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La Subception Ou La Capacité de Percevoir Le Caractère Menaçant D'une Expérience

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La subception ou la capacité de percevoir le caractère menaçant

d’une expérience
Par
Sybille REMICHE
Travail de fin de 1ère année (2022-2023).
Université Catholique de Louvain
Certificat universitaire en Psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle

Au moment où je prends mon clavier pour écrire ce travail à propos de la notion de subception, je
suis presque à la moitié de mes 80 séances de psychothérapie centrée sur la personne.

En effet, mon histoire personnelle m’a amenée à consulter à différentes reprises au cours de ma vie.
J’aime beaucoup la manière dont Muriel Mazet en parle (2003) : « Ils le font en des moments
particulièrement difficiles pour eux, alors que la vie leur est devenue insupportable, en entreprenant
un travail thérapeutique ».

D’abord au cours de mon adolescence où je vivais dans un climat familial particulièrement délétère.
Mes parents étaient en voie de séparation mais malgré le fait que mon père fréquentait au vu au su
de tous (y compris ma propre mère) sa maîtresse, il habitait toujours sous le même toit que nous et
cela nous était « caché ». Il y avait lieu de sauver les apparences et de « faire comme si … »

Je sentais que « ça ne tournait pas rond », qu’il y avait une « drôle » d’ambiance à la maison mais je
ne pouvais pas identifier ce qu’il se passait réellement. J’avais 14 ans, j’avais besoin d’aide face à ce
tissu de mensonges et à ce mal-être ambiant qui était devenu invivable pour nous tous.

A d’autres moments de ma vie, j’ai également vécu des moments de subception. C’est lors de mes
séances de psychothérapie que j’ai découvert le concept de subception. C’est un concept que j’ai
éprouvé, ressenti de façon inconsciente à plusieurs reprises dans ma vie, comme je l’expliquerai
dans ce travail. La subception est ce vécu de l’intérieur qui nous renvoie à quelque chose de bizarre,
à cette notion d’étrangeté qui nous plonge dans une sorte de brouillard où l’on perçoit que quelque
chose ne va pas mais on ne sait pas très bien quoi. On sent qu’il y a quelque chose, de bizarre,
d’inquiétant mais pas suffisamment inquiétant que pour que l’on agisse ou réagisse à ce moment-là.
Un peu comme un signal d’alarme que l’on percevrait faiblement et par intermittence. Comme si notre
esprit nous disait « attention, c’est étrange ». Comme si l’on détectait que ce n’était pas vraiment bon
pour nous mais nous n’avons pas tout à fait conscience du fait que c’est négatif.

Le fait de me rendre compte que ce signal d’alarme avait été présent à de nombreuses reprises dans
ma vie m’a tout particulièrement interpellée. C’est comme si je réalisais que la vie était bien faite et
que finalement on pouvait réellement se faire confiance car au plus profond de nous, il y a cette partie
de nous-mêmes qui est là pour nous protéger, pour nous interpeller quand quelque chose, quand une
situation, ne nous correspond pas.
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C’est en réalisant cela pendant ma psychothérapie qu’il m’a semblé évident et important de mettre en
lumière ce concept. C’est pourquoi j’ai fait le choix de ce thème pour mon travail.

La subception est définie comme étant « la capacité du sujet de distinguer le caractère menaçant
d’une expérience sans se rendre pleinement compte de ce caractère menaçant » (Rogers 2016).

« Le terme de « subception » provient, quant à lui, de travaux de psychologie expérimentale sur les
processus perceptuels (Mc Cleary & Lazarus, 1949) dont Rogers a très tôt pris connaissance. »
(Jean-Marc Priels, 2021)
« La subception désigne la discrimination (d’excitants) sans représentation consciente et a surtout été
utilisée pour expliquer la capacité d’une personne « de distinguer le caractère menaçant d’une
expérience sans se rendre compte de ce caractère menaçant » (Rogers, 1959, p.19 et 1962/1966,
p.179). Selon Rogers, la disponibilité à la conscience de l’expérience vécue, et donc la symbolisation
correcte de cette expérience en phase avec la réalité, ne se recouvrent pas nécessairement. »

En plus de cette expérience de subception, mon corps avait décidé de fuir cette menace en
dormant…je souffrais alors d’hypersomnie. A tel point qu’il m’était devenu impossible d’aller à l’école.
J’ai été déscolarisée pendant deux mois. Je venais trouver une place dans le système familial tout en
le questionnant. Le médecin de famille, qui avait été consulté à ce propos, nous renvoya (mes
parents et moi) chez une psychiatre d’orientation analytique.
Cette dernière me prescrivit un test du sommeil qui ne révéla rien d’anormal. C’est alors qu’une
thérapie (pour moi !) fut entamée.
La thérapeute reçut un appel en « cachette » de ma mère qui lui expliqua alors la situation du couple
parental…Je me rappelle encore qu’elle me parla de cet appel avec un certain étonnement et
agacement dans la voix. Je me rappelle avoir compris qu’elle était outrée à l’idée que mes parents
aient pu me cacher quelque chose d’aussi énorme !
Le week-end qui a suivi cette séance, mes parents se sont sans doute sentis contraints de nous (à
mes deux frères et moi-même) dire la vérité et mon père fut obligé, par ma mère, de quitter la
maison.
Ce qu’il fit de façon théâtrale car trois mois plus tard, il s’installa avec sa maîtresse qui devint son
épouse jusqu’à son décès.

J’avais envie de relater cet épisode de subception qui fut à l’origine en quelque sorte de mes
premières consultations. A cet épisode de subception, s’est rajoutée une composante de
somatisation avec cette hypersomnie qui a eu pour fonction d’alerter mes parents pour qu’ils
cherchent enfin de l’aide à m’apporter.

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Dans ces moments particuliers, je voudrais distinguer la subception qui était plus liée à l’ambiance
familiale lourde de non-dits, qui me plongeait dans un malaise diffus de la somatisation en tant que
telle qui se manifestait par mon hypersomnie.

Muriel Mazet dit à ce propos (2003) : « La douleur est un bon signal d’alarme, non point, bien sûr, la
souffrance que l’on s’inflige à soi-même, mais celle liée à l’éveil, car elle est le reflet de notre
sensibilité sous-jacente ».

J’ai fait un long travail avec cette psychiatre – psychanalyste qui m’a bien aidée notamment dans
mon rapport à mon père, pour faire le deuil des parents idéaux, et lors d’autres évènements de vie
(décès, diagnostic du handicap de ma fille, etc…).

Cependant, il m’est apparu que j’avais fait le tour du travail avec elle et en 2019, alors que je me
retrouvais embarquée dans une relation amoureuse toxique où je me sentais manipulée sans
vraiment arriver à mettre des mots sur le malaise que je ressentais, j’ai consulté une
psychothérapeute d’orientation TCC.

Comme l’écrit bien Bernadette Lamboy (2003) : « Recourir à une démarche psychologique traduit
sans doute un certain désarroi mais probablement aussi une volonté d’autonomisation et un désir de
prendre sa vie en main. L’intention de se réapproprier son existence par des solutions personnalisées
cache souvent une perte de repères ».

Avec le recul, j’ai pu comprendre qu’à nouveau c’est la subception qui a allumé en moi un
« avertissement » qui m’a poussée à aller chercher de l’aide.

Les auteurs Mc Cleary et Lazarus (Rogers, 2016) parlent du fait que « le sujet est capable d’effectuer
des discriminations à des niveaux neurologiques inférieurs au niveau requis pour la représentation
consciente – même quand il est incapable d’opérer une discrimination visuelle consciente. »
Cette thérapeute m’a aidée à me défaire avec succès de cette relation toxique sans trop de dégâts
pour moi.

Mais ce n’est que lors du travail entamé pendant ma psychothérapie centrée sur la personne que j’ai
pu prendre toute la mesure de l’ampleur et de la force de la « subception ».

Bernadette Lamboy écrit (2003) : « Aussi, derrière la pluralité des problématiques des clients, il
semble, comme le suggère Rogers « que chaque personne se pose une double question, « Qui suis-
je, vraiment ? » et « Comment puis-je devenir moi-même ? »

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En effet, en faisant des liens avec ma petite enfance, j’ai pu réaliser qu’étant enfant, j’avais déjà
expérimenté à plusieurs reprises cette notion de subception.

Notamment, lorsque ma mère me donnait du sirop Théralène le soir quand elle me trouvait « trop
agitée » pour que je dorme bien. Cela s’est passé à plusieurs reprises et je devais avoir entre 4 et 10
ans … Je percevais que ce n’était pas « normal », pas sain. Je savais très bien que je n’étais pas
malade et que je n’avais pas vraiment besoin de sirop mais en même temps, je ne le refusais pas.
De la même façon, quand pendant la nuit, j’étais malade (parfois avec beaucoup de température) et
que je n’arrivais pas à réveiller mes parents.
En effet, les deux prenaient des somnifères puissants : Rohypnol, plus communément appelé
« drogue du violeur ». Ils en prenaient en soirée et avec du whisky…et cela tous les soirs…
Je savais que la nuit, il n’y avait « personne »…
Enfant, je pensais que tous les parents étaient très fatigués et avaient besoin de se reposer …et en
même temps, je « sentais » que ce n’était pas normal de ne pas être disponibles pour ses enfants
quand ils étaient malades. On sentait bien (avec mes frères), qu’on les dérangeait de jour comme de
nuit. On sentait bien qu’ils n’avaient que très peu de plaisir (voire pas du tout selon les moments) à
être avec nous.

Cette notion de subception est aussi une notion que j’ai pu percevoir chez certains de mes patients.

Muriel Mazet cite Carl Rogers (2003) : « Etre vraiment soi-même n’est pas une tâche pour personne
timorée. Cela demande du courage. Cela implique de prendre des risques, de faire ses propres
choix, d’opter pour ses propres valeurs ».

Il me paraissait important de parler de cette notion de courage car c’est quelque chose qui me tient à
cœur et notamment lors des permanences que je fais dans le cadre de mon travail PMS en
secondaires avec des adolescents. Il me semble important de leur signifier que le fait de venir
« consulter » témoigne d’un grand courage et tout au long du processus, le fait d’aller petit à petit au
plus profond de son être, à la rencontre de soi-même, de son « vrai moi » demande pas mal de
volonté.

Je pense notamment à un jeune qui a expérimenté, comme témoin, la violence conjugale d’abord
entre ses parents et ensuite dans le couple que sa maman formait avec son compagnon.
Il vivait cela comme quelque chose de négatif et de désagréable mais il ne pouvait pas mettre les
mots de « violence », « maltraitance » sur ces situations car il avait toujours connu cela.
Ce n’est qu’en venant en thérapie à 17 ans qu’il a pu prendre conscience et se rendre pleinement
compte du caractère menaçant de ces expériences de vie pour son « moi ».

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Rogers écrit (2016) : « En conséquence le client est devenu capable de prendre conscience de
certaines données de son expérience qu’il avait interceptées à la conscience parce qu’elles
semblaient potentiellement dangereuses pour le maintien de son « moi ». Dans la sécurité de sa
relation avec le thérapeute, le client devient capable d’éprouver pleinement la signification des
données expérientielles ainsi découvertes. »

Plusieurs autres situations que j’aie vécues soit en tant qu’agent PMS, soit en tant que thérapeute,
sont particulièrement éloquentes à ce propos.

Je pense notamment à une petite fille de 9 ans que j’appellerai Lisa (prénom d’emprunt) pour ce
travail. Cette enfant vivait au sein d’une famille recomposée. Elle était la seconde d’une première
union de sa maman qui avait d’abord eu un fils et ensuite sa maman s’était mise en couple avec un
autre homme avec lequel elle avait eu une petite fille qui avait alors 3 ans au moment des faits.

La petite Lisa vivait depuis plusieurs années avec sa maman et son beau-père et elle subissait des
abus à répétition de la part de son beau-père. Ce dernier, sous prétexte de la soigner car elle
souffrait, d’après son beau-père, de rougeurs au niveau de ses parties intimes, lui infligeait des
séances d’attouchements qu’il photographiait et filmait…
Ce n’est que lorsque son beau-père a voulu aller plus loin dans les abus infligés que cette enfant a pu
parler…elle a bien expliqué à sa maman que « les séances de soin » ne lui paraissaient pas
« normales » mais elle n’en n’était pas sûre vu qu’elle accordait sa confiance à ce beau-père qui au
demeurant semblait gentil et bien prendre soin des enfants.
Par ailleurs, pour être tranquille, alors que Madame travaillait, ce monsieur envoyait son beau-fils se
promener avec sa fille pour ne pas être dérangé, pendant qu’il « s’occupait » de Lisa.

Ce que Lisa a pu exprimer à propos des abus subis avant que la « limite » ait été franchie pour elle,
une fois que la parole a été libérée, nous fait penser à la subception.
De la même façon, son frère aîné, a pu expliquer qu’il obéissait à son beau-père parce que ce dernier
insistait, mais qu’il n’aimait pas ces promenades imposées. Sans doute vivait-il aussi de la
subception.
Cette fraterie a bien évidemment pu bénéficier de thérapie au sein d’un service spécialisé (SOS
Enfants).

Une autre situation est celle de la petite Chloé (prénom d’emprunt) qui a alors 5 ans au moment où
nous découvrons sa situation.

Cette petite fille a été vue dans le cadre du travail PMS pour un testing pédagogique collectif avant
l’entrée en première primaire. L’institutrice avait quelques inquiétudes au niveau de ses acquis

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pédagogiques et l’avait alors désignée pour faire partie du groupe d’enfants à tester. A la fin du
testing à proprement parler, nous demandions aux enfants de dessiner leur famille.
La petite Chloé était alors en garde alternée égalitaire. Chez sa maman, elle vivait au sein d’une
famille recomposée. La maman avait un fils d’une première union, ensuite elle avait eu Chloé avec un
autre homme et puis elle avait une dernière petite fille avec son compagnon de l’époque.
Cette enfant nous a fait un dessin très interpellant : le personnage central était un homme dessiné
avec beaucoup de détails (oreilles, doigts, orteils, …) et avec un sexe « énorme » en érection et à
côté de lui, il y avait une femme qui portait des lunettes sur lesquelles elle avait repassé plusieurs
fois. Il y avait également deux enfants dessinés et beaucoup plus petits (un garçon et une fille).

Chloé m’expliqua que l’homme était son beau-père et que la femme était sa mère. Elle me dit que sa
mère habituellement ne portait pas de lunettes mais que là, elle lui en avait dessiné.
Les enfants étaient sa sœur et son frère.
Je lui ai alors demandé pourquoi elle n’était pas sur le dessin. Elle m’expliqua : « qu’on disait qu’elle
était chez son papa. »
En voyant ce dessin, j’ai alors eu une longue conversation avec l’enseignante qui m’expliqua que
Chloé lui avait déjà raconté à plusieurs reprises qu’elle faisait des soirées pyjamas seule avec son
beau-père pendant que le reste de la famille dormait et qu’elle recevait beaucoup de bonbons…
Elle avait des carnets de coloriage de poupées à habiller où elle avait systématiquement colorié
l’entrejambe des poupées en rouge…
Tous ces éléments mis ensemble ont évidemment abouti à un signalement auprès du SAJ et à une
judiciarisation de la situation.

En reprenant la définition des auteurs Mc Cleary et Lazarus (Rogers, 2016) « le sujet est capable
d’effectuer des discriminations à des niveaux neurologiques inférieurs au niveau requis pour la
représentation consciente – même quand il est incapable d’opérer une discrimination visuelle
consciente. »
On peut supposer qu’en effectuant ce dessin si révélateur, cette petite fille a essayé, de façon très
adéquate, de nous demander de l’aide et d’en demander à sa maman à laquelle, elle avait
habilement dessiné des lunettes pour qu’elle voie enfin ce qui se passait.
Malheureusement, cette maman a toujours refusé de voir l’évidence et a nié farouchement toute
implication de son compagnon. Nous n’avons pas connu l’épilogue de cette situation.

A l’instar de Muriel Mazet qui écrit si bien (2003): « J’ai toujours été frappée par la justesse touchante
avec laquelle les enfants m’ont aidée à les comprendre. Qui est celui qui sait ? Ce n’est pas le
thérapeute mais la personne avec toutes les richesses qu’elle possède et qui vont lui permettre de
sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve ».
Cette petite fille avait besoin d’aide et elle a su la demander au bon moment avec les « bonnes »
personnes.
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En tant que psychologue et thérapeute, je suis fascinée et profondément touchée par la force de la
subception qui permet au sujet de percevoir au niveau du cerveau reptilien cette menace pour
l’intégrité de notre « moi » et cela très tôt dans la vie du sujet.

Les expériences que j’ai vécues lors de mes différents stages en pédiatrie, pédopsychiatrie aux
Cliniques universitaires St Luc (avec les Professeurs Jean-Yves Hayez et Dominique Charlier) ainsi
que beaucoup plus récemment (en 2019) au CHU Tivoli en maternité, grossesses à hauts risques et
en service de néonatalité m’ont convaincue que la tendance actualisante est bien présente dès le
début de la vie, in utéro déjà.
Certains sujets ont une telle force de vie alors que d’autres, qui ont parfois, des pathologies moins
lourdes mais un contexte familial très lourd, souffrent par exemple d’anorexie du nourrisson.
L’hospitalisme en est aussi un exemple frappant dans ce que l’on appelle les « hospitalisations
sociales ».

Muriel Mazet (2003) fait référence à Donald Winnicott qui disait : « Un bébé ça n’existe pas ». Il
voulait dire par là que sans la mère celui-ci n’est rien. Elle nous parle de l’importance de la
communication et des paroles pour permettre au bébé et au petit enfant d’avoir accès au processus
d’individuation.

Muriel Mazet (2003) nous dit : « De ces paroles données, mais aussi paroles reçues, on ne cesse
d’en explorer le champ dans le domaine qui touche au monde du nouveau-né et du fœtus durant la
période néonatale, lorsqu’il séjourne dans le ventre de sa mère. Myriam Szejer, qui travaille en tant
que pédopsychiatre et psychanalyste en maternité, montre à la suite de Françoise Dolto comment les
maux des nouveaux-nés (qui vont des troubles digestifs aux difficultés respiratoires, en passant par
les maladies cutanées) peuvent être soignés, une fois que la parole a été instaurée en eux. »
(Myriam Sjezer. « Des mots pour naître : l’écoute psychanalytique en maternité » Gallimard. 1997).

Et même, lorsque les enfants sont hospitalisés pour des raisons physiologiques évidentes, il y a
toujours des enfants qui sont seuls, même très seuls.
Je me souviens d’une petite fille hospitalisée pour boiterie inexpliquée qui courait quand personne ne
la voyait (ou du moins quand elle le pensait). Cette petite fille vivait dans un contexte familial
excessivement compliqué.
« Tout comme les nouveaux-nés, les enfants montrent comment leur corps peut servir de messager à
un mal-être. Et ce langage, une fois décodé, représente un moyen pour découvrir le véritable sens de
ce qui devrait être dit » (Mazet, 2003).

C’est un peu comme si les humains avaient trouvé une « astuce » pour que l’expérience vécue ne
soit pas trop menaçante pour la structure du moi.
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Dans ma pratique thérapeutique, je suis actuellement une jeune fille de 16 ans que nous appellerons
Rose (prénom d’emprunt).
Cette jeune fille est porteuse de handicap, en ce sens qu’elle souffre d’un handicap moteur et
articulatoire sur le plan langagier. Elle est, par ailleurs, très intelligente.
Elle vient me voir suite à un séjour qu’elle a passé au Domaine à Braine l’Alleud, car depuis trois ans,
elle « pique des crises » comme elle l’exprime elle-même. Elle devient alors violente physiquement et
verbalement avec son entourage. C’est une jeune fille dont les parents se sont séparés lorsqu’elle
avait 5 ans et ses deux parents se sont remis en ménage. Elle est enfant unique.
Elle s’entend plutôt bien avec les compagnons respectifs de ses parents. Son papa est en ménage
avec un homme et la relation semble moins fusionnelle avec son papa.

Avec sa maman, Rose a une relation très fusionnelle et elle était très proche de son beau-père. La
relation avec son beau-père semble s’être détériorée. Elle me dit que son père dit qu’il s’est éloigné
d’elle parce qu’elle pique des crises mais elle dit que ses crises arrivent car c’est intolérable pour elle
de vivre le rejet de son beau-père.

C’est une adolescente qui a eu de nombreux suivis psychothérapeutiques et psychiatriques mais


certains ont été vécus comme de véritables violences. Notamment lorsqu’un thérapeute lui a dit
qu’elle n’irait jamais mieux tant qu’elle n’acceptait pas son handicap !!!
Ce même thérapeute lui imposait les sujets dont il « fallait » parler pendant les séances de thérapie.
Cette jeune fille est arrivée chez moi dans un état de souffrance extrême mais aussi avec une réelle
demande d’aide et tellement de questions par rapport à sa vie actuelle mais aussi par rapport à son
passé.
On sent que cette jeune fille a souffert énormément de violences psychiques tant au sein de sa
famille qu’au niveau thérapeutique !!! Un comble de se rendre compte que certaines thérapies
semblent faire plus de mal que de bien. L’idée étant de rejoindre autant que possible sa tendance
actualisante.
Rogers (2016) écrit à ce propos que : « …tout organisme est animé d’une tendance inhérente à
développer toutes ses potentialités et à les développer de manière à favoriser sa conservation et son
enrichissement ». Plus loin, Rogers (2016) ajoute: « Du fait que la tendance actualisante régit
l’organisme tout entier, elle s’exprime également dans le secteur de l’expérience qui correspond à la
structure du « moi » - structure qui se développe à mesure que l’organisme se différencie. Quand il y
a accord entre le « moi » et « l’organisme », c’est-à-dire entre l’expérience du « moi » et l’expérience
de « l’organisme » dans sa totalité, la tendance actualisante opère de manière relativement unifiée ».
Ce qui, somme toute, est l’objectif recherché dans le cadre d’une psychothérapie. L’idée étant de
pouvoir fonctionner de la façon la plus unifiée possible.

Je me suis demandé si le fait de sentir que la thérapie entreprise ne nous convient pas ne serait pas
de la subception ?
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On peut raisonnablement penser que cette jeune fille a dû ressentir un certain malaise et qu’elle a dû
vivre un manque de compréhension voire de respect quand un psychiatre et un psychologue lui ont
dit : « ton problème c’est que tu n’acceptes pas ton handicap ! ».
Lorsque les choses sont énoncées avec une telle violence, on n’est évidemment plus dans la
subception mais dans la perception totalement consciente.

J’aime beaucoup ce que Muriel Mazet (2003) en dit : « La thérapie permet à chacun de retrouver le
pouvoir qu’il possède sur lui-même, d’être maître à bord dans sa vie, et de mener une vie « pleine »
parce que totalement ouverte à son expérience personnelle ».

J’ai décidé d’écrire ce travail pendant les vacances d’été, en effet mon travail en PMS me permet de
bénéficier des congés scolaires.
La période me semblait propice à l’inspiration, au fait de pouvoir avoir des moments pour disposer de
la possibilité de me poser et me centrer sur moi-même.

C’est donc dans le cadre particulier d’une propriété familiale en Provence, dans la douceur de ce
climat et de cette lumière si particulière tant appréciée par des peintres comme Cézanne et Van
Gogh notamment, que j’ai trouvé la sérénité suffisante et nécessaire à l’élaboration de ce travail de
réflexion, d’introspection et de rencontre avec moi-même.
C’est alors que j’ai pu expérimenter ce bien-être si nouveau pour moi, cette « zénitude » ou plus
exactement cette plénitude qui apporte de la sérénité de l’intérieur, un peu comme si l’on voyait la vie
avec un nouvel éclairage, avec une nouvelle lumière.
Un peu comme si l’on entendait la vie avec une nouvelle mélodie, la mélodie du bonheur.
Cette forme d’ancrage et de détachement à la fois est nouveau pour moi et je sens au plus profond
de moi que c’est grâce au travail thérapeutique assidu que j’ai enfin pu y accéder.
Un peu comme si les évènements de vie me touchaient toujours mais tout en restant à leur juste
place, comme si le négatif ne pouvait en aucun cas altérer les rayons de notre soleil intérieur.
Parfois, certes, un ou plusieurs nuages viennent obscurcir notre ciel mais notre rayonnement
intérieur les éloigne à chaque fois avec de plus en plus d’efficacité.

Avoir expérimenté cet état de plénitude intérieure m’a rendue tellement heureuse que lors de mon
bref retour en Belgique, plusieurs questionnements ont surgi :

- Comment faire lorsque le stress du quotidien viendra à nouveau me bouleverser pour


retrouver cette homéostasie ?

C’était tellement agréable et bénéfique ce bien-être intérieur que je ne voulais en aucun cas le
perdre. Maintenant que je l’avais vécu, je ne pouvais plus envisager de vivre sans.

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- Comment faire pour que cette plénitude puisse être présente dans toutes les sphères
de ma vie ? Y compris la sphère affective, la sphère amoureuse, moi qui suis une écorchée
vive de par mon histoire personnelle. Nous en rigolons souvent avec ma thérapeute de cette
blessure d’attachement qui, pour elle, est guérie. Personnellement, je n’en ai pas encore la
certitude.

Ma thérapeute, a pu me rassurer et me dire que, bien évidemment, cet état de plénitude intérieur, ne
pouvait demeurer en permanence car le stress du quotidien ou des évènements traumatiques de la
vie peuvent nous en éloigner. Mais lorsqu’on l’a ressenti, on peut le retrouver et qu’au fur et à mesure
des va-et-vient, on finit par y retourner de plus en plus facilement.

J’ai pu déjà éprouver le fait que, lorsqu’il disparaissait, ce n’était que momentané et qu’on pouvait le
retrouver. Expérience qui m’a très certainement rassurée.
J’attends maintenant de faire l’expérience de ces allers et retours de plus en plus « faciles ».

A ce stade-ci de ma formation, je trouve cela très enthousiasmant de voir ce champ des possibles qui
s’ouvre sur de nouvelles perspectives insoupçonnées jusqu’à présent.
Le fait d’être à ce point en accord avec moi-même dans une congruence grandissante me donne une
assise et un recul qui me permettent certainement de vivre la vie avec une sérénité nettement plus
importante. Il me semble aussi que cela joue de façon très positive sur ma fatigue mentale.
C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai pu faire l’expérience d’un fonctionnement plein, même si ce
mode de fonctionnement n’est pas permanent.

Rogers (2016) écrit : « La personne qui serait passée par une thérapie optimale serait ouverte à son
expérience. L’ouverture à l’expérience est une notion dont la signification ne cesse de s’enrichir et de
se préciser dans ma pensée. Abordons-en la présentation en disant que cette notion se réfère à un
genre d’attitude qui est aux antipodes de l’attitude de défense. »

Le fait de ne plus être dans la lutte permanente mais dans l’acceptation des expériences que la vie
m’offre me permet sans doute de mieux ressentir les choses et peut-être même de me faire
confiance.

Rogers (2016) dit à ce propos: « Contrairement à l’attitude de défense, l’attitude d’ouverture


permettrait à tout excitant, qu’il soit d’origine externe ou interne, d’être librement relayé à travers
l’organisme sans déformation aucune par l’action de mécanismes de protection, c’est-à-dire de
défense. Le mécanisme de « subception » - dont la fonction est d’avertir l’organisme de la présence
d’excitants menaçants par rapport à la structure du moi – deviendrait donc inutile ».

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Jean- Marc Priels (2021) écrit: « Le but de la psychothérapie est de symboliser autant que possible la
totalité de l’expérience, c’est-à-dire de faire en sorte qu’il y ait à terme le moins d’incongruence
possible dans le chef du client. »
« Si la présence influente du thérapeute dans le champ expérientiel du client n’est pas perçue de
manière minimale, sans doute suffit-il alors qu’elle le soit de manière subconsciente. »

Muriel Mazet (2003) nous quant à elle dit: « Le thérapeute est un peu là pour dire : « Je suis là pour
t’aider à ce que tu puisses t’aider toi-même », et permettre à ce qui a été interdit de parole d’exister
en plein jour pour balayer tout sentiment de honte de soi ».

Comme j’ai pu profiter de ces longues vacances dans cette belle propriété familiale, cela m’a permis
de croiser bon nombre de cousins et d’amis qui, sans s’être concertés, m’ont renvoyé le fait que
j’étais rayonnante et sereine, j’aimerais terminer avec la citation suivante :

« Je crois que les gens dont on dit qu’ils sont rayonnants sont ceux qui se sont acceptés faillibles,
inachevés, et qui vivent cela en paix ». Vittoz (Mazet 2003).

Bibliographie

Lamboy B. (2003). Devenir qui je suis. Desclée de Brouwer.

Mazet M. (2003). Des mots pour vivre. Desclée de Brouwer.

Rogers C. (2016). Psychothérapie et relations humaines. ESF.

Zech E., Demaret G., Priels J-M., & Demaret-Wauters C. (2021). Psychothérapie centrée sur la
personne et expérientielle. De Boeck Supérieur.

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