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Prak-Derrington Répétition

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LES FIGURES DE SYNTAXE DE LA RÉPÉTITION

REVISITÉES
Emmanuelle PRAK-DERRINGTON
ICAR, École normale supérieure de Lyon

Introduction

Il existe deux types fondamentaux de répétition verbale : la répétition comme reprise du


sens et la répétition comme reprise du matériau formel. Répéter, c’est soit redire
autrement (avec d’autres mots), soit ne pas redire autrement, mais au contraire à
l’identique (avec les mêmes mots). Précisons d’emblée que cette opposition excède
l’opposition entre reformulation et répétition. Dans notre perspective, tous les
phénomènes de pronominalisation et, plus largement, d’anaphorisation, peuvent être
subsumés dans le premier type de répétition. Ni la langue courante, ni le langage
métalinguistique ne disposent cependant de vocables distincts pour désigner ces deux
opérations. Nous choisissons de désigner le premier type par le terme composé de
« répétition-substitution» (ou « répétitionS »)et réserverons le terme simple de
« répétition » aux reprises des signes.. En accord avec la problématique de ce numéro,
nous ne nous intéresserons à la répétition que lorsqu’elle est figurale.

Les études de linguistique textuelle et d’analyse du discours accordent une large place à
la répétition-substitution : c’est elle qui est au cœur de la cohérence textuelle (dans la
construction des chaînes de référence, dans les phénomènes de pronominalisation et
d’anaphorisation), c’est elle aussi qui est à l’œuvre dans l’opération de reformulation.
En revanche, la spécificité et les propriétés de la répétition n’ont pas l’objet de la même
attention, et l’importance des fonctions que cette dernière assume, tant dans la
structuration du texte que dans la relation interlocutive, est restée longtemps sous-
estimée1. Il existe depuis toujours, en revanche, tant dans les études littéraires que dans
la tradition rhétorique, un intérêt affirmé pour la répétition : en littérature, elle a pu être
érigée en « principe »2, en rhétorique, c’est elle qui fonde la famille de figures la plus
importante au sein des non-tropes : les figures de construction syntaxique par répétition,
dont l’anaphore rhétorique constitue la désignation générique.

Nous nous proposons de concilier ici les deux approches disjointes de la linguistique
textuelle et de la rhétorique, en articulant la problématique de la « progression
textuelle », telle qu’elle a été développée depuis les travaux de l’Ecole de Prague, avec
celle des figures syntaxiques de la répétition (celles qui portent sur la place des unités
répétées). Dans un premier temps, nous définirons de manière sommaire les deux


1
A l’exception notable de la thèse d’E. Richard (2000), des études de lexicométrie
2
Voir en particulier Le principe de répétition (Bardèche 1999).

1
opérations de répétition par leurs propriétés distinctives. Notre deuxième partie se
concentrera sur la problématique de la progression thématique : la répétition s’est
trouvée marginalisée parce que ce sont les phénomènes qui relèvent de la notion
sémantique de cohérence (et donc de la répétition susbtitutive) qui ont été privilégiés, au
détriment de la notion formelle de cohésion (dont relève la répétition). La troisième
partie réunit les deux approches de la syntaxe et de la figuralité. L’approche syntaxique
nous fait passer d’une approche figurale statique et taxinomique, qui ne voyait elle-
même dans la variété des figures de répétitions que d’inutiles subdivisions3, à une
approche dynamique, qui met en lumière leurs différences en ce qui concerne leur
capacité de textualisation Elle permet de réhabiliter des figures oubliées (telles que
l’épiphore, l’épanode, l’antépiphore, la symploque, l’antimétabole…), en général
éclipsées par la figure de l’anaphore. La prise en compte, dans leur diversité, de
l’ensemble des figures syntaxiques de la répétition nous contraint à envisager un autre
mode de textualisation que celui de la structure informationnelle. Nous aborderons
enfin, dans une dernière partie, la propriété qu’a la répétition syntaxique de ne pas se
déployer sur une seule figure, mais de s’articuler en réseau, en une « macro-figure »,
phénomène que nous appelons « répétition réticulaire ».

1. Essai de définition : acception large vs. acception restreinte de la répétition

1.1 L’exemple de la reformulation

On peut voir dans la répétition une forme particulière de reformulation et l’englober


dans le phénomène plus général de « reprise » du discours. « Ces deux opérations
relèvent effectivement d’un même mouvement énonciatif, dans la mesure où le segment
repris par la répétition ne peut jamais coïncider exactement avec la séquence-source.
L’acte et la situation d’énonciation n’étant jamais duplicables, la répétition à l’identique
est impossible. La répétition est alors à la reformulation ce que l’écriture blanche était
pour Barthes : son impossible ‘degré zéro’ »4. C’est la position que nous avions adoptée
dans nos premiers articles sur la répétition, en reprenant la définition d’Anne-Marie
Clinquart qui suspend la dichotomie reprise/reformulation.

[...] la reformulation (ou la reprise) est le phénomène par lequel une séquence discursive antérieure
est reprise au cours d’une même interaction, inférant ainsi un changement de perspective
énonciative. (ibid.) (Clinquart 1996 : 153)

Cette définition libère la répétition du reproche de non-pertinence qui l’a si souvent


discréditée (« vaines répétitions »), mais elle passe sous-silence ce qui est dit changer.


3
« Comme elle peut avoir lieu de plusieurs manières, et se présenter sous plusieurs aspects
différents, on a cru devoir la subdiviser en autant d’espèces désignées par autant de noms. Mais à Dieu ne
plaise que nous allions nous engager dans le détail, sans doute aussi inutile que fastidieux, de toutes ces
subdivisions. » (Fontanier 1968 : 328, souligné par nous)
4
(Prak-Derrington 2005, 2008)

2
Dans les deux opérations, un mouvement réflexif et régressif qui interrompt
l’orientation vers l’aval du discours, est initié. Mais dans le cas de la reformulation, le
changement est affiché, la différence exhibée. La clé de l’interprétation est donnée, par
l’énonciateur pour le co-énonciateur, dans les marqueurs de reformulation et/ou dans
l’écart sémantique (et/ou pragmatique) qui sépare la première occurrence de la (des)
reprise(s) : ce sont les formes de « non-coïncidence du dire »5. La variation, identifiable,
devient, dès lors, interprétable. Dans le cas de la répétition à l’identique, l’absence
visible de différence (hors l’écart temporel) ne laisse pas de questionner. Ce qui est
perçu comme Même est en fait Presque-Même ou Presque-Autre par le seul écoulement
du temps. La répétition nous transporte au cœur d’une énigme qui laisse au seul
destinataire le soin de la déchiffrer : celle de l’Autre du Même, de l’altérité dans
l’identité. L’énonciateur répète, sans donner au destinataire aucune clé… La différence
dans l’identique est invisible, non pas absente, mais à chercher6. On comprend dès lors
pourquoi, bien souvent la répétition a pu être oubliée.

1.2 Propriété distinctive

La répétition-substitution, dont relève la reformulation (répéter autrement), pose une


équivalence entre les signes. En d’autres termes : elle autorise leur substitution. Un
(des) signes s’efface(nt) pour faire place à un (des) autre(s) signes : crever vaut pour
mourir. On sait que l’équivalence n’est pas forcément d’ordre sémantique, mais peut
être pragmatique (Fuchs 1994).

Nous disons en revanche que la répétition est non-substitutive dès lors que sont
maintenus, intégralement ou partiellement, les signes en tant que « corps » singuliers et
non-substituables : « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir » ; « c’est un
mystère, un mystère qui peut s’exporter, comme le jazz [le flamenco] »7. La répétition
n’exclut pas la variation, et, bien souvent, répétition et reformulation se rejoignent pour
former des formes hybrides, répétitions reformulantes ou reformulations répétitives8.

L’opposition entre les deux types de répétition reste toutefois une opposition distinctive,
qui fait passer les signes d’une logique de substitution possible à une logique
d’impossible substitution9.

La répétition n’est en rien attachée à une classe morphologique mais couvre toutes les

5
Nous renvoyons à l’œuvre de J. Authier-Revuz et à son étude monumentale de la diversité des
gloses réflexives (1995), réédité et enrichi chez Lambert Lucas (20132).
6
On peut trouver par exemple dans (Watine 2012) une analyse très fine des mécanismes
inférentiels complexes à l’œuvre dans la figure de réduplication, dans une perspective énonciative.
7
Carlos Saura, « Le flamenco est un mystère qui peut s’exporter », http://www.flamenco-
culture.com/article.html?category=2&rubrique=5&id=473, consulté le 16 février 2013.
8
Cf. Rabatel 2007, Prak-Derrington 2008.
9
Dans le cas de la variation, l’impossibilité n’est pas totale, mais partielle.

3
formes et les manifestations linguistiques. Le terme de « répétition lexicale » – le titre
donné aux Journées d’Étude organisées à Nice en décembre 201310–, pour commode
qu’il était, établissait par l’épithète un lien privilégié entre répétition et mots. Alors que
la répétition ne coïncide pas avec la forme des mots, mais s’étend des plus petites unités
aux plus grandes unités significatives, de l’infra-lexical au supra-lexical, voire supra-
phrastique : des morphèmes, mots et syntagmes, aux phrases et paragraphes, voire aux
textes entiers : dans notre perspective, le régime de citation au discours direct relève de
la répétition11.

Comment interpréter le maintien des signes dans la répétition ? La répétition convoque


un autre mode de signification, dans laquelle le sens n’est plus séparable de la forme et
sert un autre type de textualisation. Pour certains types et genres de textes (c’est la
problématique de ce numéro), la cohérence (qui ressortit au sens) ne prime pas sur la
cohésion (qui ressortit à la forme), parce que les deux sont indissociables et mis en
œuvre conjointement. V. Magri (2014), désigne cette association de la forme et du sens
par la séquence binominale de « forme-sens ». Ce composé de deux termes censément
antinomiques nous semble désigner parfaitement, dans sa constitutive ambiguïté (s’agit-
il d’un composé copulatif ou bien subordinatif ?), la spécificité du mode de signification
des formes figurales de la répétition.

Nous nous concentrerons ici sur la répétition dans un cadre syntaxique élargi, celui des
enchaînements interphrastiques. Au lieu de voir dans les approches syntaxique et
figurale des cadres d’analyse disjoints, nous les appréhenderons au contraire dans leur
complémentarité.

2. Répétition et enchaînement interphrastique : de la syntaxe à la figuralité

Dès les premiers travaux de linguistique textuelle et d’analyse du discours, qu’ils soient
de tradition germanique12, anglo-saxonne13 ou française14, la répétition a été placée au
cœur de la textualité15. Le texte se définit comme une unité sémantique, dont la
progression est assurée d’une part par la reprise d’éléments déjà énoncés et, d’autre part,
par l’apport d’éléments nouveaux. La cohérence est ainsi assurée par la répartition de la
différence et la répétition. Mais par répétition, c’est principalement la répétition-
substitution qui était entendue et, partant, la place accordée à la répétition s’est trouvée

10
« La répétition lexicale », 5 et 6 décembre 2013, Université Nice Sophia Antipolis.
11
Les linguistes sont divisés sur la question du statut du discours direct dans le discours
représenté. Nous suivons ici la position de J. Authier-Revuz (1992-1993). Voir aussi (Charlent 2003).
12
(Harweg 1968), (De Beaugrande & Dressler 1972).
13
(Halliday & Hasan 1976).
14
(Charolles 1978).
15
Pour une synthèse, voir (Adam 1990), en allemand (Linke & Nussbaumer 2001), article
« Rekurrenz ».

4
réduite à la portion congrue16.

Les linguistes de l’Ecole de Prague ont, les premiers, analysé les suites de phrases dans
une perspective « informationnelle »17 et défini la notion de « progression » textuelle.
Les trois grands types de progression mis en évidence par Danes (la progression à
thème constant, la progression linéaire et la progression à thème ramifié), ont été depuis
repris dans nombre de grammaires et ouvrages à visée didactique18. Mais, de manière
étonnante, la relation entre répétition et structuration textuelle n’est jamais évoquée. Si
la répétition est mentionnée, c’est pour être aussitôt reléguée dans l’ombre. Ainsi B.
Combettes, à qui on doit la diffusion de la notion de « progression thématique » en
France, va jusqu’à déclarer la répétition « inintéressant(e) » 19 :

La répétition pure et simple d’un élément ne constitue pas un procédé très important, un
phénomène très intéressant. (1983 : 78)

La répétition est présentée comme un procédé d’une telle simplicité qu’il serait inutile
de s’y attarder. Elle ne concernerait que des cas exceptionnels, pour ainsi dire
« inévitables » (les déictiques personnels, les noms propres), dont elle constituerait alors
l’« étiquette naturelle »

Il est facile de comprendre que cette désignation, cette « étiquette » répétée, est pratique et même
naturelle […] Nous ne nous attarderons pas sur ce procédé, relativement simple (op.cit. 78- 79).

La répétition s’est trouvée ainsi évincée du champ d’investigation linguistique, pour des
raisons dont la pertinence reste à questionner. Pourquoi ignorer le fait que la répétition,
loin de ne porter que sur des « mots » naturellement non-substituables, peut au contraire
concerner toutes les unités signifiantes de la langue ? Comment ignorer que de très
nombreux genres de discours (politique, religieux, publicitaire… comme l’attestent les
études de ce numéro) l’utilisent de manière privilégiée ? La question de l’utilisation
intentionnelle de la répétition n’est pas étrangère à la syntaxe mais doit au contraire lui
être intégrée. Si le locuteur peut choisir entre plusieurs types de linéarisation, il peut
également choisir de répéter. On retrouve alors la problématique de la figuralité. Le
locuteur répète à l’identique, non parce qu’il n’a pas le choix, mais bien au contraire
parce qu’il choisit de dessiner, avec une netteté inégalable, des figures, soit des schèmes
discursifs d’une remarquable et surtout mémorable20 visibilité. La progression à thème

16
Elle brille même par son absence dans des travaux d’analyse linguistique de discours de
tradition française : Charolles 1978, 1995.
17
Voir en particulier les travaux de Benes 1968, Danes 1970, 1974 ; et de Firbas, 1964, 1974.
18
En France, c’est Bernard Combettes (1983) qui a repris la notion de progression thématique
proposée par Danes, en lui consacrant un ouvrage entier. La notion est ensuite reprise (et imputée à
Combettes !) dans Riegel et al. 20094. Pour l’Allemagne, on trouve la notion exposée, pour les
grammaires plus récentes, chez Engel 19963, ou chez Pérennec 2002.
19
Bernard Combettes, 1983, Pour une grammaire textuelle. La progression thématique.
20
La question de la mémorisation est absolument essentielle, nous nous contentons ici de la

5
constant, « le type le plus simple et sans doute le plus fréquent » (Riegel 2009 : 1026)
n’est autre que la plus célèbre des figures de répétition, celle de l’anaphore rhétorique
(A… /A…,/ A… : lorsque le début est répété), la progression à thème linéaire n’est
autre que la figure de l’anadiplose (…A/A…) : lorsque la fin d’une séquence est répétée
au début de la suivante )… Et de même pour toutes les autres figures oubliées de la
répétition syntaxique, qu’il s’agit alors d’examiner non plus comme des figures isolées,
à l’aune de leur valeur ornementale, expressive ou emphatique, mais pour leur capacité
de structuration textuelle.

Les travaux des linguistes ont depuis longtemps délaissé la conception de la métaphore
comme « figure de mots » et montré le rôle de tout premier plan qu’elle joue dans la
cognition et la construction de nos représentations. C’est aujourd’hui au tour de la
répétition de sortir de l’exception stylistique où elle est restée longtemps cantonnée. Les
figures de l’anaphore, de l’épiphore etc., ne sont pas des formes parmi d’autres,
accidentelles ou exceptionnelles, de progression textuelle mais, au contraire, les formes
qui réalisent ces schèmes interphrastiques de la manière la plus explicite et la plus
achevée. Leur extrême lisibilité/visibilité est mise au service d’un mode de signification
dont les effets pragmatiques excèdent largement la simple structuration
informationnelle. Lorsque le locuteur recourt, de manière privilégiée, à la répétition, il
en découle toujours, pour le récepteur, une saillance remarquable… et remarquée. Nous
n’analyserons pas dans cet article les effets pragmatiques de ces différentes figures21
mais insisterons sur la nécessité : 1° de reconnaître leur diversité, trop souvent oubliée
au profit de la seule figure de l’anaphore 2° de les traiter dans le cadre linguistique
unifié d’un mode de textualisation que nous disons « stratifiée ».

3. Les figures de répétition syntaxiques revisitées

3.1. Des « figures de syntaxe » aux « figures de textualisation »

Les figures de répétition sont subdivisées en plusieurs familles, les principales étant les
répétitions phoniques (allitération, assonance, homéotéleute…), lexicales (polyptote,
polysyndète…), et bien sûr, syntaxiques. Par syntaxiques, il faut entendre celles « qui
concernent la combinaison des mots dans le discours » (Bonhomme 1998 : 13, souligné
par nous). C’est Marc Bonhomme qui en a donné à ce jour la description la plus précise
et la plus convaincante. La famille des répétitions syntaxiques est la plus stable, leurs
définitions sont restées inchangées à travers les siècles (Bonhomme 2004 : 64, note 12),
ce qui s’explique « par la netteté des structures combinatoires qu’elles recouvrent »
(ibid.). Nous voulons ici aller plus loin que ce constat, et montrer qu’elle fonde en


mentionner. Nous avons forgé, pour rendre compte de ce phénomènes dans les discours politiques
relevant du genre de l’épidictique, le mot-valise de mémoralisation (mémoire + oralisation / mémoire +
morale + oralisation). Cf Prak-Derrington 2014 « Anaphore, épiphore & Co. La répétition réticulaire ».
21
Nous renvoyons ici au numéro de Semen 38, consacré à la pragmatique de la répétition.

6
réalité la seule famille de répétitions qui soit véritablement structurée, c’est-à-dire
organisée selon un système d’oppositions pertinentes22. Ces figures attestent une
saillance largement supérieure à celle des autres figures de répétition. A. Rabatel
affirme dans ce même numéro : « Je fais l’hypothèse que cette forte saillance [celle qui
découle de la place des répétitions], transforme la répétition syntaxique en patron à
engendrer du texte, tout en rendant plus visibles et plus organiques les autres
répétitions, voire les variations qui se répètent à l’intérieur de ce patron, érigeant
l’ensemble de ces diverses répétitions en figure majeure du texte. » (souligné par nous).
Nous souscrivons entièrement à cette analyse, et c’est cette hypothèse que nous allons
nous attacher à démontrer.

Selon Marc Bonhomme, les figures syntaxiques de la répétition sont des figures de « co-
émergence régulière » (configuration qui s’oppose à l’émergence régulière), aux côtés
des figures de co-émergence phonétique ou textuelle. Au sein des figures de co-
émergence, les syntaxiques sont « celles qui ont peut-être le plus grand potentiel figural,
en raison de leur ampleur, de leur régularité, et de leur vi/lisibilité marquée ».
(Bonhomme 2005 : 63-64). En général, l’intérêt pour ces figures s’est concentré sur la
seule figure de l’anaphore, pour son rôle architectural, thématique et rythmique
(Bonhomme 1998 : 44). Ces propriétés ont été démontrées dans le détail par V. Magri
(2014). Il faut dissocier ces propriétés de la position à l’initiale23 de l’anaphore et
montrer qu’elles peuvent et doivent s’appliquer aux autres figures d’extension étendue
(Bonhomme 1998 : 14) de la répétition, c’est à dire aux figures dont la portée est égale
ou supérieure à tout un énoncé.

Les figures de syntaxe de la répétition se définissent en effet toutes par la mise en œuvre
conjointe de l’axe syntagmatique et paradigmatique. D’une part, elles se définissent par
leur répartition sur l’axe syntagmatique du/des unités répétées, plus précisément par
leur distribution sur les deux positions les plus saillantes de l’énoncé (l’ouverture et la
clôture, le thème et le rhème), avec des variations d’une grande diversité. Soit la
répétition porte sur l’une ou l’autre des deux positions saillantes : à l’ouverture, c’est
l’anaphore (A…/ A…), à la clôture, c’est son pendant, l’épiphore (…A/…A) ou sa
forme atténuée, l’épanode, qui admet des variations (…A/…AB/…AC) ; soit elle porte
sur l’une puis l’autre position : c’est l’anadiplose (…A/A…), où le rhème est reconverti
en thème ; soit sur l’une et l’autre position : c’est la symploque, qui associe anaphore et
épiphore (A… B/A…B). Etc. Les figures syntaxiques de répétition exploitent donc
toutes, de manière privilégiée, la linéarité du discours. D’autre part, leur récurrence dans


22
Les autres familles de figures obéissent à des critères de reconnaissance et de classement très
arbitraires On se demande bien pourquoi, par exemple, il existe une figure pour la répétition du
connecteur, la polysyndète, et pas de figure pour la répétition de la négation, procédé tout aussi, sinon plus
courant.
23
« La figure de l’anaphore joue un rôle architectural […] et cohésif apparemment très fort,
puisqu’elle assure la fonction de ligateur, intra et interphrastique » (Magri 2014 : 82, souligné par nous).

7
la chaîne parlée met en jeu l’axe paradigmatique du discours. Ce faisant, elles créent
des ensembles à dominance thématique (l’anaphore), rhématique (l’épiphore et
l’épanode), voire les deux (symploque). Elles peuvent aussi fournir le « patron » pour
des constructions complexes, qui croisent les deux positions du thème et du rhème
(l’antimétabole, ABBA ou l’antépiphore ABBA). Nous proposons donc de remplacer le
terme de « figure syntaxique », assujetti à la linéarité du cadre phrastique, par une
désignation qui rend compte de leur distribution tant horizontale que verticale : nous les
appelons donc des « figures de textualisation ».

La distribution « tabulaire » (Magri 2014) des figures de répétition, instaure un mode


particulier de textualisation, qu’il s’agit maintenant de spécifier. À l’exception de
l’anadiplose, qui est une figure dynamique, de véritable rebond, la seule des figures de
répétition qui soit soumise à une progression très justement qualifiée de « linéaire »24,
les figures de répétition syntaxiques instaurent une « progression » qui rompt avec la
conception classique d’un texte orienté vers l’avant (à l’image de la prose, du latin
prorsum, qui va tout droit), une « progression » qui n’a plus rien de linéaire. Peut-on
alors encore parler de progression ? Plutôt que de parler d’empilement et d’entassement
(Magri 2014, Rabatel 2012), nous préférons parler de stratification : les figures de
répétition disposent le texte selon un principe d’accumulation-superposition (c’est
l’empilement), mais aussi de cohésion (c’est la stratification). Cette cohésion peut n’être
que « de surface »25, mais il demeure qu’elle assemble en un tout matériel les unités
répétées. L’orientation et la disposition de ces strates varient en fonction de la position
de l’unité répétée.

Les exemples et les schémas donnés ci-après doivent permettre d’illustrer les variations
positionnelles des différents types de « stratifications ». Ce sont des extraits de « grands
discours » politiques, les discours qui sont entrés dans l’histoire du XXIème siècle et se
sont inscrits dans la mémoire collective26. Ils appartiennent pour la plupart au registre de
l’épidictique. Les « grands discours » constituent une ressource privilégiée pour les
figures syntaxiques de répétition, à l’exception peut-être des figures de clôture, qui
semblent présenter des affinités plus fortes avec d’autres genres de discours (par
exemple, philosophique, publicitaire).

24
Exemple d’anadiplose « Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées
françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en
rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. » De Gaulle, Londres, Appel du 18 juin 1940.
25
V. Magri montre très bien comment la cohésion formelle de l’anaphore se substitue à
l’argumentation dans le discours de N. Sarkozy : « La succession des énoncés n’est motivée que par la
reprise non raisonnée, pour ainsi dire mécanique, de séquences dans un mouvement cohésif de surface
[…] ». (Magri 2014 : 92)
26
Ces discours « ont acquis une importance historique majeure, pour le meilleur et pour le pire.
[…] [Leur] portée historique peut découler de leur impact immédiat, de leur influence à long terme sur le
cours des événements, de leur portée symbolique actuelle et/ou de leur capacité à incarner a posteriori un
moment charnière ». Geoffroy Matagne, « Le discours politique », in : Les 100 discours qui ont marqué le
XXè siècle, 2008 : 14.

8
3.2. Figures simples

3.2.1. Anaphore et stratification thématique

L’anaphore est à la répétition ce que la métaphore est aux tropes. C’est la figure de
proue de toutes les figures de textualisation – en même temps que l’arbre qui cache la
forêt. L’anaphore, c’est la rime à l’ouverture, le moyen le plus simple d’introduire
rythme et musicalité dans le discours. Nous renvoyons ici à l’étude exhaustive qu’en a
faite V. Magri.

La répétition à l’initiale est une figure centrifuge, elle ouvre sur des prédications
multiples. En (1), l’anaphore porte sur le syntagme nominal sujet cette guerre ; en (2)
sur le déictique temporel demain, seul ou assorti du complément de manière
prépositionnel grâce à vous ; en (3), elle est une phrase autonome : I have a dream27.

(1) Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas
tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les
retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens
nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. (Charles de Gaulle, Radio de Londres, Appel du 18
juin 1940)
(2) Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à
vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir,
dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées
À cet instant plus qu'à aucun autre, j'ai le sentiment d'assumer mon ministère, au sens ancien, au
sens noble, le plus noble qui soit, c'est-à-dire au sens de « service ». Demain, vous voterez
l'abolition de la peine de mort. Législateurs français, de tout mon cœur, je vous en remercie.
(Robert Badinter, Discours à l’Assemblée nationale sur l’abolition de la peine de mort, 17
septembre 1981)
(3) I have a dream that one day this nation will rise up and live out the true meaning of its creed:
"We hold these truths to be self-evident: that all men are created equal."
I have a dream that one day on the red hills of Georgia the sons of former slaves and the sons of
former slave owners will be able to sit down together at a table of brotherhood.
I have a dream that one day even the state of Mississippi, a desert state, sweltering with the heat of
injustice and oppression, will be transformed into an oasis of freedom and justice.
I have a dream that my four children will one day live in a nation where they will not be judged by
the color of their skin but by the content of their character.
I have a dream today. (Martin Luther King, Discours de la Marche sur Washington, 28 août 1963)

3.2.2 Épiphore et épanode : stratification rhématique

Le principe de dynamisme communicatif orienté vers la droite peut être nuancé à la


lumière de la figure de l’épiphore et de l’épanode. Le rhème, classiquement censé

27
La répétition, lorsqu’il s’agit de phrases, relève aussi du système de l’aphorisation
(Maingueneau 2013). C’est un phénomène extrêmement complexe et fascinant, mais qui n’entre pas dans
l’approche syntaxique que nous avons choisie ici. (Prak-Derrington 2012).

9
apporter dans le texte la discontinuité, est au contraire répété à l’identique (épiphore, en
(4), (6) et (8)), ou bien légèrement varié (épanode (5), (6)). L’épiphore et l’épanode
s’écartent du principe d’enchaînement thématique, pour instaurer un enchaînement
rhématique.

La répétition en position finale est une figure centripète : l’ensemble des unités (mots,
énoncés, paragraphes) converge vers le même foyer de prédication.

Comme pour l’anaphore, on constate un déploiement qui va de du niveau


intraphrastique (4), au niveau interphrastique – qu’il s’agisse alors d’énoncés à verbe
conjugué (en 7, 8) ou bien d’énoncés averbaux (en 5, 6) – enfin au niveau textuel,
lorsque la figure clôture un paragraphe entier (8). A. Rabatel (2014) a montré
l’importance de ce type de répétitions dans les litanies religieuses : « Du point de vue du
dynamisme communicationnel et selon l’approche fonctionnelle de la phrase, ces
litanies sont intéressantes […] : le plus attendu est que le thème soit répété et que le
rhème soit nouveau […], mais le plus souvent, le thème change et c’est le rhème qui est
répété ». Ces répétitions du rhème n’ont rien d’exceptionnel, mais sont restées
longtemps sans être commentées.

La répétition à l’identique peut porter sur un mot lexical plein (vérité en 4, liberté en 6,
inviolabilité en 7), sur un mot-outil (préposition avec en 5), sur le groupe infinitif
complément (get there en 8), voire sur une phrase complète qui clôture alors des
paragraphes entiers (Yes we can en 9).

(4) Je jure de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. (le serment du témoin)

(5) Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans
avoir parlé, comme toi — et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les
rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses
files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec les huit mille Françaises qui ne sont
pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à
l'un des nôtres.
(André Malraux, Discours du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, 19 décembre
1964)
(6) Je veux vous rendre votre liberté.
Votre liberté de choix.
Votre liberté de parole.
Votre liberté de penser.
(N. Sarkozy, Lille, 28 mars 2007, ex. cité par V. Magri)
(7) Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile ; nous vous demandons de consacrer une
inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine. (Victor Hugo,
Discours à l'Assemblée nationale constituante sur l'abolition de la peine de mort : 15 septembre
1848)
(8) The road ahead will be long. Our climb will be steep. We may not get there in one year or even
one term, but America – I have never been more hopeful than I am tonight that we will get there. I

10
promise you —we as a people will get there. (Barak Obama, Premier discours en tant que
président élu, Chicago, 4 novembre 2008)
(9) And tonight, I think about all that she's seen throughout her century in America —the
heartache and the hope; the struggle and the progress; the times we were told that we can't, and the
people who pressed on with that American creed: Yes we can.
At a time when women's voices were silenced and their hopes dismissed, she lived to see them
stand up and speak out and reach for the ballot. Yes we can.
When there was despair in the dust bowl and depression across the land, she saw a nation conquer
fear itself with a New Deal, new jobs and a new sense of common purpose. Yes we can.
When the bombs fell on our harbor and tyranny threatened the world, she was there to witness a
generation rise to greatness and a democracy was saved. Yes we can.
She was there for the buses in Montgomery, the hoses in Birmingham, a bridge in Selma, and a
preacher from Atlanta who told a people that "We Shall Overcome." Yes we can. (Barak Obama,
ibid.)

3.3. De la « répétition réticulaire »

Nous abordons avec les figures ci-après l’autre propriété constitutive des « figures de
textualisation » de la répétition : le fait qu’elles n’apparaissent pas de manière
ponctuelle et isolée, mais organisées en réseau.28

3.3.1. Les figures composées traditionnelles

La nature constitutivement compositionnelle, réticulaire, de la répétition est révélée par


l’existence de figures complexes, déjà inventoriées dans la tradition rhétorique.

3.3.1.1 Répétition et textualisation circulaire

Certaines figures de répétition instaurent un type de textualisation originale, de clôture


circulaire. En rupture avec un principe de successivité temporelle, elles tracent une
boucle rétro-active, qui unit la fin au commencement. C’est le cas de l’antépiphore,
également dite épanadiplose (A…/…A). L’antépiphore est le contraire de la figure
linéaire et ouverte de l’anadiplose (…A/A…). C’est également le cas du chiasme formel
qu’est l’antimétabole ((ABBA) : « Il faut manger pour vivre et non vivre pour
manger »), une figure d’une grande complexité. C’est en effet une figure composée qui
allie symétrie et réversion, antépiphore (ou épanadiplose) (A…A) et anadiplose
(…B/B…) (Rabatel 2008). Sur le plan énonciatif et pragmatique, le chiasme formel « se
situe dans un cadre qui, sans être nécessairement polémique, repose a minima sur le
refus de se satisfaire des manières traditionnelles de voir » (id.). S’il est fréquent dans le
discours philosophique, il présente en revanche peu d’affinités avec nos extraits de
« grands discours », dans lesquels l’orateur cherche non à polémiquer mais au contraire
à partager des valeurs communes avec l’auditoire (Perelman 20005 : 67, 69).

L’antépiphore est une figure de symétrie, fréquente en poésie comme dans les romans,

28
(Prak-Derrington 2014)

11
et pour tout type de narration en général (procédé très utilisé dans les films)29, mais elle
est beaucoup moins représentée dans le discours politique, qui se doit « d’avancer ».
L’antépiphore n’a pas la visibilité remarquable des figures de très haute fréquence
comme l’anaphore ou l’épiphore. C’est une macro-figure d’encadrement, une figure de
non contiguïté (la figure de la boucle bouclée), qu’il est plus difficile d’identifier. Nous
la traitons comme figure composée parce qu’elle sert ici à encadrer des répétitions.
Nous venons de citer comme épanode un extrait du discours d’A. Malraux. C’est
l’extrait qui est toujours cité, le passage le plus vibrant et le plus solennel. Il apparaît
que l’épanode est en fait elle-même insérée dans la structure circulaire de l’antépiphore.
Le passage s’ouvre et se ferme sur une répétition : l’invocation au défunt Jean Moulin
(Entre…), suivie d’une métaphore qui assemble, ou plutôt transcende, tous les termes
énumérés au sein de l’épanode. C’est également une antépiphore qui encadre la figure
de la symploque, en (13) (cf. infra, soulignement en gras) : la phrase let freedom ring,
placée à l’ouverture au début de l’énumération, est déplacée en position finale dans sa
dernière apparition, pour clôturer l’énumération (From every moutainside let freedom
ring).

(10) Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves
sans avoir parlé, comme toi — et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous
les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des
affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec les huit mille Françaises
qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir
donné asile à l'un des nôtres. Entre avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle — nos frères
dans l'ordre de la Nuit… (André Malraux, Paris, 19 décembre 1964)

3.3.1.2 Une figure duelle : la symploque

L’emploi simultané des figures de l’anaphore et de l’épiphore (1, 2) ou de l’anaphore et


de l’épanode (3) crée une figure duelle, la symploque (A…B / A…B /A…B), qui cerne
les énoncés tant à gauche qu’à droite, par des répétitions.
(11) Les ordres qui ont conduit à la situation présente [la construction du Mur de Berlin, pendant
la nuit du 18 aôut 1961] proviennent de ce qui se nomme le « Conseil des Ministres de la
République Démocratique Allemande». Les ordres qui ont interrompu la circulation du métro et
des trains régionaux, sont signés par celui qui se nomme « le Ministre des Transports de la
République Démocratique Allemande». Les ordres qui ont interdit l’accès à Berlin Ouest aux
habitants de Berlin-Est, sont signés par « le Ministre de l’Intérieur de la République Démocratique
allemande». L’autorisation donnée aux «habitants pacifiques de Berlin-Ouest » de pouvoir circuler
dans le secteur-est de la ville, est donnée par le Ministre de l’Intérieur de ce qui se nomme la
« République Démocratique allemande ». (Willy Brandt, 18 août 1961, discours prononcé
quelques jours après la construction du mur, qui viole le statut quadripartite de la ville. Notre
traduction)
(12) We must therefore act together as a united people, for national reconciliation, for nation
building, for the birth of a new world.

29
Nous avons consacré un article à cette répétition clôturante en narration (Prak-Derrington 2011).

12
Let there be justice for all.
Let there be peace for all.
Let there be work, bread, water and salt for all.
(Nelson Mandela, Pretoria 10 mai 1994, Discours d’investiture. Pour la première fois, un président
noir est élu à la tête de l’état de l’apartheid).
(13) So let freedom ring from the prodigious hilltops of New Hampshire.
Let freedom ring from the mighty mountains of New York.
Let freedom ring from the heightening Alleghenies of Pennsylvania!
Let freedom ring from the snowcapped Rockies of` Colorado!
Let freedom ring from the curvaceous slopes of California!
But not only that; let freedom ring from Stone Mountain of Georgia!
Let freedom ring from Lookout Mountain of Tennessee!
Let freedom ring from every hill and molehill of Mississippi.
From every mountainside, let freedom ring. (constant ovation)
(Martin Luther King, Discours de la marche sur Washington, 28 août 1963, point d’orgue du
mouvement des droits civiques des Noirs américains, qui a ouvert un nouveau chapitre de leur
histoire aux États-Unis.)

La symploque est une figure composée d’une très grande saillance, en (12) et (13) elle
apparaît dans la clausule, en fin de discours. Citons en guise de commentaire quelques
phrases de Quintilien sur le rôle de la clausule

C’est surtout dans les clausules que la nécessité du rythme se fait sentir […] l’oreille, après avoir
entendu des paroles ininterrompues […] juge surtout au moment où l’élan s’est arrêté et a laissé le
temps de voir. […] C’est là que le discours fait une pause ; c’est là le point que l’auditeur attend, là
qu’éclatent tous les applaudissements30.

3.3.2 Les figures composées « ad-hoc » : la répétition réticulaire

À côté de ces figures plurielles (chiasme, symploque), qui ont été reconnues et
inventoriées par la rhétorique, il y a toutes les figures plurielles « non figées » (cf.
l’exemple de Malraux), c’est-à-dire qui ne sont pas identifiées comme des « macro-
figures », mais qui sont bel et bien soumises au même principe de récursivité. A l’instar
des trains, une figure de répétition peut en cacher une autre ! Ce fait, bien souvent
constaté31, mérite d’être appréhendé dans toute sa portée.

Dans nos propres exemples (5) et (6), l’épanode des énoncés averbaux repose sur
l’ellipse d’une anaphore, celle des verbes à l’ouverture. Il suffirait d’élargir un peu le
contexte des autres exemples pour constater que le principe de récursivité est constitutif
de la répétition syntaxique. On sait que, en matière de structuration informationnelle


30
(Quintilien 1978 : 248)
31
V. Magri (2014 : 83) remarque ainsi à propos du discours de Nicolas Sarkozy: « Au système de
l'anaphore rhétorique récurrente, s'ajoute la figure de l'épanode, comme principe productif du discours, un
principe pour ainsi dire de génération spontanée. Les exemples pourraient être multipliés ». (souligné par
nous). Dans ce numéro, A. Rabatel établit un constat similaire pour les litanies religieuses, qui
comprennent anaphores, épiphores et antépiphores.

13
« classique » (l’Ecole de Prague), les textes présentent très rarement un seul type de
progression, mais qu’ils les mélangent ou les alternent. C’est la même chose pour la
répétition : qu’il s’agisse de figures composées déjà étiquetées ou d’associations
figurales qui ne portent pas de nom, on retrouve toujours la même opération de « mise
en réseau » des figures de répétition. La distribution des figures complexes et
« composées » dépend non seulement du genre de discours, mais également de leur
place à l’intérieur des discours considérés.

En fait, quel que soit le genre de discours, ce n’est pas la présence d’une seule figure,
mais bien la construction d’un dense maillage figural, dont les répétitions syntaxiques
constituent l’armature première, qui font passer le texte à un autre mode de textualité.
On parle de métaphore filée, nous proposons, lorsque la répétition n’est pas localisée sur
une seule figure, mais se répartit sur de multiples figures, de parler de répétition
réticulaire. La répétition réticulaire nous fait entrer dans un mode de figuralité
plurielle, à la saillance décuplée. Nous analysons cet aspect essentiel de la répétition
dans un autre article32, nous nous contenterons donc de commenter un peu plus
longuement un seul exemple, choisi pour sa brièveté.

Il s’agit du discours prononcé à l’Hôtel de Ville par Charles de Gaulle au moment de la


Libération de Paris, le 25 août 1944. Il s’agit pour de Gaulle de se positionner en chef
légitime : face aux Américains et aux Alliés, qui auraient souhaité mettre un
gouvernement américain à la libération, face aux différents chefs de la Résistance, enfin
face à une France profondément divisée par quatre années de collaboration.

Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! (Applaudissements)
libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui
et le concours de la France tout entière, c’est à dire de la France qui se bat, c’est-à-dire de la
seule France, de la vraie France, de la France éternelle. (Vivats et applaudissements)

Le discours est court (409 mots). La séquence où se déploie la répétition réticulaire


constitue le cœur du discours, c’est par la quintuple anaphore Paris ! qu’il est entré dans
les mémoires. Mais, de fait, l’anaphore n’est que le premier maillon de la chaîne des
répétitions. La répétition se déploie sur deux mouvements, qui exploitent les deux
positions saillantes du début et de la fin : à l’anaphore sur Paris (Paris ! Paris outragé !
… mais Paris libéré !) succède l’épanode sur la France (de la France… de la vraie
France, de la France éternelle), les deux mouvements étant joints par la figure de
rebond de l’anadiplose, qui reconvertit la fin de la première séquence (saluée par les
premiers applaudissements) en l’ouverture de la deuxième : mais Paris libéré ! libéré
par lui-même… . La répétition fait se succéder dans un raccourci saisissant l’histoire de
l’occupation (l’anaphore), et son épilogue triomphant : la proclamation de la Libération
et l’appel à l’unité nationale (l’épanode). La prédication est ici averbale, dichotomique,

32 « Anaphore, épiphore & Co. La répétition réticulaire » (à paraître).

14
réduite à ses deux piliers : le thème (Paris), les rhèmes (les participes passés). Le choix
des métonymies (Paris et France), l’effacement des catégories verbales du temps du
mode et de la personne (seuls les participes passés sont donnés), la haute fréquence de la
répétition des deux noms propres (cinq fois Paris, six fois France) ancre ici les énoncés
dans un espace intemporel, intangible, qui annule et gomme les dissensions du présent
et du passé. La répétition réticulaire est ici unificatrice, elle proclame l’identité au-delà
des divisions et de l’altérité. L’enchevêtrement des figures crée une macro-figure de
répétition, qui multiplie les échos, creuse le texte en profondeur et grave dans la
mémoire, ineffaçables, les segments répétés. Dans nos grands discours politiques, la
répétition réticulaire transforme le texte en « monument».

3.4 Schémas des répétitions syntaxiques33


33 Je remercie mon mari, E. A. Derrington, pour la réalisation de ces diagrammes.

15
16
Conclusion

La subordination du principe formel de cohésion au principe sémantique de cohérence a


conduit à privilégier l’étude des phénomènes de pronominalisation et d’anaphorisation
dans la construction des chaînes de référence, c’est-à-dire l’étude de la répétition-
substitution. Cette étude montre que la répétition met en œuvre un autre mode de
textualisation, celui de la répétition réticulaire, non plus régi prioritairement par le
principe de cohérence sémantique, mais, avant tout, par la matérialité des signes en tant
que formes-sens. Pourquoi l’énonciateur choisit-il la répétition réticulaire ? Pour quels
effets ? Le cadre théorique esquissé ici doit donc déboucher sur une réflexion plus
générale sur la valeur pragmatique de la répétition, qui prend en compte ses contraintes
proprement discursives, à la fois en terme de registres et de genres de discours.

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Sorbonne.

Résumé
Cet article se propose de concilier linguistique textuelle et rhétorique en
articulant la problématique de la « progression textuelle » avec celle des figures

19
syntaxiques de la répétition. Dans un premier temps, on rappelle les propriétés des deux
grandes opérations de répétition : substitutive (reformulation) et non-substitutive
(reprise du (des) même(s) signifiant signe(s)), pour constater que la répétition non-
substitutive s’est trouvée marginalisée par les linguistes, qui ont privilégié la question
de la cohérence au détriment de celle de la cohésion. La troisième partie met l’accent
sur l’approche syntaxique des figures, en passant d’une conception figurale statique et
taxinomique à une approche dynamique, qui souligne le rôle qu’elles jouent dans la
textualisation. On peut ainsi réhabiliter des figures oubliées (telles que l’épiphore,
l’épanode, l’antépiphore…), qui ont été éclipsées par la figure de l’anaphore. Cette prise
en compte de la diversité des figures syntaxiques de la répétition oblige à dépasser une
perspective purement informationnelle sur le texte : la répétition non-substitutive
s’oppose à la structuration linéaire du dynamisme communicationnel en introduisant
une temporalité non plus seulement orientée vers l’aval du discours, mais cyclique car
doublement orientée, tant rétroactive qu’anticipatrice. Dans une dernière partie, on
insiste sur la propriété qu’a la répétition syntaxique de ne pas se déployer sur une seule
figure, mais de s’articuler en réseau, en une « macro-figure », phénomène de
« répétition réticulaire ».

Mots-clés

Figures de répétition - Rhétorique - Linguistique textuelle - Cohésion et cohérence -


Discours politique

20

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