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En utilisant une base de données riche portant sur 1302 communes marocaines de 2005 à 2009,
cet article tente de vérifier empiriquement l’existence d’interactions stratégiques entre les com-
munes au Maroc. Nos résultats montrent que les choix en matière de taxation des communes
sont influencés par les choix faits dans les communes voisines, et surtout entre les communes
urbaines. De ce constat, nous pouvons dire que la décentralisation induit des comportements
stratégiques entre les collectivités de même rang dans les pays en développement, comme c’est le
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Using a detailed panel data on 1302 Moroccan communes from 2005 to 2009, this paper aims
to demonstrate empirically the existence of strategic interactions between the decisions of local
government in Morocco. Our results highlighted that fiscal choices of communes are influenced
by choices taken in neighbouring communes, mainly between urban communes. Therefore, de-
centralization induces strategic interactions between communes belonging to the same range in
developing countries as well as in developed countries.
*
Doctorant au Laboratoire de recherche en management, information et gouver-
nance de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Ain Sebaâ,
Université Hassan II, Beausite BP 2634 Ain Sebaâ, Casablanca, Maroc. E-mail :
alaoui.samir@hotmail.fr
DOI: 10.3917/edd.312.0095 95
96 Samir Zine El Alaoui
1 INTRODUCTION
et al. (2014), il est plus pertinent de se concentrer sur l’étude des juridictions
à l’intérieur d’un même pays donné, plutôt que de procéder à une analyse
macroéconomique. En effet, se concentrer sur un pays évite la difficulté de
contrôler pour l’ensemble des variables institutionnelles et autres caracté-
ristiques fixes dans le temps, propres à chaque pays, qui peuvent influencer
le degré de décentralisation et les performances (qualité de la gouvernance,
corruption, performances macroéconomiques, etc.) et ainsi biaiser les résul-
tats. En revanche, nous disposons d’une riche base de données concernant le
Maroc, portant sur 1 302 communes sur la période de 2005 à 2009, permet-
tant une analyse économétrique des comportements stratégiques entre les
communes. Les communes du Maroc se chargent de la gestion de l’assiette,
du recouvrement et du contrôle des différentes taxes locales et redevances,
à l’exception de la taxe professionnelle, de la taxe d’habitation et de la taxe
des services communaux. 1 En outre, le conseil communal exerce des préro-
gatives en matière fiscale locale à travers la fixation des taux et des tarifs de
certaines taxes et redevances, dans le cadre de fourchettes prévues par le
droit national.
Lors des « Assises nationales sur la fiscalité » organisées par le ministère
de l’Économie et des Finances du Maroc en 2013, les participants ont démon-
tré l’absence de concurrence intra et interrégionale. Cet article entend toute-
fois vérifier l’existence d’interactions horizontales dans le pays en matière de
taxation. Pour cela, notre analyse reposera sur la théorie de la concurrence
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2
Selon la théorie du fédéralisme fiscal, le principe de proximité est également à
l’origine de ces effets. Il aide à mieux comprendre les besoins et les préférences
des populations (Hayek, 1948) et renforce l’efficacité des collectivités territoriales
(Seabright, 1996).
3
La fonction de production locale ayant un rendement décroissant, la productivité
marginale du capital augmente dans les « collectivités de provenance » et décroît
dans les « collectivités de destination ». En supposant que le capital est récompensé
par le marché en fonction de sa productivité marginale, l’augmentation de la taxe
dans une collectivité donnée est progressivement compensée par l’augmentation
La décentralisation entraîne-t-elle des comportements stratégiques ? 99
3 LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL
5
Deux autres études empiriques ont été réalisées par Arikan (2004) sur 72 pays
industrialisés et en développement et Chavis (2010) en Indonésie.
6
Dans le projet actuel de la régionalisation avancée, la Constitution de 2011 vise à
réduire le nombre de régions à douze et à en finir avec la distinction entre com-
munes urbaines et rurales.
La décentralisation entraîne-t-elle des comportements stratégiques ? 101
Les recettes des communes proviennent de deux sources : d’un côté, les
recettes de fonctionnement liées à la fiscalité locale et aux transferts de l’État
aux collectivités ; de l’autre, les recettes d’équipement comprenant les pro-
duits des services, les recettes du patrimoine, les dons et legs, l’excédent pré-
cédent, l’aliénation du domaine privé et les emprunts.
Aux fins de notre analyse, nous avons réparti ces différentes recettes en
six catégories distinctes. La première concerne les « taxes locales ». 8 Ces taxes
sont gérées et collectées par la commune qui détermine la base et le taux
d’imposition. La deuxième englobe trois taxes locales gérées et collectées par
la Trésorerie générale du royaume (TGR) pour les communes (taxe profes-
sionnelle, taxe d’habitation et taxe des services communaux). La TGR retient
10 % du montant collecté pour couvrir les coûts de la collecte et alloue les 90 %
restants aux communes. La base et le taux d’imposition de ces trois taxes sont
définis chaque année par l’administration centrale. Les troisième, quatrième
et cinquième catégories concernent respectivement les transferts, les em-
prunts et les subventions. La dernière catégorie, dite des « autres recettes »,
comprend les produits des services, les recettes du patrimoine, l’excédent pré-
cédent et le produit de l’aliénation du domaine privé.
Les communes ont un pouvoir de décision s’agissant des ressources issues
de deux catégories de recettes : les « taxes locales » et les « autres recettes ».
Toutefois, les taxes locales gérées et collectées par la TGR, les transferts, les
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Avant 2007, elles comptent 31 taxes, redevances et autres contributions dans dif-
8
Ensuite, le processus de collecte des impôts par les communes est assuré
par trois entités administratives différentes : tout d’abord, le receveur commu-
nal, qui n’a ni les ressources humaines ni les outils nécessaires à l’identifica-
tion, au recensement et à la collecte fiscale ; ensuite, des services du ministère
de l’Économie et des Finances chargés de la gestion et de la collecte de taxes
rétrocédées aux communes (taxe des services communaux, taxe profession-
nelle et taxe d’habitation) ; enfin, certains services dépendants d’autres admi-
nistrations, à l’image de l’administration des transports chargée de gérer la
taxe sur le permis de conduire, l’Office national des Pêches pour la redevance
sur les ventes sur le marché de gros et les services des Eaux et des Forêts pour
les taxes sur la vente de produits forestiers.
104 Samir Zine El Alaoui
10
Pour une présentation détaillée du modèle théorique de la concurrence fiscale, voir
Wildasin (1988) et Besley et Case (1995).
11
Ce ratio a été utilisé par Schaltegger et Küttel (2002) en Suisse.
106 Samir Zine El Alaoui
dans les pays développés. Notre étude se limitera aux travaux de Ladd (1992),
Case et al. (1993) et Schaltegger et Küttel (2002) 12.
Selon le premier auteur, le comportement de mimétisme fiscal aux États-
Unis apparaît lorsque l’on compare le degré de regroupement des charges fis-
cales dans les comtés limitrophes d’une zone métropolitaine, par rapport à celui
d’autres comtés d’un État. Ladd (1992) démontre ainsi qu’une augmentation
d’un dollar de la charge fiscale dans un comté entraîne une augmentation d’en-
viron 50 cents de la charge fiscale dans le comté voisin. De leur côté, Case et al.
ont conçu un modèle d’auto-régression spatiale en s’appuyant sur les données
annuelles relatives à la zone du continent nord-américain [Continental United
States] sur la période de 1970 à 1985. En utilisant la méthode du maximum de
vraisemblance, ils observent que les dépenses des États ont augmenté d’envi-
ron 70 cents pour un dollar de dépenses supplémentaires dans les États voi-
sins. Quant à Schaltegger et Küttel (2002), ils démontrent que le mimétisme
fiscal dépend du cadre politique. Selon eux, l’autonomie fiscale et la législation
directe alimentent la concurrence politique, réduisant ainsi l’influence de la
concurrence électorale sur les décisions en matière d’imposition. Leurs hypo-
thèses sont vérifiées à l’aide d’un modèle linéaire qui détermine le niveau des
dépenses et recettes cantonales, ainsi que des recettes fiscales par habitant.
Dans notre modèle, nous utilisons la dernière variable endogène.
Nous présentons donc le modèle empirique d’interactions stratégiques
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Le choix de ces articles a été fait en fonction des variables et méthodes utilisées,
12
1
Wij = (2)
dij
dij représentant la distance entre les communes i et j ; X est un vecteur des
variables de contrôle ; q est le coefficient d’auto-régression. La signification de
q estimé confirmera ou non l’existence d’interactions stratégiques en matière
fiscale entre les communes. Œ est le vecteur des résidus identiquement et indé-
pendamment distribués. Toutefois, dans le présent modèle, nous vérifierons
également la présence éventuelle d’autocorrélations spatiales. Dans ce cas,
les valeurs résiduelles dépendent des lieux géographiques selon la relation
suivante : e = ∂ We + m où ∂ est le coefficient d’autocorrélation spatiale, dans
l’hypothèse où m est distribué de manière uniforme et indépendante.
La méthode des moindres carrés ordinaires (MCO) n’est pas directement
applicable à ce modèle. Cela est dû au facteur d’auto-régression, car il intro-
duit des interdépendances entre les valeurs des variables endogènes en diffé-
rents points de l’espace. Le coefficient estimé sera donc biaisé et inefficace. Par
conséquent, l’introduction de la dimension spatiale nécessite l’utilisation du
maximum de vraisemblance (MV).
Ainsi, notre modèle se définit comme suit :
ln Y = (1 − q W )−1 b ln X + (1 − q W )−1e (3)
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La variable endogène représente les recettes des taxes locales par habitant
pour la commune. L’estimation sera effectuée au niveau national et par milieu
de commune. Les interactions diffèrent entre zones rurales et zones urbaines
selon Jayet et al. (2002). En effet, ces auteurs démontrent que le degré d’urba-
nisation peut avoir un impact sur l’intensité des interactions stratégiques.
En outre, Cassette et Paty (2006) ont démontré que, dans une zone principa-
lement rurale, si les communes ne prêtent pas attention aux décisions prises
chez leurs voisins au moment de fixer leur taxe professionnelle, elles prennent
toutefois en compte leurs caractéristiques socio-économiques.
Comme le montre le graphique 1, le milieu des communes joue un rôle im-
portant dans la mobilisation des recettes fiscales locales. Ainsi, les communes
urbaines ont collecté en moyenne 728,85 millions de dirhams sur la période
étudiée, tandis que les communes rurales ont à peine 44,55 % de ce montant
(324,71 millions de dirhams en moyenne sur la même période). Pourtant, les
communes urbaines représentent seulement 10,67 % de notre base de don-
nées. Ce constat met en exergue les inégalités profondes entre zones urbaines
et zones rurales en matière de mobilisation fiscale.
Toutefois, dans le cas du Maroc, une autre question se pose. Les com-
munes interagissent-elles davantage dès lors qu’elles sont urbaines ou qu’elles
ont des niveaux de ressources plus élevés ? Pour y répondre, nous estimerons
aussi le modèle en quintile des ressources totales des communes. La variable Y
à droite de l’équation [voir équation (1) supra] représente la moyenne des
taxes locales par habitant dans les communes voisines. Pour les variables de
La décentralisation entraîne-t-elle des comportements stratégiques ? 109
5. RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Variable
dépendante : Global Urbain Rural
Taxes locales par hab.
Communes voisines 0,058*** 0,105*** 0,051***
Taxes locales par hab. (0,012) (0,032) (0,013)
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Nous ne pouvons pas savoir si ces interactions découlent du « vote avec les pieds »
ou de la « concurrence par comparaison », car nous n’avons pas d’informations
concernant les migrations internes et la compétitivité dans les élections.
110 Samir Zine El Alaoui
Variable
dépendante :
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5
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Pour autant, les résultats de l’estimation par quintile des recettes totales
(voir tableau 3) montrent que les ressources des communes ont un impact
sur l’intensité des interactions stratégiques. En effet, le coefficient de la
variable dépendante décalée pour (Q5), (Q4) et (Q3) est significatif, tandis
que le coefficient de la variable dépendante décalée pour (Q1) et (Q2) ne
l’est pas.
6. CONCLUSION
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