2002 Correspondances Et Équivalences
2002 Correspondances Et Équivalences
2002 Correspondances Et Équivalences
Correspondances et équivalences
faits de langue et faits de discours en traduction
M. Lederer
pensées sont non répétitives et doivent être crées à chaque instant par la
traduction.
“ Don’t you listen ” reproche le père à son fils ; cela donne en français : ‘tu
n’écoutes donc rien ?’ Pour que la phrase : don’t you listen ? entraîne “ Tu
n’écoutes donc rien ? ” et pas seulement : “ n’écoutes-tu pas ”, il faut avoir
ressenti l’exaspération d’un père qui voudrait que son fils ait un peu plus de
plomb dans la cervelle. Cette exaspération se retrouve d’ailleurs dans la
traduction explosa qui rend demanded…
“ You were not paying attention, you were waving at Firoz ” est également
rendu par une équivalence : “ tu étais bien trop occupé (sous-entendu : pour
m’écouter) à faire des signes à Firoz. ” Dans l’original et dans la traduction, la
même scène se déroule sous nos yeux; la narration des mêmes événements
produit les mêmes effets. Ces deux passages qui restituent l’effet de l’original
sont traduits par équivalence.
Voyons par exemple un passage dans lequel toute une série de vocables font
l’objet, à juste titre, d’une mise en correspondance de l’anglais et du français :
“ And he greeted, before he had walked “ Il n’avait pas fait dix mètres qu’il
ten steps, a professor of literature[...] ; avait salué un professeur de littérature
two influential members of the state [...] ; deux représentants influents de
legislature from the Congress Party l’Assemblée, membres du parti du
[...] ; a judge, the very last Englishman Congrès […] ; un juge, le seul Anglais
to remain on the bench of the Brahmpur à siéger encore au banc de la Haute
High Court after Independence ; and his Cour de Brahmpur ; et son vieil ami le
old friend the Nawab Sahib of Baitar, Nawab Sahib de Baitar, l’un des plus
one of the largest landowners in the gros propriétaires fonciers de
state. ”. p. 7 l’Etat. ”.p.21
le traducteur dans le courant d’une traduction par équivalences et celles que l’on
détecte a posteriori, lorsque l’on compare le résultat de la traduction à l’original ;
celles-ci n’ont probablement pas été voulues en tant que telles par le traducteur ;
elles interviennent tout simplement lors de l’expression générale du sens. Les
correspondances a posteriori font partie intégrante de l’équivalence de formes à
laquelle aboutit la reformulation de l’idée. Beaucoup des vocables qu’une
comparaison entre l’original et la traduction croit pouvoir mettre en équation sous
le mot générique de ‘correspondance’, font en réalité partie de la traduction par
équivalence.
Equivalences et déverbalisation
l’autre et dit un mot aimable à chacun. Cette scène, bien présente à l’esprit, se
prête à une expression française souple et spontanée, détachée de la formulation
originale.
“ Translators who are certain of the meaning of a passage in the source language find
that a correct translation in the target language develops almost without thinking. They
don’t have to puzzle over grammatical classes of words, word order, or length of
sentences ”.
souvent mise en avant, à savoir la synecdoque. Je reprends ici une notion qui me
tient à cœur. La synecdoque, en général considérée comme un simple effet
rhétorique en stylistique, est un phénomène beaucoup plus général du langage,
que la fréquentation constante de plusieurs langues met en évidence.
Les linguistes ont dit il y a longtemps déjà que chaque langue découpe la
réalité de façon différente. J’ai d’abord considéré qu’il s’agissait là d’une façon
un peu grandiloquente de constater que les langues sont différentes les unes des
autres, ce qu’il ne faut pas être grand clerc pour admettre. Mais j’ai fini par me
rendre compte que c’était là le tout premier pas vers la justification de la
traduction par équivalences.
En effet, si l’on compare des langues, on s’aperçoit non seulement que les
vocables de chacune découpent différemment la réalité, mais encore que la partie
découpée désigne un tout plus large qu’elle et que la partie explicite (le
signifiant/signifié) d’un mot est loin d’exprimer le tout de l’objet ou de la notion
qu’elle transmet. Je donne souvent un exemple tiré du vocabulaire des fabricants
de sucre : (E) grower = (F) planteur ; la partie de la réalité découpée par l’anglais
vise celui qui fait pousser les betteraves alors que la partie découpée par le
français vise celui qui les met en terre (celui qui plante); dans le même domaine,
le français désigne l’installation où est traitée la betterave par sa fonction :
râperie, c’est à dire par un aspect, celui du traitement que subit la betterave, dont
une autre image est fournie par l’anglais juice station, qui renvoie à la même
installation, mais décrit un autre aspect, le résultat du traitement.
traduire que la partie explicite du mot ‘grower’ = qui fait pousser. Les
professionnels de la traduction savent bien que la seule manière de transmettre en
français la signification de ce vocable est de passer par la réalité à laquelle renvoie
‘grower’ dans le contexte des sucriers, à savoir un ‘planteur’ (de betteraves).
Dans d’autres contextes, la réalité désignée sera un ‘cultivateur’ ou un
‘producteur’ … Mais nous savons aussi que ceux qui traduisent sans formation,
ou sans réflexion, risquent de ne chercher à transposer que la partie explicite.
Quelle conclusion tirer de tout cela ? Pour transmettre les idées d’un texte
dans une autre langue, il faut trouver la combinaison d’explicite et d’implicite qui
fera comprendre le même sens. Les correspondances, faits de langue, ont leur
place en traduction ; mais ce sont les équivalences, faits de discours, qui en
respectant les synecdoques propres à la langue d’arrivée, permettent au traducteur
d’exercer sa créativité et au traductologue de voir clair dans le processus de la
traduction.
Références