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Attachement, Blocage, Blindage: Cahiers D'études Africaines

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Cahiers d’études africaines


189-190 | 2008
Territoires sorciers

Attachement, blocage, blindage


Autour de quelques figures de la sorcellerie chez les marabouts ouest-
africains en région parisienne

Liliane Kuczynski

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/10552
DOI : 10.4000/etudesafricaines.10552
ISSN : 1777-5353

Éditeur
Éditions de l’EHESS

Édition imprimée
Date de publication : 7 avril 2008
Pagination : 237-265
ISBN : 978-2-7132-2141-5
ISSN : 0008-0055

Référence électronique
Liliane Kuczynski, « Attachement, blocage, blindage », Cahiers d’études africaines [En ligne],
189-190 | 2008, mis en ligne le 08 avril 2011, consulté le 01 mai 2019. URL : http://
journals.openedition.org/etudesafricaines/10552 ; DOI : 10.4000/etudesafricaines.10552

© Cahiers d’Études africaines


Liliane Kuczynski

Attachement, blocage, blindage


Autour de quelques figures de la sorcellerie
chez les marabouts ouest-africains en région parisienne

Dans la France contemporaine, les propositions religieuses de lutte contre


le mal et de combat contre l’infortune sont très nombreuses. Elles émanent
tant d’Églises constituées que de petits entrepreneurs religieux indépendants.
Certaines sont ouvertement rivales. Ainsi depuis 1998, les rituels de « déli-
vrance » pratiqués par l’Église Universelle du Royaume de Dieu1, de même
que ses prédications, visent la lutte contre les actions maléfiques des mara-
bouts, considérés comme les responsables principaux de la survenue de
démons. Comme l’écrit Marion Aubrée (citée dans Dard 2003 : 64), les
marabouts sont « transformés en boucs émissaires rituels dans la mesure où
ils représentent une force concurrente pour l’Église Universelle dans ce nou-
veau recrutement qu’elle fait actuellement parmi les populations noires ».
Venus dans les villes françaises dès les années 1970, les marabouts y ont,
en effet, trouvé un cadre propice aux pratiques de divination et de recours
contre les difficultés de l’existence qui étaient les leurs dans les villes afri-
caines. Figures de l’islam ouest-africain, ils ont, pour la grande majorité
d’entre eux, abandonné dans ce nouveau contexte le large éventail des rôles
qu’ils assumaient en Afrique, en particulier celui d’enseignant du Coran,
pour se rapprocher du statut légalement à peine toléré, mais socialement
florissant, de voyants dont ils sont eux-mêmes devenus les concurrents.
La plupart d’entre eux ont tenté de faire de cette activité leur gagne-pain,
avec des succès très variables. Loin de rester confinés aux milieux ouest-
africains, les marabouts ont touché, dès leur arrivée en France, et parfois
très volontairement comme en témoigne leur publicité, une clientèle multi-
culturelle. Celle-ci est constituée principalement d’Africains venant de toutes
les régions d’Afrique, de Maghrébins et de personnes d’origine maghrébine,
d’Antillais, de « métropolitains », de Portugais2.

1. Il s’agit d’une Église néo-pentecôtiste d’origine brésilienne implantée à Paris


depuis 1992, dont les fidèles sont, depuis 1998, presque exclusivement d’origine
africaine, voir DARD (2003).
2. Sur la constitution de cette clientèle, voir KUCZYNSKI (2002 : 309 et sq.).

Cahiers d’Études africaines, XLVIII (1-2), 189-190, 2008, pp. 237-265.


238 LILIANE KUCZYNSKI

De nombreux anthropologues ont proposé des explications à cette florai-


son du recours à des personnages médiateurs et à la sorcellerie dans les
sociétés urbaines contemporaines, tant dans le champ de l’islam que dans
celui d’autres pratiques religieuses. Certains mettent en avant le lien entre
sorcellerie et politique, conquête, maintien du pouvoir3. D’autres interpréta-
tions considèrent les pratiques de guérison et de sorcellerie comme l’arme
des plus faibles et des laissés pour compte de la globalisation (Comaroff
& Comaroff 1999) ou encore, dans des contextes où les pratiques religieuses
étaient strictement contrôlées4, comme l’expression d’une identité réaffir-
mée (Rasanayagam 2006). Pour séduisantes qu’elles soient, ces perspectives
semblent parfois trop unilatérales et laissent à l’arrière-plan l’analyse des
logiques internes à l’œuvre dans ces pratiques de guérison, de résolution du
malheur et de sorcellerie, ainsi que leur bricolage dans un contexte donné.
S’agissant des marabouts ouest-africains, nous nous attacherons moins, dans
cet article, à tenter une explication globale de leur émergence à Paris qu’à
dégager les diverses interprétations de l’infortune qu’ils proposent à leurs
consultants, et de la façon dont celles-ci sont travaillées par le contexte
parisien et par une clientèle aux origines multiples5.

Le champ d’intervention des marabouts

Les raisons qui conduisent à consulter un marabout sont nombreuses. Quelques


exemples montreront l’étendue des compétences qui leur sont prêtées.
Khadi, étudiante tchadienne vivant à Paris, vient de recevoir du Came-
roun de mauvaises nouvelles de sa sœur : cette dernière ne se sent pas bien,
erre sans but alors que les médecins ne lui trouvent rien. Très inquiète,
Khadi se précipite dans le foyer du XIe arrondissement où vit le marabout
Dramé : « Que se passe-t-il ? Quelle est la cause de ces désordres ? » Le
marabout fait une divination, rassure, promet des médicaments à venir cher-
cher le soir même. « Il faut m’aider, grand... ! » implore la consultante qui,
une fois sortie, pour redoubler d’efficacité, se rend immédiatement chez
Sherif, un second marabout, plus jeune, auquel elle pose les mêmes ques-
tions ; celui-ci fait d’autres réponses et propose d’autres médicaments.
Maria, portugaise d’âge mûr, attend son tour dans la salle d’attente de
Gassama. Elle vient consulter pour son fils qui, depuis quelques temps, reste

3. GESCHIÈRE (1995) dans le cadre du Cameroun, BUBANDT (2006) dans le cadre


de l’Indonésie).
4. Comme c’était le cas dans l’ex-URSS.
5. Le matériau utilisé résulte d’une enquête intensive menée auprès de marabouts
parisiens dans les années 1990 et poursuivie plus longtemps auprès d’un petit
nombre d’entre eux, ainsi que d’enregistrements d’émissions en direct sur deux
radios communautaires de la bande FM (l’une maghrébine, l’autre antillaise) ani-
mées par un même marabout — représentant une vingtaine d’heures et plus de
200 consultations.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 239

couché et ne prend aucune initiative. Elle veut confirmer auprès du marabout


sa propre hypothèse : la cause de cette attitude n’est pas naturelle ; il s’agit
aussi de trouver un remède à ce comportement anormal.
Bahia, jeune femme d’origine algérienne âgée d’une trentaine d’années
se désole de ce qu’aucun de ses projets ne se réalise ; la demande de loge-
ment social faite il y a plusieurs années semblait aboutir, de nombreuses
étapes administratives avaient été franchies et au dernier moment, est
survenu un incompréhensible refus... Comment expliquer ces revers ? Une
perspective plus favorable se dessinera-t-elle ? Telles sont les questions
pressantes que Bahia pose à Diakhaby.
Suzy, Antillaise de 35 ans a beaucoup d’inquiétude sur l’avenir de son
couple : le comportement de son ami a changé, elle sent qu’il lui cache une
part de sa vie, elle sait qu’il a autrefois quitté une première femme... Sa
lassitude est telle qu’elle souhaite vivre seule avec ses enfants. « Quelle
issue ? Quel avenir ? », demande-t-elle à Diaby lors d’une émission de
voyance en direct sur une chaîne de radio antillaise.
Quant à Marie, jeune femme d’origine parisienne, elle cherche désespé-
rément à retrouver un homme qu’elle a follement aimé et qui l’a quittée :
dans sa quête, elle rencontrera plusieurs marabouts6.
Bien qu’elles n’épuisent pas l’ensemble des requêtes, ces cinq situations
critiques montrent que le registre d’intervention des marabouts est celui de
la vie quotidienne dans toute son étendue : chômage, avancement, logement,
peines de cœur, éducation des enfants, conflits familiaux ou de travail, maux
inexpliqués sont autant de difficultés que certains citadins cherchent à
résoudre dans le « cabinet » d’un marabout. Ce fait parisien est conforme
aux observations faites depuis plusieurs décennies dans les villes africaines ;
l’étude menée par Jean-Marie Gibbal (1974) auprès d’écoliers et de jeunes
déscolarisés dans trois petites villes ivoiriennes à la fin des années 1960
montrait la forte prégnance de diverses explications et pratiques occultes
lorsqu’il s’agit de se protéger contre les accidents de voiture, de réussir
dans les relations amoureuses, à l’école comme sur le stade. C’est également
le cas, au Sénégal, des requêtes reçues, dans les années 1980, par un éphé-
mère marabout-guérisseur de la région dakaroise (Guissé 1997) ou de celles
formulées aux marabouts de la ville malienne de Nioro du Sahel (Soares
2005)7. Cette convergence prouve, s’il en est encore besoin, que le pragma-
tisme par lequel on a souvent caractérisé le religieux en Afrique excède
largement ce cadre. Au demeurant, l’attachement aux réalités du monde
et l’accomplissement des aspirations individuelles traversent actuellement
l’ensemble des religions, comme l’ont montré les travaux de nombreux

6. Ce cas est analysé en détail dans KUCZYNSKI (2007).


7. Dans son ouvrage concernant notamment l’économie du charisme dans cette ville,
SOARES (2005 : 134) cite, comme Gibbal, le cas d’un chauffeur particulièrement
bien « protégé », puisqu’il échappait aux accidents que l’état de sa voiture et des
routes pouvait faire redouter.
240 LILIANE KUCZYNSKI

sociologues8. Cette tendance n’a fait qu’accroître en leur sein les offres
d’efficacité immédiate dans la résolution des conflits au quotidien.
La visite à un (ou plusieurs) marabout(s) constitue d’ailleurs le plus
souvent le maillon d’une chaîne des recours que chaque consultant forge
selon ses rencontres et ses besoins, dans la complémentarité ou la succes-
sion. Ainsi, Astou trouve-t-elle dans la divination d’un marabout la confir-
mation du diagnostic de son gynécologue concernant sa stérilité, tout en
projetant de se rendre à Lourdes. Ainsi, pour mettre fin au comportement
désordonné, selon elle, de sa fille, Zohra consulte-t-elle un marabout pari-
sien après avoir rendu visite à un cheikh au Maroc dont elle fait suivre le
traitement à sa fille. Ainsi, pour apaiser la crise très aiguë que traverse son
couple, Berthe s’adresse-t-elle au curé de sa paroisse en même temps qu’à
un marabout. Ces itinéraires complexes, très personnels, largement identifiés
dans le domaine médical9 sont aussi fréquents dans tout ce qui relève des
difficultés inexplicables et des incertitudes du quotidien. Ce pluralisme
couvre un large spectre, variable selon les consultants, qui va, le plus sou-
vent sans solution de continuité ni hiérarchie, du religieux au médical, du
soin par les plantes ou par des psychothérapies de formes classique ou alter-
native à des pratiques ésotériques.
Les marabouts sont donc, parmi d’autres spécialistes, les témoins privilé-
giés des tensions, des inquiétudes, des défiances qui traversent la société
française contemporaine dans son ensemble, bien au-delà des populations
immigrées. Il est certes possible d’identifier des questions particulières à
ces dernières : celles relatives notamment aux papiers de séjour, celles
dévoilant la condition malheureuse de femmes épousées au pays, en Algérie
ou au Maroc qui, transplantées brusquement dans un monde dont elles ne
savent rien, confinées dans la solitude parisienne, ne comprennent pas le
comportement parfois très libre de leur mari ; la visite au marabout est alors
leur seule source d’interprétation et de réconfort. Les questions les plus
douloureuses témoignent des liens toujours très forts et souvent ambivalents
entretenus avec le pays d’origine et la parenté qui y est restée. Si tout ce
que fait Wahid à Paris échoue, n’est-ce pas parce que sa famille agit dans
l’ombre et à distance pour le faire revenir au Maroc ? Si le mari de Lucia
a brusquement changé de comportement, n’est-ce pas parce qu’au pays, ses
parents, opposés à ce mariage, ont tout fait pour briser le couple ? Et pour
Ernestine qui souhaite rentrer aux Antilles et y ouvrir une boutique, il paraît
vital de protéger son projet contre l’envie possible de ses proches. Entre
tentative d’émancipation individuelle et soumission au groupe, c’est toute
la complexité et les multiples « avatars de la dette communautaire »10 qui

8. En particulier ceux de Danièle HERVIEU-LÉGER (1999).


9. Voir à ce sujet BENOIST (1996) et une description de ce phénomène au Cameroun
dans MONTEILLET (2005).
10. Expression empruntée à l’article d’Alain MARIE (1997b), qui traite des liens qu’un
individu noue ou cherche à dénouer avec sa communauté originelle. Sur les liens
entre sorcellerie et migration, voir BOULY DE LESDAIN (1994).
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 241

viennent s’exprimer dans les cabinets des marabouts, lorsque, pour ceux
qui n’en ont pas mis clairement en question l’emprise, celle-ci se traduit
par des échecs incompréhensibles, des maux physiques ou des craintes
engendrant des demandes de protection.
Mais, à côté de ces demandes et plaintes spécifiques, celles qui se font
le plus souvent entendre sont communes à l’ensemble des consultants, sans
distinction d’origine et s’expriment en des termes semblables. Le travail est
l’une des questions majeures : perte d’emploi, stages à répétition, précarité,
difficultés d’insertion, de progression, de titularisation, changements d’orien-
tation, conflits avec ses collègues, ses supérieurs, autant d’expériences dou-
loureuses dont les marabouts entendent quotidiennement le récit. Cependant
la question la plus fréquente concerne la cohésion du couple et de la famille
dans ses multiples déclinaisons : amour, sexualité, entente entre les généra-
tions, inquiétude sur la fragilité des relations, etc. C’est sans doute pour
cette raison que certains marabouts se sont déclarés spécialistes des pro-
blèmes d’amour, ou encore « amoureulogue » (selon la publicité de l’un
d’eux), et que l’une des formules récurrentes de ces petites cartes par les-
quelles ils se sont fait connaître promet le « retour immédiat de l’être aimé ».
Effet de la modernité parisienne ? Rien n’est moins sûr. Dès le Xe siècle,
on trouve dans le Ghâyat al-hakîm (L’objectif du sage), ouvrage écrit par
un auteur andalou au nom controversé, souvent présenté comme pseudo,
Maslama al-Majrîtî, un grand nombre de recettes de charmes et des talis-
mans figuratifs d’amour/haine composés en relation avec des coordonnées
astrales. Cette référence historique centrale montre que les problèmes
d’amour sont un grand classique de la magie islamique11. Il en est de même
d’une autre action pour laquelle les marabouts sont également très sollicités :
assurer la prospérité commerciale. Si elle s’applique au commerce contem-
porain, elle n’en est pas moins l’un des travaux maraboutiques les plus
anciennement attestés puisqu’on en trouve la trace dans l’histoire de la ville
de Djenné (Mali)12. Cette association du religieux et du commercial rappelle
le lien très ancien existant, en Afrique de l’Ouest, entre marchands et lettrés,
fondement de l’expansion de l’islam dans cette région. L’on trouve donc
dans les compétences prêtées à ces spécialistes de la magie islamique de
grandes constantes. Cependant cette constatation va de pair avec une carac-
téristique majeure de la « science des secrets » (asraria, lasrari, termes
dérivés de l’arabe ‘ilm al-asrâr) transmise aux marabouts par leur maître
ou échangée avec leurs pairs : son adaptabilité. La même recette (fa’ida)
se prête à de nombreuses interprétations et peut s’adapter à toutes sortes
de situations, de formulations et de contextes. On peut alors considérer que,
passant de l’Afrique à la France, et fréquentant à Paris de multiples milieux

11. Merci à Constant Hamès pour cette information. Voir son article dans ce numéro.
12. Selon le Târikh al-sudan (XVIIe siècle), la prospérité de la ville de Djenné et de
ses commerçants aurait été assurée par les actions et prières de lettrés de la ville.
242 LILIANE KUCZYNSKI

culturels et sociaux, les marabouts se livrent davantage à un travail de tra-


duction et d’accommodement qu’à un véritable remaniement symbolique de
leurs pratiques.
Bons observateurs des préoccupations et des usages de leurs consultants,
les marabouts connaissent parfaitement les pérégrinations de ces derniers
entre différents spécialistes. Ils en prennent souvent ombrage, en particulier
lorsque ceux-ci sont leurs rivaux directs. Et ils ne manquent pas de mettre
en garde leurs clients contre le travail néfaste qu’aurait pu faire pour
résoudre leur problème un « monsieur » précédemment consulté. S’ils ne
parviennent pas à dissuader leur interlocuteur de n’avoir à faire qu’à eux
seuls13, ils refusent parfois d’intervenir. Mais ce qui semble n’être qu’un
moyen de pression sur le consultant s’explique aussi par la crainte que sus-
cite toujours le savoir de l’autre, dans un univers où parler (ou écrire),
c’est faire.
En revanche il est des collaborations de fait que les marabouts acceptent.
Sans doute est-ce en raison de la législation française concernant l’exercice
de la médecine que la plupart des marabouts parisiens sont réticents à inter-
venir dans le domaine de la « maladie » (au sens occidental du terme) et
renvoient les consultants concernés vers leurs médecins. Ceci n’empêche
pas les marabouts d’affirmer la supériorité de leur art pour tous les maux
que la médecine ne sait ni diagnostiquer ni soigner, tel le cas des « têtes
qui tournent »14. Certains d’entre eux ont d’ailleurs cherché, sans succès, à
coopérer avec des services hospitaliers ou des praticiens. Mais à Paris, la
« séparation des pouvoirs », selon l’expression employée par un marabout
sur les ondes d’une radio, semble sinon respectée, du moins clairement affir-
mée. En outre, c’est au voyage en Afrique que les marabouts préfèrent inci-
ter tout consultant présentant un cas qu’ils considèrent comme grave.
Cette complémentarité/rivalité est l’une des explications de l’attirance
des marabouts vers des savoirs sortant du champ de la magie islamique.
Mais il faut remarquer que dès l’Afrique, la « connaissance » que chacun
d’eux a reçue est dans la plupart des cas composite. Chez les plus lettrés,
à l’apprentissage islamique classique et à celui du maniement talismanique
de l’islam s’ajoutent souvent des secrets d’une autre nature, tels ceux fondés
sur la connaissance des propriétés curatives des végétaux. Chez d’autres, les
connaissances issues de l’islam sont largement complétées par des éléments
d’astrologie, par un don personnel ou un itinéraire singulier, par un savoir
spécifique de berger ou de chasseur, par des pratiques familiales de guéri-
son, par des bribes diverses recueillies au hasard des rencontres, savoirs
transmis le plus souvent oralement. La recherche pragmatique de pratiques
issues d’autres cultures s’est perpétuée à Paris, à des degrés variables selon
les individus. Certains ont même enrichi leurs connaissances en fréquentant
des radiesthésistes, en apprenant les tarots ou en étudiant l’alchimie, la

13. Du moins momentanément...


14. En poular : djilul. C’est le cas dans l’exemple de Khadi évoqué plus haut.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 243

minéralogie. Ces nouveaux acquis sont utilisés dans des compositions


diverses, selon le consultant ou la situation, même si dans la plupart des cas,
c’est l’arsenal issu de la magie islamique qui reste dominant. Ils permettent
notamment de faire face aux modifications induites par le mode de vie pari-
sien. Ainsi pour « normaliser » sa présence dans un salon de voyants, Touré
se sert-il des tarots comme instrument de divination ; ainsi pour parer au
peu de temps dont disposent ses consultants, Diakhité utilise-t-il les cauris
dont il a appris le maniement à Paris. Ce second exemple montre d’ailleurs
que la contrainte du temps induit un choix à l’intérieur même des multiples
pratiques divinatoires habituelles aux marabouts. L’une des plus classiques,
le listikhar, rêve divinatoire reconnu par l’islam15, parce qu’il nécessite un
délai16 avant qu’une réponse soit donnée, tend à être supplanté au profit de
procédés plus rapides.
Cette diversité des savoirs qui caractérise la pratique maraboutique,
diversité recherchée par curiosité du pouvoir de l’autre autant que par souci
d’accommodement au contexte parisien, est précisément l’argument qui,
depuis le XIVe siècle, alimente la condamnation des marabouts par les musul-
mans les plus orthodoxes, au nom de l’interdiction du shirk17. Elle les
oppose actuellement à d’autres praticiens musulmans qui ne se réclament
que de la médecine prophétique et de la ruqiya, traitement du malheur fondé
sur l’usage exclusif des paroles coraniques18. L’on se contentera, ici, de
remarquer que bien des procédés sont communs aux deux types de spécia-
listes et que les marabouts se revendiquent, pour la plupart, comme des
musulmans rigoureux. Mais l’autre point par lequel les partisans de la ruqiya
cherchent à se démarquer des marabouts est qu’ils ne considèrent comme
licite que ce qui relève de la contre-sorcellerie. Leur action serait strictement
limitée au diagnostic (divinatoire) d’attaques maléfiques et au combat contre
celles-ci, tandis que celle des marabouts relèverait d’une action visant à
transformer le cours de la nature ; c’est à ce titre qu’elle serait harâm et
relèverait de la sorcellerie. Cette rhétorique du bien et du mal, du blanc et
du noir, de la défense et de l’attaque, et ici du halâl (licite) et du harâm
(illicite) est très répandue ; mais entre détruire un sort dont serait victime
un consultant et obtenir un gain qu’il viserait, la distance est parfois ténue.
Autant qu’une question de contenu, le ressort de ces oppositions est le plus

15. Contrairement au jet de cauris. Le listikhar (arabe istikhâra) est issu de l’incuba-
tion grecque.
16. D’au moins une nuit, nécessaire au rêve.
17. Littéralement « association » (de l’islam avec d’autres pratiques). L’un des théo-
logiens qui a inauguré cette condamnation est le hanbalite Ibn Taymiyya (1263-
1328).
18. Le terme ruqiya est dérivé de la racine arabe signifiant faire des incantations.
Sur les usages de la ruqiya dans les débuts de l’islam, voir HAMÈS (2007 : 37-
40). Voir aussi la description de la formation et des pratiques d’un guérisseur
pratiquant la ruqiya dans KHEDIMELLAH (2007).
244 LILIANE KUCZYNSKI

souvent la légitimité que les praticiens cherchent à se forger et la concur-


rence qui s’établit entre eux. D’ailleurs d’autres courants musulmans, tel le
salafisme, proscrivent comme shirk aussi bien les pratiques maraboutiques
que la ruqiya et toute référence au « mauvais œil »19. Les frontières de l’or-
thodoxie sont donc éminemment déplaçables et fluctuantes.
Ces praticiens de la ruqiya sont moins visibles, à Paris, que les mara-
bouts. Cependant l’on trouve en bonne place dans toutes les librairies musul-
manes des manuels de ruqiya dont certains ont une vente soutenue. L’un
des plus répandus débute ainsi :

« Malheureusement nous vivons une époque où ces trois affections : djinns, sorcelle-
rie et mauvais œil, prennent des proportions considérables. Les sorciers et charlatans
se multiplient tandis que les praticiens de la voie d’Allah sont rares. Il est donc
de notre devoir de prévenir les populations contre ces fléaux, de leur donner les
moyens de se protéger et de se soigner dans la mesure du possible, et de former
des praticiens aux méthodes agréées par l’Islam » (Ben Halima & Leila 2003)20.

Si la diffusion de ce type d’ouvrage peut traduire une reprise du trai-


tement de la sorcellerie par un islam qui se veut plus orthodoxe, elle est
surtout, au-delà de l’opposition et de la rivalité entre spécialistes, un témoi-
gnage supplémentaire de la vogue actuelle de ce genre de pratiques dans
la France contemporaine, vogue à laquelle certaines tendances de l’islam
participent pleinement21. C’est pourquoi il semble très partiel d’affirmer que
les jeunes femmes d’origine maghrébine ou antillaise qui fréquentent les
marabouts ne le font que par héritage ou attachement culturel. Ces pratiques,
parfois liées à des courants de style « new age », se sont banalisées et dissé-
minées dans toutes les couches de la société. Elles sont assumées sans réti-
cence. Entre jeu et sérieux, entre pari et détresse, cette attitude domine
l’ensemble des consultants.

Les raisons du malheur

Les requêtes faites aux marabouts témoignent d’un double souci : d’abord
comprendre, connaître ce que sera l’avenir (d’une demande, d’une relation,
d’un projet). C’est en effet l’incertitude, mais aussi l’incompréhension
devant une situation inédite, l’impuissance devant de brusques changements,

19. La doctrine salafiste la plus rigoureuse considère la médecine prophétique dans


sa totalité comme bid’a, innovation blâmable.
20. De la biographie de ces auteurs figurant en quatrième de couverture, on peut
déduire que ce livre n’est pas antérieur à l’année 1997. Les auteurs appartiennent
au mouvement tabligh.
21. On trouve sur l’Internet un très grand nombre de sites dévolus à la ruqiya, indi-
quant pour des cas bien identifiés, les versets à prononcer, les produits à ajouter
(telle « l’huile de graine noire », « nigelle »). Certains de ces sites offrent même
la possibilité de télécharger des textes et des psalmodies de prières de protection.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 245

le sentiment insupportable de se trouver « dans une impasse », « face à un


mur » comme le dit une cliente, qui déterminent les consultants à trouver
le moyen de « voir plus clair »22. C’est aussi le désir parfois non dénué de
scepticisme mais souvent démesuré et désespéré de faire « quelque chose »23
pour sortir de cet état, qui les anime. C’est précisément sur cette double
compétence et ce « petit coup de pouce » donné au destin que les marabouts
parisiens ont fondé leur originalité face aux voyants classiques qui, selon
eux, se contentent de la phase de divination. Ces deux étapes ne sont parfois
pas nécessaires et peuvent être dissociées. Même lorsque la réponse est
mauvaise, bien des consultants ne vont pas jusqu’à s’engager dans une série
d’actions longues et souvent coûteuses. Mais en général, la séance divina-
toire est suivie du « travail », phase où le marabout agit pour dénouer la
situation. Ce terme de « travail », traduction du mot wolof liggeey, est à
prendre dans un double sens : à la fois comme action sur la nature et comme
activité professionnelle de fabrication d’amulettes, de récitation de prières,
de veilles nocturnes.
On ne développera pas ici les nombreux procédés divinatoires utilisés
par les marabouts, procédés qui, comme on l’a rapidement évoqué, sont
l’objet de réinterprétations, d’emprunts, voire de créations personnelles. Ce
qui nous intéresse ici est l’éventail des réponses données aux consultants
parisiens.
Mohammed, jeune informaticien, s’inquiète pour sa situation profession-
nelle. Il ne parvient pas à trouver un travail stable et lutte pour trouver une
issue. À cause de la « conjoncture », il a déjà renoncé à un projet précédent ;
actuellement il attend la réponse d’un éventuel associé, hésite à partir s’ins-
taller aux États-Unis... La réponse du marabout auquel le jeune homme
expose ses incertitudes est que, certes il vise très loin, il est ambitieux, mais
qu’il doit impérativement, avant son départ, être protégé contre le mauvais
œil. Car sa discrétion sur sa situation aiguillonne la curiosité de son entou-
rage : « Vous cachez le maximum possible et tout le monde croit que vous
roulez sur l’or » [...].
Nadia, jeune femme de 30 ans se désole de l’attitude de son mari : il
ne lui parle plus, semble ne plus la voir... Selon le marabout, cette situation
n’est pas naturelle et ce « barrage » est dû à l’action d’une tierce personne
qui ne souhaitait pas leur mariage ; mais il détourne Nadia de l’accusation
de sa belle-mère — sans pour autant dévoiler une autre piste. Ce qui
importe, c’est de « détruire ce qu’on a fait sur le mari, pour qu’il reprenne
son équilibre ».

22. C’est le titre de l’émission que fit, dans les années 1994-1995, un marabout sur
les ondes d’une radio de la bande FM.
23. Les termes par lesquels sont désignés les personnes et les actes relatifs à l’inter-
vention des marabouts sont toujours euphémiques.
246 LILIANE KUCZYNSKI

Marie ne compte plus ses déboires amoureux. Incapable de nouer une


relation durable, elle se demande si elle ne fait pas fuir les hommes... Décri-
vant sa situation, le marabout l’assure qu’elle n’a rien à se reprocher mais
qu’elle est victime d’un shejtan ; c’est la jalousie de celui-ci qui éloigne
tout homme ; le marabout met Marie en garde contre une aggravation de
son cas qui pourrait se traduire par des cauchemars.
Dernier exemple : Marie-Claude consulte pour son jeune fils : malgré
son envie de réussir, ses résultats scolaires sont désastreux. Il ne mémorise
rien, est très perturbé, il a honte de lui-même... Marie-Claude ajoute qu’elle-
même a eu autrefois des problèmes en Guadeloupe, pour lesquels elle a été
« soignée » et protégée... La divination du marabout montre que c’est en
fait à elle qu’« on » voulait s’attaquer, mais qu’en raison de la protection
dont elle bénéficie, l’action maléfique s’est répercutée sur l’enfant. Un
désenvoûtement s’avère indispensable.
Ces divinations émanant de marabouts différents appellent une consta-
tation majeure : dans l’univers maraboutique, le monde est en permanence
semé de dangers et la vie est « comme un champ de forces » (Blanchy
2006). Pour certains, présents en France de façon épisodique, le contexte
parisien n’influe pas sur cette vision ; pour d’autres, il ne fait qu’aggraver la
violence. La concentration incontrôlable, dans un même lieu, de populations
venant de multiples horizons, et la vulnérabilité d’une partie de celles-ci,
en raison même de leur totale méconnaissance des menaces qui les guettent,
font de Paris et des grandes villes en général les terrains privilégiés de
l’attaque maléfique. Il faut aussi noter qu’aux yeux de bien des marabouts,
Paris est un milieu souillé : souillure matérielle due à la promiscuité des
appartements parisiens qui empêche le respect des règles de pureté et d’évi-
tement, souillure due aux demandes excessives de certains clients, surtout
dans le domaine de l’amour, qui les forceraient à outrepasser certaines
limites de leurs pratiques en les poussant vers l’illicite24. Par ailleurs, des
récits circulent, racontant des rencontres avec des génies qui hantent certains
lieux de la ville (le métro, les foyers de travailleurs25). Paris est donc un
lieu menaçant et inquiétant — dont cependant certains marabouts maîtrisent
parfaitement les codes.
Le langage de l’attaque maléfique s’exprime, en français26, par un petit
nombre de termes récurrents. La notion centrale est celle d’« attachement » ;
une personne « attachée » est l’objet d’une action occulte qui en fait le jouet
de l’auteur de cet acte. Ainsi la divination du marabout Sow montre-t-elle
que son client a été « attaché » par son rival afin qu’il ne réussisse pas son

24. L’attachement excessif de leurs clients à un homme ou une femme qu’il s’agirait
de faire revenir à tout prix, ne manque pas de troubler bien des marabouts même
si, gagne-pain oblige, certains accèdent à ces désirs.
25. Dans l’islam maraboutique, les lieux souterrains, les seuils, les endroits très fré-
quentés tels les marchés sont les repaires privilégiés des génies.
26. C’est le français qui sert de lingua franca à la pratique maraboutique en France.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 247

permis de conduire. Inversement, c’est l’« attachement » que devra réaliser


le travail du marabout pour accorder deux associés, faire en sorte qu’une
femme ne regarde que son mari, qu’une mère aime son enfant, qu’un supé-
rieur accède aux désirs de son employé. Lorsqu’il s’agit d’une action malé-
fique, un synonyme d’« attachement » est le terme d’« empêchement ». Une
femme ne parvient pas à convaincre son ami de célébrer une union halâl :
celui-ci est « empêché » en raison de l’influence exercée par une rivale.
Mais d’autres expressions plus euphémiques décrivent cette situation : « Il
y a quelqu’un qui ne vous laissera pas tranquille » ou « Vous ne jouez pas
de vous-même » déclare Guirassy. Le résultat de ces actions est le « blo-
cage » ou le « barrage ». « On a tout fait pour bloquer votre avenir » : à
cette description de l’état de sa consultante auquel il annonce qu’elle est
victime d’un mauvais sort, le marabout ajoute : « C’est comme si vous étiez
emprisonnée ». Quant à cet homme qui s’éloigne de sa femme, il subit « un
blocage interne, il ne peut pas faire sortir ce qu’il a en lui-même ». Et cette
femme qui ne parvient pas à nouer de relation stable avec un homme : « On
dirait que quelqu’un parle à cet homme pour revenir en arrière et faire le
barrage. » La métaphore courante de l’ouverture ou de la fermeture des
portes est aussi fréquemment employée.
Même si les effets de l’action maléfique sont nettement décrits par les
marabouts, les termes employés, très imagés, sont donc assez courants. Ils
constituent comme un vocabulaire basique, minimaliste, de l’attaque occulte
qui s’applique aussi bien à la pratique maraboutique à Paris qu’à une sorcel-
lerie plus ancienne ou à des conceptions inspirées du new age. On retrouvera
ce nivellement lorsqu’on évoquera les causes du malheur.
Mais pour « œcuménique » qu’il soit, ce lexique renvoie cependant aussi
à des pratiques africaines et à des conceptions issues de la magie isla-
mique27. Ainsi « attacher » correspond à un acte magique bien connu en
milieu peul (pengal) : on fiche violemment un clou dans un arbre en pronon-
çant le nom de la jeune fille ou du jeune homme que l’on souhaite retenir.
Autre geste aux marges de l’islam : la fabrication, malgré son interdiction
dans le Coran28, de cordelettes de nœuds que certains marabouts serrent en
récitant incantations et versets coraniques et en prononçant le nom de la
personne à « attacher ». Enfin, très courant à Paris, l’usage d’un cadenas
spécialement « travaillé » dans lequel, en le refermant, on capture la per-
sonne de laquelle on obtiendra ainsi ce que l’on désire (l’amour, un stage,
etc.).

27. C’est d’ailleurs le terme « attacher » qu’emploient les lycéens dont les propos
et pratiques sont analysés dans GIBBAL (1974 : 641).
28. La sourate CXIII, 4, condamne les « souffleuses dans les nœuds ». Certains mara-
bouts utilisent cependant cette pratique, dont l’effet est censé être plus rapide
que la fabrication d’amulettes. On retrouve ici le souci du gain de temps imposé
par le contexte parisien — qui a cependant son revers car les actions rapides
sont réputées peu durables.
248 LILIANE KUCZYNSKI

BÉNIN, FON bòcy$́ POUR EMPÊCHER UN SUPÉRIEUR DE REVENIR


SUR LA FAUTE D’UN SUBORDONNÉ

bòcy$́, littéralement bò, objet dont la puissance est activée par un traitement parti-
culier et cy$́, enveloppe corporelle du mort, son cadavre.
bòcy$́ désigne toute représentation humaine sculptée, et est toujours considérée
comme une chose-dieu1, à la fois singulière mais reproductible, dont la puissance
tient plus à sa présence qu’à ses facultés de représentation.

1. Voir Jean BAZIN, « Retour aux choses-dieux », in C. MALAMOUD & J.-P. VERNANT
(dir.), Corps des dieux (Le temps de la réflexion), 7, pp. 253-273, 1986.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 249

BÉNIN, NAGÔ, bòcy$́ POUR TUER UN ENNEMI


250 LILIANE KUCZYNSKI

SUD-TOGO, EWE, bòcy$́ POUR UNIR UN COUPLE POUR LA VIE


MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 251

SUD-BÉNIN, AJA-FON, bòcy$́ POUR UNIR UN COUPLE POUR LA VIE


252 LILIANE KUCZYNSKI

Ainsi le vocabulaire le plus neutre, s’il peut avoir un effet unificateur


auprès d’une clientèle multiculturelle, se réfère néanmoins à des fabrica-
tions, des gestes et des paroles nettement identifiables. « Attacher », « attra-
per », « bloquer », « barrer » : ces actes, s’ils ne sont pas sans évoquer des
pratiques semblables dans bien des cultures, en particulier dans celles du
Bassin méditerranéen29, n’en révèlent pas moins une conception particulière
de l’univers et de la personne. Ni cosmologie bien ordonnée, ni hiérarchie
bien structurée de principes vitaux, c’est au contraire une série de représen-
tations très fluides qui fonde la pensée des marabouts et détermine leur
action. On ne peut entrer ici dans les nombreuses variantes selon la culture
propre de chacun, selon leur degré d’imprégnation musulmane. Mais dans
le fonds commun qu’ils partagent, le monde est peuplé de plusieurs catégo-
ries d’êtres qui gravitent entre les hommes et Dieu. Certains sont des anges
(malâ’ika) clairement identifiés dans la pensée musulmane : ainsi Jibrîl,
Mika’îl, Asrafîl et Arza’îl interviennent très régulièrement dans le travail
maraboutique et leur nom est très souvent inscrit sur les talismans. D’autres
forces au statut plus flou, nommées rawhân ou jinne30 agissent également
sur les hommes et la nature, puissances qui peuvent être bénéfiques ou
maléfiques, en particulier les anges déchus souvent nommés shejtan. Ces
êtres sont bien présents à Paris, comme on l’a vu plus haut. Les marabouts
ont des contacts privilégiés avec ce monde redoutable ; leur art, toujours
considéré comme dangereux, consiste à invoquer les plus bienveillants de
ces êtres afin qu’ils les aident à résoudre les problèmes qui leur sont soumis,
et à combattre les plus malfaisants, qui attaquent la personne31. Celle-ci
peut être « attachée » de différentes manières, en particulier en atteignant
une de ses composantes : son propre jinne, être ambivalent qui la fait agir.
C’est ce jinne que le marabout cherche à capter lors de la divination, c’est
lui qu’il « travaille » dans un sens favorable ou néfaste à la personne. C’est
en général par le nom32 de celle-ci que le marabout « attrape » son jinne.
Mais il est encore d’autres manières de toucher une personne : par des points
spécifiques de son corps, selon une anatomie ésotérique variable selon les
marabouts33, ou encore par des éléments physiques de ce corps, cheveux,
rognures d’ongle, qu’on pourrait prélever, ou encore par les traces qu’elle
pourrait laisser, empreinte de pas, eau dans laquelle elle se serait lavée,
trace manuscrite, enfin par tout objet lui appartenant. À Paris, les Africains
de l’Ouest qui partagent ces conceptions ne cessent de mettre en garde leurs

29. Qu’on pense, par exemple, au nouage de l’aiguillette, maléfice connu dans la
tradition européenne médiévale, visant à rendre un homme impuissant.
30. Version ouest-africaine de l’arabe djinn.
31. Mais dans certains cas particulièrement récalcitrants, lorsqu’il s’agit de faire du
mal, ce sont des djinns peu recommandables qui sont invoqués, avec une demande
de pardon faite à Allah, voir un exemple dans KUCZYNSKI (2007).
32. Il s’agit du nom propre de la personne et non de son patronyme.
33. Ils ne coïncident souvent pas avec les orifices du corps humain, et le degré
d’efficacité de chaque point (cerveau, os, moelle, etc.) varie selon les marabouts.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 253

amis français qui souvent en ignorent tout, contre des gestes anodins en
apparence qui pourraient leur nuire : oublier un vêtement, donner inconsidé-
rément son nom à une personne dont on n’est pas sûr...
Dans ce « champ de forces » que constitue l’univers, la personne est
donc soumise à une multitude d’influences, positives ou négatives, qui la
font agir. Même hors de toute atteinte caractérisée, elle est en permanence
sous surveillance, éminemment vulnérable. Son équilibre est toujours menacé,
toujours précaire. L’attaque occulte, quelle que soit sa cause, ne fait que
précipiter la victime dans le déséquilibre et la dépossession de soi : « Vous
êtes hors de vous-même », déclare Guirassy à une consultante dont il a
décelé l’envoûtement ; « Il est très perturbé dans sa personnalité, il est
décontenancé, il ne se sent pas à l’aise, ce n’est pas du tout de son vouloir »
ou encore « il perd sa conscience34, tout est fait pour le déstabiliser, pour
le rendre inexistant », dit-il d’un homme atteint par un mauvais sort. Cette
fragilité quasiment structurelle de la personne explique la multiplicité et
l’intensité des attaques dont elle peut être l’objet.
Mais quels sont, à Paris, les agents de ces actions occultes ? Si l’on
compare l’éventail des causes de malheur évoquées par les marabouts en
Afrique de l’Ouest avec celles qui prévalent en France, on constate que
certaines sont en voie de disparition. C’est le cas en particulier de l’action
néfaste de la lune, des étoiles ou du vent, c’est-à-dire de la nature elle-
même, dont il est fait peu de cas à Paris. Il en est de même pour la trans-
gression d’un interdit, sans doute en raison de la variété des systèmes de
référence dont les marabouts perçoivent l’existence chez leurs consultants.
Les sorciers « mangeurs d’âme », êtres mauvais en eux-mêmes35, sont éga-
lement assez rarement incriminés ; d’ailleurs les termes de « sorcellerie »,
« ensorcellement » font très peu partie du vocabulaire des marabouts pari-
siens. Seuls quelques marabouts mettent en avant ces sorciers dont il font
une cause redoutable et fréquente de malheur, en les comparant sans ambi-
guïté à des vampires ; ainsi l’un d’eux reproduit à Paris comme aux Antilles,
où il a fait de fréquents séjours, un cadre sorcellaire directement issu de
sa culture peule ; pour lui, c’est une même entité maléfique nocturne et noire
qui peut sévir en tout lieu, qu’on la nomme sukunya en pular, « sorcier » en
français, « engagé » ou « mauvais vivant » aux Antilles36. Cette éclipse des
sorciers en milieu urbain a déjà été maintes fois remarquée (Fassin 1992 :
139 et sq.)37, attribuée notamment à l’affaiblissement, dans ce cadre, des
régulations lignagères, à l’islam qui les combat, au poids de la justice
moderne. Concernant Paris, il est vrai que ceux des marabouts qui évoquent
les sorciers sont parmi les moins islamisés. Mais outre ces explications, il
faut noter des glissements de vocabulaire entre sorcellerie et envoûtement,

34. C’est-à-dire qu’il n’est plus conscient de ce qu’il fait.


35. Au sens de la witchcraft d’Evans-Pritchard.
36. Il faut noter que le terme de soucougnan est employé dans ce sens aux Antilles,
voir HENRY VALMORE (1988 : 72).
37. L’auteur évoque le milieu dakarois.
254 LILIANE KUCZYNSKI

finissant souvent par rendre les termes presque synonymes ; on constate


aussi que les définitions sont très flexibles, qui montrent un chevauchement
de ces causes plutôt qu’une coupure tranchée entre elles. En outre, il apparaît
que l’imaginaire de ceux qui évoquent les « sorciers » ne correspond pas
exactement aux descriptions traditionnelles de ces entités : ne s’agit-il pas
plutôt de voir dans leur présence en ville, loin du maintien d’un ordre social,
le désordre, l’inconnaissable qui fait de son voisin, du passant, de tout cita-
din un « vampire » potentiel ? N’est-ce pas plutôt une intense inquiétude
face à la grande ville qui se traduit ici ? L’imaginaire semble avoir été lui-
même travaillé par l’univers parisien.
Cependant d’autres causes du malheur sont plus fréquemment mises en
avant, telle l’action maléfique des génies et des anges, jinne ou shejtan,
dont on a évoqué plus haut la présence à Paris. L’un des arguments à l’appui
de ce diagnostic est l’existence de mauvais rêves qui assiègent le consultant.
Un étudiant expose son angoisse permanente, les cauchemars qu’il fait
depuis de nombreuses années, sa thèse de doctorat qu’il ne parvient pas à
terminer ; pour le marabout qu’il consulte, c’est shejtan qui réfléchit, qui
réagit à sa place et le pousse vers la folie. Même interprétation pour cette
femme qui vient d’être quittée par un homme qu’elle aimait : c’est son
propre jinne (mâle) jaloux qui éloigne d’elle tout homme. L’échec de nom-
breux mariages est expliqué en ces termes. L’existence de ces jinne est un
grand classique de la magie islamique, et le Coran en fait l’une des trois
causes du mal38.
Le malheur peut aussi être attribué au destin, à la chance de la personne,
instable par nature39 : « Le destin d’une personne, c’est en escalier », déclare
Diaby. Cette cause, qui ne repose sur aucune action occulte mais révèle la
main d’Allah, n’en a pas moins les mêmes effets néfastes que les autres :
c’est à une « chance qui a tourné », une « malchance », une « dispersion de
chance », « comme les grains de mil qui s’éparpillent », précise Gassama,
qu’Alain doit les problèmes qu’il rencontre actuellement dans son travail.
Mais la raison qui l’emporte de loin est le mal fait par un tiers humain.
Être victime d’un mauvais sort ou d’un « envoûtement » causé par l’envie
qu’éprouve autrui est l’explication la plus fréquente de toutes sortes de
désordres, qu’il s’agisse d’un projet qu’on ne parvient pas à réaliser, d’une
déception amoureuse, d’un emploi qu’on ne trouve pas, d’une mauvaise
ambiance entre collègues40. La jalousie survient toujours sans que la victime
soit en rien responsable : « Vous ne le méritez pas, vous avez rendu beau-
coup de services aux gens », « Il y a des personnes qui, dès que vous tournez
le dos, vous mettent le couteau derrière », insiste Guirassy. Elle peut avoir
un motif discernable : la rivalité entre femmes au sujet d’un même homme,

38. Sourates CXIII et CXIV.


39. En arabe, l’une des désignations du malheur est banât giyar (filles des vicissi-
tudes du sort) (SUBLET 2003 : 286).
40. C’est ce type de cas que l’on désigne au Sénégal par « maraboutage ».
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 255

la compétition entre deux personnes à propos d’une promotion, par exemple ;


elle peut aussi ne trouver aucune explication claire : « Même si vous êtes
habillée le plus simplement du monde, vous avez des problèmes avec les
femmes », remarque Diallo. Vulnérable et fragile par nature, la personne
l’est aussi parce qu’elle ne peut maîtriser les effets de son comportement :
l’ostentation (ne pas cacher son bonheur, sa réussite) éveille irrémédiable-
ment l’envie, tout comme son contraire, la discrétion. Et c’est à une déstabi-
lisation et à une dépossession de soi encore plus grandes de cet individu
fragile que parvient l’attaque occulte.
Les mauvais sorts, l’« envoûtement » qui résultent de l’envie s’expri-
ment de diverses manières : directement par le regard et les paroles de la
personne malintentionnée ; on connaît bien le « mauvais œil », source de
tous les dangers, la « mauvaise bouche » qui met en péril la réputation d’un
homme ou d’une femme. Mais le plus souvent, c’est par la médiation d’un
marabout ou d’un autre spécialiste que le sort est lancé ; les vecteurs essen-
tiels en sont la nourriture et la boisson, tout aliment pouvant receler des
substances maléfiques41. Mais à Paris, il est aussi très fréquent que les sorts
soient forgés à partir du nom de la personne à atteindre et consistent en
incantations prononcées à distance.
La palette des raisons du malheur que mettent en avant les marabouts
parisiens est donc riche, même si elle s’est réduite au regard du contexte
africain ; rappelons que dans le Coran, seules trois causes du mal sont
dénoncées : la nature, les hommes, les génies. Quant aux spécialistes de la
ruqiya42, ils retiennent, pour leur part, également trois causes : la sorcellerie,
le mauvais œil, les djinns, les symptômes de chacune étant précisément
décrits. S’agissant des marabouts, cette diversité peut s’expliquer par le
maintien, à Paris, de certains schémas vivifiés et remodelés dans ce nouvel
espace, comme on en a vu un exemple à propos des djinns, et même, dans
une moindre mesure, avec les sorciers. Elle trouve aussi sa source dans la
rotation rapide des marabouts, dont certains arrivent tout droit d’Afrique en
connaissant peu de choses du contexte parisien. La culture propre à chacun
joue aussi son rôle, introduisant des choix individuels. Il semble donc diffi-
cile de donner une interprétation univoque de cette variété des causes.
Cependant on doit noter une certaine uniformisation du vocabulaire employé
pour les exprimer, phénomène analogue à celui déjà constaté pour la qualifi-
cation de l’action occulte. Ce nivellement va jusqu’à l’emploi d’un vocabu-
laire de style new age, certains marabouts parlant d’« une espèce d’esprit »
et de « mauvaises ondes », ou d’« ondes négatives » pour évoquer aussi bien
le maléfice de djinns que l’action néfaste d’un tiers. S’agit-il d’un ajuste-
ment stratégique à la clientèle, d’une preuve supplémentaire de la fluidité

41. Voir remarque identique à propos de l’action maléfique en milieu camerounais


parisien dans BOULY DE LESDAIN (1994 : 158).
42. D’après le manuel signalé ci-dessus.
256 LILIANE KUCZYNSKI

des catégories d’analyse ? Ou d’une véritable évolution de celles-ci ? Ici


encore, une réponse unique ne semble pas s’imposer.
Il n’en reste pas moins que de toutes les causes d’infortune, les attaques
humaines dues à l’envie se détachent nettement. Ce fait est particulièrement
marqué lors des consultations radiodiffusées, comme si cette cause d’infor-
tune constituait une base commune aux différents auditeurs fréquentant l’an-
tenne. Comment expliquer cette prééminence ? Comme on l’a déjà noté, les
problèmes soumis aux marabouts ont tous un point commun : ils témoignent
de la déstabilisation de la personne, de sa fragilisation. Cet état intime entre
particulièrement en correspondance avec la précarisation sociale quotidien-
nement subie ou violemment redoutée par un nombre croissant d’habitants
de la France contemporaine, qu’il s’agisse du domaine de l’emploi ou de
celui des sentiments et de la famille. Les règles du travail comme les formes
de rapport à autrui43 sont en plein bouleversement, menaçant les vies indivi-
duelles. Sans doute, dans la société contemporaine, les situations de lutte,
de concurrence avec des semblables ayant les mêmes besoins et les mêmes
désirs que soi, sont-elles si fréquemment vécues qu’elles suffisent à désigner
ces rivaux comme cause de toutes les difficultés. Sans doute aussi, dans
une société qui proclame l’égalité des chances, la réussite de certains attise
t-elle avec plus d’acuité l’envie.
Qui sont ces semblables qui, par leurs paroles, par leur regard ou par
la médiation d’un spécialiste, causent le malheur ? La famille reste le grand
creuset des maléfices — famille restée au loin pesant sur l’immigré qui
semble s’émanciper, mais aussi ancienne épouse ou ancien ami d’un homme
ou d’une femme ayant reformé un nouveau couple, parents s’immisçant dans
la vie de leurs enfants, et tout degré de parenté : « Les proches sont devenus
les ennemis no 1 », constate un marabout diagnostiquant le mauvais sort
dont est atteinte sa consultante. Mais la proximité dépasse largement ce
cadre : collègues de travail, voisins, relations de toute nature peuvent être
incriminés. La rivalité s’exprime aussi de façon plus générale et c’est, au-
delà même de l’entourage direct, de tout lien identifiable, chaque membre
de la société qui peut être suspecté, qu’il soit désigné par un singulier :
« on », « une personne », ou par un collectif : « les gens », « tout le monde ».
Expliquer cette généralisation par un procédé d’euphémisation ou de
métaphorisation classique dans la dénomination du malheur44 et des pra-
tiques qui lui sont liées n’est pas suffisant. Il semble plutôt que ces désigna-
tions très larges visent à intégrer dans un même ensemble tous les citadins
sans distinction, de les sortir d’un inconnaissable inquiétant pour en faire
les partenaires potentiels d’une compétition pour laquelle les marabouts sont
supposés armer leurs consultants. On a là une manière assez paradoxale de
faire sentir que tous les habitants d’un même lieu, et au-delà, sont liés dans
la concurrence et la lutte, une manière paradoxale de « faire société ».

43. Dont l’une des formes est la fragilité des couples.


44. Voir à ce sujet SUBLET (2003) qui commente 72 métaphores désignant le malheur
en arabe.
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 257

Formes et buts du « travail » maraboutique

Il est impossible, dans le cadre de cet article, de décrire en détail tous les
procédés mis en œuvre par les marabouts pour la seconde phase de l’action
qu’ils proposent : réduire l’infortune après en avoir déterminé la cause. Pré-
cisons que, de même que certains consultants se contentent d’une divination,
d’autres ne se soucient guère de cette première phase et sont entièrement
tendus vers la résolution de leur problème.
On se contentera de mentionner la fabrication de diverses formes de
talismans pour laquelle plusieurs types de connaissance sont nécessaires :
celle des moments favorables, celle des noms d’Allah, d’anges et de djinns
à invoquer, celle des versets à utiliser, à écrire, celle des procédures ésoté-
riques de calcul (abadjada), celle des végétaux et matières minérales ou
animales à adjoindre aux écritures. À propos de l’écriture, il faut noter que,
de même que les djinns sont réputés agir sur la personne, en bien ou en
mal, de même les versets et la lettre coranique sont, dans l’occultisme
musulman, réputés capables de mouvoir le monde et ses créatures. La part
de l’écrit et celle des autres matières est variable selon les marabouts.
Comme on peut s’y attendre, le milieu parisien n’est pas toujours favorable
à ces créations artisanales et les marabouts s’efforcent, parfois avec diffi-
culté dans bien des domaines, de pallier le manque de tel produit, de telle
plante45. L’une des évolutions les plus marquantes à Paris est la prédomi-
nance de l’écrit sur l’usage de matières introuvables dans ce contexte.
Les mêmes procédés sont utilisés pour confectionner non des talismans
à porter sur soi, à placer dans tel endroit de sa maison, à jeter dans l’eau
courante, ou encore à brûler, mais des lotions (« bains ») que le consultant
doit se passer sur le visage ou le corps selon les cas, et plus rarement des
potions.
Le « travail » comporte aussi la prescription faite au consultant d’of-
frandes sacrificielles (sadaqa), pratique fréquente mais seulement tolérée
par l’islam. Le but de ce sacrifice est de « donner la route », d’« accélérer
le processus ». Ainsi Sakho propose-t-il à sa consultante qui ne parvient
pas à obtenir un prêt immobilier d’apporter à la mosquée de Paris trois
kilos de sept fruits différents ; mais la destination de l’offrande peut sortir
totalement d’un contexte musulman. Dans le domaine du sacrifice, l’évolu-
tion du rituel est sensible : tenant compte de la législation française en
matière d’abattage, de l’horreur du sang que manifestent la plupart de leurs
clients d’origine française, de la difficulté à se procurer un animal vivant
en ville, de nombreux marabouts remplacent le sacrifice animal (coq, mou-
ton) par celui de fruits, de lait, de tissu, de papier, d’argent46. L’établisse-
ment des équivalences s’accompagne d’une certaine spiritualisation, où plus

45. Sur le contenu des talismans et des textes employés, voir HAMÈS (1997).
46. Toutes matières qui, par ailleurs, sont bonnes à sacrifier : c’est en principe la
divination qui indique le type d’offrande nécessaire.
258 LILIANE KUCZYNSKI

que le don lui-même, c’est l’intention du sacrifiant (niyya), le sentiment


intérieur qui est valorisé. Cette tendance est décelable aussi dans la destina-
tion du sacrifice, qui tend à se confondre avec une simple « charité », terme
d’ailleurs fréquemment employé par les marabouts. Cependant certains
d’entre eux imposent coûte que coûte la matérialité du don, l’exactitude des
gestes rituels. On assiste donc, à Paris, non à une évolution linéaire du rituel
vers moins de substance et plus d’individualisation mais au maintien de
tendances contraires. Cette dynamique semble être au fondement du succès
des marabouts à Paris, de façon globale et dans la « carrière » de chacun
d’eux : elle repose sur un subtil équilibre entre une « naturalisation » des
pratiques — phénomène qu’on a pu souligner plus haut à propos du nivelle-
ment du vocabulaire utilisé — et la persistance de gestes, de schémas inter-
prétatifs directement venus de la culture islamo-africaine des marabouts,
persistance jouant un rôle non négligeable dans la distanciation exotique
recherchée par certains consultants français.
Enfin ces talismans et ces sacrifices ne sauraient être efficaces sans les
prières nocturnes que les marabouts doivent réciter, dans des endroits puri-
fiés. Le choix des versets et invocations utilisés pour chaque cas, ainsi que
le nombre de récitations nécessaires sont la partie la plus secrète et la plus
personnelle de leur « travail ». Comme dans le soufisme, la prononciation
même des prières vaut plus que leur sens. Ici encore le contexte parisien
a modifié la pratique, et la réclusion (khalwa) de plusieurs jours dans un
endroit isolé, loin de toute souillure, assortie d’un jeûne, pendant lequel le
marabout doit passer la continuité de son temps en prières, est en voie
de disparition.
La signification de tous ces gestes n’est en général pas donnée au consul-
tant, seul compte le respect scrupuleux du rituel et des indications prescrites.
Ce mystère qui entoure toutes les pratiques magico-religieuses laisse toute
latitude pour un cheminement parallèle, une invention personnelle du sens
— possibilité particulièrement bienvenue dans le cas d’une clientèle multi-
culturelle comme l’est celle des marabouts.
Il semble inutile de souligner ce que ce « travail » maraboutique peut
avoir en commun avec d’autres pratiques de délivrance des sorts ou de
guérison, tant contemporaines que plus anciennes. Il nous semble plus inté-
ressant d’analyser la façon dont les marabouts évoquent leur « travail », qui
en révèle mieux le fondement.
Les termes utilisés pour qualifier le « travail » sont les antonymes de
ceux employés pour l’action occulte : le « travail » vise à « débloquer la
chance », « enlever le blocage de ce qu’on a jeté sur [lui] ». Plus profondé-
ment, il s’agit de « dégager », de « nettoyer la personne », de la « séparer »
des influences néfastes qu’elle a subies : l’attaque occulte est une souillure
dont il faut purifier l’individu. Puis il est nécessaire de réaliser une « protec-
tion », un « blindage », un « mur de défense » autour d’elle pour la rendre
inattaquable. C’est principalement le corps de la personne, par les amulettes
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 259

portées très serrées contre la poitrine ou autour du cou, par les bains puri-
ficateurs et protecteurs, qui est le support de ce travail de délivrance.
Les expressions employées pour définir ces actions évoquent tout à fait la
représentation du corps-forteresse qu’on trouve chez Ghazzâli, auteur du
e
XII siècle dont la pensée a amplement influencé les pratiques marabou-
tiques : comme une forteresse assiégée, il doit être défendu contre ses enne-
mis et ses portes doivent être gardées.
Bien sûr, selon une dialectique subtile du bien et du mal, l’« attache-
ment » qui a été réalisé contre la personne du consultant pourra être réalisé
à son profit sur une tierce personne. Ainsi Sakho propose à Myriam de
fabriquer un cadenas pour « attacher » sa maîtresse de stage qui refuse
depuis des semaines de lui signer son contrat.
Enfin le travail vise à restaurer l’« équilibre » et la « stabilité » de la
personne, anéantissant l’effet des accidents et des désordres qui bouleversent
sa vie. Ce souci de la personne elle-même explique que les marabouts
détournent leurs consultants du désir de connaître l’auteur du maléfice qui
les accable — l’un des autres objectifs de cette position étant, bien sûr, la
médiatisation de la violence : « Il vaut mieux s’occuper de la personne que
de savoir qui a fait ça », affirme Guirassy. Sans doute, aussi, ce repli est-
il une conséquence de la difficulté, dans le contexte complexe d’une grande
ville, à déterminer un coupable alors que chacun appartient à des réseaux
multiples de relations. Centrer l’action sur la personne n’empêche cependant
pas la prise en compte de tout son entourage : à travers elle, il s’agit, comme
le dit encore Guirassy, de « maintenir des familles au bord de l’éclatement ».
Cette restauration repose, en outre, sur un art de la « mesure » et de la
« limite » : faire un usage immodéré d’un « bain », de même que, pour le
marabout lui-même, accéder aux demandes excessives de certains clients47
risque d’avoir un effet contraire au but recherché. On retrouve ici les pro-
priétés bien connues du pharmacon, à la fois bénéfique et maléfique.
Même si, dans la réalité de leur comportement, certains consultants se
montrent sourds à cette mise en avant des limites et avides d’assouvir coûte
que coûte leur désir, on peut apprécier combien ces termes d’« équilibre »,
de « stabilité », de « mesure » appliqués à la personne, entrent en résonance
avec les buts de maintes pratiques contemporaines visant le bien-être indivi-
duel et le développement personnel.
Mais, au-delà de cet idéal de restitution de soi et de resocialisation, c’est
une personne bien particulière qui se profile derrière le « travail » marabou-
tique, une personne dont la réussite personnelle est considérée comme légi-
time. C’est d’abord l’entreprise individuelle qui est valorisée : « Vous n’êtes
pas fait pour travailler et attendre quelque chose à la fin du mois », assure
Diaby à sa cliente qui veut ouvrir un commerce, entendant par là que l’initia-
tive, l’autonomie, l’audace sont préférables au salariat ; Gassama va plus loin

47. Ce que, cependant, certains marabouts, pris par la pression de la clientèle et du


marché, ne manquent pas de faire.
260 LILIANE KUCZYNSKI

dans ce sens : « Vous êtes fait pour gouverner, pas pour être commandé »,
assène-t-il à son consultant dont tous les projets échouent. Notre marabout
médiatique fournit, quant à lui, une explication très éclairante des malheurs
qui lui sont soumis, qu’il attribue à l’envie :
« Quelqu’un qui commence à briller, tout marche bien pour la personne et un
moment on est très jaloux de cette personne, on passe par des travaux occultes pour
bloquer sa chance [...]. » « Il faut accepter la volonté de Dieu, il faut savoir que
quand quelqu’un est en avance, c’est le Dieu qui lui a donné cette chance, il ne
faut pas que je lui en veux pour lui faire du mal et pour stopper sa chance [...]. »

Ne trouve-t-on pas ici, dans l’islam des marabouts, un écho des thèses
défendues par Weber (1989) dans L’Éthique protestante et l’esprit du capi-
talisme, l’originalité étant que la sorcellerie est la ressource de ceux qui ne
sont pas élus autant que de ceux qui le sont ? De fait, la recherche de
protection contre cette sorcellerie qui pourrait « faire descendre » l’individu
est une constante très contemporaine dans la clientèle de bien des spécia-
listes de l’occulte, tels ces chamanes coréens étudiés par Kendall (1996)
dans un article au titre très évocateur.
Mais cette attention portée à la personne nous oriente également vers
un autre rôle du « travail » maraboutique.

Vers un autre rôle

Dans la conception maraboutique, la personne est soumise à des forces qui


peuvent être sources de malheur, et l’on a vu l’éventail de celles qui étaient
diagnostiquées à Paris. Pourtant toutes ces sources ne sont pas qu’exté-
rieures à l’individu. Lui-même peut être mis en cause. Ainsi, à une femme
anxieuse de savoir si son mari va revenir, Touré répond : « Tout dépend
de vous. » À une consultante dont le couple se défait, Guirassy assène :
« Il faut vous calmer. Vous êtes l’auteure de ces perturbations », démentant
nettement l’interprétation que celle-ci veut entendre et qu’elle suggère : il
y aurait « quelqu’un » — un ensorcellement — entre elle et son mari. Ici
encore, chaque marabout a sa propre panoplie de causes, reposant sur des
cultures individuelles, sur des analyses personnelles des attentes de leurs
clients ; certains marabouts sont plus enclins que d’autres à souligner le
rôle du consultant lui-même et de sa subjectivité comme source première
de ses difficultés. Touré va même jusqu’à se gausser de ses propres col-
lègues qui ne parlent que de shejtan ou de sort. Mais en examinant de près
le dialogue qui s’instaure dans les consultations, on constate que souvent
plusieurs causes sont évoquées en même temps. Ainsi à un homme que sa
femme veut quitter après 20 ans de mariage, Dabo répond que cette dernière
est sous l’influence d’une tierce personne et qu’il va « faire quelque chose »
pour qu’elle change d’avis : mais il demande aussi à l’homme de réfléchir,
de changer d’attitude à son égard... Chez Anna qui échoue aux examens
MARABOUTS OUEST-AFRICAINS EN RÉGION PARISIENNE 261

alors qu’elle travaille beaucoup, Mohammed diagnostique un « blocage »


dû à son entourage... mais il ajoute : « Vous êtes stressée, je vous demande
de vous tranquilliser... » C’est donc souvent un langage aux voix multiples
que tient le marabout, où la mise en cause d’un tiers n’exclut pas la prise
en compte d’un individu responsable de ses propres actes.
Il paraîtrait abusif d’attribuer l’émergence de telles causes au contexte
parisien puisqu’elles existent depuis longtemps dans les villes africaines.
De même, il ne paraît plus très pertinent, du moins plus très actuel de
considérer, comme le fit naguère Augé (1975), que le passage de la
« conception persécutive » à la « culpabilité individuelle » s’explique par la
modernité et l’urbanisation. Comme le montrent de récentes analyses
menées dans les villes africaines (Marie 1997a), le fait saillant est au
contraire la variété et la coexistence des systèmes de référence. C’est bien
cette même tension que l’on peut constater à Paris, démentant toutes les
conceptions trop linéaires de l’évolution des sociétés.
Mais cette mise en exergue du sujet individuel, contribue aussi à modi-
fier le rapport entre le consultant et son marabout, et à conférer à ce dernier
un nouveau rôle : celui non plus (ou non plus seulement) de devin capable
de réduire l’infortune, mais de négociateur et de conseiller. Le temps des
consultations parisiennes est émaillé d’exhortations intimées sur un ton
d’autorité : « Ne vous laissez pas abattre », ou : « Je vous demande de ne
pas vous inquiéter, mettez-vous dans votre tête que vous allez réussir », ou
encore : « Gardez confiance en vous ». Certains conseils sont même pro-
digués hors de toute divination : « Ce n’est pas une question de médium-
nité », dit Touré, qui donne à sa consultante des arguments pour qu’elle
réussisse à obtenir de son ami un mariage halâl, fait à cette jeune fille des
remontrances sur ses mauvaises relations avec son père à propos d’un héri-
tage, incite cette jeune femme à abandonner sa relation avec un homme
marié. Il s’agit parfois simplement de désamorcer une crise : « Vous ne
souffrez pas très gravement, ce n’est pas tellement dramatique » remarque
Gassama. Sans trouver des causes occultes à chaque question qui leur est
soumise — et résistant parfois, en cela, aux pressions de leurs clients —
les marabouts se font les médiateurs d’une morale sociale issue de l’islam48,
jouent les rôles de conseillers et de consolateurs : « Il y a des gens qui ne
supportent pas leur problème, il faut les rassurer, les consoler » dit Diaby
qui ajoute : « Partager sa douleur, en parler, c’est déjà un pas vers la solu-
tion. » Même les marabouts du cabinet médiatique disent offrir « le côté
humaniste, un regard, une écoute, un conseil moral pour atténuer la dou-
leur »49. Qu’il soit bien ou mal assumé par les marabouts, ce rôle d’« écou-
teur »50 que leurs consultants leur font jouer à Paris n’est pas négligeable,

48. Morale parfois assouplie au regard de la stricte norme islamique.


49. 1995, sur les ondes de la radio France-Maghreb.
50. Rôle qu’on ne peut confondre avec celui d’un psychothérapeute, quel qu’il soit,
même si ce rôle de conseiller repose partiellement sur une fine observation des
gestes, des dires du consultant.
262 LILIANE KUCZYNSKI

au point que certains se plaignent d’être désormais consultés par leurs clients
à tout propos...
On pourrait certes dire que, venus à Paris pour « voir quelque chose »
et y gagner leur vie, les marabouts retrouvent dans ce nouveau contexte la
fonction de négociateur et de régulateur de conflits qui est aussi souvent
la leur en Afrique ; ce rôle déborde celui de voyant dans lequel ils se sont
coulés dès leur arrivée en France. Mais cette interprétation est incomplète
car le fait marquant est que cette demande d’écoute et de conseil leur est
faite par des consultants de toutes origines. Ainsi ce que Marie, jeune femme
française, retient des marabouts qu’elle a longuement fréquentés à la suite
d’un chagrin d’amour, ce n’est ni les divinations, ni le « travail » qu’ils ont
fait pour elle — travail envers lequel elle a d’ailleurs eu souvent un recul
critique —, mais précisément les contacts chaleureux, les discussions, la
disponibilité, la compassion, les encouragements.
Dans la France contemporaine, où la fragilité, l’instabilité marquent les
vies ordinaires, ce rôle joué par les marabouts — par eux mais aussi par
bien d’autres personnages51 — semble traduire le fort besoin d’instances
médiatrices (ou de relais de médiation), médiations plus légères, plus impro-
visées, plus fugaces que les institutions existantes.

Laboratoire d’anthropologie urbaine, CNRS, Paris.

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R ÉSUMÉ

Venus dans les villes françaises dès les années 1970, les marabouts ouest-africains
y ont trouvé un cadre propice aux pratiques de divination et de recours contre l’infor-
tune qui étaient les leurs dans les villes africaines. La plupart d’entre eux ont tenté
de faire de cette activité leur gagne-pain, en touchant parfois très volontairement
une clientèle multiculturelle. L’objet de cet article est d’analyser le champ des
compétences qui leur sont prêtées à Paris et l’évolution des schémas explicatifs du
malheur qu’ils proposent à leurs consultants. À côté de leur rôle de devin et d’inter-
cesseur, c’est celui d’écouteur et de conseiller qui apparaît de plus en plus nettement.

A BSTRACT

Attachment, Block, Protection. Some Aspects of Witchcraft amongst West-African


Marabouts in the Paris Region. — The first marabouts immigrated to the french
cities in the seventies, coming from West-Africa. In this new environment they found
a favourable context for the divinatory practices and the providing of remedies against
misfortune that they already carried out in african cities. Most of them tried to make
this activity into a job and reached deliberately clients of all origins. The purpose
of this article is to examine the extent of their interventions in Paris and the modifica-
tions in the interpretations of misfortune that they propose to their clients in this
cross-cultural context. Beside their role of prophets and of specialists interceding
with Allah and the jinns, the role of listener and counsellor that they also assume
is becoming more and more obvious.

Mots clés/Keywords : Paris, guérisseur, malheur, marabout, médiation, sorcier/Paris,


healer, misfortune, marabout, mediation, sorcerer.

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