Education
Education
Education
ABSTRACT
L’expansion de l’éducation des hommes et des femmes depuis cinquante ans dans la plupart des
pays Africains comporte de nombreuses implications au niveau de la démographie du continent. Savoir
dans quelle mesure une expansion de l’éducation peut-elle faire diminuer la fécondité est une question
largement traitée dans la littérature. L’objectif de cette étude est de contribuer à y répondre en regardant
les données de recensement sous un jour nouveau. En particulier, nous tentons de cerner les relations
existantes entre l’éducation des mères d’une part et la fécondité, l’infécondité, et la mortalité infantile
d’autre part, et d’en inférer quelques tendances à venir.
de la Croix, David ; Gobbi, Paula Eugenia. L’expansion de l’éducation en Afrique annonce-t-elle sa transition
démographique ?. In: Dounia, revue d'intelligence stratégique et des relations internationales, no.7, p. 33-50
(Janvier 2014) http://hdl.handle.net/2078.1/144605
Le dépôt institutionnel DIAL est destiné au dépôt DIAL is an institutional repository for the deposit
et à la diffusion de documents scientifiques and dissemination of scientific documents from
émanant des membres de l'UCLouvain. Toute UCLouvain members. Usage of this document
utilisation de ce document à des fins lucratives for profit or commercial purposes is stricly
ou commerciales est strictement interdite. prohibited. User agrees to respect copyright
L'utilisateur s'engage à respecter les droits about this document, mainly text integrity and
d'auteur liés à ce document, principalement le source mention. Full content of copyright policy
droit à l'intégrité de l'œuvre et le droit à la is available at Copyright policy
paternité. La politique complète de copyright est
disponible sur la page Copyright policy
** IRES, Université catholique de Louvain. 1. National Transfer Accounts Bulletin, August 2013, p6.
*** Paris School of Economics. 2. Voir Tabutin et Schoumaker (2004).
lyse formelle des hypothèses explicatives dans les données est expliqué par un mé-
potentielles. Pour la suite, deux approches canisme précis (voir par exemple Aksan et
sont possibles. L’une consisterait à estimer Chakraborty (2013) concernant l’efet de
un modèle statistique pour évaluer l’im- l’incertitude quant à la survie des enfants
portance de diférents mécanismes, soit sur la fécondité en Afrique). Quelle que
au niveau macroéconomique (comme par soit l’approche, les résultats proposés ci-
exemple Jeon et al. (2010) le proposent dessous soulignent que les relations entre
pour le taux de natalité dans les pays variables démographiques et éducation
d’Afrique Sub Saharienne), soit au niveau sont fortement non-linéaires, avec des ef-
individuel. L’autre approche imposerait fets de seuil manifestes, excluant des outils
une structure théorique plus forte, visant possibles ceux qui se limitent à modéliser
à évaluer quel pourcentage des variations des relations linéaires.
TABLEAu 1
Données moyennes par pays
la courbe repose uniquement sur les trois précède généralement le choix de fécon-
recensements de l’Afrique du Sud; on dité, sauf dans le cas d’interruption invo-
peut légitimement se demander si l’aug- lontaire du curriculum en raison d’une
mentation de l’infécondité en Afrique naissance non planiiée.
du Sud peut être liée à d’autres facteurs Dans la partie gauche du graphique,
(VIH). Toutefois, les résultats pour les la relation entre les deux variables est
pays développés d’Europe et d’Amé- croissante. Une interprétation de cette
rique accréditent l’idée que l’infécondité relation pourrait reposer sur des méca-
volontaire augmente avec le développe- nismes malthusiens chez les populations
ment. les moins éduquées : une augmentation
Notons que les pays pour lesquels de l’éducation permet à celles-ci d’ac-
les données de recensement sont dis- croître leur nombre d’enfants, au travers
ponibles ne font pas partie de la « cein- d’un efet revenu selon les économistes,
ture d’infécondité Africaine ». Plusieurs ou d’autres mécanismes sociaux tels que
études ont démontré que la zone géogra- la stabilité matrimoniale selon les socio-
phique s’étendant du Gabon au Soudan démographes. Au contraire, dans la par-
du Sud, regroupe les régions les plus tou- tie droite du graphique, la relation entre
chées par une infécondité pathologique.1 infécondité et éducation devient décrois-
Ceci expliquerait pourquoi le Cameroun sante. Lorsque l’éducation moyenne
a un taux d’infécondité anormalement des femmes augmente, les économistes
élevé, comparé aux autres pays où le avancent l’idée que le coût d’opportunité
niveau moyen d’éducation est similaire d’être en dehors du marché du travail
(Figure 1). La ligne bleue de la Figure devient élevé, entraînant une baisse de
1 représente une approximation de la la fécondité désirée. Les socio-démo-
relation entre années d’études et taux graphes soulignent quant à eux le rôle
d’infécondité par un polynôme de degré de normes sociales liées à l’éducation et
deux. Celle-ci est estimée sans prendre la meilleure maîtrise de la contraception
en compte le Cameroun.2 par les femmes éduquées.
La Figure 2 montre la relation entre Finalement, la Figure 3 montre la
la descendance inale des mères (C) et relation entre taux de survie (D) des
l’éducation de celles-ci. La courbe bleue enfants et éducation de la mère, par pays.
provient de l’estimation d’un polynôme Sans surprise, celle-ci est positive. La
de degré trois entre la descendance inale courbe bleue résulte de l’estimation d’un
des mères et leur éducation. Le coeicient polynôme de degré deux entre le taux de
de détermination est égal à 0.782. Certes survie et l’éducation des femmes.
cette courbe ne représente qu’une cor-
rélation, sans nécessairement impliquer
une causalité. Toutefois une causalité R ÉSULTATS PAR PAYS
inverse (de la fécondité vers l’éducation)
est peu probable, car le choix d’éducation Plus en détail, nous considérons
maintenant la relation, au sein d’une
1. Voir par exemple: Retel-Laurentin (1974) et Romaniuk
génération, entre l’éducation de la mère
(1980). et les trois variables B, C et D, pour cha-
2. La relation reste convexe même en incluant le Cameroun. cun des pays du Tableau 1.
les Nations Unies. Dans sa méta-ana- nomique, l’autre culturelle. Nous nous
lyse des politiques de planning familial, concentrons ici sur l’aspect économique.
May (2012) estime que donner accès aux Une femme éduquée bénéicie d’un
contraceptifs réduit la fécondité d’une salaire plus élevé sur le marché du tra-
famille de 0.5 enfants au minimum à 1.5 vail et d’une meilleure chance de trouver
enfants au maximum. Dans ce contexte, un emploi. Ceci accroît pour elle le coût
l’éducation des femmes joue un rôle im- d’opportunité d’avoir des enfants, dans
portant, et facilite un usage adéquat des la mesure où ces derniers prennent du
méthodes contraceptives. temps et réduisent sa disponibilité sur le
Les fondations théoriques de cette marché du travail.1 En un sens, le salaire
vision sont toutefois fragiles. Elles re- potentiel de la mère est une composante
posent sur le modèle de Bongaarts (1978) importante du « prix » d’un enfant (sous
qui décrit les déterminants proches de l’hypothèse, valide dans une société tra-
la fécondité, tels que l’usage de contra- ditionnelle, que c’est surtout la mère qui
ception. Il s’agit d’un modèle mécanique va passer du temps à élever les enfants).
sans attention portée aux incitants aux- Une meilleure éducation a un efet in-
quels les ménages font face. direct sur la fécondité désirée : plus le
Nous partageons la vision que l’intro- revenu est élevé, plus le coût de ne pas
duction en masse de contraceptifs n’est travailler est grand et plus la fécondité
pas un moyen eicace d’une politique désirée baisse.
qui vise à réduire la fécondité. Nous pre- Le mécanisme décrit ci-dessus
nons les études qui ont comparé la fécon- n’opère que si, de fait, l’éducation donne
dité voulue avec la fécondité observée un meilleur salaire et/ou une meilleure
comme point de départ. Selon Pritchett employabilité. Si au contraire, le rende-
(1996), 90% des variations de la fécondité ment de l’éducation est faible, il n’est pas
observées s’expliquent par des variations étonnant que la fécondité réagisse peu à
de fécondité désirée. Si ceci est vrai, il l’accroissement de celle-ci. Il est intéres-
est donc improbable que la contracep- sant de formaliser un peu cet argument
tion réduise la fécondité de manière dans la ligne du modèle de De la Croix
signiicative. David Lam (2011) rejoint et Doepke (2003). Faisons les hypothèses
cette conclusion en utilisant des données suivantes. Les ménages tirent de l’utilité
plus récentes et couvrant davantage de de la consommation et du nombre d’en-
pays : « In other words, while unwanted fants. Avoir un enfant coûte du temps.
fertility exists almost everywhere, there Les revenus du ménage sont composés
is little evidence that some countries d’un revenu du travail (qui requiert de
have higher fertility because they have passer du temps au travail) et d’un revenu
a larger gap between actual fertility and non salarial (héritage, dot, don, revenus
wanted fertility». En conséquence, pour du patrimoine, etc). Le revenu du travail
réduire la fécondité, il faut jouer sur ses
1. On peut toutefois se demander si la vision selon la-
déterminants fondamentaux et non sur quelle le coût d’opportunité est un facteur majeur de la
ses déterminants proches. fécondité s’applique bien à l’Afrique. Les possibilités de
L’éducation des mères igure parmi garde d’enfants par la famille élargie pourraient en efet
rendre ce facteur irrelevant. Ceci n’est néanmoins vrai
les déterminants fondamentaux de la que si la garde par la famille élargie s’efectue totalement
fécondité. Deux raisons à cela, l’une éco- gratuitement, sans contrepartie.
Jeon, Y., Rhyu, S.-Y., et M.P. Shields tion et le nombre d’enfants. Pour simpli-
(2010). Fertility in Sub-Saharan African ier, leur utilité s’écrit :
countries with consideration to health
and poverty. African Development Re- c n
view 22 (4), 540-555.
Lam, D. (2011). How the world sur- avec relétant leur goût pour les
vived the population bomb: lessons from enfants. Le ménage dispose sur sa vie
50 years of extraordinary demographic d’une dotation en temps h qu’il alloue
history. Demography 48 (4), 1231-1262. entre travailler l et élever ses enfants,
May J. (2012). World Population Pol- ce qui lui coûte unités de temps par
icies: heir Origin, Evolution, and Impact. enfant. Sa contrainte de temps est :
Springer.
Poston, D., et K. Trent (1982). Inter-
national variability in childlessness: a
descriptive and analytical study. Jour- Ecrivant le salaire par unité de
nal of Family Issues 3(4), 473-491. temps w et le revenu non salarial a, sa
Retel-Laurentin, A. (1974). Infécon- contrainte budgétaire est :
dité en Afrique Noire: Maladies et consé-
quences sociales. Masson et Cie. éditeurs.
Romaniuk, A. (1980). Increase in
natural fertility during the early stag- Supposant que le salaire w est fonc-
es of modernization: evidence from an tion de l’éducation e au travers d’une
African case study, Zaire. Population équation de Mincer,
Studies 34(2), 293-310.
Shapiro, D., et T. Gebreselassie
(2008). Fertility transition in Sub-Saha-
ran Africa: Falling and stalling. Etude de Avec représentant le taux de ren-
la Population Africaine 23 (1), 3-23. dement privé de l’éducation, à savoir le
Tabutin, D., et B. Schoumaker gain salarial en pourcents obtenu par
(2004). he demography of sub-Saha- une durée d’étude accrue de un an.
ran Africa from the 1950s to the 2000s:
a survey of changes and a statistical as- En remplaçant toutes les contraintes
sessment. Population 59 (3-4), 457-556. dans l’objectif, en calculant la condition
Wolpin K. (1997). Determinants and de premier ordre pour un maximum par
consequences of the mortality and health rapport à n, et en résolvant l’équation
of infants and children, dans Handbook ainsi obtenue, il vient :
of Population and Family Economics, eds. O.
Stark and M. Rosenzweig, North-Holland.
Calculant maintenant l’élasticité de
A NNEXE n à e, on obtient :
Supposons que les ménages aient des
préférences déinies sur la consomma-
af