nos anciens péchés.
Ô rédempteur de mon âme, que vos miséricordes se hâtent de nous prévenir,
parce que notre pauvreté est excessive.
Ô mon Sauveur, aidez-nous et délivrez-nous pour la gloire de votre
nom et pardonnez-nous nos péchés à cause de ce même nom.
Ô très doux Jésus-Christ, recevez-moi par la vertu de votre très sainte
Passion au nombre de vos élus.
Innocent Le Masson (1628-1703)

Acte de contrition des frères


convers avant de se coucher,
pour se purifier intérieurement11

Seigneur, mon Dieu ! Que pouvez-vous attendre de nous, puisque vous


savez le fond de nos faiblesses, de notre malice, et de nos habitudes ?
Mais c’est en cela que vous êtes admirable, de vouloir toujours aimer
une créature qui ne vous rend que des ingratitudes : car s’il y a quelque bien
dans mes actions, c’est votre Grâce qui me l’a fait faire, mais le mal vient
de moi seul, et de ma négligence à suivre vos inspirations, et à me faire la
violence que je devrais pour vaincre la nature.
Je vous demande donc pardon de tout mon cœur des fautes et des
péchés que j’ai commis, et que je reconnais ici en votre présence. J’en ai
regret pour l’amour de vous, et je propose de m’en corriger avec le secours
de votre sainte Grâce.
Je vous remercie de toutes les inspirations et de tous les secours de
Grâce que vous m’avez donnés aujourd’hui, et spécialement dans telle ou
telle rencontre de tentations, ou de difficultés.
S’il se rencontre quelque bien dans mes actions, il vous appartient et je
vous l’offre en admirant votre bonté, qui veut que ce que vous donnez se
tourne à votre mérite, comme s’il venait tout de nous.
Conservez-moi, Seigneur, dans les bons sentiments que votre Grâce
m’a donnés, car je mets mon espérance en vous, et je dis avec David que
vous êtes mon Dieu, et que vous n’avez aucun besoin de moi, ni de mes
services.
Je désire finir ce jour par vous comme je l’ai commencé par vous.
Statuts (XIXe siècle)

Consécration eucharistique12

Voilà, Jésus, le moment sacré par excellence, le moment divin où vous


venez à nous  ! Mais comment venez-vous  ? Que se passe-t-il alors sur
l’autel  ? J’ose à peine y penser. C’est si étrange et si grand, cette
transformation subite du pain et du vin en votre Corps et votre Sang, cette
présence réelle de votre infinie Beauté sous les apparences banales de
substances matérielles si communes… et cette immolation mystérieuse qui,
là sous mes yeux, renouvelle sans fin, partout et pour tous le grand drame
du Calvaire !
Malheureusement, quand je songe à cela je ne sais pas me plonger
dans la foi qui fait voir. Je voudrais comprendre, je cherche des
explications, des comparaisons. Combien j’ai tort  ! Ce mystère dépasse la
raison, mais qu’il est doux au cœur ! N’est-ce pas tout simple qu’un Amour
tout-puissant ne soit pas arrêté par ce qui limite nos faibles tendresses  ?
Vous m’aimez  ! Voilà toute l’explication de ces mystères. Elle me suffit
délicieusement. Vous vous transformez pour prendre ma forme et vous
rapprocher de moi ; vous vous immolez parce que des fautes nous séparent
et que l’immolation les efface ; vous venez me rejoindre jusqu’en l’abîme
de toutes mes misères pour me faire remonter avec vous jusqu’au sommet
glorieux de votre Sainteté.
Ces démarches de votre Amour peuvent surprendre uniquement ceux
qui n’entendent rien à l’amour. Mais quiconque a goûté la joie de se
sacrifier pour des aimés les comprend et les admire. La Crèche, la Croix,
l’Autel, ce sont les étapes qui vous ont conduit jusqu’à nos cœurs. La
Crèche vous a fait à notre taille ; la Croix vous a broyé et pétri pour vous
rendre plus accessible  ; l’Autel vous fait nourriture qu’on assimile. La
consécration qui s’opère sur l’autel en prépare donc une autre. Vous vous
transformez pour me transformer  ; vous prenez une forme que je puisse
faire passer en moi, afin de pouvoir me faire passer en vous. Votre sacrifice
appelle mon sacrifice. Je dois être prêt à mourir à moi-même pour que vous
me communiquiez votre vie. C’est ainsi que le calvaire se continue dans un
cœur et que la consécration s’y renouvelle. La mort à moi-même n’est
qu’une substitution  : on cède la place à quelqu’un. Comme la substance
inférieure du pain et du vin se retire sur l’autel pour faire place à votre
Corps et à votre Sang, ainsi ma vie naturelle, mes pensées et mes sentiments
s’effacent devant vos pensées et vos sentiments.
Mais est-ce là mourir ? Ma vie naturelle n’est qu’une ombre : la vraie
vie, c’est la vôtre. Mon sacrifice n’est donc pas vraie mort, mais union à la
Vie vraie. Puis-je même dire que ma vie naturelle est immolée ? Ô mystère
sacré des transformations qui remplissent tous vos ouvrages ! Je commence
à comprendre la merveille de la transformation divine de mon âme que vous
annoncez. L’humus et la goutte de rosée qui deviennent couleur et parfum
dans la fleur, la fleur qui devient mouvement et sensation dans l’animal et
l’animal dont la chair alimente ma propre vie, tout cela présage et prépare
ce banquet de la table sainte où vous vous livrez à moi, pour vous emparer
de tout mon être et le changer en vous  ! Votre vie en moi n’est pas une
destruction ; de ma vie mais sa transformation et sa « consécration ». Vous
me faites « chose sacrée », c’est-à-dire donnée à Dieu, vouée à son service
et participant à toutes ses richesses et à toutes ses joies.
Augustin Guillerand (1877-1945)

1.
Guigues Ier, Coutumes de chartreuse , op. cit ., chap. XXV, 2, p. 219.
2.
Ordinaire des frères de la Grande Chartreuse , op. cit ., p. 242.
3.
Langage qui accomplit un acte en même temps qu’une parole.
4.
Statuta ordinis cartusiensis, 1991 , op. cit. , t. XIII, « La liturgie eucharistique », p. 431.
5.
Guigues Ier, Coutumes de chartreuse , op. cit ., chap. XIV, p. 217, 219.
6.
Rituel cartusien de consécration des vierges , Grande Chartreuse, 1986, p. 24-30.
7.
Guigues II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative , op. cit ., p. 179.
8.
Ludolphe le Chartreux, Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ , op.  cit ., t.  I, chap.  VI, «  De
l’oraison dominicale », p. 236-237
9.
Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus. Anthologie d’anciens auteurs chartreux ,
Neuville-sous-Montreuil, Notre-Dame-des-Prés, 1886, p. 386-387.
10.
Innocent Le Masson, Le Directoire des mourants à l’usage de l’ordre des chartreux , La
Correrie, Grenoble, 1686, p. 223-225.
11.
Statuts de l’ordre des chartreux , op. cit. , p. 169-170
12.
Augustin Guillerand, Liturgie d’âme , op. cit ., «  Magnificat  », p. 44-47.
3

Oraisons psalmiques
et scripturaires

Sous le terme d’oraisons psalmiques et scripturaires, il faut qualifier un


exercice de cellule qui prend sa source dans la méditation des Écritures,
notamment celle des Psaumes et du Cantique des cantiques. Cette prière se
fonde sur le ressassement du texte, source dont le moine ou la moniale
s’imprègne jusqu’à faire corps avec le sens, comme le décrit Guigues II le
Chartreux, dans sa Lettre sur la vie contemplative :
S’il est permis de s’exprimer ainsi, la lecture apporte une nourriture substantielle à la bouche,
la méditation mâche et triture cet aliment, la prière obtient de goûter, la contemplation est la
douceur même qui réjouit et refait. La lecture est dans l’écorce, la méditation dans la moelle,
la prière dans l’expression du désir, la contemplation dans la jouissance de la douceur
obtenue1.

Suivant ce principe d’assimilation, de manducation comparable à la


communion eucharistique, l’oraison scripturaire permet de faire passer dans
le cœur l’essence du texte. Quant au mécanisme qui transforme la
méditation en prière, il relève de l’expression de l’intimité avec Dieu et
d’une mystique souvent bien établie littérairement, aux confins de l’exégèse
savante et d’une lecture anagogique qui laisse s’épancher la sensibilité et les
sens spirituels. Denys le Chartreux, au cours de sa longue vie, a commenté
ainsi presque toute la Bible, tandis que Ludolphe le Chartreux avant lui et
Innocent Le Masson après lui se sont attachés au corpus mystique et
poétique des Psaumes et du Cantiques des cantiques. Aussi les oraisons
psalmiques et scripturaires se ressentent-elles souvent des formulations
poétiques de leurs originaux.
Oraisons sur les Psaumes2

Fais de nous, Seigneur, des arbres remplis de fruits en ta présence, afin


qu’arrosés par tes ondées, nous puissions te plaire par d’abondants fruits
suaves. (Ps 1,4.)
 
 
Daigne, Seigneur, regarder le fils des hommes du haut du Ciel et
accorde-nous de connaître le chemin de la paix, pour qu’une fois détruite la
captivité des vices, nous parvenions aux célestes demeures de Jérusalem.
(Ps 13,47.)
 
 
Dieu très bon, soutien de l’espérance et refuge dans les épreuves,
sauve-nous de nos ennemis et des filets de la mort, pour qu’arrachés à la
multitude des épreuves qui nous entoure, nous chantions ton saint nom avec
la pureté de l’innocence. (Ps 17,67.)
 
 
Dieu, digne de louanges et terrible à la fois, toi qui es le magnifique
prince de Jérusalem, élargis notre esprit par une intelligence spirituelle pour
que, recevant ta miséricorde dans le temple de notre cœur, nous puissions
parler dignement de ton nom. (Ps 47,200.)
 
 
Dieu Trinité, nom d’une ineffable et surabondante miséricorde, qui
purifies la caverne des vices du cœur humain, en le rendant plus blanc que
la neige, renouvelle en nous ton esprit, nous t’en supplions, pour que, par
lui, nous puissions annoncer ta louange ; qu’ainsi, confirmés dans un esprit
droit et originel, nous méritions d’être établis sur les sièges éternels de la
Jérusalem céleste. (Ps 50,216.)
 
 
Dieu tout-puissant et très doux, qui gouvernes et restaures le genre
humain, et prends soin de tes fidèles que tantôt tu élèves et tantôt abaisses,
afin de les mener au royaume des Cieux, protège par ta tendre bonté les
cœurs de ceux qui croient en toi, de sorte que se réfugiant vers les remèdes
de ta confession, nous méritions de jouir d’une éternelle félicité par une
contrition salutaire. (Ps 59,251.)
 
 
Bon Pasteur, qui, pour la rédemption de tes brebis, as puisé au calice
de la Passion, nous invoquons ton nom pour que tu nous établisses stables
comme des colonnes de sagesse, par la sanctification des dons de l’Esprit.
(Ps 74,325.)
 
 
Dieu, palme de toute béatitude, qui façonnes avec un soin salutaire tes
fidèles pour qu’ils avancent dans ta loi, scrutent tes préceptes et gardent tes
commandements, accorde-nous de chercher de tout notre cœur tes
promesses, de comprendre tes paroles, d’annoncer tes merveilles, de sorte
que nous qui avons jusqu’à présent erré comme des brebis égarées, nous
soyons glorifiés au paradis. (Ps 118,574.)
 
 
Dieu, bâtisseur de la Jérusalem céleste, qui connais le nombre de la
multitude d’étoiles et les appelles chacune par son nom, guéris, nous te le
demandons, les cœurs contrits, rassemble les dispersés, et enrichis-nous de
ton immense sagesse. (Ps 146,660.)
Ludolphe Le Chartreux (1295-1377)

Oraisons sur les Psaumes


des montées3

Psaume 120

Protège, Seigneur, ton peuple, ne sommeille pas et ne dors pas,


protecteur d’Israël ; et pour que nous ne soyons pas brûlés par le jour, toi,
défends-nous des scandales de ce monde.

Psaume 121
Dieu tout-puissant, daigne accorder l’abondance de ta paix à tous ceux
qui sont sur les parvis de ta maison, de sorte que, te confessant de toute
l’avidité de nos cœurs, nous obtenions le bonheur dans les Cieux.

Psaume 126

Dieu, bâtisseur des demeures spirituelles, nous te supplions de nous


protéger : verse en toi tous nos désirs, pour que nous méritions d’être réunis
à tes élus.

Psaume 130

Père tout-puissant, ne permets pas que nous nous exaltions dans les
orgueils du siècle, mais toi qui es doux et humble de cœur, apprends-nous à
te plaire par d’humbles sentiments.

Psaume 132

Répands, Seigneur, dans ton Église, l’amour de la fraternité et de la


paix  : pour qu’aspergés de l’onguent de la rosée spirituelle, nous nous
réjouissions de la grâce de ta bénédiction.
Ludolphe le Chartreux (1295-1377)

L’Église comme un jardin bien clos,


d’après le Cantique des cantiques4

Tu es un jardin bien clos, ma sœur, ma fiancée, un jardin bien clos, une


source scellée. Oui, Église, à bon droit je te compare à un jardin et même à
un jardin bien clos. Tu es le jardin que moi, le divin jardinier, je cultive,
désherbe, ensemence  ; en toi comme dans un très beau jardin grandissent
les fleurs des vertus, les fruits des actes méritoires ; l’herbe des pâturages
célestes, c’est-à-dire la grâce des sacrements, pousse et nourrit les hommes
comparés aux animaux, qui deviennent dociles et soumis […]. Le jardin est
« bien clos » parce que entouré de fortifications : « Le Sauveur a mis, pour
nous protéger, rempart et avant-mur » (Is 26,1) et « Le Seigneur l’entoure »
(Ps 124,2). « Il donne mission à ses anges de la garder » (Ps 90,11), mais
aussi aux pasteurs, aux prédicateurs, aux justes qui prient et se dépensent
sans cesse pour le bien général de l’Église. Ce jardin est fortifié, fermé et
défendu par le rempart de l’amour, par la crainte filiale, par la garde du
cœur, par la prudence, par le combat de chaque jour, la prière assidue, la
lecture des Écritures de sorte que ni hérétiques, ni schismatiques, ni
infidèles, ni ennemis invisibles ne puissent y pénétrer et le ruiner. […]
Il existe aussi dans l’Église la source baptismale, la source de la
contrition et la source des larmes, la source de la loi évangélique, d’où les
ruisseaux de la Sagesse coulent dans toutes les directions. Cette source est
dite scellée pour ne pas être souillée et à cause de l’incompréhensible
hauteur de son message, de la profondeur sans limite de ses sacrements, et
des mystères du Christ.
Denys le Chartreux (1402-1471)

Hymne à la beauté de la terre,


d’après le Cantique des cantiques5

Voici la terre ornée de fleurs ! Quelle merveille ! Quelle fête pour les
yeux ! Comme elle est attirante ! Voici les roses rouges, les lys blancs, les
violettes pourpres dont non seulement la beauté nous émerveille, mais aussi
le mystère de leur origine. Comment Dieu fait-il sortir de la poussière de la
terre de telles merveilles ! Et la verdure, plus belle que tout, qui nous ravit
quand un nouveau printemps et une vie nouvelle produisent l’herbe qui se
dresse en mille pointes, comme si elle faisait fi de la mort, image de la
résurrection future ; elle surgit joliment dans la lumière.
La sagesse divine a orné la terre de tout cela pour les hommes et les
nombreux animaux. Elle lui a donné une fertilité remarquable. […]
Denys le Chartreux (1402-1471)

Oraison sur les Psaumes


des montées6

Psaume 119

Écoute, Seigneur, le cri de notre épreuve, et accorde-nous d’exulter


dans la paix : pour que nous puissions nous tenir debout fermement contre
les ennemis de la paix, et contre ceux qui cherchent à nous attaquer, ainsi
nous pourrons triompher d’eux par la puissance de ton secours.

Psaume 121

Seigneur, guide de tous les vivants, établis nos pieds dans tes parvis et
construis en nous la Jérusalem céleste ; qu’une paix continuelle vienne en
nous par ta force, pour que nous recherchions toujours les biens de la cité
céleste, et qu’avec ton aide nous les trouvions.

Psaume 124

Christ, montagne de force, regarde ceux qui se confient en toi, sois le


rempart de ton peuple, et ne nous soumets pas au châtiment des pécheurs ;
accorde-nous le bonheur, ainsi que des temps de prospérité et de paix.

Psaume 125

Purifie-nous, Seigneur, de nos péchés ; construis pour toi en nous une


maison de repos, afin que demeurant en toi, et toi en nous, lorsque tu nous
donneras le sommeil de la mort, nous soyons héritiers du royaume des
Cieux avec tes bien-aimés.
Psaume 130

Seigneur, fortifiés par la force de ta sainte majesté, que notre cœur ne


s’exalte pas ni nos yeux ne s’élèvent trop  ; que nous ne marchions pas
parmi les grandeurs au-dessus de nous, mais que nous soyons toujours
humbles. Ainsi, nous te serons agréables pour les siècles des siècles.
Denys le Chartreux (1402-1471)

Évocation de la Jérusalem céleste7

Et nous avons vu Jérusalem l’excellente


Et son fondement de pierres précieuses,
Ses murs et ses portes et toutes ses choses.
Je n’ai pas assez d’esprit pour le discerner bien.
Elle était très solide, ferme et éternelle,
Son temple était son Dieu tout entier.
Sa lumière était l’Agneau de Dieu,
Qui est une étoile éternellement brillante.
Et nous avons vu la rivière qui jaillissait du trône.
Ses eaux avaient une couleur cristalline,
Tous ceux qui en buvaient,
Jamais ils ne retrouveraient la mort.
Et nous avons vu le fruit qui fait vivre.
Le fruit de l’arbre planté au milieu de la place,
Et nous avons vu le Fils de Dieu incarné.
Juan de Padilla (1468-1520)

Psalterium decachordum8
Sur le Psaume Beati immaculati in via, dans lequel on rencontre pour
presque chaque définition chacun de ces mots, «  loi  », «  justification  »,
«  commandements  », «  voie  », «  témoignages  », et de semblables qui
signifient les commandements de Dieu ou ses conseils, tu pourras [te]
rappeler les dix béatitudes ou les dix vertus, ou les préceptes du Décalogue
ou les vœux de religion  : de cette manière, les béatitudes seront très
utilement et facilement appliquées.
 
 
 
 

1 Bienheureux les purs dans la voie de l’humilité, ou les humbles


de cœur.
2 Qui avancent dans la loi du Seigneur de la pauvreté ou les
pauvres en esprit.
3 Bienheureux ceux qui scrutent ses témoignages afin de devenir
doux.
4 De tout leur cœur, ils le recherchent par une parfaite obéissance.
5 En effet, ils ne commettent pas l’iniquité, se réjouissant avec
ceux qui font le mal.
6 Dans ses voies, ils avanceront en ayant faim de la justice.
7 Tu nous as commandé d’être miséricordieux.
8 De garder grandement tes commandements par la pureté du
cœur.
9 Pour que mes chemins soient dirigés, afin d’être pacifique.
10 Pour garder tes justifications, en souffrant pour la justice.

 
 

Tout d’abord, par ces paroles du Psaume (Louez le Seigneur vous qui
êtes dans les Cieux), tu pourras convenablement repenser et invoquer
chaque ordre angélique, te reportant à chaque verset et en appliquant
chaque membre crucifié aux ordres angéliques de la manière suivante.
 
 
 
 

2 Louez le Seigneur vous qui êtes dans les Cieux, ô Archanges.


3 Louez-le au plus haut du firmament, ô Principautés.
4 Vous tous ses Anges, louez le Seigneur.
5 Louez-le toutes, Puissances du Seigneur.
6 Louez-le, Séraphins élevés, soleil et lune.
7 Louez-le, Chérubins illuminés, vous toutes, étoiles et lumière.
8 Louez les Cieux, ou les habitants du Trône des Cieux.
9 Et les eaux qui sont sur les Cieux, louez le nom du Seigneur des
dominations.
10 Car lui-même a parlé et tout a été fait, les armées des
Puissances.
11 Il a commandé et les choses ont été créées, toutes les célestes
et toutes les terrestres.

 
 
Ainsi tu pourras avec fruit varier et transposer certaines distinctions
selon le verset lorsqu’il conviendra, afin d’appliquer plus commodément
aux noms ou aux prières ou aux demandes survenant dans la décade dont tu
veux te souvenir. Mais ceci étant dit, tu dois déjà t’exercer à l’usage du
psautier à dix cordes. Les jeunes novices devront appliquer avec ordre
chaque distinction à chaque membre selon qu’ils sont distincts sur la croix ;
pour que la mémoire et l’attention s’établissent plus facilement.

Manière de faire naître des sentiments de


dévotion des paroles mêmes de la psalmodie

À ceux qui comprennent l’autre sens des mots de la psalmodie, il est


plus facile et plus utile d’extraire un sentiment des paroles de la psalmodie
et de s’emparer des sens de ces mêmes mots, lequel une fois oublié on
s’approprie un autre objet, du fait qu’une telle attention est très facile et très
stable. À partir de là, il arrive que dans l’usage et l’exercice du psautier à
dix cordes, nous exhortions à s’appliquer davantage au sens de la psalmodie
qu’aux membres crucifiés, auxquels on applique la psalmodie elle-même.
Afin d’autre part qu’à partir de chaque phrase de la psalmodie, tu puisses
choisir plus facilement un certain sentiment de dévotion.
Tout d’abord, donc, lorsque tu veux chanter, revêts la personne de
toute l’Église triomphante et militante, priant avec le sentiment de la
bienheureuse Marie, des bienheureux anges et des saints, de toutes les âmes
en cours de purification et de tous les fidèles vivants pour le salut de tous et
surtout pour ceux que Dieu veut que tu pries plus particulièrement ou
auxquels tu tiens davantage ou que tu es attentif. Ainsi, en effet, tu t’emplis
de charité et tu participes très spécialement aux mérites des autres. Tu auras
d’autant plus de secours contre tes adversaires que tu auras prié pour des
membres de l’Église et que tu auras prié pour eux par affection. En priant
aussi avec bonté, tu auras ainsi pitié, parce que d’après la phrase de
J. Chrysostome, si tu pries seulement pour toi, tu mérites pour toi seul ; si tu
pries pour tous, tu deviendras participant des mérites de tous ceux pour qui
tu pries. En outre, à partir de chaque phrase de la psalmodie, autant que tu
le peux, efforce-toi de choisir une demande ou une louange de Dieu, en
tournant toujours ton désir vers Dieu, plus par un entretien intérieur que par
un soliloque. De la sorte, ton sentiment s’enflammera davantage et ton
intelligence sera plus éclairée.
Lorsque tu célèbres les louanges de Dieu, la grâce du mot pendant que
tu chantes («  le Seigneur est grand et très digne de louange  ») et pendant
qu’elle est dans ton esprit, dis : « Je te félicite, Seigneur, parce que vraiment
tu es grand et digne de louange  ». Lorsque l’on dit dans les Psaumes  :
« chantez au Seigneur », « jubilez pour le Seigneur », « louez le Seigneur »
et d’autres choses semblables, désire que tous chantent avec toi, louent et
jubilent pour l’honneur de Dieu. Et quand tu invites les anges et les saints à
la louange de Dieu (comme dans le Psaume «  louez le Seigneur vous qui
êtes dans les Cieux »), désire que les bienheureux anges eux-mêmes et les
saints louent Dieu avec toi et suppléent ton imperfection dans la louange de
Dieu par une continue et très parfaite louange.
Lorsque l’on raconte certaines choses réalisées admirablement, ou
faites très utilement par Dieu, louant Dieu pour ce qu’il a accompli, prie et
désire que cela se réalise encore spirituellement, de sorte que lorsque tu
chantes «  sa droite l’a sauvé  » désire que même maintenant la droite de
Dieu sauve le genre humain.
Jean-Michel de Vesly († 1600)

Entretien céleste sur le Psaume 109,


Dixit dominus9

Mon Dieu, que vous êtes bon de m’avoir révélé cet entretien céleste !
Je suis heureux de savoir qu’on se parle au Ciel. Ce n’est pas un lieu où les
cœurs se ferment les uns aux autres, c’est un doux et chaud foyer où l’on
s’aime, où l’on échange ses pensées, où l’on communique ses sentiments,
où l’union mutuelle multiplie les joies.
Que dites-vous, ô Seigneur, à ce Seigneur qui est très spécialement
mon Seigneur ?
« Prends un siège à ma droite. »
Avez-vous une droite ? N’êtes-vous pas pur esprit ? N’êtes-vous pas en
tous lieux  ? Comment peut-on occuper une place à votre droite  ? Je vous
comprends  : vous prenez notre langage. L’amour fait cela, et vous êtes
l’Amour. Le père, la mère se font enfants avec leurs enfants, et vous êtes
pour nous un père et une mère. « À vos côtés ! »
Combien je suis lié moi-même à des façons de parler qui ne répondent
pas à votre Réalité ! Vous n’avez pas de côtés, comme vous n’avez pas de
droite. Votre droite, vos côtés, c’est votre sein spirituel et sans bornes, votre
sein c’est votre amour, et votre amour c’est vous. Tout cela est simple,
infiniment simple. Mais nous, nous sommes si compliqués !
Mon Seigneur à qui vous offrez cette place à votre droite est donc en
vous, il est dans votre sein : « Bien longtemps avant la première aurore, je
t’ai engendré », lui dites-vous. Vous l’avez engendré de votre sein et vous
l’avez engendré dans votre sein. C’est ce que l’apôtre saint Jean m’exprime
si bien au commencement de son Évangile : « Et le Verbe – c’est-à-dire la
Parole du Père – était chez Dieu. » Votre demeure, c’est vous-même ; c’est
là, c’est en vous-même, c’est dans votre Être spirituel et infini que vous
prononcez ce Verbe ; c’est son « chez lui ».
Augustin Guillerand (1877-1945)

Louange de la création
sur le Psaume 110, Confiteor10

La terre, n’est-ce pas déjà un peu le Ciel  ? Cela pourrait être, cela
devrait être. Car le Ciel, c’est vous, ce sont les doux rapports, c’est la vie de
famille avec vous. Or ces rapports, cette vie commencent ici-bas : « Je ne
vous laisserai pas orphelins » (Jn 14,18), m’a dit Jésus au moment de nous
quitter. «  Je vous enverrai mon Esprit  ; il sera votre lumière, votre
consolation, votre paix. Il vivra en vous, il fera en vous ce que je m’en vais
faire et ce qu’il fait éternellement lui-même là-haut. Vous ne le verrez pas
encore  ; la terre est le pays de la foi qui prépare la vision. Croyez cela,
croyez avec tout votre cœur, croyez et aimez, et déjà dans les parts
profondes de vous-mêmes, vous serez unis à la louange éternelle que se
donnent mutuellement les Trois qui ne font qu’Un. »
Je crois cela, ô mon Dieu, je crois que vous louer en mon cœur, c’est
d’avance participer à votre vie et avoir place au Ciel. Le Psaume  110 est
une note de ce chant  ; il vous loue dans vos œuvres pour m’apprendre à
vous louer un jour en vous-même. C’est un peu votre perfection qui brille
en elles  ; elles me disent votre sagesse et votre puissance, elles publient
votre amour et votre bonté.
« Grandes sont les œuvres du Seigneur, recherchées par tous ceux qui
les aiment. »
Dans un brin d’herbe il y a une pensée de vous. En adorant cette
pensée, je vous adore. Ainsi, tout me met en contact avec vous, et tous ces
contacts éveillent en mon âme un hymne en votre honneur. Je vous
découvre dans les créatures que vous avez faites et je vous trouve dans les
événements que vous dirigez. Tout cela est merveille de votre tendresse.
Augustin Guillerand (1877-1945)

1.
Guigues II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative , op. cit. , chap. III, p. 85-87
2.
Ludolphe le Chartreux, Oraisons sur les Psaumes , chartreuse de Montreuil, 1891, trad.
inédite P. Pradié, osb.
3.
Ludolphe le Chartreux, Expositio in Psalterium Davidis , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-
des-Prés, 1891, trad. inédite P. Pradié, osb.
4.
Denys le Chartreux, Commentaire sur le Cantique des cantiques , Opera omnia , op.  cit .,
t. VII, 371d, trad. in Petite Anthologie d’auteurs cartusiens , op. cit ., p. 245-246.
5.
Denys le Chartreux, ibid. , p. 280.
6.
Denys le Chartreux, Insigne commentariorum opus in Psalmos omnes davicicos… et in
matutinalia cantica , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1892, t.  XVI-XVII, trad.
inédite P. Pradié, osb.
7.
Juan de Padilla, Retablo de la vida de Cristo , op. cit ., tableau IV, cantique 11, strophes IV
et V.
8.
Jean-Michel de Vesly, Psalterium decachordum , Lyon, 1598, p. 63-67, trad. inédite P. Pradié,
osb.
9.
Augustin Guillerand, Liturgie d’âme , op. cit. , p. 73-74.
10.
Ibid. , p. 81-82.
4

L’oraison du cœur

La prière de tous les jours, celle qui s’énonce dans l’intimité de la


cellule et du cœur, constitue un fonds important dans les sources
cartusiennes. Grand nombre de ces prières ont été consignées par écrit.
Nous en donnerons un large échantillon.
L’oraison du cœur est présente à chaque instant de la vie monastique,
et comme celle-ci, elle relève bien souvent de petites choses simples qui
n’offrent que l’intérêt de l’instant prié, de l’élan confiant qui ouvre le cœur
à un dialogue ininterrompu. Dans l’organisation de la journée des solitaires,
cette prière est librement pratiquée, ainsi que le précise Denys le Chartreux
dans son traité sur l’Éloge de la vie en solitude :
Certains des exercices de cellule sont obligatoires, et des moments du jour et de la nuit où ils
doivent être acquittés sont précisés. Parmi eux, certains sont corporels, d’autres spirituels. Les
spirituels consistent à réciter les offices, celui du jour et celui des défunts, célébrer la messe.
[…] D’autres exercices ne sont pas tellement imposés ou déterminés à l’avance. Parmi ces
exercices qui relèvent d’avantage de la spontanéité, certains sont spirituels, comme la
méditation, l’oraison, l’amour de Dieu, la prière, le chant de cantiques, l’étude et la lecture ;
d’autres sont corporels, tels que jeûnes, abstinences, disciplines et veilles au-delà de ce que
prévoit la règle1.

Conjointement à la liturgie des heures qui structure la journée,


l’oraison du cœur a donc lieu librement au cours de la journée, en fonction
des moments, des activités et des inspirations de l’occupant de la cellule.
Elle alterne avec le silence où l’enfouissement en Dieu se fait plus profond.
Et parce qu’elle relève de chacun et non d’une obligation d’ordre, les
Statuts et les manuels de direction restent discrets sur la question, laissant à
chacun le soin de gouverner sa vie intérieure en fonction de ses capacités et
de sa sensibilité. C’est ce qui est évoqué au chapitre  XII du Directoire des
frères qui se trouve dans la troisième partie des Statuts  : l’invitation à se
recueillir et à prier avant la lecture spirituelle est laissée à la libre
appréciation du moine, suivant en cela le Livre de l’introduction à la vie
intérieure d’Innocent Le Masson :
Nous ne marquerons donc rien ici davantage touchant votre lecture, et la manière de la bien
faire, car vous la trouverez expliquée dans la préface du Livre de l’Introduction , qui vous
donnera une direction singulière pour bien faire la lecture spirituelle  ; nous vous marquons
seulement une formule d’aspiration, par laquelle vous vous disposerez à la lecture2.

Cette oraison, qui peut prendre les formes les plus simples ou les plus
élaborées du colloque divin, apparaît comme la gardienne du silence,
surtout pour les frères convers que leurs occupations matérielles ou que
l’obligation de sortir du monastère ont pu disperser. Ainsi l’oraison
jaculatoire et l’effusion du cœur, qu’on nommera élévation au XIXe  siècle,
sont recommandées au cours des sorties. Le retour au recueillement et à la
paix de la cellule, grâce à la pratique de cette oraison personnelle et
spontanée, une fois accomplies les tâches extérieures, est discrètement
suggéré, témoignant d’une grande connaissance de la nature humaine :
En voyant ces paysages qui se changent à mesure que vous marchez, vous vous souviendrez de
cette parole de saint Paul3 : « La figure de ce monde passe. Ô Seigneur ! Si tout passe en ce
bas monde, tout le bien et toute la bonté demeure en vous comme dans son original, et dans sa
source. » Vous ferez donc ainsi de temps en temps quelques oraisons jaculatoires, telle que la
dévotion vous le suggérera  : ou bien quelquefois sur le simple souvenir de Dieu, vous ferez
quelque adoration en esprit, sans vous servir d’autres paroles que de l’effusion de votre cœur,
afin de ne vous pas trop bander l’esprit. En rentrant dans la Maison, reprenez le silence  ; et
sans vous étonner s’il vous semble que votre esprit ait un peu perdu de sa retraite, rentrez dans
votre cellule ; ne vous en faites point de querelle à vous-même, car cette petite éclipse est un
effet naturel du divertissement, et croyez qu’en faisant vos exercices spirituels à l’ordinaire,
votre esprit se retrouvera soi-même comme insensiblement et sera remis dans la tranquillité.
Contentez-vous de faire quelque aspiration à Dieu4.

Prière de l’habitant de la cellule


sur la résurrection5
Ôtoi qui habites en cellule, ta méditation a déjà dû te révéler quelque
chose de la résurrection générale des morts au dernier jour, quand viendra le
Roi des rois lui-même et le Juge des vivants et des morts. Il viendra avec
d’autant plus de majesté et de puissance pour juger que, jadis, il a été jugé
en raison de son humilité et de sa fragilité. Lorsqu’il viendra, comme il l’a
promis lui-même, tous ses anges viendront avec lui et rassembleront devant
lui toutes les nations. Alors il dira aux justes, à ceux qui seront sauvés  :
Venez, les bénis de mon Père, et aux méchants, à ceux qui seront damnés :
Allez-vous en loin de moi, maudits  ; à ceux-là  : Recevez en partage le
Royaume, mais à ceux-ci : Allez-vous en au feu éternel.
Adam Scot († environ 1210)

Élévation6

Élève-toi, élève-toi loin de ce qui est en dessous de toi et loin de ce qui


est hors de toi : élève-toi au moyen de ce qui est en toi vers ces réalités dont
nous parlons, sublimes et grandes, parfaites et entières, tranquilles et
calmes, sûres et certaines, gaies et joyeuses, agréables et plaisantes,
lumineuses et brillantes, très douces et très suaves, pleines enfin de tout ce
qu’il faut rechercher et éloignées de tout ce qu’il faut fuir, ce sont les
réalités qui sont au-dessus de toi.
Adam Scot († environ 1210)

Exhortation à fuir l’ambition7

Fuis cette corruptrice des âmes, cette première-née du Démon, cette


image du diable, ce piège de mort, ce signe de damnation, ce principe des
refus de justice faits à Dieu, cette semence de perdition, cette ambition qui
se fait idole d’elle-même, cette ouvrière de tromperie, cette mère
d’hypocrisie […], ce singe de la charité, cette amie de la peine et cette
ennemie du saint repos, cette spoliatrice de la gloire de Dieu, cette lutte
continuelle contre Dieu, cet adversaire subtil de la vérité, cette mère
nourricière de l’aridité et de l’insensibilité.
Michel de Prague († 1401)

Prière pour bien prier8

Seigneur Jésus-Christ, en union avec les louanges par lesquelles vous


louez Dieu de toute éternité, je désire maintenant vous offrir ces louanges et
ces prières, vous suppliant, par votre infinie miséricorde, de me donner un
cœur contrit et dévot, un cœur très humble, un cœur très chaste, un cœur
très fervent, un cœur très fidèle et très pur, un cœur selon votre Cœur, un
cœur que vous sanctifierez, que vous fixerez, que vous absorberez dans
votre Cœur, afin que je ne m’attache qu’à vous, que je ne voie et ne cherche
que vous  ; que toujours je vous bénisse et vous loue, que je vous aime
toujours, en tout, par-dessus tout. Doux Jésus, accordez-moi la grâce de
réciter attentivement et pieusement cette prière, pour remplir ainsi vos
désirs et les ordres de l’Église, pour obtenir de votre miséricorde, à tous
ceux que vous avez rachetés par votre Sang, aux vivants et aux morts, le
mérite et les fruits de votre Passion et de votre mort.
Denys le Chartreux (1402-1471)

Nécessité de la discrétion9
Selon les saints, la discrétion est la mère de toutes les vertus. C’est la
même vertu que la prudence, vertu cardinale, et quand elle dépasse la
capacité humaine de discerner, elle ajoute deux ou trois dons du Saint-
Esprit, ceux de conseil, de science et de sagesse. Elle est grandement
nécessaire à toutes les vertus et à leurs actions, aussi bien morales
qu’intellectuelles, et surtout aux actions et œuvres spirituelles, que ce soit
l’étude, les exercices de dévotion et autres actes élevés, dans lesquels
l’excès n’est ressenti que lorsque les forces épuisées ne peuvent presque
plus ou plus du tout être reconstituées.
Nicolas Kempf (1397-1497)

Divini amoris pharetra10

Après la lecture ou une bonne inspiration.

Père très clément, je te supplie par ton fils unique, donne-moi la grâce
et la force, cette inspiration si elle vient de toi et tout bienfait à réaliser.

S’il aperçoit quelque chose de beau ou de délectable, qu’il tourne son


cœur pour contempler la beauté et la bonté de son créateur.

Ô Bonté et Beauté incomparables de mon créateur, attire mon cœur


vers l’admiration et l’amour de toi. Ô, s’il existe quelque belle créature, que
tu es beau, que tu es bon et que tu es suave ; Dieu créateur de tous. Puisse
ne jamais rien me délecter, me plaire que toi. Puisses-tu posséder seul mon
cœur et être toujours ma seule joie, ma consolation et mon repos. Doux et
aimable Jésus, fais que toute créature me paraisse peu digne d’intérêt, que
tout ce qui est souillé me semble amer mais que toi seul me sois doux. Fais
que, dans chaque créature, je ne vois rien d’autre, je ne trouve rien d’autre
que toi. Que tout me parle de toi, que tout t’annonce, que tout te loue, que
tout m’emporte dans ton amour et m’enflamme. Ah, mon Dieu et mon tout,
emplis mon cœur afin de mourir à tout et que je vive en toi.
S’il aperçoit quelque chose de nouveau ou de merveilleux.

Seigneur notre Dieu, créateur qui gouverne tout, que toutes créatures te
louent et annoncent ta majesté. Que tout ce qui vient de toi soit pour toi
digne d’honneur, de louange et de gloire. Ô, puisse mon âme être digne, que
tout moment ressente ta présence, et que l’embrassement du plus fervent et
chaste amour te lie avec respect et de manière inséparable.

Quoi qu’il arrive ou n’arrive pas, convertis-le en louange de Dieu.

En voyant de belles choses, pense que toutes ces choses et de plus


belles encore sont au Ciel. En en voyant d’horribles, pense que toutes ces
choses et de pires encore sont en enfer. Lorsque la sérénité de l’air te ravit
ou lorsque tu contemples les champs ou les jardins.
Ô lumière indéfectible, pleine de toutes les joies, mon Dieu très beau,
très suave de toute douceur. Hélas, moi qui suis très misérable car mon
cœur est occupé et inquiet de tant de choses variées, et si éloigné de toi.
Tout me parle de toi et moi je ne te perçois pas, ni ne te remarque. Seigneur
mon Dieu, toutes choses que tu as faites sur terre et au Ciel t’appartiennent
et sont bonnes, mais toi, tu es le meilleur, le très grand, et l’infini. C’est
pour nous que tu as fait tout cela, afin de nous montrer ta toute-puissance, ta
sagesse, ta bonté. Puissent toutes tes créatures et toutes choses sensibles
blesser mon cœur de ton amour, pour que mon âme te désire sans cesse.
Mon Dieu, glisse-toi dans mon cœur pour que toutes mes forces, tous mes
sens et l’intime de mon âme s’anéantissent dans ton amour, s’y répandent et
soient absorbés. Que ce jour est serein. Aussi bon Jésus, que seule ta
lumière brille, qu’à elle seule nous soyons sensibles. Fais en sorte que
toutes les ténèbres soient chassées de nous, et que brûle en nous la chaleur
de la plus ardente charité.

En voyant un jardin, des fleurs, des arbres.


Bon Jésus qu’il y a ici de consolation, d’instruction, de progrès et
d’admiration, tu nous as tout donné. De toi, dis-je, le plus puissant, le plus
élevé, le plus immense, à nous, vermisseaux ingrats. Très doux Jésus, fais
que rien ne nous sépare de toi, mais que tout nous conduise vers toi.

En voyant des choses agréables.


Bon Jésus, à toi louange éternelle et action de grâces, qui a tant et tant
créé et nous a donné, non seulement pour nous soutenir, mais encore
comme consolation. Pour ton immense amour pour nous, doux Jésus,
puissent nos désirs et nos vœux soupirer vers toi, courir vers toi, couler en
toi, s’établir en toi et se reposer en toi.

Quand la tiédeur vient.

Ô mon Seigneur Jésus-Christ, ô amour toujours brûlant qui ne s’éteint


jamais, jusques à quand resterai-je froid, jusques à quand supporteras-tu ma
tiédeur ? Quand donc t’aimerai-je de toutes mes forces et des entrailles de
mon âme et connaîtront-elles parfaitement ta charité et ta bonté  ? Puisse
mon cœur être transpercé du dard enflammé de ton amour, pour que la
blessure de ton amour se renouvelle toujours et se développe chaque jour en
moi. Puisse mon cœur se joindre à l’incendie de l’amour et s’unir à ton
cœur pour que tout autre amour étranger s’éteigne en moi.

Quand tu reçois un bienfait.


Très bon Seigneur mon Dieu, je te rends grâce pour ton amour plus
que paternel à l’égard du plus ingrat et du plus vil pécheur que je suis ; de là
viennent tous tes autres bienfaits infinis. Fais donc, je t’en prie, tendre Dieu,
que je te sois fidèle afin de ne chercher que toi seul, d’être assoiffé de ton
honneur, de tout attribuer à ta gloire et de ne me rien attribuer sinon mes
péchés, de me délecter et me reposer en toi seul.
Autre.

Doux Jésus, fais que par cette union de charité avec laquelle tu nous as
aimés, j’utilise ce bienfait selon ton bon vouloir et pour ta gloire.

Quand on t’offre quelque chose d’honorable ou un autre moment ou


toutes les fois que tu veux quelque chose.
Ô bonté infinie, Seigneur mon Dieu, à toi seul honneur et gloire, à moi
rien n’est dû sinon confusion et mépris. Cependant je te supplie, très doux
Jésus : ne me rejette pas, mais fais que je te sois toujours fidèlement attaché
pour que je ne reçoive aucune consolation en dehors de toi. Tu es mon Dieu
et moi je suis poussière et néant. Parce que tu m’as créé, tu aimes ce que tu
as fait. Fais donc que je t’aime, mon Dieu, mon créateur, du plus intime de
mes entrailles.

Quand tu es dans une lourde épreuve.


Recours au crucifié, baise les blessures des pieds et dis : « Dieu tout-
puissant, daigne regarder ton misérable serviteur pour lequel Notre
Seigneur Jésus-Christ n’a pas hésité à souffrir et à subir le supplice de la
croix. Illumine mon cœur afin que je comprenne et que je sente avec quel
amour tu permets que cette adversité vienne sur moi. » Puis baise les mains
crucifiées et dis  : «  Donne-moi, Seigneur, la sagesse conseillère de tes
trônes qui illuminera mon intelligence, purifiera mon cœur, et enflammera
mes sentiments pour te connaître et t’aimer, Seigneur mon Dieu, en toute
chose, par-dessus tout et en tout temps. Et pour que ta sagesse éternelle
m’assiste, me réconforte et agisse avec moi, pour que je puisse supporter
cette épreuve parfaitement jusqu’à la fin, pour ta gloire, pour la vie et le
salut de tous les fidèles.  » Troisièmement va jusqu’au cœur et dis  : «  Ô
amour ineffable, ô charité très fidèle et immense pour nous, Christ Jésus le
plus aimant, par l’amour de ton cœur, tu as supporté pour tous les
incommodités de tous, aide-moi afin de supporter patiemment cette épreuve
aussi longtemps qu’il te plaira. » Et pense très souvent ainsi : « Doux Jésus
mon Dieu, si tu me donnais le choix et promettais de me donner tout ce que
je demande, rien d’autre que ce que je demande, je le demanderais mille et
mille fois afin que se réalise en tout temps en moi, de moi, par moi, ta très
louable volonté selon ton bon plaisir. »
Quand tu veux éviter quelque chose de délectable ou que tu veux t’y
soustraire.

Seigneur Jésus-Christ, pour ton honneur et ta mémoire et en action de


grâces d’avoir satisfait pour mes péchés, à cause de moi qui étais dans une
chair très dure, tu as toujours choisi et tu as été exempt de tout plaisir
coupable, je te demande de m’accorder la continence de mes sens, la
parfaite mortification de tous mes vices, toutes mes passions, toutes mes
délectations, toutes mes affections désordonnées. Doux Jésus, en union avec
ton amour, par lequel à cause de moi tu t’es soustrait à ce qui est délectable,
je veux me contenir de cette délectation. Donne-moi, tendre Jésus, de
vouloir cela sincèrement et parfaitement pour ta gloire, de le pouvoir et de
l’accomplir selon ton bon plaisir.

Pour les vertus et l’imitation du Christ.


Très doux Jésus, je te prie de m’accorder par cette source du salut, la
plus parfaite humilité, douceur, patience, charité et autres vertus afin que,
par ton amour, je désire, j’aime ne pas être connu, méprisé et subir outrages
et injures. Doux Jésus, fais-moi imiter les exemples de ta très sainte vie et
de ta Passion, dans la véritable abnégation de moi-même et dans la plus
ardente charité. Blesse mon cœur du souvenir de ta Passion pour que je ne
connaisse rien d’autre que toi, Seigneur mon Dieu, crucifié pour moi. Que
cette pensée ne s’éloigne jamais de mon cœur, le déchirant d’amour et
pénétrant le plus intime de mon âme.
Aspiration vers Dieu à répéter à Dieu très souvent chaque jour.

Doux Jésus, mon Dieu, je te demande de m’absorber de la force


enflammée et melliflue de ton amour, qu’elle pénètre mon cœur, le purifie
et en ôte tout mon intérieur, afin qu’à la manière de la flamme brûlante ou
du fer rouge, je brûle entièrement de ton amour et renonce à moi-même, que
je ne pense qu’à toi seul, que je ne désire que toi seul, que je ne connaisse et
ne sente que toi seul, et que j’adhère à toi seul inséparablement. Amen.

Oraisons contre les péchés fréquents,


principalement contre les vices.

Au Christ
Jésus le plus doux et le plus miséricordieux, je te supplie par la rosée
de tes cruelles blessures, par toutes tes douleurs et toutes tes peines, par ta
mort très amère, et par tous les mérites et l’intercession de la bienheureuse
Vierge Marie ta mère et de tous tes saints, libère-moi, garde-moi de
l’orgueil, de l’envie, de l’acédie et de tous les péchés. Donne-moi de
t’aimer de tout mon cœur et d’accomplir le plus parfaitement ta volonté en
tout.
À Marie la Vierge mère

Ô la plus pure, la plus noble et la plus belle de toutes les vierges,


Marie, très digne mère de Dieu, je te prie par ta très profonde humilité, par
ta très sainte et très pure chasteté et par ta très fervente charité et par tous
les dons, vertus et grâces pour lesquels tu as été prédisposée par Dieu afin
d’être la très digne mère de Dieu, reçois-moi comme ton fils dans la
protection et l’amour de ton très tendre cœur maternel, tout indigne que je
suis, et obtiens-moi de t’aimer le plus saintement et le plus chastement
possible. Obtiens-moi la plus parfaite humilité, la plus parfaite chasteté, la
plus parfaite charité et toutes les autres vertus par lesquelles tu as plu à
Dieu. Demande aussi pour moi que, par la particulière miséricorde de ton
fils, par les mérites de sa Passion et par la continuelle contrition de mes
péchés, je mérite en cette vie d’être entièrement purifié de mes péchés, de
tous mes vices et mes péchés, pour qu’après cette vie, je reçoive la vie
éternelle sans retard. Et c’est pourquoi, ô très douce reine de miséricorde,
demande pour moi, quoi qu’il m’arrive de triste, de toujours le supporter le
plus patiemment et avec action de grâces et que je dépense toutes les forces
de mon corps et de mon esprit et tous les moments de ma vie pour la
louange et la gloire de ton fils, selon son plus parfait bon vouloir.

En se lavant les mains.


Ô Seigneur très miséricordieux, mon Dieu, Jésus-Christ, purifie-moi
dans ton sang de tous mes péchés, mes vices et de toutes mes négligences
afin de toujours te plaire d’un cœur simple et de toujours adhérer à toi de
l’amour le plus fervent et irréversible.

Quand tu dois sortir parmi les hommes, recommande-toi à Dieu de cette


manière.
Jésus très aimant, je te recommande tous mes sens et toutes les forces
de mon âme, tous les membres de mon corps, tout mon cœur, de les
protéger, les diriger, les conserver, et que je m’enfouisse dans la plaie de ce
cœur le plus agréable et le plus fidèle, afin que là, tu me préserves de tout
péché, de tout plaisir et d’affections vicieuses.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)
Prière en regardant des arbres11

Ô Seigneur, retranche en moi tout ce qui offense les yeux de ta


Majesté. Donne-moi d’être fécond en bonnes œuvres, donne-moi une
dévotion généreuse, que je produise des fruits de piété et de douceur et
qu’ils soient délicieux à mon palais.
Souviens-toi que la foule, ayant pris des branches aux arbres, les a
étalées sur le chemin devant le Christ. Souviens-toi qu’un bon arbre donne
de bons fruits. Ô arbre de vie, quels fruits n’as-tu pas donnés ? Quel fruit ne
nous as-tu pas donné puisque toi, arbre plein de noblesse chargé de grands
et nobles fruits, non seulement tu rassasies ceux qui ont recours à toi, mais
tu fais porter du fruit à ceux qui mangent de tes fruits. Arbre qui me fais
reposer sous ton ombre, arbre qui m’abrites de la chaleur et me protèges de
la pluie, puisse mon âme t’aimer.
 
 
Hélas, Seigneur, je suis un sarment desséché et à chaque instant je
redoute d’être retranché. Bienheureux ceux qui puisent le suc de la charité
de leur racine profonde. Bienheureuse l’âme qui est un sarment de ce cep et
qui prouve par des fleurs, des feuilles, des fruits qu’elle en vit. Je ne suis
pas une telle branche, je suis desséché et stérile.
 
 
Bienheureuse, Seigneur, l’âme qui a dit : À son ombre désirée, je me
suis assise et son fruit est doux à mon palais. Bienheureux ceux qui
demeurent en paix sous ton ombre, Seigneur.
Tout arbre qui ne produit pas de fruit va être coupé et jeté au feu.
Arbres d’automne qui n’ont pas de fruits. La cognée est déjà à la racine de
l’arbre. Le Seigneur Jésus s’approcha d’un arbre aux belles feuilles pour y
chercher du fruit, mais il n’en trouva pas, car ce n’était pas le temps des
fruits. Il maudit l’arbre et celui-ci se dessécha.
Dieu de bonté, très doux Jésus, si toi qui es tout miséricordieux tu as
maudit un arbre qui n’avait que des feuilles et pas de fruits parce que ce
n’était pas l’époque des fruits, où fuirai-je quand tu viendras pour juger le
monde et rendre à chacun selon les fruits de ses mains, moi qui suis un
arbre non seulement dépourvu de bons fruits, mais qui en produis de
mauvais que tu détestes ?
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

Prière pour demander au Christ


de nous donner son esprit12

Je vous loue, vous adore et vous glorifie, ô mon bon Jésus, à cause de
votre immense charité, et de la douceur de votre Cœur tout aimant ! Je vous
en conjure, puisque de l’autel de votre Croix vous avez répandu pour moi
votre Sang précieux, répandez aussi en moi votre Saint-Esprit, qui
m’apprendra à ne pas recevoir en vain de si grands bienfaits. Que me
servirait-il d’être lavé dans votre Sang, si je n’étais pas encore vivifié par
votre Esprit qui doit m’apprendre à toujours conserver sans tache les
vêtements que j’ai lavés dans votre Sang ? Ô Jésus ! La douceur même, de
ce trône de grâce et de pardon, de cette Croix où je vous vois attaché,
envoyez-moi donc votre Esprit  : il m’apprendra à vous témoigner ma
reconnaissance, à rendre ma vie en tout semblable à votre vie, à m’associer
à vos douleurs et à votre mort ; il me dira de quelle manière je vous rendrai
amour pour amour, et comment, jusqu’à la fin, je resterai le fidèle serviteur
de celui qui m’a racheté et racheté à un si haut prix.
Jean Torralba († 1578)

Offrande de sa prière13
Seigneur Jésus, je vous offre les prières : que je réciterai aujourd’hui ;
je vous offre également mes pensées, mes désirs, mes paroles, mes actions,
mes souffrances et mes mérites. Je vous offre tout, uniquement pour vous,
par amour pour vous, et pour vous être agréable en faisant votre volonté ; je
veux agir sous votre direction infiniment sage, comme vous l’entendez, par
vous et avec vous. C’est avec l’aide de votre très doux Cœur que je veux
commencer à réciter cette prière, que je veux la continuer, la terminer et
vous 1’offrir en union avec les louanges très parfaites que la très sainte
Trinité se donne en se contemplant elle-même, et en union avec l’amour
infini dont les trois Personnes s’aiment réciproquement.
Je m’unis aussi à cette dilection infinie qui, de la très sainte Trinité,
descend dans votre Cœur humain, ô Verbe fait homme, et qui, de votre
Cœur remonte dans le sein de la très parfaite Trinité. Ainsi soit-il.
Jean-Michel de Vesly († 1600)

Prière méditée des moniales


La solitude de l’esprit14

Comme souvent au XVIIe  siècle, l’élan du cœur s’accompagne d’une


réflexion intérieure élaborée, qui rappelle l’art de la méditation monastique.

Car quel repos peut avoir l’âme dans la solitude du corps, si elle
nourrit volontairement dans son esprit le tumulte des pensées, des
réflexions, et des sollicitudes ?
 
 
C’est dans la paix que Dieu fait sa demeure  ; et par conséquent, ce
tumulte est incompatible avec l’union de l’âme avec lui. Ce tumulte
ressemble au vent qui agite l’eau de la fontaine, où le soleil n’imprime pas
sa figure qu’elle ne soit reposée.
 
 
Ô Seigneur, c’est en ceci que j’apprends très particulièrement que le
péché m’a mis en état de ne me pouvoir tenir que fort mauvaise compagnie
à moi-même, puisque mon esprit se forme des tempêtes et des querelles, qui
ne se peuvent apaiser que par l’éloignement des entretiens qu’il cherche à
trouver chez soi. Je reconnais le grand avantage que j’aurais s’il était bien
séparé de ces importunes compagnies, et le besoin que j’ai de le former à la
solitude. Mais, mon Sauveur, il faut pour cela que j’aie recours à cette
même puissance, qui commanda au vent et à la mer de s’appliquer, et qui
commanda au vent et à la mer de s’apaiser et qui délivra vos Disciples de
toute leur crainte, lorsqu’ils croyaient qu’ils allaient périr dans les flots,
pendant que vous dormiez. Car pour bien arrêter les vents des pensées qui
excitent les tempêtes de mon esprit, il faut que vous parliez. Mais le
reproche que vous fîtes à vos disciples de leur peu de foi me doit enseigner
à me tenir ferme auprès de vous, sans sortir volontairement de la solitude de
l’esprit par des pensées superflues, des réflexions inutiles et des sollicitudes
déréglées, et sans m’épouvanter de leur bruit.
Souvenons-nous que pour avancer dans la solitude de l’esprit, il faut
combattre généreusement et se défendre contre la multiplicité qui l’attaque ;
il faut rejeter les pensées superflues qui l’environnent, non pas par une
résistance formée par d’autres pensées  ; car ce serait ajouter pensée sur
pensée, et allumer son flambeau par les deux bouts ; mais par le mépris et
l’inapplication à ces pensées. Il faut retrancher les réflexions inutiles sur des
choses qui sont suffisamment connues, ou qu’il est inutile de connaître, en
leur refusant notre attention, et en se détournant d’elles. Il faut étouffer les
sollicitudes par le recours à la Vérité, qui nous enseigne à transporter toute
notre sollicitude dans le sein de Dieu, demeurant fermes dans la confiance
en sa Providence, qui demande seulement de nous une application simple et
diligente sur ce qu’elle nous met entre les mains  ; et nous nous
abandonnons entièrement à elle pour le reste.
Innocent Le Masson (1628-1703)
Prière sous forme de dialogue
avec le Christ sur les tentations
de la vie solitaire15

Ce texte suit la forme méditative de l’oraison au XVIIe siècle, déjà observée


chez Innocent Le Masson.

Le solitaire

Tandis que je souffre et que cependant je me tais, tandis que je suis


crucifié et qu’extérieurement je me réjouis, lorsque je pleure, que je suis
affligé, que je ris, que je sais ce que je fais, pour que le nœud de la poitrine
et le mal de tête que j’engendre soient ainsi anéantis, je dilaterai mon cœur,
je délivrerai mon esprit dans les rires et les plaisanteries, parce que je vois
que pendant que la langue se délie, l’un et l’autre nœud du cœur aussi.
Et qu’ai-je dit, Seigneur ? Si telle est ta volonté et que tu te complais
en cela, pourquoi, si je le fais, t’éloignes-tu de moi ? Si une langue bavarde,
vagabonde et faible te plaît (ce que du moins je crois), pourquoi une
nouvelle aridité survient-elle, une tiédeur dans l’amour et une amertume
dans la dévotion  ? Seigneur, je ne comprends pas la façon par laquelle tu
agis avec moi ; tu m’as appelé à toi, je n’ai pas refusé de porter ton joug,
aussi pourquoi devient-il si pesant ? Ô très bon Jésus, je t’en supplie, ne me
rejette pas de ta face, il est grand, je le confesse, et très incurable à tous les
moyens des médecins, le vice de l’âme ; mais toi tu es plus grand que le mal
et les remèdes, pour toi aucune maladie n’est incurable, aucune faiblesse
n’est inguérissable, soigne-moi Seigneur, et je serai guéri (si toutefois tu le
veux) parce que mes os sont brisés et mon âme est tellement troublée. Car
je sais que tu es mon Père, et que tu n’as jamais voulu le malheur de tes
fils  ; deviendrais-tu cruel pour moi  ? Qu’il ne m’arrive jamais de croire
cela, de parler ainsi, car ton serviteur t’écoute, Seigneur.

Le Christ répond (à celui qui est angoissé


et tourmenté par les scrupules)
Aie confiance en moi, mon fils, de tout ton cœur dans toutes tes
afflictions, et pour une heureuse délivrance de ton angoisse, tu dois mettre
toute ton espérance en moi, c’est tout ce que je réclame de toi, pour que tu
fasses ce que tu dois et ce que tu peux. En premier, sois donc humble dans
ton regard, tout simplement, obéissant, sois sans crainte de rien, alors la
tentation ne te nuira pas, aussi longtemps qu’elle durera, et l’espoir de la
délivrance l’emportera. Dieu sait mettre une fin lorsque cela lui agréera et
que cela te sera avantageux ; Dieu sait tirer le bien du mal et pourquoi pas
de ta souffrance ? Mais cependant, j’ai contre toi peu de choses, du fait que
tu ne fais pas ce que tu peux ; en effet, tu comprends la volonté de Dieu et
tu ne la fais pas car tu ne crois pas tes supérieurs, et tu ne te soumets ni à
leur jugement ni à leurs conseils.
Voilà la cause de la croissance de ta souffrance et qu’elle devient
irrémédiable. Tu t’en tiens à ton jugement, c’est pourquoi observe les
conseils des pères et crois fermement qu’une simple obéissance guérira
cette lèpre, pourquoi murmures-tu de façon orgueilleuse sur l’ignorance, et
l’inexpérience de ton confesseur et de ton directeur ? Pourquoi préfères-tu
ta doctrine à la leur  ? Espères-tu conquérir d’une autre manière les
turbulents mouvements de ton âme ? Pas du tout ; tu te trompes quand tu te
confies trop en toi et que tu ne comptes pas assez sur Dieu qui a envoyé ce
confesseur pour toi et qui veut, par lui, te diriger dans le chemin de la
tribulation. Par ce guide, dis-je, par ce chef tu traverseras et franchiras cette
grande mer. Aussi revêts donc l’esprit de l’enfant, cela te permettra
d’arriver par son conseil, et tu seras tranquille. Pour le reste, abandonne-toi
à moi qui n’exige jamais de choses impossibles.
Nicolas Kessler († 1701)

Oraison du frère convers


en revenant à la cellule
après le travail16
Seigneur, renfermez-moi dans cette petite arche que vous m’avez
préparée, pour me préserver du déluge de la vanité et du péché.
Effacez de mon esprit tout ce qui pourrait y demeurer et y faire trop
d’impression, pardonnez-moi les fautes que j’ai commises dans mes paroles
et dans mes pensées et donnez-moi la grâce de m’attacher à bien vaquer à
mon unique nécessaire.
Statuts (XIXe siècle)

Oraison du frère convers


avant la lecture spirituelle17

Seigneur, mon Dieu, puisque c’est en vain que travaille celui qui bâtit
une maison18, si vous ne voulez qu’elle soit édifiée, c’est bien plus en vain
que je fais la lecture spirituelle, car mon cœur sera sourd, et mon esprit
aveugle, si votre Esprit ne m’ouvre le sens pour entendre les Écritures.
Donnez-moi donc un esprit ouvert, et un cœur docile pour apprendre ce
qu’il vous plaira de m’enseigner pour la lecture de ces livres. Ce ne sera ni
aux livres, ni à mon esprit que j’attribuerai ce que j’apprendrai, mais à votre
Esprit et à votre sainte Grâce.
Statuts (XIXe siècle)

Prière du soir
pour écarter la lassitude19

J’aime ce que vous aimez. C’est votre vie éternelle, mais en moi,
accueillie par moi, vécue par moi.
Quand le soir tombe et que la fin d’un jour, en s’annonçant, me fait
songer à la fin des choses, comme j’ai besoin de vous prier de me garder
cette vie qui ne passe pas :
«  Écoutez, au moment où les ténèbres de la nuit s’approchent, nos
prières qu’accompagnent nos larmes. Ne permettez pas que notre âme,
appesantie par le poids du péché, se détourne des choses éternelles et
qu’elle quitte cette patrie intérieure où l’on vous connaît, où l’on vous
aime. »
Le péché vous chasse, il fait la nuit, il remplace la lumière, qui vous
montre à moi dans votre splendeur radieuse d’être infini, par la clarté
inférieure et douteuse qui m’égare vers la créature. Il ne me permet plus de
discerner nettement ce qui est vérité et mensonge, vrai bien et faux bien.
Écartez de moi ces ténèbres. Faites au contraire que le soir de ma vie soit de
plus en plus cette fin apaisée des longues journées d’été, où les nuages ont
pu s’amonceler, le tonnerre gronder, le soleil darder un rayon trop dur, mais
qui s’achèvent dans le calme recueilli et confiant où s’annonce un beau
lendemain.
Donnez-moi cela, ô Vous pour qui il n’y a ni orage, ni nuage menaçant,
ni rayon qui brûle, ni tempête qui dévaste, ni jour qui finit. Donnez-moi de
vous connaître et de vous aimer comme vous vous connaissez et vous vous
aimez  ; donnez-moi votre vie éternelle. Vivez en moi, ô Père, dans mon
âme que l’effort quotidien, soutenu par votre grâce, fera de plus en plus
limpide  ; engendrez comme dans un pur miroir votre Image qui est votre
Fils ; gravez en moi vos traits, ou mieux, faites que je fasse cela, que bien
souvent ma pensée aimante se retourne vers vous. Donnez-moi de vous
reconnaître, de vous adorer, de vous bénir en tout ce que vous voulez, en
tout ce que vous faites. Donnez-moi votre Esprit qui ainsi vous reconnaît,
vous adore et vous aime.
Augustin Guillerand (1877-1945)

1.
Denys le Chartreux, Éloge de la vie en solitude , La Vie et la Fin du solitaire , Paris,
Beauchesne, « Spiritualité cartusienne », 2004, p. 184.
2.
Statuts de l’ordre des chartreux , op. cit. , p. 171.
3.
1 Co 7,30-31.
4.
Statuts de l’ordre des chartreux , op. cit. , p. 180-181.
5.
Adam Scot, De quadripertito exercitio cellae , in Petite Anthologie d’auteurs cartusiens ,
op. cit ., p. 30.
6.
Adam Scot, De quadripertito exercitio cellae , PL, 153, col. 854d-855a.
7.
Michel de Prague, Remediarium abjecti prioris , éd. Pez, Ratisbonne, Bibliotheca ascetica,
1723, t. II, p. 227-468, chap. XV, p. 452-453.
8.
Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit. , p. 270-271.
9.
Nicolas Kempf, De studio theologiae moralis , éd. Pez, Ratisbonne, Bibliotheca ascetica,
1447, t. IV, p. 299, trad. inédite.
10.
Jean-Juste Lansperge, Divini amoris pharetra . Item , Jesus Christi ad animam fidelem
alloquium , Cologne, 1590, extraits, p. 55-69, trad. inédite P. Pradié, osb.
11.
Jean-Juste Lansperge, Lettres , in Petite Anthologie d’auteurs cartusiens , op.  cit. , t.  IV,
p. 229.
12.
Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit. , p. 272-273.
13.
Ibid. , p. 271-272.
14.
Innocent Le Masson, Direction et sujets de méditations pour les retraites à l’usage des
religieuses chartreuses , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1890, chap.  III, «  La
solitude de l’esprit », p. 80-81.
15.
Nicolas Kessler, Gemitus compeditorum sive tentationes quae frequentius adoriuntur
religiosos et a perfectione impediunt , Cologne, Demen, 1677, p.  30, trad. inédite P.  Pradié,
osb.
16.
Statuts de l’ordre des chartreux , op. cit. , p. 181.
17.
Ibid. , p. 171-172
18.
« Si Yahvé ne bâtit la maison, en vain les maçons peinent. » (Ps 127,1.)
19.
Augustin Guillerand, Harmonies divines , hymne «  Lucis Creator optime  », Liturgie d’âme ,
op. cit. , p. 109-110.
5

L’invocation de Dieu

L’invocation de Dieu, comme celles du Christ, de Marie et des saints,


appartient autant aux prières d’ordre qu’à celles murmurées, proférées à
haute voix ou chantées en cellule. Elle est le pain quotidien des solitaires
appelés à mener une vie d’union à Dieu dans la reconnaissance de sa nature
trinitaire indivise, comme le redisent au XXe siècle Augustin Guillerand et
Jean-Baptiste Porion. Ainsi, la même invocation de la théologie trinitaire se
révèle aussi bien dans le commentaire du prologue de l’Évangile de Jean,
écrit par Augustin Guillerand, que dans l’opuscule consacré par Jean-
Baptiste Porion à la  trinité et à la vie surnaturelle. Pour l’un, le Verbe se
tient dans la demeure de l’Esprit : « Et le Verbe était chez Dieu » (Jn 1,1), y
engendrant son principe d’amour :
Une immense circulation d’amour anime donc cette demeure, est cette demeure et, dans cette
demeure qui est l’Être même, se communique à trois termes, les unit de l’unité la plus
complète, l’unité de l’Être, et les distingue en même temps de toute la grandeur de cet Être qui
s’oppose1.

Pour l’autre, en termes simplifiés, la  Trinité est le lieu de l’adoption


filiale et de la complaisance de l’amour de Dieu :
Le Père s’exprime tout entier dans son Fils, et se contemple en celui-ci avec une complaisance
infinie. Il lui donne toute sa substance, il se retrouve intégralement dans son Fils ; et le Fils
contemple à son tour dans le Père le trésor inépuisable de l’Essence qu’il est lui-même. « Tu es
mon Fils bien-aimé, je me complais en toi » (Mc 1,11)2.

La contemplation de Dieu, indissociablement liée à celle du Fils et de


l’Esprit, s’exprime donc dans un ensemble de documents et de prières où
l’essence divine est appréhendée sous ses multiples aspects. Dans le
Commentaire des lettres de saint Paul qui lui est attribué, saint Bruno
présente la prière à Dieu comme un ajustement à sa volonté :
Ne soyez pas dans le doute sur le fait d’être exaucés, mais n’hésitez pas à demander par
l’oraison la prière instante et l’action de grâces. On appelle ici oraison la demande d’une chose
que l’on peut obtenir par intercession. On appelle supplication une demande accompagnée de
serments pour obtenir quelque chose qui nous semble difficile. Et il est vraiment utile de
rendre déjà grâces, pour ce que l’on demande pour l’avenir, de même que c’est un mal de ne
pas remercier. Ainsi, demandez, de telle sorte que vos demandes soient présentées à la
connaissance de Dieu, c’est-à-dire qu’elles soient connues et approuvées par Lui. Une
demande est présentée à sa connaissance si, d’une part, le demandeur est juste et si, d’autre
part, ce qu’il demande est idoine3.

Au XIIIe  siècle, les grands textes consacrés à la théologie mystique


s’accordent à mettre en évidence la miséricorde de Dieu. Guigues du Pont,
dans le premier livre de son Traité sur la contemplation, s’attachant à
montrer les degrés préparatoires à la vie contemplative, découvre le rôle
consolateur de Dieu :
« Comme une mère console ses enfants, c’est ainsi que je vous consolerai », dit le Seigneur.
De différentes façons « le père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » et de toute
piété a la bonté, selon l’ampleur de ses richesses et de ses miséricordes, de consoler  l’âme
qu’il a prédestinée à reproduire l’image de son Fils4.

La grâce ainsi répandue dans l’« âme morte » par le Père compatissant,


«  la relève et la justifie  de la faute  » 5 et transforme son désir en une
« harmonie intarissable » :
Après quoi, du fait de la considération de la lumière divine et de la jouissance de l’éternelle
charité, ils se répandent en louanges d’une harmonie intarissable, ne cessant pas de crier à
longueur de journée et disant d’une seule voix  : «  Saint, saint, saint, le Seigneur Dieu
Sabaoth6. »

L’engendrement divin procède donc d’un mouvement circulaire de la


contemplation entre les trois personnes au sein duquel l’être est à son tour
saisi par la miséricorde de Dieu. Les auteurs chartreux, comme leurs
contemporains, voient là le sens de la prière sacerdotale souvent commentée
comme le chemin de la voie unitive, ainsi que l’a fait Guillaume de Saint-
Thierry au XIIe siècle dans sa Lettre aux frères du Mont-Dieu :
Celui qui, jusque-là, ne fut que solitaire ou seul devient «  un  »  ; la solitude de corps se
transforme pour lui en « unité d’esprit » ; en sa personne se réalise ce que, dans sa prière, le
Seigneur demandait pour ses disciples, comme terme de toute perfection : « Ô Père, c’est mon
désir : tout comme toi et moi nous sommes un, qu’ils soient eux de même un en nous »7.

Ainsi se réalise la ressemblance avec Dieu, dont la voie cartusienne est


un modèle idéal aux yeux de Guillaume de Saint-Thierry.
Il va de soi, dès lors, que la prière adressée à Dieu laisse la place à
l’enchantement d’une louange pleine de gratitude envers le créateur.

Du désir de Dieu8

Nous devons gémir du désir de cette habitation céleste. Car nous


gémissons bien au désir des choses terrestres. Il [saint Paul] dit cela ainsi :
« Nous qui sommes dans cette tente, c’est-à-dire dans cette chair que nous
nourrissons, bien qu’alourdis par le poids de cette chair, nous gémissons
cependant, parce que cela nous ne voulons pas en être dépouillés, mais
revêtir l’immortalité aussitôt par-dessus, de telle sorte que ce qui est mortel
soit absorbé par la vie, sans qu’il y ait changement. Et quoique nous
gémissions par amour des choses terrestres, cependant Dieu nous a fait pour
cela même, que nous désirions revêtir l’habitation céleste par-dessus [la
terrestre], en préférant le céleste au terrestre, Dieu, dis-je est celui qui nous
rendra vraiment immortels. »
Bruno de Cologne († 1101)

Misère de l’homme,
bonté de Dieu9

Qui suis-je donc, moi qui suis ver et poussière, limon et cendre, chose
si vile et rebut, qui peut être tenté par lui-même au-delà de ce que je
pourrais ? Que me reste-t-il donc, sinon de crier : « Dieu, viens à mon aide,
et ne souffre pas du tout que je sois tenté au-delà de ce que je peux. Car
sans ton aide je sais que je ne peux éviter les tromperies du diable. » […]
Dirige donc mes pas, Seigneur, dans tes sentiers, de sorte que mes traces ne
bougent pas, et sous l’ombre de tes ailes, protège-moi de la face des impies,
car ils m’ont affligé. Car si eux je peux les éviter, toi, cependant, je ne peux
t’éviter et je ne peux non plus fuir loin de toi, puisque, où que j’aille, là ta
main me tiendra : il n’est personne, en effet, qui puisse échapper à ta main.
Hélas, où fuirais-je loin de ta face ? Mais aussi pourquoi fuir ? Je ne pourrai
pas fuir, et je n’ose pas me tenir devant toi : car je suis impur et conçu d’une
semence impure.
Hugues de Miramar († 1242)

Dieu de miséricorde10

Ô Dieu, en quelles vanités se trouve mon esprit ! Voici qu’il n’y a pas
de lieu où fuir.
Quoi donc ? Que dirai-je ? Car tout passe, sauf aimer Dieu. Toi seul, je
le comprends donc, est le refuge des misérables ! Blessé, tu t’abstiens ; tu
ne contiens pas en ta colère tes miséricordes  ; tu es un lion puissant pour
ceux qui sont déjà terrassés, tu épargnes les hommes élevés. Je me réfugie
en toi : soigne mes maux parce que pour tous tu es bon, meilleur, très bon.
Père saint, toi qui fus bon pour moi dans la création mais encore
meilleur en la récréation, sois donc pour moi, je te prie, très bon par ta
miséricorde en la glorification  ! Toi seul es grand : tu emplis le Ciel et la
terre  ; tu es plus grand en gouvernant tout  ; sois pour moi, je te prie, très
grand quand tu seras tout en tous ! Toi seul es suave : tu remets les péchés ;
tu es plus suave en la promesse de la vie  ; sois pour moi, je te prie, très
suave en la rencontre de la gloire  ! Tu es désirable, à savoir en l’exil, en
enfer, dans le jugement et sur le trône : en exil pour les pécheurs, en enfer
pour les justes qui attendent, mais dans le jugement pour ceux qui aiment et
sur le trône ou dans le royaume pour ceux qui exultent. Pour les pécheurs
dans l’espérance de la justification, pour ceux qui attendent dans
l’espérance de la libération, pour ceux qui aiment dans l’espérance d’être
placés à ta droite, mais aussi pour ceux qui exultent dans l’espérance de
jouir plus abondamment, Seigneur Dieu, de ta vision. Avec les premiers je
crie : moi je suis ton serviteur inutile, viens, Seigneur, et ne tarde pas !
Hugues de Miramar († 1242)

Méditation sur Dieu


notre créateur11

Doux Seigneur, il me semble que la nature réclame que l’homme aime


ses parents et ses frères et ses sœurs et ses amis et son époux et ses amis qui
lui font du bien. Ô doux Créateur, et si j’aime mon père qui est un homme
mortel plus que je dois t’aimer sans comparaison, [toi] qui es mon père
spirituel et ma vie perpétuelle. Mais moi, je ne suis pas digne d’être appelée
ta fille, parce que j’ai péché devant toi et devant tes anges, mais cependant,
parce que je sais que tu ne veux pas la mort des pécheurs, mais qu’ils se
convertissent et qu’ils vivent. Pour cela, moi, je reviens vers toi, comme
celle qui n’a ni père ni ami, sauf toi. […]
 
 
Seigneur mon Dieu, cher Seigneur, ne t’offense pas si je t’appelle Père,
parce que c’est toi qui m’as créée lorsque je n’étais rien et tu m’as fait une
âme et un corps et tu m’as fait à ton image et à ta ressemblance par
miséricorde. […]
 
 
Tu es la douceur des élus par laquelle tous les biens sont suaves, et de
sa bonté les âmes saintes vivent dans le paradis.
Ô Dieu, qu’il est précieux ce lieu de tant de vertu et de tant de valeur
que celui qui y habitera ne pourra plus jamais avoir d’infirmité et sa vie ne
finira pas ni ne pourra vieillir ou perdre sa beauté et sa grâce. Tu es la rose
glorieuse qui contient tous les bons parfums et toutes les couleurs.
Ta beauté est si grande que toutes les beautés qui existent sont comme
des haillons face à ta beauté.
Ah ! Seigneur mon Dieu, je désire voir ce qui n’est pas, une chose si
précieuse et de tant de valeur qu’est l’âme de l’homme et de la femme, alors
que toi qui étais le vrai Salomon dans lequel se trouvait toute science et
dont la cité paradisiaque était pleine des richesses, parce que tu savais de
quelle dignité étaient les âmes saintes que tu as faites à ton image et à ta
ressemblance, tu as même voulu devenir leur négociant pour les racheter et
tu l’as fait d’un si grand prix qu’il est bon de le dire et de le penser.
Marguerite d’Oingt († 1310)

Louange de Dieu
en tant qu’être12

Denys le Chartreux a beaucoup réfléchi dans son œuvre considérable sur la


distinction entre l’essence et l’existence. Avant 1464, il suit sur cette question la
tradition thomiste, après cette date, il semble se rallier à la position nominaliste
ainsi que le commente Augustin Devaux à l’occasion de la traduction de ce texte.

Ô Être premier, incréé,


Être-source et Être sans cause,
tu es l’Être vrai, l’Être même,
l’Être infini formellement,
l’Être parfait totalement.
 
 
Vraiment, pleinement, proprement
à toi seul l’être est attribué,
puisqu’à celui qui s’enquérait
tout modestement de ton nom,
à Moïse, tu répondis :
« Je suis celui qui est », dit-on,
jadis sur le mont Sinaï.
 
 
Tout comme un océan immense
qui coule en soi sans densité,
ton Être comprend en soi-même
d’être toute la dignité
et tout l’éclat de ce qui est,
et se répand en tous les êtres.
 
 
Il n’est en toi aucun non-être,
il n’est en toi rien d’imparfait,
rien qui trouble l’Être fontal13 ;
en toi on trouve pureté
et suprême simplicité,
comme immense sublimité.
 
 
Tu es l’Être, tu es l’essence ;
entre eux aucune distinction
en toi n’a quelque consistance,
car tu es l’Être subsistant,
l’Être spécial, l’Être idéal,
unique, premier et causal.
Ton existence est excellente
au point, certes, comme je crois,
qu’une essence créée près d’elle
n’est que néant et vanité ;
de là vient que ma subsistance
est comparée à ombre vaine.
De toi l’être passe à tout être
et en tous va se conservant
dans un ordre plein de beauté
depuis le pivot initial,
comme le dicte ta Sagesse,
une avec ta vivante Essence.
 
 
Parfais l’être de la nature
rends-le pleinement déiforme
par le don de toutes les grâces
et par les œuvres des vertus.
 
 
Tout l’imparfait de la nature,
comble-le, Dieu de Pureté ;
de l’âme enlève tout non-être,
reforme-la dans son intime ;
rends au non-être tous ses vices
et ses fautes, ce mal sauvage.
 
 
Que tout l’univers te révère,
que t’embrassent tous nos esprits
qui te doivent tout ce qu’ils sont.
Ce sont les Saints qui plient sous toi.
À toi honneur, hymne, louange ;
je veux te louer, quoique impuissant.
Denys le Chartreux (1402-1471)

Paraphrase du Notre Père


et de l’Ave Maria14

Notre Père très fidèle, ô mon Seigneur et mon Dieu très aimé, moi qui
ne suis rien et qui me suis fait pire que rien, je te loue, t’adore et t’invoque
dans la simplicité et le fond de mon cœur. Toi « qui es » avec la totalité de
ta divine Essence présent « aux Cieux », c’est-à-dire en moi et en toutes les
âmes.
Je te prie  : «  que ton nom soit sanctifié  » en moi et en toutes les
créatures, afin que nous recherchions et obtenions ton seul honneur partout,
toujours et en [toutes] circonstances avec la plus grande pureté d’intention,
toute recherche personnelle absolument étouffée.
« Que ton règne arrive », c’est-à-dire celui de toutes les vertus en nous,
jusqu’à ce que nous te soyons totalement conformés en corps et en âme,
tout vice banni.
« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel », afin que dans
la prospérité et l’adversité, dans le temps et dans l’éternité nous désirions
toujours la remplir très parfaitement, renonçant avec le plus grand désir à
notre volonté propre et t’obéissant toujours intérieurement comme
extérieurement aux hommes.
«  Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien  », à savoir le pain de
l’amour qui nous absorbe tout entiers et nous fasse un véritable amour avec
toi, nous entraîne efficacement aux vertus susdites, l’amour propre
totalement anéanti, de sorte qu’unanimement unis, nous habitions en toi,
notre Dieu, tout brûlants de ton amour.
« Pardonne-nous nos péchés, etc. » par tes saints mérites et supplée à
toutes nos négligences en ton sang, notre très doux Dieu.
« Et ne nous induis pas, etc. » Donne-nous d’être toujours tournés vers
notre intérieur en ta présence et de surveiller notre homme intérieur et
extérieur si diligemment que nous ne t’offensions jamais, même dans les
plus petites choses, fût-ce pour souffrir la mort.
« Mais délivre-nous du mal » passé, présent et futur, qui puisse nous
empêcher ou, en quelque façon que ce soit, nous retarder loin de ton très
doux visage et de ton union, parce que de nous-mêmes nous ne sommes
rien, ne valons rien, ne pouvons rien.
« Amen », ainsi soit-il.
 
 
«  Ave  », libère-nous de tout malheur, «  Marie  »  ; illumine-nous avec
éclat, «  pleine de grâce  », remplis-nous de toute grâce. «  Le Seigneur est
avec toi  »  : unis-nous d’une charité parfaite avec lui. «  Tu es bénie entre
toutes les femmes et Jésus, le fruit de tes entrailles, est béni », afin que nous
puissions bénir pour toujours et ultra ton Fils, et toi, sa Mère, « Amen ».
Gérard Kalckbrenner (1488-1536)

Offrande à Dieu le Père


des saintes plaies de son Fils
pour les besoins de l’Église15

Ô Dieu, Père éternel, humblement prosterné à vos pieds, et animé de la


plus vive confiance et du plus ardent amour, je vous offre les mérites et les
plaies sacrées de votre Fils unique pour les besoins pressants de la sainte
Église. Ô Père, tendre Père, que les entrailles de votre charité, de votre
miséricorde infinie, s’émeuvent de compassion pour nous et pour cette
Église, que votre divin Fils a fondée au prix de son Sang. Vous voyez, ô bon
Père, combien votre Épouse est persécutée et opprimée par des fils ingrats !
Mon Dieu, à la vue de ces plaies adorables, que je vous offre et qui sont
comme autant de bouches implorant pour nous votre pitié et votre
miséricorde, ne me refusez pas cette grâce si désirée. Ô Père chéri, ô
Seigneur, déposez, oui, déposez ces traits que vous êtes sur le point de
lancer contre la terre  ; calmez votre trop juste indignation, au nom des
plaies de votre Fils unique : je vous les offre de nouveau, avec ses mérites et
avec les douleurs du Cœur très pur de Marie, Mère de Jésus et notre Mère.
Ainsi soit-il.

Oraison jaculatoire.
Ô Dieu Père éternel, par les plaies de Jésus, accordez-nous le pardon et
la grâce de ne plus vous offenser jamais.
Gabriel-Marie Fulconis (1816-1888)
Hymne à l’amour de Dieu16

Ce texte est bien représentatif du passage de l’exhortation au lyrisme de la


prière.

Si je pouvais, dans ma petite manière d’enfant, vous faire comprendre


combien l’Amour vous aime, combien il a faim de vous, comme il regarde
chaque mouvement de votre cœur. Ce ne sont pas vos fautes qui blessent
son tendre cœur, ce sont vos manques d’amour. Vos fautes ! « Il sait de quoi
nous sommes faits. Il se souvient que nous ne sommes que poussière. » Il
n’attend pas la perfection de la poussière, et même il oublie sa laideur, si le
cœur de cette pauvre poussière l’aime, car « la charité couvre une multitude
de péchés ». Elle efface entièrement nos fautes journalières ; c’est pourquoi
Dieu voit à peine la faute quand il voit l’amour à côté. Oh l’amour  ! rien
n’est aussi grand que l’amour  ; et pauvres pécheurs que nous sommes,
quand nous offrons au Père éternel un acte d’amour, nous lui offrons un
souvenir vivant de son divin Fils qui est la Charité incarnée ; et comment
pourrait-il même voir nos misères quand nous lui offrons un tel souvenir ?
Pauvre Amour ! Oh aimons-le  ! Il est si peu aimé. Que son amour soit la
respiration de notre vie […].
Oh vraiment, on ne connaît la puissance de l’amour que lorsqu’on
aime  ! Et on aime non pas quand on a reçu quelque consolation, quelque
lumière, mais bien quand on s’est donné tout à l’Amour, quand on ne lui a
rien refusé.
Une moniale de la chartreuse de Nonenque
 (début du XXe siècle)

Louange à la Bonté17

Mon Dieu, vous êtes la Bonté en sa Source essentielle. Vous ne la


recevez de personne, vous la possédez en même temps que votre être ; elle
est votre être même ; vous êtes bon comme vous êtes, autant que vous êtes,
aussi longtemps que vous êtes  ; vous êtes bon depuis toujours, pour
toujours, éternellement, immuablement, infiniment. Être et être bon, pour
vous, cela ne fait qu’un : la bonté c’est votre être et votre Être est la Bonté
même.
Toute bonté finie vient de votre Bonté infinie, elle en est une
dérivation, un ruisselet, une gouttelette. Elle n’est que ce que vous lui
donnez d’être, elle est seulement si elle se rattache à vous, elle cesse dès
qu’elle coupe le lien. Toutes ces bontés finies m’attirent  ; je les aime, je
voudrais m’en emparer, je les poursuis, je m’épuise à ces poursuites le plus
souvent irréalisables, et qui, réalisées, me laissent si vide et si altéré, et je
néglige la Réalité sans bornes qui seule peut me combler et qui s’offre à
moi. Pourtant c’est vous que je désire et recherche en ces formes mêlées ; je
ne les aime que pour ce qu’elles me représentent de votre seule vraie bonté.
Vous êtes le seul vraiment aimé et désiré et le mouvement des êtres
partant de ce désir cesserait si vous cessiez d’être le Bien qui se donne.
La bonté, c’est le don de soi. La bonté infinie, c’est le don total de soi,
sans bornes, sans réserve, ni dans la durée, ni dans l’espace, ni dans la
communication de ce que l’on a et de ce que l’on est. La Bonté se donne
comme le soleil brille, rayonne et éclaire, comme le feu réchauffe, comme
la source se répand. Et vous êtes cette Bonté, ce Don de soi, cette Lumière,
cette Chaleur, cette Source répandue.
Et vous m’avez posé en face de vous, moi, petite chose vide, froide,
obscure, égoïste, pour accueillir, selon la mesure de mon être possible, votre
Être qui est tout cela et veut me combler de lui.
Augustin Guillerand (1877-1945)

Louange à la Sagesse18

Vous êtes, ô mon Dieu, l’Ordre infini. L’ordre qui règne ici-bas est
merveilleux. Ce que nous pouvons en entrevoir nous éblouit, et ce que nous
voyons est si peu ! Vous êtes tellement l’Ordre que même les désordres le
procurent  ! Vous avez l’art, le grand art, de faire de l’harmonie avec des
dissonances. Il faut savoir dépasser, il est vrai, pour reconnaître cet Ordre
suprême, la durée éphémère, les circonstances présentes, ce qui n’est pas, et
attendre que le présent passager et superficiel ait produit ce que voyait votre
regard éternel et voulait votre Amour immense.
Votre Sagesse, ô mon Dieu, c’est ce regard dépassant les temps et les
lieux et c’est ce vouloir s’élevant au-dessus du passager. Elle est faite
d’intelligence qui ordonne et d’amour qui se donne. L’ordre est le fils de
l’intelligence qui aime et dont le nom propre est la Sagesse. En nous,
l’intelligence et la volonté, nées du même fond profond, semblent
néanmoins se diviser. Je parlerais plus exactement en disant « semblent se
distinguer », car distinction n’est pas division. En vous, ô mon Dieu, où tout
est un, elles ne font qu’un. La Sagesse est l’acte unique dans lequel vous
vous connaissez dans votre Amour et vous vous aimez en vous connaissant.
La Sagesse est votre Verbe, Lumière qui vous montre, Parole qui vous
exprime, Image qui vous représente, rayon substantiel qui est l’éclat
splendide de votre gloire, figure qui reproduit vos traits et vous fait
connaître.
Cette Sagesse s’est communiquée au « néant » et l’a rempli d’images
finies de l’Être qui est. Tous les êtres et l’ordre régnant, en chacun d’eux et
dans tout l’ensemble, représentent votre Sagesse, ô mon Dieu. Et c’est elle
que je dois admirer, adorer, aimer quand le monde se révèle à moi dans la
splendeur de ses merveilles et de son harmonie. Je dois voir en lui votre
grandeur, votre intelligence, votre puissance, tout le jeu de ce que j’appelle
vos perfections et qui, en vous, sont la perfection unique de votre plénitude
d’Être. Je dois voir en chacun, dans l’unité de chacun, une image de cette
plénitude infinie  ; je dois voir dans tous les éléments qui le composent et
dans tous les mouvements ordonnés qui constituent son activité votre
Amour qui unifie tout, ordonne tout, se représente en unissant, unit en
ordonnant et qui, pour ordonner, règle la place et l’agir de chacun, le
conserve, le développe dans la paix, pour le bien de tous et de tout
l’ensemble auquel chacun appartient.
Augustin Guillerand
 (1877-1945)
Louange à la Miséricorde19

Je ne comprends pas assez cela parce que je suis tombé dans la


misère ; je suis un déchu, j’ai quitté les hauteurs de l’être où vous m’aviez
posé en me créant. Je n’ai pas su rester à ce niveau divin qui me mettait
bien en face de vous pour accueillir et reproduire le mouvement de votre
Esprit, pour m’emparer de lui et de son chant dans toutes les notes créées
qui le reproduisaient sans le savoir. J’avais reçu la lumière qui montre ce
don de soi en tout, et l’élan conscient, éveillé, en pleine clarté qui le fait
rentrer en vous. J’ai perdu cette lumière et j’ai arrêté cet élan. Je l’ai dirigé
vers moi, au lieu de le diriger vers vous. Je vous ai frustré de cette gloire, et
je l’ai voulue pour moi, et je l’ai réduite à la mesure de mon être propre
« qui n’est pas ». Je suis resté dans ce « néant », et j’ai obligé tous les êtres
que je devais porter vers vous à y rester avec moi. Quelle perte pour tous !
Les conséquences de la faute primitive –  et dans une certaine mesure de
toute faute – sont épouvantables, si on les comprenait.
Jésus les a comprises et a plié sous le poids  : «  Mon Père, si c’est
possible, que ce calice passe loin de moi ! » (Mt 26,39), criait-il, abîmé la
face contre terre et suant du sang par tout le corps, tandis que son âme
agonisait. Il était descendu aux grandes profondeurs de ma misère. Il l’avait
prise pour me relever : à l’abîme de cette misère il opposait un abîme plus
profond, celui de la miséricorde. […]
Mon Dieu, vous êtes cet Amour, vous êtes ce sommet suprême, et c’est
là que ma vie de louange doit se fixer. La création n’en est pas absente : je
reste le chantre de tout ce que vous avez fait, mais c’est au pied de la croix
que je dois jeter ma note et toute note avec la mienne, unie à celle du Fils
remettant son esprit entre vos mains. Là s’achève toute chose, là tout est
consommé.
Augustin Guillerand (1877-1945)
1.
Augustin Guillerand, «  Maître, où demeurez-vous  ?  », lecture de l’Évangile de saint Jean,
ateliers Henry Labat, 1985, p. 16.
2.
Jean-Baptiste Porion, Trinité et vie surnaturelle , Correrie de la Grande Chartreuse, 1997,
p. 31.
3.
Saint Bruno, Expositio in Epistolas Pauli , PL, 153, col. 371-372, trad. D. Maurin, osb.
4.
Guigues du Pont, Traité sur la contemplation , op. cit ., t. I, p. 77.
5.
Ibid. , p. 77
6.
Ibid. , p. 95.
7.
Guillaume de Saint-Thierry, Lettre aux frères du Mont-Dieu , éd. J.  Déchanet, Paris, Cerf,
« Sources chrétiennes », 1985, p. 375.
8.
Saint Bruno, Expositio in Epistolas Pauli , op. cit. , col. 518.
9.
Hugues de Miramar, Liber de miseria hominis , Ms. lat. 3589 BnF, éd. et trad. inédite
F. Wendling, université Montpellier III, p. 186.
10.
Ibid. , p. 188-189.
11.
Marguerite d’Oingt, Pagina meditationum , in Les Œuvres de Marguerite d’Oingt , éd.
A. Durafour, P. Gardette et P. Durdilly, Paris, Les Belles Lettres, 1965, § 6-7, p. 72-73, § 23-
27, p. 76, trad. P. Pradié, osb.
12.
Denys le Chartreux, Opera omnia , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, t.  XXXIV,
p. 414-415, in La Poésie latine chez les chartreux , éd. A. Devaux, « Analecta cartusiana »,
1997, p. 103 et 105.
13.
Être fontal : source divine de l’humanité.
14.
Gérard Kalckbrenner, Mélanges de spiritualité , texte établi, traduit et présenté par A. Devaux,
« Analecta cartusiana », n° 158, 1999, p. 97, 99.
15.
Gabriel-Marie Fulconis, L’Âme sainte, embrasée d’un ardent amour pour Jésus et Marie et
d’une tendre dévotion envers leurs cœurs sacrés , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés,
1892, p. 432-433.
16.
« Florilège de textes », chartreuse de Nonenque, 1967, document inédit, p. 42-43.
17.
Augustin Guillerand, Face à Dieu , op. cit. , p. 146-147.
18.
Ibid. , p. 148-149.
19.
Ibid. , p. 157-159.
6

L’ombre de la Croix

S’il est une prière que les chartreux pratiquent quotidiennement, c’est
celle adressée au Christ, au Christ souffrant, agonisant sur la Croix. Dès les
origines de l’ordre la dévotion à l’humanité du Christ est au centre de la
spiritualité des chartreux. Les écrits attribués à saint Bruno en attestent,
notamment le commentaire du Psaume 118 où s’expriment le désir d’union
et l’attachement à la kénose du Christ1. Les Titres funèbres, pour leur part,
notent qu’il méprisa tout et que, «  pauvre, il adhéra au Christ2  ». Les
méditations de Guigues  Ier et de Guigues  II s’inscrivent dans cette
perspective d’un amour de Dieu qui passe par la médiation du Christ  :
«  Sans éclat ni beauté et clouée à la Croix, ainsi doit être adorée la
Vérité3 », déclare brutalement Guigues Ier, tandis que Guigues II, méditant
sur les saintes Espèces, redit que par l’adhésion au Christ, on adhère à
Dieu  : «  Il faut donc suivre le Christ, adhérer à lui. “Il m’est bon, dit
l’Écriture, d’adhérer à Dieu”  ; mon âme s’attache à vous, votre droite me
soutient. Car celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui4. » Cette
omniprésence de la médiation du Christ, détachée de la figure trinitaire,
détermine donc une pratique religieuse et une dévotion au Verbe incarné
que souligne Guigues du Pont, lorsqu’il suggère de « bien ordonner sa vie
par rapport au Christ5  », et que les auteurs chartreux au cours des siècles
rattacheront plus particulièrement à la vénération de la Passion.
Centrale dès les premiers écrits cartusiens, la méditation de la Passion
du Christ apparaît comme un des exercices favoris de la cellule, dont
témoignent les premiers écrits des moines de Portes : « Le temps est bref, le
Salut éternel. Le joug du Seigneur est léger. Crois à mon expérience. Garde
dans ton esprit le souvenir des souffrances du Christ  », note Jean de
Montemedio à l’intention de son frère Étienne6. Les uns après les autres, les
maîtres des novices ne cessent de rappeler l’importance de cette méditation
dans le mécanisme de purification de l’âme. Dans son Éloge de la vie en
solitude, Denys le Chartreux consacre la totalité du chapitre  XXVIII à «  la
méditation fréquente, attentive et affectueuse de la Passion », afin de lutter
contre la tentation7. Cet attachement à la Croix, emprunté à l’Épître aux
Galates – « Avec le Christ, je suis fixé à la Croix : je vis, mais ce n’est plus
moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,19-20) –, produit une littérature
flamboyante et expressive dans les milieux cartusiens, de la fin du Moyen
Âge à la Renaissance, imprégnés par la sensibilité de la Devotio moderna.
Ainsi, sous la plume de Kalckbrenner, influencé par la béguine Marie
d’Oisterwijk, naît l’exercice de méditation aux cinq plaies du Christ8. Au
XVIe  siècle, Lansperge, dans ses Hymnes sur la Passion9, dans son
Speculum Christianae perfectionis10 et dans ses Lettres parénétiques11
relève l’attachement au cœur du Christ en conseillant de méditer devant une
représentation du Christ sanglant, ouvrant ainsi la voie à la piété du Sacré-
Cœur dont Innocent Le Masson dressera au XVIIe siècle un bilan cartusien à
l’intention des moniales de l’ordre. Il réalise en effet à leur intention une
anthologie des textes les plus anciens, démontrant à travers eux la réalité
d’une mystique de la Croix :
Pourquoi le Cœur de Jésus a-t-il été blessé à cause de nous d’une blessure d’amour ? C’est afin
que nous puissions pénétrer par la porte de son Côté jusqu’au divin Cœur ; là nous lui rendrons
amour pour amour, là nous unirons notre amour à son amour pour ne plus former qu’un seul
amour, de même que le fer brûlant ne forme qu’un seul corps avec le feu qui le consume12.

Le Christ est miroir de vie et médiateur de la grâce divine, permettant


à la contemplation du solitaire de se reposer dans son humanité sensible et
de trouver un encouragement à poursuivre son combat dans les périodes de
manque d’ardeur, de lassitude et d’acédie. Voilà pourquoi la variété des
prières au Christ est grande, de la simple affection sensible à l’hypotypose
des instants les plus douloureux de la Passion, dont les plaies et le cœur sont
les lieux emblématiques de la compassion des solitaires.
Page de méditation
sur l’humanité du Christ13

Cher et doux Seigneur, tu es mon frère, mais quelle grande


présomption que de le dire, lorsque moi je suis un petit vermisseau et que
toi tu es grand et digne, et que tous les clercs qui vécurent ou vivront dans
le futur n’oseront dire ni penser cela. Ô beau et doux Seigneur Jésus-Christ
qui m’a donné l’audace de dire une aussi admirable chose, que toi tu es le
vrai Dieu, mon frère, que tu nous as montré par un si grand amour. Ô beau
et doux Seigneur, quel fut cet amour ! Certes, il fut si grand que toutes les
vertus du Ciel et tous les anges du paradis ne pourront te contenir sans que
tu descendes en ce monde pour recevoir notre humanité. […]
 
 
Ah  ! Très clément Jésus-Christ, le très grand amour que tu m’as
montré quand tu as voulu cacher toute ta force par amour pour moi ! Toi qui
étais le plus fort du fait que, par la force de ton bras, tu portais et soutenais
tout le monde, et [qui étais] le plus puissant du fait que toutes choses
arrivaient en ce monde par ta volonté et que tu pouvais d’une seule parole
détruire et faire périr tout ce monde et que tu pouvais par une seule autre
parole le restaurer meilleur et plus beau. Ah  ! Beau Seigneur Dieu,
comment s’est-il fait que tu as supporté que ta force soit affaiblie au point
de permettre d’être arrêté, ligoté, et conduit vers ceux qui voulaient te
détruire, et [que] tu as permis qu’on te dépouille et t’attache à une colonne
comme si tu étais une bête sauvage ? […]
 
 
Seigneur Dieu, Jésus-Christ, quand regarderai-je bien toutes ces choses
alors que mon cœur est tout troublé ?
Tu étais et tu es le vrai juge des vivants et des morts et, à cause du
grand amour que tu as eu pour nous, tu as supporté qu’un misérable peuple
te condamne à mort. […]
 
 
Tu étais la plus grande santé et le vrai médecin dont le toucher
guérissait les malades et dont le parfum ressuscitait les morts ; aussi parce
que je savais que nous étions infectés par la mort du péché, et parce qu’il
nous fallait aller vers la souffrance de l’enfer, tu as voulu porter toutes nos
maladies et toutes nos douleurs pour que nous puissions jouir d’une santé
inébranlable ; et tu as voulu supporter les douleurs de la mort pour que nous
obtenions la vie éternelle. […]
 
 
Ô le plus précieux et le plus noble corps, qu’il était bon de te
contempler au moment de ta Passion quand les traîtres injustes crachaient
sur ton beau visage, de sorte que toi qui étais le plus beau de tous, tu
ressemblais à un lépreux. Ah ! Beau et doux Seigneur, quelle amère douleur
ressentit ta douce mère qui était là, du fait qu’elle te connaissait, qu’elle
t’avait nourri et allaité, quand elle te vit mourir d’une mort si affreuse et si
injuste. Et assurément, toute créature devrait ressentir une grande douleur
en regardant bien tout cela et qui ne veut pas t’aimer de tout son cœur. Et
moi, pauvre misérable, que fais-je à ne pas encore savoir t’aimer ? […]
 
 
Ah  ! Doux Seigneur Jésus-Christ, qui n’as jamais vu une mère en
travail d’enfantement ! Mais quand vint l’heure de l’enfantement, tu as été
déposé sur le dur lit de la Croix d’où tu ne pouvais te mouvoir, te retourner,
ni bouger tes membres comme le fait l’homme en proie à une grande
souffrance, parce que ceux-ci t’étirèrent et plantèrent le clou si sévèrement
que l’os demeura disjoint et les nerfs et toutes les veines se rompirent. Et
assurément, il n’y eut rien d’étonnant à ce que, tandis que tes veines se
rompaient, tu enfantais tout le monde en un seul jour.
Marguerite d’Oingt († 1310)

Prière à la plaie du côté du Christ14

Seigneur Jésus, à la neuvième heure du jour, lorsque vous étiez


suspendu à l’arbre de la Croix, en poussant un grand cri, vous avez
recommandé votre esprit à votre Père, et vous le lui avez aussitôt rendu, en
inclinant la tête ; puis, après avoir expiré, vous avez laissé percer votre Côté
par la lance d’un soldat. Permettez-moi de vous recommander pareillement
mon esprit, dès maintenant et pour toujours, et daignez transpercer mon
cœur par le glaive de la charité. Imprimez les blessures de votre corps au
fond de mon âme, afin d’en bannir les pensées coupables, et quand j’aurai
terminé ma carrière terrestre, veuillez admettre parmi les esprits
bienheureux l’esprit que j’ai confié à vos soins paternels. Ainsi soit-il.
Ludolphe le Chartreux (1295-1377)

Tout est consommé15

Très miséricordieux Jésus, à la fin de ce mois, je m’offre à votre


Majesté et à votre Bonté ; je me recommande humblement à vous ; je vous
supplie par toutes les blessures de votre Corps, par chaque goutte de votre
précieux Sang, par l’immense tendresse de votre Cœur, de me recevoir dans
votre grâce, de me délivrer et préserver de tout péché. Que mon âme
s’unisse à vous, ô mon Dieu, par une charité très parfaite, très ardente, très
fidèle et perpétuelle, afin que de tout mon cœur et du fond de mon âme, je
vous aime, vous cherche, vous désire, vous loue et bénisse en tout et sur
tout. Doux Jésus ! ô mon Dieu ! que je ne pense qu’à vous seul, ne désire
que vous seul ne connaisse et ne goûte que vous seul.  ; que je m’attache
inséparablement à vous seul, que j’emploie tout le temps de ma vie, toutes
les forces de mon corps et de mon âme à vous louer, à vous glorifier et à
vous servir.
Henri Egher de Kalkar (1328-1408)
De la prière de Notre Seigneur
Jésus, alors qu’il est pris
d’une sueur de sang16

Contemplez-le maintenant dans sa prière, longuement, à genoux par


terre  ; il parle au Père et s’adresse ainsi à lui  : «  Mon Père chéri, tout-
puissant et plein de pitié et de miséricorde, je te supplie d’écouter ma prière
et de considérer ma demande ; viens à mon aide et écoute-moi, car je suis
rempli de désolation dans mon exercice de la vertu, faisant preuve de
patience et de charité envers mes ennemis, sans qu’ils s’amendent. Alors
mon esprit est en moi tout angoissé, et mon cœur profondément troublé.
Aussi incline vers moi ton oreille et entends la voix de ma prière. Il t’a plu,
Père, de m’envoyer dans le monde en réparation du tort que l’homme t’a
fait ; et aussitôt, selon ta volonté et sur ton ordre, tout prêt, j’ai dit : “Voici,
je pars  !” J’ai ainsi proclamé ta vérité et ton salut, et je leur ai porté
témoignage. Et moi qui ai toujours été pauvre et engagé dans divers travaux
depuis ma jeunesse, à faire ta volonté et tout ce que tu m’as ordonné, me
voici à présent prêt à accomplir entièrement tout ce qui reste à faire et à
achever. Tu vois, Père, le mal que mes ennemis ont tramé contre moi, et tu
vois comme j’ai toujours fait ce qui plaît à tes yeux, et comme je leur ai fait
du bien, sous diverses formes, à eux qui me haïssent. Et en retour, ils m’ont
rendu le mal pour le bien, et leur haine pour mon amour. Et c’est ainsi qu’ils
ont corrompu mon disciple et en ont fait leur guide pour me détruire, et ils
m’ont vendu, en me mettant à prix, pour trente pièces. Père très bon, je te
supplie d’écarter de moi cette coupe d’affliction et d’amère passion que je
dois boire selon ce qui a été décidé  ; cependant, que ta volonté soit faite.
Mais, mon Père très cher, lève-toi, viens à mon aide, hâte-toi, viens au
secours de ma détresse ! Oui, Père, ainsi faut-il qu’ils ne me connaissent pas
comme ton véritable Fils  ; pourtant, puisque j’ai mené parmi eux une vie
d’innocence et de droiture, et que je les ai entourés d’un grand nombre de
bienfaits, ils ne devraient pas se montrer aussi cruels et remplis de malice
envers moi. Rappelle-toi, Père très bon, comme je suis resté sous ton regard
pour te parler en leur faveur, et détourner d’eux ta colère. Mais à présent,
vois ! ils rendent le mal pour le bien, et ils ont décrété pour moi la mort la
plus infâme. Aussi, Seigneur, toi qui vois toute chose, lève-toi, viens à mon
aide, ne m’abandonne pas, car c’est une grande tribulation qui est désormais
toute proche, et il n’est personne qui veuille ni puisse m’aider, sinon toi
seul  !  » Et après avoir ainsi prié, Notre Seigneur Jésus revint vers ses
disciples, et il les réveilla et, une fois encore, il les encouragea à prier. Et de
nouveau la deuxième et la troisième fois, il s’en retourna à sa prière en
divers lieux assez voisins (à quelque chose comme le jet d’une pierre lancée
pas très fort), et il poursuivit la prière rapportée ci-dessus, adressée au Père,
en ajoutant ceci : « Mon Père, toi qui es toujours juste, si tu as bien ordonné
et résolument voulu que je souffre la mort sur la croix, que ta volonté soit
faite. Mais je te confie, Père, ma douce mère, ainsi que mes disciples, eux
que j’ai gardés jusqu’à ce jour, tant que j’ai été avec eux.  » Et avec cette
prière, en cette terrible agonie et ce si dur combat, le sang très saint et très
précieux de son corps sacré, perlant tout à coup en une sorte de sueur,
s’écoula abondamment sur la terre.
Nicolas Love (XVe siècle)

Le Cœur de Jésus
est la ville de refuge17

Esto mihi in dominum refugii (Ps 30,3).


Seigneur Jésus-Christ, inépuisable d’amour et de grâces ! Je vous loue,
je vous remercie de la dure transfixion de votre très saint Côté après votre
mort ; car alors, ô Saint des Saints, votre Côté droit a été si profondément
blessé par la lance du soldat, que la pointe de fer pénétra jusque dans
l’intérieur de votre poitrine et vint percer le milieu même de votre tendre
Cœur. De cette large blessure commença à couler pour nous la très salutaire
source de sang et d’eau qui arrose la terre et sauve le monde. Ô bienfaisante
et merveilleuse effusion de sang qui s’échappe du Côté de Jésus endormi
sur la croix, du sommeil de la mort pour la rédemption du genre humain ! Ô
très pure et très douce effusion de cette eau mille fois bénie, qui vient du
plus profond des entrailles de notre Sauveur et Rédempteur pour laver
toutes nos souillures !
Moïse, dans le désert, avait frappé le rocher, il en était sorti une eau
rafraîchissante destinée simplement aux usages et au soulagement du peuple
d’Israël et de ses troupeaux  : mais quand Longin l’intrépide soldat, de sa
robuste main frappa la Pierre avec la lance, c’est-à-dire quand il fendit le
Côté droit du Christ, alors il en sortit, et pour toujours, une source
mystérieuse d’eau et de sang à laquelle notre chaste Mère, la Sainte Église
catholique, vient puiser les sacrements de son salut. […]
Ô grande, précieuse, charitable blessure de mon Sauveur, tu es creusée
plus profondément que toutes les autres et ouverte de manière à présenter
une large entrée à tous les fidèles, blessure d’où s’échappent, sans mesure et
sans fin, des trésors de bénédictions, blessure du Côté faite la dernière mais
devenue cependant la plus célèbre ! Quiconque boit à longs traits, à la toute
sainte et divine source de cette blessure – ou même n’y prend que quelques
gouttes  – oubliera tous ses maux, sera délivré de la soif des plaisirs
éphémères et grossiers, sera enflammé de l’amour des choses éternelles et
célestes et rassasié de l’ineffable douceur de l’Esprit-Saint  : alors coulera
dans son âme une source d’eau vive qui rejaillit jusqu’à la Vie éternelle.
Ô mon âme, entre, entre dans le Côté droit de ton Seigneur crucifié,
entre par cette blessure bénie jusqu’au fond du Cœur tout aimant de Jésus,
percé d’outre en outre par amour, repose-toi dans le creux du rocher à l’abri
des tempêtes du monde, entre dans ton Dieu  ! Tu as devant toi, couvert
d’herbes et de fleurs odoriférantes, le chemin de la Vie, le sentier du Salut,
le pont qui mène au Ciel. Le Cœur de Jésus, c’est la ville de refuge où l’on
est à l’abri des poursuites de l’ennemi.
Anonyme chartreux de Nuremberg (1480)

Le Cœur attire le cœur18


Voyez mes mains, mes pieds et mon côté, c’est-à-dire voyez les
blessures profondes qui s’y trouvent. Cette invitation renferme une grande
leçon et voici ce qu’elle nous apprend.
Si nous aimons froidement Notre Seigneur Jésus-Christ, regardons son
Côté percé et ouvert pour nous, et soudain le feu de la charité embrasera de
nouveau notre âme, parce que nécessairement un cœur entr’ouvert doit
allumer le feu de l’amour dans l’âme qui la contemple. Si nous manquons
de courage quand il faut mettre la main à l’œuvre, regardons les mains
percées de Jésus  ; si nous nous sentons faibles lorsqu’il faut supporter les
adversités, contemplons les pieds de Jésus, ces pieds percés, inondés de
sang ; oui, regardons ces pieds puisque ce sont eux qui soutiennent tout le
corps.
C’est pour la même raison que l’Esprit-Saint nous dit dans les
Cantiques :
«  Ô ma colombe, venez dans les trous de la pierre, venez dans les
blessures de Jésus-Christ. Là vous vous reposerez sans crainte, et nul
ennemi n’osera vous poursuivre dans cette retraite.  » Pour le même motif
encore, réfugions-nous à l’heure de notre mort dans les plaies de Jésus-
Christ, rien ne saurait nous être plus avantageux : les plaies de Jésus seront
notre demeure. Marquons le seuil et les montants de la porte avec le sang du
véritable Agneau pascal et l’Ange exterminateur, à la vue de ce sang divin,
ne viendra point nous frapper.
Jacques de Clusa (1381-1465)

Exercices spirituels
par lesquels on s’entraîne
et se concentre en Dieu19

Exercice au très tendre et fidèle Cœur de Jésus


Pour la vénération du très tendre Cœur de Jésus, emploie-toi à t’exciter
par un amour et une miséricorde très abondants, et à le suivre avec une
dévotion empressée, en l’embrassant et en y pénétrant en esprit. Demande
par lui ce que tu as à demander et offre tes exercices parce qu’il est la
réserve et la porte de toutes les grâces, par laquelle nous allons à Dieu et lui
vers nous. Aussi installe dans un endroit où tu as l’habitude de passer très
souvent une image du Cœur du Seigneur ou des cinq plaies, ou de Jésus
ensanglanté, qui te rappellera souvent à tes exercices et t’excitera à l’amour
de Dieu. En la regardant, souviens-toi de ton exil et de ta captivité dans le
péché. Ainsi, élève ton cœur vers Dieu par des soupirs de gémissements et
par de fervents désirs et au moins par l’esprit, sans cris, ni paroles, crie vers
lui, le suppliant de purifier ton cœur, et d’unir ta volonté au bon plaisir
divin. Par une pressante dévotion intérieure, entraîne ton âme à baiser cette
image, c’est-à-dire le cœur du Seigneur Jésus, comme si tu avais sous les
lèvres le vrai Cœur du Seigneur à embrasser dans lequel tu désires vivement
imprimer ton cœur, immerger et absorber ton esprit et il te semble bon
d’attirer dans ton cœur l’esprit, la grâce, les vertus de ce Cœur si plein de
grâces. En effet, le Cœur de Jésus déborde de tout cela. Aussi est-il utile et
tout à fait juste d’honorer dévotement le Cœur du Seigneur Jésus vers
lequel tu peux te réfugier en toute nécessité et duquel tu peux puiser
également tout secours et toute consolation. En effet, lorsque les cœurs de
chacun t’abandonneront, ou te tromperont, sois certain que ce Cœur très
fidèle ne te trompera ni ne t’abandonnera pas.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

Comment il faut honorer


le Cœur de Jésus20

Ô ma fille, ouvrez avec la clef de l’amour l’écrin qui renferme tous les
trésors célestes, c’est-à-dire mon divin Cœur  ; et si les tentations vous
assaillent, comme autant de voleurs, recourez à l’arsenal de mon très doux
Cœur  ; là vous pourrez prendre des armes excellentes et solidement
trempées.
Mes plaies sont remplies de mansuétude, pleines de bonté, de douceur,
de charité ; elles vous diront combien je suis doux, aimable et tendre ; elles
vous apprendront de quel amour, de quelle charité je suis dévoré. Il ne peut
suffire à mon Cœur d’être tout enflammé d’amour à l’intérieur, les flammes
s’échappèrent et se répandirent au-dehors  ; le feu divin se pratiqua une
ouverture par laquelle il sortit avec impétuosité et pénétra dans le cœur des
hommes ; mon Cœur fut ouvert afin que les âmes pieuses, comme de petites
colombes, posent leur nid dans les trous de la Pierre mystique. Ne les y ai-je
point conviées doucement par ces paroles  : Veni, columba mea, in
foraminibus petrœ ? Et c’est ce que je voulus donner à entendre lorsque je
commandai à mon serviteur Noé de pratiquer sur le côté droit de l’arche une
fenêtre, ou une ouverture, par laquelle entra la colombe qui fut ainsi
préservée des eaux du Déluge.
Allons  ! Levez-vous, ma fille et ma colombe, placez la bouche de
votre cœur sur la plaie de mon Côté, goûtez mon inénarrable douceur, tirez
de mon Cœur les eaux salutaires de la grâce.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

Reconnaissance au Cœur de Jésus21

Dans votre Cœur, le pénitent trouve le remède infaillible qui guérit les
blessures de son âme, l’infirme un secours, l’affligé une consolation, l’âme
tentée un refuge, le juste son repos. Dans votre Cœur, quiconque le désire
trouve la demeure la plus agréable, la plus avantageuse, la plus enviable que
l’on puisse imaginer sur cette terre. Je vous remercie également, de vous
être dépensé tout entier pour d’aussi viles créatures que nous sommes  ;
soyez béni d’avoir répandu à flots abondants votre sang très précieux, à ce
point que jusqu’à la plus petite, jusqu’à la dernière goutte, vous l’avez
généreusement donnée pour laver nos souillures. Je vous en remercie mille
et mille fois, car tout ce que vous possédiez pendant votre vie et après votre
mort, vous l’avez offert à Dieu pour le rachat de nos âmes. Vous ne vous
êtes rien réservé, vous êtes devenu sec et aride comme le raisin foulé sous le
pressoir. Très doux Jésus, au nom de votre amour infiniment parfait et sans
limites, ouvrez-moi, je vous prie, la porte de votre Cœur, la porte de la vie,
la porte de la miséricorde. Permettez-moi de m’approcher de cette source de
grâces, ne m’éloignez pas de votre Cœur puisque vous avez voulu, inspiré
par votre seul amour, ouvrir un passage vers votre Cœur à tous ceux qui le
cherchent et le désirent. Dans votre Cœur sacré, je me trouverai dans un lieu
de refuge inexpugnable, j’y jouirai d’une inaltérable paix et je fixerai en lui
ma demeure en toute confiance. Là, je trouverai à la fois et le repos et la
richesse, j’y vivrai comme une colombe dans l’innocence et la simplicité,
j’y bâtirai mon nid et je serai à l’abri des flots courroucés de la mer de ce
monde. […] Très doux Jésus, renfermez tous mes sens, les affections de
mon âme, les mouvements de mon cœur dans vos très saintes plaies ; ne me
laissez point penser à autre chose qu’à vous et faites-moi méditer sans cesse
votre bienheureuse Passion. J’en ai besoin plus que toute autre créature, je
le reconnais, puisque mille fois le jour je sors de moi-même et ne m’occupe
plus de vous qui résidez cependant toujours dans le fond de mon âme. Ô
charité ardente et qui ne s’éteint jamais, puissé-je brûler de ce feu que vous
avez envoyé sur la terre et que vous désirez si ardemment voir s’allumer
dans les âmes !
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

Petite semaine du Sacré-Cœur22

Ô doux Jésus, vous m’avez, par votre généreuse bonté, retiré des
portes de l’enfer où mes péchés m’avaient déjà plongé. Je vous en conjure
maintenant, par la plaie de votre Sacré-Cœur et par vos infinies
miséricordes, délivrez-moi de tout ce qui est orgueil, malice, négligence ; ne
permettez pas que je vous offense encore, au moins de propos délibéré,
mais donnez-moi d’employer tout le reste de ma vie et toutes les forces de
mon âme et de mon corps à bien faire, à accomplir votre sainte Volonté, à
n’agir que pour vous honorer et vous glorifier. Donnez-moi, en outre, pour
votre Mère bien-aimée la très Sainte Vierge Marie, ma souveraine et ma
Mère, un amour pur et fervent, un amour brûlant et fidèle, une dévotion
pleine de respect, d’humilité et de constance.
Très doux Jésus, béni soit votre tendre Cœur de toutes les grâces, de
tous les bienfaits qu’il répand sur nous. Louange, honneur, gloire et actions
de grâces, en mon nom, au nom de toutes les créatures, pour votre immense
charité à notre égard. Doux Jésus, ayez pitié de nous, surtout de moi,
misérable pécheur ; faites que je vous aime de tout mon cœur, que je vous
sois agréable, que je m’attache à vous entièrement, pour toujours,
irrévocablement. Ainsi soit-il.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

L’agonie du Cœur de Jésus23

Sur cette terre ; il se prosterne et supplie son Père d’éloigner de lui, s’il
est possible, ce calice de douleurs qu’il aperçoit dans l’avenir. […]
Considérez, je vous prie, ô mon âme, considérez avec soin et méditez en
vous-même dans quelle angoisse se trouve, à ce moment, le Cœur très doux
de notre Rédempteur  : d’un côté, sa charité toute de feu le presse et il
accepte avec bonheur de se dépenser tout entier pour notre salut, mais d’un
autre côté, il est saisi d’horreur à la vue des peines terribles qu’il entrevoit ;
l’amour et la crainte se livrent en lui d’effroyables combats, et son Cœur
tout aimant est tellement écrasé par cette lutte que de tout son corps, de tous
ses membres jaillit une sueur de sang si abondante qu’elle pénètre ses
vêtements et arrose la terre sur laquelle son visage est attaché. Avez-vous
jamais vu, dites-moi, ô mon âme, un semblable spectacle  ? Avez-vous
jamais vu un homme tellement écrasé sous le poids d’une peine, soutenant
une lutte si grande qu’il en vienne à suer du sang ? Non, jamais on n’a ouï
dire qu’un seul homme fût réduit à cette extrémité, il n’y a que Notre
Seigneur Jésus-Christ qui soit devenu pour nos âmes un véritable époux de
sang ! Accours, ô mon âme, accours, hâte-toi, ne tarde point, recueille ces
gouttes d’un sang si précieux, mets-les sur ton cœur plus dur que le
diamant, elles auront la force de l’amollir et elles l’enflammeront d’amour.
Ô Père céleste, ne voyez-vous donc point les angoisses de votre Fils ? […]
Ô mon Jésus, mon doux Jésus ! Vous vous êtes livré à ma place.
Jean Torralba († 1578)

L’abeille mystique24

Semblablement, l’âme pieuse et dévote, par une méditation


continuelle, s’élève au-dessus des plaies du Sauveur et goûte en chacune
d’elles les douceurs qui s’y trouvent cachées. Peu à peu, l’âme est comblée
de consolations divines, la ruche de son intelligence se remplit de ce miel
divin, il déborde et l’âme est inondée d’une céleste douceur.
L’abeille qui va voltiger plus loin que les autres sur un plus grand
nombre de fleurs, recueille aussi des sucs en plus d’abondance et fera plus
de miel. Ainsi l’âme qui, par la méditation, s’élève fréquemment au-dessus
de cette si belle fleur des champs, Jésus, saturé d’opprobres et couvert de
blessures, étend le cercle de ses contemplations, parcourt et médite avec
plus d’attention ce que Jésus a souffert, comprend mieux chaque plaie du
Sauveur et trouve le miel dans les ouvertures de la Pierre mystique qui est
le Christ lui-même.
Je tournerai donc mes regards vers Jésus couvert de plaies  ; je
l’étudierai, le contemplerai et ne cesserai jamais de faire tous mes efforts
pour arriver jusqu’à lui, et m’arrêterai seulement quand mon âme sera unie
à son Âme, mon esprit à son Esprit, et mon cœur à son Cœur.
Jésus, Fin de toutes choses, est lui-même la lumière et la porte qui
mènent à lui. Jésus est une lumière placée dans un fanal. Il sera mon guide.
La lumière de sa Divinité est placée dans son Humanité ouverte par tant de
blessures, d’où s’échappent des torrents de lumière.
Ô Jésus  ! Vraie lumière, lumière immense et incréée, lumière
substantielle et plus que substantielle, cause, principe, fin, de tout bien  !
Jésus, ayez pitié de moi, daignez, dans votre bonté, avoir pitié de moi. Par
toutes les blessures que vous avez reçues, coule, comme par autant de
sources d’eau vive, un fleuve de charité et de vie. Que votre clémence et
votre miséricorde me pardonnent, au nom de vos plaies, de votre sang, de
vos larmes, de vos sueurs, de vos travaux, de vos douleurs, au nom des
tortures de votre tête, de votre corps, de vos mains, de vos pieds, de votre
côté, au nom, aussi, des angoisses de votre âme et de votre Cœur.
Ainsi soit-il.
Antoine Volmar († 1550)

Prière du Christ souffrant


pour la protection des chartreux25

Créateur tout-puissant, au nom de mes blessures,


Au nom de tant d’épines qui, si cruellement,
Déchirèrent mes tempes, je t’en supplie, ô Père,
Je t’en presse, pardonne, pardonne, je t’en prie,
Aux malheureux mortels. Souviens-toi du salut
Acheté par mon sang, fontaine intarissable ;
Rappelle-toi mes larmes largement épandues
Et de quelles souffrances j’ai brûlé pour que l’homme,
Cette race mortelle, ne périsse à jamais.
Concède à ton Enfant, ô Père, ce présent ;
Écoute les prières que répandent ici,
Maintenant, tes clients. Inspire ces sept hommes26
Qui te sont présentés comme aptes à cette œuvre,
Ces sept que je prévois être de vrais flambeaux
Par leur intégrité et leur grande foi ;
Toujours leur défenseur, je serai leur gardien.
Ma mère les prendra pour ses enfants chéris
Et cependant elle est à genoux devant toi,
Prostrée, à jointes mains : elle leur donna
Ses purs vêtements blancs, signe et gage à la fois
De ce nouvel amour.
Zacharie Ferreri († 1524)

Le Cœur de Jésus ouvert27

Doux Jésus  ! Mais comment et par quelle règle de médecine vous


faites-vous ainsi saigner pour guérir nos maladies, ô le cher et saint
Médecin de nos âmes  ? Quel médecin a jamais pris la boisson ordonnée
pour guérir le malade qu’il désirait remettre en pleine et entière santé ? Qui
s’est jamais fait ouvrir la veine avec une lance, au lieu d’une lancette ? Qui
a jamais choisi un aveugle, Longin, pour un très expert et très habile maître
chirurgien ? Quel homme s’est jamais fait saigner, clouer et élever sur une
Croix de quinze pieds de long et de haut, et de huit pieds de large,
présentant tout son corps et son Cœur à la lance d’un aveugle soldat, afin
qu’il ne manque pas son coup ? Mais pourquoi plutôt au Côté et au Cœur,
qu’aux bras ou aux pieds, qu’à la tête ou aux jambes ?
Mystère grand, mystère excellent et excédant tout mystère ! Certes, les
amis du monde nous ouvrent bien quelquefois leurs maisons pour y entrer,
converser et vivre librement avec eux ; parfois leurs greniers et leurs caves
pour en tirer du blé et du vin ; rarement leurs coffres et leurs trésors pour les
mettre à notre volonté et discrétion  : mais quel ami du monde n’a jamais
découvert et ouvert son cœur avec une telle franchise, qu’il ne se soit
réservé, au-dedans du moins, quelques secrètes pensées ? […]
Et pourquoi donc, mon âme, pourquoi n’élevez-vous pas votre cœur
jusqu’à ce Cœur ? Pourquoi n’allez-vous pas joindre votre côté à ce divin
Côté  ? Pourquoi ne courez-vous pas mêler votre sang à ce précieux Sang
qui, conjointement, mêle les larmes de compassion et de dévotion, avec
l’allégresse et l’espérance de la gloire éternelle que nous attendons. Car en
cette ouverture du Côté de Jésus, et en l’effusion merveilleuse de son sang
et de l’eau, nous devons avoir une joie de suavité arrosée de larmes,
pleurant à chaudes larmes notre mal commun, mais nous réjouissant au
souvenir de la mort de notre mort, et de ce que l’arbre de Vie, greffé sur
celui de la Croix, nous a produit le fruit de notre salut.
Polycarpe de la Rivière († 1638)

Prière sur l’Incarnation du Christ


pour les âmes du Purgatoire28

Ô Dieu qui êtes notre Père et notre Protecteur, daignez nous regarder
en pitié, et jetez les yeux sur la face de votre Fils Jésus-Christ. Voyez les
marques de pécheur qu’il veut prendre dans la Circoncision, afin d’attirer
votre miséricorde sur tous les pauvres frères adoptifs. Regardez son Sang,
ses larmes, et la tendre compassion de sa sainte Mère, et recevez l’offrande
que je vous fais de la gloire qu’il vous a rendue dans sa Circoncision, pour
le soulagement des âmes du Purgatoire, et spécialement pour celle de  N.,
par le même Jésus-Christ Notre Seigneur, qui vit et règne avec vous en
l’unité du Saint-Esprit, par tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Innocent Le Masson (1628-1703)

Sur la solitude du Christ


au jardin des Oliviers
et dans le Saint Sacrement29

Le neuvième jour
Considérez Jésus-Christ retiré dans le jardin des Oliviers avant sa
mort, où il souffre l’agonie, et la sueur de Sang, où il reçoit de la
consolation d’un Ange, lui qui est le Dieu des Anges ; et où il se prépare à
consommer l’œuvre de notre Rédemption. Jetez une œillade de cœur sur la
Sainte Vierge retirée dans le secret de la solitude pendant que son Fils était
dans l’exercice de sa Passion, elle qui savait tout ce qu’il souffrait et devait
souffrir.
Adorez Jésus-Christ dans l’état d’affliction où sa charité envers nous
l’a mis.
Remerciez-le de ce qu’il a voulu pourvoir à votre consolation dans la
vie et dans la mort, en vous instruisant par son exemple, et en vous la
méritant par sa désolation.
Demandez-lui la grâce de ne chercher votre consolation qu’en lui, et
de ne l’attendre que de lui  ; et proposez-vous pour vertu la fidélité à la
prière, et l’attachement à la volonté de Dieu dans les sécheresses.

Le dixième jour

Considérez Jésus-Christ retiré dans le Saint Sacrement de l’autel, où il


paraît toujours devant son Père éternel en état de victime, et où il lui rend de
secrètes adorations, et une gloire continuelle.
Adorez Jésus-Christ dans cet état où la charité l’a mis, afin de pouvoir
recommencer jusqu’à la fin du monde à mourir mystérieusement pour le
salut des hommes.
Remerciez-le de ce qu’il s’est mis dans cette retraite, comme pour
servir d’otage pour vous à la justice de Dieu, et pour se mettre souvent
comme un sceau sur votre cœur, en vous servant en même temps de
nourriture et de vie.
Demandez-lui la grâce de ne vivre que pour lui, puisque vous ne vivez
que par lui et proposez-vous pour vertu de mourir à vous-même, par
l’acceptation et la victoire des contradictions et des répugnances, afin de ne
vivre qu’à Dieu seul.
Innocent Le Masson (1628-1703)
Prières à Jésus-Christ
La Transfiguration du Christ30

Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par la Transfiguration de


Notre Seigneur Jésus-Christ, par laquelle le Christ a communiqué un avant-
goût de sa gloire à ses disciples. Ayant pris avec lui les trois apôtres Pierre,
Jacques et Jean, il monta sur le Thabor et là, il pria très dévotement  ;
pendant qu’il priait, son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements
devinrent blancs comme neige. On vit Moïse le législateur et Élie le
prophète, pleins de majesté, parler avec lui des souffrances de sa Passion et
de l’excès d’amour qui le pousserait à l’accomplir. Pierre, ravi hors de lui-
même par une telle suavité, dit  : «  Seigneur, il nous est bon d’être ici,
faisons trois tentes  : une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie.  » Et
pendant que Moïse et Élie disparaissaient, une nuée lumineuse enveloppa le
Christ, et une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui
j’ai mis tout mon amour, écoutez-le.  » Entendant ces paroles, les Apôtres
frappés de stupeur, tombèrent sur leur face jusqu’à ce que le Christ les
relève. Puis il leur dit de ne parler à personne de cette vision jusqu’à ce
qu’il ressuscite d’entre les morts.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par la dernière Cène de Notre
Seigneur Jésus-Christ et par l’institution du très saint sacrement de
l’Eucharistie et la vénération solennelle par laquelle le Christ, après la Cène
légale, et après avoir mangé l’agneau rôti au feu avec des herbes amères et
des pains azymes, lava, essuya et baisa les pieds des Apôtres. Puis
s’allongeant de nouveau, il prit dans ses mains saintes et vénérables le pain
azyme, leva les yeux vers le Ciel, il rendit grâce à toi Dieu son père, puis il
le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : « Prenez et mangez-
en tous, ceci est mon corps livré pour vous. » Par ces paroles et par la vertu
divine, il transsubstantia et changea toute la substance du pain en toute la
substance de son corps, les accidents du pain demeurant sans sujet. Puis il
dit aux Apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi » et il leur donna, ainsi
qu’à leurs successeurs et à tous les prêtres qu’ils ordonneraient, le pouvoir,
par ces paroles, de consacrer, de transsubstantier et changer vraiment et
réellement la substance du pain en celle de son corps, de le manger, de
l’offrir et de le donner aux autres. Ensuite, prenant la coupe de vin mêlée
d’eau, de même, il rendit grâce et la bénit et la donna à ses disciples en
disant : « Prenez et buvez-en tous, ceci est la coupe de mon sang, qui a été
répandu pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. » Par ces
paroles, il changea la substance du vin en son sang et donna aux Apôtres et
à leurs successeurs, et par eux, aux futurs prêtres ordonnés, le pouvoir et le
commandement de faire de même. Mais quoique par la force de la
consécration le pain soit changé en son seul corps et le vin en son seul sang,
cependant, par la concomitance et le lien inséparable et par la conjonction,
sous l’aspect du pain et du vin, sous chaque et petite fraction, de l’un et de
l’autre, c’est le Christ Dieu entier et l’homme parfait. Il nous l’a donné en
nourriture et en boisson comme remède, comme rédemption, comme
viatique, et comme le trésor de toute grâce, comme force de vie, comme
lumière de la connaissance et comme gage du Salut éternel. La solennité
annuelle de ce Sacrement est à bon droit fêtée et célébrée par tous avec une
dévotion particulière, et pendant toute l’année, nous sommes remplis et
nous recevons des fruits infinis chaque jour.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par la Passion et par la Croix
de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il nous arrive par la découverte et
l’exaltation de cette Croix un fruit et un mérite infinis, si nous nous
employons à fêter et à célébrer dévotement et à imiter la Passion avec
application en renonçant à nous-mêmes, en portant chaque jour notre croix
après le Christ et à le suivre par amour et avec toutes les autres vertus.
Jean-Michel de Vesly († 1600)

C’est dans le Cœur adorable


de Jésus que l’âme affligée
cherche sa consolation31
Ô mon aimable Rédempteur, je suis noyé dans l’affliction  ; aussi je
viens vous confier mes peines et mes angoisses, et c’est à vous seul que je
puis les confier, puisque seul vous êtes capable de les guérir. Que
m’importent les raisonnements et les motifs humains  ? Souvent, au lieu
d’adoucir mon chagrin, ils l’augmentent et le rendent plus cuisant. J’ai donc
recours à vous, à votre Cœur, qui a continuellement souffert, qui, même
après votre mort, fut frappé et transpercé d’une lance  ; mais vous avez
permis qu’il fût ouvert de la sorte, afin que, dans cette plaie bénie, notre
âme affligée pût trouver un asile et une consolation.
Oui, je souffre, ô mon Sauveur ; ma vie est une vie de croix, mes jours
sont des jours d’affliction, mon cœur est un océan d’amertume  ; tous les
chemins pour moi sont semés d’épines et je compte mes instants par mes
soupirs et mes larmes. Dans cet abattement, mon esprit agité s’abandonne à
ses tristes pensées, mon cœur de plus en plus oppressé se noie dans son
amertume  ; l’inquiétude, le découragement, la défiance, dirais-je plus
encore ! le désespoir s’emparent de mon âme !
Voilà quel est mon état, ô mon Dieu, à qui puis-je le révéler si ce n’est
à vous ? Dans quel cœur puis-je verser le torrent de mes larmes, sinon dans
votre Cœur adorable ? Me laisserez-vous sans consolation dans cette triste
situation ? Oh non, mon Jésus, vous êtes trop bon, trop compatissant pour
ne pas abaisser sur moi les regards de votre miséricorde, que j’implore avec
les plus vives et les plus humbles instances. Ô mon Rédempteur, vous
connaissez ma faiblesse  : le seul mot de «  peines  » ou de «  croix  » me
rebute  ; si vous ne me soutenez par votre grâce, comment ne serai-je pas
écrasé sous leur poids ? Ô bon Jésus, vous voulez qu’au lieu de me lamenter
sur mes souffrances, si longues et si cuisantes qu’elles soient, au lieu de
m’abandonner à l’inquiétude, aux plaintes, aux murmures, je bénisse votre
infinie miséricorde ; qu’au lieu de trouver mes peines trop grandes et trop
amères, je ne songe qu’à les rendre salutaires par la manière dont je les
recevrai. Eh bien  ! dès ce moment, ô mon Jésus, je vous offre toutes mes
souffrances avec un cœur soumis et résigné aux desseins adorables de votre
Providence. […]
Je vous offre mes peines avec un cœur contrit et humilié.
Je vous offre mes peines avec un cœur reconnaissant.
Enfin, je vous offre mes peines avec un cœur rempli de confiance, je
dirais presque avec une sorte de consolation et de joie, à la pensée qu’elles
peuvent me mériter le Ciel et, ce qui est bien plus consolant encore pour
moi, à la pensée qu’elles me donnent une certaine ressemblance avec vous,
mon Dieu, avec vous crucifié, souffrant et mourant, avec vous homme de
douleur.
Gabriel-Marie Fulconis (1816-1888)

Tendres sentiments de confiance


et d’amour envers Jésus32

Quelle joie, quelle consolation je ressens en mon cœur, ô mon aimable


Jésus, quand je pense que vous êtes Dieu comme le Père et le Saint-Esprit !
Puisque vous êtes vraiment Dieu, vous êtes infini en tout genre de
perfection ; aussi, nous dit l’Apôtre, toutes choses subsistent en vous, c’est-
à-dire en votre essence infinie. En vous donc subsistent les perfections
d’une infinité de mondes possibles, d’une infinité d’anges possibles, d’une
infinité d’autres créatures possibles et variées à l’infini. Ainsi, tout ce que
l’on peut concevoir de précieux, de beau, de splendide, d’agréable, vous le
contenez et le possédez à l’infini. Celui qui vous possède, ô mon Jésus,
possède par conséquent toutes ces choses en vous.
Vous êtes, nous dit saint Paul, le chef de l’Église, et nous en sommes le
corps ; or on peut bien dire que le chef et le corps non seulement sont deux
dans une seule chair, mais même une seule chose, parce que le corps est un
tout, selon le même Apôtre. Par une conséquence rigoureuse, tout ce que
nous avons de bon, tous nos mérites nous viennent de vous, ô mon Jésus,
parce que nous sommes votre corps et que vous êtes notre chef.
Gabriel-Marie Fulconis (1816-1888)

La dernière prière de Jésus33


À l’heure de passer de ce monde à son Père, Jésus, tu priais ainsi  :
« Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu et eux ils ont
connu que tu m’as envoyé, je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai
connaître pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux »
(Jn 17,25-26). Ce sont les dernières paroles que tu nous as laissées de ton
intimité avec le Père, Seigneur. Après cela ont commencé les heures
terribles où tu étais déjà si loin de nous. Ce sont ces dernières paroles que je
voudrais écouter avec toi, non pas pour les comprendre avec ma tête, non
pas pour pouvoir les expliquer à quelqu’un, mais simplement pour que tu
me transformes à leur lumière.
Peut-être est-ce un peu prétentieux de vouloir ainsi pénétrer dans tes
secrets. Tout le monde sait que ces paroles sont simples, tellement simples
que l’on n’ose même pas les analyser pour voir ce qu’elles contiennent.
Lorsque tu disais cette prière devant tes disciples, ne pensais-tu pas à un
autre moment de ta vie, lorsque tu priais déjà devant eux, ce jour où tu
exultais dans l’Esprit-Saint  ? Tu disais  : «  Je te bénis, Père, Seigneur du
Ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir
révélé aux tout-petits ; oui, Père, tel a été ton bon plaisir. Tout m’a été remis
par mon Père ; nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père et nul ne connaît le
Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Mt 11,25-
27). Oui, c’est le même mystère qu’aujourd’hui dont tu parlais devant tes
disciples et ton allégresse venait de ce que le Père avait révélé cela aux tout-
petits ; il l’avait caché aux savants et aux intelligents. Et moi je ne suis ni un
savant ni un intelligent ; je suis encore moins un petit. Alors, que suis-je ?
Peu importe ; ce qui compte n’est pas de savoir qui je suis, mais de savoir
que lorsque tu faisais cette prière, tu la faisais en pensant à moi.
Au moment de terminer ta grande prière du Jeudi Saint, tu disais au
Père que tu « ne priais pas seulement pour les disciples qui étaient là, mais
aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiraient en toi afin que tous ils
soient un  » (Jn  17,20-21). Tu ne priais pas seulement pour eux, mais tu
priais pour nous : cette parole nous est adressée. Cette prière, tu l’as dite à
haute voix devant moi, parce que je devais y participer. Je t’en prie  : fais
pénétrer ta parole dans mon cœur.
Tu parles donc à ton Père. Qui est-ce ton Père  ? Nous ne le
connaissons pas  : le monde ne l’a pas connu. C’était déjà ce que te disait
Philippe quand il demandait  : «  Montre-nous le Père et cela nous suffit  »
(Jn 14,8). Le Père nous ne le connaissons pas, mais il y a au fond de notre
cœur un désir infini de le connaître. Et pourtant c’est bien vrai : nous ne le
connaissons pas. Mais toi, tu le connais, tu le connais depuis toujours ; tu es
le seul à le connaître et tu le connais tellement bien que tu as pu répondre :
« Philippe, celui qui me voit voit le Père » (Jn 14,9). Pour connaître le Père,
il n’y a qu’un moyen ; l’unique chemin, c’est de te voir et de t’écouter. Il
faut se laisser enseigner et transformer par toi. Il n’y a pas besoin
d’apprendre des techniques très savantes, ni de dévorer des livres, il n’y a
pas à arriver devant toi en étant rempli de vertus et de qualités. Il faut te
voir et t’écouter. Toi, Jésus notre frère, qui as vécu parmi nous et qui es
encore tout proche de nous dans ta parole et dans tes sacrements, c’est toi
l’unique chemin pour voir le Père, c’est toi l’unique contemplation que
nous puissions avoir si nous voulons vraiment contempler. […]
Il me faut être disposé à être comme toi celui qui naît du Père et donc
qui reçoit l’Esprit. Tu veux nous faire comprendre combien il faut être
accueillant et disponible à cette lumière intérieure du Père qui est l’Esprit.
Si nous nous laissons envahir par lui, nous devenons les enfants du Père et
nous devenons, nous aussi, ses envoyés ; nous devenons ceux qui, comme
toi, peuvent passer de ce monde au Père pour revenir dans son sein et
vraiment faire partie de votre famille dans votre unité. C’est un mystère
d’accueil ; je n’ai pas à prendre possession du Père ou de toi, mais je dois
me mettre à l’écoute, être disponible pour laisser venir à moi ce souffle
tellement délicat qu’est l’Esprit. Il m’entoure, il est présent et pourtant il ne
peut pas entrer parce que je ne suis pas accueillant. Je n’ai pas la place de
l’accueillir parce que je suis plein, plein de mes idées, plein de mes craintes,
plein de mes appréhensions, plein de mes projets  : je suis plein de moi-
même. Il n’y a plus de place pour que le Père puisse me faire naître à lui, je
demeure seulement celui qui est né de la chair ; je n’arrive pas à être celui
qui est né de l’Esprit. […]
Tout ce que je vois, que j’entends, que je perçois, tout cela vient du
Père  ; ce sont déjà des messages du Père, qui te représentent toi. Puisque
c’est toi le principe et la racine de tous ces êtres, il faut que je sois avec eux
infiniment accueillant. Finalement, il faut que je m’accueille moi-même au
lieu de me considérer comme propriétaire de moi. Cet être, corps et esprit,
que je suis ne m’appartient pas ou plutôt, s’il m’appartient, c’est parce que
le Père me le donne. Si je deviens ainsi vraiment accueillant à tout, c’est toi
que j’accueillerai ; alors le Père viendra à moi et il fera sa demeure en moi
avec toi dans l’Esprit.
Voilà ce que tu voulais me faire comprendre lorsque tu disais ta prière
au Père devant les disciples, c’est-à-dire devant moi. Mais tout ce que tu
désires ainsi pour moi, tu le désires pour tous les hommes  : ceux que je
connais et que j’aime, mais aussi ceux que je ne connais pas, ou que je
n’aime pas assez. Ils sont tous appelés au même mystère. Tous sans
exception sont appelés à être les engendrés du Père, à ce que tu sois en eux
et que l’amour dont le Père t’a aimé soit en eux aussi. Tous ils ont cette
richesse infinie d’être enfants de Dieu. Tous, dans la mesure où nous
t’accueillons, toi l’envoyé, tous nous sommes la famille de Dieu. Nous
sommes ceux qui croient en toi, tu as prié pour nous, qui sommes nés de toi,
à travers toi, rappelle-toi encore ce que tu disais : « Je ne prie pas pour eux
seulement, les disciples, mais je prie aussi pour ceux qui grâce à leur parole
croiront en moi afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi
en toi ; qu’eux aussi soient en nous » (Jn 17,20-21). Tu es celui qui naît du
Père, et le Père est seulement celui qui te fait naître. Vous êtes absolument
liés l’un à l’autre, vous êtes une intimité totale. On ne peut rien imaginer de
plus présent l’un à l’autre et pourtant tu demandes au Père que nous soyons
de la même manière parfaitement présents à ton Père et à toi. Comme toi tu
es présent au Père et que le Père est présent à toi, nous sommes appelés, dès
maintenant, à vous être présents. Si nous sommes disponibles, nous
demeurons dans le Père et le Père demeure en nous ; nous demeurons en toi,
Jésus, et tu demeures en nous dans l’Esprit. Tout cela est déjà commencé
parce que nous avons commencé à croire en toi, puisque, à partir du
moment où on croit en toi, on est entré dans la vie éternelle (Jn 6,40). […]
Merci, Jésus, de ces lumières que tu nous as données dans ta prière.
Mais le plus important, ce ne sont pas ces lumières  : c’est ta prière elle-
même qui doit nous transformer comme tu le désires. Alors, Jésus, donne-
nous d’être accueillants de manière que ta prière soit féconde, que nous
portions beaucoup de fruit et que notre fruit demeure. Amen.
André Poisson (1923-2005)
1.
Saint Bruno, Expositio in Psalmos Davidicos , PL, 152, col. 1285.
2.
Saint Bruno, Titres funèbres , PL, 152, titre n°  55, col.  571. Voir également sur le
christocentrisme à l’origine de l’Ordre, N. Nabert, « La réception de la spiritualité de Bruno
dans les premiers siècles de l’Ordre, présence et silence  », in N.  Nabert, D.  Le  Blevec,
A. Girard (dir.), Bruno et sa postérité spirituelle , Actes du colloque de Paris, 2001, « Analecta
cartusiana », n° 189, 2003, p. 179-188.
3.
Guigues Ier, Les Méditations , op. cit ., p. 105.
4.
Guigues II, Lettre sur la vie contemplative , op. cit ., p. 187.
5.
Guigues du Pont, Traité sur la contemplation , op. cit. , t. I, p. 181.
6.
Lettres des premiers chartreux , t. II, op. cit. , p. 143.
7.
Denys le Chartreux, Éloge de la vie en solitude , op. cit ., p. 200-201.
8.
Gérard Kalckbrenner, Mélanges de spiritualité , op. cit. , p. 23-33.
9.
Certaines de ces hymnes ont été traduites par A.  Devaux dans La Poésie latine chez les
chartreux , op. cit ., p.  247-257 (texte latin in Jean-Juste Lansperge, Hymni Christiformes ,
Opera omnia , t. V, Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1890, p. 402  sq. ).
10.
Jean-Juste Lansperge, Opera omnia , t.  IV, Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1890,
p.  247-307, notamment chap.  X, «  Comment il faut méditer et imiter la Passion de Notre
Seigneur ».
11.
Notamment dans le premier livre des Lettres parénétiques , lettres  1 et  10, Opera omnia ,
t. IV, op. cit ., p. 84-180.
12.
. Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 31-32.
13.
. Marguerite d’Oingt, Pagina meditationum , op. cit ., § 8, p. 7, § 13, p. 74-75, § 18-20, p. 75,
§ 30, § 36, p. 78.
14.
Ludolphe le Chartreux, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op.  cit .,
p. 288-289.
15.
Henri Egher de Kalkar, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op.  cit. ,
p. 167-168.
16.
Nicolas Love, The Mirror of the Blessed Life of Jesus-Christ , éd. S.  Maccabe, Londres,
Burns, Oates and Washbourne, 1926, chap. XL, trad. inédite M. Caravel.
17.
Anonyme de Nuremberg, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op.  cit .,
p. 54-57.
18.
Jacques de Clusa, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 51-53.
19.
Jean-Juste Lansperge, Divini amoris pharetra , op. cit ., trad. inédite P. Pradié, osb.
20.
Jean-Juste Lansperge, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 76-
77.
21.
Ibid ., p. 111-114.
22.
Ibid ., p. 260-261.
23.
Jean Torralba, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 118-119.
24.
Antoine Volmar, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 134-137.
25.
Zacharie Ferreri, Saint Bruno , Opera , Paris, 1523, fol.  514r°-v°, v.  11-198, repris in La
Poésie latine chez les chartreux , op. cit ., p. 209 et 211.
26.
Dans le contexte de ce document, il s’agit de saint Bruno et des six compagnons qui l’ont suivi
dans le désert de la Chartreuse.
27.
Polycarpe de la Rivière, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op.  cit .,
p. 154-157.
28.
Innocent Le Masson, Direction et sujets de méditations pour les retraites à l’usage des
religieuses chartreuses , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1890, chap. X, p. 267-268.
29.
Ibid ., chap. III, « Sur les avantages de la solitude », p. 94-95.
30.
Jean-Michel de Vesly, Psalterium decachordum , op. cit ., p. 153-154, trad. inédite P. Pradié,
osb.
31.
Gabriel-Marie Fulconis, L’Âme sainte , op. cit ., p. 471-473.
32.
Ibid. , p. 327-328.
33.
André Poisson, document inédit provenant de la Grande Chartreuse.
7

Le manteau de Marie

Dans les Coutumes de chartreuse, Guigues Ier note scrupuleusement la


formule de profession du novice, dans laquelle les références à Marie et à
Jean-Baptiste, figures protectrices des chartreux, apparaissent pour la
première fois :
Moi, frère N…, je promets la stabilité, l’obéissance et la conversion de mes mœurs devant
Dieu et ses saints, et les religieux de cet ermitage, qui est construit à l’honneur de Dieu et de la
Bienheureuse Marie toujours Vierge et de saint Jean-Baptiste, en présence de dom N…,
prieur1.

Dès les premières fondations, les maisons sont dédiées à la Vierge et


portent son nom, comme ce fut le cas, par exemple, pour Notre-Dame-des-
Portes, seconde maison de l’ordre, fondée en 1115 ou pour Notre-Dame-de-
Montrieux, ancien prieuré bénédictin, érigé en chartreuse en 1140. Le nom
de Marie donné aux monastères cartusiens en dit long sur le culte de la
Vierge qu’on y rend fidèlement par la prière et l’office de Beata. Au
XVIe siècle, Jean-Juste Lansperge surnomme Ave Maria la première pièce de
l’ermitage où l’usage d’y réciter cette prière est en vigueur depuis
longtemps. Les Statuts contemporains réaffirment la puissance protectrice
de Marie sur la vie solitaire :
Nous honorons avec une affection toute particulière la bienheureuse Vierge Marie, qui veille
sur notre solitude par sa présence maternelle. Nous disons son Office selon les indications des
livres liturgiques. Les moines du cloître et les convers font toujours précéder chaque heure de
l’Office du jour par l’heure correspondante de la sainte Vierge, sauf pour Laudes et Complies
du jour qui se disent avant les heures correspondantes de la sainte Vierge2.
Omniprésente dans la prière et la méditation des chartreux, Marie l’est
encore plus dans les moments difficiles où l’ardeur manque à la vocation3.
C’est ainsi qu’est née la pratique du Rosaire, au XVe  siècle. Profès de la
chartreuse Saint-Alban, près de Trèves, Dominique de Prusse souffre de
mélancolie. Pour le sortir de cet état, son prieur l’invite à méditer le psautier
marial de Henri Egher de Kalkar4, circulant alors dans la chartreuse.
Dominique qui connaît par ailleurs la Grande Vie de Jésus-Christ de
Ludolphe le Chartreux5 a l’idée de fondre en un seul exercice le psautier
marial et les péricopes de la vie du Christ, à travers cinquante formules
résumant sa vie et chacune soudée à un Ave Maria. Ainsi naît le Rosaire,
d’une crise de tiédeur surmontée par l’introduction d’une nouvelle activité
propre à chasser l’ennui et à renouveler la ferveur6.
Au XXe siècle, c’est le thème de la virginité de Marie, modèle de pureté
pour la vie cartusienne qui est retenu. C’est le cas dans le sermon sur la
nativité de la Sainte Vierge de Jean-Baptiste Porion :
Notre mission est vraiment virginale et mariale : la très Sainte Vierge n’a pas eu à condamner
le monde, celui-ci s’est brisé contre sa douceur  : ainsi d’une âme contemplative, dont la
mission n’est pas d’être juge des hommes, mais d’être à Dieu7.

Bien naturellement, Marie est l’exemple à suivre pour les moniales,


comme le rappelle Innocent Le Masson dans ses sujets de méditations sur
« la manière de vaquer à l’unique nécessaire » :
Voilà l’original de votre profession chartreuse, que la céleste Marie vous donne dans elle-
même, et sur lequel vous devez former votre copie. L’ange, dit saint Ambroise, l’a trouvée
dans sa maison non seulement seule, mais dans le lieu le plus retiré de sa maison, de peur que
quelqu’un n’interrompît son application et son attention à Dieu8.

Les prières présentées ici reflètent le lien étroit qui unit la vie
contemplative à la figure de Marie.

Méditation VIII
sur la nourriture de Dieu9
Donnez-nous la nourriture, Seigneur, comme vous l’avez promis à la
postérité de notre père Jacob, rassasiant tout vivant de votre bénédiction
spirituelle, de la rosée du Ciel et de la grasse fertilité de la terre, de
l’abondance de votre blé, votre vin et votre huile. Le blé est votre chair, le
vin votre sang, l’huile l’Esprit-Saint. Telle est pour nous la bénédiction de la
rosée du Ciel ; par elle, notre terre, jadis maudite dans le travail d’Adam, est
rendue fertile. Mais Adam n’a jamais semé dans la terre la semence de ce
blé. La rosée du Ciel, en effet, est descendue comme la pluie sur la toison,
comme la bruine sur la terre  : dans la Vierge, comme la pluie  ; sur les
peuples, comme la bruine. « Ô pleine de grâce, tous les peuples de la terre
sont bénis par la fécondité de votre sein. La grâce est descendue en vous
comme la pluie du plus haut du Ciel, et de vous comme d’un toit élevé
coulent petit à petit sur notre terre des gouttes de la même grâce.
Ô maison d’ivoire, palais royal construit d’un assemblage de planches
de cèdre et qui paraissez tourné vers l’immensité, que de richesses vous
contenez ! Vraiment vous êtes ce grand trône d’ivoire de Salomon, ce trône
dont on ne construisit le semblable dans aucun royaume. Vous êtes revêtue
de l’or raffiné d’une très pure sagesse ; vous avez la forme parfaite d’une
virginité entièrement intacte. Vous avez monté six degrés dans la vie active,
et au septième, vous élevez le trône du repos contemplatif pour le roi de
paix. »
Guigues II le Chartreux († 1193)

Contemplation de l’Assomption
de Marie10

Contemplons comment seize ans après l’Ascension, Notre Seigneur


Jésus-Christ, voulant consoler sa très douce mère, lui a envoyé l’ange qui,
la réconfortant, lui annoncerait le jour de sa mort et quel désir elle aurait
dans le Ciel. Comment il lui a envoyé, par le même ange, un bouquet en
fleur, merveilleux en odeur et en splendeur de vertu. Comment, après trois
jours, le rédempteur même est descendu du Ciel, accompagné de nombreux
anges pleins de candeur. Et comment, avec une très grande gloire et une très
grande joie et solennité, il a reçu son âme dans ses bras, toute candide,
contente et pleine de gaieté. Comment, il l’a conduite glorieusement à la
gloire du Paradis et comment il a dit aux apôtres de mettre son corps dans la
sépulture pendant trois jours jusqu’au moment où il la ressusciterait.
Comment, quand les apôtres portaient ce très saint corps au monument, il
l’a libérée. […] Comment, après trois jours, d’après sa promesse, il a
ressuscité le corps très sacré de sa glorieuse mère et par la parole de sa
bouche, il lui a redonné la vie. Comment, après avoir consolé les apôtres, il
est remonté aux Cieux emportant avec lui sa très douce mère, et en présence
de tous les saints, il l’a mise dans le Royaume du Père avec une grande
pompe et magnificence.
Et, en nous réjouissant de cette si glorieuse Ascension de cette
glorieuse reine du Ciel, prions son fils, notre rédempteur et maître Jésus-
Christ que, par les mérites de sa douce mère, il nous accorde la grâce
d’assister à cette grande fête.
Gaspar Gorricio de Novara († 1515)

Marie protectrice des chartreux11

Ô la plus pure, la plus noble et la plus belle de toutes les vierges, très
digne Mère de Dieu, Marie, je te supplie par ta très profonde humilité, ta
très sainte et ta très chaste pureté, par ta très fervente charité, et par tous les
dons, grâces et vertus dont Dieu t’a ornée, pour être sa plus digne mère,
reçois-moi comme un fils sous ta protection et l’amour de ton cœur
maternel, malgré mon indignité, et obtiens-moi de t’aimer très saintement et
très chastement  ; obtiens-moi la plus parfaite humilité, la plus parfaite
chasteté, la plus parfaite charité, et toutes les autres vertus par lesquelles tu
as plu à Dieu. Implore même pour moi que, par une singulière miséricorde
de ton fils, par les mérites de sa Passion et par une intarissable contrition de
mes péchés, je mérite en cette vie d’être purifié de tous mes vices et de tous
mes péchés, pour qu’après cette vie, je reçoive sans retard la vie éternelle.
C’est pourquoi, ô très douce souveraine de miséricorde, obtiens-moi de
toujours supporter le plus patiemment possible et en rendant grâce, toute
adversité qui surviendrait, et de dépenser selon son bon plaisir toutes les
forces de mon corps et de mon âme, tous les instants de ma vie pour la
louange et la gloire de ton Fils.

En se lavant les mains.

Ô très miséricordieux Seigneur mon Dieu, Jésus-Christ, purifie-moi


dans ton sang de tous les péchés, vices et négligences afin de toujours te
plaire par un cœur pur et simple et de toujours adhérer à toi sans détour du
plus fervent amour.

Lorsque tu sortiras parmi les hommes, recommande-toi à Dieu de la


manière suivante.

Très aimant Jésus, je te recommande tous mes sens et toutes les forces
de mon âme, tous les membres de mon corps, et tout mon cœur, enfouissant
dans ta plaie très gracieuse et très fidèle tout cela pour le protéger, le diriger
et le conserver, afin que là, tu me préserves de tout péché, de toute
délectation et affection coupable, que tu achèves et parachèves en toi ma
volonté et mon refus, mon repos et mon activité et que tu sois le principe,
l’intention et la fin de tous mes actes et de toutes mes pensées. Doux Jésus,
accorde-moi, le plus parfait renoncement à moi-même, d’imiter très
parfaitement et très dévotement les exemples de ta très sainte vie et de me
conformer à ton bon plaisir en toutes choses.

Lorsque tu reviens d’une occupation, d’une conversation avec les


hommes, pour le repos et le silence du cœur.

Ô le plus aimable ami, unique consolation et repos de mon âme, je


renonce désormais à toute créature et je me tourne vers toi, très doux Jésus,
reçois-moi et possède-moi par ta grâce, attire-moi vers toi et fais que
j’adhère à toi sans détour et que je repose en toi.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)
Offrande au Sacré-Cœur
et à Marie des actions qu’on a faites
pendant la journée12

Bon Jésus, tout ce que j’ai pu faire de bien aujourd’hui, je vous l’offre,
recevez-le dans votre Cœur. À mes œuvres, ajoutez vos mérites,
perfectionnez mes différentes actions et recevez-les pour votre plus grande
gloire et le salut de toutes les âmes. Tout ce qui serait mal fait, détruisez-le
dans le Sang précieux qui coule de vos plaies, consumez-le dans le feu de
votre amour, jetez-le dans l’abîme de vos miséricordes et de vos mérites ;
remplissez-moi d’une nouvelle ferveur, encouragez-moi, excitez-moi,
dirigez-moi pour faire de nouvelles bonnes œuvres.
Ô Marie, Mère de Dieu, Reine très glorieuse des Anges et des Saints,
notre puissante Patronne, notre Avocate toute dévouée, recevez le Cœur très
doux de votre Fils, ce Cœur d’où ont découlé, d’où découlent et découleront
sur nous et sur les Saints toutes les grâces de Dieu. Recevez le Cœur de
Jésus en remerciement de tous les bienfaits que vous nous avez distribués,
pour suppléer à tout ce que nous avons omis, pour corriger tout ce que nous
avons mal fait en vous servant. Ô Vierge notre Mère, recevez dans votre
cœur maternel, les hommages que nous tous avons offerts aujourd’hui.
Recevez tout ce que nous vous offrons avec le Cœur et par le Cœur sacré de
votre Fils ; nous nous consacrons à votre cœur virginal ; si nous avons fait
quelque bien, nous vous en sommes redevables, vos prières nous ont obtenu
la force de le faire.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

Prières au saint cœur de Marie13


Ô vous, la plus pure, la plus noble, la plus belle de toutes les vierges,
très digne Mère de Dieu, Marie, je vous en conjure, par votre très profonde
humilité, par votre très sainte et très entière pureté, par votre très brûlante
charité, par toutes les vertus et les grâces dont le Seigneur vous a ornée pour
vous rendre sa très digne Mère, accueillez-moi, prenez-moi sous votre
protection. Que votre cœur si maternel et si tendre daigne m’aimer comme
son enfant : qu’il daigne, malgré mon indignité, m’obtenir la grâce de vous
témoigner ma reconnaissance en vous aimant d’un amour très pur et très
saint.
Prosternés à vos pieds, ô très clémente, très miséricordieuse, très
bonne, très charitable Mère de Dieu, Mère de grâce et de miséricorde, nous
vous en conjurons, souvenez-vous maintenant, ô Vierge sublime, de votre
très haute dignité de Mère de Dieu, de cette dignité par laquelle vous êtes
devenue pour nous, pauvres pécheurs, la porte du Ciel, l’arche du salut au
milieu du déluge, l’Arche d’alliance, la cité de refuge, le temple de l’Esprit-
Saint et la Reine de miséricorde. Recevez-nous donc, nous tous, pécheurs et
malheureux, recevez-nous dans votre amitié  ; que votre cœur nous aime,
qu’il nous défende et nous protège. Daignez nous admettre au nombre de
ceux auxquels vous accordez l’inappréciable privilège d’être les serviteurs,
les esclaves, les préférés de votre cœur. Versez dans nos âmes, ô bonne
Marie, votre amour si chaste et si fervent, toutes les vertus de votre sainte
vie. Mais, spécialement votre humilité, votre douceur, votre pureté, votre
charité, votre obéissance. Obtenez-nous, ô très douce Marie, une heureuse
mort  ; soyez alors à nos côtés pour nous protéger fidèlement dans nos
besoins et dans nos tentations. Obtenez-nous aussi de la miséricorde de
Jésus, par ses mérites et ses souffrances, d’expier ici-bas tous nos péchés,
de subir tous les châtiments qui leur sont dus afin qu’au moment de la mort,
libres et purifiés de toute souillure, nous puissions, sans retard, passer de
cette vie au repos éternel.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

La vie de Marie14
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous par la très dévote présentation
au Temple et la conversion de la bienheureuse Marie toujours vierge, par
laquelle, âgée de 3 ou de 5 ans, elle fut enlevée à ses parents (selon le vœu
qu’ils avaient fait pour elle avant sa conception) et fut conduite au Temple
de Jérusalem. Lorsqu’ils y arrivèrent, la très dévote jeune fille, quoique par
l’âge elle pouvait tout juste marcher, par la ferveur de la dévotion, elle
monta cependant sans aide les quinze degrés du temple. Elle-même s’est
présentée et offerte à Dieu par les mains du prêtre et jusqu’à l’âge de
15 ans, elle mena une vie angélique : entièrement humble de cœur, attachée
au silence et modeste ; pauvre en esprit, sobre et chaste, observante d’une
discrète austérité, patiente et douce, très remplie de la plus divine et
fraternelle charité, d’une intention droite ; d’un amour réservé, de conseils
judicieux et d’une obéissance parfaite, pleurant, compatissant et priant avec
douceur  ; affamée de justice et la recherchant avec courage et vigilance,
dévotement et ardemment, magnanime, forte et constante ; miséricordieuse,
juste, aimable, libérale et magnifique ; retenant ses sens, tempérante, pure
de cœur et élevée d’esprit ; prudente, sage et éloquente ; simple, pudique,
tranquille et pacifique  ; louant Dieu en toutes choses tant adverses que
prospères et lui rendant grâce ; s’humiliant et renonçant parfaitement à elle-
même  ; suppliant Dieu en se confiant à lui avec ferveur, et révélant elle-
même entièrement ainsi que toute chose  ; ainsi [son] esprit était
continuellement réconforté par des fruits comme la charité et la joie, la
paix, la patience et la longanimité, la douceur, la bonté et la bénignité, par la
foi, la fidélité et la modestie, la continence et la chasteté ; c’est pourquoi sa
vie et sa manière de vivre au Temple pouvaient vraiment être dites de toute
sainteté et de toutes les vertus, une image et un exemple parfaits.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par le mariage de la très
chaste et toujours Vierge Marie, par lequel quoiqu’elle-même, comme
première parmi les vierges, ait fait le vœu de virginité, cependant à la
persuasion des prêtres et des pontifes, elle consentit à s’unir à un homme
appartenant à sa tribu, à savoir Joseph, l’homme saint, très chaste, fils de
David, auquel elle fut unie par le mariage, mais il ne l’a pas connue,
habitant avec lui comme une sœur avec son frère, elle demeura
intégralement toujours vierge.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par la Visitation de la
bienheureuse Marie toujours vierge, par laquelle aussitôt après la
conception en son sein du Fils de Dieu, cette vierge désira par charité
communiquer le fruit d’un tel trésor à sa cousine Élisabeth et à son fils.
Quittant le repos de la contemplation pour le travail, elle partit dans la haute
et escarpée montagne de Juda, parcourant le chemin à pied, avec la hâte et
la ferveur de la dévotion, puis elle entra dans la maison de Zacharie,
humblement, salua Élisabeth. Élisabeth entendit sa situation et Jean-
Baptiste, qui était enfermé dans son sein depuis six mois, fut sanctifié par la
puissance et la présence du Christ Jésus, Dieu et homme, purifié de la tache
originelle, devancé dans des bénédictions de la douceur de la grâce,
illuminé par la foi du Christ et oint de l’huile d’allégresse et mu par l’esprit
de prophétie, sous l’influence duquel il commença à exulter, de sorte que ne
le pouvant par la voix, il annonçait le Christ par l’exultation. Alors qu’il
exultait, sa mère fut remplie de l’Esprit-Saint. Et elle s’écria d’une voix
forte pleine de dévotion :Tu es bénie entre les femmes, toi la seule vierge et
mère. Et, béni le fruit de tes entrailles, l’auteur de toutes bénédictions. Et
d’où me vient, à moi si indigne et sans mérite que la mère de mon Seigneur,
le vrai Dieu, vienne jusqu’à moi me visiter et me saluer aussi officiellement
et humblement  ? En effet, vraiment je connais et je confesse que tu es la
mère du vrai Dieu et de mon Seigneur. De ce fait, la voix de ta salutation
est parvenue jusqu’à mes oreilles  ; l’enfant a exulté de joie en moi.
Bienheureuse celle qui a cru, parce que se sont réalisées toutes les paroles
que t’avait dites le Seigneur. Aussi, cette vierge très humble ne s’arroge ni
ne s’attribue aucune de toutes ces louanges et aucun de ces bienfaits,
conserve toutes ces choses pour la louange de Dieu, qui contient ce très
pieux cantique : Mon âme magnifie le Seigneur. Mon esprit exulte en Dieu
mon sauveur. Puis elle demeura auprès d’Élisabeth trois mois encore,
déférente avec elle comme avec une personne âgée et la servant autant
qu’elle pouvait jusqu’à la naissance de Jean-Baptiste. À ce moment, tant
Jean qu’Élisabeth, sa mère, par l’influence et la présence du Christ, par la
douce consolation de la bienheureuse Vierge et sa très sainte intimité,
reçurent une continuité de grâces et un accroissement de [dons] spirituels.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par la Purification de la
toujours très pure Vierge Marie, par laquelle cette bienheureuse Vierge,
quoiqu’elle n’était pas soumise à la loi de la purification, choisit cependant
l’exemple de l’humilité et de l’obéissance, montrant comment fuir toute
singularité. Depuis le jour de son enfantement, elle s’abstint quarante jours
d’entrer dans le Temple, demeurant pendant ce temps dans la chaumière où
l’enfantement avait eu lieu, dans une grande pauvreté et une grande
austérité, jusqu’au quarantième jour où, de Bethléem à Jérusalem, elle
monta accompagnée de son époux Joseph, portant son fils dans ses bras.
Tandis qu’ils pénétraient dans Jérusalem, le vieillard Siméon, juste et plein
de respect, qui attendait la consolation d’Israël, vint au Temple ; il lui avait
été révélé par l’Esprit-Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le
Christ du Seigneur. Et comme la bienheureuse Vierge et son époux Joseph
entraient dans le Temple avec l’Enfant-Jésus, Siméon reconnaissant le vrai
Messie, le prit dans ses bras et bénit Dieu en disant : « Maintenant tu peux
laisser ton serviteur [partir] dans la paix, parce que mes yeux ont vu ton
salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer
les nations et gloire d’Israël ton peuple. » Par ces paroles, il reconnaissait et
confessait que le Christ est notre réconciliation et notre paix par
l’Incarnation, notre Salut et notre Rédempteur par la Passion, notre lumière
et notre illumination comme exemple et doctrine de vie, gloire et béatitude
par la Résurrection et l’Ascension. Après ce cantique de louange, Siméon
bénit les parents de l’Enfant-Jésus, s’étonnant de ce qu’on disait de lui, puis
il dit à Marie sa mère ces paroles prophétiques  : «  Voilà que cet enfant
provoquera la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il sera
un signe de contradiction, et toi-même, un glaive de douleur te transpercera
afin que soient révélées les pensées d’un grand nombre.  » Alors, la
prophétesse Anne (après avoir vécu sept ans avec son mari, elle était restée
veuve ; parvenue à l’âge de 84 ans, elle ne quittait pas le Temple, vaquant
jour et nuit à la prière dans le jeûne), survenant à ce moment, se mit à louer
le Seigneur et à annoncer à tous ceux qui attendaient la rédemption d’Israël,
la venue du vrai Messie. Ensuite, la Vierge reçut dans ses bras son fils que
lui donna Siméon et ensemble, avec son époux Joseph et Anne, elle
s’avança vers l’autel, emplie de dévotion, et présenta au Dieu Père, son fils
premier-né, l’offrant comme une offrande très pure à la place de tous les
sacrifices et de tous les holocaustes. Or l’Enfant-Jésus s’offrit lui-même à
son Père pour notre rédemption, et parce qu’il n’appartenait pas à la tribu de
Lévi, il fut racheté cinq sicles pour que la bienheureuse Vierge puisse
accomplir la loi de la purification. Avec son fils, elle offrit deux petites
colombes, ce qui était l’offrande des pauvres. Tout cela accompli, ils
retournèrent à Nazareth.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous et exauce-nous. Par la
Compassion de la très pieuse Vierge Marie qui savait d’une foi certaine que
son fils Jésus-Christ était le vrai Dieu, le plus affectueux, le plus
respectueux et le plus cultivé, l’homme le plus noble, le plus innocent, le
plus beau, le plus tendre, le plus doux, le plus aimable et le plus aimant
fidèlement le genre humain, le plus ardent, et le plus bienfaisant. Elle a
compati à sa Passion, aux injures, aux blasphèmes, à ses supplices, à sa
mort très atroce. Comme mère, sa seule parente, conforme à lui par la
nature, son fils unique, la plus aimante pour le plus aimant, la plus tendre
pour le plus tendre, voyant et prévoyant en esprit, appréciant toutes ses
douleurs et ses souffrances extérieures et intérieures. Elle en souffrait et y
avait tellement part qu’elle se savait à juste titre rachetée par elles et très
glorieusement couronnée par rapport à toutes les créatures. De plus, parce
qu’elle avait été choisie avec son fils comme coopératrice de notre salut,
elle s’était tenue sous la croix du Christ à la place de tous ceux qui devaient
être sauvés et avait suppléé par une très douce et très douloureuse
compassion à notre abandon du Christ  ; ainsi, elle nous avait engendrés
d’une certaine manière comme fils sous la croix. Sous la figure du disciple
Jean (dont le nom signifie «  celui en qui est la grâce  »), le Christ avait
donné comme fils à sa mère tous les fidèles des temps à venir, en lui disant :
Femme, voici ton fils, et au disciple  : Fils, voici ta mère. En outre, cette
Vierge très douce compatit aussi principalement aux sept plaies du Christ :
pendant la Circoncision lorsqu’elle vit son fils blessé et verser des larmes et
du sang  ; lors de sa disparition, lorsque l’enfant était resté à Jérusalem
parmi des parents et connaissances ; pendant la fuite en Égypte ; quand elle
apprit son arrestation, sa flagellation et le couronnement d’épines et qu’elle
le vit porter la croix  ; quand elle le vit mourir sur la croix  ; quand elle le
reçut lorsqu’on le descendait de la croix ; quand il fut enseveli.
Ô Dieu unique et trine, aie pitié de nous, par la Sépulture, le réveil et
l’Assomption de la bienheureuse et toujours Vierge Marie qui, après son
trépas, a été livrée à la sépulture par les Apôtres dans la vallée de Josaphat,
a été soustraite à la fureur et à la violence des Juifs pour enlever son corps
et à ceux qui voulaient le brûler  ; libérée par une force divine, elle a été
ensevelie très dévotement dans la dite vallée et, son corps étant demeuré
intact, dégageait la plus suave odeur. Le troisième jour, alors que le Christ
survint, accompagné d’un cortège d’anges, son âme fut réunie à son corps
restauré et transformé en un état glorieux, elle fut relevée de la mort, et avec
son corps glorifié et son âme bienheureuse, elle fut transportée au Ciel
parmi les anges et tous les saints en jubilation, puis établie sur un trône
proche de son fils, au-dessus de tous les anges et de tous les saints. Puis elle
nous fut donnée comme la mère et l’avocate la plus puissante, la plus sage
et la plus bienveillante.
Jean-Michel de Vesly († 1600)

Offrande à la très Sainte Vierge15

Vierge Marie, ô ma Souveraine ! Je veux vous louer, et vous glorifier


par le très doux Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu et votre
fils. Je vous en conjure, par l’amour de votre cœur virginal pour Jésus-
Christ, douleurs incomparables que votre cœur souffrit à son occasion,
adoptez-moi pour votre enfant, prenez-moi sous votre protection
maternelle, dirigez-moi, faites que je vous aime et que votre cœur de mère
me garde et me défende. Mon intention est, pendant toute cette journée qui
commence, de vous louer, de vous honorer, de vous vénérer ; dans ce but, je
remets entre vos mains si pures, je place dans votre cœur si tendre toutes
mes actions. Ce qu’il y aura à corriger, à suppléer, à ajouter, à perfectionner,
veuillez le faire et présentez le tout au Cœur de votre Fils, dans lequel je
vous prie de m’introduire pour y prendre mon repos, maintenant et toujours
et surtout à l’heure de ma mort. Ainsi soit-il.
Jean-Michel de Vesly († 1600)

Joie et satisfaction qu’éprouve


une âme en songeant que le cœur
de Marie est le salut des pécheurs
et le refuge de tous les malheureux16

Ô Marie ! J’éprouve une indicible joie à penser que votre cœur est le
salut des pécheurs et le refuge des malheureux, et que moi, le plus
misérable de tous, je dois avoir un titre spécial à sa sollicitude et à ses
tendresses. Oui, cette pensée, que j’ai un asile assuré dans votre cœur très
saint et immaculé, qu’avec lui et par lui je peux maintenant et toujours
aimer et glorifier votre Fils et la très sainte Trinité, m’inonde de joies et de
consolations ineffables. Béni soit mille fois le Seigneur, dont l’infinie
miséricorde a daigné me révéler des trésors cachés dans votre très aimable
cœur !
Eh bien  ! Puisque le cœur de Marie est mon refuge, j’y fixerai ma
demeure, et je renouvellerai souvent la résolution de n’en plus sortir jamais.
Caché dans cet aimable sanctuaire, je traiterai avec Marie des affaires qui
importent le plus à mon salut éternel. Je consacrerai à ce cœur toutes les
actions qui ont été et qui seront faites jusqu’à la fin du monde. Je prierai la
sainte Vierge de les purifier, de les enrichir de ses mérites et de m’en
constituer le maître absolu  ; elle le peut, dès lors qu’elle est la Reine de
l’univers.

Prière à Jésus.

Mon bon Jésus ! Vous qui, pour le salut des pécheurs et le secours de
tous les malheureux, avez voulu que le très saint et immaculé cœur de
Marie, votre Mère, fût rempli des mêmes sentiments de miséricorde et de
tendresse que votre divin cœur  ; oh  ! faites que tous ceux qui honoreront
dévotement et qui imploreront avec confiance le doux cœur de Marie,
soient comblés de bénédictions pendant leur vie, à leur mort et pendant
l’éternité. Ainsi soit-il !

Oraison jaculatoire.
Ô très saint et immaculé cœur de Marie, refuge des malheureux et salut
des pécheurs, priez pour nous !
Gabriel-Marie Fulconis (1816-1888)

Colloque affectueux
avec la très sainte Vierge,
Mère de Jésus et notre Mère17

Auguste Mère de Dieu, vous êtes donc également ma Mère ! Oh ! que
ne puis-je répéter à l’univers entier cette heureuse nouvelle : Marie est ma
Mère ! Mère d’une tendresse inépuisable ! Mère digne de Jésus qui me l’a
donnée  ! Et moi, Marie, je suis votre enfant  ! Mais comment le serai-je  ?
Ah ! je serai tout à vous ; je vous aimerai de tout mon cœur ; après Dieu, je
vous aimerai par-dessus toutes choses ; en un mot, je serai un enfant docile,
fidèle à vous imiter et jaloux de vous gagner des cœurs.
Mère bien-aimée, je préfère votre amour à tous les délices de la terre ;
je préfère mon titre d’enfant de Marie à tous les titres et à tous les honneurs
du monde. Pourrai-je jamais déshonorer un nom si précieux ? Non, non ! Je
mourrai plutôt que de blesser et de souiller, même légèrement, la pureté
d’un cœur qui appartient désormais à la Vierge des vierges. Vous m’aiderez,
ô ma Mère  ; vous ne laisserez pas périr votre enfant. Ah  ! Je veux être à
vous pour toujours : défendez-moi, Marie, protégez-moi, ouvrez-moi votre
Cœur aimant et je n’en sortirai plus. Oh ! la belle, oh ! la douce habitation,
que le cœur de Marie !

Prière pour demander à Marie


sa bénédiction maternelle

Bénissez votre enfant, ô ma bonne Mère  ! Bénissez-moi quand, le


matin, je me jette à genoux pour offrir à Dieu les actions de ma journée ;
quand je me rends au travail où le devoir m’appelle  ; quand la fatigue, la
tristesse ou la contradiction viennent m’éprouver ; quand l’ennemi de mon
salut s’efforce de me séduire  ; et quand, le soir, je me dispose à prendre
mon repos pour mieux remplir, le lendemain, les devoirs qui m’assureront
la véritable félicité.
Bénissez votre enfant, ô ma bonne Mère  ! Que votre bénédiction
m’accompagne le jour et la nuit, dans la consolation et la tristesse, dans le
travail et le repos, dans la santé et la maladie, et surtout à l’heure de la mort,
à cette heure où sera fixé mon sort éternel.
Gabriel-Marie Fulconis (1816-1888)

Annonciation18

Ô Marie, vous seule avez pu comprendre comme nulle intelligence ne


comprendra jamais, les explications du divin envoyé ! Vous seule avez pu
lire en sa parole la pensée du Très-Haut  ; non pas sans doute telle que la
voit le Tout-Puissant lui-même, car Lui seul est capable de contempler son
idée  : il n’y a que son œil qui la contemple, comme il n’y a que Lui qui
puisse y porter son regard. Mais vous avez vu plus loin que l’ange lui-
même. Il vous a dit ce qui lui a été dit pour vous ; et pour nous aussi, avec
vous  ; et pour lui aussi, avec vous et nous. Car et lui et nous et vous
sommes unis dans le mystère de ce message. Il a dit fidèlement ce qu’il a
entendu humblement ; il a transmis saintement ce qu’il a reçu dévotement.
Il vous a apporté un nom où votre œil de Vierge s’est plongé, plus loin que
tout œil qui n’est pas celui de Dieu. Les cœurs purs voient si profondément
en Dieu ! (Mt 5,8).
Votre cœur est la pureté idéale. Vous avez vu, entendu, compris, goûté.
Et votre vision a triomphé des ténèbres, a dissipé les incertitudes, chassé les
troubles, vaincu les hésitations du premier moment de la salutation. Quelle
illumination de votre âme !
François de Sales Pollien (1853-1936)
Marie, chemin de contemplation19

Vous avez vu, Vierge d’amour, faites-nous voir avec vous, comprendre
avec vous, adorer avec vous. Faites-nous triompher dans la lumière, comme
vous. Ce nom qui vous est révélé ne l’est pas pour que vous le cachiez, mais
pour que vous nous le portiez. Nous aussi, nous sommes appelés à le
connaître, à nous aussi, il doit parler, en nous aussi, il doit éclairer les
ténèbres, surmonter les doutes, arrêter les hésitations, susciter les divins
acquiescements ; nous aussi, il doit nous ravir, nous éblouir, nous conquérir,
nous entraîner dans les enthousiasmes de la sainteté. Que connaîtrons-nous,
si nous ne savons votre Jésus  ? Que serons-nous, si nous ne recevons la
lumière de son nom  ? Que ferons-nous si ses rayons ne nous échauffent
pour nous vivifier ? Mère, Mère de Jésus qui est vôtre et qui est nôtre, Mère
de nos âmes et de nos vies, faites sur nous votre fonction de mère. Soyez
l’éducatrice de notre esprit et de notre cœur. Dites-nous ce que vous a dit
l’ange. Dites-le-nous non pas dans votre mesure, mais dans la nôtre. Nous
ne verrons qu’un coin de ce que vous avez vu ; mais si vous nous faites voir
ce que nous pouvons voir !… ce que nous devons voir !… Mère, nous nous
adressons à vous. Les mères comprennent si bien les enfants et les enfants
comprennent si bien les mères ! C’est de vous que nous voulons entendre ce
que nul autre ne nous apprendra comme vous.
François de Sales Pollien (1853-1936)

Marie dans les secrets de Dieu20

C’est à vous la première qu’ont été dévoilés et confiés ces grands


mystères lentement préparés à travers les siècles. Avec quelle profondeur
commence à se réaliser en vous cette parole de l’ange : « dominus tecum ! »
Vous voilà introduite en une intimité, que nulle créature n’a connue, que
nulle ne connaîtra. Personne, ni ange ni homme, ne sera jamais, autant que
vous, confident des vastes secrets. Vous êtes la première et vous êtes la
seule  ; après vous viennent les anges  ; après vous viendront les hommes,
qui puiseront en votre trésor, qui contempleront en votre lumière. Oh ! qu’il
m’est doux de sentir votre maternité inaugurée par la possession des secrets
divins avant que vous n’ayez dit le mot qui vous placera dans la famille de
Dieu comme la Mère unique du Fils unique. Avant de concevoir
corporellement le Verbe, vous l’avez conçu spirituellement. Car c’est la
parole, et donc le Verbe de Dieu qui est entré en vous par le ministère de
l’ange. Il est entré en vous, en votre esprit. Et une union s’est faite de votre
âme avec le Verbe, qui demeurera à jamais le premier commencement de
l’Incarnation et de l’Église.
Union, me semble-t-il, plus haute même que celle qui doit suivre et qui
vous fera engendrer par l’opération de l’Esprit-Saint. La  Trinité qui s’est
révélée à vous, qui s’est confiée à vous, vous a introduite dans l’intimité de
sa lumière.
François de Sales Pollien (1853-1936)

Marie aimée de Dieu21

Désormais vous êtes la créature sur laquelle s’écouleront le plus ses


secrets et ses complaisances. Dépositaire privilégiée, vous voyez en Dieu ce
que les siècles et le Ciel verront moins que vous. Quel fut le ravissement de
votre âme, à cette heure des sublimes révélations ? L’Évangile, qui ne laisse
pour ainsi dire briller que votre humilité, ne nous permet que d’entrevoir les
béatitudes de vos divines intimités. Et moi, dans le respect de mon
admiration, je ne puis que vous répéter le salut de l’ange  : «  dominus
tecum ! » Oh ! Qu’il est avec vous, qu’il est en vous ! Que vous êtes avec
lui, que vous êtes en lui !… Jouissez, ô Marie, de votre intimité, j’en jouis
avec vous et pour vous. Triomphez de vos confidences, j’en triomphe avec
vous et pour vous. Vous me permettrez plus tard, quand je m’essayerai à
vous considérer dans l’exercice de votre maternité, vous me permettrez de
voir comment vous avez gardé ce Verbe, que vous avez entendu, reçu,
conçu. Vous me permettrez encore, quand je contemplerai votre maternité
humaine, de voir comment vous nous communiquez ce que vous avez reçu.
Ici, je m’incline devant votre secret, je révère votre silence, et je vous redis,
dans ma vénération : « dominus tecum ! ».
François de Sales Pollien (1853-1936)

Difficulté de contempler Marie22

La terre, souvent, est enveloppée de nuages, et le soleil alors est voilé


pour elle. Quelle épaisseur de nébulosités s’interpose ainsi entre les âmes et
la lumière surnaturelle ! Bienheureux les cœurs purs qui peuvent voir Dieu
(Mt  5,8). L’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu
(1  Cor  2,14). Et quelle est l’âme débarrassée entièrement des vapeurs de
l’animalité ? Nous voyons donc peu, par étroitesse de nature ; et le peu que
nous voyons nous apparaît dans un Ciel si gris ! Voilà comment je vous vois
si confusément, mon Dieu, si incomplètement, ma Mère ! Qu’il est beau, ce
Ciel où il n’y aura plus les nuages de notre mortalité, et où nous pourrons
contempler face à face  ! Nous ne verrons là encore que selon notre
capacité ! Mais ce qui viendra de vous à nos yeux sera du moins si pur, si
uniquement lumineux  ! Splendeur si désirée  ! Nous nous réjouissons déjà
tant de nos visions si indécises ici-bas, que sera-ce de la vision directe au
beau midi de la gloire ? Ô Vierge, ô Mère, quel ravissement aux regards qui
se baigneront dans la lumière de vos grandeurs !
François de Sales Pollien (1853-1936)
Magnificat23

Mon Dieu, je vais, pour terminer mon office du dimanche soir,


emprunter une voix plus haute que celle du psalmiste. Une âme vous a loué
et béni dans un élan de tout elle-même jamais dépassé ni égalé ici-bas. Et
cette âme est celle de ma tendre mère, Marie. Prier comme elle, vous redire
les mots qu’elle vous a adressés, m’efforcer de faire naître en mon cœur les
sentiments qui ont animé le sien, c’est certainement la ravir et vous donner
de la joie. […] C’était dans une heure si grande de sa vie ! Vous veniez, par
une mystérieuse et ineffable opération de votre Esprit d’amour, de déposer
en son sein virginal votre Verbe éternel, le Fils de vos complaisances.
Écrasée et ravie à la fois de cette grâce des grâces, elle était allée porter son
trésor et sa joie à sa cousine Élisabeth et donner à son Sauveur, à peine
conçu, la joie de racheter une âme très chère. Là, sur le seuil de cette
maison, devant celle qui la comprenait, que vous éclairiez d’une si pure
lumière et qui reconnaissait en elle la mère de son Seigneur et la femme
bénie entre toutes les femmes, sous le coup de cette louange qui lui est
adressée en votre nom mais doit remonter jusqu’à vous, elle laisse couler
ses sentiments contenus depuis quelques jours et qui l’oppressent, et elle
chante ce cantique dont je veux faire moi-même l’hymne de toute mon âme
et le résumé de ma prière du dimanche soir : Magnificat…
La louange qu’elle vous offre produit en elle un effet merveilleux : elle
la grandit, elle l’élève jusqu’à la cime d’elle-même, jusqu’à ces hautes parts
de nos âmes où vous résidez. En vous bénissant pour toutes les magnifiques
choses que vous avez faites, elle oublie ces choses, elle s’en détache, elle ne
voit plus que vous qui les faites ; en toutes, elle vous loue, elle adore votre
divin et immense amour, et elle pénètre en vous qui êtes cet amour.
Augustin Guillerand (1877-1945)

1.
Guigues Ier, Coutumes de chartreuse , op. cit. , chap. XXIII, p. 215.
2.
Statuta ordinis cartusiensis, 1991 , op. cit ., t. XIII, p. 369.
3.
Sur ce phénomène de torpeur monastique qu’on appelle l’acédie, voir N.  Nabert (dir.),
Tristesse, acédie, médecine des âmes. Anthologie de textes rares et inédits , Paris, Beauchesne,
« Spiritualité cartusienne », 2005.
4.
Ce Psautier a été traduit par A. Devaux, La Poésie latine chez les chartreux , op. cit. , p. 80-
83. L’original de ce Psautier est inséré dans l’œuvre de Jean-Juste Lansperge, Hymnis
christiformes , op. cit ., t. V, p. 430.
5.
Ce texte a été traduit en français au XIXe  siècle sous le titre Vie de Notre Seigneur Jésus-
Christ , op. cit .
6.
Voir A. Enard, Le Rosaire , Paris, Cerf, « Épiphanie », 1987, p. 28 et p. 263-269.
7.
Jean-Baptiste Porion, Amour et silence , op. cit. , « Sermons capitulaires », p. 109-110.
8.
Innocent Le Masson, Direction et sujets de méditations pour les retraites à l’usage des
religieuses chartreuses , op. cit ., p. 35.
9.
Guigues II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative , op. cit. , p. 165.
10.
Gaspar Gorricio de Novara, Contemplaciones del Rosario de Nuestre Senora , Séville, 1491,
IIe partie, chap. XIV, fol. CIVv°-CVr°, trad. inédite S. Cantera Montenegro.
11.
Jean-Juste Lansperge, Pharetra ad Mariam virginem , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-
Prés, trad. inédite P. Pradié, osb.
12.
Jean-Juste Lansperge, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 288-
289.
13.
Ibid ., p. 352-354.
14.
Jean-Michel de Vesly, Psalterium decachordum , op. cit ., p. 174-184, trad. inédite P. Pradié,
osb.
15.
Jean-Michel de Vesly, in Innocent Le Masson, Mois du Sacré-Cœur de Jésus , op. cit ., p. 274-
275.
16.
Gabriel-Marie Fulconis, L’Âme sainte , op. cit. , p. 35-36.
17.
Ibid ., p. 222-223.
18.
François de Sales Pollien, Élévations sur l’ Ave Maria, Blois, Éditions Notre-Dame-de-la-
Trinité, 1961, p. 67-68.
19.
Ibid ., p. 68.
20.
Ibid ., p. 88.
21.
Ibid ., p. 89.
22.
Ibid ., p. 175.
23.
Augustin Guillerand, Liturgie d’âme , op. cit ., «  Magnificat  », p. 111-112.
8

Les saints solitaires

Les saints solitaires sont un peu les parents pauvres de la prière des
chartreux, non pas que ceux-ci ne révèrent pas les saints, mais plus
simplement parce que leur vocation christocentrée et mariale reste
profondément enfouie dans le mystère de l’Incarnation, de la contemplation
de Dieu et du silence. Pourtant les chartreux ne manquent pas de saints –
 saint Bruno, saint Anthelme de Chignin, Roseline de Villeneuve, Béatrice
d’Ornacieux –, ni de martyrs – ceux d’Angleterre, sacrifiés en 1570, et dont
Maurice Chauncy a rapporté l’histoire1, mais aussi la dernière prieure de la
chartreuse de Gosnay, en France, guillotinée le 27 juin 1794.
Si les saints sont inscrits dans le Sanctoral et révérés avec solennité, si
mémoire leur est faite dans différents écrits historiques ou
hagiographiques2, le corpus des prières conservées les concernant est
cependant moins abondant que celui consacré au Christ et à Marie. Il est à
noter toutefois que la dévotion des chartreux se tourne volontiers vers leurs
pères solitaires, tels qu’ils sont nommés dans les Coutumes de chartreuse :
Et maintenant considérez vous-mêmes ces Pères saints et vénérables : Paul, Antoine, Hilarion,
Benoît, et tant d’autres dont nous ignorons le nombre  ; voyez le profit spirituel qu’ils ont
recueilli dans la solitude […]3.

Une place particulière est réservée à saint Joseph, à Marie-Madeleine


et à Jean-Baptiste, grands référents cartusiens de la vie solitaire et mystique.
Quant à saint Bruno, dont la solennité est le 6 octobre, l’hommage qui lui
est rendu en chartreuse est lié à la longue histoire de sa canonisation qui ne
se fit qu’en 1514 et qui généra, grâce à l’ardente activité de François
Dupuy4, une littérature hagiographique importante. Celle-ci le tira d’un
relatif oubli dans la référence textuelle à la fondation de l’Ordre. Le
XVIIe siècle, grâce à Innocent Le Masson, et le XXe ont redonné pleinement
sa place à saint Bruno dans la vénération des saints, honoré en chartreuse
comme inspirateur de la vie cartusienne, ainsi que le rappelle Innocent Le
Masson aux moniales chartreuses :
J’ai donc bien raison de vous faire paraître ici saint Bruno comme un fidèle ministre du
dessein de Dieu sur nous, en nous fournissant tant de moyens pour vivre en charité et selon la
charité, et en éloignant de nous ces trois grands écueils de la charité, que sont la curiosité, le
propre intérêt, et la conversation vaine et superflue5.

Litanie des saints6

Que le Dieu un et trine se fasse don pour nous.


Marie, gloire des Saints, rappelle-toi les tiens.
L’armée de saint Michel nous mène dans les Cieux.
Ô Baptiste du Christ, secours de notre misère.
Que la troupe des Douze nous libère de peine.
Le sang des Martyrs soigne ceux que le serpent blesse.
Tes Confesseurs, ô Christ, prient pour nous diriger.
Christ, unis-nous aux saintes de la troupe des Vierges.
Que l’assemblée des saints nous aide de ses vœux.
Anonyme (XVe siècle)

Salut, ô Christ7

Salut, ô Christ, restaurateur du genre humain,


Jésus, médiateur du pacte entre Dieu et l’homme ;
Je te demande d’être mon sauveur comme pour les autres élus.
 
 
Salut, ô Vierge singulière, heureuse accouchée,
Tu règnes sur l’univers, ô reine, ordonne
Que la vipère du Styx ne me blesse pas de ses cruelles morsures.
 
 
Salut, chœurs des anges, illuminés par l’armée
De tous les élus rassemblés devant la face de la Divinité ;
Apportez-moi, je vous prie, la lumière de la grâce des Cieux.
 
 
Salut, ô toi Baptiste du Christ, le plus grand des hommes,
Tu précédas la voix du Verbe de Dieu pour annoncer le Seigneur,
Fais que je ne termine pas cette vie par une mauvaise mort.
 
 
Salut, heureuse douzaine de la troupe apostolique,
Dont la vie n’est pas terrestre,
Dont la puissance n’est pas modeste,
Donnez-nous le salut total de la vertu céleste.
Conrad de Haimbourg († 1360)

Éloge de saint Bruno8

Le grand patriarche des chartreux


Avait sept étoiles dorées,
Plus brillantes que les sept Pléiades,
Quand les yeux humains les regardent.
Les Alpes et les montagnes savoyardes,
Près du lac du Dauphin,
Reçoivent et elles ont toujours reçu
Ses comètes et ses rayons apparemment très salutaires,
D’accord avec la volonté de Dieu.
 
 
Père illustre, qui nous as enseigné
Le chemin suivi par très peu de personnes !
C’est par cette voie que tu es allé
À la recherche de la vie
Tandis que l’autre voie, à gauche, tu l’as abandonnée.
Les rocs glacés et les montagnes tu les as aimés
Avec l’ardeur de la douce Rachel.
 
 
Tu considérais que la solitude
Trouvait les secrets profonds de la Divinité ;
Et elle les trouvait ainsi
encore plus élevés, subtils et droits.
Juan de Padilla (1468-1520)

Éloge de saint Jean-Baptiste9

Il fut le sommet de la sainteté,


Une école très juste de très grande vertu,
Sainte doctrine pour les jeunes,
miroir très clair de virginité.
Il fut règle de la chasteté,
Droit bâton de toute justice,
Titre très grand de pudicité,
Et la claire vérité de la pénitence.
[…]
Ô notre père très saint !
Quel forfait as-tu commis,
Pour mourir ainsi comme un criminel ?
Tu es le précurseur du Fils de Dieu,
Tu es né saint dès le ventre de ta mère,
Tu as porté des vêtements de peau de chameau,
Et dans le désert tu mangeais des herbes
Ô, fils excellent du bon Zacharie,
De quelle manière tu as tendu ton cou au bourreau !
 
 
Tu es, ô notre père béni,
Parmi les fils des femmes,
Tu es lumière et chandelle du monde,
Et très peu inférieur aux anges.
Souffrez, chartreux ! souffrez
À cause du père gracieux que vous aimez tellement,
Car vous le voyez là-devant égorgé,
Ici représenté avec une noire couleur.
Juan de Padilla (1468-1520)

Prière à saint Laurent


pour la modestie de la vocation10

Laurent, que ton martyre éclatant rend illustre […],


Que jamais le délire âpre de l’impatience
Ne nous fasse dévier et qu’il n’y ait en nous
Nulle tache de vice : l’orgueil et son enflure
S’éloignent de nos fronts, et si nous aimons trop
Quelques fruits de vertu, rends-nous vils à nos yeux,
Pour ne nous admirer nous-mêmes plus qu’il sied
Ou ne nous élever ; vivons bien au contraire
En condition modeste, sans morgue ni astuce.
Donne à tes suppliants de vaincre l’ennemi […],
Tiens donc toujours pour chers, Vénérable Martyr,
Ces chrétiens qui te prient tant maintenant qu’après
Leur mort. Comme ils se fient en tes mérites, toujours
Ils t’adresseront vœux et prières sans trêve ;
De ton côté, protège celui qui tend vers Dieu,
Qu’il repose à sa mort au séjour des étoiles.
Jean Morocourt († 1547)

Sainte Marie-Madeleine11

Miroir de pénitence,
Notre unique modèle,
Tu appelles l’aimé,
Tu te caches en son cœur.
 
 
Ô Jésus, tu le dis,
Tes plaisirs sont dans l’homme :
Moi, je languis d’amour
Et ne veux te quitter.
 
 
Rien n’est plus cher que toi,
Pour moi, rien n’est plus doux ;
Tu prêches, je te suis,
Et je bois tes paroles.
Ma sœur a beau blâmer
Et Simon murmurer ;
Il n’est qu’un nécessaire :
J’ai choisi le meilleur.
 
 
Madeleine splendide,
Notre mère, demande
Pour nous tous le pardon
Et la grâce de Dieu,
 
 
La pleine contrition
Et la vraie dilection,
Et après notre vie
Le céleste bonheur.
 
 
À toi soit la louange,
Qui donnas à Marie
Le pardon et la grâce ;
Avec le Père, l’Esprit,
Sauve-nous de la mort.
 
 
Amen.
Jean-Juste Lansperge (1489-1543)

Sainte Barbe12

Vierge du Christ, ô sainte Barbe,


qu’honorent dignement l’éther,
les Cieux, la terre et les enfers
à cause de ta sainte vie,
gracile et tendre, par la foi
qui un jour te fut infusée,
tu as connu la Trinité
dont tu montras la vérité
contre le vouloir de ton père
par trois meneaux dans ta cellule.
 
 
Alors tu as montré ta foi,
quand tu entras dans la piscine
pour y recevoir le baptême,
et baptisée, tu consacras
les marquant d’un signe de croix,
les thermes, afin qu’on s’y lave,
qu’on jouisse de la sainteté
pour les âmes et pour les corps.
Ô Barbe, ô épouse du Christ,
lave nos âmes du péché.
 
 
La robe nuptiale nous manque :
Vierge, vêts-nous de charité,
afin que le Roi en passant
en revue tous ses invités,
ne nous rejette pas, damnés,
bien loin de sa divinité.
 
 
Ô vierge clémente et très bonne ;
que Jésus et Marie chérissent,
reine parmi toutes les vierges,
donne-nous de tant t’honorer
qu’ici-bas le Christ nous délivre
de tout péché, que ton saint corps
des mains du prêtre sur l’autel
nous rassasie et qu’à la fin
nous soyons sauvés du malin
et bienheureux avec les Saints.
Recueil de la chartreuse d’Erfurt (XVe siècle)
Élévation en la solennité
de Marie-Madeleine13

Que l’âme s’asseye paisiblement avec Marie aux pieds de Jésus pour
écouter sa parole, qu’elle s’asseye avec humilité, qu’elle écoute avec
attention et médite avec un cœur pur, que la modestie du corps reflète les
dispositions de l’âme. Devenue auditrice de la sagesse divine, qu’elle
s’abaisse avec humilité et se prosterne aux pieds de Jésus, qu’elle oublie le
chemin déjà parcouru et se tourne vers le but. En sanglotant, en soupirant
qu’elle se rappelle ses années passées dans l’amertume de son cœur ; ainsi
l’âme qui était morte revient à la vie et celle qui était éloignée par ses
péchés se fait proche par la grâce de la contrition. Après avoir mangé un
pain de douleurs, l’âme se tourne vers le Christ  ; elle s’enhardit, se lève,
s’approche et, telle la Sunamite, saisit les pieds, non plus d’Élisée, mais de
Jésus-Christ, le fils de Dieu. Elle les arrose de larmes, les essuie avec ses
cheveux, les embrasse d’autant plus familièrement qu’elle s’est approchée
plus hardiment, d’autant plus délicieusement qu’elle est plus dévote. Il est
bon pour l’âme d’être là et d’être ainsi disposée ; qu’elle demeure aux pieds
de Jésus, qu’elle lui tienne les pieds et ne le laisse pas s’échapper.
Là est la première étape du progrès spirituel : soustraits à la servitude
des vies, libérés du pouvoir de la mort, purifiés des souillures des pensées
mauvaises, retenons dans la cellule de notre mémoire tout ce que Jésus-
Christ a accompli dans son corps pour notre salut. […] Finissons-en avec
les ténèbres pour pouvoir entrer dans la lumière ; de la mer agitée passons
au port, du triste esclavage aspirons à la joyeuse liberté. Que la gloriole
abjecte et fugace des choses trompeuses et illusoires ne nous retienne pas,
mais avec toute la joie de l’esprit, avançons vers la vie incorruptible, vers la
vraie vie.
Guillaume Bibauce († 1535)

1.
Historia aliquot martyrum anglorum , maxime XVIII cartusianorum sub rege Henrico VIII ob
fidei confessionem , Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1888.
2.
Voir la Vie de saint Anthelme, évêque de Belley, chartreux , Lagnieu, Jean Picard, 1978,
rédigée par son chapelain  ; Guigues  Ier, Vie de saint Hugues, évêque de Grenoble , éd.
B. Bligny, « Analecta cartusiana », n° 112, t. III, 1986.
3.
Guigues Ier, Coutumes de chartreuse , op. cit. , chap. 80, p. 293.
4.
Voir Vita sancti Brunonis, primi institutoris ordinis cartusiensis , Bâle, 1515, PL, 152,
col.  491-526. Voir également, sur la postérité spirituelle de saint Bruno, N.  Nabert,
D.  Le  Blevec, A.  Girard (dir.), Bruno et sa postérité spirituelle , op.  cit ., notamment les
articles de J. Hogg, p. 151-171, et de G. Chaix, p. 189-195.
5.
Innocent Le Masson, Direction et sujets de méditations pour les retraites , op. cit. , chap.  I,
p. 10.
6.
Recueil de la chartreuse de Cologne (XVe siècle), Ms. Cologne 28, Analecta hymnica medii
aevi , éd. G. M. Dreves, Leipzig, 1886-1922, t. XXXIII, p. 19, trad. in La Poésie latine chez
les chartreux , op. cit ., p. 183.
7.
Conrad de Haimbourg, in Analecta hymnica medii aevi , op.  cit ., t.  III, p.  44-45  ; trad.
H. Spitzmüller, Poésie latine chrétienne du Moyen Âge , p. 1035-1037, dans La Poésie latine
chez les chartreux , op. cit ., p. 47.
8.
Juan de Padilla, Los doze triunfos de los doze Apostolos , op. cit ., t. VII, chap. II, strophes 5-
10, trad. inédite S. Cantera Montenegro.
9.
Juan de Padilla, Retablo de la vida de Cristo , op. cit ., tableau II, cantique 12, strophes 8, 10-
11, trad. inédite S. Cantera Montenegro.
10.
Jean Morocourt, Hugonias , Anvers, 1540, fol.°43-44v°, in La Poésie latine chez les chartreux
, op. cit ., p. 239.
11.
Jean-Juste Lansperge, Hymni christiformes , op.  cit ., n°  63, p.  440-441, trad. in La Poésie
latine chez les chartreux , op. cit ., p. 265.
12.
Sainte Barbe (née vers 235 en Nicomédie, Turquie) est une sainte vénérée en chartreuse pour
sa ténacité à défendre la foi chrétienne contre son père et pour avoir accepté d’être enfermée
dans une tour où elle fit percer une fenêtre symbolisant la  Trinité. Ce long poème, qui fait
allusion à cet épisode de la vie de sainte Barbe, relève d’un récit légendaire assonancé dont on
n’a gardé ici que quelques strophes significatives témoignant du passage du récit à
l’invocation priée. Recueil de la chartreuse d’Erfurt, Ms. collection privée, Analecta hymnica
medii aevi , op. cit ., t. XXXIII, p. 54-57, trad. in La Poésie latine chez les chartreux , op. cit
., p. 169 et 179, strophes 3, 4, 21 et 25.
13.
Guillaume Bibauce, Sermons , Anvers, 1654, sermon 2 en la solennité de Marie, p.  152, in
Petite Anthologie d’auteurs cartusiens , op. cit ., p. 350-351.
Notices biographiques
et bibliographiques

Les éléments d’information contenus dans ces notices se fondent sur la


consultation des volumes suivants  : Dictionnaire de spiritualité
ascétique et mystique, Paris, Beauchesne  ; Dictionnaire de théologie
catholique, Paris, Letouzey et Ané, Dictionnaire d’archéologie
chrétienne et de liturgie, Paris, Letouzey et Ané  ; Albert Gruys,
Cartusiana. Un instrument heuristique, Paris, Éditions du CNRS, 1976,
3 vol.
L’ensemble de ces sources a été complété par l’important travail effectué
par les chartreux sur leur ordre  : Nouvelle Bibliographie cartusienne,
Grande Chartreuse, 2007.
La mention abrégée «  PL  » renvoie au corpus de la Patrologie latine, éd.
Migne.
La mention «  Analecta cartusiana  » renvoie à la collection du même nom
publiée à Salzbourg, Institut für Anglistik und Americanistik, Universität
Salzburg.
La mention « Sources chrétiennes » renvoie à la collection du même nom
publiée à Paris, aux Éditions du Cerf.
 
 
ADAM SCOT (ou Adam de Dryburgh, Adam l’Écossais, première moitié du
XIIe siècle-peu après 1210)
D’abord prémontré, il entre vers 1186 à la chartreuse de Witham.
Une grande partie de son œuvre a été écrite alors qu’il était prémontré, mais
son activité littéraire ne s’arrête pas en chartreuse où il produit de
nombreux traités et commentaires, dont le De quadripertito exercitio
cellae, PL, 153, col. 799-884.
 
 
ALBERT DE PRAGUE (XVe siècle)
Son décès est annoncé par le chapitre général de 1433. Il aurait été
procureur de la chartreuse de Prague.
On lui attribue un manuscrit de poésies dans lequel il célèbre les saints,
notamment ceux de Bohême, édité dans Analecta hymnica medii aevi,
éd. G. M. Dreves, Leipzig, 1886-1922, t. III.
 
 
ANDRÉ POISSON (1923-2005)
Étienne Poisson est né à Douces (Maine-et-Loire), le 28  février 1923.
Polytechnicien, il fait profession à la Grande Chartreuse le 2  février
1948. Il y est sous-procureur, puis procureur. Le 8  mai 1967, il est élu
prieur et général de l’Ordre. Il démissionne en 1997, et le chapitre
général de cette année l’envoie comme prieur à la Transfiguration, d’où
il passe à Vedana, comme vicaire de moniales, en 1999. Il revient à la
Grande Chartreuse en mai 2001, où il meurt le 20 avril 2005.
Il a écrit de nombreux traités et sermons pour les moines et les moniales.
Parmi ceux-ci on peut retenir La Doctrine monastique des coutumes de
Guigues, 1961 et 1992  ; Conversion de vie, 1974  ; Sommes-nous
hommes de prière  ? 1975  ; Vie unifiée en Dieu, 1976  ; La Prière
personnelle, 1976-1977  ; L’Église cartusienne, 1977  ; La Prière de
l’Église en solitude, 1978  ; La Prière du Christ en nous, 1979  ; La
Grande Chartreuse. Écrits divers (1967-1980), Benifaçà, 1984.
 
 
ANTHELME DE CHIGNIN (1107-1177)
Entré à la chartreuse de Portes, il est appelé à la Grande Chartreuse par
Guigues  Ier. Il y devient procureur puis prieur en 1139 et y réunit le
premier chapitre général. Après avoir démissionné en 1151 et avoir été
élu prieur à Portes, il devient évêque de Belley en 1163.
On possède deux lettres de saint Anthelme, éditées dans Lettres des
premiers chartreux, t.  I, «  Sources chrétiennes  », n°  88, 1962, p.  235-
242. Son chapelain fit de lui une biographie, Vie de saint Anthelme,
évêque de Belley, chartreux, Lagnieu, Jean Picard, 1978.
 
 
ANTOINE MOLINA (1612)
Il écrit un certain nombre d’exercices spirituels et de traités de formation et
notamment des exercices pour les frères convers, Exercitios quotidiano
par los Frayles de la Cartuxa, Burgos, 1613.
 
 
ANTOINE WOLMAR (1633)
Né à Salzbourg, il fait profession à la chartreuse d’Astheim. Il devient
recteur de la chartreuse de Brünn en 1601-1602, puis prieur de Schnals
en 1606. Déposé en 1613, il est envoyé à Aggsbach, et meurt procureur à
Olmütz le 19 novembre 1633.
On lui doit des traductions sur la vie de prière  : Mathias Bellintami,
Practica orationis mentalis seu contemplativæ, Constance, 1607, 2 vol.
(trad. en latin par M. Wolmar).
 
 
AUGUSTIN GUILLERAND (1877-1945)
Maxime Guillerand est né à Reugny-de-Dompierre (Nièvre). D’abord prêtre
du diocèse de Nevers, il entre à la chartreuse de La Valsainte en 1916.
Vicaire des moniales de San Francesco en 1930, il est nommé prieur de
Vedana en 1935, où il meurt en 1945.
Il a écrit de nombreux ouvrages, dont le plus important est Silence
cartusien, Rome, Benedettine de priscilla, 1958.
 
 
BÉATRICE D’ORNACIEUX († 1310)
Elle est l’héroïne de Marguerite d’Oingt à cause de ses grandes vertus.
Celle-ci raconte sa vie et ses visions dans un récit, Vie de sainte Béatrix
d’Ornacieux, in Les Œuvres de Marguerite d’Oingt, Paris, Les Belles
Lettres, 1965, p. 105-135.
 
 
BERNARD DE PORTES (ou de Varey, XIIe siècle)
Bénédictin à Ambronay, en 1115, il se retire avec un compagnon dans le
désert de Portes. Il y fait la première fondation cartusienne dont il est
prieur jusqu’en 1143.
Ses lettres sont contenues dans les Lettres des premiers chartreux, t.  II,
« Sources chrétiennes », n° 274, 1980, p. 50-103.
 
 
BRUNO DE COLOGNE († 1101)
Fondateur de l’ordre des chartreux. Né à Cologne, Bruno fait ses études à
l’école cathédrale de Reims où il devient chanoine, écolâtre et
chancelier. En 1084, il se retire dans le désert de Chartreuse. Le pape
Urbain  II l’appelle à Rome en 1090, mais il demande à se retirer à
l’ermitage de la Tour où il meurt quelques années plus tard.
On conserve de lui deux lettres et une profession de foi dans Lettres des
premiers chartreux, t.  I, op. cit., p.  1-93. On lui attribue également un
Commentaire des Psaumes et un Commentaire deslettres de saint Paul,
PL, 152 et 153.
 
 
CONRAD DE HAIMBOURG († 1360)
Profès de Gaming, il devient prieur de Seitz en 1342 et de Gaming en 1358.
Il est l’auteur de poésies et notamment d’hymnes en l’honneur de la Vierge
Marie qu’on trouve dans Analecta hymnica medii aevi, op. cit., t. IV.
 
 
CYPRIEN-MARIE BOUTRAIS (1837-1900)
Né à Paris, il est d’abord rédemptoriste. Il fait profession à la Grande
Chartreuse en 1871. Il est successivement prieur de La Valsainte, du
Glandier et de Vedana, où il finit sa vie.
Il est l’auteur de La Grande Chartreuse par un chartreux, Grenoble,
A. Côte, 1881, rééd., Correrie de la Grande Chartreuse, 1991.
 
 
DENYS LE CHARTREUX (ou Denys de Rickel, 1402-1471)
Né à Rickel, il devient maître des arts de l’université de Cologne et, en
1425, il entre à la chartreuse de Ruremonde. Il y est procureur en 1443.
Il accompagne en 1451 le cardinal de Cusa dans ses missions. Après un
temps à Bois-le-Duc comme protoprieur, il meurt à Ruremonde en 1471.
Son œuvre écrite est considérable. Quarante-trois volumes sont édités par
les éditions de Montreuil-sur-Mer de 1896 à 1935. Ces écrits sont
constitués de lettres, traités, commentaires de l’Écriture, méditations et
hymnes. Parmi les plus importants traités, notons De contemplatione et
De oratione, t. XLI.
 
 
ÉTIENNE DE CHALMET († 1177)
Étienne de Chalmet fit profession à la chartreuse de Portes en 1136.
On possède de lui une lettre aux novices de Saint-Sulpice  : Lettres des
premiers chartreux, t. II, op. cit., p. 46-51.
 
 
FRANÇOIS DUPUY († 1521)
Général de l’ordre des chartreux de 1503 à 1521. Il s’emploie ardemment à
la béatification de saint Bruno le 19 juillet 1514.
Il procéda à une troisième compilation des Statuta et privilegia ordinis
carthusiensis, Bâle, 1510-1511. Parmi ses autres écrits on possède une
Vita beati Brunonis confessoris, primi institutoris ordinis carthusiensis,
Bâle, 1515, reprise dans PL, 152.
 
 
FRANÇOIS DE SALES POLLIEN (1853-1936)
Né à Chevenoz (Haute Savoie) le 1er  août 1853, il fait d’abord partie du
clergé d’Annecy. Il fait profession à la Grande Chartreuse le
1er  novembre 1885. Après différentes fonctions dans l’ordre, il décède
en 1936, hôte de la chartreuse de Calabre.
Il écrit un certain nombre de traités, dont Le Contemplatif. Son rôle dans la
vie et les combats de l’Église, Parkminster, 1917, et La Vie
contemplative. Son rôle apostolique, par un religieux chartreux,
Montreuil-sur-Mer, Notre-Dame-des-Prés, 1897, Élévations sur l’Ave
Maria, Blois, Notre-Dame-de-la-Trinité, 1961.
 
 
GABRIEL-MARIE FULCONIS (1816-1888)
Né à Saint-Étienne-Mont (Alpes-Maritimes) le 5  février 1816, Gabriel-
Marie Fulconis fit partie d’abord du clergé du diocèse de Turin puis des
oblats de Marie Immaculée. Il entre à la chartreuse de Turin le 9 février
1850. Il est vicaire des moniales de Beauregard en 1875, du Gard en
1879, coadjuteur à Sélignac en 1883, puis vicaire de Pavie et de Trisulti.
Il meurt antiquior de Notre-Dame-des-Prés le 11 mai 1888.
L’Âme sainte embrasée d’un ardent amour pour Jésus et Marie et d’une
tendre dévotion envers leurs Sacrés Cœurs, Montreuil-sur-Mer, 1891,
dont sont tirés les extraits cités, d’abord édité en italien, est le reflet de
l’expansion de la dévotion aux cœurs de Jésus et de Marie, qui s’est
répandue à la fin du XIXe  siècle dans les milieux religieux et laïques
dévots. Chaque prière correspond à un jour ou un moment de l’année
liturgique.
 
 
GASPAR GORRICIO DE NOVARA († 1515)
D’origine italienne, Gaspar Gorricio de Novara, dont le frère est un libraire
réputé de Salamanque, fait profession à la chartreuse de Séville. Là, il lie
un rapport de confiance avec Christophe Colomb.
Il a écrit un rosaire en latin, traduit en espagnol en 1494, Rosarium Beatae
Mariae et alia opuscula, Séville, 1491.
 
 
GÉRARD KALCKBRENNER (ou Hammontanus, 1488-1536)
Né à Hammont, en Brabant, juriste et avocat, il entre à la chartreuse de
Cologne en 1523. Il en est procureur et prieur. Il tient un rôle important
dans la Contre-Réforme en Allemagne.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de dévotion, dont Hortulus devotionis,
Cologne, 1541.
 
 
GUIGUES IerLE CHARTREUX (1083-1136)
Né dans le diocèse de Valence, il entre à la Grande Chartreuse en 1106. Il y
devient prieur en 1109 et meurt dans cette charge vingt-sept ans plus
tard.
Il est l’auteur de Méditations, «  Sources chrétiennes  », n°  308, 1983. Il
compile les Coutumes de chartreuse vers 1128, « Sources chrétiennes »,
n° 313, 1984, et rédige une Vie de saint Hugues de Grenoble, PL, 153 et
traduite par Bernard Bligny (Vie de saint Hugues, évêque de Grenoble.
L’ami des moines, « Analecta cartusiana », n° 112, 1984).
 
 
GUIGUES II LE CHARTREUX († 1193)
Élu neuvième prieur de la Grande Chartreuse en 1174, il en démissionne en
1180.
Il est l’auteur de Méditations et d’un traité largement diffusé dans les
monastères, Lettre sur la vie contemplative, «  Sources chrétiennes  »,
n° 163, Paris, 1970.
 
 
GUIGUES DU PONT († 1297)
Guigues du Pont entre à la Grande Chartreuse en 1271. Le chapitre général
de 1298 lui accorde d’importants suffrages.
Il eut la réputation d’un maître spirituel efficace, ce dont témoigne le Traité
sur la contemplation, éd. dom Philippe Dupont, « Analecta cartusiana »,
n° 72, 1985, 2 vol.
 
 
GUILLAUME BIBAUT (1475-1535)
Né à Tielt, en Flandre occidentale, il devient docteur de l’université de
Louvain. En 1499, il fait profession à la chartreuse de Gand. Après
différentes charges, il est élu prieur de chartreuse et général de tout
l’Ordre.
Il est l’auteur de sermons et de poèmes, in Storia-critico-cronologico-
diplomatico del Patriarcho S. Brunone et de suo Ordine cartusiano, éd.
B. Tromby, Naples, 1773-1779, t. X.
 
 
GUILLAUME DE SAINT-THIERRY (v. 1085-1148)
Né à Liège, Guillaume de Saint-Thierry étudie à Laon où il rencontre
Abélard. D’abord bénédictin, il est élu abbé de Saint-Thierry en 1113.
En 1135, il se fait cistercien à Signy.
Son activité littéraire est intense. Une visite à la chartreuse du Mont-Dieu
lui fait découvrir l’idéal de la vie cartusienne.
Lettre aux frères du Mont-Dieu, qu’il écrit à la suite de cette visite, offre un
témoignage capital sur la vie cartusienne au XIIe siècle. Ce texte est édité
par Jean Déchanet (« Sources chrétiennes », n° 223, 1985).
 
 
GUILLAUME D’YVRÉE (né v. 1250)
Né à Yvrée (Piémont), il est dominicain pendant trente ans. Vers 1300, il
entre à la chartreuse de Montebenedetto. Son nom disparaît à partir de
1319.
Il a écrit De origine et perfectione verae religionis, édité en partie par
Ch.  Le  Couteulx dans Annales ordinis cartusiensis, t.  I, 1887 (sous le
nom de dom Boson).
 
 
HENRI EGHER DE KALKAR (1328-1408)
Né à Kalkar, il fait ses études à l’université de Paris où il devient maître ès
arts et bachelier en théologie. Après avoir été chanoine à Cologne, il
entre à la chartreuse de Cologne en 1365. Après différentes charges de
prieur dans d’autres maisons, il meurt à la chartreuse de Cologne en
1408.
Il est l’auteur de différents textes poétiques, notamment sur la Vierge, édités
dans Analecta hymnica medii Aevi, op. cit., t. XXXVI.
 
 
HUGUES DE BALMA (XIIIe-XIVe siècle)
Prieur de la chartreuse de Meyriat de 1289 à 1304.
Il écrit sa Théologie mystique après 1272, une œuvre profondément
imprégnée par la pensée de Denys l’Aréopagite sur la théologie
négative  : Théologie mystique, éd. F.  Ruello et J.  Barbet, «  Sources
chrétiennes », 1995.
 
 
HUGUES DE MIRAMAR († 1242)
Juriste et archidiacre de Maguelone, il fait profession à la chartreuse de
Montrieux et en est le prieur de 1240 à 1242.
Dans son Liber de miseria hominis, éd. princeps F.  Wendling, université
Montpellier III, inédit, en partie autobiographique, il raconte comment il
est entré en chartreuse à la suite d’une vision.
 
 
INNOCENT LE MASSON (1628-1703)
Né à Noyon, il entre à 19  ans dans la chartreuse de cette ville. Il est élu
prieur général de l’Ordre en 1675 et meurt à la Grande Chartreuse.
Il a écrit de nombreux traités et directoires spirituels dont LeDirectoire des
novices des chartreux, Avignon, Aubanel frères, 1867.
JACQUES DE CLUSA (ou Jacques de Paradiso, Jacques de Juterbock, v. 1381-
1465)
Il entre chez les cisterciens de Paradiso, près de Meseritz, au début du
XVe  siècle. De 1423 à 1432, il étudie à l’université de Cracovie. C’est
comme docteur en théologie qu’il entre à la chartreuse d’Erfurt dont il
fut vicaire.
Il est l’auteur de sermons et de traités de spiritualité et de théologie.
 
 
JEAN MOROCOURT (1547)
Né à Tournai, il fait profession à la chartreuse de Valenciennes. Il y est tour
à tour procureur, prieur, et vicaire.
Il est l’auteur de trois écrits en vers  : Brunonias, Hugonias et Trenodia
adversus Lutherum, édités à Anvers en 1540.
 
 
JEAN TORRALBA (1578)
Né à Murviedro, il fait profession à la chartreuse de Scala Dei, puis une
seconde profession à Aula Dei en 1571 et occupe plusieurs
responsabilités priorales dans les chartreuses de Montalègre, Fuentès et
Aula Dei.
On lui doit des sermons et une œuvre spirituelle consacrée à la Passion du
Christ, Enchiridion Passionis Christi, Saragosse, Naxera, 1556.
 
 
JEAN DE MONTEMEDIO (XIIe siècle)
Moine à la chartreuse de Portes avant 1135, il y attire son frère Étienne de
Chalmet, puis son neveu, Bernard de Portes.
Ses correspondances sur divers aspects de la vie cartusienne sont publiées
dans Lettres des premiers chartreux, t. II, op. cit., p. 105-211.
JEAN-BAPTISTE PORION (1899-1987)
Maximilien Porion est né à Wardrecques (Pas-de-Calais). Il fait profession à
la Valsainte en 1925, Vicaire de cette maison, il est nommé procureur
général en 1946.
Il est l’auteur de sermons et de différents écrits spirituels, dont Amour et
silence, Paris, Seuil, 1951.
 
 
JEAN-JUSTE LANSPERGE (Jean Gerecht, dit Justus, Lansperge le Chartreux,
1489-1543)
Né à Landsberg, il fait ses études à l’université de Cologne et entre en 1509
à la chartreuse de cette ville. Il y est maître des novices et vicaire. Après
d’autres fonctions ailleurs, il revient à la chartreuse de Cologne et y
meurt en 1543.
Son œuvre très importante est marquée par sa connaissance de la direction
spirituelle. Deux textes sont particulièrement à retenir, Alloquia Jesu
Christi ad animam fidelem, Cologne, 1590  ; Divini amoris pharetra
variis orationibus ignitisque aspirationibus referta, Cologne, 1590.
 
 
JEAN-MICHEL DE VESLY († 1600)
Moine à la chartreuse de Paris puis ministre général de l’Ordre à la Grande
Chartreuse.
Jean-Michel de Vesly a écrit plusieurs traités ascétiques, Liber exercitiorum
spiritualium triplicis viae, Lyon, 1598, Enchiridion seu manuale
exercitiorum spiritualium, Lyon 1600 et Psalterium decachordum, Lyon
1598, d’où sont extraites les prières de cette anthologie. Le titre du livre
indique une méthode de psalmodie et d’oraison vocale systématique
suivant le Psautier et attachée à la dévotion de la Croix, au cœur et aux
plaies du Christ.
JUAN DE PADILLA (1468-1520)
Né à Séville, il entre à la chartreuse de Séville vers 30 ans, dont il est prieur
en 1502. Après avoir été transféré dans d’autres priorats, il meurt dans sa
chartreuse de profession.
Il est l’auteur de textes poétiques dont les plus célèbres sont Retablo de la
vida de Cristo, Séville, Kromberger, 1505 et Los doze triumfos de los
doze Apostolos, Séville, 1521.
 
 
LUDOLPHE LE CHARTREUX (ou Ludolphe de Saxe, 1295-1377)
Il est d’abord dominicain. En 1340, il entre à la chartreuse de Strasbourg.
Dès 1343, il est nommé prieur de Coblenz et, après avoir été déplacé à la
chartreuse de Mayence, il revient à Strasbourg jusqu’à sa mort. Le
chapitre général lui accorde des suffrages.
Il écrit une vie du Christ, Vita Christi, qui connaît un succès considérable,
de nombreuses éditions, et qui inspira Juan de Padilla. On lui attribue
également un Commentaire des Psaumes.
 
 
MARGUERITE D’OINGT († 1310)
Moniale de la chartreuse de Poleteins, Marguerite d’Oingt est prieure de
cette chartreuse de 1286 à 1310. Ses visions mystiques ont été
consignées dans différents écrits où se trouve également la vie de son
héroïne, Béatrice d’Ornacieux, Les Œuvres de Marguerite d’Oingt,
op. cit.
 
 
MARTIN DE LAON (XIIIe siècle)
À partir de 1255, on trouve son nom dans divers actes de la chartreuse de
Val-Saint-Pierre où il est prieur.
On possède de lui des correspondances éditées dans Storia-critico-
cronologico-diplomatico del Patriarcho S.  Brunone et de suo Ordine
cartusiano, éd. B. Tromby Naples 1773-1779.
 
 
MAURICE CHAUNCY (1509-1581)
Né dans le Herfordshire, il fait profession à la chartreuse de Londres, mais
refusant de prêter les serments royaux, il est reclus au monastère de
Sion. Successivement expulsé pour fait de résistance, à Bruges et à
Paris, il meurt à la chartreuse de Paris le 12 juillet 1581.
Il a écrit l’histoire des martyrs chartreux anglais, Historia aliquot martyrum
anglorum, maxime XVIII cartusianorum sub rege Henrico VIII ob fidei
confessionem, Mayence, 1550.
 
 
MAURICE-MARIE LAPORTE (1907-1990)
Né à Montfort-l’Amaury (Yvelines), polytechnicien, il fait profession à la
chartreuse de Sélignac en 1931. Il y est sacristain en 1938, maître des
novices, et vicaire en 1943, procureur en 1947 et devient maître des
novices à la Grande Chartreuse en 1951.
Il est l’auteur de l’imposant travail en 7 volumes, Consuetudines Cartusiae,
Grande Chartreuse, « Aux sources de la vie cartusienne », 1960-1970.
 
 
MICHEL DE PRAGUE († 1401)
En 1382, il est vicaire à la chartreuse de Prague et visiteur de la province.
De 1386 à 1387, il est prieur d’Aggsbach, puis de Gaming, et visiteur
d’Allemagne inférieure.
On lui doit plusieurs traités, dont Remediarium abjecti prioris, éd. Pez,
Bibliotheca ascetica, Ratisbonne, 1723, t. II, p. 227-468 et Dialogus de
custodia virginitatis, ibid., p. 95-226.
 
 
NICOLAS KEMPF (ou de Strasbourg, v. 1397-1497)
Né à Strasbourg, il devient maître ès arts à l’université de Vienne. En 1140,
il entre à la chartreuse de Gaming, puis passe en 1458 au priorat de
Geirach où il finit ses jours.
Il a écrit plusieurs traités, dont Tractus de discretione, éd. Pez, Bibliotheca
ascetica, Ratisbonne, t. IX, p. 318-532.
 
 
NICOLAS KESSLER († 1701)
Profès et antiquior de la chartreuse de Buxheim. Son décès est annoncé par
la carte du chapitre général de 1701.
On lui attribue un texte publié pour la première fois en 1674, Gemitus
compeditorum sive tentationes quae frequentius adoriuntur religiosos et
a perfectione impediunt, Cologne, Demen, 1677.
 
 
NICOLAS LOVE (XVe siècle)
Prieur de la chartreuse de Mountgrace en Angleterre, il est vivant en 1410.
Il est l’auteur de The Mirror of the Blessed Life of Jesus-Christ, éd. par un
chartreux, Londres, Burns, Oates and Washbourne, 1926.
 
 
Le Nuage de l’inconnaissance (XIVe siècle)
L’auteur du Nuage de l’inconnaissance est un anonyme anglais du
XIVe  siècle. Peut-être est-il chartreux  ? En tout cas, il connaît bien le
corpus cartusien et la théologie négative de Denys l’Aréopagite,
assimilée par Guigues du Pont et Hugues de Balma, dont il avait
vraisemblablement lu les traités.
À côté du Nuage (éd. D. M.  Nœtinger, Solesmes, Abbaye Saint-Pierre,
1977), dont la première version est en moyen anglais, il a écrit une
Épître de la direction intime.
 
 
OSWALD DE CORDA († 1434)
Entré à la chartreuse de Nordlingen vers 1405, il fait une seconde
profession à la Grande Chartreuse vers 1414, où il devient vicaire. En
1427-1428, il entretient une correspondance avec Jean Gerson,
chancelier de Paris. Il meurt à Perth.
Il a écrit un ouvrage technique sur la copie des manuscrits en 1410, l’Opus
pacis.
 
 
PIERRE DORLAND (1507)
Originaire de Walcourt, près de Liège, il fait ses études à Louvain, et entre à
la chartreuse de Diest vers 1475. Il y est vicaire et y meurt en 1507.
Son œuvre littéraire est très importante et son influence spirituelle fut
grande en son temps. On lui doit notamment une Chronique ou histoire
générale de l’ordre sacré des pères chartreux, trad. Driscart, Tournay,
1644.
 
 
POLYCARPE DE LA RIVIÈRE († 1638)
Issu d’une famille noble et attaché à la maison de la reine Marguerite de
Navarre, il fait profession à la Grande Chartreuse en 1609. Après
différentes fonctions d’officier à Lyon, à Sainte-Croix-en-Jarez, à
Bordeaux, à Bonpas, il est nommé visiteur en Provence, et déposé, à sa
demande, en 1638. Il disparaît à la fin de l’année au cours d’un voyage
au Mont-d’or.
Il écrit de nombreux traités spirituels, dont L’Âme pénitente auprès de la
Croix, Lyon, 1618. Les archives des chartreux conservent ses
correspondances.
 
 
ROBERT DE SAINT-MARTIN (XIVe siècle)
Moine de la chartreuse de Notre-Dame-du-Parc.
Il est l’auteur du Chastel périlleux, écrit en français à l’intention de sa
cousine Fontevriste. Ce texte est édité par sœur Marie Brisson,
« Analecta cartusiana », n° 19, 1974, 2 vol.
 
 
SURIUS LORENZ (1522-1578)
Né à Lubeck, il devient maître ès arts à l’université de Cologne. Il entre à la
chartreuse de Cologne en 1540 où il meurt en 1578.
Il a une grande activité de traducteur. On lui doit la traduction en latin de la
Margarita Evangelica, Cologne, 1545 et celle des œuvres de Tauler et de
Ruysbroek.
 
 
SUTOR (Pierre Cousturier, 1537)
Né à Chéméré-le-Roy (Mayenne), il est docteur de la Sorbonne quand il
entre à la chartreuse de Paris en 1510. Il est prieur de Valdieu en 1514,
de Paris en 1517, de Troyes en 1519, du Parc en 1525 et visiteur de la
province de France.
Il est l’auteur de plusieurs écrits marqués par la scolastique et d’un traité sur
la vie cartusienne, De vita cartusiana, Paris, 1522.
 
 
ZACHARIE FERRERI († 1524)
Né à Vicence, en Italie, il étudie le droit canon à Padoue où il entre dans la
congrégation bénédictine de Sainte-Justine. En 1508, il passe à la
chartreuse de Venise puis à celle de Mantoue. Le chapitre général de
1509 le renvoie dans son ordre. En 1511, il devient abbé de Subiaco, en
1519, évêque de Guardia, nonce en 1520 en Allemagne et en Pologne,
puis il est nommé gouverneur de Faenza et meurt à Rome en 1524.
Il réforme le bréviaire. On lui doit également un traité sur l’origine des
chartreux : Sacri ordinis cartusiensis origa, Mantoue, 1509.

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