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HERDER ET JACOBI CORRESPONDANTS DE KANT

Author(s): I. Kant, Friedrich Heinrich Jacobi, Herder and Jean Ferrari


Source: Les Études philosophiques, No. 2, DES INÉGALITÉS (AVRIL-JUIN 1968), pp. 197-212
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41581280 .
Accessed: 23/06/2014 00:39

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HERDER ET JACOBI
CORRESPONDANTS DE KANT

Même lorsqu'on connaît son aversion à écrire,on ne peut s'étonner


du nombre limité des échanges épistolaires de Kant avec ses contem-
porains au cours d'une carrière intellectuelle qui s'étend sur près de
soixante ans. Ceux-là même que l'on regarde comme ses amis ou que
l'on place parmi ses disciples ne sont pas mieux partagés que les
hommes illustres du temps. En dehors de la correspondance entre
Kant et Marcus Herz qui jette une si vive lumière sur les années qui
ont précédé la parution de la Critique de la raison pure, les échanges
sont la plupart du temps épisodiques et si leur rareté ne leur confère
pas pour autant une valeur exceptionnelle, certains méritent qu'on
s'y arrête : ces deux lettres, écrites à quelque vingt ans d'intervalle,
la première à Herder, la seconde à Jacobi, révèlent l'étonnante per-
manence*des exigences philosophiques de Kant ; les réponses de
Herder, au commencement de son évolution intellectuelle, et de
Jacobi, à la finde la querelle du panthéisme,constituentdes documents
significatifssur leurs auteurs et sur la vie intellectuelleen Allemagne
dans la seconde moitié du xvine siècle (i).

I. - KANT ET HERDER
Herder (2) qui avait tout juste vingt ans de moins que Kant fut,
pendant les années 1762-1764, étudiant à Königsberg et Kant dont
il suivit les cours avec passion, lui témoigna beaucoup d'amitié (3).
Herder avait quitté Königsberg pour Riga depuis trois ans déjà
lorsque Kant lui écrivit pour le féliciterde ses succès littéraireset lui

(1) Kant'sBriefwechselin Kanťsgesammelte Schriften


herausgegebenvonderKöniglich
Akademie
preussichen derWissenschaft AK,suivienchiffres
; enabrégé romainsdel'indication
dutome, etenchiffresarabesdecelledela page.
(2) JohannGottfried Herderétaitné,le 25août1744,
à Mohrungen enPrusse-Orientale.
(3) Enuntexte célèbre pourVavancement
desLettres deVhumanité
età uneépoqueoùleurs
s'étaient
relations Herdera rendu
détériorées, unhommage à sonpremier
éloquent maître,
BriefezurBeförderungderHumanität , Édition XVII,404.Cf.V. Delbos,La philo-
Suphan,
sophie deKant
pratique Aie 926,p. 48.
, 2eéd.,Paris,
ÉTUDES PHILOSOPH. 13

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198 LES ÉTUDESPHILOSOPHIQUES

exprimer sa confiance dans le développement d'un talent dont il se


sentait un peu l'accoucheur. Dans sa réponse Herder, qui a été très
flattépar la lettre de Kant, est évidemmentheureux de parler à son
maître de ses « états d'âme » et malgré les expressions de modestie,
la vanité perce ici et là. Son admiration à l'égard de Kant est déjà
mêlée de réserve : il ne le compare point aux grands écrivains dont
il vante le génie comme Hume et Shatesbury, mais à Burke chez
'
lequel il se plaît à retrouverles théories esthétiques de son ancien
professeur,et il exprime pour finirquelque doute sur la- conception
kantienne de l'anthropologie. Si, dans les années qui suivirent, les
relations entre les deux hommes se relâchèrent, pourtant Herder
conserva longtemps encore un respectueux attachement à Kant
comme en témoignesa correspondanceavec Hamann (1). La parution
de la Critique de la raison pure n'éveilla chez Herder, comme chez la
plupart de ses contemporains qu'irritation et incompréhension (2).
Mais, il faut attendre la publication par Herder des Idées (3) et les
comptes rendus successifs qu'en fit Kant à mesure que paraissaient
les différentesparties de l'ouvrage pour que leurs rapports se dété-
riorent vraiment (4). La sévérité de Kant à l'égard de Herder se
manifesteencore lorsque ce dernier prend parti tardivement dans la
querelle du panthéisme en publiant ses Discours sur Dieu (5) en 1787.
A la fin de sa vie, Herder entrepritde réfuterla philosophie de
Kant et il publie la Métacritique(6) qui prend souvent la formed'un
pamphlet violent : Kant n'est à ses yeux qu'un nouveau scolastique

(1) Herders BriefeanJoh.Georg Hamann ,herausgegeben vonOttoHoffmann, Berlin,


1889.
Cf.p. 61,p. 69,p. 116,p. 152,etc.Herder s'inquiètedel'étatdestravaux desonmaître et
demande à Hamann delesaluer desa part.
(2) Ainsidansunelettre à Hamann du31décembre 1781, il prévoit qu'illuifaudra deux
outrois anspourlirelelivreet,au moisdemarsdel'année suivante, à sonami: «La
il écrit
Critique delaraison pure estpourmoiunmorceau durà avaler. Peula liront. DanslesNouvelles
de Göttingen où l'onendonne unelargerecension, il esttraité d'idéaliste.Jenesaisà quoi
doitservir toutcelourd tissudevent»,op.cit.,p. 181.
(3) Ideen zurPhilosophie derGeschichte derMenschheit dontunchoix detextes a ététraduit
parM. Rouché,Idéespourla philosophie deYhistoire deVhumanité, Paris,Aubier, Éditions
Montaigne, 1962.Les comptes rendus figurent parmiles opuscules de Kant,traduits par
S. PiOBETTA, La philosophie deVhistoire. Paris,Aubier, Éditions Montaigne, 1947.p. 93-126.
(4) Dansunelettre à Hamann du 17février 1785,Herder se ditstupéfait parla sévérité
dela recension. Il parlede méchanceté et d'unetrahison de l'esprit de sonlivre.Luiquia
toujours traité Kantavecrespect ne peutcomprendre comment sonmaître a étécapable
d'uneaction aussibasse,op.cit.,t>.208.
(5) Gott (fünf Gespräche überGott), 1787.Kantécrità Jacobi le 30août1789: « Vous
avezréfuté le pluscomplètement possiblele syncrétisme duspinozisme etdudéisme duDieu
deHerder. Engénéral il ya, à la basedetoutsyncrétisme, unmanque desincérité, tmedispo-
sitionde l'âmequiappartient enpropre à ce grand artisteenfantasmagories... »,AK,XI,
p. 75.Cf.supra.
(6) Verstand undErfahrung , eineMetakritik zurKritik derreinen Vernunft ,Leipzig,Édition
Suphan, 1799, t.XXI.L'année suivante dansCalli gone,vonAngenehmen undSchönen ,Herder
s'enprend à la conception kantienne dubeau,Éd.Suphan, t.XXII.

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J. FERRARI- HERDERET JACOBI 199

dont l'influence a été funeste sur la . philosophie allemande. L'élève


enthousiaste s'est mué en adversaire déclaré et Herder par là s'inscrit
parmi ceux pour lesquels l'entreprisekantienne est vouée à un échec
d'autant plus retentissant que ses prétentions étaient plus élevées.
Ces quelques jalons pour une histoire des rapports entre Kant
et Herder suggèrentl'intérêt d'une étude approfondie qui sans doute
éclairerait à la fois la situation du kantisme en Allemagne et les
grands courants de la philosophie de l'histoire en plein essor à cette
époque. Cet échange de lettres ne nous donne qu'un premier et bref
aperçu, mais déjà suggestif,des relations entre deux esprits que le
développement ultérieur de leurs pensées allait séparer de plus en
plus.
A). LETTRE DE KANT
A JOHANN GOTTFRIED HERDER

Je saisis cette occasion pour vous témoignerce respectet cette amitié


dont aurait pu vous faire douter mon habituelle négligenceépistolaire.
J'ai pris part avec une certaine vanité au succès remarquableque vos
nouveaux essais (1) ont obtenudans le mondebien qu'à la véritéils aient
poussé seulementsur votre propreterrainet qu'ils ne doivent rien aux
conseilsqu'il vous a plu de prendreauprès de moi. Si la critiquen'avait
pas l'inconvénientde rendrele génie craintifet si la finessedu jugement
ne rendaittrès difficilel'approbationde soi-même,j'espérerais,après le
petit essai que je garde de vous (2), qu'avec le temps,vous deviendrezun
maitredans ce genrede poésie qui est la grâce de la sagesse et dans lequel
Pope est encorele seul à briller.Le développementprécocede vos talents
me fait prévoiravec beaucoup de plaisir le momentoù l'esprit fécond
n'étantplus autant poussé par le chaud mouvementdu sentimentjuvénile
acquerrace reposplein de sentimentmais aussi de douceurqui est en quel-
que sorte la vie contemplativedu philosopheet justementle contraire
de ce dont rêventles mystiques.De ce que je connais de vous, j'attends
avec confiancece momentde votregénie,un état d'âme qui est pour celui
qui le possède et pour le mondele plus utile de tous, celui où Montaigne

(1) Il s'agitdesFragments allemande


surla littérature moderne
, Ueberdieneuere deutsche
Iyitteratur,1-3Sammlung vonFragmenten, EineBeilage zudenBriefen dieneuesteI4tteratur
betreffend, Riga,1767.
(2) Allusion, sansdoute, à unpoème aujourd'hui perdudanslequelHerder avaitmisen
versuncours deKantquil'avaitenthousiasmé : « C'était
unedecesclairesmatinées oùKant
avaitl'habitude deparler avecunerareélévation depensée etmême sil'occasion
s'enprésentait,
de lire,avecunenthousiasme poétique, despassages de sespoètesfavorisPopeet Haller.
I/homme pleind'esprit développa deshypothèses audacieusessurle tempset surl'éternité.
Herder enfutvisiblement etsi fortement impressionné qu'unefoisrentréchezlui,il miten
versquiauraient faithonneur à Haller,lesidéesdesonmaître. Kant,à quiillesremit lelen-
demain matin avantl'ouverture ducours, futfrappé del'exposition
parl'excellence poétique
desesidéesetillutlepoème avecfeuetexaltation devantsonauditoire»,Herder'sLebensbild
,
Erlangen, 1846,I, i, p. 135.
Iyepoème enquestion estperdu.

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200 IyESÉTUDESPHILOSOPHIQUES

prendla dernièreplace et Hume, autant que je le sache, la plus haute (i).


En ce qui me concerne,commeje ne suis attaché à rienet doué d'une
profondeindifférence vis-à-vis de mes propresopinions et de celles des
autres,commeje renverseassez souventtout l'édificeet que je le regarde
selon des anglesdifférents pour choisirfinalement celuiqui mepermettra de
le dessinerd'une manièreconforme à la vérité,aussi depuisque noussommes
séparés,ai-je faitla place, surbien des sujets,à d'autresaperçus,et comme
ma préoccupationmajeureest de reconnaître la véritabledestinationet les
limitesdes facultéset des tendanceshumaines,je pense y être à peu près
parvenuen ce qui concerneles mœurset je travaillemaintenantà une méta-
physiquedes mœurs: je pense pouvoiry donnerles fondements évidentset
fécondsen mêmetempsque la méthoded'après laquelle doiventse régler,
si elles doivent un jour aboutir, les démarchesordinairementadmises,
mais le plus souvent stériles,en ce genre de connaissance.J'espère en
terminer cetteannéesi ma santétoujourschancelantene m'en empêchepas.
Je vous prie de bien vouloir présentermes salutationsles meilleures
à M. Berens (2) et l'assurerqu'on peut être très fidèledans l'amitié,même
si l'on n'en parle jamais dans ses lettres.MonsieurGermannqui va vous
apportercettelettreest un hommehonnêteet diligentqui saura obtenir
votre bienveillance; avec lui l'École de Riga a mis la main sur un travail-
leur qui a toutes les qualités requises.
Je suis, avec grand respect,de votre très honoré,ami et serviteur
très dévoué.
I. Kant.
Königsberg,le 9 mai 1767 (3).

B). LETTRE DE JOHANN GOTTFRIED HERDER


A KANT
[novembre1768]
Monsieurle Professeur,
Maître et ami très estimé,
Vous avez, je le sais et je l'espère,une trop bienveillanteidée de ma
façon de penserpour prendremon silence passé comme de la paresse ou
quelque chose de pire encore (4). Seulementmes affairesqui sont acca-

(1) I^esbiographes de Kantrapportent que les Essaisde Montaigne étaientl'undes


ouvrages préférésde Kant.AinsiReicke, Kantiana, Königsberg, i860,p. 15-49. Dansses
dernièresannées,onlevoitdemander à sonéditeur
François-Théodore deI^aGarde la traduction
nouvelle desEssaisquiparaissaitalors(lettre
du20septembre 1793,Éditiondel'Académie de
Berlin, t. 11,p. 454),Montaigne'sGedanken undMeinungen überAüerleyGegestände , Joh.
Joachim ChristophBode'sÜbersetzung, Band1, 6. Berlin, C'estlà undesrares
1793-1795.
ouvrages de philosophesfrançaisfigurantdansla bibliothèque de Kant {Immanuel Kants
Bücher, vonArthur Warda, Berlin,1922,p. 52).Mais,comme entémoigne icisonpropos, la
supérioritédeHumesurMontaigne luiapparaissait
incontestable.
(2) Berens,Johann Christoph marchand
(1729-1792), à Riga,amideKantetdeHamann.
(3) Kants'esttrompé d'année.C'esten 1768queAlbert Germann, originairedeRasten-
burget immatriculé le 18avril1763à l'Universitéde Königsberg, futappelécomme sous-
recteur à Riga.C'estle 14avril1768qu'ildemande au ministère d'Étatà Königsberg l'auto-
risationdepartir (cf.AK 13,p. 35-36).
(4) Herder a attendusixmoisavantderépondre à la lettredeKant.

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J. FERRARI- HERDERET JACOBI 201

blantes,surtoutpar leur incommensurabilité, une quantitéde distractions


et puis surtoutcette inquiétudede l'âme (i) que Locke tientpour la mère
de tant d'entreprises, ont été chez moi pendantun certaintempsla mère
d'un reposde paralytiquedont je me réveilleà peine maintenant.
Je ne puis pas direcombienvotrelettrem'a faitplaisir.Le souvenirde
mon maître,le ton si amical qui y règne,le contenumême,tout cela en
faisait pour moi un cadeau comme n'est aucune de ces lettres qui me
viennentsouvent d'Allemagneet des personnesles plus considérableset
mêmejusque de la Suisse. Elle m'était d'autant plus chère que je connais
votrepeu d'inclinationà écriredes lettresdont j'ai un peu hérité.Mais à
quoi bon vouloirénumérerles raisonsd'un plaisir.
Vous êtes très bon de mentionnerma qualité d'écrivaind'une manière
qui n'est pas la miennelorsque je pense à elle. Je la nommeà peine plus
qu'un pas légerde ma jeunesse qui certesne m'a pas apportépréjudice,ni
dans l'ensembledéshonneur,mais que je regretteà maints égards. Non
pas que j'ai écritun grandnombrede chosesinexcusables,mais parce que
monnom y est devenutellementconnuet a été prononcéabusivementpar
tantde lèvresque votrebonpropriétaire et monbon amiMonsieurKanter(2)
m'a joué malgrélui le plusmauvaistour(3), et cecidans uneséried'incidents,
en devenantla premièrecause de cette publicité.Ma fermeintention,et
j'écris cela de sang-froid,était d'écrire de la manièrela plus anonyme
jusqu'à ce que je puissesurprendre le mondeavec un livrequi ne seraitpas
indignede monnom.Pour cela et pouraucune autreraison,j'ai écritsous la
couvertured'un stylefleuriet compliquéqui ne m'appartientpas en propre
et dontj'ai envoyédans le mondedes fragments qui ne veulentêtreque des
avant-coureurs, sinonils sont insupportables(4).
De mon côté, je continueraià taire mon nom,mais que puis-je fairesi
la bonté prématuréede mes amis m'a gâché le plan de ce silence? Vous,
mon ami, vous devez êtrede ceux qui savent que le genrede sujets de mes
petitsvolumes parus jusqu'ici ne devraitpas être le lieu de repos de ma
muse ; maispourquoin'aurais-jepas dû utilisermonpeu de philosophiedans
les sujets à la mode de notretroisièmequart de siècleoù l'utilisationd'une
saine philosophieque je me flattaisde posséderpouvait rectifiertant de
choses ? Je ne sais jusqu'où devraientretournernotre philologie,notre
étude et notre critique de l'Antiquitépour posséder la substance d'une
véritableconcisionsi partout des philosophesfaisaientde la philologie,
étudiaientet critiquaientles Anciens. Mais hélas, ce mot commenceà
deveniren Allemagnepresque un objet de risée et ce sont les études où

(1) « Uneasiness derSeele.» « ^inquiétude la plusgrande


présente estunaiguillon pour
l'actionquel'onnecessedesentir etquidétermine pourla plusgrandepartla volonté dans
sonchoixde Taction à venir»,I*ocke, An Essayconcerning HumanUnderstanding tliv.II,
chap.21,§ 40.
(2) Kanter, Johann Jacob,libraire etéditeurà Königsberg,
imprimeur dela courà Marien-
werder (1738-1786). Kantlogeaplusieurs années danssa maisonà Königsberg.
(3) Herder n'a pas réussià conserver l'anonymaten ce qui concerne lesFragments, cf.
Herder,R. Haym 1880,t. I, p. 217.Herder
, Berlin, écrità Hamann au commencement de
janvier 1767: «J'aimeraisfermer la bouche avecunegrande serrure
decaveà touscesbavards
oisifs
etsansmoelle comme I^indner, Scheffner, etc.,etenparticulier
Hippel, à Kanter»{Herders
Briefean Toh.Georg Hamann , herausgegeben vonOttoHoffmann, Berlin, 1880,p. 35).
(4) Il s'agitdesFragments surla littérature
allemande
moderne,op.cit.

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202 LES ÉTUDESPHILOSOPHIQUES

bavardentles têtes les moinsphilosophiquesqui deviennentles sciencesà


la mode.
Mais voilà que j'écris presqueà nouveau commecritiqued'art et auteur
de fragments, raisonde plus pour m'arrêteret coupercourt.
Le champ,mon ami très estimé,que vous me désignezpour les années
à venir,derrière un Montaigne,un Hume et un Pope (i), si l'espoiren esttrop
flatteur, corresponddu moinsau vœu de ma muse (avec, il est vrai,un petit
détourdu chemin).J'ai employémaintesdouces solitudesà lire Montaigne
avec la calme réflexionqu'il faut pour suivrela fantaisiede son espritet
fairede chaque histoirequ'il rapporteen passant, de chaque pensée légère
et ondoyantequ'il découvreune productionnaturelleou une expérience
esthétique de l'âme humaine. Quel homme serait-cecelui qui parlerait
avec l'expériencespirituelled'un Montaignede la riche psychologiedu
Baumgarten(2) ! J'aimaismoinsHume lorsqueje m'enthousiasmais encore
pour Rousseau, mais à partir du moment où à
peu peu je me rendismieux
compteque l'homme,par quelque cheminque ce soit, est un animalsocial
et doit l'être,à partirde là j'ai apprisà estimeraussi cet hommequi peut
êtreappelé un philosophede la sociétéhumaineau sens le plus propre(3).
J'ai aussi commencéen classe l'histoirebritannique,le plus souvent,pour
pouvoiraussi parcourird'un bout à l'autre sa proprehistoireavec le plus
granddes historiensmodernes,et cela me met horsde moi de voir que son
nouveau précis de la Grande-Bretagne (4) est tombé dans les mains d'un
traducteursi peu compétent: il resteloin du texte original,encorequ'en
bien des endroits,il nous fassevoiren partiede quoi il s'agit.
Mais pourquoi, mon aimable philosophe, oubliez-vous d'ajouter le
troisièmehomme à votre couple, celui qui a autant d'humeursociable,
autantd'humainephilosophie- l'ami de notrevieuxLeibnizauquel celui-là
doitinfiniment et qu'il a lu avec beaucoupde plaisir,le philosophemoqueur
qui, par son rire,sort plus de véritésque d'autres par leur toux ou leur
venin- , bref,le comteShaftesbury. Il est dommageque ses théoriesmorales
et ses recherches surla vertu,plus récemment surl'enthou-
ses dissertations
siasme et l'humeursoienttombéesentredes mains si médiocresqui nous
dégoûtentà moitié de lui, je songelà en particulierau micmacde longues
et bizarrescontradictions du derniertraducteur(5). Mais par ailleurs,bien

(1) Baumgarten, Alexander Gottlieb, fondateur enAllemagne


del'esthétique etprofesseur
de philosophie de Francfort
à l'Université La psychologie
(1714-1762). empirique de Baum-
garten parKantcomme
étaitutilisée texte debasepoursesleçons ďanthropologie, cf.Kant*s
HandschriftlicherNachlass,Édition del'Académie deBerlin,t. 15.
(2) Danssa lettre,Kantnefaisait allusionqu'àHumeetà Montaigne ; maisl'onsaitpar
le témoignage deHerder lui-même, quePopeétaitl'undesespoètes favoris.
(3) Cette estl'unedespreuves
affirmation Benno
qu'utilise Erdmann pourappuyer sa thèse
selon laquelleKantvoyait enHume à cette époquenonpaslethéoricien del'empirisme critique,
maisseulement lemoralisteetl'historien cf.KantundHume
dessociétés, um1762 , Archiv für
Geschichte derPhilosophie,I, p. 62-67 ; voirDelbos,La philosophie deKant
pratique , Paris,
1905,p. 105-106.
(4) Humes Zweibändige History ofEngland (1762),traduitenallemand parJohann Jacob
Dusch(Breslau undLeipzig, 1762-1763).
(5) Lestraductions de TheMorahsts et de Inquiryconcerning andment
virtue , publiées
sansnomd'auteur, avaient étéfaitesparle théologien Johann Joachim Spalding(1714-
1804): DieSittenlehrer, Berlin,1745; Untersuchung überdieTugend, 1747.La der-
Berlin,
nièreà laquelleHerder faitallusion ici,également anonyme, étaitdueà Christian August

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J. FERRARI HERDERET JACOBI 203

que son critèrede la véritéqui est chez lui la risibilitéme sembleridicule,


cet auteur est pourtantmon si cher compagnonque j'aimerais bien avoir
aussi votre.opinion sur lui.
Laissez donc l'obscuret rude poème auquel vous pensez périrdans ses
ténèbres(i). Avant qu'il puisse y avoir Pope en lui, bien avant dans notre
Lindner(2) il y aura l'espritpénétrantd'Aristoteet dans mon Schlegel(3)
le modèlede touteurbanité(4).
Vous m'entretenez du devenirde votremoraleet combienje souhaiterais
la voir déjà faite.Ajoutez en ce qui concernele bien, une telle œuvre à la
culturede notresiècle commevous l'avez fait pour ce qui est le Beau et
le Sublime.Sur ce derniersujet, je lis en ce momentl'ouvraged'un anglais
très philosophe(5) que vous pouvez aussi avoir en français.Puisqu'il est
juste devant moi voici son titre : Recherches philosophiquessur l'origine
des idées que nous avonsdu beau et du sublime. En maintspassages, il va
plus profondément commevous, vous savez, en bien des parties,davantage
généraliser et mettreen contrastenos pointsde vue : c'est une jouissanceque
de voir deux penseursaussi originauxprendrechacun son cheminet se
rencontrer à nouveau tour à tour.
Combiende choses aurais-jeà vous dire si je savais que vous ayiez la
patiencede me répondre.Sur certainesde vos hypothèseset démonstrations
philosophiques,en particulierlà où vous touchez à la sciencede l'humain,
j'ai des doutesqui sontplus que des spéculations: orj'ai acceptéma fonction
spirituelleuniquementparce que je savais ce que l'expériencem'apprend
chaque jour davantage : selon l'état des choses de notre constitution
bourgeoise,c'est de là que l'on peut apporterla cultureet la raisonhumaine
à la partiehonorabledes hommesque nous appelonsle peuple : c'est pour-
quoi cette philosophiede l'hommeest aussi mon occupationfavorite.Je
seraisinjustesi je me plaignaisde ne pas atteindrece but, du moinsil y a là
aussi de bonnes raisonsque je vois : l'amour dont je jouis auprès de bien
des hommesbons et nobles,l'affluencejoyeuse et pleine de bonne volonté
de la partie du public la plus docile,des jeunes gens et des dames - tout
cela ne me flattepoint mais augmenteen moi le calme espoir de ne pas
être sans but dans le monde.
Mais commel'amourvient de nous mêmeen son commencement, je ne

Wichmann (1735-1807),maître dephilosophieà I^eipzig


: Anton Ashley Cooper, Grafens
von
Shaftesbury Characteristicks,oderSchilderungen vonMenschen, Meynungen undZeiten,
I^eipzig,1768, cf.AK 13,p. 37.
(1) Cf.lettrede Kantà Herder, p. 1,n. 2.
(2) Iyindner, Johann Gotthelf recteur
(1729-1776), de l'Écolede la Cathédrale à Riga
en1755, professeur d'artpoétiqueà Königsberg en 1765.
(3) Gottheb Schlegel(1739-1810),surintendantgénéral de la Pomérame suédoiseet de
Rügen, professeur dethéologiedel'UniversitédeGreifswald, il étaità cetteépoque recteur
de
l'Écolecanoniale de Riga.
(4) Herder tenaitl'unetl'autreenpiètreestime.Ainsi,ilécrivait à Hamann le4 mai1765:
« Schlegel est...comme directeur
d'uneécolecanoniale rempli deshabitudes dela cathédrale
etdeliberté paresseuse, toujourstropfaibledanssespensées, sesvolontés etsesparoleset
devantRiga,il ne vautriencomme compagnon, comme discoureur, comme »
prédicateur
(Hoffmann, op.cit..p. 12).
(5) Il s'agitdel'œuvre connue del'écrivainanglaisEdmond Burke(1729-1797), A philo-
sophicalinquiry intotheoriginofourideasofthesublimeandbeautiful dontunetraduction
, 1756,
française, faiteparl'abbédesFrancois, parutà I/mdres en 1765.

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204 IvKSÉTUDESPHILOSOPHIQUES

puis cacherl'enviede saisirla premièreoccasionvenue de quittermonpays


et de voir le monde (i) c'est le but de mon séjour ici (2) d'apprendreà
connaîtredavantage d'hommeset de considérerbien des choses autrement
que Diogènepouvaitles voirde son tonneau.Si doncil devaitse trouverun
convoipour l'Allemagne,je suis si peu attachéà mon état : aussi ne sais-je
pas pourquoije ne suivraispas le mouvementet je m'en veux moi-même
d'avoir refuséla propositiond'aller à Pétersbourgpour une place qui
apparemmentest trèsmal occupée (3). Maintenanttelle une forceretenue,
j'essaie du moinsseulementde resterune forcevivante,bien que je ne voie
pas commentla retenuepourraitaccroîtrema tendanceintérieure.Cepen-
dant qui sait ? Et où irai-je ?
Aimez-moi,mon très cher,très estimé Kant et acceptez la signature
de mon cœur.
Votre Herder.
P.-S. - Bien entendu, je ne puis vous demander de m'écrire très
régulièrement,car je connais votre aversion à écrire; mais si vous
connaissiez mon envie de profiterde vos lettres qui, en quelque sorte,
tiennent la place de rapports vivants, vous surmonteriez votre
aversion.
II. - KANT ET JACOBI (4)

Cet échange de lettresentre Kant et Jacobi est intéressanteà plus


d'un titre. Il se situe au terme de la querelle du panthéisme que
Jacobi avait suscitée en révélant, au scandale des Aufkläreret surtout
de Mendelssohn (5), le spinozisme de Lessing. Alors que Jacobi avait
espéré un moment pouvoir mettre Kant de son côté et utiliser son
prestige dans la lutte contre ses adversaires (6), Kant avait écrit
Qu'est-ceque s'orienterclans la pensée qui était dirigé contre lui et sa
sévérité n'est pas moins grande envers Jacobi qu'envers Herder (7).

(1) Sixmoisplustard,il embarquait surunnavire appartenant à unmarchand de Riga


etquidevait leconduire à Nantes.
Il écrivit Tannée même la relation
desonvoyage, cf.Journal
demonvoyage enVan1769 , traduit
etpréfacé parMaxRouché,Paris,Aubier, 1942.
(2) Herder estalorsà Rigaoùla recommandation deHamann lefitd'abord nommer profes-
seurà l'Écolecanoniale etprédicateur à la cathédrale. Herder étaitarrivéencette villeen1764
et y demeura jusqu'en1769.
(3) Herder avaitétéappeléenavril1767comme inspecteur desEcolesévangéliques de
l'ÉgliseSaint-Pierreà Petersburg.C'estle poèteJoh.Gottlieb Willamow (1736-1777) quiy
partità sa place.
(4) FriedrichHeinrich frère
Jacobi, dupoèteJohann Georg (1740-1814) estnéà Düsseldorf
le 15février1742etmort à Munich le 10mars1819.I^a meilleure introduction à Jacobi en
langue reste
française lelivredeIf.I^évy-Bruhl, La philosophiedeJacobi, Paris, Alean, 1894.
Ilfaut yajouterLesœuvres philosophiquesdeF. H.Jacobi ,choisies
ettraduites parJ.-J.Anstett,
Paris,Aubier, 1946.
(5) Moses Mendelssohn estmort à Berlin le 4 janvier 1786,etla querelleperdit alorsdesa
violence.
(6) Herderl'avaitbienperçu quidemande à Hamann d'userdesoninfluence pourmettre
engarde Kantcontre cettetentative.Cf.sa lettre du2 janvier 1786, op.cit.,p. 223.
(7) Dansunelettre à Marcus Herzdu7 avril1786, Kantécrit: « I^afantaisie jacobienne
n'estpas sérieuse,il s'agitsimplement de l'enthousiasme affectédu géniequiveutse faire

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J. FERRARI- HERDERET JACOBI 205

D'ailleurs Kant se montre peu désireux de prendre parti et avoue


volontierssa médiocre connaissance du spinozisme (i). C'est pourtant
lui qui écrit le premier à Jacobi pour le remercierdes livres qui lui
sont parvenus. L'éloge sincère que Kant fait du comte de Windisch-
Graetz nous fait voir que des œuvres aujourd'hui tombées dans l'oubli
ont pu avoir en leur temps une certaine importance et retenirlongue-
ment l'attention de Kant. Par ailleurs,les précisionsque Kant apporte
sur les circonstancesqui l'ont conduit à publier son article sur l'orien-
tation, pour se disculper de l'accusation du spinozisme, sont impor-
tantes, et davantage encore celles qui concernent les rapports entre
la raison et la religion,et sur lesquelles Jacobi, dans sa réponse s'inter-
roge longuement,cherchant un accord avec la pensée de Kant sans
pourtant renoncer à ce qui lui paraît essentiel à sa propre doctrine.
A cet égard, cette réponse est une sorte de professionde foi qui éclaire
très heureusementla manière et la philosophie de Jacobi.
Destiné par son père à des études commerciales,éveillé à la philo-
sophie, lors d'un séjour à Genève, par les leçons de Bonnet et la lecture
de Pascal, de Fénelon et de Rousseau, Jacobi est restéun autodidacte,
ennemide la scolastique wolfiennequi régnaità l'époque en Allemagne.
Mais le caractère mystique de sa pensée qui l'apparente à des hommes
comme Hamann, Lavater et Hemsterhuis, ne pouvait qu'irriter
Kant (2). Alors que son correspondantexige avant tout une méthode
rigoureuse qui marque les limites d'un labeur raisonnable, Jacobi est
soucieux de certitudes fondamentales, immédiatement données, qui
s'apparentent aux données de la foi par leur certitude indubitable et
par les voies qui nous y mènent. Certes, certains rapprochementssont
possibles sur lesquels insiste Jacobi. Si chez Kant la raison s'embar-
rasse elle-même dans sa quête de l'absolu, pour Jacobi elle n'est
capable par ses déductions rigoureuses que de nous conduire au
systèmeaberrant,mais inévitable de Spinoza (3). Et dans une démarche
qui n'est plus théorique, mais pratique, Kant ne pose-t-ilpas comme

unnom.Il nemérite pasuneréfutation »,AK,X, p. 532.Sa sévérité


sérieuse s'atténuedans
lesannées etdansunelettre
suivantes à Reinhold du7 mars1788, que«leshommes
il affirme
comme même
etJacobi,
Schlossern s'ilssontunpeuexcentriques, devraientavoiruneplace»,
AK,X, p. 532.
(1) Dansunelettreà Jacobi, Hamann : « Kanta ditl autrejourà Krausquil se
déclare
trouvait danslemême
précisément casqueMendelssohn. Il necomprend pasplusl'exposition
duspinozisme parJacobi quele texte même deSpinoza »,et« Kantm'aavouén'avoir jamais
vuSpinoza detrèsprès...
»,cf.I^évy-Bruhl, op.cit.,p. 140.
(2) Cf.IyÉVY-BRUHL,op.cit.,chap.VII, « Jacobi etKant»,p. 174-204.
(3) I^emonde dela scienceoùrègne l'entendement n'estpasceluidela métaphysiqueet
la raison seperdà vouloir
lesconfondre. Maiscettedistinction chezKantfonde l'impossibilité
d'unaccèsà l'ÊtrealorsquechezJacobi nousestdonné
l'absolu dansuneintuitionquepermet
le «sautdela foi».

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206 LES études philosophiques

postulats de la morale des idées que Jacobi découvre, comme la


liberté,dans une expérienceprivilégiéede l'Être ? Au fond,se demande
Jacobi, n'avons-nous pas les mêmes buts et n'aboutissons-nous pas
aux mêmes résultats : lutter contre la philosophie d'un siècle qui
accorde tout à la raison et préserver la morale de son action dissol-
vante ?, feignantde ne point voir que les démarches,essentiellespour
Kant, sont en fait opposées.
Comme Herder, Jacobi a reconnu en termes éloquents l'influence
de Kant sur le développement de sa pensée philosophique (i). Et
comme Herder encore, mais pour des raisons très différentes,lorsque
décidément il comprendra l'impossibilité de s'en faire un allié, il
combattra le kantisme. Et la confrontationcourtoise à laquelle donne
lieu cet échange de lettres sera suivie entre les deux philosophes
d'une opposition résolue (2).

Lettre de Kant
à FriedrichHeinrichJacobi (3).
30 août 1789.
Noble et très estimable Monsieur,
I^e cadeau que Monsieurle Comte de Windisch-Graetz(4) m'a destiné
avec ses écritsphilosophiquesest parvenu entremes mains grâce à votre
bienveillanteentremiseet grâce à la commandedu conseillercommercial
Fischer,commej'ai bien reçu égalementen son tempsla premiéřeédition
de l'Histoiremétaphysiquepar le libraireSixt.
Je vous prie d'assurerà l'occasion ce Monsieurde mes plus humbles
remerciements, mais aussi en mêmétempsde ma plus grandeestimepour

(1) DansDavidHume , überdenGlauben oderIdealismus undRealismus , Breslau, 1787.


Jacobi se compare lui-même à Malebranche découvrant chezunlibraire le Traité del'homme
deRenéDescartes: « A mesure queje lisais, monravissement nefaisaitquecroître ; bientôt
j'eneusdesbattements decœur... »,cf.I^évy-Bruhl, op.cit.,p. 175.
Il s'agitde L'unique fondement possible d'unedémonstration de Vexistence deDieu (1763)
dontla lecture leconfirmait danssonopinion del'impuissancedela raison à laquelleil oppose
alors,sousl'influencedeRousseau, la force dusentiment.
(2) Cf.IyÉVY-BRUHL, op.cit.,
p. 185-204.
(3) AK,XI, p. 75-77.
(4) Joseph-Nicolas deWindisch-Graetz, comte d'Empire, philanthropeetécrivain enlangue
française (1749-1802).Il estl'auteur d'ouvrages dephilosophie politique,aujourd'hui oubliés,
maisqueKantjugeait importants :
Objections auxsociétés secrètes
, I/mdres, 1788.
Discours danslequelonexamine lesdeuxquestions suivantes• 1)I^emonarque a-t-il
le droit de
changer desonchefuneconstitution évidemment vicieuse? 2) Est-ilprudent à lui,est-il
de sonintérêt de l'entreprendre ?, s. 1.,1789.
Solution provisoired'unproblème ou histoire métaphysique de Porganisation animale, ireet
2eparties, Bruxelles,1790.I<atroisième partieparutà Strasbourg en 1790sousle titre:
De Vdme , deVintelligenceetdela volonté.
Enfin lesPrincipesmétaphysiques del'ordre social
dela loietdela religionnaturelle,Strasbourg,
1790, livrequeKantpossédait à sa mort danssa bibliothèque. Cf.Warda,KantsBücher ,
Berlin, 1922,p. 56.

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J. FERRARI- HERDERET JACOBI 20J

son talent de philosophequi est lié à la très noble manièrede penserd'un


citoyendu monde.- Dans le dernierécritcité, il m'est agréable de voir
Monsieurle Comte s'attacher de lui-mêmeet en même temps que moi à
un travail que j'ai fait d'une manièrescolaire,avec la clartéet l'agrément
d'une expositionqui est propreà un hommede grandmonde; il s'agit de
la remiseen place dans leur puretéet de la miseen jeu des mobilesles plus
nobles de la nature humaine qui sont restéssi longtempsmélangésaux
mobilesphysiquesou même ont été confondusavec eux et n'ont pas eu
le résultatqu'on était en droit d'attendred'eux. C'est là une entreprise
que je souhaite, avec le plus grand désir, de voir achevée, car, avec les
deux autresécrits(celui sur les sociétéssecrèteset celui sur le changement
volontairede la constitutiondes monarchies),elle appartientvisiblement
à un système et le dernier écrit, en partie comme prédictionmira-
culeuse, en partie comme sage conseil au despote,doit être d'une grande
efficacitédans la crise actuelle de l'Europe. Aucun homme d'état n'a
encore cherchési haut les principesde l'art de régnersur les hommesou
simplementsu les chercher (i). Mais c'est pourquoi toutes leurs pro-
positions n'ont jamais fait naître une persuasion et encore moins une
action.
Je vous adresse également mes plus humbles remerciementspour
l'envoi de votrebel ouvragesur la Doctrinede Spinoza, dernièreédition(2).
Vous avez eu là le mérited'abord de présenterdans leurplus grandeclarté
les difficultés
qui entourentl'accès téléologiqueà la théologieet ont proba-
blementaidé Spinoza à faireson système: de tous temps,il a été néfaste
à la connaissanceprofondede partird'un pas rapide poursuivreun but
élevé mais trèséloigné.Celui qui montreles écueilsne les a pas posés pour
autant et même s'il affirme l'impossibilitéde passer parmi eux à pleines
voiles (commele voudraitle dogmatisme),ce n'est pas pour autant qu'il
nie toutesles possibilitésd'une traverséeheureuse.Je ne trouvepas qu'en
ce cas vous jugiez inutileou tout à fait trompeurle compas de la raison.
Quelque chose qui s'ajoute à la spéculationet qui pourtantne résideque
dans la raisonelle-même,que nous savons nommer(du nom de la liberté
qui est un pouvoir suprasensiblede la causalité en nous), mais non pas
comprendre, ce quelque chose est son complémentnécessaire.Si la raison,
pour arriverà ce concept de théismea pu être éveillée,soit par quelque
chose que seule l'histoireenseigne,soit par une influenceintérieureet
surnaturelle,pour nous insaisissable,c'est là une questionqui ne concerne
qu'un thème secondaire,celui de surgissement et de l'originede cetteidée.
Car on peut tout aussi bien admettreque si l'Évangile n'avaiťpas d'abord
enseignéles lois morales générales dans toute leur pureté,la raison ne
les aurait pas comprisesavec une telle perfection, bien que, puisqu'elles
sont maintenantlà, on puisse persuaderchacun de leur véritéet de leur
valeur (actuelle) par la pure raison. Vous avez réfutéle plus radicale-
ment possible le syncrétismedu spinozismeavec le déisme du Dieu de

(1) DanssonouvrageVersla paixperpétuelle


, essaiphilosophique Kantrendencore
, 1795,
hommage au «sageetperspicace
»comte deWîndîsch-Graetz.Cf.AK,VIII,p. 348.
(2) UeberdieLehredesSpinoza a Herrn
in Briefen MosesMendelssohn
, 1785; noiiv.éd.
Breslau,
augmentée, 1789.

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2o8 xes études philosophiques

Herder(i). En général,il y a à la base de tout syncrétismeun manque de


sincérité,une dispositionde l'âme qui appartienten propre à ce grand
artisteen fantasmagories : celles-cicommeà traversune lanternemagique
fontapparaîtredes chosesmerveilleuses, la duréed'un instant,maisbientôt
disparaissentpour toujours, tout en laissant subsisterune certaineadmira-
tion chez les ignorantsqui pensentque quelque chose d'extraordinaire doit
être caché derrière,mais qu'ils ne peuventsaisir.
J'ai toujours cru de mon devoir de traiteravec respectdes hommes
talentueux,savants et intègres,si éloignéesles unes des autresque puissent
être nos opinions.C'est de ce point de vue que vous jugerez mon article
dans la Revuemensuellede Berlin, sur l'orientationde soi (2) ; de différents
côtés, des demandesm'obligèrentà l'écrirecontremon gré pour me laver
du soupçon de spinozisme,et vous n'y trouverez,je l'espère,aucune trace
d'un écart de ce principe.J'ai toujoursappris avec une profondedouleur
d'autrescritiquesinjustifiéessur vos affirmations et quelques-unesde celles
de vos dignesamis et je me suis élevé là contre.
Mais je ne sais pas ce qui se passe souventdans la tête d'hommesbons
et compréhensifs : ils mettentun mériteen ce qui leur paraîtraitsuprême-
mentinjustesi cela produisaitcontreeux. - Mais, de son éclat qui brille
de lui-même,le véritableméritene peut rienperdrelorsquede tellesombres
sont jetées sur lui et, malgrétout,il ne sera pas méconnu.
C'est surtoutdans l'intentionde mettrede l'ordre et de la cohérence
dans ses nombreusesconnaissancesacquises, en essayant de les présenter
à d'autres,que notreHamann (3) a pris une place de précepteurchez le
Comte de Keyserlingen Curlande,il s'y plaît beaucoup. C'est une bonne
âme, honnête,qui pense se consacrerà l'enseignementet, comme il a
perduson père et sa mèreen peu de temps,aider plus tard dans sa patrie
ses sœurs orphelines.
Je souhaite que votre Excellence puisse être favoriséepar le Destin et
se vouer encorede longuesannées,l'âme joyeuse et en bonne santé, à son
occupationpréféréequi est la plus noble de toutes : la réflexionsur les
principesrigoureuxsur lesquels repose le bien universelde l'humanité,
et je resteavec,la plus grandeestime
Votre dévoué serviteur:
I. Kant.
Königsberg,le 30 août 1789.

(1) Dansle quatrième etle cinquième


appendices auxLettres à MosesMendelssohn surla
doctrinedeSpinoza, Jacobicritiquevivementla philosophiedeHerder, faite, «defictions
dit-il,
poétiques,quiplanerait volontiers
à mi-chemin entrele théisme »,trad.
et le spinozisme...
Anstett, Aubier, 1946,p. 251.Herdernese décidaqu'asseztardivement à prendre parti
dansleconflitdupanthéisme etcen'estqu'en1787qu'ilpublia sesentretienssurDieu( Gott).
Il s'ymontrepartisan d'unimmanentisme quesesIdéessurlaphilosophie deVhuma-
deVhistoire
nité(1785)laissaientbiendeviner. DéçuparHerder qu'ilcrutuninstant pouvoirrallierà sa
cause,Jacobi seréjouira decetteapprobation deKantets'efforcera danssa réponse à Kant
defaire naître
unesortedecomplicité commune contreHerder.
(2) Washeisst: SichimDenken ? (Qu*
orientiren est-ceques*orienterdansla pensée
?) parut
enoctobre 1786,trad.fr.A. Philonenko, accompagnée d'uneimportante introduction qui
rappelle heureusementlesprincipauxéléments dela querelledupanthéisme, Paris,Vrin, 1959.
(3) JohannMichael, filsde Johann Georg Hamann, mort le 25juin1788.Sa mèreétait
morte enavril1789.

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J. FERRARI- HERDERET JACOBI 20Ç

Lettrede FriedrichHeinrichJacobi
à I. Kant (i).
Pempelfort, le i6 novembre1789.
Vénérable Kant !
Depuis le jour où la joie de recevoirune lettrede vous m'a si biensurpris
et, selon une expressionde notre Hamann en une occasion semblable,
« m'a fait ressentirun petit étourdissement de jouissance qui ressemblait
à un vertige», - j'ai commencéà choisirou plutôt à compterles jours.
Il devait venir,ne venait pas, et - ne viendra pas, ce jour où je serais
capable de vous exprimerla joie que j'ai ressentie,de vous apporterles
remerciements que j'aimerais tant vous apporter.
J'ai parlé vous en public commede monmaître,commed'un homme
de
que déjà dans ma jeunesse j'admirais le cœur battant et devant lequel je
m'inclinemaintenantavec vénérationcommedevant un puissantconqué-
rant et un sage législateurdans l'empiredes sciences,à un momentet en
des circonstancesoù l'ombremême d'un soupçon de flatterieou de profit
ne pouvait tombersur moi à cause de ces propos.Vous mentionnezvous-
même, très vénérable Kant, votre article paru naguère dans la Revue
mensuellede Berlinsur l'orientation.Et vous le mentionnezd'une manière
qui nonseulementme faittairetouteplainte,mais encoreeffacetotalement
et pourtoujoursla plus légèrequi auraitpu encores'éleverdans moncœur.
Aucunde vos admirateursne peut,surles sentimentsde respectet d'amour
avec lesquels il vous rendhommage,poser un sceau qui serait plus solide
que le mien.
Quant à la belle louange que vous accordez au Comte de Windisch-
Graetz,je la lui ai tout de suite fait connaîtreparce que je savais combien
cela lui feraitplaisir. Mes relationsavec cet homme remarquablesont
encoretrèsrécentes.L'hiver dernier,il m'envoyases Objectionsaux sociétés
secrèteset son Discours, et il m'a attribuéune grandepartie de ce dernier,
à cause de mon article (sur) Quelquechoseque Lessing a dit (2) que lui
avait communiquéà Viennele ComteCarl von Siekingen,un ami commun.
A l'origine,le Discours a été écritseulementpour l'Empereuret lui a été
remis en manuscrit.Mais puisque la poursuitedes troubles en Brabant
démontraitqu'il était inutiledans les mainsde l'Empereur,l'auteurécrivit
à son ami couronnéqu'il trouvaitbon maintenantde publiercette disser-
tation. Il est pour l'instantsur ses propriétésde Bohême.Le lieu habituel
de son séjour depuis plusieursannées était à Bruxellesoù il avait épousé
en secondesnoces une princessed'Aremberg.Quelques jours après l'arrivée
de votre lettre,il m'a rendu visite, en voyage vers la Bohême. J'avais
reçu sa premièrevisite au mois de mai et il était alors resté jusqu'à mon
départ pour Pyrmont.Windisch-Graetzest tout à fait conscientde la
valeur du bon témoignagequ'un homme comme Kant lui a rendu et il
ne savait pas commentil pouvait me recommanderassez chaudement
de vous assureravec insistancede sa plus grande estimeet de sa totale
soumission.La seconde partie de son Histoiremétaphysique de l'âme était

(1) AK,XI, p. 101-105.


(2) Etwas
dasLessing hat.EinCommentar
gesagt derPäbste
zudenReisen nebst
Betrachtungen
voneinemDritten .
1782(anonyme)
, Berlin,

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210 LES ÉTUDESPHILOSOPHIQUES

déjà impriméeà l'époque, depuis j'en ai reçtiplusieurs exemplaireset


j'aurai bientôtl'occasiond'expédierà Königsbergcelui qui vous est destiné;
les écritsde ce noble penseurpeuvent être d'une grande utilité pour la
réformede la philosophiefrançaise,car il part toujours de cette philo-
sophie (i) ; elle est vraimentla base de la sienneet il essaie seulementde
fairevoir ce qui est insuffisant et faux dans l'une ou l'autre de ses parties:
ainsi les partisansde cette philosophiepeuvent non seulementle suivre,
mais aussi sans indignation,et avant qu'ils ne s'en rendentcompteeux-
mêmes,ils peuventallerplusloinqu'ils n'ontété conduits.Malheureusement,
les philosophesparisiensen veulentdéjà un peu à leur demi-frère allemand,
car il leursemblequ'il favoriseçà et là des préjugéset qu'il freinele progrès
plus rapide de la bonne cause. Il est étrangeque les hommesne veuillent
reconnaîtrele fanatismeque dans un domaine définide sa pratique et
jamais en lui-même.
Parmi les remarques,VénérableKant, que vous avez faitesen citant
avec bonté la nouvelleéditionde mon livre Sur la doctrinede Spinoza, la
suivantea particulièrement retenumonattentionet m'a occupélonguement.
Vous dites : « Si la raison,pour arriverà ce conceptde théisme,a pu être
éveillée soit par quelque chose que seule l'histoireenseigne,soit par une
influenceintérieureet surnaturelle,pour nous insaisissable,c'est là une
question qui ne concernequ'un thème secondaire,celui du surgissement
puisqu'elle (cetteidée) est maintenant
et de l'originede cetteidée... il suffit,
là, qu'on puisse persuaderchacun de sa véritéet de sa valeur par la pure
raison. »
Iva question qui m'a tellementoccupé dans ce passage était celle de
savoir commentil pouvait ou ne pouvait pas se rapporterà ma théorie.
Puisque je n'ai partoutétabli monthéismequ'à partirdu faitomniprésent
de l'intelligencehumaine,de l'existencede la raisonet de la liberté,je n'ai
pas pu voir la possibilitéd'un rapportavec ma théorie.Je sais que la
premièreédition de mon livre contenait des passages obscurs, mais je
crois avoir levé toute ambiguïtéet maintenant,dans la dernièreédition,
avoir montréma convictionde façon assez claire. J'affirme, en effet,une
liaison, qui est aussi évidente qu'incompréhensive l'homme, entre le
à
sensibleet le suprasensible,entrele naturelet le surnaturel,et qui, dès
qu'elle est perçueet reconnuecommevéritablement existante,procureune
solutionsatisfaisanteà la contradictionapparentede la raison avec elle-
même.De mêmeque le conditionnése rapporteà un premierinconditionné ;
que chaque impressionse rapporteà la finà une raison pure, à quelque
chose qui contientsa vie en lui-même,ainsi tout mécanismese rapporte
finalement à un principenonmécaniquede la manifestation et de l'enchaîne-

(i) Le comtedeWindisch-Graetz eneffet,


partait, naturaliste
dela philosophie dusensua-
lisme français,maisil s'enséparaitbientôtcaril nepensaitpasquel'action
humaine pouvait
êtreexpliquée seulement à partir del'Ame
dela passivité etlessentiments.
danslesimpressions
Il recherchaitaussiuneactivité del'âmequitrouvait dansuneaspi-
sa plushautesatisfaction
ration verslevraietseconfondait avecla connaissancedubienetdumal.Le butdel'activité
humaine n'étaitpasà sesyeuxle bonheur suprême à êtreenpaixavec
maiscetteaspiration
soi-même et à rencontrer de la reconnaissancechezles autres.Un certainaccordpouvait
apparaître avecla pensée deKant,quidevenait plusclaireencore le Comte
lorsque affirmait
quel'idéed'immortalité devaitêtrefondéesurla vertu.Cf.AK,XI,p. 247.

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J. FERRARI- HERDERET JACOBI 211

ment de ses forces; toute chose composéese rapporteà un non-composé


qui est inséparabilité; tout ce qui se produitselon les lois d'une nécessité
physique se rapporteà quelque chose qui n'a pas été produit,qui est
originairement agissant,qui est libre; les choses universelles(universalia)
se rapportentaux choses particulières(particularia); l'individualitéà la
personne.Et ces connaissancesont à mon avis leur originedans l'intuition
immédiateque l'être raisonnablea de lui-même,de sa relationavec l'Être
Premieret avec un mondequi en dépend.I^a différence entrevotrethéorie
et ma convictiondevient visible lorsqu'on se pose la question de savoir
si ces connaissancessont des connaissancesvraies ou imaginaires,si elles
correspondentà la vérité ou au non-savoiret à l'illusion. D'après votre
doctrine,la nature,commeen généralce qui est représenté, prendla forme
de notrepouvoirde représentation (ce mot prisdans son sens le plus large)
qui, intérieurement et d'une manièreinsondable,est déterminéainsi et
pas autrement : par non seulementest levée la contradiction
là de la raison
avec elle-même,maisencoredevientpossibleun systèmetoutà faitcohérent
de philosophiepure. Moi par contre,je suis plutôt enclin à chercherla
formede la raisonhumainedans la formegénéraledes choses; et je crois
voiren quelque sorteet avoirdéjà en partiemontrécommentles différentes
instances qui doivent enlever à l'affirmationcontrairetout caractère
hypothétique,pourraientpeut-êtreêtreécartées.Notresavoir seraitchose
si imparfaitequ'on n'en pourraitpas exclurele savoir de notrenon-savoir.
En attendant,je me donne pour tâche d'examinerà nouveau et une fois
encoremoncredo,de la manièrela plusrigoureuse, à la lumièrede la nouvelle
théoriedu pouvoirde représentation de Monsieurle ProfesseurReinhold(i).
Probablement,je ne suis pas très profondémentenfoncédans l'erreur
puisque mes résultatscorrespondent presque tout à fait aux vôtres.Et, il
seraitainsi trèspossibleque mon erreur,mêmesi moi-mêmeje m'y endur-
cissais toujours et de plus en plus, facilitequand même pour les autres
l'accès à la vérité.
Pardonnez-moi,Cher Vénérable, d'avoir aussi longuementsoulagé
ihon cœur. Je ne voulais pas que vous me preniez pour un supernatura-
liste (2) selonla descriptiondu ProfesseurReinhold.J'ai conclula grandeur
du danger d'un autre paragraphe de votre lettre où, à l'occasion d'un
passage possibleentreles écueils de l'athéisme,vous dites : « Je ne trouve
pas qu'en ceci vous considériezcommeinutileou tout à fait trompeurle
compas de la raison. » Un certain doute pourrait donc bien y être
pardonnable.
J'attendsavec impatiencela quatrièmepartie des Idées de Herder,et

(1) Reinhold KarlI^eonhard néà Vienne etmort à léna(1758-1825).


ÉlèvedesJésuites
à Vienne,ilseconvertit
ensuite auprotestantisme
etcollaboraavecWielandauMercure allemand
oùil publiasesfameuses Lettres
surla philosophie
deKant(Briefe überdieKantische Philo-
sophie)(1786-1787) qui contribuèrentgrandement à propager la philosophie
critique.Par
contre,sa Théoriedelareprésentation einer
(Versuch neuen Theorie
desMenschlichenVorstellungs-
vermögens) t léna,1789,où il se proposait
de compléter, voired'améliorer
la Critiquedela
raisonpureetquiannonce lestravauxdesidéalistes n'ajamaisreçula caution
post-kantiens,
de Kant,souvent bienembarrassé parsesamishypercri tiques.
(2) Reinhold appelle celuiquiaffirme
supernaturaliste quelesfondements d'uneréponse
à imeinterrogation surla nature de Dieudoivent êtrecherchésendehors dudomaine dela
raison(cf.AK,XIII,p. 252).

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212 IyESÉTUDESPHILOSOPHIQUES

les coups de bec qu'il m'y donneraprobablement.Mais l'homme a tort


s'il est mécontentde moi. J'auraispu, commeAaron,brûlerson veau d'or,
le réduireen cendreset le lui donnerà boire.I^e discoursde Herder,considéré
comme critiquephilosophique,est vraimenten dessous de toute critique
et ne contientpresqueaucun mot de vrai. Au reste,il est pleinde beauté,
si l'on en exceptele dialogueet la formede l'ensemble.
Adieu, Homme plein de noblesse, et faites-moisavoir de temps en
temps par votre digne ami Kraus (i) que vous gardez un bon souvenir
de moi.
Avec un cœurplein de respect,de gratitudeet d'amour,je restevotre
très dévoué
FriedrichHeinrichJacqbi.

(i) Kraus,Christian
Jacob,élève,puisamide Kant.Professeur
de philosophie
pratique
et d'économie à l'Université
politique de Königsberg
(1753-1807).

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