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(EB) Rolling Stone France Septembre - 2017

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ÉDITO

Par Belkacem Bahlouli

Piège à sons !
O
n en a peu parlé au cœur de cet été, étouffés par la instruments venus d’Asie du Sud-Est. Alors, exit Fender, Gibson
chaleur ou la pluie, les bouchons des samedis noirs ou Gretsch ? Loin de là, il s’agit davantage d’une guerre marketing.
sur l’autoroute et surtout, la java des bombes ato- Certes, les musiciens recherchent – effet de mode ou de statut, allez
miques si chère à Boris Vian, dansée par deux chefs savoir ! – des instruments vintage, usés par des années d’usage
d’État, le caricatural Nord-Coréen Kim Jong-un et intensif ; mais si on dépasse le stade “du look plus que du son”, le
l’ineffable Américain Donald J. Trump. Alors, avant cette dernière marché ne se porte pas si mal et les guitares asiatiques ont aussi
valse pré-cataclysme nucléaire, cette nouvelle a fait polémique sur leurs inconditionnels.
les réseaux sociaux dans les milieux rock. En cause ? Un article du Et tout cela va en parallèle avec la “nouvelle vogue” des 33-tours.
New York Times, prônant tout simplement la mort du rock’n’roll via Le retour en force, ces dernières années, du microsillon est un fait
la fin du règne des guitares électriques. Exit (pas si notoire que ça : à peine plus d’un
l’engin à faire du rock’n’roll par excellence, million de copies, tous catalogues confondus
les ventes sont en chute libre, plus personne en 2016 en France, soit une goutte d’eau dans
ne veut apprendre à jouer “Stairway to les océans d’iTunes et de Spotify qui, eux, ont
Heaven” ou “Hey Joe”, bref, on n’en pince vendu plus d’un milliard de titres à la dé-
plus pour cet instrument à cordes pincées. coupe), mais pas une réelle tendance lourde.
Et pourtant, une simple descente à Pigalle, D’ailleurs, certains commencent à déchan-
le quartier parisien des magasins de six- ter : une enquête dans la presse hi-fi britan-
cordes, prouve le contraire. Le célèbre nique, où l’on ne plaisante pas avec le son, a
quotidien new-yorkais a-t-il voulu faire le découvert certaines supercheries destinées
malin avec une fake news, pour reprendre à écouler du vinyle pour pas cher : soit des
le vocabulaire en vogue ? C’est plus com- contrefaçons, purement et simplement, de
plexe que cela. Donc non, “rock’n’roll can vinyles disparus depuis des décennies, soit
never die” chantait Neil Young, et à juste du travail de sagouin où le transfert analo-
titre. Car si l’article estimait que l’instru- gique se base sur le son d’un CD avant d’être
ment roi des musiques actuelles est en transféré sur un microsillon. Alors qu’une
sursis et disparaîtrait, telle une espèce belle réédition ou nouvelle publication passe
menacée d’extinction, à l’aube des an- nécessairement par un mastering fait à par-
nées 2050, la musique qu’il servait, elle, tir des… masters, afin de présenter un son en
n’est pas près d’être vouée aux gémonies. On accord avec son support (un son de CD n’a
disait le rock mort quelques jours après sa rien à voir avec un son de 33-tours). Bref, une
naissance… il y a plus de soixante ans. Il arnaque. Alors est venue l’idée que, d’ici peu,
n’en fut rien. Et n’en est toujours rien. À preuve, les patrons de une sorte de “label rouge” soit apposé sur la pochette des précieuses
festivals, cet été, ont affiché un sourire qu’on n’avait pas vu depuis galettes noires, “Masterisé à partir des bandes d’origine”, comme il
des années – avec, pour certains, 100 % de tickets vendus ! Et se doit. L’amateur de rock sera aux anges, car de plus, une flopée de
surtout, c’est oublier un peu vite que, chaque année, quelque trois sorties – et de rééditions – de tout premier ordre est annoncée pour
mille albums dans les seules catégories “pop-rock” sont publiés par cette fin d’année 2017, de Liam Gallagher à QOTSA en passant par
le biais d’un label – rien qu’en France ! – et cela, sans compter les Bowie, The Cars, The Doors ou The Beatles –si, si – et nombre de
© LORAINE ADAM

innombrables autoproductions ! Et pour créer tout cela, il en faut trésors enterrés depuis des décennies qui n’attendent que d’être mis
des guitares. Bref, ce que précisait le NYT était que la production au jour. Pour le grand bonheur des fans de ce rock qui ne mourra
américaine n’arrivait que très difficilement à contrer l’offensive des pas. Bonne rentrée, donc.

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Some Kind o

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of Master À l’aube d’une tournée européenne qui ne manquera pas
de conforter Metallica dans son statut d’inamovible fer de
lance du metal, son batteur Lars Ulrich se confie sur l’état
d’esprit du groupe, ses ambitions et… le temps qui passe.

Par XAVIER BONNET


Photographie ROSS ALFIN

le New Jersey et ainsi de suite. Remplir des tellement confiance en toi que ça te paraît
stades, Metallica y est habitué. Devrait l’être, presque normal. Quand tu vieillis, ta men-
en tout cas. Pourtant, Lars Ulrich, batteur et talité change, tu es un peu plus déconnecté de
cofondateur du groupe avec James Hetfield, la scène musicale parce que tu as une famille
son gosier et sa guitare rythmique, semblait à gérer ou d’autres centres d’intérêt. D’une
le premier surpris dans la presse américaine certaine manière, aujourd’hui, j’ai plutôt
– et notamment à Rolling Stone – que ce soit tendance à sous-estimer Metallica qu’à le
encore possible après trente-cinq ans de car- surestimer ! (Rire.) Au-delà de ça, beaucoup
rière et précisément parce qu’il ne s’y était de choses ont changé depuis notre dernière
plus essayé outre-Atlantique depuis si long- tournée des stades ici, il y a quatorze ans.
temps. Certes, l’homme est coutumier des Tout est beaucoup plus imprévisible. C’est
Metallica aura passé une effets de manche – certaines mauvaises lan- devenu – ou redevenu – le Far West !”
bonne partie du printemps et du début de gues diront que c’est aussi le cas quand il En un mot comme en cent, c’est une bonne
l’été à parcourir les États-Unis pour une s’assoit derrière une batterie – mais sa sur- période pour Metallica. “Un bon moment
tournée des stades, ce qui ne lui était pas prise avait quand même de quoi, hum !, sur- pour être dans Metallica”, comme aime à le
arrivé depuis presque quinze ans – aussi prendre. Suffisamment pour que l’on remette formuler le batteur. Aux États-Unis comme
étonnant que cela puisse paraître. Une petite la question sur le tapis au moment d’entamer en Europe, où le volet de la tournée démarrera
trentaine de stades en tout, sur le fronton la conversation, tandis que la troupe s’auto- le 2 septembre à Copenhague, dans son Dane-
desquels le groupe aura réussi à afficher le risait un jour off la veille de l’étape de ce mark natal. Pourquoi ? Comment ? Pourquoi
mot “complet” sans grand effort, malgré des WorldWired Tour à Phoenix, en Arizona. “En le nom du groupe semble-t-il avoir plus de
capacités qui en auraient intimidé plus d’un : vieillissant, tu ne considères plus tout ça résonance qu’il y a dix ou vingt ans ? Com-
7 1 000 pla ces à Ba lt imore, 69 000 à pour acquis, explique Ulrich, très solennel. ment se fait-il que le renouvellement des géné-
Philadelphie, 82 500 à East Rutherford dans À 30 ans, tu es plein de certitudes, tu as rations ait profité à Metallica, [Suite p. 6]

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[Suite de la p. 5] avec un public jeune s’écla- commerciale qui a fait ses preuves et Into Flame”, “Halo on Fire” et “Dream No
tant aux concerts au moins autant que les Metallica ne serait pas le premier – ni le der- More”. Même si, concernant cette dernière,
anciens ? Pourquoi les articles relatant cette nier (Aerosmith, si tu nous entends…) – à ce ne fut qu’en une seule occasion, à Mexico
tournée américaine sont parmi les plus dithy- tirer sur cette corde… sensible ! City, en mars dernier. Opération peu satis-

C
rambiques dont le groupe ait pu bénéficier ? eci étant, on vous doit un aveu. On le faisante, mais qui demande à être renouve-
Une fois n’est pas coutume, Lars Ulrich n’a pas devait surtout à Ulrich. En décou- lée, dixit Ulrich, qui confesse sans détours
de réponse et se fait philosophe, à sa façon, vrant il y a maintenant dix mois qu’elle est pour lui la plus difficile à appré-
sinon fataliste. “J’ai 53 ans et, à mon âge, Hardwired… To Self-Destruct, le der- hender des sept à cause d’un tempo… très
chaque jour qui passe est une bonne journée. nier effort en date du groupe, et son lent. D’autres chansons ont été répétées –
Arrive un moment de ton existence où tu te roulé-boulé de puissance et de vio- “ManUNkind”, “Spit Out the Bone” – et ont
dis : ‘Attends une seconde, il y a de fortes lence sur à peu près chacun des douze titres de fortes chances d’apparaître de temps à
chances que tu aies vécu plus qu’il ne te reste et des 79 minutes que compte le double autre sur les setlists des dates européennes.
à vivre.’ Donc oui, tu relativises et tu ne album, la question nous avait traversé l’es- Quant à ceux qui s’inquiéteraient de la pré-
cherches pas forcément des explications à tout prit illico : comment allait-il faire pour sence des hymnes d’hier et d’avant-hier, qu’ils
et partout… Aujourd’hui, quand tu enchaînes reproduire tout ça en concert chaque soir, soient rassurés : ils sont et seront tous de
une trentaine de concerts comme on est en précisément sans se déboîter une épaule ? sortie, de “For Whom the Bell Tolls” à
train de le faire, chaque concert que tu finis “Merci de ta sollicitude, s’amuse l’intéressé. “ Bat ter y ”, en pa ssa nt pa r “Ma ster of
sans avoir l’épaule en miettes est un bon Puppets”, “Seek and Destroy” ou les deux
figures imposées que sont “Nothing Else


concert ! Tu ne penses pas à ce genre de trucs
à 25 ans… Le fait que tout ça puisse continuer Matters” et “Enter Sandman”.
encore et encore est plus dingue et incroyable Que l’on ne compte pas en revanche sur
chaque jour. Personne n’aurait imaginé, Ulrich pour porter un retard critique sur
quand nous avons commencé, que nous
serions encore sur la brèche trente-cinq ans Si Rolling Stone Hardwired… Pas d’actualité, trop tôt. “Je suis
toujours en période de lune de miel avec cet
plus tard… Je ne sais pas combien de temps
cela pourra durer. On parle sans arrêt de ces France fait sa album, énonce-t-il. Je n’y vois rien à redire.
Pour l’instant. D’ailleurs, j’avoue ne pas
sportifs qui arrêtent leur carrière à 35 ans. Or,
ce que nous faisons est si exigeant, tant phy- couverture en m’être posé pour le décortiquer. Mais ça vien-
dra, je le sais. Un jour, je trouverai que ceci
siquement que mentalement, qu’il est difficile
de prédire si ça va encore durer longtemps.” titrant ’Exclusif : ou cela sonne de manière un peu étrange et
ça me fera hausser les sourcils.” Sur l’instant
Scoop : Metallica se fait vieux ! Se sent
vieux. Car le batteur n’est pas le seul à faire Lars Ulrich, – et on réclame ici l’indulgence du jury – il ne
nous est pas venu à l’esprit d’évoquer le son
des allusions à son âge en interview. Ainsi
James Hetfield lâchait-il il y a peu avec ses problèmes de sa batterie sur St. Anger (2003) en mode
poêle en inox. On s’en voudrait presque, mais
espièglerie – mais il n’était guère difficile
d’en déceler le sous-texte – que tous dans le d’âge‘, ce presque seulement…
Début septembre démarrera donc un nou-
groupe “avaient mérité d’avoir des cheveux
blancs”. Jamais, jusqu’alors, les deux têtes serait un peu veau périple européen pour Metallica. Pas
de stades au programme, mais une trentaine
pensantes de la formation n’avaient autant
insisté sur ces questions d’âge, qui appa- schématique et de “grosses salles” : dix-sept pays visités en
tout, une première salve de quinze dates
raissent comme une vraie préoccupation.
Ulrich ne s’en cache pas, l’énergie et les res- manichéen. jusqu’à novembre – dont deux à l’AccorHotels
Arena Paris (8 et 10 septembre) et une à la
sources nécessaires à un bon fonctionne- halle Tony-Garnier de Lyon (12 septembre)


ment leur prennent plus de temps que par – et vingt-quatre autres entre février et
le passé, à commencer par la gestion d’un mai 2018. Pour ce qui est de son contenu, de
calendrier – combien de days off entre deux son “installation”, difficile d’en savoir plus.
séries de concerts, le calcul des distances – Tout juste Ulrich annonce-t-il un show
et tout est fait pour optimiser une fraîcheur Disons que je ne m’en sors pas trop mal entièrement nouveau et concède que la scène
physique et mentale des différents protago- jusqu’à présent. Ce n’est un secret pour per- sera centrale (“parce que nous aimons nous
nistes. “Maintenant, si Rolling Stone sonn e , on d é m ar re ch a qu e soir ave c retrouver au milieu du public dans ce genre
France fait sa couverture en titrant ‘Exclu- ‘Hardwired’. Tu m’aurais dit ça il y a un an, de salles”), même si, en la matière, il n’y a
sif : Lars Ulrich, ses problèmes d’âge’, ce je n’en aurais pas mené large. Mais ces chan- rien de bien inédit, puisque c’était déjà le cas
serait un peu schématique et manichéen, sons ont trouvé leur public. (“En trente-cinq lors du passage du groupe en 2009 dans ce
sourit-il. Mais oui, la plupart de nos choix ans, je n’avais jamais entendu la phrase qui s’appelait encore le Palais omnisports -de
aujourd’hui se font dans l’idée de ne pas ‘Pourquoi ne jouez-vous pas davantage de Paris-Bercy. “Je ne peux pas en dire davan-
dépasser la limite, de ne pas nous nouvelles chansons jusqu’à cette tournée”, tage aujourd’hui (le 3 août, ndlr), car je n’en
cramer…” confiait-il à Rolling Stone USA en juin der- ai encore rien vu, sinon quelques photos,
De là à vouloir faire insidieusement passer nier, ndlr). Elles sont fun à jouer sur scène, mais rien en situation. On a quelques idées
le message que l’histoire ne durerait pas for- je suis en bonne forme, je travaille pour ça. en matière d’animation vidéo et d’éclairages,
cément mille ans et que l’on serait bien ins- So far, so good. Pour l’instant, tout va bien !” mais je ne sais pas ce que ça donnera à l’arri-
© ROSS ALFIN/UNIVERSAL

piré, fans et spectateurs, de chercher à en Ce ne sont pas moins de sept chansons de ce vée.” On n’est pas obligé de croire notre
profiter sans tarder, il y a un pas que l’on se dernier album que Metallica a inclus au pro- homme sur parole, passé maître depuis bien
refusera de franchir, même si l’on n’en pense gramme de ce volet américain : “Hardwired”, longtemps dans l’art du teasing et de la mise
pas moins… Après tout, c’est une stratégie “Atlas, Rise!”, “Now That We’re Dead”, “Moth en scène-forme verbale !

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2
1
ON STAGE 3
(1) James Hetfield, tout
à l’attaque. (2) Lars Ulrich,
l’homme aux fûts. (3) Robert
Trujillo, bassiste diabolique
qui a donné un coup de jeune
au groupe à son arrivée, en 2003.
(4) Kirk Hammett, l’homme qui
téléportait ses solos dans l’espace.

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D
eu x cer tit udes toutefois. Tout ont suivi les différentes étapes de notre car- préparation sont envisageables dans l’esprit
d’abord, la “chorégraphie” à quatre rière. Il y aura aussi des dessins de configu- du batteur : “Je suis sidéré quand je vais voir
tambours sur “Now That We’re rations de scènes auxquelles nous avons d’autres groupes en concert, y compris quand
Dead”, pendant laquelle les quatre renoncé. Je fais partie de ceux qui consi- il s’agit de potes, de les découvrir dans leurs
musiciens abandonnent un temps dèrent que faire partie d’un groupe, c’est loges en train de siroter des bières 10 minutes
leur instrument respectif pour un chercher tous les moyens de rester connecté avant de monter sur scène. J’adorerais pou-
immense solo sur un tambour géant, présen- avec son public, et ce petit musée va dans ce voir en faire autant, mais ce n’est pas comme
tée comme l’un des temps forts des dates sens.” Dans une précédente interview, Ulrich ça que nous fonctionnons…”
européennes, sera conservée. L’occasion pour plaisantait en expliquant que si certains Si Lars Ulrich est aussi déterminé dans sa
Lars Ulrich de dénicher le meilleur batteur objets avaient été mis sous verre – comme ces préparation d’avant-concert, de manière
du groupe après lui ? “C’est James, et de très fameuses “tenues de scène” –, c’était moins quasi obsessionnelle – du moins dans sa
loin !, s’esclaffe-t-il. Il est même probable- par souci de sécurité que pour masquer façon de le formuler –, c’est aussi parce qu’il
ment meilleur que moi ! Depuis qu’on se l’odeur qui pouvait s’en dégager ! a été à bonne école. Son père, Torben Ulrich,
connaît, je l’ai toujours vu adorer jouer de la Autre élément désormais incontournable était tennisman professionnel au Danemark,
batterie. Il a un style assez particulier, pas d’une tournée de Metallica : cette “tuning et il n’était pas le seul au sein de la famille à
forcément très orthodoxe et assez garage-rock room” – juste quelques paravents isolant un considérer les tâches athlétiques comme pri-
dans l’esprit. L’idée de se retrouver tous les temps le groupe du monde extérieur, un mordiales. Logique relation de cause à effet,
quatre à taper sur ces gros machins, il en tapis sous la batterie, un frigidaire et, bien Lars a souvent fait la corrélation entre le
parle depuis des années. J’ai fini par épuiser sûr, tous les instruments et retours son sport et la discipline indispensable que
mon lot d’excuses pour ne pas le faire. (Rire.) nécessaires – que le groupe fait installer sur nécessite la dimension physique de son rôle
C’est un peu son bébé…” chaque date et dans laquelle il se retrouve dans le groupe. “D’une certaine manière en
Confi rmée également, la présence de cette avant chaque concert, tel un rituel que per- eff et, j’aborde les choses un peu comme les
exposition itinérante, The Memory Remains, sonne n’aurait l’idée de remettre en cause. sportifs de haut niveau : aller courir,
empruntant subtilement son nom au titre La tuning room, c’est là où Metallica s’ap- m’échauffer, m’étirer, manger léger”, détaille-

” Je suis sidéré quand je vais voir d‘autres


groupes en concert de les découvrir
dans leur loge en train de siroter des bières,
dix minutes avant de monter sur scène.

d’une chanson du groupe, la seule dans toute


la carrière à “voir” la voix de James Hetfield
se mêler à celle d’une femme – Marianne
Faithfull –, ce qui avait déjà fait grincer
quelques dents à l’époque (1997, sur l’album
Reload) quant aux désirs d’évolution musi-
cale du groupe. Quoi qu’il en soit, en 2017,
The Memory Remains est un petit musée où
prête, se prépare, se met en condition, indi-
viduellement dans un premier temps, puis
collectivement. “En ce qui me concerne, elle
fait partie de mon processus d’échauffement,
précise Ulrich. J’y reste de 20 à 30 minutes,
c’est le bon équilibre pour moi. Robert
[Trujillo, le bassiste] vient y faire ses voca-

t-il. Bon, OK, cela ne l’a pas empêché par le
passé de privilégier d’autres hygiènes de vie
et les rapprochements prolongés avec toutes
sortes de substances diverses et variées qui
n’auraient pas manqué de rendre chèvre les
préposés aux analyses de tests antidopage
inopinés, mais on ne va pas mégoter pour si
lises, Kirk [Hammett, le guitariste soliste] peu. Et qu’allez-vous rétorquer à un type
fans et curieux pourront découvrir, entre débarque à son tour, puis James. Chacun a vous assénant en guise de conclusion sur le
autres, des tenues de scène, des paroles sa petite routine. Et pour être tout à fait hon- sujet : “Qui ne voudrait pas être Keith
manuscrites (dont une version alternative de nête, c’est à peine si je fais attention à ce Richards, hein ? Mais ça ne marche pas
celles de “Creeping Death”), l’artwork origi- qu’ils font dans ces moments-là, tant je suis pour Metallica…”

C
nel des pochettes des albums Ride the focalisé sur ce que j’ai à faire. Ce n’est que e qui semble fonctionner à merveille
Lightning (1984) et Master of Puppets (1986), dans un second temps qu’elle nous sert à en revanche, c’est le “modus ope-
des collections de cassettes (dont une, inti- répéter ou à essayer telle ou telle nouvelle randi” sur lequel sont parvenus à
tulée No Life ‘Til Leather, est l’œuvre de idée. C’est à la fois notre jardin privé et l’en- s’entendre Lars Ulrich et James
Hetfield en personne), ainsi que des instru- droit où on se reconnecte tous ensemble.” Hetfield, au nom du groupe et de ce
ments sur lesquels ces mêmes fans et curieux Même si tout semble s’y prêter, Lars Ulrich que peut impliquer de le maintenir
pourront tenter d’exercer leurs talents – ou rechigne à parler de superstition à propos de à f lot. Loin est le temps où chacun de ces
leur absence de talent… Autant de pépites cette tuning room. La seule habitude du deux-là semblait davantage animé par l’envie
issues des collections privées des membres groupe qui pourrait s’en rapprocher est de d’imposer ses idées et ses envies à l’autre – et,
du groupe. “Bon, d’accord, tenues de scène en finir systématiquement la répétition du soir par ricochet, son leadership – quitte à laisser
ce qui me concerne, il faut le dire vite, s’amuse en jouant dans son intégralité le morceau qui s’installer quelques fissures dans l’édifice.
le batteur. Mais il y a vraiment des trucs ouvrira le concert quelques minutes plus A contrario, insinuer que tout peut partir en
assez cool qui devraient plaire à ces fans qui tard. C’est à peine si d’autres méthodes de vrille au moindre moment apparaît presque

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comme un jeu chez l’un et l’autre, Hetfield en compte des intérêts communs – et notam-
surtout. Une situation parfaitement et mali- “Let’s Do Our Thing Together” ment financiers – à maintenir cette paix des
Ulrich a annoncé un show entièrement
gnement résumée par le chanteur lorsqu’il nouveau et concédé que la scène serait centrale. braves. Elle est en partie vraie, ne nous voi-
lâchait à la BBC, il y a quelques mois, à la lons pas la face. Mais n’y voir que considéra-
sortie de Hardwired… : “Nous savons où se tions stratégiques n’en serait pas moins hors
trouvent tous les boutons nucléaires entre raconter lors des meet and greet ? Aucun de sujet. “Évidemment que la motivation est
nous, mais nous faisons en sorte de ne pas les nous n’a envie que ça s’arrête, encore moins toujours là, s’enflamme à ce sujet le batteur
actionner.” qu’une petite phrase ou un mot de travers sans qu’on ait besoin de l’y pousser. Se retrou-

L
a tirade fait rire son comparse, qui vienne mettre bêtement le feu aux poudres. ver sur une scène comme Bercy ou ailleurs,
se fait une fois de plus magnanime. Je veux croire que notre relation avec James c’est la sève d’un groupe de rock. C’est le
“Bien sûr que tout peut s’écrouler du est indestructible et qu’elle peut donc résister moteur, même s’il faut plus de temps pour le
jour au lendemain, mais disons que à tout ou à peu près, mais je ne crois pas non chauffer et que tu te réveilles le matin après
nous en sommes bien plus conscients plus dans l’absolu. On m’a appris il y a long- un cauchemar où tu as vu ton bras s’arra-
que par le passé. Une fois encore, temps à ne pas utiliser les mots jamais et cher tout seul de ton corps avec encore une
jouer la musique qui est la nôtre à 53 ans, toujours. À défaut d’être aussi intime qu’avec baguette à la main pour terminer son vol au
c’est précisément garder dans un coin de la des membres de ma famille, ma relation avec milieu du public, et que tu te trouves bien
tête que ça peut s’arrêter à tout moment, et ça lui est évidemment singulière : j’ai traversé con au moment où tu lui demandes si tu
dépasse largement le simple cadre du groupe. plus de choses avec lui qu’avec quiconque. On peux le récupérer, ce bras ! (Rire.) Il y a
Mais pourquoi devrions-nous mettre en se connaît depuis trente-six ans, j’ai passé quelque chose de libérateur dans la satisfac-
danger une chose à laquelle tant de gens plus de temps avec lui qu’avec n’importe qui tion que tu ressens quand tout a fonctionné
prêtent toujours autant attention, ce dont d’autre sur cette planète et je ne vois aucune sur un concert. La connexion qui s’est opérée
nous sommes fiers, et qui nous pousse à la raison pour que ça ne continue pas.” avec les trois musiciens qui t’entourent tient
© GETTY IMAGES

fois à rester humbles ? Pourquoi devrions- Là encore, certains ne manqueront pas d’as- de l’euphorie, de la pure magie. C’est un sen-
nous fragiliser un groupe qui a changé la vie socier cette sagesse plus ou moins récente de timent qui vaut tout le reste. Et tu voudrais
de tant de gens, comme ils viennent nous le la part des deux “ex-belligérants” à la prise que l’on se passe de ça ?”

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FACE À FACE

QUAND J’ENTENDS SGT. PEPPER, WELCOME (BACK) TO THE JUNGLE


JE SORS MON REVOLVER… Salut les rockers. J’avoue je suis allé un peu
Sgt. Pepper a donc 50 ans. Mais permettez- sceptique au show des Guns N’ Roses au Olivier Tixier @OlivierTixier
moi néanmoins de lui préférer son prédéces- Stade de France. Et puis, hein, les vieux che- #MickJagger #HappyBirthdayMick 74 balais
seur, j’ai nommé le fabuleux Revolver. velus, moi qui compte ceux qui me restent, toujours en forme comme quoi le sexe la drogue
et le rock’n roll ça conserve
“Quoi ?”, dira en lisant cela, une grande partie pas trop mon truc. Mais bon, la nostalgie est
de l’auditoire des liverpuldiens, qui porte quand même une vieille bitch rusée. Et pas-
Aurelien Beaucamp @aurebeaucamp
Pepper aux nues pour des raisons bien com- sée la mise en voix d’Axl, je dois dire que je Consécration ! @assoAIDES VIH: les associations
préhensibles : nostalgie personnelle pour m’en suis pris plein ma vieille tronche. Au chargent Macron - Rolling Stone
certains, Pepper étant perçu : 1) comme un (si diable (oui, au diable) les a priori, les GnR
ce n’est LE) symbole du “summer of love” et ont peut-être repris la route pour le pognon, Laurent D. Samama @ldsamama
de ses ramifications sociales et sociétales im- mais au vu de ce qu’ils ont dégainé, je re- Merci à @75_belkacem et Xavier Bonnet pour
cette jolie critique de “Kurt” publiée dans
plicites ; 2) un album censé représenter la grette pas de leur avoir donné le mien. @RollingStoneFra #throwback
quintessence (régulièrement vantée) d’un Appetite For Destruction vient de célébrer
groupe au sommet de son art (ou supposé- ses 30 ans, on se fait vieux, ça valait le coup Epixod @Epixod_Le_Blog
ment) ; 3) cet opus renfermant à lui seul tout de s’offrir ces trois heures (eh ouais !) de @RollingStoneFra Mille mercis pour les places de
un pan de la culture des 60’s. Et très certaine- grosse fiesta graisseuse ! #cinema pour #SongToSong. C’est super !
ment du xxe siècle aussi. (…) Sauf que. À par- Pierre Olivier (par e-mail)
Jen Gloeckner @jengloeckner
tir de là, la seule limite, pour ainsi dire, Some wonderful words about VINE from Rolling
semble être celle de l’ouverture d’esprit juste- Stone Magazine @RollingStoneFra!

“Merci pour
ment, comme suggéré – déjà – dans
“ Tomorrow Never Knows”… D’où l’autorité Radiophonic Tuckshop @RTuckshop
naturelle, antérieure, exercée là aussi par New feature on us by the French branch of Rolling
Stone magazine! Not translated it yet!

votre
Revolver à mon humble avis. @RollingStoneFra
Eleonore (par e-mail)
Rob Benedict @RobBenedict
If you speak French then you’ll really dig the

hommage
FROM MINNEAPOLIS WITH LOVE article on @LoudenSwain1 I did for @Rolling-
StoneFra. Merci!
Merci à Rolling Stone de nous avoir emmenés
en vacances avant l’heure. J’ai dévoré votre

‘pré-mortem’
Simple @streamadelica
reportage sur Minneapolis et le Minnesota, Albé est dans @RollingStoneFra
c’est un trip que j’ai toujours rêvé de faire. Et
je pense qu’enquiller la Highway 61 avec le EICAR @ecoleEICAR

à Glen
“disque éponyme” comme vous dites, doit À lire cet #été pour tous les #passionnés de
#musique et de #cinéma !
être un grand moment, surtout en allant chez
Bob Dylan. J’avais l’impression d’être avec Rolling Stone France @RollingStoneFra

Campbell”
vous, en train de chercher de la bonne mu- Ciné Rock’n’Soul : Quand le cinéma se fait musical
sique sur l’autoradio. Continuez à nous faire
voyager sur les routes du rock ! C’est quoi le Elodie Schindler @ESchindlerICRC
prochain arrêt ? La bonne nouvelle du vendredi: achète de la
Frédéric, Marseille
Pierre (Rodez) bonne musique et fais une bonne action! Fonds
reversés au @CICR_fr. Merci @garbage you rock!

ÉCRIVEZ À Rédaction@rollingstone.fr @RollingStoneFra www.facebook.com/rollingstonefr www.instagram.com/rollingstonefrance


LA RÉDACTION

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CONTRIBUTEURS
ROLLING STONE FRANCE

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION :
STAN CUESTA Patrick Guérinet (patguerinet@positivemedia.fr)
JOURNALISTE

Journaliste musical (Rock&Folk, Mojo,
RÉDACTEUR EN CHEF :
Belkacem Bahlouli
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION :
Rolling Stone), il est l’auteur de nombreux Gaëlle Cazaban
livres sur le rock, notamment Jeff Buckley, RÉDACTEUR-GRAPHISTE : Maxime Orio
Raw Power : une histoire du punk américain RÉDACTION : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris
et Nirvana, une fin de siècle américaine Tél. : 01 44 39 78 20
(Le Castor astral), ainsi que Dylan Cover redaction@rollingstone.fr
(Le Layeur). Il a également traduit une dizaine ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Loraine Adam,
d’ouvrages parmi lesquels John Cale : une Kathleen Aubert, Philippe Barbot, Yves Bigot,
Philippe Blanchet, Xavier Bonnet, Bertrand
autobiographie (Au Diable Vauvert), New York Deveaud, Stan Cuesta, Alain Frétet, Alain
73/77 de Will Hermes, Born To Be Wild : Dennis Gouvrion, Vincent Guillot, Alex Jaffray, Dom
Kiris, Philippe Langlest, Baptiste Manzinali, Matt
Hopper, de Tom Folsom et Altamont de Joel Murdoch, Bruno Patino, Stephen Rodrick,
Selvin (Rivages Rouge). Pour ce numéro, il est Sophie Rosemont, Pierre Stemmelin, Sébastien
Spitzer, Silvère Vincent.
allé au festival country de Craponne-sur-Arzon
pour rencontrer la divine Emmylou Harris. FABRICATION :
Bertrand Creiser (bcreiser@positivemedia.fr)
DIRECTION DIGITALE :
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ALEX JAFFRAY PARTENARIATS / MARKETING :


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Il a fondé l’agence sonore Start-Rec, dont
53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris.
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le nom facilite la téléportation pour être à la fois SERVICE DES VENTES : À Juste Titres
compositeur, producteur et chroniqueur musical. Hélène Ritz (h.ritz@ajustetitres.fr), Benjamin
Boutonnet (b.boutonnet@ajustetitres.fr)
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il a également composé de nombreux habillages 67, avenue du Prado, 13006 Marseille
Numéro réservé aux dépositaires
sonores pour des chaînes de télévision, de et diffuseurs de presse.
programmes, ainsi que de nombreuses bandes- Réassort et quantités modifiables
sons. Il anime également la chronique musicale sur www.direct-editeurs.fr
de Télématin sur France 2, ce qui lui offre PUBLICITÉ : Mediaobs – 44, rue Notre-Dame-
un lien privilégié et des rencontres rares avec des-Victoires, 75002 Paris. Tél. : 01 44 88 97 79
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Lalo Schifrin, Craig Armstrong, Hans Zimmer, E-mail : pnom@mediaobs.com
Alexandre Desplat ou Sting… Dans ce numéro, il DIRECTRICE GÉNÉRALE : Corinne Rougé (93 70)
DIRECTRICE DE PUBLICITÉ : Sandrine Kirchthaler (89 22)
revient sur ses rencontres avec Ennio Morricone. DIRECTEUR DE CLIENTÈLE : Frédéric Arnould (97 52)
ASSISTANTE : Sonia Ichou (97 53)
STUDIO : Cédric Aubry (89 05)
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SERVICE ABONNEMENTS : 03 88 66 11 20
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Ce journaliste américain écrit très
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Abonnement : bulletins page 45 et page 82
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régulièrement pour le magazine du New York
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Times et pour Men’s Journal. On peut le lire
régulièrement également dans les pages EDITOR & PUBLISHER : JANN S. WENNER
de Rolling Stone. S’il écrit principalement sur
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la politique, le cinéma et le sport, cet enquêteur DEPUTY MANAGING EDITOR : SEAN WOODS
de haut vol signe des articles au long cours : ASSISTANT MANAGING EDITORS : CHRISTIAN HOARD,
ainsi suit-il ses sujets des mois durant avant ALISON WEINFLASH
SENIOR WRITERS : DAVID FRICKE, ANDY GREENE
de se mettre à écrire. Il doit sa réputation BRIAN HIATT, PETER TRAVERS
à la qualité de ses portraits, très renseignés SENIOR EDITOR : PATRICK DOYLE, ROB FISCHER,
et fourmillants d’anecdotes, notamment celui THOMAS WALSH
de Rudy Giuliani pour le NYT Magazine. Pour DESIGN DIRECTOR : JOSEPH HUTCHINSON
CREATIVE DIRECTOR : JODI PECKMAN
ce numéro, il dresse un étonnant portrait de VICE PRESIDENT : TIMOTHY WALSH
Justin Trudeau, le Premier ministre canadien. CHIEF REVENUE OFFICER : MICHAEL PROVUS
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ce journaliste est un véritable touche-à-tout : whole or in part without permission is prohibited. The name ROLLING STONE
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passé par la presse ado, la presse sport trademarks have been licensed to POSITIVE MEDIA.
et la presse masculine, il œuvre également ROLLING STONE N° 97 – MENSUEL, NUMÉRO SEPTEMBRE 2017 — est une publication
en télévision. Pour Rolling Stone, il a signé éditée par POSITIVE MEDIA, SAS au capital de 1000 euros. RCS Paris 815 139 977.
Siège social et rédaction : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris. Tél. :
quelques papiers remarqués sur son idole 01 44 39 78 20. Dépôt légal : 3 e trimestre 2017. Diffusion : MLP. Nu-
méro de commission paritaire : 1220 K 82240. ISSN : 1764-1071.
Neil Young. Il s’occupe entre autres Imprimé par Aubin Imprimeur, Ligugé. Les documents reçus ne sont
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personnellement du courrier des lecteurs. libre publication. © 2017/POSITIVE MEDIA
Dans ce numéro, il nous conte la visite
de Deep Purple à Monaco et s’est rendu www.rollingstone.fr
à Londres à la rencontre des Killers.

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L’ENSEMBLE DE NOS EXEMPLAIRES EST COMPOSÉ DE PAPIERS CERTIFIÉS
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SOMMAIRE ROLLING STONE
No 97 – SEPTEMBRE 2017

L’ÉVÉNEMENT Faire revivre ces moments d’énergie pure qu’étaient


4 Metallica les concerts de Rage Against the Machine ?
À l’aube d’une tournée européenne
qui ne manquera pas de confirmer son Pas seulement pour le “rock-activist” Tom Morello.
statut d’inamovible fer de lance du metal,
son batteur Lars Ulrich se confie sur
l’état d’esprit du groupe, ses ambitions POWER!
Tom Morello a repris sa guitare de pèlerin
et… le temps qui passe. avec son supergroupe, The Prophets of Rage.

ÉDITOS
3 Piège à sons,
par Belkacem Bahlouli
16 My Back Pages,
par Bruno Patino
18 La Playlist, par Dom Kiris
19 Sign O’The Times, par Yves Bigot

ROCK’N’ROLL
21 Foo Fighters’All-Stars
Dave Grohl et sa bande sont de retour.
Dans leur besace, un nouvel album avec le
producteur d’Adele et des invités surprise.

30 Frank Darcel
Musicien, écrivain, producteur, éditeur
et militant… Avec près de quarante ans
de carrière, l’ex-Marquis de Sade est
à nouveau sur le devant de la scène.

36 Emmylou Harris
Orbison, Dylan, Parsons, Crowell… Les plus
grands songwriters américains ont offert
un écrin à sa voix magique. Rencontre.

MAGAZINE
48 Étoile du nord
Il a eu une enfance dorée et traversa
bien des drames avant de devenir Premier
ministre du Canada. Justin Trudeau 70 La Rage de Tom Morello GUIDE
est-il le dernier espoir du monde libre ? Nul n’est prophète en son pays ? Ce vieil
adage a-t-il encore cours ? Interview 83 Musique
58 Culture rock des leaders de ce supergroupe. Villains ? Drôle de titre pour le nouvel
Charles Berbérian est autant dessinateur, album de Queens of The Stone Age.
auteur de BD que musicien. Rencontre
avec ce fan de folk californienne.
74 Il Maestro Disque du mois, donc...
N’est pas le maître qui veut. Alors que
son passage annoncé dans la capitale 90 Ciné
62 Festivals française, le 21 septembre prochain, 120 battements par minute
Tout l’été, la rédaction de Rolling Stone affiche complet, portrait de l’homme à la C’est LE film qu’on attendait de voir,
est partie sur les routes, de Craponne- baguette magique par deux compositeurs traitant cette zone d’ombre et de
sur-Arzon à Chicago en passant par Paris français : Alex Jaffray et Olivier Florio. fantômes, les années 1990 en France,
ou Louisville, pour faire un point complet vues par les séropositifs.
sur les scènes rock. 80 État de grâce
Il aura mis cinq longues années 92 Série TV
à peaufiner la sortie de ce live capté Engrenages, saison 6
© GETTY IMAGES

EN COUVERTURE
Metallica à Londres et destiné à célébrer les 25 ans En transférant l’essentiel de sa trame
Par Peter Yang/August-Agence A de son album Graceland. Making of en banlieue, la série policière fait mieux
d’un disque de légende. que mettre ses personnages en danger…

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MY BACK PAGES
Par Bruno Patino

2017, Summer of rien ?


“P
ASSÉ UN CERTAIN ÂGE, ON NE VOYAGE PLUS tumes, instruments, enregistrements, disques d’or par milliers,
qu’entre cimetières et bibliothèques”, regrettait l’écri- rotonde commémorative et curiosités diverses (dont les deux
vain Roger Stéphane. Pour beaucoup d’entre nous, Cadillac d’Elvis, celle avec pare-chocs en or et télévision à l’arrière
avant une certaine époque, nous voyageâmes entre et celle avec levier de vitesse en forme de selle de cheval et colts en
salles de concert et disquaires. Traverser l’Atlantique, c’était bien poignées de porte) et qui ne se visite pas en moins de trois heures.
sûr se presser au café Wha? du Village, ou au Madison Square Un musée comme un autre, avec sa collection permanente et ses
Garden de la 34e, mais c’était aussi avoir la certitude de dépenser expositions thématiques pas forcément incontestables : celle en
plus que de raison dans ces grands temples du disque qu’étaient cours, “Dylan, Cash and the Nashville Cats”, propose de faire de la
les Tower Records de Broadway, de San Francisco ou de L.A. pour rencontre entre New York et Nashville la pierre angulaire du rock
rapporter dans les sacs en plastique jaune des disques qui feraient au mitan des années 1960.
l’envie de ceux qui n’avaient pas eu la chance de partir, et qu’il La patrimonialisation du rock fige-t-elle le temps ? Ramène-t-elle
faudrait dupliquer à l’infini sur des cassettes de mauvaise qualité. cette musique à la célébration permanente de l’ensemble de son
Voyager, c’était aussi suivre le circuit des échoppes spécialisées en passé ? Quel été étrange, quand même, que l’été 2017. U2 qui affole
disques pirates, sur Bleecker Street, où l’on pouvait compléter la les stades avec son Joshua Tree, Brian Wilson qui amorce sa tour-
collection des Lost Lennon Tapes, acquérir le Follow That Dream née américaine en revisitant Pet Sounds, le stade des Mets, dans
de Springsteen (ou sa série de concert au Roxy de 1978), s’offrir le le Queens, qui accueille les Eagles, Steely Dan et les Doobie
“Train for Bruxelles” des Stones et, pour les plus obstinés, les Brothers, sur le modèle du Desert Trip de Coachella,qui regroupait
Basements Tapes originales de en octobre der nier D ylan,
Dylan : pochette blanche, tam- McCartney, les Stones, Neil
pon bleu, étiquette blanche aux Il y avait pourtant de quoi faire : crise de la You ng , le s W ho e t R o g e r
lettres tapées à la machine, démocratie représentative, Brexit, élection Waters, en les obligeant à in-
booklet ronéotypé sur papier de Donald Trump, “dégagisme”… terpréter une grande partie de
rose : une merveille. leur répertoire passé devant
Ces souvenirs résonnent un public aux cheveux gris.
comme la mélodie d’un temps révolu. Tout est dorénavant dispo- D’un autre côté, des festivals à l’énergie formidable, souvent pleins,
nible partout, et, pour trouver la musique que l’on cherche, les algo- dans les endroits les plus improbables et devant un public jeune et
rithmes sont plus efficaces que la déambulation géographique. On enthousiaste. Et enfin, des anniversaires comme s’il en pleuvait :
ne voyage plus, on surfe. On ne trouve plus, on trie. On ne rapporte la mort d’Elvis, Sgt. Pepper, le Summer of love, et on en passe.
plus, on share. Les plateformes sont nos nouvelles églises : un clic Mais, dans l’ensemble, rien qui, véritablement, s’impose à tous.
suffit pour s’y rendre, mais la multitude qui s’y presse n’empêche Aucune bande-son qui puisse collectivement résumer l’été. 2017
pas la solitude, ni l’exhaustivité le sentiment de pauvreté. L’excita- ne fut pas un nouveau Summer of love. Ce fut un summer of rien,
tion même des pirates s’est évaporée : les concerts de Springsteen ou au mieux, un summer of beaucoup trop de choses. Les anniver-
sont téléchargeables et livrables en format CD, les Stones res- saires, à trop se bousculer, se sont annulés. Le passé a été convoqué,
sortent en pressage vinyle “from the Vault” leurs shows des an- mais pour mieux éclipser le présent. Il y avait pourtant de quoi
nées 1970, et Dylan a ajouté à son Never Ending Tour une sorte de faire : crise de la démocratie représentative, Brexit, élection de
“never ending publishing”. Les Tower Records ont fermé, celui de Donald Trump, “dégagisme”, sociétés socialement fragmentées,
San Francisco est devenu un parking. inégalités excessives, inacceptable traitement des migrants, crise
Dorénavant, voyager outre-Atlantique, c’est affronter la muséifi- syrienne, autoritarisme turc, chaos vénézuélien… Face à tout cela,
cation du rock. Nashville en offre un incroyable exemple : musée il n’y a eu que le silence assourdissant des amplis. Et l’on en vient
© 2016 KYODO NEWS

Johnny Cash, musée Patsy Cline, musée Willie Nelson, musée à regretter que le seul anniversaire auquel on ait échappé ait été
Studio B (celui d’Elvis et des Everly), et bien sûr, Country Music celui du mouvement punk. “No future”, c’était peut-être, pourtant,
Hall of Fame, gigantesque bâtiment qui regroupe archives, cos- le son du présent.

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shops + tendances

en mode
#TooCrazy
#Indécise
#Audacieuse
#Pétillante
#Chaussures
#Vêtements
#Accessoires
#Mode
TOP LIST

LA PLAYLIST
CHAQUE MOIS, DOM KIRIS DE OÜI FM NOUS LIVRE SES COUPS DE CŒUR

1. UNKLE
“Waiting for the Rain”
(feat. Mark Lanegan)
Mo’Wax

Nick
Le grand retour du collectif de James
Lavelle, l’un des artistes les plus influents
de la scène électro-rock britannique. Tel un

Lowe
metteur en scène, le pionnier du sampling
réactive les productions cinématographiques
de UNKLE en soignant son casting. Dans
le premier rôle, Mark Lanegan irradie de sa
voix caverneuse ce boléro new wave en guise
de premier single. CINQ CHANSONS
QU’AIME MON FILS
2. Queens of the Stone Age 3. Royal Blood “Lights Out” Lowe, dont les albums des
“The Way You Used To Do” WEA WEA années 1980 viennent d’être
Il a beau être le dernier des rockers un peu crédible, Aucune guitare n’a été martyrisée sur ce nouvel album réédités, a sélectionné des titres
Josh Homme a craqué sur les productions de Mark de Royal Blood et pourtant, on prend encore une fois éclectiques qu’il a fait écouter
Ronson. Je vous rassure, on est loin de Uptown Funk, une belle décharge d’énergie électrique. Uniquement à son fils Roy, 12 ans, pour lui faire
mais le maître des dance floors a quand même mis concentré sur un raffut basse/batterie monstrueux, découvrir divers genres musicaux.
les mains dans les riffs des rugueux QOTSA pour les le duo britannique de la race des saigneurs conserve le
rendre un poil plus sexy«! titre du renouveau rock le plus percutant du moment.
EDDIE COCHRAN
“Cut Across Shorty”
On dirait une comptine jouée
4. Arcade Fire sur un très agréable rythme de
“Everything Now” skiffle, qui était la version anglaise
Columbia du rockabilly. Eddie Cochran
avait tout compris.
Arcade Fire veut tout, et tout de suite. Les idées fusent,
mais s’emboîtent tellement bien qu’on en oublie l’étonnant
mélange de style en équilibre. Durant tout l’été, on aura dansé BING CROSBY
sans le savoir sur de la pop suédoise, des guitares berlinoises, ET LOUIS ARMSTRONG
des flûtes africaines, le tout samplé ou joué par ces diables “Now You Has Jazz”
de Canadiens produit par une moitié de Daft Punk. À cause de ces voix tellement
caractéristiques, on dirait un peu
la bande-son d’un dessin animé.
5. FFF “Monkee” 6. LCD Bing Crosby était un Blanc
Bonus Tracks Record
De bonnes raisons
Soundsystem qui savait swinguer.

humanitaires ont fait “Call the Police”


remonter sur scène FFF,
DAF JOHN HOLT
Après des faux adieux “Ali Baba”
pour une réjouissante
au Madison Square C’est la retranscription d’un rêve
reformation après dix-sept
Garden il y a six ans, LCD dans lequel John est poursuivi
années sans sortir de Soundsystem a retrouvé par tout un tas de personnages
disque. La formule magique le chemin des studios. de contes de fées, le tout posé
de la Fédération Française Le leader James Murphy sur un énorme groove comme
de Fonck a repris tout a fait main basse sur les
en produisait Studio One. Génial.
de suite dans le feu productions de Brian Eno,
des concerts, désormais aussi bien en empruntant
concrétisé par ce coup de les synthés de “Heroes” RON SEXSMITH
semonce proto punk excité de Bowie que les échos
“Gold in Them Hills”
comme un singe en été. de guitare de U2.
Un petit bijou que l’on doit au
dernier songwriter à savoir où est
rangé le seau du puits à mélodies.
7. Peter Perrett
“How the West Was Won” SHALAMAR
Domino
“A Night To Remember”
Retrouver intacte la voix blanche sous tension de Peter
© STEVE GULLICK. 4X. DR.

Je décrirais ce titre comme un


Perrett est assez troublant. Près de quarante ans après magnifique tube des années 1980,
la fulgurante apparition de The Only Ones, à la jonction
du punk et de la new wave, ce grand perdant magnifique taillé pour faire danser. Le rythme
réapparaît comme par miracle entouré de ses fils musiciens. est génial, la chanson est ludique,
Lui-même étant un héritier en ligne directe de Lou Reed. intelligente. Mon fils Roy a adoré.

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SIGN O’THE TIMES
Par Yves Bigot

Avant-garde
“S
i en 1966, les Beatles avaient collaboré avec Pierre Henry, Plus tard, Rodolphe Burger et Rita Mitsouko. “Je l’écoutais au
comme Paul McCartney en avait l’intention, l’histoire de lycée, en même temps que Jimi Hendrix, expliquait Fred Chichin.
la musique du XX e siècle en eût été révolutionnée”, écri- Il a ouvert un univers de sons et donné l’envie de musique électro-
vait Mojo en 2001. Elle le fut, malgré tout, par cet aven- acoustique. Il a une conception du son très physique, contraire-
turier du son comme liturgie, qui aura inventé, engendré, inspiré ment à beaucoup de compositeurs contemporains, qui nient le
pas moins de trois genres majeurs, tout en atteignant à deux plaisir du mouvement, de la matière et des corps. Il est extrême-
reprises – à trente ans d’intervalle – le ment moder ne avec son côté sound
statut de star du hit-parade. system – c’est pour ça que l’intelligentsia
Le décès de Pierre Henry, le 5 juillet, l’a marginalisé.”
aété salué par l’ensemble de la presse Ce flirt avec le rock se concrétise par sa
internationale : Brian Eno, Mickey Hart Messe de Liverpool (1967) et les Jerks
(Grateful Dead), Jean-Michel Jarre, électroniques Yper-Sound de sa Messe
notamment, ont témoigné de leur dette pour le temps présent. Les premiers se
envers l’un des rares musiciens français vendront à des centaines de milliers
à avoir pesé sur son époque. d’exemplaires sous leur célèbre pochette
Élève d’Olivier Messiaen et de Nadia argentée, alors que la seconde entre
Boula nger il ava it rejoint Pier re dans l’histoire au festival d’Avignon
Schaeffer au studio d’essai de la RTF. g râ ce au Ba llet de Béja r t . L’a lbum
Symphonie pour un homme seul (1950), Ceremony avec Spooky Tooth, ne sera
leur manifeste d’ingénieurs-musiciens, qu’un épilogue, couronné par un concert
fonde la musique concrète, destinée à à l’Olympia.
“déconstruire la musique pour que ré- Mais là où l’effet Pierre Henry sur l’his-
sonne l’harmonie des sphères.” toire du rock reste un secret bien gardé,
Cette avant-garde sonique connaîtra la techno, elle, va le revendiquer comme
son apogée en 1963 avec ses Variations s on m a ît r e fond at eu r. À t el p oi nt
pour une porte et un soupir. Entendue qu’en 1997, William Orbit, Coldcut,
dans la série les Soprano, cette pièce St Germain, etc., lui rendaient hom-
constituera une inf luence majeure du mage avec Métamorphose, album de
rock progressif anglais – Pink Floyd, remi x qui ver ra “Psyché Rock” pa r
Soft Machine et, plus tard, Radiohead. Fatboy Slim devenir l’ hy mne de la
Mais c’est surtout avec Le Voyage que culture dance. Sollicité par Violent
Pierre Henry va fasciner la génération Femmes, collaborant avec Erik Truffaz,
© CHRISTOPHE GUIBBAUD. GETTY IMAGES.

rock des années 1960 et les hippies, trafiquant avec Propellerheads, Pierre
friands du Livre des morts tibétain qu’il Pierre Henry, un des rares musiciens Henr y continuait, à près de 90 ans,
illustre : les Beatles (“Tomorrow Never à avoir pesé sur son époque. à faire l’événement.
K nows”) et Jimi Hendr i x ( Are You Plasticien, sculpteur, cuisinier, provoca-
Experienced) à Londres, Frank Zappa teur, reclus, bougon, maniaque, épicu-
et les Mothers of Invention (Freak Out!) à Los Angeles, Jefferson rien et mystique à la fois, Pierre Henry avait réussi à intéresser
Airplane (“Would You Like a Snack?”), Grateful Dead qu’il admi- le grand public à l’avant-garde par la grâce de la modernité que
rait (Anthem of the Sun) et David Crosby (“I’d Swear There Was la jeunesse trouvait dans sa musique. N’est-ce pas là le rêve de
Somebody Here”) à San Francisco, Gong dans le sud de la France. tout artiste ?

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ROLLINGSTONE.FR TOP LISTES
SARAH SAVOY, LA VOIX DES CAJUNS
La chanteuse et chef Sarah Savoy met son
talent au service de la culture cajun, pour le plaisir
POLITIQUE MUSIQUE de tous les amateurs de bonne musique.

BROR GUNNAR JANSSON :


LE CANNABIS POUR SAUVER PORTO RICO UN BLUES QUI A DU BAYOU
Au bord de la faillite, l’île des Caraïbes a décidé Marqué par le diable du Bayou,
de tout miser sur le cannabis à usage médical pour Bror Gunnar Jansson a tout tiré des LIVERPOOL, LET THE MUSIC BE !
sortir la tête de l’eau. plus grandes légendes noires. Pop, new wave, rock, Britpop… Liverpool a porté
les couleurs de la musique dans toute leur
MUSIQUE diversité, sans jamais se cantonner à un seul style.

HOMMAGE
À CHESTER
BENNINGTON
Ses proches
se remémorent les
bons moments et les
instants destructeurs
du chanteur
de Linkin Park.
RS LIVE SESSIONS
CULTURE GRAND FORMAT – SOCIÉTÉ

© ISTOCK, MAX CLAUS, GETTY IMAGES, AARON WOOLF HAXTON, SANTIAGO BLUGUERMANN/LATINCONTENT/GETTY IMAGES, DR.
Retrouvez chaque mois en exclusivité
les sessions acoustiques Rolling Stone
POLOGNE : AU BORD DU CHAOS et des interviews d’artistes.
LES 10 MEILLEURS FILMS DES ANNÉES 1990 La situation politique et sociale dans le pays Au programme de septembre :
Ah, les années 1990­! La décennie a vu naître est devenue catastrophique. Découvrez BLEEKER
l’avènement du cinéma indie et des blockbusters, le reportage exclusif de notre photographe
Et aussi : Cotton Belly’s, Frank Carter
les fight clubs et les cannibales charismatiques… François Devos : la crise vue de l’intérieur.
& The Rattlesnakes, China Moses…

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Louise-Camille Bouttier @louisebouttier
Jessica Saval @jessie_SVL

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HOMMAGE S. SHEPARD P. 29 | ICÔNE E.HARRIS P. 36 | COLLECTOR P. SIMON P. 80

Le retour
des Foo
Fighters’
All-Stars
Un nouvel album avec
le producteur d’Adele
et des invités surprise.
PAR KORY GROW

A
pr ès l a mise en
veille de s Fo o
Fighters, à la fin de
l’année 2015, Dave
Grohl ne savait plus trop quoi
faire de lui-même. “J’ai fait des
barbecues pendant des putains
de mois, mec !, dit-il. Je faisais
huit côtes de bœuf par semaine.
Ça devenait un peu glauque.”
Ma i s Groh l ava it be soi n de
t e m p s p o u r s e [Suite p. 22]
© GETTY IMAGES

BIG ME
Grohl au NOS Alive Festival,
au Portugal, en juillet.

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ROCK & ROLL

CÉRÉMONIE [Suite de la p. 21] remettre d’une il voulait simplifier le processus. un crétin habituel de chez Guitar
chute qu’il avait faite sur scène en “Je me suis dit : Quelle est la chose Center.” Grohl a donc dit à Kurstin
Suède l’été précédent , et qui la plus étrange que ce groupe qu’il voulait combiner “le son des
s’était avérée plus grave qu’il ne le puisse faire à ce stade ? Et j’ai réa- radios oldies seventies genre Gerry
pensait. Grohl s’était cassé le lisé que c’était tout simplement Rafferty et [son] amour pour un
péroné, avait eu plusieurs liga- d’aller en studio et de faire un g r o u p e c o m m e Mo t ö rh e a d .”
ments arrachés et avait dû être album comme un groupe normal.” Kurstin raconte que c’était un peu
opéré. “J’ai encore un peu de Pour écrire les chansons, Grohl a comme s’il lui décrivait “une odys-
Dom Kiris, quincaillerie à l’intérieur, plai- loué un Airbnb dans la petite ville sée à la Sgt. Pepper, version heavy
grand ordonnateur de la soirée. sante-t-il. J’ai fait deux ou trois d’Ojai, en Californie : “J’ai acheté metal.”
heures de kiné par jour pendant une caisse de vin et je suis resté Le groupe a enregistré dans le
Un grand cru 2016 presque un an.” Grohl a fini le assis là, en sous- vêtements, avec studio EastWest, à L.A., où il a
La 2e édition des OÜI FM reste de la tournée des stades un micro, pendant environ cinq croisé la terre entière entre les
Rock Awards, organisée par Sonic Highways perché sur un jours, à écrire, rien qu’écrire. prises – de Lady Gaga à Shania
la célèbre station parisienne, “trône” géant. Mais après la der- J’étais inspiré par ce qui se passait Twain. Certains chantent sur l’al-
s’est tenue au Trianon.
nière date, il a déclaré à son dans notre pays : politiquement, bum, confie Grohl, tout en restant
Le compte rendu sur la soirée sur la groupe qu’il ne voulait plus tou- personnellement, en tant que père, évasif sur leur identité. Il a récem-
deuxième édition de la cérémonie des
OÜI FM Rock Awards publié dans notre cher un instrument pendant un qu’Américain et que musicien.” ment eu les honneurs des gros
numéro 95 a, suite à des erreurs de an. “Quand la tournée a été termi- Grohl fait allusion à la vision du titres qui affirmaient que “proba-
manipulation, été tronqué d’une partie née, je me suis dit : La vie, c’est monde peu réjouissante avec des blement la plus grande popstar du
de son contenu. Cette fameuse soirée,
animée avec brio par Dom Kiris, a permis bien plus qu’un concert de rock. Je chansons comme “The Sky Is a monde” prêtait sa voix à l’album
de réunir les meilleurs artistes de veux pouvoir courir jusqu’à la Neighborhood”, où il raconte une (tout ce qu’il consent à divulguer,
l’année 2016 dans la salle parisienne porte quand le livreur de pizza nuit sans sommeil, passée à s’in- c’est qu’il ne s’agit ni d’Adele ni de
du Trianon. “Après avoir organisé
la première cérémonie au Réservoir, viendra sonner en 2033.” quiéter pour l’état de la planète. Taylor Swift…). Parmi les invités,
au vu du succès rencontré par le nombre Grohl a réussi à ne pas travailler Sur “T-Shirt”, il lâche : “Je veux on trouve Alison Mosshart des
de réservations, on a dû prendre une pendant six mois. Puis il a écrit K ills ou encore Shaw n
salle autrement plus grande”, s’est
enthousiasmée Fanny Temam, directrice “Run”, un hymne accusateur Stockman, de Boyz II Men, que

“J’AI ACHETÉ
des programmes de la radio, quelques assez dur qui parle du besoin Grohl a rencontré sur le parking
jours avant la cérémonie. Et donc,
plus de deux heures durant, artistes
d’amitié pendant les périodes et qu’il a convié à enregistrer en
et animateurs de la station se sont
succédé sur la grande scène. Douze
troublées. Grohl se demande si
le refrain (dans lequel il chante
DU VIN ET JE overdub plus de trente pistes de
chœurs pour le morceau final de
trophées à remettre et autant de belles
surprises : “On a tenté de réunir
“Réveille-toi, prends tes SUIS RESTÉ ASSIS l ’a l b u m , l e t r è s f l o y d i e n
un plateau consistant, qui montre bien
la vivacité du rock à la française, mais
jambes à ton cou avec moi”) a
pu venir du fait qu’il est resté
LÀ, EN SOUS- “Concrete and Gold”. “Quand il
a quitté la pièce, je me suis
aussi, le fait que les auditeurs se sont
sentis concernés par ces prix”, avait immobile pendant un bon VÊTEMENTS, tourné vers les autres et j’ai fait :
alors précisé Cocto, co-organisateur
de la soirée. Contrairement à nombre
moment : “Je rêvais que je cou-
rais à travers champs, ce genre PENDANT CINQ ‘Le mec de Boyz II Men vient de
mettre la putain de barre très
JOURS, À ÉCRIRE,
de réunions de ce type, pas de chichis,
on entre directement dans le sujet, de conneries, et je me réveillais haut’, raconte Grohl. ‘Chaque
les groupes se succèdent à un rythme avec une putain de jambe chanson doit sonner aussi
soutenu pour récupérer leur trophée
(La Maison Tellier, Declan McKenna
cassée.” RIEN QU’ÉCRIRE.” énorme que ça.”
ou The Temperance Movement), avant “Run” est devenu le premier Les Foo Fighters ont dévoilé ces
que M se saisisse de la scène pour single du neuv ième LP du morceaux cet été dans les festi-
un furieux mini-set acoustique. Puis groupe, Concrete and Gold, à juste chanter une chanson vals. Ils lanceront leur tournée en
laisse la place au grand final, orchestré
par Matt Bastard… paraître le 15 septembre. Les Foo d’amour/Prétendre que tout va octobre, qui inclura aussi leur
Fighters se sentaient prêts à bien.” Parallèlement, sur le lourd propre festival, Cal Jam 17, à San
Prix publics essayer de nouvelles choses : des “La Dee Da”, Grohl rend hommage Bernardino, en Californie. Baptisé
• L’Artiste & l’Album Rock
de l’Année 2016 – catégorie Indé : orchestrations éclatantes, des aux groupes underground qu’il d’après le légendaire festival
La Maison Tellier – Avalanche harmonies chorales et des expé- adorait lorsqu’il était ado, notam- de 1974 qui s’était tenu sur un
• L’Artiste & l’Album Rock rimentations rythmiques. “Run”, ment Psychic TV. “Après avoir circuit automobile et dont les têtes
de l’Année 2016 – catégorie Major :
Red Hot Chili Peppers – The Getaway par exemple, tourne sur un beat trouvé peut-être treize idées, je les d’affiche étaient Deep Purple et
• L’Artiste & l’Album Rock de dance hall. “Je n’avais pas ai envoyées au x gars en leur Emerson, Lake and Palmer, il
de l’Année 2016 – catégorie Autoprod : réalisé que c’était du reggaeton demandant : ‘Est-ce que je suis réunira Queens of the Stone Age,
The Shapers – Reckless Youth
jusqu’à ce que [le producteur] dingue, ou est-ce que c’est un Liam Gallagher et d’autres. “Il n’y
Prix professionnels G r e g Ku r s t i n m e l e p r é c i s e , disque ?’, raconte Grohl. Ils m’ont a rien de plus ridicule que de faire
• Le Prix du B.P.I. (Bureau des raconte Grohl. Puis j’ai entendu répondu : ‘Les deux.” une fête de sortie d’album avec
Productions Indépendantes) 2016 :
Theo Lawrence & The Hearts
une putain de chanson de Justin Comme il cherchait un producteur, 50 000 personnes”, balance Grohl,
• La Révélation Internationale 2016 : Bieber avec le même beat et je me il est entré en contact avec Greg ajoutant qu’il est soulagé de pou-
The Lemon Twigs suis dit : Oh, mon dieu !” Kurstin, qui avait coécrit et produit voir se produire à nouveau sur ses
• Le Titre Rock 2016 : I Wanna Get Lost
With You par Stereophonics Mais les choses n’ont pas com- des titres un peu pop comme deux jambes. “J’ai prêté le trône à
• Le Coup de Cœur de la Programmation mencé de façon aussi ambitieuse. “Hello” d’Adele et “Stronger” de Axl Rose parce qu’il s’était cassé le
Musicale de OÜI FM 2016 : A lors que, pour les der niers Kelly Clarkson. Grohl connaissait pied, dit-il. Du coup, je suis allé
Declan McKenna
• L’Artiste Bring The Noise 2016 : albums des Foo Fighters, Grohl mieux Kurstin en tant que membre voir [Guns N’ Roses] et c’était la
Frank Carter & The Rattlesnakes avait de grands concepts en tête du duo indie-pop The Bird and The première fois que je voyais
• Le Concert OÜI FM 2016 : Foals (Wasting Light, en 2011, a été Bee. “J’aimais beaucoup le sens quelqu’un chanter assis dans ce
• La Session Acoustique OÜI FM 2016 :
entièrement enregistré en analo- mélodique et harmonique de ce truc. Et là, je me suis dit : C’est
© YANN BUISSON

The Temperance Movement


• L’Artiste UK Beats 2016 : Savages gique, et en 2014, Sonic Highways groupe, explique-t-il. Il me sem- quand même la putain d’idée la
• La Révélation Française 2016 : a été réalisé dans huit studios blait évident que le gars qui était plus stupide qui soit…”
Last Train
légendaires différents), cette fois, derrière cette musique n’était pas Traduction : Stan Cuesta

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Q&R

“Le punk en France,


chantre de la chanson française. Je ne suis pas
du tout fan de Brassens et de Trenet, par
exemple. Certains journalistes, dans les
années 1990, voulaient à tout prix me faire par-

c’était plutôt ‘ future’


ler de la chanson française, alors même que
j’écoutais de la drum’n’bass dans les clubs avec
mes jeunes musiciens.

que ‘no future’ !”


En 1989, le single “J’aime un pays”, ode à une
France métissée, fait un carton.
K. : Oui, l’album À nos amours dont il est extrait
a très bien marché. Je voulais réagir à cette
France qui commençait à se laisser séduire par
les discours xénophobes du FN. Cette chanson
À l’occasion de ses 40 ans de carrière, Kent sort a rencontré son époque. J’ai eu de la chance.
un nouvel album. L’occasion de revenir sur un joli pan Outre la BD, vous avez écrit des romans et des
livres pour enfants : une récréation ?
de vie mêlant punk-rock, chanson française, BD et romans. K. : Un vrai désir et un défi à relever. Pour les
Propos recueillis par Éric Delon romans, j’ai répondu à des propositions que j’ai
acceptées.
Votre nouvel album, La Grande Illusion, est sorti
On vient de fêter les 40 ans du punk. Avec Williams, Kris Kristofferson – symbolisent début février. Quelle en est la genèse ?
Starshooter, vous étiez aux premières loges à Lyon. aux États-Unis. K. : En 2015, je me trouvais au 104 (salle d’art et
Quel souvenir en conservez-vous ? Avec votre premier album solo, Amours propres, de spectacle parisienne, ndlr) pour jouer mon
Kent : Pour nous, le punk a représenté une occa- en 1982, vous devenez officiellement un chanteur disque Métropolitain avec un groupe d’un ins-
sion en or d’émerger et de nous faire connaître. français post-punk ? tant, Tahiti Boy – alias David Sztanke. Nous
Nous étions dans l’air du temps. Nous avions K. : Oui, j’avais 25 ans et j’étais déjà un has been ! nous sommes particulièrement bien entendus.
un look, une attitude. On faisait tout à toute (Rire.) Je suis monté à Paris. J’ai introduit de J’avais quelques chansons dans le coin de ma
vitesse. Nous n’étions pas des punks au sens l’accordéon dans mes chansons, j’ai voulu tête. Nous avons décidé de travailler ensemble
anglais du terme. Nous ne raisonnions pas en m’inscrire dans une certaine idée de la chanson pour ce nouvel album. Ils ont été des “déclen-
termes de “no future”, mais de “future”. Nous française, mais qui ne soit pas momifiée. Même cheurs d’envie”.
étions surtout opposés à la musique bien frela- si je me suis toujours méfié du diktat très hexa- La politique ?
tée des années 1970, les Daniel Guichard et gonal de la “chanson à texte”, j’ai beaucoup K. : Je suis de plus en plus spectateur, un peu
consorts, les années Giscard. À l’époque, nous travaillé ces derniers. N’oublions pas que si les fataliste. Je me dis qu’il est difficile d’agir, qu’il
avons joué en première partie des Damned. Je spectateurs écoutent avant tout la musique des est presque vain de vouloir enrayer la marche du
me souviens qu’avec Captain Sensible (l’un des groupes, ils écoutent, en priorité, les textes des monde, la mondialisation, l’élection de Trump.
leaders, ndlr), nous partagions une certaine chanteurs solos. Par ailleurs, je n’ai jamais été, Rassurez-vous, je vote toujours à gauche, même
forme d’hédonisme et de joie de jouer sur scène, contrairement à ce que certains ont écrit, le si j’ai perdu certaines illusions…
bien loin du nihilisme des Sex Pistols.
Comment se passait la scène punk à Lyon ?
K. : Grâce à une cassette remise à Philippe
EN FANFARE
Manœuvre, nous avons eu un article dans Le chanteur revient
Rock & Folk, ce qui nous a permis de nous faire avec La Grande
connaître. Une véritable chance, car les jour- Illusion et dix titres
nalistes ne se bousculaient pas à Lyon. Nous entre pop et rock.
cultivions notre attitude antiparisienne avec
Marie et les Garçons. (Rires.) En réalité, nous
étions potes avec Bijou, Trust, Téléphone, cette
génération qui souhaitait secouer le cocotier de
la chanson française. Une saine émulation.
De 1978 à 1981, Starshooter a sorti quatre
albums. Nous avions 20 ans, nous étions les
rois du monde.
En 1981, Pas fatigué est le dernier album de
Starshooter. La gueule de bois ?
K. : Malgré une grosse tournée, ce disque s’est
mal vendu. Nous étions déçus. Nous avons
décidé d’arrêter l’aventure. À l’époque, j’étais
déjà à fond dans la bande dessinée. Après
quatre années, à plein tube, j’en avais un peu
assez du grand cirque du rock’n’roll. J’ai alors
beaucoup écouté les grands chanteurs français
comme Gainsbourg, Brel, Aznavour. Plutôt
qu’à l’interprétation proprement dite, aux
textes, si importants en France, je me suis inté-
ressé à la musique, aux arrangements, à l’uti-
© FRANK LORIOU

lisation très “française” de la valse, par


exemple. En fait, ces auteurs représentent ce
que les grands maîtres de la country – Hank

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Q&R

Willie Nelson
La légende vivante nous explique comment faire durer un mariage en étant sur la route
et pourquoi Jeff Sessions doit juste fumer un peu d’herbe. Par Patrick Doyle

N
ou s s om me s à l a d’interpréter en public les chan- première fois que j’étais mort. entendus ; il l’a rejoint sur scène
veille du 84 e anni- sons de son excellent nouvel Quelqu’un a dit : “Willie chan- pour jouer de la guitare avec lui,
versaire de Willie album, God’s Problem Child. “Ça tait ‘On the Road Again’ et il a été ils ont beaucoup jammé sur ces
Ne l s on , m a i s s e s va être une super-occasion de renversé par un bus.” Ça a été tournées. C’était sympa.
projets en la matière restent revoir beaucoup de vieux amis”, a mu s a n t p e n d a n t q u e l q u e
modestes. “Je vais juste essayer dit Nelson qui, après des milliers temps. Puis j’ai entendu ce que Quel est votre artiste préféré, sur
d’être là”, dit-il en riant depuis de concerts, a son truc à lui pour vous appelez des “faits alterna- scène ?
son bus de tournée, le Honey- maintenir l’intérêt de ses presta- tifs” : ces deux dernières années, W. N. : Leon Russell était l’un des
suckle Rose, actuellement garé à tions : “Je n’essaie pas intention- deux ou trois fois, en me levant, plus grands showmen qui aient
Laughlin, dans le Nevada, un nellement de déstabiliser le j’ai appris que j’étais décédé. Je jamais existé. La première fois
arrêt de plus dans son planning groupe, mais je joue des chan- voulais juste leur faire savoir que que je l’ai vu, il jouait devant
de tournée fou furieux : deux sons qu’ils ne connaissent pas. Et c’était un gros tas de conneries. environ 40 000 personnes, au
s em a i ne s de c onc er t , de u x parfois, quelque chose de Nouveau-Mexique. Je n’avais
semaines de repos. “J’aime tou- magique se produit.” Cet été, vous serez réunis avec jusqu’alors jamais vu quelqu’un
jours ça, dit-il. Ce sont les deux Dylan. C’est comment, quand vous jeter son chapeau dans le public.
semaines de repos qui sont un Votre nouveau single, “Still Not traînez ensemble tous les deux ? C’est là que j’ai volé l’idée.
peu longues.” Cet été, Willie va Dead” [Toujours pas mort], est hila- W. N. : Je ne pense pas que ce soit
tourner avec l’Outlaw Music Fes- r a n t . Q u ’e s t- c e q u i v o u s l ’a souvent arrivé. On fait plus de Jeff Sessions, procureur général
tival, qui comprend des dates inspiré ? musique ensemble qu’on ne parle, des États-Unis dans l’administration
© TAYLOR HILL

avec Bob Dylan, Sheryl Crow, Willie Nelson : Il y a des années, et c’est probablement une bonne Trump, a récemment déclaré que
Jason Isbell et les fils de Nelson, quand j’ai écrit “On the Road chose. [En 2004,] mon fils Lukas l’herbe est “seulement légèrement
Lukas et Micah. Il est impatient Again”, j’ai entendu dire pour la et Dylan se sont vraiment bien moins terrible” que l’héroïne…

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W. N. : Je me demande s’il a essayé enfoiré, et ne soit pas un putain
les deux. Je ne pense pas qu’on d’enfoiré.” La mienne a toujours
puisse faire une telle déclaration été : “Ne cherche pas la merde et tu
sans avoir tout essayé. Donc, j’ai- ne te retrouveras pas dans la
merais suggérer à Jeff d’essayer merde.”
et, ensuite, de me faire savoir s’il
pense toujours dire la vérité ! Vous êtes marié à Annie, depuis
vingt-cinq ans. Qu’avez-vous appris à
Quel est votre sentiment sur la propos du mariage ?
présidence de Donald Trump jusqu’à W. N. : C’est un peu comme ce que
maintenant ? disait Donald Trump à propos du
W. N. : Eh bien, je le connais depuis fait d’être président : il n’y a rien de
longtemps, du temps où il possé- facile, là-dedans. Chaque jour est
dait des casinos, et j’ai travaillé un dur labeur. Ça n’est pas pour
pour lui. Il m’a toujours payé. Je tout le monde. J’ai été marié plu-
n’ai jamais eu aucun problème. Je sieurs fois.
pense qu’il a mis le pied dans un
monde complètement différent. Il Que vous a appris le golf à propos
l’a d’ailleurs dit récemment : “Je de la vie ?
ne pensais que ce boulot allait être W. N. : Absolument que dalle !
si difficile.” C’est facile, quand on Quelqu’un m’a dit, un jour : “Tu
a la possibilité de se déclarer en abîmes une belle balade en jouant
faillite quand on veut, de dire : “Je au golf.” Mais j’adore jouer. J’y suis
te ferai un chèque plus tard.” Mais allé l’autre jour avec mes fils. J’ai
c’est plus difficile quand on est fait un eagle sur un par four, j’étais
président des États-Unis. content.

“ ON PEUT FAIRE PLUS DE


CHOSES AVEC LA MUSIQUE
QU’AVEC DES DÉBATS
ET DE LA POLITIQUE. ”
Vous vendez des autocollants Faites-vous toujours de l’exercice
“Willie Nelson for President”. Est-ce quotidiennement ?
que beaucoup de gens vous poussent W. N. : Ouais. Je monte à cheval, je
à vous présenter ? nage ou je cours. Jurer est égale-
W. N. : Oh oui ! Ce qui me rend ment un bon exercice – je fais ça,
encore plus heureux de ne pas aussi.
l’avoir fait ! J’ai failli y aller à deux
reprises. Et puis, j’ai dessaoulé. Quel est votre juron préféré ?
W. N. : Je dis à tout le monde que
Donc, Trump ne vous a pas donné quand je serai président, “Fuck it”
envie d’intervenir ? s’écrira en un seul mot.
W. N. : Je pense qu’on peut faire plus
de choses avec la musique qu’avec Vous avez lancé votre propre
des débats et de la politique. Je société d’exploitation de marijuana,
pense qu’une chanson touche plus W illi e’s R e s e r ve . C o m m e n t ç a
les gens que quoi que ce soit marche ?
d’autre. Il y a une raison pour W. N. : Ça marche bien ! J’ai des gens
qu’on appelle cela “l’harmonie” : qui s’en occupent plus ou moins
quand on donne un concert, il y a pour moi. Annie s’occupe du côté
un échange d’énergie inimagi- comestible – c’est une grande cui-
nable avec les gens. C’est la raison sinière. Elle travaille avec le
pour laquelle je me produis en Colorado et avec tous les endroits
public. J’en retire aussi quelque où c’est légal.
chose.
Est-ce qu’il y a un inconvénient à
Quelles règles avez-vous imposées fumer de l’herbe tous les jours ?
à vos enfants ? W. N. : Je n’en ai pas encore trouvé.
W. N. : Ma femme en a une, qui se Je suppose que qua nd on va
décompose en trois principes : “Ne quelque part où c’est illégal, c’est
sois pas un enfoiré, ne sois pas un plutôt un inconvénient.

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SOMEBODY TOLD ME…
Brandon Flowers, toujours
à la recherche de nouvelles
sources d’inspiration.

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ROCK & ROLL

THE KILLERS
Tueurs (passion)nés
Les Killers commettent leur nouveau crime, cinq ans après Battle Born.
Wonderful Wonderful, disponible le 22 septembre, a été voulu comme un retour
aux sources. C’est à Londres que Rolling Stone a rencontré deux membres
du gang, Brandon Flowers et Ronnie Vannucci Jr. Par Vincent Guillot

C
inq ans entre deux al- point de départ, son groupe ne se nées de gestation. “Elle n’a jamais demeure très forte chez Flowers ;
bums, c’est un record donne aucune direction particu- été complètement au point, ex- qui évoque joliment cette problé-
pour les k ids de La s lière : “Nous sommes mauvais plique Ronnie. Il y avait un pro- matique sur “Have All the Songs
Vegas. Mais le tout nou- pour ce genre de tr ucs. Nou s blème avec les paroles, le rythme, Been Written?”. “Quand on lance
veau Wonderful Wonderful de- n’avons jamais défini à l’avance la production. Nous ne l’avons un groupe, on peut déjà se poser
vrait à nouveau affoler les comp- de direction vers laquelle aller. jamais trouvée à notre goût.” Son cette question. Lorsque tu mesures
teurs. Aux États-Unis comme en J’avais quelques idées aupara- compère poursuit : “Nous ne nous tout ce qui a été sorti par les plus
Angleterre, le groupe de Brandon vant, nous ne faisons pas de listes sommes pas acharnés non plus g r a n d s m a ît r e s d e p u i s c in-
Flowers fait partie des cadors du quante ans, tu te demandes com-
pop-rock. Ci-devant, le charisma- ment toi, tu vas pouvoir contri-
ON TOP
tique frontman est en de bonnes buer à cet ensemble.”
Les gars de Vegas
dispositions, souriant, voire bla- sont de retour avec Se mesurer à son œuvre, à celles
gueur. Le batteur et lui ont œuvré un cinquième album. des autres : derrière cette idée, il y
sur différentes œuvres – solo ou a chez Flowers la peur d’un éven-
side project – avant de réunir le tuel déclin. Pensée normale pour
gang au complet. Histoire de un groupe qui affiche – déjà ! –
laisser souffler leurs comparses. trei ze a nnées d’ex ist ence. Il
“Nous avons tourné pendant l’évoque via une surprenante para-
deux ans sur l’album précédent, bole : le combat perdu par Mike
conf ie Brandon. Certains Ty son en 1 990 fa c e à Ja me s
membres du groupe n’aiment pas “Buster” Douglas sur la chanson
forcément partir en tournée. Ils “Tyson vs. Douglas”. “C’est un com-
ont besoin d’espace.” bat qui m’a beaucoup impres-
L’espace-temps nécessaire écoulé, sionné. Il m’est revenu à l’esprit,
les Killers se sont mis en quête de cela m’a obsédé et je me suis dit que
l’homme clé pour mettre en boîte je devais en faire quelque chose. La
ce cinquième effort, lequel s’est conclusion, après tout, était que je
avéré être Jacknife Lee, vu chez ne voyais plus le monde de la
U2, REM, les Hives mais aussi le même façon à la suite de ce match.
b oy s ba nd O ne D i re c t ion e t Tyson était à son sommet, ce com-
Taylor Swift. “Nous avons orga- bat était un événement majeur à
nisé un véritable speed dating de
producteurs. On a effectué des
“ NOUS N’AVONS JAMAIS DÉFINI Vegas, et même dans le monde
entier. Il était invaincu. Pour mes
essais, pas mal discuté, raconte DE DIRECTION À L’AVANCE. ” enfants, je suis Tyson, je suis cette
Ronnie. Jacknife avait une ap- perfection. Bien sûr, je ne suis pas
proche totale, une vision. Il par- de titres à écouter préalablement d u r a n t t o u t c e t e m p s . No u s vraiment parfait. Mais je ne veux
lait le même langage que nous. Le afin de définir ce sur quoi nous l’avons démarrée il y a huit ans, pas descendre de mon piédestal.
courant est passé très vite.” a l l o n s t r a v a i l l e r.” R o n n i e puis nous l’avons retravaillée de C’est ce que je raconte dans le troi-
Ce nouvel opus marque un retour Vannucci approuve. “Nous expé- temps en temps. Notamment au sième couplet.”
aux sources, selon Flowers lui- rimentons, nous essayons de moment du Best O f. Et nou s On objecte qu’à l’époque, Douglas
même. “En octobre dernier, nous trouver le moyen de faire avancer avons fini par la terminer de la aurait dû être compté K.-O. avant
avons donné un concert pour les les titres. Nous voyons où ça nous manière dont elle le méritait et son coup victorieux. Notre homme
10 ans de Sam’s Town. Il y avait mène tous ensemble. C’est comme nous en sommes heureux.” balaie : “Le comptage était juste. Il
l e s v i e u x d é c ors, l e s v i e ill e s ç a q u e j’a i m e b o s s e r a v e c l e Si sur “The Man”, efficace single ne s’était pas assez entraîné. En
lights… Nous n’avions pas encore groupe.” où le groupe renoue avec ses sono- fait, c’était le début de la fin pour
© ANTON CORBIJN

d’idées pour le nouvel album, et Ces expérimentations peuvent rités classiques ponctuées de Tyson.” Une manière de dire que,
nous avons tous eu envie de reve- cependant s’avérer de longue samples disco-funk, l’obsession de pour les Killers, l’exigence reste de
nir vers ça. Je crois que nous y du ré e. L a cha n son “Ru n for se renouveler tout en restant fi- mise pour reculer sans cesse
sommes parvenus.” Pourtant, au Cover” a ainsi nécessité huit an- dèles à leur marque de fabrique l’heure de jeter l’éponge.

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TRÉSOR ENTERRÉ

Glenn Hughes
I’m a Soul Man
Icône du heavy metal, l’ex-chanteur et bassiste de Deep Purple n’est jamais autant inspiré
que lorsqu’il joue de la musique noire américaine. Par Bertrand Deveaud

G
lenn hughes était-il groupe à continuer dans cette di-
fait pour le hard rock ? LUNETTES NOIRES rection. Stevie Wonder dira plus
Après cinquante ans de David Bowie et Stevie tard : “Mon chanteur blanc préféré
Wonder seront
carrière, avoir joué avec ses parrains soul. vient d’Angleterre, et il s’appelle
Deep Purple ou Black Sabbath, Glenn Hughes.”
hurlé des torrents de décibels et fait Pour Glenn, cette double recon-
vrombir sa basse dans tous les festi- naissance de prestige (Bowie/
vals de la planète, gardé son allure Wonder) le conforte dans son
de rockstar à 65 ans malgré plu- choix : faire du groupe de “In Rock”
sieurs overdoses de cocaïne, la ré- et “Machine Head” un super-
ponse est évidente. En réalité, groupe de funk-rock. Et troquer sa
Hughes est un chanteur de soul. panoplie de hard rocker contre
“Le Glenn Hughes ‘soulful’ est le vrai celle de soul man. Mais la machine
Glenn Hughes”, affirme-t-il. Le be- Deep Purple est devenue trop
soin, sans doute, de rappeler qu’il énorme. Les fans du groupe veulent
n’est pas forcément celui qu’on croit. d’abord du gros rock. Stormbringer
“Je ne me suis pas égaré dans le est encore bien accueilli, mais l’al-
hard, mais je n’ai pas toujours joué bum suivant Come Taste the Band,
la musique que j’avais en moi.” toujours teinté de soul, est un
Né en 1952, dans une région rurale échec. L’année suivante, Glenn
de l’Angleterre, Glenn Hughes gran- publie Play Me Out, son premier
dit en écoutant James Brown, Otis album solo, un hommage (un peu
Redding et les grandes figures de la raté) à Stevie Wonder. Nouvel
Tamla Motown : Stevie Wonder, échec. En ce tte fin des an-
Marvin Gaye, The Temptations… nées 1970, la soul est supplantée
“C’est une musique d’émotions et de par le disco, le punk explose, le
sensations qui me parle. Ça va droit hard rock style “glam metal” se
au cœur, au plus profond de soi, ça propage et Glenn, addict à la co-
ouvre les portes de l’âme.” caïne, ne sait plus où il en est.
Alors pourquoi ce passionné de “C’était une période difficile pour
soul, de rythm’n’blues et de funk, moi, j’ai fait souvent n’importe
doté en plus d’une voix parfaite- quoi, joué sans envie. Je me suis
ment calibrée pour ça, a-t-il atterri Moon, Ronnie Wood, Alice Cooper, laissé entraîner là où mon public
chez Deep Purple ? Cette question, Iggy Pop… Très vite, les deux m’attendait.” Glenn oublie la
David Bowie a été le premier à se la hommes se retrouvent seuls, et soul, joue avec Black Sabbath,
poser. C’était en août 1974, à Los David lui demande, intrigué : Gary Moore, Mötley Crüe, prend
Angeles. Glenn termine les sessions “Comment un soul guy comme toi plus claire. D’autant qu’au même du poids, de plus en plus de cocaïne
de Stormbringer, son deuxième s’est-il retrouvé à faire du metal ?” moment, dans le studio d’à côté, et se fait désormais surnommer
album avec Deep Purple, aux Glenn répond :“C’est une proposi- Stevie Wonder travaille sur Songs “The Voice of rock”.
studios Record Plant, pendant que tion que je ne pouvais pas refuser. in the Key of Life. Un signe des Le “soul guy” n’est plus qu’un sou-
David, en tournée américaine Et le groupe savait que j’adorais la dieux pour Glenn. “Quand j’ai ap- venir, qui parfois refait surface lors
(Diamond Dogs Tour), s’apprête à soul et le funk.” Toute la nuit, Glenn pris qu’il était là, j’étais sur un d’éclairs dans quelques albums
commencer l’enregistrement de et David vont parler de black nuage. Mon idole, ma source d’ins- solos (Feel, Music For the Divine).
Young Americans, qu’il annonce music. Et deviendront les meilleurs piration principale, ici, au Record Aujourd’hui, Glenn va beaucoup
très “blue-eyed soul”. amis du monde. Plant ! Je ne voulais pas le déranger mieux. Il ne se drogue plus, mange
“Je venais d’arriver dans ma Le lendemain, David, qui souffre de pendant une séance, alors je l’ai bio, a retrouvé une silhouette de
chambre du Beverly Wilshire Hotel paranoïa et ne sort presque jamais attendu à la sortie des toilettes. jeune premier et annonce un album
lorsque je reçois un coup de fil de son hôtel, retrouve Glenn au Comme un fan un peu pressant… Il 100 % soul d’ ici à deux ans.
d’Angie, sa femme, pour me dire que studio. Ce jour-là, le groupe enre- a été incroyablement gentil, et a “Quelque chose qui me ressemble
David m’avait vu lors du California gistre “Hold On”, un titre au groove même accepté d’écouter ‘You Can’t vraiment.” En attendant, il faut
Jam, un concert retransmis sur imparable, dont Glenn assure une Do It Right’, que l’on était en train réécouter Stormbringer et surtout
© MIKE PRIOR/GETTY IMAGES

ABC, raconte Glenn. Il avait été partie du chant. “David, qui s’était de mixer.” Une chanson, aux ac- You Are the Music… We’re Just the
impressionné par ma performance fait discret, s’est mis à danser dans cents de “Superstition”, que Stevie Band, le troisième album du groupe
et avait très envie de me rencontrer.” le studio. Il était dingue de cette aurait pu composer. “Hey, man ! Je Trapeze, une merveille absolue de
Glenn rejoint David dans sa suite, chanson.” crois qu’on aime la même musique rock-funk sortie en 1972. Glenn
un étage plus haut. Et là, c’est un L’orientation soul et funk donnée à et qu’on a les mêmes références”, avait 20 ans. C’était juste avant de
défilé de rockstars. Il y croise Keith Stormbringer apparaît de plus en lance-t-il à Glenn, encourageant le rejoindre Deep Purple…

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HOMMAGE

Uncle Sam
Sam Shepard portait en lui une image et un regard. Et une autre vision de l’Amérique.
Et ses héritiers – que ce soit de l’auteur, de l’acteur comme du scénariste – sont nombreux.
Par Charles Bloch

I
l la portait sur chacun ils se connaissent et sont amis. cet homme qui remplissait le Lorsque Harry Dean Stanton
des traits de son visage. Stanton, Kristofferson… Bob désert à lui tout seul. Un pilier. reste muet dans le désert et pen-
L’Amérique. À l’heure où il Dylan lui-même le sollicita pour Un père. Mais pas le patriarche. dant des jours, une casquette
faut se faire à l’idée que chroniquer sa tournée Rolling Pas celui qui reçoit ses enfants à rouge visée sur le crâne, c’est
tout a déjà été dit sur sa Thunder, en 1975. La reconnais- Thanksgiving, pas le bon père à parce que Shepard l’a écrit.
vie, c’est un regard qui reste en sance des pairs, quatre ans avant la Norman Rockwell. Étonnant, Alors, bien sûr, il reste les frères
tête. Bleu, fi xe et aligné comme son Pulitzer. De fait, les chro- d’ailleurs, tant on jurerait qu’il d’armes, Harry Dean Stanton,
le v iseur d’une carabine. Un niques devaient servir de scéna- s’est échappé d’une de ses toiles. donc, Tommy Lee Jones, Robert
regard hiératique comme seules rio à un fi lm qui ne verra jamais Non. Le père absent, celui qui Duva ll... Quelques hér itiers
les icônes peuvent en porter. De le jour. Shepard écrira sur la n’est pas là. Celui qui est parti il aussi, Matthew McConaughey,
Bowie à Walken, de Lincoln à tournée comme un insider, silen- y a longtemps, dont on n’a que Jo sh Ha r t ne t t , Bi l ly B ob
Joe Hill. Au-delà de d’une beauté cieux, à balayer les gens, les des souvenirs racontés. Celui Thornton. Des adeptes de l’un-
profonde, il y avait ce réflexe ins- éventements. dont maman ne veut pas parler. derplay, le sous-jeu dont parlait
tinctif, quand il regardait la La solitude, le voyage, le silence. C elu i qu i nous a forc é à se Jean-Pierre Melville quand il
caméra trop longtemps : on bais- Comme des couleurs primaires, débrouiller sans lui. Celui qui évoquait Lino Ventura. Cette
sait les yeux. elles composeront ce qu’il était. nous a rendu fort. Le père absent façon de faire comprendre sans
Ils sont quelques-uns comme ça Une présence taiseuse, toujours de Paris, Texas – il en signera le e x pr i mer, de dé v a s t er sa n s
à catalyser la culture américaine, debout et reconnaissable. Il était scénario pour Wenders, avec qui exploser. L’alternative à l’Actor
il partage l’amour de la route. Studio. Pas d’éclats de voix, chez
Celui qui viendra frapper mala- Sam Shepard, il avait le pouvoir
droitement à la porte, même si des silencieux. Un point en com-
on lui avait bien dit : “Don’t come mun avec Clint Eastwood. Une

“ IL ÉTAIT CET HOMME


QUI REMPLISSAIT LE DÉSERT
À LUI TOUT SEUL. UN PILIER. ”
knocking” (même histoire avec voix qui dénote de son faciès de
Wim) après avoir préféré vivre sa superhéros. Plutôt douce, claire
vie d’homme plutôt que sa vie de et rare, comme pour exprimer la
famille. précaution permanente de ceux
Perdre sa dernière bataille à qui ne sont pas chez eux, ceux
Midway. Joli clin d’œil du ciel qui ne sont que de passage, qui
pour un fi ls de pilote. Un retour savent qu’ils ne resteront pas.
de pied de nez pour l’avoir défié, Même en essayant, il est impos-
ce ciel, à bord d’un X-1 cinégé- sible de faire correspondre Sam
nique. Pour ces soleils aux comp- Shepard à un cliché américain.
teurs, ce crash dans le désert et, Pas un cow-boy solitaire, ni un
face à la Jeep affolée qui venait à hors-la-loi. Pas un témoin de
son secours, ce rictus ensan- notre temps, ni un auteur torturé.
glanté qu’il porta debout, son Les clichés sont des schémas
casque à la main, silencieux. Oui, appliqués, Shepard les réécrivait
Shepa rd c’éta it le héros qui sans cesse. Sortant chaque élé-
n’avait rien à dire à personne, ment de cette Amérique qu’on
aucune explication à donner. Sûr croit connaître pour la dénuder.
de lui ou en tort, un fusil à la Un homme capable de faire
main ou désarmé, face au regard revivre n’importe quel mythe, de
© GETTY IMAGES

d’une femme. Shepa rd éta it Billy the Kid à la course à l’espace,


Shepard devant l’objectif ou assis de Dylan aux motels. Des balades
derrière une machine à écrire. au paradis.

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SET IN MOTION
MEMORIES
Parcours de
vie bien rempli
pour le Rennais,
de la musique
à la politique.

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Q&R

Frank Darcel :
“ Se construire une vie différente ”
Musicien, écrivain, producteur, éditeur et militant… Avec près de quarante ans de carrière,
l’ex-Marquis de Sade est à nouveau sur le devant de la scène. Collector. Par Philippe Barbot

I
l y a déjà des lustres, à longue date du groupe, qui a tou- inscrire dans la durée, réinventer La Notte, la Notte, en 1984, qui a
l’époque où les jeunes gens jours collectionné les archives et son avenir en décidant de tout été disque d’or. Puis le titre “Tombé
modernes aimaient leurs même réper tor ié toutes nos casser et de recommencer. pour la France”. Les groupes com-
mamans et posaient en une anciennes dates de tournée. Il a eu mençaient à me lasser, j’étais ravi
du magazine Actuel, il coprésidait envie d’organiser une expo qui Ensuite, à côté de Marc Seberg, le de me lancer dans la production.
aux destinées du groupe Marquis aura lieu en septembre, à Rennes, groupe de Philippe Pascal, vous fon- Ensuite, je suis parti pour le
de Sade. Un orchestre mythique, avec la collaboration d’artistes dez Octobre, puis Senso, avec un Portugal où j’ai travaillé dix ans,
champion de la new wave rennaise illustrant chacun un titre de chanteur nommé Pascal Obispo… essentiellement avec un artiste très
qui, le temps de deux albums à Marquis de Sade. Dans ce cadre, il F. D. : Avec Octobre, nous avons populaire là-bas, Paulo Gonzo,
l’orée des années 1980, a su réinven- nous a convaincus de faire un enregistré deux albums avec deux dont j’ai produit cinq albums.
ter un rock sombre et lyrique concert unique. L’idée est de chanteurs différents, dont Patrick
mâtiné d’influences européennes et recréer surtout l’ambiance du pre- Vidal, ex-Marie et les Garçons. Après le Portugal, vous devenez
de rythmes new-yorkais, mélan- mier album, Dantzig Twist. Nous avons même joué en première militant autonomiste breton. Un
geant expressionnisme allemand et partie de David Bowie, à l’hippo- retour aux sources ?
punk anglo-saxon, singularisé par À l’époque, Marquis de Sade était drome d’Auteuil, en juin 1983. Puis F. D. : Je suis né à Loudéac, au cœur
un répertoire trilingue et la voix et considéré comme un groupe à part, j’ai créé Senso, deux albums aussi, du pays breton, mais je me sentais
la gestuelle du chanteur Philippe plus européen que français… dont un avec Pascal Obispo : il était plutôt européen. J’avais un grand-
Pascal. Près de quarante ans après, F. D. : Nous sommes nés à cause des bassiste à l’époque, une sorte de père qui militait pour la défense de
Frank Darcel manie toujours la groupes à deux guitares comme la langue bretonne et un jour, je
guitare, mais a également empoi- Television, Richard Hell and the
“J’AIMAIS BIEN LE
suis tombé sur une caisse de livres P
gné le micro, au sein d’un nouveau Voidoids ou les Feelies, que j’avais qui lui appartenaient. Ça a été un
combo nommé “Republik”, dont le v u s à plu s ie u r s r e pr i s e s à MESSAGE PUNK : choc terrible. Je me suis rendu D
deuxième album, Exotica, est paru New York, en 1978. Nous ne vou- compte que tout ce que j’avais
il y a quelques mois. Un disque réso- lions surtout pas ressembler aux RÉINVENTER appris à l’école n’avait rien à voir
lument contemporain, impérieux et groupes français de l’époque et SON AVENIR, avec l’histoire du lieu où je vivais,
romantique, dans lequel on même, ne pas refaire comme ceux que le roman national français a
retrouve les influences chères à ce que nous aimions. Nous étions
TOUT CASSER ET complètement occultée. Plus tard,
fan du Velvet Underground et des inf luencés par les mouvements RECOMMENCER.” j’ai participé aux élections munici-
Talking Heads, dont il a invité, culturels d’entre-deux-guerres, le pales de 2008 avec le Parti Breton
entre autres, Tina Weymouth et cinéma expressionniste, les films rocker sophistiqué qui écoutait et je suis devenu collaborateur poli-
Chris Frantz sur le précédent opus. de Wender s , c e p ont ent r e David Sylvian et Sakamoto. Un tique à la mairie de Rennes pen-
Musicien, écrivain, producteur, édi- l’Europe de l’Est et l’Amérique. jour de répétition, il nous a fait une dant trois ans. En 2014, j’ai fait
teur et militant, Frank Darcel a eu Avec tout ça, nous avons fait notre imitation très réussie d’ Yves partie de la liste de Breizh Europa,
plusieurs vies. Il a guidé les pre- mélange à nous. Montand et je lui ai proposé de un micro-parti qui milite pour une
miers pas de Pascal Obispo, accom- prendre le micro. C’est ce jour-là citoyenneté bretonne et euro-
pagné Étienne Daho sur le chemin Qu’est ce qui, finalement, a provo- qu’il est devenu chanteur. Le péenne. Nous avons fait 3,8 %, ce
du succès, produit des disques d’or qué la fin du groupe ? disque n’est sorti qu’à mille exem- qui n’était jamais arrivé. Aux pro-
au Portugal et un album pour Alan F. D. : Après le deuxième album, plaires et est passé assez inaperçu. chaines municipales, je serai tête
Stivell, écrit trois romans (le pro- Rue de Siam, en 1981, nous avons Mais j’ai été l’éditeur de son pre- de liste à Rennes.
chain, Pagan, un polar rennais, commencé à avoir des dissensions mier album solo, ce qui a amélioré
sortira en novembre), supervisé une musicales. J’allais souvent à mon ordinaire… La musique, la politique, l’écri-
somme en deux volumes sur l’his- New York, grâce à un oncle qui ture… C’est quoi le lien dans tout ça ?
toire du “Rok” en Bretagne et conti- avait émigré là-bas. Je hantais les Comment avez-vous été amené à F. D. : Dans ma vie, j’ai fait plein de
nue d’œuvrer pour l’autonomie de clubs et j’avais découvert les collaborer avec Étienne Daho ? petits boulots : carreleur en
sa région natale. À l’heure où l’on Talking Heads, mais également F. D. : J’ai commencé à travailler sur Bretagne, livreur de perruques à
réédite les albums culte de son pre- Mat er ia l, le g roupe de Bi l l ses premières maquettes, comme Manhattan, régisseur en Chine,
mier groupe, réuni pour un concert Laswell. J’avais envie d’introduire musicien, arrangeur et co-compo- m a r c h a nd de t a ble a u x s u r
événement, rencontre avec un acti- ce côté soul urbain dans notre siteur. Comme le premier album, Internet, importateur de guitares
viste débordant d’activité. musique. Et puis notre label, s’il Mythomane, n’avait pas vraiment vintage… Mais j’ai compris assez
était sympathique, avait un côté marché, on lui a demandé d’enre- vite que la musique permettait de
Trente-six ans après la dissolution du bricolo qui ne nous satisfaisait gistrer ensuite un maxi-single. On se construire une vie différente.
© JO PINTO MAIA

groupe, il est question d’une reforma- plus. Je pensais que l’on méritait a fait “Le Grand Sommeil” avec L’écriture et le militantisme en
tion de Marquis de Sade. Qu’en est-il ? dava nt age de sout ien et de trois francs six sous et ça a été le font pleinement partie. Le tout
F. D. : C’est venu d’un ami graphiste, moyens. En fait, le message punk premier tube radio d’Étienne. Du est que cela dure le plus long-
Patrice Poch, un passionné de me plaisait vraiment : ne rien coup, j’ai produit l’album suivant temps possible…

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e

ANNIVERSAIRE

Chroniques sous influence


De l’apologie du psychédélisme aux enquêtes sur les abus de la lutte antidrogue,
Rolling Stone aura étudié de nombreux aspects de la relation complexe
que les États-Unis ont toujours entretenue avec les stupéfiants. Par DAVID BROWNE

E
n octobre 1967, alors que le
premier numéro de Rolling
Stone est sur le point de sortir,
la petite équipe du magazine
apprend une nouvelle in-
croyable : des membres du Grateful Dead
viennent d’être arrêtés pour détention de
marijuana dans la maison où ils habitent
en communauté dans le quartier de
Haight-A shbur y à San Francisco, à
quelques kilomètres seulement des bu-
reaux de la rédaction. “C’était vraiment
bizarre”, se souvient le photographe en
chef Baron Wolman. “Le bureau des cau-
tions était juste à côté de nos locaux, alors
j’y suis allé. Ils étaient en train de payer la
leur.” Jann S. Wenner, fondateur et rédac-
teur en chef du magazine, demande alors
à Wolman de pendre un cliché du groupe,
qu’il accompagnera, pour le premier nu-
méro, d’un article décrivant huit agents de
la brigade des stupéfiants qui “n’avaient Un drôle de trip
pas de mandat et sont entrés dans la mai- À gauche : Les Grateful Dead et leurs amis devant leur maison
son par effraction alors qu’on leur en avait de Haight-Ashbury juste après leur arrestation pour détention
refusé l’accès.” et usage de marijuana, en 1967. Le récit de l’arrestation, écrit
À cette époque, cela fait déjà longtemps par Jann Wenner, paraîtra dans le premier numéro du magazine.
que le rock’n’roll et la drogue sont indissociables. Les Beatles et Bob Ci-dessus : publicité de Rolling Stone en 1968 pour un porte-joint
Dylan parlent de la liberté créatrice que permet l’usage des drogues offert aux abonnés.
psychédéliques ; les fans se roulent des joints sur les pochettes
d’albums et planent en écoutant Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club
Band et Blonde on Blonde. Il n’y a donc rien d’étonnant au fait que, Mais les articles sur la drogue ne sont pas toujours aussi légers. “Nous
dès ses débuts, le magazine parle de drogue. “Rolling Stone était issu voulions en parler de manière responsable, explique Jann S. Wenner.
de la culture de la drogue, explique Wenner. En parler faisait partie Il fallait être honnête sur les aspects ludiques, mais également sur les
de notre mission, qui consistait à couvrir tous les aspects de la culture dangers.” Basé sur des questionnaires fournis aux troupes américaines
de la génération des baby-boomers.” Un des premiers numéros pro- postées à travers le monde, l’article du journaliste Charles Perry “Est-
met “QUARANTE PAGES PLEINES DE DROGUES, DE SEXE ET ce bien ainsi qu’on doit faire marcher l’armée : défoncée ?”, qui paraît
DE SENSATIONS À PAS CHER”. Une rubrique “Came” propose des en 1968, explore l’utilisation de l’herbe par les soldats au Viêtnam.
conseils et des infos, par exemple sur la tentative de légalisation de “L’armée a retiré des centaines de milliers d’étudiants de l’école pour
l’herbe au Canada. Le cinquième numéro du magazine s’accompagne les larguer dans ce qui ressemble au paradis de la marijuana, écrit
d’un cadeau d’abonnement assez gonflé : une pince à joint (“Ce petit alors Charles Perry. Au Viêtnam, on peut l’acheter déjà roulée sous
gadget bien pratique est à vous pour rien ! Profitez-en maintenant, forme de cigarette en paquet de dix (200 par cartouche) et le paquet
avant que cette offre ne soit plus légale !”) Dans les pages du maga- coûte un dollar.”
zine, les rockers parlent librement de marijuana ou en fument Au même moment, aux États-Unis, l’administration Nixon est sur le
pendant les interviews. “Rolling Stone a été l’un des premiers en- point de déclencher une autre guerre, cette fois contre ses propres
droits où les gens ont avoué sans détour qu’ils fumaient de l’herbe”, concitoyens. En 1971, le président lance une “attaque à grande échelle
raconte Robert Greenfield, alors correspondant du magazine à contre le problème de la drogue en Amérique” en fondant la Drug
Londres, et qui réalisera un peu plus tard une interview du roi du Enforcement Administration (DEA, l’Agence américaine antidrogue).
© GETTY IMAGES. DR.

LSD et technicien du son Owsley Stanley. “Les gens comme Timothy Dans un article en deux épisodes paru en 1972, intitulé “L’étrange
Leary se faisaient incarcérer parce qu’ils fumaient de l’herbe. Mais affaire de la mafia hippie”, le journaliste Joe Eszterhas raconte com-
à Rolling Stone, il y avait des gens qui osaient parler de ce que c’était ment la Fraternité de l’amour éternel, une communauté hippie ins-
que planer, ce qui était assez courageux à l’époque.” tallée en Californie, est harcelée par la justice locale, qui considère les

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membres comme une “Cosa Nostra en jeans”. Lors d’une descente, ce numéro spécial sur la politique en matière de drogue.” Il s’attarde
les autorités ne saisiront qu’une balance, une lettre qui “parle d’un un instant sur la couverture du magazine, ornée du titre très sérieux
individu qui utilise de la marijuana” et “une pince à joint contenant “DROGUES EN AMÉRIQUE” : “Voilà que cette publication dédiée
des résidus de marijuana.” Eszterhas explique : “Le pays était divisé aux arts et à la musique ne choisissait pas de mettre une star à la
en deux camps bien distincts, et la Fraternité est devenue un exemple une, mais des mots pour parler de la lutte antidrogue.”
de cette guerre rangée.” Il poursuit : “À cette époque, à Laguna Beach, En 15 000 mots, l’article écrit en 2007 par Benjamin Wallace-Wells,
c’était la guerre entre les résidents normaux et ceux qui avaient les “Comment l’Amérique a perdu la guerre contre la drogue”, passera
cheveux longs, une guerre parfois mortelle.” en revue trente-cinq ans de gaspillage fiscal, soulignant en particu-
Le magazine se lance également dans des enquêtes sur les côtés les lier les excès du budget annuel de 12 milliards de dollars alloué à ce
plus sombres de l’abus de stupéfiants, dont des articles sur l’augmen- dossier par l’administration de George W. Bush : “Des avions de
tation de l’utilisation de la cocaïne, de l’héroïne et des Quaaludes. chasse pour s’attaquer aux cartels de la drogue colombiens, des sous-
“Nous prenions bien soin de représenter les aspects négatifs de la ques- marins pour poursuivre les bateaux des trafiquants de cocaïne dans
tion, précise Wenner. Très tôt, nous avons pris le parti de dire que les les Caraïbes… L’Amérique vaincrait ses ennemis à coup de torpilles
drogues dures étaient mauvaises.” et de F-16.” Pourtant, comme
En 1980, dans un article très dur 1 le fait remarquer le journa-
sur la propagation de la prise de liste Tim Dickinson dans
cocaïne, Perry décrit comment un son article “Pourquoi l’Amé-
utilisateur “s’est persuadé qu’il rique ne peut pas abandon-
pouvait voir des ‘anticorps noirs’ ner la lutte antidrogue” paru
dans son tissu musculaire qui l’an passé, “l’infrastructure
faisaient sortir de dangereux vers profonde de la lutte anti-
blancs de sa peau. Après avoir drogue n’a fondamentale-
examiné les anticorps et les vers ment pas changé sous
avec un microscope, il a extirpé les Obama”, qui a entre autres
‘vers’ de sa peau avec une aiguille augmenté les budgets al-
et une pince à épiler, puis les a loués à l’application des lois
stockés dans des flacons pour les antidrogue. Comme Dickin-
examiner.” En 1983, l’article son le dit : “Nous n’avons
d’Anthony Haden-Guest “Les jamais eu peur de faire re-
jeunes, les riches et l’hé- marquer la stupidité de la
roïne” brosse un portrait lutte antidrogue.”
sordide de l’augmentation Dickinson rappelle égale-
de l’utilisation de la ment la suspicion avec la-
poudre dans l’ère Reagan, Covering the Drug Culture quelle le cannabis thérapeutique
pourrie par l’argent. 1. Un article paru en 2010 passe a d’abord été reçu : “Les reporters
Un an plus tôt, Reagan a en revue l’économie de l’herbe aux USA. de la côte Est pensaient que tous
donné un coup de jeune 2. Couverture d’un numéro spécial ceux qui voulaient utiliser le can-
au programme anti- de 1994. 3. Un article de 2007 analyse nabis thérapeutique étaient des
drogue du gouverne- les échecs retentissants de la lutte hippies qui tentaient de rouler les
ment. L a loi de 1986 antidrogue. g e n s .” M a i s l ’ a r t i c l e
(Anti-Drug Abuse Act) “Marijuanamerica” de
instaure de nouvelles 3 Mark Binelli, paru
condamnations mini- 2 en 2010, montre comment
mums obligatoires, dont la marijuana médicale est
certaines sont très diffé- devenue une force écono-
rentes selon les États en ce qui concerne la mique, et décrit “un mo-
possession de crack et de cocaïne. Au cours ment clé, charnière”, une
de la décennie suivante, le nombre de per- drôle de rencontre entre
sonnes incarcérées pour des délits liés à la “des hors-la-loi vertueux
drogue sera multiplié par six, atteignant et des dealers droits dans
presque 300 000. Dans un édito de 1990, leurs bottes, des margi-
Wenner décrit la lutte antidrogue comme naux consciencieux et des
“notre prochain Viêtnam” et écrit que “mal- affreux armés jusqu’aux
gré des décennies d’interdiction et d’efforts dents, qui doivent tous à
pour faire respecter la loi qui ont coûté des présent adapter leurs
milliards de dollars, il y a plus de drogue et compétences à un paysage économique et juridique en perpétuelle
de sang dans la rue que jamais.” En 1992, dans son article intitulé évolution.”
“L’affaire Gary Fannon”, Mike Sager raconte comment un jeune de La marijuana thérapeutique est désormais légale dans vingt-
18 ans originaire du Michigan a été condamné à la perpétuité pour neuf États et huit États, ainsi que le District of Columbia autorisent
avoir organisé une vente de cocaïne avec un policier sous couverture. l’usage récréatif du cannabis. “Ce monde est différent de celui dans
Le magazine soutiendra ouvertement la demande de libération de lequel nous avons grandi, commente Dickinson. Aujourd’hui, il y a
Fannon et, en 1996, un jugement reconnaîtra l’incitation au crime. une pharmacie, une épicerie et un dispensaire dans chaque centre
Pour un numéro spécial en 1994, Wenner engage Ethan Nadelmann, commercial.” Et alors que Donald Trump et son procureur général Jeff
le fondateur de la Drug Policy Alliance, pour coécrire l’article de Sessions expriment le désir de revenir aux jours les plus durs de la lutte
couverture réclamant une “nouvelle politique sur la drogue” qui antidrogue, Dickinson conclut : “Observons où cela nous mènera. Nous
décriminaliserait les petites quantités d’herbe et permettrait qu’on devons rester vigilants.” Comme le dit Wenner : “Nous avons fait notre
“arrête de remplir nos prisons avec des petits dealers et des utilisa- travail, et nos lecteurs sont avec nous.”
© DR.

teurs malchanceux.” Pour Nadelmann, “c’était très important de faire TRADUCTION ET ADAPTATION DE KATHLEEN AUBERT

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NICE GUYS
Une œuvre prolifique,
une pop inspirante,
le duo étincelle toujours.

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ROCK & ROLL

Sparks forever !
Une pop intemporelle et à forte personnalité : avec ce nouvel album, Hippopotamus,
le duo prouve qu’il a toujours beaucoup de choses à dire. Rencontre. Par Sophie Rosemont

D
isons-le honnêtement, Town Ain’t Big Enough for Both que les autres genres n’ont pas : chemin des frères Mael. En parti-
on ne pensait pas les of Us” est un tube dont personne plonger dans un état d’esprit, une culier en France, où leur public
retrouver aussi vite. En ne s’est vraiment remis. Depuis, ambiance à part.” Enfin, l’esthé- leur est acquis depuis des années.
effet, les frères Russell leur bonne réputation n’a jamais tique des Sparks est sans aucun Ce n’est pas un hasard s’ils citent
et Ron Mael nous avaient épatés terni et ils ont réussi à passer du doute leur point for t . L eur Édith Piaf dans l’un de leurs nou-
lors de leur collaboration avec glam à l’art rock et à une drôle influence cinématographique est veaux titres, “Édith Piaf (Said It
Franz Ferdinand, en 2015. Le fruit d’électro -pop, avec l’aide de évidente : les deux frères dévorent Better Than Me)” : ils ne regrettent
de leur travail, FFS, était un disque Giorgio Moroder. En 2006, Hello des films depuis leur plus jeune âge rien, affirment-ils.
de rock parfaitement contempo- Young Lovers témoignait encore et planchent actuellement sur un
rain, sautillant et alternatif à la de leur inspiration sans cesse projet avec Leos Carax, qui inter- Mais ce qui ressort le plus souvent
fois. Lors de la tournée mondiale renouvelée, tout comme leur vient sur la chanson “When You’re des morceaux des Sparks, c’est leur
qui avait suivi, les Sparks s’étaient comédie musicale consacrée à a French Director”. “Nous l’avons profonde affection pour l’être
montrés en très grande forme, Ingmar Bergman. Aujourd’hui, récemment rencontré à Cannes. Il humain dans les grandes largeurs.
mais on n’osait penser les revoir si tout le gratin de la scène pop avait utilisé une de nos chansons En le mettant en scène dans des
vite. Même si ce sont ces mêmes contemporaine se réclame d’eux, dans Holy Motors, ‘How Are You situations banales (un intérieur au
concerts qui les ont incités à d’Arcade Fire à MGMT. Getting Home?’, raconte Russell. style suédois dans “Scandinavian
remettre le couvert ! “Dès le début, Design”, au lit avec sa dulcinée
nous avons été très excités par ce avec “The Missionary Position”) ou
nouvel album, explique Russell insolite (sur un plateau de cinéma
Mael. C’est rare d’avoir l’occasion dans “When You’re a French
de sortir autant de chansons en Director”, face à une piscine squat-
une seule vie, de trouver la force de tée par un hippopotame dans
se réinventer et d’avoir encore un “Hippopotamus”), c’est lui le héros,
mot à dire à notre âge, alors nous quoi qu’il arrive. “La chanson est
en profitons !” un moyen très ludique de parler de
Nous sommes dans la suite d’un nos congénères avec tout le respect
hôtel du centre parisien. Chic, qu’on leur doit”, confirme Russell
mais pas branché. Calme, mais Mael. Sur “What the Hell Is It This
pas morose. On retrouve là la dis- ROCK, ROCK, ROCK Time?”, en revanche, ils inter-
Depuis leurs débuts,
crétion des Sparks… Même si eux les Sparks cultivent
rogent indirectement le rapport à
restent reconnaissables entre une esthétique à part. Dieu. Sont-ils croyants ? “C’est ras-
mille. Ron, sa fine moustache, sa surant de penser qu’il peut y avoir
cravate et sa coiffure impeccable- quelque chose, aussi abstrait que
ment plaquée. Russell et sa cheve- “LA CHANSON EST UN MOYEN LUDIQUE cela puisse être. Ce qui est embê-
lure ébouriffée, son style plus tant, c’est de ne pas pouvoir faire
décontracté et ses chaussettes de
DE PARLER DE NOS CONGÉNÈRES, AVEC appel à Dieu pour des broutilles,
couleur. Tous deux ont respective- TOUT LE RESPECT QU’ON LEUR DOIT.” attendre les drames pour le sup-
ment 71 et 68 ans mais ne les font plier de nous venir en aide”, sourit
pas, même de près – sans doute Le secret d’un tel engouement : leur Nous avons réf léchi à un projet Ron. “Je suis plus attiré par le
grâce à l’air pur californien dans sens de la mélodie, assorti d’une commun de film, qui se nourrisse bouddhisme et le shintoïsme : la
lequel ils baignent depuis leur rigueur presque étonnante dans le à la fois de nos paroles et de son présence divine compte, elle peut
naissance à Los Angeles. Là où ils milieu de la pop. “Hormis l’excep- expérience personnelle. Ce sera d’ailleurs se décliner au pluriel,
écoutaient, enfants, les Kinks, tion FFS, nous produisons notre pour Leos son premier film en mais elle régit le quotidien des
Pink Floyd ou les Who. Dès le musique nous-mêmes, précise anglais et à gros budget, le tour- hommes avec plus de subtilité”,
début des années 1970, alors qu’ils Ron. Tout est plutôt cloisonné, nage devrait se faire en début d’an- répond Russell. En tout cas, leur
étudient le théâtre et le cinéma à cadré, encapsulé et rassurant. née prochaine et nous avons hâte spiritualité transperce à travers
l’UCLA, ils écrivent leurs propres Notre son est singulier, nous y de voir le résultat !” Nous aussi. En leurs textes poétiques jonglant
morceaux. D’abord sous le nom tenons beaucoup et préférons ne attendant, on les verra sur la scène entre métaphore et pragmatisme,
d’Halfnelson, produit par Todd pas le laisser à quelqu’un d’autre !” de la Cigale pour les 30 ans de la parlant ainsi à toutes les généra-
Rundgren, mais sans grand suc- Le but est d’emporter l’auditeur salle parisienne, inv ités par tions. C’est le souhait le plus cher
cès, puis en tant que Sparks. C’est ailleurs que chez lui, sans le perdre Catherine Ringer. Depuis leur hit des Sparks, comme l’exprime
avec Kimono My House, en 1974, en route. Dixit Russell, “ce serait avec les Rita Mitsouko, “Singing in Russell : “Notre rêve, ce serait
© ELAINE STOCKI

enregistré avec des musiciens lon- prétentieux de notre part de parler the Shower” (en 1988), ils sont res- qu’un jeune écoute Hippopotamus
doniens, que les frères Mael de libération des esprits. Cepen- tés très amis. Un peu comme la et se demande pourquoi il n’a pas
percent véritablement – “This dant, la pop possède quelque chose plupart des gens qui croisent le acheté nos précédents disques !”

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Q&R

ICONIQUE
La légende de la country
a multiplié les récompenses
tout au long de sa carrière.

Emmylou Harris
Roy, Bob, Neil, Gram, Rodney, Paul, Steve, Townes…
Elle les aura tous chantés et rencontrés. Et surtout, partagé le micro avec eux.
Orbison, Dylan, Parsons, Crowell, Simon, Earle ou Van Zandt…
Les plus grands songwriters américains ont offert un écrin à sa voix magique. Rencontre.
Propos recueillis par Stan Cuesta

S
e retrouver au milieu de Les Français ont une vision très j’aurais aimé qu’il vive, que l’on ait grandir sans lui. J’ai essayé de
nulle part, à Craponne-sur- romantique de votre association avec la possibilité d’avoir une longue parler de tout ça dans cette chan-
Arzon, en Auvergne, pour Gram Parsons… Cela vous ennuie ? amitié, peut-être même une his- son, “The Road”.
une interview exclusive Emmylou Harris : Oh ! c’est le cas de toire d’amour, parce qu’il est mort
d’Emmylou Harris, a quelque chose tout le monde. Ça ne me dérange avant que ça puisse arriver… Mais Vous avez atteint très tôt une sorte
de surréaliste et de très émouvant. plus. Mais pourquoi sommes- il m’a tellement donné, dans ma d’état de grâce avec lui, il y avait
Elle est là pour le Country Rendez- nous tant obsédés par le roman- vie, dans ma musique. Pas seule- quelque chose de magique entre
Vous, seule date française de sa tisme lié au fait de mourir jeune ? ment pour l’étape que j’ai franchie vous…
tournée européenne. On y découvre dans ma carrière, en étant connue E. H. : J’étais une sorte de folksin-
une grande dame, belle, chaleu- Vous pensez que c’est pour ça ? à travers lui, mais pour les gens ger, j’ai eu la chance de partir sur
reuse, franche, ouverte, drôle. Elle E. H. : Bien sûr, parce qu’il est beau- dont j’ai hérité, son merveilleux la route et de faire un disque,
© JACK SPENCER

n’a rien à vendre, nous non plus. coup plus difficile de vieillir. C’est manager, la façon dont on a prêté mais en chemin, j’ai appris, je suis
Tant mieux. C’est dans ces cas-là une telle tragédie que sa vie ait attention à ce que je faisais, même devenue une vraie chanteuse, j’ai
que la magie opère… ét é si c our t e. Év idem ment , si j’étais en train d’apprendre et de trouvé ma voie en chantant en

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harmonie avec Gram. Grâce à lui, d’aspirante Joan Baez… Je faisais Il vous a approchée ? Dylan ! Tu y penses avant, et tu y
j’ai compris la vraie beauté de la la première partie de tous ceux E. H. : Il ne m’a pas approchée. Je penses après. J’étais toujours
country music dans ce qu’elle a de qui jouaient à Gerde’s Folk City, ne pense pas que Bob approche inquiète de la justesse sur telle
meilleur : des paroles simples, la qui était l’endroit où tout le qui que ce soit ! (Rire.) C’est son chanson, etc. Mais Bob vit dans
tournure d’une phrase, la conci- monde passait. C’était extraordi- producteur exécutif qui m’a dit : l’instant, tu dois faire pareil.
sion… Ensuite, bien sûr, j’ai dû naire de l’entendre et de le voir… “Bob veut une chanteuse pour
devenir une artiste à part entière, Il avait vraiment quelque chose. faire des harmonies.” Mon ego Cet album, Desire, est un chef-
et j’ai eu la chance d’avoir à mes Je n’av a i s ja m a i s v r a i ment m’a fait croire qu’il m’avait enten- d’œuvre. Reprenez-vous parfois ces
côtés des gens comme Rodney entendu ce genre de paroles chan- due et qu’il me voulait, moi. Mais chansons ?
Crowell, de merveilleux musi- tées avec ce gémissement hanté à il voulait juste une fille ! Je n’étais E. H. : Non. J’ai juste fait “Oh,
ciens, de super-producteurs, qui la Hank Williams. Plus tard, on qu’une couleur de plus… sur sa Sister” avec Dave Matthews. J’ai
m’ont permis d’être inspirée… au- est entré en contact par l’intermé- toile. Ce qui était génial, en un fait quelques dates avec lui, il
delà de Gram. Mais je n’es- l’adore, moi aussi, alors on
saierai cer tainement l’a répétée et j’ai beaucoup
jamais de minimiser l’im- ANGEL BAND aimé la faire avec lui. Mais
portance de son irruption Une guitare, fondamentalement, je ne
dans ma vie. une voix et la les ai jamais travaillées, ce
magie opère. sont les chansons de Bob…
Et vous avez joué avec ses Sinon, je fais “Every Grain
musiciens… of Sand”, bien sûr, que
E. H. : Ensuite, oui, quand la j’adore.
maison de disques a décidé
que j’avais quelque chose, à Et Neil Young ?
ma grande surprise, ils E. H. : Neil Young est proba-
m’ont dit : “Prenons le blement mon artiste pré-
groupe qui a enregistré ces féré, pour la façon dont il
deux albums avec Gram.” suit sa muse, même quand
C’était essentiellement les elle l’entraîne dans le fossé !
musiciens qui avaient tra- J’adore tous ses disques.
vaillé avec Elvis : Glen D. Bon, Trans, c’était un peu
Hardin, James Bur ton, dur de rentrer dedans,
Emory Gordy Jr., et John mais je le respecte, parce
Ware, des Bellamy Bothers. que ça avait à voir avec son
Mais je pense que les jokers fils, les ordinateurs, etc. Et
ont été Rodney et Hank puis c’est quelqu’un qui
DeVito. Tous les trois, nous s’occupe de justice sociale.
étions plus jeunes et appor- Ce qu’il a fait avec Willie
tions une sensibilité rock. [Nelson], avec les concerts
Rodney était venu à la caritatifs de Bridge School,
country music de façon très le fait qu’il ait sauvé Lionel
organique : à 10 ans, il jouait Trains (il a racheté une
de la batterie avec le groupe partie de cette société de
de son père dans les honky trains miniatures, ndlr)…
tonks de Houston. Hank et C’est un Américain vrai-
moi étions plutôt des sortes ment extraordinaire… pour
de convertis de la côte Est. un Canadien ! Et c’est un
homme délicieux. Il a eu la
Le dernier album de Rodney
Crowell est magnifique… “GRÂCE À GRAM PARSONS, générosité de venir chanter
sur mon album Wrecking
E. H. : Oh, oui ! Il y a cette
chanson, “Nashville 1972”,
J’AI COMPRIS LA VRAIE BEAUTÉ Ball. Il y a tant d’artistes
que j’aime, dont la musique
que j’adore. Et l’hommage à
Susanna Clark, bien sûr…
DE LA COUNTRY MUSIC DANS m’inspire.

Elle a été tellement impor-


tante pour notre petite
CE QU’ELLE A DE MEILLEUR.” Justement, avec quels
artistes rêveriez-vous encore
famille. Elle écrivait des de travailler ?
chansons et elle peignait, mais diaire de Guy et Susanna Clark. sens, parce que je me suis poin- E. H. : J’aurais aimé enregistrer
son esprit, son humour, sa façon C’est intéressant de voir comment tée, on s’est dit bonjour, on s’est avec Merle Haggard avant sa
d’habiter le monde… Elle a été les vies des gens se croisent. mis devant le micro avec les mort. Je suis sûre qu’il y en a
très importante pour Rodney et paroles – au moins j’avais les d’autres. Mais j’ai chanté avec
moi, et évidemment pour Guy. Vous avez travaillé avec les plus paroles ! – et on a commencé à tant de gens ! Avec Joan Baez – on
© DR/NONESUCH/GETTY IMAGES

grands. Lequel vous a le plus chanter. Il n’y a eu aucun travail a fait un concer t de char ité
En parlant des songwriters que vous impressionnée ? sur les chansons, aucun peaufi- ensemble –, avec Jackson Browne,
avez chantés, l’un des plus grands est E. H. : C’était un peu intimidant de nage, on faisait une prise et il y a quelques années. Oui, j’ai
probablement Townes Van Zandt… chanter avec Roy Orbison… Un c’était bon. Tu te mets dans cet quasiment chanté avec tous les
E. H. : J’ai rencontré Townes quand peu. (Rire.) Mais quel homme état d’esprit : OK, voilà la chan- artistes que je connais… Et même
j’étais une folksinger dans la charmant ! Adorable. Et, bien sûr, son, je dois suivre Bob. Tu ne avec quelques-uns que je ne
galère à New York, une sorte Bob Dylan. penses pas : Je chante avec Bob connais pas !

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PHOTO

BLACK & WHITE


La photographe
française a capturé
dans son objectif les
plus grands noms du
rock international.

Carole Epinette
Le rock dans le fond des yeux
Après le Pays basque et la Suisse, son exposition Rock Is Dead pose ses bagages,
et surtout ses photos, à Paris.
Par Xavier Bonnet

B
ientôt un quart de Cette exposition existe désormais mes photos personnelles de cette il joue souvent le jeu devant l’ob-
siècle qu’elle trimballe et va connaître sa troisième incar- manière et j’ai profité de l’exposi- jectif, où il se donne à fond et où
d’une séance à un nation après Anglet, au Pays tion pour en faire de même avec l’énergie est palpable. Le côté pro-
concert ses boîtiers, ob- Basque, au printemps 2016 et celles que j’avais choisies pour vocateur de la plupart d’entre eux
jectifs, lumières, trépied, quitte Orbe, en Suisse, au début de cette l’occasion, y compris pour cer- m’attire également beaucoup.”
parfois à plier sous leur poids. année. Cette troisième mouture a taines photos qui avaient été pu- Provocateur, le nom de l’exposi-
Bien longtemps qu’on n’énumère été quelque peu réaménagée par bliées en couleur.” tion, Rock Is Dead, l’est tout au-
plus les publications – Rolling rapport aux précédentes, dans la Le résultat est à la hauteur. Et tant. À dessein. La photographe le
Stone compris – qui ont accueilli sélection comme dans le format qu’ ils se nomment Lemmy reconnaît, il est aussi, de manière
ses photos. Une exposition de ses – retravaillé – de certaines photos, Kilmister (Motörhead), Ozzy sous-jacente, l’expression d’une
clichés ? L’envie était là depuis mais fidèle à ce mélange d’images O s b o u r n e , Ja m e s H e t f i e l d certaine nostalgie : “Les condi-
longtemps, mais elle se trouvait posées et live. Fidèle aussi à cette ( Metallica), Marilyn Manson, tions de travail des photographes
toujours une raison (pas forcé- envie revendiquée de privilégier le David Bowie, James Brown, Amy musicaux ne favorisent plus de la
ment bonne) pour ne pas fran- noir et blanc, à une exception près Winehouse, Alain Bashung, même façon la complicité avec ces
chir le pas. À commencer par le (un cliché d’Iron Maiden) : “J’ai Angus Young (AC/DC), Jack artistes. Mais mon but n’est sur-
sempiternel “Pourquoi-moi-ça- toujours adoré ça et je me suis White (The White Stripes) et tout pas de dire ‘C’était mieux
va-intéresser-qui-bla-bla-bla…” toujours sentie frustrée que les consorts – ils sont une vingtaine avant’, ce discours-là ne m’inté-
On connaît la chanson. “Ce qui magazines préfèrent quasi exclu- au total –, leurs expressions vous resse pas. Mais cela ne m’empêche
m’intéressait avant tout, c’était sivement la couleur, considérant sautent au visage. “Un artiste rock pas de regretter que l’échange hu-
de les faire, ces photos, ponctue- souvent le noir et blanc comme a ceci de particulier à photogra- main soit désormais de plus en
t-elle. Après, pour ce qui était de ‘trop vieux, ringard’. Personnelle- phier qu’il est brut, explique plus contrôlé et restreint.”
les montrer, il y avait les maga- ment, je trouve au noir et blanc Carole Epinette. C’est vrai quand
© CAROLE EPINETTE

zines auxquels je collaborais. une vraie classe. C’est aussi par il pose – la première motivation en
Rock Is Dead, 20 ans de photo rock –
Elles se montraient d’elles- goût personnel que j’opte souvent vue de cette expo était d’ailleurs de Carole Epinette. Du 31 août au 30 septembre,
mêmes, vivaient d’elles-mêmes, pour un noir et blanc très me focaliser sur les gueules du Galerie Stardust, 37, rue de Stalingrad,
Le PréSaint-Gervais (93). Métro Hoche.
en quelque sorte.” contrasté. J’ai toujours travaillé rock –, mais aussi sur une scène où À suivre sur Facebook.

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ROCK & ROLL
NOUVEAUX ARTISTES

Declan McKenna
À peine majeur, ce jeune prodige anglais est parti pour conquérir le monde entier.

L
’evening standard parle de lui comme de “la voix de la géné- la jeunesse d’aujourd’hui. Sachant piocher dans le punk sous influence
ration z”. Certes, mais ce n’est pas tout. À 18 ans, Declan ska des Clash comme dans la power pop plurielle de Vampire Weekend
McKenna est un de ces petits prodiges du rock comme (Rostam Batmanglij a d’ailleurs coécrit et produit un morceau sur son
l’Angleterre sait si bien les concevoir. À 8 ans, il apprend la disque), McKenna maîtrise les armes du rock’n’roll avec un naturel
guitare, tout en écoutant David confondant et, surtout, un sens
Bowie, les Strokes et Jeff Buckley. mélodique étonnamment abouti
À 16 ans, après avoir enregistré pour son âge. Il n’en faut pas plus
des dizaines et des dizaines de pour qu’on le compare à Jake
chansons seul chez lui, il gagne le Bugg, autre jeune guitariste sur-
prix Emerging Talent du légen- doué apparu il y a quelques an-
daire festival Glastonbury grâce nées… Avec le penchant pour les
à “Brazil”, qui évoque la corrup- joints d’herbe et la moue bou-
tion de la FIFA. C’est qu’il n’a pas deuse en moins. Car Declan
la langue dans sa poche, le petit McKenna affiche déjà un style
gars. Amateur de foot, il n’avait bien à lui, mis en valeur sur son
pas supporté que la dernière premier album d’une pop plu-
Coupe du monde soit autant vi- rielle mâtinée de rock et d’un on
ciée par l’argent. À 17 ans, il ne sait quoi de typiquement bri-
quitte l’école et part sur les routes tish. What do you think about the
britanniques et américaines dé- car? a été majoritairement pro-
fendre sa musique juvénile et duit par James Ford, qui a réalisé
engagée, où il est question de les albums de Foals, de Depeche
politique, d’environnement, de Mode ou de l’un des groupes pré-
genre, d’attentats, des violences férés de McKenna, les Arctic
policières et de positionnement Monkeys. On lui souhaite le même
social. Bref, tout ce qui concerne destin. SOPHIE ROSEMONT

Pale Seas
Traversée mélodique en eaux claires.
Originaire de Southampton, ce groupe a bousculé la scène indie rock
anglaise en 2013 grâce à deux EP au charme ravageur. Puis silence
radio. Séparation, dispute, manque d’inspiration ? Que nenni : Pale
Seas a refusé les propositions alléchantes de nombre de labels pressés
et s’est enfermé en studio, sur l’île de Wight, pendant deux ans pour
peaufiner le premier album dont il rêvait. En résulte Stargazing for
Beginners, impeccable condensé de guitares saturées et de mélodies
romantiques servi par une production savante. S. R.

Nova Twins
Punkettes 2.1
© SANAA ABSTAKT ; ROCK TO THE BEAT

Découvertes sur la scène des Trans Musicales de Rennes en 2016, ces


deux donzelles londoniennes s’illustrent sur un genre singulier et
décoiffant qu’on appelle aussi l’urban punk. Amy Love et Georgia
South ne lésinent ni sur les riffs agressifs ni sur un flow trempé dans
l’acide. Après deux ans à tourner en Angleterre et en France, elles ont
sorti un premier EP très remarqué avant l’été, en attendant un pre-
mier album qui promet de secouer, prévu pour l’automne. Oreilles
sensibles s’abstenir, le girl power est en marche et fait du bruit ! S. R.

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Q&R

Robin Campillo :
“ Ce n’était pas juste un docu-drama sur Act Up ”
120 battements par minute a été couronné du Grand Prix du dernier festival de Cannes.
Rencontre avec son réalisateur. Par Sophie Rosemont

Vous souvenez-vous de votre pre- dit à Arnaud : “Désolé que ce soit traitée – les deux films les plus connus Quel est votre regard sur la lutte
mière réunion chez Act Up ? tombé sur toi”, c’est aussi parce en France sur le sujet étant Les Nuits contre le SIDA aujourd’hui ?
R. C. : Oui, j’ai eu droit à la même que cela aurait pu être un autre. Il fauves et Philadelphia ? R. C. : On sait que les gens sous trai-
introduction que celle du film, avec n’y a qu’au cinéma qu’on croit que R. C. : Les gens ont réalisé qu’ils tement peuvent avoir une vie à peu
la personne qui présente l’associa- l’amour est tangible. Dans la réa- avaient traversé cette épidémie près normale et, dans 90 % des cas,
tion : un groupe joyeux, tonique, lité, c’est soumis à interrogations. sans en sortir complètement ne sont plus contaminants. Les
avec des personnalités très fortes. Peut-être que si Sean avait été en indemnes. Moi, je m’autorise à outils sont là, mais il faut proposer
Au début, on ne sent pas tout de bonne santé, ils se seraient séparés penser que je peux en faire de la le dépistage, ce que fait Aides, dans
suite les tensions, ni la maladie. En très vite. “On observe tous les jours fiction. J’ai essayé de faire com- des lieux de drague. L’État reste
arrivant, on est si content d’avoir l’inauthenticité des sentiments des prendre ce que ça signifiait d’avoir, absent, car cela demande une
traversé dix ans de l’épidémie et de homosexuels”, soutient le prêtre en face de soi, un laboratoire sui- publicité. Or la santé publique, c’est
ne plus être seul… Didier Lestrade réactionnaire Tony Anatrella. vant sa propre logique pécuniaire une politique ! Il faut faire baisser
était président, il animait quasi- Mais dans quel monde vit-il, où au détriment de la santé des séro- le prix des médicaments, la préven-
ment à lui tout seul les réunions, il tout serait labellisé authentique ? positifs. De sentir aussi quand les tion doit être mondiale. Surtout
était d’une drôlerie incroyable ! Un reality show ? gens, au sein du même groupe, quand on voit qu’un homme
n’avançaient pas de la même comme Donald Trump est en train
Tout est vrai dans votre film ? Comment avez-vous réagi face à manière dans la maladie. Ce que de permettre la discrimination des
R. C. : J’ai sur tout utilisé des l’accueil dithyrambique de Cannes ? c’était d’incarner ces luttes. malades dans certains États.
moments, des formules, des rires… R. C. : C’était bouleversant. J’ai
J’ai instrumentalisé des éléments
du réel pour nourrir la mécanique
cependant parfois eu le sentiment
que l’émotion autorisait tout,
Pourquoi faire appel à Arnaud
Rebotini pour la musique du film ?
“LE CINÉMA,
du film. Au début, les personnages comme cette chaîne qui avait cou- R. C. : Je l’ai croisé sur Entre les C’EST MA
parlent de choses sans qu’elles
soient expliquées, mais, comme
vert le Mariage pour tous et qui
voulait absolument m’inter-
murs (Robin Campillo a cosigné
le scénario du film de Laurent
MANIÈRE D’ÊTRE
moi au début des réunions où la viewer ! A posteriori, on me parle Cantet, ndlr) et avais déjà fait MILITANT.”
majorité du vocabulaire m’échap- davantage de mise en scène, on a appel à lui pour mon film Eastern
pait, il faut suivre le rythme, et compris que ce n’était pas juste un Boys. Arnaud connaît à la perfec- Face à la persécution des homo-
remonter le fil. docu-drama sur Act Up. Le film tion la musique des années 1990 sexuels en Tchétchénie, par exemple,
tient aussi de la chronique, car et a su transmettre ce besoin de on a l’impression que la population se
Vous racontez une passion amou- chaque scène possède son foison- s’amuser, après les réunions et les mobilise plus. Qu’en pensez-vous ?
reuse très rapidement contaminée nement propre, mais tout est zaps. Le plaisir de se retrouver R. C. : Aujourd’hui, plus de gens
par la maladie… construit, rien n’est laissé au dans l’obscurité, sans paroles, où s’indignent de la Tchétchénie qu’il
R. C. : C’est une romance très pré- hasard. les gens se touchent… Nous avons y aurait pu en avoir à l’époque,
caire, car ils se connaissent depuis utilisé deux travellings circulaires c’est certain. Et la Gay Pride n’a
peu et d’un seul coup, il faut deve- Pensez-vous que le public est enfin et j’ai laissé les acteurs faire. On jamais été aussi importante,
nir garde-malade. Dans la vraie prêt à affronter cette histoire tra- sent la sueur, la clope, c’est même si je ne la sens pas très poli-
vie, ça pouvait foirer. Quand Sean gique du SIDA, qui jusqu’ici a été peu organique. tique. Le militantisme est là, mais
il me semble qu’on ne trouve pas
de l ieu x c om me A c t Up, à
NAHUEL PÉREZ BISCAYART :
l’époque, pour exister. Mais nous
NAISSANCE D’UN GRAND ACTEUR
sommes sans doute dans un
Si tous les comédiens sont brillants, Nahuel Pérez Biscayart irradie
moment d’impuissance politique
dans le rôle de Sean, jeune séropositif très militant – qui n’est pas
qui peut se transformer. J’ai le
sans rappeler Cleews Vellay, membre très actif d’Act Up décédé
sentiment qu’il y a des émergences
en 1994. “L’énergie de Sean est proche de celle de Cleews, mais il n’a
communautaires, hors politique.
jamais été question de l’imiter. Il faut être un peu inconscient quand
Les gays ont été prégnants pen-
tu incarnes de tels personnages, il ne faut pas se laisser hanter par
dant longtemps, maintenant les
les ombres de ceux qui l’ont vécu à l’époque”, précise l’acteur. S’il ne
connaissait pas l’association, de par son âge (il est né en 1986) et son
lesbiennes et les transsexuels ont
lieu de naissance (l’Argentine, où Act Up n’existait pas), Pérez besoin de plus s’affirmer… Le
Biscayart s’est immergé dans l’histoire du SIDA en France dans ces cinéma, c’est ma manière d’être
années d’hécatombe, perdant énormément de poids en un temps record. Il est pour beaucoup dans la réussite de 120 bpm, militant, car j’essaye d’interroger,
soulignée par Didier Lestrade en personne. “Je suis soulagé que quelqu’un avec un regard aussi aiguisé que le sien aime le film, par la fiction, ce qu’ont été ces
quelqu’un pour qui nous avons tous énormément de respect. C’est le seul qui a survécu, ce combat a été sa vie.” Aurait-il été mobilisations. Act Up, c’était une
militant à l’époque¦? “Absolument. Lorsque l’enjeu est si physique, l’engagement est presque inévitable.” S.R. lutte, pas une cause : les corps des
© DR

gens étaient en danger.

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UNANIMITÉ
Avec cette chronique
des années Act Up,
le réalisateur a aussi
remporté la Queer
Palm à Cannes.

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Sélection de la
RENTRÉE

La rentrée de Rolling Stone


Comment s’y retrouver dans les trop nombreuses sorties de la rentrée ? Pop en duo,
rock indie, soul intimiste ou électro fédératrice ? Nos choix.
Par Sophie Rosemont

The Horrors
V comme victoire

V : comme 5 en latin, comme 5e


album du groupe (et aussi le nom-
bre de ses musiciens, comme le V
de victoire. On peut en effet par-
ler de réussite lorsqu’on écoute
les dix nouveaux morceaux des
Horrors. Pour la première fois,
et dans le but de réinventer leur
son (qui, il faut bien l’avouer, per-
dait de son efficacité sur leur der-
nier opus, Luminous) ceux-ci ont
entièrement délégué la produc-
tion, et ils ont fait le bon choix
avec Paul Epworth, connu pour
son travail avec Adele, U2 ou Bloc
Party. V se partage donc entre
le post-gothique sous influence
80’s cher au groupe (“Hologram”),
mais aussi un drôle de punk al-
ternatif (“Machine”), du dance-
rock innovant (“Something To
Remember Me By”) et de la pop
ténébreuse (“Weighed Down”).
Le chanteur Faris Badwan, lui,
reste toujours aussi charisma-
tique, caché derrière sa cheve-
lure aussi sombre que le verre de
ses lunettes.

A NGUS & JULIA STONE


Ariel Pink L es deux font l a pa i re
Rose comme lui Après plus d’une décennie de carrière, une parenthèse et des retrouvailles émotives,
la fratrie Stone nous enchante de nouveau.
Dedicated to Bobby Jameson…
Il y a quelques années, on avait sérieusement douté de la longévité du duo formé par le frère et la sœur Stone.
Encore un nouveau storytelling
Après la tournée du pourtant acclamé Down the Way (2010), ils avaient décidé de ne plus travailler ensemble…
pour Ariel Pink qui, fasciné par Jusqu’à ce que le producteur Rick Rubin s’en mêle et les convainque de s’y remettre. Dont acte. S’en est suivi
le parcours de cet obscur musi- Angus et Julia Stone, en 2014. Leur plus gros succès. Mais c’est seulement aujourd’hui, avec Snow, qu’ils explorent
cien (1945-2015) fuyant la gloire totalement leurs possibilités. “Nous voulions créer quelque chose de fort, mais sans vraiment savoir ce que ça pouvait
comme la peste, lui rend hom- donner, ni le temps que ça prendrait, explique Angus Stone. Ne rien avoir en tête de précis nous permet d’avoir
beaucoup d’idées… et de garder une part de mystère qui permet d’être à l’affût tout au long de l’enregistrement.”
mage avec cet album merveilleu-
Celui-ci durera huit semaines, dans le home studio d’Angus, situé en pleine campagne australienne, loin du bruit
sement barré : “Comme Jameson, de la ville. Malgré les hauts et les bas, la complicité d’Angus et Julia Stone reste toujours intacte. Dixit le petit frère :
moi aussi j’ai longtemps recher- “Je pense que, d’une manière générale, nous sommes plus décontractés, nous lâchons prise plus facilement.
ché juste un peu d’amour. Au- Après tout ce temps passé ensemble, nous avons compris quand il fallait s’éloigner, laisser passer certains orages…
jourd’hui, même si j’affectionne pour nous y remettre de plus belle un peu plus tard. Il fallait simplement apprendre à communiquer.” Ainsi,
Snow est “une conversation”, une synthèse de ce que le dialogue entre le frère et la sœur Stone peut offrir de mieux,
toujours autant la controverse, je
entre pop et folk. “Snow”, “Cellar Door” ou “Chateau” en offrent des exemples ultra-mélodiques, qui trottent en tête
suis plus sûr de moi et j’ai gagné dès la première écoute. “Nous cultivons différents sons, différents styles musicaux et ce qui en résulte est, quelque
en maturité, mais j’ai souvent part, assez dansant”, avance Angus. On ne le contredira pas : malgré son titre, cet album est celui qui prolonge
frôlé le bord du précipice quand je l’été, nous transportant vers d’autres paysages lointains et ensoleillés. Tout en étant très près de nous : cet automne,
réalisais que j’étais sous-estimé.” Angus et Julia Stone assureront pas moins de sept dates en France.
© J. STEINGLEIN

Ce qui n’est plus le cas. Fort d’une


ribambelle d’albums devenus
cultes pour les amateurs de pop-

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rock indie, Ariel Pink a su gar-
der son intégrité. Et son inspi-
ration, nourrie du meilleur du
passé américain, des sixties aux
années 1980.

LCD Soundsystem
Le grand retour
En 2011, il donnait son tout der-
nier concert à New York, an-
nonçant qu’il prenait sa re-
traite. Et puis, finalement, James
Murphy a réalisé qu’arrêter LCD
Soundystem, poule aux œufs d’or
de l’électro-pop-rock East Coast
était une mauvaise idée. Il a donc
pris le temps de façonner un nou-
vel album, American Dream.
L’une des meilleures surprises de CH A D VA NGA A L EN
la rentrée, même si un embargo Folk des bois, folk des champs
fixé à seulement trois jours de la
sortie nous interdit, hélas ! de dire L’album de la sérénitéª? Sans doute. Car la maturité, Chad VanGaalen en fait preuve depuis des années, en digne
officiellement tout le bien qu’on en héritier de Tom Petty et Neil Young. Écrit, composé et produit par le songwriter canadien, Light Information fait
d’un folk contemplatif au grain vintage, un manifeste à la vie, l’amour, et dont l’énergie est incontestablement
pense. La dance music est, comme contagieuse. En témoignent “Old Heads”, “Faces Lit” ou “Static Shape”, sur lequel apparaissent ses filles. Certes,
toujours avec Murphy, hautement un “Prep Piano and 770” nous rappelle ses velléités instrumentales, mais VanGaalen cultive toujours le même jardin
organique, nourrie de rock’n’roll verdoyant, ici et là laissé volontairement en friche. L’une des bouffées d’air de la rentrée.
mélancolique. Il n’y a plus qu’à
attendre sagement ses concerts
événements à l’Olympia, les 13 et
14 septembre prochain.
grands. Même si, à la sortie de peut-être, de le rendre complè- tra-sensible, mâtiné de soul. On
Something on High (2014), on tement sourd dans quelques an- pense à Björk, à Thom Yorke, ou
se doutait que le meilleur était à nées. Au lieu de sombrer dans encore à Sufjan Stevens parfois.
Sivu venir… Mais pas son label, visi- le désespoir, le musicien anglais Espérons que l’on pourra conti-
Au creux de l’oreille
blement, qui choisit de le congé- n’écoute que son cœur et son nuer à l’entendre pendant long-
dier tandis que Page réalisait inspiration. En résulte un très temps encore.
Avec son second album, James qu’il était atteint de la maladie beau deuxième album, Sweet
Page, alias Siv u, entre déf i- de Menière, qui l’a, depuis, privé Sweet Silent, dans lequel il par-
nitivement dans la cour des de l’audition d’une oreille. Avant, tage sa solitude et son folk ul-
Kevin Morby
De l’art du nomadisme

C’est ce qu’on appelle un ar-


tiste prolifique. Après Harlem
BENJA MIN River en 2013, Still Life en 2014,
CL EMEN T INE Singing Saw en 2016, voici donc
Hobo céleste City Music, quatrième album
du songwriter américain. Sous
Un parcours incroyable pour un musicien qui ne inf luence West Coast – mais
l’est pas moins, de la banlieue londonienne au dans ce qu’elle a de plus mé-
métro parisien, où son charisme se fait remarquer lancolique –, Kevin Morby re-
entre Barbès-Rochechouart et La Chapelle. Très
vendique toujours un folk-rock
vite, Benjamin Clementine a su imposer sa voix de
stenor – brute, prenante – et ses ritournelles hantées aussi romantique que subtil, se
composées au piano. Cependant, si son premier perdant cette fois dans les pay-
album jouait la carte de l’épure, le très réussi I Tell sages urbains de métropoles in-
A Fly ose davantage l’orchestration. En témoigne saisissables. Après avoir officié
des morceaux comme « Phantom of Aleppoville »
ou « Jupiter ». Y résonnent ses amours folks,
comme bassiste dans The Ba-
gospels, jazzy, électros ou encore classiques. Lui qui bies, groupe de garage rock, et
dit être un expressionniste ne se trompe pas : tout Woods, formation de folk lo-fi
est à la fois réel et imaginaire dans ses chansons, pluriel, Morby a décidé de tracer
nous touchant en plein cœur. A seulement 28 ans, sa route en solo, souhaitant visi-
© MARCRIMMER. DR.

Benjamin Clementine est déjà un grand.


blement s’inscrire dans la lignée
des chantres nomades made in
USA. Pour l’instant, il ne se perd
pas en chemin.

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FLASHBACK
DERNIER MOT

Joe Walsh
Le guitariste raconte comment il a survécu à des années de débauche, parle des conseils qu’il a reçus
d’un moine bouddhiste et déclare que les Eagles étaient une “dictature démocratique”.
Interview par ANDY GREENE

Q uels sont, selon vous, les aspects les plus positifs et les plus négatifs
du succès ?
Je n’ai jamais eu à travailler à l’usine, ce qui est une vraie
chance. L’aspect le plus négatif, ce sont les distractions :
l’argent, les femmes, les fêtes. Quand on est jeune, c’est facile de perdre
pied. J’ai commencé à croire que j’étais celui pour qui tout le monde me
aurait dû me prévenir et me dire : “Écoute, c’est OK d’être idiot, mais soit
un idiot intelligent.”

Quel est l’achat le plus fou que vous vous soyez autorisé ?
J’ai toujours eu un fantasme : “Je vais acheter de la terre pour en vivre. Je
vais chasser comme Ted Nugent et couper mon bois.” Quand j’ai reçu un
prenait, c’est-à-dire une rockstar complètement dingue. Vous savez, “Life’s gros chèque de droits d’auteur des Eagles, j’ai trouvé une petite ferme
Been Good”, tout ce bordel… Ça m’a détourné de mon travail. Moi et des dans le Vermont, avec un lac et presque 300 hectares. Mais quand il a
tas de gars avec qui je traînais, on était de gros fêtards. C’était un sacré fallu y vivre, je me suis rendu compte que c’était dur. Il fallait se lever à
défi de simplement rester en vie. 5 heures du matin parce qu’il y avait des tas de trucs à faire. Couper son
bois, ça n’est pas marrant. L’hiver est rude. Je n’ai pu trouver personne
Nombre de vos amis de cette époque n’y sont pas parvenus. Keith Moon, pour s’occuper de l’endroit, alors je l’ai vendu. Il vaut mieux que certaines
John Belushi… Comment avez-vous survécu ? choses restent de l’ordre du fantasme.
Je me pose la question tous les jours. Les gens me demandent si je crois en
Dieu et j’y suis bien obligé, puisque je suis toujours là. Je n’avais pas prévu Quel est votre livre préféré ?
de vivre si longtemps. L’Homme illustré, de Ray Bradbury. J’avais 10 ou 11 ans quand je l’ai lu.
C’est un bouquin incroyable, qui vous absorbe
Quelles sont vos règles de vie essentielles ? complètement. Le livre en contient envi-
La famille d’abord. J’ai passé des années en solitaire. C’était moi contre le ron huit autres, et chacun d’entre eux
monde entier, mais aujourd’hui, j’ai une famille qui s’occupe de moi, et porte sur l’un des tatouages de l’homme,
dont je m’occupe. J’ai également appris à ne pas me laisser gouverner qui se déplacent la nuit. De l’imagina-
par mes émotions. Il ne faut pas envoyer d’e-mails quand on est en tion et un livre plein de livres, quel
colère. On peut les rédiger, mais pas les envoyer. Parce que le len- concept !
demain, on se dit : “Putain, j’ai encore déconné. Je suis vraiment
un gros blaireau.” Vous donnez des concerts avec les
Eagles, cet été. Ça n’est pas un peu
Quel est le meilleur conseil que vous ayez jamais reçu ? difficile de jouer sans Glenn Frey ?
Un moine bouddhiste m’a dit d’être conscient de chaque Oui et non. Mais je suis sûr qu’on sera
bouffée d’air que je respire. Il m’a dit : “Si vous faites très bons.
ça, vous vivrez le présent. Ça vous évitera de
gâcher du temps à ruminer le passé ou à tenter Deacon, le fils de Glenn, a rejoint le groupe.
sans cesse d’écrire l’avenir.” Et puis je médite. Comment s’adapte-t-il ?
Vivre le présent, c’est le secret. Il est super. Ça n’est pas un frimeur. Il se
pointe et il fait son boulot. J’aimerais bien
Qui sont vos héros ? que davantage d’entre nous soient comme ça.
Les Paul était l’un des gars le plus cool de
la planète. Il a inventé la guitare Les Vous avez décrit les Eagles comme
Paul, ainsi que l’’enregistrement “une démocratie avec deux dictateurs”.
moderne tel que nous le connaissons. C’était dur pour votre ego ?
Un jour, il a eu un accident de voiture J’ai rejoint leur groupe. Je dirais que c’était une
après lequel on lui a dit qu’il ne joue- dictature démocratique. On votait tous et ensuite,
rait plus jamais parce qu’il s’était Frey et Don Henley faisaient ce qu’ils voulaient.
cassé le bras en quatre endroits. Il
s’est assis, s’est mis à jouer et a dit : Vous vous êtes présenté aux élections
“OK, mettez mon bras en place présidentielles en 1980. Si vous aviez
comme ça. Posez-moi le plâtre gagné, pensez-vous que vous auriez
maintenant.” fait mieux que Trump ?
Oui ! C’est une question de bon sens. Je
Quel conseil auriez-vous aimé recevoir sur l’industrie ne suis pas sûr que Trump sache comment
du disque avant de commencer votre carrière ? fonctionne le gouvernement et je pense qu’il s’en
J’aurais bien aimé qu’on me dise : “Écoute, c’est un fout. Du coup, il n’arrivera pas à grand-chose.
boulot.” Je pensais que c’était un art. L’étalon Je crois savoir comment ça marche. Je sais évo-
selon lequel définir l’honnêteté dans l’indus- luer dans une organisation où il faut prendre
trie musicale, c’est de se dire que le gars qui des décisions complexes. Comme dans un
te vole le moins est honnête. Et il ne faut rien groupe, par exemple. Et on a réussi à accomplir
signer. Je me dépatouille encore de trucs que pas mal de choses !
j’ai signés quand j’avais 23 ans. Quelqu’un Traduction et adaptation Kathleen Aubert

44 | R ol l i n g S t o n e | rollingstone.fr Illustration par Mark Summers

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AGENDA

EN CONCERT !
La sélection Rolling Stone des meilleurs rendez-vous de l’été… Et de l’automne !
Vous pouvez réserver vos places sur www.digitick.com

PHOENIX
28/09 – Esch-sur-Alzette -
Rockhal
29/09 – Paris- AccorHotels
Arena

LES INSUS
01/09 – Ajaccio – Théâtre
de Verdure
03/09– Périgueux – Le Palio
(Boulazac)
05/09- Chambéry – Le Phare
07/09 – Le Noirmont –
Festival Chant du gros
15-16/09 – Paris – Stade
de France

LES WAMPAS NICK CAVE AND


05/10 – Grenoble – La Belle THE BAD SEEDS
Électrique 03-04/10 –
Paris - Zénith
METRONOMY 10/10 – Esch-sur-
07/10 – Le Havre – Festival Alzette - Rockhal
Ouest Park

MARILLION
07/10 – Paris - Zénith 09/10 – Montpellier – TEXAS 11/11 – Tourcoing – Le Grand Mix
Le Rockstore 07 et 08/11 – Paris – Olympia
WEEZER 11/11 – Nantes – PROCOL HARUM
19/10 – Paris - Olympia À RÉSERVER Cité des Congrès 12/11- Paris – Le Trianon
DE TOUTE URGENCE 12/11 – Limoges – Zénith
FISHBACH 21 et 22/11 – Bordeaux – VAN MORRISON
07/10 – Montpellier – ALT-J Théâtre Femina 17/11 – Paris – Salle Pleyel
Le Rockstore 11/01/2018 – Paris- AccorHotels
14/10 – Alençon – La Luciole Arena THE WEDDING PRESENT SALLIE FORD
07/11 – Saint-Nazaire – Le VIP 21/11 – Paris – Point Ephémère
CATHERINE RINGER + FLEET FOXES 08/11 – Paris – Petit Bain
SPARKS/SOLO 20 et 21/11 – Paris – Le Trianon THE STRANGLERS
04/09 – Paris – La Cigale ROYAL BLOOD 25/11 – Paris – La Cigale
DEPECHE MODE 09/11 – Paris – Zénith 27/11 – Le Havre – Le Tetris
INTERPOL 26/11 – Anvers – Palais des Sports 28/11 – Brest – La Carène
05 et 06/09- Paris – 03 et 05/12 - Paris- PONI HOAX 29/11 – Nantes – Stereolux
Le Trianon AccorHotels Arena 09/11 – Paris – La Cigale 30/11 – Chambray-lès-Tours –
24/01/18 – Floirac – Salles Yves-Renault
TEMPLES Bordeaux Métropole Arena ELLIOTT MURPHY 02/12- Mérignac – Le Krakatoa
06/09 – Paris – La Cigale 10/11 – Paris – New Morning
ANGUS ET JULIA STONE LONDON GRAMMAR
CLAP YOUR HANDS 17/10 – Lille – Zénith FATHER JOHN MISTY 19/11 – Lille – Zénith
SAY YEAH! 19/10 – Nantes – Zénith 11/11 – Paris – Le Trianon 20/11 – Rennes – Le Liberté
20/09 – Paris – La Maroquinerie 20/10 – Toulouse – Zénith 03/12 – Paris – Zénith
25/10 – Marseille – Le Dôme KASABIAN 05/12 – Toulouse – Zénith
SIGUR ROS 01/11 – Paris – Zénith 11/11 – Paris – Zénith 06/12 – Lyon – Halle Tony-Garnier
27, 28 et 29/09 – Paris – 02/11 – Lyon – Halle Tony-
Grand Rex Garnier THE CELTIC SOCIAL CLUB
© CHRIS CUFFARO_AS

11/11 – Paris – Le Flow


TIMBER TIMBRE CHRIS ISAAK
07/10 – Feyzin – L’Épicerie 02/11- Paris –Olympia FINK
AVEC
Moderne 10/11 – Paris – La Cigale

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LIVE REPORT

ON TOP
OF THE WORLD
À Monaco, Deep Purple
a montré qu’il en avait
encore sous la semelle.

Rock around the Rocher


Tout l’été, la Côte d’Azur vit au rythme de festivals musicaux. L’édition 2017 du Monte Carlo
Summer Festival l’a joué rock’n’roll pour sa soirée d’ouverture, avec une affiche monumentale :
les Pretenders et Deep Purple.
Par Vincent Guillot

L
es vétérans de Deep Purple ont mélange de vacanciers, de représentants de balance un “Fireball” qui pose direct le
remis en cet an de grâce 2017 l’ou- la bonne société monégasque et quelques niveau : ça joue fort, vite et bien. Les claviers
vrage sur le métier. Quelques jours fêtards russes, le tout rassemblant plusieurs de Don Airey sonnent aussi lourd que du
après un passage remarqué au générations. Dans ce cadre un peu inhabituel, temps de Jon Lord. Derrière, les hits s’en-
HellFest, Gillan & Co changeaient radicale- le groupe ne va pas faire dans le détail. Et s’il chaînent (“Strange Kind of Woman”, “Lazy”)
ment de cadre pour ouvrir, le 28 juin dernier, restait quelques sceptiques quant au retour et la foule groove, heureuse, au point que les
le Monte Carlo Summer Festival. La salle n’a sur scène du groupe, ils en seront pour leurs derniers titres du groupe ne font absolument
pas fait le plein. Tant mieux : un petit millier frais. Certes, visuellement, les cadres supé- pas tache – “Uncommon Man”, issu de Now
de personnes a donc le privilège de voir les rieurs du metal n’ont plus trop la dégaine What?! (2013) ou “The Surprising” du tout
légendaires métalleux quasi rien que pour glam de leurs débuts, à l’image d’un Ian neuf InFinite, emportant l’adhésion.
eux. Rockers et bikers de la Côte d’Azur ont Gillan déambulant sur scène avec l’allure plus Le Long Goodbye ne battra pas des longueurs
répondu au rendez-vous. Mais les Purple proche d’un retraité bouliste que d’une rock de durée, mais l’impact n’en est que plus fort,
étant un f leuron du patrimoine rock, on star. Mais le son est là. C’est ce qui frappe quand le groupe balance l’intro que tout le
retrouve dans la salle un sympathique illico : après un “Time for Bedlam”, on monde attend, ce “Smoke on the Water” qui
remue la fosse, toute en joie de pouvoir
QUAND CHRISSIE FÂCHÉE… contempler ce monument d’aussi près. Et
puisque tout le monde est à point, un “Hush”
Voir les Pretenders en concert en 2017 reste un privilège qui ne se refuse pas. Placés en première partie
de Deep Purple, Chrissie Hynde et ses boys ne sont pas forcément la tasse de thé des bikers venus au
enthousiaste envoie l’affaire aux orgasmes
rendez-vous des métalleux. De fait, la front girl aura fort à faire avec une foule pas toujours amicale. avant qu’un dernier “Black Night” ne vienne
Notamment lorsqu’elle demande à dix reprises au moins qu’on arrête de la flasher à coup de clôturer la nuit. Gillan et les autres peuvent
smartphones. “We’re a rock band, this is not a fuckin’ Take That show˜!”, s’écrie-t-elle en s’arrêtant en quitter la salle avec cette certitude : que ce
plein milieu d’un titre. Fallait pas l’énerver. Elle reprend alors le doigt tendu bien haut une setlist pavée soit dans les allées roots des festivals
de hits gratinés : “Don’t Get Me Wrong”, “The Wait”, “Holy Commotion”. Chauffée à blanc, Chrissie, d’Europe ou aux marches des palais, le rock
© JIM RAKETE

hilare, finit par s’excuser de ses réflexions. Et balance un “I’ll Stand by You” qui devrait lui valoir un de Deep Purple, malgré leur retraite annon-
pardon éternel pour toutes ses fautes… V. G. cée, a conservé une sacrée puissance de feu,
sur tous les terrains.

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Etoile
Du
 Il a eu une enfance dorée
et traversa bien des drames
avant de devenir Premier
ministre du Canada. Justin
Trudeau est-il le dernier
espoir du monde libre ?

Nord
P
our commencer, sy n-
chronisons nos montres.
Calons-nous sur le bon fu-
seau horaire. La session
parlementaire s’achève et le Premier
ministre canadien Justin Trudeau va
répondre à la presse. Ils sont tous là, les
reporters, entassés dans la salle, gro-
gnons, bougons, comme d’habitude,
pestant contre les embouteillages ou
leurs rédacteurs en chef. Dans un coin
de la salle, quelqu’un donne le top, le
compte à rebours avant la prise d’an-
tenne. “10 secondes !”, clame-t-il. Tru-
deau monte sur l’estrade, se glisse der-
rière le pupitre, fait un rapide signe de

Par Stephen Rodrick


tête et égrène les mesures qu’il vient de
faire passer. Il commence par rappeler
qu’il a baissé les impôts qui pesaient sur
la classe moyenne et qu’il a augmenté les
taxes pesant sur les plus riches. “Grâce
à nous, dit-il, neuf familles canadiennes
sur dix ont plus d’argent pour financer
l’éducation de leurs enfants.” Être là, à
© MARTIN SHOELLER

ce moment, assister à cette scène, c’est


quelque chose, vraiment ! Le Premier
ministre s’exprime tout en modulation.

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Justin
Trudeau

Il a une voix caverneuse. Ses cheveux sont d’un milite activement pour sa dépénalisation. Trump autres peuples nous regardent en disant “Ah ! Vous
brun profond presque sauvage. Chez lui, il a laissé a jeté aux orties les accords de Paris. Trudeau fait êtes canadien – sous-entendu ‘Pas américain’ –,
une femme et trois enfants qui savent prendre la pression sur les grandes villes américaines et les vous êtes là pour nous aider. Vous n’êtes pas seu-
pose devant les photographes, mais qui sont en- États de l’union pour qu’ils réduisent les émissions lement là pour notre pétrole ou pour nous dire ce
core trop jeunes pour l’accompagner au sommet de gaz. Et pour faire face à la vague d’overdoses qui que nous devons faire.” Ça, c’est la canadian touch !
du G20 et encore moins pour se mêler à ses côtés a frappé le pays, Trudeau a ouvert d’urgence des Pendant sa campagne, Trump a déclaré que
à une affaire d’espionnage, si vous voyez ce que je salles de shoot, tandis qu’en Amérique, le nombre l’OTAN était obsolète. Trudeau n’est pas d’accord.
veux dire… Quand Trudeau se lance dans l’apolo- d’overdoses atteint de nouveaux records. Et puis, il Pour lui, le Canada doit étendre son influence dans
gie du féminisme et du droit des femmes (celles- y a la Russie. Côté US, le fils de Trump aurait utilisé le monde. Des soldats canadiens sont position-
ci représentent plus de la moitié de son cabinet), des agents russes pour monter des dossiers contre nés en mer Baltique pour contrer une éventuelle
ses inflexions changent, sa voix se fait plus douce, Hillary Clinton. Côté Grand Nord, le ministre agression russe. C’est la plus forte mobilisation
presque câline, mais ferme. Il garde la main. Tru- des Affaires étrangères de Trudeau est d’origine de troupes en Europe depuis plus d’une décennie.
deau maîtrise. Ses mots sont pesés, cohérents. Pas ukrainienne. Elle s’appelle Chrystia Freeland. Trudeau m’a rapporté une histoire. Elle concerne
besoin du Littré ou d’un dico quelconque pour Elle est persona non grata dans la Russie de Pou- Harjit Sajjan, son ministre de la Défense. Autre-
comprendre ce qu’il a voulu dire. Il évoque, tour tine. “Notre soutien à l’Ukraine, même militaire- fois, c’est lui qui dirigeait les troupes canadiennes
à tour, les mesures prises contre le Fentanyl, cette ment, nous positionne de manière claire quant au en Afghanistan.
drogue plus puissante que l’héroïne qui a fait des fait que la Russie reste un acteur contreproductif Sajjan est né au Penjab, en Inde. Il porte un
ravages cet hiver ou la baisse du taux de chômage. dans la dynamique internationale.”, m’a confié turban. Un jour, un chef afghan s’étonnait de la
Le Premier ministre canadien a parfaitement Trudeau. Il veut un “Canada great again”. Et pour présence de Sajjan. Le chef tribal voulut savoir s’il
intégré la faconde clintonienne, son talent pour y parvenir, il a une méthode bien à lui. faisait partie de l’armée indienne. Quand il lui a
répondu qu’il dirigeait les troupes canadiennes,
l’Afghan ouvrit de grands yeux ronds. Sans bou-
« C’est l’image du Canada, la manière dont ger, il balança : “Eh, attendez ! Mais comment un
homme comme vous peut diriger une armée de

les autres peuples nous regardent. Ils disent : soldats canadiens ?” Trudeau ménage son effet.
À l’évidence, il adore raconter cette anecdote.
“Harjit a répondu : ‘Eh ben ouais ! C’est bien ça.’
“Ah ! vous êtes canadien – sous-entendu Le chef tribal l’a fixé un long moment avant de
lâcher : ‘Bon, bon. Alors vous allez pouvoir nous

‘Pas américain’ – vous êtes là pour nous aider ! » aider.’ C’est ça, la force des Canadiens !”
Les Trudeau-sceptiques prétendent qu’il est

C
“émotionnellement intelligent”. C’est une manière
trouver les mots justes : “Nous faisons tout ce qui e reportage a commencé l’été très canadienne de dire que c’est un niais. Grave
est en notre pouvoir pour permettre aux citoyens dernier. Pendant que nous pre- erreur ! Trudeau est le fils de Pierre Trudeau, an-
de décrocher de bons jobs et aux familles de se pro- nions place pour une longue in- cien Premier ministre canadien pendant quinze
jeter dans l’avenir, pour que tous gardent espoir, terview dans des chaises en ans et figure historique du Canada du xxe siècle.
dit-il. Mais nous savons que le plus dur reste à bois sculpté de son bureau de Il y a des choses qu’il a apprises sur les genoux de
faire. Rien n’est encore gagné.” À la fin, Trudeau Parliament Hill, il a commencé par ôter sa veste. son “Papa”. Mais Justin s’est forgé son propre mode
prend la presse à témoin. “Le débat entre vous et Ses manches étaient remontées. Il portait une de pensée, une grille de lecture bien à lui. Jusqu’à
nous est au cœur de la démocratie canadienne. cravate bleue, une chemise blanche et ses chaus- la mort de Fidel Castro, il n’a cessé de déclarer que
Quand vous faites bien votre boulot de journa- settes étaient ornées d’un élan. Pour être tout à le Líder Màximo était “un grand chef qui avait
listes, cela nous oblige à être à la hauteur. Alors, fait sincère, Trudeau me fait penser à Obama. Il a servi son peuple”, sans faire beaucoup de cas des
surtout, ne lâchez pas l’affaire.” la même façon de sourire et d’écouter sans bron- coups tordus et des violences que Castro pouvait
Mais où sommes-nous ? Dans le monde de cher quand je lui parle de ma femme canadienne. commettre dans l’ombre. Pour le Canada Day, le
Narnia ? Dans le carré des secours au festi- Pour Trudeau, l’écoute est une arme de séduction 14-Juillet de nos cousins d’Amérique, Trudeau a
val de Coachella ? Même pas. Nous sommes à massive. Mais dès que je commence à lui poser mentionné toutes les provinces du pays, sauf une :
Ottawa. En Ontario. À 900 kilomètres à peine de des questions, tout s’aligne, tout se met en ordre de l’Alberta. Il est revenu sur scène pour tenter de
Washington D.C. Et pourtant, nous sommes dans marche, éloquent sur sa vie, sous contrôle quand il rattraper le coup. “Laissez-moi juste vous dire que
un autre monde. Alors, suivez le guide. Accrochez- s’agit de politique. Pendant que nous échangeons, je suis un peu embarrassé – je me suis emballé à
vous à moi, car nous allons plonger au cœur d’une il est souriant, son regard bleu vissé dans le mien. propos des Rocheuses canadiennes. Mais Alberta,
nation dirigée par un type pas comme les autres, Mais à chaque fois que le nom de Trump surgit, il toi aussi je t’aime. Joyeux Canada Day !” Quelques
un mec qui se présente sur les plateaux de télévi- change, il esquive, d’un air de dire “Pas de ça entre minutes après, des politiciens de l’Alberta faisaient
sion en T-shirt de H2G2, Le Guide du voyageur nous, mec !” Il recentre le débat : un Canada fort, déjà courir le bruit que cet oubli n’était pas une
galactique, qui se balade en monocycle, capable mais ouvert. Je lui ai demandé pourquoi son pays, erreur, qu’il était volontaire.
d’accueillir à bras ouverts 40 000 réfugiés syriens. qui est coincé entre deux vastes océans et une Cet homme-là est capable de surgir de nulle
Le contraste entre ici et là-bas, n’est pas seule- superpuissance, avait augmenté de 14 milliards part, comme un dauphin ; enfant, il a voyagé dans
ment formel. Pendant que Trump réduit les aides d’euros ses dépenses militaires. Il m’a répondu le monde entier, avec son père, comme s’il faisait
aux associations américaines favorables à l’avorte- que son pays était très engagé dans les affaires du partie de sa délégation. Il s’aime. Il est très narcis-
ment, Trudeau augmente leurs financements pu- monde. Ensuite, il est revenu sur la spécificité du sique (ses adversaires le surnomment “Shiny Pony”,
blics. D’un côté de la frontière, il y a un ministre de Canada. “Un Canadien, qu’il soit diplomate, em- un personnage de dessin animé). Un jour, avant
la Justice, Jeff Sessions, qui remet en question les ployé d’une ONG ou soldat, a une image particu- un débat décisif, alors qu’il comparait son destin à
lois autorisant l’usage du cannabis à but thérapeu- lière. Partout dans le monde, le Canadien est consi- celui d’Obama, sa femme lui saisit brutalement le
tique. De l’autre, au Nord, Trudeau admet avoir tiré déré comme un citoyen à part, explique Trudeau. bras. Elle le fixa droit dans les yeux et lui balança :
sur un joint pour fêter son élection au Parlement, et Je veux dire, l’image du Canada, la façon dont les “Sois humble !” Sophie et Justin se sont rencontrés

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1
2 Quand Trudeau
devient un homme
(1)Pierre et Margaret
Trudeau, avec leurs
trois fils. (2)Justin a
hérité de son père sa
passion pour le canoë.
(3)Pierre Trudeau
est mort peu après
l’avalanche qui a
emporté son frère
Justin. “J’ai bien vu
que c’était ce qui
avait tué mon père,
confie Trudeau.
Il n’accepta jamais
l’idée que Dieu
puisse lui prendre
son fils.”

dans leur ville natale, à Montréal. Et dès leur pre- ses énergies fossiles. Aucun puits de pétrole du Le rail c’est cher, c’est sale et on n’est jamais à l’abri
mier rendez-vous, Justin s’est mis en tête que c’était Dakota du Nord américain ne peut rivaliser avec d’une catastrophe. L’option Keystone est la plus
la bonne, qu’il allait l’épouser. ceux de l’Alberta. Cette province canadienne est sûre.” Argument discutable, au moins aux yeux
Trudeau ne traîne pas sur les greens de golf. trouée comme un gruyère, plantée de milliers de des types qui ont planté leurs tentes à Standing
Il préfère dévaler les pentes en snowboard. Il est puits et de foreuses. Je lui ai demandé comment Rock pour protester contre son projet d’extension.
humain. Il a le goût du risque. Quand il était plus il s’accommodait de cette réalité, lui qui se pique En Amérique, on connaît moins le Trudeau qui
jeune et plus simple d’esprit, il s’amusait à se jeter d’être un des grands supporters des accords de soutient l’expansion du réseau d’oléoducs Trans
du haut des marches pour faire marrer ses potes. Paris sur le climat. “C’est une vraie question”, Mountain, transportant le pétrole de l’Alberta vers
Pour faire plaisir à son fils Hadrien qui jouait Le lâcha-t-il, sans se laisser démonter. “Il faut bien la côte de la Colombie-Britannique, pour le vendre
Petit Prince de Saint-Exupéry, Justin Trudeau s’est l’avouer : on ne peut pas se passer du gaz, des car- aux marchés asiatiques. “La vraie question est de
pointé sur la scène déguisé en aviateur. Cet homme burants fossiles. Nous ne sommes pas prêts. Il va savoir si nous voulons mettre tous nos œufs dans
a un sens de l’humour très particulier, mais il se falloir quelques décennies avant d’y parvenir.” Il le même panier. Est-ce que nous voulons rester
défend d’en user contre ses ennemis. Trudeau est réfléchit. “On peut réduire leur utilisation, mais dépendants du seul marché américain ? N’est-il
un centriste. Un optimiste aussi. Solaire. Rien à la transition énergétique va prendre encore un peu pas préférable de s’ouvrir à l’international pour
voir avec le long règne de son prédécesseur Stephen de temps.” Trudeau l’écolo est aussi un supporter du accéder à de nouveaux marchés ?” Question très
Harper et ses méthodes à la Dick Cheney. Dans fameux oléoduc Keystone, qui part des sables bitu- rhétorique, du moins posée ainsi. Malgré toutes
son bureau aux murs couverts de portraits de rois mineux de l’Alberta et traverse tous les États du ces contradictions, ce jeune Premier ministre est
de France – où je l’ai entendu siffloter le refrain nord des États-Unis sur près de 3 500 kilomètres. progressif, cartésien. Il a une vista, comme on dit,
“Like a Rolling Stone” de Dylan –, il me montre Cette double casquette, cette position un peu schi- une vision de l’avenir. Oui, il est né avec une cuil-
un tableau de Louis XIV. “Lui aussi était solaire”, zophrénique, est d’autant plus forte que Trudeau lère d’argent dans la bouche. Mais il est en phase
blague-t-il. Ce Premier ministre-là n’en finit pas doit faire face au legs de son père. Quand Pierre avec ses concitoyens. Et la vie ne l’a pas épar-
de surprendre son monde. Il se fait prendre en Trudeau était Premier ministre, il s’en est pris à gné. Il a vécu des drames personnels. La majorité
photo dans toutes les situations, en train de faire cette industrie. Il a taxé les profits des industries des Canadiens est persuadée qu’il a vraiment à
du kayak, ou de jogger. Récemment, il a inter- pétrolières de l’Alberta pour les redistribuer dans cœur de défendre ses 36 millions de concitoyens.
rompu sa course dans les rues de Vancouver pour tout le pays. Ces grands patrons s’en souviennent. En 2015, Trudeau est allé à la rencontre des réfu-
faire une série de selfies avec des étudiants habil- Ils l’ont encore mauvaise. Et Trudeau fils doit faire giés syriens. Avec d’autres bénévoles, il leur a dis-
lés pour leur bal de fin d’année. Son photographe avec. Justin Trudeau se souvient encore de cette tribué des manteaux pour l’hiver. Un an plus tard,
officiel est toujours dans les parages. Un autre conférence qu’il a donnée il y a quelques années l’un d’entre eux a profité de son passage sur une
Trudeau-sceptique m’a confié l’autre jour que, s’il à Calgary. Quand il quitta la scène, un homme radio pour le remercier personnellement. Trudeau
devait se présenter contre lui aux prochaines élec- s’approcha de lui et lui dit : “Bien, bien ! Très bon en a pleuré. Un autre a appelé son fils Justin, en
tions, il demanderait à des clodos et à des pauvres discours. Heureux de vous avoir rencontré – pas guise d’hommage. Quel contraste avec Trump qui
© GETTY IMAGES. DR.

de brandir des panneaux pour exiger d’être pris en comme votre père, ce sac à merde !” Dont acte. Pour veut interdire l’accès au sol américain aux musul-
photo avec Trudeau. Pourquoi pas… Trudeau, la question est la suivante : “Comment on mans et à Mike Pence, qui a osé aller devant les
Le Canada n’a pas résolu tous ses dilemmes. Il fait pour transporter tout ça ? Il ne faut pas se men- tribunaux pour empêcher les réfugiés syriens de
reste dépendant de son voisin américain pour tir. Les camions sont chers et en plus, ils polluent. s’installer en Indiana ! “Si nous avons décidé d’ac-

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Justin
Trudeau

cueillir 40 000 réfugiés syriens, ce n’est pas parce bon paquet de sujets, dit-il en desserrant son nœud tant tout sourire sur le perron de l’hôpital d’Ottawa
que notre gouvernement a envoyé là-bas quelques de cravate. Mais les Canadiens me demandent de pour annoncer la naissance du divin Justin.
avions ou que nous avons signé un quelconque faire le grand écart, en tenant ferme sur nos points “Ce gars est né sous le feu des projecteurs.”
décret”, me confie Trudeau. “Si nous avons pris de désaccord sans mettre en péril tous nos inté- Dès le début, commente Terry DiMonte, DJ à
cette décision, c’est parce que des Canadiens ont rêts commerciaux.” Puis il ajoute, en parlant de Montréal et ami proche. Il le connaît depuis les
accepté de leur ouvrir leurs maisons, leurs églises, Trump : “Nous avons des échanges constructifs. Je années 1980, depuis que le jeune Justin a passé
leurs associations. Ils disaient : ‘À nous de jouer, à ne suis pas du genre à bondir à la moindre frustra- une annonce sur une radio locale pour tenter
nous de nous mobiliser pour offrir à ces hommes et tion, à lui sauter dessus, à l’insulter dès qu’il ouvre de dénicher des places pour un film qui affi-
à ces femmes, qui ont traversé une crise terrible, des la bouche. Il faut maintenir ce dialogue.” Trudeau chait complet. C’est un héros shakespearien. Une
lendemains meilleurs.’ Nous avons pris conscience n’est plus un gosse comme du temps de son père sorte de Camelot version Grand Nord canadien.
qu’en faisant venir ces réfugiés ici pour leur offrir et des photos de famille à la JFK. Dans ce bureau, Dans son bureau de Parliament Hill, Trudeau

L
une vie meilleure, nous rendons le monde meil- désormais, c’est lui le patron. me montre un recoin, une planque, l’endroit où
leur et nous rendons nos propres communautés e soir après sa conférence de il aimait se cacher quand il jouait dans les pattes
meilleures elles aussi. Si j’ai pris cette décision, presse, le Premier ministre se de son père. “C’est drôle, mais, dans mon sou-
c’est bien parce que les Canadiens étaient prêts à pointe avec sa femme Sophie à une venir de gosse, les murs étaient plus clairs. J’ai
le faire, parce qu’ils sont ouverts, généreux et qu’ils soirée de gala où tous les invités regardé les photos de l’époque, pour comparer. Ce
nourrissent de grands espoirs pour notre pays.” sont en costard et ressemblent au sont les mêmes. Rien n’a changé, en fait.” Après
Il y a quelque chose d’étonnant dans toute cette pingouin de Linux. La scène se déroule au bal de sa naissance, deux autres fils naquirent. Mais
histoire. C’est que Trump aime Trudeau. Quand Rideau Hall, la résidence officielle du gouverneur il n’y a que Justin qui accompagnait son père,
il a débarqué en Australie, il a décrit Trudeau général. Le président italien est en visite officielle. comme sur cette photo de lui exhibant son yo-yo
comme “son nouvel ami”. Peut-être est-ce dû au Au menu, cochon de lait, panna cotta au coulis sous les yeux du Premier ministre de la Suède, ou
fait que sa fille Ivanka lui faisait les yeux doux de cerises du Niagara et compote d’abricot. Les cette autre prise pendant qu’il récite un poème
pendant sa précédente visite à la Maison-Blanche. Canadiens détestent ça, mais parfois Trudeau et à Ronald Reagan intitulé “The shooting of Dan
À moins que ce ne soit parce que Trudeau aug- ses jeunes conseillers s’y soumettent, en petits gars McGrew”. Son père préférait les grands classiques
mente de 70 % le budget militaire de son pays, bien-pensants et bien sous tous rapports, comme de la littérature. Sur un autre cliché, on aperçoit
satisfaisant l’obsession de Trump de voir ses al- dans une série de Netflix. Il faut reconnaître que Justin jeune pris en flagrant délit de zyeutage
liés traditionnels assumer le coût de leur propre Trudeau est suffisamment bien balancé pour riva- pendant que Lady Di se prélasse dans la piscine
défense nationale. “Nous avons un grand voisin liser avec Gary, le héros de la série comique Veep, de la résidence officielle. “C’est comme ça que j’ai
au Canada et Justin fait un boulot incroyable”, a diffusée sur HBO. À ceci près qu’il n’est pas très compris que les affaires internationales repo-
martelé Trump lors du sommet du G20. Au même branché pince-fesses, dîners en ville, si chers à saient sur les relations humaines, et la manière
moment, Trudeau jouait au jeu du mépris avec lui, feu Pierre Trudeau, son père. Justin bosse, sym- de se comporter avec nos interlocuteurs, confie
renforçant les conventions environnementales pathique, attachant, balançant à l’occasion un Trudeau. La manière de les écouter. En vérité,
je ne parle pas de la même manière avec Merkel
et avec Trump.” Trudeau en profite pour dénon-
« Pour tenter de me déstabiliser, les gens cer les affirmations du Spiegel qui prétend qu’il
aurait demandé à Merkel de lever le pied avec

disaient : ‘Il est très différent de son père. Trump au lendemain de sa sortie des accords
de Paris. Pierre Trudeau, le père, était considéré
comme un homme de grande valeur aux yeux de
Il tient surtout de sa mère.’ Et moi, ses concitoyens. Il a orchestré la rédaction d’une
nouvelle Constitution pour le pays. Il a maintenu

je répondais : ‘Merci, merci beaucoup.’ » l’unité du pays lors des velléités sécessionnistes du
Québec francophone – recourant tour à tour aux
urnes et aux armes, selon les circonstances. En
avec les États et les dirigeants membres du groupe clin d’œil à untel, un petit coup de coude à un octobre 1970, le Front de libération du Québec
des fameuses vingt nations les plus industrialisées autre. C’est un garçon de son temps. Un homme a assassiné un ministre provincial et kidnappé
de la planète. Le New York Times rapporte que du xxie siècle. un diplomate anglais. Pierre a envoyé les troupes
Trudeau aurait engagé l’ancien Premier ministre Justin est tombé dedans quand il était petit. Il dans les rues de Montréal. Et lorsqu’un journa-
conservateur Brian Mulroney pour gérer Trump, est du coin. Il y est né. Il a grandi à moins d’un kilo- liste lui a demandé jusqu’où il était prêt à aller
et que le gouvernement canadien se serait payé les mètre du 24, Sussex Drive, la résidence officielle du dans la restriction des libertés publiques, ce Pre-
services d’un lobbyiste américain pour assouplir la Premier ministre. Enfin, en temps normal. Parce mier ministre, qui se targuait d’être moderniste, a
ligne proaméricaine, America First, Buy American qu’au moment où j’écris ces lignes, la résidence de simplement lâché : “Regardez bien”. Mais en dépit
d’Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New Trudeau est en rénovation. C’est le problème avec de l’image qu’il voulait donner, la maison Trudeau
York. Un mauvais coup pour les relations commer- les vieilles résidences officielles. Avec sa petite fa- était déjà sens dessus dessous. Les intuitions poli-
ciales du Canada. Trudeau n’aime pas ces tracas- mille, l’actuel Premier ministre a dû se rabattre sur tiques de Pierre masquaient une grande fragilité,
series. Il préférerait que ses voisins d’Amérique, un petit “cottage” d’à peine 3 000 mètres carrés, une véritable obsession pour l’embrigadement, le
ceux des 48 États d’en dessous, n’en mentionnent situé quelques centaines de mètres plus loin. Mais contrôle, traçant chez lui, dans sa propre maison,
pas même l’existence. “Je ne pense pas que moi ou toujours dans le quartier de naissance de Trudeau. des étages où Justin et ses frères devaient s’expri-
le Canada ayons quoi que ce soit à gagner à jouer Lequel est né le soir de Noël. En 1971. Dès sa nais- mer en français, et d’autres où l’anglais était de
les fiers-à-bras. Seuls les faits comptent”, lâche- sance, il fait parler de lui. Quelques lignes déjà, mise. Sous contrôle, donc, même en 1977, lorsque
t-il en prenant place dans ce bureau de Premier dans la presse nationale. Fils de… Cette année- monsieur Trudeau père fit mine d’improviser
ministre dans lequel, des années plus tôt, un peu là, Pierre Trudeau, 51 ans, épousait en urgence une pirouette facétieuse dans le dos de la reine
comme les Kennedy, il jouait, enfant. “C’est clair la jeune mère de son fils, Margaret, 22 ans. Les Elizabeth à Buckingham Palace. Il voulait expri-
que je ne partage pas les positions de Trump sur un caméras ont fixé ce moment. Trudeau senior sor- mer tout le mépris des Canadiens pour la pompe

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1 nique à partager des glaces avec des supporters
Le bon vivant sur les rives de la rivière Saint John, dans le cadre
(1) Sportif, Trudeau aime se mettre en scène. idyllique de Grand Bay-Westfield, au Nouveau-
(2) En 2005, il épouse Sophie. Ils ont trois enfants. Brunswick. Image de carte postale. Il est encore à
ses photos quand son équipe le pousse gentiment
2
vers sa berline. La journée se poursuit à merveille,
sans le moindre accroc, jusqu’à ce que le convoi
quitte brutalement l’autoroute pour s’engager sur
un sentier du Nouveau-Brunswick. Je ne com-
prends pas ce qui se passe. J’imagine une crise
un match de badminton. Mais les choses ou une menace sur la sécurité nationale. Je vois le
ne vont pas se dérouler comme prévu. Il Premier ministre qui descend la vitre de sa por-
est pris d’assaut par une vague humaine, tière et balance son cône glacé. Tout un détour
littéralement cerné par des gosses qui se pour ne pas être vu en train de jeter ce cône sur
ruent, le tirent, le poussent dans un vo- une autoroute nationale. Ce culte de la personna-
lume sonore équivalent à la sonnerie de lité, ce contrôle de l’image, toute cette conquête du
6 000 téléphones portables. Trudeau attire pouvoir a débuté des années plus tôt.
cette énergie. Il s’en nourrit, pas comme Tout a commencé par une avalanche et une

Q
élisabéthaine. “Mon père a perdu son père quand son père, mais plutôt comme l’ancien premier marche funèbre.
il avait 15 ans. Ça l’a bousillé, m’a confié Trudeau. ministre de la Colombie-Britannique : James uand il se retira du monde
Ça l’a marqué à vie.” De son côté, sa mère, du Sinclair, le père de Margaret. Sinclair était très politique en 1984, Pier re
haut de sa vingtaine d’années, explosait sans pré- fort pour ça, pour se jeter dans la mêlée, aller à Trudeau retourna avec ses
venir. Margaret souffrait de troubles bipolaires. la rencontre des gens et donner à chacun, qu’il trois fils Justin, Alexandre et
Pierre et Margaret Trudeau divorcèrent quand soit ministre ou bien mineur, le sentiment d’être Michel, dans sa demeure Art
Justin avait 6 ans, trop jeune pour accompagner important à ses yeux. Son -petit-fils a hérité de lui déco de Mount Royal. Pierre occupait tout un
seul son père sur ses visites d’État, pas assez fort ce talent-là. Ça fait partie de son style. Trudeau étage, immense, aux murs couverts de livres et
encore pour consoler sa mère, capable de débar- se concentre sur les individus, il fait fi des bar- de souvenirs, pendant que ses trois fils s’entraî-
quer à la sortie de son école pleurant toutes les rières sociales, des conventions, pour permettre naient à la lutte sur les tapis du rez-de-chaus-
larmes de son école parce que son petit ami de la le dialogue, même avec ses conseillers proches. sée. Le soir, ils se retrouvaient tous les quatre
veille venait de la quitter. “Ma mère a toujours été Trudeau se laisse entraîner par un groupe d’ado- autour d’un bon dîner et le pater familias leur
très généreuse, sensible, vulnérable et pourtant si lescentes vers le gymnase. L’ambiance est à la parlait de Shakespeare et de Thomas Hobbes.
forte”, se souvient-il. “Il a fallu qu’elle tienne face à fête, avec une pointe de nostalgie, un ressenti- Justin intégra un lycée prestigieux tenu par des
ce trouble mental. Il lui fallait bien du courage”, ment étouffé, à la canadienne. Ces enfants sont jésuites ; il y avait des élèves juifs, des protes-
dit-il, marquant une pause et souriant. “Elle les héritiers de la Grande Expulsion de 1755, tants aussi. Certains ont bien essayé de le faire
comprenait les gens et tissait des relations très quand les Britanniques poussèrent les Acadiens réagir sur les gros titres des journaux à propos
étroites avec eux. Ma mère était douée pour cela, francophones à l’exil vers le Maine, la France ou de sa mère, mais ils étaient rares et Justin a plu-
plus que mon père.” encore la Louisiane. Mais aujourd’hui, c’est du tôt été épargné. Son camarade de classe, Marc
Enfant, Justin a dû subir les unes des journaux passé. Il y a beaucoup d’amour. C’est quelque Miller, se souvient qu’il était “plus un acrobate
évoquant les frasques de sa mère, qui faisait la chose que je n’ai jamais ressenti en fréquentant qu’un athlète”, capable de débarquer au lycée
fête avec les Rolling Stones et dansait jusqu’au d’autres hommes politiques. C’est obamesque, si dressé sur son monocycle tout en jonglant avec
bout de la nuit au Studio 54, une boîte cana- tant est qu’Obama ait pu se retrouver dans un tel des quilles ou des balles de tennis. “Il n’était pas
dienne à la mode. Quand il a fait ses premiers bain de foule, si ses services de sécurité avaient du genre à s’enfermer dans une catégorie type,
pas en politique, les mauvaises langues disaient laissé faire cela. “Souvenez-vous de Roosevelt à parmi d’autres mâles alpha”, précise Miller, au-
qu’il ressemblait plus à sa mère qu’à son père. la radio”, minore le journaliste canadien Noah jourd’hui secrétaire parlementaire.
Qu’importe. Justin traça sa route. “Mon père, Richler, ancien candidat socialiste à un siège de Trudeau garde un souvenir très fort des
dit-il, était quelqu’un d’incroyablement fort. Il parlementaire. “Churchill était un grand orateur. balades en famille, avec son père et ses deux
était brillant. C’était une grande figure, au sens Trudeau est très mauvais à l’oral. Mais il est beau frères, dans tout l’arrière-pays, les grandes
classique du terme. Mais il portait aussi cette gosse.” Quelques minutes plus tard, Richler se ra- marches, l’escalade, le kayak. Quand ils se re-
fragilité intime, cette faiblesse qui pouvait faire vise un peu et concède : “Il aime son boulot – c’est trouvaient à table, Pierre devait pressentir qu’il
de lui un homme distant, émotionnellement dis- amusant de le regarder faire.” n’aurait probablement pas la chance de suivre
tant.” Justin affiche un sourire triste. “Certains Pour Trudeau, cette exposition n’est pas seu- la carrière de son fils. C’était comme s’il était
faisaient feu de tout bois pour m’atteindre, ils lement liée à son propre ego. “J’ai la conviction pressé de lui transmettre tout ce qu’il pouvait,
disaient : ‘Il est très différent de son père. Il tient très profonde qu’on ne peut pas faire ce job si on partager son expérience. “Il nous répétait sou-
surtout de sa mère.’ Et moi, j’avais envie de leur n’est pas en prise avec les gens”, me dit-il sur le vent que nous devions être capables de faire un
dire ‘Merci, merci beaucoup.” chemin du retour vers Ottawa. “Ça signifie être feu même sous l’averse, se souvient Justin. Il
Trudeau m’a invité à l’accompagner en ber- assez disponible pour qu’ils se sentent proches de voulait que nous soyons prêts à affronter toutes
© GREG KOLZ. BERNARD WEIL/CORBIS.

line, pour suivre avec lui les jeux de l’Acadie, à vous.” Le reste du déplacement est joyeux. Autre les situations, dans tous les domaines.” À l’oc-
Fredericton au Nouveau-Brunswick. À l’arri- visite. La caserne de Fredericton qui célèbre son casion, Justin faisait des apparitions publiques,
vée, j’ai bien essayé de sortir, mais ma portière 200e anniversaire – il me confie que sa femme lui à la grande joie des Canadiens. À 18 ans, il a pris
était verrouillée. “Il faut que tu attendes qu’ils en veut parce qu’il refuse de la laisser l’accompa- part à un débat entre lycéens, affirmant que le
t’ouvrent la porte”, dit-il en pointant du menton gner au milieu de ces beaux gars, ces pompiers. Québec devait rester au Canada. Il a défendu
les officiers de la police royale canadienne. Il gri- Trudeau est chaud. Il saute sur le toit d’un camion cette opinion en utilisant parfois le français
maça avant de lâcher : “Il m’a fallu six mois pour de pompier, manipule les équipements. Une heure et certaines formules comme “le Canada ne
m’y habituer.” Au planning, Justin doit suivre plus tard, il est debout sur une table de pique- chie pas sur le Québec”, montrant à l’occasion

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Justin
Trudeau

qu’il pouvait se montrer aussi incisif que son savait qu’il allait être sous le feu des projecteurs”, tante, une Haïtienne, mais les Haïtiens ont
père. Il a fait McGill à Montréal, où il s’est ini- se souvient DiMonte. Les funérailles nationales voté pour moi.” J’avais ma prochaine question
tié aux grands débats de société, nouant une se déroulèrent le 3 octobre, avec Castro et Jimmy sur le bout de la langue, mais Trudeau a enchaî-
solide amitié avec Gerald Butts, un de ses plus Carter aux premiers rangs. Justin évoqua la mé- né. “Au Canada, explique-t-il, les électeurs ne
proches collaborateurs aujourd’hui. “Pour moi, moire de son père, et finit sur une citation de votent pas pour un représentant de telle ou telle
la plus grande chose que Justin est parvenu à Robert Frost : “Il tint ses promesses et mérita son communauté. Ils votent pour des valeurs.” Pas
accomplir c’est d’avoir su rester normal”, com- repos.” En lisant ces dernières lignes, Justin se mit comme aux États-Unis d’Amérique, où le triba-
mente Butts. Une fois son diplôme en poche, à trembler. Il était en larmes. “Je t’aime, Papa”, lisme et l’appartenance ethnique prédominent.
il s’est rendu dans le Grand Ouest, employé ajouta-t-il en français avant de s’incliner et de “Ma vision du pays, poursuit-il, reflétait tout
comme moniteur de snowboard tout d’abord, poser le front sur le cercueil recouvert du drapeau simplement celle de mes électeurs.”
puis comme prof à Vancouver. Son enfance, sa canadien. Puis il alla se réfugier dans les bras Plus récemment, le principe du vivre et laisser
longue période d’insouciance, a duré jusqu’à de sa mère et de son dernier frère. Le buzz était vivre, si cher à la nation canadienne, a été mis à
ses 26 ans. Cette année-là, Trudeau reçut un lancé. Les gens s’interrogeaient sur le destin poli- rude épreuve. En janvier dernier, un Canadien
coup de fil lui annonçant que son frère Michel tique de Justin. Il a commencé juste avant la mort de 27 ans a froidement assassiné six musulmans
venait d’être emporté par une avalanche, alors de son père. Un avant le décès de Pierre Trudeau, dans une mosquée de Québec. Trudeau a rappelé
qu’il skiait près du lac Kokanee, en Colombie- Justin s’assit pour l’un de leurs fameux déjeu- sa confiance en l’esprit d’ouverture des Canadiens,
Britannique. La coulée de neige l’avait emporté ners de famille. Justin voulait parler de son peu mais le pays et ses chefs politiques ont été durable-
vers les eaux glacées du lac. Et malgré tous d’entrain pour la chose politique. Il a attendu. Il ment affectés.
“Les gens de confession musulmane sont trop
souvent victimes du terrorisme, hélas”, lâche Tru-

« J’ai la conviction très profonde qu’on ne peut deau. Quel contraste avec les mesures de ban-
nissement de Trump ! La suite de la carrière de
Trudeau, de la députation au poste de Premier
pas faire ce job si on n’est pas en prise avec ministre peut paraître moins romantique, moins
élégante, en passant par un vrai ring de boxe. Elle
les gens », dit-il en se fondant dans la foule. est le résultat d’une stratégie plus réfléchie qu’il
n’y paraît.
Pendant longtemps, le désir assumé de
les efforts des amis qui l’accompagnaient, sa attendait le bon moment. Il voulait s’assurer de la Trudeau d’apprendre les us et coutumes des gens
dépouille n’a jamais été retrouvée. La nation pérennité et du soutien du Parti libéral. Les libé- d’Ottawa a été altéré par ce nom lourd à porter et
tout entière se souvient du ballet incessant des raux étaient déjà sur le déclin, occupant 172 sièges sa grande gueule. En 2011, Trudeau n’a-t-il pas
hélicoptères et des plongeurs occupés à retrou- en 2000, et seulement 34 en 2011. La vieille garde qualifié de “grosse merde” un député conserva-
ver “Miche”, comme le surnommaient ses amis. gauchisante était déjà en train de dépecer ce qui teur en pleine Chambre des Communes lors d’un
C’était filmé. Justin rentra à Montréal pour re- restait du parti. “Il sentait, raconte Butts, que le débat houleux ? Il a fallu qu’il s’en excuse. Mais le
joindre son père. La météo était mauvaise. Et la parti devait aller au bout de cette déchéance pour mal était fait. Et les médias conservateurs n’hési-

T
famille Trudeau prit la décision de faire inter- mieux se réinventer ensuite.” taient pas à rappeler que ce jeune ambitieux avait
rompre les opérations de sauvetage. Le corps du rudeau est retourné sur aussi le sang chaud. L’année suivante, il a été bien
plus jeune des fils Trudeau repose encore dans le chemin de l’école, pour un mal inspiré d’accepter de monter sur un ring et de
le lac. Justin resta à Montréal et, avant la fin doctorat d’ingénieur. Il fit aussi mettre les gants contre le sénateur conservateur
de ses études, apprit que son père était atteint l’acteur dans une production Patrick Brazeau dans le cadre d’un gala de cha-
d’un cancer de la prostate. Il vit son père dépé- canadienne glorifiant l’engage- rité visant à récolter des fonds pour la lutte contre
rir lentement, s’en aller, en quelques mois. Jus- ment des conscrits canadiens dans la Première le cancer. “Personne ne peut prétendre les yeux
tin reste persuadé aujourd’hui que si son corps Guerre mondiale. Toujours en marge de la po- dans les yeux que c’était une bonne idée, dit Mil-
était rongé par le cancer, c’est bien la mort de litique, jusqu’en 2007. Il devient candidat à un ler, son ami et très proche conseiller. Il s’est donné
“Miche” qui avait eu raison de lui. “J’ai bien vu poste de député. Ce qu’il y a de particulier dans en spectacle.” Ce soir de mars 2012, la cote de
que c’était ce qui l’avait tué”, confie Trudeau, les le système parlementaire canadien, c’est qu’en Trudeau était à 1 contre 3. Le Canadien Brazeau,
yeux troublés par l’émotion. “Il a perdu la tête. Il dernier ressort, ce sont les caciques des par- d’origine indienne, avec ses longs cheveux noirs et
ne parvenait pas à accepter l’idée que Dieu lui tis qui définissent la circonscription devant la- ses tatouages sur les bras, était donné vainqueur.
reprenne son fils comme ça.” quelle chacun de ses candidats peut se présen- Pour l’occasion, Trudeau s’était fait dessiner un
Pierre Trudeau meurt à l’automne 2000. As- ter. Trudeau a été parachuté à Montréal, dans corbeau et le globe terrestre. Brazeau ressemblait
sailli par les médias, Justin se réfugie dans un la circonscription de Papineau, à quelques en- à un gars capable de rétamer une palanquée de
lieu surprenant : la maison de son ami DJ Terry cablures du foyer paternel. Papineau est peu- poivrots dans une boîte à strip-tease. Les médias
DiMonte, persuadé que les journalistes n’auraient plé de migrants, d’Africains, d’Haïtiens. Une conservateurs étaient comblés, ils guettaient la
jamais l’idée de le chercher de ce côté-là. Ses députée, originaire d’Haïti, occupait le siège mort du “Shiny Pony”. Dans tous les bars du pays,
funérailles ont lieu à la basilique Notre-Dame- visé par Justin. Et, malgré son look de jeune les matchs de hockey cédaient la place à ce match
de-Montréal, un édifice du xixe siècle qui fut premier, personne ne donnait cher de la peau au sommet. Énorme succès d’audience. Dès le
longtemps considéré comme la plus grande église de Trudeau. Il a déjoué les pronostics et gagné début du combat, Brazeau s’est rué sur Trudeau
de toute l’Amérique du Nord. Pour le meilleur et sa place au Parlement, pendant que les autres et lui a asséné des coups terribles. La foule était
pour le pire, ce moment allait être celui du pas- candidats du Parti libéral se faisaient laminer. comblée. Elle avait ce qu’elle voulait. Un massacre
sage, du relais. Rien ne fut laissé au hasard. Dans Trudeau garde un souvenir ému de cette pre- en règle et très vite Trudeau au sol, le cul à terre,
la cuisine de DiMonte, Trudeau junior réunit ses mière campagne. “J’ai raflé les votes grecs au inhalant des sels pour se remettre d’aplomb. Tru-
vieux amis, Butts et Miller. Il écrivit quelques nez et à la barbe du candidat grec. J’ai gagné deau s’est accroché. Il a répliqué par une série de
lignes et les confia à ses amis pour relecture. Il le vote des Italiens malgré le candidat italien. directs à la face du sénateur. Brazeau a même été
écrivit, ratura, recommença son éloge funèbre. “Il Ma rivale la plus solide était la députée sor- compté. Lui-même n’en revenait pas. Au troisième

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round, l’arbitre dut interrompre le match, alors d’État. Trudeau a présenté ses excuses. Quatre sur le meurtre de mille femmes indigènes. Mais
que Trudeau venait de se ruer une nouvelle fois fois. Il est devenu le souffre-douleur du comique cette dernière fait déjà l’objet de vives critiques
sur son adversaire incapable de répliquer. La vic- John Oliver. “Je lui ai envoyé un texto juste après, en interne. Elle souligne aussi la négligence cou-
toire de Trudeau a révélé que ce jeune loup savait se souvient DiMonte. Et il m’a répondu que ça pable dont le gouvernement a fait preuve tant au
tenir parole et qu’on pouvait appartenir à un Parti lui avait échappé, qu’il ne recommencerait plus.” niveau de l’éducation de cette population, que de
libéral un peu mou du genou et avoir un sacré DiMonte s’est mis à rigoler en me livrant cette la qualité de ses eaux et de ses réserves nationales.
punch. Cinq ans et des kilomètres plus loin, Tru- anecdote. “Il est bien comme son père. Il est gen- Trudeau a promis une eau plus saine, de nouvelles
deau esquive un sourire bien mystérieux quand til, patient, jusqu’à un certain point. Est-ce qu’il écoles et, plus important, plus de latitude dans l’al-
je lui demande si ce match n’était pas biaisé. “On a appris à arrondir les angles ? Oui. Se comporte- location et la répartition de fonds aux différentes
a beaucoup réfléchi, laisse-t-il tomber. Je voulais t-il parfois encore comme un éléphant dans un réserves nationales. Mais les réalisations tardent
quelqu’un capable de tenir sur le ring, et on a dé- magasin de porcelaine ? Absolument.” Récem- à venir. Lors de sa conférence de presse, Trudeau
niché ce sénateur un peu hors normes, issu de la ment, Trudeau a été tancé par son aile droite parce a appelé à plus de patience. “Cela nous a pris des
communauté indienne, pour jouer le méchant. Il qu’il avait autorisé le versement d’une indemnité siècles avant d’en arriver là. Il va falloir encore
a joué le jeu. Il m’a donné la réplique.” Trudeau dit de 9,5 millions d’euros au ressortissant canadien quelques générations avant que nous puissions
cela avec la précision froide d’un expert financier apurer les comptes liés à cet héritage.”
lors d’une réunion de comptables. “Pour moi, ça Quelques heures après sa conférence de presse,
faisait la blague et ça avait du sens.” Trudeau insiste pour me faire partager sa vision
Le dimanche précédent notre entrevue, le du Canada. Nous faisons une demi-heure de route
Premier ministre Trudeau paradait et dansait à vers la banlieue d’Ottawa, jusqu’à l’école élémen-
la Gay Pride de Toronto, avec des chaussettes bar- taire de Berrigan, à Nepean. Pendant que ses offi-
rées d’inscriptions en arabe célébrant la fin du ra- ciers de sécurité s’assurent des lieux, je reste dans
madan. Drôle de manière d’afficher son soutien à le fond d’une salle de classe qui ressemble à s’y
deux minorités opprimées. De quoi faire bondir le méprendre à celle dans laquelle l’ancien président
journaliste conservateur Sean Hannity. Mais c’est George W. Bush se trouvait le matin du 11 sep-
avec des coups comme ça que Trudeau est devenu tembre 2001. Sur place, j’ai l’impression d’assister
Premier ministre. Il a hérité du Parti libéral de à une session de l’assemblée des Nations unies. Plus
son père, quand ses représentants étaient au plus tard, le proviseur me dit que, sur les 900 élèves
bas dans les sondages, juste après la désastreuse inscrits dans son école, 35 pays étaient représen-
campagne de 2011 qui les réduisit à 34 sièges sur tés et une vingtaine de langues parlées. Je n’étais
un total de 308 au Parlement. Trudeau a pris pas très loin. Les élèves parlent anglais, français et
la tête du parti en 2013. Et d’emblée, il s’est mis
Face à la nation tout un tas d’autres langues qui m’échappent. Cela
à “l’obamatiser”, réinvestissant les jeunes élec- Sur Trump : “On est en désaccord me rappelle ce que Richter m’avait dit à propos de
teurs, mais aussi les minorités, usant des médias sur nombre de sujets, mais on travaille son pays : “Ce pays est si étendu que nous ne l’occu-
bien ensemble.”
sociaux pour relayer ses slogans. Il s’est adjoint perons jamais complètement. Nous avons autant
les services de l’ancien directeur adjoint de la besoin des immigrants qu’ils ont besoin de nous.”
campagne d’Obama. Trudeau avait du charisme. Omar Khadr, engagé à 15 ans dans un échange de Trudeau allait de l’un à l’autre, écoutait, jusqu’à ce
“C’était incroyable de voir toute cette jeunesse se tirs qui a causé la mort d’un soldat américain en qu’un jeune Indien se mette à raconter qu’il était
ruer vers lui”, reconnaît Richer. Et puis il s’est Afghanistan. Le père de Khadr était associé à Ben fier de se sentir Canadien et de pouvoir entonner
imposé dans les débats télévisés. “C’est alors que Laden. Le jeune homme a été incarcéré à Guan- sans crainte l’hymne national indien. Le Premier
j’ai compris que nous étions cuits”, laisse tomber tanamo. Il y a été torturé avant de finir dans une ministre s’empara du micro et se mit à parler en
Richer. Le parti de Trudeau a remporté les élec- prison canadienne. Khadr a été libéré en 2015, anglais et en français. “Quand vous observez un
tions du 19 octobre 2015. Avec lui, les votes en après avoir passé la moitié de sa vie derrière les pays, ou une communauté, la division est à l’ori-
faveur du Parti libéral sont passés de 2,8 millions barreaux. Les tribunaux canadiens ont estimé que gine des désaccords, d’affrontements et finalement
en 2011 à près de 7 millions quatre ans plus tard. ses droits avaient été bafoués. Khadr a poursuivi d’affaiblissements”, dit-il. Ici, au Canada, nous
Quelques jours plus tard, les membres de son le gouvernement canadien et Trudeau a transigé avons des points de divergence, des origines diffé-
nouveau cabinet, reflet parfait du multicultura- pour un accord. Le leader conservateur Andrew rentes, des histoires différentes, plusieurs religions,
lisme à la canadienne, se rendaient comme un Scheer a bondi sur l’occasion, qualifiant cette in- plusieurs langues.” Puis il darde vers l’écolier un
seul homme à Rideau Hall pour son investiture. demnité de “lamentable”. Trudeau s’est défendu regard de vieux maître d’école. “Nous avons réussi
Un reporter sur place a demandé à Trudeau pour- que, devant les tribunaux, le gouvernement aurait à faire de cette diversité une force.”
quoi il y avait tant de conseillers femmes autour encouru une amende quatre fois plus élevée. “On Trudeau retourne vers les voitures de son convoi
de lui. Il sourit avant de répondre : “Parce que apprécie une société juste, pas seulement dans les qui s’arrête à chaque feu rouge. Dans la cour, près
nous sommes en 2015.” cas où la défense des droits de ses ressortissants de deux cents gosses tendent à bout de bras des
Suivre l’investiture de Trudeau, c’était un peu est facile et populaire, dit-il, mais aussi quand sa pancartes avec les mots “Espoir” et “Respect” écrits
comme regarder un enfant faire ses premiers reconnaissance est moins évidente.” dessus. Ils s’accrochent à sa chemise et repartent
mètres à vélo. Tant de promesses. Tant de re- Certaines promesses de campagne n’ont pas avec de grands sourires. Cela peut paraître un peu
noncements. Parfois encore, le jeune homme est été réalisées, comme la réforme du code électo- niais comme ça, mais c’était magnifique. Voilà la
capable de coups de tête. L’année dernière, il a ral, mais il a tenu la plus importante, celle faite définition de ce qu’un pays doit être aux yeux de
déboulé dans la Chambre des Communes pour au million cinq cent mille indigènes du Canada. Trudeau. Le Canada se bat pour fédérer les com-
aller chercher un de ses opposants, bousculant au Il a créé une Commission pour la paix et la récon- munautés quand l’Amérique construit des murs et
passage, d’un coup de coude à la poitrine, la dépu- ciliation et assumé publiquement que l’État était rêve d’un âge d’or qui ne reviendra pas. Ce pays-là,
tée Ruth Ellen Brosseau. Cette affaire est deve- responsable de l’enlèvement de 150 000 enfants le pays de Trudeau, pourrait bien constituer un
© GETTY IMAGES

nue le “Coudegate” (“Elbowgate” en anglais). Les à leurs familles indigènes en 1883. Ils furent pla- beau refuge à ceux qui voudraient fuir la tempête
membres de l’opposition se sont rués sur lui, im- cés dans des orphelinats et des pensionnats sco- qui vient d’Amérique.
patients de transformer la bousculade en affaire laires. Une section de cette commission enquête TRADUCTION ET ADAPTATION PAR SÉBASTIEN SPITZER

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Portfolio
RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES

Hache de guerre
Depuis vingt-neuf ans, à Perpignan, Visa pour l’image, plus grand
festival international de photojournalisme au monde, multiplie
ses regards, lucides et sans complaisance, mais terriblement humains,
comme autant de constats sur l’état de notre planète.
PAR LORAINE ADAM

A
vec un regard scrutateur sur Rock, sur les Sioux qui se sont opposés au pro- Quant à l’Américaine Darcy Padilla de l’Agence
l’actualité, les faits et personnalités jet d’oléoduc Dakota Access Pipeline mena- VU’, lauréate du Prix Canon de la Femme pho-
majeurs de l’année écoulée, l’édi- çant les sites sacrés et les réserves d’eau tojournaliste 2016 soutenu par le magazine Elle,
tion 2017 évoque, sans surprise, un potable, en organisant des campements de elle propose Dreamers, un reportage dans la
monde en souffrance. Parmi les 4 500 projets prière. Cette mobilisation a abouti au plus réserve indienne des Lakotas, à Pine Ridge.
reçus par l’organisation de la manifestation, grand rassemblement d’Amérindiens depuis Considérée comme l’une des plus pauvres des
25 ont été retenus et feront l’objet d’expositions plus d’un siècle, avec près de deux cents tribus. États-Unis, celle-ci affiche un taux de chômage
gratuites, présentées dans toute la cité catalane. Durant l’été 2016, 5 000 manifestants amérin- de 85 % et l’espérance de vie la plus faible du
Deux d’entre elles, en noir et blanc, ont tout par- diens et militants campaient près de la Can- pays : 47 ans pour les hommes et 52 pour les
ticulièrement retenu notre attention, traitant de nonball River. Le 4 décembre 2016, le gouver- femmes. Une communauté aux prises avec
la condition des Amérindiens du Dakota, un nement américain annonçait l’arrêt de la l’alcoolisme, la dépendance à la méthamphéta-
thème abordé il y a quelques mois dans nos construction. Deux mois plus tard, sur ordre mine et qui tente de faire survivre sa culture.
pages, avec notamment Neil Young qui s’est du président Trump, des policiers lourdement
associé à cette lutte. armés, à bord de véhicules blindés, ont pénétré Visa pour l’image, 29 e festival international
Le célèbre photo-reporter canadien Larry dans les camps, arrêtant ou évacuant par la du photojournalisme, du 2 au 17 septembre, Perpignan (66).
Entrée gratuite, tous les jours, de 10h à 20h
Towell de Magnum Photos présente Standing force les derniers manifestants. www.visapourlimage.com - Visa pour l’image sur Facebook

© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS

Le camp d’Oceti s’apprête


à disparaître dans les flammes.
Ainsi en ont décidé les quelques
centaines d’occupants qui auront
résisté jusqu’au bout, jusqu’à
l’ordre d’évacuation militaire
ordonné par le gouverneur
de l’État. Standing Rock,
Dakota du Nord. Février 2017.

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© DARCY PADILLA / AGENCE VU’ © DARCY PADILLA / AGENCE VU’

Pow-wow pour célébrer l’anniversaire du massacre de Wounded Knee : en Un drapeau en lambeaux flotte sur la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota
1973, des militants ont occupé la ville pour manifester contre le gouvernement du Sud, considérée comme l’endroit le plus pauvre des États-Unis.
fédéral et son non-respect des traités conclus avec les Amérindiens.

© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS

Vue du campement de Oceti Sakowin, celui


des résistants de la dernière heure, dans
la réserve sioux de Standing Rock, située
dans le Dakota du Nord. Septembre 2016.

© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS © DARCY PADILLA / AGENCE VU’

Affrontement entre l’armée américaine et les Sioux à Mandan, À Whiteclay (Nebraska), proche de la frontière du Dakota du Sud, près de
Dakota du Nord. Novembre 2016. 5 millions de canettes de bière sont vendues chaque année, principalement
aux résidents de la réserve, où l’alcool est interdit. En avril 2017, les élus de l’État
du Nebraska ont voté la révocation du permis d’alcool de quatre commerces.

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PLAYLIST
C'est James Taylor
qui donnera envie
à Charles Berbérian de
se mettre à la guitare.
Le folkeux américain
accompagnera aussi
ses premiers coups
de crayon.

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La culture rock de
CHARLES
BERBÉRIAN
Chaque mois dans Rolling Stone, une personnalité du monde
du spectacle, du sport ou de la politique dévoile sa passion pour
le rock. Épisode 19 avec un illustrateur-scénariste de BD, grand fan
du son West Coast des années 1970. Berbérian virevolte en mélomane
averti ; passant de la folk à la country, du blues au rhythm’n’blues,
tout en gardant une oreille sur The Young Rascals.
Par PHILIPPE LANGLEST
Photographies de SABRINA LAMBLETIN

I
nitié et conseillé par son frère aîné fans de BD, il est avant tout le coauteur, au Vous avez passé une partie de votre adoles-
A lain Berbér ian (producteur de côté de Philippe Dupuy, de la série culte cence entre l’Irak, le Liban et la France. Comment
films), le jeune Charles découvre à Monsieur Jean en 1991 ou l’histoire d’un s’est construite votre éducation musicale ?
16 ans la blue-eyed soul des Young trentenaire citadin et bobo, cherchant une Charles Berbérian : En fait, je suis resté en Irak
Rascals avec “Groovin’”. Fort d’un âme sœur pour enjoliver ses nuits. Dans jusqu’à l’âge de 10 ans, puis j’ai vécu au Liban
riche nuancier musical, il est rapidement l’univers de Berbérian, le dessin et la prose cinq ans. Je suis arrivé en France juste après,
conquis par la musique de Paul Simon et les s ont p o é t iq ue s c om me le t é moig ne au beau milieu des années 1970. Mon éduca-
chorus gorgés de salsa de Carlos Santana. Bienvenue à Boboland. Sur son dernier tion musicale s’est faite principalement grâce
Depuis toujours, son inspiration musicale opus, Afterz, il emmagasine sa poésie dans à mon grand frère Alain, qui a six ans de plus
vient de l’Amérique, celle d’une Californie chaque case en faisant dialoguer ses person- que moi. Il avait un certain goût pour des
au soleil brûlant qui va de James Taylor à nages – clubbeurs et âmes solitaires – au groupes peu connus à l’époque. Par exemple,
Joni Mitchell en passant par Jackson cœur de la nuit, quitte à planer un peu. L’oc- il n’a jamais ramené un disque des Beatles ou
Browne. Amateur de folk songs et de gui- casion de retrouver l’auteur chez lui, au cœur des Stones à la maison. Je me souviens qu’un
tares acoustiques au son boisé, il écoute Neil de l’été, en pleine canicule, dans son appar- jour, il a mis Groovin’, un disque de The
Young et Bob Dylan. Guitariste, il fonde au tement parisien, à quelques pas de la gare de Young Rascals sur la platine. C’est là que ça
début des années 2000, Nightbuzz, un duo l’Est ; il nous reçoit avec une tournée d’eau a commencé. À cette époque, à la maison, je
de musiciens composé du dessinateur Jean- pétillante bien glacée. On s’installe au frais n’avais pas le droit de m’approcher de la pla-
Claude Denis qui, lui aussi, est un grand dans la cuisine. Planté au milieu du salon tine, qui était réservée à mon frère. Donc le
a mateur de sonor ités ca lifor niennes. avec son faux air de Woody Allen, Charles seul moyen de rejouer les morceaux que
Aujourd’hui, il continue l’aventure avec sa fait la navette entre les deux pièces, sortant j’entendais, c’était d’oser toucher la platine
guitare acoustique, jouant régulièrement au compte-goutte les disques qu’il aime : quand Alain n’était pas là, ce qui était hyper-
avec JP Nataf et Bastien Lallemant sur Groovin’ de The Young Rascals, Sweet Baby dangereux. (Sourire.) Soit de me rejouer dans
scène à Paris. Côté BD, Charles signe régu- James de James Taylor, etc. À la fois profond la tête les morceaux et de les chantonner.
lièrement des couver tures pour le et léger, il raconte son histoire et ses obses- J’adorais les mélodies et le son des Young
New Yorker ou Les Inrockuptibles. Pour les sions musicales dans sa “Culture Rock”… Rascals, avec la guitare en stéréo qui passait

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CHARLES
BERBÉRIAN

d’un baffle à l’autre, ça me rendait dingue. Blancs qui jouait du rhythm’n’blues comme On arrive à Neil Young, dont vous êtes un grand
Avant de sonner un peu comme les Beatles, les Noirs américains. Imparable ! Ça a été un fan. Dans sa discographie, il y a des périodes que
la musique des Young Rascals baignait dans vrai choc. Au même titre que les Young vous préférez plus que les autres ?
la soul et le R’n’B ;“Groovin’” est un authen- Rascals avec “Groovin’”. C. B. : Neil Young c’est une découverte assez
tique tube de blue-eyed soul. Paul Simon tient une place importante dans tardive. Il est arrivé dans les parages avec
On est au cœur des années 1970. En ce qui votre panthéon musical. Comment le Crosby, Stills & Nash. Tous les quatre, ils
concerne les groupes de rock, vous êtes alors plu- découvrez-vous ? sortent l’album Déjà vu. J’écoute beaucoup le
tôt attiré par ce qui se fait en France, en Angle- C. B. : En 1974, lors de mon premier voyage en disque et surtout la chanson “Helpless”, que je
terre ou aux États-Unis ? France, j’achète mes premiers disques. Il y passe en boucle. Quand j’ai commencé la gui-
C. B. : J’ai tout de suite été séduit davantage avait notamment l’album There Goes Rhymin’ tare, les deux premiers morceaux que j’ai joués
par les songwriters américains qu’anglais. Simon, de Paul Simon. À l’époque, les albums venaient de l’album Harvest. C’était “The
Paul Simon et Neil Young ont beaucoup CBS étaient interdits au Liban parce qu’es- Needle and the Damage Done” et “Heart of
compté dans ma culture rock, tout comme tampillés “label juif”… Du coup, impossible de Gold”. Je deviendrai vraiment fan de Neil
James Taylor. J’avais vu au cinéma le film trouver le moindre disque CBS au Liban. Pas Young des années plus tard, quand je
A Hard Day’s Night, mais on n’écoutait pas de Santana, pas de Paul Simon. Je suis donc découvre Everybody Knows This Is Nowhere
beaucoup les Beatles à la maison. À cette en France dans un supermarché avec ma avec Crazy Horse. Il y a ce son de guitare vol-
époque, je préférais les outsiders aux têtes mère, qui accepte que je prenne un disque. Je canique, incendiaire. Sur “Down by the
couronnées : les Young Rascals ou Bill Deal le prends un peu par hasard, parce que c’est un River”, par exemple, les guitares de Neil et de
& The Rhondels me plaisaient davantage que album CBS et que mon frère aime bien Simon Danny Whitten sont grandioses. Depuis, je
les Stones, par exemple. Ensuite, j’ai bifurqué and Garfunkel. Un coup de bol qui va vite l’ai suivi sur des chemins de traverse pas évi-


vers une petite période prog rock anglaise dents comme sur l’album Re-ac-tor ou Comes
avec Pink Floyd et Genesis. À 17 ans, j’étais a Time qui, à mon sens, reste l’un de ses meil-
particulièrement attaché à une compilation leurs disques country à ce jour.
de rhythm’n’blues, sortie sur le label Atlantic,
avec Booker T. & the MG’s, Solomon Burke quand j'ai On arrive à Bob Dylan. Quelle place occupe-t-il
dans votre culture rock ?
et Wilson Pickett. Une vraie machine à hits
avec en tête de liste l’incontournable “In the commencé C. B. : Beaucoup plus aujourd’hui qu’avant. J’ai
vraiment commencé à faire une fixation sur
Midnight Hour”. Bizarrement, le premier
tube français que j’ai appris par cœur, c’était la guitare, les Dylan quand il a sorti en Time Out of Mind
que j’ai adoré comme jamais je n’avais aimé
“Le Téléfon” de Nino Ferrer. C’était du R’n’B
“à la française”. J’adorais ça ! deux premiers un album de Dylan auparavant. Du coup, je
suis remonté à la source. Je l’ai réécouté
À propos de rhythm’n’blues, vous êtes de
quelle école ? Stax ? ou Atlantic ?
morceaux autrement, de Highway 61 Revisited à
Blonde on Blonde en passant par les coffrets.
C. B. : Le label Atlantic, en priorité. Dans leur
catalogue, on trouvait du très lourd : Aretha que j'ai joués Là, j’ai enfin compris que Dylan faisait de la
musique comme un peintre. Quand il fait un
Franklin, Percy Sledge et l’irremplaçable
Wilson Pickett. Leurs chansons me tou- venaient morceau, ce n’est jamais fini. Il rajoute des
couches. Il les enlève. Comme faisait Matisse
chaient au cœur et je n’arrêtais pas de les
chanter. À la même période, j’avais une de harvest, quand il peignait sur un tableau. Pour lui, les
chansons sont des matières vivantes qu’il
espèce d’obsession, une sorte de tic de lan-
gage : j’imitais sans cesse le son de la wah- de neil young. continue à malaxer. Dylan ne se préoccupe
pas des albums qu’il enregistre. C’est un mec


wah. (Sourire.) C’est sur le label Stax, qui par qui a un rapport à son travail aussi fascinant
la suite sera absorbé par Atlantic, que je que celui que Moebius avait avec le dessin. Je
découvrirai Otis Redding, Sam & Dave et devenir mon disque fétiche. Depuis, je ne me m’intéresse beaucoup à ce qui relie le dessin
Isaac Hayes. Avec lui, je touchais le graal du lasse pas de le réécouter. Je connais les chan- et la musique. J’ai une perception encore plus
R’n’B. Son générique génialissime de Shaft sons par cœur, de “Take Me to the Mardi Gras” riche aujourd’hui de ce que je perçois de leur
me renverse littéralement dès la première à “American Tune”. Il y a aussi cette pochette travail par le prisme du dessin pour Dylan et
écoute. En plus, lui, la wah-wah il connais- complètement démente, signée Milton Glaser. de la musique pour Moebius. Il y a deux ans,
sait ça par cœur. Parallèlement, je me Au niveau des compos, Paul Simon m’a autant je suis tombé amoureux fou de The Band.
branche sur les musiques de feuilletons télé marqué que James Taylor… Pour moi, c’est un tout : il y a Dylan et The
avec Mission : Impossible ou Mannix. Je Avec James Taylor, on reste dans le son et l’es- Band. La période avec The Band, c’est-à-dire
voulais les disques de Lalo Schifrin qu’on ne thétique West Coast. Musicalement, c’est votre The Basement Tapes et la tournée de 1974.
trouvait pas encore chez le disquaire du coin. ADN ? C’est de loin la meilleure formation qui a
Il fallait les commander en import. Je patien- C. B. : Oui, sans aucun doute. Je découvre accompagné Dylan sur scène.
tais. J’avais besoin de ces disques. James Taylor encore une fois grâce à mon Revenons à la musique californienne des 70’s.
Quel a été votre premier vrai choc musical ? frère. Quand j’écoute pour la première fois Que vous évoque Joni Mitchell ? Jackson Browne ?
C. B. : J’en ai eu quelques-uns. Tout d’abord, son album Sweet Baby James, je suis séduit C. B. : Joni Mitchell est une artiste complète,
sur les conseils avertis de mon frère, je suis par la finesse du compositeur et l’élégance du qui sait surtout écrire de très bonnes chan-
tombé sur un best of de Tony Joe White où musicien. Il y a aussi Carole King au piano, sons. Elle peint également. Quand je l’écoute
figurait la chanson “Polk Salad Annie”. Une qui fait partie de la bande. C’est James Taylor sur les albums Blue ou Court and Spark, j’ai
mélodie inoubliable, magique, avec ce timbre qui m’a donné envie de jouer de la guitare. À toujours éprouvé plus d’émotion que sur un
vocal unique. Un jour, mon frère rapporte à ce moment-là, je commençais à dessiner et disque de Linda Ronstadt ou des Eagles, au
la maison un 45-tours de Bill Deal and The les chansons de Taylor et de Simon accom- ha sard. (Sourire.) À par t leur disque
Rhondels, “May I”. C’était un groupe de pagnaient mes journées. Desperado, j’avoue que je déteste les Eagles.

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JUKEBOX
Young Rascals et Elton John
(première époque) : deux chocs
musicaux pour le dessinateur.

Quand “Hotel California” passe à la radio, ça Mitchell : toute cette jungle, toute cette toujours, ça ne passera pas. Dans un tout
me déprime. J’ai toujours préféré Jackson forêt, toute cette musique du Delta… Je autre reg istre, je proposera i l’a lbum
Browne aux Eagles. Je suis fan de l’album n’arrivais plus à écouter autre chose, telle- Madman Across the Water à ceux qui ne
Running on Empty, moins de The Pretender. ment ça m’avait absorbé. Il y a quelques connaissent pas le Elton John d’avant les
Dernièrement, je suis tombé sur des albums jours, je me suis procuré The American Epic succès planétaires. C’est un disque essentiel
que Jackson Browne avait enregistrés avec Sessions, une compilation produite par de la pop anglaise, dont on ne dit pas assez
David Lindley en live. Techniquement, ça T Bone Burnett et Jack White absolument souvent du bien, à mon sens. Les gens ne
tricote sévère ! (Sourire.) Pour revenir à Joni remarquable. Musicalement, c’est tout ce savent pas par exemple que, sur cet album
Mitchell, il y a une espèce d’intelligence et de que j’aime. Le casting et les musiciens sont aux arrangements de cordes fantastiques,
sensibilité dans les arrangements de Blue qui fabuleux. À l’intérieur, tu trouves des duos E lt on John a c omposé de s cha nsons
me touchent encore aujourd’hui. Quand les inédits, notamment ceux d’Elton John et sublimes comme “Tiny Dancer” ou “Levon”.
autres font du folk, elle fait de la musique. Jack White ou encore de l’acteur Steve J’of f r ira is éga lement l’a lbum Malibu
Elle est apparentée folk song, mais c’est une Martin avec Edie Brickell. d’Anderson Paak. Il faut écouter ça ! Dans
erreur. C’est d’ailleurs ce qui fascine tout le Quels sont les cinq disques que vous aimeriez son genre, ce type est un martien. Et pour
monde, et surtout David Crosby. Mis à part offrir à vos amis ? finir, La Maison haute de Bastien Lallemant,
que, physiquement, elle est quand même C. B. : Pour découvrir le son West Coast par parce que c’est un disque fabuleux, avec un
sublime. Enfin, elle n’aurait pas été aussi loin exemple, Tapestry, de Carole King, s’impose. son et des arrangements un peu “à la
si elle avait été uniquement blonde et belle. C’est un album qui est à la croisée de plein Gainsbourg”. Il n’y a pas un morceau à jeter.
Avec le dessinateur Jean-Claude Denis, vous de choses, du rock au blues en passant par la Dès la première écoute, tu sais que ce disque
avez sorti deux disques sous le nom de Nightbuzz. soul. J’adore le timbre de voix de Carole sera là pour longtemps.
Vous continuez à vous produire sur scène ? K ing. J’aime bien faire découv rir aux Si vous n’aviez pas été illustrateur et scénariste
C. B. : Avec Nightbuzz, un peu moins. On fait copains la qualité de songwriting qu’avait de bande dessinée, vous seriez-vous vu dans la
un petit break. Aujourd’hui, je fais des James Taylor à ses débuts et qu’il a égarée peau d’une rockstar ?
concerts à Paris, une fois par mois, à La Loge, par la suite, car il s’est retrouvé un peu au C. B. : Pour rien au monde ! Je trouve que c’est
rue de Charonne, dans le cadre des Siestes milieu de la route dans les 80’s. Pour décou- le plus mauvais endroit que puisse envisager
acoustiques. Sur scène, nous sommes trois : vrir James Taylor, je conseillerais deux un musicien ou une musicienne. Il n’y a rien
moi, JP Nataf et Bastien Lallemant. Du coup, disques : Sweet Baby James et One Man Dog. de tel pour tomber dans une déchéance qui
je me suis replongé dans le picking façon Si tu n’aimes pas Neil Young, en revanche, il a coûté la vie à Janis Joplin ou encore à Kurt
James Taylor. (Sourire.) n’y a aucune raison que tu finisses par l’ai- Cobain. Aucun être humain n’est fait pour
Votre dernière obsession musicale ? mer, tout comme Bob Dylan. Ils ont tous les vivre ce qu’ont vécu ces gens-là. En fait, je
C. B. : Il n’y a pas longtemps, j’ai découvert deux des voix tellement bizarres, que si on a crois que personne n’a vraiment envie d’être
Har r y Smith, A lan L oma x et G eorge le poil hérissé par l’un ou par l’autre depuis une rockstar…

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1
2

3

6
5 AMBIANCES!
(1) L’entrée du Forecastle Festival
de Louisville. (2) Clown au Hellfest,
à Clisson. (3) Lollapalooza Festival, à
Chicago, Michigan. (4) La surprenante
PJ Harvey était à l’affiche du Forecastle
Festival, puis à Montreux. (5) Aubert
et Bertignac, manche contre manche,
à l’American Festival de Tours. (6) Fresque
en hommage à Leonard Cohen à Montréal,
où s’est tenu le Festival international de
jazz. (7) La foule au Main Square Festival
d’Arras. (8) Jimme O’Neill, du Celtic Social
Club, à l’Interceltique de Lorient.

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s e n scè ne ! �


LES

Tou
FESTIVALS




Une orgie de sons, de décibels, de poussière : voilà le programme
que la rédaction de Rolling Stone s’était fixé. Bilan d’un début
d’été en Festivalie !

Par Belkacem Bahlouli, Xav ier Bonnet, Stan Cuesta ,


Baptiste Manzinali et Sophie Rosemont

chaque attitude, chaque œillade,


Aerosmith vire à l’outrance et au ridicule
17 juin, Clisson, Hellfest GR EEN DAY Un show de Green Day est une affaire (mais pas davantage que certaines
bien huilée : la musique du Bon, “chorégraphies” de ses danseuses-
11 juin, Brétigny-sur-Orge, la Brute et le Truand avant la montée
Bon, à ce qu’il paraît, c’est leur Download Festival sur scène, un “Know Your Enemy”
choristes avec des chaises) ! Oui,
dernière tournée. Mais peut-être enjoué pour lancer les débats, un derrière “Blue Jeans”, “Video
pas non plus. Quoi qu’il en soit, premier spectateur invité à rejoindre Games” et “Summertime
pour leur dernière tournée géné- la troupe pour montrer de quoi il est Sadness”, il n’y a pas grand-chose
capable micro ou guitare en main,
rale, on aurait apprécié que les quelques pétarades-pyrotechnies, à retenir de ces lancinantes mélo-
vrais faux futurs retraités fassent et roulez jeunesse… Voilà, c’est pées, sinon avec énormément de
preuve d’un peu plus de générosité comme ça, Green Day fait dans le pur mansuétude ! Char mante ou
divertissement, le Disneyland du punk,
et de moins d’agacement (Steven désespérante, Lana Del Rey reste
quitte à oublier qu’il est un groupe
Tyler) – dont on n’a d’ailleurs tou- de rock. C’est à prendre ou à laisser. une attraction, avec toutes les
jours pas compris les motivations. Et on ne me retirera pas de la tête nuances de sens que l’on veut
Pourtant, nous, on avait envie ! Et qu’avec ses mimiques et ses poses, associer au mot. Même la pluie
quelqu’un serait bien inspiré de
quand- déboulent les images d’ar- proposer à Billie Joe Armstrong le rôle s’invite à ses concerts et reste
chives sur l’emphase de “Carmina jusqu’au bout, quitte à se lâcher
SARAH BASTIN. LORAINE ADAM. BELKACEM BALHOULI. CAMBRIA HARKEY. FLEUR SCUT. JEROME POUILLE. XAVIER BONNET. DR.

de Charlie Chaplin époque Charlot


Burana”, le palpitant a d’emblée dans un nouveau biopic. Je ne prends sur le concert suivant (Red Hot
changé de fréquence. D’ailleurs, que 10 % pour l’idée… X.B. Chili Peppers) ! X.B.

tout semble d’abord être “comme


av a nt ” : c hem i s e l a r g ement
ouverte et riffs tranchants pour François & The Atlas
Joe Perry, bagouses, colliers, fou- Mountains
lards en veux-tu en voilà et éructa- 8 juillet Fnac Live
tions de bon aloi pour son alter ego.
Au final, un set par trop décousu et Comme tous les ans, Fnac Live a
un Aerosmith un brin cacheton- réussi à offrir gratuitement, tant
neur, malgré une setlist aux petits sur le parvis de l’Hôtel de ville de
oignons. C’est pourtant le temps de Paris que dans les majestueux
quelques reprises (“Stop Messin’ PILULES
salons de ce dernier, des concerts
A round” de Fleet wood Ma c , BLEUES de qualité. Si ceux de Camille, de
”Come Together”) que ce petit D’abord Benjamin Biolay ou de Témé Tan
monde aura donné l’impression de le look, puis ont fait des émules, la soirée du
vint le son...
s’amuser un peu. X.B. 8 juillet a su allier jeunes talents
prometteurs (le folkeux Aliocha
BLUES PILL S ou Clara Luciani, digne héritière
Lana Del Rey 10 juin, Brétigny-sur-Orge, Download Festival de Françoise Hardy et PJ Harvey
23 juillet, Paris, Lollapalooza, réunies) et aligner les valeurs
Hippodrome de Longchamp Est-ce l’effet (trompeur?) de la – très – mini-jupe de sa chanteuse sûres. Au programme, donc, le
blonde? Le fait que son blues-rock ou son rock bluesy constituent
le parfait intermède dans l’orgie de décibels de la journée? Blues Pills
rock noisy de The Horrors, qui
Oui, Lana Del Rey minaude et en était très loin de sa performance un brin “rigide” au Trianon de Paris jouait pour la première fois sur
fait des caisses ! Oui, chaque geste, en octobre dernier. Une pilule bien plus facile à avaler, en tout cas… X.B. scène son nouvel album V ou

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LES
FESTIVALS
Julien Doré et son sex-appeal non-
chalant. Dans les salons, on a VOIX
MAGIQUE
r e t enu le f leg me de Jay-Jay
La chanteuse
Johanson, mais on s’est surtout américaine
laissé prendre par le pop-rock a présenté
francophone, à la fois onirique et un répertoire
solide.
exotique, new wave et grunge, des
incomparables François & The
Atlas Mountains. Showman géné-
reux et enthousiaste, François
Marry a le sens du groove et le
chant céleste, osant même une
chorégraphie. S.R.

Jowee Omicil
1er juillet, Festival international
de Jazz de Montréal

Alors que le pays célébrait les


150 ans de sa création, l’île-ville
québécoise, elle, célébrait les
375 ans de sa fondation. D’où l’am-
biance extrêmement festive de ce
38e Festival international de jazz de
Montréal. Bien que hors festival, et
le hasard faisant fort bien les
choses, Bob Dylan a donné rendez-
vous le 30 juin à ses 15 000 fans EMM Y L OU H A R R IS
locaux au Centre Bell pour un set 29 juillet • C ou n t r y R e n de z -vous , C r a p on n e- su r-A r z on
court et ramassé de dix-huit titres
Craponne-sur-Arzon, Haute-Loire, 2129 habitants. La France profonde. Pourtant, pendant trois jours,
où on l’a vu “crooner” en tenant le
fin juillet, cette paisible bourgade est envahie de drapeaux américains, de cactus en carton-pâte, de Harley. Au marché
pied du micro, soit à son piano, très du samedi matin, les vieux paysans et les néoruraux servent une foule de bikers en bandana, de retraités coiffés
en voix, alternant les standards du de stetsons et chaussés de santiags, de majorettes, de sosies de ZZ Top…
grand répertoire américain tirés de La raison de ce joyeux foutoir? Le Festival Country Rendez-Vous, qui attire des fans venus de toute l’Europe. Des gens
que l’on ne voit jamais dans la vraie vie. Une sorte de monde parallèle… Dans un vaste champ, entouré de stands tous plus
son dernier opus Triplicate et ses folkloriques les uns que les autres et d’estrades pour line dancers, 6000 spectateurs aux looks improbables applaudissent
propres standards revisités, comme des groupes assez variés et, bien sûr, une vedette. En trente ans, le festival de Craponne a déjà reçu des pointures
à l’accoutumée. Mais ce qui rend ce comme Bill Monroe, Alison Krauss, Steve Earle ou Guy Clark. Mais ce 29 juillet 2017, il propose la plus grande tête d’affiche
festival passionnant, ce sont les de son histoire (résultat de quatre années de négociations!) : Emmylou Harris, pour son unique concert en France…
Elle en est à la fois charmée et amusée : “C’est vrai, il y a beaucoup de bolo ties (cravates western, ndlr)! Je suis
découver tes. A insi de Jowee un peu inquiète parce qu’avec ce groupe, on met l’accent sur les harmonies vocales et sur les titres plus récents.
Omicil, qui a mis le feu avec sa J’espère que les fans ne seront pas déçus s’ils n’entendent pas les hits. C’est mon amour de la country qui m’a amenée
prestation fulgurante. Au saxo, à la là où je suis, mais j’ai toujours eu une sensibilité folk. Et me voici… à Craponne!”
Effectivement, sa prestation n’a rien de country. Tout en douceur et en subtilité, elle fait la part belle aux chœurs de ses
clarinette et même au bugle, le
acolytes Mary Ann Kennedy et Pam Rose, sur des reprises comme “To Know Him Is To Love Him” ou “The Boxer” ou sur de
musicien-entertainer – qui vient de superbes titres des années 2000 (le fantastique “Here I Am” d’ouverture). Emmylou chante divinement, peut-être mieux que
publier Let’s Bash, chez Blue Note jamais, et l’émotion atteint des sommets sur le final, une version de “After the Gold Rush” quasi a capella, belle à pleurer. “Je
– mêle funk, jazz et sonorités ne jouerai pas de chanson de Gram (Parsons, ndlr), a-elle précisé avant le concert. Mais son esprit est toujours avec moi.” S.C.
caraïbes. Ce Montréalais d’origine
haïtienne, multi-instrumentiste au
talent écrasant ne jure que par la
fusion : blues, jazz, latin, caraïbe.
Avec des prestations toujours élec- membre du groupe puisse être mis Festival est devenu le lieu incon- JK McKnight, fondateur de l’événe-
trisantes, cet ancien compagnon de en avant ou qu’une poursuite tournable, le “must be in”, le lieu où ment. D’autres expliquent à quel
show de Pha roa h Sa nders, lumière vienne se fixer sur l’un ou il faut être vu et entendu. Et sur- point l’économie durable est au
Branford Marsalis ou Kenny l’autre. Electric Wizard est un bloc, tout, un rendez-vous pas comme les centre des préoccupations. Et si
Garrett montre que la scène est un pavé, et on l’a bien pris en pleine autres, avec un état d’esprit partagé nous organisons ce festival ici,
réellement son domaine. B.B. poire… Merci, les gars ! B.B. par pas moins de 60 000 amateurs à Louisville, c’est parce que le maire
de musique, mais aussi de militants de la ville se sent très concerné par
pour l’économie durable. Ces deux cette cause et qu’il nous soutient
Electric Wizard Teddy Abrams points sont étroitement associés dans cette aventure.” Pour cette
16 juin, Clisson, Hellfest 14 juillet, Forecastle Festival, dans ce festival. Car pour défendre 15e édition, l’un des invités n’était
Louisville, Kentucky
© PHILIPPE TISSIER

la cause environnementale, de gros pas un rocker pur jus, malgré


Le mur du son psyché-metal est à moyens ont été mis en place : “Ici, l’énorme quantité de talents confir-
ce point dense, massif, qu’il ne Avec plus de soixante groupes ou des stands proposent de la nourri- més à l’affiche du rendez-vous
semble pas tolérer que le moindre artistes à l’affiche, le Forecastle ture équitable et bio, explique (Weezer, LCD Soundsystem,

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LES
FESTIVALS
PJ Harvey, Conor Oberst, etc.).
CLEAN IT UP
C’est ainsi que le chef de l’orchestre Un set parfois
sy mphonique de la v ille, un peu trop
Teddy Abrams, est venu faire une sage.
création où il a réussi à mêler rock,
jazz, country et classique ! Rendez-
vous compte : après avoir joué un
air de bluegrass, le style country
originaire du Kentucky, du hip-hop
avec un rappeur qui n’était autre
que son percussionniste en chef à
l’or c he s t r e s y mphon ique de
Louisville, sans oublier une sorte de
concerto pour orgue accompagné
non par des violons, mais par une
f lopée de guitares électriques et
avant de se lancer dans une relec- L OND ON GR A MM A R
ture de haut niveau du
“Comfortably Numb” du Floyd, le 12 juillet, Mon t r eu x Ja z z F e s t i va l , Au di t or i u m St r av i nsk i
directeur de la musique de l’État, 22 juillet, Pa r i s , L ol l a pa l o oz a , Hi pp odrom e de L ong c h a m p
30 ans à peine, a réussi à faire On peut ne pas toujours souscrire à ses choix vestimentaires – il y aurait même souvent pas mal à redire
acclamer le nom de Johannes dans cette façon de chercher à vouloir ainsi passer aussi inaperçue –, pour ce qui est de la voix, Hannah Reid
Brahms, dont il a interprété l’une reste hors normes, quel que soit l’environnement dans lequel elle évolue, en salle (Montreux) ou en extérieur
des danses hongroises ! Un exploit (Lollapalooza). Mieux en ce qui concerne le “plein air”, mêlée aux ambiances de ses deux acolytes, Dan Rothman
(guitare) et Dot Major (claviers), cette voix parvient à faire d’une musique qui s’écoute a priori confortablement
salué dans toute la presse, les télé- installé dans son salon quelque chose qui a du sens en festival. Tout le monde ne peut pas en dire autant!
visions et les radios locales. C’est Certes, tout cela est parfois trop propret et si l’on rêverait que tout ce petit monde se lâche un peu plus,
l’homme à suivre, car il proposera on sent très vite qu’il risque de se passer pas mal de temps avant que la miss se décide sans prévenir à éructer
ne serait-ce que la moitié du refrain de – au hasard – “Roots Bloody Roots” de Sepultura! X.B.
dès novembre une symphonie
moderne pour orchestre philhar-
monique, en hommage au héros de
Louisville, Mohamed Ali. B.B.

à l’affiche du festival (une pre- blanche de Tom Meighan, lui retiendra aussi quelques belles
mière fois en 2005). Pas faute donnant des allures d’infirmier giclées solo sortant de la guitare
Kasabian non plus d’avoir mis tous les intrigant, qui en a effrayé cer- de Tim Carter, le sieur Sergio
10 juillet, Montreux Jazz atouts de leur côté pour lancer la t a ins ? Quoi qu’il en soit , Pizzorno s’occupant avant tout
Festival, Auditorium Stravinski
soirée – jusqu’à insérer des pas- Kasabian aura eu quelque mal à des tâches rythmiques. X.B.

sages du “Around the World” de bouger son monde, même s’il sera
Ce n’était pourtant pas la pre- Daft Punk dans leur déjà entraî- finalement parvenu à ses fins,
mière fois que les Anglais étaient nant “Eez-Eh”. Est-ce la redingote comme à son habitude. On Last Train
13 juillet, Aix-les-Bains,
Festival Musilac

Au-delà de la fausse bonne idée


du “tous habillés en noir sur fond
ROYA L R EPUBLIC noir” – à moins que l’objectif ne
soit de faire la nique à Slayer
14 juillet, A i x-l e s Ba i ns , (voir plus loin) –, les Alsaciens
F e s t i va l Musi l ac auront offert la première défla-
gration de cette édition 2017 de
“Les Suédois sont là et on va pouvoir Musilac. Chaleur intense, soleil
commencer à s’amuser!” Allez, ne mégotons
pas, Adam Grahn est l’un des meilleurs dans les yeux, public plus curieux
showmen du rock à guitares d’aujourd’hui. et at t ent ist e que réel lement
Grâce à lui (et un peu beaucoup très fort impliqué : il en fallait plus pour
aussi), Royal Republic devrait être enrôlé désarçonner un groupe dont le
dans tous les festivals du monde pour lancer
une soirée! Set carré à souhait, humour garage rock – à défaut de meil-
© R.AUBERT/MUSILAC 2017. LIONEL FLUSIN.-

potache qui tombe juste à chaque fois, leur terme – sonne plus affûté à
nos Scandinaves en costard ont mis tout chaque fois que l’on recroise sa
le monde d’accord, y compris quand il s’est
agi de montrer qu’ils pouvaient tenir la
route. Sinon, très futée, Jean-
comparaison avec n’importe quel groupe No ë l , c e t t e idé e de p o s er l a
de metal en s’autorisant un mix tout sauf sangle de la guitare sur la caméra
ridicule du “Battery” de Metallica, fondu qui te filme en gros plan à cet
dans le “Ace of Spades” de Motörhead.
Une démonstration de bout en bout! X.B. instant précis ! Pas de doute,
c’est le métier qui rentre… X.B.

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laisser abattre par une petite averse
Midnight Oil aussi rafraîchissante que ses
7 juillet, Caen Hérouville-Saint- refrains mélodiques. Le lendemain,
Clair, Festival Beauregard
14 juillet, Aix-les-Bains, le rock stoner de Red Fang attirait
Festival Musilac un public déjà conquis, armé de
T-shirt à leur effigie. Slowdive se
Trois concerts en une semaine chargeait ensuite de la touche shoe-
(avec celui de l’Olympia la veille de gaze, fort d’un tout dernier album,
Beauregard) et trois setlists diffé- vingt-deux ans après Pygmalion.
rentes ! La preuve, si besoin en Autre ambiance avec Ryan Adams,
était, que les Australiens n’ont pas qui interpellait une pleine lune
traversé la moitié de la planète lumineuse au milieu d’un set dans
pour faire les choses, hum, à moi- la plus pure tradition du rock amé-
tié… Alors, bien sûr, les années au ricain engagé et patriotique, en
compteur s’affichent sur les visages digne héritier du Boss et du Loner.
de certains, mais ils n’ont perdu ni L’édition 2017 du Pointu s’achevait
la main ni le rythme. Plus souriant sous le doux et mélodique vacarme
que par le passé, Peter Garrett du trio Dinosaur Jr., ceux-là même
enchante toujours autant pour sa qui étaient attendus en 2016 avant
présence scénique et ses mouve- d’annuler leur prestation. B.M.

ments mi-robotiques mi-


FONDU
épileptiques. Le désir d’engage- AU NOIR
ment non plus n’a pas perdu une Le thrash test Placebo
ride, à l’image du T-shirt clamant par excellence. 7 juillet, Caen Hérouville-Saint-
“Pécher par silence lorsque nous Clair, Festival Beauregard
nous devrions protester différencie
les hommes des lâches” porté – SL AY ER OK, là, on vous doit un aveu. À la
dans tous les sens du terme – par 10 juin, Br é t ign y- su r- Orge , limite du coming out. Allez, on se
l’ancien ministre. Au-delà de l’in- D ow n l oa d F e s t i va l lance… D’ordinaire, l’ennui nous
contournable “Beds Are Burning”, gagne au bout de 20-25 minutes, à
OK, Kerry King n’a plus dû esquisser un sourire depuis la réélection
attendu comme du bon pain à un concert de Placebo. Une lassi-
de Richard Nixon en 1972. OK, avec tout ce petit monde en noir
chaque fois, les diverses plongées de la tête aux pieds sur fond noir, difficile de distinguer de loin tude aussi rapide que quasiment
dans la longue discographie du sans lunettes à triple foyer autre chose que la barbe blanchissante immuable. Or, là, rien de tout ça !
groupe furent autant d’instantanés de Tom Araya et le crâne d’œuf du King précité. Mais quand il s’agit À fond dedans du début à la fin.
de sortir la sulfateuse, Slayer sait nous rappeler qui est Raoul,
de bonheur intense. X.B.
à défaut de changer quoi que ce soit dans son set. Ou son thrash Bien sûr, la collection de hits (“Pure
test... “Same Slayer shoots again”, en quelque sorte. X.B. Morning” d’entrée, “Too Many

Hanni El Khatib
8 et 9 juillet, Île du Gaou,
Pointu Festival
JA RV IS COCK ER Cette année, on ne pouvait pas
Ils ne sont pas nombreux, les festi- manquer le festival prenant place
vals de l’Hexagone alliant qualité et ET CHILLY G ONZ A L ES au bel ensemble formé par la Cité
gratuité, dans un cadre idyllique de 9 juillet, Pa r is, Da y s Of f de la musique et la Philharmonie
de Paris, tant sa programmation
surcroît. Pourtant, pour la troi- était alléchante. Si on a dû essuyer
sième année consécutive, le pari des quelques petites déceptions,
ROOM 29 comme la prestation guignolesque
organisateurs du Pointu Festival, Show
dans le Var, était réussi. Quelque de Devendra Banhart, et outre
théâtral. l’odyssée dans l’espace offerte
10 000 personnes ont répondu par Sufjan Stevens, Bryce Dessner,
présent les 8 et 9 juillet, au beau Nico Muhly et James McAlister
milieu d’un été caniculaire. Sur la pour Planetarium, on a été conquis
par la performance du duo formé
scène installée à flanc de crique sur
par Jarvis Cocker et Chilly
l’île du Petit Gaou, derrière laquelle Gonzales. Les deux compères
se confondaient le ciel et la mer, ont présenté leur projet Room 29,
quelques grands noms du rock conte pop ourlé autour du
légendaire Chateau Marmont, nous
indé. Après l’entrée en matière des livrant un show théâtral, visuel,
© CD HEROUVILLE. NICKO GUIHAL. DR.

Varois de The Spitters et leur rock musical et absolument irrésistible.


garage teigneux, le très attendu Cocker chante, danse, joue
la comédie, se moque de ses
Kurt Vile, muni de son banjo,
cauchemars, nous explique les
accompagnait un coucher de soleil destins des stars du cinéma
somptueux, avant que Ride n’accé- hollywoodien tombées dans l’oubli,
lère le tempo. Hanni El Khatib, en se balade dans la salle, se retrouve
dans un écran de télévision
véritable harangueur de foule, clô- vintage… Un grand moment. S.R.
turait la première soirée sans se

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LES
FESTIVALS

DIVA
GOTHIQUE
Troublante
prestation
de Banks,

BRILLANT!
Arcade Fire,
tout en
maîtrise.

La démesure Lollapalooza
En quatre jours, le festival américain a rappelé combien il était un événement hors normes.
Par Xavier Bonnet

D
epuis la fenêtre de la chambre conséquente que sa petite sœur parisienne et retiendront-ils de ces quatre jours? Un Liam
d’hôtel, le ballet est saisissant. Des que ses jeux d’écrans intégrés dans la structure Gallagher interrompant sa prestation au bout de
heures déjà que vont et viennent de la scène sont bluffants. L’intéressé en est per- 20 minutes à cause d’un problème de voix qui
sur le site des dizaines de véhicules suadé, comme il nous le confiait le temps de aura échappé à tout le monde? L’option collants
en tout genre (chariots élévateurs, fourgon- quelques échanges sur l’hippodrome de résilles-boxer-ceinture-mocassins-chaussettes
nettes, voiturettes de golf). Pas de temps à Longchamp : “L’électro est l’avenir de la musique. de Matthew Shultz, le chanteur de Cage the
perdre, non plus : tout doit être prêt dans moins D’ailleurs, le projet sur lequel je me concentre va Elephant? Un début de set tonitruant de Muse
de dix-huit heures. Car c’est bien plus qu’un dans ce sens. D’une certaine manière, l’électro sous une pluie battante avant l’appel à évacua-
simple festival qui prend possession de Grant correspond, dans son état d’esprit, au rock indé, tion immédiate du site à cause d’orages devenus
Park, le plus grand espace vert de Chicago, avec qui était la raison d’être du festival à sa naissance. trop menaçants? La relative noyade d’un Ryan
ses 129 hectares. C’est une ville où vont de croiser Il y a donc plus que sa place.” Adams oubliant que certaines de ses chansons
quatre jours durant quelque 400000 specta- Qu’elles tentent de traverser le site pour enchaî- intimistes n’étaient pas la définition de tout un
teurs et plus de 170 groupes ou artistes solo ner un concert après l’autre, s’autorisent une chacun d’un début de week-end festif sur un fes-
répartis sur pas moins de huit scènes, et dont les brève pause devant les tentes accueillant tival? L’étonnante reformation de Live avec son
décibels vont résonner à des kilomètres à la diverses associations (de Black Lives Matter à line-up d’origine – là, on avait clairement raté un
ronde. C’est simple, quand, deux matins de suite, One, en passant par Rock & Recycle, Oxfam épisode! – et débarrassé soudain de son manié-
les essais de son se feront sur le “Take the Power America ou HeadCount-Register to Vote), risme vocal geignard post-grunge de l’époque?
Back” de Rage Against the Machine, on croira le qu’elles se laissent gentiment happer par des La troublante prestation de Banks, entre une
temps de quelques secondes qu’une reformation animations commerciales ou bien s’agglutinent arrivée solennelle invitant à se demander si elle
surprise se fomente. Le troisième matin, c’est la devant les stands de nourritures où, comme se repasse en boucle les images d’Emmanuel
musique de Star Wars qui fera trembler les murs ailleurs mais toujours avec une surenchère qui Macron se dirigeant à pas mesurés vers la pyra-
des immeubles de Michigan Avenue – qui borde ne cesse de surprendre, burgers, pizzas et hot- mide du Louvre, œillades et gestuelle tendance
Grant Park – et nous laissera envisager un instant dogs sont de mise (tout en faisant appel exclu- diva veuve noire gothique chic hésitant entre
un DJ set de Dark Vador, et finalement non. sivement aux entreprises de restauration électro-pop à la Lykke Li et R&B un peu facile
© CAMBRIA HARKEY. SCOTT WITT. XAVIER BONNET

De la musique électro – et plus particulièrement locales), ce sont de véritables marées humaines parfois? La confirmation de la solidité de Royal
son volet EDM (pour Electronic Dance Music) –, – oser le terme de “migrations” ne serait pas Blood et London Grammar, bien que dans des
il en est beaucoup question au Lollapalooza. exagéré – qui vont d’un point à l’autre du site, à registres à l’opposé l’un de l’autre? À moins que
À l’instar de ce qui avait été présenté lors de la en donner le tournis. reste gravée la véritable leçon de maîtrise et de
récente étape parisienne du festival, une scène Pour beaucoup, la musique semble presque un ferveur d’un Arcade Fire offrant des versions
lui est quasiment entièrement dédiée, la Perry’s, prétexte. Prétexte à se retrouver entre potes – énormissimes de ses “No Cars Go”, “Ready To
du nom du cofondateur de Lolla, Perry Farrell, avec prédominance d’un public jeune, voire ado- Start” ou “Afterlife”. D’une certaine façon, le côté
l’ancienne tête brûlée de Jane’s Addiction et lescent. Prétexte à s’afficher, à tenter de se bigger than life d’un concert des Québécois
Porno for Pyros. À cette différence près que la démarquer d’un point de vue vestimentaire. en fait l’illustration et la conclusion parfaites d’un
Perry’s de Chicago est au moins dix fois plus Prétexte à passer du bon temps. Que Lollapalooza sans commune mesure.

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LES
FESTIVALS
Friends”, “The Bitter End”, “Infra-
Red”) que nous auront assénée sans
faiblir les garçons y aura été pour
quelque chose, y compris l’intensité
avec laquelle ils auront attaqué
chaque morceau. Un “Soulmates”
emba l la nt , u n “ S ong To Say
Goodbye” prenant, les images de
David Bowie sur l’écran au moment
de “Without You I’m Nothing”, puis
une caricature de Donald Trump
sur un paquet de cigarettes portant
FIESTA
la mention “Seriously harms you Le groupe
and others around you” auront fini franco-
le travail. Vingt ans, ça se fête écossais était
à l’honneur.
dignement. C’est fait et bien fait en
ce qui concerne Placebo. X.B.

T HE CELT IC SOCIA L CLUB


Iggy Pop 5 août, F e s t i va l i n t e rc e lt iqu e de L or i e n t
7 juillet, Caen Hérouville-Saint-
Clair, Festival Beauregard L’Écosse était à l’honneur pour cette nouvelle édition de l’Interceltique, festival installé depuis l’aube des années 1970
qui, depuis près de trente ans, offre une programmation internationale et s’est imposé comme l’un des plus gros rendez-
vous musicaux français, avec plus de 600000 visiteurs. Un record. Toute la ville est aux couleurs de l’interceltisme
“I Wanna Be Your Dog”, “Gimme et notamment de l’Écosse, pays invité qui y a délégué plus de 200 artistes : chanteurs, musiciens, danseurs que nous
Danger” et “The Passenger” d’en- avions eu le privilège de rencontrer à Glasgow en juin dernier en avant-première. Dire que ce centre économique respire
trée de jeu. Le message est clair : la musique est en dessous de la vérité. Nombre de groupes de stature internationale s’y sont fondés et surtout, la ville
a accueilli tout ce que le monde du pop, rock, folk, punk, électro ou hip-hop a pu produire ces dernières décennies.
Iggy ne va pas s’emm… avec des En témoigne le nombre de salles existant dans cette cité industrielle et poumon économique du pays. Mais c’est sur
préliminaires. Est-ce parce qu’il le versant celtique que se sont orientés les programmateurs du rendez-vous breton : ainsi, les artistes présents, quels que
était pressé d’aller roucouler avec soient leurs domaines de prédilection, mettent un point d’honneur à préserver une identité celte dans leur musique.
Les très jeunes groupes qui se sont produits dès le 5 août au théâtre de Lorient devant une salle bondée – comptant
son cacatoès ? De poursuivre sa dans ses rangs le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian – ont ainsi montré l’étendue de leurs talents et
t ha la sso ent a mée la vei l le à prouvé que la culture celte s’adaptait parfaitement aux enjeux artistiques du XXIe siècle. Certes, il y a eu du “tradi”
quelques kilomètres de là ? Peu – réclamé à cor et à cri par les inconditionnels de ce rendez-vous –, mais les guitares électriques ont pu s’exprimer
importe. De plus en plus fripé, de librement, entre deux bagadous, aussi bien dans le festival off, sur les terrasses des nombreux bars, que sur la grande
scène de la Marine et ses 4000 places. C’est ainsi que The Celtic Social Club, mené par Jimme O’Neill, double régional
plus en plus claudiquant, Iggy Pop de l’étape, car Écossais et habitant en Bretagne, chanteur des Silencers originaires de Glasgow, a lancé le festival avec
reste à fond, allant d’un côté à un show explosif. Une pyrotechnie mêlant uilleann pipes, violon, washboard, banjo, mandoline, mais aussi guitares, basse
l’autre de la scène, descendant et et batterie, comme il se doit. En rhabillant de vieux traditionnels d’habits rock, leur musique, proposant une sorte
de Pogues/Clash renouvelé, a transporté au loin, vers les côtes des Hébrides et l’île de Skye, mais aussi vers l’Irlande
remontant l’escalier qui le mène à la
ou la Galice non seulement les inconditionnels du groupe, mais aussi ceux qui découvraient ce “concept group” formé
foule telle une danseuse de revue sur une scène bretonne aussi (à Carhaix, aux Vielles Charrues), destiné à ne faire qu’un one shot. C’était sans compter
un peu revenue de tout, mais qui sur le soutien de nombreuses entités privées et institutionnelles qui ont finalement permis au groupe de poursuivre cette
connaît son affaire comme per- dynamique – mais aussi grâce à la ténacité de son initiateur, Manu Masko –, d’avoir déjà produit deux albums (dont le
dernier, salué dans ces colonnes), et de désormais arpenter les scènes du monde entier, dont celle de Lorient et de son
sonne. Cette foule qu’il ne cesse de festival, où leur show a permis de les placer sans détour sur les cartes du rock comme des fans de musique celtique. B.B.
haranguer, accrochant une main,
un bras, se contorsionnant devant
elle. À ce qu’il paraît, cette même
veille, il avait commencé à se faire
rattraper par un début de bron-
chite. De deux choses l’une : soit on comme s’ils étaient cinq ! L’intensité et, en soirée, les concerts. Le premier
s’était affolé un peu vite dans son ne redescendra pas un instant dans Les Insus soir, le ton a été donné par ZZ Top et
entourage, soit les médecins nor- ce set ramassé à souhait. À deux, ils 8 juillet, American Tours Festival, son boogie blues juteux : une setlist
mands sont des gourous. Notre ont trouvé leur équilibre, riffs et Tours renouvelée, des reprises (Hendrix ou
traitement de cheval à nous se sera solos ravageurs via cette basse tra- Elvis) et un show tout à l’énergie. Le
conclu par un “No Fun” et un “Real fiquée pour le premier, cette batte- Tout un pan de la culture US était lendemain, les Insus ont tout
Wild Child (Wild One)” tout sauf rie mitraillette pour le second et son posé sur les bords de la Loire le déboîté : certes, ils ne sont pas amé-
homéopathiques… X.B. inamovible casquette vissée sur la temps d’un week-end dingue, chaud ricains, mais Tours est la seule ville
tête – à croire qu’elle a dû être four- et surtout fun. Et c’est par dizaines à ce jour à les avoir reçus deux fois.
nie avec à sa naissance. Un équi- de milliers que les festivaliers ont Difficile de décrire la ferveur du
libre qui ira jusqu’à la répartition déboulé de toute l’Europe. Côté public lors de la montée sur scène de
Royal Blood
11 juillet, Montreux Jazz des morceaux joués ce soir-là : cinq spectacle, tout le monde en a eu pour Jean-Louis, Richard et Louis. Un
Festival, Jazz Lab du premier album, six du dernier. ses yeux et ses oreilles : des dizaines show énorme, tubes sur tubes
Avec les hits qui vont bien (“Lights de petits groupes couvrant toutes les enchaînés à un rythme diabolique.
© LORAINE ADAM

Out”, “Come On Over” et “Figure It facettes de la country et du rocka- Et surtout, on est dans le cultissime.
Ils n’ont beau être que deux, Mike Out”, toujours au-dessus du lot). billy, des shows d’Indiens, de visi- Pour cela, la jauge maxi a été
Kerr et Ben Thatcher envoient Tonitruant ! X.B. teurs habillés en cow-boys ou en G.I. atteinte : inutile de préciser que les

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LES
FESTIVALS
Insus, pour cette longue remontée à ressort, dont l’indispensable Jay inconditionnels fans français,
Paris où ils joueront dans un Stade Meh ler, et puis i l a r r ive. En pour l’une de leurs très rares dates
System of a Down
de France complet les 15 et 16 sep- parka, bien sûr, la moue arro- dans l’Hexagone cet été. Et les 30 juin, Arras, Main Square
tembre, sont désormais fin prêts. Le gante de celui qui sait qu’il est fidèles étaient au rendez-vous. Ce Festival
show d’anthologie livré ce jour-là a aimé et attendu. Pour ce qu’il est, soir-là, le grand théâtre en plein
réveillé de bons vieux souvenirs. le bad boy de Manchester et frère air était rempli jusqu’au dernier La force et l’attractivité de System
Qu’on se le dise… Par téléphone. B.B. ennemi de Noel Gallagher. Ce qui gradin. Il faut dire que of a Down ont toujours résidé dans
ne l’empêche pas d’attaquer les Carcassonne propose un festival l’allant, l’entrain, voire le grain de
festivités avec trois titres d’Oasis atypique, éclaté dans plusieurs folie, qui pouvaient accompagner
Red Hot Chili Peppers d’affilée : “Fuckin’ in the Bushes”, lieux de la ville, et offrant une sa musique. Bon, pour ce dernier,
23 juillet, Paris, Lollapalooza, “Rock ‘n’ Roll Star” et “Morning prog ra m mat ion a l la nt de la autant ne pas nous faire d’illusions,
Hippodrome de Longchamp Glory”. S’ensuivent les titres de grande variété et de la pop inter- c’est plié. Passé par pertes et pro-
s on pr o c h a i n a l bu m s olo, à nationale – notamment cette fits. SOAD ne veut plus tourner, en
Comme un singulier clin d’œil de paraître au début du mois d’oc- a n né e le s V iei l le s C a na i l le s tout cas Serj Tankian. Mais il
l’histoire, le groupe que l’on conviait tobre : “Wall of Glass”, “Greedy Dutronc, Mitchell et Hallyday – à honore ses engagements, bon gré
a u x é d i t i o n s d’a nt a n du Soul”, “Chinatown”… Avant de des concerts gratuits avec des mal gré. Bref, un System “dans un
Lollapalooza au nom de son appar- reprendre “D’You Know What I artistes comme Axel Bauer. Mais bon soir” ne tient que dans l’envie :
tenance à la frange “indie” se Mean?” ou “Slide Away”, qu’il pour Black Francis et son gang, l’envie de respecter une réputation,
retrouve à nouveau tête d’affiche de dédie aux victimes du Bataclan. Joey Santiago et David Lovering accessoirement respecter des mil-
la fraîche extension nationale du Très touché par le récent attentat accompagné de leur nouvelle bas- liers de gens qui se sont bougés
festival, de par son statut de cador à Manchester, Liam Gallagher siste qui officie depuis 2014, pas pour lui (seul groupe de ce premier
du mainstream rock. Pas sûr que trouve le moyen de le cacher der- de quartier. Comme à son habi- soir du Main Square dont les
cela ait de quoi… défriser la mous- rière sa légendaire nonchalance tude, ni bonjour ni au revoir : à la T-shirts à son effigie sont arborés
tache façon Super Mario d’Anthony – et son chant impeccable, qui n’a place, des riffs ravageurs, des en nombre). Bonne pioche, ce soir,
Kiedis ou de friper davantage les pa s pr i s u ne r ide depu i s le s chansons ciselées et articulées c’est un groupe concerné, à défaut
accoutrements en mode Desigual années 1990. Pour finir, il chante autour de la voix toujours impec- de volontaire, qui va enchaîner ses
de Rodeo Drive privilégiés par Flea. “ Wonder wa l l” : on ex u lt e, i l cable du chanteur, soulignée par meilleurs titres et faire bouillonner
Ça durera encore ce que ça durera savoure. S.R. le s g u it a r e s s e r p e nt i ne s de son néo -meta l à géométr ie
(les “indiscrétions” de son batteur Santiago. Le public exultait. Et variable. À croire que les bases
Chad Smith laissant entendre que lorsqu’arrive en deuxième partie aériennes (concert souvent trans-
ce ne sera as forcément le cas long- de “match” l’hymne pixien par parent au Download) lui réus-
Pixies
temps), mais sur une scène en 2017, 29 juillet, Festival excellence, le gigatube “Where Is sissent moins que les citadelles à
Red Hot Chili Peppers ne semble de Carcassonne My Mind”, c’est l’explosion, accom- l’ancienne. Oui, ce soir, SOAD va
plus avoir d’autre ambition que de pagnée d’effets de fumées et de se souvenir quelle machine de

FROM TOP: KEVIN MAZUR/WIREIMAGE; TIM MOSENFELDER/GETTY IMAGES; DONATO SARDELLA/GETTY IMAGES; C FLANIGAN/GETTY IMAGES
se faire plaisir. Un désir manifeste C’est derrière les remparts de la lights de toute beauté. Qui aurait guerre il pouvait encore être quand
de “s’éclater” qui passe tout autant Cité médiévale que les Pixies ont pu croire que les Pixies donnaient il veut s’en donner les moyens. Un
par un bombardement intensif des donné rendez-vous à leurs dans le son et lumière ? B.B. très beau souvenir… X.B.

grenades qui ont fait leur notoriété


(“Californication” – joliment foiré
par Kiedis , “By the Way”, “Give It
Away”) que par des reprises déjà
torpillées dans le passé (“Higher
Ground” de Stevie Wonder) ou
dégoupillées pour la circonstance ST ING
(“I Wa nna Be Your Dog” des 14 juillet, Aix-les-Bains,
Stooges, “Wicked Games” de Chris Festival Musilac
Isaak, pour Josh Klinghoffer en
solo). C’est surtout l’occasion pour Comment résister à un type qui vous lance au visage
– en l’occurrence, relance – toute une partie de votre
le groupe de s’autoriser moult
adolescence”? Comment ne pas chanceler quand, dans
digressions qui virent à la jam, pas les enceintes géantes d’un festival, résonnent les
forcément couronnées de succès – “Synchronicity II”, “Spirits In a Material World”, “Every
doux euphémisme – mais toujours Little Thing She Does Is Magic, “Message in a Bottle,
“Walking on the Moon”, “So Lonely”, “Roxanne”
excitantes à observer. Bref, le et “Next to You”, pour ne citer que le premier travail
piment reste au rendez-vous pour du Monsieur (car tous les hits en solo seront aussi
assaisonner le quotidien, aux de la partie)”? À quoi bon s’attarder sur le sentiment
risques et périls de chacun ! X.B.
que le bonhomme, bien qu’affûté comme jamais,
est en roue libre, livre son set sans émotion apparente”?
Est-il bien utile de se demander si l’accordéon
est vraiment ce qui manquait à l’ambiance sombre
d’un “Fields of Gold””? Quoi qu’on dise, quoi
© T.BIANCHIN/MUSILAC 2017

Liam Gallagher qu’on fasse, Sting est insubmersible… X.B.


23 juillet, Paris, Lollapalooza
Hippodrome de Longchamp

“Rock’n’roll” écrit en capitales,


blanc sur noir. Des musiciens sur

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VIRTUE
COMBAT
PROPHETS OF RAGE

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UEL
Avec son nouveau
groupe, Tom Morello
et ses acolytes tentent
de faire oublier Rage
Against the Machine.

AT ?
Mais derrière les belles
intentions et la vindicte,
le discours de la méthode
peine à convaincre.
À tort ou à raison ?
Par XAVIER BONNET
Photographie de TRAVIS SHINN

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PROPHETS

D
OF R AGE

ownload, Hellfest. Deux festivals de metal à une semaine d’in- derrière ces quelques prémices, dans un pays
tervalle et un scénario qui se reproduit à l’identique. La même qui a finalement entériné sans broncher
impatience qui grandit à l’approche du moment fatal. Aucun qu’un candidat pouvait accéder à l’investi-
doute là-dessus, Prophets of Rage est l’attraction de ceux qui ture avec deux millions de voix en moins que
ont investi les lieux, ayant réussi à créer une appétence que cer- son adversaire de par un système de collège
taines têtes d’affiches des deux festivals sont loin d’avoir réussi électoral d’un autre temps, mais que per-
à engendrer. Peut-être parce que, alors que ce mois de juin sonne ne songe à remettre en cause pour
entame tout juste sa seconde moitié, c’est nimbé de mystère que autant, au nom du respect des institutions ?
le groupe s’affiche. Et que, c’est bien connu, le mystère intrigue Qui donc pour percevoir l’écho d’un Tom
et attire… Après tout, un seul single, “Unfuck the World”, a encore été dévoilé, et l’annonce de Morello ou d’un Chuck D, prônant la révolu-
l’arrivée d’un album en septembre n’a pas encore percé. tion, sur disque ou sur scène ?
Certes, le “casting” de Prophets of Rage se suffirait presque à lui-même. Pensez donc… Trois De manière plus globale, à l’heure de l’indi-
anciens membres de Rage Against the Machine – simplifions : tous sauf Zack de la Rocha, soit vidualisme forcené et sciemment entretenu
Tom Morello, Tim Commerford à la basse et Brad Wilk à la batterie –, deux de Public Enemy afin d’étouffer les combats de société et la
(Chuck D au micro et DJ Lord aux platines) et un de Cypress Hill (B-Real au… gosier). Se suffire dimension collective qu’ils impliquent, à qui
peut bien s’adresser le discours d’un Prophets
à lui-même et poser problème en même Mais si Tom Morello – l’homme – n’a guère of Rage, aussi bien agencé soit-il ? Qui pour
temps. Car il ne faudra pas longtemps pour en besoin d’apporter de gages quant à son sens l’entendre, l’écouter ? Morello, lui, n’en
avoir le cœur net : une grande majorité de ce de l’engagement, peut-on – et faut-il – abor- démord pas : la colère gronde, y compris
public si impatient n’est manifestement là que der l’émergence de Prophets of Rage avec les auprès des plus jeunes, il n’a jamais vu un tel
pour entendre les hymnes de RATM, notam- mêmes… garanties ? Le guitariste ne manque mouvement de son vivant aux États-Unis, ne
ment sa frange la plus jeune, qui n’a encore jamais de le rappeler : le groupe est né en compte plus ceux qui se lancent dans l’action
jamais vu le groupe sur scène. Oui, là pour réaction à l’utilisation du terme “Rage alors qu’ils prenaient soin jusqu’ici de faire
s’éclater, faire des bonds sur les “Take the against the system” lors de la dernière cam- partie de la majorité silencieuse. Et tant pis
Power Back”, “Bombtrack”, “Bullet in the pagne présidentielle américaine par Donald si c’est dans son entourage immédiat qu’il va
Head”, “Bulls on Parade” et l’insubmersible Trump, mais aussi par Bernie Sanders. puiser un exemple de sa démonstration “glo-
“Killing in the Name”. Là pour ça et rien Morello va jusqu’à enfoncer le clou en parlant bale”, en évoquant sa femme jadis soutien
d’autre. Comme si le message sous-jacent d’une réaction à une urgence, un bouillonne- tacite – mais pas plus – des engagements
qu’entend véhiculer Prophets of Rage, ce qui ment naissant à accompagner. Dans le feu de politiques de son conjoint et devenue soudain
en fait sa raison d’être, à en écouter ses divers l’enthousiasme, la résistance est à nouveau coordonnatrice pour le compte de certains
protagonistes, volait en éclats devant la nos- convoquée (“et cette résistance a besoin d’une mouvements féminins. Méthode Coué ou
talgie ou la simple dimension exutoire des bande sonore”). À l’en croire encore, Prophets véritable credo ?
brûlots d’antan. “Il n’est pas indispensable de of Rage serait le reflet de son époque, de l’ins-
percevoir le message”, énonce Tom Morello, le tant, “en espérant pouvoir le changer”. Et si, au bout du compte, notre perplexité –
véritable leader de ce qu’il ne faudrait surtout Opportunisme ou pas ? Vœu pieux ? On vous pas forcément partagée, au demeurant – à
pas percevoir comme un simple super-groupe. laissera vous faire un avis. l’encontre de Prophets of Rage tenait dans la
Et tant pis s’il assène le contraire depuis le formulation de son propos, dans le fond
début de l’entretien à grand renfort de phrases Car, vue d’Europe, cette résistance à laquelle comme dans la forme ? Le fond, à savoir ces
chocs. “Si, sur un festival comme celui-ci il croit dur comme fer, ainsi que les illustra- douze chansons que le groupe n’a pas cru bon
(Hellfest, ndlr), 50 000 personnes deviennent tions qu’il avance pour étayer son ardeur, de présenter lors de sa tournée européenne,
dingues grâce à ce que nous leur proposons, paraissent bien plus embryonnaires. Vrai, les à l’exception du seul single “Unfuck the
ça me va parfaitement, poursuit-il. Et peut- marches des femmes à travers les États-Unis World”, où sont passés en revue et pêle-mêle,
être parmi eux s’en trouvera-t-il pour creuser le jour de l’investiture de Trump en janvier parfois le temps d’une furtive suggestion, la
davantage et devenir les leaders de la résis- denier ont réuni près de 4 millions de per- paranoïa sécuritaire, la dépendance médica-
tance de demain !” sonnes (une première dans le pays). Vrai menteuse, le radicalisme, les soldats qui
Résistance, il n’a que ce mot à la bouche, le encore, des aéroports ont été un temps occu- meurent au combat, l’appel à la légalisation
Tom. Bien sûr, difficile de le taxer d’opportu- pés lorsque le même Trump décida d’inter- du cannabis, les sans-abri trouvant abri sous
niste en l’occasion, lui qui est de toutes les dire l’entrée sur le territoire américain à des les bretelles d’autoroute, l’abrutissement des
luttes depuis son adolescence et n’a pas ressortissants de certains pays musulmans. masses, etc. Autant de sujets dont la viru-
attendu les événements récents pour manifes- Mais depuis ? Quelle résistance “durable” lence et les ravages qu’ils engendrent ne sau-
ter-afficher-réaffirmer ses idées assez à raient être remis en cause, mais auxquels le
gauche. Pas illogique qu’on le présente désor- groupe n’apporte aucun nouvel éclairage

“Une fois
mais autant comme un musicien que comme véritable, y compris dans la façon de les nar-
un militant. “L’un – musicien – est une voca- rer – pour ne pas dire qu’il lui manque le

de plus,
tion, l’autre – militant – est une conviction, talent et la fougue d’écriture de Zack de la
s’esclaffe-t-il. Maintenant, dans quelle pro- Rocha et ce, alors qu’il tient à en faire son

ce groupe
portion, c’est compliqué à déterminer. Ils ne cheval de bataille.
partagent pas forcément le même espace. À l’inverse, le sens de l’à-propos de Tom

est un reflet
Disons que je suis à 100 % l’un et l’autre ! Y Morello en entretien sonne parfois “trop
a-t-il un risque que l’un l’emporte sur l’autre ? beau pour être vrai”, jamais très loin non plus

de son
Oui, certainement. Si la musique est à chier, d’un simple “y a qu’à, faut qu’on”… Difficile
ça ne devient plus qu’un mauvais discours. Et de se satisfaire en effet de certaines réponses

époque.’’
c’est là le meilleur moyen de desservir la cause toutes faites, à commencer lorsqu’il s’efforce
que tu veux défendre.” de nous assurer que l’enregistrement de

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l’album fut “le plus facile et le plus fun” des MAKE AMERICA RAGE AGAIN avons commencé cette tournée en Europe,
quinze ou seize sur lesquels il aura œuvré ; En concert à Varsovie, en 2017, quelque part en Allemagne, je me suis
ou quand il nous assène que Prophets of Prophets of Rage fait le show, tout en ferveur demandé quel serait le meilleur message à
et en protestation, collant à son image
Rage est là pour durer et que tout le monde de “supergroupe révolutionnaire”. faire passer. Ce ‘Fuck Trump’ est la première
se donnera toujours à fond, que le groupe n’a idée qui m’est venue. Je crois qu’il peut créer
pas de date de péremption, tout en précisant un pont de solidarité avec ce public européen
dans la même phrase que “Public Enemy monde. Quand 500 000 réfugiés srilankais qui pense que les États-Unis ont perdu la
continue, Cypress Hill continue et que j’ai fuient à cause du réchauffement climatique, tête. C’est ma façon de lui dire : Nous sommes
moi-même mes propres projets.” Délicat de ça concerne aussi bien celui qui a 14 ans que d’accord avec vous !” Alors, si tout le monde
nous contenter en outre de tirades grandilo- celui qui en a 53, comme moi, ou 57, comme est d’accord…
quentes, au moment de s’interroger sur le fait Chuck.” À trop vouloir en faire… Seul l’avenir dira qui, de la ferveur débridée
de savoir si des musiciens désormais bien Et si, après tout, nous exigions trop de de Tom Morello ou des réactions dubitatives
nantis sont les mieux placés pour appeler à Prophets of Rage, au prétexte du pedigree de que celle-ci peut susciter, se sera approché le
la révolution, sur le mode “tout le monde sans ses divers protagonistes ? Après tout, il ne plus de la vérité. Reste à savoir si nous aurons
exception est la personne idéale pour ça, qui serait ni le premier ni le dernier groupe longtemps à attendre. Car s’il est bien une
soit-il ou quoi qu’il fasse : charpentier, étu- contestataire et protestataire qui n’aurait urgence au programme, et une urgence que
diant, sans-abri, anarchiste, rappeur, gui- que son savoir-faire à faire valoir en guise l’on partage sans détours avec ces prophètes
tariste… Il ne peut y avoir de ghettoïsation à d’argument et à chercher à tracer sa route – le de la rage, c’est bien celle qui consiste à
propos de qui est le mieux habilité à porter temps qu’il faudra – en mettant à profit un “unfuck the world”. Pour peu qu’il ne soit pas
ce genre de mouvement. Je suis la même étoile contexte ou l’humeur du moment. Après trop tard, ce que ne veut là non plus pas
polaire en matière de politique depuis mes tout, ce n’est peut-être que du show-business entendre le guitariste : “L’histoire montre
16 ans. Il se trouve juste que je suis devenu et c’est très bien ainsi. Après tout, et conve- que des gens se sont levés à des périodes tra-
guitariste. Mais que je sois un guitariste qui nons-en bien volontiers, il est encore suffi- giques et dangereuses de ce monde. Combien
n’ait vendu aucun disque ou 30 millions ne samment de sons à sortir de la guitare de sont ceux qui se sont longtemps persuadés
change rien à l’affaire…” Tom Morello, au pire intrigants au mieux que le mur de Berlin ne tomberait jamais ?
Et que dire de cette répartie lorsqu’est avan- passionnants, pour que l’on accepte de se Combien sont ceux qui se sont persuadés que
cée l’idée que des adolescents de 14-15 ans contenter, et ne pas avoir à réduire l’utilité de l’apartheid durerait indéfiniment ? Pareil
n’ont peut- ê t re pa s forc ément env ie l’instrument au désir pour son propriétaire pour l’esclavage aux États-Unis ou le droit
aujourd’hui d’écouter les conseils-injonctions d’y coller sur le revers une feuille avec l’ins- de vote refusé aux femmes. Autant de suppo-
de quinquagénaires bien sentis : “D’une cer- cription “Fuck Trump”. sées réalités que l’on pensait inamovibles,
© JEFF KRAVITZ/GETTY IMAGES

taine manière, nous sommes moins là pour Et tant pis si, là encore, l’explication fournie coincées dans le cours de l’histoire. À tort. Et
les guider que pour les suivre, moins là pour ne convaincra qu’à moitié. “Woody Guthrie pourquoi ? Parce que des gens pas différents
prêcher à leur encontre que les écouter. Une s’est rendu célèbre avec son message ‘This de ceux qui pourront lire cet article ont refusé
fois de plus, ce groupe est un ref let de son machine kills fascists’ sur la sienne et j’en ai ce qui ressemblait à une fatalité et ont changé
époque. Une fois de plus, il est né d’une souvent collé sur les miennes au fil des ans, le monde…” Camarades lecteurs, au boulot !
urgence partagée par une grande partie du prend soin de rappeler Morello. Quand nous Unfuckez-nous tout ça…

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ENNIO
MORRICONE

IL MAESTRO
Il a donné
un son à
l’Amérique,
construit son
propre mythe
à grands coups
d’harmonica et a
même fini par être
sympa avec Tarantino.

Par OLIVIER FLORIO


Photographie de JIM DYSON

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A
ENNIO
MORRICONE
rendre sa musique accessible aux cinéphiles Antonio Ferdinandi et, plus tard, ceux de
qui traînent dans les salles obscures. Goffredo Petrassi. Nous avions un amour
Morricone “sert”. Sert le film. Une musique sans bornes pour l’écriture, la recherche (…).
“de service”, comme il dit. Mais bon, il y a Un amour spirituel.”
tout de même une limite. Parce que c’est Mais voilà, dans sa période “à la mode”, il
une part de son ADN qu’il met sur le tapis. cartonne tellement qu’il court, il court,
Et là, il lâche pas l’affaire facilement, le Ennio. Et le temps finit par lui manquer.
Maestro. Pas question de laisser se dégra- Son succès grandissant le porte, mais finit
der son “creativ’ impulse”. aussi par l’enchaîner. Les feuilles blanches
Avec soixante ans de carrière, Ennio Pour Ennio, au départ, le cinéma c’est tout de la musique absolue restent immaculées
Morricone incarne l’une des figures les plus sauf une histoire de vocation. “Je pensais sur un coin de bureau, la poussière fait son
marquantes de l’industrie cinématogra- faire comme tant de compositeurs qui office. Ainsi soit-il.
phique. Considéré comme une inf luence gagnent peu, mais écrivent ce qu’ils veulent Alors, le soir, lorsque résonnent les cloches
majeure pour bon nombre de compositeurs (...). Mon rapport avec le cinéma est venu du Vatican, Ennio est seul face à lui-même.
du cinéma actuel tel que Hans Zimmer, il a par hasard, parce que j’ai pas eu la possi- Et il a cette voix qui s’immisce en lui,
été également une source pour certaines bilité de faire autre chose.” comme une prière profonde, un appel vers
icônes de la pop, jusqu’à Metallica ou Bruce Il fallait bouffer, assurer le quotidien. Alors l’au-delà, un trait d’union vers l’infini, la
Springsteen. Examiné sous toutes les cou- il commence en faisant des arrangements voix de l’autre musique. “J’ai un doute ter-
tures, disséqué au scalpel, passé aux rayons X, pour de la variet’ ou autre, comme ça, un rible”, confie-t-il un jour à Sergio Miceli
le personnage fascine. Mais qu’est-ce qu’on peu en souterrain, histoire de pas être trop historien de la musique, musicologue et
peut dire de plus aujourd’hui que : Ennio, repéré. Mais bon, ça n’a pas duré long- ami, “que ma limite soit la musique de
c’est LE compositeur de musiques de film. temps. Un jour, le cinéma frappe à sa porte. cinéma.” Comme une frontière invisible
Un f ilm ? Un vrai sac de nœuds. Il y a Et alors là… c’est THE virage. Car dans les que l’homme appréhende et qui le hante. Et
d’abord le réal qui arrive avec sa probléma- années 1960-1970, Ennio bouscule, renou- même si le public croit que la musique
tique existentielle et qui est souvent suivi velle, transcende les codes de la musique du d’Ennio, c’est celle qu’il fait pour les films,
par un producteur (sorte de poisson-pilote) cinéma de l’époque. Mais pour lui, la lui sait intérieurement qu’il y a “l’autre”,
qui a une vision chiffrée du monde. Et là, musique de film c’est qu’une sorte de “gym- l’autre musique, l’autre Ennio, et envers
ils tombent sur Ennio qui, lui-même, est nastique”, un “exercice”. “Chaque film est lequel il sent qu’il a une dette. Croirait-on

“ Chaque film est une nouvelle expérience musicale,


qui présente de nouveaux problèmes à résoudre,
cela me donne le sentiment d’exister,

*** de ne pas créer dans le vide.”


dans une perspective assez “personnelle”,
disons ondulatoire, de l’espace et du temps.
une nouvelle expérience musicale, qui pré-
sente de nouveaux problèmes à résoudre
***
en lui en tant que musicien sans images ?
Alors Ennio fait une sorte de pacte avec lui-
Mais bon, malgré tout, quelquefois, ça (…). Cela me donne le sentiment d’exister, même. “Servir” du mieux qu’il peut. Comme
“matche”, et comme Ennio est du genre gros de ne pas créer dans le vide.” Un exercice pour donner le change, comme pour se
bosseur et qu’il a des ondulations sonores noble, certes, et lucratif, mais qui, malgré repentir de son péché de ne pas servir sa
un peu partout dans la tête, ils finissent tout, ne saurait en aucun cas se substituer propre voix. De ne pas servir cette “musica
donc parfois par se mettre d’accord. “Cinq au questionnement profond et existentiel assoluta” qu’il porte en lui, pure et sans
cents films, sinon rien” : ainsi pourrait-on de l’individu face à la feuille blanche : celui compromis. Il espère ainsi se sauver lui-
résumer sous forme de boutade la riche car- de la “musica assoluta”. Kézako ? La “musica même et peut-être aussi “sauver” certains
rière du maître italien. Cinq cents, ça fait assoluta” (musique “en soi”) par opposition des films dont il accepte d’écrire la musique.
tout de même un paquet d’accords. Et à la “musica applicata” (musique de com- “Je ne me suis pas laissé aller (…). J’ai cher-
encore, il en aurait viré la moitié, refusant mande). Deux concepts bien éloignés, voire ché à racheter, à me racheter.” Et c’est peut-
de travailler pour des réals qui ne lui reve- antinomiques. Le truc qui rend bien schi- être ce qui donne une teneur si particulière
naient pas ou qui lui demandaient d’écrire zophrène. On comprend alors ses sautes à sa musique.
dans le style de Stravinsky ou de Mozart. d’humeur, au Maestro. Et c’est aussi et Ennio se sent enfermé. Briser les bords de
À dégager. peut-être surtout cette “musica assoluta” l’image, pulvériser les écrans, la question
Pour autant, malgré son caractère, Ennio que Morricone a dans la tête depuis qu’il est reste épineuse. “Moi, je ne peux jamais être
sait s’adapter. Composer avec les contin- enfant. “Mon père jouait de la trompette. content en faisant de la musique pour le
gences stochastiques, scolastiques et chao- C’est lui qui m’a enseigné la clé de sol et cinéma, même si je reconnais qu’il y a beau-
tiques du monde cinématographique. Il sait transmis la passion pour cet instrument. coup d’aspects positifs”, déclare-t-il encore
© GETTY IMAGES. DR.

prendre pleinement en considération sa Puis je me suis inscrit au conservatoire de en 1979 à Miceli. Le cadre, toujours le cadre.
responsabilité de fournir un matériel artis- Santa Cecilia, à Rome. J’ai fait un cours Bien sûr, ses maîtres à penser ont eu à com-
tique convaincant. Wow ! Pour le réal bien d’harmonie complémentaire et ensuite étu- poser avec des problématiques similaires.
sûr (faut pas l’oublier), mais aussi pour dié la composition. J’ai suivi les leçons de L a f o r m e (s o n a t e , f u g u e , f o r m e

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2

UNE VIE EN IMAGES


(1) Partitions sous le bras, le
compositeur prépare ses concerts.
(2) Avec son ami, le réalisateur
Sergio Leone. (3) Le “Maestro” en
pleine répétition avec ses choristes,
à Rome en 1984. (4) Sur scène,
Morricone dirige ses propres œuvres
de main de maître. (5) C’est Clint
Eastwood qui lui remettra le seul
oscar de sa carrière, en 2016, pour la
BO des Huit Salopards. (6) L’équipe
de Hateful Eight, avec (de gauche
à droite) Kurt Russell, Ennio Morricone,
Quentin Tarantino et Michael Madsen.

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ENNIO
MORRICONE

Duel
Rencontrer le Maestro n’est pas facile. Tous ceux qui s’y sont essayés en gardent
un souvenir doux-amer. Et se souviennent d’une tension digne d’un duel de western.
Que l’on soit journaliste, compositeur… ou les deux à la fois. Par Alex Jaffray

C
hez mes grands-parents, il y avait penauds, dont une jeune collègue qui débutait se lève et te remercie. (Le manager me montre la
trois vinyles. Un disque de valses dans l’exercice. Le Maestro arrive, le pli n’avait porte d’entrée de l’appartement, en mimant
autrichiennes que je n’ai jamais sorti pas quitté son front. Morricone.)
de sa pochette – à cette époque À la première question, une réponse tiède nous Ambiance.
j’avais une aversion pour le trois temps; un disque arrive après le temps de traduction. Deuxième L’équipe installe le matériel, pieds de caméra,
d’enregistrements de machines à vapeur – mon question maladroite sur les musiques pour rallonges, lumières, micro.
grand-père était ancien cheminot et le vacarme Leone de notre jeune amie – on sent la réponse Là, le même homme de main avec le même
de métal et de vapeur devait lui manquer; et un froide même avant traduction. Je pose ma ques- accent approche :
disque des plus grands titres de Ennio Morricone, tion, que j’espère intelligente, plouf plouf. Le pli — Il y a quelques années, un mec de TF1 s’est
avec, sur la pochette, une photo du film Le Casse, ne part pas du front du patron. S’ensuivent deux branché sur cette prise, il a fait sauter les plombs.
avec Belmondo qui met en joue Omar Sharif. séries de questions, puis le Maestro se lève, je On lui a fait un procès.
J’ai grandi en écoutant en boucle ce générique reste avec le souvenir de ma pochette du Casse Léger froid.
de film avec l’impression diffuse de transgres- qui se fissure en mille morceaux, et avec une Et puis Monsieur Morricone arrive, vieux et beau
sion, d’écouter de la musique de voyou, à cause impression d’inachevé. à la fois.
du revolver; une musique interdite et fascinante, Deux mesures de valses plus tard, nous sommes Moins en forme qu’il y a quelques années, il a
hypnotique avec ce thème court que Morricone en 2014, le Maestro s’est enfin décidé à diriger ses subi une opération qui l’a affaibli. L’interview
balade dans toutes les tonalités et toutes les musiques en concert, on me propose d’aller le commence, il est un peu fermé, puis je lui parle
gammes. Il promène cet ostinato à la manière de rencontrer chez lui, à Rome. Le voyage s’orga- de son père, de ses débuts de trompettiste et du
Bach, mais avec le côté goguenard de l’instru- nise, seulement quatre journalistes français sont flambeau transmis par son père, de la musique
mentation façon Maestro : un piano de saloon, choisis, grosse pression. Et pour en rajouter une absolue – la musica assoluta – tellement impor-
une guitare, un son de vagues au loin… fine couche, on reçoit des consignes strictes tante à ses yeux, de ses années d’arrangeur pour
Plus tard, porté par le dicton “Ennio un jour, avant de partir : la variété italienne qui lui ont permis d’essayer
Ennio toujours”, avec mes premiers francs, j’ai 1. on doit l’appeler “Maestro”; plein d’assemblages en musique – assemblages
acheté le 45-tours de la musique du film À l’aube 2. on n’emploie pas le terme de “western que l’on retrouve dans ses grandes musiques de
du cinquième jour, d’une tristesse palpable, qui spaghetti”; film. On parle de Mina, de ses tubes des
m’avait transpercé l’âme sans pouvoir y mettre 3. on ne lui parle pas d’entrée de jeu de ses films années 1960. Puis il s’ouvre, sourit, l’interview
de mots. Une composition qui m’a donné envie avec Sergio Leone; devait durer 20 minutes, une heure après on y
de comprendre la magie invisible de la musique 4. on ne lui fait pas signer de disques… est encore. Je lui parle de son bureau de com-
et d’essayer d’en écrire moi-même. Comme ça pendant une demi-page avant même position, il se lève et me dit qu’il ne le montre que
Quelques années passent en une mesure de de poser le pied à Rome, de quoi être bien tendu, rarement. Il sort une clé, ouvre une porte, sort
valse et, en 2006, lors du festival de musique de en sachant qu’Ennio est à l’humour ce que une deuxième clé, ouvre une seconde porte et
films d’Auxerre, on me propose de rencontrer le Dupont-Aignan est au mariage pour tous. Le jour on se retrouve dans son bureau, entourés de
Maestro. Avec, bien entendu, toutes les réserves dit, avion pour Rome, les interviews ont lieu en toutes ses partitions classées et rangées méti-
d’usage : il est difficile, il est ronchon, il est âgé, début d’après-midi pour qu’Ennio soit en forme culeusement sur des étagères.
il ne parle pas anglais, il se réserve le droit de ne après une petite sieste. Posées sur le canapé, les partitions en cours
pas répondre à toutes les questions et il ne fera Vieil et vaste appartement romain dans lequel le pour Tornatore, sur une étagère en face, des
peut-être pas l’interview, bref, un terrain propice Maestro habite depuis quarante ans et a com- dizaines de récompenses – Bafta, Grammy,
à l’épanouissement et à l’attente sereine. posé, dans la plus grande solitude de son bureau, Golden Globes, Nastro… J’ai la présence d’esprit
J’avais réussi à me glisser sans permission pour quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre. de ne pas lui parler de l’oscar qu’il n’a pas encore
assister aux répétitions et voir le Maestro à Premier contact sur place à la hauteur de l’ap- eu, surtout de celui du film Mission qui lui est
l’œuvre, et en fait, il n’était pas du tout vieux! préhension, le manager d’Ennio, une sorte resté un peu sur l’estomac.
Droit, sec, sévère et souple, l’oreille tendue, arrê- d’Italien échappé des Affranchis de Scorsese te Je cherche du regard un piano, rien. Uniquement
tant les musiciens à la moindre approximation, regarde dans les yeux et te dit en anglais avec un bureau, large, massif, dos à la fenêtre, le
avec le pli du front du chef d’orchestre qui n’a pas un accent plein de “r”. Maestro a sa musique dans la tête, il écrit direc-
entendu ce qu’il avait en tête. — Tu sais pourquoi le Maestro fait les interviews tement sur du papier qu’il achète une fois par
Il sort de scène et débutent alors deux bonnes chez lui? mois chez le même imprimeur romain. Il m’ex-
heures d’attente et de tractations : interview? — Euh… Non, Monsieur. plique qu’il écrit tous les matins, à la même
pas d’interview? On nous dit qu’il est fatigué, Il faut toujours être très poli quand un Italien heure, après avoir fait un peu de jogging dans
que ces entretiens n’étaient pas prévus, que les avec des chaussures blanches vous parle. son appartement (?), il taille ses crayons et écrit.
trois journalistes devront faire leur interview — Eh bien, le Maestro fait ses interviews chez lui, Pour écrire plus de 450 musiques de films, il n’y
ensemble. Une traductrice, trois journalistes comme ça, si les questions ne lui plaisent pas, il a pas de secret.

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ACCLAMATIONS !
Chaque soir, le Maître reçoit
Je me rassois en espérant qu’il va m’adopter, que une standing ovation
je peux mourir tranquille, mais inquiet que les de la part du public, comme
trois autres journalistes me maudissent pendant de l’orchestre symphonique.
cinq générations pour leur avoir mangé tout leur
temps d’interview.
Je me lance pour une dernière confidence et
explique au Maestro que, petit, j’écoutais le
générique du film À l’aube du cinquième jour, et
que c’est certainement l’un des morceaux qui
m’a donné envie d’écrire de la musique. Le titre
italien doit être très différent. Ennio ne semble
pas comprendre de quoi je lui parle, il bara-
gouine un truc en italien avec un pli sur le front.
Puis il se lève d’un bond, l’air furieux, je me dis :
C’est bon, j’ai réussi à me torpiller sur la dernière
question. Comme dans un film de Leone, une
goutte de sueur perle sur mon front, lentement.
Mais le plus grand compositeur du monde ne va
pas vers la porte d’entrée, il va vers un piano
caché dans le salon sous une tonne de bibelots,
il soulève le capot, s’assoit et me joue juste pour symphonique), le mécène à qui il faut plaire ment à sa production cinématographique.
moi, l’introduction de À l’aube du cinquième jour. ou bien encore la mode, tout simplement. Le Une dizaine d’œuvres entre 1960 et 1980,
La goutte de sueur se transforme alors en larme. film apporte certes ses contraintes, mais contre plus d’une centaine entre 1990 et 2010.
Une courte mesure de valse plus tard, je me également un nouvel espace d’écriture. Et À l’instar de sa musique de film, il opère dans
retrouve à Abbey Road pour l’enregistrement de c’est dans ce paradoxe que la musique de ce domaine une sorte de syncrétisme de
la musique des Huit Salopards de Tarantino que f ilm se construit. Pour tant, Ennio ne genres. Atonale, parfois climatique ou
le Maestro a composée et dirigée. regrette rien. Ainsi confesse-t-il en 1990 : hybride, il crée une musique dont il avait du
L’enregistrement est filmé, il règne une atmos- “Je rêvais bien sûr d’écrire un autre type de reste parfois semé les graines au cours de ses
phère électrique dans le studio, quasiment la musique quand j’étais jeune, mais cela ne centaines de collaborations pour le cinéma.
même que le duel de l’homme à l’harmonica. Un signifie pas que je regrette ce que j’ai fait. Je Citons des œuvres comme Ut (1991) ou Totem
peu moins de temps pour échanger et, conforté pourrai déplorer les œuvres que je n’ai pas secondo (1981), Epitaffi sparsi (1992),
par notre précédente rencontre, je passe tout de
suite la seconde.
Je lui demande pourquoi avoir cédé à Tarantino Les espaces musicaux nouveaux,
au bout de temps d’années (il a imploré
Morricone pendant quinze ans de lui composer
l’avant-garde et la recherche musicale
une musique originale et, n’obtenant pas de c’est son truc. Musique de chambre,
orchestre, tout y passe. Ennio,
réponse positive du Maestro, Tarantino allait pio-
cher dans d’anciennes BO de Morricone). Le

***
l’expérimental.
***
Maestro, en grande forme, me répond : “J’aime
bien Quentin, c’est un très bon réalisateur, qui
aime ma musique, mais j’en avais assez qu’il uti-
lise n’importe comment mes compositions.” Bim. eu le temps de composer, c’est différent.” Le Wow! (1993), Braevissimo I, II, III (1994) ou
Je lui demande pourquoi faire venir son cinéma lui aurait-il volé trop de temps ? même réc em ment Ma ss for Pope
orchestre de Rome, alors qu’à Londres, il y a les Morricone veut l’absolu. Mais est-on jamais Francis (2015), une messe que lui aurait sug-
plus grands orchestres du monde tel que le proche de la vérité ? “Le grand hobby d’Ennio, géré, un jour, un moine devant le kiosque en
London Symphony Orchestra. Léger blanc. Je disait son ami Giuliano Montaldo, c’est la bas de chez lui. “Vous écrivez de tout, pour-
regarde la porte de sortie en me disant que j’y musique. Cela paraît paradoxal ? Et pourtant quoi pas une messe ?”
suis allé un peu fort. non. C’est grâce à elle qu’il se libère.” Lorsqu’il Sa musica assoluta aura-t-elle la force de
Ennio plisse son œil d’enfant derrière ses grosses ne fait pas de musique, il fait donc de la celle de ses homologues contemporains du
lunettes, sourit et dit : “Je préfère travailler avec musique. Comme ça, en marge des films. x x e siècle ? Nono, Berio, Dutilleux ou
mon orchestre; je peux leur parler en italien, sur- Ennio a toujours eu une âme d’explorateur. Le encore Stravinsky ou Bach, qu’il aime citer
tout quand je ne suis pas satisfait.” Ce qui ne piolet à la main. Prêt à aller décrocher des en référence. Fera-t-il autant preuve de
manqua pas d’arriver quand le malheureux cla- notes inattendues. Comme avec la Nuova clairvoyance et de force de langage dans ce
rinettiste loupa l’entrée à la 57e mesure de l’ou- Consonanza, un groupe d’improvisation expé- domaine qu’il a pu en avoir dans celui de la
verture des Huit Salopards et que le Maestro lui rimentale. Les espaces musicaux nouveaux, musique de film ? Seule l’histoire le dira. Le
souffla magistralement dans les bronches. l’avant-garde et la recherche musicale, c’est temps révèle par décantation lente le pay-
Il faut croire Hans Zimmer, prince des bandes son truc. Musique de chambre, orchestre, tout sage des œuvres marquantes d’une époque.
originales des plus grandes productions hol- y passe. Ennio, l’expérimental. Aujourd’hui, Quoi qu’il en soit, sa musique restera en
lywoodiennes, quand on lui demande qui sont avec le recul, aucun doute qu’il a fini par tran- nous comme un écho. Celui de sa musique
© GETTY IMAGES

les trois plus grands compositeurs : “Ennio cher entre la musica assoluta et la musica de film bien sûr, mais peut-être aussi un
Morricone, Ennio Morricone, Ennio Morricone.” applicata. Sa production personnelle n’a cessé jour, nous lui souhaitons, comme l’écho de
d’augmenter inversement proportionnelle- sa musique tout court.

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1

3
4

GRACELANDOLOGY
(1) L’album de tous les records.
(2) La pochette de l’album
présentant tous les hits de Soweto,
qui inspirera Paul Simon. (3) En
studio, en 1986. (4) Sur la scène du
Hard Rock Festival, à Londres.
(5) Lors de l’émission Saturday
Night Live. (6) Sur la scène du stade
Rufaro de Harare, au Zimbabwe,
avec Ray Phiri. (7) L’ensemble
des musiciens sud-africains, lors
de la tournée de 1987.
6

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Making Of

ÉTAT DE GRÂCE
Paul Simon aura mis cinq ans à publier le concert anniversaire
donné en 2012 à Londres et célébrant le quart de siècle de son album
événement, Graceland, sorti en 1987, avec les musiciens sud-africains
qui l’avaient accompagné sur cet opus hors normes.
Par BELKACEM BAHLOULI

O
n se souvient encore du titre du quotidien faut aller là où sont les musiciens si on veut avoir le bon son, et c’est ce qui
de Harare, au Zimbabwe : “Disgraceland”. Cette s’est passé avec Graceland. Je suis allé en Afrique du Sud parce que c’était
violente manchette faisait suite au concert de là-bas qu’était cette musique.”
Paul Simon au stade Rufaro avec son groupe sud- C’est aussi là que les ennuis commencent, parce que l’Afrique du Sud n’est
africain, le 14 février 1987. Elle symbolise pas un pays comme un autre. Depuis 1948, le National Party au pouvoir
également toutes ces polémiques qui ont entouré applique une politique de ségrégation raciale et de développement séparé
l’enregistrement et la sortie de l’album Graceland, entre les Noirs et les Blancs (et les Asiatiques et les “métis”), mais aussi
l’un des plus beaux fleurons des années 1980. Mais depuis, de l’eau est entre les différentes tribus. Dans le documentaire de Berlinger, Simon
passée sous les ponts. L’album est devenu “culte”, Simon a fait deux tour- demande à Quincy Jones : “Pourquoi les politiciens sont-ils considérés
nées mondiales avec les musiciens qui avaient participé à ce disque comme des experts ?” Bonne question : alors que les Nations unies imposent
séminal, celui-là même qui a lancé la grande vogue de la “world music” au une série de boycotts pour mettre la pression sur le gouvernement sud-
cœur des années 1980. À tel point que, vingt-cinq ans plus tard, son auteur africain, Ronald Reagan et Margaret Thatcher soutiennent une politique
décide de faire revivre ce moment magique, d’abord en Afrique du Sud lors “d’engagement constructif”, censée, selon eux, mettre fin à l’apartheid en
d’un concert à Johannesburg, puis à Londres où, jusqu’à l’orée des atténuant les sanctions et en récompensant la minorité blanche d’empê-
années 1990, les musiciens sud-africains n’avaient pas le droit de se pro- cher la propagation du communisme.
duire, qu’ils soient Noirs ou Blancs, de Johnny Clegg à Mahlathini & Parallèlement, The Indestructible Beat of Soweto, compilé par Herman et
Mahotella Queens. Belle revanche. Et c’est devant plus de 60 000 per- publié sur le label Earthworks, arrive sur le marché international en 1985.
sonnes que Graceland, in extenso, revécut un soir de juillet 2012. Ce live “Ils avaient sorti un truc appelé Zulu Jive, dit Herman, c’est la meilleure
est resplendissant : outre l’intégrale de l’album “world”, Paul Simon y joue musique du pays, laissez-moi compiler et sortir les bons trucs.” Présentant
bien entendu ses plus grands succès, parmi eux une poignante version des artistes comme Nelcy Sedibe, Simon ‘Mahlathini’ Nkabinde et
acoustique de l’inusable “Sound of Silence”, une relecture avec Jerry Wexler Ladysmith Black Mambazo, il ne passe pas beaucoup sur les grandes radios
à la slide de “The Boxer” et un final en forme de profession de foi, “Still mais, salué par Robert Christgau du Village Voice comme “le disque le plus
Crazy After All These Years”. Bref, un double CD assorti d’un DVD/Blu-ray important des années 1980”, prépare les critiques à l’album sur lequel Paul
indispensable. Simon est discrètement en train de travailler.
Flash-back. Les années 1980 n’avaient pas épargné Paul Simon. Après le Après avoir parlé à son label, qui lui suggère d’enregistrer en Amérique, et
succès des trois albums qui ont suivi Bridge Over Troubled Water, il a du à des amis comme Harry Belafonte, qui lui conseille de demander la
mal à retrouver son inspiration ; One-Trick Pony comme Hearts and Bones permission à l’African National Congress (ANC), qui représente la majorité
sont des déceptions. Pire encore pour le moral, l’album live enregistré avec des Sud-Africains noirs, Simon se rend à Johannesburg en février 1985.
Art Garfunkel à Central Park en 1981 est certifié double platine. Son heure Rosenthal a réservé du temps de studio pour ses groupes préférés –
est-elle passée ? Est-il un artiste fini pour nostalgiques ? Dans Under Stimela, le groupe soul du guitariste Ray Phiri ; Tau Ea Matsekha, un
African Skies, l’impressionnant documentaire de Joe Berlinger consacré groupe du Lesotho emmené par l’accordéoniste Forere Motloheloa et le
© GETTY IMAGES. SONY MUSIC. DR.

à l’aventure Graceland, il prétend avoir abordé ce déclin avec optimisme : bassiste Baghiti Khumalo ; General MD Shirinda And The Gaza Sisters,
“Parfait, la prochaine fois, personne ne sera là pour regarder par-dessus qui viennent du Gazankulu ; et The Boyoyo Boys, spécialement reformés
mon épaule.” Paul Simon peut faire quelque chose qui l’intéresse, parce après la mort de leur batteur – et il s’agit maintenant de les rassurer, car ils
que plus personne ne s’intéresse à lui. “Quand j’ai voulu enregistrer ‘Mother ont enfreint la loi sur les laissez-passer, de se détendre et de voir ce que ça
and Child Reunion’ en 1971, j’ai appelé le gars qui avait enregistré Jimmy donne. Si l’on en croit le film de ces séances, le temps que Simon a passé à
Cliff et je lui ai dit que j’aimerais enregistrer là-bas. J’avais compris qu’il travailler avec ces groupes a été une fête du début à la fin, mais rien que

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Paul Simon

par sa présence, il s’expose aux critiques. Pour Il passe encore du temps en studio, avec l’expa- du Sud ?” Mais le plus inquiétant, peut-être, c’est
commencer, il n’a pas parlé à l’ANC et n’a pas res- trié sud-africain Morris Goldberg au penny que le gouvernement de Pretoria semble adorer
pecté un boycott créé pour empêcher l’Afrique du whistle et au sax, le joueur de pedal steel de l’album, l’encensant comme une preuve que l’en-
Sud d’avoir des échanges de quelque sorte que ce King Sunny Ade, Demola Adepoju, Don et Phil gagement constructif et – bizarrement – que le
soit avec le monde extérieur. Il a obtenu l’autori- Everly et, ravivant la controverse, Linda développement séparé fonctionnent. Il se vend
sation du syndicat des musiciens local, qui ne s’est Ronstadt, vétéran de Sun City – “Simon utilise bientôt à 150 000 exemplaires, ce qui en fait le
pas opposé à ce qu’il enregistre avec ses artistes si de l’essence pour éteindre des bougies d’anniver- plus grand succès dans le pays depuis Thriller.

L
ceux-ci n’étaient pas exploités – il les paye trois saire”, soutient le critique Nelson George. Il
fois plus que ce qu’impose le barème du syndicat essaye aussi de rendre cette musique familière ’affaire, heureusement, se ter-
américain –, mais n’a pas demandé l’approbation à son public. Presque un an plus tard, après mine bien. Graceland se vend à
des politiciens. “En un sens, Paul a eu beaucoup avoir correspondu avec le chanteur Joseph 14 millions d’exemplaires dans le
de chance d’être coincé dans cette impasse poli- Shabalala par courrier, Simon rencontre le monde ; Ladysmith Black Mambazo
tique, dit Phiri. Toutes ces controverses ont attiré groupe zoulou de chant a cappella Ladysmith deviennent des superstars, arrivant en tête des
l’attention sur l’album, et tout le monde s’est dit : Black Mambazo à Abbey Road. Il y arrange charts internationaux des albums avec leur
Écoutons-le… Qu’est-ce que c’est que ce Graceland ?’ rapidement et enregistre avec eux ce qui est best of, The Star and the Wiseman ; Khumalo
Ça a contribué à relancer sa carrière et à faire sans doute le meilleur argument de vente du LP, reste l’un des hommes à tout faire de Simon pour
connaître la politique de l’Afrique du Sud au “Homeless”. L’album étant censé sortir en les enregistrements et les tournées ; et Phiri se
monde entier. Nous transmettions de bonnes et de juin 1986, le groupe de Graceland et Ladysmith voit décerner en avril un prix pour l’ensemble de
mauvaises nouvelles.” “Rétrospectivement, je suis sont programmés dans Saturday Night Live son œuvre par l’industrie musicale sud-africaine.
heureux que ça ait eu lieu, dit Simon aujourd’hui, en mai, mais Warner repousse la date de sortie Plus important, l’apartheid lui-même s’effondre,
parce que, de mon point de vue, il est absurde que à l’automne. Ayant du temps à tuer, l’ensemble après la libération d’un grand nombre de prison-
des partis politiques vous dictent ce qui est moral répète une chanson totalement nouvelle, niers politiques en 1990. Tout le monde sort
ou pas.” On accuse aussi Simon d’impérialisme “Diamonds on the Soles of Her Shoes”, et la joue gagnant. Avec le temps, il devient acceptable
culturel. Voilà un riche Blanc qui, selon le groupe pour les téléspectateurs. La réaction est telle pour ceux qui s’étaient regroupés contre l’album,
de pression Artists Against Apartheid, profite de qu’ils retournent illico en studio pour une der- comme Fairley, Billy Bragg ou Dali Tambo
gens qui ne peuvent pas prendre part à un libre nière séance. d’Artists Against Apartheid, d’admettre en aimer
échange d’idées, parce qu’ils ne la musique. En 1992, Simon est
sont tout simplement pas libres. invité par le syndicat des musi-
Le journaliste Jan Fairley avait
même lancé : “Les gens avec les- “ LORS DE SA SORTIE, ciens à jouer en Afrique du Sud et,
après le concert, il rencontre le
quels il a travaillé étaient brillants
et lui n’était qu’un imitateur, pre-
L’ALBUM SE VENDRA futur président du pays au cours
d’une réception de l’ANC. Alors
nant leur train en marche.” “Je À 150 000 EXEMPLAIRES que dire si Graceland a reçu l’ap-

EN AFRIQUE DU SUD ”
n’avais rien, tout a été fait là-bas, probation de Nelson Mandela…
à l’exception de ‘Gumboots’, qui “Je dois dire ceci, dit Herman, pour
était écrite avant que j’arrive, rap- beaucoup de ces musiciens, c’est

Q
pelle Simon. S’ils ne comprenaient l’album le plus africain sur lequel
pas ce dont je parlais d’un point de vue conceptuel, uand le lp sort, il est accueilli ils aient joué. C’est un fait. C’est ironique, mais
une fois qu’on l’avait enregistré et qu’ils venaient par une approbation quasi una- prenez Ray Phiri, vous ne trouverez pas un disque
l’écouter en cabine, ils pouvaient voir ce que je nime… pendant environ un mois. auquel il ait participé qui soit plus africain, et
faisais, ce mélange de sons. Je modifiais la Puis les gens commencent à poser Paul Simon a tiré le meilleur de ce mec.”

V
musique en partant de ce qu’ils jouaient, j’ajou- des questions, pas sur le Graceland chanté par
tais des ponts et d’autres choses, pour la rendre Simon, mais sur l’État paria dans lequel il a enre- ingt ans plus tard, c’est sur la
formellement plus proche de quelque chose avec gistré. Il est traité de profiteur, accusé scène du Hard Rock Festival de
quoi je serai capable de travailler après l’enregis- d’impérialisme, de viol d’embargo, de légitimer Londres que Simon savoure cette
trement et qui ressemble à notre musique le gouvernement de l’apartheid et de voler la revanche et célèbre cet album magni-
populaire. C’était une autre façon de faire des musique sud-africaine pour donner un vernis fique. Visionnaire est un métier difficile : “Cela ne
chansons, pas comme m’asseoir dans ma chambre d’intérêt à des textes “étriqués, comme d’habi- me fait pas tout à fait plaisir”, signalait alors le
avec une guitare et écrire une chanson, méthode tude”. Artists Against Apartheid appelle au chanteur quelques heures avant de monter sur
que je ne voulais plus utiliser. Je voulais faire un boycott de l’album et les Nations unies menacent scène. “Si quelqu’un m’avait dit, ‘Écoute, on ne
disque que j’aimerais et ensuite penser aux chan- de le mettre sur liste noire, bien qu’il soutienne veut vraiment pas que tu ailles là-bas,’ je ne pense
sons, par opposition à écrire une chanson, aller n’avoir violé aucun embargo, puisqu’il n’a pas joué pas que j’y serais allé, mais personne ne l’a fait,
en studio, la montrer aux musiciens et, avec un en Afrique du Sud. Cependant, l’avis de Phiri sur donc je n’étais pas conscient de ce qui se passait.
peu de chance, obtenir le disque que je voulais. La la question de savoir à qui la musique appartient Pour ce qui est des regrets, non, je n’en ai pas, parce
plupart du temps, le résultat n’était pas satisfai- est plus poétique : “Paul Simon a écrit sur les dia- que le dénouement a été heureux.” Le dernier mot,
sant.” L’Afrique du Sud se dirigeant vers l’état mants, mais il ne possède pas la mine.” cependant, appartient à un Sud-Africain.
d’urgence, Simon se décide à partir, avec cinq Puis vient la tournée : la présence de Masekela et “Graceland, c’était il y a vingt-cinq ans, dit Phiri.
chansons enregistrées, dont “The Boy in the Makeba, sur les conseils du premier, donne à la J’ai la chance de faire partie d’une troupe possé-
Bubble”, “Graceland” et “I Know What I Know”. fois une crédibilité anti-apartheid à Simon et du dant une conscience. Peut-être que des erreurs ont
Trois mois plus tard, il invite Phiri, Khumalo et le grain à moudre aux critiques. Si la presse deman- été commises, mais qui sommes-nous pour juger
batteur Isaac Mtshali à New York pour les séances dait au trompettiste pourquoi il était là, dit les autres ? Et je me moque de savoir qui les a
qui produiront “You Can Call Me Al” et “Under Simon, sa réponse était : “Putain, qu’avez-vous faites, la vérité c’est que nous avons avancé, en
African Skies”. Après ça, les choses se ralentissent. jamais fait, vous personnellement, pour l’Afrique tant que peuple et en tant que pays.”

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ALBUMS......................... P. 84
CINÉMA.......................... P. 90
LIVRES ............................ P. 96

Point trop n’en faut !


Produit par Mark Ronson, le plus accessible
des albums du groupe californien.

Queens
of the
Stone Age
Villains
Matador
★★★★

A
utour du leader-auteur-chanteur-gui-
tariste Josh Homme : le guitariste Troy Van
Leeuwen, le bassiste Michael Shuman, le
claviériste Dean Fertita et le batteur Jon
Theodore. Ici, pas de copains invités comme Mark
Lanegan ou Dave Grohl. Et au rendez-vous d’un album
s’étant fait attendre depuis … Like Clockwork, paru en
2013. Le terme “villains” ne désigne personne en particu-
lier, et Homme insiste là-dessus : on a tous besoin d’un
adversaire pour se faire les griffes… À nous de décider
lequel. Or le but de Villains est d’être beau, de redonner
sa fureur de vivre à un rock’n’roll parfois trop stoner pour
briller de sa modernité.
La modernité, c’est la grande obsession de Josh Homme,
malgré ses allures de crooner des années 1960. Et qui
d’autre que Mark Ronson pouvait insuffler du groove à
un sex-appeal déjà prégnant ? Amateur de son tube
“Uptown Funk”, le premier a demandé au second d’in-
tervenir sur ce septième album, de ne pas changer radi-
calement, mais de les aider à se renouveler sans les tra-
hir. Ronson est un fan avéré du groupe, sur lequel il
transfère ici tous ses fantasmes de producteur, convo-
quant les techniques sonores de David Bowie (époque
Iggy Pop), de Captain Beefheart, des Ramones ou en-
core de Led Zeppelin. Avec l’appui de Mark Rankin (et
d’Alan Moulder au mixage, plutôt classe), il parvient à
capter totalement les possibilités pop des QOTSA.
Ainsi en témoigne l’ouverture “Feet Don’t Fail Me”, à
l’énergie contagieuse (récupérée des séances d’écriture
avec Iggy Pop sur Post Pop Depression) où s’immiscent
des synthétiseurs – vintage, tout de même, on n’est pas
dans l’âge de pierre par hasard. S’ensuivent “The Way
You Used To”, qui ne lésine pas sur le catchy rockabilly,
“Domesticated Animals”, dont les relents industriels
évoquant davantage Bristol que la Californie. En re-
vanche, Homme sait rappeler ses amours punk sur
“Head Like a Haunted House”.
Pour conclure les festivités, s’impose le psyché élec-
trique de “Villains of Circumstances”, dont le grain se
montre aussi palpable que le sable du désert. Fier,
sensuel, doté de guitares lancinantes, il affirme la na-
ture intemporelle de QOTSA avant que Josh Homme
joue de sa gouaille de crooner sur l’incandescent
“The Evil Has Landed”. SOPHIE ROSEMONT

Illustration par AL AIN FRÉTET rollingstone.fr | R ol l i n g S t o n e | 83

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GUIDE MUSIC
des années, en ont décidé
autrement en mai dernier.
Qu’il soit en revanche
l’ultime effort d’une
carrière et d’une vie, ça,
tout le monde s’y était
Yan Wagner Washington préparé. C’est d’ailleurs
This Never Happened Dead Cats beaucoup cette vie
Her Majesty Ship / Pias Live Under the Creole qu’Allman passe ici en
★★★ Moon revue, métaphoriquement,
Confirmation réussie Devil Deluxe Music/PIAS à travers une majorité de
pour le crooner électro ★★★★ reprises. Duane, ce frère
Il nous avait déjà séduits Double Wash', double fun trop tôt disparu, n’est
avec son premier album Juste trente-trois ans jamais très loin, notamment
solo Forty Eight Hours, à attendre l'album live sur ce “My Only True
en 2012, produit par des Wash', il était temps”! Friend” introductif et sur
Arnaud Rebotini, petit Du coup, Mat Firehair le “Song for Adam” de
bijou de pop glaciale et ses sbires on fait les Jackson Browne, qui clôt
et sophistiquée sous The National choses en grand : double l’album. Entre les deux,
influence new wave. Sleep Well Beast album, carrément. Un Allman s’immisce dans
Le revoici avec sa manière 4AD CD électrique enregistré les univers de Tim Buckley,
singulière de manipuler ★★★★ au Nancy Jazz Pulsations Bob Dylan (“Going
l’électronique afin 7 est un chiffre porte-bonheur et un CD acoustique saisi Going Gone”, prenant),
de raconter “un recueil au Tiger's Manor pour une Grateful Dead ou Lowell

S
d’histoires qui ne sont ’ouvrant sur la majestueuse ballade “Nobody webTV. Tous les “Pizza George. Farewell and alive,
jamais arrivées. Dix Else Will Be There”, le septième album Attack”, “I'm a Dead Cat” en quelque sorte. X. B.
pistes comme autant du groupe américain nous séduit d’emblée, et autres “Napalm Surf”
de fausses pistes parlant avec, toujours, le chant merveilleusement traînant sont là, l'énergie aussi, la
d’amours vaines, de Matt Berninger. Les titres suivants viennent connivence avec le public
d’équipées nocturnes, confirmer le rock à la fois épique, irrémédiablement fonctionne. Et puis le
de la vie et de la vérité mélancolique et cérébral de The National, dont psychobilly est festif et la
qui ne tiennent qu’à un fil.” les membres ont pourtant été très occupés ces fête, ça les connaît. J'avoue
En effet, de l’instrumental derniers mois. Bryce Dessner avec ses projets avoir un goût particulier
“This Never Happened” solos et Planetarium (ambitieux projet mené avec pour la face acoustique.
à la délicatesse ténébreuse Sufjan Stevens), mais aussi le festival Haven, La contrebasse de LouRIP Micah P. Hinson
de “A Place Nearby”, Yan au Danemark, créé avec son frère Aaron, tandis n'y est pas pour rien, elle Presents the Holy
Wagner invente un univers que Matt collaborait, lui, avec l’association Planned danse à tous les étages, Strangers
sombre qui rappelle Parenthood. Se retrouvant pour de longues sessions et les cuivres mettent Full Time Hobby / PIAS
Dave Gahan comme Ian dans leur studio de l’Hudson, entre eau et verdure, les accents là où il faut. ★★★
Curtis. Point d’orgue”? Le ils ont su rassembler leurs (bonnes) idées pour On est plus près du rockab' Conte folk
dandysme synthétique et l’un de leurs meilleurs disques à ce jour. Lancé par que du punkabilly, mais “Un folk opéra moderne” :
mélancolique de “No Love”. la ballade en suspension “Nobody Else Will Be ça n'empêche pas la reprise voilà comme Micah
S. R. There”, l’album se concentre d’emblée sur un rock de “Too Drunk To Fuck” P. Hinson présente, avec
profondément mélancolique, construit en couches des Dead Kennedys. La fête un sens de la synthèse,
superposées, avec des titres lancinants comme du mois. SILVÈRE VINCENT son nouveau disque. Et
“Day I Die” ou “Walk it Back”. Si on se réjouit c’est plutôt beau. Le temps
d’entendre The National en grande forme électrique de 14 pistes, il raconte la
sur “Turtleneck”, on les préfère sur des tonalités vie, les bonheurs et surtout
plus douces comme dans “Born to Beg” ou “Guilty les malheurs d’une famille
Party” : c’est dans l’introspection que le groupe en temps de guerre.
Jake Bugg américain témoigne de sa force artistique… De la déception au deuil,
Hearts That Strain mais sans se départir pour autant de sa tension de l’enfantement à la
Mercury/Universal émotionnelle, comme c’est le cas dans “I’ll Still Gregg Allman disparition, le guitariste
★★★½ Destroy You”. SOPHIE ROSEMONT Southern Blood s’empare du registre
Le “gamin” de Concord/Universal country pour traduire
Nottingham se fait ★★★½ l’exact contraire de
stratège de l’utilisation dépoussiérerait ses Bugg n’est jamais aussi Avant de tirer sa l’American Dream.
de ses dons oripeaux psychédéliques, convaincant que lorsqu’il révérence, la légende des Plombant”? Non, car les
Cinq années ont passé ou énième bouture de privilégie la profondeur Allman Brothers a laissé mélodies qu’il sait faire
depuis la révélation d’un la northern soul anglaise, ou le plus abstrait dans un superbe témoignage. siennes absorbent
premier album ébouriffant. rien ne lui semble ses envies poétiques Ça ne devait pas l’auditeur, autant que
Sauf que quand on passe interdit. D’où un début (“In the Event of My forcément être un album sa voix rauque. Mentions
de 18 à 23 ans, c’est bien d’agacement quand Demise”, “Indigo Blue”). posthume, même si spéciales à la ballade
plus qu’un quinquennat”! il se laisse aller à trop Maintenant, si le but son enregistrement était des grands espaces
© GRAHAM MACINDOE. DR.

Bref, désormais, Jake de facilité (ce “Waiting” recherché est d’emballer rythmé par un état de “The Great Void”,
Bugg ne laisse rien sirupeux ou ce “Man on tout ce qui bouge, ça santé fragilisé. Le sort, l’instrumental cerné de
au hasard. Troubadour Stage” où on jurerait qu’il devrait continuer à bien et surtout un cancer violons “The Years Tire On”
folk, détrousseur se cherche son “chanteur se passer”! Après tout, c’est du foie contre lequel Gregg ou à la narration musicale
d’une rétro-pop qui abandonné” à lui). de son âge… XAVIER BONNET Allman se battait depuis de “Micah, Book One”. S. R.

84 | R ol l i n g S t o n e | rollingstone.fr ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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Oyster's Reluctance The War on Drugs Triggerfinger Downtown Boys
Insignificant A Deeper Understanding Colossus Cost of Living
No Tone Atlantic/Warner Mascot/Wagram SubPop/PIAS
★★★ ★★★★ ★★★ ★★★½
Sombre et lourde tension L’Americana plus que jamais Le trio belge s’ouvre à de Retour aux sources
érigée en mur du son. nouveaux horizons sans
Deuxième EP du groupe après perdre de vue son rock cossu… Retour au punk-rock chez
le Sick Sad World de 2013, Lost in the Dream , le précédent SubPop avec ce troisième album
cet Insignificant enfonce le clou album, en avait singulièrement Au risque de ne pas se faire – mais premier sur le label –
là où ça fait du bien. Tout en posé les bases, mais c’est des amis auprès du groupe des Downtown Boys. Qui plus
approfondissant leur côté face désormais entériné : il n’est – pas taper, Monsieur Paul, pas est, un punk-rock engagé
metal, le trio ne quitte pas son côté plus nécessaire de s’accrocher taper˜! –, on osera avancer que à gauche, antisuprématisme
pile expérimental. Des titres comme à ce qui peut sortir de la guitare c’est essentiellement sur scène mâle et blanc. Leur précédent
“Degraded” ou “Bulging Eyes” d’Adam Granduciel pour se que le trio d’Anvers a toujours album s'appelait Full Communism,
nous entraînent sur les territoires laisser embarquer, bringuebaler, su donner sa pleine mesure, pour expliquer la chose rare
défrichés par Kill the Thrill, voire par le grand chambardement ses albums ne parvenant jamais aux États-Unis. Dans le même
Ministry, et qu'on retrouve, par musical de The War on Drugs. tout à fait à en égaler le charme esprit, ce Cost of Living est
exemple, dans Royal Blood, le Certes, celle-ci n’a rien perdu et la puissance de feu. Sans produit par Guy Picciotto, juste
groupe hype du moment. Oyster's de ses envolées et déchirements, non plus s’avérer la “virée le guitariste des activistes de
Reluctance prend à ces derniers mais c’est davantage les de nuit dans une attraction Fugazi. Du coup, musicalement,
la formation minimale – juste une cathédrales sonores qu’il bâtit de Disneyland” que nous c'est surtout du côté du groupe
basse et une batterie – à laquelle avec le groupe sur chacune promet l’argument commercial, de Washington qu'on trouvera
ils ont ajouté la voix puissante et des dix étapes de ce nouveau Colossus est l’occasion pour les racines de “Lips That Bite”,
sombre de TomPao. Eux-mêmes voyage dans une Americana Triggerfinger de montrer “It Can't Wait” ou “Because
définissent leur musique comme dont il explose les bordures une autre facette de son garage You”. Et s'il n'y avait des
un “rock anaphylactique”, le qui comblent d’aise. L’allant rock flamboyant. Via l’ajout interventions rares du saxo
choc du même nom venant d'un de “Holding On”, le lyrisme d’éléments et instruments de Joe DeGeorge, on serait
mécanisme d'hypersensibilité enivrant de “Strangest Thing”, inhabituels pour lui (samples, dans une filiation pure malgré
immédiate. C'est dire si on n'est pas les reliefs de “Knocked percussions), il parvient le chant de Victoria Ruiz qui
dans une franche rigolade. Ce qui Down”, la pop transcendée de à se faire tour à tour catchy rappelle toute cette scène
frappe dans la musique de O'sR, “Nothing To Find” et les onze (le single “Flesh Tight”) ou post-hardcore américaine.
c'est cette capacité, comme dans minutes du périple à lui seul plus expérimental (le presque Pas vraiment de mélodies, mais
“Greed”, à passer d'une ambiance de “Thinking of a Place”, iggypopien “Bring Me Back a une colère évidente dans des
étriquée maladive à une ampleur contrepoints parfaits de textes Live Wild One”, un “Steady Me” textes comme ceux de “Violent
digne des stades. Reste que pouvant virer au lugubre, qui part un peu dans tous les Complicity” ou “A Wall”. À voir
cinq titres, même longs, c'est trop nous tiendront bien au chaud sens). Bref, plus seulement une sur scène, sans retenue, comme
court. Encore˜! SILVÈRE VINCENT cet hiver… XAVIER BONNET boîte à riffs et à rythmes… X. B. une évidence. S. V.

JAZZ
Tony Allen Charnett Moffett
The Source Music From Our Soul
Blue Note Motema/PIAS

Pour son premier album sur Blue Note S’il fallait encore aujourd’hui une marque
(il était temps : l’animal affiche 76 printemps•!), supplémentaire de l’incroyable éclectisme
Tony Allen a mis les petits plats dans musical de Charnett Moffett (considéré
les grands, et convoqué – entre autres – à juste titre comme un des meilleurs bassistes
cinq redoutables souffleurs pour réaliser de sa génération), cet album contrasté aurait
son grand œuvre : un ambitieux voyage musical entre l’Afrique des allures de démonstration. En rassemblant sur le même disque des
des tambours ancestraux et de l’hypnotique afro-beat et l’Amérique titres live gravés à New York (avec son trio habituel, featuring le pianiste
du jazz de Max Roach ou de Art Blakey (auquel notre homme Cyrus Chestnut et le batteur Victor Lewis) et à Seattle (aux côtés du
a consacré un LP au début de l’année). Le résultat, aussi surprenant mythique Pharoah Sanders, plus lyrique et déchaîné que jamais derrière
que séduisant, nous entraîne dès le premier titre en terres inconnues. sa barbiche blanche), avec des enregistrements studio en compagnie
Avec The Source, l’immense batteur de Fela, toujours sur la brèche du grand guitariste Stanley Jordan, Moffet signe un album aux multiples
de nouvelles expérimentations, explore sur des beats vertigineux facettes (du free à la fusion en passant par des choses beaucoup plus
un hallucinant métissage où chacun (y compris Damon Albarn, qui classiques, comme une reprise d’Ellington), à l’image de sa carrière.
vient pianoter 3 minutes) y cherchera les siens. PHILIPPE BLANCHET Un puzzle éclatant. P. B.

S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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GUIDE MUSIC
considérée comme
la Joan as Police Woman
australienne, au franc-
parler sans vulgarité et à
l’affirmation de soi presque
déstabilisante. Pas besoin,
Nine Inch Nails Motörhead donc, d’une relation
Add Violence Under Cöver amoureuse avec la rockeuse
Caroline/Universal Silver Linings Music/Motörhead Music la plus en vie du pays.
★★★½ ★★★ Courtney Barnett, pour
Un second EP en un an Retour de flamme faire parler d’elle – même
pour un Trent Reznor On attendait l'album si le couple ne cesse de
plus noir que jamais acoustique de Lemmy, nous collaborer et de s’échanger
Bien sûr, depuis le voilà avec une compilation ses guitares. N’ayant
temps, on devrait y être de reprises jouées par d’autres prétentions que de
habitué. N’est-ce d’ailleurs Steve Earle & The Dukes Motörhead. On se retrouve livrer un vrai bon album de
pas ce que l’on croyait, So You Wannabe an Outlaw partagé entre la joie de classic rock, avec le moins
d’évidence naïvement? New West ★★★★ réentendre le feulement de fioritures possible, Cloher
Habitué et un peu revenu. Hors-la-loi ? Un métier, mon bon monsieur ! de notre “Saigneur” réussit son coup avec ces
Triturer les angoisses, et la déception devant onze titres taillés à la serpe

O
les siennes mais aussi n visualise parfaitement Steve Earle, la tracklist : les titres sont où elle se raconte, à travers
celles des autres par derrière ses Wayfarer, dire au gosse en face tous connus des fans, son art, son pays, et ses
ricochet, ériger des murs de lui “Alors tu veux être un hors-la-loi ? ou presque! Au hasard : rêves pas encore réalisés.
musicaux qui sonnent Tu n’as qu’à me regarder faire...”, lui qui était le poulain “Cat Scratch Fever” de Ted Passionnant. S.R.
comme autant de cellules du mouvement Outlaw, au début des années 1970, Nugent extrait de March
d’internement, Trent quand les jeunes chanteurs de country music ont ör Die (1992), “God Save the
Reznor persiste et signe. commencé à chanter autre chose que la beauté des Queen” des Sex Pistols pris
Dans les mots et dans Rocky Mountains et la tarte aux myrtilles de Tante dans We Are Motörhead
les sons, chaque instant Sally-Rose pour se mettre à parler de la solitude, (2000), l'énorme “Sympathy
de ces cinq chapitres des vies gâchées, du destin, de la mort… Ces gars-là for the Devil”, dernier titre
cauchemardesques s’étaient mis hors-la-loi de l’école country. La tracklist de Bad Magic, ultime album
supplémentaires confine de So You Wannabe an Outlaw est un vrai plan studio de 2015, etc. Et pas Sugaray Rayford
à la suffocation, quels que de route avec une production ouverte, live et rageuse, de “It's a Long Way to the The World That We Live
soient les outils privilégiés, emmenée par ses fidèles Dukes, des folks qui Top” d’AC/DC, de “Hoochie In
électroniques ou non, pour strumment et des électriques lancées à bloc qui Coochie Man” de Willie Blind Faith Records/Differ-ant
cette mise en abîme. Les remorquent efficacement pedal-steels et violons Dixon, de “Louie Louie” ★★★
loops de “The Background country jusqu’à un “Fixin’ to Die”, carrément rock de Richard Berry… Pourquoi Une soul à la fois vintage et
World”, répétées au fur et (tendance légèrement road-house). Entre rythmiques ces “cövers” et pas les moderne et la redécouverte
à mesure que la distorsion inarrêtables et micros crunchy comme il faut autres? On aurait voulu au d’une voix…
prend le dessus, l’illustrent aux accents parfois seventies, le récit reste toujours moins un album exhaustif, Le label italien Blind Faith –
à merveille : pour ce d’un État du Sud à l’autre. Puis, comme à l’arrivée non? Quel intérêt pour les et derrière lui le producteur
qui est de l’aliénation, d’un voyage, le disque défait ses bagages et laisse adeptes qui ont déjà tout? romain Luca Sapio qui signe
Trent Reznor en a encore admirer la vue et repenser au passé. Steve Earle porte Et quel intérêt pour les ici tous les textes et toutes
dans le ventre. On ressort la rédemption jusque dans ses austères chemises. novices? Bien sûr, il y a les musiques – se sentirait-il
de ces 27 minutes rincé, La deuxième partie de ce 12-steps-program, bien plus UN titre jamais entendu : des velléités de devenir
chancelant. X. B. traditionnelle, classique et posée, est un rappel direct la version de “Heroes” le Daptone européen?
à sa maîtrise parfaite du genre et à ses maîtres Townes de David Bowie tirée de la Après avoir relancé la
Van Zandt (à qui il avait consacré le sublime Townes, dernière séance de studio. carrière de Martha High,
album de reprises en 2009) et Guy Clark. Le dernier Très bien mais un peu court, l’ancienne choriste de
titre, “Goodbye Michelangelo”, est d’ailleurs dédié non? Reste toujours la James Brown, voilà qu’il
à ce dernier, même si, quatre morceaux avant, “The version coffret de luxe avec nous (res)sort des fagots
Girl From the Mountain” sonnait déjà terriblement. CD, vinyle, goodies... S. V. un géant texan (1,96 m)
Comme le “L.A. Freeway” de Clark, qui ouvrait en 1975 au gosier tonitruant. Et
Mogwai le formidable Heartworn Highways… et à la fin duquel dans le monde dans lequel
Every Country’s Sun un Steve de 20 ans entonnait “Silent Night” avec nous vivons, mis en exergue
Rock Action Records / PIAS son maître et d’autres disciples, au milieu des lampes à travers le titre de l’album,
★★★½ à pétrole et des bouteilles bientôt vides. CHARLES BLOCH la soul incandescente et le
Glorieux post-rock blues lancinant de Sugaray
Déjà vingt-deux ans Jen Cloher Rayford trouvent autant leur
de carrière pour l’un l’État de New York mélancolie de l’obscurité Jen Cloher voix que leur voie. À l’aube
des groupes écossais avec leur complice Dave tandis qu’au rock épique Milk Records de la cinquantaine, Canon
les plus intègres, pour qui Fridmann, Mogwai reste de “Brain Sweeties” ★★★½ Nimoy Rayford – son nom
le post-rock est un vaste à l’affût de son inspiration, succède l’expérience Rockeuse à l’état civil – décline ses
terrain de jeux dont il faut cherchant toujours à brumeuse de “1000 Foot made in Melbourne tourments et ses réflexions
© MARK HUMPHREY. DR.

sans cesse retourner la envisager notre quotidien Face”. Enfin, “Every Une guitare malmenée, sur l’existence et le fait
terre. Pour ce neuvième via d’autres dimensions. Country's Sun” impose une batterie abrupte, plus que bien. Il sera
album imaginé entre Berlin Mué d’une énergie son foisonnement et un chant-parlé hérité des toujours temps de rallumer
et Glasgow et en grande presque rageuse, “Party sa catharsis émotionnelle. années 1990 américaines : son incontournable cigare
partie enregistré dans in the Dark” refuse la On s’incline. S. R. Jen Cloher pourrait être un peu plus tard… X. B.

86 | R ol l i n g S t o n e | rollingstone.fr ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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VINYLES

DITES 33
La sélection de la rédaction avec les magasins Cultura…

Muddy Waters
The Best of
Chess records ★★★★★
C’est un peu à cause de ce best of que deux jeunes Anglais fans de blues,
Mick Jagger et Keith Richards, ont renoué connaissance sur le quai de
la gare de Richmond, au tout début des sixties, peu de temps de rejoindre
le groupe d’un certain Brian Jones. La bible, en quelque sorte, telle
qu’écrite par Muddy Waters, alias McKinley Morganfield, né dans le
Mississippi en 1915, découvert à 28 ans par le musicologue Alan Lomax,
dans une plantation de coton… Émigrant à Chicago, il métamorphose
le son profond rural du blues en le rendant urbain, extatique et amplifié…
Ici, rien que des morceaux qui ont forgé sa légende : “I Just Want To Make
David Bowie Love to You”, “Hoochie Coochie Man”, “I’m Ready” – trois monuments
A New Career in a New Town, 1977-1982
signés Willie Dixon. Et puis tous les autres, “I Can’t Be Satisfied”, “Louisiana
Parlophone
Blues”, “Honey Bee” et, bien sûr, “Rollin’ Stone”. Un LP qui a changé
★★★★★ l’histoire. Et pas seulement à cause des Stones. ALAIN GOUVRION/ GIULIA BLUE
Troisième volume des œuvres complètes de Bowie, ce coffret
rassemble pépites rares et classiques remasterisés. Indispensable !
James Brown

L
Live at the Apollo
e bien nommé coffret A New Career in a New Town, 1977-1982,
troisième volume des œuvres complètes de David Bowie,
Polydor ★★★★★
Octobre 1962. James Brown, “the hardest man working in show-
reflète la phase la plus expérimentale de sa carrière. Celle business”, investit la scène de l’Appolo Theater de Harlem, qu’il a loué
où, après sa période pop-soul américaine, l’ange blond remet les à ses frais. Les Famous Flames sont au taquet et le Maestro déverse
compteurs à zéro en s’installant à Berlin, où il bénéficie d’un quasi- toute l’émotion de sa sensuelle soul, le temps d’un show qui va rester
anonymat bienvenu. Celle où il se débarrasse également des costumes gravé dans l’histoire. “I’ll Go Crazy”, blues cuivré empli de chœurs
encombrants de ses avatars. Celle, surtout, où accompagné de gospel, donne le coup d’envoi. Gorgé de swing, tout comme ce “Think”
Brian Eno et de Tony Visconti, influencé par le krautrock et le film qui emporte tout sur son passage, avant le prodigieux meddley qui
Metropolis de Fritz Lang, il invente la post-new wave avant même va suivre (“Please, Please, Please/You’ve Got the Power”, etc.). Sax
que la new wave n’ait eu l’idée d’exister. On retrouve évidemment jazzy, rythmiques funky, voix de grand fauve blessé, Mister Dynamite
la fascinante “trilogie berlinoise”, composée des albums Low, s’ouvre un nouveau public au cœur de New York City. Les filles hurlent
Heroes et Lodger – ce dernier bénéficiant d’un nouveau remix inédit de plaisir… et James Brown écrit sa légende en lettres de néon sur
le fronton de l’Appolo pour l’éternité. THOMAS GRIMAUD
signé Tony Visconti qui, avec la bénédiction de Bowie juste avant
sa disparition, est retourné au studio Hansa berlinois afin, dixit
l’intéressé, “d’apporter plus de nuances aux bandes originales.” Little Richard
Le double album Stage, enregistré durant la tournée Isolar II The Fabulous Little Richard
en 1978, bénéficie également d’un remastering bienvenu, qui lui Specialty ★★★
confère enfin une réelle dimension live que le mixage initial avait À cette époque (1958), Little Richard a déjà enregistré l’essentiel
par trop gommée, au profit de la restitution des effets sonores. de ses classiques (“Tutti Frutti”, “Long Tall Sally”, “Jenny Jenny”,
Outre un sympathique EP “Heroes”, qui célèbre le 40e anniversaire “Rip It Up”, “Ready Teddy”, etc.) et décidé d’abandonner le rock’n’roll,
cette autre musique du diable, pour se consacrer à la religion – six mois
de la chanson et qui réunit pour la première fois les différentes versions
après la sortie de ce troisième album, il enregistrera d’ailleurs un
albums et singles chantées en allemand et en français, le fan dénichera disque de gospel. À la réécoute de The Fabulous Little Richard, cette
le véritable graal dans le CD d’inédits Re:Call 3. Lequel propose métamorphose n’est pas aussi probante que ça, notre héros lâchant
l’intégralité de l’adaptation musicale de la pièce de Bertolt Brecht, Baal, une salve de morceaux incandescents à la hauteur de sa sulfureuse
enregistrée par Bowie pour la BBC en septembre 1981. Ce chef-d’œuvre réputation, au milieu desquels émergent le “Shake a Hand” de
méconnu, à écouter au casque pour des frissons garantis, figure parmi Joe Morris, “Whole Lotta Shakin’ Goin’ On” de Dave “Curlee” Williams
les meilleures performances vocales de l’artiste. Notamment sur le titre déjà repris l’année précédente par Jerry Lee Lewis et le mythique
“The Drowned Girl”, dédié à la révolutionnaire Rosa Luxemburg, où “Kansas City” de Leiber-Stoller qu’il avait déjà enregistré en 1956
il déploie une technique impressionnante et une sensibilité authentique et dont les Beatles s’empareront dans Beatles for Sale (1964).
qui le hissent sans conteste au niveau des prouesses de Frank Sinatra A-bop-bop-a-loom-op a-lop-bop-boom¯! A. G.

dans les années 1950. Autre pépite improbable, “Crystal Japan”. Non,
il ne s’agit pas d’une drogue en provenance de l’Empire du Soleil levant, Serge Gainsbourg
mais bien d’une plage instrumentale spatiale composée par Bowie London Paris 1963-1971
en 1979 pour une publicité – dans laquelle il apparaît – vantant Mercury ★★★★
les mérites de Crystal Jun Rock, une marque de saké. Uniquement Entre le beau Serge et l’Angleterre, l’histoire d’amour a été au
publié à l’époque au Japon en format single, ce pur joyau ambient beau fixe, notre génial songwriter ayant souvent pris ses quartiers
fut un temps pressenti pour clore, à la place de “It’s No Game”, l’album au cœur du Swinging London pour graver quelques-unes de ses
Scary Monsters (and Super Creeps), dernier volume studio du coffret, plus belles compositions au tournant des sixties-seventies.
enregistré à New York et à Londres en 1980. Les deux premiers singles C’est donc le Gainsbourg pop (et des années B.B.) qu’on retrouve
au fil de cette récente compilation thématique qui aligne les hits
extraits, “Ashes to Ashes” où il enterre définitivement le Major Tom
inoxydables (“69, année érotique”, “Qui est ‘In’ Qui est ‘Out’”,
© DUFFY ARCHIVE. DR.

et “Fashion”, qui préfigure son virage dancefloor, lui permettent de


“Docteur Jekyll et Monsieur Hyde”, “L’Anamour” et bien sûr
renouer avec le succès – les trois albums “berlinois”, malgré un accueil “Je t’aime… Moi non plus”)… mais aussi quelques raretés comme
critique favorable, n’ayant pas séduit les foules. Trois ans plus tard, la musique du film La Horse (1970, avec Jean Gabin) ou un “Vilaine
Let’s Dance grimpera en tête des charts du monde entier… Mais ceci est Fille Mauvais Garçon” délicieusement yéyé. T. G.
une autre affaire, qui fera l’objet d’un quatrième coffret ! DENIS ROULLEAU

S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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SON&OBJETS
Par PIERRE STEMMELIN

SUPER TREND

Lacroix x Brian Kenny


Écusson d'une secte cabalistique? Emblème d'un
nouveau groupe de metal gothique? Non, c'est
la maison Christian Lacroix qui fête ses 30 ans.
À cette occasion, son directeur de la création,
Sacha Walckhoff, s’est associé à l’artiste OPEN ROAD
new-yorkais Brian Kenny pour créer une
collection capsule très arty de sacs, bandanas,
MICROLINO
T-shirts et sweats reprenant les codes tribalo- Revival électrique à l'électricité. C'est une deux-places. Elle
baroques de la marque. Prix non communiqué. La Microlino fleure bon les années 1950 et son conserve son ouverture par l'avant et ajoute
style fait penser à celui des anciens scooters un toit décapotable. Conçue par une société
Vespa ou de la Fiat 500 originale. Normal, car suisse, elle entrera en production en fin
elle s'inspire directement de l'Isetta de l'Italien d'année et il est déjà possible de la réserver.
ISO Rivolta, un des véhicules urbains les plus Son autonomie sera d'environ 120 km/h
populaires de l'après-guerre, qu'appréciaient et sa vitesse de pointe atteindra 90 km/h.
tant Elvis Presley ou Cary Grant. Cette version Parfait pour les déplacements courts en ville,
2017 ne tourne plus à l'essence, mais bien à la campagne ou en bord de mer. 12000 €

HI-GADGET
STIR IT UP / HOUSE OF MARLEY
Une platine qui envoie du bois
Dans la famille Marley, le recyclage on connaît. Aussi lorsque Rohan, le fils de Bob, créateur
de la marque House of Marley, conçoit une platine vinyle, il la baptise d'une des chansons
emblématiques du king du reggae et la pense écolo. La Stir it Up s'habille donc de chanvre
et s'équipe d'une base en bambou. Son plateau tourne-disque est en aluminium recyclé
Helly Hansen Icon Jacket tandis que le couvre-plateau est en silicone lui aussi recyclé. Cela n'empêche pas cette platine
Avec ce blouson, vous ressemblerez à un d'avoir une approche technique sérieuse et audiophile. Son entraînement se fait par courroie
biker de manga. Helly Hansen, spécialiste et sa cellule est un modèle de bonne facture de chez Audio-Technica. 250 €
des équipements de sport et des tenues
professionnelles, y a mis des technologies
empruntées au monde du sport automobile.
Cette veste waterproof, windproof
et respirante, intègre le nouveau système
breveté de thermorégulation H2Flow. 800 €

Faguo Lebanon
Un bon classique pour attaquer l'automne,
puis passer l'hiver : la bottine en daim. Faguo,
marque française engagée dans le reboisement,
qui a déjà fait planter plus de 700000 arbres
pour compenser ses émissions en CO2, propose
des modèles en plusieurs teintes, tout en pensant
fabrication durable. Environ 120 €

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Baladeurs audiophiles HOT GADGET
LEICA TL2
Ce n’est pas parce que les smartphones savent tout faire que les baladeurs n’ont HYBRIDE DE LUXE
plus voix au chapitre. Dotés de la Hi-Res, compatibles avec des écouteurs ou un
casque haut de gamme, ces modèles sont pour la plupart déconnectés. De quoi
redécouvrir le plaisir d’utiliser un appareil qui fait de la musique et rien d’autre.

FIIO X3 II
Design ★★★
Fonctions ★★★
Prix ★★★★★
Une interface digne des années 1990, pas d’écran
tactile, seulement 8 Go de mémoire interne, mais
la possibilité de l’étendre de 128 Go avec une carte SD
et un son qui a une pêche d’enfer. 195 €

SHANLING M2S
Design ★★★
Fonctions ★★★½
Prix ★★★★★
Affichant une interface simple et originale,
ce baladeur possède un bel écran de 3 pouces,
un lecteur de carte SD jusqu’à 256 Go et peut servir
de convertisseur audiophile pour votre smartphone
ou votre ordinateur. Ceux qui l’ont utilisé sont Les modèles de la série TL représentent
dithyrambiques sur ses performances audio. 200 € le haut de gamme en matière d’appareils
photo “mirorless” (sans miroir) chez
Leica. Ils sont donc plus compacts
SONY NW-A35 que les appareils reflex et cependant
Design ★★★★★ dotés d’une monture pour optiques
Fonctions ★★★★★
interchangeables. Si le modèle
Prix ★★★★
de première génération n’avait pas
Le Walkman n’est pas mort! Voici le NW-A35,
totalement convaincu, le TL2 s’annonce
l'un de ses représentants modernes. Son petit
plus est son transmetteur Bluetooth qui permet beaucoup plus prometteur. Il reprend
d’envoyer sans fil de l’audio Hi-Res grâce au codec le superbe boîtier taillé dans un bloc
LDAC propre aux produits Sony. La mémoire d’aluminium et de fabrication allemande,
interne de 16 Go est extensible avec des micro SD mais avec un nouveau capteur de 24 Mpx
allant jusqu’à 192 Go. 210 € de grand format (ASP-C) beaucoup plus
performant et un
processeur hérité
COWON PLENUE D
LE BOÎTIER EST de la série
Design ★★★★½
ÉQUIPÉ D’UN Maestro de
Fonctions ★★★★
Prix ★★★★★ Leica qui rend
CAPTEUR ASP-C
son autofocus
Un minilecteur de poche, mais qui délivre un gros DE GRAND FORMAT beaucoup plus
son. Le Cowon Plenue D est totalement tactile,
équipé d’une mémoire de 32 Go extensible avec EN 24 MPX. rapide et réactif.
des cartes SD jusqu’à 128 Go. 300 € DE FABRICATION L’interface de
ALLEMANDE, IL EST l’écran tactile
LITTÉRALEMENT du TL2 gagne
TAILLÉ DANS également en
vitesse. L’appareil
ASTELL & KERN AK JR UN BLOC peut désormais
Design ★★★★★ D'ALUMINIUM. réaliser des
Fonctions ★★★★
Prix ★★★★ vidéos en
Ultra HD 4K,
Avec le Junior, le plus petit baladeur d’Astell & Kern,
le spécialiste des modèles ultra-haut de gamme, descendre dans les très faibles lumières
on entre de plain-pied dans le monde du luxe jusqu’à 50“000 ISO et shooter en rafale
audiophile. La mémoire interne est de 64 Go, jusqu’à vingt images par seconde.
extensible par carte SD. 600 € En revanche, les objectifs proposés
en complément n’évoluent pas. Le choix
en monture L, composé de trois focales
QUESTYLE QP1R fixes et de trois zooms, est toujours
Design ★★★★ un peu restreint. Mais naturellement,
Fonctions ★★★★ ces optiques sont toujours de très haute
Prix ★★★
précision – il en va de la réputation
Totalement ésotérique, totalement
de Leica… Et heureusement, des bagues
anachronique, mais d’une finesse à l’écoute
tellement exquise. La mémoire interne est d’adaptation sont disponibles pour
de 32 Go. On peut y ajouter deux cartes SD utiliser d’autres gammes d’optiques
© DR

allant jusqu’à 128 Go chacune. 1000 € plus fantaisistes. 1950 € (appareil seul)

S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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CINÉMA

En plein cœur
C’est LE film qu’on attendait de voir, traitant cette zone d’ombres et de fantômes,
les années 1990 en France, vues par les séropositifs.
120 battements par minute de clubbing, les inimitiés et les clans qui consciencieuse, Nahuel Pérez Biscayart, hype-
Avec Nahuel Pérez Biscayart, peuvent se former au sein d’un groupe. On suit ractif et sans tabous, Arnaud Valois, introverti
Arnaud Valois, Adèle Haenel… ceux qui meurent, trop jeunes, qui s’aiment, et concerné, Antoine Reinartz, meneur réfléchi
Réalisé par Robin Campillo souvent très fort. Pas de pathos, mais de l’ac- et obsessionnel… Tous portent un 120 batte-
★★★★ tion, de l’émotion, de la sensualité. Les person- ments par minute inoubliable, d’un engage-

L
a scène d'ou verture nous per- nalités des acteurs sont exacerbées et complé- ment servi par une rare force émotionnelle.
cute d’emblée. Quand l’équipe d’Act mentaires : Adèle Haenel, vindicative et Chef-d’œuvre. SOPHIE ROSEMONT
Up débarque, siff lets et bras levés,
pour interrompre les discours ronronnants
des représentants de laboratoires évoquant FOCUS
les traitements pour les séropositifs comme Terminator 2:
s’il ne s’agissait pas de vie ou de mort. C’est Le Jugement dernier 3D
pourtant le cas : le film se déroule au début Avec Arnold Schwarzenegger,
des années 1990, lorsqu’on peut disparaître, Linda Hamilton, Edward Furlong,
en quelques mois et dans une solitude ex- Robert Patrick…
Réalisé par James Cameron
t r ême , à c au se du SIDA . Fondé e le
25 juin 1989, Act Up décide de leur donner la
Mais c’est qu’on l’a échappé belle, dites donc!
parole et surtout, de lutter pour incarner les On attendra donc un peu plus longtemps que
patients atteints du virus, sensibiliser la po- le 29 août 1997 pour l’apocalypse nucléaire, le T-1000 si “succulemment” incarné par Robert
pulation, booster la prévention. “Nous vivons mais restons vigilants tout de même… Après tout, Patrick!), mais elle ne dénature jamais la couleur
le SIDA comme une guerre, une guerre invi- des bouboules de feu tombant d’on ne sait où générale du film, allant jusqu’à en rafraîchir
sible aux yeux des autres”, proclame dans le avec des robots à l’intérieur sont si vite arrivées. les effets spéciaux un brin datés. L’ami Arnold
Bref, Terminator 2 refait un petit tour en salles peut dès lors nous montrer une énième fois
film Thibault, personnage inspiré par le co- à partir de la mi-septembre (avant une réédition combien le modèle 101 de Cyberdyne reste
fondateur de l’association Didier Lestrade et en DVD et Blu-ray quelques semaines plus tard), sacrément solide (quand bien même on ait
interprété par Antoine Reinartz. et le plaisir demeure toujours aussi coupable. fait plus perfectionné depuis), Linda Hamilton
À l’aide de “zaps”, ces actions médiatisées très Mieux, T2 s’offre ici une nouvelle mue via un révéler par – brefs – instants des faux airs
fortes, où le faux sang est versé, où les corps traitement 3D on ne peut plus réussi, précisément de Françoise Hardy derrière son attirail militaire
© CELINE NIESZAWER. DR.

parce que ses instigateurs ont manifestement et Guns N’ Roses claquer à nouveau avec
s’allongent, immobiles, Act Up a changé la pris soin de ne pas trop en faire. Résultat, “You Could Be Mine” sa dernière bonne chanson
donne. C’est ce que montre Robin Campillo non seulement cette 3D fait son petit effet – la dernière vraiment excitante en tout cas.
dans ce film choral où l’on vit des scènes de quand il faut (ah! les impacts de balles sur Plaisir coupable, disait-on? XAVIER BONNET
réunion passionnantes, des moments intenses

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Good Time Farrell n'a pas le charisme inquiétant
Avec Robert Pattinson, de Clint Eastwood, le trio de
Ben Safdie… femmes qui s'élève face à lui est
Réalisé par Ben et Joshua Safdie d'une efficacité redoutable. S.R.
★★★★
Cela aurait pu être un polar comme Patti Cake$
un autre. Mais non. Ben et Joshua Avec Danielle Macdonald,
Safdie font d'un braquage raté Bridget Everett, Siddhart
le point de départ d'une chasse Dhanajay…
à l'homme inversée, puisqu'il s'agit Réalisé par Geremy Jasper
pour Connie (Robert Pattinson) de ★★★
retrouver à tout prix son frère Nick Patricia (Danielle Macdonald) vit
(Ben Safdie, excellent), handicapé dans le New Jersey et cumule les
mental, arrêté lors dudit hold-up. petits boulots pour subvenir aux
Bande sonore prenante, tension besoins de sa grand-mère malade
en dents de scie, suspense palpable et de sa mère, chanteuse ratée. 1
et une émotion qui saisit sans En secret, elle rêve de gloire et de
crier gare : porté par un Pattinson devenir Patti Cake$, une rappeuse
ultraconvaincant, Good Time à la punchline aiguisée et au
confirme tout le bien que l'on sex-appeal avéré. Ne choisissant
pensait des frères Safdie. S.R. pas entre film d’auteur et conte
mainstream, Patti Cake$ est drôle,
Le Redoutable acerbe, pétri de bons sentiments…
Avec Stacy Martin, On est conquis! S. R.
Louis Garrel, Bérénice Bejo…
Réalisé par Michel Hazanavicius Brooklyn Yiddish
★★★ Avec Menashe Lustig,
Joli coup que celui d'Hazanivicius, Ruben Nyborg…
attendu au tournant sur l’adaptation Réalisé par Joshua Z. Weinstein
d'Un an après, d’Anne Wiazemsky, ★★★
récit du déclin de sa passion avec Veuf, Menashe (Menashe Lustig),
Jean-Luc Godard, tandis qu'il Juif orthodoxe de Brooklyn, 2
se lançait à corps perdu dans la a perdu la garde de son fils, car
révolution. Quitte à en être ridicule, il ne veut pas se remarier. Et parce
de mauvaise foi, mais aussi qu'il ne rentre pas dans le moule…
doué de punchlines bien senties. Questionnant les notions de
Tout cela, on le retrouve chez libre-arbitre, Brooklyn Yiddish
un Garrel-JLG plus vrai que nature évoque surtout la complexité des
face à l'ingéniosité sensuelle liens filiaux, d'autant plus lorsqu'ils
de Stacy Martin. Quasi interactif, sont régis par des lois extérieures.
Le Redoutable réussit à éviter À noter qu’il s'agit de l'histoire de
par des pirouettes (scénaristiques, Lustig lui-même. Ce qui explique la
formelles) l'amertume de cette justesse de son jeu et la crédibilité
autopsie d'un amour défunt. S.R. de sa foi, jamais remise en question
malgré tout. S.R.
Les Proies
Avec Nicole Kidman, Barbara
Kirsten Dunst, Colin Farrell, Avec Jeanne Balibar, 3
Elle Fanning... Mathieu Amalric…
Réalisé par Sofia Coppola Réalisé par Mathieu Amalric 1. Avec Good Time, Pattinson joue les bandits de bas étage et montre une
★★★½ ★★★ nouvelle facette de son talent. 2. Portrait inattendu de l’icône de la Nouvelle
Vague dans Le Redoutable de Michel Hazanavicius, avec un Louis Garrel plus vrai
Virginie, guerre de Sécession. Avec Tournée, en 2010, Amalric que nature. 3. Kristen Dunst et Nicole Kidman, en fortes femmes aux prises avec
Une demeure coloniale devenue démontrait déjà son talent à capter un soldat yankee en pleine guerre de Sécession. Avec ses Proies, la réalisatrice
pension de jeunes filles où la chaleur d’une performance Sofia Coppola a raflé le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes.
Miss Martha Farnsworth (Nicole et la mélancolie des coulisses.
Kidman), gère son petit monde Ce qu’on retrouve dans ce Barbara
à l'aide de l'institutrice Edwina qui, évitant soigneusement fissures de Barbara, tout comme du surpeuplement. Pourtant,
(Kirsten Dunst). Lorsque l’une le format biopic classique, raconte son engagement auprès d’Act Up à la mort de sa fille en couches,
de ses protégées revient avec un la chanteuse – chez elle, sur scène, à la fin de sa vie. S. R. Terrence Settman décide de garder
© PHILIPPE AUBRY/LES COMPAGNONS DU CINÉMA. DR.

soldat yankee grièvement blessé en voiture, de jour mais surtout ses petites-filles, des septuplées,
(Colin Farrell), la tension monte de nuit, incarnée par une Jeanne Seven Sisters auprès de lui. Parfaitement
subitement d'un cran. Comme Balibar assez exceptionnelle. Avec Noomi Rapace, identiques, elles ne sortent que le
toujours chez Sofia Coppola, Mimétisme, certes, et pour cause : Glenn Close, Willem Dafoe… jour de leur prénom. Jusqu’à ce que
l'image est superbe, le texte aussi : elle est ici une actrice qui doit jouer Réalisé par Tommy Wirkola Monday disparaisse… Une tension
on souligne son adaptation, toute Barbara devant la caméra d’un ★★★ rampante, des scènes d’action
en finesse et féminité, du roman fan éperdu, Yves (Amalric). Mise Dans un futur anxiogène, la politique musclées, une violence rarement
de Thomas Cullinan, jadis porté en abyme, quand tu nous tiens. de l’enfant unique a été imposée gratuite et une Noomi Rapace ultra
à l'écran par Don Siegel. Si Colin En filigrane, sont effleurés les dans l’espoir de sauver la Terre efficace : que demander de plus? S.R.

S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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SÉRIE TV

Entre fiel et nerfs…


En transférant l’essentiel de sa trame en banlieue, la série policière fait mieux que mettre
ses personnages en danger et y gagne encore en puissance.

Engrenages, saison 6 Engrenages prend tout le temps le pouls de la d’Engrenages, c’est 60 % de psychologique et
Avec Caroline Proust, Philippe Duclos, société, explique la showrunneuse. Sans en faire 40 % d’action. Tout le monde sait ce qu’est un
Fred Bianconi, Thierry Godard, Audrey en effet une saison sur le terrorisme, je trouvais polar, nous arrivons en sixième saison, on ne va
Fleurot, Nicolas Briancon, Valentin intéressant de traiter en filigrane l’une des rai- pas en redéfinir les codes. En revanche, la liberté
Merlet… sons qui en a fait le lit. Installer l’action de cette de renouvellement est totale en travaillant sur
Réalisée par Frédéric Martin et Frédéric Mermoud
saison en Seine-Saint-Denis faisait partie de les personnages et en essayant d’aller toujours de
Canal+, 12 épisodes
cette réflexion. S’il y a bien un lieu en France où plus en pus loin. Or, quand tu démarres ton
★★★★ la société est en fracture, c’est celui-là !” histoire avec une mutilation (un corps de poli-

L
’intensité. la tension. si cette nou- Le département, dans lequel Anne cier retrouvé démembré, ndlr), il
velle saison d’Engrenages devait être ré- Landois est née et pour lequel elle “ LE DOSAGE est intéressant de chercher des cor-
sumée à un ou deux mots, ils seraient vite confesse garder une grande affec- D'ENGRENAGES, respondances avec l’intimité des
trouvés. Certes, rien de neuf en soi – c’est pour tion, fait ici mieux que servir de C'EST 60 % personnages et comment ils vont
ainsi dire l’ADN de la série – sinon que le curseur décor aux ramifications entre ser- DE PSYCHOLOGIQUE vivre ça jusqu’à l’intérieur de leur
est encore poussé plus loin ici, à la limite de la vices de police, de justice, élus lo- ET 40 % D'ACTION.” propre corps.”
surenchère. De là à imaginer qu’Anne Landois, caux, quartiers et bandes organi- ANNE LANDOIS, Cette dualité intime-action fait en
la showrunneuse, a voulu s’offrir une petite apo- sées. Il va, à son tour, exacerber le SHOWRUNNEUSE tout cas le bonheur revendiqué des
théose avant de passer la main dans l’écriture – sentiment suffocant de stress per- acteurs, Caroline Proust en tête : “Le
après quatre saisons de bons et loyaux services –, manent auquel ses protagonistes sont confron- plaisir est le même à jouer l’un ou l’autre. Comme
il n’y a pas loin. tés. Et c’est peu dire que les personnages récur- l’est celui de pouvoir alterner les différentes situa-
Cette tension a, d’une certaine manière, trouvé rents, de Laure Berthaud (Caroline Proust) à tions, surtout si l’interaction entre elles est pal-
sa source, ou tout du moins une teneur supplé- Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) en pas- pable.” Ne reste plus qu’au capitaine de la DPJ un
mentaire, dans le timing de la conception du sant par le juge Roban (Philippe Duclos), Tintin modèle de voitures plus à son goût. “C’est vrai
scénario, puisqu’entamée au moment de la tue- (Fred Bianconi) ou Gilou (Thierry Godard), ne que j’ai toujours eu tendance à avoir des veaux”,
rie de Charlie Hebdo et finalisée peu de temps trouveront guère de répit dans leur quotidien s’amuse-t-elle. Bon, en même temps, si c’est pour
après l’attentat de Nice. Et si le terrorisme n’est personnel, parfois touchés jusque dans leur rester des heures en planque, hein… Un ultime
en rien convoqué au parloir de cette sixième chair. “C’est vrai que c’est absolument horrible, détail à régler à l’amorce de la saison 7, qui pour-
saison, son spectre est latent. “En fait, sourit Landois, espiègle. Pour moi, le dosage rait être la dernière ?
© DR

XAVIER BONNET

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DVD

Sur la plage,
abandonnés…
Même quand une guerre se termine, elle
continue d’affirmer sa cruauté et son absurdité.
Un film marquant, en terrain miné…

D anemark, mai 1945. fin d’un conflit et de cinq ans d’occu-


pation allemande. Dans les yeux et le souffle haletant du sergent
Carl Rasmussen, qui passe en revue au volant de sa Jeep une
colonne de soldats de la Wehrmacht déambulant en sens inverse, le res-
sentiment, la haine, sont tangibles. Pour-
Les Oubliés tant, cette rage, il va devoir la canaliser
Réalisé par Martin Zandvliet lorsque lui est confiée la mission d’enca-
Avec Roland Moller, drer une douzaine de ces prisonniers alle-
Joel Basman, Ludwig mands, à peine sortis de l’adolescence, qui
Haffke, Louis Hoffman vont être chargés de nettoyer une partie
ESC de la côte ouest danoise où ont été en-
★★★★ fouies au total plus de deux millions de
mines. Land of Mine, le titre originel du
film, prend alors tout son (double) sens : champ de mine, terre que l’on
veut récupérer et refaire sienne à tout prix. Là, trois mois durant, couchés
sur le sol, parfois sans manger pendant des jours, ces presque encore ga-
mins vont sonder le sol, comme absorbés par ce sable aveuglément clair
printanier, avant d’entamer le déminage à mains nues de chaque engin
explosif. Sans l’emphase d’un Dunkerque, mais d’une âpreté non moins
pesante, Les Oubliés/Land of Mine fait froid dans le dos, symbole exacerbé
de l’absurdité belliciste dans une Europe ravagée. X. B.

Le Dîner des vampires Soudain l’été dernier Grave


Réalisé par Jason Flemyng Réalisé par Joseph L. Mankiewicz Réalisé par Julia Ducournau
Avec Charlie Cox, Tony Curran, Avec Elizabeth Taylor, Katharine Avec Garance Marillier, Ella Rumpf,
Mackenzie Crook, Eve Myles Hepburn, Montgomery Clift Rabah Naït Oufella, Laurent Lucas
Marco Polo Carlotta Wild Side
★★★ ★★★★ ★★★★
Même chez les vampires, dura lex, sed lex… L’argent, le désir, la foi, l’expérimentation On savait nos amis végétariens très, disons,
Et gare à celui qui dépassera son quota de, scientifique et surtout la folie – réelle ou pratique à cheval sur leur régime alimentaire. Le premier
hum !, sang frais, surtout s’il se sert parmi paravent pour masquer les non-dits –, le scénario film de Julia Ducournau nous en fournit une
les enfants ! Ça, dans la confrérie vampire, de Gore Vidal “développant” une pièce de explication à laquelle on n’aurait pas forcément
on n’accepte pas ! Elle n’a beau avoir lieu que Tennessee Williams et la réalisation haletante pensé, en même temps qu’un éclairage sur
tous les demi-siècles, cette réunion au sommet de Joseph L. Mankiewicz balayent toutes les conséquences potentiellement fâcheuses
dans une vieille ferme anglaise ne sera donc les obsessions de la société américaine des d’un bizutage ! Ni vraiment film d’épouvante
pas de tout repos, en même temps que années 1950. Autant de… traumas sur lesquels ni tout à fait film d’auteur, Grave se plaît
l’occasion de constater que le renouvellement le noir et blanc, sublimé davantage encore ici à… valdinguer entre les univers et les codes
des cadres n’est jamais chose simple, a fortiori par une restauration en 4K, vient poser un voile de l’un et de l’autre, faisant de lui un film de
quand des militaires – mandatés par un troublant sur la réalité crue. Les longs dialogues genre à part entière. Le cannibalisme, qui en
ecclésiastique pas forcément saint (d’) esprit se muent en autant de performances d’acteurs devient vite le thème central, s’il sait se montrer
– sont bien déterminés à vous faire passer saisissantes, Katharine Hepburn et Elizabeth spectaculaire – et gore quand nécessaire –
le goût de l’éternité. Loufoquerie comme Taylor en tête (Montgomery Clift restant n’est jamais jeté en pâture gratuitement. Grave
© 2016 WILD BUNCH. DR

les Anglais en ont le secret, des références qui quelque peu en retrait). Les luttes peuvent est aussi (surtout ?) l’occasion de découvrir
tombent à pic (Shining, La Grande Évasion) : alors commencer, à deux puis à trois. Intenses. une actrice saisissante en Garance Marillier,
on se laisse volontiers mordiller par cette Étouffantes. Tennessee Williams détestait cette qui tient le film sur des épaules bien moins frêles
horror comedy gentiment foutraque ! X. B. adaptation. On l’aimera doublement. X. B. qu’il pourrait y laisser paraître. X. B.

S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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JEUXVIDÉO
Le choc des univers‚!

Des lapins pas si crétins !


Même si la rumeur hantait le Net depuis quelques mois, le lancement de Mario + Lapins crétins
Kingdom Battle, annoncé par le patron d’Ubisoft Yves Guillemot et le gourou de Nintendo
Shigeru Miyamoto, a fait l’effet d’une petite bombe.

C
’était le 12 juin à l’e3, la grande L’exemple le plus frappant étant Kingdom
messe annuelle des jeux vidéo qui se Hearts. Je vous fais l’histoire rapide, car elle
déroule à Los Angeles. Sur la scène pourrait remplir les pages de tout ce numéro de
mythique de l’Orpheum Theatre, le boss breton Rolling Stone. Kingdom Hearts est un crossover
d’Ubisoft recevait donc sous un tonnerre d’ap- entre, probablement, les deux univers les plus
plaudissements LA grande star du jeu vidéo “copyrightés” de la pop culture : Disney et Final
japonais. Miyamoto San est en effet un de ces Fantasy. Disney, maître absolu de l’entertain-
personnages mythiques qui ont tout changé. Il ment, chantre ultime de l’expansionnisme
y a un avant et un après Miyamoto. culturel ricain, et Squaresoft, son
MARIO + LAPINS CRÉTINS Et l’inventeur des légendaires Mario équivalent nippon, gardien d’une li-
KINGDOM BATTLE ou Zelda a rarement laissé d’autres “LES LAPINS cence multimillionnaire (Final
Nintendo Switch artistes manipuler à ce point ses CRÉTINS Fantasy), peut-être plus intello et
Ubisoft
créatures. D’autant plus exception- APPORTENT profonde, mais tout aussi protégée
★★★★ nel que cette rencontre entre Mario LEUR CÔTÉ jusque dans les moindres recoins.
Pour Grant Kirkhope, le compositeur et les Lapins crétins est une création LOUFOQUE Incroyable, mais vrai : le jeu
de ce titre, la musique de jeu vidéo est européenne, développée entre Paris, ET PAS MAL Kingdom Hearts a réussi à être une
aujourd’hui beaucoup mieux considérée Milan et Montpellier. DE DÉBILITÉ…” vraie bonne surprise artistique, dans
que lorsqu'il a commencé au milieu des Comme dans la musique, les mé- lequel ses créateurs ont mis tout leur
90’s (il jouait auparavant avec le groupe langes entre les univers dans le jeu n’ont pas cœur pour nous faire oublier cette association
Zoot and The Roots) : “Cette musique toujours laissé des souvenirs impérissables. Et aussi improbable qu’étrange.
est tellement populaire aujourd’hui.
pourtant, parfois, ça fonctionne. Côté musique, Pour les Lapins crétins et Mario, le mélange est
On peut maintenant aller voir des concerts
de musique de jeux vidéo avec des “Under Pressure”, par exemple, cet improbable peut-être moins détonnant, mais leurs deux
orchestres prestigieux... Cela a permis duo entre Bowie et Queen, qui, sur le papier, univers n’ont pas non plus grand-chose en com-
à de nombreuses générations de découvrir aurait fait trembler de peur n’importe quelle mun. Si les titres Nintendo ont toujours une
la musique instrumentale. Mon fils nonne fan de pop suédoise, s’est avéré au final grande profondeur et un excellent gameplay,
de 14 ans n’écoute que de la musique être une merveille de kitsch et de chantilly. On l’univers de Mario est toujours resté lisse, her-
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de jeux vidéo. Jamais de pop music!” a la même chose dans le domaine du jeu vidéo. métique au moindre relief et à tout second

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Un jeu de pure
stratégie. Ici, Des boss loufoques, mais
positionnez-vous loin d'être évidents.
pour vous mettre
à l’abri de votre
ennemi planqué
en haut à droite.

Entre les combats,


vous pourrez vous
relaxer avec de courtes
phases d’exploration.

degré. Les Lapins crétins n’ont pas beaucoup ronnement (ne pas rester à découvert, détruire des succès Nintendo comme GoldenEye ou
plus de consistance, mais n’hésitent jamais à les abris derrière lesquels se planquent les en- Donkey Kong Country. Son score reste original
mettre les pattes dans le plat, à cultiver non- nemis, utiliser intelligemment les passages se- tout en rendant hommage au génie de Koji
sens et stupidité et à appuyer bien fort partout crets, etc.). On y incarne plusieurs personnages Kondo, le créateur des thèmes éternels de
où ça peut faire mal. Un humour corrosif et loin de l’univers Nintendo ou leurs alliés Lapins, Mario ou Zelda. Grant Kirkhope déclarait
du politiquement correct du plombier mousta- chacun ayant des pouvoirs particuliers. Les ainsi : “Zelda: A Link to the Past est mon jeu
chu. De quoi pouvoir faire peur à Nintendo. La Lapins crétins apportent leur côté loufoque et vidéo préféré. La musique y est fantastique, ses
firme de Kyoto a pourtant donné son feu vert à pas mal de débilité, que ce soit dans les petites thèmes sont éternels et il est impossible de faire
ce crossover improbable en imposant tout de phases de recherche, les séquences animées, ou
mieux ! La musique de Super Mario 64 était
même une condition de base : que Mario et la les boss, tout aussi cinglés que dangereux. En
aussi un grand classique signé Koji Kondo. Je
famille Nintendo ne s’affichent que dans un revanche, côté multijoueur, il ne sera pas pos-
me souviens que j’adorais le thème du château,
style de jeu dans lesquels ils n’étaient jamais sible de s’y essayer en réseau, le titre ne propo-
apparus auparavant. On avait eu Mario en pla- sant que la possibilité de jouer en local, et uni- mais aussi la façon dont la musique était inte-
teforme (la base), en foot, en basket, en jeu de quement en coopération. Dommage. ractive dans le ‘Monde trempé-séché’. Je savais
rôle, en tennis, en flipper, en golf, en kart, en jeu Du côté de l’habillage, ce Kingdom Battle est à que si j’essayais d’imiter Kondo, je me plante-
de plateau, en runner… Ubisoft a finalement la hauteur des meilleurs titres Nintendo. Un rais…” Kirkhope a donc réussi à garder sa per-
proposé de réaliser un titre s’inspirant de soin tout particulier a été apporté aux textures sonnalité dans ce jeu qui devrait faire patienter
X-Com, un jeu culte des années 1990. Soit des graphiques et à la qualité sonore. La musique a les possesseurs de la Switch jusqu’à la sortie du
combats ultra-stratégiques, au tour par tour, d’ailleurs été composée par le Britannique prochain Mario, prévue pour la fin octobre de
qui propose une utilisation poussée de l’envi- Grant Kirkhope, célèbre pour son travail sur cette année. MATT MURDOCK

DANS LA CONSOLE
AGENTS OF MAYHEM MIITOPIA OVERCOOKED DREAM DADDY PATAPON
PS4, Xbox One, PC 3DS Nintendo Switch, PC REMASTERED
Deep Silver Volition / Nintendo PS4, Xbox One, PC Game Grumps PS4
Koch Media ★★★★ Ghost Town Games ★★★ Sony Interactive
★★★ Entre le jeu de rôle et
★★★★ Les visual novels (sortes
Entertainment

Les créateurs de Saints la simulation de vie, on Je profite de sa sortie de romans animés et


★★★★
Row lancent une nouvelle utilise ses Mii, autrement récente sur la Switch pour interactifs) et les jeux de Certains jeux ont tendance
licence. On est toujours dit, les persos que l’on vous présenter ce petit jeu drague sont très populaires à se bonifier avec le temps,
plus ou moins dans la a créés. Tout le monde anglais qui ne paye pas au Japon. Dream Daddy, surtout lorsqu’ils ont un
démarque de GTA, cette n’aimera pas, mais moi, de mine, mais qui est une jeu de drague entre papas fort parti pris artistique.
fois avec un côté action je suis à fond. Je fais vraie bombe en multilocal gays, est l’un des premiers Comme celui-ci, sorti
et shoot très prononcé. combattre les gens de (jusqu’à quatre joueurs). à cartonner chez nous. initialement en 2007 sur
Une sorte de parodie ma famille, mes potes et On doit faire la cuisine et Pour l’instant uniquement PSP. Entre le jeu de rythme
trash des cartoons d’action même quelques persos que servir en se répartissant les sur PC, il ne devrait pas et le combat tactique,
américains. Parfait pour je viens de créer, comme tâches. Fous rires garantis‚! tarder, vu son succès, Patapon fascine grâce à la
se défouler et ne pas trop Marilyn Manson ou JCVD. Un vrai jeu familial pour à débarquer sur tablettes sublime direction artistique
réfléchir. Du grand n’importe quoi‚! dimanches pluvieux. et autres formats… de l’artiste français Rolito.
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S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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LIVRES

The Wind Cries Mary


Entre roman noir sudiste et conte crépusculaire aux accents quasi bibliques,
Ron Rash, grande voix de la littérature américaine contemporaine, nous invite à une réflexion
sur la culpabilité et la rédemption. Le tout sur fond de rock psychédélique.

PAR LE VENT PLEURÉ


RON RASH
Seuil
★★★★

“À san francisco, le summer of


Love, l’été de l’amour, a eu lieu
en 1967, mais il a fallu deux ans
pour qu’ il atteigne le petit monde des
Appalaches. Sur l’autoroute, en février, on a
aperçu un hippie au volant d’un minibus
bariolé, un événement dûment signalé dans
le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture
était quelque chose qu’on ne voyait qu’à la
télévision, tout aussi exotique qu’un pin-
gouin ou qu’un palmier nain.” En 1969, vus
de Sylva, une petite ville rurale des
Appalaches, le bourbier du Viêtnam et le
mouvement pacifiste de Berkeley, les mani-
festations de plus en plus violentes pour les
droits civiques, ou l’assassinat de Sharon
Tate par Charles Manson paraissent bien
lointains. Bill et Eugene vivent une vie
simple et studieuse, réglée au carré par un
grand-père tyrannique, ancien combattant
de la guerre de 1914, médecin du patelin et
notable de coin. Un dimanche après-midi,
alors qu’ils pêchent des truites dans le lit lorsque les fortes pluies du printemps Par le vent pleuré est un livre sur le choc des
d’une rivière, les deux frères aperçoivent mettent à jour, sur la berge, des lambeaux cultures, en cette fin des sixties, entre un pays
une jeune fille de leur âge en train de se de bâche bleue et de macabres petits osse- en pleine révolution culturelle, vibrant sur
baigner nue dans un trou d’eau. Le temps ments blancs. Ligeia est de retour, et Bill, “Good Lovin’” des Rascals, et une Amérique
d’un été, la troublante Ligeia, qui arrive de devenu un chirurgien renommé, comme profonde, provinciale, traditionnelle (la
Floride et qui a passé quelque temps dans Eugene, universitaire raté et poivrot, aban- Caroline du Sud, chère à l’auteur de Serena),
une communauté hippie, va à jamais boule- donné de sa femme et de sa fille, vont devoir bercée par les vieux airs de Merle Haggard.
verser la vie des deux frangins, leur faire affronter ce fantôme sorti du passé… C’est aussi un conte crépusculaire convoquant
découvrir le sexe, l’alcool et la drogue, les Comment est morte Ligeia ? Qui l’a tuée ? Par les plus grands auteurs (le Steinbeck de À l’est
guitares acides de Moby Grape et de Jimi le vent pleuré aurait presque des allures de d’Eden, le Dostoïevski des Frères Karamazov,
Hendrix, les lyrics troublants des Doors et whodunit, aux forts accents sudistes. Presque. ou encore l’Edgar Poe de Ligeia) autour de
© MARK HASKETT. DR.

de Jefferson Airplaine, avant de disparaître Car avec ce roman d’une rare puissance et vieux mythes et d’histoires éternelles, qui
comme elle était apparue, à la fin de la sai- d’une extrême finesse, l’Américain Ron Rash donnent aux grands textes leur raison d’être.
son. Quarante-six ans plus tard, beaucoup signe une œuvre riche et complexe qui dépasse, Le tout en tout juste 200 pages, limpides et
d ’eau a coulé dans la rivière à truites, et de loin, la simple résolution d’un mystère. lumineuses. Superbe. PHILIPPE BLANCHET

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Fantasia chez les ploucs
Une jeune prostituée en cavale, des tueurs sadiques, un vieux trafiquant de whiskey et quelques flics
ripoux : tout le charme de la campagne !

U ne cambrousse improbable, au
sud d’Atlanta. Des champs de ca-
cahuètes et de millet, des forêts de
pins où crapahutent des tatous, et des mo-
bourru, un brin cinglé, qui vit avec une pou-
pée géante, vêtue des robes de sa femme
disparue. Face aux sociopathes enfouraillés
qui pistent la belle, nos deux “gueules cas-
LE DIABLE
EN PERSONNE
PETER FARRIS
bile homes dézingués, habités par des las- sées” vont devoir la jouer serré... Dès la Gallmeister
cars tout aussi improbables. Une très jeune première page – une malheureuse ligotée ★★★½
prostituée – Maya, la favorite du maire – dans le coffre nauséabond d’une voiture,
vient d’échapper aux tueurs qui veulent une chaussette dans la bouche – Peter
l’exécuter. La fille connaît toutes les ma- Farris donne le ton à un lancinant polar,
gouilles des dirigeants de la ville, les ré- taraudé par une aveuglante violence et
seaux de trafic de drogue ou de prostitution, émaillé d’hallucinantes visions, pour pous-
et la horde sauvage qui la traque a bien ser Jim Thompson, Larry Brown et les
l’intention de finir le boulot. Au terme autres dans le brasier d’un “Southern noir”
d’une courte cavale, Maya se réfugie chez radical, réglé sur un infernal tempo. Du
un vieux trafiquant de gnole solitaire et Hank Williams Jr., version hardcore. P. B.

DARK NET
BENJAMIN PERCY
Éditions Super 8
★★★
Il existe aujourd’hui un Internet parallèle, sans aucune
limite, permettant de naviguer en toute impunité au gré
LES BUVEURS DE LUMIÈRE d’une infinité de sites cryptés. Une immense poubelle du
JENNI FAGAN Web, où se croisent pédophiles, terroristes et salauds de
Métailié
tous poils. Le Dark Net. Jusque-là, tout est vrai. Imaginez
★★★½ maintenant que des forces obscures grenouillant dans
En 2020, dans le nord de l’Écosse. ce marigot tentent de soumettre le monde en hackant les
Les dérèglements climatiques esprits des internautes pour les transformer en tueurs…
provoquent le début d’une C’est le sujet de ce techno-thriller baroque et affolant,
nouvelle ère glaciaire. Partout petit bijou pulp et cyberpunk faisant un écho lointain aux
LE LIVRE QUE JE NE VOULAIS PAS ÉCRIRE sur la planète, les températures manipulations et autres fake news qui menacent
ERWAN LARHER chutent sévèrement, alors aujourd’hui insidieusement le monde. P. B.

Quidam que l’hiver n’a pas encore


★★★★ commencé. Dans un parc de
caravanes, une mère vaguement
“Tu pénètres dans la salle. Sensations familières, plénitude hippie (elle lit Cookie Mueller
immédiate : un concert de rock. Tu ne les comptes plus, en écoutant Harvest Moon)
mais à chaque fois le même enchantement, la même et son ado transsexuel, qui
excitation, allez, vas-y, tu peux bien l’avouer maintenant se prénomme désormais Sarah,
que si tu devais avoir un regret, ce serait de ne pas être croisent la route d’un géant
devenu une rock star.” Erwan Larher est romancier. Et fan tatoué et cinéphile, pataugeant HILLBILLY ÉLÉGIE
de rock. Le 13 novembre 2015, vers 20h30, Erwan Larher dans la neige en Chelsea boots. J.D. VANCE
entre dans le hall du Bataclan. Et son histoire personnelle Ensemble, ces trois magnifiques Globe
bascule dans un cauchemar collectif. Touché d’une balle marginaux, “pas nés dans le
de kalachnikov dans la fesse (ironie de l’histoire, à cette
★★★
bon corps” au moins pour deux
époque, il est en train d’écrire un roman qui s’intitule d’entre eux, vont résister au froid J.D. Vance, la trentaine, vient d’une petite ville industrielle
Marguerite n’aime pas ses fesses!), Erwan Larher baigne mortel du monde… Avec ce livre complètement sinistrée de l’Ohio, et a aussi vécu dans
dans son sang, au milieu des blessés et des cadavres. étrange et follement lyrique, le Kentucky, élevé par ses grands-parents au sein d’une
C’est cette histoire, c’est ce cauchemar que raconte balayé par des bourrasques famille pauvre et passablement dysfonctionnelle. Ce livre
ce livre. Les coups de feu. Les hurlements. La mort. de grésil, opposant des êtres est le récit de son enfance et de son adolescence. C’est
Puis la délivrance. La souffrance. L’hospitalisation. Mais lumineux à un monde de surtout celui des white trash et autres hillbillies (chantés
pas seulement : plutôt que livrer un simple témoignage ténèbres, l’Écossaise Jenni par Dwight Yoakam) du Midwest industriel, pour la plupart
et de tomber dans le pathos, Erwan Larher choisit Fagan signe un bouleversant d’origine irlando-écossaise, dont la forte culture ouvrière
d’élargir l’angle, de ponctuer son récit des témoignages roman apocalyptique, et l’un des s’est progressivement diluée dans la crise et la misère,
de proches, vivant l’événement de l’extérieur, et réussit plus beaux textes de la rentrée. pour devenir un vivier plein d’amertume et de xénophobie
avec ce livre totalement bouleversant à faire de ce drame, P. B. pour les Républicains les plus durs. Un passionnant portrait
© DR

notre drame. Définitivement. P. B. de l’Amérique de Trump. P. B.

S e p t e m b r e 2 017 ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…

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RADIOCLASSIQUE

“Days of Pearly Spencer”


David McWilliams
Une radio pirate, un animateur français, des violonnades et un clochard céleste. Il n’en faudra pas plus pour
faire de cette sublime chanson un tube planétaire. Exploit que son auteur ne réussira pas à renouveler…
Par Philippe Barbot

U
n matin d’octobre 1967, un anima- réalisateur déjà célèbre pour ses collaborations le refrain renchérit : “La fin du parcours est
teur d’une radio française retourne avec la crème des artistes british : Mike proche…” Le refrain, justement. Tout vient de
le 45-tours qu’il vient de recevoir. La Leander, c’est son nom, a produit récemment le là. Outre la voix du chanteur qu’on croirait sou-
chanson qu’il entend alors, nichée “As Tears Go By” de Marianne Faithfull et, sur- dain passée à travers un mégaphone (en fait,
en face B, le sidère. Il décide aussitôt de la pas- tout, a signé les arrangements du “She’s Leaving enregistrée via une cabine téléphonique située
ser en boucle sur son antenne. Quelques Home” des Beatles, à la faveur d’une défection à côté du studio) et son désormais fameux “hin
semaines plus tard, le morceau trône dans les momentanée de George Martin. hin hin”, ce sont les envolées de cordes qui
premières places du hit-parade national. L’ani- C’est en si bon équipage que le jeune David enre- séduisent immédiatement, un riff unique et
mateur avisé, c’est Gérard Klein, le futur gistre la chanson “Days of Pearly Spencer”, qui immédiatement mémorisable. La recette d’un
“Instit” de la télé, qui officiait alors sur France doit figurer sur son deuxième album éponyme. tube, n’est-ce pas ?
Inter. La chanson s’intitule “Days of Pearly Une chanson comme une autre, croit-on, Notre Phil Solomon, en businessman avisé (plus
Spencer” et est interprétée par un inconnu puisqu’elle est destinée à n’être que la face B de tard, il produira le “Mony Mony” de Tommy
nommé David McWilliams. “Harlem Lady”, un titre auquel le label croit James and the Shondells et achètera les droits
En anglais, on appelle ça un “one hit wonder”, davantage. Mais qui est donc Pearly Spencer ? pour le Royaume-Uni du “Je t’aime… Moi non
un tube sans lendemain. Le plus” de Gainsbourg-Birkin) y croit tellement
McWilliams en question a enre- qu’il décide de sortir le grand jeu : le voilà qui
gistré plus d’une dizaine d’albums, achète des pages entières de pub dans les
mais son nom restera à jamais journaux musicaux (avec des slogans du
accolé à une chanson, une seule. Et genre “Le single qui va vous exploser
quelle chanson ! Une sorte d’ovni la tête” ou “L’album qui bouleversera
sonore, mélange de folk sympho- musique” et décore
le cours de la musique”)
nique et de pop psychédélique, aux les flancs de bus à l’effigie de son
arrangements dignes des meilleurs poulain. Lequel arbore de
moments des Beatles. On com- sémillantes rouflaquettes qui
prendra plus loin pourquoi. lui mangent le visage et se
I rl a nd a i s b on t ei nt , D av id balade dans Londres avec en
McWilliams est né en 1945 aux poche même pas de quoi
environs de Belfast. S’il grattouille s’acheter un ticket pour ces
la guitare dans un groupe de bal, il damnés bus.
se distingue surtout dans l’équipe Oui, mais voilà. Si la chanson
de foot locale, le Linfield FC, pour est matraquée sur les ondes de
laquelle il officie comme gardien de Radio Caroline, la prude et per-
ES but. Une blessure à la cheville met- fide BBC refuse obstinément de la
tra fin à sa carrière sportive et l’obli- diffuser, considérant qu’elle n’a pas
gera à trouver un boulot. Sur les à faire la promotion d’un artiste aco-
traces de son père, le voilà devenu quiné avec une station concurrente, de
apprenti dans une usine d’armement surcroît pirate. Shocking. Il faudra que les
qui fabrique… des torpilles. Mais, voisins européens, France, Belgique, Pays-
plus que les sous-marins, c’est la Bas ou Finlande, y mettent du leur pour que
musique qui le passionne. Même que, fan de le titre devienne le tube qu’on connaît.
Buddy Holly, il écrit des chansons, plutôt de “DES ENVOLÉES DE CORDES Depuis, les reprises ont évidemment fleuri. Si
jolies chansons, dans un registre folk. En 1966,
il réussit même à signer chez CBS pour un pre-
ET UN RIFF UNIQUE” la plus célèbre reste celle de Marc Almond
en 1992, elle a également fait les beaux soirs du
mier single intitulé “God and My Country” qui Une gente damoiselle croisée dans les brumes easy listening (de Caravelli à Franck Pourcel,
fait un flop. Pourtant, ses maquettes intéressent irlandaises ? Pas du tout. L’auteur avouera plus en passant par Raymond Lefevre) et de mul-
un producteur, Phil Solomon, qui n’est autre que tard qu’il s’agit d’un clochard qu’il a connu autre- tiples adaptations dans toutes les langues, dont
le manager de groupes comme les Them ou les fois dans les rues de Ballymena, la ville d’Irlande la plus kitsch est sans doute celle de Frank
Dubliners. On reste entre Irlandais… Sauf que du Nord où il a grandi. Alamo, sous le titre “Je connais une chanson”.
ledit Solomon a non seulement créé un label de Si le titre peut prêter à confusion, le texte, lui, Plus récemment, Rodolphe Burger en a offert
disques, Major Minor Records, mais est aussi est éloquent. Écrit à la façon d’un reportage, il une version étonnante, bien dans son style.
codirecteur de la station pirate Radio Caroline, décrit dès la première strophe les quartiers dés- David McWilliams est mort d’une crise car-
qui émet illégalement mais avec succès dans les hérités de la cité, en ces termes : “Un immeuble, diaque en janvier 2002, à l’âge de 56 ans. Mal-
eaux internationales de la mer du Nord, au large une rue sale/ Foulée et usée par des pieds nus/ gré ses 150 chansons (qui méritent d’être
du Royaume-Uni. Une aubaine pour le jeune Se déroule à l’infini/ Sous un soleil frisson- redécouvertes, quelque part entre Donovan
chanteur mais, on le verra plus tard, un sacré nant…” Pas vraiment une bluette. D’autant que et Al Stewart), il n’a jamais retrouvé le chemin
handicap aussi. le principal protagoniste de la chanson est du succès. Quant aux clochards de Ballymena,
Grâce à son nouveau mentor, David McWilliams dépeint le teint rougeaud, affublé d’une mau- Irlande du Nord, ils continuent de marcher
enregistre deux albums, sous la houlette d’un vaise barbe arrosée au tord-boyaux (sic), et que pieds nus.
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