Rachilde
Rachilde
Rachilde
Dominique Laporte
Comparé à La Princesse des ténèbres, La Femme Dieu raconte aussi les es-
capades nocturnes faites par une jeune fille somnambule de province, Louise
de Valrasse, pour aller à la rencontre d’un personnage masculin mystérieux
(d’où le surnom qu’elle porte: Louvette); mais ce roman fait l’économie de
l’onirisme qui, dans La Princesse des ténèbres, substitue les visions hallucina-
toires de l’héroïne à son état de veille. Le narrateur de La Femme Dieu s’étend
plutôt sur les démarches matrimoniales des proches de Louise avant de révé-
ler ultimement l’identité de l’inconnu, qui se trouve être l’aumônier du cou-
vent de l’endroit, l’abbé Raoul Desgranges, sous la fausse identité de son frère
(203 et suiv.). Cependant, le récit reste en conformité avec la moralité chré-
tienne sous-jacente au genre sentimental: malgré qu’il suggère la transgres-
sion de l’interdit, il édulcore, d’une manière plutôt invraisemblable, la liaison
de l’héroïne avec un homme d’Église qu’elle ne reconnaît pas la nuit, alors
qu’elle le voit le jour assumant auprès d’elle le rôle de précepteur et exerçant
son sacerdoce, et ce, jusqu’à ce que le mari chasseur que lui a destiné sa mère,
le comte Georges de Saint-Charles, finisse par le tuer au cours d’une expédi-
tion. Au reste, le roman se termine par une conclusion édifiante où le curé de
Jarlac absout les fautifs dans la chapelle du couvent, tandis que les religieuses
manquent les obsèques du défunt (250–52).
Si, d’un point de vue éditorial, la publication de La Femme Dieu et d’autres
romans analogues chez Ferenczi peut expliquer l’infléchissement de l’écriture
rachildienne vers une production standardisée sur le marché littéraire, la
tendance au roman sentimental chez Rachilde, toutefois, ne s’explique pas
seulement par des facteurs conjoncturels: elle s’avère aussi consubstantielle à
l’écriture même de la romancière, d’autant que L’Homme roux, pour reprendre
l’exemple analysé par Holmes, ne paraît que seulement cinq ans après Mon-
sieur Vénus. Pour approfondir cette question, il convient de prendre aussi en
compte l’incidence du discours social sur l’écriture de Rachilde, c’est-à-dire
ce qui, suivant les travaux sociocritiques de Marc Angenot, sert de fondement
idéologique au discours littéraire et recouvre les façons consensuelles et plus
ou moins tacites de penser et de juger, tels l’échelle des valeurs, les idées reçues,
la norme, les modèles identitaires et sociaux, et, en l’occurrence, les conven-
tions socioculturelles dans les rapports entre les sexes. Néanmoins, tout dis-
cours littéraire tend plus ou moins à se démarquer du discours social qui le
sous-tend, et ce, suivant des dispositifs littéraires spécifiques qui le distinguent
Lion l’escortait fièrement . . .; folâtrait sur les glissoires du toit de verre. . . . Alors la
jeune femme s’étendait de tout son long. . . . Elle prenait un véritable bain de rayons
blancs. . . . En regardant bondir le chat, elle murmurait, s’étirant les membres: – Non,
les hommes ne sont pas dignes de mes ardeurs. . . . Puis rêvant d’un voyage dans les
nues, à cheval sur le croissant d’or comme une sorcière, elle irait trouver . . . les matous
fantastiques et caressants qui la guettaient avec des prunelles luisantes, par les lucar-
nes des étoiles. (194–96)
– Tu me pétriras à ta guise, mon bien-aimé! Je n’ai pas de vanité, je sens que je suis
inférieure en tout, mais si tu veux m’aimer comme je t’aimerai . . . je serai tout de
même le plus savant de nous deux! . . . En elle s’épanouissait une générosité exquise,
elle se faisait le serment, à cette aube de résurrection, de ne plus vivre que pour cette
homme, et elle se livrait, lui paraissait-il, pour une éternité. . . . De secrètes inquié-
tudes la prenaient, qui ressemblaient beaucoup à des remords. Comme une corolle
fine s’épanouissant dans une ruine noire, son cœur brûlé portait la rose pâle des
repentirs d’amour, et, pourrie un peu par la luxure, son imagination se créait des
fantômes et la faisait s’humilier avec de pieux actes de contrition. Son état d’âme au-
rait excité l’envie d’une honnête femme. Elle désirait expier des choses, avouer tous
les péchés pour obtenir, après l’exposé des détails et des circonstances, le baume du
pardon sincère; car elle était si jolie, n’est-ce pas, qu’elle pouvait avoir confiance dans
l’absolution de son amant? (261–63; nous soulignons)
Incapable d’une mauvaise action, elle aurait eu le courage d’en inspirer, et pour
que l’effroyable lie de son tempérament pût remonter à la surface de son teint pâle,
il fallait aussi l’effroyable circonstance de cette rencontre avec un criminel. On est
toujours tenté de jeter quelque chose dans un précipice. – Voulez-vous que je vous
donne un bon conseil, mademoiselle Davenel? murmura Fulbert les lèvres serrées.
Epousez [un] ministre. Ne refusez pas cette occasion de devenir une . . . vraie bour-
geoise. Vous êtes à deux doigts de faire des sottises. Je connais ça. Il y a des eaux pures
. . . qui empoisonnent les meilleurs instincts. Vous rêvez mieux que le possible et
vous vous perdrez à vouloir blanchir vos dessous. (124–25)
Notre manie de démocratie à toutes les sauces, n’est jamais appréciée ni comprise par
nos ressortissants indigènes – noirs ou jaunes – qui préfèrent à la familiarité bon en-
fant la majesté imposante d’un fonctionnaire, chamarré de broderies et de dorures.
On ne changera jamais rien à cela! . . . La République, d’ailleurs, a besoin d’être “re-
spectée” . . . Surtout en ce moment! (Chauvelot 378; en italique dans le texte)
Dominique Laporte
St. Paul’s College
University of Manitoba
70 Dysart Road
Winnipeg, mb r3t 2m6
canada
notes
1 La recherche qui a mené à la rédaction de cet article a été rendue possible grâce à une
subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Nous remer-
cions cet organisme de son appui.
ouvrages cités