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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 1

LES TECHNIQUES
DE LA VIE QUOTIDIENNE

âges et usages
à la réduction des inégalités

Coordination de l’ouvrage
Françoise Bouchayer,
Catherine Gorgeon,
Alain Rozenkier

Mission Recherche-DREES CNAV


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Mise en forme du document


Valérie Zilli
(Fondation nationale de gérontologie)

Françoise Bouchayer
Mission Recherche-DREES
Ministère de l’Emploi et de la Solidarité
11, place des 5-Martyrs-du-Lycée-Buffon
75696 Paris Cedex 14 – France
Tél. : 33 (0)1 40 56 82 16
Fax : 33 (0) 1 40 56 82 20
E.mail : francoise.bouchayer@sante.gouv.fr

Catherine Gorgeon
Fondation nationale de gérontologie
49, rue Mirabeau
75016 Paris – France
Tél. : 33 (0) 1 55 74 67 19
Fax : 33 (0) 1 55 74 67 01
E. mail : gorgeon.fng@wanadoo.fr

Alain Rozenkier
Caisse nationale d’assurance vieillesse
Direction des recherches sur le vieillissement
49, rue Mirabeau
75016 Paris – France
Tél. : 33 (0)1 53 92 50 20
Fax : 33 (0) 1 53 92 50 26
E.mail : alain.rozenkier@cnav.fr

Juin 2002
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Sommaire

Avant-propos . .................................................5

Séminaire de valorisation
Les techniques de la vie quotidienne : âges et usages
OUVERTURE DU SÉMINAIRE

Patrick Hermange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Mireille Elbaum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
SYNTHÈSE DU SÉMINAIRE

Une trilogie d’acteurs : chercheurs, institutionnels, usagers


Françoise Bouchayer, Catherine Gorgeon, Alain Rozenkier. . . . . . . . . . . . . . 19
Les personnes âgées comme révélateur d’un nouveau continent
de la demande
Rémi Barré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
L’identité à l’épreuve des objets
Serge Tisseron. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Synthèses des recherches du programme


Évolutions technologiques, dynamiques des âges et vieillissement de la population
LES USAGES ET LES USAGERS

Adoption des changements monétaires par les personnes âgées : pratiques


des nouvelles technologies monétaires et confiance dans l’euro
Gilles Malandrin, Philippe Salas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
La diversité des usages des technologies : étude auprès de couples
à la retraite et de personnes veuves
Vincent Caradec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Réseaux de communication et vieillissement : transformation
des réseaux sociaux et des usages des télécommunications à la retraite
Michael Eve, Zbigniew Smoreda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

3
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Les produits techniques dans les échanges entre les vieilles personnes,
leur entourage et les services d’aide à domicile
Serge Clément, Marcel Drulhe, Christine Dubreuil, Michèle Lalanne,
Jean Mantovani, Sandrine Andrieu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Les personnes âgées face à la société de l’information
Emmanuel Eveno, Philippe Vidal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Information et multimédia : quel intérêt pour les libertés ?
Dominique Le Doujet, Catherine Lefevre, Claire Lebret, Marie-Paule Buffet. . . 103
L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet par les aînés,
une question d’expertise et d’utilité plus que d’âge :
le cas du site de la SNCF et de la CDC
Cecilia De la Garza, Jean-Marie Burkhardt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

LES SERVICES ET LES ORGANISMES INTERMÉDIAIRES

Le service public face à la demande sociale :


les usagers âgés dans les transports en commun de Marseille
Ghislaine Gallenga. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
L’adaptation de l’habitat chez des personnes de plus de 60 ans
souffrant de maladies et/ou de handicaps et vivant à domicile
Françoise Le Borgne-Uguen, Simone Pennec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Politique sociale de la vieillesse dans une municipalité
de l’Essonne et développement technologique
Françoise Clavairolle, Clarice Ehlers-Peixoto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Les acteurs des nouveaux services aux usagers :
place et fonctions des technologies (recherche en cours)
Véronique Le Goaziou, Marie-Françoise Lozier,
Anne-France de Saint Laurent, Yves Toussaint . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

LA CONCEPTION ET L’OFFRE DE PRODUITS ET DE SERVICES

Problématique du vieillissement dans l’offre de produits de la vie


courante : analyse des pratiques des entreprises
Michèle Conte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Les nouvelles technologies et les besoins médico-sociaux des personnes
âgées : formation de l’offre et de la demande, propension à payer
Michel Frossard, Nathalie Genin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

Annexes
Publications issues du programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Liste et coordonnées des chercheurs du programme. . . . . . . . . . . . . . . 189
Composition du comité scientifique et du comité de pilotage . . . . . . . 195
Premier appel d’offres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Programme du séminaire de valorisation,
MiRe-DREES/CNAV, Paris, 27 novembre 2001 . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
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Avant-propos

CET ouvrage marque l’aboutissement du programme pluriannuel « Évo-


lutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement de la popu-
lation » initié par la CNAV et la MiRe-DREES du ministère de l’Emploi
et de la Solidarité.
Il présente les échanges qui ont eu lieu lors du séminaire de valorisation
qui s’est tenu à Paris en novembre 2001 ainsi que les apports des
recherches financées dans le cadre du deuxième appel d’offres (1998-
2001) conduit en partenariat avec EDF, France Télécom, la SNCF, le
secrétariat d’État à l’Industrie, le ministère de l’Équipement, du Logement
et des Transports (PUCA) et la Caisse des dépôts et consignations
(Branche Retraites).
A mi-parcours, début 1999, le cadre général du programme et les résul-
tats des recherches financées lors du premier appel d’offres (1997-1998)
avaient donné lieu à la publication d’un document d’étape et à l’organisa-
tion d’un séminaire de recherche1.
Le présent ouvrage constitue donc la suite et le complément de la pre-
mière phase du programme.

1. Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement de la population (1999), Document


d’étape, coordonné par Françoise Bouchayer et Alain Rozenkier, MiRe-DREES/CNAV, 176 p.
Version en anglais : Technological Developments, the Dynamics of Age and Ageing of the Population,
(1999), Progress report, coordinated by Françoise Bouchayer and Alain Rozenkier, MiRe/CNAV,
176 p.
Évolutions technologiques et vieillissement des personnes (1999), actes du séminaire de recherche MiRe-
DREES/CNAV, Paris, 116 p.

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Séminaire de valorisation

LES TECHNIQUES DE LA VIE QUOTIDIENNE :


ÂGES ET USAGES
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OUVERTURE DU SÉMINAIRE

Patrick Hermange, directeur de la CNAV

J E suis doublement heureux d’ouvrir cette journée de valorisation sur


« Les techniques de la vie quotidienne : âges et usages ». Tout
d’abord, je me réjouis de vous accueillir à la CNAV. Je pense que, si
l’institution est connue de tous, il n’en est sans doute pas de même de sa
localisation et de ses locaux et, pour nombre d’entre vous, je suppose que
c’est la première fois que vous vous trouvez en ces lieux.
Si nous n’avons pas l’habitude d’organiser dans nos murs des colloques,
des réunions de chercheurs, des manifestations spécialisées en direction
d’un public averti, nous sommes par contre coutumiers d’une démarche
partenariale et de collaboration inter-institutionnelle, notamment en
matière de recherche.
Telle a été l’orientation de la Caisse nationale et de sa Direction des
recherches pour les grandes enquêtes que nous avons initiées dans le passé,
qu’il s’agisse des travaux sur la thématique du passage de la vie active à la
retraite, du prix de la dépendance ou bien encore, plus récemment, sur
celle des échanges et de la solidarité intergénérationnels. Telle demeure
l’orientation pour les nouvelles recherches, en particulier celle qui portera
sur le vieillissement des immigrés.
La journée d’aujourd’hui s’inscrit tout à fait dans cette orientation qui
consiste à favoriser le développement de la recherche, à contribuer à
l’émergence de thématiques pertinentes, tout en suscitant des coopéra-
tions fécondes avec les chercheurs et les organismes partenaires pour
mutualiser les savoirs et les moyens. En ce sens, le programme « Évolu-
tions technologiques, dynamique des âges et vieillissement de la popula-
tion » peut se prévaloir d’une exemplarité certaine. La rencontre d’aujourd’hui

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Séminaire de valorisation

est en quelque sorte l’aboutissement d’un processus partenarial qui s’est


inscrit dans la durée et qui semble avoir été fertile, mais vous aurez l’occa-
sion d’en témoigner dans vos discussions tout au long de la journée. C’est
là en tout cas pour moi un second motif de satisfaction.
La CNAV et la MiRe ont entrepris de porter dès le début des années
1990 ce thème « Évolutions technologiques et vieillissement ». Ce fut tout
d’abord en participant au réseau européen (COST A5)1 et, avec la colla-
boration de la FNG, dans le cadre du groupe de référence français de ce
même réseau.
C’est dans le prolongement de la participation à ce réseau qu’ont été
conçus et lancés les deux appels d’offres de recherche, en juillet 1996
(assuré par la CNAV et la MiRe) puis en décembre 1997, cette fois sur la
base d’un partenariat institutionnel élargi rassemblant EDF, France
Télécom, SNCF, la Caisse des dépôts et consignations (Branche Retraites),
le secrétariat d’État à l’Industrie, le ministère des Transports, du Logement
et de l’Équipement (Plan urbanisme, construction, architecture – PUCA)
et, bien sûr, la CNAV et la MiRe-DREES.
Lorsque cette démarche a été engagée, on ne pouvait pas dire qu’il était
courant d’appréhender simultanément le domaine des personnes âgées et
du vieillissement et celui des objets techniques dans la vie quotidienne. Je
pense – et votre présence en témoigne – que l’intérêt que présente la jonc-
tion de ces deux champs est désormais mieux perçu grâce aux travaux
menés par les équipes de recherche que le partenariat a permis de finan-
cer, grâce à l’action d’animation du réseau et à la diffusion des apports des
travaux, dans des ouvrages, des articles, des communications auprès de
diverses instances.
Je sais, par exemple, que l’ANVIE (Association nationale pour la valo-
risation interdisciplinaire de la recherche en sciences de l’homme et de la
société auprès des entreprises) organise très prochainement deux ateliers
inter-entreprises au cours desquels interviendront – notamment – deux
des chercheurs qui ont participé au programme.
L’enjeu de la thématique de la journée – et du programme, bien sûr,
plus largement – est d’importance. Dans son introduction au récent
numéro de Retraite et Société, Claudine Attias-Donfut se réfère à Philippe
Ariès parlant « des vieux que l’histoire a exilé de la société plénière ». De
même, il ne faudrait certes pas que les vieux, les personnes vieillissantes se
retrouvent « exilés » d’un environnement quotidien marqué et façonné à
l’extrême par les technologies, les objets et les dispositifs techniques. Ce
risque n’est-il pas virtuel ? Cette crainte infondée ?
Un des chercheurs du premier appel d’offres, Philippe Breton, a insisté
sur le discours d’accompagnement des nouvelles technologies en tant que

1. COST : coopération européenne scientifique et technique.

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Ouverture du séminaire

révélateur d’une « exclusion constitutive » des personnes âgées. Il est vrai


qu’il s’agit du « discours d’accompagnement » et non pas des objets eux-
mêmes dont l’usage, de même que le non-usage, répond à des considéra-
tions hautement complexes et circonstanciées.
Sans entrer trop avant dans les enseignements que l’on peut tirer du
programme, il semble néanmoins avéré que les personnes âgées ne sont pas
en tant que telles réfractaires aux objets techniques, innovants ou banali-
sés. C’est en fonction du sens et de la place qu’ils prennent dans la défini-
tion ou redéfinition de leur identité, à un moment de leur parcours de vie,
qu’il convient d’interpréter le fait de recourir ou non à ces objets.
Face à ces craintes d’exil au monde et à sa modernité, les chercheurs qui
ont travaillé sur les nouvelles technologies monétaires s’interrogent, quant
à eux, sur la réalité de la prétendue fragilité des personnes âgées, popula-
tion hétérogène par excellence, on ne le rappellera jamais assez. Les per-
sonnes âgées sont-elles aussi démunies face à ces changements que l’idée
reçue le suggère ? Ne serait-il pas réducteur d’attribuer ces attitudes d’évi-
tement essentiellement à une fragilité de leur part ? En contrepoint de ces
interrogations, ils indiquent que « cette étude nous autorise à penser que
les personnes âgées sont certainement moins fragiles qu’on peut le penser
et qu’elles trouvent leur place dans ce système à leur façon, en s’adaptant
à leurs difficultés plutôt avec succès et dans l’ensemble avec autonomie. En
opérant un tri dans les innovations qui ne les intéressent pas et en adop-
tant préférentiellement les modernités à leur portée, elles nous montrent
que les inquiétudes à leur sujet ne sont pas toujours fondées ». Je ferai
volontiers mien cet optimisme – voire ce réalisme – raisonné.
Pour enchaîner sur l’euro – et pour conclure –, je remarque qu’un pré-
cédent séminaire s’était déroulé quelques mois avant le passage à l’an
2000, alors que tous ses aspects techniques et symboliques étaient à l’ordre
du jour. Aujourd’hui, ce séminaire se tient quelques semaines avant le pas-
sage à l’euro, nouveau défi à notre organisme, à nos ressortissants, et plus
largement, à l’ensemble de la société. Pour ce qui nous concerne, nous
avons pris les dispositions qui conviennent pour que ce passage se déroule
au mieux.
Dans le cadre de notre politique d’action sociale, les actions de forma-
tion d’aides ménagères en tant que « médiatrices » ont été conduites pour
accompagner, non pas les personnes âgées dans leur ensemble, mais celles
qui, parmi elles, risqueraient d’être déstabilisées. Au travers de notre poli-
tique d’action sociale et de son axe privilégié, contribuer au maintien à
domicile, c’est un objectif d’insertion et de participation sociale que nous
poursuivons.
C’est aussi un peu l’enjeu de la thématique de ce programme de
recherche. C’est la raison pour laquelle, avec d’autres, nous y avons parti-
cipé. C’est la raison pour laquelle nous sommes attachés à ce que se diffu-

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Séminaire de valorisation

sent, au-delà des initiateurs et des participants, et au plus profond de la


société, les enseignements de ces travaux ainsi que les représentations
sociales et les images des personnes âgées qu’ils révèlent.

Je suis persuadé que cette journée et vos échanges iront en ce sens.


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OUVERTURE DU SÉMINAIRE

Mireille Elbaum, directrice de la DREES

J E suis très heureuse de vous retrouver aujourd’hui pour ce deuxième


séminaire consacré aux recherches engagées dans le programme
« Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement de
la population ». Ce programme a été lancé, financé et animé en commun
par la CNAV – qui nous accueille aujourd’hui – et la Mission recherche
de la DREES, autour d’un comité scientifique que M. Victor Scardigli,
directeur de recherches au CNRS, a présidé.
Il y a presque trois ans, en février 1999, le ministère de la Recherche
nous accueillait pour discuter des résultats des huit premières recherches
du programme dont les résumés ont été publiés dans un document
d’étape, paru également début 1999. Le deuxième appel d’offres, dont
nous débattons aujourd’hui, a, quant à lui, donné lieu à douze recherches
financées dans le cadre d’un partenariat institutionnel élargi.
Ce programme a, tout au long de son déroulement, débouché sur une
série de publications : synthèses des recherches publiées dans les Cahiers de
Recherches de la MiRe, articles dans les revues Retraite et Société et Réseaux,
publication des actes du séminaire de 1999. Il est également prévu, pour
« boucler la boucle », de publier un document de synthèse final.
Pour lancer, d’ores et déjà, les débats, je voudrais mentionner rapide-
ment, sans aucune prétention à une synthèse d’ensemble, quelques-uns
des points qui m’ont particulièrement frappée ou intéressée à la lecture des
notes de synthèse de cette deuxième phase du programme. Je reviendrai
ensuite sur l’esprit et l’organisation de cette journée qui comporte deux
grandes parties, l’une consacrée à l’offre institutionnelle, l’autre aux inter-
actions entre les objets techniques et l’identité des personnes.

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Séminaire de valorisation

A propos des résultats des recherches réalisées

L’intérêt de mettre en relation des champs de recherche a priori dis-


joints. D’abord, et comme cela avait été souligné lors du bilan de la pre-
mière phase du programme, ces travaux confirment l’intérêt de mettre en
relation des champs de recherche a priori disjoints : celui des personnes
âgées d’une part, des objets et des techniques d’autre part, et ce à la fois
pour compléter, voire renouveler les approches habituelles du vieillisse-
ment et pour souligner l’importance de l’environnement matériel et tech-
nique dans la vie sociale, dans la façon dont les individus perçoivent leur
identité, ainsi que dans les réseaux de relations ou dans les processus d’ex-
clusion, objectifs ou ressentis, dont ils sont l’objet. Il s’agit d’approches
concrètes souvent négligées, qui interpellent non seulement les pouvoirs
publics mais aussi l’ensemble des offreurs privés de produits ou de services.
Dans cette optique, il faut aussi souligner l’intérêt de confronter
recherches monographiques et données statistiques disponibles. Même si
ces données sont parfois éparses, elles doivent permettre, soit de confirmer
des résultats plus qualitatifs, soit de mettre en évidence d’autres relations
ou corrélations qui sont elles-mêmes à valider.

Ces recherches nous montrent en outre l’importance de prendre en


compte la diversité des motivations ou même des stratégies que les per-
sonnes âgées développent vis-à-vis des différents objets ou techniques en
cause. Avant d’être âgées, les personnes âgées sont avant tout des individus
qui ont de « bonnes raisons » de s’équiper ou de ne pas s’équiper, et d’uti-
liser ou de ne pas utiliser tel ou tel objet. Les facteurs qui jouent sur les
rationalités qui sont les leurs méritent à cet égard d’être analysés en tant
que tels. Leurs raisons et leurs motivations sont en effet diverses et tien-
nent à la fois :
● Aux caractéristiques des personnes : leur âge bien sûr, sachant qu’il faut

éviter le vocable unique de personnes âgées pour des tranches d’âge


aussi diverses que les 55-60 ans ou les plus de 80 ans. Le sexe inter-
vient aussi, par exemple pour l’emploi du téléphone, de même bien
sûr que le milieu social, avec l’existence de différents objets « mar-
queurs » de niveau culturel ou de modernité, par exemple l’audiovi-
suel de création.
● A l’utilité, non pas objective, mais ressentie des objets qui peuvent cor-

respondre à des logiques d’usage différentes, ainsi qu’aux images plus


ou moins positives qui sont associées à ces objets.
● A l’évolution des attitudes au cours du temps, notamment lors des

« transitions de vie » : retraite, veuvage, départ des enfants peuvent en


effet avoir un rôle majeur dans d’éventuels phénomènes de « déprise »,
soit que l’utilité de certains objets ne soit alors plus ressentie par les

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 15

Ouverture du séminaire

personnes (par exemple, le lave-vaisselle), soit que les médiateurs qui


en favorisaient l’utilisation ne soient plus là.

A cet égard, le troisième enseignement que je voulais pointer est le


caractère essentiel, dans l’usage et l’appréciation de l’utilité des objets,
des relations sociales, en particulier familiales dans lesquelles ils s’ins-
crivent. Tout d’abord les objets techniques peuvent être l’occasion de
cadeaux de la part d’anciens collègues ou d’enfants. Ils peuvent aussi don-
ner lieu à une initiation et à une aide de leur part. Surtout, ils peuvent
jouer un rôle important dans l’entretien des liens et des relations. C’est ce
que nous montrent, par exemple, la facilité ressentie de l’usage d’Internet
quand il s’agit de maintenir le lien avec un enfant qui se trouve à l’étran-
ger, ou bien l’achat d’un magnétoscope comme outil d’attractivité et d’ani-
mation quand on reçoit ses petits-enfants, ou encore l’investissement du
téléphone par les femmes pour entretenir un réseau complexe de « droits »
et de « devoirs » relationnels avec la famille.
A l’inverse, les recherches montrent un rejet, parfois, des distributeurs
d’argent ou de billets de transport qui privent les personnes âgées des rela-
tions qu’elles estiment souhaitables avec les guichetiers ou les conducteurs,
ce qui donne lieu à des essais de contournement ou à des tentatives de
trouver d’autres médiateurs pour maintenir ce dialogue.

Les recherches mettent également l’accent sur la diversité des


images et des usages associés aux différents objets. Ainsi, le micro-
ondes semble avoir une utilisation peu différenciée selon l’âge, alors que
son apport potentiel est très appréciable pour aider au maintien de l’auto-
nomie au grand âge, la télévision apparaît comme un commun dénomi-
nateur, alors que l’audiovisuel de création est davantage un « marqueur
culturel ». La téléalarme et dans une moindre mesure la visiophonie font
l’objet d’un rejet relatif, parce qu’elles ont un caractère spécifique et stig-
matisant qui apparaît directement lié à l’âge. Les personnes âgées semblent
ainsi préférer des objets d’utilité générale réappropriés, voire « bricolés »,
pour améliorer leur autonomie (par exemple, les rampes d’appui) aux
objets spécifiques ayant une connotation liée à la santé et soulignant par
trop un déficit en termes de handicap (la téléalarme, les tables ou sièges
rappelant « l’hôpital »).

Une recherche d’actualité consacrée à l’utilisation des nouvelles


technologies monétaires et aux attitudes vis-à-vis de l’euro souligne
enfin l’importance des phénomènes de confiance, et ce à plusieurs
niveaux : confiance tout d’abord que les personnes âgées ont en elles-
mêmes, avec d’ailleurs parfois des risques de déni des difficultés qui pour-
raient être rencontrées, déni susceptible d’engendrer des problèmes dans

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Séminaire de valorisation

l’avenir ; confiance également dans les organismes ou les institutions pri-


vés, en l’occurrence les banques ; confiance enfin dans les souverainetés
publiques et le rôle de l’État. Ces voies de recherche seraient bien évi-
demment intéressantes à poursuivre dans l’avenir avec la mise en place
effective de l’euro. A cet égard, les personnes âgées n’apparaissent pas si
« fragiles » et semblent tout à fait capables de stratégies d’adaptation sélec-
tive en fonction de ce qui les intéresse et correspond à leurs habitudes.

Cette conclusion est partagée par la plupart des recherches qui,


comme tous les travaux de qualité, conduisent inévitablement à
« déconstruire » le sujet qui leur a été proposé. Cette « déconstruction »
porte sur les deux termes : « les personnes âgées », qui sont d’abord des
usagers, et « les nouvelles technologies », qui reposent sur des objets fina-
lement assez proches des autres objets quant aux logiques d’usage dont ils
sont investis. Cette « déconstruction » peut être jugée extrêmement posi-
tive, dans la mesure où elle porte en germe, comme cela avait déjà été noté
au séminaire de 1999, des possibilités d’amélioration générale « pour
tous » de la conception des produits et des services liés aux technologies et
de meilleure réflexion sur leurs conditions d’apprentissage. La phrase qui
conclut l’une des recherches, « les aînés n’apprennent que s’ils sont moti-
vés et si l’outil leur paraît utile et utilisable », paraît bien à cet égard valable
pour nous tous.

L’organisation de la journée et des débats

Cette journée est divisée en deux parties :


● La matinée sera consacrée à la façon dont les concepteurs de produits

techniques ou d’innovations considèrent les personnes âgées et pren-


nent en compte leurs préoccupations. La question qui en découle est
bien sûr de savoir si les réactions de ces personnes, qui sont souvent
vues sous l’angle de difficultés spécifiques, ne peuvent pas contribuer
à faire évoluer la façon dont on considère les usagers, d’une manière
générale, en prenant mieux en compte leur hétérogénéité et la diver-
sité des besoins qu’ils expriment.
● L’après-midi sera l’occasion de débattre de l’attitude des personnes

âgées par rapport aux différents « objets techniques », anciens ou nou-


veaux. Cela nous permettra de revenir sur les déterminants de ces
usages : habitudes de vie, motivations plus ou moins spécifiques, liens
avec l’environnement familial et social.

Les questions pour l’action tourneront ici davantage autour des condi-
tions de réussite des apprentissages, des médiations qui sont susceptibles

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 17

Ouverture du séminaire

de les faciliter, mais aussi de la nécessité d’accepter de prendre en compte


des stratégies de non-recours qui peuvent être tout à fait légitimement
affirmées.

L’esprit de cette rencontre se veut à la synthèse, aux confrontations


et aux regards croisés.
Pour chaque partie de la journée, une introduction sera assurée par une
personnalité qui n’a pas participé au programme et qui, dans son champ
de préoccupations, peut avoir un regard différent ou complémentaire sur
les questions que nous abordons aujourd’hui. Il lui est demandé à la fois
de porter un regard synthétique sur les recherches effectuées, et de lancer
un débat sur les réactions ou questions qu’elles peuvent susciter. Ces inter-
ventions seront suivies de tables rondes associant une présentation syn-
thétique, par les chercheurs, des résultats de leurs travaux et les réactions
d’« acteurs » institutionnels, qu’ils relèvent de la sphère publique ou pri-
vée, et notamment d’acteurs ayant soutenu le programme, sur les ensei-
gnements qu’ils tirent de ces travaux.
Je remercie Rémi Barré, directeur de l’Observatoire des sciences et des
techniques et professeur associé au Gram, et Serge Tisseron, psychiatre et
psychanalyste, qui ont accepté d’introduire ces deux demi-journées, ainsi
que les modérateurs et les contributeurs qui tenteront de nous exprimer
l’« essence » des recherches réalisées.
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SYNTHÈSE DU SÉMINAIRE

Une trilogie d’acteurs :


chercheurs, institutionnels, usagers

Françoise Bouchayer*, Catherine Gorgeon**,


Alain Rozenkier***

C
ETTEjournée de valorisation avait pour ambition de faire dialo-
guer et échanger chercheurs en sciences sociales et offreurs de
produits ou de services, que ces derniers soient des institutions
ou des entreprises privées ou publiques (comme Renault, la RATP, la
SNCF, France Télécom, EDF, la Caisse des dépôts et consignations ou la
sécurité sociale). Il ne s’agissait donc pas uniquement de restituer les résul-
tats des recherches financées dans le cadre du deuxième appel d’offres du
programme « Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillisse-
ment de la population ». De fait, ce séminaire a été l’occasion de prolon-
ger la discussion sur les passerelles envisageables entre la recherche et la
prestation de services ou la production d’équipements destinés au public.
Les huit recherches soutenues dans le cadre du premier appel d’offres
du programme faisaient le constat d’une difficile connexion socio-tech-
nique entre individus âgés et technologies nouvelles. Les apports des
recherches suivantes permettent de nuancer ces résultats et d’avancer dans
la compréhension des phénomènes d’appropriation ou de rejet de cer-
taines technologies de la part des personnes âgées ou encore des adéqua-
tions ou des inadaptations de certains produits à l’usage qu’elles pour-
raient en faire. Deux registres d’élucidation des interactions entre vieilles

* MiRe-DREES, ministère de l’Emploi et de la Solidarité.


** Fondation nationale de gérontologie.
*** CNAV, Direction des recherches sur le vieillissement.

19
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Séminaire de valorisation

personnes et produits techniques ont été mobilisés par les chercheurs. Le


premier se situe du côté de l’offre et met en lumière l’insuffisante prise en
compte des usagers, et en particulier des plus âgés, dans toute la chaîne de
production et de mise à disposition d’un produit ou d’un service. Le
deuxième insiste sur la diversité des stratégies d’usage dont font preuve les
usagers âgés, à l’instar des générations plus jeunes. Ainsi, les personnes
âgées comme les objets techniques ont tenu lieu, tout au long de ce pro-
gramme, de révélateurs mutuels.
Afin de rendre compte de la dynamique d’échanges entre chercheurs et
représentants institutionnels, nous avons choisi de structurer cette syn-
thèse en trois temps. Nous aborderons ce qui a été présenté et débattu tout
d’abord à propos de la recherche en sciences humaines et sociales, puis des
institutions prestataires, et enfin des usagers. Pour chacune de ces trois
parties, nous évoquerons successivement le point de vue des chercheurs et
celui des institutionnels.

Entre offre et usage : quel rôle pour la recherche ?

Le point de vue des chercheurs


Que disent les chercheurs sur ce qu’ils sont susceptibles d’apporter aux
acteurs et institutions en charge de la définition, de la fabrication et de la
diffusion de produits et de services ?
Tout d’abord, il est clair que, comme pour tous les autres domaines de
recherche, les résultats ne sont pas directement exploitables ou utilisables.
Un pont reste toujours à construire – une traduction reste à faire, diraient
certains – entre le niveau conceptuel de la recherche et le registre plus
pragmatique de l’industrie ou des administrations. Si certaines disciplines
s’articulent assez aisément avec les sciences pour l’ingénieur et la conduite
de projet – on pense notamment à l’ergonomie –, qu’en est-il pour
d’autres disciplines comme l’anthropologie ou la sociologie ?
Une des postures possibles, pour le sociologue, consiste à considérer que
le chercheur peut tenir lieu de porte-parole des usagers et de leurs attentes,
sans se substituer à eux mais en faisant valoir leur point de vue et en trans-
férant les résultats de ses investigations de terrain auprès de ceux engagés à
différents titres dans l’action. Plusieurs chercheurs ont ainsi insisté sur la
nécessité de mettre en avant la diversité des pratiques et de leurs détermi-
nants, ainsi que leur évolutivité dans le temps au fur et à mesure de l’avan-
cée en âge. Ils ont en outre rappelé que le facteur le plus déterminant,
notamment pour les personnes âgées, n’est pas tellement l’âge considéré en
lui-même, mais plutôt la trajectoire sociale ou encore la construction psy-
chologique et émotionnelle des situations vécues. A cet égard, il serait judi-
cieux que le vieillissement soit approché comme un processus, plutôt que

20
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 21

Une trilogie d’acteurs : chercheurs, institutionnels, usagers

comme une catégorie d’âge homogène et figée, de se dégager des discours


préconstruits et des visions idéologiques, de casser les généralisations et les
clichés selon lesquels, par exemple, les personnes âgées seraient soit « inca-
pables », soit « enthousiastes » par rapport aux technologies nouvelles.
L’anthropologue, quant à lui, met en perspective, opère un questionne-
ment global de tous les processus, de tous les objets qu’il observe en se
dégageant des discours préconstruits et des visions idéologiques. La
recherche anthropologique peut alors proposer un décryptage croisé des
différentes rationalités et systèmes d’intérêt en jeu, d’ordre social, poli-
tique, économique. Elle se situe à l’interface de ces multiples lectures et
peut contribuer à un élargissement des perspectives d’appréhension de la
réalité et des enjeux sociaux.

Le point de vue des institutionnels


Comment, de leur côté, les institutions prestataires perçoivent-elles la
recherche en sciences humaines et sociales, réussissent-elles à s’en appro-
prier les principaux résultats, voire à l’internaliser ?
Les sites Internet de deux des institutions partenaires du programme
– la SNCF et la CDC – ont constitué le terrain de recherche d’une des
équipes d’ergonomes du programme. Cette situation présentait l’origina-
lité d’associer, autour d’un même objet, chercheurs et opérateurs et s’est
avérée fructueuse pour les uns comme pour les autres. Le représentant de
la Branche Retraites de la CDC a notamment souligné la concomitance et
la convergence des faits entre la montée en charge du site et le déroule-
ment de la recherche. Cette convergence a notamment porté sur la volonté
institutionnelle initiale de ne pas concevoir un site pour les retraités mais
sur la retraite, l’hypothèse étant que l’âge n’est pas un critère pertinent de
segmentation des internautes. De leur côté, les chercheurs mettaient l’ac-
cent sur l’opportunité de fabriquer un site qui ne soit pas, dans ses com-
posantes techniques et son contenu, spécifiquement adapté à un public de
personnes âgées mais plutôt d’accès et d’utilisation aisés pour tout inter-
naute.
Certaines entreprises ont intégré en interne la fonction recherche,
comme, par exemple, EDF au sein de son département Recherche et
Développement. Ce département a pour objectif de travailler sur la perti-
nence sociale des innovations en matière de produits et de services. Il
cherche à reverser, au sein d’une entreprise dans laquelle la culture tech-
nique domine, ce qu’il peut en être des significations d’usage, en esquis-
sant le paysage dans lequel l’offre de services prend place ou est susceptible
de se situer dans les années à venir. Ce département se considère comme
un médiateur et un traducteur de la demande sociale en direction des
concepteurs et des services marketing, travail qui, malgré l’appartenance à
une même mais vaste entreprise, n’est pas toujours aisé et acquis d’avance.

21
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 22

Séminaire de valorisation

Le chantier est double : progresser dans la connaissance sur les attentes et


les évolutions sociales et culturelles, et diffuser cette connaissance auprès
des autres départements et directions de l’entreprise. Plus précisément,
dans le cadre de l’Observatoire sociétal qu’il met en place, le département
Recherche et Développement d’EDF se penche sur la connaissance des
populations, la compréhension des pratiques domestiques, résidentielles,
de consommation, la réinterrogation de certaines catégories comme celle
des seniors. Plus en aval, l’accompagnement d’innovation permet d’éva-
luer les solutions proposées avant d’initier tout travail de développement.
De son côté, Renault propose de réfléchir aux meilleurs canaux de dif-
fusion des résultats engrangés par les chercheurs afin de faire prendre
conscience aux concepteurs et responsables du marketing, le plus en
amont possible, des composantes humaines et sociales de l’usage des pro-
duits et des services, aux côtés des aspects plus proprement techniques ou
économiques. A cette fin, l’élaboration d’une charte de conception énu-
mérant un certain nombre de principes, comme l’importance de la notion
de service, de la relation, du contact, du lien social, de l’authenticité, de
l’interactivité, de la facilité d’usage, etc., peut s’avérer un outil utile.

Du côté de l’offre :
entre rationalité technique et prise en compte des usagers

Le point de vue des chercheurs


Il n’est pas évident de faire en sorte que les grandes entreprises, les pro-
ducteurs de services ou de produits, ou encore les administrations pren-
nent en compte les utilisateurs dans leur diversité. Le plus souvent, on
repère au sein des entreprises une tension entre, d’un côté, une grande pré-
gnance de la logique technique et commerciale et, de l’autre, une préoc-
cupation constante pour une bonne adaptation des produits offerts et
pour la satisfaction des usagers.
Comme le soulignait un chercheur, le regard qui est porté sur la
vieillesse par les entreprises, mais aussi par l’action gérontologique, oscille
entre deux pôles : d’un côté, le populisme « les vieux sont formidables, ils
s’adaptent, ils réagissent, ils ont une capacité d’initiative » et, de l’autre, le
misérabilisme « les vieux sont fragiles, faibles, ils risquent d’être exploités
et dominés ». Dans cette perspective, un parallèle peut être fait avec l’idéo-
logie développementiste qui imprègne nombre de projets de solidarité
internationale en direction de populations des pays en voie de développe-
ment. Sans doute, alors, importe-t-il de se déprendre de ces approches et
de s’interroger sur qui sont réellement les populations bénéficiaires des ser-
vices, sur ce qu’elles souhaitent vraiment et aussi sur ce qu’elles pensent de
l’« aide » qui leur est proposée.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 23

Une trilogie d’acteurs : chercheurs, institutionnels, usagers

D’autres paradoxes ont été identifiés par les chercheurs à propos de la


façon dont les personnes âgées sont appréhendées par les acteurs presta-
taires. Un clivage a été tout d’abord observé, de la part des opérateurs pri-
vés notamment, entre « les seniors », jugés formidables et assimilés à de
bons clients et « les personnes âgées », sources de multiples complications
et contrariétés. Dans d’autres situations, la catégorie personne âgée est
prise en considération, mais en étant progressivement assujettie à une
logique commerciale, laquelle procède à une reconstruction réductrice et
déficitaire dans laquelle la personne âgée devient alors une « personne à
autonomie réduite », un « handicapé », un « usager insécurisé », etc. Ce
regard est celui notamment des professionnels chargés de faire fonctionner
des services et des dispositifs techniques destinés à l’ensemble de la popu-
lation comme, par exemple, les transports ou les distributeurs automa-
tiques de billets. Enfin, cette vision est dominante en ce qui concerne les
services techniques ou dispositifs destinés spécifiquement aux personnes
âgées : celles-ci ne sont plus considérées qu’en fonction du facteur âge, aux
dépens de la prise en compte des autres composantes de la personne et de
ses comportements. Dans tous les cas, la personne âgée est appréhendée de
manière sélective et biaisée, voire stigmatisante.
En écho à ces considérations, l’alternative entre produits pour tous et pro-
duits spécifiques a été évoquée à plusieurs reprises au cours du séminaire.
Certains concepteurs se sont engagés sur la voie de l’amélioration et de la
facilité d’usage de produits destinés à l’ensemble de la population à partir
d’une prise en compte de certaines composantes du vieillissement. Mais il
apparaît aussi, d’une manière plus générale, que le pas n’a pas encore été
franchi de mettre plus systématiquement en avant la notion – et la réalité –
de facilité d’usage, dans laquelle les seniors se retrouveraient. Si certaines
entreprises intègrent cette démarche dans leurs produits, elles n’osent l’utili-
ser comme argument de vente : la facilité d’usage n’est pas encore à l’ordre
du jour dans la communication de produit. Dans le même ordre d’idées, il
a été rappelé que les difficultés que rencontrent certaines personnes, notam-
ment âgées, dans l’utilisation des produits ou systèmes techniques tiennent
parfois tout autant, si ce n’est davantage, à des déficiences ergonomiques
propres aux produits qu’à des déficiences trop souvent et de manière uni-
voque attribuées aux personnes âgées. Un défaut de conception qui ne pose
que des problèmes mineurs à un utilisateur jeune et expérimenté engendrera
des difficultés majeures chez d’autres usagers. Au-delà de sa dimension ergo-
nomique, la question de la facilité d’usage apparaît en fait directement en
prise avec celle des logiques citoyennes et démocratiques qui imprègnent,
plus ou moins, les sociétés industrialisées et « technicisées ».
Aussi le souhait a-t-il été exprimé que cette journée contribue à la sen-
sibilisation des acteurs des politiques publiques et du monde de l’entre-
prise à ces préoccupations « sociales », à l’heure où l’injonction à utiliser

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 24

Séminaire de valorisation

les nouvelles technologies est forte, à l’heure aussi où l’injonction à placer


l’usager au centre de la conception et de la mise en œuvre d’un projet est
systématiquement affichée. On considère que la technologie va de soi,
qu’elle est rationnelle, qu’elle existe pour le bien des gens. La technologie
est rarement interrogée ou remise en cause. Cependant la demande, quant
à elle, est souvent plus humaine que technologique, c’est avant tout une
demande de relation, de lien social.
Toujours à propos des pratiques des offreurs institutionnels, ont été
évoqués les discours de promotion de services ou de produits, qualifiés par
certains de « discours d’emballage ». La présentation qui est faite des objets
et des systèmes techniques, les langages promotionnels déployés en vitrine
de front office, c’est-à-dire dans la communication en direction des usagers,
travestissent très fréquemment ce qui est de l’ordre de la réponse aux inté-
rêts des institutions (et qui reste cantonné au back office c’est-à-dire en
interne) pour le présenter comme répondant aux attentes effectives des
personnes. Or, il peut y avoir contradiction entre les uns et les autres.
Plusieurs intervenants ont donc souhaité que de plus grandes précautions
soient prises dans la présentation de ces produits ou services. La « bonne »
réception des produits par les personnes âgées dépend sans doute d’un dis-
cours assez franc et clair sur les raisons pour lesquelles on les leur propose.
Ces remarques rejoignent, en outre, ce qui a été souligné par certains cher-
cheurs sur l’importance de la confiance – dans les produits et leurs pro-
moteurs, qu’ils soient publics ou privés – pour l’appropriation des objets
techniques et des services.

Le point de vue des institutionnels


Pour les entreprises privées, le vieillissement de la population peut être
un « moteur d’idées », une « opportunité de progrès ». Il permet de se
reposer la question des besoins de la clientèle et contribue à une améliora-
tion de l’offre pour tous. Pour autant, la prise en compte des seniors n’est
pas si simple : il existe des contraintes liées à l’organisation de l’entreprise,
notamment entre les propositions d’ordre ergonomiques et celles du sec-
teur marketing. Cette démarche n’est donc facile ni conceptuellement ni
économiquement, d’autant que, inversement, cibler trop explicitement les
personnes âgées et les seniors serait une erreur. Un produit destiné aux
« vieux » ne risque-t-il pas d’être perçu comme un produit « vieux », c’est-
à-dire ringard ou stigmatisant ?
S’agissant des institutions publiques ou parapubliques à vocation
sociale, l’expérience exposée lors du séminaire par la directrice de la

1. En métropole, à l’exception de l’Ile-de-France et de l’Alsace-Moselle, les caisses régionales d’assu-


rance maladie sont les organismes qui, outre leur action dans le domaine de la maladie et de la santé,
gèrent, pour le compte de la Branche Retraites de la sécurité sociale, le risque vieillesse (détermination
des droits à la retraite et paiement des prestations correspondantes, action sociale…).

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 25

Une trilogie d’acteurs : chercheurs, institutionnels, usagers

CRAM1 du Centre-Ouest (CRAMCO) est venue illustrer de manière tout


à fait circonstanciée ce qu’il peut en être d’une trajectoire d’innovation
technique mise en œuvre par ce type d’organisme. Suite au constat de la
disparité des prestations délivrées par les services à domicile, le souhait de
la CRAMCO était d’améliorer le service proposé, dans ses multiples
dimensions : compétence des intervenants, adéquation entre les besoins
des personnes et la prestation proposée, mode d’organisation interne,
conditions d’intervention et coordination locale des partenaires gravitant
autour de la personne. Le choix est alors fait de mettre en place au domi-
cile des personnes âgées bénéficiant d’un service d’aide ménagère un dis-
positif couplant téléassistance et télégestion. L’objectif est double : pour le
conseil général, il s’agit de sécuriser la vie à domicile des personnes les plus
dépendantes ; la CRAMCO, quant à elle, est intéressée par l’enregistre-
ment plus facile des heures d’intervention et par la facturation directe à
l’association employeuse sans report papier ni contrôles superflus. Le dis-
positif s’appuie sur deux objets techniques : un appareil de téléalarme qui
permet au bénéficiaire d’être en relation directe, jour et nuit, avec le centre
opérationnel d’incendie et de secours du département, et un boîtier adapté
à une prise téléphonique permettant la comptabilisation des heures passées
au domicile par l’aide ménagère par enregistrement de ses entrées et sor-
ties. Au bout d’un an, la CRAMCO se voit contrainte de retirer le boîtier
car de véritables résistances se sont fait jour tant chez les professionnelles
que chez les personnes âgées. Les raisons de ce refus sont multiples. Les
personnels intervenant à domicile voyaient d’un mauvais œil l’intrusion
de cette mémoire, et percevaient très mal l’ingérence d’un « tiers » dans la
relation personnelle, parfois quasi affective, qu’ils avaient développée avec
la personne âgée. Chez ces dernières, le rejet était à la fois d’ordre matériel
– difficultés pour installer une deuxième prise de téléphone notamment –
et d’ordre moral : elles ne supportaient pas le contrôle du temps et ne vou-
laient pas substituer au carnet de suivi individuel horaire le fameux boîtier.
Ce boîtier, de surcroît, ne comptabilisait pas le temps passé par les aides
ménagères aux menus services rendus en dehors du domicile (courses, por-
tage des médicaments, démarches administratives, etc.). Les personnes
âgées ont alors développé des stratégies très actives de non-utilisation du
dispositif technique, allant même jusqu’à en réclamer sa suppression.
Ainsi, précisait la directrice de la CRAMCO, l’échec de l’implantation
au domicile de personnes âgées d’une nouvelle technologie visant tout à la
fois à assurer la sécurisation des personnes (téléalarme) et à vérifier l’effec-
tivité de la prestation apportée (télégestion) s’explique, non pas tant par
un refus de la technique elle-même ou par ses difficultés d’installation, que
par son rejet pour des motifs d’ordre relationnel et moral. Le constat de ce
même refus chez les aides ménagères, plus jeunes, fait tomber toute expli-
cation qui se fonderait sur le seul critère de l’âge.

25
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 26

Séminaire de valorisation

Cette question des déterminants de l’appropriation, ou du rejet des tech-


nologies constitue un des apports transversaux des recherches du programme.
De fait, la directrice de la CRAMCO a exprimé le regret de n’en avoir pas eu
connaissance au moment de la mise en place de cette expérimentation. Ils
leur auraient, disait-elle, sans doute permis d’éviter bien des contresens et des
errements sur la manière de faire passer une telle innovation.

A propos des usages et des usagers

Le point de vue des chercheurs


Comme l’a rappelé l’un des modérateurs, toutes les recherches ont mis
l’accent sur la diversité extraordinaire des usages, des trajectoires d’usage
qui évoluent au fil du temps et qui sont marquées par un certain nombre
de ruptures, par des scansions extrêmement importantes, comme la
retraite ou le veuvage, par des usages à contre-courant ou à contresens, par
des bricolages qui donnent aux objets un poids, un sens qui va au-delà de
ses capacités fonctionnelles. Dans l’usage, l’individu invente quelque
chose, devient un innovateur ordinaire, un « inventeur du quotidien »,
pour reprendre une expression de Michel de Certeau. Et pour inventer le
quotidien, il crée quelque chose qui n’était pas dans la conception de
départ de l’objet, quelque chose de singulier à travers un rapport durable,
de familiarité, une histoire commune entre l’objet et lui-même, quelque
chose qui est entièrement du côté de l’usage et qui échappe, de ce fait, à la
conception.
Parallèlement, la fonction intrinsèque aux objets ne doit toutefois pas
être oubliée, c’est ce qu’un intervenant a qualifié de symétrie complexe.
Une partie du libre arbitre des individus est déléguée dans les objets, et les
objets eux-mêmes jouent un rôle dans l’interaction. Il y a dans la concep-
tion et les objets eux-mêmes quelque chose qui résiste, qui est récalcitrant,
une « politique des choses ». Cette dialectique, entre ce qui résiste de la
conception de l’objet lors de l’usage et ce qui s’invente dans la singularité
de l’appropriation, est essentielle.
La fonction de médiation des objets dans le maintien ou l’inflexion des
liens sociaux, notamment familiaux, a été largement rappelée. Comme l’a
été aussi l’importance de « médiateurs » (membres de la famille, amis, rela-
tions…) dans l’accès à certains objets ou la maîtrise de leur fonctionne-
ment. Toutefois, l’idée selon laquelle les nouvelles technologies et leur
apprentissage – l’archétype étant l’ordinateur et Internet – contribueraient
à l’entretien des liens intergénérationnels entre parents, enfants et petits-
enfants a été relativisée. Les échanges sont en réalité fréquemment réduits
car il n’est pas simple, pour un jeune enfant, de transmettre, d’enseigner
des techniques, en direction de grands-parents investis comme étant

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 27

Une trilogie d’acteurs : chercheurs, institutionnels, usagers

détenteurs d’expérience et d’autorité pédagogique. De surcroît, les adultes


et les enfants ne font généralement pas la même utilisation de l’ordinateur.
Les uns comme les autres, semble-t-il, ne souhaiteraient pas, le plus sou-
vent, changer de rôle. Et même, comme le faisait valoir un chercheur, « les
petits-enfants participent aussi à la construction du sentiment d’étrangeté
de leurs grands-parents vis-à-vis des nouvelles technologies ».
C’est également entre les individus et la société que les objets et les sys-
tèmes techniques font fonction de médiateur, de liant. Et c’est alors une
crainte de déliaison que peuvent engendrer les changements techniques,
notamment chez ceux qui, du fait de leur âge, ont profondément et de
longue date incorporé certains de ces « objets liants », et pas d’autres.

Le point de vue des institutionnels


Comment les acteurs de l’offre perçoivent-ils les usagers ? Que savent-
ils d’eux ?
A vrai dire, la demande qui était adressée aux offreurs à l’occasion de ce
séminaire ne visait pas à ce qu’ils fassent part des résultats de leurs propres
études en la matière, que ce soient des recherches conduites en interne ou
sous-traitées, notamment les enquêtes de marketing.
Celles-ci sont d’ailleurs toujours éclairantes, à leur manière, sur les
usages et les usagers, éclairantes aussi sur ce que les réalisateurs de ces
enquêtes proposent aux entreprises comme décryptage des attentes des
usagers, compte tenu qu’ils savent sans doute mieux que les chercheurs
plus académiques ce qui peut être directement utile aux offreurs et qu’ils
en tiennent compte dans la présentation de leurs résultats.
Mais là n’est pas notre propos. Toujours est-il que les acteurs de l’offre
participant au séminaire ont peu parlé du contenu de leurs représentations
ou de leurs connaissances des usagers. En revanche, et comme nous l’avons
rapporté ci-dessus, ils ont exposé leurs expériences d’intervention, leurs
méthodologies de prise en compte du social et leurs points de vue sur les
apports de la recherche en sciences sociales.

****

Les personnes âgées développent des stratégies actives et sensées d’usage


et de non-usage. C’est pourquoi il apparaît plus approprié de parler d’af-
firmation identitaire que de résistance à la nouveauté lorsque l’on consi-
dère leurs choix de non-usage. A cet égard, ces personnes ne se distinguent
pas fondamentalement des autres classes d’âge ou d’autres catégories
d’usagers, si ce n’est par des différences statistiquement repérables, notam-
ment dans les taux d’équipement en certains biens récemment apparus sur
le marché. Mais on peut dire tout autant que les jeunes adultes, par
exemple, se différencient statistiquement des personnes âgées.

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Séminaire de valorisation

Ce programme de recherche et ce séminaire de valorisation ont bien


souligné qu’il peut être pratiquement, culturellement et humainement
fondé de développer une conduite sélective – qui ne doit pas être comprise
comme une attitude de désintérêt ou de rejet systématique – face aux
sirènes de la consommation, que leur tonalité soit celle de la séduction
« profitez des bienfaits du progrès et soyez à la page, vous n’en serez que
mieux reconnus », celle de l’injonction « la consommation se porte bien,
rejoignez le peloton », ou celle de l’alarme « si vous ne consommez pas
assez, notamment de la nouveauté, vous êtes décalé et vous êtes un citoyen
qui ne contribue pas assez au développement économique ». Toutefois, il
ne s’agit pas pour autant de minimiser le marché dans ses fonctions consti-
tutives de la vie sociale. Aussi, ce à quoi invitent les échanges entre cher-
cheurs et institutionnels, c’est à procéder à une traduction réciproque
entre les « langages de la technique » et ceux des usagers.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 29

Les personnes âgées comme révélateur


d’un nouveau continent de la demande

Rémi Barré*

’OBJECTIF de la journée est de réagir ensemble aux résultats des

L recherches et, ce faisant, de construire des passerelles, dialogues et


échanges entre les différents acteurs. Ces acteurs sont les chercheurs,
les responsables des politiques et des institutions publiques concernées, les
industriels qui incorporent des technologies dans les produits par l’inno-
vation et des représentants des personnes âgées elles-mêmes.
Ma contribution, à l’orée de cette journée, sera de vous proposer une
lecture de ces travaux en opérant trois déplacements :
● passer des objets techniques aux innovations ;

● passer des personnes âgées aux populations qui ne sont pas le cœur de

cible classique des innovations et donc des trajectoires technolo-


giques ;
● passer des échanges entre acteurs aux relations entre les sciences et la

société et, de là, au rôle des chercheurs en sciences sociales.

Une hypothèse de sens commun


que les recherches nous invitent à dépasser

Le socle culturel, social et politique sur lequel est construit le rapport


entre personnes âgées et technologies de la vie quotidienne est, schémati-
quement, le suivant : les personnes âgées seraient réfractaires aux nouvelles
technologies, comme le prouverait la corrélation négative entre l’âge et les
taux d’équipement dans les produits innovants. Ce sens commun invoque
le problème de l’apprentissage pour expliquer cet état de fait : la vieillesse

* Professeur associé au Conservatoire national des arts et métiers.

29
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 30

Séminaire de valorisation

serait une sorte d’incapacité, de déchéance de la rationalité et de l’enten-


dement. Ce manque d’appétence supposé des personnes âgées pour les
nouvelles technologies aurait deux conséquences négatives :
● il induirait des surcoûts pour les politiques publiques d’aide à ces

mêmes personnes, car elles ne pourraient bénéficier des apports


potentiels des innovations ;
● il empêcherait les marchés des hautes technologies d’être aussi larges

et opulents qu’ils pourraient l’être, car ils ne toucheraient pas toute la


demande potentielle et solvable.

Dans l’hypothèse présentée ici, l’objectif des politiques publiques serait


donc d’éduquer et de convaincre ces populations de s’équiper et de faire
les efforts nécessaires pour entrer dans la société de l’innovation technolo-
gique.
A partir de là, on observe une oscillation entre une attitude de popu-
lisme (on félicite ceux qui s’y mettent) et de misérabilisme (on insiste sur
la vulnérabilité, la mauvaise situation et la fragilité de ces populations).
J’ai lu les résumés des recherches du deuxième appel d’offres et celles-ci
nous invitent d’emblée à dépasser cette hypothèse de sens commun. En
effet, l’originalité et l’intérêt de la thématique de recherche proposée est de
ne pas partir du technologie push, qui consiste à se demander « comment
va-t-on pouvoir faire entrer la technologie dans le corps social ? » ce qui
est malheureusement souvent le cas lorsque l’on considère le couple « tech-
nologie/société ». Ces recherches se sont principalement intéressées aux
objets et à leurs usages, ce qui est original. De plus, ce programme a été
développé dans la durée, ce qui a permis l’accumulation de connaissances.
A partir de ce socle, à mon sens excellent et solide, constitué par les tra-
vaux réalisés, peut être envisagée une ouverture, une étape encore plus
ambitieuse. J’y reviendrai.
Le deuxième point de mon propos vise à dégager une perspective à
partir d’un certain nombre des recherches et résultats de recherches et à
souligner plusieurs points qui témoignent de la fécondité de l’approche
utilisée.

A la découverte de la partie immergée des attentes


et de la demande

Que nous apprennent les connaissances produites par les chercheurs et


leurs travaux ? Je dirais qu’ils ouvrent la « boîte de Pandore » de l’innova-
tion technologique et qu’ils proposent au fond un changement complet de
référentiel et de perspective. Je voudrais montrer que, dès lors que l’on
prend cela au sérieux, on peut en tirer des enseignements importants.

30
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 31

Les personnes âgées comme révélateur d’un nouveau continent de la demande

Ce que nous disent les travaux, c’est que les difficultés d’entendement
dont je parlais tout à l’heure ne sont pas toujours là où on les croyait. Au
fond, le problème de compréhension et d’appréhension n’est pas forcé-
ment du côté des populations âgées, mais peut-être bien du côté d’un cer-
tain nombre d’autres acteurs sociaux. Le point fondamental est en effet
que la prise en compte de la catégorie « population âgée » conduit à un
élargissement très important de la palette ou du spectre des caractéris-
tiques de la demande. C’est cela qui me frappe : on met en évidence et on
dévoile, par ces recherches, la variété extraordinaire des caractéristiques de
la demande et des usages. Ce que l’on découvre, c’est que les produits
techniques offerts ne correspondent peut-être qu’à la partie émergée de la
demande, c’est-à-dire une petite partie de la demande. Ces travaux nous
proposent en fait de découvrir la partie immergée de la demande qu’une
partie de la population, notamment la population âgée, « adresse » aux
entreprises, aux pouvoirs publics et aux nouvelles technologies.
Ces attentes sont plus étendues que la demande habituellement consi-
dérée, parce qu’on va prendre en compte un spectre plus large d’aspira-
tions, de valeurs, de besoins, et aussi de capacités physiologiques. Je ne
parle pas simplement du handicap stricto sensu. Ces recherches, d’ailleurs,
soulignent que dans l’âge il n’y a pas forcément le handicap, il y a surtout
des nuances, pourrait-on dire, de capacités physiologiques, qui d’ailleurs
ne sont pas exclusives aux personnes âgées, mais que ces personnes incar-
nent peut-être plus systématiquement. Ainsi, et c’est là un leitmotiv très
intéressant et important de ces recherches, les personnes âgées ne font que
symboliser et systématiser des caractéristiques qui se retrouvent très large-
ment dans bien d’autres catégories de populations. Ces spectres élargis de
capacités physiologiques et de spécificités psychologiques, de comporte-
ment et de valeurs vont donc façonner des demandes, elles aussi, élargies.
Ces demandes additionnelles témoignent de l’importance accordée à la
notion de services, à la relation et au contact, à la communication et au
lien social portés par les objets et les technologies. Elles traduisent égale-
ment l’attachement à la fiabilité, à l’authenticité, à l’interactivité, à la faci-
lité d’usage et, plus fondamentalement, à une exigence de sens. Tout cela
à partir d’un rapport au temps et aux autres différent. Finalement, les tech-
nologies ou les objets technologiques sont ici envisagés dans des modalités
spécifiques qui les rendent particulièrement essentiels pour la définition de
soi. Ils sont inextricablement reliés aux relations sociales, aux modes de
vie. Ces travaux font donc valoir une définition élargie du concept de
demande.
Les questions fondamentales que nous posent les chercheurs pourraient
être formulées ainsi : ces types de demandes élargies ne sont-elles pas des
valeurs beaucoup plus universelles que ce qu’on pouvait imaginer au
départ, qui ne seraient reliées à l’âge que par des corrélations certes un peu

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Séminaire de valorisation

plus grandes, mais qui n’ont rien d’intrinsèque, ni de nécessaire, ni de suf-


fisant ? Est-ce qu’on ne trace pas là le portrait, en fait, d’une grande par-
tie de la population ? Peut-être même – c’est une hypothèse – une pros-
pective de la demande que les populations dites âgées porteraient, se
trouve-t-elle là esquissée ? En effet, on retrouve facilement, dans les carac-
téristiques énoncées ci-dessus, des demandes émises par des groupes consi-
dérés comme porteurs de tendances nouvelles – les « bobos1 » et autre
« génération cocooning » – ou encore des valeurs de type écologique…
Plus largement, n’est-ce pas tout un continent nouveau de la demande qui
apparaît ici et qui aurait été négligé ?
Les chercheurs vont plus loin. Ils observent certains aspects de ce conti-
nent nouveau de la demande. Avec leurs instruments et à partir des entre-
tiens très fins qu’ils ont conduits, ils précisent par où des éléments de cette
demande peuvent s’insinuer et apparaître au grand jour. C’est toute la
question des appropriations, des détournements et des bricolages, qui
révèlent un certain nombre de demandes auxquelles le système industriel
et le système politique ont visiblement du mal à apporter des réponses. On
se rend bien compte que progresser dans la compréhension de cette
demande implique de suivre les réseaux d’innovation, d’étudier les sché-
mas et les pratiques complexes d’usage, d’observer les rôles des médiateurs
associatifs, familiaux, militants, amicaux, de voisinage, les prescripteurs,
les prestataires. On a un système d’acteurs partenaires de la demande qui
co-construisent et révèlent cette demande qui est complexe et n’est pas
réductible au schéma simple de l’offre et de la demande d’un produit. On
se rend donc bien compte que cette partie immergée de la demande ne se
laissera pas appréhender facilement. On est confronté à des situations, à
des populations, à des types de demandes, à des opinions occultées pour
un certain nombre de raisons qu’il serait intéressant de mieux connaître.

Des usagers orphelins ?

A ce stade de la réflexion, quelques conclusions provisoires peuvent être


dégagées. Tout d’abord, il importerait de repenser la problématique de la
relation entre la population âgée et l’objet technologique en la plaçant
dans un cadre plus large. Ce cadre consisterait à réexaminer et à question-
ner les trajectoires technologiques et les trajectoires d’offres d’innovations
qui, semble-t-il, excluent ou passent à côté d’un certain nombre de popu-
lations. C’est là un thème qui se développe actuellement : je fais référence
au récent livre de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe2,

1. Bourgeois bohèmes.
2. Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique. Seuil, 2001, 357 p.

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Les personnes âgées comme révélateur d’un nouveau continent de la demande

qui étudient un cas de maladie orpheline3. S’agissant des questions qui


nous intéressent ici, on pourrait alors parler de populations orphelines de
technologies adaptées.
Un autre élément de conclusion provisoire concerne l’évaluation cri-
tique de la relation entre les innovations technologiques et les usages. On
retrouve là peut-être le syndrome OGM4 : quand il y a rejet d’une tech-
nologie, cela n’a guère de sens de dire que les gens sont non rationnels,
subjectifs ou emportés par leur passion obscurantiste. Ce qui est en cause,
c’est tout simplement le rejet d’une innovation qui n’a pas d’utilité perçue
pour un consommateur ou un utilisateur et qui comporte, par ailleurs, un
risque potentiel, un coût potentiel, un désagrément potentiel. Et je sug-
gère que là encore la rationalité – ou l’irrationalité – n’est pas forcément là
où on la croit. Je trouve, quant à moi, une très profonde logique, une très
profonde solidité des attitudes et des comportements des personnes âgées,
tels que les chercheurs les révèlent. Ces conduites ne sont pas moins
rationnelles, me semble-t-il, que celles des populations qui refusent les
OGM à partir du moment où l’équation est celle d’une non-utilité directe
pour le consommateur, associée à un risque, si minime fût-il, mais avec
des désagréments éventuels irréversibles. La question des besoins orphe-
lins, des groupes orphelins rejoint alors celle de l’exclusion technologique,
laquelle n’est pas sans lien avec l’exclusion sociale.
On passe, pour reprendre une formule utilisée par un chercheur, d’une
problématique de l’âge et de l’image à une problématique des usages. C’est
presque un slogan, mais je crois que cela touche au fond de notre propos.
Finalement, les populations de personnes âgées agiraient comme révéla-
teurs de dynamiques socio-techniques nouvelles. Il convient de passer de
l’idée que les consommateurs sont défaillants et « coupables » de ne pas
savoir jouer le jeu de la modernité technologique à l’idée que c’est l’offre
qui pourrait bien être insuffisante dans sa capacité d’exploration des
demandes et des attentes, lesquelles ne seraient pas forcément là où on les
croyait au départ.

Construire une réflexion hybride

J’aborde maintenant mon troisième et dernier point relatif aux passe-


relles, aux dialogues qui peuvent être envisagés : pourquoi et pour quoi
faire ? Je crois qu’il y a un registre cognitif de compréhension qui est à

3. Une maladie est dite orpheline lorsque, touchant une population au nombre trop réduit, ou une
population trop peu solvable, elle ne fait pas l’objet d’offre de médicaments de la part des firmes phar-
maceutiques.
4. Organismes génétiquement modifiés.

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Séminaire de valorisation

creuser, à approfondir. On est là en effet vraiment dans la production de


connaissance, au sens classique où des hypothèses sont émises, validées,
entièrement ou en partie, étayées, ou étayées en partie, permettant d’aller
plus avant dans la compréhension, fût-elle partielle, d’un certain nombre
de causalités, de dynamiques, d’éléments de fonctionnement du système
de l’offre et de la demande à propos des innovations technologiques. Si
partielles soient-elles, ces connaissances mettent sur la voie de l’action, que
ce soit l’action pour les politiques publiques ou l’action pour les entre-
prises qui développent des offres de produits et de services.
Mais le projet peut-être le plus important, le plus difficile, le plus ori-
ginal, consiste à construire, à partir des travaux existants et pour l’avenir,
des réseaux élargis aux populations concernées, réseaux permettant de pro-
céder à cette exploration élargie. Ma suggestion est que, si ce continent
non dévoilé de la demande n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’une révé-
lation et d’une offre, ce n’est pas par hasard, et ce n’est pas non plus par
défaillance radicale de tel ou tel acteur pris individuellement. Je crois que
cette demande-là et la construction de l’offre concomitante ne peuvent
être mises au jour que par des processus plus collectifs, plus en réseaux,
plus construits par les acteurs. Et les chercheurs en sciences sociales ont un
rôle clef à jouer dans ce processus. Sans eux et sans les acteurs – dont cer-
tains sont ici présents, notamment les cofinanceurs de ce programme –,
mais aussi sans les groupes sociaux concernés, je ne vois pas très bien com-
ment il pourrait y avoir un véritable progrès dans la révélation de cette
demande élargie et dans la construction de cette offre élargie.
Pour produire une telle hybridation, c’est-à-dire des connaissances d’un
type un peu différent, il faut construire ces réseaux. Cela renvoie, comme
le dit Bruno Latour, à la construction d’un monde commun, commun en
l’occurrence à tous les âges. Comme le disent de diverses manières les
recherches du programme, quand on fait entrer les personnes âgées « dans
la maison », on y fait entrer en même temps beaucoup d’autres personnes.
Il y a une corrélation, une relation importante entre « personnes âgées » et
« groupes plus ou moins non considérés jusque-là », pour des raisons peut-
être physiologiques, ou pour des raisons liées aux types d’attente qui sont
les leurs. Finalement les personnes âgées seraient en quelque sorte un che-
val de Troie pour aborder et faire prendre en compte sérieusement un nou-
veau continent de la demande. On pourrait aussi à ce sujet évoquer les
demandes des jeunes et, pourquoi pas aussi, des demandes spécifiques
– ou partiellement spécifiques – des femmes. Quoi qu’il en soit, ces ques-
tions sont posées et elles débouchent sur un élargissement du champ de la
réflexion.

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Les personnes âgées comme révélateur d’un nouveau continent de la demande

Quelques pistes méthodologiques

Un peu de brainstorming maintenant pour terminer. Comment imagi-


ner, élaborer, faire exister de tels groupes hétérogènes, de tels réseaux de
production de connaissances pour aller un plus loin ? Il y a deux aspects
que je voudrais évoquer brièvement, plus en les nommant qu’en en faisant
véritablement un descriptif, qui me semblent être porteurs de possibilités
de ce point de vue-là. Je vois dans certains milieux, notamment du côté de
la Commission européenne ainsi que dans un certain nombre de pays
européens voisins de l’Union européenne, mais pas beaucoup en France
me semble-t-il, ce qu’on appelle des processus de foresight en bon anglais,
de « prospective » en bon français. On observe le développement de pro-
cessus socio-politiques, voire socio-cognitifs, qui consistent à organiser des
interactions entre des acteurs institutionnels variés d’une part, et « la
population » d’autre part. Facile à dire, difficile à faire !
Evidemment, il faut construire très soigneusement ces interactions. Et
au-delà des questions méthodologiques, sur lesquelles je passerai à ce stade,
interagir sur des perspectives, interagir sur des questions, sur des visions, sur
des hypothèses, c’est potentiellement faire émerger des accords, faire émer-
ger des priorités ou des domaines de préoccupations ou de problèmes. C’est
aussi faire interagir pour déclencher des processus d’apprentissage. Cela
suppose également de mettre en place tout un dispositif qui le permette.
Un certain nombre d’exemples existent – y compris s’agissant spécifique-
ment des populations âgées comme dans le foresight anglais (panel) ou bien
dans le foresight suédois qui comporte aussi des éléments spécifiques sur les
populations âgées. Bref, il s’agit de prendre en compte divers contextes spé-
cifiques pour élargir le champ et les acteurs.
Un autre mécanisme ou instrument auquel on peut songer, c’est ce que
j’appellerais, dans un jargon qui, là aussi, n’est pas totalement stabilisé,
l’évaluation stratégique des programmes, ou assessment en anglais. Il s’agit
de faire un retour sur la dynamique de ce qui s’est passé, sur les méca-
nismes de choix thématiques, sur les processus de diffusion et d’interac-
tion. Il importe également d’orienter l’attention – là encore vous m’excu-
serez du jargon – sur la question des impacts socio-politiques qui amènent
à aborder des sujets qu’on n’a pas l’habitude d’aborder ensemble et, fina-
lement, à progresser de manière collective et hybride, le mot dit bien ce
qu’il veut dire pour, ce faisant, produire de nouvelles perspectives voire de
nouvelles connaissances.

***

On a donc des populations ou du moins des demandes, que je quali-


fierai de dominées, de non audibles, de mal organisées, de plus ou moins

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Séminaire de valorisation

orphelines. Elles n’arrivent pas à attirer, par une force de gravitation suffi-
sante, les trajectoires technologiques dominantes ; et elles ne peuvent pas
se constituer en pôles attractifs de trajectoires technologiques ou d’inno-
vations de manière spontanée, organisée par une main invisible d’un mar-
ché qui ne fonctionne pas du tout comme certains font encore semblant
de le croire. Ces demandes ne peuvent s’élaborer et se révéler que par les
constructions, évoquées précédemment, de réseaux et de collectifs.
Je voudrais redire en conclusion que ces constructions de réseaux ne se
font pas spontanément, qu’elles résultent d’une volonté collective, proba-
blement politique, où les chercheurs en sciences sociales ont un rôle par-
ticulier à jouer. Je ne dis pas que c’est leur seul rôle, mais parmi leurs rôles
multiples, il y aurait celui de contribuer à cette exploration collective, de
trajectoires d’innovations élargies, de demandes encore mal connues, et
tout cela pour définir un monde, y compris un monde technologique, qui
soit un monde commun à tous les âges.
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L’identité à l’épreuve des objets1

Serge Tisseron*

A en croire certains, les objets ne seraient que des sortes de pro-


thèses utilitaires. Mais les objets que nous utilisons ne nous per-
mettent pas seulement de nous déplacer plus vite, de nous dis-
traire mieux et de gagner du temps sur nos multiples tâches quotidiennes.
Ils élargissent aussi notre espace physique et psychique, participent à notre
mémoire et contribuent à modeler notre relation aux autres et à nous-
mêmes. Les personnes âgées, souvent sensibles à ces dimensions lorsqu’il
s’agit d’objets familiers, le sont beaucoup moins lorsqu’il s’agit des nou-
velles technologies. Mais ne pourrait-on pas proposer de leur montrer que
c’est la même chose ?

Les diverses fonctions de nos objets familiers

Tout d’abord, c’est à travers les objets que nous déplaçons des investis-
sements initialement dévolus à notre corps au-delà de lui, vers notre envi-
ronnement proche, puis éloigné. A tel point que notre sentiment d’iden-
tité n’est pas seulement lié à la perception que nous avons de nos limites
corporelles, mais aussi aux gestes par lesquels nous utilisons les objets qui
nous entourent. Ceux-ci constituent autour de nous des sortes de cercles
concentriques, éloignés ou lointains, qui sont comme autant d’enveloppes
successives à travers lesquelles notre identité s’élargit vers le monde. Ces
cercles vont de ce qui nous est le moins partageable (ce sont les objets de
l’intimité dont font partie nos prothèses et certains objets dont nous nous

1. Ce texte résume des considérations développées dans Comment l’esprit vient aux objets (Aubier,
1999) et Petites mythologies d’aujourd’hui (Aubier, 2000).
* Psychiatre – psychanalyste, enseignant à Paris-VII, docteur en psychologie.

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Séminaire de valorisation

sentons émotionnellement très proches) jusqu’aux espaces les plus


sociables et les plus partageables. Ces « cercles d’objets » constituent en
quelque sorte les enveloppes de l’identité de chacun. Enlevez brutalement
à quelqu’un ses vêtements, sa maison et tous les objets qu’elle contient et
vous produirez probablement chez lui des troubles de l’identité ! C’est ce
qui s’est longtemps passé avec les personnes âgées qui devaient quitter bru-
talement l’appartement où elles avaient longtemps vécu pour une chambre
en maison de retraite. On s’est heureusement aperçu qu’elles vont bien
mieux quand on leur laisse reconstruire une partie de leur environnement
familier avec quelques objets. L’être humain a récemment pris conscience
du fait que son existence physique est inséparable de son environnement
naturel, il doit prendre maintenant conscience que son existence psy-
chique est inséparable de son environnement d’objets.
La deuxième grande fonction des objets concerne leur participation à
notre mémoire. Celle-ci est importante pour chacun d’entre nous, mais
souvent plus encore chez les petits enfants et les personnes âgées. Les uns
et les autres partagent le désir de garder près d’eux des objets dont la valeur
d’usage paraît s’être retirée, mais dont la fonction de souvenir est vive :
peluches abîmées d’un côté, meubles peu fonctionnels ou bibelots encom-
brants de l’autre. Les obliger à s’en séparer – ou les convaincre de le faire
de leur propre initiative… – est parfois catastrophique : nous ne mesurons
souvent l’importance d’un objet de mémoire qu’après nous en être sépa-
rés… Preuve en est que certaines personnes courent les marchés aux puces
à la recherche des objets – ou de ceux qui leur ressemblent – dont leurs
parents ou elles-mêmes se sont débarrassés un peu vite… En revanche, il
convient aussi parfois de savoir renouveler un espace, en cas de deuil par
exemple, afin de se débarrasser des objets porteurs de trop de souvenirs
douloureux tout en sachant préserver ceux dont la possession facilite l’ins-
tallation en soi d’une bonne image de nos relations avec le disparu. De
manière générale, les objets peuvent contribuer à la mémoire de deux
façons différentes. Soit ils sont le support de souvenirs explicites dont leur
possesseur parle avec facilité, soit ils contiennent des souvenirs doulou-
reux, enkystés, dont leur possesseur préfère provisoirement ne pas se sou-
venir, mais qu’il ne se résigne pas à oublier totalement. Même quand ils
sont ainsi le support d’une mémoire en quelque sorte « cachée », les objets
participent au souhait que les souvenirs – souvent pénibles ou doulou-
reux – qui y sont comme enfermés puissent un jour être reconnus, accep-
tés et échangés en pleine lumière.
Enfin, la troisième grande fonction psychique des objets consiste en
leur participation à notre assimilation d’expériences nouvelles. Ce dernier
aspect est certainement le plus urgent à reconnaître dans la mesure où
l’adoption des nouvelles technologies nécessite souvent que nous chan-
gions partiellement de représentation de nous-mêmes et du monde, et

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L’identité à l’épreuve des objets

c’est ce qui rend parfois ce passage difficile pour les personnes âgées. Mais
en revanche, une fois leur usage établi, ils génèrent de nouvelles formes de
relations à soi et aux autres, qui modifient en retour ces représentations.
Autrement dit, l’engagement dans l’usage nécessite d’accepter certains
changements, mais cet usage favorise d’autres changements qui rendent
ensuite l’objet familier. Cependant, pour que ce renforcement mutuel
s’installe, encore faut-il que l’usager entre dans le cercle qui y mène. Or si
la promotion des nouveaux objets en termes de nouveauté radicale a de
quoi séduire le public jeune, il est certainement plus convaincant pour les
personnes âgées de les présenter en mettant en avant leur continuité avec
le passé plutôt que leur rupture. Il est par exemple probable que le « com-
merce en ligne » serait plus facilement adopté par le troisième âge s’il était
d’abord installé au sein de magasins réels, comme un prolongement vir-
tuel de ceux-ci. Il pourrait alors être consulté avec l’aide d’un vendeur réel,
puis les objets achetés feraient l’objet d’un paiement à une caisse réelle. Il
ne s’agirait là sans doute que d’un moment intermédiaire, mais qui évite-
rait bien des phobies.
Les diverses facettes de nos relations aux objets font donc d’eux un
espace de construction et de déconstruction permanente de notre identité,
autant sociale que psychique. Certains d’entre eux s’y prêtent mieux que
d’autres parce qu’ils sont aisés à combiner, à transformer ou à détourner.
C’était traditionnellement le cas des vêtements, mais aussi des services de
table et de l’ensemble de nos bibelots qui peuvent facilement être cachés
ou exhibés selon les circonstances et agencés selon de multiples combinai-
sons. Or, avec les nouveaux objets technologiques, les processus de sym-
bolisation à travers lesquels chaque être humain construit à la fois sa vie
psychique individuelle et son existence sociale se trouvent engagés plus
encore. Ces objets offrent en effet à leurs consommateurs des usages beau-
coup plus variés que les objets traditionnels et donc aussi des modes d’ap-
propriation plus nombreux. Cette diversité est particulièrement sensible
avec le téléphone portable, l’Internet et les nouvelles machines à fabriquer
des images en famille.

Le téléphone portable

On le présente parfois comme une machine permettant de communi-


quer à distance, et pourtant le téléphone portable est d’abord une
machine… à ne pas communiquer ! Avant son invention, il était en effet
toujours difficile de faire valoir son désir d’être seul lorsqu’on se trouvait
au milieu d’un groupe. Avec lui, au contraire, il devient possible de se
mettre à l’écart sans encourir aucune condamnation sociale : celui qui
s’écarte du groupe n’est pas suspecté de ne pas apprécier sa société car tout

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Séminaire de valorisation

le monde comprend qu’il se consacre à des relations lointaines et, on ima-


gine, extrêmement importantes pour lui. Le téléphone portable modifie
donc la représentation de soi comme ayant le droit de se mettre à l’écart
parmi des gens physiquement proches, et c’est tout aussi important que la
possibilité de communiquer avec des personnes lointaines.
Une deuxième transformation introduite par le téléphone portable
concerne la relation d’attachement. Cet objet modifie la relation que nous
entretenons avec nous-mêmes en écartant le spectre de la solitude et de
l’abandon. Il permet, par exemple, de partir marcher seul dans le désert en
sachant que cette solitude cessera aussitôt qu’on le désirera. Il constitue en
cela une sorte de cordon ombilical et même, à la limite, une forme de
peluche. Celle-ci, inventée pour rassurer l’enfant, est en effet parfois utili-
sée par lui comme un interlocuteur vivant privilégié : il lui parle en secret.
Le téléphone portable, inventé comme un moyen de communiquer avec
d’autres humains, devient pour certains le moyen d’échapper à l’angoisse
de l’abandon par sa seule présence : poser la main sur lui, comme sur un
être cher, rassure.
Un troisième changement introduit par le téléphone portable concerne
l’expérience différente de l’espace. Avec un téléphone fixe, la première
question que se posent les interlocuteurs est en effet : « comment vas-
tu ? ». Mais avec un téléphone mobile, cette question devient : « où es-
tu ? ». Et même si elle n’est pas posée, c’est par là que le récit débute : « je
suis dans le train », « en voiture », « en montagne », « à la mer »… A la
limite, la conversation s’appuie sur la description du cadre. Avec le télé-
phone portable, l’identité ne relève pas d’une pensée, mais d’une coor-
donnée géographique. On ne raconte plus ce qu’il y a à l’intérieur de soi,
mais autour de soi.
Enfin, le téléphone portable est en train de brouiller les repères tradi-
tionnels attachés à la distinction entre sphère intime et sphère publique.
Traditionnellement, l’espace intime était en effet celui des lieux intimes et
l’espace public celui des lieux publics. Avec le téléphone portable, cette
opposition est définie par chacun pour son propre compte. Grâce à lui,
chacun peut en effet transformer les inconnus d’un wagon de chemin de
fer ou d’un morceau de trottoir en témoins de son intimité et, qui plus est,
à l’insu de son correspondant. Cette démarche modifie la relation aux
inconnus d’une manière tout aussi radicale que l’a été le changement du
statut de la nudité corporelle depuis les années 1970. Jusqu’à cette période,
celle-ci relevait de l’intimité de chacun. Ensuite, elle est progressivement
entrée dans le domaine public de telle façon qu’un nombre de plus en plus
grand de gens acceptent aujourd’hui de se montrer nus à des inconnus,
notamment en photographie. C’est le même mouvement auquel on assiste
aujourd’hui dans le domaine de l’intimité psychique : beaucoup de gens
qui utilisent un « portable » ne semblent pas gênés de raconter leur intimité

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L’identité à l’épreuve des objets

en public. Et ce mouvement accompagne naturellement une façon diffé-


rente de s’écrire. De plus en plus de femmes, notamment, revendiquent
une écriture qui rende publique leur intimité, à la fois corporelle et psy-
chique. Bref, l’évolution du statut de l’intimité dans la littérature me paraît
inséparable du bouleversement que le téléphone portable a introduit dans
la gestion quotidienne du rapport entre l’espace intime et l’espace public.
Le téléphone portable est ainsi un objet à tout faire que chacun utilise
à sa façon pour renforcer ce qui lui est le plus précieux, à la fois dans
l’image qu’il a de lui-même et dans ses relations aux autres. Il est d’ailleurs
tout à fait remarquable que les premières publicités qui ont accompagné
le lancement de cet objet aient été rapidement abandonnées. Axées sur le
« nomadisme de l’homme moderne », elles étaient conçues pour une clien-
tèle de cadres rêvant de pouvoir régler leurs affaires, commerciales ou
boursières, en tout lieu et à toute heure. Or il est rapidement apparu que
cet aspect, qui relevait peut-être du point de vue qui avait présidé à la
conception de ces objets, ne correspondait absolument pas à la diversité de
ses usages, et notamment à ceux qui pouvaient tenter les personnes âgées.
D’autres formes de publicité sont alors apparues, accompagnées d’autres
offres en termes d’usage familial ou dominical, ou de numéro privilégié.
L’extraordinaire explosion du marché qui a suivi s’est alors accompagnée
d’une nouvelle diversification des usages, en fonction des âges, des modes
de vie et même des angoisses spécifiques de chacun. Aujourd’hui, on peut
puiser dans la possession d’un téléphone portable le courage de faire des
voyages ou d’accomplir des actes qui, sans lui, eussent été impossibles car
on aurait eu peur d’y connaître une solitude désespérante. On peut aussi
choisir de lui parler en sachant qu’aucun interlocuteur ne nous répondra
en appelant lorsqu’on est certain de tomber sur un répondeur (pratique
que l’e-mail a prolongée, puisque là, on est absolument certain de n’être
jamais confronté à notre interlocuteur). Mais on peut aussi le regarder en
silence et imaginer les voix qui pourraient en sortir et les paroles chaleu-
reuses ou réconfortantes qu’elles nous glisseraient à l’oreille, un peu
comme une peluche… A travers tous ses aspects, le portable contribue
lentement, mais sûrement, à une nouvelle perception de l’identité, de l’es-
pace et du rapport à l’autre.

Techniques d’expression et postures psychiques

L’usage du clavier dans l’écriture a longtemps été réservé aux courriers


administratifs, même si quelques écrivains, notamment américains, s’en
sont rapidement emparés en mettant en avant la liberté qu’ils y gagnaient.
Or, aujourd’hui, avec les ordinateurs domestiques et Internet, chacun
semble s’y mettre ! Et chacun peut s’apercevoir combien son écriture en est

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Séminaire de valorisation

transformée. Car on n’écrit pas de la même façon selon qu’on écrive sur du
papier ou qu’on tape sur un clavier devant un écran d’ordinateur. Cela n’est
ni mieux ni pire, mais résulte de la posture psychique que toute technologie
d’écriture induit et qui influence à son tour le contenu du message.

Le langage parlé
Le langage parlé est appris pour chacun dans la convivialité chaleureuse
de la famille. Les parents, mais aussi les frères, les sœurs, les grands-
parents, les oncles ou les tantes en accompagnent en général les premières
manifestations avec intérêt et sympathie. Parler, c’est toujours marquer sa
continuité avec le bain sonore dans lequel on a grandi. Toute famille pos-
sède en effet ses manières de parler, ses intonations et ses accents, et tout
apprentissage de la langue intègre ces particularités comme autant de
signes d’appartenance. Le langage parlé renvoie à la permissivité mater-
nelle : il se fait dans la bouche, comme la tétée dont il rappelle les mou-
vements, et il est volontiers porté par l’empathie et la confiance dans l’in-
terlocuteur. C’est pourquoi le langage parlé est inséparable de l’illusion de
rencontrer un interlocuteur qui partage avec nous un minimum de points
communs assurés et cela, qu’il soit attentif ou non. Sinon, nous ne nous y
risquerions pas !

L’écriture papier-crayon
L’écriture manuelle se développe sur un fond de réminiscences bien dif-
férent. Son apprentissage s’est, en règle générale, déroulé en milieu sco-
laire, là où l’encre rouge de la maîtresse fait pleurer les enfants… La pra-
tique de l’écriture est ainsi devenue pour chacun d’entre nous inséparable
de la crainte qu’un regard autorisé et savant nous condamne. Cette posi-
tion psychique (que les psychanalystes appellent « surmoïque ») est
réveillée toutes les fois où nous prenons une plume et elle explique pour-
quoi si peu de gens parviennent à écrire : ils soumettent immédiatement
les mots qui leur viennent à une exigence surhumaine qui leur fait paraître
« mal dit » tout ce qu’ils pourraient écrire. C’est ce qui explique, notam-
ment, qu’il soit si difficile d’écrire ce que nous pouvons par ailleurs for-
muler aisément en parlant. A la différence du langage parlé, l’écriture est
marquée d’emblée par la contrainte de la motricité contrôlée et la rigueur
des règles de grammaire et de syntaxe. Or, l’écriture sur ordinateur substi-
tue une troisième éventualité à cette opposition de la permissivité mater-
nelle dans le langage et de la contrainte paternelle dans l’écriture sur
papier : une communauté de pairs qu’on s’est choisie.

L’écriture clavier-écran
L’apprentissage du clavier est en général tardif et mené de manière auto-
didacte. Il en résulte une grande variété dans les manières de s’y prendre.

42
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 43

L’identité à l’épreuve des objets

Certains tapent avec deux doigts, d’autres avec trois, d’autres encore avec
quatre, tantôt en regardant l’écran et tantôt le clavier de manière à ne
découvrir l’écran que dans un second temps. C’est pourquoi l’écriture sur
clavier est libérée de l’exigence de perfection qui a marqué les apprentis-
sages successifs de l’écriture entre six et quatorze ans. Il ne faut donc pas
s’étonner que cette écriture joue volontiers avec les transcriptions phoné-
tiques. Ce n’est pas parce qu’ils ne « savent pas taper » qu’un si grand
nombre d’internautes utilisent le langage phonétique, c’est parce que
celui-ci provoque une véritable jubilation par rapport aux contraintes de
l’écriture papier-crayon !
En outre, alors que la langue parlée est inséparable de la famille dans
laquelle nous sommes chacun né sans la choisir, et que le langage écrit est
tributaire des apprentissages scolaires, l’écriture sur ordinateur est insépa-
rable de l’idée d’une communauté de gens susceptibles de participer aux
mêmes goûts, aux mêmes projets, aux mêmes enthousiasmes et aux
mêmes rêves que soi. Celui qui écrit sur un clavier – et notamment si c’est
sur Internet – essaye avant tout d’être attentif à ses mouvements inté-
rieurs parce qu’il sait que ceux-ci seront favorablement accueillis par son
interlocuteur. Il s’autorise donc à sauter d’une pensée à l’autre, profite de
toutes les ponctuations de la machine, introduit des points de suspension
ou d’exclamation et aussi des smileys, ces petits visages qui sourient ou
pleurent.
L’écriture sur Internet renoue ainsi avec le caractère éphémère du lan-
gage. Un vieil adage a longtemps opposé les paroles qui passent aux écrits
qui « restent ». L’écriture sur clavier et écran, telle qu’elle est utilisée
notamment dans les chats sur Internet, relève de l’idée que les écrits pour-
raient bien passer encore plus vite que les mots ! L’écriture y contient une
vérité dans le moment de sa formulation, mais celle-ci est acceptée comme
éphémère. Pour s’engager dans cette écriture-là, il faut accepter de renon-
cer à l’obligation du « bien-écrire », et se laisser gagner par la conviction
de rencontrer un interlocuteur bienveillant et partageant comme soi le
désir d’un échange ponctuel et instantané.
Cette posture nouvelle est donc induite par la technologie, mais celle-
ci ne peut être adoptée que si son utilisateur accepte de se laisser gagner
par elle. Or, sur ce chemin, les personnes âgées ont certainement besoin
d’être aidées. Le mode d’emploi d’Internet – et notamment des chats et des
mails – n’est pas seulement technique, il consiste aussi dans la capacité de
se laisser gagner par la posture psychique qui y préside. Et, pour cela, un
minimum d’explications sur les postures respectives du langage parlé, de
l’écriture papier-crayon et de l’écriture clavier peut grandement aider à
lever leurs inhibitions et à les mettre sur les rails, avant que l’engagement
dans la pratique ne les familiarise avec ces nouvelles règles !

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Séminaire de valorisation

Les machines à images

Pendant des siècles, les miroirs de bronze ou d’argent poli n’ont donné à
chacun qu’une image très approximative de lui-même. L’identité était alors
perçue davantage dans le regard des autres que sur ces miroirs très impar-
faits. Il en résultait que l’individu était beaucoup plus dépendant de son
groupe qu’il ne l’a été par la suite1. Puis, avec le développement des miroirs
d’argent mis au point par les verriers de Murano au XVIe siècle, une nouvelle
période a débuté. Le narcissisme constitué dans la relation face au miroir a
pris partiellement la place de celui qui est construit dans la relation à l’autre.
Nous avons alors pris l’habitude de lier notre identité et notre apparence : il
nous semble « être » tel que nous nous voyons, et que les autres, eux aussi,
« sont » tels que nous les voyons. La photographie a d’ailleurs accentué cette
tendance. Le miroir donnait chaque jour une image différente de soi, mais,
à côté de lui, sur la table de nuit ou le buffet de la cuisine, une photographie
était destinée à attester que « dans le fond », nous-mêmes ou ceux que nous
aimions ne changeaient « pas tant que ça ». Chacun savait trouver dans les
images qui l’entouraient de quoi nourrir l’illusion qu’une « identité pro-
fonde » était bien déposée dans son apparence.
C’est ce paysage, à la fois technique, social et psychique, qui est actuel-
lement totalement bouleversé, à tel point que nous entrons dans une troi-
sième phase. Les enfants commencent aujourd’hui beaucoup plus tôt à
fabriquer leurs propres images, que ce soit avec des appareils photogra-
phiques jetables ou des logiciels de traitement d’images, et ils sont aussi,
en même temps, beaucoup plus l’objet des prises de vue familiales.
Photographiés ou filmés, ils se voient de plus en plus souvent et de plus en
plus tôt « dans le poste », et cette situation modifie à la fois radicalement
leur rapport aux images et leurs représentations d’eux-mêmes. En effet,
quand les représentations de soi se multiplient, l’identité ne s’attache plus
à aucune. Rares, les images emprisonnaient l’apparence, nombreuses, elles
libèrent au contraire l’image de chacun de la référence au reflet visuel. Et
cet affranchissement du reflet signe aussi les retrouvailles de l’identité avec
les repères non visuels qui en avaient toujours fait partie, mais que le déve-
loppement des miroirs, puis de la photographie, avaient relégués au
second plan. Les indicateurs sensoriels, émotionnels et cénesthésiques de
l’identité seront conduits à prendre de plus en plus d’importance au fur et
à mesure de l’inflation des images. A tel point que la perception subjective
de la durée et des rythmes biologiques pourrait bien, à terme, remplacer
l’image de soi comme repère majeur de l’identité.

1. Nous retrouvons ici une caractéristique de ce que les ethnologues ont appelé les « sociétés de la
honte » par opposition aux sociétés de la culpabilité (voir Serge Tisseron, La Honte, psychanalyse d’un
lien social, Paris, Dunod, 1995).

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L’identité à l’épreuve des objets

Quoi qu’il en soit, on voit déjà un signe de ce changement dans la


manière dont certaines personnes âgées sont choquées de voir leurs petits-
enfants faire des grimaces face à l’objectif sitôt qu’elles veulent les photo-
graphier, ou s’indignent de les voir vouloir les photographier elles-mêmes
dans des moments ou des accoutrements qu’elles jugent indécents, ni
maquillées ni coiffées par exemple. C’est que le regard sur les images
change, et plus encore celui qui relie l’image à ce qu’elle représente. Les
images, aujourd’hui, tout comme l’écriture sur Internet, ne sont plus
appelées à témoigner d’une personnalité profonde, mais seulement à fixer
une facette fugitive qui n’est guère destinée à durer plus longtemps que le
moment où on la découvre. Cette tendance trouve avec l’appareil numé-
rique son illustration parfaite : l’image, regardée, partagée et commentée,
est souvent effacée aussitôt après parce qu’elle a rempli son rôle.
Qu’il s’agisse du téléphone portable, d’Internet ou des nouvelles
machines à images, la conscience que l’utilisateur a de leurs enjeux contri-
bue donc à la capacité de les gérer. C’est pourquoi l’aide apportée aux per-
sonnes âgées dans l’adoption de ces nouvelles technologies ne doit pas seu-
lement être technique, mais doit viser à expliciter aussi leurs règles d’usage
afin d’éviter que des culpabilités liées à d’autres pratiques interfèrent avec
leurs apprentissages spécifiques. Cela permettrait en outre d’augmenter
d’autant leur capacité et leur liberté à se les approprier selon leurs nécessi-
tés propres.
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Synthèses des recherches du programme

ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES,
DYNAMIQUES DES ÂGES
ET VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION
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LES USAGES ET LES USAGERS

Adoption des changements monétaires


par les personnes âgées : pratiques
des nouvelles technologies monétaires
et confiance dans l’euro

Gilles Malandrin* (coordinateur)


Philippe Salas**, avec la participation de Lamine Sagna***
sous la responsabilité de Jean-Michel Servet*

C’est à partir de la prise en compte des éléments fondant le rapport des indi-
vidus à l’argent que les auteurs de cette recherche – économiste, psychologue et
sociologue – analysent les usages des nouvelles technologies bancaires par les
personnes âgées. L’argent s’insère dans la construction identitaire du sujet et
tient lieu de liant entre l’intime, le social et le politique. En outre, la question
de la confiance – confiance en soi et dans les autres, mais aussi dans les insti-
tutions bancaires et les souverainetés publiques – apparaît centrale. Les auteurs
postulent que les positionnements des personnes âgées à l’égard des technologies
monétaires permettent de comprendre leurs attitudes à l’égard de l’adoption de
l’euro.

Pour répondre à la délicate question de savoir comment s’effectuera le


passage à l’euro pour les personnes âgées, mener des enquêtes à propos de
ce que pensent ces personnes sur leurs futures réactions ne suffit pas. En
effet, il convient de connaître au préalable quelles sont les attitudes géné-

* Centre Auguste et Léon Walras, université Lumière Lyon-2.


** Université Paris-X Nanterre.
*** Université de Caen.

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Synthèses des recherches du programme

rales vis-à-vis de l’argent, les habitudes de consommation, l’usage des


moyens de paiement, pour mettre ensuite en perspective leurs représenta-
tions de l’euro avec les pratiques réelles de la monnaie. Parmi l’ensemble
des pratiques significatives, il nous a semblé intéressant de repérer dans
quelle mesure les nouvelles technologies monétaires telles que les cartes
bancaires et les paiements automatiques de factures étaient intégrées dans
les pratiques quotidiennes des personnes âgées et de mesurer leur inci-
dence sur la confiance dans l’euro.

Le travail de terrain s’est organisé dans trois directions

● Entretiens semi-directifs réalisés auprès de personnes âgées vivant en


milieu urbain (agglomération lyonnaise) ou rural (un village de l’Hérault et
un de l’Ardèche) : 55 personnes âgées de 62 à 90 ans, 26 femmes et 29
hommes, d’appartenance socioprofessionnelle diversifiée.
Ces personnes ont été contactées à partir du fichier des retraités de la
CDC, d’un club du 3e âge et de la clientèle d’une infirmière libérale.

● Suivi de « groupes pilotes de personnes âgées » (60 à 90 ans) mis en place


dans le cadre de l’expérience « Euro facile » coordonné par la
Commission de l’Union européenne. Ces séances, rassemblant 10 à 15
participants tous les 15 jours sur un an, ont été enregistrées et décryp-
tées. A partir de cette expérience, trois entretiens de groupe ont égale-
ment été réalisés, à Saint-Alban (milieu rural, près de Toulouse),
Annemasse et Bruxelles.

● Observations conduites dans un bureau de poste (banlieue de Caen,


quatre fois sur un mois) et deux gares SNCF (à Lyon) : relations des per-
sonnes âgées avec les guichetiers et les automates ; table ronde avec le
personnel de la SNCF en contact avec le public.

Nous avons orienté cette recherche dans deux directions. D’une part, il
a été question de définir quels étaient les facteurs d’adoption des innova-
tions monétaires chez les personnes âgées. Autrement dit, à quelles condi-
tions une personne âgée est-elle susceptible d’intégrer pleinement la
modernisation des moyens de paiement, ses codes, son langage, sa tempo-
ralité ? Comment les personnes âgées utilisent-elles le système monétaire
informatisé ? Quelle est la spécificité du vieillissement dans le rapport à
l’argent, à la dépense et à la monétique ? D’autre part, la réponse à la ques-
tion précédemment énoncée nous a permis une projection sur la capacité
d’adoption de l’euro par les personnes âgées. En effet, sur un plan théo-
rique, il nous est apparu que la modernisation des moyens de paiement et
le passage à l’euro constituaient des innovations monétaires qui mobilisent
les mêmes facteurs psychosociologiques. En ce sens, la capacité d’adoption
des nouvelles technologies monétaires s’est avérée être un indicateur pré-

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Adoption des changements monétaires par les personnes âgées…

cieux permettant de prévoir si le passage à l’euro allait être vécu positive-


ment par les personnes âgées ou si, à l’inverse, ce changement allait désta-
biliser cette population.

Les différentes attitudes vis-à-vis de la modernité monétaire

L’analyse des discours et des pratiques a mis en évidence plusieurs fac-


teurs discriminants des conduites des personnes âgées dans l’adoption et
la non-adoption des nouvelles technologies monétaires. A côté de facteurs
secondaires tels que l’isolement géographique ou le refus « politique »,
nous avons distingué un facteur principal d’adoption et de non-adoption
qui est la qualité de la confiance en soi et en les autres. Autrement dit, la
qualité de la confiance de base des personnes âgées interviewées vient don-
ner du sens à leur pratique de l’argent et plus globalement aux moyens de
paiement qu’elles utilisent. Comme nous allons le voir, nous avons fait le
choix méthodologique d’orienter notre étude essentiellement en direction
de l’analyse des facteurs qui déterminent la confiance.

Premier profil : une non-adoption due à une faible confiance


de base exprimant la crainte de « se faire avoir »
Au sein de ce groupe, les personnes que nous avons interrogées expri-
ment des réticences très fortes à l’idée de monnaie électronique et de carte
bancaire. Ces réactions désignent très nettement la menace que représente
l’objet en lui-même et expriment une faible capacité à prendre des risques.
Ce premier profil représente 25 % de notre échantillon.

Deuxième profil : une non-adoption qui n’est pas due à des problèmes
de confiance
Ce n’est pas le degré de confiance de base qui vient expliquer la non-
adoption chez ces personnes. Les personnes de ce groupe ne considèrent
pas que leur niveau de dépenses et la fréquence de leurs achats justifient
l’acquisition d’un nouveau moyen de paiement. Elles conçoivent la moné-
tique comme un outil répondant aux besoins des personnes qui font de
grosses courses en supermarché, les jeunes ménages avec enfants, par
exemple. Une seconde explication de la non-adoption de la monétique
réside aussi dans une non-adéquation des valeurs qui lui sont associées. Ce
refus « idéologique » se retrouve notamment chez d’anciens ouvriers ou
d’anciens fonctionnaires pour qui la monétique est l’un des symboles de la
société de consommation. Enfin, l’isolement géographique limite l’accès à
certains outils, par exemple les distributeurs de billets. Dès lors, ces per-
sonnes n’ont pas la possibilité pratique d’adopter la modernité monétaire.
Ce deuxième profil représente 15 % de notre échantillon.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 52

Synthèses des recherches du programme

Troisième profil : quand la confiance de base est moyenne, l’adoption


de la modernité monétaire passe par des stratégies d’adaptation
Ce groupe est composé de personnes qui ont adopté les nouvelles tech-
nologies monétaires de façon conditionnelle, c’est-à-dire par tout un
ensemble de stratégies d’adaptation qui donnent des repères. L’adoption et
la pratique des cartes bancaires, des paiements mensualisés ou de la
consultation de compte à distance sont bornées par des règles et des rou-
tines dont la fonction est de protéger les personnes des risques de perte de
contrôle de leur argent et donc d’elles-mêmes. Il est à noter que si cer-
taines techniques modernes, particulièrement les cartes bancaires, sont très
peu utilisées, d’autres innovations comme les paiements mensualisés de
factures sont, elles, largement adoptées. Les personnes âgées sont donc les
acteurs d’une sélection des moyens qui leur sont proposés, et excluent de
leurs pratiques les outils ou les éléments qui ne correspondraient ni à leurs
pratiques économiques quotidiennes, ni à leurs représentations et valeurs
monétaires. Les pratiques des nouvelles technologies monétaires sont sou-
mises à une forme de syncrétisme qui permet une intégration aux pra-
tiques et aux valeurs préexistantes des personnes âgées.
Ce troisième profil représente 40 % de notre échantillon.

Quatrième profil : une adoption « inconditionnelle »


qui traduit une confiance de base forte
Ce dernier groupe est constitué de personnes âgées qui adoptent les dif-
férentes nouvelles technologies sans stratégies de contrôle particulières. Il
est plutôt représentatif de nouvelles générations de retraités qui ont connu
les innovations monétaires en étant encore en activité professionnelle. Pour
ces personnes, l’utilisation de protections face à l’électronisation de la mon-
naie et aux menaces sur les structures de dépenses et de gestion se pose
moins. La consommation de ces personnes intègre, davantage que dans les
autres groupes, la notion de dépense pour le bien-être et pour les loisirs.
Ce dernier profil représente 20 % de notre échantillon.

Les facteurs de confiance


dans les nouvelles technologies monétaires

Les quatre types d’attitude vis-à-vis de la monétique reflètent un niveau


de confiance de base des personnes âgées qui s’exprime à travers trois prin-
cipaux facteurs.

La capacité à faire des abstractions : le rapport au corps


Le corps est impliqué dans les pratiques monétaires, et cela plus parti-
culièrement dans la manipulation des moyens de paiement. Ce résultat

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Adoption des changements monétaires par les personnes âgées…

indique que les gestuelles de paiement forment le support même de la vali-


dation et du contrôle des dépenses, à travers la mémoire du toucher et du
geste. La protection face à l’incertitude et au risque de désordre passe alors
par le corps. L’éloignement et l’abstraction induits par les nouvelles tech-
nologies monétaires peuvent se traduire par des comportements compen-
satoires où la personne pallie la difficulté par des éléments corporels, donc
par le sens, comme le montre le besoin souvent exprimé de pouvoir tou-
cher, palper et voir les billets. Dans ce cadre, l’habitude, la routine du
corps est une réponse aux risques de perte des repères.

Les habitudes monétaires : le rapport au temps


Les habitudes monétaires forment l’espace de consommation des per-
sonnes et assurent un cadre structurant à la tenue de leurs comptes. Le
rythme et le maintien des habitudes permettent aux personnes âgées de
savoir où elles en sont, sans que pour autant elles aient réellement besoin de
passer par une phase de calcul et de récapitulation de leurs dépenses. Les
entretiens montrent, et c’est un résultat inattendu, que la majorité des per-
sonnes rencontrées ont une gestion non calculée de leurs dépenses et de leurs
retraits. C’est en fait la forte régularité du rythme des achats, des retraits, du
type de produit ou de la fréquentation du même magasin qui assure une
mémoire des dépenses et qui a un effet structurant. Un enfermement dans
ces habitudes vient attester une faible confiance de base. Les personnes à la
très forte régularité des habitudes ne voient pas l’usage qu’elles feraient d’une
carte. L’ensemble des petites dépenses, souvent chez les mêmes commer-
çants, explique pour beaucoup pourquoi l’emploi du chèque paraît suffisant
et la modernisation des moyens de paiement superflue.

Le niveau de confiance dans les tiers : les souverainetés publiques,


les institutions privées et bancaires, les personnes médiatrices de confiance
L’adoption des nouvelles technologies monétaires se comprend égale-
ment sous l’angle des relations nouées aux tiers. Cette grille de lecture
repose essentiellement sur le fait que le rapport à la monnaie est un rap-
port exclusivement médiatisé, que ce média soit un billet de banque, une
carte en plastique ou un chèque. Notre hypothèse reprend l’idée que ce
tiers ne donne pas la même forme à ce qu’il médiatise. Il l’absorbe et lui
donne un autre contenu, selon le registre symbolique et emblématique
qu’il véhicule. Pour illustration, la symbolique de l’État présente dans le
billet de banque et la symbolique d’une grande banque commerciale sur
un chèque ou une carte de retrait entraînent des représentations totale-
ment différentes de l’argent et induisent adhésion ou rejet de ces repré-
sentations.
La relation que nouent les personnes à l’État et aux institutions ban-
caires peut expliquer qu’elles se sentent en confiance ou non avec les inno-

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Synthèses des recherches du programme

vations monétaires. La confiance qu’on peut placer dans la carte bancaire


ou dans les paiements automatiques dépend de la confiance que les per-
sonnes attribuent aux institutions « émettrices » de ces innovations. Enfin,
les adoptions et les refus passent par la possibilité de trouver un étayage
fort auprès d’un tiers que peuvent être, par exemple, les guichetiers pré-
sents dans les banques, ou le conjoint qui vient servir de soutien.

Quelle corrélation entre confiance dans les nouvelles


technologies monétaires et confiance dans l’euro ?

Pour préciser le contenu de la corrélation entre adoption de la moné-


tique et niveau de confiance dans l’euro, nous décrivons les trois facteurs
de confiance dans la nouvelle monnaie et ensuite nous construisons une
typologie qui rend compte de cette corrélation.

Les confiances vis-à-vis de l’euro : confiance en soi, confiance


dans les institutions privées, confiance dans les souverainetés publiques
L’angoisse de l’euro relève de la crainte de ne pas retrouver, dans ce
changement, la part d’identité exprimée par les liens monétaires. Les pro-
pos sur la perte présumée de l’identité nationale abondent en ce sens. Mais
l’identité abstraite n’est pas la seule forme exprimée par la monnaie.
Chaque personne construit une identité monétaire : la façon dont elle
dépense, économise, exprime sa solidarité avec ses proches, etc. La mon-
naie s’insère dans la construction identitaire du sujet. Plus précisément, la
spécificité de la monnaie réside dans sa capacité à lier indissociablement
l’intime, le social et le politique. Le passage à l’euro touche donc un objet
personnel qui permet tout à la fois d’évaluer, d’échanger, d’épargner, d’ex-
primer nos sentiments de solidarité, d’estimer la valeur de chacun dans la
hiérarchie sociale des revenus…
Le passage à l’euro, parce qu’il touche l’ensemble des liens tissés par la
personne via la monnaie, peut alors entraîner une déstabilisation des
repères et s’accompagner d’une série d’interrogations et de craintes pou-
vant tout à la fois porter sur l’ensemble du social, sur les valeurs qui fon-
dent la société ou sur le rapport personnel à l’argent. Toutes les réactions
de méfiance face à l’euro viennent en fait se greffer sur les craintes et
angoisses déjà latentes entre la personne et la société. L’euro vient révéler
et réactiver des malaises plus profonds sur la confiance et la place qui est
accordée aux personnes dans la société, face aux autres. Enfin, si l’intro-
duction de l’euro est perçue comme une coupure du lien entre la personne
et l’État-Nation, ce sentiment peut alors donner lieu aussi bien à une
crainte de perte d’identité qu’à un sentiment quelquefois utopique de
construction d’une nouvelle identité.

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Adoption des changements monétaires par les personnes âgées…

Comment la confiance vis-à-vis de l’euro est corrélée au degré d’adoption


des nouvelles technologies monétaires : construction d’une typologie
Le groupe de personnes qui n’adoptent pas les nouvelles technologies monétaires
à cause d’une confiance de base faible
On rencontre des attitudes vis-à-vis de l’euro bien distinctes chez les
personnes de ce groupe, tant en ce qui concerne leur anticipation sur les
capacités d’adaptation que leur degré d’adhésion au projet européen. Dans
un premier cas de figure, les personnes âgées fragiles adhèrent fortement à
l’euro, tout en méconnaissant ses dimensions pratiques. Ce type d’adhé-
sion est fusionnel et correspond à des personnes qui dénient les difficultés
personnelles qu’elles seront amenées à rencontrer. La confrontation aux
réalités du changement les angoisse trop pour qu’elles s’en préoccupent à
l’avance, elles adoptent une sorte de « politique de l’autruche » en fuyant
l’angoisse liée au changement de monnaie. Pour d’autres, le rejet de l’euro
et le sentiment de blocage sont plus perceptibles. Sur le plan du projet col-
lectif, on observe un faible niveau de perception des objectifs du projet
accompagné d’un rejet des institutions et des aspects jugés technocratiques
du passage à l’euro. Ces personnes-là peuvent avoir le sentiment de s’être
« fait avoir » lors du référendum de Maastricht, invoquant une « trompe-
rie sur la marchandise » : elles ont le sentiment qu’avait été cachée aux yeux
de l’opinion, entre autres, la disparition du franc.

Le groupe de personnes qui n’ont pas adopté les nouvelles technologies


monétaires bien que leur confiance de base soit suffisante
C’est sans doute davantage un « effet génération » qui explique la non-
adoption de nouvelles technologies comme la carte qu’une fragilité vis-à-
vis de ce moyen de paiement. Vis-à-vis de l’euro, sur le plan individuel, les
personnes de ce groupe peuvent exprimer une certaine appréhension, mais
aucune ne manifeste de crainte « tous azimuts » comme dans le précédent
groupe ni de surestimation de leurs capacités à adopter le changement de
monnaie. Sur le plan collectif, elles peuvent adhérer à l’euro avec un cer-
tain engagement, bien plus pour la dimension culturelle et historique de
la construction européenne que pour des motifs économiques.

Le groupe de personnes qui adoptent les nouvelles technologies monétaires avec


une confiance de base moyenne compensée par des stratégies d’adaptation
On s’aperçoit que les personnes de ce groupe adhèrent à l’euro ou le cri-
tiquent plutôt selon l’angle de la dimension historique et politique de la
construction européenne. C’est à travers les mêmes critères de valeur qui
peuvent créer des réticences à l’adoption des nouvelles technologies moné-
taires que le projet européen est jugé. Sur le plan individuel, les personnes
de ce groupe ne sont pas particulièrement anxieuses, même si elles restent
lucides sur les difficultés dues aux effets du vieillissement qu’elles pourront

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Synthèses des recherches du programme

rencontrer. Leur niveau de confiance de base leur permet malgré tout de


s’adapter aux situations inconnues.

Le groupe de personnes ayant adopté la monétique


avec une confiance de base forte
Nous retrouvons dans une dernière catégorie les plus « modernes », qui
ont adopté les nouvelles technologies monétaires dans leur quotidien et en
exploitent les possibilités. Certaines de ces personnes expriment une
confiance dans le passage à l’euro ou alors expriment des opinions néga-
tives modérées. Elles adhèrent volontiers aux discours économiques qui
accompagnent l’euro et sont sensibles aux arguments de la disparition des
taux de change et de la facilité qu’elle entraîne pour les voyages. On enre-
gistre aussi des oppositions en termes politiques face à une Europe jugée
trop libérale, mais on ne constate de rejet ni de l’euro ni de la construc-
tion européenne en tant que tels ; il s’agit plus d’une attitude critique sur
la façon dont se construit l’Europe. Sur le plan personnel, elles ont
confiance en elles pour franchir l’obstacle tout en restant réalistes sur les
difficultés qu’elles seront amenées à rencontrer.

Les facteurs transversaux à l’adoption de la modernité monétaire et à l’euro


Nous avons pu constater qu’il y a continuité des facteurs qui expliquent
l’adoption ou le « refus » des nouvelles technologies monétaires dans les atti-
tudes vis-à-vis de l’euro. Si nous reprenons l’ensemble des facteurs que nous
avons pu mettre en avant, on peut s’apercevoir que dans chacune des inno-
vations s’engagent trois niveaux de confiance qui sont liés les uns aux autres.
Un premier niveau se rapporte au plan individuel et lie l’acceptation du
changement à des capacités d’abstraction, de faire face au vide ou à l’éloi-
gnement. C’est un élément psychologique qui rentre ici en ligne de
compte et ce niveau dépasse les catégories socioculturelles traditionnelles.
La façon dont la personne gère les pertes liées au vieillissement – la dimi-
nution des capacités psychiques, des relations sociales, de la mobilité, la
perte du conjoint… – permet de comprendre la capacité à accepter la
dématérialisation portée par les nouvelles technologies et la disparition du
franc sur le plan monétaire.
Un deuxième niveau, étroitement lié au premier, se situe cette fois dans une
dimension sociale. On a pu constater que derrière l’acceptation d’une trans-
formation monétaire, les personnes se resituaient dans un rapport aux
autres, ici principalement les acteurs du monde économique, les banques,
la distribution. Lorsque de nombreuses personnes âgées dénoncent les
familles surendettées ou l’intérêt bien compris des banques à délivrer des
cartes bancaires, elles jugent la monétique dans son aspect social. Ce juge-
ment social intervient aussi sur l’euro lorsque certaines personnes âgées

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Adoption des changements monétaires par les personnes âgées…

entrevoient déjà les arnaques sur les vieilles personnes, ou lorsqu’elles


dénoncent les inégalités entre les « gagnants » de l’euro et les « perdants ».
Un troisième niveau concerne un rapport plus vertical entre la personne et
les souverainetés collectives. Nous avons pu voir en quoi la monnaie expri-
mait toujours un rapport au collectif et à l’ensemble des valeurs d’une
société donnée. Ce rapport aux institutions formelles (dont la plus forte
est l’État) ou informelles (valeurs de la société, identité culturelle) se
retrouve derrière l’adoption du changement. Il semble que cette caracté-
ristique permet d’expliquer les réticences à adopter les moyens de paie-
ment privés que sont les cartes bancaires ainsi que le regard porté sur la
construction européenne, jugée par beaucoup comme trop économique et
pas assez sociale.

Réflexions et propositions

Cette recherche fait émerger plusieurs réflexions. La première est


d’ordre théorique. La recherche montre en quoi l’adoption d’une innova-
tion, d’un changement dépend principalement de la confiance de base,
c’est-à-dire de la capacité de la personne à avoir confiance en soi, en les
autres et envers les institutions.
La deuxième se rapporte à une proposition émise par le monde bancaire
qui suggère de se servir de la technologie comme médiateur à l’adoption
de l’euro chez les populations qui risquent d’être potentiellement en diffi-
culté lors du passage à l’euro. Certains acteurs du monde bancaire propo-
sent de faire du porte-monnaie électronique et de la carte bancaire des
médiateurs de l’euro en argumentant que ces deux moyens de paiement
éviteraient les erreurs de manipulation et les efforts d’adoption des nou-
velles pièces et billets en euro, les personnes âgées n’ayant qu’à valider par
leur code secret la somme inscrite en euro. Au vu des résultats de la
recherche, il convient toutefois d’être prudent. Et cela pour deux raisons.
On a d’abord pu voir que les moyens de paiement électroniques ren-
contrés étaient mal pratiqués par beaucoup de personnes âgées.
L’utilisation du porte-monnaie électronique risquerait de surajouter à
l’euro une seconde difficulté.
Ensuite, l’outil pensé pour aider pourrait devenir un outil qui empêche
le travail d’apprentissage de l’euro. En effet, à l’instar de l’usage du conver-
tisseur, l’usage des nouveaux moyens de paiement implique le risque que
n’ait pas lieu le nécessaire travail d’apprentissage de mémorisation des
nouveaux prix et de manipulation des nouveaux billets. Le risque serait en
effet que certaines personnes âgées se reportent totalement sur les outils,
donnant lieu à une sorte d’« assistanat électronique ».

57
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 58

Synthèses des recherches du programme

La troisième réflexion concerne la présupposée fragilité des personnes


âgées et leur statut supposé de population risquant d’être exclue du chan-
gement de monnaie. Le rapport que les personnes âgées entretiennent à la
modernité monétaire interroge la vision déficitaire qui est généralement
portée sur cette population. Autrement dit, les personnes âgées sont-elles
aussi fragiles que l’idée reçue le suggère ? Même s’il est vrai que la mon-
naie joue un rôle de protection particulièrement important pour le sujet
âgé – la difficulté pour enquêter auprès d’elles sur un sujet tel que l’argent
en atteste –, il paraît réducteur d’attribuer ces attitudes d’évitement essen-
tiellement à une fragilité de leur part. Dès lors, considérer les personnes
âgées comme victimes d’un système économique et social allant trop vite
pour elles ou inadapté à leurs possibilités nous paraît dénué d’exactitude
et excessif. En effet, cette étude nous autorise à penser que les personnes
âgées sont certainement moins fragiles qu’on peut le penser et qu’elles
trouvent leur place dans ce système à leur façon, en s’adaptant à leurs dif-
ficultés plutôt avec succès et dans l’ensemble avec autonomie. En opérant
un tri dans les innovations qui ne les intéressent pas et en adoptant préfé-
rentiellement les modernités à leur portée, elles nous montrent que les
inquiétudes à leur sujet ne sont pas toujours fondées. Ainsi, à trop vouloir
protéger cette population en multipliant les mesures de protection et d’ac-
compagnement pour le passage à l’euro, ne risque-t-on pas de la margina-
liser et de créer chez elle ces difficultés tant redoutées ?

***

La recherche met en avant les principaux facteurs de confiance condi-


tionnant l’adoption des nouvelles technologies monétaires, en insistant
plus particulièrement sur le caractère identitaire de la relation à la mon-
naie. Les résultats de notre recherche indiquent d’une part que c’est essen-
tiellement par la conservation des habitudes monétaires anciennes que l’on
peut expliquer la non-adoption des nouvelles technologies monétaires. On
a pu observer d’autre part dans quelle mesure le rapport aux institutions
bancaires pouvait être un facteur d’adhésion ou de résistance à la moder-
nité monétaire et à ses valeurs « consuméristes ». La seconde série de résul-
tats concerne l’euro. La recherche a pu mettre en évidence à quel point la
confiance dans l’euro reposait sur trois types de confiance : une confiance
en soi, une confiance dans les acteurs économiques, une confiance dans les
souverainetés. Or, c’est bien souvent le sentiment de perte qui l’emporte
dans ces trois aspects : peur de perdre ses repères mentaux de prix et de
consommation ; peur d’y perdre et d’être dupé par les commerçants, les
banques, etc. ; peur de perdre les spécificités et les protections collectives
portées par l’État-Nation-Providence.

58
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 59

Adoption des changements monétaires par les personnes âgées…

L’adoption des cartes bancaires ou des prélèvements automatiques des-


sine-t-elle un profil de personnes plutôt disposées au passage à l’euro ? A
cette question, les enquêtes de terrain apportent une réponse affirmative,
tout en formulant certaines nuances sur le contenu de cette corrélation.
L’analyse de quatre profils de personnes, la mise en évidence de facteurs
transversaux expliquant l’adoption ou le refus des nouvelles technologies
monétaires ainsi que les représentations de l’euro et la confiance à son
égard permettent d’expliciter ces nuances. Finalement, cette recherche
montre que la question de l’adoption des innovations monétaires ne peut
pas être traitée sous son seul angle pratique et technique, mais qu’elle
mobilise l’ensemble des dimensions sociales, psychologiques et écono-
miques qui déterminent la totalité sociale.

Ce texte à été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 13, juin
2002.

Publications et communications

SERVET J.-M. (1998), Le passage à l’euro. Une question de confiance, Desclée de


Brouwer, Paris, 156 p.
MALANDRIN G., SALAS Ph. (1999), « The use and the social meaning of the
bank cards for ederly people », Third International Conference of
Gerontechnology, Munich, 10-13 octobre 1999.
SALAS Ph. (1999), « Compte-rendu et analyse psychologique des problématiques
liées au passage à la monnaie unique chez les personnes dites fragiles »,
Commission européenne, Direction générale santé et protection des consom-
mateurs, 18 p.
MALANDRIN G. (2000), Aspects psychosociologiques du passage à l’euro, Centre
Walras/Commission européenne, Direction générale santé et protection des
consommateurs, 45 p.
MALANDRIN G., SALAS Ph. (2000), « Les facteurs de confiance dans l’euro :
l’apport des enquêtes de terrain auprès des personnes âgées », Économie moné-
taire et financière. XVIIes Journées internationales du GDR du CNRS,
Lisbonne, 8 juin 2000.
MALANDRIN G., SALAS Ph. (2000), « Passage à l’euro pour les populations
fragiles. Confiance, légitimité et risque d’exclusion », XIIe congrès de socio-éco-
nomie de la SASE, London School of Economics, Londres, 7-10 juillet 2000.
MALANDRIN G., SALAS Ph. (2001), « Déterminants psychologiques et socio-
économiques de la confiance dans l’euro », Du franc à l’euro : changements et
continuité de la monnaie. Colloque, université de Poitiers, 15 novembre 2001.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 60

Synthèses des recherches du programme

MALANDRIN G., SALAS Ph. (2001), « Pratiques et représentations des cartes


bancaires parmi les personnes âgées », Retraite et Société, « Technologie et
vieillissement – 3 », n° 33, pp. 76-89.
MALANDRIN G., SALAS Ph., SAGNA L., SERVET J.-M. (2001), « Adoption
des changements monétaires par les personnes âgées : pratique des nouvelles
technologies monétaires et confiance dans l’euro », Rapport final
MiRe/CNAV, Contrat CDC/SNCF, 194 p.
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LES USAGES ET LES USAGERS

La diversité des usages des technologies :


étude auprès de couples à la retraite
et de personnes veuves

Vincent Caradec*

Cette recherche analyse le rapport de personnes, définies par leur âge – 60-80
ans – ainsi que par leur position dans le cycle de vie – retraite, veuvage – à des
objets technologiques présentant une certaine diversité. Il s’agit de dégager les
logiques présidant à l’utilisation ou la non-utilisation de ces objets et de repé-
rer les processus qui conduisent à des changements dans les usages. L’auteur,
sociologue, s’est attaché à maintenir une symétrie dans l’approche compréhen-
sive des usages et des non-usages, afin d’éviter le biais, fréquemment repérable
dans les études sur les nouvelles technologies, qui consiste à connoter positive-
ment le recours à des produits innovants et à déprécier les attitudes de non-
recours.

Au-delà de cet objectif général, plusieurs idées ont guidé et orienté cette
recherche. Nous souhaitions, tout d’abord, dépasser les discours générali-
sants sur les personnes âgées et les technologies, qui oublient de s’interro-
ger sur la diversité des usages ; les « personnes âgées » constituent une caté-
gorie très hétérogène, en particulier en termes d’âge, de milieu social, de
situation domestique. Les biens et services « technologiques » disponibles
sur le marché sont très divers, chacun ayant des caractéristiques qui lui
sont propres, et qui ne se réduisent pas à leurs composantes proprement

* UFR – IDIST, université de Lille-3.

61
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 62

Synthèses des recherches du programme

technologiques. Ces objets ont aussi un prix, ils se présentent sous une cer-
taine apparence, ils sont censés rendre tel ou tel service, etc.
Nous avons décidé, ensuite, de ne pas recourir trop rapidement aux expli-
cations en termes de handicap, physique ou générationnel. Il nous semble,
en effet, que le rapport des personnes âgées aux technologies est, trop sou-
vent, appréhendé et évalué à partir de celui des personnes plus jeunes, ce qui
conduit à souligner soit les moindres performances physiologiques ou cogni-
tives des usagers âgés, soit leur « manque de familiarité » avec ces technolo-
gies, leur « frilosité » et leur « résistance à la nouveauté ». Il ne s’agit pas de
rejeter totalement ces explications qui renvoient à deux phénomènes dont
on ne peut nier l’importance : les effets corporels du vieillissement et la dif-
férence dans les contextes de socialisation des générations. Il importe aussi
de partir de l’idée – conforme à une perspective de sociologie compréhen-
sive – que les personnes âgées peuvent avoir de « bonnes raisons » de s’équi-
per ou de ne pas s’équiper, d’utiliser ou de ne pas utiliser telle ou telle tech-
nologie nouvelle. Il convient d’écouter ces raisons et de les prendre en
compte dans l’analyse. Ce postulat de la rationalité du rapport des retraités
aux objets technologiques est posé à la fois pour les usages et les non-usages.
Le maintien de la symétrie dans l’explication des usages et des non-usages
est, en effet, essentiel : il s’agit d’éviter ainsi le « biais favorable à l’innova-
tion » propre à de nombreuses études de diffusion qui, comme le note
E.M. Rogers1, « considèrent l’adoption de l’innovation comme sage et
rationnelle et classent le rejet comme irrationnel et stupide ».

Méthodologie

Le matériau sur lequel repose l’analyse comporte deux séries d’entretiens


semi-directifs, les uns réalisés auprès de couples de retraités sexagé-
naires (n = 21), les autres auprès de veufs et de veuves (n = 20). Ces entre-
tiens ont porté sur une série d’« objets technologiques » afin d’obtenir des
informations précises sur l’équipement, les raisons de cet équipement ou
de l’absence d’équipement, les usages, le « pourquoi » de ces usages et la
manière dont ils ont pu évoluer depuis la retraite ou la disparition du
conjoint. Le champ des objets retenus est assez large : il va des technolo-
gies domestiques – biens d’équipement ménagers et de loisirs – à des
technologies de l’espace public – guichets automatiques – et comprend
des appareils techniques récents – micro-ordinateur, téléphone portable,
etc. – et d’autres plus anciens – télévision, téléphone, voiture.

Nous avons choisi, enfin, de centrer le dispositif d’observation sur les


« transitions de vie » qui ponctuent l’avance en âge afin d’observer com-
ment les usages évoluent lors de ces transitions. Deux « points d’observa-

1. Rogers E.M., Diffusion of Innovation, New York, Free Press, 1983 (1re édition, 1962).

62
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 63

La diversité des usages des technologies…

tion » principaux ont été retenus : la retraite et le veuvage. Deux autres ont
également pu être exploités : le départ des enfants et les déménagements.
Le rapport s’organise en trois parties : le repérage de plusieurs « logiques
d’usage » (1re partie) ; l’étude des processus qui conduisent à l’adoption de
certains objets technologiques, à la transformation de leur usage et, dans
certains cas, à leur abandon à l’état de « ruine technique » (2e partie) ;
l’analyse de l’évolution des usages au cours du processus de vieillissement,
à travers l’étude des transformations survenues au cours des transitions qui
scandent l’avancée en âge (retraite, veuvage, départ des enfants et évolu-
tion des relations intergénérationnelles) (3e partie).

Des agencements complexes de logiques

L’analyse du matériau recueilli montre que les explications avancées par


les personnes rencontrées concernant leurs usages et leurs non-usages sont
d’une grande complexité et sont loin de correspondre aux images cou-
ramment véhiculées selon lesquelles les objets technologiques font peur
aux personnes âgées, celles-ci restant ancrées dans leurs habitudes et étant
trop vieilles pour apprendre, etc. Trois principaux registres argumentatifs,
trois « logiques d’usage » se dégagent des propos tenus : la logique utili-
taire, la logique identitaire et la logique de l’évaluation. Elles se combi-
nent, se croisent, s’opposent parfois, constituant ainsi un ensemble de
forces, dont l’équilibre permet de comprendre les usages actuels.
La logique utilitaire est d’une grande simplicité et revient très fré-
quemment dans les propos tenus : elle consiste à porter une appréciation,
positive ou négative, sur « l’utilité », « l’intérêt » de l’objet ou du service
technologique considéré : « ça, c’est utile », « ça, c’est utile pour nous », « ça,
c’est pas utile pour nous ». Cette dimension utilitaire peut prendre deux
formes : l’une d’évidence, l’autre contextualisée. Dans la logique utilitaire
d’évidence, les raisons pour lesquelles l’objet est utilisé ou ne l’est pas ne
sont pas explicitées tant l’utilité ou l’absence d’utilité semblent aller de soi.
Dans la logique utilitaire contextualisée, l’utilité ou la non-utilité, sont
expliquées et justifiées en regard de la situation présente, en invoquant
divers éléments du contexte : la situation de retraite et le mode de vie
adopté. Par exemple, l’alarme électrique a été achetée « parce qu’on est sou-
vent absents » ; le refus d’acquérir une parabole est justifié par le fait qu’on
ne souhaite pas regarder davantage la télévision ; l’absence d’intérêt pour
Internet est lié au constat « que j’arrive déjà pas à faire ce que j’ai à faire » ;
les difficultés physiques et les problèmes de santé, par exemple des pro-
blèmes de vue, sont invoqués comme étant à l’origine de l’arrêt de la
conduite ; l’utilisation d’un téléphone portable vise à pouvoir donner
l’alerte en cas d’accident cardiaque ; le contexte familial, par exemple la

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 64

Synthèses des recherches du programme

nécessité d’occuper les petits-enfants, fonde l’utilisation du magnéto-


scope ; l’installation d’un lave-vaisselle est écartée, car cet appareil paraît
peu utile pour deux personnes et pendant les vacances, « y’a suffisamment
de mains » ; l’environnement matériel est aussi évoqué : la pelouse qui
« appelle » la tondeuse à gazon ; le potager qui donne son utilité au congé-
lateur, etc.
La logique identitaire est d’une autre nature : le registre mobilisé n’est
plus celui de l’utilité ou de l’inutilité ; il consiste à fonder l’usage ou le
non-usage par l’adéquation, ou l’inadéquation, de l’objet avec ce que l’on
est. Sont ainsi évoqués une affinité, une familiarité avec lui ou au contraire
un sentiment d’étrangeté. Les propos tenus ne sont plus « ça m’est utile »
ou « à quoi ça me servirait ? », mais « j’aime ça », « j’y suis habitué » ou
encore « c’est pas pour moi, ça ! ». Ainsi, certains objets suscitent un « écho
identitaire » ; d’autres sont partie prenante d’une entreprise de redéfinition
de soi ; d’autres encore donnent lieu à un discours sur le poids des habi-
tudes. A l’inverse, certains appareils techniques semblent ne pas pouvoir
être adoptés parce qu’ils n’éveillent aucun « écho identitaire ». Pour cer-
tains retraités de milieu populaire, il est par exemple impensable de s’ini-
tier à l’informatique, qui est associée au monde des « bureaux » ; d’autres
invoquent leur appartenance générationnelle, par exemple pour justifier
leur faible utilisation de la carte bleue : « on est encore à l’âge du chèque »,
ou parce que les objets techniques suscitent un écho identitaire « négatif »,
comme ce retraité très critique vis-à-vis du répondeur qu’il considère
comme un appareil entravant la communication, alors que lui-même se
présente comme quelqu’un qui est « assez communication ».
Quant à la logique d’évaluation, elle consiste à formuler un jugement
sur l’objet technologique lui-même, sur ses caractéristiques, sur ses perfor-
mances ou encore à lui associer une image positive ou négative. Cette
logique peut mobiliser différents registres :
● économique : on n’utilise plus le lave-vaisselle, après le départ des

enfants, pour des raisons financières ; on renonce à certaines acquisi-


tions à cause du faible montant de sa pension de réversion, etc. ;
● pragmatique, lorsque le jugement porte sur les performances de l’ap-

pareil, sur son efficacité ;


● idéologique, lorsque l’appareil technique est jugé en référence à un

système de valeurs ; tel est le cas lorsque le guichet traditionnel est


préféré au guichet automatique pour l’« échange humain » ou lors-
qu’on se refuse à installer une alarme électrique car cela « renvoie
l’image d’une société sécuritaire » ;
● esthétique : la parabole qui peut ainsi être récusée parce qu’elle risque

de « défigurer » la maison ;
● spatiale : on n’achète pas de sèche-linge parce qu’on n’a pas la place.

64
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La diversité des usages des technologies…

La mise en évidence de ces logiques d’usage amène aussi à considérer


que les objets technologiques ne sont pas indépendants les uns des autres,
qu’ils entrent dans des rapports de substitution ou de complémentarité
avec d’autres objets. Ces relations peuvent être, mais ne sont pas nécessai-
rement, technologiques. Différentes configurations d’objets concurrents,
susceptibles de se substituer l’un à l’autre, apparaissent ainsi dans les entre-
tiens sous forme d’alternatives qui, lorsqu’elles sont explicitées, font inter-
venir les logiques utilitaire, identitaire et d’évaluation. Il en va ainsi du
choix entre les différents appareils et services téléphoniques existants :
répondeur ou transfert d’appels ; téléalarme, téléphone sans fil ou encore
poste téléphonique au chevet du lit ; il en est de même pour des couples
d’objets concurrents comme le caméscope et l’appareil photo, la télévision
et la radio, le four à micro-ondes et le four traditionnel, la carte bancaire
et le chéquier, les guichets automatiques ou les guichets humains. La
concurrence entre objets technologiques n’a pas toujours pour consé-
quence le succès total de l’un d’entre eux et elle peut déboucher sur l’uti-
lisation combinée des deux produits. Substitution et hybridation des
usages sont les deux modalités d’articulation possible entre objets concur-
rents. Parallèlement à ces rapports de concurrence, des rapports de com-
plémentarité peuvent associer plusieurs objets technologiques : il existe des
« filières d’objets » et des « filières d’usages ». C’est ainsi que les logiques
d’usages de certains appareils techniques se trouvent étroitement associées.
Il en va ainsi du magnétoscope et de la parabole par rapport à la télévision,
du minitel vis-à-vis du téléphone, d’Internet par rapport au micro-ordina-
teur, ou encore de l’association entre micro-ondes et congélateur. L’utilité
de l’un découle de celle qui est reconnue à l’autre, et il arrive que le lien
privilégié, ou au contraire, le sentiment d’étrangeté, passe, par contiguïté,
le long d’une filière d’usage.

La diachronie des usages

Le repérage de ces logiques ne doit pas faire oublier que les usages pré-
sentent également une dimension diachronique. On peut considérer que
le rapport à chacun des objets technologiques possédés a une histoire et
passe par différentes phases, de sa découverte à son acquisition, puis à son
utilisation régulière et parfois à l’abandon de son usage. Nous nous
appuyons sur le modèle d’adoption des innovations de Rogers2, qui défi-
nit cinq étapes : la connaissance, la persuasion, la décision, la mise en
œuvre, la confirmation. Ce modèle guide notre cheminement, mais nous
cherchons, simultanément, à le mettre à l’épreuve de notre matériau. Ce

2. Ibidem.

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Synthèses des recherches du programme

matériau consiste en des « récits d’acquisition » qui concernent les appa-


reils techniques acquis depuis la retraite (pour les couples) ou depuis le
décès du conjoint (pour les personnes veuves). En effet, l’espace domes-
tique de la plupart des « personnes âgées » de notre corpus s’est enrichi
récemment de plusieurs objets technologiques : c’est le cas pour la totalité
des couples et pour une majorité de personnes veuves. Par exemple, depuis
leur retraite, sept couples (sur les vingt et un rencontrés) se sont équipés
d’un téléphone sans fil, sept d’un magnétoscope, cinq d’un répondeur,
cinq d’un lecteur de disques compacts. Et, parmi les personnes veuves,
cinq (sur vingt) ont acquis un téléphone sans fil, trois un téléphone por-
table, trois un répondeur et trois un magnétoscope.
Au regard de nos données, ce modèle apparaît, tout d’abord, trop « déli-
bératif ». Si la formation d’une attitude favorable ou au contraire défavo-
rable vis-à-vis d’une innovation technologique peut certes survenir après un
choix informé et réfléchi, elle peut aussi surgir de façon plus mystérieuse,
d’une « idée », du désir de ce que possède l’autre, ou encore de l’envie de se
faire plaisir. Une autre limite importante du modèle de Rogers, très centré
sur le processus individuel de décision, est de ne pas prendre en considéra-
tion les cadeaux, qui apparaissent, dans notre enquête, d’une grande impor-
tance : près de la moitié des appareils techniques acquis depuis la retraite
(pour les couples) et les deux tiers de ceux introduits depuis le décès de leur
conjoint (pour les personnes veuves) leur ont été offerts. Ces cadeaux, pro-
venant des enfants, mais aussi des collègues au moment du départ à la
retraite, constituent la principale modalité d’acquisition du téléphone sans
fil (dix sur les douze acquis par les couples ou les personnes veuves), du
répondeur (sept sur huit) et du magnétoscope (sept sur dix). Au-delà de ces
résultats d’ensemble, les situations apparaissent contrastées : les cadeaux
jouent, en fait, des rôles divers ; certains accélérent une acquisition souhai-
tée et plus ou moins programmée alors que d’autres permettent un équi-
pement qui, sans eux, n’aurait sans doute pas été effectif ; quant aux
enfants, s’ils apparaissent comme les pourvoyeurs privilégiés d’objets tech-
nologiques dans l’espace domestique de leurs parents, ils ne le sont pas tou-
jours et n’offrent, parfois, que peu de cadeaux de ce type.
Enfin, en aval de l’acquisition, notre matériau invite à souligner deux
phénomènes trop rapidement évoqués ou même ignorés par Rogers. Tout
d’abord, la transformation, fréquente, de certains appareils en « ruines tech-
niques », transformation dont il est possible de repérer plusieurs cas de
figure : certains ont été rejetés de façon explicite ; d’autres n’ont jamais été
adoptés et n’ont jamais connu d’autre état que celui de ruine technique ;
d’autres encore, utilisés autrefois, ne le sont plus aujourd’hui et semblent
comme pris d’ensommeillement. Ensuite, les usages connaissent des varia-
tions temporelles et spatiales. La vie des objets suit certains rythmes qui
reflètent et structurent l’existence de ceux qui les détiennent et les utilisent.

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La diversité des usages des technologies…

Il y a ainsi un rythme quotidien – et hebdomadaire – de l’usage de certains


appareils techniques ; tel est plus particulièrement le cas de la radio et de la
télévision, qui occupent de façon privilégiée tel ou tel moment de la jour-
née ou de la semaine. On observe aussi des variations annuelles, un cycle
saisonnier de l’usage, en particulier dans le cas des retraités les plus jeunes
dont l’existence se trouve scandée par les vacances scolaires et par les dépla-
cements, en particulier entre résidence principale et résidence secondaire.
Les appareils techniques suivent ces variations saisonnières, semblent s’ani-
mer pendant les périodes de forte sociabilité familiale et, pour certains, se
déplacent au gré des changements de résidence.

Les usages au fil de l’âge…

L’avancée en âge peut être considérée comme la combinaison d’un


double phénomène : l’occupation de positions successives dans le parcours
de vie, d’une part ; les effets « propres » du vieillissement, d’autre part.
Notre analyse cherche tout d’abord à contextualiser les usages en repérant
les changements intervenus au moment de la retraite et du veuvage et en
les replaçant dans le cadre des relations conjugales et intergénérationnelles,
puis à cerner les effets « propres » du vieillissement sur les usages.

Le contexte de la retraite
C’est tout d’abord dans le contexte de la retraite qu’il faut appréhender
le rapport des personnes âgées aux objets technologiques. Il apparaît que
certains appareils techniques accompagnent la transition de la retraite et
jouent un rôle « performatif » en aidant le néo-retraité à prendre
conscience de son nouveau statut : c’est le cas du téléphone lorsqu’il était
fréquemment utilisé dans le cadre professionnel et aussi des outils de bri-
colage puisque le début de la retraite se trouve souvent marqué par une
intense activité masculine de bricolage. Par ailleurs, après la cessation d’ac-
tivité, l’existence se trouve réorganisée autour d’activités qui viennent
occuper le temps libéré. C’est dans ce nouveau cadre que les retraités sont
susceptibles de rencontrer de « nouveaux » objets, de les utiliser et de
s’équiper. Les pratiques de mobilité amènent, par exemple, à faire installer
une alarme électrique ou à envisager l’achat d’un téléphone portable ; les
voyages sont autant d’occasions d’utiliser l’appareil photo ou le camé-
scope ; les activités associatives développées par certains ne conduisent pas
nécessairement à l’équipement, mais stimulent la connaissance et l’usage
d’objets tels que le fax, la machine à traitement de texte ou le micro-ordi-
nateur ; si, pour quelques-uns, une forte pratique télévisuelle favorise l’ac-
quisition d’un magnétoscope ou d’une parabole, d’autres refusent l’image
« passive » de la retraite à laquelle ils associent la télévision.

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Synthèses des recherches du programme

La cessation d’activité professionnelle est aussi le moment où se construit


un autre rapport au temps, et les objets technologiques se trouvent pris dans
le cadre de cette réorganisation temporelle. Ils peuvent venir occuper une
partie du temps libéré et contribuer à le structurer ; c’est ainsi que le temps
passé devant la télévision s’accroît souvent, par une légère dilatation du
temps qui lui était auparavant consacré ; ils peuvent aussi se trouver délais-
sés, comme pour ce couple qui, ayant désormais du temps pour faire ses
courses, n’achète plus de plats surgelés et utilise beaucoup moins son congé-
lateur. Ce nouveau rapport au temps est ambivalent : il se caractérise à la fois
par le sentiment de « ne pas avoir le temps », puisqu’on a fait en sorte qu’il
soit occupé, et par un moindre sentiment d’urgence. Si certains voient dans
le manque de temps le principal obstacle à l’acquisition d’objets technolo-
giques perçus comme dévoreurs de temps – le micro-ordinateur, la para-
bole –, ces mêmes personnes peuvent ne pas voir l’intérêt d’appareils censés
faire gagner du temps, comme le micro-ondes ou le lave-vaisselle.

Le cadre conjugal
Avec les retraités sexagénaires que nous avons rencontrés vivant en
couple, nous avons pu nous pencher sur la « polarisation » conjugale des
usages. Celle-ci reflète la répartition traditionnelle des tâches et l’affinité
masculine pour la technique, mais on observe aussi certains usages féminins
inattendus. Il est en fait deux manières, pour les femmes, d’accéder à des
objets technologiques qui ne sont pas perçus d’emblée comme féminins. La
première correspond à des rôles familiaux qu’elles sont amenées à jouer :
rôle de responsable de la communication familiale qui en fait les spécialistes
du téléphone ; rôle de grand-mère qui peut les conduire à la programma-
tion du magnétoscope ; rôle de gestionnaire du budget, dans les milieux
populaires, qui les amène à utiliser la carte bancaire et les guichets automa-
tiques ; rôle de conjointe d’un homme malade, qui les conduit à se substi-
tuer à leur conjoint, qui ne peut plus conduire ou tondre la pelouse, et à se
familiariser avec certains objets technologiques afin de pouvoir l’assister
dans l’épreuve de la maladie. La seconde manière réside dans le fait de s’af-
firmer comme sujet autonome : certaines femmes sont personnellement
intéressées par les nouveautés technologiques, et le sont davantage que leur
conjoint ; dans d’autres cas, c’est un objet précis qui, pour des raisons bio-
graphiques, revêt pour elles une signification particulière, et son usage per-
met d’avancer dans la réalisation de soi ; quelquefois, c’est en cherchant à
prendre une certaine indépendance par rapport à leur époux qu’elles s’en-
gagent dans l’usage de certains appareils techniques.

Les relations intergénérationnelles


Considérer qu’après le départ des enfants, le ménage des parents se
trouve réduit à deux personnes et que la situation n’évolue plus – du

68
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 69

La diversité des usages des technologies…

moins jusqu’à la disparition de l’un des conjoints – occulte le fait que le


contexte familial est, en fait, beaucoup plus mouvant. En effet, les enfants
se marient, ont eux-mêmes des enfants qui, à leur tour, grandissent.
L’oublier, c’est s’interdire de comprendre tout un ensemble de change-
ments dans l’équipement en biens technologiques et dans les usages des
ménages âgés : ceux qui prennent sens par rapport à la parenté. C’est ainsi
que la maison des grands-parents se trouve « sur-équipée » afin de pouvoir
accueillir, à certaines périodes de l’année, une famille parfois nombreuse.
Par ailleurs, certains usages se trouvent « délégués » au sein de la parenté,
ce qui explique le faible équipement des retraités en caméscope et leur
usage modéré de l’appareil photo : produire les « images de famille » est,
le plus souvent, de la responsabilité des enfants. Signalons, enfin, l’impor-
tante circulation d’appareils techniques usagés au sein de la parenté.
Par ailleurs, il convient de souligner le rôle médiateur des descendants
dans l’accès aux objets technologiques : non seulement à travers les
cadeaux qu’ils offrent, mais aussi parce qu’ils mettent en place, lorsque cela
s’avère nécessaire, une véritable « assistance à l’usage ». Ce rôle de média-
tion est davantage le fait des enfants que des petits-enfants : la « transmis-
sion ascendante » assurée par ces derniers apparaît limitée, beaucoup de
grands-parents ne s’intéressant guère aux objets technologiques utilisés par
leurs petits-enfants. Seuls quelques-uns cherchent à « rester dans la
course » afin de garder le contact avec leurs petits-enfants ; les autres pla-
cent leurs relations avec leurs petits-enfants sur un autre terrain que celui
des technologies nouvelles.

Après le veuvage
Le décès du conjoint provoque, souvent, un important reflux des
usages, en particulier pour les biens d’équipement ménager. Certains
appareils deviennent des ruines techniques ; d’autres sont remplacés afin
d’ajuster leur taille à celle, désormais réduite, du ménage ; il y a même,
quelquefois, « déséquipement ». Les besoins sont moindres, et cette réduc-
tion des besoins intervient souvent dans un contexte marqué par des
séjours moins fréquents des petits-enfants et, pour les veuves, par une forte
baisse des revenus. Le décès du conjoint provoque aussi un processus d’in-
dividualisation « forcé » des activités : les usages qui avaient lieu et pre-
naient sens dans un cadre conjugal doivent désormais s’inscrire dans le
cadre d’une organisation individuelle de l’existence. Nombre d’usages se
trouvent transformés et certains appareils sont même abandonnés : c’est le
cas, en particulier, d’appareils de loisir utilisés dans le cadre des sorties
conjugales, l’appareil photo, par exemple ; ou des outils lorsque le brico-
lage dans la maison trouvait sa principale raison d’être dans le fait d’être à
deux. Se pose alors la question de savoir si le survivant se les approprie. Le
transfert d’usage peut ne pas vraiment poser de problèmes et prend alors

69
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 70

Synthèses des recherches du programme

appui sur divers mécanismes d’apprentissage : l’apprentissage par « impré-


gnation » ; le changement dans la répartition des tâches intervenu avant le
décès ; l’aide apportée au conjoint pendant la vie conjugale. Il est cepen-
dant des cas où ce transfert ne se fait pas : soit il semble impossible, l’ob-
jet technologique apparaissant trop complexe à utiliser, comme la voiture
pour les femmes ou le fer à repasser pour les hommes ; soit il s’avère déli-
cat et douloureux car l’objet évoque fortement le souvenir du disparu ; soit
enfin il ne paraît pas vraiment utile aux yeux du conjoint survivant, l’ac-
tivité à laquelle il se trouvait associé n’étant pas intégrée dans le cadre du
nouveau mode de vie qui se met en place.
A l’inverse, d’autres appareils techniques se trouvent davantage utilisés
après le veuvage : c’est souvent le cas du téléphone et, encore plus fré-
quemment, des médias domestiques (télévision et radio) qui ont cette
vertu de pouvoir donner le sentiment d’une présence et de « combler le
vide » produit par la disparition du conjoint. Par ailleurs, les modes de vie
adoptés après le décès du conjoint sont très divers ; quelques-uns déve-
loppent des centres d’intérêt nouveaux qui peuvent constituer des cadres
favorables à l’apparition de nouveaux usages.

Les effets du vieillissement


L’avance en âge se trouve aussi marquée par d’autres phénomènes qui
tiennent aux effets « propres » du vieillissement : les transformations phy-
siques et les problèmes de santé qui amènent à l’abandon de certains appa-
reils, désormais « incompatibles » et, parfois, à leur remplacement par des
substituts mieux adaptés ; le rapport à l’avenir, qui explique certaines atti-
tudes de non-équipement, d’anticipation ou de report de l’équipement ;
le processus de « déprise », qui passe par l’abandon, brutal ou progressif,
d’objets technologiques jusqu’alors couramment utilisés. De ce point de
vue, les non-usages peuvent se trouver justifiés de manière très différente :
les uns, encore « en prise » sur la modernité, mettent en avant l’argument
de l’inutilité ; les autres manifestent plutôt de l’indifférence, une
« déprise » du monde qui les entoure et un plus grand détachement par
rapport aux choses matérielles et, en particulier, par rapport aux choses
technologiques.

***

Pour que les personnes âgées s’équipent et accèdent à l’usage d’appareils


nouveaux, encore faut-il qu’elles soient intéressées. Cet « intéressement »
s’effectue à travers deux mécanismes principaux. Il faut, tout d’abord, que
ces personnes attribuent à ces appareils une signification d’usage positive,
qu’elles aient une bonne raison de s’équiper, celle-ci pouvant s’inscrire
dans une logique utilitaire ou identitaire ; ensuite, la médiation d’un tiers

70
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 71

La diversité des usages des technologies…

est parfois nécessaire pour les inciter à franchir le pas de l’équipement et


de l’usage.
Les résultats de cette recherche détonnent par rapport aux appréciations
classiquement portées sur le rapport des personnes âgées aux technologies.
Ces appréciations insistent sur l’effet de génération – les personnes âgées
ont des difficultés à adopter des technologies avec lesquelles elles n’ont pas
été familiarisées dès leur plus jeune âge –, voire sur l’effet de vieillissement
– avec l’âge, on devient frileux, conservateur et résistant à la nouveauté.
Notre approche n’a pas consisté, en effet, à essayer d’expliquer le « sous-
équipement » des personnes âgées par rapport aux plus jeunes, mais à
poser l’hypothèse de la rationalité de l’attitude des retraités à l’égard des
appareils techniques et à analyser leurs discours à propos de divers objets
technologiques. Il en ressort la nécessité, pour comprendre les usages et les
non-usages, de les rapporter au mode de vie adopté et au contexte rela-
tionnel dans lequel ils s’inscrivent, et de prendre en compte la position
occupée dans le parcours de vie. Réciproquement, les appareils techniques
constituent des « analyseurs » précieux des modes de vie des personnes
âgées. Mais ils sont aussi bien plus que des témoins de ces modes de vie :
ils contribuent à les structurer et à les transformer. Sans eux, la vie des per-
sonnes âgées ne serait pas ce qu’elle est, avec eux.

Ce texte à été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 8, avril 2000,
pp. 18-22.

Publications et communications

CARADEC V. (1998), « Usage des technologies et vieillissement : une grille de


lecture familiale et identitaire », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 1,
pp. 51-56.
CARADEC V. (1999), « L’usage des technologies par les personnes vieillissantes »,
Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 1 », n° 26, pp. 8-25.
CARADEC V. (1999), « Les médiations personnelles entre personnes âgées et
objets techniques », Évolutions technologiques et vieillissement des personnes,
Séminaire de recherche, 9-10 février 1999, MiRe-DREES/CNAV, pp. 22-27.
CARADEC V. (1999), « Usage des technologies et vieillissement : une grille de
lecture familiale et identitaire », dans Évolutions technologiques, dynamique des
âges et vieillissement de la population. Document d’étape (existe en version
anglaise), MiRe-DREES/CNAV, pp. 36-46.

71
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 72

Synthèses des recherches du programme

CARADEC V. (1999), « Vieillissement et usage des technologies. Une perspec-


tive identitaire et relationnelle », Réseaux, « Communication et personnes
âgées », vol. 17, n° 96, pp. 45-95.
CARADEC V. (2000), « Ce que les objets technologiques nous disent des rela-
tions familiales : l’exemple des personnes âgées et des “objets technolo-
giques” », Dialogue, « La signification familiale des objets », n° 148, pp. 48-
58.
CARADEC V. (2000), « La diversité des usages des technologies. Étude auprès de
couples à la retraite et de personnes âgées veuves », Rapport final MiRe-
CNAV, Contrat EDF, 293 p.
CARADEC V. (2000), « O que os objetos technológicos dizem sobre as relações
familiares : o caso dos aposentados », in Ehlers-Peixoto Clarice, de Singly
François, Cicchelli Vincenzo (eds), Família e Individualização, Rio de Janeiro,
Editora FGV.
CARADEC V., LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « Adaptation de
l’habitat et nouvelles technologies », Les Cahiers de l’Unassad, « L’aide à domi-
cile : Repères pour l’avenir », numéro spécial, pp. 75-94.
CARADEC V. (2001), « “Personnes âgées” et “objets technologiques” : une pers-
pective en termes de logiques d’usage », Revue française de sociologie, vol. XLI-
1, pp. 117-148.
CARADEC V. (2001), « Générations anciennes et technologies nouvelles »,
Gérontologie et Société, « Avoir 20 ans, avoir 100 ans en l’an 2000 », numéro
spécial, pp. 71-91.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 73

LES USAGES ET LES USAGERS

Réseaux de communication et vieillissement :


transformation des réseaux sociaux et des
usages des télécommunications à la retraite

Michael Eve*, Zbigniew Smoreda**

Cette recherche explore les attitudes et les comportements de « jeunes retraités »


– ayant entre 57 et 67 ans et étant à la retraite depuis deux à six ans – vis-à-
vis des objets techniques, en particulier ceux qui se rapportent aux télécom-
munications : du téléphone fixe et mobile au courrier électronique, en passant
par les services fournis par Internet, etc. Les déterminants sociaux des conduites
observées apparaissent comme la résultante des parcours et des styles de vie,
mais aussi de certaines préoccupations plus particulièrement présentes lors du
passage à la retraite, notamment le souci de maintenir en activité divers
réseaux de relations sociales.

Le taux modeste d’équipement en ordinateurs parmi les retraités a par-


fois provoqué des inquiétudes sur la capacité d’adaptation aux nouvelles
technologies de communication et à la société de l’information des géné-
rations ayant une expérience limitée de contact avec l’informatique.
Existe-t-il des résistances chez les « jeunes retraités » par rapport aux nou-
veaux moyens de communication ? Comment ces personnes adoptent-
elles une innovation technique ? Nous avons essayé d’aborder ces ques-
tions à travers une recherche qui combine l’étude des réseaux sociaux de

* Université de Turin.
** Laboratoire créativité, usages et ergonomie, France Télécom recherche et développement, Issy-les-
Moulineaux.

73
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 74

Synthèses des recherches du programme

ces personnes avec l’étude de leurs attitudes envers la technologie et de


leurs pratiques de communication. L’hypothèse de départ était que le
réseau personnel joue un rôle fondamental dans la transmission des infor-
mations et, plus généralement, dans la formation des attitudes vis-à-vis des
innovations et quant à leur pertinence pour « une personne comme moi ».
Comment le réseau social d’une personne peut-il influencer son com-
portement dans le champ des technologies de communication ? En pre-
mier lieu, l’entourage familial et amical peut fournir des conseils ou de
l’assistance technique, quelquefois de l’instruction, tout cela facilitant
l’adoption des technologies. Nous avons effectivement observé beaucoup
de cas de ce type parmi les personnes rencontrées. Pourtant, nous avons
remarqué aussi des obstacles à ce processus de diffusion des savoirs. En
fait, le type de relations qui existe entre les membres de la famille ou entre
amis ne permet pas toujours l’établissement d’une vraie relation d’appren-
tissage avec le retraité. L’idée que les petits-enfants pourront enseigner les
derniers acquis de l’informatique à leurs grands-parents semble parfois
vaine.
Mais le réseau social revêt aussi une importance d’un autre ordre :
quand les personnes du réseau du retraité commencent à établir un style
de vie qui incorpore un nouveau moyen technique, les retraités ont ten-
dance à valoriser l’objet en question, qui acquiert parallèlement un « sens »
et devient « utile ». Quand l’Internet, par exemple, est perçu comme
nécessaire pour maintenir une communication familiale (dans le cas
notamment où un enfant part pour l’étranger), les retraités sont fortement
incités à se lancer dans l’usage de technologies, à adopter l’e-mail comme
mode de communication. Le lien avec une valeur forte comme l’unité
familiale valorise alors l’objet technique qui auparavant ne trouvait pas
place dans l’arsenal des outils de communication.
L’adoption d’une innovation comme Internet, mais également la façon
d’utiliser un objet technique aussi familier que le téléphone sont inévita-
blement influencées par les formes de relations existant à l’intérieur du
réseau social. Le téléphone est utilisé en grande partie comme instrument
pour maintenir les contacts avec la famille et les amis. Les femmes – habi-
tuellement déléguées à la gestion des rapports de famille – deviennent
alors les « spécialistes » du téléphone, tandis que beaucoup d’hommes ren-
contrés se sentent moins à l’aise et déclarent moins de compétences dans
la conversation téléphonique. L’analyse du trafic téléphonique observé
chez nos retraités montre bien comment l’utilisation d’un objet technique
est lié à l’implication dans des pratiques sociales qui incorporent cet objet.
Les réseaux personnels des retraités ont naturellement un intérêt de
recherche en soi indépendamment du rôle qu’ils peuvent jouer dans le
processus de la diffusion des innovations ou de consommation de biens.
Aussi présentons-nous les résultats sur les dynamiques qui sous-tendent les

74
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 75

Réseaux de communication et vieillissement…

formes de réseaux sociaux des retraités en nous focalisant surtout sur les
relations en dehors de la famille.

Matériel et méthodes

1) Un corpus de 45 entretiens approfondis, conduits auprès de retraités


âgés de 57 à 67 ans, a permis de recueillir des données sur :
● Les usages des télécommunications (équipement possédé, type d’utilisa-

tion, motivations de l’achat, problèmes d’apprentissage, de panne et


manière de résoudre ces problèmes, attitudes vis-à-vis de la technologie,
raisons pour la non-utilisation de certains objets technologiques) ;
● Les biographies individuelles : vie professionnelle, passage à la retraite,

relations amicales et familiales dans le passé et maintenant.

2) Pour les personnes qui avaient accepté l’analyse de leur trafic télépho-
nique, nous avons procédé à une description plus détaillée du réseau
social à travers l’identification des correspondants téléphoniques à partir
des données de facture. L’analyse du trafic téléphonique a fourni des don-
nées « objectives » sur les usages téléphoniques et les pratiques de com-
munication avec les amis et la famille.

L’utilité : un concept complexe

Les entretiens montrent clairement l’importance que la notion de l’uti-


lité revêt dans les attitudes des consommateurs. Les personnes interrogées
qui n’utilisaient pas un objet technique justifiaient presque toujours ce fait
en termes d’utilité (« je ne vois pas l’utilité de ça pour nous »). Mais l’« uti-
lité » se révèle un concept bien complexe. Il ne s’agit pas en effet d’une
simple correspondance entre des besoins préexistants de la personne et un
potentiel déjà défini de l’objet technique. D’ailleurs, les personnes inter-
rogées ont rarement eu la possibilité d’expérimenter personnellement les
fonctions d’un nouvel objet technique et la place qu’elles pouvaient avoir
dans leur vie avant de décider l’achat. L’idée qu’un objet soit utile ou pas
est donc surtout une construction imaginaire. On ne fait pas un calcul
froid des avantages et des coûts, mais l’on construit le degré d’utilité ou le
caractère superflu d’une machine sur la base des enthousiasmes ou, au
contraire, du scepticisme et de la distanciation à son égard. Décrire un
objet comme « utile » veut dire en principe le justifier ; l’utilité perçue
contient par conséquence un élément « idéologique ». Cela semble vrai
aussi bien chez les utilisateurs que chez les non-utilisateurs. Les utilisateurs
interviewés (du répondeur, du courrier électronique, des nouvelles fonc-
tions de l’appareil téléphonique, etc.) étaient ainsi prédisposés à trouver
utile l’objet en question, parce qu’ils trouvaient « amusante » sa nouveauté

75
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Synthèses des recherches du programme

et n’étaient pas dérangés par le temps passé à apprendre de nouvelles pra-


tiques, qu’ils aimaient bien. En revanche, les sceptiques remarquaient
immédiatement tous les désavantages et toutes les imperfections de l’objet
en le jugeant frivole, irritant, de mauvais goût, parallèlement au désintérêt
affiché pour les fonctions nouvelles attribuées à cet objet. La réaction au
téléphone mobile ou à l’Internet renvoyait aux styles de vie qu’elles asso-
ciaient à ces outils.
La fréquente référence à l’utilité, dans les déclarations des personnes
interviewées, semble en grande partie un jugement sur la valeur sociale des
objets et des fonctions qu’ils rendent possibles. Pour cette raison, lier l’ob-
jet et une bonne raison d’utilisation s’avère crucial dans l’adoption d’une
innovation technique. Ainsi la motivation la plus fréquente pour l’adop-
tion du courrier électronique (et donc de l’Internet) parmi les personnes
rencontrées était-elle la mutation d’un enfant à l’étranger. Quand l’e-mail
« voulait dire » maintenir le lien familial, les personnes n’hésitaient pas à
justifier la dépense pour l’équipement nécessaire et apprenaient sans beau-
coup de difficultés les compétences nécessaires pour l’utiliser. Parfois, il
s’agissait de messages assez complexes où l’on n’envoyait pas seulement du
texte mais aussi des images photographiques, de la musique, etc.
Dans certains cas, c’était la participation à une association qui déclen-
chait la perception d’un objet technologique comme suffisamment utile
pour justifier la dépense et l’adoption. Certains militants qui n’avaient
jamais utilisé un téléphone mobile, un fax, un ordinateur ou l’Internet se
sont lancés dans l’achat et l’apprentissage dans la perspective d’augmenter
l’efficacité et le professionnalisme de leur association. Encore une fois, il
semble que ce seraient les autres qui fournissent des critères quant à l’« uti-
lité » ou la « nécessité » d’un objet technique. Ici, le but collectif de main-
tenir le niveau des prestations de l’association confère une valeur à l’objet
technique en le rendant « utile ».
En revanche, des innovations dont le but affiché est d’épargner le temps
ou l’effort à l’individu lui-même par élimination des déplacements (par
exemple, banque en ligne ou téléachat) n’étaient pas valorisées par nos
interviewés de la même façon. Elles ont même souvent été perçues comme
négatives. Les services de ce type étaient associés à un handicap et, par ce
biais, avec les craintes des limitations futures : « pour les gens handicapés,
ça peut être très pratique, mais moi je n’en suis pas encore là ! » Plusieurs per-
sonnes ont ainsi souligné qu’elles préféraient sortir de chez elles, bouger un
peu, rencontrer des gens, échanger quelques mots avec le personnel des
magasins, de la banque, etc. Il est alors significatif dans ce contexte que les
personnes interrogées semblaient attentives au risque que leur réseau social
et leur gamme d’activités se réduisent graduellement. Si l’on imagine que
le maintien des liens et des contacts est une valeur importante, il devient
compréhensible que les services de ce type seront difficilement valorisés,

76
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 77

Réseaux de communication et vieillissement…

du moins parmi les « jeunes retraités ». En fait, les services d’achat en ligne
étaient utilisés presque uniquement dans des contextes spécifiques, par
exemple quand il y avait un risque que les billets (d’avion, de théâtre, de
train…) ne soient plus disponibles si on ne les achetait pas tout de suite.
L’image d’Internet comme un instrument d’isolement et de déshuma-
nisation de la vie quotidienne joue un rôle important dans l’hostilité que
certaines personnes expriment envers les nouvelles technologies. Les com-
mentaires de ce type sont en effet assez fréquents parmi ceux qui décla-
raient ne pas vouloir essayer Internet.

Conseils et aides des parents et des amis

Certains membres du réseau social (en premier lieu le conjoint, puis les
enfants, et dans une moindre mesure les autres parents) constituaient des
sources précieuses d’aide, d’information et de conseil sur l’achat, l’instal-
lation et le fonctionnement des objets de télécommunications. Mais il est
clair aussi que les rôles familiaux étaient souvent jugés incompatibles avec
une relation d’apprentissage qui suppose la transmission d’informations
parfois complexes. Par exemple, les retraités rencontrés ne voulaient pas
« déranger » leurs enfants, et ceux-ci souvent trouvaient plus facile de
résoudre eux-mêmes un problème ou une panne plutôt que d’expliquer
aux parents (et les rendre autonomes). De même, les enfants (ou les petits-
enfants) essayaient rarement de convaincre leurs parents de se lancer dans
une grande innovation technique parce que, en général, il existait un
accord tacite sur la différence des générations et la différenciation des
outils de communication utilisés et « utilisables ».
En revanche, les amis et la famille ont probablement influencé les com-
portements d’une manière plus subtile, puisque nous avons constaté
parmi les retraités interviewés que ceux qui avaient adopté une innovation
(Internet, mais aussi le téléphone mobile) ne l’avaient jamais fait seuls.
Dans tous les cas étudiés, il y a d’autres personnes dans leur réseau ayant
déjà adopté l’objet en question. Il semble donc vraisemblable que la dif-
fusion des innovations passe par des réseaux personnels.

Usages et styles de sociabilité

Les données sur le réseau social et sur le trafic téléphonique des retrai-
tés montrent clairement l’existence de règles implicites relatives aux per-
sonnes à qui l’on peut téléphoner, à quelle heure, à quel sujet, etc. Cela
illustre bien le type de mécanismes qui poussent certaines catégories de
personnes à une utilisation intense de ce moyen de communication tandis

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Synthèses des recherches du programme

que d’autres restent réservées. Dans ce sens, l’étude des comportements se


rapportant à un moyen de communication bien connu, comme le télé-
phone, aide à comprendre les comportements dans d’autres secteurs de la
technologie de communication. Les données du trafic téléphonique mon-
trent, par exemple, de fortes régularités dans la distribution temporelle des
appels, correspondant au fait que nos interviewés essaient de trouver le
bon moment pour communiquer avec leurs proches sans les « déranger ».
Le moment où l’on peut appeler et la fréquence des appels dépendent
naturellement du type de relation entre les personnes impliquées.
Cependant, même à l’intérieur de la famille, il y a de fortes différences
quant au « droit » et au « devoir » d’appeler. Ainsi, on peut remarquer que
le volume des appels des retraités ayant un enfant qui a lui-même des
enfants est nettement plus élevé que celui des appels vers un enfant sans
enfants. Les retraités ressentent le « devoir » d’appeler quand il y a des
petits-enfants : pour « avoir des nouvelles », pour les maladies, la garde des
enfants, tout simplement pour maintenir la réciprocité des communica-
tions ; mais ils estiment aussi avoir le « droit » d’appeler. Cela produit un
flux d’appels plus fort que vers un enfant qui habite en couple mais sans
enfant, où l’on a plus de crainte de venir « envahir » la « vie privée ».
Beaucoup de conversations téléphoniques à l’intérieur de la famille
concernent les enfants, la santé, les questions quotidiennes de la gestion
domestique. Cela est en partie lié à la « spécialisation » des femmes dans
la communication téléphonique. Dans presque tous les cas étudiés, c’était
la femme qui passait la plupart des appels, répondait quand l’appareil son-
nait et restait au téléphone plus longuement que son mari. Les hommes de
la génération que nous étudions ici semblent déléguer à leurs épouses l’uti-
lisation du téléphone et plus généralement le « travail relationnel ».
Plusieurs hommes déclarent ainsi leurs préférences pour les communica-
tions brèves et « pratiques » au téléphone et ne se sentent pas à l’aise dans
la conversation téléphonique. Il est aussi intéressant de remarquer que cer-
tains expriment une préférence pour l’utilisation de l’e-mail.
L’examen de ces différences dans l’utilisation du téléphone montre que
l’utilisation d’un outil technique est une question qui tient à la construc-
tion des pratiques qui l’incorporent. Les femmes ont intégré davantage
que les hommes le téléphone dans leurs pratiques de maintien des rela-
tions de famille, donc elles en usent plus souvent.
Les différences existant dans les styles de vie peuvent expliquer aussi les
autres différences relevées dans les données de trafic téléphonique quant à
la fréquence d’utilisation en fonction de la classe sociale et de la région. La
classe sociale (attribuée sur la base de l’ancienne profession) continue à
avoir des forts effets sur le volume de trafic. Il s’agit, en partie, de diffé-
rences dues au niveau de revenu. Mais il est aussi probable que les styles
de sociabilité caractérisant différents milieux sociaux influencent le com-

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Réseaux de communication et vieillissement…

portement téléphonique. On peut faire une observation similaire en ce qui


concerne les écarts significatifs repérés entre les ménages parisiens et pro-
vinciaux. Il semble possible, par exemple, qu’un style de vie axé sur les ren-
contres en groupe – des réunions régulières de famille, les rencontres avec
les amis dans un club, etc. – soit associé avec un plus bas niveau d’utilisa-
tion du téléphone, parce qu’on peut facilement avoir des « nouvelles » de
tout le monde, sans avoir besoin d’appeler. Le devoir d’appeler est alors
moins prononcé et il n’est même pas nécessaire de téléphoner pour fixer
des rendez-vous si les rencontres se tiennent le même jour et à la même
heure. Dans un style de vie basé essentiellement sur les contacts indivi-
duels, par contre, le téléphone prend plus de place.
Il n’est pas étonnant de découvrir que pour toutes les personnes ren-
contrées qui avaient des enfants, le premier correspondant était un enfant.
Les seules exceptions étaient deux personnes qui appelaient fréquemment
leur mère âgée et vivant seule. L’importance des relations avec les enfants,
les petits-enfants et les parents dans la vie sociale des retraités est bien
connue. Mais les données du trafic téléphonique ne confirment pas une
vision des relations sociales limitées aux seuls liens « verticaux » entre les
générations et rappellent l’importance d’autres relations. Pour plusieurs
interviewés, les contacts avec les frères/sœurs étaient fréquents et, dans cer-
tains cas, ceux avec un cousin, une nièce, une belle-sœur pouvaient être
bien plus importants. Si les contacts avec les amis étaient souvent épiso-
diques, le total des contacts avec tous les amis rivalisait pour plusieurs des
personnes interrogées avec ceux qui étaient établis avec les enfants.

Les relations sociales après la retraite

Les relations sociales sont-elles destinées à se restreindre après le départ à


la retraite ? La recherche a apporté quelques contributions aux connaissances
sur le réseau social et sur les dynamiques qui sous-tendent les rapports avec
les amis et les connaissances, quelques années après le départ à la retraite.
Nous avons observé qu’à cet âge, l’amitié n’impliquait pas forcément
des contacts très fréquents. Parfois, la rareté des contacts s’explique par la
distance géographique, mais même quand les personnes n’habitent pas
loin les unes des autres, elles préfèrent souvent voir les amis les plus
proches dans des circonstances spécifiques comme les vacances, un voyage,
une randonnée, un dîner de temps en temps… L’amitié est ici considérée
comme une relation hors du rythme et de l’emploi du temps quotidiens.
Les entretiens contiennent aussi quelques observations intéressantes sur
les changements qui se produisent après la retraite dans les relations avec
des amis qui étaient aussi collègues de travail ou confrères. Le fait que les
problèmes du métier soient moins urgents ou mis en arrière-plan semble

79
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Synthèses des recherches du programme

effectivement réduire l’intensité des conversations et des échanges entre les


anciens amis.
Les opportunités de former de nouvelles amitiés semblent aussi limitées
parce que les contextes adaptés à la naissance d’une relation amicale ne
sont pas très fréquents dans la vie des retraités. On y trouve rarement des
« actions » qui pourraient faire « l’union ». Presque toutes les personnes
interrogées avaient commencé de nouvelles activités dans les deux années
suivant leur départ à la retraite (cours, conférences, activités sportives et de
loisirs, danse, bénévolat, etc.). Leur but explicite était l’espoir d’élargir un
peu le réseau social, de trouver de la compagnie agréable, même peut-être
quelques amis. En réalité, l’intégration dans un groupe n’était pas toujours
facile et cela figure parmi les raisons principales d’abandon des activités,
notamment pour celles qui ont été commencées avec enthousiasme.

***

Si des études précédentes avaient déjà mis en évidence l’importance des


usages sociaux dans le processus de diffusion des innovations techniques,
nos entretiens ont mieux cerné la notion d’« utilité ». Cela semble avoir
des implications en matière d’usage des services de télécommunications
chez les retraités Dans la planification de la demande pour les services des
télécommunications, il faut rappeler la spécificité des priorités des retrai-
tés, par exemple une certaine attention au maintien des relations sociales
et de l’activité.
Les obstacles à la diffusion de nouveaux moyens de communication ne
semblent pas tellement les difficultés d’apprentissage (peu mentionnées
par les personnes rencontrées) ou les rigidités mentales, mais plutôt le
manque d’éléments qui contraignent ou motivent les personnes de tout
âge concernant l’adoption d’une nouvelle technologie. Par définition, les
retraités ne sont pas assujettis aux contraintes du travail. Mais ils sont tou-
jours sujets à des pressions sociales plus générales et nous en avons remar-
qué l’effet sur l’achat du téléphone mobile. Toutefois les pressions de ce
genre ne suffisent pas toujours à convaincre ces personnes. Il reste beau-
coup de « sceptiques » parmi les retraités qui ne sont pas convaincus de la
valeur, de l’intérêt ou de l’utilité des innovations technologiques (cf. en
particulier le cas d’Internet).
L’étude du trafic téléphonique fait émerger des différences significatives
par sexe, ancienne profession et région. De telles différences confirment
les distinctions trouvées dans d’autres tranches d’âge et ne sont pas spéci-
fiques aux retraités.
Le recherche apporte aussi des contributions à notre connaissance des
transformations du réseau social dans les années suivant la retraite. Le
réseau d’amis et de parents reste assez vaste et varié chez la plupart des per-

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Réseaux de communication et vieillissement…

sonnes interrogées, mais il y a peu d’occasions de le renouveler. Nous


avons avancé quelques raisons à cet état des choses, en mettant en évidence
les conditions sociologiques nécessaires pour la formation d’une relation
amicale ou de connaissance.

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 12, août
2001, pp. 51-54.

Publications et communications

EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Entre utilité et obligation : les retraités et les
technologies de communication », La Lettre d’usages, n° 11, FTR&D.
EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Jeunes retraités, réseaux sociaux et adoption
des technologies de communication », Retraite et Société, « Technologie et
vieillissement – 3 », n° 33, pp. 22-51.
EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Réseaux de communication et vieillissement :
transformation des réseaux sociaux et des usages des télécommunications à la
retraite », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat PUCA, 113 p.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 83

LES USAGES ET LES USAGERS

Les produits techniques dans les échanges


entre les vieilles personnes, leur entourage
et les services d’aide à domicile

Serge Clément*, Marcel Drulhe**,


Christine Dubreuil***, Michèle Lalanne****,
Jean Mantovani*****, Sandrine Andrieu******

La question du rapport des vieilles personnes aux produits techniques ou tech-


nologiques ne peut se limiter à celle du rapport à tel ou tel objet technique par-
ticulier. Elle relève plus fondamentalement d’une analyse des modalités de
vieillissement, des formes de « déprise » par rapport à certaines activités ou
objets et des caractéristiques de la mobilisation et du soutien, familial et pro-
fessionnel. C’est dans un second temps seulement que l’analyse des usages des
produits techniques apparaît pertinente. Les apports de cette recherche sociolo-
gique illustrent combien l’usage des objets techniques dépend des relations que
les personnes âgées entretiennent avec elles-mêmes et avec les autres. Cette
recherche a été conduite auprès de personnes âgées de 79 à 95 ans.

Cette étude entre dans le cadre de nos recherches sur le vieillissement


analysé comme processus de « déprise ». Il s’agit, à propos de diverses

* CIEU, université de Toulouse Le Mirail.


** CERS, CNRS, université de Toulouse Le Mirail.
*** BGM Euro Conseil et U 518, INSERM, Toulouse.
**** CERTOP, CNRS université de Toulouse Le Mirail.
***** ORS Midi-Pyrénées.
****** U 518, INSERM, Toulouse.

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Synthèses des recherches du programme

dimensions de la vie quotidienne, pour une population âgée vivant à


domicile et se recrutant dans des milieux sociaux variés, de décrire les pro-
cessus de réaménagement de la vie liés à l’avance en âge. La théorie
ancienne du désengagement, née dans la sociologie nord-américaine des
années 1960, insistait sur le retrait des plus âgés de la vie sociale. Toutefois,
des observations répétées, tant en milieu rural qu’urbain français, permet-
tent au contraire de montrer les multiples négociations à l’œuvre au cours
d’une période où il s’agit de « retoucher » son identité personnelle en fonc-
tion des modifications de ses compétences propres – perçues ou pressen-
ties – de sa trajectoire de vie, du cadre normatif concernant la vieillesse. La
notion de déprise s’attache à signifier à la fois :
● une volonté d’acteur, exprimée par les stratégies de prévention du

vieillissement qu’elle manifeste ;


● une tendance à « lâcher prise » par rapport à certaines activités, mais

pour mieux en « tenir » d’autres ;


● une inscription dans un réseau de relations où sont mises en jeu les

valeurs d’autonomie individuelle.

Méthodologie

42 situations de vieillissement ont été analysées, à la suite du recueil de 101


entretiens, incluant l’entourage familial ou professionnel des vieilles per-
sonnes. Les 42 personnes, âgées de plus de 79 ans, ont été sélectionnées
à partir d’un fichier constitué en 1994 à l’occasion d’une étude épidémiolo-
gique menée dans le département du Tarn. Ce fichier contenait 3 000
adresses représentatives de la population âgée du département, dont un
certain nombre de variables pouvaient être connues : âge, sexe, situations
matrimoniales et de cohabitation. C’est selon ces critères que nous avons
opéré notre choix dans trois sites géographiques bien distincts : en milieu
urbain (dans la seconde ville du département), dans une commune-bourg,
dans deux cantons ruraux.
Cet échantillon comporte 23 femmes et 19 hommes et les trois quarts n’ont
pas de conjoint ; ces personnes ont entre 79 et 95 ans, leur âge moyen est
de 86 ans ; la moitié d’entre elles vit seule ; les deux tiers sont propriétaires
de leur logement ; un peu plus du quart sont agriculteurs, et dans la même
proportion employés-ouvriers, un peu moins du quart cadres et le reste
artisans-commerçants. Les niveaux de santé et d’aide reçue sont très
diversifiés. Les vieilles personnes ont été interrogées sur leur vie en géné-
ral, la question des objets n’étant posée par les enquêteurs que de manière
« opportuniste ».

Il s’agit de mieux comprendre dans quels contextes et sous quelles


conditions les objets prennent ou non place dans un processus de familia-
risation, de définir quelle situation ils occupent dans la négociation du
vieillissement, dans le jeu entre la préservation de soi et le maintien du lien

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Les produits techniques dans les échanges…

avec les autres, entre le sentiment du vieillir et l’injonction à vieillir, entre


la sauvegarde de son autonomie de décision et la mise en dépendance.
Les entretiens menés auprès de personnes de 79 ans et plus et de
membres de leur entourage (voir encadré) montrent que les objets tech-
niques sont inextricablement mêlés aux relations familiales et sociales. Les
formes du vieillissement se développent dans des univers relationnels par
lesquels les vieilles personnes tentent de maintenir leur continuité identi-
taire selon deux pôles principaux : les liens familiaux et les relations hors
famille. A cette inscription dans les mondes d’appartenance, qu’ils soient
sociaux, territoriaux ou temporels, correspond autant de négociations sur
les changements en cours relatifs à l’autodétermination individuelle dans
le processus de vieillissement : jusqu’où peut-on aller dans une demande
de soutien et auprès de qui ?
Nous avons en outre choisi d’exposer dans ce texte certaines formes
d’usage qui, si elles ne recouvrent pas l’ensemble des pratiques de tel ou tel
objet, nous paraissent néanmoins exemplaires.

Le téléphone comme instrument de protection

Si la disponibilité en appareil téléphonique est générale, les usages en


sont fort divers. Ils apparaissent toutefois très marqués par l’empreinte
familiale. Les aménagements de l’accès à l’appel se réalisent surtout dans
un cadre familial : un proche qui écrit des numéros fréquents en gros
chiffres, ou qui les enregistre à l’aide des touches à mémoire, ou qui fait
cadeau d’un combiné plus pratique, avec haut-parleur par exemple. Le
téléphone est par excellence l’outil privilégié de la surveillance familiale,
laquelle s’exerce dans les deux sens puisqu’il faut pouvoir se rassurer faci-
lement sur son proche âgé et faire en sorte qu’à son tour ce dernier puisse
alerter en cas de besoin. L’usage du téléphone permet de concilier le souci
de protection que l’on doit à ses vieux parents et la volonté d’autonomie
par l’habitat séparé. En situation de cohabitation intergénérationnelle,
l’utilisation de l’appareil est peu le fait des plus vieux, par contre elle rentre
pleinement dans le cadre de « l’intimité à distance » développée lorsque
l’éloignement est plus grand.
Ainsi une fille « responsable » du soutien de ses parents était en lien
téléphonique constant avec ses sœurs (habitant tout près d’eux) et les ser-
vices professionnels, alors qu’elle-même vivait à 800 kilomètres de ses
parents. Des amis, des voisins, des professionnels d’aide peuvent s’inscrire
ou être enrôlés dans ce réseau de protection, mobilisable rapidement en
cas de coup dur. Les initiatives des vieilles personnes sont relativement
faibles pour ce qui est de l’équipement en matériel de téléphonie nouveau,
à moins qu’elles ne se soient équipées bien avant le processus de déprise :

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 86

Synthèses des recherches du programme

ainsi le répondeur apparaît à beaucoup comme un obstacle à l’immédia-


teté de la relation. Instrument de la relation entre proches, le téléphone ne
supporte d’être aménagé que par l’initiative de ceux qui apparaissent
comme des protecteurs privilégiés.

Le magnétoscope, sans intérêt,


à moins qu’il ne participe au lien familial

L’usage du magnétoscope reste limité. Il est devenu parfois une « ruine


technique » lorsque, acheté comme tout autre objet de consommation
courante, il n’a pas ensuite fait la preuve de son intérêt. Deux arguments
sont développés à ce sujet. Tout d’abord, il apparaît, pour cette génération
valorisant beaucoup le travail, comme le symbole d’une société du loisir,
aux valeurs de laquelle on n’a jamais véritablement adhéré. Ensuite, il ne
rentre pas dans une gestion du temps en phase avec le temps de la
vieillesse, temps « où on est là ». « Autant je l’écoute (la télévision) si je suis
dans la maison, pas la peine d’avoir un magnéto pour enregistrer : si je suis
là… ».
Par contre, cet appareil peut être le support de liens entretenus avec la
famille, à condition que le matériel et l’usage soient quasiment prescrits
par les membres de l’entourage. Ainsi, si le magnétoscope est offert, les
cassettes vidéo le sont aussi, sans que l’usage de l’appareil dépasse le mode
lecture. Parfois les enfants demandent à leur père qu’il se charge, à partir
du matériel reçu en cadeau, de l’enregistrement d’émissions pour les
petits-enfants. Ou encore un gendre amène avec lui un magnétoscope
qu’il branche sur la télévision de ses beaux-parents pour leur montrer les
vidéos qu’il réalise. Le type de liens dans lequel entrent ces usages est celui
de l’interdépendance, où les relations ne sont pas considérées par chacun
des partenaires comme de l’aide à sens unique, et l’on considère les plus
âgés comme relativement « actifs » dans les relations.

L’audiovisuel de création
comme marqueur de l’ancrage dans la modernité

Un ensemble de « lettrés », anciens cadres ou professions libérales,


représentants d’une génération pour laquelle faire des études restait l’ex-
ception, se distingue par l’acquisition et l’usage, au moins jusqu’à une date
récente s’ils les ont maintenant en partie délaissés, d’objets au service de la
création. Appareils photos, caméscopes, appareils de projection, ordina-
teurs, tables de montage et leurs produits (collections de diapos, de films,
de textes philosophiques ou poétiques) constituent autant de marques

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 87

Les produits techniques dans les échanges…

d’adhésion à la modernité au sens du commerce avec les objets relevant


d’une certaine technicité. Leur discours sur les qualités et les avantages de
ces objets ne faiblit pas malgré l’âge (81 à 92 ans) et certains ont choisi des
systèmes de télésurveillance pour leur domicile. Cette forme d’emprise sur
la modernité est caractéristique d’hommes qui ont une santé relativement
bonne. Vieillir autonome est leur modèle, qui prône l’autonomie du
couple âgé (ou de la personne seule) vis-à-vis des enfants ; ni dépendance
ni interdépendance, mais autodétermination des parents comme des
enfants. Ce modèle, sans négliger les relations familiales, et même parfois
en exaltant la continuité transgénérationnelle, privilégie la sociabilité et les
relations extra-familiales.

La voiture comme enjeu de l’autonomie

La conduite automobile apparaît comme un élément fort de l’autono-


mie chez ceux qui ont eu l’habitude de la pratiquer. Elle symbolise les pos-
sibilités de déplacement personnel, particulièrement pour les hommes,
dans l’esprit de pouvoir « faire ce que l’on veut » sans avoir à demander à
quelqu’un. Mais l’entourage, généralement, prend les devants pour
conseiller des limitations de la conduite. Les négociations entre celui qui
se sent toujours conducteur en puissance et les proches familiaux s’orga-
nisent sur les questions de compétence : d’une part à conduire, d’autre
part à aider au déplacement. Malgré les injonctions des autres, malgré
l’observation des premières difficultés personnelles, qui affectent en parti-
culier les sens, l’abandon de la conduite ne se réalise généralement que
sous la forme d’un processus très lent. D’ailleurs, les cas où la voiture est
cédée à quelqu’un ou vendue alors que son propriétaire est en vie semblent
très rares, comme si on ne renonçait jamais à l’idée de s’en servir à nou-
veau. Aussi, les stratégies de limitation de son usage sans abandon brutal
dominent : on joue sur le temps et sur les espaces d’usage. On choisira de
circuler au volant de sa voiture seulement le jour, seulement aux heures
creuses, on limitera ses territoires aux circuits les plus familiers, on évitera
de prendre des risques pour pouvoir continuer à piloter sa voiture pour les
sorties essentielles : aller chez un enfant, aller pratiquer ce qui est devenu
son dernier loisir, la chasse, par exemple.
Peu à peu on accepte de se faire transporter dans certaines occasions
(mais elles restent des occasions), qui indiquent qu’une nouvelle étape de
la déprise est franchie. Les négociations autour de la conduite donnent le
ton des relations entre les plus âgés et leurs proches plus jeunes, car ce sont
des définitions identitaires qui sont en jeu : comment devenir un parent
incompétent en conduite en restant un parent, comment devenir un
enfant capable de soutenir un parent vieillissant sans mettre le doigt sur les

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Synthèses des recherches du programme

défaillances liées au vieillissement. Les solutions techniques à un problème


qui semble dépasser le cadre strict de la conduite sont rares : voiture à
embrayage automatique ou reconquête des transports en commun appa-
raissent comme des ressources marginales.

Le micro-ondes, sans lien stigmatisant avec le vieillissement

Certains ont acquis, ou ont reçu en cadeau un four à micro-ondes, par-


fois il y a longtemps. Leur adhésion à la société contemporaine passait
alors par l’entrée dans la maison des objets techniques les plus représenta-
tifs. Pour d’autres, il s’agit d’une décision plus récente, consécutive bien
souvent au veuvage, même si le lien n’est pas forcément fait par les vieilles
personnes elles-mêmes. Les hommes, moins identifiés socialement avec la
production de repas, sont les moins réticents à utiliser le micro-ondes,
mais des femmes, parfois après des épisodes de rupture dans leur quoti-
dien – hospitalisation, accueil temporaire chez un enfant – adoptent cette
technique, parfois sur les conseils des services professionnels. C’est essen-
tiellement la fonction réchauffage qui est utilisée par ces nouveaux
adeptes, car c’est souvent la consommation des repas portés ou plus géné-
ralement pré-préparés, par un familier ou par un traiteur, qui a poussé au
choix de la méthode. Les plats pré-préparés semblent autant répondre au
souci de la contrainte de sortir pour effectuer des courses quasi quotidien-
nement qu’à celle de la préparation des repas proprement dite. Mais ceux
et celles qui ont opté pour le micro-ondes ne se sentent pas pour autant
désignés du fait de l’utilisation de cet appareil, comme devenus « plus
vieux ». L’éventuelle discussion sur son acquisition peut porter sur les dan-
gers qu’il représente pour la santé – la réputation d’engin cancérigène, par-
tagée aussi par d’autres classes d’âge –, ou sur sa commodité, ou encore sur
son double emploi par rapport à d’autres moyens, voire sur la place qu’il
faudra lui trouver dans son intérieur. Mais le micro-ondes ne concerne pas
véritablement la vieillesse. Nous avons là le cas d’un objet technique qui
peut être apprécié dans une stratégie de maintien de l’autonomie indivi-
duelle sans porter les stigmates de l’objet « gérontologique ».

La télévision comme commun dénominateur

Au moins un poste de télévision est présent dans tous les ménages, et


l’enquête montre que le poste lui-même ou la télécommande sont des
outils sans véritables qualités spécifiques. L’ensemble ne vaut que par ce
qu’il produit. Parmi les produits télévisuels favoris des personnes rencon-
trées figurent les informations : les regarder manifeste l’appartenance à un

88
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Les produits techniques dans les échanges…

monde commun, celui justement de ceux, nombreux, de toutes condi-


tions et de tous âges, qui regardent la télévision, et plus particulièrement
les informations. C’est une manière de participer à une société vis-à-vis de
laquelle, par ailleurs, on peut se sentir éloigné, ne serait-ce que parce qu’on
ne sort quasiment plus de chez soi. Les informations participent à la struc-
turation des rythmes quotidiens, comme au sentiment de continuité de la
biographie personnelle : il y a longtemps que l’on regarde les infos. On
peut trouver à la télévision ce que la radio ne permet pas : voir l’autre et
ce qu’il représente, se voir dans l’autre et se représenter.

La radio comme objet de compagnie

Les personnes qui ont connu un processus de déprise important ont


apparemment épuisé une bonne partie de leurs ressources de substitution,
et ont beaucoup perdu de leurs capacités antérieures d’autodétermination.
Elles entretiennent un rapport pessimiste à leur vieillesse. La proximité de
la mort est parfois évoquée, en même temps qu’une certaine mise à dis-
tance de « leur » société. Alors que la radio tient rarement une place
notable chez les personnes qui ont la capacité d’opérer les choix de vie aux-
quels elles tiennent, les moins autonomes paraissent attachées à leur « petit
poste », en général objet relique, rare survivant d’un « avant » révolu et
conservé comme tel. La radio semble ainsi témoigner du rapport de la
vieille personne à sa vieillesse autant que de la situation de déprise dans
laquelle elle se trouve, en butte aux modes sociétaux de production de la
grande vieillesse comme confinement hors du temps. Ainsi les signes
d’une altération du rapport au temps et au monde apparaissent fréquents.
Les émissions de radio prennent l’apparence de bruit de fond, ou diffusent
des chansons anciennes, représentantes d’un temps peu déterminé. Les
émissions ne sont pas citées, la radio est un objet familier qui parle avec
un minimum d’investissement de l’auditeur, c’est une compagnie. Parfois
la télévision remplit aussi ce rôle, ainsi que le décrit une de ces personnes :
« la télé, je la laisse toujours sur la 2, et il arrive ce qu’il arrive ».

Les techniques gérontologiques répondent


à la menace du placement

Faire appel aux services de soutien à domicile lorsque l’on prend de l’âge
représente un enjeu important : il s’agit de se prouver et de prouver aux
autres qu’on est encore capable de conserver un mode de vie qui corres-
pond à l’identité de sujet autonome, celui qui se réalise dans l’espace de
vie personnel. Dans ce cadre-là, l’entrée en institution de retraite repré-

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Synthèses des recherches du programme

sente le repoussoir : on repousse le plus loin possible l’idée de quitter son


domicile.
Deux grandes phases apparaissent dans ce rapport aux services à domi-
cile. Dans un premier temps, il s’agit de se protéger du risque que la situa-
tion de vieillesse devienne plus inquiétante. Les aides ménagères et le per-
sonnel infirmier s’inscrivent dans le registre de la protection
professionnelle, doublant souvent la protection familiale. Comment se
pose à cette occasion la question de l’introduction et de l’usage d’objets
techniques dans l’intimité de ces espaces familiaux ? Sauf exception, les
intervenants professionnels ne se sentent légitimés à intervenir, ne serait-
ce que sous forme de conseil, que sur le plan de la sécurité. Un autre type
de rapport entre les personnes aidées et les professionnels peut s’installer
par enrôlement « familialiste » de professionnels.
Dans un second temps, ce sont des services plus spécifiques à la
vieillesse qui sont mobilisés. Le régime de négociation entre la personne
vieillissante, sa famille et des professionnels, qui paraît dominer dans la
première phase, semble laisser la place à davantage de prescription. C’est
sous la menace, parfois très explicite, du placement en maison de retraite
que sont prescrits portages de repas à domicile et téléalarme, le plus sou-
vent après un épisode de santé qui a donné lieu à une hospitalisation.
L’innovation technique est plutôt bien acceptée pour le repas, quitte à faire
entrer chez soi un four à micro-ondes, mais avec des différences selon le
genre. La téléalarme apparaît comme un outil plus stigmatisant : comme
celui qui trace la dernière frontière qui sépare la vie chez soi de la mise en
collectivité. On est désormais sous la menace du déclenchement de la der-
nière alarme.

***

Les rapports aux objets techniques analysés, répétons-le, ne représen-


tent pas l’ensemble des rapports que les plus âgés entretiennent avec eux-
mêmes et avec les autres ; mais ils apparaissent exemplaires pour com-
prendre ce qui se passe à certains moments des trajectoires individuelles.
Pour cette population que nous avons choisie très âgée, ce n’est pas en
termes de résistance à l’innovation ou d’incapacité du fait de la présence
de handicaps que nous avons situé notre interrogation, mais bien en cen-
trant notre propos sur les objets médiateurs, entre la personne, soi et les
autres. Les significations des objets techniques pour les plus âgés doivent
être rapportées aux processus de négociation autour de l’autonomie indi-
viduelle qui s’inscrivent dans des temps et des espaces sociaux différenciés.

Ce texte a été publié dans les Cahiers de Recherches de la MiRe n° 8, avril 2000,
pp. 23-27.

90
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 91

Les produits techniques dans les échanges…

Publications et communications

CLÉMENT S., DUBREUIL Ch., MILANOVIC F. (1999), « Offre technique et


milieu gérontologique à Toulouse : de la résidence intégré au système multi-
capteurs », dans Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement
de la population. Document d’étape (existe en version anglaise), MiRe-
DREES/CNAV, pp. 69-76.
CLÉMENT S., DUBREUIL Ch. (1999), « L’offre technique dans le travail de
définition de la vieillesse », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement –
2 », n° 27, pp. 9-19.
CLÉMENT S., DUBREUIL Ch., MILANOVIC F. (1999), « Figures de la
vieillesse et technologie de la vigilance », Réseaux, « Communication et per-
sonnes âgées », vol. 17, n° 96, pp. 121-143.
CLÉMENT S., DRULHE M., DUBREUIL Ch., LALANNE M., MANTO-
VANI J., ANDRIEU S. (1999), « Les produits techniques dans les échanges
entre les vieilles personnes, leur entourage et les services d’aide à domicile »,
Rapport final MiRe/CNAV, Contrat EDF, 284 p.
CLÉMENT S. (2000), « Nouvelles technologies et échanges entre vieilles per-
sonnes et leur entourage », XXIes Journées annuelles de gérontologie, Paris, 12-
13 octobre 2000.
DRULHE M. (2000), « Objets quotidiens, nouveautés techniques et vieillisse-
ment », Informations sociales, n° 88, pp. 24-33.
CLÉMENT S. (2001), « Les objets techniques dans les processus de négociation
du vieillissement », Les Technologies dans l’aménagement de l’habitat et l’envi-
ronnement urbain : les aides aux personnes souffrant de handicaps, symposium,
Atelier de recherche sociologique, université de Bretagne occidentale, Brest, 4
et 5 octobre 2001.
MANTOVANI J. (2001), « Espaces et temporalités autour des objets audio-
visuels », Les Technologies dans l’aménagement de l’habitat et l’environnement
urbain : les aides aux personnes souffrant de handicaps, symposium, Atelier de
recherche sociologique, université de Bretagne occidentale, Brest, 4 et 5
octobre 2001.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 93

LES USAGES ET LES USAGERS

Les personnes âgées face


à la société de l’information

Emmanuel Eveno*, Philippe Vidal*

Les dynamiques d’usage des technologies de l’information et de la communi-


cation (TIC) s’inscrivent et prennent sens dans des contextes socio-spatiaux spé-
cifiques. De leur côté, les « personnes âgées » peuvent être des acteurs et pas seu-
lement des sujets passifs vis-à-vis des TIC. Conduite par une équipe de
géographes, cette recherche a porté sur trois sites distincts : la ville de Parthenay,
ville « numérisée » faisant l’objet d’une expérimentation européenne ; une
association dijonnaise ; les « seniors cities » des États-Unis et du Canada.

Les réactions des personnes, en l’occurrence les personnes âgées, face


aux TIC ne sont pas indifférentes aux milieux dans lesquels ces personnes
évoluent. Les degrés d’usage des TIC – du rejet à l’enthousiasme et au
militantisme – seraient, pour une part importante, déterminés par les
modes de valorisation ou de dévalorisation de la technologie : valorisation
des compétences, perturbations, participation à la vie locale… Dès lors, il
devient particulièrement intéressant d’analyser les processus en jeu dans
des milieux socio-spatiaux très différents afin de mettre en lumière les
effets de ces milieux sur les processus observés (voir encadré).
La population qui nous intéresse dans le cadre de cette étude est celle
des personnes de 50 ans et plus, soit pour la France un total de 17 millions

* GRESOC, université de Toulouse Le Mirail.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 94

Synthèses des recherches du programme

d’individus (30 % de la population). Les enquêtes les plus récentes


(Médiamétrie, CSA, Médiangles, Sessi…) montrent de façon très signifi-
cative que l’une des principales discrimination dans l’usage des TIC est
liée à l’âge des utilisateurs. Si les « jeunes » sont plus ou moins spontané-
ment amenés à devenir des utilisateurs, l’intensité de l’usage décroît avec
l’âge. Jusqu’à présent, les « personnes âgées » ont plus joué un rôle de pres-
cripteurs d’achat que d’usagers-cibles dans l’acquisition et la diffusion des
objets techniques tels que le téléphone portable, le visiophone, le micro-
ordinateur et l’accès à Internet. Bien qu’ait perduré ce que Philippe Breton
appelle l’« exclusion constitutive1 », il existe depuis ces dernières années
quelques signes d’évolution permettant de reconsidérer la place des per-
sonnes âgées dans l’agenda politique des TIC ainsi que dans les démarches
commerciales tendant à conquérir de nouveaux usagers.
Les problématiques de la diffusion des innovations reconnaissent clas-
siquement plusieurs modèles de propagation relatifs à la « mise en
contact » entre émetteurs et récepteurs. Ces logiques ou modèles, loin
d’être en concurrence, fonctionnent souvent ensemble, parfois de façon
séquentielle. Dans le cas de la population des personnes âgées, il semble
que le modèle dominant soit celui de la « contagion » (dissémination des
usages de proche en proche), qui suppose l’intervention de médiations de
proximité.
Nous avons considéré trois cas de figures dans lesquelles ces médiations
peuvent jouer à partir de trois registres de proximité : la citoyenneté terri-
toriale, l’associativité et le communautarisme. Notre hypothèse est que,
dans ces trois configurations, la diffusion des innovations peut être gran-
dement facilitée, parce que sont censés intervenir conjointement des effets
de proximité physique (territoriale) et des effets de groupe.
Nous avons donc choisi de nous situer dans des cas où les usages des
TIC sont en parti déterminés par des éléments du contexte territorial afin
de tester ce type d’hypothèse. Le premier est celui d’une logique associa-
tive. Le lien associatif permet le déploiement des effets de contagion,
d’imitation, d’entraînement. A partir du moment où une impulsion est
donnée, il est donc intéressant d’analyser son cheminement. Deuxième
configuration, celle d’une expérimentation territoriale ambitieuse, dans
laquelle la population des personnes âgées ne constitue pas une cible spé-
cifique mais voisine avec les autres catégories générationnelles ; ainsi, les
mécanismes de contagion peuvent également fonctionner par transfert
entre les catégories d’âge. Dernière configuration, celle des communautés
de « seniors » aux États-Unis et au Canada. Placées dans une dynamique
nationale où les « autoroutes de l’information » sont extrêmement valori-

1. Philippe Breton, « Les personnes âgées dans le discours de promotion des nouvelles technologies :
une exclusion constitutive ? », Prévenir, n° 35, 2e semestre 1998.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 95

Les personnes âgées face à la société de l’information

sées, on peut se demander quelles peuvent être les réactions de commu-


nautés « retranchées » dans des unités urbaines spécifiques, les « seniors
cities ». Sur ce dernier cas, la méthodologie d’enquête utilisée par la
recherche n’a pas permis d’atteindre les habitants de ces « seniors cities »
mais seulement l’institution qui parle en leur nom.

Méthodologie

Les trois contextes socio-spatiaux auxquels nous nous sommes intéressés


devaient être suffisamment différents pour que l’on puisse tirer de cette
recherche un certain nombre d’enseignements. Nous avons choisi trois
configurations :
● le cas de l’association dijonnaise IURRARD où l’usage de l’Internet est au

cœur du projet associatif et donc dirigé très directement vers la popula-


tion des « personnes âgées » ;
● le cas de Parthenay, ville où se déploie une expérimentation de grande

ampleur visant à favoriser l’usage des TIC dans l’ensemble de la popula-


tion, sans que soit distinguée une catégorie « personnes âgées » ;
● le cas enfin du Canada et des États-Unis, pour lequel on se trouve dans

un contexte national où les TIC sont l’une des clefs des grands pro-
grammes gouvernementaux de politique publique. Il s’agit de voir quel est
le degré de perméabilité des « seniors cities »2, qui présentent a priori
certains des critères favorables à la diffusion des innovations (commu-
nauté, proximité, niveau de vie élevé, accès à des services diversifiés….).

Une association soudée


autour d’un projet d’utilisation de l’Internet

L’étude du cas IURRARD – Intergroupe urbain et rural de la région


dijonnaise – illustre l’importance du lien associatif dans la diffusion des
usages de l’Internet. Avant d’enquêter sur l’association IURRARD et sur
le contexte – traversé de quelques controverses ou conflits – dans lequel
s’est inscrit sa démarche autour de l’Internet, une étude a été préalable-
ment réalisée sur l’importance de la médiation associative dans la diffusion
sociale de l’Internet. On peut distinguer trois groupes fondamentaux :
● les associations dont la raison sociale est précisément d’assurer la pro-

motion des usages de l’Internet et qui s’adressent à un public extérieur


à l’association elle-même ;
● les associations qui, préexistant à un projet Internet, décident de se

doter de cet outil afin de moderniser la structure, d’assurer une


meilleure lisibilité externe, en bref d’améliorer leur communication
externe. Dans ce deuxième cas, la promotion des usages de l’Internet
est surtout destinée au public interne de l’association (les membres) ;

2. Espaces urbains organisés et sécurisés en vue de répondre aux besoins de la population âgée.

95
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Synthèses des recherches du programme

● une forme hybride d’associations qui ont développé, avec l’intégra-


tion d’un projet autour de l’Internet, une vocation complémentaire à
celles qui préexistaient et qui assurent une promotion à la fois interne
et externe de l’usage de ce nouvel outil.

L’IURRARD est un bon exemple de cette génération d’association qui,


tout en ayant compris les opportunités que proposait Internet, n’ont pas
eu le temps d’opérer les choix stratégiques nécessaires à l’assimilation de
cet outil. Dans la mesure où les études portant sur le rôle des associations
dans le développement social d’Internet ont montré l’importance qu’il
convient d’apporter à la fonction de leadership d’un individu particulière-
ment déterminé et suffisamment compétent, il n’est pas étonnant que
toute modification au sein d’un organigramme associatif ait des répercu-
tions sur ses modalités d’intégration de l’outil.
L’IURRARD est une association très soucieuse de la place et du rôle
que peuvent revendiquer les « personnes âgées » au sein de la société. Ses
membres souhaitent par-dessus tout rester dynamiques et utiles à la col-
lectivité. Toutes les activités de l’association, et en particulier l’Internet,
ont pour objectif prioritaire de lutter contre les effets de l’âge, la solitude,
la perte des repères sociaux, l’« endormissement cérébral » ou les ruptures
générationnelles. L’« objet Internet » apparaît dès lors en parfaite adéqua-
tion avec sa « raison sociale » qui consiste à « faire partager aux autres (…)
passions, (…) savoir, (…) énergie3 ».
Cette association, composée d’une cinquantaine de membres, se pré-
sente volontiers comme le contraire d’un lieu de loisirs et développe un
discours militant. Ses actions souffraient d’un certain déficit de reconnais-
sance dans le contexte de l’agglomération dijonnaise. Afin d’y remédier,
l’IURRARD a décidé, dès 1995, d’inscrire résolument les TIC au cœur de
sa stratégie comme outil de communication, tout en ayant la volonté de
se familiariser avec ces nouvelles techniques. L’IURRARD a alors bénéfi-
cié d’une couverture médiatique très importante à l’échelle nationale
– télévision, presse écrite, radios… –, qui s’est avérée rapidement contre-
productive dans la mesure où elle a entraîné une certaine fièvre et attisé les
enjeux de pouvoir en son sein. Loin d’avoir une maîtrise accomplie de
l’outil informatique, les membres de l’association éprouvent en réalité de
nombreuses difficultés dans l’utilisation d’Internet et plus généralement
dans la manipulation de l’ordinateur. Parallèlement, la démarche de l’as-
sociation ne s’est pas trouvée relayée par une volonté municipale spéci-
fique, comme c’est le cas à Parthenay. Notamment, la mise à disposition
par la municipalité de Dijon d’un local situé dans une maison de retraite
a été relativement mal perçue par l’ensemble des membres qui militent

3. Bulletin de liaison de l’IURRARD.

96
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Les personnes âgées face à la société de l’information

pour ne pas laisser les personnes âgées en situation de dépendance, d’as-


sistanat ou de marginalité.
Le fort investissement de l’association non relayé par la municipalité, le
faible niveau de pratique effective face à une forte médiatisation du pro-
jet, les problèmes entre l’association et Planet Bourgogne (le fournisseur
d’accès) auteur du site web désavoué par l’ensemble des membres ont
constitué autant de décalages ayant très largement contrarié la progression
des usages en matière de TIC, lesquels se limitent à de l’initiation avec
l’animateur du moment. Malgré ce phénomène de récupération de l’ini-
tiative, l’IURRARD n’a pas abdiqué et continue à mener son action en
affichant beaucoup de modestie et de prudence dans ses actes.

Parthenay la numérique : où sont les « vieux internautes » ?

Parthenay est une ville de 12 000 habitants située dans le département


des Deux-Sèvres où, en raison d’une politique locale d’expérimentation
sur les TIC, l’apparition des internautes a été plus précoce qu’ailleurs en
France. En ce sens, nous trouvons à Parthenay, parmi les plus anciens ou
les plus vieux internautes français. Le début de l’expérimentation remonte
en fait à 1995, soit à une date où ce type de technologie était encore rela-
tivement peu diffusé.
Le projet « Ville numérisée » affiche deux ambitions :
● « transformer le citoyen spectateur-consommateur en citoyen actif »,

● « créer une communauté électronique locale et la développer rapide-

ment »4.

« Parthenay ville numérisée » est un projet qui fait appel à la mobilisa-


tion de l’ensemble des habitants du district pour qui sont mis à disposi-
tion de nombreux postes connectés à l’Internet dans des lieux d’accès
publics, les « Espaces numérisés » ; il y en a douze actuellement répartis
sur l’ensemble du territoire du district. Il s’agissait, dans cette étude,
d’identifier de façon relativement précise les usagers et les usages de l’ou-
til informatique, et en particulier de l’Internet, dans le district de
Parthenay. Nous avons réalisé une enquête qui croise deux dimensions,
une dimension quantitative, qui s’adresse à une population de 1 803 indi-
vidus répartis dans 793 ménages, et une dimension qualitative dont la
finalité était de dresser le profil de l’utilisateur de l’Internet ainsi que les
types d’usage les plus fréquents. A partir de là, il s’agissait d’isoler une
sous-population « personnes âgées ».

4. Voir le rapport remis par la ville à la DGIII de la Commission européenne en juillet 1997 dans le
cadre du programme MIND.

97
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Synthèses des recherches du programme

Un taux d’utilisateurs chez les personnes âgées relativement faible… ?


Il ressort de cette enquête quelques tendances générales permettant de
mieux cerner la place qu’occupent les TIC à Parthenay. Dans le district,
32,9 % des ménages sont équipés d’un ordinateur, soit au total 262
ménages sur 793. La moyenne nationale est de 21,1 % (3e trimestre 1999),
selon Médiamétrie. Parmi les ménages parthenaysiens de plus de 50 ans
(343 ménages), les plus équipées sont ceux qui ont entre 50 et 59 ans.
On remarque que les ménages possédant un ordinateur sont fréquem-
ment connectés au réseau Internet. Ce constat nous autorise à penser que,
pour nombre d’entre eux, c’est la connexion à Internet qui a motivé l’équi-
pement du foyer. Pour les plus de 70 ans, sur 4 ménages équipés d’un ordi-
nateur, 3 sont connectés au réseau Internet. Au total, 35 foyers où vit au
moins une « personne âgée » sont connectés à l’Internet, soit 10,2 % des
foyers de plus de 50 ans. En comparaison avec les foyers de moins de
50 ans, ce chiffre apparaît relativement faible. On peut donc admettre que
cette population « âgée » a été moins concernée par l’expérimentation
locale que la population des moins de 50 ans. Mais ce résultat doit néces-
sairement être pondéré par le fait que, dans l’ensemble, la population par-
thenaysienne est très « en avance » sur la moyenne française.

La population âgée du district de Parthenay

Au-delà des résultats contenus dans les fiches « ménage », les fiches indi-
viduelles nous instruisent de façon plus fine sur les usages et les pratiques
autour des TIC. La population âgée du district de Parthenay est très impor-
tante. Sur la population de l’enquête, 570 individus ont plus de 50 ans, soit
31,63 % de l’échantillon interrogé, contre 1 233 individus de moins de
50 ans. Sur ces 570 individus de plus de 50 ans, 214 ont entre 50-59 ans soit
37,5 % des « personnes âgées » interrogées, 204 personnes ont entre 60-
69 ans soit 35,5 % et 152 individus ont plus de 70 ans, soit 26,6 %. Pour
84,7 % d’entre elle, cette population vit mariée ou en couple, 62,3 % sont
des retraités, 8,8 % sont sans profession contre 28,9 % qui en exercent une.
97 individus de plus de 50 ans déclarent utiliser un ordinateur. Parmi eux,
65 individus déclarent être des utilisateurs de l’Internet, soit 67 % d’inter-
nautes parmi les utilisateurs de l’outil informatique.

Quarante-six internautes réguliers chez les plus de 50 ans


Si 97 personnes âgées de plus de 50 ans déclarent avoir déjà utilisé un
ordinateur, nombre d’entre elles se trouvent un peu désorientées quand on
leur demande de préciser concrètement l’usage qu’elles en font, ce qui est
moins souvent le cas pour les moins de 50 ans. Il semble donc difficile de
considérer les 97 personnes comme étant des utilisateurs réguliers ou aver-
tis de l’outil informatique. Si l’on se rapporte au critère de la fréquence
d’usage, on ne trouve plus que 46 individus. Ce sont, pour plus de 60 %

98
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Les personnes âgées face à la société de l’information

d’entre eux, des hommes ; 31 individus (soit 67,4 %) ont entre 50-59 ans,
12 (soit 26,1 %) ont entre 60-69 ans, et 3 ont 70 ans et plus (soit 6,5 %).
Les « personnes âgées » qui sont en même temps des « internautes régu-
liers » présentent un profil relativement homogène. Elles sont diplômées
– 43,5 % d’entre elles possèdent un diplôme universitaire – elles occupent
un poste à responsabilité pour celles qui sont encore dans la vie active et
possèdent individuellement un salaire supérieur à 10 000 francs mensuels.
Elles semblent enfin très majoritairement être en activité, la fréquence
d’usage chutant très rapidement dès que l’on approche l’âge de la retraite.

Les « usages-phares » : l’e-mail et l’In town net


Parmi les usages que les plus de 50 ans font de l’Internet, on trouve en
très bonne place l’utilisation du courrier électronique, essentiellement
pour communiquer avec les enfants et les petits-enfants. Internet remplit
dans ce cas précis son rôle d’outil susceptible de faciliter les liens entre les
générations. Un autre usage se détache largement pour ce groupe, celui de
la visite régulière de l’In town net, le portail proposé par la ville de
Parthenay. Une très grande majorité des usagers utilisent régulièrement les
services proposés par la ville, avec un taux de satisfaction très élevé pour
l’ensemble des services proposés, notamment la consultation de la messa-
gerie ainsi que le moteur de recherche, les services publics, et le service
« vie pratique ». Un troisième usage se signale, celui qui consiste à consul-
ter les services proposés par l’annuaire Voila (pages blanches/pages jaunes).

La faible fréquentation des « espaces numérisés » :


quand des publics en chassent d’autres…
Les « personnes âgées » fréquentent assez peu les espaces numérisés, par-
ticulièrement utilisés par les jeunes de moins de 20 ans. Cela ne signifie pas
que les personnes âgées internautes ne s’impliquent pas dans la vie de la
commune. Nous voyons au contraire que cette catégorie d’internautes est
très impliquée dans la vie citoyenne, plus que les internautes de moins de
50 ans. Les raisons de cette relative absence dans les espaces numérisés sont
à chercher ailleurs. Tout d’abord, il est clair que la présence massive des
jeunes « chasse » cette catégorie de public. Les rares personnes âgées de plus
de 50 ans rencontrées dans les espace numérisées nous en ont porté témoi-
gnage. D’autre part, dans la mesure où plus de 90 % des « personnes âgées »
internautes recensées dans notre étude sont équipées d’un ordinateur
connecté à l’Internet, leur pratique du réseau s’effectue depuis leur domicile.

Un accompagnement précieux
pour les personnes âgées intéressées par les TIC
Il y a deux façons de tirer des enseignements des résultats présentés pré-
cédemment. La première consiste à se focaliser sur l’aspect quantitatif. De

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Synthèses des recherches du programme

ce point de vue, nous pouvons avancer que, faute d’une volonté spécifique
de la municipalité en direction d’un public âgé, finalement assez peu de
personnes âgées de plus de 50 ans sont concernées par l’expérimentation.
Ce constat se vérifie quand on compare le degré d’implication des usagers
de plus de 50 ans avec le reste de la population. Placés dans cette perspec-
tive, les résultats conduisent à penser que la politique municipale de
« Parthenay ville numérisée » tend à avoir pour effet indirect d’augmenter
le fossé numérique entre les plus de 50 ans et les plus jeunes.
Une deuxième lecture des résultats permet de tenir des propos plus
nuancés quant à l’efficacité de ce type de politique volontariste en matière
de TIC. D’un point de vue qualitatif, les rencontres et entretiens divers
avec des personnes âgées de plus de 50 ans dans les espaces numérisés ont
bien montré que la politique municipale répondait parfaitement aux
attentes de ces individus. Nous nous sommes trouvés en relation avec le
même type de public que celui de l’association dijonnaise, qui nourrissait
le même type d’attentes, en premier lieu en direction de l’exécutif muni-
cipal ; attentes d’accompagnement humain et matériel, garant de la recon-
naissance municipale et de son soutien aux « compétences citadines » des
personnes âgées internautes au sein d’un projet global. Pour le cas de l’as-
sociation dijonnaise, nous avons pu mesurer combien cette absence d’ac-
compagnement a été mal vécue par l’ensemble des membres. Les témoi-
gnages des personnes rencontrées dans les espaces numérisés de Parthenay
permettent d’affirmer que, sans cette opération, ces personnes n’auraient
probablement pas utilisé ce type de technologies.

Les « seniors cities »

La partie nord-américaine de la recherche a consisté à examiner un phé-


nomène encore quasiment absent en Europe, la prolifération des « seniors
cities » et des « seniors villages ». Considérant la concentration des per-
sonnes retraitées ou préretraitées sur ces espaces, il s’agissait de mesurer
leur participation à des projets de TIC.
La recherche a consisté à établir une définition et une typologie des com-
munautés de retraités afin d’obtenir une base solide de comparaison. Nous
avons ensuite réalisé, par le biais d’Internet, un défrichage bibliographique de
l’ensemble des cas canadiens s’approchant des concepts de « seniors cities » et
« seniors villages ». Ces derniers ont été localisés sur une carte. Dans le cas
canadien nous avions décidé de retenir les villages de personnes âgées ayant
un rapport avec les TIC sous diverses formes (cours d’ordinateurs, clubs d’or-
dinateurs, cybercentre, site Internet, publicité sur le Web….).
La recherche sur les villages de retraités s’est limitée à leur présence sur
l’Internet. Dès lors, la récolte de données s’est avérée complexe et aléatoire.

100
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Les personnes âgées face à la société de l’information

A titre d’exemple, nous avons pu repérer des villages qui, malgré leur pré-
sence sur Internet, n’étaient pas encore construits, n’en étaient qu’à une
phase d’élaboration ou ne comptaient que quelques unités.

Un affichage marketing des villages sur le web…


Les villages de retraités sont presque tous visibles sur l’Internet, même
les villages qui sont au premier stade de construction et qui ne possèdent
pas encore leur centre d’activités récréatives. La présence sur Internet a
pour unique objectif d’attirer les futurs résidents. Ainsi, certains de ces
sites sont en fait conçus par les promoteurs immobiliers des « seniors
cities ». Ces derniers réservent une place privilégiée aux pages listant les
prix, les modèles construits ou aux différentes activités… Il y a ainsi tou-
jours la possibilité de communiquer avec le promoteur par courrier élec-
tronique.

…où la place accordée aux TIC est secondaire


Si les salles informatiques s’ajoutent parfois aux services proposés par les
promoteurs, elles ne représentent jamais un argument décisif dans la mise
en valeur des communautés. L’accent est davantage mis sur la sécurité et la
tranquillité des lieux ou sur les nombreuses activités sportives et culturelles.
Il apparaît assez clairement, dans le cas des « seniors cities », que les TIC ne
sont pas une priorité dans l’esprit des responsables, pas plus qu’elles ne sem-
blent l’être pour les résidents de ces communautés de retraités.

***

Dans notre analyse qualitative, nous avons pu observer deux cas. Le cas
de l’IURRARD illustre une action militante de personnes âgées non
relayée par un dispositif municipal. Celui de Parthenay nous instruit sur
les effets d’une politique publique locale où les personnes âgées sont consi-
dérées au même titre que les autres usagers. Mis en perspective, ces deux
cas nous ont permis de mesurer l’importance d’un accompagnement
municipal auprès des personnes âgées désireuses de s’investir dans des acti-
vités liées aux TIC. Il n’a pas été possible d’intégrer la partie nord-améri-
caine (« seniors cities ») dans la comparaison dans la mesure où l’hypo-
thèse d’usages nombreux en matière de TIC au sein de ces villages ne s’est
pas vérifiée.
Concernant l’analyse quantitative des usages et des usagers de l’Internet
à Parthenay, il serait utile de mener une enquête similaire dans une com-
mune comparable (ville de 10 000 habitants, population vieillissante, loin
d’un grand pôle dynamique) mais qui ne développe pas de projets spéci-
fiques en matière de TIC. Cette comparaison apporterait un nouvel éclai-
rage « en creux », sur les résultats de nos enquêtes et sur l’impact, chez les

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Synthèses des recherches du programme

plus de 50 ans, d’une telle initiative. Il serait enfin également intéressant


de trouver un site où il y ait d’une part une politique locale ambitieuse et
un « ciblage » spécifique des « personnes âgées » (le seul cas de ce type que
nous connaissions est celui de Blacksburg, en Virginie).

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 12, août
2001, pp. 59-63.

Publications et communications

EVENO E., VIDAL Ph. (2000), « Les personnes âgées face à la société de l’in-
formation », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat CNAV, 174 p.
EVENO E., VIDAL Ph. (2000), « Les personnes âgées et l’Internet, entre ins-
cription territoriale et pratiques citoyennes », Citoyenneté – citadinité,
Séminaire « Pôle Ville », à l’université de Toulouse Le Mirail, 14 mars 2000.
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LES USAGES ET LES USAGERS

Information et multimédia,
quel intérêt pour les libertés ?

Dominique Le Doujet*, Catherine Lefevre*,


Claire Lebret*, Marie-Paule Buffet*

Quels peuvent être les déterminants psychologiques de l’intérêt ou du désinté-


rêt des personnes âgées pour le multimédia ? En quoi la fonction information
que cet outil permet de gérer est-elle susceptible d’ouvrir l’éventail des possibles
et de conforter la maîtrise des choix ? Réalisée par une équipe de psychologues,
cette recherche s’est attachée à analyser les propos tenus, individuellement ou en
groupe de parole, par des personnes âgées de plus de 50 ans. Les auteurs font
valoir notamment que l’âge est relativement moins déterminant que la
construction psychologique des situations vécues par les personnes.

Cette recherche se veut exploratoire et qualitative. Elle s’inscrit dans le


champ de la psychologie et concerne l’intérêt ou le désintérêt énoncés par
les seniors à propos de l’information et du multimédia.

L’accès aux choix comme facteur de liberté

Toute personne tend à s’orienter vers des objets et des services suscep-
tibles de lui apporter un avantage exprimable en termes de liberté. La
liberté de choisir fait partie des valeurs auxquelles les personnes âgées de

* Association psychologie et vieillissement, Rennes.

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Synthèses des recherches du programme

plus de 50 ans accordent de l’importance. Si les informations permettent


un gain de liberté dans les choix pertinents dans la vie de tous les jours ou
sur le long terme, alors elles seront attractives. Le matériel informatique
peut également être l’occasion d’accéder à de nouvelles possibilités, des
choix nouveaux, inédits. Nous supposons que la conjonction des deux
serait susceptible d’inciter les personnes concernées à devenir utilisatrices
des ressources d’Internet.
La représentation du vieillissement humain est généralement soutenue
par une segmentation en classes d’âge. Les dernières sont comprises
comme le temps des pertes de capacités dont bénéficient les premières.
Parmi les critères d’évaluation des capacités qui s’amoindrissent, il y a tra-
ditionnellement la perte des forces physiques et la perte de la vitesse d’exé-
cution des tâches. Ce sont ces capacités qui, historiquement, ont large-
ment contribué à définir un âge de la vieillesse en rapport avec l’aptitude
des travailleurs à être économiquement rentables dans le système de pro-
duction. La gérontologie a renforcé cette représentation en mettant en
avant les pertes d’aptitudes psychologiques, notamment par la description
statistique du déclin des performances cognitives rapportées elles aussi à
l’évolution physiologique de l’organisme. Ce qu’il était possible de réaliser
lors de la jeunesse ne le serait plus lors de la vieillesse, puisque notre phy-
siologie réduirait nos possibilités, c’est-à-dire aussi notre liberté d’action.
Selon le modèle gérontologique, qui conduit à représenter la valeur des
performances au cours de la vie par une courbe d’évolution qui serait favo-
rable et croissante pendant la jeunesse, puis défavorable et décroissante
pendant la vieillesse, les sujets âgés seraient défavorisés lors de l’apprentis-
sage, de la mémorisation, de la mobilisation des capacités cognitives… Les
conséquences de cette manière de comprendre le vieillissement pourraient
devenir d’autant plus dramatiques que l’informatisation, technique nou-
velle parée des vertus de la jeunesse, conduirait à développer un nouveau
rapport cognitif au monde, de plus en plus incontournable. Si elles
n’étaient pas capables de s’y adapter, notamment par l’apprentissage,
quelles en seraient les conséquences pour les personnes âgées ?
Tout d’abord, quel est, à ce sujet, le point de vue des personnes concer-
nées ? Comment les seniors vivent-ils leur âge ? Que disent-ils de l’évolu-
tion du monde dans lequel ils vivent ? La représentation gérontologique
du vieillissement coïncide-t-elle avec la manière dont les personnes âgées
se représentent leur vieillissement ? La parole des seniors, leur comporte-
ment et leur engagement confortent-ils, ou au contraire ouvrent-ils des
brèches dans les modèles dominants ? Que nous enseigne sur ces questions
l’étude du rapport que les personnes âgées entretiennent avec le multimé-
dia et les informations que cet outil véhicule ?
Les conditions de la recherche « Information et multimédia : quel inté-
rêt pour les libertés ? » supposaient d’emblée que les chercheurs soient

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Information et multimédia : quel intérêt pour les libertés ?

autant que possible en mesure d’écouter l’expression d’une éventuelle dif-


férence entre les représentations du vieillissement portées par la géronto-
logie et celles propres aux seniors. Les chercheurs devaient par conséquent
disposer pour leur écoute d’un modèle alternatif au modèle d’évolution
vers un vieillissement déficitaire, de manière à pouvoir rapporter à l’un ou
à l’autre de ces modèles ce qu’ils allaient entendre. Nous avons ainsi sup-
posé possible un principe de développement de l’homme qui se distin-
guerait de l’option qui consiste à assimiler d’emblée le tracé du cours de la
vie sociale ou de la vie psychologique à celui du cours physiologique de la
vie propre au modèle évolutionniste. Cette option alternative défend la
possibilité, d’un point de vue psychologique, d’une réévaluation perma-
nente des avantages et des inconvénients, d’un changement éventuel des
valorisations, et par conséquent d’un engagement possible dans de nou-
velles aventures au cours de la vie humaine, si tel est l’avantage adaptatif
escompté par les personnes elles-mêmes.
Dans notre nouveau modèle l’initiation, ou commencement d’une
acquisition nouvelle, commence très tôt et se prolonge très longtemps.
L’initiation (nous utiliserons parfois le terme « origination ») devient par
conséquent permanente. Cette affirmation amène à renoncer à l’idée selon
laquelle la formation serait l’affaire du début de la vie. Cette formation se
poursuit, si la personne le souhaite et en l’absence de troubles particuliers,
à tout âge et permet ce que nous appellerons l’origination continue. Si
l’origination est continue tout au long de la vie de l’être humain, le critère
de l’âge chronologique du sujet perd de sa pertinence pour évoquer l’éven-
tuelle vieillesse de l’être humain définie par la cessation de l’origination
suivie d’un déclin par oubli progressif.

Méthodologie

L’orientation choisie pour effectuer la recherche a consisté à adopter une


démarche qualitative. Nous avons opté pour des entretiens individuels et
des entretiens en groupe afin de disposer d’éléments verbalisés par des
seniors, hommes et femmes, dont l’âge se répartit de 51 ans à 98 ans :
ruraux, urbains, rurbains, de formation scolaire variant du niveau primaire
au niveau universitaire, de niveau socioculturel variable, ayant ou ayant eu
selon leurs métiers ou leurs fonctions des engagements professionnels à
forte composante matérielle ou à forte composante « intellectuelle ». Les
entretiens se sont poursuivis tout au long du temps de la recherche et ont
fourni en permanence des éléments pour la réflexion et l’analyse.

Les propos tenus par les seniors ont été examinés en référence à quatre
registres d’attention, ou perspectives :
● La perspective axiologique : les mots choisis par nos interlocuteurs

seniors expriment l’intérêt, le désintérêt, l’anxiété, la peur, l’espoir, la

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 106

Synthèses des recherches du programme

crainte, l’effort, les choix, l’évitement, le plaisir, la peine, le manque,


la frustration, la souffrance… La valorisation positive et la valorisa-
tion négative induisent des attitudes, mais aussi des comportements
qui tendent à éviter ce qui est évalué péjorativement et s’orientent vers
ce qui est apprécié positivement. Le tropisme hédoniste, ou plus sim-
plement l’attirance pour ce qui est agréable, révèle un principe per-
manent de recherche de ce qui est favorable. Appliqué à l’information
et au multimédia, un champ de valorisation qui semble se développer
dans le sens de la dématérialisation des biens, l’hédonisme peut-il cor-
respondre à une quête de liberté ?
● La perspective axio-linguistique : puisque notre méthode de produc-

tion de connaissances passe par l’information que les seniors accep-


tent de nous divulguer, la verbalisation y revêt une importance parti-
culière. Nous sommes attentifs à la charge émotionnelle que les mots
indiquent. La verbalisation des seniors révèle également l’état de leurs
connaissances, de leur information en ce qui concerne l’information
et le multimédia. Elle nous indique enfin l’orientation consciente de
leurs projets. Nous évitons de recourir à des interprétations quant à ce
qui serait inconscient.
● La perspective axio-technique : les outils de l’information et de la

communication, l’informatique, entrent de toute évidence dans le


champ ergologique, au sens où l’ergologie serait la discipline scienti-
fique spécifiquement destinée à la connaissance théorique de l’outil.
A l’interférence du principe axiologique et de la compétence instru-
mentale des seniors, nous sommes tout particulièrement attentifs à
l’investissement d’effort, mais aussi aux évitements consentis par eux
en ce domaine. Nous sommes également vigilants aux difficultés
qu’ils expriment lorsqu’ils forment le projet de s’adapter à l’évolution
des équipements permettant d’accomplir des tâches afférentes à l’in-
formation.
● La perspective axio-sociologique : la valorisation sociale de la jeu-

nesse et la dévalorisation de la vieillesse sont des poncifs dont à l’évi-


dence les seniors s’extraient régulièrement dans leurs propos. Le lien
social, la communication, l’anticipation sur l’avenir, la formation
d’un patrimoine mémoire, l’apprentissage ou la formation à tout âge,
l’habitude acquise, dont il faut parfois se défaire, la transmission
intergénérationnelle (diachronique), l’échange horizontal (synchro-
nique), etc., sont autant d’évocations très présentes dans les entretiens
individuels ainsi que dans les exercices de conversation de groupe.
L’être et le paraître sont évoqués, l’accélération de la maturation des
jeunes et la prolongation de l’intérêt, de l’activité, pour les seniors se
conjuguent avec les transformations des distances géographiques et
sociales par l’Internet.

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Information et multimédia : quel intérêt pour les libertés ?

L’utilisation d’une forme particulière d’approche en gérontologie, l’ap-


proche psychologique qualitative vue sous l’angle axiologique, permet de
composer une sorte d’inventaire des différents champs où ses effets se
manifestent. Nous ne prétendons pas avoir, loin s’en faut, réussi à les
approcher tous ! Il nous semble cependant que nous avons procédé à une
première délimitation des incidences psychologiques :
● sur les verbalisations par les choix de mots, d’expressions, d’organisa-

tion du propos, par l’énonciation d’une morale ;


● sur l’exploitation de l’outil par les choix de tâches et les moyens que

les seniors se donnent ou s’interdisent pour réaliser ergologiquement


leur activité ;
● sur la formation des identités par l’organisation des relations sociales,

des échanges, par l’instauration d’habitudes qui font loi, par la struc-
turation de la temporalité et de la géographie des individus et des
groupes.

A ces manifestations il faut bien entendu ajouter l’observation directe


du comportement des seniors, les investissements d’énergie consentis pour
la réalisation ou pour l’évitement des projets, les émotions liées aux appré-
hensions et aux craintes, le dépassement des obstacles ou l’affaissement des
potentialités face à ce qui paraît impossible. Le plan axiologique est celui
de l’accès à la liberté entendue comme conservation des possibles mais
également comme ambition d’amplification des possibles.
Sur quoi débouche l’étude du matériau recueilli pour cette recherche, à
savoir l’expression verbalisée de l’appréciation, par le sujet âgé lui-même,
de ce qui lui est favorable, notamment en matière de gain de liberté ?

De la peur et de l’inhibition… au plaisir

Les seniors rencontrés nous ont fourni des apports particulièrement


éclairants sur les deux modes possibles du manquement de liberté.
Le premier mode qu’il nous a été donné de rencontrer est une forte
mobilisation d’énergie psychique à l’idée de l’incapacité à apprendre l’in-
formatique. Si forte que la personne peut être submergée par l’anxiété de
manquer son apprentissage. C’est un modèle clinique possible pour rendre
compte des réticences rencontrées chez certaines personnes : la barre est
imaginée si haut qu’elles vivent des peurs et des angoisses importantes,
craignant précisément de ne pas être à la hauteur. Elles restent interdites,
au sens où elles sont bloquées. L’âge en ce cas n’est pas un critère pertinent
pour comprendre le mécanisme, c’est bien plutôt une modalité psycholo-
gique du comportement qui serait en cause.

107
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Synthèses des recherches du programme

Le second mode que nous avons décrypté au travers des propos de nos
interlocuteurs et informateurs, notamment en groupe de discussion, ren-
voie à un risque opposé au risque d’échec par inhibition anxieuse des capa-
cités personnelles : il s’agit d’un risque d’absorption dans une passion
incontrôlable pour l’ordinateur, le multimédia, l’information. Il n’y aurait
pas de limite possible, sur le modèle clinique des addictions incontrô-
lables. Le mode de défense mis en place alors, précisément afin d’éviter
l’addiction, serait la tempérance, voire, dans certains cas, l’abstinence. La
rationalisation permet à partir de là de montrer par la verbalisation qu’il
n’y a pas de besoins à satisfaire qui justifieraient un investissement, de
temps et d’énergie psychique, en faveur du multimédia, de l’informatique.
En outre certaines pratiques comme le téléachat nous feraient perdre le
temps de la convivialité, des relations interpersonnelles avec les vendeurs
de magasins. L’âge, là encore, n’est pas un critère pertinent pour com-
prendre ces processus psychologiques.
La voie médiane résiderait par conséquent dans une intégration des
deux perspectives. Au lieu d’éviter la mobilisation d’énergie par la non-
valorisation de l’informatique et du multimédia, il faut essayer d’envisager
dans l’activité réelle, dans la vie réelle, les difficultés qui pourraient être
résolues grâce à des approches différentes, par l’informatique en particu-
lier. Ne se posant de problème que dans le cadre limité de ce qui se pré-
sente, l’énergie psychique peut être mise au service de l’apprentissage, pos-
sible à tout âge, même si certains seniors admettent qu’il puisse être un
peu plus lent et un plus difficile pour eux que pour les plus jeunes. Tendu
vers un objectif limité, il y a moins de risque de dérapage vers un engoue-
ment incontrôlé, d’autant que la présentation mirobolante faite des équi-
pements nouveaux n’est en général pas exploitée, loin s’en faut, par les uti-
lisateurs. La réalisation fait baisser les anxiétés, démystifie l’informatique,
donne confiance en ses capacités, permet d’atténuer les craintes de casser
le matériel ou d’effacer toutes les données, même si de temps en temps un
témoignagne abonde dans le sens de la volatilisation de listes, de clients
par exemple. Pour éviter les risques, il faut cependant se donner quelques
limites : il y a, par exemple, dans l’ordinateur des zones interdites à l’uti-
lisateur, réservées aux informaticiens professionnels, équivalent des méca-
niciens pour ce qui est de la mécanique automobile.
La limitation des problèmes à résoudre, la répartition des tâches, l’intro-
duction d’un principe d’interdiction partielle sous-tendent l’énoncé de la
libération de l’être humain par l’informatique. Cette libération est suscep-
tible de lui apporter des satisfactions, de lui faire gagner du temps après un
premier investissement dans l’apprentissage, qui suppose un effort réel, bref
de lui permettre des accès au plaisir, y compris par la création artistique.
Mais tout n’est cependant pas si radieux. La co-présence humaine que
supposent l’entraide, le chaînage achat/conversation, la disponibilité à

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Information et multimédia : quel intérêt pour les libertés ?

l’autre, la convivialité de voisinage peut être menacée par la captation de


l’humain par la machine. La déshumanisation est dans ce cas déplorable et
appelle de vigoureuses mises en garde. La solitude qui résulte d’un rapport
mécanisé au monde par l’informatique – l’Internet grâce auquel on com-
munique sans communiquer, l’abolition du lien et du contact direct aux
autres –, tout cela peut faire surgir une angoisse de mort. La meilleure
défense contre cette angoisse est a minima la co-présence duelle ou plus
étendue, à l’échelle du groupe. La co-présence peut même aller jusqu’à
faire une place pour les personnes disparues en collectant quelques pages
sur leur histoire de vie, afin de constituer un patrimoine mémoire, les
mettre dans un lieu sécurisé, la maison commune qu’est la mairie par
exemple. Cette mise en mémoire, forme de dématérialisation de la trace,
disponibilité aux générations futures, permet ainsi de faire une place pour
les morts parmi les vivants, afin de compenser les défauts des cimetières où
les traces matérielles disparaissent progressivement, en un siècle environ.

Le soi, le groupe et le multimédia : un espace où « se loger »

L’abolition de la co-présence fait réagir les seniors dans deux directions :


il importe soit de conserver le relationnel acquis, soit d’utiliser les possibi-
lités de l’informatique, du multimédia, du courrier électronique, pour
réactiver les réseaux familiaux, aussi bien dans le sens horizontal frère-
sœur, conjoints, que dans le sens vertical enfants-parents, grands-parents-
petits-enfants, voire en diagonale, tante-neveux. Bref, l’axe synchronique
et l’axe diachronique sont investis. Le groupe familial, cadre identitaire et
sécuritaire, cadre d’une histoire, ne saurait se replier sur lui-même, car il
s’isolerait aussi, réactivant donc les craintes liées à un isolement, solitude
possible à plusieurs, en quelque sorte. Des liens doivent alors se dévelop-
per avec les autres, avec d’autres groupes, associatifs notamment, avec des
groupements amicaux, avec des groupes où l’on peut se former ensemble,
tels des universités tous âges ou inter-âges.
Si l’apprentissage de l’informatique est possible, si son acquisition et
son utilisation ne devraient pas poser trop de problèmes, hormis le
manque de temps et parfois le manque de place dans cette machine à habi-
ter qu’est la maison ou l’appartement, cela ne réussit pas toujours.
L’habitude acquise pour réaliser des tâches dans un certain ordre, avec des
équipements qui se sont singularisés et qui conservent d’une certaine
façon leur identité sur plusieurs générations de matériel, par exemple la
machine à écrire, qui ordonnent des chaînages liées à la division sociale du
travail, tout cela fait que le seuil qui doit être franchi pour s’équiper en
informatique ne se fait pas. Ce n’est pourtant ni l’envie, ni le projet, ni
l’information même si elle n’est pas complète, qui manquent. On ren-

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Synthèses des recherches du programme

contre alors un problème fondamental : la nécessité de préparer un espace


disponible, un interstice unifiant, qui fournirait à un nouvel équipement
la forme en creux dans laquelle se loger à son tour.
Nous sommes alors attentifs à la notion de « capabilité1 » car, même en
fournissant à prix réduit du matériel aux personnes pour lesquelles l’équi-
pement n’est pas envisageable actuellement, il n’est pas certain qu’elles
puissent l’intégrer à leurs habitudes. Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord,
l’histoire des équipements semble suivre un ordre qui va du traitement
mécanique de tâches matérielles vers des tâches immatérielles. Celles-ci
s’inscrivent dans des habitudes de travail qui semblent aller avec une divi-
sion sociale du travail, doublée d’une division sexuelle et peut-être d’une
division historique, qui fait que l’avènement de l’usage ne peut être préci-
pité. Les groupes de conversation semblent avoir à ce sujet un rôle impor-
tant à jouer. Plutôt que d’envisager une offre agressive, par la publicité par
exemple, il semblerait que la voie qui consiste à discuter en groupe les pro-
blèmes qui se poseraient dans l’hypothèse où un équipement serait sus-
ceptible d’être aidant puisse améliorer la capabilité.
Ensuite, le rapport cognitif au monde médiatisé par l’équipement
informatique, alimenté par des connaissances particulières, promu par une
institution particulière, l’école, semble être un modèle de rapport au
monde, et notamment de rapport aux autres, en cours de développement.
L’une des remarques que n’attendions pas, mais qui aurait pu être pré-
visible, c’est que, grâce à ce que nous avons évoqué en terme d’origination
continue, ici dans le domaine de l’adaptation à un monde qui évolue en
notre présence (c’est la vie), la représentation de la partie de la vie à domi-
cile par nécessité devient moins pessimiste dans la mesure où les fenêtres
sur le monde que sont le cédérom ou l’Internet demeurent ouvertes.
L’art de vivre serait en train de s’enrichir, c’est en tout cas ainsi que les
seniors rencontrés évaluent souvent aujourd’hui l’évolution du monde
contemporain à travers les techniques de la communication et de l’infor-
matique. Ils ne sont évidemment pas ignorants des risques inhérents à ces
développements, risques de perversion, risques de tromperies, risques de
désinformation ou de manipulation de l’information. C’est par consé-
quent à une vision réaliste du monde contemporain qu’ils semblent nous
convier.

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 12, août
2001, pp. 55-58.

1. Une des traductions du terme anglais usuability : qualités relatives aux facilités d’utilisation et de
compréhension des fonctions des objets techniques.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 111

Information et multimédia : quel intérêt pour les libertés ?

Publication et communication

LE DOUJET D., LEFEVRE C., LEBRET Cl., BUFFET M.-P. (2000),


« Information et multimédia, quel intérêt pour les libertés ? » Rapport final
MiRe/CNAV, Contrat MiRe/SNCF, 154 p.
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LES USAGES ET LES USAGERS

L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet


par les aînés, une question d’expertise
et d’utilité plus que d’âge :
le cas du site de la SNCF et de la CDC

Cecilia De la Garza*, Jean-Marie Burkhardt*

Cette recherche est consacrée à l’étude des processus cognitifs des utilisateurs
âgés lors de l’apprentissage et de l’utilisation d’Internet. Elle montre que les
personnes âgées apprennent et progressent d’autant mieux qu’elles perçoivent
l’utilité de cet outil, que le contexte d’apprentissage et d’utilisation leur est
favorable et que les sites qu’elles utilisent sont ergonomiquement bien conçus,
autrement dit qu’ils ne présentent pas trop de « défauts » susceptibles d’induire
en erreur l’usager ou de rendre la compréhension du système particulièrement
difficile. Ce travail débouche également sur des recommandations relatives à
l’offre de produits dans ce secteur.

D’un point de vue théorique, il s’agit de construire et de valider empi-


riquement un modèle cognitif de l’activité et des difficultés des personnes
âgées au cours de l’apprentissage et de l’utilisation d’Internet. Parmi les
processus cognitifs impliqués, on s’intéresse en particulier à l’exploration
visuelle, à la saisie et au traitement de l’information sur l’écran, à l’antici-
pation, et à l’élaboration d’un modèle mental du dispositif de navigation
sur Internet. On s’intéresse en parallèle à la façon dont ces processus sont

* Laboratoire d’ergonomie informatique, université René-Descartes Paris-V.

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Synthèses des recherches du programme

influencés par des facteurs comme l’exigence des tâches, la connaissance


préalable du système technique, et l’avancée en âge.
D’un point de vue pratique, il s’agit de fournir des recommandations
pour la conception des sites web, qui intègrent les caractéristiques et les
besoins d’un public d’utilisateurs plus large.

Approche et hypothèses ergonomiques liées à l’utilisation


et l’apprentissage d’Internet par les personnes âgées

L’approche ergonomique s’intéresse à l’utilisation réelle des outils infor-


matiques et de l’ordinateur par l’utilisateur âgé, plutôt qu’à des indicateurs
indirects de l’usage (taux d’équipement, projet déclaré d’acquisition, etc.).
Les modalités réelles d’usage, les limites et les difficultés concrètes ren-
contrées par les utilisateurs sont abordées au moyen d’un cadre théorique
qui, à partir de la psychologie cognitive, caractérise les processus cognitifs
sous-jacents à l’utilisation et à l’apprentissage des dispositifs techniques.
L’utilisation des sites web met en œuvre des activités d’exploration et de
navigation à travers les sites et les outils d’assistance, jusqu’à présent peu
étudiées dans le cas des aînés.

La navigation sur Internet

Cette activité désigne le choix d’une « route », d’une « trajectoire » dans


une situation donnée, en fonction des exigences de la tâche ; ici ce choix
transparaît au travers des actions mises en œuvre par les utilisateurs pour
accéder à l’information recherchée.

L’exploration visuelle

D’un point de vue cognitif, il s’agit de la façon dont un utilisateur examine


et traite l’information présentée ou accessible sur une page du site.
Dans cette étude, nous distinguons trois types de stratégies d’exploration :
● l’exploration faible est une lecture globalement indépendante du contenu

informationnel présenté (textes, images, etc.) comme de la prégnance


perceptive. Elle est tâtonnante et peu efficace du point de vue de l’action ;
● l’exploration opportuniste est une lecture sélective de l’information pré-

sentée sur la page basée sur les attributs perceptivement saillants (bloc
coloré, image, point clignotant), et sur les attributs sémantiques de l’in-
formation mis en correspondance avec l’atteinte d’un but faisant partie
des intérêts courants de l’utilisateur ;
● l’exploration orientée est extrêmement sélective ; elle se caractérise par

l’anticipation explicite de la localisation et des moyens d’accès à l’infor-


mation recherchée ou à la commande permettant l’action envisagée. Elle
se fonde sur une construction de représentations de la situation actuelle
et des exigences de la tâche.

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L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet par les aînés

Apprendre à utiliser Internet consiste, interaction après interaction, à


élaborer un modèle mental du dispositif et de ses usages possibles, évo-
luant au fur et à mesure des utilisations. Selon la perspective constructi-
viste, qui défend l’idée de la coexistence de plusieurs registres de fonc-
tionnement évoluant avec l’apprentissage1, la compréhension d’un
dispositif technique part initialement de l’organisation perceptive de l’in-
formation, en l’absence d’une conceptualisation claire de la logique
interne du dispositif. Le modèle mental du dispositif est alors fondé essen-
tiellement sur les caractéristiques perceptives immédiates, ainsi que sur les
éléments les plus stables et les plus fréquents du point de vue de l’interac-
tion. Au cours de l’apprentissage, le passage à une connaissance concep-
tuelle se traduit notamment par l’abandon de stratégies dirigées par la
structure apparente du dispositif, au profit de stratégies d’anticipation et
de compréhension de la logique de fonctionnement interne du dispositif.
La présente étude se focalise en particulier sur l’impact de trois facteurs
sur l’utilisation et l’apprentissage.

L’âge, tant il existe d’affirmations sur la diminution, avec l’âge, des


capacités à apprendre et à utiliser les nouvelles technologies. Nos hypo-
thèses se démarquent de ces affirmations de deux façons. D’une part, la
diminution de capacités perceptivo-gestuelles ou cognitives liées à l’avan-
cée en âge peut être compensée par des stratégies individuelles, dont la
mise en place repose sur le passé professionnel ou sur la découverte de pro-
cédures substitutives. D’autre part, des facteurs, autres que l’âge, influen-
cent l’apprentissage et l’utilisation d’Internet.

L’expérience (passé professionnel, connaissances sur l’informatique et


les nouvelles technologies). Nos observations préalables2 suggèrent un
effet facilitateur de cette expérience sur l’apprentissage et l’utilisation de
l’Internet.

Les contraintes d’utilisation, qui peuvent être perceptivo-gestuelles


(e.g. manipulation de la souris) ou cognitives (e.g. cohérence vs incohé-
rence des buts de l’utilisateur par rapport à l’organisation du dialogue).
Notre hypothèse est que les difficultés d’utilisation devraient s’atténuer au
fur et à mesure de l’apprentissage et que les processus de compensation
devraient différer suivant l’origine des contraintes, la familiarisation avec

1. Vermersch, P., Weill-Fassina, A. (1985), « Les registres de fonctionnement cognitifs : application à


l’étude des conduites de lecture et d’écriture du dessin technique élémentaire », Le Travail humain, 48
(4), 331-340.
2. De la Garza C., Burkhardt J.-M., Specht M. (1999), Utiliser Internet : aspects d’apprentissage et de
formation pour les personnes de plus de 50 ans, Rapport d’avancement CNAV-MIRE, Contrat
SNCF/CDC/Paris 5.

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Synthèses des recherches du programme

l’outil, l’expérience et les caractéristiques de l’outil informatique (utilisa-


bilité et accessibilité).
Les points suivants présentent les principaux résultats et apports de
cette étude. D’une part, tout individu est, a priori, capable d’apprendre à
utiliser une technologie de type écran/clavier, même si au départ les diffi-
cultés peuvent être plus nombreuses pour l’utilisateur âgé du fait de fac-
teurs nombreux (état fonctionnel, passé, effet de génération…). D’autre
part, les aînés n’ont pas besoin d’outils pédagogiques particuliers, et peu-
vent être tout aussi performants que des aînés « plus jeunes », selon leur
motivation, le contexte d’apprentissage/utilisation proposé, et leur per-
ception de l’utilité de l’outil technique. Cependant, un utilisateur âgé peut
avoir besoin d’une assistance plus importante. Les résultats de cette étude
amènent à discuter les arguments théoriques et empiriques d’autres tra-
vaux, en tenant compte de quelques limites caractérisant la méthodologie
employée3. Aussi, si l’étude a portée sur deux sites Internet, ces résultats
ont néanmoins une portée généralisable à la conception de sites web.

L’expérience de l’outil informatique est le facteur majeur,


même si l’âge introduit quelques différences.

Sur nombre d’indicateurs utilisés pour décrire le comportement des uti-


lisateurs au cours de la réalisation des tâches, l’expérience de l’outil infor-
matique apparaît comme la plus explicative des différences observées entre
les groupes. Le temps moyen passé par les sujets sur une page illustre par-
ticulièrement cet effet : avec l’expérience la durée passée sur chaque page
décroît (cf. Tableau 1). Le gain d’expertise porte à la fois sur la manipula-
tion de l’ordinateur (souris, clavier) et de l’interface, et sur les grandes
structures des pages et sites Internet.

Tableau 1
Temps moyen en minutes passé sur une page selon l’âge et l’expérience

Age/ Niveau Novices Intermédiaires Expérimentés


58-69 3,80 (2,36)4 1,98 (0,84) 1,42 (1,17)
70-92 3,59 (1,24) 2,05 (1,04) 1,24 (0,21)

3. Du fait des difficultés liées au recrutement de sujets volontaires, les effectifs ne sont pas équilibrés
dans toutes les conditions et modalités des facteurs classe d’âge, niveau d’expertise et site. En outre,
les sites ne sont pas équivalents en termes de difficulté et complexité des tâches.
4. Dans les tableaux 1 et 2 les valeurs entre parenthèses correspondent à l’écart type.

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L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet par les aînés

Méthodologie

L’approche adoptée est la méthodologie expérimentale. La possibilité d’observer des situa-


tions naturelles d’apprentissage et d’utilisation de la navigation sur le web reste en effet pro-
blématique du fait du caractère récent du phénomène Internet chez les aînés ; de plus, cer-
taines caractéristiques de la population âgée renforcent cette difficulté d’accès.
30 personnes ont participé à l’étude, sur la base du volontariat et en réponse à une cam-
pagne de recrutement diversifiée auprès d’associations notamment. L’échantillon final repré-
sente une population d’aînés probablement parmi les plus motivés à vouloir apprendre à uti-
liser Internet, de profil généralement urbain, et habitant dans la région parisienne. Illustration
des difficultés à constituer un échantillon d’aînés issu du grand public, ce biais « apparent »
dans l’échantillonnage renforce le poids des conclusions et des recommandations issues de
cette étude. Les données analysées concernent 8 hommes et 9 femmes appartenant à la
classe d’âge 58 à 69 ans, et 4 hommes et 7 femmes appartenant à la classe d’âge 70 à 92 ans.
De façon orthogonale à la classe d’âge, nos sujets se répartissent sur 3 niveaux d’expertise :
8 sujets « novices » n’avaient aucune connaissance en informatique (1 seul homme,
7 femmes) ; 10 sujets « intermédiaires » avaient des connaissances en informatique
(2 hommes, 8 femmes) ; 10 sujets « expérimentés » avaient des connaissances en informa-
tique et en outre sur Internet (9 hommes, 1 seule femme).
La situation d’expérimentation exploitée a été construite à partir de l’observation de situa-
tions « naturelles » dans lesquelles les aînés viennent apprendre ou utilisent Internet (e.g. à
domicile, avec les proches, clubs spécialisés). Elle est proposée aux participants comme une
situation individuelle de découverte plutôt autonome, au travers de tâches préalablement
construites, où le recours à un tiers (l’expérimentateur) pour l’assistance est ponctuel, géné-
ralement à l’initiative de la personne. Chaque sujet pouvait participer à trois sessions, d’une
durée allant de 1 h à 1 h 30 chacune, et réaliser l’ensemble ou une partie des tâches selon
ses compétences et sa motivation.
Trois tâches ont été construites pour chaque site. Les deux sites offrant des services diffé-
rents, les tâches sont analogues du point de vue de la catégorie générale d’objectif.
Pour le site A (SNCF) :
● la recherche d’information sur les meilleurs prix et les horaires pour une destination précise,

● l’opération d’une réservation d’un billet aller et retour pour une destination précise,

● la recherche de renseignements sur une destination pour une promenade dans les envi-

rons de Paris.
Pour le site B (CDC) :
● la recherche d’information sur l’euro,

● l’opération d’une simulation de calcul de pension de retraite,

● la recherche de renseignements sur l’état du système de retraites.

Les données recueillies comprennent les verbalisations, spontanées ou provoquées, et l’in-


tégralité des actions du sujet au cours de la réalisation des tâches. Les passations étaient fil-
mées avec l’accord de la personne et réalisées soit dans nos locaux soit dans un atelier d’in-
formatique. Des entretiens de type « explicitation » accompagnaient la passation, afin de sol-
liciter les verbalisations des sujets au cours de leurs actions ou de leurs « non-actions », d’in-
férer les processus cognitifs mis en œuvre, et d’identifier leurs difficultés, modalités d’utili-
sation et stratégies.
L’analyse des données a articulé une double approche qualitative et quantitative :
● une sélection des protocoles (39 scénarios en tout) sur laquelle a été appliquée une grille

de codage de l’activité ;
● des analyses statistiques visant à décrire l’influence des facteurs âge, niveau d’expertise

et site utilisés, ainsi que l’importance relative de certaines stratégies identifiées.

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Synthèses des recherches du programme

On observe que le niveau d’assistance diminue en même temps qu’aug-


mente le niveau d’expertise (cf. Tableau 2). Les novices, face à une diffi-
culté, ont tendance à rester inactifs ; dans ce cas-là, soit ils demandent une
explication, soit une assistance humaine leur est proposée. L’attitude vis-à-
vis de la technologie évolue d’une position passive vers une position active
parallèlement au niveau d’expertise. Les expérimentés sont eux plus auto-
nomes, n’hésitant pas à tenter différentes stratégies pour sortir de l’im-
passe ; le recours à l’assistance est alors moindre.

Tableau 2
Nombre moyen d’explications (demandées ou proposées) selon l’âge et l’expérience

Age/ Niveau Novices Intermédiaires Expérimentés


58-69 13,75 (10,05) 8,00 (2,16) 5,40 (1,40)
70-92 28,75 (14,38) 10,40 (3,51) 7,50 (2,12)

Enfin, on constate un effet classique de l’expérience dans la classe d’âge des


sujets de 58-69 ans au niveau de l’indicateur plus global que constitue la pro-
portion d’échec aux tâches : les novices ont les moins bons résultats (83 %),
les intermédiaires sont un peu meilleurs (46 %) et les expérimentés ont la
meilleure réussite (22 %). Cependant, pour la classe d’âge de 70-92 ans, l’âge
intervient selon un schéma original et surprenant : les novices ont un taux
d’échec équivalent à celui des expérimentés (50 %), proche de celui des inter-
médiaires (57 %) et inférieur donc à celui des novices moins âgés. Cette dif-
férence trouve au moins deux éléments d’explication. D’une part, les sujets
âgés bénéficient d’une aide en moyenne plus importante que les plus jeunes
(cf. Tableau 2). D’autre part, les sujets les plus âgés rencontrent plus de pro-
blèmes liés à la lisibilité de l’information à l’écran, ce qui limite leur nombre
d’interactions et donc leurs possibilités de commettre des erreurs.
En résumé, le comportement de l’utilisateur expérimenté se caractérise
de façon schématique par le fait qu’il commet peu d’erreurs, a des inter-
actions nombreuses avec l’outil informatique, est relativement autonome
et met moins de temps pour trouver les mêmes informations. À l’opposé,
le novice commet plus d’erreurs, a des temps de consultation longs (pou-
vant être multipliés par 4 pour la recherche de la même information),
requiert une assistance importante et a peu d’interactions avec l’outil. Les
intermédiaires constituent un groupe se rapprochant plus des caractéris-
tiques des expérimentés que des novices.

La stratégie d’exploration dominante dépend de l’expérience

L’analyse des stratégies d’exploration mises en œuvre par les sujets fait
apparaître une dominance liée à l’expérience de l’outil informatique.

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L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet par les aînés

Chez les novices, la stratégie d’exploration « faible » est dominante. En


l’absence réelle ou supposée de connaissances, même hypothétiques, pour
orienter la recherche vers la localisation précise de la cible à l’intérieur
d’une page, le sujet adopte une méthode d’exploration indépendante du
contenu, afin d’explorer l’ensemble des localisations possibles. Cette stra-
tégie est toutefois rarement appliquée de façon exhaustive car elle est coû-
teuse en temps, se heurte aux limites des capacités de rétention et de trai-
tement de l’information. Elle est généralement appliquée au seul contenu
visible, sans recours aux mécanismes de navigation interne des pages web
(ascenseurs). Cette stratégie dominante explique en partie le fait que les
novices passent beaucoup plus de temps sur une même page.
Chez les intermédiaires, l’exploration apparaît plus systématique, en
même temps que sélective, correspondant ainsi à la stratégie d’exploration
que nous avons définie comme opportuniste. L’exploration opportuniste
reste très liée aux propriétés visuelles des objets présents à l’écran. Ces pro-
priétés ont, en effet, un rôle important dans le déclenchement du réflexe
de fixation chez l’individu. Les utilisateurs peuvent être perturbés par ce
type d’éléments5.
Chez les expérimentés, l’exploration visuelle est sélective en relation
avec une stratégie orientée par des anticipations (valides ou non) par rap-
port aux choix d’action et de navigation sur le site. On constate une aug-
mentation de la vitesse et une diminution globale de la durée de la
recherche et de la saisie d’informations pertinentes, qui se traduit par une
augmentation du nombre de pages consultées ou de fenêtres ouvertes.
L’observation des utilisateurs suggère qu’avec l’augmentation des interac-
tions avec le système et du nombre de pages consultées, il y aurait une aug-
mentation de la quantité d’information traitée. Ce point est d’autant plus
intéressant qu’avec l’avancée en âge les capacités de mémoire immédiate
diminueraient, ainsi que celles de traitement des informations et en parti-
culier des informations nécessitant des raisonnements abstraits. Dans une
situation proche de la réalité quotidienne, ce résultat suggère que l’in-
fluence absolue de la baisse des capacités liée à l’âge resterait donc peu
importante, en regard d’autres facteurs.

5. A titre d’illustration, un utilisateur a cliqué dans un bandeau de publicité qui affichait « soyez malin
payez moins cher » alors qu’il essayait de réserver un billet : il pensait avoir des informations sur des
tarifs réduits et n’a pas compris qu’il avait quitté le site. Un autre a cliqué plusieurs fois sur une puce
animée d’un clignotement, pensant qu’il s’agissait d’un lien et attribuant l’absence de réponse du sys-
tème au fait qu’il n’arrivait pas à cliquer correctement.

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Synthèses des recherches du programme

L’âge et l’apprentissage des nouvelles technologies


ne sont pas incompatibles

Nombreuses sont les assertions faites à propos d’une diminution des


capacités d’apprentissage avec l’âge, voire de l’incompatibilité entre avan-
cée en âge et apprentissage des nouvelles technologies. Dans cette étude,
cet aspect est volontairement analysé à deux niveaux : un niveau global, où
l’on compare la progression dans le succès aux tâches d’une session à
l’autre, et un niveau fin où l’on compare l’évolution des modes opératoires
durant l’interaction avec les dispositifs d’interface.
Si on regarde le taux de succès entre la première session et les suivantes
selon l’expérience, il ressort que seuls les novices s’améliorent, ce qui sug-
gère un certain apprentissage. Expérimentés et intermédiaires ne s’amélio-
reraient pas, voire leurs performances sembleraient diminuer. A un niveau
plus fin d’analyse, à l’inverse, on constate d’une session à l’autre, comme
à l’intérieur d’une même session, que les expérimentés seuls montrent une
amélioration des modes opératoires (en termes de vitesse), par exemple au
cours de la consultation d’un formulaire. Les expérimentés tendent en
parallèle à éviter la répétition d’erreurs précédemment commises.
Cette apparente contradiction de résultats amène plusieurs réflexions
importantes. Apprendre à utiliser Internet ne se restreint pas à apprendre
à utiliser un dispositif particulier d’interaction ; d’autres aspects entrent en
jeu tels que l’identification et la récupération d’erreurs, la compréhension
même partielle du fonctionnement du système, l’anticipation et l’intelli-
gibilité des objectifs possibles à atteindre, la motivation. L’évaluation de
l’apprentissage peut ainsi amener des conclusions différentes suivant l’in-
dicateur utilisé, d’où la nécessité d’en utiliser plusieurs pour aborder ce
phénomène complexe, notamment chez le sujet âgé. Un autre point est
que l’apprentissage n’est pas un processus monotone : échecs et succès
peuvent s’enchaîner au fur et à mesure des sessions. Enfin l’amélioration
du mode opératoire, propre aux expérimentés, peut s’interpréter en termes
de différences dans les connaissances structurées disponibles, et organisées
en fonction de la finalité de l’action (schèmes). Nos trois groupes se dis-
tinguent en effet au niveau des connaissances préalables à l’utilisation de
l’outil informatique. L’absence d’amélioration chez les novices, et chez les
intermédiaires dans une moindre mesure, proviendrait alors de la nécessité
d’une activité importante d’élaboration de connaissances pour parvenir à
comprendre la logique de fonctionnement des dispositifs sous-jacents à
l’usage d’un site. En outre, les novices ne peuvent accéder à des représen-
tations immédiatement efficaces pour ce qui est de leur guidage de l’acti-
vité d’utilisation et d’apprentissage. Ces derniers nécessitent des rappels
systématiques, voire des explications détaillées, d’une session à l’autre sur,
par exemple, le multifenêtrage, les menus déroulants, la saisie d’informa-

120
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 121

L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet par les aînés

tions au clavier, les ascenseurs. On soulignera ainsi une difficulté particu-


lière de l’apprentissage de la logique de fonctionnement spécifique aux
sites web, qui est l’articulation de connaissances d’au moins trois
domaines : la micro-informatique, l’Internet et le site considéré.

Quels que soient l’âge et l’expérience, des difficultés similaires


essentiellement dues aux choix de conception du site

L’analyse fine de l’activité des utilisateurs, au cours de leurs interactions


avec des formulaires en ligne (dispositif courant et représentatif des para-
digmes de dialogue sur le web), montre que l’ensemble des utilisateurs,
indépendamment de l’âge et de l’expérience, rencontre des difficultés
similaires, hormis la difficulté spécifique de manipulation des dispositifs
techniques pour les novices6. Cette conclusion peut s’appliquer de surcroît
à l’ensemble des étapes de l’interaction sur Internet. En effet, des aspects
pratiques de la conception expliquent en partie les difficultés rencontrées.
● La logique du site ne correspond pas toujours à la logique de l’utili-

sateur, ce qui crée des situations d’impasse et de désorientation, voire


de fausse route dans l’arborescence du site, et conduit à un sentiment
de frustration lié à l’impossibilité pour l’utilisateur d’atteindre son
objectif.
● La localisation d’une partie de l’information hors du champ perceptif

direct est une difficulté importante consécutive au surdimensionne-


ment des pages par rapport à la zone visible à travers la fenêtre des
navigateurs ; cette partie de l’information est difficile d’accès, et
devrait par conséquent être limitée aux informations facultatives,
voire devrait être bannie des habitudes de conception sur le web.
● L’organisation spatiale de l’information combinée au choix du gra-

phisme peut induire des effets « parasites » dans la façon dont les uti-
lisateurs interprètent les fonctions disponibles et les dispositifs de la
page.
● L’existence d’une similitude forte de forme, de contenu et de procé-

dures entre pages aux fonctionnalités/objectifs différents pose pro-


blème, sur le plan de la discrimination, et partant de l’apprentissage
de l’organisation du site chez de nombreux sujets.
● Le retour d’information à l’écran ne doit pas nécessiter une recherche

active de la part des utilisateurs, sinon des difficultés sont rencon-


trées : absence de prise en compte, identification tardive et seulement
après quelques impasses.

6. Il s’agit de la souris, du clavier, des dispositifs interactifs (menus déroulants, ascenseurs verticaux et
horizontaux, champs de saisie…).

121
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 122

Synthèses des recherches du programme

● La multiplication des liens plus ou moins redondants associée à l’ab-


sence d’homogénéité des formats (image, puce, soulignement, cou-
leur des caractères…) rend difficile l’identification des liens actifs.
● L’usage de termes techniques ou non familiers pour l’utilisateur

engendre également des difficultés, soit qu’ils ne soient pas compris


relativement à l’action ou au résultat attendu, soit qu’ils soient inter-
prétés de façon erronée.
● L’absence d’équivalence réelle entre commandes alternatives perturbe

la navigation en induisant des erreurs chez les utilisateurs.


● Le multifenêtrage perturbe l’utilisateur car il n’est pas immédiatement

intelligible, et reste par conséquent rarement identifié.


● Le contenu de l’aide est généralement peu adapté à l’étape du dia-

logue et à l’interrogation de l’utilisateur.


● Les messages d’erreur induisent des difficultés, soit parce qu’ils ne

sont pas suffisamment explicites, soit parce qu’ils ne sont pas visibles.

Ces aspects renvoient, en partie, à des critères ergonomiques qui sont à


considérer dans la conception de tout site Internet. La conception gra-
phique, l’organisation des informations, le contenu peuvent faciliter ou
inhiber une exploration efficace, dans la mesure où ils interagissent à deux
niveaux avec les caractéristiques de l’utilisateur. Le premier concerne le pro-
cessus d’élaboration de connaissances et de stratégies opérationnelles per-
mettant au sujet d’améliorer sa performance, au fur et à mesure de l’histoire
de ses interactions avec le site. Le second renvoie à la plus ou moins grande
facilité à appliquer les stratégies et les connaissances déjà acquises par le
sujet, afin de réaliser la tâche demandée. Ces deux niveaux déterminent
directement les caractéristiques d’intelligibilité et d’utilisabilité du site.

Les aînés apprennent et progressent s’ils sont motivés, et


si l’outil technique répond à des critères d’utilité et d’utilisabilité

La persistance à utiliser un site dépend certes de son niveau d’utilisabi-


lité, mais également et surtout, de la perception de son utilité intrinsèque
par l’utilisateur. De façon intéressante, les deux sites étudiés s’opposent sur
deux plans : l’utilité en relation avec le type de services qu’ils proposent
– le premier est un site de transaction, le second un site d’information –
et l’utilisabilité et l’accessibilité.
Des avis partagés ressortent à propos de ces caractéristiques. Pour le site
B, la difficulté viendrait d’un manque d’intérêt par rapport aux fonctions
offertes : le site se place en concurrence directe avec des supports plus tradi-
tionnels (magazine, journal, catalogue), sans que les utilisateurs y perçoivent
de plus-value évidente. L’utilisateur doit apprendre à utiliser un ordinateur

122
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 123

L’apprentissage et l’utilisation de l’Internet par les aînés

et à surfer sur Internet, alors que la lecture papier ne nécessite pas de nouvel
apprentissage. De plus, de nombreuses contraintes supplémentaires sont
liées à la lecture à l’écran : fatigue physiologique plus importante, souplesse
moindre que le support papier. Pour le site A, les difficultés découlent de son
utilisabilité et de son accessibilité. Cependant, celles-ci engendrent un
niveau d’abandon et de rejet du site moins important que dans le cas du site
B. Il apparaît ainsi que lorsqu’un site répond à un critère d’utilité réelle res-
sentie, l’utilisateur est capable de développer des stratégies d’adaptation,
malgré des difficultés d’utilisabilité et d’accessibilité importantes.
A la question, souvent posée à l’ergonome, d’un espace spécifiquement
dédié aux « seniors » dans les sites, sans proposer de réponse catégorique,
notre réflexion s’oriente plutôt vers l’aménagement d’un site Internet
« grand public ». En effet, l’analyse des services et fonctionnalités propres à
intéresser cette population en particulier (tarifs, loisirs et voyages, services
utiles tels que la prise en charge des bagages à domicile, etc.) fait apparaître
des besoins porteurs d’améliorations pour l’ensemble des utilisateurs. La
recommandation générale est celle d’intégrer les caractéristiques et les inté-
rêts d’un plus grand nombre d’utilisateurs, plus que de proposer la création
d’un espace spécifique à une population. En outre, nos résultats confirment
la nécessité de prendre en compte les modalités d’usage et les inadéquations
au niveau de la conception, en relation avec les caractéristiques propres à
l’outil, plutôt que d’arguer des caractéristiques d’incompétence ou de
défaillance inéluctables, souvent prêtées à l’utilisateur âgé.

***
Pour finir, cette étude apporte une contribution au domaine, jusqu’à
présent peu investi par l’ergonomie cognitive, des personnes âgées utilisant
et apprenant à utiliser des dispositifs techniques tels que l’Internet. Les
résultats constituent des premiers repères, en même temps qu’ils ouvrent
des pistes pour un agenda de la recherche dans le domaine. Nous souli-
gnerons également l’originalité de notre approche associant expérimenta-
tion et exploitation d’une situation plutôt écologique d’utilisation
concrète et finalisée d’Internet.
Il ne s’agit pas de conclure uniquement sur l’actuel problème de
l’Internet, mais d’insister sur les capacités des aînés à accepter des appren-
tissages de nouvelles technologies de l’information et de la communica-
tion (NTIC). Si dans quelques années il n’y aura plus beaucoup de per-
sonnes étrangères à l’usage de l’informatique basique, d’autres NTIC se
développeront, et les aînés de ces époques en seront éloignés et souffriront
à nouveau d’un effet de génération, comme celui que l’on observe chez les
aînés d’aujourd’hui. Il est donc important de montrer que l’avancée en âge
ne détériore pas l’espérance d’emploi des NTIC et que les aînés peuvent
apprendre, à condition d’en voir l’intérêt.

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Synthèses des recherches du programme

Ce texte à été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 13, juin
2002.

Publications et communications

SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C., MICHEL G., SPECHT M., UZAN G.


(1998), « Impact du vieillissement des personnes, handicapées ou non, sur
l’utilisation d’objets techniques », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 1,
pp. 57-62.
SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C., SPECHT M., UZAN G., MICHEL G.
(1998), « Contraintes sensorielles, mnésiques et temporelles chez les per-
sonnes vieillissantes utilisatrices d’objets techniques de la vie courante »,
Temps et travail, Actes du XXXIIIe Congrès de la SELF, Paris, 16-18 sep-
tembre 1998, pp. 633-642.
SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C., MICHEL G., SPECHT M., UZAN G.
(1999), « Impact du vieillissement des personnes, handicapées ou non, sur
l’utilisation d’objets techniques », dans Évolutions technologiques, dynamique
des âges et vieillissement de la population, Document d’étape (existe en version
anglaise), MiRe-DREES/CNAV, pp. 25-35.
DE LA GARZA C., SPECHT M. (1999), « Trois groupes de facteurs d’adéqua-
tion des technologies nouvelles aux aînées : technicité, âge et variations indi-
viduelles », Gérontexpo, table ronde : « Qualité des interfaces homme-machine
dans les systèmes d’aide à la vie quotidienne. Journées européennes qualité et
innovations télématiques », IUP ville et santé-ingénierie du management,
Paris, 29-31 mars 1999.
SPECHT M., BURKHARDT J.-M., DE LA GARZA C. (1999), « De l’ergono-
mie des objets techniques dans le quotidien des personnes âgées à l’analyse de
d’utilisation d’Internet », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 2 »,
n° 27, pp. 21-38.
SPECHT M., SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C. (1999), « L’utilisation
réelle des objets techniques du quotidien par les personnes âgées », Réseaux,
« Communication et personnes âgées », vol. 17, n° 96, pp. 97-120.
DE LA GARZA C. (2000), « Age et performance dans les situations d’apprentis-
sage des techniques écran-clavier : le cas des personnes de plus de 50 ans
confrontées à la recherche d’informations dans un site Internet », séminaire
Vieillissement et travail : âge, expérience et efficacité au travail, EPHE-CREAPT,
Paris, mai 1999.
DE LA GARZA C., BURKHARDT J.-M. (2001), « Modalités d’utilisation et
d’apprentissage de l’Internet par les aînés : le cas du site de la SNCF et de la
CDC », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat SNCF/CDC, 61 p.
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LES SERVICES ET LES ORGANISMES INTERMÉDIAIRES

Le service public face à la demande sociale :


les usagers âgés dans les transports
en commun de Marseille

Ghislaine Gallenga*

Quatre années après la mise en place d’un nouveau système billettique à la


Régie des transports de Marseille (RTM), divers changements, consécutifs à la
phase d’installation et de rodage, sont intervenus. Ces adaptations ont notam-
ment donné lieu à une augmentation des moyens humains, faisant suite à la
diminution initiale du personnel présent sur le réseau. L’approche, de type eth-
nologique, de ces évolutions successives s’est plus particulièrement centrée sur le
rôle tenu par les médiateurs, qu’il s’agisse des employés de la RTM ou d’autres
passagers. En effet, si d’après leurs témoignages les usagers âgés semblent s’être
accoutumés au nouveau système, les observations montrent que leur maîtrise,
en fait relative, provient avant tout de stratégies adaptatives liées à l’entraide
et à l’anticipation.

Ce travail est la continuation d’une première recherche où nous avions


analysé les réactions des usagers âgés et des employés de la Régie des trans-
ports de Marseille au nouveau système de billetterie appelé Réseau libertés,
mis en place en 19961. Fondée sur le principe du porte-monnaie électro-
nique, cette refonte de la billetterie a constitué un véritable bouleversement
de la notion même de déplacement. Les titres de parcours, petits tickets rec-
tangulaires utilisés habituellement, ont disparu au profit d’une carte, for-

* IDEMEC, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Aix-en-Provence.


1. Voir la note de synthèse publiée dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 4, décembre 1998.

125
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 126

Synthèses des recherches du programme

mat carte bancaire, comprenant une bande magnétique. Dorénavant, le


même ticket est valable une heure et permet d’effectuer plusieurs trajets.
Une autre différence réside dans la validation systématique, c’est-à-dire
dans l’obligation pour tous, même pour les usagers bénéficiant de la gra-
tuité des transports ou pour les employés de la RTM, d’introduire leur carte
dans un lecteur afin de valider leur parcours.
L’étude de 1998 avait montré que la partie âgée de la population n’avait
été que faiblement prise en compte lors de l’élaboration des nouveaux sys-
tèmes techniques ; les problèmes spécifiques de ces usagers demeurent
marginaux dans la politique commerciale de l’entreprise. Les entretiens
avec les usagers âgés avaient mis en évidence les difficultés pratiques d’uti-
lisation de la nouvelle billetterie. Parallèlement, les employés de la RTM
se représentaient les personnes âgées surtout comme un problème et
comme une source de complications dans leur travail quotidien.

Méthodologie

Le travail de terrain s’est déroulé dans la ville de Marseille. La méthodolo-


gie est celle, classique, de l’ethnologie : elle a consisté à croiser des entre-
tiens semi-directifs ou libres à des observations fines de terrain. Nous
avons interrogé aussi bien le personnel de la RTM que les usagers âgés. 70
agents de l’entreprise environ ont été nos informateurs, ces personnes se
situant à tous les échelons de la hiérarchie. En direction des usagers, nous
avons mené notre recherche dans six centres d’animation de quartier
(CAQ), où de nombreux entretiens ont été menés auprès de personnes
âgées. Outre ces personnes, interrogées de manière formelle, un nombre
non quantifiable d’entretiens a été mené de manière informelle au gré du
travail d’observation dans les autobus et les stations de métro.
L’observation en effet s’est prolongée et élargie sur les lieux mêmes du trans-
port. Les arrêts de bus, les autobus, les stations de métro, l’intérieur des
rames de métro, la proximité des divers kiosques de vente RTM, les reven-
deurs RTM, l’Espace info (principal centre de réception du public) et les
zones d’accès aux stations sont autant de lieux d’enquête où se sont croisés
observations de terrains et entretiens informels auprès d’usagers âgés.

Cette seconde recherche porte sur les adaptations des divers acteurs,
employés et usagers, et sur les stratégies mises en œuvre pour s’approprier
ces nouvelles techniques. Nous nous sommes intéressés plus particulière-
ment au rôle des médiateurs. Ceux-ci peuvent être les contrôleurs, les
agents de station dans le métro, le personnel de l’Espace info (lieu d’in-
formations et de réclamations), les agents de sécurité ou bien aussi le per-
sonnel qui délivre et renouvelle les cartes d’abonnement. Quelles relations
les usagers âgés entretiennent-ils avec ce personnel ? Quelles représenta-

126
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 127

Les personnes âgées dans les transports en commun de Marseille

tions ces médiateurs ont-ils de cette catégorie de clients ? On peut formu-


ler l’hypothèse que bien souvent les demandes des anciens, sous couvert
d’explications supplémentaires, traduisent un manque d’interférence avec
des acteurs humains.
La mise en place de nouveaux dispositifs technologiques a non seule-
ment bouleversé les rapports usagers/employés mais a aussi transformé le
contenu des métiers des employés de la RTM. Par exemple, les chauffeurs
de bus ont dû veiller à ce que tous les usagers valident leur titre de trans-
port, se voyant ainsi investis d’une mission de contrôle. En outre, ils sont
sollicités à chaque défaillance technique du valideur ou tout simplement
chaque fois qu’un client introduit sa carte dans le mauvais sens.

Les évolutions du système

Depuis le lancement de Réseau libertés, des changements de tous ordres


sont intervenus, changements rendus nécessaires suite aux dysfonctionne-
ments du système et aux critiques formulées par les usagers et les employés.
Ces modifications sont de trois ordres. Le premier concerne les changements
d’ordre technique, relativement peu nombreux mais témoignant néanmoins
d’une préoccupation centrale : comment renforcer la présence humaine
hâtivement supprimée ? Le deuxième se rapporte aux changements des
représentations du personnel à l’égard des personnes âgées et du Réseau
libertés. Le dernier a trait aux changements des rôles des agents de la RTM,
plus particulièrement tous ceux qui assurent une fonction de médiateur.

Le renforcement de la présence humaine


Lors du lancement de Réseau libertés, les stations furent classées en
« stations pôles » et « stations satellites ». Les « stations pôles » étaient au
nombre de sept et correspondaient à des terminus ou des nœuds de cor-
respondances ; une présence humaine y était assurée, contrairement aux
stations satellites qui ne comportaient plus de guichet. Quatre années plus
tard, la direction a augmenté le nombre de « stations pôles » et renforcé les
effectifs de responsables de station ainsi que des chefs de groupe.
Dorénavant, treize stations sont considérées comme « pôles » et une qua-
torzième est en voie d’ouverture. Il semblerait que l’augmentation du
nombre des « stations pôles » soit amenée à se poursuivre. D’une manière
générale, le nombre d’employés dans les stations tend lui aussi à croître,
pour revenir sensiblement à son nombre d’origine.

Les représentations et les attitudes du personnel


L’image que les chauffeurs de bus ont des usagers âgés ne semble pas
avoir évolué par rapport à la première recherche : « Les vieux sont terribles,

127
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 128

Synthèses des recherches du programme

dès qu’ils montent dans le bus, ils râlent, ils ont toujours une réflexion à te
faire, ils ne sont jamais contents. Demande à un conducteur chevronné qui
fait des lignes difficiles d’aller faire la ligne 49, là où il y a le maximum d’an-
ciens, tu verras, sa réponse sera claire, il te dira : Laisse-moi sur ma ligne avec
mes pénibles, je les préfère encore aux vieux, ils me donnent des maux de tête. »
De son côté, le personnel de contrôle de la RTM perçoit les personnes
âgées de manière contrastée et relativement plus positive. Les personnes
âgées sont généralement en règle, mais elles ont aussi toujours tendance à
« rouspéter ». La réclamation ou la question sur un problème quelconque
imprègnent fréquemment la relation du contrôle. Le savoir-faire du
contrôleur se transforme en savoir-être face à des populations qui récla-
ment plus de contact et plus de relation humaine. Tout est prétexte à
l’échange verbal. La disponibilité du contrôleur devient alors un atout
majeur dans la relation aux personnes âgées. « En règle générale, ça se passe
bien ; ils ont compris, ils ne font plus de problèmes mais, quand ils mettent
leur carte, ça sonne, et ils vont s’asseoir ; devant nous, même, ça les gêne pas.
Ça sonne, bon, ou ça sonne pas, bon, c’est pas leur problème. Pareil pour les
correspondances, ils sortent plus leur carte et ils te disent qu’ils sont en règle, et
que de toutes les manières, ils payent pas car ils ont la gratuité. »

Des médiateurs incontournables : le maître-chien et le chauffeur de bus


Le maître-chien n’assure pas uniquement la sécurité dans les stations de
métro, il tient en fait aussi un rôle de médiateur entre la population âgée
et la RTM. Ces maîtres-chiens sont employés par des sociétés privées à qui
la RTM fait appel. Avant l’instauration de Réseau libertés, leur présence
était principalement dissuasive vis-à-vis de la fraude ou des attitudes délin-
quantes, leur premier objectif résidant dans le maintien de la sécurité et de
la tranquillité des voyageurs. Ils interviennent désormais très fréquem-
ment à la demande des clients qui les sollicitent pour acquérir des titres de
transport aux distributeurs automatiques, les personnes âgées étant très
nombreuses à faire cette démarche et à apprécier cette présence humaine :
« Les maîtres-chiens, ils sont supers, ils s’intéressent à nous, ils ne refusent
jamais de nous renseigner, il faudrait qu’ils soient plus nombreux sur le réseau.
On sait parfaitement qu’ils ne peuvent pas mettre de maîtres-chiens dans tous
les bus, mais leur comportement est exemplaire. Oui, franchement, et en plus,
ils ne sont pas nombreux à être d’origine française, ils font mentir bien des
gens. » Les maîtres-chiens sont également souvent sollicités pour expliquer
ou accompagner l’usage du visiophone ; cet appareil permet à la personne
qui appelle d’entrer en relation directe, notamment par la visualisation,
avec un agent commercial qui dans la plupart des cas résoudra le problème
qui se pose.
Dans le réseau de surface, le rôle de médiateur est principalement
assumé par le conducteur de bus. La multiplicité de ses tâches rend son

128
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 129

Les personnes âgées dans les transports en commun de Marseille

activité complexe. A l’origine, Réseau libertés avait institué pour les


conducteurs de bus une prime mensuelle appelée « prime commerciale ».
Il était alors demandé au chauffeur d’assurer non seulement la conduite du
bus, mais aussi la vente de titres de transport, le conseil à la clientèle et la
vérification de la bonne validation de chaque client à chaque montée dans
le bus. Le nombre d’agressions – verbales et physiques – à l’encontre des
chauffeurs de bus n’a, depuis, cessé d’augmenter. Pour assurer la sécurité
de ses chauffeurs, la RTM a décidé de cantonner le chauffeur à son rôle
initial. Il doit certes renseigner l’usager sur son titre de transport, mais uni-
quement à sa demande. Il lui est interdit désormais de demander à un usa-
ger qui ne l’aurait pas fait de valider son transport. Ainsi, ce sont toute une
politique et un combat – les syndicats étaient farouchement opposés à
cette association de fonctions – qui, quatre années plus tard, aboutissent
de la part de la RTM à un retour au point de départ.

Les adaptations des usagers

Le client âgé titulaire d’une carte donnant droit au tarif réduit doit ali-
menter son porte-monnaie électronique. Cette opération s’effectue sur les
distributeurs de titres implantés dans les stations de métro. La procédure
mise à la disposition du client, via un écran tactile, ne semble pas encore
à ce jour satisfaire les personnes âgées. Bien que nombre d’entre elles pré-
tendent s’être adaptées à ces nouvelles pratiques, force est de constater sur
le terrain qu’un pourcentage encore important de cette population appa-
raît démuni face aux distributeurs automatiques « froids et muets », selon
leurs propres termes. L’intervention directe d’un responsable de station
venant épauler un client, d’un maître-chien sollicité pour ses conseils ou
sa protection ou tout simplement l’aide occasionnelle d’un autre client
démontrent régulièrement le manque réel d’assimilation de cette procé-
dure et l’ambiguïté de la relation qu’entretiennent les personnes âgées vis-
à-vis de Réseau libertés. La préférence des personnes âgées en matière
d’achat de titres de transport va au revendeur du quartier ou aux différents
kiosques RTM, et c’est manifestement vers cette transaction simple que
s’orientent les personnes âgées. Elles ont la sensation d’avoir avec ces
« commerçants », qu’elles connaissent souvent depuis de nombreuses
années, une relation privilégiée, aux antipodes de la froideur technique et
muette des distributeurs de titres dans les stations de métro.
L’oblitération systématique pose problème aux personnes âgées, surtout
si elles utilisent plusieurs modes de transport pour se rendre quelque part.
En particulier pour l’autobus, le processus de validation systématique les
dessert car il ne fait qu’accroître le ralentissement de leur installation dans
le véhicule. En effet, leur intérêt réel ne réside pas tant dans la réussite du

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Synthèses des recherches du programme

geste de validation que dans l’acquisition rapide d’une place assise, l’évite-
ment de la pénibilité du transport debout étant crucial pour cette popula-
tion. Une des stratégies d’adaptation réside alors dans l’anticipation :
« Maintenant quand j’attends un bus, je prépare ma carte toujours dans ma
main droite, la flèche dans le bon sens, ainsi quand le bus arrive, je m’agrippe
de la main gauche pour monter et dès que je suis sur la plate-forme je mets ma
carte dans la fente, ça me permet comme ça de pouvoir m’asseoir plus vite. Les
places réservées, c’est pas si facile que ça à avoir. »
Selon les origines sociales et les degrés de technicité de chacun, la
démarche d’adaptation à la nouvelle billettique a été plus ou moins longue
et ardue. Malgré le dispositif de lancement de Réseau libertés, dont la phi-
losophie fut d’accroître considérablement durant une certaine période le
nombre d’agents venus sur le terrain pour renforcer les équipes commer-
ciales, les personnes âgées, une fois cette période euphorique de lancement
passée, se retrouvèrent isolées face à ces nouveaux savoirs, n’ayant généra-
lement pas intégré du premier coup tous les paramètres de cette nouvelle
donne. Un sentiment d’impuissance doublé d’un sentiment d’injustice a
créé une forme de rejet, suivi très rapidement par la nécessité d’une adap-
tation contrainte. Les personnes âgées ont fustigé la RTM sur le manque
de communication, au moment de la mise en place de ce projet.
Aujourd’hui encore, bien que réduites, les critiques ne se sont pas com-
plètement estompées. Une deuxième phase, de redécouverte d’un appren-
tissage trop rapidement digéré, s’est mise en place progressivement. La
concertation en groupe, ou encore, « comment comprendre ce qui se passe
en en parlant avec ses voisins », caractérisa cette seconde phase de l’ap-
prentissage du Réseau libertés.
Il n’est pas rare de voir encore aujourd’hui à un terminus de métro des
groupes de trois ou quatre personnes âgées devant les distributeurs auto-
matiques, l’une d’entre elles expliquant aux autres le fonctionnement de
ce type d’appareil, tout en joignant le geste à la parole en effectuant un
achat à titre d’exemple. Une fois l’explication passée, le professeur impro-
visé aide ses amis à effectuer leur propre achat. Il les aide, mais aussi les
laisse intervenir librement sur les appareils pour vérifier qu’ils ont bien
mémorisé la procédure. Chacun, tour à tour, passe devant le « professeur »,
effectue sa transaction sous le regard attentif des autres. Cette répétition
instantanée d’une leçon technique démontre une stratégie de solidarité
très particulière où l’intérêt commun du groupe passe par une compré-
hension individuelle de la démarche. Parallèlement, les revendeurs de
quartier, les vendeurs en kiosques, les conducteurs de bus et bien entendu
le personnel des stations de métro ainsi que le personnel d’Espace info
sont toujours la cible de nombreuses sollicitations.

130
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Les personnes âgées dans les transports en commun de Marseille

Et pour l’avenir…

L’évolution actuelle de la RTM consiste à porter davantage d’attention


au voyageur en général, les personnes âgées bénéficiant bien entendu de
cette évolution. Plus de « stations pôles » ont été implantées, plus de per-
sonnel a été formé pour intervenir sur le terrain, il y a donc eu un renfort
considérable de moyens humains. La relation homme/machine, si elle s’est
accrue, est de plus en plus relayée par la participation d’un agent.
Parallèlement, la sécurité, le confort, l’ambiance constituent les thèmes
dominants. Le manque de personnel, quels que soient les espaces visités, a
été source de problèmes et d’insatisfaction et la demande est toujours très
forte de ce côté-là. La RTM, dont la politique de développement allait
dans le sens de la restriction de personnel, a donc dû revoir sa copie com-
merciale.
Les usagers âgés ont tout d’abord subi ce nouveau système, puis se sont
adaptés. Oui, mais comment ? Si l’on en croit leurs discours, et contraire-
ment aux propos tenus précédemment, ils ne semblent plus rencontrer de
problèmes pour l’utilisation de Réseau libertés ; ils y trouvent même des
avantages. Mais si nous observons leurs pratiques, nous nous rendons
compte alors que les choses n’ont pas vraiment changé. L’oblitération sys-
tématique, la pratique du porte-monnaie électronique, la bonne utilisa-
tion de la carte d’un format type bancaire, avec son sens unique d’inser-
tion dans les valideurs, l’achat aux distributeurs automatiques continuent
de poser problème dans la pratique.
La RTM fait partie de la vie et de l’histoire du paysage marseillais ; elle
est indissociable, dans l’esprit des anciens, de la notion de service public.
Réseau libertés est venu changer les pratiques et principes de fonctionne-
ment du déplacement dans les transports collectifs. Ce système tente
d’instaurer un nouvel esprit où la dimension commerciale pure viendrait
épauler la prestation de services. Nécessité faisant loi, la forme actuelle
semble s’imposer dans ce cas, comme semble s’imposer aux yeux des
anciens un sentiment de dépréciation de la prestation de services, dépré-
ciation liée plus à la « posture » du service restitué selon une logique com-
merciale qu’à la qualité de ce service.

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 10/11, jan-
vier 2001, pp. 3-6.

131
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 132

Synthèses des recherches du programme

Publications et communications

GALLENGA G. (1999), « Le changement culturel au sein d’une entreprise de


service public : les usagers âgés et la billettique dans les transports en commun
de Marseille », dans Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillisse-
ment de la population. Document d’étape (existe en version anglaise), MiRe-
DREES/CNAV, pp. 69-76.
GALLENGA G. (1999), « Usagers âgés, billettique et transport en commun »,
Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 2 », n° 27, pp. 39-53.
GALLENGA G. (2000), « Le service publique face à la demande sociale : les usa-
gers dans les transports en commun de Marseille », Rapport final
MiRe/CNAV, Contrat EDF/France Télécom, 253 p.
GALLENGA G. (2001), « La billettique dans les transports en commun de
Marseille : un froid système superflu pour les personnes âgées », Les
Technologies dans l’aménagement de l’habitat et l’environnement urbain : les aides
aux personnes souffrant de handicaps, symposium, Atelier de recherche sociolo-
gique, université de Bretagne occidentale, Brest, 4 et 5 octobre 2001.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 133

LES SERVICES ET LES ORGANISMES INTERMÉDIAIRES

L’adaptation de l’habitat chez des personnes


de plus de 60 ans souffrant de maladies
et /ou de handicaps et vivant à domicile

Françoise Le Borgne-Uguen*, Simone Pennec*

Comment s’opère l’adaptation du domicile lors de l’avancée en âge et de l’ap-


parition de maladies et de handicaps plus ou moins invalidants ? Comment
s’agencent les interactions entre les personnes âgées, leurs proches et les profes-
sionnels à travers les usages des techniques et des aménagements de l’habitat ?
Tel est l’objet de cette recherche qui a porté sur une population âgée de 60 ans
et plus, disposant de revenus modestes et vivant à domicile. Il apparaît que les
usages des objets techniques introduits et des aménagements entrepris sont dif-
férenciés et déterminés davantage par les stratégies personnelles, les formes de
l’organisation familiale et les normes de l’intervention des professionnels que
par le degré du handicap considéré en lui-même.

Au-delà des logiques économiques, administratives et techniques qui


déterminent pour partie les projets d’aménagement de l’habitat chez les
personnes âgées, la recherche tend à mieux comprendre les processus d’ac-
quisition et d’installation des objets et les usages ainsi initiés. Sont identi-
fiées les formes de négociations entre les différents acteurs en présence : la
personne elle-même, ses proches et les professionnels intervenant réguliè-
rement dans les lieux, du point de vue des projets, des transformations
effectives et du remaniement des usages en cours.

* Atelier de recherche sociologique, université de Bretagne occidentale, Brest.

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Synthèses des recherches du programme

Conduite de la recherche

L’étude des publics initiant ces transformations a été menée selon une
double approche : quantitative et qualitative. D’une part, nous avons tra-
vaillé sur les 415 dossiers établis pour des demandeurs âgés de 60 ans et
plus par le Pact-Arim durant l’année 1997, à l’échelon d’un arrondissement
du Finistère.
Par ailleurs, nous avons fait appel à plusieurs organismes susceptibles de
permettre la rencontre avec des personnes utilisant des objets techniques
facilitant la vie à domicile. 18 monographies ont été réalisées à partir de
cas pour lesquels un des services suivants est intervenu : le Pact-Arim, la
rééducation fonctionnelle du centre hospitalier universitaire, l’Office public
d’aménagement et de construction-HLM et une association d’intervention
pour l’adaptation du domicile : Vital.
Les 18 situations retenues intègrent des réalisations qui portent sur l’adap-
tation des salles de bains, l’installation de rampes et de sièges d’escalier et
différents aménagement des lieux de vie.
L’approche qualitative conjugue l’observation ethnographique et l’analyse
des propos tenus par les personnes âgées, leur entourage et les profes-
sionnels intervenant régulièrement. Ces entretiens ont été répétés, soit par
de nouvelles rencontres au domicile, soit par des contacts téléphoniques.

Des adaptations de faibles coûts,


pour une population aux revenus modestes

L’étude des 415 dossiers concernant les personnes de 60 ans et plus éta-
blis en 1997 par le Pact-Arim révèle trois constats majeurs. Le premier
concerne la faiblesse des dossiers comportant de l’aide aux handicaps. L’aide
apportée aux personnes de 60 ans et plus consiste principalement dans
l’amélioration de l’état général du logement. Lorsque sont identifiés des
handicaps sensoriels et de motricité ou des longues maladies invalidantes,
les domiciles ne font pas l’objet de travaux plus coûteux ; ceux-ci peuvent
toutefois comporter un peu plus souvent des aides à la modification de cer-
tains espaces. Dans ces quelques cas, les transformations se cantonnent
généralement à l’aménagement des sanitaires et de la salle de bains. En
deuxième lieu, il apparaît que sont le plus souvent réalisés des travaux
modestes au bénéfice d’une population à revenus modestes (voir encadré
ci-après).
Le troisième constat réside dans l’existence d’un savoir-faire professionnel
d’aide aux handicaps qui semble mis en œuvre surtout pour les personnes
plus jeunes. Les professionnels, les ergothérapeutes en particulier, évoquent
les différences d’attitude entre la population qualifiée d’âgée et moins fré-
quemment décrite par ses handicaps, et la population qualifiée d’handicapée
et présentée comme plus jeune. Deux ordres d’hypothèses explicatives peu-

134
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L’adaptation de l’habitat chez des personnes de plus de 60 ans souffrant de maladies…

vent être formulées à ce sujet : d’une part, la classification « personnes âgées »


n’induit pas une orientation vers l’adaptation aux handicaps mais vers l’amé-
lioration de l’habitat, d’autre part, les sources et les critères de financement
spécifiques pour les deux publics ainsi distingués orientent les actions en ce
sens. Cependant, une évolution semble se faire jour dans la définition des
priorités des financeurs pour l’aide aux handicaps des personnes plus âgées,
priorités qui se manifestent à travers la part accrue de ce type de dossiers trai-
tés courant 1999 et début 2000 au sein du Pact-Arim.

Les dossiers du Pact-Arim

97 % des ménages dont nous avons étudié les dossiers Pact-Arim ne sont
pas imposables et pour plus de 44 % d’entre eux les ressources mensuelles
sont inférieures à 6 000 francs. 27,5 % des ménages disposent de 6 000 à
8 000 francs, 16 % de 8 000 à 10 000 francs de revenus et 12 % de plus de
10 000 francs. En outre, dans quelques cas, ces ressources prennent en
compte les revenus des enfants cohabitant.
Les professions ne sont pas toujours explicitées ; seuls 176 dossiers sont
renseignés et présentent la répartition suivante : 36 % d’ouvriers, 28 %
d’employés, 16 % d’artisans et commerçants, 11 % d’agriculteurs et 8 % de
professions intermédiaires.
Le coût des travaux est inférieur à 30 000 francs pour 59 % des situations ;
27 % se situent entre 30 000 et 45 000 francs, 8 % entre 45 000 et 60 000
francs, 6 % au-delà de 60 000 francs.
La part principale du financement est assurée par les personnes elles-
mêmes. En effet, 43 % des personnes financent plus de 70 % du montant des
travaux, 30 % des personnes entre 50 et 70 %, 19 % entre 30 et 50 % et seu-
lement 8 % des personnes participent pour moins du tiers du montant des
travaux. A cette participation directe des personnes doit être ajoutée leur
participation indirecte à travers l’intervention de leurs caisses de retraite.

La disparité de l’introduction des techniques


dans les différents lieux du domicile

La recherche a mis en relief un ordre de priorités dans les techniques et les


aménagements engagés. Cette hiérarchie se révèle lors de l’observation ethno-
graphique des lieux, de leurs objets et des modes de circulation ou de fixation
de leurs habitants dans l’espace de leur domicile. Elle est également présente
dans les manières de raconter sa vie quotidienne et ce qui fait événement. Les
acquisitions diverses et leurs usages sont négociés dès la conception des pro-
jets, au moment des achats, des installations et de l’apprentissage de leur
maniement par la personne ou par des tiers ; ensuite ces objets et techniques
s’ancrent dans les rythmes de la vie au quotidien au point d’y devenir quasi
invisibles et d’être utilisés sur un mode d’automatismes incorporés.

135
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 136

Synthèses des recherches du programme

Il ressort aussi de l’observation conduite que les aménagements ne


concernent pas de la même façon les différentes pièces du domicile :
● Les cuisines et les chambres ne font pas l’objet d’élaboration de propo-

sitions techniques de la part des professionnels et lorsque des aména-


gements particuliers y sont repérables, ils relèvent le plus souvent de
projets pensés et mis en œuvre par les personnes ou leurs proches :
bricolages, astuces ou acquisition d’appareils insignes de modernité.
Les aménagements consistent à utiliser des tactiques pour atteindre et
rapprocher des objets usuels, par exemple installer de nouveaux inter-
rupteurs regroupés pour la commande à distance des divers appareils.
Les objets trop spécifiquement désignés à l’intention des personnes
dites handicapées sont peu introduits et généralement peu valorisés
par les professionnels.
● Les salles de bains représentent en revanche des espaces faisant fré-

quemment l’objet de préconisations de la part des professionnels


experts, conduisant à des transformations visibles aux yeux des non-
familiers. Il s’agit de modifier l’organisation, en installant un siège
d’assise dans une baignoire ou en la remplaçant par une douche, en
équipant la salle de bains d’un type de lavabo ou de robinetteries
adaptés aux handicaps. Paradoxalement les barres d’appui sont parfois
absentes ou peu fonctionnelles. Les réaménagements portent égale-
ment, dans une moindre fréquence, sur les WC. Cependant, les pré-
conisations des professionnels en ce domaine semblent majorées au
regard des attentes des personnes handicapées âgées, celles-ci appa-
raissant sensibles en priorité aux objets et travaux susceptibles de
maintenir leur capacité d’accès et de circulation entre les différentes
pièces du logement ou entre ce dernier et l’extérieur.
● Les objets et les techniques venant compenser une mobilité réduite sont

fortement investis.
Les objets techniques destinés à faciliter les déplacements et la sécu-
rité tels que les rampes et barres d’appui ainsi que les sièges d’escalier
se présentent comme autant de choix d’équipements autour desquels
il y a peu d’hésitations. Les initiatives d’acquisition relèvent souvent
d’un projet préalable de la personne ou de ses proches, à propos
duquel des renseignements ont déjà été réunis avant le contact avec
l’organisme. Ces appareillages sont considérés adaptés aux usages
attendus et deviennent sources de satisfactions nouvelles à travers la
reprise d’activités, en particulier externes au domicile. En outre, à des
niveaux de handicaps quasi similaires correspondent des manières
contrastées d’évolution dans l’espace de l’habitat : maintenir ou non
sa capacité de circulation entre différentes pièces ou rester quasiment
en permanence dans un même endroit. D’autre part, pour certaines
personnes, l’installation d’un siège électrique d’escalier permet de ne

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L’adaptation de l’habitat chez des personnes de plus de 60 ans souffrant de maladies…

rien changer aux objets et usages présents auparavant. A l’inverse,


l’absence d’un tel appareil contraint d’autres personnes à limiter l’am-
plitude de leurs déplacements ou nécessite l’intervention de proches
pour le faire.
● Les objets marqueurs du handicap proposés et non retenus ou vite aban-

donnés.
Certains objets proposés par les professionnels sont différés dans l’ac-
quisition ou récusés, comme les tables roulantes suggérées par les
ergothérapeutes, évoquant de trop près les tables d’hôpital. D’autres
sont adoptés mais ne « restent pas » dans le logement, c’est le cas des
déambulateurs ou des sièges d’assise de baignoire. De la même façon,
des lits médicalisés ou des potences ont pu être installés, mais leur uti-
lisation cesse dès que possible, et les décisions d’arrêt de ces usages
semblent plus précoces chez les femmes – y compris lorsqu’elles sont
très handicapées – que chez les hommes. Ces objets sont rendus au
prêteur ou entreposés dans un lieu hors d’accès habituel dès lors que
des substituts sont trouvés et validés. Ces situations peuvent évoquer
des formes de sous-équipements et, dans tous les cas, les objets consi-
dérés comme ordinaires sont préférés aux objets associés à l’image du
handicap. Ainsi, les interphones bricolés remplacent les téléalarmes et
les fauteuils de type Voltaire ou confort sont aménagés pour différer
l’introduction d’un fauteuil perçu comme médicalisé.
● Les objets ordinaires achetés ou bricolés.

Suggérés, manipulés par la personne âgée elle-même avec ses proches


– le plus souvent le conjoint, les membres de sa famille ou les aidants
ménagers –, les objets privilégiés sont ceux qui permettent l’indépen-
dance au quotidien : manger seul, se mouvoir, varier ou changer d’ac-
tivité. Les objets sont achetés après une comparaison de l’offre pré-
sente sur le marché, sur des critères d’adaptation à la singularité du
handicap ou du lieu à équiper. Ces objets introduits seront alors réin-
ventés, détournés, bricolés, rectifiés. Par exemple, un revêtement anti-
dérapant est installé sur le rebord d’une chaise électrique d’escalier,
des repose-pieds sont confectionnés, un siège rotatif est installé dans
une voiture, des cannes télescopiques servent à manipuler des objets
ou encore une chaise ordinaire est munie de roulettes afin de pouvoir
être poussée, solution plus appréciée que l’usage d’un déambulateur.
Les aménagements élaborés sont extrêmement diversifiés, comme l’at-
teste par exemple la diversité des tables présentant des systèmes de
fixation rajoutés pour les objets usuels comme les crayons. Lors des
séjours hospitaliers, les personnes et leurs proches observent les objets
et les techniques qui sont à leur disposition et se familiarisent avec
eux ; ces situations inspirent leurs bricolages futurs ou conduisent à
des achats, parfois même à des stratégies de multi-achats.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 138

Synthèses des recherches du programme

Les usages différenciés des acquisitions techniques

Les personnes handicapées âgées parviennent parfois à faire reconnaître


comme légitimes pour elles des aménagements servant, de leur point de
vue, leur qualité de vie. Fréquemment aussi s’engage un travail collectif de
négociation et de prise de décision visant à examiner, valider, différer ou
contester les solutions préconisées par les acteurs familiaux et profession-
nels. Dans certains contextes, les objets techniques dédiés à la compensa-
tion des handicaps se conjuguent avec d’autres objets récemment acquis,
traduisant la flexibilité d’utilisation des objets au sein du logement. La
transformation de la salle de bains est concomitante de l’acquisition
d’autres appareils indicateurs de modernité telle qu’une cuisinière à plaque
vitro-cérame ou encore d’objets techniques de loisir : chaîne stéréo, etc.
L’installation d’objets techniques et d’aménagements pour le handicap
induit des possibilités nouvelles d’acquisition d’objets pour le confort de
la vie. En revanche, dans d’autres situations, les objets destinés au handi-
cap sont difficilement introduits dans des espaces qui sont aussi peu
flexibles aux changements et aux usages de techniques et d’activités nou-
velles. On note une faible introduction d’appareils récents comme le télé-
phone portable ou une faible utilisation de la téléalarme, pourtant parfois
acquise.
Cependant, l’investissement dans de nouveaux objets et aménagements
est d’autant plus facile que le maintien à domicile fait l’objet d’un consen-
sus, pour le temps présent et l’avenir envisagé. Globalement, les objets
sont intégrés et valorisés s’ils parviennent à une double fonctionnalité :
soutenir le projet de la personne en difficulté et maintenir les relations
conjugales, filiales et amicales ordinaires ancrées dans la longue durée et la
mémoire.

La validation des décisions techniques par le partenaire conjugal


L’objet technique trouve son sens en particulier s’il est validé par le lien
conjugal. Les choix ou non d’objets ou de niveau d’équipement – instal-
ler une rampe plutôt qu’un siège d’escalier – peuvent entretenir la dépen-
dance de l’aidant, conjugal en particulier. Tel est le cas lorsque le refus de
certaines techniques – téléalarme, levage automatique du lit – conduit à
solliciter l’aide de l’entourage de manière quasi permanente. D’autres
appareils, dont la maniabilité s’avère insuffisante – fauteuils, équipements
de salle de bains et toilettes –, produisent les mêmes effets, construisant
des carrières de soignants au long cours pour les conjoints, hommes et
femmes. A contrario, l’équipement introduit peut répondre à un projet de
maintien de l’indépendance entre les conjoints et de réalisation d’activités
spécifiques à chacun des partenaires.

138
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 139

L’adaptation de l’habitat chez des personnes de plus de 60 ans souffrant de maladies…

La filiation diversement présente :


tenue à distance ou « en charge » des affaires
Dans certains cas, les objets techniques et aménagements sont adoptés
pour soutenir la volonté d’indépendance, y compris vis-à-vis des descen-
dants. Si les conjoints jouent des rôles majeurs d’intercesseurs dans l’ac-
quisition, l’adaptation et le maniement des objets et des techniques, on
doit noter l’apparente absence des enfants dans les prises de décision
d’aménagements. Une partie des couples semble manifester une volonté
de maintenir à distance leurs enfants comme pour garantir le maintien
d’une relation ordinaire de parents à enfants, et non de handicapé ou de
malade, tout en continuant à produire des services à leur égard. Dans
d’autres situations, les parents semblent s’être déchargés sur leurs enfants
ou avoir été déchargés par ceux-ci de la conduite des affaires. Ainsi en est-
il des tentatives de cohabitation chez un enfant, « essais pour voir », pour
bénéficier d’équipements plus adéquats. Tentatives parfois régulées par de
nouveaux investissements filiaux pour un retour à la normale, un chez soi
pour chacun, et la recherche commune de techniques adaptées.
L’intervention des enfants, à l’égard d’un parent veuf – une mère généra-
lement – peut aussi marquer leur prise en main des affaires ; le rôle tenu
par l’ascendant peut être alors difficile à déterminer tant sa parole n’a plus
cours, tout au moins à l’égard du chercheur et des professionnels rencon-
trés par ailleurs. L’histoire semble jouée de longue date et la « déprise » de
la personne s’inscrit autant dans le logement que dans la configuration
relationnelle à l’œuvre.

Les différentes modalités d’intervention des professionnels


Les effets des handicaps imposent de faire tourner autour de soi des
objets et des personnes porteurs de services. Ces objets et techniques peu-
vent être mis en scène pour maintenir les distances avec les autres et pré-
server son autonomie tout autant que pour solliciter plus encore la pré-
sence des proches, familiaux et professionnels. Les professionnels
intervenant régulièrement dans les lieux sont de puissants contributeurs
des niveaux et des formes de changements entrepris. Ils valident et parfois
expérimentent avec les personnes et leurs proches les recherches de réali-
sations adéquates et leurs appropriations. Cela suppose qu’ils autorisent
des usages profanes des appareils et des lieux, par exemple des essais et des
erreurs dans les manipulations d’une salle de bains. Quand ce n’est pas le
cas, ces objets deviennent instrumentalisés par les professionnels : leurs
usages par la personne âgée et par ses familiers deviennent « sans objet »,
de crainte de gêner l’ordonnancement des activités du professionnel.
Cependant, certains professionnels expérimentent avec la personne diffé-
rentes tactiques selon l’évolution des handicaps et des projets de la per-

139
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 140

Synthèses des recherches du programme

sonne. Les objets et les lieux sont alors testés, manipulés, modifiés, et des
décisions sont adoptées de concert.

***
D’une manière générale, l’évaluation des habitations des personnes
handicapées âgées est établie selon des constats de niveau d’équipement et
de degré de vétusté ; elle comporte généralement des préconisations-pres-
criptions de modifications, et parfois de changement d’habitat. Ces pro-
positions sont aussi révélatrices des conceptions propres aux milieux socio-
professionnels et aux générations qui énoncent des modes d’habiter
estimés plus adéquats aux modes de vie d’aujourd’hui. Les médiations
engagées autour de ces adaptations techniques de l’habitat mobilisent les
cadres de légitimité et les normes associés au maintien à domicile d’une
personne souffrant d’un handicap et rentrant dans les catégorisations
sociales établies sur les âges.
Les récits tenus par les personnes âgées mettent en lumière leurs propres
représentations de leurs handicaps et les usages et stratégies qui en décou-
lent dans leurs rapports aux objets et à autrui. Selon la ou les narrations
du parcours de vie – le sien ou celui à propos de qui on parle –, les tech-
niques et les objets vont avoir différents statuts. Adoptés, écartés ou réin-
ventés, ils sont autant de manières de faire entendre les sentiments, éprou-
vés par les personnes, de pouvoir ou de « déprise » sur le cours de leur vie.
Les modèles et les niveaux d’investissement dans les objets techniques
ne semblent ni particulièrement relatifs aux âges, ni totalement fonction
des niveaux de handicaps. Des appareillages similaires – salle de bains,
siège d’escalier, fauteuil roulant, etc. – sont mis au profit de stratégies fort
différentes, inscrites dans le cours de la biographie. Ces stratégies consis-
tent à rester le plus conforme possible à l’état précédant l’accident de santé
ou à prévenir et accompagner l’évolution des difficultés que l’on pense
devoir s’accroître, pour maintenir son emprise sur les choses et sur les
autres. De manière abrégée, le fauteuil roulant, le siège d’escalier et divers
autres objets peuvent servir aussi bien à occulter, pour soi et pour les
autres, la transformation de ses capacités, qu’à prendre et reprendre prise
sur l’univers intérieur et extérieur en recomposant ses manières d’être et de
faire. La place de la personne âgée, variable dans la conduite et l’orienta-
tion des adaptations retenues, résulte de sa capacité à faire entendre sa stra-
tégie personnelle au sein des diverses configurations familiales. De plus,
ces éléments s’articulent de manière particulière avec les contraintes et les
ressources des cadres d’intervention des professionnels. On peut penser
que pour une population plus aisée que celle étudiée dans cette recherche,
la possibilité de stratégies consuméristes est probablement accrue, mobili-
sant ainsi de manière différente les univers de la parenté.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 141

L’adaptation de l’habitat chez des personnes de plus de 60 ans souffrant de maladies…

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 10/11, jan-
vier 2001, pp. 7-10.

Publications et communications

CARADEC V., LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « Adaptation de


l’habitat et nouvelles technologies », Les Cahiers de l’Unassad, « L’aide à domi-
cile : repères pour l’avenir », numéro spécial, pp. 75-94.
LE BORGNE-UGUEN F (2000), « Autour de la transformation de l’habitat : des
métiers en négociation avec la personne et ses proches », colloque de
l’Observatoire décentralisé de l’action sociale, Vieillissement : nouveaux
regards, nouvelles pratiques, Brest, 14-15 décembre 2000.
LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « L’adaptation de l’habitat chez
des personnes (de plus de 60 ans) souffrant de maladies et/ou de handicaps et
vivant à domicile. Les usages et interactions entre les personnes, les proches et
les professionnels », Document 1, Rapport final MiRe/CNAV, Contrat
MiRe/CNAV, 212 p.
LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « Étude de la population (âgée
de 60 ans et plus) suivie dans le PACT-ARIM 29. 415 dossiers en 1997 »,
Document 2, Rapport final MiRe/CNAV, Contrat MiRe/CNAV, 105 p.
PENNEC S. (2000), « Les rapports sociaux d’usage entre les personnes dépen-
dantes vivant à domicile, leurs proches et les services professionnels », in
Cresson G., Schzeyer F.-X. (dir.), Les Usagers du système de soins, Éditions
ENSP, Collection Recherche, Santé, Social, pp. 91-108.
LE BORGNE-UGUEN F. (2001), « Les récits des transformations du logement
et leurs usages au quotidien », Les Technologies dans l’aménagement de l’habitat
et l’environnement urbain : les aides aux personnes souffrant de handicaps,
Symposium, Atelier de recherche sociologique, université de Bretagne occi-
dentale, Brest, 4 et 5 octobre 2001.
PENNEC S. (2001), « Les professionnels à l’épreuve des logiques privées et des
dispositifs administratifs », Les Technologies dans l’aménagement de l’habitat et
l’environnement urbain : les aides aux personnes souffrant de handicaps, sympo-
sium, Atelier de recherche sociologique, université de Bretagne occidentale,
Brest, 4 et 5 octobre 2001.
PENNEC S. (2002), « Les professionnels des services à domicile : un travail aux
prises avec l’ordre des objets et des espaces », Les Territoires du travail, à
paraître.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 143

LES SERVICES ET LES ORGANISMES INTERMÉDIAIRES

Politique sociale de la vieillesse


dans une municipalité de l’Essonne
et développement technologique

Françoise Clavairolle*, Clarice Ehlers-Peixoto**

Cette recherche étudie les interactions, les coordinations et les ajustements au


sein d’un réseau socio-technique dans une commune de la région parisienne.
Ce réseau inclut des personnes âgées, divers produits et services techniques
qu’elles sont amenées à utiliser ou côtoyer, des organismes qui les leur mettent
à disposition, des professionnels ainsi que divers intermédiaires qui formalisent
ces relations. Les auteurs, anthropologues, ont cherché à rendre intelligibles les
comportements respectifs de ces diverses catégories d’acteurs, et à montrer com-
ment ils s’entre-définissent, en portant plus particulièrement leur attention sur
les services bancaires. Le champ du développement technologique est considéré
ici comme un espace de confrontations d’intérêts au sein duquel il convient de
s’interroger plus particulièrement sur le statut qu’y occupent les personnes âgées.

Dans l’imaginaire social contemporain, les « nouvelles technologies »


sont systématiquement associées à une classe d’âge : la « jeunesse ».
Corollairement, l’avance en âge est assimilée à un processus d’exclusion de
l’univers technologique. Notre approche, fondée sur l’observation et l’ana-
lyse des discours, nous a permis d’éclairer l’ambivalence des rapports
qu’entretiennent les personnes âgées avec les objets technologiques et leurs
prescripteurs. En mettant à l’épreuve des faits les stéréotypes sur la relation

* Université François-Rabelais, Tours ; CNRS, Technique et Culture.


** Université de l’État de Rio de Janeiro ; CNRS, Technique et Culture.

143
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 144

Synthèses des recherches du programme

univoque de sujétion des personnes âgées aux techniques innovantes, leurs


supposés rapports d’incompatibilité, nous avons voulu mettre en lumière
la part d’autonomie des personnes âgées, leur capacité à développer des
conduites actives face aux évolutions techniques rencontrées. Notre ana-
lyse se situe au carrefour de trois champs d’interrogation : le positionne-
ment des services sociaux municipaux face aux technologies nouvelles, les
usages et représentations des objets techniques chez les personnes âgées, la
place de la personne âgée dans l’offre technique.
L’enquête a été menée dans une commune de la région parisienne,
située dans le département de l’Essonne1. Conduite selon la méthodolo-
gie ethnologique – observations et entretiens non directifs –, elle a porté
sur des objets techniques appartenant à la sphère privée domestique,
comme les équipements électroménagers, audiovisuels et informatiques,
ainsi qu’à la sphère publique, comme les automates bancaires et postaux.
Nous avons identifié trois types de dispositifs techniques : généralisé, ciblé
et initié. Le dispositif généralisé, auquel est consacré ce texte, désigne les
technologies intéressant la totalité de la société qui s’imposent de fait aux
individus dont elles modifient l’environnement ; le dispositif ciblé renvoie
aux technologies destinées spécifiquement aux personnes âgées et qui
visent à faciliter leur existence quotidienne ; le dispositif initié fait réfé-
rence aux technologies en direction desquelles certaines personnes âgées
engagent une démarche volontariste visant à les « domestiquer ».

Population âgée et automatisation des services

Les secteurs tertiaire et public ont développé l’automatisation de leurs ser-


vices au cours de la décennie écoulée. C’est le cas notamment d’une succur-
sale bancaire et du bureau de poste de la commune étudiée. La succursale est
l’une des 290 agences régionales d’une grande banque nationale dont tous
les locaux sont désormais organisés autour d’une série d’automates. L’espace
réaménagé propose, de part et d’autre de la zone d’accueil, une zone de ser-
vices formée par un mur d’automates permettant de réaliser la quasi-totalité
des opérations techniques qui autrefois étaient effectuées par le personnel, et
une zone conseil où ce personnel reçoit la clientèle.

D’une pragmatique de la fonction …


Lorsqu’elle a développé son nouveau concept d’agence, la banque n’a
pas considéré les personnes âgées comme un groupe d’usagers spécifique.
1. En 1990 cette commune comptait 2 424 personnes âgées de plus de 60 ans sur une population
totale de 15 715 habitants, soit un pourcentage voisin du taux national qui atteint 15,6 %. La ville se
caractérise par une population relativement aisée, avec une représentation élevée des professions inter-
médiaires et des cadres supérieurs.

144
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 145

Politique sociale de la vieillesse dans une municipalité de l’Essonne…

Pour les concepteurs, la clientèle forme une population en voie d’homo-


généisation sous le double effet de la contrainte – les réfractaires s’y met-
tront parce qu’ils n’auront pas le choix – et du renouvellement biolo-
gique – les « seniors » initiés à ces nouveaux usages se substitueront aux
« personnes âgées » inadaptées. La loi du marché imprime sa logique à la
réalité de l’entreprise. Or les services humanisés sont contraires à la ratio-
nalité économique qui évalue le bien-fondé d’une opération à l’aune de la
valeur ajoutée qu’elle dégage. Un cadre de l’agence énonçait de façon
quelque peu lapidaire : « c’est la transition […], aller vers l’argent… par-
don… les gens ». La logique entrepreneuriale s’exprime dans toute son
ambivalence. Dans un contexte caractérisé par une demande de plus en
plus prégnante de restauration d’un lien social affaibli par les modes de vie
contemporains, la banque est amenée à se « réhumaniser » en même temps
qu’elle s’externalise. « Il est un terme que je bannis, c’est l’automate », déclare
le concepteur de ces agences qui, là où nous voyons un alignement d’au-
tomates, n’aperçoit pour sa part que des « services ».
Les aménagements, pensés pour optimiser les échanges à forte valeur
ajoutée, visent à fluidifier la circulation de la clientèle. Dans ce dispositif,
la clientèle âgée fait figure de grain de sable au regard d’une mécanique de
la relation commerciale qui se veut parfaitement huilée. Ainsi les respon-
sables sont-ils amenés à construire les figures opposées de la « personne
âgée » et du « senior ». La « personne âgée », celle pour qui le temps n’a
pas la même valeur que pour l’agent bancaire et qui le perd au lieu de le
gérer, est négativement connotée à travers l’image inattendue du « pol-
lueur ». Pour sa part, le « senior », directement issu du discours marketing,
bénéficie de l’image positive du consommateur potentiel. Ce dernier, issu
des catégories sociales favorisées, dispose d’un pouvoir d’achat plus élevé
que la « personne âgée » et est un client du service « conseil » de la banque.
Si les « personnes âgées polluent », c’est parce qu’elles « ont du temps »
et que cet excès de temps a un effet délétère sur le temps compté de l’effi-
cacité commerciale. Devant les automates, elles n’hésitent pas à effectuer
des opérations superflues comme un historique, l’édition et la duplication
d’extraits de compte, quand elles ne transforment pas le lieu en « salon où
on va s’installer pendant deux heures ». À l’inverse, les « seniors » sont cen-
sés utiliser l’espace conformément à l’usage normé, sans entraver les dépla-
cements de la clientèle active et du personnel. Présentés comme des usa-
gers rationnels, ils sont supposés être habitués à la modernité technique en
raison de leur vie professionnelle antérieure.

… à une pragmatique des usages


Pourtant, pour peu qu’on observe et qu’on poursuive le dialogue, on
s’aperçoit que la réalité des usages ne recoupe pas cette typologie. Le
« vécu » ne coïncide pas avec le « voulu », avoue d’ailleurs le personnel. En

145
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 146

Synthèses des recherches du programme

effet, les « seniors », contre toute attente, sont réticents à utiliser les auto-
mates. Économiquement à l’aise, ils demandent véritablement à être servis,
au sens étymologique du terme, ce que la machine ne peut accomplir. Dans
la commune étudiée, la proportion de personnel travaillant au guichet est
supérieure à celle des agences implantées dans des quartiers populaires ou
en zone rurale car la clientèle, plus exigeante, sollicite l’aide des agents.
C’est en effet la clientèle appartenant aux catégories sociales économique-
ment les moins aisées, toutes classes d’âge confondues, qui accepte le plus
volontiers d’utiliser les automates. Parmi les « personnes âgées », il en est
même qui viennent discrètement « s’entraîner » en dehors des heures d’ou-
verture de l’accueil humanisé afin de se familiariser avec ces appareils.
Conscientes de la valeur que notre société attache aux nouvelles technologies,
elles déploient des stratégies de domestication des automates. Il s’agit de
montrer aux proches, parents et amis, que l’avance en âge n’est pas incompa-
tible avec une bonne intégration dans la contemporanéité. En ce sens, les
objets techniques les plus représentatifs de la modernité technologique appa-
raissent comme de véritables intermédiaires générationnels. Ces usagers des
automates voient dans la technologie, non pas un facteur de disqualification
sociale, mais au contraire d’intégration. On remarque également que la Poste,
à laquelle l’image de service public est historiquement attachée, a affaire à une
clientèle âgée globalement moins favorable à l’utilisation des automates. Il
semble donc que le comportement des clients âgés face aux automates soit
moins conditionné par leur degré de technicité que par les représentations
qu’ils se font de l’entreprise qui les leur met à disposition.
Il ne s’agit évidemment pas d’affirmer que la population âgée dans son
ensemble vit positivement l’automatisation des services publics et privés.
Parmi elle, on rencontre de nombreuses personnes qui, pour des raisons
diverses, refusent d’utiliser les automates. La diminution des capacités
physiques et notamment le handicap visuel constituent les facteurs les plus
souvent avancés. On remarque cependant que ces personnes ont souvent
recours à des ruses afin de ne pas dévoiler publiquement leurs déficiences
physiques ou intellectuelles. Loin de l’image de l’être démuni face à une
technologie qui la dépasse, la personne diminuée par l’âge met en place
des stratégies d’évitement élaborées : à la banque, ce sera une carte oubliée
au domicile qui l’oblige à faire appel aux services de l’agent ; à la Poste, elle
se fait amateur de timbres de collection que l’on ne peut obtenir qu’en
s’adressant à un guichet.

Objets techniques et construction de soi

L’objet technique peut certes être un facteur de disqualification de la


personne, mais il peut aussi devenir un moyen de requalification. Il

146
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 147

Politique sociale de la vieillesse dans une municipalité de l’Essonne…

devient ainsi le support d’une stratégie identitaire susceptible de prendre


deux directions : tantôt il s’agit de briser le cercle des préjugés qui concer-
nent la classe d’âge à laquelle on appartient et de renouveler l’image, jugée
erronée, de la personne âgée ; tantôt il s’agit au contraire de se démarquer
d’une image que l’on reconnaît pour les autres mais que l’on récuse pour
soi. La possession d’une gamme étendue d’objets techniques faisant partie
des technologies nouvelles permet donc à chacun de se situer soit en tant
que représentant d’une classe d’âge dont on juge l’image inadéquate, soit
en tant qu’individu rebelle à toute définition en termes de classe d’âge.
Revendiquant son appartenance à la première, la personne vieillissante
inscrit les technologies nouvelles dans son environnement. Utilisatrice
des automates, des appareils électroménagers les plus sophistiqués, elle
admet volontiers ses difficultés d’usage liées à des déficiences physiques
– dans ce cas, elle considère que c’est l’objet technique qui est inadapté et
non l’inverse –, mais conteste tout handicap d’ordre psychique. A sa
façon, elle milite pour que le statut de la personne âgée ne soit pas celui
d’un « laissé-pour-compte » de la modernité. Affirmant son appartenance
à la seconde stratégie identitaire, la personne s’entoure de technologies
modernes pour bien marquer son statut d’individu et non de représen-
tant d’une classe d’âge dans laquelle elle refuse de se reconnaître. C’est
bien parce que les technologies nouvelles sont censées entretenir une rela-
tion d’exclusion réciproque avec la personne âgée que leur appropriation
fait figure de preuve : la possession d’un téléphone portable, d’un ordi-
nateur ou d’un téléviseur DVD permet de négocier la place que l’on
occupe dans l’échelle générationnelle et d’affirmer qu’on n’a pas atteint le
degré redouté de la vieillesse. Dans ces conditions, les technologies nou-
velles caractéristiques du dispositif ciblé, comme les technologies de sur-
veillance et notamment la téléalarme, sont volontiers rejetées. Loin de
situer la personne hors de sa classe d’âge, elles marquent au contraire son
appartenance et revêtent un caractère stigmatisant pour celle qui ne
s’identifie pas comme « vieux ».

Les catégories utilisées

Au terme de la recherche, nous nous sommes interrogées sur la perti-


nence des catégories initiales sur lesquelles s’est appuyée notre recherche,
ainsi que sur le programme au sein duquel elle a été mise en œuvre. Du
côté des technologies, il semble qu’au regard de la population étudiée, la
catégorie « nouvelles technologies » corresponde à des réalités mouvantes,
renvoie à des jugements qui ne sont pas fondés sur des facteurs objecti-
vables : la représentation de l’objet technique ne peut être dissociée de la
représentation de soi et du monde. Ainsi la qualification de l’objet tech-

147
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 148

Synthèses des recherches du programme

nique dépend de la manière dont on vit et dont on pense son environne-


ment et de la place que l’on occupe dans la société.
De la même manière, les notions servant à désigner les personnes ayant
atteint l’âge de la retraite recouvrent des réalités différentes selon le point
de vue auquel ces notions renvoient. S’auto-désigner comme un « vieux »
n’a pas la même signification qu’être désigné comme tel, s’affirmer « per-
sonne âgée » ou être qualifié ainsi soulève le même problème. Nos entre-
tiens montrent que la technologie est instrumentalisée dans ce processus
de désignation externe et interne. Ces réserves nous amènent donc à inter-
roger la pertinence d’un questionnement qui suppose l’existence de caté-
gories objectives comme celles de « technologies nouvelles » et de « per-
sonne âgée ».
Tout au long des entretiens et des phases d’observation, nous nous
sommes demandées si, en portant notre regard sur les « personnes âgées »
au détriment des autres qui traversaient notre champ visuel ou se mêlaient
aux échanges, nous n’étions pas en train d’entériner un découpage a priori
du champ social et comme tel discutable. Est-il pertinent d’analyser le rap-
port aux technologies nouvelles sous l’angle des classes d’âge alors que
d’autres critères peuvent être tout aussi prégnants ? Une approche plus glo-
bale pourrait permettre de caractériser les attitudes face aux technologies
nouvelles et de montrer comment le facteur âge se combine avec d’autres
facteurs tout aussi signifiants. L’analyse en terme de classe d’âge ne favo-
rise-t-elle pas finalement la production de stéréotypes même si elle prétend
les combattre en mettant en exergue – comme nous avons été tentées de
le faire – les capacités adaptatives des « personnes âgées », leurs stratégies
d’appropriation ? Oscillant entre un discours teinté de populisme qui
flatte le dynamisme et les facultés adaptatives de cette population, et un
discours misérabiliste qui ne retient que leur vulnérabilité, la réflexion ne
contribue-t-elle pas finalement au renforcement des stéréotypes ?

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 10/11, jan-
vier 2001, pp. 11-13.

Publication

CLAVAIROLLE F., EHLERS-PEIXOTO C. (1999), « Politique sociale de la


vieillesse dans une municipalité de l’Essonne et développement technologique »,
Rapport final MiRe/CNAV, Contrat MiRe/France Télécom, 110 p.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 149

LES SERVICES ET LES ORGANISMES INTERMÉDIAIRES

Les acteurs des nouveaux services aux usagers :


place et fonctions des technologies
Recherche en cours

Véronique Le Goaziou*, Marie-Françoise Lozier***,


Anne-France de Saint Laurent**, Yves Toussaint***

Cette recherche s’inscrit dans une réflexion engagée par l’équipe ces
dernières années sur l’interaction entre la demande sociale, l’offre de nou-
velles technologies et leurs formes de diffusion, et l’évolution des modes
de vie dans notre société. La prise en charge de la dépendance des per-
sonnes âgées constitue un enjeu de taille pour l’ensemble des pays dotés
d’un système de protection sociale, du fait de l’accroissement de l’espé-
rance de vie. Dans le domaine des services aux personnes âgées, les travaux
mettent l’accent sur la difficulté des promoteurs de services à support tech-
nologique à appréhender la réalité des besoins de ces personnes et de leur
entourage et à y répondre de manière adéquate. Parallèlement, la logique
d’offre qui prédomine fait que de multiples demandes ne sont pas prises
en compte en raison de la complexité et de la variabilité des réponses à y
apporter.

Les objectifs de cette recherche sont triples :


● Réaliser un recensement des systèmes d’acteurs qui se constituent au

niveau local, à l’initiative d’opérateurs, d’associations ou de collectivi-


tés locales : téléphonie, téléalarme, téléassistance, etc.
* Agence de sociologie pour l’action.
** École des mines de Nantes.
*** IRIS, université Paris-9 Dauphine.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 150

Synthèses des recherches du programme

● Comparer les différentes modalités de la construction de la


« demande » des personnes âgées et de l’offre des services qui y répond
en interrogeant plusieurs ensembles d’acteurs.
● Cerner et analyser la façon dont la notion de proximité peut évoluer

du fait de la diffusion des nouvelles technologies de la communica-


tion du point de vue des promoteurs et des intervenants dans ces
divers systèmes.

Cette recherche étant actuellement en cours, ces points sont ici briève-
ment présentés.
La méthode choisie est de type qualitatif. Trois terrains d’investigation
ont été menés autour de l’offre de service des technologies de la commu-
nication pour le maintien à domicile des personnes âgées dans les dépar-
tements de Loire-Atlantique, du Calvados et des Hauts-de-Seine.
A partir des années soixante-dix et dans le prolongement du rapport
Laroque, l’État s’est engagé dans la mise en œuvre d’une politique de
maintien à domicile des personnes dépendantes et handicapées. De leur
côté, les communes ont poursuivi et renouvelé leur investissement pour la
prise en charge des personnes âgées. Puis, à la faveur des lois de décentra-
lisation, les départements ont obtenu la responsabilité d’initier et de coor-
donner une action gérontologique à l’échelon du territoire départemental.
Pour les trois départements retenus, les conseillers généraux se sont
appuyés sur les centres d’appel existants, le 181 ou le 152 pour proposer
un dispositif de téléalarme destiné aux personnes âgées dépendantes et aux
handicapés. Les CCAS (centres communaux d’action sociale) sont les
prestataires de ce service auprès de ces personnes. Néanmoins, sur chacun
des territoires retenus, cette offre socio-technique renvoie à une histoire
particulière au cours de laquelle se sont positionnés tout un ensemble d’ac-
teurs hétérogènes qui se mobilisent pour répondre au processus de vieillis-
sement et de la dépendance :
● Le centre de réception, régulation et traitement des appels : le centre 15

de l’hôpital de Garches, ou les 18 des centres d’incendie et de secours.


● Le financeur du système à l’échelle du département : le conseil général.

● Les prescripteurs/diffuseurs du système à l’échelle des communes : les

CCAS, les équipes municipales.


● Les prescripteurs/diffuseurs de proximité : les associations et les

familles.
● L’entreprise qui fabrique et commercialise les terminaux et les boî-

tiers : CWS Biotel.


● Les usagers finaux : personnes âgées et leurs proches.

1. Le 18, services d’incendie et de secours pour les départements du Calvados et de Loire-Atlantique.


2. Le 15, SAMU, service d’aide médicalisée d’urgence pour les Hauts-de-Seine.

150
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 151

Les acteurs des nouveaux services aux usagers : place et fonctions des technologies

Plus d’une dizaine d’années de pratique en matière de TIC donnent


l’occasion aux différents acteurs mobilisés d’évaluer cette offre, c’est-à-dire
de repenser le rôle joué par la technique, de repenser le processus de
vieillissement et surtout d’interroger cette offre où se combinent techno-
logie et vieillissement, et de miser sur ses potentialités pour faire émerger
de nouveaux usages et de nouveaux usagers. D’une part, le caractère
encore mal défini des produits TIC et des services qu’ils peuvent fournir
aux personnes âgées et à leur entourage favorise cette démarche. D’autre
part, de nombreux facteurs contribuent à faire évoluer les représentations
des personnes âgées :
● La rencontre avec ces personnes, le plus souvent des femmes, qui de

plus en plus ont travaillé et cherchent à garder leur autonomie ; mais


également la confrontation avec la grande dépendance qui soulève la
question des conditions du maintien à domicile.
● Le vieillissement de la population et surtout la montée du « risque

dépendance » lié à celle de la population âgée de plus de 80 ans : au


nombre de 1 698 000 en 2000, elles seront 2 850 000 en 2010 et
3 064 000 en 20203.
● L’évolution du monde médical, qui jusqu’alors a fortement contribué

à présenter le processus de vieillissement comme une maladie incu-


rable rythmée par la perte progressive et irréversible de ses facultés
physiologiques et par là même de l’autonomie des personnes vieillis-
santes.
● Une concurrence entre acteurs qui fait évoluer les pratiques. Plus par-

ticulièrement celles des associations qui, avec une marge d’initiative


importante, mènent en parallèle de leurs actions une réflexion sur la
vieillesse et la mort qui fait évoluer leur démarche.

En revanche, des acteurs semblent moins concernés par ces évolutions.


D’une part les familles qui manifestent le plus souvent un souci de sur-
protection à l’égard des personnes âgées et les traitent comme des sujets
sans droits, à l’instar des jeunes enfants, et, d’autre part, les collectivités
locales, incapables de décider d’un positionnement clair dans ce domaine,
qui semblent frileuses à financer de nouveaux services, associés ou non à
de nouveaux dispositifs techniques.
Néanmoins l’usage des dispositifs de téléassistance, tels qu’ils existent
dans les trois départements étudiés, soulève la question de la proximité
dans l’aide aux personnes âgées.

3. Conseil économique et social, 1999.

151
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 152

Synthèses des recherches du programme

Téléservices, proximité et gestion des urgences

Les « téléactivités » viennent explicitement rompre le schéma de la proxi-


mité, notamment par l’abolition des frontières physiques classiques au profit
de la notion de connexion, de branchement, et viennent par là même boule-
verser les catégories établies tant au niveau pratique que théorique. L’offre des
services à domicile a émergé dans le prolongement du rapport Laroque qui
dénonçait, derrière les maisons de retraite, l’existence de véritables mouroirs.
Il participa à mobiliser les collectivités locales pour proposer des services en
adéquation avec la demande sociale de « mourir chez soi ». Les services à sup-
port technologique, téléalarme ou télévigilance, émergent de cette même
logique. Les dispositifs techniques subventionnés par les collectivités locales
s’appuient sur des dispositifs existants et possédant des centrales d’écoute : les
pompiers et le SAMU. Ce choix, s’il correspond à certaines commodités de
mise en œuvre, renvoie également à une représentation particulière de la
vieillesse : celle d’une vieillesse déficiente liée à la décrépitude du corps, qui
participe d’une idéologie négative de ce quatrième âge.
Cette focalisation sur l’entrée dans la dépendance que représente une
partie de ce quatrième âge favorise sa mise à l’écart du monde social. Cette
distanciation permet à la fois d’assumer sa prise en charge par des profes-
sionnels et d’éviter la répulsion, l’inquiétude qu’il soulève parmi le reste de
la population. Ainsi, seuls les professionnels et les membres de la famille
accèdent aujourd’hui à ce quatrième âge. C’est pourquoi la réponse offerte
donne un rôle prédominant au médical, à l’urgence, à la survie. Les qua-
lités associées à ces services sont la rapidité d’intervention, la réponse per-
tinente à la situation d’urgence, la professionnalité, etc.
Cette réponse de spécialistes à une catégorie de population supposée homo-
gène (les personnes âgées) n’apporte qu’une solution partielle se rapportant
aux situations où la personne âgée, isolée à son propre domicile, chute et ne
peut se relever seule. Vécue comme un traumatisme, c’est une épreuve de la
vieillesse, une prise de conscience de sa propre fragilité, de sa dépendance. Ce
processus physique et psychique conditionne largement l’appropriation de la
téléalarme. Après l’épreuve de la chute, la téléalarme devient la bouée à laquelle
on se raccroche pour ne pas dériver vers la maison de retraite.

La diversité des intervenants, et des situations

Mais la professionnalité de l’intervention possède ses exigences. Pour


éviter d’avoir à sortir de leur cadre d’intervention – le secours d’urgence à
la personne pour les pompiers et les missions de l’aide médicale d’urgence
pour le SAMU –, les centres d’appel du 15 et du 18 ont mis en œuvre des
solutions en parties similaires. Les trois dispositifs étudiés exigent lors de

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Les acteurs des nouveaux services aux usagers : place et fonctions des technologies

l’abonnement que la personne âgée fournisse les coordonnées de trois


« accès » ou « parrain », c’est-à-dire les coordonnées de « trois personnes
situées dans un rayon de 5 km ou 10 min maximum et possédant les clés
du logement de l’abonné ». Cette condition implique que la personne ne
doit pas être isolée socialement. Les salariés de l’action sociale, prescrip-
teurs de ce service, se trouvent extrêmement embarrassés de ne pouvoir
faire bénéficier les personnes âgées qui ne peuvent fournir ces coordon-
nées. Ils évoquent le sentiment de prendre une décision qui consiste à ren-
forcer l’isolement d’une personne âgée déjà isolée. Ainsi, si la téléalarme
permet de répondre à une dépendance physique, elle peut aussi contribuer
à renforcer l’isolement social.
Néanmoins, le rôle dévolu par ces centres d’appel tend à évoluer, et cer-
tains d’entre eux mettent en place des configurations pour prendre en
compte cette demande sociale, urgente ou non, qui va du besoin de par-
ler à celui d’être rassuré, d’être informé. Ainsi le centre d’appel de Garches
fait intervenir des interlocuteurs spécialisés ; dans le Calvados, certains
appels sont renvoyés vers une plate-forme d’écoute associative.
Du côté des professionnels de l’action gérontologique, le besoin d’être
informé de la nature de ces appels n’est globalement pas satisfait. D’une part,
confrontés au processus de vieillissement dans sa dimension individuelle, ces
acteurs sont renvoyés à la nécessité de construire et reconstruire en perma-
nence l’offre des services auprès des personnes âgées. Ces services font eux-
mêmes appel à différents acteurs : aide à domicile, personnels soignants, por-
teurs de repas, famille, entourage. La qualité de la pourvoyance dépend
autant de la qualité de ces services que de la coordination entre eux.
L’approche en termes de réseau de proximité prend alors toute sa pertinence.
D’autre part, confrontés au processus de vieillissement dans sa dimen-
sion collective4, ces acteurs cherchent des outils qui pourraient répondre à
la nécessité d’une gestion massive de ces services. Les CCAS, pour lesquels
l’APA reconnaît un rôle de coordinateur de l’action gérontologique, s’in-
terrogent sur les capacités des technologies de l’information et de la com-
munication, ou sur la façon de faire évoluer les dispositifs existants de
téléalarme comme support à cette coordination. Ainsi les TIC, technolo-
gies de la distance, apparaîtraient à leurs yeux comme un outil susceptible
de fournir les éléments signalant la nécessité de remodeler l’offre des ser-
vices auprès des personnes âgées, de mobiliser un réseau de proximité.
Cette recherche est actuellement au stade de l’analyse ; seuls quelques
éléments sont avancés ici. Ils permettent néanmoins de saisir la complexité
de l’analyse des besoins des personnes âgées et de l’offre de service à sup-
port technologique.

4. L’APA (Allocation personnalisée d’autonomie), mise en œuvre au 1er janvier 2002, va également
contribuer à augmenter le nombre de personnes âgées bénéficiaires de ces aides.

153
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LA CONCEPTION ET L’OFFRE DE PRODUITS ET DE SERVICES

Problématique du vieillissement dans l’offre


de produits de la vie courante
Analyse des pratiques des entreprises

Michèle Conte*

Cette recherche porte sur la prise en compte de l’âge et du vieillissement dans


la conception et la fabrication de produits et de services de la vie courante. Les
investigations ont été conduites au sein d’entreprises intervenant dans divers
secteurs : habitat, industrie pharmaceutique, automobile, presse. L’attention
portée au vieillissement des usagers-consommateurs apparaît, à divers titres,
facteur d’évolutions bénéfiques pour les entreprises. Toutefois, les pratiques de
mise au point de produits pour tous, c’est-à-dire adaptés à un usage par des
utilisateurs diversifiés, parmi lesquels les personnes âgées, ainsi que les ensei-
gnements que l’on peut en tirer demeurent confidentiels et ne sont pas, le plus
souvent, capitalisés et valorisés.

Les personnes âgées représentent un enjeu économique d’importance


croissante, particulièrement reconnu en termes de marché. La presse éco-
nomique et grand public, plus récemment la littérature économique se
sont déjà largement penchées sur les potentiels et les modes d’achat de
cette nouvelle catégorie de consommateurs recherchés que sont les
« seniors ». Et pourtant la littérature relative à l’approche de cette clientèle
par les entreprises demeure quasi inexistante. La présente recherche s’inté-
resse donc à un champ d’investigation quasiment vierge.

* EGERIS, Paris.

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 156

Synthèses des recherches du programme

Pourquoi parle-t-on autant des « seniors », et si peu de l’offre en direc-


tion des seniors ? Pourquoi et comment les entreprises ont-elles abordé
cette question ? Peut-on parler de stratégie d’entreprise, le cas échéant ?
Quels enseignements les entreprises en ont-elles tiré, et qu’en déduire pour
développer une politique de prise en compte du vieillissement dans la
conception et la commercialisation des biens et services ?
Ce travail a été conduit sur une diversité de terrains (voir encadré) en
vue de recueillir des éléments d’analyse sur les facteurs de réussite, sur les
apports de la démarche de prise en compte du vieillissement dans l’offre
du produit grand public, ainsi que sur les limites des approches actuelles.

Les terrains étudiés relèvent de secteurs économiques hétérogènes :

● Habitat et industrie du second œuvre de l’habitat :


– « Cap Consommateurs » : club d’industriels du second œuvre (radia-
teurs, chaudières, domotique) ;
– Quatre applications du concept « Mieux Vivre », qui vise à concevoir
des produits d’usage courant accessibles à tous :
Conception et fabrication de matériels électriques (Société
Arnould) ;
Étude en vue de recommandations performantielles pour la concep-
tion de radiateurs : (Société Acova) ;
Démarche de certification de portes de placard animée par le CTBA
(Centre technique du bois et de l’ameublement) ;
Démarche de tests de produits de second œuvre par le Club (CUPI),
sélectionnant les produits du catalogue de l’Union des HLM.

● Industrie pharmaceutique (Elly Lilly, multinationale du médicament)


● Automobile (Renault)
● Presse (Seniorscopie-groupe Bayard)

Les résultats s’avèrent tous positifs pour les entreprises, en référence soit
au succès remporté par les produits bien adaptés à la clientèle des seniors
soit à l’évolution interne à l’entreprise provoquée par ces démarches.
Toutefois, la confidentialité persistante des projets limite un réel dévelop-
pement de la prise en compte du vieillissement dans l’offre de produit ; le
bilan de ces expériences et leur capitalisation ne s’opèrent pas à plus large
échelle. Pourtant, les expériences montrent que la prise en compte du
vieillissement s’avère être un réel facteur d’évolution. Elle porte, d’une
façon certaine, une offre renouvelée pour tous et enrichit les approches
conceptuelles de l’usage.

156
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 157

Problématique du vieillissement dans l’offre de produits de la vie courante…

L’évolution des démarches des entreprises

Les expériences analysées ont toutes largement participé à l’évolution de


produits grand public. La plupart des projets ont conduit à des innova-
tions, soit fonctionnelles, soit relatives à l’usage ou encore aux pratiques
des institutions et des entreprises.

Innovations fonctionnelles
Chez Renault, les conclusions d’une étude sur les attentes des seniors
ont débouché sur des innovations : éclairage intérieur à distance, système
d’alerte d’urgence, équipement intérieur totalement renouvelé pour un
nouveau modèle de monospace. Le laboratoire pharmaceutique Lilly Elly
a mis au point un conditionnement (support blister) facile à manipuler et
à transporter pour un nouveau médicament contre l’ostéoporose. De son
côté, la Société Arnould (fabrication de matériels électriques) incorpore
aujourd’hui systématiquement des critères de facilité d’usage (Mieux
Vivre) à tous ses produits.

Innovations technologiques
Renault a conçu de nouveaux systèmes d’attache de ceinture de sécurité
pour, en cas d’accident, tenir compte de la fragilité osseuse des personnes
âgées. Le système est aujourd’hui généralisé.

Innovations dans l’amélioration de l’usage


Chez Renault, la facilité d’entrée et de sortie des véhicules est amélio-
rée pour des personnes dont les mouvements sont difficiles. C’est à partir
des recueils de données réalisés lors de recherches ou de tests auprès d’im-
portants échantillons d’utilisateurs – dont des personnes âgées – que les
« normes » ergonomiques propres à Renault évoluent et sont réutilisées sur
tous les véhicules : les projets en cours d’étude renvoient dorénavant sys-
tématiquement à l’ouverture de la porte avant et à l’accès aux places avant.
En ce qui concerne l’AFNOR, les caractéristiques d’usage des portes de
placard intégrées dans la norme en préparation seront bientôt appliquées
à toutes les portes de placard coulissant.

Innovations dans les concepts de produit


Outre un nouveau concept de conditionnement, l’étude Lilly a égale-
ment permis de définir, mettre au point et tester de nouveaux concepts de
dosage tels que pipette à soufflet, bouchon-doseur, verre doseur, mono-
doses… Chez Renault, les préoccupations concernant la clientèle partici-
pent activement à la recherche de réponses opérationnelles au concept de
mobilité urbaine.

157
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 158

Synthèses des recherches du programme

Innovations institutionnelles
La démarche de certification des portes de placard constitue en soi une
innovation institutionnelle. Elle intègre dès le départ du processus de cer-
tification la prise en compte de la qualité et de la facilité d’usage. En cela,
elle représente une authentique innovation dans le domaine de la certifi-
cation.

Innovations dans les démarches des entreprises


Chez Arnould, par exemple, c’est depuis 1994 que la conception de
toutes les nouvelles gammes de produits intègre systématiquement les cri-
tères Mieux Vivre pour prendre en compte la « variabilité des usagers »,
ainsi devenus « prétexte et contrainte de départ ». Chez Lilly, le projet a
offert à l’équipe du Département du packaging primaire l’opportunité de
se constituer une « culture du Département réutilisable pour toutes les
études à venir ».

Le vieillissement, facteur de progrès

La prise en compte du vieillissement ouvre de nouvelles perspectives en


matière d’offre de produits, et apparaît à ce jour encore perfectible par une
réelle confrontation transdisciplinaire entre les compétences : de la géron-
tologie au marketing, en passant par l’ergonomie, le design et la commu-
nication. En effet, le phénomène du vieillissement de la population tout à
la fois renouvelle l’offre pour tous, joue un rôle socio-économique com-
plexe, moteur d’évolution de la consommation, et participe à l’évolution
interne de l’entreprise.
La recherche a fait émerger trois axes essentiels susceptibles de renouve-
ler l’offre de produits pour tous : la sémantique des produits, leur méthode
de conception et de vente. Pour les seniors, la sémantique des produits est
en effet spécifique : plus que leur image ou leur potentiel émotionnel de
séduction, ce sont les valeurs liées à une facilité d’usage optimale qui, à
leurs yeux, font sens : naturel et authenticité ; respect de l’environnement ;
tradition, celle du terroir, vecteur d’identité culturelle ; préoccupations
humanitaires. D’autre part, les méthodes de conception se trouvent
renouvelées : la nécessaire prévention des difficultés d’usage dans la
conception des produits s’attachera à compenser les situations pénali-
santes. En cela, elle constitue un gage d’amélioration de la qualité d’usage
des produits pour tous. Enfin, la prise en compte pour le choix et l’utili-
sation d’un produit des dimensions psychologiques et sociales de l’usage et
de l’image de soi propres aux seniors sera susceptible d’atténuer le senti-
ment d’exclusion. Dans ce cadre, la démarche d’offre doit se recentrer et
sur le produit et sur le senior en tant que client individuel. Le recentrage

158
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 159

Problématique du vieillissement dans l’offre de produits de la vie courante…

sur le produit détermine d’autres approches de communication, d’autres


types d’action sur la distribution. En matière de communication, le mes-
sage se recentre sur le produit même et les valeurs essentielles pour les
seniors. En matière de vente, conditionnement et « merchandising » du
produit deviennent décisifs. Ils doivent intégrer les mêmes caractéristiques
que la conception : facilité de repérage, choix de la quotité de vente,
confort d’usage et possibilité de livraison parmi les modes de distribution.
Le recentrage sur le client individuel senior découle de deux enseigne-
ments clés de l’approche marketing :
● la prépondérance de l’image de soi dans l’usage du produit, qu’il

s’agisse de la peur du regard virtuel ou réel des autres, notamment


dans les situations difficiles : difficulté de manipulation, méconnais-
sance de fonctionnement…
● l’importance qu’accordent les seniors à l’attention qui leur est portée.

Dans les deux cas, force est de s’intéresser à l’individu senior pour l’ac-
cepter, le reconnaître, le valoriser. La part immatérielle du produit se
centre alors sur l’environnement qualitatif et affectif du produit :
ambiance, accueil, convivialité du point de vente, écoute et considération
accordées au client, personnalisation du service et du conseil.
En résumé, la prise en compte des seniors et/ou du vieillissement de la
population participe en profondeur de l’évolution générale des stratégies
marketing. Les initiatives ont été engagées en l’absence de réelle volonté
de politique globale, le plus souvent à la faveur de facteurs externes. Bien
que porteuse de réussite, l’implication des entreprises dans la poursuite, le
développement et la pérennisation de démarches liées à la prise en compte
du vieillissement reste infiniment fragile en l’absence de stratégie sur le
sujet et de méthodologie spécifique. Les succès et avancées demeurent
empiriques et étroitement liés aux hommes qui en sont les acteurs.
Néanmoins, elles ont quasi systématiquement conduit à des évolutions au
sein des entreprises : passage d’une problématique de l’âge vers une pro-
blématique de l’usage particulièrement sensible à la variabilité des caracté-
ristiques des usagers ; redéfinition de la problématique de conception de
produits. Acquis sans doute non négligeables, mais qui souffrent aujour-
d’hui de limites entravant la généralisation de la démarche.

Limites relatives au projet et à la généralisation de la démarche

Les obstacles ou limites à la généralisation de la démarche sont de divers


ordres :
● organisationnels, structurels ou institutionnels : le fonctionnement des

organisations, le partage des responsabilités, voire le pouvoir de cer-

159
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 160

Synthèses des recherches du programme

tains services sur d’autres représentent autant de freins puissants en


matière d’innovation.
● méthodologiques : les difficultés ou obstacles sont relatifs soit à l’ab-

sence de réelle méthodologie, soit au manque d’adaptation de la


méthodologie aux spécificités des personnes âgées, surtout pour
approcher les « besoins » des seniors.
● industriels : certaines recommandations relatives à la facilité d’usage

peuvent, à la marge, entrer en conflit avec les contraintes dimension-


nelles de composants industriels standard. C’est le cas, par exemple,
de l’entreprise Arnould.
● liés au contexte socio-culturel : trois types d’obstacles limitent intrinsè-

quement la portée des expériences :


– les approches marketing traditionnelles centrées sur les motiva-
tions d’achat et les dimensions symboliques du produit, qui
excluent l’usage ; celui-ci ne fait pas partie des « variables » présu-
mées influencer l’acte d’achat. S’intéresser aux seniors contraint à
remettre en cause ce type d’approche : l’usage prendrait alors le
pas sur l’image ;
– le contexte socio-culturel : les valeurs dites « de la jeunesse » sont
dictatoriales ;
– la culture de 1’entreprise : seule une approche globale, consé-
quence d’une véritable décision politique de l’entreprise, sera
capable de conduire l’ensemble des services et de faire évoluer les
méthodes de travail.

Or nombre de projets sont issus d’un seul service, d’une seule direction.
Ils se bornent donc à un champ d’action aussi précis que limité. Enfin, ces
projets ne peuvent s’inscrire que dans des entreprises où les différents ser-
vices travaillent ou sont susceptibles de travailler ensemble. Peur du chan-
gement et conservatisme représentent autant d’obstacles à la réalisation de
projets paradoxalement ressentis comme dérangeants, alors qu’ils ciblent
un type de clientèle particulièrement « classique ».
Il en résulte une particulière confidentialité des projets et de l’offre des-
tinés aux seniors. Non seulement les projets qui s’intéressent au vieillisse-
ment ou aux seniors sont peu nombreux, mais ils sont difficiles à repérer,
et peu ou pas médiatisés. Une bonne part des entreprises industrielles s’in-
téressant aux seniors définissent une stratégie, mais elles ne le font pas
savoir.
De ce fait :
● les études demeurent confidentielles,

● les stratégies de communication, contrairement à des pratiques cou-

rantes aux États-Unis, destinées à éviter tout « marquage social du


produit » ne ciblent pas directement et exclusivement les seniors,

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Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 161

Problématique du vieillissement dans l’offre de produits de la vie courante…

● enfin, la confidentialité est de rigueur pour qui craint d’associer trop


étroitement sa marque à des « cheveux blancs », même si, paradoxale-
ment, ceux-ci représentent une clientèle majoritaire.

Enrichissement des problématiques


de lancement de produit

Approches et méthodes actuelles s’avèrent toutes insatisfaisantes pour


une prise en compte effective du vieillissement dans les démarches pro-
duits. A ce jour, aucune approche globale conceptuelle n’autorise une
authentique prise en compte du vieillissement dans la conception de pro-
duits ; cependant, les projets analysés pour cette recherche révèlent aussi
bien la nature des lacunes que des avancées conceptuelles susceptibles de
nourrir une approche du vieillissement dans la conception de produits.

Mieux satisfaire les seniors : nécessaires approfondissements


et mise en cohérence des problématiques et des méthodes
L’approche du vieillissement confirme la complexité d’une démarche
produits. En s’intéressant à une clientèle qui multiplie les contraintes spé-
cifiques tout en étant particulièrement sensible – comme toute « marge » –
à la perception sociale renvoyée, on réaffirme l’importance globale d’une
cohérence de démarche depuis l’extrême amont (idée de produit) jusqu’à
l’aval (mise sur le marché et accompagnement). En effet sont simultané-
ment concernés :
● l’idée de produit au regard des besoins exprimés ou des manques repé-

rés,
● la définition du produit : son utilité, ses fonctions,

● la conception du produit : prise en compte des contraintes d’usage

dans le design,
● l’esthétique, l’agrément,

● l’image renvoyée par le produit et ses dimensions symboliques,

● les modes de distribution,

● le marketing de vente : stratégie et communication sur le produit,

● l’accompagnement du produit, sa « part immatérielle », présentation,

accueil des clients, service, etc.

Les valeurs essentielles aux seniors, au même titre que leurs contraintes,
sont très exigeantes. Dans cette mesure, elles obligent à approfondir la
démarche de conception pour aboutir au résultat recherché : qualité, fia-
bilité, authenticité, facilité d’usage…

161
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 162

Synthèses des recherches du programme

Avancées conceptuelles susceptibles de nourrir une approche


du vieillissement dans la conception de produits
Les terrains étudiés alimentent de façon substantielle l’approche
conceptuelle. Le projet Lilly insiste, par exemple, sur l’objectif d’accepta-
bilité des produits dans leurs dimensions sociales et psychologiques.
L’approche Mieux Vivre et sa traduction opérationnelle, la « Performance
Mieux Vivre », se centrent sur les caractéristiques performantielles du pro-
duit, permettant ou facilitant son usage pour tous, tout en s’intéressant à
l’usage potentiel du produit par l’élimination des situations pénalisantes.
Les caractéristiques performantielles s’appuient sur l’approche analytique
de l’action, dont le fonctionnement du corps humain, sur le repérage des
situations pénalisantes voire handicapantes à chacune de ces étapes, ainsi
que sur la prise en compte des différents types d’utilisateurs du produit, y
compris les usagers atteints de déficiences.
Toutefois, la recherche met en évidence la nécessité d’une synthèse
conceptuelle et méthodologique. En effet, une réelle prise en compte du
vieillissement en tant que processus dans la conception de produit intègre
une vision dynamique de l’usage pour tous. Elle doit donc se fonder sur
trois concepts clefs : la recherche d’utilités individuelles ; l’acceptabilité
sociale et psychologique du produit, afin d’éviter toute exclusion des per-
sonnes ; l’utilisabilité du produit dans toutes ses dimensions, en le conju-
guant avec la variabilité des usagers potentiels.
La prise en compte du vieillissement conduit alors à une approche
dynamique du produit, puisqu’elle s’intéresse aux différents types de rela-
tions usager/produit dans l’action et à leurs prolongements dans l’envi-
ronnement, de quelque ordre qu’ils soient (psychologiques, sociaux…).
Enfin, elle recouvre une réflexion amont cohérente sur toutes les étapes de
la vie du produit, depuis l’idée initiale jusqu’à sa distribution et son suivi.
Elle contraint à ne pas se limiter au seul produit, mais à penser également
à son conditionnement, son accompagnement, jusqu’à l’ensemble de la
communication susceptible de le concerner.

Conclusions et perspectives

La prise en compte du vieillissement s’est traduite, dans les expériences


analysées, par des résultats positifs à l’échelon micro-économique de l’en-
treprise. Les potentiels qu’elle porte en germe pourraient conduire aux
mêmes résultats sur le plan macro-économique : la prise en compte du
vieillissement est un facteur latent de dynamisme socio-économique.
Pourtant, le développement spontané de cette problématique au sein des
entreprises a toutes chances d’être lent.

162
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 163

Problématique du vieillissement dans l’offre de produits de la vie courante…

A partir de réflexions sur le vieillissement sont nées de réelles innova-


tions fonctionnelles, technologiques, des améliorations d’usage ou institu-
tionnelles. Mais celles-ci ne sont ni présentées, ni valorisées comme telles,
pas plus dans l’entreprise que sur le marché. En effet, plus que de nou-
veaux produits ciblés en direction des seniors, les projets ont influencé
profondément la conception de produit, aboutissant ainsi à une offre amé-
liorée et renouvelée pour tous. Le marketing du vieillissement est égale-
ment incitateur de renouvellement des moyens de vente, par recentrage
sur le produit et d’un accroissement de la part immatérielle des produits.
Cette dynamique participe profondément à une évolution des approches
en matière de marketing.
Elle se traduit dans l’entreprise par une évolution des méthodes de tra-
vail et un développement des problématiques et méthodes de conception
de produit. Pourtant, il n’y a ni capitalisation réelle, ni enseignement de
ces actions dans l’entreprise. Les raisons en sont essentiellement cultu-
relles ; si positifs soient-ils, les projets restent confidentiels. Aussi, tout
développement de la prise en compte du vieillissement nécessite une évo-
lution des cadres de référence. Seule une action externe à l’entreprise peut
en être à l’origine. Elle est donc de nature institutionnelle. L’État, mais
aussi les partenaires économiques et sociaux peuvent être à l’origine d’ac-
tions d’accompagnement fondées sur une double stratégie :
– la nécessaire sensibilisation des entreprises, qui passe par deux types
de message : la médiatisation de l’intérêt socio-économique du
vieillissement ; le fait que les seniors peuvent être facteurs de dyna-
misme ;
– la reconnaissance positive des démarches de prise en compte du
vieillissement par une reconnaissance de la qualité d’usage des pro-
duits et ce, à travers des processus de certification ou labélisation.

Publications et communications

CONTE M. (2000), « Problématique du vieillissement dans l’offre de produit de


la vie courante : analyse des pratiques des entreprises », synthèse et conclusion,
Rapport final MiRe/CNAV, Contrat secrétariat d’État à l’Industrie/France
Télécom, 84 p.
CONTE M. (2001), « L’adaptation des produits de la vie courante au vieillisse-
ment », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 3 », n° 33, pp. 6-21.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 165

LA CONCEPTION ET L’OFFRE DE PRODUITS ET DE SERVICES

Les nouvelles technologies et les besoins


médico-sociaux des personnes âgées :
formation de l’offre et de la demande,
propension à payer

Michel Frossard*, Nathalie Genin*

Ce travail, dont les auteurs sont économistes, s’est attaché à apprécier les poten-
tialités de développement de la télémédecine, et plus précisément de la visio-
phonie, à la prise en charge médico-sociale des personnes âgées. Les investiga-
tions ont porté sur les trois principaux groupes d’acteurs concernés par cette
technique dont les applications demeurent à ce jour encore expérimentales : des
industriels pour lesquels la visiophonie représente un enjeu stratégique ; un
échantillon d’usagers potentiels constitué de personnes âgées « tout venant »
qui n’ont donc pas encore eu l’occasion de connaître ce type de dispositif ; le
personnel d’un service d’hospitalisation à domicile où a récemment été mis en
place un système de visiophonie.

Pour approcher la question de la formation de l’offre en matière de visio-


phonie appliquée au suivi médico-social des personnes âgées, deux objec-
tifs ont été poursuivis : le recensement des offres et l’identification des stra-
tégies d’offre de services et de produits. On peut faire deux hypothèses :
● La première est que les industriels voient dans la population âgée un

marché autonome solvable. A cette première hypothèse correspond

* Centre pluridisciplinaire de gérontologie (CPDG) ; Laboratoire interuniversitaire de gérontologie de


Grenoble (LI2G) - Génie de prévention sanitaire des populations (GPSP) - université de Grenoble.

165
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 166

Synthèses des recherches du programme

plutôt une stratégie de produits spécifiques, à usage dédié : équipe-


ment spécialisé pour un usage donné.
● La seconde hypothèse est que les industriels ne ciblent pas particuliè-

rement la clientèle âgée, cherchant à développer des produits d’un


degré élevé de standardisation et de banalisation. Dans ce cas, les pro-
duits seront plutôt génériques, multi-usages, avec adaptation éven-
tuelle à la marge.

Le recueil des informations a été réalisé par la conduite de deux vagues


d’enquêtes par courrier puis par entretien téléphonique auprès d’un
échantillon d’industriels et d’opérateurs. Le rassemblement de cette infor-
mation a été difficile, les industriels se réfugiant souvent derrière le secret
des affaires et la nécessaire discrétion pour des raisons stratégiques dans
une phase où les choix définitifs ne sont pas arrêtés.

Pour étudier la formation de la demande, trois dimensions ont été appro-


chées :
● Les déterminants de la demande de la population pour une nouvelle tech-

nologie de suivi médico-social à domicile. Deux enquêtes par question-


naire ont été réalisées, l’une en milieu urbain, l’autre en milieu rural,
auprès de la population générale de 55 ans et plus. L’objectif était
d’identifier ces déterminants autour de trois groupes de variables :
variables socio-démographiques (âge, sexe, revenu, etc.), variables
d’utilisation des nouvelles technologies, variables de recours aux soins.
Pour approcher la révélation des préférences, la comparaison est sys-
tématiquement faite entre la visiophonie et la prise en charge clas-
sique par le médecin ou l’hôpital.
● La propension à payer. Il s’agit d’une technique de révélation de la pré-

férence globale pour un bien ou un service, visant à identifier ce que


les économistes appellent sa valeur en l’occurrence, pour apprécier
l’opportunité de s’engager dans la diffusion d’une telle technologie.
● Les professionnels de santé et les conventions de bonne pratique de suivi à

domicile. Le rôle des professionnels médico-sociaux est important


dans le cas d’une technologie de cette nature. La diffusion de celle-ci
dépendra autant de leur attitude que des facteurs positifs de demande
des utilisateurs potentiels. C’est la raison pour laquelle une enquête a
été menée au service d’hospitalisation à domicile (HAD) du CHU de
Grenoble, qui expérimente cette technologie. L’enquête a été de type
« avant-après » : une première vague a été lancée au moment de l’in-
troduction de la technologie, une seconde un an après. Elle a pour but
de mettre en évidence, dans un cadre d’économie des conventions, les
conventions qui fondent les bonnes pratiques de suivi à domicile et

166
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 167

Les nouvelles technologies et les besoins médicaux-sociaux des personnes âgées…

de vérifier si la visiophonie satisfait à ces conventions, rendant donc


cette technologie susceptible d’être portée par ces professionnels.

La visiophonie

La visiophonie est une technologie de communication qui associe le son et


l’image, via le réseau RNIS. Un système de visiophonie est composé de
deux ou plusieurs ordinateurs avec webcams, permettant à des personnes
de communiquer par le son et l’image à distance. Chacun peut appeler
l’autre en composant un numéro de téléphone. Chacun voit l’autre, mais
aussi soi-même grâce à une petite image située dans un coin de l’écran, et
peut piloter la caméra à distance. Des touches tactiles facilitent les com-
mandes d’écran et de pilotage (zoom de la caméra à distance, par
exemple). La visiophonie peut servir notamment pour des visioconférences
ou pour la formation. Dans le cas étudié ici, elle est un élément d’un service
de suivi à domicile des patients chroniques. Elle relie un patient à domicile
et le service d’hospitalisation à domicile. Le patient comme le service peu-
vent prendre l’initiative d’appeler en cas de besoin, pour une question, la
vérification d’un pansement, d’une plaie, d’une sonde, pour aider le soi-
gnant à décider de la suite à donner : aller au domicile en urgence, ou bien
avec délai, rassurer «à distance», donner un conseil, etc. On peut lui asso-
cier des instruments permettant d’enregistrer certains paramètres : ten-
sion, rythme cardiaque, voire stéthoscope. On peut stocker certaines
images sous forme de photographies prises au cours de l’échange. Le sys-
tème garde une trace de chaque communication : heure d’appel, durée, ini-
tiative de l’appel.
***
Un atout important pour cette recherche a été la présence à Grenoble
d’une expérience de visiophonie, dénommée VISADOM, qui associe le
Laboratoire d’ingéniérie gérontologique de Grenoble, le service d’hospita-
lisation à domicile (HAD) du CHU de Grenoble et le Service recherche-
développement du CNET – France Telecom de Meylan.

La formation de l’offre d’une technologie de suivi à domicile

S’agissant d’une technologie en émergence, l’analyse de l’offre s’est


heurtée à de grandes difficultés, qui sont de deux types. La première a été
l’identification des offreurs, mal recensés dans les annuaires industriels et
financiers ou sur les sites Internet. Cette identification a été faite, dans un
premier temps, par une recherche dans le Kompass et sur Internet, ce qui
a conduit à identifier 82 opérateurs potentiels, auxquels un questionnaire
a été adressé. Cela a permis de contacter 19 offreurs ; 12 d’entre eux ont
renvoyé le questionnaire. Un entretien téléphonique a ensuite été réalisé
pour compléter les réponses écrites auprès de 7 d’entre eux.

167
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 168

Synthèses des recherches du programme

Un recensement des offreurs

Les offreurs peuvent être classés en plusieurs catégories :


● les fabricants de composants industriels pour les services de téléalarme

ou de téléassistance : AETA (Applications electroniques techniques avan-


cées), Intervox Système, Laudren SA, MAEC (Manufacture d’appareillage
electrique de Cahors), Nira, Scantronic France, Sedeca, Stratel,
Diatecnic, Colson, Thomson CSF Health Systems, devenue en 1999
Thomson-ISR, CWS Biotel, ORKYN ;
● les offreurs de produits de téléalarme : Présence Verte (MSA), Service Fil

Bleu (AXA), Serena MAIF, Filien ADMR, Equinoxe Assistance ;


● les offreurs de produits de téléassistance et de transmission d’informa-

tion à visée de suivi des malades : TAM Santé, SERTEC Santé, Vital Aire ;
● les opérateurs de télécommunications : France Telecom ;

● les prestataires de service, qui utilisent les produits des précédents :

ANTADIR (suivi des insuffisants respiratoires chroniques), Soins et Santé


(Service d’hospitalisation à domicile de Lyon), Service d’hospitalisation à
domicile du CHU de Grenoble, ou qui dans certains cas sont à la fois pres-
tataires de services et producteurs des appareils : Vital Aire, ORKYN.

Dans l’ensemble, ces offreurs sont des petites ou moyennes entreprises,


dont l’effectif varie de 3 (Diatecnic) à 23 (Scantronic France) pour les plus
petites, de 100 (Laudren) à 117 (Nira), pour passer ensuite de 319 personnes
(MAEC) à 750 (ORKYN) ; cependant tous les emplois de ces plus grandes
entreprises ne sont pas affectés aux produits pour la téléassistance.
Thomson est l’exception, qui a créé une « start-up » sur ce créneau.
Le secret des affaires, qui nous a été opposé, ne permet pas de fournir d’in-
dication de synthèse fiable sur le chiffre d’affaires réalisé dans cette activité.

Des stratégies hésitantes


Les organismes interrogés estiment qu’il existe un marché potentiel cer-
tain mais imprévisible, pas très concurrencé. En effet, chacun se posi-
tionne sur des créneaux très spécifiques. Nous sommes davantage ici dans
le cas d’une concurrence monopolistique, c’est-à-dire axée sur l’hétérogé-
néité des produits et leur spécificité, que sur une concurrence par les prix
ou la qualité sur un produit déterminé. Le stade expérimental de la plu-
part des produits ou des services ne permet pas de déclencher une concur-
rence ouverte, celle-ci ne se développant généralement que sur les produits
qui connaissent déjà une certaine diffusion. Or, dans ce cas précis, sauf
pour la téléalarme, les fabricants de matériel et les prestataires sont dans
une phase d’élaboration du produit, phase toujours très spécifique, qui
engendre des relations de partenariat et de réseau plus que de concurrence.
La concurrence joue plus sur les prestataires de téléalarme, mais sans être
très vive puisque sont fortement présentes les mutuelles.
Un rapport de la DG XIII de l’Union européenne (E. Ballabio et
R. Moran, 1999) pose les deux scénarios possibles quant à l’évolution pré-

168
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 169

Les nouvelles technologies et les besoins médicaux-sociaux des personnes âgées…

visible pour ce type de produits : miser sur un développement de produits


spécifiques, fabriqués en petites séries, donc chers, mais de haute qualité
et financés par les systèmes de protection sociale ou l’impôt, ou miser sur
un développement de produits génériques, à partir des articles de consom-
mation grand public des technologies de l’information et des communi-
cations, donc fabriqués en grandes quantités, peu onéreux et financés
principalement par l’usager. Les avis des industriels sont partagés de
manière égale entre les deux scénarios.
En ce qui concerne les facteurs favorables au développement du mar-
ché, les industriels insistent sur plusieurs éléments : le nécessaire soutien
des pouvoirs publics, la valorisation des services à domicile, le développe-
ment d’études coût-efficacité-démonstration de la fiabilité, le passage pour
les services hospitaliers d’une approche « artisanale » à une approche
industrielle (c’est-à-dire passer d’une expérience limitée à son service à une
diffusion large).
Les freins sont vus du côté de la tarification des actes : le financement
à l’acte n’est pas très approprié à une technique qui s’insère dans un
ensemble de services ou un réseau. Si c’est le consommateur qui finance le
service, tout dépend des scénarios évoqués précédemment : pour certains,
il n’y a pas de problème si les coûts sont faibles, par contre cela en est un
pour des produits spécifiques à prix élevés, ce qui renvoie aussi à la ques-
tion précédente de la tarification.
Enfin, la plupart des entreprises industrielles choisissent une stratégie
d’alliance avec des prestataires, ou de réseau, plutôt qu’une stratégie d’in-
tégration verticale, sauf exceptions limitées (Vital Aire). Les stratégies de
coopération ou de réseau sont les plus appropriées dans une situation d’in-
certitude, où les coûts d’entrée dans l’activité de service sont peut-être éle-
vés, mais surtout demandent un métier que les entreprises ne possèdent
pas (capacité d’intervention de proximité en situation d’urgence poten-
tielle). Il importe également que les coûts de transaction, difficiles à maî-
triser, ne deviennent pas trop importants : coûts de négociation pour
l’adéquation du produit au service, définition du service lui-même et de sa
population-cible, partage des responsabilités dans la fourniture du service,
processus d’autorisation, négociation de la tarification.
L’entretien auprès des industriels avait pour but de préciser leur straté-
gie de ciblage de population : personnes âgées de manière spécifique ou
population plus large. Sur ce point également, rien ne se dégage claire-
ment. Les positions se partagent entre les deux stratégies proposées à la
réflexion. Certains voient des avantages à un ciblage sur la population âgée
pour des raisons soit vagues, comme leur accroissement prévisible, soit
plus précises, notamment le relais par les professionnels pour assurer la
pérennité et la solvabilité de la demande, étant entendu que dans ce cas,
le financement revient aux organismes de protection sociale. Les argu-

169
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 170

Synthèses des recherches du programme

ments en faveur d’un ciblage plus large (handicapés ou tout âge) s’orien-
tent dans deux directions : un marché par le relais des professionnels et un
marché ouvert direct auprès de la population.
Au total, les deux scénarios sont bien les alternatives possibles, mais
aucun ne l’emporte à l’heure actuelle. Il convient de rester prudent quant
à la conclusion, compte tenu de la faiblesse de l’échantillon.

L’appréciation de la demande potentielle


chez les personnes âgées

L’objectif est d’identifier s’il existe une demande pour une technique de
suivi médico-social à domicile et à distance, et une préférence par rapport
à des pratiques existantes, et, si oui, d’identifier les facteurs favorables à
cette demande.

Approche des déterminants de la demande

Deux enquêtes ont été réalisées, l’une représentative du milieu urbain, à


Grenoble, l’autre en milieu rural dans le département de l’Isère. Le ques-
tionnaire a été envoyé, dans les deux cas, par voie postale à un échantillon
de 3 000 personnes âgées de 55 ans et plus (base de sondage : les listes
électorales).
Les taux de réponse sont faibles dans les deux cas : 12,3 %. en milieu
urbain, 4,8 %. en milieu rural. La faiblesse des taux de réponse peut s’ex-
pliquer du fait que :
● l’enquête porte sur une innovation technologique inconnue auprès de

l’échantillon, difficilement identifiable, et nombre de personnes ont pu


avoir du mal à comprendre de quoi il s’agissait ;
● une possible méprise sur le but même de l’enquête, qui a pu être confon-

due par certaines personnes avec une étude marketing (bien qu’aucun
nom de produit ou d’entreprise ne figure dans le questionnaire) ;
● le fait qu’un certain nombre d’envois ne comportaient pas le dessin expli-

catif fait pour faciliter la compréhension.

Néanmoins, il convient de noter que les deux échantillons sont représenta-


tifs de leur population d’origine, du point de vue de l’âge des répondants ;
pour le sexe, l’échantillon du milieu urbain sur-représente le sexe masculin.
Pour les deux enquêtes, le traitement statistique réalisé est une analyse
monovariée, effectuée à l’aide de tests du CHI-2 pour lesquels le seuil de
significativité choisi est de 0,05.

Les variables retenues comme susceptibles d’influencer la demande


pour la visiophonie sont :
● des variables socio-économiques classiques, tels l’âge, le sexe, le

revenu, la situation matrimoniale et professionnelle,

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Les nouvelles technologies et les besoins médicaux-sociaux des personnes âgées…

● des variables décrivant l’usage antérieur des nouvelles technologies


dans la vie quotidienne et professionnelle,
● des variables liées a priori à une utilisation médicale : le temps de dépla-

cement pour voir le médecin, la fréquence du recours au médecin, le


motif de recours au médecin (le cas d’une immobilisation passée).

Préférence pour la visiophonie : synthèse des résultats selon le lieu de vie


Les deux enquêtes montrent des résultats différents. Globalement, il n’y
a pas de préférence absolue (c’est-à-dire une proportion d’utilisateurs
potentiels supérieure à 50 %) pour la visiophonie, ce qui est normal et
n’était pas l’hypothèse. Par contre, il y a, dans quelques cas limités, une
telle préférence absolue (deux cas urbain et un cas rural), ainsi qu’une
influence du milieu urbain en fonction de plusieurs variables.

Tableau 1
Synthèse de l’influence des variables en milieu urbain et rural
Variables (indication de l’influence) : Urbain Rural
Age (moins élevé) : oui non
Sexe (masculin) : oui non
Situation professionnelle (actif) : oui non
Revenus (élevés) : oui oui
Profession : non non
Utilisation de minitel, ordinateur, Internet : oui* oui* (ordinateur)
Suivi régulier par un médecin : non non
Suivi régulier par un(e) infirmier(ère) : oui non
Fréquence du recours au médecin : non non
Temps de déplacement pour consulter un médecin : non non
Utilisation du téléphone pour consulter le médecin : non non
Immobilisation dans le passé pour raison de santé : oui* non
* indique que la proportion d’utilisateurs potentiels de visiophonie est supérieure à 50 % (préférence absolue).

En milieu rural ne se dégagent pas de variables susceptibles d’influen-


cer le recours à la visiophonie, à l’exception du revenu et de la possession
d’un ordinateur. Les comportements y apparaissent moins différenciés
qu’en milieu urbain.
En milieu urbain, en dehors des mêmes variables, cinq autres variables
exercent une influence qui peut entraîner une croissance de la préférence
pour la visiophonie. Quatre exercent une influence positive sur le recours
à la visiophonie : un âge moins élevé, être un homme, être actif, disposer
de revenus élevés. Une variable exerce une influence négative : le suivi
régulier par un(e) infirmier(ère), puisque dans ce cas aucune personne ne
choisit la visiophonie.
Dans les deux cas, l’absence de liaison avec le temps d’accès au méde-
cin infirme notre hypothèse. Elle signifie peut-être que notre système de

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Synthèses des recherches du programme

santé garantit assez largement l’accessibilité aux soins, y compris en milieu


rural. L’argument en faveur de la visiophonie n’est donc pas à ce niveau, il
est probablement plus à rechercher dans la facilité de la communication
que dans l’éloignement.

La propension à payer
La propension à payer, comme son nom l’indique, est le montant moné-
taire qu’un consommateur est prêt à échanger contre un bien ou un service.
Elle reflète, sous certaines conditions, la valeur ou la préférence que la per-
sonne accorde à ce bien ou ce service. Les deux enquêtes demandaient le
montant que les personnes seraient prêtes à payer mensuellement pour un
service de visiophonie, qui leur était décrit et présenté sur un schéma.
La moyenne se situe à 190 F (par mois) en milieu urbain, 110 F en
milieu rural, pour un financement intégral par la personne, à respective-
ment 108 F et 88 F en cas de cofinancement1. Elle est assortie dans les
deux cas d’une dispersion élevée, mesurée par l’écart type, reflétant des dif-
férences importantes selon les personnes ou les groupes. La somme la plus
fréquemment citée (le mode), que les personnes vivent en milieu urbain
ou rural, est 100 F et elle est identique si le paiement est partagé (respec-
tivement 24,6 % et 16,7 %) ou intégralement à la charge de l’utilisateur
(18,4 % et 18,1 %). La majorité des personnes enquêtées souhaiterait que
ce service soit cofinancé.
La littérature économique questionne l’outil de la propension à payer
comme moyen de la détermination de la « vraie valeur » d’un bien ou d’un
service2. Sans vouloir trancher ce débat sur le fond, nous avons comparé
ces montants au prix d’un service proche, la téléalarme. Les tarifs existants
de téléalarme varient entre 160 et 230 francs, ce qui est proche de ce qui
ressort de l’enquête et pourrait permettre de conclure à l’existence d’un
prix de marché pour les services de téléassistance à domicile, au sens large
du terme, voisin de 200 F par mois.

Les professionnels de santé :


une analyse en termes de convention

La mise en œuvre d’un nouveau service de santé ne dépend pas que de


la demande ou des préférences des usagers, mais aussi et peut-être surtout

1. PROPENSION À PAYER POUR LA VISIOPHONIE EN MILIEU URBAIN ET EN MILIEU RURAL


Paiement intégral par l’utilisateur Cofinancement
Milieu urbain 190,4 F (+/ – 251,6 F) 108,5 F (+/ – 164 F)
Zones rurales 110,3 F (+/ – 166,3 F) 88,4 F (+/ – 218,5 F)
NB : Données indicatives compte tenu de la taille de l’échantillon.
2. Notamment parce qu’elle tend à desserrer la contrainte budgétaire pesant en situation réelle (NDLR).

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Les nouvelles technologies et les besoins médicaux-sociaux des personnes âgées…

dans le cas d’une technologie, de l’attitude des professionnels vis-à-vis de


celle-ci. L’approche proposée ne consiste pas à identifier d’éventuelles
résistances, mais à identifier les conditions qui pourraient conduire les
professionnels à adopter la visiophonie et à inciter les usagers à l’utiliser.
Du point de vue théorique, cette analyse se situe dans le cadre de l’écono-
mie des conventions.
La démarche consiste à identifier les conventions qui régissent les
bonnes pratiques actuelles d’hospitalisation à domicile, puis à mettre en
évidence les facteurs de l’environnement susceptibles d’entraîner une
« crainte de remise en cause des conventions actuelles » (voir encadré ci-
dessous), enfin de savoir si la visiophonie est adaptée aux conventions de
bonne pratique ou si celles-ci doivent évoluer.

Étude auprès des personnels du service d’HAD

Deux enquêtes par questionnaire ont été réalisées auprès de l’ensemble du


personnel de service d’hospitalisation à domicile (HAD) de Grenoble, soit
50 personnes. Ce questionnaire a été soumis en deux temps :
● au démarrage de l’expérimentation d’un système de visiophonie installé

au domicile du patient pour communiquer avec le service de l’HAD


(ViSadom), expérimenté par ce service en avril 1999, en partenariat avec
le CNET (Centre national d’études en télécommunication) – bureau
d’études de France Télécom – et notre laboratoire de recherche
(Laboratoire inter-universitaire de gérontologie de Grenoble) ; cette pre-
mière enquête avait pour but de définir l’état initial des conventions de
bonne pratique de suivi à domicile et le positionnement du dispositif par
rapport à celle-ci ;
● un an après, en mars 2000, pour mesurer les évolutions.

Ce questionnaire est composé de trois parties qui reprennent les objectifs


cités plus haut :
● à partir du «Guide pratique de l’HAD», qui fait office de charte et de réfé-

rence, identification des fondements explicites et actuels d’une bonne


pratique à l’HAD ;
● mise en évidence d’une crainte de remise en cause des conventions

actuelles sous forme de question ouverte concernant les changements


qui affectent le système de santé dans la période récente ;
● détermination du degré auquel la nouvelle pratique de visiophonie
répond ou non aux conventions précédemment identifiées.

Le taux de réponse de la première enquête est de 68 %, soit 34 retours, et


seulement de 34 %, soit 17 retours, pour le deuxième passage un an après.
Cette différence notable entre les deux enquêtes semble imputable à la
charge de travail élevée des personnels de l’HAD, ainsi qu’à un manque
d’appropriation de l’enquête par ceux-ci, peu convaincus de son utilité
pour eux-mêmes.

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Synthèses des recherches du programme

Un personnel en adéquation avec les conventions actuelles


A partir du « guide pratique de l’HAD », 10 items ont été identifiés
comme caractérisant les fondements de bonne pratique de l’hospitalisa-
tion à domicile :
– Coordination des soins.
– Concertation entre les différents intervenants.
– Communication patients/soignants/autres intervenants.
– Distribution des soins par une équipe pluridisciplinaire.
– Libre choix pour la personne et sa famille.
– Continuité des soins.
– Disponibilité des personnels soignants et médico-sociaux de l’HAD
auprès des patients.
– Un réseau ville/hôpital/HAD efficace.
– Respect des croyances et de la culture des patients.
– Accessibilité des soins.

Les valeurs attribuées par les personnels enquêtés (sur une échelle allant
de 0 : pas important du tout, à 5 : très important) à chacun des items défi-
nis comme des conventions actuelles de l’HAD permettent de conclure que
le personnel adhère complètement à ces conventions. La moyenne pour
chacun des items est très proche de 5 avec des écarts entre les « notes » très
faibles (0,3 point au maximum sur les deux années). Les résultats conver-
gent d’une année à l’autre ; on ne peut mettre en évidence une hiérarchie
des items ni une modification de celle-ci d’une année sur l’autre, compte
tenu de la faiblesse des écarts entre les notes moyennes obtenues.

Une crainte de remise en cause des conventions actuelles


Les professionnels de l’HAD se sont exprimés sur les éléments suscep-
tibles (indépendamment de l’introduction de cette nouvelle technologie)
de remettre en cause l’exercice de leur métier conformément aux fonde-
ments de bonne pratique cités en amont. La majorité des personnes
enquêtées (87 % en moyenne sur les deux années) pensent qu’il y a une
difficulté croissante à exercer leur métier conformément aux critères énon-
cés. Les principaux facteurs identifiés ont évolué d’une année à l’autre :
– Au démarrage de ViSadom, sont recensés les contraintes et les choix
budgétaires (30,4 %), les problèmes de communication et de décision
entre intervenants (21,7 %) et le manque de considération et de
reconnaissance de l’HAD (21,7 %).
– Un an après, les personnels évoquent en majorité « un manque de
temps » (50 %), pouvant être lié aux facteurs externes : la politique de
santé, les critères de rentabilité, des contraintes réglementaires trop
lourdes (41,7 %), et le manque de coordination ville-hôpital (8,3 %).
Ces facteurs externes influent de fait sur d’autres touchant directe-

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Les nouvelles technologies et les besoins médicaux-sociaux des personnes âgées…

ment l’activité du service de l’HAD, à savoir le manque d’informa-


tion, la remise en cause de la qualité des soins, le manque de moyens
humains, de disponibilité auprès des patients, le manque de commu-
nication entre les intervenants.

Une progression limitée dans la croyance en la visiophonie comme techno-


logie répondant aux conventions de bonne pratique
Les personnels de l’HAD semblent être en expectative vis-à-vis de la
visiophonie comme modalité de réponse aux exigences de bonne pratique
dans lesquelles ils se reconnaissent. En effet, lorsqu’on leur propose, au
regard des items précédents (et en utilisant une même grille de notation
de 0 à 5) d’évaluer l’adéquation de la visiophonie, les valeurs moyennes
obtenues pour chacun des items identifiés sont sensiblement plus faibles
que dans le premier cas. Néanmoins, un seul item est inférieur à 2,5, qui
représente la valeur médiane. Il s’agit de l’item « respect de la culture et des
croyances des patients », qui reflète une crainte vis-à-vis d’une culture
technologique uniformisante. Les écarts types affichent des valeurs plus
élevées, ce qui peut traduire des divergences d’appréciation.
On note cependant qu’un an après la mise en place et l’utilisation de
ViSadom :
● un certain nombre de critères restent constants dans les valeurs attri-

buées, mais toujours dans le « haut du classement ». Il s’agit de la


communication, de la coordination, de la continuité des soins et du
libre choix pour la personne et sa famille,
● d’autres critères révèlent une progression un an après, à savoir la

continuité des soins, le réseau ville-hôpital-HAD et l’accessibilité aux


soins3.

3. DEGRÉ DE CONSENSUS CONCERNANT L’ADÉQUATION DE LA VISIOPHONIE AUX CONVENTIONS


SUR LESQUELLES REPOSENT LES BONNES PRATIQUES D’HOSPITALISATION À DOMICILE

Introduction Introduction
de la visiophonie de la visiophonie
(année N) (année N+1)
Items Rang Moyenne Écart type Rang Moyenne Écart type
Coordination des soins 3 3,22 1,37 2 3,47 1,23
Concertation entre les différents intervenants 7 2,92 1 6 2,94 1,56
Communication patients-soignants-
autres intervenants 1 3,75 0,75 2 3,47 0,94
Distribution des soins par une équipe
pluridisciplinaire 8 2,75 1,6 7 2,82 1,18
Libre choix pour la personne et sa famille 2 3,6 1,5 1 3,59 1,32
Continuité des soins 6 2,93 1,33 3 3,41 1,12
Disponibilité des personnels soignants et
médico-sociaux de l’HAD auprèsdes patients 4 3,12 1,37 8 2,76 1,48
Un réseau ville-hôpital-HAD efficace 5 2,97 1,3 4 3,35 1,27
Respect des croyances et de la culture
des patients 10 2,31 1,46 9 2,35 1,45
Accessibilité des soins 9 2,73 1,46 5 3 1,43
(Résultats donnés à titre indicatif compte tenu de la taille de l’échantillon. NDLR)

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Synthèses des recherches du programme

Globalement, on peut conclure à une très légère progression dans la


capacité de la visiophonie à satisfaire les conventions de bonne pratique,
lesquelles sont partagées de manière très consensuelle par les profession-
nels de l’HAD, en particulier la continuité et l’accessibilité des soins. Par
contre, il peut apparaître contradictoire que la communication avec le
patient ne progresse pas, alors que c’est l’un des objectifs premiers de ce
système visiophonique, de même que la disponibilité des personnels pour
le patient. Il est probable que ce jugement n’est pas spécifique à la visio-
phonie, mais renvoie plus largement à la perception des contraintes de
l’environnement actuel du système de santé.

***

Les technologies de l’information et de la communication font aujour-


d’hui l’objet d’initiatives, qui partent soit du secteur sanitaire (plus que du
secteur social), soit des industriels, pour intervenir dans le suivi à domi-
cile, dans le but d’en améliorer la sécurité et les délais d’intervention. La
visiophonie a fait l’objet de plusieurs initiatives. Cette étude cherchait à
comprendre les dynamiques des offreurs, les déterminants de la demande
et l’attitude des professionnels médico-sociaux face à cette intrusion de la
technologie dans une pratique fondée sur une relation humaine très per-
sonnalisée.
Les dynamiques d’offre sont encore hésitantes entre un scénario de spé-
cialisation de haute technologie et un scénario de diffusion « grand
public ». On ne dépasse pas le stade de l’expérimentation dans la plupart
des cas et il existe une attente forte d’incitations ou de cadrage de la part
des pouvoirs publics, notamment en matière de tarification.
Les facteurs déterminant la demande sont essentiellement liés à la pra-
tique professionnelle ou domestique des technologies de l’information et
de la communication, ainsi qu’à l’expérience de l’immobilisation pour rai-
son de santé. Les facteurs d’accessibilité ne jouent pas de rôle, contraire-
ment aux hypothèses de départ. La propension à payer met en évidence la
reconnaissance d’une utilité de ce type de service et la potentialité d’un
financement par l’usager, en cofinancement avec les organismes de pro-
tection sociale.
Enfin, les professionnels ont une attitude de réserve prudente vis-à-vis
de l’utilisation de cette technologie, mais l’adéquation à ce qu’ils considè-
rent comme étant les critères de bonne pratique de suivi à domicile pro-
gresse avec l’expérience d’utilisation de la technologie.
Les limites des conclusions à tirer de cette recherche tiennent au carac-
tère encore expérimental de la plupart des projets, qui ne permettent pas
de disposer d’échantillons larges ni pour les industriels ni pour les profes-

176
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Les nouvelles technologies et les besoins médicaux-sociaux des personnes âgées…

sionnels médico-sociaux impliqués. Sur la question de l’offre, le corollaire


est le « secret des affaires », très souvent évoqué dans cette phase expéri-
mentale et prospective.
Il est néanmoins probable qu’un marché soit en cours d’émergence,
pour peu que les pouvoirs publics apportent quelques éléments d’incita-
tion et de cadrage.

Ce texte a été publié dans Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 13, juin
2002.

Publications et communications

FROSSARD M. (1995), « Les professionnels médico-sociaux : l’apport des aides


techniques pour la coordination », Gérontologie et Société, « Technologie au
quotidien », n° 75, pp. 68-78.
FROSSARD M. (1999), « New technologies : politics and economics of the
senior market », conférence invitée, Third International Conference of
Gerontechnology, Munich, 10-13 octobre 1999.
FRANCO A., FROSSARD M., MONTANI Cl. (2000), « Télémédecine en
gérontologie », L’Année gérontologique, n° 16, SERDI Éditions, 228 p.
FROSSARD M. (2000), « Revolution in information and communication tech-
nology, impact on rural aging », communication au colloque Rural Aging : A
Global Challenge, Charletson, West Virginia, USA, juin 2000, in Book of
Abstracts, WVU.
FROSSARD M., GENIN N., FOURCADE J. (2000), « The demand of teleme-
dicine : an economic assessment », communication au colloque Rural Aging:
A Global Challenge, Charletson, West Virginia, USA, juin 2000, in Book of
Abstracts, WVU.
FROSSARD M., GENIN N., FOURCADE J. (2000), « La demande pour la
visiophonie : une analyse économique », communication au Colloque mondial
de télémédecine, Toulouse, mars 2000.
FROSSARD M., GENIN N. (2001), « Les nouvelles technologies et les besoins
médico-sociaux des personnes âgées : formation de l’offre et de la demande,
propension à payer », rapport final MiRe/CNAV, Contrat PUCA, 54 p.
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ANNEXES
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ANNEXE

Publications issues du programme

Publications générales

BOUCHAYER F., ROZENKIER A. (1996), « Technologie, vieillissement et vie


quotidienne : l’émergence d’un nouveau champ de recherche », Gérontologie
et Société, n° 79, pp. 195-205.
BOUCHAYER F. (1996), « Social integration of technologies and/or the
elderly », in Heidrun Mollenkopf (eds), Elderly People in Industrialised
Societies, Edition Sygma, Berlin, pp. 317-324.
BOUCHAYER F., ROZENKIER A. (1997), « Les implications réciproques du
vieillissement de la population et des évolutions technologiques », Revue
Française des Affaires Sociales, 51e année, numéro hors série, pp. 13-35.
BOUCHAYER F., ROZENKIER A. (1998), « Individual and collective ageing,
and technological developments », in Jan Graafmans et coll. (eds),
Gerontechnology, IOS Press, Amsterdam, pp. 465-468.
BOUCHAYER F., ROZENKIER A. (1999), « L’usage des technologies par les
personnes vieillissantes », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement –
1 », n° 26, pp. 5-7.
Évolutions Technologiques, Dynamiques des Ages et Vieillissement de la Population
(1999), Document d’étape, coordonné par F. BOUCHAYER, A. ROZEN-
KIER, MiRe-DREES/CNAV, 176 p.
Technological Developments, the Dynamics of Age, and Ageing of the Population
(1999), Progress report*, MiRe/CNAV, 176 p.
Évolutions technologiques et vieillissement des personnes (1999), séminaire de
recherche, 9-10 février 1999, MiRe-DREES/CNAV, 116 p.
Communication et personnes âgées, Réseaux (1999), éditions Hermès Science,
volume 17, n° 96, pp. 7-143.

* Version anglaise du document d’étape.

181
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 182

Annexes

Retraite et Société (1999), «Technologie et vieillissement – 1», CNAV, n° 26, 67 p.


Retraite et Société (1999), «Technologie et vieillissement – 2», CNAV, n° 27, 76 p.
Les Cahiers de Recherches de la MiRe (2000), La Documentation française, n° 8,
pp. 16-27.
Les Cahiers de Recherches de la MiRe (2001), La Documentation française,
nos 10/11, pp. 3-13.
Retraite et Société (2001), «Technologie et vieillissement – 3», CNAV, n° 33, 89 p.
Les Cahiers de Recherches de la MiRe (2001), La Documentation française, n° 12,
pp. 51-63.
Les Cahiers de Recherches de la MiRe (2002), La Documentation française, n° 13.

Publications des chercheurs

CARADEC V. (1998), « Usage des technologies et vieillissement : une grille de


lecture familiale et identitaire », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 1,
pp. 51-56.
CARADEC V. (1999), « L’usage des technologies par les personnes vieillissantes »,
Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 1 », n° 26, pp. 8-25.
CARADEC V. (1999), « Les médiations personnelles entre personnes âgées et
objets techniques », Évolutions technologiques et vieillissement des personnes,
séminaire de recherche, 9-10 février 1999, MiRe-DREES/CNAV, pp. 22-27.
CARADEC V. (1999), « Usage des technologies et vieillissement : une grille de
lecture familiale et identitaire », dans Évolutions technologiques, dynamique des
âges et vieillissement de la population, Document d’étape*, MiRe-
DREES/CNAV, pp. 36-46.
CARADEC V. (1999), « Vieillissement et usage des technologies. Une perspec-
tive identitaire et relationnelle », Réseaux, « Communication et personnes
âgées », vol. 17, n° 96, pp. 45-95.
CARADEC V. (2000), « Ce que les objets technologiques nous disent des relations
familiales : l’exemple des personnes âgées et des “objets technologiques” »,
Dialogue, « La signification familiale des objets », n° 148, pp. 48-58.
CARADEC V. (2000), « La diversité des usages des technologies. Étude auprès de
couples à la retraite et de personnes âgées veuves », Les Cahiers de Recherches
de la MiRe, n° 8, pp. 18-22.
CARADEC V. (2000), « La diversité des usages des technologies. Étude auprès de
couples à la retraite et de personnes âgées veuves », Rapport final
MiRe/CNAV, Contrat EDF, 293 p.
CARADEC V. (2000), « O que os objetos technológicos dizem sobre as relações
familiares : o caso dos aposentados », in Ehlers-Peixoto Clarice, de Singly

* Le document d’étape existe en version anglaise.

182
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 183

Publications issues du programme

François, Cicchelli Vincenzo (eds), Família e Individualização, Rio de Janeiro,


Editora FGV.
CARADEC V., LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « Adaptation de
l’habitat et nouvelles technologies », Les Cahiers de l’Unassad, « L’aide à domi-
cile : Repères pour l’avenir », numéro spécial, pp. 75-94.
CARADEC V. (2001), « “Personnes âgées” et “objets technologiques” : une pers-
pective en termes de logiques d’usage », Revue française de sociologie, vol. XLI-
1, pp. 117-148.
CARADEC V. (2001), « Générations anciennes et technologies nouvelles »,
Gérontologie et Société, « Avoir 20 ans, avoir 100 ans en l’an 2000 », numéro
spécial, pp. 71-91.
CLAVAIROLLE F., EHLERS-PEIXOTO C. (1999), « Politique de la vieillesse
dans une municipalité de l’Essonne et développement technologique »,
Rapport final MiRe/CNAV, Contrat MiRe/France Télécom, 110 p.
CLAVAIROLLE F., EHLERS-PEIXOTO C. (2001), « Politique de la vieillesse
dans une municipalité de l’Essonne et développement technologique », Les
Cahiers de Recherches de la MiRe, n°10-11, pp. 11-13.
CLÉMENT S., DUBREUIL Ch., MILANOVIC F. (1999), « Offre technique et
milieu gérontologique à Toulouse : de la résidence intégrée au système multi-
capteurs », dans Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement
de la population, Document d’étape*, MiRe-DREES/CNAV, pp. 69-76.
CLÉMENT S., DUBREUIL Ch. (1999), « L’offre technique dans le travail de
définition de la vieillesse », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement –
2 », n° 27, pp. 9-19.
CLÉMENT S., DUBREUIL Ch., MILANOVIC F. (1999), « Figures de la
vieillesse et technologie de la vigilance », Réseaux, « Communication et per-
sonnes âgées », vol. 17, n° 96, pp. 121-143.
CLÉMENT S., DRULHE M., DUBREUIL Ch., LALANNE M., MANTO-
VANI J., ANDRIEU S. (1999), « Les produits techniques dans les échanges
entre les vieilles personnes, leur entourage et les services d’aide à domicile »,
Rapport final MiRe/CNAV, Contrat EDF, 284 p.
CLÉMENT S., DRULHE M., DUBREUIL Ch., LALANNE M., MANTO-
VANI J., ANDRIEU S. (2000), « Les produits techniques dans les échanges
entre les vieilles personnes, leur entourage et les services d’aide à domicile »,
Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 8, pp. 23-27.
CONTE M. (2001), « L’adaptation des produits de la vie courante au vieillisse-
ment », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 3 », n° 33, pp. 6-21.
CONTE M (2000), « Problématique du vieillissement dans l’offre de produit de
la vie courante : analyse des pratiques des entreprises », synthèse et conclusion,

* Le document d’étape existe en version anglaise.

183
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Annexes

Rapport final MiRe/CNAV, Contrat secrétariat d’État à l’Industrie/France


Télécom, 84 p.
DE LA GARZA C., BURKHARDT J.-M. (2002), « L’apprentissage et l’utilisa-
tion de l’Internet par les aînés, une question d’expertise et d’utilité plus que
d’âge : le cas du site de la SNCF et de la CDC », Les Cahiers de Recherches de
la MiRe, n° 13.
DE LA GARZA C., BURKHARDT J.-M. (2001), « Modalités d’utilisation et
d’apprentissage de l’Internet par les aînés : le cas du site de la SNCF et de la
CDC », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat SNCF/CDC, 61 p.
DRULHE M. (2000), « Objets quotidiens, nouveautés techniques et vieillisse-
ment », Informations sociales, n° 88, pp. 24-33.
EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Entre utilité et obligation : les retraités et les
technologies de communication », La Lettre d’usages, n° 11, FTR&D.
EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Réseaux de communication et vieillissement :
transformation des réseaux sociaux et des usages des télécommunications à la
retraite », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 12, pp. 51-54.
EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Jeunes retraités, réseaux sociaux et adoption
des technologies de communication », Retraite et Société, « Technologie et
vieillissement – 3 », n° 33, pp. 22-51.
EVE M., SMOREDA Z. (2001), « Réseaux de communication et vieillissement :
transformation des réseaux sociaux et des usages des télécommunications à la
retraite », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat PUCA, 113 p.
EVENO E., VIDAL Ph. (2000), « Les personnes âgées face à la société de l’in-
formation », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat CNAV, 174 p.
EVENO E., VIDAL Ph. (2001), « Les personnes âgées face à la société de l’in-
formation », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 12, pp. 59-63.
FRANCO A., FROSSARD M., MONTANI Cl. (2000), « Télémédecine en
gérontologie », L’Année gérontologique, n° 16, SERDI Editions, 228 p.
FROSSARD M (1995), « Les professionnels médico-sociaux : l’apport des aides
techniques pour la coordination », Gérontologie et Société, « Technologie au
quotidien », n° 75, pp. 68-78.
FROSSARD M. (2000), « Revolution in information and communication tech-
nology, impact on rural aging », communication au colloque Rural Aging : A
Global Challenge, Charletson, West Virginia, USA, juin 2000, in Book of
Abstracts, WVU.
FROSSARD M, GENIN N., FOURCADE J. (2000), « The demand of teleme-
dicine : an economic assessment », communication au colloque Rural Aging :
A Global Challenge, Charletson, West Virginia, USA, juin 2000, in Book of
Abstracts, WVU.
FROSSARD M, GENIN N. (2001), « Les nouvelles technologies et les besoins
médico-sociaux des personnes âgées : formation de l’offre et de la demande,
propension à payer », Rapport final MiRe/CNAV, Contrat PUCA, 54 p.

184
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 185

Publications issues du programme

FROSSARD M, GENIN N. (2002), « Les nouvelles technologies et les besoins


médico-sociaux des personnes âgées : formation de l’offre et de la demande,
propension à payer », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 13.
GALLENGA G. (1999), « Le changement culturel au sein d’une entreprise de
service public : les usagers âgés et la billettique dans les transports en commun
de Marseille », dans Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillisse-
ment de la population. Document d’étape*, MiRe-DREES/CNAV, pp. 69-76.
GALLENGA G. (1999), « Usagers âgés, billettique et transport en commun »,
Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 2 », n° 27, pp. 39-53.
GALLENGA G. (2000), « Le service publique face à la demande sociale : les usa-
gers dans les transports en commun de Marseille », Rapport final
MiRe/CNAV, Contrat EDF/France Télécom, 253 p.
GALLENGA G. (2001), « Le service public face à la demande sociale : les usa-
gers âgés dans les transports en commun de Marseille », Les Cahiers de
Recherches de la MiRe, n° 10-11, pp. 3-5.
LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « L’adaptation de l’habitat chez
des personnes (de plus de 60 ans) souffrant de maladies et/ou de handicaps et
vivant à domicile. Les usages et interactions entre les personnes, les proches et
les professionnels », document 1, Rapport final MiRe/CNAV, Contrat
MiRe/CNAV, 212 p.
LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2000), « Étude de la population (âgée
de 60 ans et plus) suivie dans le PACT-ARIM 29. 415 dossiers en 1997 »,
document 2, Rapport final MiRe/CNAV, Contrat MiRe/CNAV, 105 p.
LE BORGNE-UGUEN F., PENNEC S. (2001), « L’adaptation de l’habitat chez
des personnes de plus de 60 ans souffrant de maladies et/ou de handicaps et
vivant à domicile », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 10-11, pp. 7-10.
LE DOUJET D., LEFEVRE C., LEBRET Cl., BUFFET M.-P. (2000),
« Information et multimédia, quel intérêt pour les libertés ? », Rapport final
MiRe/CNAV, Contrat MiRe/SNCF, 154 p.
LE DOUJET D., LEFEVRE C., LEBRET Cl., BUFFET M.-P. (2001),
« Information et multimédia, quel intérêt pour la liberté de choix des per-
sonnes âgées ? », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 12, pp. 55-58.
MALANDRIN G. (2000), Aspects psychosociologiques du passage à l’euro, Centre
Walras / Commission européenne, Direction générale santé et protection des
consommateurs, 45 p.
MALANDRIN G., SALAS Ph. (2001), « Pratiques et représentations des cartes
bancaires parmi les personnes âgées », Retraite et Société, « Technologie et
vieillissement – 3 », n° 33, pp. 76-89.
MALANDRIN G., SALAS Ph., SAGNA L., SERVET J.-M. (2001), « Adoption
des changements monétaires par les personnes âgées : pratique des nouvelles

* Le document d’étape existe en version anglaise.

185
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 186

Annexes

technologies monétaires et confiance dans l’euro », Rapport final


MiRe/CNAV, Contrat CDC/SNCF, 194 p.
MALANDRIN G., SALAS Ph., SAGNA L, SERVET J.-M. (2002), « Adoption
des changements monétaires par les personnes âgées : pratiques des nouvelles
technologies monétaires et confiance dans l’euro », Les Cahiers de Recherches
de la MiRe, n° 13.
PENNEC S. (2000), « Les rapports sociaux d’usage entre les personnes dépen-
dantes vivant à domicile, leurs proches et les services professionnels », in
Cresson G., Schweyer F.-X. (dir.), Les Usagers du système de soins, Éditions
ENSP, Collection Recherche, Santé, Social, pp. 91-108.
PENNEC S. (2002), « Les professionnels des services à domicile : un travail aux
prises avec l’ordre des objets et des espaces », Les Territoires du travail, numéro
à paraître.
SALAS Ph. (1999), Compte-rendu et analyse psychologique des problématiques liées
au passage à la monnaie unique chez les personnes dites fragiles, Commission
européenne, Direction générale santé et protection des consommateurs, 18 p.
SERVET J.-M. (1998), Le Passage à l’euro. Une question de confiance, Desclée de
Brouwer, Paris, 156 p.
SPECHT M., BURKHARDT J.-M., DE LA GARZA C. (1999), « De l’ergono-
mie des objets techniques dans le quotidien des personnes âgées à l’analyse de
l’utilisation d’Internet », Retraite et Société, « Technologie et vieillissement –
2 », n° 27, pp. 21-38.
SPECHT M., SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C. (1999), « L’utilisation
réelle des objets techniques du quotidien par les personnes âgées », Réseaux,
« Communication et personnes âgées », vol. 17, n° 96, pp. 97-120.
SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C., MICHEL G., SPECHT M., UZAN
G. (1998), « Impact du vieillissement des personnes, handicapées ou non, sur
l’utilisation d’objets techniques », Les Cahiers de Recherches de la MiRe, n° 1,
pp. 57-62.
SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C., SPECHT M., UZAN G., MICHEL
G. (1998), « Contraintes sensorielles, mnésiques et temporelles chez les per-
sonnes vieillissantes utilisatrices d’objets techniques de la vie courante »,
Temps et travail, Actes du XXXIIIe Congrès de la SELF, Paris, 16-18 sep-
tembre 1998, pp. 633-642.
SPERANDIO J.-C., DE LA GARZA C., MICHEL G., SPECHT M., UZAN
G. (1999), « Impact du vieillissement des personnes, handicapées ou non, sur
l’utilisation d’objets techniques », dans Évolutions technologiques, dynamique
des âges et vieillissement de la population, Document d’étape*, MiRe-
DREES/CNAV, pp. 25-35.
TOUSSAINT Y. (2001), « Élaboration de services et construction d’usagers »,
Retraite et Société, « Technologie et vieillissement – 3 », n° 33, pp. 52-65.

* Le document d’étape existe en version anglaise.

186
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 187

Publications issues du programme

VIDAL Ph. (2001), « Le rôle intégrateur des espaces multimédias entre pratique
citoyenne et inscription territoriale », Retraite et Société, « Technologie et
vieillissement – 3 », n° 33, pp. 66-75.
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 189

ANNEXE

Liste et coordonnées
des chercheurs du programme

ANDRIEU Sandrine
Faculté de médecine Purpan - INSERM U 558
37, allée Jules-Guesde, 31073 Toulouse
Tél. : 05.61.14.59.63 - Fax. : 05.62.26.42.40
Email : sandrieu@cict.fr
BUFFET Marie-Paule
Association psychologie et vieillissement
6, square de Provence, 35000 Rennes

BURKHARDT Jean-Marie
Université de Paris-5 René-Descartes
Laboratoire d'ergonomie informatique (LEI)
45, rue des Saints-Pères, 75270 Paris Cedex 06
Tél. : 01.42.86.21.35/20.74 - Fax. : 01.42.96.18.58
Email : burkhardt@ergo-info.univ-paris5.fr

CARADEC Vincent
Université de Lille III, UFR IDIST, B.P. 149
59653 Villeneuve-D'Ascq Cedex
Tél. : 03.20.41.61.06 - Fax. : 03.20.41.63.79
Email : caradec@univ-lille3.fr

CLAVAIROLLE Françoise
CNRS, Technique et Culture
6, passage Montbrun, 75014 Paris
Tél. : 01.43.35.41.28 - Fax. : 01.43.35.41.28
Email : frclav@club-internet.fr

189
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 190

Annexes

CLÉMENT Serge
Université de Toulouse Le Mirail, CIEU
5, allée Antonio-Machado, 31058 Toulouse
Tél. : 05.61.14.59.56 ou 50 - Fax. : 05.62.26.42.40
Email : sclement@cict.fr

CONTE Michèle
EGERIS
21, avenue Niel 75017 Paris
Tél. : 01.42.12.01.31

DE LA GARZA Cecilia
Université de Paris-5 René-Descartes
Laboratoire d'ergonomie informatique (LEI)
45, rue des Saints-Pères, 75270 Paris Cedex 06
Tél. : 01.42.86.21.35/20.74 - Fax. : 01.42.96.18.58
Email : garza@ergo-info.univ-paris5.fr

DE SAINT LAURENT Anne-France


École des mines de Nantes, Département des sciences de l'homme et de la société
4, rue Alfred-Kastler, La Chantrerie, B.P. 20722, 44307 Nantes Cedex 03
Tél. : 02.51.85.85.46
Email : Anne-France.de-Saint-Laurent@emn.fr

DRULHE Marcel
Université Toulouse Le Mirail, CERS
12, rue de la Côte-Vieille, 31500 Gratentour
Tél. : 05.61.50.41.18 - Fax. : 05.61.50.46.60
Email : drulhe@cict.fr

EHLERS-PEIXOTO Clarice
Université d’État de Rio de Janeiro,
R.S. Francisco Xavier, 524 s.9001A - 20550-013, Rio de Janeiro, Brésil
Email : cpeixoto@uerj.br

EVE Michael
Dipartimento di Scienze Sociali
via S. Ottavio 50, 10124 Torino (Italie)
Email : eve@cisi.unito.it

EVENO Emmanuel
Université de Toulouse Le Mirail, GRESOC
5, allée Antonio-Machado 31058 Toulouse Cedex
Tél. : 05.61.50.35.73/ 37.02 - Fax. : 05.61.50.49.61
Email : eveno@univ-tlse2.fr

190
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Liste et coordonnées des chercheurs du programme

FROSSARD Michel
Université Pierre-Mendès-France, CPDG,
bâtiment BSHM, 1221, avenue Centrale, BP 47, 38049 Grenoble Cedex 9
Tél. : 04.76.82.59.21 - Fax. : 04.76.82.59.22
Email : michel.frossard@upmf-grenoble.fr

GALLENGA Ghislaine
Université de Provence
Les Abeilles, chemin de la Marguerite, 13090 Aix-en-Provence
Tél. : 04.42.23.24.84
Email : cujas@wanadoo.fr

GENIN Nathalie
Université Pierre-Mendès-France, CPDG,
bâtiment BSHM, 1221, avenue Centrale – BP 47, 38049 Grenoble Cedex 9
Tél. : 04.76.82.59.21 - Fax. : 04.76.82.59.22
Email : nathalie.genin@upmf-grenoble.fr

LALANNE Michèle
Université de Toulouse Le Mirail, CERTOP (CNRS)
5, allée Antonio-Machado, 31058 Toulouse

LE BORGNE-UGUEN Françoise
Université de Bretagne occidentale, Formation continue
20, avenue Le Gorgeu, 29285 Brest Cedex
Tél. : 02.98.01.63.32 - Fax. : 02.98.01.65.89
Email : francoise.leborgne-uguen@univ-brest.fr

LEBRET Claire
Association psychologie et vieillissement
6, square de Provence, 35000 Rennes

LE DOUJET Dominique
Centre hospitalier Guillaume-Regnier
108, avenue du Général-Leclerc, 35000 Rennes
Tél. : 02.99.33.39.00 - Fax. : 02.99.53.02.22
Email : dominique.le-doujet@wanadoo.fr

LEFEVRE Catherine
Association psychologie et vieillissement
6, square de Provence, 35000 Rennes

191
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 192

Annexes

LE GOAZIOU Véronique
Agence de sociologie pour l’action
7, rue des Coquelicots, 92140 Clamart
Tél. : 06.12.72.72.30
Email : verolg@caramail.com

LOZIER Marie-Françoise
Université de Paris-9 Dauphine, IRIS
place du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 75775 Paris Cedex 16
Tél. : 01.44.05.48.54 - Fax. : 01.44.05.46.48
Email : lozier@dauphine.fr

MALANDRIN Gilles
Centre Auguste et Léon Walras, Institut des sciences de l'homme
14, avenue Berthelot, 69007 Lyon
Tél. : 04.72.72.65.52 - Fax. : 04.72.72.65.55
Email : gilles.malandrin@mrash.fr

MANTOVANI Jean
ORSMIP
37, allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse
Tél. : 05.61.53.11.46 - Fax. : 05.62.26.42.40
Email : mantovan@cict.fr

PENNEC Simone
Université de Bretagne occidentale, Formation continue
20, avenue Le Gorgeu, 29285 Brest Cedex
Tél. : 02.98.01.63.32 - Fax. : 02.98.01.65.89
Email : simone.pennec@univ-brest.fr

ROLLAND DUBREUIL Christine


INSERM 558
37, allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse
Tél. : 05.61.14.59.56
Email : dubreuil@cict.fr

SAGNA Lamine
Université de Caen, LASAR (MRSH), Département de sociologie
esplanade de la Paix, 14032 Caen Cedex
Tél. : 02.31.56.62.42/58-57/55-32

SALAS Philippe
Centre Auguste et Léon Walras, Institut des sciences de l'homme
14, avenue Berthelot 69007 Lyon
Tél. : 04.72.72.65.52 - Fax. : 04.72.72.65.55

192
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 193

Liste et coordonnées des chercheurs du programme

SERVET Jean-Michel
Centre Auguste et Léon Walras, Institut des sciences de l'homme
14, avenue Berthelot 69007 Lyon
Tél. : 04.72.72.65.52 - Fax. : 04.72.72.65.55
Email : jean-michel.servet@mrash.fr

SMOREDA Zbigniew
France Télécom Recherche et Développement, DIH – Laboratoire UCE
38/40, rue du Général-Leclerc, 92794 Issy-les-Moulineaux
Tél. : 01.45.29.64.95 - Fax. : 01.45.29.01.06
Email : zbigniew.smoreda@rd.francetelecom.fr

TOUSSAINT Yves
Université de Paris-9 Dauphine, IRIS
place du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 75775 Paris Cedex 16
Tél. : 01.44.05.46.21 - Fax. : 01.44.05.46.48
Email : toussaint@dauphine.fr

VIDAL Philippe
Université de Toulouse Le Mirail, GRESOC
5, allée Antonio-Machado, 31058 Toulouse Cedex
Tél. : 05.61.50.35.73/ 37.02 - Fax. : 05.61.50.49.61
Email : eveno@univ-tlse2.fr
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 195

ANNEXE

Composition du comité scientifique


et du comité de pilotage

Comité scientifique

Victor SCARDIGLI (président) Fabienne DUBUISSON


CNRS – université de Paris-IX Dauphine Ministère de l’Emploi et de la Solidarité
Institut de recherche interdisciplinaire en Direction générale de l’action sociale
socio-économie (IRIS) – AVIE 2

Claudine ATTIAS-DONFUT Michel FROSSARD


CNAV Université Pierre-Mendès-France
Direction des recherches Centre pluridisciplinaire de gérontologie
sur le vieillissement (CPDG)

Jacques BIROUSTE Maryse GADREAU


Université de Paris-X Nanterre Université de Bourgogne
Laboratoire d’analyse et de technique
Michel CALLON économique (LATEC)
École des mines
Centre de sociologie de l’innovation Henriette GARDENT
(CSI) Fondation nationale de gérontologie
RFR, Santé, société, vieillissement
François de SINGLY (INSERM)
Université de Pari-V
Centre de recherches sur les liens sociaux Martine SEGALEN
(CERLIS) Université de Paris-X Nanterre

Marcel DRULHE Serge VOLKOFF


Université Toulouse Le Mirail Centre d’études de l’emploi –
Centre d’étude des rationalités et des Centre de recherches et d’études sur l’âge
savoirs (CERS) et les populations au travail (CREAPT)

195
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 196

Annexes

Comité de Pilotage

Pierre STROBEL (président) Christian LICOPPE


Ministère de l’Emploi et de la Solidarité France Télécom
MiRe-DREES Recherche et Développement
Laboratoire créativité,
Véronique BEILLAN usages et ergonomie
EDF Recherche & Développement –
GRETS Pierre POUY
Observatoire sociétal Ministère de l’Équipement des Transports
et du Logement
Gerald PIAT Plan urbanisme construction architecture
EDF Recherche & Développement – (PUCA)
GRETS
Laboratoire CREATEAM Alain ROZENKIER
CNAV
Christian BLATTER Direction des recherches
SNCF sur le vieillissement
Direction de la recherche et de la techno-
logie – Unité « Sciences humaines et Laurent VERNIERE
sociales » Caisse des dépôts et consignations
Branche Retraites
Françoise BOUCHAYER
Ministère de l’Emploi et de la Solidarité
MiRe-DREES Ont également été associés
au Comité de pilotage à différents moments :
Philippe BOURGEOIS Marianne BERTHOD-WURMSER
Secrétariat d’État à l’Industrie (MiRe), Nicole ARNAL, Francine
Direction générale de l’industrie, des BAVAY, Alain BUSSON (France Télécom),
technologies de l’information et des Yves MORTUREUX, Serge ONFROY,
postes (DiGITIP) Martial LEROUX (SNCF)
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ANNEXE

Premier appel d’offres du programme

« Évolutions technologiques,
dynamique des âges et vieillissement de la population »

Ce programme a donné lieu à un premier appel d’offres, financé par la MiRe


et la CNAV. La liste des huit recherches conduites dans ce cadre en 1997-1998
est rappelée ci-dessous.

Les synthèses de ces travaux ont été publiées dans le document d’étape du pro-
gramme, édité début 1999 en français et en anglais1.

1) Les usagers âgés et les usages des techniques


et des technologies
● Impact du vieillissement des personnes, handicapées ou non, sur l’uti-
lisation d’objets techniques, Jean-Claude Sperandio, Cécilia de la
Garza, Gabriel Michel, Maryline Specht, Gérard Uzan (Laboratoire
d’ergonomie informatique, université de Paris-5).
● Usage des technologies et vieillissement : une grille de lecture identi-

taire et familiale, Vincent Caradec (université de Lille-3).


● Technologies thérapeutiques, qualité de vie et vieillissement,

Dominique Le Disert-Jamet (Fondation nationale de gérontologie).

1. « Évolutions technologiques, dynamique des âges et vieillissement de la population » (1999),


Document d’étape, coordonné par Françoise Bouchayer et Alain Rozenkier, MiRe-DREES/CNAV,
176 p. Version en anglais : « Technological Developments, the Dynamics of Age and Ageing of the
Population » (1999), Progress report, coordinated by Françoise Bouchayer and Alain Rozenkier,
MiRe-CNAV, 176 p.

197
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Annexes

2) Les services et les organismes intermédiaires


● Conditions du développement de plates-formes d’écoute multiser-
vices pour la fourniture et la coordination des services autour de la
personne vieillissante, Danièle Weiller (Centre scientifique et tech-
nique du bâtiment, Paris).
● Le « changement culturel » au sein d’une entreprise de service

public : les usagers âgés et la billétique dans les transports en com-


mun de Marseille, Ghislaine Gallenga (Maison méditerranéenne des
sciences de l’homme, Aix-en-Provence).

3) La prise en compte du vieillissement dans la conception


et l’offre de produits et de services à support technologique
● Métro VAL et voyageurs âgés : l’inscription de la figure de la personne
âgée dans le système VAL de Rennes et de Toulouse, Stéphane Juguet,
Stéphane Chevrier (LARES, université de Rennes-2 et École d’architec-
ture de Bretagne).
● Offre technique et milieu gérontologique à Toulouse : de la résidence

intégrée au système multicapteurs, Serge Clément, Christine


Dubreuil, Fabien Milanovic (CIEU, CNRS ; université de Toulouse Le
Mirail et CJF – INSERM 94-06).
● La place des personnes âgées dans l’argumentaire et le discours d’ac-

compagnement des nouvelles technologies de communication (1942-


1998), Philippe Breton (Laboratoire de sociologie de la culture euro-
péenne, Strasbourg), Annie Bousquet (École d’éducateurs spécialisés de
Strasbourg).
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ANNEXE

Programme du séminaire

MARDI 27 NOVEMBRE 2001, PARIS

9 h 15 – 9 h 45 Ouverture
Mireille Elbaum (directrice de la DREES)
Patrick Hermange (directeur de la CNAV)

POLITIQUES PUBLIQUES ET OFFRE INSTITUTIONNELLE


Présidence Victor Scardigli (université de Paris-9 Dauphine – IRIS)

9 h 45 – 10 h 30 Rémy Barré, directeur de l’Observatoire des sciences et des techniques


10 h 30 – 10 h 45 Discussion avec la salle
10 h 45 – 11 h 00 Pause café
11 h 00 – 13 h 00 Table ronde
Chercheurs : Serge Clément (CIEU, université de Toulouse Le Mirail),
Françoise Clavairolle (CNRS – Techniques et Culture), Michèle Conte
(EGERIS)
Institutionnels : Yves Tessier (Renault), Hervé Brière (CDC)
Modérateur : Christian Blatter (SNCF, Direction de la recherche et de
la technologie – Unité « Sciences humaines et sociales »)

LES OBJETS ET LES TECHNIQUES À L’ÉPREUVE DE L’IDENTITÉ


Présidence Pierre Strobel (chef de la Mission Recherche, DREES)

14 h 30 – 15 h 15 Serge Tisseron, psychiatre-psychanalyste


15 h 15 – 15 h 30 Discussion avec la salle
15 h 30 – 17 h 30 Table ronde
Chercheurs : Vincent Caradec (IDIST, université de Lille-3), Gilles
Malandrin (Institut des sciences de l’homme, Centre Auguste et Léon
Walras), Cécilia De la Garza (Laboratoire d’ergonomie informatique,
université de Paris-5 René-Descartes)
Institutionnels : Jacqueline Rotharmel (directeur de la CRAMCO),
Monique Smolar (RATP), Véronique Beillan et Gérald Piat (EDF)
Modérateur : Christian Licoppe (France Télécom Recherche
et Développement)

199
Ages et usages 25/02/04 12:15 Page 200

Conception et réalisation : La Souris, 01 45 21 09 61

juin 2002

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