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PN-Polemique Melanges NE

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Société Francophone Nutrition Clinique et Métabolisme

Pratiques en nutrition

Polémique : l’utilisation des mélanges


semi-élémentaires en nutrition entérale

Didier Barnouda, Dominique Darmaunb,c, Adam Jirkabb,*,c


a
Unité transversale de nutrition, service de nutrition clinique intensive, hospices civils de Lyon, centre
hospitalier Lyon Sud, 69495 Pierre-Bénite cedex, France
b
Équipe transversale d’assistance nutritionnelle, institut des maladies de l’appareil digestif, hôtel-Dieu,
CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France
c
UMR 1280 physiologie des adaptations nutritionnelles, Inra, hôtel-Dieu, université de Nantes, 44093
Nantes cedex 1, France
Reçu le 1er mars 2017 ; accepté le 12 mars 2017

2017
Résumé

Les mélanges semi-élémentaires de nutrition entérale sont définis par rapport aux mélanges
polymériques de petits peptides (au lieu de protéines entières) et d’une forte proportion de triglycérides
à chaînes moyennes (au lieu de triglycérides à chaînes longues). Leur digestion facilitée est censée
favoriser l’absorption intestinale et améliorer l’efficacité de la nutrition entérale dans les situations
où l’hydrolyse des protéines est compromise : insuffisance pancréatique exocrine, pancréatite aiguë,
nutrition en site jéjunal, duodénopancréatectomie, absence de flux biliaire, syndrome de grêle court.
Si quelques études suggèrent une tolérance satisfaisante au cours des pancréatites et une meilleure
absorption azotée en nutrition jéjunale ou au cours du syndrome de grêle court, les preuves irréfutables
et les études contrôlées manquent. L’utilisation de ces mélanges pauvres en triglycérides à chaînes
longues pour réduire la production de lymphe d’origine mésentérique justifie leur utilisation dans les
épanchements chyleux. En revanche, il n’y a pas de preuve d’un effet trophique ou anti-inflammatoire
supérieur aux mélanges polymériques dans les pathologies inflammatoires intestinales. Leur osmolarité
accrue expose au risque de moindre tolérance digestive, la forme de l’apport azoté expose à un risque
de moindre gain protéique. Au total, bien qu’apparus dans les années 1980, il n’existe, à ce jour, pas de
preuve décisive des avantages des mélanges semi-élémentaires ; ils ont probablement une indication
limitée dans les épanchements chyleux et dans certaines situations de malabsorption, ou encore, en
seconde intention en cas d’inefficacité des mélanges polymériques, mais ces indications ne reposent
que sur des avis d’experts.
© 2017 Association pour le d´eveloppement de la recherche en nutrition (ADREN). Publi´e par Elsevier Masson
SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : adam.jirka@chu-nantes.fr (A. Jirka).

http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2017.03.005
0985-0562/© 2017 Association pour le d´eveloppement de la recherche en nutrition (ADREN). Publi´e par
Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.
L’usage des solutés semi-élémentaires est l’objet de polémique et d’habitudes parfois très ancrées. Le
Comité éducationnel et de pratique clinique (CEPC) a demandé à deux praticiens de développer leurs
arguments en faveur ou en défaveur de leur utilisation, en se basant sur les données de la littérature.
Le docteur Didier Barnoud, le Professeur Dominique Darmaun et le docteur Adam Jirka ont accepté le
défi et détaillent ici leurs argumentaires, l’un pour (D.B.) et les autres contre (D.D., A.J.). Le CEPC a
finalement relu et validé ce document qui fait partie des « référentiels pour la pratique clinique en
nutrition » de la société.

Argumentaire pour les mélanges semi-élémentaires en nutrition entérale

Les mots clés utilisés pour la recherche bibliographique étaient les suivants : elementary diet/peptides
diet/oligomeric enteral diet/semi-elemental formula/semi-elemental enteral nutrition/peptides based
enteral nutrition.

Introduction

Le concept de mélanges nutritifs de type « semiélémentaires » (MSE) apparaît dans la littérature


médicale Q2 entre 1975 [1] et 1980 [2], y compris en pédiatrie [3]. Ce concept s’inscrit comme une
évolution, après le développement, aux États-Unis surtout, de « diètes élémentaires » : mélanges
d’acides aminés libres, mélanges de di- et oligosaccharides de faible poids moléculaire. En effet, ces
mélanges nutritifs, réalisés à l’époque extemporanément à partir de poudres (ex : Vivonex®, Alburone®),
ont pour limites une osmolarité élevée et une présentation biochimique qui n’est finalement pas adaptée
à l’absorption entérocytaire puisqu’on sait que les acides aminés sont absorbés principalement
sous forme de dipeptides [4]. Parallèlement, des huiles à base de triglycérides à chaînes moyennes
(TCM) (exemple : Liprocil®) étaient utilisées pour permettre l’absorption intestinale de lipides sans
émulsification et sans besoin d’une activité lipasique endoluminale ; mais les TCM n’incluent pas les
acides gras essentiels.
Le principe fondateur des MSE était la facilitation, donc l’amélioration de « l’absorption » des nutriments.
Les MSE se placent donc entre la formulation des mélanges polymériques dits standards et les
formulations dites « élémentaires » ; la spécificité principale qui distingue chaque catégorie concerne
avant tout le degré d’hydrolyse des protéines du mélange :
 rotéines entières dans les mélanges polymériques (protéines du lactosérum et caséine, et parfois protéines
p
de pois) ;
petits peptides dans les MSE ;
acides aminés libres dans les produits dits élémentaires.

Les MSE ont ensuite été développés par l’industrie de la nutrition médicale en mélanges prêts à
l’emploi, dans les années 1980, pour les adultes (Tableau 1) et en poudre pour les enfants et nouveau-
nés (laits de type semi-élémentaire). Ils sont caractérisés logiquement par une proportion du contenu
en triglycérides où les acides gras sont majoritairement de type chaîne moyenne (de 50 à 70%sauf
une des références où le pourcentage de TCM n’est que de 35 %). Ils sont bien sûr dépourvus de toute
fibre alimentaire.
Tous, sauf une des marques, ont un contenu protéique considéré comme « standard » (de 37,5 à 45 g/L),
soit en pourcentage de l’apport énergétique total, de 15 à 18 % ; deux des produits disponibles existent
dans une variante hyperprotéique (20 %, soit 66 g/L) et une version « soins intensifs » avec 25%de
protéines. Une recherche clinique, maintenant ancienne, a tenté de définir
leur place exacte. Mais ces travaux ont manqué de puissance (effectifs faibles) et de qualité
méthodologique. Néanmoins, toutes les firmes produisant des mélanges pour nutrition entérale
ont inscrit un MSE dans leur gamme.
Cependant, faute de travaux suffisamment probants, les recommandations concernant cette famille de
mélanges sont restées au niveau des avis d’experts [5] ; il est peu probable que des études randomisées
de bonne qualité ne soient jamais réalisées ; de ce fait, l’argumentaire pour l’usage de ces nutriments
spécifiques restera de l’ordre du raisonnement.
Les arguments pour justifier l’usage de MSE sont regroupés en deux catégories développées ci-après :
la digestion enzymatique luminale des protéines est facilitée (en fait en partie réalisée au stade de la
préparation industrielle), donc l’absorption est quantitativement facilitée ; la tolérance, au plan clinique,
pourrait être améliorée par la facilité d’absorption ;
les MSE amélioreraient la trophicité de la muqueuse digestive et contrôleraient l’inflammation.

Tableau 1
Les mélanges semi-élémentaires disponibles en France (année 2017).

RealDiet
Caractéristiques Peptisorb Survimed OPD Peptamen Peptamen HN Peptamen AF
Peptide
(pour 500 mL) Nutricia Frésenius Kabi Nestlé Nestlé Nestlé
Lactalis

Énergie (kcal) 500 500 500 500 660 750

Équivalent 20 19 22,5 20 33 47
protéique en g

Type d’apport Lactosérum Lactosérum Lactosérum Lactosérum Lactosérum


azoté
Peptides < 1 kDa Oligopeptides Peptides < 9AA Peptides < 9AA Peptides < 9AA
69 % 54 % 41 % 41 % 41 %
Peptides < 0,5 Dipeptides
kDa 13 %
33,5 %
Peptides < 1 kDa
AA libres 68 %
9%
AA libres
1%

Lipides

AET (%) 15 30 25 33 33 39

g 8 16,5 14 13 17 17

TCM (%) 60 47 51 70 70 52

Hydrates de carbones

AET (%) 64 55 57 51 47 36

g 88 (dont 73 g de 68,8 (dont 61 g de 71,5 (dont moins 64 78 67,7


dextrinemaltose) dextrinemaltose) de 8 % demono/
disaccharides)

Osmolarité 455 300 300 200 350 380


(mosm/L)
Arguments pour l’usage des MSE

La digestion enzymatique
Le rationnel est relativement simple : la digestion des protéines implique l’action d’enzymes
protéolytiques sécrétées par la muqueuse gastrique (pepsines) et surtout par le pancréas exocrine :
trypsine, chymotrypsine, élastase, carboxypeptidases. Il faut noter que les peptides générés par l’action
de ces enzymes sur les protéines entières, doivent eux-mêmes subir une phase de digestion par les
endo- et exopeptidases, qui sont incorporées au pôle luminal de l’entérocyte [6]. En cas d’altération
marquée de cette activité enzymatique (atrophie villositaire par exemple), les petits peptides des MSE
ne pourront pas être absorbés normalement.
Un travail portant uniquement sur l’absorption des acides aminés, déterminée par une aire sous la courbe
de plusieurs acides aminés et des acides aminés totaux, après instillation jéjunale du MSE (patients
porteurs d’une jéjunostomie d’alimentation en postopératoire de gastrectomie ou oesophagectomie) a
montré une supériorité significative de la disponibilité des acides aminés, en particulier la leucine, avec
un mélange semi-élémentaire [7,8].
Plusieurs situations ayant pour point commun la réduction des sécrétions biliopancréatiques peuvent
donc justifier l’usage des MSE. Il est parfois possible d’utiliser les extraits pancréatiques médicamenteux.
Mais l’administration concomitante d’extraits pancréatiques et de nutrition entérale en continue n’a pas
de bonne solution pratique, le mélange entre les deux étant impossible.
On pourrait donc envisager l’usage des MSE dans :

l’insuffisance pancréatique exocrine chronique, dans des affections telles que la mucoviscidose, la
pancréatite chronique calcifiante, les suites de duodénopancréatectomie céphalique (DPC) ou totale,
dérivation biliopancréatique externe (mise en place en début de traitement), en cas d’obstacle bas situé
infranchissable, ou surtout en cas de complications de DPC (fistule pancréatique drainée et ou extériorisée) ;

la pancréatite aiguë : la réduction des sécrétions pancréatiques liée à l’inflammation et l’oedème peut
entraver la digestion et l’absorption des nutriments. Quelques travaux cliniques [9,10] ont documenté une
tolérance au moins égale ou meilleure des MSE comparés aux mélanges standards ; les patients recevant
le MSE avait une durée de séjour légèrement raccourcie (–1 jour) et une perte de poids moindre dans
l’étude de Tiengou et al. [9]. Dans une revue Cochrane récente sur nutrition entérale et pancréatite aiguë [11],
l’auteur note que les MSE sont globalement associés à une modeste réduction de la durée de séjour (–0,3
jour) et qu’il n’y a eu aucun décès dans cette population sous MSE ; mais ces études n’apportent pas de
preuve indiscutable d’une supériorité du MSE ;

la nutrition entérale dans un segment digestif ne recevant pas les sécrétions gastriques et biliopancréatiques :
il s‘agit d’une situation rare et transitoire, mais qui peut s’observer après complications chirurgicales (rupture
de continuité temporaire de l’intestin grêle par double entérostomie) ;

le syndrome de grêle court de type 1, avec jéjunostomie terminale haute : il a longtemps été considéré
comme une indication élective des MSE ; le rationnel est qu’un temps et une surface de contact réduits
peuvent être compensés par une vitesse d’absorption augmentée. Une étude contrôlée, portant sur des
pathologies digestives variées, avec mesure de l’absorption des protéines par mesure de la composition
des selles, a donné quelques résultats confirmant cette hypothèse : pour les patients avec un grêle court
en stomie, l’absorption protéique était supérieure ; cependant, l’effectif très faible limite la portée de cette
observation [12]. L’étude de Cosnes et al. [13] tendait à confirmer cette hypothèse, mais là encore avec la limite
d’un faible effectif. L’étude assez proche de Andersson et al. [14] ne retrouvait pas de différence significative
entre nutrition entérale polymérique et semi-élémentaire, mais il s’agissait de stomie iléale basse (après
chirurgie colorectale), et donc en situation d’absorption normale.
Trophicité de la muqueuse et/ou effet sur l’inflammation
L’usage des MSE dans les atteintes inflammatoires du grêle est ancien. Depuis plus de dix ans,
l’arme thérapeutique dans les MICI n’est plus la nutrition (entérale ou parentérale) mais un traitement
médicamenteux avec corticostéroïdes et immunosuppresseurs. Cependant, il est apparu que certains
patients avaient des réponses partielles ou suivies de rechute. La nutrition entérale a alors été à
nouveau proposée comme traitement complémentaire, en particulier si une dénutrition est présente.
On dispose d’une méta-analyse récente [15] ; elle conclut à l’efficacité de la nutrition entérale administrée
après traitement médicamenteux devenu insuffisant. Mais il n’est pas possible de déduire des quatre
études prises en compte une supériorité claire des MSE. L’objectif des études n’était pas de comparer
mélanges standards et semi-élémentaires ; trois des études ont utilisé des mélanges élémentaires ou
semi-élémentaires. Tout au plus peuton dire que les MSE, utilisés par certaines équipes, donnent des
résultats positifs. La méta-analyse de Nguyen et al. [15] conclut que la nutrition entérale, en particulier
de type semi-élémentaire, permet un taux de rémission prolongée de la maladie de Crohn traitée par
anticorps anti-TNF (infliximab).
Enfin, les MSE ont pu être proposés en réanimation du fait de la souffrance intestinale associée à
l’agression. Dans des essais contrôlés, la nutrition entérale par un MSE pendant dix jours n’a pas
entraîné une augmentation plus importante des marqueurs biologiques aigus de l’état nutritionnel
comme la transthyrétine [16,17], ou de la concentration des acides aminés ramifiés [17], sans différence
sur la tolérance digestive ni sur le bilan azoté. Les dernières recommandations de la Société franc¸aise
d’anesthésieréanimation sont qu’il faut probablement réserver les MSE à certaines situations digestives
spécifiques (grêle court) [18].

Conclusion

Les preuves, fondées sur une recherche de bonne qualité, notamment en effectifs suffisants, manquent
totalement dans le domaine des MSE.
Mais « ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ».
De solides données rationnelles (mais peu ou pas du tout d’études contrôlées d’effectifs suffisants !)
donnent du crédit au recours aux MSE :

soit d’emblée en cas de malabsorption par déficit de digestion enzymatique dans la lumière digestive, ou
par réduction des surfaces et du temps d’échange absorptif (grêle court, diarrhée motrice réfractaire), ou
en cas d’ascite chyleuse ou de chylothorax [19] ;
s oit en deuxième intention quand il apparaît qu’un mélange standard, polymérique est mal absorbé ou mal
toléré.

Le remboursement des MSE en ville est d’ailleurs actuellement limité aux insuffisances pancréatiques
aiguës, syndrome de grêle court, maladies inflammatoires chroniques intestinales et syndrome de
malabsorption sévère [20].
Au total, le recours aux MSE doit rester une pratique médicale admise mais raisonnée et peut
représenter, dans certaines circonstances, une option comportant un avantage clinique par rapport
aux mélanges standards polymériques.

Argumentaire contre les mélanges semi-élémentaires en nutrition entérale

Introduction

Trois types d’arguments peuvent être invoqués contre l’utilisation des MSE en nutrition entérale :

l’amélioration de l’absorption intestinale des nutriments, censée être un avantage de ces solutés, est loin
d’être démontrée ;
les MSE exposent à un risque de moindre tolérance digestive de la nutrition entérale ;
sur le plan métabolique, les MSE pourraient être moins efficaces pour la re-nutrition.
La nutrition semi-élémentaire augmente-t-elle vraiment l’absorption intestinale des nutriments ?

Pour ce qui est de l’absorption d’azote, elle est effectivement accrue de 40 % avec un MSE dans
une étude menée en crossover chez six patients atteints de grêle court avec jéjunostomie haute [13].
En revanche, dans cette même étude, l’absorption des graisses et des calories était identique entre
mélange polymérique et MSE. De même, une étude randomisée en cross-over menée chez 16 enfants
et adolescents atteints de mucoviscidose avec insuffisance pancréatique, le pourcentage d’absorption
des graisses ne différait absolument pas entre le MSE sans supplémentation enzymatique et le
mélange polymérique associé à une supplémentation en enzymes pancréatiques (80 % vs 82 %) [21].
Aussi, l’ESPEN et l’ESPGHAN recommandentelles l’utilisation de mélanges polymériques lorsqu’une
nutrition entérale est requise au cours de la mucoviscidose [22] ?
Chez l’enfant atteint de maladie de Crohn, la nutrition entérale était globalement au moins aussi
efficace, voire plus efficace que la corticothérapie, pour induire une rémission, mais la nutrition
entérale polymérique était aussi efficace que la nutrition semi-élémentaire ou élémentaire [23].
Dans un essai prospectif randomisé en double insu comparant une formule semi-élémentaire à une
formule polymérique chez des enfants (âge moyen de 4 mois) atteints de syndrome du grêle court [24],
le bilan azoté et la perméabilité intestinale étaient identiques quel que soit le mélange.

Les solutés semi-élémentaires exposent-ils à un risque de mauvaise tolérance digestive ?

L’osmolarité d’un mélange nutritif est lié au nombre de molécules présentes ; à apport égal en calories
et en azote, les mélanges semi-élémentaires, qui sont constitués de plus petites molécules que les
mélanges polymériques sont donc, par nature, hyperosmolaires. L’osmolarité des mélanges semi-
élémentaires sur le marché en 2016 s’échelonnait entre 290 et 450 mOsm/L, contre 190–275 pour
les mélanges polymériques iso-caloriques (1 kcal/mL) avec ou sans fibres. Cela peut avoir des
conséquences sur la vidange gastrique et le risque de diarrhée.

La vidange gastrique
On sait que l’estomac est un régulateur d’osmolarité : l’effluent sortant du pylore vers l’intestin grêle est
maintenu à 300 mOsm/L. L’apport d’un soluté hyperosmolaire ralentit la vidange gastrique et expose
donc au risque d’augmentation des résidus gastriques, voire de régurgitations et vomissements, en
cours de nutrition entérale. Toutefois, chez des sujets sains, une étude comparant un apport de TCM
à celui de triglycérides à chaînes longues (TCL) a montré que les TCM avaient un moindre effet sur la
relaxation gastrique et entraînaient donc une moindre sensation de plénitude gastrique [25]. Dans une
étude comparant des mélanges élémentaires et semi-élémentaires chez des enfants tétraplégiques,
la vidange gastrique était plus rapide avec le MSE qu’avec le mélange polymérique, mais la vitesse
de vidange dépendait principalement du type de protéines (plus lente si caséine vs lactosérum) [26].

Le risque de diarrhée
Une osmolarité plus élevée dans l’intestin grêle entraîne un appel d’eau vers la lumière et un risque
de diarrhée. La tolérance des mélanges de nutrition entérale ne semble cependant pas différer selon
leur nature polymérique ou semi-élémentaire, qu’il s’agisse de la période postopératoire [12] ou lors de
pancréatite aiguë [9,10].

Les mélanges semi-élémentaires sont-ils moins efficaces sur le plan métabolique ?

Risque de carence en acides gras essentiels


Les mélanges très pauvres en graisses ont un intérêt indéniable dans la nutrition des patients n’ayant
pas de sécrétion biliaire [27], ou présentant une ascite chyleuse ou un épanchement pleural chyleux, liés
par exemple à une brèche postopératoire. En effet, physiologiquement, après hydrolyse luminale des
triglycérides, les acides gras à longue chaîne entrent
dans l’entérocyte, sont incorporés dans la synthèse de nouveaux triglycérides qui sont exportés dans
la lymphe sous forme de chylomicrons. En revanche, les acides gras à chaîne moyenne passent
directement dans le sang portal. Ainsi, si l’on remplace dans le mélange nutritif une grande partie des
TCL par des TCM, le flux de lymphe est réduit voire tari [19]. Cette baisse du débit de production de
lymphe permet à la brèche ou plaie du vaisseau lymphatique de se refermer en quelques semaines.
Il s’agit cependant là d’un traitement « symptomatique » transitoire, les plaies importantes ne
cicatriseront pas. À long terme, si l’apport lipidique total est faible, le remplacement d’une partie des
acides gras à chaîne longue par des acides gras à chaîne moyenne expose au risque théorique de
carence en acides gras essentiels, mais cela n’a pas été observé lorsque des adultes recevaient, en
nutrition intraveineuse, des apports d’un mélange de TCM et TCL à la dose moyenne de 2,85 g/kg par
semaine [28].

Le type de lipides expose-t-il à une moindre efficacité sur le métabolisme


protéique ?
En nutrition parentérale, chez des adultes en bonne santé, la perfusion d’un soluté contenant des TCL
freine l’oxydation de la leucine, alors qu’un soluté iso-azoté et iso-calorique mais contenant un mélange
de TCM et TCL n’a pas d’effet sur l’oxydation de leucine [29]. Chez des nouveau-nés prématurés en
nutrition parentérale exclusive, un soluté contenant un mélange de TCL et de TCM est aussi efficace
sur la synthèse protéique et la dégradation protéique qu’un soluté contenant 100 % de TCL, mais il
freine moins l’oxydation de leucine, et il est donc au global moins efficace sur le gain protéique net [30].
Il est vraisemblable que les TCM soient moins efficaces sur le gain protéique puisqu’il a été montré
in vitro que la déshydrogénase des acides -cétoniques ramifiés (BCKDH), qui est l’enzyme clé de la
dégradation des acides aminés ramifiés (leucine, isoleucine, valine) est inhibée par les acides gras à
chaîne longue (comme l’acide palmitique) mais pas par les acides gras à chaîne moyenne (comme
l’octanoate) [31].

La forme de l’apport azoté réduit-elle le gain protéique ?


Collin-Vidal et al. ont utilisé la perfusion de leucine marquée aux isotopes stables pour mesurer l’effet
de mélanges de nutrition entérale sur le métabolisme protéique chez des adultes en bonne santé.
Comparé à l’apport d’un mélange contenant des protéines intactes, l’apport d’un MSE contenant
des oligopeptides stimule davantage la synthèse protéique, mais accroît aussi davantage l’oxydation
protéique et freine moins la dégradation protéique : ainsi, le gain protéique net est moindre avec un
MSE [7]. Il faut noter toutefois que les études comparant les MSE et les mélanges polymériques chez
des patients n’ont pas montré en général de différence sur le gain protéique [12]. De même, chez des
patients atteints de mucoviscidose, l’effet d’un MSE sur le métabolisme protéique au niveau du corps
entier mesuré par la glycine marquée aux isotopes stables (15N-Glycine) ne différait pas de l’effet d’un
mélange polymérique [32].

Conclusion

Au total, malgré les avantages théoriques des MSE, il existe très peu de preuves de leur supériorité sur
les mélanges polymériques, mais également peu de preuves de leur nocivité. En dehors de situations
très particulières (telle que l’ascite chyleuse par exemple), il paraît donc raisonnable de proposer en
première intention une nutrition entérale par mélanges polymériques.

Déclaration de liens d’intérêts

D.B. : mission de formation scientifique auprès de la société Nutricia (2016–2017).


D.D. : B. Braun, Danone, Frésenius Kabi, Lactalis, Nestlé, Nutricia.
A.J. : B. Braun, Frésenius Kabi, Lactalis, Nestlé, Nutricia.
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