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Parler Ensemble en Maternelleocr

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collection d rigée par Gilbert PY

FORMATION D ES P ERSON NE S

D E L ' É D U CAT I ON N A T 1 0 N A L· E
collection dirigée par Gilbert PY

FORMATION D E S PERSONNElS

DE l'ÉDUCATION NATIONAtE

Parler ensemble
en maternelle
La maîtrise de l'oral, l'initiation à l'écrit

Agnès Florin
Professeur de psychologie
Université de Nantes
Cette collection entend accompagner l'effort des pouvoirs publics qui accor-
dent une priorité à l'éducation et à la formation des jeunes.
Elle vise à apporter aux personnels de l'Éducation nationale les informations
dont ils ont besoin pour que leur pédagogie soit en accord avec les évolutions
économiques, technologiques, sociales et culturelles. Elle s'inscrit dans la
perspective de rénovation du système éducatif en apportant aux personnels
concernés les compléments de formation indispensables à leur pratique
professionnelle d'aujourd'hui.
Cette collection concerne donc à la fois le premier et le second degrés dons
un souci de cohérence et de complémentarité. Elle poursuit trois objectifs :
-actualiser les connaissances dons une discipline et dons un secteur particu-
lièrement sensible aux changements (technologies nouvelles, enseignements
techniques et scientifiques, sciences humaines, ingénierie éducative, mana-
gement et communication, etc.) ;
-aider à la promotion interne des personnels par une préparation aux
concours; perfectionner les compétences; adapter à l'emploi ;
-permettre à chacun d'être informé et acteur des progrès qui impliquent
l'ensemble des fonctions des personnels de l'Éducation nationale quelle que
soit sa situation.

Gilbert PY, agrégé de l'Université et Docteur ès lettres, a exercé successive-


ment des fonctions d'enseignement, de direction et d'inspection avon! d'être Trois ou quatre ans d'école maternelle : c'est ce qui est offert aux
chargé d'une mission d'inspection générale puis nommé, en avril 1994, chef enfants de 2 à 4 ans en France, et largement utilisé par les familles. puisque
de la Mission académique de la formation des personnels de l'Éducation la quasi-totalité d'entre eux est scolarisée à 3 ans et une proportion crois-
nationale à Paris. sante à partir de 2 ans. Remarquable succès pour ce mode d'accueil, dont
l'originalité et la qualité ont été largement soulignées de par le monde. En
Dans la même collection effet notre système « préscolaire>> (puisque c'est ainsi que l'on désigne
• Enseigner ouiourd'hui à l'école maternelle, par Marie-Claire ROLLAND. l'accueil des enfants avant la scolarité obligatoire) est à peu près le seul à
• L'audiovisuel pour /'école, par Jean-Pierre DUDÉZERT. combiner les caractéristiques suivantes : mode d'accueil gratuit pour les
• Les nouveaux documentalistes, par Françoise LE BLOND. familles, système organisé nationalement, dans un cadre d'enseignement et
• Enseigner au cycle Il, par Claudette CHARASSE et Françoise HEUDE. non pas dans un cadre social, avec un personnel enseignant spécialement
formé comme celui de l'école primaire. Ces caractéristiques, auxquelles
la loi du 11 mars 1957 n'autorise que !es "copies ou s'ajoutent des qualités d'innovation souvent soulignées et largement
reproductions strictement réservées à l'usage privé du
copiste et non destinées à une utilisation collective". diffusées par les associations professionnelles expliquent la scolarisation
Toute représentatlon ou reproduction, intégrale ou
partielle, faite sans le consentement de l'éditeur, est massive plusieurs années avant l'âge de la scolarité obligatoire.
illicite.
Les trois ou quatre années que les enfants passent ainsi êfans ce cadre
© COPYRIGHT 1995 correspondent à un développement important de leurs capacités, et ceci
EDITION MARKETING dans tous les domaines : moteur, social, cognitif et peut-être smtout langa-
EDITEUR DES PREPARATIONS gier: on pourrait dire que l'école maternelle prend ainsi les enfants au sortir
GRANDES ECOLES MEDECINE
32, rue Bargue 75015 PARIS de leur période« puériculture» pour les conduire vers leur activité d'élève.
ISBN 2-7298-9595-7 Bien qu'il soit difficile de distinguer exactement ce qui revient aux proces-
1 nt reduction 1 ntroduction

sus de développement eux-mêmes et ce qui peut être imputé à l'école, il est nous paraît important que le lien entre les deux soit explicite, ne serait-ce
certain que celle-ci contribue à modeler ce développement dans ses que pour être au clair dans la pratique quotidienne, prendre en compte le
multiples aspects, par les stimulations qu'elle offre, les échanges qu'elle caractère éventuellement provisoire de certains cadres théoriques ou appré-
permet et les règles qu'elle enseigne. cier l'utilité des « recettes » toutes faites. C'est pourquoi nous avons tenu à
présenter une bibliographie assez large, en recherchant en priorité des réfé-
Tous les domaines du développement sont concernés et l'école mater-
rences en langue française, mais sans exclure des textes en langue anglaise :
nelle considère l'enfant dans sa globalité. Mais le langage nous paraît avoir
la recherche a des dimensions internationales et ce serait mépriser les
une place spéciale dans cette période, et ceci à plusieurs points de vue : enseignants que de vouloir leur éviter des lectures dites «de spécialistes>> ;
~il progresse considérablement entre l'âge de 2 ans~ période des énon-
ils doivent pouvoir aller eux aussi à la rencontre de textes fondamentaux ou
cés le plus souvent très brefs, relativement incompréhensibles chez
illustratifs d'un point particulier, plutôt que de s'en remettre uniquement à
beaucoup d'enfants, syntaxe encore balbutiante, etc. ~et l'âge de 6 ans,
des relectures sélectives et pas toujours actualisées. C'est encore le meilleur
âge auquel les bases de la langue peuvent être considérées comme
moyen pour éviter de tomber dans le piège des recettes toutes faites ou des
acquises, même si d'importantes différences interindividuelles existent,
pédagogies-miracle, vendues << clés en main » et sans procédure sérieuse
ce qui ne constitue pas la moindre des difficultés pour les enseignants ;
d'évaluation.
~il est à la fois objet et moyen d'enseignement, puisque, pour une large
part, la transmission pédagogique va passer par le langage oral, progres- Le but de cet ouvrage est de répondre aux questions suivantes :
sivement accompagné d'écrit ; Ill Quels sont les objectifs de l'école maternelle, particulièrement dans
_il est un outil privilégié que l'enfant va découvrir pour communiquer les domaines du langage oral et écrit? En quoi ont-ils évolué depuis la
avec son entourage, pour apprendre et représenter le monde, pour orga- fin des années 70 (orientations de 1977, circulaires de 1986, loi sur
niser les concepts et les mettre en relation, pour être reconnu d'autrui. l'Éducation de 1989, textes plus récents sur la maîtrise de la langue,
En outre, de sa maîtrise dépend pour une part la réussite scolaire ulté- nouvelles orientations pour l'école maternelle rendues publiques à la
rieure, voire plus tard une certaine réussite sociale, dans la mesure où le rentrée 1994-95) ?
langage, y compris le langage oral, est un instrument d'organisation du réel Ill Quels sont les apports de la recherche dans le domaine du langage ?
et éventuellement une forme de pouvoir, ainsi que nos hommes politiques, Au-delà de la théorie des dons ou du handicap socioculturel, quels sont
par exemple, l'ont bien compris, eux qui s'exercent à son maniement pour les acquis de différentes disciplines (psychologie, linguistique, philoso-
mieux assurer leur audience personnelle. . phie du langage, neuropsychologie, ergonomie de la communication) ?
Notre propos dans cet ouvrage est de donner aux enseignants en forma- Quelles sont les différentes approches et leurs applications : les acquis
tion initiale ou continue et aux personnes s'occupant de l'éducation des théoriques, les sujets de controverses et les hypothèses pour demain ?
jeunes enfants quelques outils pour mieux comprendre les aspects multiples Ill Quelles sont les pratiques du langage proposées par l'école mater-
du développement langagier et mieux aider les jeunes enfants dans leur nelle ? Quels sont les partenaires de l'enfant, les objectifs, le rôle et les
conquête de cet instrument privilégié de communication et de représen- difficultés des enseignants, la nature de la participation enfantine et ses
tation, notamment dans le cadre scolaire. difficultés ? Quelles sont les conséquences de ces fonctionnements sur
le devenir scolaire des enfants ?
Notre objectif est d'articuler tout à la fois les connaissances issues de la
recherche scientifique dans différentes disciplines, les objectifs pédago- Quelles activités mettre en œuvre ou imaginer en fonction des objec-
llilll
giques de l'école et les pratiques du langage dans le cadre scolaire. Il n'y a tifs à atteindre pour la maîtrise de l'oral et l'initiation à l'écrit ?
pas de pratique pédagogique ou éducative sans théorie de référence et il Comment prendre en compte la diversité des enfants dans la classe ?
Introduction
Introduction

Quel est le sens des activités proposées pour les différents partenaires - d'écoles spécialisées, concernant des niveaux d'âge bien supérieurs à
adultes et enfants ? ceux qui nous intéressent ici, et destinées à former des professionnels
L'originalité de cet ouvrage tient à ce que : dans différents secteurs du travail, l'ont compris depuis longtemps et ils
- on considère à la fois trois dimensions de la question étudiée : les ont conçu pour l'oral une formation spécifique. Certes, leurs objectifs
objectifs ministériels, les résultats de la recherche internationale et les sont très éloignés de ceux de l'école maternelle, mais examinons autour
pratiques scolaires ; de nous la place de l'oral dans la vie quotidienne, dans les relations
-les pratiques scolaires sont analysées à partir de centaines d'obser- sociales en général, et nous comprendrons mieux son importance à la
vations d'activités quotidiennes et des analyses de conversations réelles fois dans nos communications et notre représentation du monde. Ce
sont proposées ; faisant, nous percevrons aussi les différences de maîtrise du langage
- les pistes de travail suggérées ont été expérimentées en maternelle, oral, tant chez les adultes que chez les enfants : clarté et efficacité des
dans différentes écoles, avec différents niveaux d'âge, y compris en actes de communication, diversité lexicale, complexité syntaxique, etc.
zones d'éducation prioritaire, et leurs effets appréciés, voire mesurés ; Or une véritable pédagogie de l'oral n'existe pas, elle est à élaborer, pour
-si les activités langagières sont bien le centre de gravité de l'ouvrage, les premiers niveaux de la scolarisation notamment, dans la mesure où les
elles ne sont pas dissociées des fonctions psychologiques, ni limitées à comportements langagiers à l'oral se construisent précocement et consti-
l'école maternelle ; elles sont intégrées dans une perspective développe- tuent des prédicteurs d'autres comportements et niveaux de réussite sco-
mentale, en considérant à la fois les acquis des enfants avant leur scola- laires. Nous espérons que cet ouvrage pourra y contribuer.
risation en maternelle et leur devenir scolaire ;
-l'enfant n'est pas limité à son rôle d'élève, mais il est considéré comme Le premier chapitre est consacré à une lecture des objectifs de l'école
membre d'une communauté, inséré dans différents lieux de vie, en inter- maternelle et de leur évolution au cours des dernières décennies,
action avec différents partenaires (parents, famille au sens large, autres principalement en ce qui concerne les activités de langage.
adultes et autres enfants). Les trois chapitres suivants rendent compte de résultats de recherches
L'originalité de l'ouvrage tient aussi au fait qu'une attention particulière françaises et étrangères sur l'acquisition du langage :
est accordée au langage oral et à la pédagogie de l'oral. Il y a à cela Ill Le chapitre deux examine les conditions de cette acquisition, ses
plusieurs raisons : étapes et les processus cognitifs sous-jacents.
lllll Le chapitre trois est centré sur les cadres explicatifs des différences
illL'oral constitue l'aspect essentiel du développement langagier pen-
interindividuelles dans les conduites langagières, et sur le rôle des
dant la période du développement et de la scolarisation concernée, il partenaires dans l'apprentissage de ces conduites.
correspond à l'ensemble du cycle 1 et à la première année du cycle 2. Ill Le c:hapitre quatre fait le point sur les pratiques du langage à l'école
L'entrée dans le langage écrit proprement dit se situe plutôt au-delà,
maternelle, les difficultés des interlocuteurs, il propose une réflexion sur
pour la majorité des enfants. la manière de concilier les objectifs académiques et la diversité des
Ill Mais c'est aussi un choix, justifié par la place particulière qui doit, enfants.
selon nous, être accordée au langage oral, du point de vue du dévelop-
Le chapitre cinq développe une synthèse d'éléments importants, dégagés
pement et de la pédagogie. L'oral est trop souvent conçu comme la
des chapitres précédents, à partir desquels sont présentées des pistes de
phase préparatoire à l'écrit, et travaillé en ce sens. Certes, il l'est, mais il
travail pour les activités de langage à l'école maternelle.
n'est pas que cela: il a ses règles et son fonctionnement propre, il ne
joue pas les mêmes fonctions que l'écrit dans les relations sociales ; il Les remarques finales de la conclusion sont destinées à élargir la
est donc à construire et à travailler en tant que tel. Un certain nombre perspective, dans une réflexion sur les articulations entre langage et culture.
1 ntroduction

Ce livre doit beaucoup à mes collègues enseignantes et enseignants de


maternelle, qui ont accepté mes observations dans leur classe, et à des
membres de réseaux d'aide qui ont alimenté la réflexion en commun.
Remerciements particuliers à Suzy, Jacqueline, Sylvette, Nicole, Corinne,
Philippe, Joël, Alain, Josiane et Francette.
Merci aussi à ceux qui ont pris le temps de relire des chapitres de cet
ouvrage et me faire part de leurs suggestions, ainsi qu'à mes étudiants de
l'Université de Nantes qui ont bien voulu réagir à une partie de ce travail.
Merci enfin aux enfants de nombreuses écoles maternelles qui sont au
cœur de ce travail.

Les objectifs de l'école maternelle

La particularité de l'école maternelle par rapport aux autres niveaux de


la scolarité en France est qu'il s'agit d'une école sans programme, au sens de
liste de notions ou de savoirs précis définis comme devant être enseignés
pour chaque année d'enseignement. Mais ceci ne signifie pas pour autant
que des contenus plus ou moins détaillés ne soient pas fixés. On parle plutôt
d'orientations ou d'objectifs pour l'école maternelle, bien qu'en fait on
désigne par là des éléments de moins en moins éloignés, au fil des ans, de la
notion de programme. Mais le refus du terme par certains milieux de l'école
maternelle ne s'explique pas vraiment par des réticences à fixer des conte-
nus d'enseignements et des progressions, pratique largement répandue chez
les enseignants ; il s'agit plutôt de craintes relatives à des exigences tt·op
élevées vis-à-vis de jeunes enfants et à des moyens de contrôle que certains
parents férus d'apprentissages précoces pourraient ainsi exercer, afin de
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

vérifier si leurs chers petits ont bien parcouru tout le programme au cours Giscard d'Estaing, puisqu'il faut attendre la loi du Il juillet 1975 sur l'édu-
de l'année. cation et la circulaire d'orientations propres à l'école maternelle (2 août
Ces objectifs ont évolué beaucoup plus au cours des vingt dernières 1977) pour une redéfinition de la vocation de celle-ci:
années que pendant le demi-siècle précédent, et les changements corres- Sans rendre obligatoire l'apprentissage précoce de la lecture ou de l'écri-
pondants sont le reflet à la fois de l'évolution rapide de nos conceptions de ture, la formation qui y est dispensée favorise l'éveil de la personnalité des
l'enfance, de nouvelles exigences sociales en matière de formation et de enfants. Elle tend à prévenir les difficultés scolaires, à dépister les handi-
transformations sociales plus larges, comme on va le voir, en insistant plus caps et à compenser les inégalités. (Extrait de l'article 2 de la loi de 1975)
particulièrement sur le domaine qui nous préoccupe ici, à savoir la maîtrise
de la langue. Éveil de la personnalité, prévention, dépistage et compensation devien-
nent les termes clés bien qu'assez généraux.

l l.'après 68 et les idées libertaires :


les orientations de 1977 2. Les objectifs de 19'17
Dans les orientations de 1977, le langage est considéré, comme un
1. le rôle traditionnel de l'école maternelle aspect relativement secondaire du développement, comparé à l'affectivité
ou à l'action et à l'expression corporelle :
Les finalités d'un enseignement du langage à l'école maternelle ont été
affirmées très tôt, dès la généralisation et la structuration (en 1881) de ce Le langage oral a pendant longtemps été considéré comme le seul point de
niveau d'enseignement : exercices de langage, premiers éléments de l'écri- départ possible des interventions éducatives. Il n'intervient en fait que
ture et de la lecture ; les objectifs se situaient clairement par rapport à progressivement pour accompagner l'action, en intérioriser et en coordon-
l'enseignement de l'école primaire, qui, à l'époque, accueillait les enfants à ner les résultats, en anticiper le souvenir sur l'avenir, l'évaluer, le conforter
partir de l'âge de 7 ans : enfin en lui assurant une syntaxe et une cohérence indispensable à la
construction et la manifestation de la personnalité.
Les directrices devront se préoccuper moins de délivrer à l'école primaire
des enfants déjà fort avancés dans leur instruction que des enfants bien Il n'apparaît par conséquent qu'en sixième et avant-dernière position
préparés à s'instruire. {Arrêté du 28 juillet 1882) dans les objectifs de l'école maternelle, après :
1. l'affectivité (« le véritable moteur du développement ») ;
Dès sa création, l'école maternelle se voyait attribué globalement le 2. le corps
même rôle éducatif que celui que nous lui connaissons aujourd'hui, qui n'est A la fois origine et instrument du développement des possibilités d'ex-
pas sans ambiguïté, comme le souligne Py (1993): ni garderie, ni école pression, de communication, il incarne l'actualisation des aptitudes spéci-
maternelle ; respect du jeune enfant, distance à l'égard d'exercices trop fiquement humaines à des activités de fabrication et de construction. Il se
scolaires, place importante donnée au jeu, pédagogie favorisant l'épanouis- trouve également lié au surgissement de signifiants de tous ordres, des
sement de l'enfant. Bien que l'école maternelle se soit modifiée au cours des premières formes de l'expression et de la compréhension artistiques.
dizaines d'années suivantes (accueil d'enfants de groupes sociaux plus le mouvement, l'action ;
diversifiés du fait de la moins grande réticence à son égard de la part des 3. l'expression vocale, la musique ;
milieux privilégiés, modification de la représentation des enfants et de 4. l'expression plastique ;
l'organisation de leur temps de présence à l'école), ces textes fondateurs 5. l'image, les représentations iconiques ;
sont restés en vigueur fort longtemps, jusqu'à la présidence de Valéry et juste avant :
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

7. le développement cognitif, bon dernier. fournisse des «modèles linguistiques» qu'il puisse traiter, pour qu'il
parvienne à élaborer la grammaire de sa langue maternelle. Les caractéris-
Le lecteur découvre avec étonnement dans la circulaire que les objectifs
tiques de ces modèles sont relativement peu importantes, puisque les
sont « classés dans un ordre qui suit, de manière très approximative, le
enfants de culture linguistique très différente apprennent leur langue mater-
développement génétique».
nelle.
La circulaire de 1977 exprime l'intérêt des administrateurs de l'école des
Priorité est donnée dans la circulaire à des objectifs tels que : (l'enfant
années 1970 pour les sciences humaines en général et la psychologie en
doit être capable) «de se manifester par l'intermédiaire de diverses émis-
particulier. L'utilisation de concepts comme « schéma corporel », « langa-
sions vocales», «de s'exprimer par des mots, groupes de mots, séquences
ges infra verbaux », « affirmation du Moi», «actions du stade opératoire»,
verbales, d'une manière naturelle par emprunts successifs aux modèles
« vision syncrétique du monde>>, « objectifs d'ordre sémiologique », etc.,
adultes».
•est significative de cette tendance ; les enseignants ne devront plus seule-
ment acquérir quelques «lumières» en psychologie, mais devront devenir
des quasi-spécialistes de cette science ...
Élévation du niveau de formation et ~Jréparation •
La circulaire exprime également quelques-uns des enthousiasmes de des futurs citoyens : les orientations i::le 1986 !il
1968 pour l'expression de la personnalité, l'affectivité, la créativité ... La
spontanéité créatrice de l'enfant est hautement valorisée : par ses dessins et
ses peintures notamment, il participe avec d'autres groupes (voir aussi les
1. les obiectifs de 1986
références à l'art des malades mentaux, à l'art dit primitif, etc.) à un art non La circulaire de 1977 a été abrogée par celle du 30 janvier 1986 du
académique, dans un mouvement esthétique plus large qui bouscule les ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement, sous la présidence de François
valeurs traditionnelles. Cette nouvelle perception des productions de l'en- Mitterrand. En préambule, l'école matemelle est présentée comme interve-
fant implique un rapport aux sciences et à la culture qui échappe largement nant par« une action éducative, conduite dès le plus jeune âge en complé-
aux parents des classes les moins privilégiées. La pédagogie va cependant ment de l'éducation donnée dans la famille».
s'en inspirer grandement pendant une dizaine d'années ; mais les difficultés
Les changements intervenus dans l'école maternelle- accroissement des
économiques, puis le changement de pouvoir politique en 1981, mettront en
effectifs, allongement de la durée de préscolarisation (terme emprunté aux
avant d'autres perspectives, préoccupations, priorités.
anglo-saxons pour désigner la garde des enfants avant la scolarité obliga-
Plus loin dans le texte, on apprend que : toire), diversification de l'origine sociale des enfants- sont pris en compte,
ainsi que «les évolutions en cours dans la société technologique, et dans la
Le langage ne s'enseigne pas, on le sait, mais se construit par un effort
valeur que notre culture confère à l'enfance ». L'essentiel est que « tous
personnel et permanent de l'enfant, qui discrimine dans les « modèles >>
puissent s'approprier les connaissances qui leur permettront plus tard de
adultes les mots nécessaires à l'expression de ses désirs ou manifestant ses
options. participer à la vie sociale de leur époque».
Trois objectifs sont définis : scolariser, socialiser, faire apprendre.
On peut penser que les auteurs du texte, tout en étant au fait des
approches sociolinguistiques telles celles de Bernstein et de Labov et des Scolariser consiste à donner à l'enfant le sentiment que l'école, donc la
débats entre ces deux orientations, se sont inspirés des théories innéistes de maternelle, est faite pour apprendre, qu'elle a ses exigences, qu'elle
Chomsky (1965), effectivement à l'honneur chez les psychologues français réserve des satisfactions et des joies propres.
dans les années 1960-70. Selon cette théorie, l'enfant a des compétences
innées lui permettant d'apprendre une langue; il suffit que l'entourage lui
les objectifs de l'êcole maternelle les objectifs de l'école maternelle

L'enfant doit s'habituer à ce qui ne lui est pas familier : une nouvelle saient plus de quarante fois précédemment, ne sont utilisés ici que six fois.
vie, un nouveau milieu, des relations que la famille ne lui permettait pas En revanche l'accent est mis sur :
d'établir ; il doit apprendre à se retrouver dans des lieux inconnus, à juger -les connaissances que les enfants doivent «conquérir» ou « s'appro-
les activités proposées et à en évaluer les résultats ~ il doit également prier » ;
apprendre à se soumettre à des règles conventionnelles, et certains ensei- -l'apprentissage : l'école doit« faire apprendre», répondre à «l'appétit
gnants peuvent voir là un souci de préparation à la discipline de l'école d'apprendre» de l'enfant, et stimuler cet appétit; le maître doit avoir
primaire (ce qui peut donner, sous forme de caricature : il faut leur reçu une formation particulièrement solide« à propos de la diversité des
apprendre à se tenir assis pour aller en CP !), tandis que d'autres concevront modes d'apprentissage et de leur évolution» ;
cet objectif davantage en termes de socialisation et d'apprentissage de la vie - l'intervention active du maître pour développer les connaissances et
en collectivité. les apprentissages : « les enfants ne peuvent tout découvrir seuls, ni tout
apprendre des-autres enfants»; l'une des tâches essentielles du maître
Le deuxième objectif est de socialiser, c'est-à-dire« apprendre à l'enfant
est « d'assurer la progressivité des apprentissages ».
à établir des relations avec les autres, et à devenir sociable». On insiste sur
les différences culturelles : la socialisation, qui est relative à une société et
une culture déterminées, « est acculturation, elle donne accès à une
3. La place du langage
culture» ; mais l'école ne doit pas « enfermer l'enfant dans une seule
culture » et les enfants «doivent très tôt prendre conscience de leur culture Dans la définition des grands domaines d'activités, le langage ou plutôt
et percevoir l'existence d'autres cultures». les « activités de communication et d'expression orales et écrites » gagnent
du terrain par rapport à 1977 et apparaissent ici en seconde place. On peut
Le troisième objectif est de faire apprendre et exercer.
lire :
Il s'agit que l'enfant, par diverses activités, développe ses capacités de
Ces activités ont une importance décisive à l'école maternelle. Le simple
sentir, d'agir, de parler, de réfléchir et d'imaginer, dans le temps même
usage de la langue pour les besoins de la vie de la classe n'est pas suffi-
qu'il élargit son expérience, explore le monde et augmente ses connaissan-
sant pour développer le langage, notamment chez les enfants qui parlent
ces. L'école répond ainsi à son appétit d'apprendre et le stimule toujours.
peu ou qui semblent déjà accuser des difficultés dans ce domaine. Pour
Démarche et contenu sont jugés tout aussi importants pour définir les les (enfants) les plus jeunes et pour ceux[ ... ] qui ne s'expriment encore
activités proposées. guère, le but du maître est d'obtenir qu'une activité de dialogue s'installe,
qu'ils communiquent avec des adultes et d'autres enfants.
On prône « des situations de communication diversifiées », « des
2. Expression et apprentissages
actions individualisées, ou faites par de petits groupes ». On conseille aux
La personnalité est conçue non pas comme « la simple manifestation de maîtres de s'appuyer sur ~<les interactions qui surviennent par le langage
la puissance et de l'originalité de l'enfant ; elle est aussi le pouvoir acquis de entre les enfants », afin de rendre le« travail sur la langue» plus efficace et
se donner des règles : en cela elle se caractérise par l'autonomie ... Chaque «d'étendre le pouvoir de communiquer» des enfants.
capacité accrue, chaque connaissance nouvelle, chaque expérience réussie
On ne dit plus, comme en 1977, que« le langage ne s'enseigne pas»,
est un pas franchi dans la construction de cette autonomie». Les références
mais au contraire qu'il faut «développer le langage». Les recherches des
à<< l'affectivité», qui étaient nombreuses dans le texte de 1977, ont quasi-
années 1970 sur la communication du jeune enfant et ses interactions avec
ment disparu. Les termes «expression » ou « s'exprimer» qui apparais-
les adultes (voir Rondal, 1983, par exemple), celles de la sociolinguistique
(Bernstein, 1975; Labov, 1976 par exemple) sont prises en compte (voir
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

chapitre 3), ainsi que les réflexions suscitées par la mise en place des ZEP signifie pas pour autant que les formulations soient plus précises ou moins
(zones d'éducation prioritaire) : on utilise plus fréquemment que dans la ambiguës : il s'agit dans les deux cas de textes politiques, fixant des cadres
circulaire antérieure les termes « communiquer », « communication », généraux laissant place à des interprétations diverses.
« dialogue », « interactions », << réseaux », accompagnés de l'adjectif
Pourquoi cette évolution de 1977 à 1986 ?
«social». On parle de« travail sur la langue» à partir des interactions ainsi
que de « registres » de langues : Entre 1977 et 1986, les problèmes économiques et technologiques
entraînent une réévaluation à la hausse du niveau culturel moyen nécessaire.
Le maître doit tenir compte également de la nature de la langue utilisée ; L'objectif est d'amener, en l'an 2000, 80 %d'une classe d'âge au niveau bac.
cette langue est orale ou écrite, elle correspond à des situations et des Face à cette augmentation des exigences, les problèmes que pose l'échec
intentions différentes, et comporte, de ce fait, divers registres ...
scolaire massif ne sont pas résolus. En outre se développe à cette époque un
Le rôle du maître est de stimuler« l'action de l'enfant (par) des sollicita- large débat international sur l'éducation précoce, l'éducation des parents de
tions multiples, d'(intervenir) pour l'aider à entreprendre, à fournir un effort milieux défavorisés. Des programmes de remédiation se mettent en place,
efficace à ses propres yeux, à tirer parti de ses erreurs comme de ses réus- en particulier dans les pays anglo-saxons, y compris en utilisant la télévi-
sites, à comprendre ce qu'il sait faire et ce qu'il ignore, en prenant soin de le sion (exemple des programmes Sésame Street, ou similaires). En France, ce
laisser se livrer à des essais, à des détours et à des variations personnelles ». débat sera animé notamment par le CRESAS (Centre de Recherches sur
l'Éducation Spécialisée et l'Adaptation Scolaire) et se traduira par la créa-
tion des ZEP. Le lien entre échec scolaire et origine sociale des élèves est
4. L'évolution depuis 1977 largement connu du public grâce aux différents moyens d'information. La
nécessité d'une nette amélioration du système éducatif est fréquemment
Dans leurs aspects formels également, les textes de 1977 et de 1986 sont
prônée par les responsables politiques, et on fixe à l'Éducation nationale des
très différents. Le premier, très long (environ 15 500 mots), est publié dans
le Bulletin officiel de l'Éducation nationale et a fait l'objet d'une brochure objectifs en termes de rendement.
diffusée par le Centre national de Documentation pédagogique ; le second, Tous les niveaux de l'institution scolaire sont mobilisés et il n'est donc
près de deux fois plus court, fait également l'objet d'une publication sépa- pas étonnant qu'en préambule aux objectifs de l'école maternelle, la circu-
rée, à large diffusion, selon le souhait du Ministre : il s'agit d'un petit livre laire de 1986 assigne à celle-ci un rôle dans l'augmentation des chances de
de poche disponible en librairie et en kiosque à sa sortie ( coédité par le réussite scolaire. Aussi l'accent n'est-il plus mis sur la formation de laper-
Livre de Poche et le CNDP) qui contient, en outre, une intervention du sonnalité et sur l'expression créative mais sur les apprentissages et sur
ministre Chevènement, une histoire de l'école maternelle en France, un l'acquisition de connaissances, jugés plus efficaces pour la réussite scolaire
texte sur l'éducation préscolaire dans le monde et diverses annexes. Le but future des enfants. Et ceci se traduit dans la présentation de tous les
explicite de cette présentation est « de rendre plus accessibles les textes qui domaines d'activités, y compris le langage, comme nous venons de le voir.
régissent ce niveau d'enseignement». Ces préoccupations vont encore être affirmées dans les textes de loi et
Les deux textes diffèrent également dans leur rédaction. Celui de 1977 orientations suivants.
est d'une lecture complexe, pour qui n'a pas une solide formation en psycho-
logie, psychanalyse, philosophie de l'éducation et sciences de l'éducation en
général, sans compter les références à l'anthropologie, la biologie, l'embryo-
logie, etc. ; les termes savants y sont nombreux. Celui de 1986 est rédigé
dans un langage beaucoup plus simple et se veut, selon l'expression du
Ministre, «clair et lisible». Mais si le langage est plus simple, cela ne
Les objectifs de l'école moternelle Les objectifs de l'école maternelle

• l.a loi de 1989 sur l'Éducation Des objectifs précis sont fixés, parmi lesquels certai~s d~iv.ent être
g et ses conséquences pour l'école maternelle atteints dans les cinq années suivant la publication de la. lm : dtmmu~~ de
moitié le nombre de jeunes qui sortent du système scolmre sans quahhca~
tion · réduire au moins de moitié le nombre de décisions d'orientations qut
1989 vit la promulgation d'une nouvelle loi d'orientation sur l'Éducation ne s~nt pas acceptées par les familles ; conduire. 65 % d~s ~lèves au niveau
(10 juillet 1989), à l'initiative du ministre socialiste Lionel Jospin, à laquelle du baccalauréat (objectif révisé à la baisse, mats plus realiste, par rapport
se trouve annexé un important rapport qui en précise la philosophie et les aux 80 % d'une classe d'âge au niveau bac, du ministère Chevènement et
objectifs. Hormis quelques articles violemment<~ contre» dans Le Figaro et aux 80 % de bacheliers en l'an 2000, perspective fixée par le ministère
d'autres «pour» dans divers journaux dont Le Monde et La Croix, elle ne Monory). Depuis, cette nécessité d'élévation du niveau de form~t~on des
fit pas l'objet de longs débats dans les médias, notamment sur les chaînes de jeunes a été régulièrement repris~, ct pas seul.ement dans les ~1hcux de
télévision, rapidement plus préoccupées en cette période par l'interdiction l'Éducation, puisque le rapport« Pmeau-Valenctenne ». command~ par Jack
du port du foulard islamique dans des établissements scolaires. Heureu- Lang demandait, au nom du patronat, que tous les Jeunes atteignent au
sement, le ministère publia ultérieurement plusieurs textes, dont une lettre moins le niveau du baccalauréat.
ministérielle de rentrée, pour rappeler les principes de la nouvelle loi, au cas La réorganisation de la scolarité en cycles correspond à une vol'onlé de
où son existence aurait échappé à la connaissance des enseignants reprenant cohérence dans l'ensemble du cursus ; elle invite à prendre en compte,
le chemin des établissements scolaires. Nous avons en effet rencontré cet autant que faire se peut, les acquis, les procédu~es et les . ry~h~es
été-là de nombreux enseignants de maternelle et de primaire qui ignoraient d'apprentissage de chaque enfant. Chaque cycle favonse 1~ contmu.tte .du
l'existence de cette nouvelle loi ou tout au moins étaient incapables d'en développement des compétences correspondant.es et dm.t ~n pnnctpe
indiquer les lignes directrices. éliminer les ruptures en cours d'apprentissage, qm~ se, tradm.rm:nt pa.r des
Ce texte fait de l'Éducation «la première priorité nationale. Le service redoublements à l'intérieur d'un cycle, dont le cout a la fms finanCier et
public de l'Éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des psychologique est souligné par la DEP (Direc;ion de l'évaluation et de la
étudiants» (article premier). prospective) et particulièrement bien cxpnme dans un arttcle de Setbel
(1984). On retrouve également dans ces textes un écho d~s trava~x de
La nouvelle politique place ainsi l'enfant au centre du système éducatif, psychologie sur le développement cogni.tif et ses décalages mter- et mtra-
ce qui signifie donc à la fois que cela devait être rappelé et que les respon- individuels (voir Weil-Barais, 1993 ou B1dcaud et al., 1993).
sables de l'Éducation nationale eux-mêmes en reconnaissent la nécessité ...
La loi, synthétisant des orientations de diverses origines, réaffirme que Chaque niveau d'enseignement participe à la réalisation de ces. objectifs.
«l'école a pour rôle fondamental la transmission et l'acquisition des La scolarité primaire (maternelle et élémentaire) est conçue en trOis cycles:
connaissances et des méthodes de travail » ( « héritage Chevèneme:rt ») et _le cycle des apprentissages premiers : de la petite à la grande section
qu'elle« doit contribuer à l'égalité des chances(<<: héritage Savary»). Elle de maternelle ;
permet à tous d'acquérir un niveau de qualification reconnu grâce auquel ils - le cycle des apprentissages fondamentaux : de la grande section de
pourront exprimer leurs capacités et entrer dans la vie active » ( « héritage maternelle au cours élémentaire 1re année ;
Monory » ). Elle doit aussi « participer à l'adaptation permanente des -le cycle des approfondissements : du cours élémentaire 2e année au
hommes et des femmes aux évolutions sociales, technologiques et profes- cours moyen 2e année.
sionnelles de notre société». L'accès à une bonne maîtrise de la langue et de la culture est considér.é
comme l'objectif premier de l'école primaire, ~e qui s'insc~it ~a?s ,la c?ntt-
nuité des textes officiels précédents. Les enseignants sont mv1tes a agtr de
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

manière déterminante, du début du cycle 1 à la fin du cycle 3, pour que Cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2)
chaque enfant accède à une pratique efficace de la langue française. Pour ce
Ill Continuer d'apprendre à parler, du langage oral au langage de
faire, di vers documents et recommandations sont élaborés et mis à leur
l'écrit : se servir du langage comme instrument d'investigation et de
disposition à l'initiative de la Direction des écoles, au ministère de l'Éduca- représentation de la réalité ; acquérir un langage plus riche et plus
tion nationale dans les années suivant la publication de la nouvelle loi de structuré (lexique, morphosyntaxe) ; découvrir les structures et le fonc-
1989: Les cycles à l'école primaire en 1991, appelé familièrement« petit tionnement de différents types de textes ; adapter la parole au contexte
livre bleu » ; La maîtrise de la langue à l'école en 1992 ou « petit livre
(codes sociaux de la communication).
rouge » en font partie.
llill Découvrir la structure et le fonctionnement de la langue : accéder à
Des objectifs sont fixés pour chaque cycle dans le domaine du langage la conscience des éléments phoniques ; observer les relations entre l'oral
oral, de la lecture et de l'écriture, «pour que chaque enfant accède à une et l'écrit; identifier les régularités syntaxiques les plus fréquentes.
pratique efficace de la langue française», malgré les différences interindi- Iii Progresser dans la pratique de l'étude cur~ive et découvrir la com-
viduelles «déjà fortes à l'école maternelle», liées aux modes de vie fami- plexité de la typographie : apprendre à maîtriser l'étude cursive ; décou-
liaux et à la place du langage et de l'écrit dans la vie quotidienne des vrir divers aspects de la typographie; apprendre à explorer l'espace de
familles. On retrouve donc toujours l'influence de la sociolinguistique et de la page.
ses applications dans le champ pédagogique (voir Stubbs, 1983), ainsi que llill Apprendre à vivre au milieu des livres et des autres écrits : découvrir
des idées développées par Vygotsky et diffusées par des travaux genevois pleinement la fonction« guidage» de l'écrit (objets et lieux); découvrir
(Schneuwly et Bronckart, 1985) et des travaux de Fijalkow (1986) sur les espaces privilégiés du livre.
l'écrit. Ill Apprendre à produire des textes : structurer globalement un texte en
l'adaptant à la situation de production ; moduler les énoncés produits en
fonction du destinataire ; apprendre à « éditer » des textes.
1. les compétences à développer dans chaque cycle 11111 Parvenir à une reconnaissance automatique des mots : par voie
L'ouvrage La maîtrise de la langue à l'école (1992, p. 12 à 17) présente directe (mots « en mémoire ») ; par voie indirecte (identification des
des recommandations sous la forme suivante : composantes graphophonétiques).
llllll Apprendre à comprendre : compréhension littérale ; compréhension

Cycle des apprentissages premiers (cycle 1) « fine ».

Iii Apprendre à communiquer : entrer dans un dialogue ; décrire une Apprendre à lire pour comprendre est réaffirmé comme objectif fonda-
situation simple ou une image ; évoquer des situations absentes ou ima- mental, dans la droite ligne des recommandations officielles antérieures
ginaires ; faire du langage un objet de curiosité .et de jeu. (Hébrard, 1988).
lill S'initier à l'écriture, habileté manuelle et geste graphique : dévelop-
per le geste graphique ; attribuer des significations aux traces gra- Cycle des approfondissements {cycle 3)
phiques ; découvrir l'espace de la feuille, de la page. Sans détailler les compétences à développer, puisque ce ,ç;ycle se situe
llill S'initier au monde de l'écrit: découvrir les fonctions de l'écrit (qui hors de l'école maternelle, indiquons simplement qu'il s'agit de : maîtriser la
guide les adultes, leur permet d'agir, leur donne du plaisir) ; explorer le langue et ses usages ; devenir plus autonome dans la production des textes
monde de l'écrit (lieux scolaires et sociaux), identifier (comparer) des écrits ; disposer d'une écriture manuscrite efficace et s'initier à l'édition des
écrits, en utiliser. textes ; élargir le champ des lectures possibles ; s'initier par la lecture et
Ill S'initier à produire (oralement) des textes. l'écriture à la fréquentation des œuvres littéraires.
Les objectifs de l'école maternelle
Les objectifs de l'école maternelle

En face de ces compétences sont fournis des exemples d'activités, de De plus, il n'est pas toujours facile de décider si telle compétence ou
situations d'apprentissage pour chaque cycle ; chaque compétence est telle activité correspond plutôt au cycle 1 ou au cycle 2, certains
explicitée plus loin dans le texte, en référence aux caractéristiques du déve- apprentissages relevant de lents processus qui peuvent s'étendre bien au-
loppement psychologique des enfants et en fonction de considérations delà d'un cycle : apprendre à parler et à communiquer ne correspond bien
pédagogiques. évidemment pas uniquement à la période du cycle 1, par exemple. Une
même compétence peut donc ainsi être travaillée d'un cycle à l'autre,
reflétant la nécessaire continuité des apprentissages.
2. Les principes généraux Cette question de la place de la grande section mérite d'être examinée de
plus près, car elle a fait l'objet de nombreux débats (Legrand, 1994).
la continuité et les différences entre cycle 1 et cycle 2
L'école maternelle a souvent oscillé entre, d'une part l'apprentissage La place de la grande section
systématique de la lecture et de l'écriture auquel beaucoup d'enfants ne sont Initialement, le découpage était simple : le cycle 1 devait correspondre à
pas prêts avant 6 ans, et une activité limitée au développement de la langue la petite et la moyenne section, le cycle 2 à la grande section, au CP et au
orale, d'autre part. Tout au long de son histoire, elle s'est orientée plutôt CEl, et le cycle 3 aux CE2, CM! et CM2. Mais la crainte de certains de
dans l'une ou dans l'autre de ces deux directions. Mais il faut à la fois pou- voir s'opérer un rattachement institutionnel de la OS à l'école élémentaire,
vair tenir compte des écarts importants de développement entre les enfants, et en même temps le souhait d'autres acteurs du ministère que des enfants
des différences d'assiduité à l'école maternelle qui conduisent à des acquis relativement mûrs et qui risqueraient de s'ennuyer à l'école maternelle puis-
différents, mais aussi du fait que les enfants vivent dans un monde où l'écrit sent apprendre à lire en OS conduisent à une solution de compromis : l'idée
joue un rôle particulièrement important. L'organisation en cycles a aussi d'un cycle défini par la maturité de l'enfant plutôt que par le programme. Un
pour vocation d'aider à résoudre ces difficultés, voire ces contradictions. enfant peut être en cycle 2 en GS ou en CP lorsqu'il est mûr pour cela. Dès
En effet. la totalité du cycle 1 et le début du cycle 2 sont placés sous la lors, peu importe que la GS reste en cycle 1 « structurellement » ; il suffit
responsabilité de l'école maternelle : la grande section devient ainsi une que des enfants de OS puissent être considérés comme étant en cycle 2 au
étape charnière permettant le passage de l'un à l'autre, avec pour objectif de fur et à mesure que l'enseignant le juge possible. On invente ainsi des dis-
faciliter la distinction entre les modalités pédagogiques de l'apprentissage tinctions subtiles entre d'une part les modalités pédagogiques de l'école
(activités variées pour l'école maternelle, développant l'expérience et la maternelle et celles de l'école élémentaire, et d'autre part les contenus des
culture personnelle, suscitant le plaisir de la découverte ; progression apprentissages, différents entre cycle 1 et cycle 2. distinctions qui apparais-
linéaire définie sous forme de programme pour l'école primaire) et les sent par exemple dans le texte publié à l'initiative de la Direction des écoles
contenus de l'apprentissage eux-mêmes, différents selon les cycles. Il n'est en 1992: «La maîtrise de la langue». Chacun campe ainsi sur ses posi-
cependant pas certain que cette distinction soit toujours très claire dans tions, y compris après le changement du Directeur des écoles et la
l'esprit des enseignants : il semble que la situation dépende largement de nomination d'André Legrand.
loors capacités d'adaptation à une nouvelle organisation pédagogique Dans les textes, la grande section, classe charnière, d&it maintenir
(lorsqu'ils ne l'avaient pas d'eux-mêmes mise en place avant la publication fermement les modalités de travail de l'école maternelle, même si pour
de ces textes), des concertations au sein de l'équipe enseignante de mater- certains la tentation est grande de la voir anticiper sur celles de l'école
nelle, mais aussi avec l'équipe d'école primaire voisine, et notamment avec primaire. Elle doit en même temps proposer des contenus d'activités centrés
les enseignants de cours préparatoire. sur les apprentissages fondamentaux de la lecture et de l'écriture. La
distinction entre cycle 1 et cycle 2 se fait donc entre :
Les obiectifs de l'école maternelle
Les objectifs de l'école maternelle

Apprendre à parler et à construire son langage1


repérage des contenus dans les différents domaines d'activités et l'organisa-
s 1initier au monde de l1écritl
tion rigoureuse de progressions à l'intérieur des projets de cycles et d'école.
Ces apprentissages se mettent en place dans deux types d'activités :
En outre, le texte réaffirme, dès le préambule consacré à l'école mater-
-les multiples situations au cours desquelles l'enfant peut associer son
nelle : vécu à sa verbalisation, rendre compte de ses expériences, situations au
-le rôle de celle-ci comme point d'observation pour la prévention et le
cours desquelles il apprend véritablement à parler. Le maître doit :
dépistage des difficultés potentielles ou des handicaps des enfants, et
ceci pour tous les personnels concernés : enseignants, membres des [... ]créer les occasions de lier l'expérience au langage; [il doit aussi] par
réseaux d'aide, protection maternelle et infantile, aide sociale, etc. Ceci ses échanges avec l'enfant, lui permettre de progresser dans la construc-
constitue une marque spécifique des nouveaux responsables au minis- tion de la langue et d'en mettre en œuvre le fonctionnement. Ces activités
tère et à la Direction des écoles. gardent leurs propres finalités, en dehors de l'acquisition linguistique
- l'importance du langage comme moyen d'enrichissement et d'appro- proprement dite et, pour être efficaces dans ce domaine aussi, elles doi-
priation de ce qu'il véhicule d'expériences, de connaissances, d'émo- vent conserver cette orientation. Elles ne sont pas, à proprement parler,
tions ; se préparer, non pas à lire et à écrire, mais à apprendre à lire et à des moments de langage. Cependant, tout en les menant à bien, le maître
rédiger dès l'école maternelle est considéré comme le gage d'une bonne reste attentif à l'expression des élèves. C'est pour lui, un moyen privilégié
scolarité ultérieure. d'évaluer les progrès réels de l'acquisition du langage et de solliciter
davantage ceux qui en ont le plus besoin.
Le texte distingue des domaines d'activités, au nombre de cinq, et les
-les situations où les acquis linguistiques construits de manière impli-
instruments pour apprendre.
cite deviennent l'objet d'exercices spécifiques (jeux verbaux, moments
de langage proprement dits) et constituent les matériaux - matériaux
2. Les domaines d'activités sonores de la langue, syntaxe, lexique, le texte et sa structure - sur les-
quels porte l'activité.
Vivre ensemble [Ces exercices] permettent d'amener l'enfant à prendre progressivement
L'école maternelle est conçue comme un lieu de vie nouveau pour conscience du sens du langage, à mieux le maîtriser, et à le confronter au
l'enfant, dans lequel chacun doit apprendre à partager avec d'autres des code écrit pour apprendre à lire et à écrire [... ].Toutes les activités prépa-
activités et des espaces communs, des relations privilégiées avec les adultes rant à l'écriture et conduisant à reconnaître dans l'espace de la page des
de l'école. Le petit doit se familiariser progressivement avec les règles mots ou des lettres, à savoir les copier ou les écrire permettent ces appren-
propres à ce monde nouveau - découvrir progressivement son « métier tissages. C'est l'occasion, pour l'enfant, de se doter d'instruments efficaces
d'écolier» sans perdre son statut d'enfant - et devenir un acteur dans la lui permettant de travailler sur son langage, d'en mieux comprendre le
communauté scolaire : assumer des responsabilités à sa mesure, expliquer fonctionnement et de se préparer à l'articuler avec celui de la langue
ses actions, écouter le point de vue des autres, apprendre à discuter des écrite.
problèmes quotidiens, affirmer son identité et apprendre à la faire recon- L'initiation à la culture écrite complète ces acquisitions.
naître tout en reconnaissant celle des autres. Vivre ensemble, c'est donc
aussi apprendre à communiquer. Toutes les activités de l'école maternelle Elle est conduite, d'une part dans des activités d'interprétation des impri-
doivent contribuer à ces objectifs. més divers et, plus particulièrement des textes, d'autre part dans des

Le lecteur trouvera ci-dessous l'essentiel de la présentation de ce domaine et l'intégralité des


activités correspondantes (extrait du BOEN no 5, 9 mars 1995).
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

activités de production, avec l'aide d'un adulte secrétaire ou en situation (radio, cinéma, télévision), découverts dans leur véritable contexte lors de
autonome, de ces mêmes écrits. Il ne s'agit pas encore, pour l'enfant, d'un sorties ou de rencontres avec des conteurs, au théâtre de marionnettes
apprentissage systématique de la lecture, mais il convient de lui permettre -discussions sur différents types d'écrits rencontrés, production de textes
de prendre conscience, de manière active, dans le cadre de situations analogues en situation collective, avec l'aide de l'adulte (par exemple sur
authentiques, des formes et des contenus de la culture écrite qui l'entoure. une trame donnée).
Le rôle de l'adulte qui oralise et fait découvrir les textes, qui écrit sous la
dictée des enfants en régulant leur activité ou encore qui, à travers sa 1111 Initiation au monde de l'écrit avec l'aide de l'adulte:
propre écriture, montre à l'enfant comment ses paroles se transforment en - découverte de l'imprimé sous toutes ses formes, en contexte puis hors
passant à l'écrit, est ici un point de départ essentiel. contexte, interprétation avec l'aide de l'adulte;
- fréquentation assidue du coin lecture ou de la bibliothèque, lors de
La nature et le contenu des activités correspondantes sont détaillés moments de lecture en petits groupes ;
ainsi : -relecture fréquente des textes les plus riches de sens pour les enfants ;
11111 Les sonorités de la langue : -mise en ordre des livres de la bibliothèque, première classification des
- apprentissage de comptines, de chansons, de poèmes permettant de différents types de textes (fictions, documentaires .. ) avec l'aide du
jouer sur l'intonation, sur le rythme, sur la hauteur de la voix ... ; maître;
-jeux rythmiques avec le langage sur des comptines, des chansons, des -examen de textes écrits (repérage de la structure de la page, des divi-
poèmes : découverte des accentuations, de la syllabe ; sions en paragraphes, en phrases, en mots) ;
-jeux de rimes avec le langage : apprendre, découvrir et compléter des -interprétation collective des textes écrits (qu'est-ce qui est écrit dans une
suites assonancées, des textes rimés ; phrase ? dans un mot ? à qui renvoient les pronoms ? rôle des mots de
-identification des sons du langage (phonèmes) en fin d'énoncé, en début liaison) ;
d'énoncé, dans le corps de l'énoncé ; - premières correspondances entre lettres et sons ;
-prise de conscience des différents sons (phonèmes et syllabes) utilisés Ill Initiation à la production de textes :
par le français ; -travail de mémorisation du texte au fur et à mesure de sa lecture (refor-
-jeux de langage s'appuyant sur la répétition de structures syntaxiques mulation des passages lus, articulation entre ce qui a été lu et ce qui est
(chansons ou comptines à refrain, historiettes à poursuivre en utilisant une découvert dans une nouvelle étape, anticipation de la suite du texte ... ;
forme syntaxique fixée ... ) en évitant l'exercice structural. -production de textes en dictée à l'adulte, collective ou en petits groupes:
11111 Les mots: annonces de nouvelles, récits d'événements vécus par tous, rappels de
-évocation du lexique disponible à propos d'un thème donné (une histoire textes entendus antérieurement, modes d'empldi, consignes, recettes, tex-
à raconter, un compte rendu de sortie ou d'activité ... ) ; tes documentaires, petites argumentations, correspondances scolaires ... ;
-classification de mots disponibles en fonction de critères variés : mots -premiers exercices d'écriture autonome par copie, copie différée, inven-
désignant des objets inanimés ou animés, familles de mots ... tion (prénom, petites phrases, textes courts) ;
-recherche des différents contextes possibles d'un mot ; -découverte des spécificités du texte écrit au travers des écrits de l'adulte
-interprétation de mots inconnus à partir de leur contexte. interprétant des propositions orales des enfants ;
-acquisition de la technique de dictée par l'enfant à l'adulte (ralentisse-
Il Écoute et langage oral :
ment du débit, contrôle de la structure syntaxique de l'énoncé, prise de
-écoute d'une grande variété de textes appartenant à la tradition orale conscience de l'activité de l'adulte, demande de relecture ... );
(chansons, comptines, contes, devinettes, histoires ... ) dits par le maître,
enregistrés sur des supports magnétiques accompagnés ou non d'images
Les objectifs de l'école maternelle
Les objectifs de l'école maternelle

-:- pro~uction d'objets écrits associant le texte et J'image (albums, récits réponses, bref, d'enrichir son expérience. Cet enrichissement repose sur
Illustres, documentaires).
quelques « données simples » :
Le lecteur not:_r~ le souci ministériel d'explicitation des objectifs en -le maitre suscite toutes les occasions d'une découverte active du monde,
rapport avec la mmtnse de la langue et le souci de détail dans les activités en ayant toujours soin que les connaissances se forgent tant par l'activité
corr.esp~ndantes, donnant à ce domaine d'activité une importance toute et son observation que par la verbalisation de l'expérience et par son
parttcuhere. Nous y reviendrons.
examen critique ;
Agir dans le monde -le partage de la culture écrite et de l'image, découvertes dans une inter-
action forte avec l'adulte qui lit, explique, commente, et le cas échéant
. L'~ction e~t un ~lément essentiel du développe.ment de l'enfant Explo- écrit, constitue un mqyen important d'enrichir les connaissances de l'en-
rat.wns et I?ampulatwns, dans une grande liberté de mouvement et d'action fant à condition, toutefois, que celles-ci puissent être rapprochées d'expé-
d?~~ent lUI appre~dre à mettre en jeu son corps tout entier, à mobiliser se~ riences vécues ;
~Ifferen~es fonct.wns (locomotion, préhension, etc.). L'adulte doit aider -progressivement, l'enfant apprend à se représenter les savoirs qu'il ren-
1enfant a con~trm:e de nouveaux ajustements au monde, à travers les obsta- contre ou construit; dans ce but, il apprend à dessiner, à produire des
cles rencontres.; Il doit lui offrir les moyens de développer ses activités représentations schématiques, à construire des textes (dictées à l'adulte)
« dans ~es. environnements plus complexes et plus étrangers », accompa- qui rendent compte de son activité ;
~nant ams1 «.le~ progrès de sa croissance et de son habileté». C'est lui -dès que l'enfant en a la possibilité, ses connaissances sont ordonnées,
egal~ment q~1 mde~ l'e.nfant à intérioriser ses actions, c'est-à-dire à se les grâce à un questionnement des évidences ou des savoirs implicites qui se
representer, a en prevoir les résultats, à les planifier. sont constitués.
Son ~ctivité con~ourt à une découverte puis à une connaissance de plus en L'initiation au monde passe par la découverte du monde des objets, de la
~lus Juste ~e SOI, des autres, des objets et des matériels, des repères qui matière, du monde vivant, des espaces naturels et humains, une sensibi-
Jalonnent 1espace et le temps de ses actions. lisation aux problèmes de l'environnement, aux problèmes d'hygiène et de
consommation, une éducation à la sécurité, la découverte du temps qui
Di~erses acti;ités d'exploration, de découverte, d'expression et de prise
de reper~s s.ans 1espace et le temps sont proposées pour la mise en œuvre passe, la sensibilisation au monde de l'image. Ce domaine d'activité est
de ces prmctpes. étroitement lié à celui de la maîtrise de la langue (voir ci-dessus) ; le langa-
ge est une forme d'apprentissage culturel, comme nous le verrons plus loin
Découvrir le monde (cf. chap. 2). Ainsi que l'indiquait le texte à propos de l'apprentissage de la
langue, les activités de découverte du monde ont leurs propres finalités, en
,. ~~s .auteurs du texte ?onsidèrent que «l'école a un rôle irremplaçable dehors de l'acquisition linguistique en tant que telle, mais elles constituent
d '?Itlat~o~ au mond~ et a la culture». Il est assez clair que cette formu- également un support de l'expression des enfants : elles sont un moyen
l~}IOn generale n~ doit pas cacher le fait que tous les enfants n'arrivent pas à privilégié pour l'enseignant d'évaluer les progrès réels de l'acquisition du
l :c~le av~c la. meme ouverture sur le monde et la culture ; J'école doit donc, langage de chaque enfant.
st necessaire, Jouer un rôle compensatoire en la matière.
Comment s'y prendre ? En permettant à l'enfant de découvrir et de Imaginer, sentir, créer
respecter le monde proche, « celui de la vie ct des objets »,de raconter« ses A l'école maternelle, l'enfant développe sa sensibilité, son imagination et
aventures et ses rencontres », de poser des questions et de chercher des sa capacité de créer, ses facultés d'attention et de concentration, son esprit
critique et son aptitude à exprimer des goûts et des choix.
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

L'éducation artistique met en œuvre des démarches actives qui s'inscrivent réalités physiques et humaines qui constituent son environnement proche
dans une relation constante entre voir, entendre, faire, ressentir, échanger. ou plus lointain.
Tout en enrichissant ainsi ses connaissances, il se dote des instruments
L'objectif est double : sensibiliser les enfants aux arts et leur donner les essentiels au travail de l'intelligence.
moyens de pratiquer des activités artistiques. Apprendre à dire ses senti-
ments, à exprimer ou échanger des idées ou des rêves à travers ses créa- Qu'appelle-t-on «instruments essentiels au travail de l'intelligence» ?
tions, donner libre cours à son imagination et aller le plus loin possible dans Cette notion est calquée sur celle ~< d'instruments psychologiques » définie
son expression, tels sont les buts fixés. Pour cela : par Vygotsky (cf. chap. 3): il s'agit d'adaptations, d'élaborations artificielles
qui visent à contrôler les processus psychiques, des sortes de « techniques
Deux domaines artistiques sont obligatoirement présents à l'école mater- intérieures». On peut, selon Vygotsky, trouver une analogie« entre le rôle
nelle : la musique et les arts plastiques. Leur sont ajoutés ici l'expression des adaptations dans le comportement et celui de l'instrument dans le
dramatique et le théâtre, la danse comme exemples d'ouverture possible à travail » ...
d'autres domaines artistiques.
[Ces instruments] sont sociaux par nature et non pas organiques ou indi-
Les activités correspondantes sont longuement détaillées, et regroupées viduels ; ils sont destinés au contrôle des processus du comportement
dans les rubriques suivantes : propre ou de celui des autres, tout comme la technique est destinée au
Ill Pour l'éducation musicale : activités vocales, activités corporelles en contrôle des processus de la nature. (Vygotsky, 1930; in Schneuwly &
relation avec des rondes, des jeux dansés, des activités instrumentales et Bronckart, 1985,p. 39)
des musiques variées, activités d'écoute du monde sonore et de musi-
ques différentes (pays, époques, styles, ... ). Vygotsky cite plusieurs exemples d'instruments psychologiques, parmi
Ill Pour les arts plastiques : pratiques indispensables pour construire lesquels: le langage!, les diverses formes de comptage et de calcul, les
des représentations (explorations de formes, objets, matières, couleurs ; œuvres d'art, l'écriture, les schémas, tous les signes possibles, etc.
réalisation d'un «musée personnel», graphisme, exercices de mémoire Deux groupes d'instruments sont présentés dans le texte ministériel :
visuelle, etc.), acquisition et développement de connaissances sur les d'une part l'activité graphique, et d'autre part les classifications, sériations,
grands référents de l'imaginaire (l'air, la terre, l'eau, le feu, la maison, dénombrement, mesurage, reconnaissance des formes et relations spatiales.
l'arbre, ... ) et divers éléments plastiques, présentation des réalisations
(commentaires sur son propre travail, observation des effets produits). L'activité graphique
11111 Pour le théâtre et l'expression dramatique, ainsi que la danse, pré-
sentés comme exemples d'ouverture à d'autres domaines artistiques, Elle n'est d'abord :
c'est non seulement l'activité d'interprète qui doit être valorisée chez [ ... ] qu'une trace laissée par le corps ou la main sur des supports variés
l'enfant, mais aussi chaque fois que possible celle de spectateur avec des instruments spécifiques. Progressivement l'enfant s'approprie ces
d'œuvres et de spectacles diversifiés. tracés qui deviennent des figures porteuses de sens et il utilise leur
pouvoir de communication. Il apprend à établir des codes implicites,
signes, symboles pour des communautés diverses (famille/classe, autres
3. Les instruments pour apprendre groupes ... ).
A l'école maternelle, l'enfant découvre, grâce aux situations pédagogiques
mises en œuvre par le maître, toutes les richesses du monde qui l'entoure. Dans le texte des programmes pour l'école primaire, le langage bénéficie d'une place en tant
En jouant, en développant toujours plus loin ses actions, il se constitue un que domaine d'activité, ce qui rend la présentation probablement plus claire et met mieux en
premier capital de connaissances qui lui permettent de comprendre les évidence son importance à l'école maternelle.
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

Par des exercices appropriés, mais toujours fonctionnels et inscrits dans La notion de « programmes »
des activités signifiantes, l'enfant améliore la sûreté de ses gestes, apprend
à mobiliser plus finement sa main, à mieux tenir les divers instruments Terme fort mal accepté dans certains milieux de l'école maternelle, si
scripteurs, à explorer les contraintes des différents supports. Par des jeux l'on en juge par l'accueil qu'il reçut lors de l'allocution de Marcel Duhamel,
variés, il explore l'espace graphique et le répertoire des différents tracés. Directeur des écoles, au 67e congrès de l'AGIEM 1 le 4 juillet 1994. Le
ministère Bayrou a en fait repris à son compte, avec une véritable volonté
Le dessin constitue pour l'enfant un moyen important de rendre compte politique, la tentative amorcée par la Direction des écoles sous le ministère
de la réalité, de transcrire une narration ou une description verbale. Plu- socialiste de Jack Lang, à quelques semaines d'un changement" de gouver-
sieurs types d'exercices sont proposés dans cette perspective. nement. Un compromis a depuis lors été trouvé puisque le texte de l'arrêté
L'écriture entre également dans ce cadre. fixe des programmes pour l'école maternelle et l'école élémentaire (article
premier) et que le texte qui suit, consacré à l'école maternelle, parle de
A l'école maternelle tout enfant doit être entraîné à l'écriture cursive domaines d 1activités.
lisible. Il doit découvrir ce qu'est l'écriture, à quoi elle sert, et surtout la
façon dont elle renvoie au langage (liaison constante entre l'oral et J'écrit). Examinons les enjeux de l'utilisation de ce terme. A partir du xrxe
siècle, il désigne, parmi d'autres acceptions, « l'ensemble des connaissances,
Ici encore plusieurs types d'activités sont indiqués. des matières qui sont enseignées dans un cycle d'études ou qui forment les
sujets d'un examen, d'un concours». Il désigne aussi une « suite d'actions
Classifications~ sériations, dénombrement1 mesurage,
que l'on se propose d'accomplir pour arriver à un résultat» (Le Petit Robert,
reconnaissance des formes et relations spatiales
1977). S'agissant du milieu scolaire, c'est évidemment la première acception
Tous ces instruments du travail intellectuel qui deviendront plus tard des qui est retenue. Est-ce à dire alors que l'école maternelle perd ainsi sa spéci-
opérations de l'activité mathématique sont particulièrement utiles pour ficité, par rapport aux autres niveaux de la scolarité? Va-t-on y enseigner
décrire la réalité et pour comprendre les phénomènes qui y surviennent. des connaissances ou des matières que l'on pourrait sanctionner par un
Sans correspondre à un« programme» de mathématiques, diverses acti- examen ? Certes non, comme le montre la présentation des activités dans le
vités sont proposées, en illustration à ces instruments et au repérage des texte, et comme le souligne son préambule :
événements dans le temps. L'école maternelle occupe une place particulière dans l'ensemble du dis-
En conclusion : positif d'accueil de la petite enfance. C'est une école. Complémentaire de
l'éducation familiale et préparatoire à la scolarité élémentaire, elle est le
[ ... }dessiner, écrire, dénombrer, mesurer, décrire l'espace, se repérer dans lieu d'expériences et d'apprentissages essentiels qui permettent aux
1'espace et dans le temps constituent des instruments puissants de la enfants de devenir grands. '
connaissance. Permettre à l'enfant de les construire dès l'école maternelle
est un gage de réussite ultérieure dans sa scolarité. L'originalité de l'école maternelle est rappelée : ce n'est pas une garde-
rie, c'est une école, un lieu d'éducation. Elle doit s'ouvrir aux relations avec
ses partenaires et les institutions importantes dans la vie des enfants : les
4. Le sens de ces nouveaux textes parents en premier lieu, mais aussi la crèche, la garderie ... La cohérence
dont l'enfant a besoin entre ses différents lieux de vie est encouragée et
Au-delà de la simple mise en confmmité des textes régissant l'école suppose une démarche active de l'école dans leur direction, ce qui est relati-
maternelle avec la loi de 1989 sur l'éducation et l'organisation de l'école en
cycles, les auteurs du texte ont innové sur plusieurs points :
Association générale des institutrices et instituteurs des écoles et classes maternelles
publiques.
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

vement nouveau dans les textes officiels, même si cela correspondait déjà à tel, au profit d'une conception de l'oral principalement définie par la prépa-
une pratique régulière de certaines écoles. ration à l'écrit.
Lieu privilégié où l'enfant bâtit les fondements de ses futurs apprentis- Mais la résistance de certains milieux enseignants vis-à-vis de ce terme
sages, l'école maternelle est aussi celui où il est toujours considéré dans sa de « programmes >> est aussi le reflet de craintes légitimes par rapport à des
globalité. tentatives de gavage intellectuel des jeunes enfants, au détriment de leur
épanouissement.
L'école maternelle est un lieu d'expériences pour l'enfant, qui lui per-
mettent de construire son savoir et de se préparer aux apprentissages systé- En effet ceci n'est pas sans lien avec le courant de pensée qui s'est déve-
matiques de l'école élémentaire : en cela, elle se distingue des niveaux ulté- loppé depuis quelques années en faveur des apprentissages précoces et dont
rieurs de la scolarité. C'est vrai notamment pour l'acquisition du langage : divers médias se sont fait l'écho : dans un premier temps on a mis en évi-
dence les remarquables capacités d'apprentissage des jeunes enfants pour
C'est par la richesse de ses expériences que l'enfant apprend à mieux peu qu'on utilise une pédagogie adaptée aux objectifs qu'on se fixe (par
comprendre le langage qu'on lui adresse et à mieux parler. C'est pourquoi exemple : apprendre à lire à 3 ans) ; parallèlement on a plaidé pour une
le rôle de l'école maternelle est capital, notamment dans les quartiers scolarisation précoce (nous y reviendrons), gage d'une meilleure réussite
défavorisés. scolaire à l'école primaire et au-delà, au vu des statistiques nationales sur la
Cette conception d'un lieu propice aux expériences enfantines, d'un lieu diminution des redoublements en primaire en fonction de l'allongement de
stimulant, et non pas d'un lieu d'apprentissages systématiques, déjà présente la scolarisation en matemellel.
dans le texte «La maîtrise de la langue, (1992) est précisée quelques
Un glissement s'est alors opéré, utilisant l'anxiété de certains parents,
lignes plus loin : soucieux de préparer aussi tôt que possible la réussite de leurs enfants, dans
L'école maternelle offre à l'enfant un mode de vie qui répond à ses un monde où un parcours scolaire moyen n'est plus la garantie d'une
besoins physiologiques, affectifs et intellectuels et lui permet de trouver insertion professionnelle rapide. On a vu ainsi fleurir les cassettes destinées
sa place dans des groupes divers. Ce mode de vie exige une organisation à sensibiliser les fœtus à l'apprentissage d'une langue étrangère, ce qui est
de l'environnement et une gestion du temps bien comprise. supposé faciliter quelques années plus tard leur acquisition d'une langue
seconde (mais personne n'a été vérifier sérieusement les résultats, positifs et
On ne saurait dire plus clairement que l'école doit s'adapter à l'enfant et
négatifs, de ces tentatives d'enseignement plus que précoces !) ; on a vu des
non l'inverse ... !
parents inquiets demander à l'avance à des enseignantes de maternelle la
Alors, mauvais procès d'intention fait aux administrateurs de l'école? liste des comptines prévues dans l'année, afin de les faire travailler à leurs
Difficulté de conciliation entre différents points de vue au ministère, entre enfants ... Et on pourrait citer ainsi bien d'autres exemples, qu'il serait trop
ceux qui souhaitaient, rétroactivement, définir des objectifs et des capacités facile de traiter par le mépris, sans y voir des tentatives maladroites de
à construire en fin de cycle 1, c'est-à-dire en moyenne section, et ceux qui parents inquiets et mal informés sur le travail de l'école et le développement
ont déplacé les objectifs à atteindre vers la fin de la grande section ? La psychologique des enfants2. Les enseignants ont certainement un rôle
question était de choisir entre une attention particulière portée sur les acqui- important à jouer auprès des parents pour une meilleure information sur
sitions de maternelle et le fonctionnement langagier proprement dit, avant
que ne commencent les apprentissages métalinguistiques (conscience pho- En d'autres termes, plus on aurait fréquenté l'école maternelle, moins on redoublerait à l'école
nique, segmentation de l'énoncé en mots, etc.), et une définition par l'amont, primaire.
centrée sur les problèmes de lecture ; c'est la deuxième orientation qui a 2 On a toujours su, dans des milieux favorisés, développer des stratégies d'excellence, à tous les
niveaux du parcours scolaire des enfants, pour les mettre en position optimale de réussite ; la
prévalu, laissant de côté une réflexion sur la pédagogie de l'oral en tant que vogue des apprentissages précoces nous semble aller au-delà de ces habitudes bien connues.
les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'école maternelle

l'aide que ces derniers peuvent apporter à leur enfant et sur les appren- organisation du temps, toujours en cohérence avec les besoins des enfants
tissages scolaires, ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils devraient assumer et plus rigoureuse à mesure que l'enfant grandit, permet, durant l'année de
seuls cette nécessaire information ; les administrateurs de l'école, les grande section, de consacrer une partie plus importante de la journée à des
associations de parents d'élèves, les psychologues, ... ont aussi leur rôle à activités structurées.
jouer dans ce domaine, pour peu que l'accès aux grands moyens d'infor-
C'est dire que les récréations prolongées n'ont pas de vertu en elles-
mation leur soit facilité.
mêmes (par ailleurs, il est plus difficile de faire comprendre et respecter Je
rôle éducatif de l'école maternelle lorsque les parents voient leurs enfants
Le plaidoyer pour les apprentissages à l'école maternelle
dans la cour de récréation pendant plus d'une heure d'affilée, comme cela se
Après l'importance donnée à la formation de la personnalité et l'expres- produit dans certaines écoles). Toutefois une école «centrée sur l'enfant»
sion créatrice des enfants dans les orientations de 1977, J'accent a été mis doit pouvoir aussi lui reconnaître le droit, lorsqu'il en a besoin, de« ne rien
sur les apprentissages dans les textes de 1985 (voir §2. ci-dessus pour une faire » (mais ne fait-il réellement rien?), de se mettre à l'écart du groupe
analyse détaillée) et la même orientation se retrouve, plus explicitée à notre (pour un retour sur lui-même? pour récupérer des efforts qu'il a fournis ou
avis, dans les textes actuels. Si «expression» et « apprentissage» ne sau- de la fatigue qu'il ressent?) ou de jouer librement. Respecter cette liberté-là
raient être considérés comme incompatibles, l'insistance à préciser l'idée fait aussi partie du rôle éducatif de l'école maternelle. La plupart des ensei-
d'apprentissages structurés, de contenus repérés mérite d'être soulignée, en gnants de maternelle savent faire la part des choses, mais il n'est peut-être
prenant en compte également le rôle dévolu à J'école dans J'égalisation des pas inutile de Je rappeler ...
chances, puisque Je texte souligne à plusieurs reprises le rôle particulier de
cette institution dans les quartiers défavorisés. L'approche fondionnaliste et pragmatique des activités
La mise en avant par les auteurs du texte de 1995 de certaines activités, Le texte présente les activités et les apprentissages de l'école maternelle
nombreuses et détaillées, à J'appui des grands objectifs fixés à J'école en privilégiant leur signification et les contextes dans lesquels ils s'ins-
maternelle (apprendre à vivre ensemble ; apprendre à parler et construire crivent:
son langage ; agir dans le monde ; le découvrir; imaginer, sentir, créer) et
A tout niveau, les enfants doivent pouvoir observer, réfléchir, imaginer,
la liste des « instruments pour apprendre » constituent des repères pour
exercer leur mémoire, élaborer un projet, tester leurs capacités, leurs
aider les enfants à trouver un sens au monde, et ce d'autant plus qu'ils ont
connaissances et leurs actions.
moins été guidés en cela dans leur première enfance.
Et plus loin, par exemple dans la présentation du domaine d'activités
Cette attention portée aux activités et aux apprentissages, qui n'est pas
« vivre ensemble >> :
incompatible avec Je rappel du rôle fondamental du jeu pour les jeunes
enfants, s'accompagne de prescriptions précises quant à d'autres moments [ ... ] [le] cheminement vers une plus grande autonomie n'est possible que
de la journée scolaire. On peut lire dans l'arrêté sur les horaires des écoles parce que le langage permet tout à la fois de réguler les relations sociales
maternelles et élémentaires (article 4): «le temps moyen consacré aux dans le groupe, de les expliciter et, donc, de les anticiper. Ainsi apprendre
récréations est de 15 minutes par demi-journée», et plus loin dans le texte à vivre ensemble, c'est aussi apprendre à communiquer ...~""Toutes les acti-
consacré à l'école maternelle : vités de l'école maternelle prennent leur sens dans cette perspective.
Les récréations, les moments d'hygiène, les périodes d'accueil sont des Plus loin encore, à propos « des instruments pour apprendre » :
temps éducatifs et utiles, mais il faut veiller à ce qu'ils occupent dans la
En jouant, en développant toujours plus loin ses actions, ... [l'enfant] se
journée leur juste place et n'empiètent pas sur des temps d'activité struc-
constitue un premier capital de connaissances qui lui permettent de com-
turée où les enfants ont le sentiment de travailler et de progresser. Cette
Les objectifs de l'école maternelle Les objectifs de l'êcole maternelle

prendre les réalités physiques et humaines qui constituent son environne- elles ne sont pas indépendantes de leurs circonstances d'apparition, com-
ment proche ou plus lointain. Tout en enrichissant ainsi ses connais- prend nécessairement celle de la situation et du milieu.
sances, il se dote des instruments essentiels au travail de l'intelligence.
C'est avec eux qu'il abordera l'école élémentaire. Les formes successives de l'activité et les savoirs sont déterminés par une
interaction entre l'organisme ou son milieu ... On peut distinguer quatre
Les pratiques éducatives proposées apparaissent comme des facteurs de catégories ou niveaux d'influence de l'environnement sur l'élaboration des
développement et les contenus indiqués ne sont pas dissociés des processus conduites humaines : l'environnement représente un agencement de stimu-
d'apprentissage : lations particulier; il est toujours écologique, c'est-à-dire qu'il n'est pas
[l'école maternelle] est le lieu d'expériences et d'apprentissages essentiels indépendant d'un système social ; il est culturel. (Grand dictionnaire de la
qui permettent aux enfants de « devenir grands [ ... ] La variété et la psychologie, Larousse, 1991; définition du fonctionnalisme)
richesse de ses expériences permettent à l'enfant de construire son savoir Dans le domaine du langage c'est également le sens des activités et leur
et de se préparer, par des apprentissages structurés, aux apprentissages relation avec leur contexte de fonctionnement qui sont privilégiés. On
plus systématiques de l'école élémentaire . rejoint là les conceptions de la pragmatique du langage (Austin, 1970, par
Cette conception se retrouve bien sûr à propos du langage : exemple): l'interprétation du discours ou des« actes de parole» n'est pas
indépendante de la situation d'énonciation, et plus largement du contexte
C'est par la richesse de ses expériences que l'enfant apprend à mieux com- d'émission (par exemple : qui parle ? quand ? où ? dans quel but ?).
prendre le langage qu'on lui adresse et à mieux parler[ ... } En apprenant à
parler, en construisant son langage, il s'approprie tout ce que le langage Le texte reprend également à son compte les résultats de recherches
véhicule d'expériences, de connaissances, d'émotions. En se famîlîarisant montrant la continuité entre la maîtrise de l'oral et l'initiation à l'écrit : le
avec le langage de l'écrit, il accède à tous les livres, ceux qu'on lui lit goût de la lecture, de la fréquentation des livres et des bibliothèques et des
comme, plus tard, ceux qu'il lira. C'est le gage d'une bonne scolarité ulté- livres s'ancre dans le plaisir du langage ; de même il existe un lien entre la
rieure. compréhension du langage oral et l'apprentissage de la lecture par exemple.
Plus loin dans le texte : En même temps la spécificité de l'écrit est bien prise en compte :

[il appartient à l'adulte] de créer les occasions de lier l'expérience au lan- Le rôle de l'adulte qui oralise et fait découvrir les textes, qui écrit sous la
gage. C'est lui aussi qui, par ses échanges avec l'enfant, lui permet de dictée des enfants en régulant leur activité ou encore qui, à travers sa
progresser dans la construction de la langue et d'en mettre en œuvre le propre écriture, montre à l'enfant comment ses paroles se transforment en
fonctionnement. [Les] activités gardent leurs propres finalités, en dehors passant à l'écrit, est ici un point de départ essentiel.
de l'acquisition linguistique proprement dite et, pour être efficaces dans ce C'est bien toujours la recherche du sens qui est ici à l'œuvre, ce qui
domaine aussi, elles doivent conserver cette orientation. devrait éviter aux enfants des épisodes comme celui décrit avec humour par
On retrouve dans le texte ministériel des conceptions largement repré- Durif (1986, p. 100) :
sentées en psychologie du développement, inspirées en particulier par Il est aberrant que des enfants qui racontent ensemble : « Oh a été se pro-
Bruner (1983) et une nouvelle lecture des travaux de Wallon (1949). mener, pis on a ramassé des petites fraises», se retrouvent, sans préavis
L'approche fonctionnaliste est également présente en psychologie cognitive généralisé à tous, devant un tableau portant ce texte: «Nous sommes
au sens large, voire dans le domaine de l'intelligence artificielle, lorsque les allés nous promener et nous avons cueilli des fraises des bois ». Ou,
conduites sont définies par leurs effets adaptatifs, transitoires ou perma- mieux encore, qu'ayant évoqué les ouistitis ou les biches du Jardin des
nents. Dans ce cadre théorique, l'analyse des conduites, dans la mesure où
Les obiectifs de l'école maternelle tes objectifs de l'école maternelle

plantes, ils se trouvent face au «texte~ libre» : «Au zoo, il y a des gazel- essentiel dans cette formation, à la fois en formation initiale et en formation
les, des zèbres et des zébus», pour bien servir la cause que l'on devine ! continue.
Quoi qu'il en soit, on sait bien qu'il existe souvent un certain décalage
entre les textes officiels et la pratique des classes. Faut-il pour autant parta-
liEn guise de conclusion ger le point de vue d'un historien de l'éducation, A. Prost (1968), lorsqu'il
écrit : la pratique « est trop multiforme pour se laisser réduire à des schémas
absolus » ? ou encore, prenant en compte les contradictions liées à l'alter-
nance des conceptions, peut-on encore s'étonner qu'il soit si rare que « l'on
A travers cette présentation des textes qui régissent l'école maternelle et
rencontre des instituteurs fidèles à la pédagogie des instructions >> (p. 279) ?
de leur évolution, notamment pour les activités de langage, nous voudrions
proposer au lecteur quelques éléments de réflexion. Il semble que les textes récents constituent, depuis 1985, davantage une
continuité, une précision, un approfondissement des conceptions, plutôt que
Les textes ministériels en matière d'éducation sont le reflet, avec parfois
des contradictions. Faut-il y voir un consensus national sur la mobilisation,
quelque décalage temporel, des connaissances scientifiques autour de
au moins idéologique, contre l'échec scolaire précoce ?
l'enfant et des apprentissages. Comme celles-ci, ils évoluent, avec le souci
général chez leurs auteurs, de se fonder sur ce qui fait l'objet d'un certain
consensus dans la communauté scientifique. Aussi doivent-ils être lus en
relation avec les cadres théoriques qui les inspirent, sous peine d'être
détournés de leur sens.
Ils doivent également tenir compte des pratiques pédagogiques à l'œuvre
dans l'école maternelle et correspondent aussi à des choix pragmatiques, en
fonction des savoir-faire des enseignants.
Ils constituent également des choix politiques, au sens large, en matière
d'éducation, qui ne sont pas indépendants de conceptions de la société et du
rôle fixé à l'enseignement dans un pays, et résultent souvent de conflits de
pouvoir entre divers groupes de pression. Là encore, il est nécessaire que
les enseignants soient au clair sur ces choix, pour mieux situer leur pratique
personnelle : leur formation doit les y inciter.
La diffusion de ces textes auprès des enseignants passe par divers
niveaux de l'institution : les inspecteurs de l'Éducation nationale sont char-
gés de les expliquer, d'assurer les conditions de leur mise en œuvre, voire
d'en vérifier l'application effective ; les enseignants disposent également
d'associations professionnelles, de publications qui peuvent les aider dans la
compréhension, la mise en œuvre, la critique de certaines dispositions ; les
IUFM (instituts de formation des maîtres) jouent également un rôle
Le langage
ou les conduites langagières ?

Qu'apprend-on exactement en « apprenant le langage» ? Un répertoire


de mots ? Des règles d'organisation du discours ? Savoir utiliser ces outils
en tenant compte de la situation dans laquelle on se trouve, la situation étant
caractérisée par exemple par les interlocuteurs et leurs caractéristiques
personnelles, le but de l'échange verbal ou encore le type de texte auquel on
est confronté et l'usage que l'on veut en faire ? Un peu tout cela, certai-
nement, aux différentes étapes de sa construction.
L'étude du développement du langage a beaucoup évolué en psycho-
logie, parallèlement aux évolutions théoriques et méthodologiques de cette
discipline. Ses intérêts se sont portés d'ailleurs successivement sur les
aspects ci-dessus, histmiquement à peu près dans l'ordre où nous les avons
énumérés:
Le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

11 On s'est d'abord attaché à décrire le répertoire de mots compris et d'un dispositif inné d'acquisition, peu modifié par l'influence de l'environ-
produits par les enfants, depuis les premiers mots de la fin de la pre- nement.
mière année, jusqu'aux répertoires des adultes ; on a voulu dégager les Ces conceptions extrêmes ne sont plus guère défendues avec vigueur
règles de l'acquisition des significations. actuellement dans la communauté scientifique et beaucoup de psychologues
111 Puis on s'est intéressé à l'organisation des énoncés et à la mise en adoptent plutôt une perspective interactionniste et dynamique, dans laquelle
évidence de « grammaires » et de règles de construction correspondant à l'enfant et son environnement s'influencent réciproquement au cours du
différentes étapes de l'acquisition. développement, ou une approche pragmatique centrée sur la fonction de
11 Actuellement les préoccupations portent sur les formes et sur les communication du langage. Les approches récentes en psychologie
mécanismes des échanges communicatifs et langagiers de l'enfant avec cognitive devraient, au cours des prochaines années, apporter un renouvel-
son entourage : on n'apprend pas tout seul à construire son langage ... lement des données dans le domaine du développement du langage chez
Les apprentissages langagiers s'ancrent dans des situations de com~u­ l'enfant ; actuellement elles s'intéressent surtout au fonctionnement de
nication construites par les partenaires privilégiés de l'enfant, en premier l'adulte, normal ou cérébro-lésé, et leurs incursions dans la psychologie du
les parents et les adultes en général. Mais plutôt que de parler de l'acqui- développement concernent essentiellement l'activité de lecture.
sition du langage, on considère que l'enfant acquiert un répertoire de
conduites langagières, dont le volume et les caractéristiques dépendent, Reprenons ces différentes perspectives de manière plus détaillée.
pour une large part, des situations rencontrées.
Examinons les conditions de cette acquisition, ses étapes et les proces- 1 • I.e courant béhavioriste
sus cognitifs sous-jacents.
Pour les béhavioristes classiques comme Skinner, psychologue améri-

1
cain (1904-1990), le langage est un comportement et relève des lois géné-
rales du comportement. Le comportement verbal est une réponse à des
Les conditions de l'acquisition stimuli, et dépend donc d'éléments de la situation (externes ou internes).
L'enfant apprend le langage en utilisant des mécanismes d'apprentissage
non spécifiques, qu'il utilise aussi pour les autres comportements. La posi-
tion béhavioriste laisse très peu de place à l'innéité et suppose seulement
La psychologie de la première moitié du xxe siècle présent~it des
que l'enfant, à la naissance, dispose d'une capacité générale d'apprendre. En
options très tranchées et contradictoires pour rendre compte du develop-
outre, le courant béhavioriste ne reconnaît pas de statut particulier à l'enfant
pement cognitif et langagier de l'enfant. En effet: le c~urant béhaviorist~ 1
dans l'analyse fonctionnelle du comportement; on considère seulement des
considérait l'enfant comme une « table rase » qm se developpe parce qu Il
différences de niveau de complexité entre l'enfant et l'adulte dans l'organi-
reçoit des stimulations et des renforcements de son. enviro~n~m~nt. A
sation du comportement.
l'opposé, dans une conception maturationniste, certams constderat~nt le
développement comme l'expression d'un programme interne à l'orgamsme, «L'habitude verbale», comme les autres habitudes, corresgond à l'asso-
ciation entre un stimulus et une réponse par l'effet d'un éveiltuel renfor-
« Behavîor >> signifie comportement. Du point de vue théorique, le béhaviorism~ classique
cement. Selon Reuchlin (!986), le comportement verbal est une variété de
expliquait l'activité psychologique par l'association entre stimulus et rép_onse, _en ~ejetant toute « comportement opérant » : un « opérant » émis dans des circonstances
variable intermédiaire. Cette position est aujourd'hui dépassée, ce qUJ ne sig~Ifie pas p~ur déterminées (par exemple : l'opérant «de l'eau ! » émis lorsque l'enfant a
autant que les apports méthodologiques du béhaviorisme soient rejetés : ~e souc1 ~e constrm~e
ta psychologie sur la base de faits observables par tous demeure une preoccupatiOn partagee soif) a un effet sur l'environnement qui exerce un effet en retour sur l'orga-
par les psychologues scientifiques. nisme ayant émis cet « opérant » (par exemple, en donnant un verre d'eau à
Le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

l'enfant) ; tout« opérant» (verbal ou non) acquiert de la« force» (une pro- Dans la conception de l'interaction avancée par la théorie de l'apprentissage
babilité d'émission ou d'apparition) lorsqu'il est suivi fréquemment d'un social, conception analysée en détail plus loin comme un processus de déter-
événement appelé« renforcement» (dans l'exemple ci-dessus: obtenir un minisme réciproque, le comportement, les autres facteurs personnels et les fac-
verre d'eau). teurs environnementaux opèrent tous comme des déterminants interdépendants
les uns des autres. Les influences relatives exercées par ces facteurs interdé-
Ainsi, dans les premières étapes de J'apparition du langage, une approxi- pendants diffèrent selon les situations et les comportements[ ... ] (p. 16)
mation grossière de l'opérant verbal est renforcée par l'entourage dès qu'elle Dons le cadre de la théorie de l'apprentissage social, les individus ne sont
apparaît, puis on exige progressivement une approximation de plus en plus pas vus comme menés par des forces internes non plus que simplement mus
fine. Les expressions de l'enfant qui ne sont pas renforcées disparaissent par par des stimuli environnementaux. Le fonctionnement psychologique y est
extinction. expliqué en termes d'une interaction continue et réciproque entre les détermi-
nants personnels et environnementaux. Au sein de cette approche, les proces-
Plusieurs critiques ont été adressées à cette approche : elle ne reconnaît sus symboliques, vicariants et autorégulateurs ont un rôle éminent.
pas de spécificité au langage ; elle est plutôt réductionniste et traite Je langa- Les théories psychologiques ont traditionnellement supposé que l'apprentissage
ge en termes de stimulus, réponse, renforcement, c'est-à-dire comme les ne peut se faire qu'en accomplissant une action et en faisant l'expérience de
comportements les plus élémentaires et les plus simples, sans tenir compte ses conséquences. En réalité, pratiquement tous les phénomènes d'apprentis-
des processus mentaux, des stratégies, de l'intervention active du sujet dans sage par expérience directe surviennent sur une base vicariante, c'est-à-dire
l'élaboration de son comportement. en observant le comportement des autres et les conséquences qui en résultent
pour eux. Le fait de pouvoir apprendre par observation rend les gens
Néanmoins, le béhaviorisme a permis de recueillir un nombre considé- capables d'acquérir des répertoires comportementaux larges et coordonnés
rable de données empiriques (voir par exemple Ehrlich, 1975), et de déve- sans avoir à les élaborer graduellement par un processus laborieux d'essais et
lopper une démarche expérimentale très précise qui reste utile, même si les d'erreurs.
aspects théoriques initiaux de cette théorie sont aujourd'hui contestés, y Le raccourcissement du processus d'acquisition au moyen de l'apprentissage
compris par ceux qui pourraient être qualifiés de néo-behavioristes ou de par observation est vital à la fois pour le développement et la survie [ ... ]c'est
béhavioristes sociaux (Bandura, 1980; Rondal, 1983 par exemple). pour cette raison qu'on n'apprend pas aux enfants à nager, aux adolescents à
conduire une voiture automobile, et aux étudiants en médecine à effectuer une
intervention chirurgicale en les laissant découvrir par eux-mêmes les compor-
tements appropriés à travers les réussites et les échecs [ ... ]
lill Bandura : la théorie de l'apprentissage social1 Certains comportements complexes ne peuvent être produits que par mode-
l'apprentissage par observation et le modelage lage. Si les enfants n'avaient jamais l'occasion d'entendre les productions ver-
bales des modèles autour d'eux, il serait virtuellement impossible de leur
Les développements intervenus en théorie du comportement ont déplacé enseigner le savoir-faire linguistique qui fonde le langage [ ... ] Lorsque de
l'accent dans l'analyse causale des déterminants internes à une étude détaillée nouvelles formes de comportement ne peuvent être transmises effectivement
des influences externes sur le comportement humain. Le comportement a été qu'au moyen d'indices sociaux, le modelage est une partie indispensable de
systématiquement analysé, en termes de conditions de renforcement qui le l'apprentissage. (p. 19·20)
maintiennent [ ... ](p. 14)
A. Bonduro, L'apprentissage social, Bruxelles, Mdrdoga, 1980.
La plupart des auteurs qui s'intéressent à la controverse sur les déterminants de
la variation comportementale ont finalement adopté le point de vue selon
lequel le comportement est la résultante de l'interaction des personnes et des
situations plutôt que l'influence d'un des deux facteurs considérés séparément
[ ... ][p. 15)
Le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

2. I.e courant maturationniste et les travaux de Chomsky tiques, syntaxiques et sémantiques d'une classe infinie de phrases pos-
sibles. (p. 65)
Le théoricien de référence dans ce domaine est Arnold Gesell, psycho-
logue et pédiatre américain (1880-1961) qui s'est attaché à une description Ce système est fixe, propre à l'espèce humaine et génétiquement déter-
détaillée des séquences du développement psychologique, en utilisant des miné, et il correspond à un «dispositif inné d'acquisition du langage» (le
techniques d'observation très précises. Il est à l'origine des premiers« baby- LAD, Language Acquisition Deviee). Chomsky fait même l'hypothèse que
tests »,ces outils destinés à donner des repères aux praticiens pour situer les ce LAD pourrait constituer un mécanisme neurologique particulier, ce qui
performances et les comportements individuels par rapport à des normes de n'a pas été démontré à l'heure actuelle, même si les travaux récents en
développement. neuropsychologie confirment la spécialisation à la fois anatomique et fonc-
Pour Gesell, l'existence d'un ordre fixe d'apparition des comportements tionnelle de l'hémisphère gauche pour le langage, et l'existence de plusieurs
ensembles de réseaux neuronaux intervenant dans le traitement du langage,
renvoie à une programmation interne, comme c'est le cas pour la croissance
en compréhension et en production. Comme le dit fort justement Pêcheux
physique. L'expérience et l'apprentissage ont peu d'effet sur cet ordre, et les
différences interindividuelles ne sont que l'expression de différences innées, (1994, p. 71):
qui émergent progressivement sous l'effet de la maturation. A l'appui de Quelles liaisons entre des structures neurologiques et une compétence
cette théorie, on pourrait citer les échecs des apprentissages trop précoces peut-être innée à distinguer entre verbes et substantifs? A tout le moins
ou encore les retards de développement limités lorsque de jeunes enfants, bien des avancées sont encore nécessaires pour fonder une telle interpré-
· victimes de certaines privations éducatives, retrouvent des conditions nor- tation.
males d'apprentissage ou d'exercice. Mais ces résultats sont obtenus essen-
Les apports de Chomsky n'en restent pas moins très importants, notam-
tiellement dans des activités motrices (déplacements ou manipulation
ment pour l'analyse des structures de construction du langage (grammaire
d'objets) ou concernent les premières années de la vie.
générative) et pour la distinction (contestée elle-aussi) entre compétence et
On a fait l'hypothèse de « périodes critiques » qui constituent des limites performance. La compétence peut être définie comme l'ensemble de règles
temporelles à l'intérieur desquelles certaines acquisitions sont possibles I et linguistiques que posséderait tout individu par rapport à sa langue, qui
l'exemple des «enfants sauvages» (qui auraient été élevés sans environne- s'actualiserait dans ses comportements verbaux, c'est-à-dire dans ses actes
ment humain) sert souvent de référence, notamment pour le développement de performance ou ses conduites langagières effectivement observables
du langage. (production d'énoncés, compréhension du discours, etc.). Mais une langue
présente-t-elle réellement le caractère monolithique impliqué par cette
Le prolongement de ce courant se retrouve dans les travaux de Noam
Chomsky dont l'ouvrage Syntactic structures (1957) marqua le renouveau notion de compétence ?
de la recherche en linguistique et se trouva au centre des débats des années
60 en psychologie du langage.
Ill Compétence. Ensemble des savoirs linguistiques d'un locuteur, qui lui
Selon Chomsky (1979):
permet de comprendre et de produire un nombre infini de phrases.
On peut envisager une grammaire, représentée d'une manière ou d'une Dans la théorie de N. Chomsky, la compétence s'oppose à la performance,
autre dans l'esprit, comme un système qui spécifie les propriétés phoné- d'une façon pas très éloignée de celle dont la langue s'oppose à la parole
chez F. de Saussure. Toutefois, la notion de compétence se rapporte à un
Des « périodes critiques>) ont pu être identifiées chez certains animaux, notamment pour locuteur individuel, alors que la langue est une entité sociale. Dans les
J'apprentissage du chant chez des oiseaux ; elles sont contestées chez les mammifères, et en premières formes de la grammaire générative de Chomsky, il revenait à la
particulier chez l'homme.
seule linguistique de mettre au jour les règles qui constitue la compétence, et à
Le langage ou les conduites langagières ?
Le langage ou les conduites langagières ?

la psychologie d'étudier la performance, c'est-à-dire de déterminer comment


ces règles fonctionnent chez le locuteur réel, avec les limitations dues aux
3. Les perspectives cognitives actuelles
insuffisances de sa mémoire et de son système de traitement cognitif. A partir des années 80, un certain nombre de chercheurs, dans la lignée
Postérieurement, on a essayé d'élaborer des modèles de compétence, qui des idées de Chomsky, et à la suite des travaux de Fodor (1983), ont
tentent de décrire celle-ci d'un point de vue psychologique. continué à défendre la thèse d'un langage autonome, d'un « module » ayant
Bien que la distinction entre compétence et performance ait connu un grand sa structure propre, indépendant du reste de la vie mentale. La conception
succès, un certain nombre de psychologues du langage pensent auiourd'hui modulariste du traitement du langage fait de celui-ci un « système périphé-
qu'on doit la relativiser. La notion de compétence individuelle devient alors un
rique » spécialisé dans le traitement des données verbales, imperméable à
cas particulier de la ~ capacité», ou, si celle-ci est élevée, d'expertise.
tout autre type d'information (connaissances générales, contexte, etc.) et à
j.-F. le Ny, Grand Dictionnaire de la Psychologie, Paris, larousse, 1991.
tout contrôle central, d'où la rapidité de son fonctionnement. Ce module
reçoit par exemple à l'entrée le produit de l'analyse acoustique effectuée par
les transducteurs sensoriels ; à la sortie il fournit la forme linguistique de
Les comparaisons interlangues montrent l'existence d'invariants cogni- l'énoncé, et probablement sa forme logique ; il appartient ensuite aux
tifs associés à la représentation du temps, de l'espace, de la causalité, des systèmes centraux, non modulaires, de l'interpréter à partir des caractéris-
relations agent-action. Mais, comme le souligne Michèle Kail (1992, tiques de la situation et des connaissances générales. Ce système repose sur
p.22): une architecture neuronale fixe, et ses principes de fonctionnement sont
biologiquement déterminés (voir par exemple les travaux de Mehler sur les
Même si l'on fait l'hypothèse que des processus universels sont impliqués
capacités linguistiques du nouveau-né: Mehler & Dupoux, 1990).
dans le développement du langage, chaque langue pose à l'enfant un
ensemble de problèmes spécifiques, la question centrale étant de savoir si Cette perspective a servi de base aux développements des modèles
et comment la structure de la langue à acquérir affecte le processus informatiques construits sur une architecture du traitement de l'information
d'apprentissage lui-même. et suppose une conception essentiellement syntaxique et formaliste du
langage, qui est loin de faire l'unanimité des linguistes. Elle a aussi permis
En outre, une langue correspond à de nombreux usages et registres d'uti-
de développer de nouveaux travaux sur l'accès au lexique : le lexique
lisation, et non pas à un seul : la réplique connue« si j'aurais su, j'aurai pas
mental serait constitué de« formes» qui seraient d'abord« activées», iden-
venu » et « si j'avais su, je ne serais pas venu » sont comprises par des fran-
tifiées par des processus automatiques « de bas en haut )) ; la signification
cophones, même si la première ne correspond pas au registre « standard >'>
correspondant à la forme lexicale ne serait sélectionnée qu'ensuite, sous
du français. Il faut également ajouter que la prise en compte des conditions
l'effet de traitements «de haut en bas», guidés par les connaissances géné-
de l'énonciation joue un rôle important dans le traitement du langage : les
rales et le contexte ; le traitement de la signification serait donc un proces-
locuteurs doivent savoir qu'une question peut, selon les cas, solliciter une
sus «post-lexical», qui interviendrait en sortie du module lexical, celui-ci
demande d'information ( « Quel jour sommes-nous ? ») ou une action
n'étant pas soumis aux effets du contexte. Cette conception trouve des
( << Peux-tu fermer la fenêtre ? >> ). Un système formel de description des
applications actuellement dans le champ de la psychologie cognitive de la
langues ne peut rendre compte des processus psychologiques de traitement
lecture (voir par exemple Fayal et al., 1992). Les données actl,\elles quant à
du langage, et la définition de la notion de compétence doit être plus large
l'existence de processus spécialisés, fonctionnant de façon modulaire, ne
que celle donnée par Chomsky pour rendre compte des aspects fonctionnels
semblent pas décisives, mais permettraient plutôt d'affirmer une modularité
du langage et de sa dimension culturelle.
partielle de certains niveaux de traitement ; leur perméabilité à certaines
informations de niveau supérieur ne serait pas exclue ; ils pourraient
constituer le produit d'une automatisation plutôt que d'avoir une origine
Le langage ou le.s conduites langagières ? La langage ou les conduites langagières?

innée. La distinction entre traitements contrôlés et traitements automatisés énoncé, etc.). On a pu de cette manière vérifier l'hypothèse de la modularité
constitue l'un des thèmes majeurs de la psychologie cognitive contempo- de certaines composantes de traitement (phonologique, sémantique, syntaxi-
raine : les premiers supposent la mise en œuvre d'une série d'opérations, ils que, etc.) ; on a également pu repérer les aires cérébrales activées par
sont lents, ils nécessitent un effort de la part du sujet, et leur activation gêne différents mots en fonction de leur modalité de présentation (visuelle,
la mise en œuvre d'autres traitements ; les seconds sont rapides, peu auditive) et du type de traitement effectué (réception passive, répétition d'un
coûteux, et leur mise en œuvre, étant indépendante des limitations des mot, production d'un mot sémantiquement associé) : la tâche la plus
ressources cognitives, laisse la place à des traitements parallèles; les complexe (association sémantique) active un ensemble important de régions
processus cognitifs automatisés sont irrépressibles : on ne peut pas ne pas du cerveau, et en particulier celles du lobe frontal. Diverses hypothèses
les exécuter lorsque les conditions externes de leur déclenchement sont cognitives ont ainsi pu être testées, sur des sujets normaux et des sujets
remplies. Bien des activités seraient ainsi automatisées chez l'adulte ou cérébro-lésés : dans le domaine de la lecture de mots par exemple, l'absence
l'expert, alors qu'elles demeurent contrôlées chez l'enfant (ou le novice). d'activation de l'aire associée au traitement phonologique laisse penser que
l'accès à la signification ne passerait pas par un processus d'encodage
Pour beaucoup d'autres chercheurs, le traitement du langage n'est qu'un
phonologique. L'approche cognitiviste en neurosciences devrait permettre,
des aspects du fonctionnement mental général. Dans le cadre des modèles
au cours des prochaines années, d'établir les corrélats neurobiologiques de
connexionnistes, le fonctionnement cognitif est conçu comme celui d'un
phénomènes cognitifs décrits par la psychologie, tels le traitement et peut-
grand nombre de processeurs spécialisés, constituant un réseau d'inter-
être l'acquisition du langage.
connections nombreuses et fonctionnant non pas en traitement séquentiel,
comme dans les modèles précédents, mais en traitement parallèle (cf. Ainsi qu'on le voit, le débat est loin d'être clos, mais, comme le souligne
McClelland, Rumelhart et al., 1986). Ces modèles sont inspirés du fonc- Caron (1992), dans tous les cas, la nature des mécanismes que l'on cherche
tionnement du cerveau (sans que l'on puisse pour l'instant trouver une réelle à dégager est la même :
correspondance entre la notion de réseaux connexionnistes et le réseau L'approche en termes de traitement de l'information, qui s'est progressive-
neuronal). Ces modèles rendent compte de plusieurs aspects intéressants ment imposée au cours des 20 dernières années, et qui a marqué la rupture
dans le traitement du langage : le traitement simultané d'un nombre impor- de la psychologie avec le paradigme béhavioriste, constitue le terrain
tant de contraintes différentes, la possibilité de rendre compte de processus commun de toutes les recherches. (p. 24)
interactifs et de certains aspects modulaires du traitement, la capacité à
traiter des informations incomplètes, et certains aspects des processus Ces recherches en psychologie cognitive, au sens large, devraient avoir
d'apprentissage. dans les années prochaines des prolongements dans le champ de la psycho-
logie du développement et nous apporter des données, encore limitées
Les travaux actuels de neuropsychologie cognitive (cf. Segui, 1994),
actuellement, sur le fonctionnement psychologique des jeunes enfants et
grâce à de nouvelles méthodes d'étude de l'activité cérébrale (tomographie
l'acquisition du langage!.
par émission de positons, TEP) permettent d'aborder plus précisément
l'étude des relations entre l'organisation cérébrale et l'organisation cognitive
dans certains domaines du traitement du langage. Alors que la neuropsy-
Outre les références citées dans le texte, le lecteur pourra se reporter, pour deS'i:liscussions sur
chologie classique s'intéressait aux seules structures cérébrales (hémisphè- ces différents cadres théoriques, aux ouvrages suivants :
res, lobes, aires cérébrales), le niveau de la description est devenu celui des 9Py G., L'enfant et l'école maternelle: les enjeux, Paris, Armand Colin, 1993, p. 53-63.
~ Weil-Barais A sous la dir. de, L'homme cognitif, Paris, PUF, 1993, troisième partie.
réseaux neuronaux locaux ou des neurones individuels.
• Gaonac'h D., Golder C., coordonné par. Manuel de psychologie pour l'enseignement, Paris,
On a ainsi commencé à étudier les variations de l'activité électrique Hachette Éducation, Profession enseignant, 1995. Voir notamment: partie 1, «La psycho-
logie cognitive>~ ; partie 3, «La lecture-compréhension, fonctionnement et apprentissage»,
corticale lors de traitements linguistiques (lire des mots, comprendre un «Les troubles cognitifs de la scolarité ou la galaxie dys >>.
Le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduite5 langagières ?

4. La perspective interadionniste et dynamique pement des compétences du novice. Le développement langagier se réalise
dans des interactions avec l'entourage de l'enfant ; les personnes qui le
II peut paraître évident que la construction du langage chez l'enfant n'est
constituent contribuent activement à guider, réguler, terminer le comporte-
pas indépendante des échanges verbaux qu'il peut avoir avec son entoUrage.
ment de l'enfant. Vygotsky distingue le " développement actuel de
Néanmoins, ce n'est qu'à partir des années soixante-dix que ces échanges
l'enfant» et la « zone proximale de développement» : la première corres-
verbaux, notamment dans les premières années de la vie, sont devenus objet
pond aux capacités de l'enfant à réaliser seul des activités, sans aide ; la
de recherches : évolution théorique, nouvelles méthodologies et techniques
seconde est l'écart entre la première et ces mêmes capacités avec l'aide, le
d'enregistrement sont à l'origine de cet intérêt relativement récent en psy-
guidage ou la collaboration d'autres personnes, « agents » du développe-
cholinguistique développementale. Encore convient-il de souligner que
ment. Ce modèle théorique est largement utilisé pour étudier l'enfant d'âge
l'ancrage social du langage avait déjà été souligné depuis fort longtemps :
scolaire et préscolaire, mais son application aux premiers mois de la vie
dans les années trente en URSS par Bakhtine et par Vygotsky (voir
reste encore problématique, comme le souligne Pécheux (1994), compte
Schneuwly & Bronckart, 1985), dans les années cinquante aux USA par le
tenu du poids des phénomènes de maturation.
groupe de Palo Alto notamment (voir Bachmann et al., 1981). Ces travaux,
découverts ou redécouverts bien des années plus tard, inspirent de nom-
breuses recherches actuelles.
111 Vygolsky : le rapport entre développement
A la base de ces recherches, se trouve la notion d'interaction, c'est-à-dire et apprentissage ; les caractéristiques de ce rapport
toute action conjointe mettant en présence au moins deux acteurs•. Cette à l1âge scolaire
notion ne se limite pas au domaine verbal ; tout comportement (un choix
C'est une constatation empirique, souvent vérifiée el indiscutable, que
vestimentaire, un geste ou une absence de geste) engendre du sens, d'où le
l'apprentissage est en relation avec le niveau de développe~enl de l'enfant. Il
principe célèbre du groupe de Palo Alto2 : «on ne peut pas ne pas commu- n'est pas du toul nécessaire de fournir une preuve pour demontrer qu on ne
niquer». peut commencer à enseigner la lecture et l'écriture qu'à un âge déterminé,
que l'enfant n'est en mesure d'apprendre l'algèbre qu'à un certain âge aussi.
En outre, si l'on considère, comme Vygotsky3, que l'individu est le
Nous pouvons donc tranquillement prendre comme point de déport le fait
résultat de ses rapports sociaux et le développement cognitif l'intériorisation fondamental et incontestable qu'il existe une relation entre un niveau donné de
d'une culture, il est tout à fait indispensable de comprendre comment développement et la capacité P?lentielle d'apprentissage [ .. :]11 est néces_soir~
l'interaction entre l'enfant et son environnement constitue le moteur de de déterminer ou moins deux ntveaux de developpement, smon on ne reussit
l'acquisition du langage, comment les plus experts contribuent au dévelop- pas à trouver la relation entre développement et possibilité d'apprentissage.
Nous appelons le premier de ces niveaux développement act~el de l'enf?nf. Il
correspond ou degré de développement atteint par les fonct1ons psych1ques
Ce rôle central de l'interaction entre J'enfant et son environnement se retrouve dans plusieurs de l'enfant.
théories du développement cognitif, notamment chez Piaget, et sous des formes différentes Lorsqu'on définit l'âge mental d'un enfant à l'aide d~ tests, on, por!e. justement
chez Wallon et Bruner. de ce développement actuel. Mois comme le demontre 1 experience, ce
2 Il s'agit d'un mouvement d'idées qui s'est développé dans cette ville, banlieue de San niveau de développement actuel de l'enfant ne permet pas de définir complè-
Francisco vers le milieu des années cinquante, à l'initiative de l'anthropologue Bateson ; il a tement l'état de développement d'un enfant à un moment donné. lrttoginons
proposé de nouvelles approches en psychiatrie, en étudiant notamment la communication
que nous avons soumis deux enfants à un examen et que nous avons fixé leur
entre le schizophrène et son environnement, constituée de messages paradoxaux.
âge mental à sept ans. Cela signifie que les deux enfants sont en mesure de
3 Vygotsky, psychologue soviétique (1896-1934), élabora une théorie historico-culturelle du
résoudre des tâches accessibles à des enfants de cet âge. Mois si nous
psychisme. Selon lui, J'intelligence se développe grâce à certains outils psychologiques
fournis par l'environnement social, dont le plus important est Je langage ; l'activité pratique essayons de leur foire résoudre d'autres tests, une différence importante peut
serait intériorisée en activités mentales de plus en plus complexes grâce au langage, source de apparaître entre eux. A l'aide de questions posées, d'exemples, etc., l'un
la formation des concepts. Ses travaux furent longtemps censurés comme antimarxistes. pourra résoudre facilement des tests adoptés aux sujets de deux ons plus
le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

ages ; l'outre par contre, résoudra seulement le test qui dépasse de six mois Cette conception sociale du sujet, présente dans différentes sciences
son âge. humaines, a conduit à considérer le langage, non plus seulement comme un
Nous rencontrons ici des faits permettant de définir le concept de zone proxi- moyen d'encoder des significations, mais comme un moyen d'action sur
male de développement. Il s'agit d'un concept lié à son tour à une réévolua- autrui, installant une relation entre deux ou plusieurs personnes ; il s'agit de
t"lon du problème de ]'·Imitation dans la psychologie contemporaine.
comprendre non seulement comment l'enfant acquiert les « outils» du
Le point de vue communément accepté est de considérer l'activité autonome
de l'enfant et non pas l'imitation comme seule indication possible du degré de langage (structures lexicales, concepts, relations sémantiques, règles
développement mental. Cette opinion est à la base de tous les systèmes syntaxiques), mais aussi comment il apprend à les utiliser dans ses activités
modernes de mesure psychologique. Pour évoluer le développement mental, de communication avec son environnement humain.
on ne tient compte que des tests que l'enfant résout seul, sans l'aide des outres
et sans être aidé par des questions appropriées[ ... ]
Plus précisément, l'unité de base du langage n'est plus le mot ou la
(L'enfant) peut imiter de nombreuses actions qui dépassent de loin les limites phrase, mais le discours que l'enfant apprend à maîtriser dans ses différentes
de ses capacités. Grâce à l'imitation, dons une activité collective, sous la formes, à travers ses interactions. Cette conception textuelle du langage
d"1rection d'adultes, l'enfant est en mesure de réaliser beaucoup plus que ce conduit à reconnaître l'existence de différents types de discours (récit oral,
qu'il réussit à faire de façon autonome. La différence entre le niveau de résolu- échange de salutations, rédaction écrite, etc.), caractérisés par des structures
tion de problèmes sous la direction et avec l'aide d'adultes et celui atteint seul
et des marques linguistiques partiellement différentes. En ce sens, on
définit la zone proximale de développement.
Souvenons-nous de l'exemple que nous venons de donner, (des deux enfants
considère moins aujourd'hui l'acquisition du langage que la construction
de sept ons) [ ... ] Le développement mental de ces deux enfants est-il le d'un répertoire de conduites langagières, en fonction des différentes
même? Du point de vue de leur activité autonome, oui ; mais du point de vue situations rencontrées par l'enfant. Le prototype de ces conduites
de leur capacité potentielle de développement ils sont très différents. Ce que correspondrait au dialogue, à partir duquel les autres conduites se dévelop-
l'enfant est capable de réaliser avec l'aide de l'adulte délimite sa zone proxi- peraient, en se différenciant.
male de développement. Avec cette méthode nous pouvons tenir compte non
seulement du processus de développement déjà réalisé et des processus de
maturation qui ont déjà eu lieu, mois aussi de ceux qui sont en devenir, qui
sont en train de se développer et de mûrir.
S. L'approche pragmatique
Ce que l'enfant est en mesure de foire aujourd'hui à l'aide des adultes, il Les travaux de psycholinguistique pragmatique prennent en compte la
pourra l'accomplir seul demain [ ... ] Un enseignement orienté vers un stade
fonction de communication du langage ; ils puisent leur inspiration dans des
déjà acquis est inefficace. Il n'est pas en mesure de diriger le processus déve-
loppemental mais est entraîné par celui-ci. La théorie de la zone proximale de
recherches sur l'énonciation (Benveniste, 1966) et dans la philosophie du
développement se traduit par une formulation qui est exactement contraire à langage d'Austin (1969) et de Searle (1972).
l'orientation traditionnelle : fe seul bon enseignement est celui qui précède fe
développement[ .. J La notion d'acte de langage
Choque fonction psychique supérieure apparaÎt deux fois ou cours du déve-
loppement de t'enfant : d'abord comme acNvité collective, sociale et donc
L'unité de base, pour rendre compte des conversations, est l'acte de lan-
comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme activité indivi- gage ou acte de parole : tout énoncé est un acte qui crée des relations
duelle, comme propriété intérieure de fa pensée de l'enfant, comme fonction nouvelles entre l'énonciateur, son partenaire, et le contenu de J_~énoncé. Il
intrapsychique. sert à la réalisation d'un acte social, conventionnel. Cette valeur sociale fait
l.S. Vygotsky, « le problème de l'enseignement et du développement mental partie intégrante de la signification linguistique. On distingue trois dimen-
à l'âge scolaire», 1933, in B. Schneuwly &j.P. Bronckart, Vygolsky auiourd'hui, sions à l'acte de langage :
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, Textes de base, 1985, p. 106 à 111.
le langage ou les conduites langagières '? le langage ou les conduites langagières '?

-l'aspect locutoire : la production de l'acte nécessite une certaine acti- toire, condition de sincérité, contenu propositionnel, intensité de la force
vité mentale : choix et ordre des mots ; elle nécessite aussi une certaine illocutoire, mode de réalisation), plusieurs assertifs peuvent être distin-
activité physique, pour l'articulation de l'énoncé ; guer, pour rappeler ou informer, revendiquer ou se plaindre, rapporter
-l'aspect perlocutoire : l'acte aura des conséquences (prévisibles ou ou prédire, supposer ou affirmer, discuter ou témoigner.
non) : rassurer l'auditeur, le convaincre, l'intimider, le désespérer. .. ; 11111 Les directifs correspondent à des tentatives du locuteur de faire faire
-l'aspect illocutoire : c'est l'aspect le plus important, la fonction de quelque chose à son interlocuteur ; ils permettent d'exiger ou de
communication de l'acte, «ce qu'on veut dire», qui peut être différent demander, d'encourager, d'interdire ou de recommander.
de" ce qui est dit» d'après les règles de la langue. L'exemple canonique 11111 Les promissifs engagent le locuteur à adopter une certaine conduite
est celui de la phrase« peux-tu me passer le sel ? » : il ne s'agit pas réel- dans le futur: ils permettent de promettre ou de menacer, de prêter
lement d'une interrogation (la réponse attendue n'est pas «oui » ou serment, de consentir.
« non » ), mais d'une demande d'action que, pour des raisons de poli- Ill les expressifs permettent d'exprimer un état psychologique du
tesse, on n'exprime pas sous la forme d'un ordre(« passe-moi le sel !). locuteur à propos de l'état du monde :souhait, regret par exemple.
Ill Les déclarations entraînent une modification du statut de l'objet ou
L'approche pragmatique permet de distinguer ce qui est dit, ce que cela
de la personne auxquels elles font référence (exemple: «je vous
veut dire, c'est-à-dire la forme du ,message et la signification transmise.
nomme ministre >> ).
Comment l'enfant va-t-il développer sa compréhension et sa production
Un même énoncé peut correspondre à la réalisation simultanée de plu-
des actes de langage à travers un ensemble de règles, de conventions, de
sieurs actes de langage, à des degrés divers, être à la fois assertif et directif
savoirs partagés, sous-jacents aux communications verbales comme à
par exemple : « il fait froid aujourd'hui » peut informer l'interlocuteur sur
l'ensemble des activités sociales ? Pour cela on considère les grandes caté-
l'état météorologique du jour et correspondre à une demande de fermeture
gories d'utilisation du langage, c'est-à-dire les actes de langage définis par
de la fenêtre.
l'acte social intentionnel réalisé par le locuteur. On considère ensuite les
paramètres qui définissent un acte de langage : l'interlocuteur, plus ou
L'évolution de la compréhension et de la production
moins familier ou compréhensif, la nature du but visé par le locuteur, etc.
Les actes illocutoires indirects (exemple : «je suis fatigué», pour signi-
Les types d'actes de langage fier« porte-moi dans tes bras») proches de l'allusion, de l'insinuation, de
l'ironie ou de la métaphore, ont fait l'objet de nombreuses études
Plusieurs typologies existent ; certaines sont fréquemment utilisées en
psychologiques (Bemicot, 1992).
psychologie du développement. Searle et Vanderveken (1985) distinguent
cinq types d'actes, en fonction de la différence de but ou de propos de l'acte Dès l'âge d'un an et demi, les enfants, dans la mesure où ils répondent
illocutoire (la prière ou l'ordre par exemple), de la différence d'ajustement par des actions appropriées, semblent comprendre autant les demandes indi-
entre les mots et la réalité (par exemple selon que l'on constate ou que l'on rectes conventionnelles que les demandes directes ; à trois ou quatre ans, ils
demande), et de la différence d'état psychologique exprimé: intention, peuvent comprendre des allusions. Certains éléments contextuels jouent un
croyance, désir, regret. rôle plus ou moins facilitateur (contact visuel ou non avec l'interlocuteur ;
11111 Les assertifs manifestent l'engagement du locuteur sur la vérité ou fonction liée ou non à l'activité de l'enfant). Jusqu'à 5 ou 6 ans, la compré-
l'existence d'une proposition exprimée ; le locuteur a des raisons de pen- hension est liée à l'action à réaliser ; au-delà, elle est liée à la compréhen-
ser que le contenu de ce qu'il dit est vrai ; la direction d'ajustement fait sion de l'intention du locuteur, et donc à la possibilité de l'inférer.
que les mots correspondent au monde ; l'état psychologique exprimé est
celui de la croyance. Variant selon plusieurs critères (condition prépara-
Le langage ou les conduites langagières? Le langage ou les conduites langagières ?

des« formats» (Bruner, 1983) qui encadrent l'action de l'enfant et lui per-
• La logique de la conversation
mettent de passer de son niveau actuel à son niveau potentiel (voir chap. 3).
Le phifosophe anglais Grice ( 1975) a cherché à fonder ce type d'inférences
sur ce qu'tl appelle~: une logique de la conversation ». La communication ver-
bale repose, selon lui, sur un principe général, qui est le principe de coopéra-
tion : toute contribution à l'échange conversationnel est présumée corres- !.es étapes de l'acquisition
pondre à ce qui est exigé du locuteur par le but de cet échange. Ce qui
entraÎne que le locuteur est censé : a) fournir autant d'information, et pas plus,
qu'il n'est requis [maxime de quantité); b) n'affirmer que ce qu'il croît vrai, ou 1. les débuts de la socialisation
ce pour quoi il possède des preuves (maxime de qualité) ; c) ne dire que ce
qui est pertinent (maxime de relation); d) être clair, c'est-à-dire éviter l'ambi- Exposés pendant la période fœtale à différentes séquences sonores, les
guïté, l'obscurité, la prolixité, le désordre (maxime de manière). nourrissons manifestent une préférence pour la voix maternelle (première
Toute conversation suppose une acceptation tacite de ces règles, sur les- voix perçue), pour la langue maternelle, et pour des séquences parlées. Dès
quelles se fonde l'interprétation de l'auditeur. Si l'une de ces règles se trouve la naissance, ils établissent des contacts émotionnels avec leur entourage.
ouvertement violée, c'est que le locuteur a une raison X de ne pas l'appliquer, La plupart des stimulations qu'ils reçoivent proviennent d'êtres humains : ils
et qu'il sait que son partenaire est en mesure d'identifier X comme raison de sont très attentifs aux visages, ils tournent la tête vers une personne qui
son infraction : c'est donc une façon indirecte d'énoncer X. Grice appelle ce parle, et entrent ainsi en contact visuel avec elle. A quelques jours de vie,
type d'inférence imp/icature conversationnelle. Ainsi, dans l'exemple cité («tu ils savent différencier l'odeur de leur mère et celle d'une autre personne et
peux me passer le sel ? »), la question posée viole la maxime de pertinence :
sont déjà très sensibles aux contacts physiques et aux caresses qui souvent
le locuteur n'a apparemment aucune raison de s'informer des capacités phy-
les calment et font cesser leurs pleurs.
siques de l'auditeur à déplacer la salière. L'énoncé sera donc interprété
comme un moyen indirect de formuler une requête (el d'exprimer en même Les pleurs et les cris des bébés sont des comportements primitifs, mais
temps que son auteur, par politesse, ne veut pas donner un ordre). qui leur permettent de contrôler le comportement de l'adulte et obtenir la
J. Caron, Précis de psycholinguislique, Paris, PUF, 1992, p. 43-44. satisfaction de leurs besoins. Les sourires, plus tardifs, correspondent à
différents états de bien-être, de contact social, et constituent pour les
parents un stimulus social très puissant auxquels ils réagissent de diffé-
rentes manières, pour les prolonger ou les susciter à nouveau, en reprodui-
sant le comportement qui les a suscités ou en félicitant leur enfant par
Entre 2 et 4 ans les enfants sont en mesure de produire différentes
formes de demandes ; jusqu'à 5 ans celles-ci sont toutefois familières, peu exemple.
précises et marquées de significations implicites. Les marques convention- D'autres comportements sociaux sont également très précoces, et pren-
nelles de la politesse sont plus tardives, ainsi qu'une réelle précision des nent la forme d'une·« danse motrice synchronique» du nouveau-né: il s'agit
demandes. Des adaptations à l'interlocuteur apparaissent dès l'âge de 4 ans, de mouvements d'approche et de retrait, au rythme de la parole de sa mère
selon que l'interlocuteur de l'enfant est plus ou moins âgé, plus ou moins par exemple. En même temps, la mère règle elle-même sa co.wmunication
amical, plus ou moins occupé. avec l'enfant en se fondant sur les mouvements de la tête et des yeux de
Ce sont d'abord les adultes qui vont aider l'enfant à maîtriser la compré- celui-ci : elle accentue les expressions de son visage lorsqu'il la regarde et
hension et la production de ces différents actes de parole et des fonctions de cesse d'interagir lorsqu'il détourne son regard.
communication de l'énoncé, en lui fournissant un «étayage» (Bruner, Ces observations ont surtout été réalisées avec des mères, mais le nour-
1983) à travers lequel on restreint la complexité de la tâche et on construit risson peut aussi tisser des liens avec les autres membres de son entourage,
Le langage ou les conduites langagières? Le langage ou les conduites langagières ?

et notamment avec son père, avec des modes d'interaction partiellement


Il Contingence et contrôle sur l'environnement
différents quelquefois (les conduites de maternage, par exemple, telles que
caresser, parler doucement. .. seraient plus fréquentes chez les mères) : dans Les événements qui suivent le comportement indiquent parfois au bébé qu'il
ces contacts avec différents partenaires, l'enfant apprend à diversifier ses contrôle la situation ou qu'il a réussi la lâche[ ... ] On observe que des nourris·
compétences sociales. A 8 ou 10 mois, il aime beaucoup interagir avec des sons apprennent à tourner la tête du côté où s'allume une lumière ou encore
bébés de son âge, pour peu qu'on lui en fournisse l'occasion : ils se regar- où du lait leur est offert en contingence. Les bébés continuent à tourner la têt~
dent, vocalisent ensemble, s'explorent réciproquement, et peuvent partager même s'ils sont rassasiés et ne boivent plus ou ne fixent plus la lumière. Après
un certain temps, le taux de rotation de tête diminue, comme si l'événement
ou échanger des jouets. L'expérience en groupe de jeunes enfants (en
avait perdu sa valeur de renforcement[ ... ] A ce moment il convient non pas
crèche, chez une assistante maternelle, ou dans d'autres cadres et occasions)
de modifier le stimulus conséquent (lumière ou lait) mais plutôt la tâche à effec-
favorise l'apprentissage de rôles sociaux variés et facilite les contacts avec
tuer (exemple, tourner deux fois la tête du même côté, alterner de gauche à
autrui ; notre modèle culturel - très centré sur le rôle des parents et de la droite, etc.). Le nourrisson ot s'intéresse » alors à la situation. La performance
mère en particulier- oublie quelquefois cette perspective dans la socialisa- serait renforcée par le fait de réussir à allumer la lumière ou foire arriver le lait
tion des jeunes enfants. Les tout-p~tits peuvent apprendre beaucoup sans et non par l'illumination ou le lait en tant que tel. Watson [ 1966) remarqu~
l'intervention des adultes, lorsqu'ils se retrouvent entre eux. que les nourrissons qui contrôlent par leur propre activité les mouvements du
mobile suspendu ou-dessus de leur lit sourient plus que les bébés qui voient les
Le nourrisson naît avec le besoin de contact humain et il va former très
mêmes mouvements non reliés à leur comportement. La contingence entre
vite des liens émotionnels particuliers avec les adultes les plus proches,
l'événement et le comportement aurait un impact particulier[ ... ] Une stimula-
ceux qui ont le plus d'échanges avec lui (sa mère, le plus souvent, mais
tion prend de la voleur parce qu'elle survient en contingence ou comportement
aussi d'autres personnes). D'après la théorie développée par le psychologue
du bébé. Ce dernier explore la stimulation et y porte davantage attention
et psychanalyste anglais Bowlby (voir Zazzo, 1979), cet attachement est quand elle est contingente à son comportement que lorsqu'elle apparaît au
nettement établi vers 6 mois, il s'accentue jusqu'à 14 ou 18 mois et constitue hasard. [p. 991
une dimension fondamentale du développement de la première enfance. Ce [ ... ] Tout comme le système visuel s'atrophie par non-fonctionnement le
lien correspond à des affects particuliers et positifs pour une personne privi- système de« perception de contingence», s'il n'est pas mis en branle dè~ le
légiée (le plus souvent la mère) et se manifeste, physiquement, par la moment où le nourrisson est capable de l'utiliser, pourrait s'atrophier avec la
recherche et le maintien de la proximité. L'attachement serait à la base du perte des structures organiques qui en fournissent la base [ ... ] Une port impor-
sentiment de sécurité plus ou moins grand qu'éprouvera l'enfant ultérieure- tante des expériences de la première enfonce provient des ieux et interactions
ment, de ses capacités à explorer son environnement et à s'adapter à des de l'adulte avec l'enfant. Le lien d'attachement très particulier du parent avec
circonstances nouvelles. son enfant, tout comme l'impact du stimulus social, reposerait sur la contin-
gence presque constante, dans ces situations, entre les comportements de
D'une manière générale, on pourrait dire que les êtres humains devien- l'adulte et ceux du nourrisson. (p. 100)
nent importants pour un enfant dans la mesure où ils- lui fournissent des [ ... ]Si les expériences de contrôle ont des effets favorables sur les conduites
événements contingents, en réponse à ses propres comportements : frotter le du nourrisson, on peut s'interroger sur l'effet d'expériences de non-contrôle ou
nez du bébé chaque fois qu'il agite les jambes, vocaliser régulièrement de non-contingence durant la première enfonce. Dans sa vie quotidienne, le
après un gazouillis, jouer à faire coucou derrière une serviette, ... consti- nourrisson ne contrôle pas toujours les événements autour de lui (18 lumière
tuent des jeux, mais permettent aussi au tout-petit de comprendre que ses s'allume, le parent s'approche sans sollicitation de sa port). (p. 102)
propres actions induisent certains comportements chez autrui ; il perçoit [ ... ]Une absence de contrôle sur les événements pendant une période assez
ainsi qu'il peut contrôler son environnement et celui-ci devient en quelque prolongée (mais de quelle longueur?), et comme expérience dominante,
risque d'avoir des effets néfastes jusqu'à entraîner l'impuissance, la passivité et
sorte prédictible pour lui.
la dépression. Ce risque doit être évité. L'expérience de la contingence, ou
Le langgge ou le:;; conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

contraire, permet l'apprentissage généralisé du contrôle. Le nourrisson devient discriminer et catégoriser suppose de pouvoir segmenter la chaîne du
compétent et efficace pour produire des événements dans son milieu [ ... ] discours parlé : découper en sons ou groupes de sons qui correspondront
L'expérience préalable du contrôle rend plus facile l'acquisition de nouveaux plus tard aux mots. Cette capacité à réaliser un traitement discontinu du
comportements qui contrôlent les événements. Yarrow ( 1979) écrit qu'il est spectre sonore a probablement une origine innée, ce qui ne signifie pas, loin
important pour l'enfant de développer des attentes et une perception de son de là, qu'elle soit d'emblée installée : segmenter la chaîne verbale en mots
propre contrôle sur l'environnement. Ainsi il acquiert un sentiment de compé- est une activité encore difficile pour les enfants d'école maternelle (ce dont
'Ltence et d'autonomie. L'être humain qui perçoit son pouvoir de contrôle peut les enseignants ne sont pas toujours conscients), et qui donne lieu à de
s'adapter à des environnements diversifiés et faire face activement aux situa-.
nombreuses confusions.
lions. [p. 1031
A Pomerleou, G. Molcuit, L'enfant el son environnement, Bruxelles, Mordoga, 1983 Dans les premières semaines, nous l'avons vu, le bébé apprend que ses
--- productions sonores ont un effet, souvent positif pour lui, sur l'adulte. A
deux mois, il a reconnu en celui-ci un partenaire privilégié et vocalise
Les objets d'attachement que l'enfant traîne souvent un peu partout davantage en sa présence qu'en son absence. Dès le troisième ou quatrième
(nounours, mouchoir ... ) sont particulièrement importants pour lui et son r>Ois, la fonction et l'organisation temporelle des échanges mère-enfant les
sentiment de sécurité : en effet ils ont presque toujours été associés à des font ressembler à une sorte de conversation : les deux partenaires ne vocali-
expériences sociales de ce type, c'est-à-dire d'ajustement des comporte- sent plus simultanément, mais à tour de rôle, en laissant entre leurs produc-
ments aux signaux produits par l'enfant. Aussi ne faut-il pas les ôter à tions respectives, un court intervalle de temps qui donne à chacun la possi-
l'enfant sans nécessité, explications et précautions. bilité d'insérer sa réponse. On considère qu'il s'agit là d'une première acqui-
sition de la notion de tour de parole, qui permet d'affirmer et de maintenir le
contact interpersonnel. Ceci est encore un exemple de continuité entre la
2. L'émergence du lcmgage communication préverbale et le langage, dont on peut s'inspirer pour les
De la naissance à la période de l'apparition du langage articulé (aux pratiques éducatives dans le cadre scolaire, notamment pour l'apprentissage
alentours de 18 mois), vont se mettre en place les activités de traitement de de règles conversationnelles.
la parole et un premier système de communication relativement sophistiqué. La même continuité peut être trouvée dans bien d'autres aspects : par
Plusieurs aspects sont particulièrement importants du point de vue éducatif, exemple entre le regard vers un objet ou le geste de pointage (montrer du
et au-delà des premiers mois. doigt ce qu'on ne peut désigner verbalement) et la dénomination plus
Dès la troisième ou quatrième semaine de vie, les enfants peuvent tardive de l'objet; ou encore entre le geste pour obtenir un jouet et une
discriminer deux sons très proches comme « pa » et « ba » : lorsqu 'on leur demande verbalisée qui sera produite et sollicitée quelques mois plus tard.
fait entendre l'un de ces sons de manière répétée, ils finissent par s'habituer Les mères interprètent les gestes et les vocalisations de leur enfant en fonc-
et par ne plus réagir, après l'intérêt manifesté au début ; si le premier son tion des désirs et des intentions qu'elles leur prêtent, dans le cadre de ce que
diffusé est remplacé par le second, leur intérêt renaît, signe que les deux Bruner (1983) appelle des « formats de communication », c'est-à-dire des
« échanges habituels qui fournissent un cadre pour l'interprétation concrète
sons ont bien été discriminés. En outre, les bébés savent distinguer deux
émissions d'un même son de deux émissions de sons différents, ce qui est le de l'intention de communication entre mère et enfant » (p. 17 f). Ce « code
signe d'une première activité de catégorisation (trouver ce qui est commun commun», mis en place dans les premiers mois, va permettre pour l'enfant
au-delà des différences). Cette activité se prolongera plus tard, sous une le développement de la communication. Le langage se développe dans un
forme beaucoup plus élaborée, dans les capacités des enfants à discriminer contexte « de dialogue d'action », dans lequel une action est entreprise
et à catégoriser des noms de fleurs et des noms de fruits, par exemple. Mais conjointement par l'enfant et l'adulte. On peut retrouver des exemples de
Le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

'tels fonctionnements ou s'en inspirer, quelques années plus tard, avec des Après la période des vocalisations, il faut attendre l'âge de 7 ou 8 mois
formes partiellement différentes, lorsqu'un enseignant de maternelle solli- pour que l'enfant commence à produire des formes phonétiquement stables
cite l'expression verbale d'un enfant ou tente de la comprendre. et paraissant co~tenir. qu~lques éléments de signification : par exemple
« tatata » lorsqu on lm presente son repas. Il est quelquefois difficile de
En outre, l'adulte adapte son langage aux capacités de l'enfant (voir comprendre ces expressions, comme les premiers mots quelques mois plus
chap. 3), en utilisant, de manière souvent inconsciente, divers procédés de ta;~· malgré l'aide. du .contexte ; mais les erreurs d'interprétation, lorsque le
simplification de son discours : hauteur tonale plus élevée avec un tout- desir de commumcatmn n'est pas supplanté par le souci correctif, aident
petit, rythme d'élocution plus lent, forte utilisation de mots très fréquents aussi l'enfant en lui montrant que son expression était insuffisante ou
dans la langue ou à référence concrète (désignan.t des personnes, des objets impro~re. Le r~pert~ire verbal va alors se construire lentement jusqu'à
ou des actions en cours, par exemple) ; la longueur moyenne de ses énon- 18 mms (une vmgtame de mots environ), puis connaître une véritable
césl augmente avec l'âge de l'enfant, en étant toujours légèrement supé- explosion avec l'émergence de la pensée symbolique : 300 mots vers 2 ans
rieure à la longueur moyenne des productions de ce dernier. 1 000 vers 3 ans. '
Le discours de l'adulte adressé au tout-petit est très redondant: il com- Vers 18 mois, chaque mot est utilisé seul et a valeur de phrase (période
porte beaucoup d'auto-répétitions et de nombreuses reprises des énoncés holophrastique), avec des significations différentes selon le contexte : ainsi
enfantins, soit exactes, soit avec ajout d'informations. L'adulte formule sou- le mot « auto » peut signifier «c'est mon auto », « l'auto est partie »
vent des demandes d'information ou d'action, des descriptions et des éva- « l'au~o es~ tombée», etc. Vers la fin de la deuxième année apparaît 1~
luations. Ces procédés correspondent à des simplifications ou des tentatives combmat01re permettant la phrase à deux mots, c'est-à-dire le langage
de clarification du discours, et sont assez généralement observés dans diffé- proprement dtt. Les premières productions à deux mots sont souvent des
rentes cultures. Ils contribuent, au moins pour certains d'entre eux, à facili- juxtapositions de deux mots ayant un lien sémantique dans la situation de
ter l'acquisition de la langue par l'enfant, et ne doivent pas être confondus production, dans un style télégraphique : « auto papa» lorsque la voiture
avec «le parler bébé», lui aussi largement pratiqué, fait de simplifications paternelle s'éloigne, « apu gâteau » lorsque le dessert est terminé. Cette
ou de substitutions lexicales2, souvent limitées à quelques mots familiers ou organisation constitue le premier aspect de la syntaxe, un petit nombre de
à forte connotation affective. mo~s.ayant ~ne position fixe dans les énoncés de l'enfant, soit en première
Pour le développement des compétences de communication de l'enfant, position, smt en seconde (les mots-pivots), les autres mots se combinant
l'utilité de tel ou tel procédé de simplification du discours pris isolément avec ceux-ci. Un nombre limité de relations sémantiques rend compte des
reste quelquefois à démontrer; mais on sait qu'il est important de considérer prerniè~es productions à deux mots : agent-action-patient, attribution,
très tôt l'enfant comme un partenaire actif de la conversation, comme un possessiOn, localisation, indication de temps, etc.
véritable interlocuteur qui peut prendre des initiatives et auquel on répond :
parler avec l'enfant plutôt qu'à l'enfant. Pour cet aspect comme pour bien
d'autres, certains tout-petits sont plus avantagés que d'autres dans leurs 3. Le développement langagier
premiers échanges sociaux. A partir de deux ans environ, le développement langagier va s'accélérer
à la fois du point dé vue lexical et sémantique (le répertoire de"înots et leu;
On peut calculer cet indice sur 100 énoncés par exemple, en divisant le total de mots utilisés sens), de celui de la syntaxe et de l'utilisation du langage. Mais ce dévelop-
par 100. pement ne se ln~~te pas à cel~i de la maîtrise du code et de son usage ; il
2 Ce parler bébé a été observé lui aussi dans différentes cultures, mais il n'est pas certain que correspond aussi a un apprentissage culturel, au sens où les êtres humains
tous les parents l'utilisent fréquemment, sauf pour quelques mots familiers ou à forte conno-
tation affective comme <<dodo~> pour << lit~> ou <<dormir>>, «bobo~~ pour « blessure » ou
«avoir mal ».
Le langage ou les conduites langagières? Le langage ou les conduites langagières ?

sont rexpression d'une culture et où la construction du sens est une élabora- partie ou un caractère saillant de cet objet, etc.). En outre, les enfants utili-
tion culturelle. sent différents indices de contexte pour interpréter le sens de mots
nouveaux : une fois qu'ils connaissent un mot désignant un objet, ils vont
Le développement lexical et sémantique
interpréter les termes suivants comme désignant une classe sur-ordonnée ou
Le développement lexical prend deux aspects : l'accroissement du voca- subordonnée, ou des attributs particuliers de l'objet, ou encore une partie
bulaire (le nombre de mots disponibles), et le développement des représen- saillante de l'objet, etc. Ils utilisent également des stratégies de comparaison
tations sémantiques, c'est-à-dire les modifications dans les significations basées sur les similitudes et les contrastes fonctionnels et perceptifs des
attachées aux mots. objets. Certains auteurs considèrent que le développement du lexique passe
principalement par un entraînement à des activités de comparaison, de
De deux à trois ans, l'enfant continue à apprendre en moyenne un mot
perception des contrastes et des similitudes entre les objets et les concepts.
nouveau par jour, puis l'accroissement est plus lent, mais le vocabulaire à
six ans comprend 2 500 à 3 000 mots. La correspondance entre les mots et
ce qu'ils désignent s'affine : les phénomènes de sur-extension (attribuer le
mot « papa» à tous les hommes) ou de sous-extension (limiter l'usage du 1111 Définitionsmtypes de mots familiers
mot« ballon» à un ballon particulier et familier) tendent à se réduire, grâce par des enfants d'école primaire
à la prise en compte d'éléments de sens supplémentaires définissant mieux Bouche
les catégories d'objets, de personnes ou d'événements. Dans un premier CEl quelque chose pour manger, parler, boire.
temps, l'enfant dispose de catégories globales et peu différenciées, chacune CE2 pour manger, parler, avaler.
correspondant à un spécimen inséré dans un contexte particulier ( « chien » CMl pour manger, parler, boire; la langue; partie de la figure, de la
correspond à un certain spécimen familier de chien), peu utilisable lorsque tête ; bouche d'égout.
le référent est physiquement absent ou placé dans un contexte inhabituel. CM2 pour manger, parler, respirer ; partie du visage, du corps de
Dans un deuxième temps, l'analyse des propriétés des référents contribue à l'homme ; la langue, les dents, les lèvres ; où on met les aliments, la
une différenciation des représentations ( « la rose a des feuilles », « elle nourriture ; bouche d'égout; endroit, trou où il y a de l'eau.
pique»,« elle sent bon»;« la tulipe a des feuilles»), mais ces propriétés Oser
ne peuvent pas encore être détachées de chaque référent : la feuille de la CE 1, CE2. CM 1 pos de définition.
CM2 oser toucher ; ne pas hésiter.
rose et celle de la tulipe restent des propriétés distinctes, liées chacune à un
Sonore
spécimen de fleur. Une troisième étape correspond à la fois à une unifica-
CEl pas de définition.
tion et une généralisation des représentations : unification des propriétés CE2 bruit fort.
identiques caractérisant des référents distincts (la feuille de la rose et celle CM 1 bruit qui résonne.
de la tulipe) ; généralisation par regroupement de spécimens dans une CM2 bruyant; qui fait un son.
représentation-classe, ou un concept (la rose et la tulipe 1 la fleur). Ce
Adopté de S. Ehrlich, G. Bromaud du Baucheran, A Florin, le développement des
concept conserve son identité indépendamment des contextes dans lesquels connaissances lexicales à l'école primaire, Paris, PUF, 1978.
il s'insère et il est disponible en permanence.
Plusieurs études montrent que la découverte du sens est guidée par des
biais ou des attentes implicites qui conduisent les enfants à favoriser De nombreux mots, qui nous paraissent familiers, ont encore pour les
certains sens par rapport à d'autres (par exemple : le premier mot nouveau enfants de fin de maternelle et même au-delà (Ehrlich, Bramaud du
appliqué à un objet non familier désigne l'objet tout entier plutôt qu'une Boucheron, Florin, 1978) une signification très approximative (par exemple
Le langage ou les conduites langagières? Le langage ou les conduites langagières ?

«la bouche», «oser», « sonore») ou n'acquièrent la signification que leur La production de flexions verbales pour le marquage du temps existe
donne l'adulte que relativement tard : c'est le cas des termes de parenté avant 4 ou 5 ans : infinitif et impératif apparaissent en premier, puis l'indi-
comme «frères », identifié d'abord comme mâles et enfants des mêmes catif présent et le passé composé. L'usage du futur est plus tardif, exprimé
parents, sans que la notion de réciprocité (on est le frère ou la sœur de son d'abord par la combinaison du verbe« venir» au présent, suivi d'un infinitif
frère) soit intégrée dans la signification. A cet égard, différentes activités et accompagné éventuellement d'un adverbe de temps («je vais aller chez
«autour des mots >> peuvent mettre en évidence des niveaux de connais- mamie bientôt>>), puis par le futur grammatical. Mais l'usage privilégié
sance variés, selon les enfants bien sûr, mais aussi selon la difficulté de la d'adverbes plutôt que des flexions verbales tend à se prolonger au-delà de
tâche : comprendre un mot dans un contexte d'usage plus ou moins familier, l'école maternelle.
pouvoir l'utiliser soi-même, et plus tard pouvoir l'analyser, le comparer à
d'autres. Les fonctions langagières et le marquage syntaxique
des types de discours
Le développement syntaxique
L'enfant apprend à utiliser progressivement les différentes fonctions du
Parallèlement à ce développement lexical, les énoncés deviennent plus lahgage et les types d'énoncés correspondants. Certaines sont présentes dès
longs et plus complexes, en même temps que l'ordre des mots se stabilise. les premières années, dans les activités préverbales de communication
Le développement de la phrase concerne à la fois l'ordre du groupe nominal (vocalisations, gestes et mimiques pour signifier quelque chose à autrui),
et du groupe verbal et les formes grammaticales correspondantes. Ce n'est puis dans l'expression verbale : c'est le cas par exemple de la fonction
pas avant 3 ans 6 mois que l'enfant, devant une suite nom- verbe- nom, va instrumentale (présente vers 12 mois) qui lui permet de satisfaire ses
appliquer une stratégie d'interprétation systématique selon laquelle le pre- besoins et d'obtenir ce qu'il veut de son interlocuteur («je veux ça »), ou de
mier nom représente l'agent et le second le patient. Vont se développer la fonction personnelle pour exprimer les sentiments personnels, les inté-
l'usage de mots grammaticaux (articles, prépositions, adverbes, conjonc- rêts, les dégoûts («j'aime Fanny » ). C'est le cas également de la fonction
tions), les inflexions (genre et nombre des mots, conjugaison des verbes) et régulatrice, pour contrôler le comportement d'autrui(« fais ça») et de la
le marquage syntaxique des types de discours (négatif, interrogatif). fonction interpersonnelle utilisée pour entrer en relation avec autrui
(«bonjour»,« coucou>>, «je suis là»). D'autres fonctions apparaissent
A 2 ans l'enfant commence à utiliser des prépositions exprimant la
plus tardivement : la fonction heuristique, pour en savoir plus sur le monde
possession et le bénéfice (à, de, pour) et le pronom personnel «moi » ;
( « dis, pourquoi ? ») ; la fonction imaginative, qui permet à l'enfant de créer
l'emploi du «je» et des pronoms personnels de la deuxième personne vient
son propre environnement (inventer une histoire ou une chanson) ; la
ensuite, les pronoms personnels de la troisième personne étant plus tardifs.
fonction informative (qui apparaît vers 2 ans), correspondant à l'échange
Le développement de l'emploi de l'article se fait dans l'ordre suivant :
d'informations entre interlocuteurs. Toutes ces fonctions ne sont pas
articles indéfinis vers 30 mois, puis articles définis, avec certaines confu-
utilisées également, sous forme verbale, par tous les enfants, notamment les
sions d'utilisation jusqu'à 6 ans ; marquage du genre de l'article, puis du
plus tardives, et nécessitent des stimulations de la part de l'entourage,
nombre vers 3 ans et demi ; l'emploi des articles est correct vers 6 ans. Le
familial et scolaire, dans des activités de communication variées.
développement des pronoms possessifs ressemble à celui des pronoms
personnels, mais à des âges plus avancés ; des constructions comme « mon Une même fonction peut s'exprimer par différents types de phrases : la
mien» sont fréquentes avant 4 ans. L'usage d'adverbes de lieu, vers 3 ans, fonction instrumentale passe par la forme déclarative («je veux ça »), puis
précède celui des prépositions («dedans », «dessus » sont produits avant par des formes de requêtes de plus en plus indirectes ( « tu peux me donner
«dans» et« sur»); il en est de même pour l'expression du temps, entre 4 ça?» ; «ça a l'air bon ! »).Jusqu'à l'âge de 2 ans environ, l'enfant recourt à
et 6 ans. l'intonation pour marquer la différence entre les différents types de phrases.
Avec l'apparition des énoncés de deux mots ou plus, il va opérer une
Le langage ou le s condui tes lan gagiè r es ? Le langage ou les conduite s langagières ?

distinction d'une part entre les énoncés impératifs et les affirmatifs, par cite. Ils peuvent soutenir une conversation avec l'adulte, en ajoutant des
l'absence ou la présence dans l'énoncé du syntagme nominal sujet, et d'autre informations nouvelles à ce que dit leur interlocuteur, en introduisant des
part entre les énoncés négatifs et affirmatifs, par apposition d'un adverbe thèmes nouveaux. Ils sont capables de tenir compte des caractéristiques de
négatif en début ou en fin d'énoncé (apu gâteau). Les interrogatifs sont leur interlocuteur et de s'y adapter : ralentir le débit de parole, exagérer
marqués soit par l'intonation, soit par un pronom interrogatif (qui, quoi, à l'intonation en s'adressant à un bébé, par exemple. Plusieurs recherches
qui). Vers 4 ans l'enfant commence à produire des énoncés négatifs avec montrent également que les jeunes enfants modifient la nature et la
insertion de l'adverbe négatif à l'intérieur de la phrase(« je veux pas d'épi- complexité de leur discours selon qu'ils s'adressent à un enfant plus jeune
nards » ; « je ne veux pas d'épinards ») ; il produit également des questions ou à un adulte, à un aveugle, à un adulte qui a participé à l'activité dont on
introduites par « est-ce-que ? », éventuellement avec inversion de l'ordre parle ou à quelqu'un qui n'y a pas participé, à un adulte familier ou non.
sujet-verbe, mais le marquage par l'intonation seule demeure. Les phrases
passives, peu fréquentes en français, ne sont guère utilisées par les enfants A 3-4 ans, des enfants ne racontent pas de la même manière une histoire
d'école maternelle, et posent des problèmes de compréhension jusqu'à l'âge à un adulte à partir d'une image, selon que celui-ci voit l'image ou non :
de 10 ans, surtout si les indices sémantiques permettent diverses interpréta- dans le second cas, leur discours est plus long, plus complexe et plus infor-
tions '. Enfin le discours du jeune enfant, lorsqu'il dépasse l'énoncé isolé, est matif que dans le premier, ce qui traduit leur possibilité de s'affirmer
fait surtout de juxtapositions, puis de coordinations avec différents mots (et, comme source compétente d'informations ; ce n'est pas le cas lorsque
et puis, pi après) ; les subordonnées relatives sont produites correctement celles-ci sont contrôlées par l'adulte. Ceci met en évidence le rôle de la
vers 4 ans, suivies des circonstancielles de cause, de conséquence, de but, et signification de l'activité de communication pour l'enfant.
ultérieurement de temps. Ferreiro (1971) a montré que celles-ci posent
Le développement métalinguistique
encore de nombreux problèmes à l'enfant de 6 ans, voire jusqu'en fin
d'école primaire, surtout si l'ordre propositionnel est différent de l'ordre L'enfant apprend également à avoir une attitude réflexive sur le langage
temporel(« Sophie va à l'épicerie après avoir acheté du pain»). et son usage, à prendre le langage comme objet (exemple, de la part d'un
enfant de 5 ans, en classe de maternelle : « si on dit dessine-moi un mouton
Les capacités de communication et la prise en compte de l'interlocuteur 'il faut dire s'il te plaît ; si on dit dessinez-moi un mouton, il faut dire s'ii
Dès 30 mois, les enfants sont capables de produire des messages dont le vous plaît ») : il s'agit là des prémisses d'activités métalinguistiques
contenu est approprié au récepteur ; ils sont également sensibles au non- (Gombert, 1990), qui prendront leur véritable essor avec les apprentissages
respect de leurs tours de parole, aux interruptions et aux absences de scolaires vers 6 ou 7 ans, en particulier celui de la lecture (passage d'une
réponse, ainsi qu'aux manifestations d'incompréhension, verbales ou non connaissance intuitive et d'un contrôle fonctionnel des traitements linguis-
verbales, de leur interlocuteur. Dès deux ans, ils peuvent exprimer des tiques à une réflexion et un contrôle intentionnel, selon Gombert). Ce point
sentiments, des émotions, et partager ceux des autres par l'intermédiaire du de vue rejoint celui de Vygotsky (1934/1985), selon lequel l'apprentissage
langage. du langage se ferait de façon automatique et inconsciente ; c'est seulement
dans un second temps qu'apparaît Je contrôle conscient et actif, grâce à
A trois ans, ils peuvent répondre brièvement, mais de façon adaptée, l'enseignement de la grammaire et de l'écriture ... « Il apprend à faire
aux questions de l'adulte en utilisant les informations verbales et non consciemment ce qu'il faisait inconsciemment en parlant» (Vygotsky,
verbales qui lui sont fournies, à condition qu'elles aient un caractère expli- op. cit.).

Dans la phrase <<Pierre est poussé par Jacques», Pierre et Jacques peuvent être les agents de
l'action. Dans une phrase comme <<la salade est mangée par le garçon », seul le garçon (en
principe !) peut réaliser l'action de manger.
Le langage ou les conduites langagières ? Le langage ou les conduites langagières ?

L'activité de récit • Exemple no 1


De nombreuses études mettent en évidence une organisation interne du Dons une classe de maternelle, on raconte une histoire à des enfants de 4-
récit, sous une forme canonique permettant une opposition entre un état ini- 5 ons ; il s'ag it soit d 'une histoire classique de l'anniversaire d 'une petite fille,
tial et un état final, du type : exposition, complication, résolution, évalua- avec des gâteaux el des bougies sur un gâteau, soit de celle d'un enfant qui
reçoit la visite d'un cousin de son âge, avec lequel il va jouer. Certaines des
tion, morale.
histoires d'anniversa ires ne respectent pas les normes du genre : la petite fille
Les premières activités de récit se mettent en place dans des situations n'est pas heureuse, elle jelle de l'eau sur les bougies ou lieu de les souffler,
de jeux libres ou de lecture de livres d'images, sous forme de co-narration etc. O n introduit des voriolions de même type dons l'outre histoire, qui, elle,
entre un adulte et un enfant. Il faut attendre l'âge de 6 ans pour que l'enfant n'a pas de forme canonique nellemenl marquée. Résultats : les violations de
normes dons le cos de la première histoire produisent dix fois plus d'inventions
manifeste une représentation de l'organisation des séquences d'actions com-
narratives chez les enfants que l'histoire canonique ; les variations dons la
parable à celle de l'adulte, mais dès 4 ans apparaît un premier schéma narra- deuxième histoire entraînent seulement quatre fois plus d'élaborations narra'
tif qui semble guider les rappels de récits (Fayot, 1985). Ce schéma narratif lives que l'histoi re banale. Selon Brunèr, • des enfants de 4 ons peuvent ne
s'élabore progressivement, sous diverses influences culturelles, notamment rien savoir d'une culture ; ils savent cependant ce qui est conforme aux
scolaires. En compréhension, le récit implique un traitement articulant des normes, el ils cherchent avec passion un récit qui permette de rendre compte
processus ascendant et descendant, à partir desquels le sujet élabore des de ce qui ne l'est pas •.
inférences pour relier les événements ou assurer la continuité thématique.
En production, on observe de nombreux décalages entre le récit lui-même et • Exemple n°2
l'installation d'un schéma narratif chez l'enfant ; l'activité de récit implique Dons le ghetto noir de Baltimore, on a enregistré des conversations entre des
un contrôle d'une interaction entre l'auteur du récit, qui a des buts particu- mères el leurs enfants d'âge préscolaire, el également entre des mères el
liers, et le destinataire avec ses réactions à la fois à l'histoire, à la forme de d'outres adultes, que les enfants pouvaient entendre. Dons ces conversations
infimes, de nombreux récits opporoissenl, restituant des événements quoti-
la narration et à son auteur. La construction du schéma narratif se poursuit
d iens ; simples dons leur forme, ils peuvent être compris par les enfants.
jusqu'à la pré-adolescence, en s'insérant progressivement dans les récits Beaucoup de ces récits parlent de violence el d'agressions, et peuvent être
produits, et en se manifestant par l'utilisation plus fréquente de certaines destinés à préparer les enfants à affronter une vie difficile el à les endurcir. Les
marques linguistiques, en particulier de certains connecteurs (mais, alors, récits montrent souvent le norroteur sous un ongle avantageux, grâce à des
tout à coup, etc.). effets de rhétorique dons les propos rapportés, et présentent une image de soi
d irecte et • coriace • : • l'accent est mis sur les périls que court la personne
Chez les jeunes enfants, la compréhension des récits est faci litée par la dons un monde très dur, et sur la man ière d'y foire foce par le geste et la
prise en compte d'expériences vécues ; en production, le discours a souvent parole •. Dons les cos où on a pu enregistrer les enfants racontant spontané-
une forme de mosaïque, ou de micro-discours, manifestant une difficulté à ment les récits qu'ils avaient entendus, ils exagèren t encore les éléments
gérer une production d'une certaine complexité. Les schémas narratifs dramatiques por rapport aux récits originaux.
conventionnels, comme ceux des contes, sont plus rapidement identifiés par Comme le souligne Bruner, il ne s'agit pas de prouver que les enfants noirs de
ce quartier de Baltimore disposeraient d'un environnement narratif particulier,
les jeunes enfants, et peuvent les aider, avec le guidage de l'adulte, à
mois de montrer, à travers des exemples multiples, que tous les environne-
construire leurs propres récits.
ments norrotifs sont conçus pour répondre à des besoins culturels, pour insérer
Comme l'a montré Bruner (1991), tous les environnements narratifs sont un enfant dons sa culture.
conçus pour répondre à des besoins culturels, pour insérer un enfant dans sa D'après : J_S. Bruner, • Les formes narratives de la culrure •,
culture, l'aider à donner un sens aux événements quotidiens, le guider dans Cor lo culture donne lorme à l'esprit. De lo révolution cognitive
à lo psychologie culturelle, Paris. Eshel. 1991 , p. 93 el suivantes.
ses interactions avec ses partenaires :
Le langage ou les conduites langagières? Le langage ou les .:enduites langagières ?

Les enfants apprennent à jouer un rôle dans le « théâtre >> familial quoti- les. intentions de l'enfant, et en le considérant comme un interlocuteur
dien ; ils apprennent d'abord dans l'action ce qui est autorisé et ce qui ne actlf.
l'est pas, ce qui permet d'obtenir un résultat souhaité ; ils apprennent aussi Ill Les différentes fonctions du langage sont progressivement utilisées
très vite que l'action ne suffit pas et que« pour obtenir ce que l'on désire, il d'abord sous forme préverbale, puis sous forme verbale, et nécessiten~
faut très souvent raconter l'histoire qui convient». Et pour cela il faut savoir des activités de communication variées pour émerger.
ce qui fait qu'une histoire est acceptable, selon les normes en vigueur dans !Il Les capacités métalinguistiques, souvent sollicitées à l'école, sont
sa communauté culturelle. Vers trois ou quatre ans, les enfants commencent relativement tardives, et ne doivent pas être confondues avec une atti-
déjà à utiliser leurs récits pour justifier, obtenir ce qu'ils veulent, séduire ou tude réflexive précoce sur le langage.
tromper autrui, et commencent donc ainsi à s'adapter à la vie de leur Ill L'activité de récit, utilisée et travaillée dans le cadre scolaire stimule
culture. les é~aborations narratives de l'enfant si elle lui permet de répondre à ses
besoms culturels, de s'insérer dans sa culture.

1
Conclusion : une longue histoire ...
fil Dans bien des aspects, les conduites langagières se développent sur
le long terme, et il faut veiller à ce que les exigences scolaires en mater-
~~lle n'a~ycipen~ pa~ trop .sur des acquisitions qui se situent plutôt à
1age de 1ecole pnmaue, vmre de la préadolescence ...

Dans ce cheminement de l'enfant pour apprendre à participer au langa-


ge, plusieurs points sont particulièrement importants pour leurs incidences
pédagogiques :
11 Il existe une histoire importante du langage avant l'entrée à l'école :
tous les enfants ont développé dans leur milieu de vie des compétences
variées dans la maîtrise du code et son utilisation ; elles ne sont pas
identiques pour tous, certes, mais elles existent et doivent être recon-
nues. Reconnaître des domaines de compétences constitue aussi une
aide pour travailler ce que l'on considère comme des manques ou des
insuffisances.
1111 La recherche de contacts sociaux est très précoce et le jeune enfant
manifeste très tôt un grand appétit de communication, avec différents
partenaires ; cet appétit demande qu'on le nourrisse ...
1111 Les jeux conversationnels de la petite enfance permettent de déve-
lopper la communication et le langage ; ils aident aussi à comprendre
comment on agit sur le monde en tant que personne, et à anticiper sur le
comportement d'autrui.
11 C'est l'adulte qui fournit des cadres adaptés- des formats- à l'émer-
gence et au développement des compétences langagières, notamment
des échanges ritualisés, dans un contexte de «dialogue d'action», en
utilisant divers procédés de simplification du discours, en interprétant
Les différences interindividuelles
et le rôle des partenaires
dans les apprentissages langagiers

En arrivant à l'école, tous les enfants n'ont pas les capacités ou n'ont pas
bénéficié d'expériences de communication suffisantes pour pouvoir utiliser
un langage articulé compréhensible par les adultes et les autres enfants de
l'école: certains ont plus de chemin que d'autres à parcourir, car ils en sont
toujours au mot-phrase, ne disposent pas encore de catégories de signifi-
cation stables, ou manifestent un mutisme plus ou moins --généralisé et
persistant.
Tous les enfants n'arrivent pas à l'école avec le même «équipement» :
ils sont des personnes différentes, mais de plus, certains sont mieux prépa-
rés à cette 1upture ou à ce passage d'un milieu de garde à celui de l'école, de
Les différences interindividuelles •••
Les différences interindividuelles •••

par ce qu'ils ont reçu de leur entourage, de par la diversité de leurs compé-
à traiter des informations et à acquérir des connaissances, aspect universel
tences, de leurs expériences, de leurs savoirs. Quelques-uns produisent de
de certaines caractéristiques linguistiques, fonction de communication et de
petites phrases tout à fait compréhensibles et savent« faire avec les mots»
représentation dans les interactions avec l'environnement. ..
alors que d'aut:es en sont encore aux mots isolés, à la signification trè~
floue, souven~ mcompréhensibl~s et ne disposent guère que des cris pour Le débat peut également être clarifié en considérant les facteurs du
te~~~er d~ ~se fmre entendre ; certams ont développé des compétences sociales développement des conduites langagières davantage en termes de contrain-
deJa variees dans des contacts multiples avec des partenaires différents alors tes que de déterminations fortes, voire exclusives.
que d'autres, ayant été plus isolés, sont plus démunis pour établir des inter-
actions ou les maintenïr. Mais, avant de nous interroger sur l'origine des différences interindivi-
duelles dans les conduites langagières, examinons quelle est leur nature, à
L'école ~a constituer pour tous le lieu de nouvelles expériences, de nou- quel moment elles apparaissent, quelle est leur ampleur.
velles, occaswn.s de s?cia.lisation, de nouveaux apprentissages. Le passage
se~~ d autant mieux reussi et accepté que l'enfant y sera préparé, mais aussi
qu tl sera reconnu dans l'école en tant que personne, avec ses désirs son 1. Quelles différences interindividuelles
besoin de communication, ses savoirs et ses possibilités d'apprentis~age dans les conduites langagières ?
son immaturité et ses difficultés. •
Les différences interindividuelles dans les conduites langagières ont été
. Dans c~ c~apitre, ~ous .exa:n.inerons successivement les cadres explica- identifiées depuis longtemps, notamment dans la vitesse de développement,
tifs des differences. mtenn~lVIdue.Hes dans les conduites langagières. et exprimées généralement en termes de retard de certains enfants par
notamment celles qm sont mt ses en Jeu dans le cadre de l'école maternelle rapport à d'autres. Des travaux plus récents ont exploré les différences en
puis le rôle des partenaires et les modalités d'apprentissage de ces conduite~ termes de processus d'acquisition.
langagières.
Précocité des différences

1
Les différences interindividuelles
Les productions vocales des premiers mois seraient surtout dépendantes
de la maturation physiologique, de contraintes respiratoires et motrices : on
observe peu de différences dans les sons émis par des bébés soumis à diffé-
rents environnements linguistiques, ou par ceux dont les parents sont
sourds-muets, ou par des bébés eux-mêmes sourds, encore que les études
Dans ce domaine d'étude, les prises de position sont souvent autant sur ces populations spécifiques soient encore limitées. Ces premières voca-
~dé~logiques. que scientifiques, comme tout ce qui relève du débat entre lisations seraient surtout le produit d'une activité réflexe spontanée ou la
mne et acqms, ou entre biologique et sociaL En effet, tout déterminisme manifestation chez le bébé d'une conduite d'exploration de ses possibilités
qu'il soit biologique ou social, renvoie à des organisations du monde et d~ phonatoires.
la société, à .des conceptions de l'éducation qu'il sert à justifier, y compris
Mais, à deux mois, le bébé vocalise davantage en présen~e de l'adulte
~~ns. s~s cancatures les plus dramatiques (race ou groupe élu, négation de
qu'en son absence ; en outre, entre 3 et 6 mois, on a pu observer que les
1mdlVldu au profit du développement d'un groupe, etc.). Autant dire que le
terram peut parmtre miné ! réponses contingentes de l'adulte ont pour effet d'accroître le babillage des
nourrissons, notamment lorsqu'il s'agit de répétitions des vocalisations
, Il est possible de clarifier le débat en considérant que le cadre explicatif enfantines. Ces réponses adressées au bébé constituent un encouragement
depend des aspects privilégiés dans les apprentissages langagiers : capacités de la part de l'adulte à maintenir l'interaction sociale et à exercer sa produc-
Les différences interindividuelles ... Les différences interindividuelles ...

tion vocale ; pour certains auteurs, il s'agit là d'un facteur essentiel du déve- valorisées dans le cadre pédagogique, même si elles ne correspondent pas
loppement langagier. A 10 mois, on peut mettre en évidence des différences aux pratiques les plus fréquentes, y compris chez les adultes. II faut ajouter
importantes dans la fréquence des vocalisations enfantines et des regards que les différences observées entre milieux sociaux contrastés tendent à se
dirigés vers la mère : les enfants manifestant le plus de conduites d'interac- maintenir, voire à s'accroître au fil des âges étudiés, tout en ne représentant
tion sont ceux auxquels les mères adressent elles-mêmes le plus de vocali- guère plus de 10 à 15% du répertoire étudié: autrement dit, ce qui est
sations et de stimulations verbales. commun aux enfants est beaucoup plus important, quantitativement, que ce
qui les distingue.
D'autres études montrent des différences importantes entre enfants à
partir de 18 mois, quant à la longueur moyenne des énoncés, à la dimension Les aspects syntaxiques sont également différenciateurs, mais plus
du vocabulaire, aux types de mots utilisés (plutôt des pronoms ou plutôt des tardivement, bien sûr, que les aspects lexicaux, du moins pour les aspects
noms), au nombre de questions posées. De plus, ces différences ne se com- syntaxiques complexes tels que l'utilisation de la subordination ou de la
pensent guère avec le temps : les enfants les plus précoces à un stade donné phrase passive. Chez les enfants d'école maternelle, on ~ pu mett~e .en
des acquisitions langagières tendent à le rester pour les stades suivants, évidence des différences dans la longueur des phrases prodmtes, la ma1tr1se
voire à accentuer leur avance : les plus précoces se développent plus vite, et de marques du pluriel, l'imitation de certaines structures syntaxiques, ou le
les écarts entre enfants se creusent. Non seulement les différences sont choix d'une image correspondant à une phrase entendue (la tâche suppose la
stables, mais elles sont aussi cohérentes : des différences manifestées dans maîtrise de certaines formes syntaxiques).
un aspect du langage (par exemple la dimension du répertoire) sont souvent Les recherches se sont également portées sur les aspects fonctionnels de
associées à des différences dans d'autres aspects (par exemple la longueur la communication, en utilisant notamment des tâches de type référentiel
moyenne des énoncés). (exemple du jeu de« qui est-ce?») : un enfant a devant lui un ensem?le de
référents variant selon plusieurs dimensions, par exemple des dessms de
Les diHérences chez les enfants d 'âge scolaire visages variant selon le sexe, la couleur et la longueur des cheveux, le port
La plupart des études comparatives concernent des enfants d'école pri- d'accessoires, etc. ; il doit décrire le référent choisi en donnant l'information
maire et au-delà, généralement distingués selon leur groupe social d'appar- nécessaire et suffisante pour qu'un autre enfant le découvre parmi un
tenance. ensemble identique, à sa disposition. Certains enfants, plutôt de milieu
favorisé, ont des descriptions moins globales, plus analytiques et plus
Plusieurs études consacrées au lexique montrent des différences dans la
efficaces que d'autres ou décodent mieux l'information fournie, quel que
dimension du vocabulaire compris, dans le nombre de mots définis et le
type de définitions fournies ; toutes les différences sont à l'avantage des soit leur partenaire.
enfants de milieux sociaux favorisés. Ces différences, mesurées chez En résumé, on peut mettre en évidence des différences dans de nom-
2 800 enfants de 7 à Il ans (Ehrlich, Bramaud du Boucheron, Florin, 1978), breux aspects des conduites langagières, généralement à l'avantage des
correspondent, en termes de retard des enfants de milieu ouvrier par rapport enfants de milieu social favorisé. Mais plusieurs faits doivent être notés, qui
à des enfants de cadres supérieurs, à un écart de six mois à un an, selon les modulent ou relativisent le caractère général de ces différences :
épreuves utilisées (jugement de connaissance ou définition). En outre, les - les aspects communs sont beaucoup plus importants que les aspects
enfants de milieu favorisé fournissent plus fréquemment des définitions de différenciateurs ;
type catégoriel (par sur-ordination, subordination ou similaire) et moins - l'amplitude des différences varie beaucoup selon la situation de recueil
fréquemment des définitions de type empirique (relations partie-tout, agent- utilisée ; elles sont maximales pour les situations de test dans lesquelles
action, localisation, etc.) ; or les premières sont souvent interprétées en le langage est décontextualisé (maniement de mots ou de phrases
termes de plus grande abstraction ou conceptualisation, et particulièrement
Les différences interindividuelles,•• Les différences interindividuelles •••

isolées), sans fonction particulière autre que la vérification des connais- l'héréditaire à celui de l'héritable, en confondant quelquefois les deux. Une
sances langagières. corrélation qui met en évidence une liaison entre deux variables ne nous
Ces réser~e~ ne doivent pas contribuer à nier les différences ; elles doi- indique pas la cause ou l'origine de cette liaison ; de plus il s'agit d'une
vent _surtout evt~er de les confondre avec ce qui pourrait être qualifié de caractéristique d'une population donnée, qui ne s'applique pas à des indivi-
handtcap langagier, terme à réserver à des cas sévères de diffïcultés mas- dus. Aussi toute tentative d'évaluation en termes de proportion du poids de
sives et générales. l'hérédité par rapport aux effets du milieu dans l'explication du développe-
ment langagier ne peut être que théoriquement et méthodologiquement
Historiquement, on a vu se développer, sous des formes diverses trois erronée.
cadres expl~catifs des différences dans les conduites langagières, en reiation
a:ec les theones générales de l'acquisition : les explications en termes de Il est en revanche plus pertinent de se demander ce qui, dans les compé-
dtfférences d'ap~itudes, la théorie du handicap socioculturel, la prise en tences langagières, relève de prédispositions innées caractéristiques de
compte_ des strategies et des styles d'acquisition. Nous allons les examiner l'espèce et ce qui doit être acquis. Parmi les premières, il faut évidemment
successivement. citer l'appareillage anatomique et physiologique mis en jeu spécifiquement
dans le langage ou commun au langage et à d'autres fonctions humaines. On
pense que le cerveau traite le langage grâce à l'interaction de trois
2. Les différences d'aptitudes ensembles de structures neuronales. Le premier se compose de nombreux
ensembles neuronaux des deux hémisphères et permet la représentation de
C'est le cadre explicatif le plus ancien, à partir duquel s'est construite la ce que l'être humain fait, perçoit ou pense. Le second, plus limité, est
psychologie différentielle, et qui se traduit en langage courant par les
constitué de structures généralement localisées dans l'hémisphère gauche et
termes de « théorie des dons ».
correspond à la représentation de phonèmes, de leurs combinaisons en
Les aptitudes se définissent comme des caractéristiques cognitives res- mots, et des combinaisons de ces mots en phrases. Le troisième ensemble,
ponsables de l'acquisition et du traitement de l'information. Elles ont selon également présent dans l'hémisphère gauche, coordonne les deux premiers
Reuch,lm (Grand dictionna!re de la Psychologie, Larousse, 199IJ, "un et permet de produire des concepts à partir de mots et inversement. L'étude
c~~c~ere constitutwnnel, determiné, au moins en partie, par des facteurs des liaisons cérébrales et les examens cérébraux par résonance magnétique
genetiques». Elles sont considérées comme la source de différences obser- nucléaire ont permis d'avancer dans la cartographie de ces structures et
vables dans des situations de tests. l'analyse de leur fonctionnement (Py, 1993, p. 24 et 53).
. L'une des ,méthodes privilégiées pour l'étude des aptitudes est celle des
JUmeaux. Il s agit de comparer les performances ou le franchissement de
3. Les aspects sociolinguistiques
certain~s étapes d~ développement langagier chez des jumeaux monozy-
gotes (lss~s du meme œuf) et chez des jumeaux dizygotes (issus de deux Les enfants de milieu ouvrier réussissent moins bien et ont moins de
œufs dtfferents). Les premiers ont une structure héréditaire identique alors chances de faire des études supérieures que les enfants de milieux plus
que les seconds n'ont pas plus en commun de ce point de vue que deux favorisés :ceci est largement vérifié du point de vue statistiqu~. même si les
enfants non jumea~x de mêmes parents. On peut constater que les perfor- écarts sont moins importants qu'il y a 20 ans. Le langage Ûhlisé par les
mances. des deux JUmeaux sont plus proches à l'intérieur des paires de enfants varie également selon la classe sociale, maintes recherches ont mis
mon?zygo~es que des paires de dizygotes. Mais comme il n'est guère ce fait en évidence. Mais la théorie du handicap socioculturel suppose un
pos~tble .d't~oler des causes génétiques de ces différences, les travaux sont lien de cause à effet entre ces deux corps de données : les difficultés
bases prmctpalement sur des corrélations, et passent ainsi du domaine de sColaires des enfants de milieux défavorisés seraient causées par leur
Les différences interindividuelles ••• Les différences interindividuelles ...

langage, socialement déterminé, qui les «handicaperaient» dans les activi- orientations cognitives leur sont étrangères, et de l'usage d'un mode particu-
tés cognitives proposées par l'école. Cependant personne à ce jour n'a réussi lier de communication linguistique. Ces difficultés, en se cumulant au cours
à démontrer quelles sont les caractéristiques précises du langage de l'enfant de la scolarité, deviennent insurmontables.
qui contribuent à sa réussite scolaire, ni quelles orientations cognitives
L'école transmet des savoirs, mais aussi un système de valeur qui affec-
différencieraient les milieux sociaux. Pourtant cette théorie a la faveur des
tent les contenus de l'enseignement et le choix du matériel scolaire ; les
enseignants, une large place lui est souvent faite dans leur formation.
relations maître-élèves expriment continuellement une différence de statut
Opposées à bien des égards, la théorie des dons et celle du handicap socio-
et exigent un langage capable de traduire des relations sociales différen-
culturel ont en commun de considérer l'école comme un terrain neutre et de
ciées. L'expression non verbale est découragée, au profit de l'expression
minimiser ses possibilités : que peut-elle faire si l'inégalité des capacités et
verbale et d'un certain formalisme linguistique, voire d'une certaine précio-
des chances de réussite scolaire sont entièrement déterminées ailleurs, soit
sité. Le mode d'expression de l'intelligence développé par l'école est
par le patrimoine génétique, soit par le milieu social ?
logique, relationnel, abstrait et analytique.
La théorie de Bernstein Selon Bernstein, les enfants de milieu ouvrier maîtrisent progressi-
vement un sous-système linguistique ou «code »I considéré comme «res-
Le cadre explicatif le plus connu en ce domaine est probablement celui
de Basil Bernstein, sociologue anglais, dont les travaux ont été publiés dans treint», alors que les enfants de milieu «bourgeois» ont à leur disposition
les années 70 (voir par exemple Bernstein, 1975, ou la présentation deux codes : le code « restreint» et le code « élaboré». Les codes se
d'Espéret, 1975-76). La théorie ne se réduit pas, comme on l'a souvent pré- caractérisent selon des aspects psycholinguistiques, sociolinguistiques et
sentée de façon caricaturale, à une différence de codes linguistiques selon cognitifs.
les milieux sociaux (classe ouvrière =code restreint ; classe bourgeoise = Du point de vue psycholinguistique, le code restreint est caractérisé par
code élaboré) ; elle peut être résumée en cinq axiomes principaux : une syntaxe pauvre, un usage rigide et stéréotypé des principaux adjectifs,
Ill L'intelligence potentielle des enfants de la classe ouvrière et de la conjonctions et adverbes les plus communs, un grand nombre d'expressions
classe bourgeoise (« working-class » et « middle-class » dans la société toutes faites (ex : c'est naturel ; comme on dit ... ), des séquences « sociocen-
anglaise) est équivalente. triques »visant plus à assumer la relation verbale à autrui qu'à contribuer à
Ill Les classes sociales se différencient selon qu'elles ont accès ou non l'échange d'informations ; c'est un langage fait de significations implicites,
au pouvoir de décision dans la société. qui nécessite le recours au contexte extralinguistique pour être compris, il
Ill Il existe une relation entre ces caractéristiques et les modes de est en ce sens «particulariste», car il ne peut être compris que dans un
communication (notamment langagiers) entre les membres des groupes contexte particulier. Le code élaboré présente les caractéristiques oppo-
sociaux. sées : syntaxe précise, grande variété d'adjectifs et d'adverbes, séquences
Ill L'usage privilégié de certains modes de communications influence « égocentriques » montrant un engagement du locuteur dans les points de
l'orientation cognitive des enfants envers le monde environnant et le vue qu'il émet (ex: à mon avis, je pense que ... ), significations explicites ne
développement cognitif. nécessitant pas le recours au contexte extraverbal pour être compris,
Ill L'orientation cognitive et les modes de communication de la classe
bourgeoise correspondent à ceux qui sont exigés et imposés par l'école,
ce qui n'est pas le cas pour les enfants de la classe ouvrière. La notion de sous-système linguistique ou de code renvoie à la notion de transmission des
significations d'une sub-culture; elle suppose qu'une série de caractéristiques du langage reste
Les échecs scolaires des enfants de milieu ouvrier ne doivent pas être constante d'une situation à l'autre. Elle doit être distinguée de la notion de «variante de
langage » ou de «registre )) ou de <<niveau de langue », utilisée dans une situation
attribués à un déficit intellectuel, même acquis. Il sont la conséquence à la particulière : par exemple des échanges verbaux avec un copain ou une relation profession-
fois des difficultés de ces enfants à s'intégrer à un milieu scolaire dont les nelle vont donner lieu à des fonnes linguistiques différentes.

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"""""""
Les différences interindividuelles ••. Les différences interindividuelles •••

caractère de généralité des significations transmises qui en fait un code l'accent sur l'expression d'implications affectives ; le code élaboré met en
«universaliste». évidence l'organisation rationnelle de la pensée, l'expression précise et
explicite des produits de l'activité mentale,
L'exemple souvent cité pour illustrer ces différences de codes est celui
d'une expérience dans laquelle on donne à des enfants de 6 ans une série Les types de langage utilisés reflètent les contextes éducatifs dans les-
d'images montrant une suite d'événements : des garçons jouent au ballon; quels ils s'insèrent, caractérisés eux-mêmes par des systèmes de rôle, des
le ballon s'envole et brise une vitre ; un homme apparaît qui réprimande les modes de contrôle et de prise de décision variables selon la classe sociale.
enfants ; une femme observe la scène, accoudée à sa fenêtre ; les enfants La classe ouvrière est caractérisée par un système de rôles «clos », bien
s'en vont. Les enfants doivent décrire les images. Voici deux récits considé- définis et peu modifiables, elle comporterait surtout des familles « position-
rés comme représentatifs des deux codes (et construits pour la démons- nenes , dans lesquelles la prise de décision dépend du statut formel des
tration) : membres (par ex : c'est le père qui décide). La classe bourgeoise serait
Ill Récit no 1 caractérisée par un système de rôles «ouverts» qui encourage l'initiative
personnelle et l'expression de soi ; elle comporterait plutôt des familles
Ils étaient en train de jouer au ballon et il shoote et il s'en va et il casse la « personnelles >> dans lesquelles les prises de décision seraient plus
fenêtre et ils sont tous en train de regarder et il vient et il crie sur eux collectives et les rôles formels moins prépondérants. En outre, Bernstein
parce qu'ils l'ont cassée. Alors ils s'en voflt et elle les regarde et elle dit de distingue 3 modes de contrôle éducatifs : le contrôle « impératif>> avec une
partir. fréquence élevée d'ordres bruts entraînant chez l'interlocuteur soumission,
1!1 Récit n° 2 retrait ou rébellion ouverte (ex.: «tais-toi»); les« appels personnels»
correspondant à l'organisation en famille « positionnelle », c'est-à-dire la
Trois garçons sont en train de jouer au ballon. Un des garçons frappe restriction de l'autonomie au profit de l'identification sociale, l'imposition
violemment la balle et elle traverse la fenêtre. Le ballon brise la vitre et de règles sociales à l'enfant (ex: on ne crie pas à table); les «appels
les garçons sont en train de regarder. Un homme sort et il crie sur eux personnels» qui fondent le contrôle des comportements sur l'examen des
parce qu'ils ont cassé la vitre. Alors ils s'en vont en courant. Une dame motifs personnels, impliquent l'acquisition de règles sociales avec la colla-
regarde à sa fenêtre et elle dit aux enfants de s'en aller. boration de l'enfant plutôt que de les imposer telles qu'elles (ex: inutile de
~e récit no 1 comporte beaucoup de significations implicites, associées crier, on t'écoute), et favorisent une plus grande autonomie et une prise de
étrOitement au contexte immédiat ; la syntaxe est pauvre ; il comporte responsabilité individuelle. Le mode de contrôle « impératif» serait carac-
2 noms pour 16 pronoms sujets. Le récit n° 2 comporte 8 noms pour téristique de la classe ouvrière, les « appels personnels » de la classe bour-
5 prono~s sujets ; ces derniers renvoient à des entités nominales présentées geoise, alors que les « appels positionnels » se retrouveraient dans les deux
dans le discours ; le récit n'est pas ambigu, il est compréhensible en dehors classes sociales.
de la situation de référence. Point n'est besoin d'indiquer le code auquel La théorie de Bernstein telle que nous venons de la présenter succinc-
correspond chaque récit. tement a quelque peu évolué au fil des publications, la notion de code, en
Du point de vue sociolinguistique, le code restreint exprime la solidarité particulier, devenant plus floue, voire quasi inexistante en tant, que telle et
du groupe, des nonnes de groupe, alors que le code élaboré apparaît comme donc invérifiable, au profit de la notion de style, variant selon Ièi situations.
un moyen privilégié d'expression individuelle et personnelle. Quoiqu'il en soit, il faut souligner que l'absence quasi complète d'exemples
linguistiques dans les travaux de l'auteur limite les possibilités de validation
Du point de vue cognitif, certaines idées, certains types de relation au de son argumentation théorique: les exemples sont soit inventés, soit hypo-
réel sont plus ou moins facilités par l'usage de tel ou tel code : le code thétiques (par ex : on demande à des mères ce qu'elles diraient si leur enfant
restreint ne favorise pas un haut niveau d'explication logique, il met plutôt
Les différences interindividuelles ••• Les différences interindividuelles •••

n'était pas sage), soit tirés de situations expérimentales ; on ne trouve pas de


Ill Langage et éducation : un pseudoaproblème ?
corpus de langage réel entre parents et enfants ou entre enseignants et
élèves. En outre Bernstein ne nous renseigne pas sur la raison pour laquelle la lillérature fournie et complexe sur l'imporlance du langage dans l'éducation
les enfants de la classe ouvrière n'utilisent pas souvent des formes linguis- [ ... ]ne doit pas nous rendre aveugles aux simples raisons non linguistiques
tiques que manifestement ils connaissent et qui sont valorisés par l'école, ni pour lesquelles les enfants de milieux populaires (et d'immigrants) ont tendance
sur les différences de valeur que les groupes sociaux accordent aux formes à échouer à l'école plus souvent que les enfants des classes moyenne et supé-
linguistiques. rieure. Par exemple, un enfant peut subir un échec parce qu'il ne portage pas
les points de vue de l'école sur ce qui est imporlant et ce qui l'est moins : son
Malgré son manque de validation expérimentale ou par observation et échelle des voleurs est différente. lnversemenl, un enfant peut paraître
recueil de corpus, cette théorie a abondamment été utilisée en éducation inadapté parce que l'école n'est pas sensible à ses formes langagières el à
pour démontrer que l'échec scolaire est un échec linguistique. Plusieurs des façons de penser culturellement différentes, et tend à les traiter comme des
critiques formulées à l'égard de la théorie de Bernstein sont inspirées par les handicaps. Seconde explication de l'échec scolaire : il faut commencer
travaux du linguiste américain William Labov (1976 ; voir aussi l'analyse l'apprentissage au point où en est l'enfant; avec des enfants différents, on
de Stubbs, 1983) et ses descriptions des variétés d'anglais non standard doit commencer à des stades différents. Il ne faut en aucun cas supposer qu'il
parlées par différents groupes ethniques aux États-Unis, notamment les existe une seule et unique cause de l'échec scolaire, une seule prévision
Noirs et les Portoricains de New York. magique du progrès scolaire. De plus en plus, on reconnaÎt l'existence
d'influences non lraditionnelles, y compris non linguistiques, sur le développe-
ment cognitif, telles la confiance en soi de l'enfant, ses espérances pour l'ave-
Les travaux de Labov
nir, elles attentes de l'enseignant à son égard [ ... ]
Il faut tout d'abord souligner la différence d'approche ente Bernstein et Oue le lecteur ne se laisse pas leurrer par le nombre élevé d'études qui disser-
Labov : le premier a construit une théorie sociologique des relations entre tent de la relation causale entre le langage el la capacité d'apprendre. On a
classes sociales, codes linguistiques et modes de contrôle familiaux, dont gaspillé beaucoup d'encre sur· de faux problèmes. Au Moyen Age, les savants
quelques éléments ont été, après coup, mis à l'épreuve des faits ; le second discutaient du nombre d'anges qui pouvaient danser sur la pointe d'une
est parti d'enquêtes de longue durée sur le terrain et d'observation des aiguille. Mais débaltre d'un foux problème ne le rend pas pour autan! signifi-
communautés linguistiques enquêtées dans leur cadre habituel. Labov a catif. De nombreux ouvrages posent comme un fait établi que le handicap
linguistique est la cause significative des problèmes scolaires de certains
notamment étudié le langage des adolescents noirs dans les ghettos de New
enfants. Cette idée est très controversée, nolamment par de nombreux
York, en << s'immergeant» dans ces communautés, avec l'aide de collègues
linguistes. En fait, une conlestation a surgi de la nécessité de débusquer
noirs ; il ne s'est pas attaché à identifier quelques traits particuliers du
certains mythes créés par la recherche en sciences sociales appliquée à
langage utilisé, mais plutôt à des analyses approfondies de dialectes non l'éducation. Keddie ( 1973) s'attaque au mythe de la déficience culturelle ;
standard conçus comme des systèmes de langage possédant leur propre Labov (1969) s'attaque à un aspect de ce mythe dans ce qu'il appelle
logique. Les analyses de Labov visent à montrer que le concept de déficit « l'illusion du handicap verbal » ; et Jackson ( 1974) s'attaque au mythe des
linguistique est un mythe, dépourvu de preuves linguistiques et anthropolo- codes élaborés et restreints.
giques, et qu'il repose sur des confusions entre logique et explicite d'une [ ... ]Jusqu'à présent, il n'y a aucune relation causale prouvée entre le langage
part, entre logique et grammaire d'autre part. d'un enfant et ses possibilités d'apprentissage, et les preuves reqUTSes pour
démontrer une telle relation n'apparaissent pas clairement. Les déclarations
affirmant que certaines variétés de langage (dialectales) sont déficientes et,
par conséquent, cousent des déficiences cognitives manquent manifestement
de cohérence. On ne peut avancer, en toute logique, que le langage est
cause de l'échec ou de la réussite scolaire. Puisqu'aucune relation précise ne
Les différences interindividuelles ... Les différences interindividuelles •.•

peut être établie, il reste une simple corrélation : deux groupes d'enfants utili- « ever » Uamais), sont employés correctement, malgré la difficulté des
sent différentes variétés de langage et aussi (d'après la tendance statistique) règles qui régissent leur utilisation en anglais et nécessitent plusieurs pages
réussissent différemment à l'école. Mais une telle corrélation ne peut jamais,
d'explication dans un ouvrage de grammaire. On ne peut donc pas considé-
en soi, constituer une démonstration de causalité.
rer comme déficiente une forme de langage fonctionnant sur la base de
Ce qui apparaÎt, néanmoins, c'est une relation sociolinguistique complexe
nombreuses règles et de concepts abstraits. Selon Labov, tout enfant de
entre le langage d'un enfant et sa réussite à l'école. Il ne fait aucun doute que
les groupes sociaux différents utilisent des formes de langage différentes dans
5 ans (sauf s'il est sérieusement arriéré) maîtrise un système langagier
des situations sociales comparables. Dans le cadre de l'école, des inconvé- complexe et cohérent, qui résiste quelquefois à une complète description
nients peuvent résulter de l'ignorance et de l'intolérance aux diHérences cultu- linguistique du fait de sa complexité, et qui a beaucoup plus en commun
relles et langagières. Mais un tel désavantage n'est pas une déficience. Ainsi, avec le langage standard qu'il n'a de différences. Il peut utiliser ce langage
je rejetterai la formule simpliste et dangereuse : « l'échec scolaire, c'est l'échec complexe dans des situations non hiérarchisées, avec des copains, et il peut
linguistique», et la remplacerai par: «l'échec scolaire provient souvent de se retrouver sur la défensive dans les situations de la classe ou devant des
différences sociolinguistiques entre les écoles et les élèves». tests et ne parler que par monosyllabes. C'est au nom de la nécessaire prise
M. Stubbs, tangage spontané, langage élaboré. Parole el différences à l'école élémentaire, en compte du contexte social et de sa familiarité pour l'enfant, de la valeur
Paris, Armand Colin, Bourrelier, 1983, p. 6062.
L __ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __ accordée à l'expression verbale par l'enfant et dans sa culture, que Labov
récuse l'idée de mesurer la compétence linguistique générale uniquement
dans des situations de tests. Stubbs (1983) souligne par exemple combien
les réactions aux questions peuvent varier selon la culture et les groupes
Les enseignants critiquent souvent le discours des élèves comme étant sociaux : les blancs cultivés considèrent que l'enseignement implique que
décousu et peu explicite parce qu'ils omettent certains mots (ex. : «he my des professeurs posent des questions et que les élèves y répondent ; des
brother » au lieu de « he's my brother », soit en français «il mon frère >> noirs des ghettos américains identifient l'interrogation directe aux questions
pour « il est mon frère». Labov fournit bien d'autres exemples du même indiscrètes de l'assistante sociale ; des Amérindiens considèrent les
type, en montrant que plusieurs langues, comme le hongrois ou l'arabe, questions comme des intrusions impolies dans leur vie privée ; des enfants
n'ont pas non plus ce type de liaison verbale, sans qu'on les considère pour hawaïens peuvent parler librement à des adultes qui leur témoignent de
autant comme des langues non explicites. Ceci n'a rien à voir avec le sens l'intérêt, mais refuser de répondre à leurs questions directes.
logique ou la maîtrise des concepts, mais relève seulement de la grammaire Les travaux de Labov constituent une critique radicale de ceux de
de surface. Un autre exemple est constitué par l'emploi de négatifs doubles Bernstein, mais l'un des apports essentiels de Labov réside probablement
dans l'anglais non standard (ex. : « I don't do nothing » 1 «je ne fais pas dans l'analyse de la langue en tant que fait social, dont les variations sont
rien» pour I don't do anything » 1 «je ne fais rien»), considéré comme soumises comme lui à des règles et à des structures ; ces variations font
illogique : si je ne fais pas rien, c'est que je fais quelque chose. Là encore, partie de la langue et rendent compte justement de son caractère social.
Labov montre que certaines langues utilisent les doubles négatifs, tel le
français Ue ne fais rien) ou l'espagnol, et qu'il ne faut pas confondre les Les modes de socialisation de l'enfant
usages de la grammaire d'une langue avec les critères généraux de l~
logique et de la pensée. Il est désormais assez clairement établi d'une part qu'il n'e-Xiste pas de
codes linguistiques spécifiques variant selon la classe sociale, d'autre part
Un second point de la démonstration de Labov est relatif à la que la perception qu'a le locuteur de la situation de communication qui lui
complexité des règles grammaticales maîtrisées par les utilisateurs de dia- est proposée varie selon la classe sociale : dans le cas d'une situation fami-
lectes non standard. Des mots comme« any» (n'importe quel), «one» (un) lière, fonctionnellement utile dans son environnement quotidien, l'enfant
(mais c'est vrai aussi de l'adulte) décode plus facilement et plus rapidement
Les différences interindividuelles ••, Les différences interindividuelles •..

les éléments pertinents et maîtrise mieux les outils linguistiques nécessaires tians, ou tout au moins les expliquent en fournissant une alternative à
pour faire face aux contraintes de la situation. Dans le cas contraire, l'enfant l'action prohibée. Elles répètent davantage les énoncés enfantins, en les
essayera de transposer la représentation d'une situation qui lui semble simi- expliquant ou en les prolongeant, pour être sûres qu'ils ont été bien compris
laire, au risque de se tromper, ou restera silencieux. Ce n'est pas tant de- et pour confirmer la validité du message. A l'opposé, les mères de milieu
codes linguistiques plus ou moins efficaces qu'il s'agit, que de répertoires de moins favorisé utilisent plus de discours de contrôle et d'enseignement,
conduites de communication plus ou moins étendus et adaptés aux situa- formulent plus de commandes négatives et d'auto-répétitions, ce qu'on
tions rencontrées par le locuteur, liées aux expériences antérieures vécues pourrait résumer en disant qu'elles parlent à l'enfant plus qu'avec l'enfant.
dans son milieu d'appartenance. On peut remarquer également que les mères de milieu favorisé emploient
davantage d'interactions verbales avec leur enfant, même très jeune et ne
Chacune de ces conduites peut être considérée comme une composante
disposant pas lui-même du langage articulé, jugeant nécessaire à son déve-
des compétences de communication, incluant des aspects à la fois linguis-
loppement cognitif de lui parler beaucoup. En outre, encourager verbale-
tiques et sociaux, ou en d'autres termes, une connaissance conjuguée de
normes de grammaire et de normes d'emploi (Hymes, 1972). La réussite de ment l'enfant, le soutenir dans ses propres actions, renforce son rôle
« d'explorateur actif» de l'environnement, l'aide à gagner de la confiance en
la communication entre interlocuteurs ne dépend pas seulement de l'utilisa-
lui et un sentiment de pouvoir qui peuvent affecter positivement son déve-
tion des mêmes règles de grammaire, mais aussi des mêmes règles de
loppement langagier et cognitif.
conversation, de la prise en compte du contexte linguistique et extralinguis-
tique, des attitudes et des rôles des participants. Les premiers partenaires de On peut penser que les attitudes et les représentations parentales liées au
l'enfant, ceux qui vont l'aider à acquérir ces compétences de communica- langage jouent le rôle de variables intermédiaires entre la classe sociale
tion, ce sont les adultes, et généralement les parents. Les analyses des inter- d'appartenance et les conduites langagières observées. Ces attitudes et
actions mères-enfants, des comportements maternels rapportées par enquête représentations ne sont probablement pas indépendantes des conditions de
ou questionnaire montrent des spécificités selon l'origine sociale. Les mères vie, et notamment des conditions matérielles, rencontrées dans différents
de milieu favorisé déclarent moins fréquemment que les autres employer milieux sociaux. Une illustration de ce point de vue peut être trouvée dans
des contrôles de type impératif et plus d'appels personnels (pour reprendre les travaux de Lautrey (1980) : en s'appuyant sur la théorie piagétienne du
une terminologie de Bernstein) ; elles déclarent également plus souvent développement de l'intelligence, il s'est attaché à mettre en évidence des
porter attention aux questions de l'enfant et tenter d'y répondre aussi com- caractéristiques fondamentales présentes à des degrés différents dans les
plètement que possible. Mais ces résultats, tout en nous renseignant sur la différentes classes sociales et susceptibles de favoriser la construction
représentation que se font les mères de l'éducation, peuvent être interprétés cognitive ; il montre comment le degré de structuration des pratiques éduca-
simplement comme le souhait de donner de soi une image valorisée, éven- tives familiales (aléatoire ou faible, souple, rigide)' influe sur le dévelop-
tuellement décalée par rapport à la réalité. pement intellectuel des enfants et en quoi il est dépendant de la situation
matérielle de la famille (dimensions et type de logement, horaires de travail
En revanche, les nombreuses observations des interactions mères-
enfants (cf. par exemple Rondal, 1983; Florin, 1991) dans diverses situa-
tions (soins quotidiens, jeux, lecture d'histoires, etc.) montrent que les Les pratiques éducatives familiales sont explorées par questionnaire aux pa~ents. Voici un
exemple de question et les réponses correspondant aux 3 types de structuration'(!= aléatoire
mères de milieu favorisé (classes moyennes et supérieures ; niveau d'études ou faible; 2 =souple; 3 =rigide) :
fin du secondaire et au-delà, selon les recherches considérées) donnent plus Question 14. Les jeux à la maison
d'informations à leur enfant, manifestent verbalement plus d'attention, lui 1. Il joue n'importe où dans l'appartement.
3. Il joue uniquement dans les endroits que vous avez fixés pour cela (par exemple, ce peut
adressent plus de stimulations verbales (y compris avec des bébés de être sa chambre, ou le couloir, ou une pièce quelconque).
quelques semaines ou de quelques mois) ; elles formulent moins d'interdic- 2. JI lui arrive assez souvent de jouer en dehors des endroits que vous avez fixés pour cela.
Vous acceptez à certaines conditions (par exemple, s'il joue à des jeux calmes, ou s'il dessine).
Les différentes interindividuelles ••• Les diffêrences interindividuelles •.•

des parents, diversité des activités de loisir). Il vérifie l'hypothèse selon fonction et une position fixe dans l'énoncé (soit en premier, soit plus
laquelle l'environnement social, comme l'environnement physique, doit rarement en second), un petit nombre de mots appelés « mots-pivots »,
présenter des régularités pour que les processus d'assimilation soient considérés comme les constituants fixes des premières structures synta-
possibles, mais qu'il doit aussi être source de déséquilibres afin de xiques (par exemple des mots comme «plus », « encore », « apu » : « apu
permettre les accommodations des structures cognitives existantes!, donc de gâteau », « apu poupée», « apu bobo») ; ces «mots-pivots» se combinent
nouvelles constructions cognitives (structuration souple): les enfants élevés avec de nombreux mots qui, eux, n'ont pas de position fixe, et qui consti-
dans des milieux souplement structurés (plus fréquents dans les classes tuent une« classe ouverte».
sociales les plus favorisées) ont des performances intellectuelles meilleures De même, les auteurs mettent en évidence deux stratégies pour exprimer
que ceux élevés dans des milieux faiblement ou rigidement structurés. la localisation : la première consiste à utiliser deux catégories de substan-
Le système éducatif familial peut donc être considéré, selon Lau trey, tifs, ceux qui désignent des objets qui peuvent être localisés et ceux qui
comme une variable intermédiaire dans la relation entre la classe sociale et désignent des lieux (« auto garage ») ; la seconde correspond à l'utilisation
le développement cognitif et langagier de l'enfant. d'un petit nombre de formes fixes dont certaines codent l'objet à localiser,
quel qu'il soit(« ça»,« çui-là »),et d'autres le lieu, quel qu'il soit(« ici»,
« là»)_ La première stratégie est qualifiée de «nominale», la seconde de
4. Les styles individuels et la pluralité des voies «pronominale».
de développement
Les styles d'acquisition du vocabulaire
Dans les années 70-80, se sont développés des travaux sur les premières
acquisitions de la syntaxe et du vocabulaire selon lesquels il existerait des Les différences individuelles dans les styles d'acquisition du vocabulaire
voies différentes d'acquisition. ont été mises en évidence principalement par Nelson (1981 ). Dans une
expérience désormais classique, réalisée en 1973, Nelson a montré que,
Les styles d'acquisition de la syntaxe parmi 18 enfants suivis de l'âge de 1 an jusqu'à 2 ans et demi dans les
échanges avec leur mère, certains, qualifiés de «référentiels », utilisent au
En étudiant le passage chez les enfants des énoncés à un mot aux
début des observations, parmi leurs 50 premiers mots, une large proportion
énoncés à deux mots, Bloom (cf. par exemple Bloom & Lahey, 1978) iden-
de noms d'objets, noms propres, verbes et adjectifs, alors que d'autres,
tifie deux styles : le langage «télégraphique, et l'utilisation préférentielle
qualifiés «d'expressifs », ont un vocabulaire formellement plus diversifié,
de « mots-pivots ». Dans le premier cas, les enfants combinent deux mots
avec un plus grand nombre de pronoms, de mots fonctionnels et de
entre lesquels on peut trouver une relation syntaxique, comme dans « ma-
formules sociales de routine (exemples: «va-t-en», «arrête ça», «je le
man pousser» ou «pousser maman» ; certains mots sont plus fréquents,
veux»). Il semble que les enfants «référentiels » apprennent d'abord à
mais ils peuvent avoir des fonctions grammaticales différentes selon les
parler des choses, alors que les enfants «expressifs» apprennent d'abord à
énoncés. Dans le second cas, les enfants emploient, toujours avec la même
parler d'eux-mêmes, des autres et des relations interpersonnelles. A la fin de
la période d'observation, après des apprentissages complémentaires (les
Dans la théorie piagétienne, assimilation et accommodation constituent deux processus enfants « référentiels » semblant apprendre surtout des mots r~olés, alors
complémentaires de l'adaptation, du développement de l'individu dans son milieu. Ces
processus sont mis en œuvre chaque fois qu'apparaît une situation comportant des éléments
que les acquisitions des «expressifs» sont souvent de petites phrases), les
nouveaux, inconnus ou non familiers. Il y a assimilation quand le sujet peut intégrer les deux groupes finissent par se rejoindre, maîtrisant tous deux le langage
données nouvelles à des patterns de comportements constitués antérieurement ; il y a référentiel et expressif.
accommodation quand les données nouvelles transforment un pattern de comportement ou
schème préexistant pour le rendre compatible avec les exigences de la situation (d'après Je
Grand Dictionnaire de la Psychologie, Larousse, 1991).
Les différences interindividuelles •.• Les diffêrences interindividuelles •••

Ces deux voies d'acquisition sont décrites comme partant, pour la mères et de leurs enfants à 2 ans, qu'il existe une analogie entre le langage
première, d'une priorité au lexique, et pour la seconde, d'une priorité à la auquel l'enfant est exposé et celui qu'il apprend; elle pense que, du point de
syntaxe. L'hypothèse de Nelson est que l'utilisation de l'une ou de l'autre de vue fonctionnel, une grande partie du langage auquel le jeune enfant est
ces voies traduit l'existence de styles cognitifs précoces. Ces deux voies de exposé est directif, centré sur ses propres activités, et probablement
développement convergent entre 2 ans et 3 ans, et correspondent à ce que pragmatique et expressif. A partir de cela, « l'enfant peut probablement
Reuchlin (1987) désigne par «processus vicariants», c'est-à-dire qui conclure que le langage est un moyen d'expression pragmatique utile pour
peuvent se substituer fonctionnellement l'un à l'autre. Entre ces deux straté- le contrôle social et les échanges sociaux, et cette conclusion sera proba-
gies existe un continuum sur lequel se situent les enfants, plus ou moins blement étayée par des échanges avec les pairs. D'un autre côté un enfant
près d'un pôle ou de l'autre. qui est exposé à des procédés d'enseignement maternel tels qu'un question-
nement pertinent conclura probablement que le langage est fonda-
Dans son article de 1981, Nelson compare des enfants« nominaux»
mentalement un moyen d'expression cognitif ou référentiel » (Nelson, 1981,
(qui utilisent plus de noms que de pronoms) à des enfants pronominaux
p. 181).
(chez lesquels le rapport entre noms et pronoms est inversé) et elle constate
que les fonctions du langage sont également différentes dans les deux
groupes ; certaines sont plus fréquentes chez les nominaux, telles que Le rôle des partenaires de l'enfant Il
dénommer, décrire un objet et ses propriétés, se référer; d'autres sont plus dans les apprentissages langagiers U
fréquentes chez les pronominaux : établir ou maintenir un contact avec
autrui, décrire ses propres actions ou ses sensations. Ces résultats indiquent
qu'un style d'acquisition est lié à des préférences quant aux fonctions du L'enfant n'apprend pas à parler tout seul. Dès les premières heures de la
langage, davantage qu'à des catégories linguistiques. vie, il est pris dans un bain de langage, dans lequel les adultes, notamment
ceux qui s'occupent le plus fréquemment de lui, vont constituer des parte-
Ces résultats ont été depuis confirmés et synthétisés par d'autres
naires privilégiés au sein d'interactions duelles (mère-enfant, en particulier).
travaux, qui conduisent à considérer deux styles principaux : l'un peut être
Au fil des mois et des années, les partenaires de l'enfant vont se diversifier,
qualifié de nominal ou référentiel, l'autre de pronominal ou expressif et
adultes et autres enfants, en fonction de la composition familiale, des modes
serait sous-tendu par des procédures de traitement plus globales. Il apparaît
de garde de l'enfant, de son entrée à l'école et des réseaux d'amitié.
également que la vitesse de développement du langage varie selon le style
d'acquisition« choisi» par les enfants, les enfants «référentiels» paraissant Dans ces interactions qui se créent et se développent, l'enfant va trouver
plus rapides quant au nombre de mots compris et à la longueur de leurs des aides à son développement et à son adaptation à l'environnement, des
énoncés ; en outre ils ont plus tendance que les autres, entre 1 et 2 ans, à modes différents de construction des connaissances, en même temps que
imiter immédiatement un énoncé entendu. !viais des études longitudinales à des occasions de jeux, de rires, de conflits et quelquefois de mises en échec.
plus long terme seraient nécessaires pour examiner les effets ultéiieurs, sur
Nous examinerons successivement les modalités d'adaptation du lan-
le langage, la cognition, voire la personnalité, du « choix » d'un style
gage de l'adulte au jeune enfant et leurs incidences sur le développement
d'acquisition dans les premières années de la vie.
langagier, puis les différentes réalités sous-tendues par la notion d'interac-
En outre l'origine des différences de styles d'acquisition a donné lieu à tion sociale, ainsi que les modalités qu'elles impliquent (tutelle, imitation,
des hypothèses variées, depuis d'éventuelles différences individuelles dans conflit socio-cognitif et co-construction).
la spécialisation fonctionnelle des hémisphères cérébraux, jusqu'à l'influen-
ce du milieu, en particulier de la mère : Nelson elle-même a montré, en
comparant le taux de noms par rapport aux pronoms dans le langage des
Les différences interindividuelles ••• Les différences interindividuelles ...

1. L'adaptation elu langage de l'adulte de 3 ans correspond essentiellement aux huit relations sémantiques les plus
Grâce aux recherches menées principalement depuis les années 70 sur fréquentes dans les énoncés enfantins au stade de 2 mots :
les dialogues mère-enfant, nous savons que ce dialogue s'établît très tôt, dès -relation d'agent-action: «maman part»,
les premières semaines de la vie (voir chap. 2) ; nous savons également que - action-objet : « regarde le livre »,
l'enfant est un partenaire actif de ce dialogue et que l'adulte adapte son -action-localisation : «il va dans la baignoire»,
langage au tout-petit. Ces adaptations concernent tous les aspects du lan- -agent-objet: «maman (a lavé) le nounours >>,
gage (cf. Rondal, 1983, pour une revue de question), elles se retrouvent à - entité-possession : « le camion d'Alexandre »,
des degrés divers dans les différentes classes sociales, dans différentes -entité-localisation: «la voiture dans le garage»,
cultures, et certaines d'entre elles semblent avoir un effet facilitateur sur - démonstratif-entité : « ce bateau »,
l'acquisition du langage par l'enfant. -entité-attribution : <<gentil garçon».
Avec l'enfant plus âgé, le caractère sémantiquement plus complexe du
Les différentes caractéristiques d'adaptation langage adulte porterait davantage sur la «densité sémantique» (Rondal,
Lorsqu'une mère s'adresse à son bébé, celui-ci est en mesure, dès l'âge 1983), c'est-à-dire le nombre de relations sémantiques par énoncé, plutôt
de 4 à 6 semaines, de reconnaître son intonation et de distinguer la voix que sur la diversité des types de structures sémantiques.
maternelle de celle d'une autre femme. La hauteur tonale du langage adressé La syntaxe du langage maternel a fait l'objet de nombreuses investiga-
à un tout-petit est plus élevée, notamment pour les mots à contenu séman- tions qui conduisent à des constats similaires : la longueur moyenne des
tique (noms, verbes par exemple) ; ces accents doivent permettre à l'enfant énoncés maternels augmente avec l'âge de l'enfant, la mère produisant des
de les isoler plus facilement dans la chaîne du discours, l'adulte exagérant énoncés en moyenne un peu plus longs que ceux de celui-ci ; c'est lorsqu'il
ce qui permet d'attirer l'attention de l'enfant. Le rythme d'élocution maternel a une dizaine d'années que les énoncés qui lui sont adressés sont de
augmente avec l'âge de l'enfant, notamment à partir du moment où celui-ci longueur moyenne équivalente à ceux que sa mère adresse à un autre
est en mesure de produire des énoncés de plusieurs mots. Parallèlement, la adulte. D'autre indices de la complexité syntaxique ont été utilisés et
durée des pauses dans le discours maternel tend à se réduire. conduisent aux mêmes résultats.
Les adaptations sémantiques sont nombreuses chez l'adulte : le nombre Avec les jeunes enfants, les requêtes d'information, les déclaratives, les
de mots différents (diversité lexicale) augmente avec l'âge de l'enfant; avec requêtes d'action constituent les actes de parole les plus fréquents. Le
des enfants de moins de 3 ans, les mères utilisent des mots très fréquents discours maternel est très redondant, fait de nombreuses auto-répétitions, et
dans la langue ; avec des enfants plus âgés, elles produisent une proportion de répétitions ou d'expansions (reprises d'énoncés avec ajout d'information)
plus élevée de pronoms personnels, d'adjectifs, d'adverbes. Avec les petits, des énoncés enfantins. Ces répétitions peuvent avoir plusieurs fonctions :
les partenaires de l'interaction (toi et moi) sont plutôt désignés par leur assurer à l'enfant la validation de son mesSage ou de sa prononciation, lui
. prénom, un nom ou un pronom de la troisième personne : « il est content, montrer qu'il a été entendu et compris, lui indiquer que l'échange peut se
Alexandre (ou mon bébé)?»,« elle est là, maman!»; ces procédés aide- poursuivre.
raient l'enfant à apprendre qu'il a un nom et à apprendre les termes de
parenté. La plupart des énoncés maternels se réfèrent à la situation Les effets des adaptations
immédiate et aux activités en cours de réalisation par les deux partenaires,
ce qui permet de dire que le langage se construit dans un dialogue d'action. Toutes ces modalités d'adaptation visent à rendre le langage de l'adulte
La structure sémantique de base des énoncés adressés aux enfants de moins plus clair, plus simple à comprendre pour l'enfant. Mais quels sont leurs
effets réels, tels qu'ils ont pu être mesurés ?
Les différences interindividuelles ... Les différences interindividuelles ...

L'intonation facilite l'identification de la voix maternelle par le bébé : en En résumé·, l'examen des nombreux travaux sur les effets des adapta-
effet il ne lui manifeste de l'intérêt que lorsque celle-ci est normalement tions langagières des adultes sur le langage des jeunes enfants montre que
intonée ; lorsque la mère lit un texte mot à mot et à l'envers, le bébé rle cèrtains procédés utilisés par l'adulte ont des effets sur des aspects locaux
différencie pas la voix maternelle d'une voix étrangère. du langage enfantin (utilisation fréquente de certains mots, de certaines
Des chercheurs ont montré également que l'exagération de la hauteur classes formelles ou structures syntaxiques). Mais ce qui paraît le plus
tonale est maximale lorsque l'enfant a 4 mois, période où il manifeste un important semble être surtout le cadre conversationnel offert par l'adulte à
grand intérêt pour les modifications expressives du visage et de la voix l'enfant, le fait de J'insérer dans la conversation en tant qu'interlocuteur
humaine. actif, tout en lui fournissant un guidage, une aide, un « étayage à son »'
expression d'abord gestuelle et vocale, et progressivement verbale.
Des études de corrélations ont également mis en évidence que des mots
ou certaines classes formelles de mots utilisés fréquemment par l'adulte le La généralisation des caractéristiques d'adaptation
sont également quelques mois plus tard par l'enfant.
Les caractéristiques ci-dessus ont été mises en évidence dans des études
Les effets des adaptations syntaxiques ne semblent pas clairement mis extrêmement nombreuses des dialogues mère-enfant. Se retrouvent-elles
en évidence. Ce qui paraît acquis, en revanche, c'est que le langage adressé aussi chez les pères, chez les adultes en général ? Sont-elles mises en
à l'enfant étant généralement simple de ce point de vue, les variations évidence dans différents milieux sociaux, dans différentes cultures ?
observées sont de faible amplitude et n'ont d'effets que sur des aspects Varient-elles selon les activités qui réunissent un adulte et un jeune enfant?
locaux du langage enfantin. Sur cet aspect comme sur le précédent, on peut
Les études du langage paternel adressé aux jeunes enfants, à défaut
observer en effet que les constructions fréquemment utilisées par une mère
d'être aussi nombreuses que les études du langage maternel, convergent
le 'sont également par son enfant. Ce qui paraît plus important à prendre en
compte, c'est le contexte dans lequel s'insère cette interaction mère-enfant : dans leurs résultats : les pères, comme les mères, modifient et adaptent leur
langage lorsqu'ils s'adressent à un tout-petit, et les similitudes sont plus
par exemple des énoncés relativement courts et simples sont probablement
importantes que les différences. Lorsque des différences sont mises en
nécessaires avec les jeunes enfants au début d'une séquence conversation-
évidence, elles peuvent être assez contradictoires d'une étude à l'autre, et
nelle, alors que des énoncés plus complexes ou plus longs peuvent être
semblent dépendre à la fois du temps passé par chacun des deux parents
compris à l'intérieur d'un contexte existant de compréhension personnelle,
avec leur enfant, et de la diversité plus ou moins grande des activités réali-
une fois qu'un terrain commun a été établi pour la compréhension, en
quelque sorte. sées en commun : en d'autres termes, lorsque le père et la mère passent à
peu près le même temps avec l'enfant au cours de la semaine, lorsqu'ils
Les réponses de l'adulte aux interventions de l'enfant, notamment les participent à peu près également aux mêmes activités avec l'enfant, les
expansions (reprises avec ajout d'informations) semblent un procédé parti- différences s'estompent. Mais il faut souligner que ces études comparatives
culièrement efficace pour développer le langage des jeunes enfants dans ses concernent principalement des parents de classe moyenne, ayant un niveau
aspects syntaxiques et sémantiques, ainsi que l'attestent plusieurs études. d'études de fin du secondaire ou plus, et leurs résultats ne peuvent donc être
Une recherche expérimentale a montré notamment que les enfants qui d'emblée généralisés.
reçoivent le plus d'expansions (et dont on a contrôlé le niveau de langage
avant l'étude elle-même) produisent quelques mois plus tard des énoncés
plus longs, plus de syntagmes verbaux et nominaux, plus d'auxiliaires et ont Traduction malencontreuse, mais adoptée dans la communauté scientifique, du tenne anglais
de meilleures performances à un test d'imitations de phrases. « scaffolding )>, comme le souligne Khomsi (1992). En effet l'image qu'il évoque en français
est plutôt celle de la consolidation d'un édifice qui risque de s'écrouler, alors qu'en anglais, il
correspond à un échafaudage provisoire en vue de la construction, ce qui décrit bien l'action
de l'adulte dans ce cas.
Les différences interindividuelles ••• J.es différences interindividuelles ...

Les comparaisons de mères issues de différentes classes sociales contexte plus large des comparaisons des réactions maternelles dans diffé-
montrent que les adaptations du langage maternel aux possibilités de rentes cultures. De telles comparaisons indiquent en effet que les réponses
l'enfant semblent constituer un phénomène général : on les observe quelle verbales sont davantage valorisées chez les mères de classe moyenne de
que soit la classe sociale de la mère, ce qui ne signifie pas que les comporte- culture occidentale que chez des mères africaines (comparaison de mères
ments verbaux des mères de différentes classes sociales soient identiques. habitant Boston aux USA et de mères Gusii du Kenya ; Richman et al,
En effet, de nombreuses études' montrent que les mères de milieu favorisé 1992) ; ces dernières utilisent avec leur bébé plutôt des réponses par contact
utilisent moins d'impératifs, moins d'énoncés pour diriger le comportement physique : elles le prennent dans les bras et le caressent plus souvent que ne
de l'enfant, qu'elles adressent plus de stimulations verbales à leur bébé le font les premières, mais lui fournissent moins de réponses verbales ou
(vocalisations contingentes à celles du bébé, commentaires positifs, ... ); en par le regard lorsqu'il vocalise, crie ou les regarde. On trouve des diffé-
outre, lorsque leur enfant est plus âgé, elles assurent plus de réponses rences similaires en comparant des mères mexicaines avec leur bébé, selon
contingentes, plus d'expansions à ses interventions verbales, expansions qu'elles ont été scolarisées 9 ans ou 2 ans. Et pourtant tous les enfants (sauf
dont les effets positifs sur le développement du langage de l'enfant ont été handicap particulier) apprennent à parler ! Alors, le langage adressé à
mis en évidence par plusieurs travaux (cf. précédent). Les différences l'enfant aurait-il donc peu d'effet sur le développement langagier de ce
semblent porter davantage sur le nombre et le type de réponses apportées à dernier?
l'enfant, plutôt que sur le discours qui lui est spontanément adressé. Mais
comme nous l'avons vu précédemment (cf. 3. de ce chapitre), plus que telle Ces interprétations devraient également tenir compte des partenaires
ou telle modalité du discours, ce qui semble le plus important, c'est la place privilégiés des jeunes enfants, qui varient selon les cultures : il s'agit princi-
qui est faite à l'enfant dans ses initiatives verbales et non verbales, aux palement de la mère dans la culture occidentale, mais on sait qu'il en va
comptes-rendus qu'il fait de ses activités ; ce sont aussi les questions et les différemment dans d'autres cultures, où un autre adulte (oncle, tante, par
encouragements verbaux qui lui sont fournis et l'encouragent à s'exprimer exemple), voire un enfant plus âgé (grande sœur) peuvent jouer ce rôle.
verbalement. Les différences semblent renvoyer davantage à un cadre
Les explications des adaptations du langage adressé à l'enfant
affectivo-cognitif qu'à une théorie de la privation socio-culturelle.
Ces diverses caractéristiques d'adaptation mises en évidence dans le lan-
Plusieurs caractéristiques du langage adulte varient également selon
gage que l'adulte adresse à l'enfant sont largement inconscientes. Plusieurs
l'activité réalisée avec l'enfant. Il semble que, par rapport au jeu ou à des
explications peuvent être avancées, pour expliquer à la fois pourquoi et
activités de soin (repas, bain, etc.), l'activité de lecture de livre mette en jeu
comment les adultes adaptent leur langage.
un langage maternel plus complexe structurellement, un vocabulaire plus
large, une fréquence plus élevée de questions et de dénominations, caracté- Tout d'abord, l'enfant est un partenaire actif de l'interaction, qui mani-
ristiques souvent considérées comme associées à un bon développement feste, par différents types de réponses et de comportements non verbaux ou
langagier de l'enfant. Le contexte de l'interaction peut jouer comme verbaux, sa compréhension du langage de l'adulte, guidant en cela les
modérateur des différences de langage maternel liées à la classe sociale, reformulations nécessaires, les clarifications ou simplifications utiles, dans
puisque celles-ci sont réduites ou disparaissent en situation de lecture de la mesure, bien sûr, où l'adulte lui porte attention. Celui-ci a également le
livres, par exemple (Hoff-Ginsberg, 1991). souci, explicite ou implicite, d'enseigner le langage au tout-petif'; ille mani-
feste par la redondance de son discours, les expansions ou corrections
Ces similitudes et différences dans les interventions verbales des mères
expl,icites des énoncés de l'enfant, par la dénomination d'objets ou la
pourraient également être mieux comprises si on les replaçait dans le

On dispose d'études sur l'anglais, le français et le néerlandais, notamment.


Les différences interindividuelles ••• Les différences interindividuelles •.•

demande de dénominations lorsque l'enfant est capable de les produire, et son désir d'apprendre, fournit un cadre à ses activités, et guide ses appren-
même avant!. tissages en lui fournissant les instruments pour apprendre. Mais ces rela-
tions sociales peuvent recouvrir des réalités bien différentes quant au
Mais l'objectif principal de l'adulte, en particulier de la mère, est de processus de l'échange et à ses effets possibles, selon le statut des parte-
converser avec l'enfant ; c'est le plaisir de communiquer avec lui, même naires, plus ou moins asymétrique du point de vue de la compétence, de
lorsqu'il ne dispose pas encore du langage articulé, ce qui explique que l'âge, du pouvoir. Trois mécanismes principaux semblent impliqués dans les
l'adulte interprète et sur-interprète les comportements non verbaux du bébé modalités sociales d'acquisition des connaissances, qui peuvent nous aider à
comme autant de répliques, ayant la valeur de prises de parole. Cet objectif mieux comprendre la construction du langage chez l'enfant : la tutelle, la
explique aussi que le langage de l'adulte évolue avec celui de l'enfant : c'est co-construction et l'imitation. Les troiS renvoient à des cadres conceptuels
l'enfant qui règle l'évolution du langage de son partenaire, à partir de ses différents et ont été particulièrement bien synthétisés dans un article de
progrès en compréhension, de ses capacités d'initiative dans la conversa- Beaudichon, Verba, Winnykamen (1988), dont on s'inspirera dans la
tion. Ce plaisir de la communication s'accompagne également du souci présentation qui va suivre.
d'intégration de l'enfant dans sa communauté culturelle, comme en témoi-
gne l'insistance des mères ou des adultes de la famille (ou des adultes en L'interaction de tutelle
général, dans d'autres cultures) à faire apprendre à l'enfant par exemple les
rituels de politesse, d'abord sous forme non verbale (faire au revoir avec la La tutelle renvoie au cadre théorique proposé par Vygotsky (1985} et
main ou envoyer un baiser) puis sous forme verbale. L'apprentissage des suppose une asymétrie de compétence entre un «novice» et un « tuteur»,
rituels de communication et le modelage des rôles socio-linguistiques et des différences de but: le but du novice (apprenant) est de faire ou de
tiennent une place non négligeable dans les échanges avec l'enfant. dire, celui du tuteur (expert) est de faire faire ou faire dire. Le tuteur fournit
au novice les informations nécessaires, les instruments utiles, présentés
Ce que les mères et les partenaires privilégiés de l'enfant apprennent au sous une forme simplifiée, assimilable par le novice, de telle sorte que
tout-petit, à travers les adaptations de leur langage, c'est une <<langue de la celui-ci puisse les intégrer à ses connaissances antérieures. La notion de
conversation», selon l'expression de Khomsi (1982), en la distinguant d'une tutelle est liée à celle de « zone proximale de développement » définie par
«langue de verbalisation» que l'école va chercher à développer, en visant à Vygotsky : le niveau de développement potentiel de l'enfant, correspondant
une normalisation des formes linguistiques utilisées. à ce qu'il est capable de faire avec l'aide d'un adulte à un certain moment,
c'est-à-dire l'écart entre le niveau de maîtrise auquel l'enfant se situe devant
une tâche et le niveau qu'il peut atteindre grâce à la tutelle de l'adulte. Plus
2. Les mécanismes impliqués dans les modalités sociales le novice progresse, plus le tuteur doit s'effacer pour lui laisser l'initiative et
de l'acquisition de connaissances le contrôle de la réalisation, quitte à réintervenir si une difficulté apparaît.
Dans le paragraphe précédent, nous avons souligné à plusieurs reprises L'enfant progresse ainsi vers l'auto contrôle et la construction d'une compé-
que la mère, dont le rôle est très valorisé dans notre société, n'est cependant tence intériorisée (intra individuelle) après avoir été inter individuelle.
pas le seul partenaire de l'enfant dans ses interactions. L'enfant se trouve L'établissement des interactions de tutelle, leur durée et leur forme dépen-
rapidement dans un réseau de relations sociales et d'échanges avec diffé- dent des représentations que chaque partenaire a de l'autre et des difficultés
rents partenaires, adultes et autres enfants. L'environnement social stimule et des progrès de l'activité ; la tutelle est le fait des adultes, mais peut aussi
être exercée par un enfant plus âgé ou plus expert que l'enfant novice.
Bien des travaux montrent que les mères sollicitent les dénominations d'objets chez leur bébé, Bruner (1983) a une position voisine de celle de Vygosky, lorsqu'il étu-
avant qu'il soit capable de les produire(« Regarde ! C'est quoi, ça?») et acceptent un regard,
un rire, une vocalise du bébé comme s'il s'agissait de la réponse véritable ( « oui, c'est un
die les interactions entre les mères et leurs jeunes enfants : certains rituels
lapin ! >)). ou « formats d'interaction», au sens de jeux répétitifs avec alternance ou
l.es différences interindividuelles •.• Les différences interindividuelles •••

complémentarité des rôles des deux partenaires, répétant toujours le même Ce cadre descriptif de l'analyse de la tutelle est prolongé par Wertsch &
scénario (autour de l'activité du repas par exemple, ou dans un jeu de cache- Sammarco (1988) dans l'analyse des processus de médiation sémiotique
cache), constituent des procédures de simplification du réel qui facilite la pendant l'étayage et l'étude de leurs incidences sur le développement
prise de rôle, 1'expression vocale ou verbale de 1'enfant. Dans l'acquiSition cognitif.
de savoir-faire et la résolution de problèmes par l'enfant, Bruner utilise la
notion « d'étayage » pour rendre compte de la manière dont le tuteur sou-
tient ou stimule les comportements de l'enfant qui vont l'aider à comprendre Ill La notion d'étayage
le but à atteindre et les moyens de l'atteindre.
P1·emièrement, au niveau le plus simple de l'étayage, l'adulte « protège »
L'auteur définit six fonctions de l'étayage (1983, p. 277-279): l'enfant contre les distractions en assurant une convergence constante entre
1. Enrôlement: la première tâche évidente du tuteur est d'engager son attention et celle de l'enfant dans l'interaction. Qu'il s'agisse de l'appren-
lissage des activités sensori~motrices, cognitives ou encore linguistiques,
l'intérêt et l'adhésion du novice envers les exigences de la tâche.
l'adulle doit faire en sorte que l'enfant ait l'occasion d'établir des relations
2. Réduction des degrés de liberté : simplification de la tâche par entre signes et événements[ ... ]
réduction du nombre des actes constitutifs pour atteindre la solution. Deuxièmement, l'adulte fournit des moyens pour la représentation et l'exécution
Exemples de tâche : raconter l'histoire ; pour la simplifier, on va ajouter des relations entre moyens et buts lorsque l'enfant ne peut pas encore com-
des questions comme : ça parle de qui ? où cela se passe-t-il? etc. Autre prendre le but qu'il faut atteindre ou les moyens efficaces pour y parvenir.
tâche : puzzle ; pour simplifier, on va proposer : cherche les morceaux Comme le montrent [plusieurs études], l'adulte dirige par son discours et ses
qui ont un bord droit pour faire le tour, cherche les pièces de l'ours, etc. actions les activités de l'enfant de façon à le confronter constamment à des
relalions enlre signes, moyens et buts, et l'amener à intervenir actîvemenl dans
3. Maintien de l'orientation : les débutants s'attardent et rétrogradent ses relations avanl qu'il puisse les représenter, s'accordant ainsi étroitement au
vers d'autres buts, étant donné les limites de leurs intérêts et de leurs niveau de l'enfant dans le déroulement de la tâche.
capacités. Le tuteur a pour charge de les maintenir à la poursuite d'un Troisièmement, on doit noter le râle important que jouent les formats en assu-
objectif défini (maintenir l'enfant« dans le champ» et déployer entrain rant une mesure constante de succès pour l'enfant et l'adulte. En limitant lo
et sympathie pour maintenir sa motivation). difficulté de la tâche à un niveau accessible à l'enfant, les formats lui permet-
4. Signalisation des caractéristiques dominantes : le fait de les signaler tent de poursuivre son activité avec un minimum d'aliénation dû à l'échec.
Bien sûr, les formats sont souvent construits de façon à présenter à l'enfant des
procure une information sur l'écart entre ce que l'enfant a produit et ce
tâches qui sont légèrement au-delà de ses capacités immédiates pour provo-
que lui-même aurait considéré comme une production correcte (faire quer un voyage dans la zone proximale de développement.
comprendre les écarts). Quatrièmement, les formats fournissent des occasions de créer des conven-
5. Contrôle de la frustration : la résolution de problème devrait être tions d'inleroction à travers l'utilisation des signes dans le contexte d'action,
moins périlleuse ou éprouvante avec un tuteur que sans lui (« sauver la des conventions qui ont des conditions de « félicité » telles que celles qu'on
face» pour les erreurs commises, etC.). Le risque majeur est de créer trouve dans les actes de parole plus complexes des interactions entre adultes
[ ... ]
une trop grande dépendance à l'égard du tuteur.
La continuité entre les formats du jeune enfant et les formats plus complexes de
6. Démonstration : ou « présentation de modèles >> de solutions pour l'adulle est en partie assurée par le fait que l'adulle construit avec l'_?nfanl une
une tâche exige considérablement plus que la simple exécution en « mini-cullure » qui lui permet d'être dès la naissance un membre d8'""1a culture
présence de l'élève. Elle comporte souvent une« stylisation» de l'action plus générale tout en fonctionnant à son niveau. Il ne s'agit donc pas pour
qui doit être exécutée, et peut comprendre l'achèvement ou même la l'enfant de devenir social ; il est social depuis toujours dans le microcosme
justification d'une solution déjà partiellement exécutée par l'élève lui- des formats.
même. J_ S. Bruner, Le développement de l'enfant_ Savoir foire, savoir dire,
Paris, PUF, 1983, p. 288-289.
Les différences interindividuelles .•. Les différences interindividuelles ..•

On peut trouver des exemples de telles interactions de tutelle lorsqu'un ne pas participer ou au contraire intervenir, selon des formes variables qui
adulte découpe son message en unités, en s'ajustant au rythme de compré- peuvent prendre la forme d'une démonstration, et on peut se retrouver dans
hension de l'enfant, ou lorsque, dans une activité de récit, il guide la une interaction de tutelle. Par certains aspects, il y a également confron-
production de l'enfant par des questions destinées à mettre en évidence les tation interindividuelle dans l'imitation, puisque le sujet imitant doit
éléments principaux ou schéma narratif. Mais de telles interactions de confronter son mode d'intervention ou de résolution de problème à celui du
tutelle peuvent être le fait d'enfants plus âgés, qui vont rendre saillants pour modèle et évaluer ce dernier comme plus efficace.
un plus petit, les éléments nécessaires à la compréhension de leurs énoncés Les conduites d'imitation, exactes ou avec transformation, sont très
(par l'intonation, la répétition de certains mots, ou la désignation d'objets précoces et constituent, d'après Baudonnière (1988), le premier mode
auxquels on se réfère par exemple), ou maintenir son attention sur l'activité d'échange soutenu entre enfants.
entreprise.
Imitation et co-construction dominent dans les interactions sociales
La co~construction et le conflit socio~cognitif entre jeunes enfants, mais des interactions de tutelles, de durée limitée,
peuvent être observées chez des enfants de 2 ou 3 ans. C'est bien sûr avec
La co-construction a été étudiée dans la perspective théorique de Doise
l'adulte ou avec des enfants plus âgés que celles-ci prennent vraiment leur
et Mugny (1981). Contrairement à l'interaction de tutelle, elle suppose la
place, comme guidage régulier des progrès de l'enfant. A partir de 5 ans, les
symétrie des compétences et des relations, et un but similaire. Elle corres-
trois mécanismes peuvent apparaître au sein d'une même activité, en se
pond à une mise en commun des savoirs et des apports respectifs des parte-
substituant plus ou moins rapidement l'un à l'autre.
naires pour atteindre ce but. Cette mise en commun peut passer par une
coopération lorsque les apports sont complémentaires ; elle peut nécessiter Pour conclure ce chapitre, quatre réflexions pourraient être proposées
un conflit de points de vue entre les partenaires, qu'ils auront à surmonter, aux enseignants pour guider un travail sur le langage.
lorsque les savoirs ou les stratégies de résolution du problème sont diffé- 11 Les enfants arrivent à l'école avec des compétences, des savoirs, des
rents. Les activités des partenaires se coordonnent dans une réalisation ou savoir-faire différents, résultats de leurs développement physiologiques de
une réponse commune, qui assure à chacun une ou des acquisitions leurs expériences, de leur histoire personnelle et sociale. Il importe de les
nouvelles. Nous avons trouvé des exemples de co-construction dans les reconnaître, non pas en termes de manques ou d'insuffisances, mais en
interactions verbales entre enfants de quatre ans essayant de s'expliquer les termes d'acquis, comme des points de départ de l'action pédagogique.
orages ou les inondations.
11 Les enfants développent leurs compétences de communication et
L'imitation leur utilisation du langage dans des interactions avec des partenaires, dans
des actions réalisées en commun qui ont un sens pour eux, spontanément ou
Ce troisième mécanisme renvoie à la théorie de l'apprentissage par
parce qu'on les aide à le découvrir.
observation de Bandura (1980)1 et a été largement analysé par ailleurs par
Piaget. Il s'agit de l'utilisation intentionnelle de l'action d'autrui comme Ill Ses premières acquisitions dans le domaine de la communication et
point de départ ou comme guide de l'action orientée vers un but. Le modèle du langage, l'enfant les a faites avec l'aide et les ajustements de ses parte-
constitue une référence à partir de laquelle l'enfant évalue et contrôle ses naires dans un cadre conversationnel. Celui-ci l'a plus ou rnoin{fpréparé aux
propres tentatives. Ce mécanisme peut prendre des formes différentes selon verbalisations sollicitées dans le cadre scolaire, mais l'école constitue pour
que le modèle se sait ou non imité. Dans le second cas, il n'intervient pas lui un monde nouveau, dans lequel la communication est à construire avec
directement dans l'activité de l'enfant ; dans le premier cas, le modèle peut des parten~ires nouveaux, aux modes d'expression pas toujours habituels,
dans des activités à découvrir. .. Ce n'est pas simple ...
Voir chapitre 2. On peut également se reporter à l'ouvrage de Winnykamen (1991).
Les différences interindividuelles,..

11 L'adulte constitue un partenaire privilégié, l'enseignant est dans


l'école cet adulte privilégié auquel il a été confié par ses parents ; c'est de lui
qu'il va d'abord attendre le plus souvent les réponses à ses besoins, à ses
demandes, déçu de devoir le partager avec autant d'enfants ... L'enseignant,
de par ses compétences d'adulte et de pédagogue, va aider l'enfant dans de
multiples aspects de son développement ; mais celui-ci peut apprendre
beaucoup de ses pairs, et plus généralement des autres enfants de l'école,
pour peu qu'on l'aide, si nécessaire, à établir ou à maintenir avec eux des
terrains communs et des occasions de coopération.

les pratiques langagières


à l'école maternelle

Nous avons tetminé le chapitre précédent en insistant sur deux points :


la diversité des capacités de communication et de langage des enfants
lorsqu'ils arrivent à l'école maternelle d'une part, l'importance des parte-
naires dans le développement de ces capacités d'autre part. Ce faisant, nous
sommes déjà au cœur des difficultés de pratique du langage et de la
communication à l'école maternelle :
-comment les enseignants peuvent-ils prendre en compte cette diversité
de capacités, lorsqu'ils ont 25 ou 30 enfants autour d'eux ?
-peuvent-ils ajuster leur langage selon les compétences de leurs élèves
et sur qui se règlent-ils :les plus faibles ou les plus compétents ?
-en quoi les situations ]angagières de l'école maternelle constituent-
elles des situations nouvelles d'apprentissage pour les enfants ? com-
ment apprennent-ils à y participer?
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'école maternelle

-tous les enfants développent-ils également leurs compétences conver- différents lieux géographiques, avec des enfants différents par l'âge et
sationnelles et langagières à l'école maternelle? l'origine sociale notamment, et dont les enseignant:es 1 sont elles-mêmes très
-quelles sont les conséquences des comportements langagiers précoces diverses, par leur style, leur ancienneté dans la profession et à ce niveau de
sur le devenir scolaire des enfants ? la scolarité, leur formation ... Loin de paraître répétitives, les observations à
Dans ce chapitre, nous examinerons successivement les points suivants : partir desquelles sont effectuées les analyses semblent au contraire très
la spécificité des situations conversationnelles ; les pratiques des interlo- diverses, porteuses de surprises : on est étonné par les réactions des enfants,
cuteurs et leurs difficultés, en considérant successivement et par commodité intéressé par le savoir-faire des enseignantes dans certains épisodes délicats.
d'exposé, celles des enseignants et celles des enfants ; nous tenterons enfin Mais au-delà de cette diversité, on retrouve toujours des similitudes qui
un bilan sur la manière dont, au quotidien, on tente de concilier objectifs tiennent aux conditions de pratique du langage, et plus globalement, à la
« académiques » et diversité des enfants. structure scolaire elle-même. Tout d'abord, le groupe réunit généralement
25 à 30 enfants présents, il est souvent hétérogène du point de vue de l'âge
lorsque deux niveaux sont regroupés dans la même classe (tout-petits et
petits, petits et moyens, etc.), et toujours hétérogène du point de vue des
ll.a spécificité des situations conversationnelles compétences langagières ; l'enseignante est le seul adulte présent, aidée
parlais d'une aide maternelle pour certaines activités. La nature de l'activité,
son organisation (travail par petits groupes ou réunissant l'ensemble de la
On dispose de nombreux travaux sur les interactîons maître-élèves en classe), le matériel utilisé sont beaucoup plus variables. Mais quelles que
milieu scolaire, selon différentes perspectives (sociologique!, pédagogique, soient les caractéristiques des activités, l'institutrice conserve le rôle princi-
psycholinguistique), mais qui concernent pour la plupart d'entre eux des pal dans la direction de la communication, par les sollicitations adressées,
niveaux de la scolarité plus élevés que celui de l'école maternelle, ou des les modalités du langage choisies.
aspects limités des interactions. A différents niveaux de la scolarité, on a
Lorsque nous avons commencé nos observations (Florin, Braun-
souligné l'asymétrie des rôles de l'enseignant (Stubbs et Delamont, 1976),
Larnesch, Brarnaud du Boucheron, 1985), on disposait de très peu de don-
l'importance prise par ce dernier dans le temps de parole de la classe
nées relatives aux échanges verbaux enseignants-élèves à l'école maternelle,
(Rondal, 1978) et son contrôle de la conversation. On a constaté également
à leurs aspects formels, thématiques, fonctionnels ou pragmatiques. L'inté-
qu'il définit lui-même le thème de la conversation à partir duquel les élèves
rêt des chercheurs se tournait plutôt vers les échanges mère-enfant ou vers
sont sollicités pour intervenir, au moyen de nombreuses questions, souvent
d'autres niveaux de la scolarité jugés plus porteurs d'enjeux pour la réussite
fermées (François, 1980). Ces caractéristiques se retrouvent-elles à l'école
et l'échec scolaire. Or les enfants passent une proportion importante de leur
maternelle ?
journée à l'école dès l'âge de 3 ans et même avant pour un nombre croissant
Peu de travaux en revanche rendent compte de modifications introduites d'entre eux, à une période que l'on peut considérer comme capitale pour le
dans les situations conversationnelles de l'école et de leurs effets éventuels, développement langagier ; de plus la transmission pédagogique, à tous les
mesurés selon des procédures de contrôle rigoureuses. Citons toutefois à niveaux de la scolarité, passe largement par le langage et <>ommence à
titre d'exemple Crahay (1989), et Wilkinson (1982). s'exercer à l'école maternelle où l'enfant est amené à en faire l'appren-
tissage. D'où notre intérêt pour des questions telles que : qui parle et dans
Il y a maintenant un peu plus de dix ans que nous avons commencé à
étudier les situations conversationnelles des écoles maternelles, dans
Nous n'avons eu que rarement l'opportunité d'observer des moments conversationnels avec
des enseignants, ceux-ci étant ultra-minoritaîres à l'école maternelle. Aussi parlerons-nous ici
On pourra se reporter à la revue de question de Sîrota (1987), des enseignantes, en espérant que leurs collègues masculins ne nous en tiendront pas rigueur.
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'école maternelle

quelle proportion ? l'enseignante adapte-t-elle son langage aux enfants ? de pour différentes raisons : il était accepté plus facilement que la vidéo par les
quoi parle-t-on? quelle est la fonction des énoncés produits ? etc. enseignantes pour ce type de travail, et jugé moins intrusif dans la classe ·
de plus notre intérêt était centré sur les verbalisations et le recueil de corpu~
langagiers et nous n'avions donc pas prévu de coder en tant que tels les
1. le choix des situations observées aspects non verbaux des interactions ; enfin quelques essais d'enregistre-
et le recueil des données ment et de transcriptions de conversations scolaires nous ont convaincu
Pour répondre à ces questions, nous avons choisi, dans la mesure où on rapidement que les pertes d'information enregistrées (messages inaudibles
~u incompréhensibles, interlocuteurs non identifiés) n'étaient pas supé-
ne peut guère tout étudier, de travailler à partir de deux types de situations
pédagogiques : les moments de langage et les ateliers. Les premiers regrou- neures à celles qui étaient indiquées dans des recherches utilisant un enre-
pent tous les enfants autour de l'enseignante, généralement pour des activi- gistrement vidéo. Ultérieurement, d'autres raisons sont venues appuyer ce
tés de conversation ou de récit, avec utilisation éventuelle de supports tels choix : un enregistrement « audio » garantit mieux l'anonymat des per-
que livres, diapositives ou marionnettes. Il s'agit de moments privilégiés sonnes ~nregistrées qu'un document« vidéo» et les enseignantes acceptent
consacrés au langage, contestés en tant que tels par une partie des ensei- plus facilement que nous puissions les diffuser dans des activités de forma-
gnantes et dont l'objectif peut être double : transmettre des connaissances, tion par exemple ; de plus, le fait d'avoir utilisé cette technique et d'en tirer
notamment linguistiques, aux enfants, et les faire s'exprimer verbalement. autant d'informations a incité des enseignantes, après nos observations, à
Les seconds permettent aux enfants de travailler en petits groupes, de enregistrer elles-mêmes certaines de leurs conversations dans la classe, soit
découvrir et pratiquer différentes activités : peinture, jeux d'eau, modelage, pour analyser leurs propres pratiques langagières, soit pour travailler cer-
graphisme, réalisation de bracelets, jeux de société, etc., selon les cas ; ils tains aspects des conversations avec les enfants. C'est d'ailleurs en pensant à
peuvent occuper un temps important dans la journée scolaire, matin et elles et à leurs collègues qui souhaiteraient faire de même que nous avons
après-midi, notamment pour les enfants les plus grands, ou qui n'ont pas de choisi de présenter de façon détaillée la méthode que nous utilisons pour le
sieste dans la journée. recueil et l'analyse des données : ainsi, elles pourront, si elles le souhaitent,
se la réapproprier ou s'en inspirer, pour leur propre travail.
Ces deux situations ne résu:rrient certes pas les activités de l'école mater-
nelle : activités de psychomotricité, sorties, visites et spectacles, situations Depuis lors, nous avons conservé le plus souvent la même technique :
informelles des soins quotidiens (accueil, habillement, passage aux toilettes, on équipe l'enseignante d'un petit micro sans fil, qui la laisse libre de ses
collation, réveil de la sieste) réunissent aussi les enfants chaque jour avec mouvements et nous garantit une bonne qualité de l'enregistrement, effectué
l'enseignante. Mais les premières étaient difficiles à prendre en compte pour avec un magnétophone à cassette relié au récepteur ; deux ou trois observa-
des raisons techniques d'enregistrement ; les secondes, par leur caractère teurs, selon le nombre d'élèves, assistent à la séance, à l'écart du groupe, et
informel et leur organisation variable selon les écoles, les classes et le per- notent : qui parle à qui, un mot à sens plein (nom, verbe, adjectif) de chaque
sonnel disponible, étaient également difficiles à comparer ; en outre, même intervention pour pouvoir la réaffecter à son auteur, et les événements non
si elles peuvent représenter des moments très importants dans la journée des verbaux utiles pour la compréhension de ce qui est dit. L'un d'eux effectue
enfants et des occasions de dialogue privilégié pour les enseignantes, elles la transcription dans les meilleurs délais ; celle-ci est ensuite vérifiée et
nous paraissent moins représentatives de l'école maternelle, en tant qu'acti- éventuellement complétée par l'autre (ou les autres) observateur(s).
vités pédagogiques. Pour ces études, nous avons retenu dans les transcriptions les douze
Nous avons choisi d'enregistrer les séances au magnétophone, et ce, en premières minutes de conversation dans chaque enregistrement : par
présence de deux ou trois observateurs, selon la taille des groupes observés. exemple dans le cas d'un travail de récit à partir d'un livre, si l'enseignante
Le magnétophone a été retenu, de préférence à l'enregistrement vidéoscopé, commence par lire l'histoire, nous commençons la transcription à la fin de
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'école maternelle

la lecture, lorsque débute l'échange avec les enfants. Le choix de la durée de d'avoir de~ repères temporels et d'effectuer éventuellement des mesures sur
l'enregistrement retenu pour la transcription s'est fait à partir de plusieurs une partie définie des séances (voir exemple ci-dessous).
critères : pouvoir comparer des corpus recueillis dans des classes de tout-
petits et des classes de grands, et les séances dans les premières ne duraient
guère plus longtemps dans bien des cas ; avoir un échantillon représentatif 11 Transcription d'une minute d'enregistrement
du langage utilisé au cours des séances enregistrées, et plusieurs essais nous
ont confirmé que douze minutes d'enregistrement permettaient de l'obtenir. Séance de langage ; classe de petits ; on raconte l'histoire de Roule-Galette.
Évidemment le choix doit être différent si on poursuit d'autres objectifs, tels M ~classe qu'est-ce qu'il faut pour faire une galette?
que décrire la structure complète d'une séance ou d'une leçon, ou encore Mei-M de la farine
analyser l'ensemble des productions individuelles des enfants, par exemple. M- classe il faut de la farine !
et pi quoi encore ?
Avant tout enregistrement donnant lieu à une analyse, on s'est donné un Sir-M pi des œufs, de la farine, du sucre
Mei-M et pi du lait et du beurre
ou plusieurs moments de familiarisation réciproque : les enfants nous ont M ·classe de la farine, du sucre, du beurre, des œufs et du lait parfois
ainsi vite acceptés et nous leur avons expliqué notre travail ; nous avons eu et alors après qu'est-ce ...
· plus de difficulté à identifier rapidement chacun d'eux sans erreur, surtout où est-ce qu'elle met la galette, la grand-mère?
pour les observateurs qui allaient chaque semaine dans plusieurs classes Emi-M au four
M- classe elle la met cuire au four
différentes, d'où l'idée suggérée par une enseignante et retenue, d'équiper et la galette commence à cuire
chaque enfant d'une petite étiquette avec son prénom. Sir-M et pi [coupe la parole)
M- classe et voilà maintenant que la galette .. ? [coupe la parole)
Enfin les transcriptions ne rendent compte que des échanges entre Nic-M est trop chaude
l'enseignante et les enfants dans la classe, puisque c'est là le thème que nous M- classe elle est cuite, elle est toute belle ..
avions choisi. Pendant les moments de langage, les conversations entre elle est bien, bien sucrée, bien dorée
enfants ne sont retenues que lorsqu'elles font partie de la séance, et les Sir-M et pi y a une autre galette qui se promène
M- classe elle est presque belle
échanges en aparté ne sont pas transcrits ; pendant les activités d'ateliers, il M-Sir tss tss (M veut faire taire Sir)
en est de même, que l'enseignante reste avec un petit groupe pendant la M- classe elle est bien sucrée, bien dorée !
séance, ou qu'elle aille d'un atelier à l'autre dans la classe. mais elle est ... ?
/ .. ./
Les résultats que nous présentons ici proviennent de plusieurs centaines qu'est-ce qu'il lui dit le grand-père?
d'enregistrements réalisés dans les différentes sections des écoles mater- il n'est pas content !
il lui dit : elle est. .. ?
nelles. Nic-M trop chaude
L'unité d'analyse est le plus souvent l'énoncé : il commence avec le M- classe elle est trop chaude ta galette !
alors qu'est-ce qu'elle fait la grand-mère?
début d'une prise de parole ou la fin de l'énoncé précédent, marquée par une
1 ./
pause. Une fonction telle que donner un ordre, demander une information, elle met où ?
etc., est donnée par un énoncé unitaire. Chaque transcription se présente où la met-elle la galette ?
sous forme de trois colonnes : dans la première, on note « qui parle à qui >> ; Nic-M elle la met sur le rebord de la fenêtre !
M- classe elle la met sur le rebord de la fenêtre !
dans la deuxième, « ce qui est dit » ; et dans la troisième, « les événements pour ... ?
ou comportements particuliers utiles à la compréhension de ce qui est dit». / .. ./
Chaque minute d'enregistrement est transcrite sur une page différente, afin pourquoi la met-elle sur le rebord de la fenêtre ?
/ .. ./
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières il l'école maternelle

Mei-M elle a pas le droit plusieurs énoncés et solliciter la classe ; un enfant ou plusieurs répondent ;
M- classe pour la faire ... ? l'enseignante reprend la parole et utilise l'une des réponses précédentes pour
Mei-M brûler 1
poursuivre en sollicitant à nouveau la classe, etc.
M- classe pour la foire refroidir !
La complexité du discours magistral varie-t-elle en fonction de l'âge des
enfants, comme celle des mères (voir chap. 3) ? Pour répondre à cette
2. Qui parle et comment ? question, nous avons calculé la longueur moyenne de ses énoncés (indice
calculé sur 100 énoncés ; LME = nombre total de mots produits 1 100). La
Quelle est la quantité de discours produit par l'enseignante d'une part, et réponse est très différente pour les ateliers et les séances de langage (Florin
les enfants d'autre part? Varie-t-elle selon les situations ou les thèmes? etal., 1985; op. cit.):
Pour répondre à ces questions, on calcule le nombre d'énoncés produits au -en ateliers, la LME augmente régulièrement avec l'âge des enfants, de
cours d'une séance de 12 minutes, par les enseignantes et les enfants. 5 ans environ en section de tout-petits (TP) à 6,5 en section de grands
Ce qui apparaît immédiatement dans l'analyse, c'est la place centrale de (GS), ce qui correspond à des énoncés relativement simples, tels que:
l'enseignante dans la conversation, puisqu'à elle seule elle produit plus -Tu prends l'encre comme ça.
d'énoncés que tous les enfants réunis, à de rares exceptions près : -Tu viendras après, c'est promis !
- en séance de langage, sa part dans la conversation 1 est le plus souvent -en séance de langage en revanche, on n'observe aucune vanatwn
comprise entre 50 % et 65 % ; on trouve cependant quelques séances, systématique de la LME avec l'âge des enfants (5 < LME < 7,5, selon
plutôt en grande section (GS), dans lesquelles tous les enfants réunis les séances) ;
arrivent à produire ensemble entre 50 et 60 % des énoncés ; Bien sûr, il s'agit là de moyennes ; certains énoncés magistraux peuvent
-cette prééminence s'accroît encore pendant les ateliers (entre 75 et se limiter à un seul mot («oui »), tandis que d'autres sont nettement plus
80 %), non parce que l'enseignante parle davantage, mais parce que les longs, notamment lors de l'exposé du thème de la séance :
élèves s'adressent moins à elle et sont mobilisés sur leur activité d'ate-
lier ; de plus les enseignantes s'adressent souvent à eux pour donner des
consignes ou les rappeler, les inciter à travailler, fournir le matériel
nécessaire, ce qui n'appelle pas de réaction verbale de leur part; la part Ill Exemple d'énoncés longs produits par l'enseignante
de l'enseignante diminue très légèrement lorsqu'on s'élève dans les en début de séance (classe de grands)
niveaux scolaires.
M- classe Moi je vous propose qu'on reÇoive les papas et les mamans
Un deuxième élément peut être souligné : on observe une relative à l'école pour foire la fête avec BUX
stabilité du nombre d'énoncés produits par la classe au cours des séances de Plusieurs ouais!
langage, qui correspond bien au rythme des échanges, sans brouhaha ni M- classe alors si vous avez quelque chose à dire, chacun son tour !
silence prolongé ; les séances de langage sont nettement différenciées des Lin-M on va faire la fête
ateliers, à ce point de vue. M-Emi Emi.
Emi-M faudrait que les mamans elles emmènent les gâteaux
En séance de langage, la conversation prend la forme d'un échange de M- Emi ben alors ça serait les mamans qui nous apporteraient de
l'enseignante avec la classe : l'adulte prend la parole pour produire un ou quoi foire la fête alors ?

Part dans la conversation = pourcentage d'énoncés produits par l'enseignante par rapport au
total d'énoncés produits par la classe (enseignante+ élèves).
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques lange~gières à l'école maternelle

La longueur moyenne des énoncés magistraux augmente donc avec l'âge En séance de langage, outre la place importante accordée aux histoires
des enfants, mais ne varie pas systématiquement en séance d'atelier. Ce et aux contes, il nous est apparu que l'on s'écarte très peu du thème initiale-
procédé d'adaptation utilisé par les mères l'est donc à l'école mais unique~ ment proposé. Dans les séances consacrées à une histoire, les enseignantes
ment dans les séances où, les enfants travaillant en petit groupe, l'ensei- consacrent en moyenne 70% de leurs énoncés à celle-ci(« qu'est-ce qui se
gnante s'adresse à eux surtout de manière individualisée. Lors des activités passe après ? que fait le roi ? ») ; la vérification des connaissances géné-
de langage regroupant toute la classe, ce procédé n'apparaît pas : la situation rales, c'est-à-dire celles qui ne sont pas liées de façon spécifique à l'histoire
collective semble beaucoup moins propice à l'adaptation du langage. Dès ou à l'événement raconté, représente 10 % des énoncés ( « comment
lors, on peut se demander si le discours utilisé est trop simple ou trop com- s'appelle le petit du cheval ? , ; « qu'est-ce qu'il faut pour faire une
plexe ; si l'on prend comme point de comparaison le discours maternel, la galette ? ») et les références aux expériences personnelles des enfants sont
réponse pourrait être : les énoncés paraissent un peu longs en moyenne pour peu fréquentes (5 à 10% en moyenne;« t'as déjà vu un ours, toi?»); le
qu'ils soient compris de tous les plus jeunes, ils semblent assez courts pour reste (environ 10 %) correspond à l'organisation de la vie de la classe et la
les plus âgés. Mais il est bien sûr difficile de comparer une situation de régulation des comportements ( « bon alors maintenant, on va faire les
dialogue et une situation collective impliquant 25 à 30 interlocuteurs poten- groupes» ; «écoute un peu, Sam ! »). Avec les enfants les plus jeunes, il
tiels. s'agit le plus souvent de décrire ou de dénommer des objets présents ; avec
L'examen des productions enfantines montre qu'elles sont deux fois plus les plus âgés, le rapport à la situation est moins immédiat et on fait
davantage appel à des éléments «hors situation». Les expériences
nombreuses en séance de langage qu'en atelier, sans varier quantitativement
personnelles ne sont véritablement prises en compte que lorsqu'elles
en fonction du niveau scolaire. Les énoncés utilisés sont relativement
constituent le thème principal de la séance (exemple : « Alors aujourd'hui
pauvres syntaxiquement jusqu'à la section de moyens comprise, par rapport
on va parler des bébés. Qui a un bébé à la maison?»); dans ce cas elles
à ce qu'on peut attendre de l'évolution des compétences langagières chez
peuvent représenter 50 % des énoncés, la référence aux connaissances
des enfants de cet âge ; ils sont faits le plus souvent de mots isolés, de
générales demeurant toujours un objectif bien présent (20 % des énoncés
syntagmes, et des productions de type SVO (sujet-verbe-objet) ou plus
environ) ; mais il arrive assez fréquemment que, dans de telles séances, la
représentent moins du tiers de leurs énoncés ; elles ne deviennent domi-
référence à une histoire revienne sur le devant de la conversation alors
nantes qu'au niveau de la grande section. Ces observations, confirmées
qu'elle n'en constitue pas le thème, en principe.
depuis par d'autres, montrent que ces situations ne semblent pas favoriser
l'élaboration d'énoncés complexes ; les énoncés simples, voire les mots En séance d'atelier, on parle surtout du travail à réaliser (60 à 65 % des
isolés, semblent répondre à la demande des enseignantes. N'est-ce pas un énoncés ; «tu tapes avec le jaune ... tu mélanges bien toutes les couleurs, il
peu en deçà des objectifs que peut se fixer l'école maternelle quant au déve- faut remplir toute la feuille ») ; la régulation des déplacements et des
loppement du langage des enfants ? comportements représente 30 % des énoncés avec les tout-petits et tend à
perdre de l'importance au fur et à mesure qu'on s'élève dans les niveaux
scolaires (10% environ en grande section), les enfants devenant plus disci-
3. Thèmes cles séances et fonction cles énoncés plinés et plus autonomes. Les ateliers sont aussi l'occasion de vérification
Dans l'étude déjà citée (Florin, Braun-Lamesch, Bramaud du des connaissances générales ( 10 à 20 % des énoncés magistraux, à, tous les
Boucheron, 1985), une analyse de près de 100 séances (pour moitié des niveaux scolaires), celle-ci pouvant même devenir le thème principal de
séances de langage, pour moitié des ateliers, dans des classes de tous les certaines séances. L'expérience personnelle des enfants est peu prise en
niveaux d'âge) indiquait des similitudes importantes d'une classe à l'autre compte dans les échanges enseignante-enfants en atelier : moins de 5 % des
dans les thèmes des séances et la fonction des énoncés. énoncés y sont consacrés en moyenne, rarement plus de 10 %.
Les pratiques langagières à l'école maternelle
Les pratiques langagières à l'école maternelle

En séance de langage, l'enseignante parle surtout pour donner de


l'information aux enfants et pour poser des questions-tests dont elle connaît !1 Premier exemple de questions ouvertes/fermées
les réponses ( <~ ça a combien de côtés un carré ? ») ; ces deux fonctions (classe de moyens)
représentent chacune autour de 20 % des énoncés ; l'adulte reformule ses M- classe qu'est-ce qu'on sème ?
propres énoncés ou ceux des enfants (environ 15% dans chaque cas) et Vîr-M des radis
évalue les interventions enfantines (environ lü%). Le reste correspond M-Vir des radis
surtout à des requêtes d'information(« qu'est-ce que tu as fait dimanche?») mais qu'est-ce qu'on sème ?
et à des requêtes d'action(« montre-moi sur l'image!»). La fonction des Mic-M des trucs
énoncés varie peu selon le niveau scolaire, mais davantage avec le thème Mat-M des salades
général de la séance : par rapport à des séances consacrées à une histoire, le M- classe des ... ?
Lud- M des gu ..
fait de parler des expériences des enfants ou de la classe (« hier on a été au
M- Lud oui?
marché tous ensemble; qu'est-ce qu'on a fait?) entraîne une fréquence plus Lud- M des graines
élevée des requêtes d'information, l'enseignante apportant elle-même moins M- Lud des graines, oui !
d'informations.
En atelier, les principales fonctions des énoncés magistraux sont princi- 111 Deuxième exemple de questions ouvertes/fermées
palement: des requêtes d'action (20 %), des apports d'information (17 %), (classe de pelils)
des requêtes d'information (15 %), des évaluations (entre 10 et 15 %) et des M- classe qu'est-ce qu'on peut dessiner à côté du canard ?
reprises d'énoncés magistraux ou enfantins (20 % au total). On observe peu Ele-M des graines
de variations de la fonction des énoncés en fonction de l'âge ou de la
L'enseignante répète sa question jusqu'à ce qu'elle obtienne la réponse atten-
séance. due : une mare.
Le nombre de questions posées paraît très important en atelier (5 ou 6
par minute, en moyenne) ; il l'est encore davantage pendant les moments de
langage (plus de 6 par minute) ; certaines enseignantes en posent même une
dizaine par minute dans quelques séances, qui ressemblent alors davantage On peut trouver dans certaines séances 30 à 40 % de questions de ce
à des situations de tests ou d'examen qu'à des échanges conversationnels. type, particulièrement difficiles pour de jeunes enfants, du moins pour ceux
Les tout-petits reçoivent autant de questions et même quelquefois plus que qui n'ont pas deviné la réponse attendue.
leurs aînés. Il s'agit, pour plus de la moitié d'entre elles, de questions fer-
mées à une seule réponse possible («combien de personnes voit-on sur Compte tenu de l'importance des questions, il n'est guère surprenant que
cette image ? >>) ou de questions auxquelles on doit répondre par oui ou la plupart des énoncés enfantins soient des réponses, correctes ou incor-
non. Les questions ouvertes représentent moins de 15 % du total, sauf lors- rectes ou. des répétitions de réponses antérieures ; les apports d'information
qu'on parle d'expériences des enfants : leur proportion augmente alors non sollicitée par l'enseignante sont rares (moins de 10 % des énoncés
sensiblement, tandis que celle des questions fermées diminue. On trouve enfantins) et les demandes d'informations quasi inexistantes.en,·séance de
également des questions, en apparence ouvertes, mais en réalité fermées, langage ; ces deux catégories d'énoncés enfantins sont davantage représen-
parce que l'enseignante attend une réponse bien précise, comme dans les tées en atelier, mais les réponses restent la catégorie la plus représentée.
exemples ci-dessous :
Les pratiques langagières à l'école maternelle
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11111 Il s'agit d'un système de communication extrêmement centralisé


Il Le maitre : un interlocuteur actif ? autour de l'adulte, qui produit à lui seul plus de 50% des énoncés de la
11 ne devrait jamais arriver non plus que le maître ne soit pas cet inlerlocuteur classe ; les échanges entre enfants sont rares, de courte durée et peu
actif qui sait prolonger les échanges sans redondances, sans expansions encouragés.
faites uniquement dans le but de« foire parler l>, S'il y a quelque chose à dire,
Quelle que soit la situation, le discours magistral conserve globalement
s'1 les prolongements sont intéressants et nécessaires, alors les apprentissages
se font. Mais si la parole est anodine, et un simple« bruit »de convivialité, ou
les mêmes caractéristiques :
si, à l'inverse, elle est obsessionnellement pédagogique, il y a fort à parier
Ill Il varie peu en fonction de l'âge des enfants. Il n'est pas plus simple
1 formellement (on n'observe pas de variation systématique de la longueur
que les progrès en langage seront plus lents ou qu'ils se feront essentiellement
par les pairs. moyenne des énoncés, par exemple) ; il n'est pas moins riche quant au
M.·C. Rolland, Enseigner aujourd'hui à l'école mo/erne/le, Paris, Ellipses, 1994 contenu, ni plus personnalisé lorsqu'il s'adresse aux enfants les plus
jeunes.
11111 A niveau d'âge constant, il varie peu en fonction des différences
Les échanges apparaissent donc centrés sur un thème dont on s'écarte individuelles dans les compétences communicatives des élèves.
peu, l'enseignante maintenant et contrôlant la con;~rsati?n par de no~­ 1111 Il varie peu en fonction des thèmes traités ou en fonction de la
breuses questions, qui relèvent davantage de la venflcatton de connat~­ composition du groupe de travail.
sances que de la requête d'information. Certains thèmes semblent toutefOis Bien que l'école maternelle soit «une école sans programme», la
plus favorables à des échanges plus ouverts, dès lors qu'on fait appel aux conversation scolaire qui s'y développe présente globalement les mêmes
expériences des enfants, personnelles ou vécues en commun. caractéristiques académiques que la conversation à l'école primaire lorsque
l'enseignant fait une leçon sur un point déterminé du programme (cf. De
Les pratiques des enseignants Landsheere & Bayer, 1969): système hyper-centralisé autour de l'ensei-
et l'expression des enfants gnant, visant essentiellement la vérification des connaissances acquises et
l'apprentissage de connaissances nouvelles ; thème imposé dont on s'écarte
peu.
1 . les caractéristiques générales Ces similitudes s'expliquent en partie par les difficultés inhérentes à
n est vrai que chaque enseignante et chaque classe a en quelque sorte toute gestion d'une situation collective : il est difficile par exemple d'accep-
son style propre : certaines enseignantes posent beaucoup de questions ou ter des productions « hors thème » ou hétéroclites, sans tomber dans un dia-
apportent beaucoup d'informations, d'autres moins ; certé.Ünes classes sont logue de sourds ou des conversations en parallèle. Certaines enseignantes y
régulièrement actives, tandis que les échanges se dévelop~ent ~e~tement et parviennent toutefois, en laissant les enfants infléchir le thème dans une
difficilement dans d'autres ; etc. Mais au-delà de cette dtverstte entre les direction non prévue, acceptant des productions saugrenues et des moments
enseignantes et entre les classes, apparaissent des caractéristiques géné- de cacophonie, quitte à reprendre l'initiative un peu plus tard et à dévelop-
rales: per avec la classe un thème plus structuré. Mais les classes dè petits et
1111. La conversation prend généralement la forme d'une série de dialo- celles des grands n'ont pas les mêmes compétences, faut-ille rappeler: les
gues entre l'enseignante et sa classe, dans lesquels l'adulte comm.ence grands peuvent simultanément traiter un thème et se lancer dans quelques
par solliciter collectivement le groupe des enfants.; un ou_ plusieurs digressions ; les petits en revanche, ont plus de difficultés ; ou bien on suit
répondent; l'enseignante sélectionne et reprend une mformatwn appor- un thème avec eux, mais très peu d'enfants participent ; ou bien beaucoup
tée et relance la discussion par une nouvelle question, etc. participent et le thème dérive rapidement de sa ligne initiale.
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'école maternelle

Mais ces similitudes s'expliquent surtout par le modèle éducatif sous- soit que ~'enseignan~e s'adresse à la classe ou à un autre enfant. De plus,
jacent. L'accent est mis sur l'autorité magistrale, sur la transmission des les enseignants operent une subtile gradation des non-réponses en
savoirs, et sur la compétition dans l'accès à la parole, bien davantage que fonction du degré de pertinence des interventions enfantines, comme
sur l'expression individuelle et le développement des compétences commu- nous avons pu l'observer dans quelques dizaines de séances : 38 % de
nicatives dans leurs différentes dimensions (linguistiques, socio-linguis- no~n-ré~onses pour les interventions thématiques, 42 % pour les non-
tiques, référentielles ou stratégiques). Ce que les enfants doivent apprendre thematiques, 51 % pour les incorrectes, 68 % pour les ininterprétables,
rapidement dans ces situations, c'est en quelque sorte leur métier d'élève, à 82 % pour les absences de réponse enfantines à une sollicitation magis-
savoir dans le cas présent, qu'ils ne sont qu'un élément d'un groupe - la trale. En voici un exemple :
classe-, sollicité en tant que tel par l'enseignante, pour construire avec son
aide la progression du thème.
Ill On raconte une visite de la classe dans un parc animalier
(classe de petits)
2. La participation des enfants
M- classe Où est-ce qu'on a été ?
Dans ces situations, les enfants sont, d'une manière générale, limités à qu'est-ce qu'on a fait?
un rôle réactif. Ils doivent : Kév-M on a été voir les animaux
-se conformer aux choix thématiques de l'enseignante, choix qui ren- M- classe où?
voient souvent à un univers moral et artificiel (celui des contes), laissant Sor-M dans le bois
peu de place à l'imaginaire propre des enfants et aux réalités de la vie Nic-M on n'a pas été ..
contemporaine ; Mot-M l'autruche ça mord [coupe la parole)
M- classe on a été dans le bols, oui
- réagir à des sollicitations magistrales souvent non personnalisées,
mais dites-moi, c'est loin !
l'enseignante s'adressant collectivement au groupe ;
Eli-M y avait un porc (fait une grimace)
-répondre à de nombreuses questions, souvent fermées (7 à 9 questions M- classe comment est-on ..
par minute en moyenne) ; Aud·M en car [coupe la porolef
Participer verbalement suppose aussi une bonne connaissance des règles M- classe chut
généralement implicites de la conversation scolaire. Il faut savoir, en parti- M-Aud alors Aud ?
culier: Aud·M on y a été en car
~fournir, parmi un ensemble des réponses possibles, celle qui est atten-
M·Aud on y est allé en car oui
M- classe et qu'est-ce qu'on a fait?
due par l'enseignante et qui servira à poursuivre la discussion ; Mot-M en car
- formuler brièvement et clairement sa réponse, sous peine de ne pas M- classe qu'est-ce qu'on a fait en arrivant?
être entendu, compte tenu du rythme alerte de la conversation et des
prises de parole spontanées de certains enfants qui ne laissent guère le D~ns cet exemple, l'enseignante ignore l'intervention de Kév, puis .·c:.elles de
temps de s'exprimer à ceux qui sont plus lents, plus hésitants ; N1c et Mat pour reprendre celle de Sor, puis celle d'Eii, et encore u~e inter-
-interpréter, parmi les nombreuses absences de réponses magistrales, vention de Mat. A deux reprises ici, les enfants parlent en coupant la parole,
celles qui signifient la non-pertinence d'une intervention : selon les ~~_on peut remarquer que Aud fournit la réponse avant que l'enseignante ait
f1n1 de poser sa question.
classes, 34 à 50% en moyenne des prises de parole enfantines ne reçoi-
vent pas de réponse, soit qu'un autre enfant intervienne spontanément,
les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'école maternelle

En outre, il faut être capable de s'affirmer dans une situation fortement 11 Le discours enfantin est peu complexe et peu informatif, jusqu'au
concurrentielle et perçue comme telle par de nombreux enfants. niveau des moyens compris : un mot, un syntagme isolé, plus rarement
une proposition (à peine un tiers des énoncés) constituent la majorité de
Dans ces conditions, bien des élèves éprouvent de sérieuses difficultés à leurs énoncés.
participer : Il La répartition des prises de parole est très inégalitaire à tous les
111 Les réponses inadéquates sont fréquentes chez les tout-petits (20%
niveaux scolaires ; 39 % des tout-petits, 37 % des petits, 29 % des
en moyenne), comme le montre l'exemple ci-dessous. moyens et encore 31 % des grands ne participent guère, voire jamais, à
la conversation scolaire, sans que des insuffisances ou des retards de
11 On raconte l1histoire de Zazou le teckel développement langagier puissent expliquer de telles difficultés, d'après
(classe de toul-petits) les différentes épreuves de langage que nous leur avons administrées, en
Pendant que son ami Benoît dormait, compréhension et en production. Il peut arriver aussi que la majorité des
M- classe
Zazou le teckel s'est sauvé. (M montre aux enfants énoncés soit produite par un très petit nombre d'enfants, les autres
oh, qu'est-ce qui se passe là ? le livre ouvert) restant complètement à l'écart de la conversation 1_
Ben -M un chien Or les conséquences à terme de ce fonctionnement sont loin d'être
M- classe y a un chien
négligeables (cf. Florin, 1991). Les comportements langagiers ont une place
Gae-M y a deux chiens (Zazou est sur la page de gauche ;
il est aussi représenté importante dans la dynamique du fonctionnement psychologique des
M-Gae y a deux chiens ?
sur la page de droite) enfants et dans leur devenir scolaire. En effet, il s'avère que, dès la petite
Ben-M y a deux chiens
vous êtes sûrs qu'il y a deux chiens? section, les enfants faibles parleurs,~ ceux qui restent souvent à l'éCart de la
M- classe
Jam -M y a un chien conversation scolaire -, tendent à rester dans cette position les années
Ben-M il est là l'autre (fend le doigt vers le livre) suivantes. En outre les comportements de participation verbale en classe
M-Jah dis Joh, qui est-ce là ? constituent, en association avec un petit nombre d'autres comportements,
Jah-M Zazou des prédicteurs de la réussite et des difficultés scolaires à l'école élémen-
M- Jah et là? taire.
Séb-M encore Zazou
M- classe c'est encore Zazou !

Emi-M
et là qui est-ce ?
Benoît Les objectifs académiques et la diversité des enfants ~
Jah-M il dort
M-Jah il dort
etoùça?
Ali-M dons son lit (Benoît est assoupi dons un fauteuil) Partant de cet état de fait, nous nous sommes demandés si une organisa-
Mat-M non tion différente des activités de langage à l'école maternelle est possible,
comment elle peut être mise en place, comment on peut favoriSer une réelle
Plusieurs enfants se trompent en identifiant deux chiens au lieu d'un ; un autre
reconnaissance du discours personnel des jeunes enfants.
localise malle personnage de Benoît. Il s'agit là d'erreurs d'ailleurs fréquentes
chez les tout-petits, qui ont des difficultés à t"rouver une identité dans plusieurs
images (première erreur) ou ont tendance à donner une réponse fonctionnel- ----··--
lement fréquente sans tenir compte des caractéristiques spécifiques de la situa- Nous avons ainsi trouvé des séances dans lesquelles plus de 60% des énoncés étaient produits
par trois enfants, voire deux ou même seulement un.
tion (deuxième erreur).
----------------------
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'école maternelle

1. les expérimentations effectuées Ill Homogénéiser les petits groupes conversationnels en fonction du
Comment assurer une diversification adaptative des interventions degré de participation habituelle en grand groupe réduit sensiblement la
magistrales et un meilleur développement des capacités communicatives de pression concurrentielle. Les faibles parleurs deviennent des participants
tous les enfants, et notamment des faibles parleurs, ceux qui restent à très actifs à la conversation : comparée à ce qu'elle est dans les grands
l'écart? Le problème majeur est celui de la différenciation de l'enseigne- groupes habituels, leur production langagière est multipliée par 4,5 à
ment, une différenciation préyentive plutôt que réparatrice, qui puisse au 40,9 selon les enfants. On voit ainsi des enfants qui produisent en
quotidien s'adapter, autant que faire se peut, aux capacités différentes des moyenne un énoncé par séance en produire, dès la deuxième séance,
enfants. entre 12 et 30 régulièrement dans des conversations en petit groupe
homogène.
Nous avons expérimenté divers aménagements dans la dimension et la 1111 Diversifier les thèmes conversationnels et laisser les enfants parler
composition des groupes conversationnels, avec la collaboration des ensei- de leurs expériences personnelles stimule les capacités expressives des
gnantes, dans des classes de différents niveaux d'âge (cf. Florin, 1991) : plus jeunes sur un terrain sémantique plus favorable que celui des
-réduction de la dimension du groupe à un tiers de l'effectif de la classe contes. Ceci incite, en outre, les enseignantes à individualiser davantage
(6 à 10 enfants selon les cas) pour constituer des petits groupes; leur discours, à solliciter plus fréquemment les enfants par des questions
-composition «hétérogène » ou «homogène » du petit groupe : la ouvertes.
composition est définie uniquement à partir des prises de parole des l l l l Privilégier les dialogues personnalisés et instaurer des tours de
enfants en situation habituelle de grand groupe, indépendamment de la parole systématiques en petit groupe peut être réalisé par les ensei-
« qualité » des interventions. Les enfants sont classés en fonction du gnantes, lorsqu'eUes y sont explicitement invitées.
nombre d'énoncés produits dans cette situation, depuis celui qui parle le
plus jusqu'à celui qui parle le moins ; partant de là, on peut définir 3 Les enfants apprennent ainsi très rapidement le respect de la parole des
sous-groupes : les grands parleurs, les moyens parleurs et les faibles autres et les règles de la convivialité qui bénéficient largement aux faibles
parleurs ; ils constituent les groupes appelés « homogènes ». Les parleurs des séances habituelles.
groupes dits « hétérogènes » sont composés chacun d'un tiers des trois Les effets de ces aménagements expérimentaux ont été positifs, et per-
groupes «homogènes», soit pour un groupe de 9 enfants, par exemple : çus comme tels par les participants, enseignantes et enfants, dès les
3 grands parleurs, 3 moyens parleurs, 3 faibles parleurs. premières séances. Mais il est difficile de modifier en deux ou trois essais
des habitudes de fonctionnement solidement ancrées et mises en œuvre
quotidiennement. Ces modifications ne vont pas de soi, ainsi que le recon-
2. Les résultats obtenus naissent les enseignantes, et nécessitent un certain apprentissage.
L'observation de ces groupes en fonctionnement et l'analyse statistique
de leurs productions conduisent aux résultats suivants :
11111 Réduire la dimension du groupe conversationnel est une condition 3. Privilégier la personne, sa spécificité
nécessaire pour augmenter le temps de parole théorique dont peut et la souplesse adaptative
disposer chaque enfant. Mais c'est une condition insuffisante pour Mais, plus fondamentalement, la question qui est posée est celle du
rééquilibrer la participation verbale au profit des faibles parleurs, dans «modèle éducatif» (au sens de Plaisance, 1986) à mettre à l'œuvre dans les
la mesure où deux ou trois grands parleurs suffisent à monopoliser conversations enseignant-élèves à l'école maternelle.
l'essentiel de la conversation.
Les pratiques langagières à l'école maternelle Les pratiques langagières à l'ècole maternelle

Il faut partir du besoin de communication et d'expression des enfants, -être souple enfin dans la prise en compte des différences individuelles
privilégier l'individu, sa spécificité, sa diversité et la souplesse adaptative sur tous les plans et dans les ajustements de niveau de langage néces-
(voir les chapitres précédents, notamment les chap. 2 et 3). saires au bon fonctionnement de chacun.

Il y a à cela deux raisons majeures : d'une part, on le sait, c'est en Il ne s'agit pas pour autant de prôner un spontanéisme sauvage, tel qu'on
conversant, en étant actif (et non pas réactif) que l'enfant apprend le langage le trouve dans bien des séances conversationnelles, et dont seuls les grands
(cf. les travaux de Bruner); d'autre part les compétences langagières et parleurs sortent toujours gagnants. Mais d'un autre côté, il s'agit bien de
notamment la participation à la conversation scolaire sont une condition fonder la démarche éducative sur les motivations des enfants et leur appétit
importante de la réussite scolaire ultérieure, comme le confirment plusieurs de communication. Ceci suppose une diversification des séances, à la fois
études longitudinales (Florin, 1991 ). dans les objectifs, les fonctions du langage mises en œuvre, la structure des
groupes conversationnels, et dans les modes d'intervention des enseignants,
Il faut développer les différentes composantes des compétences de façon à stimuler l'ensemble des compétences langagières des enfants.
communicatives à l'intérieur d'activités finalisées, signifiantes et motivantes
pour les enfants. Tout d 1abord diversifier les objectifs
D'une manière générale, il s'agit de privilégier le fonctionnement Acquérir_ des connaissances générales, apprendre la conduite de récit,
psychologique, le fonctionnement individuel des enfants et de lui subor- certes ; mais aussi entraîner différents domaines de compétence langagière :
donner l'organisation du travail en classe et dans l'école. Non l'inverse. prononciation, lexique, syntaxe ; apprendre à converser dans un groupe, à
La question n'est pas de choisir entre rigueur et laisser faire, mais de s'y exprimer, à confronter des points de vue avec autrui.
casser les rigidités et introduire de la souplesse dans les fonctionnements,
en sachant qu'on ne peut guère mener de front plusieurs objectifs à la fois, Diversifier les thèmes et à travers eux les fonctions du langage
surtout lorsqu'ils sont contradictoires. Il est difficile par exemple d'apporter Acquérir la structure de récit, qu'il s'agisse de raconter un conte, une
beaucoup d'informations, tout en laissant largement parler les enfants, ou expérience personnelle ou une expérience de la classe ; élaborer un projet
encore de restituer complètement et logiquement un récit tout en faisant commun ; développer l'imaginaire, en créant un conte, une poésie, les
s'exprimer la quasi-totalité des enfants de la classe. On pourrait ainsi se dialogues d'un spectacle dont les enfants seront les acteurs ou dans lequel
donner quelques principes généraux de fonctionnement : on utilisera des marionnettes ; apprendre à participer à un débat et argumen-
-être dirigiste dans l'organisation des groupes-classes et des petits grou- ter ses points de vue à partir des préoccupations quotidiennes des enfants ou
pes de travail : opérer un aménagement rigoureux du fonctionnement des thèmes d'actualité auxquels ils sont si souvent exposés, via la télévision
des groupes, une régulation des prises de parole, une gradation contrôlée notamment et aussi les discussions familiales ; utiliser des activités de
des pressions concurrentielles en réglant la taille et le degré d'homo- communication référentielle empruntées à la recherche pour créer des expé-
généité des groupes de travail, sachant qu'ils ne doivent en aucun cas riences de communication dans la classe (type jeu de «qui est-ce?», dans
être considérés comme des groupes de niveau, mais comme des modes lequel il faut deviner un personnage à partir de l'identification de ses pro-
d'organisation ponctuels, situés dans le temps, en fonction des pro- priétés différentielles).
blèmes rencontrés par les enfants, et susceptibles d'être modifiés pour
faciliter les progressions individuelles ; Diversifier la structure du groupe conversationnel
-être libéral dans l'aménagement des conversations, dans le choix des C'est-à-dire tout à la fois sa dimension, sa composition et son organisa-
thèmes et dans les initiatives laissées aux enfants, relatives notamment à tion interne, et notamment le réseau de commun~cation. Le travail en grand
leurs expériences et leurs intérêts personnels ; groupe devrait être introduit progressivement en cours d'année. Le travail
Les pratiques langagières à l'école maternelle
Les pratiques langagières à l'école m~;~terneile

linguistique et conversationnel proprement dit devrait commencer en petits Nous avons pu observer, lors de nos nombreuses visites en maternelle,
groupes dont on ferait varier la composition- groupes «homogènes» tout des exemples réussis d'une telle diversification des séances de travail, mais
d'abord, puis groupes « hétérogènes » -, selon les critères que nous avons limités à un ou deux aspects de la conversation.
utilisés. Cette progression vers le travail en grand groupe devrait être
soigneusement graduée, notamment pour les enfants les plus jeunes et ceux Une telle perspective, qui privilégie le fonctionnement psychologique
dont les capacités langagières et sociales sont les plus limitées. de l'enfant au sein de la classe, nous paraît une condition d'égalisation des
chances de réussite scolaire ultérieure, en évitant, dès le début des appren-
Par ailleurs, la communication devrait pouvoir s'établir non seulement tissages, une démobilisation des enfants les moins préparés aux exigences
entre l'enseignant et le groupe, comme c'est le cas classiquement, mais aussi scolaires. Ceci suppose de profonds aménagements des pratiques habi-
entre enfants, l'adulte se contentant alors d'animer les échanges. Avec les tuelles dans les conversations scolaires en maternelle, et un solide travail
plus grands, des groupes autonomes ou animés par un enfant pourraient être des enseignants, en intégrant en particulier les apports utiles de la psycho-
mis en place, pour la conception ou l'exécution d'un projet précis. Les_int~r­ logie de l'enfant et des techniques de communication ; on pourra ainsi plus
actions entre enfants ayant des compétences et des styles cornrnumcattfs facilement mettre l'accent, comme le suggère Legrand (1988), «sur le sujet
différents peuvent créer une « pression communicative » (Wilkinson, 1982) apprenant, sur son développement personnel, la convivialité, l'autonomie
qui incite les jeunes élèv_es à expérime~ter des stratégies variées ~?u~ ~e personnelle ... ».
faire comprendre et obtemr des autres qu tls se fassent comprendre. L mteret
de ces échanges pour la construction de nouvelles habiletés cognitives
individuelles a été démontré par plusieurs travaux scientifiques dans des
activités de résolution de problèmes, dans l'acquisition de connaissances en
situation scolaire et dans le développement des compétences communica-
tives, ainsi que dans le cadre psychopédagogique (Simonpoli, 1991 a et b).
La diversification des objectifs, des thèmes et de la structure du groupe
conversationnel suppose évidemment une diversification des interventions
de l'enseignante :
-diversifier le rôle de l'enseignant: diriger le groupe ou l'animer ; se
centrer sur le contenu ou sur la participation de chacun ; apporter les
informations ou les faire apporter par les enfants ; vérifier les
connaissances des élèves ou leur apprendre à argumenter et à prendre en
compte le point de vue d'autrui ;
- individualiser les échanges maitre-élèves : les objectifs précédents ne
peuvent être véritablement mis en œuvre qu'à travers des ~changes où
les enfants qui ont besoin d'être sollicités le sont effectivement, ou
chacun voit ce qu'il dit pris en compte fréquemment par le groupe et
repris, corrigé ou complété par l'enseignant lorsque c'est avec lui que
l'échange a lieu.
Développer la maitrise de l'oral,
s'initier à l'écrit

Dans les chapitres précédents, nous avons tenté de faire le point sur des
travaux de recherche susceptibles de guider ou d'éclairer les pratiques
langagières à l'école maternelle, De ces travaux peuvent être dégagés
quelques éléments -clés pouvant servir de fil conducteur pour les activités
de langage à l'école maternelle,
Dans une seconde partie seront présentées quelques suggestions pour la
création de situations de communication et de travail sur le langage ; il ne
s'agit pas d'un répertoire d'activités- ils sont déjà nombreux en librairie et
dans la littérature professionnelle à disposition des enseignants -, Ils nous
paraissent surtout utiles pour lever l'anxiété d'enseignants débutants se
Développer la maîtrise de l'oro!. s'initier à l'écrit
Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit

11 Les différentes fonctions du langage nécessitent des situations de


demandant comment occuper les enfants chaque jour', ou pour stimuler
communication variées pour émerger.
l'imagination exceptionnellement défaillante de leurs collègues plus expé-
111 Bien des activités langagières ne prennent sens pour l'enfant que
rimentés ! Leur utilité de ce point de vue est incontestable ; mais ils présen-
dans la mesure où elles lui permettent de comprendre le monde et de
tent évidemment le risque, utilisés tels quels, de ressembler davantage à des
s'insérer dans sa culture.
recettes de cuisine pour collectivités qu'à l'élaboration de menus personnali-
sés et adaptés aux besoins et aux possibilités de ceux auxquels on les
destine, et les enfants risquent d'y perdre l'appétit. .. de communication ! 2. La diversité interindividuelle et le rôle des partenaires
Tout le monde les utilise : ils dépannent. .. et on ne peut pas tous les jours clans les apprentissages langagiers (voir chapitre 3)
tout réinventer.
11 Les enfants arrivent à l'école avec des compétences, des savoirs, des
Notre propos est différent : partir des éléments-clés qui ont été repérés, savoir-faire différents, résultats de leurs expériences, de leur histoire
et proposer des situations de mise en application et d'exploitation dans la personnelle et sociale. Reconnaître ces différences, non pas uniquement
classe. Ces propositions doivent beaucoup à des enseignantes et des ensei- en termes de manques ou d'insuffisances, mais aussi en termes d'acquis
gnants avec lesquels nous avons travaillé, et qui les ont, pour nombre pour chacun d'eux, devrait servir de point de départ de l'action pédago-
d'entre elles, mises en œuvre ou adaptées. Nous examinerons successive- gique et contribuer même à l'enrichir, ainsi qu'on le verra plus loin.
ment : la prise en charge du groupe en début d'année, en faisant une place à 111 Les enfants développent leurs compétences de communication dans
part aux tout-petits ; la mise en place de groupes conversationnels et leur des interactions avec des partenaires, à travers des actions réalisées en
progression ; le travail sur le langage oral ; l'initiation à l'écrit. commun et signifiantes pour eux, spontanément ou parce qu'on les aide
à en découvrir le sens.

1
Quelques éléments-dés pour les activités de langage
1111 Les enfants qui arrivent en maternelle ont été plus ou moins préparés
aux verbalisations sollicitées dans le cadre scolaire, mais l'école consti-
tue pour eux un monde nouveau, dans lequel la communication est à
construire avec des partenaires nouveaux, aux modes d'expression quel-
1. La genèse des conduites langagières (voir chapitre 2) quefois inhabituels, dans des activités à découvrir, et il faut en tenir
compte et accompagner ces inévitables difficultés d'adaptation.
111 La plupart des enfants manifestent très tôt un grand appétit de com- 11111 L'adulte constitue pour le tout-petit un partenaire privilégié ; aussi
munication, préverbale puis verbale, et cet appétit a besoin d'être nourri. est-ce de l'enseignant qu'il va d'abord attendre le plus souvent les
111 C'est d'abord l'adulte qui fournit à l'enfant des cadres adaptés à réponses à ses besoins, à ses demandes, déçu de devoir le partager avec
l'émergence et au développement des compétences langagières. autant d'élèves ... L'enseignant, de par ses compétences d'adulte et de
111 De nombreux aspects des conduites langagières se développent sur pédagogue, va aider l'enfant dans de multiples aspects de son dévelop-
le long terme, et il faut veiller à ce que les exigences scolaires n'antici- pement, mais il doit aussi l'aider, si nécessaire, à établir ou maintenir
pent pas trop sur des acquisitions non encore réalisées. avec ses pairs, et plus généralement avec les autres enfap.ts de l'école,
des terrains communs et des occasions de coopération.

C'est la question à laquelle on arrive toujours, après avoir discuté des grands principes, avec
les étudiants en Institut Universitaire de Formation des Maîtres, comme c'était le cas avec
leurs prédécesseurs dans les Écoles normales. Certains viennent la poser en aparté, la
considérant probablement comme trop triviale pour la formuler devant le groupe en
formation ..
Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit

3. Les pratiques du langage à l'école maternelle groupe devrait être introduit progressivement en cours d'année. La
et la diversité (voir chapitre 4) progression vers le travail en grand groupe devrait être soigneusement
graduée, notamment pour les enfants les plus jeunes et ceux dont les
Il est clair qu'il est difficile, au sein d'une même activité, d'atteindre
capacités langagières et sociales sont les plus limitées.
simultanément plusieurs objectifs et de prendre en compte en même temps
les différents points rappelés ci-dessus. Aussi les enseignants doivent-ils Par ailleurs, la communication devrait pouvoir s'établir non seulement
admettre, quitte à se faire quelquefois violence, que tout ne peut pas être entre l'enseignant et le groupe, comme c'est le cas classiquement, mais aussi
travaillé à la fois : ceci est la conséquence logique de la diversité des entre enfants, l'adulte se contentant alors d'animer les échanges. Avec les
conduites langagières, de l'ampleur des connaissances à acquérir et des plus grands, des groupes autonomes ou animés par un enfant pourraient être
compétences à développer, ainsi que de l'hétérogénéité des savoirs et mis en place, pour la conception ou l'exécution d'un projet précis. L'intérêt
savoir-faire des enfants. Aussi est-il normal par exemple qu'une séance des interactions entre enfants ayant des compétences et des styles commu-
conversationnelle à laquelle tous les enfants de la classe participent active- nicatifs différents a été démontré dans des activités de résolution de
ment puisse être perçue comme plus «pauvre» du point de vue des infor- problèmes, dans l'acquisition de connaissances en situation scolaire et dans
mations transmises qu'un échange soutenu avec quelques enfants racontant le développement des compétences communicatives.
une histoire connue et aimée ; mais cette dernière ne permettra guère aux
La diversification des objectifs, des thèmes et de la structure du groupe
plus timides de se montrer des interlocuteurs actifs ; des moments consacrés
conversationnel suppose évidemment une diversification des interventions
à la vérification de connaissances lexicales ne susciteront que très secondai-
de l'enseignante :
rement une expression syntaxiquement complexe ... C'est ce que montrent
-diversifier le rôle de l'enseignant : diriger le groupe ou l'animer; se
les observations des conversations scolaires. Mais le parallèle pourrait être
centrer sur le contenu ou sur la participation de chacun ; apporter les
fait avec bien d'autres activités : peut-on à la fois travailler la sûreté du trait,
informations ou les faire apporter par les enfants ; vérifier les connais-
le choix des couleurs, le respect de la perspective et l'imagination
sances des élèves ou leur apprendre à argumenter et à prendre en
créatrice?
compte le point de vue d'autrui ;
La seule voie qui permette de surmonter ces difficultés est celle de la - individualiser les échanges maître-élèves, afin que les enfants qui ont
diversité. besoin d'être sollicités le soient effectivement, afin que chacun puisse
11 Tout d'abord la diversité des objectifs : acquérir des connaissances être entendu et reçoive une réponse à ses interventions.
générales, apprendre la conduite de récit, certes ; mais aussi entraîner
différents domaines de compétence langagière : prononciation, lexique,
syntaxe ; apprendre à converser dans un groupe, à s'y exprimer, à 4. Les orientations g:~our les activités de langage
confronter des points de vue avec autrui. à l'école maternelle (voir chapitre 1 )
11 Ensuite la diversité des thèmes et à travers eux des fonctions du Ces éléments théoriques ne sont pas contradictoires avec les principes
langage : acquérir la structure de récit, élaborer un projet commun, qui peuvent être dégagés des orientations actuelles pour les activités de
développer son imaginaire et celui du groupe, apprendre à participer à langage à l'école maternelle. Pour une part au moins, ils les sous.-tendent :
un débat et argumenter ses points de vue, créer des expériences de -l'école maternelle a dans ses objectifs d'apprendre aux enfants à parler
communication dans la classe ... et à construire leur langage ;
Ill Diversité également de la structure du groupe conversationnel, c'est- -les activités doivent être conçues en privilégiant leur signification et le
à-dire tout à la fois sa dimension, sa composition et son organisation contexte dans lequel elles s'inscrivent ;
interne, et notamment le réseau de communication. Le travail en grand
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit
Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit

~ elles doivent aussi permettre de réguler les relations sociales dans le


groupe, de les expliciter, de les anticiper : elles doivent permettre matiques ou autres ... Or, en général, on s'attache plutôt, dans d'autres
d'apprendre à communiquer ; domaines, à planifier l'introduction des difficultés, à introduire des
~l'enseignant doit créer des occasions de lier l'expérience au langage ; étapes intermédiaires qui permettent d'atteindre un certain niveau de
c'est lui qui, par ses échanges avec l'enfant, lui permet de progresser maîtrise.
dans la construction de son langage et d'en mettre en œuvre le fonction- Ill Il s'agit d'une situation typique d'enseignement que les élèves
nement; retrouve~ont tout au long de leur scolarité ; elle ne prend d'ailleurs pas
~l'école a un rôle irremplaçable d'initiation au monde et à la culture et place umquement dans l'enseignement, mais aussi ultérieurement dans
le langage est un des instruments de cette initiation. la vie professionnelle par exemple, et chacun peut remarquer la diffi-
culté de participation de bon nombre d'adultes dans ce type de situation.

1
Propositions de mise en pratique
Ausst dOit-on apprendre aux enfants à y prendre leur place, autrement
qu'en laissant jouer au sein du groupe une sorte de compétition dont on
sait à peu près dès le départ qui sortira vainqueur et qui restera à l'écart
ceci bien souvent pour plusieurs années : les enfants qui se manifestent'
dès 2 ans, comme grands parleurs en grand groupe dans la classe d~
1 • Quand peut-on travailler (sur) le langage ? petite section tendent à le rester les années suivantes, et les faibles
Comme le souligne fort justement le texte des orientations pour l'école parle~rs dès 3 ans demeurent largement à l'écart dans le même temps'
maternelle, le travail sur le langage se développe dans deux types de situa- (Flonn, 1991). Autant donc intervenir précocement.
1111 Ces situations constituent des moments privilégiés pour apprendre
tions : tout d'abord les multiples moments au cours desquels les enfants
expérimentent et rendent compte de leurs expériences, y compris par le aux enfants à se reconnaître comme membres d'un groupe, comme
langage, moments qui ont leurs propres·finalités en dehors des acquisitions élèves au sein d'une classe, qui partagent des expériences, des savoirs et
langagières proprement dites ; un second type de situations dans lesquelles des projets communs. L'intégration sociale, dont on parle surtout
les acquisitions langagières constituent les matériaux sur lesquels porte lorsqu'elle est en échec, et pour des personnes plus âgées, passe aussi
l'activité, et qu'on désigne de différents termes : moments de langage, séan- peut-être par cela, dans l'enfance.
ces de langage, regroupements. Mais si _elles constituent des moments de travail explicite sur le langage
Ces moments de langage sont contestés par certaines enseignantes : et so~t d'mlleurs reconnues très tôt comme telles par les jeunes élèves
elles considèrent que ces situations ne sont pas efficaces pour développer (Flonn, 1987), elles ne sauraient épuiser le travail pédagogique en la
les compétences langagières des enfants, et qu'il est inévitable que ce soient n:ahère. Les autres acti_vités sont également importantes et efficaces pour le
toujours les mêmes élèves qui y participent activement et en tirent bénéfice, developpement langagier, en permettant de lier l'expérience et l'action au
laissant les autres à l'écart. Ce point de vue ret1ète effectivement une langage, même et peut-être surtout parce que le travail conversationnel et
certaine réalité, celle de la très grande difficulté à pouvoir gérer d'emblée linguistique y est plus implicite.
efficacement une telle situation, tant pour l'enseignante que pour les élèves.
Mais refuser de mettre en œuvre ce type de situation nous paraît erroné à Cet~e ~tabilité des comportements participatifs a pu être mise en évidence d'un point de vue
statiStique sur une duree de quatre ans. Elle est particulièrement nette pour les enfants des
plusieurs égards : deux groupes extrêmes - grands parleurs et faibles parleurs - et moins précise pour les
rlil Ce n'est pas en supprimant une situation de travail que ron règle moyens parleurs. Lorsqu'on est grand parleur au sein d'un groupe entre 2 et 3 ans on tend à Je
pour autant les problèmes qu'elle révèle. Sinon on pourrait faire passer à rester_; en revanche, être fai_ble parleur à cet âge-là n'est prédictif de rien et la p~obabilité de
devemr grand, moyen ou fa~ ble parleur est à peu près équivalente. Mais dès l'année suivante
la trappe de nombreuses activités scolaires, dans les domaines mathé- e~~~e- 3 et~ ans, la probabilité est forte de rester grand parleur ou faible parleur lorsqu'on l'es~
deJa a cet age.
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier â l'écrit Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit

Si, dans ce qui suit, nous nous basons surtout sur les situations de confiée à l'ASEM ; présence des parents dans la classe, qui sont invités à
langage proprement dites, c'est davantage en raison du caractère explicite participer aux activités et à se retirer petit à petit, quitte à pouvoir être
du travail qu'elles représentent que d'une priorité que nous leur accorderions rappelés en cas de pleurs inconsolables, etc. Bref, il s'agit d'aider l'enfant et
du point de vue du développement des compétences. Les propositions ci- sa famille à « couper le cordon » une deuxième fois, à accepter la séparation
dessous peuvent d'ailleurs, pour partie d'entre elles, trouver des applications du milieu familial pour entrer dans le groupe.
dans d'autres situations scolaires, au moins de manière ponctuelle. Certaines
Bien des institutrices s'occupant des tout-petits disent passer le premier
nécessitent même un travail spécifique hors situations de langage au sens
trimestre à les « apprivoiser» avant de pouvoir « faire autre chose »,
traditionnel.
comme si « faire autre chose » constituait le véritable travail de l'année.
Alors on s'interroge sur ce que veut dire pour elles ~<apprivoiser» et on
obtient les réponses suivantes : que les enfants acceptent de rester à l'école
2. La prise en charge du groupe en début d'année
et trouvent des repères dans les lieux et le temps ; qu'ils apprennent à rester
Pour une part, les difficultés sont les mêmes quelle que soit la classe ; à la même· place un court moment et à recevoir une réponse différée à leurs
pour une part, elles sont différentes parce que les âges et les enfants sont demandes ; qu'ils répondent, au moins de manière non verbale aux sollici-
différents et une attention particulière doit être apportée aux tout-petits, tations de l'adulte ; qu'ils respectent les règles de vie de la classe ; qu'ils
c'est-à-dire à ceux qui sont scolarisés avant 3 ans. participent aux activités proposées ... Est-ce tout? serait-on tenté de
L'enseignante est relativement seule avec sa classe, comme le souligne demander ... N'y a-t-il pas là de quoi occuper une année scolaire et se
bien Nicole Pradel (1994): alors qu'à la crèche le taux d'encadrement est de réjouir du travail effectué si tous ces objectifs sont atteints ? Peut-on
un adulte pour huit enfants, et qu'il est de un pour dix à la halte-garderie, à raisonnablement exiger davantage d'enfants à peine sortis de leur vie de
l'école maternelle l'adulte est seul pour répondre aux besoins affectifs et bébé?
intellectuels de 25 à 30 enfants et quelquefois plus, lorsqu'on en inscrit Les enfants de 2 ans ne sont pas des enfants de 3 ans, s'il faut le rappe-
davantage en com.ptant sur la régularité des épidémies de maladies infan- ler. L'école maternelle n'a pas été prévue pour eux, mais pour des enfants
tiles pour alléger le travail ; mais les enfants se montrent généralement plus plus âgés : les attentes et les méthodes qui ont fait leurs preuves avec les
résistants qu'on l'avait imaginé ! Certes, l'enseignante peut bénéficier de petits de 3 ans ne peuvent être transférés telles quelles avec les tout-petits.
l'aide à temps partiel de l'Agent Spécialisé d'École Maternelle (ASEM) mis Le travail avec eux est à repenser, sous peine q~'ils ne tirent guère bénéfice
à disposition de l'école par la commune, mais cette personne a le plus d'une scolarisation précoce. Cette réflexion avance dans la plupart des
souvent un rôle limité à la préparation matérielle des activités et à la écoles maternelles, mais les modèles élaborés pour les enfants plus âgés
réponse aux besoins physiologiques des enfants (goûter, toilette, habillage). restent prégnants dans l'esprit de nombreuses enseignantes, préoccupées de
ne pas atteindre avec les tout-petits les objectifs qui leur étaient habituels
Chez les tout-petits avec des enfants de 3 ans.
Dans tous les cas il faut apprendre à se connaître, à créer des liens et Aussi les regroupements de tous les enfants de la classe pour des activi-
commencer à construire une histoire en commun. Les difficultés sont parti- tés de langage ne peuvent-ils guère avoir d'objectifs précis Pour eux
culièrement sensibles avec les tout-petits qui arrivent pour la première fois concernant le développement du langage ; ils permettent surtout de trouver
à l'école. Diverses solutions peuvent être trouvées en début d'année pour du plaisir à se serrer les uns contre les autres, à écouter la maîtresse raconter
faciliter leur accueil : accueil échelonné préparé par des courtes visites de une histoire, à dénommer chacun et repérer les absents, à se sentir membres
l'enfant à l'école ou des journées portes ouvertes dans les mois précédents ; du groupe en chantant une chanson ou ert récitant ensemble une comptine.
accueil par demi-groupes les premiers jours, l'autre moitié de la classe étant C'est là un premier apprentissage d'une situation collective pour un travail
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'ecrit Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit

de l'oral. L'essentiel du travail sur la communication et le langage relève 3. La mise en place de groupes conversationnels
d'autres situations, du moins pendant une grande partie de l'année. C'est en leur sein que va commencer le travail proprement dit des
moments de langage. L'idéal est de pouvoir les constituer assez tôt dans
Avec les autres niveaux d•&ge l'année scolaire, dès que le groupe-classe est formé, ce qui prend plus ou
Les enfants de 3 à 4 ans ont pour partie d'entre eux une année d'histoire moins de temps selon les classes et l'âge des enfants : le délai est générale-
scolaire ; pour d'autres, l'école constitue un milieu entièrement nouveau, ment plus long avec les plus jeunes. C'est à partir des fonctionnements indi-
avec lequel ils doivent se familiariser, et ceci nécessite quelques aménage- viduels pendant les moments de langage en grand groupe que les petits
ments, comme pour les tout-petits. Leurs capacités d'expression, leur groupes conversationnels vont pouvoir être constitués : ceci suppose donc
possibilités d'attention sont supérieures à celles· des enfants de 2 à 3 ans, et de se donner quelques semaines à partir de la rentrée pour permettre une
ils peuvent s'intégrer plus rapidement aux activités, en général. relative adaptation de chacun.
La plupart des enfants des autres niveaux d'âge sont déjà familiarisés L'expérience montre qu'il n'est guère réaliste de vouloir constituer plus
avec l'école et les enseignantes, hormis ceux qui arrivent à la suite d'un de 3 petits groupes au sein d'une classe, soit 6 à 10 enfants par groupe selon
déménagement par exemple. les effectifs :grands, moyens et faibles parleurs. Un tel découpage est tout à
fait satisfaisant avec les enfants à partir de 3 ans, mais des groupes à effectif
En début d'année, le regroupement de la classe pour des moments de
encore plus réduit peuvent être très utiles avec les tout-petits lorsqu'on peut
langage doit surtout permettre à l'enseignante de repérer comment chacun les mettre en place.
se situe dans le grand groupe, s'il y participe régulièrement, épisodiquement
ou s'il reste à l'écart. Ces regroupements permettent également d'apprécier Comment constituer les groupes ?
les principales difficultés de la classe dans le domaine de la communication
ou du langage et leur nature : respect des règles conversationnelles pour La constitution des groupes conversationnels doit se fonder uniquement
prendre la parole, difficultés à parler dans le thème proposé, approximations sur la quantité de participation verbale au grand groupe, les enfants étant
lexicales, apport limité d'informations, etc. Ils sont aussi l'occasion de repé- classés en fonction de leur nombre de prises de parole, indépendamment de
rer les savoirs partagés par les enfants, les thèmes qui suscitent leur intérêt tout critère de «qualité» de l'expression, depuis l'enfant qui a parlé le plus
et leur participation verbale. jusqu'à ceux qui n'ont pas pris la parole : le premier tiers correspond au
groupe des «grands parleurs », le second à celui des« moyens parleurs »et
Dans la suite de l'année, ils constitueront des moments de travail régu- le troisième à celui des «faibles parleurs ).>. Ce travail nécessite une obser-
liers où les acquisitions réalisées en petit groupe pourront être consolidées vation extérieure.
dans des situations plus contraignantes pour l'accès à la parole.
Comment procéder pour évaluer la participation verbale en grand
Dans tous les cas, leur fonction pour la cohésion du groupe, telle que groupe ? Il s'agit de compter le nombre de prises de paroles de chaque
nous l'avons vue pour les tout-petits, doit être maintenue : le plaisir de se enfant au cours d'une séance. Deux solutions sont possibles :
retrouver ensemble, simplement pour écouter une histoire que l'on aime, - on dispose de la liste des enfants de la classe et on inscrit un trait en
demeure bien au-delà de l'âge de 3 ans ... Il est aussi des événements, face du nom d'un enfant lorsqu'il prend la parole ; le total des traits en
importants pour la vie de la classe, ou plus ou moins graves et concernant fin de séance correspond au nombre de ses prises de parole ;
un membre du groupe qui doivent être annoncés et discutés (au moins dans - on peut préférer noter au fur et à mesure le prénom des enfants qui
un premier temps) au sein de la classe tout entière : il en va ainsi d'un projet prennent la parole, mais on doit faire attention avant le relevé à identi-
de voyage ou de fête pour la classe, mais aussi de la maladie, voire pire, fier de manière distincte les enfants portant le même prénom ; en fin de
d'un enfant du groupe.
Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit

séance, on compte pour chaque élève le total de prises de paroles qui dant les 15 premières minutes et prendre un peu la parole ensuite, et on
peuvent lui être attribuées ; peut souhaiter recueillir ce type d'information pour d'autres raisons que
-une méthode encore plus sophistiquée consiste à enregistrer la séance la constitution des groupes : mais il s'agit surtout d'enfants faibles
(enregistrement audio ou vidéo), à la transcrire ultérieurement et à opé- parleurs et le classement ne sera guère modifié par l'allongement de la
rer le comptage des prises de paroles comme ci-dessus ; il s'agit d'un durée du relevé.
travail long, qui n'est pas nécessaire pour la constitution des groupes en
tant que telle, mais qui peut se justifier dans une perspective d'exploita- Qui peut effectuer un tel relevé ? Il est clair que ce ne peut pas être
tion de l'enregistrement avec les enfants ou d'un examen qualitatif de la l'enseignant qui anime le groupe. Il faut faire appel à une personne qui
part de l'enseignant, seul ou en concertation avec des membres du connaît les enfants pour pouvoir les identifier : ce peut être un membre du
réseau d'aide. réseau d'aide, ou un(e) collègue de l'école et il suffit dans ce cas de se
concerter pour que l'enseignant(e) observateur ne soit pas en charge de sa
L'expérience montre que la première solution est tout à fait satisfaisante, classe pendant ce court moment (opérer un léger décalage entre le début des
mais que la seconde est aussi utilisée, afin de noter quelques éléments quali- récréations pour les deux classes, choisir le moment de la collation pour sa
tatifs remarquables et utiles pour repérer l'évolution des comportements classe, etc.).
enfantins au cours de l'année, lorsqu'on souhaite effectuer de nouvelles
observations : prise de parole spontanée d'un enfant qui habituellement C'est à l'observateur de classer ensuite les enfants en fonction du
parle peu, prise de parole relativement longue ou complexe, introduction nombre de prises de parole et de proposer leur répartition en trois groupes à
d'un nouveau thème, etc. renseignant. Celui-ci peut être surpris par le classement de quelques
enfants, pour différentes raisons :
Plusieurs remarques s'imposent à propos de ce relevé : -premier type d'objection : l'observation de ce jour-là ne reflète pas le
- généralement les prises de parole des enfants sont assez brèves, et comportement habituel de l'enfant ;
constituées d'un seul énoncé ; lorsqu'elles sont plus longues, il importe -deuxième type d'objection : tel enfant est considéré comme grand par-
de le repérer par un signe de son choix, par exemple par le nombre leur alors que ces interventions sont plus perturbatrices qu'informatives
d'énoncés ou un signe+, de manière à ne pas considérer comme équiva- dans la conversation, ou à l'inverse un enfant qui s'exprime « bien » et
lents un énoncé d'un seul mot et une prise de parole composée de 3 ou 4 «à propos» se retrouve seulement moyen ou faible parleur.
énoncés ; on en tiendra compte dans le comptage final, notamment en
cas d'hésitation pour l'affectation d'un enfant à un groupe conversation- Une discussion doit donc s'engager : il ne s'agit pas de constituer des
nel, lorsque sa production se trouve en quelque sorte intermédiaire entre groupes de niveau, du type «bons », «moyens » ou «mauvais » parleurs,
celles de deux groupes ; mais de créer des conditions conversationnelles favorables aux prises de
-il est normal que quelques prises de parole ne puissent pas être attri- parole de chacun ; il est difficile également pour l'enseignant d'évaluer les
buées à leur auteur, quel que soit le mode de relevé utilisé ; il vaut enfants sur un seul critère, et la représentation qu'il se fait de tel ou tel
mieux les laisser de côté plutôt que de les attribuer de manière erronée à d'entre eux combine en quelque sorte plusieurs paramètres difficilement
un enfant; isolables. Il faut pouvoir identifier aussi clairement que possible les deux
-un tel relevé peut être effectué sur une durée relativement brève, de types d'objections (le deuxième pouvant se cacher sous la forrlîulation du
l'ordre de 12 à 15 minutes, et donner une bonne représentation de la premier) et modifier le classement en fonction du premier, mais pas du
répartition de la parole entre enfants ; bien sûr, pour des séances plus second. Il est rare qu'on n'aboutisse pas à un accord en quelques minutes.
longues, on peut choisir de faire le relevé sur la totalité de la conversa-
tion, car il est vrai que quelques enfants peuvent rester silencieux pen-
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Où, quand et comment mettre en place les petits groupes ? chez les plus jeunes, risquent de ne pas être encore stabilisées et ils peuvent
se retrouver en difficulté dans un groupe nouveau ; certains peuvent y
il Où ? L'idéal est de pouvoir utiliser pour le petit groupe un lieu perdre leurs repères, parce qu'ils s'appuient sur des camarades pour interve-
spécifique tel que coin-bibliothèque, petite pièce libre pendant que les nir. Trois à quatre mois de fonctionnement sans modification de la
autres enfants restent dans la classe ; l'important est que ce lieu reste autant composition semblent nécessaires pour éviter ce type de difficulté ; une
que possible le même d'une séance à l'autre, afin que les enfants puissent autre composition peut alors être envisagée, si l'enseignant considère qu'elle
l'identifier à l'activité. Mais si on ne peut faire autrement, on peut bien sûr aiderait davantage les enfants à progresser. Là encore une observation
rester dans la classe ; ceci implique alors que les autres enfants se trouvent extérieure peut être utile, ou un auto-enregistrement qui peut être discuté
dans un autre lieu à ce moment-là, afin de ne pas perturber l'activité. avec les enfants.
il Quand ? C'est affaire de concertation dans l'école, puisque les autres Il peut être utile de prendre rapidement quelques notes sur chaque
enfants de la classe doivent pouvoir être pris en charge par une autre séance sous forme d'une fiche pré-imprimée : la date, le thème discuté, une
personne pendant l'activité du petit groupe. Pouvoir offrir en moyenne une appréciation succincte sur la participation de chacun, en quantité (forte,
séance conversationnelle à chaque petit groupe tous les quinze jours semble moyenne, faible ou nulle) et en « qualité » (éléments positifs et négatifs
être un objectif réaliste pour les enseignants qui travaillent ainsi depuis remarquables) ; l'impression d'ensemble (alerte, difficulté à rester dans le
quelques années ; une telle régularité porte rapidement ses fruits. thème, non-maîtrise de certaines notions), etc. Ces fiches, conservées dans
111 Comment ? En réglant tout d'abord la prise en charge des autres un classeur, peuvent aider l'enseignant à planifier les séances suivantes en
enfants, soit dans la classe avec la présence de l'ASEM, soit en récréation, fonction des besoins ou des difficultés qui se manifestent ; elles permettent
soit en les confiant à un(e) collègue de l'école pour une activité de psycho- aussi de se représenter plus précisément l'évolution de chaque enfant et le
motricité, d'écoute musicale, etc. Diverses solutions sont trouvées par les travail accompli par chacun, y compris l'adulte.
enseignants qui souhaitent travailler ainsi ; la prise en charge est bien sûr En fin de trimestre, un petit bilan peut être dressé des évolutions posi-
facilitée lorsqu'elle est réciproque, soit parce que toutes les classes utilisent tives, des stabilités, voire des régressions éventuelles de chaque enfant
cette méthode de travail, soit parce que la concertation fonctionne déjà pour selon les domaines : quantité et spontanéité des prises de parole, respect des
d'autres activités impliquant diverses répartitions des élèves. règles conversationnelles, développement du lexique, à-propos des inter-
Il est important de souligner que le travail ne peut être vraiment efficace ventions, etc. Il faut pour cela considérer le comportement langagier des
que s'il concerne les trois groupes : celui des ,grands parleurs est tout aussi enfants lorsqu'ils sont en petit groupe, mais aussi à d'autres moments :
important que celui des faibles parleurs sur lequel on a tendance à porter moments de langage avec le grand groupe-classe, autres moments d'inter-
plus attention parce qu'on le juge a priori plus en difficulté. Mais comment action verbale avec les adultes et les autres enfants. On peut ainsi mieux
ces derniers pourraient-ils facilement prendre la parole au sein du groupe- apprécier s'il y a nécessité de modifier la composition des groupes ; ces
classe si les grands parleurs n'ont pas appris à réguler leurs interventions ? bilans peuvent être utiles pour définir des objectifs pour les mois suivants,
ils peuvent aussi servir de base de discussion avec les autres collègues (par
Les groupes évoluent très rapidement, dès les premières séances, et les exemple lors du changement d'année scolaire, pour suivre les parcours de
enseignants peuvent être tentés d'en modifier la composition, parce qu'ils se chacun, mais pas seulement) et avec les membres du réseau. ~"~
retrouvent par exemple avec deux groupes équivalents de grands parleurs
au bout de quelques semaines, ou parce que dans le groupe de faibles par-
leurs se dégagent des enfants devenus très actifs, etc. Il peut y avoir plus
d'inconvénients que d'avantages à cette modification, si elle intervient trop
tôt : les acquisitions conversationnelles de plusieurs enfants, notamment
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier â l'écrit Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit

4. Le travail sur le langage oral Ceci prend quelques minutes au début de la séance, et peut être explicité
avec l'aide des enfants, comme dans l'exemple ci-dessous :
Par quoi commencer ?
Ce travail est celui de la diversité, comme nous l'avons souligné dans le
point 1. ci-dessus. Par quoi commencer ? Par ce qui paraît le plus urgent, 111 Apprendre les règles conversationnelles (classe de
selon les groupes, en choisissant des thèmes conversationnels attractifs pour moyens; grands parleurs; 1•• séance en petit groupe)
les enfants, et considérés comme faciles pour le groupe considéré. M- classe Alors comment on fait pour respecter le tour de parole?
Mais avant toute chose, il faut expliquer aux élèves à quoi servent ces comment ça se passe ?
petits groupes : à pouvoir parler ensemble plus facilement parce qu'on est J. Do-M bien!
M-j. Do hum 1 [lon dubitotiA
moins nombreux. Il faut dire qu'on se retrouvera ainsi régulièrement, dans
J.Do-M ça se passe pas bien.
un endroit précis, pour que chacun puisse dire ce qu'il souhaite dire aux M-j. Do ça se passe pas bien.
autres, pour que la maîtresse puisse mieux les écouter que lorsqu'ils sont M- classe alors pour que ça se passe bien, comment on fait?
tous réunis, pour discuter d'un thème particulier (préparer une fête, imaginer Mar-M on est très poli
un spectacle ... ), pour apprendre à parler ensemble, etc., ou toute autre M·Mar oui bien sûr ..
explication qui paraît pertinente selon le contexte et les enfants. oui ça c'est .. on est toujours très poli en principe, hein.
Selon les cas, on va d'abord expliciter les règles conversationnelles Mar-M oui
M- classe mais comment on ... pour respecter le tour de parole,
(notamment avec les grands parleurs), proposer des jeux de dénomination
comment ça se passe ?
d'objets familiers avec les tout-petits, annoncer une nouvelle importante Mar-M ça se passe bien
avec tout le suspens qui convient pour d'autres ... M-Mar mais comment on fait ?
On présente ci-dessous quelques aspects du travail sur le langage oral Mar-M ben on ..
qui paraissent essentiels d'après les éléments-clés dégagés dans le point l. M- classe qu'est--ce que ça veut dire?
ci-dessus. Mar-M on parle pas
Fab-M ça veut dire qu'on attend que les autres ont fini de parler
L'apprentissage des règles conversationnelles
M- Fab voilà!
M- classe on attend que chacun ait bien fini de raconter ce qu'il a à
C'est le point de départ du travail en petit groupe : apprendre à écouter dire, hein ?
les autres et à prendre la parole. Ceci doit être précisé dès le départ avec les Fab-M ouais.
grands et les moyens parleurs, et devient rapidement nécessaire avec les A Florin, Pratiques du langage à l'école maternelle el prédiction de la réussite scolaire,
faibles parleurs. Il suffit pour cela que l'enseignante explicite les points Paris, PUF, 1991, p. 147.
suivants :
-demander la parole (éventuellement on lève le doigt, pour les plus
grands, ou ceux pour lesquels cela paraît possible), lorsqu'on souhaite Bien sûr la consigne devra être rappelée dès qu'elle ne sera plus respec-
dire quelque chose : tée, et l'enseignante doit être elle-même attentive à ne pas accepter sans
- ne pas répondre à la place d'un autre enfant ; remarque une intervention qui violerait les règles explicitées. Elle sera
-attendre que l'autre ait fini de parler pour dire ce que l'on a à dire. d'ailleurs souvent aidée par les enfants, soucieux de faire respecter leur
propre tour de parole, et qui le manifesteront spontanément.
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Avec les plus jeunes ou ceux qui parlent moins, parler brièvement de
l'écoute réciproque dès le dé.but des séances est une manière de dire aux 111111 Animation de la conversation par un enfant (classe de
enfants qu'ils seront écoutés ; ceci est d'autant plus important pour eux moyens-grands en ZEP; séance en grand groupe)
qu'ils ont eu des difficultés à se faire entendre dans le grand groupe lors- M ·classe moi j'ai envie de me reposer, tiens
qu'ils se sont risqués à prendre la parole. Il deviendra nécessaire, au bout de c'est pas moi qui me mels ici
quelques séances de familiarisation et d'observation réciproque, pour les qui est-ce qui veut prendre ma place ?
faibles parleurs comme pour les autres, d'indiquer et de rappeler qu'on ne se Plusieurs moi! moi!
coupe pas la parole. Avec les tout-petits, qui ont des difficultés à différer M- Pie Pie, tu veux essayer?
leurs prises de parole et à maintenir en mémoire ce qu'ils veulent dire, il Pie-M oui (Pie et M échangent leur place)
faut bien sûr être souple et ne pas exiger plus qu'ils ne peuvent faire ; l'im- M-Pie bon alors Pie, de quoi allons-nous parler maintenant?
portant est de permettre à chacun de s'exprimer au cours de la séance, quitte Pie·M de la Pentecôte, de ce qu'on a fait
à lui donner la parole lorsqu'il a des difficultés à la prendre. M- Pie ban
(silence)
Avec tous les enfants, cet apprentissage facilite l'écoute réciproque et le MaÎtresse !
travail de l'enseignant, et la compétition pour l'accès à la parole laisse alors moi à la Pentecôte je suis allée voir mon papa et ma
davantage la place à la convivialité ; il devient plus facile pour l'adulte de Maman, j'ai bien mangé chez eux et puis je me suis
dialoguer avec les enfants, c'est-à-dire d'avoir avec eux des échanges de reposée ... et puis après je suis rentrée chez moi avec mon
plus d'un ou deux tours de parole, et de répondre à leurs interventions ; il petit garçon ... voilà
est également plus facile d'encourager les discussions entre enfants sur le lud · M comment il s'appelle?
thème de la séance, l'enseignant animant la discussion plutôt que de la M ·lud il s'appelle Maxime
diriger. Pie· Sam alors Sam ? (Som lève le doig~
Sam- Pie eh ben moi on a été se promener avec des copains à moi
Avec les plus grands, une fois ces règles acquises et à peu près respec- Pie -Mag Mag 2 (Mag lève le doigt)
tées, il est possible de travailler régulièrement la conduite de réunion, en Mag eh ben moi j'ai allé manger dans un restaurant. .. et y avait
confiant à l'un d'entre eux, pendant un court moment, pour un objectif des crêpes ... et au dessert j'ai mangé des glaces
précis et bien connu, l'animation de la discussion et le soin de répartir les M· Pie Pie, excuse-moi de t'interrompre
tours de parole. Ce travail, d'abord effectué en petit groupe, peut ensuite s'il y a des choses que tu veux connaître, tu peux poser des
être repris dans le grand groupe-classe. En voici un exemple : questions
Sap ben moi quand c'était la Pentecôte, j'ai été dehors pi j'ai
ioué
Pie- Sop t'as fait quoi ?
Sop- Pie j'ai été derrière, derrière chez moi
j'ai joué à la balançoire et puis j'ai joué avec Emi
Gwe moi à la Pentecôte j'ai rien fait du tout, je suis rest~~ à la
maison et j'ai fa il une petite sieste
Jér-Gwe on n'a pas le droit de parler quand les copains parlent
(Gwe a coupé la parole à Sop)
Fab·M moi je suis allée me promener avec ma maman
Pie · Fab c'est pas à la maîtresse que tu dois le dire, c'est à tout le
monde
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Ele le jour de la Pentecôte, on a fait une très grande fête qui a au développement d'un nouveau thème ; elle limite son rôle à soutenir
duré toute la nuit.. l'enfant « animateur», à lui faire prendre en compte les informations qu'il
moi je suis allée me coucher très tard, elle était pas finie, n'a pas perçues, à rappeler les règles conversationnelles lorsqu'il risque
mais elle était presque finie ... j'ai rencontré une petite fille d'être «débordé». Les enfants comprennent ainsi autrement les difficultés
et on a joué ... la maman de la pelîle fille, elle dansait. .. elle
de la conversation en groupe, et y gagnent une maîtrise de leur propre parti-
dansait dehors ... presque toute la nuit elle a dansé ... et puis
cipation, outre le plaisir et l'importance à prendre un peu la place de l'adulte
nous on jouait .. et on dansait..
dans le groupe. C'est également une manière intéressante de travailler
Pie- Emi Emi ? 1fmi lève le doigt)
moi pendant la Pentecôte j'ai été aux boules avec mon père
l'alternance des rôles, et la diversité des situations conversationnelles, tout
Emi
et puis y avait Steve aussi et on jouait au toboggan .. et
en diversifiant le rôle de l'enseignante (voir chap. 4)~
puis mon frère et ma sœur et puis moi on s'amusait à écrire
des lettres d'amOur... (rires) Aider l'enfant à s'engager dans la communication, même non verbale
M~ Emi comment c'est, des lettres d'amour? (M lève le doig~ Tout d'abord il faut-souligner les réticences de certaines enseignantes à
Emi ~M je m'en rappelle plus .. réunir dans un même groupe conversationnel des enfants qui ne parlent pas
Chr on met un cœur dessus ... on l'écrit .. on met ça dans une ou très peu : « ils ne vont rien dire ! », « ça va tourner court tout de
boite ... euh une lettre, une enveloppe ..
suite ! », « dois-je poursuivre la séance s'ils ne parlent pas ? » sont des
Emi et on écrit: je t'aime de tout mon cœur
craintes souvent exprimées. Certes la première séance, pour des enfants
Pie- Emi qu'est-ce qu'on écrit?
faibles parleurs, commence souvent doucement : les enfants sont quasi
Emi- Pie on écrit: mon amour je t'aime.. je t'aime et je t'embrasse
pour toujours
silencieux, s'observent, prennent leurs marques. Mais au bout d'une ou deux
Ste je t'aime très fort ... je t'oublierai jamais minutes au plus, une réelle participation s'instaure, avec des prises de parole
M- classe certaines personnes n'ont rien dit. .. souvent brèves, mais qui surprennent les enfants eux-mêmes, si peu habi-
moi je suis sûre qu'elles savent ce qu'on écrit dans une lettre tués à s'entendre parler en groupe, et l'enseignante oublie rapidement ses
d'amour craintes d'avoir face à elle un groupe muet.
Plusieurs Maîtresse !
Bien sûr, il est important de choisir pour la première séance avec des
M chut, c'est Pie qui donne la parole !
faibles parleurs, et ce d'autant plus s'il s'agit de très jeunes enfants, un
(Pie interroge plusieurs enfants; certains répondent, d'autres non)
M- classe moi j'écrirais plein de choses ..
thème familier .et attractif, afin de faciliter les premières prises de parole.
je t'aime parce que tu as des yeux magnifiques .. Mais il arrive que certains enfants restent silencieux, malgré des invitations
tes dents sont comme des petites perles .. à parler. Plutôt que de renouveler ces invitations, ce qui risquerait d'avoir
(silence) des effets inverses de ceux attendus, il est plus efficace de signifier à. l'en-
eh bien pendant la récréation vous allez réfléchir à ce que fant silencieux mais souvent très attentif qu'il fait bien partie du groupe, de

L vous pourriez écrire dons une lettre d'amour et puis on en


reparlera après.
considérer ses réactions non verbales comme des participations effectives à
la communication. On peut pour cela s'inspirer des modes d'engfj.gements
utilisés par les mères dans leurs échanges avec leurs jeunes enfants (voir
chap. 3), lorsqu'elles admettent un regard, un geste comme s'il s'agissait
Pie anime le groupe pour la première fois, et avec quelques difficultés, d'une réponse verbale et qu'elles y répondent positivement : « oui, c'est
mais pour la plupart d'entre eux, les enfants respectent les règles de prise de ça!»,« oui, c'est bien!».
parole, et arrivent à s'exprimer, quelquefois assez longuement. L'ensei-
gnante intervient en respectant elle aussi les règles de prise de parole et aide
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de considérer l'enseignant non seulement comme le grand organisateur des


Plutôt que de vouloir absolument solliciter une expression verbale, l'im- activités, mais aussi comme un partenaire qui aide et participe à la mise en
portant, à ce niveau du travail, est beaucou.p plus de ?erm:ttre à l'enfa~t commun des expériences.
silencieux de participer, avec les moyens qm sont les s1ens, a la commum-
cation avec le groupe et de lui montrer qu'il est ainsi présent et accepté, Ce sont là quelques exemples pour faciliter l'entrée dans la communica-
dans les conversations en petit groupe comme dans les autres activités. Cet tion scolaire, puis dans la verbalisation en tant que telle.
ancrage de la participation dans la communication non verbale est pour cer-
tains le socle nécessaire dans le domaine scolaire, comme il l'est pour tous Alléger la charge de travail
dans les premières années de la vie : il faut donc repartir de là, si néces- li arrive souvent que des enfants faibles parleurs aient des difficultés,
saire ; on peut utiliser pour cela également des imagiers - n:atériel p~dag~­ lorsqu'on leur donne la parole, à prononcer plus d'un ou deux mots, à se
gique souvent décrié-, qui ont l'avantage de permet:re des Jeux de .deno:n-1- faire entendre des autres enfants, et à répondre de manière contingente. Il
nation ou de pointage vers l'objet désigné, c'est-à-dlfe des expressiOns a la est alors nécessaire de leur fournir des situations dans lesquelles la charge
fois verbales et non verbales de la référence. Ils peuvent constituer des cognitive et émotionnelle est allégée, de leur donner en quelque sorte des
supports utiles à ces premiers échanges avec des enfants silencieux. éléments comportementaux qui vont leur permettre de concentrer leur éner-
gie sur ceux qui restent à mettre en œuvre.
Un autre support utile dans les premières étapes du travail, et souvent
bien au-delà, est celui des photos d'activités de la classe : il s'agit, à l'occa- L'exercice théâtral peut représenter ce genre de solution : on propose
sion d'une sortie, d'une activité particulière, de prendre des photos des aux enfants, pour chaque petit groupe, de jouer de très courtes scènes (deux
enfants (de tous les enfants) de la classe ; réunies dans un album, elles ou trois minutes) dont ils conçoivent les dialogues. Une même scène peut
serviront de trace de l'histoire de la classe, et chaque enfant peut s'y retrou- inclure deux personnages, ·chacun étant interprété par plusieurs enfants à
ver, comme membre de ce groupe. Ce matériau, outre la valeur affective l'unisson. Ces dialogues doivent rester très simples, pour être facilement et
qu'il représente, à l'avantage de donner des repères aux enfants, et de les rapidement mémorisés. Ils peuvent évoluer en cours d'activité si les enfants
mettre au cœur des échanges de la classe lorsqu'il est utilisé comme support le souhaitent, pour faciliter la prononciation par exemple. Chaque petit
de séance conversationnelle ; il facilite également l'expression et la groupe met en scène, avec l'aide de l'adulte, la (ou les) scène(s) qu'il a
reconstitution du schéma narratif. Sa réalisation sous forme d'album permet élaborée(s), et peut jouer ultérieurement devant le reste de la classe.
aussi un travail intéressant sur l'écrit (écriture des prénoms, légendes, etc.). L'essentiel du travail porte sur le placement de la voix, la possibilité de se
Quel que soit le support, il importe de donner aux enfants la possibilité faire entendre des autres ; le texte étant donné, les enfants peuvent plus
de participer aux échanges, que ce soit verbalement ou non, et d'être consi- facilement se mobiliser sur cet objectif et on voit rapidement des élèves à la
déré comme contribuant à l'activité du groupe et à son histoire. Cette recon- voix quasi inaudible, devenir un personnage parlant fort et impressionnant
naissance comme interlocuteur actif ouvre à l'expression verbale. son auditoire :

Inviter les enfants à participer aux échanges conversationnels suppose


aussi qu'à certains moments au moins, notamment lorsqu'il s'agit de p~ésen­
ter ses expériences personnelles, l'enseignant accepte d'être un partenmre de
la conversation qui se développe et pas seulement l'animateur du travail et
le vérificateur des connaissances : les enfants sont ainsi extrêmement sur-
pris d'apprendre que la maîtresse ne vit pas que dans l'école, qu'elle a une
famille, des loisirs, bref, qu'elle est aussi une personne. Ceci n'a rien
d'anecdotique, et stimule la participation de certains enfants qui ont besoin
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111 Utilisation de l'exercice théâtral (classe de moyens; M ~Chats vous repartez, hein, mais tristes, tristes !
groupe des faibles parleurs) M- Lect. à vous, les lecteurs
Lecteurs trois ti minous, ti minous
Les enfants sont debout au milieu d'une salle et une nouvelle répétition com- trois ti minous, ti minous ..
mence: il y a deux« lecteurs» ou« récitants», trois« chats» et une« mère"· M ~lect plus fort!
approchez un petit peu
M- groupe Venez un peu par ici
Lecteurs ... qui avaient retrouvé leurs mitaines
y a les chats ... (/es enfants se mettent en place)
M ~Chats venez avec vas petites mitaines
For moi je suis la mère
M + Lect
Dom moi je suis un chat ... qui avaient retrouvé leurs mitaines s'en vont trouver leur
mère
M- chats les petits chats, approchez, les petits chats
M ~Chats attendez ... (ifs avancent en levant leurs mains
vous êtes les chats, vous ?
For je suis la mère et en les agitant)
M ~Far toi qu'est-ce que tu es ?
il faut que ..
M-Maman tu les accueilles, toi !
For-M ie suis la maman
M ~Chats
M -lecteurs
ollezy
et vous qu'est-ce que vous êtes ?
lect ~ M on est les lecteurs
Chats Maman, nous avons retrouvé nos mitaines
M-Maman tu es contente ! (ça ne se voit pas beaucoup)
M~Aie Ale, tu es quoi ?
Ale~M regarde-les !
un lecteur
Maman retrouvé vos mitaines ?
M ~For et toi?
For~ M tu es sûr ? gentils petits minous !
M-Mamon tu peux les caresser !
Far~ M ouais
Maman vous aurez plein de crème au chocolat
M ~For ouais
M- groupe bon je m'souviens plus (caresse la joue des chats)
M-Maman recom menee !
ben vous y allez
fois-leur voir
ça démarre
Maman vous aurez.. (dessine un grand cercle avec les bras)
qui est-ce qui commençait ?
Ale~M
M ~Chats regardez !
c'est les lecteurs
Maman ... plein de crème ou chocolat
M ~lect. bon, c'est les lecteurs
M- groupe d'accord !
allez-y, messieurs
M~Aie
on recommence un petit peu
Ale, occupe-toi avec Syl, hein (Ale regarde un autre enfant)
Tous oui ! oui 1
Lecteurs trois ti minous, ti minous (à voix basse)
M- groupe oui, un petit peu ...
M- Lect. un peu plus fort
mais il faut parler plus ..
Lecteurs trois ti minous, ti minous qui avaient ...
vous voulez recommencer, les petits chats?
lM leur coupe la parole( on ne vous entend pas assez !
M ~lect. vous essayez de recommencer un peu plus fort
Lecteurs ... perdu leurs mitaines s'en vont trouver leur mère La répétition se poursuit, et la scène est reprise d'un trait, à la satisfaction
M ~Chats essayez d'aller trouver votre mère (/es chats se déplacent) générale.
Chats Maman, nous.. (peu de synchronisation)
M~Gor vas-y, Gor !
M ~Chats oh mois tous les trois ensemble
Chats Maman, nous avons perdu nos mitaines Des situations comme celle-ci, qui paraissent relativement contrai-
M-Moman à toi, la Maman ! gnantes au premier abord- dire un texte fixé, parler à plusieurs d'une même
Maman perdu vos mitaines ? (d'un air très sévère, voix- s'avèrent libératrices de l'expression orale dans et devant un groupe ;
méchants petits minous ! et en agitant l'index) le plaisir qu'en tirent des enfants peu à l'aise au départ pour s'exprimer en
M-Mamon regarde-les 1
Maman vous aurez pas de crème ou chocolat 1
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit Développer la maîtrise de l'orel, s'initier à l'écrit

situation collective, la maîtrise qu'ils y gagnent permettent de travailler -peut-on reconnaître et différencier l'odeur de l'herbe fraîche, de la
ensuite d'autres aspects du langage oraL paille, des fleurs, du poivre, de la vanille ? d'où viennent-ils ? à quoi
servent-ils ?
le lexique et la catégorisation -est-ce qu'une armoire, un buffet, un placard, une étagère, etc. peuvent
Beaucoup d'enseignants déplorent le manque de vocabulaire d'une partie servir à la même chose? où en voit-on? que range-t-on dedans ?
des enfants : « machin » et « truc » servant de termes génériques pour de On peut inventer des jeux de cartes en prenant comme effigies des pho-
nombreuses catégories d'objets qu'on ne sait pas dénommer, même parmi tos découpées dans des catalogues de vente par correspondance, pour jouer
ceux qui paraissent familiers ; ils déplorent aussi le flou des catégories et avec les propriétés fonctionnelles des objets.
des items lexicaux interchangeables : «lavabo» pour« évier» ou l'inverse,
«peigne» interchangeable avec « brosse», lorsque les grenouilles ne Avec les tout-petits, on peut aussi utiliser le sac au trésor dans lequel
deviennent pas les lapins de l'histoire, rendue alors incompréhensible. Le l'enseignante a dissimulé un certain nombre d'objets familiers ; chaque
travail d'un trimestre sur le thème de la mer et des poissons peut ne débou- enfant plonge la main dans le sac (il doit être grand et bien opaque), attrape
cher que sur l'incapacité de nombreux élèves à dénommer la moindre un objet qu'il ne peut voir et doit le dénommer, puis le sortir: est-ce bien
variété d'animal marin, et l'explication de la consommation exclusive du l'objet qu'on attendait? Avec les plus grands, le jeu de devinette est aussi un
poisson sous la forme de parallélépipède pané, anonyme et surgelé ne bon moyen de travailler ces aspects du lexique : le groupe doit deviner le
console pas de tant d'efforts. mot que deux ou trois enfants ont choisi ensemble en secret. On peut aussi
jouer à deviner le sens d'un mot inconnu à partir de son contexte.
Comment, en milieu scolaire, sensibiliser les enfants à un lexique relati-
vement vaste et développer simultanément une connaissance réelle d'un Les jeux de communication référentielle (type jeu de «qui est-ce ? »)
vocabulaire forcément plus limité en taille ? Il n'existe pas de réponse nette sont également des outils intéressants en petit groupe ou en dyade : les deux
et sûre à cette question ; toutefois les recherches actuelles sur le dévelop- sous-groupes ou les deux enfants de la dyade sont assis à une table et sépa-
pement lexical chez les jeunes enfants (voir chap. 2) montre l'intérêt des rés par un écran ; ils ont sous les yeux les mêmes éléments en commun,
activités de comparaison d'objets, basées sur leurs similitudes et leurs différant selon plusieurs dimensions (par exemple des dessins de maisons
contrastes fonctionnels et perceptifs. Ces activités correspondent aux stra- différenciées par le nombre de fenêtres, la couleur des volets, la forme de la
tégies utilisées spontanément par les enfants apprenant des mots nouveaux. porte, et la hauteur du toit) ; les uns doivent deviner l'élément choisi en
On peut s'en inspirer pour des jeux sur le thème «pareil - pas pareil» secret par les autres, en posant des questions sur la présence des dimensions
mobilisant les aspects perceptifs, puis fonctionnels des objets : ou attributs, questions auxquelles il leur est répondu seulement par « oui »
-comparer, les yeux ouverts, puis les yeux bandés, par exemple la tex- ou «non». Plus les enfants sont grands, plus on peut multiplier le nombre
ture du bois brut, du bois poli, de plusieurs tissus, du liège, du plastique de dimensions et de leurs modalités (1, 2, 3 4 couleurs, ou formes, etc.), et
et du cuir : qu'est-ce qui est un peu pareil ou pas du tout pareil ? introduire la règle selon laquelle il faut poser le minimum de questions pour
connaît-on le nom d'objets correspondant à ces différentes matières? arriver à la solution.
-peut-on reconnaître différents fruits à leur consistance et à leur goût? Les moments de psychomotricité sont eux aussi propices à -<les compa-
quels sont ceux qui se ressemblent le plus ? le moins ? en quoi les raisons, discriminations et catégorisations d'actions, comme les activités de
légumes et les fruits sont un peu pareils et pas du tout pareils ? graphisme selon les différents résultats que l'on veut obtenir avec un même
-qu'est-ce qui est sucré, acide, amer (premières saveurs discriminées outil. Il en est de même de bien d'autres activités que les séances conversa-
par le nourrisson) et pourquoi pas aigre, âpre, fade? tionnelles, dès lors que l'on veille à ce que tous les enfants puissent partici-
per aux découvertes, sensations et verbalisations.
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit

Un minimum de langage commun 5. L'initiation à l'écrit


Les difficultés de verbalisation exprimées par les enseignants ne se limi- Le traitement de l'écrit correspond à un niveau d'exigence et d'abstrac-
tent pas au lexique, mais concernent aussi l'utilisation des fonctions du tion plus élevé que l'oral, et nécessite des manipulations de niveau métalin-
langage, la syntaxe, la prononciation. Ces difficultés sont plus ou moins guistiques, en même temps qu'il les favorise (voir chap. 2). L'émergence de
importantes selon les classes, selon J'histoire des enfants. Il importe bien sûr telles capacités métalinguistiques coïncide avec la fin du cycle 1 et le début
de les reconnaître, puis d'instaurer au cours des premières semaines de du cycle 2. Mais bien entendu une initiation et une préparation à ces
l'année un (< langage commun minimum » auquel on est particulièrement manipulations ont tout à fait leur place dans le cycle 1. Plusieurs aspects
attentif. Les exigences ne doivent pas être démesurées par rapport aux peuvent être travaillés, notamment en petit groupe conversationnel : la
possibilités des enfants, mais toujours clairement explicitées. familiarisation avec les écrits et la culture écrite, la participation à la
production collective d'écrits, la maîtrise métaphonologique, la maîtrise des
L'expression des demandes, quel que soit leur destinataire dans J'école, gestes et des outils nécessaires à l'écriture.
doit se plier à certaines règles, d'expression verbale et non de cris ou
d'onomatopées, à des règles de politesse ... Certains mots, peut-être utilisés La familiarisation avec les écrits et la culture écrite
fréquemment en dehors de J'école, n'ont pas leur place dans la classe.
Se fanailiariser avec les écrits, c'est d'abord comprendre ceux de l'école
De même, on peut être vigilant sur certaines formulations syntaxiques qui ont une fonction pour l'enfant : les prénoms, éventuellement associés à
de base, selon l'âge des enfants : pour les déclaratives, les interrogatives, un dessin pour les tout-petits, qui marquent ce qui lui appartient ; le menu
l'expression du passé et du futur par exemple. La délimitation d'un lexique de la cantine, des éléments du calendrier, les recettes réalisées en classe, les
commun, pour les termes utilisés fréquemment dans la vie quotidienne de la noms affichés sur des objets usuels, etc. C'est aussi retrouver d'autres écrits
classe, est également possible. de la vie quotidienne : ceux de la publicité et des emballages, les enseignes
Pour ces aspects du langage oral, diverses situations de travail sont de magasins, les marques inscrites sur les voitures, les titres de journaux, de
possibles : le jeu du téléphone peut constituer une aide pour apprendre magazines ou de catalogues. A quoi correspondent ces écrits ? que signi-
certains éléments de ce code commun ; on peut aussi confier à chaque fient-ils ? en quoi se ressemblent-ils ?
enfant le rôle de messager, pour une autre partie de la classe ou pour une En quoi les supports d'écrits sont-ils différents : emballages, affiches,
autre classe, en instaurant la nécessité de transmettre ou d'aller chercher enseignes et panneaux de signalisation, journaux, livres ? Quels liens peut-
certains messages quotidiennement (la température du jour, le menu de la on faire entre images, dessins et écrits ? Comparer des mises en page et des
cantine, les visiteurs prévus, etc.) ; un petit groupe d'enfants peut aussi aller éléments de typographie, retrouver des indices linguistiques (lettres,
régulièrement présenter des informations à d'autres enfants : raconter une groupes de lettres, mots) en comparant différents titres, éventuellement
histoire à partir d'un livre-support connu, présenter un jeu que l'on vient de dans des typographies différentes, etc.
découvrir ou d'inventer. L'important est que les enfants qui viennent faire
ces présentations à d'autres soient de véritables détenteurs d'informations La familiarisation avec la culture écrite passe par l'explicitation, l'ana-
que leurs auditeurs n'ont pas. Ils seront ainsi davantage stimulés pour lyse de ces écrits quotidiens et la recherche du sens. Elle pas~p aussi, bien
s'exprimer de manière compréhensible pour les autres enfants, et plus sûr, par l'univers des albums, des livres pour enfants et aussi pour les
attentifs à l'utilisation de ce« langage commun minimum)). adultes (ils ne se ressemblent pas): ce sont des objets à manipuler (dans
quel sens ?), à sentir, à regarder ; comment l'écrit que l'on peut suivre du
doigt correspond-il à la lecture à haute voix, les pauses aux changements de
page? comment sait-on qu'on est au début ou à la fin du livre?
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit

On peut aller faire ces premières découvertes en petit groupe dans le Dans ces multiples occasions, l'enfant va prendre conscience progressi-
coin-lecture ou la bibliothèque de l'école, choisir un livre et le donner à lire vement, avec l'aide de l'adulte, de la spécificité du texte écrit par rapport à
ou à relire à l'adulte, l'échanger avec celui d'un autre enfant, le ranger, et la formulation orale spontanée ; il va observer le lien entre le débit à l'oral
ceci aussi régulièrement que possible et avec un certain rituel qui aide à et le rythme de transcription de l'adulte-secrétaire, entre la parole et le geste
rendre l'objet-livre familier. Il faut aussi pouvoir emprunter un livre et ~·em­ graphique. Il va être amené à reformuler ses énoncés pour permettre leur
porter chez soi pour quelques jours, même si l'enseig~ant n'~st pas tOUJ~urs transcription écrite, et à considérer que sa production orale peut donner lieu
sûr que l'enfant trouvera chez lui un partenaire pour hre le hvre avec lm. Il à différentes traces : un enregistrement au magnétophone, un texte écrit.
est important de s'en assurer lorsque le livre revient, quitte à chois~r ce Ces écrits peuvent être donnés à d'autres personnes qui peuvent les lire et
livre-là comme support prochain d'une activité de lecture en classe, JUste partager avec lui les informations transcrites. Il y a là de multiples décou-
pour le plaisir de la lecture, sans demander ensuite aux e~fan~s de « rac?nter vertes nécessaires des fonctions, du sens, tout autant que des aspects
eux-mêmes l'histoire». Le plaisir de la lecture et de l'htstmre racontee ne perceptifs de l'écrit.
doit pas être confondu avec le nécessaire travail de questionnement et de
Diverses créations de livres peuvent être proposées ou souhaitées par les
reconstitution du schéma narratif, sous peine de transformer la lecture en
enfants, une fois comprises certaines fonctions de l'écrit, et lorsqu'ils
exercice. peuvent s'imaginer eux-mêmes comme auteurs, avec une visée vers des
Dans cette sensibilisation à la culture écrite des livres, la diversité est lecteurs (eux-mêmes ou d'autres personnes): on peut ainsi fabriquer le livre
aussi importante et doit être introduite et encouragée par l'enseignante: his- du séjour de quelques jours dans un centre aéré, celui de l'histoire inventée
toires fantastiques et réalistes, textes de différents continents, poésies, en classe, le scénario de la scène théâtrale que l'on va jouer, le catalogue des
comptines ... Trouve-t-on des points communs, des personnages ou. d~s monstres les plus affreux, voire le dictionnaire des mots qu'on apprend à
aventures qui se ressemblent? Peut-on repérer des types de textes diffe- écrire, etc. Ces livres sont ensuite adressés à leurs lecteurs : l'un circule
rents ? dans les familles et peut servir de support à des échanges sur la vie de la
Des textes courts pourront être appris et rester en mémoire, permettant classe, un autre est lu à un groupe d'enfants, d'autres encore servent de
aussi de jouer avec les mots et les sonorités et d'explorer pour soi les ressource à la classe dans certaines activités ...
ressources de la langue. A travers ces activités de production d'écrits, les enfants sont conduits à
La lecture d'un livre, c'est aussi la rencontre avec l'univers d'un auteur : prendre le langage comme objet et à s'initier à des manipulations de type
qui est-il ? comment vit-il ? est-ce que ses personnages sont vrais ? qu~ métalinguistique :
faisait-il quand il était un enfant? peut-on rencontrer un ~uteur et lm 11111 Distinguer ce qui est dit et ce qu'on veut signifier (niveau métaprag-
parler? de telles rencontres, lorsqu'il est possible de les org,anJser, sont des matique) ; exemple:
moments forts pour les jeunes enfants, dans les rapports qu Ils construisent
avec les livres. Ill On écrit une lettre pour inviter d'autres enfants
(classe de petits)
La participation à la production collective d'écrits M- classe alors j'écris : on vous invite aussi à venir manger des gâteaux
Les occasions de produire des textes sont multiples dans la vie de la Nic-M oui, mais on dit pas quand ils vont venir !
classe : envoyer une invitation aux parents ou une lettre à une autre classe, M-Nic ah, c'est vrai, ça ! on n'a pas dit la date !
fixer le calendrier hebdomadaire des activités et des services assurés par les Nic a repéré que la date discutée et proposée pour la visite n'a pas été écrite
enfants, transcrire le commentaire des enfants sur leur dessin, garder la dans la lettre.
trace écrite du poème ou de l'histoire construit(e) ensemble, etc.
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit Développer la maitrise de l'oral, s'initier à l'écrit

Il Réfléchir sur le choix des mots appropriés (niveau métalexical et linguistique proprement dite étani plus tardive: il s'agit d'aider l'enfant à
métasémantique) ; exemple : mettre en place ces procédures de traitement de l'oral et de l'écrit, qu'il utili-
sera ensuite de manière de plus en plus automatisée, dans un processus
111 On invente les dialogues d'un scénario (classe de moyens) d'intériorisation progressive du contrôle des activités langagières. Ceci
prendra quelques années ... il ne faut donc pas anticiper.
Ver-M alors il lui dit: s'il te plaît, tu veux bien me dire où est parti le
chat?
La maîtrise des gestes et des instruments de l'écriture
Mag-Ver non il dit pas ça
ille connaÎt pas, alors il dit: s'il vous plaÎt.. Écrire, c'est réaliser une trace signifiante pour autrui, avec des signes
conventionnels ; c'est aussi disposer d'un certain registre de gestes, d'un
contrôle moteur et de l'attention, savoir utiliser selon certaines règles un
Des échanges fructueux peuvent ainsi prendre place entre enfants au espace délimité, pouvoir copier ou inventer des éléments écrits ... C'est
cours de ces activités et contribuer à une sensibilisation métalinguistique donc à la fois donner et trouver du sens, et maîtriser quelques habiletés
nécessaire à l'apprentissage ultérieur de la lecture et de l'écriture. spécifiques ou plus globales.

La maîtrise métaphonologique Comme pour la maîtrise métaphonologique, la préparation à l'écriture


peut .avoir toute sa place aussi dans d'autres activités, dès lors que l'on
Une initiation ponctuelle dans ce domaine peut commencer assez tôt, et travaille la motricité globale : suivi d'un rythme par le geste, le graphisme
pas seulement au cours des moments de langage propremeut dits. Elle a ou la voix ; reproduction ou complètement de motifs graphiques, etc.
toute sa place par exemple pendant les activités musicales, où on va entraî-
ner les enfants à distinguer des sons différents, à l'écoute et en production, En atelier d'écriture, les enfants commencent par des exercices de copie
où on va repérer les rimes de la chanson. Ces activités de discrimination et à main guidée, puis de copie visuelle avec un modèle à distance plus ou
de découpage de la phrase musicale se prolongent par des exercices de moins proche, et maîtrisent ainsi progressivement le contrôle de la posture,
segmentation de la chaîne parlée : reconnaître à l'intérieur des mots, unités celui des rotations, de la direction du tracé dans un espace de plus en plus
signifiantes, d'autres types d'unités, linguistiques, correspondant aux pho- contraignant (une feuille, une portion de feuille, l'espace entre deux lignes
nèmes ; repérer avec les plus grands, des correspondances entre phonèmes de plus en plus rapprochées). Ici encore la visée vers autrui est un élément
et graphèmes. important du travail : le graphisme et l'écrit doivent être lisibles et compré-
hensibles ; on va ainsi guider les ajustements nécessaires.
Ici encore des activités de catégorisation ont toute leur place : relever
des indices linguistiques (lettres, groupes de lettres, mots) et les classer en La réalisation d'un livre dans la classe, la consultation d'écrits doivent
comparant différentes étiquettes correspondant à des écrits familiers (pré- permettre d'attirer l'attention de l'enfant sur les éléments caractéristiques des
noms, marques de produits de consommation, menus, titres de livres, etc.) ; écrits : l'occupation de l'espace de la page, le tracé et la taille des lettres, les
inventer des jeux de rimes, des jeux de mots avec les indices prélevés ... espaces entre les mots, la ponctuation, les différences typographiques, etc.
On peut ainsi travailler la mise en page, le titrage, la relatipn entre les
Une telle initiation est une préparation à l'entrée dans l'écrit en cycle 2. éléments écrits et les éléments imagés, en rapportant ces préoccupations à la
On sait que les capacités métaphonologiques constituent un fort prédicteur visée vers un destinataire et au sens communiqué.
en grande section, des capacités en lecture en fin de CP, et il est important
de commencer à les travailler avant les apprentissages fondamentaux, afin
de réduire d'autant la charge cognitive au moment de l'appropriation de
l'écrit en tant que tel. Mais il ne s'agit que d'une initiation, l'activité méta-
Développer la maîtrise de l'oraL s'initier à l'écrit
Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit

tian verbale à un groupe-classe : ils permettent de véritables échanges entre

~ Pour ne pas conclure enfants et avec l'enseignant, et une intériorisation des stratégies langagières.
Une fois consolidées, les nouvelles habiletés doivent pouvoir s'exercer dans
des situations plus contraignantes, avec des groupes plus larges et plus
diversifiés, des thèmes moins familiers.
Au terme de ce chapitre, nous tenons à souligner et à rappeler que nous Pour cela, encore faut-il que l'enseignant ne se contente pas d'apporter
n'avons pas eu la prétention de proposer un manuel de la pédagogie du ses propres informations et son savoir, mais soit à l'écoute des intérêts des
langage à l'école maternelle, ni un inventaire des activités dans ce domaine. enfants et de leurs propres savoirs : ils constituent un matériau important de
Nous avons souhaité, à partir du repérage de quelques éléments-clé dégagés la communication en classe et des verbalisations. Outre les références
de différents travaux de recherche sur le développement de l'enfant et la livresques et les contes populaires, les expériences personnelles des enfants,
psycholinguistique, proposer des pistes de travail illustrées de quelques y compris à travers des cultures différentes, la vie et l'aménagement du
exemples ; il appartient bien sûr à chacun de les adapter, de les compléter. quartier, les émissions de télévisions et leurs héros -personnes réelles ou
héros imaginaires -, l'actualité mondiale, la réalisation de projets peuvent
Ces propositions ont été expérimentées, pour la plupart, dans des classes
constituer autant de points de départ et de thèmes passionnants pour le
où sont scolarisés des enfants de différents milieux sociaux, y compris une
travail des conduites langagières,. y compris pour défendre des points de vue
proportion élevée d'élèves de milieux dits défavorisés ; à l'entrée à l'école
différents et développer le sens critique.
ou en début d'année, leurs capacités langagières sont évaluées en termes
plus souvent négatifs que positifs par les enseignants, et il apparaît vite que
bien des fonctions du langage scolaire sont pour eux, encore plus que pour
d'autres enfants, assez éloignées de celles qu'ils mettent en œuvre en dehors
de l'école. Mais on peut rapidement faire l'expérience avec eux qu'ils sont
prêts à «jouer le jeu», à participer avec sérieux et intérêt à des activités
qu'il peut quelquefois sembler difficile de proposer à des jeunes élèves.
Le problème est moins dans la difficulté que dans le sens que les élèves
peuvent attribuer aux activités et aux situations scolaires, et dans les condi-
tions de pratique qui leur sont offertes. Aussi est-il important de considérer
les enfants tels qu'ils sont, avec leurs savoirs et leurs savoir-faire, leurs
difficultés et leur immaturité, plutôt que tels qu'ils «devraient être», et de
se demander en quoi les activités proposées les aident à donner sens à leur
vie quotidienne, à les guider dans les interactions avec leurs partenaires et à
s'insérer dans leur culture.
Les groupes conversationnels proposés ne sont que des moyens pour
faciliter ce travail de chacun, cette découverte de la communication en
groupe, de la verbalisation et de l'accès à la culture de l'écrit. Mais ils
paraissent une étape incontournable dans le développement des compé-
tences langagières des jeunes enfants en milieu scolaire, entre la gestion des
situations de dialogue et celle, autrement plus ardue encore, de la participa-
langage et culture :
apprendre à vivre ensemble

Pour conclure cet ouvrage, nous souhaitons rappeler que, pas plus que le
langage ne se construit indépendamment des autres grandes fonctions
psychologiques et de lois générales du développement, la pédagogie du
langage ne peut être isolée de celle des autres domaines d'activités et de
principes éducatifs généraux. Sinon, elle risquerait d'être vite sclérosée, et
coupée de signification pour les différents acteurs.
L'école développe sa propre culture, ses propres valeurs,'lnais elle est
aussi l'un des lieux privilégiés pour la mise en œuvre du processus
d'acquisition culturel, pour insérer l'enfant dans sa culture et façonner la
personne en développement. Pour Vygotsky, l'enseignement doit précéder
le développement: il ne s'agit pas là d'un plaidoyer pour les apprentissages
précoces, mais d'une affirmation du rôle fondamental de l'enseignement
Langage et culture : apprendre à vivre ensemble
Langage et culture : apprendre à vivre ensemble

pour stimuler les processus évolutifs, qui s'oppose donc à la conception


selon laquelle le niveau de développement détermine les capacités écrit: on peut ainsi s'initier à des activités métalinguistiques, prélude à
d'apprentissage. Selon cette optique, il appartient donc à l'enseignant de l'acquisition de la lecture et de l'écriture.
comprendre comment chaque enfant particulier structure ses connaissances, Nous l'avons souligné dès l'introduction : la pédagogie de l'oral ne doit
tout en reconnaissant que les apprentissages de celui-ci ont commencé bien pas uniquement constituer un tremplin au travail sur l'écrit. Ce serait vider
avant l'entrée à l'école (voir chap. 2) : c'est ainsi qu'il pourra solliciter l'oral d'une partie de son sens, ignorer ses fonctions spécifiques et ses règles
efficacement les élèves, leur permettre de réaliser d'abord en collaboration de fonctionnement particulières (voir chap. 2). Les éléments que nous avons
et avec aide ce qu'ils pourront effectuer seuls quelque temps après, en proposés (voir chap. 4 et 5) peuvent constituer, nous l'espérons, des contri-
intériorisant progressivement les actions réalisées. butions à une telle pédagogie. Pour les avoir expérimentés dans des classes
En construisant son langage avec l'aide de ses partenaires, adultes ct avec des enfants considérés comme ayant des difficultés de langage, ils
pairs, le jeune enfant s'approprie ce que le langage transmet comme expé- nous paraissent avoir des effets rapidement positifs qui peuvent se main-
riences, émotions et connaissances. Il n'y a pas de langage sans significa- tenir sur une certaine durée. Ils ne sont pas exclusifs d'autres modes d'inter-
tion, il ne peut donc exister d'activité langagière efficace sans que les jeunes vention, qui, par exemple, prendraient comme point de départ des activités
élèves puissent lui trouver un sens. Les enfants savent très tôt que le psychomotrices ou favoriseraient la participation des familles à certains
langage permet d'agir sur autrui, à défaut d'avoir développé des habiletés moments de vic de la classe. Mais il s'agit là d'activités non substituables, et
réellement efficaces pour l'utiliser en tant que tel ; mais, pour être compé- plutôt complémentaires. On ne peut faire l'économie d'un travail sur les
tents, encore faut-il qu'ils aient des interlocuteurs eux-mêmes compétents, activités de langage elles-mêmes, telles qu'elles sont conduites par
c'est-à-dire capables de reconnaître ces habiletés et d'y répondre d'une l'enseignant en personne. Les comportements de chacun ont des aspects
manière contingente : tel est le cas du bébé capable de faire comprendre à spécifiques dans ces activités et il est important d'en faire l'analyse et de les
l'adulte quel est son centre d'intérêt et l'action qu'il souhaite entreprendre, travailler.
dans la mesure où son partenaire est suffisamment attentif aux messages En outre, ces comportements sont, pour une part, interdépendants : ceux
qu'il lui adresse régulièrement et qu'il y répond de manière prévisible pour de l'enseignant dépendent des connaissances des enfants, de leur mode de
le bébé (voir chap. 3). participation ; ceux des enfants dépendent des modes de sollicitation et de
Lorsqu'ils entrent à l'école maternelle, les enfants ont fait l'expérience réponse de l'adulte ; ils peuvent apparaître relativement différents avec
de partenaires différents, plus ou moins « compétents » de ce point de vue, d'autres partenaires. Mais c'est bien avec cet adulte-là que se joue le travail
et leur appétit de communication avec les adultes peut être assez différent. dans la classe et les difficultés ou les oppositions éventuelles : c'est donc
Mais quoiqu'il en soit, les adultes de l'école constituent de nouveaux parte- avec lui qu'il faut pouvoir élaborer de nouveaux fonctionnements et tenter
naires, avec lesquels de nouvelles habiletés sont à construire : cette cons- de régler ces problèmes ; le travail avec d'autres adultes prend son sens dans
truction sera d'autant facilitée qu'ils seront eux-mêmes des interlocuteurs des actions de remédiation ou de compensation, qui peuvent s'avérer par
« compétents », capables de reconnaître les habiletés des enfants et leurs ailleurs fort utiles.
difficultés à communiquer du sens, capables aussi d'entrer dans la culture Le développement des capacités langagières, et notamment conversa-
enfantine, de rendre leur propre langage compréhensible, aux significations tionnelles, doit pouvoir prendre place très tôt à l'école maternelle. En effet
explicites, et manifestant un réel désir de communication. Alors, les situa- les comportements participatifs se mettent en place dès les débuts de la
tions langagières prennent sens, et les enfants ont des repères, qui scolarité et les positions individuelles de grands, moyens ou faibles parleurs
permettent d'aller au-delà, d'assurer le passage de la communication à la dans la classe tendent rapidement à se figer, et ce pour plusieurs années. En
verbalisation, de travailler le langage en le prenant comme objet, de le déta- outre, ces comportements précoces, en association avec quelques autres,
cher de son sens, c'est-à-dire des raisons pour lesquelles on parle et on telle la manière de suivre le rythme de la classe, les capacités d'attention,
Langage et culture : apprendre à vivre ensemble

constituent des prédicteurs de la réussite scolaire à l'école primaire (Florin,


1991). Aussi convient-il d'intervenir dans ce domaine avant que les difficul-
tés se cristallisent et deviennent insurmontables.
Nous voudrions terminer ces quelques lignes en donnant une place spé-
ciale aux tout-petits, aux enfants de moins de trois ans, accueillis de plus en
plus nombreux à l'école maternelle, notamment dans les zones d'éducation
prioritaires. Rappelons que l'école maternelle n'a pas été organisée pour
eux, mais pour des enfants de trois à six ans ; rappelons aussi qu'elle a sou-
vent déployé des efforts importants et des trésors d'imagination pour ac-
cueillir au mieux ces nouveaux élèves. On ne connaît pas encore très bien
les effets d'une telle scolarisation précoce', mais il semble qu'elle puisse
avoir, au moins à court terme, des effets positifs sur certains aspects des
conduites langagières chez les enfants de milieux sociaux défavorisés. En
outre elle constitue souvent la seule réponse possible aux besoins de garde
de familles plus ou moins en difficulté.
Quels que soient ces effets, à court et à long terme, on ne peut que sou-
haiter un développement de la réflexion sur la scolarisation des tout-petits-
encore un peu bébés et pas tout à fait élèves. On ne peut avec eux avoir les Austin J.N., Quand dire c'estfaire, Paris, Le Seuil, 1970. Traduction de« How to
mêmes attentes qu'avec des enfants plus âgés, on ne peut leur proposer des do things with words », 1962.
activités similaires, notamment dans le domaine du langage, même si leurs Bachmann C., Lindenfeld J., Simonin J., Langage et communications sociales,
facultés d'adaptation apparaissent souvent considérables. Il faut donc, Paris, Hatier, 1981.
encore plus avec eux qu'avec leurs aînés, partir de ce qu'ils sont pour pou- Bandura A., L'apprentissage social, Bruxelles, Mardaga, 1980.
voir les insérer dans ce nouveau lieu de vie qu'est l'école. D'autres structures
Baudo~nière P.M., L'évolution des compétences à communiquer chez l'enfant,
accueillent des tout-petits, avec des objectifs, des moyens, des méthodes Pans, PUF, 1988.
différents de ceux de l'école. Les enfants ont sûrement beaucoup à gagner
Beaudichon J., Verba M., Winnykamen F., «Interactions sociales et acquisition
des échanges entre professionnels de la petite enfance sur leurs pratiques, de connaissances chez l'enfant »,Revue internationale de psychologie sociale,
comme le montrent quelques expériences locales dans ce domaine. 1988,1,129-141.
L'accueil des tout-petits constitue probablement l'un des principaux Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966.
défis pour l'école maternelle française, actuellement, avec l'intégration Bernicot J_, Les actes de langage chez l'enfant, Paris, PUF, 1992.
sociale des enfants de familles en difficulté. Apprendre à parler et à se
Bernoussi M., Florin A., «La notion de représentation : de la "'psychologie
parler, apprendre à vivre ensemble, en sont, à notre sens, des dimensions générale à la psychologie sociale et la psychologie du développement»,
majeures. Enfance (à paraître, 1995).
Bernstein B., Langage et classes sociales, Paris, Éditions de Minuit, 1975.
Les quelques résultats disponibles sont en effet assez contradictoires, et quelquefois diffici-
lement interprétables. Nous réalisons actuellement une recherche inter-universitaire sur cette Bideaud J., Houdé 0., Pédinielli, L'homme en développement, Paris, PUF,
question, avec des collègues des Universités de Nantes, Poitiers ct Tours, et plusieurs centai- collection Premier Cycle, 1993.
nes d'enfants scolarisés dans ces trois sites.
Bibliographie
Bibliographie

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Introduction 3

Chapitre 1
Les objectifs de l'école maternelle 9
L'après 68 et les idées libertaires: les orientations de 1977 10
1. Le rôle traditionnel de l'école maternelle 10
2. Les objectifs de 1977 Il
2 Élévation du niveau de formation et préparation des futurs citoyens :
les orientations de 1986 13
1. Les objectifs de 1986 13
2. Expression et apprentissages 14
3. La place du langage 15
4. L'évolution depuis 1977 16
3 La loi de 1989 sur l'Éducation et ses conséquences pour l'école
maternelle 18
1. Les compétences à développer dans chaque cycle 20
2. Les principes généraux 22
4 Les orientations actuelles 25
1. Les continuités et les éléments nouveaux 25
2. Les domaines d'activités 26
3. Les instruments pour apprendre 32
4. Le sens de ces nouveaux textes 34
5 En guise de conclusion 42
Table des matières Table des matières

Chapitre 2 2. Les résultats obrenus 134


Le langage ou les conduites langagières ? 45 3. Privilégier la personne, sa spécificité et la souplesse adaptative 135

Les conditions de l'acquisition 46 Chapill'e S


1. Le courant béhavioriste 47 Développer la maîtrise de l'oral, s'initier à l'écrit 141
2. Le courant maturationniste et les travaux de Chomsky 50
3. Les perspectives cognitives actuelles 53 Quelques éléments-clés pour les activités de langage 142
4. La perspective interactionniste et dynamique 56 1. La genèse des conduites langagières 142
5. L'approche pragmatique 59 2. La diversité interindividuelle et le rôle des partenaires dans
les apprentissages langagiers 143
2 Les étapes de l'acquisition 63 3. Les pratiques du langage à l'école maternelle et la diversité 144
1. Les débuts de la socialisation 63 4. Les orientations pour les activités de langage à l'école maternelle 145
2. L'émergence du langage 66
3. Le développement langagier 69 2 Propositions de mise en pratique 146
1. Quand peut-on travailler (sur) le langage ? 146
3 Conclusion: une longue histoire ... 78 2. La prise en charge du groupe en début d'année 148
3. La mise en place de groupes conversationnels 1S 1
Chapitre 3 . 4. Le travail sur le langage oral 156
Les différences interindividuelles et le rôle des partenaires 5. L'initiation à l'écrit 169
dans les apprentissages langagiers 81 3 Pour ne pas conclure 174
Les différences interindividuelles 82
1. Quelles différences interindividuelles dans les conduites langagières ? 83 Conclusion
2. Les différences d'aptitudes 86 Langage et culture : apprendre à vivre ensemble 177
3. Les aspects sociolinguistiques 87
4. Les styles individuels et la pluralité des voies de développement 98
Bibliographie 181
2 Le rôle des partenaires de l'enfant dans les apprentissages
langagiers 101
1. L'adaptation du langage de l'adulte 102
2. Les mécanismes impliqués dans les modalités sociales de l'acquisition
de connaissances 108

Chapitre 4
Les pratiques langagières à l'école maternelle 115
La spécificité des situations conversationnelles 116
1. Le choix des situations observées et le recueil des données 118
2. Qui parle et comment ? 12:2
3. Thèmes des séances et fonction des énoncés 1:24
2 Les pratiques des enseignants et l'expression des enfants 128
1. Les caractéristiques générales 1:2:8
2. La participation des enfants 130
3 Les objectifs académiques et la diversité des enfants 133
1. Les expérimentations effectuées 134
Aubin Imprimeur
LIGUGÉ, POITIERS

Achevé d'imprimer en juin 1999


No d'impression L 58506
Dépôt légal juillet 1999
Imprimé en France
Cet ouvrage s'adresse aux enseignants d'école
maternelle et primaire, ainsi qu'aux profession·
nels de la petite enfance et aux ' parents sou-
cieux du développement des compétences de
communication et du langage des jeunes
enfants.
L'auteur réunit une lecture critique des textes
officiels sur le langage à l'école maternelle, une
présentation des recherches sur le développe·
ment (notamment langagier) des jeunes
enfants, et en dégage des propositions concer·
nant le développement de l'oral et l'initiation à
l'écrit : il s'agit de pistes de travail expérimen·
tées dans des classes de maternelle, y compris
dans des zones dites difficiles, qui ont fait
l'objet d'évaluations avec le concours des
enseignants et de membres de réseaux d'aide.
•-

Cette collection, dirigée par Gilbert PY, vise à apporter aux personnels de l'Éducation natio-
nale les informations dont ils ont besoin pour que leur pédagogie soit en accord avec les
évolutions économiques, technologiques, sociales et culturelles. Elle s'inscrit dQns la perspec-
tive de rénovation du système éducatif en apportant aux personnes concernées les complé-
ments de formation indispensables à leur pratique professionnelle d 'aujourd'hui.

Ill 11111
9 782729 895952 ISBN 2-7298-9595-7

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