La Critique Du Libéralisme (Tome 6)
La Critique Du Libéralisme (Tome 6)
La Critique Du Libéralisme (Tome 6)
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La Critique du Libralisme
TOME VI
15 AVRIL 1911 1
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ADMINISTRATION, ABONNEMENTS : DESCLE, DE B R O U W E R & C'% diteurs 41) rue du Metz, Lille FRANCK. Un an . (Nord) 10 f ranos 12 i-
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Paraissant
le I" et le 15 de chaque
mois
La Critique du Libralisme
RELIGIEUX, POLITIQUE, SOCIAL
TOME
VI.
15
AVRIL
1911
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OCTOBRE
1911
LE
TESTAMENT
DE
FOGAZZARO
A. Fogazzaro n'est plus. Il est mort en catholique pieux et officiellement soumis. Depuis lors, le pangyrique coule flots des plumes amies : on exalte, on canonise presque l'crivain moderniste. M, l'abb Klein nous raconte (1) avec des larmes dans la voix que, l'an dernier, il eut l'honneur de l'avoir pour servant de messe en une petite chapelle sur les bords du lac de Lugano et que dans la valise de son illustre enfant de chur il y avait toujours une Bible et une Imitation de Jsus-Christ. A la premire ligne de son testament, Fogazzaro crit : Je meurs dans la foi catholique que fai toujours
confesse devant les hommes. Je pardonne tous ceux qui, cause mes opinions religieuses, m'ont adress parfois des injures. Je m'aba donne dans les bras de mon Pre qui connat le fond de mon me et qui peut apprcier mes douleurs ... Nous nous inclinons devant cette
mort et devant cette profession de foi. Seulement la pit des disciples va un peu vite e n besogne et l'introduction de la cause de Fogazzaro nous semble htive et lgrement indiscrte. Il y a deux testaments de Fogazzaro : l'un est chez le notaire, l'autre chez les libraires. Ils ne concordent pas tout fait. L'un et l'autre nous appartiennent, et, si c'est Dieu seul de juger l'me qui s'est prsente son tribunal, nous avons le droit de juger l'uvre qui reste. C'est le malheur de certains crivains qu'ils ne meurent pas tout entiers et qu'ils continuent d'enseigner jusque dans le cercueil. Le pote disait : Les morts dorment en paix dans le sein de la terre, Sur leurs restes sacrs ne portons pas les mains 1... Fogazzaro se survit dans ses romans, dans son exemple. S e s lves et ,ses complices l'entendent bien ainsi. Les fleurs qu'ils jettent sur sa tombe, l'encens qu'ils brlent autour de son catafalque sont autre chose qu'un hommage funbre; tout cet clat quivaut quelque serment de fidlit. Et le droit nous reste, le devoir nous est impos de ne pas dsarmer nous-mmes. Le respect qu'on doit la mort est limit par le souci de l'intgrit de la foi, -de l'autorit de l'Eglise et de la dfense des mes.
E. Faguet publiait nagure un petit ouvrage qui dnonce avec infiniment d'esprit et sans la moindre piti le grand mal de l'heure prsente. Ce rquisitoire est intitul : Le Culte de VIncomptence. Je m'tonne qu'il n'y ait pas introduit un chapitre sur l'Incomptence
1. Le Bulletin de la Semaine, 15 mars 1911.
Critique du libralisme. l> Avril.
LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX, POLITIQUE,
SOCIAL
religieuse ; il aurait pu l'illustrer d'un remarquable exemple : l'aventure d'A. Fogazzaro. Rien ne prdestinait cet homme se spcialiser dans la rforme religieuse. L'engouement .de son cole le hausse jusqu'aux proportions d'un gnie; on fait de lui un penseur, un philosophe, un de c e s esprits puissants .qui dbordent la banale dfinition du romancier et qui sont capables d'ouvrir de larges perspectives l'intelligence humaine et au progrs social. En ralit, Fogazzaro ne fut qu'un pote. N Vicence en 1842, il fait ses tudes sous la direction de l'abb Giacomo Zanella, .un pote aussi qui lui apprend surtout l'art des rimes cossues et des strophes lgantes. Il tudie le droit l'Universit de Turin et s'inscrit comme avocat la Cour d'appel de Milan. Au fond, jusqu' l'ge de vingt-cinq ans, il ne sait que faire de sa vie, o trouver un cadre et un but son activit. Entre la barre et son cabinet, il taquine les m u s e s ; il vit dans le nuage (des songes dors et des naves illusions. Il scande, cinq annes durant, de ces cantilnes romanesques qui sont l'offrande rituelle des jeunes potes leur printemps fleuri d'illusions. Il chante dans le pome de Miranda : Enfant, vers la lune j'agitais mes petites mains et je demandais des ailes pour monter de mon berceau jusqu'au* disque de l'astre vagabond. Un pre feu me dvorait alors - pour les ivresses du monde et ses splendeurs... Et cette lgie, cette romance la lune se termine par u n cri d'ambition fougueuse : Et maintenant, monde, tu m'appartiens; par l'enchantement des vers, je t'entrane I A moi, la gloire I A vingt-cinq ans, Fogazzaro se jure de conqurir le monde. Avec quoi? Par des vers, avec des mots, avec d e s songes de pote. Son hros, son interprte s'appelle alors Enrico, un jeune amoureux transi; il s'appellera plus tard Piro Maironi. Enrico se donnera seulement le luxe de prendre la bure; sous l'habit du moine, il restera incurablement jeune et... naf ! En oe temps-l, vers 1875, A. Fogazzaro tait mlancolique ot navr. Il portait son cur en charpe et son me en berne. Il rvait, il souffrait, il pleurait. Il ressuscitait l'image, qui nous fut familire au dbut 4 u XIX sicle, du jeune romantique vou au bleu, au clair de lune et la tuberculose littraire. Il versait des larmes abondantes. Pourquoi? Il ne savait pas bien. Une seule chose est certaine, c'est qu'il avait du vague t l'me et qu'il tait triste en mourir. II crivait .dans son pome, Sconforto : Epuis, je me laisse tomber terre parce que je ne sais pas la route et .que mon me triste ne dsire pas l'apprendre 1 En mme temps il appelait des fantmes son aide; il tendait des mains suppliantes vers les tres flous qui peuplent dj son imagination malade. Il soupire avec des sanglots : Je voudrais sortir par cette mer dserte naviguer seul, naviguer loin, et toute rive ayant disparu de ma vue,
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LE TESTAMENT DE FOGAZZARO
m'abandonner l'onde et mes penses. Alors sortiraient les fantmes, . . . je m'assoirais la poupe, eux la proue et, sans parler, nous nous regarderions. Les fantmes voqus n'ont pas t sourds la prire du jeune malade. Ils sont venus, ils se sont assis la proue, ils l'ont invit naviguer seul, naviguer loin,... si loin sur la mer dserte que Fogazzaro a fini par un lamentable naufrage. Toute cette premire priode se clt sur une vision. Fogazzaro a ses v o i x ; il s'empresse d'entrer en relations directes avec l'infini. Il lui semble, un beau jour, que deux messagers sont venus vers lui : l'un lui apporte des conseils de paresse, de mort lente dans l'oisivet littraire; l'autre lui dit : Va parmi les hommes, pote I Et celui-ci fait un grand geste impratif. Fogazzaro obit Et voil le pote, le jeune fabricant de guitares languides qui s'improvise aptre, prophte, guide ,des sprits et conducteur des peuples.
II
La vocation fut soudaine; l'lan fut prompt. Ds le premier-coup de rame, il est facile de s'apercevoir que des fantmes sont la prou de la barque. Elle drive tout de suite vers les cueils. Fogazzao publie son premier roman, Malombra, un livre touffu, inextricable, o l'auteur a jet toutes ses premires ides politiques et sociales. L'intrigue complique tourne comme un rbus autour d'un mirliton . Les personnages .sont plus intressants; ils incarnent avec une admirable bonne volont les tendances essentielles du* futur rformateur. Il y a l un comte Csar qui unit tant bien que mal .en son me tourmente l'orgueil fodal et les aspirations dmocratiques. Un autre hros, Corrado Silla, mesure la valeur des religions, non pas la somme de vrit qu'elles renferment, mais de bien et de mal qui en rsulte. Un prtre passe dans la mle qui ne parle que d'amour e t d'universelle rconciliation. Tous ces messieurs grandiront, vieilliront, prciseront d'un roman un autre leurs ides baroques. Les noms seuls changeront; les mes ne feront qu'enrichir leur fond primitif de paradoxes. , Fogazzaro ne se renouvelle gure. Il se renouvelle si peu que le hros de son second roman, Daniele Cortis, se contente de reprendre et d'accentuer les ides du comte Csar. Il est vident qu'un profond dessein hante l'me du jeune crivain : il veut jouer les Sabines, le rle lo tente de mdiateur entre l'Eglise et le sicle. Daniele Cortis, est, cette fois, charg de la consigne. Le programme politique de Daniele Cortis, dput d'un modeste district de montagne, est une sorte de compromis entre les droits de l'Eglise et les prtentions jde de l'Etat. A la Chambre, il ne sigera ni a d r o i t e ni gauche; en France et de nos jours, il irait certainement s'asseoir ct de M.
LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
l'abb Lemire. Mon idal politique, dit-il en un de ces longs discours qui rendent souvent ce roman aussi ennuyeux qu'un compte rendu d e s Semaines sociales, mon idal politique ne sera jamais celui du parti qui voudrait subordonner les droits et les intrts de l'Etat une autorit peut-tre plus grande et plus lgitime, fonde frur une aulre base, par d'autres moyens, pour d'autres fins. Je puis dsirer, par une certaine conception .d'quilibre politique et par dsir patriotique de pacification intrieure, que ce parti accepte honntement l'actuel ordre des choses et entre utile et respectable la Chambre; mais si j'ai l'honneur ,d'y siger ce moment-l, je ne combattrai pas dans ses rangs, {lu moins jusqu' ce que, s'tant transform de parti essentiellement religieux en j)arti essentiellement civil, il ait profondment modifi ses vues ,sur les droits et les fonctions d e l'Etat . Donc, ni Guelfe .ni Gibelin, ni pour l'Eglise ni contre elle, au centre, mi-chemin entre les adversaires et les dfenseurs, telle est la position prise par Daniele Cortis et Fogazzaro. C'est en lisant ces harangues qu'on se rend compte de l'influence profonde exerce par Fogazzaro. 11 n'a pas seulement fourvoy l e 3 consciences religieuses; il a fourni d e chimres politiques les nolibraux d e la Dmocratie chrtienne. Ceux-ci n'ont pas eu se rompre la cervelle pour chafauder leur programme; Daniele Cortis avait rflchi pour eux, mdit , leur place et simplifi leur besogne. En versant des larmes sur Je cercueil d e Fogazzaro ils s'acquittent simplement d*un devoir de reconnaissance. En m m e temps qu'il affirme ses ides rformatrices, Fogazzaro pose quelques principes littraires qui .ont leur importance. Ses amis euxmmes seront souvent choqus d e la sensualit morbide de quelques-uns d e ses tableaux. Leila, l'hrone du dernier roman, les scandalise demi par ses fougues passionnelles. Cette jeune fille est proprement une hystrique. Toute jeune, elle s'prend d'une folle passion pour un granium et elle ne trouve rien de mieux que de se piquer le sein pour l'arroser et le nourrir des gouttes de son sang. Elle cumule la fantaisie macabre et le dlire erotique. Son amour malheureux pour Massimo lui donne le vertige de la mort; elle veut mourir, mais en y mettant des formes. Une fois, elle remplit s a chambre de fleurs mortelles, afin de s'endormir dans un nuage d e parfums. Une autre fois, elle va se jeter par la fentre; le saut l'abme sera dcent par exemple : elle lie s a robe d'un cordon d e rideau et, se croyant quitte avec toute morale, elle se retourne alors Ters l'ombre absente et lui jette des mots de passion faire rougir des singes. La scne e s t tellement violente d'impudeur que le critique littraire de la Stampa pouvait crire : Leila est d'une sensualit faire envie d'Annunzio, lequel ne s'embarrasse pas des jeunes filles qui doivent ramener un moderniste sur le chemin de Damas . Cet talage de frnsies sensuelles embarrasse lgrement les disciples
LE TESTAMENT DE FOGAZZARO
de Fogazzaro. Ils oublient qu'elles sont chez lui volontaires et rflchies, qu'elles font partie de sa technique du roman. Le 28 mars 1887, il faisait au Cercle physiologique de Florence une confrence sur Manzoni. Manzoni a crit : Je suis de ceux qui disent qu'on ne doit pas parler 'amour de manire incliner l'me des lecteurs vers cette passion... J'estime .uvre imprudente de le fomenter par des crits, et j'en suis si persuad que si, un beau jour, par miracle, il me venait l'esprit les pages d'amour les plus loquentes qu'homme ait jamais crites, je ne prendrais pas la plume pour en .mettre une ligne sur le papier; tant je suis certain que je m'en repentirais . Fogazzaro a lu cela, et tout le respect qu'il professe pour Manzoni ne l'empche pas de s'inscrire en faux contre ces scrupules de morale austre. Il distingue, il ergote dans sa confrence; il rpudie les tableaux de l'amour obscne, .mais il plaide pour l'autre, pour le platonisme thr, pour cet amour qu'il appelle la sublime unit idale de deux tres humains . Il appelle son secours Dante, Shelley, Ptrarque, et, comme l'ont fait certains mystiques du XIII sicle, il e n arrive identifier l'amour avec la pit et la charit... La pente est dangereuse sur laquelle s'engage Fogazzaro. On va loin avec ces principes, d'autant plus loin que le ciel lui-mme est impliqu dans une complicit .malsaine. C'est toujours la mme manie fondamentale de l'illumin : voir tout en Dieu, prendre Dieu tmoin de tous les paradoxes, du vice aujourd'hui, de l'erreur demain. Fogazzaro tourne dj dans son cercle fatal. Il a le vertige de l'hrsie et du mysticisme erotique.
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III C'est ainsi, avec ces tendances et ces infirmits, que Fogazzaro s'achemine vers ce qu'il considre comme sa mission divine. Un dernier roman, le Mystre du pote, achve le cycle profane. Pas pas, il se rapproche du sanctuaire. Il y entre timidement avec le Petit monde d'autrefois, le Petit monde d'aujourd'hui. Tout un tas de choses le drangent, l'angoissent dans sa conscience de catholique moderne. Que d'abus dans l'Eglise I que les dogmes sont troits et comme la lettre tue l'esprit I On s'obstine ne pas vouloir rconcilier le bien et le mal, le soleil et l'ombre, Jsus- et Blial! jil va s'y mettre, luil On p e r d u l'Evangile; il veut le retrouver, lui! Au fond de son .me, il entend murmurer cet appel que Rostand a mis sur les lvres le son Jsus, dans la Samaritaine : Une ouaille ne peut pas m'tre moins chrie Parce qu'elle est de telle ou telle bergerie. J'irai dans tous les prs faire entendre ma voix ; J'abattrai doucement les cltures de bois;
Dans l'herbe tomberont les piquets et les planches, Jusqu' ce qu'il n'y ait, brebis noires et blanches Se rassemblant sous ma houlette au poids lger, Plus qu'une bergerie au monde et qu'un berger... Il rve d'amour universel et de pauvret vanglique. Et c'est lbas, sur les rives ,du lac Lugano. Une villa rose se mire dans la transparence des eaux bleues. .Le jardin en terrasse domine le vallon de Valsolda. L'olea flagrans et mille plantes rares y exhalent leurs senteurs exquises. Le ciel .est une caresse pour les yeux, le murmure des flots une caresse pour l'oreille. Toutes les couleurs sont gaies, toutes les visions charmantes, toutes les harmonies dlicieuses. Chanter sur la pauvret quand on est le Nabab de la littrature italienne, il n'y a que les JZlanti pour s'en tonner. Snque crivait bien l'loge de la mdiocrit sur un pupitre d'orl Fogazzaro brave tous les contrastes. La louange du renoncement, de la simplicit primitive ne lui cotera qu'une promenade sentimentale hors du- luxe et des loisirs dors. Il crit donc II Santo. Il fait un saint. C'est chose facile quand on a dj fait un .dput dmocrate chrtien. Il le fait de toutes pices. Il prend mesure sur ses ides, sur ses mannequins antrieurs, Daniele Cortis et quelques autres. Piero Maironi vient au monde. Son histoire tient en'quelques lignes et elles ne sont pas d'un ^intrt passionnant. Il a commenc par tre autre chose qu'un... saint. Piero Maironi fut mari une folle. Ce n'est pas que l'union ft mal assortie, mais enfin il quitta cette femme pour une Mme Dessale. La folle meurt, Piero est converti. Il se sauve, se rfugie au monastre bndictin de Subiaco o il expie ses fautes, sous le nom de Benedetto, bcher et sarcler Je jardin. L, il entre en rapports avec le philosophe, Giovanni Selva, une faon de pieux rvolutionnaire qui le gagne aux jdes nouvelles, au catholicisme progressiste , Benedetto est chass du couvent; il se rfugie dans les montagnes de la Sabine o il fait des miracles la douzaine. Il en manque ton malheureusement; ses ennemis s'emparent de cet chec pour le dnoncer Rome et les villageois s e soulvent contre l'imposteur. Il s'enfuit de nouveau. C'est p. Rome mme qu'il arrive cette fois. L, il se fait l'aptre des faubourgs populaires et des milieux savants. Ses succs irritent de nouveau les Zlanti; il faut qu'il s'exile une troisime fois. Il s'en v a mourir chez un libre-penseur, au milieu de ses ennemis accourus $i son lit d'agonie, et revtu de l'habit de bndictin que lui apporte un de ses frres. Cette existence a dj en elle-mme quelque chose d'trange et d'anormal. C'est peu prs ainsi que vcurent et que moururent tous les grands hrsiarques qui furent le scandale de leur sicle et la plaie de l'Eglise. L'me do Benedetto est plus intressante que sa vie. Fogazzaro a
LE TESTAMENT DE FOGAZZARO
cout dans l e vent du sicle toutes les erreurs qui passent et murmurent; il les a recueillies pour en composer la mentalit de son saint. Amricanisme, loysisme, libralisme, socialisme, tous les mots et tous les maux e n isme font une espce de salade russe dans l'esprit de Benedetto. Plongez; vous en ramnerez de tout, au hasard de la fourchette. Benedetto est un illumin. Il se sent la poitrine pleine de l'Esprit ; il ne reconnat d'autre autorit que celle de sa conscience . Ma conscienceI ma conscience! le mot revient chaque instant sur les lvres de cet... inconscient. 11 consent obir ses suprieurs, leur donner tout, sa vie mme, mais toutefois sa conscience, jamais ! Benedetto est en rapports immdiats et familiers avec l'Esprit-Saint; c'est tout juste s'il ne le traite pas en camarade 1 Benedetto est un rvolt. Il lui parle peu prs comme MM. Briand ou Monis lui parleraient, si MM. Briand ou Monis pouvaient, sans s'avilir, converser avec le Pape. Il lui dit : < Trs Saint-Pre, l'Eglic se est malade. Quatre esprits malins sont entrs en elle. L'un est l'esprit de mensonge... Et il disserte longuement contre la tradition d'erreur qui empoisonne l'Eglise. Le second est l'esprit de la domination clricale qui a supprim l'antique et sainte libert catholique,... qui voudrait imposer des soumissions non obligatoires, des rtractations contraires la conscience . Le troisime dmon qui corrompt l'Eglise est l'esprit d'avarice; le quatrime est l'esprit d'immobilit. Ahl celui-l est l'ennemi personnel de Benedetto. Le saint e n veut ceux qui sont idoltres du pass , qui voudraient que tout ft immuable dans l'Eglise . Et il dclame, il dclame perdumeht. Il ne dit pas ce qu'un petit hurluberlu disait nagure, dans l'intimit, la Semaine sociale de Dijon : L'Esprit-Saint est e n vacances 1 Mais il le pense bien au fond, et, s'il se rserva c'est qu'il a peur que le Pape lui rponde : Mon frre, l'EspritSaint ne passe pas ses vacances chez vous! Benedetto est laque, laque outrance et sans artifice. Il ne pardonne pas l'uvre sociale d'tre en mme temps une uvre religieuse : Certains catholiques, s'crie-t-il, la marquent l'tiquette de leurs opinions politiques et religieuses,... et cela est abominable aux yeux de Dieu. L'tiquette catholique, ils l'imposent des ceuvres qui ne sont que des instruments de lucre, et cela aussi, est abominable aux yeux de Dieu . Benedetto est 'sparatiste. Il va chez les ministres; on le rencontre dans les antichambres officielles, et on l'entend qui fait aux hommes d'Etat d e s confidences comme celles-ci : Ce serait un malheur si l'Etat protgeait l'Eglise catholique... L'Etat ne doit tre ni catholique ni protestant I Et Benedetto est naturellement un parfait... gogo. Il croit que c'est arriv. Il a des songes et des visions. Il se "voit en cauchemar agc-
nouille sur la place Saint-Pierre. Les cardinaux dfilent devant lui, rouges et menaants. Il les dfie, le peuple accourt, et le peuple acclamait en lui le rformateur d e l'Eglise, le vrai vicaire d u Christ; il v e n a i t e placer sur le seuil de la basilique. Et, lui,. 1 sel retlofurH nait, comme pour affirmer son autorit sur l'univers. J'en passe et des meilleures. Tel tait le nouveau saint que Fogazzaro proposait a notre culte. Il avait fait de l'me de Benedetto comme une table synoptique de toutes les erreurs, de tous les sophisme et de toutes les chimres qui, depuis tantt un sicle, se dispersent et se partagent en fragments entre tous les esprits gangrens de l'erreur librale, rationaliste ou dmocratique. Benedetto est le servoir o vont aboutir tous les minces filets d'eau trouble qui jaillissent des cerveaux htrodoxes. La recette est facile pour composer un 'Benedetto : prenez Lamennais une page apocalyptique, Mgr Dupanloup quelques rognures de son moi hypertrophi, M. l'abb Lemire un paradoxe teint de posie, M. Loisy un bout de philosophie nuageuse ou quelques notes d'hypercritique, une ou deux phrases M. Sangnier, mlez bien tout cela dans de l'amour, du rve, du mysticisme, selon la formule du codex moderniste,... e t vous aurez un Benedetto. Cela court les rues, en ce moment; cela nullule dans les congrs; cela parle, chante, crie, pleure, fait un tapage de tous les diables; cela surtout fait semblant de se soumettre Rome 'et se prosterne avec des soumissions nruyantes qui difient les bonnes mes... HlasI Fogazzaro va nous dire luimme le 'peu qu'il en cote et le peu qui en reste.
IV L'Eglise ne voulut pas admettre sur ses autels ce phnomne de saintet. Elle frappa du- mme anathme le pre et l'enfant, le saint et celui qui le canonisait. Fogazzaro se s o u m i t Neuf mois aprs, e n janvier 1907, il donnait une confrence la Sorbonne. L e toutParis moderniste tait l. Fogazzaro affirma s a volont d e ne pas sortir de l'Eglise. Ils ne consentiront jamais disait-il de lui et de ses disciples s e sparer de l'Eglise qui est en quelque sorte la patrie de leurs aspirations) religieuses, comme ils ne consentiraient jamais se 'sparer des patries terrestres dont ils sont les enfants d v G u s . Mais, e n mme temps, il lanait tous les chos une nouvelle affirmation 'de sa foi moderniste et la dclarait immuable, indestructible. Comment concilier ces attitudes contradictoires, tant d'humilit sous le coup d e foudre et tant d'orgueil, le lendemain? Je ne sais pas. Benedetto disait s e s fils : Dieu ordonne que vous restiez dans l'Eglise, que vous opriez dans l'Eglise, que dans l'Eglise vous soyez des sources d'eau v i v e . C'est trs bien, mais toute la
LE TESTAMENT D E FOGAZZARO
question est de savoir les motifs secrets de ce fy suis, fy reste , le dessein d e cette diplomatie o l'obissance alterne avec les rbellions et 'n'empche nullement le travail sournois de l'erreur et de la ngation. Quelle fut au juste la mentalit dernire de Fogazzaro? J'ouvre son dernier roman, Leila, le vrai testament de l'crivain moderniste. Il est certain que l'ouvrage a t mal accueilli par la gauche de l'Ecole fogazzarienne. Le 1 8 mars 1911, A. de Stefano, le directeur de la
REVUE MODERNISTE INTERNATIONALE, crivait dans les Droits de
l'Homme : Fogazzaro eut, nos yeux, doublement tort de mettre le Pape au-dessus de la conscience et l'Eglise au-dessus de l'Evangile. Il reste toujours catholique dans le sens traditionnel du mot, qui comporte l'acceptation de tous les dogmes, jusqu' l'infaillibilit papale e t dans le sensi mme que leur donne l'Eglise . Toutefois, aprs avoir dplor ses timidits et ses prudences, l'auteur de l'article ajoutait : Nous admirons en Fogazzaro une vie exemplaire, une conscience sincre, un amour passionn de la vrit. Dans ce domaine de l'idal, il n'existe plus de modernistes ou d'antimodernistes, mais des humains e n qute d'un Dieu. Et nous sentons bien qu'il -tait des ntres I On ne l'excommuniait pas. tout fait de la nouvelle Eglise; on le laissait seulement sous le porche, e n nophyte inachev, la place des catchumnes qui n'ont pas reu l'initiation complte. D'autre part, je me refuse voir dans Leila une rtractation suffisante d'il Santo. Trois groupes opposs se partagent le roman; il y a pour employer une vieille classification de J, de Maistre les ultra, les juxt et les. dira. Les ultra, ce sont les catholiques intransigeants, les catholiques sans pithte, ceux qui ont avant tout le souci d e l a vrit intgrale et qui s e refusent pactiser avec l'erreur. Ils s'appellent ici don Tita, l'archiprtre de Velo, et son chapelain, don Emmanuele. Fogazzaro a soulag sur eux s e s rancunes de vaincu. Il leur fait jouer des rles nausabonds : ils pient, ils dnoncent, ils perscutent. Cet anticlricalisme subtil, lgant, qui fut toujours un des motifs de la littrature fogazzarienne, atteint ici l'insolence. Il suffit qu'on soit implacable sur le point du dogme pour qu'on soit du mme coup, et comme fatalement, un ambitieux, un Tartufe de sacristie, un agent de police au service de je ne sais quel syndicat de sycophantes et d'inquisiteurs. C'est ainsi que Fogazzaro pardonne ceux qui, cause de ses opinions religieuses, lui ont autrefois adress ce qu'il appelle des injures ! Les juxt sont reprsents par une femme, dofia Fedele, par Marcello Trento et don Aurelio. Ce sont d e bonnes mes, aux convictions fermes, douces par-dessus tout, chaudes d'amour, de bont et de dvouement. Elles ignorent ce que c'est que le modernisme; il n'y a pour elles que d'autres mes aimer et sauver. Dofia Fedele con-
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SOCIAL
vertt les pcheurs; Marcello Trento s'crie quelque part avec beaucoup de bonhomie et de conviction : Mon cher, mon cher, il n'y a qu'un seul .bon moderniste : c'est Dante I Toute la croyance catholique, jusqu'au ,dernier iota, tout l'Evangile pour tous les hommes, de quelque couleur que soit l'habit qu'ils portent... Dante, mon cher, Dante I! Les audaces intellectuelles ne vont pas au del de la Divine Comdie. ,Et c'est trs bien encore. Mais pourquoi donc tous ces braves gens sont-ils toujours en conflit avec l'autorit ecclsiastique? pourquoi sont-ils pourchasss, honnis, rduits mme mendier? Est-ce que, pour Fogazzaro, la discipline catholique ne serait qu'un m o y e n de compression, le zle pour la foi un masque derrire lequel se cache la basse envie et la plate cruaut? On le dirait vraiment, e t .que tous les simples, tous les bons, tous les dvous ,sont -toujours autant de victimes entre les mains des Zeanti. Don Aurelio complte ce groupe. Il est le fils spirituel de Piero Maironi; il dfend son matre avec passion. Confin dans sa petite cure d e Lago, au milieu de paysans grossiers, il fait le bien et il accomplit tous ses .devoirs. On a beaucoup remarqu le discours qu'il prononce sur la tombe de Benedetto : Ecoutez I dit-il l'homme qui repose ici a beaucoup parl de la religion... Il a pu, en parlant beaucoup, se tromper aussi beaucoup; il a pu exprimer des propositions, des ides que l'autorit de l'Eglise aura raison de condamner. Le vrai caractre de son action ne fut pas d'agiter des questions thologiques o le terrain ne lui tait pas sr; ce fut de rappeler les croyants de tout ordre et de toute condition l'esprit de l'Evangile... Il n'a pas cess de proclamer sa fidle obissance l'autorit de l'Eglise et au Saint-Sige apostolique... II veut que je pardonne en son nom tous ceux qui l'ont condamn comme thosophe, comme panthiste, comme tranger aux sacrements. Mais il veut que je proteste haute voix contre le scandale de ces accusations, que je proclame qu'il tenait toutes ces erreurs pour .abominables, et que depuis le jour o, pcheur malheureux, il se tourna du monde vers Dieu, il n'a cess de se confoitmeir la foi et aux pratiques de l'Eglise catholique, jusqu' l'heure de sa mort. i Don Aurelio parle comme un livre. Il y a l de trs beaux sentiments et qui meuvent sous la plume de Fogazzaro. Mais voyons! 11 ne suffit pas pour disculper Benedetto, d'exciper de sa bonne foi. Il a enseign l'erreur, il a tent de dpouiller le catholicisme de tout son contenu .divin, de ses mystres et de son ordre hirarchique. La bonne foi ne lave pas le criminel d'une telle faute. Et puis don Aurelio proteste contre le scandale d e ces accusations portes contre son matre. .Oui ou non, taient-elles fondes? Oui ou non, Bene(
LE TESTAMENT D E FOGAZZARO
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detto a-t-il pch contre la foi, contre la discipline? Le disciple n'en est pas .encore plus sr que cela, et il n'est pas loin .d'en appeder une enqute supplmentaire, u n e Eglise mieux informe. La palinodie e s t subtile, attnue; elle cache des rserves et des sous-entendu qui font partie de la diplomatie hrsiarque, depuis qu'il y a des hrtiques qui sont par surcrot des diplomates. Enfin, voici le citr : c'est Massimo Albeitis, le disciple authentique de Benedetto. Massimo s'est jur d e reprendre et de continuer la mission du matre malheureux. Il perd la foi. Il tombe lui-mme au plus profond de la fosse qu'il a creuse. C'est alors que l'amour s'empare d son cur. Massimo aime Leila et tout les spare. Il souffre la fois du vide de sa conscience e t de la passion de son cur. Il essaie de croire; il ne peut plus. Et la conclusion de ce drame intrieur est infiniment simple. Ce que n'ont pu faire ni les tudes, ni les larmes, ni les efforts sincres, le mariage l'accomplira. Massimo cause avec don Aurelio; il lui dit tout d'un coup : Je suis revenu au ChrisL et l'Eglise; j'y suis revenu l'instant mme. Aurelio l'embrasse, pas plus tonn qu'il ne faut de ce brusque revirement : Cher, cher, remercions Dieu I Tu m'as t un grand poids de dessus le cur. Et c'est tout. Cette faon de sortir d'une situation complexe fait songer aux coups de thtre d o l'Ambigu. La vie normale ne s'accommode pas de ces soubresauts. Vous me direz que nous sommes dans le domaine de la 'grce et que la volte-face peut tre vraie, si elle n'est pas Vraisemblable. Evidemment; mais je me refuse assimiler ce Massimo qui se convertit in articulo... matrimonii saint Paul sur le chemin d e Damas. Et je retrouve ici l'ternelle tare de la thologie fogazzarienne, ce pragmatisme qui supprime toute communication entre la raison et les choses de la foi et qui fait de celle-joi, non pas line affaire de vrit, mais uniquement de conduite et de vie morale. Le J)ote romantique disait : J'ai pleur et j'ai cru! ; Massimo dit : ' Je me marie et je crois 1 L'un et l'autre ne sont que des reprsentants d'une vague sentimentalit qui est impuissante crer les "certitudes sereines de l'esprit. Et peut-tre aprs tout que Fogazzaro a voulu symboliser e n son hros les T a v a g e s incurables du modernisme. L'aventure de Massimo quivaudrait alors ' l'aveu de l'impuissance finale. Elle signifierait peu prs ceci : on ne se gurit pas de ce mal et il est mortel; les mes encombres du nuage panthiste et du fatras d e l'hypercritique sont condamnes' ne pouvoir s'en dlivrer, elles n'ont qu'une issue : le -cri vers Dieu, le geste du soldat lass qui jette ses armep -et ferme l e s y e u x pour ne pas voir la figure du vainqueur... C'est dj trop qu'on ait le droit de se poser toutes ces questions propos d'un livre qui clt une vie et qui devrait la rparer. En ,1e fermant, je m e souviens qu'il contient une, caricature de l'autorit
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religieuse, qu'il 'plaide la bonne foi des hrsiarques et qu'il les absout de ce simple fait, qu'il dnature l'acte de foi dans ses lments essentiels,..- et j'en conclus que le point final mis l'uvre de Fogazzaro est u n point d'interrogation. Les livres catholiques se terminent autrement. *
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Fogazzaro fut en somme un pote gar dans la thologie. Dieu nous dlivre de ces aptres et de ces rformateurs improviss I Une sensibilit ardente, une imagination forte, des nerfs, des lvres loquentes, un cur qui vibrait, il n'en faut pas davantage pour crire des romans qui s e vendent et qui font du bruit; il faut un peu plus pour aborder les questions religieuses et faire uvre de lumire. Les incomptents 'sont le flau du jour. Un jeune tnor entreprend la rforme sociale, un romancier russe commente l'Evangile, un romancier italien jure de rajeunir l'Eglise. Celui-ci et celui-l ressemblent au 'dormeur qui s'veille, qui a fait un beau rve et qui se figure que 'ce rve doit se substituer Tordre divin, la tradition des sicles, l'exprience de l'humanit. Il en est qui applaudissent; il e n est d'autres qui ne peuvent s'empcher d sourire et qui renvoient le songeur son oreiller et ses ombres nocturnes. Et celui-ci e s t infiniment triste 'en son me candide; il crit sur son testament : Je pardonne tous ceux qui, cause d e m e s opinions religieuses^ m'ont adress parfois des injures. Il oublie qu'opinion gale diversit et qu'il n'y a pas diversit dans la vrit. Il oublie encore qu'on n'a rien pardonner 'quand on a reconnu son erreur et que l'gar, remis sur la bonne voie, a seulement le devoir de remercier. Fogazzaro est mort. Je comprends que les libraires pleurent sur sa tombe, que les Acadmies voilent leurs portiques d'un voile de crpe et mme que les Parlements lvent la sance e n signe de deuil. Mais les prtres et les catholiques n'ont de place en ce cortge qua pour y prier. Toute autre fonction est au moins indcente.
C. LECIGNE,
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Notre Revue n'a pas pour objet propre de suivre au jour le jour les vnements; son rle est plutt de signaler les tendances et de surprendre les 'tats d'esprit; nous croyons cependant remplir un devoir en appelant l'attention de nos lecteurs sur la lutte exceptionnellement grave pi met aux prises depuis plusieurs mois la Scrtairerie d'Etat du Saint-Sige et le cabinet de Madrid.
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Il s'agit d'un devoir, disons-nous; car, l'heure o le Saint-Sige, manifestement priv de tout concours humain, dploie une constance vraiment admirable et parfois hroque dfendre, soit le droit propre de l'Eglise, soit le texte des traits, soit les intrts nationaux de l'Espagne elle-mme, contre les subtilits d'une agression la fois periioe et intemprante, il n'est pas de publication catholique digne de ce nom qui 'ne doive avoir coeur de prter au Saint-Sige l'ap* pui de son adhsion sans rserve, et de lui payer comme un tribu! de sympathie enthousiaste et d'expresse solidarit. Aprs tout, ce n'est l qu'une compensation faible encore la tactique de l'ennemi, qui ne se prive pas de renforcer l'assentiment^ d'ailleurs problmatique, de l'opinion espagnole, par les suffrages qu'il va chercher au dehors et parfois fort loin, pour se donner quelque courage dans une besogne sans fiert. Aussi bien, ce n'est un mystre pour personne que, si l'Eglise sous Pie X, et si l'auguste personnalit de Pie X elle-mme, sont l'objet d'assauts si particulirement tenaces et concerts avec une stratgie si enveloppante, il y a l une vidente revanche de l'esprit malin contre le Pontife qui a dconcert le soumissionnisme, dmasqu le modernisme, condamn le sillonisme, traqu enfin sur tous les terrains le libralisme. A ce titre, la Critique du Libralisme paie une dette filiale envers le plus clairvoyant et le plus ardemment aim des Papes, e n s e rangeant ses cts, e n prenant hautement sa dfense dans la redoutable guerre :que lui fait le libralisme espagnol. Pour donner cette dfense toute son efficacit, nous rsumerons largement les faits de la cause, nous nous attacherons -mettre en pleine lumire le bon droit du Saint-Sige, et nous essaierons de percer jour la duplicit d e ses adversaires en cette mmorable et douloureuse campagne. La Correspondance de Home, avec qui nous nous flicitons d'tre en parfait accord, nous aura d'ailleurs fourni, cet effet, l a plus prcieuse et la plus serviable des cooprations, car nous puiserons les principaux lments de notre discussion dans les quatre fascicules o elle a publi, les 2, 3, 4 et 6 mars dernier, une srie copieuse de Documents et aperus sur la lutte religieuse en Espagne par le ministre Canalejas de fvrier 1910 mars 1911. I Inutile, pensons-nous, de remonter, dans la rcapitulation des faits, jusqu' ceux qui prcdrent l'avnement du cabinet Canalejas. Indiquons seulement que des contingences d'ordre parlementaire, les unes fortuites, les autres calcules, ^avaient fait que M. Maura, cet homme d'Etat de premier ordre, dont le traditionalisme sait faire leur juste part aux saines liberts provinciales, dut cder la place un cabinet libral form par M. Moret, qui, ne trouvant pas droite l'espce de
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trve sans laquelle l'alternance des. partis ne peut s'exercer normalement en Espagne, dut se retirer s o n tour. On rsolut alors de faire l'exprience d'un nouveau cabinet prsid par M. Canalejas. C'tait le 9 fvrier 1910. Ce cabinet Canalejas s'intitula dmocrate . C'est en ceci qu'ap* parat exactement le retard de l'Espagne, ce retard dont s e gausse volontiers la presse maonnique internationale. Mais ce n'est sans dout& pas au sens o elle l'entend. Au vrai, c e retard consiste en ce que, tandis que la plupart des esprits rflchis de l'Europe rpudient de plus en plus les chimres librales qui remportrent ailleurs les victoires de 1789, de 1830 et de 1848, les novateurs de la pninsule ibrique, en Espagne comme au Portugal, n sont encore croire ncessaire l'volution rgulire de leur nation, une exprience dite librale ou dmocratique qui comportera tour tour l'abolition des prrogatives de la religion nationale, 1 attribution de divers privilges aux cultes dissidents, la neutralisation de l'enseignement public, la scularisation progressive de toutes l e s institutions sociales, finalement l'intronisation de l'Etat sans Dieu. Dj frauduleuse alors qu'elle s e donne comme librale , ce'tte exprience met le comble la supercherie quand elle se prtend dmocratique , attendu que, loin de profiter au peuple et de servir le moins du monde ses intrts, elle n'a mme pas l'excuse d'tre voulue ni mme souponne par le peuple, puisqu'elle est sortie du cerveau et qu'elle sera ralise par les mains d'une minorit de thoriciens et de beaux parleurs. Thoricien et beau parleur, M. Canalejas n'est que cela. Il reoit toutes faites les ides dont la Franc-Maonnerie a ds longtemps difi l'assemblage, et ce dogmatisme libral supplante ses yeux toute autre cosmogonie, toute autre philosophie, toute autre politique. Son habilet cependant gt en ceci qu'il a conscience de n'tre qu'un homme de transition, un cheval de renfort , et il borne s a mission vouloir acclimater en Espagne un ordre d'ides et un ordre de choses 'que d'autres, dont il escompte coup sr l'avnement, sauront bien affermir et perptuer. De l une prsomption qui l'induit croire qu'il fait merveille quand, continuant employer le langage couramment usit par ses prdcesseurs, il parle e n catholique, affecte une soumission extrieure aux maximes de la religion traditionnelle, et eint la surprise quand il se heurte aux invitables rsistances d'une autorit qu'on ne circonvient pas impunment. Et c'est autour de ces quelques donnes, aprs tout primaires , qu'il dverse les lots de paroles qui font de lui, l'heure prsente, le plus bavard des politiciens de l'Europe investis d'un portefeuille. Jaurs, quand il sera ministre, sera, a u prix de Canalejas, un modle de discrtion et de mesure. Et ce qui v a suivre montrera que, si Canalejas a retenu de Wadeck-Rousseau la stratgie, de Combes la haine,
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de Clemenceau la brusquerie dsinvolte, et de Briand la doucereuse perfidie, il se contradistingue de tous ses modles o i l les distance par l'intemprance et la prolixit.
II Aprs avoir esquiss le portrait du personnage, voyons-le l'uvre. Le 14 avril 1910, il dissout les Corts; le 8 mai, il obtient la Victoire des partis de gauche; aussitt il laisse prvoir une politique d'agression contre l'Eglise, et fait savoir qu'il conoit, d'autre faon que le Saint-Sige, la condition juridique des Ordres religieux en Espagne. Vainement, le 27 mai, l'piscopat espagnol nvoie-t-il au gouvernement une adresse o il l e prie de respecter les droits et les institutions de l'Eglise catholique : ds le 30 mai, parait le rea orden l'ordonnance royale, qui prescrit aux maisons ?eligieuses de s'inscrire sur les registres civils. Le 10 juin, autre real orden autorisant, malgr l a Constitution et l e Concordat, l'exhibition publique d'affiches ou d'emblmes propres aux cultes dissidents. Fuis, le l juin, pour l'ouverture des Corts, lecture d'un discours du trne qui contient, l'adresse 'de l'Eglise, des menaces nullement dguises.
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Et, tout d e suite, le Saint-Sige formule sa protestation contre les dcrets "du 30 mai et du 10 juin sur les communauts et sur les manifestations des cultes non catholiques. Le 21, c'est l'piscopat espagnol qui proteste son tour contre les mmes dcrets; le 22, ce sont l e s dames catholiques d'Espagne qui envoient au Saint-Pre une adresse tlgraphique d e dvouement. Le 26, le cabinet de Madrid est saisi d'une -protestation du Saint-Sige, qui dclare ne pas pouvoir continuer les ngociations relatives aux maisons religieuses, si le 'gouvernement persiste e n sa politique anticatholique. Mais, le 2 juillet, le -gouvernement rpond ten dclarant maintenir cette politique; pis que cela, le 3, il accepte les encouragements que lui apporte,, avec la spontanit qu'on devine, une dmonstration organise Madrid par les francs-maons et les rpublicains, tandis qu'il passera outre la protestation envoye -au roi, le 7 juillet, par le Comit de dfense sociale. En effet, le 8 juillet, M. Canalejas prsente aux Corts le projet de loi dit du cadenas , qui interdit l'ouverture en Espagne de nouvelles maisons religieuses, et, du coup, les vnements se prcipitent. Ds l e 10, arrive Madrid la protestation du Saint-Sige contre le dpt de c e projet, en mme temps que des catholiques espagnols s'lvent contre la politique sectaire du cabinet. Le 18, l'ambassadeur d'Espagne auprs du Saint-Sige, M. de Ojeda, est < appe? l Madrid, et, de mme que, d'ordre de son gouvernement, il
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX^ POLITIQUE,
SOCIAL
quitte Rome sans avoir fait visite, ni au Saint-Pre, ni au cardinal secrtaire d'Etat, de mme nul terme n'est fix au sjour qu'il vient faire Madrid. Et comme le peuple fidle se lve comme un seul homme pour marquer sa rprobation devant de tels procds, comme des meetings et des cortges sont annoncs dans diverses villes, le ministre interdit la manifestation du- 31 juillet Bilbao, celle du 7 aot Saint-Sbastien; il prescrit mme aux bureaux tlgraphiques officiels de maquiller les dpches adresses aux journaux, afin de rduire le nombre des manifestants. Si, le 28 aot, il tolre les nombreux plerinages qui affluent dans les divers sanctuaires espagnols pour attester la fidlit de l'Espagne l'Eglise, il s'empresse, dans le mme temps, de faire tat des adresses de flicitations qu'il reoit de la grande Loge maonnique Catalana-Balear, et du Congrs de la Libre-Pense tenu Bruxelles; en tout cas, il interdit, le 2 octobre, l'imposante manifestation catholique organise Bilbao. Pendant le mois d'octobre, le Snat discute la loi du cadenas . Pour l'appuyer, M. Canalejas prononce un discours o abondent, ct de violences gratuites, les plus criantes inexactitudes sur le caractre et la porte des manifestations catholiques. L'opposition rpond par de brillantes harangues : M. Joaquim Vasquez de Mella produit notamment, le 22 octobre, une crasante rfutation de cette politique louche qui se flatte d' tayer le trne avec les dbris de l'autel . Battu sur le terrain loyal de la dialectique, M. Canalejas demande sa revanche aux manoeuvres parlementaires : il persuade aux snateurs modrs que le cadenas ne jouera pas avant deux annes, ou qu'il ne jouera que pendant les deux annes ncessaires au rglement dfinitif, concert avec le Saint-Sige, du sort des maisons religieuses, il obtient ainsi que ces snateurs, et mme des vques, mettent, soit pour, soit contre la loi, des votes galement fcheux : car ceux-l mmes qui avaient des raisons spciales de ne pas prendre parti contre le ministre eussent d s'en tenir l'abstention, qui, suffisamment multiplie, et eu pour effet d'empcher le quorum d'tre atteint. Bref, le 4 novembre, sur 360 snateurs, 148 approuvent la loi du cadenas , 85 la repoussent, et 122 s'abstiennent. A la Chambre, le projet passe plus aisment encore, et alors s'ouvre une nouvelle phase de cette guerre religieuse : le cabinet Canalejas annonce, vers la fin de fvrier 1911, qu'il va prsenter aux Corts le projet qu'il a labor sur les associations en gnral, et qui contiendra une partie spciale aux associations religieuses; et tout aussitt il demande au Saint-Sige si, quand ce projet sera dpos, le Saint-Sige consentira reprendre les ngociations. La rponse du Saint-Sige, invoquant la Constitution de 1876 aussi bien que le Concordai de 1851, se montre aussi rebelle l'ide de ngocier aprs le dpt d'un projet rdig sans son aveu, qu'il est prt, avant toute
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prsentation d'un texte aux Chambres, chercher l'amiable un terrain d'entente. Le cabinet persiste vouloir prsenter Je projet sans accord pralable avec le Saint-Sige, et, l'heure o nous crivons, les choses en sont l.
III De cet expos du conflit qui se prolonge depuis treize mois entre l'Espagne et le Saint-Sige, se dtachent, la charge de M. Canalejas, six initiatives toutes condamnables des degrs divers, savoir: le dcret sur l'enregistrement civil des maisons religieuses, le dcret sur la libert des manifestations des cultes dissidents, le discours royal aux Corts sur les desseins sectaires du gouvernement, l'interdiction des manifestations catholiques, le brusque xappel de M. Ojeda, et la loi du cadenas. Mais toutes sont domines par une prtention insoutenable qui constitue le principal, et presque l'unique grief du Saint-Sige, la prtention de rgler unilatralement, sans accord pralable avec l'autorit de l'Eglise, des matires qui, non seulement ne sauraient, en droit, relever de la seule volont de l'Etat, mais qui, en fait, sont soumises, par la Constitution espagnole e\ par le Concordat, l'entente des deux pouvoirs spirituel et temporel. Le Concordat de 1851 affirme mme cette entente en des termes d'une clart explicite en mme temps que d'une impressionnante solennit. L'article I du Concordat est ainsi conu :
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La religion catholique, apostolique, romaine, qui, l'exclusion de lout autre culte, continue tre la seule religion de la nation espagnole, sera conserve toujours dans tout le domaine de Sa Majest catholique avec tous les droits et avec toutes les prrogatives auxquelles elle a droit selon la loi de Dieu et selon les sanctions canoniques. Les articles 29 et 30 disent expressment que des Ordres et des Congrgations, de vie contemplative et de vie active, existeront en Espagne. L'article 30 en dsigne mme quelques-unes au dveloppement desquelles le gouvernement royal promet de contribuer, regio yubernio ad ejus incremenium cooperatwo. Et voici les articles qui tranchent souverainement tout le conflit actuel : Article 43. Toutes les autres affaires se rfrant aux choses et aux personnes ecclsiastiques, sur lesquelles on n'a rien dtermin dans les articles prcdents, seront diriges et administres selon la discipline canonique en vigueur dans l'Eglise. Article 45. ... Si quelque difficult surgissait, Sa Saintet et Sa Majest traiteront ensemble pour arranger la chose l'amiable.
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Les textes tant tels, on voit immdiatement quelle est l'arrogante effronterie de M. Canalejas lorsqu'il dclare rester fidle aux lois en vigueur, et mme son devoir de catholique espagnol, tout en se rservant la facult de rgler en matre la question des manifestations extrieures des cultes dissidents et la condition juridique des associations religieuses. On voit aussi combien le Saint-Sige est fort de son droit, quand il ne cesse de rclamer, avant l'adoption de tout dcret ou la prsentation de tout projet sur ces matires, des tractations entre Sa Saintet et Sa Majest pour arranger la chose l'amiable . Quant la Constitution de 1876, elle interdit, dans son article 11, les crmonies et les manifestations publiques d'un culte non catholique. Et le dcret royal du 23 octobre 1870 prcise quelles sont les manifestations publiques qui sont ainsi dfendues; il dsigne les inscriptions, les emblmes, les annonces, etc., exposs publiquement . Or, le dcret du 11 juin 1910, propos par M. Canalejas, a chang tout cela : il a dclar que les manifestations numres pai le dcret du 23 octobre 1870 ne sont pas des manifestations publiques , et ds lors ne sont plus dfendues. Peut-on faire plus audacicusment, et aussi plus plaisamment, violence aux mots, que de dcider ainsi que des manifestations publiques ne sont pas des manifestations publiques ? Et qui n'applaudirait ce spirituel commentaire de la Correspondance de 'Rome : La clef du systme est vieille. Elle fut invente par cet homme, trs respectueux de la loi ecclsiastique de l'abstinence, dont on raconte qu'il appela morue la poule et en conclut qu'il n'tait pas dfendu de la manger le vendredi. Mais il eut la discrtion de ne pas dire cela dans un dcret royal. Malgr les vives protestations qu'a provoques, soit de la part de l'piscopat espagnol, soit ensuite de la part du peuple espagnol luimme, un dcret si directement attentatoire la Constitution et au Concordat, la situation s'est encore aggrave par le langage que M. Canalejas a fait tenir au roi Alphonse XIII, l'ouverture des Corts, le 15 juin 1910. Ce message, moins royal que maonnico-ministriel, contenaii. au moins quatre normits : en premier lieu, et tout en exprimant au Pape des sentiments de considration filiale , il annonait des mesures unilatrales contre les religieux (assujettissement des congrgations au droit commun des associations, rduction des couvents, loi interdisant la cration de nouveaux Ordres); en second lieu, il so flattait d'avoir amplifi l'article 11 dans le sens de la libert de conscience ; en troisime lieu, il promettait de raliser l'quilibre financier "moyennant la rforme des impts applicables aux congrgations ; enfin, il annonait qu'en dveloppant l'enseignement, il exclurait le dogmatisme des coles . Sans discuter fond chacun de ces passages du discours du trne.
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comment ne pas noter brivement la faon dont ici l'action sectaire brle les tapes? Du mme coup, elle annonce la limitation de la libert des Ordres religieux, leur spoliation, la scularisation des manifestations publiques et la dchristianisation des coles : la besogne qui a demand trente annes en France, est annonce tout de go, en Espagne, comme ralisable par un seul ministre. Ce Canalejas est un Hercule, moins qu'il ne soit un... TartarinI En fait, il a bien d, comme avait fait Gambetta en France, srier ses oprations. Pour ce qui est des religieux, par exemple, il a gradu ses effets comme suit : I Le dcret du 30 mai 1910 exigeait l'inscription des communauts sur les registres civils, et faisait revivre pour cela une ordonnance du 9 avril 1902, ce qui tait avouer le caractre antipontifical de la mesure, puisque cette ordonnance de 1902 avait d tre abandonne parce qu'elle contenait nombre de dispositions dont le Saint-Sige avait signal l'incompatibilit avec le modus vivendi intervenu cette mme anne entre lui et l'Espagne; 2 Le projet de loi prsent le 8 juillet suivant, et qui s'est appel loi du cadenas , avait pour objet de dfendre l'installation de toute communaut nouvelle jusqu' l'adoption du nouveau rgime des associations, et, ici encore, l'agression contre le Saint-Sige n'tait pas douteuse, puisque cette mesure restrictive des liberts proclames dans le Concordat et dans la Constitution tait prise sans l'aveu, et mme sans l'avis du Saint-Sige, dont on escomptait l'assentiment dans le temps !mme o l'on omettait effrontment de le solliciter; 3 Le projet de loi sur les associations, dont le dpt est tout rcent, se propose la fois d'astreindre les congrgations au droit commun des associations, et de les exclure de ce mme droit commun en les assujettissant des contraintes particulires, quant leur nombre, quant l'autonomie de leur existence, quant l'exercice du droit de proprit, quant l'galit fiscale. Au surplus, les commentaires qui ont dj paru sur ce projet le ^reprsentent tous comme calqu sur la loi Waldeck-Rousseau , promulgue en France le 1 juillet 1901 : la badauderie de M. Canalejas a pu croire qu'on lui faisait l un compliment; en ralit, c'est peine s'il tait possible de lui imputer un plagiat plus dshonorant que celui-l.
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A rencontre de cette lgislation perscutrice, les Documents et aperus publis par la Correspondance de Rome contiennent de solides dmonstrations et des rfutations premptoires. En bref, on y montre, d'une part, que le Saint-Sige est et demeure tout prt ngocier dans un sentiment de large conciliation sur cette question de la vie religieuse en Espagne; d'autre part, que l'assimilation des communauts aux associations ordinaires repose sur un sophisme que contredit la ralit des faits et des circonstances; enfin, que jamais
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le Saint-Sige, pas plus en 1902 qu'aujourd'hui, ne s'est prt, en ces matires, une initiatiwe unilatrale de l'Espagne. Mais le document le plus majestueux, dirions-nous, que le recueil contienne sur cette question, c'est l'expos qui a paru le 28 mai sous ce titre : IEpiscopat les Ordres religieux et le gouvernement. On y trouve, e n effet, des affirmations sereines et lapidaires comme celles-ci :
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Toutes les associations religieuses approuves, selon la discipline de l'Eglise cammiquement en vigueur, ont le mme droit d'exister, et jouissent de la mme vie lgale en Espagne... Les associations de rguliers vivent l'ombre du Tridentir nwn, qui est loi du royaume. La religion catholique tant la religion de l'Etat, toutes les associations religieuses approuves (par elle ont dj pour cette seule raison la personnalit juridique... Les Congrgations n'ont besoin que de l'autorisation de l'Eglise, parce que les gouvernements ne peuvent ni les crer, ni les dissoudre... Voil de la doctrine, et cela console des timidits dont le spectacle nous fut donn ailleurs e n des circonstances analogues! Cette intrpidit dans la revendication du- droit n'empche d'ailleurs personne d'invoquer en mme temps des arguments d'ordre immdiatement utile la cause. C'est ainsi que la Correspondance de Morne fait tat des notes publies ici et l sur les bienfaits des religieux et des religieuses en Espagne, comme aussi des statistiques compares sur la proportion des religieux par rapport la population globale dans les divers pays. Mme elle s'amuse de la contradiction o est tomb le Corriere dlia Sera de Milan, le jour o il a jug le nombre des religieux d'Espagne excessif pour un pays si dpeupl, alors qu'il venait d'attribuer ce grand nombre l'immigration des religieux exils de France : puisquo l'Espagne est si dpeuple, en effet, la logique ne veut-elle pas qu'on se flicite d'une telle immigration?
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Il y a mieux : paralllement cette dfense des religieux contre les agressions dont M. Canalejas les harcle depuis un an, Ton peut suivre, dans la documentation collationne par la Correspondance de Rome, les preuves multiples, concrtes, prcises, des dispositions parfaitement modres et conciliantes du Saint-Sige au regard de cette dlicate question de la vie monastique en Espagne. Ainsi, lo 9 juillet 1910, c'est--dire le lendemain mme du dpt de la loi du cadenas , YOsservatore romano publiait une note qui dclarait que le Saint-Sige se montrait, aussi bien avec le cabinet actuel qu'avec les prcdents, dispos des concessions importantes, dont la limitation des maisons religieuses, la suppression de toutes celles dans lesquelles rsident moins de douze religieux, la soumission sanv- exception des congrgations religieuses aux impts du royaume qui touchent d'autres personnes juridiques ou sujets espagnols, l'obligation pour les trangers qui voudraient tablir des Ordres ou des Congrgations religieuses, avec personnalit juridique reconnue
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par l'Etat, de se faire naturaliser pralablement dans le nouveau royaume selon les lois civiles. Ds lors, pouvait-on prtendre que le Saint-Sige rendait impossible toute solution, raisonnable? Et, aprs de telles dclarations, qui attestaient ses dispositions bienveillantes pour l'Espagne, le Saint-Sige n'tait-il pas fond protester contre tout rglement unilatral de la question dbattue, et demander le retrait du projet de loi du cadenas , prcisment afin de permettre la reprise des pourparlers? Des concessions ? Mais on en trouve autant qu'on peut souhaiter dans la note adresse ds le 9 mai M. de Ojeda, ambassadeur d'Espagne, par le cardinal Merry del Val. Cette note, que nous trouvons dans la synthse d'une enqute faite Rome par le correspondant du New-York Herald, et publie par ce journal le 3 novembre 1910, montrait le Saint-Sige dispos accorder : 1) que fussent supprimes les maisons religieuses, dans lesquelles rsidaient moins de douze religieux, quelques ncessaires exceptions faites, par exemple, pour les communauts qui s'adonnaient aux uvres de bienfaisance et d'enseignement, ou que les vques considraient comme ncessaires pour le ministre spirituel de leur diocse; 2) que, pour ouvrir de nouvelles maisons de Congrgations dj existantes en Espagne, ft ncessaire, outre le consentement de l'vque, l'autorisation du Gouvernement, et que, pour tablir de nouveaux ordres ou congrgations religieuses, il ft besoin d'entente pralable entre le Saint-Sige et le gouvernement; 3) que les trangers ne pussent fonder des Ordres ou Congrgations religieuses, avec la personnalit juridique reconnue par l'Etat, sans tre pralablement naturaliss dans le royaume selon les rgles des lois communes, et que ceux qui, conservant leur condition lgale d'trangers, entreraient ou rsideraient en quelque couvent ou maison religieuse en Espagne, demeurassent soumis toutes les dispositions du droit commun en vigueur pour les trangers; 4) que les Congrgations religieuses fussent sujettes tous les impts du royaume qui atteignaient les autres personnes morales ou sujets espagnols. Le Saint-Sige se dclarait aussi prt apporter, dans les cas particuliers, un remde opportun tout abus possible lui dnonc par 1 gouvernement, touchant l'existence et le nombre des maisons < religieuses. Le Saint-Sige est encore all plus loin dans la voie de la conciliation. Mme aprs le vote de la loi du cadenas , mme aprs, le dpt du projet qui prtend rgler dans son ensemble la question des associations, mme alors, c'est--dire au dbut du mois de mars de la prsente anne 1911, le .Saint-Sige, par une nouvelle note de VOsservalore romano, en date du 2 mars, faisait savoir que, pour donner une dernire preuve de son dsir de concorde, il consentirait reprendre les ngociations interrompues, condition : 1 que les nouveaux pourparlers sur les Ordres et les Congrgations religieuses aient pour point de dpart les dispositions du Concordat et les principes du droit canonique, au sens aussi de l'art. 43 du Concordat, de sorte qu'au-
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cune modification de la situation juridique actuelle des Ordres et des Congrgation susdites soit introduite sans accord pralable avec le Saint-Sige; 2 que, comme consquence logique, les pourparlers s'tendent la partie de la loi projete sur les associations, qui regarde les associations religieuses; 3 que, durant les ngociations, le gouvernement espagnol s'abstienne de prendre des dispositions qui pourraient devancer ou faire prjuger le rsultat de ces mmes pourparlers. Franchement, l'attitude de M. Canalejas rpond-elle comme il sirait ces dispositions longnimos du Saint-Sige? Qui oserait le soutenir, quand on a vu ce ministre traduire son prtendu dsir d'un accord par les actes agressifs que nous avons dj signals, les aggraver par les entraves apportes la manifestation du sentiment catholique en Espagne, et y mettre le comble par le rappel de son ambassadeur? Car il s'agit bien, en fait, d'un rappel. Non seulement aucune date n'a t indique pour le retour Rome de M. de Ojeda, mais encore ce diplomate a quitt la Ville Eternelle sans faire visite au Souverain Pontife ni au cardinal secrtaire d'Etat. Mme, c'est seulement deux jours aprs la communication de la nouvelle la presse madrilne, et une heure avant son dpart de Rome, que l'ambassadeur a fait savoir, par l'intermdiaire de son attach, M. de Gonzalez, que le cabinet de Madrid rpondait ngativement la demande si discrte du Saint-Sige en vue du retrait de la loi du cadenas et que lui-mme retournait Madrid sine die. En vrit, pour l'unique plaisir de plagier les faons de M. Delcass sous M; Loubet, tait-il besoin d'accumuler tant de procds gratuitement injurieux l'gard du Saint-Sige? Et la Correspondance de Borne estelle victime d'une chimrique hantise, lorsqu'elle montre, dans ce plagiat, la ralit du plan sectaire de M. Canalejas, malgr l'illusion de ceux qui rptent : mieux vaut Canalejas que la rvolution! , alors que c'est prcisment la rvolution que mnent les faons d'un Canalejas, absolument comme celles d'un Waldeck-Rousseau menrent l'oppression des Combes, des Clemenceau, des Briand, et aujourd'hui des Monis?
T
Ce plan sectaire de M. Canalejas est d'autant plus mprisable qu'il s'accompagne d'une srie de ruses dloyales et vraiment indignes d'un politique srieux et d'un homme d'Etat digne de c e nom. C'est ainsi qu'il a, de son chef, pris des mesures qu'il savait bien que le Saint-Sige aurait acceptes, puisqu'il avait promis de le faire dans les notes que nous avons cites. L'objet de cette tactique tait d'affirmer la comptence souveraine du pouvoir civil en des matires mixtes de leur nature, d'encourager ainsi la pousse anticlricale des dmagogues, de reprsenter le Saint-Sige comme intransigeant mme quand il est conciliant, de pouvoir enfin, le jour venu de nouveaux pourparlers, exiger des concessions plus fortes, en disant que les premires sont dj acquises.
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De mme, quand il feint de n'avoir pas rappel l'ambassadeur, mais de l'avoir seulement appel , son but est de mator la protestation de l'piscopat et du peuple espagnol, en opposant cette protestation la possibilit persistante d'une reprise des ngociations. Quand ensuite il s'attribue le beau rle , et qu'il met en circulation des apologies qui le reprsentent comme le paladin de la libert , M. Canalejas se montre d'une duplicit rare, attendu que c'est aux lments les plus troubles de la secte antireligieuse et antisociale, soit en Espagne, soit dans le monde entier, qu'il donne en ralit satisfaction. Plus fourbe encore apparat-il, quand il accuse le Saint-Sige d'avoir fait traner les pourparlers, car le bon sens le plus lmentaire devine que, s'agissant d'une rforme du Concordat, propose une heure o l'irrligion cosmopolite tente un effort exceptionnel, l'intrt du Saint-Sige est de hter la conclusion de ngociations de cet ordre, ne ft-ce que pour sauver le plus possible des garanties religieuses menaces. Rappellerons-nous les quivoques que M. Canalejas, par ses notes la presse, par ses interviews accordes tout venant, a multiplies touchant la conduite du Saint-Sige? Relverons-nous les vritables calomnies auxquelles il n'a pas craint de descendre vingt reprises, histoire de se donner, comme il dit, le beau rle ? Au vrai, il a menti tout le monde, au Saint-Sige, aux voques, au roi luimme; il a menti publiquement au Snat, quand.il a dclar cette assemble qu'il laborerait les lois d'association et d'enseignement d'accord avec Rome : il s'agissait alors, il est vrai, d'enlever le vote de la loi du cadenas , mais, cette loi vote, le ministre, talant une versatilit par trop cynique, annonait que ces projets seraient prsents sans avoir fait l'objet, au pralable, d'une laboration concerte avec Je Saint-Sige. Enfin, ne ment-il pas au peuple entier quand il invoque, journe faite, la volont du pays et le respect d l'opinion publique, alors qu'on l'a vu signifier des arrts d'impitoyable interdiction aux imposantes manifestations par o le peuple catholique devait faire connatre son sentiment, Bilbao, Saint-Sbastien et ailleurs ? Ces ruses, ces quivoques, ces mensonges marchent de pair avec des incorrections diplomatiques qui disqualifieraient pour tout de bon un diplomate et un homme d'Etat dans une Europe qui aurait gard le sens de la dignit internationale. M. Canalejas communique aux journaux les rponses qu'il destine au Saint-Sige avant que celuici en ai* t seulement avis. M. Canalejas dcouvre sans cesse le roi : il ne prend pas une mesure, il n'nonce pas une proposition sans avertir qu'il jouil persvramment de la confiance royale; mme il a dsign Alphonse XIII par un titre inconnu jusqu'alors, el rey democratico, ce qui a motiv, de la part de la Correspondance de Rome, cette piquante rflexion que chacun donne ce qu'il a , et que, les Papes
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ayant octroy aux souverains d'Espagne le titre de roi catholique , M. Canalejas, pontife le la dmocratie, ne pouvait leur offrir que celui de roi dmocratique . Le plus dup, du reste, en ceci, c'est prcisment le peuple, lequel ne gagne rien la politique canalejisfce, puisqu'elle se concentre et s'hypnotise en des querelles religieuses, sans aucune rpercussion philanthropique ou conomique. Et M. Canalejas n'opre pas seul en ces panchements loquaces dont la prolixit dconcerte le bon got; il fait parler aussi ses collgues, tmoin les dclarations que M. Garcia Prieto a rpandues tant d'exemplaires, spcialement pour affirmer que la loi sur les associations espagnoles, comme la loi Waldeck-Rousseau, inviterait les congrgations solliciter l'autorisation : c'tait prendre l'interlocuteur pour un ignorant ou pour un niais, car quiconque se souvient de notre rcente histoire sait que l'invitation dont il s'agit fut un guet-apens sans pareil, le successeur de Waldeck, dsign par Waldeck lui-mme, s'tant ht de conclure au refus global de toutes les autorisations bnvolement sollicites par la candeur des congrgations franaises, rserve faite de quelques glorieuses exceptions.
IV Il est temps de conclure. Nous le ferons en applaudissant la publication, par la Correspondance de Rome, de ce recueil de documents et d'aperus, qui prendra rang dans l'utile et difiante srie des Cahiers contemporains. Cette collection fait honneur la sagacit, la vigilance, au dvouement averti de Mgr Benigni. Elle constitue, des actes do la diplomatie pontificale en des jours particulirement difficiles, une apologie en quelque sorte quotidienne, et singulirement objective. A toutes les violences comme toutes les perfidies de l'ennemi du dehors, toutes les timidits comme tous les travestissements des esprits chagrins du dedans, cette collection oppose des rponses victorieuses, dont l'honneur d'un Pontificat dj fameux dans les annales de l'Eglise ressort avec une vidente clart. Mais aussi, nous nous associerons la conclusion gnrale de ce travail si puissamment suggestif, conclusion qui est d'inviter les catholiques de tous les pays se solidariser avec le Saint-Sige, pour repousser l'assaut, plus rflchi que jamais, de la secte antireligieuse cosmopolite. Un des faits les plus rcents de la lutte que nous venons de rsumer a t, cet .gard, une rvlation. A propos de son projet sur les associations, M. Canalejas a fait dire qu'il admettrait les vques prsenter, avant la discussion, leurs observations, au mme titre d'ailleurs que les autres citoyens. Il ajoutait que, la pense des vques ne pouvant diffrer de celle du Saint-Sige, l'avis de celui-ci entrerait ainsi en ligne de compte. Et, sans doute, nul
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piscopat n'est plus uni au Saint-Sige que celui d'Espagne : mais, outre que c'est faire une gratuite injure au Saint-Sige que de l'carter par prtention dans une affaire o le Concordat le dclare de droit partie contractante, cette suggestion de M. Canalejas n'ouvre-t-elle pas des horizons sur un vague dessein d'glise nationale, qui se pourrait apparenter avec le schisme qu'avait rv M. Briand quand il proposa ses cultuelles ? Le correspondant romain de VAction franaise, Avcntino, dont nos lecteurs n'ignorent pas l'esprit avis, s'est pos cette question, et, tout en lui laissant son caractre interrogatif, il en a du moins tir cette trs opportune conclusion : Tous les catholiques doivent suivre de prs les affaires d'Espagne. A ct des incidents qui ont un caractre local, ils doivent en voir la porte qui est universelle. C'est le moment ou jamais o les catholiques doivent tous s'unir, sans distinction de partis et de nationalits, contre les assauts des sectes. A la solidarit des anticlricaux qui ne sont en ralit qu'un petit nombre, dont la force rside dans l'audace et l'union parfaite, les catholiques ont le devoir d'opposer leur propre solidarit et d'craser leurs ennemis sous leurs masses disciplines. Les temps des accommodements et des transactions sont passs ; il faut accepter avec entrain la lutte, telle qu'elle est offerte, sans merci. L'assaut anticatholique est men avec ensemble. L'Italie fte son cinquantenaire et les ftes sont dj exploites pour les besoins d'une guerre contre Rome, guerre qui clatera, selon toute probabilit, en 1912, lorsque l'on rglera les comptes de l'anne prsente. En Franco, nous assistons une reprise d'hostilit violente contre le catholicisme; peu importe le nom des hommes au pouvoir ou do ceux qui tombent; ils se valent tous, qu'ils s'appellent Briand, Combes, etc., qu'ils mettent des gants ou non leur sectarisme; ce sont les loges qui manoeuvrent derrire eux. En Espagne, M. Canalejas applique le programme sectaire et rgle son plan d'attaque, pour faire sombrer dans la tempte rvolutionnaire et le Trne et l'Autel. En Portugal, la rvolution complte son uvre. Dans tous les pays, le flot maonnique s'efforce de saper, avec le concours du democratismo, du modernisme, des passions populaires, les bases de la tradition et de la religion. Il n'est que temps de se grouper et de rsister par une vigoureuse offensive. La Critique du Libralisme, on le devine, appuiera de tout son cur la vigoureuse offensive ainsi recommande et si puissamment motive. Elle fait des voaux particulirement ardents pour que les catholiques d'Espagne opposent la pousse maonnique une rsistance plus heureuse, et, pour cela, plus doctrinale que ne fut, pour tant de raisons connues, celle de leurs frres de France. Elle les supplie de se souvenir, une fois de plus, que c'est l'Eglise catholique qui fut l'me de leur patrie; que la Reconquista fut faite au nom de la religion do leurs pres, qu'opprimaient les califes; que leurs hroques librateurs furent suscits par cette foi profonde qu'inspirrent les vques, les prtres et les moines; que le privilge de l'Eglise catholique en terre espagnole n'est pas l'uvre du bon plaisir d e tel ou tel monarque, mais le fruit d'une vraie conqute opre le long des sicles et cimente par les bienfaits ininterrompus de cette
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Eglise, dont on doit convenir qu'elle est, par sa mission toute maternelle, non seulement l'Eglise d'Etat, mais l'Eglise du pays. Nous osons galement les convier bien comprendre quelle amre sottise serait la leur si, au moment o devient lucide pour tant d'autres peuples la duperie qui est au bout de l'illusion librale , ils allaient se laisser sduire par cette dcevante chimre, et attribuer la libert de conscience un sens autre que celui d'un sauf-conduit pour l'infiltration huguenote, ou smitique, et, en fin de compte pour la conqute maonnique et l'asservissement matrialiste. Nous attirons leur attention sur cette rflexion que suggrait au Temps le rcent dbat soulev au Landtag de Prusse par les interpellations sur la question du -serment antimoderniste: Les Allemands ont perdu le got d'un Kulturkampf. En quoi les Allemands sont sages. Les Espagnols vont-ils prendre le contrepied de cette sagesse? Surtout, qu'ils rsistent aux artifices que continuera de multiplier la duplicit de leur Canalejas. Le 13 mars dernier, le Giornale d'Italia (car ses confidences sont mondiales) publiait de lui une interview o il proclamait, avec cette opprimante jactance que nous avons dj note, ce qui suit: Nous avons le dsir de reprendre les relations interrompues: cela cependant ne peut nous empcher d'accomplir une uvre de civilisation, celle qui consiste soumettre au droit commun les congrgations religieuses qui vivent hors la loi. Se peutil, en si peu de mots, qu'on entasse tant de mensonges? Et tout.ee* qui prcde ne rfute-t-il pas surabondamment ce langage? Sur le droit commun , en particulier, que les catholiques d'Espagne ne se laissent, point surprendre: la part de lgislation commune acceptable pour les religieux a t prcise par le Saint-Sige, et largement amplifie; mais, pour le surplus, qui ne voit que, les ordres religieux formant des associations sui generis, le droit commun ne saurait leur tre applicable? On en a, au demeurant, fait l'exprience en France. Et quant la civilisation , qui la croira intresse la victoire d'un systme qui, s'annonant libral , vise un but oppresseur par des moyens galement oppressifs? N'insistons pas davantage, mais ne dposons pas la plume sans rendre, l'Eminentissime cardinal secrtaire d'Etat de Pie X, l'hommage d'admiration que lui mrite son dvouement son auguste Matre, dvouement qu'atteste toutes ses lignes le recueil que nous avons analys, dvouement d'ailleurs fait de patience et de lgitime fiert, d'opportune condescendance et d'indispensable nergie, de grandeur d'me enfin et d'oubli des injures. * Les injures? Nous n'en relverons qu'une. Le Temps, se citant luimme, rappelait, le 2 mars dernier, qu'il avait, en aot prcdent, dj public les lignes suivantes:
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HISTORIQUE
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M. Canalejas dclare qu'il est anima des sentiments les plus conciliants. Mais il est probablement le premier se rendre compte que dans les termes o se pose le problme, la conciliation importe peu. On ne transige pas avec l'absolu; et la papaut, avec Pie X et le cardinal Merry del Val, se meut dans l'absolu. Un Espagnol minent nous disait un jour, en parlant du secrtaire d'Etat pontifical : C'est un homme qui croit l'enfer. Quelle politique faire avec un homme qui croit l'enfer? . Cette boutade contient une large part de vrit. Pie X et son principal collaborateur ignorent les contingences, les demimesures, les compromis dont sont faites les ngociations. Quand des- hommes comme M. Briand ou M. Canalejas disent, trs sincrement d'ailleurs, qu'ils sont conciliants, leur prtention apparat au Vatican comme une ironie provocante. On ne fait pas sa part l'erreur 'quand ion a conscience d'tre la vrit et toute la vrit. Ds lors qu'on commence discuter, la rupture est consomme. Sous Lon XIII, les tractations avec le Vatican gardaient un caractre politique. Sous Pie X, elles sont purement dogmatiques et par consquent sans issue. On nous demandera peut-tre o nous voyons l'injure, en cette anecdote d'ailleurs videmment controuve, car le scepticisme qu'elle affiche n'est pas d'un Espagnol. L'injure, rpondons-nous, nous apparat dans cette commisration qu'un journal comme le Temps se croit permis d'exprimer l'endroit du cardinal Merry del Val et de Pie X. Que si l'on n'admet pas que l'un et l'autre sont ici injuris, l'on nous accordera qu'alors c'est sur Lon XIII et sur le cardinal Rampolla que tombe une autre injure, celle de ne point croire l'enfer . Quels que soient ceux, en fin de compte, que prtende atteindre ce mchant propos, nous le repoussons du pied. Et nous invitons le Temps s e souvenir d'une lutte qui, pour tre dogmatique , ne fut pourtant pas sans issue : nous voulons parler de celle qui, en condamnant les cultuelles , dsaronna pour toujours M. Briand... Tt ou tard, d'ailleurs, ce sera M. Canalejas qui connatra pareille dconvenue son tour. Et dj la retraite provisoire qu'il a opre le 31 mars dernier n'est-elle pas un nouveau symptme d'une chute invitable? Paul TAILLIEZ.
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Il y aurait encore bien des choses relever dans le rle que M. Hanotaux prte Jeanne d'Arc mourant sur le bcher de Rouen, p. 508 : Jeanne, en dominant, de toute la hauteur de son bcher, ces hommes hautains et verbeux qui montraient au peuple son pauvre corps de iemn.v nue, pour prouver qu'elle tait bien morte et qu'ils avaient le dernier mov Jeanne les a brls et anantis eux-mmes; elle a dchir les oripeaux et 1. Voir numro du 15 mars 1911.
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les chapes dont ils s'affublaient et prouv qu'eux seuls taient cendre et poussire. Elle a balay et jet la rivire les vieilles oligarchies mortes* les mcaniques puises et alourdies ; elle a nettoy le champ national de tous les sophismes et du pire de tous, Vorgueil pdantesque. Si fire et si ardente, elle -a aim le joug et le frein, mais en ne l'acceptant que de la rgle et du droit, non des hirarchies phmres et des prtentions usurpatrices. Jeanne est une femme qui ne connat que le devoir; elle ne se fait aucune illusion sur l'imporLance des grands personnages, nobles ou clercs; elle les carte, s'ils dfaillent, empoigne l'tendard et fait la besogne mieux qu'eux. En cela, excellente Franaise, et protagoniste incomparable de la seule galit: vritable sainte des dmocraties, elle donne la juste mesure des droits et des obissances. Quo Jeanne d'Arc soit la sainte du peuple autant que la sainte populaire, d'accord. Mais quel rapport entre les dmocraties futures et cette bergerette de Domrmy, envoye par le Roi du ciel au Roi de France pour le faire sacrer Reims ? Elle Ta tellement affectionn, respect, vnr, que, non seulement elle crivait au duc de Bourgogne, son vassal, de venir lui rendre hommage, comme son suzerain, mais encore elle lui obissait en respectant la trve qu'il avait conclue, malgr elle, avec Philippe-le-Bon. De cette trve, je ne suis pas contente, crivait-elle ses amis deReims, et je ne sais si je la tiendrai. Si je la tiens, ce sera seulement pour garder l'honneur du Roi. C'est encore pour obir au Roi que Jeanne quitte Saint-Denis avec l'arme, et tel est son loyal dvouement Charles VII que, -mme dans les fers, lors de la scne si odieuse du cimetire de Saint-Ouen, l'hroque enfant, qui a tolr contre elle-mme les plus monstrueuses imputations, ne tolre point qu'on appelle son Roi schismatique et hrtique : Parlez de moi, et non du Roi , s'crie-t-elle. Et comme Erard insiste: Par ma foi, rplique-t-clle; rvrence garde, j'ose bien vous dire et vous jurer sous peine de ma vie, que mon Roi est le plus noble chrtien de tous les chrtiens, et qui mieux aime la foi et l'Eglise, (1) Jusque sur l'chafaud de Rouen, elle dira : Mes dires et mes faits, je les ai faits de par Dieu. Qu'on n'accuse point mon Roi. Si j'ai mal fait, il est innocent, (2) Jeanne n'a song qu' une chose : ramener le peuple
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1. Il y a l un trait capital de la physionomie de Charles Vll.que M. Hanotaux laisse compltement dans l'ombre. En 1429, 1430, 1431, Charles VII. d'aprs Jacques Gelu et le moine de Dumferling, en Ecosse, qui avait suivi le Roi partout, d'aprs mme le chroniqueur Jacques Duclerc, son ennemi, menait moult sainte vie, disait ses heures canoniales, assistait trois messes par jour, so confessait et communiait souvent. C'tait un piriee difant. 2. De Selles paroles sur les lvres d'une inspire montrent ce qu'il faut penser de la prbendue ingratitude de Charles VII envers Jeanne d'Arc dans les fers. La Chronique Mororini atteste l'ambassade envoye par le Roi au duc de Bourgogne, afin de l'empcher de livrer Jeanne, pour rien au monde, sous peine de vengeance contre les Bourguignons ; mmes menaces l'Angleterre, d'une terrible vengeance. Une lettre de l'Universit de Paris, juillet 1430, affirme que Charles VII et les siens mettent tous Uurs soiasi, appliquent tous leurs entendements dlivrer icelle femme par voies recherches, et
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son Roi lgitime : c'est tout le contraire de l'esprit < des dmocraties . Elle n'a pas non plus travaill jeter la rivire les vieilles oligarchies mortes , lisez d'abord les fodalits, si peu t mortes qu'il faudra, pour les vaincre, toute 1' astuce politique de Louis XI, sans parler de Franois I , d'Henri IV et de Richelieu, aprs la mort duquel les oligarchies , soi-disant mortes deux sicles plus tt, auront encore une dernire convulsion avant de mourir, et ce sera la Fronde Quant v l'oligarchie ecclsiastique , qui voulait imposer, depuis le Concile de Constance, une sorte de parlementarisme au Pape et l'obliger runir le Concile gnral tous les dix ans, M. Hanotaux, mieux inspir p. 540 que p. 508, constate que la concidence qui fit des juges de Jeanne d'Arc les reprsentants, au Concile de Ble, de l'oligarchie ecclsiastique, et les meneurs de la politique antipapale, cette concidence apparat comme un de ces contacts surprenants, d'o jaillit la lumire. Il n'y a l rien de surprenant : schismatiques et violents Ble contre le Pape Eugne IV, qu'ils condamnrent tre dpos, les juges et bourreaux de Jeanne taient aussi schismatiques et violents Paris, Rouen : M. Hanotaux aurait d s'en souvenir et ne pas voir en eux l'Eglise, comme il n e le fait que trop, pp. 509 et suivantes. Il corrige d'ailleurs, lui-mme, p. 525, ses assertions de la page 508 sur le rle de Jeanne d'Arc, ruinant les oligarchies et ' sainte des dmocraties .
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On ne peut... dire qu'elle entrevit la Rforme de l'Eglise, la serait faite l'inspiration personnelle (cette inspiration personnelle, examen, est le Protestantisme, et non pas l'Eglise, M. Hanotaux), des oligarchies, l'avnement des dmocraties, les futurs amnagements manit.
Pourquoi, ds lors, attribuer tout cela Jeanne d'Arc avec la ruine de l'orgueil pdantesque , et du pdantisme scolastique , dit ailleurs M. Hanotaux (1), oubliant qu'aprs le bcher de Rouen la scolas qui pis est. par argent ou ranon . Dans l'hiver et le printemps'de 1430-31, Charles VII a pay La Hire et Dunois (on a leur quittance) pour des expditions sur Rouen, par Louviers et par Eu, afin de dlivrer Jeanne. Charles VII, entre Rouen le 10 novembre 1449, et il ordonne, le 15 fvrier 1450 la rvision du procs de Jeanne : sans lui, elle n'et jamais t rhabilite, batifie. (Voir do l'Averdy, de Beurcpaire, de Bcaucourt). Avant le procs et la mort de Jeanne, Charles Vil avait maintes fois exalt les services rendus par la Pucelle. Ses mrites sont au-dessus de toute rcompense , crivait-il. A cause d'elle, il anoblit de Cailly, notable bourgeois d'Orlans; il anoblit toute la postrit masculine et fminine de Jacques d'Arc et d'Isabelle Rome. Il exempta perptuit d'impt Domrmy et Greux. 1. Page 282 : Jeanne, en suivant son instinct sincre et droit, gurit l France du pdantisme scolastique. Le Baralypton prit en la tuant .
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tique tait si peu morte qu'elle survivra aux attaques Je Rabelais, de La Rame et de Montaigne. Quant l'orgueil pdantesque du Gallicanisme, il nous valut la Pragmatique Sanction de Bourges, si souvent abroge et rtablie jusqu'au Concordat de 1516.
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M. Hanotaux, qui fait passer un large courant d'histoire sur cette histoire de Jeanne d'Arc, que l'esprit de parti a trop rtrcie et calfeutre (p. 248, 15 mai 1910), M. Hanotaux a quelques portraits superbes, lestement enlevs ou finement burins, non pas celui de Charles VII, incomplet, mais ceux de Regnault de Chai trs, de La Trmoille, surtout ceux de Philippe Le Bon, de Bedford, du conntable de Richemont, du cardinal de Winchester, de Pierre Cauchon, de Jean Beaupre. Mais il a contre l'Eglise des pages qui font tort la haube impartialit dont il se pique. D'aprs lui, 1 aot, p. 569, c'est- peine si (en 1430-31), il y avait encore une Eglise, s'il y avait encore une hirarchie, s'il y avait encore un Pape. La robe sans couture tait dchire. Dchire , oui, par le Grand Schisme d'Occident, mais pas au point qu'on le dit. Martin V, lu en 1417, tait le seul pape depuis 1429 jusqu'au 20 fvrier 1431. Grgoire XII avait abdiqu; Jean XXIII avait adhr sa dposition; l'antipape Benot XIII conservait peine quelques partisans, et le Schisme tait entirement fini ds 1429 par la cession de Clment VIII, successeur de Benot. Eugne IV fut lu rgulirement le 3 mars 1431, peu aprs la mort de Martin V. Il y avait donc un Pape, une hirarchie, une Eglise . M. Hanotaux en est si convaincu qu'il dit, 1er ao,t, p. 509 :
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L'Eglise ne fut pas absente du drame (de Rouen). Jeanne en a appel aux chefs de VEglise universelle, au Concile (alors en formation Bte), au Pape : et, de ce sommet de la hirarchie d'o l'on voit les choses de haut, nulle bienveillance, aucune misricorde n'est descendue vers elle. Sa cause, pendante devant VEglise catholique, a t omise et oublie. L'Eglise qui existait peine , existe donc encore assez pour tre rendue responsable de fautes qu'elle n'a pas commises, on le verra. M. Hanotaux, p. 241, numre avec complaisance tous les juges de Jeanne : Un cardinal et deux futurs cardinaux, onze vques ou qui le devinrent par la suite (ce qui n'est pas la mme chose que s'ils l'avaient t en 1431^ dix abbs, plus de deux cents, on pourrait dire plus de trois cents prtres, docteurs, matres, titrs ou non, tous clercs solennels, selon leur langage satisfait, un corps illustre rvr comme la lumire de la chrtient, l'Universit de Paris, un autre corps considrable... le chapitre de Rouen, en un mot une quantit extraordinairement imposante d'hommes d'Eglise, non suspects ou dconsidrs (1), mais la plupart de vie discrte et honore, pnt scuscrit, de prs ou de loin, la sentence. i 1. M. Hanotaux consacre 22 pages, 267-289, montrer, par le portrait de ces grands hommes, combien ils taient suspects et dconsidrs pour les vrais catholiques franais.
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Aloii mme qu'il en serait ainsi et Ton verra qu'il faut singulirement en rabattre, un cardinal, deux futurs cardinaux, onze vques ou futurs vques, 300 prtres, taient-ils, en 1431, l'Eglise catholique, l'Eglise universelle , qui comprenait alors toute l'Europe? Comme le dit M. Hanotaux, mieux inspir, p. 245 : L'Eglise, en tant que corps catholique, ne sigeait pas parmi ces prtres et ces prlats. Et alors, pourquoi la mettre en cause, dans le drame de Rouen? D'autant plus qu'on nous y montre la robe rouge d'un cardinal, la robe violette de quelques prlats, mais non pas la robe blanche du Pape : or, tout catholique sait que l o est le Pape, l est l'Eglise : Vbi Peints, ibi Ecclesia , et que l'Eglise n'est point l o n'est pas le Pape, Dans combien de Conciles ariens, nestoriens, plagiens, n'avait-on pas vu dix fois plus d'vques s'insurger contre le Pape et l'Eglise romaine, qui en avaient souffert beaucoup plus cruellement que du procs de Rouen, mais qui n'en taient pas morts? Le Concile de Ble, avec 7 cardinaux, 74 mitres et plus de 300 autres votants, clercs ou laques, n'allait-il pas s'insurger contre Eugne IV et le dclarer intrus, de 1434 i 1S439, sans que, pour cela, prissent l'Eglise rose romaine et le Pape? Ils allaient mme triompher, d'abord avec Eugne IV, puis dfinitivement avec Nicolas V, 1448-1450. On peut dire de la barque de l'Eglise mieux que de notre capitale : < Fluctut, nec mcrgitur : elle- est ballotte; submerge, jamais. D'ailleurs, est-il vrai de dire que cardinaux, prlats, abbs et prtres au nombre de 300, aient collabor doctement et gravement ce que leur chef Cauchon appelait un beau procs ? ...Quelques-uns ont hsit, tous ont opin... Voil pourquoi le mystre de la condamnation est le plus obscur, le plus occulte, le plus divin des quatre mystres. Que peut-il y avoir de divin dans l'iniquit de juges sclrats? Ils ne le furent pas, du reste, autant que les en accusent MM. Hanotaux, Anatole France et Lavisse. Ils n'taient pas 300, mais 48 seulement, le L9 mai, pour adhrer la sentence abominable de l'Universit de Paris, et 42, le 23 mai, 44 avec Pierre Cauchon et Jean Lematre, l'assemble, qui, apr. la fausse abjuration du cimetire de Saint-Ouen, condamna Jeanne, comme hrtique et relapse , tre livre au bras sculier. Il n'y eut, ce jour-l, que deux assesseurs sur 42 qui mirent cette condamnation; sept autres embrouillrent leur rponse. Mais trente trois, plus des trois quarts, se prononcrent contre la condamnation, sans une nouvelle explication de l'abjuration la Pucelle. Malheureusement, ils n'avaient qu'une voix consultative, et l'vque de Beauvais passa outre, comme il passait outre toutes les lois qu'il tait cens appliquer. Ainsi, de 300 prlats ou prtres que M. Hanotaux accuse d'avoir condamn Jeanne sans un codicille de timide rserve , il ne reste que l'vque Cauchon, l'inquisiteur Lematre, deux assesseurs, en tout quatre sclrats et sept trembleurs, qui, ajouts aux 4 prcdents,
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aux 48 du 19 mai, ne feront jamais que 11 plus 48, c'est--dire 59 sur 300. Adjoignez-leur tous ceux qui assistrent au supplice de Jeanne, cardinal d'Angleterre et vques placs sur un chafaud en face du bcher, dans la petite place du- Vieux-March de Rouen; vous n'aurez jamais le 300, ni les 200, ni les 100 hommes d'Eglise responsables, dont parle M. Hanotaux. Qu'y a-t-il, d'ailleurs, d'tonnant, d'obscur, d'occulte , dans ce fait trs simple que l'Angleterre, matresse absolue de la Normandie, de Paris et de presque toute l'Ile-de-France, ait trouv l 100, 200, 300 clercs, franais d'origine, mais rallis aux Anglais , ou plutt anglais d'intrts et de coaur, pour excuter ses basses vengeances contre l'hrone d'Orlans et de Patay? M. Hanotaux a lui-mme trs clairement donn le mot de l'nigme, lorsqu'il crit, p. 288-289 : La passion des clercs franais, des vques, des prlats, des moines, des docteurs, des universitaires, une seule chosj l'explique : c'est la mystique inLuence de la dcision prise par tous ces hommes, une fois, il y avait longtemps, l'heure dcisive, contre la patrie. Certes, les frontires paraissaient bien incertaines, alors, le sentiment national bien diffus, les 'hirarchies fodales bien complexes et bien fuyantes. Cependant, parmi ces transfuges, il n'en tait pas un seul qui ne sut avoir mal fait en prenant parti pour l'Angleterre. Puisque cette femme avait os dire que leur cause prissait, il fallait que cette femme prt. Il n'y a donc pas de mystre , divin surtout, dans la condamnation de Jeanne. Rien ne fut jamais plus humain . M. Hanotaux semble le reconnatre encore, p. 244, o il avoue que que d'avoir imagin le jugement selon les formes ecclsiastiques, d'avoii trouv des hommes pour inculper en Jeanne l'hrtique, la schismatique . . . v o i l qui tait combin et digne de ce grand politique qui avait trembl, Bedford. (1) Mais ajoute-t-il, les Anglais peuvent dire et ils n'ont pas manqu de dire :. Nous tions des ennemis; vous tiez des compatriotes; vous ftes les juges, si nous fmes les bourreaux. Parler ainsi, c'est nier ce fait historiquement indniable, que le procs de Rouen fut un procs uniquement anglais, un procs d'Etat, engag par des chefs d'Etat, en vue d'une vengeance d'Etat. La Pucelle fut achete Jean de Luxembourg pour le roi d'Angleterre et prte conditionnellement par le roi d'Angleterre aux juges ecclsiastiques, comme l'tablissent les Lettres patentes du 3 janvier 1431, pour aboutir un vritable assassinat judiciaire prmdit et contraire au droit des gens universellement reconnu au X V sicle pour
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1. Ce n'est pas Bedford qui eut cette ide gniale : c'est l'Universit de Paris, comme l'tablissent Richer, de l'Averdy, de Beaurepaire, Quicherat luimme, crivant : L'ide de faire succomber Jeanne devant l'Eglise se produisit spontanment, non pas dans les conseils du gouvernement anglais, mais dans les conciabules de l'Universit . (Aperus nouveaux, p. 96-101).
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les prisonniers de guerre. Le roi m'a command de faire votre procs, et je le ferai , disait Pierre Cauchon Jeanne d'Arc. Cela est si vrai qu'aux dernires ftes de Rouen e n l'honneur de notre Bienheureuse, M. Edward Clarke, maire d'Hastings, dclarait solennellement que la nation anglaise regrettait profondment l'acte commis en 1431. Les Anglais, ajoutait-il, connaissent, en oe qui concerne la Pucelle, leur histoire mieux que les Franais : ce n'est pas le clerg qui a brl Jeanne d'Arc; ce sont les Anglais (1), et ils le regrettent sincrement aujourd'hui. L'assassinat de Jeanne d'Arc en 1431 est un crime d'Etat, comme l'assassina* de Marie Stuart en 1587 et l'assassinat de Napolon Sainte-Hlne, de 1815 1821.
VI
Pour mieux faire peser sur l'Eglise et ses clercs l'odieux procs de Rouen, M. Hanotaux, 15 juillet 1910, renvoie au 1 aot les causes de nullit du procs de Rouen, p. 242, et il ne les donne qu'en note, p. 485, d'aprs notre minent collgue, M. l'abb Ulysse Chevalier, s'appuyant sur les rgles du tribunal de l'Inquisition : 1 La comptence territoriale de Cauchon comme vque de Beauvais tait douteuse. M. le chanoine Dunand, Jeanne d'Arc et l'Eglise, p. 583, a tabli premptoirement que, au point de vue ecclsiastique, la ville de Compigne et ses dpendances (o Jeanne fut prise), appartenait en 1430, au diocse de Soissons, non celui de Beauvais. Les dlimitations et les cartes gographiques des diocses de l'ancienne France, qu'on peut voir dans la Gallia Christiana, tome IX, dition de 1751, en fournissent la preuve. Voltaire lui-mme, dans le Dictionnaire philosophique, article Jeanne d'Arc, avoue qu'elle avait t prise ur le territoire de l'vque de Soissons. Michelet dit, aprs Edmond Richer, sur la limite du diocse de Cauchon, non pas, il est vrai, dans le diocse mme. Mais o n espra faire croire qu'il en tait ainsi. D'ailleurs, et-elle t prise dans le diocse de Beauvais, Jeanne n'avait pas commis le crime d'hrsie dont on l'accusait sur un territoire o elle s'tait seulement dfendue comme un lion, et l'vque de Beauvaif n'avait sur'elle aucune juridiction en matire de foi. Jeanne, tant mineure, avait pour juge ordinaire l'vque de Toul, dans le diocse duquel se trouvait Domrmy, o elle tait ne et o habitaient ses parents. Sans une dlgation de l'vque de Toul, qu'il n'a jamais obtenue ni sollicite, l'vque de Beauvais ne pouvait pas du tout juger Jeanne. Il y a plus : vque d'un diocse dont il n'avait pas t expuls ine r
1. Villon ne disait-il pas au XVe sicle : Jehanne la bonne Lorraine, Qu'Anglais brlrent Rouen ?
Critique du librallsmu. 13 Avril. 3
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justement , comme l'exige la Clmentine Quamvis, et dont il tait transfuge volontaire , dloyal, par haine de son roi lgitime, il n'avait Rouen, pas plus qu' Paris, aucune juridiction sur Jeanne. Il la demanda bien au Chapitre qui gouvernait le diocse pendant la vacance du sige. Mais le Chapitre, qui la lui concda gnreusement et gracieusement , dit-il, ne pouvait donner ce qu'il n'avait certainement pas, un droit quelconque sur Jeanne d'Arc, qui n'tait pas du diocse de Rouen et qui n'avait pas t prise sur son territoire. Tout le clerg de Paris et de Rouen, disait Jeanne, ne sauraient me condamner sans droit sur moi, 2, dit M. Hanotaux, Jeanne dclina la comptence personnelle de Cauchon et du tribunal comme suspects de partialit contre elle. Cauchon rpondit . Le Roi m'a ordonn de faire le procs, je le fais. C'est exact, mais est-ce tout? Non. Jeanne avait t dj juge par le mtropolitain de l'vque d e Beauvais, l'archevque de Reims, Regnault de Chartres, prsident de la commission de Poitiers. L'vque de Beauvais ne pouvait, de par le droit canon, qu'en appeler de son mtropolitain Rome : il s'en garda comme de la peste. Autre raison dcisive : Pierre Cauchon, e n jugeant Jeanne d'Arc propos de ses rvlations clestes , prononait, sans en avoir le droit, sur une matire rserve formellement par le droit canon Dieu lui-mme, au Saint-Sige, ou au Concile gnral, disait dj au XV wicle le savant juriste Paul Pontanus, auditeur de Rote. Absolument convaincu d'incomptence juridique, l'vque de Beauvais, d'aprfe l'article VIII d e la troisime enqute ordonne par Charles VU et le lgat du Pape, le cardinal d'Estouteville, pour la rhabitation de Jeanne d'Arc, encourait la suspense et les censures (Vexcommunication) portes par le droit, en accusant faussement la'Pucelle d'hrsie, en ouvrant contre elle, indment et sans cause lgitime, un procs inquisitorial. De ce chef, le procs, avec toutes ses suites, tait frapp de nullit, un juge excommuni et suspens (1) tant incapable de tout acte de juridiction. Ce juge excommuni et suspens violait encore plus gravement les lois de l'Inquisition et de l'Eglise, dont il se rclamait. Pour qu'un juge soit bon et lgitime, il faut qu'il procde par amour de la justice , dit le droit canon : or, il tait de notorit publique que l'vque de Beauvais, fal et am conseiller du roi d'Angleterre , la solde d e ce monarque, dont il toucha d'abord 63.000 francs, puis 120.000 pour le procs de Rouen (2), disait tout haut : II nous faut bien sere
1. Il n'est donc pas exact de dire avec M. Hanotaux, p. 213, que Cauchon fut excommuni, mais < ultrieurement, au Concile de Bile pour avoir c refus de payer les annates . Il l'tait d'une autre manire ds 1431. 2. M. Hanotaux, p. 288, dit que l'argent fut prodigu . On a les comptes de quelques-uns des paiements faits, notamment l'vque de Beauvais, au vicaire de (l'inquisiteur, aux six Un/ersitaires. Pour ceux-ci, on trouve mention de 750 livres tournois, enviren 30.000 francs, valeur actuelle. .11
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vir le roi. Nous avons l'intention de faire un beau procs contre cette Jeanne. > II tait anim contre elle de < la passion la plus haineuse : Michel Brhal, grand inquisiteur de France, dans sa Rcapitulation gnrale de 1456, a relev dix-sept preuves de la passion haineuse de l'vque de Beauvais, et vingt-huit de s a barbarie envers Jeanne. Dans ces conditions, les lois ecclsiastiques lui interdisaient formellement de juger Jeanne, aurait-il e u qualit pour le faire, t Evque, lui dit un jour Jeanne avec autant de droit que d'nergie, je ne veux point me soumettre vous, parce que vous tes mon ennemi mortel. En outre, alors que le droit canon dfend expressment de verser la plus petite somme pour se procurer des personnes suspectes en matire de foi, il avait achet Jeanne 10.000 livres, 5 600.000 francs, pour lui faire, disait l'Universit de Paris, un procs dans la foi , comme femme souponne vhmentement de plusieurs crimes sentant l'hrsie . L'vque de Beauvais (devait faire sur Jeanne une enqute et des informations pralables en ^Lorraine : il les a faites, mais n e les a communiques chez lui qu' quelques assesseurs, et il a refus, contrairement tout droit, d e les verser au Procs, parce que l'enquteur, Jean Moreau, avait dclar qu'il n'avait rien trouv sur Jeanne qu'il ne voult savoir sur sa sur : sur ce, Cauchon le traita de tratre, de mchant homme. Aprs avoir ainsi complt les deux premires raisons de la nullit du Procs de Rouen, donnes par M. Hanotaux, reprenons ce qu'il dit : 3 c L'inquisiteur et les assesseurs n'assistrent pas toutes les s a n c e 3 : cette assistance tait obligatoire. 4 On devait, d'aprs le droit canon, donner l'accuse un dfenseur. Les pices du procs devaient lui tre communiques par crit. Or, ajoutons-nous Jeanne a rclam en vain, pendant deux mois et demi, cet avocat qu'on lui a refus jusqu'au 27 mars, et, du chef de ce b a r b a r 3 refus, de cette monstrueuse iniquit, le procs tait nul, d'aprs Quicherat lui-mme. 5 Comme mineure, elle devait avoir un curateur, dont l'absence rendait le procs nul. 6 Dans les causes de cette nature, l'vque devait procder luimme tous les interrogatoires. Or, M. Hanotaux reconnat qu'il se fit remplacer plusieurs fois. 7* < L'accuse et le tribunal lui-mme, par la pression des Anglais, manquaient de la libert ncessaire. 8 L'appel au Pape fut mpris, rencontre du droit canonique et de l'usage. Toutes ces causes de nullit, quinze vingt, tablissent clairement que l'Eglise, dont toutes les lois juridiques ont t violes, par des gens
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y eut aussi les prbendes, les bnfices, le3 promesses, les esprances,- comme celle de l'archevch de Rouen pour Pierre Cauchon.
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d'Eglise, sans doute, mais hors de l'Eglise, comme excommunis ou schismatiques, ne saurait tre aucunement responsable d'un odieux procs, d'une iniquit rvoltante : on doit plutt dire que, si ses lois si sages avaient t observes, jamais Jeanne n'et t ni condamne, ni mme juge M. l'abb Ulysse Chevalier rfute par le 7 (p. 485) ce que M. Hanotaux affirme, p. 242, n 2 : G Ceux qui refusaient de siger l aient simplement passibles d'une amende , et surtout p. 267 ; Le sort de deux royaumes dpend de son sort (de la Pucelle). Il s'agit de l'honneur des princes et du soulagement des consciences. Cela se passe au grand jour... et tout se tait. Personne ne bouge. Pardon : il y en a qui ont boug , qui ont parl, d'aprs M. Hanotaux lui-mme, p. 277, o il rapporte le mot de Jean de SaintAvit, vque d'Avranches, qui eut le courage de rpondre : Es choses douteuses qui touchent la foi, l'on doit toujours recourir au Pape et au concile gnral. Son avis ne fut pas inscrit au procs. Il y a mieux encore : Matre Jean Lohier, consult par Pierre Cauchon, ne craignit pas de lui rpondre : Ce procs ne vaut rien. Impossible de le soutenir pour plusieurs raisons. Primo, il y manque la forme de la procdure ordinaire (Il entendait par l l'absence d'informations pralables, suffisantes et verses au procs). Secundo, ce procs est dduit dans le chteau, en l'eu clos et ferm, o juges et assesseurs, n'tant point en sret, n'ont pas pleine et entire libert de dire purement et simplement ce qu'ils veulent. Tertio-, le procs touche plusieurs personnes qui ne sont pas appeles comparoir, et on y engage notamment l'honneur du roi de France, dont Jeanne suivit le parti, sans citer le roi ni quelqu'un qui le reprsente. Quarto, ni libell, ni articles n'ont t donns, et cette femme qui est une fille simple, on la laisse sans conseil, pour rpondre tant de matres, de si grands docteurs en matires si graves, spcialement celle qui concerne ses rvlations. Pour tous ces motifs, le procs ne me semble pas valable... (Les juges), ont l'intention de faire mourir Jeanne; aussi ne tiendrai-je plus ici. Je n'y veux plus tre. Ce que je dis dplat . Tout cela est confirm par la dposition du principal greffier, matre Guillaume Manchon. I/vque de Beauvais s'indigna des paroles de Jean Lohier, qui, menac d'tre noy dans la Seine, se hta de quitter R o u e i et d'enfuit jusqu' Rome, o il mourut doyen du tribunal de la Rote. Mme aventure, et plus grave encore, arrivait matre Nicolas de Houppeville : Moi-mme, disait-il en 1456, au comtnencement du procs, j'assistai quelques dlibrations, o j'mis l'avis que ni l'vque ni ceux qui voulaient prendre sur eux la charge de ce jugement, ne pouvaient tre juges. Il me semblait peu conforme au droit que les
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juges lussent du parti contraire l'accuse , attendu qu'elle avait t dj examine par le clerg de Poitiers et par l'archevque de Reims, mtropolitain de l'vque de Beauvais. J'encourus par cette manire de voir la grande indignation de l'vque, si bien qu'il me fit citer devant lui; je comparus pour lui dire que je n'tais pas son sujet et qu'il n'tait pas mon juge, que c'tait l'official de Rouen, et je me retirai. Finalement, comme je voulais, raison de ces faits, comparatre devant l'official de Rouen, je fus pris, conduit au chteau, et de l aux prisons du roi (d'Angleterre). Ayant demand pourquoi j'tais apprhend, il me fut dit que c'tait la requte de l'vque de Beauvais . IJ fallut l'intervention de l'abb de Fcamp et de quelques autres de mes amis , pour empcher que je ne fusse exil en Angleterre ou ailleurs . Matre Fontaine ou Lafontaine, qui avait assist toutes les sances du Procs jusqu' celle du 27 mars, se rendit la prison de Jeanne pour l'clairei sur la notion de l'Eglise. Cela vint la connaissance du seigneur de Warwick et du seigneur vque do Beauvais. Ils en lurent mcontents. La crainte fit quitter la ville matre Fontaine, qui n'y revint plus. Frre Isambart de la Pierre et frre Martin Ladvenu * furent en grand pril pour avoir voulu dire la vrit, et Warwick signifia au premier de ces Dominicains qu'il serait jet dans la Seine, s'il ne se taisait pas. Le second ne fut sauv que par le sous-inquisiteur, Jean Lematre, tros perplexe lui-mme et en proie de grandes craintes . Les assesseurs Pigache, Minier et Grousset, ut donn par crit leur opinion sur la nullit du procs et de la sentence, parce qu'il n'y avait pa.s libert de tmoignage et de jugement, furent aussi rabrous par l'vque de Beauvais et violemment menacs. Un autre religieux dominicain, ayant dit que ceux qui avaient condamn la Pucelle s'taient mal conduits, l'vque de Eeauvais le condamna, pour prs d'un an, la prison au pain et l'eau . Voil toute une srie de preuves qui tablissent que, si les assesseurs, en grande majorit , surtout les Universitaires de Paris, assistaient au procs de plein gr , ceux qui refusaient de suivre Pierre Cauchon dans ses iniquits taient passibles d'autre chose que d'une amende . Il n'y a donc pas lieu d'carter, comme le fait M. Hanotaux, p. 243, l'explication la plus simple et la plus commode qui est de tout rejeter sur Cauchon, l'vque bouc missaire. Oui, aprs l'Angleterre : Le roi a ordonn, disait-il Jeanne, que je fisse votre procs, et je le ferai. Si les hritiers de Cauchon l'ont abandonn, lui et sa mmoire, devant le tribunal de rhabilitation, si tout le monde a fait comme eux , c'est que rellement Cauchon, tratre, vendu,
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SOCIAL
perfide, excommuni, me basse et diabolique M. Hanotaux le prouve longuement, pp. 267-274 a t l'me du procs de Jeanne d'Arc. Il en porte la responsabilit, non pas seul , mais encore une fois avec Y Angleterre, Bedford et le cardinal de Winchester, dont il fut le plat valet, et avec l'Universit de Paris, compose alors de Bourguignons fanatiques, qui avaient jur de venger le meuitre de Jean-sans-Peur Montereau et s'taient jets, comme la Capitale, dans les bras de l'Angleterre, au point que sept d'entre eux avaient sign l'odieux trait de Troyes. La mission divine de la Pucelle, en condamnant ce pass, blessait l'Universit dans son orgueil, dans ses intrts matriels, dans sa prtention d'tre la directrice des esprits, l'arbitre du vrai et du faux pour les fidles, les rois, les vques, le Pape, auquel elle semble avoir voulu imposer, Constance et . Ble, la forme dmocratique ou, du moins, parlementaire, dans le gouvernement de l'Eglise, par la convocation dcennale des Conciles. Aussitt qu'elle apprend que Jeanne est prisonnire, elle demande avec insistance sa mise en jugement. C'est avec des lettres de l'Universit, o respire une haine froce de la Pucelle, que Pierre Cauchon rclame Jeanne au duc de Luxembourg. Aprs avoir inflig l'horrible supplice du feu Pierronnc de Bretagne pour son tmoignage en faveur de la mission divine de Jeanne, grond Pierre Cauchon et le roi d'Angleterre de leur lenteur commencer le procs d'une femme coupable de toutes les sclratesses, l'Universit de Paris demande que le Procs se fasse dans la Capitale. Elle envoie six de ses matres Rouen, pour faire cortge Pierre Cauchon, assister aux principales sances et inspirer la sentence du 12 avril. Les cinq dputs de l'Universit au Concile de Ble vont Rouen, au lieu d'aller Ble. Quatre de ces matres portent Paris les douze articles diffamatoires contre Jeanne, les expliquent leurs collgues, font rendre le sentence de la Facult de thologie et celle de la Facult de dcrets, qui dclarent la Pucelle schismatique, hrtique, apostate, menteresse, divineresse. Cette abominable sentence est adopte par l'Universit tout entire, qui flicite le roi d'Angleterre, glorifie Pierre Cauchon dans une lettre dithyrambique, et leur recommande une notable et prompte justice. C'est au nom de l'Universit de Paris, extirpatrice des erreurs, que Pierre Maurice somme Jeanne d'abjurer, que matre Erard lui demande, quand tlle en appelle au Pape, de se soumettre l'Eglise comme si l'Eglise tait cette Universit schismatique et que Pierre Cauchon la condamne dfinitivement. C'est enfin l'Universit de Paris qui vante au Pape et au collge des Cardinaux la condamnation de la Pucelle; et le roi d'Angleterre allgue l'autorit des Universitaires, dans ses Lettres l'Empereur, au duc de Bourgogne, aux prlats et aux seigneurs de la France anglaise. Le forfait de Rouen est donc surtout imputable l'Universit de Paris. Si elle fut carte lors de la rhabilitation, sous prtexte qu'elle
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avait t trompe par la rdaction des douze articles, Brhal ne craignit pas de la mettre en cause dans sa fameuse Rcapitulation. Pourquoi donc un historien comme M. Hanotaux, tout en consacrant deux pages au rle de l'Universit de Paris, 282 et 283, n'a-t-il pas fait ressortir davantage toute son odieuse responsabilit dans l a condamnation de Jeanne? (1) Comment peut-il appeler cette Universit, p. 241, ur- corps illustre, rvr comme la lumire de la chrtient? Elle l'avait t aux XIII et XIV sicles; mais elle ne l'tait plus depuis que, durant le grand Schisme, elle avait t constamment en opposition avec l'Obdience romaine, de son aveu de beaucoup la plus nombreuse; elle l'avait t avec sa propre Obdience, ~t n'avait tenu aucun compte du sentiment des autres pays, des autres Universits, ds qu'il tait en opposition avec ses dcisions arbitraires. Pour elle, le pseudo-Benot XIII tait un pape lgitimement lu : or, elle l'avait d clar dchu de la papaut; ele l'avait fait assiger durant cinq ans dans son propre palais, malgr l'Espagne et le midi de la France, qui le reconnaissaient pour pape. L'Universit de Toulouse composait-elle, en faveur de la lgitimit de l'Aragonais, un trait, un vrai chef-d'uvre de fond et de forme, l'Universit de Paris obtenait qu'il ft brj aux portes des villes o sigeaient des Universits rfractaires ses dcisions, et que d'normes amendes frappassent les dtenteurs. Si clic se rangeait une seconde fois autour de celui qu'elle avait.proclam hrtique et schismatique, c'tait pour le dposer encore de la manire la plus ignominieuse, non seulement malgr l'Espagne et le Midi, mais maigri- do hauts dignitaires ecclsiastiques du nord de la France, tels que l'archevque de Reims, malgr Pierre d'Ailly, malgr les gnraux des Ordres religieux, sur lesquels elle avait appel les poursuites les plus vhmentes. Elle menaait de dposition les papes de la troisime tige pontificale qu'elle avait fait surgir et ne contribuait pas peu celle de Jean XXIII, Constance. Moins de dix ans aprs le supplice de Jeanne, elle aura la principa'e part l'atenlat par lequel le vertueux Eugne IV sera dclar dchu de la dignit pontificale; elle refusera d'ouvrir les lettres du Pape; elle sera le grand appui du pseudo Flix V. En mme temps qu'elle poursuit la Pucelle, elle prpare le brigandage qui aura cet infernal aboutissant. Tout cela se fera encor: malgr la chrtient, glace d'horreur la pense de voir se rouvrir l'abominable dchirement, en vertu des maximes appliques la Martyre; et, ce qui est trs digne de remarque, les mmes per* sonnages sont acteurs principaux dans les deux brigandages. C'est ce qui a t plus longuement dvelopp, dit le P. Ayroles, dans son volume supplmentaire : L'Universit de Paris, au temps de Jeanne d'Are, et la cause de sa haine contre la Vnrable. (2)
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1. Ces hommes n'agissaient pas , dit-il, ils taient agis. Il se passait en eux quelque chose dont leur imptuosit tait le signe , p. 284. Mais quel est ce quelque-chose ? On ne le sait pas.
2. La Vraie Jeanne d'Are : V. p. 8.
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M. Hanotaux se serait donc honor en rappelant toute la conduite de l'Universit, infiniment plus schismatique que Jeanne d'Arc. Alors* il faut le redire, le mystre de la condamnation se ft clairci pour lui comme pour ses lecteurs, difis sur les passions politiques et religieuses dont Jeanne d'Arc fut la victime jamais sacre. Cela n'et-il pas mieux valu que des remarques aigres-douces contre l'Eglise romaine et l'Eglise de France dans .e got de celles-ci, p. 215 : Est-il exact que Rome n'ait pu rien faire, qu'elle ait tout ignor? Avant l'appel, Rome n'ct-elle pas pu intervenir? Ce tribunal ecclsiastique n'oprait pas au fond d'une cave : les sances taient connues... Regnault de Chartres, chancelier de Charles VII, n'a pas ignor l'affaire : pourquoi ne l'a-t-il pas voque (comme mtropolitain de l'vque de Beauvais)?... On savait (dans l'Eglise de France) ce qui se passait Rouen; personne ne se leva, personne ne protesta. Tous imitrent le silence de la cour : ils se turent. Et M. Hanotaux insiste pour essayer d'tablir qu'il est invraisemblable que Rome ait ignor , p. 247, et que toute l'poque fut complice de la condamnation. Eh bien! quoiqu'il nous en cote de le dire, M. Hanotaux parle ici comme M. Anatole France, dont il s'est si nergiquement cart pour l'hallucination de Jeanne d'Arc, pour sa prtendue abjuration au cimetire de Saint-Ouen, pour Y Information posthume, et pour l'admiration aussi profonde "que patriotique qu'il professe partout, dans son tude, en l'honneur de la Pucelle. Mais enfin, M. Anatole France demande. Vie de Jeanne d'Arc, II, p. 342, pourquoi les clercs de France, les universitaires chasss de Paris, les avocats et conseillers au Parlement exils, frre Pasquerel, frre Richard, l'archevque de Reims, l'archevque d'Embrun, les prtres et les religieux du royaume ne rclamaient pas, d'un cri unanime, l'appel au Saint-Pre : Que penser des clercs de France, qui reniaient la Fille de Dieu, la veille de sa passion? Les clercs de France , L'Eglise de France reniaient si peu la Fille de Dieu , que partout ils priaient pour la Pucelle dans les fers, ainsi que l'atteste un Evangliaire du XV sicle, dcouvert nagure Grenoble et que cite M. Anatole France lui-mme, rappelant les trois oraisons que l'archevque d'Embrun faisait dire la messe par tous les prtres pour la dlivrance de la Pucelle :
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Collecte. Prions : Dieu tout-puissant et ternel, dans votre sainte et ineffable misricorde et dans votre admirable puissance, vous avez ordonn la Pucelle de venir relever et sauver le royaume de France, repousser, confondre et dtruire ses ennemis; et vous avez permis, alors qu'elle vaquait aux uvres saintes, commandes par vous, qu'elle tombt entre les mains et dans les fers de ces mmes ennemis. Oh I nous vous en supplions, par l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, accordeznous de la voir sans aucun mal, libre de leur puissance, accomplir litt-
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rahment tout ce que vous lui avez prescrit par une seule et mme mission. Par Notre-Seigneur, etc. ' Secrte. Pre des vertus et Dieu tout-puissant, que votre sacro-sainte bndiction descende sur cette oblation; qu'elle excite votre miraculeuse puissance .et qu' l'intercession de la Vierge Marie et de tous les saints elle garde de tout mal eh dlivre la. Pacells, dtenue dans la prison de nos ennemis, et -lui donne d'excuter dfinitivement l'oeuvre que vous lui avez commande. Par Notre-Seigneur, etc. Post-Communion. Prions : Ecoutez, Dieu tout puissant, les prires de votre peuple; par les sacrements que nous venons de recevoir eL a l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, Irisez les
v
fers
de la Pucellc
qui,
accomplissant
les uvres
que vous
lui
avez
com-
mandes, a t et est maintenant renferme dans les prisons de nos ennemis. Que votre trs sainte piti et misricorde lui donne d'accomplir saine et sauve le reste de sa mission. Par Notre-Seigneur, etc. Quelle magnifique prire, o clate, en mme temps que la tendresse mue de l'Eglise de France, sa foi profonde en la divine mission de Jeanne d'Arc, que tous les curs espraient voir dfinitivement accomplie ! Est-ce l le tous se turent dont on fait un sanglant reproche l'Eglise de France ? Ah! dans les esprits et les curs, si bien disposs, de l'Eglise de France, des clercs de France , le procs de Rouen, s'il avait t connu, aurait produit le plus douloureux contrecoup. Mais tous le monde ignorait, dans la France qui n'tait pas anglaise, les odieuses machinations ourdies Rouen. En 1431, il n'y avait ni tlgraphe, ni tlphone, ni chemin de ier ni journaux, ni postes, pour faire savoir du jour au lendemain ce qui se passait au tribunal constitu, dirig par un audacieux sclrat ; et il a fallu le recouvrement de Rouen, 18 ans aprs la mort de Jeanne, le 10 novembre 1449, pour connatre les dtails du drame sacrilge. Au- moment o il s'accomplissait, aucun Franais vritable ne fut ni entendu, ni convoqu, malgr les rclamations de matre Jean I-ohier et de Jeanne elle-mme, rappelant maintes fois qu'elle avait t approuve par les clercs de son parti, Poitiers et ailleurs. L'information pralable , faite en Lorraine et si favorable l'hrone, ne pouvait laisser supposer aucun de ses compatriotes qu'elle serait poursuivie, accuse, condamne, comme schismarique, hrtique, apostate . Si, d'ailleurs, quelque ecclsiastique ou laque franais s'tait prsent Rouen pour dfendre la Libratrice de la Patrie dans un procs ignor de cette Patrie, il aurait t infailliblement ou noy dans ]a Seine , ou jet en prison , comme avaient failli l'tre ou l'avaient t Jean Lohier, Nicolas de Houppeville, matre Fontaine ou Lafontaine, Frre Isambart de la Pierre, Frre Martin Ladvenu, les assesseurs Pigache, Minier et Grousset, enfin le dominicain condamn la prison, au pain et Peau. Une intervention du clerg franais, a dit le P. Ayroles, dans la Prtendue Vie de Jeanne d'Arc de M. Anatole France : Vitte, 1900. p. 177, n'aurait fait que hter le dnouement.
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Que si * l'Eglise de France, les clercs de France , ignoraient l'assassinat juridique de Rouen, comment Y Eglise de Borne et le Concile de Ble l'auraient-ils connu? A la suggestion d'Isambart de la Pierre, Jeanne en ayant appel l'assemble de Ble, Pierre Cauchon dfendit d'crire cet appel comme indiffrent la cause. D'ailleurs, le Concile de Ble, ouvert le 3 mars 1431, ne comptait, la fin de mai, que l'abb de Vzelay et quelques dputs de l'Universit d e Paris, qui s'agitaient pour faire cesser leur solitude et empcher le Concile d'expirer dans le vide; Charles VII ne se dcida y envoyer des dputs qu' la suite de l'Assemble du clerg tenue Bourges, le 29 janvier 1432, neuf mois aprs le supplice de Jeanne (1). Quant Rome et au Pape, les appels ritrs que leur adressa l'hrone : Je m'en rapporte Dieu et Notre Saint-Pre le Pape , les juges, dit M. Hanotaux lui-mme, p. 494, lui firent la rponse odieuse : Qu'on ne peut aller chercher le Saint-Pre si loin; qu'elle tienne pour vrai ce que les clercs et autres gens ce connaissant (c'est--dire l'Universit de Paris) ont dit et dcid au sujet d e ses dits et de ses faits. y> Qui no comprend que les juges de Rouen avaient trop d'intrt cacher Rome et a u Pape les irrgularits flagrantes d'un procs politique, dont la plupart sentaient, avec Pierre Cauchon et Jean Lematre, si perplexe , l'iniquit antijuridique, pour communiquer quoi que ce soit Rome et au Pape? Les Universitaires n'admettaient mme pas le droit de rvision sur leurs jugements. Ainsi, ni Martin V, mort le 20 fvrier 1431, au dbut du drame de Rouen, ni Eugne IV, dont le rgne s'ouvrait peine le 30 mai de la mme anne, n'ont t prvenus temps du procs de Jeanne d'Arc, par le parti franais, qui l'ignorait entirement, ni par le parti anglais, qui avait trop de raisons de le laisser ignorer en haut lieu. La preuve authentique en est dans les deux Lettres que l'Universit de Paris crivait au mois de juin 1431 au Pape Eugne IV et au Collge des cardinaux. Voici ce que dit la premire : * Bienheureux Pre, elle nous semble bien digne d'loges l'active diligence dploye rcemment pour la dfense de la religion chrtienne, par Rvrendissime Pre en Dieu, le seigneur vque de Beauvais, de concert avec le vicaire de l'Inquisition dlgu en France par le Sige Apostolique contre la perversit hrtique. Une femme avait t prise dans le diocse de Beauvais ; et alors l'Universit droule l'histoire du procs, des accusations portes contre Jeanne d'Arc, de sa prtendue abjuration, de sa faute de relapse et de sa condamnation comme hrtique, de sa mort enfin, aprs une rtractation (?). Au Collge des Cardinaux, que l'Universit traite bien mieux que le Pape, en les appelant vos Paternits constitues eu sentinelles au fate du Sige apostolique, pour tre la lumire du monde , elle dit : Ce que nous avons appris, ce que nous avons vu de la condamnation 1. P. Ayroles, op. cit., p. 173.
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des scandales qu'une femmelette a perptrs dans ce royaume, dans Vintrt de la foi et de la religion chrtienne, nous avons cru devoir le porter la connaissance de noire trs saint seigneur le Souverain Pontife par la lettre prcdente... Il rsulte avec vidence de la teneur de ces deux Lettres qu'ells sont la premire information envoye Rome sur le procs de Jeanne d'Arc. Comment donc Rome aurait-elle pu faire descendre vers la victime une bienveillance, une misricorde , p. 509, dont Rome ignorait la raison d'tre? Il faut bien que les meurtriers de Jeanne aient eu conscience de leur crime et de la justice clatante que Rome, le Pape et le Concile pouvaient en tirer, pour qu'ils aient fait libeller par le roi d'Angleterre des Lettres de garantie, adresses tous ses sujets et allis, et o il tait dit: . . . D e p u i s un certain temps dj nous fmes requis et exhorts par notre trs chre et trs aime fille l'Universit de Paris, pour qu'une femme Jeanne la Pucelle... . Voil nettement avoue l'initiative prise par l'Universit dans le brigandage de Rouen contre Jeanne d'Arc et, en mme temps, la responsabilit politique de l'Angleterre, qui s'affirme ainsi : Nous promettons donc en parole de roi, que, s'il advient que, par quelconque personne d e quelque tat, dignit, degr de prminence ou autorit quelle qu'elle soit, le.* dits juges,'docteurs matres, clercs, promoteurs, avocats, conseillers,, notaires et autres, qui ont besogn, vaqu et entendu ou dit procs fussent, cause du mme procs oit de ses dpendances trahies par devant notre saint Pre le Pape, par devant le saint Concile gnral, ou les commissaires et dputs (Ficelai Notre Saint-Pre ou dudil saint Concile, ou autrement, nous aiderons, dfendrons, ferons aider et dfendre en jugement et en dehots, tous les dits juges, docteurs, matres, clercs, promoteurs, avocats, conseillers, notaires et autres, et chacun d'eux, nos propres cots et dpens; et leur cause, en cette partie, pour l'honneur et rvrence de Dieu, de notre sainte Mre l'Eglise, et pour la dfense de notre dite sainte foi, nous nous adjoindrons au procs que voudrait intenter contre eux qui que ce soit, en quelqus manire que ce soit; nous ferons poursuivre la cause en tous cas et termes de droit et de raison, nos dpens. >
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Les isignataires de ces Lettres taient le cardinal d'Angleterre, le chancelier Louis de Luxembourg, les vques de Beauvais (Cauchon), do Noyon (de Mailly) et de Warwick, les comtes de Warwick et d e Staffort, les abbd de Fcamp et du Mont Saint-Michel, etc. Fallait-il que le cri de l'iniquit treignt leur conscience, pour qu'ils n'aient pas voulu qu'on portt devant le Pape et le Concile une cause dans laquelle ils avaient prtendu venger le Pape et le Concile?... Et ils redoutent le jugement de ceux dont ils se sont donns avec fracas comme les vengeurs . En Vrit, l'iniquit ne se mentit jamais plus ouvertement elle-mme : ils sont accabls par la pice mme qu'ils fabriquent pour se couvrir. (P. Ayroles : la Vraie Jeanne d'Arc, V, p. 482.)
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Remarquons enfin que M. Hanotaux ne parle gure du Procs de rhabilitation de Jeanne d'Arc, en 1456; et parce que Jean Jouvenel des Ursins prie d'Aulon de lui envoyer sa dposition, en lui disant que les Anglais veulent maintenir que (Jeanne) fut sorcire, .hrtique, invocatrice des diables, et que, par ce moyen, le Roi aurait recouvert son royaume, et ainsi ils tiennent le Roi et ceux qui l'ont s rvi pour > hrtiques , il voit dans ces mots et dans les diverses phases du procs de rhabilitation une proccupation , une thse, suis tout politique ; p. 501 : comme si les adversaires de Jeanne, Erard en particulier, au cimetire de Saint-Ouen, n'avaient pas trait le Roi d'hrtique, schismatique et provoqu la rponse indigne de Jeanne contre cette accusation calomnieuse l Jouvenel des Ursins faisait de l'histoire, et non pas de la politique , e n crivant d'Aulon, et l'histoire impartiale dit du Procs de rhabilitation ce qu'en dit un historien que M. Anatole France lui-mme proclame un de ses matres, de l'Averdy : Le jugement (de rhabilitation) a t rendu aprs la procdure la plus impartiale et la plus complte. Les juges de la rhabilitation ont examin le procs dans les moindres dtails. Ils ont fait mettre par crit ce qu'ils ont dit ou pens 'dans le cours de leurs dibiations. Ils ont conserv ce travail aux sicles futurs, pour les convaincre de la justice qui a dict leur dcision; ils ont montr les dispositions que la justice leur prescrivit de prendre. Il ne peut donc pas y avoir de jugement plus rflchi, mieux prpar et plus juste en luimme. {Les manuscrits de la Bibliothque du Roi, 1790 : IN, p. 532).
VII Ainsi donc, tout en rendant pleine justice la Jeanne d'Arc de M. Hanotaux, que le P. Yves de la Rrire, appelait, dans les Etudes le 20 aot 1910, p. 251, un Tableau de la France et de l'Eglise, en 14294431 , o l'auteur s'est assimil avec tant de patience et de discernement la vaste littrature historique consacre la Pucelle , et o il excelle dcouvrir les causes de chaque fait, de chaque groupe de faits, dmler mme, avec une rare perspicacit, avec un rare bonheur, les causes les plus occultes de leur enchevtrement ou d e leur convergence , p. 560, comme aussi tracer des portraits, dont la peinture est colore, certes, (mais) n'est pas surcharge, (car) le got du rel et le sens de la mesure garantissent la ressemblance , p. 557, il faut regretter vivement que le rationalisme, l'agnosticisme relativiste de M Hanotaux aient empch l'interprtation philosophique qu'il donne des grandes uvres de Jeanne d'Arc d'tre aussi heureuse, aussi pntrante que l'vocation historique qu'il en a faite.
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d'Arc,
de l'anticlricalisme fri-
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vole et parfois agressif qui gtait ses Etudes historiques sur le seizime et le dix-septime sicle en France (Hachette, 1886). Mais l'incroyant qu'il demeure a commis, dans sa Jeanne d'Arc, des erreurs .graves sur le culte de la virginit de Marie, sur l'histoire.de Notre-Dame du Puy et de sa chambre anglique , sur l'origine du Rosaire, sur la nature de la prire, sur la valeur des doctrines, tentes-abris d'un jour, et sur les explications philosophiques, les systmes crs pour rendre raison d e l'pope merveilleuse de Jeanne d'Arc, systmes, ou plutt symboles, d'aprs le P. de la Brire, respectables, mais prcaires et transitoires comme les gnrations qui les crent : Le fait est plus haut que les explications; les synthses humaines cherchent par des efforts successifs et impuissants s'approcher de l'inaccessible entit. (Revue des D.M., aot, pp. 522, 523.) Avec un tel relativisme agnostique, M. Hanotaux mconnat le surnaturel dans la formation de Jeanne, qu'il dclare tout humaine . Il mconnat le surnaturel dans les visions de Jeanne, dont il fait, non pas des phnomnes externes et objectifs, mais des phnomnes purement internes et subjectifs, une psychologie transcendante . Il mconnat le surnaturel dans la mission de Jeanne, qu'il appelle bien divine , mais pour lui chercher une explication rationnelle introuvable, et en dfinitive, pour n'y voir qu'une me se projetant en actes . II mconnat le surnaturel , on voilant compltement le rle qu'il a eu, par les prophties, les intuitions et les miracles dans ce qu'il appelle le miracle du ciur qu'est Jeanne d'Arc, ou bien le miracle de l'accomplissement de sa mission, accomplissement impossible sans le surnaturel de vritahles miracles. Il dfigure surtout le Bref de lai Batification de Jeanne d'Arc, qui, d'aprs lui, seraiL muet sur les prdictions, les apparitions, les faits extraordinaires attribus la Pucelle. Il se trompe sur l'immortalit de l'Egilise qui, lui semble-t-il, n'aurait pas rsist sans Jeanne d'Arc tant d'ennemis l'assaillant au XV sicle Il se trompe en attribuant notre hrone la ruine des fodalits laques et ecclsiastiques , qui lui ont survcu, et la prparation de l'avnement des dmocraties , que son loyalisme monarchique n'a pas mme souponn. Il se trompe en ne voulant pas accuser de l'assassinat juridique do Rouen, l'Angleterre d'abord, l'Universit de Paris, enfin Pierre Cauchon, dont il attnue la responsabilit, en accroissant sansjnesure celle de toute l'poque, complice de cet attentat, et en imposant l'Eglise de France, silencieuse et muette, au Pape, Rome et l'Eglise catholique tout entire, une part de culpabilit dont elles sont parfaitement innocentes dans le drame de Rouen .
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No faut-il donc pas un trange libralisme historique pour admirer sans rserve un large tableau historique qui ncessite tant de rserves,
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do la part de catholiques sincres, dvous l'Eglise et la vrit intgrale? Si Ton s'honore en rendant justice aux mrites suprieurs d'une uvre remarquable, il serait fcheux de se laisser blouir par le nom d'un acadmicien, ancien ministre de la Rpublique, et de ne pas revendiquer contre lui les droits imprescriptibles et sacrs de la foi, qu'il est d'une haute raison d'accepter , du miracle et du surnaturel , qui sont l'me mme, aussi historique que divine , de la merveilleuse pope nationale que le Ciel a crite pour la France, avec l'pe miraculeusement victorieuse de Jeanne d'Arc, la Libratrice inspire de la Patrie.
Th. DELMONT.
UNE
RETRAITE
DE
DAMES AU
SILLON
L'admirable Lettre de S. S. Pie X sur le Sillon a t accueillie avec le respect qu'un acte aussi grave commandait, si l'on excepte les rcriminations et rticences qui se firent entendre la premire heure, sous le coup de la surprise, et les commentaires plus ou moins retors de certains avocats de toutes les mauvaises causes. Mais il demandait quelque chose de plus qu'une soumission silencieuse. L'enseignement pontifical, si l'on en comprenait la porte et le but, appelait une raction franche, ouverte, active, contre un mouvement d'ides dclar contraire aux principes du pur catholicisme et pernicieux pour la socit elle-mme. Plus avaient t grands l'engouement de nombreux catholiques et d'une partie notable du clerg pour les ides du Sillon et l'appui qu'elles recevaient d'eux, plus pressant tait le devoir d'clairer ceux qu'on avait entrans. En fait, le plus- communment, la Lettre du Pape, on peut le dire, a t reut et enterre avec tous les honneurs possibles. On l'a accueillie en lui marquant une entire dfrence; il a t convenu que le Sillon s'tait tromp, mais, oela dit, on s'en est tenu l. Dans maint diocse, je parle de ceux o il tait le plus vivant, les curs ont jug inutile de lire et de commenter devant leurs paroissiens ce decument capital. Les Semaines religieuses elles-mmes s'en abstenaient. Quelques-unes n'en parlaient que pour insister sur l'loge contenu dans le passage sur les beaux temps du Sillon, et rsumaient tout le reste en quelques lignes, avec des attnuations notables. Elles n'avaient de voix que pour exalter l'admirable obissance de M. Sangnier et de ses adeptes. Pour beaucoup de gens, la Lettre sur le Sillon n'est mme pas exempte d'exagration. Comme au- sujet du modernisme, S. S. Pie X, en systmatisant des ides parses et des tendances imprcises, donne
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aux erreurs: du Sillon un corps qu'elles n'avaient point. Rien n'et t cependant plus facile, et peut-tre plus opportun en dpit de l'opinion contraire, que d'illustrer chaque point, chaque sentence nonce dans cette Lettre, par des documents prcis, indniables, qui en auraient montr la parfaite justesse. La crainte de paratre agir par animosit et d'tre accus par cent voix d'envenimer la querelle au moment o elle s'assoupissait par la complte soumission des sillonnistes, nous retint de le faire. Ce fut peut-tre un tort. Sans reprendre aujourd'hui la question dans toute son tendue, il sera intressant sous plus d'un rapport de faire ressortir, au moyen d'un seul de ces documents, dont il n'a pas encore t fait tat, la complte et frappante exactitude de l'analyse des thories sociales du Sillon prsente par la lettre du Saint-Pre. Ce document est une plaquette trs peu connue, publie par les bureaux du Sillon, dont le titre complet est celui-ci : Compte rendu d'une retraite de Dames du Sillon donne Paris par M. l'abb Desgranges et M. l'abb Beaupin, 21-25 fvrier 1906. La date n'est pas trs rcente. C'est un intrt de plus dans la question. Elle servira prouver que, comme je n'ai cess de le dire ds cette poque, le Sillon, quoiqu'en France on aimt mieux ne pas le savoir, justifiait le jugement actuel du Saint-Sige dans le temps mme o il jouissait de la faveur ecclsiastique et tait salu comme un puissant instrument de rnovation catholique. 11 s'agit du Sillon fminin. Autre lment d'intrt. On n'a pas attach assez d'importance ce ct du mouvement. Le proslytisme exeic par les femmes, en faveur d'une cause tonte de sentiment et de religiosit mal dfinie, prend d e s ardeurs que rien n'arrte. Ellesmmes, tout d'abord, subissent cet entranement sans contrepoids. Le dveloppement des cercles fminins au Sillon tait un de ses aspects les plus inquitants. On a peu entendu parler de leur soumission la Lettre pontificale. Se sont-ils rellement dissous? Et, dans tous les cas, les esprits et les cturs ont-ils vraiment rejet les erreurs dont ils se nourrissaient? Enfin, le nom des deux prtres dont ce compte rendu prsente les enseignements mrite aussi attention. Ces noms sont familiers nos lecteurs. M. l'abb Desgranges a rompu bruyamment avec le Sillon, aprs e n avoir t l'apologiste attitr. Le caractre autocrate de M. Sangnier aurait t cause de cette rupture. Toujours est-il que M. Pcsgranges avait minemment l'esprit du Sillon. Ce sont ses instructions dans cette retraite qui vrifient si exactement l'analyse.des thories sociales du parti contenue dans la Lettre du Pape. Celles de M. Beaupin ont plutt trait la spiritualit, la vie religieuse du Sillon, et, par l, compltent l'ensemble. L'un et l'autre continuent d'exercer un apostolat trs actif. M. Desgranges, dou d'un rel talent de parole, excella dans la contradiction avec les socialistes et les
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ennemis de la religion. Son loquence est recherche dans. les congrs et ftes catholiques. M. Beaupin crit beaucoup sur les questions de formation morale et d e prdication (1), principalement dans la Revue pratique d'apologtique. l est frquemment invit ' porter ses conseils dans les maisons ecclsiastiques d'ducation. On doit admettre, i l V a sans dire, q u e les notes d e retraite dont i l s'agit diffrent d'un compte T e n d u in-extenso et officiel. Elles sont ncessairement incompltes et peuvent ne pas rendre toujours ave*', une parfaite exactitude la pense des orateurs. Elles n'ont cependant p a s d tre publies s a n s leu-r aveu, et, tout le moins, marquent l e fruit d o leurs enseignements. ^Nanmoins, il y a dans l'expos des thories sociales d u Sillon, q u i en est la partie la plus importante, en juger par la place qu'elle tient, une prcision dont on nie saurait faire honneur l'imagination fminine.
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C'tait une ide neuve et fconde de stimuler le proslytisme des jeunes filles et des femmes sillonnistes p a r les exercices d'une retraite spirituelle spciale pour elles, sous la direction des prtres les plus considrs de l'Ecole. Mais quoi de plus naturel, si l'on se souvient que le Sillon, mouvement suscit par la Providence, se donnait comme ayant le caractre d ' u n e vocation divine? (2). L'avantpropos nous apparend que t e t t e retraite eut lieu dans la semaine q u i ' suivit le V Congrs national du Sillon Paris. Les adhrentes taient plus do 80. M. Marc Sangnier qui avait bien voulu venir clturer la retraite prsida le dner final. On l i t dans cet avant-propos :
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Cette retraite a manifest puissamment l a vie qui anime nos groupes fminins ; elle a montr aussi que de vritables nergies sillonnistes se cachent dans des curs de femmes, que nous pouvons enfin tre les auxiliaires de nos frres, qui luttent pour raliser, dans notre socit mauvaise et cependant affame d'idal, plus de justice, pins de bont. Aussi nous a-t-il sembl utile de fixer cette tape si importante dans le mouvement fminin du Sillon, en runissant dans ces quelques pages les notes prises a u cours des diffrentes instructions. Quant celles de nos amies sillonnistes qui n'taient pas parmi nous, qu'elles supplent, par la vie intense que le Sillon a suscite en elles, tout ce qui manque ces rsums courts et froids. Puissent-ils, ainsi transforms, devenir pour elles ce que les instructions ont t pour nous : un puissant stimulant l'action, qui rveille toutes les nergies et les rende plus capables encore d'amour et de dvouement. 1. Voir dans nos numros des 15 aot et 1 septembre 1910, l'analyse de son livre : Pour tre aptre par M. Paul Tailliez. Dans cet apostolat dmocratique se retrouve le mme fond d'ides. 2. Les Erreurs du Sillon, chap. I, pages 19 ss.
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Ce fut une retraite ferme, avec instructions, visites au Saint-Sacrement, lectures en commun tirs des ouvrages du P. Gratry, recommand d'ailleurs, en gnral, comme livres de lecture spirituelle. Un cachet particulier de cette retraite fut celui-ci, marqu dans le premier entretien : Pour obtenir ce recueillement, on exige quelquefois dans les retraites un silence complet. Il n'en saurait tre ainsi au Sillon, puisque nous vivons anims par l'change des communications intimes... Mais cette me commune doit tre trs recueillie; nos conversations doivent tre chrtiennes, leves, vraiment surnaturelles, de ces conversations qui deviennent pau peu des mditations et se terminent spontanment par une prire en commun . Nous faisons des visites au Saint-Sacrement. Nous devrions aussi chercher la prsence de Notre-Seigneur Jsus-Christ dans ce tabernacle vivant qu'est Tnie des justes, dans le cur de nos amis les plus chers. Ainsi nos entretiens comme des vents passant sur des braseros, aviveront notre amour passionn de la Cause et de Jsus (1). Les prdications eurent pour sujet : l'importance de la retraite, les examens de conscience, la mditation et la lecture spirituelle, la manire d'accueillir la souffrance, la tentation, conseils gnraux, la contrition, la gurison de l'aveugle de Jricho, la mission de la Vierge Marie. A ces entretiens, dont nous dirons plus loin peu de chose, fut joint un autre genre d'exercices ainsi prsent : Nous avons rserv une tude technique des doctrines du Sillon les instructions de l'aprs-midi, qui doivent se transformer en confrences causeries. Cette tude n'est pas dplace dans une retraite, parce qu'elle nous apprendra mieux connatre la Cause que nous voulons servir, et aussi parce que nous tirerons de ces considrations des consquences pratiques et des rsolutions. C'est une autre manire de confondre l'amour de la Cause et de Jsus. Quel rapport et aussi quelle dmarcation il y a entre eux, c'est et; que vont tablir les deux confrences de M. l'abb Desgranges : Qu'est-ce que le Sillon? Le Sillon et l'Eglise. C'est l que nous allons trouver ex-professo la justification de la Lettre pontificale. Notre tche sera trs simple. Il suffira de rapprocher les deux textes l'un de l'autre. C'est donc au lecteur que nous laissons le soin de les comparer, en mettant d'abord sous ses yeux l'expos de ces thories sociales d'aprs la Lettre de S. S. Pie X : Le Sillon a le noble souci de la dignit humaine. Mais cette dignit il la comprend la manire de certains philosophas dint l'Eglise est loin d'avoir se louer. Le premier lment de cette dignit est la libert, entsndue en ce sens que, sauf en matire de religion, chaque homme est autonome. De ce principe fondamental, il tire les conclusions suivantes : Aujourd'hui le peuple est en tutelle sous une autorit distincte de lui, il doit s'en affranchir : mancipation po\. Les guillemets sont dans le texte.
Critique rtn libralisme. 15 Avril.
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iiiiquc. Il est. sous la dpendance des patrons qui, dtenant ses instruments de travail, l'exploitent, l'oppriment et l'abaissent; il doit secouer leur joug : mancipation conomique. Il est domin enfin par une caste appele dirigeante, qui son dveloppement intellectuel assure une prpondrance indue dans la direction des affaires; il doit se soustraire la domination : ^mancipation intellectuelle. Le nivellement des conditions ce triple point de vue tablira parmi les hommes Vgalit, -t cette galit est la vraie justice humaine. Une organisation politique et sociale fonde sur cette double base, la libert et l'galit (auxquelles viendra bientt s'ajouter la fraternit), voil ce qu'ils appellent dmocratie. Nanmoins, la libert, l'galit n'en constituent que le c5t, pour ainsi dire, ngatif. Ce qui fait proprement et positivement la dmocratie, c'est la participation la plus grande possible de chacun au gouvernement de la chose j'oblique. Et cela comprend un triple lment politique, conomique et moral. D'abord en politique, le Sillon n'abolit pas l'autorit il l'estime, au contraire, ncessaire; mais il veut la partager, ou, pour mieux dire, la multiplier de telle faon que chaque citoyen deviendra une sorte de roi. L'autorit, il est vrai, mane de Dieu, mais elle rside primordialement dans le peuple et s'en dgage par voie d'lection ou, mieux encore, de slection, sans pour cela quitter le peuple et devenir indpendante d& lui; elle sera extrieure, mais en apparence seulement; en ralit, elle sera intrieure, parce que ce sera une autorit consentie. Proportions gardes, il en sera de mme dans l'ordre conomique. Soustrait une classe particulire, le patronat sera si bien multipli que chaque ouvrier deviendra une sorte de patron. La forme appele raliser cet idal conomique n'est point, affirme-ton, celle du socialisme, c'est un systme de coopratives suffisamment multiplies pour provoquer une concurrence fconde et pour sauvegarder l'indpendance des ouvriers qui ne seront enchans aucune d'entre elles. Voici maintenant l'lment capital, Vlement moral. Comme l'autorit, on l'a vu, est trs rduite, il faut une autre force pour la suppler et pour poser une raction permanente l'gosme individuel. Ce nouveau principe, cette force, c'est l'amour de l'intrt professionnel et de l'intrt public, c'est--dire de le fin mmle de la profession et de la socit. Imaginez-vous une socit o dans l'me d'un chacun, avec l'amour inn du bien individuel et du bien familial, rgnerait l'amour*du bien professionnel et du bien public, o dans la conscience d'un chacun ces amours se subordonneraient de telle faon que le bien suprieur primt toujours le bien infrieur, cette socit-l ne pourrait-elle pas peu prs se passer d'autorit, et n'offrirait-elle pas Vidal dz la dignit humaine, chaque citoyen ayant une me de roi, chaque ouvrier une me de patron? Arrach l'troitesse de ses intrts privs et lev jusqu'aux intrts de sa profession, et plus haut, jusqu' ceux de la nation entire, et plus haut encore, jusqu* ceux de Vhumanit, (car l'horizon du Sillon ne s'arrte pas aux frontires de la patrie, il s'tend tous les hommes jusqu'aux confins du monde), le cur humain, largi par* l'amour du bien commun, embrasserait tous les camarades de la mme profession, tous les compatriotes, tous les hommes. Et voil la grandeur et la noblesse humiins idale ralisez pjtr la clbre trilogie: Libert, Egalit, Fraternit. Or, ces trois lments, politique, conomique et moral, sont subordonns l'un l'autre, et c'est Vlement moral, nous l'avons dit, qui est le principal. En effet, nulle dmocratie politique n'est viable si elle n'a des points d'attache profonds dans la dmocratie conomique. A leur tour, ni l'une ni l'autre ne sont possibles, si elles ne s'enracinent pas dans un tat d'esprit o la conscUncs se trouve investie de responsabilits et d'nergies morales proportionnes. Mais supposez
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cet tat d'esprit, ainsi fait de responsabilit consciente et de forces morales, la dmocratie conomique s'en dgagera naturellement par traduction en actes de cette conscience et de ces nergies, et de mme, et par la mme voie, du rgime corporatif sortira la dmocratie politique et conomique, celle-ci portant l'autre, se trouveront fixes dans la conscience mme du peuple sur des assises inbranlables. Telle est, en rsum, la thorie, on pourrait dire le rve du Sillon, et c'est cela que tend son enseignement et ce qu'il appelle Vducation dmocratique du peuple, c'est--dire d porter son maximum la conscience et la responsabilit civique de chacun, d'o dcoulera la dmocratie conomique et politique, et le rgne de la justice, de la libert, de l'galit et de la fraternit. Ce rapide expos, Vnrables Frres, vous montre dj clairement combien Nous avions raison de dire que le Sillon oppose doctrine doctrine, qu'il btit sa cit sur une thorie contraire la vrit catholique et qu'il fausse les notions essentielles et fondamentales qui rglent les rapports sociaux dans jtoutc socit humaine. Expliquant ensuite cette sentence point par point, le insiste sur le principe fondamental de ces thories : Saint-Pre
Enfin, la base de toutes les falsifications des notions sociales fondamentales, le Sillon place une fausse ide de la dignit humaine. D'aprs lui, l'homme ne sera vraiment homme, digne de ce nom., que du jour o il aura acquis une conscience claire, forte, indpendante, autonome, pouvant se passer de matre, ne s'obissant qu' elle-mme et capable d'assumer et de porter, sans forfaire, les plus graves responsabilits. Voil de ces grands mots avec lesquels on exalte le sentiment de l'orgueil humain ; tel un rve qui entrane l'homme sans lumire sans guide et sans secours dans la voie de l'illusion, o, en attendant le grand jour de la pleine conscience, il sera dvor par l'erreur et les passions. Et ce grand jour, quand viendra-t-il? A moins de changer la nature humaine (ce qui n'est pas au pouvoir du Sillon), viendra-t-il jamais? Eest que les saints, qui ont port la dignit humaine son apoge, avaient cette dignit-l? Et les humbles de la terre, qui ne peuvent monter si haut, et qui se contentent de tracer modestement leur sillon, au rang que la Providence leur a assign, en remplissant nergiquement leurs devoirs dans l'humilit, l'obissance et la patience chrtiennes, ne seraient-ils pas dignes du nom d'hommes, eux que le Seigneur tirera un Jour de leur condition obscure pour les placer au ciel parmi les princes de son peuple? Supposant q^ue le lecteur a relu cet expos, nous n'avons plus qu' placer incontinent sous ses yeux le texte de la confrence de M. Desgranges. Qu'est-ce q"ue le Sillon ? Dans cet expos prcis, tout porte. On peut dfinir le Sillon : Le mouvement un groupe homogne d'mes cherchant dans le catholicisme la force de raliser en France la dmocratie, au point de vue politique et au point de vue conomique (1). C'est d'abord un mouvement: ce n'est donc pas un programme, ni une uvre. C'est quelque chose qui volue sans cesse; on pourrait le comparer une colonne faisant une conqute, qui marche, qui avance et qui modifie ses attitudes suivant les circonstances qui se prsentent .
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Un groupe homogne. Cette homognit a amen bien des difficults et nous a cot bien des sacrifices : nous avons d quitter des camarades ayant de hautes qualits de cur et d'esprit. Sur ce point, nous sommes trs intransigeants. Nous croyons que le succs sera donn la concentration. Nous voulons tre trs unis, parce que, pour raliser la tche difficile d'tablir la dmocratie, il nous faut tre les plus forts... (1). Raliser la dmocratie, c'est--dire un tat social dans lequel le peuple soit associ de plus en plus largement au pouvoir. Nous voulons accrotre la conscience et la responsabilit de chaque citoyen, de faon ce qu'il puisse participer la puissance politique et conomique (2). Si nous voulons cela, c'est que nous voyons dans chaque homme une me, manation immortelle de la divinit, et que nous croyons que les mes valent dans la mesure des responsabilits qu'elles assument. Pascal disait : Toute notre dignit consiste en la pense. Quand l'univers l'craserait, l'homme serait encore plus grand que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt . Parcal a ainsi exalt la noblesse de la conscience; pour nous, nous croyons qu'il y a dans l'homme quelque chose de plus grand encore que la conscience : la responsabilit (?) Dmocratie politique. Sous la monarchie, la responsabilit est concentre dans le roi. Seul, il doit pourvoir aux besoins de ses sujets, prendre les mesures ncessaires pour la dfense nationale et l'ordre public, ce qui lui impose des sacrifices parfois trs douloureux qui attirent notre respect et notre admiration (3). De mme autrefois, le grand-prtre seul participait la divinit : seul il pntrait dans le Saint des Saints. Mais Jsus-Christ a voulu que toute me humaine puisse communiquer directement avec Dieu, et, par l'Eucharistie, il a largi cette participation la divinit, il l'a tendue tous les hommes. Ainsi, (???) dans une Rpublique, la responsabilit est multiplie et supporte par tous les citoyens. r~ Dmocratie conomique. Le patron porte toutes les responsabilits, tous les risques de l'industrie. Si nous souhaitons qu'une partie de ces responsabilits pse sur ceux qui sont actuellement des salaris, si nous dsirons qu'ils deviennent des cooprateurs, des associs, ce n'est pas que nous croyons qu'ils seront plus heureux au point de vue matriel, mais ils seront plus dignes de leur titre d'hommes; c'est aussi qu'ils sentiront davantage le besoin du Christ que nous voulons leur faire connatre. Ainsi, pour nous la dmocratie ne sera vraiment digne de ce nom que H elle reprsente un accroissement de la valeur morale de chaque individu et mme de chaque acte; si, au lieu de sujets, elle cre des citoyens, en permettant d'lever le niveau intellectuel et moral d'une lite qui s'agrandisse sans cesse et qui sache assumer sa part des responsabilits civiques et conomiques. Les forces sociales du catholicisme sont le moyen qui nous permettra d'arriver cette dmocratie. 1. M. l'abb Desgranges ne souponnait pas alors, qu'un an plus tard, luimme deviendrait un obstacle cette homognit et devrait se retirer son tour. 2. Voil le genre de question qu'on trouvait sa place naturelle dans une retraite spirituelle. Mais, aprs tout, c'tait juste, puisque, d'aprs la doctrine expose, les forces surnaturelles apportes par le Christ l'humanit morale et civique fortifient ce sentiment de la dignit humaine qui est prcisment repousspar S. S. Pie X. 3. Ce qui provoque une admiration porte jusqu' la stupeur, c'est de voir les sillonnistes, la suite de leur chef, dfinir la monarchie en des termes qu'on rougirait d'employer devant des enfants de cinq ans : le roi charg de pourvoir seul aux besoins de ses sujets!
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Quand Notre-Seigncur Jsus-Christ est venu sur la terre, il a profondment change les institutions humaines. Ainsi, il a tabli l'indissolubilit du mariage, tandis que Mose avait tolr le divorce chez les Isralites, cause de la duret de leur cur . Il est possible l'homme d'aspirer une perfection plus haute, depuis que Dieu lui-mme, venant parmi nous, a apport Vhuinanit des forces surnaturelles; car nous croyons que le Christ est une ralit vivante et mme la plus certaine des ralits vivantes; nous croyons que son action dans l'Eucharistie est plus puissante que celle de toutes les forces naturelles. En France, on veut faire la dmocratie, c'est--dire distribuer les responsabilits; mais, pour que les citoyens puissent supporter ces nouvelles obligations civiques* il faut agrandir leur capacit morale. C'est pourquoi nul n'est mieux qualifi qu'un catholique, pour faire partie de l'lite dmocratique, car, mieux que personne, il pourra, l'aide de la grce, pratiquer les vertus ncessaires. Ainsi, toute l'action du Sillon est fonde sur notre foi, notre croyance au surnaturel... Entrons avec eux dans cette avenue qui mne la justice et la dmocratie, et, l'extrmit, montrons-leur le Christ, qui seul leur donnera les secours ncessaires pour raliser leurs plus nobles rvea . C'est ainsi que l'action du Sillon mne naturellement les mes Jsus-Christ. Parti du surnaturel, il y retourne. Le Christ est l'alpha et l'omga du Sillon, comme de tout . Vous avez donc une place marque dans notre uvre; vous devez nous aider produire cette force. Pour cela, tchez d'abord de faire vivre le Christ en vous; puis, devenues de puissants foyers de grce surnaturelle, faites-le rayonner autour de vous pour qu'il rchauffe et illumine les consciences. Faites comme la Samaritaine qui, aprs que Jsus eut vers dans son me tant d'amour et de vrit, sut entraner aux pieds du Matre toute la population de Schem. Pour cela, il faut que vous aimiez Jsus, il faut que vous sachiez parler de lui avec passion. Alors, non seulement vous aurez dvelopp dans les mes un peu de conscience et de responsabilit, mais ces mes comprendront qu'elles -aussi doivent vivre d'amour; alors vous aurez conquis des mes la cit future de Tau del, et votre vie sera plus belle et plus pleine que .celle de tous les grands conqurants de la terre, car vous aurez travaill pour l'ternit . 11 serait certainement injuste de dire qu'au Sillon on ne parlait jamais qu'en ces termes mystiques et insuffisants de Jsus-Christ, de son amour, encore qfue ce soit bien le ton gnral des instructions de cette retraite. Mais il suffirait justifier cet autre passage de la Lettre pontificale o on lui reproche de prcher un Christ dfigur. Ce sur quoi on ne saurait assez insister, aprs S. S. Pie X, c'est l'absolue fausset de cette thorie d'aprs laquelle l'homme, en prenant davantage conscience de ses responsabilits politique et conomique, s'lve sa vritable dignit, se rapproche du Christ et participe davantage son amour, ou, si l'on veut, atteint d'autant mieux cette dignit qu'il est plus uni Jsus-Christ. C'est mconnatre compltement, comme le Saint-Pre le dit, la vritable dignit de l'homme, et aussi, e n premier lieu, le vrai motif de l'amour de Jsus-
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Christ pour lui. Notre Rdempteur n'a pas aim les hommes pour eux-mmes. L'homme, vil dans son corps, plus vil encore dans son me souille, n'avait rien pour conqurir cet amour. Jsus-Christ, devenu son frre par nature, l'a aim uniquement par reconnaissance et par obissance envers son Pre, par une consquence .de son amour indicible pour lui, parce que, en comblant son Humanit de dons absolument ineffables, dont la connaissance embrasa ds le premier instant d'un amour galement incomprhensible le cur du Verbo Incarn, ce Pre lui demandait d'aimer tous les hommes et de so dvouer pour leur rachat jusqu' la plus rigoureuse immolation de lui-mme. De quelle valeur et de quel poids est ici la fausse 'dignit humaine dont la notion porte toute la thorie du Sillon? La confrence de M. Desgranges sur le Sillon et l'Eglise comporte deux parties. La premire seule se rapporte au sujet choisi. Elle dbute ainsi : Il faut distinguer d'abord la dmocratie du Sillon de la dmocratie chrtienne. Lon XIII a dpouill ce mot dmocratie chrtienne de tout sens politique, conomique, social, et il l'a dfini; Vaction bienfaisante de VEglise dans les milieux populaires. Deux coles : les dmocrates chrtiens, au point de vue pratique, et les catholiques sociaux, au point de vue thorique, se proposent de tirer des principes ternels du catholicisme des consquences qui permettent de certifier toutes les injustices de la socit prsente. L'attitude du Sillon est toute diffrente : nous voulons organiser en France une socit politique et conomique que nous appelons la dmocratie, tout court ; nous voulons, dans notre pleine indpendance civique, faire une rpublique dmocratique (1). Si nous disons que la dmocratie n'est pas possible sans les forces sociales du catholicisme, nous ne croyons pas que le catholicisme impose la dmocratie. Nous ne voulons pas de cette confusion du pouvoir civique et du pouvoir religieux, du clricalisme qui existait dans les socits antiques et que le Christ est venu dtruire : Rendez Csar ce qui est Csar et a Dieu ce qui est Dieu... . On reconnat encore l le propre langage de Marc Sangnier qui eut plus tard l'injustice de reprocher M. Desgranges de n'avoir pas l'esprit du Sillon ' et cette formule sophistique qui, sous lo prtexte de ne pas lier le catholicisme la dmocratie sillonniste, devait galement servit, peu de temps aprs, rclamer pour celle-ci son autonomie complte vis--vis de l'autorit ecclsiastique. Passons sur les dveloppements (2), et venons la seconde partie, qui n*a plus pour sujet le Sillon et l'Eglise, mais le Sillon et la Patrie. M. Des* granges ne s'y montre pas moins fidle porte-parole de Marc Sanv
1. Excellent sujet de confrence dans une retraite spirituelle. 2. On y rencontre pourtant ce joli trait : Ayons donc confiance en l'Eglise, et lanons-nous hardiment sur le terrain laiss notre libre initiative : nous pouvons tre audacieux, car, si nous faisions un faux pas, le Pape est l pour nous avertir et nous reprendre AMICALEMENT , comme pourrait le faire, sans doute le camarade Sarto .
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gnier. On y verra, comme le dit si exactement S. S. Pie X, l'horizon du Sillon s'largissant, par-dessus les intrts individuels, professionnels, nationaux, jusqu' l'humanit 'tout entire. Au-dessus de tout, nous respectons la volont de Dieu, l'ordre suprme. Or, nous croyons que Dieu a cr trois grands groupes humains : la famille, la collectivit nationale, l'humanit. Sa volont est que nous no-us aimions tous, parce que tous nous avons t rachets par le sang de Jsus-Christ et que tous nous sommes appels la mme destine immortelle; mais il veut que nous aimions d'une faon toute spciale nos compatriotes et que nous soyons unis plus troitement encore aux membres de notre famille. Mais il est antichrtien de dire que la patrie territoriale doit toujours passer avant tout; il est rvoltant qu'on se dise catholique parce que Franais , qu'on fasse passer le groupe national avant la raison, la justice, l'ordre, la religion, qu'on en fasse une idole. De plus, les patries ne sont pas immuables; elles ont un caractre volutif ; c'est une nouvelle raison de nous lever contre la conception des no-monarchistes. Il est possible, en effet, que des causes conomiques, la ncessit de nous dfendre contre des peuples jeunes, par exemple, puissent nous obliger nous unir d'autres peuples, former une large fdration : les Etats-Unis d'Europe. Le sentiment patriotique reprsente un triple attachement au territoire, l'histoire, au gnie franais. Mais cet attachement n'existe pas au mme degr pour tous: comment serait ce possible chez des ouvriers qui ne possdent pas un coin de terre, qui ne savent pas l'histoire de leurs anctres et ne connaissent pas le gnie franais? Il faut donc trouver pour les proltaires d'autres raisons d'aimer leur patrie : l'uvre de justice que nous avons entreprise et qui doit tre ralise par la dmocratie constituera pour eux' ce patrimoine prcieux (1). D'ailleurs, s'ils ne possdent rien, ils jouissent (I) des institutions de la France, et Herv n'a pas le droit de dire qu'ils n'ont rien dfendre, puisque ces institutions sont la base sur laquelle ils difieront la rpublique dmocratique de leurs rves. Les catholiques sont des internationalistes : tout petits, l'uvre de la Sainte-Enfance les habitue penser leurs petits frres de la Chine et du Japon. Mais justement, cest parce que nous aimons l'humanit que nous aimons d'abord la France, qui a toujours t la plus humaine des nations, le champion de la justice et du droit. Nous la voulons forte et prospre pour qu'elle puisse continuer tre le secours des autres pays, pour qu'elle joue le rle d'une nation d'avant-garde et qu'elle porte pour les communiquer ensuite au monde entier. nos rves dmocratiques. La dmonstration, me semble-t-il, ne pouvait tre plus claire ni plus complte.
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Ecoutons maintenant M. l'abb Beaupin. Avec lui nous entrons dans la spiritualit du.'Sillon. Le trait frappant est de voir comment elle est elle-mme vicie par l'erreur fondamentale sur la conception 1. Comme ces dmocrates insultent les classes populaires en les croyant incapables d'une rel attachement leur patrie, en enlevant tout fondement leur patriotisme I Heureusement ils crent pour lui un patriotisme nouveau ayant pour base l'amour de l'Humanit et de la Rpublique dont ils jouissent .
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LA CHITIQUL
DU LIBLrtALISME
UEL1G1EUX
POLITIQUE,
SOCIAL
de la dignit humaine. Elle amne inconsciemment le sillonniste, tandis qu'il s'exalte dans la pense d'un absolu dtachement de soi, s-o prendre pour centre mme dans les choses de Dieu et dans les actes les plus importants de la vie spirituelle. Ici encore, si l'on va au- fond, Jsus-Christ et sa grce, la vie surnaturelle, prennent plutt le rle d'un moyen pour le perfectionnement de l'individu, que celui d'uii-e fin directe et suprme laquelle celui-ci doit se rapporter tout entier. Nous tombons l aux dernires consquences de cette erreur, qui n'est autre, e n dfinitive, que celle de la Rvolution. On ne m'accusera pas de dduire ma fantaisie ces consquences, car j-e cite textuellement et intgralement. 11 s'agit d'une instruction sur la Contrition. En voici le compte rendu : On appelle contrition le regret du pch. Pour dvelopper en soi la contrition, on peut mditer et rflchir sur les considrations suivantes : I. Examinons nos fautes dans leurs consquences. En pchant contre Dieu, nous .blessons sa majest infinie, mais nous amoindrissons aussi notre personne morale. Les fautes commises envers le prochain nous diminuent galement et dtruisent la justice et la charit voulues par Dieu. En pchant, nous nous affaiblissons donc. Tout pch est un dsordre cbnt nous sommes les premiers souffrir. II. Reprsentons-nous ensuite ce que nous pourrions tre, si nous pochions moins. Crs pour la lumire et l'amour, nous sommes, volontairement, tres de tnbres et d'gosme. Et cependant, il y a en nous d'indniables aspirations vers le Beau et le Bien. C'est une souffrance pour nous de constater qu'elles ort t arrte* et ne sont pas panouies par voire faute. III. Mais il faut rparer le mal accompli et rtablir Vordre dans notre vie. C'est alors surtout que se fait sentir notre impuissance et que nous nous retournons avec une joie humble vers Jsus-Christ. Lui seul peut nous aider refaire ce que nous avons dfait. Sa lumire va nous clairer, sa force nous soutenir. IV. L'acte de contrition s'achve ainsi dans un acte d'amour. Considrons Jsus-Christ dans sa Passion, dans ses douleurs physiques, surtout dans ses angoisses morales; comme Pascal, coutons-le nous dire : Je pensais toi, dans mon agonie; j'ai vers telle goutte de sang ponr toi , et laissons notre me s'imprgner douloureusement du remords des fautes coinmises et des grces perdues. Je crois les commentaires peu prs superflus. On pourrait s'tonner d'une notion aussi incomplte de la contrition, mme si l'on se tient sa forme la plus imparfaite, quoique cependant elle 6 achve ici dans l'amour. Judas -eut aussi le regret de son pch, il fit mme un effort srieux pour rtablir l'ordre dans sa vie en portant aux Prtres le prix de son crime. Il est vrai qu'il ne sut pas se tourn/or avec une joie humble Vers JsusMais si l'on exanrinc les motifs proposs, l'tonnoment est plus grand
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encore. La premire considration pour exciter en nous la contrition surnaturelle est donc Vaffaiblissement 'de notre personne morale. La seconde, qui ne diffre pas de la premire, la souffrance de constater Varrt de nos aspirations vers le Beau et le Bien. D'o nat la rsolution de rtablir Vordre dans notre vie. Le secours de Jsus-Christ nous est ncessaire pour cela. Et c'est ainsi que la contrition s'achve dans un acte d'amour, dont le motif est insuffisamment -exprim, mais auquel manquent les meilleurs motifs. Jsus-Christ a pens nous, mais il a d'abord souffert cause de nous cause de nos pchs, c'est nous qui l'avons fait souffrir; son sacrifice tait l'expiation de nos offenses envers la Majest divine et la rparation de l'immense dsordre caus par eux dans son plan surnaturel. C'est quoi les dames sillonnistea feraient mieux de. s'arrter, qu' l'affaiblissement de leur personne morale.
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Ce faux sentiment de la dignit humaine, qui est la base de tontes les thories sillonnistes, produit en tout ordre de questions le mme rsultat, qui est de rapetisser et de ravaler ce qu'on lui .attribue d'lever et de perfectionner. Passons l'ordre moral. M. Boaupin fait une confrence sur \*ducation. Voici, pour m'en tenir ce dernier trait, comment il en dfinit l'uvre dans -une premire partie. I. Qu'est-ce que Vducation'? Nous le saurons quand nous aurons rpondu ces deux questions : Qu'est-ce qu'un enfant? Que devons-nous vouloir en faire? Au point de vue physique, l'enfant est un tre faible, qui a besoin d'tre dfendu et protg. Au point de vue moral, c'est une anarchie d'apptits et de penchants c'est--dire une nature assez forte pour rsister au mal, qui n'est pas encore en possession d'une volont assez forte pour rsister au mal et faire le bien.
Il faut en faire un tre libre, c'est--dire une conscience et uni volont. Or,
livr lui-mme, l'enfant s'abandonnerait aux instincts les plus grossiers. Il pourrait devenir malfaisant. Le problme se pose donc ainsi : Il faut intervenir dans la vie de l'enfant
de manire ce qu'il devienne une personne humaine.
Un tre libre, une personne humaine 1 Comme cette manire de tout prendre au point de vue de la dignit personnelle rtrcit l'horizon et rarfie l'air l Un crivain religieux envisageant l'ducation SOU son vritable aspect dira les mmes choses, mais tout autrement. L'ducation est donc l'uvre la plus puissante de l'humanit. Quel en est le point de dpart? C'est l'enfant tel que vous le voyez au berceau : une magnifique esprance dans un immense fond d'ignorance et de faiblesse. Quel en est le terme souhait? C'est l'panouissement de cette magnifique esprance dans tous h s ordres de
perfection. C'est le dveloppement harmonizux, progressif et durable des aptitudes religieuses, morales et intellectuelles de l'enfant. C'est l'affermissement
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de toutes les puissances du bien et de toutes les qualits d'esprit, de cur, de caractre, que Dieu a renfermes dans cette jeune me, et c'est leur protection assure contre les mille accidents qui les ravageraient. Aussi est-ce l'ducation qui fait les intelligences robustes, celles qui ne veulent se nourrir que de vrits et de certitudes. C'est elle qui fait les caractres droits et forts, incapables de trahir le devoir et de se plier une injustice. C'est elle qui fait les curs purs, tendres, dlicats et en mme temps gnreux et hroques, les curs toujours prts se dvouer pour le soulagement des grandes infortunes, pour la garde ou le relvement des nobles drapeaux, pour tous les sacrifices que rclament les mille maux qui s'abattent sur la pauvre humanit (1). On voit bien ici l'panouissement de la personnalit humaine, mais ce n'est pas le souci de sa dignit qui est la base d'une telle uvre. \ Le mme auteur poursuit en expliquant que l'ducation est une u v i c de sagesse, une uvre d'autorit et une uvre de dvouement. On retrouve aussi les mmes penses clans la confrence de M. Beaupin, (mais fausses par la mme erreur. Ainsi, il commence bien par dire que l'autorit est ncessaire en ducation. Mais il se hte d'ajouter : Cette autorit doit tre entendue non comme un despotisme, mais comme un secours et une aide destins suppler la faiblesse de l'enfant. L'autorit dans la famille, comme dans lai socit et dans l'Eglise, ne doit pas tre un despotisme, mais elle est autre chose qu'un secours et une aide. La qualifier de la sorte, c'est en miner la notion. Il est vrai que si l'autorit du Pape agit amicalement sur les fidles quand il les reprend, le pre de famille aurait mauvaise groe vouloir tre autre chose qu'un grand camarade pour ses enfants. Au fond de tout cela, il y a toujours ce respect de V autonomie individuelle, o la Lettre de S. S. Pie X dnonce le point de dpart des thories sociales du Sillon. S'il fallait un nouvel exemple de l'incomprhensible indiffrence doctrinale laquelle les progrs du libralisme ont conduit, en fait, les catholiques et le clerg de France, ou ,du moins une grande partie d'entre eux, malgr l'extrme dfrence avec laquelle ils professent d'accueillir les jugements du Saint-Sige, le cas particulier des deux prtres directeurs de cette retraite le fournirait. Voil des hommes qui ont enseign le modernisme social le plus avr, qui ont vu condamner solennellement les doctrines dont ils taient les plus ardents champions et n'en ont fait, que je sache, aucune rtractation extrieure et positive. Je ne-mets d'ailleurs point on doute leurs dispositions intimes. Mais croyez-vous que leur crdit en ait subi la moindre atteinte? Pas le moins du monde. Il en est d'eux comme de certains professeurs ou crivains qui versaient dans le modernisme doctrinal. Ils ont gard la mme assurance, ils sont partout 1. B. P. Castelein, S. J. Droit naturel p. 629.
M.
MARC SANGNIER
ET
LE
PARTI
NOUVEAU
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en avant comme par le pass, toutes les portes leur sont ouvertes, et c'est toujours eux qu'on fait appel. M. l'abb Desgranges est le giand orateur catholique partout recherch. Pour ne parler que de son influence locale, il est directeur de la Semaine religieuse , il a deux journaux sa disposition, il est vritablement l'homme de son diocse. M. l'abb Beaupin est accueilli avec empressement dans les revues catholiques, dans les congrs, dans les maisons d'ducation. Est-ce onc de ceux qui sont les premiers atteints par les condamnations du Saint-Sige, qu'on attend la rfutation des erreurs qu'ils professaient et la raction efficace qui serait indispensable? Soit dit, sans aucun parti pris, sans aucune animosit contre les personnes. Mais, le cas s'offrant, il fallait le noter comme un signe de cette indiffrence malheureusement trop commune.
Emm. BARBIER.
M.
MARC
M. Julien de Narfon, rendant compte dans le Figaro, de l'importante manifestation du- mange Saint-Paul, commence ainsi: ' Le Sillon n'existe plus, et il n'y a donc plus de congrs du Sillon. Mais M. Marc Sangnier ne se croit pas le droit de rester inactif. Son activit a pris seulement de nouvelles formes, et elle s'exerce sur un autre terrain. Pour l'instant il travaille fonder un parti nouveau , et ce parti nouveau il a donn un organe : la Dmocratie, autour duquel il s'efforce de rallier, en dehors de maintes divergences d'cole, de philosophie ou de religion, toutes les bonnes volonts susceptibles de collaborer une uvre de pacification nationale et de justice sociale. Tout autre est l'impulsion que nous avons emporte de cette runion, et des discours que nous y avons entendus. Il nous a sembl au contraire que si le Sillon n'existe plus en droit, en fait il est toujours bien vivant, tmoin l'immense arme Sillonniste qui avait rpondu l'appel de son chef, auquel elle reste fidlement attache. Le prtexte d'un parti nouveau dont se couvre une nouvelle tentative de reconstitution d'un plus grand Sillon, ne peut faire illusion qu' ceux qui ferment les yeux l'vidence. Mais pour chapper la condamnation doctrinale, dicte par le Chef de l'Eglise, atteignant directement les erreurs professes par le Sillon, sur lo chapitre de la dmocratie, M. Sangnier transporte son action sur le terrain purement politique o il fait appel toutes les bonnes volonts, d'o qu'elles viennent, protestants, juifs, libres-penseurs, pour
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raliser en commun l'idal rpublicain et le redressement de toutes les injustices sociales. C'est sur un programme de rformes politiques et sociales, du respect de la libert de conscience et/de toutes les liberts, qu'il veut faire l'union de tous les hommes libres, quelque confession qu'ils appartiennent. En dfinitive il s'agit tout simplement d' un plus grand Sillon sur le "terrain laque. C'est, on l'a dj fait remarquer ici avec tant de vrit, un simple changement d'tiquette: y idalisme religieux on substitue l'idal simplement social et politique. C'est une attitude diffrente, une tactique nouvelle, mais le programme au fond reste le mme, et ce programme Pie X l'a formellement condamn. Qu'on se rappelle, le congrs du Sillon tenu en 1907 Orlans, alors qu'il s'agissait d'largir les cadres, l'appel lanc aux protestants e n vue de contracter alliance pour travailler en commun la ralisation de l'idal chrtien, qu'on relise les discours de Marc Sangnier, les commentaires qui en ont t donns alors dans la presse, et l'on y retrouvera, avec un objectif, en apparence diffrent, mais qui n'est qu'un trompe-l'il, le fond de la pense qui a dict le discours de mange Saint-Paul. Au surplus on en pourra juger, en nous bornant seulement reproduire les rsolutions dlibres dans le congrs de 1907, et dont on a ainsi rsum le sens exact (1): Considrant que l'idal chrtien des catholiques peut leur tre commun avec ceux qui rejettent leur foi; Considrant que l'idal moral et social faire triompher pour le salut du pays, s'il convient de l'appeler encore idal religieux en tant qu'on prend ce nom pour synonyme d'idal dmocratique, n'en est pas moins sparable de la foi catholique; Considrant qu'un parti fond sur la communaut d'un idal ainsi dtermine est appel changer les mes, et que tout autre parti serait nfaste l'Eglise, Le VI Congrs national Bu Sillon demande qu'on dnoncent qu'on brise l'union fonde sur la conformit du Culte religieux; Propose l'union de tous ceux qui, protestants, libres-penseurs ou catholiques, veulent que l'idal chrtien, et l'idal dmocratique soient un seul et mme idal, et qui se proposent de raliser cet idal dans la socit par le rgne de la Justice et de la Fraternit. Et repousse hors du parti moral et social ainsi constitu pour la rgnration du pays et le triomphe de l'Eglise, les catholiques qui n'ont pas compris comme le Sillon la rpercussion de l'idal dmocratique et chrtien dans le domaine politique et social. A un idal prs, nous retrouvons en 1911, la mme pense d'largissement, du Sillon, que lors du Congrs d'Orlans en 1907. Seulement cette poque cela s'appelait le plus grand Sillon et aujourd'hui cela s'appelle un parti nouveau . Mais bien examiner le discours du 26 mars dernier qui, tout habile qu'il est, dissimule
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mal la pense de l'ancien (??) chef du Sillon; voir le soin avec lequel il a vit de rpondre aux questions trs nettes, trs prcises de ses contradicteurs, en se contentant de parler de ct, tout en annonant qu'il ne se droberait aucune explication catgorique; contempler le spectacle de toute cette jeunesse Sillonniste, pleine d'effervescence et d'enthousiasme, vibrant la parole du chef et donnant l'impression que si l'arme est dissoute, les soldats sont toujours sous les armes; en rapprochant ces lments de conviction du fait de la conservation du journal La Dmocratie, rdige par l'tatmajor de l'ancien Sillon et qui semble n'avoir d'autre raison d'tre que d'en continuer l'action: de tout cet ensemble concordant se dgage l'impression trs nette d'un retour offensif de l'ancien chef du Sillon. Mais en habile homme qu'il est, avec une roublardise, oserons-nous dire, qui confine l'inconscience, M. Marc Sangnier mnage son terrain de transition. Il reste bien entendu que c'est un parti nouveau qu'il veut fonder, sur un nouveau terrain, avec de nouveaux lments. Et, comme il faut tout prvoir, dans la constitution de ce nouveau parti de ce plus grand Sillon, pour chapper une nouvelle condamnation de Rome, on a choisi le terrain purement politique, en dehors de toute confession religieuse, c'est--dire un terrain de tout repos. Mais M. Marc Sangnier sait mieux que personne qu'il n'a pas t condamn pour tre rpublicain, ni mme dmocrate, mais pour avoir profess, en matire de dmocratie, des doctrines contraire*, celles de l'Eglise. Or, comme on le faisait remarquer dans le dernier numro de cette revue, si M. Sangnier s'est soumis aux prescriptions disciplinaires de la lettre du Saint-Pre, on chercherait e n vain le dsaveu formel par lui des erreurs doctrinales qui ont motiv sa condamnation. Bien plus M. Sangnier, dans sa lettre Pie X semblait dire que le Pape lui attribuait des erreurs qu'il n'avait pas professes: ce qui laissait entendre que le Pape s'tait tromp. Or, pas plus dans son discours du mange Saint-Paul que dans sa lettre au Pape, M. Sangnier, qui pourtant s'est plu rappeler qu'il avait agi e n fils soumis, n'a fait l'aveu de ses erreurs dmocratiques. Mais plutt le ton et l'allure de ce discours montrent bien que l'ancien chef du Sillon est rest le mme. On comprend mieux, aprs cela, pourquoi, par deux fois, ses contradicteurs convis entrer dans le parti nouveau lui ayant offert l'occasion de s'expliquer nettement sur sa doctrine sociale et sur l'attitude qu'il prendrait vis-vis de Rome, au cas o celle-ci serait dsavou par le chef de l'Eglise, M. Sangnier, estimant la question brlante, a trs habilement donn le change, en disant que les directions pontificales, sur le terrain purement politique, n'engageaient pas la conscience et laissaient chacun libre de prendre l'attitude qui lui convenait. Ce n'tait pas rpondre la question, ce que ne voulait pas d'ailleurs M. San-
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gnier. Mais il vitait ainsi de faire une profession de foi dmocratique, ce qui l'et oblig maintenir ou renier ses erreurs du pass. Le pril tait vit: c'est tout ce qu'il voulait. Grce ce stratagme qui est bien dans la manire de M. Sangnier, il conservait ainsi le double bnfice et de sa soumission Rome et de son indpendance sur le terrain dmocratique. A la faveur de cette quivoque voulue par le chef du nouveau parti, les nouveaux appels, protestants, juifs, libres-penseurs peuvent y entrer sans crainte, ils n'auront pas redouter l'incursion de Rome sur le terrain exclusivement politique. C'tait le point dlicat de la question angoissante, dit M. Sangnier, car les concours sollicits dans les milieux htrodoxes, pour former le nouveau parti, ne peuvent tre obtenus qu' la condition de les assurer d'une entire et parfaite neutralit religieuse, en restant sur l e terrain des liberts communes et des communes revendications sociales. M. Sangnier est-il parvenu convaincre ses contradicteurs, l'alliance qu'il leur propose, sur le seul terrain politique, peut-elle leur donner les garanties ncessaires contre l'empitement et la domination de l'Eglise? Le discours de l'ancien chef du Sillon et les objections qui lui ont t faites vont nous l'apprendre. Parlant de ce discours, la Dmocratie l'appelle un chef-d'uvre de dialectique, robuste et dlie, subtile et rigoureuse. De toutes les pithtes dont se trouve gratifie l'loquence de M. Sangnier, nous retiendrons surtout celle de subtile, en lui donnant son sens obvie. Le talent, dit l'orateur, a surtout consist cacher sa vritable pense, et se drober aux questions pressantes qui l'eussent mis dans la ncessit de la dvoiler. Un parti nouveau est-il possible en France? Tel est le thme qu'a dvelopp M. Sangnier, en concluant par l'affirmative. Il com.mence par constater que, malgr les trs nombreuses annes de son existence, la Rpublique, toujours discute, n'est pas considre comme un fait dfinitivement tabli; elle apparat, ainsi que la dmocratie, plutt comme le drapeau exclusif d'un parti o d'une coterie au pouvoir que comme le drapeau mme de tous les Franais. Il en rsulte ce fait lamentable que la Rpublique toujours amene se dfendre contre ses adversaires, nglige l'uvre sociale et dmocratique qui est comme sa raison d'tre et que, d'autre part, une foule de bons Franais se dtachent de la Rpublique et de la dmocratie. Bref, il y a comme un divorce entre la France politicienne et la France vritable. De l une dperdition de forces morales. Aussi l'ide est-elle spontanment venue non seulement nos amis, dit M. Sangnier, mais dans des milieux trs opposs de l'horizon philosophique ou religieux, de jeunes radicaux, de jeunes socialistes indpendants, de promouvoir le dveloppement d'un mouvement rpublicain, et bientt sans doute aprs d'un parti rpublicain, qui se-
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rait pour les catholiques, aussi bien que pour les protestants, les juifs et les libres-penseurs l'expression mme de la Rpublique. Voil pour la ncessit d'un nouveau parti. En admettant, pour un instant, que derrire ce nouveau parti ne se cache pas le dessein trs vident d'un plus grand Sillon, comme nous l'avons dj dit, quel concours les catholiques peuvent-ils attendre, mme sur le terrain exclusivement politique, de cette .alliance avec des hommes qui, en dehors d'un nombre infini de questions intressant uniquement la politique, restent des adversaires pour toutes les autres? Aussi M. Sangnier a-t-il soin de spcifier les questions sur lesqu elles un intrt commun pourrait faire l'accord. Elles se rduisent quelques-unes seulement. Y a-t-il l de quoi justifier un appel des lments aussi htrodoxes, pour un rsultat aussi problmatique? Mais tout autre apparat la question si, la faveur ou sous le prtexte de cet appel, on trouve un moyen dtourn de reconstituer en l'largissant, le Sillon sur une nouvelle base. Il suffirait de voir l'enthousiasme de tous les Sillonistes accouTus la voix du Chef, d'entendre leurs applaudissements frntiques pour se convaincre que toute cette jeunesse effervescente accueillait avec bonheur l'esprance de pouvoir un jour se replacer sous, l'autorit du Matre. Aprs la ncessit d'un nouveau parti, M. Sangnier numre quelques-unes des rformes urgentes qui s'imposent l'attention de tous les rpublicains et de tous les dmocrates, en restant dans le vague et l'imprcision de ses dclamations ordinaires. Mais, ajoute-t-il, ce ne sont pas seulement des rformes que rclame l'esprit rpublicain et dmocratique. La Rpublique n'est pas seulement un programme de rformes, c'est encore un tat d'esprit. Et cet tat d'esprit c'est un grand acte de confiance dans l e peuple, capable non seulement de travailler amliorer sa situation matrielle, - professionnelle, mais encore soucieuse des intrts gnraux du pays et de la dfense de l'idal national devant l'humanit tout entire. Voil pourquoi il rclame la reprsentation proportionnelle, le rfrendum, et une arme qui soit vraiment l'arme de la France rpublicaine et dmocratique. M. Sangnier ajoute d'ailleurs que tous les problmes de politique trangre, aussi bien que de politique intrieure, tous les problmes d'organisation constitutionnelle aussi bien que d'organisation fiscale, tous peuvent aisment se rsoudre la lumire de cet esprit rpublicain et dmocratique. Quelle part d'utopie il entre dans ce concept d'un'rgime rpublicain et dmocratique o le peuple conscient de ses droits et de sa responsabilit, serait un lment de grandeur et de prosprit nationale, nous avons peine besoin de le noter en passant. Et combien plus il y aurait reprendre du ct de la doctrine dont on fait si bon march. Mais il nous faudrait nous arrter presque chaque ligne de ce discours
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dclamatoire et redondant, si nous voulions rfuter la thse librale sur le terrain politique et dmocratique. M. Sangnier arrive au point dlicat, sur lequel portera tout l'effort de la contradiction: sur le large terrain de la Rpublique dmocratique l'accord peut se faire entre toutes les bonnes volonts convergentes: mais voici l'obstacle: Vous ne pouvez pas, dira-t-on, marcher ensemble, pour raliser la vritable Rpublique dmocratique, si, tous d'abord, vous ne commencez par vous mettre d'accord sur les principes philosophiques et religieux que vous accepterez. En un mot on nous accule une profession de foi laque. M. Sangnier reconnat qu'en France nous sommes trangement, diviss au point de vue philosophique et religieux. Mais cette diversit, cette multiplicit d'opinions philosophiques et de convictions religieuses doit-elle donc ncessiter la cration d'autant de partis politiques et .sociaux qu'il y a de confessions religieuses et d'coles philosophiques diffrentes? Voil toute la question. Et M. Sangnier, pour aplanir toutes les difficults qui s'opposeraient l'entente, plus particulirement sur la question des rapports de l'Eglise et de l'Etat, propose d'tablir l'accord sur le terrain non confessionnel ouvert aux hommes de toutes les opinions philosophiques et de toutes les confessions religieuses,, en vue'de poursuivre et de dvelopper l'uvre rpublicaine et dmocratique. De ce que les questions philosophiques et religieuses dominent toutes les autres en intrt passionnant, et tiennent bien davantage au cur et aux entrailles de chacun de nous que les questions politiques et conomiques, s'ensuit-il que, dans l'tat de division actuel, alors qu'il y a uno uvre sociale accomplir et qui s'impose aux libres-penseurs comme aux croyants, nous ayons le droit de nous croiser les bras et de dire: je ne veux rien faire. Sur ce terrain non confessionnel ouvert l'activit de tous, il faut donc que tous rpondent l'appel du devoir, pour l a dfense de l'idal rpublicain et dmocratique, tant bien entendu que toutes les croyances auront droit au mme respect. Telle est l'ide matresse de ce discours, dgage de toutes les dclamations et divagations librales qu'il serait trop long de lfuter ici. Une plume plus exprimente et plus autorise que la ntre, en fera sans doute bonne Justice. Quel accueil l'appel de M. Marc Sangnier va-t-il recevoir? c'est ce que nous apprend le dbat contradictoire auquel il a donn lieu. Le premier contradicteur qui se prsente est M. Paul Hyacinthe Loyson, directeur des Droits de l'Homme, promoteur, lui aussi, d'un parti nouveau (1). Sans nous arrter aux attaques contre l'Eglise 1. On lit dans les Droits de VHomme (2 avril), ces lignes piquantes: M. Marc Sangnier avait convi notre directeur assister cette runion et y apporter en toute simplicit les explications ou les contradictions qui seraient juges ncessaires . C'est ainsi que M. Paul H.-Loyson siga sur l'estrade, encadr de plusieurs abbs, en compagnie de MM. Hertz, de La Dmocratie Sociale, et Stern, des Nouvelles.
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dont il maille son discours, venons au point intressant. La cratie rapporte ainsi ses paroles:
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Vous avez trac de l'Eglise un portrait idyllique, mais historiquement inexact. L'Eglise fut oppressive dans le pass. Elle chercha exercer une domination temporelle... 11 y a une opposition fatale entre vos principes et les ntres. Nous, nous voulons la dfense laque ferme, inbranlable. Libre vous de croire ce que vous voulez. Mais ce que nous vous demandons, c'est ceci : Le jour o le Pape viendrait vous interdire, par exemple, de collaborer avec nous sur le terrain politique, de choisir entre la qualit de catholique et celle de rpublicain militant, que feriez-vous ?. Si l'orateur avait limit ces questions l'hypothse d'un nouveau dsaveu des thories dmocratiques de M. Sangnier et de Ja collaboration sociale recherche, celui-ci n'et peut-tre pas trouv d'issue. Mais on lui en ouvrait une, en supposant que ce dsaveu pourrait porter ainsi sur l'attitude du rpublicain militant. Il s'y prcipita. En quoi le compte-rendu de la dmocratie a d'ailleurs besoin d'tre rectifi. Le contradicteur s'est exprim ainsi: Tout l'heure vous nous avez donn comme garantie de votre loyaut future les coups mmes dont le Pape vous a frapps et vous vous tes cri : Si je mo suis soumis quand on m'a atteint dans ma conscience de catholique, vous pensez bien que je saurais faire mon devoir quand on m'atteindra dans ma conscience de rpublicain . Je vous demande loyalement : dans le cas trs possible o l'on vous arrterait dans votre campagne sociale et rpublicaine, de quel ct sauterez-vous? Opterez-vous pour votre Souverain spirituel et tranger ou opterez-vous pour le principe de la Rpublique et de la Rvolution? Le sens de la question tait fort clair, mais M. Sangnier ne manqua pas de saisir l'chappatoire. M. Sangnier qui sait trs bien, comme nous l'avons dj dit, qu'il n'a pas t condamn Rome pour tre rpublicain ni mme dmocrate, mais pour sa manire d'tre dmocrate qui se trouve en opposition avec la doctrine de l'Eglise, a esquiv le dbat et n'a pris dans la thse de son contradicteur que ce qui pouvait servir sa cause: savoir que l'Eglise n'a jamais t infode aucune forme de gouvernement, qu'elle laisse entire libert toutes les opinions politiques et que par consquent, lui, MarcSangnier ne se trouverait jamais, du fait de l'Eglise, dans le cas d'opter entre sa foi religieuse et ses convictions rpublicaines et dmocratiques. Or, M. Sangnier qui sait trs bien que ses ides dmocratiques ont t dsavoues par Rome, et qu'il a d opter entre la soumission ou la rvolte, n'a pas rpondu la question. Il s'est rabattu sur les directions pontificales qui, sur le terrain politique, n'engagent pas la conscience, mais il n'a rien dit des ides sociales .et dmocratiques qu'il professe ou tout au moins qu'il professait, et qui
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lui ont valu la condamnation que l'on sait. L tait pour nous tout l'intrt du dbat. On voit que M. Sangnier s'y est prudemment et habilement drob. C'est ce que constate, en ces termes, M. Loyson, dans une seconde contradiction : J'ai pos une question, M. Marc Sangnier, je ne l'ai pas fait pour le gner. Je l'ai fait pour essayer d'effacer une quivoque qui ne cessera de planer sur vous et j'ai demand M. Sangnier, sans qu'il y reponde : Que ferez-vous le jour o il vous faudra opter? , Il m'a rpondu que ce cas ne se prsenterait jamais. C'est une opinion que vous avez; gardez-la. Je souhaite qu'elle soit vraie pour vous et pour la France, mais permettez-moi vous qui tes des libres-penseurs catholiques permettez-moi d'avoir une opinion contraire. Et il a ajout plus loin : encore une fois la question que je lui ai pose, M. Marc Sangnier n'a pas rpondu. Mais nous restons collaborateurs quand mme, en dehors de ces controverses qui sont ncessaires cependant. Et M. Marc Sangnier de rpondre, toujours ct: Je dis et je rpte que le jooir o l'Eglise affirmerait sa prtention ne pouvoir accepter qu'une des formes de gouvernement parmi toutes celles qui peuvent se prsenter, telle que la forme Monarchique, par exemple, et rejeter systmatiquement la forme rpublicaine, l'Eglise se mettrait si absolument en contradiction avec son enseignement, avec ce qu'elle n'a cess de dire au cours de tous les sicles, que, par le fait mme, elle ne pourrait plus tre considre comme une Eglise qui reprsente dans le monde cette vie divine dont je vous parlais tout l'heure. Par consquent votre question revient peu prs celle-ci - je ne sais si vous allez me comprendre, ce n'est qu'une comparaison et comparaison n'est pas raison. Que feriez-vous si un Concile ou si le Pape dfinissait demain qu'il y a quatre personnes dans la Sainte-Trinit au lieu de trois? . Et c'est l'aide de cet argument norme, absurde attendu que la forme d'un gouvernement n'est pas un dogme, et que le mystre de la Sainte Trinit en est un que M. Sangnier fuit, pour la seconde fois, le dbat. En vain un autre contradicteur essaiera-t-il de la ramener la question, il ne sera pas plus heureux Voici comment La Dmocratie parle de l'intervention de M. Jacques Stern. M. Jacques Stern, prsident du Conseil d'administration du journal quotidien Les Nouvelles, qui succde M. Loyson, appartient, lui aussi, l'opinion radicale. Lui ausai, il dclare : Il n'y a vas de doute qu'un Parti nouveau va se crer en France. Il ajoute qu'il n'admet pas qu'on rpudie une nergie, parce qu'elle vient d'un milieu confessionnel qui nesi pas le ntre . Mais il distingue entre l'me catholique laquelle il apporte son hommage respectueux , et 1 glise qui sera toujours en contradiction avec une vritable Dmocratie- Il dveloppe assez longuement les raisons de son hostilit contre l'Eglise et reprend en terminant la question du prcdent contradicteur :
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Est-ce que, sur un ordre de Rome, vous, dmocrates, vous accepteriez de lenier l'idal dmocratique Et Marc Sangnier de rpondre encore que nous ne croyons pas que nous puissions nous trouver pris dans un tel dbat de conscience. L'histoire la plus rcente le prouve, puisque, sans cesser d'tre catholiques, les catholiques allemands ont pu rsister Lon XIII, lorsque celui ci leur donnait le conseil politique de voter les crdits militaires; et de mme des catholiques franais, comme M. de Lamarzelle, ont refus de se rallier... Ainsi, de l'aveu mme de La Dmocratie, force nous est de constater que M. Sangnier, pour la troisime fois, s'est drob la question. Mais celle-ci est inexactement, et incompltement rapporte dans le journal de M. Sangnier: Voici en quels termes le contradicteur l'a formule, aprs avoir constat que l e problme, tel qu'il a t propos par M. Loyson, reste pour les Rpublicains, tout entier: Est-ce que sur un mot d'o.dre venant de Rome, !es dmocrates du SILLCN sont disposes renier l'idal rpublicain que M. Marc Sangnier nous a montr tout l'heure si beau et si divin? La question, on le voit, tait encore plus prcise, plus pressante et partant plus intressante. M. Sangnier annonce qu'il va y rpondre avec plus de prcision que jamais, et il reste dans la vague des dclarations gnrales: savoir qu'il n'y a pas d'incompatibilit entre l'Eglise et la dmocratie, et que les directions Pontificales n'engagent pas la libert politique. C'est tout ce que les contradicteurs ont pu tirer de lui. Ils lui fournissaient cependant une belle occasion de dire s'il reniait ou maintenait les erreurs sociales et dmocratiques qui lui ont valu une condamnation de Rome. C'est sans Joute tout ce qui leur importait, comme nous, de savoir. Son silence cet gard, ne les a pas satisfaits, et nous il demeure toujours suspect. C'est tout ce qu'il nous plat de constater aujourd'hui. Une autre fois il y aurii lieu, sans doute, de relever les normits historiques et doctrinales dont le 'discours de M. Sangnier et ses rponses aux contradicteurs, sont maills.
STANISLAS DE ROLLAND.
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LA F L E U R
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SENS SOCIAL
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Cette fleur exquise, dont parlait l'autre jour Cyr de La Croix (1), rserve la boutonnire des catholiques sociaux, contient parfois le germe de fruits dangereux. On en connat plus d'un exemple. En voici un, tout rcent, manant de M. J. Zamanski, ancien vice-prsi1. Voir notre numro du 1^ avril 1911 : Le sens social.
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dent gnral de l'A. C. J. F., directeur du Mouvement social (ancienne Association catholique) organe de Y Action populaire de Reims, et collaborateur de la Libre-Parole, comme il Ttait du Peuple franais. Le cas a donc quelque signification. M. Z aman ski a un sens social trs dvelopp. Mais il est de oeux dont le zle pour les rformes sociales dpasse frquemment les limites de la vrit, de la justice, et tout d'abord de la prudence, en nonant, sur ces matires trs complexes, des jugements aussi absolus que sommaires, avec une vigueur d'affirmation qui en souligne la tmrit, et qui les ferait souscrire par les socialistes. L'article dont il s'agit en est une nouvelle preuve. Il y a dj quatre ans, propos de dclarations de ce genre, l'exabb Dabry, dont on connat les emportements, lui rendait ce tmoignage en les reproduisant dans son journal La Vie catholique (8 fvrier 1908): Peu importe l'tiquette, Zamanski ne se dclare peut-tre pas dmocrate, i l se contente d'tre l'un des plus en vue des chrtiens sociaux et des orateurs de la Jeunesse Catholique. N'empche que les dmocrates de toutes les coles applaudiront ces fires dclarations. Celles-ci avaient pour objet la limitation des heures de travail, le minimum de salaire et le contrat collectif de travail. On y lisait: ... Il faut en prendre votre parti, messieurs les commerants et industriels, qui essayez de dissimuler votre horreur des rformes sous l'habile prtention de traiter vous-mmes ces questions avec vos ouvriers, nous la connaissons la libert de l'ouvrier en face de son patron l'usine. ... Ce minimun de salaire nous le voulons, car, il y a une chose que vous devez au travailleur, Ventretien de sa vie, et de sa vie non seulement matrielle, mais de sa vie morale et mme intellectuelle et cela, entendez-le, QUEL QUE SOIT SON TRAVAIL, du moment qu'il vous consacre tout son temps. Co contrat collectif qui vous effraie, et qui est au contraire la premire condition de la paix durable, ce contrat collectif dont ne veut pas le syndicalisme rvolutionnaire, et qui, ce titre, devrait pourtant vous faire rflchir, nous le voulons: il est l'objet mme du mouvement syndical, il est la seule garantie de la libert du contrat . Nous nous souvenons d'avoir entendu M. Zamanski prsenter un rapport sur le contrat collectif au congrs gnral de la Jeunesse Catholique de .Chlons, en 1903, et, si nos souvenirs-ne nous trompent, il demandait ,que le congrs proclamt le contrat collectif obligatoire. Au congrs qui se tint plus rcemment Angers, M. Zamanski, devenu aujourd'hui directeur 'du Mouvement social mettait ce vu... norme, que la proprit ft dclare fonction sociale . Heureusement M. l'abb de la Taille, professeur de thologie l'Universit catholique, o se tenaient les runions, se trouva l pour faire comprendre que c'tait la porte large ouverte au socialisme. La fleur exquise du sens social a des parfums parfois bien capiteux. Aujourd'hui, M. Zamanski rclame pour le syndicat le droit d'ex-
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d u r e de l'usine, c'est--dire de condamner mourir de faim, l'ouvrier qui lui refuse son adhsion. C'est encore au Nouvelliste de Lyon que nous laissons le soin de rpondre. Le tribunal de Millau vient de rendre un jugement qui, bien que parfaitement conforme une jurisprudence fort bien assise, n'en provoque pas moins de vives critiques, au moins dans le monde des catholiques sociaux. Nous estimons, quant nous, que le tribunal a bien jug: une fois, il est vrai, n'est pas coutume et tout le monde sait bien que nous avons tout notre franc-parler l'gard des magistrats. Puis nous estimons aussi, par voie de consquence, que les catholiques sociaux s'engagent l dans une mauvaise voie. En deux mots, voici les faits. Plusieurs ouvriers d'une fabrique de gants avaient dclar au patron qu'ils ne voulaient travailler qu'avec des ouvriers syndiqus. Un. de leurs camarades de la mme maison avait d'abord refus de se laisser enrler: cependant il avait cd et s'tait fait inscrire; puis mis en demeure de payer une amende de vingt francs que le syndicat lui infligeait pour ces hsitations et ces retards, il se cabra, ne paya pas et reprit sa libert. Le syndicat le mit l'index. Le pauvre malheureux, pendant de longs mois, ne put pas trouver d'ouvrage. Alors il actionna le syndicat, qui fut condamn finalement de forts domm ages-intrts. Pourquoi pas? Chacun, ce semble, doit pouvoir gagner sa vie; donc personne, pas mme un syndicat, ne doit pouvoir condamner quelqu'un mourir de faim. La jurisprudence s'est fixe dans ce sens, aprs la fameuse affaire Jojst, qui, ne Bourgoin, est alle en cassation et a servi de type aux nombreux procs de ce genre. L-dessus, la Libre Parole, qui, change d'opinion et de propritaire, n'est plus la Libre Parole de jadis incarne tout entire en Drumont, blme fortement les juges de Millau, dans les termes suivants: Pour nous, dit-elle, il y a l une exagration de la thorie de l'abus du droit. En effet, une chose sera admise de tous : c'est que le syndicat ne peut tre incrimin quand il agit pour la dfense de l'intrt professionnel. Or, en principe, un syndicat dfend la cause professionnelle quand il cherche englober la totalit des ressortissants d'un tablissement ou d'une profession. On ne peut pas prsumer qu'il est anim dans cette recherche par une ide trangre au bien de la profession. Seulement, il est possible de le prouver, et, pour cela, l'on devra scruter les motifs du refus qu'oppose l'ouvrier rcalcitrant. Ce sont ces motifs qu donneront la mise l'index son vrai caractre : celui d'une recherche vritable de l'intrt professionnel ou celui d'un pur acte de vengeance. Nous devons dire que le seul fait de mettre l'index un ouvrier non syndiqu n'entrane pas une faute la charge du syndicat; il y a faute.si une pense malveillante se relve dans ses actes .
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Autant de mots, autant d'erreurs et de dangereuses erreurs. Comment! Le syndicat, dites-vous, ne peut tre incrimin, quand il agit pour la dfense de l'intrt professionnel? Vous ne distinguez pas mme par quels moyens il agit ou plutt agissent les syndiqus, car il est bien clair que lui-mme qui n'existe que par eux, n'agit pas non plus autrement que par eux. Alors vous estimez que la chaussette clous, la machine bosseler, voire mme les actes homicides comme ceux dont est mort Dong, ne pourront pas tre incrimins lorsqu'ils seront des actes syndicaux? Quoi! Il suffira pour les innocenter d'une dlibration syndicale qui les dict pour cause professionnelle? La mise l'index tait bien, elle aussi, un de ces procds possibles: et le syndicat l'ayant vote, c'tait bien par les syndiqus qu'elle se traduisait en actes, tout comme les voies de fait, les squestrations et les violences. Au point de vue des catholiques, dont beaucoup trop 6e laissent prendre ce leurre du syndicalisme obligatoire, l'erreur et le danger sont particulirement graves. Vous y sacrifiez la libert individuelle. Prenez garde, vous y sacrifierez aussi la conscience de l'ouvrier. Il y a vingt ans que Lon XIII, dans sa fameuse Encyclique du 15 mai 1891 la seule que les catholiques sociaux affectent de connatre quoiqu'il y en ait d'autres de lui-mme et de Pie X Lon XIII, dis-je, signalait dj le pril et l'oppression. Les associations ouvrires, disait-il, sont ordinairement gouvernes par des chefs occultes, et elles obissent un mot d'ordre galement hostile au nom chrtien 'et la scurit des nations. Aprs avoir accapar toutes les entreprises, s'il se trouve des ouvriers qui se refusent entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misre . Or, le mal tait moindre alors que maintenant, puisque la Confdration gnrale du travail, ne seulement Limoges en 1895, n'existait pas mme encore. Vous tes donc bien presss de vous ruer l'esclavage, pour vous enchaner par lui au socialisme? Nous aurions, ce semble, dfendre un peu plus vigoureusement la libert j'entends la libert des individus: et je trouve que la soi-clisant distinction de l'intrt professionnel qui lgitime tout, d'avec la malveillance personnelle qui resterait rprhensible, est une de ces barrires de papier qui ne rsistent jamais bien longtemps, outre la difficult pratique de constater la diffrence. Prenez garde encore pour d'autres motifs, vous dirai-je. Ce que vous voulez asseoir et lgitimer, c'est la loi des majorits. Le syndicat, supposez-vous, est le nombre: donc les individualits ne doivent pas tre libres contre lui. Eh bienl c'est l une loi terrible, dont, en dehors des syndicats, nous catholiques, nous ptissons prcisment beaucoup trop pour que nous devions tre si jaloux que cela de l'introduire dans le domaine professionnel. Ailleurs, en effet, nous revendiquons trs justement le droit des minorits, le droit des mino-
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rites la libert en mme temps que leur droit la reprsentation proportionnelle. Or, chaque individu est comme une minorit l'gard de tous les autres: et si sa libert lui tout seul ou bien l'gard de toutes les centaines d'autres qui pensent et veulent comme lui, 'doit tre sacrifie l'omnipotence des autres, on ne voit plus bien pourquoi la libert des catholiques qui veulent des glises, un culte et un sacerdoce, avec des coles o leur foi soit respecte en la personne de leurs enfants, serait encore intangible. S'il en est ainsi, on ne voit plus bien pourquoi les municipalits biocardes et l'Etat lui-mme ne consolideraient pas, en la lgitimant, la tyrannie qu'ils exercent dj. Il y a mme quelque chose de plus fort dire: c'est que, si l'on conoit qu'un individu ne soit pas d'un syndicat, on ne conoit pas cependant qu'il ne soit pas et qu'il puisse ne pas tre de sa commune et de sa nation. En fait, un individu peut bien ne faire partie d'aucun syndicat. Cela est si vrai que la dernire statistique dresse la fin de 1909 constatait que le nombre des syndiqus n'tait en France que le septime environ des syndicables, en dpit des dclarations exagres et mensongres des syndicats enflant dessein leur importance. Avec cela, il faut noter que la Confdration gnrale du travail, si elle ne groupe pas encore la majorit numrique des syndiqus, malgr la rcente adhsion des syndicats de mineurs, elle n'en constitue" pas moins leur majorit dynamique . Voil donc o les illusionns du catholicisme social ou socialisme catholique veulent nous conduire: la servitude, par l'abdication volontaire et la ngation de la libert. Que les socialistes y tendent, c'est leur mtier; mais que des catholiques s'y prtent, c'est la dernire des inepties et des fautes. On veut du syndicalisme obligatoire, avec cette loi brutale de la majorit que l'on fera rgner l'intrieur des syndicats. Eh bien, il faut avoir assez de clairvoyance et de courage pour voir et pour dire que ce sera s o u s peu le socialisme obligatoire aussi.
U N M U L E D E S ABBS LUGAN E T PIERRE
Une revue d'un royalisme ultra, rcemment close, me prend personnellement partie propos de Y Action franaise, pour trois lignes que j'ai crites. Je ne la nommerai pas et m'abstiendrai (d'entamer, par une demande de rectification, la polmique qu'elle semble esprer, ne serait-ce que par ce qu'elle ne s'y prend pas assez adroitement pour l'obtenir. Nous ne demandons pas mieux, dit-elle, en commenant, que de nous expliquer avec M. l'abb Barbier . On dirait que, le premier, j'ai cherch querelle ces braves gens. Ce langage paratrait naturel de la part de ceux qui j'avais adress mes critiques. Mais, comment supposer, par exemple, que le dmocrate M. Lugan, ne serait descendu de la dmocratique tribune lui ouverte par le dmo-
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crate M. Paul Vulliaud dans les Entretiens idalistes, que pour se guinder selle des royalistes des plus rigides? A dire vrai, l'attaque, car c'en est une, porte tellement faux, qu'on me trouvera" bien bon de rpondre. Mais il y a des allgations discrditantes qu'un crivain n'a pas l e droit de laisser passer. Les plus .absurdes sont quelquefois dangereuses. On trouvera cette rponse ici. Et puis, je ne consentirai pas par mon silence la diffamation d'honntes gens, et de catholiques dont la cause religieuse reoit do grands services, et qu'une passion inexplicable s'acharne faire prendre pour ses ennemis jurs. Le tmoignage que je rends leur uvre, sans en mconnatre les lacunes ni me solidariser avec elle, et que je renouvellerai en toute circonstance opportune, esl d'autant plus dsintress que, comme je l'ai dit plusieurs fois, je n'appartiens l'Action franaise par aucun lien. L'article que cet mule de MM. Lugan et Pierre me consacre a pour objet la discussion .d'une phrase sortie de ma plume et qui lui sert d'pigraphe: Le journal l'Action franaise est, de tous nos journaux religieux peut-tre, celui qui donne sur les sujets intressant la dfense de VEglise, la note la plus franche, la plus courageuse, la plus en harmonie avec l a pense du Saint-Sige . C'tait une rponse provoque par l'audacieux travestissement de la vrit, par l'injustice flagrante autant qu'inepte, dont ne rougissait pas un prtre, comme M. Pierre, crivant en toutes lettres que l'Action franaise avait t fonde dans le dessein de ruiner la religion et l'accusant de s'organiser pour donner l'assaut au catholicisme. On ne se serait pas attendu voir des royalistes faire presque chorus avec lui et, qui plus est, me reprocher, au moins indirectement de favoriser cet effort impie. Ce que j'ai dit avait, me semble-t-il, un sens bien clair. Je proposais un simple fiait, fait patent, dfiant toute contestation, qui dmontrait lui seul l'absurdit des calomnies entasses contre l'Action franaise. C'tait savoir que, dans les questions pendantes, dont,un journal politique s'occupe, comme la conduite des gouvernements l'gard de l'Eglise, soit en France, soit l'tranger, en Espagne, par cxempl'p, ou la lutte contre l'erreur et l'esprit modernistes, le journal de l'Action franaise, son grand organe d'action, soutenait franchement, hardiment l e s intrts catholiques. J'avais principalement en vue les correspondances romaines de ce journal, qui, sur certains points pluo dlicats, me paraissaient justifier cet loge. Il serait, je crois, facile d'tablir qu'en plusieurs circonstances, il s'est, en effet, montr plus constamment et plus courageusement conforme la pense du Saint-Sige, je ne dis pas seulement que certains organes catholiques qui ne se gnent point pour fronder ses directions, mais mme que les plus ambitieux de mriter ce mme loge, comme La Croix et J' Univers, dont on connat les tergiversations et les mnagements calculs. C'est corrlativement cet appui donn aux intrts de l'Eglise, que je qualifiais l'Action franaise de journal reli-
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gieux . Sans doute, on ne le dnomme pas ainsi au mme titre que ces deux journaux, mais il le mrite comme d'autres. La prfrence nonce peut tre discute; quoi qu'il en soit, le fait demeurera toujours suffisamment tabli pour servir de dmonstration. Mais aujourd'hui, c'est moi qui suis personnellement en cause, et voici le procs qui m'est fait. Je rsume l'argumentation qu'on m'oppose. C'est tonnant, ce qu'une logique habile peut tirer de la plus honnte proposition. Il s'agit, dit-on, d'examiner si l'on peut vraiment dire que, par sa politique, elle (l'Action franaise) a su mriter l'loge d'tre la plus en harmonie avec la pense du Saint-Sige . Alors, on institue un long parallle entre la pense du pontificat de Pie X et la note que donne l'Action franaise . La pense- de Pie X, telle qu'elle se dduit de ses encycliques, est toute contenue dans Yinstaurare omnia in Christo, avec les applications de tout ordre que l'on connat. L'auteur me fait l'honneur de penser que je les admets, car M. Barbier est catholique . Il est bien loin de le supposer. Et il m'apprend en dernire conclusion que les directions du Saint-Sige nous appellent former le parti de Dieu, nous grouper comme catholiques. Ce profond analyste aura peut-tre quelque peine le croire, mais je puis lui assurer que je n'ai pas attendu l'apparition rie sa revue pour soutenir cette assertion. Je ne veux pas non plus entamer ici une discussion de dtail, en lui demandant si des journaux comme la Libre Parole ou le Soleil, qui ne placent point la politique sur le terrain catholique, et mme comme l'Univers et La Croix, qui, jusqu' l'an dernier, combattaient la formation d'un parti catholique, perdent ou perdaient pour cela ses yeux le droit d'tre considrs comme bons serviteurs de la cause religieuse. La note que donne l'Action franaise, c'est en thorie comme en pratique l'athisme fondamental dnonc par Pie X. Aussi, comme l'auteur e n fait l'observation, a-t-il fallu de la part des catholiques inscrits son groupe un effort d'lasticit que la foi prise au srieux et traite en conviction ne parat gure comporter . Voil pour eux. Et ce fai se prouve par une quantit de textes tirs des crits de Charles Mauras et d'un ou deux autres. On connat les arsenaux o ils se puisent. Le Nationalisme intgral , ainsi identifi avec les opinions particulires de Charles Mauras, et d'un ou deux autres, est donc foncirement oppos la pense du Saint-Sige, les doctrines de l'Action franaise sont la ngation de la foi et de tous les droits de I Eglise. Thme connu. . N'-t-on pas alors bien raison de s'crier: Que M. Barbier, aprs cela, vienne nous vanter l'harmonie du nationalisme intgral avec l a pense du Saint-Sige c'est ce qu'on a peine comprendre . Voyons, M. l'Abb, voyons! poursuit notre auteur, on ne peut pas rver Pie X nous conseillant d'aller grossir la cohorte positiviste.., et de favoriser ainsi... l'tablissement ventuel d'un rgime no-monarchistf sur les bases rvolutionnaires du principe do lacit .
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Voyons, M. Lugan, (pardon I M. X.) voyons, dirai-je mon tour, si mon ge ou mon caractre vous font excuser cette familiarit, voyons! Faites donc un peu attention ce que vous crivez, et tchez de ne pas divaguer de la sorte. En quinze pages, vous n'avez pas dit un mot qui se rapporte la question. Les expressions que j'ai soulignes dans le texte dont vous vous scandalisez, auxquelles vous avez pris garde, je le reconnais, mais pour les escamoter, font crouler votre laborieux chafaudage. En premier lieu, je parle du journal l'Action franaise. Vous allguez contre mon assertion et vous prtendez me faire endosser tout ce quf tel ou tel ont crit ailleurs et qui ne se trouve point Ja, Dj, donc, yous tes hors du sujet. Vous y tes si compltement que, do tous les textes sur lesquels vous vous appuyez, pas un, pas un seul, cher monsieur, n'est tir de ce journal Ils ont tous d'ailleurs le mrite, qui n'en augmente pas ici la valeur, de remonter une certaine antiquit. Plusieurs sont de 1900. Il est possible qu'on puisse dcouvrir, incidemment, dans ce journal quelque reflet lointain de ce positivisme que je constate comme vous, avec grand regret, chez tel ou tel membre dirigeant du groupe, de mme qu'on relve parfois des erreurs dans d'autres journaux sincrement favorables la religion. Mais ce ne seraient que des fautes de surprise, car il est si bien indpendant de ces doctrines que ni vous, ni d'autres, n'avez eu l'ide de les y chercher. Ensuite, voyons, Monsieur, voyons 1 Ce n'tait donc pas assez de substituer au journal dont il s'agissait des crits d'un tout autre genre! Pourquoi substituer, e n outre, aux sujets intressant la dfense de VEglise , expression qui a pourtant un sens limpide quand on parle de l'attitude de la presse, les enseignements du Pape dans leur acception la plus gnrale? La qualification de cette attitude faisait la pense encore plus claire: Ce journal, disais-je, rend la note la plus franche, la plus courageuse. Il vous a fallu tronquer et truquer ma phrase chaque fois que vous l'avez cite, pour donner le change. Qu'avait de commun ma proposition avec la question d'examiner si par sa politique , l'Action franaise a s u mriter l'loge d'tre la plus en harmonie avec la pense du Saint-Sige ainsi entendue? Sa politique, avec cela, ce n'est mme pas la politique du journal, mais ce sont les thories personnelles deux ou trois membres, thories auxquelles la masse de l'Action franaise n'adhre point, et qui sont soigneusement cartes du journal, ne serait-ce, dfaut d'autres motifs, qu' cause de la collaboration de rdacteurs catholiques. Pourquoi, encore, confondre ces thories particulires, sous le nom de Nationalisme intgral avec la conception politique trs raisonne, sur laquelle tous les membres de l'Action franaise indistinctement sont d'accord, prcisment parce qu'elle est indpendante de celles-ci? Voil quelles quivoques grossires il vous a fallu enchevtrer les unes dans les autres, pour arriver me faire dire que le positivisme de Charles JMaurras est le systme le plus conforme Vinstaurare omnia in Christo. Voyons, Monsieur, voyons 1 11 ne
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s'agit pas plus de cela que d'examiner la question de savoir si les variations du baromtre indiquent la hausse et la baisse des valeurs financires. Avec cette manire de raisonner, on n'aurait aucune peine dmontrez que la ligne zigzagante est le plus court chemin d'un point un autre ou que les poules ont des dents. Au surplus, et quoique ce doive tre bien inutile, je noterai, puisqu'on prtend examiner la politique de l'Action franaise, que, s'il est un principe <cent fois nonc par elle, affirm cent fois par elle plus hautement, plus courageusement que par la presque universalit de nos grands journaux religieux, c'est que la politique de la France doit tre une politique religieuse, une politique catholique, assurant l'Eglise la pleine jouissance de ses droits. Et c'est ce principe qui inspire son journal la conduite laquelle j'ai rendu hommage. Autant que d'autres, je dplore l'erreur de quelques dirigeants de l'Action franaise qui ne fondent cette conviction que sur une ncessit politique historiquement constate, et ne reconnaissent l'Eglise que du dehors, sans adhrer aux vrits religieuses, d'ordre naturel et surnaturel, qui sont la vraie base de ces droits et des devoirs de l'Etat envers elle. J'appelle non moins ardemment que ses dtracteurs le jour o ils arriveront enfin la possession de la foi. Mais comment s'empcher de reconnatre que, pour les attirer efficacement vers l'Eglise, il faudrait leur offrir un autre spectacle que celui des incohrences, des compromissions, des petitesses, des injustices et des dloyauts dont ils sont tmoins ou victimes?
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Ce qu'il n'importe pas moins de constater, c'est que ce positivisme agnostique est l'erreur de trois ou quatre seulement. La grande masse des adhrents de l'Action franaise, ce n'est pas assez dire, la presque totalit de ses membres sont des catholiques convaincus, des catholiques pratiquants, donnant l'exemple des initiatives les plus intelligentes, les plus fcondes. Prenez tous leurs groupes de province, vous no trouverez nombre absolument minime de membres faisant exception. qu'un
Et c'est pour satisfaire de mesquines envies inspires aux uns par le fanatisme de la dmocratie, aux autres par des comptitions de parti ou par la peur d'tre entrans l'action, qu'on prtendrait faire un cas de conscience aux catholiques d'accepter leur concours, d'appuyer ce mouvement de leurs sympathies, d'encourager ces efforts ou de s'y "unir activement! Aucun homme d'esprit droit et de cur sincre ne s'en laissera, impressionner. Mais, duss-je tre seul lever la voix, je ne cesserais pas de crier ces vaillants patriotes, cette jeunesse dont l'enthousiasme rflchi et l'hroque courage nous prparent enfin une gnration d'hommes' a*yant de solides principes et la rsolution de se sacrifier au besoin pour leur triomphe: bravo, mes amis, bravo 1
Kmm. BARBIER.
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U N C O N G R S D E Va A C T I O N
LIBRALE
Depuis quelque temps, l'Action Librale fait peu parler d'elle. C'est une conduite sage. Il n'en est que plus intressant de noter les manifestations qui se produisent. Le comit de Lons-le-Saunier a tenu le 12 fvrier un congrs qui, prvu runion d'arrondissement, s'est Talis presque sous forme de congrs dpartemental . Ainsi s'exprime le compte-rendu in-extenso paru au supplment de la Croix du Jura (19 mars). C'est dire l'importance qu'on a voulu lui donner. Lu avec un peu d'attention, le rapport qu'on va lire se passe de tout commentaire. Il a pour sujet le programme politique et conomique de l'A. L. P., prsent par M. Michel, avocat, qui prside. Messieurs, Je dois faire un rapport sur le programme politique et conomique de l'A. L. P. Pour vous comme pour moi, je souhaite qu'il soit court, clair et prcis. Si vous voulez connatre le dtail des rformas ou des vceuix qui constituent le programme de l'A. L. P., vous le trouverez dans une notice publie par le sige central et rpandue dans tous les groupes de notre association; ce n'est donc pas cela que j'ai vous faire connatre. Ce qui importe avant tout, quand on parle d'organisation, et c'est bien l'organisation qui est le but de ce Congrs, c'est, d'une part, l'union complte sur les bases d'un programme d'action; c'est, d'autre part, l'entente pralable sur des formules sans -ambigut qui rsument ce programme. Eh bien! Messieurs, Y Action Librale Populaire, qui sommes-nous, que voulons-nous, que pouvons-nous? Voici ce que j'ai l'intention de vous dire, et vousaurez l'obligeance de me reprendre, si je me trompe, car il faut que tous ici soient bien d'accord. Au point de vue moral ou religieux, nous sommes des catholiques, et si nous acceptons le concours des hommes de bonne foi qui ne partagent pas nos croyances, nous exigeons d'eux, qu'en entrant chez nous, ils reconnaissent que l'Eglise catholique est une institution religieuse et sociale de premier ordre, dont ils s'engagent dfendre avec nous la libert et les droits (1). Au point de vue politique, nous sommes des rpublicains, et, si nous laissons la porte largement ouverte ceux qui ne sont pas encore entrs dans la Rpublique, nous n'y laissons pntrer que des hommes loyaux, qui, lui donnant leur adhsion sans aucune arrire-pense, viennent elle pour travailler avec nous son amlioration, c'est--dire son affermissement. Au point de vue conomique, nous sommes des dmocrates, c'est--dire des partisans convaincus de la justice sociale, et si nous ouvrons nos rangs aux catholiques ou aux libraux rpublicains, c'est la condition qu'en mme temps, ceux-ci se dclarent rsolus poursuivre, de concert avec nous, l'amlioration progressive du sort des travailleurs. Voil notre programme social sous son triple aspect, religieux, politique et conomique. S'il en est ainsi, nous nous distinguons trs nettement tout d'abord de certains catholiques qui poursuivent le rve chimrique de fonder un parti dit catholique; je dis que ce rve est une chimre, car de deux choses, l'une : 1. Heureuse Actio?i librale qui compte dans son sein des hommes qui ne partagent pas nos croyances, mais qui, nanmoins, s'engagent -dfendre les droits de l'Eglisell!
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ou ce parti catholique ne sera pas politique, mais strictement religieux, et alors il n'est plus tablir, il existe depuis vingt sicles, c'est l'Eglise catholique ellemme, avec son admirable hirarchie, ou ce parti, qui se dit uniquement catholique, poursuivra cependant un but politique, et s'il n'est pas comme nous, loyalement constitutionnel, et partant rpublicain, il cachera des vises politiques secrtes. En ce cas, Messieurs, il n'en est point parmi vous, je crois pouvoir m'en porter garant, qui voudrait entrer dans ce parti, car tous ici, nous avons assez de fiert iet de courage pour ne pas plus rougir de nos opinions politiques que nous ne rougissons de nos convictions religieuses. Nous sommes donc des catholiques rpublicains, et c'est l ce qui nous distingue des catholiques tout court, ou des catholiques monarchistes. Mais cela nous distingue aussi, remarquez-le, de beaucoup de rpublicains qui, non seulement ne sont pas ou ne veulent pas tre catholiques, mais encore prtendent dtruire par la lgislation, les uvres catholiques, et, si possible, l'Eglise elle-mme. De cette Rpublique maonnique, nous ne nous accommoderons jamais, et, suivant en cela le noble exemple donn par M. Piou, avec cette Rpublique-l, toujours nous nous refuserons signer le trait de paix. Nous ne sommes pas seulement catholiques et rpublicains, nous sommes enfin, et nous avons la prtention d'tre, autant que qui que ce soit, dmocrates, et par l, j'entends des hommes qui veulent une lgislation sociale capable de donner au peuple, c'est--dire aux plus faibles ou aux plus pauvres, la force ncessaire pour traiter d'gal gal, dans les limites de la justice, avec les plus riches et les plus forts. Voil comment nous sommes dmocrates; pour nous la dmocratie, c'est la Rpublique conomique. A ce titre, nous nous distinguons encore nettement de plusieurs rpublicains aux pithtes diverses, depuis les radicaux nantis jusqu' la plupart des prDgressistes, et mme, faut-il le dire, de quelques conservateurs qui se disent catholiques, et qui pourtant, ne comprennent pas, ne veulent pas comprendre; toute l'tendue, toute la beaut du devoir chrtien sur le terrain de la justice conomique. Ainsi, nous sommes appels former un parti bien dlimit, un groupe bien uni sur toutes les questions importantes, dans les trois aspects que revt le problme social: moral, politique et conomique. Eh bienl le nom d'Action librale populaire exprime-t-il suffisamment, lui seul, tout cela? Ne laisse-t-il pas, n'a-t-ii jamais laiss place l'quivoque? Voil la seconde question. Remontez un peu dans l'histoire de notre parti; son nom a permis, par son imprcision, plusieurs monarchistes non convertis, de pntrer dans nos rangs, pour y semer la confusion, et rendre suspect notre groupement, aux lecteurs rpublicains, et il n'a fallu rien moins que les fautes graves de nos adversaires, pour nous dbarrasser de ces lments htrognes, en donnant un regain d'espoir et un semblant d'nergies aux royalistes impnitents, qui, maintenant, paraissent vouloir combattre visage dcouvert dans les rangs de Vction franaise. Dieu soit loul pour nous, il tait temps que cette compromission prit fin. C'est encore l'imprcision du nom qui a rendu possible et mme explicable un fait rcent et douloureux qui, au premier abord, a paru inou, je veux dire la dsertion de 20 ou 30 dputs lus grce notre appui, et nous reniant, comme saint Pierre, ds que leur fut pose publiquement la question de savoir s'ils taient avec nous. Le mot libral lui-mme, en politique, n'est plus trs en faveur, ni du ct du Gouvernement qui traite les libraux comme de vils ractionnaires, auxquels il ne reconnat mme pas le droit de se dire rpublicains, ni du ct de beau-
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coup de catholiques, qui persistent les tenir pour des nafs ou des tratres ; souvenez-vous de certains articl.s parus dans VUhivers, sous la plume de Franois Veuillot. Mais il est un mot magique qui rsume les aspirations de la France, que dis-je, de toute l'Europe moderne, un mot qui se suffit lui-mme, parce qu'il remplace tous les autres, au regard de l'opinion publique, c'est le mot dmocratie. N'y a-t-il pas, dans un pays voisin du ntre, en Belgique, une Ligue dmocratique, qui est, en mme temps, trs catholique? Sous ce nom de bataille, et je le crois fermement, de victoire, chacun saura bien que nous ne sommes ni des socialistes, ni des conservateurs, ni des radicaux, ni des ractionnaires, mais des rpublicains sincres autant que catholiques convaincus, et, par-dessus tout, des amis gnreux du peuple, de l'immense foule de ceux qui travaillent et qui souffrent, et qui, avant tous autres, mritent que l'on s'occupe d'eux. C'est pourquoi nous avons pris comme titre, le nom de Groupe rpublicain dmocratique, section de VA. L. P. Et si, cause de cette appellation doublement caractristique, nos rargs se vident de quelques conservateurs attards ou de quelque libraux gostes, je vois venir nous pour les remplir, toute une jeunesse ardente, avide de nous prter son concours, et qui, forte de sa foi religieuse, pntre de l'amour du Christ, veut ramener la France Dieu, en donnant au peuple tout son cur. Je n'ai pas numr les dtails de notre programme, mais je crois avoir fait mieux, si j'en ai ciment les bases, car, sans des fondations solides, un difice est d'autant plus dangereux qu'il est mieux amnag, puisqu'il attire et retient ceux qu'il doit ensevelir. Passons sur les autres rapports et venons au banquet, pour y couter la fin du discours du mme M. Michel. Elle n'est pas moins intressante. Je cite encore sans commentaire. Aprs avoir fait le procs de la politique sectaire du Bloc, il s'crie: Que cette politique goste et jalouse, mesquine et sectaire, ne soit jamais la ntre, Messieurs! Que, ds maintenant, mme dans l'opposition, nous pratiquions une politique franche, loyale, vraiment librale et juste l'gard de tous les citoyens. afin que le lendemain de notre triomphe, nous n'ayons pas changer de tactique ou d'attitude, et que, demeurant fidles nous-mmes, nous nous montrions capables de raliser ce que nous aurons promis. Oui, nous voulons une Rpublique ouverte, et non pas ferme, ouverte tous ceux, d'o qu'ils viennent, qui mettent la forme du gouvernement au-dessus de toute discussion. Oui, nous voulons une Rpublique tolrante et non pas sectaire, tolrante pour toutes les manifestations extrieures de la pense et de Vactivit humaines^ qvi m sont pas contraires l'ordre public, et, par consquent, respectueuse des liberts de conscience, d'association, d'enseignement et du culte. Oui, nous voulons une Rpublique juste, c'est--dire dmocratique, et non pas bourgeoise, une Rpublique qui se montre gardienne vigilante des intrts lgitimes de chacun et spcialement dispose poursuivre, conformment la justice, l'amlioration progressive du sort des travailleurs. Nous voulons aussi, et nous le disons bien haut, une Rpublique chrtienne, et non pas maonnique, chrtienne et non pas clricale, chrtienne par la libration des consciences vis--vis du pouvoir civil, et par l'infiltration continue, dans les murs et dans la lgation, de cette grande loi de fraternit et d'amour que le Christ a apporte au monde, chrtienne enfin, par l'affirmation solennelle de la
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dpendance des hommes, fussent-ils des citoyens libres, l'gard de Dieu, qui, tantt protge et tantt chtie les nations. Levons donc ensemble nos verres, Messieurs, en l'honneur de cette Rpublique idale, ouverte, tolrante et juste, librale, dmocratique et chrtienne, en l'honneur de la Rpublique nationale qui, pour nous, est vraiment la France.
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Pour finir, cette perle: Enfin, M. Bourgoin (1) lve son verre en Vhonneur du grand Franais qu'est M. Jacques Piou. Toast de M. Bourgoin. Je suis heureux de vous apporter le salut bien cordial de vos voisins de l'Ain. Mais au moment mme de vous exprimer leurs sentiments, je m'aperois que le premier de ceux qui m'animent vis--vis de vous, c'est la jalousie: d'abord cause des orateurs loquents que nous venons d'entendre et qui vous reprsentent si dignement l'Assemble dpartementale, ensuite cause de vos succs lectoraux que nous ne connaissons point dans l'Ain, et que nous sommes rduits vous envier. Quoique vaincus, vos amis de l'Ain restent cependant fermes pour les luttes et, comme vous inbranlablement fidles au culte de ce que Maurice Barrs appelle les amitis franaises, c'est--dire de nos vieilles traditions nationales : l'amour de la patrie et de la libert, le sentiment de la famille et de la religion; fidles aussi nos chefs minents et particulirement celui que l'A. L. P. entoure de sa respectueuse affection. C'est lui, au grand Franais qu'est Jacques Piou, que je vous demande la permission de lever mon verre. Et, aprs tout, n'est-ce pas boire la France, puisque c'est lui que le pays doit cette merveilleuse organisation de l'Action Librale Populaire, qui nous permet d'attendre avec confiance les revanches de l'avenir? Levons donc nos verres M. Piou et aux victoires de l'Action Librale Populaire qui, dans une Rpublique rgnre et libre, saura oprer la grande rconciliation de tous les Franais t
LA CHRYSALIDE D U SILLON
M. Sangnier jouit d'un privilge que n'a pas l'insecte une fois sorti de sa coque, c'est d'y rentrer comme il lui plat et de se refaire un nouveau cocon, dans l'espoir de reprendre un essor plus heureux et plus brillant. Et c'est juste au moment o ses ailes allaient l'emporter dans la lumire qu'il les replie et s'enferme en son laboratoire mystrieux. L'article qu'il vient d'crire en tte de son journal (2 avril) sous ce titre: pour le parti nouveau: une action pralable nous fait assister une fois de plus ce spectacle intressant. C'est, l a fois, une drobade qui dissimule lgamment le nouvel insuccs de ses efforts pour dterminer enfin les non-croyants 1. Reprsentant du comit de Bourg.
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
accepter sa collaboration et cello de ses amis, et une pirouette sur la question du programme ^dmocratique et social. Ni cadres, ni programme, voil o l'on est pour l'heure. Le plus important tait de constituer le cadre. Mthode trange. Le parti une fois form sur un plan indtermin, hormis le dvouement la Rpublique, on lui aurait cherch un programme qui et t l'uvre des fractions runies, sans que M. Sangnier et ses partisans eussent en endosser la paternit. Empchs (de formuler la leur, parce qu'ils ne se dcident ni au dsaveu de leurs erreurs ni au risque de faire constater une rcidive, ils rouvrent la priode lastique d'une action pralable . Cela se colore du prtexte de ne pas imposer des opinions toutes faites. C'est conforme aux principes du Sillon; conforme sa dfinition mme. Le Sillon n'est pas une uvre, il n'a pas de programme, c'est un mouvement , c'est avant tout une union morale, t o u s ceux qui ont nos tendances, qui adoptent nos mthodes, et poursuivent le mme but en esprit d'amiti avec nous, s,ont du Sillon (1). Quant ce qu'il cherche, lui-mme ne le sait pas exactement, les vnements en dcideront, suivant la grande maxime rappele aujourd'hui par M. Sangnier : il faut se laisser faire par la vie . Ceux qui cherchent suivre le travail souterrain des ides, trouveront cet article un rand intrt et une signification importante, sous s,on apparente incohrence.
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Certains de nos amis, convaincus comme nous qu'il y a place en France pour un nouveau parti, celui-l mme dont, il y a quelques jours, au Mange Saint-Paul, nous prcisions l'opportunit et nous commencions dfinir le programme, voudraient, sans plus tarder, que l'on organist ce parti nouveau : quelques-uns mmes se sont mis runir des amis et ont cru tenir ainsi comme les premires assises de l'organisation future. Il nous apparat assez nettement qu'ils risquent de faire fausse route. Pour crer un parti nouveau, il faut, avant tout, dtruire des habitudes, des partis pris, apporter des points de vue nouveaux, entraner autant que convaincre. Il faut donc dvelopper un grand mouvement, tendre les nergies, exciter les enthousiasmes. Ce sont des ides, c'est un programme gnral qu'il faut faire connatre, faire aimer, en lesquels il faut inspirer confiance. Or, ceci se peut malaisment raliser sur un champ trop troit et si on ne s'adresse qu' un petit nombre d'individus. Plus le champ d'influence sera vaste, plus le mouvement apparatra comme vritablement national, moins la tche sera malaise. Il y aurait mme, sans doute, un rel danger commencer par fonder de petits comits qui, ncessairement, risqueraient de prendre un cachet particulier, du caractre mme de leurs premiers adhrents. Par la suite, il serait difficile de les largir si ceux-ci, ds le dbut, avaient eu, aux yeux de l'opinion, l'aspect de petites chapelles trop troites et fermes. Mieux vaut, notre avis, entreprendre d'abord, travers tout le pays, une simple campagne d'ides. Ainsi nous pourrons pntrer plus facilement dans tous les milieux pour faire connatre qui nous sommes et ce que nous voulons, et rencontrer, venant peut-tre mme des points les plus opposs de l'horizon, de bonnes volonts convergentes, convaincues comme nous que le parti nouveau est ncessaire, dsireuses peut tre mme de le fonder bientt avec 1. Le Sillon 2 aot 1906.
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nous, mais qui n'auraient pas accept d'y entrer si nous le leur avions offert d] tout organis par nos seuls amis d'aujourd'hui. D'autre part, s'il est vrai que nous voyons dj assez nettement les grandes lignes du programme rpublicain et dmocratique qui sera celui du parti nouveau, il n'en est pas moins vrai que nous avons encore en coordonner plus exactement toutes les parties, en prciser mme certains dtails. C'est l un travail qui s'impose notre activit comme celle de nos amis et auquel il faut que, dans ce journal comme dans les runions que nous comptons organiser incessamment, nous nous livrions avec zle. Du reste, nous avons, je l'espre, le droit d'y compter, la Reprsentation proportionnelle va bientt tre vote par le Parlement. Quelqu'incomplet, quel qu'imparfait que puisse tre encore le projet sur lequel les dputs finiront par se mettre d'accord, il n'en est pas moins vrai qu'au point de vue qui nous occupe, ce sera toujours ncessairement un progrs. Avec plus ou moins de facilit, une fois les troites barrires du scrutin d'arrondissement supprimes, nous pourrons, avec quelque chance d'aboutir, essayer de proposer nos concitoyens un programme d'intrt gnral qui sera autre chose qu'une simple somme de petits intrts particuliers et trs spciaux. Nous pourrons surtout, n'tant plus forcs de nous limiter un seul terrain d'exprience, ramasser partout ceux qui penseront et voudront comme nous. L'action lectorale tendra, ds lors, se distinguer de moins en moins de la propagande d'ides; et c'est en rpandant notre programme politique et social, dfinitivement labor, le programme mme de ce journal, que nous prparerons les lections. D'ailleurs, plus les circonscriptions seront vastes, plus il nous sera ais d'y compter au moins un lu. A notre avis, nos amis devaient donc attendre le vote de la Reprsentation proportionnelle pour organiser des groupes politiques. Jusque-l, la propagande de La Dmocratie et, par le fait mme, des ides dont celle-ci est l'organe, ne fournit-elle pas leur activit un aliment suffisant? C'est du reste une besogne trangement absorbantes et qui peut tre captivante que de crer de toutes pices et de lancer travers le pays un journal tel que celui-ci dont le succs serait presque la promesse de triomphes futurs et, dans tous les cas, seraient dj, lui tout seul, une trs glorieuse victoire. Enfin, n'oublions pas qu'il y aurait, sans doute, quelque purilit vouloir imposer aux choses ncessairement contingentes de la politique, des cadres arbitraires et fixs a priori. S'il est un cas o nous pouvons bien dire que nous devons nous laisser faire par la vie, n'est-ce donc pas celui-l? Le parti nouveau doit d'abord, peut-tre, se faire dans les esprits avant de se constater par une organisation. Un travail pralable s'impose donc imprieusement. Le bien mener, avec vaillance et bonheur, voil ce qui importe. Et l'on ne saurait nier que notre journal La Dmocratie peut en tre un instrument privilgi. Marc SANGNIER. S'il fallait confirmer par un nouvel indice ce que nous avons dit plus haut et le genre de l'uvre que M. Sangnier poursuit actuellement, on le trouverait dans ce fait que le premier-Paris de la Dmocratie du 10 avril porte la signature du pasteur Edouard Soulier, l'un des directeurs les plus actifs des Unions chrtiennes de jeunes gens et l e collaborateur le plus en vue de Marc Sangnier dans l'entreprise du phis grand Sillon.
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Le sens chrtien! Est-il sujet plus opportun que celui-l? Mgr Bougoiiin, vque de Prigueux, le traite magistralement dans une rcent* instruction pastorale, o l'Ecriture et les Pres viennent confirmer avec un admirable^ propos les enseignements du Pasteur. Co sens chrtien est celui qui nous permet de dire: Nous sommes du ChrisL parce que nous avons son esprit (1 Cor. I. 23), parce que nous avons le sens du Christ (1 Cor. II. 13). Bien compris, il fait s'vanouir la fausse maxime du sicle qui proclame ncessaire une large mitigation de la vie chrtienne, pour la rduire n'tre plus, finalement, que de l'honntet naturelle. Comme s'il n'tait pas crit dans l'vangile: Si vtous voulez entrer dans la voie qui conduit la vie ternelle, .gardez les commandements, ceux de la loi naturelle, sans doute, mais avec eux les prceptes divins d e la morale vanglique. Ce sens* de la vue des choses de Dieu, l'avons-nous, Nos Trs Chers Frres? Avons-nous ce regard averti de l'me que saint Paul demandait instamment Dieu pour ses chers Ephsiens : Ayant appris, leur crivait-il, quelle est votre foi au Seigneur Jsus, je ne cesse de me souvenir de vous dans mes prires, afin que le Pre de Notre-Seigneur Jsus-Christ vous donne l'esprit de sagesse pour le connatre de plus en plus, et les yeux illumins du cur pour vous faire apprcier votre vocation chrtienne, et la grandeur suprme du pouvoir qu'il exerce en nous ses croyants (1). Ainsi tait comprise nos origines, ainsi doit l'tre toujours, la vie de foi qui manque notre temps. Dirons-nous que tout fut irrprochable en ce premier ge de l'Eglise? Ehl non. Quel tableau n'a pas ses ombres? Sans parler des crits apostoliques qui ne dissimulent pas les dfauts de la socit chrtienne primitive, les auteurs sacrs du temps parlent de chrtiens en l'air et fidles si l'on veut (2). Jamais, pourtant, la foi n'a fait vivre le juste comme en ces sicles hroques. Quel sens surnaturel! Quelle fermet de conscience suivre l'Esprit de Dieul Quelle sret de coup d'il pour discerner les cts divins mls aux vnements heureux ou malheureux de la viel Quelle noble fiert porter le nom de chrtien, le plus grand leurs yeux, nemo major nui Christianus (3). Nos pres savaient ce qu'ils valaient, et la parole apostolique : Vous tes la race choisie, l'lite du monde , n'tait pas lettre morte pour eux, ils en sentaient le prix. Nous savons notre origine, disaient-ils avec saint Jean, nous venons de Dieu; et nous n'ignorons pas que son fils unique nous a donn un sens pour connatre que le Christ est le vrai Dieu et qu'il est la vie ternelle (4). L'loquent prlat invite son peuple juger les vnements contemporains cette lumire de la foi et, non moins, rgler leur vie personnelle d'aprs les inspirations de ce sens chrtien. 1. Eph. I, 17. 2. Christianos in ventum et si placuerit. 3. ertul. de Prgescrip. 4. I Joan. V, 20.
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Chaque chose, alors, prend dans l'esprit du chrtien ses contours et ses couleurs vritables; elle a t vue dans la lumire et comme dans les yeux de Dieu mme : In lumine tuo videbimus lumen, (Ps. 35). Il n'y aura pas jusqu' notre vie coutumire qui, par le dedans au moins, ne change d'aspect. Autres seront nos jugements, autres nos sentiments et nos directions pratiques. Nous nous sentirons tre dans la vrit. L'homme, clair de Dieu, juge sainement de tout, dit l'Ecriture . Se peut-il un plus bel loge du sens chrtien, toujours en communion avec le guide clair qui l'assiste? ... Comment, aprs cela, se dire chrtien et l'enfant de Dieu, avec l'habitude de prendre terre terre ses jugements et d'abonder dans le sens de la chair et du sang? N'est-ce pas s'exposer au reproche formul par le Prophte : Vous avez sem beaucoup et vous avez peu recueilli; et celui qui a amass de l'argent l'a mis dans un sac perc, (I, Cor. II, 15). Prparez-vous plutt entendre le Pre de famille dire ses Anges, au dernier jour : Quant au bon grain, recueillez-le, et portez-le dans mes greniers , (Hbr. XI, 17). ... Le pernicieux effet du naturalisme sur l'esprit public peut-il tre conjur? Vous avez dj rpondu, Nos Trs Chers Frres, par le principe dsormais admis par vous de regarder toutes choses, murs, doctrines, directions de la vie, au jour des maximes vangliques et de l'enseignement de vos pasteurs... Jamais l a vigilance et les exhortations de ceux-ci n'ont t plus ncessaires pour arracher le peuple catholique ce danger et ragir contre cette paganisation qu'un de nos collaborateurs dnonait rcemment. Puisse leur voix tre assez forte et assez persuasive pour obtenir la raction ncessaire!
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UN PAR
ARTICLE
DE
FOI
OUBLI LIBERAUX
LES
CATHOLIQUES
On peut affirmer, sans crainte d'tre dmenti d'aucun ct, que les, rapports de l'Eglise et de l'Etat envisags spculativement au point de vue du droit chrtien, sont aujourd'hui, aux yeux de beaucoup de catholiques, sans en excepter certains membres du clerg, une de ces questions qu'il est sage de laisser dans une ombre discrte. L'indiffrence - son gard est devenue de plus en plus commune dans la priode actuelle. D'une part, la puissance du sectarisme jacobin et la dchristianisation progressive du pays portaient les esprits irrflchis la trouver de jour en jour plus oiseuse, comme dpourvue de rapport avec les exigences de la situation dbattre, et, de l'autre, les prdicants de la conciliation, tous les aptres d'une politique nouvelle, qui se flattaient de seconder intelligemment la prtendue volution de l'Eglise a u , s e i n des socits dmocratiques, s'vertuaient chaque jour p. dclarer en son nom cette thse inopportune. Il est inutile de rappeler ici en dtail les occasions que les vnements leur en offrirent et le spectacle qu'ils donnrent chaque fois. Mais ces exemples contiennent une leon. Cette indiffrence, en effet, ne pouvait manquer d'avoir une influence considrable sur la conduite des catholiques dans les luttes dont ils ont eu- tant L souffrir. S'ils n'avaient pas oubli que cette thse ngligeable h leurs yeux est troitement lie une vrit que leur foi les oblige de croire, ni la longue srie des lois sectaires qui s'est droule depuis 1880 ne les et trouvs si rsigns les subir e n fait, ni -la loi de sparation entre l'Eglise et l'Etat n'et t favorise par les uns (1) et combattue 'par d'autres avec d e 3 moyens aussi ttonnants, ni, aprs la rupture, l'tat de sparation n'et t imprudemment dclar acceptable, et plus inconsidremment encore proclam prfrable (2). JLa complte scularisation de l'Etat, la neutralit scolaire, c'est--dire l'athisme officiel de l'enseignement, la violation de tous les droits de l'Eglise, sont la consquence logique de la ngation de cette vrit et ne peuvent tre rfutes, combattues efficacement qu'au nom de cette vrit. En croyant sage d'en faire abstraction, les catholiques s e dsarmaient eux-mmes. Encore, s'ils s'taient borns celai Mais le silence ne leur a pas paru suffisant. Cent voix tmraires, sorties mme du sein du clerg, 1. Voir les numros des 1 et 15 janvier, 1 fvrier 1909 : Une commission extraparlementaire de la loi de sparation. 2. Plusieurs, il est vrai, parlent ainsi par comparaison avec le rgime concordataire, interprt par un gouvernement hypocritement perscuteur. Ils eurent seulement le tort frquent de pcher par ambigut. Mais d'autres allaient plus loin.
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nous exhortaient considrer cette thse comme prime par le droit nouveau. Je n'en citerai qu'un seul trait entre tant d'autres. Rendant compte du troisime et dernier volume de l'ouvrage du P. Lecanuet pur Montalembert, M. l'abb Hemmer faisait ces rflexions : Peut-tre lui reprocherait-on bon droit de paratre prendre son compte la distinction de la thse et de l'hypothse par laquelle * . les catholiques s'imaginent chapper au double pril de passer pour des ennemis de la libert auprs de leurs contemporains et pour ht rodoxes auprs de leurs coreligionnaires lotes. Cette distinction,, qui a sa (place dans une vie de Montalembert, puisqu'elle s'est in troduite de son temps dans le vocabulaire catholique, est-elle autre chose qu'une dfense d'occasion, une arme improvise? Quel est le. srieux d'une thse que Ton dclare bien haut relguer de suite dans le royaume des ombres et des chimres irralisables? Les socialistes ont mis plus de bravoure affronter l'impopularit de leurs principes. Si une thse est juste, comment ne pas entreprendre de lui donner un y> corps, une ralit de fait ? Si elle a des limites, il vaudrait la peine de les rechercher et de les proclamer. C'est ce que vient d'essayer .un crivain de .grande valeur, L. Birot, en deux articles sur la $ Crise du Libralisme. (Revue d'Histoire et de Littrature religieuses, seiptembre-octobre 1903, .p. 493). Ce n'est pas M. Birot que nous renverrons le lecteur. M. Hemmer avait de bonnes raisons pour invoquer son autorit. C'est celle de h Rvlation et de la foi qu'on veut en appeler ici. Elle dira ce qu'il faut penser de cette dsinvolture (1).
I Il fut line poque o l'attitude des catholiques dans cette question les partageait on trois classes assez nettement distinctes : les catholiques purs, ou, si l'on veut, les catholiques de droite, les catholiques de gauche ou libraux soi-disant catholiques, et, entre ces deux fractions, les catholiques libraux. Mais l'illusion librale a fait, depuis vingt-cinq fins, d'immenses progrs, ayant pour rsultat un affaiblissement proportionn des croyances chrtiennes. Par l'effet d'un glissement invitable, la seconde catgorie se confond presque avec celle des libraux rationalistes, ennemis d e la religion, et plus d'un catholique libral, qui entend bien ne mentir aucunement sa foi, bien qu'il 1. Cette tude ne prtend pas au m6rite de l'originalit. Nous devons avertir le lecteur que ce qu'il va lire est littralement emprunt, avec de lgres modifications, un ouvrage du R, P. Ramire, jsuite, le fondateur de l'immense association VApostolat de la prire et du Messager du Cur de Jsus. Cet ouvrage a pour titre : Les doctrines romaines sur le libralisme envisages dans leurs rapports avec le dogme chrtien. Paris, Lecoffre 1870.
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cde trop son illusion, n'est pas sans points de contact avec les libraux soi-disant catholiques. Ce qu'on vient de lire montre qu'il n'en; faut pas mme en excepter des prtres. Cela deviendra encore plus saisissable si l'on dfinit les trois positions. A droite; sont les catholiques qui n'hsitent pas prfrer l'enseignement traditionnel de l'Eglise celles des ides modernes qui sont en dsaccord avec cet enseignement. Leur programme peut s e (rsumer en ces quatre points : maintien nergique de la doctrine traditionnelle; rpudiation- galement nergique des modernes erreurs; acceptation des faits dans la mesure o la conscience l'exige et la prudence le conseille; utilisation courageuse des progrs matriels que des socits modernes ont raliss. Ceux que nous appelons libraux soi-disant catholiques font profession de croire l'enseignement traditionnel, et d'accepter en thorie l'autorit de l'Eglise. Mais dans l'enseignement de la tradition ils font' deux parts : l'une qu'ils croient essentielle et qu'ils consentent conserver; l'autre qu'ils jugent accidentelle et qu'ils n'hsitent pas rpudier. De mme dans les actes par lesquels l'Eglise exerce ison autorit, ils tablissent une distinction : ceux par lesquels l'Eglise condamne les erreurs anciennes, ils les acceptent; ceux par lesquels elle proscrit certaines erreurs m.odernes, ils les repoussent. Au contraire, ils .invitent l'Eglise h embrasser, comme des vrits utiles, ces erreurs qu'elle a condamnes cent reprises comme pernicieuses par l'organe de ses suprmes Pasteurs. Ils l'adjurent de reconnatre, au moins tacitement, qu'elle s'est trompe sur la vritable interprtation d e l'Evangile, et que les socits qui ont fait divorce avec elle ont mieux compris qu'elle la pense de son divin Fondateur. Elvation des ides librales la dignit de principes; abandon,, sinon condamnation, des traditions catholiques contraires ces ides : tel est, e n rsum, leur programme. La troisime classe, la plus nombreuse, tout en repoussant les tendances de igauche, croit devoir, par prudence, repousser galement la tactique adopte par la droite. Les membres de ce parti ne poussent pas l'exigence jusqu' vouloir* contraindre l'Eglise sanctionner aujourd'hui les doctrines qu'elle n'a*, cess de rprouver; oe qu'ils veulent, c'est qu'elle s'abstienne de renouveler les anathmes dont elle a plus d'une fois frapp ces doctrines. Et pour obtenir d'elle ce prudent silence, on fait valoir toute sorte de raisons plus spcieuses les unes que les autres. On reprsente l'Eglise qu'elle ne saurait rien gagner combattre des ides qui sont passes dans le teang de la socit moderne, et qui constituent en quelque sorte le fond de son tre. Les proscrire serait proscrire la socit elle-mme, et par consquent la contraindre de se mettre de son>
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ct, , Tgard de l'Eglise, e n tat d'hostilit. On rappelle tous (les inconvnients de l'ancien rgime, et on leur oppose les prcieux avantages du rgime nouveau; on remontre l'Eglise tous les assujettissements douloureux qui accompagnaient la protection, et on lui fait envisager les glorieuses conqutes que lui promet la libert. Est-ce payer trop cher de si prcieux avantages que de les acheter au prix de ce silence ? On demande donc l'acceptation franche des liberts modernes et le pilenco sur les principes contraires ces liberts.
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Ni l'utilit plus ou moins grande des progrs matriels ou scientifiques, ni les formes politiques plus ou moins favorables l'indpendance des citoyens, ni l'organisation du travail et ses rapports avec le capitalisme ne sont ici en cause. Le point capital du problme! pos par le systme libral est celui des rapports de l'Eglise avec les socits modernes. Ces socits sont-elles, oui ou non, indpendantes dans l'ordre moral de toute autorit surnaturelle? Voil la question. Aux diverses rponses qu'on y peut faire correspondront, par une suite invitable, des conduites toutes diffrentes. La socit moderne rpond catgoriquement : non. Et, ds lors, ses crimes s'enchanent logiquement. Les catholiques purs rpondent hautement : oui, avec l'Eglise, et nient cette indpendance des socits politiques l'gard de JsusChrist et de son Epouse; ils l'acceptent seulement comme un fait anormal, bien moins nuisible encore l'Eglise qu' elles-mmes. En affirmant la vrit et le droit, si leurs frres taient d'accord avec eux sur ce point, ils empcheraient, par leurs efforts runis, la prescription contre le droit et la vrit, ils maintiendraient le principe qui est la vraie base de la rsistance et les convictions qui donnent le courage de la soutenir. Les libraux soi-disant catholiques sont en fait d'accord avec les libres-penseurs sur cette question. Les catholiques libraux, persuads qu'une mutuelle indpendance est le seul idal que l'Eglise puisse poursuivre dans ses rapports avec les socits modernes, s'efforcent, au- risque de ne pas garder suffisamment l'quilibre, de rsoudre le problme sans affirmer et sans nier. Ils parlent nos adversaires peu prs leur langage, comme s'ils acceptaient leur principe, mais ils nuancent cependant leurs affirmations librales de manire & ne pas contredire trop ouvertement la doctrine de l'Eglise. La consquence invitable de cette position fausse est, tout d'abord, de contrister l'Eglise sans contenter ses ennemis, mais aussi de rendre par avance impuissants et striles les efforts souvent trs niritoires de ces catholiques, pour sauver les intrts religieux.
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Il y a donc divergence entre les catholiques. Tout le monde en gmit. Evidemment au fond des dissentiments qui les sparent, il y a un dplorable malentendu. Quand des deux cts on aime l'Eglise, quand on croit la parole de Jsus-Christ, quand on compte sur ces promesses beaucoup plus que sur les puissances humaines, peut-on demeurer perptuellement divis? Jamais, il e s t vrai, on n'a tant rclam l'union. Mais l'union, c'est une de nos maximes favorites, ne peut e faine que dans la vrit, parce gue, hors d'elle, rien ne s'impose et tout se dsagrge, fe serait-il pas possible de ramener ces questions, qui ont le Jtriste privilge de diviser les enfants de l'unit, un point' de vrit tellement simple, tellement vident, tellement palpable, que tout dissentiment devnt impossible? Ce point capital,-ce pivot sur lequel devraient tourner toutes l e s discussions sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat; ce principe incontestable, sur lequel l'accord doit se faire entre les vrais chrtiens, t dont l'unanime et ferme profession rendrait beaucoup plus inoffensives nos invitables /divergences, il existe. La royaut sociale de Jsus-Christ, voil le terrain qui doit runir tous les prrais catholiques, si diviss qu'ils puissent tre ailleurs dans les questions politiques; pour tout homme qui n'a pas renonc son titre de chrtien, voil l'unique solution du grand problme des socits modernes (1). Par ces mots, la royaut sociale de Jsus-Christ, nous entendons le droit que possde VHomme-Dieu, et que possde avec lui VEglise^ qui h reprsente ici-bas,. d'exercer sa divine autorit dans Vordre moral (2), sur les socits aussi bien que sur les individus, et Vobligation que ce droit impose aux socits, de reconnatre Tautorit de Jesus-Christ et de VEglise, dans leur existence et leur action collective, comme cette autorit doit tre reconnue par les individus dans leur for intrieur et leur conduite prive. Pour carter tout malentendu, qu'il soit bien compris qu'il s'agit ici du principe mme du libralisme, et nullement des applications de ce principe qu'il est loisible d'accepter en fait, dans des circonstances donnes, sans adhrer au principe lui-mme. 1. Il est vrai et il est certain, que h s seules lumires naturelles de la raison, paT lesquelles celle-ci connat dmonstrativement l'existence de Dieu et ses devoirs envers lui, condamnent l'athisme d'Etat. On ne veut donc pas dire qu'il ne peut tre combattu qu'au nom de Jsus-Christ et de l'Eglise. Mais Jsus-Christ et l'Eglise enseignent au monde la vraie religion que l'Etat a, comme les individus, le devoir de rechercher, et, en outre, de protger. Ils sont l'unique solution du problme parce qu'ils sont l'organe de Dieu. Toute autre solution serait une solution tronque, une apostasie pour les pays chrtiens. Les catholiques en s'y prtant trahiraient leur foi. 2. Nous disons dans l'ordre moral, pour faire comprendre que nous ne touchons pas ici la controverse jadis si vivement agite relativement au pouvoir des papes sur le temporel des rois. L'autorit que nous revendiquons ici pour Jsus-Christ et pour son Eglise est celle qui s'exerce dans la sphre des intrts moraux et religieux; c'est, par consquent, une autorit incapable de dgnrer en tyrannie.
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Le problme du libralisme renferme, en effet, deux questions qui ne peuvent tre rsolues ni avec la mme autorit, ni avec la mme certitude, e t qu'il importe par consquent de diviser : une question thorique jet une question pratique; une question de doctrine et de droit et une question de conduite et de fait, la thse et Vhypothse. Que Jsus-Christ soit le roi des socits aussi bien que des individus et par consquent que les socits doivent obir la loi de Jsus-Christ, conformer leurs propres lois la sienne, dfendre ses droits et ceux de son Eglise contre les attaques de l'impit, comme elles (dfendent les droits de leurs magistrats et de leurs simples citoyens contre les attaques de l'injustice : voil la thse, qui est absolue et gnrale, et qui fait abstraction de telle ou telle socit. Mais que dans une socit qui, de fait, est constitue en dehors de l'autorit de Jsus-Christ, dont les membres sont en grande partie -ptrangers son Pglise, le pouvoir civil, qui n'a jamais le droit de violenter les consciences, doive tolrer, dans une mesure plus ou moins large, la ngation de la vrit et se dispenser de prter son appui- . l'autorit de l'Eglise : voil Vhypothse, dont la vrit dpend d e l'application des principes absolus des circonstances variables, et au .sujet de laquelle l'Eglise a adopt, plus d'une fois, les solutions l e s plus conciliantes. Nous parlons donc de la thse qui est, quoi qu'on en dise, la question de beaucoup la plus importante. N e serait-ce pas un avantage Lncal culable et d'une porte immense, pour la conduite de tous les cathodiques sincres, s'ils taient unanimement et pratiquement bien convaincus de sa vrit, de son intime connexion avec leur foi, au lieu de profiter de ce qu'elle est trop facilement relgue dans le royau> me des ombres , pour demander ce que cette thse peut avoir de srieux , et de rclamer qu'on en recherche et proclame les limites, ; recherche qui aboutit a u n e ngation peine dissimule?
II Les catholiques qui-croient srieusement indiquer l'Eglise la position la plus sage en lui conseillant de s'carter, sur ce point de sa tradition, devraient se .rendre compte que le libralisme touche aux intrts les plus graves et aux dogmes les plus fondamentaux du christianisme. Vorigine de cette erreur, s'ils y rflchissaient, les en avertirait dj. Quand s'est introduite dans le monde la doctrine qu'on voudrait nous faire accepter? Jusqu'au dernier sicle, elle n'avait pas un seul dfenseur, ni au sein du christianisme, ni au sein mme du paganisme. Dans le monde barbare, comme dans le monde civilis, on s'tait toujours accord i chercher dans les croyances religieuses la garantie
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d e j institutions sociales. Pour ne parler que de la socit europenne, celle-ci, jusqu' la fin du XVIII sicle, celle-ci reconnaissait unanimement l'autorit de Jsus-Christ, comme base de toutes ses institutions. Plusieurs peuples s'taient rvolts contre le pontife romain, organe visible de cette autorit, et, par l, ils avaient prpar |les voies la destruction de l'autorit elle-mme; cependant ils faisaient encore profession de la vnrer. L'Angleterre avait subi une rvolution meurtrire, et cette rvolution avait travers diverses phases; mais pas plus la rpublique de Cromwell que Ja monarchie limite de Guillaume d'Orange ne renoncrent tre des Etats chrtiens, et ne renirent la royaut sociale de l'Homme-Dieu. Donc, en dpit de toutes les inconsquences '.d'application, ce .grand principe avait t, durant quatorze sicles, unanimement reconnu par les peuples de l'Europe; il leur avait servi ie lien, a u . m i l i e u mme de leurs rivalits et de leurs luttes, et il tes (avait runis e n un grand corps qui s e nommait la chrtient. Les bouleversements Jes plus profonds n'avaient pu atteindre cette base commune de tous les droits sociaux; aussi, lorsque l'un de' ces droits tait mconnu et renvers, les autres n'en restaient pas moins debout. La loi de Jsus-Christ tait universellement reconnue comme la rgle e t la sanction des lois civiles; tous les pouvoirs faisaient profession de relever de son pouvoir; le pre dans s a famille, le magistrat sur son tribunal, le monarque sur son trne, commandaient au nom de Jsus-Christ; et les enfants, les citoyens, l e s sujets, taient persuads qu'ils ne pouvaient leur dsobir sans dsobir Jsus-Christ lui-mme. Tous les droits humains taient, par l mme, revtus d'une sanction divine; toutes les socits particulires taient autant de rameaux vivants, se rattachant la grande socit chrtienne, comme au tronc qui leur communiquait sa sve fconde, et les faisait participer | son immuable solidit. .Mais voil qu'au dernier sicle, une conspiration, o il est permis de voir le hef-d'c&uvre de la tactique infernale, russit sparer les rameaux du tronc, et renverser la divine base sur laquelle reposait, depuis quatorze sicles, la socit chrtienne. C'est ce qui distingue la Rvolution franaise de toutes celles qui l'avaient prcde, et ce qui en fait par excellence LA DVOLUTION. Elle ne s'est pas attaque seulement au couronnement politique de la socit, ni ces institutions sociales qui forment comme le corps de l'difice; mais la base religieuse, qui donne leur consistance tous les pouvoirs politiques et toutes les institutions sociales. Cette scularisation de l'ordre civil, quo le despotisme des empereurs d'Allemagne et des rois d France avait essaye, la dmocratie rvolutionnaire l'a consomme; sous lo nom de libert des cultes, elle a tabli entre la socit et la .religion une sparation complte. Jsus-Christ a donc t mis hors la loi; Jes pouvoirs humains, en refusant de demeurer soumis son
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX, . POLITIQUE,
SOCIAL
autorit divine^ ont renonc l'appui dont ils lui taient redevables. Les droits de Dieu ont t ds lors, aux yeux des pouvoirs ^publics, comme non avenus, et les droits de l'homme n'ont plus eu de sanction suprieure l'homme. La socit a cess d'tre chrtienne; et, ds ce moment, elle a d renoncer la stabilit que ses lois et ses institutions empruntaient aux dogmes chrtiens. A cette heure, Tune des plus critiques que la socit humaine ait jamais traverses, elle se trouva en prsence d'une invitable alternative, et (elle eut choisir entre deux partis.. Ou bien la place de cette, base .divine, que la royaut de Jsus-Christ lui avait jusque-l fournie, ses reconstructeurs lui fourniraient une autre base galement suprieure la volont de l'homme; ou bien les droits et l e s pouvoirs sociaux s e prsenteraient, dsormais, comme des crations purement humaines. En prsence d'une pareille alternative, on ne pouvait longtemps hsiter. Crer un autre ordre divin, pour remplacer l'ordre chrtien renvers, tait une entreprise trop videmment contradictoire, pour qu'on pt srieusement la tenter. On mit bien le nom de Dieu en tte de la dclaration des droits de l'homme; mais ce Dieu tait celui du Disme, qui ne s'occupe pas des affaires humaines; aussi'eut-on-hte de proclamer qu'il n'y avait, dans la socit humaine, aucun pouvoir dont la socit elle-mme.ne ft le principe (1). La secte qui venait d'oprer cette, ^rvolution, n'eut rien de plus cur que le renversement de la royaut effective de Dieu. Elle fit surtout consister son triomphe ne laisser subsister, au-dessus de l'homme, aucune autorit suprieure l'homme. Qu'tait-ce que cela, sinon livrer tous les droits la merci des passions qu'ils contrarient, subordonner les lois aux multitudes aveugles qu'elles doivent gouverner, soumettre les pouvoirs aux caprices des sujets qu'ils doivent conduire; priver en un mot la socit de toute base, et la livrer sans dfense aux deux ennemis, qui ont: conspir pour sa ruine : ail despotisme qui l'crase et l'anarchie qui la dissout. Cette origine est dj -bien suspecte. Le dessein aujourd'hui si parfaitement avr des nouveaux sages qui ont invent cette thorie ignore ou repousse par l'unanime suffrage des matres antiques, rend les catholiques moins excusables de s e laisser duper par une infernale mystification. La tolrance dont eux-mmes se font les aptres empresss n'tait dans, la pense de leurs ennemis qu'un moyen d'arriver plus sjement dtruire toute religion. Le principal correspondant et le confident le plus intime des conjurs, Grimm, crivait : Tous les grands hom1. Le principe de toute souverainet rside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peuvent exercer d'autorit qui n'en mane expressment. (Dclaration des droits de l'homme, art. 3).
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mes ont t intolrants, et il faut l'tre. Si l'on rencontre sur son chemin un prince dbonnaire, il faut lui prcher la tolrance, afin qu'il donne dans le pige, et (lue le parti cras ait le temps de se relever par Ja tolrance, et d'craser son adversaire son tour. Ainsi le sermon de Voltaire, qui rabche sur la tolrance, est un sermon fait aux sots, ou aux gens dupes, ou des gens qui n'ont aucun intrt la chose 11). Le secret de la secte nous est livr bien plus compltement encore par le patriarche lui-mme, dans l'ouvrage destin servir de manifeste la doctrine nouvelle, dans le trait de la Tolrance. L, il tablit que la libert est due toutes les opinions, mais qu'elle ne saurait tre accorde la foi chrtienne, dsigne, selon l'usage constant de a secte, sous le nom de fanatisme. Au commencement du -chapitre (intitul : Seuls cas o l'intolrance est de droit humain, il tablit cette thse : Pour qu'un gouvernement ne soit pas en droit do punir les erreurs des hommes, il est ncessaire que ces erreurs ne soient pas des crimes, elles ne sont des crimes que quand elles troublent l a socit; elles troublent la socit ds qu'elles inspirent le fanatisme; il faut donc que les hommes commencent par n'tre pas fanatiques, pour mriter' la tolrance. On sait que le fanatisme signifie ici la religion. Les blocards d'aujourd'hui ne font donc que se montrer fidles au programme trac par leur grand matre en libralisme.
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Sans doute, tous les aptres du libralisme ne cachent pas, sous leur zle pour la tolrance, une arrire-pense de perscution. Mais, sciemment ou non, ils en servent le dessein, car le danger du libralisme ne s e rvle pas moins par ses consquences que par Son origine. La ^vrit, e n effet, a un ennemi plus mortel que l'erreur : ic'est Y indiffrence. Celui qui soutient une doctrine errone proclame par l mme, dans une certaine mesure, les droits de la vrit; puisqu'en s'efforant de faire accepter comme vraie une chose fausse, il suppose, comme un principe vident, que la vrit seule a le droit de s'imposer l'adhsion de l'intelligence. Mais si l'intelligence arrive cet tat o -elle ne fait plus de distinction tentre la vrit et l'erreur, et o, n'ayant plus la force de rien affirmer et de rien nier, elle s e laisse aller la drive partout o l'emporte le flot du doute et le vent de l'opinion : alors rien ne peut la sauver d'un complet naufrage; et le trsor de la vrit, que Dieu lui avait confi, est ncessairement englouti tout entier et sans ressource dans le gouffre de l'indiffrence. Chez un grand nombre de partisans mme sincres du libralisme, l'impartialit dont ils font parade n'est que le rsultat de cet
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1. Correspondance de Grimm, lettre du 1 juin 1772, cite par le comte de Maistre dans le prambule des Lettres sur l'Inquisition espagnole. Ce passage a t retranch dans les dernires ditions de Grimm.
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absolu ddain pour la vrit; et s'ils attachent tant de prix aux liberts modernes, c'est peut-tre qu'ils les jugent plus propres que la perscution elle-mme consommer irrmdiablement le divorce entre la foi chrtienne et les socits de l'avenir. Et il faut bien reconnatre qu'en cela ils font preuve d'une connaissance de la nature humaine qui a manqu aux plus farouches perscuteurs. Au lieu de s'exposer aux invitables ractions que provoque la violence, ils aiment mieux attendre le complet renversement de la religion de l'action .plus lente, mais aussi plus irrsistible, du milieu social. Ils com.prennent que l'homne individuel, n e pouvant natre et se dvelopp e r qu'au sein de la socit, en subit invitablement les. incessantes influences. Qui ne voit, e n effet, combien sont peu nombreux les. hommes capables de penser par eux-mmes, et de s e soustraire compltement la tyrannie de l'opinion? .Appuys sur cette vrit d'exprience, .plusieurs des plu intelligents parmi les ennemis d e l!Eglise ne partageaient pas les impatiences de leurs complices plus presss d'en finir. Ils espraient, et l'vnement n'a pas dmenti leurs esprances, que, partout o la socit s'tablirait l'gard de Jsus-Christ dans un tat de complte indiffrence, les masses subiraient invitablement la contagion de cette atmosphre, et se .dtacheraient, peu peu, de la religion. La destruction de la royaut-sociale de Jsus-Christ se prsentait donc eux comme le prliminaire oblig et infaillible de sa complte dchance ; et la tolrance civile tait pour eux un moyen certain, bien que peut-tre un peu lent, d'arriver la tolrance doctrinale, c'est--dire ^indiffrence absolue. Enfin, ce n'est pas seulement par son origine et par s e s consquences presque invitables que le libralisme est contraire . Ja ^religion .de Jsus-Ghrist. C'est encore par son essence. -Non seulement il fournit aux ennemis de l'Eglise des armes pour la dtruire, mais il l'attaque par lui-mme dans les dogmes les plus essentiels. Il suffit, en effet, d'examiner cette doctrine dans son principe pour :comprendre qu'elle -nie les droits souverains de Jsus^Christ, en dclarant les socits temporelles indpendantes de son empire. D'aprs ce principe la socit civile est purement terrestre, et n'a e n aucune unanire, .ni directement .ni indirectement, .s'occuper des droits d e la vrit et des intrts ternels. Son but unique et suprme est de. bonheur temporel de ses membres, et la raison est son unique flambeau. Jsus-Christ .est donc pour cette socit un tranger. Qu'il soit Dieu ou non, elle -ne le sait pas; elle ne s'en occupe pas; ce n'est pas s o n affaire, mais uniquement l'affaire des individus. Que si un .nombre rplus ou -moins grand de ses membres reconnat Jsus-Christ pour le Fils do Dieu, le pouvoir public ne permettra pas qu'on u s e de la violence pour les en empcher, absolument comme il ferait s!il plaisait d'autres citoyens de reconnatre .Mahomet pour leur prophte.
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Tello est la thorie qui sert de base aux liberts que l'Eglise n'a cess do rprouver en principe, bien qu'en fait elle puisse les tolrer dans les socits qui ont cess d'tre chrtiennes. Cette thorie, Pio IX l'a .trs nettement exprime dans l'Encyclique Quanta cura, quand il condamne ceux qui osent enseigner que la perfection des gouver nements et le progrs civil exigent absolument que la socit humaine soit constitue et gouverne, sans plus tenir compte de la religion .que si lelle n'existait pas, ou du moins sans faire aucune diffrence entre la vraie religion et les fausses. De plus, contrairement /a l a . doctrine de l'Ecriture, de l'Eglise et des saints Pres, ils n e crai-gnent pas d'affirmer que le meilleur gouvernement est celui o l'on ne reconnat pas aui pouvoir l'obligation de rprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n'est lorsque la tranquillit publique le demande. La doctrine .librale est donc rellement la ngation de la souverainet sociale de Jsus-Christ. Il est vrai que les libraux catholiiques n'expriment pas .aussi nettement que leurs confrres non catholiques cette ngation; nous croyons mme qu'il em est trs peu qui, dans le cas o la question de la royaut sociale de Jsus-unrist Jeur serait nettement pose, hsitassent la rsoudre affirmativement. Le* plus grand nombre ne souponnent mme pas que leurs thories les conduisent jusqu' l a ngation de ce dogme. Il y a chez eux, ce sujet, beaucoup plus d'illusions que d'erreurs volontaires; et c'est pour cela qu'il nous parat souverainement important de dissiper l'illusion e n ramenant la question au principe sur lequel il ne peut y avoir, entre chrtiens, aucune divergence. Que ce principe soit clairement et universellement admis, avec ses consquences ncessaires, et d'Eglise ne songera pas empcher ceux de ses enfants qui sont plus amis des liberts modernes, de les dfendre comme un fait, et commis la consquence de notre, tat-social (1). .Jamais elle;n'a empch les vques des Etats-Unis et.d'Angleterre d e revendiquer, comme une conqute prcieuse, la libert dont la religion jouit dans ces contres o jadis- elle fut soumise - la plus iniqueoppression. On ne blmera pas davantage tous ceux qui, dans les liberts modernes, ne verront qu'un fait, en rapport avec un tat particulier de la socit. 'Malheureusement, l'interprtation la plus bienveillante ne peut nous empcher de voir tout autre chose dans les paroles et les crits d!un certain nombre de catholiques libraux. Si les plus sages vitent les formules dont se servent les patrons du libralisme anti-chrtien pour riger leurs thories en principes abso.1. Monseigneur de .Sgur dans son livre si remarquable intitul : La Libert,. . ne - s'exprime pas autrement que nous sur ce sujet : Acceptent-ils les liberts, modernes comme un fait qui est 'la consquence de notre tat social, mais sans, en faire un principe; s'il en tait ainsi, ils ne seraient pas plus libraux que le Pape et l'Eglise ( XXXVII, p. 175).
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lus, du inoins ils montrent clairement, par tout leur langage, iqu' leurs yeux c e s prtendus principes sont tout autre chose que des hrsies. Aussi, Jnen loin de se joindre l'Eglise pour les condamner, paraissent-ils lui faire une grande concession en se contentant d'en supposer la vrit sans les affirmer trop ouvertement. Dans le grand combat que l'Eglise soutient depuis un sicle, sur le terrain social, le dogme est e n cause, autant qu'il l'tait dans les grandes luttes contre le paganisme des empereurs romains et contre l'arianisme des Csars de Byzanoe. C'est toujours la mme guerre, et c'est aussi le mme ennemi. L'orgueil de la raison humaine, qui ne veut en aucune manire se soumettre au Dieu vivant, refuse d'abord de reconnatre son existence et son unit. Vaincu dans cette premire lutte,- il cherche sauvegarder son indpendance, e n niant la divinit de celui qui Dieu, son Pre, a donn l'empire de toutes choses; et voil qu'aujourd'hui il prtend recouvrer tous les avantages "perdus dans ses deux, premires luttes, en dpouillant au moins cet Homme-Dieu de sa royaut sociale, appui ncessaire de son autorit sur les mes, et condition indispensable de son rgne universel sur l'humanit. Dans ces trois luttes, l'Antichristianisme a fait valoir, pour effrayer et sduire les serviteurs de Jsus-Christ, les mmes promesses et les mmes menaces. On leur a dit qu'en soutenant avec une fermet trop absolue les droits de l'Homme, ils s'interdisaient l'empire de la socit humaine; qu'ils retireraient, au contraire, toute sorte d'avantages de sages concessions faites l'esprit du temps. Aujourd'hui encore, o n tient aux chrtiens le mme langage, avec la diffrence que-(la rcompense des concessions qu'on nous demande n'est plus tant la faveur du Gouvernement que celle de l'opinion, seule puissance souveraine au sein des socits medernes.
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Il faut maintenant dmontrer que cette thse dont tant de catholiques estiment la profession inopportune et imprudente, dont d'autres demandent quelle valeur srieuse elle peut avoir, est, ni plus ni moins, u n dogme de notre foi. (A suivre). E. B.
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Cette revue qui s'applique spcialement dmasquer l'erreur librale sous -toutes ses formes et sous tous ses aspects, ne pouvait rester indiffrente un mal social dont celle-ci est la cause, et qui constitue un vritable pril national. Nous n'apprendrons rien nos lecteurs, e n leur disant qu'il existe
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depuis longtemps une vaste conspiration ourdie contre tous les principes d'une socit chrtienne. Toutes les forces du mal sont entres en ligne, sous l'inspiration et la direction- d'une puissance occulte, pour donner l'assaut au vieil difice catholique. Une politique criminelle ayant son service tous les agents de corruption s'est attaque h tous les organismes vitaux du pays, menant paralllement la guerre religieuse et l'uvre de dcomposition morale. Inutile de refaire le lugubre tableau de nos dchances. Tout le monde en connat, les tristes tapes et les effrayants rsultats. Un niveau de boue a pass sur toutes les hauteurs 'de motre foi, de notre honneur, de notre patriotisme, et si nous ne savons plus mesurer l'tendue des ravages oprs dans la vie familiale, sociale et nationale, c'est qu'une longue habitude nous a familiariss avec tous les genres d'attentats, avec tous les dsordres et toutes les hontes, et nous y a rendus, pour ainsi dire, indiffrents. Pour beaucoup, les forces de rsistance ont t mcusses par la lassitude et le? dcouragement. *A force de voir le mal toujours triompher, on a fini par se dire que la lutte tait impossible, et qu'il fallait prendre son parti de toutes les iniquits qui se commettent journellement, et des tristes spectacles qui se droulent sous nos yeux. Comment d'ailleurs remonter un courant qui entrane tout, dans un vertigineux remous, vers des rives empoisonnes I Alors on se laisse plus ou moins emporter au cours du fleuve, se promettant bien de s'arrter temps. Mais qui peut se flatter de ne pas aller iusqu'u fond de l'abme? Et que d'hommes aujourd'hui entrent dans ce courant, se faisant, leur insu, les auxiliaires ou les complices de leurs soi-disant adversaires. ]\Iais voici que les, femmes, leur tour, sont entres dans le mouvement et collaborent, sans s'en apercevoir, l'uvre de dsagrgation, de dcomposition du pays, prtant ainsi la main la francmaonnerie qui se sert d'elles pour mener bien ses projets. Dans la guerre dclare par cette secte ce qui constitue l'oslsature de la vieille France, ses murs, ses principes, ses traditions, s a religion, rien n'a t pargn. Mais on peut dire que, dans cette vaste entreprise de destruction, la femme a t particulirement vise et / dessein, car la femme est la' pierre d'assise de toute socit chrtienne. C'tait dans la logique des choses. Aprs l'enfant il fallait bien s'attaquer la mre. Ainsi se trouvait complte l'opration satanique qui consiste pour la secte judo-maonnique anantir en France l'uvre des sicles de foi, d'honneur et de grandeur morale. Sous quelle forme s'est produit l'attentat l'intgrit religieuse et morale de la femme, pour la faire dchoir du rang si lev, de la mission si noble que les sicles chrtiens lui avaient assigne? Comment la femme chrtienne s'est-elle trouve, son insu, associe l'uvre de dsorganisation sociale, de dmoralisation que poursuivent les matres du jour? C'est l oe qu'il nous faut examiner.
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Tout l'honneur de la femme lui vient de sa maternit. A c e titre elle est bien la plus grande force sociale qui soit ici-bas. D'elle dpend, en partie, la vie nationale. Tant que la femme reste chrtienne, elle demeure le rempart inexpugnable o viennent se briser les assauts du; mal; De sorte qu'on peut dire qu'une nation e s t vraiment grande, dans la mesure o la femme Test elle-mme; par' ses vertus et par la dignit de sa vie, puisque c'est elle qu'incombe la sublime mission de faire de ses enfants les instruments de la grandeur d'un pays. Humble en apparence, cette mission est immense par sa rpercus.sion sur tout Tordre social. En dfinitive, nous sommes ce que nos mres nous ont faits et, sauf' de rares exceptions, un homme de cur n'oublie jamais les leons qu'il a reues sur les genoux maternels. Les ennemis du- nom chrtien, les perscuteurs de notre foi ont merveilleusement compris qu'ils n'auraient rien fait, tant qu'ils laisseraient debout cette grande force qu'est la femme chrtienne. Aussi, se sont-ils appliqus, par tous les moyens possibles, abaisser son niveau moral. Un haut maon juif, le F . . . Picolo Tigre c r i v a i t : Pour dtruire le catholicisme, il faut commencer par supprimer la femme, mais puisque nous ne pouvons pas supprimer la femme, corrompons-la. Voici, d'autre part ce qu'on lit dans une lettre de Vindex Nubius (Instructions d'un chef de la Haute-Vente) : Popularisons le vice dans les multitudes; qu'elles le respirent par les cinq sens, qu'elles le boivent, qu'elles s'en saturent... Faites des curs vicieux, et vous n'aurez plus de catholicisme. Et ailleurs : Le catholicisme n'a pas plus peur d'un stylet bien acr que les monarchies; mais ces deux bases de l'ordre social, peuvent crouler pous la corruption. Ne nous lassons jamais de corrompre... le meilleur poignard pour frapper l'Eglise au. cur, c'est la corruption. A l'uvre donc jusqu', l a fin. Il faudrait un volume pour exposer ici le programme maonnique, labor en vue de dtruire la religion, la morale, la famille et partant la patrie. Cette secte antichrtienne, antisociale et antifranaise ne veut rien laisser debout-de ice ^ u i fait une nation grande et prospre. Mais ce travail de dmolition ne va pas sans difficults. Il trouve devant lui des barrires qu'il faut renverser, des obstacles qu'il faut franchir, des rsistances /qu'il faut vaincre, mais qu'il faut surtout enrler. Ia maonnerie a vu dans la femme* une forteresse qui rsistait ses assauts, tant qu'elle restait fidle sa mission et capable de la remplir dignement. Elle s'est trouve,' par l mme, dsigne ses coups. Dieu qui destinait la femme de grandes choses, lui a donn en paitage l e s qualits los plus nobles comme les plus exquises. 11 en a'fait comme la reine du foyer. A elle est chue la tche sublime non seulement de former des hommes pour la patrie, mais de donner des
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lus au Ciel. Ce sera l'ternel honneur du christianisme d'avoir lev* la femme cette haute dignit. Sans doute, l'antiquit paenne a produit de beaux types de femmes, dont les noms sont prsents la. mmoire de tous. Mais les uvres purement humaines sont voues ', la loi fatale de l'oubli. Il n'en est pas de mme de celles (qui sont" animes du souffle chrtien : elles portent un caractre de grandeur,, de beaut surhumaine qui assure leur dure dans la mmoire des hommes. Qui ne prfrera une Cornlie, la mre des Gracques, dont l'orgueil farouche se pare de la gloire de ses fils comme d'un diadme royal, une Blanche de Castille disant son fils,, qui devait (tre un jour saint Louis, roi de France : J'aimerais mieux te voir mourir que commettre un seul pch mortel. Comme elles plissent toutes les hrones de l'antiquit devant une sainte Genevive, la lib-' rairice de Paris, devant notre bienheureuse Jeanne d'Arc, cette merveilleuse figure de guerrire et de sainte, en qui se rsument toutes les grandeurs de la nature humaine leve, par la grce, ces sommets -o la louange ne peut mme plus atteindre. Car c'est le. propre de la religion chrtienne de mettre au front de la femme, comme une couronne de royaut morale, devant laquelle s'effacent tous les attraits et les sductions e la beaut humaine. Depuis quo la Vierge Marie a t associe l'uvre de la rdemption du genre humain, il semble que la femme ait t appele continuer cette uvre. Elle est la messagre des grces et des bndictions de Dieu sur le foyer, et de l' sur la socit tout entire. Honneur donc aux femmes chrtiennes. Mais elles ne peuvent demeurer telles, que. si elles restent (fermement et inbranlablement attaches aux principes sur lesquels repose toute vie vritablement chrtienne; Elles aussi, nous devrions dire, elles surtout, ont se prmunir contre les fausse.- doctrines du libralisme, qui trouveront prs d'elles U n accs d'autant plus facile, que cette funeste erreur se prsente habW tuellement sous les dehors les plus inoffensifs et mme les plus sduisants pour des natures gnreuses et naturellement portes la conciliation. Mais on sait comment, insensiblement, progressivement, le mal s e glisse, s'insinue dans leurs rangs pour y porter ses ravages. La plupart des femmes reculeraient pouvantes, si on leur disait qu'elles se font inconsciemment les complices des projets de la secte maonnique, qu'elles tombent sans s'en apercevoir dans les pig3 qui leur sont tendus, et qu'ainsi elles concourent au rsultat voulu et recherch par ceux qu'elles considrent, juste titre, comme leurs pires ennemis. La franc-maonnerie sait trs bien l'effroi qu'elle jette dans le camp fminin, et l'insuccs que ses entreprises rencontreraient de ce ct, si elles s e prsentaient sous leur vritable jour et avec leur but franchement avou. Aussi, se garde-t-elle bien d'affronter la lutte visage dcouvert. La franc-maonnerie a des auxiliaires d'autant plus prcieux, qu'ils n'ont rien, premire vue, de repoussant,
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mais au contraire, qu'ils se montrent sous des dehors trs sduisants et trs capables de faire illusion. C'est sous le couvert d'une doctrine trs large, trs tolrante, trs charitable que la secte poursuit ses travaux d'approche de la place qu'elle se propose de miner, pour s'en rendre finalement matre. Il ne nous sera pas difficile de faire toucher du doigt le pril. Quel est le catholique gui ne gmisse de l'affaissement de la socit chrtienne, sous la pousse formidable de tous les agents de corruption mis en mouvement par la secte judo-maonnique I Du haut en bas de l'chelle sociale, nous subissons comme une sorbe d'envotement, et ce n'est qu'au prix d'efforts toujours renouvels, que nous pouvons nous en dgager. Nous vivons au milieu du mal, nous le respirons, nous le ctoyons, et oe n'est pas propos en l'air que celui de ce iranc-maon, que nous citions plus haut : Il faut que le peuple aspire la corruption par les cinq sens. Et dans cette uvre de dcomposition, avons-nous dit, la franc-maonnerie a surtout vis la femme, et pour les raisons que nous en avons donnes dj. La secte a-t-ell compltement russi dans son entreprise? Nous nous garderons bien de l e dire, car, Dieu merci, travers toutes les dfaillances particulires, ct de toutes les faiblesses du cur et les travers de l'esprit, la religion, chez la plupart des femmes, garde toujours sa force de rdemption et sa vertu de prservation. Aussi s'agitil bien aujourd'hui d'enlever cette force la femme, non de haute lutte, mais par des moyens plus habiles et plus appropris son temprament et ses faiblesses. Il s'agit tout simplement de ruiner, chez elle, la foi, l'influence de la religion en s'attaquant au ct moral de sa vie, de manire faire flchir la rigidit des principes par l'amoindrissement de toutes les vertus qui en garantissaient l'intransigeance. Par ce ct o la femme est plus vulnrable, on se promettait de mieux russir et, de fait, on ne s'tait pas tromp dans les calculs. Laissons de ct la lgislation immorale et impie du divorce, du mariage civil et bientt de l'union libre. La plupart des catholiques reculent encore devant les consquences de ce dsordre social, bien que trop nombreux soient encore ceux qui s'accommodent de la loi du divorce. Restons sur le terrain o la secte maonnique trouve des complicits conscientes ou inconscientes, en tout cas, absolument dsastreuses, dans les nouvelles murs qui tendent de plus en plus s'acclimater dans le camp fminin. Nous entendons, il est vrai, les femmes pousser aussitt un cri d'horreur : n o u s / chrtiennes, complices de la franc-maonnerie I Quelle accusation abominable P Nous ne mritons pas cette injure. Ne vous rcriez pas trop vite, Mesdames, et veuillez couter. Il est bien entendu qu'en principe vous rprouvez tous les agissements de la sect^ qu'entre elles et vous il y a une barrire infranchissable. Mais dans les faits les choses se passent autrement. Nous avons rappel plus
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haut cet aveu cynique d'un haut maon juif : Pour dtruire le catholicisme, il faut corrompre la femme. Or, les grands moyens dont la secte judo-maonnique se sert pour corrompre les, murs, pervertir les intelligences et vicier lesi cceursi sont, comme on le sait, les mauvais journaux, les romans licencieux, les thtres dvergonds et les modes immorales autant que ridicules. Dans cette couvre de dmoralisation, qui atteint tout particulirement la femimiei, les entrepreneurs de corruption ont trouv dans les ides qui se font de plus en plus larges, de plus en plus accommodantes, de plus en plus librales, tranchons le mot, de merveilleuses facilits pour atteindre leur but; -d'autant que ces thories trs lastiques en ce qui regarde la rigidit des principes, l e rigorisme d'une morale intransigeante, l'inflexibilit des grandes lois qui gouvernent la .conscience humaine, semblent sauvegarder l'essentiel desi principes avec lesquels- on ne rompt pas du premier coup, chez les femmes surtout. On reconnatra bien qu'il faut des principes, des vertus, mais on ajoutera que l'excs nuit en tout : in medio stat virtus. A la faveur de cet axiome qui n'est .vrai qu' la condition de fixer les limites o se meut la vritable yfertu, on part en guerre contre tout ce qui est exagration, prjug, pruderie, intransigeance, absolutisme, contre tout ce qui sent trop le bon vieux temps. Que voulez-vous ? il faut bien tre de son sicle, il faut marcher avec son poque. Convient-il de montrer Un visage toujours rbarbatif et austre, d'opposer la rigidit d'une morale intraitable aux quelques liberts d'une morale plus aimable, plus souriante, plus abordable la m a s s e ? Est-ce le moyen de rendre la religion sympathique que do la montrer sous un jour dfavorable, avec ce cortge de vertus austres, de principes irrductibles, plus faits pour loigner que pour attirer? Qui ne reconnat l le langage courant du monde, celui que l'on entend dans les salons, grands et petits, o l'on se pique de bon ton et de bonne ducation? Quiconque ne partage pas cette manire de voir est un arrir, quelque) chose comme un fossile. Une fois admis ce principe des concessions aux exigences de la vie moderne, aux ncessits de la situation, aux biensances de la mode, au droit de s'amuser et l'obligation de faire comme tout le monde, etc., on se trouve lanc sur une pente o il est bien difficile, pour ne pas direi impossible de s'arrter. Tant il est vrai que la doctrine librale^ dans ses consquences extrmes, aboutit aux mmes rsultats et contient le germe des mmes erreurs, des mmes dfaillances, des mmes scandales que les pires, doctrines dont elle se pose comme l'adversaire. C'est donc faire uvre grandement ncessaire, et rendre un immense service la cause catholique, que de poursuivre, dans ioutes .ses manifestations, cette funeste .erreur qui s'abrite sous des dehors si sduisants, prend toutes les formes, revt tous les aspects, se glisse partout e t partout rpand sa contagion. Nous la prenons ici sous un aspect particulier, mais nous retrouvons toujours en elle cette mme
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force do dissolution, de dsagrgation, de dcomposition. Nous en toucherons du doigt les consquences immdiates dans cet abaissement des murs, dans cet abandon des principes chrtiens, dans ce relchement de la vie digne et srieuse par o se manifeste sa funeste influence dans le camp fminin, o nous allons reconnatre son action dissolvante. Parmi les agents de corruption sur lesquels la franc-maonnerie fonde ses esprances pour poursuivre son uvre de dmoralisation de la femme, nous avons cit les mauvais journaux, les romans licencieux, le thtre ^minorai, y compris le caf-concert, la taverne, le musichall et autres lieux de divertissement, et enfin les modes indcentes. Si maintenant nous pntrons dans un salon mondain, pour y recueillir l'impression de ces dames qui affectent d'avoir sur toutes choses des ides trs larges, trs tolrantes, trs charitables, nous verrons que leur thorie, quelques nuances prs, rejoint celle des ennemis de la | o i et de la religion, pour aboutir aux mmes rsultats;. Et cependant elles ont la prtention d'tre de bonnes chrtiennes. Elles frquentent l'glise, mme les sacrements, mais se font honneur d'tre tr3 clectiques, de n'avoir pas les ides troites. Elles se rvolteraient si on les accusait de favoriser la mauvaise presse ou tout (au moins d'en assurer le succs. Et'pourtant voyez donc les prtextes mis en avant par ces soi-disant bonnes chrtiennes, pour se permettre la lecture des journaux plus que lgers, le plus souvent immoraux : 1} faut bien se tenir au courant des nouveauts du monde littraire, autrement de quoi parler dans les salons ? On dira que nous sommes rococos, si nous ne connaissons pas les articles sensationnels de tel ou tel journaliste, ou les feuilletons du publiciste dont on parle beaucoup en ce moment. Si ces crits attaquent la morale, on ne parat gure s'en soucier, et d'ailleurs quel danger peut-il y avoir ces lectures, quand une bonne ducation vous a fortement prmuni contre le mal? Mme langage l'gard des romans : Peut-on ignorer ce dont tout le monde parle, et comment en parler son tour si on n'a Ju 'ces mmes romans, fussent-ils immoraux? N'est-ce pas une ncessit de situation de connatre les derniers ouvrages parus o, sans doute il se trouve bien des choses blmables au point de vue de la stricte morale, mais dont tout le monde fait le plus grand loge, au point de vue du style, et qui rvlent, chez l'auteur, des qualits de jtout premier ordre. Et encore une fois n'a-t-on pas des principes, des convictions, des ides faites qui vous garantissent contre les sductions de l'erreur, contre l'attrait du mal, contre les entranements de la passion? Or, une triste exprience nous apprend ce qu'il en est, dans la pratique de la vie, de ces soi-disant vertus qui se flattent de n'avoir rien redouter du contact du mal, et combien sont fragiles ces barr rires que l'on prtend opposer aux entranements de la passion. L'histoire de chaque jour est faite de ces scandales publics ou cachs
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qui dsolent les foyers, et qui n'ont 'd'autre cause que la lecture de ces mauvais livres o la vertu est si malmene, qu'elle en devient presque ridicule. Mais le monde n'a-t-il pas toujours son service mille bonnes excuses pour pallier les dfections de la morale, et essayer de justifier les dfaillances du cur. Dans certains milieux fminins, on est surtout ingnieux trouver des prtextes pour concilier les choses qui se repoussent, tant au nom de la droite raison que de la moral et de la .religion. Le thtre, ce dissolvant de la vie chrtienne, cet ennemi du foyer, ce persifleur de la vie conjugale, y trouve de chauds dfenseurs. Comme pour les mauvais journaux oi les mauvais romans, ce sont les mmes raisons-que l'on met en avant. Sous peine de passer pour un es* prit rtrograde, il faut connatre les dernires pices qui tiennent l'affiche du jour. On sait combien le thtre exerce de sduction sur Je cur de la femme, aussi est-elle merveilleusement habile justifier son droit au plaisir. Ce droit au plaisir, la libre morale n'est pas seule le revendiquer. Le monde le rclame'aussi, non avec la mme pret et le mme sans gne, mais avec des formes et pour des motifs qui, pour n'tre pas dgags de tout scrupule, n'en renforcent pas moins la thorie de la libre-pense. Quel est en effet son langage sur le terrain du plaisir, de celui mme qui confine l'immoralit, en particulier sur le thtre dont on peut dire aujourd'hui qu'il est une cole de dmoralisation? On s'attaque d'abord c e rigorisme fcheux, cette austre intransigeance qui ne cadrent plus avec les exigences de l'heure actuelle. Autre temps, autres murs. Ohl sans doute on n'ira pas encore jusqu' frquenter le thtre obscne, mais on s'accommodera trs bien d'un thtre plus raffin, o les principes chrtiens ne sont gure mieux traits, mais avec des formes, des lgances et certains mnagements qui font accepter les situations les plus immorales. Et que voit-on, qu'entend-on dans ce thtre o se donne rendez-vous une socit choisie qui se pique de n'avoir pas des ides troites? La plupart du- temps, c'est--dire 90 fois sur 100, la glorification de l'adultre, sous le prtexte que le mari est grossier ou brutal, ou ennuyeux, et mme moins que cela, qu'il est terre terre, incapable d comprendre une (me leve, sentimentale, et de lui procurer le bonheur auquel la femme p droit. Du ctUdu 'mari la thse s'appuiera d'autres raisons : la femme est d'humeur acaritre, jalouse, querelleuse, elle lui rend le foyer intolrable. Dans ces conditions, la vie commune est un enfer d'o l'on a hte de sortir, pour trouver au dehors une compensation aux tribulations domestiques. Tout cela est prsent sous les couleurs les plus sduisantes, avec le! charme et les ressources de la mise en scne. L'art consomm des acteurs contribue attnuer ce que la thse a de profondment immoral. On aura soin de dire, pour sauver les apparences, qu'on ne v a pas .au thtre pour la pice elle-mme, mais pour le jeu admirable des acteurs. Mais l'habitude aidant, la
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thse finira par ne plus paratre aussi choquante. La femme, aux ides trs larges, aventurera quelques rflexions qui laisseront pntendre qn'il y a, malheureusement, beaucoup de vrai dans' les situations mises en scne; qu'il est tout de mme fort dur la nature humaine d'tre enchane, toute sa vie, un mari dont on n'a ni les gots, ni les sentiments, ni les mmes manires de voir; que la vie commune a des rigueurs souvent inacceptables, non seulement par les antipathies de caractres, mais en raison des froissements continuels dont une me leve tant souffrir. On n'osera pas encore approuver la pice de thtre o les devoirs conjugaux, les vertus familiales, les gran.des lois de a morale chrtienne sont si malmens, mais on sera plein d'indulgence pour les dfaillances de la faiblesse humaine, et l'on aura mme des excuses pour ces trahisons rciproques du foyer qu'explique le besoin de bonheur que toute crature porte en elle. Des grands devoirs de la vie chrtienne, de l'obissance rigoureuse aux commandements do Dieu et de l'Eglise, de la ncessit de la pnitence, de la mortification, du renoncement soi-mme, de l'obligation d'accepter les preuves, les sacrifices, en esprit d'expiation et comme la ranon du pch, du support des croix et des preuves de chaque jour crai forment la trame de toute existence ici-bas, de la pratique des vertus, qui ennoblissent et sanctifient le chrtien : de tout cela on n'osera pas encore faire litire, mais on en prendra tellement son aise avec les prceptes divins, on tentera avec eux tels accommodements, que la morale chrtienne s'en trouvera toute dfigure. N'est-il pas convenu qu'il faut tre trs large d'esprit, qu' force d'troitesse et de rigorismo on rend la religion maussade, insupportable, impraticable, et. qu'on en loigne tous ceux qui ne lui demandent qu'un visage plus, 'souriant, plus aimable pour s'en dclarer les amis et les partisans. Et il n'y a pas l un paradoxe : c'est le langage courant que l'on entend dans les milieux que frquentent des femmes, rputes bonnes chrtiennes, et qui, par ailleurs, se vantent d'tre de toutes les uvres de leur paroisse. Et c'est avec ces beaux principes d'un stupfiant clectisme, c'est avec ces liberts que Ton prend avec la morale chrtienne, sous prtexte d'tre de son temps, que l'on conspire avec ses pires ennemis qui ont entrepris de corrompre les murs, d'abaisser les caractres, de tuer le sens chrtien pour mener terme leur uvre de dcomposition sociale. Il y a l un trs grand pril'et qui suffirait, lui seul, justifier toutes les svrits contre cette * doctrine relche qui ne laisse subsister, dans son intgrit, ni aucun principe, ni aucune vrit. Mais nous n'avons pas encore tout dit des facilits que, dans certains milieux fminins/ l'on prend avec la morale chrtienne. Cette revue qui poursuit l'erreur librale dans ses derniers retranchements, se doit de dvoiler le mal dans sa triste ralit. Nous avons parl du thtre et nous avons Vu que la plupart des pices qui s'y jouent
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sont un dfi l'honntet et la pudeur : ce qui n'empche pas les femmes, en trs grand nombre, d'y aller et d'y prendre grand plaisir. Mais ce ne sont pas encore l les seuls spectacles qu'elles se permettent. Il en e s t d'autres d'un ordre plus vulgaire, plus grossier, disons le mot, o, sous prtexte d'accompagner leur mari, elles vont, au mpris de toute rserve et de toute biensance, entendre des chansons ordurires et assister des exhibitions malsaines. Dans les familles profondment chrtiennes, et dans certaines villes de province demeures plus particulirement honntes, on aurait peine croire de telles m u r s ; et cependant il n'est que trop vrai qu' Paris surtout, les cafs-concerts, les tavernes, les music-hall, les brasseries, mme certains bals publics ne sdnt plus seulement le rendez-vous d'un monde interlope, mais- qu'il n'est pas rare de voir des personnes appartenant une socit qui se prtend lgante et de bon ton, se fourvoyer dans ces milieux o toute dignit chrtienne et toute honntet sont si outrageusement offenses. Peut-on comprendre que des maris qui se disent catholiques, qui vont la messe le dimanche, qui tiennent l'essentiel de la religion, poussent l'aberration et l'inconsquence jusqu' conduire leur jeune femme dans ces louches endezvous de plaisir o se chantent des' chansons qui bravent la morale, et s'talent des spectacles qui outragent la pudeur! Que gagnent-ils mettre la vertu de leurs femmes pareille cole et, de quel droit se plaindront-ils de leurs malheurs conjugaux, eux qui ont travaill, inconsciemment peut-tre, mais srement, pervertir leur imagination et leur cur? Se peut-il plus folle imprudence et aberration plus profonde! On criera peut-tre l'exagration, on objectera que ce sont l des exceptions, que la masse reste trangre ces murs de rastaquoures, que la religion garantit et protge la dignit de la vie familiale et assure au foyer le maintien des vertus chrtiennes. Nous ivoudrions certes qu'il en ft ainsi, mais la vrit nous force reconnatre que les choses ne se passent pas tout fait de cette faon. Le3 faits de chaque jour sont l qui proclament la dcadence des murs, la disparition du sens chrtien, la confusion des ides saines, la stupfiante inconsquence des faits et gestes de ceux qui ont la prtention d'tre des catholiques. Les fortes vertus- familiales sont deve' nues- aujourd'hui l'exception et comme l'apanage de certains foyers privilgis et de plus en plus rares. Voyez plutt l'allure provocante de la jeune fille de nos jours, ses manires libres, son ' assurance,- Je. ton de ses conversations, l'audace de son regard, l'arrogance de toute sa personne. Que nous, sommes loin de la modestie, de la rserve, de la timidit- mme que des- parents chrtiens s'appliquaient inspirer leurs filles, comme la marque d'une bonne ducation et la garantie de leur innocence I Tout cela est bien chang aujourd'hui, et jbien dmod.
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Il parat que le progrs pour les jeunes filles est de s'manciper de'
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trs bonne heure, et de rejeter bien loin d'elles tout ce qui se ressent des errements du pass. Tenue modeste, rservie dans les paroles comme dans les dmarches, simplicit et candeur; tout cela tait bon jadis, dans la vieille France o les traditions chrtiennes formaient la base de l'ducation. Mais aujourd'hui il faut marcher avec son temps. Arrire tous les prjugs, les vieilles routines, les mthodes dsutes, les principes vieux jeu, les allures rococos. Il faut se tenir hauteur do la situation nouvelle, et des changements survenus dans les murs. Voil ce que disent les jeunes filles d'aujourd'hui. Les parents qui, hlas 1 trop souvent pratiquent, pour leur propre compte, ce-3 tranges maximes qui bouleversent toute l'conomie des lois morales, sont mal qualifis pour opposer aux folles prtentions de la jeunesse modern-style, les leons de la sagesse et des principes d'une plus chrtienne austrit. Aussi, se rsignent-ils facilement entrer dans le mouvement des nouvelles ides, et se faire les complices des extravagances et des murs exotiques dont la libre Amrique nous a gratifis, en ce qui regarde l'ducation, par trop libre, des filles, et que les dmolisseurs du pass se sont empresss d'acclimater chez nous. C'est ainsi que l'on peut" voir aujourd'hui des jeunes filles se rserver, chez leurs parents, un jour de rception e l l e 3 seules, tenir salon, en l'absenoe du pre et de la mre qui s'en excluent volontairement, et y recevoir leurs invits et amis intimes. Il y rgne un parfait bon ton, je le veu:s6 bien, ce n'en sont pas moins des- murs mancipatrices. Elles rgnent dans toute la vie mondaine. Parle-t-on des rceptions de la famille : Les grandes personnes sont d'un ct, les jeunes gens et les jeunes filles de l'autre, affranchis de gne et de contrle, ils conversent, s'battent et circulent mme dans la maison comme il leur convient. Mme en admettant que la morale n'ait pas en souffrir, sont-ce l les murs qui conviennent la jeune fille franaise, et ces nouveauts dangereuses qui trouvent les parents complaisants ou rsigns, ne sont-elles pas l'aveu d'une profonde perturbation morale et sociale, et de l'abdication de l'autorit paternelle? O veut-on aller avec ce relchement des murs, avec ces faiblesses; ces complaisances pour ces ides nouvelles qui ne sont pas seulement excentriques, mais grandement dangereuses, parce qu'elles rpugnent au temprament franais et ne s'harmonisent nullement avec nos traditions? On ne dira pas, je pense, que ce nouveau systme fait partie de l'ducation de la puret ;Vm-lui trouverait plutt des analogies avec celui de l a coducation des sexes. C'est l un nouvel exemple des consquences dsastreuses o aboutissent les ides soi-disant larges, librales, tolrantes de certains parents aveugles, ides qui, en fin do compte, s e rejoignent avec les thories de la libre morale jet de la libre pense, et acclrent le mouvement de dcadence. 11 semble qu'il y ait comme une entente tacite et fatale entre ces deux antagonistes apparents, qui finissent toujours par s'accorder merveille,
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en partant cependant de points de vue diffrents et en poursuivant un autre rsultat. Le point de jonction o ils se rencontrent est l'aboutissement ncessaire de dductions logiques de part et d'autre. Dans un article forcment limit, nous ne saurions traiter la question dans toute $on ampleur et sous tous ses aspects. Mais il |est un point sur lequel il nous faut arrter notre attention, car il constitue, notre avis, un facteur important de la dcadence des murs fminines. Nous avons vu la femme pleine d'indulgence et ingnieuse trouver des excuses pour tout oe qui regarde les audaces de la presse, du roman, du thtre et autres lieux de plaisir, au grand dtriment de sa moralit et au mpris des devoirs les plus lmentaires de la vie tant soit peu chrtienne et srieuse. Nous allons la retrouver plus accommodante lencore, s'il se peut, sur le chapitre de la mode, f i t elle ne connat plus de mesure, elle se porte toutes; les* excentricits, toutes les folies, subit toutes les tyrannies, accepte toutes les inconvenances et tous les ridicules, sans se soucier de sa dignit personnelle, et du bon got qui doit toujours prsider s a mise, qui, pour (tre dcente, n'en serait pas moins lgante. A toutes les poques de dcadence, les modes fminines trahissent toujours l'affaiblissement du pens moral, par la recherche de l'extravagance et du dshabill. De nos jours, c'est un vritable vent de folie qui passe sur les ttes. Ne serait-il pas temps de rappeler les femmes tout la fois, la dignit chrtienne et l'observation des lois d e la dcence, l'heure surtout o les douloureuses preuves que traverse l'Eglise do France, leur imposent plus de retenue, plus de modestie dans leur extrieur et plus de modration dans les dpenses? Que do sujets de deuil et de tristesse cependant devraient ramener les esprits plus de sagesse et de srieux dans la viel La perscution contre Dieu, contre l'Eglise, contre la religion et ses ministres, continue de svir avec pret et s'accentue tous les jours. Les congrgations religieuses sont jetes hors de France, condamnes l'exil et la misre, leurs biens sont vols, les morts eux-mmes sont privs des prires que leur assuraient de pieuses fondations aujourd'hui confisques par le gouvernement, Jsus-Christ est reni, outrag officiellement, le Pape insult et menac par les sectes de l'enfer. L'me de l'enfant est devenu l'enjeu des batailles parlementaires. Ce devrait tre l'heure des grandes rparations, des expiations par la pnitence; et la mortification. Et pourtant jamais Vertige n'a fait tourner tant de ttes fminines, jamais la mode n'a exerc pareilles sductions dans leurs rangs. Rien n'est plus attristant, au milieu de tous nos malheurs publics, que cet tat d'esprit qui leur fait accepter, sans protestation, la tyrannie, le ridicule et l'inconvenance de modes provocantes qui sont comme un dfi l'honntet et une insulte la maternit dont elles paraissent de moins en moins se soucier, si tant est qu'elles ne conspirent pas contre elle, d'accord avec les entrepreneurs de dmo-
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ralisation publique. La [mode laide et ridiculement dangereuse plonge l femme dans une atmosphre de sensualit qui gagne- la socit tout entire, par le rayonnement malsain de ce luxe qui constitue un vritable dsordre, exerce une action morbide, contribue pervertir ls mes, et loigne de nous les grces de Dieu: Que deviennent pour ces femmes dont l'unique souci est de se parer et qui y emploient la majeure partiei'de leur temps, les grandes lois du travail, du renoncement, de la pnitence, de la mortification qui sont: toute l'conomie de la vie chrtienne? Ne le leur demandons pas, ellesnous rpondraient que leurs ides trs larges, dgages de-tout scrupule mesquin ne cadrent plus avec les austres principes d'une morale intransigeante et suranne. La cause du mal que nous avons saisi dans quelques-unes de ses ' manifestations fminines, le principe de ce grave dsordre social qui acclre la marche de la dcadenoe et concourt si efficacement l'uvre-des ennemis de tout bien et de toute morale, nous l e s . trouvons; est-il besoin de le dire? dans, cette doctrine librale toujours laimme, avec son cortge habituel de concessions outrance aux ncessitsde la situation, aux exigences du jour, aux convenances mondaines, avec ses diatribes ordinaires contre le rigorisme d'un autre ge, contre les ides arrires, contre l'absolutisme absurde de certains principes. Peut-on, aprs cela nier la connivence, inconsciente peut-tre, maiscertaine de ces femmes, catholiques par ailleurs, i l'esprit large, tolrant, ennemi de l'absolu en toutes choses, avec- ceux qui travaillent activement et sans relche abaisser, petit petit, l e niveau de la moralit publique? Nous avons dj relev la dclaration de ce haut maon disant que, pour* atteindre plus srement la religion, il fallait s'attaquer la femm e et chercher la corrompre. Peut-on nier, aprs cela, qu'il existe une vaste entreprise de dmoralisation conduite par tous les agents d mal au service des-loges? Le grands couturieite juifs qui Vont yprendre le mot d'ordre, sont les *premiers- lancer ces modes extravagantes et indcentes auxquelles femmes et jeunes filles du monde se plient avec docilit, sans se douter qu'elles collaborent" .ainsi' l'uvre des sectes, qui est d'abaisser le niveau* moral de la femme en' faisant d'elle une vritable marionnette. N'est-ce pas, e n effet, un scandale public que l'a tenue, l- dmarche, l'accoutrement de ces femmes du monde, d'o la biensance, l'honntet, la pudeur sont bannies? Et oependant ce serait l'heure,, au* moment o' -toutes les passions dchanes sont lances l'assaut de la vieille cit chrtienne, d'opposer toutes ces modes paennes qui proclament la victoire de la chair sur l'esprit, l'intransigeance ds {murs chrtiennes. Dira-t-on que nous sommes bien svre, que nous exagrons le mal? Mais q u o n v o i e plutt les changements survenus progressivement dans les ides et dans ls murs, depuis qu'un libralisme, de plus en plus complaisant, acs 1
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LEMIRE
A LA
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cepte, sous prtexte de tolrance et de conciliation, les usurpations de la vrit sur Terreur, les empitements toujours croissants de la passion sur la morale. Ce n'est pas aux lecteurs de cette revue, qui suivent avec Itant d'intrt ses vigoureuses campagnes, que nous apprendrons les ravages causs par cette funeste erreur dans le domaine doctrinal. Us ont pu voir par des preuves tangibles, par des arguments qui dfient toutes les insultes et toutes les colres impuissantes, quelles affinits elle entretient avec les doctrines les plus grossires et les plus subversives. Quelque forme qu'elle affecte, de quelque nom qu'elle s e pare, soit sur le terrain des ide3 ou sur celui des faits, elle apparat toujours comme une force de destruction, comme Un dissolvant de tous les principes. Aujourd'hui nous l'avons vue l'uvre dans le camp fminin, o elle n'exerce pas moins de ravages, favorisant les desseins de la franc-maonnerie qui a rsolu de corrompre les murs pour mieux dchristianiser la France. Dans ce but, la secte s'est attaque particulirement la femme, sachant que, par elle, elle atteindrait la socit tout entire. Prise par son ct faible ; la vanit, la coquetterie, l'amour du luxe et du plaisir, elle n'a su ni voir ni comprendre, et elle est entre dans le tourbillon o elle perd de vue sa'propre dignit et la haute mission que lui confre son titre de chrtienne. A ceux qui l'avertissent du danger qu'elle court et qu'elle fait courir la socit tout entire, qu'elle cesse de leur opposer le rigorisme, l'intransigeance et l'absolutisme d'une morale trop svre. Cette morale austre n'est autre que la morale chrtienne, et en y revenant la femme redeviendra la femme forte de l'Evangile, digne dans sa vie, dcente dans sa mise, consquente dans ses dmarches; elle restera la force et l'honneur du foyer, la gardienne des vertus domestiques d'o dpend le relvement de notre malheureux pays aujourd'hui livr toutes les foliesj toutes les hontes et tous les dsordres du monde paen.
STANISLAS DE HOLLAND.
L'ABB
LEMIRE
LA
CHAMBRE
Qu'il en ait ou non pleinte conscience, l'abb Lemire, o (qu'il s'exhibe, russit invariablement commettre quelque impair, qui inflige sa soutane un dmenti afifligeant. S'il s'agit des exploits auxquels il se livre en sa circonscription, nous pouvons laisser Y Eveil populaire des Flandres le soin de l'en reprendre: cette feuille dunkerquoise- s'en acquitte avec la- rondeur qui convient la sincrit flamande. Mais il n'est pas sans intrt de suivre l'abb Lemire la Chambre, et jusqu' la tribune.
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Aprs cela, qui sait si, persistant l'appeler l'abb Lemire, alors surtout que nous allons l'tudier comme lgislateur, nous ne risquons pas dj de le froisser? Lui-mme n'a-t-il pas publiquement abandonn cette dsignation, que sans- doute il juge compromettante? Le bulletin ^bibliographique du Recueil de Sirey (anne 1911, page 7) annonce, e n effet, un volume sur le bien de famille insaisissable, <jui s'ouvre par une prface de M. Jules Lemire, dput du Nord , et cette signature en dit long sur la rpugnance que son caractre ecclsiastique a fini par inspirer ce Janus trange. Ce caractre, pourtant, est inalinable, par une prrogative qui vaut bien, ce nous semble, rinsaisisteabilit du bien de famille lui-mme... Quoi qu'il en soit, les deux interventions propos desquelles nous allons prendre sur le vif la manire parlementaire de M. Lemire, ont ceci de ccwnanun que toutes deux se rfrent des questions connexes la religion et la morale. Mais il arrive que, dans l'une et dans l'autre, et par la faute de M. Lemire, c'est la religion et la morale qui sont finalement sacrifies par la tournure que prend le dbat et par la conclusion qu'il reoit. Et c'est par l que ce double incident devient trs exactement justiciable de la Critique du Libralisme. Voici, en effet, du libralisme, une dfinition qui, pour tre nonce par Charles Maurras, dans Y Action franaise du 16 avril dernier, n'en est pas moins d'une impeccable justesse, n'en dplaise aux adversaires sans bonne foi du redoutable polmiste : Pour des gnrations de Franais, le libralisme fut une [espce de religion dont le caractre tait de pe dvouer e n faveur de tout ce qui n'tait pas catholique, le sort du catholicisme tant rgl par le principe: pas de liberts contre la libert. M. Lemire appartient exactement cette religion-l, dont le propre est de saccager la vraie. Venons ,au fait. Pendant la discussion de la loi de finances, M. Lemire a propos un amendement par lequel il prenait en main l'intrt des clercs dans les offices . Ohl il ne s'agissait ni d' offices religieux, ni de clercs entendus au sens o un prtre a coutume d'employer oe mot. M. Lemire se proccupait des offices ministriels , iet des clercs d'tudes d'avous et de notaires, et il demandait qu'on leur tendt le bnfice de la loi sur le repos hebdomadaire. Sollicitude louable, coup ST, et l'amendement mritait d'tre vot. Le malheur est que le garde-des sceaux, ce solennel Antoine Perrier, dont la clbrit en Savoie, o il est snateur, tient ce qu'il y prit l'initiative d'une scandaleuse glorification des Charmettes, la honteuse garonnire de Jean-Jacques et de Mme de Warens, n'a donn son assentiment la motion de M. Lemire qu'en faisant observer qu'il restait entendu que le repos des clercs d'tudes ne demeurait pas obligatoirement fix au dimanche, jour le plus souvent choisi par les habitants des campagnes pour se rendre chez l'officier ministriel.
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Or, ou nous nous trompons fort, ou cette observation du ministre tendait, par une ironie dont M. 'Lemire a tranquillement subi la malice, signifier a u prtre-dput que, s'il avait Voulu par sa motion faire uvre de prtre,, il avait pratiquement perdu sa peine. Ds lors, de deux c h G s e s l'une, ou M. Lemire n'avait pas prvu cet pilogue, et alors] sa clairvoyance de lgislateur est passablement courte, ou il l'avait escompt et s'y tait rsign, e t nous avons la preuve que les droits d e la religion l'embarrassent mdiocrement, pourvu qu'il achaland s a popularit de cur patriote et de philanthrope inconfessionnel. Le second incident est plus caractristique. Toujours propos de la loi de finances, en laquelle on peut insrer les dispositions les moins financires et les plus htroclites, M. Lemire a propos de complter ainsi l'article 48 de la loi de recrutement de 1905: Est assimil la paternit lgale et donne droit aux mmes faveurs le fait d'avoir par le mariage la charge de quatre ou six enfants vivants. D'aprs l'article en question le pre de quatre enfants vivants passe de droit dans la rserve de l'arme active et celui de six enfants dans la rserve de l'arme territoriale. Ici encore, l'amendement n'usurpait nullement la faveur avec laquelle il a t accueilli, soit par M. Chron, rapporteur-gnral du budget, soit par M. Berteaux, ministre de la guerre, soit par la Chambre ellemme. On y trouve un moyen, sans doute indirect, mais quand mme ingnieux, de remettre en honneur la fonction paternelle: il est bien certain, en effet, comme l'a expliqu le ministre de la guerre, que l'homme qui prend la charge d'enfants 'ns d'un premier lit de la veuve qu'il pouse n'a pas moins de mrite que celui qui pourvoit j l'entretien des siens. Mais M. Berteaux ne s'en est pas tenu cette glose honnte. Il y a joint celle-ci, qui l'est moins, et que nous empruntons au compte-rendu du Temps : Tout le monde sait combien notre collgue l'abb Lemire s'est intress activement la question de la repopulation. (Rires). Loin de nous la pense de rendre M. Lemire responsable de l'incivilit parfaitement dplace par o s'est tal le mauvais got de l'agent de change dmagogue qui prside provisoirement nos destines militaires, et surtout des rires grossiers dont les goujats de la majorit n'ont pas manqu de la faire suivre. Mais n'est-ce pas notre droit de dplorer l'insuffisance de la rplique de M. Lemire? Voici, d'aprs le Temps encore, le rsum de cette rplique : Je remercie M. le ministre malgr la petite ironie que semblaient contenir ses paroles. Je lui ferai remarquer qu'activement peut ne pas avoir le mme sens qu'effectivement. (Rires). Dans tous les cas, je puis dire que, s'il en est qui en ces questions s'inspirent de l'gosme et du tnanque de cur, je ne suis pas de ceux-l. (Applaudissements et rires).
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En vrit, il y avait autre chose, et beaucoup mieux, rpondre. Et nous n'hsitons pas dire que, si pareille impertinence leur avait t adresse, Mgr Freppel et Mgr d'Hulst eussent ripost d'une faon qui sans nul doute et inspir l'insolent plaisantin le repentir de sa pitre incartade. Nous le demandons quiconque a le sens catholique et le respect du sacerdoce, est-il supportable qu'un dbat institu pn faveur du relvement de la famille se termine impunment par fin persiflage implicite du clibat ecclsiastique? En laissant les choses prendre cette tournure, M. Lemire, nous le dclarons tout net, a pris une responsabilit dont nous lui faisons grief comme d'un scandale , au sens o le catchisme, tout uniment, dfinit ce mot quand il dfend de scandaliser autrui. Qu'on n'allgue pas la difficult ou l'impossibilit de penser tout; qu'on n'excuse pas M. Lemire en disant que nul n'est rprhensible de n'avoir que oe qu'on appelle l'esprit de l'escalier ; qu'on n'ajoute pas que nous avons beau jeu concevoir, tte repose, la rplique! qu'il et t sant de produire en l'occurrence. La. vrit est qu'un prtre, vraiment au fait de son rle, alors surtout que sa condition de dput l'expose devoir toute heure justifier ce rle l'enconfcre des mcrants, des isceptiques ou des sectaires, devait, spontanment pt d'emble, dclarer ceci, ou quelque chose d'approchant: Loin qu'il y ait entre mon clibat professionnel et mon zle pour la famille l'antinomie qu'imagine malignement M. le ministre, je le prie de retenir qu'une des raisons pour lesquelles l'Eglise a institu et maintenu la rgle du clibat pour ses prtres, c'est prcisment que -ce clibat, en dsintressant personnellement les prtres dans la question, leur assure l'indpendance ncessaire, partant l'autorit suffisante, pour rappeler impartialement tous, puissants ou humbles, riches ou pauvres, les lois morales dont le respect fonde, tend, perptue et multiplie les familles. Et c'est grce cette prdication des devoirs familiaux par des aptres sans famille propre, que l'Eglise fut et demeure la clef de vote de l'institution familiale, spcialement de la famille franaise. > : Nous rptons qu'en entendant une telle dclaration, le ministre ft demeur coi; quant aux rieurs de la majorit, ils eussent ri jaune. Ouil mais, pour tenir un langage aussi simple et aussi fort, c'est--dire aussi orthodoxe, il faudrait possder la disposition d'esprit, la doctrine, la rectitude catholique, dont M. Lemire demeure obstinment et dplorablement dpourvu, moins que, l'ayant entrevue jadis, il ne s'applique, oc qui serait pis, s'en dmunir chaque jour davantage. Nous ajoutons que, tel tant le cas de M. Lemire, mieux vaudrait cent fois qu'il ne se ft pas' le champion de l a repopulation que de fournir aux ennemis de l'Eglise un prtexte de se gausser d'elle ce propos. Pour tout dire, mieux vaudrait qu'il ne ft point dput, ou qu'il ne ft point prtre. Puisqu'il ne peut cesser d'tre ceci, nous sommes assu1
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rs d'interprter exactement le v u du peuple chrtien en rclamant qu'il cesse d'tre cela. Et comme c'est par libralisme qu'il affecte de cumuler ces deux conditions tout en les dissociant plaisir, c'est au libralisme que nous imputons la responsabilit du dommage que la cause catholique prouve par l'effet de ce cumul paradoxal et dcidment rvoltant. Paul TAILLIEZ.
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Groupons, sous ce titre, quelques faits intressants. La premire place sera pour la Libre Parole. On sait que le cardinal Fischer, archevque de Cologne, a rcemment pris une mesure d'expulsion l'gard d'un prtre aussi distingu que zl pour les directions du Saint-Sige, M. l'abb Kaufmann, qui avait fond dans cette yille un puissant service d'informations et de propagande religieuses. Il dirigeait une agence de nouvelles et une Revue apologtique trs rpandues. L'occasion on ne sait si'l faudrait dire le priexte de cette exclusion sensationnelle, grait, en croire des chos bruyants, l'attitude frondeuse de ce prtre l'gard de rminent cardinal et l'imprudence qu'il aurait commise en se vantant d'tre* mieux cout que lui Rome. En ralit, M. Kaufmann ne donna aucune prise extrieure par sa conduite; mais une lettre prive, dont il avait bien marqu le caractre confidentiel, fut surprise par ses adversaires, et, dfre l'archevque, sur lequel ceux-ci cherchaient tous les moyens d'agir, fit soudain prendre corps un mcontentement dont l'origine remontait d'autres causes. La vritable explication est dans l'active participation aux tentatives pour arrter les dviations du Centre allemand (1), et aux efforts contre l'interconfessionnalisme des uvres. On connat la divergence de vues qui rgne cet gard entre les directions de Cologne et de Berlin. Certaine lettre roente du cardinal Kopp, divulgue on ne sait comment, lui donna un cho public. La Direction de Cologne, patronne par la puissante Klnische Volkszeitung prtend que les catholiques allemands, vivant au milieu d'une majorit protestante, doivent travailler avec les protestants a difier une culture naiionale, et ce travail ne peut se faire que sur la base d'une mentalit commune, qui est par consquent le christianisme en gnral, non confessionnel, ni catholique ni protestant. Et 1 Centre doit se contenter de cette base. 1. Voir notre numro du 1 octobre 1909 : l'affaissement du centre allemand.
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La Direction de Cologne a t nergiquement rprouve par plusieurs vques et beaucoup de catholiques minents. Le cardinal Kopp a mme dclar, l'affaire a fait du bruit lors de la divulgation de sa lettre, que ses tendances taiemt une contamination qu'on propageait avec un fanatisme hrtique . Le cardinal Fischer lui-mme avait t d'abord de cet avis et se plaignait jadis de la Gazette populaire, Mais il est aux prises, dans sa rgion, avec des difficults spciales, et entour de catholiques ouvertement dclars pour le mouvement nouveau. Rcemment, il obtint de Rome u n tolerari posse, provisoire peuttre, e n faveur des syndicats interconfessionnels. Cependant, les amis du Centre faisant courir le bruit cfuie le cardinal Fischer avait russi, dans son audience pontificale, anantir la Confrence de Pques, le D Kaufmann dmentit le fait publiquement dans sa Revue apologtique sans tre repris par le Vatican. Cela n'tait pas fait pour apaiser le dplaisir caus au cardinal Fischer par les critiques atteignant les uvres de son diocse et des catholiques avec lesquels il doit compter. La dnonciation fit exploser les foudres. Il crivit Rome pour annoncer la (mesure qu'il comptait prendre et reut du Vatican une rponse empreinte d'gards personnels, que la traduction donne par la Libre Parole qualifie trangement de rponse d'hommage . Le Saint-Sige, avec une rserve naturelle en pareille matire, ne voulait pas s'opposer l'exercice juridique de l'autorit archipiscopale. MKaufmann fut invit publiquement h quitter le diocse.
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Bonne aubaine pour les libraux de tout pays, de France surtout, o l'on ne cesse d'invoquer le flchissement du Centre et des principes catholiques en Allemagne, comme justifiant- la tactique de V Action Librale, les tendances d u Sillon, la rsistance toute politique franchement catholique, en un mot, l'opposition aux directions pratiques de S. S. Pie X. Mais, quelle soit l'importance de cet incident, il n'tait aprs tout que d'une porte restreinte. Il s'agissait de l'largir. N'y avait-il" pas moyen de faire tourner l'autorit d'un cardinal contre les autres adversaires du libralisme? C'est ce que sut parfaitement trouver la Libre Parole dont l'ingniosit ne s'embarrasse pas de scrupules. Le 6 avril, elle consacrait cette affaire un long article portant ce titre sensationnel: Le cardinal archevque de Cologne expulse le correspondant de V Vnivers et de la Correspondance de Rome . C'tait un coup de matre. Ce journal trouvait l un prtexte fort heureux, sinon loyal, de poursuivre sa campagne acharne contre Mgr Benigni. Pourquoi la Libre Parole n'ajoutait-elle pas que M. Kaufmann tait aussi le correspondant de la Croix? Cest le secret d'une intimit avec celle-ci, que personne n'a le droit de scruter, depuis que M. Fron-Vrau s'est dclar tranger la fusion du Peuple Franais avec le journal de M. Drumont. Cependant, le XX Sicle de Bruxelles, journal libral, dont la Libre Parole reproduit complaisamment l'information, place la Croix en tte des journaux dont M. Kaufmann influenait par ses correspondances, tandis qu'il ne range pas la Correspondance de Rome parmi eux et se borne dire que YTJnivers, inspir
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par lui, n'avait gure d'autres sympathies, sur ce terrain, que celle de cette feuille. La Correspondance de Borne a djou la manoeuvre par cette dclanation : La Libre Parole nouveau-style a le cauchemar de la Correspondance de Rome. Ce cauchemar supprime en elle tout scrupule de vrit et de justice; c'est un beau cas pathologique. Ainsi elle annonce en gros caractres qu'un Archevque a expuls de son diocse un prtre correspondant de l'Univers et de la Correspondance de Rome . Quel bonheur 1 Seulement il y a une petite inexactitude. Le prtre vis n'a t jamais, ni directement, ni indirectement, le correspondant de notre bulletin. Qui dit le contraire, ment. On sait que le journal de M. Bazire ne rectifie pas. M. Bazire a le coup-d'il sr. Il (calcule du premier coup l'effet d'une diffamation, et, quand il l'a lance, n'admet pas qu'on dtruise cet effet. Nous sommes pays pour le savoir. La Libre Parole du 18 avril, au lieu d'accepter le dmenti si formel de la Correspondance de Rome, rpond par une diatribe en quatre colonnes, que YUnivers qualifie justement de violent et passionn rquisitoire . Elle donne le triste spectacle d'un journal catholique renchrissant sur les attaques et les injures du Journal des Dbats, du Bulletin de la Semaine et des organes les plus libraux contre la feuille romaine. Le dmenti de la Correspondance de Rome affirmant que M. Kaufmann n'a jamais t son correspondant ni directement, ni indirectement , ne laisse place aucun subterfuge. On comprend bien, d'ailleurs, qu'il n'est point un dsaveu ni un blme l'gard de celui-ci, mais qu'il a simplement pour objet de rpondre la perfide information qui faisait tourner contre la Correspondance de Rome, la mesure prise par l'archevque de Cologne. La Libre Parole ne s'en embarrasse point; elle n'hsite pas traiter celle-ci comme elle n'oserait se le permettre vis--wis d'aucun autre, et l'accuser de mentir impudemment, en disant qu'elle joue sur les mots (!!), profitant de ce que les articles injurieux et diffamatoires dont elle est prodigue n'tant jamais signs, ces dmentis lui sont faciles . Le journal de M. Bazire entreprend une fois de plus, grand renfort d'arguments, de prouver contre toute certitude, que la Correspondance de Rome, dirige par un prlat appartenant encore aujourd'hui la secrlairerie d'Etat, n'a aucune autorit particulire (1). Toute l'encre et toute la malignit qu'il dpense, que pourront-elles contre l'vidence du fait? La publication dirige par Mgr Benigni n'est pas clandestine. 1. La Correspondance, rpte-t-il, tait parvenue se faire passer pour un organe officieux du Saint-Sige . C'est le contraire qui est la vrit, car, ds le dbut, et en toute occasion, elle n'a cess d'avertir eldie-mme qu'elle n'tait organe ni officiel, ni officieux. Tout le monde le sait, la Libre Parole comme les autres. Mais que lui importe la vrit ?
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Le trs distingu et trs vaillant prlat, s'il n'est pas directement l'cho de la pense du Pape et de son premier ministre, crit sous leurs yeux. Comment pourrait-on supposer qu'ils permettraient l'un des principaux membres du gouvernement pontifical de poursuivre publiquement ses campagnes retentissantes, s'ils les jugeaient inopportunes et injus'.ifies ? Comme le dit trs bien l'Univers : La Libre parole ne peut pas ignorer qu'en affirmant l'incontestable valeur de renseignement et d'indication de la Correspondance de Rome, nous parlions nousmmes -sur des renseignements et des indications pris trs bonne source. Elle connat cette source. Elle pourrait y puiser. Nous lui conseillons simplement de le faire. L'avis est bon, mais on se gardera bien de le suivre et pour cause. La Libre Parole perd donc son temps, elle y perdra aussi autre chose aux yeux des bons catholiques, ce jeu du serpent contre la lime. Il est plaisant, non moins- que dplorable, de voir ses efforts pour dmontrer que la Correspondance de Rome ne mrita mme pas d'tre considre comme une feuille romaine dans la vraie acception du mot, en lui reprochant de n'avoir pas l'esprit de Pie X qui est tout de charit surnaturelle et de mansutude : Rome est unissante, constructrice. La petiie feuille est essentiellement divisante, dmolisseuse. Nul ne contribue, plus qu'elle, et dans un intrt de parti plus vident, crer la division entre les catholiques franais. La politique de Rome et en particulier celle du bon t sawit Pte- X, est avant tout religieuse, surnaturelle. Toutes les paroles qui tombent de ses lvres ont pour but de prcher l'union des catholiques, l'amour des mes, la prire, la frquentation des Sacrements, l'apostolat. Or, jamais dans la Correspondance de Rome et ceci est probant on n'a pu dcouvrir une ligne vraiment pieuse, ou simplement surnaturelle. Aucune me sacerdotale n'est passe par l. C'est toujours la politique, une politique troite, mesquine, sectaire, haineuse, rancunire, vindicative, o n apparat jamais que la proccupation de parti. Comme si les dfenseurs du Saint-Sige devaient observer dans la bataille la haute rservei que son augluste fonction impose au Chef de l'Eglise, et comme si, au surplus, le Saint-Pre lui-mme, et mme dans ses actes pontificaux, ne qualifiait pas svrement, durement, ceux qui rsistent ses directions. Ecoutons encore : Mais o elle cesse d'tre romaine, c'est quand elle devient un organe, non seulement de parti, mais de clan; quand elle attaque et s'efforce de discrditer les chefs catholiques, quand elle use et abuse de l'quivoque, confondant dans la mme intention fltrissante et sous le mme mot de libral, la fois les tenants du libralisme et les dfenseurs des liberts religieuses. Nul plus que nous n'est adversaire du libralisme doctrinal; mais enfin, nous ne sommes ni en Belgique ni en Italie, o le mot libral est pris dans un sens pjoratif, o il sert dsigner ce que l'on appelle chez nous un radical, un sectaire. Comment en France, dans le langage courant, qualifie-t-on le dfenseur de la libert religieuse, de la libert d'enseignement, de toutes les liberts civiques
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et civiles V De libral. Or, de ce mot-l toujours, en toutes circonstances, mme quand elle l'applique aux catholiques les plus orthodoxes, la Correspondance fait intentionnellement une injure. Ce passage explique les violentes rancunes de la Libre Parole et montre par o elle se sent touche en elle-mme et dans ses amis. Du moment qu'ils veulent agir en dfenseurs des liberts religieuses , comment peut-on se permettre de les appeler libraux! Mais, Montalombert. ne fut-il pas toujours un illustre dfenseur des liberts religieuses? C'tait cependant un libral. Mgr Dupanloup fut galement un vaillant champion de ces liberts. Il n'en tait pas moins un libral.. Et contre ces libraux, contre leur cole d'alors, reprsente de nos jours par d'autres chrtiens fort distingus, comme M. Etienne Lamy -et tous ceux qu'on pourrait nommer, cet aJutre grand Pape qu'tait Pie IX n'a-t-il pas port les jugements les plus svres, prsents encore toutes les mmoires? L e libralisme catholique n'est pas une vaine ombre. Si l'pithto de libral est une injure, oela ne pourrait tenir, cela ne tient en effet, qu' ce que ceux qui la mritent font eux-mmes injure aux principes dont la dfense devrait rgler la'conduite de tout vrai catholique, et, cause de cela, la pense dans laquelle on le leur reproche leur parat justement fltrissante. En la prenant pour telle, ils rendent u n hommage indirect et involontaire la vrit. La Libre Parole accuse en outre la Correspondance de Rome d'tre violemment anti-franaise . La preuve, ce n'est pas seulement qu'elle critique l'incorrigible optimisme des libraux, leur confiance en Briand et certains votes inexcusables des dputs catholiques en faveur de son gouvernement; c'est surtout, horresco referais, qu'elle a reproduit titre de document, et d'ailleurs sans commentaire aucun* un article stigmatisant la corruption parisienne, dont l'auteur est M. Drumont, directeur de la Libre Parole. Que veut-on de plus en fait d'argument, et aussi, de bonne foi? Mais on ne connat pas M. Bazire. La Correspondance Romaine avait donc cit intgralement l'article, avec son titre, sans y ajouter une observation. La Libre Parole n'en revient pas moins la charge, avec un nouveau trait de Bazile : Elle traite Paris d ' gout du monde . Savez-ivous son excuse? Drumont a employ cette expression... qu'une feuille trangre isole ce mot de toute une uvre, de toute une campagne, pour s'efforcer haineusement de faire passer notre ville pour la sentine de l'univers, il y a l plus qu'un manque de tact : une indcence et une injustice . On n'est pas plus haineux , ni plus effront. Il n'est pas jusqu'au ton, au style, aux incorrections de la langue, o il ne trouve matire sarcasmes et aux injures. On peut regretter que les rdacteurs italiens employs par Mgr Benigni n'aient pas une connaissance assez complte du franais pour l'crire purement; qu'ils ne sachent pas, surtout en ces polmiques dlicates, viter certaine rudesse ou violence d'expression, contraire notre gnie, capable de heurter notre got et de blesser parfois. Mais, mme en admettant le bien-fond de cette critique, est-ce des journaux catholiques de s'en
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faire une arme pour ruiner l'autorit d'un organe qui devrait s'imposer leur respect comme le fidle cho du Vatican? Enfin, la Libre Parole va jusqu' dnoncer la complaisance manifeste de la Correspondance de Morne pour les modernistes, les francsmaons et les anarchistes. Il y a l des bizarreries inquitantes, (lit) Comment se fait-il que la Correspondance de Rome, qui s'attribue un droit de haute censure vis--vis des catholiques, qui s'acharne contre les meilleurs, tmoigne tant de mansutude aux adversaires du Saint-Sige et spcialement ceux qui sont le plus prs d'elle? La presse italienne a men ces temps derniers une campagne abominable contre le Pape. h'Asino a arm le bras d'un assassin. A paxt une note de protestation banale, rien dans la Correspondance, aucune polmique avec les Maons ou les modernistes italiens, qu'elle est cependant place pour bien connatre. Tous ses coups sont pour les catholiques, et spcialement pour les catholiques franais. Elle avait, au dbut, tent une dition italienne et allemande; elle y a renonc pour nous rserver le monopole de ses faveurs. Personne ne trouve grce devant elle, ni les chefs catholiques, ni les rdacteurs des journaux catholiques. En revanche, quand on est correspondant de grands journaux protestants, ou quand on s'occupe de distribuer la publicit pour l'ExposUion de Rome, on a droit des gards qui vont jusqu' l'amiti. Ce dernier trait est imprudent, sinon impudent, car la Libre Parole ne doit pas avoir oubli que ses propres colonnes, nagure, s'ouvraient largement cette publicit. Quant l'accusation prcite, c'est nousmmes qui sommes peut-tre imprudents de lui donner jour, exposs la suspicion d'une complicit galement coupable, puisque la Critique du Libralisme, comme la Correspondance de Rome, consacre exclusivement ses efforts lutter contre l'esprit moderniste et libral (1). Presqu' l'heure o paraissait cette inqualifiable diatribe, et la prcdant de deux jours, la Correspondance de Rome profitait d'un nouvel incident pour faire une mise au point plus complte, qui donne la vritable explication de cette campagne contre elle. Une coupure du Journal des Dbats, du 7 courant, nous apprend que cet autre journal libral annonait qu'un prtre allemand renvoy du diocse de Go<Logns3 est un collaborateur de notre bulletin. Notre dmenti formel (11 avril) visant la mme nouvelle donne par la Libre Parole, vaut naturellement pour les Dbats. ce propos il vaut la peine de documenter la bonne foi, vis--vis de nous, de cette presse librale qui se proclame catholique ou tout au moins veut passer pour trs srieuse, trs impartiale, trs honnte. 1. On a dj vu que la Libre Parole veut tout prix, sans crainte de paratre aussi absurde que venimeuse, compromettre Mgr Beiugm avec les libres-penseurs et les francs-maons". Elle crivait le 25 janvvier : Aux agapes qu'offre frquemment l'clectique prlat, les journalistes francs-maons sont, chose trange I les plus nombreux . La Correspondance de Rome rpond que le prlat n'a jamais donn d'agapes d'aucune sorte, ni lunch, ni dner. II est assez connu Rome pour que le fait soit vrifable.
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Un prtre allemand demeurant dans le diocse de Cologne, en est renvoy par la Curie diocsaine. 11 est le directeur propritaire d'une agence de nouvelles trs connue, et d'une revue apologtique fort rpandue. Il n'est point, et cela ni directement ni indirectement, rdacteur ou correspondant de notre bulletin. Mais supposons pour un moment que l'abb en question et t notre collaborateur. Cela aurait t bien secondaire si on compare avec la direction d'une agence de nouvelles et d'une revue apologtique, n'est-ce-pas ? De faon que voulant annoncer son renvoi, il tait tout naturel de dire : le directeur de l'Agence X, de la Revue 2 vient d'tre renvoy. Mais l'agence et l'apologtique laissent bien froids nos libraux; ils n'auraient pas pris la peine d'annoncer le renvoi du prtre. Seulement il leur passe par la tte (nous savons employer les euphmismes) que l'abb avait affaire avec nous... et ils bondissent l dessus! Et voyez avec quelle maestria les Basile savent conduire leur crescendo : Libre Parole, 6 avril : (manchette en majuscules grasses) : Le Cardinal Archevque de Cologne expulse le correspondant de l'Univers et de la Correspondance de Rome . Libre Parole, 7 avril : Nous avons publi hier... l'acte important du Cardinal de Cologne contre le correspondant de la Correspondance de Rome et de l'Univers . Notre bulletin passe au premier rang... Journal des Dbats, 7 avril : (manchette) Un rdacteur de la Correspondance de Rome expuls de Cologne. Un, deux, trois! l'Univers glisse de la premire la seconde place, iL disparat, il ne reste que la Correspondance de Rome! Si le prtre tait rellement notre correspondant, appuyer sur sa qualit non pas de directeur d'une agence et d'une revue, mais sur son rle bien secondaire de correspondant d'un bulletin, aurait t un jeu peu srieux, peu honnte, parce qu'il tend videmment faire croire que le prtre est chass en tant que notre correspondant, avec le but non moins vident de faire retomber moralement sur nous la mesure prise par la Curie de Cologne, Or, pour arriver ce rsultat, on a invent que l'abb renvoy tait notre collaborateur, et on Ta prsent comme correspondant de l'Univers et de la Correspondance de Rome, c'est--dire de la Correspondance de Rome et de l'Univers, pardon! de la Correspondance de Rome... Voil un petir. chantillon pris au hasard dans le tas de perfidies sous lesquelles nos honntes adversaires libraux comptent nous ensevelir. Ils ont rat leur coup, et leurs perfidies retombent sur eux; mais leurs intentions et leurs procds restent quand mme difiants. Si noua insistons sur ces misres, nos amis comprennent bien que notre but est tout fait objectif. Cette guerre inoue contre la Correspondance de Rome et toutes les personnes qui ont ou sont censes avoir des ielations avec elle, de la part non seulement des blocards, mais aussi et surtout ues libraux, modernistes et compagnie, cette guerre disons-nous a une signification bien plus importante, et surtout un vis plus haut que notre modeste bulletin ne le comporte* Quand un collaborateur du Journal des Dbats a publi contre La politique de Pi X un livre dont la moiti est contre le Pape et l'autre moiti est contre la Correspondance de Rome, il a donn la cl de cette haine contre n-cus, haine vraiment disproportionne pour notre uvre si modeste. On en veut mort la politique de Pie X ; et plus on aime passer pour un catholique, plus on croit fin de battre sur notre dos la politique papale. C'est pour cela que la presse biocarde s'en prend brutalement au Pape sans s'occuper ordinairement de nous. C'est pour cela que les libraux type
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Dbats s'en prennent moiti Lui, moiti nous. C'est pour cela que les catholiques libraux montent aux nues en parlant du Sant-Pre... pour retomber sur notre tte. Comparez les trois manuvres; leur gradation se rattache au mme point de vue fondamental. C'est cela qu'il faut relever travers les ruses des Basile contre nous;
ELLES SEMBLENT VISEB UN BULLETIN QUI N'EST BIEN, MAIS ELLES VISENT RELLEMENT UN PROGRAMME QUI EST TOUT.
Voil le vrai mot de la situation. Devant cela, devant cette polmique scandaleuse, comment taire, en terminant sur ce sujet, je ne puis malheureusement pas dire : la surprise, mais l'impression pnible que causent la rserve ou le mutisme observs par nos grands journaux de doctrine religieuse, l'Univers et la Croix, (sans parler des autres), qui se piquent cependant d'tre les plus dvous la dfense du Saint-Sige et de ses directions 1 L'un et l'autre se contentent cle citer des fragments de la feuille romaine, en laguant avec soin ce qui a trait cette polmique. L'Univers (19 avril), se borne une sorte de pro domo aussi ple que superflu, pour justifier sa sympathie et sa confiance l'gard de la Correspondance de Rome, et, quant au reste, il s'en tire en disant : Si notre confrre romain croit.ncessaire de rpondra, il est assez arm et on lui fait la partie assez belle pour qu'il n'ait pas besoin d'avocat. Cela dit, VUnivers s'en lave les mains. La Croix, elle, n'a souffl, ne souffle, ni ne soufflera mot. Mystre et discrtion. Ne parlons jamais de ce qui divise, mais travaillons sans relche l'union. Il fut un temps o la presse vraiment catholique comprenait autrement sa mission et son devoir de solidarit avec les autres adversaires du libralisme, chaque fois que celui-ci s'efforait d'garer l'opinion. Mais c'tait une poque o son venin n'avait pas encore infect, leur insu peut-tre mme, les membres du corps catholique qui passent pour les plus sains.
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L'article o la Correspondance de Rome dment toute espce de collaboiation de M. Kaufmann. contient aussi quelque chose l'adresse de M. l'abb Berthaud, cur de la paroisse Saint-Porchaire, Poitiers, propos de sa brochure dont cette revue a rendu compte le 1" avril. Un beau jour la Libre Parole vieux-style, publia un bel article d'Edouard Drumont : L'gout du monde . Paris est l'gout du monde, disait le patriote franais et le bon Parisien Drumont, car Paris est empest des canallcs du monde entier qui semble se donner rendez-vous dans notre grande ville. Rien de plus juste, rien de plus patriotique. La Correspondance de Rome relate dans sa rubrique Documents et aperus cet article de M. Drumont sans y ajouter un mot de commentaires. Un correspondant du Journal des Dbats dont la haine aveugle rentre notre bulletin lui mriterait une belle place dans la rdaction de la Libre Parole nouveau-style, publia.dans son journal une lettre venimeuse en nous accusant de discrditer la France et Paris que nous avions os nommer l'gout du mondo.
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Vu les liens troits qui lient un peu partout, mais surtout en France, le monde libral anti-catholique au monde catholique-libral, la- calomnie se rpandit vite parmi les catholiques-libraux do Paris et de la province, grce aux missaires, faux catholiques et vrais anti-romains, qui se font un devoir de calomnier les catholiques fidles au Pape, soit en les dnonant la presse blocardc comme mouchards de Rome, soit en les dnigrant dans les milieux catholiques o frquentent ces gogos qui croient, sur parois, tout le monde moins les honntes gens. Ainsi il y a en France tout un monde de braves gens qui croient que la Correspondance de Rome est un organe anti-franais qui a dnigr la villelumiro en l'appelant l'gout du monde. Voici, et tout frais, un beau cas . Un bravo cure franais gmit sur ce quo Ja crise religieuse en France devient pouvan'.abla. 11 vient de lancer une brochure pour pancher sa douleur, mais suri ont pour dire la cause principale du flau : c'est que tous les catholiques franais ne sont pas tolrants, libraux et rpublicains. Et il dplore cette source de tous les maux que sont les catholiques intransigeants qui voient des modernistes partout. . Avec cctlo mentalit-l pouvait-il, l'excellent cur, se dispenser do nous donner un coup, ft-il un coup d'pingle? Ohl que nenni! En effet nous lisons la page 96 de sa plaquette que notre buletin (non nomm mais dsign ne s'y pas tromper) a dclar que Paris tait le foyer de toutes les corruptions et de toutes les anarchies . Monsieur le cur trouve que c'est simplement monstrueux . Pas autant, Monsieur le Cur, que juger les catholiques romains sur les calomnies dos libraux, qu'ils se disent catholiques ou non. Le passago en question de la brochure ne manque d'ailleurs pas de saveur. Or, pour consolider l'ordre social, il faut commencer par mettre la base : la religion; il faut refaire la mentalit religieuse do la France. Sans doute le mal est grand; cependant il no faudrait pas, comme certaines feuilles publiques, l'exagrer outrance. Ainsi on lisait dernirement dans une feuille publique soi-disant trangre, que la France tait en pleine dcadence, et que Paris, sa capitale, tait le foyer de toutes les corruptions et de toutes les anarchies. C'est tout simplement monstrueux. Je ne puis croire que ce soient des Franais qui parlent ainsi de leur patrie; en tout cas, ce ne sont pas de vrais Franais. Pas franais, ce pauvre Drumont! Voil ce que c'est q*ue de ne pas tre optimiste la faon de M. Bcrthaud. Localement, sa brochure, largement rpandue, a fait couler un peu d'encro dans les journaux. Lui mme a saisi l'occasion d'y mler abondamment la sienne et leur a adress plusieurs lettres. Celles-ci, sans mriter de retenir beaucoup l'attention, achvent cependant de la peindre. On y voit qu'aujourd'hui encore, il tient pour sincre le discours d'apaisement prononc par M. Briand Prigueux comme l'ont reconnu les dputs catholiques les plus minents (??). 11 se flicite du rapprochement que nous avions fait entre les ides de M. l'abb Birot, et les siennes: Savez-vous bien que le cur de Sainte-Ccile est un des membres du clerg de France les plus distingus? Je suis trs flatt de la comparaison . M. Berthaud se rvle en effet plus
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proche de celui-ci que nous n'aurions cru quitable de le dire. 11 reste savoir si d'autres trouveront la ressemblance aussi avantageuse pour lui. Il ne craint mme pas de solidariser le pape Lon XIII avec lun novateur comme le cur de Sainte-Ccile, suivant la tactique de celuici et de tous ses pareils, dont notre revue a donn rcemment de nombreux et curieux exemples. M. Berthaud se dfend d'ailleurs, mais en termes ambigus, d'avoir vis les personnes que tout le monde a reconnues, pas plus sans doute qu'il n'a vis la Correspondance de Borne. Cela fait planer une lgre ombre sur le courage dont il se glorifie. Mais ce qu'il tient bien affirmer, c'est, qu'en faisant le procs de certains thologiens journalistes ou journalistes thologiens., sans penser particulirement aucun, tout le monde doit le croire, il n'a fait qu'exprimer avec une belle franchise l'opinion commune des catholiques. Enfin, si dans la dfense de l'Eglise ou de la religion, il y a des procds de dfense qui, de l'avis gnral, retenez bien ces mots jettent la dsunion parmi les catholiques, et, par consquent, sont nuisibles l'Eglise et la religion, est-il permis, oui ou non, quelle que soit d'ailleurs l'honorabilit des personnes, de censurer ces procds? . M. Berthaud nous permettra cependant d'excepter de cet avis gnral les quinze vques qui, rcemment, ont lou de son urtrre, "en termes si formels, un de ces crivains qu'il n'avait pas l'intention de mettre en cause. C'est ainsi que Mgr Gurard, vque de <Coutances, crivait olui-ci; Je veux aujourd'hui vous fliciter de la lutte que vous avez entreprise contre le libralisme. Quel mal nous a fait ce dplorable systme! C'est lui qui, en faussant les esprits, a branl les convictions et dbilit les nergies e t c . . . Ni cet vque, ni les autres, lecteurs de la Critique du Libralisme, n'ignoraient pourtant que M. l'abb Birot, auquel M. Berthaud se fait gloire d'tre associ, a t l'un des plus frquents points de mire de cette revue. Leur tmoignage paratra probablement entamer quelque peu ce rempart de l'opinion gnrale l'abri duquel M. Berthaud se sent si fort. Il a sur les loges qu'il affirme avoir reus l'avantage d'tre public. Le journal blocard et franc-maon de Poitiers n'a pas manqu d'apporter sa note c e concert, pour en achever l'harmonie, et il l'a donne bruyante. Pour lui aussi, Toauvre de M. Berthaud est toute louable. Il place d'ailleurs sans hsitation sur les i les points que l'auteur ne prvoyait pas qu'on y mettrait, et il nomme des personnes. Sa conclusion est celle-ci: C'est pour cela qu'encore une fois nous sommes heureux de dire ici combien la brochure de M. le cur de Saint-Porchaire, forte et courageuse, reste avant tout une uvre de bonne foi, une uvre ncessaire. Le clerg sculier n'a pas besoin de ces mentors sans responsabilit, thologiens de contrebande, sinon de ^pacotille. En bon sectaire, le journal blocard ne nglige pas l'occasion d'injurier les paroissiens de Saint-Porchaire, de chercher mettre en cause Mgr l'Evque de Poitiers, de diffamer le clerg et les sminaristes poitevins, en affirmant qu'ils supportent avec impatience le joug de l'autorit pontificale et sont infects de libralisme. M. Berthaud, loin
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d'tre gn des loges venus de ce ct, ne ddaigna point de s'y montrer sensible; il n'estima point manquer de dignit en rpondant dans les colonnes de cette feuille, et, le faisant, ne jugea pas davantage que ce ft au docteur s lettres de faire justice de ces attaques que Je cur de Saint-Porchaire n'aurait sans doute pas consenti laisser passer sans dfendre l'honneur des siens. Ce n'est pas seulement de M. l'abb Birot que notre cur se rapproche, c'est aussi de M. l'abb Lemire; et il est probable qu'il sera enchant de se voir plac entre les deux. Au reproche d'avoir accept ces loges, il rpliqua qu'il lui est bien permis de prendre son bien o il le trouve . Ce qui Veut dire clairement, qu'au jugement de M. Berthaud, les compliments des francs-maons ne sont pas moins agrables que d'autres. Et son bien lui suffit. Il crivait donc une lettre de remerciement au rdacteur anonyme, cach sous le nom avertisseur d'un des personnages de Rabelais, en l'appelant: Mon cher Picrochole . Il lui disait: Evidemment, c'est le lettr, le philosophe, que vous avez voulu louer; mais c'est aussi, ce que vous voulez bien appeler: ma franchise et mon courage. Ma franchise, Dieu merci! vous n'tes pas le seul la reconnatre; mon courage! tous mes amis, l'heure actuelle, m'en remercient; vraiment, c'est trop, car j'ai fait simplement mon devoir, et j'espre bien le faire toujours ainsi. Et la lettre se terminait ainsi: Voil, m o n cher Picrochole, tout ce que j'ai dire, du moins pour le moment, car j'espre bien avoir encore le plaisir de causer avec vous. Je ne vous dis donc pas: Adieu, m a i s : Au revoir, 5 avril 1 9 1 1 . A. B E R T H A U D , docteur s lettres. Et le rdacteur du journal franc-maon de rpondre par cette lettre dont il est croire que des Poitevins se seraient franchement amuss, s'ils avaient pu oublier qu'elle tait aux dpens d'un prtre respectable, ayant charge d'mes parmi eux. Il ne me dplat pas, Monsieur, de converser avec vous; bien au contraire, et votre au revoir m*est tout fait agrable. Si nos lettres n'ont ni la prcieuse lgance de celles de Voiture, ni la grce un peu artificieU de celles de Mme de Svign, tchons que le public leur trouve cependant quelque saveur. Vous me remerciez d'avoir reconnu votre franchise et votre courage. Il m'et fallu toute une couche d'anticlricalisme bta de table d'hte ou une paisseur de crne de Chimpanz pour ne pas voir en vous ces deux qualits. Votre grande voix o l'on retrouve comme un cho de la dignit fire d'un Rossuet, de la juste svrit d'un Bourdaloue, voire de la joliesse orne d'un Flchier, est la synthse de mille plaintes parses dans le clerg de France. La Sparation, avez-vous dit, en vous privant de votre rang de fonctionnaire dans les crmonies publiques, non moins rehausses par l'clat de vos souliers boucles d'argent que par le cliquetis des sabres, Le rouge garance des uniformes et les ors des kpis, voire les palmes acadmiques, la Sparation a ddor vos chasubles et dlustr vos tales. Elle a fait pire encore : elle a abandonn le petit prtre de campagne pieds t poings lis la merci de Tvque et du chtelain. Et en cela la Sparation a t profondment antidmocratique. AIor.3 que la voix de ces humbles curs de village et de ces tremblants sminaristes se tait endolorie, car ils souffrent de la tutelle crasante des thologien? de contrebande et des Eminonces grises, vous vous tes dress, vous,
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plus indpendant par votre caractre, par votre talent, par votre titre universitaire de docteur s lettres, par votre situation, par votre .temprament enfin, et, vous inspirant du mot de Senque Amicus Pato... l'heureux leit-motive de vos crits, vous avez dit bien haut, en un style qui a tout le ramass de Tacite et tout le nerf de Saint-Simon, ce qu'eux, les modestes, ne peuvent dire que tout bas. Aussi devez-vous entendre l'cho de leurs, bravos quelque apeurs qu'ils soient. Encore un coup votre livre est un beau geste, une bonne action. Vous vous dfondrez d'avoir constajt le dcLin de la foi dans votre glise tle Saint-Porchaire. Vous tes un bon pasteur et ne voulez pas mdire de votre troupeau. Vous faites bien... Et puis vos fidles ne viennent-ils pas se grouper autour de votre chaire pour savourer la substance de votre doctrine, la forme littraire de vos instructions, la distinction de votre parole, la varit de vos citations classiques?... Enfin, M. 1 cur, vous me laissez entrevoir le plaisir de causer quelquefois avec moi. J'en suis par avance ravi. Mais si vous causez ainsi un vil rpublicain, si surtout vous crivez des brochures aussi hautes en couleur, toutes de franchise, filant droit et vite vers le but, comme des flches, laissez-moi vous dire tout bas, l'oreille ce qu'on dit dans les journaux ne s'entend pas Tu non Marcellus erit, ce que nous traduisons en bons latinistes : M. Vabb Berthaud, vous ne serez .jamais vquel
PlCROCHOLE.
P. S. Vous savez, le mehr licht, plus de lumire 1 de Goethe, c'est une blague . Goethe n'a jamais dit cela (1). C'est comme le tirez le rideau, la farce est joue , de Rabelais sa mort. Mots invents aprs coup. Mais ils s'ont jolis; il les faut conserver comme les ptales d'une rose aime ou une rcLique. M. Berthaud n'ayant pas rpliqu son cher Picrochole, on peut croire qu'il a senti le persiflage et esprer qu'il en tirera la leon.
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Il est entendu qu'on ne doit parler de l'attitude de M. Marc Sangnier et des sillonnistcs en prsence de la condamnation doctrinale qui les a frapps qu'avec l'admiration due au plus hroque exemple d'humble et parfaite soumission. L'ancien chef du Sillon, dont l'humilit n'a point' dtruit l'extrme habilet se faire valoir, ne manque pas une occasion d'en appeler la loyaut de cette attitude pour s'en faire un-titre , la confiance de tout le monde. Est-ce donc par distraction qu'en ce moment le journal de M. Sangnier fait une rclame quotidienne ceux de ses crits o sont exposes dans les termes les plus explicites les thories sociales que l'autorit infaillible du chef de l'Eglise a frappes avec tant d'clat? Ce sont, par exemple, ses deux volumes de discours, qui contiennent eux seuls l'expos complet du systme; son ouvrage Y Esprit dmocratique, qui l'avait dj formul; son drame Par la mort, qui suinte la haine des patrons, le faux humanitarisme et l'illuminisme mystique; la Vie profonde, recueil de fictions pleines d'imaginations malsaines et de 1. M. Berthaud, trouvant nos critiques orageuses et obscures, leur avait appliqu ce mot.
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peintures lascives, o un idalisme morbide couvre un rotisme macabre; Y Avenir de la Dmocratie (discours de 1903), etc., e t c . Toute la librairie du Sillon est aujourd'hui propose la clientle sous le nom de Librairie de la Dmocratie . Nous n'avions pas attendu cette nouvelle preuve pour dire que le journal la Dmocratie serait l continuation, sous un nom diffrent, de l'uvre condamne du Sillon. Mais qu'on nous dispense d'admirer plus qu'il ne convient l'entire soumission des sillonnistes et leur parfaite loyaut. E. B.
CHEZ L E S RENGATS E T LES APOSTATS
La haine contre l'Eglise se fait plus violente que jamais. Des journaux qui se piquent d'intellectualisme et de respect pour les croyances, de loyaut dans le choix des armes, salissent aujourd'hui sans rougir leurs colonnes des plus ineptes et abominables calomnies qu'on laissait autrefois dans le mpris dont elles sont dignes. Le journal de M. P. H. Loyson, les 'Droits de VHomme, reproduisait ces jours derniers une nouvelle donne par certaines feuilles italiennes. Il intitule cette salet Le secret de la confession : Au mois de dcembre, nous disions que Pie X a donn l'ordre aux prtres qui confesseraient des francs-maons, de leur demander s'il y aurait des prtres affilis leur socit et de les forcer rvler leurs noms, qui devraient tre transmis qui de droit. Et nous prenions l, sur le vif, la manire dont l'Eglise entend le fameux secret de la confession. On vient d'avoir, de ce fait, une nouvelle illustration. L'an dernier, un jeune prtre romain, M. Gustave Verdesi, tourment dans ses croyances et pris de scrupules, s'accusa on confession, au pre Bricarclli, de la Compagnie de Jsus, d'avoir frquent un groupe de prLrcs modernistes. Le jsuite courut conter au pape cette importante nouvelle. Pie X lui ordonna aussitt de commander son pnitent, sous peine de pch mortel et en le liant par le secret du Saint-Office, de rvler le nom de ces prtres modernistes et d'crire, dans un mmoire, les propos qu'ils avaient tenus, les relations qu'ils pouvaient avoir, et, en gnral, tout ce qui pouvait servir les confondre M. Verdesi obit. Il crivit tout ce qu'il croyait savoir sur ses anciens amis. Et ce mmoire servit de base plusieurs procs canoniques devant l'Inquisition. Malheureusement pour le pape, les arguties du pre Bricalleri n'ont pas russi sauver les croyances catholiques de M. Verdesi, et, celui-ci, le 3 avril dernier, a donn sa dmission de prtre et s'est ralli au protestantisme. Il a racont la violence morale qu'on lui (avait faite en l'obligeant dnoncer ses anciens amis et, comirfe il a t l'un des secrtaires de Mgr Benigni pour la Correspondance Romaine (1), il a racont aussi des choses inlrcssantes sur In ' 1. Encore, une heureuse aubaine pour les ennemis do Mgr Bonign, dont il faut savoir profiter. La Libert de Fribourg (18 avril) donne quelques prcisions sur le cas Verdesi. En ce qui concerne ce fait, les titres de Vcrdesr commo personnage militant de l'antimodernisme se bornent un passage de trois mois dans les bureaux de la Correspondance de Rome dans les modestes fonctions du classement des dcoupures de journaux . N'importe, le voil secrtaire et presque collgue de Mgr Benigni. Cela rnppello res deux anciens amis qui se retrouvent un jour. Que fais-tu? Je suis dan.3 la pressa. Tiens 1 et moi aussi. Quelles sont tes occupations? Je collabore. Et moi, je colle la bande.
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LA CRITIQUE OU LIBRALISME
RELIGIEUX, POLITIQUE,
SOCIAL
manire dont la curie comprend et pratique le journalisme, pour la plus grande gloire de l'Eglise. Cherchez la femme , l'explication de l'apostasie sera plus simple. Le Courrier d'Italie crit: Ce prtre dpouillait frquemment la soutane pour aller dans les thtres et il entrait dans le foyer des danseuses et des chanteuses. Il est naturel qu'il se trouve mieux et plus libre chez des mthodistes . Le Journal d'Italie dit : Verdesi aimait et aime encore une jeune fille qu'il pousera bientt. De cette passion est n le dgot pour la corruption des prtres, pour la violation du secret sacramentel, de l enfin son abjuration de l'erreur et sa conversion la lumire. Cherchez la femm'e, c'est la vieille maxime qui vaut e n beaucoup de cas, celui d'aujourd'hui le dmontre . Voil le pourquoi des pourquoi. C'est autre chose que la violation du secret de la confession. La feuille de Verdesi dplore dans une lettre publique, touchante et fort digne, l'observation et l'apostasie de ce malheureux.
En France, les prtres apostats, groups en diffrentes uvres, soutenues par des souscriptions publiques qu'alimentent les ennemis" de l'Eglise, dploient un zle internai pour provoquer les apostasies dans le clerg et pour tuer la religion dans le peuple. A Paris, ils ont donn l'an dernier, dans un dos quartiers populaires, ce qu'ils appellent une mission volante , srie de confrences publiques o ils se livrrent toutes les violences contre Jsus-Christ, l'Eglise catholique et ses institutions. Le mme effort se renouvelle cette anne. .Voici le programme de cette nouvelle campagne qu'ils font distribuer de tous cts. A la Salle Cambou, 37, Rue de l'Ouest, et l, Rue du Texel. TROIS QONFRENCES. Par trois Anciens Prtres. Les 8, 9 et 10 avril 1911, 9 heures du soir. Samedi 8 avril : La valeur sociale du Christianisme, par Pierre D A B R Y , ancien directeur de la Vie Catholique, fondateur de la France rpublicaine. Dimanche 9 avril : Le Christianisme devant la Raison, par Robert MAUDUIT, ancien Professeur de collges ecclsiastiques, Licenci s Lettres et en philosophie, correcteur d'imprimerie. Lundi 10 avril : Les Religions d'aujourd'hui et la Religion de demain, par Lon R E V O Y R E , ancien prdicateur rdemptoriste, directeur-fondateur du Chrtien libre. Ces confrences seront encadres de chants de circonstance, soli et churs, excuts par les membres de la Fraternit des Chrtiens Libres et Unis, qui- a son sige dans un des locaux du journal le Chrtien libre, 57, rue de Vanves. Le piano sera tenu par Mme Tagliani-Lagrange, 1<* prix du Conservatoire. Pour le Comit organisateur, Lon R E V O Y R E , Pierre D A B R Y , Robert M A U D U I T .
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Voici, titre d'indication, la liste des chants, tous excuts par des membres de la Fraternit ou des anciens prtres : Samedi 8 avril, pour la confrence aux SOCIALISTES, les Dernires paroles du Christ, de E. Faidey, solo par V. P. Le Nol des Gueux, de rald Vagues, chur et solo par M. Enrico Zerbini. Dimanche 9 avril, jour des Rameaux, pour la confrence aux LIBRES-PENSEURS, les Rameaux, de Faure, solo par M. E. Zerbini, basse chantante du Trocadro. Le Credo du paysan, de G. Goublier, chur et solo par M. Enrico Zerbini. Le lundi 10 avril, pour la confrence aux... DSERTEURS DES GLISES, Toi qui marchais pieds nus, de A. Flament, solo par V. P. La Charit, de Rossini, chur et solo par Mme Tagliani-Lagrange.
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Cueilli dans le Chrtien libre, journal de ces prtres apostats (6 avril 1911). Notre excellent confrre, le Bulletin de la semaine a convi la semaine dernire une lite de prtres, de catholiques, d'hommes politiques, de savants, une rception organise dans ses bureaux pour fter l'entre l'Acadmie franaise de l'minent directeur de l'cole de Rome. Suit le compte-rendu de la runion que nos lecteurs connaissent dj. Le Bulletin de la semaine protestera lgitimement contre l'injure qui lui est faite, et nous nous associerons lui. N'empche que la Critique du Libralisme, sans parler d'autres organes catholiques, n'y et pas t expose. A quoi tient-il ?
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On lit dans le numro des Droits de VHomme cit plus haut la communication suivante, accompagn d'une brve rflexion: L'Association Nationale des Libres Penseurs de France n'a jamais manqu de clbrer l'occasion du Vendredi dit Saint, la commmoration de toutes les victimes des fanatismes et de l'intolrance religieuse. Le banquet auquel elle convie ses membres est moins une protestation contre les pratiques catholiques de plus en plus dlaisses, qu'une affirmation du souvenir fidle du culte que nous vouons aux grands hommes morts pour la libert de conscience, travers tous les sicles. Enfin ils ont compris : ils clbrent le Vendredi saint, la mmoire de Jsus, mort victime de l'intolrance religieuse, en dfenseur de la libert de conscience. Bravo' le tout tait de s'entendre. Ce journal intitule le morceau : Comme on se retrouve ! Il a bien raison: Libres-croyants et libres-penseurs ne font qu'un.
L E C O N G R S D E L ' A C T I O N P O P U L A I R E .
L'Action populaire, dont le centre est Reims et s'est donne pour tche de crer une sorte de Volksverein franais, vient de tenir Paris
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un congrs gnral, o se sont runis les reprsentants de ceux qu'on appelle les catholiques sociaux. On y a d'abord discut les principes et la mthode de l'action sociale catholique. Nos journaux religieux, VUnivers, la Croix, la Libre Parole ont fait de3 comptes rendus de cette premire discussion qu'il est curieux de comparer, pour voir comment l'un ou l'autre cuisine, c'est le mot, LA matire son got et cuisine l'esprit de ses lecteurs. Celui de la Libre Parole, ce journal si dvou toutes les directions du Saint-Sige, et rdig, comme on le sait, par d'anciens dirigeants de l'A. C. J. F., est un rare modle d'amphigouri, qui cache mal Je souci d'attnuer l'adhsion formelle donne oes directions par les chefs du congrs; il ne devient clair que pour exprimer des erreurs. Mais il a le mrite de ne pas laisser dans l'ombre, comme ses confrres, l'opposition faite par certains sociologues chrtiens, mme prtres, aux volonts les plus manifestes du Chef de l'Eglise. C'est d'autant plus suggestif que la Libre Parole (ancien Peuple Franais) se pique d'tre minemment un organe du catholicisme social. Il ne manquera pas de catholiques pour trouver que nou3 avons tort d'insister sur ce qu'ils regardent comme de menus faits, et nous reprocher de provoquer ainsi la dsunion. Ce sont de braves gens qui aiment mieux ne pas savoir. Cela trouble leur paix et leur rve bat d'union assise, non plus sur le ferme terrain des principes catholiques, mais sur un amas de nues. D'autres, heureusement, cherchent l'explication et le remde d'un branlement des esprits qui se rvle de jour en jour plus profond. Ce sont eux que nous croyons intresser. C'est une justice rendre M. l'abb Desbuquois, directeur de Y Action populaire, et ses principaux assesseurs, qu'ils ont franchement affirm les principes de l'action sociale catholique poss par Lon XIII et par Pie X. On en jugera par l'intressante analyse de YUnivers dont nous citons la partie principale. M. l'abb Desbuquois parle ensuite de la loi du travail. Il dfinit son caractre, conomique, moral, religieux, son universalit, son importance. Etant donne la place minente donne par Dieu au travail, l'Eglise ne peut se dsintresser du problme social. Les masses populaires ont les mmes besoins et tendent au mme but. Il est ncessaire que les catholiques suscitent un mouvement doctrinal et une action intense pour l'organisation chrtienne du travail. Mais comment faire? Les groupements seront-ils composs de catholiques? C'est un fait que le corps social, l'Etat est neutre. A l'image de l'Etat moderne, faut-il organiser des groupements neutres? Ou bien devons-nous, catholiques, former des groupements de doctrine catholique? Le plan divin veut que le travail soit surnaturalis. Il faut donc suivre cet ordre. Il vaut mieux grouper les forces catholiques sans les disperser dans la
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masse. Il est dans l'ordre que les groupements sociaux, comme les individus, soient catholiques. Ceci n'aura-L-il pas pour effet d'isoler les catholiques, de les parquer en champ clos? Non! Il ne s'agit de renoncer ni l'apostolat, ni la conqute; cette concentration n'exige pas le renoncemeint. Elle permet de pntrer en rangs serrs, groups et forts, dans le monde du travail. Les grosses units de combat sont prfrables aux dploiements de tirailleurs. D'autre part, le Pape nous demande de donner l'esprit catholique aux institutions sociales. La question de visibilit catholique n'est pas tranche uniformment. L'affirmation de l'tiquette n'est pas partout la mme. Mais l'ordre gnral est dfini, tranch. M. l'abb Desbuquois rpond aux griefs, aux scrupules de certains au sujet de l'affirmation confessionnelle. Votre action est-elle bien dsintresse ? dit-on. Une distinction s'impose ici. Le but Immdiat de l'action sociale est d'organiser 1G travail; le but dernier est la fin surnaturelle de l'homme. L'ordre divin immuable, par'consquent, tel doit tre l'ordre de nos intentions. Vis--vis mme de l'incroyant, il n'y a aucun embarras quand il est loyal. Nous faisons aussi bien et mieux que ce que font les incroyants au point de vue matriel. Ils ne peuvent nous en vouloir d'aIXer plus loin, d'tendre notre action au-del des rsultats sensibles. N'hsitons donc pas proclamer avec fiert que nous avons en vue le bien des mes. Le terme de nos intentions, c'est L'ternit. Pour que l'action sociale soit catholique, il faut que les catholiques soient rsolument sociaux. Sinon, comment la rendre catholique? En tant social, d'ailleurs, le catholique ne fait que l'tre intgralement. Car le catholicisme bien compris inclut l'action sociale. Une discussion srieuse, c'est--dire mthodique et courtoise, s'tablit sur ce terrain des uvres professionnelles et confessionnelles. M. l'abb Plantier rpond aux objections prvues et connues de tous que l'affirmation catholique est une question de dosage, de doigt, de prudence, tout en maintenant que nous devons faire valoir nos principes sauveurs. Le directeur de YAction populaire rsume les dbats et conclut, encore une fois, que l'ordre voulu par Dieu et que la doctrine de l'Eglise exigent une action sociale' nettement catholique, sans exclure la prudence et le discernement. En pratique, la rgie ne perdra point de sa rigueur s'harmoniser avec les circonstances. Scus une forme plus brve, la Croix donne un rsum exactement semblable celui de YUnivers. Ecoutons maintenant la Libre Parole. C'est devant une trs nombreuse assistance que M. Desbuquois explique comment on conoit l'action sociale catholique dans l'uvre qu'il dirige. On s'y inspire des documents pontificaux, et notamment de l'Encyclique Berum Novarum. A prendre l'ensemble des directions pontificales, il apparat bien que l'affirmation catholique est ncessaire. Toutefois, cott* rgle gnrale ne rsout
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pas les questions d'espce. Le catholicisme bien compris inclut d'ailleurs l'action sociale. Ce point de l'expos de M. Desbuquois a suscit une longue discussion. M. l'abb Violet remarque combien la situation est complexe pour nous catholiques soumis et pratiquants obligs de vivre dans une socit civile qui spare nettement le temporel du spirituel. On tombe d'accord sur cette formule de M. Plantier; d'un ct, les questions notoirement professionnelles; de l'autre, les questions notoirement religieuses. Les uvres annexes seront utilises pour la formation morale et religieuse. Il est difficile d'tre plus anodin et plus embrouill. Retrouvezvous l la mme pense que dans l'Univers? Je ne sais si l'on est tomb d'accord sur la solution attribue ici M. l'abb Plantier. Ce serait d'autant plus remarquable, qu'ainsi propose, elle a l'air d'un rbus, moins de signifier que les questions professionnelles sont spares des questions religieuses. Nous sommes fermement persuads que M. l'abb Plantier s'est prononc dans un sens tout oppos. M. l'abb Viollet, dont on mentionne l'intervention, s'tait fait, nos lecteurs s'en souviennent peut-tre, l'aptre ardent de la non-confessionnalit des uvres et mme de la neutralisation de celles qui ont le caractre spcial d'oeuvres de charit (1). La question qu'il pose ici, discute dans la runion suivante, est une objection sans valeur centre les directions du Saint-Sige en cette matire. La lgislation, ou plutt la jurisprudence biocarde a frapp de nullit en certains cas les clauses religieuses introduites dans les statuts des syndicats, et reconnu mme un droit d'indemnit aux membres exclus pour refus de les observer. Mais, supposer qu'il faille en consquence viter de donner l'organisation lgale de nos associations une forme religieuse, en quoi cela empcherait-il les directeurs de ces oeuvres de proclamer avec fiert, comme le dit excellemment M. Desbuquois, qu'ils ont e n vue le bien des mes et de demander leurs adhrents une profession de catholicisme? S'ils prenaient franchement cette attitude, les insincrits ou les dfections invitables de quelques-uns d e ceux-ci ne seraient nullement un obstacle srieux. Il semble, d'aprs les comptes rendus, qu'on n'ait pas assez insist sur cette observation, la suite du rapport o M. Hachin a examin le point de savoir si le caractre catholique des uvres sociales est compatible avec la loi franaise. Revenons la Libre Parole, sur un autre rapport.
M. Rigaux (2), de l'Action populaire, explique pourquoi l'action sociale s'impose nous. 11 rappelle trs opportunment la mthode des missionnaires, qui commenaient par prcher les bienfaits de la civilisation et enseignaient l'art do construire des cits avant de parler religion. L'action sociale nous est 11 Voir notre' numro du 15 novembre 1908 : Vers l neutralisation des uvres catholiques de charit. 2. M. Rigaux est M. l'abb Rigaux, comme M. Desbuquois est M. l'abb Desbuquois, et ainsi de plusieurs autres. Je ne sais si cela fait trop de clricaux pour le publier dans la Libre Parole.
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impose par les Papes, par Lon XIII dont on connat les encycliques, et par Pie X, qui voudrait voir les prtres connatre les choses professionnelles aussi bien que leur thologie et qui les syndicats paraissent de La plus grande opportunit. Y a-t-il donc une nouvelle religion pour tout encercler dans les questions sociales? demande un auditeur. Non! la religion est la mme, rpond M. Rigaux. Mais les modalits de son action varient. La situation conomique nouvelle cre de nouvelles applications des mmes principes immuables et ternels. Ici encore je prfre croire que la physionomie du discours est inexactement reproduite et prends la libert de ne voir qu'un clich libral, fort ms pour avoir trop servi, dans cette application, que le rdacteur trouve trs opportune, des mthodes du christianisme en prsence d'une socit paenne notre socit actuelle, o, grce Dieu, 1 catholicisme demeure, en dpit de notre dcadence, une organisation complte ayant de fortes et profondes racines au cur du pays. Il n'y a pas de tactique moins heureuse, ni plus* lche, si l'on me permet l'nergie de ce mot, que d'en faire spontanment table rase. (Mais elle padre parfaitement avec l'envie de se drober au devoir de l'affirmation catholique. C'est au fond le contre-pied des directions pontificales. Il est encore plus trange d'entendre la Libre Parole faire dire M. l'abb Rigaux que Pie X voudrait voir les prtres connatre les choses professionnelles aussi bien que la thologie, ce qui n'est pas loin de signifier qu'elles doivent avoir pour eux une mme importance! C'est hier, pourtant, la fin de sa magnifique Lettre sur le Sillon, que Pie X disait aux vques : A cette fin (de prendre part l'organisation sociale) tandis que vos prtres se livreront avec ardeur au travail de la sanctification des mes, de la dfense de l'Eglise, aux uvres de charit proprement dite, vous e n choisirez quelques-uns, actifs et d'esprit pondr, munis des grades de docteurs en philosophie et en thologie, et possdant parfaitement l'histoire de la civilisation antique et moderne, et vous les appliquerez aux tudes moins leves et pratiques d e s sciences sociales, poux les mettre, en temps opportun, la tte de vos uvres d'action sociale catholique . Le Pape pouvaitil marquer plus clairement, aprs ses prdcesseurs, quelle est la vraie mission du prtre, l'importance trs secondaire des uvres sociales dans sa vocation, et la volont d'arrter ce prurit-d'action sociale qui poussait une quantit d'ecclsiastiques dmocrates dlaisser ses occupations sacres pour se mler de questions sociales qu'ils connaissaient aussi mal que leur thologie (1). 1. Sans rapporter plusieurs autres textes, Pie X avait dj dit prcdemment: Et, pendant que nous montrons tous la ligne de conduite que doit suivre l'action sociale catholique, Nous ne pouvons dissimuler, Nos trs chers Frres, le srieux pril auquel La condition des temps expose aujourd'hui- le clerg : c'est de donner une excessive importance aux intrts matriels du peuple, en ngligeant les intrts bien plus graves de son ministre sacr , (Voir notre numro du 1er dcembre 1909 : Abbs sociaux, Semaines B O ciales, e t c . . ).
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LV C K 1 T I U E
sur
Avec beaucoup d'humour et de finesse, M. Leroy parle de L'ducation du sens social. Ds l'ge de raison, l'enfant est susceptible de l'acqurir. La famille et l'cole doivent y concourir. M. Couget souligne trs heureusement le rle des instituteurs et des directeurs de patronages pour insister davantage sur la ncessit et l'influence artueliles de la formation sociale du clerg. Une communication de M. l'abb Tronson, empreinte d'un certain individualisme peu en honneur dans les milieux catholiques sociaux, provoque un .peu d'tonn ment. Visiblement, le Congrs veut distinguer entre la famille, cellule sociale, et. la profession, autre socit naturelle dont L syndicat est l'instrue ment de dfense. L'une et l'autre doivent tre dfendues. Ne se compltent-elles d'ailleurs pas? L'enfant bien lev dans la famille ne fera-t-il pas le bon syndiqu? L'Univers nous donnera l'explication de ce logogriphe :
M. le chanoine Couget pense, lui aussi, que le sens social n'est pas inn. La famille, les instituteurs, les professeurs, les directeurs de patronage ont le droit de le donner. Mais personne ne peut donner que ce qu'il a. Et si ceux qui sont une mission educatrice n'ont pas le sens social, comment pourraient-ils le donner? Il faut donc, notamment, que les ecclsiastiques acquirent ce sens ncessaire. ILs doivent, sans doute, cultiver d'abord les sentiments chrtiens; mais ils ne doivent pas ngliger d'armer les enfants et les jeunes gens contre les difficults de la vie. C'e.-*t donc une ncessit pour le prtre de connatre le milieu social dans lequel il vit. Lo clerg a certainement des proccupations sociales; mais il n'est pas form pour les lucider. Si tous les ducateurs donnaient le sens social aprs l'avoir acquis, nous pourrions esprer cet ordre social chrtien que nous dsirons tous. La conclusion logique de tout cela et t un v u demandant qu'on ne soit plus autoris enseigner l'orthographe et l'arithmtique aux enfants sans tre pourvu d'un brevet de pdagogie sociale. L'utopie en matire d'ducation est toujours dangereuse. Les distingus orateurs n'en paraissent pas exempts. L'affinit est sensible entre ces thories exagres et celles des dmocrates chrtiens. On y retrouve la trace des anciens rapports de l'un ou de l'autre avec le Sillon. Faudra-t-il donc que l'enfant suce avec le biberon l'amour du syndicalisme? Il nous souvient d'un article de Mme Henriette Jean Bruhnes sur le rle social de l'enfant dans YEveil dmocratique, analys par nous (15 octobre 1908), o elle expliquait qu'il faut entreprendre la formation. dmocratique ds le berceau . Pauvres petits ! Aujourd'hui on parat accorder qu'elle soit recule jusqu' l'heure o se forme la raison. Mais, ds ce moment, plus de remise. L'Eglise educatrice n'avait pas attendu l'apparition des catholiques sociaux pour inculquer l'enfance les principes du sens social. Est-ce qu'on appre-
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naii le sens social avec l'alphabet aux petits enfants sous l'ancien rgime, o la vie professionnelle tait cependant si intense? Sans mconnatre aucunement que les conditions nouvelles de la socit demandent des soins spciaux de la part des instituteurs de la jeunesse ce point de vue, nous estimons que cette insistance outre dcle une illusion et une erreur e n matire d'ducation. On suppose que les efforts faits pour inculquer le sens social la jeunesse des coles dtermineront l'orientation de son activit future. L'ducation donne des principes, c'est son objet, son but; mais l'homme se forme plus tard, parfois au rebours de toutes, les prvisions faites d'aprs les dispositions de l'enfant. On peut lui inculquer pour la vie le sens grammatical. Mais le sens social? Que fait-il, trop souvent, des principes qu'on lui a donns e n littrature, en histoire, en sciences, en religion? Il y a beaucoup rabattre des esprances fondes par certaine cole sur l'ducation sociale de l'enfant et de l'importance qu'on y attache. Oporiet sapere ad sobrietatem.
M. J E A N G U I R A U D E T L E P.
LECANUET.
De YAmi du Clerg (20 avril 1911) cette forte page propos de l'Histoire de l'Eglise sous l a Troisime Rpublique, et des comptes rendus de M. Jean Guiraud. M. Jean Guiraud [Revue des Questions Historiqites, janvier 1911) tudie le t. II du P. Lecanuet (voir Ami, 1910, p. 993) : Belle uvre... largeur d'esprit... tendances gnreuses et tolrantes... l'honneur de? catholiques... Sincrit dont certains lui' ont fait un crime le crime de libralisme ... Malgr la lettre logieuse de l'vque de Nice, le nihit obstat et Yimprimatnr dlivrs par la Curie archipiscopale de Paris, les chercheurs d'hrsie ont accus le P. Lecanuet; et de celle qui est, leurs yeux, la plus grave, l'hrsie du libralisme. Nous ne prtendons pas dlivrer un brevet d'orthodoxie l'auteur : cela regarde l'Ordinaire, et l'Ordinaire a laiss passer le livre, apparemment parce qu'il ne l'a Irouv ni hrtique, ni dangereux, ni tmraire... Le R. P. LecanueL s'est fait depuis longtemps un nom parmi les historiens, par ses magnifiques tudes sur Montalembert et Berryer; prtre de l'Oratoire, il appartient cette ligne de nobles esprits : Lacordaire, Montalembert, Dupanloup, Gratry et le cardinal Ferratid, qui ont cherch, par la tolrance el la charit, faire rgner la paix parmi les hommes de bonne volont... M. Guiraud, quand parut le tome I du P. Lecanuet (1), fut, dans les revues catholiques, peu prs le seul, avec M. Turmel (de la Revue du Clerg franais), couvrir de fleurs ce mauvais iivre, qui avait 1. Voir l'analyse de ce volume par M. Paul Tailliez, dans nos numros des 15 juin et 15 aot 1909; celle du second, par le mme, 15 juillet 1910 et, dans le mme fascicule : Une page d'histoire : l'Esprit nouveau . Voir aussi (15 fvrier 1909), l'article de M. Hyrvoix de Landosle sur le compterendu du Lamennais de M. l'abb Boutard, prsent par M. Jean Guiraud, et, la fin du mme numro : Encore Lamennais .
Critique du libralisme. Mai 4
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POLITIQUE, SOCIAL
provoqu les plus svres rserves des Etudes (des Jsuites), du Bulletin de Toulouse (alors sous la direction de Mgr Batiffol), de la Revue Augustinienne (les chercheurs d'hrsies taient en aonne compagnie!). Il tient nous faire savoir qu'il n'a pas chang d'avis. Nous sommes surpris seulement de l'entendre clamer la chose si bruyamment. Lors de l'apparition du tome I , il avait dvers sa pense dans la Revue pratique d'Apologtique. Cette fois il a estim sans doute qu' cette Revue on s'inquiterait d'une rcidive; et c'est la Revue des Questions Historiques qu'il adresse sa prose. Il en est, depuis deux ans, co-directeur. Nous le regrettons pour cette Revue qui, par ailleurs et depuis quarante-cinq ans qu'elle existe, a si bien mrit de la cause catholique. Nous avons regrett, ds le dbut de sa co-direction, qu'il appelle y collaborer avec lui un protestant sectaire comme M. Deadevises du Dzert; et c'est ce protestant qu'il continue confier le soin de nou3 parler des choses d'Espagne, le soin de nous apprendre [Revue des Questions Historiques, juillet 1910, p. 227) que le paysan espagnol tait plus heureux, plus actif, plus industrieux au temps de la domination musulmane qu'aujourd'hui, parce cru'aujourd'hui il n'est pas libre, (c'est une vue historique que M. Desdevises du Dzcrt a dveloppe ailleurs : que la chute de la domination musulmane a marqu un recul pour l'Espagne : on reconnat l le protestant, et l'on y pourrait reconnatre aussi le catholique libral la Montalembert, le Montalembert qui a crit sur l'Espagne des pages si tristement fameuses). Nous regretterions plus encore qu'il se mt faire de cette Revue le porte-voix, ou mieux la complice de son libralisme (puisque le libralisme n'a pas cess d'tre un pch, en dpit des ironies de M. Guiraud). Nous ne relevons pas le sophisme qui prtend soustraire la critique tout crit muni de YImprimatur. Lui-mme l'a laiss tomber do sa plume, ab irato sans doute, et sans y croire. Assigner au P. Lecanuet un nom parmi les historiens n'est pas srieux non plus : ce sont de ces mots, de complaisance que l'on peut se permettre dans des feuilles plus modestes et dpourvues de toute vise critique, mais non pas la Revue des Questions Historiques. La ligne de nobles esprits dont on nous parle, a t glorieuse par un de ses cts, et malfaisante par un autre, savoir, par l'erreur librale dont ils ont t les vulgarisateurs. Le malheur est que c'est surtout cette erreur librale que s'attachent ceux qui s'instituent aujourd'hui leurs pangyristes. C'est un malheur pour l'Eglise, et c'est un malheur pour la gloire de ces grands hommes : on en a eu la preuve il n'y a pas longtemps encore, lors de l'chec du centenaire de Montalembert, la suite de ngociations et d'intrigues dont il pourra tre difiant un peu plus tard de faire l'histoire dtaille. Prsenter Dupanloup comme artisan de paix passe les bornes de l'honnte plaisanterie. Le cardinal Perraud vieilli tait bien revenu de ses illusions d'un autre ge, et n'et certes pas t flatt du trait malheureux que le P. Lecanuet rapporte de lui sous la date de 1873 (p. 411). Faire d e nous, hommes d'Eglise, des aptres de la tolrance, comme M. Guiraud le fait par deux fois dans cet article, ne nous sourit point du tout :
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ce mot de tolrance a des origines trop malsaines et sonne trop mal dans la langue de l'Eglise non moins que dans la langue de nos ennemis, pour que nous puissions tre fiers de nous en parer. Il y a, en M. Guiraud, deux hommes : l'historien, qui, quand la dfense de l'Eglise l'appelle, met admirablement en valeur apologtique sa science historique; et le libral. De ces deux hommes nous avons lou le premier souvent, sincrement, ardemment. Du second nous nous sparerons toujours. Il y eut deux hommes aussi en MonLaJemberl et dans la plupart des nobles esprits dont on voquait tout l'heure la ligne; et, tant que l'erreur librale qui fut la leur ne sera pas morte, ce n'est pas sans de douloureuses rserves que l'on pourra les louer. Nous avons tous aujourd'hui la religion de Bcssuet, parce que le gallicanisme, qui fut l'erreur do. ce grand, homme, est mort : les apologistes de la papaut, il y a cent ans, se jugeaient tenus plus de dfiance. Quant au P. Lecanuet et ce que M. Guiraud appelle ses magnifiques tudes sur Montalemhert et Berrryer : ce Berrycr (publi il y a dix-sept ou dix-huit ans) est insignifiant : c'est le moindre mot qu'on puisse en dire, et l'homme de France qui connaissait le mieux Berryer, M. le comte de Lacombe, protesta alors (avec efficacit) contre cette publication; le Montalemhert accentue encore le libralisme de son hros, et le tome III notamment a des pages qui pont une mauvaise action; et, sur la dernire uvre enfin du P. Lecanuet, nous rappelons le jugement de quelqu'un qui s'est fait parmi les historiens un nom tout autrement illustre et cher que le P. Lecanuet, de Mgr Baunard qui (16 juillet 1910) fltrissait la menteuse Histoire de l'Eglise de France sous la Troisime Rpublique, de laquelle histoire VEglise sort si abaisse^ le centre gauche si magnifi,, et Pie X en somme si rapetiss jusqu' Vineptie, presque jusqu' l'imbcillit, lui, sa personne, son gouvernement et ses amis (1). 1. Ce serait croire que M. Guiraud, parfois prompt dans ses jugements, fait de cette question Lecanuet une question personnelle. Car il est le premier regretter les exagrations du P. Lecanuet. II le fait en une page qui mrite d'tro cite (malgr des vivacits do langage) : < Le P. Lecanuet a un tel dsir d'apaisement qu'il voit avec peine toutes les revendications qui pourraient brouiller Lon XIII avec la Rpublique, fussent-elles les plais lgitimes, et il considre comme des gneurs quiconque les prsentait au gouvernement ou l'opinion publique. Mgr Gouthe-Soulard est-il traduit devant la Cour d'appel de Paris pour avoir relev les injures adresses nar le monde officiel italien aux plerins et protest contre l'abandon qu'avait fait de ses nationaux, le gouvernement de la Rpublique? M. Lecanuet se lamcntt sur ce malheureux procs, parle avec une ironie mal contenue de l'archevque d'Aix et dos prlats qui s'unissent sa protestalion, mme quand ils sont modrs comme Mgr Mignol, de Frjus, ou Mgr Perraud, d'Autun, et il flicite les prlats qui, interprtant le silence vmprobateur de Rome, n'ont pas voulu s'associer cette bruyante campagne. Dans de pareilles circonstances, le ralliement n'fait-il pas devenu l'asservissement de Prusias la Rpublique? Et ailleurs, lorsque, sous prtexte ds glorifier les fidles interprtes de la politique de Lon XIII, il rhabilite* Mr BeLlot des Minires, nomm voque do Poitiers par la faiblosso du nonce Czaclci, ... comment ne voit-il pas qu'iil nous dcouvre V une des faiblesses du ralliement qui a ralli au gouvernement non seulement des hommes de haute intelligence et d'un beau caractre tels que Mgr Per-
M. Charles Godard, auteur d'une brochure intitule L'occultisme contemporain, dont les Infiltrations maonniques contiennent une critique, nous adresse la lettre qu'on va lire. Vesoul, le 17 avril 1911. Monsieur l'abb, Permettez-moi de vous adresser une rectification au sujet de ce que vous avez crit sur ma brochure L'occultisme contemporain et mes relations avec les occuJtislee. Sceptique dans ma premire jeunesse, je suis redevenu croyant. Mon confesseur m'a alors recommand de faire connatre la vrit religieuse aux incroyants avec lesquels je me trouvais en rapport. Collaborateur d'un dictionnaire biographique, je suis all voir Papus en 1893, pour rdiger sa notice. J'ai constat avec satisfaction que son cole luttait contre le matrialisme, aussi bien que les catholiques, et ru'il y avait dans l'occultisme de quoi renouveler l'esprit de la philosophie contemporaine. Pourtant, aprs avoir reconnu les erreurs des thories occultistes, j'ai demand cette anne mme des thologiens de crer un groupement catholique et une revue, pour les apprcier et les corriger : il en est rsult la cration d'une socit psychique,* puis de la Revue du Monde invisible. D'autre part, en m'affirmant catholique, j'ai essay charitablement de faire connatre aux occuUisLes quelques hauts phnomnes relats par la mystique, d'abord dans une srie d'articles (commence quand j'ignorais encore que VInitiation et t mise l'index), puis dans une srie de confrences. Je ne leur ai pas plus cach mes relations avec des prtres qu' ceux-ci les miennes avec des occultistes. Mais je ne me suis point permis des pratiques spirites, ni des vocations; je n'ai prt aucun serment blmable et n'ai jamais adhr des doctrines htrodoxes. Je n'ai t qu'un alli dans la lutte contre le matrialisme, un de ces initis d'honneur dont vous parlez (page 137); et mes six points ne dsignaient que le grade de licenci en kabbale. .T'ai cess boutes relations avec les groupements occultistes et VInitiation en septembre 1901 (et non en 1903, comme vous le dites par erreur). Mon enqute me permet d'affirmer, d'apTs ma propre exprience, qu'une conciliation est impossible entre le catholicisme orthodoxe et les thories que vous condamnez justement. Les allis des spirites sont exposs aux mmes tromperies. L'an dernier encore, j'ai refus d'adhrer au groupement de MM. Leleu et Jounet. Quant ma brochure, je l'ai faiLc gratuitement, non pour tromper M. Bloud et ses lecteurs, mais pour donner une suite une autre brochure de M. l'abb
raud, mais aussi des prlats tars, des nullits, des pasteurs sans la moindre nergie pour dfendre leur troupeau ?
Et ainsi, conclut M. Guiraud, il (le P. L.) ne distingue pas assez entre la haute pense politique et chrtienne qui a dict Lon XIII ses directions et la tactique intresse de ceux qui s'en sont trop souvent empars pour lgitimer leur faiblesse et leur asservissement en face des lois les plus odieuses, uvre d'un rgime maonnique.
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Bertaud, et pour fournir aux catholiques dus renseignements srieux sur un mouvement dont l'importance est indniable. Dans votre travail, vous n'aviez pas traiter des faits d'observation : ce sont ces faits qui, comme je l'ai dit, vont renouveler la psychologie contemporaine, grce MM. Grasset, Maxwell, de Rochas, Richet, etc. Les thologiens et les psychologues catholiques, seuls comptents, ont & prendre la tte de ce mouvement, pour l'empcher de dvier : je souhaite qu'ils sachent dgager ces faits d'observation du fatras des thories et des doctrines htrodoxes, comme au XlIIe sicle la scolastique a su dgager Aristote de ses gloses panthistes et musulmanes. Aux thologiens il reste combattre les thories naturalistes. Vous voyez, Monsieur l'abb, que je' n'attends pas une condamnation des doctrines spirites et occultistes par la cour de Rome, pour me rallier vos conclusions. Si MM. Bloud me le permettent, je suis mme tout dispos faire, dans une rdition, les changements que vous me dmontreriez indispensables. Je suis, avec considration, Monsieur l'abb, votre trs humble serviteur,
Ch. GODARD.
Sans parler d'un devoir d'quit, nous insrons trs volontiers cette lettre pour donner acte l'auteur de ses excellentes intentions. Nos critiques sur la'brochure n'en subsistent pas moins. Envisageant les sciences occultes uniquement dans leurs rapports avec la doctrine catholique, nous n'avions point discuter les faits d'obseivalion. Quant croire que l'occultisme est destin renouveler la philosophie contemporaine, c'est un honneur que nous ne lui faisons point. E. B.
M. L E C H A N O I N E D E S G R A N G E S .
Mgr Arlet, vque d'Angoulme, vient de crer chanoine honoraire de son Eglise M. l'abb Desgranges, la suite d'une brillante station de carme prche par celui-ci dans sa cathdrale. Mgr Renouard, vque de Limoges, au diocse duquel appartient M. Desgranges, a voulu annoncer lui-mme l'heureuse nouvelle aux lecteurs de sa Semaine religieuse dont cet abb est directeur. Le vnrable prlat l'a fait par une lettre qu'un correspondant malicieux a dcoupe dans la Croix notre intention, et qu'il nous envoie comme une rponse notre rcent article sur Une retraite aux Dames du Sillon , en nous demandant ce que nous en pensons. Voici cette lettre :
t
Cher Monsieur le directeur, Je tiens annoncer moi-mme aux lecteurs de la Semaine religieuse, que S. G. Mgr Arlet, le si zl et si apostolique vque d'Angoulme, vient de vous nommer chanoine honoraire de sa cathdrale, pour reconnatre l'actif et fcond apostolat de confrences religieuses et de runions publiques que vous avez exerc, depuis dix ans, en Charente. Je bnis Dieu de pouvoir constater que mes vnrs collgues de l'piscopat soixante-dix d'entre eux, si j'ai bien compt, voir* ont appel parler dans leur diocse, rendent hommage la sagesse et la gnrosit de votre action sociale, comme votre indfectible
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LA CRITIQUE
DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Veuillez agrer, cher Monsieur le chanoine, avec mes flicitations, l'expression de mon affectueuse confiance.
t FIRMIN,
Evque de Limoges.
La rponse, puisqu'on en veut une, sera claire et sans embarras. La lettre de Mgr de Limoges confirme tonnamment ce que notre revue disait de la vogue de M. Desgranges. Loin de nous la pense de rabaisser son zle et ses mrites; plus loin encore celle de soumettre notre jugement des actes sur lesquels il n'a aucune prise. Mais les faits sont les faits, et les faits sont ceux-ci : M. l'abb Desgranges a soutenu et propag pendant plusieurs annes avec son ardeur bien connue toutes les thories sociales de M. Marc Sangnier condamnes solennellement par la Lettre de S. S. Pie X sur le Sillon. On en a eu la preuve dans le rcent article que nous avons publi. Il e n existe, entre beaucoup d'autres, une non moins premptoire. Lorsque le directeur de cette revue publia les Ides du Sillon, brochure qui contenait trait pour trait la critique des thories sociales frappes par la sentence pontificale, M. l'abb Desgranges fut charg de lui opposer leur apologie et le fit dans un opuscule intitul : Les vraies ides du Sillon, qui atteignit son neuvime mille, o il se constituait le dfenseur de toutes les doctrines du Sillon. Il disait dans sa conclusion (9 mille, page 1127) :
e
Rien ne nous est plus utile d'ailleurs que les attaques dont nous sommes Vobjet : elles nous maintiennent unis dans l'humilit. Les forces hostiles qui nous pressent de droite et de gauche rendent si troite notre communaut d'ides et de sentiments,
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que les Sillons de province et le Sillon central, Marc Sangnier et tous les camarades
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Telle tait donc l'troite communaut d'ides et de sentiments entre M. Desgranges et Marc Sangnier. En consquence, moins d'abolir la condamnation porte par le Pape, nous demeurons en droit de penser et d'crire, mme aprs la lettre de Mgr l'Evque de Limoges : 1 que, tout en tant d'accord avec les admirateurs de M. Desgranges sur la gnrosit de son zle, ncus faisons les plus grandes rserves sur la sagesse de son action sociale depuis dix ans, car il a contribu plus que beaucoup d'autres rpandre les erreurs du Sillon; 2 qu'il a gravement failli en fait la pure doctrine catholique, puisque les erreurs dont il s'tait constitu l'avocat depuis dix ans ont t condamnes comme lui tant contraires. Il a failli par ignorance sans doute. Aussi sommes-nous les premiers croire son inbranlable volont de demeurer fidle. Mais s'il est un homme auquel nous refusions de reconnatre le mrite d'une indfectible orthodoxie, c'est M. le chanoine Desgranges. Fort du tmoignage public de son vque, M. Desgranges se sentira libre de prendre en piti ces objections. Ce ne sont pas elles qui branleront son prestige, ainsi rajeuni, aux yeux des jeunes dmocrates dont il demeure le guide et l'oracle. Il est probable que ceux-ci verront dans
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la lettre de Mgr l'Evoque de Limoges une haute sanction donne mme la consultation dite thologique que le directeur de la Semaine religieuse publiait rcemment, pour dmontrer que la conscience interdit un jeune homme catholique d'adhrer Y Action franaise. Quelle importance aura encore pour eux la condamnation porte contre les thories profanes depuis dix ans par l'ancien associ de M. Sangnier, quelle opinion se formeront-ils mme de la justesse du jugement du Saint-Sige, et comment les concilieront-ils avec la persuasion trs autorise que soixante-dix vques ont entendu rendre hommage la sagesse de l'action sociale de M. l'abb Desgranges et sa doctrine impeccable : ce n'est pas non plus notre affaire. Nous ne pouvons rien de plus que de rappeler la vrit ceux qui ne lui ferment pas leurs yeux et leurs oreilles.
E. B .
L'ABB LEMIRE A
BORDEAUX.
du Sud-Ouest
M. l'abb Lemire, dput du Nord, a quitt lundi matin la ville de Bordeaux o il a pass deux journes. Pendant ce temps on l'a vu visiter des tablissements et des uvres exclusivement laques, entour d'un tat-major dont les membres sont, sauf de rares exceptions, notoirement hostiles la foi catholique et dont en gnral les sentiments blocards ne sont un secret pour personne. On l'a vu recevoir l'hospitalit d'un ancien membre du Cabinet WaldeGk-Rousseau de triste mmoire et faire publiquement l'loge de MM. Decrais et Durault. On a vu ce prtre catholique recevoir les hommages de Comits et de Socits, convoqus expressment, dans le palais archipiscopal de la rue Vital-Caries dont le cardinal Lecot fut expuls et dont les catholiques bordelais, obissant un sentiment qui les honore, se font Un devoir de ne point franchir le seuil. En cette circonstance, la conduite de M. l'abb Lemire a paru tran ge beaucoup de nos concitoyens et a froiss les sentiments de la population catholique de Bordeaux. Nous avions le devoir de le constater.
ERRATUM.
du 15 avril, page 73, 17 ligne, au lieu de: II est bien de le supposer, lire: Il est bien 6on...
loin
Le Grant : G. STOFFEL
IMPRIM PAR DESCLLFI, DK BROUWICH ET C". 8 . 0 2 9
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UNE SOLUTION
DANGEREUSE
Jamais, croyons nous, on ne s'est tant proccup qu' notre poque de rparer les ingalits sociales; jamais on n'a tant parl de questipns sociales, de justice sociale, de lois sociales, cela dans les milieux les plus divers, les plus opposs. On serait mme parfois tent de protester contre l'abus fait actuellement de oe mot social, s'il n'y fallait voir l'indice d'une raction aussi heureuse que puissante contre les principes individualistes de la Rvolution, contre les utopies conomiques de l'cole librale qui a rgn dans les milieux clairs de France pendant la plus grande partie du XIX sicle. A un tel mouvement la sympathie tait acquise d'avance chez les catholiques et les Franais de tradition qui n'ont jamais pu concevoir la religion dpouille de sa morale sociale. Comme le disait rcemment le Pape Pie X, les vrais amis du peuple ne sont ni rvolutionnaires, ni novateurs, mais traditionnalistes ; la question sociale et la science sociale ne sont pas nes d'hier et il suffit l'Eglise do reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organism.es briss par la Rvolution et de les adapter, dans le mme esprit chrtien qui les a inspirs, au nouveau milieu cr par l'volution matrielle de la socit contemporaine . De fait, l'Eglise n'a-t-elle pas toujours poursuivi le rgne de la justice dans le monde, assur aux faibles la paix et la protection efficace contre les puissants? Et nulle part autant que dans l'ancienne France, douce aux petits, aux trangers comme ses enfants, ses efforts n'ont t couronns de succs. Si, depuis la Rvolution et sous l'influence de ses funestes principes, les devoirs collectifs ont t trop ngligs au sein do la socit civile et mme de la socit religieuse peut-tre, les catholiques franais de tradition sont tout naturellement prts porter leurs efforts de ce ct; ils y ont, du reste, t toujours encourags par le Chef de l'Eglise et par leurs chefs politiques. Sans doute ils trouveront en face d'eux les socialistes qui, dsireux de dtruira l'idal religieux, prtendent par des lois sociales tablir l'galit entre les hommes, le bonheur universel par la suppression do la souffrance et de la misre. Mais ils ne se laisseront pas effrayer par la propagande socialiste, si dangereuse soit-elle par la sduction qu'elle exerce sur les malheureux; ils ne chercheront pas davantage la popularit par une surenchre illusoire. Ils entendent faire tout simplement leur devoir de catholiques.
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UNE SOLUTION
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Comme si la charit vraiment chrtienne n'tait pas avant tout le don de soi-mme et ne constituait pas le meilleur instrument de pacification sociale par le rapprochement des classes! On procde de mme d a n 3 la composition des groupements dits sociaux : on leur supprime tout caractre confessionnel pour y pouvoir entrer quoique catholique, on semble avoir honte de ce titre et on leur donne la qualification aussi mprisable que mensongre de neutres. Certes, les catholiques ne doivent pas craindre, en prsence d'une uvre bonne et utile * entreprendre, les alliances avec des hommes honntes ne partageant pas leur foi. -Du moins ne doivent-ils jamais, ft-ce par leur silence, paratre faire peu de cas de leur religion, encore moins contribuer par leur adhsion, titre de dupes ou de complices, au succs d'une campagne anticatholique. Or, de ce chef, les prcautions n'ont pas toujours t suffisamment prises et, malgr leur bonne foi, certaines compromissions des catholiques vis--vis de leurs adversaires ont t lamentables et funestes. Le pape en a jug ainsi, qui maintes fois, en ces. derniers temps, a dsapprouv hautement l'entre des croyants dans des groupements dclars non confessionnels.
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Mme pour les catholiques sociaux qui se comportent en vrais catholiques, un danger subsiste sur lequel on ne saurait trop attirer l'attention : celui de tomber dans le socialisme d'Etat. La reconstitution de la socit ne peut tre l'uvre du socialisme dmocratique, oscillant perptuellement entre l'anarchie et le csarisme. Pour mener bien une telle uvre, il faut compter surtout sur les murs qu'il importe donc de corriger et l e moyen d'y parvenir (dont l'efficacit est tablie rationnellement et historiquement) consisto favoriser l'closion d'organismes collectifs agissant sur les murs et crant les habitudes. Mais beaucoup d'hommes le procd parat bien lent. Nous sommes au sicle de la Vapeur et de l'lectricit. Les gnrations actuelles sont impatientes d'aboutir et, jugeant la socit imparfaite, elles veulent la rformer au plus vite. Ds lors puisque dans notre dsorganisation actuelle il ne reste qu'une force vraiment srieuse : l'Etat lgislateur et administrateur, pourquoi ne pasi lui confier la haute direction des services sociaux? On imposera par la voie lgislative les rformes bienfaisantes dont l'administration assurera l'excution; on organisera l'assistance et la prvoyance officielles. Beaucoup s'y montrent disposs, assez nafs parfois pour croire qu'au jour o l'ducation populaire sera suffisamment avance, l'Etat rpudiera spontanment son rle providentiel de tuteur, de pre de famille universel, pour rendre chacun sa libert d'action. L'erreur est vidente en ce qui concerne surtout un Etat dmocratique qui veut vivre et tend forcment la centralisation pour asseoir sa puissance et garantir sa dure. Elle devient inexcusable quand il s'agit d'un gouvernement essentiellement irrligieux comme est le ntre. C'est ce que nous voudrions dmontrer en prcisant bien les termes de la question.
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Tout d'abord, distinguons soigneusement l'Etat et la socit, le corps social. La socit est un organisme naturel, complexe et vivant, qui a ses lois essentielles, ses formes historiques, son me mme si l'on veut considrer comme telle la socit religieuse animant et transformant la socit civile; pour prosprer, elle doit avoir ses autorits sociales distinctes du gouvernement proprement dit. L'Etat est le.pouvoir politique, mcanisme important qui a des devoirs envers la socit et des droits vis--vis des individus pour assurer l'accomplissement de sos devoirs : il manque sa mission quand, s'inspirant des principes rvolutionnaires, il mconnat les hirarchies sociales naturelles et leur en substitue do factices,' il devient anarchique et yrannique. La solution des questions sociales et ouvrires intresse grandement la socit. Le foyer et l'atelier sont pour elle deux lments primordiaux dont la conservation s'impose. Il lui faut des lois, crites ou non, rgulatrices du travail et conservatrices du foyer : le travail a ses droits l'gal de la proprit. L'atelier, comme la famille qu'il est charg de nourrir, a besoin d'ordre, de scurit, de stabilit, pour correspondre aux exigences de la vie collective, familiale d'abord, sociale ensuite. L'Etat y est intress lui-mme : une mauvaise organisation sociale met en pril l'ordre public et la richesse du pays; aussi bien, instrument au service de la socit, il est responsable de la paix publique. Le pouvoir politique ne peut pas faire abstraction de pareilles questions. Mais quel doit tre son rle en face d'elles? Un point admis presque universellement aujourd'hui est que le rgime corporatif est l'organisation la plus favorable la paix sociale. II se prte aisment- la fixation amiable des conditions du travail, cre sans obrer les. finances publiques des ressources au travailleur pour les priodes de son existence o il n'est pas rmunr, constitue le meilleur rgulateur du jeu des forces industrielles et des perturbations conomiques. -Sans doute il faut l'adapter aux milieux et aux poques. Mais, sous des formes changeantes, corporations nagure, associations et syndicats aujourd'hui, il rpond aux conditions les plus scientifiques et est applicable la grande industrie moderne comme aux modestes mtiers du moyen ge. Le devoir de l'Etat, pouvoir politique, est donc tout trac. Par des lois labores avec soin, par des institutions -administratives appropries, il doit permettre, encourager, favoriser la cration d'organismes sociaux, les protger, leur reconnatre autorit et indpendance dans leur domaine en s'lninant lui-mme le plus possible, assurer tous la scurit et la paix, mais laisser ces rpubliques professionnelles s'administrer par leurs libres conseils. Tout le monde gagne une pareille mthode qui dlivre
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d'une lourde charge l'Etat mal prpar, la remplir. Bref, comme le disait. M. de Gailhard-Bancel, le 16 juin 1901, la tribune de la Chambre des Dputs, l'tat en la matire a une fonction prsidentielle, mais non providentielle. Seulement cette fonction est plus ou moins large, plus ou moins aise remplir aussi, suivant les circonstances de temps et de lieux. Dans une socit organise o la loi de Dieu est dominante et respecte, beaucoup de questions sont rsolues d'avance et l'Etat n'a pas s'en proccuper. Ainsi, au moyen ge, le droit du travail tait formul dans -ce qu'on appelait les bonnes coutumes du mtier , dfondues avec pret contre toute atteinte par des professionnels troitement, unis et pntrs d'un esprit de justice et de solidarit. Aucune difficult ne se posait pour l'Etat relativement l'apprentissage ou aux retraites ouvrires. Deux institutions trs fortes y pourvoyaient ; la famille et la corporation; et les oeuvres charitables; libres taient nombreuses qui leur venaient e n aide. Le soin des vieillards incombait la famille d'abord, puis dos corps moraux : seigneuries, paroisses, corporations surtout riches et gnreuses pour leurs membres. Tandis que l'Eglise avait constitu sur tout le territoire un systme complet d'instruction et d'assistance pour les enfants et les pauvres, le secours aux vieillards tait pour ces familles ou ces corps un devoir lgal en mme temps que moral et chacun dfendait ses droits, les corporations notamment ne laissaient pas la famille libre de se dcharger sur elles de sa fonction propre. En cas de conflit, la dcision appartenait au roi statuant en arbitre suprme et dsintress, en sou^ verain juge de paix, en vrai pre de famille. Et, malgr l'abaissement des murs mesure qu'elles devenaient moins chrtiennes, ces principes ont subsist jusqu' la fin du XVIII sicle.
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Avec la Rvolution tout change. L'homme est difi, l'individu est soustiait la loi divine et au droit historique, il est dclare libre. Mais la loi humaine, c'est--dire la volont de la majorit; cet toutepuissante et l'Etat prend le pas sur la socit pour exercer un pouvoir sans borne au nom de la souverainet du nombre. Le rgne de l'individualisme commence, et tous les corps intermdiaires entre l'Etat et les individus sont supprims comme factieux. La Rvolution a tu la famille et interdit les corporations peine de mort; c*est l'Etat, dclare Chapelier, rapporteur de la loi l'Assemble constituante, et non pas aux associations, donner du travail ceux qui en manquent, des secours ceux qui en ont be&oih . Un nouveau rgime du travail est tabli, qu'on appelle la libert du travail , avec la concurrence illimite pour ressort et la loi brutale d l'offre et de la demande comme rgulateur des relations conomiques. Le pauprismb nait et le proltariat besogneux, rduit aux seules forces individuelles pour sa dfense, tombe la merci des capitalistes. Plus d'apprentissage normalement organis, car chacun doit songer gagner le plus tt
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possible. Les faibles ne sont pas protgs contre un travail exagr; ils n'ont aucune garantie en cas d'accident, de maladie, de vieillesse ou d'infirmit; il ne peut tre pour eux question de retraites. C'est la lutte pre, odieuse, pour la vie strictement matrielle, en dehors de toute conception dominante de justice et d'humanit. Une telle situation, dans le monde du travail est galement dfavorable l'ouvrier et au patron qu'elle condamne l'un et l'autre l'inscurit. Elle est funeste la socit, parce que, mettant les intrts en antagonisme au lieu de les harmoniser, elle engendre les haines de classes et provoque les coalitions, les grves, les bouleversements. En mme temps, l'Etat a, d'une part, plus de peine maintenir la paix publique et, d'autre part, assume de trs lourdes charges d'assistance et de prvoyance, puisqu'il n'y a plus de familles et de groupements libres assez riches pour secourir la misre; il ne peut suffire cette tche et ceux qui souffrent lui demandent cependant chaque jour de faire davantage pour eux. Dans de telles conditions, le besoin s'est cruellement fait sentir de parer vaille que vaille une situation insupportable et certains patrons l'ont compris. Ils ont tabli eux-mmes des institutions rappelant celles des anciennes corporations : des caisses de retraites, de secours, de prvoyance. Les Compagnies de chemins de fer notamment ont consacr au service des retraites pour leur personnel, soumis d'ailleurs une retenue obligatoire sur le salaire, jusqu'au huitime de la somme reprsentant l e paiement de leurs travailleurs. C'tait revenir sous une forme dtourne au rgime corporatif, reconstituer une sorte de patrimoine collectif. Malheureusement, ces institutions, dnigres par les socialistes qu'elles gnent, sont souvent mconnues par les ouvriers dont elles blessent la susceptibilit; possibles d'ailleurs dans la grande industrie seulement, elles ont eu cet inconvnient de dpeupler les campagnes par l'appt d'une retraite pour les travailleurs. Les mutualistes ont fait de leur ct ce qu'ils ont pu, mais c'tait insuffisant parce qu'ils demandaient un prlvement sur les salaires aux seuls ouvriers sans faire participer l'employeur au sacrifice ncessaire. Donc, avec l'accroissement de? apptits et renchrissement de la vie, les besoins et les plaintes n'ont fait qu'augmenter; les esprits dans lesquels le sentiment religieux et l'honntet professionnelle ont baiss se sont aigris; la guerre entre les classes est devenue plus aigu. Il y a l u n vrai danger public qu'en fait, quoique excellente en soi, la libert des syndicats et des associations a encore augment. C'est que d'abord les employs sont entrs dans cette voie bien plus ardemment que les patrons et sont peu disposs laisser ceux-ci une part, pourtant lgitime, dans la direction du travail. C'est aussi que ces associations, soit d'ouvriers, soit de patrons, sont cres dans un esprit d'hostilit et rendront, la lutte plus violente puisqu'aux escarmouches entre iso-
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ls succdent des batailles entre troupes cohrentes et aguerries. Comment remdier une telle situation? Il y faudrait des autorits sociales s'appuyant sur une loi supra-humaine et fortes d'une tradition qui impose l'obissance. Or, nous ne rencontrons que l'Etat et des autorits gouvernementales ou administratives, et l'on nous propose de leur confier le soin de rsoudre les questions sociales par des lois et des rglements. De fait, nous avons vu clore, depuis quelque trente ans, beaucoup de lois dites sociales avec des prescriptions dtailles, minutieuses, dont les agents, de l'Etat doivent surveiller l'accomplissement. Les intentions des auteurs de ces textes peuvent tre louables, mais le procd me parat dtestable; il va, je le crains, rencontre du< but poursuivi. Cette lgislation, inspire par l'esprit individualiste, rvolutionnaire, antireligieux, applique par des fonctionnaires et des bureaucrates avec rigidit et malveillance tandis qu'ils tendent ruiner la famille et tous les lments de force sociale, doit aboutir au socialisme d'Etat, aggraver l'omnipotence tyrannique du Pouvoir central qui, fatalement, tant donn son caractre dmocratique, en usera au profit de son parti bien plus que de la socit. Il y a trop de lois sociales, et l'on peut ajouter qu'elles sont faites htivement et sans rflexion. L'intervention de l'Etat ' politique dans ces matires est trop frquente, trop intense, trop active. L ne peut tre le vrai remde aux maux dont nous souffrons.
II Nous n'entendons nullement nier l'utilit, la ncessit mme, surtout des poques de dsorganisation comme la ntre, de l'action du lgislateur et du pouvoir politique. Nous ne nous contentons mme pas de plaider les circonstances attnuantes, en disant qu'il faut bien dfendre les faibles tant que les syndicats ne sont pas suffisamment fortifis. Nous affirmons cette ncessit qu'ont reconnue les sicles les plus chrtiens, aprs l'Eglise dont les deux derniers papes ont rappel l'enseignement traditionnel, aprs les princes franais exils, le comte de Chambotrd en 1849 et 1865, le comte de Paris en 1893, qui, prenant cur les intrts suprieurs du pays, ont toujours recommand leurs fidles, parfois tonns et mme rebelles, de favoriser, d'assurer l'laboration d'une lgislation sociale et ouvrire. L'intervention du lgislateur s'impose pour interdire d'abord tout ce qui, en soi et quel que soit le procd employ, est contraire la morale ou l'humanit, tels l'emploi de substances nuisibles la sant dans l'industrie ou Ja prolongation du travail ouvrier au del des forces humaines. Elle est ncessaire encore et surtout pour permettre la cration et consacrer les droits d'institutions rapprochant et groupant les individus
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SOCIAL
dans une mme" fonction, pour leur assurer un patrimoine corporatif et les moyens de faire valoir leurs intrts professionnels; dans cet ordre d'ides, il faut rendre hommage l'inspiration de M. Millerand quand il a organis les conseils du travail. Mais cette dernire rglementation est demeure tout exceptionnelle. Qu*a-t-on fait pour dvelopper les syndicats autoriss regret en 1884, dont on a trop souvent au contraire en haut lieu rv la suppression? Seuls pourtant, sous le contrle d'un pouvoir fort les maintenant dans leur sphre d'attributions, ils pourraient jouer un rle utile dans les questions de travail, de salaire, de chmage t de grve. Cependant, on leur laisse usurper des fonctions pour lesquelles ils ne sont pas faits parce que les politiciens ont besoin d'eux; on leur accorde des faveurs inacceptables parce qu'ils crient fort et qu'on an a peur : ils font de la politique presque fatalement ds lors qu'une lgislation individualiste les dtourne volontairement des questions professionnelles. Les candidats dputs les flattent pour avoir leurs voix et, grce eux, deviennent ministres l'occasion, sauf plus tard essayer de les dtruire et rserver leurs membres des coups de fusil. Les agitateurs nantis sont les plus durs dans la rpression et il n'est pas besoin de remonter loin dans le pass pour en avoir la preuve : les faits sont tout rcents. Eh ralit, rien de srieux n'a t tent pour dvelopper l'organisation normale et ordonne d'institutions sociales distinctes du Pouvoir politique. En revanche, le dit Pouvoir a voulu intervenir de faon positive et directe dans les questions sociales et son uvre, trop souvent funeste par ses dispositions comme par ses lacunes, s'inspirant d'un esprit antichrtien, est inapplique ou oppressive. Rien de plus redoutable de la part d'un Gouvernement dmocratique, gouvernsment de parti fatalement, qui confie ses agents seuls l'application des lois dites sociales et entend s'en servir au profit de son parti. Le remde aux maux dont nous souffrons n'est pas l et un tel procd, pis aller acceptable titre d'exception exclusivement, aboutit, quand il est gnralis comme aujourd'hui, aux consquences les plus nfastes. Il nerve la force de la loi; il aggrave la centralisation, la bureaucratie administrative, le fonctionnarisme; il consacre l'injustice tyr an nique. Nous e n faisons tous les jours l'exprience.
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La loi positive a besoin d'tre respecte par les citoyens du pays, tout doit donc, dans l'intrt de la socit elle-mme, tre mis en uvre pour lui conserver prestige et autorit. Elle ne saurait cependant, n'en dplaise aux adeptes des principes rvolutionnaires, tre le dernier mot de la justice, le critrium absolu qui juge tout le reste et n'est jug
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par rieri. La forme lgale, s i elle prtend masquer l'iniquit, est vite frappe de discrdit. Et le mme sort attend les lois qui vont t r o p directement rencontre des murs, celles notamment qui, en matire conomique, sont l*.uvre de brouillons incomptents, infatus de l'omnipotence parlementaire. On s'illusionne trangement parfois sur l a porte de la loi, sur l'importance et la dure de ses. effets. D'abord le texte lgal cesse d'tre respect quand, comme trop souvent ajcurd'hui, on constate qu'il est possible de s'y soustraire pratiquement en criailt fort, en s e rvoltant ou eh opposant la force d'inertie. Il osse encore de l'tre quand, manifestement, il couvre une iniquit et va rencontre dii droit, et vraiment les lois actuelles ont trop frquemment ce caractre. Quand on voit par exemple, dans la sance du 16 mars 1911, l a Chambre des Dputs voter un supplment de rtraites aux employs des chemins de fer avec de l'argent extorqu par l force a u x actionnaires des compagnies concessionnaires, on peut tout redouter des futures lois sociales. Aussi bien, le grand art du lgislateur, a dit justement J.-B. Say, n'est pas de vouloir que l'on fasse, mait; de faire que l'on veuille . Crer des habitudes et des murs, v o i l le but poursuivre : il n'est pas atteint du jour o la l o i est promulgue, ft-elle accompagne d'normes rglements d ' a d ministration publique qui l a commentent, la dveloppent et en facilitent l'applicatidh. Quoi qu'on dise, l Paflement n'est pas tout-puiss a n t . Les textes qu'il labore n'ont d e valeur que par la faon dbnt ils s o n t appliqus. En matire conomique et sociale surtout, les moeurs, trop ouvertement heurtes, opposent l'exriution des prescriptions lgales u n e rsistance passive e t les autorits publiques, sous tin gouvernement d'opinion, abandonnent bientt la lutte : la loi tombe albrs en dsutude. Combien 'ont t votes depuis trente ans qui sont lettre morte aujourd'hui, quoique non abroges! O fonctionnent les commissions scolaires organises dans chaque commune par la loi d 28 mars 1882 t qui osera dire, Paris notamment, que l'obligation scolaire est observe? La loi dii' 15 fvrier 1902 sur l'hygine publique n'est pas obie, un rapport officiel du 17 juillet 1909 le constate; et il en est de mni des rgles sur la scurit et l'hygine des ateliers. Quant la l o i sur* l e repos hebdomadaire, dont nul ne conteste l e principe, elle est touile de mille faons, conteste, mconnue par ceuX-l mme q u i eii doivent bnficier. Toutes entranent de gross e s charges pour les contribuables; une multiplication insense de fonctionnaires, et leur effet social est presque nul.
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C'est chose force au reste. N o u s avons trop de lois. Elles procdent d'autorits incomptentes et manquent de la souplesse indispensable e n l a matire. Il y a trop de lois sociales. Elles sont la mode; ds lors (le Gouvernement et les parlementaires rivalisent d'activit dans la surenchre. L. o il faudrait des principes simples, des rgles gnrale^
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dont les autorits locales doseraient l'application suivant les lieux, nous rencontrons des dispositions prcisant les dtails, irrflchies, contradictoires au besoin, en tous cas n'ayant aucun principe fondamental commun, mais en revanche applicables de faon identique pour toute la France. Alors que la diversit des conditions locales, selon la contre, le climat, les traditions et les antcdents, exigerait des solutions particulires, une rgle unique et brutale s'imposera partout, inspire par une ide thorique prconue bien plus que par des considrations d'intrt pratique; si quelques enqutes sont faites parfois, elles portent sur de grosses industries, dans les grandes villas exclusivement, et, au rsum, nul compte n'est tenu de la complsxit des intrts en cause. C'est le triomphe de la centralisation unitaire qui confond l'unit et l'uniformit. De mme que pour toutes les communes franaises, sauf Paris, qu'elles soient urbaines ou rurales et comptent 400.000 ou 40 habitants, l'organisation municipale est unique, de mme des rgles inflexibles et toujours identiques elles-mmes sont poses, la ville et la campagne, pour l'hygine, l'installation des ateliers grands ou petits, le repos des travailleurs, quelque dissemblables que soient les industries. Tout cela est insupportable et voue l'insuccs les meilleures rformes. Voici par exemple une loi ne d'hier et applicable partir du 3 juillet prochain, loi sociale par excellence, dsire ardemment par toute une partie de la population, juste dans la mesure o la retraite est fonction du salaire normal : la loi sur les retraites ouvrires. On a voulu statuer la fois pour tous les salaris des deux sexes n e gagnant pas plus de 3.000 francs par an, on prtend atteindre dix millions d'assujettis obligatoires et sept millions d'assujettis facultatifs. Bien que le texte ait t htivement vot et qu'on ait pes sur le Conseil d'Etat pour lui faire tablir au plus vite le rglement d'application, la France est une des dernires nations lgifrer sur ,ce sujet. La loi n'est pas encore applique qu'elle est dj mal' v u e de tous, mme et surtout peut-tre des ouvriers; on redoute, non sans de graves motifs, qu'elle tue la prvoyance libre et qu'horriblement coteuse pour tous, Etat et particuliers, elle avive encore la lutte entre les classes. C'est que, tyranniquement obligatoire, elle est aussi absolue que touffue et confuse dans ses prescriptions. Pour toutes les rgions de la France, pour toutes les professions, la somme verser tant par l'employeur que par l'employ, quel que soit le salaire de ce dernier, est la mme : 9 francs pour les hommes, 6 francs pour les femmes, 4 fr. 50 pour les mineurs de 18 ans ; l'ge de la retraite, 65 ans, est identique et galement, son montant. Ainsi Ton exige autant du journalier campagnard gagnant 2 irancs par joui' que de l'ouvrier urbain qui touche 7 ou 8 francs et Ton alloue tous les deux la mme pension (390 fr. 50, s'ils ont vers leurs cotisations depuis l'ge de 14 ans), sans songer qu' la campagne on vit
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relativement bon march et qu'il en est tout autrement en ville. C'est pour aboutir un tel rsultat, infrieur ce qui est gnralement admis l'tranger, qu'on va demander cent quarante millions nouveaux d'impts la nation la plus charge .du monde, impts qui seront, directement ou indirectement, cruellement ressentis par les salaris. C'est pour cela qu'on rend cette retraite obligatoire, sans permettre aux intresss d'y chapper, qu'on leur prescrit un placement fonds perdu pour le cas o ils mourront avant l'ge rglementaire, qu'on les force payer en vue de leurs vieux jours mme s'ils n'ont pas actuellement de quoi vivre et faire vivre leurs enfants, que, malgr l'enqute nationale faite en 1901 et concluant de faon presqu'unanime en faveur de la libert, malgr l'opposition des associations ouvrires et de l'opinion, on tablit, en matire de prvoyance, la contrainte permanente, perptuelle. Enfin, on oblige les patrons non seulement f payer eux-mmes pour leurs ouvriers, mais se faire les collecteurs des sommes dues par ceux-ci personnellement, au risque de se heurter une rsistance formellement annonce dj dans certaines rgions, dans le Nord par exemple. Et tout l'argent ainsi recueilli ira tomber dans les caisses de l'Etat, mettant sa disposition, quand la loi aura atteint tous ses effets, un total absolument terrifiant de 20 30 milliards, somme ne lui appartenant pas, mais dont il. sera bien tent de se servir. On conoit que certains esprits se souviennent de la banqueroute des deux tiers imputable la premire Rpublique et des paiements en valeurs dprcies faits par la seconde aux porteurs des livrets de caisses d'pargne et prouvent des craintes pour le versement rgulier des pensions ouvrires sous la troisime. Le fonctionnement de cette norme machine sera fort coteux, d'une complication inoue avec les quinze millions de cartes qui devront tre changes chaque anne par les prfectureset les dtails d'application encore non rsolus. On peut douter du succs de la loi quand on envisage les rsultats obtenus pour les retraites des ouvriers mineurs cres obligatoires depuis 1890 : il y a 41 % de dfaillants et 78.000 livrets sont abandonns sur 289.000. N'aurait-on pas mieux fait de ne pas proclamer l'obligation et ide s'adresser pour le service des retraites aux institutions de prvoyance dj existantes ou des caisses corporatives comme le proposaient, les 25 mars 1886 et 8 juillet 1890, Mgr Freppel, MM. Lecour-Grandmaison, de Mun et de Ramel? J'ai pris un exemple. J'en trouverais dix autres semblables dans les lois d'assistance et de prvoyance. Notre lgislation sociale est lourde et intolrable, parce qu'elle s'ingre de faon positive, minutieuse, dans les plus petits dtails. Elle devient en outre extrmement coteuse, dmoralisante et destructive des meilleurs lments, parce que son application est exclusivement confie l'Etat ou des autorits dpendant troitement de lui.
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IV L'Etat dmocratique, disait avec raison M. de Marcre dans la discussion de la loi du 1 juillet 1901, est un certain point de jyue" un danger pour la libert des hommes et des citoyens, parce que la dmocratie est naturellement porte crer un pouvoir central redoutable par son normit, son caractre impersonnel. L'Etat, institution politique; est extrmement envahissant en France; c'est chose grave que de superposer son profit la centralisation conomique la centralisation administrative. Par l on surcharge les pouvoirs publics de fonctions qui ne leur appartiennent pas rationnellement et sont mal remplies par eux, on entrave la libert des citoyens. Et, alors qu'il faudrait rsolument liminer autant que possible l'Etat de toute organisation sociale, la transformation des services sociaux en services publics fait d'institutions destines servir de contrepoids au gouvernement politique des instruments, de tyrannie que l'Etat ne laissera plus chapper. Pourtant, toutes les lois dites sociales rcentes ont les autorits administratives icomme rouages principaux : cela est Vrai de la loi sur les retraites ouvrires comme des lois d'assistance.
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Or, chef d'industrie {mdiocre (l rachat du rseau de l'Ouest len fournit des preuves surabondantes), l'Etat est plus mauvais encore quand il s'immisce dans les questions d'organisations conomique, professionnelle ou locale. Il suffit pour s'en convaincre d'tudier ce qu'on a nomm, eri lui en faisant d'ailleurs grand honneur, l'effort charitable de la troisime Rpublique. L'assistance aux enfants, aux malades, aux vieillards et aux incurables est dj rglemente; demain on s'occupera des secours aux familles nombreuses, aux femmes enceintes et aux veuves. Ajoutez-y, comme uvres annexes dj ralises lgislativement, le dveloppement de l'instruction populaire et de l'hygine, la cration d'un bien de famille, l'tablissement 'du repos hebdomadaire et des retraites. Voil le produit d'un souffle puissant d'altruisme et de solidarit . Je me refuse cependant partager l'admiration quelque peu bate de certains catholiques pour de telles lois, dangereuses trop souvent pour l'Etat et pour les assists eux-mmes .autant par les principes dont elles s'inspirent que par la faon tout administrative dont elles sont appliques. Les services d'Etat sont abominablement coteux. Ils tournent fatalement au monopole et sont les instruments des passions politiques, des haines antireligieuses. Les rsultats obtenus sont loin d'tre en rapport avec l'effort ralis. S'il parat secondaire au premier coup d'il, le ct financier des lois sociales ne laisse pas d'tre inquitant cependant pour l'avenir en prsence de l'normit et des augmentations permanentes des budgets tant nationaux que locaux. De 184 millions supports en 1885 par le budget de l'Etat pour l'assistance proprement dite, nous sommes pas--
UNE SOLUTION
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ses 398 e n 1908 et la progression s'arrtera d'autant moins qu'il est question de 140 millions exigs chaque anne par le seul service des retraites ouvrires. La premire des rformes sociales cependant semblerait devoir consister maintenir et assurer la prosprit du pays; sinon, on court le risque de voir, comme dans certaines communes anglaises par suite de l'application du poor law , certaines personnes passer dans la catgorie des assists force d'tre pressures pour fournir des. subsides ncessaires l'assistance. Poursuivt-elle l'idal le plus noble, une nation n'a pas 1 droit do ruiner ses membres et d'entraver chez tous le dveloppement de la richesse; son premier devoir est de vivre. Elle n'a pas davantage le droit, peine de suicide, de vouloir raliser des utopies comme la suppression des ingalits conomiques par l'assistance publique. La punition ne se fait pas attendre et nous n'avons qu' regarder autour de nous. Dans notre France, riche pourtant et renomme pour les prodiges qu'y opre la charit prive, le flot des assists augmente sans cesse, la misre semble s'accrotre mesure qu'elle est plus combattue. On a pu dire sans paradoxe qu'en fait notre lgislation d'assistance publique faisait de la paupriculture. La progression des dpenses est effrayante pour l'Etat, les dpartements et les communes. Et c'est fatal avec les procds adopts. Tout d'abord on a souvent constat qu'au jour o un genre spcial d'assistance devient lgalement obligatoire ou- simplement est rig en service officiel, les subsides privs s'y font plus rares, ils s'en dtournent puisque le budget y doit dsormais pourvoir. D'autre part et surtout, nos lgislateurs modernes ont rpudi, comme trop rigoureux, l'ancien principe d'aprs lequel l'assistance publique devait tre assez peu accueillante afin d'obliger les individus compter d'abord sur leur effort personnel et les secours de leurs proches. Ils ont rendu l'assistance officielle plus accessible, en font bnficier non plus seulement les pauvres, mais les simples privs de ressources , terme susceptible d'une interprtation assez lastique. Surtout aucune dchance, mme en matire politique, titre d'lecteur ou d'ligible, ne doit plus tre attache la qualit d'assist; le droit l'assistance est reconnu. Comme le disait, le 16 juin 1905, M. Mirma.n la Chambre des Dputs, l'assist doit se prsenter, non en solliciteur humili qui tend la main, mais dans l'attitude fire d'un crancier qui rclame un droit. Plus hardie que la loi du 15 juillet 1893 sur l'assistance mdicale gratuite, celle du 14 juillet 1905 consacre pour les vieillards un droit positif aux secours, sanctionn par un recours contentieux devant un tribunal manant de d'lection. L'-mission de telles thories concidant avec un relchement universel des murs et la dsorganisation systmatiquement poursuivie de la famille, tout sentiment de pudeur est mis de ct en la matire. Chacun veut profiter de l'aubaine et le budget est mis en coupe
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rgle : les parents n'interviennent plus et il semblerait que l'obligation alimentaire est raye de nos lois puisque les secours officiels sont assurs a u x vieillards et aux malheureux. Ainsi, pour l'assistance mdicale, certains dpartements comptent un inscrit sur dix habitants (Aude, Pas-de-Calais) et le Nord en a 275, 783 en 1908, d'aprs les statistiques officielles, soit un sur six. Dans certaines communes, le maire et les conseillers municipaux figurent tous sur la liste. C'est bien pire encore pour les vieillards et les incurables et les rapports de l'inspection constatent que la loi de 1905 a t soumise un vritable sabotage . On avait valu par avance 153.000 le nombre des assists pour toute la France et quatre millions la part annuelle de l'Etat dans la dpense;' en 1909, il y a eu 575.000 secourus cotant 97 millions dont 46 la charge du budget gnral. C'est que la loi est mal c o n u e : loin d'encourager l'pargne, e l l e - a s s u r e le mme traitement aux malheureux quelle que soit la cause de leur infcrtune et e n fussent-ils responsables; surtout, elle supprime la solidarit familiale et favorise l'gosme individuel, puisque, pour les vieillards notamment, le texte, tout en rappelant le principe de l'obligation alimentaire pour les enfants, le contredit aussitt en mettant le secours la charge de la collectivit d'abord, sauf le droit pour le prfet, chef du service, d'adresser des rclamations aux enfants ingrats oit ngligents. Vraiment, est-il socialement bon et utile de dvelopper l'assistance officielle, quand on travaille faire disparatre le sentiment si naturel et ncessaire d'aide rciproque au sein des familles? Mais la loi est plus mal applique encore qu'tablie. Certificats de complaisance dlivrs par des mdecins de prtendus invalides, allongement incessant de la liste des assists, soit, comme dans l'Ardche, pour profiter de certaines subventions complmentaires de l'Etat, soit pour prparer u n e lection communale ou pour rcompenser des lecteurs fidles (dans une seule commune, on inscrit 90 personnes la veille d'un scrutin et 108 au lendemain), voil les constatations faites par l'inspection des finances. Des secours sont donns des septuagnaires n'ayant pas soixante-dix ans, des incurables guris, des infirmes valides, des indigents propritaires d'immeubles. Pour un seul canton, de quarante-neuf inscrits sur les listes de la loi de 1905, quarante en devraient tre exclus. Les principes rvolutionnaires triomphent ainsi. L'assistance devient un monopole d'Etat. JEn mme temps les secours prennent un caractre politique nettement accentu. La premire Rpublique proclamait l'adoption par la patrie des enfants sans famille dont l'assistance devenait un devoir inviolable et sacr ; elle ouvrait e n l'an II le grand livre de la bienfaisance nationale , et ceux qui y taient inscrits devaient, vtus de blanc, prendre la tte des cortges officiels titre de pensionnaires nationaux. Mais sans insister sur cette vrit que, parlant si haut du droit des particuliers l'assistance,
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la premire Rpublique a t prodigue envers les pauvres de paroles vaines seulement et a dilapid le patrimoine charitable constitu par les sicles de foi dans le pass, on doit remarquer que l'Etat rclamait dj pour lui et pour lui seul le monopole de l'assistance. La tradition s'est maintenue et il est douteux que la prtention, dont les effets ont t lamentables autrefois, en ait de bons aujourd'hui. En tous cas, la tendance actuelle du Gouvernement accaparer tous les services d'assistance ou de prvoyance est indniable. L'Etat ne supporte aucune autorit sociale qui ne dpende pas troitement de lui, surtout si elle est suspecte de clricalisme. En rencontret-il une? O il la place de force dans la hirarchie administrative pour en faire un moyen de domination au lieu d'un utile contrepoids son omnipotence, ou il met tout en uvre pour la dtruire, quelque bienfaisante qu'elle soit, car il veut tre la providence universelle. f) sont les groupements volontaires entre particuliers qui, existant dj ou crer, ont t chargs d'appliquer les lois sociales? Il n'y en a pas, ils sont systmatiquement carts. Les coles libres ne sont pas seules tenues pour des concurrents de l'enseignement officiel, devant tre combattues ce titre. La bienfaisance prive n'est gure vue, aujourd'hui d'un meilleur il et certain projet gouvernemental, rapport le 12 juillet 1910 par M. le dput Breton, est franchement dirig contre elle; les procds des inspecteurs du travail l'gard des ateliers dirigs par des congrganistes sont galement trs mauvais. La loi des ' retraites mesure parcimonieusement la sphre d'action des socits de secours mutuels qui, pour constituer des pensions la vieillesse, devront avoir une autorisation nouvelle et spciale du Gouvernement : un coup terrible est ainsi port la prvoyance libre qui ne s'en relvera peut-tre pas. Les autorits dcentralises ellesmmes, conseils gnraux et conseils municipaux, sont mises en suspicion pour tous les services d'assistance, l'inspection et la direction sont rserves jalousement, de plus en plus, des agents relevant directement du Pouvoir central. On fait sans doute appel aux dpartements et aux communes pour les obliger prendre la plus grosse part des frais leur charge, de mme que les patrons sont constitus collecteurs des sommes fournir par les ouvriers pour leurs retraites. Mais lo service dpend toujours du prfet, c'est--dire du reprsentant de l'Etat, d'un subordonn du ministre auquel il est forc d'obir, d'un agent politique par excellence. On a mme os prsenter une telle organisation comme l'idal du genre, parce que les proccupations financires, n'incombant plus l'Etat, n'auront pas d'influence sur les dcisions qu'il pourra prendre. En dfinitive, tous ces pervices prennent un caractre politique, leur gestion s'inspire d'intrts lectoraux ou des haines et passions du parti au pouvoir. L'Etat, il est vrai, pour multiplier ses (oeuvres propres, invoque des arguments spcieux : s'il fonde partout des co-
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D A N G E R E U S E : LE SOCIALISME
D'TAT
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ce aux malades et aux vieillards ou incurables fournit d'autre part des exemples nombreux (nous en avons dj cit quelques-uns), du rle que jouent en pareille matire les influences politiques, les vises lectorales, les haines antireligieuses. En pourrait-il tre autrement d'ailleurs? Nous vivons en pleine dmocratie et, sous un rgime dmocratique, le pouvoir appartient fatalement un parti qui veut durer.et vivre : il y a l une loi inluctable. Un tel rgime est fond sur le suffrage, sur l'lection; le nombre fait la loi. Ds lors il tend par essence la centralisation sous toutes ses formes; il ne veut avoir en face de lui que des individualits incapables de rsistance; il met fatalement la main sur tous les services conomiques lui procurant de grosses sommes manier et une influence considrable, il les dtournera de leur but normal pour en faire des instruments lectoraux, au besoin des armes de guerre contre la religion quand, comme aujourd'hui, l'anticlricalisme est la pense dominante de nos gouvernants. On prtend faire de l'assistance sociale, on fait pratiquement de l'assistance politique, car la tentation est trop forte pour qu'on y rsiste. Les trois millions de secourus n'ont, au sein de notre socit, qu'un seul intrt : augmenter les dpenses dont ils profitent, dt la communaut en souffrir. Ils constituent une force et, parmi eux, nombreux sont les lecteurs. Et l'on s'imagine qu'un rgime fond sur l'lection va les laisser chapper son influence. C'est de la folie pure. De fait, nous voyons les hospitaliss conduits au scrutin par les directeurs d'tablissements pour voter par ordre, tandis qu'on tient les autres par les secours toujours rvocables du bureau de bienfaisance. L'Etat a besoin d'lecteurs sa dvotion, il les forme dans les coles laques, il les maintient disciplins par les divers services dits sociaux. Peu importe donc que les fonctions nouvelles par lui assumes ne soient pas de son ressort et qu'elles entranent des charges insupportables pour les contribuables, il les recherche passionnment et y tient parce qu'elles lui fournissent des places pour ses cratures, un moyen d'action sur les lecteurs. Il lui faut pour vivre des hommes votant selon ses vues, asservis ses caprices, pousant ses plus injustes querelles. Le socialisme d'Etat les lui procurera. Bref, une lgislation vraiment sociale devrait avoir pour principe un retour aux traditions de la socit chrtienne et pour effet le libre dveloppement des groupes sociaux. Les lois franaises rcentes sont fausses par l'esprit individualiste, rvolutionnaire, antireligieux, qui prside leur laboration et leur application. La rglementation ouvrire -amliorera peu la situation matrielle des travailleurs, elle aggraveia leur condition morale et rendra les rapports sociaux plus difficiles encore. La centralisation devient chaque jour plus troite, les moyens d'action du Gouvernement se perfectionnent et se multiplient. C'est l'Etat tyran, avec cette circonstance aggravante qu'il est
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impeisonnel, que le Gouvernement est le prisonnier d'un parti et que ce parti, contempteur de l'autorit divine, ne connat d'autre loi que sa volont.
y.
Dans do telles circonstances, les catholiques doivent-ils donc se dsintresser des questions sociales? Non, certes, tout au contraire, ils doivent s'en proccuper plus, que jamais et, puisqu'ils ont pour eux la vrit, l'enseignement de l'Eglise et des traditions franaises, leur action sera incessante, nergique, dans l'uvre de rgnration entreprise ils doivent tenir le premier rang. Mais il faut qu'ils dominent les faits au lieu d'tre domins par eux, que la raison les inspire plus que le sentiment, qu'ils rpudient rsolument les ides fausses que l'individualisme rvolutionnaire a semes mme chez les meilleurs, qu'ils rsistent la fois et aux sollicitations d'un conservatisme apeur faisant sans cesse appel h la force brutale pour la dfense des intrts matriels et au dsir de rparer au plus vite, ft-ce inconsidrment et par des procds dangereux, ce qu'ils considrent comme des injustices sociales. Sinon, quelqu'excellentes que soient les intentions, leur effort est vou l'insuccs. On ne refait pas une nation en un jour, par des textes lgislatifs ou rglementaires, moins encore par un parti pris vident en faveur des classes sociales qui auraient t ngligs jusqu'ici. Chaque classe a ses devoirs en mme temps que ses droits, il faut l'instruire des uns comme des autres et refaire son ducation complte, agir sur les murs avant tout. Certaines impatiences protesteront contre un tel programme dont les effets ne se feront sentir que lentement, mais la russite est ce prix. Aussi bien, des mesures lgislatives ou rglementaires, si elles sont, notre sens, absolument inefficaces pour rsoudre elles seules et tout de suite la question sociale, peuvent grandement prparer cette solution. Naturelle l'homme et indispensable au plein panouissement de ses facults, de ses nergies, seule, l'association libre peut donner satisfaction complte des besoins dont les progrs de la civilisation augmentent chaque jour le nombre. C'est une libert ncessaire et fconde, une tradition catholique et franaise. La dmocratie politique et les transformations conomiques, loin d'galiser les conditions entre citoyens, ont ciggrav les ingalits sociales et creus le foss entre les deux classes subsistantes, celle qui possde et celle qui ne possde pas, une poque o la puissance de l'argent est plus grande que jamais. Le patronage et la loi sont insuffisants comme facteurs de pacification sociale. Celle-ci est trop rigide et ne peut que procurer l'initiative prive les conditions primordiales ncessaires pour se manifester utilement ou accidentellement la suppler. Quant au patronage,
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l'organisation do la grande industrie lui confre fatalement un caractre plus administratif, moins cordial qu'autrefois; il se heurte aussi trop souvent aux mfiances des ouvriers. L'association, l'association professionnelle surtout, semble donc tre l'instrument le plus appropri pour produire le rapprochement des classes : elle peut les unir sans les confondre et satisfaire les besoins spciaux chacune tout on assurant leurs droits rciproques. Ds lors, le devoir des catholiques est tout trac. Beaucoup parmi UX sont, hlas! les adversaires des associations et des syndicats dont ils constatent les violences et qu'ils jugent tre ncessairement des foyers de dsordre. S'inspirant toujours, mme inconsciemment, des principes de 1789, ils sont effrays par les ides corporatives, ides d'avenir , a dit M. Millerand, mais ides du pass aussi, l'histoire de France en fait foi. La raction contre un pareil tat d'esprit s'impose. Certes, l'Etat dmocratique est bien dans son rle quand il travaille rduire l'impuissance les groupements dont il a t forc de reconnatre l'existence. Il est dans la tradition rvolutionnaire, car nous n'oublions pas que les Jacobins proscrivaient l'association professionnelle peine de mort. Sans morale ni principe, n'ayant d'autre garantie de dure que la force matrielle, il est l'ennemi n de toute libert collective, de toute force sociale indpendante, il lui faut en face de son omnipotence une poussire d'individus impuissants parce qu'isols. Mais les Franais de tradition se doivent de rpudier les conseils de l'individualisme goste et d'encourager l'organisation professionnelle, le groupement corporatif, que l'instinct populaire rclame bon droit. Du reste, ceux qu'pouvantent les excs de la C. G. T. il est aiso de rpondre qu'on n'en aura pas raison par la violence : on ne la supprimera qu'en la remplaant. A ce point de vue, tout un travail lgislatif est faire. Les Jois de 1884 et 1901 sont hypocrites : si elles reconnaissent, si, plus exactement, elles tolrent les syndicats et les associations qui existaient dj en fait, elles ont soigneusement limit leur sphre et leurs moyens d'action, leurs facults d'enrichissement, leur patrimoine collectif. Toutes les lois qui, depuis lors, ont tent de rformer les conditions du travail oublient systmatiquement le syndicat, qu'il s'agisse d'instituer les Conseils du travail ou de rgler les rapports entre les ouvriers et les compagnies charges d'un service public. Si donc, pratiquement, les inconvnients de l'association se sont manifests avant ses avantages, il faut l'attribuer d'abord un dfaut, d'ducation et d'exprience, mais bien plus encore au mauvais vouloir du lgislateur et du gouvernement. Les syndicats font de la politique parce que, dtourns par la loi des questions professionnelles et sollicits par les politiciens dsireux de devenir dputs et mme ministres, ils ont fatalement dvi de leur but naturel. Nous ne devons donc pas nous lasser de provoquer par d'incessantes rclamations, de promouvoir,
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LA
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RELIGIEUX,
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SOCIAL
de prparer une lgislation permettant de constituer librement des groupements, professionnels ou autres, riches, donc responsables, prcieux instruments de paix sociale, accordant ces associations des droits tendus tout en les maintenant dans leur sphre propre d'activit loin des agitations purement politiques. Une telle organisation, ainsi fonde sur le principe d'union, permettrait au monde du travail de faire ses affaires lui-mme, d'tre son propre lgislateur, son propre juge conciliateur. Un tel rsultat est minemment dsirable. Maifc e n revanche, tout texte augmentant le rle et les fonctions de l'Etat dans les questions sociales doit nous tre en principe suspect. Tous les pouvoirs nouveaux confrs l'Etat politique seront employs son profit exclusif, au dtriment de la socit, rencontre des ides religieuses et traditionnelles. Il y a dj e n France une centralisation excessive, gardons-nous de nous faire les complices du parti au pouvoir en l'augmentant encore par l'appui donn au socialisme d'Etat. Sans doute, il est plus ais de confier la direction de nouveaux services des administrations dj existantes et de s'en remettre au Gouvernement pour leur surveillance, les rsultats cherchs paraissent devoir tre acquis ainsi plus rapidement. Erreur profonde. Rien n'aura t fait ainsi pour rorganiser la socit; il faudra reprendre la tche sur de nouvelles bases et ce sera plus difficile, car il faudra lutter contre l'Etat pour lui retirer des prrogatives qu'il voudra conserver. Si donc les catholiques veulent faire cauvre utile, durable, fconde, qu'ils combattent nergiquement le socialisme d'Etat : l est pour eux le plus grand danger d'insuccs.
Henry AUDIRE.
UN PAR
ARTICLE
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LES
CATHOLIQUES
Nous abordons directement la thse catholique sur le droit que possde l'Homme-Dieu-, et que possde avec lui l'Eglise, qui le reprsente ici-bas. d'exercer sa divine autorit dans l'ordre moral, sur les socits aussi bien que sur les individus, et l'obligation que ce droit impose a u x socits, de reconnatre l'autorit de Jsus-Christ et de l'Eglise, dans leur existence et leur action collective, comme cette autorit doit tre reconnue par les individus dans leur for intrieur et leur conduite prive. Voici comment elle se pose : 1. Voir le numro du 1 mai. La thse dveloppe dans cet article /est littralement extraite de l'ouvrage prcit du P. Ramire.
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LES CATHOLIQUES
LIBRAUX
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u'est un dogme de foi que Jsus-Christ possde une autorit souveraine sur les socits civiles, aussi bien que sur les individus dont elles sont composes ; et,par consquent, les socits, dans leur action collective, ainsi bien qw les individus, dans leur conduite prive, sont tenues de se soumettre Jsus-Christ et oVobserver ses lois. Cette vrit ainsi formule ne se rencontre, il est vrai, dans aucun dcret de concile ni dans aucune dfinition pontificale; mais nous ne l'affirmons pas, pour cela, avec moins de certitude, comme un article de foi, clairement enseign dans l'Ecriture et toujours admis sans contestation dans l'Eglise (1). S'il en est vraiment ainsi, comme on va le voir, s'il y a obligation pour tous les catholiques de professer cette vrit, non seulement tombent tous les doutes si lgrement mis sur le srieux et la valeur de cette thse, mais elle prend videmment sa place parmi celles dont S- S. Pie X nous encourage fortement ne pas abandonner la dfense, en nous avertissant avec tant d'instances que la courageuse affirmation des vrits catholiques est ncessaire plus que jamais. C'est on vue de cette conclusion pratique que nous avons voulu traiter ce sujet.
Passons a u x preuves. La premire se tire de l'troite connexion de la royaut sociale de Jsus-Christ avec les principes les plus lmentaires de la foi chrtienne. La souverainet spirituelle de l'Homme-Dieu sur les socits, et, par consquent, de son Eglise, se dduit : 1 de la divinit de JsusChrist; 2 de son titre de Chef de l'humanit; 3 de sa qualit y Sauveur. 1. Notre foi, en effet, nous oblige de reconnatre en Jsus-<Christ deux natures dans une seule personne. Il est homme semblable nous, mais e n mme temps il est Dieu comme son Pre; et l'homme et le Dieu n'ont qu'une mme substance et, partant, une mme divinit. Jsus-Christ homme est Dieu, et Jsus-Christ Dieu est homme. De mme donc qu'en lui l a divinit s'est appropri les attributs et les faiblesses de l'humanit, elle a communiqu l'humanit les droits et les prrogatives qui lui sont propres. Nier cela serait nier la foi chrtienne, et ^tomber dans une manifeste hrsie. Maintenant, qu'on nous rponde : l'empire de toutes choses," la souverainet absolue sur tout ce qui existe, n'est-elle pas un des attributs ncessaires &e l a divinit? Evidemment, oui : s'il n'y a qu'un seul Dieu, et s i ce Dieu est le crateur de toutes choses, il en est aussi le! 1. Il n'est question ici que de la souverainet spirituelle de Jsus-Christ et de l'Eglise.
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matre souverain et absolu. Donc s'il s'est incarne, et s'il a communiqu tous ses attributs et tous ses droits la nature humaine avec laquelle il s'est uni, il n'a pas pu ne pas lui communiquer sa souverainet. , Il n'y a donc pas de milieu- : ou il faut renier la.divinit de JsusChrist, ou' il faut reconnatre qu'il est, mme comme homme, le roi de tout ce qui existe, des socits civiles comme des familles et des individus. A lui seul il appartient de savoir dans quelles limites il prtend renfermer l'exercice de s o n autorit; mais limiter cette autorit (elle-mme, il ne le peut' sans abdiquer sa divinit. 2. Il ne lui est pas possible non plus de renoncer cette prrogative sans 'briser les liens essentiels qui l'unissent nous. Le Fils de Dieu, e n devenant homme, est ncessairement devenu le chef de l'humanit. Il a acquis sur cette nature, qu'il divinisait dans sa personne, un droit spcial; et il a contract avec elle de liens bien plus troits qu'avec les autres cratures. Centre commun de la cration, anneau brillant par lequel l'uvre dur Tout-Puissant s'unit au divin ouvrier, terme de tous les travaux et do tous les desseins de la Providence, il est, dans un sons bien plus vrai un titre bien plus sacr, le chef de l'humanit, lo but suprme de tous l e s desseins de Dieu l'gard de notre race, l a rgle de tous nos progrs, et le nud de toutes nos destines. S'il n'est pas cela, il n'est rien. Car supposer que Dieu s e fait homme, pour tre dans l'humanit un simple accessoire, c'est conserver, de la foi chrtienne, tout ce qu'il faut pour attribuer la divine sagesse une palpable absurdit. Mais si Jsus-Christ est tout ce que nous venons de dire, comment admettre que les socits civiles aient le droit de lui devenir trangres? Est-ce que l'action de ces socits n'exerce pas sur les destines gnrales .de l'humanit une influence dcisive? Et si Jsus-Christ n'est rien pour elles, peut-il bien continuer tre tout pour l'hum a n i t On le voit : il est impossible de concilier, avec la foi chrtienne, ce qu'on a nomm la complte scularisation des socits civiles, sans s<e choquer chaque pas contre l'absurde.
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3. On le comprendra mieux encore si on se rappelle la mission que Dieu a donne son Fils, en l'envoyant sur la terre. S'il n'est pas le roi des socits, il lui est impossible de s'acquitter compltement de cette [mission. Qu'est-il venu faire sur la terre? Son nom le dit assez : il s'appelle Jsus; e t ce nom lui a t donn parce qu'il doit sauver son peuple (c'est--dire l'humanit entire), du pch et des suites du pch. Il ne peut donc, sans manquer s a mission, et sans donner un dmenti son nom de Jsus, se priver d'aucun des pouvoirs qui lui sont
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ncessaires pour dtruire le rgne du pch, et rtablir l'empire de la loi de Dieu. Or, nous le demandons : la direction des socits civiles ne peut-elle pas beaucoup pour favoriser le rgne de la loi divine, ou pour mettre obstacle ce rgne? Si les pouvoirs qui gouvernent ces socits ne tiennent aucun compte de cette loi, les volonts individuelles seront-elles suffisamment aides l'accomplir? Les passions mauvaises n'auront-elles pas toute libert pour la fouler aux pieds; et l'indiffrence publique, les privilges sociaux garantis la rvolte aussi bien qu' la fidlit, ne leur donneront-ils pas la fois un grand pouvoir et une grande audace pour entraver et dcourager la fidlit? Il ne peut y avoir cela aucun doute. Donc soustraire les socits civiles l'autorit spirituelle de l'Homme-Dicu, c'est limiter cette autorit, et supposer qu'il peut tre permis la crature d'opposer le plus grand pouvoir qui ait t mis entre ses mains, au succs de l'uvre la plus chre au cur de Dieu. Il n'tait donc pas ncessaire que le Tout-Puissant exprimt ce sujet sa volont. Il suffisait qu'il envoyt son Fils dans lo monde, pour que tous les hommes et toutes les socits fussent obligs de so soumettre son autorit souveraine. Du moment que des signes indubitables nous autorisent voir en lui notre Dieu, le plus vulgaire bon sens nous contraint le reconnatre pour notre roi. La foi ne peut poser le principe sans que la logique tire la consquence.' Et la connexion entre la consquence et le principe est tellement manifeste, que pour la saisir il n'est nullement ncessaire d'tre clair des lumires de la foi. Un musulman et un idoltre ne sauraient eux-mmes rsister cette vidence. Celui-ci, il est vrai, ne reconnat pas un Dieu unique, et celui-l ne veut pas admettre que ce Dieu ait un Fils semblable lui; mais ils seraient contraints l'un et l'autre d'admettre que, la vrit de ces deux dogmes suppose, la royaut sociale de l'Homme-Dieu en est la consquence ncessaire.
A ce premier ordre de preuves viennent s'ajouter celles, directes, que la Rvlation nous fournit. La souverainet spirituelle de Jsus-Christ sur les socits humaines est clairement enseigne dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Dieu attache tant do prix la gloire de son Fils, qu'il n'a pas voulu se contenter de poser les fondements de la souverainet dont il l'investit par rapport aux socits humaines. Il lui a plu d'en construire, en quelque sorte, l'difice de ses propres mains, et d'en rvler les splendeurs de s a propre bouche. Longtemps avant d'envoyer au monde ce Fils bien-aime, il nous l'annonce, et nous trace, en quelque sorte, le signalement auquel nous
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LA CRITIQUE DU LIBERALISME
devrons le reconnatre. Or, entre tous les traits dont se compose ce portiail anticip du Messie, entre toutes les prrogatives qui lui sont attribues ds avant sa naissance, une des plus saillantes, sans contredit, est s a royaut sociale. Ecoutez comment, par la bouche de David, l'Homme-Dieu formule lui-mme la mission qu'il doit recevoir de son Pre. Jhova m'a dit . Tu e s mon Fils; c'est moi qui dans mon jour ternel t'ai len gendre. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour hritage, et les confins de la terre pour patrimoine. Tu les. gouverneras avec un sceptre fort .comme le fer, et elles seront, entre tes mains, comme le vase d'argile que le potier brise son gr. On le Voit : ce ne sont pas les hommes seulement, ce sont les nations, que Dieu soumet au pouvoir de son Fils; et, pour qu'il n'y ait sur la porte de cette donation aucun doute, le Psalmiste tire lui-mme la conclusion que nous avons en vue. Il s'adresse ceux qui personnifient, en quelque sorte, l'existence collective des socits, et il leur dit : Maintenant, rois, comprenez ; instruisez-vous, juges de la terre : soumettez-vous la loi que Dieu vous impose , ou, suivant une autre version : < Em< brassez le Fils que Dieu vous envoie, si vous voulez chapper sa colre, et ne pas vous garer hors de la voie de la justice (1). Dans un autre psaume, David dpeint les bienfaits et la puissance du divin Roi dont il vient de nous rapporter l'intronisation. H nous le montre donnant la paix son peuple, distribuant la justice tous ses sujets, mais prodigue surtout de ses grces l'gard des affligs et des indigents. Comment ces traits ne pas reconnatre le Roi Sauveur? Quel autre que lui, d'ailleurs, a une royaut aussi dJurable que le soleil? Quel autre tend son empire sur toutes les gn rations (2)? Eh bienl ce Roi si grand et si bon, si humble et si puissant tendra (&a domination de l'Ocan jusqu' l'Ocan, et des rives du fleuve jusqu'aux confins de la terre... Tous les rois de la terre l'adoreront, et toutes les nations seront soumises son em pire i(3). David n'est pas l'unique prophte qui Dieu ait rvl la royaut future de on Verbe incarn. Il n'est pas un seul des voyants d'Isral, qui n'ait /t appel en contempler et nous en redire les gloires. Isae nous la montre sous la figure d'une montagne qui s'lve au-dessus de toutes les collines (c'est--dire de toutes les principau ts) do la terre. Et toutes les nations accourent elle; et des peuples nombreux viennent et disent : Allons, montons la montagne du Seigneur et la maison du Dieu de Jacob. Il nous enseignera ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers; car la loi sortira de Sion
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et la parole du* Seigneur, de Jrusalem. Il jugera les nations; et les peuples, captivs par sa parole, changeront leurs glaives en socs de charrue, et de leurs lances ils feront des faux; les nations renonceront j tirer le glaive contre les nations, et elles ne s'exeroeront plus j l'art de la guerre ( 1 ) .
On ne saurait dsirer rien de plus clair que cette prophtie. La royaut du Sauveur y est dpeinte sous tous ses aspects : c'est une royaut terrestre, puisqu'elle s'lve de la terre et domine les grandeurs de la terre : c'est une royaut sociale, puisqu'elle s'exerce sur les peuples et leur donne les lois; c'est une royaut spirituelle, puisqu'elle a pour organe la parole de Dieu; et pourtant elle donne aux socits temporelles la condition la plus prcieuse de leur prosprit, la paix et l'union. Le fils d'Amos n'a omis qu'une chose : c'est de nous dire la dure sans limites de cette royaut, qui, commence dans le temps, doit se consommer dans l'ternit. Mais ce trait final va nous tre fourni par Daniel, dans cette clbre vision o il nous dpeint, sous l'image de quatre animaux, -les quatre grandes monarchies qui devaient servir d'avant-coureurs la monarchie du Fils de Dieu. Aprs nous avoir fait assister la dfaite et la destruction du quatrime de ces animaux, le plus terrible de tous, qui symbolisait la monarchie romaine, Jo vis Js'aviancer, dit-il, sur les nues, le Fils de l'homme; et il vnt en la 'prsence de l'Ancien des jours, qui lui donna la puissance, l'honneur et la royaut. Tous les peuples, toutes les tribus et toutes les langues lui obiront... Il partagera avec le peuple des saints du Trs-Haut cette royaut et cette puissance. Il n'y aura pas, sous le ciel, de royaume dont la grandeur ne lui appartienne. Son rgne est un rgne ternel ; et tous les rois lui devront service et obissance. Ge que les prophtes nous rvlent comme cach encore dans les trsors de la sagesse divine, les vanglistes et les aptres, ou plutt Jsus-Christ lui-mme, dont le Testament nouveau nous rapporte les enseignements, v a nous le montrer ralis dans sa personne. Lui si humble et si ennemi du faste, lui qui a fait un miracle pour empcher les peuples de le proclamer roi, voici comment il rend tmoignage la vrit de cette royaut, dont il repousse tous les honneurs : Tout pouvoir m'a t donn au ciel et sur la terre. Qu'on remarque cette dernire parole : Tout pouvoir m'a t donn sur la terre ; et qu'on essaye d'allier avec une affirmation aussi absolue et aussi nette l'absence de tout pouvoir sur les socits terrestres. Ailleurs, le Sauveur dit encore, sans restriction ou exception aucune : Toutes choses m'ont t livres par mon Pre ; et, au moment mme o il va se mettre aux pieds de ses disciples, et s'abaisser au plus humble ministre :
1. Isae, I.
Vous m'appelez Matre et Seigneur, leur dit-il, et vous dites bien; car je l e suis en vrit. Aprs des dclarations aussi nettes du Fils de Dieu lui-mme, est-il besoin de rappeler les enseignements de ses aptres? Ne sait-on pas que saint Jean le nomme dans son Apocalypse le prince des rois de la terre (1); le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (2). Saint Paul ne nous dit-il pas que Dieu son Pre Ta tabli 'hritier de tout ce qui lui appartient (3), et ne nous enseigne-t-il pas, par l mme, que cela seul est exempt de l'autorit de l'Homme-Dieu, qui est soustrait l'autorit de Dieu lui-mme?
Faut-il maintenant confirmer cette mme vrit par l'enseignement des docteurs et les dcisions des pontifes ? Ce soin est presque superflu aprs 1-PS tmoignages si clairs des saintes Ecritures, que nous venons de rapporter. Il est, du reste, d'illustres sentences qui sont connues de tous. Qui ne se rappelle cette belle parole de saint Grgoire -le Grand l'empereur Maurice, cite et traduite par Bossuet (4) : Sachez, grand empereur, que la puissance vous est accorde d'en haut, afin que la vertu soit aide, que les voies du ciel soient largies, et que l'empire de la terre serve l'empire du ciel. Saint Augustin dveloppe cette mme pense dans plusieurs admirables lettres, adresses aux dignitaires de l'empire : nous nous contenterons de citer les deux p a s s a g e suivants. Dans la lettre CLV Macdonius, le grand docteur s'exprime ainsi : Sachant que vous tes un homme sincrement d sireux de la prosprit de l'Etat, je vous prie d'observer combien il est certain, par l'enseignement des saintes Lettres, que les socits publiques participent aux devoirs des simples particuliers, et ne peuvent trouver la flicit qu' la mme source... Bienheureux, dit le prophte-roi, le peuple dont Dieu est le Seigneur. Voil le veau que nous devons former, dans notre intrt, et dans l'intrt de la socit dont nous sommes les citoyens; car la patrie ne saurait tre heureuse une autre condition que le citoyen individuel, puisque la cit n'est autre chose qu'un certain nombre d'hommes rangs spus la mme loi. Dans la lettre CLXXXV au gouverneur Boniface, il ne s'exprime pas avec moins de prcision. Autre chose est, pour le prince, de servir Dieu en- sa qualit d'individu, autre chose en sa qualit de prince. Comme homme, il le sert en vivant fidlement; comme roi, en portant des lois propres faire rgner la justice et repousser l'iniquit, et en les sanctionnant avec une vigueur convee e
1. voe.y I,
5.
2. Apoe., XVII, 14; XIX, 16. 3. Hebr., I, 2. 4. Oraison funbre de la reine d'Angleterre.
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nable. Les rois servent le Seigneur en tant que rois, quand ils font pGur sa cause ce que les rois seuls peuvent faire. Mais on dira peut-tre que les chefs des socits civiles sont tenus seulement faire observer les prceptes de la justice naturelle; et que pour la loi de Jsus-Christ, pour les devoirs de Tordre surnaturel, il suffit qu'ils laissent chacun sa libert. Saint Augustin rfute ainsi, quinze sicles l'avance, cette objectioh du libralisme. Les rois, e n tant que rois, obissent au prcepte de servir Dieu s'ils commandent le bien et s'ils interdisent le mal dans leurs Etats, non seulement quant aux choses de la socit humaine, mais encore quant celles de la religion divine. En vain direz-vous : Qu'on nous laisse j notre libre arbitre. Pourquoi ne demandez-vous pas la mmo chose pour ce qui est de l'homicide, du viol et de toutes sortes d'infamies, qui sont rprimes par des lois assurment justes et salutaires (1). Nous terminerons ces: citations par un tmoignage plus dcisif encore, parce qu'il est tir d'une lettre dogmatique, crite par le pape saint Agathon, et lue dans le sixime concile gnral. Le souverain Pontife s'exprime ainsi : Le Tout-Puissant, en remettant aux princes la garde de la socit chrtienne, a voulu qu'ils usent du pouvoir qui leur est confi, pour chercher et conserver sans tache la vrit enseigne par ce Dieu, de qui ils tiennent leur royaut, et qui est lui-mme le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Qu'ils fa&senL donc tous leurs efforts pour faire rgner dans toutes les gl ses la vraie doctrine, telle qu'elle a t enseigne par les aptres et transmise par leurs successeurs (2). Il ne peut donc rester ce sujet aucun doute, dans l'esprit d'un lecteur ' de bonne foi. L'Eglise, d'accord ici, comme en tout le reste, avec la rvlation, enseigne q u e les socits civiles et les pouvoirs q u i les gouvernent sont tenus d'obir Jsus-Christ, et de dfendre les droits de sa divine royaut.
**
Encore une fois, la question d'application jet. Il s'agit ici du droit, et non du fait; de thse. Mais, s i les difficults pratiques et tanes qui se rencontrent dans l'hypothse n'entre pas dans notre sula thse, ot non de l'hypoles impossibilits momenfont abandonner et mme
1. Contra Crescen., lib. II, 57. 2. Hor, ad stabilitatem divinitus commisse (principibus) reipublicse Christiana, Ejus (Dei) concessit dignatio, ut imperialis virtus atque clementia de Deo per quem Reges rgnant, qui Rex regnum est et Dominus dominantum, et quaerat et curet cjus immaculatae fidei veritatem, ut ab apostolis et aposfcolicis est patribus tradita, inquirere vigilantor, atque, ut vera traditio continet, instantissime desideret in omnibus Ecclesiis obtinere. (Epislola galhonis vav ad imperatorem, lecta in Synodo VI, act. IV, Hard., t. III, p. 1081. 1111).
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
renier la thse, le fait devient le droit, l'application fausse passe l'tat de principe; le salut devient impossible par la faute de ceux qui avaient le devoir d'en montrer la voie. L'Eglise n'a garde de manquer au sien. Celui des catholiques est d'imiter son courage. Eux aussi, ils ont une mission remplir l'gard de la socit. C'est le point sur lequel il faut insister en finissant. Le lecteur trouvera peut-tre superflue cette abondance de preuves pour tablir un dogme qui se dmontrait par son seul nonc. Mais on cessera de nous reprocher cette prodigalit de lumire, si on considra qu'il s'agit du dogme le plus obscurci par les prjugs et le plus e n butte aux attaques du sophisme. N'est-il pas vrai, en effet, que toutes les doctrines errones, si diffrentes et si opposes qu'elles soient entre elles, l'athisme, le disme, l e rationalisme, le protestantisme, l'indiffrence la plus ddaigneuse et le fanatisme le plus ardent, se runissent aujourd'hui, sous le drapeau du libralisme, en une immense arme, pour proclamer la dchance de Jsus-Christ, et renier sa royaut sociale? N'est-il pas vrai que cette erreur a, sur les croyants eux-mmes, ,un pouvoir de sduction incomparablement plus grand que toutes les autres erreurs? N'est-il pas vident que, si l'Eglise ne rappelait les principes et ne proclamait les prrogatives souveraines de son divin fondateur, la condescendance avec laquelle elle tolre la violation de ces prrogatives aurait pour rsultat de transformer le fait en droit, aux yeux de ses ennemis et aux yeux m m e de ses enfants? D'o vient, en effet, l'opposition que soulvent ses protestations, sinon de ce que soit pour ses ennemis, soit m m e pour u n certain nombre de chrtiens, la dchance de Jsus-Christ tait passe ( l'tat de principe? Il e n cote d'autant plus pour renier ce faux principe qu'il est impos, e n quelque sorte, par la socit tout entire ceux qui veulent partager ses faveurs. Aussi voit-on bien des catholiques, fermes dans leur foi et parfaitement clairs en tout le reste, qui se font illusion, et, par suite de leurs illusions, faiblissent et chancellent sur ce point. Il ne leur en coterait pas de confesser hautement la divinit du Sauveur et sa. prsence relle dans l'Eucharistie; mais dire nettement aux assembles et aux pouvoirs qui rgissent les socits humaines, qu'ils sont tenus de sauvegarder les droits de Jsus-Christ et de se soumettre ses lois, voil ce qu'on ne peut faire aujourd'hui sans un vritable hrosme. Il en fut ainsi dans tous les sicles, par rapport ' certains dogmes, particulirement odieux au monde, au sujet desquels les chrtiens furent plus exposs transiger. L'Eglise a-t-elle jamais consenti ces transactions? C'et t trahir le Dieu qui lui a donn pour mission principale de combattre l'erreur, et de rendre tmoignage la fcrrit. Non, telle n'a jamais v u dans les rpulsions du monde qu'un motif de parler avec plus d'nergie, et elle n'a jamais fait plus> d'efforts pour
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faire thriller la lumire, que lorsque l'erreur s'est efforce davantage d'en /obscurcir le divin clat. C'est ainsi qu'agit aujourd'hui l'Eglise, par rapport la royaut sociale do Jsus-Christ; et nous agirons comme elle, si nous sommes anims d'un vrai zle pour ses intrts. En prouvant ainsi la divine mre de nos mes notre filial dvouement, nous rendrons le plus signal service ceux de nos frres qui no se seraient pas suffisamment tenus en garde contre la contagion des prjugs dominants. Aussi dvous que nous Jsus-Christ et son Eglise, ils n'auraient jamais consenti embrasser des opinions dans lesquelles ils auraient vu la ngation des droits de Jsus-Christ. Aussi, pour abjurer leur erreur, suffirait-il qu'elle leur ait t signale. Et comment un vrai catholique pourrait-il agir autrement, s'il a compris le lien troit qui unit la royaut sociale de Jsus-Christ aux principes les plus lmentaires de notre foi? Si Jsus-Christ ne peut tre p i e u sans tre, par l mme, le Roi des socits humaines, quel est celui d'entre nous qui osera s'arroger le droit de transiger, en son nom, .avec les peuples et les pouvoirs qui lui refusent leur obissance? Si J'on nous dit que le sacrifice de cette moiti de la royaut d e Jsus-Christ est le seul moyen de conserver l'autre moiti, nous saurons rpondre que la vrit n'a jamais consenti tre sauve par de semblables moyens, et que la sauver ainsi, c'est la dtruire! Une et indivisible, elle ne peut tre renie moiti sans, tre renie tout entire; ceux donc qui s'imagineraient servir sa cause par de semblables concessions lui porteraient le plus grand prjudice qu'elle puisse recevoir des hommes, et lui refuseraient la seule gloire qu'elle puisse attendre d'eux. Nous la glorifions en la confessant; et plus elle est attaque avec violence, plus notre confession intrpide et gnreuse lui procure de gloire. Si, au contraire, nous la renions demi, nous obscurcissons l'immortel clat de sa lumire : et nous donnons contre elle, l'erreur, une force irrsistible, la force de la logique. Qu'avons-nous faire, si nous' sommes dvous Jsus-Christ, et si nous nous intressons au vrai bonheur de la socit? Une seule chose : dire hautement notre sicle qu'il ne peut pas plus se soustraire la loi ondamenlale de Vordre providentiel q%Cil ne peut changer les lois de l'quilibre ; et qu'en refusant de btir sur Vunique fondement pos par la main de Dieu^ il ne peut faire que des ruines ; lui dire et lui redire que pour les socits comme pour les individus, il n'y a qu'un seul sauveur; et que ceux-l se condamnent une perte certaine, qui se font les ennemis du Dieu infiniment bon, venu dans ce monde pour leur apporter le salut. Nec enim aliud nomen est sub clo datum hominibus, in quo oporteat nos salvos fieri.
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
RPONSE A LA
C H R O N I Q U E SOCIALE
La Chronique sociale de France, organe des Semaines sociales, a publi, le 15 avril dernier, un article do M. l'abb Thellier de Poncheville, intitul : L'attente d'un pouvoir fort, qui appelle une srieuse critique, car, s'il tait pris la lettre, il' aboutirait fortifier encore des dissidences qui n'ont dj fait que trop de ravages, et dcourager des bonnes volonts dignes au contraire de la plus expresse sympathie. Cet article d'ailleurs, nous ne faisons nulle difficult d'en convenir, est crit avec une certaine loquence. Mais cette loquence est, en dfinitive, trop voulue; ses priodes se balancent avec une recherche tellement tudie, que la franchise, tranchons le mot, s'y trouve sacrifie la diplomatie. L'uvre entreprise par VAction franaise dplat M. l'abb Thellier de Poncheville et ceux dont il expose les griefs : voil la raison premire et unique de l'article. Or, l'auteur, au lieu d'noncer simplement cette raison, prend mille dtours, imagine cent circonlocutions, pour la faire entendre. Et volontiers nous verrions dans cette discrtion un hommage involontaire l a puissance du mouvement qu'on prtend enrayer, si nous ne jugions-offensante cette faon d'attaquer par voie de priphrase des hommes dont l'un des mrites les plus apprciables est de procder par affirmations nettes, de lutter visage dcouvert et d'appeler toutes choses par leur nom. Encore si M. l'abb Thellier de Poncheville s'tait born instruire, ft-ce obliquement, le procs de YAction franaise! Comme elle est assez grande personne pour se dfendre, et comme il n'entre pas dans le programme propre de notre Revue de faire ex professo l'apologie des thses qu'elle a popularises de si clatante manire, ncus pourrions omettre de rpondre M. l'abb Thellier de Poncheville. Mais cet ecclsiastique n'a pu se tenir d'incriminer, ce propos, notre Directeur, ohl d'une faon sournoise, que nous dirons plus loin : et, du coup, la justice et l'honneur requirent de notre part une rplique o nous esprons mettre autant de clart que l'agression comporte d'insinuations louches. A chaque ligne, d'ailleurs, M. l'abb Thellier de Poncheville invoque l'intrt de l'Eglise, chaque page il se rclame de Pie X, e n plusieurs endroits mme il dnonce le mouvement de Y Action franaise comme dommageable la foi : c'en est trop, et la Critique du Libralisme, pour qui la foi, l'Eglise et Pie X sont au moins aussi chers et aussi sacrs que pour la Chronique sociale de France, se doit de relever un essai de thse dont le mielleux artifice ne parvient pas dissimuler le sophisme essentiel.
I
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gcisse qui torture les mes. Il prte l'oreille cette question, universellement pose : d'o nous viendra le salut? Mais il s'tonne aussitt d'entendre cette rponse : Lo sauveur sera un rgime d'autorit. Arrtons-le tout de suite, pour lui dire qu'ici, ce qui isurprend plus juste titre, c'est sa surprise elle-mme. Trois raisons, en effet, devraient lui faire apprcier la convenance et l'opportunit d'une telle repense : la premire, c'est que toujours le spectacle de l'anarchie fait souhaiter le retour de l'autorit; la seconde, c'est que les impulsions imprimes l'Eglise par son Chef auguste, et qui vont toutes un affermissement de l'autorit, ne peuvent pas ne pas avoir de rpercussion jusque dans l'ordre politique; la troisime, c'est qu' son foyer, M. l'abb Thellier de Poncheville doit avoir reu- cette maxime, qu'on a d. le convier considrer comme un axiome, j savoir que le sauveur sera un rgime d'autorit . Et nous prions qu'on veuille bien ne pas nous interdire cette dernireraison comme trop personnelle. L e signataire do ces lignes, alors qu'il cherchait fortifier ses convictions naissantes, s'est enthousiasm en entendant, il y a trente ans, le pre de* M. l'abb Thellier de Poncheville plaider avec feu la ncessit, mieux que cela, l'urgence d'un rgime d'autorit. N'a-t-il pas sujet aujourd'hui, en lisant l'expos des mfiances qu'inspire un tel rgime au fils de l'orateur acclam des banquets royalistes d'antan, de demander : qui a-t-on tromp, ou qui trompe-t-on? Nous avons connu un Thellier de Poncheville trs ardent pour le pouvoir fort ; nous avons adhr ses professions de foi vigoureuses; nous avons orient dans ce sens notre carrire de publiciste; aujourd'hui nous rencontrons, un autre Thellier de Poncheville, fils du premier, et, qui plus est, prtre, qui s'applique longuement montrer que non seulement nous poursuivons un rve , mais que la poursuite de ce rve pourrait devenir dommageable notre foi : comment garderions-nous le silence, comment ne marquerions-nous pas cette divergence, alors surtout que le mot de l'apparente nigme est fort ais dmler? Car enfin, si M. l'abb Thellier de Poncheville a tourn le dos au programme autoritaire et monarchique que son pre soutenait avec tant d'clat, et qu' sa suite nous adoptmes, c'est, n'en pas douter, par l'effet de complaisances librales et dmocratiques qu'il lui en cote aujourd'hui de devoir rpudier. Tout son article n'a mme d'autre objet que d'entasser de spcieuses raisons pour justifier rtrospectivement une sorte de dsertion qui a cess, lui-mme le sent, d'tre * bien porte . Tche ingrate, coup sr, mais dont nous avons bien le droit, ce semble, de prciser la gense, nous qui, par une inflexibilit qui eut ses jours d'preuve, nous sommes pargn les mcomptes de la palinodie. Pour tout dire, si M. l'abb Thellier do Poncheville nous obligeait ratifier ses conclusions prsentes, il nous donnerait le droit de demander compte son pre des discours passs
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de celui-ci : sa pit filiale l'induira, pensons-nous, mieux aimer recevoir lui-mme nos coups que de les attirer sur son pre.
II S'il est mal venu se montrer surpris de la faveur avec laquelle on accueille la pense d'un retour un rgime d'autorit , M. l'abb Thellier de Poncheville a plus mauvaise grce encore dprcier systmatiquement le mouvement qui le chagrine. Il lui reproche de vouloir s'imposer tous en consigne obligatoire et en recette infaillible : c'est travestir les mthodes de VAction franaise, qui met son point d'honneur solliciter la raison et faire valoir l'intrt de la patrie. Il reproche cette solution d'tre simpliste : est-il donc indispensable, pour sauver un peuple, d'imaginer des solutions complexes, et le ralliement, qui fut complexe souhait, n'a-t-il pas fait ses preuves? Se plaindre de la simplicit d'une solution, cela revient, ce nous semble, dire que la marie est trop belle. Puis, o donc M. l'abb Thellier de Poncheville a-t-il v u que cette solution a t suggre l'origine par le dcouragement irrflchi des curs ? Les initiateurs de YAction franaise ne furent ni des dcourags, ni des irrflchis : le spectacle de l'abaissement de la pairie par l'effet de l'affaire Dreyfus, d'une part, la claire-vue de l'impuissance des universitaires fonder une morale cohrente, d'autre part, voil, historiquement, les deux germes qui donnrent naissance leur entreprise, et ce qui leur manqua le moins, c'est lo courage et c'est la rflexion. Parmi leurs adhrents, M. l'abb Thellier de Poncheville voit des dserteurs de l'action , heureux de dispenser leurs bras clu rude effort prsent : c'est l pur verbiage, car, si les tenants de Y Action franaise dsertent volontiers la paperasserie et la vaine frivolit des parlotes, personne plus qu'eux n'a coordonn l'action avec l'tude, personne mieux qu'eux ne s'est appliqu au rude effort prsent > ^ persenne n'a mis des bras plus vigoureux au service de conceptions plus hardies. C'est de l'histoire. Et cette critique tombe d'autant plus mal, que la plupart des dtracteurs de Y Action franaise la jugent du point de vue tout contraire : ils la trouvent trop agite, trop encombrante et surtout trop violente. Nous leur renvoyons M. l'abb Thellier de Poncheville, qui, pour un peu, l'accuserait de quitisme... III Mais ce sont l critiques subsidiaires. Le grief capital de M. l'abb Thellier de Poncheville contre YAction franaise consiste voir en
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ello un pril pour la cause chrtienne dans le temps et le pays o nous sommes. Lisez sa sentence de condamnation : Le mal n'est pas que des catholiques soient dupes d'un rve, mais que d'autres russissent les duper, avec des mots d'apparence et de sonorit religieuses, au profit d'une entreprise qui n'est leur aucun titre et dont la poursuite quivoque pourrait devenir dommageable leur foi. Voil une imputation grave, et qui demanderait des preuves. Celles qu'apportera l'auteur dans la suite de son article sont manifestement inoprantes, outre qu'il les '.enveloppe lui-mme en des formules plus vasives que prcises. Nous les examinerons plus loin, et nous verrons vite que, loin d'illustrer l'espce de thse qu'on vient de lire, elles sont plutt des accusations nouvelles et latrales que des justifications de l'accusation principale. C'est donc celle-ci qu'il convient de rpondre tout de suite. Or, nous demandons comment M. l'abb Thellier d e Poncheville ose dire des catholiques que YAction franaise n'est leur aucun titre . Ou cet ecclsiastique, qui se pique d'tre au courant du mouvement des ides, ne connat pas YAction franaise, ou il doit savoir : I que YActioh franaise poursuit la restauration de la monarchie; ce qui n'a rieri de contraire la doctrine catholique, c qui concorde au contraire avec le souci des intrts catholiques, ce qui nous reporte enfin aux plus belles pages de l'histoire religieuse, o Ton vit l'Eglise favoriser l'institution des monarchies chrtiennes; 2 que YAction franaise dtruit passionnment le systme de la souverainet du peuple, ce qui fait d'elle la collaboratrice, explicite ou implicite (il n'importe!), des enseignements des Papes, et notamment du Syllbus do Pie IX et de l'Encyclique de Pie X sur le Sillon; 3 que YAciion franaise entend reconnatre l'Eglise catholique romaine, au nom de l'intrt national et en vertu d'une obligation ne de l'histoire, la situation intgrale, les droits et prrogatives que cette Eglise mme prtend lui appartenir, situation, droits et prrogatives, que YA.ction franaise tient pour extrieurs ou suprieurs au domaine propre de l'Etat; 4 que Y Action franaise, mises part quslquesi personnalits notoires, dont lo concours, tant loyal et sincre, no saurait tre rpudi, groupe en fait, on tous ses milieux, des catholiques militants, dont le langage est marqu au coin d'une orthodoxie non douteuse, et dont les actes sont les plus vigoureux qu'on ait, depuis bien longtemps, raliss au service des liberts catholiques. Et, aprs tout cela, M. l'abb Thellier de Poncheville vient dire aux catholiques que YAciion franaise n'est lour aucun titre ? Que demande-t-il donc?
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Oui, que demande-t-il? Si nous voulions aller au bout do la rponse que rclame cette question, nous rpondrions que peut-tre il n'en de-, mande... pas tant! Vainement prtend-il se placer au point de vue catholique pour rprouver l'attente d'un pouvoir fort : l'objection qu'il oppose YAction franaise n'est pa3 celle d'un catholique, c'est
Critique du libralisme. 15 Mai. 3
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fait et cause pour des Pierre, pour des Lugan, ou pour leurs congnres anonymes? L'incident du chtelain qui mit des conditions sa souscription au denier du culte n'est pas spcifiquement imputable YAction franaise, qui n'a pour Mgr Guillibert qu'une dfrence prouve. Enfin, quel publiciste de YAction franaise a jamais usurp la mission des vques jusqu' l'exercer contre tel d'entre e u x ? On y pousse si loin le scrupule en ces matires, que, si l'on y traqua Thalamas jusqu' ce qu'il renont faire e n Sorbonne son cours injurieux pour Jeanne d'Arc, on rsolut catgoriquement de s'abstenir, quand on fut tent de contrecarrer le cours de i'ex-abb Loisy, tant on y professe que, pour les. choses d'Eglise, l'Eglise seule est comptente pour agir!
(
Une telle correction, vraisemblablement, dconcerte M- l'abb Thllier de Poncheville. Il s'en meut d'autant plus qu'il la voit pratique par des gens trangers la vie de l'Eglise. C'est encore l une quivoque; car, si YAction franaise compte parmi ses chefs quelques agnostiques, et qui se dclarent tels avec une loyaut qui commande le respect, il se trouve que ceux-l mmes professent, nous le rptons, une dfrence entire pour l'Eglise romaine, dont ils admettent et appellent la libre tutelle pour la socit franaise. Pour le reste, YAction franaise est si peu trangre la vie de l'Eglise, que son correspondant romain, Aventino, est, nous l'avons not maintes fois, le plus averti, le mieux renseign, le plus dvou dos correspondants de la presse franaise Rome, si bien que la politique de Pie X n'a peut-tre pas de soutien plus ferme et plus sciemment fidle. M. l'abb Thellier de Poncheville, qui parle loquemment de Pie X, tout en oubliant de chercher comprendre aprs coup cette Encyclique sur le Sillon que ses contradicteurs ont eu le mrite de ne pas attendre pour en professer et en servir ardemment toutes les conclusions, M. l'abb Thellier de Poncheville, disons-nous, trouve videmment dans ce contraste le motif d'un dpit dont il se venge comme il peut, ce qui n'est gure. IV Bon prince, M. l'abb Thellier de Poncheville ne tarde pas convenir que c'est dans la socit franaise , et non dans l'Eglise, que YAction franaise poursuit la restauration nergique de l'autorit. Mais il se hte de dclarer qu'en ceci, il est permis des catholiques, en tant que tels, de penser diffremment de leurs iries . Tant de dbonnairet, avouons-le, nous change, car, l'poque da ralliement, les rfractaires jouissaient d'une latitude beaucoup moindre, et c'esi contre eux qu'on tournait cette intransigeance opinitre qu'on reproche aujourd'hui aux partisans d'un pouvoir fort . Aprs cela, comme tous les gots sont dans la nature, on peut effectivement
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pardonner, ceux qui ont encore l'originalit de s'y tenir, la fantaisied'admirer les puissances ordonnatrices de la cit terrestre qui abandonnent aux citoyens une part plus grande d'initiative : mais M. l'abb Thellier de Poncheville est-il de taille contredire de faon probante l'Action franaise, quand elle" montre que cette initiative des citoyens, tendue un domaine qui n'est pas le leur, mais touffe dans tous les domaines o elle pourrait jouer utilement, s'exerce avec autant de malfaisance que d'incomptence? En tout cas, M. l'abb Thellier de Poncheville n'admet pas que ls catholiques < engagent leur foi commune dans cette querelle profac ne > , qu'ils . entranent l'Eglise dans l'impopularit de ces luttes an> ticonstitutionnelles ni dans l'aventure d'un coup d'Etat . Mais quai catholique a jamais suggr pareille chose? Entraner l'Eglise dans l'aventure d'un coup d'Etat, quand YAction franaise y d-t-elle song? Nous avons vu l'Eglise entrane dans la souricire du ralliement, qui n'eut rien de si glorieux, et qui mme atteignit le parangon /de l'impopularit . Mais, aux luttes anticonstitutionnelles , qui jamais parla de la mler? C'est du reste une maladresse insigne que de parler ici d ' impopularit ; c'est retarder d e quinze ans; l'anticlricalisme, oui, a t un instant populaire, et qui sait si la faute n'sn fut pas au libralisme notoire des chefs de l'ordre moral et des ministres du SeizeMai? Quant au mouvement de YAction franaise, c'est, depuis quarante ans, le premier, qui, poussant droite, ait recueilli des sympathies ardentes et effectives dans toutes les classes de la* socit. C'est une autre maladresse, presque doctrinale celle-l, que de nommer profane une querelle dont l'issue, si elle e s t heureuse, peut amener indiscutablement l'affranchissement des consciences chrtiennes. Ici encore, nous pourrions faire appel aux souvenirs personnels et familiaux de M. l'abb Thellier de Poncheville : ne se souvient-il pas des luttes que son pre livra, voici trente ans, pour pargner l'enfance 'baptise l'oppression scolaire? Cette oppression s'est tablie; elle s'tend; elle dure; en conscience, peut-il nous dire quel moyen il entrevoit de la faire cesser? Cela presse, cependant; chaque anne., une gnration nouvelle subit la dformation perverse de l'cole athe. h'Action franaise, avec un dsintressement insouponnable, offre un moyeu d'abattre ce monstre; elle dclare qu'il est temps de sparer la franc-maonnerie d'avec l'Etat . Et M. l'abb Thellier de Poncheville hsite, il fait la petite bouche; au risque de rappeler les feintes pudeurs de Tartufe devant les appas de Donne, il veut qu'on s'loigne de cette querelle profane 1 Voici pourtant un trait qui eut pour thtre sa ville natale : n'estce pas Valenciennes, en effet, que Louis Dimier fut rvoqu de ses fonctions de professeur de' philosophie, pour tre all saluer les Marites le jour de leur expulsion? Etait-ce l une dmarche trop pro-
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fane votre gr? Et trouveroz-vous, dans d'autres groupements religieux ou politiques, beaucoup de sacrifices aussi hroques? Le glorieux agrg de l'Universit qui s'exposa sans faiblir cette rvocation est aujourd'hui l'un des chefs de Y Action franaise : n'est-ce pas piti do voir un prtre, un prtre n Valencienncs, dnoncer, aux dfiances des catholiques, comme une querelle profane , l'entreprise laquelle le fier catholique qu'est Louis Dimier consacre dsormais sa fvie?
V.
Au passage, M. l'abb Thellier de Poncheville suggre, comme prfrable la solution de YAction franaise, sa solution lui. Elle consisterait introduire des rformes par lesquelles gouvernants et sujets deviendraient plus aptes leur tache . Il nous assure que point n'est besoin pour cela d'une rvolution , et qu" ce travail reconstructeur les catholiques sociaux s'emploient pour leur part. Nous savons bien qu'il ne faut jamais chagriner l'adepte d'une panace, l'instant surtout o il dit : prenez mon ours ; niais nous gardons le droit de sourire, quand nous voyons mettre en parallle l'effort tout verbal de ces catholiques dits sociaux avec l'entreprise autrement efficiente de YAction franaise. En quoi la propagande des premiers a-t-elle jamais abouti fortifier l'action coordinatrice du pouvoir? Crot-elle e n avoir seulement relev le prestige? Oui, dans les Semaines sociales, on a port des toasts M. Fallieres : nous savons bien ce que le prestige de ces Semaines y a perdu, mais, sincrement, nous ignorons ce qu'y a gagn le prestige prsidentiel. Aussi bien, tout ce qui se dit do bon, tout ce qui se fait do sain et d'utile parmi les catholiques sociaux ne vaut qu'en fonction des maximes nonces par l'Ecole sociale catholique, dont le chef est le marquis de la Tour-du-Pin, c'est--dire l'un desi matres et des amis les plus chauds de Y Action franaise. Et c'est fort injustement, pensons-nous, qu'ici M. l'abb Thellier de Poncheville accuse de libralisme conomique et d ' individualisme latent Y Action franaise, parce qu'elle s'insurge contre toute nouvelle intervention de la loi. Un catholique social aussi distingu que M. Pabb Thellier de Poncheville, dont la famille, Valenciennes encore, a connu certainement Charles Prin, l'un des prcurseurs de M. de la Tourdu-Pin, devrait savoir qu'entre l'interventionnisme de l'Etat, socialiste dans son aboutissement, d'une part, et le libralisme individualiste, d'autre part, se place prcisment le rgime de l'association professionnelle ou corporatif, lequel est assidment prn dans Y Action franaise par M. l'abb de Pascal. Si, cependant, les catholiques sociaux se croient plus qualifis que Yction franaise pour faire du bon travail , qui les empche
d'y vaquer? Leur interprte raille les impuissants efforts gaspills depuis quarante ans : s'il a vraiment mieux nous offrir, grand bien lui fasse 1 Mais comment ne pas demeurer e n dfiance, quand nous le voyons tourner court en ces termes : ...A y regarder de prs, telle quelle, et entre des mains qu'on pourrait mieux choisir, l'autorit n'est pas si faible en France; nous nous plaignons mme de sa tyrannie omnipotente, de 2a soumission d'un peuple trop docile. Rverionsnous donc d'une autorit qui serait puissante tant qu'elle nous demeurerait acquise et qui perdrait soudain son empire le jour o d'autres s'en rendraient matres contre nous? Sophismes que tout cela! Oui, la tyrannie de l'Etat est omnipotente en France, oui, le peuple est trop docile la loi mme injuste et l'Etat mme perscuteur. Mais VAction franaise vous dira que cette tyrannie et cette servilit sont le fruit naturel de la dmocratie : loin donc de songer fortifier aveuglment, perdument, l'autorit, et surtout de la vouloir puissante aux mains de nos amis et faible aux mains de nos adversaires, comme vous l'imaginez gratuitement, elle vous dira qu'elle vise e n dessaisir amis et adversaires, destituer de ce chef tous les partis, pour la laisser entire aux mains de qui, ne relevant d'aucun parti, n'aura pour se dterminer que les suggestions de l'intrt national avec lequel se confondront son intrt propre et celui de sa famille. Et c'est Bonald qui expose que les chances de tyrannie sont aussi rares e n ce dernier systme qu'elles sont multiples dans le systme dmocratique. Et c'est l'histoire elle-mme qui, sur ce point comme sur tant d'autres, donne raison Bonald.
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Mises e n parallle de ces vrits fcondes, les combinaisons proposes par M. l'abb Thellier de Poncheville ne risquent-elles pas de faire l'office d'un cautre sur une jambe de bois? Ce sont les murs publiques, crit-il, qu'il faut corriger plus encore que la charte constitutionnelle Cet amour dcidment dsordonn d e la charte constitutionnelle nous prouve que le ralliement se survit obstinment dans plus d'un de ses serviteurs, mais, en vrit, le remaniement de la charte constitutionnelle, mme retard par ces impnitents, empchcra-t-il l'amendement des murs publiques? N'est-il pas vrai, au contraire, qu'il l'acclrera? Ds l'instant que seront abattus les obstacles politiques, la libert du bien ne s'panouira-t-elle pas? La mthode de YAction franaise se dclare ncessaire : se prtend-elle suffisante ? Et quand elle dit : Politique d'abord ! , n'a-t-elle pas soin d'expliquer qu'il s'agit l d'une antriorit chronologique, et non d'une priorit logique dans l'ordre des biens dsirables? Jusque-l, personne n'empche M. l'abb Thellier de Poncheville et ses amK de corriger de leur mieux les murs publiques. Nous les avertissons cependant qu'ils pchent contre l'histoire, et quelque peu contre la doctrine, quand ils acclimatent cette pense que les modalits
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constitutionnelles seraient sans influence sur les murs publiques. M. l'abb Thellier de Poncheville ne devrait pas ignorer les fortes pages que Mgr Freppel, nagure collgue de son pre la Chambre des Dputs, a crites contre l'indiffrentisme politique; il devrait en tout cas se souvenir du mot de saint Paul : minuter Dei IN BONUM. C'est pour le bien , tout le moins pour un bien que le dtenteur du pouvoir civil exerce ou doit exercer son pouvoir, et c'est en quoi il mrite le titre de ministre de Dieu . Les moeurs publiques sont donc grandement intresses ce que le pouvoir politique fonctionne e n de bonnes conditions. Prcisment, dans Y Action franaise du samedi 7 mai, M. Charles Maurras, en mme temps qu'il exaltait le nouvel vque de MouHns, Mgr Penon, son ancien professeur, dveloppait, sous le titre : Les murs, un article o il montrait cette importance capitale de la solution politique pour l'amlioration morale du pays : ou nous nous abusons fort, ou de tels crits ont leur prix, mme sous la plume de gens trangers la vie de l'Eglise. Libre, aprs cela, M. l'abb Thellier de Poncheville de continuer se dlecter d'une charte constitutionnelle dont le plus reluisant bnficiaire rvla son souci des moeurs publiques en graciant Soleilland...
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VI Mais voici l'un des plus gros griefs de M. l'abb Thellier de Poncheville : . Par malheur, dit-il, cette thse catholicpie (de l'autorit venant de Dieu), il n'apparat pas qu'on ait le souci, chez les belliqueux partisans de la force, de la vulgariser ni de la mettre en pratique. Philosophes positivistes, comment rendraient-ils au pouvoir sa vraie pierre d'assise qui est Dieu? Partisans de l'action directe et de l'insurrection violente, comment poursuivraient-ils cette ducation civique du peuple? Quelles leons lui donnent-ils de respect et de discipline? Quelles excitations? Quels spectacles? Qui rige chaque jour en titres de gloire et clbre en bulletins de victoire l'insulte l'autorit? Quels crivains bafouent ses reprsentants avec cette verve triviale qui ruinerait aussi bien le prestige des hommes d'Eglise les plus haut placs? Quels meneurs effacent sa notion au cur d'une jeunesse impatiente de l'meute, enthousiaste de l'illgalit? Quelle cole dcerne ses brevets d'aptitude et ses diplme& d'orthodoxie en rcompense des plus turbulents exploits d'anarchie? ...N'est-ce pas l l'uvre aime des intransigeants de l'ordre et des militants de l'autorit? Nous y voil! Le problme soulev se rduit une question de dlicatesse, de sensibilit, de bonne tenue. Ce qui froisse la susceptibilit de M. l'abb Thellier de Poncheville, c'est l'illgalit, c'est la verve triviale, c'est l'insurrection violente. Ne lui en dplaise, il convient ici do distinguer deux ordres d'ides, au lieu de poursuivre confuse-
ment celte catilinaire un peu longuette. S'agit-il de la lgitimit, s'agitil de la convenance de cette tactique inaugure par Y Action franaise, et qui, nous l'avouons, demeure chose assez nouvelle pour nos contirnporains ? S'il s'agit de la lgitimit de cette tactique, question sur laquelle nous concevons qu'un prtre intervienne, nous nous permettrons de dire que les catholiques de Y Action franaise ont ds longtemps form leur conscience bonne source : outre que le salus populi suprema lex esto justifie surabondamment les hardiesses les plus imprvues, le droit des catholiques do recourir la force pour sauver leur Eglise perscute, leurs enfants pervertis, leur foi bafoue, ou simplement leur patriotisme humili, se trouve tabli par les thologiens les plus autoriss, ai-jc besoin de l e rappeler M. l'abb Thellier de Poncheville? Dans le mme temps o j'applaudissais les confrences royalistes de son pre, je m e procurai une brochure fort instructive, qui avait paru a u moment de la guerre carliste, qui traitait Du Droit des catholiques de se dfendre, qui tait due la plume du chanoine Torres Asensio, et qui montrait, par les crits des Papes, des "Pres, des Docteurs, des thologiens, quelle est, sur ce point d'ailleurs dlicat, la constante doctrine de la morale catholique. S'il s'agit, maintenant, de la convenance de tell ou telle initiative directe, personnelle, violente, M. l'abb Thellier de Poncheville voudra bien convenir que ni lui, ni nous, ne sommes comptents pour juger de ces choses. Ce qui est afftr, c'est que, si Pierre l'Ermite, si Jeanne d'Arc, si Charette et Cathelineau avaient cout les ennemis; de la force ou les ftichistes de la lgalit, nous n'aurions eu- ni les Croisades, ni la fin do la domination anglaise en France, ni les cent ans de paix religieuse relative que nous devons au Concordat, d, lui-mme aux guerres de Vende. Ce qui est sr, galement, c'est que des rsultats fort heureux, .atteints dans pes derniers mois, non seulement dans l'ordre politique, mais dans Tordre religieux lui-miru'e, ne l'eussent pas t, sans les initiatives, (mme violentes, des jeunes gens de Y Action franaise. Ce qui est sr, c'est que, par Un phnomne dont il n'est que juste de tenir compte, l'ducation intellectuelle de ces jeunes gens et leur perfectionnement moral marchent de pair avec leur entranement l'action politique. Ce qui est sr enfin, c'est que la plupart d'entre eux, nqus pourripns dire tous, ont donn, en d'innombrables circonstances, des tmoignages d'intrpidit, de dsintressement, de gnrosit chevaleresque, Jet enfin de foi catholique, qui appelleraient, de la part d'un prtre, nous osons le dire, autre chose que le ddain et la rprobation. Nul n'oblige M. l'abb Thellier de Poncheville se joindre aux militants de YAction franaise, o u seulement l'es soutenir explicitement dans leurs exploits; mais ce qu'il leur doit, tout au moins, c'est de
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les juger impartialement, et d'attendre qu'ils aient ralis tout ce qu'ils promettent, avant de plaindre leur infortune, s'ils chouent, ou de les remercier de leur victoire, s'ils triomphent. Quand des hommes ont l'nergie d'entreprendre pour ainsi dire forfait le salut de leur pays,, quelque crdit, ce semble, leur est d; quand, de plus, toutes leurs initiatives sont couronnes d'un succs invariable, adquat au dessein qu'ils s'taient propos, quelque confiance mme n'est pas excessive. La justice, en tout cas, ne trouve pas son compte ce qu'on les harcle d'un systmatique dnigrement. Il y a, nous savons bien, la verve triviale : par exemple, M. Lon Daudet fait preuve d'une rare originalit dans l'invective. Et puis? Viendra-t-il jamais, en ce genre, la cheville des plumitifei qui nous devons le rgime qu'il poursuit de s a flagellante ironie? Croit-on qu' traiter plus doucement les personnages dont il fait sa cible ordinaire, il aurait obtenu les ardentes sympathies qui appuient son uvre? Le chanoine Lecigne, qui est bon juge en ce domaine plutt littraire, puisqu'il e s t doyen de la Facult catholique des lettres de Lille, n'a pas hsite saluer en ce fougueux polmiste un paladin de bonne rnec, un loyal Franais, un enchanteur; peu d'orateurs, d'autre part, sont ce point tribuns. AllpnK au fppfl du problme : il est, pensez-vous peut-tre, de mauvais got d'appeler M. Fallires Je Buf , et peut-tre aussi demandez-vous ce qu'on et fait sousi Louis XVIII d'un journaliste qui ejt dsign de -mme sorte ce! souverain non moins obse. La difficult est aise rsoudre : sous u n rgime o l'hrdit fait le souverain, il est injuste de s'en prendre ses travers physiques; mais, sous un rgime qui se pique de choisir le chef de l'Etat, d'aprs une slection gradue et tamise, l'on est inexcusable de ne pas choisir une perfection, a u point 4 W dcoratif comme aux autres; et, du coup, la vprve qu'on dploiera contre ]es maladrqsses qui auront caractris le choix intervenu, n$> risquera jamais d'tre triviale : ce qui est trivial, c'est proprement le systme qui, ayant abattu l'hrdit en prtendant donner le pouvoir au plus digne, le donne au plus sournois, aui plus cupide, au plus balourd. En tout cas, M. l'abb Thellier de Poncbeville, en insinuant que' cette verve triviale ruinerait aussi bien le prestige des hommes d'Eglise les plus haut placs , a crit une gratuite et inutile perfidie. De plus, il se contredit quand il rclame respect et discipline au profit de l'autorit que l'on sait, alors que, vingt lignes plus haut, il a gmi sur la soumission d'un peuple trop docile qu'on n'arrive pas q. dtourner du respect aveugle de la loi, de la crainte servile de l'Etat . On devrait cependant savoir ce qu'on Veut : Y Action franaise, on le sait; l'on y a des respects touchants pour les. choses respectables, et des haines sacres pour les choses dtestables. Que cette ducation du peuple diffre de l'ducation civique o s'attarde M. l'abb
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Thellicr de Poncheville, nous ne le nions pas : mais, s'il faut choisir, nous prfrons la virile formation qui se donne YAction franaise, formation qui fournit sur toutes choses de saines et lucides clarts, l'apostolat dmocratique qui trompe, qui enfle et qui doit. De la tirade vainement emphatique que nous achevons ainsi Ide rfuter, un seul mot subsiste, le premier : Philosophes positivistes, comment rendraient-ils au pouvoir sa vraie pierre d'assise qui est Dieu? S'il y a plus de cinq positivistes dans VAction franaise, c'est tout le maximum : cette gnralisation est donc peu loyale; admettons- cependant que ces positivistes soient toute YAction franaise : en- ce cas, M. l'abb Thellier de Poncheville aurait sujet de quitter tout souci. Car s'il croit vraiment, et nous ne lui ferons pas l'injure d'en douter, que la vraie pierre d'assise du pouvoir est Dieu , alors, qu'il s e c rassure! le pouvoir fort difi par des positivisbes croulera de luimme, si seulement il parvient s'difier, et M. l'abb Thellier d e Poncheville aura cause gagne, et son article la Chronique sociale de France n'est plus qu'un gongorisme superflu... Mais notre rplique a dj pris des proportions srieuses, et nous n'avons cependant pas encore discut le passage relatif notre Directeur. Nous prions l e lecteur de nous faire crdit jusqu' quinzaine. Paul TAILLIEZ.
INFORMATIONS
M P R I S E S DE
ET
MGR
DOCUMENTS
CAULY
Mgr Cauly, protonotaire apostolique, vicaire gnral de Reims, joint beaucoup d'autres mrites celui d'exceller dans l'exposition de la doctrine chrtienne. Il est l'auteur d'un Cours d'instruction religieuse trs dvelopp, d'un Catchisme expliqu qui a trs lgitimement obtenu le succs de quarante-six ditions, et que, pour sa modeste part, le directeur de cette revue, quand il tait directeur de collge, faisait commenter dans toutes les classes. Mgr Cauly a encore crit, pour le dveloppement de son uvre, une bonne Histoire de la religion et de FEglise, La Recherche de la vraie Religion, V Apologtique chrtienne, 'La Morale chrtienne. Tous ces ouvrages se recommandent par une exposition claire et sobre. Il vient de leur donner pour suite une substantielle brochure intitule : Libralisme et 'Modernisme ( 1 ) , dans laquelle il analyse les principaux actes pontificaux condamnant ces erreurs : le Syllabus de Pie IX, le Dcret Lamentabili et l'Encyclique Fascendi. Cette analyse est excellente. Mais l'auteur a cru devoir y ajouter 1. De Gigord, diteur, 15, rue Cassette, Paris 1911.
INFORMATIONS E T DOCUMENTS
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an aperu sommaire du mouvement moderniste qui est loin de mriter le mme loge. On y constate une lgret d'informations e t d'apprciations, qui surprend doublement, parce que les informations gnrales e n cette matire sont aujourd'hui la porte de tout le monde, et cause du srieux de l'auteur. Il est vraiment regrettable qu'un crivain d'ordinaire si consciencieux et qui jouit d'une juste considration, confonde les adversaires les plus dclars des erreurs librales, et modernistes avec leurs sectateurs, qu'il fasse le j e u des adversaires de ces dfenseurs de la bonne cause e n discrditant ceux-ci, et, par contre, propose sans discernement, comme modles de saine et sre doctrine, ple-mle avec ceux qui le mritent, des auteurs et des ouvrages qui ne sont pas exempts d'erreur et dont la lecture offre des dangers. Errare humanum est. Cependant, contre de telles mprises ou inadvertances, les amis du Saint-Sige ne devraient-ils pas bnficier des mesures de -garantie prescrites par l'autorit pontificale? Si un auteur se trompe leur dtriment, et par consquent au dtriment de l'opinion catholique, les censeurs ecclsiastiques, chargs de le rviser, ne seraient-ils pas bien dans leur rle en lui signalant des erreurs prjudiciables, trop videntes pour chapper tous les yeux? On a constat plus d'une fois de singulires applications de ces garanties : il a t frquemment plus facile aux crivains imbus des ides novatrices, qu' leurs contradicteurs-, d'obtenir l'imprimatur. Si, en outre, ceux-ci se voient frapps de suspicion dans des crits, d'ailleurs parfaitement orthodoxes, e t munis de tous les visas exigs, ne sera-ce pas rendre leur tche par trop pnible? On ne s'tonnera donc*pas de la protestation que nous levons ici.
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Croirait-on, par exemple, que M. l'abb Maignen, auteur principal de la condamnation de l'amricanisme, et qui soutint pour cette cause les plus violentes contradictions, est mis, par Mgr Cauly, sur le mme pied que M. l'abb Klein; avec cette unique diffrence qu'il use d'une plus grande discrtion l'gard de celui-ci, en citant son ouvrage sans prononcer son nom! Aprs avoir mentionn la fameuse lettre de Lon XIII, Testem bcnevolenlice (22 janvier 1899), qui condamnait l'Amricanisme, l'auteur ajoute : C'tait l'occasion de livres qui venaient d'tre publis en France : Vie du P. Haeclcer, suivi d'un autre de M. l'abb Charles Maignen : Le Pre Haeclcer est-il un saint? (1898). Les auteurs de ces ouvrages mettaient en relief les uvres apostoliques et aussi les doctrines de ce religieux qui avaient un grand succs dans l'Amrique du Nord. On prtait l'auteur l'opinion qu'il faut que l'Eglise s'adapte davantage aux aspirations et aux thories des peuples modernes. De ce principe, drivaient des corollaires, entre autres celui que relve et rprouve l'Encyclique Pascendi, qu'il conviendrait de dlaisser les vertus vanghques, qualifies de passives, peur embrasser celles des vertus actives, le zle, fapostolat, etc. C'est cet ensemble de thories, en opposition avec les tra-
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ditons de l'Eglise, que le Pape Lon XII jugea devoir signaler et rprouver sous le titre d'amricanisme dans sa Lettre apostolique de 1899. De cette Lettre inspire par la charit apostolique, Lon XIII disait : Nous esprons que vous la considrerez comme une nouvelle preuve de notre affection. Nous avons d'autant plus confiance qu'il en sera ainsi cette Lettre est spcialement destine terminer certaines discussions qui se sont leves parmi vous et qui au dLriment de la paix, troublent gravement sinon tous les esprits, du moins un trs grand nombre (1). Or, la Vie du P . Haeclcer, traduite en franais par M. l'abb Klein, clbre grands fracas par toutes les voix, alors si puissantes, des novateurs en France, avec cet art de solidarit dans la rclame que l'Encyclique Pascendi a si exactement dcrit, fut le puissant agent do diffusion de rAmricanisme. Ce fut alors que M. l'abb Maignen entreprit la rfutation du systme, par une srie d'articles dans )a Vrit Franaise, runis plus tard en volume sous le titre : Le P. Haecker est-il un saint? C'est de cette faon qu'il mrite d'tre rang parmi les auteurs qui exaltaient le nouveau catholicisme. En vrit, le voil bien rcompens, et par quelle main! On n'est pas moins surpris de voir Mgr Cauly, dans son dsir do faire triompher la puissance de l'Eglise, affirmer rondement que les tendances amricanistes n'ont point fait cole; plus encore, de l'entendre se faire l'cho des absurdes rcriminations du clan novateur qui accusait les prtendus rfractaires d'invoquer tort l'autorit de l'Eglise contre les erreurs amricanistes, et insinuer qu'on les attribuait faussement au P. Haecker, ce qui reviendrait, contre son intention bien certaine, appuyer la thse soutenue alors par M. Fonsegrive, que condamna publiquement Mgr Turinaz, et traiter la lettre Testem benevolenti comme les modernistes ont trait l'Encyclique Pascendi. L'une et l'autre ne seraient pas loin de mriter le mot, trouv si spirituel, de Mgr Duchesnc, et d'tre confondues dans l'histoire sous un mme titre : Digitus in oculo. L'auteur poursuit : L'espoir du Saint-Pre ne fut point, tromp. Sa Lettre trouva le plus respectueux et le plus docile accueil de tout Vpiscopat amricain qui se dfendit d'tre partisan de ce systme peut-tre un peu tmrairement attribu au P. Haecker par des hommes qui auraient voulu se prvaloir de son autorit, mais qu'avec Lon XIII l'piscopat d'Amrique dclarait rprouver et condamner. . Et, en effet, si certaines tendances amricanistes ont pu se produire, elles n'ont point fait cole, et n'ont amen ni schismes, ni groupements de rsistances.
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Aprs cela, et du moment que M. l'abb Maignen prend place parmi les fauteurs de l'Amricanisme, le directeur de la Critique du Libralisme ne doit pas s'tonner d'tre class, ni plus ni moins', parmi les modernistes. C'est l'honneur que Mgr Cauly lui fait. X. Page 159.
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ET DOCUMENTS
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Pour donner un aperu du mouvement moderniste, il numre (page 129) les ouvrages condamns de ce chef par la Congrgation e l'Index et celle du Saint-Office : ceux de MM. Loisy, Houtin, Fogazzaro, E. L e Roy, Laberthonnire, Turmel, Herzog, Paul Bureau, Dabry, Naudet, et diverses brochures sorties de l'officine Nourry. La liste n'est pas complte, car on n'y voit pas figurer, par exemple, le nom de M. l'abb Quivreux, fougueux adversaire de M. l'abb Maignen. Mais Le Progrs du Libralisme en France sous le Pape Lon XIII et la plaquette Ne mlez pas Lon XIII ait libralisme y figurent en belle place. Aprs avoir donn la list des livres entachs d'erreurs modernistes et condamns par l'autorit ecclsiastique (page 5). Mgr Cauly propose une liste d'ouvrages et de revues opposs cette erreur. C'est donc bien clair. On sait que les prohibitions de l'Index ne sont pas motives publiquement. Elles peuvent avoir des raisons purement disciplinaires aussi bien que doctrinales. C'est un silence que l'esprit de parti exploite! volontiers,, surtout s'il arrive, omaue c'est le cas o je me suis trouv, qu'un dfenseur de la vrit soit frapp en compagnie de modernistes. \ Que les dmocrates chrtiens, dont j'avais impitoyablement dnonc les accointances avec le modernisme, que ses fauteurs, aient cherch par tous les moyens, faire prendre le change l'opinion et tirer, leur apologie d cette sentence, on se l'explique de lour part (1). L coup qui atteignait leur contradicteur avait bien plus d'importance et d'intrt pour eux que la condamnation des novateurs. C'est ainsi que, le jour o parut le dcret sign le 25 mai 1908, un de leurs principaux correspondants Rome, Mgr Vanneufville, en tlgraphiait ses amia la nouvelle en ces termes : Un dcret de YIndex paru aujourd'hui (29 mai) condamne deux ouvrages de l'abb Emmanuel Barbier... Sont galement condamns, e t c . . Les autres n'taient que l'accessoire. Mais oue Mgr Cauly, dont la gravit est connue, s'unisse eux, c'est de quoi surprendre et affliger. Le titr mme de l'ouvrage aurait d suffire pour l'avertir de sa regrettable erreur. S'il en avait seulement coup les pages ou regard la table des matires, il aurait constat du premier coup d'ceil qu'il avait prcisment pour but de combattre les efforts des libraux et des modernistes; il aurait vu, en particulier, que toute une partie, formant 300 pages, intitule : Le Catholicisme progressiste, est une critique documente des erreurs que l'Encyclique Pascmdi devait condamner un peu plus tard. Il y aurait mme trouv deux plaidoyers trs complets contre le democratismo chrtien et contre la non-conessionnalit de l'action sociale cL de l'action politique, avant-coureurs des autres dcisions de S. S. Pi X. Voil une uvre qui peut tre range parmi celles entaches des erreurs modernistes !
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Sans tre d'une lgret aussi extraordinaire que dans la partie 1. Voir notre numro du 1
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prcdente, les indications bibliographiques concernant la rsistance au modernisme que donne Mgr Cauly, sont galement sujettes caution. C'est d'autant plus fcheux que la mention honorable ainsi dcerne par un crivain de son caractre des crits douteux et des auteurs dont les tendances gnrales sont plutt opposes aux enseignements pontificaux, doit avoir pour consquence naturelle de faire passer pour vraiment orthodoxes des thories qui ne le sont point. Le choix surabonde pourtant parmi les ouvrages de doctrine sre, o l'on trouve une rfutation scientifique des erreurs condamnes. L'auteur en cite un assez bon nombre. Mais pourquoi en prsenter d'autres, de valeur pour le moins trs contestable, comme dignes de la mme confiance? C'est ainsi que, parmi les ouvrages rcents o sont exposes et dfendues les vrits chrtiennes, les dogmes et les faits nis par les adversaires que nous avons combattre , l'auteur indique l'ouvrage de Mgr Mignot : L'Eglise et la critique (pages 131 133). Or, sans rappeler le rang avanc que tient ce prlat parmi les exgtes progressistes, sans relever maintes propositions contenues dans cet ouvrage, qui prtent dos interprtations fcheuses et appelleraient de forts correctifs, nous observerons seulement un fait. Ce livre renferme un chapitre intitul : Critique et Tradition, qui est une apologie de l'exgse progressiste en gnral, et, au fond, un plaidoyer en faveur de M. Loisy. Il avait d'abord paru dans le Correspondant (10 janvier 1904), la veille du jour o clata la condamnation de ce malheureux. On ne retrouve pas, il est vrai, dans le livre, les passages de l'article o Mgr Mignot plaidait ouvertement pour M. Loisy, ces lignes, par exemple : < M. Loisy n'ignore aucune des sources de la c vrit, bien qu'il n'ait puis qu' jquelques-unes. S'il ne retrouve pas dans les synoptiques tout ce qu'on y a mis ( ? ? ) , il sait que ce qu'on y a mis existe quelque part et possde une ralit objective : c'est l'ensemble des vrits chrtiennes. Il ne les trouve pas o on les place quelquefois :- il les retrouve ailleurs, sans qu'il en manque une seule ( ! H ) (1). Mais, mme mond de ces passages trop com promettants, l'article devenu chapitre reste le mme quant au fond et quant l'esprit. Son moindre dfaut est de rabaisser l'autorit de l'Ecriture au profit de la Tradition. Mgr Cauly cite encore, parmi les rfutations du modernisme, deux ouvrages de M. l'abb Brmond, l'ami bien connu de Tyrrel : Newman : le dveloppement du dogme chrtien et la Psychologie de la foi, autre expos des thories de l'illustre cardinal. Ainsi que Y Ami du Clerg le remarque quelque part : Le Niewmanisme est un des lments les plus sduisants, les plus dangereux, du modernisme . La mme revue observe e n d'autres endroits que M. Brmond, dont tous les travaux, depuis une douzaine d'annes, gravitent autour de Newman , fait trop modestement M. l'abb Dimnct (dont l'ouvrage a t mis l'index), l'honneur de reconnatre en lui le principal intro1. Voir notre numro du 1 avril 1910, p. 693.
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ducieur du newmanisrne en. France : de tous les newmaniens en France, M. Brmond est le premier. On sait d'ailleurs que Newman a lui-mme reconnu publiquement que les crits marquant les tapes de sa conversion la vraie foi ne pouvaient pas tre exempts de beaucoup d'erreurs (1). Le P. Fontaine a savamment tudi et critiqu les thories newmaniennes, exploites en faveur de l'volution des dogmes. Sans insister davantage, voici comment il juge la Psychologie de la foi, que Mgr Cauly nous prsente comme un antidote au poison moderniste : Bref, Newman, au moyen de sa thorie est devenu catholique des pieds la tte; certains lecteurs du livre de M. Brmond sont exposs devenir un peu moins catholiques, un peu sceptiques et demi protestants. Etant donn leur tat d'esprit, ce sera, j e le crains, le rsultat d'une exploitation rebours de la thorie newmanienne (2). La foi catholique, par M. l'abb Lesire, est galement classe parmi oes .antidotes srs. L'Ami du Clerg, aprs avoir not qu'il a d se mettre en opposition avec M. Lestre sur la notion de la foi, relve dans cet opuscule, entre autres comparaisons fort claudicantes , qu'on a prsentes sur le dveloppement du dogme, celle de M. Lestre entre l e domaine de la nature et celui de la Rvlation. Il y a joint d'autres observations (3). Le mme Ami du Clerg, dont on connat la sret doctrinale, met de srieuses rserves gnrales sur la collection de la Pense chrtienne (diteur Bloud), laquelle appartiennent les ouvrages prcits de M. Brmond et que Mgr Cauly mentionne en bloc ( 4 ) . Il semble regretter de ne pouvoir numrer chaque brochure d'une autre collection publie par le mme diteur : Science et Religion. Nombre d'entre elles sont inoffensives, bonnes mme, sinon de srieuse valeur; mais il en est d'autres dont on ne peut faire le mme loge. Mgr Cauly ne pourrait pas recommander, par exemple, comme un modle do critique catholique, la notice sur liant, de M. Ruyssen. La matire est cependant grave. Ces observations paratront peut-tre suspectes Mgr Cauly, venant d'un homme qu'il considi'e et dnonce l'opinion comme frapp par l'Eglise pour sa complicit avec les modernistes. Mais il' ne tiendra, qu' lui de les contrler. La tche des crivains qui se sont vous entirement la dfense de la saine doctrine deviendrait par trop ingrate et difficile, si, tandis qu'ils sont e n butte aux violences de ses adversaires, ils se voyaient trahis par ceux dont ils sont en droit d'attendre l'appui. Ne leur resterait-il donc qu' redire leur faon la prire 'que l'on connat : De mes ennemis, je m'en charge; mais, rie mes amis, dlivrez-moi, Seigneur I E. B. 1. Voir notre numro du 1 fvrier 1909, p. 238. 2. La thologie du Nouveau Testament, p. 338. 3. 1909, p. 185. 4. 1605, p. 215.
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Notre dernier numro a relat la rcente quipe de M. Lemire Bordeaux, pour l'inauguration officielle d'une couvre laque. Les leons dplaces l'gard du clerg bordelais, qu'il a cru pouvoir joindre au scandale de sa conduite, lui ont valu, de la part de M. l'abb Liaut, directeur de la Croix du Sud-Ouest, une ferme et verte rplique, qui aura soulag bien des gens. Voici cet article.
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Monsieur l'Abb, Permettez un de ces prtres bordelais que vous avez injuris, dimanche, d vous soumettre quelques ncessaires .rflexions. Vous tes venu Bordeaux. Et, l, deux jouri durant, comme si notre ville n'avait d'autre refuge pour un prtre, vous avez obsquieusement subi l'hospitalit d'un Decrais, l'un des ministres les plus sectaires du cabinet ^aldeck-Roussea. Deux jours durant, vous avez prsid des manifestations philanthropiques, sans doute, mais trop tapagusemeht lectorales,, laques et maonniques. Deux jours durant, Vous avez t escort, applaudi, hros par des journalistes gages, par les valets des loges, par tout ce que Bordeaux compte d'insulters da notre Cfarist et d spoliateurs d e biens ecclsiastiques. Etait-ce donc l la place d'un prtre? Dans de nombreuses et loquentes improvisations vous avez parl de dmocratie, do solidarit, d Rpublique. C'tait votre droit. De M. Decrais vous avez chant l s mrites et la gloire. Avez-vous oubli, IVorisieur l'abb, que ce Decrais fut artisan de la premire heure dans cette ampagne de mensonge, dans cette lgislation infme, qui devait piller nos couvres charitables, dtruire nos cdngrgtions et semer tant de ruines travers l'Eglise de France? Du prfet Durault, qui vous accompagnait partout, vous avez vant, tour tour, la bont, la philanthropie, la simplicit, l'extrme dlicatesse. Vraiment, c'tait de trop. Et V o s courtisanesques paroles n'avaient mme pas l'excuse d'une aveugle sincrit. Ignorez-vous donc, Monsieur l'Abb, que ce prfet est encore chez nous, l'instrument servile de toutes les lois sectaires, de toutes les spoliations? Ignorez-vousi donc que ce prfet s'est orgueilleusement install dans le palais vol de nos archevques? Oe palais tait trop beau , parat-il, pour un Prince de l'Eglise. Aussi, les quelques cent mille francs , produit de la vente de notre petit sminaire, ont-ils servi votre bon et philanthropique Durault, pour amnager ce palais avec un luxe insolent et pour montrer au peuple la simplicit et l'extrme dlicatesse d'un fonctionnaire de votre dmocratie. Bien plus : dans ce mme palais:, qui rappelle tant de glorieux souvenirs l'Eglise de Bordeaux; dans ce mme palais, d'o T o n chassait nagure un vieil archevque malade; dans ce mme palais, dont
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pas un de nous n'aurait l'inconvenance sacrilge de franchir le seuil, vous, prtre, vous avez prsid, pror, souri aux spoliateurs et reu les hommages les plus tranges. Etait-ce donc l 1 rle d'un prtre? Et, comme si de telles messances ne suffisaient encore pas, vous avez termin la srie de vos discours par des paroles outrageantes l'gard du clerg bordelais. Ces paroles, Monsieur l'Abb, une feuille maonnique, La France, les a accueillies avec un enthousiasme dlirant, cependant que la gouvernementale Petite Gironde, soit par calcul intress, soit par un reste d'opportuniste pudeur, s'est abstenue de les reproduire. Cet enthousiasme de l'une et cette abstention de l'autre sont votre premier chtiment. Pourquoi (avez-vous dit), faut-il que ma joie s'attriste de cette constatation que je ri'ai eu, avec moi, pendant ces deux jours de ftes, qui ont t, cependant, La glorification du bien, que des laques?... Le catholique doit tre le premier prodiguer le bien et songer aux malheureux : c'est l la mission du prtre. Je regrette d'avoir t la seule soutane. Pourquoi tous ces prtres n'taient-ils pas avec moi? Ditos-leur bien haut, Messieurs les journalistes, tous ces prtres, que celui qui a t l'objet des attentions, des ovations dont vous avez t les tmoins pendant ces deux jours de fte, portait une soutane comme eux. Dites-leur : Soyez comme lui et vous serez fts comme lui et alors, seulement, Messieurs du clerg, vous serez la lumire du monde. Dites-leur que le prtre ne porte pas la robe des ministres de Dieu pour parader dans les cathdrales, mais pour porter dans le cur ce que l'homme attend de lui, l'unique dsir de rpandre sur tous les bienfaits de sa bont et de sa gnrosit .
Est-ce donc l un langage sacerdotal? Eh quoi! Monsieur l'Abb, vous aviez pu croire nos prtres bordelais assez dpourvus de bon sens, assez oublieux de leur dignit sacerdotale, pour faire escorte aux personnages quivoques et railleurs qui vous entouraient? Eh quoi! vous nous faites dire bien haut par MM. les journalistes que les prtres doivent ressembler vous, tre fts comme vous ? Et vous osez ajouter qu'alors seulement ces MM. du clerg seront la lumire du monde? Oh vraiment, Monsieur l'Abb, do telles paroles, des paroles d'un orgueil si dmesur ne sauraient trouver, ici, une excuse dans les surprises ou dans la chaleur passagre d'une improvisation. Et, dcidment, votre folle passion de popularit dborde ce point que, seule l'inconscience pourrait expliquer une telle aberration. Il y a, Dieu merci, quarante mille prtres en France, qui ne vous ressemblent pas. C'est votre dsespoir, Monsieur l'Abb, mais c'est leur honneur. Et, croyez-moi, pour tre la lumire du monde, ces quarante mille prtres ont besoin des rayons d'un soleil autre que vous, pauvre toile sans rayonnement, pargne par Viviani au plafond du Palais-Bourbon.
(Mtique du libralisme. 15 Mai 4
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Les plus regrettables, cependant, de vos paroles, sont dans l'apostrophe o vous reprochez au.clerg bordelais de parader dans, les cathdrales et de ne pas assez porter dans le cair l'unique dsir de rpandre sur tous les bienfaits de sa bont et de sa gnrosit. . Cette apostrophe, Monsieur l'Abb, n'est plus seulement une lourde plaisanterie, elle est une injure. Vous ignorez, sans doute, que les catholiques bordelais sont, par excellence, les aptres de la charit. Sous l'incessante impulsion du clerg, la piti sociale s'exerce, ici, sous les formes les plus diverses, sous des formes inconnues de v o s philanthropes parlementaires ou prfectoraux. Nos patronages d'ouvriers ne se comptent plus. Nos ventes de charit produisent des sommes normes. Nos messagers s'en vont, matin et soir, dans les quartiers pauvres, dans les mansardes, assister l'enfant et le vieillard, panser leurs plaies, apporter la parole qui console et le pain qui nourrit. Voil qui vaut mieux que vos inaugurations tapageuses, que toutes vos blagologies dmagogiques. Pas une oeuvre, entendez bien, pas une uvre d'assistance matrielle ou morale, qui n'ait t releve, chez nous, des ruines accumules par vos amis, par ceux qui applaudissent vos flagorneries faciles, v o s injures. Ahl vraiment, il vous sied mal, Monsieur l'Abb, de jeter sur nos paules un manteau de drision et d'exalter contre nous cette solidarit laque, ces dvouements mercenaires, dont nos dpouilles et notre argent paient tous les services. En terminant, Monsieur l'Abb, laissez-moi vous dire notre douloureuse tristesse pour le scandale que vous tes venu donner Bordeaux. Les injures de nos ennemis ne frappent que nos oreilles, n'atteignent que notre amour-propre; mais les vtres nous ont frappes au cur. Censeur du sacerdoce catholique, prtre de Jsus-Christ qui n'avez plus d'encens que pour les idoles du jour, jusqu'o donc irez-vous dans vos adulations et vos garements? Au lieu de servir parader dans l'Eglise, votre soutane, que baisent pieusement les pontifes de la libre-pense, ne sera-t-elle pas demain le drapeau des mcontents, le drapeau des no-vanglistes, le drapeau d'un modernisme vaincu,, mais toujours rvolt? On se le demande avec angoisse. Quelles que soient, Monsieur l'Abb, votre loquence et vos prtentions, vous ne semblez gure avoir le gnie d'un Lamennais; vous en avez tout l'orgueil; puissiez-vous n'en avoir pas la fini Humblement vtre dans le Christ. j, LUUT,
e a n
Directeur de la Croix
du
Sud-Ouest.
V ACTION L I B R A L E T A B O U E P O U R LA CROIX
Un correspondant nous signale un petit fait bien suggestif, qui montre quel point la Maison de la Bonne Bresse est infode ['Action
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librale, quoiqu'on y professe se tenir sur le terrain purement religieux. Il s'agit d'un article de Y Action catholique franaise reproduit par la Chronique de la Presse (27 avril). Nous ne cherchons point tre dsagrables celle-ci, qui, plus d'une fois, a largement cit la Critique du Libralisme. Mais l'indpendance relative dont elle a donn en cela la preuve, ne va pas jusqu' lui permettre de prononcer le nom |le YAction librale dans les citations o il est accompagn de critiques. C'est ce que l'on pourra remarquer dans l'article que nous allons reproduirr* aprs elle, cause de l'intrt du sujet. L o le rdacteur de TA. C. F. avait crit : C'est ainsi que dans les journaux infods Y Action librale..., cette filiale de la Croix en remplace le nom par un X discret. On n'est pas plus rvrencieux. Mais on n'avoue pas non plus, plus ingnument, qu'on appartient soi-mme, la catgorie des journaux infods . Il est tout de mme curieux de constater que la Croix a pour l'honneur de YAction librale des susceptibilits plus grandes que pour celui du Pape, car ses publications reproduisent souvent, sans y rien altrer, des articles du Temps et autres journaux o Pie X est plus ou moins malmen e n toutes lettres. C'est aussi une prcaution d'autant plus excessive que la Chronique de la Presse, recueil de documents, professe juste titre dcliner la responsabilit des articles qu'elle insre. Elle ne mrite que des loges pour avoir donn place celui Ide l'A. C. F., sous cette rubrique : Les catholiques ont-ils besoin d'un prnom? Nos abonns le liront avec plaisir.
Catholiques libraux, sociaux, dmocrates. Dans son beau livre intitul : Vrits sociales et erreurs dmocratiques , Mgr Delassus reproduit un article de YOsservatore Romano que tous les catholiques sans pithte devraient savoir par cur. Nous ne rsistons pas au plaisir die reproduire notre tour cette page o est expos avec tant de force et de vrit le danger dos qualificatifs libraux, sociaux, dmocrates ajouts au nom de catholiques : Une fois qu'il est admis et reconnu comme cela l'est en ralit que la doctrine catholique est une doctrine complte et jparfaite, laquelle on ne peut rien ajouter ot d'o l'on ne peut rien retrancher, il on rsulte logiquement et ncessairement qu'il faut aussi admettre une chose : c'est qu'au nom de catholique, co substantif, il n'y a rien ajouter, rien , retrancher. Et alors pourquoi tablir tant de catgories de catholiques : libraux, dmocrate*, sociaux et mme socialistes? II est certain que ces subdivisions par voie de qualificatifs, de noms et de surnoms, entre catholiques, si elles n'entranent pas de diffrence substantielle dans les ides et dans les aspirations, produisent une confusion grave (non lev) dans les mots, qui trs facilement devient une confusion funeste dans les ides et dans les faits. Il arrive, en effet, souvent que Vadjectif prend h dessus sur le substan1
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tif dans les ides et dans les faits, et ainsi il peut arriver trs facilement que Ton soit plus libral que catholique, plus dmocrate que catholique, plu? social que catholique, et mme que l'on soit ce que signifie le qualificatif avant d'tre ce que comporte le nom lui-mme. Ce grand nom de catholique n'engendre aucun cloute, ne produit aucune confusion comme peuvent le faire des surnoms ambigus, des adjectifs indcis. Remarquons que dans l'appellation dmocrates chrtiens , non feulement on a fait du mot dmocrate un substantif, rduisant le mot chrtien n'en tre que l'adjectif, mais qu'on a mme eu peur de trop prciser la chose que marque ce substantif rduit l'tat d'adjectif et qu'on a prfr CHRTIEN,qui s'aplique aux dissidents aussi bien qu' nous, CATHOLIQUE, qui est le nom des vrais enfants de Dieu. Nos lecteurs n'auront pas eu de peine appliquer aux doctrinaires du libralisme la dernire rflexion du journal romain ci-dessus souligne. Les catholiques libraux, en effet, ne se bornent pas mettre, l'occasion, l'adjectif la place du substantif : ils suppriment ce dernier et ne conservent plus que l'adjectif libral transform en substantif. Ils deviennent alors purement et simplement des libraux . On ne peut plus dire d'eux ce que YOsservatore fait remarquer touchant les trois catgories de croyants que nous tudions, savoir qu'ils deviennent, par leurs appellations, substitutions et interversions, plus sociaux que catholiques, plus dmocrates que catholiques, plus libraux que catholiques. La vrit est que ces derniers sont devenus, au moins dans leur dnomination, exclusivement des libraux , sans plus. Ds lors ils se confondent avec les partis c'est--dire tous l'es partis qui se rclament de la libert. Libraux de nom, ils glissent fatalement, sous le poids mme de cette tiquette, dans les mthodes, les erreurs et les dfaillances du libralisme doctrinal. Ces catholiques avertis, ce hommes politiques adroits et retors pour qui les catholiques sans pithte ne sont que des clricaux aveuglment soumis fi l'intransigeance de la faction romaine , des paysans du Danube inaptes 'saisir les nuances de l'volution et de la tactique librales...; ces parlementaires souples, subtils, qui entourent et enveloppent, comme pour e n adoucir la -prtendue crudit, le nom de catholique d'adjectifs plus ou moins retentissants, ont la terreur instinctive de l'affirmation exclusivement religieuse contenue dans ce nom. Aussi l'attnuation que lui ont fait subir leurs adjectifs a-t-elle bientt tourn la suppression mme du mot. C'est ainsi qu'on a vu, dans des journaux infods l ' X . . . , les gestes patriotiques, lectoraux et autres, o l'intervention des catholiques a't dcisive, prsents au public comme des gestes libraux . Les catholiques ne comptent plus. Suivant une doctrine chre aux libraux, ce n'est pas le catholique qui a produit le" geste patriotique ou lectoral, mais le citoyen, e libral. Cette dviation, tait fatale, pour les uns comme pour les' autres. Lie seul fait d'ajouter au nom' de catholique les adjectifs social, libral, dmocrate , indiquait assez qu'on entendait modifier, rectifier ou complter la mthode adopte jusqu'ici par l'Eglise en matire sociale, 'librale et dmocratique. Au sens de la plupart des novateurs,
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cette adjonction signifiait que les catholiques et par consquent l'Eglise ne s'taient pas encore assez occups de promouvoir et de dfendre les intrts reprsents par ces adjectifs. Pour eux, la dnomination lie catholique ne signifiait pas ncessairement qu'on s'tait toujours occup de ces intrts e t que l'on entendait les servir comme par le pass; elle tait incomplte, insuffisante et vague. Aprs exprience faite, nous pouvons aujourd'hui constater l'impuissance et les dviations du socialisme, du libralisme et du dmocratisme dits chrtiens ou catholiques; le catholicisme y a t dform, altr ou supprim ce point que toutes ces coles, bien que distinctes par les moyens spciaux qu'elles ont adopts, sont mises dans une commune hostilit, ou, tout au moins, dans une gale indiffrence au regard du parti de Dieu prconis par S. S. Pie X comme seul capable de servir efficacement et de restaurer, en France, les intrts religieux, base et garantie de tous les autres. En fait, les catholiques libraux et les dmocrates chrtiens se sont montrs violemment hostiles la formation du parti catholique ou parti de Dieu, et c'est sur eux que pse nous ne cesserons pas de le rpter la lourde responsabilit de la dsunion qui continue de livrer les catholiques franais la tyrannie de la secte...
MIRIAM.
Commenons, sans prambule, par la dernire est-ce la dernire? je ne sais, car l'auteur en commet une peu prs chaque jour de M. J. de Narfon, dans le Figaro du 28 avril, propos du rcent congrs de Y Action populaire. Une question dlicate: les uvres sociales fondes par des catholiques doivent-elles tre confessionnelles? En d'autres termes: convont-il d'exiger rie leurs membres qu'ils fassent profession de catholicisme, et est-il indispensable
que ces uvres elles-mmes aient un caractre spcifiquement religieux? Cette Une
uvre sociale me parat en effet devoir tre caractrise uniquement par son
confessionnel. Et d'autre part, si
les statut* de telle ou telle uvre prtendent imposer, cela se voit, des pratiques religieuses ses adhrents, il est clair que cette exigence aura pour rsultat d'carter de l'action sociale, ou de rejeter dans un camp ennemi, de trs braves gens qu'une collaboration rgulire avec des catholiques convaincus et pratiquants aurait peut-tre ramens la religion, ou tout au moins rapprochs de l'idal religieux. D'ailleurs l'exigence dont je parie semble assez peu compatible avec la loi franaise. Mais, par contre, M. Hachin a bien raison de dire que les uvres sociales fondes par des catholiques doivent tre catholiques, au moins dans leur esprit. Et cela, il n'y a pas de lgislation qui le puisse empcher. Cela dpend uniquement de l'intelligence, du tact, du dvouement et des convictions religieuses personnelles que les catholiques sociaux
Critique 3u libralisme. 15 Mai. 4 his
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
apporteront dans leur collaboration avec des sociaux non catholiques, l'uvre commune. M. do Narfon s'inscrit donc en faux contre la doctrine du Pape, non seulement de Pie X, qu'il contredit en tout et pour tout, mais encore de Lon XIII, qu'il appelle, dans l'article du 28 avril, le Pape social par excellence et dont le gnie fut l, comme ailleurs, si clairvoyant. En effet, Lon XIII, dans l'Encyclique Graves de Communi, 18 janvier 1901, dclare formellement que Vaction populaire chrtienne ou dmocratie chrtienne, avec ses uvres nombreuses et varies-.doit tre entendue dans le sens dj fix par l'autorit, lequel, trs loign de celui de la dmocratie sociale (ou socialisme), a pour base les principes de la foi et de la inorale catholique. Donc, pas d'uvre populaire qui, pour des catholiques, ne doive tre confessionnelle , d'aprs Lon XIII. Pie X a rappel, dans son Motu proprio du 18 dcembre 1903,. article XII, ce texte si clair du Pape social par excellence , qui condamne M. de Narfon. De plus, Pie X, s'adressant en 1907, aux directeurs de l'Union conomique sociale pour les catholiques italiens prenait soin de prciser Qu'il est ncessaire que l'esprit religieux pntre toujours davantage, fortifie et anime votre uvre dans toutes ses parties. Quoique destine au bien temporel du peuple, cette uvre ne doit pas se renfermer clans le cercle troit des intrts conomiques, mais se proposer le trs noble dessein de restaurer la socit et se dvelopper, en ayant comme objectif la sage organisation de la socit humaine. Or, la religion tant la gardienne jalouse de la loi morale, fondement naturel de l'ordre social, il s'ensuit que pour rtablir l'ordre dans la socit boideverse, rien n'est plus ncessaire que de remettre en honneur les principes religieux . Pie X, disait encore, l e 27 avril 1910, M. Louis Durand : Vous voulez trs justement que les procds d'action sociale, vraiment capables de raliser un grand bien par le maniement des intrts conomiques et la formation des lites, s'cartent rsolument du pernicieux principe de la neutralit religieuse et revtent un caractre catholique plein de prcision et de nettet dans une union discipline. En effet, c'est en vain qu'on prtendrait restaurer la socit et amliorer rellement le sort des peuples en vitant de mettre la base de l'action sociale les principes catholiques. Enfin, dans la Lettre du 25 aot 1910 contre le Sillon, Pie X, affirme catgoriquement : Sa Saintet
...Que l'Eglise, qui n'a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromet tantes, n'a pas se dgager du pass, et qu'il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes briss par la Rvolution, et de les adapter dans le mme esprit chrtien qui les a inspirs, au nouveau milieu cr par l'volution matrielle de la socit contemporaine, car les vrais amis du peuple ne sont ni rvolutionnaires ni novateurs, ni traditionalistes.
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On ne saurait tre plus explicite et plus clair contre la neutralit , contre le caractre non confessionnel des uvres sociales chrtiennes. De quel droit donc, M. Julien de Narfon se pose-t-il en anti-pape, pour dogmatiser et enseigner rencontre de Sa Saintet Pie X et de Sa Saintet Lon XIII? Mais, M. de Narfon a, lui aussi, sa mission, qui est d'instruire les catholiques sur les vieux principes et les intrts de l'Eglise. De qui la tient-il? C'est un point qu'il n'est pas facile d'claircir, et sur lequel il serait diflicile de porter un jugement. Cet hiver, a paru, dans le Matin, une srie d'articles sur les questions religieuses signs Un catholique , rdigs dans un sens si favorable aux vues du gouvernement qu'on n'aurait pas hsit croire que ce catholique tait subventionn par lui. Mais, si ce catholique , comme on l'affirme de bonne source, n'est autre que le chroniqueur religieux du Figaro, cette supposition est carter; et il resterait simplement que M. de Narfon, aptre du catholicisme libral dans le grand journal mondain, est en mme temps celui de la religion gouvernementale dans l'organe du Bloc, comme il s'tait fait celui du modernisme dans le Journal de Genve. Je ne connais qu'un autre homme ayant la facult de se ddoubler comme M. de Narfon, et trouvant avec le mme succs des tribunes aussi diverses pour son apostolat. C'est M. l'abb Naudet. Lui, du moins, on connat les patronages sous lesquels il l'exerce. Il n'a pas une mission, il en a plusieurs; et sa supriorit sur M. de Narfon, est de pouvoir parler, ici, titre de prtre exerant son ministre, et, l, comme confrencier ou crivain indpendant. En cette seconde qualit, M. Naudet, sans rappeler nos lecteurs ses cours l'Ecole des Hautes-Etudes sociales, a fait une -srie de confrences en Allemagne, les vacances dernires, sous le patronage de l'entreprise judo-internationale qui a pour organe Les Documents du progrs. Il alla prorer grce elle, Dusseldorf, Vienne, Salzbourg, Munich, Hacdelberg, Calsruhe. Son thme tait la sparation de l'Eglise et de l'Etat en France. Et il a eu ensuite, l'amabilit de runir les penses principales cle son expos en quelques pages pour l'agrement et l'dification des lecteurs de cette revue. Il s'agissait de porter la bonne parole l'tranger sur cette tion et de lui faire connatre le vritable tat des choses. Autant en peut juger par cet expos qui, vraisemblablement, n'est ple rsum des confrences, M. Naudet n'a pas parl trs remment de son confrre Narfon, qui traite actuellement le sujet avec sa perfidie coutumire dans la Grande Rvvue. quesqu'on qu'un diffmme
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les mmes Documents du progrs, dont il est le collaborateur rgulier. Il est donc inutile d'y insister. Mais ce qui est admirable, c'est de voir le mme prtre, prcdemment frapp avec rigueur par un dcret du Saint-Office pour ses audaces modernistes; aujourd'hui libre, trop libre confrencier l'Ecole des Hautes-Etudes sociales sur l'histoire de l'Eglise; collaborateur d'une revue judo-maonnique, o l'on voit ct de lui, un F . - . Buisson, un Thalamas, un Hoensbroeck, jsuite apostat, e t c . ; monter dans la chaire catholique et parler au nom de l'Eglise. M. Naudet prchait l'an dernier, Paris, le carme dans une paroisse, le mois de Marie dans une autre. Cette anne, il donnaiL le carme dans deux glises. Si le confrencier et l'crivain savent s'affranchir du respect que le prtre doit son caractre et de l'troite union l'Eglise qui est son premier devoir, est-il prsumer que le prdicateur dpouille compltement le personnage de l'crivain et du confrencier? Nous avons seulement voulu constater une fois de plus, la propagande active que des catholiques, soi disant tels, comme M. de Narfon, et mme certains prtres poursuivent infatigablement au profit du plus dangereux libralisme.
PROSLYTISME JUDO-SPIRITE
Oh nous a plusieurs fois demand de donner une suite aux tudes sur les Infiltrations maonniques dont un rcent congrus de 1' Alliance spiritualiste nous avait fourni l'occasion. Le dfaut do temps et l'abondance des actualits concernant le libralisme catholique, principal objet de cette revue, ne nous en ont pas laiss la libert. La propagande que nous dnoncions ne s'est point ralentie. On en trouvera un nouveau spcimen dans l'affiche suivante, qui s'talait, il y a quelques jours, sur les murs de Lausanne. Il est superflu de faire remarquer au lecteur l'audacieux travestissement, et mme la falsification imprudente, des textes sacrs.
LE
NOUVEAU
CHRISTIANISME
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L'ancien christianisme fait rsider toute autorit dans le chef de l'Eglise ou dans le Pasteur.
Le nouveau christianisme n'exige rien. Il n'impose pas la vrit, il la propose. H dit l'homme : Hors de l'amour, point de bonheur.
(Celui qui aime les autres a accompli In, loi. Saint L'ancien christianisme croit pas. PAUL). ne offre l'enfer ternel l'homme qui
Les sciences psychiques en progrs constants feront bientt comprendre tous comment le fluide d'un seul homme peut arriver influencer le fluide de tous les hommes, tel le grain de bl qui peut donner une immense moisson en 2 0 sicles.
Albin VALABRGUE, Prsident de YUnion spiritualiste et du Groupe des Nouveaux Chrtiens.
Les a d h s i o n s au n o u v e a u
christianisme sont
gratuites
198
Nos lecteurs ont vu prcdemment la mise au point des critiques souleves contre nous dans une nouvelle revue par certain mule des abbs Lugan et Pierre. Elle revient la charge avec acharnement et nous consacre cette fois un fascicule presque entier. Peine perdue! Ces gcns-l, c'tait visible ds la premire heure, voudraient une polmique pour attirer sur eux l'attention que tout le monde leur refuse, et ils essaient de me piquer au jeu par la prolixit de leurs attaques et l'abondance de leurs injures. Je no ferai pas leur jeu. Ils peuvent donc, puisque leur caisse est riche, continuer tranquillement leurs envois aux quatre mille curs-doyens, et mme, si le cur leur en dit, les tendre tous les desservants et vicaires. Je ne rpondrai point. Mais cette campagne doit intriguer le public. S'il savait qui la mne, il ne lui en faudrait probablement pas davantage. Il serait pleinement difi, si on lui apprenait que l'auteur de ces basses violences, soigncusemenl cach sous un pseudonyme ou derrire le Comit de rdaction, a d prcdemment se sparer de Y Action franaise dans des conditions plutt pnibles. E. B.
ERRATA
N" du l mai 1911, page 88, lignes 19 et 21, lire : La socit moderne rpond catgoriquement : oui- - Les catholiques purs rpondent hautement : non.
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UNE HISTOIRE
NOUVELLE DE L'GLISE
ANCIENNE
I.
PROLGOMNES
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M. Hyrvoix de Landosle a publi, dans le numro du 1 avril, une savanto tude qui pourra servir d'introduction cette modeste critique. Notre dessein est de faire l'analyse un peu dtaille du premier volume de Mgr Duchesne, d'en montrer les lacunes et d'en signaler les dangers.
* * *
Si l'auteur a une philosophie, il est certainement disciple de Descaites : son Histoire est une application trs russie du Doute mthodique. Avant d'crire, Mgr Duchesne s'est dfait entirement de sa thologie .qui, d'ailleurs, ne devait pas former un bagage bien embarrassant. Etre impartial, faire besogne d'rudit, il n'ambi ionne pa's d'autre compliment. Et il est jusLe de dire que son rudition est [immense : il semble que pas un seul document de la littrature chrtienne primitive n'aiL chapp ses recherches. Gela suffisait-il pour faire une uvre vridique? Nous ne le pensons ,pas. L'histoire de l'Eglise est tellement imprgne du dogmatisme chrtien que, si l'on n'en tient pas compte, il est aussi impossible de raconter cette histoire que de la comprendre. Les premires pages, par le livre des Actes et par les ptres des aptres, appartiennent directement aux monuments rvls; la suite nous montre une succession de faits et de doctrines qu'on ne peut apprcier qu'au flambeau de la rvlation. Ft-elle d'une exactitude minutieuse, quant aux faits matriels, l'histoire de l'Eglise, raconte par un historien qui n'est pas en tout disciple de la foi, n'est point un rcit pleinement vrai. Jusqu' son dernier jour la marche de l'Eglise est surnaturelle; pour juger les hommes qu'elle a produits, les applications de sa divine constitution, le rle des institutions qu'elle a cres, ses mouvements de progrs et de retard, les vertus et les dsordres qui se sont produits dans pon sein, il faut tre clair de la lumire dont elle est la source unique. La vie de l'Eglise est un fait divin qui s'accomplit sur la terre avec le concours de l'homme, et le catholique a seul la clef de co mystre. Vouloir humaniser cette histoire, c'est donc perdre son temps; et faire des systmes pour l'expliquer, comme on en fait sur les
Critique du libralisme. l e Juin.
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G r i g i n e s et les annales des peuples anciens ou modernes est inutile que tmraire (1).
aussi
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Et il ne suffit mme pas de reconnatre avec Bossuet que Dieu a fait un ouvrage au milieu de nous qui, dtach de toute autre cause et ne tenant qu' lui seul, remplit tous les temps et tous les lieux et porte par toute la terre, avec l'impression de sa .main, le caractre de son autorit (2). L'Eglise, en effet, est divine non seulement dans son origine, non seulement dans son dveloppement, mais encore dans son essence. Le Christ est le chef de ce vaste corps qu'il illumine par sa parole, nourrit de sa chair, compenetre et transfigure par sa grce. Du centre o il s'est install, il agit, il rayonne, il prside aux fonctions vitales de la hirarchie entire. Si, pour crire les pages qui racontent cette action surnaturelle, il n'est pasi absolument ncessaire l'historien de s'tre .assimil les ides de Bossuet (3), de Dom Gra (4) ou du P. Aubry (5), du moins est-il indispensable qu'il ne les ignore pas tout fait. Autrement, il ne verra dans l'institution dont il raconte les vicissitudes qu'un mcanisme tournant parfois vide; il ne i e r a qu'un mauvais pastiche, faussant les perspectives, dtruisant par l'exagration d e s dtails la grandiose harmonie de l'ensemble; l e lien d e s vnements lui chappera et, si d'aventure, cet historien a de la verve, du sel gaulois et qu'il ne sache pas rsister la dmangeaison de placer un bon mot, nous le verrons prendre un malin plaisir mettre en relief le ct comique d'un incident, allumer sa torche pour nous faire explorer les sous-sols, ouvrir d'une main tmraire les issues par lesquelles s'chappe le relent des cuisines. Loin d'admettre que les bases, du christianisme soient affermies par des travaux semblables, nous nous souviendrons que la foi est un don de Dieu, et nous refuseronsi de croire qu'il lui plaise de se servir, pour attirer les mes, d'un procd irrespectueux pour son Eglise. Cela -nous apparatra bien mieux dans l a suite. En attendant, coutons l e s rflexions d'un critique d u Sicle : L'historien Duchesne a suivi pas pas les progrs pnibles de l a primitive Eglise. L'organisation sociale des premiers chrtiens tait rudimentaire; leur piscopat existait peine l'tat d'embryon. L'auteur a esquiss trs finement l a psychologie des prcurseurs qui, faibles et impuissants, ont tress de leurs mains maladroites le berceau 1. Dom Guranger, Essais sur le naturalisme, etc., 12, p. 194-195. 2. Oraison funbre de la princesse palatine. '3. Sermon sur l'Unit de Vglise. Discours sur VHistoire universelle. 4. De Vglise et de sa divine constitution. 5. Tornea IV' et VII.
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fragile de l'Eglise et de l'Etat romains. Longtemps le dogme fut incertain et vacillant; longtemps et malgr d'innombrables conciles, les schismes s e multiplirent l'infini. Rcompenss par le hasard de circonstances exceptionnelles non moins que par leur persvrance, les chrtiens parvinrent conqurir un pouvoir suffisant pour que l'empereur Constantin, politique avis autant que mystique superstitieux, ait cru ncessaire de s'assurer leur appui... A vrai dire, entre le Christianisme devenu national et le Christianisme primitif, il n'y avait gure de commun que le nom... Pour absorber une socit tout imprgne de paganisme, la religion nouvelle s'adapte troitement cette socit ancienne... L'tablissement de la papaut est trs postrieur la vie de Jsus. Les hommes qui ont fond les diffrentes Eglises taient de petites gens qui, pour la plupart, n'avaient jamais connu le Christ et qui tous attendaient, pleins d'esprance, la fin trs prochaine du monde' terrestre '(1).
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Il serait injuste de mettre l'actif de Mgr Duchesne tout ce que nos ennemis se plaisent lui imputer. Toutefois, aprs avoir lu son livre, c'est bien un peu une impression comme celle-l qui demeure. Les caractres ou les traces d'une action providentielle et surnaturelle ne s'y dcouvrent, ni dans la prparation du christianisme, fri dans son institution, ni dans la manire dont il est propag. Comment serait-il permis l'historien de l'Eglise de passer sous silence la vie de Jsus-Christ et de n'accorder aux prophties ,<rui l'annoncent, lui et son uvre, que cette mention banale : Au moment de la dernire catastrophe (590), cette vie religieuse (des Juifs), progressivement pure sous l'influence de prophtes inspirs, avait pour centre le sancLuaire national de Jrusalem ? (2). Les livres prophtiques donnaient le tmoignage de l'attente du peup'.e de Dieu; on y trouvait tous les traits du Messie et de son royaume; ils justifiaient l'abandon des sacrifices et autres rites mosaques (3). Gomme* Messie juif, il avait une histoire en arrire; il avait t prdestin par Dieu, pressenti, annonc, dcrit par les prophtes (4). Pascal avait prophtique les prophties. nement qui les 1. 2. 3. 4. raison d'accorder une valeur exceptionnelle l'argument La plus grande des preuves de Jsus-Christ, dit-il, sont C'est aussi ce quoi Dieu a le plus pourvu, car l'va remplies est un miracle subsistant depuis la naissance
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de l'Eglise jusques la fin (1). Quoi donc! Pendant seize cents ans Dieu aura suscit des prophtes, pour raconter par avance la vie du fondateur de l'Eglise et signaler les caractres de son royaume; pendant quatre cents ans, ensuite, il aura dispers leurs prophties dans tous les lieux de l'univers; un peuple qui survit toutes les catastrophes sera charg jusqu'au dernier jour d'en garantir l'authenticit; et l'historien de l'Eglise pourrait ne pas faire meilleur tat de cette prparation grandiose, qui a conduit l'humanit tout entire accepter le fait messianique I Si l'historien n'est pas de plein droit un apologiste, du moins ne doit-il pas commettre l'imprudence de sparer un difice de ses fondations. Car, ce n'est pas poser de vraies fondations que d'crire : Le plus ardent disciple de saint Paul, pourvu qu'il demeurt fidle la pense essentielle de son matre, ne pouvait avoir l'ide de prsenter le christianisme comme une religion tout fait nouvelle. Mose pouvait tre attnu, Abraham subsistait et avec lui, toute une srie de faits, de personnes, de croyances, d'institutions, qui rattachaient l'Evangile l'histoire la p&us ancienne, l'origine mme du monde, Dieu son crateur. Ce long pass tait reprsent sous les yeux du nouveau disciple |par une nation religieuse, trs vivante en son centre palestinien et dans ses colonies du monde hellnis. Il tait reprsent en outre par une littrature sacre, dont les dernires productions taient des livres contemporains (2). Quoi qu'il en soit d'ailleurs de ces rapports passagers, il est sr que le christianisme a ses racines dans la tradition juive, que les premires crises de son histoire sont comparables celle qui spare un enfant de sa mre, que l'histoire juive a toujours t considre par lui comme la prface de la sienne, comme sa prhistoire, que les livres sacrs d'Isral sont aussi ses livres sacrs lui, et mme qu'il fut un temps o il n'en connut pas d'autres. Ainsi l'agrgation au christianisme doit tre et tait rellement conue comme une incorporation un Isral largi, mais au fond identique lui-mme (3). Ainsi la tradition juive, l'Ancien Testament, a t adopte dans son ensemble par le christianisme. De ce fait rsultait pour les fidles un avantage important. La Bible leur donnait une histoire, et quelle histoire! Avec elle on remontait bien au del des traditions grecques... Ou remontait jusqu' l'origine mme des choses. On voyait le monde sortir de la main cratrice du Dieu suprme, le mal introduit par l'abus de la libert; on assistait la premire propagation de la race humaine, la fondation de ses premiers tablissements (4). Ce n'est pas seulement sur le pass que la tradition d'Isral offrait des ressources La pense chrtienne; elle l'orientait aussi vers l'avenir, vers la rgion des esprances (5).
1
Encore aurait-il fallu tablir, au moins d'une faon sommaire, l 1. 2. 3. 4. 5. Edition Brunschvicg (1909), no 706. Pago 36, 37. Page 37. Page 39-40. Pag 41.
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valeur de cette prhistoire et faire toucher du doigt la solidit des bases sur lesquelles le christianisme a t pos. Quelle religion paenne n'a pas eu ses fastes hroques et sa lgendaire cosmogonie? Ainsi, ds le dbut, l'uvre de Mgr Duchesne est manque. Du moins, aurait-il pu. choisir comme point de dpart le fait de la Pentecte. Conoit-on qu'il ait pass totalement sous silence un vnement .aussi capital et qu'il n'ait pas* signal le discours de saint Pierre, tmoignage si important en faveur des vnements qu'il rapporte et du droit d'vanglisation qu'il revendique! Le salut vient des Juifs , disait Jsus . la Samaritaine. Ce mot caractrise l'aspect extrieur de la propagande vanglique (1). Tel est l'exorde de l'historien. C'est aussi pauvre que peu comprhensible. Et il expose les circonstances au milieu desquelles cette propagande va (se faire : Le christianisme n'a pas trouv la place vide. Il lui a fallu extirper des mes qui s'ouvraient lui, non seulement l'attachement particulier tel ou tel culte, mais encore une certaine sympathie pour tous les paganismes qui s'taient peu peu croiss ou superposs dans la dvotion vulgaire. De ce qui vient d'tre dit ou peut conclure que la propagation du christianisme a trouv dans la situation de l'empar romain la fois des facilits et des obstacles. Parmi les facilits (2) il faut mettre au premier rang la paix universelle, l'uniformit de langue et d'ides, la rapidit et la sret des communications. La philosophie, par les coups qu'elle avait ports aux vieilles lgende? et par son impuissance crer quelque chose qui les pt remplacer, peut aussi tre considre comme un utile auxiliaire : les Pres de l'Eglise parlent du paganisme comme Lucien. Enfin Les religions orientales, en donnant un aliment quelconque au sentiment religieux, l'ont empch de mourir, lui ont permis d'attendre la renaissance vanglique. Mais ct des facilits, que d'obstacles I L'empire romain deviendra bientt perscuteur; plusieurs reprises, il entreprendra une lutte mort contre le christianisme. L'esprit raisonneur de la philosophie grecque s'emparera des lments doctrinaux de l'enseignement chrtien; il en fera sortir cent hrsies diverses. Quant aux cultes populaires, s'ils conservaient d'une certaine faon le sentiment religieux, ce n'est pas d'eux qu'on pouvait attendre un secours quelconque contre ces fassions gostes et honteuses qui forment toujours, dans les nations comme dans les individus le plus difficile obstacle l'uvre du salut (3). Mgr Duchesne a repris en partie la thse d'Albert de Broglie, contre laquelle J)om Guranger a protest si vigoureusement.
1. Chap. II, page 11. 2. M. Harnack, dans son livre : La mission et la propagation du christianisme dans les trois premiers sicles, exagre plaisir ces facilits. M. Rivire (Blond, 1907) les a numres avec beaucoup de complaisance. 3. Pages 9 et 10.
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C'est l, il faut eu convenir, une erreur assez rpandue. Beaucoup d'auteurs affirment, en effet, que le christianisme apparut e n ce point du dveloppement humain o dj la conscience morale s'tait rvle dans sa signification profonde... Les thories socratiques, merveilleusement commentes par Platon et Aristote, servirent de base des ides qui, souvent contredites, se rpandirent nanmoins au temps du Christ dans la socit cultive de Rome : opinions plus pures sur t)ieu, sur l'homme,, son besoin de salut, le sentiment de sa dpendance l'gard d'un tre plus haut, ses rapports avec ses semblables, sa destine .aprs la vie prsente (1). * Mme au point de vue purement spculatif, cette thse prterait la discussion. Mais, e n pratique, le fait se prsente sous un aspect tout diffrent. L'histoire nous montre les intellectuels du paganisme e n opposition formelle avec l'Evangile. Sa manire de s'imposer par v o i e d'autorit, comme une rvlation d'en haut, heurtait par trop ces esprits superbes. La croix leur apparaissait comme une folie, c'est saint Paul qui nous l'affirme (2). Et. ce qui rendait cette folie d'une acceptation encore plus difficile, c'est qu'elle tait annonce par des gens de rien-, appartenant une race mprise, et qu'elle avait la prtention de s'imposer la fois aux lettrs et la plbe. Quelle religion! s'criait Celse; ce sont des cardeurs de laine, des cordonniers et des foulons, les plue ignorants et les plus rustiques des hommes, qui l'annoncent, et c'est parmi des femmes et des enfants qu'ils cherchent des proslytes (3)1 N'oublions pas que l'orgueil a t de tout temps et restera pour jamais la grande tentation de la science (4). Sur le point dont je parle, Cicron s'accordait avec Platon-; Vairon tait de l'avis de Plotin, qui excluait les artisans de la possession de la vrit. Ce n'est point par des leons philosophiques qu'on peut amener la pit les femmes et le simple peuple; il faut y suppler par la superstition avec son attirail de fables et de contes merveilleux- (5). Saint Paul dclare que la sagesse des philosophes et la foi sont irrductibles : elles s'excluent; l'une confond et dtruit l'autre : Le Christ m'a envoy prcher l'vangile sans sagesse de parole, afin de ne pas rendre vaine la croix du Christ... C'est pourquoi il est crit : Je perdrai la sagesse des sages et j'annulerai l'intelligence des savants... Dieu n'a-t-il pas convaincu la sagesse du monde de folie? Le monde, en effet, n'ayant pas su, par sa propre sagesse, connatre Dieu en la 1. 2. 3. 4. . Kraus, Histoire de l'Eglise, Introd. 8. I Cor., I. Origne, Contra Cels., 1. III, 17. Mgr Freppel. Strabon. Geogr., 1. I, c. 2.
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divine sagesse de ses oeuvres, il a plu Dieu- de sauver par l foiie de la prdication ceux qui croient... Les Grecs veulent de la sagesse. Pour nous, nous prchons le Christ crucifi qui est... une folie pour- les paens- C'est pourquoi on trouve parmi nous peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu de nobles; mais Dieu a choisi les moins sages selon le monde pour confondre les sages; il a choisi les faibles selon le monde pour confondre les forts; il a pris ce qu'il y avait de plus vil et de plus mprisable selon le monde, et mme ce qui n'tait rien, pour dtruire ce* qui est, afin nue nul homme ne se glorifie devant lui (1), C'est d o n c se^ mettre insuffisamment d'accord avec L'Esprit Saint que de venir affirmer que la philosophie (fut pour le christianisme un utile auxiliaire . Faut-il- insister encore? Ne-sait-on. pas que Oelse et Porphyre, eux seuls; firent plus de- mal au christianisme qu'une demi-douzaine jde Csars perscuteurs? Ce n'est assurment ni chez les Epicuriens ni chez les Cyniques que l'Evangile pouvait faire des recrues. Restaient les Stociens. Mais: rien n'galait le mpris, qu'ils professaient pour c e t t e multitude* sans, philosophie, ces mes- communes- e t vulgaires qui; for? maient la grande majorit du genre humaim (2). Pline le Jeune, le bourreau des chrtiens de Bithynie, et-Marc-Aurle; l'auteur de la quatrime perscution, n'taient-ils pas Stociens?
Mgr Duchesne veut bien reconnatre que les cultes populaires ne pouvaient pas tre d'un grand secours l'Evangile. Et toutefois, en donnant un aliment quelconque au sentiment religieux, ils l'ont empch de mourir et lui ont permis d'attendre la renaissance vanglique. Eh bien! Mme ainsi rduite, cette facilit ne saurait tre concde. Les fausses croyances, si elles furent un aliment pour le sentiment, religieux, l'avaient altr, au point de le transformer en obstacle. Les religions trangres s'taient coules comme naturellement dans le moule du vieux polythisme romain; mais ce moule, l'vangile lie mettait en pices. Les formes, brillantes et les complaisances morales d paganisme s'adaptaient sans difficult aux besoins infrieurs de la nature humaine si profondment dchue; il pntrait, d'ailleurs, tous les dtails de la vie individuelle, familiale et nationale; il tait de longue date enracin- dans les curs et dans les murs. Or, le christianisme tait absolument le contrepied de tout cela. Aux divinits de l'Olympe ou: du Panthon il substituait un homme, un juif, deux fois condamn un supplice infamant par ses compatriotes e t p a r u n
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tribunal do l'Empire. Cet homme extravagance intolrable il fallait l'adorer comme le Dieu unique, la fois visible et invisible, ternel et pourtant n dans le temps et mis mortl La premire ide qui s'offrait au vulgaire, c'est que de pareilles gens taient sans Dieu. I1& n'ont qu'un Dieu qui n'en est pas un , disait Adrien. De l, le reproche d'athisme si souvent rpt par les paens et qui, dans leur bouche, nous parat fort singulier, mais qui s'explique par l'ide grossire qu'ils se faisaient de la divinit. Comme ils ne la concevaient pas autrement que multiple et accessible aux sens, le Dieu unique et invisible des chrtiens leur paraissait la ngation mme de la divinit, et l'adoration en esprit et en vrit que prchait l'Evangile, un pur athisme. Montrez-nous vos dieux , tel est le cri qui s'levait de toutes parts... C'est ainsi que cette grande doctrine de l'unit de Dieu, vue travers le prisme d u n e imagination paenne paraissait toute diffrente d'elle-mme et devenait, pour un oeil malade, la ngation formelle de la divinit ou l'athisme (1). Passe encore si le nouveau culte n'avait fait que se juxtaposer aux anciens, mais il les excluait e n les dclarant abominables. Prcisment, des flaux terribles fondaient sur l'Empire die toutes parts, et on sait quel point cette concidence, exploite, soit par les prtres des idcles, soit par les innombrables artisans et commerants qui vivaient de l'autel, dchana les rigueurs des pouvoirs publics et les fureurs de la multitude contre des hommes, reprsents comme les ennemis de la patrie, et les provocateurs des vengeances divines (2). La pratique des hautes vertus exiges par le christianisme constituait une difficult plus insurmontable encore polir des tres enlizs dans une immoralit effrne. Il n'est pas jusqu' la charit pratique par les frres qui ne servt de prtexte des accusations infmes. La Cne laquelle ils participaient tait couramment appele un festin de Thyeste et un souper d'anthropomorphages. Tacite (3) et Pline (4) ne se sont pas gns pour nommer la religion chrtienne une superstition excrable : exitiabliH superstitio... Superstitio prava.
Mgr Duchesne signale l'uniformit d'ides. On vient de voir ce qu'il faut e n penser. Restent l'uniformit de langage et la centralisation impriale. Oui : on peut accorder qu'elles contriburent frayer la voie l'Evangile. Encore conviendrait-il de rechercher quel degr ce fait, annonc par les prophtes, se rattache l'ordre surnaturel. 1. Mgr Freppel, Les apologistes chrtiens du II sicle; 3 leon. 2. Origne, Contra Celsum; Minutius Fehx, Octavius, 8, 9; Tertullien, Apologtique, 7, 8, 40. 3. Annal, XV. 4. Ad Trajanum.
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Cette centralisation puissante devint, d'ailleurs, trs vite 'ine effrayante menace contre le christianisme naissant, puisqu'elle plaait dans une seule main l'autorit qui pouvait s'employer contre lui; et c'est prcisment ce qui advint (1). Du reste, ces facilits ne peuvent plus tre invoques lorsqu'il s'agit de la conversion des Barbares. Si au lieu d'tre une uvre originale, le christianisme avait t le rsultat des tendances de l'ancienne socit et le fruit tardif du vieux monde, aurait-il t adapt la cration de ce monde nouveau? Aurait-il ainsi conquis les vainqueurs et les conqurants de l'ancien monde? (2). C'est donc trs rellement dans un milieu hriss d'obstacles que s'est faite la diffusion de la bonne Nouvelle . Cette propagation tout fait incomprhensible de l'Evangile jusqu'aux confins de l'univers dans un si court intervalle (3) est un argument trop prcieux pour qu'on puisse permettre un historien d'en infirmer la valeur. Tous Jes apologistes anciens l'opposent leurs adversaires comme une preuve sans rplique. On connat la rflexion de .saint Augustin : Si l'on croit que le monde s'est converti sans miracles, le seul fait de cette conversion serait mes yeux le plus grand de tous les miracles (4). Ainsi raisonne saint Thomas : Cette conversion, ditil, est plus tonnante que tous, les prodiges... Elle est la preuve certaine qui corrobore tous les miraclesi passs (5). Ce point est important; on m e pardonnera d'y avoir insist. Mais rejoignons Mgr Duchesne.
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Comment et en quelles circonstances commena, dans ce monde religieux de Palestine, le mouvement qui devait aboutir la fondation de l'Eglise? Tous les renseignements s'accordent nous indiquer, comme point de dpart, un groupe de personnes qui vivaient Jrusalem dans les dernires annes de l'empereur Tibre (30-37). Ces premiers fidles se rclamaient du nom et 1. Cf. Dom Guranger, II, p. 145, Paris 1910. ' 2. Abb de Broglie : Problmes et conclusions de l'Histoire des religions, p. 359. 3. Sans vouloir prendre la lettre les textes 'communment emprunts saint ClcmenL Romain (la, 6), saint Ignace (ad JRomanos, III) Hermas (SimiWud. VIII et IX, saint Irne (Adv. Haereses I, x, 2), Polycrate d'Ephse, (EUSBE, H. E . , V. xxiv, 7), saint Clment d'Alexandrie (Stromat. VI), Tertullien, (Apologt., XXXVII), ou mme Pline le Jeune (Ad Trajanum) et . Tacite (Annal. XV, 44), les conclusions qu'on peut tirer du seul livre de M. Harnack dj cit permettent d'affirmer qu'au commencement du IVe sicle, il existait environ 1800 siges piscopaux rpartis entre toutes les contres du monde connu et que le triomphe de l'Eglise tait un 'fait accompli. Au fond, redit de Milan, publi en 313 par Constantin et Licimus ne faisait gure que lgaliser une possession de fait. 4. De Civitate Dei, XXII, 5. Cf. Le Dante, Paradis, XXIV, XXXIII, XXXVII, 5. Contra Gentiles, 1. I, c. 6 : Quibus animos... Haec autem... .
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do la doctrine de Jsus de Nazareth, rcemment supplici par ordre du- procurateur Pilate, l'instigation des autorits juives. Bon nombre d'entre eux ravalent connu vivant; tous savaient qu'il tait mort crucifi; tous aussi croyaient qu'il tait ressuscit, encore qu'une partie seulement d'entre eux eussent joui de sa prsence aprs sa rsurrection. Us le considraient comme le Messie promis et attendu, l'envoy, le Fils de Dieu, qui devait rtablir en ce monde le rgne de la justice et donner au bien une revanche clatante sur le mal. Il avait promis de fonder un royaume, le royaume de Dieu dont tes mchants seraient exclus et dont l'accs tait assur tous ceux qui s'attacheraient lui. Son supplice, il est vrai, avait retard l'accomplissement de sa promesse; mais celle-ci ne tarderait pas se raliser. On en avait le gage assur dans le triomphe remport sur la mort par la rsurrection du. Matre. Celui-ci tait prsentement assis la droite de- Dieu son Pre, d'o il allait venir manifester sa gloire et fonder son royaume. En l'attendant, ses fidles s'occupaient rpandre la bonne nouvelle, l'vangile, et former ainsi le personnel des lus. Ils vivaient en union spirituelle : une mme foi, une mme attente les tenaient serrs les uns contre les autres. Leurs chefs taient douze hommes qui, les annes prcdentes, avaient vcu dans l'entourage intime de Jsus, avaient reu, de lui les enseignements qu'ils distribuaient en son nom. et se trouvaient en situation d'attesLer ses m i r racles. Cetle intimit avec le Matre ne les avait pas empchs de l'abandonner au moment critique, et ce n'est pas sans rsistance qu'ils avaient admis sa rsurrection. Maintenant leur conviction tait au-dessus de toute contradiction et de toute preuve. On ne tarda pas le constater (1). Laissons provisoirement de ct le mouvement qui devait aboutir, la fondation de l'Eglise I J'y reviendrai. En attendant, j'observe que tout est subjectif dans la vie du Christ ainsi raconte : quel dpart convient-il d'y faire entre l'imaginatif et le rel? Voil ce que l'historien ne se charge pas de nous dire. Tous savaient qu'il tait mort crucifi; tous aussi croyaient qu'il tait ressuscit. Pourquoi des termes diffrents, pour dsigner deux certitudes demme ordre? Le sens de la vue qui avait renseign les tmoins Jdu supplice n'avait-il. pas renseign* aussi les tmoins de la rsurrection? Quia Us qui viderant eum resurrexisse non crediderunt (2). Mecumbentibus illis undecim apparuit (3). Apparuit Simoni (4). Le lecteur rationaliste ne sera-t-il pas tent de dire que ceux qui croient sont plutt sujets l'illusion que ceux qui savent? Toutefois, Mgr Duchesne reconnat que chez les- aptres cette conviction tait au-dessus, de toute contradiction. C'est une bien faible garantie. La conviction ne se rencontre-t-elle pas chez les hallucins? Et voil les assises de la Foi catholique! Et puis, quelle synthse de la prdication du Sauveur : Il avait promis de fonder un royaume, le- royaume, de- Dieu, dont Ies.;m1
1. Page? 13 et 14.
2. Marc, XVI, 14.
3. Ibid.
4. Luc, XXIV. 34.
LES CATHOLIQUES
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chants seraient exclus et dont l'accs tait assur tous ceux qui s'attacheraient fa luil Ce qu'il y a de piquant, c'est que- l'Evangile dit prcisment le contraire. Nous y voyons, e n effet, le royaume de Dieu compar un champ o le froment crot avec l'ivraie, un filet qui ramne debons et de mauvais poissons du fond de la mer: Et alors se pose- cette question : qui donc se trompe* du groupe des premiers fidles ou de l'Evangile? Si c'est l'Evangile, voil tout Je i christianisme e n ruines; si pe sont les tmoins auriculaires, quelle foi peut-on ajouter l'Evangile, dont la vracit dpend videmment de la leur? D'une faon comme de l'autre, le rsultat est le mme et l e scepticisme s'impose. (A suivre). Chanoine MARCHAND.
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Notre chroniqueur nous narre que, sur la trs heureuse initiative d'un groupe de catholiques angevins, initiative laquelle ont adhr une vingtaine d'archevques ou d'vques, on clbre ces jours-ci, discrtement, dans l'intimit de plus de cinq cents tablissements d'enseignement libre, le centenaire de M. de Falloux. Nous n'aurons pas le mauvais got de contester les honneurs rendus l'homme d'Etat chrtien, dont le brillant talent, la souplesse et la persvrance ont dot notre pays de cette loi SUT la libert d'enseignement laquelle son nom demeure trs lgitimement attach. Elle eut des avantages immenses, malgr des lacunes qui, volontairement admises par les catholiques de la Commission, eurent peut-tre, on le verra plus loin, l'inconvnient d'un vice vritable, dissimul mais radical, dont elle devait mourir. La discrtion convenait donc, en effet, aux crmonies religieuses d'aujourd'hui qui ont un peu l'air d'une absoute rcite sur elle. L'unanimit entre les catholiques h rendre justice ces illustres dfenseurs de leur cause serait plus complte, si ceux qui montrent le plus de zle ^ glorifier leur mmoire, ne cherchaient dans ces manifestations l'occasion d'exalter les tendances librales qui gtrent leur uvre et un prtexte en tirer des applications' actuelles. Nous voyons se reproduire exactement au sujet du centenaire de M. de Falloux ce qui se produisit pour celui de Montalembert. M de Narfon et d'autres ne manquent point de rappeler l'opposition, aveugle selon eux, que le groupe de Louis Veuillot, appuy par nombre d'vques, fit au projet de loi Falloux. Les souvenirs viennent abondants sous la plume diserte du chroniqueur du Figaro. A l'autorit do tel prlat il oppose l'avis de tel autre. Qu'il soit cependant permis de faire observer un crivain moins familiaris, gemble-t-il, avec l'piscopat de 1850, qu'avec celui d'aujourd'hui, que Mgr Doney, vque de Montauban, dont il crit correctement le nom, n'est pas devenu le cardinal Donnet, archevque de Bordeaux : ce sont deux personnages diffrents. Nou3 connaissons ces exagrations, que les inlransigeants de nos jours n'ont fait que transporter sur d'autres terrains, et auxquelles l'opinion publique reste heureusement indiffrente. Mais, en 1849, le talent de l'illustre polmiste les rendait singulirement dangereuses. Je suis trs port croire, crivait Montalembert Mgr Doney, vque de Montauban, le futur cardinal-archevque de Bordeaux, que si la loi est rejete ou amende contre nous, nous n'y aurons pas nui . (18 fvrier 1850). En fait, il y avait bien une quinzaine d'vques qui lui taient rsolument hostiles. Un jour, raconte le P. Lecanuet, Montalembert n'y tint plus; dans une runion des catholiques de la commission parlementaire, il jeta sur la table un paquet de lettres piscopal-es qu'on venait de lui remettre : Ne devons-nous pas, s'cria-Ul, abandonner cette loi, rprouve par de si hautes autorits? En parlant ainsi, dclare un tmoin (M. de Melun),
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sa voix tait pleine de larmes. Mais ce cri de douleur peine chapp, Montalemberl s'tait ressaisi dj. Deux hommes le soutinrent jusqu'au bout dans cette crise : Le P. de Ravignan et l'intrpide vque d'Orlans . Quelle leon et quel encouragement pour les hommes dont les vues Jes plus justes et les intentions les plais droites sont si souvent mconnues par ceux-l mmes, dont ils servent le mieux, quoique contre eux parfois, semble-t-il* les intrts! Avant de ramener cette opposition de Louis Veuillot son frrai point, no privons pas le lecteur des rflexions suggres M. de Nation par une lettre de Mgr Chapon, vque de Nice, annonant que lui-mme clbrerait une messe pour M. de Falloux dans la chapelle d'un de ses collges. Le chroniqueur cite et commente ainsi une partie de cette lettre. Je fais tous mes voeux pour que votre gnreuse initiative ait tout le succs qu'elle mrite. Nous serions ingrals si nous laissions passer le cen tenaire de nos grands dfenseurs, d'un Montalembert, d'un Falloux, sans saluer et glorifier leur mmoire; nous commettrions une faute, mme au sens politique, car rien ne discrdite les grandes causes comme l'ingrati tude envers ceux qui les ont le plus vaillamment et le plus efficacement servies. Cette faute s'aggraverait encore des circonstances que nous tra versons, et l'heure serait mal choisie pour oublier celui qui attacha son nom la conqute de la libert d'enseignement, la dfense du Sant-Sige et de son indpendance . Il est impossible, continue M. de Narfon, de ne pas voir dans ces lignes une critique voile d ce qui s'est fait ou plutt de ce qui ne s'est pas fait l'poque rcente o les catholiques auraient d clbrer le centenaire du grand chrtien et du grand orateur auquel nous sommes redevables aussi do cette libert d'enseignement que l'on cherche aujourd'hui nous arracher : le comte de Montalembert. On a bien tort de dire- que ceux qui ne font rien ne risquent pas de se tromper. Il y a des pchs d'omission, et qui engagent plus gravement que bien d'autres la responsabilit de ceux qui les commettent par ingratitude ou par manqfue de courage. 11 n'a pas dpendu de celui qjue ses amis se plaisaient, rcemment encore, appelei* l'unique vque , pour bien marquer qu'ai possdait un haut degr co courage qnii n'a jamais t plus qu' l'poque o nous sommes ncessaire l'piscopat, il n'a pas dpendu de Mgr Chapon, dis-je, que le centenaire de Montalembert ft clbr et qni'il et tout l'clat que lui devait assurer la reconnaissance de l'Eglise. On ne s'tonnera donc pas qu'il ait t des premiers et des plus ardents applaudir au centenaire de M. de Falloux, et qra'il ait voulu rappeler cette occasion celui qu'on a omis,, l'arme dernire, de clbrer. Ce ne sera, rien enlever au prestige de Mgr Chapon, admir par plusieurs comme le fidle disciple de Mgr Dupanloup, de regretter que M. de Narfon ait trop facilement suppos connus du lecteur les actes de c e grand courage, qui assignent l'vque de Nice ce rang hors pair. La critique voile dont il parle ici serait-elle de jee
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genre, o u M. de Narfon a-t-il seulement voulu faire une allusion discrte ce mmoire contre le Dcret sur l'ge de la premire communion, de caractre strictement priv, que lui-mme, par une de ces indiscrtions scandaleuses dont il est coutumier, jeta dans le public? Peut-tre encore, pensait-il la prface que Mgr Chapon a rcemment crite pour le second volume d'un ouvrage du P. Lecanuet. Mais le. reste nous chappe sans doute. Toujours est-il que c'est pousser bien loin la flatterie l'gard d'un prlat modeste, et rlguer tous les autres dans un rang trop bas, de saluer Mgr Chapon, non pas mme comme un vque unique, mais comme l'unique vque sachant donner l'exemple de cette sorte de courage qui n'a jamais t plus qu' l'poque o nous gommes ncessaire l'piscopat . On peut croire que l'vque de Nice aura trouv que c'tait lui porter J'encensoir trop prs du visage. M. de Narfon ne dit pas davantage quels sont les amis qui dcernent l'vque de Nice ce titre glorieux. Mais le chroniqueur du Figaro, l e Catholique du ' Matin le correspondant du Journal de Genve s'inscrit au premier rang : ce n'est pas, je le crains, de quoi rendre Mgr Chapon le parfum de cet encens plus pur et plus dlectable. Puisqu'on ramne ici le souvenir de Montalembert, il y aura quelque intrt faire le rapprochement entre les causes qui firent chouer la clbration de son centenaire et la manifestation religieuse organise Rome, quand on y apprit sa mort. Louis Veuillot se trouvait alors dans la Ville Eternelle. 'Je ne rsiste pas citer d'abord les lignes loquentes, si mues, si dignes et si mesures, qu'il ajoutait on postscriptum, son article du 13 mars 1870 : P. S. On a appris hier soir la mort de M. de Montalembert Avec quelle-douleur, avec quelle stupeur I Je ne sais s'il est un vque, un prtre dans Rome, qui n'ait clbr ce matin le saint sacrifice pour ce grand serviteur di* l'Eglise, tomb dans un moment d'ombre funeste (1). Taisons-nous-. C'est La plus cruelle situation o son inimiti ait pu nous rduire, de n'avoir point la consolation de le kmer ' comrrue il l'a tant mrit. Mais cette ncessit ne nous dfend, ni le respect, ni le bon souvenir, ni la prire, ni l'espoir; et nous lui rendrons tmoignage un jour comme il nous le rend prsent.
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Le 17 mars, il narrait : Un incident assez grave a eu heu aujourd'hui. Je vous dirai ce que j'en sais pour le moment. Ds avanUhier, il avait t question d'un service solennel pour le repos de l'me de M. de Montalembert, et l'on ajoutait que Monseigneur l'vque d'Orlans y prendrait la parole. 1. Peu de jours avant, la Gazette de France avait publi sa lettre tristement fameuse.
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Hier, dans la journe, le billet suivant fut distribu dans Rome, et tous les vques le reurent. Un service pour le repos de rame de feu M. le comte Charles de Montalembert, dcd Paris le 13 mars 1870, dans la cinquante-neuvime anne de son ge, muni des sacrements de notre Mre la Sainte Eglise, sera clbr dans l'glise des RR. PP. Franciscains de Santa-Maria m Ara cli, le jeudi 17 mars, dix heures du matin . J'appris en -mme -temps qu'il n'y aurait point de discours. Le service avait en outre t annonc par M. l'abb >Bougaud, vicairegnral d'Orlans, qui prche la station du carme Saint-Louis des Fianais. Aprs avoir parl comme il convenait de l'illustre dfunt et du deuil de toutes les mes chrtiennes, le prdicateur avait termin par ces mots : A 1-Ara cli, c'est--dire au Capitole! .Ce matin, en arrivant l'Ara cli, j'appris que le service avait t contremand ds la veille, au moment mme o le prdicateur de Saint-Louis l'annonait. Plusieurs personnes se reliraient, d'autres, restes dans l'glise, s'interrogeaient sur ce contre-ordre dont on ignorait la cause. Il y avait l un certain nombre d'vques, parmi lesquels je reconnus Mgr l'archevque nomm de Lyon, Mgr l'vque de Sura, Mgr l'voque de Luon, Mgr l'vque de Perpignan, Mgr l'vque de Cahors, Mgr l'vque d'Oran, plusieurs vques allemands, etc. .J'y 'vis aussi l'vque d'Aix, l'un des vques du Brsil, le Rvrend Pre gnral des Jsuites et quelques autres religieux. Je ne sais rien de* plus pour le moment, du moins rien de certain. On dit que le service a t contremand par Mgr de Mrode. On dit aussi que l'ordre est venu de son Em. le cardinal-vicaire, parce que certaines formalils ncessaires avaient t omises; on dit enfin que l'ordre iest venu directement de *S. S. qui veut honorer de grands services rendus, mais qui n!a pas voulu qu'un acte de pit part dgnrer en manifestation approbative d'une doctrine errone. Je crois opportun de vous -donner ces dtails parce que nous avons affaire des plumes et des langues qu vont vite et qui se gnent trop peu dans l'occasion sur les choses qui ne leur plaisent point. L e lendemain, 18 mars, Louis Veuillot ajoutait : On lit dans le Journal de Rome du 18 mars : Sa Saintet, en souvenir des anciens services rendus au Saint-Sige par le e comte de Montalembert, qui vient de mourir, a ordonn qu'un service ft clbr pour le repos de son me, dans la vnrable glise Santa-Maria in Transpontina. 'La pieuse crmonie expiatoire a eu lieu ce matin dix heures, et Sa Saintet y a assist de la loge grille. La messe de Requiem a t dite par l'IU. et Rv. M. Alberani, vqiue d'AscoM, qui a fait l'absoute. Le Saint-Pre a fait les frais de la pieuse crmonie; il s'y est rendu sans avis pralable . Aprs Tinaident d'hier l'Ara cli, l'intention du Saint-Pre n'a pas besoin d'explication. Les anciens services sont reconnus* l'admiration et l'affection qu'ils ont mrites se dclarent; le reste est digne d'oubli. "Je reviens l'opposition faite par Louis Veuillot au projet de loi Falloux, alors si hautement blme et si svrement juge depuis par de nombreux catholiques, comme .l'intempestive et chimrique
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rclamation d'un monopole de l'enseignement en faveur de l'Eglise. Rpondant ces critiques renouveles, il y a quelques jours, par la Libre Parole et VEcho de Paris, M. Eugne Tavernier, dans l'Univers du 14 mai, remettait trs justement les choses au point. Son article mrite d'tre largement cit. Nous avons le devoir de rclamer contre cette assertion; car elle reprsenle juste le contraire de la' ralit. Non, Louis Veuillot et les vques, les prtres et les laques qui approuvaient son opposition et ses critiques, ne demandaient pas que l'Eglise obtnt aucun monopole d'enseignement. Ce qu'ils reprochaient au projet de loi, c'tait prcisment de consacrer, en le modifiant, le monopole dont bnficiait l'Universit. Ils dploraient qu'on abandonnt l'ancien programme, lequel comportait l'entire libert. Il reste l-dessus une longue srie d'articles crits par Louis Veuillot au milieu de la lutLe et qu'Eugne Veuillot a souvent cits dans l'admirable ouvrage o il raconte la vie de son frre. Citons-les notre tour. Ds que le projet de loi paru, Louis Veuillot annona qu'il le combattrait, et pour les raisons suivantes : (29 juin 1849)... Qu'avons-nous demand, toujours et unanimement? La libert 1 Que nous offre le projet? Une faible part du monopole 1 Le projet organise et fortifie le monopole; il n'institue pas la libert. . . . L'Universit gouverne les tablissements libres, autorise les livres et les mthodes, confre les grades. ... Dans la vaste enceinte du monopole, on trace un petit enclos domin de toutes parts. On y place des sentinelles universitaires, une douane l'entre pour les livres, une douane la sortie pour les examens, on y envoie des inspecteurs et on nous dit : Plantez l uin draps au; c'est le terrain libre. ... Sans doute il est urgent d'en finir, mais avec le monopole et non avec la libert. Il est urgent de vaincre, il n'est pas urgent de transiger. Nous n'avons, pour nous, jamais combattu en vue d'une transaction future, c'est--dire en vue d'obtenir moins que nous demandions. Nous ne reconnaissons pas que nous avons jamais rien rclam au del du juste et au del du ncessaire, rien au del des droits de l'Eglise et de la famille, rien au del du droit de la conscience chrtienne, rien au del du droit pressant de la socit. Nous avons demand la libert, rien de plus; nous demandons la libert, rien de moins . (27 octobre 1849). Nous avons combattu pour la sparation (d'avec l'Universit), non pour l'alliance; pour la libert, non pour un faux et dangereux allgement de servitude. Nous n'avons pas dout un instant que la pleine libert ne ft dsirable; nous ne doutons pas encore aujourd'hui Jqu'elle ne soit possible et seule possible. (13 janvier 1850). Nous entendions par libert d'enseignement, non pas une part quelconque faite l'Eglise dans le monopole universitaire, mais la destruction du monopole... Nous ne faisions pas de la politique; nous n'tions pas des gens d'opposition qui n'attaquent les abus que pour mriter l'honneur de les conserver et de les aggraver leur tour. Nous tions des gens convaincus de ce que nous disions, dvous ce que nous voulions; convaincus que le monopole universitaire a fait la France des maux incalculables; convaincus que la libert d'enseignement seule peut rparer
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ct'3 maux; dvous combattre le monopole sous tous les rgimes, en dpit de toutes les forces qu'il pourrait acqurir et de tous les dguisements qu'il pourrait prendre. Quelques-uns de nous ne pensent plus ainsi. Nous ne croyons pas qu'ils hassent moins le monopole, mais ils n'aiment plus autant la libert, ou ils ont cess de comprendre -la libert comme ils l'avaient, avec -nous, toujours comprise, do Ira vouloir comme ils l'avaient toujours voulue. Assurment, leur bonne foi est l'abri de tout soupon : ils veulent faire .1 bien, ils veulent viter le mal; mais nous croyons qu'ils n'viteront pas le mal et qu'ils ne feront pas le bien. Le monopole sortira de leur loi restaur, rajeuni, consacr; ils auront considrablement amoindri et diminu, sinon la force des principes qu'ils abandonnent et qui sont temels, du moins le nombre de voix et de volont qui s'taient rattaches ces principes et qui avaient jur de les faire triompher... Point d'alliance avec l'Universit, point de surveillance de l'Universit; arrire ses livres, ses inspecteurs, ses examens, ses certificats, ses diplmes . Nous n'examinons pas en ce moment jusqu' quel point taient fondes les raisons qui dictaient l'attitude de Louas Veuillot. Ce serait assurment un travail trs utile d'tudier les divers motifs pour lesquels la conqute ralise il y a cinquante ans, au prix de tant d'efforts, se trouve prsent dtruite presque tout entire et menace avec fureur dans ses derniers dbris. Il est vident que la dsastreuse situation impose aujourd'hui l'enseignement libre s'accorde avec la prvision attriste exprime autrefois par Louis Veuillot. Sans y insister, nous notons le fait, qui mriterait bien une analyse complte. Ces dernires lignes font mettre le doigt sur le vice de la loi de 1850 et e n signalent justement les consquences. Le principe reconnu a pu comporter une application mitige, adoucie, sous un .gouvernement qui ne mconnaissait pas compltement les droits et l'action bienfaisante de l'Eglise : un gouvernement sectaire n'a pas besoin, pour faire ce dont nous sommes aujourd'hui victimes, d'en chercher un autre que celui auquel les catholiques ont cru opportun de se rallier," alors qu'ils e n pouvaient probablement triompher. M. Georges Hoog, lieutenant de M. Marc Sangnier, qui revient sur la loi de 1850, aprs M. Fonsegrive, dans la Dmocratie du 16 maij s'applique naturellement venger M. de Falloux de l'opposition injurieuse qui lui fut faite, et il utilise assez largement l'article de M. de Narfon. Mais l'apologie qu'il prsente russit admirablement, sans qu'il s'en doute, mettre en vidence Terreur de son hros. Il ne faudrait pas la pousser bien loin en ce sens pour justifier ceux qui le critiquaient. M de Falloux et voil ce que beaucoup de ses adversaires catholiques lui reprochrent conut sa loi, non comme un thoricien qui raisonne dans l'absolu, mais comme un homme ds gouvernement qui doit tenir compte des contingences et qui, sans jamais perdre de vue la vrit intgrale, la thse suivant l'expression thologique est bien contraint pratiquement d'voluer dans Vhypothse. < L'Eglise n'est point une secte.,., cric
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vail-il. Quand on veut la servir, son exemple et selon ses vues, on s'applique lui faire prendre dans" l'ducation et le gouvernement de toutes les mes, la pari qui se concilie, dans l'intrt mme de la foi, avec le respect des consciences, le droit public et Vtat gnral de la nation . Ds lors ne voulut-il pas que le vote de sa loi pt tre interprt comme le triomphe exclusif de son parti et de sa personne . Il voulut, au contraire, qu'elle appart comme manant vritablement de la volont nationale elle-mme, en appelant collaborer des reprsentants de tous les partis sincres, une uvre collective dans laquelle chacun et son propre ouvrage, sa propre solidarit ta protger . C'est exactement de cette manire, en effet, qu'au Sillon, on se flatte de < ne jamais perdre de vue la vrit intgrale, t la thse . Qu'et-ce t si M. de Falloux n'avait pas eu les yeux obstinment fixs sur e l l e ? On conviendra cependant, sans prtendre dirimer une question fort complexe c o m m e celle qui se discutait alors, qu'un simple regard net aurait pu suffire pour faire comprendre qu'elle ne pouvait se rduire la part qui se concilie avec le droit public et l'tat gnral de 3a nation , lequel, dans la circonstance, n'tait qu'un mot vide de sens, et qu'avant d'maner de la volont nationale , le droit la libert d'enseignement devait tre fond avant tout sur celui de la conscience et de Dieu. Partir de tels principes, c'tait d'avance consacrer le monopole, alors que la volont nationale et peut-tre consenti h l'abolir. Quant voir dans cette abolition le triomphe exclusif d'un parti, c'est un sophisme peu digne d'un esprit clair et sincre. On dirait plus justement que la rejeter consacrait aussi le triomphe exclusif d'un autre parti. Les adversaires de M. de Falloux ne rclamaient nullement le monopole de l'enseignement en faveur de l'Eglise, mais Je vrai respect des consciences , qu'on le voit ici invoquer contre la libeit des catholiques.
M. Ta.vernier demandait au- dbut do son article : En sera-t-il de l'attitude prise par ,Louis Veuillot entre juin 1849 et mars 1850 ( propos do la loi sur l'enseignement secondaire) comme de la formule qu'on lui prta au sujet de sa ligne de conduite en gnral : Quand nous s o m m e s dans l'opposition... Quand nous sommes au pouvoir... ? On connat la fameuse formule prte l'illustre polmiste : Je vous demande la libert au nom de vos principes et je vous la refuse au nom des miens. L'excellente revue de M. l'abb Coub, L'Idal (mars 1911), en a fait pleine justice. Il en est de cette phrase comme de celle que l'on attribue au P. Loiiquet et dont le P. Loriquet est absolument innocent. Louis Veuillot n'a jamais crit la susdite dclaration. Il a protest plusieurs fois contie cette paternit dont il n'tait point coupable. Il s'en est expli-
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qu en 187G dans une lettre Jules Ferry. Eugne Veuillot prenant plus tard la dfense de son frre crivait : M. Jules Ferry en a menti l Et l'illustre ministre, ne pouvant faire la preuve du contraire, empocha modestement le compliment. Nagure, M. Maurice Faure, ministre de l'Instruction publique, a rdit le mensonge de son prdcesseur. Il mritait qu'on lui adresst l'apostrophe d'Eugne Veuillot. Plus poliment, M. Ch. Benoist s'est content do lui crier d son banc : Je vous dfie de citer la page o Veuillot a crit ce mot. Et, en effet, le clbre polmiste publiait, la date du 8 juin 1876, un article sur cette phrase qu'on lui reprochait avec aigreur. Il y a deux choses dans cet article : le fait et le principe. Le fait est tout simplement ni : jamais Veuillot n'a crit le mot qu'on lui attribue. Le principe en est discut loquemment, spirituellement, non fond toutefois. Ce n'en tait pas le lieu. Citons ces deux passages. Voici celui qui concerne l e fait : Tour le cas o M. Ferry voudrait renouveler la i.e, je l'avertis que cette parole profonde n'est pas de moi; elle appartient M. de Montalemberf, lequel a laiss croire qu'il me l'imputait malgr son invraisemblance. Montalembert devenu libral ne mprisait pas autant qu'il l'aurait d tous Jes mauvais petits procds oratoires. Un jour, tant de mauvaise humeur, il lui plut de rsumer ainsi les sentiments qu'il lui plaisait de nous attribuer. Je crois pourtant que la tournure tait moins lourde et je souponne M. Ferry d'y avoir touch. Quoi qu'il en soit, les catholiques libraux trouvrent que c'tait tout fait cela. Ils firent circuler le portrait en le dclarant authentique. J'ai crit quarante ans, et' il ne restera peut-tre de moi que cette parole que je n'ai pas prononce et qui me parait mdiocrement franaise; j'en serais fch si j'tais de ceux qui aspirent l'Acadmie; mais je sais m'accommoder des aventures que notre temps mnage mon espce, et je pense que je finirai par mourir tout de mme quoique charg d'une phrase de Montalembert plombe par M. Jules Ferry. C'est donc Montalembert qui, dans un moment de vivacit, a rsum dans un mot lapidaire la doctrine qu'il reprochait au fougueux champion catholique : et il se trouve que ce rsum est infidle. Quant au principe lui-mme, Veuillot n'a fait que l'effleurer, n'ayant pas, d'ailleurs, le traiter e n thologien. Mais ce qu'il en a dit est juste et intressant : Tout le monde du moins tous les honntes gens rclament avec les libraux la libert de tout le monde, qui est d'aller, de venir et de parler comme tout le monde; et tout le monde aussi condamne et refuse avec les catholiques la libert de mentir, de voler et d'assassiner tout le monde. C'est vieux et admis comme le bon sens. Plus bas, loin de s'excuser, il accuse. C'tait dans la nature de cet incomparable soldat de toujours prendre l'offensive. Et le voil qui
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s'chauffe et monte jusqu' la grande loquence en revendiquant contre les libraux la gloire d'tre l'enfant de la libert. J'observe... que je n'ai pas demand la libert aux libraux au nom de leur principe. Je l'ai demande et je la demande, parce que c'est mon droit. Et ce droit, je ne 1 tiens pas d'eux, mais de mon baptme, qui m*a fait digne et capable de la libert. En renonant Satan, ses pompes et ses uvres, c'est par l, non autrement, que je suis devenu libre, c'est par l que la socit est baptise et qu'elle a donn mes pres et me doit cette libert dont je ne veux user ni contre le prochain, ni contre moi-mme. Ceux qui n'ont pas reu ce mme baptme et pris les mmes engagements, ou qui no s'en souviennent que pour les renier, ne sont plus dignes de la libert, ne sont pas libres et cesseront de le paratre bientt. Apostats du baptme, ils le sont ncessairement de la libert; je l'ai toujours dit. Non seulement je ne m'appuie pas sur leur principe, mais je dis qu'ils ne l'ont pas, qu'ils n'y croient pas, qu'il n'y peuvent pas croire, qu'ils sont mme dans l'impossibilit d'en comprendre la pratique. La dmonstration court les rues, la tribune en est tmoin, et le premier article de leur Syllabus est : Point de libert... Tout ce que nous avons de liberl, nous l'avons conquis sous la Rpublique, mais alors c'tait la rpublique sans rpublicains. A prsent, nous avons la republique avec les rpublicains, et la libert s'en va par violence ou escroquerie. Quel tait, notre unique argument contre la rpublique des rpublicains? Elle tuera la libert, elle tuera la religion, elle tuera la proprit, .elle ossaiera de- tuer mme le baptme, Commence-t-on voir clair? ces explications intressantes, joignons-en une autre, tire des premires pages des Odeurs de Paris. Le grand polmiste catholique rpond aux observations peu librales d'un crivain officiel, M. PrvostParadol, qui s'tonnait de l'entendre se plaindre, aprs la suppression de l'Univers qu'on lui tt la libert d'crire. Il va au fond de la question, en montrant qu'entre le libral et le catholique, elle git dans une conception diffrente de la libert. Il aurait pu s'approprier quelques annes d'avance, par une application retourne et d'un autre ordre, la rplique des communards Mgr Darboy qu'ils allaient fu siller : votre libert n'est pas la ntre. M. Paradol m'oblige de lui confesser l'affreuse vrit. Je ne crois pas avoir pch autan! qu'il le pense, mlxis je ne pense pas tre converti autant qu'il le croit. Nous nous sommes jadis assez combattus. Je revendiquais pour la vrit des droits qu'il appelait des privilges et qu'il combattait de oute sa force; je contestais que l'erreur dt avoir de3 privilges qu'il appelait et qu'il appelle encore des droits. Si nous nous retrouvions en prsence, le mme dissentiment, pour ne pas dire la mme sparation, existerait cintre nous; il n'y aurait de chang que l'accent de la polmique, un peu chaud peut-tre des deux parts. Seulement il commettrait une injustice dont je ne me rends pas coupable envers lui, s'il me prenait pour un ennemi de la libert; et s'il me contestait l'usage de la libert, il ferait son principe un outrage que je ne fais pas tau mien, ni quand j'invoque, ni quand je conteste un certain usage de la libert. Je connais, moi, une vrit et une erreur, et je n'admets aucune espce de parit entre cette vrit et cette erreur. Ceux qui ne connaissent ni vrit, ni
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erreur ou qui tablissent sur le mmo piad et dans le mme droit fa vrit et l'erreur, doivent en conscience et quoi qu'il leur en coLe, livrer l'erreur la libre discussion de la vrit. Ds qu'ils s'y refusent, que nous reprochentils? Ils sont intolrants comme il nous accusent do l'tre, mais intolrants avec hypocrisie, sans cesser de proclamer leur prtendue tolrance, intolrents pour mettre couvert leurs opinions, lorsque nous ne le sommes que par respect pour nos dogmes. Cela dit, je crois que les libraux spars verraient plus juste, s'ils pouvaient comprendre quelle est, entre nous, la cause de la sparation. Cette cause, au fond, n'est pas l'amour ou l'aversion de la libert, mais une . conception diffrente de la libert ... Je mo sens parfaitement en tat de montrer n'importe quel libral, sans excepter M. Prvost-Paradol, que je n'ai pas moins que lui aim la libert, que je n'ai pas moins sincrement, pas moins ardemment, moins obstinment cesse de la servir; et que VUnivers n'a pas t supprim pour avoir mconnu la libert. Seulement, nous ne voulons donner la libert, ni les mmes droits, ni les mmes rgles et les mmes devoirs, ni, ieut-tre, le mme but. Pour nous, catholiques, la libert ne peut tre qu'un moyen de rentrer ou de rester dans l'ordre et dans. la paix. Et l'ordre et la paix sont avant tou . le respect de la loi de Dieu.
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On le voit, quoiqu'il ne traitt pas la question en thologien, comme on l'a dit, Louis Veuillot, toujours inspir par le sens catholique le plus pur, ne la plaait pas moins avec sret sur son vrai terrain. J^e principe pos, il reste montrer comment il en faisait l'application. La page que nous prenons pour exemple, crite de Rome, l'poque du Concile (13 mars 1870) rsout admirablement lo problme que nous posions en commenant. Elle est un modle bien digne d'tre propos ces catholiques d'aujourd'hui, si nombreux et d'une si verbeuse faconde, qui, depuis quinze ans, se fatiguent et fatiguent surtout nos oreilles de leurs dclamations sur le droit et le devoir d'accepter le terrain d e s liberts modernes. Elle leur apprendra comment s'emparrr des aimes qu'elles nous offrent, sans les retourner contre eux-mmas, comme ils le font, et sans changer l'instrument de conqute en un acte d'abdication. On y trouvera confirm par ce puissant ot vivant exemple ce que nous crivions rcemment sur l'attitude que commande aux catholiques l'article de leur foi en la royaut sociale de JsusChrist. Quand, l'imitation d e Louis Veuillot, ils comprendront que leur devoir, e n acceptant l'tat prsent, est de proclamer devant la France et devant la faction qui la gouverne, qu'il est, bien plus encore qu'il y a cinquante ans, anarchique, barbare et antisocial, leurs palabres nous seront moins nuisibles; peut-tre aussi l'obligation d'y ajouter cette clause restrictive refroidira-t-elle leur enthousiasme. Le lecteur- appliquera de lui-mme aux liberts modernes en gnral, ce que Louis Veuillot dit de la libert des cultes, et l'tat actuel de sparation entre l'Eglise et l'Etat ce qu'il crivait une poque o les espiits les plus clairs sur la valeur et les consquences des principes entrevoyaient seuls la situation qui devait en rsulter un jour.
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Aprs le premier moment de dsarroi caus dans le monde politique par la dcision que prit Pie IX d e n e pas admettre au Concile les reprsentants de Gouvernements dsormais sculariss; aprs les divers efforts conseills ceux-ci ou tents pour agir nanmoins sur l'auguste assemble, on venait de lancer l'ide d'une ambassade spciale auprs du Pape. Oe projet tait l'uvre de M. Daru, alors ministre des affaires trangres en France. Voici comment Louis Veuillot y .(rpond : J'achve ma lettre commence d'avant-hier. Je parlais de la libert des cultes, et j'invitais M. Daru considrer ce fait accompli, qu'il semble mconnalre et mme ignorer. S'il daigne m'entendre, je ne dis pas du tout que la libert des.cultes soit un bien. Il le dirait peut-tre, lui qui nous la refuse; nous ne Le disons point, nous qui l'acceptons. Je dis qu'elle est un fait. N o u 3 vivons et nous devons raisonner sur ce fait. Nous pouvons dsirer qu'il change, nous pouvons travailler en divers sens l'amliorer, suivant les ides diffrentes que nous nous faisons du progrs; nous ne pouvons de part et d'autre ni le mconnatre, ni demander, ni souffrir qu'on le supprime violemment. La conception catholique de cette mme libert, la ntre du moins, c'est la conservation pour chaque culte de sa libert particulire, pour tous, la protection du droit commun. Chaque culte s'exerce, se gouverne, s'affirme, se dveloppe et combat pacifiquement suivant sa nature; il ne lui est interdit que de Hesser Tordre public par des agressions matrielles ou par des doctrines d'immoralit. Quant noue, acceptant provisoirement ce principe de dcadence sociale, qui n'est autre chose que la ngation de la vrit absolue, nous comptons en faire un moyen do conqute pour la vrii qu'il permet de contredire. Nous entreprenons de revenir par la persuasion, par la science et par les uvres au bienfait et la perfection de l'unit promise au monde : unua pastor, unum ovile. Ce dessein peut irriter ceux qui poursuivent un but tout contraire. Ils ont le droit de le combattre, d'tre plus persuasifs, plus savants, de faire des oeuvres plus puissantes et plus salutaires que les ntres. C'est en quoi consiste la libert. Hors de l, on ne discute plus, on tyrannise; on ne combat plus, on gorge. Nous acceptons trs sincrement l'tat prsent, non comme bon, car en ralit il est anarchique, mais comme moins mauvais que l'tat antrieur, tat d'unil fictive et de servitude relle, le plus oppos de tous au rtablissement et au progrs de la vritable unit, qui sera sole la vritable libert et la vritable civilisation. L o l'Eglise n'est pas reine, nous l'aimons mieux simplement citoyenne que principale employe ou favorite. Nous n'aurions pas de grandes objections contre la formule l'Eglise libre dans l'Etat libre, si cette formule, d'ailleurs peu nette, se proposait comme moyen de transition, au lieu de s'imposer titre- de dogme et pour toujours. En effet, si l'Eglisa doit tre jamais dan& l'Etat, c'est--dire dans quelque chose de plus grand qu'elle et partant de suprieur elle, il n'y a l aucune sret pour sa dignit, ni pour sa libert, et le peuple chrtien consent ds lors une abdication qui ressembla de fort prs l'apostasie. Nous prtendons n'avoir pas reu la couronne du baptme pour renoncer porter la couronne temporelle et tout au contraire, nous voulons la couronne temporelle pour tendre la couronne du baptme, la couronne de la
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libert tout le genre humain. Il convient donc que l'Eglise rgne et que l'Etat soit chrtien. Nous n'avons pas le droit d 3 rensacer cet idal, l'humanit ne sortira de l'esclavage que quand cet idal sera ralis. Quelle serait donc la libert qui nous dfendrait d'aspirer divulguer le Christ, renverser les idoles, donner Dieu toute me et toute me Dieu? et comment accepterions-nous l'ignominie de ne plus jamais voir la croix au front des socits? S'il est une nation qui l'on puisse demander cette bassesse, nous crierons que ce n'est pas la France. Nous le crierons aux empereurs, aux ministres, au peuple e la populace. Nous le crierons jusqu' ce qu'on nous ait clous et percs sur la croix; et la croix arrose de sang sera replante et grandira, son ombre rveillera du tombeau ccitc vieille France qui fit Tgner la croix. Non, non, nous ne sommes pas morts et nous ne renions pas le Christ. Nous sommes conquis, c'est vrai; nous sommes conquis par la juif, par l'hrtique, par l'athe, par le trafiquant, par l'homme de bureau et par l'homme d'affaires, mais nous n'avons pas dit et nous ne dirons pas que nous n'aurons jamais d'autre roi que Csar. Le sang de la foule franaise est encore le sang qui fournit des soldats et ds prtres; nous n'avons pas dit que nous laisserions toujours nos autels et nos lois et notre France dans la main de l'tranger, et que Dieu ne ferait plus rien en ce monde par le bras de ses Franais. Mais cet avenir est loin peut-tre; revenons au prsent qui ne nous permet pas encore de si belles entreprises. La servitude gallicane nous avait assoupis et comme empoisonns, l'esclavage rvolulionnaire nous avait briss. Par la grce de Dieu nous avons pu peu p r 3 vomir le poison gallican, briser peu prs les entraves rvolutionnaires et nous trouver peu prs libre. Il afalu d'une certaine manire nous y forcer. L'ennemi Ta voulu plus que nous-mmes. Il ne nous apportait pas la libert des cultes pour nous dlivrer, ma3 pour nous dissoudre. Nous ne devinmes que son dessein, nous n'entendmes que ses blasphmes, nos rpugnances pro'estrent contre ses dons impies. Il fallut les subir. L'exprience tourna des deux cts autrement qu'on ne l'attendait. Nous tenons la libert des cultes aujourd'hui plus qup ceux qui nous l'ont impose. Elle est en soi barbare et anti-sociale, elle amne le bruit et l'insulte auprs du sanctuaire, elle menace d'y prolonger l'indigence, mais nous -ne craignons plus qu'elle y fasse la solitude et surtout qu'elle en expulse Csar, avantage qu'on ne saurait payer frop cher. C'est ce qui explique M. Daru ^pourquoi il ne se trouve pas en pratique aussi partisan de la libert des cultes qus peut-tre il s'en flattait Ayant inopinment achet un chapeau plumes blanches et tant devenu Csar par la vertu de ce chapeau, M. Daru veut du mme coup devenir pontife. Vieille manie do Csar 1 Mais la libert des cultes veut que Csar gurisse enfin de cette manie. Csar doit renoncer se mler du Concile. Pour les gouvernements, le Concile n'est autre chose qu'un acte et [une pratique de la libert des cultes. Ce qui se dit, ce qui se propose, ce qui se dcrte dans le concile, ne regarde pas l'Etat. De mme que l'Etat se trouve sans droit pour imposer personne l'observalion d'un dcret dogmatique, il est absolument sans droit pour participer la confection du dcret, sans droit pour empcher l'Eglise de le porter, sans droit pour empcher le fidle do le recevoir. A cet gard tou'e injonction, tout obstacle, toute ingrence do sa part n'est que tyrannie, violation de la lo: religieuse et de la loi civile. Il est incomptent, il est intrus, il est sacrilge. Sa partie officielle qu'il a lui-mme fixe est la por!e de l'Eglise, qu'oi me pardonne la comparaison, comme la porte du thtre pour le maintien de l'ordre inat-
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX., POLITIQUE,
SOCIAL
riel. S'il veut entrer au thtre il achte son sige. S'il veut entrer- dans l'Eglise, qu'il fasse ce qu'il faut, qu'il se sigue, qu'il S 8 dcouvre, qu'il (s'agenouille et rcite le Credo. Voil le rle de l'Etat. Il y est venu par une longue suite de mauvais conseils, d'injures, de trahisons, d'aposlasies. Il a voulu n'tre plus catholique, n'tre plus chrtien. C'est fait depuis longtemps, cela est fait pour longtemps. Celte sparation dont on affecte ridiculement de nous menacer, elle est accomplie. Parce que l'Eglise en combat le principe anti-social et barbare, croit-on que le fait nous reste ignor? Nous le reconnaissons et nous avons appris ne plus tant Je craindre. Nous le combattons suivant l'esprit de l'Eglise cause des ruines qu'il accumulera dans le monde, non plus par terreur des maux qu'il peut dsormais produire chez nous. Si l'Eglise continue de repousser quelques consquences extrmes de la sparation, c'est par misricorde, pour ne point lser le principe d'une union ncessaire et que tt ou tard le besoin de l'humanit rtabLira. Ils lui cotent plus qu'ils ne lui profitent, ces restes de liens qu'on menace de lui ter. Lorsqu'elle en sera dgage, comme elle a lieu de le prvoir, elle ne les pleurera point. Elle sait qui traversa la mer Rouge et qui restera au fond. Au del des dserts, elle sait qu'il y a la terre fconde. Elle sera patiente; elle prolongera son sjour dans cette Egypte arrogante qui veut tout la fois profiter ds s d . i travail et lui refuser la libert. Mais qu'on no se trompe pas sa patience. E n restant dans l'Egypte, l'Eglise entend garder ses lois. Pharaon ne gouvernera pas le sanctuaire, n'y entrera pas. Ce Pharaon sans sceptre, sans sacre et sans baptme, qui se targue de ne point aller la messe et qui demande siger au Concile, qui se targue de nie point savoir le Credo et qui prtend mettre son alliage et eon poinon aux articles de foi. C'est fini, il y faut renoncer et courir l'aventure de la libert. II faut discuter, il faut rompre ce rempart de curs vivants, dcids maintenir Pierre dans son empire, qui est l'empire du Christ. Que Csar se tienne son bureau de perception, qu'il reoive nos taxes et qu'il garde pour lui son incrdulit, sa sagesse et ses idoles. Si nous voulons les adorer, il nous ouvrira la porte ; il ne se permettra pas de nous les offrir, encore moins de nous les imposer.
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De Louis Veuillot nous tombons en George Fonsegrive et dans ia mentalit qui est encore maintenant celle des catholiques rallis iet dmocrates dont il fut, du temps du Pape Lon XIII, un des plus infatigables et des plus couts porte-parole. En passant tout d'un coup son article d'il y a quelques jours, l'hiatus, si profond entre les ides, s e rduit une simple apparence au point de vue chronologique, car nous nous retrouvons en prsence d'un tat d'esprit qui ne date pas d'hier: C'est la persistance d e cet tat d'esprit qui doit attirer l'attention. Le fait particulier qu'il s'agit de prsenter n'en mriterait pas une trs grande par lui-mme; mais on reconnatra sous la plume de M. 'onsegiive la m m e doctrine qui tombe encore des lvres de certains orateurs catholiques isociaux, comme M", l'abb Thellier de Ponche-
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ville, et qui, se propageant plus encore par mille moyens d'influence ingalement saisissables, continue d'abuser un grand nombre de gens rputs les mieux pensants. Je dis bien : la doctrine, car, c'en est rellement une qui est sous ces mlopes nervantes. Elle a un nom, qu'il peut ne pas lui tre agrable d'entendre prononcer, parce que ce nom devrait suffire dsormais en faire justice, la doctrine du Sillon. Marc Sangnier, dans ses beaux temps, disait plus vrai qu'on n'aurait pu le croire, quand il crivait : tous ceux qui partagent nos sentiments et adoptent nos mthodes font partie du Sillon. L' me commune est bien plus vaste que le corps proprement dit. L'article de M. Fonsegrive est une manifestation nouvelle et caractristique de sa vitalit. Il est sa place dans la Dmocratie. L e Fonsegrive d'aujourd'hui est bien le mme que celui d'il y a quinze ans. On peut dire de lui et d'un trop grand nombre d'autres, que, malgr les avertissements les plus clairs, ils n'ont rien appris ni rien oubli ou abandonn. Je ne parle point ici de modernisme doctrinal, mais social. On retrouve M. Fonsegrive, mme en cette circonstance, avec la mthode pontifiante de l'auteur du Journal d'un cvque et d'ouvrages analogues, qui excelle placer ses propres discours dans la bouche de personnages divers autant que complaisants. Que d'enseignements sereins M. Fonsegrive nous a placs de la sortel Ce qu'il y a de plus dplaisant est de le voir les recommencer aujourd'hui. . Nous s o m m e s dans un salon o l'on cause entre catholiques du monopole de l'enseignement. Habile metteur en scne, il fait d'abord dbiter par quelques comparses les banalits obligatoires. Cependant il abrge, mais non sans insinuer, avec son art habituel, que les catholiques doivent adopter le terrain de leurs adversaires.
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On dcouvrait .une fois de plus la misrable quivoque dissimule sous le mot d'anticlricalisme. Si le clricalisme a pu jadis exister, si le prtre a pu parfois se servi-r de son pouvoir spirituel pour dominer de faon abusive le temporel, o se trouve maintenant le prtre oppresseur? De. quelle puissance lgale l'Eglise dispose-t-elle?... Sous couleur de vouloir atteindre ne domination qui n'existe plus, si mme elle a jamais exist, on s'efforce do dtruire la force" qui subsiste encore et qui lutte, comme c'est son droit. Ils oublient que c'est prcisment la lutte des forces qui constitue ce que l'on appelle la libert. Les Hbrcs-penscurs, au nom de la liber!, veulent (empcher l'Eglise de se servir de ses forces propres. Ils la provoquent un combat o ils commencent par vouloir lui lier les mains. C'ost en cola, que consistent prcisment l'injustice et l'oppression. Non pas anticlricalisme, mais clricalisme au rebours. Quelques-uns protestrent contre cette conception de la libert. Ils proclamaient absurdes les luttes civiles riges en droit. Ils soutenaient que le libralisme n'avait pas cess d'tre une erreur et mme un pch. Leur parole avait peu d'chos, car d'autres faisaient observer que ce n'tait pas l.une question rgler entre catholiques et.que ceux qui ne croient pas V Eglise,
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s'ils entrent en socit avec nous ou si nous voulons rester en socit avec eux, ne sauraient tre tenus observer les lois de VEglise. Pour -exprimer sa pense avec franchise, il aurait fallu dire que l'Etat ne connaissant pas l'Eglise, n'a point se proccuper, non pas d'observer s e s lois , ce qui est une objection sophistique, mais de respecter s-ee droits et s a libert. Mais les gens qui parlent pour le compte de M. Fonsegrive sont experts dans ce genre de dtours. Il est temps de prparer la place au sage qui possde les solutions exactes Mais l'indignation, la colre mme dominaient. Des avocats parlaient d'entreprendre une campagne de confrences, des dames disaient qu'il fallait opposer la force la force, dfendre les armes la main les coles menaces organiser par tout le pays la grve scolaire. II faut reconnatre que si tout le monde les approuvait, personne n'avait Vair de croire la dure de l'efficacit de ces rsistances. Le moment tait propice. C'est alors que M. Fonsegrive, habilement dguis, (mais reconnaissable, sous les traits d'un vieux mdecin qui avait -cout sans mot dire et qui semblait considrer d'un i l lointain toute cette agitation des consciences, des esprits et aussi des corps, car les voix s'taient leves et les gestes inclinaient la violence, prit ce moment la parole sur un ton trs faible et trs mesur qui imposa le silence et qui fora l'attention. Je ne veux pas distraire l'auditeur en lui demandant si ce dbut ne le transporte pas dans le salon du Selva d'il Santo. Soyons tout attention pour le docteur. Il disait : Pas plus que vous tou3, je ne sais ce qui adviendra. Ce que je sais bien, c'est que vous n'empcherez rien, et crue tout ce qui se fera se fera en dpit, ou en dehors, ou sans tenir compte de toutes vos rsistances et de toutes vos oppositions. Vos confrences, vos articles de journaux, vos manifestations ne produiront aucun rsultat, sauf peut-tre des rsultats tout contraires ceux que vous esprez. Comme toujours vos adversaires prendront prtexte de vos agitations extrieures, de quelques gestes exagrs, de quelques paroles imprudentes pour se dire menacs. En vri'., les agits et les violents font leur jeu. Docteur, je ne m e trompais pas, vous tes cousin de Fogazzaro. Mais poursuivez. Ce n'est pas en vous qu'est la rsistance, la seule qu'ils redoutent et qu'ils considrent, elle est dans ceux qui se taisent, dans l'me silencieuse des mres qui tremblent pour la chastet de leurs filles, des pres qui craignent pour la virilit, pour la sant morale de leurs fils, des frres qui savent quels furent pour leur jeunesse tou3 les bienfaits da la foi et qui ne veulent pas que leurs frres plus jeunes soient privs de ces bienfaits. Ce sont des forces obscures et qui je l'espre, finiront par se dcouvrir incompressibles, que mesurent les ennemis du catholicisme. Ils iront aussi loin qu'ils se jugeront capables de les comprimer, ils tteront, ils hsiteront,
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tournant avec prcaution la vis du pressoir, ils s'arrteront ds qu'ils sentiront que quelque chose dont ils se mfient empche la vis de tourner. Les cris, les batailles extrieures ne leur font aucune impression. Ils sont vos matres e( le savent bien. Mais ils sentent devant eux autre chose dont ils ont peur, ce quelque chose d'infiniment fort qui fit jadis les martyrs, cette nergie mystrieuse 'qui oppose une barrire invincible touies les forces brutales. C'est alimenter ces fiorces secrtes, raviver ces nergies latentes qu'il faut travailler. Raffermissez les mes, clairez les esprits. Faites des chrtiens, renforcez le christianisme dans les curs. Cultivez une une les volonts. Travail cach, labeur ' que les hommes ne voient pas, seul labeur fcond. Soul labeur qui puisse arrter l'adversaire ou le faire reculer. Labeur de prire, labeur d'aptre, non d'avocat ni de politicien; labeur du sanctuaire, labeur du foyer et non du forum. Ce qoii influe sur le vote d'un parlementaire ce n'est ni une confrence, ni un article de journal, c'est la simple paroe d'un lecteur isol qui aura dit trs doucement et trs fermement : Non, monsieur le dput, ne faites pas cal Et enfin s'ils le font, comme je crois qu'ils veulent le faire, tout par l sera-l-il perdu? Non. D'abord les enfants catholiques verss par masses dans les coles feront, quoi qu'on en dise et quoi qu'on en pense, changer en quelque chose l'enseignement. ' Puis la monopole ramnera infailliblement la liberl. Des murmures se firent entendre. Le docteur reprit : Bien plus, c'est la seule voie poux que s'tablisse la fin la Tibert vritable. . De tous cls vinrent des protestations : Docteur, c'est trop fortl Voil que maintenant le monopole serait ncessaire ! Vous osez vanter le monopole. Je ne vante rien du tout. Je constate, j'examine les probabilits, les liaisons qui produisent les vnements, et je dis : Vous n'avez qu'un semblant de libert. Vous n'obtiendrez jamais ce qui vous manque par des procds qui paratraient tous un recul, un retour la loi Falloux ou mme plus loin, mais ce que vous ne pourriez attendre de l'tat actuel des choses, l'tablissement du monopole vous permet de l'esprer Car si vos adversaires commettent la faute d'tablir le monopole, il arrivera peu prs infailliblement que les Amicales ou les Syndicats des membres de l'enseignement aspireront se gouverner eux-mmes. L'Universit tend s'manciper de l'Etat. Ce qui la retient encore, c'est la concurrence. Une fois dlivre de la concurrence rien n'arrtera plus ses revendications. Elle voudra tre indpendante, autonome, matresse de l'ducation. On peut escompter pour un temps plus ou moins prochain le dstablissement Jde l'Universit. Mais il ne s'coulera pas beaucoup de temps sans que le monopole de l'Universit dstablie, de l'Universit indpendante de l'Etat, devienne insupportable l'Etat lui-mme. L'Etat, jaloux de toutes les forces, vaudra s'opposer cette force. C'est ce moment que les revendications librales auront chance de se faire entendre, que l'on pourra tablir des lois vraiment quitables. L'Etat ne refusera plus alors de subventionner les coles libres, il aura intrt cette concurrence qui ne s'exerant plus contre lui, s'exercera au contraire en sa faveur. Et l'ducation chrtienne pourra de nouveau tre don-
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DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
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ne intgralement. Toute cette volution ne demandera pas plus d'un sicle. Oui, dit une dame, niais dans cent ans y aura-t-il encore des chrtiens ? Un prtre reprit : Il y aura toujours des chrtiens. George FONSEGRIVE. Ce n'est dcidment qu'un pastiche. Mais les sillonnistes, abonns de la Dmocratie, en billeront force de l'admirer; et je connais beaucoup d'excellents- chrtiens qui dcerneraient au matre Fonsegrive la palme de la vraie sagesse, dn sens catholique purifi. Pour moi, je renonce expliquer davantage mon avis. Il me suffit d'avoir suggr au lecteur l a comparaison, si facile saisir, d'un tat d'esprit avec, un autre. Elle permettra une fois de plus ceux qui rflchissent un peu, de mesurer la profondeur de notre dcadence, en voyant quel abme spare nos oracles d'autrefois et ceux qu'on nous a habitus considrer comme tels aujourd'hui (1).
Euvm. BARBIER.
A PROPOS
D'UN LIVRE
DE ZEILLER
(Suisse).
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M. J A C Q U E S
professeur V Universit catholique de Fribourg
L'ide de VEtat dans saint Thomas d'Aquin : tel est le titre d'un travail trs intressant publi, il n'y a pas longtemps, par M. Jacques Zeiler. L'exposition historique m'a paru exacte et d'un homme au courant de la littrature du sujet; l'interprtation des doctrines politiques du grand docteur, manque de prcision, de fermet, et me semble donner entendre que saint Thomas aurait quelque faible pour la dmocratie; enfin, les conclusions, de tout l'opuscule nous obligent formuler les rserves les plus nettes. En ce qui touche la conception gouvernementale du docteur anglique, M. Zeiller la formule dans uno phrase qui demanderait plus d'une explication : L'idal dmocratique et l'idal thocralique s'unis1. La Dmocratie qui, en signe de parfaite soumission la sentence de S. S. Pie X contre les doctrines du Sillon, annonce chaque jour, sous le couvert de sa propre librairie, les ouvrages de M, Marc Sangnier qui les contiennent, fait galement une rclame rgulire ceux de M. Fonsegrive o s'talent ses thories voisines du modernisme : Le journal d'un vque, Catholicisme et dmocratie Le catholicisme et la vie de V esprit, Regards en arrire, etc..
PROPOS
D'UN
LIVRE DE
M. JACQUES
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sont dans sa pense. Qu'est-ce que cet idal dmocratique? Et qu'estce qu cet idal thocratique? Saint Thomas affirme que peuples et souverains relvent de la loi de Dieu interprte par l'Eglise; il n'y a rien l de proprement thocratique et il tient que la souverainet est rgle, commande par les exigences du bien public ce qui n'a rien de dmocratique. Quant tirer des enseignements du grand docteur, une thorie du pouvoir ayant sa base le contrat et ouvrant ainsi la porte, au moins dans une certaine mesure, la souverainet populaire, c'est une entreprise laquelle se vouent nombre de dmocrates-chrtiens et que M. Zeiller ne dcourage pas. Jo connais les textes allgus, mais une connaissance un peu approfondie de la thologie du saint docteur suffit leur donner leur sens naturel. Ainsi diton : dans le trait de Lois, saint Thomas s'exprime ainsi : Ordonner ce qui importe au bien commun, est un droit qui appartient la multitude entire ou celui qui reprsente la multitude. Ordinare aufcem aliquid in bonum commune est vel totius multitudinis, vel alicujus gerentis vices multitudinis. Donc conclut-on, le prince est le vicaire de la multitude, donc il est dtermin par le consentement de la multitude. C'est aller bien vite en besogne. Saint Thomas parle ici non pas simplement de la loi civile, mais de la loi dans toute son tendue, qui comprend aussi la loi divine, la loi ecclsiastique. L'interprtation que nous combattons conduirait admettre que, d'aprs saint Thomas, Dieu est le vicaire de ses cratures, ce qui est insens, et que le Pape est le vicaire des chrtiens, ce qui est hrtique. Il faut donc donner un autre sens aux mots : vices gerere. On peut reprsenter une socit e n deux manires, ou parce que l'on tient d'elle son autorit, ou parce que la socit s'abrge, se personnifie, et trouve sa plus haute reprsentation dans celui qui est son chef, soit naturellement, comme le pre dans la famille, soit en vertu de l'institution divine, comme le Pape dans l'Eglise. Cette explication n'est pas invente pour les besoins de la cause : on peut la lire dans le cardinal Cajetan, le plus illustre commentateur de l'illustre docteur. Parlan! de la coutume, saint Thomas se fait cette question : Porter des lois appartient aux personnes publiques. Or, la coutume s'appuie sur les actes des personnes prives, donc la coutume ne peut avoir force de loi. Et il rpond : La (multitude au sein de laquelle est introduite la coutume peut avoir un double caractre. S'il s'agit d'une multitude libre, qui puisse faire s a loi, le consentement de toute la multitude l'emporte sur l'autorit du prince, qui n'a puissance de lgifrer, que comme reprsentant de la multitude. Mais si la multitude n'a pas la libre puissance de faire s a loi, ou d'carter la loi dicte par une puissance suprieure, cependant la coutume prdominante dans cette multitude acquiert force de loi, en vertu de la tolrance de ceux auxquels il appartient d'imposer la loi la multitude. Multitudo in qua consuetudo introducitur duplicis conditionis e s s e potest. Si enim sit
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libra multitudo, qua possit sibi legem facere, plus est consensus totius mullitudinis... quam auctoritas principis qui non habet potestatem condendi legem nisi i n quantum gerit personain multitudinis... Si vero multitudo non habeat liberam potestaiem condendi sibi legem, etc. (S. Th., la 2 , q. 97, a. 3). De quel droit gnralise-t-on et appiique-t-on sans distinction toutes les socits un rgime qui, d'aprs saint Thomas lui-mme, ne s'applique qu' une forme particulire de communaut, la libra multitudo ? Enfin, on objecte un dernier texte. Saint Thomas dit quelque part que Dominium et prcdatio introducta sunt jure Jiumauo : La domination et le pouvoir sont de droit humain. Par le jus humanum, l'on veut entendre un pacte et une convention. Tout d'abord n e sait-on pas que la preelatio, le pouvoir, en eux-mmes, viennent de la nature, et non d'un contrat? Ensuite, il est manifeste, d'aprs le contexte, que le jus humanum, dont il est question, vient ex naturali rationc et est simplement oppos au jus divinum quod est ex gratia. (S. Th., 2 2, q. 10, a. 10). Il n'y a l rien qui se rapproche du contrat cher l'opinion que nous combattons. Et c'est tout. En vrit, que Dieu nous gaide des commentateurs irrflchis du plus rflchi des docteurs. Discns que saint Thomas n'a fait qu'effleurer une question qui n'tait pas agite de son temps, mais n'essayons pas, e n jouant sur les textes, de l'attirer un systme prconu. L'on pourrait aussi bien, en s'appuyant sur quelques lignes de son commentaire sur la politique d'Aristote, en faire un partisan de la thorie patriarcale du pouvoir. Nous nous bornerons & dire que paint Thomas se contente de constater un fait, savoir que le rgime monarchique a dcoul naturellement du gouvernement du plus ancien dans la famille ou dans la commune : Sic ergo patet, quod regimen rgis super civitatem vel gentem processit a regimine antiquiori in domo vel vico. (In. I, Pold., lect. I.) Mais co qui doit surtout attirer notre attention, ce sont les conclusions par lesquelles M- Zeiller termine son uvre. Tour tour, il exalte et il rabaisse l'oauvre politique de saint Thomas. Aprs avoir constat que la politique thomiste a depuis une centaine d'annes connu une priode de reconqute , il ajoute : A l'envisager sous d'autres aspects, on ne pourra qu'enregistrer un dchet dfinitif. D'abord, en tant que monument de science politique, la thorie de saint Thomas d'Aquin parat, malgr tout, vieillie, lorsqu'on 3a compare aux thories modernes plus savantes et plus acheves... Qui voudrait soutenir que les passages trs intressants, mais un peu vagues de saint Thomas sur le gouvernement mixte ont la valeur scientifique de l'expos lumineux de Montesquieu sur la sparation du pouvoir ? M. Zeiller e n est donc l, de prendre au srieux et de tenir pour scientifique l'expos lumineux (?) de Montesquieu sur la st
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paration des pouvoirs! Il aurait bien fait de se rappeler le mot s i juste de Bonald sur VEsprit des lois, le plus profond de tous fes ouvrages superficiels. Au fond, esprit lger, sans gravit, Montesquieu construisit des thories en l'air dfinitivement juges par l'histoire; l'exprience dcisive de la Rvolution franaise lui manqua. Aprs la dbauche de malsaine mtaphysique sociale qui donna le vertige la gnration du XVIII sicle, cet vnement se produisit son heure. Il tait temps que l'Europe ft un cours pratique de gouvernement populaire. M. Zeiller, aurait pu, ce me semble, faire meilleur profit de ce cours pratique... Montesquieu s'tait inspir de l'Angleterre. Mais, observe Bonald, la Constitution britannique < avait t le proc duit des vnements ; la ntre fut une imitation a priori de cette uvre du temps dont quelques crivains avaient fait aprs coup la thorie, comme on a fait des potiques sur des pomes. Et la prface que les lgislateurs de 89 ont mise leur Constitution prconue n'est qu'assemblage de matires indtermines places et l, comme dans Virgile, les ombres vaines et les songes lgers l'entre des enfers. Ce gouvernement constitutionnel la Montesquieu, que M. Zeiller admire, est singulirement dmod, et juste raison, car s'il y a une vrit de sens commun, contraire la thorie de YEsprit des lois, c'est que le gouvernement n'est possible qu' la condition que les pouvoirs soient unis et concentrs. Montesquieu lui-mme est oblig de le supposer implicitement, en disant que dans le gouvernement constitutionnel, les trois pouvoirs sont forcs d'aller de concert. Et, en effet, que deviendrait une socit sans harmonie, sans unit i Et comment peut-il y avoir unit, si les pouvoirs divers ne se concentrent pas? Ainsi, il faut que les lments distincts se combinent et se runissent dans une certaine unit, si l'on ne veut pas que la socit se dissolve. Si nous devions admettre avec Montesquieu que tout serait perdu* si le mme corps exerait les trois pouvoirs , nous devrions admettre qu'il n'y a plus de libert sur la terre, car i est impossible que celui qui e n dfinitive gouverne souverainement, n e soit, ni un individu, ni un corps moral; le gouvernement pourra appartenir plusieurs individus ou plusieurs corps, mais en dernire analyse, il faut toujours que la multitude se rduise l'unit, il faut qu'il y ait un seul corps de gouvernants. Autre chose est la division du pouvoir, autre chose est la limitation du pouvoir; le pouvoir doit tre un, ou il n'est plus; mais il peut, et idoit tre limit thiquement, juridiquement, organiquement. Si M. Zeiller voulait bien entendre cette distinction si simple, s'il en suivait l'exemple historiquement dans les institutions du moyen ge, s'il mditait Ja belle lettre du grand Donoso Corts M. Albert de Broglie, s'il lisait sur ce sujet, les pages de Taparelli, de l'illustre professeur de Salamanque, M. Gil y Robls, du docte jsuite Meyer, il effae
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cerait .bien vite, cette phrase, qui, j'ose le dire, a quelque chose d'enfantin : Faut-il rappeler qu'on divise aujourd'hui les gouvernements en .gouvernements absolus, qui n'existent peu prs nulle part, puisque la Chine elle-mme va, croit-on, recevoir une constitution et un gouvernement constitutionnel? M. Zeiller me parat confondre gouvernement absolu et gouvernement arbitraire. Il oublie ces profondes parole de de Bonald : Le pouvoir absolu est un pouvoir indpendant des hommes sur lesquels il s'exeroe; le pouvoir arbitraire est un pouvoir indpendant des lois en vertu desquelles il s'exerce. Tout pouvoir est ncessairement indpendant des sujets qui sont soumis son action; car s'il tait dpendant des sujets, l'ordre des tres serait renvers : les sujets seraient le pouvoir, et le pouvoir le sujet. Pouvoir e' dpendance s'excluent mutuellement, comme rond et carr. Mais le pouvoir s'exerce en vertu de certaines lois qui constituent le mode de son existence et dterminent s a nature; et quand il manque $ ses propres lois, il attente sa propre existence, il se dnature et tombe dans l'arbitraire. Quant aux gouvernements constitutionnels, la moderne l'exprience qu'un enfant peut constater, montre, que base sur 1 inanit dmocratique de la souverainet populaire, ils aboutissent fatalement, par le parlementarisme, au pire arbitraire. Saint Thomas n'est pas entr dans ces dtails, mais avec son magnifique bon sens, il a t trs bien compris que si l'autorit devait tre tempre par la limite, elle devait rester une, et s'essayer en faire un partisan de nos misrables gouvernements constitutionnels, c'est prouver que l'on n'a cpi'une ide trs superficielle de sa doctrine politique simple et profonde. Venons | quelque chose de plus grave. Lisons : S'il est incontestable que saint Thomas a affirm l'indpendance mutuelle des deux pouvoirs... chacun dans son domaine, sa doctrine implique cependant une indiscutable suprmatie de l'Eglise sur les Etats, du Pape sur les rois, car les Etats tels qu'il les conoit sont chrtiens officiellement et les souverains qui les personnifient relvent ainsi du Pape, non seulement comme simples fidles, mais comme reprsentants de ces membres de la Chrtient qui sont les Etats. Saint Thomas personnellement a peu insist sur ce point ; mais la tendance des crivains qui procdent de lui en se rattachant au mme courant de penses est de mettre l'accent sur l'ide de la suprmatie plutt que sur celle de l'indpendance de l'Etat, qui peut coexister avoc elle, si l'on sait les interprter. A l'heure actuelle, au contraire, c'est l'Eglise qui, dans des documents officiels, souligne l'indpendance des deux pouvoirs. Qu'on lise l'Encyclique Immortale Dei de Lon XIII : Chacun d'eux est dtermin e t trac en conformit de sa nature et de son but... Il y aura donc une sphre circonscrite dans laquelle chacun exercera son action
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jure proprio... Chacun pour sa part est souverain, utraque est in suo gnre maxima... A coup sr, l'Eglise souhaiterait que tous les gouvernements fussent chrtiens et elle se reconnat le droit et le devoir de protester contre les atteintes l a foi et la morale commises par ceux qui ne le sont pas ou qui le sont mal. Elle leur redira l'occasion, par le moyen d'avertissements ses fidles, que les lois injustes n'obligent pas. D'un mot, elle n'a pas renonc et elle ne renoncera jamais exercer un contrle dans les questions politiques ou sociales qui intressent la foi et les murs chrtiennes. Mais elle ne fait plus du conformisme moral et religieux une question pralable la possession du pouvoir, du non-conformisme un motif de perte du pouvoir. La souverainet s'est trop dplace pour qu'une telle exigence reste possible; c'est le peuple qui toujours davantage est dsormais le souverain effectif, et non plus seulement le souverain thorique de la souverainet; comment le contraindre collectivement un conformisme qu'il rejetterait? Comment paralyser pour dompter sa rsistance, l'exercice de sa souverainet? Et quant aux chefs d'Etat qui ne sont plus que sea dlgus, comment l'Eglise exercerait-elle sur eux une juridiction suprme capable d'entraner jusqu leur dchance, si c'est au peuple seul qu'il appartient de les lever au pouvoir ou de Jes en exclure? Des interventions aussi ouverbes et aussi imprieuses que celles des papes du moyen ge n'auraient plus la mme efficacit aujourd'hui, parce qu'elles n'ont plus la mme raison d'tre; alors la Papaut tait comme la plus haute et la plus distincte reprsentation de l'opinion publique, qu'elle concentrait pour ainsi dire en elle; l'opinion est plus diffuse prsent, par cela mme moins imprative, et les armes que les Papes avaient autrefois leur service sont maintenant mousses ou sembleraient odieuses si elles pouvaient encore blesser. J'ai cit longuement. Pour dmler cet embrouillamini de thologie et d'histoire, il faudrait patience et longueur de temps. En tenant compte du temps et des circonstances, du droit et des conditions d'exercice du droit, des principes et de la complexit des faits, il est facile, sans rien lcher de ce qui doit tre fermement gard, de tout remettre au point. M. Zeiller croit-il vraiment que l'Encyclique Immortale soit pour donner raison son interprtation atitudinariste des conduites de l'Eglise? Pense-t-il que la souverainet du peuple donne droit une exemption de la juridiction de l'Eglise, et que la suprme intervention pontificale doive s'incliner devant ce fait du droit nouveau rige e n dogme politique? Notre auteur gagnerait beaucoup se pntrer des enseignements contenus dans les immortelles Instructions synodaUs du grand cardinal Pie, particulirement dans la troisime. Au fond, M. Zeiller fait assez bon march du rgime politique chrtien. Le programme social de saint Thomas est tout le moins intempestif, inopportun, chimrique. Mais, rpond l'illustre cardinal, estf !
Oritique du libralisme. 1
e r
J.ihi.
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il donc vrai qu'un remdo doive tre rejet par cela seul qu'il semble rpugner celui qui en a besoin? Est-il vrai que la science exacte des principes n'est qu'inutile et embarrassante lorsque les circonstances n'en permettent pas l'application entire? Est-il vrai, enfin, que le rgime chrtien ne puisse rencontrer dans les nouvelles gnrations qu'une opposition irrconciliable? Toutes ces questions tranches avec tant de hauteur, ne nous semblent point encore juges en dernier ressort. Que les socits modernes soient places dans des conditions anormales, personne n'en disconviendra. Les peuples, leurs gouvernements surtout, depuis bientt un sicle, sont atteints du mal caduc. Evidemment ces crises priodiques rvlent quelque vice interne, quelque lsion organique, quelque dsordre analogue la rupture d'un vaisseau essentiel dans le corps humain... C'est la socit publique qui a pch et qui prit par l'ulcre d'un naturalisme injurieux Dieu; c'est la socit qu'il est argent et ncessaire, quoi qu'on dise, de prsenter le remde. Ce naturalisme politique, dont M. Zeiller parat prendre facilement son parti, e t e n vertu duquel l'lment civil et social' ne relve que de l'ordre humain et n'a aucune relation juriditfue de dpendance envers l'ordre surnaturel, ne peut tre accept par un chrtien qui sait ce qu'est la socit, ce que sont Jsus-Christ et l'Eglise. Mais continuons : La Papaut, dit M. Zeiller, est donc redevenue une autorit purement spirituelle, et d'autant plus respectable, sinon plus respecte. Nul ne discutera srieusement la grandeur de son influence sur Vopinion publique contemporaine, qu'elle peut mme russir diriger, mais qu'elle ne saurait plus reprsenter et rgenter souveraine.ment, e n la brusquant et en la (violentant au besoin, ft-ce pour le plus grand 'bien de l'humanit. P e moins en moins, on doit l'affirmer, quand mme trop d'apparences passagres y contrediraient, l'ambition de l'Eglise sera de < rgner , comme une puissance qui traite < avec d'autres puissances et revendique leur gard ses droits imprescriptibles ou non. Par son action qui est essentiellement une action de bont et de sacrifice, c'est une efficacit spirituelle qu'elle vise. Et ce n'est par consquent que comme une bont qu'elle doit rgner. .Ses membres comme ses chefs sont en train d'en prendre assez conscience pour qu'il nous soit loisible de croire que la priode des revendications juridiques est, dans l'Eglise, proche de son terme; celle des revendications armes est close. Halte-l 1 le souci de la plus lmentaire orthodoxie religieuse *ne met co cri sur les lvres. M. Zeiller se couvre du patronage de Testis et du P. Laberthonnire dont il cite les textes; je ne connais pas ces nouveaux Pres et j'en rcuse l'autorit. Non, il n'est pas vrai que l'Eglise soit <comme un simple condensateur de l'opinion publique. Ce n'est pas l'opinion publique lui dicter la loi de ses actions; c'est Elle l'imposer au monde. Non, il n'est pas vrai que l'Eglise ne
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soit plus une puissance, qui revendique ses droits... et que ce n'est que comme bont qu'elle doit rgner. L'Eglise reste ce que JsusChrist l'a faite; c'est un regnum, une socit spirituelle et surnaturelle en elle-mme, mais vivant dans le temps; parfaite, indpendante, suprme, dote de tous les attributs qui conviennent une socit de la sorte. Elle a puissance lgislative, juridique, executive; elle exerce juridiction; c'est l'A. B. C. du trait de l'Eglise, et il est vrai*ment douloureux de penser qu'un homme de la valeur de M. Zeiller paraisse l'ignorer. Non, il n'est pas loisible de croire que la priode des revendications juridiques, est, dans l'Eglise, proche de son terme. Les actes des derniers Pontifes Pie IX, Lon XIII, Pie X, donnent \k cette assertion trop ose l e dmenti le plus catgorique. En rsum : le travail de M. Zeiller, intressant au point de v u e historique, ne donne de la politique de saint Thomas qu'une notion vague, indtermine, et il e s t trop dpourvu d'une pleine et saine affirmation doctrinale, telle qu'on aurait t en droit de l'attendre d'un professeur de la docte et catholique universit de Fribourg. Je dis ceci, avec tristesse, mais avec la conscience de ne dire que Ja vrit; ceux qui m e connaissent savent bien que je ne suis pas l'homme des outrances de doctrine; mais il est impossible d'accepter une notion amoindrie et quelque peu dforme de l'Eglise.
G. DE PASCAL.
R P O N S E A L A C H R O N I Q U E S O C I A L E <i)
vu
Notre rponse s'est arrte l'endroit o M. l'abb Thellier de Poncheville, pensant avoir dcouvert un excellent argument ad hominem, reproche aux directeurs de Y Action franaise leur dsobissance du mois de novembre dernier des instructions de leur prince, qui leur avaient paru juguler leur initiative. Et il faut voir avec quelle vhmence ce prtre, qui fait si bon march d'un pouvoir fort , s'indigne des rsistances que ce pouvoir a rencontres chez ses propres partisans. Jamais libral n e mit plus compltement nu cette me autoritaire que tout libral cache en soi. Lisez : Jusque dans leurs rangs s'talent parfois les exemples dconcertants id'in, subordination. Le parti du pouvoir fort n'chappe pas la faiblesse des dissensions intestines ni au scandale des dsobissances publiques. Mettant en 1. Voir la Critique du Libralisme, du 15 mai 1911, pp .170-182.
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drouie les grands principes plus faciles prcher autrui qu' pratiquer pour soi-mme, les querelles clatent autour de celui qui devrait tre le centre infaillible de l'unit. Le chef qu'on proclamait tout-puissant contre l'indiscipline rvolutionnaire voit .ses partisans les plus irrductibles refuser sa consigne imprieusement donne, et la bagarre de ses troupes en conflit s'exaspre par l'intervention mme de l'arbitre royal dont on vantait la situation indiscute au-dessus de toutes les divisions l A la date (15 avril) o furent imprimes ces lignes, d'un absolutisine comique ou d'une malice perfide, il nous et suffi de rpondre en disant que, ni M. l'abb Thellier de Poncheville, ni nous, n'tions juges d'un conflit comme celui qu'il lui plaisait, fort indiscrtement, d'invoquer. Mais, depuis, deux faits sont intervenus qui facilitent singulirement notre rponse, et qui feront srement regretter noire contradicteur cette incursion dans un domaine aussi rserv. Le premier fait, c'est la petite campagne mene par tous les libraux conscients ou inconscients en faveur d'iune clbration, le 11 mai 1911, du centenaire de la naissance de M. de Falloux. Derrire les regrets plus ou moins amers qu'on exprimait touchant l'indiffrence rencontre pour cette date du 11 mai, l'observateur attentif ne devinait-il pas le souci de glorifier la longue dsobissance d'un catholique et d'un lgitimiste, qui fut, pendant les trois quarts de sa vie, indisciplin vis--vis de son prince autant que vis--vis du Pape? Eh! nous accordons que la loi du 15 mars 1850 fut, dans ses rsultats plus encore que dans son texte, prfrable la pratique antrieure du monopole universitaire; de mme, nous rendons hommage aux efforts raliss par M. de Falloux pour garantir au Pape la ralit de son principat civil, encore bien que l'cole librale ne pt se dfendre de complaisances pour l'mancipation italienne. Une chose demeure, c'est que l'opposition au Syllabus d e Pie IX, puis la restauration monarchique qiiand elle fut possible en la personne du comte de Chambord, n'eut pas d'instigateur plus fougueux, d'artisan plus tenace, de fauteur plus intrigant que le chtelain du Bourg-d'Ir. En sorte que nous prouvions une impression, non certes de colre, mais bien plutt de douce gat, voir dans le mme temps, un reprsentant attard de cette jcole chapitrer Y Action franaise propos de sa dsobissance occasionnelle certaines instructions de son prince. Ignore-t-il donc, M. l'abb Thellier de Poncheville, que Falloux, et Montalembert, et Berrj er, et Dupanloup, et Cochin, et Foisset, et Lavedan, et combien d'autres rigrent en dogme, tant au point de vue politique qu'au point de vue religieux, la priorit de leurs prfrences personnelles sur les consignes les plus imprieusement donnes ? Et, s'il n'ignon* pas cela, que vient faire la mercuriale cite plus haut? La division entre royalistes, apparemment cre par le bruyant clat de Y Action franaise, aussi bien que la division entre catholiques, loquemment prolonge par M. l'abb Thellier de Poncheville, sont-ce l choses nouvelles
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dans l'histoire des uns et des autres? Et la dissidence partielle de Y Action franaise n'a-t-elle pas, sur celle de Falloux et des siens, cette supriorit, que le loyalisme de Y Action franaise s'est affirm superbement dans l'preuve, tandis que ce dont Falloux fut prcisment avare, c'est de loyalisme : si M. l'abb Thellier de Poncheville e n doute, qu'il consulte l-dessus les crits d'Eugne Veuillot, le pre de son ami, Franois Veuillot. Mais le second fait dont nous avons promis de parler nous fournit, contre M. l'abb Thellier de Poncheville, une rponse bien plus victorieuse encore : tandis, en effet, que ce prtre, que son activit catholique-sociale devrait absorber assez pour qu'il se dsintresst des querelles possibles entre royalistes, se donnait le mandat de vituprer Id'une voix trangement enfle, les directeurs de Y Action franaise pour leur dissentiment circonstantiel avec leur prince, c'est celui-ci qui, dans une lettre d'une magnanimit souveraine, dclarait qu'il oublie tout, sauf les services rendus , applaudissait aux efforts et aux lans gnreux de tous ceux qui se sacrifient pour sa cause, et se dclarait de nouveau leur affectionn . En vrit,, nous craignons d'abuser de l'avantage que cet moUfvant pilogue nous donne sur Ml'abb Thellier de Poncheville, et nous jugerions cruel d'insister sur l'aide prcieuse que les vnements les plus rcents apportent spontanment notre polmique. Se peut-il, aprs cela, qu'un prtre, professionnellement et surnaturellement habilit absoudre, puisse se montrer, pour les adversaires qu'il s'est assigns sans motif, moins misricordieux que le prince qui a reconnu en eux, de fortes ttes sans doute, mais de bien bons curs?. Faut-il tout dire? L'incident qui se clt de la sorte, et dont l'inconvnient majeur fut peut-tre de fournir aux amis de M. l'abb Thellier de Poncheville un prtexte se gausser, aura du moins servi provoquer la publication d'une phrase qui demeurera, et qui, en autorisant bien des espoirs de relvement, ruine de fond en comble la thse de M. l'abb Thellier de Poncheville : au cours de la querelle qui s'achve, le prince a crit : Quand je commande, j'entends tre obil Isclez bien cette phrase des contingences pisodiques, et retenez-la pour l'avenir : elle marque tout le progrs que la conception de l'autorit a ralis en ces dernires annes, sons l'influence du courant reconstructeur dont se rclame Y Action franaise; et quand la dsobissance de celle-ci n'aurait e u que cette consquence, de faire tomber pareille phrase de la plume de l'arrire-petit-fils de Louis-Philippe, on aurait sujet de reprendre pour cette dsobissance l'expression liturgique : felix culpa. Et il apparat bien que ceux qui persistent dans l'attente "d'un pouvoir fort ne seront pas dus, car, en cette dclaration, il faut lire un cong irrvocable signifi au parlementarisme comme tout autre mode de libralisme politique. Ceux-l seulement qui, avec M. l'abb
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Thellier de Poncheville, ne se privent pas de confondre ce qui doit tre distingu, feindront de voir, dans l'auteur de ce langage, le centre infaillible de l'unit : toujours propos de la crise aujourd'hui ferme. Charles Maurras a nettement expliqu en cfuoi la soumission l'arbitre royal diffre de l'obissance au Docteur suprme de la foi. Et n'estce pas au judicieux mentor de Y Action franaise que nous devons demander le sentiment du groupe en ces matires, plutt qu' des commentateurs distraits ou, comme on le voit trop, passionns?
VIII Voici venir, aprs cet imprudent hors-d'uvre, l'agression sournoise dirige contre la Critique du Libralisme. Elle est cependant prcde encore d'une longue discussion sur laquelle nous passerons vite, en n'en relevant que les traits les plus excessifs. M. l'abb Thellier de Poncheville se plaint d'un pril de compromission religieuse qu'il serait loyal de faire cesser. . Voici o gt c e prtendu pril : A l'appui de cette campagne politique, quelques-uns revendiquent en effet lo patronage discret, jusqu' en tre muet, des sympathies de l'Eglise, qu'ils affirment attentive leur cause, intresse leur triomphe. Tout de suite, mettons le hol devant cette allgation parfaitement inexacte. On peut dfier M. l'abb Thellier de Poncheville de dsigner un seul crivain, un seul orateur,'un seul ligueur deY Action franaise qui ait revendiqu jamais oe patronage . Nombre de prtres suivent, avec une sympathie qu'ils ne croient pas devoir cacher, un mouvement qui s'en montre aussi digne; plus d'un vque lui sourit paternellement; l'Eglise, comme telle, n'en a rien dit, et Y Action franaise n'a jamais commis l'indiscrtion de la prier d'en dire quoi que ce soit. C'est m m e un des traits par lesquels elle se distingue de tant d'autres groupes cpii, l'poque prime du ralliement, ne prenaient aucune initiative sans marquer expressment qu'ils agissaient d'accord a,vec le Pape. Cet irrvrencieux travers prenait certains jours l'aspect d'une sorte de simonie : n'allait-on pas jusq'n' solliciter des souscriptions, rquisitionner des subventions, ou encore ruiner des journalistes rfractaires en instituant, pour ainsi dire, des guichets de dsabonnement leurs journaux, tout cela 'au nom des d i rections pontificales ? Pareil reproche est inapplicable Y Action franaise. Dieu merci I Sa position, au regard de l'Eglise, est, dirions-nous, celle de la Russie vis--yis de la France, avant toute conclusion de l'alliance : on observait que leurs intrts respectifs ne se contrariaient sur aucun point. L'Action franaise estime cette position suffisante; catholiques, nous no saurions, notre tour, exiger d'elle davantage; mais, de grce,
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n'insinuons pas qu'elle ambitionne secrtement davantage : la bonne foi nous le> dfend. Pour essayer cependant de justifier cette insinuation, M. l'abb Thollier de Poncheville allgue que le mot d'autorit sonne bien aux oreilles de l'Eglise, et qu'on se flatte, en l'invoquant comme elle , d' obtenir ses faveurs . Eh! non, pprsonne ne commet cette bassesse, et seul l'esprit inquiet de M. l'abb Thellier de Poncheville transforme un pur paralllismo en une collusion formelle ou seulement espre. Traitant nanmoins c e mythe comme une ralit, il demande : En quoi l'-accroissement de la puissance du chef, dans les choses de la cit, peut-il tourner son profit (au profit de l'Eglise)? La main dictatoriale qui contraint les volonts par la force n'a aucuae vertu propre pour former les mes la soumission, religieuse, laquelle est d'un autre ordre. Ce n'est pas en se courbant sous le joug d'un homme que les catholiques apprennent s'agenouiller sous la loi de Dieu... L'tablissement d'une domination politique sur un peuple, ne l'achemine pas plus reconnatre la tutelle de l'Eglise, qup do lui inculquer le respect de la tradition nationale n'est de soi, lui enseigner la docilit la tradition religieuse... Qui n'admirerait ce jeu de prestidigitation verbale? C'est un mlange outr de vrits et d'erreurs qui finit par troubler l'entendement. En nonant les premires, l'auteur enfonce des portes ouvertes; en y mlant les secondes, il fait un mal dont semble s'amuser sa verve captieuse. Oui, l'accroissement de l'autorit publique peut, servatis servandis, tourner au profit de l'Eglise : mais, ni Y Action franaise, ni nous, n'attendons ce bienfait de l'application du crois ou meurs , ou du compelle intrare exerc par le bras sculier, moins encore de la maxime protestante eu jus regio ejus religio. Tout ce qu'elle prtend, tout ce que nous prtendons, c'est que, dchanant l'Eglise des liens qui prsentement la ligottent, on la laisse libre d'exercer par les moyens qui lui sont propres la mission de conservation et d'apostolat qui est sienne. M. l'abb Thellier de Poncheville, en Vrit, calomnie YAction franaise et se moque de ses lecteurs en lui prtant cette sotte ide de dire que tout pouvoir fort est de soi bienfaisant, surtout dans l'ordre religieux. Mais, contre le pril d'un roi oppresseur de l'Eglise, n'a-t-on pas deux recours, l'un dans les institutions, l'autre dans les hommes? La premire de ces garanties s'aperoit dans l'intrt mme du souverain, plus pressant mille fois et plus immdiatement senti dans l'ordre monarchique que dans l'aboulie dmocratique; la seconde rside dans l'opinion catholique elle-mme : M. l'abb Thellier de Poncheville compte-t-il pour rien la trace que laissera dans les esprits le sentiment prsent de la masse catholique opprime? lui-mme ou ses confrres, ou leurs successeurs, manqUeront-ils pour dfendre l'Eglise contre n'importe quel retour de perscution ou de tracasserie gallicane et rgalienne? Y Action franaise, son tour, en disciplinant aujourd'hui tant de jeunes gens
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pour les campagnes d'indpendance religieuse, ne dresse-t-elle pas les dfenseurs futurs de la mme cause contre d'ventuels retours de l'irrligion? Il cite Montalembert, Lacordaire, Veuillot, qui furent des hommes libres, des citoyens impatients de toute oppression , et qui furent aussi des catholiques soumis jusqu'au sacrifice, dvous et passionns jusqu'au don de la vie la Mre aime de leurs mes : merveille i et les catholiques les plus militants furent toujours, en effet, les citoyens les plus fiers devant l'autorit temporelle; mais il ferait beau voir M. l'abb Thellier de Poncheville dire aux camelots ,clu roi qu'ils sont des hommes moins libres que ceux qu'il cite, et des citoyens moins impatients de toute oppression *: quel plaisir prouve donc ce prtre reprsenter les amis de l'Action franaise comme des esclaves, avides de servitude et assoiffs de prostration? lui qui, croyons-nous, frquente les milieux sociaux , vit-il quelque part le type avili qu'il nous forge? Vainement croit-il nous rvler des notions nouvelles en rappelant que des situations se prsentent o il faut commencer par briser la servitude d'un Csar ou la fidlit aux souvenirs des aeux pour ranger un pays sous l'obdience du Catholicisme : nous ne l'oublions pas, mais s'agit-il, pour nous, en France, cette heure, de disserter spculativement sur des hypothses passes ou lointaines, ou de remplir le devoir qu'impose, prsentement, notre situation? Il ne s'agit ni des sujets du tsar , ni du nationalisme anglais , ni du traditionnalisme allemand : il s'agit des catholiques franais, opprims au nom d'un systme dmocratique, et qui l'Action franaise propose la libration par voie monarchique. Eh ! sans doute, il y eut de mauvais rois (au moins hors de France, car la Franc a connu quelques rois imparfaits " plutt que de mauvais rois) : mais cela ne prouve rien contre la valeur propre de l'institution monarchique, et contre sa convenance spciale la France. De mme, il y a de mauvais prtres, et d e pitres diseurs : cela diminue-1il le mrite sacerdotal et le don oratoire de M. l'abb Thellier de Poncheville ? De mme, encore il y a des confrenciers sociologues pitoyables, comme le fut et le demeure Marc Sangnier; mais il y en a de plus prudents et de plus aviss, tel M. l'abb Thellier de Poncheville, qui ses liens avec les Semaines sociales n'ont pas assez nui pour qu'on lui refust l'honneur de dfinir le catholicisme social devant Y Association catholique de la Jeunesse franaise, lors du Congrs qu'elle vient de tenir Paris, l'occasion du vingt-cinquime anniversaire de sa fondation, les 19, 20 et 21 mai ( 1 ) ; de cette diversit de sociologues 1. Dana le discours qu'il a prononc le 19 mai la salle Wagram, M. l'abb Thellier de Poncheville a, si nous en croyons la Libre Parole, dclar que l'A. C. .T. F., parce qu'elle tait profondment fidle la doctrine catholique, tait profondment sociale : c'est l, semble-t-il, une concession apprciable notre sentiment, qui lut toujours qu'on ne pouvait mme pas concevoir un catholicisme antisocial , et donc que catholique social tait un plonasme, presque uns taulolo^ic.
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et de confrenciers, faut-il conclure la proscription de toute confrence consacre aux questions sociales? Mais nous avons bien mieux que tous les arguments qui prcdent pour confondre sur ce point M. l'abb Thellier de Poncheville, e t nous ne saurions trop remercier rminent thologien qui, depuis notre premier article, a bien voulu, avec une serviabilit pleine d'-propos, nous fournir cette arme, en nous rappelant Un texte dcisif. Le collaborateur de la Chronique sociale de France estime, on l'a vu plus haut, que ce n'est pas en se courbant sous l e joug d'un homme que les catholiques apprennent s'agenouiller sous la loi de DieU : nous en sommes fort marris pour lui, mais c'est Pie X, c'est--dire une autorit qu'il invoque trop souvent pour la pouvoir ici rcuser, c'est Pie X qui va lui rpondre. Dans le consistoire du 18 dcembre 1907, quand il cra cardinaux Mgr L u o n , archevque de Reims, et Mgr Andrieu, alors voque de Marseille, Pie X pronona une allocution dont M. l'abb Thellier de PGncheville retrouvera le texte complet dans le Canoniste contemporain (fvrier 1908, page 88), et qui contient cette phrase mmorable : Tous les catholiques de France doivent regarder avec affection Retins 0t Marseille, car, si Marseille; reut le 'premier germe de la foi que lui apportait la parole venue du Golgotha, encore toute chaude du sang de Jsus-Christ, Reims vit proclamer solennellement le rgne du Christ sur toute la France par lo roi Clovis, qui, ne prchant que par son exemple, amena les peuples qui le suivaient rpter en sa prsence d'une seule et mme *oix : Nous renonons aux dieux mortels, et nous sommes prts adorer le Dieu immortel prch par Remy! C'tait une preuve de plus que les peuples sont tels que le veulent leurs gouvernements. Nous n'oublions pas qu'il a plu Mgr Duchesne de contester, aprs tant d'autres choses, l'authenticit du souvenir que Pie X rappelle ici l'honneur d e Marseille, et qu'il n'a pas dplu ce mme historien, si parfaitement dsintress en matire religieuse, d'accepter, en rcompense de son hypercriticisme, le fauteuil qUe l'Acadmie franaise refusait Mgr de Cabrires et Mgr Baudrillart. Mais le souvenir pathtiquement rappel par Pie X la gloire de Reims est au-dessUs de toute discussion, et M. l'abb Thellier de Poncheville ne peut refuser d'en faire tat : qu'il daigne donc convenir, non plus notre prire, mais celle de Pie X, que les peuples sont tels que le veulent leurs gouvernements . Qu'il veuille bien mme retenir que le fait de Reims en est, non pas la preuve unique, mais, Pie X l'affirme, une preuve de plus ; qu'il cesse de craindre po'ur la foi et pour la scurit doctrinale des catholiques qui, dplorant l'effort du gouvernement rpublicain pour la dchristianisation du peuple franais, aspirent au succs de Y Action franaise; qu'il cesse de redouter l'instauration d'un gouvernement qui, ne prchant que par son exemple , amnera ce mme peuple demeurer ou redevenir catholique. Et, pour tout dire, qu'il fasse personnellement appel la voix de son propre sang, pour faire
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de nouveau confiance au sacre de Reims, l'intercession de la bienheureuse Jeanne d'Arc, et au sang de saint Louis. Du coup, nous n'prouverons plus l a surprise, nous allions crire le scandale, de lire, sous la plume de M. l'abb Thellier de Poncheville,, des lignes comme celles-ci : L'uvre est immense, accablante, c'est vrai, mais les coups de sabre n'y foraient gure : c'est plus haut qu'il faut chercher l'intervention de la force ncessaire. Dans notre impatience eai finir brusquement, perce le dcouragement de l'ouvrier vanglique en face de la besogne trop rude accomplir, et peut-tre le dsir secret d'en tre allg par la venue de l'homme fort qui s'en chargerait pour nous, remettant soudain tout en place. Mais c'est chimre. Car l'action officielle a peu d'efficace pour vangliser et sanctifier, encore qu'elle y doive concourir. Seul l'apostolat me par me, le dvouement cur coeur, gagne un peuple la foi de l'Evangile... l suffit de rapprocher ces lignes de la citation de Pie X faite ci-dossus pour vrifier que l o M. l'abb Thellier de Poncheville dit : c'est chimre , le Pape dit : c'est ralisable, c'est lgitime, c'est mme louable. L'apostolat global, initialement symbolis par la pche miraculeuse, est aussi bni par l'Eglise, aussi approuv par Pie X que l'apostolat me par me, cur cur auquel M. l'abb Thellier de Poncheville voudrait limiter l'effort catholique. Et le premier offre sur le second cet avantage peu ngligeable, qu'il brise ou du moins qu'il paralyse la malfaisance ennemie. C'e&t surtout en France que s'applique la vrit de fait si bien exprime par le pote latin :
A
orbis ;
or, cette efficacit de l'exemple, dont l'athisme et la franc-maonnerie bnficient aujourd'hui, tournerait immdiatement au profit des ides contraires, du jour o VAction franaise aurait atteint son but; et combien en serait facilit ensuite l'apostolat me par me, cur cceiur , lequel n'aurait pas cess d'tre indispensable! Au contraire, dans les conditions prsentes, cet apostolat risque trop souvent d'tre strile, par cette raison, aussi vrifiable en fait que prvue en droit, que la propagande de l'erreur et du mal est plus promptement efficace que celle de la vrit et du bien, mme quand toutes deux jouissent d'une libert strictement gale, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas aujourd'hui. Si M. l'abb Thellier de Poncheville a le souci du salut des mes (et comment oserions-nous en douter?), peut-il rester indiffrent la perte de tant d'hommes, de tant d'enfants surtout, que son apostolat n'atteint pas, cependant qu'il s'puise sauver me par me, cur , cur les rari nantes que sa main peut joindre? A moins donc d'admettre que la vrit et l'erreur ont autant de chances de succs l'une que l'autre quand elles ne sont favorises ni l'une ni l'autre, ce qui est une nue librale et. Une sottise affligeante, M. l'abb Thellier
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do Poncheville ne doit plus faire fi du prcieux appoint de l'exemplarit, que l'Action franaise se rserve, par des moyens dont il est sage de lui laisser le choix, de mettre la disposition de toutes les causes justes et saines. Et surtout, M. Thellier de Poncheville doit abandonner l'illusion que nous trouvons dans cette phrase : Pourquoi donc (l'Eglise) redouterait-elle le voisinage de rgimes politiques o serait restreinte l'autorit et accrue la libert? A coup sr, l'Eglise, fonde sur la distinction du spirituel d'avec le temporel, est l'ennemie de tout absolutisme, car, au fond de tout absolutisme, gt la confusion du spirituel et du temporel; mais le rgime politique dont l'Action franaise a jur la perte, n'est-il pas le pire des absolutismes, tant doubl d'hypocrisie? Loin de restreindre l'autorit , il la fortifie pour le mal autant qu'il l'affaiblit pour le bien; et s'il achaland la libert thorique, en la rduisant d'ailleurs l'exercice du droit parlementaire, il jugule avec volupt toutes les liberLs vritables, religieuses, familiales, scolaires, professionnelles, provinciales et municipales; enfin, dans le temps mme o il dclare sparer le spirituel et le temporel assez pour les spoliations dcrtes par sa cupidit, il les confond rageusement en intervenant d'office dans une foule de questions o il a sujet de perscuter l'Eglise : priorit du mariage civil, prdications et crits pastoraux, presbytres, chaises et bancs d'glises, pavoisements, enseignement catchistique, etc., etc. Dans ces conditions, comment ne pas bnir Y Action franaise, dont l'initiative, si elle russit, aura pour effet, en quelque sorte automatique, d'affranchir l'Eglise du voisinage d e ce rgime -l? Car ce crue les catholiques tant soit peu conscients chrissent avant tout dans l'Eglise, c'est l'effort sculaire qu'elle a ralis pour assurer ce que l'Ecriture appelle si bien la libert dos enfants de Dieu , et M. l'abb Thellier de Poncheville ne dit rien de trop quand il dtaille ainsi cet effort : Elle a combattu les dominations qui n'taient pas lgitimes, elle a adouci les sujtions qui n'taient pas indispensables, elle a vu progressivement s'affaiblir, sous son influence ducatrce, les dpendances d'homme homme, de peuple souverain qui n'taient pas immuables. DTa-t-elIe pas, de sa doctrine et de ses mains, affranchi l'esclave, proclam par sa lgislation matrimoniale, malgr -le droit romain et les lgistes franais, la libell du fils rencontre des prtentions paternelles, limit l'omnipotence de l'Etat l'gard de ses sujets, coopr l'mancipation des communes lorsqu'elles se isoustrayrent (?) la tutelle seigneuriale, dnonc le joug servile qui pesait sur la masse des travailleurs? Eh! mais, ce rle librateur, comment l'Eglise hsiterait-elle le reprendre et le poursuivre du jour o la libert lui serait elle-mme rendue? Et donc,comment dnierions-nous Y Action franaise le droit de lui rendre cette libert, alors que ses chefs nous la promettent avec
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autant de prcision que d'indiscutable loyaut? IL l'abb Thellier de Poncheville dit, il est vrai, que l'Eglise n'a pas besoin, pour assurer son pouvoir, de cette complicit d'autorits humaines absolues comme la sienne : c'est l beaucoup de dsinvolture, et nous pouvons respectueusement le dfier d'indiquer un moyen vraiment efficace d'atteindre ce but, sans cette complicit dont il parle fort improprement. Le Fils de Dieu, qui n'aime rien tant au monde que la libert de son Eglise, suivant le mot de saint Anselme, n e ddaigne pas ce point la collaboration de l'homme, et l'ptre de saint Jacques, qu'on lit le quatrime dimanche aprs Pques, nous Le montre acceptant que nous soyons en quelque manire le principe de l'uvre qu'il entend faire , ut simits initium aliquod creatxtrm ejus.
IX
Tout le passage qui, dans l'article de M. l'abb Thellier de Poncheville, contient l'agression dirige contre la Critique du Libralisme et contre son directeur, veut tre cit. Le voici : Prtendre qu'il y a harmonie consitutive entre le catholicisme et telle forme de gouvernement qui se rapproche davantage du sien, c'est laisser entendre qu'il clate une opposition fatale l o sont ralises des formes contraires. C'est entretenir le sophisme tant de fois dnonc par Lon XIII et Pio X quand ils protestaient contre ces prtendues alliances obligatoires fen enseignant l'indiffrence parfaite de l'Eglise l'gard de divers rgimes et la libert absolue par elle laisse aux nations de les choisir selon leurs prfrences. C'est vulgariser xme erreur d'origine et de porte anticlricale :
comment cette infiltration maonnique a-t-elle chapp l'habituelle sagacit des docteurs en cette matire? Car ils en font presque un cas de Conscience thologique, une question d'or-
thodoxie. Se recommander pour leur dessein politique d'une sorte de convenance religieuse, ce serait encore trop peu : pourquoi n'invoquerait-on pas de pleines exigences doctrinales? Et quelques habiles formules s'efforcent de dduire du pch originel que la Rpublique n'est ni lgitime, ni 'viable; elles taxent incurablement de libralisme et de modernisme toute organisation dmocratique, dchiffrent dans le Syllabus la condamnation du suffrage universel et comme conclusion logique au Credo proposent de crier : Vive le Roi! Il ne leur resterait plus qu' imposer la coup de force au nom do l'Evangile d'amour. Tant que ces outrances demeurent dans la solitude morte de quelques fabricants de paradoxes, ou dans' la pnombre des revues sans lecteurs, elles no sont qu'inoffensive gageure. Mais une propagande envahissante commence , les jeter dans la foule o renaissent, leur rencontre, ces confusions et ces dfiances que la parole des Papes a vainement voulu dissiper. En dpit de leurs protestations les plus formelles, ces thses refont l'Eglise une apparente solidarit avec un rgime donn, lequel se trouve, en fait, et tort si l'on veut, repouss par la masse du pays. Il n'y a plus l simple association votonlaire d'efforts entre catholiques et athes partisans d'une mme rforme, mais affirmation d'une communaut ncessaire de sympathies et d'ides entre leur uvre et le catholicisme.
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Par ce rapprochement sophistique et cette identification illgitime s'entretiennent des malaises, s'exasprent dans tout un peuple des prjugs, grce auxquels se prpare peut-tre une fois de plus la consommation de mesures sectaires qu'un habile plaidoyer maonnique imposera encore comme sauvegardes devenues indispensables contre ces menes politico-religieuses. La grande uvre de concentration que l'Eglise poursuit au-dedaais d'elle-mme, ayant indment servi d'appui une raction l'extrieur sera facilement suspecte d'hostilit aux institutions modernes. Et parce que les hommes auront voulu la profaner d'autres desseins, l'affermissement salutaire de l'autorit pontificale sur les mes sera dnonc comme une memace d'absolutisme pour les peuples. Il appartenait peut-tre M. l'abb Thellier de Poncheville de s'y prendre de faon plus directe pour atteindre notre Revue, qui jamais, pour discuter ses dires lui-mme, n'eut recours aucun biais, et qui du reste est bien connue pour la haute franchise de ses polmiques. A prfrer l'oblique procd que nous venons de placer sous les yeux du lecteur, le collaborateur de la Chronique sociale de France se juge lui-mme et fait tort celle-ci, tout en confessant l'inquitude que lui cause l'approbation donne par notre Revue aux initiatives salutaires de l'Action franaise. Mais nous ne lui permettrons pas de dnaturer le caractre de cette approbation, et, point par point, nous allons essayer d e montrer que c'est pourtant l le rsultat de la discussion laquelle s'est livr un prtre qui pourrait trouver un meilleur emploi de sa spcieuse dialectique. Y a-t-il harmonie constitutive entre le catholicisme et la monarchie? si nous l'avions dit, nous n'aurions fait que constater l'vidence, mais l'avons-nous dit? Est-ce laisser entendre qu'il clate une opposition fatale ailleurs? Pas ncessairement; et, pour notre part, nous n'avions jamais dnonc d' opposition fatale entre l'Eglise et la Rpublique en soi : nous avons, par contre, assidment mis en relief et dplor l'opposition historique et patente entre la Rpublique franaise et l'Eglise. Lon XIII a-t-il enseign l'indiffrence parfaite de l'Eglise l'gard des divers rgimes ? Deux documents rpondent : l'un est une lettre au cardinal Guibert, du mois d'octobre 1880, qui dit que le SaintSige ne veut ni ne peut vouloir contester le droit politique, quel que soit celui auquel il appartient (Icedere vero jura imperii, cujuscumque tandem ea sint, nec vult, nec velle potest) ; l'autre est l'Encyclique aux vques d e France, Au milieu des sollicitudes, du 16 fvrier 1892, qui conseille, ou prescrit, aux catholiques de France de s'unir dans l'acceptation du rgime constitutionnel en vigueur : ni l'un ni l'autre de ces documents ne ressemblent un enseignement d' indiffrence . puisque le premier sativegarde le principe des lgitimits mme dtrnes, et que le second recommande l'adhsion expresse au gouvernement de fait. Pie X, son tour, a-t-il enseign l'indiffrence parfaite de l'Eglise l'gard des divers rgimes? Certes, il a ro-
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commando aux catholiques de France d s'unir dans une action avant tout religieuse et politiquement inconditionnelle, mais ce serait cacher l'un des traits les plus saillants de son pontificat, que d'oublier la vhmence avec laquelle ce ferme Pontife, s'adressant aux cinquante mille plerins franais venus Rome pour la batification de Jeanno d'Arc, le 19 avril 1909, a dclar qu'il n'est pas digne de vnration et d'ameur, ce gouvernement qui blesse les droits de la vrit . Nous n'apercevons gure, ici encore, une indiffrence bien parfaite , et mme, si nous rapprochons cette dernire rprobation de la politique rpublicaine et l'loge de la fondation de la monarchie franaise par Clovis, que nous citions plus haut, nous dcouvrons aisment tout le contraire. Admettons cependant que les deux Papes aient protest contre ces prtendues alliances obligatoires entre l'Eglise et la monarchie : quand donc M. l'abb Thellier de Poncheville nous a-t-il vus entretenir ce sophisme? Nous avons pu constater entre l'un et l'autre des affinits, enregistrer l'absence d'antinomie, rappeler le fait historique d'une alliance qui dura des sicles, jamais nous n'avons parl d' alliance obligatoire . Ce disant, en effet, nous aurions commis immanquablement la faute de vulgariser une erreur qui, M. l'abb de Poncheville l'assure, est d'origine et de porte anticlricales . De fait, la presse rouge ne manque pas tune occasion de reprsenter les actes du clerg comme inspirs par une arrire-pense monarchique, et, inversement, les actes des ractionnaires comme dicts par l'Eglise : que, de la part de cette presse, ce soit l une tactique maonnique, nous ne le nions p a s ; mais qu'y a-t-il de commun entre cette tactique et les infiltrations maonniques rvles et dnonces dans les savants articles, devenus un important volume, de notre Directeur? Ces infiltrations svissaient dans l'Eglise ; la tactique de la presse rouge reste confine dans la presse rouge. Alors quoi? et que reste-t-il de ce rapprochement indu, sinon un misrable jeu d'esprit combin pour l'unique plaisir de railler l'habituelle sagacit des docteurs en cette matire , lisez : du R. P. Fontaine, auteur des Infiltrations protestantes, et de M. l'abb Emmanuel Barbier, auteur des Infiltrations maonniques dans l'Eglise. Encore M. l'abb Thellier de Poncheville est-il bien imprudent e n descendant ce persiflage puril : car, si sa sagacit , lui, est suprieure celle qu'il ne craint pas de mettre en cause, nous aimerions le voir djouer la tactique qu'il transforme en infiltration ; nous aimerions le voir rfuter le journal rouge qui, invoquant 1 nom qu'il porte, et la particule de ce nom, et le pass notoirement monarchique de ce nom, brandirait ce nom comme un nouveau tmoignage de 1' alliance obligatoire de l'Eglise et de la monarchie, en dpit des professions de foi rpublicaines de son dernier porteur; force lui serait de laisser la tactique suivre son cours, et le sophisme garder droit de cit. Mais l'chec qu'prouverait en ceci
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sa sagacit habituelle ou extraordinaire lui prouverait du moins ccmbien il s'est mpris et combien il trompe ses lecteurs en mettant au compte d e la Critique du Libralisme, ou seulement de Y Action franaise, un sophisme dont elles sont l'une et l'autre innocentes. Jamais, en effet, jamais nous n'avons fait de cette prtendue alliance obligatoire un cas d e conscience thologique , une question d'orthodoxie ; jamais nous n'avons invoqu en sa faveur de pleines exigences doctrinales ; jamais nous n'avons dduit du pch originel que la Rpublique n'est ni lgitime, ni viable . Ce que nous avons pu dire, ce que nous pensons, ce qui est d'ailleurs }a sentence d u bon sens, c'est que l'lecteur politique n'est pas infaillible, que son verdict peut tre influenc plus puissamment vers le mal que vers le bien, que ce Verdict n'est pas sans appel, que son vote ne peut rien contre les lois suprieures qui dominent les socits, qu'en un mot il n'est pas souverain. De mme, ce n'est pas incurablement que nous avons tax de libralisme e t de modernisme toute organisation dmocratique : nous avons simplement prvu et appel, puis nous avons lu aivec admiration, enfin nous avons retenu avec fidlit ce que Pie X, dans les Encycliques Pascendi et sur le Sillon, enseiseignait, aprs et d'aprs Lon XIII, sur le rle purement occasionnel et mdiat du peuple dans la dsignation des gouvernants, sans que cette dsignation fasse de lui la source du pouvoir, laquelle demeure ,en Dieu. Pareillement, nous n'avons gure eu de peine dchiffrer dans le Syllabus la condamnation , non pas du suffrage universel (car on peut concevoir un suffrage , et le concevoir mme universel ), mais bien de la souverainet populaire, car ce document irrvocable condamne explicitement cette proposition : Auctoritas non aliud est quam summa virium et numeri potestas; et nous ne supposons pas M. l'abb Thellier de Poncheville assez obnubil pour penser que l'autorit puisse s e confondre avec la somme des forces matrielles ou avec la puissance du nombre. Et enfin, si nous gardons un fidle et amer souvenir d u temps fort peu ancien o des amis trs chers jde M. l'abb Thellier d e Poncheville ajoutaient aux douze articles (du Symbole la croyance au dogme rpublicain, noUs n'avons jamais chopp dans le travers de proposer le cri de Vive le Roi ! comme conclusion logique au Credo ; simplement nous considrons que ceux-l sont des royalistes aviss qui lisent clans le quatrime commandement de Dieu, Honora patrem tuum et matrem tuam, le principe initial du respect d tonto autorit lgitime, attendu que, pour les peuples plus encore que pour les individus, ce respect est le gage d'une longue vie, et diu vives. S'ensuit-il que le coup de force doive s'oprer au nom d e l'Evangile d'amour ? Ce qui est sr, c'est que le coup de force , ft-il excut avec des lanires renouveles de celles dont l'Evangile nous dit qu'un jour le Fils de Dieu s'en servit hardiment, constituerait un acte de charit eminente et une oeuvre pie autre-
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ment difiante que les hypocrites insinuations de M. l'abb Thellier de Poncheville. Fcrt heureusement, les dites insinuations, tant qu'elles demeurent dans la Chronique sociale de France, autant dire dans la pnombre de revues sans lecteurs , ne sont qu' inoffensive gageure . Le malheur veut que nous ayons reu, depuis notre premier article, la circulaire suivante, qu'ont sans doute reue, comme nous, tous les publicistes catholiques : '
ARCHEVCH DE PARIS.
Paris, le 15 Mai. 1911. Monsieur, Sous les auspices de la Commission diocsaine de la Presse de Paris, une Retraite ferme, spcialement destine aux journalistes, sera prches les vendredi 7, samedi 8 et dimanche 9 juillet prochain, par M. l'abb Thellier de Poncheville, la villa Bthanie, maison diocsaine de retraites, Monsoult (Seine-et-Oise). J'ai l'honneur de vous inviter prendre part cette retraite. Outre le bienfait spirituel, ces trois jours passs, en compagnie de collgues qui partagent les mmes sentiments, et dans un magnifique cadre de verdure, vous procureront, je l'espre, bien des joies et des satisfactions. Je vous serai oblig de vouloir bien m'adresser le plus tt possible votre billet d'adhsion. Veui liez agrer, Monsieur, l'expression de mes meilleures salutati ons
H. COUGET,
RPONSE
A LA
CHRONIQUE
SOCIALE
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mais qu'il opre des mouvements de retraite de ce genre, c'est mal, car cela s'appelle trahison. Eh quoi ! il accuse, sans preuve, la Critique du Libralisme d'tablir une identification entre le catholicisme et le programme de l'Action franaise, et de refaire l'Eglise une apparente solidarit avec un rgime repouss par la masse (?) du pays , et ' il fait pressentir que nous prparons peut-tre ainsi la consommation de mesures sectaires qu'un habile plaidoyer maonnique imposera encore comme sauvegardes devenues indispensables contre ces menes politico-religieuses . A force de voir des habiles partout, M. l'abb Thellier de Poncheville pousse dcidment trop loin son habilet propre : les perscuteurs n'avaient cependant pas besoin qu'il se ft leur fourrier; ils sont assez clairvoyants pour dmler que l'arme qu'il leur fournit, c'est lui-mme qui la forge, et d'un mtal trop faible pour qu'ils en puissent tirer parti; si quelque ministre aux abois commettait la maladresse de s'en servir, peut-tre l'abb Lemre applaudirait-il, mais srement la gauche elle-mme, difie qu'elle est dsormais sur la valeur de YAction franaise, protesterait pour dire qu'on caricature sa mthode. La perfidie dont fait preuve ici M. l'abb Thellier de Poncheville n'en est pas moins flagrante, et ce n'est pas pour nous induire l'aller our en la villa Bthanie. Nous y rpugnons d'autant plus que les dernires lignes de la longue citation qu'on a lue plus haut lui donnent la figure d'un modernisant retors, mais authentique. Relisez ces regrets papelards sur le pril que YAction franaise ferait courir la grande uvre de concentration que l'Eglise poursuit au-dedans d'elle-mme : vous y verrez le soin cauteleux dont s'enveloppe une critique indirecte de l'uvre pontificale pour acheminer une lche dnonciation aux dpens des catholiques favorables YAction franaise. Car enfin, dire au Pape qUe son uvre sert indment d'appui une raction l'extrieur , c'est l'inviter svir contre ceux qui cette raction ne dplat pas; mais cela permet en mme temps de faire sous-entendre que coUx-l n'ont pas tout fait tort qui, comme les modernistes et les modernisants, tiennent raffermissement de l'autorit pontificale pour une menace d'absolutisme . Si bien que c'est finalement M. l'abb Thellier de Poncheville qui commet l'irrvrence qu'il impute autrui, puisqu'il se sert des faits et gestes de YAction franaise comme d'un sauf-conduit pour introduire en son discours une critique discrte des actes de Pie X. Aprs tout ce que nous venons d'crire, nous demandons s'il subsiste l'ombre d'une justification pour le procd par lequel M. l'abb Thellier de Poncheville s'en est pris si sournoisement notre Directeur. Nous n'oublions pas que le collaborateur de la Chronique sociale, ayant dj trouv dans la Critique du Libralisme de ncessaires redressements de ses dires trop souvent hasardeux, avait sujet de nourrir l'endroit de notre Revue quelque ressentiment. Sur ce point, cependant,
Cntiquc iln
lib rnlRmc
A
e r
Juin.
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franaise,
M. l'abb Emmanuel
Comme les erreurs de M. l'abb Thellier de Poncheville dcoulent ncessairement de sa passion dmocratique, il ne conoit pas qu'on puisse le combattre sans agir sous l'impulsion d'une autre passion politique. Cependant, quand nous louons le journal de l'Action franaise d'tre le plus fidle et le plus courageux cho des directions du Saint-Sige en ce qui concerne la dfense des intrts de l'Eglise, nous ne couvrons pas plus sa politique, ni la philosophie personnelle de M. Maurras, que M. Thellier de Poncheville ne souscrit aux impits des reprsentants du rgime cher son cur, ni la politique de M. Briand (1). Il et t sage, M. l'abb Thellier de Poncheville, d'accepter, une fois pour toutes, cette rplique, et de s'pargner de nouvelles contestations. Il a prfr revenir la charge, et s'est appliqu confondre une approbation avec une affiliation. Il est, d'ailleurs, dj connu pour sa subtilit, et nos lecteurs n'ont pas oubli la relation si vivante que M. Paul Devigne fit ici mme (2) de sa participation la Semaine sociale de Rouen, en 1 9 1 0 . C'est YUnivers qui lui fit alors ce compliment caractristique : M. l'abb Thellier de Poncheville... use peut-tre d'un vocabulaire trs apte crer les quivoques. Il les cra si nombreuses en cette circonstance, que la trs biocarde Dpche de Rouen le couvrit de fleurs. Mais c'est un jeu toujours dangereux. L'exemple de l'abb Lemire devrait pourtant lui profiter : il verrait, cette lumire, qu' vouloir obstinment courtiser l'ennemi, l'on finit par tre abandonn de ses chefs hirarchiques. Il est vrai que l'abb Lemire lui inspire tout autre sentiment que de la dfiance, et q^te, dans une lettre cpii fut publie, bien qu'elle ne ft point destine l'tre, il s'exprima, sur le compte de l'excentrique prtre-dput, en termes fort louangeurs ( 3 ) . Et, sans doute, toutes ces particularits pourraient nous laisser personnellement indiffrent : mais quand M. l'abb Thellier de Poncheville prtend mettre, au nom de < leur foi , les catholiques c en garde contre l'entreprise, les doctrines et les mthodes de Y Action franaise, et qu'ensuite on nous convoque venir couter ses prdications, mme dans un magnifique cadre de verdure , c'est plus que notre droit d'lever, contre les tmrits d'un prtre qu'anime une passion d'ordre finalement politique, les protestations d'un lac qui dfend sa foi jusqu'en ses dlicatesses. C'est mme pour prouver notre rsolution d'aller en ceci jusqu'au bout de notre droit, que nous demandons au lecteur la permission de renvoyer quinzaine un dernier lot de remarques, aprs lesquelles nous en aurons fini avec l'article de la Chronique sociale de France. (A suivre.) Paul TAILLIEZ. 1. La Critique du Libralisme, 15 janvier 1911, p. 555. 2. La Critique du Libralisme, 15 septembre et 1er octobre 1910, pp. 709734. 8. La Critique du Libralisme 15 juin 1910, p. 237.
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
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INFORMATIONS
LETTRE DE
ET
DOCUMENTS
FRI BOURG
On n'a pas oubli la correspondance de Fribourg que nous avons publie le 1 fvrier, suivie, le 1 a'vril, d'une loyale explication de son auteur. Ne voulant, pas consentir l'abus que l'on fait de celle-ci dans certains milieux o l'on affecte d'y voir le dsaveu de critiques trop bien fondes, le mme correspondant nous adresse aujourd'hui de nouvelles explications. Monsieur le Directeur, Voulez-vous me permettre d'exercer une seconde fois la Critique du Libralisme la fonction inattendue et immrite de Correspondant do Fribourg . J'userai de la permission pour revenir sur ma premire lettre. Car, aprs en avoir dj excus la langue abrge et incorrecte, il importe, peut-tre, que j'essaye d'en lgitimer le sens. S'il est vrai, comme on peut le supposer bien des indices, que Fribourg soit une place-forte du modernisme ou, du moins, s'il est vrai, comme j'en demeure persuad, que des restes mal touffs de modernisme, de libralisme, de silonnisme y trouvent une hospitalit facile dont ils profitent pour se reformer, se concentrer et se munir, il serait fcheux que mes excuses, trop largement interprtes ou prsentes comme une rtractation, vinssent affaiblir le moins du monde la vivacit de l'attaque que vous devez mener contre toute position hostile ou dangereuse. J'entends ne pas donner les mains la conjuration de silence et d'touffement laquelle vous tes en butte. Ici une distinction pralable s'impose. Je ne suis ni thologien, ni philosophe de profession. J'use du droit que l'on reconnaissait autrefois l'honnte homme de donner sa conversation une certaine publicit lorsque les circonstances l'y entranaient ou son bon plaisir. Je ne me fais pas imprimer aujourd'hui pour mon bon plaisir. Les attributs de mes jugements ne portent jamais par eux-mmes une accusation d'hrsie ou un anathme. Je me sers analogiquement d'une foule de prdicats expressifs. Lorsque je clis, par exemple, de la revue Demain qu'elle tait protestante ou que le Pasteur Sabatier est protestant, je n'emploie pas dans ces deux noncs le mot protestant univoquement. Ne sigeant dans aucun tribunal, n'occupant aucune chaire, m'inspirant seulement de l'esprit de finesse, je n'ai pas considrer avant de parler, si la dfinition du Protestantisme convient tout entire, plein, gomtriquement, la revue Demain, comme elle convient au Pasteur Sabatier. Il suffit pour que je puisse distribuer lgitimement ce terme comme je le fais, que le premier sujet ait eu communes avec le second quelques notes essentielles, quelque proprit saillante, quelque tendance ou quelque habitude .significative. J'ajoute que les tendances sont pour moi des ralits... incompltes comme tout mouvement. Je les nomme par la fin o elles se dirigent ou par la puissance naturelle et les habitudes qu'elles supposent.
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Je reviens maintenant au sujet de m a premire lettre : il peut s e ramener trois points. Elle affirme l'existence Fribourg d'une faction tendances protestantes, modernistes, librales, sillonnistes. Elle s'tonne de l'indulgence surprenante que l'autorit thologique accorde cette faction. Elle cherche enfin quelques raisons de cette indulgence; j'ai indiqu ces raisons dans le galop brutal de ma lettre; je ne les expliquerai pas maintenant parce qu'une analyse de ce genre demande un peu plus d'application que je ne puis en donner ma correspondance d'aujourd'hui, qui sera purement descriptive. Il serait oiseux d'insister sur le premier point savoir sur l'existence d'une faction moderniste Fribourg : il faudrait tre aveugle pour le mettre en doute. M. Jean Brunhes le premier reprsente la France d'ailleurs juste titre parmi les Universitaires fribourgeois. Mais il reprsente aussi le Sillon; l'esprit du,Sillon; de sorte que les tudiants trangers confondent parfois la France catholique avec le Sillon; ils l'imaginent agite, draisonnable, infidle sa tradition, poursuivant des chimres. Tandis que l'inlassable activit publique de M. Brunhes dborde ses fonctions gographiques, s a charge officieuse de consul, et va jusqu' prsider d'invraisemblables congrs de cuisinires au fumet exotique et savoureux, Mme Brunhes ne se borne pas balayer devant sa porte; elle suffit de multiples missions extrieures et nous l'avons vue nagure collaborer la revue Demain. Si nulle affinit commune n'tait venue se joindre leur mrite professionnel pour runir ici les autres professeurs franais de la Facult des lettres et de celle des sciences, comment expliquerait-on la combinaison si dfinie, si homogne et si caractrise qu'ils forment (1)? N'a-t-on pas vu plusieurs d'entre eux escorter M. Loisy jusqu' sa dernire tape aux frontires de l'orthodoxie? et ne sait-on pas qu'ils tentrent d'attirer M. E. Le Roy dans leur groupe?? Pourquoi, si ce n'est parce qu'ils participent une mme nature moderniste, toutes les publications de ces professeurs dans la revue de Fribourg et ailleurs donneraient-elles toujours une mme note; soit qu'il s'agisse de rabaisser en Bossuet ce qu'il a d'excellent, de dfendre le pauvre Jean-Jacques contre les bousculades auxquelles il est e n butte de toutes parts, de prsenter au public le rcent ouvrage du pre Lecanuet en chantant nouveau la Marseillaise?? Au mois de janvier 1911, la revue de Fribourg publiait une apologie de Mgr Duchesne; au jugement de M. Jacques Zeiller, professeur d'histoire ancienne, la critique du rcent historien de l'Eglise serait constructive . Et je conviens volontiers que l'auteur de l'article a su tirer le meilleur parti possible de l'me de vrit qui est au fond de son sujet. Il reste vrai cependant que la manire de Mgr Duchesne n'ditie gure; M. Hyrvoix de Landosle en a donn ici les maisons. 1. Facult des Sciences : Brunhes; Girardin; abb Brcuiel. Lettres : de Labriolle; Masspn; Zeiller.
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La statue que Ton lvera sans doute un jour au nouvel acadmicien ecclsiastique ne saurait tre mieux place que dans ce fidle quartier franais de Fribourg, o il rgne aprs Mgr Lacroix. Piesque e n mme temps que cette apologie, M. Zeiller, sentant le besoin de relever et de vivifier la politique un peu dsute de saint Thomas par quelques grains de sels Laberthonnire, faisait paratre chez Alcan un essai sur l'ide de l'Etat. Avec un art trs dsinvolte il attirait les regards des quatre points cardinaux sur son uvre d'empoisonnement. La Revue thomiste, les Annales de Philosophie chrtienne, et d'autres, en servirent ensemble les primeurs. Et cela n'aurait pas grande importance en soi, car il est peu probable que l'Essai de M. Zeiller devienne jamais un manuel classique faisant (autorit dans l'Eglise, ni que celle-ci prouve de longtemps l'envi de changer une doctrine qu'elle a juge assez savante n'explique-t-elle pas en effet les choses par leurs causes dernires et leurs premiers principes? pour la rendre dfinitive. Aprs elle les savants modernes ne trouvent qu' glaner ou gter. Et il faut esprer que les habiles et les politiques de l'avenir s'en contenteront et interrogeront les coutumes et les traditions nationales plutt que YEsprit des lois pour en parfaire les dtails et l'appliquer au concert. L'approbation que M. Zeiller a reue pour ce travail n'est sans doute qu'un encouragement continuer ses tudes sur saint Thomas. Le Rv. Pre Mandonnet sait que plus on demeure avec le grand docteur de son Ordre et plus il satisfait seul et par lui-mme aux exigences des difficiles. Il est donc naturel, qu'au prix d'un peu d'imprudence il ait cherch retenir M. Zeiller et l'empcher de retourner la Sorbonne moderne. Toutefois comment ne craindrait-on pas que tant de bienveillance ne soit trompe en lisant certains passages nigmatiques de cet Essai o tout semble ordonn et compos pour le mot final d'archasme qui l conclut. Ce mot n'est-il pas la taison d'tre de cette uvre si propre satisfaire les camarades du boulevard Raspail? Dans tous les cas il est bien certain que d'autres que M. Zeiller .auraient conclu une tude de ce genre par le terme exactement contraire celui auquel elle aboutit. Le R. Pre Mandonnet les aurait,il aussi encourags et patronns? Rien de moins archaque. Rien de plus moderne, au sens honnte du- mot, rien de plus possible et ralisable demain qu'un nouveau rgne de saint Louis. Je me le reprsente trs bien, quoiqu'il n'ait jamais connu la savante distinction de Morltesquie entre le lgislatif et l'excutif et probablement cause de cette ignorance, rendant la justice aux vignerons sous un chne de Champagne avec plus de succs que le rgime parlementaire qui se tire mal de cette affaire comme de toutes celles o il s'agit de raliser le bien commun. Qui sait si le progrs ne va pas dans le sens de l'Idal politique de saint Thomas et si les leons de l'histoire et l'observation ne condamnent pas dj dfinitivement l'idal dmocratique mixte que voudrait y substituer M. Zeiller?
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LA
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SOCIAL
Mais cette uvre caractristique est curieuse et instructive plusieurs point? de vue : Elle dvoile une tactique nouvelle : Chasss des positions avances du modernisme, ses tenants reculeront jusqu'au libralisme, d'o si on ne les dloge sans piti ils reviendront naturellement l'anarchie. Si le Libralisme peut tre dfini comme un systme qui consiste prfrer, pour la sauvegarde de l'Eglise, le droit commun au droit canonique et historique fond sur la nature des choses et la hirarchie des fins, la tendance de M. Zeiller est incontestablement librale. Nous l'avons connu nagure moderniste la revue Demain dont il tait u n des amis les plus chauds et o il se proposait de participer au procs retentissant que l'on y menait contre les tudes scolastiques. Nous le retrouvons aujourd'hui libral dan3 l'Ide de l'Etat. Au fond il n'a pas chang de propos. Je viens d'insister sur cet essai et sur son imprimatur parce que ces deux choses me paraissent trs significatives de l'tat d'esprit qui domine en ce moment Fribourg. Mais les professeurs franais ne sont pas seuls ici poursuivre des rformes utopiques ou cder la manie critique; car qui feraiton croire que M. Cousin ( 1 ) , le pre du Sillon, s'est exclusivement consacr l'architecture o il excelle pendant ses sjours prolongs Fribourg? ou que M. Chollat faisait abstraction de sa qualit de fondateur de Demain lorsqu'il prsidait ici la Runion franaise d'tudes ? Runion o presque toutes les tudes rpondaient exactement aux proccupations et aux dsirs de M. Chollat. Runion peu prs sans minorit opposante et qui tait cependant le seul cercle franais do Fribourg. J'ai affirm l'existence ici d'un parti, j'ai signal le morceau de l'Universit qu'il occupe et comment il s'tend au del. Parti homogne, actif et dangereux. Homogne parce que des intellectuels le composent qui ordonnent leurs actes d'aprs des principes rflchis, ne se rallient pas par autorit, ne font pas les bonnes uvres du Sillon sans en avoir l'esprit. Parti actif, puisqu'on s'y rassemblait hier sans crainte et qu'aujourd'hui encore on y crit, on y parle, on y manifeste. Parti dangereux, car sa doctrine accorde beaucoup au pragmatisme, honore peu l'intellectualisme de saint Thomas, s'inspire de Blondel, de Le Roy, de Bergson, et que, sur cette philosophie ngative, s'lve ncessairement une thologie sans fondement. Sa politique librale, individualiste, ouverte l'influence de la rvolution franaise est grosse d'anarchie. Or, j'appelle faction tout parti homogne actif et dangereux... et celui-ci faction moderniste et librale par l'espce de danger qu'il prsente. Je me garderai de reprocher aux chefs de cette faction de s'tre rallis la Rpublique, mais je constate qu'ils mettent rechercher 1. Je regrette beaucoup d'avoir parler ici de M. Cousin, pour lequel j'prouve beaucoup d'estime et de sympathie et qui, je le crois, n'est pour rien dans le mauvais esprit du Sillon.
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les grces de ses fonctionnaires une ferveur dvote et empresse qui ne leur attirera certainement pas les suffrages des gens de got. Ce manque de tenue est propre au Sillon; il en- rsulte que notre faction joint ses autres qualits celle d'tre sillonnisfce. Elle ne possde sans doute que des morceaux de chacun de ces attributs, mais ce sont de gros et substantiels morceaux qui lgitiment mes analogies et sur lesquels elles posent leurs fondements. Et si l'on rflchit maintenant ce fait que Fribourg est une position avance de notre culture o les, Slaves et les Alsaciens en particulier viennent volontiers s'approvisionner, on regrettera d'autant plus vivement que nos reprsentants et nos exportateurs fassent passer avec la claire langue franaise des ides obscures et malsaines qui fermenteront chez nos amis. Il y aurait urgence cribler de trs prs les principes et les habitudes intellectuelles que nous apportons ici, en vrifier l'origine et la qualit. Ce serait un devoir pour nous non seulement de mettre en garde l'acqureur de belles lettres contre les oripeaux romantiques qui d'abord l'attirent notre talage, mais surtout de prvenir l'apprenti philosophe que, malgr son tiquette de Sorbonne, la philosophie de Bergson n'est pas de chez nous. Notre langue n'a d'affinit que pour le syllogisme, elle lui va bien et devient grimaante ds qu'on la force habiller des systmes d'o la raison et l'intelligence sont bannis. De ce qu'un groupe si entreprenant et si audacieux se rencontre ici, il ne s'ensuit pas ncessairement qu'il y soit prpondrant, et que son influence russisse colorer la physionomie intellectuelle et morale de toute une ville. Partout ailleurs qu' Fribourg, on trouve le modernisme, mais aussi des hrdits traditionnelles, des centres vivante de pense contraire, une autorit enfin qui s'opposent son essor, le refoulent et le condamnent, avec la fermet sans quoi il s'chappe et ressuscite. Fribourg semblait mme naturellement arm pour devenir une place-forte de l'Inquisition antimoderniste; car, avant la cration de son Universit, on y trouvait dj un centre intellectuel et un foyer de vie catholique. Ses grands collges, ses couvents, ses vieilles archives, les privilges vnrables de ses chapitres si intimement lis sa vie communale, la retraite naturelle qu'il offrait aprs leurs aventures lointaines aux officiers, aux diplomates, aux explorateurs qui y avaient vu le jour, l'attrait enfin exerc par Mgr Mermillod avaient tendu au loin sa renomme ds longtemps hospitalire au- monde et la pense catholique; mais un monde e t une pense fiers et respectueux de tout leur pass. Or, voici un petit fait, sans grande importance d'ailleurs, mais qui montre combien la clientle d'ici a chang d'allure et qu'il faut lui plaire par de nouveaux moyens. Le journal officiel du canton de Fribourg, La Libert, rendait compte, dans son numro du 4 avril 1911, des essais de rtablissement de l'Ordre des Johannistes qui se font en ce moment en Hollande; elle terminait son article par ces mots : C'est le premier pas vers l'organisation d'une noblesse catholique en Hollande. Le besoin ne s'en faisait peut-tre pas imprieusement sentir. Mais la restauration
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du pass est toujours intressante, outre que cela fait plaisir quelques-uns et ne nuit personne. Nous aimons les vieilles fentres gothiques pourvu qu'elles ne gnent pas nos chappes vers l'avenir. Peu de jours aprs le billet de Junius de F Echo de Paris portait : Une fiert provinciale renat dans toutes les parties du corps* r national. C'est comme un rveil universel de la tradition-. Il apparat mme dans les soubresauts du socialisme. On tonnerait sans doute les syndiqus de la C. G. T. si on leur disait qu'ils ne font en dfendant leurs droits que retrouver ttons les titres perdus de la vieille noblesse professionnelle... Mouvement syndical ou rgionaliste, revendications provinciales ou corporatives sont les manifestations d'une raction spontane contre les artificielles conventions de l'individualisme rvolutionnaire... Nous entrons dans cette phase nouvelle de noire histoire nationale. Au contact de ces deux textes si diffrents de ton, ma pense s'est tout naturellement porte, non sans motion, vers ces vieux matres de ' l'Association catholique, qui se plaisaient nagure profiler de l'hospitalit fribourgeoise. On se souvient qu'ils ont plant leur premier jalon de route dans les murs de l'antique cit. Junius constate que ceux qui refusrent alors de quitter l'appui des vieilles fentres gothiques voyaient plus loin dans l'avenir que les modernisants de tout acabit qui pataugent l'envi dans les nues d'un marcage bourbeux et mdiocre derrire une tradition rabaisse et dmantele. La Libert devrait se garder des fentres amricaines quoiqu'elles conviennent peut-tre aux nouveaux htes d e son pays. Pour plaire aux prtendus Fils de l'Esprit , va-t-elle abandonner l'hritage de son fondateur et laisser ternir la marque du Louis Veuillot Suisse? Cependant rien ne cderait ici de l'ancienne intransigeance doctrinale et de l'ancien respect filial pour l'Eglise, si la Facult de thologie rsistait comme elle le doit. Mais il est naturel que tout flchisse alentour lorsqu'elle-mme semble mollir. Comme je m e propose de revenir sur les causes de son indulgence, je m e bornerai ici rappeler quelques faits qui en montrent l'excs. La Runion franaise d'Etudes , dont j'ai parl plus haut, que prsidait et reprsentait M. Chollat, comptait parmi ses membres tous les professeurs lacs franais de l'Universit et quelques-uns des professeurs de thologie. L'influence de cette runion, vrai foyer de modernisme, a t assez forte pour entraner l'Universit prendre part officiellement, ou peu prs, deux rceptions solennelles et mmorables. La premire eut lieu en 1904, en l'honneur de M. le pasteur Paul Sabatier, la seconde en 1905, en l'honneur de Mgr Lacroix alors vque ,'de Tarentaise. Il faut noter qu'il n'y eut pas de contre-partie ces ftes. Le barde Botrel fut seul appel dfendre la Tradition dans une apothose aussi pompeuse. Un peu plus tard l'abb Murri, croyant son tour qu'il pouvait compter sur un accueil enthousiaste offrit sa visite d'aucuns disent qu'il aurait t appel, puis laiss fa la porte mais M. Chollat tait parti; la. Runion franaise moins
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nergiquement dirige dans les voies nouvelles, jugea prudent de s'abs.tenir. Ce ne fut pas sans regrets. M. Paul Sabatier a termin par Fribourg la liste de ses visites aux catholiques aprs avoir jou chez eux successivement un double personnage. Nous avons pu d'abord admirer en lui, il y a quelque 20 ans, le pieux romantique qui semblait vouloir consacrer sa lyre saint Franois d'Assise, un saint Franois sans doute trs dracin e t modernis... mais enfin nous savions que M. Sabatier tait protestant;, il ne fallait pas trop exiger de lui; plusieurs des ntres espraient alors sinon la conversion de cette me humainement ingurissable, du moins que ses effusions mystiques resteraient toujours voisines et cordiales. Puis, tandis qu'il gardait ses entres chez nous, ses aspirations devinrent peu peu acadmiques et politiques; au souffle de M. Loisy ses racines protestantes, un instant endormies, s'taient rveilles, il se souvint qu'il tait lui aussi historien et critique. Il fonda alors cette prtentieuse pocit d'Etudes franciscaines qui n'avait plus de Franciscain que le nom. En mme temps il se mit prcher un ralliement sans mesure et prtendit faire passer les Catholiques sous des fourches caudines par trop surbaisses. M. Sabatier avait depuis long: temps quitt son premier rle lorsqu'il vint Fribourg; l'Universit fit sa profonde rvrence au savant critique, aprs juoi celui-ci retourna dfinitivement chez les protestants. Que dire de Mgr Lacroix que dj l'on ne devine? L'vque de Ta? rentis* se sentait ici chez lui. De notorit publique il venait y encourager et en quels termes! on s'en souviendra longtemps la cabale moderniste; il aurait voulu organiser son profit des visites pastorales et nous rserver la meilleure part d'un zle apostolique unique et indit. Je ne reviendrai pas non plus sur l'histoire de la Revue Demain. Elle constitue la plus lourde de mes preuves. Ceux qui ont pu l a suivre se sont tonns autant que moi qu'un sujet si intressant pour une clinique d'inquisiteurs ait toujours chapp leur scalpel, quoique logeant en leur maison. Ces ftes et ces vnements qui vont peu prs de l'anne 1903 1908. marquent la priode glorieuse du modernisme P'ribourg. Il ne s'agissait point alors de le poursuivre, il agissait en matre de la place .et se faisait presque perscuteur, du moins par le mpris qu'il prodiguait aux pauvres d'esprit qui se contentaient des rponses clas* siques et s'effrayaient des prtentions de M. Le Roy. Parmi les Rv. Pres Dominicains plusieurs remarquaient alors toutes ces imprudences, s'en irritaient et battaient en retraite, avouant leur impuissance. D'autres semblaient ne se douter de rien ou n'accorder aucune importance la tempte d'ides subversives qui les enveloppait. Les uns et les autres se renfermant dans les devoirs proies* sionnels de leur charge faisaient leurs cours le mieux du monde; mais, comme en gnral les sujets de ces cours devaient les mettre en opposition constante avec le libertinage intellectuel qu'on laissait s'afficher dans la marge de l'Universit, celui-ci, plus la mode, atti<-
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jrait lui l'attention et le vide matriel ou moral se faisait autour des chaires dominicaines. Car il y a parfois un vide moral autour des chaires les plus frquentes, lorsqu'on y recueille surtout le dtail et les concessions, tandis que la pense matresse du professeur tombe plat. Et cependant on ne saurait douter de l'efficacit qu'aurait eu alors un effort collectif et ordonn de la Facult de Thologie contre le parti moderniste. Mais tandis qu'on cambriolait ici l'Eglise, le chien vigilant et clairvoyant dormait. Et tout cela sans doute est pass. Mais les savants sont toujours responsables de leur pass, puisque savoir c'est prvoir. Ce pass -d'ailleurs s e continue. C'est ce qui me reste montrer. Depuis les approches de l'anne 1907, l'audace de la faction frappe par les avertissements de l'autorit et par les progrs d'un parti adverse dcid ne plus se laisser prendre l'apparence de perfection qui enveloppe la mdiocrit relle du modernisme, se changeait en bouderie agressive. Nous vivons encore dans cette seconde priode. Car il semble que si le pass tait bien condamn et mort, on aurait d racheter et tcher de faire oublier certaines incartades par un temps de prudente retraite, de rsolutions contraires, et donner ces rsolutions au moins Un commencement d'excution. Or, il n'en fut pas ainsi. Constatons d'abord que c'tait mal commencer une vie nouvelle que de laisser M. Brunhes arriver en 1909 au Rectorat de l'Universit catholique, en pleine crise du Sillon, alors que la dfaite du modernisme tait peine assure et que d'ailleurs aucune coutume ne dsignait encore le processeur de gographie aux suffrages de ses collgues. Que si en briguant cette dignit, celui-ci voulait obtenir une sorte de certificat de bonne conduite dont il semble bien qu'il ait de lui-mme ressenti le besoin il fallait certes le lui donner, mais en exigeant des gages. Or, il ne semble pas qu'il en ait fourni beaucoup. La sance qui inaugure chaque anne scolaire se prpare ici comme une grande premire o l'on passe en revue tous les vnements caractristiques de l'anne. L'autorit descendante y passe la consigne l'autorit montante. Celles de ces sances qui s'chelonnent autour de nous ont eu ou auront si Dieu prte vie l'Universit une importance spciale e n raison du tournant intellectuel que nous franchissons. 11 semble donc que l'autorit universitaire devrait prparer ces sances avec autant de tact que de prudence. La sagssse de la Facult de Thologie devrait s'imposer alors avec force. Comment se fait-il donc que dans la dernire de ces sances, 1909-1910, o l'audition des trmolos ne nous a pas t pargne, on n'ait entendu aucune allusion vibrante aux vnements graves et retentissants qui touchent la vie intellectuelle des catholiques, assurent leurs principes, leur mthode et leur orientation? Je sais bien que le nouveau recteur, le R. P. Zapletal, a fait allusion ces choses essentielles dans la substance mme de son discours. "Mais il en a parl d'une faon la fois trop abstraite et trop spciale :
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trop abstraite parce que le caractre de la runion exige que l'on y fasse une place aux mouvements du cur... trop spciale parce que l'Exgse n'est qu'un point d'application des principes gnraux qu'il fallait rappeler dans une assemble gnrale (1). Pas un mot n'a t prononc au sujet du serment antimoderniste; .aucune mention des distinctions significatives envoyes Fribourg par le Vatican. A la sortie, plusieurs se demandaient s'ils venaient d'assister une sance de protestation, ou si l'on prtendait ici effrayer Rome pour la forcer changer d'attitude. Comment la Facult de Thologie n'at-ellc pas song faire applaudir, dans un endroit o l'on applaudit .si copieusement, le Docteur universel de l'Eglise qui occupe actuellement la chaire de Saint Pierre? Comment les Dominicains ont-ils lais-s M. Brurxhes faire ce point la salle et commander seul la claque?? Dans une page des Libres-Penseurs, Louis Veuillot, aprs avoir racont les fredaines de je ne sais quelle femme de lettres, s'crie : O tait donc son mari et que faisait-il de sa canne? A mon tour je demande : O tait donc la Facult de Thologie ? ? Ceites, noue savons tous ici que l'Universit est un btiment d'ordre composite trs difficile classer. Les autres sciences sont-elles les seives de la Thologie ou ses gales? A quelque Facult qu'il appartienne, le recteur s'orne d'une chane pontificale; celle-ci est-elle lun ornement et un symbole ou seulement un ornement ou tantt l'un tantt l'autre? Il parat que ce sont l des questions sur lesquelles il vaut mieux ne pas insister. Mais pour grave que soit ce vice de construction, il n'en reste pas moins vrai qu'en fait la Facult de Thologie est assez honore et assez prpondrante pour se faire couter sans peine de la majorit des professeurs dans des matires si voisines et si importantes. Hormis la forme par trop dshabille de ma premire correspondance... forme pour laquelle j'ai dj prsent mes excuses, il faut encore que je dmente une affirmation que j'ai laiss passer sans la contrler. C'est celle qui a pour sujet le gouvernement de Fribourg. Outre que ce serait une incorrection impardonnable de ma part de publier quoi que ce soit sur un gouvernement que j'estime et auquel j e dois une prcieuse hospitalit... il est encore vrai que je ne m'tais assur en aucune manire de ce que j'ai affirm de lui. Je me suis fait l'cho d'une boutade que Ton entend souvent rpter Fribourg. Mais ce qui n'avait pas grande importance dans la privaut d'une conversation deux peut en prendre ds que le public entend. Je suis trs fch qu'il ait pu en tre ainsi. J'entends pouvoir juger 1. Je sais que mes adversaires cherchent a se dissimuler derrire le R. P. Zapletal et faire porter mes coups sur lui. Je les prviens que je compte les dloger de l et les poursuivre longtemps sans toucher autrement au R. P. Zapletal, que pour lui reprocher son indulgence leur gard. Je laisserai d'autres mieux informs le soin de discuter des questions essentielles avec le recteur de l'Universit. D'ailleurs, si la Critique du Libralisme me le permet, je tcherai de mieux dfinir chez elle ma pense sur les R. P. Dominicains. C'est propos d'eux 'surtout que ma premire correspondance a besoin d'tre complte.
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trs librement les actes de l'Universit qui est une uvre de doctrine et laquelle mon pays collabore officiellement. Mais je m'en tiendrai l dsormais et tcherai de n'oublier ni ce que je dois mes htes ni ce que je dois la vrit. Recevez, Monsieur le Directeur, l'hommage de mon trs espectueux dvouement.
SYLVIO DE M A U L O N .
Sa Saintet Lon XIII, dans l'Encyclique Sapienti christian du 10 janvier 1890, fait un devoir aux catholiques de dfendre les droits de l'Eglise, par des votes consciencieux pour des hommes d'une probit reconnue et capables de bien mriter du nom chrtien; car, ajoute-t-il, AUCUNE CAUSE NE P E U T EXISTER QUI PERMETTE D'ACCORDER
S E S PRFRENCES A DES CITOYENS HOSTILES A LA RELIGION. Au-
cune cause est un mot trs prcis et plus de vingt vques franais., commentant Tanne dernire les ordres de Lon XIII, ont dit catgoriquement qu'on ne pouvait pas voter pour un ennemi de la religion , mme pour en carter un de plus hostile. Eh bien! voici M. Fesq, citoyen hostile la religion , s'il en fut, qui se prsentait Aurillac, aprs y avoir supprim les processions, lacis outrance, svi odieusement lors des inventaires et tabli un collge de filles dont la directrice donnait nagure des scandales fltris en plein conseil municipal. Sa circulaire, d'ailleurs, sa profession de foi nous clairera sur ses vrais sentiments.
AUX LECTEURS DE L'ARBONDIS SEMENT D'AURIL&AC
Mes Cheis Concitoyens, Depuis vingt-six ans que je* suis dans la vie publique, depuis vingt et un ans que j'ai le trs grand honneur d'tre maire de la Ville d'Aurillac, j'ai conscience d'avoir toujours affirm, en toutes circonstances, ma foi rpublicaine et mon esprit laque. Promoteur de la lacisation des coles communales en 1884, j'ai travaill sans dfaillance tablir solidement Y couvre essentielle de la Rpublique, l'uvre de l'instruction du peuple, et j'ai pu doter la Ville d'Aurillac d'coles dont elle a le droit d'tre fire (1). D'autre part, tout pntr de sentiments de fraternelle solidarit et d'humaine justice, j*ai accueilli avec joie et appliqu ds la premire heure, dans la plus large mesure, les lois bienfaisantes de l'Assistance aux Vieillards, aux Infirmes et aux Incurables... La Libert de l'Enseignement doit tre maintenue sous le contrle effectif et l'inspection de l'Etat, en ce qui touche le respect de la Constitution et l'obissance aux lois, la neutralit et l'galit des grades et des diplmesdans l'Enseignement public et dans l'Enseignement priv. Les retraites ouvrires et paysannes votes en fin de lgislature, ont l'approbation de tous les rpublicains. 1. Oui, mme de son collge de filles install dans un couvent de Cla " risses?
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Inutile de faire remarquer que la libert contrle par l'Etat et les lois Doumergue n'est plus la libert et que M. Fesq voit comme Biiand, dans la neutralit et le lacisme , l'essence de la Rpublique. Il continue quand mme : Chers lecteurs, On voua a dit, on vous dira encore que je ne suis pas rpublicain, que je suis prisonnier de la Raction. Tout mon pass proteste hautement contre cette calomnie, et mon pass est garant de l'avenir. Je fais appel tous les Rpublicains de bonne foi et de bonne volonl, indpendants, ennemis de toute servitude, soucieux d'avoir une Rpublique tolrante, gnreuse et hospitalire, o tous les citoyens puissent l'aise jouir de tous leurs droits, obtenir non pas des faveurs, mais l'impartiale justice. VIVE LA RPUBLIQUE! Docteur FESQ, Maire d'Aurillac, Conseiller gnral Candidat radical-socialiste. Ce n'est pas nous qui le faisons s'appeler ainsi. Mais l'esprit laque , les lacisations le titre de radical-socialiste , n'empchaient point M. l'abb Lissorgues d'crire dans la Croix du Cantal ;
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Los catholiques, cependant, feront leur devoir. Ils porteront leurs votes au candidat qui offrira les meilleures garanties d'intelligence et de probit. Il est certain qu'ils accorderont leurs suffrages M. Bory et M. Fonteilles. Il est probable qu'ils prfreront M. Fesq M. Rigal. Il leur suffira, en effet, de savoir que M. Fesq est partisan de la reprsentation proportionnelle. Ainsi donc, le Pape dclare catgoriquement qu'on ne peut pour aucune cause accorder ses prfrences des citoyens hostiles la religion , et un abb, un prtre fait comme un devoir aux catholiques d'Aurillac de prfrer un radical-socialiste un autre radical-socialiste, plus lacisateur que lui et qui s'en vante, la barbe des catholiques. N'est-ce pas se moquer du catholicisme et du Pape que do voter pour un citoyen hostile la religion , et qui s'en glorifie, sous prtexte qu'il est partisan de la reprsentation proportionnelle? Voici, d'ailleurs, ce que M. Lissorgues ajoutait dans le mme article, antrieur aux lections de 1910 : Les francs-maons assurent que M. Fesq est le candidat de la Croix. (Se trompaient-ils beaucoup aprs ce qu'on vient de lire?) Ils ont tort de tenir ce langage, car M. Fesq sera lu, selon toute vraisemblance, et nous pourrons dire alors que son succs est le ntre. Cependant, nous tenons dire, non pas aux francs-maons dont l'opinion ne nous inqiufe p-as, mais aux catholiques qui veulent bien nous lire et nous suivre, qu'il n'en est rien. M. Fesq est radical. S'il est lu. il votera avec les radicaux, et nous n'aurons pas trop nous rjouir de son succs.
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Mais enfin nous aurons nous en rjouir . La preuve, c'est que, le 15 mai 1910, M. Lissorgues s'en rjouissait en tte de la Croix du Cantal, Pour prparer le Congrs de Laroquebrou : Nous sortons peine des luttes lectorales. Le combat fut chaud. Leslibraux ont men la lutte avec entrain. Ils ont fait preuve de beaucoup de discipline. Ceci constitue une nouveaut. Il faut surtout admirer les. catholiques d'Aurillac qui se sont groups sur M.Fesq.bien qu'il ne ft pas des leurs.. Voil donc dclars admirables les catholiques d'Aurillac pour un vote que Sa Saintet Lon XIII condamnait l'avance comme n'tant permis pour aucune cause I Et le prtre qui soutient cette politique anticatholique. parlait nagure de son attachement au Pape et de son absolue soumission ses directions infaillibles (1)1
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Mais voici qui est mieux. En contradiction avec le Pape, la Croix du Cantal, ou plutt M. l'abb Lissorgues, est en contradiction avec lui-mme. Le 17 avril 1910, la Croix du Cantal crivait dans Ce que nous voulons : Nous rclamons, enfin, de nos candidats une administration plus dmocratique des affaires de la France. Pour cela, on rduira d'abord le salairedes dputs son chiffre primitif. Neuf mille francs sont un traitemen l. suffisant. Il y a encore affich sur les murs de l'arrondissement d'Aurillac : A bas les 6.000 en plus! et c'taient les amis de M. Fesq et de la Croix qui avaient appos cette affiche avec les mots : Vu par le candidat Fesq t Or, la date du 5 fvrier 1911, M. Lissorgues, un petit dmocrate,, crivait dans la mme Croix du Cantal : Quelques dputs, le 26 janvier, ont propos la Chambre de revenir aux 9.000 francs d'autrefois. Les gens malicieux disent qu'ils faisaient cette proposition avec la mort dans l'me. Nous ne vivons pas en un ge o les hros 1. Entre temps, la Croix du Cantal publiait et admirait comme ayant infiniment d'art la spirituelle causerie de M. Armand Delmas, o on lisait le persiflage suivant du miracle, propos des eaux de Vic-sur-Cre petite ville en fte : Pour plaire, Vie ferait des miracles ! Il en a fait du reste et tin de bien gros. Je l'ai lu hier dans un vieux livre. Je vais vous le conter : Il y avait uns fois une reine qui s'appelait, ce n'est pas un conte, c'est de l'histoire, qui s'appelait Anne d'Autriche. La pauvre reine, aprs son mariage, avait bien prpar un berceau, des bavolets, des ruches, des dentelles, mais elle n'avait rien y mettre dedans. Et elle pleurait, se consumait de chagrin, ruinant le trsor en cierges. Or, son mdecin, un fameux mdecin, le Dr Purgon sans doute, ou son pre, lui ordonna de boire douze bouteilles d'une eau la vertu mystrieuse, qui coulait bien loin de la cour, Vie, en Carladez. L'ordonnance fut scrupuleusement remplie, expdie et absorbe. Que croyez-vous qu'il arriva?... Il arriva Louis XIV .
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foisonnent. Or, il faut presque de l'hrosme pour amputer ses revenus d'une aussi jolie somme. Les partisans des 9.000 n'ont pas eu cependant de malchance. On ne les a point couts. A la vrit ils n'taient pas friands d'tre entendus. Mais leurs lecteurs seront contents. Vous tes avides de savoir ce qu'ont fait, en cette discussion gnante, les. dputs de Haute-Auvergne? MM. Brun et Baduel ont rclam les 15.000. Que voulez-vous? Ces deux messieurs aiment la bonne chre et la vie opulente. Cela ne va point sans argent. M. Fesq a, lui aussi, vot les 15.000. (Il aime donc, comme MM. Brun et Baduel, la bonne chre et la vie opulente!) Quelques-uns oint fait mine
d'en tre surpris. Est-ce que le dput d'Aurillac a jamais dit qu'il blmait les6-000 en plus ? Il estime qu'il ne faut pas moins de 15.000 francs par an un
dput, pour vivre honorablement. Mais, comme il est partisan de ne pas aggraver les charges sous lesquelles le contribuable gmit, il est d'avis que l'on diminue le nombre des dputs. Toutefois, comme il et t sage dediminuer les dputs, avant d'augmenter leur salaire! Ainsi, avant les lections de 1910, 9.000 francs sont un traitement suffisant pour un dput. A bas les 6.000 en plusl dit la Croix du Cantal. Mais en fvier 1911, ds. le moment que l'ami Fesq dclare qu'il faut au moins 15.000 francs par an pour un dp'ut Vivent les. 15.000! On en rduira le nombre... plus tard, quand M. Fesq ne sera, plus l. (N'est-ce pas vraiment un comble de contradiction?) M. Lissorgues oublie de se relire. Mais bast! O sont les neiges d'antan? Et puis, M. Lissorgues, le 9 avril 1911, avait aperu dans uneabondante lumire, et parmi les coussins (du wagon des riches), ce brave M. Fesq qui s'en retournait vers Paris en grillant des cigarettes. L'attachement au Pape, peut se dmentir chez M. l'abb Lissorgues,.. mais non pas son attachement ce brave M. Fesq , radicalsocialiste, quinze mille, impnitent et lacisateur outrance. La Dpche de Toulouse, qui a meilleure mmoire que M. Lissorgues, ne se prive pas du plaisir de mettre en relief les contradictions de M. Fesq : L'lu de M. de Parieu, dit-elle, s'vertue au jeu des savantes combinaisons (1). Candidat de protestation contre l'augmentation de l'indemnit parlementaire il s'empresse, au lendemain de son lection, de voter le maintien dos 15.000 francs. Candidat anti-combiste, il donne sa voix aux amis de M. Combes, ds qu'ils sont appels former un ministre. Candidat violemment hostile aux lois de dfense de l'cole laque, le voil qui nous fait assavoir aujourd'hui qu'il suivra le ministre Monis dans sonuvre de lacit. 1. M. de Parieu est le commanditaire de la Libert du Cantal, qui, comme la Croix du Cantal, faisait campagno pour M. Fesq en 1910.
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Cela a paru si fort que la Libert du Cantal, qui avait chant victoiie au lendemain d e l'lection de M. Fesq, s e voit rduite criTe, le 4 avril 1911, dans un article intitul : Les Poires : Je dois la vrit, je me dois moi-mme d e dire que ces divers candidats, par des paroles de paix, des discours et des programmes menteurs proclamant la libert, la justice pour tous les citoyens, sans oublier les nonnes et les curs, nous ensorcelrent... tout simplement. Pendant les lections dernires, on vil des dvots fraterniser avec des francs-maons notoires et crier perdre haleine : Vive Bonifacel ou vive Machin! C'tait touchant, sans doute, mais n'tait-ce point grotesque aussi? Ahl tout de mme c e qu'on est naf, ce qu'on est gogo, quand.on s'en mle, dans le camp catholique!... Maintenant, voyez ce qui se passe la Chambre. Tous ces gaillards, nos lus, votent contre les curs, contre les religieuses, contre la libert des pres de famille, contre l'Eglise et contre nous. Rsultat : jamais nous n'avons e u une Chambre si mdiocre et si sectaire. Puissions-nous profiter de cette dure leon et, l'avenir, n e plus jouer le Tle ridicule de poires ternelles I Un autre jour, la Libert disait :
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Pauvre M. Fesq, que va-t-il devenir? Personne n'en veut plus . Paidon! M. Lissorgues en veut encore. La Croix du Cantal, tenace dans ses illusions librales ou son attachement au brave M. Fesq , se garde bien d'avouer qu'elle a eu tort de le faire soutenir par presque tous les curs de l'arrondissement d'Aurillac; et, le 23 avril dernier, elle crivait, sous le titre : La situation de M. Fesq : La Dpche essaie de mettre e n vidence la situation politique de M. Fesq. Au dire du journal toulousain, cette situation e s t embarrasse. Quelle ttts vont faire les dissidents radicaux, si M. Fesq sacrifie leur cause celle des clricaux I Pour contenter ses lecteurs, i l faudrait que M. le dput pt voter la fois pour et contre les lois de lacit. Mais comme c e double vote n'est pas possible, je n e vois pas brillante la situation politique de M. Fesq . La Dpche complique plaisir une situation qu'il n'est pas, notre avis, si difficile que a de dbrouiller. M. Fesq a group sur son nom, aux lections dernires, tous les ennemis du sectarisme maonnique; des socialistes, dos radicaux, des rpublicains de gauche, des libraux ont vot pour lui par haine de l'intolrance combiste. Ces partisans, d'opinions si diverses, sont des amis de la libert. M. Fesq avait un programme qui n'tait pas clrical, certes, et noua l'avons assez dit. Mais enfin, e n matire d'enseignement, il montrait quelque libralisme, et son mrite, e n cela, n'tait pas plus grand que celui du socialiste Tonrloulou. Que M. Fesq fasse son devoir, qu'il tienne ses promesses, qu'il suive son programme! Il n'y a pour lui de salut politique que l. Dj, le dput d'Aurillac a commis quelques bvues. Il est temps pour lui de se reprendre. Voil donc M. Fesq encore temps pour se reprendre, et garder l e s bonnes grces de la Croix et de M. l'abb Lissorgues, malgr quelques bvues .
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C'est de ce nom qu'un prtre appelle l'invalidation de M. Motiproft et les votes constants de M. Fesq pour un Briand, faisant de la dfense de l'cole laque , c'est--dire de ranticlricalisme, lo critrium de sa majorit rpublicaine; d'un Briand se faisant voter un ordre du jour pour assurer Vapplication des lois de lacit de 1901 et 1904 , aprs s'tre vant d'avoir ferm 1843 tablissements congrganistes, 974 coles et intent des procs 1400 religieux proscrits et spolis. Bvues encore les votes de M. Fesq pour Monis, cette buse , comme l'appellent couramment les radicaux eux-mmes, surtout quand il fait si bien les affaires du socialisme anarchiste et veut obliger les les Compagnies de chemins de fer reprendre les cheminots rvoqus ou plutt dmissionnaires. Bvue , pour 'un prtre le vote de M. Fesq, le Samedi-saint, en faveur de l'Italie clbrant le cinquantenaire de son imit et de sa libration . Libration du joug le plus lourd qu'un peuple ait jamais subi, le joug de la Papaut , venait de dire M. Augagneur. Que fait donc M. Lissorgues, qui se pique d'tre d'accord avec les directions du Pape , que fait-il de l'ordre formel du Pape de ne soutenir jamais, pour aucune cause un citoyen scandaleusement hostile la religion et au Pape, comme M. Fesq?
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Th.
DELMONT.
LE
COIN
DU
DIABLE
Le Bulletin de la Semaine, que la revue des prtres apostats appelle notre excellent confrre ,, dsigne sous le nom de coin des massacres la partie de ses colonnes o il cite les critiques qui dmolissent les ftiches libraux. Je ne sais par quelle surprise il y fit place au Testament de Fogazzaro publi ici par M. l'abb Lecigne. Un remords facile comprendre lui en a pris. Aprs avoir donn toute la premire partie, il tourne court dans le numro suivant, et remplace la seconde par un simple ouf! de dlivrance, aprs avoir compt le nombre des caractres d'imprimerie qu'il a fallu employer pour cette pauvre besogne. Chasisez le naturel, il revient au galop. Le Bulletin de la Semaine a, comme M. de Narfon, tous les -propos. Sa raillerie venait juste l'heure o le dernier roman de son illustre ami, Leila, si justement analys par l'minent doyen de la Facult catholique des Lettres de Lille, allait tre mis l'index. Celui-ci aura donc moins perdu son temps pour la bonne cause que les avocats de Fogazzaro et de tant d'autres confrres modernistes ou modernisants. Par analogie, nous nommons coin du diable, ces dernires pages o l'on trouvera deux lettres de gens qui servent de leur mieux la cause du mal. Les Infiltrations maonniques paraissent avoir gn beaucoup les occultistes prtendus chrtiens, les thosophes et kabbaistes, les entrepreneurs de nouvelles synthses religieuses. On essaie
Critique du libralisme. 1 " Juin. 5
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
de susciter de divers cts des rectifications sur des points de dtail. Pour entrer dans ce mouvement, M. Mlinge, si tristement connu dsormais sous le nom de Docteur Alta, y va aujourd'hui de la sienne. J'aurai pu attendre pour l'insrer, qu'il la prsentt sous une forme convenable. Mais, quoi qu'il fasse, son ironie est trop grimaante pour exciter autre chose qu'un ddain accompagn de commisration profonde. Elle m'attriste, mais me gne peu, et, d'autre part, ne voulant rien changer sa lettre, on m'excusera de le laisser profaner une appellation qu'un catholique rserve au Vicaire de Jsus-Christ: Paris, 14, quai d'Orlans, 15 mai 1911. Trs saint-pre (1), Lu de vos admirateurs vous on avez, parat-il, m'assure que vous m'attribuez mainlcnant, dans votre illustre Revue, d'tre, non pas seulement un franc-maon authentique, mais d'tre le fantaisiste inpuisable qui signe ses spirituels articles du nom d' Elcuthre , nom trs moderniste videmment, puisqu'il remonte au temps des martyrs. Cela prouve tout simplement que vous ne me connaissez pas ce qui est pour nous deux un tout petit malheur; mais que vous ne connaissez pas non plus Eleuthre; et ceci est beaucoup plus fcheux pour vous, parce que ce diable d'homme est effroyablement renseign sur quantit de choses oL quantit de gens : il possde mme tant fort bien en cour de Rome des dtails trs curieux sur la condamnation de votre brochure intitule, je crois, Un cas de conscience . Moi, pauvre naf, je ne sais rien, absolument rien : sauf que les faits sont ce qu'ils sont, non pas ce que vous voulez qu'ils soient, trs saint-pre * et si je suis Alta par mon titre de Rose-Croix catholique, comme je suis CaJixte par mon nom de baptme; je ne suis pas Eleuthre ni auteur de quoi que ce soit sign de ce nom qui a l'honneur de vous dplaire. J'espre que vous rectifierez votre erreur en insrant cette lettre dans votre plus prochain numro; et sans rancune je vous adresse, trs imaginatif chroniqueur, les souhaits chrtiens de votre trs humble serviteur en Jsus-Christ, Alta-Calixte MLINGE ptre. C'est postrieurement la publication des Infiltrations mao?iniques, dans une rponse M. Joseph Serre ( 1 janvier 1911, page 441), que j'ai publi do courts extraits d'Eleuthcre. Je n'opposerai rien j la rectification de M. Mlinge. La parfaite similitude d'ides et de style entre Eleuthre et lui, que d'autres avaient constate comme moi, m'aurait induit en erreur. Mais, ceci accord, voil donc tout ce que M. Mlinge trouve relever pour se dfendre I Et l'homme qui a sign tant d'impits revendique encore sa qualit de prtre!
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1. M. Mlinge qui, comme plusieurs autres, adresse sa lettre M. le chanoine Barbier, apprendra avec compassion que je ne possde mme pas cette dignit. Je suis encore moins le chanoine Barbier qu'il n'est lo Comte Mlinge,
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Il a raison. Prtre, il en conservera le caractre auguste pour l'ternit. Que Dieu daigne lui faire temps misricorde I Passons l'autre. M. A. Jounet insiste pour obtenir l'insertion d'une nouvelle lettre. Ce pontife de l'occultisme prtendu chrtien, qui se dcerne en mme temps le titre de chef incontest des catholiques modernistes franais, qui adressait S. S. Pie X des sommations et donnait pour pigraphe sa brochure contre l'Encyclique Pascendi : Le vrai prime le Pape , veut absolument nous obliger reconnatre cru'il est bon catholique. Il n'aurait pour cela qu'un moyen, qui nous dispenserait avantageusement du reste, ce serait de dclarer en deux lignes : je reconnais sans arrire-pense l'autorit de l'Eglise et du Pape en matire de foi; je crois fermement tout ce qu'ils enseignent, tel qu'ils le proposent. Et, s'il ne le veut pas, que nous demande-t-i? M. Jounet, qui passe pour un homme d'esprit, devrait comprendre que certaines mystifications manquent de got. 75, rue Mozart, Paris (XVIc), 23 mars 1911. Monsieur l'abb, De votre plein gr et sans dmarches lgales de ma part, vous avez publi ma lettre : Je vous remercie du procd. Mais vous ne serez point surpris si vos nouvelles critiques accompagnes du rappel de vos attaques d'aot 1910, m'obligent compter encore sur votre quit pour l'insertion de la suivante rponse : Nec... novitas vitanda est, cum non sit profana, a dit saint Thomas d'Aquin. Il n'est donc pas indispensable de se servir des formules les plus coutumires, pourvu qu'on respecte la vrit divine. Je parle d'une Socit sublime qui coexiste avec l'indivisible Absolu . Or, qu'il y ait en Dieu, socit (consortium) existant rellement, c'est ce que les Thologiens orthodoxes soutiennent, contre l'hrsie de Sabellitis. Et que l'unit parfaite de Dieu, l'indivisible Absolu existe, aussi, rellement, c'est ce que les mmes thologiens orthodoxes soutiennent, contre l'hrsie d'Arius. Mais si, dans le mme Dieu, existent et rel Absolu indivisible et relle Socit, comment pourrez-vous nier qu'en Dieu la socit coexiste avec l'indivisible Absolu? Vous me demanderez de prciser le mode de cette coexistence. Mais je l'ai fait en disant formellement qu'il s'agit du Dieu des chrtiens. Il ne peut donc y avoir coexistence au sens de pure juxtaposition, mais il y a existence de la Trinit dans l'Unit, et de l'Unit dans la Trinit. Et c'est ce que declare le Symbole de Saint Athanase. A l'gard de la formule : Trinitatis Uno, je vous rappellerai Saint Augustin : Cette TriniL de Personnes, crit-il, ne forme qu'un seul Dieu qui est unique et qui est lui-mme son Unii. Mais, alors, doduLrai-je, on peut noncer en d'autres termes, avec un sens identique : La Trinil des Personnes forme une Unit qui est Dieu ou, encore : Dieu csL l'Uhit que forme la Trinit des Personnes ou, enfin : Dieu est l'Unit de la Trinit . L'inscription latine et concise : Trinitatis Uno fait ressortir nergiquement l'Unit divine.
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Car il ne faut pas oublier qu'en Dieu, comme le marque trs justement le P. Lodiel (voyez : Nos Raisons de croire), l'Unit se trouve dans la nature divine qi est quelque chose d'absolu, la Trinit dans les Personnes qui sont quelque chose de relatif . Il y a une question et unei rponse qui dominent toute Religion. Le Christianisme est-il monothiste ou polythiste? Voil la question. Et voici la rponse : Le Christianisme est monothiste. Il faut donc maintenir le monothisme non seulement dans la doctrine thorique, mais dans le sentiment religieux et la foi positive. Nanmoins cette Unit absolue n'est pas vide, pauvre ni morte et n'empche pas la ralit des Personnes qui ne s'avrent nullement, comme le prtendait. Sabellius, de simples oprations. Dieu est tellement un (Saint Bernard disait : unissime ), que les Personnes relles palpitent, sans la diviser ni l'altrer, en son Unit consciente et tonte-puissante, son Moi infini. Et n'est-ce pas rendre ce Dieu incomparable, un hommage bien lgitime que d'accepter d'avance, par la foi essentielle^ la vrit telle que Dieu la connat? Vous en voulez cette dfinition. Vous mconnaissez qu'elle ne porlc que sur la foi essentielle. J'admets, assurment, que le catholicisme ajoute une telo dfinition. Mais je prouve qu'il ne peut s'en passer, ni la rejeter. Raisonnons un peu : Si vous rejetez cette dfinition, si vous osez dire : .Te repousse, d'avance, la vrit telle que Dieu la connat, comment pourrezvous, ensuite, accepter le moindre Dogme catholique? Et que resterait-il du catholicisme sans la vrit et sans Dieu? Concernant d'autres sujets, vos critiques ne s'attestent pas moins injustifies. Dans mon discours sur le Christianisme sotrique, j'ai protest contre le genre de pit qui s'aLtache, en le Christ, trop confusment h l'homme et ne distingue pas assez l'homme du Dieu. Mais, moins d'embrasser l'hrsie d'Eutychs, pouvez-vous avoir une autre opinion? J'ai rappel que, d'aprs Saint Thomas d'Aquin, il n'est pas permis de dire que Jsus en tant' qu'homme est Dieu. Avancerez-vous que c'est permis? Quant au Fminin e n Dieu, il est trs vident que Dieu ne peut avoir donn aux cratures aucune vritable qualit dont il ne possde lui-mme la perfection surminente. Si donc, en l'me fminine, vivent des tendresses de mre ou des dlicatesses de vierges que l'on observe moins tendres et moins dlicates dans la psychologie masculine, il est impossible de nier que ces qualits existent en Dieu, l'tat de perfection surminente. Et, de plus on peut les attribuer, de prfrence, au Saint-Esprit, de mme qu'on lui attribue l'amour et la sagesse au Verbe. Cela ne signifie point qu'amour et sagesse, qualits morales fminines et qualits morales viriles, ne demeurent pas la proprit indivise des Personnes et n'appartiennent pas la nature divine. Pour ce qui regarde le salut final de tous, si vous connaissiez mieux mes travaux, vous verriez mieux que l'aspect de loi des grands Mystres chrtiens se concilie avec la Souverainet de la grce. En lisant Dieu vainqueur de l'Enfer, vous constateriez que j'espre un salut, de tous certain et non pas fatal. Je soutiens que l'attrait de Dieu est trop sublime pour que les mes, bien que restant libres, y rsistent toujours. L'uvre laquelle je travaille c'est la synthse. Et, en Religion, la synthse ne sera acheve que le jour o une mme vrit illuminera la fois les libres-penseurs lucides et l'Eglise officielle.
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J'ai une confiance absolue clans la puissance de la vrit. Ce n'est pas moi qui ai proclam : La Vrit vous dlivrera . Recevez, Monsieur l'abb, mes sentiments chrtiens, Albert JOUNET. P. S. Il y a une faute d'impression dans l'insertion du 15 fvrier. Page 825, ligne 1, il faut : Mais au Dieu vivant . Une rplique serait superflue. Le lecteur n'a qu' se reporter aux Infiltrations maonniques, l'article : Un pontife de l'occultisme chrtien. Nanmoins, donnons la parole un ami de M. Jounet, le docteur Alta lui-mme, pour exposer la notion de la foi catholique qui leur est commune. Nous serons simultanment difis une fois de plus sur l'un et l'autre de ces nouveaux chrtiens. Cela n'apporte rien de nouveau oe qu'on connat dj, mais l'occasion est bonne mettre profit, pour faire constater par une confirmation nouvelle l'affinit des modernistes avec les occultistes, les thosophes, avec tous ces rgnrateurs du christianisme. On va voir que la valeur pragmatique des dogmes et leur volution, telles que certaine cole catholique nous les enseigne, est une thorie commune antre eux et qui, dcoulant logiquement de la manire dont MM. Jounet et Mlinge savent dgager la foi dans son essence et dans sa force , les fait s e rencontrer tous dans cette mme ngation radicale. Le Docteur Alta prsente aux lecteurs de VInitiation (avril- 1901) : Le . Jsus-Christ d'aprs VEvangile , do M. A. Jounet, compos on rponse YUltimum organum de cet autre illumin qui .se cachait sons le nom de Strada (1). Jounet et Alta s'levant contre l'absolutisme de Strada, c'est Diogne foulant aux pieds l'orgueil d'Alexandre avec une autre sorte d'orgueil dissimule, mais, ici surtout non moins sensible. Alta dbute par un pompeux loge de Yarchomtrie du marquis de Saint-Yves d'Alveydre, grand-matre en Kabbale (2). Mais, l'uvre que je veux signaler actuellement aux lecteurs de Y Initiation n'est point un hiroglyphe, c'est un livre; ce n'est pas un thorme prestigieux de synthse concentre, ce sont quatre cents pages de mticuleuse analyse. L'occultisme nanmoins n'est pas un tranger pour l'auteur : Esotrisme et Socialisme l'avaient dmontr, et on le sent travers les prcisions littrales o sa conscience "ici s'obstine, Albert Jounet est un sectateur de l'esprit sous la lettre; c'est la sve, c'est la vie, c'est l'occulte ralit qu'il cherche et qu'il embrasse sous les corces. Ma-s il lui fallait donner son acte de foi cette prparation d'alchimie scrupuleusement raliste pour dmler et recomposer, molcule molcule dans un creuset positiviste, les lments du Christ historique qu'avait dcomposs, dfigurs, en les additionnant de poison subjectif, le raliste de gnie actuellement perturb qui a nom Strada. De tout homme qui est vraiment un esprit ou une me, non pas seulement une animalit persistante,, le dveloppement travers les annes est un cours logique, sinueux en apparence seulement; dont le principe contient dj le terme, et fatalement y aboutit, sauf intervention de l'au-del redressant, 1. Sur ces ouvrages, voir no du 1er aot 1910, page 430. 2. Ko du 16 aot 1910, p. 537.
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l'appel de l'humilit, le penser et le vouloir, d'o drive le faire. Indubitable donc tait le diagnostic qui sait lire dans l'invisible : la premire rvlation philosophique de Strada, Essai d'un .tbltimalum organum, tmoigne d'un moi ce point dominateur et infaillible, que toute autre infaillibilit, toute autre domination intellectuelle que la sienne, lui devient infailliblement oppressive et injuste. Mais arrivons tout de suite la question de la foi. Alta, prsentant la thse de M. Jounet, explique comment, selon leur commune manire de voir, ils concilient, bien plus heureusement que l'Eglise, la foi du chrtien avec l'impartialit et l'indpendance du critique. L a vraie foi, rpondrais-je avec Jounet, n'est point un parti pris; la vraie foi n'est point un systme. Elle est simplement l'acceptation l'avance, sous le voile du mystre, de la vrit infinie, et l'effort continu vers une perfection morale qui nous puisse mriter la connatre, un jour. Or, cette acceptation ni cet effort ne sauraient opprimer en rien la libert de la recherche indpendante . Tout le monde ne sait-il pas, objectera-t-on encore, qu'il n'y a pire oppression que l'opposition thologiique ? Un excellent chrtien peut tre de cet avis. Oui, sans aucun doute, les thologiens s'oublient trop eux-mmes lorsqu'ils parlent, avec tant clc dsintressement, de l'orgueil scientifique. Toute science, certes, est orgueilleuse si elle propose ses thories comme des certitudes : car l'histoire de la science n'est que l'histoire de la conception, de la naissance et de la mort des certitudes contradictoires qui se sont succd dans l'enseignement scieinthuque, et limines les unes les autres, jusqu' la certitude d'aujourd'hui qu'liminera son tour celle de demain. Mais enfin toutes les sciences, hormiiis la thologie, ayant pour objet le fini, pourraient encore s'imaginer qu'elles en verront la fin; croire mme, sans contradiction, qu'elles l'ont parcouru tout entier. Tandis que la Thologie, sije suis bien renseign, n'a-t-elle pas pour objet l'Infini? Or, de par son nom mme, qu'est-ce que l'infini? Ce que nulle borne ne saurait arrter, ni aucunes lignes contenir. Et les thologiens humblement, sans ombre d'orgueil, ni d'outrecuidance, nous ordonnent de croire leurs conceptions, leur enseignement, leurs dfinitions die l'infini sont dfinitives. Une dfinition dfinitive de l'infini ! C'es^-dire quelque chose de deux -fois fini dfinition, dfinitive qui nrtend modeler exactement l'infini. Voil vraiment une humilit, spciale, et une ingnuit, digne d'admiration. Mais la vraie foi n'a rien faire avec cette oppression ou cette servitude; la science indfiniment peut se corriger, peut se contredire, sans contredire ni changer aucunement la Foi . Car les formules de foi ne formulent pas des ides mais des faits : ce qui est absolument diffrent est immutablement scientifique. Premier fait formul par la Foi : Dieu est Dieu ; en d'autres termes : l'Infini est l'Infini . El ce que la Foi me demande de croire, ce n'est pas la formule : c'est le fait, le fait tel qu'il est en lui-mme, non pas dans mon esprit ni dans l'esprit de qui que ce soit. Et c'est pourquoi la foi est une certitude, de mme que la vision.
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Je vois un arbre : je suis certain, par le fait mme, de ne pas me tromper en croyant son existence, si peu certain on si peu renseign que je sois sur la composition chimique et sur l'organisation physiologique de cet arbre. Ainsi de Dieu : dans la lumire surnaturelle de la Foi compltant la clart naturelle de la Raison, je vois que Dieu est, c'est--dire que l'Eternel, l'Infini est l'Etre ncessaire : si incapable que je sois d'analyser Dieu, mme si certain que je sois de ne l'analyser jamais exactement, je suis certain que Dieu est, que Dieu est Dieu. Ainsi des autres formules de foi. Dieu est Trinit : encore un fait que la tradition m'enseigne, le tenant de Jsus-Christ, qui le tenait de Dieu. Et c'est exclusivement ce fait qui est l'objet de ma fol. L'analyse de ce fait, l'explication de ce dogme, n'est plus dogme, mais thologie; n'est plus foi, mais science. Et si je sais ce que thologie veut dire, si je comprends ce qu'est vraiment la science, surtout la science de l'infini, je me garderai bien de croire exacte une explication quelconque, une conception, une formule quelconques de ce qu'est la Trinit; puisque la Trinit, c'est l'Infini, et que toute conception, toute explication humaine est finie; puisque toute formule est une borne, que la science indfiniment doit reculer, que l'intelligence indfiniment doit dpasser, certaine de rester toujours fausse, toujours inexacte, en de clc ce vrai qui n'a pas de bornes. Le caractre de la science thologique, plus encore que toute autre science, c'est donc, non pas de s'arrter un systme et de s'immobiliser dans une explication; mais, au contraire, de no s'immobiliser nulle part; donc de dtruire aujourd'hui la ligne qui marquait hier, sive scientia destruetur comme dt saini. Paul; et de recommencer nouveau demain, et dp. se corriger et de progresser toujours, puisque l'Infini qui est son champ d'tudes. Les vrai? docteurs savent cela, et ce n'est pas un Thomas d'Aquin qui prtendra borner ses conceptions, la conception de Dieu, sa dogmatique la science du dogme. Le malheur est que les vrais docteurs sont vraiment rares, et que la science ne se donne pas administratitvement comme une fonction. Quant Albert Jounet, je ne sache point qu'il soit vque, pas mme grand vicaire : il est nanmoins plus docLe en thologie que nos Thomas d'Aquin officiels. Aussi, son jugement restera-t-il vraiment libre, vraiment clair. Mon Dieu, proclame-t-il, ce que j'accepte sous le voue des mystres catholiques, c'est la vrit que vous possdez. J'accepte les dogmes dans le sens o vous les comprenez, o vous les acceptez vous-mme, titre d'lments du mystre gnral qui reprsente la vrit divine et infinie . Peut-tre un pur scientiste trouvera que c'est ici de l'humilit, non pas de la science. Outre que la science vraie est toujours humble, sentant que son objet la dpasse, c'est ici en tous cas, une humilit qui relve et une soumission qui grandit : nulle science n'est plus libre que cette croyance : nulle philosophie, plus indpendante que cette thologie. L're d'effleurer les surfaces est passe, diUl encore. Le temps est venu o l'on creusera jusqu' l'intime, et o, des profondeurs ouvertes, 'sortiront les absolus qu'elles contiennent. Il faut dgager la foi dans son essence et 'dans sa force . Dans son essence et dans, sa force, la foi ne gne en rien la science ni ne peut tre gne par elle; l'ignorance seule gne la science; surtout l'ignorance qui s'ignore : et la foi ce n'est pas l'ignorance, c'est la science; science par procureur, je n'en disconviens pas; science infaillible et totale nan moins, puisque l'unique procureur qui elle s'en rapporte, c'est l'omniscient, c'est Dieu.
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Donc, pas mme Strada, malgr tout le respect que peut m'inspirer ce grand esprit trop pris de lui-mme. Envers Strada, comme envers saint Thomas d'Aquin ou Bossuet ou qui' que ce soit, tout croyant sachant ce qu'est la foi garde son indpendance. Il la garde, oserais-je dire, mme en face des vangiles : car l'objet de la foi chrtienne, c'est le Christianisme; pas autre chose! et le Christianisme, aux jours les plus parfaits de son histoire, au temps de Jsus-Christ, existait sans les vangiles; aprs Jsus-Christ, Pierre et Baul croyaient, faisaient des croyants, et les vangiles n'existaient pas encore. Par consquent, vous pouviez, mon cher Jounet, sains renier en rien votre foi, lire avec indpendance, en libre et impartial critique, les quatre |vangiles. Et je vous en rends tmoignage avec une indpendance non moins grande, c'est ce que vous avez fait; votre livre, comme votre sincrit, me laissent l-dessus aucun doute. L'erreur de Strada sur le Christianisme est exactement la mme que celle des thologiens : Quel est au vrai, dit-il, le but du Christianisme ? Rallier les formes par l'unit d'une ide absolue . Et thologien lui-mme par ce vice des thologiens, il prtend substituer un absolutisme un autre absolutisme : L'unit par la certitude, continue-t-il, c'est l qu'est l'avenir du monde . Pas du monde terrestre, trop reclus philosophe : car la certitude suppose non seulement la lumire objective du vrai, mais subjectivement le sens du vrai, et le seins du vrai , comme celui du beau, manque totalement l'immense majorit des mortels: ce qu'on est convenu d'appeler l'esprit humain est en gnral trop peu esprit souvenez-vous du transformisme. pour ne pas rester rfractaire la science plus encore qu' la foi : la certitude chouera comme la croyance. L'amour seul est tout-puissant: parce que la basse humanit a du moins le sens du bien qu'on lui- fait. Et c'est par l que le Christianisme, quand il reparatra lui-mme, deviendra tout-puissant : car le Dieu du Christianisme est amour et amour de l'Humanit : Deus charitas est. Dieu est amour, dit saint Jean. pparuit benignitas et humanitas Salvatoris nostri Dei, dit saint Paul. Ce qui) est apparu en Jsus-Christ, c'est l'amour de Dieu sauvant l'Humanit . A l'encontre du Bouddhisme, qui est esprit et mort, le Christianisme est esprit et vue, non seulement esprit : Verba mea spiritus et vita sunt. Le Christianisme est l'arbre de vie du jardin d'Eden, transplant par 'le divin Jardinier dans notre misrable chair de pch : Et verbum caro factum est. Or, tout arbre, ici-bas, avant de produire l'air libre, dans la pure clart solaire, ses bourgeons de printemps, d'o surgiront fleurs et fruits d't, doit se rsigner plonger ses racines dans la boue terrestre et le fumier animal. Vainqueur du fumier, il le boit avant de le transformer. lAinsi, puisque c'est la loi du sol, ainsi doit faire le Christianisme : vainqueur du Csaxismie, 1 albu le Cesarisme, et le Catholicisme romain a pris quelque chose en son organisation de l'absolutisme romain : vainqueur de la barbarie, ilte'estassimil la barbarie; et l'Inquisition, par exemple, est un apport extrieur, pont la sve intrieure chrtienne totalement innocente s'est purge enfin et dont les vrais chrtiens rougissent. Ainsi, dans sa saison d'hiver, qui n'est point encore son terme, le Christianisme successivement s'assimilant l'aristocratie, la royaut, la bourgeoisie, bientt la dmocratie, portera d'abord la tare de tous ces lments, de tous ces goasmes successifs. Mais quand luira le troisime jour, de la grande Pques universelle, quand brillera le troisime millnaire aprs les deux millnaires passs dans son spulcre, le Christianisme,
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comme le* Christ, soulevant et rejetant la pierre qui l'crase, apparatra, rayonnant, dans sa pure lumire, dans sa beaut, dans sa charit misricordieuse : ce sera la bont, ce sera l'humanit prche par L'aptre Paul, qui ressuscitera, victorieuse ; et les quarante jours commenceront frlu Christ ressuscit, les quatre cents sicles du rgne divin de l'Amour toutpuissant.
ALTA.
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STOFFEL
AVIS
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LE
CENTENAIRE
DU COMTE DE FALLOUX
Certaines apothoses sont imprudentes. Le Comte de Falloux dormait profondment dans sa mmoire cauteleuse : quoi bon le rveiller? 11 tait devant Dieu depuis longtemps : quoi bon le ramener devant les hommes et nous permettre de rviser ses titres cette glorification un peu thtrale?... L'an dernier, en dpit de certaines vellits bruyantes, le centenaire de Montalembert passa demi inaperu. Les appels furent vains que l'on jeta aux chos de la petite chapelle librale. Il est crit que certaines gens n'auront gainais le sens de la mesure : ils font trop ou trop peu; ils sont avares ou ils sont prodigues. Hier, leur prudence tait presque de l'ingratitude; aujourd'hui les grands clats sont une maladresse. A choisir entre les deux, il et t prfrable d'voquer l'image d'un grand lutteur, qui et sans doute ses illusions et ses erreurs, mais dont Ja vaillance et le dsintressement sont autrement admirables que les? petites habilets et la figure fuyante du Comte de Falloux. Que fut-il en somme et que fit-il, cet homme dont on vient de dire le nom devant la jeunesse catholique de France? On a pri pour le repos de son me : avait-il droit autre chose, cet hommage qui monte vers lui et qui l'enfle jusqu'aux proportions d'un grand serviteur de l'Eglise?-- Je ne le crois point et l'on sera peut-'re de mon avis quand j'aurai donn mes raisons.
Le portrait est difficile esquisser. Je m e souviens d'avoir Vu, au temps de ma jeunesse, une pantomime de thtre forain o des agents de police essaient d'arrter un brigand qui leur chappe sans cesse; ila croient le tenir et il s'esquive en leur laissant entre les mains une collection de vestons et toute Une srie de gilets. La comparaison manque sans doute de cette lgance rvrencieuse qui fut si chre au comte de Falloux, mais elle rend bien l'impression qu'il donne ceux qui voudraient le fixer en une attitude essentielle, il bouge pans cesse, il se transforme; on n'a jamais de lui qu'un aspect transitoire. Suivons-le plutt la trace des palinodies et dans l'inextricable lacis de ses mtamorphoses contradictoires. Il est royaliste de naissance et de tradition. Il a crit : Le rve de ma jeunesse a t de mourir pour mon roi l'ombre d'un buisson venden . Mais les buissons vendens sont des buissons arOritiqno tin libralisme. 15 Juin. 1
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dents et il prend soin de laisser entre eux et lui une distance respectueuse. En 1832, la duchesse de Bcrry surgit tout coup dans le Bccage, lanant ses fidles le cri qui doit les rassembler. A. de Falloux a vingt et un ans. Hier, au lyce Bourbon, il jetait son encrier la tte des camarades qui riaient de sa pit. Il a rv de mourir pour son roi... et le roi est l. Mais le comte de Falloux n'y est plus. Une simple ligne des Mmoires d'un royaliste coupe court nos angoisses sur son compte : Je me trouvai l'cart, crit-il, contre mon attente et contre mon gr . Il est bien bon d'ajouter les derniers mots; nous sommes srs qu'il a sduffsrt de cet loignement imprvu et qu' dfaut de tout son sang il a vers toutes se? larmes pour la cause de son roi. l voyage On le rencontre tour tour Prague, chez le comte de Chimbord, et en Angleterre, chez M. de Persigny, le conseiller <de Louis Bonaparte. 11 a un mot charmant sur le comte de Chambord : C'est un diamant qui n'est pas mont , et il recueille avec complaisance une promesse que lui a faite Persigny : Le jour o vous serez ministre du prince Louis, je vous donnerai votre portefeuille. Il a donn sa parole au premier, de l'argent au second; demain il donnera des gages la Rvolution. Louis Veuillot, qui a vu clair dans l'obscur de cette me, en rsume les dtours en une phrase complique : La fleur de lis lui servit de recommandation pour s'introduire chez l'aigle et de passe-port pour aller au coq; la croix ne lui nuisir. point auprs de M. Thiers; et, ce qui montre combien l'homme est fort, ni l'aigle, ni le coq, ni M. Thiers ne lui nuisirent beaucoup auprs de la fleur de lis et de la croix . Toute la carrire politique de M. de Falloux va se drouler en de perptuelles alles et venues travers ce labyrinthe o de moins habiles que lui se seraient coup sur gars. En 1846, il est dput lgitimiste de Segr. C'est un pur entre les plus purs. Il a publi une Vie de Louis XVI o il ne transige pas avec la Rvolution, o il affiche, comme disait un flagorneur, ce radicalisme du devoir et de l'honntet qui le distingue (1) . Il rejette en bloc tout le libralisme anarchique de 1789. Le Serment du Jeu de Paume lui suggre ce jugement qui parut svre Berryer lui-mme : L'assemble se dclare inviolable. A partir de ce jour, c'en est fait des amliorations progressives. La Royaut vient d'ouvrir ses mains gnreuses : la Rvolution rejette la paix et Mirabeau montre le poing. Les dputs dcrtent la fois leur omnipotence et leur inviolabilit, dchirent leurs mandats et plantent firement l'tendard de leur usurpation. Cette usurpation, transmise de main en main, d'assemble en assemble, comme le talisman de la Rvolution, ne s'arrtera plus 1. E. de Attrecourt. Falloux, p. 27.
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que par l'puisement d e ' s e s propres excs (1) . Enfin on voil Un qui pense juste et qui parle franc 1 Et la Rvolution de 1848 clate. Elle surprend Falloux qui n'a pas eu le temps de prparer son volution. Il en est rduit un coup de thtre qui n'est pas dans sa vraie manire et qui manque mme de cette distinction tudie dont il s'est rarement dparti. Les insurgs sont donc victorieux; la Rpublique est proclame. A l'instant mme, Falloux s e prcipite sur son encrier et crit une longue lettre enthousiaste ses lecteurs de Maine-et-Loire. Je ne sais pas de document plus triste que celui-l, plus accablant pour une mmoire. Louis-Philippe s'est peine dfendu, et Falloux dit du peuple de Paris que sa bravoure a t quelque chose d'hroque . Les insurgs ont pill les Tuileries, le Palais-Royal, le palais de l'Etat-major. ils ont brl vifs quelques soldats qui se dfendaient dans un poste; M. tte Falloux sait tout cela et il crit cependant de cette canaille triomphante : Ses instincts ont t d'une gnrosit, d'une dlicatesse qui dpasse celle de beaucoup de corps politiques qui ont domin la France depuis soixante ans. On peut dire que les combattants, dans la double ivresse du danger et du triomphe, ont donn tous les exemples sur lesquels n'ont plus qu' se rgler aujourd'hui les hommes de sang froid. Ils ont donn leur victoire un caractre sacr. Unissonsnous eux, pour que rien dsormais ne le dnature ou ne l'gare . Et son enthousiasme est tel que pour une fois le plus habile des mortels en commet des sottises; il annonce aux paysans de l'Anjou que l'Europe v a prendre feu d'un bout l'autre la nouvelle des vnements do Paris , que le mouvement actuel, d'ici six mois, enveloppera soixante-dix millions d'hommes . Non seulement, il oublie le bon sens, mais mme sa qualit d e catholique; il commet dans les runions publiques des mots- qui sont de vritables agressions contre le pape de la veille, il regrette l'encyclique Mirari vos et ne se console point que Grgoire XVI ait condamn, dans les livres de Lamennais, plusieurs des franchises les plus chres des temps modernes. Le comte d e Quatrebarbes s'efforce e n vain de modrer c e lyrisme torrentueux : Je payerai pour nous deux! rpond Falloux, et il jette sans compter la foule stupfaite de cette lourde monnaie de billon dmocratique qui sonne trs fort, mais qui n'a cours qu'aux heures de banqueroute. Le souvenir d e ses excs l'embarrassera jusqu' la dernire heure. Il et bien voulu pouvoir effacer cotte triste page de l'histoire de sa vie. En ses Mmoires, il ruse autour de l'pisode; il plaide l'entranement gnral et la quasi-impossibilit o il se trouva de rsister au courant. Il a beau faire, la tche demeure. M. le comte de Falloux a manqu l d e cette mesure et de cette dignit qui devaient lui 1. Vie de Louis XVl
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tenir lieu de caractre. Il a mrit que l'vque d'Angers, Mgr Angebault, le dsavout dans une lettre son clerg, et que le prfet lui-mme de Maine-et-Loire, dans son rapport au Gouvernement, esquisst de lui ce porljrait en deux lignes : La foi manque cette me nerve par l'habilet. Il n'y a aucune grande passion qui l'inspire. C'est l'abb Maury en paletot (1) . Il est lu, le dernier de sa liste. Il arrive l'Assemble nationale. Il a dit, dans son fameux discours au Palais des Marchands, Angers : Si jamais le Roi revenait, il ne serait que le Prsident de la Rpublique ; il a promis de mourir pour le pavillon sous lequel flotte le vaisseau de la France. Il faut tenir parole maintenant. Il n'y arrive qu' moiti : tant de serments prononcs dpassaient s a facult de vouloir et de tenir. Ses collgues de l'Assemble ne savent s o u s quelle tiquette le cataloguer. Il entre dans le ministre Odilon barrot et je dirai tout l'heure quel y lut son rle. Ce qu'il importe de marquer ds maintenant, c'est l'impuissance de Falloux se fixer, prendre une attitude qu'il gardera. Il flotte, il hsite, se contredit, se dplace; c e n'est pas lui qui change, c'est le vent. Ce rpublicain d'hier ne l'est que pour Un jour; il ne lui en cote qu'une pirouette lgante pour retourner droite. Un jour, Lo de Laborde dveloppe la tribune une proposition relative au comte de Chambord. Falloux se dresse : De quel droit faites-vous cette proposition? ht vous, de quel droit m'interrogez-votas? Je parle au nom du roi! rpond Falloux. L e 14 juillet 1851, on discute l'Assemble la rvision d e la Constitution. Falloux inaugure le dbat en demandant, non pas une rvision partielle, mais la rvision totale pour arriver la monarchie : La France, dit-il, est sseiz malade pour avoir besoin d'tre sauve; elle est assez forte pour retrouver son nergie . Et, se tournant vers la droite, il ajoute en terminant : Htez-vous et unissez-vous ! Il cumule d'ailleurs toutes les convictions contradictoires. A la veille du 2 dcembre, il envoie le baron de Heckeren chez le prsident avec mission de lui exposer un projet de coup d'Etat parlementaire. Bonaparte sourit au messager : Revenez demain soir, nous causerons de cela (2) . Le lendemain soir, tout tait accompli; Falloux tait en prison au Mont-Valrien. Il y resta trois jours. Mme en prison, il ne pouvait faire autre chose que passer. Il n'et pas t un irrconciliable. On rpandit autour de lui ce joli mot : Je fais mon possible pour paratre rsign; au fond, je suis trs satisfait! L'avait-il dit? On ne sait trop. En tous cas, quelques jours aprs, la presse publiait une lettre de lui o il proteslai 1. Archives nationales, Srie F. C. III. 2. Granier de Cassagnac, Histoire de la Chute de Louis-Philippe, Rpubliqw et du rtablissement de VEmpwe. T. II, p. 388, 389. de la
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contra le coup d'Etat, contre la ruine de toute libert, de toute vrit et de toute moralit. Montalembert n'y peut tenir, cette fois, et il se permet de demander M. le Comte o en taient la libert, la vrit et la moralit, le 25 fvrier 1848, au lendemain d'une rvolution qui vous avait chass de votre sige lgislatif, ot laquelle vous avez adhr avec encore plus d'empressement et de sympathie que je n'en ai tmoign jusqu' prsent Louis-Napolon . Falloux empoche la leon, et, silencieusement, il se retire dans ses domaines de l'Anjou. Personne, sans doute, en dehors de lui, ne songea voquer le souvenir de Cincinnatus se rfugiant derrire la charrue. Il n'en sortira plus. C'est de l qu'il va dsormais intriguer, comploter, diriger et diviser. Sa voix se fait rare, sa main se prodigue. On la rencontre partout o il y a des fils brouiller, un cheveau enchevtrer, un obstacle mettre sur la route de Pie IX ou du comte de Chambord. Une petite phrase de ses Mmoires est infiniment savoureuse; elle peint l'homme et caractrise son attitude politique et religieuse : Je commenai ds lors, crit-il, et il parle de 1852, connatre une jouissance qui n'est pas sans saveur : celle de demeurer fermement royaliste, en pleine disgrce du roi. J'y ajoutai bientt une seconde jouissance de mme nature : celle de rester fidlement catholique en pleine dfaveur du Pape. Autrement dit : il fut royaliste contre le Roi, catholique contre le pape. Seul M. de Falloux pouvait trouver exquise cette double jouissance. Il serait trop long de raconter ici, mme grands traits, cette longue fte que se paya le dilettante de l'opposition. II lutte contre L. Veuillot, et la stratgie est toujours la mme : il dnigre, il accuse dans l'ombre, il calomnie au besoin. Autrefois, J. Favre lui disait dans les couloirs du Parlement : On prtend que je suis le plus perfide de l'Assemble, mais vous le pompon 1 Falloux tient garder ce pompon et il s'en pare avec coquetterie. Un matin, en 1856, il se prsente chez Mgr de Sgur; il veut toute fin le dtacher de VVnivers. Il accumule d e s calomnies atroces contre L. Veuillot; il l'accuse d'tre la fois l e stipendi des Tuileries et le subventionn d e Frohsdorff. Tenez! j'ai la preuve, la voici! Eh! riposte le prlat avec son sourire narquois, je suis aveugle! Alors, c o u t e z ! Et Falloux lui lit je ne sais quel factum. Mgr 3 e Sgur n'en peut croire ses oreilles. Laissez-moi votre papier, dit-il, je le lirai avec mon secrtaire. Impossible, rpond Falloux, je ne puis me sparer de cette pice. On fixe au moins un rendez-vous pour une seconde Ieciure en commun : le jour venu, Falloux se fait excuser. Il avait sans doute perdu le document. Quand Mgr de SgUr contait l'anecdote, il en riait aux larmes... Et l'on en mettrait cinquante la file, de la mme nuance et de la mme probit. Dfiez-vous de la sirne! disait Mgr de Bonnechose; cette sirne aimait oprer dans les profondeurs tnbreuses.
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Il contrecarre la politique du Comte de Chambord dont il a capt la confiance. Le prince qui disait : Ma personne n'est rien, mon principe esl tout! ne pouvait tre l'homme de M. de Falloux. Il disait en substance ses amis : Soyez candidats malgr le Roi, et si vous tes lus, prtez serment de fidlit l'empereur; cela n'engage rien! En 1856, il est le chef dos cocardiers contre les fidles du drapeau blanc. Il polmique contre les royalistes, les noie dans un flot d'quivoefues et parfois d'insiiltes, ne Voit en eux qUc des borgnes ou des aveugles . Quand il essaie d'une fusion, il aboutit une division; quand il se charge d'unir, il s'empresse de disperser. Et il faut lire, dans les Mmoires d'un royaliste, l'trange portrait que ce Jacobite fait de son roi : il le transforme en une sorte d'illumin qui semble prendre son point d'appui dans une vision surnaturelle ; il le traite de rtrograde d' inflexible , il l'accuse d' oublier ces engagements et il leur plaque sur la figure une ccit morale absolue . Autrefois, il avait admir le diamant sans la monture; maintenant, il maculait e t effritait le diamant. Il est un des chefs du catholicisme libral. Il ratifie la fameuse formule : l'Eglise libre dans l'Etat libre; il collabore tous les manifestes de son cole. En octobre 1869, il est de ce petit conciliabule d'Orlans o des gens trop pleins d'eux-mmes , selon l'expression de Mgr Pie, tracent avec une prcision d'arpenteurs-gomtres les droits rciproques de l'Eglise et de la socit moderne. La Gazette d'ugsbourg rpte un mot prononc par lui : Il est temps qUe l'Eglise fasse sa rvolution de 1789 . Pie IX, l'ouverture de l'Exposition pontificale (fvrier 1870) relve l'injonction et la s igmatise : C'est un blasphme! Falloux retire la malheureuse parole et la nie; Pie IX se contente de rpondre : Si le mot n'est pas de M. Falloux, co n'est pas lui qui est condamn . M. de Castellane, dans pes Mmoires, fait allusion l'incident; il crit : S'il ne l'a pas dite (cette phrase) l'on peut affirmer qu'il Ta pense (1) . Et le marquis de Castellane est l'ami, l'apologiste de M. de Falloux. Il est la providence de Bourg-d'Ir. Il est bon, pieux, charitable. S e s mtayers chantent la "louange de son cur large et de sa main tendue. Au lendemain de sa mort, le pangyrique clate sUr toutes les lvres et le futur vque de Nice, M. l'abb Chapon, crit un article qui est difiant comme une lgende du brviaire. Je me permets d'ajouter ces tmoignages un document qui jette u n e claire lumire sur le rle jou par M. de Falloux, une certaine poque,- parmi les campagnes de l'Anjou : Dans ce pays du Craonnais, crit Un prtre, il avait pendant le Concile mont la tte une foule de pauvres gens, un tel point qu'on pouvait craindre une rvolte formelle. J'allai prcher dans une paroisse la premire communion des enfants. Un grand ami de Falloux, mon ancien camarade de collge, vint me chercher 1. Nouvelle Revue, mai 1888.
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l a gare voisine : N'allez pas nous prcher le Papcl dit-il aussitt. Je vous connais, vous tes de l'Univers; je vous jure que si vous nous dites un mot du Pape dans vos sermons, je prends la parole et je vous arrte. Je le calmai un peu, en lui promettant de prcher Notre-Seigneur Jsus-Christ, et non point son vicaire, puisqu'il s'agissait de la premire communion des enfants . Ce cur appartenait videmment la mme cole que son chtelain; il connaissait, lui aussi, cette jouissance qui n'est pas sans saveur , celle de rester fidlement catholique, mais sans le pape, et mme contre lui (l).
II Le n o m de M. de Falloux demeure rattach aux deux grandes questions qui dominent les luttes catholiques au XIX sicle : la question r G m a i n e et celle de la libert d'enseignement. Ses amis disent de l u i : il a r e n d u Rome au Souverain Pontife et il nous a donn l'enseignement libre. Ses ennemis ripostent que c'est lui faire trop d'honneur et que toute sa gloire n'est qu'une lgende cre par le par.i libral. La vrit est entre ces deux extrmes : M. de Falloux a jou son rle, ici et l; mais ni en 184/9 ni en 1850 il n'a t le vrai reprsentant des ides et des principes catholiques. Il me sera facile de le dmontrer. C'est M. de Falloux, incontestablement lui, crit M. Buffet, qui eut l'initiative de l'expdition de Rome . (3) M. Buffet exagre singulirement. Si vous lisez les Mmoires d'un royaliste, vous tes convaincu que ni Cavaignac ni Louis-Napolon n'avaient eu la moindre pense de l'expdition romaine. M. de Falloux ne se trompe pas pour le premier; il commet sur l e second U n e erreur volontaire. Le Prsident de la Rpublique, crit-il, avait t lev dans les ides le3 plus antipathiques la souverainet temporelle des Papes. Sou frre et lui, ds leur jeunesse, avaient pay par une agression main arme l'hospitalit que, depuis 1815, la famille impriale a v a i t reue de la gnrosit des Souverains Pontifes. Le prince de Canino, prsident de l'Assemble romaine, affectait en tonte rencontre la plus rvoltante attitude. Le Prsident n'allait pas aussi loin; mais il n'allait p a s non plus jusqu'aux sentiments d'une rparation formelle et dvoue . Et tout le chapitre n'est qu'un expos insinuant duquel il ressort j u s q u ' l'vidence que Louis-Napolon tait hostile R U maintien du pouvoir temporel. Or, ds le 2 dcembre 1818, l e prince crivait VUnivers qu'il tait dcid appuyer toutes les m e u r e s proe
1. Cit par E. Veuillot. Le Comte de Falloux et ses Mmoires, p. 353. (Paris, Palm, 1888). 2. Annales religieuses d'Orlans. Article de M. l'abb Cliapon, (janvier 1886).
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prs h garantir efficacement l a libert et l'autorit tlu Souverain Pontife. Le 7 dcembre, il crivait au Nonce apostolique : Monseigneur, je ne veux pas laisser accrditer auprs de vous les bruits qui tendent me rendre complice de la conduite que lient Rome le prince de Canino. Depuis longtemps je n'ai aucune espce de relation avec le fils an de Lucien Bonaparte, et je dplore de toute mon me qu'il n'ait point senti que le maintien de la souverainet temporelle du chef vnrable de l'Eglise tait intimement li l'clat du catholicisme, comme la libert et l'indpendance de l'Italie . Aprs cela, il faut avouer que M. de Falloux a la mmoire courte et qju'en entrant au ministre, il n'eut pas grand effort dployer pour amener le Prsident sa politique d'intervention. L'action de M. d e Falloux dut se produire surtout dans les conseils. Montalembert insiste sur ce rle discret dans une lettre Mgr de Bonnechose. Il parle, le 16 avril 184*9, de M. de Falloux qui, depuis trois mois, lutte au sein du Conseil, avec une persvrance et une nergie admirables, en faveur de l'intervention Rome. Il ajoute : Il vient enfin de triompher, aprs les discussions les plus pnibles et les plus prolonges (1). Tout cela se passe dans la salle du Conseil; la tribune, M. de Falloux ne se risque presque pas. Il ne parle ni le 8 mars, ni le 18 avril; le 7 aot, il dfend avec loquence la cause de l'expdition; le 9 aot, il prend la parole de nouveau et commet quelques impairs : il reproche aux rpublicains de n'avoir pas soutenu Charles Albert l'pe de l'Italie et de ne pas avoir saisi cette pc pour en faire l'instrument de la dlivrance des Italiens. M. de Falloux ne fut peut-tre naf qu'une fois e n s a vie; c'est le jour o il fit au Pimont Un crdit d e bonne foi. Romie est prise, le Pape est ramen sur son trne. C'est alors qu'clate {^''Lettre Edgar Ney, une lettre hautaine et dplace qui reprochait la Cour romaine de vouloir donner comme base la rentre du Pape la proscription et la tyrannie . Le Prsident posait Pie IX tonte une srie d'injonctions : J e rsume ainsi le rtablissement du Pouvoir temporel : Amnistie gnrale, scularisation de l'administration^ code de Napolon et gouvernement libral . Les rvolutionnaires poussrent un cri de joie; les catholiques furent atterrs. L'Univers ne p u t se retenir de songer immdiatement M. d e Falloux : Nous devons croire, disait-il, que tous les ministres n'ont p a s t consults. Il y a parmi e u x Un catholique qui ne peut accepter aucune paTl de responsabilit, aucune complicil dirrete o u indirecte dans un acte de cette nature . Hlas l l'Univers se trompait. M. de Tocqneville avait lu la lettre M. de Falloux et si celui ci n'approuya p a s expressment cette faon 'd'ultimatum au Souverain Pontife il ne crut p a s qu'il convnt de le dsavouer (2). Il essaya de biaiser
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comme toujours. Ses collgues ayant public dans la Patrie une note qui se terminait par cette phrase : M. de Falloux a donn cette lettre la plus entire approbation ; il tcha d'adoucir l'effet dsastreux de cette complicit, il fit rpondre dans le Moniteur que la communication de la lettre du Prsident avait t simplement officieuse et qu'il n'aurait pu en approuver les termes. En somme il avouait, et les Mmoires <Vun royaliste rptent l'aveu. Il avait consenti cela, lui! Sous prtexte qu'il fallait mnager les susceptibilits de Louis Bonaparte, il avait approuv au moins par son silence cet acte qui tait une injure l'Eglise et une concession ses jures ennemis. Tout le libralisme est l dedans : la Lettre Edg. Ney formule les paradoxes essentiels et l'attitude de M. de Falloux caractrise la politique pratique du catholicisme libral. La manie du moderne , des principes sacrifis, des sonorits verbales, et puis des trahisons honteuses, des promiscuits et des complicits, un pied dans tous les camps, des sourires l'ennemi et des coups de griffe aU matre et pre de la maison..., la mthode n'a point chang depuis soixante ans. L'Eglise maternelle ferma les yeux sur les maladresses commises; elle se souvint seulement des intentions initiales et du geste librateur. Le 13 novembre 1849, Pie IX loua dans Un Bref l'homme admirable par sa pit et son noble dvoment notre sainte religion (1) . L'heure n'tait pas venue de faire le dpart du bien et du mal dans le! rle de M. de Falloux. L'histoire est moins indulgente et elle a le devoir de dire que ce rle ne fut ni tout fait d'un galant homme, ni compltement d'un catholique.
III M. de Falloux fut et demeure un homme heureux. Il a une manire de porter sa gloire qui pique l'admiration : il est modeste, il a des rougeurs au front, il refuse presque les lauriers conquis et les couronnes offertes. Il crit dans ses Mmoires, propos de la loi de 1850 : On m e fait tantt un crime, tantt un honneur de la loi de 1850. En. ralit, je n'ai droit ni au reproche ni l'loge au del d'une trs modeste mesure. Mon seul mrite a t d'avoir su m effacer propos et de bonne foi . Il serait sans doute un peu fch que nous le prissions au mot et que l'image se prolonget jusqu' lui du baromtre qui marque le temps, sans le faire en ralit. La comparaison serait d'ailleurs injuste : la loi de 1850 est l'uvre de .Falloux, comme le canal de Suez est l'uvre de Lesseps. Il ne l'a point rdige, il ne l'a point dfendue la tribune, il n'tait plus ministre quand elle fut vote. Elle est de lui nanmoins; elle garde son nom et ce n'est pas
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un larcin fait la gloire d'un autre. Il me semble mme qu'il ne s'est rvl nulle part plus compltement que dans cette uvre et qu'elle porte sa signature la plus authentique. Au moment o M. de Falloux entre dans le ministre Odilon Barrot, la campagne pour la libert touche sa fin. Elle fut ardente depuis 1842 et il n'y a brill que par son absence. Montalembert la t r i bune, Mgr Parisis par ses brochures, L. Veuillot dans VUnivers n'ont cess de rclamer un loi dont le principe tait inscrit dans la Charte. Ils en appellent l'opinion publique; ils entretiennent dans le p a y s une sorte d'agitation permanente qui jure de ie s'apaiser que dans la victoire du droit. M. de Falloux ne parat point sur le champ de bataille; il pourrait rditer ici son excuse de 1832 : Je me trouvai l'cart contre mon attente et contre mon gr . Le fait est qu'il n'est pas du parti catholique. Il regarde le champ, assis sur la barrire,... et cette barrire n'a rien de commun avec la barre fixe. En 1848, il semble que la bataille est peu prs gagne. La Rvolution a achev la preuve de ce que l'on voulait dmontrer. Un trouble profond tourmente les esprits. Les plus sereins sont pouvants par les dcombres qui jonchent le sol et par la violence des passions qui demeurent dans les mes. V. Cousin rencontre d e Rmusat et lui crie avec un geste de thtre : Courons nous jeter dans les bras des v q u s s ; eux seuls peuvent nous sauver aujourd'hui! Tout le monde comprend que l'Universit est en partie responsable de l'universel dsordre et la vision rouge commence d'effarer ceux qui n'avaient eu jusqu'alors que la hantise des hommes noirs. Thiers crit, le 2 mai 1848 : Quant la libert d'enseignement, je suis chang! Je le suis non par une rvolution dans mes convictions, mais par une rvolution dans l'tat social... L'Universit est tombe aux mains des phalanstriens... Je porte ma haine et ma chaleur de rsistance l o est aujourd'hui l'ennemi. Cet ennemi, c'est la dmagogie et je ne lui livrerai pas le dernier dbris de l'ordre -social, c'est--dire l'tablissement catholique. On en a assez des instituteurs qui ne sont plus que des < anticurs , des c coles normales qui sont des clubs silencieux . On sent que la partie est plus qu' demi-gagne et que le drapeau sera bientt plant sur ce qu'on appelle dans la presse la Bastille universitaire . Louis-Napolon est port la Prsidence par .434, 236 suffrages. Dans sa proclamation ses concitoyens , il s'est engag protger la religion, la famille, la proprit ; il a dit : La protection de la religion entrane comme consquence la libert d'enseignement (1) . Il est lu, il forme son ministre et M. de Falloux reoit le portefeuille de l'Instruction publique. Ce choix indiquait qUe le Prsident voulait tenir sa parole. Quel tait alors le programme d e s catholiques? II me parat bien formul dans une lettre du cardinal de Bonald, archevque de Lyon : 1. I>. de La Gorcc. Op. cit., T. , p. 471.
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Nous no demandons pas la destruction de l'Universit. Nous ne voulons pas que le clerg ait seul le droit d'enseigner; nous ne voulons pas ae monopole pour personne. Nous demandons la libert telle qu'elle existe en Belgique; nous la demandons pour tout le monde . Un acte collectif de tous les vques de la province de Lyon ajoute : Nous rclamons la vraie libert d'enseignement, c'est--dire la facult accorde tous d'avoir, sous la surveillance de l'Etal, des coles absolument indpendantes des coles de l'Universit . On veut donc une loi de libert; en face des chaires de pestilence, les catholiques veulent lever des chaires de vrit- Ils rclament le droit d'enseigner, sous le contrle de l'Etat sans doute, mais librement toutefois, et sans tre soumis toutes les servitudes qui entraveraient leur action. C'est une affaire de dignir et c'est une question de salut public. 11. de Falloux prend le pouvoir. Tous les regards se tournent vers lui. Il y eut une minute solennelle dans la vie de cet homme, la minute o il fut le symbole et le mandataire des esprances (communes, des droits promis, de ce grand rve qui depuis peu prs vingt ans soutenait l'effort des catholiques de France. L e 4 janvier 1849, il institue deux commissions charges de prparer un projet de loi sur l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire. Et tout de suite il est facile de voir que la pense de Aide Falloux n'est plus celle qui animait les esprits et les curs. On allait vers la libert; il ne donnera que la tolrance, une loi de transaction, une faon d e compromis politique entre l'Eglise et l'Universit. Il forme sa commission et il a soin d'en carter ceux qui n'entrent pas dans ses combinaisons : il y installe toute la prlature Universitaire et pas un vque, pas mme Mgr Parisis, qUi, ayant t la peine,, avait bien le droit d'tre l'honneur; il appelle Montalembert, l'abbSibour, de Riancey, Cochin, mais il a soin d'carter Louis Vouillot. Il crit dans ses Mmoires : J'aimai mieux l'exposer la tentation de critiquer des choses faites sans lui que de l'armer du droit d'empcher do les faire . C'est une de ces petites phrases la Falloux desquelles on disait en 1850 qu'elles contiennent toujours quelques molcules de vitriol et d'acide jprussique. La vrit est plus simple; M. de Falloux veut une commission qui soit l'avance gagne ses petites combinaisons. Veuillot serait un gneur autour de la table; il affirmerait des principes et ces principes sont regards comme dangereux par le libralisme, il voquerait le souvenir des vieilles batailles et l'heure a sonn du grand baiser Lamouretto. On carte L. Veuillot et les catholiques sont flous l Les travaux de la commission durrent des mois et des mois. Quand le projet, aprs un renvoi devant le Conseil d'Etat, fut prsent devant le Parlement, le comte de Falloux n'tait plus ministre. Fatigu, malade, il avait dmissionn; il se remettait lentement sous le cieC
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de Nice de tant de labeurs et de tant de--, sacrifices. M. de Parieu avait recueilli le portefeuille et amend la loi. Heureusement pour elle! La loi Falloux, dans son texte primitif, refusait aux Jsuites le droit Renseigner : M. de Parieu ne voulut pas de cet ostracisme. Thiers avait dit : Le jour de la discussion, je me cacherai sous mon banc! Il eut plus de courage; il rclama pour tout le monde la libert commune et il emporta le vote de l a Chambre. On aurait peut-tre d, la semaine dernire, ne pas oublier ce menu dtail et accorder un souvenir Thiers et de Parieu dans les ftes votives pour le centenaire. .La loi Falloux fut impopulaire avant de voir le jour. Durant toute la discussion, elle n'obtint de l'piscopat qu'une neutralit demi-inquite. Les abbs de Czales, Combalot, Rohrbacher la combattirent avec acharnement. Le comte de Quatrebarbes, l'ancien compaguon de luttes de M. de Falloux dans le Maine-et-Loire, proposa mme au conseil gnral un v u dsapprouvant le projet. Mgr Parisis s'abstint dans le vote final : J'ai craint, dit-il, que mon vote ne part un blme indirect d'une partie de mes vnrables collgues . Et Montalembert, toujours noble et gnreux, sentant que la faveur de;; catholiques se retirait de lui, s'criait du haut de la tribune : J'offre l'Eglise mon impopularit comme un dernier hommage . La fin d e la bataille ressembla ces soirs de combat indcis o les deux armes en prsence chantent l'une et l'autre le Te Deum. M. cle Falloux avait prpar l'trange dnoment, ce*fte espce de mariage, assez mal assorti, o l'Universit n'abandonnait' qu'un minimum de ses privilges, or l'Eglise se rsignait une tutelle ombrageuse. Thiers avait le droit de dire aux universitaires Un peu aigris : Lo projet laisse l'Universit la juridiction, la collation des grades, l'inspection, le gouvernement tout entier de l'enseignement . Il n'exagrait pas. Et c'est pourquoi, ds le 28 juin 1849, L. Veuillot se plaignait avec amertume des clauses du trait : Qu'avons-nous demand toujours et unanimement? crivait-il. La libert 1 Que nous offre le projet? Un faible part du monopole! Le projet organise et fortifie lo monopole; il n'institue pas la libert. ...L'Universit gouverne les tablissements libres, autorise les livres et les mthodes, confre les grades. Dans la vaste enceinte du monopole, on trace un petit enclos domin de toutes parts. On y place des sentinelles universitaires, une douane l'entre pour les livres, une douane l'entre pour les examens; on y envoie des inspecteurs et on nous dit : Plantez i un drapeau : c'est le terrain libre . II tait du, lui aussi. Aprs tant d'efforts, il avait espr le brisement de la chane; M. de Falloux se contentait de l'allonger. Au lieu d'un grand cri de libert, la France catholique n'eut qu'un faible soupir de soulagement. Mgr Dupanloup a crit, dans l'avant-propos de sa Dfense de la libert do l'Eglise : Ce n'tait pas tout c e que nous pouvions dsirer,
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tout ce que nous avions demand; c'tait tout ce que les temps permettaient . Le catholique libral n'est qu'un homme de dsirs; il soupire et il aspire. Et puis, et surtout, il connat son temps. C'est sa grande science; souvent, c'est sa seule science. Il fait son deuil de tout le reste. Etait-il vraiment possible d'obtenir autre chose de l'Assemble lgislative? Les limites du possible sont toujours difficiles fixer. Chacun les tend ou les rtrcit d'aprs ses principes et sa force de sa volont. Il est certain que M. de Falloux ne les a pas exagres; il fut modeste en ses prtentions, plus modeste lui seul que ne l'et t toute l'arme des catholiques. Il n'tait pas l'aigle qui emporte les dpouilles; l-bas, sous les oliviers de Nice, il dut se comparer la colombe, porteuse du rameau pacifique. Il dut se dire que, grce lui, l'arc-en-ciel brillait et que le dluge de 1848 ne recommencerait plus. L'histoire des soixante annes dernires est l pour nous prouver que, pour sauver la socit, et rparer les ruines sociales, il faut autre chose que les blanches colombes du libralisme et que le rameau d e paix n'est un symbole sauveur que s'il vient vraiment et directement de l'arche divine.
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On m'accusera peut-tre d'ingratitude. On dira que j'oublie le mot de Lon XIII : Celui-l est un bon, Un grand serviteur de l'Eglise . On se trompera. Je ne suis pas un ingrat et les paroles de tous les papes me sont galement sacres. Lon XIII a serr sur son cur, en une audience solennelle, le vieillard qui venait lui. Si M. de Falloux a lu toutes les encycliques du grand pape, il a pu se dire que le Docteur est beaucoup moins indulgent que le Pre universel. Montalembert disait une fois un jeune homme qu'il accompagnait jusqu' la porte de M. de FalloUx : Prenez garde! Vous allez l'aimer plus que moi! . L'apprhension nous semble aujourd'hui inutile. M. de Falloux n'est pas un homme aimable. On se dfend mal contre Montalembert : il est franc, gnreux, loyal; il se trompe parfois, il ne trompe jamais. C'est un beau chevalier qui commet des fautes, si vous voulez, mais sans calcul et de prime-saut. L'autre au contraire est l'ami des courbes et des dtours; il me fait songer ce poisson, dont parle saint Franois de Sales, qui trouble l'eau o il veut pcher. Il lui faut une atmosphre d'ombre. Il ne lutte pas, il intrigue; il ne livre point de batailles, il n'chafaude que des complots. Il est souple, habile, rou. Il n'est hostile personne, except ceux qUe j'aime; il n'a de soupon contre personne, except c'est son ami de Castellane qui l'crit, contre le Pape et les princes auxquels il se dclarait soumis . Castellane nous le reprsente sous une grande image, au lendemain du Concile du Vatican : Malgr son dsespoir, il garda le silence Tel un gnral d'arme vaincu qui, au soir de la dfaite, au lieu
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d'insulter son vainqueur, ne songe qu' lui porter de nouveaux coups. J'ai beau faire : ce grand serviteur de l'Eglise m'inquite presque autant, que les plus farouches ennemis. Et son uvre lui ressemble. La loi de 1850 ne porte pas que son n o m ; elle a son effigie, sa figure indcise, son froid sourire, son caractre flottant. On a dit que les catholiques n'en revrront assurment jamais de pareille e n France (1) . Je l'espre bien. Si quelque jour on restaure et on rpare chez nous, Dieu voudra sans doute qu'on rpare un peu plus et qu'on restaure un peu mieux.
C. LECIGNE.
LA
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Vous croyez peut-tre qu'il s'agit du lacisme impie et sectaire qu'imposent quatre millions et demi de jeunes Franais les lois sclrates de 1881, de 1882 et de 1886 sur l'enseignement primaire, et cent mille lycens et collgiens, trente-cinq mille lycennes et collgiennes, l'interprtation abusive de la loi de 1808 cratrice fie l'Universit d'Etat et de la loi Camille Se, en 1880, sur les collges et lyces de filles? Pas du tout. Il s'agit, comme le vaillant catholique qu'est M. Maurice a l m e y r l'tablissait dans une confrence donne, le 3 avril 1911, la Socit d'tudes historiques et littraires de Lyon, il s'agit de l'enseignement primaire et secondaire de nos tablissements libres et chrtiens, si peu chrtiens, hlas! que, dans un grand nombre d'entre eux, on met eL on laisse entre les mains des lves des livres faits par des universitaires ou imprgns d'un tel esprit universitaire qu'au *lieu de donner le sens catholique, ils- sont un vrai pril qui menace la foi catholique elle-mme. N'est-ce pas une douloureuse surprise pour d'excellents chrtiens, qrui se saignent blanc afin de soutenir leurs coles libres, de voir ces coles inconsidrment ouvertes des manuels de lecture, de grammaire, d'histoire, qui sont peu prs semblables ceux des coles laques, c'est--dire trs peu vraiment bons, un grand nombre douteux, quelques-uns mauvais et mme trs mauvais? Quelque angoissante que paraisse une telle situation, il faut la signaler aux protecteurs et directeurs d'coles libres qu'abuse un trange libralisme; car, c'est charit de crier au loup, quand il est entre les brebis, quelque part qu'il soit, disait admirablement saint Franois de Sales. 1. Anatole Leroy-Beaulieu, Revue des Deux-Mondts, 15 aot 18S4.
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Cette charit est celle de Monsieur T. F., qui, depuis le mois d'octobre 1910, mne une vaillante campagne, dans la Revue catholique des Institutions du Droit, contre les manuels employs dans les coles libres, primaires et secondaires : la srie de ses articles, Y Enseignement chrtien et les livres classiques, contient des rvlations navrantes, mais ncessaires, indispensables, pour faire ouvrir les yeux qui de droit. D'autre part, la conjuration scolaire dnonce par M. Tahneyr dans le Gaulois, YUnivers, et Lyon, propos du cours d'Histoire de M. Malet, qu'ont dfendu- des prtres contre M. Talmeyr ot M. Roger Duguet, de YUnivers, a singulirement impressionn tous ceux qui ont cur de faire instruire l'enfance et la jeunesse catholiques dans des coles catholiques d'esprit encore plus que de nom. Il ne suffit point pour cela qu'elles enseignent le Catchisme leurs lves : il faut qu'elles les imprgnent par tous les pores de l'esprit chrtien, ainsi que le faisaient jadis toutes les coles primaires et secondaires de France. On ne cantonne pas la religion dans un coin de l'me, disait Mgr Freppel la Chambre des Dputs le 21 dcembre 1880, en protestant contre la lacit de l'enseignemient primaire; on ne cantonne pas la religion dans un coin de l'me; elle n'est rien, ou, comme disait Bossuet, elle est le tout de l'homme. Elle doit le devenir l'cole et par l'cole, continuation naturelle et prolongement obligatoire d'un foyer chrtien, d'une famille catholique, o l'enfant a pour premier prie-Dieu les genoux de sa mre , lui enseignant joindre les mains, ployer les genoux, bgayer une prire, inconsciente encore, mais frache et pure comme son cur. Nos adversaires eux-mmes ont cette ide prcise de l'cole, o tout doit tendre former de bonne heure la conscience morale et religieuse des enfants. Lisez cette conclusion fort intressante d'une tude publie par l'anticlrical M. Dufrenne, inspecteur primaire, dans l'anticlricale Grande Revue, 10 fvrier 1911, sur la question : La neutralit scolaire est-elle possible? : Personne, ne niera que la constante proccupation d'veiller la conscience, de former le sens moral, n'ait donn nos livres de lecture, nos manuels d'histoire, enfin la plupart des leons de l'cole, une tendance moralisante. Si Ton en doutait, qu'on lise cette page matresse de l'un de ceux qui eurent, l'poque de l'organisation de l'enseignement primaire, le plus ri'influenco sur les instituteurs : Il y a, dit M. Janet, dont la pense et les termes sont repris par M. Compayr (1), un premier mode d'instruction morale gui se mle renseignement tout entier... On apprendra lire aux enfants dans de bons livres qui contiendront de petites leons de morale; on leur fera crire comme modles des maximes et des sentences qui resteront dans leur mmoire; on peut leur faire des dictes empruntes aux rcits des moralistes... Mme l'arithmtique peut tre une cole de morale; car de la rgle d'intrt, par exemple, 1. Cours de "Pdagogie, p. 355.
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on peut tirer cette consquence pratique : c'est qu'il ne faut point faire de dettes, e*. que, si l'on en fait, il faut les payer! Cela est au point que les enfants eux-mmes finissent par en acqurir la douce manie. Quand ils se prsentent au certificat d'tudes, ils l'ont tous. Aucun d'eux n'est capable de traiter un sujet objectivement. Donnez-leur faire une simple narration sur le passage d'une automobile. Pas un n'omettra de conclure, au hasard de ses souvenirs, qu'il faut obir ses parents, ,ou dfendre sa patrio, ou rendre le bien pour le mal. Et voil srement de bonsj observateurs... j Excluant de l'cole l'enseignement religieux, dit M. Compayr, l'Etat se sentit > engag d'honneur remplacer ce qu'il supprimait . C'est alors que, pour remplacer la religion, pour raffermir la vertu, maintenir lc.'i consciences, tayer la famille, la socit et la patrie, on mit de la moralti dans tout, on fit de la morale propos de tout. Les leons de lecture, de calcul, de franais, les entretiens sur les choses devinrent des prtextes moraliser. Du haut de sa chaire, le matre d'cole se fit l'avocat de la justice immanente. Les hros de l'histoire, les tres de la nature et jusqu'aux personnages de la fiction comparurent la barre de l'instituteur. Il louaugea, critiqua, encensa, morigna, condamna. Ses arrts furent dcisifs, tranchants, sans appel. Nos instituteurs et nos institutrices catholiques, qui n'ont pas redeuter les railleries de M. Dufrenne, doivent donc profiter, eux aussi, de toutes les parties de leur enseignement, lecture, calcul, franais, histoire, pour inculquer leurs lves les ides et les sentiments religieux dont ils auront vivre plus tard. Manquer ce devoir essentiel, ce serait, pour nos matres et matresses libres, une trahison envers les pres et mres de famille catholiques, qui ne choisissent les coles catholiques pour leurs garons et leurs filles qu'afin de leur faire donner une formation catholique . Or, est-ce que cette trahison plus ou moins consciente, mais relle, n'est pas commise par les matres et les matresses libres qui emploient des ouvrages d'un lacisme scandaleux?
I Voici d'ahord les abcdaires, qu'on appelait jadis la Croix . parce que le signe de notre rdemption y rayonnait aux yeux de l'enfant et que le Notre Pre, le Je vous salue, le Je crois en Dieu y venaient aprs les lettres de l'alphabet, comme la premire lecture, la premire leon de nmoire graver dans les -jeunes esprits. Eh bien, il y a, dans nos coles libres et chrtiennes, tels de ces abcdaires, qui, sous le prtexte de mthodes nouvelles pour apprendre lire aux enfants, ont t si bien laciss, si bien expurgs de toute ide religieuse, que vous y chercherez en vain le n o m do Dieu, soit la lettre D, soit la lettre I, soit la lettre E, soit . la lettre U, soit la diphtongue IEU; vous ne le trouverez pas; c'est le m o l paria , le mot proscrit pour des catholiques comme pour de purs lacisants. En change, vous trouverez dans ces syllabaires des appels
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aux petites passions, la gourmandise surtout : Partout, disait M. Talmeyr, quelqu'un boit, ou quelqu'un mange, ou quelqu'un boit et mange, ou fait claquer sa langue de ce qu'il boit et mange ; on s'expose une indigestion pour avoir trop bu ou mang de confiture, et va trouver le pharmacien, le mdecin, pour des excs dans le boire et le manger. Sont-ce l des propos moralisants et religieux pour un enfant baptis, chrtien, qui l'on devrait apprendre dire aujourd'hui comme autrefois : Dieu est bon; l'me est immortelle. Si vous tes pieux et sages, obissants et travailleurs, Dieu vous rcompensera. Il punira mme en ce monde l'enfant paresseux, dsobissant, gourmand et menteur. Le baptme nous fait chrtiens. Dieu seul sera notre soutien. Evite le pch, seul mal de l'me. Je vous salue, Marie, ma Mre, etc. Ces exemples sont tirs d'un excellent manuel, Nouveau syllabaire par une runion de professeurs, entendez les anciens Frres des Ecoles chrtiennes. Les Nouveaux principes de lecture de l'Ecole libre, publis par un diteur catholique, sont dj moins religieux. Mais enfin, pourquoi ne pas mettre de tels manuels entre les mains de nos enfants plutt que des Mthodes de lecture, des Citolgies, des Syllabaires, des Mthodes simultanes de lecture et d'criture, adoptes par la Ville de Paris pour ses coles et dont les auteurs suspects sont des instituteurs publics, des professeurs d'Ecole normale, des inspecteurs primaires, des membres du Conseil suprieur de l'instruction publique? Par de tels livres, nos matres chrtiens gagnent peut-tre les bonnes grces d'un inspecteur qui visite leurs classes et les flicite de se tenir au courant des nouvelles mthodes pdagogiques ; mais ils font pntrer dans leur cole l'esprit laque, qui frise le matrialisme, quand il n'est pas antichrtien, antifranais. Voyez ces gravures de Syllabaires reprsentant une barbe postiche, un squelette, les organes internes du corps humain, des enfants l'arrt devant un mets apptissant avec cette lgende : J'aurai ce beau gteau ; une veuve et un convoi funbre sans prtre, mais avec un chien et l'histoire d'un de ces pauvres animaux se laissant mourir de faim sur la tombe do son matre (1). Lisez ces phrases suggestives ; Le roi se montra impitoyable... Cette dame juive est bonne , parce qu'elle est juive sans doute ( ? ). L'ivrogne ruine sa sant, i L'activit mne la fortune , qui semble ainsi le tout de l'homme. Aide-toi, chacun t'aidera , proverbe aussi faux sous cette forme qu'trangement lacis et dnatur. Mnagez la chvre et le chou , ce qui est la formule de la morale utilitaire et opportuniste. Voulez-vous connatre l'histoire d'un petit garon bien sage? Il s'habille tout seul; se lave avec soin, souhaite le bonjour papa, 1. D'aprs M. T. F., Bvue des Institutions
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maman; mais le bon Dieu n'existe pas pour lui; pas un mot de prire. Un ancien instituteur primaire fait dire par le vieux Marc l'enfant Fais le bien, fuis le mal. Le temps fuit, la mort vient. Mais quand on a fait le bien en sa vie,... la mort n'est... que le soir d'un beau jour. Et l'immortalit? La vie future? Le vieux Marc n'y pense pas. Un dput, inspecteur honoraire, ancien membre du Conseil suprieur de l'instruction publique trois raisons de ne pas prendre son livre de lecture dans nos coles chrtiennes donne vingtsix noms propres pour l'tude des majuscules : Barra, Carnot, Galile, Hitgb, Necker, etc. Il offre quatre portraits d'illustrations franaises : Ca.rnc t, Jacquard, Lacpde, Bernard Palissy. Avouez qu'il y a d'autres noms et illustrations choisir. Au bas de la page, on lit : Parler de Carnot et des grands hommes contemporains. " Dire ce qu'taient Barra, Viala. Encore Barra, un gamin exalt, et Viala jouant comme lui du tambour au cri de : Vive la Rpublique! N'est-ce pas s e moquer de la France et de ses -grands hommes que de mettre parmi e u x des jacobins de 13 ans? Ce dput-inspecteur, fru de Barra et de Viala, ne l'est pas autant de la syntaxe franaise, et il ose crire : On admirera toujours l'hrone et patriotique Jeanne d'Arc. M. T. F. n'a rencontr nulle part les noms de Dieu, de Jsus ot de Marie, dans ces abcdaires laques, absolument indignes d'tre adopts par nos coles chrtiennes.
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Et que dire des cahiers-mthodes d'criture, dont les sentences, autrefois jsi religieuses, si difiantes pour les jeunes mes, n'ont plus maintenant rien de moral? Certains vques ont eu raison d'interdire dans leurs coles libres l ' u s a g e de la mthode ' d'criture Godchaux et Renaud : leurs collgues ne devraient-ils pas en faire autant dans tous les diocses? Quel est celui de nous qui, s'occupant de l'enseignement primaire chrtien, n'a pas t choqu parfois de voir entre les mains des enfants des coles libres des cahiers couvertures illustres et imprimes, dont les illustrations et les notices qui les accompagnent sont un agent actif de propagande , non pas pour les ides chrtiennes, histoire de l'Eglise et de ses saints, si belle et si difiante, mais pour les ides du jour, les hros et les grands hommes du calendrier , rpublicain, qui ne fut jamais celui du christianisme ? C'est un abus que de favoriser dans nos coles l'coulement de tels cahiers illustrs : ils ne peuvent donner , nos enfants que des ides inutiles ou fausses;, quand elles ne sont pas malsaines et mmo irrligieuses, elles sont
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au moins areligieuses et par l mme proscrire clans des coles chrtiennes. II A mesure que l'enfant grandit, grandit aussi le danger pour sa jeune foi catholique, avec les textes mis sous les yeux dans les livres de lecture courante dont se servent tant de matres et de matresses libres. La Revue des Institutions .et du droit constate avec un douloureux tonnement fa prsence, dans les coles catholiques, de livres frapps de condamnations episcopales, antrieures la Lettre collective du 14 septembre 1909. Sans doute, ces condamnations n'obligeaient, en conscience, que les diocsains respectifs des prlats qui avaient interdit tel et tel livre de lecture ; mais pareille interdiction ne devait-elle pas ouvrir les yeux des ducateurs chrtiens? Il y en a parmi eux qui avaient et qui ont conserv j'ai Je devoir pnible de le dire Y Histoire de France de Gauthier et Deschamps, l'un des quatorze manuels condamns par l'piscopat franais en 1909. Pour ne parler ici que des livres de lecture courante , comment garder dans des coles; chrtiennes le Tour de France, de Bruno? Il n'tait pas, sous sa premire forme. si religieux que e pensaient certains matres et matresses chrtiens pour deux demandes du Pater rcites par les deux hros du rcit; sous sa forme rcente, corrige dans un but purement commercial, afin d'tre agr par les matres les plus anticlricaux, l'auteur a supprim les noms de Dieu, de NotreDame de la Garde, Marseille, de Notre-Dame de Fourvire, Lyon, de Bossuet et de saint Bernard en Bourgogne, de Fnelon et de saint Vincent d e Paul, en Gascogne, la croix dans une ferme, et remplac la cathdrale de Reims par la carte de la Champagne, le vieil HtelDieu- de Paris par l'Ecole de mdecine, ainsi que l'tablissait M. Fnelon Gibon dans un excellent article du Correspondant, 25 mai 1908, YEnseignement catholique et les livres scolaires. Certains vques ont condamn le Tour de France, sans distinguer la premire et la seconde dition, et ils ont eui raison; car, mme dans, la premire, Jeanne d'Arc tait lacise : Elle CRUT entendre une voix s'lever... D'autres voix continurent lui ordonner de partir. Cette croyance substitue la ralit des apparitions de saint Michel, de sainte Catherine iet de sainte Marguerite, qui ne sont pas mme nomms, fait de Jeanne d'Arc une sorte d ' hallucine , comme c'est la mode dans les Histoires de France de Calvet, de Devint, de Gauthier et Deschamps, de Guyot et Mane, de Primaire, etc., condamnes par la Lettre collective de l'Episcopat. Voici un livre qui, compos par une femme pour les petites filles,
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e n vue de la lecture explique et de la rcitation, enseigne crment jusque dans nos coles catholiques la morale utilitaire. Des enfants trs sages font Dieu cette prire : Mon Dieu, pour tre heureux, tu m'as mis sur la terre; non, dit le Catchisme, c'est pour le connatre, l'aimer, le servir et, par ce moyen, mriter le bonheur ternel, que Dieu nous a crs et mis au monde. Le menteur est dtest de tout le monde; on gagne toujours dire la vrit. Il faut, usant de prvoyance, Savoir aussi dans son enfance Cultiver son esprit, son cur, Faire crotre dans l'un l'arbre de la science, Dans l'autre, les vertus qui donnent le bonheur. Pas toujours en ce monde; mais elles n'en sont pas moins estimables. Jeanne d'Arc est mise par cet auteur fminin sur l e mme pied que Jeanne Hachette : La femme, elle aussi, est capable d'hroques dvouements : BeauVais a rig une statue Jeanne Hachette et Orlans en a lev une sa libratrice Jeanne d'Arc. (Revue des Institutions et du Droit, novembre 1910, pp. 442-43). Parmi les Recueils de lecture et de rcitation qu'acceptent trop volontiers nos tablissements libres, il e n est de composs par des agrgs de l'Universit, des- directeurs de grandes coles parisiennes, qui remplacent Dieu par la nature , avec des pices sur le lever du soleil dans la fort , sur une nuit la belle toile- (J.-J. Rousseau), sur le nid , le rouge-gorge , ou mieux encore nos. devoirs envers les animaux . Bruria, femme juive du deuxime sicle av'ant Jsus-Christ, clbre par ses vertus e t ses connaissances talmudiques , est propose comme modle des baptiss, ct du pieux pasteur Oberlin et de l'anglican qu'inspire une forte foi . La solidarit remplace la charit chrtienne) attaque sournoisement propos des garde-malades ininielligentes, auxquelles on substitue, dans les hpitaux, des infirmires de plus e n plus dociles et claires : demandez-en plutt des nouvelles aux malades de SaintEtienne et de Paris, qu'elles laissent souffrir et mourir, pendant qu'elles-mmes s'amusent, Dieu sait avec qui et comment I Si l'intolrance est le flau de la vie sociale, la pire de toutes les intolrances est l'intolrance religieuse. Consultez vos souvenirs historiques; rappelez-vous toutes les iniquits, toutes les violences dont elle a t l a cause : la croisade des Albigeois, l'tablissement de l'Inquisition, les Dragonnades, la rvocation de l'Edit de Nantes, etc. Ainsi, les enfants apprennent que les catholiques seuls ont t intolrants, iniques, violents , et qu'il n'y a eu d'intolrance, d'iniquits, de violences, ni du ct des Musulmans fanatiques, ni du ct des Albigeois anarchistes, ni du ct des protestants, la charge desquels l'histoire relve en France 15 ou 16 Saint-Barthlemy plus sanglantes crue celle
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du 24 aot 1572 (1), ni du ct des Jacobins, des rvolutionnaires, qui ont fait ien dix ans, de 1789 , 1709, deux millions de 'victimes en France I Sur 467 maximes de morale releves par M, T. F., dans- cette srie d'ouvrages Lecture et rcitation, une seule est tire de l'Evangile, qui n'est pas nomm : Rendez Csar ce qui est Csar; et il y a deux perles que voici : Voulez-vous savoir si un peuple est civilis? Demandez s'il dpense beaucoup de savon ( ! 1! ). Quiconque ne fait rien ne vaut rien : un ne qui travaille est une majest ct de Vhomme fainant Jeanne d'Arc, invoque propos de l'amour de la patrie, apparat, d'aprs Joseph Fabre, comme ayant cru entendre des voix du ciel . Toujours, cette croyance suspecte. Il n'y a d'enthousiasme que pour la Rvolution hroque , pour ...la grande Rpublique qui Nous inspira une me antique; pour la Marseillaise, aux accents de laquelle s'ouvre l'horizon lumineux de gloire et le cur se gonfle de colre; pour Lazare Hoche, Joseph Barra, Agricol Viala (encore et toujours 1), ces deux hros de 13 ans morts victimes de leur dvouement la Rpublique ( ! ! ) .
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Ce3 livres universitaires de , lecture et rcitation ne sont pas, 1. Les voici bien comptes dans un ordre gographique plutt que chronologique : Saint-Barthlemy de Nmes ou Micheade, en septembre-octobre 1567 et en 1569; Saint-Barthlemy d'Orthez, en aot 1569, o Montgomery fit 3.080 victimes ; Saint-Barthlemy de Pau, o le mme sclrat fit ventrer des religieux, vider des sacs d'avoine dans leurs entrailles et manger les chevaux dans ces - auges frissonnantes ; Saint-Barthlmy de Navarreux; Saint-Barthlemy de Lescar; Saint-Barthlemy de Saint-Sever, o 200 prtres furent massacrs; Saint-Barthlemy de Morlaas, o l'on arracha les yeux un dominicain pour le forcer les manger; Saint-Barthlemy de Bazas, o l'on bourrait de pouarc des femmes catholiques et o l'on, riait en faisant clater ces canons vivants; Saint-Barthlemy de Chasseneuil ; Saint-Barthlemy d'Angoulme ; Saint-Barthlemy de Sully; Saint-Barthlemy de Fithivicrs o Colgny faisait scier vivants les catholiques et attacher des prtres la gueule des canons, dont les boulets les mettaient en pices; Saint-Barthlemy de Lyon et de Monlbrison, avec le terrible baron des Adrets ; Saint-Barthlemy de Coutances; Saint-Barthlemy de Baveux, o les Huguenots jouaient aux quilles avec la tle des prtres enterrs vivants jusqu'au cou.
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du moins, dits chez des libraires catholiques; mais voil, dans la collection fort complte d'ouvrages classiques publis par un diteur catholique, un Cours lmentaire de lecture, qui, sur 45 lectures, n'en renferme qu'une seule ayant un caractre religieux, et o l'on peut lire ces stupfiantes affirmations : L'instruction obligatoire a t une des meilleures lois qu'on ait faites depuis une trentaine d'annes. On en constate les heureux effets chez nos soldats, parmi lesquels on compte in fine ment moins " illettrs . Or, en 1907, M. Briand lui-mme avouait que l e nombre des illettrs, qui n'tait que de 14 o/o en 1882, au moment du vote de l'instruction obligatoire , avait pass depuis lors 30 < o et plus. Quant Y aux soldats, la statistique officielle du ministre de la guerre tablissait, en 1910, que, sur 315.000 soldats du contingent de 1909, il y e n avait 9.599 qui ne savaient ni lire ni crire, 3.611 qui savaient lire seulement, 16.975 dont on n'avait pu vrifier l'instruction; au total plus de 30.000 illettrs, 100 par mille! <Y Alors, continue notre auteur, c'est une bonne chose que l'instruction soit rpandue et qu'il y ait peu d'ignorants ? C'est une excellente chose. Plus l'homme cherche dvelopper son intelligence, plus il lve son niveau moral. Erreur profonde : instruire les hommes, ce n'est pas les moraliser. Sur 100 condamns, il y a 23 illettrs seulement. D'autre part, les campagnes, moins instruites que les villes, donnent 8 accuss par 100.000 habitants, et les villes 16, juste le double. Rabelais lui-mme disait : Science sans conscience est une grande misre. 11 importe donc beaucoup plus de former le cur et la volont que de dvelopper l'intelligence . Que diriez-vous d'un catholique signalant en ces termes des enfants catholiques l'odieuse dsaffectation de la Basilique Sainte-Genervive : Pendant un sicle et demi, elle garda sa destination .premire; mais depuis une vingtaine d'annes, elle a perdu son caractre religieux et sert maintenant, sous le nom de Panthon, de mausole aux hommes clbres qui ont illustr la France. i. Pas un mot de blme pour les scandaleuses apothoses d'un Victor Hugo, d'un Berthelot, d'un Emile Zola, pornographe et cacographe! Notre auteur vante encore sans restriction la loi de 1884 sur les syndicats et lui fait honneur d'une conception de l'apprentissage qui dveloppe Je sentiment de la solidarit professionnelle . Or, c'est depuis que fleurit l'organisation syndicaliste que svit la crise de l'apprentissage ; et jamais, avant les syndicats rvolutionnaires qui se sont forms parmi nous, on n'avait connu la chasse aux renards (aux ouvriers qui travaillent), la chaussette clous et la machine
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bosseler : singuliers dveloppements de la solidarit professionnelle! N'est-il pas navrant d'avoir relever de pareilles billeveses dans un livre catholique, rpandu profusion par une librairie catholique dans des coles catholiques? III La lacisation de la laque , l'ordre du jour depuis quelque dix. ans, a e u son contre-coup dans nos coles chrtiennes : elles ont gard comme classiques certaines Grammaires telles celles de Larive et Fleury qui ont remplac les exemples religieux, qu'elles donnaient autrefois, par des banalits dconcertantes, que signalait M. Fnelon Gibon dans l'article du Correspondant dj cit. En voici des chantillons : Dieu est grand. Dieu est misricordieux. L'homme s'agite, Dieu le mne. Gehd qui met un frein la fureur des flots. La fle de Pques. Les passagers d'un vaisseau prs de prir lvent les mains et les yeux vers le ciel. Si tu enfreins les commandements de Dieu, tu n'atteindras pas le but pour lequel tu es sur la terre, Paris est grand. Celle plaine est fertile. L'clair brille, le tonnerre gronde. II ne faut jamais vendre la peau de Vours avant de Vavoir tu. La fle nationale. Si le sang circule mal chez les maJades, ils ont les mains et les pieds enfls. Si tu enfreins les lois de la nature quant l'hygine, ht ne le feras jamais impunment.
La nature substitue Dieu, voil la littrature laque. Les coles libres ne se devraient-elles pas elles-mmes de ne jamais s'en faire les propagatrices, en fermant leur porte la Grammaire et au Dictionnaire (1) de Larive e t Fleury, qui ont cart de leurs livres le nom 1. L Dictionnaire, il faut le dire, est moins lacis que la Grammaire, Mais on y voit des assertions comme celle-ci : La Rformation, dite plus souvent la Rforme, a eu pour occasion la corruption des murs dans le haut clerg la fin du XV siclo et au dbut du XVI . Et la rvolte de Luther contre l'Eglise, contre le Pape, contre le dogmo et la discipline, qu'en fait-on? Voici des procds tendancieux, destins garer les enfants sur la valeur des hommes : Luther a dix lignes, Bossuet cinq. Hoche a 20 lignes, Klber 13, Carnot 10, et Desaix 5. Napolon se nomma empereur , comme s'il n'y avait pas eu de plbiscite en 1804! Napolon III dclara la guerre la Prusse , alors que c'est Bismarck qui a t le vritable auteur de cette dclaration par une insulte h la France. Le style Louis XIII, le style Louis XIV, le style Louis XV, lo style Louis XVI, tiennent une colonne et quatre pages rie pravures, alors que t:iis les TOS de France du nom e> Louis, depuis Louis le Dbonnaire jusqu' Louis-Philippo, n'ont pas deux colonnes.
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de Dieu, par un intrt mercantile, par une lche complaisance pour les la.cisateurs officiels? La mmo remarque s'impose propos de la Grammaire d'Aug, dont doux manuels ont t interdits par certains prlats dans les coles libres do leurs diocses.
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On sait que M. Claude Aug est l'diteur du Petit Larousse illus-' tr, qui est le dictionnaire classique de la plupart de nos coles libres, honneur qu'il mrite si peu : il faudrait l'interdire absolument pour no pas fausser les ides religieuses des enfants catholiques. Jsus, dit ce Dictionnaire, c'est--dire le Sauveur, le fils de Dieu d'aprs les Evangiles, et le Messie prdit par les prophtes, mort sur la croix en l'an 34 de l're chrtienne. D'o il suit que Jsus n'est ni rellement Dieu, ni Fils de Dieu, ni ressuscit d'entre les morts, ce qui e s t la preuve la plus clatante de s a divinit. Rien d e divin non plus dans le christianisme, dont le Petit Larousse illustr nous dit : Ses doctrines se dvelopprent rapidement : 1 parce qu'elles rpondaient au besoin d'esprance des dshrits; 2 parce qu'elles avaient un caractre universel, la diffrence des religions de l'antiquit qui taient toutes locales; 3 parce quo la morale du paganisme n'avait pu arrter la corruption du monde entier Ainsi, pas un mot des miracles de Notre-Seigneur et clos aptres; pas un mot des martyrs et de leur hrosme pendant trois sicles, o il a t une semence de chrtiens . En revanche, au mot miracle on lit : L'Ecriture attribue JsusChrist de nombreux miracles. Ils sont attribus, plutt que rels et vrais, Bossuet, nous dit encore Larousse, dans son ouvrage sur les Variations des Eglises protestantes, s e montra grand historien, sinon toujours juste (!! ) . Il dfend le droit divin des rois , dont il ne parle nulle part. La Saint-Barthlmy... Ce drame, la page la plus triste du fanatisme religieux, continua pendant plusieurs jours. Une foule d'hommes, do femmes et d'enfants furent gorgs. La France presque tout entire fut ensanglante par le fanatisme religieux. A Paris, le massacre, dont le signal fut donn par les cloches de Saint-Gcrmain-l'Auxerrois, fut horrible... Les malheureux dsigns comme victimes... furent surpris un un, dsarms, abattus comme des moutons... Qu'est-ce que le fanatisme religieux peut avoir affaire dans un acte politique, command et excut par Catherine de Mdias et Charles IX, d'aprs l'auteur lui-mme quelques lignes plus haut? Les
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enfants ne peuvent concevoir que de l'horreur pour l'Eglise catholique, aprs la lecture d'un article si odieux sur la Saint-Barthlemy; celle-ci ne fut que la reprsaille de tant de Saint-Barthlemy protestantes, qu'une autre aurait suivies, si elle n'avait pas t prvenue, le 24 aot 1572. Voyez maintenant quoi se rduit, d'aprs Larousse-Aug, la diffrence entre catholiques et protestants : Les glises pro tes Lan tes diffrent du catholicisme sur trois points principaux : 1 elles placent le critrium de la foi, non dans la tradition interprte et dfinie par les conciles et par les papes, mais dans l'Ecriture consulte et interprte par la raison individuelle ; 2 elles admettent dans toute sa rigueur le dogmo du pch originel et de la prdestination; 3 elles suppriment le clibat ecclsiastique, fractionnant l'autorit dans le corps des pasteurs, et laissent uno part considrable aux fidles dans le gouvernement de l'Eglise. D'abord, les catholiques croient au dogme du pch originel et de la prdestination , et ce n'est pas l unie diffrence entre e u x et les protestante orthodoxes. En second lieu, le point de dpart de toutes les erreurs de Luther, c'est sa thorie de la justification par la foi sans lew uvres. Ensuite, il a rejet tous les sacrements, sauf le baptme et le mariage, proscrit la Confirmation, la Pnitence, l'Eucharistie, d'Ordre, l'Extrme-iOnction, ni la libert morale, le Purgatoire, la communion des saints, le culte de la Sainte Vierge et des Saints. Enfin, il s'est violemment spar de l'Eglise et du Pape, dont il a outrag l'autorit divine. Tout cela est autrement important que les prtendues diffrences signales par Larousse entre le catholicisme et le protestantisme. Comment de jeunes intelligences ne seraient-elles pas trompes, lorsque, la fin de l'article Christianisme, elles voient qu' enfin, au XVI sicle, Luther donna le signal- de la Bforme, en ne reconnaissant que la seule autorit de la Bible? Il semble, d'aprs ce texte, que la vrit est dans la Rforme et dans la Bible -seule.
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Pascal,... dit le Petit Larousse, un jour, au pont de Neuilly, fut victime d'un accident, la suite duquel il aurait eu. dit-on, des hallucinations qui lui faisaient souvent apercevoir un abme ouvert prs de lui pour l'engloutir. Cet accident tourna son esprit vers la religion. Ce dit-on est superbe : il couvre les calomnies sfcupides de Voltaire, de Condorcet et des Encyclopdistes contre Pascal. L'accident de Neuilly, inconnu au XVII sicle, est encore une invention du X V sicle, ainsi que l'tabliL M. V. Girawd. Pascal hallucin est une folie, comme cet accident qui tourna son esprit vers la religion en 1653, alors que Pascal, religieux tente sa vie, tait jansniste depuis 1646. Il y a l toute une srie de mensonges effronts.
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Et Galile, victime de l'animadversion des scolastiques, et de Rome,... abjurant genoux sa prtendue hrsie...? Etienne Dolct, brl comme hrtique,... martyr de ses opinions hardies, alors qu'il a
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t l'assassin d'un peintre pour un motif immonde, et condamn pour rvolte, sdition et blasphme. Et Giordano Bruno^ brl Rome pour s'tre converti au calvinisme (?) , tandis qu'il peut donner l a main Dolet? Et Vanini brl Toulouse comme criminel d'athisme : ce qui est aussi faux qu'incorrect. Et La Barre, et Calas, et Sirven, et autres victimes du fanatisme? L'Inquisition avait pour trait principal de sa procdure... le secret le plus absolu de l'information judiciaire : calomnie monstrueuse, dmentie par la publicit d e s procs de l'Inquisition, o toutes les formes de la justice taient admirablement gardes. Voyez la Franc-Maonnerie..., o il ne reste plus de l'ancienne .association (de maons-constructeurs) que l'esprit de fraternit (1!) La Dclaration des droits de l'homme est... la base ncessaire de toutes les institutions h u m a i n e s . . . ( ! ! ) On pourrait multiplier les exemples et montrer comment la partie historique du Petit Larousse illustr est un nid de vipres et fausse compltement les ides historiques et religieuses des enfants, aux mains desquels il laut arracher un tel poison.
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Aux Dictionnaires et aux Grammaires s'ajoutent les Exercices do gra,mmaire, avec des morceaux choisis et des sujets de compositions. Or, que penser d'auteurs catholiques qui citent de nombreuses pages d'Anatole France, de Pierre Loti, de Michelet, de Flaubert ou d'Alfred Rambaud, dont YHistoire de la civilisation est si hostile l'Eglise? De plus, les sujets de compositions franaises donns par ces auteurs catholiques sont presque tous emprunts aux recueils de textes officiels, et n'ont aucun caractre religieux. Dans une revue qui s'intitule chrtienne, l'auteur des excellents articles sur Y Enseignement chrtien et les livres classiques a relev, sur 21 numros pris au hasard, 63 sujets de composition, dont cinq seulement rappelaient une ide religieuse. Les 58 autres taient : L'ne, Notre vache, Un mauvais lve, Le gaz d'clairage, Caractres gnraux de la fleur, Concours agricole, Utilit des coles, Les villes .sous le rgime fodal, etc. Et que dire d'un prtre, dont les ouvrages sont trs suivis dans l'enseignement libre, tant secondaire que primaire , et qui, sur 84 auteurs cits, dans ses Exercices franais, trouve bon de donner aux enfants du Voltaire, du Rousseau, du Condorcet, de l'About, du Taine, du Reclus anarchiste, du Reynaud socialiste, du Michelet haineux, du Quinet sectaire, du Flammarion athe, et rien, absolument rien de Corneille, de Pascal, de Bossuet, de Bourdaloue, de Lacordaire, Ide Montalembert, de Louis Veuillot? Il fait adresser des conseils une jeune fille par l'impie Condorcet et par l'adultre Mme Roland, prs-
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que aussi mauvaise mre que mauvaise pouse. N'est-ce pas scandaJeux?
Le Cours de dictes le plus rpandu dans nos coles libres (1) est celui d e Larive et Fleury, dont j'ai constat plus haut la lchet lacisatrice. Ne faudrait-il pas les en punir et n'acheter jamais plus des livres, o, du reste, ces auteurs apprennent que la loi, c'est la patrie elle-mme ; qu'attenter la loi, c'est frapper la patrie au cur ? Ils parlent ainsi de la Bienheureuse Jeanne d'Arc : Jeanne d'Arc, pauvre bergre de Lorraine, avait beaucoup de chagrin de voir les Anglais matres de la France. Elle alla trouver le roi Charles VII, qui lui donna une arme. Elle empcha les ennemis de prendre Orlans; puis, elle remporta sur eux plusieurs victoires. Mais elle tomba au ynivoir des Anglais qui la firent brler vive. Et voil rduit nant le miracle national le plus merveilleux que jamais la Providence ait fait pour un peuple. Aprs une pareille dicte, les enfants doivent se demander avec stupfaction : Pourquoi donc tant fter Jeanne d'Arc? Mais Larive et Fleury ne sont pas catholiques; comment donc apprcier une revue catholique donnant pour dicte le passage suivant : Le miracle d'une vierge guerrire sauvant la France, abandonne par ses dfenseurs naturels, ne serait plus possibh mainte tant. Aucune voix mystrieuse n'ordonnera sans doute nos jeunes paysannes de quitter leur famille, de monter cheval et de courir sus aux ennemis. Sous une autre forme cependant, l'avenir peut exiger des sacrifices presque aussi douloureux. Rappelezleur l'anne terrible^ etc. Des matres chrtiens, sous le beau prtexte de prparer plus directement leurs lves au certificat d'tudes primaires, au brevet lmentaire, passs devant les matres de l'Etat, acceptent, les yeux ferms, des Recueils suspects, quand ils ne sont pas mauvais : Cent dictes du certificat d'tudes primaires ; La dicte Vexamen du certificat d? tudes pri~ maires ; Cent dictes du brevet lmentaire ; La dicte Texamen du brevet lmentaire ; Cent dictes sur l'histoire de France, etc. Alors que notre littrature du XVII sicle est, d'aprs le pote, un beau vase athnien plein des fleurs du Calvaire , ces Recueils offrent l'enfant catholique des pages signes Paul-Louis Courier, Quinet, Michelet, Renan, Edmond About, Cunisset-Carnot, Steeg, Wagner (pasteurs protestants), Berthelot et mme... Eugne Pelletan, en attendant sans doute le fils, Camille Pelletan. De pareils textes faussent toutes les ides des enfants catholiques sur les questions religieuses
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et philosophiques, moralee et historiques, littraires et scientifiques. Ils apprennent, par exemple, dans une dicte pour le certificat d'tudes primaires suprieures, crue Le peuple (avant 1789), ne possdait aucun droit; la royaut n'avait pas de limites, et la France tait livre la confusion de l'arbitraire ministriel, des rgimes particuliers et des privilges de corps. A cet ordre, la Rvolution en a substitu un plus appropri nos ' temps. Elle a remplac le privilge par l'galit... Lorsqu'une rforme est devenue ncessaire, .. .heureux les hommes, s'ils savaient s'entendre, si les uns cdaient ce QU'US ont de trop, si led autres se contentaient de ce qui leur manque : les rvolutions se feraient l'ajmiable. Voil une invite au partage l'amiable des biens des riches, qui n'a aucune chance en sa faveur et dont il fallait carter tout prix l'ide chimrique et malsaine de l'imagination d'enfants catholiques, pour lesquels la proprit individuelle est inviolable et sacre. La Revue des Institutions et du Droit, aprs avoir cit une parabcle arrange en vers, ou plutt dfigure par une revue catholique, car le mot divin aimez-vous les uns les autres s'y ramne ceci : Pour recevoir de Dieu, conclurent les aptres, Donnons nous donc aux autres, alors que c'est Dieu que les aptres devaient donner d'abord leurs fidles, prononce ce jugement svre, mais juste, auquel il faut s'associer pleinement : Tcute& nos revues pdagogiques (chrtiennes) font preuve du plus lche et du plus plat libralisme. Les auteurs officiels, mme les plus sectaires, y sont mentionns avec loges; on renvoie le lecteur leurs ouvrages, sans s'apercevoir qu' ce rgime-l, avec un peu de logique et de bon sens, toute publication catholique perd sa raison d'tre. Le lecteur, se jugeant toujours assez clair pour dpartager la vrit et l'erreur, recourra directement aux sources qu'on lui indique, (1) Quand donc nos auteurs et nos matres chrtiens sauront-ils dire avec le pote : J'irai boire l'eau vierge aux sources des grands fleuves? 1. Pourquoi nos matres et matresses d'coles libres ne prendraient-ils pas, au lieu de revues universitaires, mauvaises, ou du moins neutres, l'Ecole, Revue d'enseignement primaire et primaire suprieur, qui se publie sous la direction de M. l'abb Audoltenfc, directeur de renseignement libre dans le diocse de Paris? Ses deux parties, l'une gnrale et mensuelle, qui consiste en articles concernant l'enseignement chrtien et en directions pour ses professeurs; l'autre hebdomadaire et technique, avec des matriaux pour toutes les classes, peuvent suffire tous les besoins pdagogiques et n'ont rien envier aux recueils similaires de l'Universit d'tat.
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Et cette eau vierge , ces sources des grands fleuves , ce ne sont pas les ouvrages des libres penseurs plus ou moins sectaires : ce sont, avec- l'Evangile, les livres immortels de nos grands classiques chrtiens du XVII sicle.
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IV Les recueils de Morceaux choisis nous introduisent dans l'enseignement primaire suprieur et dans la plupart des externats et pensionnats chrtiens de jeunes gens et de jeunes filles. Pourquoi ces tablissements libres ne prennent-ils pas tous des recueils excellents, comme ceux du si regrett abb Ragon, professeur l'Institut catholique de Paris, Prosateurs et potes franais : Cours lmentaire; Cours moyen; Cours suprieur (Paris, Poussielgue, 15, rue Cassette); ou comme le Recueil de Morceaux choisis, l'usage des classes de troisime, deuxime, rhtorique et premire moderne, des brevets lmentaire et suprieur, et des classes suprieures de jeunes filles, par les abbs Bailleux, ancien secrtaire aux Facults catholiques d'Angers, Martin, docteur es lettres, ancien professeur aux mmes Facults, et Hubineau, professeur de rhtorique au Collge Saint-Stanislas d e Nantes (Paris, Bricon, 90, rue de Rennes)? La Revue des Institutions et du Droit ne doit pas connatre ces recueils, puisqu'elle ne recommande que celui du P. Procs, jsuite, Modles franais, dits en Belgique. Mais elle a bien raison dans son douloureux tonnement au sujet d'un recueil, collationn par un prtre, qui clbre le principe de la tolrance chez Michel de l'Hpital, l'loquence passionne des Tragiques d'Agrippa d'Aubign et l'austrit rpublicaine des Troglodytes, que l'absence d'un chef, dit Montesquieu, oblige, malgr eux, pratiquer la vertu ( ! ) Il importe souverainement de ne pas habituer les enfants admirer Sans rserve des gnies malfaisants comme Victor Hugo, Alfred de Vignj , le blasphmateur de la Providence, dont tant d'eeuvres sont haineuses et funestes, et Michelet, dont l'histoire, dbordant de diffamations et de calomnies fantaisistes, tourne l'hallucination dlirante , dit M. Lanson lui-mme. Il faut mettre en garde les jeunes esprits contre Chateaubriand, qui, par la mlancolie fatale oie son Ren, a t le pre du mal du sicle ; contre Lamartine, dont les Mditations et les Harmonies ne doivent pas faire oublier ces deux dangereuses erreurs, Jocelyn et la Chute d'un ange, sans parler du roman qui s'intitule : Histoire des Girondins. Or, combien de Morceaux choisis employs dans nos coles catholiques, primaires et secondaires, o Ton n e trouve pas une notice impartiale et srieuse, prvenant les jeunes intelligences contre la lecture complte d'oeuvres en prose et en vers- dont on leur fait admirer des passages, sans les restrictions
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ncessaires qu'exigent sur le reste la foi et les murs! Il y a l un grave danger pour les enfants; et les matres de nos coles libres ne sauraient tre assez prudents dans le choix des Recueils de prose et de vers donner aux garons et aux filles, de manire ne pas veiller chez (eux une curiosit malsaine, tt ou tard fatale leur esprit et leur cur.
En dehors des Morceaux choisis, dont la plupart forment un cours de littrature plus ou moins complet, il y a le3 Histoires de la Littrature franaise et les Etudes critiques sur les auteurs ports aux divers programmes du brevet suprieur et du baccalaurat. Parmi ces Etudes, celles de Merlet taient excellentes; elles ont t gtes par M. Lintilhac, qui y a ajout de dtestables pages sur J.-J. Rousseau et d'autres auteurs. Levrault est aussi suspect et viter pour les auteurs du baccalaurat comme du brevet suprieur. Ne faut-il pas regretter que, dans quelques tablissements libres, on mette entre les mains d'lves catholiques Y Histoire de la Littrature franaise de M. Lanson? Elle est d'un esprit dtestable pour le moyen ge, o le dogme, dit-elle, limitait l'essor des esprits, et fermait de tous cts l'horizon , tandis que l'ide thologique de la vrit rvle condamnait la philosophie mme l'idoltrie du texte perptuellement comment et dvelopp (p. 217); pour la Renaissance, o tous les germes furent, non pas, comme on le croit trop souvent, touffs, mais excits, panouis par l'humanisme (mme l'esprit chrtien?); pour Pascal, exalt tort propos des Provinciales, rendu peu prs inintelligible dans ses Penses; pour Voltaire, sans lequel Renan tait impossible : il a fallu nier avec colre avant de pouvoir nier avec sympathie (p. 761); pour Rousseau, glorifi outre (mesure; pour Chateaubriand, dont le Gnie du christianisme est ridiculis; pour tant d'auteurs du XIX sicle, exalts ou dprcis outre mesure, selon leurs ides religieuses ou irrligieuses, plutt que selon leur vrai mrite?
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J'ai eu le vif regret de voir entre les mains d'lves, d'tablissements libres la Littrature franaise de M. Lintilhac, l'Alcide auvergnat, agile et trapu , comme l'appelle M. Faguet. Son premier volume serait assez inoffensif, sans quelques gaffes sur le XVI sicle; mais le second volume, injuste pour les grands chrtiens du XVII sicle, est un dithyrambe en l'honneur du XVIII sicle, le sicle des ides-ferces des philosophes (p. 302), tolrance et libert de penser, morale universelle et indpendante de toute religion, libert individuelle, galit devant la loi, extinction du pauprisme, foi dans le progrs, la perfectibilit indfinie de l'espce humaine. Le XIX sicle littraire, pour M. Lintilhac, est presque tout entier dans le the e e e
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tre, -et Louis Veuillot, Mgr Dupanloup, Montalembert, le duc de lroglie historien n'existent pas plus que Frdric Ozanam. Le danger d'une telle histoire littraire est peine plus sensible que celui d'un autre ouvrage suivi dans certains collges libres, hlas! la Littrature franaise par les textes, de M. Canat. Il y a l une Irentaine de pages peine sur les lettres au moyen ge, posie pique, lyrique, satirique et dramatique, prose historique et romanesque : c'est aussi insuffisant qu'injuste pour une poque si fconde dans sa varit pittoresque, o la langue franaise devenait pondant tout un sicle, le XIII , la langue universelle de l'Europe lettre, et o les hros de nos Chansons de gestes et de nos Romans bretons conquraient une popularit mondiale. Au XVI sicle, la rgle de l'abbaye de Thlme : Fais ce que tu voudras , est prsente comme acceptable,- parce que Rabelais a trop confiance dans la bont de l'instinct pour s'imaginer qu'il peut mener des excs... L'instinct est un principe de moralit,.... un principe de sociabilit,... un principe de vie artistique et scientifique (! !) (p. 54). Le mme naturalisme respire dans l'tude sur Montaigne, son picurisme, sa dfiance de la mtaphysique, son enseignement moral, sa tolrance, sa fermet devant la mort. Les Provinciales de Pascal sont loues, pour la noblesse de leur idal moral, la condamnation de la casuistique, la loyaut dans la polmique ( ? ) . Voltaire a e u de trs vilains cts; et, tout compte fait, l'homme n'tait pas trs sympathique. Mais son uvre est grande (p. 412). Grande, une uvre qui, d'aprs M. Faguet, n'est qu'Un chaos d'ides claires , ou, d'aprs M. Lanson lui-mme, que l'irrespect , le mpris de l'autorit , tt la destruction systmatique de toutes les croyances qui sont l'honneur et la vie des peuples comme des individus! Jean-Jacques Rousseau, -dit M. Canat, dans la Nouvelle Reloue, restaure la famille sur le principe de l'amour rciproque (Qui s'en serait dout, voir Julie commencer par aimer follement Saint-Preux et finir par le prfrer encore M. de Volmar, son mari?), et, dans le Contrat social, il entreprend de restaurer la socit sur le principe de l'galit (Dites plutt qu'il la dmolit de fond en comble, comme l'application de ses thories ne l'a que trop montr de 1789 17(931) Victor Hugo et Vigny sont exalts presque sans restriction. Michelet a jet (sur l'histoire) toute l'ardeur de sa sensibilit, toutes les merveilles de son imagination. C'est un. des plus beaux gnies du XIX sicle (p. 578). C'est peine si M. Canat trouve quelques troitesses dans une Histoire de France aussi fausse que passionnment antireligieuse. Renan, grand historien, .grand philosophe, grand pote, trs pris de mtaphysique idaliste, .a rpandu dans maint ouvrage ses ides sur l'univers let l'avenir de l'huimanit. Il est un des crivains les plus sduisants de notre littrature : oui, mais aussi l'un des plus dangereux, des plus corrupteurs par son dilettantisme si souple et la morale si perverse
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d e ses contes et dialogues, que M. Canat ne fltrit pas plus que la Vie de JsusCe qu'il y a d'trange, ce n'est pas que des universitaires pensent ainsi : c'est que des matres chrtiens exposent leurs lves perdre la foi dans de telles Histoires de la Littrature franaise; c'est surtout qu' Une runion de professeurs , catholiques et prtres pour la plupart, aient compos pour nos tablissements libres une Histoire de la Littrature franaise, rapsodie informe de jugements emprunts aux auteurs les plus... divers, depuis Louis Veuiliot, jusqu'au juif Albert Cahen et Gompayr, e n passant par les universitaires Demogeot et Lebaigue, par Alexandre Dumas et Frdric G-odefroy, Cousin et Silvestre de Sacy, etc., etc. Le XVIII sicle et ses uvres sont apprcis avec une indulgence coupable chez des ecclsiastiques : ils se font ainsi les complices des Michelet, des Lanson et autres, qui veulent voir notre grand sicle non pas dans le XVII , mais dans le XVIII , prtendent au moins que ce dernier doit tre plus classique que son prdcesseur, dont les ides ne sont plus en harmonie avec les ntres (1) au X X sicle.
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Ainsi, Y Esprit des lois, de Montesquieu, est admir sans restriction par nos professeurs comme un rsum prodigieux des lois, coutumes et divers usages de la terre, l'un des plus grands efforts de l'intelligence h u m a i n e ( ? ? ) : c'est oublier que la dfinition des lois: (2), la division d e s gouvernements (3) que donne Montesquieu ont-t et justement critiques, comme le plan m m e de YEsprit des lois et le rationalisme qui l'anime, sans parler de t a n t d'immoralits inutiles dGnt l'auteur a maill quelques-uns d e s livres de s o n ouvrage. Voltaire est prsent comme incarnant le matrialisme et la haine de la religion (dans) ces mille pamphlets crits au jour l e jour contre ce qu'il appelle l'Infme , c'est--dire le christianisme, seule consoc lation des petits et des pauvres, qui sentent s*adoucir leurs maux, quand ils regardent le ciel. Sans doute, le christianisme a cet avantage; mais il e n a beaucoup d'autres dans la divinit de son auteur, de sa doctrine et de ses sacrements. Peut-on apprendre des enfants catholiques que l'esprit voltairien, compos d'ignorance et de sarcasme, est aujourd'hui peu prs disparu, alors qu'il n'y a qu' lire telle sance de la Chambre ou tel journal pour voir s'taler l'ignorance et le sarcasme contre Dieu et la religion? 1. C'est l la thse soutenue par M. Lanson au Congrs de Lige et contre laquelle lea catholiques ne sauraient trop protester. 2. Ls lois sont les rapports ncessaires qui drivent de la nature des choses : elles ne sont que les rsultats de ces rapports, pas toujours ncessaires. 3. La monarchie, la rpublique et le despotisme ne sont pas les trois formes essentielles de gouvernement, qiioi qu'en dise Montesquieu. Le despotisme n'est qu'un .abus, et la rpublique peut tre aristocratique, dmocratique* monarchique mme.
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N'est-ce pas un trange libralisme que d'crire : Voltaire a dfendu avec raison, au nom de l'humanit, la cause retentissante de Calas, Sirven, La Barre, Lally-Tollendal ? D'abord, Brunetire ne croit pas l'innocence de Calas, de Sirven, et personne ne dfend La Barre des accusations portes contre lui. Et puis, il n'y a de grandes actions que celles qui sont l'effet d'un grand dessein, disait La Rochefoucauld : or, Brunetire ajoute que c'est moins la rnabilitation de l'innocent que le fanatisme des juges que poursuivit Voltaire. L'erreur des juges de Toulouse leur tait personnelle, et Voltaire se ft souci mdiocrement des Calas et des Sirven, s'il n'avait pas discern d'abord le moyen de s'armer de leur condamnation contre tout ce qu'il dtestait , l'Infme et les idiots 'qui aiment le prtre.
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L'Encyclopdie est bien qualifie par nos auteurs ecclsiastiques de puissante [machine de guerre dirige surtout contre l'Eglise ; mais elle avait deux mrites : elle offrait au public un tableau complet des connaissances humaines ( ? ) . . . ; elle faisait de plus une part considrable aux arts mcaniques, qu'elle essayait... de tirer de l'avilissement o le prjug les avait tenus si longtemps. Ceux qui attaqurent l'uvre eurent le tort de ne pas en distinguer les parties remarquables et de la condamner sans restriction. Ainsi, l'Eglise eut tort do condamner une puissante machine de guerre dirige surtout contre elle? Le Parlement eut tort , en 1752 et 1757, d'arrter ['Encyclopdie cause du tort irrparable qui rsulte d'un tel ouvrage pour les murs et la religion? Mais les philosophes eux-mmes ont appel YEncyclopdie un chef-d'uvre avort, un monstre sans proportion, un Evangile selon Satan, une Babel impie et vite croule. On croit rver en lisant sous des plumes ecclsiastiques que, dix-huit sicles aprs la vie d'un Dieu maniant la scie et le rabot dans l'atelier de Nazareth, il fallait tirer les arts mcaniques de l'avilissement o le prjug les avait tenus si longtemps. Il y aurait bien d'autres jugements relever dans l'uvre de cette runion de professeurs , qui peut faire beaucoup de mal de jeunes intelligences et fausser irrmdiablement leurs ides sur d'autres auteurs que ceux du XVIII sicle, Descarfces, par exemple, et Joseph de Jdaistre (1).
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Pourquoi faut-il que nous ayons dplorer la mme complaisance fatale pour le XVIII sicle dans un livre rcent, qui a, d'ailleurs, de fort belles qualits et d'excellentes parties : Recueil de Compositions littraires. Cent dveloppements de sujets donns aux examens du baccalaurat de 1902 1910? Pages 212-215, Diderot fait l'loge sans aucune restriction de la vie irrprochable ( ? ) de Montesquieu, des Lettres persanes, qui rvlent un esprit mr et philosophique ,
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antireligieux surtout; de VEsprit des lois, une uvre sans prcdent , . aprs la Rpublique et les Lois de Platon, la Politique d'Aristote, la Rpublique et les Lois de Cicron, la Rpublique de Jean Bodin d'Angers (?). L'auteur parle de l'aristocratie comme d'une forme de gouvernement classe par Montesquieu; ce qui est une erreur. J.-J. Rousseau est prsent (p. 217-218), comme ayant lgu aux romantiques le sentiment religieux, 'sa croyance l'Etre suprme, l'immortalit de l'me et la Providence. Notez que (p. 232) Chateaubriand est glorifi pour avoir restaur la cathdrale gothique , c'est--dire le vritable sentiment religieux et catholique, qui n'a rien dmler avec le disme vague de Rousseau et de la Profession de foi du Vicaire savoyard, dont l'auteur condamne la prire, car la mendicit n'est belle ni envers les hommes, ni envers Dieu. Page 230, on lit avec stupfaction que le XVIII sicle a plus, de lumire que le XVII ( ! ) , alors qu'il a fait tous ses efforts pour teindre les lumires de la foi, les plus vives de toutes, et que, d'aprs M. Faguet, il n'est ni chrtien ni franais . Page 230 encore, Voltaire apparat comme ayant tendu l'observation psychologique , * lui qui n'a jamais su ce que c'tait que la psychologie et l'observation psychologique l Voulez-vous tre difi sur l'Histoire de France de Michelet, dont un professeur de Sorbonne disait nagure qu'elle est en loques , et que M. Lanson lui-mme qualifie d'hallucination dlirante? Notre auteur ecclsiastique nous dit (p. 320) : Michelet fait de son histoire un vaste drame dont Jacques Bonhomme est le hros. Page 322 : La France entire fait entendre sa grande voix dans l'uvre de Michelet. Ne voyons-nous pas dans la Prise de la Bastille la foule grouillant autour de la sombre forteresse, les dfenseurs indcis et troubls? N'entendons-nous pas tin prisonnier, devenu fou, demander comment se porte Louis XV? Tout cela est archifaux, comme l'a dmontr Taine, qui tablit, qUe la Bastille ne fut pas prise, mais qu'elle se rendit , et que le 14 juillet n'est qu'une orgie de {massacre et de sang. Voici un dernier devoir : Visite au champ de bataille de Waterloo. Vos impressions. C'est un rhtoricien qui doit dire les motions qu'veille en lui ce champ de bataille, o il a d apprendre que se dploya tant d'hrosme taialheureux. Pas du tout : notre auteur fait parler, au lieu du rhtoricien, un vieux grognard qui exalte Napolon et nomme peine Waterloo; puis une mre dnigre Napolon, ce Bonaparte (1) et ses tueries en termes que n'emploierait ni un Allemand ni un Anglais en fureur.
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Et c'est avec de telles ides, avec de tels sentiments qu'on a la prtention de former l'esprit et le cur de jeunes catholiques I Qu'on n'allgue pas la prtendue ncessit d'habituer les candidats au baccalaurat la mentalit du jury universitaire qui dlivre les di1. Il tait bien Napolon en 1816, et cela de
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plmes. Car d'abord, l'enseignement libre et chrtien n'existe que pour combattre, dans ses livres surtout, cette mentalit si souvent irrligieuse et rvolutionnaire. Et puis, savez-vous ce que pensent les examinateurs des candidats de nos tablissements libres parlant comme les universitaires et affectant des ides anticlricales? Ils en pensent ce qu'en pensait un libre-penseUr notoire, disant un jeune catholique qui avait cru devoir flatter son examinateur et lui rpondre en anticlrical : Vous tes refus, Monsieur, pour m'avoir dit le contraire de ce que vous devez penser.
Ce sont les manuels d'Histoire employs dans nos coles, libres, primaires et secondaires, qui laissent beaucoup plus dsirer que les Cours de Littrature, les Morceaux choisis, les Cours de Dictes, les Dictionnaires, les Grammaires et les Abcdaires. Lon XIII, dans le Bref du 18 aot 1883 sur les -Etudes historiques^ condamnait les manuels parsems de mensonges, propres produire le dgot pour la vnrable antiquit et le mpris imprudent pour les choses et les personnes les plus saintes : Il faut, ajoutait-il, pour l'usage des coles, des manuels qui laissent la vrit sauve, cartent tout danger des jeunes gens, honorent et tendent l'art de l'historien. De telle sorte qu'aprs avoir rdig des uvres plus amples, conformes aux documents jugs les plus certains, il ne reste plus qu' extraire de ces ouvrages les points sommaires exposs avec clart et brivet, tche facile, vrai dire, mais qui ne sera pas de mdiocre utilit, trs digne, par consquent, d'occuper le labeur de nobles esprits. Hlas 1 on n e semble tenir aucun compte de ces paroles, si graves dans ce qu'elles condamnent comme dans ce qu'elles rclament. M. Talmeyr pouvait dire Lyon en toute vrit que, soit dans les textes isols, soit dans les manuels qui lui sont consacrs, l'histoire enseigne aux catholiques tmoigne d'une profonde dviation du sens -catholique. Dj, en 1908, M. Fnelon Gibon crivait dans le Correspondant : Au cours de notre examen, qui a port sur les priodes de l'histoire dignes d'tre juges en dehors de tout parti pris,-nous avons rencontr, dans les livres des coles officielles et dans les ntres, des apprciations sensiblement analogues ce point que, si nous avions dtach les feuillets pour les mlanger, nous eussions t bien embarrasss de retrouver laquelle de ces deux catgories d'coles tels et tels avaient jappartenu. Cette "constatation dsolante s'explique, disent les libraux, par ce fait que le Gouvernement rpublicain a mis YInex, mme pour les coles et les collges libres, 21 ouvrages excellents, tels qfue les
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Histoires de l'Eglise et les Histoires de France des abbs Vandepitte. Melin, Gagnol, Courval, Dubois; et comme la crainte est le commencement de la sagesse , les auteurs de manuels historiques, ombrageux et dfiants, vitent les affirmations catgoriques et tranchantes qui attireraient sur leurs livres les foudres gouvernementales. Eh bien, c'est l une raison pour tre prudent, pour ne pas faire de la politique agressive et militante contre Ja Rpublique, dans des manuels o elle serait, d'ailleurs, dplace. Mais ce n'est pas du tout un motif pour diminuer la vrit catholique intgrale et pour entonner des dithyrambes e n l'honneur de la Rpublique, du gouvernement de malheur (1) que subit la France. Or, n'est-ce pas cette coupable diminution de la vrit et cet loge dithyrambique de la Rpublique athe et perscutrice que nous offrent un trop -grand nombre d'Histoires classiques dans nos coles libres ? Voyez l'Anne enfantine de VHistoire de France : Jeanne d'Arc y est compltement lacise, dpouille de toute aurole surnaturelle et miraculeuse; M. Talmeyr pouvait lire ses auditeurs stupfaits la page qui termine ce petit livre, un loge enthousiaste des merveilles accomplies sous notre Gouvernement, dont on laisse ignorer aux enfants les lois spoliatrices et perscutrices contre les Religieux et les Religieuses, et les lois attentatoires aux droits de Dieu et de son Eglise, loi .du divorce, loi de Sparation et d'apostasie nationale, loi de dvolution des biens des fabriques et des menses episcopales. Da.ns tel autre Cours lmentaire d'Histoire de France, sainte Genevive n'est pas mme nontine, et la vocation de la France, Fille ane de l'Eglise de Dieu, est compltement passe sous sil'ence. Un Cours trs rpandu parmi nos lves d'coles libres rationalise Jeanne d'Arc, dont on enseigne aux enfants qu'elle faisait des actions qui semblaient miraculeuses: autant vaut cet inspecteur de l'Etat disant un instituteur public dsireux de donner ses frais aux enfants de sa classe une histoire de Jeanne d'Arc comme livre de prix : Pas de Jeanne d'Arc l'cole I Dans la (mme Histoire catholique, ou soi-disant telle, Luther et Calvin sont ter des moines ayant rform l'Eglise : (Calvin ne fut jamais moine et il n'a fait, avec Luther, que dformer le dogme et la discipline de l'Eglise). La Rvolution est prsente comme une heureuse mancipation des servitudes d'Ancien Rgime , et la Rpublique troisime de nom comme un rgime essentiellement glorieux et rparateur II) La Revue des Institutions et du Droit, avril 1911, nous parle d'un auteur, un chanoine, s'il vous plat, qui expose sans commentaire aucun le changement du calendrier (catholique en calendrier rpublicain et athe). Ce chanoine, il est vrai, confie le soin d'diter pon 1. Le mot est de Mgr Ricard, archevque d'Auch.
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Histoire de France (Cours moyen) une grande maison de librairie connue par l'esprit antireligieux de ses publications (Page 339, note). Un auteur catholique, mis l'Index par l'Etat, apprend aux lecteurs de la nouvelle dition de son Histoire trouver tre belle la devise : libert, galit, fraternitelle exprime le vritable esprit -de l'Evangile ( ?), qui l'a infus depuis longtemps dans les curs. Il manque cet auteur d'avoir lu Brunetire, qui lui aurait montr dans la devise rpublicaine la lacisation de principes que l'Evangile explique en Dieu et 'avec Dieu, proscrit par la Rpublique. ComjmenL tel auteur royaliste, voir la manire dont il raconte la guerre de Vende, peut-il dire de la Dclaration des Droits de Vhomme : Pris en soi, ces principes taient excellents? Non, certes; Pie VI les a dclars contraires la religion et la raison : jura religioni et rationi adversantia. L'Encyclique Mirari vos, 1832, l'Encyclique Quanta cura et le Syllabus, 1864, en ont condamn les principaux. Et pourtant, tel autre historien catholique, trs suivi dans les coles libres, dit des rformes sociales de la Constituante : Elles sont rsumes dans les dix-sept articles de la 'Dclaration deis. Droits de l'homme et du citoyen... C'tait le rsum le plus heureux des droits naturels de l'homme, dj dfendus par les philosophes du XVIII sicle. Et les erreurs grossires de cette Dclaration : Les hommes naissent et demeurent libres et gaux en droit (1)-.. La souverainet rside essscntiellemenl dans la nation (2). La loi est l'expression de la volont gnrale (3), qu'en fait-on, comme des droits de Dieu, antrieurs et suprieurs aux droits de l'homme, dont ils sont la base ncessaire? Le mme historien s'tonne que le*s Constituants, qui avaient proclam le respect de la proprit, aient accept la mise la distposition de la nation des biens! du clerg. Mais voici leur estcuse: C'est qu'une grande partie des Constituants considraient le clerg, non comme le propritaire, )iais comme le dpositaire des biens des pauvres, des vieillards, des enfants, des orphelins. Maintenant, disaient-ils, que l'Etat allait adopter ces faibles ou ces malheureux et les assister, il devait logiquement reprendre le dpt longtemps confi au clerg. D'abord, ce ne fut pas l, du tout, la raison donne par Talleyrand et Mirabeau pour s'emparer des biens de l'Eglise; ils n'allgurent que le besoin de l'Etat, et Un besoin ne constitue jamais un droit. De plus, le clerg tait si bien propritaire de ses biens, destins au culte et l'instruction du peuple, autant et plus qu'au secours d e s pauvres, des vieillards , que la plupart des Franais ne voulurent pas les acheter l'Etat et aux communes, qui n'en
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1. L'ingalit est la loi de notre nature, pour les droits, comme pour les qualits physiques, intellectuelles et morales. 2. Toute souverainet vient de Dieu , dit saint Paul. 3. La volont gnrale , si elle n'est pas conforme la justice, ne saurait faire loi.
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taient point les lgitimes dtenteurs. De l, les assignats et les quatre ou cinq banqueroutes de la premire Rpublique. Que penser de la science thologique et canonique de ce professeur d'institution libre qui crit, propos de la Constitution civile du clerg : Le premier article de la Constitution civile du clerg relatif aux circonscriptions ecclsiastiques ne pouvait pas soulever de dbals bien passionnants. Pardon : le Pape, et non pas la Constituante, pouvait seul modifier les circonscriptions diocsaines, sur lesquelles il a seul juridiction. Le second, qui traitait des nominations, dclarait que tous les vques seraient lus l'avenir, comme les dputs, les juges et les directeurs de dpartement, par les assembles du second degr et les curs par les assembles primaires. Il ne s'cartait pas trop non plus du droit ni des traditions de l'Eglise, qui considre l'lection comme le seul moyen de pourvoir aux vchs. Erreur profonde, laquelle Dom Guranger rpondait l'avance dans ses iMlanges de liturgie, d'histoire et de thologie (I, ch. 2 et 3) : Dans l'antiquit, les peuples, furent parfois appels prendre part l'lection. Deux motifs portrent l'Eglise autoriser cet usage': 1 la ncessit d'obtenir, par le suffrage des fidles, la preuve authentique des qualits de l'lu qui doit, stuivant saint Paul, tre irrprhensible; 2 l'ancienne maxime : Nullus invitis detur episcopus, d'aprs laquelle on jugeait convenable de ne point imposer aux peuples Un pasteur qu'ils n'eussent point agr. Or, en tout cela, on ne voit pas le (moindre vestige d'un droit rel du peuple sur l'lection. Aussi l'Eglise, pour viter les brigues: et le tumulte, a-t-elle aboli dans la suite J'exercice de ce mode de suffrage. Les protestants et ls auteurs de la Constitution civile du clerg e n ont seuls rv le rtablissement. Le sacre de nos rois est reprsent, par un historien catholique, qui mentionne la chanson de Branger, Sacre de Charles le Simple, propos de Charles X, comme un moyen d'empcher tout choix de souverain en dehors des oints du Seigneur (I), et par un autre comm e un acte religieux et libral tout la fois, propre concilier le respect d e s prrogatives attribues au monarque et le respect de la justice due au sujet (??). Le Libralisme d e nos historiens soi-disant catholiques, les amne glorifier la tolrance comme la plus haute des vertus imodernes, inconnue, hlas! de nos aeux (1). Tolrants, les Kalifes , 1. La tolrance pratique un principe; comme le dit t bon pour les gars et errones, quelque sincres est une ncessit, mais non pas une vertu, m' Pie X dans la Lettre sur le Sillon: Si Jsus a les pcheurs; il n'a pas respect leurs convictions qu'elles apparussent .
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tout e n interdisant les manifestations extrieures du culte chrtien (?). Tolrant, Coligny, le massacreur de prtres, le tratre; dont on nous affirme qu'il ne voulait plus qu'une politique nationale aprs avoir livr le Havre et la Normandie l'Angleterre par l'infme trait d'Hampton-Court, 20 septembre 1562. Tolrant, le magnanime Michel de l'Hpital. Tolrant, Frdric si ardent craser l'Infme . Tolrante Catherine II qui envoyait en Pologne 50.000 hommes pour rtablir la tolrance, c'est--dire touffer le catholicisme! Telle est la tolrance de nos auteurs que l'un d'eux crit cette normit : Le Koran recommande la charit sous routes les formes (mme celle qui consiste gorger le Giaour, le chien de chrtien!), et il accepte la polygamie, mais relve la situation et la dignit de la femme et interdit au musulman, sauf, toutefois au prophte, d'en pouser plus de quatre (I). L'Inquisition, dit un de nos Manuels o se reconnatraient Aulard et Payot, introduisit dans les procs des procds nouveaux, tous dfavorables l'accus : torture, absence d'avocat, procdure secrte. Or, M. Guiraud tablit, Histoire partiale, Histoire vraie, pp. 290-300, que la torture, alors d'un usage gnral, ne fut presque pas employe-par l'Incraisition il n'y a que trois cas certains; que les accuss obtenaient pour leur dfense, non seulement un avocat, mais encore un procureur ; que ces dfenseurs devaient tre des hommes d'une probit prouve, fidles observateurs de la lgalit, experts dans l'un et l'autre droit ; qu'enfin les accuss pouvaient frapper d'appel au pape tout acte de procdure, toute dmarche des juges qui aurait prt la critique. Le chanoine X... passe sous silence le sacrilge attentat d'Agnani contre Bonifacc VIII. Un autre auteur catholique ne dit rien de la mort admirable de saint Louis et de ses touchantes exhortations son fils. D'aprs ce mme auteur, le seul rsultat des Croisades fut le dveloppement considrable du commerce mditerranen ; d'aprs un autre, la tolrance entre musulmans et chrtiens (?) . Que penser du Chanoine X..., disant que Marat tait d'une mle loquence, lorsqu'il faisait vibrer le patriotisme la tribune ce qui ne lui arriva jamais; que Michelet, n'a eu qu'un tort : celui de juger le moyen-ge avec l'esprit d'un Franais de la Rvolution? Et les temps modernes, de Louis XI Louis XVI, et la Rvolution, et le XIX sicle, comment les a-t-il jugs , ou plutt calomnis, dnaturs , horriblement caricaturs? L'illustration des Histoires catholiques met sous les yeux des enfants des coles libres les mmes hommes, les mmes scnes historiques que l'illustration des Histoires universitaires : le tratre Etienne Marcel, tous les rvolutionnaires, Mirabeau, Danton, Robespierre, Marat, jusqu' l'infme cordonnier Simon; les serfs la corve, come
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me dans Devint et Gauthier et Deschamps, le massacre de la Saint-Barthlmy, qui figure dans une Histoire crite par un Bndictin. La Revue des Institutions et du droit, mai 1911, p. 450, constate que l'illustration qui orne l'ouvrage du Chanoine X est en grande partie identique l'illustration du cours moyen de certain minent universitaire, publi la mme librairie et d'aprs les mmes clichs (fi) On serait infini, si l'on voulait relever toutes les erreurs de ces historiens catholiques sur les origines de l'Eglise en France, sur la fodalit, le moyen ge, l'Inquisition, l'enseignement public avant 1789Il faut les renvoyer tous, comme les primaires condamns par nos vques, au livre aussi savant qu'utile de M. Jean Guiraud, professeur d'Histoire l'Universit de Besanon, directeur de la Revue des questions historiques : Histoire partiale, Histoire vraie. Ils y apprendront l'histoire vritable de saint Martin, de sainte Genevive et de Clovis, de l'Eglise sous les Mrovingiens, de la prtendue Terreur de l'an mille, d e l'Inquisition, de l'Instruction au moyen ge, de la soi-disant misre du peuple au moyen ge, o les salaires taient aussi levs que de nos jours, et o l'on consommait beaucoup plus de viande qu' notre poque. 11 faudrait aussi renvoyer nos auteurs catholiques Mgr Freppel et Taine, pour les corriger de leurs complaisances infinies l'gard de la Rvolution, satanique et sanglante, et de la Rpublique actuelle, qu'on encense au nom de je ne sais quelle dmocratie de mauvais aloi, oublieuse de tous les droits de Dieu et de l'Eglise. Comprend-on que deux auteurs de manuels catholiques .deux religieux n'aient rien trouv de plus propos que de donner, comme lecture sur la mort de Louis XVI, un rcit d'Edgard Quinet? Chez d'autres, crit encore M. T. F., nous rencontrons des extraits de Michelet, Guizot, G. Hanotaux, RambaUd. M. Talmeyr disait avec raison : Tel auteur catholique assigne comme but la dmocratie de rendre la supriorit accessible tous (comme si les termes tous et supriorit ne s'excluaient pas l'un l'autre), et, dans sa rage de flagornerie dmocratique, ose bien crire e n parlant de la religion catholique : Le but de la religion, mettre la vie divine ' la porte de- tous, cet idal est-il en harmonie avec l'idal de l'poque actuelle? Oui, car il est suprieurement dmocratique. Et M. Talmeyr d'excuter magistralement de telles erreurs : L'Eglise a nommment et cxpress ment toujours condamn la dmocratie qui veut se substituer la religion : elle en est la caricature et la parodie; car elle offre l'hom me, ds ce monde, le bonheur que la religion lui promet dans l'au tre, et, au Dieu qui s'est fait homme, elle .substitue l'homme qui s'est fait .Dieu.
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Que si les auteurs d'Histoires catholiques, prtres, chanoines, religieux, professeurs libres, laissent tant dsirer dans le rcit du pass et du prsent et prennent pour guide unique, comme tel ecclsiastique licenci en histoire, VHistoire gnrale publie .sous la direction de M. Lavisse et o la foi et la Vrit catholique et franaise reoivent de si cruelles atteintes, que sera-ce des historiens Universitaires, que Ton introduit dans nos tablissements libres, crs pour d'autres matres et pour un autre enseignement? Il y a des maisons chrtiennes o Ton suit en rhtorique Ammand et Cotant je l'ai dit ici mme en novembre 1*910 et il serait fastidieux d'y revenir. Il y en a d'autres o Dsir et Blanchet (1) sont la mode, mme Wast et Jallifier, mme Seignobos ou Grgoire pour YHistoire contemporaine en troisime et en philosophie. On a trop parl d'un Cours d'Histoire fait par un professeur agrg du lyce Louis le Grand, M. Malet, catholique trs convaincu, trs pratiquant (2) , pour qu'il faille tablir nouveau combien ce Cours est dangereux entre les mains d'lves d'tablissements libres, cause do l'insuffisance de VHistoire ancienne sur la divinit du Christianisme et sa diffusion miraculeuse; cause aussi du dnigrement systmatique des Papes, depuis saint Grgoire Je Grand, qui mriterait plutt, d'aprs ce qu'en dit M. Malet, d'tre appel Grgoire le Riche, jusqu' Gerbert (Silvestre II) et saint Grgoire VII; cause des accusations de cruaut formules par l'histoire contre des Albigeois et que M. Malet attribue des seigneurs catholiques; cause de la loi du 15 mars 1850, qu'il qualifie de < loi de raction (3); cause enc fin, de ta.nl d'autres preuves d'un libralisme d'autant plus fcheux qu'il a t patronn par des prtres professeurs d'tablissements libres contre un laque comme M. Talmeyr. Son Eminence le cardinal Coulli, archevque de Lyon et de Vienne, a crit tous ses suprieurs de Collges libres pour les prier de retirer Malet des mains des lves, au cas o ils l'auraient. Plt Dieu que ce bel acte de vigilance pastorale et d'intelligente fermet ft imit partout! Nos enfants catholiques seraient prservs ainsi d'une foule d'erreurs historiques et religieuses, qu'on ost tonn de leur voir soutenir avec autant d'opinitret que les lves de l'Universit d'Etat, imbus des faux dogmes de 1789. M. Talmeyr avait raison d'crire dans le Gaulois du 29 avril 1911 : Oui, depuis plus de cent ans, et dans les familles et les milieux les plus 1. Un pro de famille a d faire retirer cette Histoire d'un tablissement libre d'une grande ville. 2. C'est ce qu'un prtre a crit. 3. Voir le texte cit par moi-mme, Critique dit libralisme, 15 mars 1911, p. 159.
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troitement a (tac li s toutes nos vieilles traditions, presque tous les Franais ont reu une formation intellectuelle diamtralement contraire leur formai ion morale et religieuse. A partir du jour o, selon le terme consacr, ils commenaient leur instruction , celle-ci ruinait toujours plus ou moins leur ducation. A ct de la seconde, toujours traditionaliste et religieuse, se donnait invariablement l'autre, toujours rationaliste et rvolutionnaire. En raison d'une certaine mode scientifique, historique et philosophique, cre et conserve avec un art consomm, dix gnrations, et les plus foncirement Franaises et Chrtiennes, ont ainsi respir cette contradiction, se la sont transmise, et les consquences nous en empoisonnent actuellement. Le nombre des braves gens qui pensent mal sans s'en douter, tout en ayant au fond de bons sentiments, est incalculable I Pour remdier ce dsastreux tat de choses, l'Institut Catholique de Paris so trouvait tout particulirement dsign (1). Dispenser une science et des connaissances dont la tendance secrte ne soit pas toujours de miner les croyances les plus ncessaires et de dformer insensiblement tout bon sens et toute vrit, dans le but de troubler et de saper toute socit lgitime et rgulire: ragir rsolument, aprs une exprience paye cher, contre tout ce que certains enseignements, longtemps rputs inoffensifs ou bons, avaient en ralit de mortellement hypocrite et faux; donner en un mot la jeunesse Franaise une formation intellectuelle conforme sa tradition, un esprit qui ne soit pas fatalement ennemi de son me et de sa race : l est videmment aujourd'hui l'indiscutable mission de tout enseignement vraiment sain et vraiment franais, et rien ne pouvait ly rpondre plus compltement que le cours actuel de M. Gustave Gautherot sur l'histoire de la'Rvolution. Un tel cours marque vritablement une date, et peut-tre mme une grande date.
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Mais une condition, c'est que les professeurs de renseignements libre profiteront des vrits qu'tablit M. Gautherot sur l'effroyable flau que fut purement et simplement la Rvolution franaise , ... rsultat d'une imprudente et norme conjuration., mais d'une conjuration pure, parfaitement factice, parfaitement tnbreuse, et surtout parfaitement anti-franaise et dvastatrice. Que n'a-t-on pas racont, et que n'est-on pas convenu de croire, au sujet des Cahiers de 89? Vux unanimes de la France I Solennelle et historique consultation nationale I Veux et consultation, en ralit, tournrent, comme l'tablit irrfutablement M. Gautherot, une comdie cynique, o, sous le prtexte de dolances toutes spciales qui demandaient, en effet, se produire en beaucoup d'endroits, le rseau serr des socits sditieuses fit frauduleusement passer partout certaines formules maonniques cliches d'avance, fabriques comme dans des moules, grossirement identiques aux quatre points cardinaux, et auxquelles le corps lectoral n'avait pas pens une seconde! Une fois lue, et adroitement compose de secrets affilis ces mmes socits, 1 Assemble, * o les lecteurs avaient simplement voulu dlguer des mandataires rguliers chargs de vux normaux, devenait, en un tour de main, une assemble politique et rvolutionnaire, laquelle la presque unanimit de la France n'avait pas un instant song davantage 1 1. Mgr Baudrillart, l'minent recteur de l'Institut catholique de Paris, publie ou fait publier sous sa direction et ses auspices une sne de Manuels d'Histoire qui seront l'abri de tout reproche et remplaceront avec avantage ceux que nous avons d critiquer.
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Que ne nous a-t-on pas de mme enseign tous, et que ne oontinue-t-oa^ pas gnralement nous enseigner, sur la srie des troubles de 89, comme sur l'Assemble! Constituante, sous laquelle ils se produisirent? Troubles affreux, concde-t-on, et mme sauvages, mas grands mouvements populaires, symptmes de bouillonnements profonds et de revendications imprieuses! Assemble assurment critiquable que la Constituante, mais grande et noble assemble quand mme, image loquente d'une nation en enfantement, et qui' devait fonder une France nouvelle I Erreur absolue, rpond hardiment M. GauLherot, en le prouvant toujours. Tous ces troubles sanglants n'taient que de gigantesques coups monts destins faire sinistrement illusion, et l'Assemble Constituante, en dpit de l'indigne concert de louanges mensongres systmatiquement entonnes en son honneur, n'a fait que dtruire, dtruire encore, dtruire toujours, et dtruire criminellement tout ce qui tait la France 1... De tous nos libralismes, le plus fatal aura t le libralisme historique, parce qu'il est la base de tous les autres. Il est le fondement mme de cette mauvaise formation intellectuelle qui nous tue. Les dsordres les plus inous, les troubles les plus menaants, les angoisses les plus poignantes, secouent et oppressent en ce moment mme le pays. Plus on va, plus tout se liqufie, et plus tout se liqufie, plus on s'accommode de la liqufaction. Plus les choses nous hurlent aux oreilles de penser au salut, et plus nous sommes sourds, ou plus nous faisons les .sourds! C'est que chacun, au fond, sait fort bien qu'il n'y a absolument rien faire avec le contradictoire et impuissant tat d'esprit o nous a mis, depuis cent ans, l'enseignement mme qu'on nous a donn, et la faon dont on nous l'a donn. Conservez-vous toujours en vous une lueur, un souffle, une goutte de Quatre-vingt-Neuf ? Laissez toute esprance 1 Vous ne pouviez rien contre ce qui est dj venu, comme vous ne pourrez rien contre ce qui viendra encDre. Car tout ce qui est venu comme tout ce qui vient sort de votre faon mme de penser, et votre faon de penser vient elle-mme, avant tout, de la fausse et mortelle histoire qu'on vous a toujours enseigne! Cette histoire mortelle , c'est celle des faux dogmes de quatre-vingt-neuf, comme les appelle M. Le Play. Oh ne dnoncera jamais assez l'espce de dbilit mentale ou de paresse intellectuelle qui nous fait recevoir comme paroles d'vangile les .soi-disant philosophiques niaiseries que nous dbite depuis un sicle l'hypocrisie maonnique. On ne nous mettra jamais assez en garde contre cette adoration, retfe divinisation, cette idoltrie, ce ftichisme de <( la Dmocratie , avec un grand D, qui prtend faire ille une sorte de magie, grce laquelle le monde et l'homme seront subitement transfigurs. On ne se mfiera jamais assez, on ne nous apprendra jamais assez nous mfier de ce qu'il y avait de spcifiquement anarchique dans la Dclaration des Droits, que nous donnions pour charte au rgime moderne. Est-ce un ractionnaire qui parle ainsi? Non, certes; c'est un excellent rpublicain, M. Charles Benoist, dans la Revue des DeuxMondes, 15 octobre 1907. Comment les faux dogmes de 1789 ont-ils pu acqurir chez nous droit de cit? C'est qu'une formation catholique srieuse nous manque.
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L\
CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Cette formation, pourtant, le besoin s'en ferait sentir plus imprieux que jamais, pour combattre les influences dltres de l'air mme que nous respirons. Aux catholiques de l'assurer pour les gnrations nouvelles, en djouant, par une vigilance claire, la conjuration scolaire ourdie contre l'me de leurs enfants.
Mgr DELMONT,
Docteur s lettres.
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ri. LES COMMENCEMENTS DE L'GLISE. LA HIRARCHIE
Le livre de M. Loisy : L'Evangile et l'Eglise peut tre ramen ces ides fondamentales : 1 Jsuw n'a jamais eu la pense de fonder une socit invisible devant subsister perptuit; 2 Il n'a pas davantage rgl par avance la constitution de l'Eglise comme celle d'un gouvernement visible devant traverser les sicles; 3 Une socit visible de disciples s'tait forme autour de lui; Jsus l'avait organise d'une faon visible en Vue d'un royaume. Quel royaume ? Il ne l'a jamais dfini d'une faon explicite. Mais, dans s a pense, la fin du> monde devait prcder l'tablissement de ce royaume qui ne serait autre qu'un certain avnement de Dieu sur la terre. C'est lui, Jsus, qui .aurait eu commission de l'organiser. Comme prparation il indiquait le dpouillement effectif de tout, une suprme indiffrenoai l'gard des intrts humains. ,A quoi bon tout cela, puisque le royaume de Dieu qui apportera le bonheur est sur le point de se raliser ? 4 Le royaume de Dieu ne venant pas et les chrtiens sentant le besoin de s e grouper, la petite socit, dont Jsus avait esquiss les linaments, a dur en s e transformant; le royaume prdit n'est pas verni; sa place on a eu l'Eglise (2). Je crains que les lecteurs de Mgr Duchesne n'aient quelque tentation d'abonder dans ce sens. On a vu que, d'aprs lui, les premiers chrtiens s'attendaient rellement voir leur Matre revenir pour fonder un royaume : ils taient persuads que son supplice n'avait fait que retarder l'accomplissement
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de sa promesse; celle-ci n e tarderait pas se raliser;... ils taient strs de le revoir bientt (1). Et un peu plus loin (2) : Une telle esprance, avec le groupement dont elle tait la raison d'tre , ne devait pas laisser le sacerdoce juif indiffrent... On ne peut nier que bon nombre de chrtiens n'aient un peu trop confondu la double perspective ouverte par Notre-Seigneur, la fois sur la ruine de Jrusalem et sur le cataclysme final. Saint Paul, n'ayant pas de rvlation prcise ce sujet, se tient d'abord dans des gnralits : ses recommandations aux Thessaloniciens ( 3 ) ne visent qu' stimuler leur vigilance relativement la venue soudaine du joui* du Seigneur , expression qui peut s'entendre tout aussi bien de la mort que du jugement dernier. Rien n'autorise penser que saint Paul ait rellement enseign ou consacr une erreur. Mais o Mgr Du-chesne a-t-il vu que les fidles taient persuads que le supplice du Sauveur n'avait fait que retarder l'accomplissement de sa promesse de revenir bientt? Cela donnerait entendre que cet vnement n'avait t ni prvu d'avance ni prdit par le Matre et que les premiers- chrtiens n'avaient aucune ide de la faon dont s'tait accomplie la Rdemption.
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Le mouvement populaire reprenait sous une autre forme. Les adhrents s e multipliaient chaque jour; une socit s'organisait pour les encadrer. Ils avaient leurs chefs, et c'taient prcisment les amis que Jsus avait recruts en Galile ds la premire heure... Dans les premiers jours, le besoin de vivre ensemble fut si intense- que l'on alla jusqu' la communaut des biens. De l des dveloppements administratifs (4). La propagande contrarie Jrusalem se rpandit lailleurs, moins, semble-t-il, en vertu d'un plan prconu que sous l'action des circonstances (5)... Comme le peuple de Dieu semblait peu dispos, dans son ensemble, se ranger parmi les fidles de Jsus, U se produisit chez ceux-ci une certaine tendance largir les bases de la communaut (6). Ceux qui admirent une certaine participation des gentils aux bienfaits de l'Evangile, tout en maintenant une certaine ingalit, furent vite entrans plus loin; et cela, moins par Vinfiuence spciale de saint Paul que par le dveloppement gnral de la situation . 1. Pages 14, 15. 2. Alina suivant. 3. I Thess., IV, V et II Th. II. On aurait tort de conclure des renseignements donns par saint Paul sur le jour du jugement final qu'il considrait cet vnement comme prochain. 4. P. 17. 5. P. 18. 6. P. 38.
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On voit que l'historien exagre outre mesure les loisirs de l'EspritSaint. Corniment un lecteur instruit, mais ni thologien ni cxgte, n'aurait-il pas l'ide, en lisant ces lignes, d'une Eglise qui nat et se forme tout doucement, au hasard, au petit bonheur, au gr de circonstances favorables, allant, e n dfinitive, comme elle peut? A l'origine; un groupement s e fondant sur le faux espoir de la parousie prochaine, command par le besoin de se sentir les coudes en face de r ennemi. Mgr Duchesne a-t-il jlu l'vangile? Jsus, ds le commencement de s a vie publique, nous y apparat, esquissant les caractres du royaume qu'il venait fonder. Royaume tout d'abord spirituel. Il n'est pas de ce monde (1); on y adorera le Pre eu esprit et en vrit (2) ; on y fera sa volont (3) ; on y ralisera l'idal d'une perfection plus, haute que celle des scribes et des pharisiens (4) perfection, d'ailleurs prdite par les prophtes. Ce royaume est au-dedans de nous () ; il est une vie (6) et suppose unie rgnration dont l'Esprit-Saint est l'auteur (7); il s'affirme par la dfaite do Satan (8); on n'y est admis! qu'au prix d'une conversion (sincre (9) ; pour y tre reu, et s'y maintenir, il faut tre rsolu aux plus dures privations et aux plus grands sacrifices (10). Satan, qui a dtourn de l'entre reviendra la charge (11). Ce n'est mme pas tout d'tre admis : il en estt qui, infidles leur vocation, s e feront expulser (12); d'autres demeureront, mais pans tre meilleurs, car si la saintet est propose tous, beaucoup ne se soucieront pas de la pratiquer et, ainsi, l'ivraie demeurera mle au froment jusqu'au temps de la moisson (13). Ce royaume, en second lieu, aura une physionomie extrieure ou sociale. Ce deuxime aspect, si frquemment annonc avant la Passion, s e ralise aprs la rsurrection. j Comme mon Pre m'a envoy, ainsi je v o u s envoie... (14). Toute puissance m'a t donne dans le ciel et sur la terre. Allez donc, faites disciples tous les peuples... (15). Pierre m'aimes-tu plus que ceux-ci?... Pais, mes agneaux, .pais lues brebis (16). N'y a-t-il pas l, en mme temps qu'une forme nouvelle de vie, clairement indique, un cadre trac, une institution ferme et fixe? Et n'est-ce pas ainsi que l e royaume s e rvle dans les crits primitifs .distincts des vangiles? 1. Jo., XVIII, 36. 2. Jo., IV, 21-23. 3. Mt., VI, 10. 4. Mt,- V. ' B V T O fyu&e, ( L . XVII, 21). par opposition ne<ros t^p, (Jo., I, 26). Intra vos... Mdius vestrum stetit. 6. Jo., X, 10. - 7. Me, X, 14, 15; Jo., III, 5. - 8. Mt., XII, 28; Me, I, 21; Jo., XII, 31. - 9. Mt., XVIII, 3; Me, I, 15. - 10. Mt., XI, 4 2 ; XIX, 12-24; Me, X, 25; L. IX, 52; XVI, 16; XVIII, 25. - 11. Mt., XM, 44; Me, IV, 15; L., XI, 25; XXII, 31. 12. Mt, XXII, 13. - 13. Mt, XIII, 25-69. 14. Jo, XX, 21. 15. Mt, XXVIII, 18. 16. Jo.; XXI. 16-17.
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Toutefois un lment fait dfaut : la vie promise ne circule pas encore dans le merveilleux organisme que le Christ vient de crer. Mais voici la Pentecte : l'Esprit d'En-Haut, Seigneur et vivifiant, vient fconder l'Eglise : il lui confre, avec les dons sanctificateurs, l'assistance qui la rend infaillible et cette force divine qui, triomphant de tous les obstacles, donnera une confirmation clatante l'engagement pris par le Christ, de demeurer avec son Eglise tous les jours jusqu' la consommation des isicles : Accipietis VIRTUTEM supervenientis Spiriius Sancti in vos (1). Voil, n'en dplaise Mgr Duches-ne, ce qui a permis l'Eglise de vivre sous des lois perscutrices, de triompher de l'indiffrence, du ddain et de la calomnie (2), et non pas cette force intrieure, vague et mal dfinie, rvle et rayonnant dans la Vertu, dans la charit, dans l'ardente foi des chrtiens de l'ge hroque (3). Ce naturalisme persistant de l'historien le porte carter l'action divine l mme o le livre inspir l'a signale : L'admission du centurion Corneille et de son groupe souleva chez les fidles de Jrusalem des objections assez vives, pour que l'aptre Pierre se sentt oblig de les carter; il ne le fit qu'en se couvrant
d'une intervention
divine (4).
Ainsi prsente, la vision du chef des aptres (5) ne semble-t-elle pas tre une supercherie commande par les circonstances?
C'est prcisment propos det l'attitude prendre relativement ces convertis du- paganisme qu'un conflit clate Antioche. On se dcida le porter devant les aptres et les < anciens de c Jrusalem. Une dputation partit d'Antioche pour la ville sainte. Paul et Barnabe en firent partie. Ils eusrent d'abord lutter, et cela se conoit, dans un tel milieu contre une opposition trs dcide. Cependant les autorits, surtout Pierre, Jean et Jacques frre du Seigneur se rangrent leur a v i s et le firent prvaloir. On partit, scmble-t-il, de cette ide que, de mme qu'il y avait un peu partout des proselytes ct des juifs proprement dits, de mme aussi les glises chrtiennes pouvaient comporter deux classes de fidles (6). C'est encore humaniser cet pisode plaisir. Tout autre, en effet, est le rcit des Actes. Pierre rappelle que Dieu l'a choisi pour vangliser les paens et que le {Saint-Esprit leur a t donn comme aux convertis du Judasme; aucune diffrence n'a t faite entre eux, leurs curs tous ayant t purifis par la foi. Il ajoute : Pourquoi donc tentez-vous Dieu maintenant, en imposant aux disciples un joug que ni nos frres ni nous n'avons pu porter? Mais c'est par la grce 1 Act.. I, 8. 2. P. 213. 3. Ibid. 4. P. 19. 5. AcU C, 9-16. 6. P. 24.
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RELIGIEUX, POLITIQUE,
SOCIAL
du Seigneur Jsus-Christ que nous croyons tre sauvs, de la mme manire qu'eux. Enfin, on dcida d'envoyer la communaut chrtienne d'Antioche une lettre o se lisent ces mots : I L A SEMBL BON AU S A I N T - E S P R I T et nous de ne vous imposer aucun fardeau au del de ce qui est indispensable y> (1). Ainsi un motif de pure politique est tout simplement substitu par Mgr Duchesne aux raisons si hautes invoques par l'aptre e t l'inspiration du Saint-Esprit dont il rclame le bnfice 1 Poursuivons : Manger avec des paens, des incirconcis, rpugnait extrmement aux isralites de vieille roche. Ceci tait trs grave dans la circonstance, car le principal acte religieux de la communaut chrtienne, c'tait prcisment un repas e n commun. Du moment o les fidles du lieu ne pouvaient pas manger ensemble, c'en tait fait de la communion, de l'unit (2). Il y a l une double inexactitude. D'abord, le principal acte religieux de la communaut chrtienne tait l'Eucharistie laquelle tout le monde prenait part et non le repas auquel il est fait allusion. Et puis, sans contester l'utilit qu'il y avait de ne pas scinder l'unit de l'Eglise naissante, il suffit d'ouvrir saint Paul pour constater que tout autres furent les considrations qui lui dictrent sa conduite. Ce qu'il blme, propos de cet incident, c'est qu'on ne marche pas droit selon la vrit de l'Evangile et que l'homme serait justifi par les uvres de la Loi et non par la foi en Jsus-Christ^ ce qui lui arrache ce cri : Si l a justice s'obtient par l a Loi, c'est donc e n vain que le Christ est mort (3). Mais voyons ce que Mgr Duchesne pense de la hirarchie.
* *
Au dbut on se le rappelle un cadre assez flottant; puis ce cadre se renforce, et l'on voit apparatre des personnages qui ne sont pas encore des diacres, mais seulement leurs 'prototypes (4). Il est manifeste que, pour notre historien, les dcisions dogmatiques du Concile de Trente n'ont aucune valeur; elles s'effacent devant les droits du critique. Le saint concile, e n effet, dclare que, dan3 l'Eglise la hirarchie divinement institue comprend les vques, les prtres et les ministres (5). Par ministres, il faut, tout au moins, entendre les diacres. Sans introduire la thologie dans l'histoire, on pourrait, ce semble, tenir compte des documents authentiques : On prsenta (les lus) aux aptres, e t ceux-ci, aprs avoir pri, leur imposrent les mains (6). 1. Ad, c. 6.
6.
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Ne s'agit-il pas l d'une ordination en rgle, plutt que de rclusion de prototypes? Mais les aptres eux-mmes, comment nous sont-ils prsents? Un simple coup d'oeil jet sur les vangiles suffit pour constater chez Notre-Seigneur la volont de fonder une socit ferme : bercail dont il sera la porte (1), maison qu'il btira sur le roc (2). Parmi les disciples il fait une slection : les Douze sont enlevs ja leurs occupations; ils deviendront des pcheurs d'hommes (3); ils seront le sel de la terre et la lumire du inonde (4); ils feront l'office de tmoins (5); parmi eux, il y aura un plus grand et un plus petit, un premier et u n dernier (6); leurs attributions se trouvent netbemsnt dfinies : ils baptiseront (7), remettront les pchs (8) et consacreront l'eucharistie (9); ils dtiendront le magistre de l'enseignement (10) et exerceront une autorit souveraine sur les consciences (11). Cela, c'est de l'histoire. Or, voici le rcit de Mgr Duchesne : Leurs chefs (des fidles) taient douze hommes qui, les annes prcdentes, avaient vcu dans l'entourage intime de Jsus, avaient reu do lui des enseignements qu'ils distribuaient en son nom et se trouvaient en situation d'attester ses miracles (12). En cela o se trouve la transmission de l'autorit : Comme mon Pre m'a envoy, moi aussi je vous envoie... Tout ce que vous lierez sera li (13)... Celui qui vous coute m'coute et quiconque vous mprise (me mprise? (14). Mgr Duchesne renverra, sans doute, la page 90 de son livre, o se lisent ces lignes : Que par les aptres qui l'avaient institue, cette hirarchie remontt aux origines mmes de l'Eglise et tirt ses pouvoirs de ceux qui Jsus-Christ avait confi Bon uvre, c'est ce qui n'est pas moins clair. Mais cela est trs loin de noms donner satisfaction, puisque ce sont les aptres qui auraient institu la hirarchie! Jsus leur a confi son uvre. Trs bien. Resterait prciser s'il faut entendre cette uvre dans le sens loysiste et de quelle nature fut le dpt confi. N'avons-nous pas de trs srieuses raisons de craindre qu'une telle faon de prsenter le& faits n'branle ou ne ruine la M dans l'me du lecteur?
*
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Il s'agit des origines dq l'piscopat1. Jo., X, 16. 2. Mt., XVI, 18. 3. Mt., IV, 19; Me, I, 17. 4. -13. 5. Mt., X, 18; XXIV, 14. 6. Mt., XX, 26; XXIII, II; Me, 34. 7. Mt., XXVIII, 17. 8. Jo., XX, 22. 9. L., XXII, 19. 10. XVI, 15; Mt., XXVI, 20. - 11. Mt, XVIIT, 18. - 12. P. 14. '13. XVIII, 18. 14. L., X, 16.
Critique du libralisme. 15 Juin, <
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Cependant le personnel hirarchique existait dj; on le dsignait mme par les termes qui sont demeurs en usage. Dans l'intitul de sa lettre aux Philippiens, crite vers 63, saint Paul s'adresse aux saints du Christ qui sont Philippes, avec les vques et les diacres. Quelques annes auparavant, en se rendant Jrusalem, il avait convoqu les prtres d'Ephse et leur avait recommand la jeune glise o le Saint-Esprit les avait constitus d vques . Ici apparat dj l'indistinction des prtres et des vques et le gouvernement collgial de l'Eglise. Comme celle de Philippes, l'glise d'Ephse est dirige par un groupe de personnages qui sont la fois prtres et vques (1). Qu'elles (les communauts) eussent un vque leur tte ou qu'elles en eussent plusieurs, l'piscopat recuaillait la succession apostolique (2)... L'piscopat collgial, par lequel on a srement commenc en plus d'un endroit, ne pouvait tre considr comme une institution dfinitive; il dut se transformer de trs J30nne heure (3)... Le progrs naturel des choses allait une concentration de Vautorit entre les mains d'un seul; ce changement, si fchangement il y eut, tait de ceux qui se font tout seuls, insensiblement, sans rvolution. Le prsident du conseil piscopal avait, Rome, Alexandrie, Antioche et bien ailleurs, assez de relief au milieu de ses collgues pour que son souvenir se soit conserv isolment et facilement (4). L'glise de Dieu qui habite Rome pouvait avoir hrit collgialement de Vautorit suprieure de ses fondateurs apostoliques ; cette autorit se concentrait dans le corps de ses prtres vques; l'un d'entre eux l'incarnait plus spcialement et l'administrait. Entre ce prsident et l'vque unique des sicles suivants il n'y a pas de diversit spcifique (5).
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En dpit de certains correctifs, destins, sans doute, ne pas effaroucher les intransigeants, la thse de Mgr Duchesne est rejeter tout entire et nous n'hsitons pas dclarer que les deux dernires phrases sentent fortement l'hrsie. Que deviendrait, dans cette hypothse, la primaut attribue de droit divin un seul? Quoil C'est un collge qui hrite des prrogatives du premier chef de l'Eglise! Est-il besoin de dvelopper toutes les consquences d'une affirmation pareille? L'Eglise n'est donc pas ncessairement une monarchie 1 Et dire que l'auteur ne voit aucune distinction spcifique entre un prsident exerant l'autorit collectivement avec un conseil et le pontife romain, roi par la volont du Christ, monarque dont aucune restriction ni rserve ne vient limiter l'autorit : Tu es Pierre et sur cette pierre je btirai mon Eglise... Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Et tout ce que tu lieras sur la terre sera li dans le ciel (6)... Pais mes agneaux; pais mes brebis (7). 1. P. 88. 2. P. 90. 3. P. 93. 4. C'est la plus gratuite ds suppositions. 5. P. 94-95. 6. Mt, XVI, 18. 7. Jo, XXI.
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Le progrs naturel des choses allait une concentration de l'autorit entre les mains d'un seul! On reconnat hien l le thoricien qui passe sa vie dpouiller des archives et btir des systmes.: le sem de* ralits pratiques lui chappe. Si cette thse tait vraie, on verrait constamment les Rpubliques se transformer insensiblement, sans rvolution en monarchies. A qui fexa-t-on croire que les covques du prsident d'un collge piscopal se fussent laisss liminer par un de ces changements qui se font tout seuls? Il y aurait eu, pour le moins, et l, quelques rsistances; or, {l'histoire n'en a pas conserv la moindre trace (1).
Mgr Duchesne admet que l'volution hirarchique tait termine partout l'poque de saint Ignace d'Antioche, quarante ans, peu prs, aprs la niort de saint Paul (2); il faut mme reconnatre, dit-il, que, ds oe temps^l, l'piscopat unitaire n'tait pas une institution nouvelle. Oui, mais cette institution, bien qu'elle ne ft pas nouvelle, n'avait pas toujours ni partout exist : pour Mgr Duchesne, vques et prtres taient pris indiffremment les uns pour les autres; leurs attributions se confondaient et l'on voyait une mme Eglise (gouverne par plusieurs vques (3). Or, c'est contre cette thse que noua protestons. Il est question e n divers passages des Actes et des Eptres d'un collge d'Anciens. Le terme n'tait pas nouveau : le grec le rend par itp<TovTpoi ; l'hbreu, par Zekenim. Avant d'tre appliqu aux collaborateurs des aptres, il dsignait deux catgories de personnes : 1 les membres dui Sanhdrin, tribunal suprme qui, au retour de la captivit, fut investi d'un pouvoir de gouvernement et d'une autorit religieuse et judiciaire; 2 les assesseurs du chef de la synagogue, pourvus de pouvoirs disciplinaires.
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Ce terme de 7rpcr6iirpoi s'entend donc de dignitaires, dpositaires de pouvoirs qu'ils ne peuvent exercer que sous la direction d'un chef. *JLmvxno; a un sens tout diffrent; il est grec de forme et de signification; littralement, il veut dire surveillant et s'appliquait chez les Grecs des magistrats ou officiers d'un rang suprieur. Les traducteurs alexandrins et les auteurs originaux qui ont crit en grec l'ont appliqu des personnages dont la charge leur paraissait rpondre celle que remplissaient les piscopos grecsi ou offrir quel1. A la page 91 on lit : Nulle part il n'y a trace d'une protestation contre un changement brusque et comme rvolutionnaire, qui aurait fait passer la direction des communauts du rgime collectif au rgime monarchique . Comment concilier ce passage avec l'existence d'un piscopat collgial par lequel on aurait srement commenc en plus d'un endroit ? Explique qui pourra cette contradiction. 2. P. 90-91. 3. Lire de la page 87 la page 95.
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que analogie avec elles (1). On le trouve dans la version des Septante pour dsigner : I des chefs militaires (2); 2 des dignitaires de la hirarchie sacre : Elazar, fils d'Aaron, est appel piscopos des lvites et Badiel reoit le nom 'piscopos des prtres (3); 3 la Providence de Dieu- et sa visite (4). Dans les Actes, l'apostolat de Judas est nomme imtntnn. A premire vue, il y a donc dans cette deuxime expression une signification plus haute que la premire. Mais il convient d'tudier ce point plus fond.
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Deux faits doivent tre concds : saint Pierre, saint Paul et saint Clment romain se servent du terme de Trpeffourpot pour qualifier mme les dignitaires du premier rang et ils appliquent parfois aux simples prtres ce qui s'entend des vques, mais seulement sous le rapport des qualits ou vertus exiges d'eux et des fonctions qui leur sont communes. Il ressort de tous les textes : I que c'est aux rtcrx(7rot seuls qu'il appartient de rgir l'Eglise et de patre le troupeau: 2 que jamais le nom d 'imannos n'est donn aux simples prtres- D'aucun de ces textes on ne saurait infrer l'existence d'un piscopat plural.
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En un pareil sujet, les traditions les plus antiques ont bien leur valeur. Or, saint Jean Chrysostome (IV sicle), parlant de Tordre donn Tite d'tablir des presbytres dans les diffrentes villes de la Crte, fait observer que cela s'entend d'un seul vque prpos chaque ville pour prendre soin des mes (). Au commenceraient de oe mme sicle (a. 325) le Concile de Nice dclare que jamais il ne saurait y avoir deux vques, dans une mme ville (6). Au milieu du III sicle, s,aint Cyprien crit : Quelqu'un s'imaginera-t-il qu'il puisse y avoir en un m m e lieu plusieurs vques et plusieurs troupeaux, lorsque le Sauveur a dit : Un seul pasteur et un seul troupeau? (7). Et saint Ignace d'Antioche, un contemporain des aptres, est encore plus affirmatif : Un seul corps du Christ, un seul calice, un seul autel; de mme, un seul vque avec s e s prtres et ses diacres j(8).
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L'antiquit chrtienne ne s'est jamais arrte l'ide d'un piscopat qui ne serait pas ou qui n'et pas t, ds le dbut, monarchique. L'argument tir des listes episcopales corrobore ces donnes traditionnelles. Hgsippe, dit Mgr Duchesne, qui fit un long Voyage d'glise en glise, recueillit en plusieurs endroits des listes episcopales, ou les tablit lui-mme, d'aprs les souvenirs ou les documenta indignete' (9). Toujours et partout, aussi loin que ces lis1. Cf. Palis, YEvque dans les livres du Nouveau Testament. 2. Jud., IX, 28; IV Reg., XI, 15. 3. Nam., IV, 16; II Esd., XI, 14. 4. Job, X, 12; Sap, II, 20. 5. Ad Tit, Hom. 2, n. L 6. Can., 3. 7. Lib. de Unitate Ecclesiae. 8. Ad Philad, n 4. 9. p. 92.
ANCIENNE DE L ' G L I S E
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Mgr D.uchesne reconnat encore que la mre-glise de Jrusalem avait t pourvue, ds le sparation des aptres, d'un gouvernement tanitaire ( 1 ) . i Or, d'aprs les Actes (2), saint Jacques, le premier vque de cette ville, tait assist d'un conseil de ^pecrurpot, preuve manifeste que ce conseil ne s'opposait pas l'existence de l'piscopat, tel que nous le concevons aujourd'hui. N'est-il pas remarquable aussi que, dans ses ptres pastorales, saint Paul qui parle desi diacres au pluriel, quand il numre les garanties qu'ils doivent prsenter, met le mot "mo-xono*; au singulier, lorsqu'il dtaille les qualits exiges de l'vque (3)? 11 omet les prtres, dit saint Jean Chrysostorne, parce que les vertus requises de l'vque doivent galement se trouver chez les prtres. Ceux-ci ne diffrent de l'vque que par le pouvoir d'ordonner et de gouverner que l'vque seul possde (4). Reste la preuve tire de l'Apocalypse. Nous prtendons que c'est tort que Mgr Duchesne l'cart. Si l'on tait plus au clair sur les anges des glises d'Asie dont il est question au commencement de l'Apocalypse, il serait peuttre permis d'affirmer que cette dnomination symbolique vise les vquea de ces glises. Et il n'y aurait pas lieu de s'en tonner, car entre l'Apocalypse et les lettres d'Ignace il y a peine vingt ans. Ce sens, toutefois, n'est pas certain (5). Ce sens, au contraire, a t certain pour toute la Tradition, si l'on en excepte saint Grgoire de Nazianze (6) et Origne (7). En fait, il n'y a que quatre hypothses,' possibles. Ces yyzkoi dsignent, ou bien les esprits clestes, ou bien les messagers des Eglises, on bien ces Eglises elles-mmes, .ou, enfin, leurs vques. La premire supposition est absurde : Notre-Seigneur n'avait aucun besoin d'intermdiaire pour signifier aux anges ses volonts. La seconde n e se soutient pas davantage. Si les messagers sont prsents, pourquoi leur crire?? Si dj ils sont de retour dans leurs villes respectives, leur mission a pris fin. Il est peine ncessaire de rfuter la troisime. Dans deux passages (8), les anges, dsigns par les toiles, sont nettement distingus ,des glises figures par les candlabres. Tout oblige, au contraire, se ranger la quatrime : l'limina1
1. P. 90. 2. Act, XV. 3. I Tim., III; Tit., I. 4. la I Tim.. nom. XI, n. 1. 5. P. 91. 6. Orat. XXXII. 7. En particulier In Luc;., nom. XXIII. 8. I, 20 et IL 1.
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tion d e s autres, l'expression Ego Joannes frater vester ( 1 ) dont se sert l'aptre en crivant, la menace faite l'ange de l'Eglise d'Ephse de lui ter son candlabre, c'est--dire son Eglise (2), la vigilance recommande celui de Sardes (3). Franchement, des considrations aussi fortes ne devraient-elles pas l'emporter sur des objections tires de la simple obscurit de quelques textes? Certaines conclusions, pourtant trs fermes de l'histoire, n'ont pas toujours un fondement plus solide. Mais ces objections elles-mmes (4), nous ne sommes peut-tre pas sans moyen de les rsoudre.
1 De l'omission du mot prtres dans l'Eptre aux Philippiens (5) et dans la I* dmentis (6), on n'est pas en droit du tout de conclure l'identit des prtres et des vques, comme si les premiers taient passs sous silence, parce qu'ils seraient compris sous le nom gnrique d*7ncr)id7rot;. La solution de cette premire difficult se trouve dans un texbe tout fait remarquable de saint Epiphane (7), mieux mme de connatre l'histoire des. temps apostoliques qu'un rudit du XIX sicle. L, dit-il, o le besoin s'en faisait sentir et o l'on trouvait des hommes dignes de l'piscopat, des vques taient tablis; lorsqu'il n'y avait pas de fidles capables d'tre levs la prtrise, on se contentait du seul vque pour un mme lieu (8). (Mais si l'vque n'avait pas de collge sacerdotal, du moins n'taitil jamais priv de diacres), car, ajoute saint Epiphane, il ne convient pas que l'vque soit sans diacre.
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Il est donc trs possible qu'il ne se soit trouv aucun prtre Philippes, lorsque Paul crivait son ptre. 2 Mais, du moins, insiste-t-on, y avait-il dans la communaut plusieurs vques, puisque le mot est au pluriel. Cette dduction n'est nullement rigoureuse. Nous voyons par les Actes (9) que saint Paul, aprs avoir fond la communaut de Philippes, traversa fAmphipolis, la capitale du pays, Apollonie, Thessalonique et Bre. Pourquoi n'y aurait il pas eu de chrtients Amphipolis et Bre, comme il y en avait Thessalonique et Philippes? De l, plusieurs vques dans une rgion fort peu tendue. On remarquera le texte grec, tel que nous l'avons cit : < Aux saints c 1.1, 9. 2. II, 5. 3. III, 2. 4. Voir Mgr Duchcsne, p. 88.
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C Phil. I), 6. (Apostoli) per regiones et urbes... constituerunt... episcopos et diaI conos illorum, qui credituri erant (n* 42). 7. Nomm vque de Salamin* en 367. 8. m Tt() jfdTct TOTTOV f i o v i f j irurKoirtp (Haer^LXXV, n. 5). 9 Act., XVII, 1-14.
UNE
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qui sont Philippes et en mme temps aux vques et aux diacres. Rien n'indique que ces vques fussent tous Philippes. Le commissionnaire aura t charg de prciser les destinataires. Peu aprs, saint Paul mit cette prcision dans la lettre mme : Lorsque cette lettre- aura t lue chez vous (Colossiens), faites qu'on la lise dans l'Eglise de jLaodice et que vous lisiez votre tour celle qui vous arrivera de Laodice (1). On sait que l'Epitre aux Ephsiens est galement une Eptre circulaiie. 3 Mgr Duchesne s'appuie ensuite sur le chapitre XX des Actes. Paul avait convoqu les prtres d'Ephse et leur avait recommand la jeune glise, o le Saint-Esprit l'es avait constitus vques . Ici apparat dj l'indistinction des prtres et des vques et le gouvernement collgial de l'Eglise (2). C'est forcer un peu le rapprochement. Mgr Duchesne ne peut ignorer que saint Irne qui, par son matre feaint Polycarpe, tait presque contemporain de cet pisode, nous apprend que l'aptre avait convoqu, avec les npea-vTipGt d'Ephse, les chefs de toutes les Eglises voisines, c'est--dire leurs vques (3). Ce texte si prcis est confirm en quelque sorte par le discours de saint Paul lui-mme : Je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous tous parmi lesquels J'AI P A S S en prchant le royaume de Dieu... Durant trois annes, je n'ai cess nuit et jour d'exhorter avec larmes chacun de vous. 4 Ainsi s'vanouit encore l'objection tire du chapitre V de la I* Ptri : Je conjure donc les prtres qui sont, parmi vous, moi, prtre comme eux,... paissez le troupeau de Dieu qui vous est confi, veillant sur lui (4), non en dominateurs des Eglises (5), mais en tant les modles du troupeau. Et quand le Prince des pasteurs paratra, vous recevrez la couronne -de gloire qui ne se fltrit jamais. Le mot prtre, ici encore, a un sens gnrique; mais, dans la seconde partie de son exhortation, l'aptre s'adresse aux seuls vques. N'oublions pas, e n effet, que, d'aprs sa suscription, l'Epitre est adresse toutes les Eglises des provinces du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l'Asie et de la Bithynie (6). Rien donc, mais rien absolument, n'autorise Mgr Dtachesne prtendre qu'en maint endroit on a commenc par un piscopat plural et que l'piscopat unitaire constitue un stade postrieur de la hirarchie (7).
A la fin de son chapitre sur l'piscopat, Mgr Duchesne crit encore ((8) :
rouvres. 5. T *
1. Coloss., IV, 16. 2. P. 88. 3, Adv. Ilaeres., I l l , XIV, 2. 4. 'Biroira. kXqpup ; le sens est un peu obscur, mais cela n'a aucune importance. 6. I, 1. 7. Voir les extraits cits. 8. P. 94.
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LA
CRITIQUE
DU L I B R A L I S M E
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
D'aprs certains souvenirs un peu confus que nous a transmis la tradition, ils (les collges piscopaux) auraient conserv assez longtemps le pouvoir d'ordination, caractristique actuelle de l a dignit piscopale. Les prtres d'Alexandrie pourvoyaient au remplacement de leur vque dfunt, non seulement en lisant, mais en consacrant pon successeur (1). Comme rfrence il cite le Dictionnaire d'archologie chrtienne de Dom Cabrol (I, 1204). Or, voici la conclusion de l'article vis : En somme, il nous semble qu'on fera bien de ne pas s'engager trop fond et la lgre sur les textes de saint Jrme et des autres... Cette tradition fut-elle mise en cours par les Ariens au sujet d'Athanaso ou bien a-t-elle un fondement plus srieux dans les faits, c'est ce qu'on ne saurait affirmer avec certitude. Les textes de Clment et d'Origne, aussi bien que leur silence inclineraient penser le icontraire (Ibid. 1210). Les preuves sur lesquelles repose le fait signal sont, en effet, de trs mdiocre valeur; autant dire qu'elles n'existent pas :
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1 Svre, vque d'Antioche (V sicle) crit : Il tait d'usage, autrefois., que l'vque d'Alexandrie ft tabli par des prtres. Lorsque Svre traait ces lignes, il y avait au moins deux sicles que cet usage si jamais il a exist avait disparu. A quelle source le narrateur a-t-il puis son renseignement? Il est impossible de l e
'SjkYoir.
2 Le moine Pomen ne proteste pas contre les dires de quelques visiteurs accusant le patriarche d'Alexandrie d'avoir t consacr par des prtres. Cet excellent moine avait, sans doute, de trs bonnes raisons pour se taire. C'est l, du reste, un argument ngatif dont on ne saurait tirer igrand'chose. 3 Eutyichs, patriarche melchite d'Alexandrie (X sicle), dclare : Il est d'usage dans l a ville d'Alexandrie qu' la mort du patriarche, les prtres lisent l'un d'entre eux, auquel ils imposent les mains, qu'ils bnissent et consacrent patriarche. Cette coutume a dur jusqu'en 318. Un tmoin du X sicle cit l'appui d'une coutume antrieure 318 est videmment une source de tout premier ordre. Mais ce tmoin est contredit par un de ses contemporains nomm Svre beaucoup plus estim que lui. 4 Origne (2) se contente d'indiquer les diffrents modes de nomination ou de dsignation des vques. La suite implique que l'vque, aprs la dsignation faite par le clerg, tait ordonn par l'imposition des mains.
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M . Ch. Gore nie qu'il y e une diffrence entre Alexandrie et les autres Eglises spus l e rapport des conscrations piscopales (1). 5 Dans sa lettre (146 ) Evangelus, saint Jrme crit : Les prtres, depuis les jours de Marc, ont coutume de donner le nom d'vquc l'un d'eux choisi dans leur nombre et plac au plus haut rang. Or, un autre passage de sa lettre indique trs clairement qu'il est question ici d'lection et non de conscration : Que fait l'vque de plus que- le prtre, si ce n'est de confrer l'ordination? Lorsqu'il s'agit d'une tradition oppose aux conclusions de la critique moderne, Mgr Duchesne a coutume de se montrer plus exigeant. Puisqu'il en tait consulter les dictionnaires, voici ce qu'il et trouv dans le iDictionnaire Apologtique (2) publi sous la direction du Pre d'Als : La tradition ecclsiastique est unanime enseigner que, seuls, les vques ont l a plnitude de l'Ordre ncessaire pour crer des prtres et des diacres... Il n'y a aucune raison de croire que les episcopipresbyteri (simples prtres) des crits apostoliques aient jamais ordonn d'autres pasteurs ou des diacres par l'imposition des mains.
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On peut opposer cette thse, il est vrai, le texte de saint Paul si frquemment cit : Noli negligere gratiam qu in te est, qu data est tihi per propheiiam cum impositione manuuni presbyterii (3). Mais ce texte s'explique par cet autre : Amonete ut ressuscites gratiam Dei qu est in te per impositionem mamrum mearum (4). Aujourd'hui, encore, l'vque seul consacre les prtres, bien que le collge saxrdotal tout entier l'assiste en imposant les mains (5). (A suivre). Chanoine J.
MARCHAND.
R P O N S E A LA C H R O N I Q U E SOCIALE (>
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Si nous mettons une insistance particulire en cette dfense, d'ailleurs tout objective, des initiatives de VAction franaise, c'est que les puissances du libralisme, avec un ensemble manifeste, concsn1. Voir Sanders : Etudes sur saint Jrme, p. 332, suiv. 2. Fasc. VI, p. 1759. 3. I Tim., IV, 14. 4. Il Tim., IV, 14. 6. Voir un excellent article paru dans VUnii Caitolica de Florence, no du 22 avril 1911. 6. Voir la Critique du Libralisme, du 15 mai 1911, pp. 170-182, et du 1 juin 1911, pp. 236-250.
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Irent prsentement contre elle leurs plus nergiques et leurs plus perfides efforts. Il y a l pour nous un avertissement qui ne doit pas ^tre nglig. Une force, la fois doctrinale et active, qui suscite contre elle un pareil faisceau d'animosits, se trouve dsigne du coup la sympathie de ceux qui, de toujours, se dfirent du langage et des crits des adversaires qu'elle rencontre. Quant M. l'abb Thellier de Poncheville, en mme temps qu'il fait sa partie dans ce concert, il n'oublie pas d'y moduler un solo p revient son leit-motiv de catholicisme social. S'il se dfie, dans la proportion que nous avons vue, du pouvoir fort en l'attente duquel trop de catholiques s'attardent son gr, ce n'est pas seulement cause des dsenchantements qui assombrissent la perspective des lendemains navement esprs , c'est aussi parce -que, toul autant que l'action du pouvoir, l'organisation sociale, elle .aussi, conditionne la vie religieuse d une nation : La moralit des citoyens dpend, en dehors des causes d'ordre surnaturel, de leur rgime conomique autant, sinon plus, que de leur rgime politique. Un Etat qui serait catholique dans ses manifestations officielles, mais paen dans sa loi du travail et dans son mode de proprit, rendrait presque impossible des 'murs honntes. Au contraire, dans un ordre social pleinement chrtien, le mal que tente de faire un gouvernement sectaire se trouve circonscrit, l'essor du bien iavoris. Nous souscrivons sans peine toutes ces vrits, encore que nous noua demandions si, pour enfoncer des portes ouvertes, il tait bien ncessaire d'aller chercher un trousseau de fausses clefs. Car c'est procder de la sorte que de donner entendre qu' VAction franaise, on poursuit autre chose que la ralisation d'un ordre social pleinement chrtien par quoi le mal sera circonscrit , le bien favoris , la loi du travail soustraite, aussi bien que le mode d e proprit , aux dformations de 1' Etat paen .
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On comprendrait ces inquitudes de M. l'abb Thellier de Poncheville, si l'Action franaise professait l'insouciance de l'cole de Manchester, et le laissez-faire, laissez-passer des conomistes libraux, pour qui la production et la circulation des richesses sont des phnomnes indpendants de la (morale, et dont le libre jeu suffit rparer de lui-mme les maux qu'il peut lui choir d'engendrer. Mais le collaborateur de la Chronique sociale ne sait-il pas que c'est tout le contraire, et que, nulle part plus qu' Y Action franaise, on ne rpudie le libralisme conomique? Il y est honni au mme titre que le libralisme religieux, .que le libralisme politique, que le romantisme littraire, que le modernisme sous toutes ses formes. Et tout de mme que M. l'abb Thellier de Poncheville est l'aptre quinteux du catholicisme social , l'Action franaise prconise allgrement une monarchie sociale , qui concrtiserait adquatement Jes meil-
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leures aspirations des catholiques, sociaux. Mme, Y Action franaise est, ce point de vue, d'autant (mieux assure d'atteindre son but, que son prince a fait siennes toutes les vues que le comte de Chambord, il y a plus de quarante ans, avait exposes avec une clairvoyance quasiment prophtique sur la corporation libre et chrtienne , et sur la ncessit d ' opposer au privilge industriel le contrepoids d e la dfense commune des artisans. M. l'abb Thellier -de Poncheville fait donc une dpense d'encra superflue, quand il numre, pour les proposer notre sollicitude, toutes les causes de dchristianisation qu'il aperoit dans l'organisation ouvrire d'aujourd'hui, telles que le travail du dimanche pour beaucoup d'ouvriers , le travail de nuit pour les petits verriers , la dsorganisation de la famille par les exigences d'une industrie mal ordonne , l'exploitation des travailleuses domicile par la libre concurrence , l'absence de logements populaires convenables , les veilles tardives , etc. Et c'est fort abusivement qu'il croit triompher de nous quand il conclut : C'est donc se leurrer que de tout attendre d'un changement de dispositions dans le pouvoir: pour rechristianiser la France, un autre labeur s'impose, et s'imposerait mme sous un autre rgime, plus long, plus profond, plus fcond: l'organisation d'une socit gui facilite chacun l'accomplissement de son devoir. L'objurgation, encore une fois, serait pertinente si les catholiques auxquels l'auteur s'adresse commettaient l'imprudence de tout attendre d'un changement pareil celui que Y Action franaise entreprend d'oprer. Mais c'est, ni plus ni moins, dfigurer leurs penses. Cellesci se rsument dans le conseil de l'Ecriture : hc oportuit facere et illa non omittere. Oui, et plus que personne, ils tiennent pour ncessaire la rgnration chrtienne de la socit, et ils y travaillent, autant et mieux, dirions-nous, que tous autres; mais- ils ont aussi la sagesse de rclamer, pour protger cette rgnration, pour en conjurer la prcarit, pour en prmunir la fragilit, la prcieuse et vraiment irremplaable tutelle d'un gouvernement lui-mme chrtien. Encore qu'il soit de mode, dans le jeune clerg d'aujourd'hui, d'ignorer tout oe qui s'est pass sous Pie IX, et ainsi de perdre dlibrment le bienfait des leons que comporte cette histoire pourtant rcente, M. l'abb Thellier de Poncheville n'a-t-il jamais entendu parler de la fondation des Universits catholiques? L'histoire de celle de Lille devrait lui tre familire. Cette cration fut une merveille de gnrosit et de foi. A la diffrence de ses quatre surs de Paris, de Lyon, de Toulouse et d'Angers, l'Universit catholique de Lille prsentait, ds le jour o Pie IX lui adressa sa bulle d'institution canonique (1), le cycle complet de l'enseignement universitaire, avec 1. Cette bulle, reue en grande solennit dans l'glise Saint-Maurice de
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ses cinq Facults, thologie, droit, lettres, sciences et mdecine. Et cette Facult catholique de mdecine , unique en France, tait mme dote, sinon d'un hpital entier, du moins de toute une aile d'un hpital nouvellement fond Lille, l'hpital Sainte-Eugnie. Jamais l'initiative prive, aide du< concours d'une municipalit alors bienveillante., n'avait atteint d'aussi beaux rsultats. Et pourtant, l e s deux hommes qui avaient le plus largement contribu procurer ces rsultats, savoir M. Philibert Vrau pour l'ensemble de l'Universit, et son beau-frre Jtf. Camille Feron-Vrau spcialement pour la Facult de mdecine, durent faire appel toutes les ressources de leur vertu exceptionnellement discrte, pour dissimuler le lgitime dpit qu'ils prouvrent e n voyant que l'Assemble nationale, qui avait su donner la libert de l'enseignement suprieur, n'avait ni su, ni pu, ni (disons-le) voulu assurer une telle lgislation l'indispensable abri d'un pouvoir capable de la maintenir, de l'appliquer loyalement, et d'en garantir le libre essor. L'hpital lui-mme, dont son seul nom atteste l'origine impriale, faillit vingt fois tre retir aux professeurs et aux tudiants de la Facult catholique de mdecine. Si bien que, quand aujourd'hui M. Paul Feron-Vrau, un autre ami de M. l'abb Thellier do Poncheville, incline faire bon march d'un pouvoir tutlaire, c'est aux uvres si gnreusement fondes par on oncle et son pre qu'il inflige implicitement le prjudice de les vouer la prcarit et la ruine. Et M. l'abb Thellier de Poncheville lui-mme accorde qu' un bon gouvernement aiderait sans doute l'uvre de rechristianisation; mais, nous en sommes vraiment peines pour lui, c'est pour ajouter incontinent cette mchante rserve : Parmi ceux qui le rclament ou le soutiendraient, combien n'ont nul souci de ce travail social, s'y montrent opposs, ou, s'en dclarant aujourd'hui partisans, y rpugneraient le jour venu, ne l'ayant admis que comme un moyen d'arriver, comptant peut-tre sur ce bon gouvernement pour enrayer ces rformes dont leurs intrts personnels et leurs privilges de classe se croiraient lss I Nous avions, nous l'avouerons, la candeur de croire une plume sacerdotale incapable de pousser ce degr la coupable pratique des jugements tmraires . NonI en vrit, un prtre ne devrait pas crire v telles choses. Et, si nous n'opposons que des raisons ces hypothses diffamatoires, il faut que nous contenionsi notre trs relle indignation II y a, s'il y tient, des hommes peu soucieux du travail social parmi ceux que vise M. l'abb Thellier de Poncheville (et qui, puisqu'il parle de classe , appartiennent la sienne plus Lille, eut pour lecteur, du haut de la chaire, M. l'abb Frdric Fuzet, alors secrtaire-gnral de cette Universit, aujourd'hui archevque de Rouen, qui M. l'abb Thellier de Poncheville, si bien accueilli par Sa Grandeur lors de la Semaine sociale de 1910, pourra demander la confirmation de ces dtails.
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qu' la ntre) : mais quoi tient cette indiffrence? deux causes (probables. La premire est que, trop souvent, le travail social est l'uvre d'agits fort dangereux, de novateurs , de rvolutionnaires , plus que de traditionalistes , suivant la classification que Pie X a tablie dans son Encyclique sur le Sillon; croit-on, par exemple, que, quand M. l'abb Gayraud vint, dans la seconde circonscription de Brest, clamer : guerre aux chteaux, paix aux chaumires 1 , c'tait pour disposer les autorits terriennes de Bretagne en faveur du travail , plus antisocial e n dfinitive que social , que cette propagando intresse prtendait achalander? La seconde cause de la tideur possible de certains, aristocrates au regard de l'action catholique sociale est que, depuis cent vingt ans, l'Eglise n'est pas libre, en France, d'enseigner pareillement aux riches et aux pauvres la rciprocit du dvouement chrtien; pendant le Concordat, et raison des articles organiques et du dcret de 1809 sur les fabriques et sur le tarif des oblations, l'Eglise tait place dans une dpendance telle que les curs de campagne taient Je plus souvent les tributaires et les obligs- des chtelains; et quand fut dnonc le Concordat, ces mmes curs, loin de mettre profit la libert apparemment recouvre pour faire entendre le langage du devoir aux riches avec une indpendance gale celle dont ils usent quand ils parlent aux pauvres, se sont heurts deux obstacles : d'une part, la prcarit pire de leur condition nouvelle, qui les laissait pauvres et quteurs; de l'autre, la faveur qui accueillait les dclamations clrico-dmocratiques, et qui eut tt fait d'inspirer aux royalistes des chteaux une animadversin aprs tout lgitime contre les abbs dmocrates . Mais, cette concession faite, et M. l'abb Thellier de Poncheville reconnatra, nous l'esprons, que nous l'avons tendue autant que nous l'avons justifie, nous ne saurions trop protester contre le bas calcul qu'il prte aux royalistes opposs au travail social , ou ne l'acceptant aujourd'hui que comme un moyen d'arriver , ou attendant du bon gouvernement qu'il enraie les rformes qui lseraient leurs intrts personnels et leurs privilges de olasse . S'il connat de ces royalistes-l, grand bien lui fasse I Ce serait le cas de les aller trouver, pour les convertir me par me, cur cur, au sein des cadres de verdure d e leurs villas; mais, ce qui est sr, c'est qu' Y Action franaise, on ne se chauffe pas de ce bois : les dclarations qu'elle a faites au cours mme de la crise que M. l'abb Thellier de Poncheville a voque en son article, attestent qu'elle a, des intrts personnels et des. privilges de classe , un mdiocre souci. Aussi bien, c'est sur la vertu propre de l'Eglise elle-mme que nous invitons M. l'abb Thellier de Poncheville compter pour flchir les
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douteuse : la restauration sociale toute proche accomplir et d'un rendement certain. Laissons de ct l'illusion prodigieuse qui croit la restauration sociale plus proche que la politique ou possible sans elle, puisque nous avons dj rgl ce compte, mais notons ce rendement certain , qui vaut son pesant d'or; en suivant la glose qui explique ces deux mots, nous dcouvrirons un horizon que nous tions fort loigns de supposer. La restauration sociale que M. l'abb Thellier de Poncheville nous presse de prfrer la restauration politique est donc d'un rendement certain , parce qu'elle fait entrer les catholiques en harmonie avec les plus pressantes aspirations du pays, et parce qu'elle nous conquiert des sympathies qui sont une protection assure contre les manoeuvres sectaires . Dveloppez, ces formules, et vous verrez apparatre, tout simplement, une marque de confiance donne la... popularit lectorale 1 Nous pensions, vous pensiez, tout le monde pensait que le zle de M. l'abb Thellier de Poncheville et de ses pareils tait celui de la maison de Dieu , et que le Misereor super turbas tait dans leur bouche un cri de piti sincre : eh bienl tout le monde se trompait, car il s'agissait de se mettre en harmonie avec les aspirations du pays et de conqurir des sympathies qui sont une protection assure . A un pareil avatar, M. l'abb Thellier de Poncheville souffrira que nous prfrions le bea.u ddain de VAciion franaise pour toute la politique lectorale, et sa. rsolution de travailler trs efficacement pour le peuple sans se proccuper une seconde de cajoler ce peuple et de capter ses . sympathies par des artifices varis. Toutefois, nous ne faisons pas- difficult de convenir que M. l'abb Thellier de Poncheville, en cette nouvelle posture, est bien plus sortble, par exemple, que l'abb Lemire, dj dput : son loqusnce est autrement svelte et sa terminologie autrement agile. Lisez plutt Elle (la restauration sociale) nous dote d'institutions et de lois dont l'action, soustraite aux dispositions variables d'un homme, est une sauvegarde des droits et une dfense des faiblesses contre le retour offensif toujours possible d'une tyrannie d'Etat. Et comment ne pas admirer la solide confiance de M. l'abb Thellier de Poncheville, qui parat vraiment croire que sa Rpublique nous soustrait aux dispositions variables des homme (alors qu'elle est fonde sur laur assidue rvocabilit), qu'elle nous prserve de la tyrannie d'Etat (alors qu'elle l'organise effroyablement), qu'eBe sauvegarde les droits (alors qu'elle les nivelle et les foule aux pieds), qu'elle assure la dfense des faiblesses" (alors qu'elle les crase) ? Il n'est pas jusqu'aux lois , pour lesquelles M. l'abb Thellier de Poncheville marque une rvrence presque comique, v u ceux qui les font, vu la faon dont ils les font, vui la faon dont ensuite on les galvaude. Nous* (ne lui citerons que la plus respecte de toutes les lois rpublicaines : la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse; qu'il demande M.
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Paul Feron-Vrau si l'action des lois est une sauvegarde dans un pays o, par deux fois, la proprit du journal la Croix a t ravie ses lgitimes dtenteurs. Malgr tout, rien ne serait plus facile que de prouver M. l'abb Thellier de Poncheville que les catholiques les plus dvous VAction franaise n'ont jamais pens que, pour remplir leur devoir social de catholiques, ils devaient attendre les facilits agrandies de demain . Bien avant que lui-mme ft appel enseigner ( ? ) le catholicisme social au Congrs de Y Association catholique de la Jeunesse franaise, les royalistes figuraient dans l'uvre des Cercles catholiques d'ouvriers; ils contribuaient activement la fondation d'une foule de syndicats agricoles ; ils taient la tte de toutes les entreprises vraiment efficaces de propagande et de bienfaisance sociale ou conomique. Peuttre ne les concevaient-ils pas toujours comme M. l'abb Thellier de Poncheville, mais n'est-ce pas un dfaut de notre race, que, par exc3 de sagacit, elle se plie malaisment une rigoureuse discipline? Une rigoureuse discipline, disons-nous : mais, s'il faut qu'il y en ait une, est-ce bien dans le sens o nous rencontrons M. l'abb Thellier de Poncheville qu'elle doit s'exercer? D fut un temps, probablement regrett de lui, o, pour dissimuler les dissidences, c'est autour de la Rpublique qu'on prconisait le ralliement. Et certes, comme l'autorit pontificale elle-mme pesait alors dans la balance, il tait difficile de demeurer l'cart. Ce telmps n'est plus, et il n'est pas au pouvoir de M. l'abb Thellier de Poncheville de le faire revivre. Ne tente-t-il pas pourtant de le faire par voie indirecte, en LOUS prsentant dsormais sa Rpublique sous les espces de l'action sociale coordonne avec une collaboration de l'Etat? Et seraitce ce ralliement timide et vieillot qu'il nous propose d'embrasser!, quand il nous dtourne de Y Action franaise? Oui, c'est bien ainsi, pensons-nous, qu'il faut interprter l e dessein qu'a poursuivi M. l'abb Thellier de Poncheville en donnant son article l a Chronique sociale de France. Et aprs en avoir acquis la certitude, nous sommes bien l'aise pour lui dire que l'heure est passe, que le ralliement tend se faire ailleurs', que c'est marquer une dissidence dsormais que de s'entter dans un constitutionnalisme dsuet, et que les prcautions oratoires qu'il doit prendre lui-mme prouvent assez qu'il s'en rend compte. Retournant alors l a supplication qu'il nous adresse, nous serions, dans l'intrt de la discipline, port.es le presser de rejoindre les contingents catholiques qui accourent l'appel de Y Action franaise. Que si, en cherchant le pousser dans cette Voie, nous) risquions de nous heurter une fin de non-recevoir, nous aurions la preuve que notre contradicteur tient bien plus la conception ne de son sens propre qu' la victoire de l'arme catholique elle-mme. C'est que
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la guerre l'individualisme ne prserve pas ceux qui la mnent de ce travers commun tant de gens, d'ailleurs bien intentionns, et qu'il convient d'appeler le personnalisme , afin d'viter le vilain mot d'gosme. Vraisemblablement, M. l'abb Thellier de Poncheville se croit encore au temps o, chaque matin, naissait une nouvelle Ligue, qui n'tait souvent qu'un schisme d'une autre Ligue, toute semblable ou peu s'en fallait. Il va de soi cependant qu'il n'y a vraiment de Ligue que si tous ceux qui poursuivent le mme but en font partie. La multiplication des Ligues dcrte leur anantissement. M: l'abb Thellier de Poncheville, encore qu'il pare la sienne des mots catholique et social , dont il ne saurait revendiquer le monopole, et dont la comprhension excde singulirement son volume rel et mme son volume possible, cre pareillement une petite chapelle dans le temps mme o il enfle la voix comme s'il prchait une croisade. Ceux qui l'couteraient, s'il s'en trouvait, seraient berns. Ceux qui, sans vouloir l'couter, seront exposs l'entendre, auront beau jeu pour lui rpondre, en dmlant dans ses dires certaines rminiscences du ralliement rpublicain : Il est trop tard, on vous a dj donn. Car ils s'en sont trop mal trouvs pour tre tents de recommencer. C'est par dep voies plus directes, et vers un but plus franc, qu'on s'oriente dsormais, et la masse qui prend ces directions plus saines comprenc . deux sortes d'esprits : d'une part, ceux qui, catholiques, traditionnalistes et contre-rvolutionnaires de toujours, ont nettement retrouv dans l'Action franaise l'accent qui les avait toujours mus; d'autre part, ceux qui, plus accessibles aux vrits de fait qu'aux maximes de droit, reoivent de la mme Action franaise cet enseignement, singulirement prenant, que les faits sont partout et toujours les vrificateurs, les tmoins , les pices justificatives des thories justes. Et cette mthode, par quoi le ralisme le plus immdiat rejoint la plus transcendante mtaphysique, apparat comme nouvelle ceux-ci, comme rajeunie ceux-l. Ce qui est sr, c'est qu'elle conquiert les uns et les autres, qu'elle les entrane, qu'elle les subjugue. En sorte que, devant cette irrsistible pousse, la bouderie de M. l'abb Thellier de Poncheville se recroqueville assez pniblement : si nous n'hsitions devant un nologisme qui a la rsonance d'un jeu de mots, nous dirions que son verbe ne peut gure enrgimenter dsormais que les bande--partistes. Or, ce recrutement, nous voyons bien ce que peut gagner l'amour-propre, mais nous voyons surtout ce que perd l'union si ncessaire des catholiques franais. Le dirons-nous? Alors que M. l'abb Thellier de Poncheville ose dnoncer, dans l'adhsion d'un si grand nombre de catholiques VAction franaise, une dfaillance du sens social et presque du sens religieux lui-mme , nous inclinerions dmler, dans les scrupules qu'il voudrait veiller chez eux, la manifestation de ce qu'on pourrait appeler le jansnisme politique. EhI quoi? les hommes les
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.mieux intentionns du monde, cautionns par une gerbe de sacrifices .mritoires, prouvs par de multiples manifestations d'un zle aussi dsintress que gnreux, apportent la France une chance de salut, qui s'avre aussi prudemment calcule que hardiment saisie, et nous la rejetterions? Et pourquoi? Pour toutes ces misrables raisons, pour tous ces faux prtextes qui, plusieurs reprises, en 1849 Paris, en 1871 Bordeaux, e n 1878 Versailles, en 1899 Paris, ont dj empch le salut entrevu et presque capt : en chacune de ces circonstances, e n effet, il semblait qu'on trouvt que, pour mriter ce salut, nous n'tions pas assez parfaits! Joseph de Maistre dit bien que les peuples n'ont que les gouvernements qu'ils mritent; mais c'est drision de s'emparer prventivement d'un jugement que l'histoire seule doit porter a posteriori. Or, il n'est pas de faux-fuyants et d'chappatoires que n'imagine la casuistique abstentionniste pour dtourner les Franais des rsolutions viriles que l'occasion leur offre. Et tout de mme que messieurs de Port-Royal loignrent leurs contemporains de la pratique des sacrements, il semble, scrvatis servandis, que certains esprits chagrins s'vertuent suggrer la France la crainte de sa dlivrance. Qui sait? A l'poque de Jeanne d'Arc dj, la cour de Charles VII et le tribunal de Poitiers devaient compter de ces jansnistes avant Jansnius... XII Mais il faut finir. Glanant donc encore, de-ci de-l, quelques mauvaises herbes que nous avons ngliges dans l'lagage que nous a paru mriter le champ que nous livrait M. l'abb Thellier de Poncheville, nous les carterons rapidement. A propos des monarchies o le pouvoir fort n'est cependant pas favorable l'Eglise, notre contradicteur cite des rois qui se font l'instrument de la Franc-Maonnerie dans sa lutte contre la Papaut, puis des empereurs qui < offrent leurs sujets catholiques la proc tection discrte de leur haute puissance pour les soustraire ce qu'ils disent tre un empitement de la Cour romaine : pour tre juste et complet, il et fallu retenir que la politique maonnique de la Maison de Savoie n'a t possible que parce que la France elle-mme tait rvolutionne ; il et fallu avouer que l'Action franaise loue son prince d'avoir promis d'oprer la sparation de la franc-maonnerie et de l'Etat, il et fallu aussi tenir pour moins intress l'hommage fort sincre que Guillaume II rend assidment la Papaut; il et fallu enfin ne pas oublier que la part lgitime d'indpendance que revendiqua le Centre du Reichstag en 1887 figure dans les lments de cette libert politique des catholiques revendique ces jours derniers pai M. de Narfon au profit de l'abb Leniire, si cher M. l'abb Thellier de Poncheville.
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Perscut pour perscut, le collaborateur de la Chronique sociale aime mieux l'tre par une rpublique que par une monarchie : savezvous pourquoi? Lisez : du moins, quand il (le pouvoir) n'est pas trop puissant, les perscuts ont-ils l'avantage de ne pas lui appartenir tout entier. Le bon billet I Demandez aux religieux proscrits, aux prtres dpouills, aux fonctionnaires espionns-, aux pres de famille dessaisis de leurs droits scolaires, ce que pse leurs yeux cet avantage! Puis demandez aux catholiques anglais si, libres ou gns encore certains titres, ils voient s'accrotre ou se restreindre l'indpendance dont ils sont si fiers au regard de la couronne! Ce recours impatient la puissance du monarque , rpte encore M. l'abbe Thellier de Poncheville, semble trahir l'affaiblissement de-foi r e l i g i e u s e : et il s'indigne la pense que, p o u r i entrer sur cetto terre de France, le Christ devrait se mettre aujourd'hui sous le patronage d'un sabre, la remorque d'un aventurier, dans les fourgons des prtendants ! Fallait-il ramasser, dans la presse rouge, tant de grossiers brocards, pour tayer un pur sophisme? Le souvenir des leons de saint Thomas sur le compos humain devrait pourtant suffire montrer M. l'abb Thellier de Poncheville qu'il ost malais de sauver les mes si Ton ne sauve en mme temps les corps. Puis, est-ce douter de la grce de Dieu, pour protger une vertu dfaillante, que de lui donner des tuteurs mme temporels? Aussi bien, en novembre 1878, le comte de Chambord crivit M. de Mun : Retournez vers ces populations de l'Ouest, et, pour tout dire en un mot, rptez-leur sans cesse qu'il faut, pour que la France soit sauve, que Dieu y rentre en matre, pour que j'y puisse rgner en roi. En 1881, Vannes, M. de Mun dfendit ce programme gmin; dix ans plus tard, il e n dissocia les deux termes; le malheur a voulu que la France allt do. mal en pis depuis le jour o, ne s'inquitant plus d'y voir rgner lo roi, M. de Mun se contenta de souhaiter que Dieu y rentre en matre. Tant il est vrai que les appuis humains ne sont pas de si chtive importance, mme dans l'ordre surnaturel. Ailleurs, M. l'abb Thellier de Poncheville, s'obstinant pressentir, aprs une restauration monarchique, de nouveaux jours fcheux pour l'Eglise, crit :
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... Les amitis de la premire heure se sont plus d'une fois mues en hostilit. Des protections intresses sont devenues par la suite des oppressions. En change des avantages consentis par l'Etat, des complaisances ont t exiges de l'Eglise, et notre histoire nous en a donn de tels exemples que nous nous flicitons aujourd'hui de n'avoir plus d'attaches officielles pour n'avoir plus d'entraves lgales. Croit-on qu'un nouveau Constantin, mme dcid par principe, ou par tactique, mnager les catholiques, n'aurait pas encore la tentation de leur faire payer les liberts qu'il aurait rendues au prix de servitudes son gard? Il est pnible pour un lac d'avoir prsenter un prtre des remontrances de cet ordre. Mais, d'une part, M. l'abb Thellier de Ponche-
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ville n'tant pas mon cur , je ne risque pas de m'exposer au sort de Garo ; puis, quand je songe que l'avnement de Constantin fut appel par onze millions de martyrs, je crois tre prcd par une assez glorieuse cohorte si je cherche sauver la rputation de ce privilgi du Labarum. J'aimerais donc savoir si je m'abuse quand je tiens pour enseigne par l'Eglise (et tout rcemment par Pie IX, par Lon XIII et par Pie X) la thse de l'union de l'Eglise et de l'Etat, do prfrence la sparation. Sans doute, l'Eglise a le souci de sa distinction d'avec l'Etat, comme elle a horreur de sa confusion avec lui; mais elle a pareillement le dsir de Y union autant que le regret de la sparation . Et ces prfrences, trs expressment dfinies, ne souffrent d'exception nulle part : remarquons simplement que, dans les Etats de l'Eglise, il pouvait y avoir une apparence de confusion, en ce sens que les fonctions civiles comme les charges ecclsiastiques taient attribues des ecclsiastiques; encore le Pape avait-il soin de ne jamais cumuler les deux emplois dans les mmes mains : c'est ainsi que Mgr Pecci fut lgat Prouse avant d'y revenir comme archevque. N'insistons pas, et constatons simplement, pour l'honneur de la vrit, que vingt documents pontificaux proclament que l'alliance, entre l'Eglise et l'Etat, est le rgime souhaitable, normal, quelque satisfaction qu'prouve M. l'abb Thellier de Poncheville n'avoir plus d'attaches officielles . Encore s'il disait tout fait vrai! Mais prcisment son got persistant pour le ralliement rpublicain donne penser que, s'il s e rjouit du divorce de l'Eglise elle-mme, il ne serait pas l'ennemi de certaines tractations avec les hommes du rgime qui le consomma... Une dernire citation : Au lieu de se sentir stimules au travail, les volonts paresseuses, encore mal affermies dans leurs desseins d'action, trouveraient une excuse dans ce bon gouvernement, trop vite venu, pour se dispenser de leur propre tche encore inacheve. Sous la faade trompeuse d'un pays pacifi et christianis d'extrieur, un ralentissement de l'activit apostolique se ferait sans doute sentir, dont les suites seraient fatales. La crise religieuse, prmaturment dnoue, se rouvrirait quelque jour. Elle travaille notre France depuis plusieurs sicles : elle demande le labeur de plusieurs gnrations pour se rsoudre par un retour de fond vers Dieu. Si on devait le prendre au pied de la lettre, la conclusion de ce plaidoyer serait que l'tat prsent, si manifestement dtestable, vaut mieux qu'un changement gros d'incertitudes. Aprs cela, n'est-il pas vrai? il n'y a plus qu' crier : Vive la Rpublique! en se confiant au labeur de plusieurs gnrations pour oprer un c retour profond vers Dieu, moins que l'effort de la gnration actuelle ne suffise nous montrer le grand soir ... Mais, comme je
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comprends ceux que tant de patience lasserait, et qui, par amour pour Dieu, crieraient avec l'Action franaise : Vive le roil Paul TAILLIEZ.
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Comme suite au discours du Mange Saint-Paul o M. Marc Sangnier avait lanc un retentissant appel pour la formation d'un parti nouveau . l'ancien chef du Sillon a institu, la Salle de Gographie, une srie d e quatre confrences o il a expos plus en dtail ses ides et son programme dmocratiques. Avant d'aborder l'examen de ces confrences, remarquons en effet qu'elles compltent le discours dont nous avons eu occasion de parler ici, et qu'il n'est pas sans intrt, ds lors, de revenir sur quelques particularits de cette manifestation oratoire. Aussi bien trouverons-nous tout profit nous familiariser l'avance avec les ides dmocratiques de M. Sangnier, telles qu'elles sont apparues au cours du dbat contradictoire dont nous avons dj parl ici, et qui accusent une gale mconnaissance de la vrit historique et doctrinale. Nous n'y insisterons pas longtemps, d'ailleurs, afin de ne pas allonger dmesurment cet article. M. Paul Hyacinthe-Loyson, au cours de sa contradiction, met cette assertion qui n'est pas pour nous surprendre de sa part : savoir que la Rvolution a dtruit la monarchie, et que les suites de la Rvolution ont dtruit l'Eglise. A quoi, M. Sangnier rpond que si l'Eglise tait intimement unie, dans le sentiment de nos aeux, la monarchie, elle a t, au cours des sicles, galement Unie toutes les forces de civilisation et tous les rgimes politiques qu'elle a traverss en les spiritualisant. Rien reprendre dans cette rponse. Mais il ajoute, s'adressant toujours M. Loyson : Vous dites que la Rvolution a dtruit l'ide chrtienne, l'ide religieuse. Non, la Rvolution, au contraire, a marqu, en quelque sorte, tout d'abord, une sorte d'explosion d'idalisme chrtien et fraternel, w Il faut que M. Sangnier n'ait jamais lu un livre srieux sur l'origine de la Rvolution et le but qu'elle poursuivait, pour mettre une n ormi t d e ce genre. Mais, c'est une ncessit de situation pour tout bon dmocrate de rattacher ses origines au mouvement rvolutionnaire et de ne plus y voir ce qu'il fut en ralit : une insurrection contre DieU, et la substitution des droits de l'homme aux droits de Dieu. Plus loin M. Sangnier trouve l'occasion de commettre, dans l'ordre doctrinal, une
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erreur aussi grossire, et qui, naturellement a soulev les applaudissements de l'Assemble. Nous croyons, dit-il, une rmunration ternelle, mais Dieu veut que, sur la terre, chaque citoyen soit charg de faire rgner plus de justice et plus de fraternit en ce monde. Il est peine besoin de faire remarquer quelle interprtation fantaisiste et dmocratique M. Sangnier donne du mandavit cuique de proximo suo, et cela pour les besoins de sa cause. S'il est vrai que Dieu a confi chaque homme le^ soin de son frre, et le souci de son me, il est absurde de prtendre que chaque citoyen en gnral ait t investi de la mission de faire rgner, dans les affaires d'ici-bas, plus de justice et de fraternit. Chaque homme doit la justice et la charit son prochain, mais il n'appartient pas chaque citoyen de faire rgner l'une et l'autre, attendu qu'il y a une autorit suprieure, qui tient ses pouvoirs de Dieu, et laquelle incombe la charge d'assurer la Socit les bienfaits de la justice et de la fraternit. C'est comme une hantise, chez tous les dmocrates, de voir dans chaque citoyen un dtenteur d'une portion, si infime soit-elle, de la puissance publique. C'est la grande erreur du libralisme de considrer la souverainet comme la somme des concessions supposes faites par chacun des sujets. L'autorit nat de l'essence de la socit et de la volont de Dieu, principe de toute obligation. Quant aux concessions, elles servent dterminer la personne (monarque ou pouvoir collectif) laquelle les hommes prfrent se soumettre, en vertu de la ncessit naturelle d'une autorit. Et ils se soumettent alors, selon l'tendue, non seulement du droit qu'ils concdent eux-mmes, mais encore de celui que Dieu confre en plus la personne ainsi choisie. De l l'axiome : omnis potestas a Deo. L'lection d'un suprieur ne cre pas l'autorit : dans la ' ralit elle est seulement un moyen d'appliquer une personne dtermine l'autorit qui est en soi une uvre divine. Le suprieur est immdiatement constitu de Dieu, aprs avoir t humainement lu ou dtermin d'une autre manire. Pas de souverainet propre au peuple : tout au plus, dans certains cas, peut-il choisir ceux auxquels Dieu la confre, selon cette parole de l'Ecriture : P e r me reges rgnant et legum conditores justa decernunt. Il n'tait pas inutile de rappeler la doctrine de l'Eglise, en prsence d'une fausse dmocratie qui veut faire de chaque citoyen un petit souverain. Ailleurs, M. Sangnier rentrant dans le sujet du dbat, c'est--dire l'alliance avec les libres-penseurs pour la constitution d'un parti nouveau , vient d'numrer toutes les questions politiques et sociales sur lesquelles l'accord est possible et il conclut : il semble, au contraire, que nous aurions l le programme d'un parti politique et social qui aurait ceci de particulier et d'excellent qu'il n'inclurait (en lui aucune propagande proprement religieuse ou irrligieuse. Nous aurions donc un parti qui s'occuperait de politique et d'conomie sociale
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et pas d'autre chose . Il est difficile, je crois, d'tre plus libral, et de se mettre plus en opposition avec les. encycliques de Lon XIII et de Pie X, que de dnier l'Eglise le droit de contrle dans le domaine politique, social ou conomique. C'est restreindre et dnaturer sa mission, qui est de tout renouveler et instaurer dans le Christ. C'est donc une doctrine absolument fausse que celle qui consiste dire : que les questions politiques sociales et conomiques tant choses temporelles ne regardent pas l'Eglise. Si, en thorie, il est des questions d'ordre politique, conomique ou social qui semblent trangres son domaine, dans la pratique, elles se traduisent par des actes bons ou mauvais, utiles ou dangereux, dont elle reste juge. La politique areligieuse que rve M. Sangnier, et autour de laquelle il veut faire la concentration de toutes les forces rpublicaines, quelque confession qu'elles appartiennent, si elle peut se concevoir en thorie, se trouve, dan3 les faits, aux prises avec l'autorit de l'Eglise. Et ses contradicteurs ont aison contre lui, et font, e n cela, preuve de plus de bon sens, quand ils lui objectent la ncessit, entre les membres du parti nouveau < d'une conception commune des problmes religieux, tout au moins dans leurs rapports thoriques avec l'activit sociale et politique. Dans .la rponse cette objection, M. Sangnier ira jusqu' dire : il est bien certain qu'il n'est pas un catholique intelligent qui viendrait, aujourd'hui, dans l'tat o nous sommes de division philosophique et religieuse, rclamer, par exemple, que le. catholicisme soit une religion d'Etat... Sans nous attarder rfuter longuement cette grave erreur emprunte aux lgistes et aux tatisbes de toutes les poques, il nous suffit de noter, en passant, que la thorie de l'indiffrentismie religieux, en matire politique, rejoint celle des partisans de l'Etat athe. M. Sangnier qui fait volontiers profession d'tre un fils soumis de l'Eglise, ferait bien de ne pas mettre des doctrines qui contredisent son enseignement, autrement nous serions forc de conclure que, chez lui, le catholique se ddouble, suivant les circonstances. Nous nous en doutions bien u n peu, mais notas venons d'en avoir une nouvelle preuve. Plus loin, M. Sangnier estime qu'il serait possible de se mettre d'accord, actuellement, sur une attitude politique en prparant, petit petit, les esprits une tolrance pratique plus grande et un respect plus grand de la sincrit et de la conscience de ceux qui ne pensent pas comme nous sur les questions religieuses et philosophiques . Ainsi l'ancien chef du Sillon non seulement dpose les armes devant l'erreur, niais il conseille son gard une attitude plus conciliante et plus respectueuse. Le libralisme nous a habitus, de longue date, ce genre de capitulations, celle que propose M. Sangnier n'est pas pour nous surprendre. C'est bien ici le cas de rappeler ce passage de la lettre magistrale de Pie X sur le Sillon, o la tolrance pour l'erreur est formellement condamne. Or, la doctrine catholique nous
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enseigne que le premier devoir de la charit n'est pas dans la tolrance des convictions errones, quelque sincres qu'elles soient,- ni dans l'indiffrence thorique ou pratique pour l'erreur ou le vice o nous voyons plongs nos pres, mais dans le zle pour leur amlioration intellectuelle et morale, non moins que pour leur bien-tre matriel . Mais il y a plus encore. M. Sangnier va jusqu' s'autoriser de la lettre mme du Pape sur le Sillon, polir reprendre toute sa libert en matire politique : Il est bien vident, dit-il, que nous sommes con. vaincus, surtout depuis la lettre du Pape alux Evques de France a u sujet du Sillon, que si le Pape peut et doit nous donner des directions religieuses, il entend nous laisser libres de notre propagande politique et conomique. Cette lettre mme reconnat implicitement que, lorsqu'il s'agit d e la politique ou de ce que le Pape appelle 1' conomie pure , nous avons notre libert complte et absolue, et, plus que jamais, nous sommes convaincu que cette libert est donc bien ntre. M. Sangnier, nous le savons, est trs habile, pour faire tourner son profit les documents mmes qui le condamnent. Toute la question est de savoir si en reprenant sa libert politique, M. Sangnier a renonc aux ides qui l'ont fait condamner. Ce que nous avons dj dit n'est pas pour nous le faire croire. Au surplus, n'est-il pas vident que dans l'essai d'un parti nouveau, calqu sur le projet d'un plus grand Sillon, qui se croit couvert parce qti'il arbore le pavillon politique, encourt les mmes censures pontificales et pour les mmes raisons. Ce changement d'tiquette laisse, quand mme, subsister le blme qui atteint les mmes erreurs. Il fut Un temps dit le document pontifical, o le Sillon comme tel, tait formellement catholique. En fait de force morale, il n'en connaissait qu'une, la force catholiqtue, et il allait proclamant que la dmocratie serait catholique ou qu'elle ne serait pas. Un moment vint o il se ravisa. Il laissa chacun sa religion ou sa philosophie. Il cessa lui-mme de se qualifier catholique, et la formule : La dmocratie sera catholique , il substitua cette autre : La dmocratie ne sera pas anticatholique pas plus d'ailleurs quanti juive ou anfciboudhiste. Ce fut l'poque du plus grand Sillon. On appela la construction de la cit future tous les ouvriers de toutes les religions et d e toutes les sectes. On ne leur demanda que d'embrasser le mme idal social, de respecter toutes les croyances et d'apporter un certain appoint de forces morales. Appelons maintenant parti nouveau c e qui s'appelait le plus grand Sillon et nous verrons, comme on l'a dj observ ici, que le seul changement consiste substituer *une uvre politique une uvre sociale. Mais cette nouvelle tactique n e met pas M. Sangnier couvert des censures pontificales, quoiqu'il se croie toute libert en matire politique, si, par ailleurs, dans ce nouveau domaine qui confine, tant de questions, il retombe dans s e s anciens errements. C'est ce que nous avons examiner dans les confrences de l'ancien chef du Sillon, ayant pour titre : Nos ides et notre programme dmocratique.
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Il n'tait pas inutile, en tout cas, de revenir un pas en arrire; c e coup d'il rtrospectif, si rapide qu'il soit, sur l'inconstance et l'lasticit des principes de M. Sangnier, comme sur ses erreurs doctrinales, servira nous mettre mieux en garde contre ses nouvelles tentatives sur le terrain politique, o il se croit plus l'aise et plus en sret. M. Sangnier a consacr quatre confrences l'expos de ses ides et de son programme dmocratiques. Dans la premire qui a pour, sujet La France contemporaine et la dmocratie : le parti nouveau , M. Sangnier nous dira sa faon lui de concevoir la rpublique dmocratique. Une allusion aux preuves, par lesquelles il a pass, pouvait donner croire que l'ancien chef du Sillon y a trouv l'occasion je s'amender; mais nous ne garderons pas longtemps cette illusion. M. Sangnier, aprs avoir voqu le souvenir de confrences analogues qu'il fit, il y a quelques annes, nous apprend que, depuis ce temps,, il a beaucoup appris, d'autant que la Providence ne lui a pas mnag les preuves. Mais, ajoute-t-il, suivant la manire dont elles sont acceptes, loin de dprimer le courage, elles justifient l'esprit et trempent la volont. De ces preuves, nous sommes convaincus que nous pouvons tirer un utile et fcond parti. Nous n'en serons pas appauvris,, mais enrichis. Auojurd'hui nos ides se sont prcises, nos mthodes se sont affermies. Chaque fois que l'on est amen rflchir, dit-iL encore, contrler sa propre pense, la redresser, l'purer, relever ce qui a pu paratre incomplet dans ce que l'on a profess, on constate, non une dperdition d'nergie, mais un accroissement de forces. Notre conclusion sera donc que nous avons acquis quelquechose de nouveau. Cette confession aussi vague qu'incomplte, que M. Sangnier a jug sans doute trs habile, ne nous dit pas s'il a rompu avec ses vieux; errements sur le terrain dmocratique et social. Nous aurions cependant t trs heureux d'tre fix sur ce point capital. dfaut d'un aveu que nous attendrons toujours en vain, l'expos de ses ides et de son programme dmocratique nous livrera le fond de sa pense, et nous verrons que si la tactique a chang, la mentalit est reste Ja mme. Laissant'de clfc tout c e qui n'a pour nous qu'Un intrt trs secondaire, et qui n'est que bavardage de confrencier, nous nous attacherons seulement aux ides principales. M. Sangnier commence par nous dire qu'il va sans doute nous causer une dception, car ce n'est pas un programme dfinitif de la Rpublique dmocratique qu'il apporte, tant incapable de le donner. Un tel programme n'a rien de parfait et de fini, car mesure que la socit se* dveloppe et se perfectionne, il est lui-mme capable de progrs. Impossible donc de limiter les termes de son dveloppement. Il volue comme la civilisation. M. Sangnier se gardera d'ailleurs de toute systmatisation, et s'inspirera des mthodes scientifiques. Le savant ne limite-
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-pas ses tudes qu'il laisse toujours ouvertes. Le confrencier ne nous apporte pas un programme dfinitif qui ne peut plus tre rvis. Mais faisant le dpart entre ce qui est acquis et ce qui reste soumis l'tude et aux investigations, son intention est d'apporter, non pas tant des solutions toutes prtes que des points de vue qui permettront de travailler en commun et de dcouvrir les solutions. Voil un dbut qui n'est pas fait pour nous donner une haute ide de la fermet et de la fixit des principes gouvernementaux de M. Sangnier. Comment! Jamais le programme de la Rpublique dmocratique ne sera dfinitif, puisqu'il est, comme les progrs de la civilisalion, soumis l'volution ! Mais c'est du modernisme tout pur. Si les principes sur lesquels repose une socit, quelle que soit d'ailleurs sa constitution politique, n'ont rien de fixe et sont soumis de perptuels changements, quel moment de la dure, quel stade de l'volution aurons-nous la socit rve par M. Sangnier? Autant dire que c'est d'un rve qu'il vient nous entretenir. Cela me rappelle M. Le Roy, ne pouvant donner une dfinition de la vrit, estimant que Ja vrit n'est jamais faite, mais toujours faire. La Rpublique dmocratique de M. Sangnier est dans ce got-l. Ce n'est, d'ailleurs, pas nous qui nous en plaindrons. M. Sangnier n'a-t-il au contraire entendu parler que des rformes toujours possibles et qui peuvent entrer dans l e cadre de son programme, alors c'est donc d'une bauche de rpublique dmocratique qu'il s'agit. De quelque ct que l'on se tourne, avec M, Sangnier, on a le choix entre la pauvret de la doctrine ou le vague dey ides, comme nous aurons occasion de le voir, au cours de ce rapide examen. En dfinitive, et pour ne pas nous embarrasser dans des dtails inutiles, M. Sangnier, dans cette premire confrence, se pose cette question : Quelle est vis--tvis de la Rpublique dmocratique l'attitude de la France contemporaine? La France veut-elle la Rpublique, veutelle la dmocratie? Et tout d'abord il constate que ce qu'on entend en France, et particulirement dans les milieux officiels, par Rpublique dmocratique n'est pas la mme chose que ce qu'entendent lui et ses amis. Ils ont une autre conception de la dmocratie. La remarque, parat-il, a une grande importance, et il tient bien distinguer sa conception propre, pour faire cesser toute quivoque. Dans certains milieux conservateurs on lui reproche d'tre rpublicain et dmocrate, la faon des hommes du bloc, et parmi les rpublicains du bloc, on s'est imagin de faire croire qu'il leur demandait la permission d'tre comme eux, aprs qu'ils lui auraient pardonn son catholicisme. Il y a donc l une situation trouble qu'il importe M. Sangnier d'caircir en prcisant oe qui, dans sa conception rpublicaine, lui est commun avec ceux qui gouvernent la France, et ce qui le spare nettement d'eux. Or, dit-il, ce qui nous spare ce n'est pas seulement le sentiment catholique, c'est une conception diffrente du
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rle de la Rpublique dmocratique. Pour les Rpublicains officiels la Rpublique est encore et toujours un parti. Il n'est question, chez eux, que du parti rpublicain. Ils reprsentent, non la France, non la Rpublique, mais le parti rpublicain. Et si l'on consulte la mentalit des lecteurs de ce genre de rpublicains, pour eux la Rpublique est une sorte d'opposition ceux qui reprsentent une puissance sociale, une rvolte contre les forces capitalistes qui psent trop lourdement sur eux. Impossible donc de ne pas constater, dans le fait rpublicain, cette ide : La Rpublique est Un parti au pouvoir. Eh bien! s'crie l'ancien chef du Sillon, notre conception est diffrente. .La Rpublique doit mettre en valeur toutes les forces de la nation. Pas d'ostracisme. Il n'est pas jusqu' la richesse matrielle qui ne Jasse partie du patrimoine national. Ceux qui la dtiennent doivent tre les instruments de la prosprit du pays. Si l'on n'en tient pas compte, il en rsulte un appauvrissement gnral. Combien cela est plus vrai des forces morales! Il n'y a pas de rpublique forte si elle n'est enracine dans la tradition ( ! !) La Rpublique officielle a eu cur de se constituer contre le catholicisme. Or, gouverner la France en dehors et contre l'idal catholique, c'est appauvrir sa vitalit. Et qu'est-il arriv? Le triomphe du parti rpublicain n'a pas amen un accroissement de forces. Les statistiques sont sur ce point loquentes. D'un ct, triomphe du parti rpublicain, de l'autre dcroissance de la prosprit nationale. Et cependant le parti rpublicain a triomph, il progresse avec le double programme d'irrligion, sous couvert de lacit, et de rformes dmocratiques, tandis que les forces d'opposition sont en dcomposition. Le pays n'a pas hsit, il s'est port du ct du parti rpublicain. Mais M. Sangnier convient que l'ide rpublicaine traverse une crise, en raison mme du triomphe du parti rpublicain. Il constate une dsaffection croissante de la Rpublique, dont il signale les symptmes dans les milieux syndicalistes et jusque dans le malin plaisir que le public prend aux niches que Y Action franaise fait la Rpublique. On s'aperoit que la Rpublique n'a pas donn ce qu'elle promettait. Sa grande erreur a t d'liminer les forces conservatrices qui constituent les lments indispensables sa vie. Aprs 40 ans d'existence, la Rpublique a une situation anormale; elle est encore discute. L'ide rpublicaine ne domine pas toutes nos luttes, comme l'ide monarchique en Angleterre. A ct de la crise rpublicaine, il y a la crise nationale. A quoi cela tient-il? A ce qu'il n'y a pas d'unanimit morale, et qu'un tat de guerre permanent divise les Franais en deux camps. Et M. Sangnier de conclure que c'est la notion mme de Rpublique dmocratique, telle que la comprennent les rpublicains au pouvoir, qui est cause de l'tat o se trouve le pays. C'est pourquoi cette notion il veut en substituer une contre la sienne, qui est celle d'une rpublique dmocratique, rsultant d'une unani-
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mit morale, et qui serait plutt ce que Platon appelait Aristocratie, c'est--dire pouvoir des meilleurs, gouvernement de l'lite. Et cette lite gouvernerait non par la tyrannie, mais en gagnant l'adhsion du peuple. M. Sangnier prend soin de nous dire dans quel sens s'exercerait ce gouvernement: il remettrait chacun la direction de ce qu'il serait capable de diriger, et s'efforcerait d'lever chacun politiquement et socialement, offrant tous des facilits ' d'ascension. C'est, dit-il, ce que nous indiquions, il y a quelques annes, par cette formule qui, peut-tre, avait le dfaut de n'tre pas assez claire : La Rpublique est l'organisation sociale qui tient porter au maximum la conscience et la responsabilit de chacun. Et comme exemple, il cite celui d e l'idal de la colonisation dmocratique, qui serait non pas seulement d'accrotre les richesses de la colonie, mais de s'occuper davantage de la valeur humaine de ses habitants, d'lever les indignes une vie plus consciente, une plus libre collaboration la vie de la mtropole, de favoriser en un mot leur lvation. M. Franois Veuiilot, dit le confrencier, avec qui je soutenais une controverse ce sujet, me demandait de fixer la limite d'ascension. A quoi je rponds : Il est impossible de fixer cette limite, et non seulement on ne peut ia fixer, mais on doit travailler accrotre la capacit conomique et politique de chacun. Ce point de vue, qui est ntre, dit-il, en terminant n'est satisfait aucun parti. D'o ncessit de faire un parti nouveau. Mais nous ne croyons pas que ce parti va se crer tout d'un coup. Seront seuls pour y travailler ceux qui seront dgots des partis anciens. D'o encore ncessit de la formation d'un milieu nouveau. On verra quels sont ceux qui dsirent la rconciliation ou ceux qui veulent rester fidles l'esprit d e secte. Quant au parti nouveau il ne doute pas comment il se formera et si jamais il existera comme tel. Il aura eu du moins ce rsultat : d'une part de mettre au pied du mur les hommes qui parlent volontiers d'union, de concorde, d'apaisement, mais qui, presss de passer aux actes, retirent la main qu'ils n'avaient tendue qu'oratoirement; d'autre part, de concrtiser des aspirations vagues encore, et de donner un nom ces ralits morales et intellectuelles bien vivantes, de dsigner un effort, une pousse de vie. Il n'est pas impossible, ajoute-t-il, que la dissociation des vieux partis se fasse assez vite, pour que grce la R. F., le parti nouveau se constitue rellement. Bref, M. Sangnier veut que la Rpublique dmocratique soit ainsi faite, qu'elle se confonde avec l'intrt de la France, et que les bons Franais puissent se runir dans la Rpublique pour en accrotre la puissance. Le lecteur nous pardonnera la longueur de cet expos, mais la ncessit de la critique nous faisait Un devoir de donner l'aspect gnral d e cette premire confrence o il n'est que trop facile de relever les contradictions, les utopies et les erreurs sociales.
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M. Sangnier veut former un parti nouveau pour fonder la Rpublique dmocratique comme il la conoit et comme il vient d'en donner l'ide gnrale. Dans ce parti nouveau il prtend faire entrer toutes les forces vives de la nation, de faon que la Rpublique dmocratique soit l'image de la France rconcilie dans un embrassement gnral. L'ide qui veut tre gnreuse est tout simplement contradictoire, en mme temps qu'elle accuse un changement de tactique de la part de l'ancien chef du Sillon. Il n'tait d'abord question, dans le discours du Mange Saint-Paul, que d'un appel toutes les bonnes volonts convergentes, sans distinction de religion ou d'opinion philosophique, sur le terrain exclusivement politique, polir travailler en commun la ralisation de l'idal rpublicain. L'accueil plutt froid que cet appel a reu de la part de ceux qui virent dans la religion un obstacle la formation du parti nouveau, donn sans doute rflchir l'ancien chef du Sillon. Autrement, comment expliquer qu'il vienne aujourd'hui nous offrir le programme d'une Rpublique dmocratique o il prtend faire entrer toutes les forces conservatrices de la nation. Bien plus, M. Sangnier se rclame de la tradition. < Il n'y a pas, dit-il, c do Rpublique forte, si elle n'est enracine dans la tradition. Vous vous demandez sans doute comment, la l Rpublique ayant dtruit la tradition, la Rpublique de M. Sangnier peut s'y trouver enracine, et quel parti surtout elle peut tirer d'une tradition qui le contredit sur tous les points. C'est l Un mystre que je ne cherche pas claircir. Les palinodies successives auxquelles M. Sangnier nous a habitus, expliquent seules cette nouvelle conception d'une Rpublique dmocratique appuye, d'une part, sur la tradition et sur les forces conservatrices, et, de l'autre, ouverte tous les lments htrodoxes, juifs, protestants, libres-penseurs, etc. Ce n'est plus un parti nouveau que nous offre M. Sangnier, c'est une salade. N'insistons pas plus longtemps sur le peu de srieux de cette conception. M. Sangnier dcide ensuite que le fait rpublicain n'est plus discut en France. Sur quoi se fonde-t-il, pour mettre pareille affirmation? sur le rsultat des lections? Il ne prouve rien, en faveur du rgime existant. Les statistiques lectorales sincres, non pas les statistiques officielles, toujours tronques, prouvent au contraire que la majorit des lecteurs n'est pas reprsente la Chambre. D'o Ton pouvait plutt conclure que la Rpublique a contre elle plus de la moiti du pays. Ce qui est l e contraire de la thse soutenue par le confrencier. Enfin, M. Sangnier attribue la prtendue victoire de la Rpublique l'attitude quivoque et sans sincrit de toutes les forces d'opposition, et excute, en quelques mots, le Boulangisme, la Patrie Franaise, l'Action librale populaire, et l'Action franaise. Il s'en prend en particulier Jules Lematre devenu le plus ferme soutien des no-monarchistes, aprs avoir sign des affiches retentissantes o s'talait sa
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profession de foi rpublicaine. Que voulez-vous, dit-il, que pensent les ouvriers qui ont cru Jules Lematre, Coppe, Syveton? Nous avons peine besoin de faire remarquer tout ce qu'il y a d'inconvenant, d'injuste et d'odieux faire tomber l'chec d'une gnreuse et patriotique tentative sur des hommes anims des plus pures intentions, et qui se sont jets dans la mle, avec le seul souci d'arracher la France des mains indignes et sclrates. M. Sangnier aurait d se souvenir que l'un de ces trois vaillants champions de la cause nationale, est mort victime de la franc-maonnerie pour avoir soufflet ses vils agissements sur la face de l'un de ses plus sinistres adeptes. L'ancien chef du Sillon aurait bien mieux fait de se demander ce que peuvent penser de lui ceux qui ont t tmoins de ses volutions successives. Le temps est loin o M. Sangnier disait : La dmocratie sera catholique ou elle ne sera pas. Aujourd'hui, comme au temps du plus grand Sillon on dit : La dmocratie ne sera pas anticatholique. On esL toujours mal venu quand on a pratiqu des doctrines successives, d e reprocher aux autres leurs anciennes opinions. L'ancien chef du Sillon aurait bien fait de s'en souvenir, d'autant que l'chec de l'opposition se retourne contre lui, attendu qu'il est uniquement d au parti de l'cole ultra librale laquelle il appartient. Et si l'opposition fait encore aujourd'hui la Chambre si triste figure, c'est qu'elle ne compte gure que des libraux. Aprs cela M. Sangnier est bien mal qualifi pour plaisanter VAction librale populaire. Qu'il laisse ce soin ceux qui n'ont aucune accointance avec cette ligue et qui fortement tablis sur le terrain des principes, peuvent, bon droit, en critiquer la doctrine et la tactique. Quant YAction franaise, il la reprsente plutt comme une curiosit, parce qu'elle fait des niches la Rpublique. Au total, M. Sangnier estime que l'opposition n'a fait qu'une uvre ngative, parce que ceux qui combattent sous son drapeau manquent de sincrit. Il tait difficile d'tre plus malheureux dans ses critiques, tout au moins en ce qui concerne Y Action franaise. Si l'opposition compte des hommes sincres, vaillants, allant droit au but, sans rticences comme sans compromission, c'est bien dans les rangs de Y Action franaise qu'on les rencontre. D'antres, au contraire, lui reprochent ses excs de sincrit. En tout cas, on est toujours maladroit, quand on est aussi peu assur sur la doctrine, en matire religieuse, politique et sociale, et qu'on essaie de toutes les routes pour arriver au but de reprocher aux autres leur insincrit, et l'opposition en gnral de multiplier les quivoques. L'quivoque, il nous semble, est plutt dans cette nouvelle tactique qui consiste transporter sur le terrain politique, des erreurs sociales que l'on n'a jamais formellement dsavoues et que l'on veut encore ressusciter, sous prtexte que la politique est un ter-
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rain neutre o Ton peut reprendre toute sa libert. Toute la question est de savoir si tout en se confiant dans la politique ou l'conomie pure , comme le Pape Pie X, dans sa lettre sur le Sillon, en reconnat le droit tout membre du Sillon, M. Sangnier, dans son essai, d'une Rpublique dmocratique, ne retombe pas dans les vieux errements qui lui ont attir les censures de l'Eglise. Il y a l une quivoque qu'il importe de dissiper. Or, quelque habilet qu'y mette M. Sangnier pour donner le change, il est incontestable que la constitution du parti nouveau avec lequel on prtend fonder une Rpublique dmocratique, implique ncessairement l'exclusion de l'autorit de l'Eglise dans les affaires temporelles. Cette thse qui est celle du libralisme, est formellement condamne par le Syllabus et par les Encycliques de Lon XIII et de Pie X qui tablissent nettement le droit que possde Jsus-Christ, et avec lui l'Eglise qui le reprsente, d'exercer sa divine autorit sur les socits. En se repartant au numro de la Critique du libralisme du 15 mai dernier, on verra cette thse remarquablement dveloppe sous le titre : Un article de foi oubli par les catholiques libraux. Elle se rsume e n cette doctrine : C'est un dogme de foi que Jsus-Christ possde une autorit souveraine sur les socits civiles, aussi bien que sur les individus dont elles sont composes; et, par consquent, les socits, dans leur action collective, aussi bien que les individus, dans leur conduite prive, sont tenus se soumettre Jsus-Christ et d'observer ses lois. Or, oui ou non, est-ce sur le terrain non confessionnel ou areligieux qu'est lanc l'appel tous les lments htrodgxes convis entrer dans le parti nouveau pour fonder la Rpubliquedmocratique? Ou M. Sangnier ne sait pas ce qu'il dit ou ce qu'il veut, ou nous sommes forcs de conclure que sa thse est celle-l-mmeque soutiennent ceux qui ne veulent pas de la royaut sociale de JsusChrist ou de l'Eglise qui le reprsente. Est-ce une revanche contre l'Eglise que cette exclusion qu'il prononce contre elle sur le terrain politique o il prtend n'avoir plus de comptes lui rendre? En ~ain, dans sa seconde confrence o il expose le programme politique et social de la Rpublique dmocratique, qui comporte, d'une part, des rformes lgislatives, d'autre part, une action sociale, croit-il triompher en concluant que le programme ne contient pas Un mot auquel ne puissent souscrire tous les rpublicains dmocrates, mme non croyants? Pourquoi donc sur ces bases ne constituerait-on pas un parti nouveau? Auparavant il avait numr toute Une srie de rformes dans le dtail desquelles il serait trop long d'entrer sa suite. Dans les rformes constitutionnelles et lgislatives, il est question de la constitution, de la reprsentation nationale, du rfrendum, du statut des fonctionnaires, de l'arme, du code du travail. Dans le programme de l'action sociale il s'tait plus particulirement attach au mouvement
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISiYIE
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
syndicaliste et coopratif. Bien que M. Sangnier s'en soit tenu, sur -ces diverses questions, des indications gnrales, des ides directrices, il n'est pas malais de voir que les rformes qu'il propose s'ins.pirent du dsir d'manciper l'individu, au triple point de vue politique, conomique et social. C'est ce qu'exprime cette formule : <t La Rpublique dmocratique est l'organisation sociale qui tend porter au maximum la conscience et la responsabilit civiques de chacun. Ceux qui ont lu la lettre de Pie X sur le sillon, se souviennent que cette utopie y a t condamne comme faussant les notions essentielles et fondamentales qui rglent les rapports sociaux dans toute socit humaine. En insistant, il nous serait facile de relever d'autres erreurs .sociales dj censures par le document pontifical. Mais les limites qui nous sont imposes ne nous permettent pas de nous tendre davantage sur c e point. Ce qu'il est surtout intressant de noter c'est cette proccupation, dans la constitution du parti nouveau , d'liminer toute question religieuse qui pourrait compromettre l'entente, et, par consquent de fonder une Rpublique dmocratique entirement soustraite l'autorit de l'Eglise, avec laquelle elle ne devrait avoir aucun rapport. Cette prtention de la part d'un catholique qui ne manque jamais l'occasion de faire de tapageuses dmonstrations de soumissions l'Eglise, serait dj contradictoire, puisqu'elle carte la royaut sociale de Jsus-Christ en prononant la sparation du pouvoir civil d'avec l'Eglise. Mais elle devient.de plus, absurde puisque, d'une part, il se rclame, comme nous l'avons vu? d e toutes les forces. consumatrices et de la tradition pour raliser sa Rpublique dmocratique et que, d'autre part, il fait appel tous les partis dissidents, tous les hommes, quelle que soit leur religion, ou sans religion, pour constituer le parti nouveau. En vain M. Sangnier objecterait-il que, sur le terrain des ralits politiques, la diversit des croyances importe peu. Mme subterfuge avait t employ, on se le rappelle, pour la constitution du plus grand Sillon. Seulement, cette poque, il s'agissait d'un idal social raliser. Aujourd'hui l'idal a chang de nom, c'est l'idal rpublicain dmocratiques Au fond c'est l a mme tentative, soUs un autre nom. Or, qu'on relise les admirables pages du document pontifical sur cette funeste utopie et on pourra les appliquer l'effort dsespr, de nouveau tent par l'ancien chef du Sillon, pour replacer sa mauvaise marchandise sous une autre tiquette. D'o nous sommes forcs de conclure qUe les preuves dont M. Sangnier aime plus parler qu' profiter, n'ont servi qu' le rendre plus habile et plus fuyant encore. Mais l'ancien chef du Sillon, dans sa troisime confrence, v a tenter une justification de ses vises politico-dmocratiques, en montrant que la question religieuse n'est pas un obstacle l'entente projete. Et -comment cela? A h ! c'^st trs simple! en excluant la question reli-
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gieuse du domaine politique. C'est la conclusion qui ressort de la thse mise par lui. En vain se plat-il, au dbut, de rappeler la leon que l Providence a bien voulu lui envoyer, et de nous apprendre que certaines de ces preuves dont Dieu Ta frapp ont prcis sa route et clair sa voie. Ce que nous avons dit dj nous permet d'tre sceptique cet gard. On sait que M. Sangnier est trs habile traiter les questions gnantes par les -cots. Sa tactique ne changera pas. Sa confrence ne sera qu'une diversion. Elle se divise en ces deux points : 1 la faon dont l'Eglise a t juge par les rpublicains du gouvernement; 2 ce qu'est la dmocratie aux yeux de l'Eglise. Nous laisserons de ct le premier point qui ne se rattache qu'indirectement au sujet, tout en lui sachant gr du rquisitoire contre les rpublicains officiels pour lesquels il y a antagonisme radicale, irrductible, philosophique entre l'Eglise et ce qu'ils appellent la Rpublique dmocratique. Bien plus, pour eux la Rpublique est comme une uvre d'mancipation religieuse. Donc l'ide irrligieuse est dans le concept rpublicain. Rien de mieux, en consquence,* que de stigmatiser l'uvre sectaire o il se plat voir l'influence de la franc-maonnerie qui se propose de dchristianiser le pays. Mais pourquoi quand il arrive M. Sangnier de dire de bonnes-choses, s'empresse-t-il de les gter par une sortie malheureuse? Ce qu'on reproche aux francs-maons, dit-il, c'est de vouloir substituer une religion une autre, mais il est ridicule pour des catholiques de se moquer du symbolisme des francs-maons, quand on se sert de chapes, d'ornements, de chasubles, e t c . . Est-ce que par hasard, M. Sangnier voudrait tablir un parallle entre l'admirable symbolisme de la liturgie catholique et l'odieuse parodie, la grotesque singerie des rites maonniques? Puisque M. Sangnier ne connat rien de la liturgie sacre, au moins conviendrait-il qu'il ne fasse pas de ces rapprochements si dplacs et si offensants pour la pit chrtienne. Dans lo second point, M. Sangnier examine ce que la dmocratie est aux yeux d e l'Eglise, mais non pas, ajoute t-il, aux yeux de certains catholiques, d'une certaine coterie catholique qui s'arroge le droit de parler au nom de l'Eglise. Qu'est-ce que l'Eglise pense de la dmocratie? Quelle attitude est la sienne en face de la dmocratie? Donc deux choses distinguer : 1 l'enseignement de l'Eglise; 2 la politique de l'Eglise. Le but principal de l'Eglise est un but spirituel. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il y a une notion de la socit que TEglise maintient, dfend comme base de l'difice surnaturel. Les notions sociales de l'Eglise, continue-t-il, sont d'ordre gnrai. Rien donc dans son enseignement qui ne puisse s'appliquer toutes les formes politiques, conomiques, sociales. L'enseignement de l'Eglise se complte de la faon suivante : l'Eglise s'accommode de tous les rgimes. Toujours
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pas compte et qu'on la relgue dans son domaine, sans lui permettre d'en franchir le seuil, sous peine de voir le parti nouveau se dsagrger et se dissoudre? Or, faut-il toujours le rappeler, rencontre de la thse librale, s'il est vrai que les deux socits civile et religieuse sont distinctes et indpendantes dans l'exercice de leurs fonctions respectives, s'il est vrai que chacune est une souverainet ayant une existence propre et indpendante l'une de l'autre, il n'en est pas moins vrai que chaque homme est soumis l'une et l'autre scus des rapports diffrents. Si donc il y avait opposition entre leurs lois et les exigences de leurs fins diverses, l'autorit et la fin de la socit la plus excellente de l'Eglise, devraient l'emporter. D'o il suit que l'autorit religieuse peut corriger les lois civiles qui nuiraient au salut des mes ou qui blesseraient les droits de particuliers. La quatrime et dernire confrence de M. Sangnier nous rservait une surprise. Avec lui il faut toujours s'attendre du nouveau, et plus ses ides voluent, plus aussi la situation se complique et s'embrouille. On finit par n'y plus rien comprendre. Ou plutt, je me trompe, on comprend fort bien que l'ancien chef du Sillon trouve son cas des plus embarrassants, et qu'il cherche, par des explications entortilles, contradictoires et sans franchise, sauver la face. C'est une tentative de ce genre qu'il recourt aujourd'hui. Il n'est que trop facile d'en montrer le caractre contradictoire. Jusqu'ici M. Sangnier nous avait parl, avec des larmes dans la voix, des preuves qui lui taient venues de Rome et qui ont, parat-il clair sa marche et prcis ses mthodes, sans nous dire, toutefois, en quoi elles avaient modifi sa doctrine dmocratique, toujours aussi suspecte pour nous parce que jamais dsavoue. Mais voil qu'il s'agit d'autre chose aujourd'hui. Il n'est plus question d'preuves. Il semble mme que le Pape ait, par son jugement d e condamnation, devanc les dsirs et les intentions de M. Sangnier qui, du fait de la dissolution du Sillon, se trouve, dans une situation excellente, meilleure que jamais. Le document pontifical dont M. Sangnier se rjouit aujourd'hui, autant qu'il s'en tait plaint autrefois, au point de laisser entendre que ses intentions y avaient t mconnues et ses ides mal interprtes, le document pontifical est exalt comme ayant mis fin une quivoque trs prjudiciable la cause dmocratico-rpublicaine laquelle l'ancien chef du Sillon consacre maintenant tous ses efforts. La situation, dans l'intervalle d'une semaine,- se trouve ainsi compltement change. Pourquoi ? Parce que M. Sangnier ' en juge ainsi. El voil l'explication qu'il en donne, en parlant de l'volution du Sillon. Le Sillon est n comme un mouvement confessionnel. Pour y entrer, le mot de passe n'tait pas : es-tu rpublicain , ni : es-tu dmocrate? mais es-tu catholique? Et M. Sangnier rap-
POLITIQUE, SOCIAL
pelle ici les beaux jours du Sillon, qui lui ont valu la bienveillance do deux Papes et de tant d'Evques, Mais les fondateurs du Sillon ont grandi; devenus des hommes, ils ont dsir exercer leur activit sur le terrain mme que l'Eglise laisse libre ses enfants. Et le Sillon a volu avec e u x ; il est devenu un mouvement mixte, puis a voulu tre tout fait un mouvement politique et social. De cette volution, relativement rapide, observe M. Sangnier, une quivoque ne pouvait pas ne pas natre. Tout ceci textuel, d'aprs la Dmocratie. Mais le plus drle de l'affaire, c'est que M. Sangnier qui s'est toujours complu entretenir l'quivoque, se trouve aujourd'hui avoir voulu la faire cesser en devanant le Jugement du Pape, et en s'excuUmt lui-mme. Voici en effet ce qu'on lit dans le compte-rendu de la confrence, publi par la Dmocratie. Trois mois avant la lettre du Pape, (le 16 mai 1910), Marc Sangnier proposait nos amis dans un Congrs la dissolution du Sillon, remplac par deux groupements distincts, l'un d'ducation et confessionnel, l'autre d'action sociale, et plac sur le terrain civique. M. Sangnier qui, aprs coup, veut se donner le beau rle, s'enferre de plus en plus, en tentant de misrables explications o il aggrave encore son cas. La dissolution du Sillon, propose par lui-mme? Allons donc! C'est trop se moquer des gens et de la vrit. M. Sangnier voudrait aujourd'hui nous faire prendre pour un projet de dissolution relle cette organisation nouvelle qui cachait simplement un misrable subterfuge, destin, comme le fit observer ds lors le directeur de cette revue, prvenir l'effet d'une condamnation qu'on savait imminente. Le jour o elle paratrait, on y rpondrait avec un sourire : le Sillon ? Il est dj dispers. Toutefois, M. Sangnier veut bien reconnatre que l'quivoque subsistait toujours : Mais les dcisions explicites du 16 mai 1910 risquaient de demeurer sans effet pratique, tant les liens anciens (entre les deux groupements du Sillon) taient forts, et peut-tre l'heure actuelle, les quivoques d'autrefois subsisteraient-elles encore, si la lettre du Pape n'tait venue les briser. Comme on le voit, ce qui avait t jusqu'ici un sujet de lamentations pour M. Sangnier, devient une cause de joie : Ainsi, dit-il, par la disparition des groupes anciens du Sillon, notre situation devenait plus claire aux yeux de tous, et aussi plus claire et plus simple en fait. De qui donc M. Sangnier se plaignait-il, puisqu'il avoue aujourd'hui que le Pape en dispersant le Sillon, a rendu Un grand service son ancien chef, en lui rendant toute sa libert (il le croit du moins) sur le terrain politique et dmocratique. Il reconnat aussi que le document pontifical l'a clair sur certains points faibles de sa doctrine dmocratique : Dvelopper un programme qui insistait toujours sur le devoir de libert, jamais sur le devoir d'obis-
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sancc et d'ordre, devenait nous en avons constat nous-mmes certains fcheux effets une prdication au moins dangereuse. Effcrons-nous donc de rendre utiles pour nous les leons religieuses contenues dans la lettre du Pape et remercions la Providence qui a bien voulu nous placer sur un terrain et dans une situation tels que notre action peut s'panouir plus librement et d'une manire bienfaisante. M. Sanjmier s'en tire bon compte s'il se croit ainsi quitte l'gard des censures pontificales qui no visaient pas le seul point qu'il met en vidence, mais tout l'ensemble de sa doctrine dmocratique. Il se trompe trangement s'il croit, par cette concession faite au blme qui atteignait toute son uvre, recouvrer toute sa libert et son indpendance vis--vis du Chef de l'Eglise, en se plaant dsormais sur le terrain rpublicain et dmocratique. Nous l'avons dj dit, M. Sangnier ne veut plus que l'Eglise se mle de ses affaires, et il lui signifie poliment et obliquement son cong. Et maintenant, comment s'exercera son action politique? M. Sangnier nous dit qti'un mot rsume et concrtise ses projets cet gard : le parti nouveau. Mais l'ide et le nom mme du parti nouveau sont-ils si rcents, se demande l'ancien chef du Sillon? Nullement. Lui-mme rappelle aujourd'hui, ce que, le 17 fvrier 1907, il y a donc plus de quatre ans, il crivait dans l'Eveil dmocratique, au lendemain du Congrs national d'Orlans : Oui, vraiment, il y a place pour un parti nouveau, non pas coalition d'lments disparates et simplement juxtaposs, mais union vivante et fconde de tous ceux qui non seulement poursuivent ensemble un mme but immdiat, mais ont vraiment un temprament semblable, des aspirations pareilles, un sens identique des ncessits de l'heure prsente. Notre directeur avait donc bien raison de dire, il y a quelques semaines, que le parti nouveau tait simplement la reprise du plun grand Sillon . C'est le mme rve que caresse toujours M. Sangnier. Mais les lments disparates, htrodoxes auxquels il fait appel pour former ce parti nouveau le mettent aujourd'hui comme autrefois en contradiction avec lui-mme. Quelle Union vivante et fconde peut-il attendre de cet amalgame form par la runion de catholiques, de protestants, de juifs, de libres-penseurs? Au surplus se doute-t-il bien de l'chec lamentable auquel sont vous ses projets, derniers espoirs d'un homme qui sent tous les terrains s'effondrer sous ses pas. Dans un( de ses confrences il nous a dit que ce parti nouveau pourrait bien n'tre jamais qu'un mythe. l et t bien plus juste de dire : une mystification.
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Et maintenant, pour finir, recueillons, au milieu de toutes les expli cations embarrasses et fuyantes qui caractrisent cette dernire con-
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frence, une contradiction flagrante dont M. Sangnier ne parat pas s'tre dout. Parlant de l'volution du Sillon, son ancien chef s'exprime ainsi Le Sillon est n comme un mouvement vraiment confessionnel . On demandait seulement aux futurs collaborateurs, pour leur ouvrir la porte du cnacle : Es-tu catholique. Or, dans la Sance de discussion qui suivit cette dernire confrence, M. Sangnier fut appel prciser ce qu'il avait dit prcdemment de la confessionnalit de l'ancien Sillon. N'avons-nous pas rpt maintes fois jadis . observe un contradicteur : Le Sillon n'est pas un mouvement confessionnel? nous trompions-nous alors? A quoi l'ancien chef du Sillon rpond : La revue fonde par Paul Renaudin et qui devint par suite l'organe du mouvement et lui donna son nom, ne se plaait pas sur le terrain confessionnel. On avait mme remarqu que le premier appel adress alors aux jeunes gens de bonne volont ne comportait pas d'affirmations spcifiquement chrtiennes. Insister serait cruel. Ab uno dises omnes. Stanislas de HOLLAND.
INFORMATIONS
SEMAINE
ET
ET
DOCUMENTS
KERMESSE
RELIGIEUSE
Le puritanisme est partout dtestable. Mais est-ce tomber dans son excs, de trouver excessives et regrettables certaines concessions l'esprit mondain de la part des uvres catholiques, plus encore, quand c e s concessions sont couvertes et sanctionnes par des Semaines religieuses qui joignent toujours leur rle officiel de l'vch dans certaines parties, celui d'organe officieux pour le reste? C'est propos d'annonces et de comptes rendus dans la Semaine religieuse du diocse d'Agen que cette rflexion nous est suggre. Tout le monde convient qu'il ne faut pas se montrer mticuleux l'excs sur les moyens d'attraction employs dans les ftes et ventes de charit pour procurer aux uvres catholiques les ressources dont elles ont besoin. Elles prennent facilement aujourd'hui un air de mondanit qui leur convient peu, et dont le moindre inconvnient est de faire trouver bons leur profit des usages, des plaisirs, que le sain esprit catholique dconseille partout ailleurs. Admettons cependant que, par condescendance pour les murs gnrales aujourd'hui si abaisses, une certaine tolrance de ces usages et plaisirs mondains soit excusable, sinon vraiment lgitime. A tout le moins, est-ce une raison d e laisser cette partie des programmes dans l'ombre discrte
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
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qui lui convient, de laisser faire sans approuver. Mais si les Semaines religieuses elles-mmes embouchent la trompette pour allcher le public par l'annonce de ces mondanits; si elles en talent ensuite le compte rendu, avec des loges pour les acteurs et les actrices professionnels, sous couleur de leur dvouement aux uvres catholiques , et se mettent les clbrer pou prs comme le ferait un journal du boulevard; si elles vont jusqu' exalter imprudemment la moralit d'un auteur comme Jean Richepin, ft-ce pour une uvre supportable, qui ne voit combien elles oublient leur propre rle et quel fcheux exemple de laxisme elles donnent! Il y avait donc, Agen, vente-kermesse et ftes de charit, au profit du Comit diocsain d'Action et d'uvres catholiques et de l'Ecole Flix-Aunac . Ces ftes avaient lieu dans l'enceinte de cette Ecole, qui est un collge catholique du diocse. Par consquent, leur double objet et le lieu o elles se devaient drouler commandaient particulirement la rserve dont nous parlions. La Semaine religieuse du 6 mai 1911, terminait sa rclame par ces lignes : Quant la soire thtrale que nous avons prcdemment annonce, elle ne manquera pas d'attirer en foule les spectateurs, quand ou saura que d'excellents artistes de Toulouse, dont plusieurs laurats du Conservatoire et professeurs de dclamation, viendront interprter devant nous deux pices clbres: le Flibustier, comdie en trois actes de Richepin, et Y Anglais tel qu'on le parle, vaudeville de Tristan Bernard. Ces artistes toulousains, dont le dvouement nos uvres catholiques est connu et dont le succs a dj sur bien des scnes couronn le mrite, trouveront Agen, comme partout o ils sont passs, un nombreux public heureux de les entendre et de les applaudir. La soire thtrale qu'ils nous promettent vraie soire de gala sera un splen dide couronnement nos deux journes de ftes. Le 13 mai, nouvelle annonce, que suivait un filet sur le centenaire du comte de Falloux dont je cite en passant ce fragment : Sur la demande de Monseigneur, qui avait reu une lettre en ce sens, une messe a t clbre au Petit Sminaire, qui, depuis la Sparation, vit de la loi de 1850 laquelle il doit son existence lgale. Matres et lves de Saint-Caprais, mis au courant, ont aussi tenu faire monter vers le ciel une prire reconnaissante. Prsente au Collge pour la premire , Sa Grandeur s'est plu voquer cette physionomie et bnir cette mmoire. Puisse, en nos temps o le fracas est grand et o violent semble devenir le choc des procds que suscite la question scolaire, puisse, le centenaire de grand catholique, prciser une foie de plus l'exemple de ce qu'il y a faire pour aboutir sans retard des victoires analogues aux siennes! Voici l'annonce :
SOIRE THTRALE, avec le concours de madame BOCABEILLE, professeur de dclamation, membre du jury au Conservatoire de Toulouse; de Mlle GARDENAL, premier prix de tragdie et de comdie, et de plusieurs artistes amateurs: MM. Marennes, Marcial, Jorel, etc..
8fi4 LA CRITIQUE DU LIBRALISME RELIGIEUX, POLITIQUE, SOCIAL 1 Le Flibustier\ comdie en trois actes et en vers, de Jean Richcpin; 2 L'Anglais tel qu'on le parlz vaudeville de Tristan Bernard; 3 Intermdes musicaux.
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Le 20 mai, la Semaine religieuse donne le programme complet des ftes, dont nous extrayons cette partie. A 8 heures 1/2 du soir SOIRE DRAMATIQUE avec Je concours de
M. MARCIAL M. VARENNES
M. JOREL
Rles de composition
BOCABETLLE
OARDENAL
Rosalie
I. ROSALIE, comdie en un acte de M. Max Maurey. M. Max Varennes jouera le rle de M. Bol M Bocabeille | M Bol M"* Gardenal
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QUTE.
ORCHESTRE.
II. LE FLIBUSTIER, comdie en trois actes et en vers de Jean Richepin, de l'Acadmie Franaise M. Marcial, jouera le rle de Legoz Jacqnemin. . . . M. Max Varennes I Pierre M. Jorel M" Gardenal jouera le rle de Janik | M Bocabeille . . . . Marie-Anne
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Enfin, le 27 mai, c'est le compte rendu dtaill, tout fleuri, o rien n'est oubli, ni personne : les vendeuses, le buffet, les dcorations, "les exercices divers. Tous l e s compliments souhaitables, il y en a trois pages, dans lesquelles, au risque de passer pour u n censeur importun et aigri, j'aurais prfr ne pas lire ceci :
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La partie dramatique l'avait t (confie) quelques-uns de ces artistes toulousains que runit M. Armand Praviel, et que nous avait conduits un de ses jeunes amis, M. du P. de G. Ils ont jou une comdie Rosalie et un draina le Flibustier de Jean Richepin. Cette dernire pice, admirablement versifie, est Wune valeur morale suprieure encore sa valeur littraire. L'inspiration en est trs leve* les sentiments qu'elle veille trs nobles et trs beaux. L'une et l'autre ont t interprtes avec un art absolument suprieur. Nous ne croyons pas que, sur nos scnes prives, nous ayons eu jamais la fortune d'applaudir une aussi remarquable interprtation. Il y avait l une observation psychologique trs fouille, un sentiment de la nuance absolument exquis, une souplesse, un naturel, une vrit, rellement prenants et touchants. Vraiment MM. Marcial, Varennes et Jorel, Mesdames Bocabeille et Gardenal sont d'admirables artistes.
INFORMATIONS HT DOCUMENTS
II nous reste remercier toutes les bonnss volonts, toutes les gnrosits, toutes les activits, qui nous ont prt leur concours et leur dvouement. C'est l'honneur et la force de nos uvres catholiques que de les susciter et d'y pouvoir voir compter. On n'imagine gure, quand on ne s'en occupe pas de prs, ce que demande de collaborations vaillantes et persvrantes l'organisation et le succs d'une entreprise comme celle-l. Nous les avons rencontres, parce qu'il y en a qu'on rencontre .toujours. Elles sont d'un bel exemple et d'tm grand rconfort. Elles font oublier la maussaderie des portes qui se ferment, des singulires mentalits qui ne font mme pas l'honneur des invitations polies de leur rpondre, -et cela par apathie, gosme peut-tre, inintelligence des besoins imprieux de l'heure prsente. Les mcomptes sont sans doute la ranon des joies que l'on trouve ailleurs. Mais les gnreuses collaborations que Ton ren contre en sont la revanche. Elles consolent; elles soutiennent, elles encouragent. Nous les remercions du fond du cur. Nous leur disons : A une autre fois , parce que la Charit catholique est une perptuelle moissonneuse, laquelle il faut sa moisson annuelle. Les ftes ayant bien russi, les uvres qui comp taient l-dessus s'en rjouissent. C'est pour Dieu qu'on a travaill; c'est Dieu qu'on a donn. Il se chargera de la rmunration. Rien ne nous parat de trop dans ces rflexions d'un correspondant agenais : O donc s'arrtera l'uvre de dformation qu'est en train d'accomplir le libralisme dans la mentalit catholique? Nul ne saurait le dire, car chaque jour on a la tristesse de constater que ses ravages s'accusent par de nouveaux et lamentables progrs. Tout rcemment, dans un remarquable article, M. de Holland signalait ici mme le flau du libralisme fminin. Que de pages non moins tristes devront s'ajouter celles-l! Mais le pire chagrin ne vient-il pas de ce que, cette dformation du sens catholique sous l'action du libralisme, cooprent parfois des auxiliaires tout fait inattendus? Voil, par exemple, une Semaine religieuse qui, propos d'une vente-kermesse organise par son directeur, dignitaire ecclsiastique, offre au public un public "catholique! un programme trs allchant, mais en vrit fort trange. La fte a pour but de procurer des fonds aux uvres catholiques, c'est entendu, mais Ttranget du programme n'en demeure pas moins. On y voit annonce Une soire dramatique, donne avec le concours d'artistes de mtier, des professionnels de la scne bien authentiques. En preuve, voyez-les qualifis e n pur style du thtre : celui-ci est un jeune premier rle , celle-l une forte jeune premire (le dictionnaire m'apprend qu'on dsigne ainsi les rles d'amoureux), cette autre est line mre noble . C'est complet. Ce sera comme un thtre, quoi! Enfin, comme couronnement, les acteurs rjrcits donneront Une comdie de... Jean Richepin, de l'Acadmie franaise, oui, j'ai bien lu, de tlichepin, l'auteur des Blasphmes. Voyez-vous o l'on en est venu avec le courant d e s ides modernes! Nos organisateurs ne paraissent pas avoir souponn qu'un pareil nom, quelle que ft l'innocuit de la pice, ne devait pas paratre sur un programme de fte catholique, qu'il froissait doulou-
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reusement les mes qui ont conserv le sens catholique dans son intgrit, qu'il tait suivant l'expression reue en thologie piarum aurium offensivum. Que ne se sont-ils donc souvenus que, vis--vis de pareils crivains, l'Eglise, pour inspirer ses enfants la haine de leurs uvres, n'hsite pas les proscrire toutes en bloc in odium auctoris ! Et que dire de cette introduction dans Un milieu catholique, d'un personnel de thtre, prsent avec le jargon du lieu? Comme nous sommes loin de l'esprit et de la pratique de l'Eglise! Y a-t-il rien qui leur soit plus oppos? Allez, aprs cela, loigner nos fidles, du thtre! Il est vrai qu' l'heure prsente on y songe de moins en moins. Nos moralistes libraux ont cet gard une casuistique nouvelle. Eloigner les fidles du thtre! cela tait bon jadis. Mais aujourd'hui, on n'y doit plus songer. Y songetron, on travaillerait en vain. Le courant qui pousse au thtre, au plaisir, est trop fort. A leur avis, semble-t-il, il y a mieux faire : entrer soimme dans le courant; baptiser le thtre, comme d'autres, hier, baptisrent la rvolution. Que dis-je? le baptiser? en faire le cooprateur de nos uvres catholiques en lui demandant d'alimenter nos caisses. Pauvre et vain raisonnement! A quoi bon, je vous prie, des uvres catholiques, si, sous prtexte de les faire vivre, vous commencez par tuer l'esprit chrtien dans les mes. Car l'esprit chrtien, ne l'oublions pas, est essentiellement dans la haine et la fuite du monde, de ses plaisirs, de ses vanits, de ses pompes. NotreSeigneur et, aprs lui, les aptres s'en sont assez clairement expliqus. Soit, m e dit-on, mais prenez garde! Avec vos troitesses de vues vous courez risque de tout perdre. La conqute des mes contemporaines est au prix d'une grande largeur d'esprit. Ou renoncez l'espoir du succs pour votre apostolat, ou laissez ce rigo- * risme d'un autre ge qui menace de vous accabler sous u n qualificatif dont vous ne vous relverez pas : Petit esprit 1 Se laisse mouvoir qui Voudra par ces arguments fort la mode. Pour nous, traditionalistes rsolus, tenons-nous-en au saint Evangile, sa morale, ses principes, authentiquement transmis par l'Eglise et ses docteurs.
LA F T E D E J E A N N E D'ARC A L I M O G E S
'On s'est abstenu de pavoiser cette anne Limoges, pour la fte de Jeanne d'Arc. Les catholiques du diocse se demandaient depuis plusieurs semaines ce que ferait Limoges pour clbrer notre hrone nationale, place par S. S. Pie X sur les autels. Les esprits clairvoyants annonaient qu'on ne ferait rien, parce que les dmocrates chrtiens de la rgion, la tte desquels, comme on sait, est M. le chanoine Desgranges, directeur de la Semaine religieuse, taient contraires toute manifestation, videmment par crainte que l'hommage rendu la res-
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
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tauratiort de la royaut, ne rejaillt malencontreusement sur celle-ci. Enfin, le 19 mai, parut dans la Semaine religieuse, la note curieuse que voici :
FTE DE LA BIENHEUREUSE JEANNE D'ARC Le dimanche, 2 3 mai, on clbrera, dans toutes les paroisses du diocse, ainsi que dans toutes les glises de France, la Fte de la Bienheureuse Jeanne d'Arc. Nous demandons instamment nos chers diocsains d'honorer de leur mieux, ce jour-l, cette glorieuse protectrice de notre Patrie, surtout en tmoignant leur pit et leur ferveur par l'assistance aux offices en cette solennit. Nous leur demandons aussi, avec Mgr l'vque d'Orlans, de diriger leurs prires d'une manire spciale en vue de la prochaine canonisation de la Bienheureuse qui nous ramnera les magnifiques et unanimes dmonstrations extrieures d'il y a deux ans. En attendant, pour cette anne, il nous parat sage de ne pas solliciter positivement de nos chers diocsains, tout en leur laissant pleine latitude, ces particulires manifestations.
Ce qui frappe dans cette note non officielle, ce n'est pas principalement d'entendre le directeur de la Semaine religieuse parler comme il est rserv l'vque de le faire, en appelant les catholiques nos chers diocsains . Ils sont ceux de l'vque, mais non de M. Desgranges. C'est le tour peu franc de cette communication : on leur laisse pleine latitude, mais en leur conseillant de n'en point user, du haut de celte tribune d'o les paroles tombent avec quelque autorit; et on les engage clbrer dignement cette fte nationale... par des actes strictement privs. Les dtails qui suivent nous viennent de source trs sre. Comme on laissait pleine latitude, beaucoup rsolurent d'illuminer. Mais beaucoup, qui prtendaient avoir l'oreille de l'vch, soutenaient qu'il ne fallait rien faire. Le mercredi soir, 24, la comtesse du Authier alla aux bureaux de l'Evch, et demanda M. Lartisien, Vicaire-gnral, ce que signifiait la note de la Semaine: il lui fut rpondu que l'on tait libre d'agir sa guise... mais que l'Evch se rservait pour la Canonisation. L-dessus, comme le R. P. Eyraud prchait le mois de Marie Saint-Michel, il exhorta vivement l e s fidles, le jour de .l'Ascension, aux Vpres, pavoiser en l'honneur de Jeanne d'Arc. Ces paroles furent aussitt rapportes l'Evch qui ne cacha point son mcontentement... si bien que, le lendemain, vendredi, M. le Cur de SaintMichel, tant all voir M. Lartisien, en reut des reproches. On aurait d comprendre que la pense et le dsir de Monseigneur taient que l'on s'abstnt. Aussi M. le CUr de Saint-Michel, qui avait command un beau pavoisement, ne put seulement pas mettre un drapeau; et le prdicateur fut, lui aussi, contraint de se taire. 11 ne dit plus rien sur cette question. Il n'y a qu'une voix dans Limoges pour dire que les dmocrates (style Desgranges) sont la cause de tous ces ennuis. Ils sont sans cesse dans les bureaux de l'Evch et y font la pluie et le beau temps. Mais beaucoup de catholiques sont tout simplement indigns.
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
On rserve toutes ses forces pour la canonisation!... Et Limoges n'a pas illumin, parce que l'Evch avait dfendu de le faire. Or, tout le monde avoue que, sans cette dfense, on aurait eu un pavoisement et des illuminations splendides. Jl y a de petits incidents qui ont une porte significative. Puisque nous parlons de Semaines religieuses, voici ce qu'on lit sur celle de Limoges, dans le Salut national, organe de cette rgion (4 juin 1911), sous le titre : On Von voit qu'un abb dmocrate aurait mieux fait de se taire: Sous ce titre l'Affaire cVAbbadie , M. le chanoine Desgranges publie dans un de ses journaux, le Petit Dmocrate, un article mchant, et sot, avec une pointe d'hypocrisie. Ou sail que ce clbre abb n'aime pas les lites sociales de la puissance ou de la fortune; sa profession de dmocrate, mme chrtien, ne le lui permet pas. Il est bien par l fortement en contradiction avec les enseignements de Lon XIII, mais la sagesse de son aefion sociale n'est pas compromise pour si peu. On le croyait assagi depuis qu'il a fait sa pousse dans les honneurs ecclsiastiques, c'tait une erreur; il est toujours Jean Desgranges. Quel besoin avait-il de parler ses lecteurs populaires de cette affaire? C'tait le besoin de leur dire que ce malheureux tait gentilhomme et royaliste... c'est l toute la raison de l'article. Sa profession de dmocrate lui a fait trouver ce trait; il l'a ramass prestement et Ta lanc, telum imbelU. Voici pourquoi nous disons que l'article est mchant. M. Desgranges ajoute que M. d'Abbadie tait la tte des uvres catholiques de son dpartement . Mais M. Desgranges est lui aussi trs occup d'uvres catholiques et sociales; c'est donc un collaborateur tomb et malheureux que le fougueux abb dmocrate accable sans piti et sans ncessit : publier les tristes dfaillances de ses amis, lorsque rien n'y oblige, ne semblera pas un acte de haute sagacit. Voici pourquoi j'ai dit que l'article est soit. Cet tourdi vient encore rveiller l'histoire de l'abb Delarue qui n'a rien faire en cette occurrence. Quelle ncessit le pressait donc d'voquer l'aventure malheureuse de son confrre dans le sacerdoce, ignore ou oublie de ses lecteurs? M. Desgranges n'a pas besoin, pour nous convaincre de sa vertu, de se faire le redresseur de tous les boiteux de la chrtient. En vrit, nous ne pensons pas que Ton puisse taler plus de maladresse; voil pourquoi nous disons que cet article est sot. M. le chanoine feint de dplorer la grande publicit donne ce scandale par la presse gros tirages; et aussitt, avec une comique rsignation il s'empresse* d'ajouter la publicit de son journal populaire. Puisque la Presse a commis l'infamie de dvoiler ainsi les secrets de deux familles et de procder une confession publique, parlons notre tour c'est--dire, continuons l'infamie , dvoilons un peu plus les secrets des deux familles. Pcnsera-t-on que ces secrets familiaux touchent beaucoup le cur du chanoine? Il fait le plaisantin; voil pourquoi nous disons que cet article n'est pas dpourvu d'une pointe d'hypocrisie.
1
Et, tout cela pour faire savoir aux lecteurs de son Petit Dmocrate, qu'un gentilhomme royaliste avait' dsert le domicile conjugal.
RIEUBLANC.
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LE
RVEIL
DU
SILLON
Nos lecteurs se souviennent d'une information rcente que nous avons donne sous ce titre, en publiant le programme d'un groupe d'action dmocratique qui vient de se reformer Toulouse. Voici une autre circulaire, manant du mme centre, qui confirme ce que nous avons dj dit et apporte des prcisions intressantes. Toulouse, 24 mai 1911. Mon cher camarade, Toulouse organise, pour le 11 juin, un grand Congrs rgional de propagande pour la Dmocratie, avec le concours de Marc Sangnier. Vous trouverez ci-contre le programme de ces journes. Nous n'insistons pas sur l'importance do ce Congrs. Notre journal se prsente sous un aspect trs intressant; les difficults de la premire, heure ont disparues (sic), puisqu'il fait ses frais. L" moment est venu de le propager avec mthode : par lui nos ides pntreront jilus
facilement.
Le but principal de ce Congrs est d'organiser notre propagande. Marc
Sangnier, dans une runion publique et contradictoire, prcisera le nouveau terrai sur lequel nous sommes placs.
Nous comptons sur votre adhsion que vous nous ferez parvenir Je plus tt possible. Nous vous prions de faire une intense propagande autour de vous.
SAMEDI 10 J U I N A. 8 H. 30 DU S O U l .
Rapport de M. Pujefc : la vente Toulouse. Rapport des correspondants rgionaux. A Midi : Banquet dmocratique. 2 heures : Concours de camelots. 4 HEURES : GRANDE RUNION publique et contradictoire. (Halle aux grains.). Prix du banquet : 3 francs. Carte congressiste : 0 fr. 50. Runion : 0 fr. 25. Rpondre immdiatement A. Callcbat, G, rue des Jumeaux.. Permanence du Congrs : 39, rue de la Dnlbade. En mme temps, M. Sangnier multiplie runions et grands discours Lyon, Rouen, e t c . . Il n'y a pas s'y mprendre, en dpit de ses explications alambiques, c'est bien le rveil du Sillon, un rveil trs actif. L'enseigne a t enleve, mais la marchandise est la mme.
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LA
CRITIQUE
DU
LIBERALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Un seul trait pour le prouver encore. Il est emprunt au conjpte rendu du discours de M. Sangnier Roi dans sa quatrime confrence, Paris (la Dmocratie, 30 mai). Catholique, s'agit-il de faire acte de catholique ou de dfenseur des ncessaires liberts religieuses, j'accomplirai cet acte avec tous les catholiques royalistes ou rpublicains, peu m'importe. Rpublicain, c'est avec les rpublicains que je travaillerai organiser la Rpublique et la Dmocratie. Ce contre quoi nous nous levons donc avec force, c'est contre cette solidarit que Von voudrait tablir, dans certains milieux de droite et de gauche, entre la Rpublique et Vanticlricalisme. Les hommes qui se groupent autour de notre journal, veulent travailler avec tous sur le terrain o nous pouvons nous rencontrer, avec tous les catholiques,quels qu'Us soient pour la dfense des liberts religieuses, avec tous les rpublicains pour le progrs de Vide rpublicaine qui ne se ralisera qu'en tuant le sectarisme, en ouvrant la Rpublique toutes les nergies morales de la nation. (Vifs applaudissements). MODERNISME LITTRAIRE : M. L'ABB C. LOOTEN Sous ce titre, la Correspondance de Rome, du 21 mai, signale certains faits que le lecteur pourra rapprocher de la Lettre de Fribourg . L'Universit catholique de Lille compte parmi ses professeurs un groupe compact d'hommes minents qui l'honorent, la placent peut tre au premier rang de nos Instituts catholiques par le talent et l'entier dvouement qu'ils consacrent suivre bous les enseignements du Saint-Sige. Mais il est fcheux et bien regrettable que nos principaux centres d'enseignement suprieur ne soient pas expurgs de toute influence contraire. Voil l'article de la feuille romaine. La lettre du Pape contre le modernisme littraire dnonait parmi les formes d e cette propagande pernicieuse soit le roman, soit la nouvelle, soit les essais d e critique . M. C. Looten opte pour cette dernire espce. Ainsi il aime vulgariser en France l'uvre de ces femmes anglaises qui, par le roman, firent du modernisme et du christianisme libre avant la lettre, cooprant prparer le milieu aux modernistes et aux libres-croyants d'aujourd'hui. Voici par exemple son essai critique sur Mrs Humphry Ward et son tout rcent article sur les surs Bront. L'essai sur Mrs Humphry Ward, de M. C. Looten, a paru dans le Correspondant du 10 mars 1910. Ce sont l 30 pages d'un pangyrique jet continu, de cet auteur dont l'esprit profondment antichrtien et surtout anti-catholique, mritait au moins beaucoup de graves rserves. Au contraire, le pangyriste ne tarit pas dans les loges; il prsente tout sous le jolir le plus favorable, et parle des fameuses doctrines religieuses d e Mrs Humphry Ward presque toujours avec une... neutralit bienveillante qui vraiment dconcerte. Une uvre qui s'impose l'attention, non seulement cause de
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ses qualits purement littraires, mais parce qu'il y passe un grand souffle de probit et de bonne foy , et que si parfois (sict) on ne partage pas son avis, Ton est toujours forc de rendre hommage la sincrit de ses convictions (pp. 961-2). L'uvre virile d e Mrs Ward... (son) indpendante franchise (p. 962). Aprs avoir fait un expos trs sympathique du roman si profondment anti-chrtien de Mrs Ward, Robert Elsmere, M. C. Looten se contente de dire : Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette conception de la religion chrtienne qui pourrait bien convenir Renan ou Auguste Sabatier, mais qui rpugne d'une faon absolue tous ceux qui continuent (sic) de croire que Jsus est Dieu et que sa doctrine est surnaturelle... L'motion (produite par le roman) fut d'autant plus vive que le ton d u roman tait plus calme, plus modr, plus respectueux de l'institution auguste que l'auteur prtendait moins dtruire que rformer (I) , (p- 967). Et il conclut : (Mrs Ward) trangre toute confession religieuse, mais reste chrtienne par sa foi en un grand idal moral dont elle proclame partout la ncessit; sensible la beaut du monde physique, mais sans verser dans le panthisme (grand merci]); telle nous parat-elle travers toute son uvre qui est faonne son image, remarquable par sa belle tenue faite de dignit, de mesure, de sagesse, de pondration (1)-.- A raison de ces rares qualits on lui pardonne ses dfauts : son manque de profondeur, ses longueurs, sa facilit trop grande, l'habitude d'tre auteur notre gr (p. 990). Et ses blasphmes contre le Christ Dieu et l'Eglise, sa haine avoue par M. C. Looten contre le catholicisme?... quantits ngligeables ! I^e mot de la fin : Ses romans sont plus qu'une uvre de littrature pure; ils sont u n e cole de virilit et d'nergie (p. 990). Assez, n'est-ce pas? L'article d e M. C. Looten sur les surs Bront vient de paratre dans La Dmocratie de M. Marc Sangnier, du 15 cour., sous forme de recension d'une tude de M. l'abb Dimnet. Mme emballement pour les trois surs dont le christianisme consistait, pour Anne dans un mysticisme trs vague et trs nature, pour Emily dans un panthisme stoque , pour Charlotte dans un anglicanisme austre et puritain . Ici, aussi, M. Looten labore un pangyrique qui se garde bien de dire un mot au moins de regret, vis--vis, non seulement de trois corps morts jeunes, mais d e trois mes fermes la vrit religieuse, mme pour Une, toute foi religieuse, chose dont leur uvre ne pouvait pas ne pas se ressentir. A propos de leur mort. A peine se sont-elles rvles au 1. A noter que la haine de Mrs Ward contre le catholicisme est telle, que M. C. Looten est oblig lui-mme d'en dire un mot : C'est une faon nouvelle de pousser le vieux cri de haine : no poperyl (p. 970).
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SOCUL
monde; que deux d'entre elles disparaissent dans Y ternelle nuit, fauches dans leur fleur par l'homicide tuberculose . L'ternelle nuit?... C'est le Grand-Tout, le Grand-Rien, le Karma, le Nirvana, tout ce que vous voulez, moins que Tau del de la foi chrtienne. A quelle religion appartient-il donc, ce M. C. Looten? M. l'abb C. Looten est prtre catholique du diocse de Carnbrai et professeur VZJniversit Catholique de Lille. (Corr. de Rome).
M. l'abbe Looten a demand l'insertion de la lettre suivante YUnivers qui avait reproduit cette critique. Monsieur, Dans YUnivers de jeudi 25 mai 1911, vous avez jug opportun de repro* duire une note du Bulletin de la Correspondance de Rome, dat du 21 mai dernier, o je suis accus de modernisme littraire . Je proteste avec la dernire nergie contre cette accusation, laquelle j'oppose le dmenti le plus formel. Depuis trente-deux ans que j'enseigne, j'ai toujours t et je suis encore le fils docile et respectueux de l'Eglise. Je me suis fait un devoir dans le pass et dans le prsent, comme il sied un prtre et un professeur du haut enseignement catholique, d'obir simplement aux directions pontificales. De grand cur et sans arrire-pense j'ai souscrit au mois de novembre dernier la formule du serment prescrite par Sa Saintet Pie X... Veuille? agrer, Monsieur, mes salutations.
C. LOOTEN,
chanoine honoraire de Cambrai, professeur l'Universit catholique de Lille. La Correspondance de Rome rplique avec raison que cette protestation la laisse froide. En effet, cette profession gnrale de sentiments et de principes n'est ni une rponse ni un dmenti des critiques tout objectives sur sa manire d'expliquer et d'apprcier une littrature anticatholique et mme antichrtienne. Personne ne met en doute la sincrit des sentiments dont M. l'abb Looteu s'honore dans cette lettre. Ce qu'il a crit n'en reste pas moins. Et mme, plus l'auteur proteste de son fidle attachement l'Eglise, plus -est surprenante cette faiblesse de la part d'un homme qui se pique de reprsenter dignement le haut enseignement catholique. La qualification de modernisme littraire dont M. Looten parat s'offenser esL prcisment justifie par le contraste entre cette profession do foi et cette conduite. C'est la caractristique du modernisme si bien mise en relief par S. S. Pie X. D'ailleurs, on n'apprcie pas les intentions, on juge le fait. Il est superflu d'ajouter que, dans l'espce, la Correspondance de Rome, en parlant de modernisme ; emploie le mot uniquement pour dsigner une tendance d'esprit, et non pas une formelle erreur doctrinale. Quand elle ajoute que M. Looten, par sa lettre, se montre parfait moderniste , elle ne lui impute pas da-
INFORMATIONS ET DOCUMENS
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van tage l'hrsie, mais elle veut dire qu'il imite trop fidlement la tactique des modernistes, qui est de prtendre couvrir leurs carts par de sonores dclarations de loyalisme religieux, sans s'expliquer sur les faits ni les reconnatre.
COLOGNE
Voici, do source sre, une note qui confirme par des faits rcents, ce que nous avons plus d'une fois crit sur l'volution du Centre allemand. Lors d e la secende dlibration du Reichstag allemand pour fixer la constitution do l'Alsace-Lorraine, les conservateurs, (protestants) avaient propos l'article suivant : Pour les coles primaires publiques, les relations (Verhaeltnisse) confessionnelles servent de bases. C'est le principe de l'cole confessionnelle qui se trouvait ainsi garanti par la Constitution et mis hors d'atteinte des partis et des lois. Eh bien.' la majorit du Centre s'est unie aux libraux et aux socialistes pour voter contre! Pour le moment, l'cole primaire en Alsace-Lorraine est confessionnelle; mais le nouveau Landtag alsacien-lorrain qui se formera en vertu de la nouvelle Constitution aura tout de suite une majorit librale et dmocrate. Cette majorit se fera un devoir d'attaquer l'cole ccnfessionnellc selon le mot d'ordre de la secte cosmopolite et le Centre aura contribu dsarmer l'cole confessionnelle de l'gide de la Constitution. M. Groeber, un des chefs du Cenlre, motiva ce vote si rejgrettable par la considration que la question scolaire n'est pas de la comptence du Reichstag imprial, mais du Landtag alsacien-lorrain. Etrange scrupule! quivoque trange! En effet, il ne s'agissait pas de faire une LOI, ce qui est de la comptence du Landtag local, mais une Constitution, Ce qui appartient au Reichstag do l'empire. Le pire, c'est que le Centre, si trangement scrupuleux sur ce point, s'est dparti tout de suite de sa rserve en votant, M. Groeber en tte, la proposition du gouvernement et des libraux qui impose comme langue scolaire l'allemand aux coles publiques et prives en Alsace-Lorraine, autorisant seulement le gouverneur accorder des dispenses. Les membres du Centre n'ont donc plus eu de scrupules sur la comptence en matire scolaire, et ils votent une loi de combat qui pourra provoquer en Alsace-Lorraine les scnes pnibles ot rvoltantes qui se sont passes il y. a peu d'annes en Posnanic o les instituteurs et les gendarmes imposrent coups de cravache, d'amendes et de prison la langue allemande aux lves polonais. A noter que parmi les dputs du Centre qui votrent selon le gouvernement, on a vu les Spahn, les Groeber, les Schaedler et autres chefs connus de la Tendance de Cologne et de Mnchen-' Gladbach, pendant que parmi ceux de la minorit du Centr (une
Critique du libralisme. J5 Juin. 7
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
vingtaine environ) qui votrent contre, on voyait le comte von Oppersdorf!, le docteur Fleischer et autres de la Tendance de Berlin, tendance ouvertement catholique et confessionnelle. Dernirement, on notait qu'au Congrs catholique des uvres sociales Paris on avait entendu le baron Savigny, reprsentant de la Tendance de Berlin, pendant que celle de Cologne et de Mnchen-Gladbach brillait par son absence. Les chefs catholiques de Mnchen-Gladbach rpondirent que l'Allemagne est protestante pour les deux tiers et que, par consquent, on ne pouvait pas participer un congrs confessionnel. Aprs cela, il serait difficile de contester que les proccupations de Rome soient justifies.
SPCIMEN
D'ACTION SOCIALE
SILLONNISTE
Il circulait ces derniers temps Bordeaux une petite feuille volante bien rvlatrice de l'esprit que J e Sillon apporte dans ses uvres et propage par leur moyen. C'est un appel adress en faveur d'un dispensaire gratuit, fond par des dames sillonnistes et rest sous leur coupe depuis la lettre du Saint-Pre sur le Sillon. Un Dispensaire gratuit du soir est une uvre minemment Utile. Il n'y aurait qu' y applaudir si elle ne devenait, comme toute uvre, entre les mains sillonnistes, le vhicule d'un tat d'esprit dont on peut juger par la lecture de la feuille en question. En voici le texte, nous en soulignons les mots ou les passages caractristiques. DISPENSAIRE GRATUIT DU SOIR 25, RUE VIDEAU, 25 (prs la place des Capucins) Voil deux ans que le Dispensaire a t cr et, pour la seconde fois, nous venons faire appel la gnrosit du public en faveur de notre uvre. Cette uvre, certains en approuvaient le principe, mais en jugeaient l'excution tmraire Dieu merci, les pessimistes en ont t pour leurs craintes ol notre but a t atteint autant et mme plus qu'on n'tait en droit de l'esprer, tant donnes notre inexprience et la modicit de nos ressources. Ce but, comme on le sait, est double : permettre aux travailleurs mdiocrement rtribus ou chargs de famille de venir, le soir, c'est--dire aprs avoir assur leur pain et celui de leurs enfants, recevoir gratuitement conseils et soins fraternels. Et, par ailleurs, donner aux ouvrires qui ont bien le droit elles aussi de se dvouer la possibilit de jouer le sublime rle d'imfirmires volontaires qui tait jusqu'ici fatalement Tapanage de celles qui ont renonc au monde, ou de celles qui leur fortune cre des loisirs. Aujourd'hui, grce au zle de nos infirmires, de nos tudiants et de nos docteurs, Messieurs Paulouch, Cljat et Faugrc, le Dispensaire du Soir est dfinitivement organis, les malades y viennent chaque jour plus nombreux, plus confiants, et nous voyons avec joie s'accrotre las rsultats matriels et inoraux do noire uvre. A tous nos amis, connus ou inconnus, noas demandons nouveau de nous aider, "etc.
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Et tous, nous adressons d'avance un chaleureux merci, les assurant que nous ne faillirons point la tche que nous nous sommes donne et laquelle nous sommes plus dcids que jamais sacrifier le meilleur de nousmmes. Et, sur les billets de tombola, on lit encore cette note : Le Dispensaire du Soir a t cr dans un double but : permettre aux indigents de recevoir gratuitement conseils et soins en dehors de leurs heures de travail, leur viter ainsi toute pert3 de salaire. En second lieu donner la possibilit aux ouvrires retenues le jour par leurs occupations, de remplir le rle d'infirmires jusqu'ici accessible aux seules jeunes filles de la bourgeoisie. Le but qui diffrencie cette uvre des dispensaires vulgaires et qui fait, nous le savons, son attrait dans le monde sillonniste, est donc lo suivant : Donner aux ouvrires qui ont bien le droit elles aussi de se dvouer la possibilit de jouer le sublime rle d'infirmires volontaires qui tait jusqu'ici fatalement l'apanage de celles qui ont renonc au monde, ou de celles qui leur fortune cre des loisirs. Pas un mot ici qui n'ait son venin. Dans la grande joute de flatterie dont tout souverain est le centre, il faut surenchrir pour obtenir ses faveurs. C'est quoi s'entend le Sillon auprs du peuple-roi. Ce serait se moquer des classes ouvrires que de rclamer pour elles le droit de se dvouer, si ce n'tait surtout une flagornerie et de la plus basse espce. Pour s'en faire bien venir, le Sillon invente peur elles des droits indits. Il appelle donc droit le dvouement qui est Un devoir, devoir de charit, (mais il ne faut parler au peuple ni de devoir, ni de charit) et tcher de leur persuader qu'elles en sont frustres. Les occasions de se dvouer manquent donc au peuple? Quelle drision I Ce prtendu droit, mais il l'accable! L'ignorer, ou feindre de l'ignorer, c'est tout ignorer du peuple, de sa vie, et des vertus qu'il peut et sait d'ailleurs y dployer. Bien pis : c'est l'carter de ces vertus. Si le droit de se dvouer a t enlev quelqu'un, c'est celles qui ont renonc au monde pour l'exercice exclusif de la charit, aux Congrgations. Celles-l pourraient se plaindre. Mais la feuille en question, loin de rclamer en leur faveur, n'en parle que pour prononcer le mot apanage . Nouvelle flatterie particulirement rvoltante de la part de catholiques si pleins de prtentions l'esprit vanglique. Ils ne craignent pas d'apporter ici nu renfort l'esprit anticlrical. Mais o s'arrterait la flatterie dmocratique? Flatterie, l'absurde travestissement <lu devoir en droit, pour le faire miroiter davantage; flatterie encore la proccupation apprise au peuple de singer la classe bourgeoise, flatterie toujours et partout. Ces procds, loin d'lever le peuple, l'abaissent, l'aigrissent et
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le corrompent. Par leur moyen, on n'amliore pas sa condition; on l'en fait sortir (ce qui n'est pas la m m e chose), on la lui fait prendre en dgrot et en mpris. On fausse tout en lui, sentiment de justice, ide du devoir et jusqu' sa bonne volont. On lui inculque l'ide que, sans le dispensaire sillonniste, il serait dans l'impossibilit de distribuer dvouement et soins fraternels , et on attise la haine des riches abaisss et jalouss jusque dans leurs bonnes uvres : ( loisirs , apanage ). Rien de plus propre l'carter de ses devoirs vrais et immdiats, auxquels sont ainsi substitues des occupations de riche suprme flatterie impossible exercer qui n'a que le ncessaire, plus forte raison qui ne l'a pas. Car si la fortune cre les loisirs et la possibilit de jouer le rle sublime d'infirmires , apanage des clasises bourgeoises, comment les ouvrires en jouiraient-elles? Elles ne le pourraient qu'en dsertant leur place au foyer et la tche de dvouement qui s'offre elle dans le cercle de famille ou de voisinago. Tche fort humble, il est vrai, sans ostentation, ni mise en scne, n'ayant rien d'un rle jouer, puisqu'elle est impose par les conditions mme de la dure vie du p e u p V Mais si elle ne vaut pas ceux ou celles qui s'en acquittent simplement et consciencieusement, l'attendrissement, l'amiti, le tutoiement des dames du Sillon, elle n'en est pas moins mritoire. Elle texige des vertus que le Sillon qui les mconnat (ne les souponnant peut-tre mme pas), tend singulirement faire disparatre. De sorte que le Sillon est aussi injuste envers le peuple, les ouvriers et les pauvres, qu'envers les bourgeois, les patrons et les riches : en dnaturant leurs rapports mutuels et leurs attributions respectives, il les exaspre et les dmoralise autant les uns que les autres par un trompe-l'il perptuel qui substitue partout le faux au vrai, l'artificiel la ralit. Le malheur est que de bonnes mes s'y laissent prendre. Les dames, riches ou pauvres, qui ont sign cette feuille-rclame, assurent un peu thtralement qu'elles donnent et continueront donner leur dispensaire le meilleur d'elles-mmes. Elles se trompent : fort heureusement elles valent mieux que leur uvre. Elles ne se rendent pas compte qu'elles poussent la haine des classes et au mpris du devoir certain, abandonn pour la revendication d'un droit factice, sous prtexte d'humanitarisme, de pacifisme et de christianisme. Aux personnes qui ne comprendraient pas cette contradiction, et nieraient qu'une uvre de guerre pt tre accomplie avec le dsir et sous les apparences de la paix, il faut rappeler la remarque faite, il y a longtemps dj, par Edgar Qui.net, croyons-nous : la guerre entre nations n'est repousse que pour mieux permettre la guerre des classes. Observation que la ralit corrobore tous les jours et que les socialistes les plus rvolutionnaires se sont chargs do nous prouver. Le Sillon, avec une sduction plus subtile, n'a pas chapp la rgle.
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LE PRTRE E T LES MANUELS SCOLAIRES Nos lecteurs n'ont pas oubli la thse prsente dans notre numro du 1 avril 1911, par M. l'abb Musy, sur l'obligation qui incombe aux confesseurs de ne pas fermer les yeux sur l'emploi des manuels scolaires condamns, mais d'avertir les enfants eux-mmes qu'ils ont le devoir imprieux de ne pas exposer leur foi. Cette thse vient de recevoir la sanction officielle du Saint-Sige. L'importance de sa rponse n'chappera personne. Nous flicitons notre collaborateur de l'avoir provoque et sommes heureux de constater une fois de plus l'accord de nos principes avec ceux de l'Eglise.
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Les doutes suivants ont t proposs au Saint-Sige par l'archevch de Besanon : 1 Y a-t-il pour les prtres ayant charge d'mes obligation grave d'enseigner aux enfants, le plus tt possible et par des avis rpts, qu'il est dfendu par l'Eglise de lire et de garder certains livres, et que l'usage de ces livres expose leur foi un grand danger? 2 Les enfants ainsi instruits sont-ils tenus sub gravi d'obir l'Eglise, mme dans le cas o il" leur faudrait pour cela refuser obissance leurs parents et leurs matres? Doit-on les regarder comme non coupables et les laisser dans la bonne foi s'ils obissent leurs parents plutt qu' l'Eglise? 3 Les parents ou les matres qui laissent aux mains des enfants des livres condamns doivent-ils tre excuss en raison de quelque grave inconvnient, comme seraient, par exemple, la privation d'une cole chrtienne au lieu de leur domicile, la crainte de voir leurs enfants chasss de l'cole publique, la menace de l'amende ou de la prison, et autres inconvnients du mme genre? 4 Les parents et les matres qui, malgr les prohibitions de l'Eglise, exigent avec obstination que les enfants se servent des livres condamns, doivent-ils tre regards comme des pcheurs publics ; -et s'ils meurent dans l'impnitence (1), peut-on cependant leur accorder la spulture ecclsiastique? S. Em. le cardinal Merry del Val a rpondu : Du Vatican, le 15 mai 1911. Illustrissime et Rvrendissime Seigneur, Il m'est trs agrable de faire savoir Votre Grandeur qu'aprs avoir examin, sur votre recommandation, les demandes faites par le prtre Louis Musy, le 6 fvrier dernier, ainsi que les doutes proposs par lui au sujet de l'usage des manuels scolaires condamns par les vques de France,- le Trs Saint-Pre a ordonn qu'il lui soit fait les rponses suivantes : 1. -L'importance dont il s'agit ici doit s'entendre du dfaut de repenh> au sujet de l'emploi des manuels condamns (note du traducteur).
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1 Affirmativement; mais il faut en mme temps apprendre aux enfants que l'usage des manuels condamns peut, dans certaines circonstances, tre permis en vertu d'une dispense accorde par l'Ordinaire du lieu, la condition, toutefois, que les enfants eux-mmes mettent un soin persvrant se prmunir contre tout danger de perversion, en employant les moyens qui leur seront opportunment prescrits. 2 La solution est implique dans la rponse prcdente. 3 Les parents et les matres sont excuss par les raisons proposes, pourvu que, dans chaque cas, ils soumettent l'affaire au jugement de l'Ordinaire, qu'ils satisfassent au devoir trs grave d'employer les prcautions qu'a indiques ou qu'indiquera l'Ordinaire, pour prmunir les enfants contre les dangers de perversion, et que le scandale soit cart par les moyens les plus opportuns. 4 Il faut examiner les cas particuliers, et, pour chaque cas, c'est l'Ordinaire qu'il appartient de donner la solution. Ces rponses, que j'ai le devoir de transmettre Votre Grandeur, je vous prie de les communiquer au prtre intress. Heureux de cette occasion, avec les sentiments d'estime qui vous sont dus, je me dclare, De Votre Grandeur, Le trs dvou,
R.
Card.
MERRY
DEL
VAL.
Le Grant :
G.
STOFFEL
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TRTION
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LES
ORIGINES DU
I.
RATIONALISTES CHRTIEN
CHRTIEN
DMOCRATISME
MRE DIT DMOCRATISME
L'IDE
Que de gens s'imaginent qu'une ide illustre n'est que le produit spontan d'une intelligence? J'entendais, il y a peu de temps, un prtre dmocrate s'tonner que M. Aris ait cherch ailleurs que chez Marc Sangnier les origines du Sillon. Le Sillon, disait-il, est le Sillon, je ne comprends pas qu'on l'apparente d'autres systmes. Ce prtre dmocrate ne rflchissait pas, car il faut bien peu rflchir pour se convaincre qu'une ide qui remue l'opinion a toujours des racines dans un pass plus olx moins lointain. C'est d'ailleurs tellement dans l'ordre des choses qu'une ide influente soit peu peu amene son point de maturit avant d'exercer une action directe I Dans ce sens, il n'y a pas de rvolution dans l'histoire des ides. C'est ainsi qu'il faut, de fil en aiguille, remonter jusqu' la Rforme pour tenir les ides mres de la Rvolution franaise. Le prtre dmocrate dont je parle, faisait d'ailleurs un fort m'avivais compliment au Sillon, car il n'est rien de plus laid qu'une ide bans gnalogie; et quand cette ide a des prtentions d'influence sociale, elle n'est plus, selon un vigoureux mot de Ch. Maurras, qu' un sauvageon sans race. Si le hideux compromis que cache le mot de Dmocratie chrtienne n'a pas pour lui d'autre qualit, on ne peut pas lui refuser celle d'avoir t une ide forte, je veux dire par l, qu'elle a proccup plusieurs gnrations de catholiques. Elle a donc ses archives, archives qui rie manquent nullement d'intrt; elle a sa gnalogie, et si notis la voyons se dgager de son cocon aux environs de 1890 seulement, Un examen minutieux de sa formation doit nous la montrer l'tat de larve. Plus nous remonterons vers sa priode embryonnaire et mieux nous la jugerons la lumire de sa simplicit.
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Dmocratisme chrtien. J'ai cherch quelle tait l'ide foncire qui le rsumait et j'ai d reconnatre qu'il fallait tout ramener l'ide {de progrs. Ide de progrs, voil qui ne dit pas grand'chose et qui parat certes bien inoffensif. Depuis Lamennais jusqu' M. Sangnier, en passant par Gratry et par toute l'cole moderniste, j e .suis pourtant oblig, si je veux rsumer tous nos modernes thoriciens de constater qu'ils fraternisent tous, dans l'ide de progrs. L'on est bien forc 'de faire attention ce mot qui revient chaque instant sous la plume des dmocrates chrtiens et l'on se dit qu'aprs tout le mal n'est pas grand cela. Ainsi conclut la raison superficielle; mais l'examen la chose prend plus d'importance. Pourquoi donc ces dmocrates chrtiens s'attardent-ils tant sur cette ide de progrs, si celle-ci n'est dans leur systme, si systme il y a, qu'un dtail sans porte ? A la rflexion je me souvenais d'une parole de Brunetire : On serait en droit, si on le voulait, d'ordonner toute l'histoire littraire du XVIII* sicle, par rapport cette ide de progrs dont les horizons, encore troits, dans des dialogues de Perrault, s'agrandissent insensiblement, (pour finir par s'tendre comme e n perspectives illimites dans le .rve de Condorcet; et nous verrons bientt, $u'en effet, c'est peine si deux ou trois autres ides, pendant cent ans, ont partag avec elle, sans l a contrarier d'ailleurs, ou plutt en l'aidant, le gouvernement des esprits. (1)
(
En rsum, selon Brunetire, tout le rationalisme est l dans cett3 ide de Progrs. Il se trouve d'autre part, et selon toute apparence, que tout le dmocratisme chrtien est .aussi lui-mme dans cette ide de progrs. Est-ce une simple concidence, je le demande, ou fauti l voir l un phnomne de dpendance, -une filiation entre le rationalisme et la Dmocratie chrtienne? Tenons-nous l un point de contact entre deux clbres coles .(2). C'est oe qu'il faut demander la critique d'claircir.. 1. Brunetire, Etuctas critiques sur l'Hist. de la'Lift., cinquime srie, p. 183. Machette tel Cie, 1896. 2. -De nos jours, on parle -m'ins de progrs, et plus souvent d'vohfftion. .L'ide est la mme, sous une formule -rajeunie, fonde sur .llanalogie suppose entre l'ordre moral, social, religieux, et l'ordre du monde physique, en vertu d'une hypothse scientifique, de moins en moins vrifie, qui, applique celui-ci, donnait, pensait-on, ses lais de formation. Cet -autre thorie 'dvolution ost pour le fond identique, sous un nom diffrent, celle du progrs indfini. Soit dit pour marquer le rapport du prsent avec le pass que nous 'tudions, et l'intrt actuel de ces recherches sur l'origine du dmocratisme chrtien. Cette ide de progrs est en effet le carrefour o sont venus se rencontrer tous les novateurs de quelque acabit qu'ils soient, elle rsume toute l'histoire du rationalisme et du jacobinisme au XIX sicle et pour faire intervenir le jugement de M. Vacherot: Cousin esquisse en passant grands traits -une thorie du progrs qu'il claire et dmontre -par une rapide excursion da.ns l'histoire universelle. Aprs lui, ou ct, des esprits insnhux ou puis
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ORIGINES
RATIONALISTES
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Que l'ide du Progrs ait t la cheville ouvrire du rationalisme, quiconque connat tant soit peu la priode littraire qui s'tend du Discours sur la mthode jusqu' l'Esquisse d'une histoire des progrs de VEsprit humain de Condorcet, n'oserait en clouter. Brunetire voit les premiers linaments de Vide de progrs dans la querelle des Anciens et des Modernes, mais il me semble qu'il faut faire attention Descartes. Les thologiens, on le sait, surveillaient de trs prs autrefois Jes opinions scientifiques, e t sous prtexte de ne pas ruiner le dogme de la cration on considrait- l'univers comme tant sorli, tel qu'il est aujourd'hui, des mains du crateur. Descartes rencontre de cette opinion hasarde une petite remarque. . . . Toutefois je ne voulais pas infrer de toutes ces choses que ce monde ait t cr en la faon que. je proposais : car il est bien plus vraisemblable que ds le comm?ncement Dieu l'a rendu tel qu'il devait tre. Mais il est certain, et c'est une opinion communment reue entre les thologiens, que l'action par laquelle maintenant il le conserve est toute la mme que celle par laquelle il l'a cr; de faon que, encore qu'il ne lui aurait point donn au commencement d'autre forme que celle du chaos, pourvki qu'ayant tabli les lois de la nature il lui prtt son concours pour agir ainsi qu'elle a de coutume, on peut croire, sans faire tort au miracle de la cration, que, par cela seul, toutes les choses qui sont purement matrielles auraient pu avec le temps s'y rendre telles que nous les voyons .prsent; et leur nature est bien plus aise concevoir lorsqu'on les voit natre peu peu en cette sorte que lorsqu'on ne Jes considre que toutes faites (1). L'on voit d'ici l'importance d'une pareille nouveaut. Descartes est encore plein de dfrence pour l'opinion thologique que le moyen ge avait lgue en matire scientifique au XVII sicle, mais avec lui l'esprit public commence souponner de nouveaux horizons et il confondra bientt, dans une mme dfiance, l'opinion de l'Eglise sur la nature physique comme ses principes sur l'ordre moral et social. De l natra le fameux conflit entre la Science et la Foi. La loi d'volution dcouverte dans l'ordre physique, on engagera une querelle mort contre l'Eglise qui semblait, par ses empitements, fermer la porte au progrs des sciences, et l'esprit humain, enhardi par son uvre, revendiquera une indpendance absolue sur toute chose. Ainsi commence ce que l'on a nomm le rationalisme, c'est--dire, le culte de la-puissance de la Raison, la religion de l'autonomie individuelle. Suivez maintenant les dveloppements de cette ide de -progrs qui
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sauts, Saint-Simon, Comte, Leroux, Lamennais, Reynaud appofondissenL la mme thse, chacun avec la mthode qui lui est propre... Les historiens, aprs les philosophes, la reprennent. Les potes eux-mmes et hs savants s'en inspirent. Georges Sand en fait la philosophie de ses plus srieux romans . 1. Discours de la Mthode, 5 partie.
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fait bien le fond du rationalisme, vous la verrez se prciser, de Bayle Fontenelle, jusqu' l'encyclopdie. Celle-ci jugera le catholicisme comme un systme vieilli et assignera l'humanit un but plus lev. Le catholicisme avait plac le bonheur dans une autre vie, le rationalisme convie l'humanit un bonheur terrestre et lui enseigne qu'avant de btir la cit nouvelle, il s'agit d'abord jde dtruire tout absolument tout ce que le catholicisme avait construit. Le colosse, crit Condorcet Turgot, est demi dtruit, mais il faut essayer de l'craser, parce qu'il est ncessaire de mettre quelque chose sa place (1) . On espre, en effet, dans un avenir rgnrateur : Il arrivera donc ce moment o le 'soleil n'clairera plus sur la terre que des hommes libres, ne reconnaissant d'autre matre que leur raison (2) . Et Condorcet nous dira, dans un ouvrage qui est demeur clbre, ses raisons scientifiques de croire au progrs indfini , car c'est l son )ieu: Ce tableau est historique, dit-il, puisque assujetti de perptuelles variations, il se forme par l'observation successive des socits humaines aux diffrentes poques qu'elles ont parcourues. Il doit prsenter l'ordre des changements, exposer l'influence qu'exerce chaque instant sur celui qui le remplacera, et montrer ainsi" les modifications qu' reues l'espce humaine en se renouvelant sans cesse au milieu de l'immensit des sicles, la marche qu'elle a suivie, les pas qu'elle a faits vers la vrit ou le bonheur. Ces observations sur ce cfue l'homme a t, sur c e qu'il est aujourd'hui, conduiront ensuite aux moyens d'activer et d'acclrer les nouveaux progrs qtie sa nature lui permet d'esprer encore. Tel est le but de l'ouvrage que j'ai entrepris, et dont le rsultat sera de montrer, par le raisonnement et par les faits, qu'il n'a t marqu aucun terme au perfectionnement des facults humaines; que la perfectibilit de l'homme est rellement indfinie; que les progrs de cette perfectibilit, dsormais indpendante de toute puissance qui voudrait les arrter, n'ont d'autre terme que la dure du glob3 o la nature mouf a jets. (3) Ainai s'achve le XVIII sicle, l'homme est difi, l'humanit va vers un but indfiniment meilleur. Tel est le grand dogme de la Rvolution. L'on comprend ds lors ce que fut la Rvolution franaise, une foi dans l'avenir, o l'Etat deviendrait l'agent du progrs. Du mme coup l'Etat cessait d'tre un systme de gestion des affaires du pays, il devenait le dpositaire des destines de l'humanit. Et chose trange et chtiment inhrent l'erreur, ce systme nouveau qui prtend redresser enfin la dignit humaine, la porter une altitude que le christianisme
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1. 2. dit. 3.
Correspondance de Condorcet et de Turgot, 12 novembre 1774. Condorcet, Esquisse sur l'histoire des progrs de l'esprit humain, p. 255, de 1829. Ibidem, p. 8.
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n'avait, soit-disant, pu atteindre, ce rgime moderne qui dtacha la socit de sa dpendance surnaturelle, qui voulut faire de to"us les hommes des dieux, et qui dbuta par une solennelle dclaration des Droits de l'homme n'a, en ralit, abouti qu' ruiner le bien !re et l'quilibre social, en divisant, en isolant. Ce prtendu progrs, par sa centralisation, nous ramne l'Etat antique. Ainsi voil le chtiment : Qui veut faire l'ange, fait la bte . En tuant l'autorit, l'homme a tu ses fameux Droits , ses liberts . Mais il n'en est pas moins vrai que Vide de progrs constitue la clef de vote de ce nouvel tat de choses, la substance du Rationalisme. C'est elle qui donne un sens prcis toutes les doctrines rvolutionnaires et telle n'est elle-mme qu'une monstrueuse doctrine d'orgueil. Eh bienl c'est cette doctrine d'orgueil qui anime touto l'histoire de la Dmocratie chrtienne. II L'on dira que la Dmocratie chrtienne (1) est une opinion politique et que l'on ne voit pas clairement comment elle serait solidaire du rve de Condorcet. Mais croit-on que l'ide foncire de la Dmocratie soit indpendante de l'ide de progrs? Il faut avoir bien peu creus la question pour ne point apercevoir le lien trs intime qui les relie. Qu'est-ce que la Dmocratie? C'est tout simplement le peuple ayant atteint un degr tel de civilisation qu'il puisse se passer de matre, de monarque ou de chefs et devenant lui-mme le roi; chaque citoyen en dmocratie tant suppos roi. Le dmocrate pur et simple absolument comme le dmocrate chrtien part de ce principe qu'un ordre nouveau s'impose l'humanit depuis 89. J'ai d'ailleurs ma porte un moyen plus rapide de vous faire toucher -du doigt la similitude de vue qui unit la Dmocratie phrtienne avec le rve rationaliste du progrs. Voici d'abord ce qu'attend Condorcet fectionnement des lois, des institutions grs de ces sciences, n'a-t-il point pour . l'intrt commun de chaque homme avec du progrs indfini : Le perpubliques, dit-il, suite des proeffet de rapprocher, d'identifier l'intrt commun de tous 1 (2)
Preiions-y garde, nous avons l la formule du rve dmocratique. Qui ne voit du reste, dans ce texte, psrcor l'ambition rationaliste de raliser, rencontre du christianisme, le plus bel ge d'or qu'ait connu la socit! J'ose affirmer, malgr cela, que le Sillon n'a pas vis moins haut que Condorcet et ce?i le plus batement du monde. Ici l'on remplace les termes de progrs, perfectibilit indfinie, par l.,Le mot est pris ici dans l'acception de dmocralismc chrtien, et non au sens restreint d'action sociale chrtienne accept par le Pape Lon XIII. 2. Condorcet, Op. cit., p. 275. Edition de 1829.
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ceux de maximum de conscience et de responsabilit civique, mots que je ne trouve nulle part mieux expliqus que dans un article de* la Dmocratie du 20 aot 1910 (l'article est de Marc Sangnier). J e v o i s l expose le problme de la Dmocratie telle que la comprend' Se Sillon, et je me demande en quoi Marc Sangnier conoit diffremment la /Dmocratie que Condorcet. Le lecteur voudra bien comparer ces deux textes et se rapporter, s'il le peut, au contexte, car je n'invente ni (ne supprime rien.
Texte de Condorcet : Texte de. Marc Sangnier .*
Le perfectionnement des lois, des institutions publiques^ suite des progrs de ces sciences, n'a-t-ii point pour effet de rapprocher, d'identifier l'intrt commun de chaque homme avec l'intrt commun de tous ? (Esquisse des progrs de Vesprit humain p. 275. Edition 1819).
Ce que l'intrt particulier pousse si prement les hommes accomplir, il faut que le sens de Yinir gnral soit capable de le leur inspirer. Voil tout le problme de la Dmocratie.(1) (Dmocratie du 20 aot 1910, art. de M. Sangnier intitul : Y Etat est-il capable ?}
Marc Sangnier ne nous- sert que la conclusion d'un raisonnement dont Condorcet n'a aucune raison de nous escamoter l'es prmisses. On le voit, pour le dmocrate chrtien comme pour le rationaliste, Ta Dmocratie, c'est l'tat social parvenu ce degr de perfection o lies intrts des particuliers, intrts individuels, se confondront avec l'intrt de tous, intrt gnral; de telle sorte que l'individti ne puisse pas s'occuper d e ses intrts particuliers, sans s'inquiter en mme temps de l'intrt gnral. Comme le dit Marc Sangnier : tout le problme de la dmocratie est l. Voyez-vous donc inscrite au frontispice du dmocratisme chrtien Pide de progrs, car s'il ne s'agit pas ici d"e la croyance la perfectibilit des facults humaines, l'closion d'un ordre de choses inconnu encore des sicles chrtiens qui prcdrent la Rvolution, de quoi donc s'agit-il? E t par quelle nouvelle supercherie pourrait-on lergoter encore? Cette doctrine qui ne tend rien moins qu' difier l'homme (ohl d'une faon voile, cela!), qui nie implicitement Tgosme humain, l'a voil donc dans le sanctuaire. Et quand on a constat, documents en mains, quelle parent rattache la dmocratie- chrtienne aux utopies de 1789, le mot de Pie X n e surprend plus : Le souffle de la Rvolution est pass par l. Nous 1. Problme nouveau, entend Marc Sangnier, problme engendr, nous- dit il de mille faons dans son uvre, par l'volution morale, les transformations sociales , lesquelles ncessitent l'organisation dmocratique . Donc nouveaux besoins de l'me humaine, nouvel tat social corrlatif, lequel tat est la dmocratie dont Marc Sangnier donne ci dessus la formule, conformment l'utopie progressiste.
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examinerons minutieusement par quelles fuites. Les faits seuls peuvent imposer silence l'ignorance systmatique et la clart seule est capable de crer quelque embarras qui raisonne dans la pnombre des quivoques mensongres,
II. LES SOURCES DB LA DTSMOCRATIE CHRTIENNE
r Quelle que soit l'illusion qui entrane vers la Rvolution, peu importe l a secte, pourvu que la Rvolution arrive. Ainsi, parlait, ds 1798,, Barruel, l'historien du Jacobinisme. Et lorsqu'on songe, en effet, que la Rvolution franaise, fut un vaste complot maonnique pour ruiner l'ordre social inspir par le catholicisme et pour le remplacer par les ngations rationalistes, l'on comprend qu'il n'y a l, dans ce phnomne de la Rvolution franaise et son cortge de fausses e t pernicieuses doctrines, qu'une manuvre infernale qui. veut aboutir par tous ls moyens, l'hypocrisie surtout. L'illusion! n'est-ce pas en. allguant de faux prtextes que le jacobinisme a russi, dans, les* m a s s e s ? Une doctrine qui ne se rclame que d e sentiments d'apparence nobles, a- toujours des chances de succs,. Surtout en Firnoe.. Mais il aurait manqu un puissant auxiliaire au jacobinisme, si celui-ci n'avait, pas- essay, de gagner aux utopies de 1789, l'opinion catholique, l y avait l quelque chose tenter- et, il faut l'avouer, l'a russite demandait du temps, mais au fond elle tait facile. La Rvolution avait suffisamment parodi le christianisme pour qu'on tentt de la prsenter elle-mme comme une consquence de celui-ci. L tait l'illusion propager et quelle qtie soit l'illusion qui entrane vers r la Rvolution, peu- importe la secbe, pourvu crue la Rvolution arrive.. Elle n'a que trop russi et l'instrument qui l'a le mieux servie c'est encore r l'ide, de; Progrs.
L'bn a coutume qtaand on fouille dans les archives du dmocratisme chrtien o*u plutt du libralisme (car la dmocratie chrtienne n'a point encore t analyse dans ses origines), l'on a coutume de s'arrter l'cole de Lamennais. Lamennais touche lui-mme, il est vrai, la gnration qui eut pour matres les encyclopdistes et Rousseau,, et nous savons que son oncle, qui fit son ducation, lui laissait la libre disposition de sa bibliothque o. les ouvrages de Jean-Jacques: attiraient l'attention, du jeune lve (1). Les premires lectures de Lamennais expliqueraient dj suffisamment son attrait pour les doctrines de 89, mais il m'a sembl qu'il 1. Cf. Lamennais par Boutard.
fallait ici faire une place une cole qui prcda celle de Y Avenir et joua jusque vers 1 8 8 0 'un rle des plus importants. Il s'agit des dbuts du Saint-Simonisme et, on le verra par la suite, j'ai de srieuses raisons de m'en proccuper. Comment n'tre pas frapp par le spectacle de cette secte qui tenta pour la premire fois oVamalgamer le christianisme (et quel christianisme!) avec la Rvolution? Comment rester indiffrent son gard, quand, d'une part, Lamennais, selon toute apparence, a pfuis l son amour de la Dmocratie, sa foi dans le progrs et que d'autre part Bchez, le fameux Bchez, le maire de 48, ce crateur du socialisme vanglique , exercera une influence si directe sur Gratry. Par l nous touchons aux sources mmes' du Sillon et de la philosophie moderniste. Mais Bchez, il faut s'en souvenir, est un disciple de Saint-Simon. Il faut d'autant moins ngliger le Saint-Simonisme dans la gnalogie de la Dmocratie chrtienne, que celui-ci, soit par les ISaints-Simoniens, soit par l'influence de Bchez, a mon seulement semeuses ides de 1 8 2 5 1 8 4 8 , mais que nous le voyons revenir sur l'eai aux environs de 1 8 7 0 . La dernire dition des uvres de l'cole Saint-Simonienne est de 1 8 5 7 , et elle ne fut acheve qu'en 1 8 7 7 par Lau^enfc de l'Ardche. Quant Bchez, ses ouvrages taient toujours la mode vers 1 8 6 0 et l'on publia, mme en 1863, un ouvrage posthume : Trait de politique et de scienre sociale. (Edit. par. Ott.). Cette dition est prcde d'une biographie de Bchez et je trouve prcisment, quelque part dans cette biographie Un aveu qui notas met tout fait sur la piste des* origines de la dmocratie chrtienne, que Bchez contribua former. Lorsque le biographe de Bchez recherche d'o lui venait son ide fondamentale du progrs, il conclut :
ELLE LUI VENAIT EN DROITE LIGNE DE T U R G O T , DE CONDORCET,
Bchez lui-mme nous en a retrac l'histoire dans son Introduction la Science de l'Histoire ( 1 ) . Nous ne faisons donc pas fausse route et Saint-Simon se prsente nous comme le dpositaire de la moelle mme de la doctrine rvolutionnaire, de l'ide de Progrs N'tait ce point qui le rattache la Rvolution franaise, c'est dans la galerie de la contre-Rvolution qu'il faudrait ranger Saint-Simon.
DE SAINT-SIMON.
Saint-Simon, en effet, mdiocre crivain, philosophe trs discutable, n'a pas moins exerc une action considrable sur le dix-neuvime sicle, et, chose extrmement curieuse et importante, l'on peut faire partir de lui deux courants tellement divergents qu'ils finiront par se contrarier l'un l'autre, et que, selon toutes les probabilits, leur lutte va bientt s'achever sous nos yeux par la victoire anti-Rvolutionnaire. Dans l'histoire des ides, ce n'est du reste pas un phnomne rare 1, Deuxime dition, tome I, p. 82 et seq.
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que celui auquel nous faisons allusion. Ainsi de Descartes est partie certainement la priode critique du rationalisme, mais Descartes est aussi, aprs Bacon, le pi^re de la science exprimentale qui, dans ses consquences dernires, engendre sous nos yeux la critique de l'idologie rvolutionnaire et rend aux Franais le sens classique, la notion des ralits. C'est qu'il est impossible aux hommes de mesurer la porte exacte de leurs ides et que notre esprit est caduc au point de voir quelque* fois la cohsion, l o rgne souvent l'incohrence la tplus flagrante (t). Pauvres facults humaines indfiniment perfectibles! Saint-Simon n'tait donc pas un utopiste sur toute la ligne; en histoire, par exemple, il eut quelques vues trs justes. C'est de lui que date la division en priodes organiques et priodes critiques ; son disciple, Auguste Comte, en tirera toute sa physique sociale o Ton peut glaner d'excellentes choses, par exemple son opinion sur le rle rvolutionnaire du protestantisme. Saint-Simon eut aussi comme disciple l'historien Augustin Thierry, auquel nous devons d'avoir le premier signal la vigueur de l'organisation communale du moyen ge. Saint-Simon ,avait du reste fort bien compris le moyen ge et il crivait : Luther, en branlant dans les esprits ce vieux respect qui faisait la force du clerg, dsorganisa l'Europe. On peut mme dire que tout le systme Saint-Simonien est sorti de cette admiration pour l'unit europenne du moyen ge. Saint-Simon, en effet, admire tellement cette vaste organisation chrtienne qu'il songe la reconstruire. Voyez ce sujet son chapitre de la Rorganisation de la socit europenne ou de la ncessit de rassembler les peuples de VEurope (2). Cette admiration pour le moyen ge, qui est dj un retour sur le Voltairianisme et qui marquera toute la littrature de la premire moiti du dix-neuvime sicle, a son origine, il me semble bien, dans Saint-Simon. Les anticlricaux comme Michelet ne drogeront mme pas ce culte de l'ge chrtien par excellence, et l'extravagant romantisme le confessera 'bruyamment. Quoi qu'il en soit, je n'hsite pas, .pour ma part, rattacher tout le systme Saint-Simonien, non pas tel que l'lment mystique des disciples l'a travesti, mais tel que* je le trouve dans Saint-Simon, je n'hsite pas* rattacher tout ce systme ce respect, cette admiration du moyen ge. Si l'on n'admet pas cela, Saint-Simon est absolument incomprhensible et ses ides apparaissent comme les divagations d'un fou. Or, je le rpte, son uvre est celle d'un systmatique, et, Ton 1. Ce phnomne est du reste plus particulier notre pocrue d'anarchie intellectuelle t il faut rendre hommage Ch. Maurras dont le gnie propre est, si l'on peut ainsi s'exprimer, le gnie ordonnateur, de rduquer l'intelligence franaise crue l'influence protestante avait dtourne de l'uni des cons ciences en lui administrant son dissolvant, le libre ercanen. 2, uvres de Saint Simon et d'Enfantin.
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LA CRITIQUE DU LIBERALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
est bien oblig, l'tude, de convenir qu'il a exerc une influence considrable. Nous allons exclusivement rattacher lui le dmocratismo chrtien, ce qui n'empche pas qu'on pourrait tout aussi lgitimement et nous le dmontrerons en passant faire remonter jusqu' lui, l'ide foncire du Modernisme, comme du reste c'est encore lui qu'il faut en venir, en dernier ressort, pour possder fond l'histoire du- positivisme, du socialisme, du pacifisme, de l'internationalisme et mme un peu des socits secrtes. C'est un utopiste! Evidemment, mais si l'on veut bien considrer qu'il a su dgager du rationalisme quelques-unes de ses consquences lointaines, l'on ne s'tonnera plus de s a prodigieuse influence qui demeure itoujours celle de 1789. Mais la nature des choses inflige souvent de cruels retours, et dans les ides rationalistes elles-mmoS) il y en avait quelques-unes double tranchant. Ainsi le socialisme de Saint-Simon est n de sa mentalit de dmocrate. Il veut le bien-tre de la classe la plus nombreuse, et dans ce but il parle d'association. Que sortira-til de ceci? Mais tout simplement, quand l'ge des nues sera pass, un mouvement syndicaliste, c'est--dire, si l'on va au fond des choses, une raction contre l'individualisme rvolutionnaire, et une. raction commande par d'imprieux besoins que la Rvolution a mconnus et systmatiquement ngligs (1). Il est,, en effet, fatal que tt ou tard, la nature violente reprenne s e s infaillibles, droits! De mme, c'est au nom de la science exprimentale que la Rvolution avait dtruit tout-ce qui prcdait sa formation, mais attendez;. Saint-Simon, quoique imbu lui-mme des doctrines rvolutionnaires, crira : La philosophie du sicle dernier a t rvolutionnaire; celle d u XIX" sicle doit tre organisatrice et il a vu juste, car le positivisme qui dbuta par "une pense antireligieuse et antisociale, le matrialisme, finira par reconnatre que la science exprimentale doit rester sur le terrain exprimental et que si le domaine mtaphysique chappe l'investigation et ne peut se rduire en formules mathmatiques, le savant n'a nullement le droit, s'il demeure dans son domaine, de nier. Bien mieux,, le positivisme constituera la science sociale et fera comprendre enfin la place qui revient la religion catholique dans civilisation moderne; l'on verra des hommes comme Taine, Barres,. Maurras, Lematre dfendre eux-mmes, tout en gardant leur position do traditionalistes, c'est--dire, en demeurant sur le terrain, purement exprimental, dfendre eux-mmes a religion catholique (je dis catholique et non pas chrtienne) contre l'assaut du vandalisme . Problme toujours pendant et qui. tend de plus en plus se rsoudre dans le sens des principes d'Action Franaise, qui ne sont autres du reste que ceux de M. le Marquis de la Tour du Pin, c'est--dire, en dfinitive le programme des catholiques sociaux issu des directions de Lon XIII. Les ouvriers n'ont pas le choix, ou le proltariat, ou la corporation, mais le vice du premier tat est flagrant, et le second moyen ne s'accommode pas du rgime parlementaire.
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jacobin, parce que se plaant sur le terrain des faits, ils ont vu quels troits rapports il existe entre Tordre social et le triomphe des principes catholiques. La mthode des Sciences d'observation, dit encore Saint-Simon, doit tre applique la politique; l raisonnement et l'exprience sont les /lments de cette mthode. On ne peut pas nier que ce soit l une autre ide extrmement fconde, et, on doit le dire, antidmocratique. Reconnatre que la politique est une affaire de science exprimentale, c'est reconnatre en mme temps qu'elle est quelque chose de complexe et partant de dlicat, quelque chose enfin qui demande le doigt d'un spcialiste et de spcialistes, c'est alors reconnatre implicitement que la politique ne saurait, sans grand danger pour les nations, tre livre aux caprices et l'ignorance de la masse, c'est condamner les gouvernements d'opinion. Cette parole a port ses fruits et elle n'a vraiment t mise en pleine valeur que bien plus tard et d'abord par Taine : Taine, dit M. Charles Picard, a fait comprendre qu'il faut appliquer la politique l e s mthodes des sciences exprimentales. Il a impos e t te ide que l'avenir d'un peuple est inscrit dans l'histoire mme de son pass. C'est l que l'ducation d'un homme d'Etat doit se-faire et non dans le mpris des traditions, dans l'tude abstraite de constitutions chimriques... Son but tait d'avertir les thoriciens, de leur faire craindre les consquences des principes abstraits, d'orienter le got public vers Une tude spcialise des sciences politiques. Nous savons que la leon de Taine a t comprise, car une cole s'impose aujourd'hui notre attention, celle de Maurras, l'cole de V'empirisme organisateur . Et vous le voyez, celle-ci ne saurait tre assimile un vulgaire parti entre tant d'autres, elle a des racines fort lointaines, et en tant que telle, et, du point de vue o nous sommes placs, l'avenir lui appartient. II Saint-Simon a donc pu arrter l'attention des positifs, mais que cela ne vous fasse pas oublier qu'il a aussi, et plus forte raison, capt celle des utopistes dont les plus dangereux sont toujours les mieux intentionns et les plus convaincus. D'abord les quelques ides fortes consquence antidmocratique sont absolument noyes dans l'uvre de Saint-Simon et la plupart du temps, l'on en trouve la contradiction la plus formelle dans tel ou tel autre passage. Je puis en fournir quelques exemples. Je viens de citer une page plus haut, un texte o Saint-Simon, faisant de la politique une science exprimentale, semble dire qu'elle est une spcialit et non l'apanage de tous. Il dira cependant, ailleurs :
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
Nous croyons que la politique, autrefois la proprit des cabinets, appartient maintenant aux nations; qu'aujourd'hui les nations agissent (1). Evidemment ce dernier avis contredit le premier. Autre exemple : Saint-Simon sent le besoin de protger l'intrt gnral de la nation contre les caprices de l'opinion et il crira partant de ce point de vue : La premire disposition ncessaire (en matire d'organisation politique) est d'tablir deux pouvoirs distincts et tellement constitus que l'un soit port considrer les choses, du point de vue de Vintrt gnral de la nation et l'autre du point de vu:e de l'intrt particulier des individus qui en font partie. Trs juste, mais c'est soustraire les questions d'intrt gnral la masse pour ne lui laisser que l'administration des affaires locales, c'est donc en dernire analyse admettre qu'il faut !un gouvernant crui rgne pendant qUe le pays s'administre, c'est encore l, si l'on va au fond des choses, rompre avec le parlementarisme, ce qui n'empchera pas Saint-Simon d'crire tout un chapitre sur l'excellence du parlementarisme : De la meilleure forme de gouvernement; dmonstration que la forme parlementaire est la meilleure. (2) Sur co point, du reste, l'on ne peut pas trop lui en vouloir, car l'on a jusfu' nos jours confondu fcomme le remarquait, du reste, le Comte de Chiambord (3) le gouvernement reprsentatif avec le gouvernement parlementaire et Saint-Simon a partag cette erreur avec ses contemporains : La constitution reprsentative dans laquelle la nation fatigue se repose aujourd'hui (crit-il sous la Restauration) semble tre le terme de tous ses v u x et doit l'tre puisque cette forme de gouvernement est la meilleure. (4) Nou.s pourrions indfiniment prolonger ces parallles, si cela ne nuisait pas la nettet de notre but, mais ce bref aperu suffit, je pense, prouver au lecteur que si les quelques ides saines et fcondes que l'on rencontre dans Saint-Simon avaient besoin d'un disciple comme A. Comte pour tre dveloppes et donner, longue chance (5), tout leur rendement, il n'en est pas moins vrai que SaintSimon lui-mme n'en avait pas mesur toute la porte; de l cette dcevante incohrence. Et cela vous expliquera que l'influence immdiate de ce penseur en politique, ft avant tout rvolutionnaire. S'il chappe au rationalisme par quelques points essentiels, dont il n'a pas poursuivi les consquences, il est bien le disciple du XVIII sie
1. uvres de Saint Simon. L'Industrie, tome 1", p. 1, (1872). 2. uvres, tome 1 . 3. Lettre sur la Dcentralisation. 4. uvres, tome 1er, p. 298. 5. Quand je parle des ides d'Auguste Comte, je fais allusion sa critique de l'individualisme rvolutionnaire. Nos adversaires dmocrates auraient vite fait de me ranger parmi les admirateurs du positivisme w evtenso, alors que "je n'admire que la mthode, laquelle a fini par tuer le rationalisme. J'oppose positivisme, c'est--dire mthode exprimentale, idologie rvolutionnaire.
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DU DMOCRATISME CHRTIEN
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de, par l'ensemble de son oeuvre, et ce qui le maintient dans cette ornire c'est Vide de progrs. Nous la retrouvons, en effet, dans Saint-Simon telle que nous l'avons laisse chez Condorcet. Dans l'dition de 1877 Exposition de la doctrine Saint-Sivionienne par les disciples, je trouve au commentaire du Nouveau Christianisme (p. 98), une note qui nous renseigne merveille sur ce dernier point : Grce aux travaux de quelques hommes suprieurs du XVIII sicle, la croyance la perfectibilit indfinie de l'espce humaine est aujourd'hui gnralement rpandue, et l'on ne tardera pas, nous en sommes certains, lorsque le premier sourire de ddain sera effac, traiter Saint-Simon de plagiaire ; ce sera une preuve qu'il n'aura pas t compris, mais qu'il sera bien prs de l'tre. (1) Saint-Simon, en effet, fit de l'ide de progrs le point central de toute son uvre.
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III Mais en quoi, dira-ton, consiste donc l'illgitimit, la fausset de cette croyance au progrs? En quoi va-t-elle rencontre de renseignement ou de l'esprit catholique? Nous y reviendrons avec plus de minutie, mais remarquons d'abord que tous ceux qui parlrent du progrs ne partagrent pas l'illusion de Condorcet sur la perfectibilit indfinie de la socit, mais chez tous nous trouvons cette croyance, que la Rvolution a sem dans la socit le ferment d'un ordre de choses meilleur, de l l'attachement ses principes. Quant aux dmocrates chrtiens, si loin qu'on remonte dans leurs .annales, on les voit soutenir que la Rvolution est une phase du progrs social engendr par l'esprit chrtien; ils admettent que cette nouvelle phase doit pousser l'humanit vers Une organisation plus galitaire et que la rsultante en politique de cette pousse de l'esprit chrtien, doit tre l'organisation rpublicaine. La rpublique dmocratique n'a pas t pour eux un gouvernement mais une religion. Si l'on ne comprend pas ainsi le dmocratisme chrtien, l'on n'a pas l'explication de cet amour aveugle que certains catholiques professent l'gard du gouvernement rpublicain qui n'a pourtant vcu e n France que pour opprimer le catholicisme. L'on voit le point de jointure entre Vide de progrs et la Dmocratie chrtienne. Vide de progrs ce fut au XVIII sicle, le rationalisme affirmant
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1. P. 135. (Deuxime sance. Loi du dveloppement de l'Humanit). JLes disciples de Saint-Simon disaient : Aujourd'hui tout porte admettre que par la cessation des guerres, par l'tablissement d'un rgime qui mettra un terme aux crises violentes, aucune rtrogradation, mme partielle, n'aura lieu dsormais. Il y aura continuit dans le progrs pour l'espce humaine tout entire, car les peuples s'enseigneront et se soutiendront les uns les a tres 8 .
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que les bases de l'organisation sociale taient renouveler en vue d'un esprit nouveau, en tout en antagonisme avec l'esprit catholique. Il faut tre aveugle pour ne point voir que le rve encyclopdique et dont le rgime moderne est, en grande partie, la ralisation, est le contrepied mme de l'enseignement catholique, en matire sociale. Nous n'avons du xeste qu' tudier l'uvre scolaire de la troisime Rpublique pour nous convaincre que le3 fidles reprsentants de l'esprit de la Rvolution n'ont pas d'autre pense que d'touffer dans la nation l'esprit catholique et que l'organisation dmocratique est l'instrument qu'ils ont choisi. Devant cette vidence, pourtant, il y a des hommes qui, fermant les yeux sur les ralits, s'obstinent confondre christianisme et Rvolution dans une identit fictive. Oh! je sais bien que ce rapprochement blasphmatoire leur a t interdit, ils se rfugient alors sur le terrain purement politique, mais cela ne nous empche pas de voir les dessous du dmocratisma chrtien. Si l'on n'espre pas en un progrs ralis par la Rvolution, si l'on ne continue pas envisager la rvolution comme un produit du christianisme, pourquoi cette aveugle foi dans la Dmocratie, qui est, je le veux bien, une forme de gouvernement (et par l chappe, il est vrai, l a sanction de l'Eglise), mais qui est aussi il ne faut pas l'oublier l'panouissement de principes sociaux allant absolument rencontre du dogme catholique? Que si Ton croit que la clart de ces consquences est obstrue par la distance des principes d'o elles dcoulent, l'on se trompe. Soit, jen mettant sa foi dans le gouvernement de la Rpublique dmocratique, l'on se place sur un terrain inexpugnable, trs loin du dogme; mais si l'Eglise n'intervient plus cette distance des principes rvolutionnaires, notre jugement nous peut examiner les raisons caches du dmocratismo chrtien et les censurer au nom de la raison et de. la logique aussi sacres dans leur ordre que le dogme, car celui qui promulga le dogme fixa aussi les lois des choses morales et social38. En dfendant le dogme Ton dfend la socit, en dfendant les principes les plus lmentaires de la socit l'on dfend encore la socit et l'on satisfait 'la volont du Dieu qui [voulut imposer lin ordre sa cration. Marc Sangnier (1) peut bien protester de sa nouvelle position purement politique; cela peut suffire et doit suffire pour lui viter toute nouvelle rprobation de Rome s'il sait mesurer ses paroles, mais cela no peut pas suffire pour nous masquer les principes d'o il tire sa cenelusion rpublicaine et dmocratique (j'insiste sur dmocratique car tout est l ) ; ses belles paroles ne nous empcheront pas d'aller la racine de ses (systmes. On est toujours dsol d'avoir prendre parti telle ou telle personnalit, mais quiconque fait de l'enseignement 1. Je choisis Marc Sangnier de prfrence parce qu'il a pouss fond les principes du dmocratisme chrtien.
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public s'expose par le fait mme la critique publique: Scimus et ' banc veniam petimusque damusque vicissim. Maie Sangnier et nos dmocrates chrtiens n'auraient aucune raison d'tre dmocrates s'ils n'taient pas des disciples de la Rvolution et plus prcisment du progrs et s'ils ne se rattachaient par l au rationalisme. Voil ce qui les aveugle, voil ce qui les empche de voir ce que -tout Franais voit aujourd'hui : l'chec des faux principes de 1781) et la mort lente de la France sous la pression de ce fardeau qui l'touff depuis cent vingt ans. Qu'ils n'essayent pas de nier les origines de leurs ides. J'ai cit dans le prcdent chapitre l'opinion identique de Condorcet et de Marc Sangnier (j'ai pris Jes deux bouts de la chane) sur l'organisation politique que rclame le nouvel ordre social inaugur e n 1789; j'ai montre que la cheville qui reliait ces deux conceptions identiques, c'tait l'ide rationaliste de progrs. Eh bien! c'est chose aussi facile d'tablir un parallle entre Saint-Simon et Marc Sangnier. Marc Sangnier croit fortement au progrs indfini : Qu'y a-t-il d'tonnant crit-il ce que les peuples marchent vers la Dmocratie un peu comme les hommes vers la saintet parfaite sans jamais pouvoir l'atteindre? (1). Nous avons toujours affirm que la Dmocratie parfaite tait plutt le terme d'une volution indfinie qu'un moment accessible de l'histoire. Et nous avons vu que tout le problme do la Dmocratie (de la dmocratie parfaite, par consquent, dont il parle ici), consistait en ce terme o l'intrt particulier des citoyens se confondra avec l'intrt de tous. Condorcet pensait de mme et voici l'avis de Saint-Simon ce sujet : A mesure que la "civilisation simplifie les intrts sociaux (remarquez qu'au contraire elle les complique), elle les tend sur un plus grand nombre d'hommes, elle agrandit les socits. Le jour o tout le genre humain sera convaincu que le seul fait de Vunion sociale, que le seul objet cs hommes rassembls est le plus grand bonheur de chacun en particulier, ce jour-l il n'y aura plus qu'une nation; cette nation ce szra tout hgenre humain. (2). L'on dgage sans peine la mme proccupation qui hante le cerveau de Saint-Simon comme de Condorcet son matre et de Marc Sangnier son arrire-petit-disciple. Tous les trois pensent que le terme du progrs est cette unanimit morale qui engendrera la fusion des intrts particuliers avec l'intrt de tous, pense u topique s'il en est une et dont un J.-J. Rousseau lui-mme sut se prserver. Un tel rve conduit ncessairement l'utopie internationaliste. Elle est plus qu'vidente chez Saint-Simon, mais Marc Sangnier n'a jamais mis une pareille conclusion! Dtrompez-vous, l'ide de progrs a produit son effet Iogiv
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que chez Marc Sangnier. Affirmant ce grand dogme du progrs celuici crivait Maurras, lors de sa polmique avec rminent pensaur : Je crois que les transformations sociales et rvolution morale que seul, du reste, le christianisme a pu rendre possibles et qui sont commences depuis bien longtemps dj, ncessitent l'laboration d'une organisation dmocratique. Et cela en sociologie comme en politique... J'ai, quant moi, la navet de croire que tout l'effort de l'humanit aide et soutenue par les forces internes du Christianisme, doit justement consister dgager les peuples des tyrannies charnelles pour les lever, petit petit, jusqu'aux franchises de l'Esprit. Et quelles seront, ces franchises de l'Esprit? O nous conduira le progrs, d a n 3 le domaine politique? Il nous mnera Vabolition des territoires, l'internationalisme et nous sommes cette fois-ci de vrais disciples de Saint-Simon. En effet, Marc Sangnier crivait dans la mme lettre Maurras, cet esprit retardataire ( I ) qui a l'impudence de ne pas croire au progrs indfini comme M. Sangnier (1) : Vous supposez que la socit demeurera toujours ce qu'elle a t au moment o elle postulait, en quelque sorte, la monarchie comme rgime politique, ce qu'elle n'a du reste pas tout fait cess d'tre; vous considrez comme ternels le patriotisme territorial, la diplomatie, etc. Et, la preuve que nous n'tendons pas arbitrairement le sens de ces paroles, qu'il n'y a pas moyen de voir autre chose l-dedans qu'une pense sur de celle de Saint-Simon, disons tout de suite que Maurras ne laissa pas passer cet aboutissant logique de l'utopie dmocratique de Marc Sangnier. Celui-ci partait du principe progrs indfini, il tait naturel qu'il aboutt Une ide fausse et h une ide pure. Aussi Maurras lui dira: C'est au nom d'un tat social qui n'existe pas tout fait encore, mme dans les rves de beaucoup de rpublicains et de beaucoup de jacobins qui sont demeurs patriotes, c'est au nom d'un tat social dont bien peu, malgr tout, osent concevoir jusqu'au bout l'image, c'est au nom de ce simple rve que Marc Sangnier dfend le principe initiateur et directeur de toute son action. Et lui demandant compte de son imprudente, et il faut le dire, ignoble ide, Maurras lui disait : C'est donc gratuitement que nous introduisons dans la formule des ncessits de l'heure prsente et prochaine, la ncessit d'une diplomatie,, d'un Etat, d'un patriotisme territorial !... Constatons-le tout de suite, Sangnier a donc pris rang parmi ceux pour qui l'ide de la patrie territoriale est une simple idole ... Eh bien! voil pris sur le vif, chez Marc Sangnier, un tat d'esprit net : l'tat d'esprit dreyfusien. Maurras terminait ainsi tout son article : Marc Sangnier a fait son dilemme. Voici le 1. Maurras crivait dans ce sens, dans un passage de sa polmique avec M. Sangnier : Dire, une fois qu'on a reconnu une situation dfavorable la thorie qu'on soutient : cela changera, c'est ne rien dire. Il n'est d'ailleurs point du tout sr que tout soit sujet changer .
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'mien : ou Marc Sangnier cessera de dvelopper cette extravagance; ou, je le prdis sans le demander, comme *un astronome impuissant, mais clairvoyant, prdit le passage d'un astre, ou, dis-jc, le clerg franais, l'Eglise de France, le corps de nos prtres et de nos voques sauront lui infliger le plus clatant dsaveu. Les prtres franais ne se dsintresseront point de la France. Ceux qui fondrent et dfendirent nos villes ne se sont jamais dsintresss de notre Etat! Ils ne l'abandonneront point. On peut leur confier, contre Sangnier, la garde de la terre de la patrie, L'on sait que M. Sangnier faisait du christianisme la cause efficiente de ces merveilleuses transformations et ce sujet Maurras lui objectait encore : S'il y a de nouveaux bienfaits attendre du catholicisme, ce ne sont pas des bienfaits proprement nouveaux et dont . il isoit impossible d'avoir ide (1). Ceci se discutait en 1905; cinq ans se sont couls et les vnements ont justifi, point par point, les prvisions de Maurras ; il a t rappel Marc Sangnier que la cit chrtienne n'tait plus inventer ni la civilisation btir sur les nues et que les vrais alnis du peuple n'taient pas les novateurs, mais les traditionalistes. Le rve du progrs indfini, prolong du rationalisme par le dmocratisme chrtien, est tomb des nues: Une voix autorise vient de dtourner les regards des catholiques de VAvenir, de VEre nouvelle, de la cit future idale; (2) elle leur a rappel que les rgles de l'Avenir se trouvent inscrites dans les rsultats du pass et qu'il fallait laisser l le rve de l'volution indfinie : Eh quoi! disait Pie X, on inspire votre jeunesse catholique la dfiance envers l'Eglise, leur mre; on leur apprend que, depuis dix-neuf sicles, elle n'a pas cncore russi dans le monde constituer la socit sur ses vrais bases/ qu'elle n'a pas compris les notions sociales de l'autorit, de la libert de la dignit humaine; que les grands vques et lss grands monarques qui ont cr et si glorieusement gouvern la France n'ont pas su donner leur peuple, ni la vraie justice, ni le vrai bonheur, parce qu'ils , n'avaient pas 1 idal du Sillon. Le souffle de la Rvolution a pass par 2... Qu'ils soient persuads qlie la question sociale et la science sociale ne sont pas nes d'hier; que de tout temps l'Eglise et l'Etat, heureusement concerts, ont suscit dans ce but des organisations fcondes; que l'Eglise, qui n'a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n'a pas s dgager du pass, etc. Le dogme rvolutionnaire du progrs indfini ne reut jamais ,un aussi grand coup de massue et, il faut le dire, jamais encyclique n'at1. Le Dilemme de Marc Sangnier. (Librairie Nationale), p. 104 et seq. 2. C'est sous ces trois termes que les docteurs du dmocratisme chrtien (Lamennais, Maret, Gratry, Sangnier) dsignaient l'ge d'or dmocratique.
Critique diiXlibrulisme. 1"" Juillet. _ 2
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
PuLITIQUE,
SOCIAL
taqua le dmocratisme chrtien au cur mme, comme le fait celle qui condamna le Sillon (1). (A suivre).
J. HUGUES.
PROPOS
DES
NOCES
D'ARGENT DE L'A. C. J . F.
L'Association Catholique de la Jeunesse Franaise a clbr rcemment, en grande pompe, le vingt-cinquime anniversaire de sa fondation. Il rappelait des souvenirs heureux, de nobles exemples qui promettaient une action fconde. Tous les amis de la bonne cause eussent aim s'unir leur clbration sans y mler des rserves. Mais deux incidents se rattachant cette solennit nous obligent renouveler celles que nous avions dj exprimes plus d'une fois et constater qu'elles conservent encore aujourd'hui leur poids. Pour tout dire, mais en limitant l'assimilation entre les deux groupements ce rapport d'volution, il en est des beaux temps de la Jeunesse catholique comme des beaux temps du Sillon. Voici d'abord, toute nue, la relation des deux faits. Le commentaire viendra plus loin. Peu de jours avant le congrs, les dlgus de l'association, accompagns de l'aumnier gnra), taient aux pieds du Pape. La Vie Nouvelle (7 mai) a donn un compte rendu de cette audience, o on lit ce passage :
NOUS AVONS BIEN DES ADVERSAIRES QUI NOUS ATTAQUENT, ajoute le P. Tournade ; MAIS NOUS NE VOULONS PAS NOUS GARER DANS DES POLMIQUES. C'est cela! Dites bien droite et gauche que Nous sommes content,trs content J> de votre travail, qui est le principal l'heure actuelle, et de la ligne suivie par votre Association, qui ne laisse rien reprendre. Vous avez Notre confiance entire, cela doit vous suffire !
1. Quiconque possde fond l'histoire du libralisme en France depuis Pie VI jusqu' nos jours, sait, n'en point douter, que ses diffrents assauts et les ri actions du pouvoir catholique qui leur correspondent, que tout cela gravite autour de Vide de progrs, de l'volutionisme social. Tous les amateurs de la Rvolution 'ont voulu pousser l'Eglise dans des voies nouvelles. Ils croyaient que l'Eglise se cramponnait un ordre de choses irrmdiablement fini et que la civilisation demandait de sa part l'abandon de telle ou telle de ses traditions. Ils tremblaient pour l'avenir, ils doutaient des directions pontificales, ou les dnaturaient au profit de la Rvolution. Pleins de dfiance pour Rome et de mfiance pour tout ce qui se rclamait de la tradition, ils applaudissaient toutes les nouveauts. '
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A P R O P O S D E S N O C E S D ' A R G E N T D E L*A. C
J.
F.
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L'incident qui se passa dans le congrs est ainsi relat par la Libre Parole (20 mai) : A cet instant, un jeune homme demande comment il se fait que l'Association ait exclu un certain nombre de membres cause de leurs opinions royalistes, puisqu'elle dclare ne pas se proccuper de la politique. M. Gerlier rpond cette question qui, manifestement, provoque un tonnement gnral parmi les congressistes. L'A. G. J. F., dclare son prsident, n'a jamais exclu qui que ce soit pour ses opinions politiques : elle compte dans ses rangs des royalistes et des rpublicains; elle demande seulement aux uns comme aux , autres de ne pas engager et compromettre par une action politique militante l'A. C. J. F. et sa propagande religieuse et sociale. Tout jeune homme qui accepte cette discipline est admis dans l'Association quelles que soient ses opinions politiques. Cette dclaration, qui ne fait que rsumer la ligne de conduite invariable de l'A. C. J. F. est accueillie par une ovation significative et prolonge. Ces faits et ce qu'ils couvrent nous ramnent donc aux critiques dont l'A. C. J. F. a t plus d'une fois l'objet de notre part. Ce n'est pas sans un sincre regret que nous y revenons, et l'on nous permettra de rpter, tout d'abord, ce que nous crivions en abordant pour la premire fois ce chapitre pnible : Certes, il n'est pas un bon catholique qui p'applaudisse au zle de cette association, son dvouement l'Eglise et au Saint-Sige, ses aspirations gnreuses, et qui ne serait dispos fonder sur elle de grandes esprances si elle s'en tenait fidlement la ligne de conduite que le Saint-Pre lui a trace en lui accordant une trs spciale approbation (Ces derniers mots visaient la lettre que S. S. Pie !X lui avait adresse l'occasion du congr de Bordeaux, en 1907). Mais plus une association aspire aux faveurs de l'Eglise et l'honneur de reprsenter son action, plus est regrettable et blmable le .recouis des quivoques peu loyales dans sa conduite, des habilets sans franchise pour en masquer les errements. C'est l le reproche que nous faisions l'A. C. J. F. Ce qui se passe aujourd'hui dmontre qu'elle le mrite encore. Cette insistance est ncessaire. Rien n'est plus prjudiciable la cause catholique, son bon renom, que ces abus s'autorisant de ses principes. Il ne faut pas se lasser de le redire, tant que certains groupements persisteront dans l'emploi de procds obliques, qui rpugnent mme l'honntet naturelle, leur action continuera de concourir cette dformation de la mentalit catholique et franaise qui a t l'uvre nfaste de la politique de ralliement; elle sera, en dpit des apparences, strile et nuisible. Les oeuvres fcondes se font la lumire et en recherchent la clart. En ce lundi de la Pentecte o j'cris ces pages, la liturgie sacre nous remet sous les yeux ces paroles de Jsus-Christ : Quiconque agit mal fuit la lumire et ne vient pas elle, de peur qu'on le convainque de ses uvres. Mais celui qui agit S'lon la vrit recherche
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la lumire afin que ses uvres soient manifestes, parce qu'elles sont faites en Dieu. On peut en faire l'application drive k conduite des catholiques dont nous parlons, et aussi celle du commentaire de saint Augustin que l'office divin du mme jour y ajoute : Puisque vous vous tes cart de la voie droite, reconnaissez d'abord votre erreur. Quand vous commencerez regretter ce que vous avez fait, l'uvre salutaire natra avec la confession de vos torts. L'aveu de cette erreur sera le point de dpart de la bonne uvre. Cum autem cceperit Ubi dtsplicere quod fecisti, inde incipiunt opra bona, quia accusas mata opra tua. Initium bonorum vpprum, confessio est ojterum maorum. L'A. C. J. F. se drobe cet aveu. Notre tche est de montrer qu'il tait ncessaire et que cependant on le refuse. Vers la fin de 1908, M. Jean Lerolle, prsident gnral de l'A. C. J.. F., ayant t reu par le Saint-Pre, avec les dlgus de l'association, racontait les impressions de ce voyage dans la Vie Nouvelle (8 novembre), sous ce titre : Aprs Rome! Il crivait : Il me suffira de dire nos amis et ils me comprendront que nous n'avons rien changer, rien regretter ou rtracter, ni dans notre action religieuse, ni dans notre action sociale, ni dans notre attitude dans la vio publique. Pas une critique n'a t formule. L'anne prcdente, il avait dj crit dans les Annales de la Jeunesse catholique ( 1 juin 1907) : A Bordeaux, je vous disais : Nous sommes dans la nonne voie, continuons notre route sans nous laisser divsrtir par rien ni par personne . Plus je vais, plus je me persuade que nous dejvons nous tenir fermement dans la voie que nous nous sommes trace... Nous avons t accueillis par le Saint-Pre avec bont et faveur, sans recevoir de reproches : donc, tout ce que nous faisons est approuv. C'est l'argument dont vingt autres ont tant abus. Le Pape multiplie les enseignements publics. Il doit se croire compris et obi par les bons catholiques* Leurs dfaillances peuvent lui chapper. Mme quand il ne les ignore point, le Pre commun des fidles les tait souvent, pour remplir son rle de consolateur compatissant, quand on vient dposer ses pieds un sincre hommage d'amour et de fidlit. Il bnit le zle, les bons services; il encourage, il s'attache le3 cceurs. Sa parole a dj pourvu au reste autant qu'elle le pouvait, elle y pourvoiera encore. Mais le genre de justification qu'invoquait en ces termes le prsident de l'A. C. J. F., tous ceux qui mritaient les mmes critiques qu'elle, pouvaient galement y recourir, et l'on sait qu'ils ne se sont pas privs de le faire. M. Piou l'a fait, M. Feron-Vrau l'a fait, M. F. Veuillot l'a fait. Quelque temps aprs le discours de S . S . Pie X pour la batification de Jeanne d'Arc, M. Piou, retour de Rome,
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lanait Lyon un discours retentissant, pour affirmer que s a politique avait toujours la faveur du Saint-Sige. A peu prs la mme poque, le directeur de l'Univers, mme aprs plus d'un voyage au Vatican, dclarait conserver (toute sa faveur l'Action Librale. La Croix leur faisait complaisamment cho, et l'on rpandait profusion la brochure crite par l'un de ses principaux rdacteurs, pour dmontrer que rien n'est chang . Cependant ces partisans outrance de la politique du ralliement, inspiratrice du concessionnisme universel, ont d dchanter et renoncer se couvrir de la faveur pontificale. Par ses actes continus et ses dclarations rcentes, TA. C. J. F., qui avait eu le tort de s'engager dans leur sillon, laisse voir que, pour son compte, aujourd'hui comme en 1908, elle n'a rien changer, rien regretter ou rtracter . E h bien! montrons, rencontre, appuys sur des preuves irrfragables, qu'il y avait un changement do conduite ncessaire, une attitude fausse et regrettable dont la loyaut, d'une part, et, de l'autre, la conformit sincre aux dirsc"tions du Saint-Sige, exigeaient, sinon le dsaveu formel et la publique rtractation, du- moins l'explication franche et des garanties loyalement donnes contre le retour de ces fautes. Oui, c'tait indispensable, parce que l'A. C. J. F. ayant dvi de sa voie et de son but, elle ne pouvait revenir qu'en se rsignant gnreusement offrir ces explications et ces garanties. L'A. C. J. F. a dvi de sa voie et de son but en s'infodant publiquement, solennellement, avec tout l'clat qu'elle a pu, Y Action Librale Populaire et son chef M. Piou. C'est une page d'histoire qui n'a point encore t rappele, du moins avec le dtail ncessaire. Cependant de ce fait a procd toute la suite. Il faut s'y reporter pour la comprendre. Ce coup de surprise, car c'en tait un, eut lieu au congrs gnral de Chlons, en mai 1903. Il est peine besoin de remarquer que, si l'A. C. J. F. avait des points de contact naturels avec l'Action Librale comme avec tous les groupements forms pour- la dfense des liberts religieuses; le but de ces deux associations tait cependant compltement distinct : l'une, ravre de formation catholique, strictement circonscrite au terrain catholique; l'autre, poursuivant un but principalement politique, sur le terrain libral. Ds lors, en s'unissant bruyamment celle-ci, TA. C. J. F. introduisait dans son propre sein un principe, un esprit," diffrents des siens, dont les consquences ne pouvaient manquer de se faire sentir.
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Ce coup malheureux, auquel la masse de l'association tait loin de s'attendre, avait t prpar par le prsident gnral de TA. C. J. F., qui tait alors M. Henri Bazire, aujourd'hui rdacteur en chef de la Libre Parole, et par l'un ou l'autre de ses conseillers, aspirant comme lui aux mandats politiques vers lesquels ils allaient ainsi se frayer
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la voie. II fut concert entre eux et le comte Albert de Mun, le premier promoteur de TA. C. J. F., devenu le lieutenant le plus zl du prsident de l'Action Librale, et qui incombe pour une grande part la responsabilit de cette fcheuse orientation. Et tel tait si bien le but que, comme je l'ai rappel ailleurs, M. de Mun, par une amusante distraction, rappelant plus tard cette runion fameuse et le rle qui lui y tait rserv, le dsignait isous le nom de congrs de l'Actio7i Librale. M. Piou, dont ce n'tait point la place, avait t invit, on ne devinait pas pourquoi, prsider le banquet et la runion solennelle de clture. J'y assistais. M. de Mun devait prononcer un grand discours. Le clbre orateur manqua, pour line cause que j'ignore, mais on n'y perdit que le charme et l'clat de sa parole, car le prsident de l'A. C. J. F. tait venu nanti d'une lettre de lui, ayant le caractre et plus que la longueur ordinaire d'un (manifeste, dont lecture fut donne e n sance, et suivie de l'excution de la Marseillaise par la fanfare. C'est ce document, d'une gravit, d'une autorit et d'une porte exceptionnelles, dont il importe de reproduire ici les principaux passages, afin de ne laisser place aucun doute sur la voie dans laquelle on engageait l'A. C. J. F. La Croix du 12 mai 1903 Ta reproduit in extenso. L'orateur voque d'abord en quelques mots le souvenir des origines de l'association, fonde en 1886, sous son inspiration, dans un troit accord de principes et d'ides avec l'oeuvre des Cercles catholiques. II passe aussitt l'poque d<u ralliement et l'loge renforc de la politique qu'elle iflaugurait officiellement. Ce lui est l'occasion do brler publiquement l'idole du parti catholiqua auquel il avait jur de consacrer ses foras jusqu'aiu dernier souffle, et il arrive ainsi t son sujet : Mais, quand les ides sont mres, les hommes paraissent. Celui que nous altondions est venu : au dernier jour de ce Congrs, vous l'acclamerez une fois de plus, et je voudrais tre l pour le saluer le premier, en. votre nDiin. Il a, par la fondation de VAction librale populaire, donn h chef ncessaire et la large plate-forme indispensable au succs: nous pouvons nous placer derrire lui sans cesser d'tre, comme hier, catholiques avant tout. Dj, d'ailleurs, et depuis longtemps, nous nous tions rapprochs de M. Piou, non seulement par la communaut de la foi, mais par les assauts violents des mmes passions politiques Comme les ntres, ses premiers efforts se brisrent owitre leurs aveugles rsistances. L'union, si impatiemment attendue, en fut retarde d'au'ant. Dans les deuils prsents, y songez-vous quelquefois? Si, lorsqu'au bruit des paroles de Lon XIII se levait le premier souffle de l'esprit nouveau , lorsque, malgr des polmiques ardentes, et pour premier fruit du ralliement conseill, commenait se faire sentir la lente, mais progressive accalmie du ministre Mline, si, alors, avant que la criminelle exploitation de l'affaire Dreyfus et boulevers ce malheureux pays, notre parti avait t prt, comme il l'est aujour-
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d'hui, s'il avait pu jeter dans la lutte lectorale de 1898 toute sa force organise, n'aurions-nous pas russi grossir le nombre des lus libraux, suffisamment pour empcher la formation de la majorit socialiste? Avant de porter le coup dcisif, M. de Mun entretient agrablement le congrs du danger des illusions, il parle des liberts ncessaires, des attentats qui se prparent, du devoir des catholiques en prsence de ces ventualits. Ce devoir il le rsume dans la formule de la rsistance lgale, mais entendue dans le sens de cette bonne rsistance bourgeoise, qui, pour l'Action Librale, reprsente le maximum de l'nergie permise, et, adroitement, mais avec un bonheur douteux, il profite de l'occasion pour joindre sa profession de foi sur ce point l'apologie de son intervention pour dsarmer et faire rentrer chez eux ses lecteurs bretons prts donner du sang pour la dfense de leurs coles et des religieuses qui les dirigeaient : Et d'abord, l aussi, il faut s'entendre : Qu'est-ce que la rsistance lgale? C'est celle qui s'exerce sans violence, mais par tous les moyens en natre pouvoir, protestations publiques, confrences, articles de journaux, revendications judiciaires, inlassable propagande, uvres enfin d'organisation et d'action : voil la rsistance lgale; or, c'est dans ma conviction la seule efficace, la seule pratique, la seule redoutable et j'ajoute qu'elle l'est extrmement. (Oh! combien nous l'avons vul) Et maintenant, il est temps de faire entendre l'appel retentissant : Mais la sagesse et la fermet sont les vertus des forts, et, pour tre farts, il faut tre organiss. Est-ce donc que je vais vous demander, vous proposer des organisations nouvelles, en vue des graves conjonctures qui s'apprtent? Assurment non. L'organisation existe : c'est VAction librale populaire : elle est dj trs forte, trs puissante : en un an, elle a couvert la France de ses adhrents et de ses Comits. Elle offre aux Catholiques, par son programme, par le nom de son chef, toutes les garanties. C'est dans ses cadres, c'est sur son terrain qu'ils peuvent le plus promptement, le plus facilement s'unir pour la dfense de leur cause. N'allons pas, au moment o le combat, engag aux avant-postes, s'tend sur toute la ligne, nous disloquer, rompre notre ordre de bataille, et, sous prt3xte de l'amliorer par des formations nouvelles, nous offrir une fois de plus par* petits paquets aux coups de l'ennemi. Ce serait d'ailleurs, une dangereuse et fausse conception des ncessitas de la lutte que de prtendre borner VAction librale populaire h la seule prparation lectorale. Outre qu'elle s'est fonde avec des vues beaucoup plus larges, elle risuerait, n'avoir pas d'autre but, de le manquer lui-mme Les lections qui sont, il est vrai, le moyen pratique de changer la politique du pays, ne peuvent tre qu'une rsultante d'efforts quotidiens. C'est en dfendant fa libert religieuse, journellement et pratiquement, en rsistant, sans relche, la tyrannie ministrielle, que se fera la vritable organisation lectorale. Sparer les deux actions, c'est vouer chacune d'elles l'impuissance On a coutume de nous citer souvent l'exemple du Centre catholique allemand et de sa lutte illustre contre le Kulturkampf. Malgr la trs grande diffrence des
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situations, et bien que la comparaison entre nous et nos voisins pche par beaucoup de points, je l'accepte cependant et je la livre volontiers ^ vos rflexions Trois raisons principales me paraissent avoir fait la force des catholiques d'Allemagne. Ce fut d'abord l'union, tablie entre eux pour la cause commune, sans que la diversit des origines et des tempraments nationaux, la rivalii des influences, les souvenirs mme, si rcents, de la guerre de 1866, tant de causes de discorde enfin qui, tout prendre, valaient bien les ntres, missent oostacle la forte cohsion d'un parti constitutionnel. Ce fut, ensuite, et par une consquence naturelle, la discipline, accepte par tous, pratique avec ensemble et fidlit envers les chefs qu'ils s'taient donns, et dont, chaque anne, l'autorit grandissante s'affirmait dans ces Congrs annuels, que "Windhorst appelait les grandes manuvres d'automne. Ce fut enfin le souci- de la question ouvrire et l'intelligence des besoins populaires. Il suffit aux catholiques, franais de le vouloir sincrement pour remplir les deux premires conditions. L'Action librale populaire leur en offre le moyen. Elle leur permet aussi, par son nom mme et par son programme, de satisfaire la troisime... La Croix termine son compte rendu- par ces lignes :
M. Piou prend ensuite la parole... Il dit son amiti profonde pour M. de Mun, le donne comme exemple la jeunesse; puis il adjure celle-ci -de ne pas mconnatre son temps et d'accepter notre rgime dmocratique avec le suffrage universel, mais de chercher par l'action dans les milieux populaires, par des confrences, par des journaux, par des groupements dissiper ces prjugs et faire triompher la fraternit. Rien n'a donc manqu cette manifestation dcisive. Or, qu'est-ce qu'elle avait voir avec une association comme celle de la Jeunesse catholique dont les statuts fondamentaux, cent fois rdits par elle, et dans lesquels, aujourd'hui encore, elle se flatte de trouver une rponse premptoire toutes les critiques, tous les faits qu'on lui oppose, excluent toute participation faction politique? L'quivoque, la contradiction patente, elle est l. De ce jour, l'A. C. J. F. y est demeure enferme. Mme aujourd'hui, le courage ou la volont sincre, peut-tre l'un et l'autre, lui manquent pour s'en affranchir. Pousse dans cette voie, l'A. C. J. F. devait fatalement suivre les sentiers tortueux par lesquels YAction Librale et la politique de ralliement cheminaient, et s'embusquer avec elles dans le maquis du terrain constitutionnel, pour se livrer comme elles, et leur profit, la dprdation des consciences et de la libert de ceux sur qui elle pouvait mettre la main. Professant encore plus haut que YAction Librale l'entier respect des convictions individuelles et la libert des opinions politiques parmi ses adhrents, elle l'a exactement observ comme M. Piou qui allait jusqu' faire intervenir le Vatican, lors
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des lections de 1906, pour contraindre la Ligue des Femmes Franaises dposer entre ses mains ses fonds lectoraux, de peur qu'ils ne servissent des candidats catholiques monarchistes. Cette belle et hautaine profession de foi d'indiffrence l'gard de tout action politique, pousse parfois, nos lecteurs s'en souviennent, jusqu' celle de l'erreur qui s'appelle l'indiffrentisme en cette matire, tait chaque jour dsavoue par l'exclusion jalouse de quiconque n'offrait pas la garantie d'un pur loyalisme constitutionnel. La franche acceptation de notre rgime dmocratique donne comme mot d'ordre par le prsident d Y Action Librale devint celui de l'A. C. J. F. Si l'on joint cela les entranements de l'imprvoyante et tmraire concurrence faite au Sillon sur ce terrain, de peur d'tre dbord par lui, et dont j'ai relat l'histoire comme celle d'une vritable surenchre dmocratique (1), on aura une ide exacte de cette dvia tion. Inutile de rappeler ici ces multiples faits. Cette revue les a dj fait connatre, appuys sur des documents incontestables (2). Aussi bien, l'incident brivement rapport par la Libre Parole va nous permettre d'tayer nos apprciations sur un ordre de preuves qui laissent encore moins, de place aux subtarfuges, les dclarations authentiques et officielles de l'A. C. J. F. C'est ici que nous allons retrouver la contradiction permanente. L'auteur de cet incident est M. Henri Magnard, de Fourchambault (Nivre). H e n a fait une relation crite, contrle par plusieurs assistants, que j'ai entre les mains et dont il m'autorise faire usage en donnant son nom. Voil qui est agir ouvertement. J'ai cout debout la rponse du prsident gnral, M. Gerlier, pans pouvoir l'crire et je pourrais mme dire peine l'couter; on me parlait en mme temps de tous les cts, et si je suis absolument sr de l'expression cru'il a employe, et qui a t change dans la Libre Parole, je n'en pourrais dire autant de chaque mot en particulier. Cette rponse d'ailleurs m'a t passe avec une ou deux variantes par plusieurs jeunes gens qui l'avaient note, par exemple l'un avait crit : On leur demande , l'autre : nous leur demandons , mais tous avaient retenu la mme expression actes et paroles et non politique militante , comme Font crit les journaux. Et malheureusement la Vie Nouvelle n'en parle pas, M. Gerlier chez oui j'avais dpos une carte, le priant de m'envoyer le texte de cette rponse ne l'a pas fait. Mais j'arrive -la sance : M. Souriac, dans son rapport sur la tradition sociale de l'A. C. J. F. fit applaudir par toute l'assistance les directions politiques de Lon XIII et 1. Numro du 15 avril, page 6. 2. Numros des 15 mai 1909, page 132; 1er juin 1909, page" 174; 1er clobre 1909, p. 552; 15- dcembre 1909, page 243; 1^ fvrier 1910, p. 244; 15 ociobre 1910, page 58;-l" mars 1911, page 73t; 15 mar 1911, page 813.
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ensuite une allusion au terrain constitutionnel. La discussion ouverte, personne n'intervenant, je demandai la parole : M. Souriac vient de nous dire que l'A. C. J. F. ne s'occupait pas de politique et ne VOUIA pis s'en occuper; je dsirerais savoir comment il se fait que, comptant des royalistes parmi ses fondateurs, la Jeunesse Catholique ait exclu des royalistes de ses rangs. M. Gerlier rpondit aussitt : Il est faux que 1% J. G. ait jamais loign un membre pour ses opinions politiques, il y en a qui sont connus pour leurs opinions royalistes, de mme qu'il y en a qui ont des opinions contraires. On leur demande seulement, aux uns comme aux autres, de ne pas engager et compromettre par leurs actes et leurs paroles, l'Association et sa propagande religieuse et sociale . Ce sont l les paroles de M. Gerlier, telles que je les ai entendues, telles qu'elles m'ont t donnes par plusieurs jeunes gens qui les avaient notes, quelques trs lgres variantes prs. Et sans plus attendre, M. Gerlier donna la parole M. Ehl. Celui-ci commena son rapport tandis que l'on applaudissait encore le prsident de la J. C. (tout en grognant mon adresse). Je voulus parler, m'expliquer. Mgr Baudrillart, M. Gerlier, me f'rent signe de me taire, et l'un des commissaires de la J. C. vint m'invitar me rasseoir. Comme mes voisins discutaient voix basse, il me pria de continuer la discussion dehors, je sortis accompagn de quelques prtres et de quelques jeunes gens. Dans le vestibule la discussion reprit. A ce moment, un prtre sortit de la salle, demandant ce que je rentre, et dclarant vouloir rclamer au Comit, car, dit il, la discussion doit tre libre, elle ne l'est pas . Et comme on faisait remarquer que ma question tait en dehors du sujet, un autre prtre protesta, disant que dans ce cas on aurait d faire taire M. Souriac. A ceux sortis avec moi, quoiqu'on vnt nous prier d'aller discuter dans la rue, ensuite de ne pas crer des attroupements la porte de la salle, je dclarai n'avoir nullement dit, comme ils me le reprochaient, que l'A. t . J. F. excluait tous les royalistes, mais seulement des royalistes, que leurs section!! n'avaient en effet, pas la mme ligne de conduite, et que j'avais eu l'intention de faire prciser cette ligne de conduite M. Gerlier. Je partis ensuite trs content, ainsi que les royalistes prsents, d'avoir fait dclarer M. Gerlier que l'A. C. J. F. acceptait les royalistes co7tdition qu'ils ne compromettent -pas l'Association, ce qui, leur avis et au mien, semblait indiquer que l'action politique en dehors de celle-ci tait libre. Ce fut aussi l'avis de plusieurs jeunes gens que je rencontrai la salle Wagram, la sance de clture. Le lendemain, je fus trs surpris de voir dans la Libre Parole, puis, le soir, dans l'Univers et la Croix, les paroles de M. Gerlier changes : actes et paroles , remplaces par politique militante . Wnivers ajoutait d'ailleurs : Mais il semble que la question ne soit pas traite encore avec toute la prcision ncessaire pour fixer sur un point dlicat l'opinion des catholiques nom-constitutionnels. Il y aura lieu, sans doute, d'y revenir , semblant regretter ainsi l'touffement de toute discussion. Je demandai alors M. Gerlier de m'expliquer la diffrence entre le compterendu de la Libre Parole (que je croyais tort presque officiel) et ses propres paroles. Aprs avoir consult le journal, il me rpondit que si la diffrence existait en effet, elle tait sans importance, les deux expressions ayant la mme signification. Et comme je lui demandais, soit de la rectifier, soit de prciser en sance publique leur ligne de conduite, il me dclara na pas vouloir le faire, et sa volont bien arrte de ne pas me donner la parole l'aprs-midi, et si je l'essayais, de ne pas me laisser parler.
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Je le priai de bien vouloir me dire pourquoi on ne jpouvait en mme temps tre royaliste militant et simple membre de TA. C. J. F. A cause, me rpondit-il, des confusions et des ennuis que cela amnerait l'A. C. J. F. que l'on pourrait accuser d'tre elle-mme royaliste . On ne peut donc tre de l'A. C. J. F. et de l'A. Fr.? M. Gerlier protesta, disant avoir beaucoup de membres de TA. F. dans l'association, mais que ceux-ci taient seulement inscrits l'A. F. pour y donner leur nom (ce fut son expression), mais ne s'en occupaient aucunement; s'ils voulaient le faire, ft-ce mme trs peu, is devraient donner leur dmission de l'A. C. J. F. ou ils ne pourraient tre mme comme simples membres (les mots que je souligne sont textuels). Et comme j'insistais, lui demandant de rpter cela en rance publique, M. Gerlier me dclara que le nom de l'A. F. ne^serait pas prononc dans leurs runions. Quant au reste de la conversation, part un fait que je signale plus loin, je ne noterai que la parole d'un jeune homme, venu ainsi que quelques autres se joindre nous, qui me dclara qu' son avis personnel un catholique ne pouvait tre de l'A. F., ce jeune homme me parut tre de leur Comit. Le lundi matin je me rendis au sige du Comit, rue d'Assas, esprant avoir l, mais en vain, le texte exact de la rponse faite fcar M. Gerlier mon intervention; pendant quo je discutais l avec quelques jeunes gens, arriva M. de Roquefeuil (1) qui l'on me prsenta, comme celui qui voulait faire entrer la politique dans l'Association. Trs aimablement M. de Roquefeuil me dclara accepter les royalistes, condition qu'ils le soient seulement dans leur for intrieur (ce fut son expression). Comprenez donc, me dit-il, ce sont des jeunes gens qui se dvouent leur dedevoir catholique et social, et rien qu' cela; ils ne peuvent donc en mme temps faire de la politique. Par le seul fait d'tre inscrits l'Association, ils y renoncent, et le terrain est assez vaste pour qu'ils s'en contentent . J'arrive maintenant au fait que j'avais rserv tout l'heure. Au cours de ma conversation avec M. Gerlier, celui-ci, aprs tre all quelques instants dans la salle, revint moi et me dit : Je n'ai pas voulu le faire hier, mais j'aurais pu vous rpondre que, dans l'audience qu'il eut Rome, le Pre Tournadc a dit au Saint Pre : Trs Saint Pre, de droite et de gauche on attaque notre ligne de conduite, on essaye de nous entraner dans la politique, et pour cela d'entrer dans nos rangs. Mais nous ne voulons pas accepter ceux oui risquent de compromettre VAssociation. (Dans cette question j'ai soulign les termes employs par M. Gerlier, le reste j'en certifie le sens exact, mate je ne puis affirmer qu'il employa les expressions mmes que je souligne). Et le Saint Pre a rpondu : C'est cela, dites droite et gauche, ec... D'ailleurs le rcit de l'audience a paru dans la Vie Nouvelle d'il y a quinze jours. Eh bien, cette rponse a bien paru, mais la question a t change, au lieu d ? celle que m'a dite M. Gerlier, vous pouvez lire dans la Vie Nouvelle : < Nous avons bien des adversaires qui nous attaquent, ajoute le P. Tournadc, mais nous ne voulons pzs nous girer dans des polmiquas . Suit la rponse du Saint-Pre, exacte, j'espre! Lorsque M Gerlier eut fini de parler je lui dis : Vous avez dit au Saint-Pre: Nous ne voulons pas accepter ceux qui- risquent de compromettre l'association ; vous n'avez pas parl d'interdire fcoute action politique; il y a l une grosse quivoque. 1. Qui fut le premier prsident gnral de l'A. C. J. F.
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M. Gerlier m'affirma ne pas voir o il pouvait y avoir quivoque et retourna dans la salle. Moi-mme je me retirai, aprs avoir discut quelques instants avec d'autres jeunes gens et aussi avec l'un des fondateurs de la Jeunesse catholique, dont j'ignore le nom Tel est exactement le rcit de ce qui s'est pass. On voit que tout ceci complique l'imbroglio, au lieu de l'claircir. Le prsident de l'A. C. J. F. s e devait lui-mme, autant qu' son auditoire, do donner les explications ncessaires. Il n'a fait qu'paissir le3 malentendus. Mme en admettant la version la plus favorable pour lui, son moindre tort est d'tre en contradiction manifeste, je ne dis pas seulement avec la conduite de l'association, comme en tmoignent les fait.4 nombreux prcdemment relats dans cette Tevue, mais, qui plus est, avec les dclarations de principe, authentiques et officielles, de l'A. C. J. F. Comment peut-on se maintenir dans une position aussi fausse et aussi peu digne? Le rapport de la Libre Parole, dirige par un ancien prsident de l'association, est conforme celui des auditeurs sur un premier point. M. Gerlier a protest : il est faux que l'A. C. J. F. ait jamais refus d'admettre des membres cause de leurs opinions politiques. Or, co no sont pas les faits seuls qui donnent cette assertion un dmenti brutal, c'est l'exclusion de principe plusieurs fois prononce par l'A. C. J. F. Et vcnl sur quoi on juge les explications inutiles! Dans une entrevue avec le marquis de Gontant-Biron au sujet de certaines exclusions de fait, M. Jean Lerolle, alors prsident gnral, (rpondait : Noua voulons le loyalisme constitutionnel; nous n'obligeons personne crier : Vive la Rpublique! mais tous ceux qui entrent dans notre Association doivent l'accepter. Sans tre affilie VAction Librale, l'A. C. J. F. a les mmes principes; elle accepte le ralliement, et il faut bien se persuader que notre Association n'est pas oppose an Rgime. Bazire, h Albi le 29 mai 1905, disait : Nous ne rclamons que notre place dans la Rpublique. (La Voix du Peuple, Auch, 10 janvier 1907). Cette rponse ne faisait que reproduire des affirmations souvent entendues. Cependant M. Jean Lerolle, proccup de l'motion cause par sa divulgation, chercha bien inutilement l'attnuer par une lettre publique Y Autorit. Il ne fit que l'aggraver en se rfrant une publication de l'A. C. J. F., le tract n 7, qu'il appelait : Le commentaire officiel de ses statuts . Or, voici ce qu'il contient ; L'A. C. J. F. n'est ni une Association politique, ni une Association lectorale. Elle n'est au service ni la remorque d'aucun parti. Cependant comme elle s'est fonde, non pas dans un milieu idal et abstrait, mais dans un pays dtermin, la France, dans un temps dtermin, le XX* sicle, dans un tat social dtermin, la dmocratie, sous un rgime politique dfcer-
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min, le rgime rpublicain, c'est dans ces conditions de fait que . C. J. F. entend exercer son action religieuse et sociale, la dgageant ainsi de toute proccupation politijue. Libre chacun des membres de l'A. C. J. F. de garder sa pleine libert d'apprciation sur ces conditions de fait. Mais si, cessant de considrer l'action religieuse et sociale comme le seul but de ses efforts, quelqu'un d'entre eux venait penser qu'il doit utiliser la force morale ou traditionnelle du catholicisme comme un moyen propre raliser tel ou toi rgime politique diffrent du rgime tabli, celui-l suivrait une mthode inconciliable avec celle de l'A.Q. J. F., et se mettrait lui-mme en demeure de choisir, dadopter Vune et de renoncer Vautre. Il est vident pour quiconque sait rflchir : 1 qu'une acceptation aussi iabsolue des conditions de fait implique Yindiffrentisme politique qui e s t une erreur du libralisme; 2 que, contrairement aux principes qui doivent rgir les ceuvros d'action sociale catholique, elle implique une attitude politique dtermine; 3 et qu'elle a pour consquence; comme la dernire phrase le dit explicitement, d'interdire i tout; les membres d'adopter une autre attitude mme titre priv et personnel. Cela ne se trouve pas moins clairement dans un article de la Vie nouvelle, par M. Louis Dubois, prsident de l'Association en Bretagne : ...L'A. C. J. F. n'est pas un parti politique, elle n'a de programme poli tique et n'exige de ses membres aucune profession de foi politique (1). Or nous ne sommes plus au moyen ge, pas mme sous la monarchie ou sous l'empire, nous sommes au XX^ sicle, en pleine dmocratie et SDUS la Rpublique : Voil le fait... La Rpublique est un fait (2), et nous ne demandons personne de la considrer autrement, tout en laissant chacun la libert d'en penser ce qu'il veut. Mais prcisment parce que la Rpublique est un fait, nous la reconnaissons comme telle et plaons notre action sur le terrain constitutionnel. Ce n'est, pas nous qui en avons dicil ainsi, nous n'avons f-iil quo suivre les enseignements die la Papaut En faisant le ralliement, Lon XIII n'avait eu d'autre pense que de librer nettement l'intrt religieux de la mainmise des paras (3), et, quoi qu'en disent certains, Pie X conserve sur ce point la mme attitude que son prcdesseur ; il suffit pour s'en convaincre de lire son Motu proprio et ses Encycliques (4). C'est l, d'ailleurs, non une nouveaut, mais l'enseignement traditionnel de l'Eglise, qui nous ordonne de ne pas nous proccuper du rgime tabli (I !) (5). 1. Non, elle se contente de leur interdire de professer une autre opinion politique que l'opinion rpublicaine. 2. La rpublique est un fait, le rgime de la Terreur tait un fait; lie cholra, quand il rgne, est un fait aussi. Est il possible que des catholiques ne sentent pas qu'un tel langage est une totale abdication de cette conscience civique la formation de laquelle ils consacrent uniquement leurs efforts 1 3. Mme du parti dmocratique? En ce cas, Lon XIII y a bien mal russi. 4. Vraiment 1 Voil une assertion rarement audacieuse. 6. La Vie nouvelle, 11 aot 1907.
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Un autre membre marquant de l'A. C. J. F., M. Jacques Duval, crivait dans une brochure intitule : La Jeunesse catholique. Ides et doctrines (p. 54) : On nous dit : je peux faire partie d'un groupe royaliste ou rpublicain, titre personnel, priv, sans engager en cela l'Association dont je fais partie. Je rponds : non, car si un membre consacre quelques heures, ou quelques jours l'un et l'autre mouvement, il y a auprs du public une quivoque constante d'autant plus dangereuse que si, au lieu d'tre un ou deux membres dans cette situation, la majorit d'un groupe se rallie un groupement politique, il sera impossible de ne pas voir dans le groupe de Jeunesse Catholique un mouvement politique, Cette ligne de conduite pratique est motive par ce principe gnral : la question actuelle rsoudre, la grande uvre raliser, c'est rtablir Tordre social chrtien, et cela, c'est du moins la conviction de l'A. C. J. F., ne se fera que par une action catholique et sociale; la question politique est secondaire. Enfin une raison suprieure milite en faveur de l'opinion que nous mettons ici: oui ou non, sommes-nous convaincus que l'uvre essentielle, capitale est, non pas de changer l'tiquette gouvernementale, mais de transformer la mentalit do la nation, de lui redonner une pense chrtienne et morale, de ralisez un ordre chrtien dans la socit ? Si nous pensons qu'il importe de remplacer le bonnet phrygien par la couronne, qu'on aille la politique; si au contraire on estime qu'il faut changer les curs et les esprits en faisant rentrer l'ide catholique et sociale, qu'on Teste chez nous. Et je ne vois pas pourquoi titre individuel on aurait une conviction qu' titre de VA. G. J. F, on ne paria grait plus ( !!) Le ?nme crivait (juillet 1907) dans la revue qu'il dirige, en rponse quelques observations d'un membre fondateur de l'A. C. J. F. sur cet esprit d'exclusivisme : Je regettre d'avoir a contredire un de nos anciens, mais je crois que sur certains points M. de Calan est dans l'erreur. Il n'est pas exact d'affirmer que l'Association servirait uniquement dvelopper notre vie catholique. Il serait plus conforme la vrit de dire que l'A. C. J. F. cherche dvelopper d'abord notre vie religieuse, mais ct je trouve ds 1 origine de l'A. C. J. F. une proccupation sociale, garder et coordonner les forces vives de la Jeunesse catholique en vue de restaurer l'ordre social chrtien. Je suis heuTeux, d'autre part, qu'on ait si bien saisi ma pense quand j'affirme qu'il y a incompatibilit absolue entre le fait de professer certaines doctrines politiques ou conomiques et le fait d'tre membres de l'A C. J . F. C'EST LA CONVICTION PROFONDE DE L'A. C J. F., QU'UN MEMBRE D E L'ASSOCIATION NE PEUT PAS FAIRE PARTIE D'UN GROUPEMENT POLITIQUE QUELCONQUE ACTION FRANAISE ou AUTRE car ces-groupes ne poursuivent pas le mme but que la J. C.
M. Jacques Duval parlait avec d'autant plus d'assurance, qu'il eut la satisfaction d'obtenir l'entire approbation de M. Jean Lerolle, prsident de l'Association. Celui-ci intervient au dbat par une lettre publique dont M. Duval fait suivre sa rponse, dans la Jeune Bretagne du 1 aot 1907. Elle dbute ainsi :
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F.
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J'ai lu avec le plus vif intrt vos articles de la Jeune Bretagne, et je tiens vous en. fliciter. Ils sont tout fait dans la ligne . Rarement on a mieux marqu le sens de notre action. Je renvoie le lecteur aux articles cits plus haut, pour s'difier sur la manire dont les chefs mme de l'A. C. J. F. -s'embarrassaient de leurs principes, quand il s'agissait de faire une politique dmocratique el rpublicaine. Ils y verront, par exemple, que, quand l'abb Garnier chercha, en 1906, grouper autour de son journal, le Peuple franais, organe d'un rpublicanisme quasi-ministriel, toutes les sommits du parti dmocrate chrtien, M. Jean Lerolle, prsident gnral, M. Zamanski, vice-prsident, M. G. Piot, membre du Comit gnral, sans parler de M. Bazire, prsident d'honneur, trouvrent naturel de prendre place parmi ses rdacteurs ct des abbs Naudet, Dabry, Lemire, Klein, Laberthonnire, de MM. Paul Bureau, Fonsegrive, Marc Sangnier et tout l'tat-major du Sillon. Et lorsque cette brillante combinaison eut conduit le journal un nouvel avatar, lorsque le propritaire de la Croix l'et achet pour le mettre entre les mains de M. Bazire et de ses amis, la Vie nouvelle, dans ce mme numro du 8 novembre 1908, o M. Jean Lerolle dclarait que l'A. C. J. F. n'avait rien changer, regretter ou rtracter, lanait, pour le bien prouver, un chaleureux appel tous ses comits en faveur du nouveau Peuple franais. Dj, un peu avant, elle disait : Nos amis peuvent compter sur lui e n toute circonstance, qu'ils se prparent donc ds maintenant le soutenir, l'informer, le rpandre. C'est le vu cordial de la Vie nouvelle. On le prsentait comme rdig par d'anciens membres de TA. C. J. F. Ce n'tait que la moiti *de la vrit. A ct de ces anciens figuraient, dans le comit, M. Jean Lerolle, prsident; M. J. Zamanski, vice-prsident; MM. Gell, Lecoin, Piot, du Comit gnral, tous alors en fonctions. Le Peuple franais devenait ni plus ni moins un journal de l'A. C. J. F. Les rdacteurs formulaient leur programme en troi; points : nous sommes catholiques; nous sommes rpublicains, nous sommes sociaux. Une double circulaire, en sens trs diffrent, tait envoye, d'une part, tous les comits de l'Association, leur promettant un journal firement et intgralement catholique ; d'autre part, tous les comits de VAction Librale, o Ton disait : Le Peuple franais, SUIVANT LA LIGNE POLITIQUE DE L'ACTION L I B R A L E , dfendra, DANS LA R P U B L I Q U E , les liberts si odieusement violes, et s'attaquera vigoureusement aux sectaires qui nous oppriment
:
L'ACTION
LIBRALE
POPULAIRE
PEUT
COMPTER
SUR
LUI
POUR
SA
etc..
Mais, aprs tout, et sauf la correction du procd, c'tait parfaitement logique, car, si les groupements d'opposition ne poursuivent pas le mme but que l'A. C. J. F. , ne savons-nous pas que, depuis 1903, l'A. C. J. F. poursuit le mme but que VAction Librale f
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D'o vienl cependant la concession faite aujourd'hui par le prsident de l'A. C. J. F. en affirmant qu'elle admet les adhrents .aux groupes d'opposition? Je puis le dire sans crainte d'tre dmenti. C'est que les vnements la dbordent, mais c'est aussi que .l'Association a reu du Vatican le conseil de renoncer son exclusivisme. Par suite de cet avis, il fut dcid dans une runion de directeurs jet d'aumniers, il y a quelque douze mois, que l'A. C, J. F. serait dsormais ouverte aux membres de cos groupes, en vitant seulement .de l e s faire entrer dans les comits directeurs. Mais, le .vieil esprit persistant, on sait combien il est tenace, l'A. C. J. F., en vertu de ses errements antrieurs, ne tolre l'adhsion ces groupements que purement nominale et fictive, une adhsion dans le for intrieur comme on consentait l'admettre il y a quinze ans, et elle persiste refuser aux siens toute participation relle l'action politique. C'est toujours le ralliement obligatoire. Il n'y a rien de chang. Qu'on ne nous reproche pas d'y insister, car on prolonge ainsi l e s effets dsastreux de cette politique de ralliement qui a, plus que toute autre cause, pouss les catholiques la recherche immodre de la conciliation, l'affaiblissement des caractres, des compromis d'o les principes les plus fondamentaux sortirent chancelants, l'abaissement des consciences, l'effacement de cette ligne de dmarcation entre le bien et le mal qui est le signe le plus effrayant de notre dcadence. Il est humiliant pour le bon sens franais, et peu honorable pour ceux qui se jouent ainsi de lui, d'avoir encore constater l'obstination de cet aveuglement qui fait refuser toute distinction entre la collectivit et ses membres, qui tient pour imputables l'Association les gestes individuels accomplis sur un terrain, dans u n ordre, qu'elle-mme dclare lui tre tranger. Faudra-t-il, si l'on entend un de ces jeunes gens tousser, plaindre la Jeunesse catholique d'avoir pris un rhume? Sans doute, il y a, surtout quand il s'agit des groupements religieux, un juste souci de la rputation et des intrts du corps, qui impose ses membres, en vertu de cette relation et mesure qu'elle est plus troite, une certaine mesure dans leurs manifestations indpendantes. Encore n'en faut-il pas exagrer le devoir jusqu' touffer toute libert. Mais, ici, c'est le principe mme de cette libert qu'on dnie, ou dont on rejette toute application en professant le reconnatre: si les adhrents prennent part une action politique, on dira que c'est l'association. Ce que j'crivais en 1908 est rpter : Il v a de soi que les associations formes pour Yaction sociale et religieuse, comme la Jeunesse catholique, doivent exclure de leur programme Vaction politique. Mais est-ce dire, comme on le prtend
A PROPOS
DES
NOCES
D'ARGENT
DE L > .
C. J .
F.
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et comme on l'exige, que, mme hors de l'association, les membres doivent renoncer la libert de leurs opinions et de leur action politique, sous le prtexte qu'ils compromettraient l'association? Il en rsulterait que ceux qui s'occupent d'action sociale et religieuse doivent s'interdire la politique. Ce serait priver la dfense politique de son meilleur* appoint, et tomber dans le sparatisme libral. Tel est cependant le principe qui prvaut dans la Jeunesse catholique. Je sais bien que cette interdiction n'existe pas pour ceux qui font de la politique constitutionnelle, mais c'est une contradiction de plus. Il v a de soi galement que la politique de parti doit tre exclue des associations formes poux la dfense de nos liberts religieuses sur le terrain civique, telles que Y Action Librale et la Ligue patriotique des Franaises. Sur ce terrain o s'tablit l'union entre citoyens catholiques pour la lutte religieuse, c'est un devoir imprieux de faire abstraction de toute prfrence politique et de subordonner ces prfrences aux intrts de la cause catholique. Mais, d'abord, c'est donc une raison pour que les chefs s'abstiennent de lier leurs membres pa.r des protestations multiplies de loyalisme constitutionnel. Ensuite, en dehors des questions qui font l'objet de l'accord ncessaire pour la dfense religieuse, il y en a mille autres n'ayant avec celle-ci qu'un rapport indirect et relevant de la pure politique. Pourquoi ne veut-on pa3 reconnatre franchement aux catholiques leur libert d'opinion et d'action sur cet autre terrain? Et pourquoi cherche-t-on exclure ceux qui ne veulent pas y renoncer? C'est toujours parce qu'on considre le loyalisme constitutionnel comme obligatoire. Or, c'est l une source profonde de divisions et d'impuissance. CaJcule-t-on les consquences du principe contraire? Elles sont insenses. S'il est vrai que, pour se dvouer l'action catholique et sociale dany l'A. C. J. F., les jeunes gens doivent s'abstenir de toute participation effective la Ligue de rsistance ou Y Action franaise et s'interdire toute action politique, parce qu'il y a incompatibilit et que co serait y engager l'Association, la rendre responsable de tous leurs faits et gestes, la logique la plus irrsistible ne montrc-t-elle pas que la mme rgle devrait s'appliquer, pour les mmes motifs, l'uvre des Cercles catholiques, aux Comits diocsains et paroissiaux, aux Associations de pres de famille, en un mot tous les groupements d'action catholique sociale et que oeux-ci devraient tre ga lement considrs comme responsables de la conduite personnelle de leurs membres? D'o cette conclusion, rigoureuse autant qu'absurde, qu'en thse universelle, l'action politique est incompatible avec l'action catholique sociale. Et comnie tous les catholiques sont appels celle-ci autant qu'il leur est possible, il faudra donc dire qu'ils doivent tous s'carter de la politique. Il n'tait pas besoin de pousser j'usqu' ces dductions pour faire sentir que ce beau principe de conduite, affirm
Critique du libralisme. 1
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Juillet,
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au nom de la doctrine et des directions de l'Eglise, confine manifestement l'erreur du libralisme condamn par elle, qui pose une cloison tanche entre la politique et la religion, dans la conduite comme en thorieDs lors, que vient-on en appeler ce qu'on nomme des approbations formelles du Pape? Nous- savions bien qu'on n'y manquerait pas. C'est un procd commode, impressionnant toujours les simples, auquel nous sommes habitus. Mais le Pape n'approuve ni l'absurdit ni l'erreur, et pas davantage, on peut le croire, l'abus qu'on fait de SOJI augusto autorit pour les couvrir. Nous voyons d'ailleurs ici avec quel scrupule de loyaut on en use. Telle qu'elle est prsente dans la Vie nouvelle, la sanction absolue donne par le Saint-Pre la conduite de l'A. C. J. F. serait venue comme une rponse aux critiques dont elle a t l'objet. Et nous ne faisons point difficult de reconnatre, qu'en ce cas, nous aurions en prendre notre part. Or, il rsulte des explications de M. Gerlier qu'il n'en fut rien. Le Pape rpondait tout autre chose. Si Ton voulait mettre en doute la relation de M. Magnard, il suffirait au lecteur de se reporter au texte de la Vie nouvelle. En le relisant avec attention, il s'apercevra facilement que les paroles prtes au P. Tournade et la rponse du Saint-Pre ne sont pas lies; tandis que celle-ci concorde epea^teanent avec la version de M. Gerlier, toute diffrente dans sa teneur et d'ailleurs nonant un danger illusoire, invoqu pour le3 besoins de la cause : On cherche entraner l'association dans la politique, ietc. Mais c'est ainsi qu'on a l'habitude dans ces milieux de couper court tout par l'argument d'autorit et de faire intervenir arbitrairement, faussement, le chef mme de l'Eglise, pour se dispenser de justifications impossibles. Foin des -polmiques! Ahl vous vous-permettez des critiques. Eh bien, nous nous en dbarrasserons en vous versant de notre propre main une douche pontificale. Malheureusement le jet ne porte pas. Les paroles qu'on attribue au Saint-Pre dans, cette circonstance sont-elles plus exactes que celles mises dans la bouche du P. Tournade? Je veux bien le croire. Si on l'admet, elles sanctionneraient videmment, non pas les faits dont le dtail n'est pas connu de lui, mais les programmes impeccables qu'on lui soumet, lesquels, on en a vu d'autres exemples, sont ou ne sont pas d'accord avec la conduite. N'est-ce pas ainsi que d'autres associations ou Ligues ont obtenu des approbations parfois retentissantes, dont elles faisaient le mme abus, jusqu'au jour o la justesse des critiques qu'on leur adressait est de venue vidente? Au surplus, ce n'est pas dans la relation d'audiences prives et dans
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des rcits dont l'intrt personnel de ceux qui nous les apportent diminue ncessairement le poids, que nous avons chercher le jugement authentique du Saint-Pre, surtout quand il en donne l'expression publique. Or, peu de jours aprs le voyage des dlgus de l'A. C. J. F. Rome, S. S. Pie X adressait une lettre officielle, autographe, son prsident, l'occasion du congrs qui s'annonait. Les journaux catholiques l'ont reproduite. Qu'on y cherche cette approbation sans rserve, absolue, de la ligne de conduite suivie par l'A. C. J. F., qui ne laisse rien reprendre . Elle n'y est pas. Des bndictions, des loges, des encouragements trs prcieux et fort honorables; rien de plus. Il est facile d'observer, qu'autant le Saint-Pre honore les sentiments gnreux, les louables intentions, autant il met d rserve dans le jugement de fait. On pourrait mme voir dans ses paroles quelque avis discret. La Lettre pontificale loue la pit filiale , les fruits excellents , elle exprime l'espoir que la sage initiative de l'A. C. J. F. s'attestent dans l'avenir par une bonne volont non moins: gnreuse . Elle approuve le but du congrs qui est d'approfondir et de clbrer les directions doctrinales majeures, au moyen desquelles le Sige apostolique a pris soin de donner un idal et une rgle aux uvres sociales catholiques. Si tous vos Associs embrassent ces doctrines d'une me vaillante, on ne saurait aucunement douter qu'elles ne produisent en eux un zle ardent, d'autant plus fcond qu'il s'loignera davantage des doctrines sociales que nous avons ailleurs (et de nouveau rcemment) rprouves. Devant ce zle, s'ouvrira assurment uno voie plus libre, si, comme vous en faites profession, vous vous abstenez de prendre une part active aux luttes des partis politiques. De telles luttes, en effet, ne font que trop obstacle cette union si dsire des mes, sans laquelle on ne peut rien esprer qui vaille des groupements catholiques pour les utilits poursuivies (1). Ces deux passages appellent une double observation. La premire, relative l'abstention de la politique, est que les homme J qui s'obstineraient nous dire que rien n'a chang depuis dix ou vingt ans du ct du Saint-Sige, ou qui s e comporteraient comme s'il en tait ainsi, nous laisseraient donc convaincus qu'ils n'ont pas lu ou voulu comprendre la pense pontificale, si clairement exprime comme ici bien des reprises, surtout depuis les grandes ftes 1. Il est clair que le Pape ne rprouve pas l'action politique elle-mme, mais vise uniquement la conduite propre aux groupements catholiques qui 'doivent carter l'inunixtion de ces luttes dans leur sein, parce qu'elles sont trangres et prjudiciables aux utilits spciales qu'ils poursuivent. Mais je ne garantis pas que le mme faux esprit ne cherchera pas conclure de ces paroles que l'Eglise nous commande de ne pas nous occuper du rgime tabli et condamne chez les catholiques toute action qui n'est pas strictement religieuse et sociale.
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de la batification de Jeanne d'Arc. Que reste-t-il de la politique obligatoire du ralliement? Et cet avis ne touche-t-il pas en premier lieu ceux qui, par des procds plus ou moins francs, l'imposent encore dans les groupements catholiques? Sur le point des 'doctrines sociales, nous cdons la parois au Nouvelliste de Lyon (23 mai 1911). Il conclut d'abord contre le Sillon : L'accord, coup sr, est proclam ncessaire sur les questions religieuses et philosophiques, en dpit des affirmations contraires qui ont continu venir du ct des sillonnistes. C'est une chimre, dirait le Pape, c'est plus qu'une chimre, c'est une faute que de vouloir se consacrer aux rformes sociales en s'unissant des hommes qui, libres-penseurs et incroyants, mais pourtant nos allis ou nos camarades , voudraient nous empcher de donner nos groupements un caractre avant tout confessionnel, c'est--dire tout ensemble religieux: cL catholique. Il n'y a donc plus quivoquer, ni concevoir une me catholique qui puisse se trouver eu dehors de l'Eglise et de la soumission au Saint-Sige, une me catholique qu'il faille imaginer distincte de l'Eglise elle-mme, laquelle est immuablement attache ses vieux dogmes, ses vieilles traditions et son ternelle conception des devoirs sociaux. Si l'on attendait une condamnation nouvelle des formules du Sillon, il ne semble pas que l'on puisse rclamer quelque chose de plus net que ce qui est ici. Mais voici maintenant pour l'A. C. J. F. : Ce n'est pas cependant que certains hommes qui avaient donn des gages certaines des ides actuellement rpudies, n'aient pas figur hier encore au congres de la Jeunesse catholique. M. Raoul Jay, qui en tait un des personnages marquants, a pris une place en vue ct des socialistes chrtiens. M. de Mun, aussi, y coudoyait le colonel Keller; il prsidait mme vendredi soir, la salle Wagram, la runion solennelle, et il y prononait un discours qui a t ft comme sa rentre sur la scne et comme le rveil d'une loquence que sa maladie avait tenue muette pendant de longues annes. Bien loin de nous tonner d'entendre nouveau cette parole et dans cette enceinte-l, nous ne pouvons que nous en rjouir. M. de Mun a pu tre entran souvent et longtemps par les gnrosits de son cur et par une insuffisante apprciation des situations conomiques, ainsi qu'il lui arrivait t>ut rcemment encore dans cette question des cheminots grvistes, o son attitude peu rflchie n'tait point exempte d'hostilit contre le capital et les Compagnies. Au moins n'a-t-il jamais dvi ni faibli clans son attachement la cause religieuse, qu'il retrouvait ici une manire de servir avec un nouvel clat. Le congrs de l'Association catholique de la Jeunesse franaise faisait natre ainsi une excellente occasion de cimenter l'union sur le terrain catholique. C'tait bien servir, croyons-nous, la grande pense dont le Pape est 1 interprle ou dont il est pour mieux dire le docteur toujours cout. (Mais il y a dans sa lettre un mot que l'on fera bien de mditer : Votre zle sera d'autant plus fcond qu'il s'loignera davantage des doctrines sociales rprouves , autrement dit, des doctrines du Sillon. Pour qui sait avec quel soin sont pess tous les mots des documents pontificaux et avec quelle admirable discrtion des avertissements y sont donns, est ce que cet encouragement ou cette promesse ne laisseraient pas deviner dans l'esprit de Pie X un soupon ou un regret que ces doctrines rprouves se fussent infiltres parfois jusque dans l'Association catholique de la Jeunesse franaise?
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Pour avoir droit l'approbation formelle, inconditionne, il reste donc TA. C. J. F. de vrifier les conditions nonces. Question de fait qui ne se rsout pas son avantage. Et c'est pourquoi, malheureusement, le champ reste ouvert la critique. La ntre n'est pas celle d'un adversaire , mais d'un ami.
Emm. BARBIER.
P. S. Les Annales de la Jeunesse catholique (16 avril 1911) consacrent une demi-page de rclame aux publications du Petit Dmocrate, dirig par MM. les abbs Desgranges et de Lestang. Plusieurs de celles dont on y voit les titres appartiennent l'poque o ces prtres dfendaient avec fougue les doctrines des dmocrates chrliens, et en particulier du Sillon. Il sera permis de signaler h l'A. C. J. F. cette distraction fcheuse. La brochure de M. de Lestang : Modernisme, Science et Dmocratie (1908) contient mainte assertion indfendable, mme pour l'poque o elle a t crite. Il y soutient que l'Encyclique Pascendi n'a aucun rapport avec la dmocratie . Il plaide plus que les circonstances attnuantes pour les dmocrates et dit, en particulier, d'un des plus aventureux : Quant au bon abb Lcmire, on sait qu'il a presque le monopole des haines de la raction, mais la haine, si violente qu'elle soit, devrait encore comporter un minimum de loyaut. Personne au monde n'a pu trouver dans les discours ou les crits du dput d'Hazebrouck la moindre trace de modernisme. Ni en philosophie, ni en thologie, ni en exgse on n'a e u lui reprocher la plus lgre erreur... Dans un autre passage on lit ces lignes sur lesquelles tombent directement les condamnations contenues dans la Lettre de S. S. Pie X sur le Sillon : Ces catholiques (les dmocrates chrtiens) trouvent en effet dans l'Evangile un idal de justice qui les dispose prendre parti contre toutes les oppressions, ils y puisent des sentiments de fraternit et un respect de la dignit humaine qui les prparent accueillir avec sympathie tout co qui tend dvelopper la valeur de l'homme en agrandissant la sphre de ses initiatives. Les vraies ides du Sillon , par M. l'abb Desgranges, sont une apologie enthousiaste de cette cole et de son chef, un essai de justification de tous leurs carts. Que les auteurs prnent encore aujourd'hui cette marchandise de contrebande, comme la Dmocratie annonce quotidiennement les anciennes uvres de Marc Sangnier, c'est dj bien surprenant de leur part; mais que l'A. C. J. F. leur prte sa publicit, cela Test encore davantage.
E. B.
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INFORMATIONS ET DOCUMENTS
LE PROCS VERDESI
L'extrme abondance des matires (qui nous a fait porter cent pages, au lieu de quarante, le numro du 15 juin) a empch notre revue do revenir plus tt sur la procs intent devant les tribunaux de Rome au prtre apostat Gustave Verdesi par le Pre Bricarelli, de la Compagnie de Jsus, faussement accus d'avoir scandaleusement viol le secret du sacrement de pnitence. T/objet de ce procs tait donc d'une gravit tout fait exceptionnelle. En outre, les circonstances qui l'ont amen et celles qui ont marqu les dbats taient bien faites pour exciter le plus vif intrt. L'honneur de l'Eglise s'y trouvait engag et s'y devait dfendre dans des conditions qu'on tait fond considrer comme fort dsavantageuses. Mais les poursuites intentes devant la justice italienne par le P. Bricarelli, pour obtenir rparation d'une dnonciation calomnieuse lance et reproduite grand fracas, ont e u ce rsultat trs imprvu pour les auteurs de cette machination abominable, de changer les rles, et de faire de son procs le leur. L'accus a t dignement veng par les juges, et les imposteurs ont t honteusement confondus. Les tribunaux ont inflig Verdesi dix mois de rclusion et 833 francs 'd'amende. Ils l'ont en outre condamn aux frais du procs et des dommages-intrts dont le chiffre devra tre fix par une autre juridiction. ! " L'apostat calomniateur n'est pas le seul vaincu. Le parti moderniste a t lui-mme atteint rudement. Il avait cru pouvoir utiliser un scandale pour ameuter l'opinion publique contre l'intransigeance romaine, en faisant croire que tout suspect de modernisme tait la merci d'une chasse sans piti et de basses dnonciations. Mais leurs propres armes se sont retournes contre eux, tandis que, d'autre part, le procs a fait clater au grand jour la prudence et la patience du Saint-Sige l'gard de ces malheureux. L'importance de cette affaire et les rvlations qu'elle a provoques ne peuvent pas tre laisses dans l'ombre. Sans entrer ici dans les dtails des dbats, nous devons consigner ici les faits les plus intressants et les accompagner cle quelques rflexions. La tche nous est aujourd'hui rendue facile par les compte rendus do la Correspondance de Rome, de l'Univers et de Y Action franaise.
LA CAUSE DU PROCS
Un beau jour, un journaliste moderniste (1) et correspondant d'un journal franc-maon, publia une soi-disant rvlation sur le cas d'un 1. M. Qnadrotta, qui fait dans le Secolo de Milan la chronique vatcane , est inform que Verdesi se trouve chez les mthodistes. Le pastrur Nitti. directeur de rinstluf mthodiste qui a reu Verdesi comme lve, met Qnarlro-fta en rapport avec Verdesi. Celui-ci lui raconte son histoire. On sait le reste.
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prtre qui dclarait avoir quitt l'Eglise romaine et tre pass aux mthodistes la suite des remords et du dgot que lui avait causs une histoire de violation de confession, dont il avait t victime de la part de son confesseur, le pre jsuite Bricarelli. Au dire du prtre rebelle, celui-ci avait t en relation avec un clan d'amis modernistes ecclsiastiques et son confesseur lui aurait impos, sous peine de pch grave et de refus d'absolution, de dnoncer les ides, les propos et les noms de ses amis. Dom Verdesi avait obi, crit une dnonciation la suite de laquelle plusieurs modernistes avaient t punis. Mais au bout de deux ans>, en proie aux remords, il s'tait rvolt contre l'acte qu'on lui avait impos. De l, le scandale, amorc par le journaliste, confirm personnellement par dom Verdesi, appuy dans les coulisses par la franc-maonnerie, le protestantisme et le modernisme. On peut juger de l'effet produit dans la presse anticlricale. La secte qui avait essay de donner l'assaut la moralit du clerg et l'cole chrtienne populaire en soulevant l'affaire de Varazze contre les Salsiens et qui avait t vaincue par devant la justice italienne, crut le moment venu de donner l'assaut la moralit de la confession. Les (mthodistes qui ont vou l'Eglise catholique une haine implacable et qui ont dj leur actif les incidents Fairbanks et Roosevelt, virent une nouvelle occasion de faire grand bruit. Quant aux modernistes, ils pensrent se poser en pauvres victimes traques par l'intolrance romaine qui ne craignait pas de recourir de basses manuvres et des dnonciations plus ou moins perfides, plus ou moins pincres. Outre la question "de fond sur le fait de la diffamation, ce procs a offert bien des cts curieux, comme par exemple la question de la comptence du tribunal et celle des cardinaux jouissant des privilges des princes de sang, autoriss ne rpondre que par nogation do{micile. Le fait capital est que le tribunal se soit dclar comptent pour juger la diffamation. S'il en et t autrement, on devine les consquences. Le P. Bricarelli restait malgr tout sous le coup de ce scandale diffamatoire qui portait atteinte au secret de la confession, et les quatre Etats confdrs avaient beau jeu pour colporter la calomnie. Il est galement important de noter que, tandis qu'en France une magistrature asservie se rabaisse jusqu' dclarer que le Pape n-est pas un souverain, les tribunaux de cette Italie qui est la premire intresse, reconnaissent aux cardinaux l e s privilges des princes du sang
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LA MACHINATION
Elle a t ourdie par les mthodistes tablis h Rome. Le public n'a point oubli l'affaire Roosevelt. Que de braves' gens bien intentionns n'ont pas voulu comprendre alors l'attitude du Vatican! On se rappelle les faits. La prsence de M. Roosevolt tait annonce une confrence, dans la soi-disant glise de la Via di 20 Settembre, lors de son passage. La Sccrtairerie d'Etat avertit l'ex-prsident qu'il
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LA
CRITIQUE
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LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCTAL
ne saurait tre reu par le Pape, s'il acceptait de se rendre l. II prtendit, par dignit, ne pouvoir prendre d'engagement cet gard et n'eut pas son audience. Il s'abstint du reste galement de paratre chez les Mthodistes. L-dessus, grand ramage dans la presse librale. Quoi! comment pouvait-on pousser l'intransigeance jusqu' interdire l'entre d'un temple protestant un homime politique protestant, ft-il l'hte de la cit des Papes? Malgr toutes les explications fournies par le SaintSige, ce comble d'exigence scandalisa maintes pauvres ttes. Or, lp prtendu temple mthodis.to de l'a Via di 20 Settembre n'est pas mme un temple : c'est "une salle pour meetings anticlricaux, une vritable officino de trahison, o s'laborent et se cultivent avec une application particulire les apostasies sacerdotales. Quelque chose qui rappelle, chez nous, VExode et sa cuisine. Comment le Souverain Pontife aurait-il soufifert de laisser mettre en balance sa tiare sacre et ce icomptoir pour transfuges? L'affaire Verdesi doit ouvrir enfin les yeux, l-dessus, aux plus obstins aveugles. Sans doute le Saint-Sige, suprieurement renseign, a beau multiplier chaque jour les avertissements : il se trouve toujours de (soi-disant habiles pour contester ou douter; mais quand de pareils scandales clatent, il faut bien se rendre bon gr mal gr aux faits et aux documents!. Or, l'heure mme o Roosevelt se dfendait de refuser l'invitation des Mthodistes, ceux-ci ngociaient dj la dfroque de Verdesi. C'est aujourd'hui une chose avoue, acquise et probante. Le malheureux disait encore la messe, tout en frquentant les courtiers de ce marchandage (1). Son frre, effray des symptmes du prochain clat, avertt Mgr Fab'eri, premier secrtaire au vicariat, et leur ami. Celui-ci manda le coupable, lui reprocha ces frquentations. Et Verdesi ne sut rien rpondre, sinon : Mon frre est un bavard... Du reste, il fy a pins d'un an que je vois les Mthodistes. Ils ont du bon. Voulait-on que le Pape, en l'honneur de Roosevelt, feignt d'ignorer de pareils trafics ou de n'en tre pas indign? ne faudrait pas croire d'ailleurs que la trahison de Verdesi n'eut pas d'origines plus lointaines que la signature du dernier ma.rch et e versement des trente deniers. D'une source trs autorise, voici quelques dtails encore indits qui claireront tout fait la religion de nos lecteurs. On y saisit au surplus, sur e vif, l'un des aspects les plus odieux de la tactique inaugure de nos jours contre la Sainte Eglise. Verdesi n'tait encore que tout jeune novice San Paolo. ac1. L'institut o se trouve Verdesi est une sorte de sminaire, une Ecole tholoericfup o les mthodistes tiennent les jeunes prtres apostats ad expertmentwni pendant trois ans. Ces mots sont du signor Quadrotta. Verdesi et ses amis ont expliqu que, sur la recommandation rte cet institut, la Socit mthodiste amricaine consent aux apostats un prt de plusieurs milliers de francs. Si, au bout de trois ans rte cette espce de noiviciat, l'individu ne reste pas au service de la secte, il devra restituer' le prt.
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compagnait ses confrres la promenade. Tout coup, au dtour d'une rue, le jeune homme disparat. On l'appelle, on le cherche, il demeure introuvable. On doit rentrer sans lui. Les suprieurs s'inquitent et dlibrent. Mais, vers le soir, Verdesi rentre trs excit. Il s'excuse, il demande pardon en termes incohrents : Il a cd une impulsion soudaine. Depuis quelque temps, il est tourment de scrupules. Sa foi chancelait. Il a couru chez un pasteur protestant, il lui a parl. Mais cette fivre est tombe. Il revient son cher couvent : il lui reste attach pour toujours. Les suprieurs ne voulurent point approfondir cette escapade et s e contentrent de lui appliquer les plus douces rpressions de la rgle. Ces mes saintes sont sans mfiance. Cependant, en rflchissant aux circonstances de ce fait aujourd'hui avr, qui ne serait frapp de certains dtails ? S'chappe-t-on ainsi et court-on si vite au but sans savoir o le trouver? Sait-on par intuition o loge un de ces excellents Rvrends? Verdesi tait travaill par eux ds cette poque, il avait leur adresse, sa fugue tait calcule, et, s'il ne donne pas suite son projet, c'est prcisment sur l'injonction ou le conseil de ces gens-l. Il n'est rest plus longtemps parmi nous que pour trahir, selon leur dsir, avec plus d'clat. Voil l'vidence qui s'impose. Et l'on assure, dans les milieux les mieux avertis, qu'en effet le pasteur lui aurait dit alors : Vous tes trop jeune. Nous ne voudrions pas paratre profiter de votre inexprience. Rentrez dans votre couvent, devenez prtre, et continuez de rflchir. Nous vous y aiderons. Et si votre conviction se fortifie, nous vous accueillerons volontiers plus tard. Ces messieurs n'avaient que faire du frre lai, il leur fallait l'abjuration d'un prtre. Sous prtexte d'un scrupule de dlicatesse, ils maintenaient au cur de la place ennemie un complice et un ferment de discorde. Et, pour qui a suivi avec attention ce triste procs, les manuvres publiquement mises nu des Mthodistes, les mensonges, les parjures, la trahison paye du malheureux Verdesi, il n'est plus de doute possible. Son apostasie intrieure date de l; c'est depuis ce temps-l qu'entr en relation avec l'agence, il est pay par elle, men par elle, prpar par elle faire clater le scandale d'hier. La tactique est de fomenter la trahison, chez nous, parmi nous, demeure. Ds les premiers jours des dbats, la figure morale du prtre rengat a indispos le public qui a eu la sensation d'avoir t born et de se trouver devant un coup mont. J'emprunte l'avocat gnral la description de la physionomie du calomniateur : Il a t dans les coles techniques laques pour passer de l chez les (moines. Fatigu des moines, il est all au sminaire. Puis il a plant l le sminaire pour la famille. De la famille, il a fait retour au sminaire... Il parvient devenir le secrtaire d'un cardinal, qu'il quitta pour devenir quelque temps aprs celui d'un Monseigneur. Le service auprs du cardinal tait trop fatigant; le Monseigneur habitait trop loin; M. Verdesi change encore. Il devient vice-recteur d'une
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glise, puis chapelain d'un couvent de Surs; il pousse une pointe vers le modernisme et essaie un peu des Jsuites... Il est plein de scrupules et chacun de ses mouvements est une gaffe. Il a des scrupules et il dnonce M. Morra (1). Il a de nouveaux scrupules et il dnonce MM. Bonaiuti et C ; un autre flot.de scrupules, et, pour rparer les dommages causs aux amis, il rend publique une dnonciation qui tait secrte depuis deux ans; encore des scrupules, il accuse le P. Bricarelli. Ce portrait est celui d'un brouillon et d'un imposteur. C'est ce que le public avait devin avant les loquentes prcisions de l'avocat gnral.
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Ce qui droute enfin les esprits simples et ce qui, au contraire, devrait la fin les clairer, c'est de voir que ce bouillon de culture protestant semble cependant s'tre dvelopp surtout dans un milieu moderniste. Ils se refusent admettre cette troite .alliance, si souvent dnonce, entre les sectes en apparence les plus hostiles, contre le nom catholique. Cependant les vnements parlent assez haut. Que voudraient de plus ces sourds volontaires? L'action protestante, nous l'avons assez montre dans ce qui prcde. Les dbats ont fait apparatre l'existence des conciliabules modernistes et comment ils excellent malaxer, mettre au point, pour les pires dchances, les mes encore hsitantes. La dnonciation signe de Verdesi est l, pour rpondre aux derniers doutes, aux suprmes et impuissants dmentis. Quant la Maonnerie, son rle, qui est de se cacher dans l'laboration de ces coups perfides, clate ds que l'affaire devient publique. Verdesi a eu pour dfenseurs, dans ce procs, les plus fameux avocats italiens et une nue de sous-ordres. Qui a pay toutes ces langues dores? Les 2.000 francs des Mthodistes sont dj loin. Verdesi est sans ressources. Ces nouveaux auxiliaires n'ont pas coutume de briller par le dsintressement; ils n'en auraient pas' e n tout cas dploy en pure perte un tel luxe. Mais ils sont lots homme* de la Maonnerie; ils ont accompli son mot d'ordre et gagn leurs gages. Barzila, le premier avocat de l'Italie pour les affaires criminelles, dput et homme politique influent, a mis sa relle loquence au service de cette pauvre cause. Le professeur Scaduto, qui passe galement pour le premier des avocats romains au civil, a employ toute sa science et sa subtilit juridique sauver le coupable. Or, ils sont' tous deux maons et dignitaires de la Maonnerie. Athano, Mazzolani 1. A Mgr Benigni il dnonce qu'un abb Morra qui pourrait entrer au service du Saint-Sige a dit l Bonaiuti : Si j'entre au service de Mgr Benigni, tu sauras tout. Lui-mme passa quelque temps dans les bureaux du prlat. On a cherch exploiter le fait contre celui-ci. Mgr Benigni a paru comme tmoin. Dans sa dposition, il explique, comment, sur la recommandation du vicariat, il employa Verdesi durant trois mois, de fin 1909 au commencement de 1910, pour mettre en ordre les coupures de journaux. Il montre par des faits nMoires que des mesures avaient t prises contre les principaux prtres modernistes dnoncs par Verdesi ds 1906, 1907.
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et les antres sont ses chargs d'affaires officiels. Est-il non de pins clair? Et quand donc les catholiques comprendront-ils que l'assaut international donn leur Eglise leur est livr la fois par toutes les sectes unies, entretenant chez nous les mmes intelligences, en dpit de la diversit des clameurs et des bannires!
Que fait cependant le Saint-Sige, au bruit de ces rvlations publiques? Quelle est l'attitude du Vatican, chaque jour accus d'intransigeance brutale, de svrits inoues, de l'tablissement d'un vritable rgime d'inquisition? Le Vatican garde son ternelle rserve et ses misricordieux tempraments. Il attend. Depuis des annes, le Pape avait entre les mains la dnonciation de Verdesi, ainsi qu'une multitude de documents du mme genre. Cinq prtres taient mis en cause. Ils taient dj suspects par ailleurs, frapps pour d'autres motifs. Cependant aucune autre mesure n'est prise leur gard. Ils continuent de dire la messe. La dnonciation n'est pas mme regarde comme une pice judiciaire, encore moins comme une pice conviction. C'est un simple renseignement. Officiellement on l'ignore. Cependant le scandale clate. La divulgation est publique. Les coupables tournent vers le Vatican des regards atterrs. Mais ils nient. Le Saint-Office retient nouveau son bras. Ces modernistes avrs, convaincus de toutes les perfidies et capables de tous les mensonges pour mieux surprendre la Sainte Eglise, cette Mre si bonne continue de les supporter. Ils disent la messe... Toutefois, l'indignation est gnrale. Mme parmi les prlats et les cardinaux les plus ports aux mnagements et la mansutude, a consternation et l'horreur htent en secret l'heure de Ja colre de Dieu. Oui, Rome, en dpit des cris furieux de la haine et des impatiences des combattants, est aussi patiente que clairvoyante. Mais lorsque monte et. s'tale au- grand jour le flot sacrilge, il lui faudra bien lever enfin une digue et chasser les tratres hors des remparts... Cette fois l'honneur du sacrement et celui de l'Eglise taient en cause. Impossible de les laisser sacrifier. Le religieux calomni a t autoris, encourag se dfendre.
LA DPOSITION
DU
P.
BRICARELLI
Voici comment le P. Bricarelli a expos les faits. Son rcit n'a pas t contest par Verdesi. J'ai connu Gustave Verdesi plusieurs annes avant qu'il ft pr-
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tre (1). A sa premire messe, le 26 mai 1907, il m'invita l'assister. Quand il eut quitt le Sminaire romain, il vint me trouver de temps en temps pour se confesser, quelquefois simplement pour me rendre visite. C'tait en juin et juillet de cette mme anne 1907. Au mois d'aot je quittai Rome, pour n'y revenir qu' la mi-septembre. Je le revis rarement, il habitait loin de chez moi, et tait occup aux [petits travaux de son ministre. Il me dit un jour qu'il serait plus commode pour lui de se confesser ailleurs. Naturellement je ne fis aucune observation. Tout en tant bons amis, je cessai ainsi d'tre son confesseur vers la fin de 1907. ,En 1908, je le revis une fois en janvier, puis ce fut pendant six mois. Dan^ les derniers jours de juillet, il vint une fois mo faire visite. Assis mon bureau, en conversation amicale, il me dit qu'il tait proccup parce qu'il avait pris part ces runions de prtres modernistes, notoires dans le milieu ecclsiastique do Rome, qui se tenaient chez le prtre Ernest Bonaiuti; il ajouta les noms des principaux. Il ne savait ce qu'il devait faire. D'un ct il avait l'air sincrement repenti, mme profondment dgot de ce qu'il avait entendu. D'un autre ct, il comprenait le devoir que lui imposait la loi divine et ecclsiastique de dnoncer aux suprieurs ce qu'il avait appris et il restait perplexe l'ide de faire tort des amis. Il me demandait conseil. Je savais depuis le temps de son sminaire, lors de l'affaire publique d'un de ses professeurs, Bonaiuti, ses sympathies pour les modernistes. ' Je ne lui cachai donc pas ma satisfaction de le voir revenu de meilleurs sentiments, je le fortifiai dans son propos de faire la dnonciation laquelle il se sentait oblig, et quant au mode, je me rservai d'y penser et de lui donner une rponse. Deux semaines environ aprs cette conversation, le jour de saint Laurent, 10 aot 1908, je voyais le Pape en audience prive pour d'autres affaires. Je saisis cette occasion pour demander Sa Saintet un conseil sur un cas de conscience qui m'avait t soumis en dehors de toute confession par un prtre, que je ne nommai pas. Le SaintPre, relevant le devoir de tout bon prtre de dnoncer les faits et circonstances compromettant l'intgrit de la foi, me rpondit simplement que je devais en son nom ordonner au prtre de mettre par crit co qu'il m'avait rapport, sans y apposer son propre n o m ; puis qu'il m* consignt cet crit; et moi, je le ferais parvenir sous double envelopppc directement entre les mains du Saint-Pre. Il m'imposa moi et ce prtre le secret du Saint-Office, et il me congdia. 1. On sentira ce qu'il y a de rpugnant, de cynique et d'odieux dans le personnage, en apprenant que le P. Bricarelli, qu'il a tent de couvrir de boue, n'tait pas seulement, en effet, son confesseur d'un jour, une relation de passage; c'tait son vritable protecteur et bienfaiteur. Le P. Bricarelli prchait la retraite au monastre de San Paolo fuori i mri, lorsqu'il rencontra pour la premire fois Verdesi alors novice. Celui-ci s'ouvrit aussitt d'une ardente vocation d'aptre, qui le faisait touffer entre les quatre murs d'un couvent Le bienveillant jsuite s'entremit donc pour le faire sortir de l, lui obtint la dispense des vux simples et assura en 1904 son admission au sminaire. Jusqu'au bout, il a aid le malheureux apostat de ses conseils, de son influence. Et voil de quelle monnaie ont t pays ses services I
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
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Le jour mme de cette audience, dans l'aprs-midi, je partis de Borne pour Pioppi, et je ne revis plus Verdesi qu'aprs les vacances, ien octobre. Ds le 4 septembre 1908, par lettre, j'avais communiqu Verdesi l'ordre du Saint-Pre; mon retour je lui confirmai ces instructions, et conscient de son devoir, sans hsitation aucune, il crivit de sa main la dnonciation et me l'apporta. Je lui proposai de moi-mme et sa pleine satisfaction de recopier de ma main tout cet crit afin que l'criture ne rvlt point l'auteur. C'est ce que je fis, sans recopier la signature, bien entendu, et sous pli ferm, je fis parvenir l'crit directement au Saint-Pre. Je n'en ai plus rien su. Dans les rares occasions o je revis ensuite Verdesi, il se montra toujours trs gentil; le 4 novembre, quelques jours aprs cette affaire, il venait uie souhaiter la Saint-Charles. Une autre fois, il me dit en souriant que par bonheur aucun de ses amis n'avait e u vent de sa dnonciation. Puis ses visites cessrent tout fait. Aprs cette dposition, les avocats de Verdesi, MM. Fabrizi, Mastrogiovanni, etc., posent quelques questions insidieuses auxquelles le P. Bricarelli rpond avec une grande nettet. L'avocat Fabrizi va jusqu' lui demander : Aprs l'Encyclique Pascendi, Verdesi s'estc il confess dm pch de modernisme ? Le P. Bricarelli rpond : J'entends ne pas rpondre cette question, mme si Verdesi m'en ^donnait la permission.
LES CARDINAUX TMOINS
Ici se place un incident de haute gravit qui amena le tribunal italien a reconnatre au Pape le rang de souverain temporel et fit intervenir le tmoignage du Saint-Pre lui-mme. Sa Saintet a jug qu'Ello le devait donner pour l'honneur de la vrit, du sacrement et de l'Eglise. Les avocats du P. Bricarelli et ceux de Verdesi ont cit comme tmoins deux cardinaux : L,L. EE. Respighi et Martinelli. Les dfenseurs de Verdesi ont mis la prtention et soutenu la thse que les cardinaux taient des citoyens comme les autres, qu'ils n'avaient droit aucun traitement de faveur, qu'ils devaient donc comparatre de leur personne comme tous les tmoins la barre du tribunal pour y subir les contradictions de la discussion orale. Les avocats du P. Bricarelli dmontrrent au contraire que, conformment aux lois et rglements et la jurisprudence constante, les cardinaux sont et doivent tre traits en Italie comme les grands officiers de l'Etat et jouir des droits et privilges affrents ce titre. Les promoteurs des institutions nouvelles qui rgissent l'Italie, observa notamment M. l'avocat Capello, ont tous t d'accord pour proclamer qu'aprs la chute du pouvoir temporel, la nouvelle Italie devait, pour des raisons de haute politique, reconnatre et honorer le Pontife romain comme un vrai souverain, et par voie de consquence, reconnatre et honorer les cardinaux comme de vritables princes.
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C'est pour cette thse crue se pronona ministre public, et, aprs deux heures de rendit un arrt consacrant une fois de plus Il vaut la peine de reproduire les passages nonce : Lv Tribunal,
nettement son tour le dlibration, le tribunal cette jurisprudence. essentiels de celte ordon-
Sur l'incident soulev par la dfense de l'imput, observe; Qu'en vertu des articles 723 et 724 du Code de procdure pnale, ne peuvent en principe tre cits devant les autorits judiciaires les princes royaux et les grands officiers de l'Etat; Qu'aucune disposition de loi n'tablissant les rgles pour dfinir quels sont les grands officiers de l'Etat, il faut donc uniquement avoir gard au dcret du 19 avril 1868 rglant l'ordre des prsances entre les diverses charges de la Cour et dans les fonctions publiques; Que ledit dcret l'article 6 tablit quels sont Les grands officiers de l'Etat, en s'en rapportant uniquement aux quatre premires catgories de dignitaires numrs dans L'article premier iet que ceux-ci ne remplissent pas bous des fonctions publiques... Que l'article 2 de ce dcret des prsances tablit que les cardinaux prcdent les ichevaliers de l'Ordre suprme de l'Annoiciade; en sorte que s'il ne les met pas sur le mme rang que les princes royaux, il les place certainement au-dessus des grands officiers de l'Etat... Que par suite le fondement juridique et social des articles 723 et 724 du Code de P. P. tant de fixer un traitement spcial en faveur de personnes qui, en raison de la dignit de leur charge mritent des marques particulires d'honneur et de respect, il n'est pas penser que la loi ait voulu concder ce privilge deux catgories de personnes et en exclure une autre catgorie qui, tant entre les deux autres de par le dcret des prsances, mrite plu* d'gard que la seconde;... ... Rejette l'incident et ordonne que les tmoins cardinaux Respighi et Martinelli seront entendus dans Les formes fixes par l'article 725 C. P. P. Les avocats de Verdesi avaient demand subsidiairement que si les cardinaux taient interrogs domicile, ils le fussent en prsence des deux parties. C'est cette prtention exorbitante que rejetait le tribunal dans la seconde partie de son arrt, attendu, disait-il, que cette intervention des parties rpugnerait aussi bien l'esprit qu' la lettre de la loi, puisque la raison de l'interrogatoire domicile est un privilge en faveur de la personne," et que ce privilge se convertirait e n une tracasserie pnible, si Jes parties pouvaient transporter en son domicile, par leur intervention, la publicit, les disputes et la rumeur des dbats. Quand l e prsident eut lu cet arrt, les avocats du P. Bricarelli, puis ceux de Verdesi, donnrent lecture des questions qu'ils demandaient au jugo instructeur de poser aux cardinaux tmoins. L'une de ces questions concernait l'authenticit d'une lettre crite par S. E. le cardinal Respighi au nom du Pape au P. Bricarelli, et que s e s avocats ont produite au tribunal. Voici cette lettre :
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INFORMATIONS
ET
DOCUMENTS
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Rome, 9 mai 1911, du Vicariat. Rvrend Pre, Les accusations calomnieuses qui ont t lances contre vous l'occasion d'un triste fait dont a tant parl rcemment la chronique des journaux, ont profondment afflig le Saint-Pre. Il en mesure la giavit non seulement au poinL de vue de l'honneur d'un prtre frapp et offens dans l'exercice de la plus sacre des fonctions de son sublime ministre, celle de confesser, mais aussi et encore plus en raison du scandale trs grave que ces accusations peuvent produire parmi les fidles. Il est d'ailleurs manifeste que si l'accusateur a t un malheureux prtre qui a cherch a lgitimer par la calomnie son apostasie et son ingratitude envers l'Eglise qui, avec une affection toute maternelle l'a nourri' et lev, son accusation tend frapper, plus encore que la personne d'un modeste religieux, l'institution qu'il reprsente par son caractre sacerdotal : l'Eglise catholique. Sa Saintet dsire faire parvenir par mon intermdiaire Votre Paternit qui a t juge digne de souffrir ces injures pour le nom du Christ, l'expression de sa paternelle bienveillance, afin de vous encourager et de vous consoler dans le Seigneur. Soyez d'ailleurs assur que le Saint-Pre est bien persuad de votre innocence. S'il manquait d'autres preuves, la calomnie est vidente par le dfaut mme de.* circonstances au moyen desquelles l'accusateur Verdesi a cru leur donner une .apparen.ee de vrit. En effet, l'auguste Pontife se rappelle bien, et dans sa bont, il a daign me dclarer que quand vous lui avez rapport, dans le seul but d'obtenir un conseil autoris, les faits que vous avait raconts Verdesi, jamais vous n'avez donne son nom; de plus, vous lui avez dclar expressment que vous aviez appris ces faits hors de la confession, dans un simple colloque que vous aviez eu avec un prtre de vos amis. De ce que ivous ayez fait ce rapport au Pape et de ce que vous avez ensuite dcliar Verdesi lui-mme l'obligation de faire l'autorit comptente une dnonciation formelle des faits rapports, il n'y a aucun motif de faire un reproche Votre Paternit, car vous avez ainsi rempli louablement votre strict devoir de prtre, obis* sant aux prescriptions de l'Eglise.
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Le Saint-Pre a daign relever une autre circonstance, c'est que les faits que lui rapportait Votre Paternit en aot 1908, lui taient dj bien connus par autre isource. La dnonciation anonyme faite par Verdesi ne pouvait donc pas influer sur les mesures qui furent ensuite prises par le Saint-Sige contre ces prtres que Verdesi accusait de modernisme. Telles sont les choses que, par charge reue du Saint-Pre, j'avais le devoir de communiquer Votre Paternit, avec sa bndiction apostolique pour que dans la tribulation prsente elles vous soient un sujet de rconfort. Vous souhaitant tout bien dans le Seigneur, je me professe, mon Rvrend Pre, Votre dvou et affectionn en Jsus-Christ. Pierre RESPIGHI, Cardinal vicaire. Les deux cardinaux Respighi et Martinelli ont t interrogs en leur
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palais par le juge instructeur. Leurs rponses dment revtues de leurs signatures furent verses a u x dbats.
LA DNONCIATION
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DE
VERDESI
A la fin de la premire audience, la partie civile avait produit :un document de haute gravit qui fit l'effet d'une bombe": la dnonciation de Verdesi contre les prtres modernistes, qui lui aurait t extorque en violation du secret sacramentel. Celui-ci reconnut sa propre criture, en plissant, et il exprima seulement son tonnement de voir ce document, que le P. Bricarelli lui aurait, dit-il, promis de .dtruire. Interrog sur ce point, le P. Bricarelli a rpondu : Jamais je n'ai fait cette promesse ni song la faire. J'ai toujours compris que je devais conserver ce document pour ma garantie, pour qu'on ne pt croire un jour que la dnonciation envoye au Pape venait de moi, et non de Verdesi. Je l'ai conserv soigneusement et secrtement dans nies papiers d'o je l'ai retir ces jours-ci. Voici traduite intgralement et telle quelle, cette dnonciation de .Verdesi : Il existe Rome un groupe de prtres qui, ne croyant plus aux dogmes religieux imposs par le Christianisme, suivent, au point de vue intellectuel, un mlange d'agnosticisme, de rationalisme, de pragmatisme niant par suite mme l'existence de Dieu, n'admettant comme religion qu'un perfectionnement moral, naturel de l'individu; au point de vue pratique, ils ont une conduite au moins en apparence morale. Ils ne reconnaissent plus intrieurement l'autorit religieuse; ils se croient dgags de l'obligation de quelques-uns des devoirs propres leur tat, comme la rcitation de l'office divin. Ces prtres avaient l'habitude de se runir tous les vendredis dans l'aprs-midi, chez le professeur Bonaiuti, directeur de la revue Nova et Vetera, o il crivit sous le pseudonyme (je no sais s'il l e fait encore prsentement) de P. Vinci. Ce que j'ai su, et en assistant quelques-unes de ces runions et en parlant avec ces prtres,, et par d'autres sources bonnes et sres, qui sont au courant de tout cela, l e voici : A ces runions! de caractre plutt amical j'ai v u (printemps de 1908) le prtre Mario Rossi, le prtre Turchi, le prtre Piastielli, ex-lvc du Sminaire dirig par Fracassini, Prouse, et alors rsidant au Collge Lonien; une fois un prtre schismatique, ruthne je crois, de passage Rome; une autre fois un prtre tranger dont je ne m e rappelle plus le nom, le prtre Ottorino Coppa. Le prtre Bonaiuti m e dit qu'il n'admettait pas la personnalit de Dieu. J'ai entendu ces runions, nier l'infaillibilit du Pape, la divinit de JsusrChrist. Je n'ai jamais entendu parler contre les noceurs, mais au contraire rprouver certains scandales sacerdotaux.
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
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J'ai su le nom d'autres crivains de Nova et Vetera : D- Mario Rossi, vicaire la Madonne dei Monti, sous le pseudonyme de P. Nelli ; le prtre Pioli, ancien vice-directeur de la Propagande, sous le pseudonyme de D. Aschenrodel. J'ai su d'un de cesi prtres que Bonaiuti, peut-tre avec la coopration de Turchi, avait crit les et Lettres d'un prtre moderniste. J'ai su que Turchi et Coppa n'ont jamais crit dans le Nova et Vetera. Coppa, en outre, bien qu'intrieurement, alors tout au moins, il partaget plus ou moins les principes des autres, ne prenait pas grande part leurs discussions, n'allait pas toujours leurs runions; actuellement; il les frquente trs peu, il n'a jamais rien crit nulle part sur ces sujets. J'ai entendu dire que Turchi prparait un roman qu'il publierait sous un pseudonyme. J'ai su- que Bonaiuti a crit aussi des articles sous divers pseudonymes dans le Rinuovamento. J'ai su que habilement, Bonaiuti lui-mme, pour rester cach, combat quelquefois dans ses articles du Nova et Vetera et des Lettres d'un prtre moderniste le Bonaiuti de la Revue des sciences thologiques. J'ai entendu que dans une runion laquelle assistait aussi Sabaticr, le prtre Mario Rossi, plus nvropathe que mchant, alla jusqu' dire : Ce bouffon de Christ , [nous demandons pardon nos 1erteurs de reproduire matriellement ce blasphme], expression qui dplut Sabatier et qui dgota aussi les autres. J'ai su que Bonaiuti, dans un voyage, alla trouver Loisy. Bonaiuti et d'autres sont dcids rester dans l'Eglise tant que cela leur sera possible, puis la premire condamnation personnelle, ils jetteront le masque. Le prtre Coppa m e disait que la mthode de propagande moderniste est de s'adapter aux divers tats de conscience, c'est--dire de dtruire les prjugs religieux dans les mes les plus accessibles au renouvellement intrieur. J'ai su que le professeur Bonaiuti appel par Mgr Faberi pour dire s'il tait oui ou non l'auteur de certains articles du Nova et Vetera protesta en jurant de ne pas l'tre. Rome, octobre 1908. Voil comment l'engin destructeur a fait explosion entre les mains de ceux qui le maniaient.
LE
SILENCE
DE
LA
PRESSE
Le procs Bricarelli-Verdesi gnait terriblement la triple alliance anti-romaine des francs-maons, d e 3 protestants, des modernistes. Donc, leur presse qui et fait un bluff norme si le procs avait tourn mal pour les romains et papistes a reu et donn le mot d'ordre du silence. La plupart des organes de la presse librale sont venus au secours en parlant du procs le moins possible et surtout d'une faon anodine.
CMtique du librnllsmc. l* J u i l l e t .
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Ainsi l'indiffrence du public catholique hors, de l'Italie, est une fois de plus l'effet et non pas la cause d'un complt de presse o se retrouve toute la gamme des anti-romains, depuis le francmaon avr jusqu'au libral complice des modernistes. Il valait la peine de le constater, car, de ce point de vue, le procs Verdesi a t une pierre de touche. Les bons catholiques auraient bien tort s'ils n e s'intressaient ces constatations pratiques. Quel tapage auraient men nos adversaires, si la sentence, au lieu d'atteindre l'un des leurs, avait frapp des catholiques. Quels appels de tlphone! quels tlgrammes, quels articles, dans toutes les feuilles .anticlricales italiennes, pieusement recueillis par tous les journaux du Bloc en France de la Lanterne au Matin! Ah! c'est que nos ennemis ont le sens de leurs intrts communs, de la cause qui les lie. Mais les catholiques, au contraire, en dpit de l'universalit de leur Eglise, ne voient rien nulle part au del des frontires de leur pays.
MGR B O N O M E L L I
ET
FOGAZZARO
On sait que Mgr Bonomelli, vque de Crmone, est un prlat trs libral. Les catholiques libraux franais, avec l'admirable entente de la rclame et l'esprit de solidarit qui sont une grande force du parti, ont tout fait pour le poser comme une lumire de notre temps. L'un ou l'autre volume de ses discours ont t traduits en notre langue et prns, on ne sait comment cela s'est fait, peu prs par tout le mondeLe Bulletin de la Semaine (14 juin) nous apporte la relation d'une interview de ce prlat accorde un rdacteur d'une feuille italienne, la Perseveranza. Ayant recueilli le bruit que la publication d'un volume du prlat avait t soudainement suspendue, un rdacteur de cette feuille s'est rendu chez l'auteur et il en a rapport des dclarations, que la presse italienne a reproduites et commentes longuement. Nous les donnons
ici in extenso.
Mgr Bonomelli commena par affirmer, sans difficult son visiteur qu'effectivement un volume de lui, qui tait prt tre lanc par so-n diteur, n'a pasi vu la lumire. C'tait, raconta-t-il trois portraits de trois Italiens, de trois lacs, qui surent unir, pendant leur vie, l'amour pour l'Italie l'amour pour leur religion... Ce fut Mgr Bonomelli lui-mme qui donna, la dernire minute, l'ordre de suspendre la publication... Par quelle raison? Voici... Vous savez, dit Mgr Bonomelli avec son doux sourire, que ce sont souvent les circonstances qui donnent la couleur et le ton aux discours ainsi qu'aux crits. Quelque temps avant la publication de mon livre, la Congrgation de l'Index proclama la condamnation de Leila. Cette circonstance, malgr mon intention de montrer un Fogazzaro entirement obissant l'Eglise, au-
INFORMATIONS
E T DOCUMENTS
rait donn l'occasion aux personnes malveillantes de m'attaqncr et encore plus d'attaquer la mmoire de l'crivain. Il fallait absolument viter tout cela : c'est pourquoi j'ai renvoy une poque plus favorable la publication du livre. Comment Fogazzaro reut-il la condamnation du Saint 1 Est-il vrai ainsi que certaine presse soi-disant catholique l'affirme, quue sa soumission n'a pas "t tout fait complte? Non. Elle a t entire et complte telle que l'Eglise l'exige. Mais il y a beaucoup de prjugs et d'opinions errones au sujet de la Congrgation: et il est bon de les combattre et de les rectifier. C'est ce que je tche de faire dans mon crit sur Fogazzaro. Ici quelques explications! sur l a valeur des dcisions des Congrgations romaines et le degr de soumission qui leur est d. Le Saint a donc t mis l'Index. Qu'est-ce que l'auteur a fait? Je peux faire ce propos une dclaration non inutile. Cet homme, la conscience pure et intgre comme celle d'un vrai catholique, avant la publication du Saint, m'a manifest sa crainte d'tre - dnonc et condamn. Naturellement je lui ai rpondu qu'il tait fils de l'Eglise et qu'il devrait faire sa soumission. 'N'en cloutez pas, me dit-il, je ferai mon devoir. Quand la condamnation est venue, il a fait tout ce qu'il avait promis, ce qui lui a cot moralement et matriellement. Invit donner Paris une confrence, il y est all. L'attente tait norme : tout Paris intellectuel s'y tait donn rendez-vous : les libres-penseurs y coudoyaient des catholiques de toutes les nuances. Ils attendaient, me disait-il avec la candeur d'un enfant, quelques dclarations relatives au Saint ; j'ai fait, au contraire, ma profession de foi catholique ouverte, sans rticences, et je sais que la plus grande partie du public a t dsillusionne et peu convaincue. Ensuite, je suis all Genve pour une autre confrence et l aussi le concours tait trs grand et l'auditoire compos, en grande partie, de libres-penseurs protestants et de plusieurs pasteurs. Je n'ai* pas hsit me proclamer catholique, apostolique, romain. Je n'ai fait qu'obir ma conscience et accomplir ce que je croyais tre mon devoir. Il parat que tout cela ne suffisait pas, pour certains de mes censeurs . Fogazzaro pronona ces mots avec un accent d'tonnement ml de la douleur, mais accompagn de son inaltrable doux sourire. Je ne pourrais dire ce que j'ai ressenti dans mon cur. Je le regardais en silence, avec admiration et motion; je me sentais en prsence d'un chrtien catholique d'une grande vertu, d'une vertu presque hroque. Et cependant, mme aprs sa mort, la campagne de la part de certaine presse ne cesse pas contre lui. Il est vrai Mais ces censeurs ont tort : ils devraient respecter un peu plus le tombeau de l'crivain, le deuil de sa famille et de sa ville natale, et le cri de douleur de toute l'Italie pleurant la mort d'un de ses grands hommes. Si la Perseveranza n'a pas trahi la pense et les expressions de Mgr Bonomelli (et l'on n e dit pas qu'elle ait t dmentie), on est oblig de reconnatre que ces dclarations font pdus d'honneur s e s sentiments d'amiti pour Fogazzaro et l'incurable optimisme de l'vque de Crmone qu' s a juste apprciation des faits et sa fermet doctrinale. Pour tout dire, on est douloureusement surpris de trouvei sur les lvres d'un vque cette entire apologie d'un homme que ses crit.} et sa conduite ont plac au premier rang des modernistes, et
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LA
CRITIQUE DU LIBRALISME
R E L I G I E U X , POLITIQUE, SOCIAL
dont le testament laisse planer le plus grand douLc sur sa soumission d'esprit. Mgr Bonomelli n'a donc pas vu d'obstacle la publication d'IZ Santo. On et prfr l'ignorer.. Il faut esprer du moins, pour le salut de son ami, que le consolateur de ses derniers moments a reu de lui des signes d'une rtractation plus entire et plus complte crue celle dont ses uvres et sa conduite ont donn des preuves aprs sa mise l'index. C'est un secret que nous devons respecter. Mais, en donnant la confrence que Fogazzaro vint faire Paris, au mois de .janvier 1907, le caractre d'une profession de foi catholique, ouverte, sans rticences , Mgr Bonomelli montre et nous suppose une candeur au moins gale celle qu'il admirait avec tant d'motion clans son ami. Ce fut un bruyant manifeste moderniste, ni pins ni moins. On peut inviter l'vque de Crmone en relire le texte dans Demain ou le Bulletin de la Semaine. Des libraux laques, n'ayant rien de commun avec la hirarchie ecclsiastique, pourraient tre moiti excusables de couvrir l'erreur du manteau de leur amiti, et nous sommes habitus les entendre invoquer le respect des morts pour obtenir qu'on les laisse exercer une influence d'outre-tombe, mais est-ce le rle d'un vque? En entendant un reprsentant ' d e l'Eglise exalter la conscience pure et intgre de Fogazzaro et le proposer comme un chrtien catholique d'une rare vertu, d'une vertu presque hroque les catholiques qui, sans violer le tombeau de l'crivain, le deuil de sa famille, ni insulter a u cri de douleur de l'Italie, jugent son uvre comme elle le tmrite, ne font qu'opposer un effort ncessaire, mais rendu insuffisant par de tels exem/ples, la glorification d'un crivain nfaste. IU supplent, comme ils peuvent, la tche que d'autres, plus qualifis^ auraient le devoir de remplir. Esprons;, pour l'Italie catholique, qu'elle saura mieux choisir ses grands hommes.
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L'GLISE
ET
L'ETAT
EN
ITALIE
C'est la continuation de la mme interview. Mgr Bonomelli fait la Perseveranza des rvlations calcules dont' il faut lut laisser la responsabilit, et dont le but est de placer sous l'autorit du Pape Lon XIII les thories chres au prlat libral. La conversation prit ce moment un pli tout fait diffrent. Est-il vrai que, sous le Pontificat de Lon XIII, vous avez pris avec d'autres prlats, maintenant disparus, une part active l'uvre de conciliation entre l'Etat et l'Eglise? Je peux dire ceci, rpondit Mgr Bonomelli, ludant la deman'le : Lon XIII avait d'abord un programme de conciliation pour lequel il a travaill et il a fait travailler. La conciliation qui tait dsire par le roi Humbert l* et par quelques hommes poliliques trs en vue, n'a pas russi par la faute... de la France. La France fit savoir Lon XIII que si le Saint-Sige faisait la concir
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
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liation avec l'Italie, elle rappellerait son ambassadeur auprs du Vatican. C'est de cette poque que date la seconde priode de la politique de Lon XIII envers l'Italie. Ou souponnait dj quelque chose de pareil, mais ce que vous venez de dclarer a tout le caractre d'une rvlation. C'est un rayon de lumire sur un point mal connu de l'histoire contemporaine. Mais dites, Monseigneur : n'est-cc pas cette poque qu'il y a eu toute une floraison de livres et de brochures sur la ncessit d'une conciliation entre l'Eglise et l'Etat? Justement Je ne parle pas d'un article sign par moi, publi dans la v< Rassegna Nazionale qui fut condamn et dont j'ai fait la plus complte r(ractation Je vous citerai plutt un fait significatif. Un jour, Lon XIII a fait appeler Mgr Scalabrini, vque de Plaisance, et aprs quelques explications, il Ta charg d'crire un livre contre... les Intransigeants. Vous dites?... Contre les Intransigeants. Et le Pape ne se borna pas ceci; mais il donna Mgr Scalabrini le sommaire qu'il devait illustrer et tlcve'opper. Ce sommaire, je l'ai eu moi aussi entre les mains, Mgr Scalabrini, aprs avoir accept la charge, vint me demander ma collaboration. Je ne pouvais pas beaucoup promettre cause de mes occupations. Sur ces entrefaites, Mgr Scalabrini s'tant mis au travail, s'aperut de l'extrme dlicatesse avec laquelle il fal'ait traiter certaines questions. Puisque c'est le Pape qui avait ordonne ce travail, c'tait lui ds rsoudre certains cloutes. Et Mgr Scalabrini avec cette finesse qui le distinguait, commena changer une longue correspondance avec le Pape, de sorte que quand le livre a t fini, il s'est aperu que c^Iui ci avait t crit plutt par Lon XIII que par lui. Eh bien, qui pourrait le croire? Le livre sur la couverture duquel figurait le nom Un prlat tait peine publi, que YOsservatore catiolico de Milan commena une guerre atroce contre le livre et son auteur anonyme, dont on essayait do deviner, ttons, le nom. Mgr Scalabrini fatigu de cette guerre atroce, demanda au Pape la permission de parler. Mais le Pape le rconforta et le persuada de rester tranquille; et Mgr Scalabrini, no manqua pas son devoir. Cette histoire, qui ne craint pas de dmentis, montre qu'il y a dans l'Eglise deux lments, le divin et l'humain. Si le premier ne mourra jamais, d'aprs la parole indfectible du Christ, l'autre a toutes les caducits et les imperfections de la nature humaine. Un autre des portraits que Mgr Bonomelli s e prparait publier et qui est rest indit traait la vie et les ides d'un des hommes politiques les plus minents d'Italie, le snateur Tancredi Canonico, prsident de la Cour de Cassation, prsident du Snat et ministre de la Justice deux reprises. Il y a deux ans qu'il est mort. Le snateur Tancredi Canonico a eu avec moi, dit Mgr Bonomelli, de longues conversations que j'ai recueillies pour les publier un jour, car elles ont une grande valeur pour nous hommes d'Eglise: en effet, M. Canonico tait un homme de grand talent, d'une vaste culture et d'une lvation trs grande, d'esprit : il avait une foi catholique trs vive et une rare pit : il connaissait profondment la socit vraie et relle, la laque ainsi que l'ecclsiasiiqu ; il tait arriv au degr suprme de la Cour de Cassation et du Snat. On tait en 1907, l'poque de la fameuse campagne anticlricale. Je lui ai demand ce que le clerg devait faira pour S 2 dfendre contre cette avalanche de calomnies, d'erreurs, de scandales et de perversions intellectuelles et morales. Il m'a rpondu : D'abord, le clerg ne doit pas regarder en ar-
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rire, mais devant lui : croire au retour du pass tel qu'il a t, c'est une illusion impardonnable et c'est perdre invitablement l'avenir. La tempte des nouveaux temps a emport tout un vieux monde avec ses privilges et ses abus; le clerg ne doit plus y penser, et encore moins l'invoquer : c'est un monde perdu pour toujours... Tant que le clerg n'aura pas dclar clairement qu'il accepte le nouvel ordre de choses, qu'il veut et qu'il aime la patrie indpendante et une, et qu'il rentre sans rticences dans le grand courant national, il est vain d'esprer une paix vraie et durable et la fin de cet anticlricalisme, qui dshonore le pays et fait tant de mal. Vous dites: Il y a des droits sacrs, comment peut-on les oublier? Vous m'enseignez que la grande route parcourue par l'Eglise travers les sicles est seme des droits incontestables de l'Eglise, mais qui sont prims et entirement oublis aujourd'hui, des droits bien entendus, non pas des principes dogmatiques ou moraux, mais des principes de discipline, d'intrts matriels, etc. Je le sais bien, il faudra beaucoup de temps pour fermer tant de blessures et oublier le pass : mais nos neveux el nos petits-neveux jouiront des avantages de la solution. Et le snateur Cannico, aprs avoir dit que le clerg doit viter la peste de la politique, les partis, les intrigues lectorales, et s'efforcer de christianiser les masses, encore moiti paennes dans quelques provinces afin que celles-ci rendent chrtiens les lecteurs, qui nommeront alors les lgislateurs chrtiens concluait : La socit actuelle avec toutes ses richesses, avec tout son progrs matriel et intellectuel qu'il faut reconnatre, est religieusement et moralement malade et si l'on n'y apporte pas un remde salutaire, prompt et efficace, la maladie religieuse et morale dtruira aussi le progrs intellectuel et moral C'est au clerg que revient la tche de soigner et gurir cette socit force de charit. Toute la lyre librale!... Il n'y a donc pas regretter que la publication projete par Mgr Bonomelli ait t isuspendue. On peut mme croire qu'elle le sera longtemps, s'il attend qu'elle soit approuve. Et toutefois, peut-tre n'a.unait-il pas beaucoup plus de peine obtenir Vimprimatur du R. P. Lepidi, s'il en avait besoin, que n'en a eu Mgr Duchesne, pour la traduction italienne de son Histoire ancienne de l'Eglise. A cet expos des vues de Mgr Bonomelli, et sans le nommer, 177nit cattolic du 17 juin rpondu par un article intitul : A propos d'une certaine interview; la vraie ralit des choses. Nous en donnons la traduction exacte. On le lira avec d'autant plus d'intrt que ce journal est bien connu pour reflter la pense du Vatican, et l'on verra si c'est la France qui doit 'tre rendue responsable de l'chec de la conciliation. Il est donc bien probable qu'on a l une indication exacte des dispositions du Saint-Sige, relativement la grave question que l'vque de Crmone a ramene et prsente sous un jour si (douteux. Avant de faire une rponse documente cette question, nous voulons donner un court memento historique des diverses tentatives de rconciliation entre l'Eglise et l'Etat. La premire proposition de conciliation fut faite Pie IX par Napolon III avec la lettre du 31 dcembre 1859, pour tenter un moyen d'accord avec VicbDir-
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Emmanuel II. Il lui fut rpondu par la lettre du 6 fvrier 1860. Tant Napolon III qu' Victor-Emmanuel, Pie IX rpliqua par le clbre Non possumus. Une autre fois, sous le pontificat de Lon XIII, furent reprises les tentalives de reconciliation entre l'Eglise et l'Etat en Italie. Mais ces propositions s'vanouirent vite, parce qu'il y a dans la politique italienne un matre puissant et secret qui ne veut pas la paix avec le Pape, mais la guerre toujours. Et ce matre, qui tient sous ses verrous de fer l'Italie et le gouvernement, c'est la Franc-Maonnerie. Ces jours derniers, quelques journaux libraux, parmi lesquels la Perseveranza, ont publi des interviews qui sont contraires la ralit des choses. Les arguments habituels et prfrs de la rconciliation entre l'Eglise et l'Etat y ont t prsents sous l'aspect libral et avec un intrt politique purement utilitaire, sans mme accentuer qu'il y a une puissance qui ne la veut absolument pas et s'efforce de perptuer le dsaccord. Ce que ces journaux libraux n'ont pas dit, nous le dirons en suivant des documents que nous possdons et qui ne craignent aucun dmenti. La Maonnerie qui eut la principale part dans la prparation et l'accomplissement des faits, qui a cr la dissension, s'efforce de la perptuer et de l'aggraver encore. Chaque fois que, d'une part ou d'une autre, on cherche traiter de la conciliation, ou bien elle suggre des propositions inadmissibles, ou bien elle les combat entirement par sa continuelle intrusion dans les affaires publiques de l'Italie. A ce sujet, il est opportun de rappeler quelques-uns des laits que fournit la Revue de la Maonnerie italienne . (1) Entre les dix annes 18831893, fut prise en considration, mme avec srnit, et examine la conciliation entre l'Eglise et l'Etat. A peine la Maonnerie eut connaissance de ce fait intressant, qu'elle en combattit la bonne initiative (2). Le grand-matre de la Maonnerie, qui tait alors Adrien Lemmi, dclara, le 15 septembre 1883, que la secte dirige par lui voulait lutter, disputer pied pied, le terrain la raction envahissante (3), et une circulaire du 15 novembre 1883 fut encore plus explicite (4). En 1904, non seulement le grand-matre* Lemmi intriguait encore contre la politique de conciliation, mais il faisait des dmarches pressantes auprs du gouvernement du Roi d'Italie. Augustin Depretis, galement maon du 33e degr tait alors prsident du Conseil. Lemmi profila aussitt de la position qu'occupait Depratis et lui rappela le devoir de ne pas dmentir sa qualit de maon dtermine par le Constitution gnrale de la Maonnerie en Italie , qui prescrit aux adeptes de ne pas ngliger le programme maonnique mme s'ils sont investis do fonctions publiques (5). Comme, ainsi que nous l'avons dit, empcher toute tentative de rconciliation entre l'Etat et l'Eglise est chose fort importante dans le programme de la Maonnerie, Lemmi prit soin d'adresser au Frre 33, Depretis, la lettre suivante (Si :
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Au Prsident du Conseil du roi d'Italie, Au nom des francs-maons italiens, je demande au Gouvernement, qu'au sujet de 1. Rivista della Massoneria italiana , 1882, pag. 41 1884, pag. 103. 1886, pag. 133. 1893, pag. 84. 2. Rivista della Massoneria , 1883, pagino 88. 3. Op. cit., 1883, pag. 294. 4. Op. cit., 1883, pag. 293. 5. V. articolo 23 delle Costituzioni generali della Massoneria italiana , riformate poi nel, 1900. 6. Rivista della Massoneria , 1885-86, pagina 375.
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graves indices de conspiration clricale contre la patrie dnonce par presque toute la presse, il soit fait sans hsitation pleine lumire et entire justice. Et dclare que les loges maonniques ne cesseront pas d'entretenir vivante et trs vigilante la conscience publique contre les machinations du Vatican. Rome, 17 fvrier 1886. Le Grand-Matre. Adrien L E M M I . Les attaques continuelles des journaux les plus- libraux et des amis de la Maonnerie furent l'uvre des Loges. Aprs les assauts donns par la presse, vinrent les congrs populaires et les manifestations anticlricales les plus significatives (1). Depuis ce temps, la Maonneris s'est toujours fait honneur de mettre ses uvres d'accord avec ses dires : Entre le Quirinal et le Vatican, toute conciliation est impossible : en gnral il est insens d'en parler. Ou le Pape veut faire le prtre, et il n'a aucun besoin de se rconcilier avec l'tat italien ; ou il veut faire le roi et il ne peut se rconcilier avec le pouvoir civil. La division entre VItalie et la Papaut est si profonde, que cette conciliation de la part des dfenseurs d'un Gouvernement italien serait une trahison. Un Gouvernement qui discuterait la question romaine qui pour l'Italie est close s'exposerait tous les soupons. (2) L'activit de la Maonnerie italienne contre la rconciliation entre l'Etat et l'Eglise fut reprise le 25 janvier 1889 par le Maon 33e, Giovanni Bovio, qui, entre beaucoup d'autres choses, disait encore ceci : Je note que le Gouvernement ia l'obligation de rsister au Pape. Le Pape avait des prises jusqu'au Quirinal. Les guelfes, les confesseurs, les cardinaux, les vques, avaient leur influence dans les conseils de la couronne (3). Le grand-matre Lemmi, dans son discours prononc Bologne, le 27 juin 1892, disait encore : La Rvolution, Rome, pousse la monarchie : Le Quirinal et le Vatican sont auoe prises. La lutte entre le Prince et le Pontife, entre l'Etat et l'Eglise, doit se rsoudre par le jugement de la rais:nn et la volont du peuple italien . Ces paroles du grand-matre confirment que la dissension entre TEg'ise et l'Etat a t cre par la rvolution: seule, elle a intrt la perptuer. Nous avons not ces choses, non pour nous opposer toute brmne initiative de conciliation entre l'Etat et l'Eglise, mais pour dire certains catholiques que leurs ides dont plusieurs leur sont communes avec les libraux sont confuses, trs obscures, et tendent presque faire croire de l'obstination de la part du Chef de l'Eglise. S'il y a un Italien qui soit vraiment ami de l'Italie, c'est le Pape : de nombreux faiU de notre histoire le prouvent. La paix et l'ordre en Italie demandent que tous les catholiques soient d'accord avec le Pape et guids par lui. Les choses que nous avons brivement exposes et appuyes sur des documents nous donnent pleinement le droit de conclure que l'ennemi qui empche un vnement glorieux d'apporter l'Italie le bonheur, c'est la Maonnerie. Elle continue vouloir que les faits accomplis reprsentent le triomphe de la force sur le droit et,sanctionnent le principe immoral de l'a reconnaissance de la victoire de la rvolution sur le principe d'autorit. Si nous admettons ces ides concrtes de la Maonnerie avec les formes constitutionnelles du Gouvernement italien, pliables et souples au gr de l'humeur 1. Rivista della Massoneria , 1885, p. 375. 2. Rivista cit. , 1886, p. 359. 3. Rivista cit. , 1889, p. 83.
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des partis, nous nous trouverons dans une difficult encore plus grande, que les conciliateurs, avec leurs discours mielleux et couleur de roses, ne sont pas ca pables do rsoudre. Garisenda. Sous la mme rubrique, l'Unit un nouvel article : cattolica ajoute, le 19 juin, dans
Nous insistons pour dire que le Souverain Pontife, avec l'amour d'un Pre et aussi d'un Italien, a toujours dplor La dissension entre l'Eglise et l'Etat. Nous nous souvenons parfaitement que Lon XIII, plus d'une fois, a fait connatra son dsir d'en venir un srieux et salutaire arrangement. Dans l'allocution consistoriale du 23 mai 1887, il disait : Nous avons attest notre propension p. tendre l'uvre de pacification, de mme qu'aux autres nations, spcialement l'Italie qui Nous est chre et strictement unie tant de titres. Le 15 juin 1887, dans- une magnifique jLettre-Programme son Secrtaire d'Etat, le cardinal Mariano ,Kam(polla, il claircit admirablement sa pense sur cette dlicate et importante question. Pie X a les mmes sentiments -affectueux et gnreux. Les dsirs du Souverain Pontife n'ont malheureusement pas t couts, mme, comme nous l'avons prouv, ils ont t contrecarrs et combattus ave< tout l'art de la secte. Le vaillant journal rpond alors deux objections. Il est impossible, dit-on, de trouver un arrangement entre l'Eglise et l'Etat, tant que le Pape prtendra revendiquer des droits sur l'Italie. Mais pourquoi prendre le change? Quand le Pape revendique ses droits sacrs, il ne parle pas e n simple prtendant; il rclame des choses justes, qu'on a voulu pitiner et supprimer par la violence. Tout le monde comprend que, par cette violence, outre les droits lgitimes du Pape, la libert et l'indpendance lui sont ravies. On ajoute : La libert et l'indpendance du Pape sont ^assures par la loi des garanties. L'Unit rappelle ici les violations flagrantes, constantes, de cette loi et cite un long extrait de la Lettre de Lon XIII mentionne plus haut, o ce Pape exposait ce que doit tre l'indpendance ncessaire au Chef de l'Eglise et rappelait les attentats commis contre elle. C'est de l que VUnit tire sa conclusion .visant I'vque de Crmone et autres imprudents amateurs de conciliation : Les interviews et les commrages plus ou moins vridiques que, de temps en temps, des libraux offrent en pture au public, ne peuvent certainement s'accorder avec cet expos de doctrine. Les dilettantes de conciliations, ou humiliantes, ou impossibles, cherchent des moyens qui, en ralit, sont des tentations inutiles, et qui; d'une manire ou d'une autre, mettent toujours le Souverain Pontife dans une condition de vritable dpendance et le placent mme sub hostili dominatione. Tant que le libralisme et son cousin-germain le clricalisme libral prtendront que le Pape reconnaisse les faits accomplis par la violence et la violation de droits sacrs; tant qu'ils prtendront que le Pape s'incline devant la Maonnerie spoliatrice de sa libert et de son indpendance; tant qu'ils chercheront , placer Tune et l'autre sous l'phmre et vaine protection d'une
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loi variable et insuffisante, il leur sera inutile de hasarder des idylles fleui ries, oripeaux chargs de couleur et amusements d'enfants. Aux songes fantastiques de la politiq-ue et de la diplomatie librale nous n'avoiu qu' opposer la parole claire, autorise, persuasive du Pape, qui, quand il revendique ses droits, ne lutte pas pour un tel petit terrain ou telle ville dtermins, mais rclame et LVE justement la voix pour une fin bien plus haute et bien plus noble. Les Papes, dans le pass et dans lie prsent, sa sont exposs aux luttes, aux douleurs, aux perscutions pour la dfense de ce qui est indispensable leur auguste ministre, parce que la condition du Pape spoli est bien diffrente de celle d'une autre autorit. Cette grave difficult, les Papes l'ont toujours comprise pratiquement et les catholique** du monde entier l'ont comprise; ce que les Papes ot les catholiques ONT saisi, on ne veut pas s'en rendre compte, axi lieu d'EMTRET dans les trafics de la politique et de la diplomatie. Les attaches de YVnit cctMolica avec Rome nous ont paru donner ces articles une porte qui dpasse l'intrt d'un incident particulier. Mais notre rle se borne les citer sans commentaire.
LE DRAPEAU PONTIFICAL
L'outrageant et absurde arrt del Cour de Cassation, condamnant l'exhibition du drapeau pontifical dans le pavoisment pour la fte de la Bienheureuse Jeanne d'Arc, vient de recevoir une noble et fire rponse pisco-pale. Le 17 juin, a comparu de ce chef, devant le tribunal de simple police, Mgr Bguinot; vque de Nmes. Le vnr prlat s'est prsent en personne, accompagn de ses vicaires gnraux, d'un grand nombre de prtres et de fidles, et a lu la dclaration suivante : Monsieur le juge de paix, Je dois atteindre dans quelques jours ma 7 5 anne et, aprs avoir consacr 51 ans de cette longue vie au service des mes, je suis cit comparatre pour la premire fois devant la Justice, sous l'inculpation : d'avoir arbor le drapeau du Saint-Pre sur la maison hospitalire qui m'a accueilli le jour de mon expulsion de l'Evch. Le fait qui m'est imput est exact. J'ai, en effet, arbor l'tendard pontifical le jour de la Fte <de Jeanne d'Arc et je demande m'expliquer sur cette exhibition qualifie de dlit et qui, ma grande surprise et l'tonnement gnral, m'amne cette barre. A Nmes, le dimanche 28 mai, on clbrait, comme partout en France, la fte liturgique de Jeanne d'Arc et la lettre suivante de l'Evque eu "fixait le programme en (dehors de toute proccupation politique et sur le terrain exclusivement religieux, puisque la lettre s'adressait tous les catholiques sans exception aucune. (Suit la lettre piscopale publie avant la fte du 28 mai). Tel tait le programme de la Fte religieuse de Jeanne d'Arc, programme de paix, d'union fraternelle des mes, sur les bases inbranlables de la religion, du patriotisme et de la libert religieuse. Or, il appartenait srement l'Evque qui prescrivait la fte, comm e chef religieux du diocse, et qui fixait tous les dtails de la solene
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nit religieuse, de prendre toutes les initiatives propres en assurer le bon succs, lequel fut trs mouvant, en dpit des entraves suscites la dernire heure. J'ordonnai donc aux dcorateurs de pavoiser largement ma modeste demeure de faisceaux, de drapeaux et d'oriflammes. Chaque faisceau se composait du drapeau national, de la bannire traditionnelle de Jeanne d'Arc et de l'tendard du Saint-Pre. Pour nous, Catholiques, en effet, le Pape est revtu d'une double puissance, l'une d'ordre temporel, l'autre d'ordre spirituel transcendante, prminente la premire et contre laquelle toutes les puissances de la terre ne prvaudront pas. Le Pape fut investi d'une souverainet temporelle, par la volont trs ferme et trs sage des rois et des peuples et dans cette institution de salutaire croyance, la France joua, durant 1500 ans, le premier rle. Son pe vaillante et invaincue tablit et soutint cette grande histoire contemporaine. Jadis, tout le monde avait compris, avec une intelligence parfaite du droit et de la pratique des choses de la vie, que celui qui en vertu de l'institution divine du Christ lui-mme devait juger, enseigner, reprendre et diriger les peuples chrtiens du monde entier, celui-l ne pouvait et ne devait tre le sujet de personne dans l'ordre temporel. Or ces motifs d'ordre suprieur demeurent dans toute leur force, rien n'est venu les dtruire ou les frapper de dchance. Le Pape est toujours souverain si restreint que soit son domaine, il est reconnu comme tel par les nations mme hrtiques ou infidles et, ce titre, son drapeau est arbor partout prs du drapeau de tous les peuples et, par un accord respectueux des puissances, il occupe le (premier rang, comme le nonce du Saint-Sige prside partout le corps diplomatique. Peut-on demander un Evque de renfermer honteusement un tel drapeau autour duquel flottent tant de gloires dans le pass, tant d'minents services rendus la civilisation 3e tous les peuples? Non, cela ne se peut pas et pour ma part je n'ai eu garde d'accepter cette compromission. Toutefois, le Pape n'est pas seulement en possession de la souverainet temporelle, gage de sa libert et de son indpendance; il est, avant tout, par-dessus tout, investi de la puissance spirituelle sur les mes, par le Christ, auteur et consommateur de notre foi. En ordonnant ce pavoisement, j'entendais affirmer publiquement mon loyalisme vis--vis de la patrie, mon ardente admiration pour la vierge libratrice et aussi ma filiale obissance au Souverain Pontife, dont la majest offense s'impose notre vnration dans la mesure o croissent les ddains de ceux qui l'outragenl. Pour la troisime fois, nous allions clbrer la fte religieuse, avec le mme programme, des dcorations identiques, sans pouvoir prsumer que personne pt songer dresser procs-verbal, l'occasion de ces ftes pacifiques, qui ne faisaient de mal personne et qui donnaient une vraie joie tout notre excellent peuple. Toutefois, lorsque les dcorations pour la fte religieuse taient dj installes ou en train de s'installer, survint un avis de la part
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
de la police, qui informait les catholiques d'une rhanire prive que. contrairement ce qui s'tait fait dans le pass, on devait, par ordre spcial, descendre et faire disparatre le drapeau pontifical. Descendre ainsi, sans honneur, comme emblme sditieux et proscrit, le drapeau du Pape, c'tait plus qu'une inconvenance, cela s'acheminait l'outrage. Quoi doncl lorsque ce drapeau flotte dans toutes les capitales et qu'il n'y a que cinq ans, il tait arbor Paris, en face de l'Elyse, 35 ans aprs la dpossession violente opre en 1870, dpossession dont on fait tat contre le Saint-Pre, amener ainsi son drapeau m'et sembl la plus indigne des faiblesses vis-vis de la plus juste des autorits. Je me Suis donc nettement refus enlever l'tendard papal et voil pourquoi je suis traduit en justice. Aussi, je ne pntre pas, sans une virile fiert, dans ce prtoire, tenant la main l'tendard du saint Pontife, escort de mon clerg t des meilleurs parmi mes diocsains fidles, afin de rpondre de ce dlit assez nouveau, d'avoir refus d'enlever le drapeau du Pape, quand cet enlvement avait toute la physionomie d'un manque public de respect envers le Chef vnr de l'Eglise. Nonl une main d'vque n'est pas faite pour semblable besogne! Bnir, pardonner, encourager, consoler, aussi longtemps; aussi frquemment qu'on voudra, mais descendre le drapeau du Pape, oela jamais 11 Dans mon inexprience des procdures judiciaires, je laisse l'minent avocat, qui prendra ma dfense, le soin de dbrouiller le chaos des circulaires et ordonnances, que l'on croyait primes et qui tout coup ressuscitent et nous sont appliques ici avec rigueur, sans doute pour attrister davantage notre vio religieuse dj si contredite. Mon minent dfenseur apportera ce labeur toutes les ressources de son intelligence, toute sa science du droit et tous les lans de son excellent cur. Quant moi la dignit offense du Saint-Pre demeure "prsente mon gard et je concentre sur elle toutes les protestations de ma foi, qui n'a pas consenti, mme d e loin, rien sacrifier de ce trui tient l'honneur de cette majest couronne d'pines. Pour nous, Catholiques du monde entier, le Pape est, en effet, le souverain spirituel de toutes les mes chrtiennes, il est le pasteur universel d u bercail; par lui" le Christ agit, parle, enseigne, reprend et guide tout le troupeau. Cette puissance spirituelle venant de Dieu est inalinable, incessible et immortelle comme Dieu lui-mme, d'o elle procde. Aussi, envisag comme symbole de la double puissance temporelle et spirituelle du Pape, le drapeau pontifical renferme-t-il dans ses plis la plus ncessaire de nos liberts, la sainte libert des mes et l'assurance pour chacun de nous de ne point nous garer, en marchant sous ce pavillon glorieux. Ds lors, ce drapeau avait bien sa place, dans nos solennits exclusivement religieuses comme la fte de Jeanne d'Arc, fte de l'union pacifique des curs franais; dans l'amour de la religion et de la patrie. Et qui pouvait souponner les susceptibilits irrites, qui tout coup se sont veilles?
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Pour ma part, on plaant le drapeau du Pgj>e prs du drapeau de la France, quel crime ai-je commis pour tre traduit en justice? Est-ce donc mal faire que de se montrer serviteur loyal de l'Eglise et de la Patrie? Je ne parviens pas le comprendre. Non, nous ne refusons pas de rendre Csar ce qui appartient Csar, mais serait-ce une forfaiture que de demander Csar pleine et entire libert de rendre Dieu ce qui est Dieu ? Catholiques avec le Pape, nous sommes cela, il faut le redire sans cesse, afin que personne n'en ignore et nous demeurerons tels, parce que c'est notre volont base sur notre droit lgal qui nous garantit la libert de conscience. La vieille Angleterre, d'une seule voix entonne son cri de guerre trs fier: Dieu et mon droitI lorsqu'un citoyen de la libre Albion demande justice et il l'obtient La bannire toile protge tous les citoyens de l'Union amricaine, qui se rclament de sa devise si jeune et si accueillante: Dieu et la libert! Quant nous, Catholiques de France, invoquerions-nous en vain ces mots magiques: Dieu et Patrie , qui depuis Jeanne d'Arc inspirrent tant d'hroques sacrifices par amour de l'Eglise et de la France ? Je me refuse discuter cette hypothse. J'espre au contraire que ma dfense trouvera un cho sympathique dans votre conscience, Monsieur le juge, en tout cas, par cette dclaration ncessaire, j'ai libr la mienne.
LA DMOCRATIE ET LA DMOCRATIE
La Dmocratie, journal de J L Sangnier, avait publi le compte M rendu suivant d'une confrence faite Belfort par M. Paul Bureau, professeur l'Institut catholique de Paris, et cit d'elle par la Croix qui y ajoutait, non sans raison, les plus expresses rserves de principes imposes par l'Encyclique sur le Sillon. Belfort, 11 juin. Samedi soir, 10 juin, 8 h. Va, la Ligue nationale de la moralit publique, donnait, au thtre municipal, une confrence de M. Paul Bureau, sur Vidal moral et la dmocratie . Nombreuse assistance de tous les milieux. Le prsident de la section de Belfort, M. Land'heur, inspecteur des enfants assists, avait ses cts, M. l'abb Meyer, vicaire Saint-Christophe, M. le parteur Ebersoll, et le rabbin Wolf. M. Bureau dmontre le fait dmon cratique existant d'une faon incontestable et l'impossibilit de revenir en arrire. Il dmontre que de l dcoule l'obligation, pour chaque citoyen rellement imprgn de l'esprit dmocratique, de savoir faire la diffrence entre l'intrt particulier et l'intrt gnral, et de savoir lui-mme, et par sa propre volont, faire passer l'intrt gnral avant l'intrt particulier, d'acqurir ainsi un sens social. C'est ce- qui manque notre socit contemporaine imprgne compltement d'egosme jouisseur. De l, dliquescence des institutions et des rgles morales. Chacun ne cherche que son bien-tre et le plus de jouissance possible, sans s'occuper de ses devoirs envers la socit. On a prconis trois moyens pour remdier cet tat de chose, l'instruction, la richesse, la science. M. Bureau les tudie tous trois et en montre l'inanit. On n'y arrivera que par Vidal moral, en cultivant dans chacun cet idal qui, ds lors, tablit l'galit en-
tre tous, et qui rsidera non pas chez le plus riche, ni chez le plus instruit, ni chez le plus beau, mais chez celui qui l'aura cultiv et lev au plus haut degr. L'assemble, trs impressionne par le raisonnement serr, logique, de M. Bureau et par sa parole ardente et convaincue, se retira persuade de la ncessit de se livrer l'apostolat de cet idal moral qui nous est si ncessaire. Il est l remarquer que, contrairement ce qu'on a pu voir ailleurs, aucun personnage officiel, prfet ou gnral-gouverneur, ne s'tait fait reprsenter. Mais, e n reproduisant le titre de cette confrence, la Croix l'avait ainsi libell : L'idal inoral et La Dmocratie . Le journal de M. Sangnier a estim que ces guillemets le compromettaient et a pri la Croix de les supprimer, pour ne relier l'idal moral propos par M. Bureau qu' une conception gnrale de la dmocratie. Ayant obtenu cette satisfaction, il exprime la sienne en ces, termes : La Croix d'hier soir a rectifi l'erreur typographique qu'elle avait commise dans son numro de la veille et que nous avons signale dans La Dmocratie. Par la mme occasion, elle nous dgage, comme nous le lui demandions, de cette polmique. Nous sommes heureux de lui donner acte de sa rectification dont nous la remercions. Que voil bien du Sangnier! De quelle pollmique se trouve-t-il dgag? Est-ce du fait d'avoir complaisamment donn ce compte rendu d'une confrence o sont exprimes ses thories les plus connues et les plus chres? Pour un peu, on l'attribuerait la Croix. Quant M. Paul Bureau, vritable victime de cette polmique , c'est videmment lui que s'adressent en premier lieu les rserves formules, et il est fcheux de voir qu'elles s e relient trop directement celles que les crits et l'action de ce professeur d'Institut catholique nous ont obligs plusieurs fois de formuler antrieurement. Et, pour le prsent, si l'on s'en rapporte au compte rendu de la Dmocratie, bien innocente d'ailleurs e n tout cela, il est pnible d'avoir constater que cette confrence rdite une thorie formellement rprouve par S. S. Pie X dans sa lettre sur le Sillon. Nous avons parl des manifestations oratoires que l'ancien chef du Sillon prodigue en ce moment. La Dmocratie du 1 4 juin, racontant celle de Toulouse, que nous avions annonce, dit : Nous avons not la prsence de professeurs de VUnioersit et de l'Institut catholique, beaucoup de prtres, des militants syndicalistes, des dames en trs grand nombre : auditoire en majorit trs sympathique et qui, plusieurs reprises, soutint Marc Sangnier de ses chaleureux applaudissements. Nous savons galement, de source sre, qu' la rcente confrence faite Lyon par M. Sangnier, s e remarquaient trente ou quarante abbs qui l'applaudissaient tout rompre.
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Le fait vaut la peine d'tre signal, quoiqu'il ne soit pas rare. On se demande ce que psent les recommandations pontificales. Il y a telle paroisse de la banlieue parisienne o l'on voyait affiche, dans le tambour de l'glise, le dimanche 11 juin, une confrence publique et contradictoire de M. Marc Sangnier sur Les catholiques et l'action sociale , qui devait se donner dans la ville; et le prdicateur, avant son prne, engagea les fidles s'y rendre nombreux. La Dmocratie nous a appris que la runion tait organise pour les uvres paroissiales de La Garenne-Coombes, et que M. Sangnier avait t invit par le cur la prsider. Ceux-l, seuls, qui ont envie de se laisser tromper, trouveront plausible, raison du sujet annonc, l'appui ainsi donn M. Marc Sangnier et prendront le change sur le but qu'il poursuit avec sa rouerie habituelle. Ceux qui n'ont pas envie d'tre dups une fois de plus le dmleront aisment. La situation est exactement celle-ci : d'unp part, l'ancien chef du Sillon reprend sous le nom, qui n'est mme pai? nouveau, de parti nouveau , son organisation judo-maonnioo-protestante, s i formellement rprouve par le Pape, en substituant simplement, par une quivoque grossire et purement verbale, l'enseigne Politique celle qui portait Civilisation nouvelle . De l'autre, et simultanment, il cherche s e refaire une virginit catholique, en rentrant, malgr une autre dfense non moins formelle, dans son apostolat moral et religieux, par des confrences comme celle sur le Catholicisme et l'Action sociale ou celle de Lyon sur le vrai terrain de la rconciliation nationale (1); ou celle qu'il a donne le 15 juin Paris sur l'Ecole devant l'Eglise et l'Etat avec de hauts patronages catholiques, avec l'adhsion de l'Action Librale et du (prsident de l'A. C. J. F. Je ne veux parler de scandale de l part do ceux qui l'aident faire son jeu. Mais le Saint-Pre est bien mal compris. Sans aborder la question aussi nettement que nous lo faisons ici, M. F. Veuillot, dans Wnivers, a justement relev ces deux faces de l'attitude de M. Sangnier et observ, qu'au lieu de venir traiter la question de l'Ecole devant lin auditoire catholique, il et plus courageusement fait de la porter devant le Congrs de jeunesse rpublicaine. Huit jours auparavant, M. Marc Sangnier avait pass quatre sances travailler pour la Rpublique , en compagnie de libres-penseurs et de pro1. Inutile d'observer que ce terrain est toujours le terrain dmocratique l'idal dmocratique , l'idal moral de la dmocratie . M. Sangnier A dbut en professant avec loquence sa soumission au Pape, alors que le terTAIN mme sur lequel il s'obstine porter la question est formellement dconseill par le Saint-Pre, et qu'il y est invitablement ramen renouveler ses erreurs condamnes. Il s'agit toujours de dgager cet lment moral , distinct et spar de l'lment religieux, o l'on se flatte de trouver un principe et. une force pour la dmocratie. Malgr la rprobation jdu Saint-Pre, l'orateur rpte dans cette confrence, aux applaudissements des ecclsiastiques prsents, que la Rvolution franaise, son origine, tait chrtienne et idaliste .
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
testants sectaires. Il avait voulu donner ce tmoignage ses amis politiques avant d'apporter son concours ses coreligionnaires catholiques. Or, durant ces quatre sances, il ne fit aucune illusion cette question scolaire, en faveur de laquelle il devait, huit jours plus tard, dployer tant de gnreuse ardeur. Il nous semble pourtant que c'tait bien le cas d'en parler. C'tait l'occasion d'expliquer ces anticlricaux, disposs l'entendre et frayer avec lui, ce que les caUoli.q'ues reprochent , l'Etat libre-penseur et ce qu'ils lui demandent. C'tait le moment de les interroger sur leurs penses relles et sur leurs intentions. Mais nonl Ce sujet primordial a t soigneusement tenu l'cart. Il s'agissait de politique, il n'tait pas question de religion. M. Sangnier, de feindre la surprise et presque l'indigation. Qui donc retarde l'union des catholiques? C'est le titre de sa rponse. Je n'y v e u x relever qu'une de ces stupfiantes contradictions auxquelles cet homme si habile est fatalement condamn et qui lui arrachent l'aveu du double jeu qu'il mne. Comment aurait-on pu nous reprocher de rentrer dans le genre d'action concerte entre catholiques, protestants et libres-penseurs en vue d'un relvement moral? En quoi, maintenant, ce Congrs rpublicain de la Jeunesse effarouche-til M. Franois Veuillot? En ceci : que je m'y suis rencontr avec des librespenseurs et que nous n'avons discut ensemble que des questions exclusivement -politiques. C'est vraiment n'y plus rien comprendre. Si nous avions tch de nous mettre d'accord au point de vue philosophique et moral avec des libres-penseurs, si nous avions essay d'laborer avec eux, sur ce terrain, un programme d'action commune, aussitt on nous aurait accus de reprendre d'anciens errements condamns et l'on nous aurait dit que nous ne pouvions nous rencontrer ainsi avec des incroyants que dans un but nettement prcis et tout fait en dehors des spculations d'ordre religieux* Or, voici justement qu'il s'agit de simples runions d'tudes sur l'Organisation politique et administrative de la France. De jeunes rpublicains de toutes nuances, depuis les plbiscitaires et les nationalistes jusqu'aux radicaux et aux socialistes, en passant par les progressistes, s'y rencontrent. Les sances se passent dans l'ordre le plus parfait. Aucune ' incursion n'est faite sur un terrain tranger Tordre du jour fix l'avance. II semble donc bien que, cette fois du moins, mille quivoque, nulle interprtation malveillante ne soient possibles... Or, M. Franois VeuiLlot ralise ce vritable prodige de trouver encore le moyen de me critiquer. Ce qu'il nous reproche celte fois, ce n'est plus de nous tre ml des non-catholiques pour une action sociale qui, par son ct moral et, par cela mme, religieux, pourrait paratre devoir rentrer sous la direction de l'Eglise, c'est, au contraire, d'avoir choisi un sujet de politique pure et de nous y tre maintenu . De cela, le Congrs de jeunesse rpublicaine tait donc bien innocent. Eh bienl passez, je ne dis pas l'article du lendemain, mais la colonne suivante du mme article : M. Franois Veuillot n'a qu'un droit, c'est celui de constater que cotte
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question de l'organisation politique et administrative de la Rpublique ne l'intresse pas. Aprs tout, nous nous en consolerons. Le directeur de l'Univers ne peut mme pas regretter que nous ayons, comme k dessein et par une sorte de lchet intellectuelle, cart les questions brlantes, puisque l'appel mme des organisateurs du Congrs indique que les jeunes rpublicains entendent se proccuper de la question sociale, de la question religieuse et de la question patriotique, et que, s'il y a, par la suite, de nouvelles runions, ce sont ces sujets-l qu'il importera d'aborder alors. Et cela n'a pas empch, cela n'empchera pas M. Sangnier affirmant ici que le Congrs s e proposait de traiter entre catholiques, juifs, protestants et libres-penseurs, la question sociale et religieuse, de protester qu'il n'en est rien et qu'il observe fidlement les prescriptions pontificales. L Tlgramme de Toulouse, dirig, comme on sait, par un ancien prsident rgional de l'A. C. J. F., et la fondation duquel l'autorit ecclsiastique s'effora d'intresser le clerg, rend compte de ces palabres (avec enthousiasme. Parlant du congrs de jeunesse laque, Paris, et du banquet qui le cltura, il dit : Le mme besoin d'idal, la mme inquitude, la mme certitude que de nouvelles questions se posent autour de la Rpublique et que les vieux cadres ont fait leur temps, avaient runi MM. P.-H. Loyson, directeur des Droits de l'Homme, Marc Sangnier, directeur de la Dmocratie, Antonelli et Henri Hertz, de la Dmocratie Sociale, Billecard, ancien prsident de la Fdration rpublicaine des tudiants , Grurin, vice-prsident de la Fdration des jeunesses rpublicaines patriotes , Vannoz, directeur des Annales de la Jeunesse Laque, Gaffroy, ancien prsident de la Ligue des tudiants nationalistes , le pasteur Edouard Soulier, l'abb Pacheu, etc.. Nous aurions vit d'accoler le nom de M. l'abb Pacheu du pasteur Soulier et de quelques autres, mais puisqu'il s'y voici, d'aprs La Dmocratie du 10 juin, le toast prononc Press par les convives de dire quelques mots, M. l'abb se lve... celui trouve, par lui. Pacheu
En France, dit-il, lorsque nous discutons dans les Chambres ou dans le pays, nous prouvons le besoin d'appuyer nos arguments, pour les rendre plus frappants, par des coups de triques. C'est un grand malheur que j'ai toujours (3eplor. Non pas que j'aie eu subir des violences. Lacordaire disait que sa robe blanche tait une libert; je pourrais dire, si je ne craignais d'tre trop tragique, que ma robe noire est une libert en deuil. Et j'espre que la Rpublique que vous tes en train de fonder, me permettra, un de vos prochains Congrs, de mettre un petit ruban plus joyeux ma robe noire que vous avez accueillie avec une telle sympathie cordiale; ce sera une rpublique libre et fraternelle o pourra se manifester la joie unanime d'un peuple vraiment libre. (Appt.) Si M. Hyacinthe Loyson veut me le permettre, je lui dirai que j'ai t trs agrablement surpris de l'entendre citer saint Ignace de Loyola. (On rit.) En effet, le premier mot des Exercices de saint Ignace de Loyola, qui vivait
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un'sicle o l'unanimit intellectuelle et religieuse tait rompue, est prcisment celui que M. Loyson a rappel : Ayez bien soin, disait-il, de prendre dans le bon sens la proposition de votre adversaire; c'est le seul moyen de discuter. Et M. l'abb Pacheu conclut : Appliquons le principe que vous avez nonc et que j'ai reconnu comme un principe qui nous est familier. N'est-ce pas lui, d'ailleurs, qui a inspir ce Congrs?.... Qu'allait-il faire dans cette galre?
THOSOPHES
Mme Annie Besant, prsidente gnrale de la Socit Thosophique, a quitt l'Amrique pour faire une grande tourne de confrences en Europe. Les lecteurs des. Infiltrations maonniques connaissent l'difiante biographie de la grande continuatrice de Mme Blavatzki et les doctrines de la secte (1). Le Thosphe du 1 juin jnous informait qfue Mme Besant faisait alors des confrences journellement presque, et souvent deux fois dans la marne journe, dans tous les comts d'Angleterre . Il indique plusieurs des sujets : Les changements physiques imminents . La naissance d'une religion mondiale Y . La venue d'un instructeur, du monde . Problmes sociologiques : Sacrifice ou Rvolution . Problmes religieux : Dogmatisme ou Mysticisme. ' Aujourd'hui Mine Annie Besant exerce son apostolat e n France. Elle tait ces jours derniers Paris. Elle y a donn le 15 juin une grande confrence publique, que devaient suivre d'autres runions nserves taux initis. La Sorbonne, qui- ferme jalousement ses portes tout annonciateur de la vrit catholique, les a ouvertes toutes grandes la prtresse des thosophes. .La presse lui a fait une large -publicit. Le sujet .annonc tait Le message de Giordano Bruno au monde actuel Il est bon de savoir que Mmie Besant se donne pour la rincarnation de ce hros. Comment n'avoir pas confiance dans le srieux et Ja valeur de son message? Au revers des cartes d'entre, j'ai lu :
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Objets
de la Socit
Thosophique.
1 Former le centre d'une Fraternit nouvelle dans l'humanit, sans distinction de race, de credo, de s e x e ou de couleur. 2 Encourager l'tude compare des religions, de la philosophie et des sciences. 3 Etudier les lois inexpliques de la nature et les pouvoirs latents dans l'homme. Mme Annie Besant a fait salle comble. Son discours n'aurait rien appris nos lecteurs; c'est 1. No du 1er septembre 1910, page 547. pourquoi
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nous nous bornons signaler cette triste campagne. Elle est une preuv e nouvelle de l'utilit de nos tudes.
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Lu dans la Libert vier. du 10 juin, propos de la mort de M. Rou-
M. Rouvier avait pous, en 1875, Mme Nomie Cadiot, qui tait un sculpteur et un peintre de talent en mme temps qu'un crivain connu, sous )e pseudonyme de Claude Vignon. Mme Claude Vignon tait plus ge que son mari; elle avait connu M. Ro;uvier dans les couloirs de la Chambre, o, pendant dix ans, elle fit la chronique parlementaire de l'Indpendance Belge. Mme Claude Vignon tait veuve en premire noces de l'ex-abb Constant, plus connu sous le nom d'Eliphas Lvi, qui s'intitulait : magicien, professeur de hautes sciences. Son deuxime mari avait un esprit plus pratique...
LE
BON A B B
LEMIRE
M. Lemire dput de gauche et aumnier du Bloc, continue difier la Chambre ses amis dclars et embarrasser ses amis cachs. Parlant, ces jours-ci, contre la R. P., il a fait une diversion contre les "catholiques. Nous citons l'Officiel. M. L E M I R E . . . Et parce qu'un autre parti serait plus idaliste, parce qu'il s'adresserait la conscience au lieu de s'adresser l'intrt, serait-il moins dangereux? Si on faisait appel ma conscience, pour constituer un parti auquel vous, Monsieur Jaurs, dans la commission du suffrage universel, avez donn plusieurs fois le nom tentateur, et mauvais, mon avis, de parti catholique , est-ce que vous avez imagin que moi, prtre, je me regarderais comme oblig d'entrer dans ce cadre factice que vous avez dcor d'une tiquette qui est un appel ma conscience, appel que je repousse de toute mon nergie, parce que je ne veux pas qu'on confonde la religion et la politique? (Vifs applaudissements gauche et l'extrme-gauche). M. Charles D A N I E L O U . Ceux qui vous applaudissent passent leur temps traiter les modrs, les libraux et les membres de la droite, de clricaux, parce qu'ils sont des catholiques (Bruit). M. L E M I R E . M. Danielou lui-mme me rend cette justice que lui in- fliger l'pithte de clrical, lui qui est au centre, on droite cela m'est gal (On rit) mais qui est catholique, c'est aller trop Join. Je n'admets pas que Ton inflige l'pithte de clrical un monarchiste, un imprialiste, un conservateur quelconque, pas plus qu' un libra) du oentre. Je le reconnais, il y a bien plus de catholiques de ce ct-l (la droite) que du vtre... Et encore, je n'en sais rien... (Rires et applaudissements gauche.) En tous cas, ceux de nos collgues, quelque parti qu'ils appartiennent, et, je le reconnais, il y en a dans tous les partis qui ont le souci de cette vieille religion chrtienne... (Rumeurs sur divers bancs gauche et au centre.) Oui', messieurs... qui a pntr la France d'un idal, tel
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que les socialistes, en cueillant les fruits d'or de leur doctrine, oublient que c'est l'Evangile qui les a ports... M . M I L L E . Il faudrait tout de mme vous mettre d'accord avec vos coreligionnaires. A droite. L'extrme-gauche n'applaudit plus. M. LEMIRE. Le catholicisme n'est pas un parti. L'esprit chrtien n'est pas le monopole d'un groupe. En tout cas, si de pareils qualificatifs ont pu tre adopts dans d'autres pays, je m'incline devant un fait local. Mais je me refuse l'imiter. J'ai trop confiance dans le sens droit et clair et dans la libre conscience de la France pour ne pas penser qu'elle cartera jamais cette confusion de deux ordres distincts. Si cette confusion tait cre pour le bnfice d'un parti catholique, les restes de christianisme qu'il y a dans nos campagnes seraient gravement compromis. J'aime trop ma religion pour ne pas le redouter. M. G R O U S S A U . Gomment! des restes du christianisme? Dans le pays que je reprsente, ce ne sont pas des restes de christianisme. Je proteste hautement (Applaudissements droite.) M. L E M I R E . M. Groussau m'interrompt et me dit : Dans un grand nombre do nos communes, ce ne sont pas des restes de christianisme qui subsistent, c'est un christianisme vivant. M. G R O U S S A U . Mais oui, monsieur l'abb. M. L E M I R K . Je le sais, mais si j'ai employ cette expression, c'est nrprcisment pour faire allusion ces coins de France dans lesquels on prtend que notre catholicisme est perdu. Je dis qu'il y reste encore vivant dans les murs et que, si on veut faire un parti catholique, on dmolira cette dernire survivance. M. Charles B E N O I S T . C'est mon avis. M. LEMIRE. Le parti catholique serait une tyrannh pour nous, croyants. Tous les partis, si vous leur donnez une reprsentation lgale, deviendront un danger semblable pour leurs adeptes. Je ne vous excepte pas, messieurs les socialistes. A l'heure actuelle, vous avez une situation trs belle dans le pays. Vous avez lanc l'ide de la proportionnelle en la prsentant comme l'expression de la justice. Vous avez votre service une organisation de combat, qui plat et est accepte. Mais, messieurs, aussi longtemps qu'on ne fait que livrer des batailles et qu'attaquer, toute organisation est bonne. Ce qui fait la force des socialistes, c'est que, de Marseille Lille, quand' ils vont la bataille lectorale ils y vont avec un drapeau et une ide. Parfaitement, messieurs, je ne vous dnie aucun de vos avantages. Ce qui fait encore la force des socialistes, c'est que partout o ils vont planter leur drapeau, ils recrutent immdiatement tous ceux qui ont au coeur l'envie de quelque chose de mieux, la haine d'une supriorit ou la souffrance d'un abus. Mais quand ce .parti sera unifi par le vote, au lieu de l'tre par la volont de ses membres, ne deviendra-t-il pas un joug? Et ce joug des masses proltariennes ne sera-t-il pas pesant comme d'autres? C'est donc parce que je redoute le joug des partis "pour la libert de l'lu, que je ne veux pas du scrutin, des partis. Et c'est devant le Bloc que M. Lemire a trouv heureux de faire cette diversion. Il a pens qu'il avait bien le droit, comme dput, de profrer les inepties dont rougirait u n lve de sminaire.
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(suite)
SEMAINE
RELIGIEUSE
ET
KERMESSE
Notre dernier numro a relat la multiple rclame faite par la Semaine religieuse d'Agen certaine reprsentation thtrale au profit des uvres catholiques. Aux apprciations qu'elle nous a suggres taient jointes celles d'un correspondant agenais. Ces critiques ont vivement dplu au directeur de la dite Semaine religieuse. Il a voulu nous lo faire sentir. Malgr sa prtention de conserver sa lettre le caractre d'une admonestation secrte, nous n'hsitons pas l'insrer, l aura ainsi la satisfaction de nous avoir confondu publiquement dans la mesure de ses moyens. Elle ne contient rien qui ne prtende se rapporter ce que nous avons crit. Puis donc que cela appelait une rponse, celle-ci ne doit avoir aucune raison de se cacher. Pour nous, qu'elle ne gne point, nous n'entendons pas nous prter ce jeu innocent qui, en faisant au contradicteur une obligation du secret, permet de dire autour de soi qu'il a reu une leon dont il ne se vantera pas. Et si les durets , qu' dfaut de toute bonne raison ou justification, M. le vicaire' gnral Lespinassc tire d'un arsenal bien connu, paraissent nos lecteurs choquantes et malavises, ils comprendront qu'il ne nous convienne pas de les accepter, non plus que ces violences sans dignit, ni, surtout, d'y laisser joindre des imputations fausses. Tout ici peut et doit se passer au grand . jour. Voici cette lettre: Agen, le 19 juin 1911. Monsieur l'Abb, Un de jeunes prtres, me honnte, droite et foncirement sacerdotale, m'a signal avec motion votre article du 15 juin : Semaine religieuse et Kermesse . Il contient, me disait-il, contre la crmonie de Saint-Caprais, contre la mmoire de M. de Falloux, contre la dernire Vente-Kermesse et la Semaine Catholique, contre Mgr l'Evque et contre vous, des attaques trs perfides et trs venimeuses. On y cite une correspondance agenaisc, pleine de fiel. C'est trs canaille. (Ohl L'me honnte 1) Je me suis procur votre numro du 15 juin. Je l'ai lu, je l'ai mis sous les yeux de Mgr l'Evque. Nous en sommes profondment curs. C'est sous mon patronage, Monsieur l'Abb, que s'est organise la VenteKermesse. Je couvre de mon autorit mes collaborateurs. Le dignitaire vis par votre correspondant, c'est moi. Le directeur de la Semaine Catholique, c'est moi. L'auteur de l'article incrimin, c'est moi. C'est Mgr l'Evque qui a fait clbrer dans son collge diocsain de Saint-Caprais une' Messe pour M de Falloux. Nous n'avons pas nous justifier devant vous, n'tant pas vos justiciables. Mais nous avons le droit de vous demander compte du triste travail de dnigrement que vous venez accomplir chez nous. Votre correspondant agenais mlant habilement les mensonges aux vrits, prsentant celles-ci sous des aspects perfides, censurant ses suprieurs avec aigreur et venin, a commis une mauvaise action. Nous avons le droit de vous demander compte de votre imprudente complicit. Je conois que vous discutiez les ides gnrales. Celles que vous paraissez
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soutenir ont t les miennes depuis toujours. Je conois des articles comme celui de M. Lecigne dont j'honore le caractre et le talent, encore que cette fois, mon avis, il passe la mesure et blesse la justice. Mais enfin, en histoire, on a la libert de ses jugements. Les morts et leurs uvres appartiennent la discussion. Mais nous, sur des incidents locaux dont le caractre et la porte vous chappent, quel titre vous permettez-vous de nous juger et de nous condamner en public, devant nos subordonns, parmi lesquels il peut y avoir ds jaloux et des aigris? Vous ne m'avez pas mme adress le numro de votre "Revue o vous me diffamez : c'est de la dloyaut. Vous n'avez pas recul devant le souvenir des polmiques o vous avez heurt jadis, dans le Bien du Peuple, Mgr l'vque d'Agen . voua semblez poursuivre une vieille rancune et une vieille vengeance. Vous instituez autour de nous une sorte de police occulte; c'est l'abominable systme de la dlation et des fiches. Vous prtez votre Revue comme un abri un mauvais soldat, pour qu'il y gote la triste joie de tirer sur ses chefs; c'est la prime la trahison. Et tout cela se rpand autour de no-usl Et le rsultat c'est de dconcerter les uns, d'aviver la mauvaise joie des autres, de fomenter la discorde et l'indiscipline, de saper l'autorit. C'est de la vilaine besogne, Monsieur l'Abb. Je vous dis des choses dures : j'en conviens. Flicitez-vous que je ne vous les dise pas en public, et dans ma Semaine Catholique que vous avez vilipende. Mais je ne suis pas de ceux qui donnent aux catholiques cette douleur, aux adversaires cette satisfaction, tous ce scandale de nos querelles anmiantes. Je garderai le silence. Je ne vous oblige pas publier cette lettre. Je vous l'interdis mme, ne voulant pas de polmiques. Le travail odieux du venimeux termite se continuera par vous, autour de moi, contre moi : je m'y rsignerai. Que Dieu vous pardonne, comme je vous pardonne, Monsieur l'abb. C'est la prire et le vu de ma fraternelle charit.
J. L E S P I N A S S E , V. G.
Constatons, tout d'abord, que cette lettre ne dment, n rectifie, ne justifie rien de ce qui a fait l'objet de nos critiques ou de celles de notre correspondant. Mais elle contient des accusations outrageusement faJusses. Il est faux je m'excuse d'employer le seul terme exact, mais ici tout autre serait trop faible il est absolument faux que nos critiques aient contenu aucune attaque contre Mgr l'Evque d'Agen. S'il y a ici quelque chose de perfide et de venimeux ce n'est pas sous notre plume. Serait-ce la citation relative au service pour le centenaire de M. de Falloux o l'on voit ces attaques? Elle est emprunte la Semaine religieuse clle-mmo, sans un seul mot de commentaire. S'il y avait inconvnient attirer l'attention sur le fait, pourquoi en a-t-elle parl? Il est faux, absolument faux, le lecteur peut encore en juger que ce que j'ai crit contienne l'allusion, mme la plus lointaine, aux polmiques o j'aurais heurt jadis dans le Bien du Peuple Monseigneur l'vque d'Agen ; et il est d'ailleurs galement faux que le prlat ait t ml par moi cette polmique, quoique M. l'abb Olgivolski, directeur du Bien du Peuple, qui j'en avais pour ses attaques contre moi, ait tout fait pour substituer son vque sa
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personne discutable, en intitulant avec fracas ses rponses : M. l'abb Barbier contre l'vque d'Agen. M. l'abb Lespinasse renouvelle ici la mme tactique. Je lui en laisse la responsabilit. C'est lui qui, comme son confrre, compromet une haute autorit qu'il aurait d prendre soin de ne point faire intervenir. C'est lui qui ramne sur le tapis cette polmique antrieure la fondation de cette revue; en quoi il est peut-tre mal avis. Je suis tout prt, pour ma part, taler de nouveau les pices du dbat. C'est une page qui aurait encore son actualit pour l'histoire de l'esprit moderniste. Et je crois que ceux qui me contredirent alors hsiteraient le faire aujourd'hui. Quant s a personne, j'ignorais qu'il ft directeur de la Semaine religieuse et ne me suis point enquis du nom, qui ne fait rien la chose, .si ce n'est pour le jeune premier rle , la forte jeune premire et la mre noble , qui trouveront plus savoureux les compliments venant de M. le Vicaire Gnral en personne. Il couvre de son autorit ses collaborateurs. En l'espce, il importe peu, puisqu'il est lui-mme l'auteur. Mais, si l'on veut nous dire que tout ce qui parat dans une Semaine religieuse doit tre pris comme ayant la sanction de l'autorit ecclsiastique, nous nous permettons de penser que ce serait faux en droit, et, en fait, compromettant pour elle Et que viennent faire ici la police occulte , la dlation et les fiches , quand il s'agit tout simplement de ce qui est imprim dans l a Semaine religieuse? M. Lespinasse vide sans utilit l'arsenal. Reste l e fait d'avoir vilipend la Semaine religieuse d'Agen. Je ne m e sens point coupable d'un forfait si atroce. Mais, enfin, je m e suis permis une critique; un correspondant local a exprim les siennes. Cela est vrai. Je ne cros pas que les morts seuls et leurs uvres appartiennent la discussion. Si M. Lespinasse avait lo temps de lire notre numro du 1 juillet 1910, qui forme une brochure sur les droits de la critique catholique, il y trouverait, j'ose m'en flatter, l a justification de la complicit dont il me demande compte. Ce n'est pas seulement en histoire, ni seulement dans la discussion des ides gnrales, que la critique a la libert de ses jugements. De cette libert, qui s'exerce non .moins sur les faits actuels, elle use ses risques et prils. Elle y puise le droit d'mettre ses apprciations pour clairer l'opinion catholique, en ayant soin de les baser sur des faits exacts, comme dans le cas prsent, mais elle laisse ensuite ceux qui ont l'autorit en main le rle qui consiste juger et condamner . Il est arriv plus d'une fois, dans l'histoire, et aussi dans le prsent, que le jugement et la condamnation, quand l'Eglise les a estims opportuns, confirmaient exactement les dires de cette malheureuse critique, vilipende paT d'excellents catholiques, lacs o u prtres.
e r
Inutile d'insister sur le reste et de rpondre aux amnits par lesquelles se traduit la fraternelle charit de son auteur. J'en ai
4.b2
LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCiAL
assez dit pour faire sentir, sinon M. l'abb Lespinasse, du moins tout lecteur impartial, qui aurait le droit en cette affaire de se dire cur . E. B.
AGITATION LIBRALE
On lisait ces jours-ci dans la correspondance habituellement bien informe que M. Oscar Havard rdige pour la presse conservatrice : Un de mes amis me communique d'intressantes nouvelles de Rome. 11 parat que le parti libral se remue de nouveau et se groupe autour de Rampolla. Un certain nombre de membres du Sacr-Collge ne- cacheraient pas l'espoir qu'ils ont d'assister un prochain revirement de la politique pontificale. On conseillerait Pie X de faire des avances la Rpublique et de remettre en honneur les pratiques diplomatiques de Lon XIII. L'intransigeance serait tenue pour une grave imprudence et une rare maladresse; il serait question d'obtenir du pape une dmonstration favorabe au rgime. Sur quoi reposent exactement ces bruits? Nous ne saurions le dire avec certitude. Ce qui n'est pas douteux, c'est que l'agitation librale ne se donne pas de rpit. Elle travaille sourdement, mais avec persvrance et tnacit. Le but est toujours le mme : arriver peser sur l'esprit du Saint-Pre, l'amener compter avec le? tendances librales qu'on s'efforce de lui reprsenter comme irrsistibles, obtenir de lui quelque signe de faveur pour la politique librale et le dcider entrer en conciliation avec notre gouvernement sectaire. Nos informations personnelles nous permettent cependant d'ajouter un fait prcis celles de M. Havard. Partant on ne sait d'o, ou plutt on le devine trop bien, arrivent frquemment de France Rome et au Vatican, depuis quelques mois, des bruits de dsaffection croissante des catholiques et du clerg franais l'gard de S. S. Pie X. Misrable et menteuse intrigue! Ces hommes ne craignent pas de spculer sur les angoisses intimes du Pre commun des fidles, ils travaillent les exciter, dans l'espoir d'branler sa fermet invincible et d'influencer ses dterminations dans les choix piscopaux, dans les directions donnes aux catholiques. Ils trompent le Pape et son entourage. En dpit de toutes les menes librales, en dpit des progrs considrables, effrayants sous ecrtain^ aspects, que le libralisme a accomplis en France depuis un certain nombre d'annes la faveur des circonstances, l'esprit catholique franais est et demande un esprit romain. Ce magnifique rsultat de l'admirable gouvernement de Pie IX second par Jes grands hommes d'Eglise que notre pays possdait alors, montre ce qu'opre l'intrpide affirmation de la vrit catholique dans un peuple prdestin par la Providence en tre le plus fidle instrument parmi les nations. Et ce rsultat est un grand enseignement. Le vritable esprit de gouvernement ne varie pas avec les pays. Il consiste partout s'appuyer sur ses amis, plus -qu' ne pas mcontenter les timides et les adversaires. La magnanime fermet de Pie X a renouvel l'exemple
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de Pic IX. Alors que rien ne semblait plus pouvoir endiguer le flot de plus en plus tumultueux de ce- libralisme qui, aprs avoir triomph en politique, envahissait le sanctuaire de la foi et celui de l'Eglise, garant les consciences aprs les avoir abaisses tout genre de concessions, l'clat de la parole pontificale les a ramenes comme sans effort la saine notion de la constitution de l'Eglise, la puret de sa doctrine, au sentiment de leurs droits et de leurs devoirs. Car sa parole est accepte avec une soumission entire, avec une enthousiaste et croissante reconnaissance par la masse, la grande masse des catholiques franais. Voil la vrit. "Il y a des oppositions et des rsistances, on ne dira pas que nous sommes de ceux qui les dissimulent. Elles sont un danger. Mais cette opposition et ces rsistances, bien loin d'exprimer une disposition gnrale, trahissent seulement l'effort d'une coterie. Chez un assez bon nombre, d'ailleurs, elles portent sur des points relativement secondaires, tels que la politique et la direction de l'action sociale, et sont pour ainsi dire inconscientes, venant d'hommes qui entendent sincrement ne pas manquer de fidlit l'Eglise et a son Chef. On peut mme affirmer que, sur ces divers points, comme sur d autres plus importants, tels, par exemple, que la Sparation de l'Eglise et de f'Etat, le ralliement se serait fait plus unanime et plus empress autour du Saint-Sige, si la bruyante agitation librale ne lui avait fait juger meilleur de ne prononcer l'oracle dfinitif qu'aprs de longs mnagements destins y prparer peu peu l'opinion, dt-elle s'nerver de l'attente et faire croire des hsitations qui rendaient l'erreur plausible.
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Le Pape connat l'heure de Dieu. II a montr plus d'une fois que rien ne saurait l'arrter quand elle sonne. L'exprience a appris, elle apprendra peut-tre encore aux libraux qu'il est difficile de la faire rtrograder.
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La correspondance Havard poursuit en mentionnant un autre bruit. Autre chose Vous n'ignorez pas que d'autres dmarches ont t faites dans le but d'obtenir le chapeau en faveur d'un prlat qui occupe un sige minent entre tous. En principe, il avait t convenu que la pourpre cardinalice serait accorde ce prlat enclin, diton, aux tractations tractations honorables d'ailleurs avec le pouvoir civil. Mais un ajournement avait paru ncessaire. Aujourd'hui, les dlais de rigueur semblent la veille d'expirer. Le chapeau sera donc prochainement confr. Faudra-t-il voir dans ces faits le prodrome d'une orientation nouvelle? Plusieurs le disent. Mais il est sage d'attendre. Je me demande comment une politique concordataire pourrait se concilier avec les tendances d'un cabinet o figure le citoyen Steeg. Nous n'avons, cela va sans dire, aucune apprciation mettre sur un tel sujet, si c e n'est pour faire une rserve sur les tendances prtes Mgr l'archevque de Paris et sur le rapport de cette information avec la prcdente. Mais, puisque la question est remise
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sur le tapis, il ne sera pas sans intrt de rappeler titre de document un article de M. de Narfon dans le Figaro (11 janvier 1909). Il .avait pour titre : Le chapeau de Mgr Amette . On -ne sait pas encore cruelle date le Pape tiendra un consistoire ni - quels archevques ou vques il y donnera le chapeau. Toutefois les vides nombreux que la mort a faits rcemment dans le Sacr-Collge permettent de penser que le Souverain Pontife ne tardera plus beaucoup crer des cardinaux. Plusieurs de nos confrres, qui en jugeaient sans .doutei d'aprs le dsir peu prs unanime de l'piscopat franais, ayant cru pouvoir annoncer cpie Mgr Amette, archevque de Paris, et Mgr de Cabrires, vque de Montpellier, seraient certainement compris dans les prochaines crations cardinalices, le Vatican s'est empress de dclarer que rien n'tait dcid cet gard. Aussi bien les intentions de Rome en cette matire sont-elles naturellement subordonnes de changeantes opportunits. Or, puisqu'il s'agit d'opportunit, on peut du moins faire remarquer quel point les circonstances actuelles commandent en quelque sorte l'lvation la pourpre romaine de l'archevque de Paris. Je suis-en mesure d'affirmer que le cardinal Lecot, la veille d'accomplir ce voyage ad limina d'o il devait revenir dans un cercueil, avait le dessein de s'en expliquer respectueusement, mais instamment, avec le Saint-PTe et que ce fut mme l l'une des principales raisons de son dpart pour Rome, ainsi qu'il le donna entendre assez clairement plusieurs personnes de son intimit pendant le dernier et trs bref sjour qu'il fit Paris. Donc le cardinal Lecot se proposait d'exposer au Pape qu'en rgime de sparation il semble convenable que l'archevque de Paris soit d'une certaine manire le chef de VEglise de France, ou si l'on veut l'intermdiaire autoris, officiel, entre le Saint-Sige et les autres membres de l'piscopat Lorsque le Pape a des instructions donner aux vques de France, et cela arrive frquemment c'est l'archevque de Paris qu'il les envoie gnralement, et en tout cas normalement, avec mission de les communiquer aux titulaires des divers diocses. Cette mission mme, en tant qu'elle est fonde sur la situation politique de la capitale, implique chez celui qui en est rgulirement investi une sorte de prvmatie sur ses collgues; et surtout elle rclame que nul d'entre eux ne lui soit hirarchiquement suprieur. D'autres archevques ou de simples vques tant cardinaux et l'archevque de Paris ne l'tant pas, il en rsulte une situation fausse pour celui-ci et ponir ceux-l. Cette situation devient fort gnante quand l'archevque de Paris assiste avec quelqu'un d'entre eux une crmonie religieuse, puisqu'il se trouve oblig de lui cder le pas, oommte il est arriv en dernier lieu aux funrailles de Bordeaux. Elle serait encore moins tolrable si le Pape daignait permettre l'piscopat franais de se runir en assemble plnire, car l'archevque de Paris y occuperait donc 'une place, conforme sans doute son rang dans la hirarchie, mais nanmoins fort ingale sa qualit, sa dignit relle. Voil les considrations que le cardinal Lecot se proposait de faire valoir au Souverain-Pontife, indpendamment des mrites personnels, universellement reconnus, de Mgr Amette, et de l'importance historique du sige de Saint-Denis. A-t-il ralis ce dessein? Je le pense. A-t-il russi convaincre Pie X? Je l'ignore.
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Le cardinal Lecot, qui parlait volontiers, tait en effet parti pour Rome en dclarant qu'il en rapporterait le chapeau de Mgr Amette. Ce ne. fut pas dit-on, la seule dception q*ui l'y attendait. On peu{
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penser que le Saint-Sige n'apprcia pas l'opportunit des motifs qu'il s'tait charg de faire valoir. Et il est croire qu'ils n'entreront gure davantage dans la dtermination qui raliserait prochainement le v u qu'il prsentait.
L E S E X C L U S I O N S D E L'A. C. J. F.
Encore un tmoignage que je n'ai point t chercher, qui m'est envoy spontanment, mais qui arrive point, il faut l'avouer, aprs l'article qu'on a lu plus haut. La lettre qui l'apporte tout la dernire heure est date du 27 juin. Elle vient du diocse de Sens et est relative au cas d'un jeune homme nomm M. Martinet, exclu du patronage catholique d'Auxerre. L'honorable correspondant de qui elle mane me pardonnera certainement de le nommer. C'est M. le comte Canchy, l'un des plus dvous et des plus gnreux soutiens de l'a cause catholique dans ce diocse. Sa lettre rend compte d'une dmarche faite par lui prs des directeurs du patronage au sujet de cette mesure, et voici comment il en rapporte l e rsultat. J'ai t reu e n compagnie du jeune homme exclu pour politique par le directeur du patronage et par l'archiprtre de la cathdrale, agis-' sant comme son suprieur hirarchique. (Le directeur du patronage est vicaire de la cathdrale d'Auxerre). Le rsultat de l'entrevue a t dfinitif. Je n'ai pas eu faire de distinctions de temps ni de lieux, ni de spcifications de personnes. L'-archiprtre m'a dit ceci :
1
M. Martinet n'a pas t exclu, il s'est mis dans- le cas de l'tre conformment nos rglements. Cette exclusion n'a rien de personnel, au contraire. Nous aimons et estimons M. Martinet. Mais les rglements de l'Association Catholique de la Jeunesse .Franaise dont nous faisons partie, rglements, nous communiqus par M. Hardy, prsident de l'Association dans l'Yonne, interdissent aux membres de faire de la politique quelle qu'elle soit, mme exclusivement en dehors du patronage sous peine d'exclusion. M. Martinet n'en a fait qu'en dehors du patronage, mais cela engage toute la Jeunesse catholique, et nous ne pouvons le supporter. Du reste, nous nous en rfrons la Semaine religieuse du diocse et la lettre du Pape M. Gerlier. Nous sommes ien communion d'ides avec notre archevque et Rome. Que veut-on de plus complet et de plus dcisif?
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Nos abonns doivent trouver, encart dans le prsent fascicule, l'index alphabtique du tome V.
Le Grant : G. S T O F F E L
IMP. DSOLE, DE BROU WER ET C, 41, BUE DU METZ, LILLE. 8.875
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Afin d'viter les complications d'adresser de correspondance se procurer leur
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UNE
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H I S T O I R E A N C I E N N E D L ' E G L I S E '<*)
III. LES APTRES SAINT PIERRE A ROME LES CROYANCES ET LA VIE CHRTIENNE. LE CULTE
Le portrait que Mgr Duchesne trace des aptres n'est pas prcisment trs flatt. Rests entre eux, les vieux conservateurs n'avaient pu que renforcer leurs tendances. Ils avaient pour chef Jacques, frre du Seigneur , qui dj, du temps des aptres, jouissait d'une grande considration et gouvernait avec eux l'glise locale. C'tait un homme d'une saintet reconnue, d'une pit profonde, mais trs attach aux coutumes juives et peu dispos transiger sur leur caractre obligatoire. Dans son entourage, les hardiesses de Paul avaient t subies plutt qu'acceptes. C'tait de l qu'taient sorties les inspirations qui divisrent .momentanment la chrtient d'Antioche et mirent Pierre et Paul aux prises. De l aussi partirent divers missaires qui, suivant les traces de Paul en Asie-Mineure et en Grce, entreprirent de ramener au judasme strict les paens ou proslytes convertis par lui, de leur imposer la circoncision et pour en arriver l, de dconsidrer personnellement l'aptre des gentils (2). Voil donc un aptre prsent comme intransigeant sur le caractre obligatoire de ces coutumes juives, dont saint Paul proclame l'inutilit. Et Mgr Duchesne a tout l'air de rendre saint Jacques respon-. sable des entraves apportes par les judasants au ministre du Docteur des Gentils. Or, les Actes, qui signalent le fanatisme des vieux conservateurs juifs, ne disent nulle part que saint Jacques les ait approuvs. Tout au contraire, dans le discours qu'il prononce au Concile de Jrusalem, il ne rserve de la Loi ancienne que certains points dont l'abandon prmatur aurait pu maldifier; mais la circoncision est formellement abroge : < Frres, Simon a racont comment Dieu, tout d'abord, a pris c soin do tirer du milieu des Gentils un peuple qui portt son nom... C'est pourquoi je suis d'avis qu'il ne faut pas inquiter ceux d'entre les Gentils qui se convertissent Dieu. Qu'on leur crive seulement qu'ils ont s'abstenir des souillures des idoles, de l'impuret, des viandes touffes et du sang (3). Lorsque saint Paul revint de sa troisime mission, il se rendit chez Jacques et tous les Anciens s'y runirent. Aprs les avoir em1
1. Voir les numros du l* et 15 juin 1911. 2. Pp. 28, 29. 3. Acl, XV, 14, 19'.
On tique du libralisme. 15 Juillet. I
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brasss, il raconta en dtail tout ce que Dieu avait fait parmi les Gentils par son ministre. Ce qu'ayant -entendu, ils glorifirent Dieu ( 1 ) . Puis, ils lui dirent : Tu vois, frre, combien de milliers de Juifs ont cru et tous sont zls pour la loi. Or-, ils ont entendu dire de toi que tu enseignes aux Juifs de ne pas circoncire leurs enfants et de ne pas se conformer aux coutumes... Quant aux Gentils qui ont cru, nous leur avons crit, aprs avoir dcid qu'ils n'ont rien de pareil observer, sauf qu'ils doivent s'abstenir des viandes offertes aux idoles, du sang des animaux touffs et de l'impuret (2). Par o Ton voit que Mgr Duchesne a une manire de traduire les Actes des Aptres qui n'en est que le travestissement.
*
Il continue : Pour dissiper ces bruits il n'y avait qu'une chose faire, " c'tait de prouvei par une dmonstration clatante, qu'il (saint Paul) avait t calomni et qu'il tait toujours un fidle observateur de la Loi. Paul, qui avait pour principe de se faire tout tous, accepta cette solution. Il se joignit quatre fidles qui avaient fait le vce.u des nazirs, se fit raser la tte, s e soumit en leur compagnie aux purifications rituelles et commena avec eux, dans l'enceinte du Temple, une srie d'exercices spciaux... Ceux des derviches tourneurs, peut-tre? Leur dure tait de sept jours; ils se terminaient par un sacrifice. L'auteur de l'ptre aux Romains, aprs avoir, d'un ton si dcid, pris cong de la Loi, la sentait de nouveau peser sur ses paules rebelles .(3). C'est parler avec une dsinvolture de mauvais got de celui que le Sauveur appelait un Vase d'lection , de l'aptre ravi en extase au troisime ciel et disant de lui-mme : Ce n'est plus moi qui v i s ; c'est le Christ qui vit en moi... Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jsus-Christ. * La scne, qui tourne au comique sous la plume malicieuse de l'crivain, n'a pas du tout ce caractre dans le texte inspir. Les Anciens, apr3 avoir glorifi Dieu avec l'aptre de ses succs, lui demandent d faire, pour le bien de la paix, un grand acte d'humilit et de charit. Ces pratiques, dont ils reconnaissent avec lui l'inutilit, qu'il veuille bien s'y soumettre pour viter un scandale. Sans hsiter il accepte. En quoi il demeure fidle aux maximes nonces dans cette Eptre aux Romains que Mgr Duchesne lui oppose. Jugez, y disait-il, qu'il ne faut rien faire qui soit pour votre frre une pierre d'achoppement ou une occasion de chute. Je sais /rue rien n'est impur en soi ; nanmoins, si quelqu'un estime qu'une chose est impure; elle l'est pour lui. Or, 1. AcU XXI, 18, 20. 2.
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si pour un aliment tu contristes ton frre, tu ne marches plus selon la charit... Recherchons donc ce qui contribue la paix et l'di* fication mutuelle. Garde-toi, pour un aliment, de dtruire l'uvre de Dieu (1)... Nous devons, nous qui sommes forts, supporter les faiblesses de ceux qui ne le sont pas... Que chacun de nous cherche complaire au prochain pour le bien, afin de l'difier (2). Dans sa premire Eptre aux Corinthiens, il avait profess la mme doctrine: Libre l'gard de tous, je me fais le serviteur de tous pour gagner plus de personnes. J'ai vcu la juive parmi les juifs, pour gagner les juifs ; avec ceux qui sont sous laXoi je me suis soumis la Loi, quoique je n'y fusse plus assujetti (3).
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Saint Paul reste donc, en cette circonstance, admirablement consquent avec ses principes et avec son pass. N'est-ce pas obscurcir indignement son aurole, que de nous le prsenter comme un docteur qui dtruit ce qu'il enseigne, ou connile une sorte d'opportuniste qui, pour se tirer d'un mauvais pas, accepte de se prter une ridicule comdie ?
Saint Pierre joue un rle bien effac dans l'uvre de Mgr Duchesne. Alors que les premiers chapitres des Actes mettent sa personnalit et mme sa primaut en un si vigoureux relief, l'auteur le tient, d'une faon un peu trop systmatique, dans cette ombre discrte o l'Evangile ia laiss saint Joseph. Quand ce pauvre Pierre merge du rcit, ce n'est gnralement pas son javantage : Son exemple entrana beaucoup de dfections: Barnabe lui-mme se spara du compagnon de ses travaux apostoliques. Mais Paul ne s'abandonna pas. Il rsista en face au grand chef des fidles et lui reprochai en termes assez durs, l'inconsquence de son attitude. On ne saurait dire quelle fut l'isstae immdiate et locale de ce conflit. Une chose est certaine, c'est que les ides de Paul finirent par prvaloir dans l'organisation des socits chrtiennes (4). Cela, e n soi, est exact; mais^ comme l'historien n'a pas eu soin de nous montrer saint Pierre ralliant ses ides lui l'assemble ds Aptres et des Anciens, divise sur la question de principe (5), n'estil pa3 craindre que ces mots : les ides de saint Paul finirent par prvaloir ne prtent une fcheuse quivoque? Le sjour du chef des Aptres .dans la capitale de l'Empire est premptoirement prouv; toutefois, on ne sait pas trop quel titre saint Pierre s'est trouv l. Le fait d'avoir t les derniers disciples immdiats de saint Pierre constitua pour les Romains une prrogative importante (6)... La suc1. Rom., XIV. 2. Ib. XV. 3. 1 Cor., IX. 4. Page 25. 5. Act., XV. 6. P. 65.
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cession des vques de Rome... se rattache aux aptres Pierre et Paul... A Rome, elle tait si bien connue qu'elle servait dater les vnements (1)... L'Eglise de Rome pouvait avoir hrit collgialement de l'autorit suprieure de ses fondateurs apostoliques (2)... Dan.s tout cela, rien n'indique que saint Pierre ait t vritablement et danri la rigueur des termes, voque de Rome : il aurait t l'aptre des Romains, comme il le fut des chrtiens du Pont et de la Bithynio (3); s'il a t le fondateur de leur Eglise, il partage cette gloire avec saint Paul, ce qui, prsent sans explication, est de nature drouter | e lecteur catholique. On m e rpondra que la page 61 met les choses au point : Ds le III sicle, -on voit les papes argumenter de leur qualit de successeurs de saint Pierre; nulle part, ce titre ne leur est contest. Pour toute la chrtient, aussitt que l'attention est veille sur les souvenirs apostoliques et sur les droits qui s'y rattachent, l'Eglise de Rome est l'Eglise de saint Pierre. Mais il saute aux yeux qu'il y a dans l'argumentation de ces ]>apes une prtention incompatible avec le fait d'une autorit transmise tout un collge par les deux co-fondatenirs de l'Eglise Romaine. Si l'attention de la chrtient ne s'veilla sur ce point que deux sicles aprs l'vnement, quel crdit mrite-t-elle ?
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Du reste, cette concession dj insuffisante, Mgr Duchesne la dmolira de ses propres mains dans son deuxime volume : S'il y avait eu, dans l'Eglise du IV sicle, une autorit centrale, reconnue et agissante, elle aurait offert un moyen de solution. Mais il n'en tait pas ainsi... S e mettre du ct o est l'Eglise romaine? Il et fallu pour cela qu'il y et ce sujet une tradition, une habitude; que Ton ft accoutum voir l'Eglise romaine intervenir en ces affaires. En fait, il y avait assez longtemps qu'on n'entendait plus par 1er d'elle e n Orient... Il n'y avait pas l un pouvoir directeur, "une expressioiv efficace de l'unit chrtienne. La papaut, telle que VOccident la connut plus tard, tait encore natre (4).
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A la page 545 de ce mme tome second, le pape Anastase et Simplicien, voque de Milan, sont appels les deux primats italiens .
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Tout cela coule de la mme source, je veux dire de la position prise par Mgr Duchesne relativement la venue de saint Pierre Rome. Je confesse humblement que, sur ce point, j'ai commenc par tre de l'avis de l'auteur; j'ai cru que la tradition des annes de Pierre tait mal fonde et ce sont les consquences d'ordre thologique du problme qui m'ont ouvert les yeux. J'ai donc repris la thse pour 1. Page 92. 2. Page 95. 3. I Tetri, I. 4. II, p. 660-1.
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l'tudier plus fond. On reconnatra qu'elle a son importance. Cet examen, que je ramnerai ses lignes essentielles aura pour avantage de montrer que rminent historien ne tient pas tirer des "documents qu'il compulse des conclusions qui rjouiraient l'orthodoxie. La tradition qui fait arriver saint Pierre une premire fois dans la Ville Eternelle entre 39 et 42, repose, comme on le sait, sur deux documents crits du IV sicle : d'une part, pour l'Orient, la Chronique et VHistoire ecclsiastique d'Eusbe; de l'autre, pour l'Occident, le catalogue librien. M. Harnack (1) suppose que la source o a puis Eusbe est la Chronographie de Jules l'Africain (2). De fait, Eusbe la cite plusieurs fois (3) et il en loue l'exactitude (4). Or, cette Chronographie, rdige apparemment peu aprs Tanne 221, assigne comme dure de l'piacopat romain de saint Pierre l'intervalle entre 39 et 64, soit 25 ans. Quant au catalogue dress par ordre dm pape Libre, il n'est qu'une reproduction revue et augmente du jy>oyistwv d'Hippolyte, compos vers 235 (5) et qui renferme les mmes donnes concernant l'piscopat du prince des .aptres. Voil, on ne saurait le nier, une tradition fort respectable : elle remonte a u dbut du troisime sicle et on la rencontre la fois e n Orient et Rome, deux milieux minemment conservateurs. Srement, Jules l'Africain et Hippolyte ont appuy leurs indications sur des documents parfaitement connus; ils ont eu leur disposition une liste de pontifes romains contenant la date de leur piscopat, puisque leur liste eux la rapporte. Prcisment, l'existence d e cette liste se dduit de diffrents passages de Tertullien et de saint Irne, comme aussi de textes fort anciens, conservs par Eusbe et saint Epiphane (6). Par e u x nous remontons jusqu'au pontificat de saint Anicet /(155-166).
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Sans doute, saint Irne (7), Hgsippe (8) et l'anonyme trs ancien cit par saint Epiphane (9) ne donnent pas de dates, dans leur nomenclature des pontificats; mais le but qu'ils se proposaient ne l'exigeait nullement et ce serait aller contre toutes les rgles d'une saine critique, de conclure de leur silence star ce point l'inexistence d'une liste', chronologique. 1. Chronologie, t. II, p. 91. 2. N6 vers 170. Sa chronographie s'arrte h l'anne 221. 3 Dans sa Chronique, sa Prparation et sa Dmonstration vanglique et surtout son Histoire ecclsiastique, I, vi, 7. 4. H. E., VI, 31. 6. Cf. Flamion: Les anciennes listes piscopalss, dans la Revue d'Histoire ecclsiastique de Louvain, 1900, p. 657. 6. Lire ces passages dans Flamion, pp. 663 665. 7. &v. Haer. III, 3. 8. Dans Eusbe, H. E., IV, xxn, 3. 9. Haer^ XXVII, 6.
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Sans doute encore, saint Irne donne comme fondateurs de l'Eglise Romaine saint Pierre conjointement avec saint Paul. L'objection perd de son importance, si l'on considre que c'est prcisment partir de saint Irne que saint Pierre sera sans cesse cit tout seul et- que prvaudra dans tout l'Univers l'ide que Rome est le sige de Pierre, la chaire sacre du haut de laquelle il a donn son enseignement infaillible : Ad Ptri cathedram atque ad Ecclesiam principalem, unde unitas sacerdotalis exorta est (1). Mais, y regarder de prs, le texte de saint Irne, loin d'tre une objection, favorise le sentiment traditionnel. Saint Paul, en 58, fait l'loge de l'Eglise de Rome; les chapitres I, XV et XVI nous montrent cette communaut affermie dans la foi, sainte et florissa,nte. Elle tait donc fonde. Pierre et Paul, en venant dans la Ville ternelle, le premier en 62 et le second en 64, y arrivaient trop tard pour mriter le titre de fondateurs; ainsi l'expression de saint Irne ne serait pas exacte. Elle l'est, a/u contraire, dans notre hypothse, car, en ce cas, le prestige exerc par la haute personnalit de saint Paul, son apostolat Rome et son martyre suffisent pour qu'il soit associ saint Pierre dans la gloire de cette fondation (2). C'est ainsi encore qu'il convient d'interprter ces mots du vieux document insr dans la liste de saint Epiphane : xai 7rtoTco7roi , moin.-i qu'ils ne soient une interpolation, comme plusieurs l'ont pens (3). Saint Pierre est Yimnono^ titulaire, saint Paul est l'vque coadjuteur.
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M. de Rossi, de son ct, a retir de ses tudes archologiques la convictioi. que les deux ftes du 18 janvier et du 22 fvrier commmorent la double venue de saint Pierre dans la capitale de l'Empire (4). Ne serait-il pas permis, enfin, de trouver une confirmation de ce sentiment dans l'Eptre aux Romains elle-mme? J'ai mis mon honneur prcher l'Evangile l o le Christ n'avait pas encore t nomm,
1. S. Cyprien. Epist ad Cornelium, LV, c. 14, crite en 250. 2. Il faut, dit Bossuet, que la commission extraordinaire de Paul expire avec lui Rome et que, runie jamais, pour ainsi parler, la chaire suprme de saint Pierre laquelle elle tait subordonne, elle lve l'Eglise Romaine au comble de l'autorit et de la gloire... Quelque grand que soit saint Paul en science, en dons spirituels, en charit, en courage; encore qu'il ait travaill plus que les autres aptres et qu'il paraisse tonn' lui-mme de ses grandes rvlations et de l'excs de ses lumires, il faut que la parole de J.-C. prvale: Rome ne sera pas la chaire de saint Paul, mais la chaire de saint Pierre. . (Sermon sur YUnit de VEglise). 3. 'E ' Pc/Afl yap yryvcurt irproi Tlrpos KaiTlauXos ol trffroKoi aurai ical ivloKO (Haer. XXVII, 6). M. Flamion observe que le premier titre donn saint Pierre et saint Paul parat exclure le second. 4. Bollettino de mai juin 1867.
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afin de ne pas btir sur le fondement qu'un autre aurait pos... C'est ce qui m'a .souvent empch d'aller chez vous... Ayant depuis nombre d'annes le dsir d'aller vers vous, j'espre vous voir en passant (1). La raison pour laquelle saint Paul a diffr sa visite aux Romains est la crainte de paratre btir sur le fondement d'un autre. Eh bien!- ce fondement, c'est aux aptres seuls qu'il appartenait de le poser : Selon la grce qui m'a t donne, j'ai, comme un sage architecte, pos le fondement (2). Vous tes difis sur le fondement des aptres..., dont Jsus-Christ lui-mme e s t la pierre angulaire (3). Il ne semble pas vraisemblable que saint Paul se ft servi de cette expression si Rome, l'heure o il parlait, n'avait pas t vanglise par un aptre, et comment douter que cet aptre ne ft saint Pierre ? Le scrupule qui l'a empch pendant longtemps de faire une visite ardemment dsire, n'aurait eu aucune raison d'tre, si la communaut chrtienne de Rome avait t fonde par de simples disciples. Comme saint Paul crivait cela en 58, rien n'empche d'entendre les longues annes dont il parle des seize annes coules depuis l'an 42, date communment assigne au premier voyage de saint Pierre dans la Ville ternelle. C'tait l'anne de la dispersion des aptres. Parlant de l'exode de Pierre, qui suivit sa dlivrance, saint Luc se sert de cette expression mystrieuse : Et egressus abiit in alium locum (4). Un grand nombre d'exgtes entendent cet autre Heu de Rome, se fondant sur Eusbe et sur saint Jrme affirmant que Pierre vint Rome dans les premires annes du rgne de Claude, et M. Harnack dclare que cette antique tradition repose sur un terrain solide et que rien n'empche de la tenir pour historique (). Mgr Duchesne a-t-il donc des raisons de se montrer plus difficile que le coryphe des hypercritiques d'Outre-Rhin?
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E&sayons de nous rendre compte de ce qu'tait la foi des chrtiens de la premire gnration. Qu'il vnt k la communaut des rangs du judasme pur. ou dix sein du paganisme, l'adepte de la prdication chrtienne y arrivait par un acte de foi en Jsus-Christ. Il croyait que Jsus tait le Mes1. Rom., XV, 20-24. 2. I Cor.. III, 10. 3. Eph. II, 20. 4. AcU XII. 17. 5. Chronologie, I, p. 244 : Die alte Uberlieferung fusst auf gutem Grunde, und nichts hindert sie fur historisch zu halten. Notons* encore que M. Harnack avance la date de la composition oie la Ptri jusqu' Tanne 52 ou 53; or cette ptre fut crite Rome.
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sie attendu d'Isral, qu'il tait mort et ressuscit, suivant c qui tait marqu d'avance dans les saintes Ecritures des juifs ( 1 ) . . . Ils taient chrtiens par Jsus-Christ, parce qu'un homme appel Jsus, qu'ils n'avaient pas vu pour la plupart, les avait appels lui. Cet homme tait mort, il tait ressuscit; assis maintenant la droite, de Dieu, il allait bientt reparatre tout glorieux et livrer au mal uno bataille dcisive. Qu'tait-il? Quelle tait l'origine de ce rle de chef religieux, de reprsentant efficace d e - D i e u , de juge de l'humanit entire... Un de ses titres les plus levs tait celui de Fils de Dieu. Mais, sur ce point essentiel, il ne pouvait tre question de s'en tenir la tradition juive. Elle est manifestement dpasse par les affirmations de saint Paul; de saint Jean, de l'auteur de l'ptre aux Hbreux. Et ces affirmations elles-mmes ne sont que l'panouissement de la croyance commune, encore indigente en formules, mais [profonde et rsistante. Jsus, bien qu'il appartienne par sa ralit d'homme, la catgorie des cratures visibles, tient aussi, par le fond de son tre, la divinit. Comment, c'est ce qui s'claircra peu peu. Mais l'essentiel de cette croyance est dans les mes chrtiennes ds la premire gnration. Le Nouveau Testament la rvle, depuis ses plus anciens livres jusqu'aux plus rcents (2)...
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Admettre que Jsus-Christ et l'Esprit-Saint sont Dieu, c'tait admettre qu'ils participent l'essence mme de Dieu unique, qu'ils lui sont respectivement identiques, sans cependant tre dpourvus de certaines spcialits. Ceci,- c'est la Trinit chrtienne, non sans doute l'tat de formulation qu'elle atteindra plus tard t que l'on opposera des hrsies passagres, mais l'tat o elle pntre la conscience commune des chrtiens et rclame l'adhsion de leur ioi. Le commun des chrtiens, au premier sicle, au temps mme des aptres e n est, sur ceci, peu prs exactement au mme point que l e commun des chrtiens d' prsent. Les thologiens* en savent, ou du moins en disent, notablement plus long. Mais il s'agit ici de religion et non d'cole (3). Quand on avait fini de disserter sur les obligations lgales et sur les rapports entre le vieil Isral et la jeune Eglise, la personne du fondateur faisait, de son ct, travailler les esprits. Dans quelles conditions avait-il prexist s o n apparition en ce monde? Comment l e classer dans le personnel cleste?... Sur ces points et sur bien d'autres il pouvait y avoir lieu des explications, qui venaient s'ajouter, se superposer au fond premier de l'vanglisation ( 4 ) . . . Le p r o g r s dans la foi objective est le progrs de la conception\du Christ. On peut r e m a r q u e r que les expressions employes dans ces ptres (5) n e visent pas les T a p p o r t s entre le Christ et son Pre c l e s t e 1.^ Page 36. 2. Page 42. 3. Page 43. 4. Page 67. 5. Aux Colossiens et aux Ephsiens.
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Le mot de Verbe n'est pas prononc. Paul n'en a pas besoin, car il ne se proccupe que des rapports du Christ et des cratures. On prtend l'abaisser au rang des anges; il le relve au-dessus de toute crature, et ce n'est pas seulement la premire place qu'il lui donne; il fait de lui la raison d'tre, la fin, l'auteur mme de la cration- (1). Tout cela tourne un peu l'imbroglio. Rsumons ces extraits : Jsus est le Messie attendu. Ressuscit, il est assis la droite de Dieu d'o il doit bientt revenir pour livrer au mal une bataille dcisive. Qu'tait-il, au juste? Un de ses titres les plus levs tait celui de Fils de Dieu. Cela se tire des affirmations de saint Paul, de saint Jean et de l'auteur de PEptre aux Hbreux, mais ces affirmations ne sont que l'panouissement de la croyance commune. Jsus tient la divinit. Comment? C'est ce qui s'claircira peu peu. Il participe l'essence du Dieu unique, en mme temps que PEsprit-Saint ; toutefois, ils se diffrencient par certaines spcialits. Cependant, la curiosit, des disciples s'veille : comment classer le Christ parmi le personnel cleste? Saint Paul rpond cette demande; grce lui, la foi objective se dveloppe.
Que Jsus soit le Fils de Dieu, voil donc qui s e tire des affirmations de saint Paul; seulement, ces affirmations ne sont que Vpanouissement de la croyance commune. Mais si la prdication apostolique s'adapte ainsi la croyance commune, videmment ce n'est pas elle qui Pa produite et, alors, d'o est venue cette croyance? En outre, saint Paul n'a pas vcu avec Jsus-Christ, saint Jean n'est pour Mgr Duchesne que l'auteur problmatique du quatrime vangile,; ses yeux, encore, le rdacteur de PEptre aux Hbreux est un anonyme : si donc la foi primitive n'a d'autres garants que 'des hommes qui n sont pas des tmoins, le lecteur ne pourra-t-il pas trouver que cette foi en la divinit de Jsus-Christ manque dcidanent d'assises? Jsus n'a-t-il pas dit aux aptres : Vous serez mes tmoins? Et lorsqu'il s'agit de remplacer Judas, saint Pierre ne tient-il pas ce langage : Il faut que parmi les hommes qui nous ont accompagns fout le temps que le Seigneur Jsus a vcu parmi nous... il y en ait un qui devienne avec nous tmoin de sa rsurrection? Or, le tmoignage de ces hommes s'est produit, et c'est sur lui que la croyance chrtienne a repos ds la premire heure. Ce tmoignage, les synoptiques le rapportent : saint Matthieu, un tmoin oculaire, saint Marc, interprte du prince des aptres, saint Luc qui, d'aprs 1. Page 73.
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son aveu, a recherch soigneusement avant d'crire, la catchse primitive, telle que les aptres l'avaient enseigne. Et quel homme de bonne foi contestera qu'il y ait vraiment dans les synoptiques l'affirmation nette et prcise de la divinit du Sauveur? On y voit Jsus se placer- au-dessus des plus illustres- personnages de l'Ancienne Loi; les anges le servent et ce sont ses anges ( lui; il se met de pair avec le lgislateur du Sina et modifie ses prceptes; il gurit, fait des miracles en son propre nom et soumet toute la nature ceux qui croiront en lui. Il pardonne les pchs et donne le pouvoir de les remettre; il demeurera avec son Eglise jusqu' la fin des sicles et il reviendra dans les derniers temps, dans un appareil de gloire divine pour juger les vivants et les morts; il enverra l'Esprit-Saint qui procde du Pre et il veut que tous les hommes soient baptiss au nom du Pre, du Fils, et du Saint-Esprit, qu'il met ainsi sur la mme ligne. Il se proclame expressment le Fils de Dieu et, manifestement, il prend ce titre dans son sens littral. Jamais il n e se met au rang de ses aptres, sous le rapport des relations avec la Divinit : Votre Pre... Votre Pre cleste , sont des expressions opposes ces autres : Mon Pro t'a rvl cela.... C'est ainsi que mon Pre vous traitera... Toutes choses m'ont t livres par mon Pre. Nul ne connat le Fils sinon le Pre, et le Pre, sinon le Fils et ceux qui il plat au Fils de le rvler. Le matre de la vigne envoie des serviteurs, puis son propre fils, son hritier. Or, ce matre, c'est Dieu; les serviteurs, ce sont les prophtes, le fils, c'est Jsus. D'ailleurs, il permet qu'on rappelle le Fils du Trs-Haut et qu'on l'adore; s'il est condamn mort, c'est prcisment parce qu'il a os se prvaloir de cet honneur, ce qui, aux yeux de ses juges, est un blasphme intolrable, digne de la peine capitale (1). N'est-ce pas, enfin, ds le lendemain de la Pentecte, que saint Pierre affirme la divinit de Jsus : Vous avez fait mourir YAuteur de la vie... C'est vous, premirement, que Dieu ayant suscit son Fils. Ta envoy pour vous bnir (2). Plus tard, l'aptre pourra sembler plus clair, mais sans rien ajouter d'important ce qu'il avait dit d'abord : Bni soit Dieu, le Pre de Notre-Seigneur Jsus-Christ... qui est assis la droite de Dieu, ayant les anges sous ses pieds. A lui gloire et empire dans les sicles des sicles (3). Il est donc faux de dire que la faon dont le Sauveur appartient au personnel cleste pour me servir du langage irrvrencieux , de Mgr Duchesne ne s'est claircie que peu peu. Quant aux certaines spcialits qui diffrencient les personnes L Synopt., passim, 2. Act, III. 3. Ja p *ri, I, III et IV.
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de la Trs Sainte Trinit, on aurait pu s'attendre de la part d'un prtre un peu plus de dcence. . Pourquoi insrer dans le Credo primitif l'article visant la venue du Christ quittant le ciel pour livrer une bataille dcisive? Faudra-t-il donc donner cette interprtation fautive d'une parole mysttrieuse la mme valeur qu'au dogme de la divinit du Sauveur? Ni les synoptiques ni saint Paul n'attachent ce point l'importance que Mgr Duchesne persiste lui attribuer.
Et la vie chrtienne? Spars du paganisme, les fidles devaient vivre entre eux... On se mariait entre chrtiens... La virginit absolue tait loue et mme recommande, vu l'imminence du dernier jour, mais nullement im pose ( 1 ) .
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L'historien, ici, fait violence aux textes. La virginit a t loue et recommande par Notre-Seigneur pour elle-mme et non cause de l'imminence du dernier jour. Le Vae praegnantibus et nutrientibus in illis diebus du chapitre XXIV de saint Matthieu n'a rien faire avec le conseil donn au chapitre XIX. Le Sauveur venait de dfendre le divorco et ses auditeurs lui avaient rpliqu : S'il en est ainsi, mieux vaut ne pas se marier. Il rpond : Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux qui en ont reu la grce, car il en est qui ont renonc aux plaisirs de la chair en vue du Royaume de Dieu. Que celui qui peut comprendre comprenne. Il s'agit donc l d'une vocation spciale, d'un don qui n'est pas fait tous! Et c'est dans ce mme sens que l'Eglise a toujours entendu l'exhortation de saint Paul aux fidles de Corinthe (2). L'interprtation de saint Jrme (3) n'a pas t accepte. Trs gnralement, les tribulations et les pressantes ncessits dont parle l'aptre, ont t prises pour las sollicitudes et les peines insparables du mariage. Le tempus brve est est expliqu par le prterit figura hujus mundi qui suit. La vie est courte, le monde passe, quoi bon s'attacher d'phmres plaisirs, mlangs, du reste, de si grandes amertumes? Encore un fleuron qui tomberait du diadme de la sainte Eglise, si on laissait agir l'imprudent dmolisseur. La vie religieuse ressemblait beaucoup celle des synagogues... Les lments spcifiquement chrtiens de ce culte primitif taient l'Eucharistie et les charismes, effusions extraordinaires de l'EspritSaint. L'Eucharistie (mmorial sensible et mystrieux du Matre invisible) ( 4 ) se clbrait le soir, la suite d'un repas frugal (agape) 1. Pages 46, 47. 2. I Cor., VII. 3. Adv. Helvid., n. 21 et ep. ad Eustoch 4. Pacte 17. XXII
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que Ton prenait en commun. On reproduisait ainsi la Cne du SeSeigneur au soir de sa passion (1)... Mme dans la clbration de l'Eucharistie des abus se produisirent de bonne heure. On fut oblig de simplifier le plus possible le repas qui en tait comme le premier acte; plus tard on le spara de la liturgie et enfin on le supprima plus eu moins compltement (2). Cela donne trs exactement l'impression d e la Cne "protestante. Il et t facile Mgr Duchesne, en lisant jusqu'au bout le chapitre XI de la I aux Corinthiens (3) de donner ses lecteurs une ide plus vraie de la clbration de ce grand mystre. Passons aux charismes. Ces phnomnes surnaturels taient bien propres frapper les esprit.* et entretenir l'enthousiasme des premires chrtients. Cependant l'abus n'tait pas loin de l'usage; l'usage lui-mme pouvait avoir ses inconvnients s'il n'tait rgl avec sagesse. L'Eglise de Corinthe n'a encore que quatre ans et dj saint Paul est oblig d'intervenir pour discipliner l'inspiration de ses fidles (4)... Les visions, les prophties, les gurisons miraculeuses n'taient sans doute pas destines disparatre tout fait; mais comme elles n'taient gure compatibles avec la rgularit du service liturgique, elles, cessrent bientt de s'y produire (5).
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L'une de ces manifestations nous est propose, dirait-on, sous forme d'un amusant rbus : Ni le glossolale lui-mme, ni les assistants ne comprennent ce qu'il dit: la communication ne peut s'tablir entre eux, ou plutt entre les assistants et l'Esprit-Saint, que par l'intermdiaire d'un interprte inspir. Cependant, en dehors de toute interprtation, on peut dj saisir, dans les sons tranges que profre le -glossolale, l'accent de la prire, de la louange, de la reconnaissance (6). Lorsque, quatre pages plus loin, l'historien aura donn ces phnomnes le nom d ' exercices d'inspiration ; lorsque, page 85, il aura insist nouveau sur la peine qu'eut saint Paul rgler l'inspiration de ses Corinthiens , nous croirons assister une sorte de sance de spiritisme avec ses mdiums, ou encore aux* scnes qui se droulaient dans l!enceinte du cimetire de Saint-Mdard au temps du diacre Paris. La rgularit du service liturgique s'accommodait videmment fort mal de ces exercices ; aussi bien les chefs des communauts chrtiennes jugrent-ils propos de modrer l'activit devenue exubrante de TEsprit-Saint: De par le Roy Dfense Dieu, De faire miracle en ce lieu. 1. Page 47. 2. P. 48, 49. 3. I Cor., XI, 27 30. 4. P. 48. 5. P. 49. 6. P. 48.
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Quelle ide plus vraie et plus haute M. Fouard (1) ne nous donne-til pas de ces merveilleux charismes, qui excitaient l'admiration des infidles et provoquaient d'innombrables conversions 1 Non, ce n'est pas l'inspiration elle-mme que saint Paul a prtendu rgler; il a dtermin le contrle auquel il fallait soumettre ceux qui se disaient inspirs et il a fix l'ordre observer dans les runions, lorsque les charismes se produiraient.
La Trs Sainte Vierge demeura trangre au culte primitif, parat-il, car l'historien de l'Eglise a trouv le moyen de la passer compltement sous silence. Cependant les paroles du Christ expirant appartiennent l'histoire, et cette histoire signale galement la prsence de Marie .au Cnacle, les jours qui suivirent l'Ascension. La littrature chrtienne du premier ge n'est, pas sans nous offrir quelques vestiges de la gloire de l'auguste Mre de Dieu. Saint Ignace d'Antioche a crit : Un est notre mdecin, fait et non fait, chair et esprit, Dieu dans l'homime et vraie vie dans la mort, de Marie et de Dieu (2). Le grand vque de Lyon, saint Irne, a chant, lui aussi, les louanges de Marie : < Celui-l mme qui est n de Dieu le Pre et non c pas d'un autre, est n de la Vierge et les Ecritures tmoignent -de l'une et de l'autre naissance. Fils de Dieu, Notre-Seigneur, il est la fois et le Verbe du Pre et le Fils de l'homme (3). Sur le seuil du III sicle, voici Tertullien : Ce que la Vierge a conu, elle l'a enfant... Et celui qui est n .d'elle dans la chair est Dieu mme (4).
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N'tait-ce pas le cas, aprs s'tre demand ce qu'il en tait des origines clestes du Christ, de marquer ce que saint Matthieu et saint Luc rapportent de sa naissance temporelle? De cette dernire Mgr Duchesne ne dit rien. S'il parle de Nol, ce sera pour signaler la relation qui existe entre cette fte et la principale solennit du Mazdisme. Quand l'attention se portait sur certains lments de sa thologie, sur sa morale, ses rites, sa doctrine des fins dernires, la religion de Mithra offrait avec le christianisme des ressemblances singulires. Les chrtiens les apercevaient. Mdiateur entre le monde et la divinit suprme, crateur et, en un certain sens, rdempteur de l'humanit, fauteur de tout bien moral, adversaire militant des puissances mauvaises, Mithra n'est pas sans offrir quelques analogies avec le Logos crateur et ami des hommes. Pour les sectateurs de Mithra, comme pour les disciples du Christ, l'me est immortelle et le corps doit ressusciter. Etroitement unis par un lien religieux, les mithriastes entrent dans leur confrrie par un rite baptismal; d'autres crmonies ressemblent beaucoup la confirmation et la communion. D'un 1. Saint Paul, I, ch. 8. 2. Ad Ephes. XIX, 2. 4. Cont. Prax., c. 27.
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n. 7. 3. Adv. Hmres.,
III,
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ct comme de l'autre on observe le dimanche jour du Soleil. Le 25 dcembre, natale Solis invicti, tait jour de fte pour les mithriasfees; il le devint pour les chrtiens. Mithra avait des asctes, de l'un et de l'autre s e x e , tout comme l'Eglise chrtienne (1). La conclusion ne s'impose-t-elle pas d'elle-mme? Plus d'un lecteur l'aura tire dj. Je ne sais jusqu' quel point une Histoire ancienne de l'Eglise comportait une description du Mazdisme en six pages et demie. Cette part me .parat exagre, et l'historien met faire ressortir des similitudes, au fond trs banales, une complaisance qu'il est loin d'avoir pour les souvenirs chrtiens des Catacombes, peu prs compltement ngligs. Ils reprochent votre histoire qu'elle leur cache Dieu. L'action des hommes, en effet, y apparat seule... Vous ne gravissez pas le Thabor, o la Transfiguration s'tablit; vous attendez la descente de la montagne, ceux dont le visage* est redevenu humain. Ces paroles sont de M. Etienne Lamy; on n e saurait parler plus juste (2). (A suivre). Chanoine J. M A R C H A N D .
LES
ORIGINES DU
II.
RATIONALISTES C H R T I E N ()
(suite)
DMOCRATISME
L E S SOURCES D E L A DMOCRATIE C H R T I E N N E IV
Un point nous est actuellement acquis : nous avons la certitude que la Dmocratie chrtienne avait tabli ses positions sur u n principe essentiellement rationaliste e t du reste condamn par l'Eglise. Nous savons comment s'est faite la soudure entre la Rvolution et le dmocratisme chrtien. ,11 n o u s reste examiner par quelle dformation tacite ou expresse (peu importe) du catholicisme, on a pu faire le jeu des vises rvolutionnaires, par quelle formule hypocrite on a lanc les forces catholiques contre le gnie catholique et franais de notre-patrie. 1. Page 545. 2. Cf. Les articles trs documents signs : Il Critico de YUnita (18-26 avril 1911). 3. Voir le numro du 1er juillet 1911. cattolica
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Selon une mthode qui nous est chre, nous prendrons la dmocratie chrtienne ab ovo . C'est alors que le Nouveau christianisme de Saint-Simon s'impose notre attention comme la premire charte de cette cole, car c'est dans cet ouvrage que le christianisme est mis pour la premire fois au service du progrs indfini de Condorcet, ce qui n'tait du reste nullement dans les prvisions de ce dernier. Rappelons-nous qu'au moment o Saint-Simon crit, les temps ne sont plus, tout fait, la ngation absolue du surnaturel. On ne peut pas arracher du- cur de l'homme ce besoin de rattacher son tre passager un ordre de choses qui demeure. L'homme sent au plus profond de lui-mme son propre nant, et toutes les puissances les plus secrtes de son me l'orientent vers un au del en vue duquel il se voit oblig, sous peine de dchance, de donner un sens suprieur s a vie. Les hommes ne peuvent pas s e passer de la religion et comme le disait rcemment M. Barrs dans un admirable discours pour nos glises : Quand vous parviendriez donner tous les enfants du village le sentiment le plus juste de ce que sont les mthodes scientifiques, quand vous auriez pntr de rationalisme tous les esprits, v o u s n'auriez pas donn satisfaction toutes les aspirations de l'homme. Pntrer les esprits de rationalisme, telle fut cependant l'ambition et le crime de la Rvolution; mais cependant l'instinct religieux inassouvi, ne tarda pas pousser quelques rejetons sauvages, l'un d'eux fut vivace et s'appela Je (saint-simonisme (1). Je n'ai pas faire ici l'histoire de celui-ci au point de vue religieux, mais qui ne sait quel dbordement de charlatanisme se livrrent les sectateurs de cette hideuse parodie |du christianisme. L'histoire du saint-simonisme confirme merveille cette autre parole de M. Bar.r3 la Chambre : Le terrain perdu par le christianisme, ce n'est pas la culture rationaliste qui le gagne, mais le paganisme dans ses formes les plus basses : c'est la magie, la sorcellerie, les aberrations thosophiques, le charlatanisme des spirites. Le dix-neuvime sicle s'ouvrait et avec lui le vieux catholicisme banni par les encyclopdistes reprenait (pniblement sa place dans la nation, mais dchu de son rle social; se3 principes n'inspiraient plus dsormais les institutions sociales franaises; la philosophie rvolutionnaire prtendait le remplacer dans ce rle doctrinal. Cependant les hommes de 1820, ces contemporains de la Rvolution, rveills par Chateaubriand, commenaient s'apercevoir qu'il 1. Notons .ds maintenant l'endroit du saint-simonisme ce jugement de Drutnont dans sa magistrale France Juive : L'Ecole Saint-Simonienne qui se recruta en grande partie parmi les Juifs, fut un essai du Juif pour sortir de sa prison, qui n'tait plus qu'un ghetto moral, pour devenir ce qu'Henri Heine appelait un Juif libr. Sans se rallier au christianisme le. Juif tournait la difficult en fondant une religion nouvelle , tome premier, p. 346, 2 9 dition.
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fallait, dans la cit moderne, faire une place au sentiment religieux. Joseph, do Mistre ramenait l'attention vers le .catholicisme mconnu et mpris, Mme de Stal, traduisant les rveries de Leasing sur Vducation du genre humain o miroite toujours le progrs indfini , crivait : . Peut-tre sommes-nous la veille d'un dveloppement du christianisme, qui rassemblera dans un mme foyer tous les rayons pars. Tous les rayons pars, cela dsignait ce besoin religieux qui, jet en dehors de la voie catholique, ne pouvait parvenir se canaliser. Mais la France ne renonait pas son idole : l'esprit de la Evo-. luiion; et l'antagonisme qui existait entre celui-ci et Vesprit catholique, n'chappant alors personne, le catholicisme tait sacrifi pour la Rvolution et de gaiet de cur. Un homme parut alors qui conut le tmraire projet de sauvegarder la Rvolution tout en satisfaisant Je besoin religieux de la socit et je dis que cet homme fut le (pre de la dmocratie chrtienne. SaintSimon est en effet cela, et les carts des dmocrates chrtiens ne peuvent que corroborer n o s conclusions. N'est-ce pas Marc Sangnier qui crivait textuellement ceci? Il serait dangereux, dans une fivre de raction contre la dsorganisation socialo issue des thories de Rousseau et de la crise de 89, de mconnatre co qu'il y a eu malgr tout de vritablement chrtien dans le temprament des rvolutionnaires et jusque dans la Dclaration des droits de l'homme. Eh bien! pour juger ainsi la Rvolution, il faut tout d'abord dnaturer lo christianisme, il faut l e concevoir comme l e concevait SaintSimon. Ce que ne comprendront jamais nos dmocrates chrtiens, c'est qu'il n'est rien de plus antichrtien que de prtendre raliser une re de fraternit, plus ample que ne l e fut n'importe cruelle priode de l'histoire du christianisme, et ceci n o n pas avec l'aide de la religion chrtienne intgrale, entirement catholique, m a i s e n rejetant tout, absolument tout l'enseignement catholique, pour n e conserver que le but auquel il vise lui-mme, c'est--dire rpandre la charit parmi les .hommes. Et c'est faire encore trop d'honneur cette monstrueuse hypocrisie qu'on nomme le Philanthropisme. Voil la grande mprise du dmocratisme chrtien : la confusion entre le Christianisme e t le Philanthropisme. Le Philanthropisme n'a rien de chrtien, il est faux, trangement faux de le croire. Le Philanthropisme, c'est u n effort de la raison humaine pour dtrner la religion catholique, c'est un geste orgueilleux de la socit moderne s e ' dclarant lil?re de toute entrave, de toute autorit et prtendant raliser'l'ordre et le bien social sans le secours d'une- religion qui enseigne l'humanit ses devoirs avant toute autre chose. Il e s t tellement facile de s e convaincre de la diffrence essentielle
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de sa caricature, la fraternit
rpu-
Si le chrtien dclare tous les hommes ses frres, c'est aprs avoir reconnu un matre souverain qui a d'ailleurs aim les hommes jusqu' descendre parmi e u x pour leur enseigner un code de devoirs infaillible. Et la foi chrtienne engendre comme acte fondamental, un acte d'humilit, l e chrtien reconnat un matre, entend Jui obir, et pour lui, l'autorit de l'Eglise c'est l'autorit de Dieu. Or, le matre lui imposa comme premier commandement l'amour du prochain. Mais il entend bien, par l, aller rencontre d'un vice social; l'gosme. Il n'y a pas de charit, de fraternit pour le chrtien sans don de soi, sans sacrifice. C'est ce respect, cet amour d'autiui qu'on doit reconnatre les disciples; ils seront donc une exception. La socit doit en effet au christianisme cette vertu de la charit. C'est une fleur proprement chrtienne. Le paganisme ne Ta point connue, car enfin si toute la doctrine est l en effet dans l'amour de Dieu et du prochain et si la ralisation de cet idal doit tre le fruit de la rdemption, il est certain que tout le dogme catholique, toute l'organisation intrieure de l'Eglise romaine, toute la morale chrtienne et l'administration des sacrements, constituent un ensemble indivisible de moyens, sans lesquels le christianisme serait un vain nom-. La doctrine chrtienne est un tout, il n'y a pas fractionner, ou du moins fractionner ici, c'est mutiler, c'est dtruire. Non! sans la v i e chrtienne intgrale, la charit n'existe pas et si jamais la vie chrtienne disparaissait totalement, la mme absence engendrerait les mmes flaux qu'au temps du paganisme, quand les derniers vestiges des murs chrtiennes auraient disparu. Ds lors, parler de charit sans l'acceptation de l'Eglise romaine, c'est une folie ou mieux encore une hypocrisie. Autant vaudrait confondre la philanthropie des Rotschild avec la charit d'un saint Vincent do Paul. Du reste, le gouvernement de la Terreur qu'engendra la philanthrophie du XVIII sicle, nous fournit, par ses actes sauvages, un critrium infaillible de la valeur sociale du philanthropisme. Il faut ici se rappeler la belle page de Taine : Quand on s'est donn ce spectacle, crit-il, et de prs, on peut valuer l'apport du christianisme dans nos socits modernes, ce qu'il y introduit de pudeur, de douceur et d'humanit, c e qu'il y maintient d'honntet, de bonne foi et de justice. Ni la raison philosophique, ni la culture artistique et littraire, ni mme l'honneur fodal, militaire et chevaleresque, aucun code, aucune administration ne peut le suppler dans ce service. Il n'y a que; lui pour nous retenir sur notre pente natale.
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En effet,
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gral, qui puisse maintenir en quilibre l'instinct social, empcher l'homme d'exploiter l'homme. Mais que nous veut donc le philanthropisme? Il prtend faire mieux que le christianisme, il prtend inaugurer une re paradisestre sur la terre, ( C e p e n d a n t qu'il emprunte le langage du 'christianisme et ne parle que de fraternit. Or, tandis que la charit chrtienne, dcoule d'un premier acte de soumission, d'un acte d'humilit, le philanthropisme n'est que la premire consquence purement idologique d'un principe de rvolte. Gela ressort clairement du Contrat social de Rousseau. C'est parce que les h o m m e s sont autonomes, c'est p a r c e qu'ils refusent de voir une autorit [suprme au-dessus d'eux, qu'ils sont gaux et c'est p r c i s ment parce qu'ils sont gaux qu'ils sont frres. De l la fameuse trilogie rpublicaine : Libert, galit, fraternit. Mais: qui n e voit le point vicieux de cet immonde mensonge? De ce que l'on enseigne a u x hommes la fraternit comme consquence logique de leur autonomie, de leur libert, il n e s'ensuit nullement qu'ils sont frres, qu'ihi s e comporteront en frres, mais que tout lien hirarchique, toute diffrenciation est abolie, que l'homme devient tranger l'homme. Et du reste le premier fruit de cette doctrine sera d e dchaner les passions humaines. L'homme s e croit autonome, mais ds lors, nul code moral, nulle crainte assez efficace ne vient contrebalancer ses b a s i n s t i n c t s . Si, chez un g r a n d nombre, ces i n s t i n c t s n e descendent p a s a u d e l d'un certain niveau moyen, chez beaucoup d'autres i l s prennent des proportions brutales; laissons s'couler quelques gnrations et nous retombons dans la barbarie. Et remarquez que les paens n'taient pas des athes et que la croyance aux divinits maintenait un minimum d'ordre moral, tmoin dans la cit antique le culte des anctres qui soutenait la famille. Le philosophisme nous vaudra-t-il c e minimum d'ordre? Que devient alors l'galit dans cet tat primitif o rgne la force brutale, et que devient enfin la fraternit dans cet tat d e dcadence o l'homme foule chaque instant sous ses pieds les droits de son semblable. Non il n'est pas permis de confondre Y humanitarisme rvolutionavec la doctrine chrtienne d e la c h a r i t e t l'on ne peut pas admirer avec Marc Sangnier ce qu'il y a eu de vritablement chrtien dand le temprament des rvolutionnaires , sans faire un dsastreux contre-sens. Tous les points d e la doctrine catholique se corroborent entre e u x ; impossible de la fractionner sans l'annihiler (1).
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1. C'est dans ce sens que Ch. Maurras dnonait dans un de ses ouvrages l'hypocrisie thistique des Voltaire et des Rousseau; un ignoble pamphlet dirig contre Y Action franaise et rpandu profusion par les dmocrates chrtiens, a tent, en dnaturant la pense de Maurras et contre l'vidence du contexte, de rtorquer le texte pour pouvoir taler l'aide de ce mensonge, une profession d'athisme. Si quelqu'un doit rester dans la coulisse, quand il s'agit de signaler des erreurs de doctrine ( plus forte raison quand il faut calomnier pour le faire) c'est bien sans contredit nos dmocrates chrtiens, dont la tactique fut toujours de se montrer accueillants pour toutes les hardiesses de doctrines.
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Voil ce qu'il faut comprendre une fois pour toutes. A plus forte raison, quand une philosophie tablit ses positions sur un principe aussi essentiel que la charit chrtienne et qu'elle prtend raliser les rsultats sociaux du christianisme, tout en rejetant ses dogmes constitutifs. Co fut le rve de la Rvolution et l'erreur du dmocratisme do le mconnatre ou en tout cas de l'excuser.
Je suis sr que les dmocrates chrtiens se rient de icos considrations. Qu'ont-ils se reprocher? ils sont, sur le terrain religieux, des catholiques. D'accord, mais en rpandant les principes de la Rvolution, en les prsentant comme des produits d u christianisme, ne t r a v a i l l e n t ^ pas pour le philosophisme rvolutionnaire? Grave question indpendante de leur bonne volont. Cela vaut la peine qu'on y rflchisse, car on peut par erreur faire le mal en toute sret de conscience .et c'est rellement pcher contre la socit que d'aider la consolidation d'un tat de choses ruineux pour la religion et pour la patrie. Pour tre logiques avec eux-mmes il leur faudrait concevoir le christianisme comme le concevait Saint-Simon. Ce qui tait explicite chez Saint-Simon, est implicite chez eux, voil tout. Nous allons du reste en fournir les preuves. Examinons Je nouveau christianisme . (Dialogues entre un conservateur iet un novateur). Cet crit, dit Saint-Simon, s'adresse , tous ceux qui, classs, soit comme catholiques, soit comme (protestants luthriens ou protestants rforms ou anglicans, soit mme comme isralites, regardent la religion comme ayant pour objet essentiel la morale; tous les hommes qui, admettant la plus grande libert de culte et de dogme, sont loin cependant de regarder la morale avec des yeux d'indiffrence, et qui sentent le besoin continuel de l'purer, de la perfectionner et d'tendre son empire s u r toutes les classes de la socit, on lui conservant un caractre religieux; tous les hommes enfin qui ont saisi oe qu'il y a de vraiment sublime, de divin, dans le premier christianisme ( 1 ) . Pour qui sait lire, il y a, dans ce texte, la source du modernisme. Qu'taient les modernistes? Des disciples de la Rvolution, des convaincus du progrs indfini et des chrtiens qui tremblaient pour la foi devant les progrs des sciences. Ils choisirent un terrain neutre pour ne pas effaroucher l'adversaire, ils concdrent. Et que concdrent-ils? Tout c e qui avait une apparence de fixit, < immobilit; 1. Le Nouveau Christianisme de Saint-Simon est un tout petit volume; aussi je n'indiquerai pas les pages. Cf. bibliothque nationale, Ld, 190.
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avant tout, pour eux, il ^'agissait d'innover, de crer de toutes pices; voil pourquoi ils rduisaient volontiers la religion la seule morale. Oc n'est que grce cette rduction que l'on peut essayer de confondre le christianisme et la Rvolution. C'est par elle que l'on peut tenter un pacte interconfessionnel. L'ide interconfessionnelle de Saint-Simon a si bien germ et produit ses fruits, que nous avons assist deux tentatives de ce genre chez n o H dmocrates chrtiens. Une premire fois, lors de la prparation du fameux congrs des religions que marqua la dfection de l'abb Charbonnel; une seconde fois chez les sillonistes, par la cration du Plus grand Sillon, condamn par Pie X. Un autre signe d'infiltration rationaliste, une nouvelle preuve que le clerg devenu dmocrate, a ralis les conseils de Saint-Simon, c'est qu'il a presque abandonn l'tude approfondie du dogme. C'est un phnomne constat par ceux qui ont tudi la crise des sciences ecclsiastiques comme Mgr Baudrillart et mme par de simples observateurs comme M. E. Faguet qui crivait dans ce sens : Le clerg lui-mme, beaucoup plus attach ses traditions que tout ordre de l'Etat, se dmocratise aussi, e n ce sens que, professeur de dogme et professeur de mystres, il n'enseigne plus que la morale. Il veut par l s e rapprocher des humbles et, en s'en rapprochant, avoir prise sur eux... Seulement, en ngligeant le dogme et l'interprtation des mystres, il cesse d'tre un corps savant; et, d'autre part, il s'assimile .et s'gale au premier philosophe venu qui enseigne la morale, qui l'explique, qui l'illustre d'exemples mme sacrs, tout aussi bien qu'un prtre peut faire; et il amne le peuple se dire : Qu'ai-je besoin des prtres, puisque les professeurs de morale me suffisent (1). Cette faon dont M. Faguet envisage le rsultat de l a dmocratie dans le clerg ne manque ni de vrit ni de piquant, il a m i s le doigt sur la plaie. Mais que penser quand on se rend compte, en approfondissant la question, que nous devons cette dcadence de l'enseignement dogmatique une concession au rationalisme. Saint-Simon a laiss son empreinte chez nos dmocrates chrtiens, on ne peut s'y mprendre quand on connat soii avis sur ces matires : La thologie, dit-il, no saurait avoir une grande importance pour un clerg vraiment chrtien, qui doit ne considrer le culte et le dogme que comme des accessoires religieux, ne prsenter que la morale comme vritable doctrine religieuse. Immdiatement aprs, et toujours dans le mme ordre d'ides, se trouve expliqu le secret motif de cette haine que les rvolutionnaires ont voue aux jsuites et qui est la plus belle apologie que l'on puisse faire de l'illustre compagnie : La nouvelle Compagnie de 1. E. Faguet, Le culte de l'incomptence, p. 168.
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Jsus, dit Saint-Simon, est infiniment plus mprisable que l'ancienne puisqu'eWe tend rtablir la prpondrance du culte et du dogme sur la morale, prpondrance qui avait t anantie par la Rvolution (1); tandis que les premiers jsuites s'efforaient seulement de prolonger l'existence- des abus, qui s'taient introduits dans l'Eglise cet gard. Les anciens jsuites ont dfendu- un ordre de choses qui existait, les nouveaux entrent en insurrection contre le nouvel ordre de choses plus moral que l'ancien qui tend s'tablir. Ainsi, selon Saint-Simon, la Rvolution tendait dtruire le dogme en faveur de la seule morale, elle tait donc essentiellement anticatholique, elle tait protestante; tout ceci le prouve une fois de plus. Il se dgage non moins nettement de ces textes, que si l'on veut rattacher la Rvolution au christianisme, il faut totalement dnaturer celui-ci et c'est ce que fit Saint-Simon. Selon lui, le clerg romain" a t orthodoxe jusqu' l'avnement de Lon X. Depuis lors, le christianisme a dgnr et c'est s o n christianisme lui, Saint-Simon, qui doit dsormais aider la Rvolution dans l'accomplissement de ses destines, c'est grce ce christianisme nouveau que les peuples verront le sort de l'humanit s'amliorer l'infini. Or, voici comment Saint-Simon entend le christianisme : Le Conservateur. Croyez-vous crue la religion chrtienne ait une origine idivine? Le Novateur. Oui, je le crois. Le C. Si la religion chrtienne est d'origine divine, elle n'est point susceptible de perfectionnement; cependant vous excitez par 1. Le seul fait que les rvolutionnaires se sont toujours acharns contre les jsuites devrait veiller la dfiance du clerg. Sur ce point encore les prtres dmocrates sont tombs dans le pige, ils ont fait chorus avec les rvolutionnaires, ils ont positivement dtest les jsuites parce que ces derniers ne partagrent jamais leur fureur d'innovation. Barruel dans son histoire du jacobinisme, nous donne les preuves absolues que Choiseul en chassant les jsuites au XVIIIe sicle remplissait un mandat des socits secrtes. Le mot d'ordre fut d'armer le parlement jansniste contre les jsuites pour les chasser du royaume. Les vques consults par Louis XV, au nombro de soixante rdigrent une clolance au roi pour empcher ce dcret. Les jsuites, dit Barruel, taient un corps de vingt mille religieux rpandus dans tous les pays catholiques ; ils taient spcialement dvous l'ducation de la jeunesse. Ils se livraient aussi la direction, des consciences, la prdication; par un vu spcial, ils s'engagaiemt faire la fonction de Missionnaires partout o les papes les enverraient prcher l'Evangile. Forms avec soin l'tude des lettres, ils avaient produit un grand nombre d'auteurs et surtout de thologiens appliqus combattre les diverses erreurs qui s'levaient contre l'Eglise. Dans ces derniers temps, en France surtout ils avaient pour ennemis les Jansnistes et les soi-disant philosophes. Leur zle pour l'Eglise catholique tait si connu et si actif, que le roi de Prusse les appelait (154mo lettre Voltaire 1767) les gardes du corps du Pape. Ainsi, plus de cent cinquante ans de distance du roi de Prusse et de Voltaire, les dmocrates chrtiens vivent encore de leur programme, tant il est vrai que, de quelque cftl qu'on les prenne, c'est toujours avec le rationalisme qu'on les trouve en coquetterie.
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v o s crits los artistes, les industriels et les savants perfectionner cette religion; vous entrez donc en contradiction avec vous-mme, puisque votre opinion et votre croyance se trouvent en opposition. Le N. ... Il faut distinguer ce que Dieu a dit personnellement, de ce que le clerg a dit e n son nom... Ce que Dieu a dit n'est certainement pas perfectible, mais ce que le clerg a dit a u nom de Dieu compose une science susceptible de perfectionnement de mme que toutes les autres sciences humaines. La thorie de la thologie a besoin d'tre renouvele certaines poques, de mme quo celle de la physique, de la chimie... Le C. Quelle est la partie de la religion que vous croyez di v i n e ? Quelle est celle que vous considrez comme tant humaine? L e N. Dieu a dit : Les hommes doivent se conduire en frres Vgar les uns des autres; ce principe sublime renferme tout ce qu'il y a de divin dans la religion chrtienne. Voil dans quelle mesure le temprament des rvolutionnaires avait quelque chose d'essentiellement chrtien pour parler comc m e M. Sangnier. L'on voit d'ici la confusion naissante entre le philanthropisme et le christianisme. Mais quel lien unissait cette bizarre conception du christianisme avec le rve dmocratique rie la Rvolution ? Il n'y a qu' poursuivre. Or, d'aprs c e principe, que Dieu a donn aux hommes pour rgle de leur conduite, continue Saint-Simon, ils doivent or ganiser leur socit de l a manire qui puisse tre la plus avanta geuse au plus grand nombre; ils doivent s e proposer comme but dans tous leurs travaux, dans toutes leurs actions, d'amliorer le plus promptement et le plus compltement possible l'existence mo raie et physique de la classe la plus nombreuse. Je dis qu'en cela seulement consiste la partie divine de la religion chrtienne. Ces textes clairent d'une singulire faon toute l'histoire de la dmocratie chrtienne et celle du Sillon en particulier. Saint-Simon rsume d'ailleurs merveille -cette tendance (partage par tous les catholiques amateurs des principes de 89), qui consiste tenter de faire 6 M christianisme l'agent du progrs indfini , car c'est encore cette ide de progrs qui pousse Saint-Simon dans ces normes sophismes : Je prouverai encore, dit-il, que l'adoption du nouveau christianisme acclrera les progrs de la civilisation infiniment plus qu'ils ne pourraient l'tre par toute autre mesure gnrale.
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Il faut avouer qu' lui seul, Saint-Simon, aurait compromis la russite de la dmocratie chrtienne, car les catholiques devaient accor-
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der peu de crdit un christianisme ainsi dnatur, mais l'ide fondamentale de Saint-Simon demeurera. Quelques crivains, dont nous nous occuperons, s'ingnieront mettre en relief ce qu'il y avait soidisant de foncirement chrtien dans l'ide rvolutionnaire et ils s'vertueront dmontrer que cet idal nouveau, l'idal dmocratique, qui dsormais emportera les gnrations ivers un nouvel ordre social, ne se ralisera que moyennant le concours du christianisme. La logique a voulu cependant que le dogme catholique ft plus ou moins mal trait, pJus ou moins assoupli, pour se plier aux exigences du dogme dmocratique. Malgr tout, l'influence de Saint-Simon sur l'cole catholique qui voulut acclimater la Rvolution -en France, demeure incontestable, il y a similitude de programme entre les deux coles et du reste l'une se rattache directement l'autre par voie gnalogique. C'est ce que nous dmontrerons l'occasion. J'arrte l ces considrations et je ne veux pas transcrire ici toutes les inepties qu'crivit Saint-Simon sur le catholicisme, qu'il me suffise de faire remarquer encore Je passage suivant, mais lui seul il achvera de nous convaincre de l'influence du saint-simonisme sur la dmocratie chrtienne : Le clerg catholique, de mme que tous les jautres clergs, a donc pour mission, concluait Saint-Simon, d'exciter l'ardeur de tous les membres de la socit vers les travaux d'une utilit gnrale. (C'est un programme que Saint-Simon fixait). Ainsi tous les clergs doivent user de tous leurs talents pour prouver dans leurs sermons et dans leurs entretiens familiers, aux laques de leur croyance que l'amlioration de l'existence de la dernire classe entrane ncessairement l'accroissement du bien-tre rel et positif des classes suprieures, car Dieu regarde tous les hommes, mme les riches, comme ses enfants. Ainsi les clergs doivent, dans l'enseignement qu'ils donnent aux enfants, dans les prdications qu'ils font aux fidles, dans les prires qu'ils adressent au ciel, de mme que dans toutes les parties de leurs cultes et de leurs dogmes, fixer l'attention de leurs auditeurs sur ce fait important, que l'immense majorit do la population pourrait jouir d'une existence morale et physique beaucoup plus satisfaisante que celle dont elle a joui jusqu' ce jour; et que les riches, en accroissant le bonheur des pauvres, amlioreraient leur propre existence. Conclusion : le clerg doit tre un ouvrier de la dmocratie. C'est la faveur de cette mprise, de ce misrable emprunt au catholicisme que la dmocratie s'implanta dans le sanctuaire et s'y acclimata. Les catholiques ne comprirent pas que la dmocratie tait tout un systme d'institutions destin ruiner les ressources de notre patrie, ils ne virent e n elle par une aberration inexplicable qu'un lan vers plus de justice. Ils ne surent pas dmasquer l'hypocrisie. C'est ce qui explique l'trange faon dont l'es dmocrates chrtiens envi-
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sagent de nos jours le problme politique; l'esprit chimrique de l'poque romantique est demeur chez eux tout fait inaltr. Au lieu de s e placer au point de vue national, ils s'obstinent en face des problmes agits do nos jours, fixer leurs regards sur on ne sait quel rve de dmocratie parfaite. Esprits d'un autre ge, ils demeurent trangers tous les problmes de l'heure prsente et aux mthodes positives. Au nom du progrs, ces messieurs sont en retard d'un demi-sicle sur leurs contemporains. Pour ma part, je n'en suis nullement tonn, car je connais quelles influences est d ce phnomne de persistance. Un des derniers disciples do Saint-Simon, Laurent do i'Ardche, crivait en 1877 au moment o la dmocratie chrtienne allait s'panouir enfin. Ces bienfaits de V esprit de progrs, qui amliore incessamment le sort de la race humaine, ne doivent pas tre borns au choix jjes rgimes politiques, la prfrence donner la forme gouvernementale. Si l'heure de la Rpublique sonne aujourd'hui d'une manire clatante, c'est que ce_ rgime, en tant que gouvernement du pays par le pays," se prte .mieux que la monarchie l'application immdiate et graduelle des amliorations sociales videmment urgentes et pacifiquement ralisables; c'est que cette aptitude souveraine faire du bon socialisme, indniable la Rpublique, fait de sa souverainet incontestable, non pas un pril social, comme le rptait sans cesse les chos de la raction, mais au contraire une sauvegarde contre ce pril, dont elle peut seule prvenir les explosions ou faire cesser les ravages.
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Oui, il est manifeste que la nation franaise, rpublicainement constitue, est plus puissante que sous aucune monarchie contre le pril social, prcisment parce que cette constitution implique une sollicitude plus grande des pouvoirs publics pour le bien-tre social de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Mais il est incontestable aussi que les alarmistes les plus minents du parti rtrograde, pour justifier le cri d'effroi dont ils saluent sans relche le rgne naissant des principes dmocratiques, croient justifier leur terreur plus ou moins affecte pour l'avnement gouvernemental de ces principes, en les dclarant inconciliables avec le sentiment universel qui a servi jusqu'ici de fondement et de sanction aux socits humaines, le sentiment religieux. Hier encore un des champions les plus fermes et les plus fervents de la suprmatie universelle et irrvocable de la papaut, telle qu'elle fut proclame au moyen ge et que le Syllabus l'a maintenue; hier encore, un loquent dput n'opposait-il pas aux adversaires de l'ultramontanisme comme dernier et irrfutable argument qu'ils n'avaient rien mettre la place du catholicisme?... S'il est vrai que la foi soit teinte, comme le dit de Maistre, dl faut reconnatre aussi, avec lui, que le genre humain ne peut rester en cet tat et que tout vrai philosophe doit opter entre ces deux hypo-
D U DMOCRATISME CHRTIEN
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thses, ou que le christianisme sera rajeuni d'une manire extraordinaire, ou qu'il v a se produire une religion nouvelle. Nous avons dj expliqu dans nos prcdentes publications, comment la religion nouvelle dont parle de. Maistre ne pourrait tre que la continuation du christianisme appropri graduellement aux aspirations, aux exigences, aux lumires et aux ncessits des socits humaines dans leur marche ascendante. Il n'y a, en effet, que le christianisme pur de toutes le** idoltries mythologiques ou bibliques; de tous les vestiges de l'anthropomorphisme paen ou juif, qui puisse rconcilier la science avec la foi, selon le dsir et la prvision du dernier dfenseur du catholicisme (c'est Gratry qui est vis ici)... Ce n'est que par la ralisation pacifique et progressive des prceptes du nouveau christianisme que s'accomplira, au profit du rgime rpublicain, la ralisation, indispensable pour l'humanit, de la rconciliation de la science et de la foi (1). Je n'insiste pas davantage, nous trouvons dans ce texte d'un rationaliste tout le programme du dmocratisme chrtien. Il nous rvle en mme temps le lien qui unit la dmocratie chrtienne au modernisme. Tout cela est fond sur Vide du progrs indfini (2). Les dmocrates chrtiens et les modernismes crurent fortement cette marche vers un avenir idal, et tous leurs efforts devaient consister pousser l'Eglise dans des voies nouvelles sur lo terrain social et sur le terrain scientifique; ils rougissaient de leur dogme et de son immutabilit, ils reniaient la tradition sous quelque forme qu'elle se prsentt. Ainsi les efforts de la franc-maonnerie ont pleinement donn leurs fruits, le christianisme a servi aux ennemis de l'Eglise pour faire accepter les principes antichrtiens et antifranais de la Rvolution franaise. Saint-Simon, en mlant le christianisme la Rvolution, sema la mauvaise graine et nous verrons quel point elle infesta le champ catholique. (A suivre.)
J. HUGUES.
1. uvres de Saint-Simon et d'Enfantin, Prface. 2. Tout dmocrate n'est pas moderniste, mais son tat d'esprit le dispose en sa faveur; en revanche tout moderniste est infailliblement dmocrate et ceci est trs significatif. Le dmocrate est novateur sur le ierrain social, le moderniste dans fous les domaines. Le dmocrate c'est le moderniste mi-chemin de ses principes, le morternislo c'est le dcmocrnlc intgral, c'est--dire un protestant. A celle limite, toutes les nuances de rationalisme se confondent, Luther vaut Rousseau. Rousseau vaut Kant, Kant vaut Loisy, Loisy vaut Laberthonnire, c'est le caprice individuel seul, qui fixe la nuance quand les barrires catholiques sont rompues.
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LA
MSAVENTURE
D'UN
DNICHEUR
D'HRSTES
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des maximes vangliques. Le cardinal Mathieu ne faisait pas difficult de l'avouer, cependant, sous la coupole ds l'Acadmie. Mais pour ces esprits rectilignes dont se plaint Fonsegrive, toute nouveaut est suspecte, hassable, damnable, Ces catholiques sont dogmatiques en religion. En quoi ils ont videmment raison, car, sans cela, ils ne seraient plus catholiques. Mais ils ont tort de transporter partout cet esprit dogmatique. Ils professent des dogmes politiques, des dogmes conomiques, des dogmes sociaux, voire mme des dogmes littraires. La philosophie et la science leur apparaissent comme un catalogue de formules dogmatiques. C'est ce qu'ils appellent avoir des principes Si vous ne pensez pas exactement comme eux, vous tes hrtiques, et en plus excommunis. Inutile de discuter avec eux : ils remplacent la discussion par l'anathme. M. Fonsegrive a Taison de s'en plaindre. Si, parmi les catholiques, Von s'tait donn, pour se comprendre, la moiti du mal qu'on s'est donn pour se dnigrer, pour arriver faire porter quelques rares condamnations, on et progress dans la lumire, on n'aurait pas rendu la position difficile pour l'autorit, intenable pour la libert, et l'union n'aurait pas t trouble. Cependant, comme l'entente s'impose, on ne demanderait pas mieux, dit-on, que de faire trve des dissensions qui nous tuent; on veut 1 union, mais l'union ne peut se faire que dans la vrit . -r- Eh bien! nous avons le magistre vivant de l'Eglise. Ne vous substituez pas l'Eglise- Attendez qu'elle parle. Mais tant que la question restera douteuse, n'incriminez pas la bonne foi de l'crivain consciencieux qui apporte un raisonnement solide et des informations srieuses. Quel besoin avons-nous de classer les travailleurs, et quelle aberration de distinguer une droite et une gauche catholiques, des catholiques progressistes et des catholiques traditionnels, des conservateurs e*. des radicaux? De grlce, ne tombons pas dans cette manie byzantine d'introduire des parus dans la grande famille catholique. A quoi riment ces classifications? Est-ce que, dans la politique actuelle, les progressistes d'hier ne sont pas les conservateurs d'aujourd'hui? Est-ce que les avancs d'il y a quinze ans ne sont pas aujourd'hui les retardataires? En peu d'annes, ce que nous appelons des hardiesses sera peuttre devenu des lieux communs. Or, cet article sortait de la plume d'un professeur du grand sminaire d'Agen, M. l'abb Paul Marguerit, sous le pseudonyme de Paul Deschamps.
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Avant de dire quoi il donna suite, on me permettra de rappeler trs grivement quel fut le rle de la Quinzaine et de M. Fonsegrive. La cause dbattue sera ainsi plus prsente au lecteur. Le rdacteur du Bien du Peuple le devait connatre, car l'ignorance rendrait encore plus inexplicable son intervention rsolue, et plus significative la parfaite rencontre d'esprit entre l'avocat et son client. Pour commencer par le fait le plus rcent en date, et peut-tre le plus grave, c'est la Quinzaine qui avait publi le trs retentissant et scandaleux article de M. E. Le Roy : Qu'est-ce qu'un dogme t sur lequel allaient tomber les condamnations de l'Encyclique Pascendi, pa-
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rue quelques semaines avant le dbat que nous avons exposer, et dont le cardinal Perraud devanait la sentence en crivant : On se demande avec stupfaction comment la Quinzaine, qui a la prtention d'tre une revue catholique, peut endosser la responsabilit d'une explication prtendue philosophique et scientifique de la religion qui quivaut sa destruction totale. Mais, pour -notre professeur, ce n'tait l sans doute qu'une de ces hardiesses apparentes, destines devenir, en peu d'annes, des lieux communs. Autres futurs lieux communs, les doctrines de M. Loisy exposes dans ses fameux petits livres . M. Fonsegrive fut le premier qui se risqua faire, dans la Quinzaine, cette apologie de l'Evangile et l'Eglise , qui a l'air d'une gageure : Les ouvrages exegtiques de M. Loisy chappent d'ordinaire au cadre de ces simples notes, et ils mritent d'tre discuts par le dtail. Mais celui-ci, s'il est assis sur des substructions documentaires importantes et solides, vise aussi le grand public. Ce n'est en effet rien moins crue la critique des confrences dj fameuses de Harnack sur l'Essence du Christianisme faite du point de vue catholique par un esprit trs ouverL, la fois avis et trs hardi. Tous ceux qui s'intressent aux problmes religieux liront ces fortes pages, o l'on peut regretter quelques formes d'expression qui appartiennent au langage spcial de l'auteur et seront, je le CTans, comprises par le public >en un sens qui dpasse la pense de M. Loisy,
mais o Von trouvera les plus solides raisons en faveur de l'Eglise catholique, de son
autorit, de sa hirarchie, de ses sacrements, de son culte et mme de ses dvotions qui peuvent paratre les moins intelligibles aux spectateurs du dehors. Fort de cette conviction, M. Fonsegrive, un an aprs, au moment o se discutait la condamnation de M. Loisy, essayait de dire la parole de paix, de libert et de docilit qu'on tait en droit d'attendre de la Quinzaine . Et voici, dignes d'tre prises pour exemple par ses admirateurs, uni chantillon des paroles amnes que ce pacificateur prononait sur ceux qui faisaient l e procs du prtre en perdition et de sea amis : Semblables ces oiseaux qui viennent voler autour des maisons o la mort va se poser, ils orient dj do plaisir dans l'attente du cadavre. Oiseaux noirs, oiseaux immondes, nous n'aurons jamais assez de mpris pour leur ingrate nature, assez de piti pour leur misre, assez de tristesse pour leur aveuglement (1). Une autre fois (2), M. Fonsegrive racontait dans l a Quinzaine une visite que lui fit un lve du grand sminaire de Saint-Sulpice, charg par ses suprieurs du cours de catchisme de persvrance aux jeunes gens. On l'envoyait consulter le docte professeur de l'Universit, s u / la difficult de faire admettre la preuve de l'existence de Dieu plusieurs de ces jeunes gens forms par la philosophie univer1. 16 dcembre 1903. 2. 1er janvier 1897.
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sitaire. La consultation de celui-ci concluait simplement ruiner la dmonstration catholique : Monsieur l'abb, la question est grave et ne saurait gure tre ainsi rsolue au pied lev. Ces jeunes gens sont les fils de la pense contemporaine : ils ont contre la mtaphysique objective et dmonstrative tous les prjugs accumuls la fois par les disciples'de Comte et les disciples de Kant. Ils ont subi probablement surtout l'influence de ces derniers. Ils ne croient plus la porte objective des principes, la valeur, scientifique des dmonstrations bases, par exemple, sur le principe de causalit. Comment voulez-vous, ds lors, qu'ils pensent que l'existence de Dieu puisse tre l'objet d'une 'dmonstration?' Mais pomment peut-on leur parler, et sur quel principe avec eux peut-'Otn s'appuyer? Il me semble que, puisqu'ils ont avec vous une foi commune, c'est de cette foi qu'il convient d'abord de partir, el au lieu de prtendre les conduire la foi par la raison, peut-tre vaudrait-il mieux leur faire, l'aide de la foi, retrouver les assises de la raison. Et M. Fonsegrive ajoutait avec complaisance que les directeurs du sminaire de Saint-Sulpice, merveills de la solution, l'invitrent, peu aprs, faire, devant leurs lves de thologie et de philosophie runis, une confrence sur les conditions nouvelles de l'apologtique. Il la reproduisit dans Le catholicisme et la vie de l'esprit, o la mme ngation est pose plus crment et o l'auteur, sans s'en apercevoir, mettait la dfinition du Concile du Vatican en contradiction avec les thses les plus lmentaires de la thologie et de la foi. Les principes communs autrefois taient le principe de causalit, la porte mtaphysique de la raison, le respect des faits historiques. La critique philosophique d'une part, la critiqu historique de l'autre ont dtruit ce terrain commun; l'incrdulit a recul au del de la foi, elle s'en est prise la raison elle-mme, la raison mtaphysique et spculative... D'un ct, il n'y a pas d'apologiste qui ne redise de quelque faon avec Racine le fils : La raison dans les vers conduit l'homme la foi, e l'autre il y a entre la raison raisonnante et la foi un foss que la thologie constate et que rien ne peut combler. D'un ct, c'est la nature et la force invincible du raisonnement; de l'autre, c'est le surnaturel et souverain attrait d(e la grce, si les deux ordres ne peuvent se pntrer, que devient l'apologtique ? et s'ils se pntrent, s'ils se continuent insensiblement l'un l'autre, que devient leur distinction et l'on peut dire que devient le christianisme? Voil d'abord ce qu'il faut bien voir, ce que je crains bien que tous n'aperoivent pas, ce que M. Blondel a eu pour sa part le mrite de voir merveille et d'exposer mieux encore (1). 1. Dans sa dfense contre le jugement de Mgr Turinaz, M. Fonsegrive expliqua son assertion sur le foss entre la raison raisonnante et la foi, en disant qu'il avait seulement voulu affirmer la ncessit de la grce pour faire un acte' de foi. Il lui fut rpliqu que c'tait une contradiction de plus; et, en effet, s'il ne tient qu' cela, il n'y a donc pas de foss infranchissable, et, qui plus est, la grce n'tant refuse personne, tout le monde pourrait le franchir. Mais aprs tout c'est peut-tre le catchisme qui manque le plus aux matres du nouveau clerg.
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LA CRITIQUE
DU LIBRALISME
RELIGIEUX, POLITIQUE,
SOCIAL
Ainsi donc il est possible que M. Blondel n'ait pas entirement russi dans sa tentative; mais il ne lui reste pas moins l'honneur et le singulier mrite d'avoir critiqu fond les assurances exagres d'une apologtique qui, traditionnelle ou non, mais rellement existante, se prtend scientifique et ne peut l'tre sans contredire les thses les plus lmentaires de la thologie et de la foi. Ajoutons que, deux ans plus tard, le mme M. Fonsegrive tait appel de nouveau faire une confrence devant le mme auditoire, au sminaire d'Issy, sur la lettre Tcstem benevolenti qui condamnait l'amricanisme. Le compte rendu que la Quinzaine en publia ne manqua pas de faire observer que le sens catholique de sa rdaction a recueilli l'unanime et chaleureux tmoignage du premier auditoire ecclsiastique du monde. Or, l'expos port devant un tel auditoire par ce professeur lac de thologie, fourmille d'erreurs sur l'acte de Dieu oprant dans les mes, sur les vertus actives et passives, les vertus naturelles et surnaturelles (1). M. Fonsegrive avait naturellement patronn l'amricanisme, comme la plupart des erreurs nouvelles. Lorsque celle-ci eut t condamne par Lon XIII, il e n fit dans la Quinzaine du 1 avril un commentaire des plus audacieux, rappelant la fameuse dfense des jansnistes, et prvenant celle des modernistes, aprs l'Encyclique Pascendi, dont le sens fort clair tait celui-ci : l'amricanisme n'existe que dans l'imagination de ceux qui l'ont attaqu et la sentence du Pape, quoi qu'il en ait dit, porte sur une erreur dont personne n'est coupable. J'en extrais seulement c e s lignes sur la signification des fins sociales qui dterminent de tels actes.
e r
Ou le Pape a condamn une opinion non professe; ou les tenants de ces opinions ont menti en la dsavouant. C'est bien ainsi que l'opposition doit se prsenter devant une logique qui ne sait pas arriver jusqu' la signification sociale des choses, qui ne voit dans le Magistre que le correcteur ou le dnonciateur d* une erreur individuelle, qui ne va pas jusqu'au docteur infaillible dont V enseignement A SURTOUT D E S F I N S SOCIALES, E T QUI V I S E B I E N MOINS A CORRIGER OU A R P R I M E R L'OPINION MEME E R R O N E E D ' U N A U T E U R P A R T I C U L I E R , qu' empcher de se rpandre la contagion de l'erreur. Ds lors, P E U I M P O R T E QUE L ' E R R E U R S E
TROUVE E X P R E S S M E N T PROFESSE D A N S T E L OU T E L L I V R E OU D A N S T E L OU T E L A U T E U R : ALORS MME Q U E L ' A U T E U R A U R A I T E N T E N D U CES E X P R E S S I O N S
alors mme que l'opinion aurait interprt son texte tout de travers, il a sans doute raison de dire et de soutenir qu'il n'a jamais pens ainsi qu'on le fait penser ; il n'en est pas moins vrai que l'opinion errone existe, qu'elle est ne de lui, son occasion, et que l'autorit a raison de la condamner.
D A N S U N S E N S TOUT A U T R E QUE CELUI Q U E L'OPINION L E U R A D O N N ,
Mgr Turinaz, indign d'une telle apologie, porta condamnation contre M. Fonsegrive par un acte piscopal. 1. M. l'abb Maignen les relve en dtail. Nouveau catholicisme et nouveau clerg, 1 " partie, chap. VI.
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Le docte et vigilant prlat, mu do ces manifestations scandale uses, crut devoir un peu plus tard signaler hautement l'immixtion des laques dans les affaires de la foi et de l'Eglise. Il le fit par une brochure retentissante : Les prils de la foi et de la discipline de l'Eglise en France , dont les professeurs de grand sminaire n'ont pas d ignorer l'existence. Une bonne place y tait faite M. Fonsegrive, rformateur de l'une et de l'autre. Ce serait ici le lieu de rsumer l'appui, si l'espace nous le permettait, le plan hardi de rnovation religieuse contenu dans le Journal d'un vque. Laissant de ct cent autres traits de la rforme religieuse, il suffira de rappeler ce type mprisable de candidat e p i s copal qui" nos lecteurs connaissent ( 1 ) et que l'auteur prtend avoir conu tel que les Encycliques l'ont fortement dessin . Pour nous e n tenir au modernisme doctrinal, rappelons encore la rponse de M. Fonsegrive l'enqute du Dr Rifaux sur Les Conditions de retour au catholicisme, o s e retrouvent tous les principes du systme : sparation de la science et de la foi, de la science et de la conscience, coexistence dans la mme me de l'incrdulit dut savant et de la croyance du catholique. Celle qu'il fit une enqute analogue du Mercure de France, dgage en outre une conception et une dfinition naturalistes de la religion, avec une vague tendance au panthisme et la religion humanitaire, puis, en termes discrets et sous l'appeUation ingnieuse de division du travail, le sparatisme anticatholique dj esquiss plus haut, allant cette fois jusqu' la rupture entre la religion et l'Etat. Ces deux documents prcdrent de quelques mois la polmique qui nous occupe. Au moment mme o elle clata, s'en produisit u n autre qui aurait pu lui seul clairer notre professeur. Ce fut le commentaire de l'Encyclique Pascendi que M. Fonsegrive fit dans le Temps peu de jours aprs son apparition. Ne voulant pas nous y arrter ici davantage, et pour permettre au lecteur de juger, pour conserver l'histoire des pices aussi instructives, nous insrons dans l e s Informations et Documents les trois dernires que nous venons de rappeler.
Venons l'aventure du polmiste. Au mois de septembre 1907, j'.appris que le Bien du Peuple d'Agen avait reproduit, en y joignant quelques observations malignes, une critique malveillante de Y Ami du Cierge sur mon ouvrage Le progrs du libralisme catholique en France sous le Pape Lon XIIl. A cette poque, il n'avait pas encore succomb sous les poursuites d'un zle plus ardent sauver la politique de concessions que soucieux 1. Numro du 1er janvier 1911, page 422,
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de s'opposer l'envahissement des erreurs nouvelles. L'auteur se dfendait selon son droit. Je demandai donc au journal agenais l'insertion de ma rponse cette revue. Et, comme je connaissais dj son pangyrique de M. Fonsegrive, j'ajoutai, par un procd de bonne Igiuerre : Il ne me serait pas difficile de prouver que le Bien public de l'Agenais a, lui aussi, de bonnes raisons pour ne pas trouver de son got un ouvrage o est dmontre la relation de la politique de Lon XIII et de l'abus qu'on a fait de ses directions avec le progrs du Libralisme sous ces trois formes : la politique soumissionniste, la fausse dmocratie chrtienne et le modernisme. Pour m'en tenir ce dernier aspect de la question, le plus actuel, je me contente de cueillir dans votre du 5 avril 1907 les lignes suivantes dont la saveur se gote encore mieux aprs l'Encyclique qui vient de paratre. Elles sont extraites d'un long loge de M. Fonsegrive, l'occasion de la disparition de sa revue qui a "t un des principaux foyers des erreurs condamnes par Pie X. Et le fait que le pseudonyme de Franois Deschamps sous lequel de telles paroles passent dans votre journal cache la personnalit d'un prolessour du grand sminaire d'Agen, n'est pas pour diminuer la signification et l'intrt de ce trait On conviendra qu'il tait typique, l'heure mme o l'Encyclique Pascendi venait de paratre. Les directeurs de l'Autorit acceptrent de publier cette dfense. Ello parut sous la rubrique Rponse un journal librai et moderniste . Je reconnais que la seconde pithte tait dure, quoique justifie. Elle visait moins le journal que le rdacteur. Son article mritait d'tre ainsi qualifi, et, au surplus, qu'avait faire le Bien du Peuple, organe populaire, d'entrer dans ces questions qui sont plutt matires pour les revues! N'tait-ce aussi un fait significatif? Son directeur, M. l'abb Olgiwolski, m'crivit un mot pour m'avertir que la retraite ecclsiastique l'obligeait diffrer l'insertion. Il terminait en disant : Mgr du Vauroux est le directeur du journal dont je suis le rdacteur en chef. Sorti des saints exercices, M. Olgiwolski prit sa plume, et, sous la rubrique Rponse une diffamation , ajouta la mienne ce qu'on v a lire (1 octobre 1907) ;
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Et maintenant, quelques commentaires. Aprs M. Dimier, voci M. Barbier. Qu'est-ce donc M. Barbier? C'est un prtre dont les rvoltes prudentes ne s'attaquent qu'aux papes dfunts. C'est un crivain politique dont la plume n'pargne personne, ni L'Action librale , ni le Sillon , ni Lon XIII. C'est un rdacteur habituel de l'Autorit, et quelques-uns vont mme jusqu' prtendre qu'il aiguise sur l'autel de sa messe quotidienne, en vue de duels hroques, l'pe de MM. de Cassagnac. C'est enfin un ex-jsuite qui, lass peut-tre d'obir perinde ac cadaver, prfre commander tout le monde et fulmine contre quiconque ne pense pas son gr des excommunications majeures. Perinde ac cadaver. Cet homme a le cadavre rcalcitrant.
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Mai aussi no serait-ce point trop lui demander -que de lire au jour le jour notre petite feuille dpartementale et de rpondre du tac au tac nos mprisables critiques? M. Barbier est, on le sait, trs occupe : l'ducation de deux enfants, Guy et Paul, la rvision des uvres de Lon XIII et de M. Piolu, etc., etc., tout cela absorbe son temps tel point qu'il lui faut, dans chaque diocse, un agent d'affaires ou un policier. Mais les policiers de M. Barbier ont des lacunes. Ils sont parfois paresseux et rechignent la besogne. Ceux du Lot-et-Garonne leur masque est peu prs lev ne valent dcidment rien, et, si j'tais M. Barbier, je les casserais aux gages. Il est vrai qu'il y aurait peut-tre trop de difficults les remplacer. Mme parmi les valets on en trouve peu qui aient une telle mentalit de dlateurs. C'est gal, M. Barbier ne leur donnerait il comme salaire que d'amicales correspondances et l'hommage do ses mchants bouquins, il est vol. Est-il possible en effet qu'un article du 2 juillet ne soit connu do M. Barbier que le 20 septembre? Est il possible que le Bien du Peuple devienne, dans le bureau des fiches, le Bien-public ? Est il possible enfin que ce malheureux Paul Deschamps soit tortur au point de perdre sa personnalit et de s'appeler Franois ? En matire do confusion, M. Barbier, je ne connais gure d'aussi hardi que vous que M. Dimier. Dans une des rponses dont il m'a inond il prenait L'Aurore pour L:i France du Sud-Ouest. Donnez-vous la main droite, chers Messieurs. Au moins, pendant ce temps, vous n'crirez pas. Je ne reviendrai pas sur les dmls de M. Barbier avec 1 Ami du * Clerg . Au point de vue de l'orthodoxie et du vrai catholicisme, entre eux deux la question est depuis longtemps tranche. L* Ami du Clerg est une revue srieuse, sage, que certains accuseraient plutl d'tre un peu lonlo accepter les ides nouvelles. Elle aime les traditions doctrinales JU, si vous prfrez, les doctrines traditionnelles et, quoi qu'en dise M'. Barbier, n'a jamais eu de complaisances pour les progrossistes tmraires ou excessifs. Elle est ouvertement patronne par de nombreux Evoques et possde, parmi le clerg studieux, une incontestable autorit d'enseignement et de direction. Et M. Barbier? Ohl lui est ur thologien dont la mauvaise humeur aveugle et brutale lui -causa nagure quelques msaventures. Quand il publia les erreurs du Sillon , Rome et l'Action librale , un petit imprimatur et bien fait son affaire. Il frappa en efet perdument plusieurs portes episcopales. Hlas! aucune porte ne s'ouvrit. Aucun vque ne voulut donner de la tte dans Jes panneaux thologiques de M. Barbier, et les volumes de M. Barbier, trouvs mchants par tout le monde, durent paratre devant le public tout nus, tout penauds, tout honteux. Que les Encycliques de Lon XIII aient paru, sans l'imprimatur de M. Barbier, cela se conoit. Elles contenaient tant de vues fausses 1 Mais que des vques aient refus d'estampiller vos Encycliques vous, M. Barbier I c'est un malheur du temps. Faudra-t-il donc verser une larme sur l'apostasie des vques et crire comme M. Jules Delahaye le faisait le 1 septembre 1907 dans votre journal L'Autorit : Papes, vques, prtres, fidles se sont diviss, puis se sont abandonns; c'est qu'ils ont perdu, en lardant la foi, ou paraissant Vavoir perdue, Vestime et la confiance des caihoVque eux-mmes. (Citation certainement infidle.)
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Il est vrai que L'Autorit n'est pas un journal libral et mindcrnste . a nous est rserv! Tartufe, prends donc ton mouchoir! Mais j'ai hitte d'arriver au Bien Public (?) et notre ami Franois (?). Il resulto simplement que Franois nurnit crit 10 lignes que ne plaisent pas M. Barbier. C'est quelque chose, 30 lignes, et il y a de quoi faire penrlrp
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un homme puisque deux lignes suffiraient. Mais enfin ce n'est pas deux gros et mchants volumes de 1100 pages! Franois dclarait n'avoir lu de la Quinzaine que le premier et le dernier numro. Ne la connaissant pas, il n'a donc pas voulu la justifier. Son sujet tait bien autre, puisque toute sa pense n'tait que le dveloppement de l formule bien connue iqu'il donnait comme conclusion de tout l'article : Dans les choses ncessaires, Unit; dans les choses douteuses, Libert; en tout, Charit Si M. Barbier n'a pas voulu comprendre, qu'y pouvons nous ? Si, expliqu par M. Barbier en dehors du contexte et contrairement au contexte, le passage incrimin contenait des vues fausses, l'auteur (Franois) le regretterait assurment, mais cependant ne serait pas trs mu, car M. Barbier a trouv des vues fausses dans Lon XIII lui-mme. Puisque le Pape des grandes Encycliques est sujet l'erreur, a fortiori un simple mortel. Franois n'est pas pour cela suspect de modernisme. Il passa sa vie tous ses lves le savent bien - la combattre. D'ailleurs qui n'est pas moderniste au sens de M. Barbier? Personne et pas mme Mgr Sagot du Vauroux, voque d'Agen, nomm et sacr par Sa Saintet Pie X. Voici en effet ce qu'il crivait dans une Instruction patorale, le 25 juillet 1907, c'est--dire aprs les erreurs de Franois : Le lendemain de notre Sacre, l'initiative d'un certain nombre de prtres et de fidles, particulirement zls, crait Tonneins une feuille quotidienne dont le but et l'esprit devaient tre et sont rests parfaitement conformes aux principes que nous exposions tout l'heure. Pour ces motifs, le ce Bien du Peuple de l'Agennais a toutes nos prdilections. $ Si le Bien du Peuple a t moderniste en suivant fidlement les directions de Mgr du Vauroux, c'est donc que Mgr du Vauroux est lui-mme entach de modernisme. Votre diffamation, M. Barbier, porte donc plus haut que moi. Je ne puis pas la dtourner de son but. Il y a quelque temps, vpus vous efforciez, dans une lettre ouverte l'Evque de Nancy, d'attirer ses foudres sur quelques-uns de ses collgues de l'Episcopat : Mgr Gibier, Mgr Touchet et le vnr pardinal de Paris lui-mme, coupable d'avoir accord l'ouvrage d'un prtre qui porte d'ailleurs votre nom Dieu lui pardonne I un imprimatur que vous jalousez. Mettrez-vous donc aujourd'hui Mgr du Vauroux sur vos listes de proscription? J'ai fini, je pourrais dire M. Barbier combien il m'est pnible de polmiquer avec un prtre et d'avoir dfendre contre lui une feuille quotidienne dont toute la politique consiste vivre dans le rayonnement de Rome. Cela ne le toucherait gure, lui qui est all jusqu'au fond d'une tombe glorieuse clabousser de ses critiques impertinentes la robe blanche et la mmoire d'un grand Pape.
A. J. OLGIWOLSKI.
P.-S. Le jour o j'ai reu l'ptre de M. Barbier, c'est--dire avant qu'elle ait pu tre insre dans le Bien du Peuple, M. Barbier la publiait dans Y Autorit et l'envoyait grands renforts d'exemplaires mon Evque et plusieurs prtres de mon diocse. C'est plus que de l'indlicatesse. C'est de la dloyaut. A. J. 0. Pour toute rponse ce dvergondage, j'envoyai au Bien du Peuple les quelques lignes qu'on v a lire en tte d'un nouvel article de lui (8 octobre 1907) paru avec ce titre en gros caractres : M. Barbier contre Mgr VEvque d'Agen. M. l'abb Olgiwolski y citant la lettre
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qu'il avait adresse l'Autorit et la rplique que j'y donnai dans ce journal, il n'y a qu' le laisser parler seul. Nous avons reu de M. l'abb Emmanuel Barbier la tartine de fiel crue voici : Le 6 octobre 1907. Monsieur le Grant, M. l'abb Olgiwolski rpond aux citations de son journal que j'apportais, (sic) par des injures qu'aucun lac, sauf ceux qui en font mtier, n'aurait os profrer contre un prtre. La conception que j'ai du respect d au caractre sacerdotal m'interdisanfi cette sorte de langage, je me borne vous demander, conformment la loi, de publier ce mot la place o a paru l'article de M. Olgiwolski. Je veux esprer pour lui que, loin de voir l une dfaite, il n'y trouvera qu'un trs modeste exemple. L'abb Emmanuel B A R B I E R . M. Barbier serait-il donc inconscient? Il nous accuse de libralisme al de modernisme condamns par l'Eglise, dans le Bien du Peuple et dans l'Autorit; il jette sur nous, pelletes, des critiques.et des anathmes qu il abrite derrire le lche anonymat de tel ou tel qui, A.gen, est prpos par lui au service de la dlation et il s'tonne que, nous sentant ainsi poignards dans le dos, et odieusement attaqus dans la sincrit mme de notre catholicisme, nous osions nous dfendre I II va mme jusqu' prtendre nous donner une leon hautaine du respect d au caractre sacerdotal, Est-ce que je ne rve pas, M. Barbier? Est-ce bien vous qui, de sang-froid et clans une rvolte intime de votre conscience, avez crit cela, vous contre qui nous dfendions hier la mmoire d'un Pape, vous contre qui nous devons dfendre aujourd'hui l'orthodoxie d'un vquel Je m'explique (1). Le 30 septembre, j'ai adress VAutorit la lettre suivante : Tonneins, le 30 septembre 1907. Monsieur le directeur, h*Autorit dans son numro du 24 septembre, a publi une longue lettre de M. l'abb Emmanuel Barbier. Cette lettre, avait pour but de dmontrer que le Bien du Peuple de l'Agenais est entach de libralisme et de modernisme. L'accusation est grave. Le devoir s'impose moi d'y rpondre et je ne saurais mieux faire que de reproduire, l'intention de vos lecteurs, les lignes suivantes, de Mgr Sagot du Vauroux, vque d'gen. Elles sont extraites d'une Instruction pastorale toute rcente et ont, par le fait mme, un caractre absolument officiel. Le lendemain de Notre sacre, l'initiative d'un certain nombre de prtres et de fidles particulirement zls, crait Tonneins une feuille quotidienne dont le but et l'esprit devaient tre et sont rests parfaitement conformes aux principes que nous exposions tout l'heure. Pour ces motifs, le Bien du Peuple de l'Agenais a toutes nos prdilections. Depuis notre arrive dans le diocse. Nous n'avons cess de lui tmoigner Nos sentimenls de bienveillance, d'encourager ses rdacteurs et ses bienfaiteurs, de promouvoir partout sa clif fusion. Nous avons rgl, il y a un an, les fonctions spciales de l'administra1
1. On va voir que l'explication consiste passer sous silence l'article auquel rpondait la tartine de fiel et donner grossirement le change.
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teur et des rdacteurs. Ceux-ci recommandables et par leur talent et par leur zle, s'inspirent fidlement de Nos directions. C'est donc directement et personnellement Mgr l'rque d'Agen que M. Barbier s'est attaqu. Je n'prouve d'autre sentiment que celui d'un profond regret. Veuillez agrer, Monsieur le directeur, l'expression de mon respect. L'abb A.-J. O L G I W O L S K I , rdacteur en chef du Bien du Peuple. Il n'y avait point l, je pense, de ces injures qui offensent si cruellement le doux cur de M. Barbier. Il y avait seulement une mise au point ncessaire. M. Barbier m'a rpondu et, pour ne point m'exposer dnaturer sa pense, 30 veux le citer textuellement : Ma lettre avait pour but trs lgitime de montrer que Je Bien du Peuple,. renchrissant sur les aigres rcriminations de Y Ami du Clerg contre mon der nier ouvrage, consacr dvoiler les progrs du libralisme et les tendances modernistes, tait lui-mme quelque peu sujet . caution. M. l'abb Olgiwolski croit m'embarrasser, en substituant, une question de fait, une question de personne. Le moyen ne manquerait pas d'une certaine habilet dfaut de loyaut en matire de polmique, s'il n'avait pour seule consquence de compromettre* une autorit qui .ne doit pas tre compromise, et de venir chouer devant la vrit qui ne saurait, quoi qu'on fasse, perdre ses droits. Je veux mme insister sur l'exemple que-j-e citais; il mrite d'tre rapport plus compltement. C'est une lgie sur la disparition de la Quinzaine, et un pangyrique de M. Fonsegrive, son directeur, confrencier nagure trs honor dans les grande sminaires. lequel vient (d'crire, dans le Temps, un mauvais et perfide article contre la rcente 'Encyclique. Le Bien du Peuple avait dit, dans son numro du 5 avril 1907, et notez > que c'est un professeur du grand sminaire d'Agen qui tient la plume: v> (Ici une longue citation de Paul Deschamps) (1). On le voit, M. Barbier revient obstinment son dada et son dada, c'est Vexcellent article publi par le Bien du Peuple, sous la signature de Paul Deschamps? C'tait un professeur de grand sminaire. Comment M. Barbier le sait-il? Je gage qu'il n'aura pas la loyaut de le dire. Il serait oblig de dcouvrir ses sbires et cela sans doute serait substituer une question de fait une question de personne. M. Barbier est trop honnte, n'est-il pas vrai? pour en venir 1 de telles franchises I Mais o donc, M. Barbier, avez-vous trouv que, par des machinations sournoises et des habilets perfides, j'ai fait dgnrer en une mesquine question de personne le dbat qui s'est livr entre nous et qui, en toute hypothse, doit rester purement doctrinal? Si vos vieilles et violentes polmiques contre le Sillon , 1' Action librale , Lon XIII, etc... tout le monde, vous avaienL laiss assez de loisir pour lire de bonne foi un manuel lmentaire do thologie, vous sauriez que l'vque est dans son diocse le juge de la doctrine. C'est pourquoi, aussitt que fut publie il y a quelques mois dj la lettre ouverte Mgr Turinaz dans laquelle vous demandiez l'vque de Nancy de condamner un ouvrage formellement approuv par Mgr Gibier, Mgr Touchet et le vnr cardinal-archevque de Paris, dans laquelle aussi vous offriez en holocauste, sur l'autel do votre infaillible orthodoxie, un extrait de 1. Que le Bien du Peuple se garde bien de reproduire.
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l'article de Paul Deschampa, j'ai voulu eu avoir le cur net et j'ai demand a mon vque de se prononcer souverainement. Mgr du Vauroux s'est prononc en toute connaissance de cause. Ceux qui l'ont vu de prs savent bien qu'il ne recule pas devant les responsabilits et que l'nergie de son caractre gale la haute sagesse de ses jugements. Et pour bien montrer tous, adversaires ou amis du Bien du Peuple, qu'il allait parler, officiellement, en fonction d'vque, en pasteur et docteur de son diocse, il a voulu consigner sa pense, non point dans une lettre prive, mais dans une te Instruction pastorale. Vous-mme, M. Barbier, n'avez pu mconnatre la haute porte d'un tel document, puisque vous crivez : C'est cola que M. l'abb Olgiwolski rpond, en invoquant une approbation publique de son. vque, absolue et sans rserve. Ds ce moment la question tait tranche. Un prtre, quel qu'il ft, ayant line conception exacte du respect d au caractre episcopal , aurait reconnu que l'approbation publique, absolue et sans rserve de Mgr du Vauroux, valait bien un de ces imprimatur que M. Barbier a si souvent qumands en vain la porte des vchs et mme , la porte de bronze du Vatican. Mais M. Barbier plus rellement moderniste que ceux qu'il attaque n'a point de ces pudeurs thologiques et il veut tout prix me donner le modeste exemple (oh! combienI) du sans-gne avec lequel un homme comme lui peut traiter l'Episcopat. Je voudrais pouvoir encadrer la citation qu'il me reste faire et dans laquelle M. Barbier, oubliant sans doute qu'il est prtre, se permet de blmer Mgr du Vauroux et de lui tracer son devoir.
Je ne crains pas d'affirmer et de maintenir,non seulement qu'aucun vque ne saurait approuver ce langage mais qu'aprs les prescriptions de l'Encyclique, n'en est aucun qui se croirait oblig d'carter de'son sminaire le professeur qui l'aurait tenu, si celui-ci ne venait srieusement rsipiscence " (1)
du Vauroux. On retrouve bien l le style des fiches maonniques et la mentalit des dlateurs. Pourquoi donc n'est-ce pas sign : Vadcard? M. Barbier crira que ce sont l des injures. Libre luil Nous le prvenons une fois pour toutes que nous ne permettrons jamais lui et ses pareils inquisiteurs sans mandat de suspecter l'intgrit absolue de notre foi. Nous avons salu avec une joie reconnaissante et mue l'Encyclique de Pe X sur le modernisme parce que nous sommes convaincus qu'elle affranchit la pense 1. L'Encyclique Pascendi porte : On devra avoir ces prescriptions, et colles de Notre Prdccseur et los Noires, sous les yeux,'chaque fois que l'on traitera du choix des directeurs et des professeurs pour les Sminaires et les Universits catholiques. Qui d'une manire ou d'une antre se montre imbu de modernisme, sera exclu, sans merci, de la charge de directeur ou de professeur; l'occupant dj, il
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en sera retir; de mme, qui favorise ht modernisme, soit en vantant les modernistes ou en excusant Imr conduite coupable, soit en critiquant la scolas-
tique, les Saints Pres, le magistre do l'Eglise, soit en refusant obissance l'autorit ecclsiastique, quel qu'en soit le dpositaire; de mme, qui, en histoire, en archologie, en exgse biblique, trahit l'amour de la nouveaut, de mme enfin, qui nglige les sciences sacres ou parat leur prfrer les profanes. Dans toute cette question des tudes, Vnrables Frres, vous n'apporterez jamais trop de vigilance ni de constance, surtout dans le choix des professeurs ; car, d'ordinaire, c'esl sur le modle des matres que se forment les lves. Forts de la conscience de votre devoir, agissez en tout ceci prudemment, mais fortement.
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LA C R I T I Q U E
DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
catholique Nous voulons tre les serviteurs ardents, passionns, de cette vrit qui ne saurait, quoi qu'on fasse, perdre ses droits , et c'est pourquoi nous dfendrons toujours, nergiquement et sans aucune piti, l'autorit du Pape et des vques contre l'irrespect, la diffamation et les mchants volumes des politiciens.
A.-J. OLGIWOLSKI.
Et voil.
Emm. BARBIER.
INFORMATIONS ET DOCUMENTS
T R O I S C O N S U L T A T I O N S D E M. F O N S E G R I V E .
La premire est la rponse de M. Fonsegrive 'l'enqute du D Rifaux sur Les conditions du retour au catholicisme. Le systme de M. E. Le Roy sur le dogme et celui de M. Loisy ou des autres modernistes sur l'indpendance- de la critique s'en dduiraient logiquement. La crise intellectuelle que traverse le catholicisme n'est ni une. crise d'puisement, ni une crise d'adaptation; elle est plutt une crise d'inadaptation. ' ' ' ! j ' Le catholicisme est une religion, il est la religion. Il contient la doctrine de l a vie surnaturelle, de la vie prparatoire la dification. Comme tel, aucune crise intellectuelle d'ordre naturel ne peut l'atteindre. Il n'est ni avec la science, ni contre la science; il est en dehors et au-dessus. Ceux d'entre les savants qui s'imaginent qu'ils peuvent atteindre le catholicisme ne se font pas une ide exacte du dogme. Ils pensent pouvoir le contredire rationnellement. Mais le dogme est situ dans un plan diffrent de celui de la raison et ne peut, par consquent, pas tre atteint. D'autre part, le dogme ne peut, pour des raisons _ symtriques, tre ni tabli, ni prouv par des raisonnements logiques. La dmonstration de la divinit de Jsus-Christ ne dcoule logiquement et ncessairement -d'aucun syllogisme. La raison peut prparer la foi. Pour croire, il faut autre chose : une grce de Dieu, une bonne volont humaine. Mais, dans les ges qui ont prcd le ntre, le catholicisme a t li par ses propagateurs et ses dfenseurs tout un ensemble de penses, de propositions, de thories qui ont paru, qui paraissent encore beaucoup faire corps avec le dogme. Or, ces penses, ces propositions, ces thories sont devenues caduques. La science d'autrefois n'est plus science. Il a d sembler ds lors que la ruine des systmes rationnels attachs l'exposition du catholicisme tait la ruine mme de la religion. De l les anathmes jets par beaucoup de thologiens contre la science, de l l a dclaration de dcs du catholicisme au nom de la mme science.
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Mais l'inadaptation prsente ne peut pas durer. De plus en plus, les catholiques acquirent la conviction que la science est une chose, que la religion en est une autre. Il suffit, pour que la religion reste vnre auprs de la science vivante, que l'on opre une simple division du travail; que le thologien spcule sur le surnaturel d'aprs les donnes de la rvlation et les enseignements de l'Eglise, que le savant raisonne sur le naturel d'aprs les donnes de l'exprience. Mmo dans les questions mixtes telles que l'authenticit des livres saints ou leur intgrit, ou l'histoire de Jsus-Christ, la mthode scientifique doit ae conduire d'aprs de tout autres principes que la mthode thologique. Et il est possible que les deux mthodes aboutissent de faon galement lgitime des rsultats assez diffrents. Les purs savants s'en tiendront aux conclusions scientifiques, les thologiens aux thologiques. Ceux qui voudront coordonner ces deux sortes de rsultats et rester intelligents tout en demeurant catholiques, devront remarquer que, dans ces matires, les conclusions dites scientifiques ne ' sont jamais que conjecturales, probables, peut-tre trs probables, jamais tout fait certaines et ncessaires. Au contraire, les conclusions thologiques bien dduites sont ncessaires la vie catholique. Ils se dcideront donc pour la vrit de celles-ci contre celles-l, parce que les ncessits de la pratique doivent toujours l'emporter sur les .probabilits thoriques. Et cet acte de foi ne saurait les empcher de reconnatre la valeur des conclusions qu'ils repoussent quand on ne les considre que du point de vue de science. 'Ainsi donc, la crise intellectuelle qui proccupe tous les esprits, ne se dnouera pas par un ajustement nouveau de la science la thologie, mais, au contraire, par une division attentive du travail, une distinction des pouvoirs, une sparation des fonctions. Veuillez agrer, cher docteur, avec mes excuses pour ces notations trop brves, l'expression de mes sentiments bien dvous.
II
de
Fran-
La religion me parat tre un systme de croyances et de pratiques qui ont pour but d'tablir la communion universelle des esprits, la multiplication de la joie individuelle par la joie de* tous (III). Toute ide qui tend ce but est une ide religieuse. Tout sentiment qui nous pousse l'harmonie, la joie universelle, est un sentiment religieux. Ainsi, vos socialistes, pris de justice, vos anarchistes qui veulent supprimer les lois pour avoir la paix, ont des ides, des sentiments religieux (M!) Cependant ils n'aboutissent point la religion. La religion, en effet, est proprement transcendante. Elle aspire la communion entre les hommes, au dveloppemment plnier de la vie, mais, en mme temps qu'elle prend pleine conscience de ses hautes ambitions, elle se rend trs nettement compte que l'homme est impuissant les raliser. Car l'homme n'aspire rien de moins qu' se faire dieu. Il sent qu'il ne le peut pas. Il fait alors appel une puissance surhumaine. TI demande Dieu sa grce pour monter vers lui, pour raliser en Lui et par Lui la communion universelle.
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LA
CRITIQUE
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POLITIQUE,
SOCIAL
Les (rois lments essentiels rlc la religion sont donc : Yaspiralion de l'Juiinanilc la divinisation, l'existence de Dieu, la grce de Dieu. Le christianisme, tant la seule religion positive qui ait trs nettement compris ces trois lments du problme religieux, est par l mme la vraie religion. C'est pour cela qu'il n'y a pas, qu'il ne peut pas y avoir dissolution du christianisme. II y a dissolution de toutes les formes religieuses qui sont inadquates aux ' donnes essentielles du problme religieux, par exemple, dans le christianisme, les diverses formes du protestantisme qui tendent liminer la transcendance divine, le surnaturel et la grce. Il n'y a pas dissolution du catholicisme, ou y voit au contraire s'oprer . une concentration. Il n'y a pas non plus volution au sens propre du mot, il y a cependant vie et progrs, mais, sans mutation d'une forme, en une forme spcifiquement diffrente. Tous les phnomnes auxquels nous assistons : lacisation progressive de l'Etat, premption de certaines coutumes intellectuelles, disparition mme de certaines formes disciplinaires, tout cela n'est que le rsultat des lois de la division du travail. De plus en plus, la religion prend conscience et possession de son domaine propre qui n'est ni le forum, ni l'cole, ni la science profane, mais la communion spirituelle de l'homme avec Dieu et, par Dieu, avec ses frres dans le temps et par del le temps. Tout ce que nous voyons et qui parat hostile la religion nous- y ramne au contraire, et tout l'effort de l'anticlricalisme tournera, par l'puration, par le renouvellement de vie puis dans l'effort, au bnfice du catholicisme.
III On me permettra d'extraire de mon ouvrage Les dmocrates chrtiens cl le modernisme l'article que M. Fonsegrivc puMia dans le Temps quand parut l'Encyclique Pascendi. M. Fonsegrive a crit, dans le Temps du 28 septembre 1907, un article sur l'encyclique Pascendi dominici gregis, o il commente et juge ce grave document avec l'autorit que peut s'attribuer u n porteparole autoris du modernisme. C'est tune contre-encyclique au petit pied, morceau dtestable, doucereux et venimeux, o la protestation et la rsistance percent travers les loges pompeux. Des organes, mme catholiques, l'ont apprci avec beaucoup trop d'indulgence, faute, peut-tre, d'y reconnatre le dualisme et le sparatisme qui sont le fond des ides de M. Fonsegrive. Ce qu'il y a de plus condamnable dans cet article, ce n'est pas l'audace, dj grande, d'insinuer, sinon de prtendre, que les propositions rprouves par le pape ne se trouvent pas dans les crits des modernistes. M. Fonsegrive avait dj, employ, pour sauver l'Amc-iicanisme aprs la sentence papale, ce moyen renouvel des jansnistes. Il lui semble encore bon ici : Il est peu probable que les auteurs viss par cette partie de Vencyclique
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reconnaissent dans cette exposition toute leur doctrine. Si l'on avait, eu cffol, voulu driver des mmes principes des doctrines aussi diffrentes, par exemple, que celles de M. Le Roy et de M. Laberthonnire, du M. Blondol cl de M. Loisy, qui se sont vivement critiqus les uns les autres, il est clair qu'on ne l'aurait pu qu' la condition de dfigurer leur pense. Mai tel n'a pas t, on l'a dj remarqu le dessein pontifical. Vie X n'a pas eu souci d'crire un chapitre d'histoire de la philosophie. Les auteurs viss ne sont d'ailleurs nomms nulle part et ils auraient mauvaise grce se plaindre. Aucun d'eux n'a profess intgralement ces doctrines condamnes. Aussi bien ce n'est pas tant d'eux qup le pape s'est inquit que de F tat d'esprit amen par leurs crits ; et c'est bien moins leurs penses intimes qui le proccupent que l'atmosphre intellectuelle que leurs livres ont rpandue parmi les fidles et le clerg. Jl se peut qu'un historien de la philosophie purement objectif et critique ne pt retrouver cet ensemble de thories que Vencyclique dsigne sous le nom de modernisme et o elle voit la synthse de toutes ls hrsies ni dans la lettre de Tyrrell, ni dans les Essais de philosophie religieuse de La" berthonnire ni dans Dogme et critique de Le Roy, non plus que dans U Santo de Fogazzaro ; cependant - le modernisme n'est pas un fantme, et l'encyclique, en lui donnant les contours prcis qui permettent de le reconnatre, ne l'a point cr. Et les auteurs s'en trouvent bien tre, plus ou moins involontairement, les auteurs. Et plus loin : Parmi celles qui sont trs nettement condamnes, il n'en est aucune qui, avant l'encyclique mme, ne ft suspecte aux vrais catholiques. Et plusieurs des auteurs auxquels elles sont empruntes les eussent condamnes d'eux-mmes, s'ils leur avaient attribu le sens que leur trouve l'encyclique. Ainsi que le pape l'explique, il ne vent pas juger des intentions des auteurs, ni par suite, du s?ns peut-tre acceptable dans lequel ils entendent leurs crits. Et encore : Il suffirait peut-tre de faire subir aux formules dsapprouves quelques corrections, ou d'y introduire quelques claircissements, pour qu'elles devinssent irrprochables, propos du dcret Lamentabili. A Vaut d'aller plus loin, rapprochez ce langage de celui du protestant Paul Sabatier, dans un article sur la Crise religieuse (le Sicle, 23 septembre 1907). MM. Loisy, Le Roy et d'autres sont donc viss par le Syllabus; on peut dire qu'ils ne sont pas atteints. Ce qui est atteint, c'est l'interprtation di> leur pense donne par le P. Pie de L.angogne ou le cardinal Vives. Nul doute que certaines gens ne s'crient que l'interprtation est parfaitement adquate: ils ajouteront mme navement que beaucoup de choses qu'ils n'avaient pas comprises dans les textes originaux leur ont t rvles par le dcret du S. Office, que celui-ci exprime la pense de MM. Loisy, Le Roy et des autres, mieux que ceux-ci n'avaient su le faire. Ces sortes d'aveuglement se constatent, on ne peut chercher les gurir.
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De ces soixante-cinq propositions, il y en a qui n'ont jamais t soutenues par personne. Il y en a mme qui ne constituent pas des erreurs,
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mais des stupidits. II tait inutile de les condamner et de se lamenter BUT elles. Il suffisait d'en sourire. La S. Congrgation s'est ainsi trompe pur l'ensemble mme de l'enseignement moderniste, sur son orientation, sur son esprit; ELLE n'a pas vu que ces philosophes, ces exgtes ET ces historiens n'ont jamais song se poser en docteurs proclamant des rsultats dfinitifs et qu'ils n'ont pas un instant cess d'tre modestes ouvriers qui ont parfaitement conscience de ce que leur uvre prsente - de provisoire et de relatif (1). ' I : M'-J!;; Revenons M. Fonsegrive. Pour lui le modernisme existe' bien, en ralit, mais comme exista l'amricanisme, dans le cerveau de ceux qui ne comprennent pas l e s nouvelles doctrines : Car si un historien de la philosophie ne saurait rencontrer .nulle part le modernisme, un historien des ides n'aurait pas de peine le dcouvrir. vrai dire, depuis quelque temps, il s'insinuait partout. Il s'tablissait des faons quivoques de parler, des professeurs imprudents et mal outills lanaient parmi les lves des ides parfois mal comprises et mal digres, les jeunes gens interprtaient dans la langue ordinaire des sminaires, des formules empruntes un tout autre langage, la confusion s'tablissait et nous assistions des phnomnes rapides de dissolution. Il tail devenu ncessaire d'aviser. Aucun de ceux qui connaissent Vtal d'esprit des sminaires des tudiants ecclsiastiques, surtout en Italie et en France^ ne peut dnier Vencyclique son caractre d'opportunit. Oe qu'il y a de plus grave, ce n'est pas non plus, l'insolent ireproche,- mal dguis, sous des termes calculs et perfides, que M. Fonsegrive fait au pape de rserver sa svrit pour les catholiques et de sacrifier la niasse du monde intellectuel : Pie X ne s'inquite que de la manire dont ces crits sont et doivent 1. Je cite encore, sans les prendre aucunement mon compte, quelques autres lignes DE cet article qui viennent notre thse gnrale, LA Revue du Clerg ayant toujours eu une sympathie trs manifeste pour les dmocrates chrtiens : Il Y a deux ans, voulant prouver VAutorit qu'ELLE serait appele de proche en proche proclamer une sorte d'tat de sige intellectuel et pratiquement interdire au clerg l'encre d'imprimerie, je lui signalai. un trs beau travail DE L'abb Dimnet intitul : La Pense catholique dans l'Angleterre contemporaine ; je montrai que la guerre aux ides nouvelles est un non-sens, puisqu'elles ont pntr partout et que les prtentions du conservatisme ne sont autre chose que celles d'une minorit, dangereuse par son enttement incurable, puissante par ses ressources matrielles et son alliance avec des intrts politiques et sociaux, mais voue devenir brve chance une simple secte. Le travail de M. Dimnet. compltement pntr de modernisme, avait paru chapitre par chapitre, dans la Revue du Clerg franais o il avait eu un grand succs, ce qui prouve combien la moyenne de nos prtres est dj en harmonie avec les ides nouvelles. Dans son numro du 1 aot, la Revu*, du Clerg franais, par exemple, a publi le fameux Syllahus, sans que, dans le numro suivant, on aperoive aucun changement, aucun effort pour se mettre en harmonie avec ses indications les plus videntes. Il n'y a L aucune mauvaise volont. Il y A simplement la preuve que si la Sacre Congrgation ignore les travailleurs catholiques, ceux-ci la respectent profondment, mais ne l'ignorent pas moins.
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tre communment entendus, du sens qu'ils ont pour ceux qui les lisent, car la fonction de sa charge est de prserver le gros du troupeau. Et cependant ces laques existent, c'est mme pour eux que l'Eglise est faite, et les bergers n'ont de raison d'tre que dans la conduite et le salut du troupeau... Pis X, en condamnant le modernisme, n'a fait que continuer sa politique religieuse. Il veut avant tout purer, concentrer le catholicisme, et par cette concentration en renouveler toutes les nergies vitales. C'est la hirarchie clricale qu'incombe cette mission. Taceat mulier in Ecclesia, disait-on jadis; Taceat lacus, prononce Pie X. Il veut qu'on s'carte du monde ennemi ou pernicieux; que les fidles s'enferment dans la cit sainte, loin des vents empests du sicle; qu'ils se suffisent eux-mmes, semblables des assigs dans une ville investie, qu'ils conservent pure la flamme sacre jusqu' ce que, l'atmosphre extrieure s'tant assainie, ils puissent de nouveau montrer sa lumire et la propager. Et quant vouloir des sorties ou essayer de dtruire l'ennemi, il semble que Pi X soit d'un avis oppos. Que l'ennemi ou l'tranger se gouverne comme il l'entend, l'Eglise n'a charge que de ses enfants. C'est eux qu'elle doit surtout sa sollicitude, c'est eux qu'elle adresse ses enseignements, eux qu'elle rserve ses ordres et, s'il y a lieu, sa svrit.
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Plus audacieuse, ou peut-tre seulement plus inconsciente, mais, coup sr, plus condamnable encore que les critiques prcdentes, est l'aberration du moderniste qui le fait appliquer dans l'interprtation mme de l'Encyclique ce dualisme, ce sparatisme que celle-ci rprouve comme la base de toutes ces erreurs. De mme que, aux yeux du mme homme, une mme chose peut tre vrit de foi pour le croyant ot inconnaissable pour le savant, de mme l'Encyclique est admirable pour le catholique, mais sans aucune signification ni valeur pour le philosophe. Ecoutez d'abord le catholique; il parle un beau langage : Que les philosophes ne protestent pas : cette synthse qui n'a t faite nulle part existait latente dans toutes les mes sduites, plus ou moins consciente dans toutes les intelligences sductrices. Le pape ne l'a pas cre, il l'a mise nu; et la preuve qu'elle correspond une ralit, c'est qu'elle runit, qu'elle relie en effet de faon logique et claire les diverses positions adoptes par les auteurs, aussi bien dnns la dogmatique qu'en exgse, en histoire ou dans l'apologtique, ot qu'elle explique la fois la correspondance et la diversit de toutes les attitudes. Il y a sans doute et l quelque raccourci et mme quelque dformation, mais U but du document pontifical put bien moins rC attester la vrit de cette synthse que de montrer grce elle, U danger de certaine* propositions. Bien n'tant plus oppos au catholicisme que toutes ces consquences, et ces consquences drivant trs clairement de la doctrine centrale par o se trouvenf relies les unes aux autres les formules diverses des principaux modernistes, il s'ensuit que le modernisme doit inspirer au croyant fidle la plus salutaire horreur. Mais voici maintenant le philosophe : depuis la publication de l'Encyclique, on n'a gure pris en face d'elle que
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trois a Ui lu des : celle de la fidlit admirative, celle de l'hostilit sectaire, colle de l'indiffrence dogmatique. Parmi les autres attitudes qui restent possibles, il y a celle des catholiques, plus nombreux qu'on ne le pense, qui, trs respectueux de la parole du pape et de son autorit, dcids se soumettre ce qu'il enseigne, ce qu'il commande, se rendent cependant un compte trs net que si les auteurs modernistes ont t rprhensibles, cependant tout chez eux ne paraissait pas condamnable; que si, parmi leurs formules, plusieurs rpugnaient au sens catholique, plusieurs autres, bien entendu, ne paraissaient pas altrer la substance de la foi et semblaient ouvrir, au contraire, d'engageantep et grandioses perspectives; et enfin et surtout le problme qu'ils
ont tenta de rsoudre demeure pos.
Et, plus loin : Les modernistes sont condamns. Le pape dclare avec son autorit incontestable et inconstate que les modernistes n'ont pas trouv la solution du problme. Mais le problme subsiste. Et l'Encyclique ne le rsout pas, ou plutt ne le rsont qu'en partie, en dclarant fausses les solutions proposes. En consquence, l'Encyclique, rgle de la foi, s'impose au clerg qui a besoin d'une direction pratique pour son rle actif; mais les lacs, le? intellectuels revendiquant le droit de repousser, dans la recherche scientifique de la vrit, la seule philosophie qui s'accorderait avec la foi, conserveront la libert de poursuivre la solution du problme selon leur mthode : Les hommes de cabinet, habitus au maniement des ides, peuvent trouver qu'il n'y a rien de meilleur que la fermentation intellectuelle; quiconque sait quelle clart, quelle prcision idale est ncessaire la vie active sera d'un avis tout, oppos. Les futurs prtres ne sont pas des intl?e''litels. de-t thoriciens ; ce sont an tut tout des hommes d'action qui doivent agir sur les mes. C'est pour cela qu'il tait urgent de prciser les contours de la doctrine fuyante dons les aspects multiples et vagues exeraient sur les esprits leur puissante sduction. Les sminaristes ne sont pas des champs d'essai o s'laborent, par de longs ttonnements, les ides nouvelles. Les prtres sont des praticiens
qui ont besoin pour agir d'ides arrtes et nettes. Le monde moderne, de-
puis'Descartes, est en travail d'une certaine philosophie. La notion de science, la notion mme de vrit, sont soumises rvision et il ne semble pas que l'on soit prs de tomber d'accord. Mais le prtre a besoin d'une dfinition, sinon de la science, tout au moins de la vrit. Il la prendra donc dans une philosophie arrte et constitue stable et solide... Ces laques vivent dans un monde tout imprgn d'ides qui-leur est bien dif: ficile de rpudier, hors desquelles leur intelligence ne peut plus vivre et n se reconnat plus. Ils ne sont pas tous ignorants de la philosophie Bcolastique, et plus d'un parmi eux a lu saint Thomas. Quant ils lisent ces vnrables auteurs, ils les admirent sans doute, mais ils s'y sentent tout dpayss. Les problmes qui taient agits avec le plus de passion dans ces livres ne nous intressent plus ou ils ne se posent plus de mme manire. Nos pas,
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sous ces votes admirables, n'veillent que les chos du silence, comme dans nu sanctuaire que les foules ont dsert. Et, chose trange, tandis que tout ce qui eut d'ordre philosophique nous y fiorat prim, n'oft'ie plus nos esprits qu'un sens archologique, tout ce est qui d'ordre religieux et thologique nous satisfait^ au contraire, et nous y retrouvons la patrie de nos consciences, la lumire de nos mes. En attendant que soit constitue la dfinition moderne de la vrit, el qu'autour d'elle soient organises les principales articulations d'une philosophie communment accepte, en attendant que, de part et d'autre, on reconnaisse la continuit des doctrines et, par suite, leur accord foncier, le monde intellectuel non catholique demeurera impermable la pense catholique et il y aura quelque rciprocit. Et qu'est-ce qui peut rsulter de cette sparation? Sans doute une concentration, une puration du senLimcnt religieux. La thologie deviendra de plus en plus purement thologique, les discussions n'auront plus gure lieu qu'entre gens imbus de la mme philosophie, par consquent elles seront courtes, sans prel comme sans danger. Les questions oiseuses, qui ne peuvent satisfaire que la curiosit ou l'orgueil, ne seront pas souleves. .D'autre part, on ne pourra gure discuter avec les gens du dehors puisqu'on ne parle pas la mme langue, qu'on n'adopte pas les mmes mthodes, qu'on ne part pas des mmes principes.
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Les hommes qui n'ont pas la foi peuvent croire que, par cette laclique, le catholicisme sera bientt condamn mourir d'inanition; le catholique doit croire que c'est par l, au contraire, par ce travail intrieur, que se renouvelleront les nergies religieuses, et que la thologie enfin, ainsi que tontes les sciences sacres, retrouvera une nouvelle vigueur. Dans les temps d'orage, le troupeau vient se serrer sous la houlotLe do son berger. Au milieu d'une atmosphre infecte, on se mnage des retraites approvisionnes d'air pur. Il semble que cet air ne puisse se renouveler; c'est qu'on ne tient pas compte des vents mystrieux qui soufflent du ciel. L'assislance surnaturelle* de l'esprit de Dieu alimente la vie intrieure de l'Eglise ol rend suffisantes ses ressources intrieures. Et ainsi, l'Eglise travaillant sur elle-mme, le monde laborant au dehors sa philosophie, les temps viendront ow, la philosophie du monde ci la fin constitue, des relations intellectuelles entre le monde et l'Eglise pourront de nouveau s'organiser et s'tablir. Le geste que vient de faire Pie X est la rupture des relations diplomatiques entre l'Eglise et le Sicle. Chaque fois que des ngociations s'taient amorces et quelque peu poursuivies, l'Eglise avait condamn les ngociateurs : Pie IX condamna le libralisme, Lon XIII l'amricanisme; Pic X, aujourd'hui, en condamnant 'le modernisme, condamne le principe mme de toute ngociation. Il blme jusqu'aux utilisations des philosophas du sicle, et atteint ainsi presque nommment toute l'uvre religieuse de Brunclire. Les pourparlers sont rompus el chacun reste sur ses positions. Conclusion et bouquet : Les interdictions portes par Pie X vont attirer l'attention du clerg sur les ides nouvelles et leur gagner sa sympathie, M. Fonscgrive nous l'explique en un beau paragraphe; quant aux modernistes, leur situation est trs simple et trs belle, ils attendront que l'Eglise vienne eux! Le travail des auteurs modernistes n'aura donc pas t vain. Ils voulaient servir l'Eglise, ils l'auront servie. Sans l'intervention de l'acte pontifical, ils n'auraient pu que la dessprvir. Et c'est cet acte, pontifical mme qui se-
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ra le vhicule le plus efficace, non pas de leurs solutions, puisqu'elles sont rprouves, mats de leurs tendances et du succs de leurs pures intentions. Us ne se poseront pas en victimes. Ils souffriront noblement et en silence. Ils s'inclineront avec respect devant la main qui les frappe. Ils ne fomenteront ni sdition ni rvolte. Ils ne se concerteront pas pour essayer une rsistance quelconque, comme le disait le Giornale d'Italia, comme l'annonait aussi le correspondant romain du Temps. Leur position vis--vis de l'autorit a quelque chose de paradoxal, bien fait pour surprendre et mme pour scandaliser les simples. D'un ct, ils ne peuvent que se soumettre puisqu'ils proclament plus haut que bien d'autres les droits de l'autorit; mais d'un autre ct ils trouvent dans leurs doctrines de quoi esprer dans l'avenir une modification des ides de Vautoril, puisque,, selon eux, tout est sans cesse en voie de variation. Ainsi leurs principes sont si plastiques qu'ils ne les mettent un instant en tat d'infriorit que pour leur faire aussitt retrouver
leurs avantages.
Voil avec quel bonheur 'un catholique minent, guide de l'lite de notre jeunesse, et spcialement de la jeunesse clricale, prouvant le besoin de se recueillir, de se demander quelle est la porte, quelles peuvent tre les consquences de l'acte pontifical , a pu se flatter qu'on ne trouverait dans son tude rien qui puisse attrister l'me du plus modeste croyant! . Il y avait mieux faire que d'envisager, au point de vue moderniste, les consquences de l'Encyclique, c'tait de s'y soumettre en catholique, c'est--dire de cur et de jugement.
Mgr
DELASSU3
DFR A U
SAINT-OFFICE.
Pour une belle gageure, celle-l est une belle gageure. Ou lisait dans la Semaine religieuse de Cambrai du 24 juin : Appel au Saint-Office. Nos lecteurs apprendront sans dotate avec un vif intrt que nous avons reu de M. l'abb Bataille, curdoyen de Notre-Dame Roubaix, cet avis officieux : Monseigneur. J'ai l'honneur de vous informer, avant tout autre (1), que j'ai rsolu de dfrer au Conseil de vigilance d'abord, puis, s'il y a lieu, au Saint-Office, la thse gnrale de votre livre : Vrits sociales et Erreurs dmocratiques. Cette thse, telle qu'elle est exprime, noUunment dans le chapitre II, non seulement ne repose sur a'ucun argument thologique, mais elle a t plusieurs fois condamne par l'Eglise, notamment dans la proposition 55 de Baus. Daignez, e t c . Il y a trente-six ans que Mgr Delassus dirige et rdige la Semaine religieuse- de Cambrai dont il a su faire un rpertoire unique d'explications liturgiques et asctiques, d'exposition doctrinale, d'infor-. 1. L'auteur a attendu le lendemain de l'envoi de sa lettre pour en parler tout venant.
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mations et do critique religieuses. Plusieurs brefs trs logieux du Pape et les distinctions pontificales qui lui ont valu les dignits de prlat de la Maison de Sa Saintet, puis, tout rcemment, de protonotaire apostolique, disent assez haut l'estime du Saint-Sige pour ses longs et prcieux services. Assurment ces tmoignages trs particulirement honorables ne lui reconnaissent ni ne lui confrent aucun privilge d'impeccabilit. Cependant, comme ils lui ont t dcerns l'occasion de ses ouvrages dont tout le fond est tir de sa Semaine religieuse, ils constituent pour lui, jusqu' sentence contraire, la plus haute prsomption de parfaite orthodoxie. Mais Mgr Delassus, au cours de cette longue carrire, s'est toujours montr le champion intrpide autant que vigilant et averti de la pure orthodoxie; il a combattu successivement toutes les formes d'erreurs plus ou moins dguises qui, depuis une vingtaine d'annes, ont produit chez nous une si lamentable dviation du sens catholique; et, comme le dmocratisme chrtien en tait le plus commun vhicule, c'est contre lui qu'il a eu soutenir les luttes les plus vives. On sait avec quelle audace, quelle tmrit, quelle violence souvent, le parti des dmocrates chrtiens a dfendu ses erreurs, et quels procds lui ont servi contre ceux qui les dnoncrent. Quelle histoire crire ! L'appel au Saint-Office form par M. l'abb Bataille est un essai de revanche. A ce titre, il doit intresser particulirement nos lecteurs. Noius donnons ici les explications que Mgr Delassus a juges utiles et suffisantes pour le moment. Les premires se rapportent l'objet mme de cet appel. Celles qui suivent en expliquent la gense (1). Nous lui laissons dsormais la parole. Cette lettre appelle plusieurs observations. La premire, nous la rservons pour plus tard, s'il y a lieu. La seconde porte sur ces mots : J'ai l'honneur de vous informer avant tout autre. Il y a bien trois ans que les dmocrates chrtiens se transmettant l'un l'autre cette bonne nouvelle que leurs docteurs, courbs sur mes livres, les trempent de leurs sueurs dans le labeur auquel ils se livrent pour en dtacher des phrases ou des lambeaux de phrase, charpenter les uns sur les autres, pour difier un monument ayant un aspect d'hrsie. Le chteau de cartes s'croulait toute tentative de le dresser; quand une inspiration soudaine fournit M. l'abb Bataille une base qu'il jugea inbranlable : la 55- proposition de Baus. A un autre point de vue : Avant tout autre voudrait-il dire que l'on se propose de faire savoir Urbi et Orbi que les livres de Mgr Delassus, quoique revtus de Y imprimatur de l'autorit diocsaine et lo-us par le Saint-Sige et par nombre d'evques, sont lgitimement suspects, puisqu'ils sont dfrs au Saint-Office? La troisime observation se rapporte au fond des choses. Les premires lignes du second chapitre du livre Vrits sociales et Erreurs dmocratiques, ont invoqu la lettre ci-dessus comme tant la source du venin rpandu dans tout l'ouvrage, sont celles-ci : Dans une lettre qu'il crivit Christopbe de Beaumont, archevque de 1. Semaine religieuse de Cambrai, 24 juin et 1
er
juillet 1911.
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Paris, J.-J. Rousseau dit : L E P R I N C I P E F O N D A M E N T A L D E T O U T E M O R A L E , sur lequel j'ai raisonn dans tous mes crits..., est que l'homme est un tre naturellement bon, aimant la justice et l'ordre; qu'il n'y a point de perver site originelle dans le cur humain, et que les premiers mouvements de ln nature sont toujours droits. C'est l, avons-nous dit, l'erreur radicale, Terreur-mre de tous les faux dogmes rvolutionnaires, celle laquelle il faut s'attaquer premirement, celle qu'il faut anantir, si Ton veut clore l're de la Rvolution. M. Le Play le savait, les observations qu'il avait faites chez tous les peuples l'en avaient profondment convaincu; aussi, dans tous ses ouvrages, s-'atlacbp-l-p avec tnacit, peut-on dire, fixer le regard de ses lecteurs sur les faits qui dmontrent l'existence, en nous, du vice originel. Nos lecteurs doivent tre aussi curieux que nous de voir si le Conseil do vigilance- , et ensuite le Saint-Office , dcrteront que l'homme de nos jours est un trr essentiellement bon, qu'il n'y a point de perversit originelle dans le cur humain, que les premiers mouvements de la nturo sont toujours droits, que le principe fondamental de toute morale repose sur ces faits, et enfin que le contrat social est bien l'vangile des temps nouveaux, destin ouvrir une re inconnue jusqu'ici de salut pour les peuples : l'ge d'or de la dmocratie chrtienne. Quatrime observation. La lettre ci-dessus et l'tat d'esprit qu'indique ln tentative qu'elle annonce ne viennent que -trop confirmer ce que nous avons dit au chapitre IX de ce mme livre : Vrits sociales et Erreurs dmocratiques : L'cole de la dmocratie chrtienne, aussi bien que la dmocratie sociale, voit se dresser devant elle le dogme de la dchance originelle. Par suite de la chute primitive, la sociL humaine, avons-nous dt., ne peut subsister que par l'autorit qui rprime le mal et duquo la jeunesse, et par les encouragements et la conscration que la proprit et la hirarchie donnent au mrite. , La dmocratie socialiste repousse l'autorit, renverse la hirarchie et anantit la proprit. Elle prtend que l'homme, bon par nature, n'a pas besoin de ln tutelle de l'autorit, et que l'galit en droits et en jouissances, pour tous les hommes, s'impose, puisqu'ils sont tous galement bons, galement mritants. Dire que la dmocratie chrtienne n'admet point, elle non plus, les suites en nous tous de la faute d'Adam, serait assurment trop dire. Cependant, l'un de ses principaux initiateurs est all jusque-l. (Suivent des paroles du P. Tiecker.) L'historien du P. Hecker, le P. Hclliot, a dit aussi dans la biographie de son hros- La nature humaine est bonne et tous les hommes sont frres; telle tait, selon le docteur Brownson, la thse du Christ. La thse du Christ est un peu diffrente. Sans cloute, tous les hommes sont frres en Adam; tous les chrtiens sont frres en Jsus-Christ. Mais ce qui prouve que le divin Sauveur ne tenait point pour bonne la nature humaine dans son tat actuel, c'est qu'il est venu pour la rgnrer par son sang. Il a accompli- cet acte d'infinie misricorde. Mais ce qu'il faut bien remarquer, et ce que les dmocrates chrtiens perdent de vue, c'est que Jsus-Christ a accompli cette rdemption de telle sorte que, si l'expiation du Calvaire renferme des mrites suffisants et surabondants pour relever tout le genre humain, elle a cependant laiss les hommes cous la loi de la chute, et chacun de nous dans les sentiers du mal. A nous de nous on tirer ave.; le secours de la grce rdemptrice. Nos dmocrates chrtiens n'affirment point, comme le P. TIeckor et le Dr Brownson. la bont native de l'homme. Interrogs, ils reconnatraient que nous sommes tous dchus en Adam. Mais leurs thses dmocratiques sur
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la libert, l'galit et la souverainet qu'ils attribuent au peuple, ne peuvent se soutenir que dans cette hypothse : que tous les hommes sont uniformment spars, que tous sont au mme niveau moral et doivent tre traits de mme faon: ce qui est contraire la doctrine, l'histoire et aux possibilits de tout gouvernement, aussi bien celui de la famille que celui de l'Etat. Ce chapitre se termine par le discours que le cardinal Sarto, aujourd'hui S. S. Pie X, adressa dans la ville de Padoue, en 1896, l'Union catholique pour les tudes sociales. En voici le passage important * < Admettre Jsus-Christ, c'est affirmer la chute originelle. Et, de fait, c Jsus-Christ est venu en ce monde pour la rparer. Or, d'o viennent les erreurs dites socialisme, communisme, toutes ces utopies de l'mancipation de la chair, de la rhabilitation de la nature, de l'galit des conditions, du partage des biens, de la souverainet de la raison? Toutes ces monstruosits n'admettent pas la chute de l'homme et sa dgradation originelle. 11 faut avoir lu ce qui prcde et tout le livre avec des lunettes Mrtement teintes de modernisme social, pour y voir un dveloppement de la 55^ des propositions de Baus condamnes par la bulle Ex omnibus affiietionibus du le? octobre 1567 et ainsi conue : Deus non potuisset ab initio talent crearc hominem qualis nunc nascitur. Il ne s'y trouve pas une ligne qui dise, ou mme qui demande ce que Dieu a pu faire ou ne pas faire; le Jivre est tout entier montrer ce qui est, ce qu'est aujourd'hui la nature humaine dans son tat de dchance et ce que cet tat exige dans la socit, contrairement aux rves de la dmocratie chrtienne. Aussi avons-nous la confiance que le Saint-Office, si on met la menace cidessus excution, trouvera tonnante la dmarche de M. l'abb Bataille. Si cette confiance enveloppe une prsomption tmraire, nous la rpudions d'avance et nous embrassons avec amour le jugement de la sainte Eglise en cela comme en toute chose.
J'ai reu de M. l'abb Bataille une seconde lettre. Elle marque les diffrents aspects sous lesquels il .se propose de prsenter la thse qu'il dfre l'autorit de l'Eglise, seul juge de la foi . Il me demande de la publier. Je ne le ferai point, je ne puis le faire. Je ne pourrais mettre sous les yeux de mes lecteurs ses dnonciations sans y rpondre. Ne point rpliquer serait consentir crer des prjugs dans leur esprit. Me prter cette controverse au moment o la cause est porte devant les juges (1), ce serait vouloir instruire le 1. Une troisime lettre m*arrive : J'ai l'honneur de vous informer que le premier document officiel de la cause engage devant le Saint Office est entre les mains de S. G. Mgr Monnier, vque de Lydda, en qualit d'officiai de l'off icialit diocsaine {sic). Dans sa premire lettre, M. Bataille disait : J'ai rsolu de dfrer au Conseil de vigilance . Le Conseil de vigilance n'est point un tribunal. C'est la premire observation que je devais lui faire et que je rservais pour plus tard s'il y a lieu . On aura sans doute averti M. Bataille qu'il se trompait de porte. Aujourd'hui il dit : Le premier document officiel de ia cause engage devant le Saint-Office est entre les mains de S. G. Mgr Monnier, en 6 a qualit d'Officiai de l'Officialit diocsaine de Cambrai . Il n'est pas d'usage d'engager la fois le mme procs devant deux tribunaux, l'un de juridiction infrieure, l'autre de juridiction suprieure. La coutume est d'attendre que la sentence soit prononce par le premier pour faire appel au second. Quand on se lance en de telles voies, la sagesse demande que, tout d'abord, on examine et on voie bien o on pose. le pied.
Critique An libralisme. 15 Juillet.
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procs devant le public en mme temps que devant les tribunaux comptents. Qui ne voit l'inconvenance et les suites possibles d'un tel procd ? Commencer une discussion, dit le Sage par excellence, c'est ouvrir une digue. XVIII, 14.) Rien ne presse. Quand la sentence sera prononce, si jamais il y en a une, la Semaine religieuse la publiera. Clerg et fidles peuvent attendre en paix : ils seront difis sans avoir t passionns. Ces lettres me rajeunissent de dix ans. Les 9 et 19 janvier 1901, M. l'abb Bataille m'crivit : La campagne diffamatoire que vous avez entreprise contre la Dmocratie chrtienne n'a que trop dur. J'ai- l'honneur de vous avertir que, si elle continue, je m'adresserai aux tribunaux ecclsiastiques comptents. Je dmontrerai facilement que, depuis plusieurs annes, la Semaine religieuse, lorsqu'il s'est agi de la Dmocratie chrtienne, a altr les faits, falsifi les textes, calomnie les hommes et dnatur les doctrines. Comme je ne rpondis rien cet essai d'intimidation, je reus dix jours aprs cette autre lettre : J'ai l'honneur de vous avertir que, conformment ma lettre du 9 courant, je suis dcid dfrer la Semaine religieuse aux tribunaux ecclsiastiques comptents. (1) Je ne rpondis pas davantage cette nouvelle lettre dont je ne fis nulle mention dans la Semaine ni qui que ce soit. La dnonciation fut cependant porte Rome et appuye, inutile de dire par qui. Les tribunaux ecclsiastiques ne s'en occuprent nullement. Mais le 20 septembre de cette mme anne, S. Em. le Cardinal Rampolla crivit ce sujet, Mgr Sonnois, une lettre qui surprit bien Sa Grandeur, car je n'avais pas cru utile de l'informer des menaces qui m'taient faites, Mgr l'Archevque rpondit de faon donner la conscience du Cardi.nal Secrtaire d'Etat toute satisfaction. Deux mois et demi aprs, le 19 dcembre, Mgr Rinaldo Angeli m'crivit du Vatican que Lon XIII me donnait, avec effusion de cur, la bndiction apostolique . Les dmocrates chrtiens, non seulement do France, mais de Belgique et d'Italie, qui avaient t informs et qui taient aux coutes, .ne voyant rien venir, ne cessrent pendant trois mois de me faire, sous l'impulsion de Tex-prlat Bceglin, sommation de publier la lettre du Cardinal. Je ne pouvais la publier, je ne l'ai jamais ni lue, ni entendue lire, ni mme vue (2).
( P r o i v .
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1. Altr les faits, calomni les hommes . L'abb Toiton, qui plus tard fut convaincu, par les tribunaux, d'avoir reu de l'argent de M. Cl menceau pour fonder un journal ayant mission d'engager le clerg dans les cultuelles , venait de faire dans la Dmocratie chrtienne le compte rendu du 4 congres dmocratique de Lille. J'avais dit dans la Semaine : Dfiez-vous de cet homme, il est le correspondant de plusieurs journaux protestants . Pour ce qui est des doctrines, un communiqu -de l'archevch se terminait par ces mots Mgr l'Archevque est loin de dsavouer la doctrine toujours sre de M. le chanoine Delassus . Et Mgr de Lydda m'crivait : Vous n'avez cess d'tre, au point de vue de la doctrine, une sentinelle toujours vigilante et sre. Il n'est pas une seule des nouveauts dogmatiques sur laquelle vous n'ayez appel l'attention de vos lecteurs. La o ceux qui vous ont si obstinment attaqu n'ont voulu voir que des questions de personne, il n'y a en effet que des questions trs graves de doctrine et des procds qui ne sont pas sans pril pour la foi. Vous tes, par vos tudes thoogiques et sociales, auxquelles vous vous livrez depuis trente ans, le prtre le mieux prpar pour cet important ministre . 2. Ce fut M. l'abb Garnier qui commena le charivari. Dans son journal, Le Peuple franais, dl crivit : Tout rcemment le Souverain Bom-
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Cependant la Semaine religieuse continua son chemin; elle vit toujours, et la Dmocratie chrtienne, quelque temps plus tard, dut s'clipser sur un ordre venu de Rome. En rappelant ces faits, je n'ai d'autre intention que de rassurer quelques amis de la Semaine religieuse qui se sont montrs peines et presque inquiets (1). Pour les laques qui ne savent point que les luttes de doctrine peuvent exister en dehors de tout sentiment personnel, je dois ajouter que dans toutes mes entrevues avec M. Bataille, je lui ai tmoign tous les gards, je lui tai dopui toules les marques d'estime qu'il mrite, et je dois dire que Jui Aussi s'est toujours comport de mme mon gard. Je puis ajouter que depuis bien des annes, je ne passe aucun jour sans adresser au Ciel cette double invocation : Cur Sacr de Jsus, rpandez vos meilleures bndictions sur mes adversaires. Cur immacul dei Maiie, rpandez vos meilleures bndictions sur mes adversaires. ' Je ne doute pas que la pit de M. L'abb Bataille ne lui ait inspir quelque chose de semblable. Si j'ai cru devoir publier la lettre reue la semaine dernire, je n'ai obi qu' un' sentiment de pure dfense doctrinale. L'existence de cette lettre avait t divulgue et de ce fait rsultait une prvention contre des livres qui ont t jugs, par les personnes les plus- comptentes, devoir faire quelque bien. C'est aussi parce que le parti de la dmocratie chrtienne, ou, comme on dit aujourd'hui, du modernisme social, accabl par les Actes de S. S. Pie X, semble vouloir maintenant relever la tte. Il ne faut pas qu'il puisse recommencer la funeste agitation d'autrefois.
LE PRIL RELIGIEUX EN ALLEMAGNE NIENT
D O C U M E N T PAR C E U X QUI L E
Une circulaire
Weiss
Tel est le titre d'une divulgation d'intrt capital faite par la Correspondance de Rome du 4 juillet. Il s'agit d'une circulaire secrte pour touffer le recueil que Le R. P. tife adressa une lettre Mgr l'Archevque de Cambrai, se plaignant de la polmique dtestable, funeste, de la Semaine religieuse de son diocse. Cette lettre n'a pas t publie. M. le chanoine Delassus va sans doute la rendre publique, pour que ses lecteurs sachent quoi s'en tenir. 11 le leur doit bien, aprs les avoir si longtemps gars et tromps. (Sem. relig., 18 janvier 1902). J'envoyai M. Garnier une rectification. Il me demanda un versement pralable de C I N Q C E N T C I N Q U A N T E F R A N C S pour la publier. Je donnai dans la Semaine le fac-simil de cette belle exigence. (Voir anne 1902. p. 47). Le Journal de Ronhaix SUIVIT, puis d'autres do divers pays. 1. Ceux qui partageraient ces inquitudes n'onL qu' se reporler la page 108 de la Semaine religieuse de l'anne dernire. Ils y retrouveront cette note : Avant la publication de ce livre : Vrits sociales et Erreurs dmocratiques, les bonnes feuilles en avaient t soumises un consulteur du SaintOice. Dans la lettre qu'il m'adressa en rponse cette communication, il est dit : Je lus et puis je relus cette tude, et je dois vous en remer* cier amplissims verbis* Vous m'avez appris bien des choses que j'ignorais* prcis des ides qui taient un peu vagues dans ma tte et lumineusement confirm celles que j'avais dj .
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Albert-Marie Weiss, 0 . P., vient de former e n deux volumes des articles crits par lui depuis quelques annes sur la situation religieuse en Allemagne (1). Il avait dj publi sous ce titre : Le Pril religieux, un volume de haut intrt o est tudie la crise du catholicisme en gnral. Le prsent ouvrage constitue une uvre fortement documente contre le modernisme, isurtout allemand. Elle avait t condamne avant son apparition par l'Etat-major du modernisme allemand. On employa tous les moyens pour en empcher la publication. L'effort ayant chou, on se mit on devoir de la tuer. Le but d'touffement n'est pas clairement avou dans cette circulaire, il n'en est pas moins visiblement l'objet. C'est un beau pendant aux (fameux documents de la Ligue de Munster, qu'on a lus en tte des Infiltrations maonniques. Celui-ci n'mane pas identiquement de la mme source; cela prouve que le dit tat major a des ressources varies. Cette circulaire a t envoye aux inombreux centres relis avec lui. Elle est tombe aussitt aux mains du directeur de la Correspondance de Rome, comme y taient venus Jes papiers de la Ligue contre l'Index. Il s'empresse avec raison de la divulguer (1). Quel thme magnifique il offre nouveau, sans paratre s'en soucier, ces bonnes mes catholiques que soulve d'indignation l'abominable systme de la police occulte, de la dlation et des fiches, et qui traitent de Vadcard, en bon franais, de tratre, quiconque a l'audace de dnoncer l'erreur, de rvler comment elle se propage ou s'insinue, sans ten avoir reu le mandat! On va lire cette pice. Les notes qui l'accompagnent sont de la Correspondance de Rome. C'est un morceau trs suggestif, d'autant qu'on y retrouve une mthode et un genre d'arguments bien connus ailleurs qu'en Allemagne. La premire chose reproche au P. Weiss, c'est sa mthode de citations. On sait que les dmocrates, les modernistes et modernisants de toute espce se plaignent toujours de se voir faire des procs sans ombre de preuves. On porte contre e u x mille jugements arbitraires, on avance cent choses dont on nglige de fournir le moindre argument. Mais un auteur consciencieux prend-il la prcaution de ne marcher qu'avec pices l'appui, appuyant chacun de ses dires de citations parfois tendues, de textes d'un sens clair et complet, nos gens ne se dconcertent pas; ils crient que ce sont des extraits tris sous une inspiration tendancieuse et font u n crime l'crivain d'avoir 1. Questions vitales et de conscience du temps prsent (en allemand), 2 vol. Fribourg-en-B., Herder. Il est souhaiter qu'on nous donne promptemont une bonne traduction franaise de cet ouvrage. La Correspondance de Rome dit ce sujet : Du reste, nous ne publions pas tant il s'en faut tous les documents secrets que nos correspondants nous envoient de diffrents pays : des raisons d'ordre suprieur nous engagent ne pas le faire. Et ceci soit dit en passant si les quelques catholiques de bonne foi qui nous trouvent parfois trop pessimistes et trop! durs, connaissaient ces dossiers-l, nous pensons qu'ils seraient grandement difis... ou scandaliss de notre prudence et de nos euphmismes .
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omis le reste. Bref, les en croire, il serait impossible de dgager la pense de leurs crits sans les citer 'entirement. Il faut que, de toute manire, la critique soit billonne. Mais la critique arrache sans peine lo billon, et continue de se faire entendre. Cela se voit en Allemagne et ailleurs. Une chose trs digne de remarque, c'est de voir sur quel point porte l'attaque. Le P. Weiss a trait largement la question du modernisme religieux autant que du modernisme social. Or, c'est la critique de celui-ci dont s'irrite surtout, exclusivement, la dfense. Tant il est vrai qu'en Allemagne, comme en France, 1 libralisme politique et social fraye la voie toutes les formes du< libralisme religieux et en sert les desseins. A en juger par l'analyse trace dans la circulaire, le P. Weiss a mis le doigt sur le point sensible, en insistant sur les consquences du mouvement interconfessionnel en Allemagne et sur les consquences de l'volution du Centre. Son ouvrage apporterait une puissante confirmation ce qui a t dit plusieurs reprises dans notre revue ce sujet. Et il y aura pour nos lecteurs plus d'un rapprochement facile saisir entre certains courants franais et allemands. Ils en trouveront un autre dans le procd commode qui consiste au del comme en de du Rhin, outrer, gnraliser, tendre tous les catholiques la critique qui n'atteint que certaines personnes, certains groupements, afin de convaincre son auteur d'exagration, d'injustice, et de tourner contre lui l'opinion des gens honntes. Bien curieuse aussi, et suggestive de rapprochements analogues, la dernire partie qui expose les suites fcheuses d'une telle publication, les effets qu'il faut prvenir, et l'appel aux vques allemands pour obtenir d'eux, sous couleur d'encouragement ncessaire aux catholiques dmoraliss par le P. Weiss, la veille des lections, comme ils l'taient en France, au moment de celles de 1906 par ma critique de YAction librale, un acte qui mettrait le Saint-Pre dans l'embarras s'il (tait dispos accorder t l'ouvrage du P. Weiss un tmoignage la.uda.tif. La Libert de Fribourg lui a consacr une excellente tude, sous la plume de M. Decurtins. En Allemagne, la Klnische-Volkszeitung, dirige par M. Bachem, reprsentant ce qu'on appelle les directions de Cologne mne contre lui une campagne ardente, tandis que le reste de la presse garde un silence absolu. Voici la circulaire. Elle porte pour titre : Avertissement sur V uvre. Questions vitales et de conscience , par le P. Weiss. La nouvelle uvre du P. A.-M. Weiss contient des attaques trs graves contre les catholiques allemands, elle est capable de produire une grande confusion; et cela prcisment dans un moment o, cause des lections imminentes, l'unit et la sret sont doublement ncessaires. Les journaux et les revues catholiques ne peuvent pas se refuser parler de ce livre; et il est prvoir qua celui-ci donnera occasion une grande diversit d'opinions. La malheureuse mthode des citations, dj employe par le P. Weiss d'une manire peu heureuse, a conduit, dans l'ouvrage prsent, des rsultats singulirement dplorables. Il ne voit pas que les cts obscurs; et dans tous les livres et dans tous les articles possibles, il cherche les passages qui favorisent son point de vue pessimiste.
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De cette sorte il a dessin un tel tableau de l'tat de choses catholiques en Allemagne, qu'il ne peut ne pas avoir des consquences tout fait fatales auprs de ceux qui ne sont pas au courant, surtout dans les sphres dirigeantes de l'tranger. Ses attaques visent en premire ligne les organisations* politiques et sociales des catholiques allemands, dont il dit que< le mal fondamental c'est la soidisant base chrtienne (1). Cette base chrtienne est montre par lui en convergence directe avec les ides de M. Harnaek propos de ce christianisme intrieur sans Eglise et sans autorit . Touchant la conception chrtienne du monde (2), il affirme qu'elle fait abstraction de tout dogme et qu'elle se rduit quelques principes moraux (I, 67, 152)Par consquent il affirme que le Centre et les syndicats chrtiens sonL des organisations compltement mancipes de l'Eglise. Sans tenir aucun compte del distinction entre les socits ouvrires catholiques et les syndicats chrtiens, il caractrise toute l'action sociale des catholiques allemands, comme si elle tait entirement fonde sur une base dogmatique. Aux hommes politiques il reproche, d'un ct, d'interprter les principes de la vie chrtienne, voire la vrit de la foi catholique, selon les exigences de la politique : le succs politique et la vie nationale sont le critrium par lequel on doit dcider quels lments du christianisme on doit encore faire valoir et appliquer dans la vie publique, et quels il ne faut pas employer . De l!autre ct, il dit que dans ces derniers temps le Centre s'tait abstenu de soutenir les intrts catholiques et ceux de l'Eglise. Pour le prouver il se sert d'une phrase de M. Jules Bachem (3), qu'il a compltement mal comprise et dtache du contexte. Il s'adonne de telles exagrations, qu'il lui arrive de dire que le nouvel vangile de T esprit politique consiste en ceci : que la vie apostolique mne aujourd'hui la guinguette et seulement par cela l'glise, o l'on passe la hte et pour peu de temps (4). Il cite aussi l'trange rgle pastorale : avec un verre de bire on obtenait davantage qu'avec un Ave Maria (I, 47). Dans un autre passage l P. Weiss observe que ces hommes politiques catholiques exploitent pour leurs fins une chose bonne aussi bian qu'une chose mauvaise ou quivoque. Ceux qui lisent ce qu'il crit sur la politique et sur les hommes politiques, en reoivent l'impression que le Centre est absolument corrompu et qu'il trahit tout fait les intrts catholiques; qu'il n'est plus permis de prononcer en public le mot catholique. Il semble qu'on ne connat pas 1. ChristHche Basis, c'est--dire une base abstraite de christianisme, consistant en ce qu'il y a de commun entre catholiques et protestants; un interconfessionnalisme chrtien. (Note de la C. rt. R.). 2. Christlichc Weltanschauung, voir la note prcd. (Note de la C. d. R.). 3. M. Julius Bachem, directeur du grand journal de Cologne, Koelnische Volkzeilung, et en gnral de ce qu'on appelle en Allemagne la direction de Cologne , Koelner Richtung (Note de la C. d. R.). 4. Evidemment le P. Weiss fait allusion ces abbs dmocrates et autres populaires d'un peu partout qui croient ou disent croire de populariser l'Eglise en frquentant les cabarets, les brasseries, etc. En France, M. Lemire a, ces jours-ci, des polmiques intressantes propos de son apostolat dmo-chrtien travers les cabarets d'Hazebrouck. En France, en Italie, on a connu plusieurs de ces abbs qui interprtaient... bien trangement le sortons de la sacristie . Ce mot dont le sens juste est ne nous renfermons pas dans la sacristie , signifie pour eux : sortons-en... pour y rentrer le moins possible . Tout cela est trs connu; le P. Weiss n'a d que le constater, (Note de la C. d, R,).
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de mal plus grand que de voir quelqu'un se proclamer, aujourd'hui, publiquement catholique et rgler sa vie et son actioa selon les principes catholiques . il, 58). En outre il affirme que les catholiques laques veulent s'manciper totalement de la direction de l'Eglise, et exclure le clerg de toutes les branches de la vie publique. Pour le prouver le P. Weiss ne sait apporter d'autre preuveque l'article insens de M. Spahn (1) publi dans le Hochland (2), article, gnralement rprouv et que certainement M. Martin Spahn dplore lui-mme, aujourd'hui. Contre les laques catholiques (3) le P. Weiss soulve une longue srie d'accusations qu'il synthtise dans le mot : lacisation de la vie pblque. Leur devise, c'est le monde et toujours le monde. Le salut ils ne l'attendent que de la politique et de la science. On prfrerait dfendre tout fait au clerg de s'occuper de la presse et de la littrature. On veut exclure les prtres et les religieux de l'instruction et de l'ducation. Finalement il dit que les laques catholiques ont renonc compltement s'intresser, dans la vie publique, la question religieuse. De ces exagrations il. se dispense d'apporter des preuves. Mais le P. Weiss a le courage d'aller encore plus en avant, en affirmant! qu'on a jet par-dessus bord les doctrines fondamentales et, spcifiques dm christianisme; et que ce qui est rest sous ce nom, est tellement vide, qu'il quivaut l'abandon du christianisme dans le vrai sens du mot. Depuis lors, nous combattons pour un christianisme dans lequel le Fondateur ne peut plus reconnatre sa fondation . Pour le prouver, il recourt de nouveau au dit article de M. Martin Spahn et au protestan!, Frster ( Autoritt und Freiheit )(4). < Dans plusieurs passages le P. Weiss insinue que les dirigeants, surtout politiques, sont contraires aux Ordres religieux ; et que, au premier incident dsagrable, il les sacrifieraient. Il dit beaucoup de choses propos du clerg sculier; ordinairement il ne fait qu'exagrer et gnraliser. Les tudes dans es Facults et dans les Sminaires sont dpeintes sous des couleurs si sombres, qu'on pourrait croire que nos thologiens ne lisent pas la Ste-Ecriture, n'tudient pas la dogmatique, et qu'on suit le principe : le plus ncessaire de la (thologie) morale, pour le confessionnal; les lignes gnrales de la (thologie) pastorale, en supposant que celle-ci soit un acheminement pour se prsenter dans le monde; et voil bien assez de thologie (I, 38). 1. M. Martin Spahn catholique, prof, Strasbourg, crivain anti-romain trs connu, nomm rcemment dput et admis comme membre du Centre. Nous en avons parl plusieurs fois. (Note de la C. de R.). 2. Hochland, la revue allemande bien connue, un des centres du modernisme littraire et non littraire. En effet, outre les arLiclos inoubliables de M. M-artin Spahn (qui a rtract surtout... ses rtractations) on doit signaler une srie d'articles sur le Sillon par M. H. Platz parue dans Hochland depuis avril dernier : ces articles contiennent une critique perfide contre la censure pontificale du Sillon. (Note de la C. d. R.). 3. 7 tat-major exagre, videmment. Le P. Weiss ne parle que de certains laques catholiques trs connus par tout le monde et surtout par I' tatmajor . Or, il ne serait pas srieux de nier que des laques catholiques dont plusieurs sont trs en vue - parlent ou agissent de la sorte, en Almagne et ailleurs. (Note de la C. d. R.). 4. M. le Dr Frster, " prof, Zurich, auteur du livre cit, est trs estim dans les milieux catholiques modernisants d'Allemagne. Par exemple, l'anne passe, il fut invit, par la Ligue de Mnster (Kulturgesellschaft) faire une confrence Mnster : maigre l'opposition du clerg local, la confrence du propagandiste eut lieu. Donc ce n'est pas hors de propos de citer le prof. Frster. (Note de la C. de R.).
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Le P. Weiss reproche mme nos vques de ne pas avoir accompli leur devoir, n'ayant pas rpar tout cela temps. On pourrait citer plus de cent longs passages du livre, qui contiennent des exagrations et des excs semblables ceux que nous venons de citer. Il se sert mme des choses qu'on lui a rapportes de vive voix, dont la plupart ne sont que des on-dit, comme cette histoire du journalsite catholique qui, le jour de Pentecte, resta couch jusqu' midi, en disant qu'il avait travaill assez toute la semaine en faveur de la cause catholique, pour se dispenser d'aller la messe : fait que le P. Weiss tient comme typique (1). En gnral, il est peu bienveillant pour la presse catholique (2).
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Donc le livre foisonne de grandes injustices, et il est crit avec une prt qui offense. Il ne peut pas tre trs utile pour la cause catholique; au contraire, il pourra apporter un grand dommage. Pendant plusieurs annes, certains milieux employrent ce livre comme une mine pour leur campagne ; et, l'tranger, il ne pourra ne pas confirmer Jes opinions dfavorables l'Allemagne (3). Le dicton Germania c"ocet perdra alors toute sa valeur. Surtout il est craindre qu' Rome un tel livre soit considr comme une exposition objective de notre situation; et il n'est pas difficile de deviner quelles en seront les consquences. Les Franais, dj si influents Rome (4), se rjouiront si en Allemagne on peroit une forto senteur d'hrsie. Et une fois qu' Rome se formera une opinion dfavorable, surtout dans les sphres des prlats subalternes (5), on no russira pas la faire cesser de si tt. Que si, en outre, un Bref du Saint-Pre au P. Weiss venait donner son livre une empreinte officielle ce qui est craindre la situation sera doublement grave, car, cause de la vnration pour le Saint-Pre, on ne pourra plus se dfendre (6). C'est pour cela que la publication d'un ,tel livre est un grand malheur. Une certaine lassitude s'est rpandue parmi les catholiques instruits, cause de ces crits pessimistes et pleins de critiques' injustes et chicanires, provenant 1. Nous en connaissons de pires, et trs tablis. (Note de la C. d. R.). 2. Pour une certaine presse catholique naturellement. Du reste celle-ci se paie largement sur le P. Weiss. (Note de la C. d. R.). 3. Pourquoi? Tous les trangers srieux et honntes estiment la grande nation qu'est l'Allemagne pour ses qualits de premier ordre; plus spcialement fous les catholiques pensent de mme -pour l'Allemagne catholique, nous les premiers. Le livre du P. Weiss dnonce le pril religieux de son pays? tant mieux, car on pourra y remdier plus facilement. Et, du reste, quel est le grand pays mme catholique qui ne souffre pas aujourd'hui du mme pril religieux? Donc le livre du P. Weiss ne peut aucunement nuire aux vrais intrts matriels et moraux de l'Allemagne; il n'est funeste qu'aux intrts d'un faux catholicisme opportuniste et modernisant qui est le mme partout. (Note de la C. de R.). 4. Ddi la presse biocarde... et autre de France, qui gmit sur l'influence allemande dans le Vatican de Pie X. (Note de ta C. do R.). 5. Jn dm untergeordnctcn Praelaienkreisen. Noter l'insinuation : les prlats subalternes se forment une opinion; le Pape fait le Bref... (Note de la C. de R.). 6. Pas si sr que celai La lettre du Saint Pre M. Decurtins pour son tude sur le modernisme littraire n'a t qu'une nouvelle occasion pour attaquer avec plus de violence l'homme et ses constatations documentes. (Note de la C. de R.).
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du mme camp catholique; et eu de nombreux individus l'lan pour la cause catholique s'est affaibli (1). Il est craindre que de telles exagrations et de telles injustices n'accroissent pas cette lassitude, et que de nombreuses forces bonnes se retirent de l'uvre de dfense de la cause catholique dans la vie publique. S'il n'y avait encore beaucoup de confiance dans nos vques, les choses seraient bien empires. Il est toujours plus ncessaire qu'un rayon de lumire vienne; une chaude parole d'encouragement dans ces temps de lutte contre les nombreux adversaires, serait tout fait indique. Prcisment la veille des lections du Reichstag, ces faits dfavorables (de lassitude, etc.) sont dplorables; et on ne peut que dsirer ardemment que les catholiques allemands reoivent sous peu un encouragement qui les renforce et' les relve (2). La Correspondance de Borne ajoute ces rflexions :
Nous n'insisterons pas sur ce factum; il parle assez de lui-mme. Mais nous nous faisons un devoir d'appeler l'attention des gens honntes sur certaines ficelles employes par le si peu scrupuleux tat-major . La premire est la ficelle du chauvisinsme national, chatouill par le Germania docet et irrit par le fantme d'une influence franaise Rome contre l'Allemagne, deux choses qui n'ont rien voir avec le livre du Pre Weiss et dont la seconde est tout fait fausse. Le livre du P. Weiss est une lionne uvre religieuse et patriotique : quand il y a rellement un pril religieux dans un .pays, c'est un devoir non seulement religieux, mais aussi patriatique, d'appeler sur lui l'attention active des intresss, en particulier (dans notre cas) de toute la masse catholique de l'Allemagne, prcisment afin d'empcher que les tats-majors fassent le bloc du silence pour leur compte. L'autre est la ficelle du fantme romain, de la menace obscure QUE dos prsubalternes (jolie charade 1) vont s'en mler, vont mettre la main sur les pauvres Allemands qui... que... lisez les pages les plus mouvantes de Jesse und Maria, des Sendlinge von Voghera, etc. etc. pour voir ce que deviennent les pauvres Allemands aux mains des implacables missaires de Romel Fantme de l'influence franaise, fantme de la prlature romaine... c'est avec de tels effets de lanterne magique qu'on tche de tromper Michel, de ne pas lui faire voir la vrit vraie, de l'loigner de Rome en l'habituant la distinction hypocrite: le Saint-Pre, ah! oui, nous nous inclinons devant le Souverain Pontife, mais la Curie... la Prlature... les Brefs arrachs au Pape... et puis l'influence franaise... En mme temps les modernistes franais et leurs allis disent : le Souverain Pontife, ah! oui, nous vnrons le Pape, mais la Prlature..., la Curie..., les condamnations arraches au Saint-Pre... et puis l'influence italo-allemande... Encore une fois, plus cela change, plus c'est la mme chose. Maintenant, les catholiques sincres et zls sont aver'.is; leur conscience lour montre le devoir; ils l'accompliront courageusement. (Corr. de Rome.) 1. Soyons exacts. En Allemagne comme ailleurs, des politiciens et des crivains modernistes ou modernisants, n'ont plus autant d'audace, du moment que les vrais catholiques ont dmasqu et stigmatis leurs exploits. (Note de la C. de R.). 2. Conclusion pratique : au Vatican on est tout prt faire faire au Pape un Bref pour louer cette uvre dtestable du P. Weiss; mais' les vques veillent: c'est d'eux que doit partir un rayon vivificateur pour les pauvres catholiques allemands si maltraits par le P. Weiss et par... le reste. Cette tentative mal dissimide de mettre le Saint-Sige d'un ct et l'Episcopat de l'autre, qualifie assez les auteurs de la circulaire et leur milieu. (Note de la C. de R.).
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UN BREVET
La vraie, la bonne, la pure, l'honnte neutralit, cette neutralit inolfensivc dont Jules Ferry, la belle m e ! voulait doter l'enseignement scolaire en France pour raliser la vritable unit nationale, elle existe, elle prospre, et, c e qui est le comble, elle obtient ide l'autorit ecclsiastique un certificat d'honntet. Gette attestation, j'ai hte de le dire, ne lui est pas dcerne sous la forme positive que je viens d'indiquer, mais sous une forme indirecte, implicitement ngative dos torts qu'on lui impute. Mais, au fond et pour tout le monde, cela reviendra au mme. C'est ce qui ressortira des pices confidentielles que nous publions. Celles-ci nous sont communiques par un voque, qui croit s'acquitter d'un devoir en nous mettant mme de les divulguer. Si les vques eux-mmes participent la police occulte, l'abominable systme de la dlation et des fiches, grands dieux! o allonsmous ? Les courtes rflexions dont nous faisons suivre ces textes se bo>rnent peu prs traduire celles de notre bienveillant et vnrable correspondant, dans la lettre dont il' accompagne son envoi. Il s'agit des critiques dont les Annales politiques et littraires, diriges par M. et Mme Adolphe Brisson ont t l'objet depuis quelque temps dans Romans-Revue. Les Annales constituent, sous forme d'enseignement oral et de publication priodique des leons, un cours d'instruction fort intressant, trs comprhensif, qui attire, Paris, 'un grand nombre de jeunes filles mme appartenant des familles trs catholiques, et dont le rayonnement par toute la France s'accrot avec le succs de ses publications. Elle-mme s'intitule : Universit des Annales. Un prtre du diocse de Cambrai, M. l'abb Bethlem, avait fait paratre, il y a quelques annes, une excellente critique du roman contemporain, et mme do romans plus anciens, a u point-de vue littraire, moral' et religieux, sons le titre : Romans lire et romans proscrire. C'est un guide fort utile. L'ide se dveloppa, le cadre s'largit. Il naquit une revue, sous le titre indiqu, joignant la continuation de l'uvre premire, la mme tude de principes applique aux priodiques et la presse. Elle mrite toute l'attention des catholiques. Les directeurs des Annales, estimant avoir se plaindre de la rigueur et des injustices de ses critiques, ont pris le parti habile et hardi de solliciter une rvision ecclsiastique. Ayant obtenu un suffrage favorable, ils se sont empresss de le faire connatre confidentiellemeni tous les vques. Mais on peut croire qu'eux-mmes ne le tiendront pas longtemps secret et ne se feront pas faute d'en tirer avantage contre leurs adversaires. La trahison de leur confidence !ne doit donc faire, leur sens, que les servir.
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Paris, le 30 juin 1911. Monseigneur, Depuis quelques mois, une campagne assez violente a t mene contre l'uvre des Annales et de Y Universit des Annales par une publication qui s'appelle : Romans-Revue. On nous ,accusait d'attaquer perfidement la Religion, de dsagrger la foi dans les mes, de faire fi de la morale, etc.. Le directeur de cette feuille qui .nous connat bien mal et nous juge avec parti pris, a mme compos notre sujet plusieurs notes conues en termes vraiment injustes qu'il a fait paratre dans certaines semaines religieuses. Nous avons conscience de ne pas mriter ces reproches et aprs avoir pris l'avis de personnes sages et exprimentes, nous voulons vous faire juge de ce dbat. Vous ne connaissez peut-tre les Annales que par ces attaques. Nous vous offrons le moyen d'apprcier notre bonne foi, notre dlicatesse dans les questions de conscience et de religion, notre souci scrupuleux de la morale. Nous vous ferons donc dsormais le service rgulier et gracieux de nos publications. Vous constaterez que, si les Annales s'adressent des jeunes filles d'ducation et de milieux bien diffrents, rien, absolument rien, ne peut tant soit peu y blesser ou mme y froisser la plus fervente catholique. Nous ne sommes pas neutres, dans le sens condamnable que l'Eglise peut attacher ce mot. Nous ne pratiquons pas une neutralit hoslilc ou mme ddaigneuse de Dieu et de la Religion. Notre but n'est sans doute pas un but directement religieux. Nous nous occupons exclusivement de matires littraires, scientifiques, artistiques. Nous n'avons pas la prtention de remplacer les leons de la famille, les enseignements des catchismes de persvrance, ni mme do nous on occuper. Nous laissons ce soin de plus comptents que nous. Mais on sent parfaitement, dans notre revue, notre respect profond des chose saintes, noLre dsir d'une orthodoxie rigoureusement exacte lorsque nous y faisons allusion, notre esprit plein de bienveillance pour le clerg, dans lequel nous comptons des abonns et des amis. Nous avons un grand nombre de confrenciers qui sont connus comme des catholiques. Nous citerons : MM. Maurice Barrs, Jules Lcmatre, le Marquis de Sgur, Vallery-Radot, Henri Wclschinger, Ernest Daudet, Baron de Maricourt, l'abb Moreux, Mme G. Goyau, etc. Les autres, pleins de dfrence, uniquement proccups de la matire qu'ils traitent et o ils font autorit, s'efforcent de ne jamais dire une parole qui puisse tre mal comprise ou interprte; et nous y veillons nous-mmes avec le plus grand soin. Nous avons ouvert dans nos. colonnes des souscriptions en faveur d'glises pauvres, nous avons publi des pages de Mgr de Cabrires, Mgr Baudrillart, du comte d'Haussonville, des romans indits de M. Ren Bazin. Nous avons la fiert et la joie de pouvoir dire qu'au contact de la doctrine morale des Annales, certaines jeunes filles nous ont crit qu'elles se sentaient devenir meilleures... Dans ces conditions est-il juste de nous critiquer avec tant d'pret et est-ce l pratiquer les sentiments de charit que recommande le Christ? Nous ne demandons pas que Ton fasse de la rclame en notre faveur. Nous comprenons que certains prfrent d'autres revues exclusivement religieuses qui correspondent mieux leur conception et leurs besoins. Mais nous avons le droit d'exiger qu'on nous respecte, qu'on ne dnature pas nos intentions, qu'on ne cherche pas nuire par des moyens illgitimes, une uvre irrprochable. Nous pouvons mme ajouter confidentiellemcut que, pris de scrupules et dsireux de nous clairer, nous avons demand, avec 1'assentiment de Mgr
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l'archevque de Paris, M. l'abb Lestre, cur de Saint-Etienne-du-Mont, d'accepter la mission de lire attentivement nos publications et de nous signaler les lacunes qui auraient pu chapper notre attention sur ce sujet. Nous sommes donc srs, Monseigneur, que vous apprcierez nos efforts, notre bonne volont et qu'aprs avoir vu de prs notre uvre, voua voudrez nous encourager dans cette voie et fermer dsormais votre Semaine Religieuse des polmiques si regrettables, injustes et blessantes. Ce sera pour nous une vraie consolation et un prcieux stimulant. Veuillez agrer, Monseigneur, l'hommage de nos sentiments respectueux. Mad. Brisson. Adolphe B R I S S O N , (Yvonne Sarcey). Directeur des Annales. Suit l'attestation accorde par M. l'abb Lestre : Charg par Mgr l'Archevque de Paris, sur la demande de M. A. Brisson, de parcourir les Annales et les Confrences, je me suis acquitte de ce soin depuis le 1er janvier 1911. Je dois reconnatre qu' part une ou deux observations de dtail, je n'ai eu formuler aucune critique srieuse sur ce qui a t publi depuis cette poque. Je ne puis donc que rendre hommage la parfaite loyaut du directeur de ces publications, son souci de ne rien laisser dire ou crire qui puisse froisser les jeunes filles mme les plus chrtiennes, la conviction et la fermet avec lesquelles il poursuit l'immoralit dans la littrature, le th tre et les arts, enfin son respect sympathique et sincre pour la religio;-. catholique et ses enseignements. JJ. ,LESTRE Cur de Saint-Etienne-du-Mont, 29 juin 1911. Avant tout, nous n'entendons aucunement entrer dans le diffrend entre les Annales et Romans-Revue. Si Romans-Revue a dirig contre les Annales des attaques peui justifies, c'est affaire rgler entre ces deux publications. Mais la sentence qu'on vient de lire,' couronnant l'initiative singulire prise par celles-ci auprs de l'autorit ecclsiastique, ne laisse pas de paratre singulire. Elle peut servir d'excuse l'inconscience dont tmoigne l a d marche prs de l'piscopat. Les Annales reconnaissent qu'elles sont neutres au point de vue religieux, non pas, il est vrai dans le sens que pourrait condamner l'Eglise. Mais quelle est donc cette neutralit que l'Eglise ne peut pas condamner? Espre-t-on que les vques vont renier leur .lettre collective et mettre de ct les sentences de l'Eglise contre le principe de la neutralit, mme honnte, si tant est que la neutralit religieuse puisse jamais usurper ce nom? La neutralit hostile, que les Annales dclarent ne pas pratiquer, c'est la guerre la religion, et non la neutralit. C'est bien la neutralit dans laquelle cette Universit professe s e tenir que l'Eglise rprouve et condamne. Les prtextes, les faux arguments dont elle se colore ici sont les mmes que ceux employs par les auteurs de la loi sclrate; l'enseignement public doit viter de se substituer aux leons de la famille, aux catchismes de persvrance, il n'a mme pas s'occuper de ce qui en fait l'objet. Cela n'empche pas l'enseignement ainsi compris de se prsenter l'Eglise comme une uvre irrprochable . On aimerait
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bien savoir jusqu'o va -sa rigoureuse orthodoxie quand il fait allusion aux choses saintes. Quant l'intervention tutlaire de M. Lestre, elle est un comble. D'aprs les termes mmes du certificat de parfaite loyaut qu'il donne aux Annales, M. le Cur de Saint-Etienne-du-Mont parle d'office comme conseil autoris donn a u journal sur la demande de son directeur. Il est donc qualifi pour porter une apprciation; or, cette apprciation do censeur attitr parat n'avoir souci que de la tenue inorale du journal. De la doctrine et de la neutralit des Annales, M. Lestre n'en dit rien, et il affirme que les jeunes filles mme les plus chrtiennes peuvent les lire. D'AUTRE3 ont la faiblesse de croire que les jeunes filles leves selon les leons de la morale chrtienne perdent beaucoup, mme au point de vue de la dlicatesse de conscience, quand elles font leur lecture habituelle d'un journal qui se contente, en fait de religion, de n'avoir pas une neutralit hostile. M. Lestre est membre du conseil de vigilance pour le diocse de Paris : pour ce "motif le Directeur des Annales s'appuiera plus volontiers sur sa dcision. Mais faut-il rappeler que le mme M. Lestre, trs comptent en Ecriture Sainte, n'est pas cependant un interprte sr? D e mme, d a n s . l e jugement port sur les Annales, l e libralisme parat l'avoir entran bien loin. Nous entendons bien que les Annales, n'embrassant point d'une manire didactique le programme complet de l'enseignement, et ayant seulement, pour objet une certaine culture suprieure de la jeune fille, ne sauraient tre entirement assimiles aux tablissements scolaires, et, par consquent, n'assument pas au mme titre qu'eux le devoir de former les mes. Il en rsulte que leur neutralit ne tombe pas aussi directement sous le coup des condamnations, surtout si elle parvient tre vraiment respectueuse de la morale et de la religion. Elle peut, cause de cela, tre l'objet d'une tolrance plus large. Nanmoins, tout enseignement tend ncessairement donner une formation. Les Annales ne s'en dfendent pas. Elles sont mme amenes se donner, dans leur programme, le titre d'cole, comme celui d'Universit. Elles poursuivent un but d'ducation, affirment le caractre moral de leurs leons, organises pour cultiver le cur et l'esprit des jeunes filles. L'universit des Annales s'est fait un devoir de composer un Programme digne des hautes rcompenses qui- lui ont t accordes, digne, surtout, de la confiance charmante, de l'amiti que lui tmoignent chaque anne, plus profondment, les jeunes filles. L' Universit des Annales est vraiment leur Maison; elles y peuvent goter en confiance les belles leons littraires et morales qu'on y donne, certaines de n'tre jamais blesses, ni dans leurs convictions, ni dans leur jeunesse...; elles y viennent apprendre leur futur mtier de matresse de maison, et cultiver leur esprit autant que leur cur. (Programme de 1911.) Les voil donc replaces sous la loi qui prside tout enseignement. O est alors cette neutralit que l'Eglise ne peut pas condamner? Le programme pour 1911 comprend diverses sries de leons sur
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le thtre ancien, l'histoire, la littrature, les auteurs contemporains. On constate que sur un ensemble de 9 0 confrences, les directeurs n'en ont pas confi moins de seize M. Jean Richepin. Il est permis de garder un douto sur la valeur ducative des leons d'un tel auteur, et sur l'avantage qu'elles peuvent offrir pour la culture de l'esprit et du cur des jeunes filles. Que de beauts morales il tait apte faire ressortir en prorant sur l'amour conjugal propos du thtre d'Euripide, ou e n faisant une leon sur ses propres oeuvres I On peut en dire autant de M. d'Annunzio, invit prsenter aussi les siennes, et de M. Marcel Prvost, avec ses portraits de femmes et de jeunes filles , ou de Mme Daniel Lesueur traitant d'Eugne Sue et du roman populaire. . L'anne prcdente, 1910, M. J. Richepin tient galement le record du nombre de leons. Il y aurait peut-tre plus d'une remarque intressante sur la srie de celles qui sont groupes sous la rubrique : Morale et Pdagogie : La jeune fille. Je me borne relever les deux dernires. A quoi rvent les jeunes filles ; sujet trait par M. E. Rerr. Mais le clou de l'anne, le comble de -.la bonne neutralit et la garantie d'orthodoxie dans les allusions aux choses saintes, c'est Mme Jane Dieulafoy, affranchie, je crois, comme G. Sand, du prjug qui empche les femmes de s'habiller e n hommes, (clturant par une confrence sur sainte Thrse VAvila Le seul fait de la familiarit d'esprit tablie entre de tels matres et les jeunes filles, de la sympathie, peut-tre de l'admiration conquise par eux dans ces leons de forme peut-tre sduisante, n'est-il pas un danger pour la plupart d'entre elles? Tolrer pourrait tre sagesse aux yeux d'un' bon nombre. Mais n'estce pas trop de laisser invoque* un jugement positif port par dlgation ecclsiastique, qui, omettant la question do neutralit, prononce que les leons des Annales ne contiennent rien que des jeunes filles chrtiennes ne puissent entendre?
L'AFFAIRE DE L'UNIVERSIT D E
FRIBOURG
Les correspondances de M. de Monlon ont provoqu deux essais' de dfense, sous la forme de lettres crites par M. Jean Brunhes, exerant les fonctions de Pro-Recteur de l'Universit, et de M. Paul Satbatier. Celle du premier enseigne loquemment que, quand on n'a rien rpondre de justes critiques, le meilleur et le plus adroit serait de ne rien dire. Heureusement pour le renom de l'Universit, c'est seulement de sa propre personne, et non du corps qu'il a prsentement l'honneur de prsider, que se proccupe l'auteur de cette lettre. C'est M. Jean Brunhes, ce n'est pas le Recteur, qui l'crit. Le lecteur tchera d'oublier celui-ci, pour n'attribuer qu' a u t r e la fausset d'esprit et de raisonnements dont sa lettre donne la preuve. N'ayant jamais personnellement encouru de censures officielles, M. J. Brunhes estime que la critique n'a aucune prise ni aucun droit sur ses .uvres. A c e trait, o n reconnat aussitt l'cole.
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On sait aussi que le systme de dfense le plus commode celleci consiste remplacer par des personnalits la discussion des faits, trop gnante pour elle. C'est toute l'habilet de M. Brunhes. Quel got il y dploie, au lecteur d'en juger. Les reproches qu'il adresse M. de Monlon n e pouvaient s'exprimer avec une srieuse bonne foi aprs les explications que celui-ci a donnes prcdemment. Quant au .trait qui m e vise, il est bien mouss, et je me plais croire que l'illustre professeur de gographie possde, dans- sa partie, un esprit autrement inventif et u>n talent plus srieux de dcouvertes. E. B. Voici s a lettre : Fribourg, le 3 juillet 1911. Monsieur le Directeur, Vous avez publi, ce me semble, mon sujet et diverses reprises, assez d'affirmations ou insinuations inexactes pour que je n'aie mme pas prendre la peine de revendiquer le droit lgal l'insertion de ma brve lettre. Il est une personnalit la Vadcard qui tantt' est anonyme et tantt se dcouvre et signe ses diatribes agressives d'un dlicieux nom de pastorale, Sylvo do Monlon. Elle ne tient, que je sache, de la hirarchie lgitimement constitue, ni mandat de dlation, ni mission de surveillance, ni autorit quelconque. Au reste; grces lui soient rendues : plus elle crit, mieux elle est juge. Sa mauvaise humeur est si naturelle : Tandis que nous travaillons, les rentiers grognent... Le tribunal de l'Inquisition prive de M. de Monlon me charge donc de tous les pchs d'Isral; que ce partisan de l'autorit se tranquillise et qu'il apaiso les impressions, en vrit subjectivistes et les scrupules trs relativistcs qui ont amen son sens propre se faire le censeur inattendu de tous : aucun de nos actes, et je dis mme aucun de mes mots crits ou parls n'a jamais t ni dsavou ni blm par aucune des autorits desquelles je dpends. Je n'ai mme jamais reu ni de prs, ni de loin un de ces amicaux avertissements qui pourraient tre avant-courours do quoique mcontentement. J'en suis fch pour M. de Monlon, mais la vrit doit encore garder le pas sur son insigne clairvoyance. Laissons cet aimable homme poursuivre ces dnonciations qui me grandissent bien au-dessus de mon mrite. Il est un seul point sur lequel je me permets de lui dire : halte-l 1 nous sommes, lui et nous, des Franais vivant par-del les frontires. Il est des rgles de courtoisie internationale qui doivenL tre respecbes tout prix, mme l'gard de ceux qui ne nous ont jamais tmoign que de la sympathie. Quand M. de Monlon attaque le gouvernement qui incarne d'une manire si clatante les opinions et les aspirations du pays dont il est venu librement chercher et dont il a reu la plus accueillante hospitalit, il accomplit une action qui est loin d'appartenir la tradition chevaleresque franaise. Et quand il se prend ressentir quelque honte de l'avoir directement dtracfc, il continue pourtant le dtracter dans ses uvres et dans ses entreprises. Sans avoir l'excuse d'aucune responsabilit ni d'aucune comptence, il mconnat grivement les lois de l'hospitalit. Quant M. Emm. Barbier, on doit reconnatre en tout' cas que c'est une personnalit d'une tout autre valeur, et que c'est un travailleur. Mais lorsque je me vois pris partie dans votre fouille sous cette signalure d'Emm- Barbier, j'aime me rappeler que cet ex-jsuite doit principalement sa rputation, si honorable aux yeux de certains au gros ouvrage en deux volumes dont le sujet est : Le libralisme de Lon XIII ; je me rappelle aussi que cet ouvrage retentissant a t mis l'Index sous le pontificat du pape actuellement rgnant.
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De temps en temps, M. Emmanuel Barbier me fait donc l'honneur de me traiter presque l'instar de Lon XIII, avec quelques injures en moins. Cela n'est pas pour me dplaire. Veuillez agrer, etc. M. de Monlon se borne cette rplique : Fribourg, le 7 juillet 1911. Monsieur le Directeur, Ma correspondance du 1 juin racontait des faits significatifs. D'aprs la nature de ces faits j'ai jug leurs auteurs avec des attributs dfinis et qui me paraissaient leur convenir. Si cet expos a pris dans l'opinion des intresss la mesure d'un rquisitoire, ni mon nom, qui vaut celui de M. Brunhes, ni mon manque de titres que j'ai d'ailleurs soulign, n'y peuvent rien changer et les savants le doivent discutei en se soumettant aux faits. Et si ce rquisitoire a eu l'inconvnient de placer M. Brunhes dans un jour ridicule c'est sans doute qu'il le mritait, car je ne l'ai point injuri. Aprs cela, et surtout aprs avoir constat la vanit de l'effort considrable qu'il a depuis tent contre moi et qui aboutit enfin une lettre tardive et mesquine signe de lui seul, il est naturel que M. Brunhes s'emporte; mais il a tort d'tre vulgaire. Pour de bonnes raisons et quoi qu'il m'en cote, je ne relverai pas autrement sa grossiret. Ses banquiers apprendront avec quelque surprise que le labeur du professeur de Gographie alimente seul la maison Jean Brunhes et ceux qui le connaissent conviendront du moins de la maladresse "ordinaire de cet arriviste agit qui se pare aujourd'hui lourdement du nom de travailleur. Un homme d'esprit, trs au courant des affaires Fribourgeoises me disait nagure, en parlant de la faction dont M. Brunhes est le chef : Il y a en core des places Monaco . Si l'illustre gographe se dcidait porter l son activit et y gagner pnx prement sa vie, il rendrait l'Universit de Fribourg un service auquel j'aurai peut-tre collabor. Recevez, Monsieur le Directeur, l'hommage de mon respectueux dvouement.
er
Jean
BRUNHES.
S.
DE
MONLON.
Passons M. Paul Sabatier. La Maisonnette, par Saint-Sauveur de Montagut, (ATdche), 19 juin 1911. Monsieur le Directeur. Aujourd'hui seulement j'ai pu parcourir le n du 1 juin de la Critique du Libralisme . Voudriez-vous me permettre de vous dire combien j'ai t surpris en voyant le caractre que M. de Monlon atlribue ma visite de 1904 Fribourg? J'y allai pour exposer devant un auditoire d'lite mes vues sur certains documents franciscains. Il s'agissait en particulier de la Legenda Trium Sociorum que je crois authentique, contrairement l'avis du R. P. Van Octroy, S. J. Sur ce point spcial le seul dont j'aie parl Fribourg, j'tais plus conservateur que l'illustre Jsuite. Il me parut que ma thse runissait peu prs tous les suffrages; mais, pas un seul instant, on n'a pu songer donner cet aimable accueil une porte dpassant la question trs prcise sur laquelle roulait l'entretien. M. de Monlon ajoute que j'ai termin par Fribourg la liste de mes vi-
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sites aux catholiques. Qu'il me permette de le dtromper et de lui dire, que jusqu' ma fia j'espre bien continuer ces visites. J'y trouve trop de joie et de rconfort pour les interrompre. Il y a quelques semaines, le 1er juin, je gravissais l'escalier du Vatican qui est en face de celui des appartements de Sa Saintet, pour aller assister la soutenance de thse de doctorat du R. P. Buzy. Je fus merveill de l'ampleur, de la simplicit, de la cordialit, de la libert de la discussion qui fut trs chaude par moments. La courtoisie avec laquelle je fus accueilli cette solennit d'ailleurs publique o j'tais le seul lac, va-t-elle donc tre interprte comme dnotant de la part du cardinal Rampolla des complaisances pour les erreurs de votre serviteur? Puis-je esprer, Monsieur le Directeur, que vous aurez la bont de mettre ces lignes sous les yeux de vos lecteurs et d'agrer l'expression de mes plus distingus compliments? Paul SABATIER. Voici la rponse que M. de Monlon nous adresse : Monsieur le Directeur, Je vois deux choses dans la lettre de M. Paul Sabatier. 1 > II-conclut du < sujet, et, s'il veut, de la forme de sa confrence, la signification que devait prendre sa prsence Fribourg : ma confrence tait conservatrice . comment ma prsence pouvait-elle avoir une action rvolutionnaire? 2o Il indique une retouche faire l'esquisse que j'ai trace de lui. Sur le premier point, je ne bornerai observer que l'argument, (l'apparence si rigoureuse dans sa brivet, cache un vaste sophisme, en supposant que le caractre de l'accueil faiti un confrencier se doit uniquement dduire du sujet et du ton de son discours. Une confrence n'est pas ncessairement le tout ni l'essentiel d'une visite : celle-ci peut tirer d'ailleurs sa porte ; on voit communment des aptres, des missionnaires, des ministres, des dputs*, des souverains agrmenter les tournes les plus fructueuses par les discours les plus insignifiants. Les intentions, la nature, le pass, les principes, le caractre reprsentatif, les fonctions du visiteur, les tendances et les aspirations des visits : voil quelques-unes des causes qui ont pu contribuer donner l'accueil fait l'historien moderne de saint Franois, une porte dpassant de beaucoup celle de son discours. A force de frquenter le Poverello, M. Sabatier est devenu un peintre incomparable de l'innocence &t 'de la candeur; peut-tre s'oublie-t-il parfois inconsciemment user de son talent pour se maquiller quelque peu lui-mme lorsqu'il va en visite. Quoi qu'il en soit, je laisserai volontiers de ct la premire des causes numires plus haut et ne suspecterai en rien des intentions que notre visiLeur prcise : J'allai Fribourg, dit-il, pour exposer devant un auditoire d'lite mes vues sur certains documents franciscains . Certes on peut faire un tel plerinage Fribourg sans ngliger de visiter Genve; et ct des documents en question on peut avoir dans ses bagages, par exemple, de nombreux exemplaires d'une brochure rcente sur la sparation et l'Eglise de France , aussi pauvre de valeur critique que cruelle pour une grande partie des auditeurs d'lite. Avec la meilleure volont du monde, M. Sabatier, ce disciple de Renan qui rpte si parfaitement son matre, ne pouvait venir incognito dans le cercle avis de Fribourg. Il a dit lui-mme sur ce point spcial (authenti0 ri tique du libralisme. 15 Juillet 5
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cit de la lgende) dit que j'tais plus conservateur que l'illustre Jsuite . Mais, de fait, hormis les bibelots qui le charment et qu'il caresse d'une main dlicate, M. Sabatier dtruit plus qu'il ne sauve. Infatigable aptre de ce rformisme protestant qui a tant d'affinit avec le modernisme catholique, pouvait-il se dgager de son pass, du caractre reprsentatif acquis et arriver Fribourg sans que l'attrait s'exert aussitt, entre la faction moderniste dont j'ai signal Inexistence, et lui? Je n'insisterai pas autrement, car ceci m'amne la dernire des causes : la plus importante pour moi, puisque c'est elle surtout que j'avais en vue lorsque j'crivais ma correspondance. Mon contradicteur ne contestera pas que les organisateurs, les imprsarios, sont parfois mieux renseigns sur l'tat d'esprit des milieux o ils prparent un succs que l'artiste consciencieux qui passe absorb dans son sujet. Or, avant la venue de M. Sabatier, j'ai pu suivre de prs les phases .fort animes de la chaude rclame que M. Chollat lanait et soutenait en sa faveur. Cette rclame vint se heurter une rsistance ferme mais calme des T. R. P. Franciscains... un remous assez vif s'ensuivit; les intresss, les invits prenaient parti; et je puis certifier au confrencier que l'ensemble form alors par les organisateurs, les opposants et les intresss se proccupait peu de l'authenticit de la Legenda et beaucoup de la porte que pouvait avoir par ailleurs sa visite. Aussitt aprs la rception j'ai recueilli sur elle d'innombrables avis : aucun ne rptait quelqu'cho de la confrence (1). Je termine donc ma rplique l'argument en affirmant nouveau ce que nio la conclusion de M. Sabatier. Ainsi la premire parade prise contre mon attaque russit couvrir le thme d'une confrence que je ne visais pas. Et l'intervention du ministre rform en faveur de la faction moderniste de Fribourg risque fort do n'tre qu'un geste la Goiran. Je viens maintenant la seconde partie de la rponse. J'avoue qu'elle m'embarrasse un peu plus que la premire, mais cefi embarras sera de nul profit pour ses protgs et d'un mince avantage pour M. Sabatier. Malgr ce que j'en ai dit, le fameux critique des documents Franciscains continue ses visites aux catholiques; il va au Vatican et son approche le colonel Repond n'a point mobilis la Garde suisse... Cependant M. Sabatier reste dfinitivement l'extrme gauche du protestantisme; il ne conteste aucune des autres notes par lesquelles je l'ai rapidement dfini. Il connat certainement la page de l'Essai sur les donnes immdiates de la conscience o M. Bergson parle des mouvements faciles qui se prparent les uns les autres... des attitudes venir qui sont indiques et comme prformes dans les attitudes prsentes. Si les mouvements saccads manquent de grce, c'est parce que chacun d'eux se suffit lui-mme et n'annonce pas ceux qui vont le suivre . Les mouvements qui ramnent aujourd'hui chez nous M. le pasteur Sabatier sont saccads et illogiques. Je ne les avais pas prvus. Qu'il veuille bien croire cependant que le rle trs modeste de bedeau volontaire que la Critique du Libralisme m'a accord, ne me permetpas de lui interdire d'entre de l'Eglise. Je puis l'inviter parfois s'ty tenir tranquille, ne pas apporter de trouble dans l'assistance, ne pas s'approcher de certains groupes complices, comme il le fit Fribourg. L s'arrte mon rle. L'auteur de la rponse ajoute qu'il trouve ses visites trop de rconfort et de joie pour les interrompre . La rciproque tait 1. Il demeure bien entendu que plusieurs des auditeurs de la confrence se sont intresss simplement au sujet trait et que la thse seule avait leurs suffrages.
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peut-tre vraie autrefois, elle ne l'est plus. Il fut un temps o les milieux catholiques les moins ouverts au modernisme accueillaient avec bonheur M. Sabatier. Pourquoi n'eu va-t-il plus de mme, aujourd'hui? La rponse est trs simple et je m'tonne que notre visiteur semble l'appeler dans sa lettre. Son propre changement et le rveil de ses racines protestantes sont une premire cause du refroidissement de nos rapports. Mais cette raison est au fond bien faible, car ds la premire heure, un grand nombre de catholiques dans .tous les milieux qu'il frquentait avaient analys l'me humainement ingurissable de l'auteur de la vie de saint Franois, leur accueil cependant restait empress. Mais il est une autre (raison capitale de la dfaveur actuelle de M. Sabatier, et la voici : Le dsordre et l'appauvrissement causs par le flau moderniste ont chang la situation aise ou le concile du Vatican avait lev les catholiques, pour les rduire une existence difficile peu propre l'exercice d'une large hospitalit. . Lorsque le pasteur plerin visitait nagure les monastres, les glises, l'es cercles catholiques, il parlait une langue qui le faisait aussitt reconnatre comme tranger, il conservait son statut personnel nettement spar, mais depuis la confusion des langues et l'indiffrence au maintien des frontires ces deux autres consquences anarchiques du modernismo la prsence constante chez nous d'un habitant comme M. Sabatier peut devenir gnante et dangereuse. Elle ne l'est pas Rome; elle le devient n Fribourg, ville-frontire, au moment o les modernistes travaillent dclasser ses remparts. L'esprit trs moderne de M. Sabatier a toujours projet dans sa conception fantaisiste de l'uvre' Franciscaine une note individualiste et subjective, une part emprunte Rousseau note essentielle aux yeux de l'auteur. Or, uno telle manire de voir paraissait videmment impuissante aux catholiques avant la pntration du modernisme. Mais en se mlant au courant de mme origine qu'elle est venue malheureusement renforcer, cette conception de l'esprit Franciscain a envahi beaucoup d'intelligences. Un trs grand nombre de ceux qui ont prpar Fribourg le succs de M. Sabatier n'aspiraienl plus l'idal Franciscain qu' travers l'ide protestante. II est, mon sens, deux moyens de rester avec l'historien de saint Franois dans les termes affectueux adopts jadis. Le premier consiste ne s'entendre pas du tout avec lui sur les principes religieux et politiques, le second serait de nous entendre tout fait. M. Sabatier a rencontr Fribourg une faction avec laquelle il s'entendait la fois trop t trop peu. La chaude amiti de jadis risquait fort de se changer l en une familiarit de mauvais aloi. Et comme il existe aujourd'hui sur l'ensemble du territoire de l'Eglise une foule de centres o s'agitent des factions plus ou moins semblables celles de Fribourg, M. Sabatier devrait les- viter avec soin si vraiment ses intentions sont aussi pures qu'il le prtend et s-'il entend n'exercer chez nous aucun apostolat rformiste. Par contre, qu'elle aille au Vatican et approche le plus souvent possible des Emincntissimes cardinaux Rampolla, Vives, des universits romaines, etc. Cette inconsquence de sa part, du moins, ne sera pas dangereuse pour nous et je ne la lui reprocherai certes pas. Prcisment parce qu'il ne peut rencontrer Rome aucune complaisance pour ses erreurs et que toute tentative de les rpandre serait vainc, les deux visites que M. Sabatier compare n'ont en ralit rien de commun. La politesse qui est de tradition chez les- hauts dignitaires de L'Eglise s'est exerce naturellement vis--vis d'un visiteur de marque qui pntrait dans une salle ouverte du Vatican. Les gards que lui rservait ici la Runion Franaise d'Etudes taient d'une tout autre nature.
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Je termine en rappelant M. Paul Sabatier que j'aurais pu la rigueur opposer sa rponse une fin de non-recevoir. Mes attaques ne le visaient que trs indirectement et doivent lui tre au fond assez indiffrentes. Je ne m'attendais pas ce qu'un adversaire du dehors et si loign vnt relever le gant. Mais, je lui ai dj fait remarquer, son intervention est une bonne fortune pour la cause que je dfends. Ceux d'entre les membres de la faction moderniste de Fribourg, qui ne sont pas encore intirement paralyss par l'abus des concessions et l'effacement des principes, la jugeront malencontreuse. Recevez, Monsieur le Directeur, l'assurance de mon trs respectueux dvouement, Fribourg, le 29 juin 1911.
S. de MONLON.
C'est un fait d'histoire que Lon XII a donn pour patron aux journalistes catholiques saint Franois ide Sales, vque de Genve et docteur de l'Eglise. Encore serait-il sage de ne point s'armer de cette dsignation pour la tourner contre certains de ces journalistes, tout aussi fonds que d'autres invoquer ce patronage glorieux et fortifiant. Or, la veille du transfert des tombeaux vnrs de saint Franois de Sales, et de sainte Jeanne de Chantai, sa fille spirituelle, au nouveau monastre de la Visitation [d'Annecy, transfert qui aura lieu le 2 aot, la Croix de Paris, la Croix du Nord, et sans doute nombre de Croix provinciales ont publi un article de Cyr, dat du 30 juin, o l'auteur s'est donn ce tort, moins vniel assurment qu'il se le figure. Rien n'est crispant, en effet, comme le procd la faveur duquel on exalto la charit d'un pieux personnage pour pcher dlibrment contre la charit tout ensemble et contre la justice, en s'attaquant l'improviste des publicistes rputs arbitrairement moins charitables que le modle qu'on prtend glorifier. Tel est pourtant le procd mis en uvre dans l'article dont nous parlons. Saint Franois :de Sales y est appel l'aimable s a i n t ; on y clbre sa parole suave , sa manire conciliante , sa mystique souriante et humaine ; on le loue d'avoir fleuri le Thabor ; on le trouve exquisement courtois. Et il n'est personne qui ne souscrive ce juste hommage. Mais, in caud venenum, tout ce pangyrique aboutit rappeler que l'admirable polmiste, intraitable avec les adversaires, a horreur des polmiques entre catholiques . Nous y voilai Et l'on cite cette charmante page , assurment charmante du reste : Je hais par inclination naturelle et, je pense, par inspiration cleste, toutes les contentions et disputes qui se font entre catholiques, et dont la fin est inutile; encore plus celles dont les effets ne peuvent tre que dissensions et diffrends, surtout en ce temps plein d'esprits disposs aux controverses, aux censures et la ruine de la charit... En cet ge o nous avons tant d'ennemis
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au dehors, nous ne devons rien mouvoir au dedans du corps de l'Eglise. La pauvre mre poule, qui, comme ses petits poussins, nous tient dessous ses ailes, a bien assez de peine nous dfendre du milan, sans eue nous nous entrebecquetions les uns les autres et que nous lui donnions des entorses. Charmante leon , insiste iCyr, charmante leon qui est celle d'un saint. A merveille! mais autant elle est salutaire dans la pense de son auteur, autant elle serait funeste si elle aboutissait censurer les apologistes contre lesquels les lecteurs de la Croix de Paris et des Croicr provinciales ne manqueront pas de la tourner, en se persuadant qu'ils servent ainsi la thse de Cyr. De fait, rien n'est plus juste que de rprouver les polmiques dont la fin est inutile , et encore plus celles qui n'auraient d'autre effet que de crer des dissensions . Mais la premire conclusion que les lecteurs de Cyr, faute d'une glose indispensable, seront induits tirer de cette citation, sera une rprobation globale pour tous les crits inspirs par le souci de la vrit religieuse, politique ou sociale, tous les crits dirigs notamment contre le libralisme et le modernisme. Que la Croix s'obstine tenir ces crits pour superflus, ou pour incommodants au regard de sa propagande propre, laquelle se limiterait- volontiers i l'apologie banale de tous les traits difiants de l'ordre religieux, c'est l une disposition d'esprit que peut expliquer l'infirmit intellectuelle, ou encore le besoin d'enrgimenter .parmi ses lecteurs le plus grand nombre probable d'mes confiantes .mas bornes. Reste savoir de quel droit Cyr prtend imposer cette conduite autrui, ce qu'il fait quand il ajoute sa jolie citation de saint Franois de Sales : Journalistes catholiques, mes frres, allons l'cole de notre grand patron ... Aussi bien, la Croix elle-mme, sous l'empire de ncessits qui lui taient imposes du dehors, a bien d finir par accueillir en ses colonnes des discussions doctrinales, qui sont devenues, bon gr mal gr, des polmiques entre catholiques . Quand, en effet, Pie X, dont la douceur est bien le reflet de celle de saint Franois de Sales, eut dirig l'attention des catholiques vers les prils que font courir leur foi le modernisme et le sillonisme, la Croix, volens nolens, a d finalement faire cho l'Encyclique Pascendi puis l'Encyclique sur le Sillon. Mme nous avons souvenir d'un ecclsiastique de la Croix, qui, pris d'un zle d'autant plus mritoire qu'il tait nouveau, a cru dcouvrir toutes les erreurs que plusieurs autres polmistes avaient signales cinq ans avant lui dans les ides du Sillon et les propos de Marc Sangnier. Sans doute, cette excursion dans un domaine totalement ferm jusque-l aux lecteurs de la Croix, s'imposait irrsistiblement, tant donn que la Vrit franaise avait disparu , et qu'il pouvait exister plus d'un lecteur avide de cette nourriture. Sans doute aussi, la Croix, en portant ses quatre pages six pour satisfaire cette exigence de l'actualit, avait la prcaution d'insrer cette rubrique nouvelle dans ses deux pages mdianes,- lesquelles pouvaient s'isoler des quatre
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
autres, et n'taient servies qu' une catgorie seulement de lecteurs qui les avaient expressment rclames. Sans doute enfin, il et t trop hardi de persister faire tat d'un dvouement sans rserve au Saint-Sige, tout en ngligeant -de propager ses enseignements. Mais encore, n'tait-ce pas l, de l a part de la Croix, inaugurer des polmiques entre catholiques , et cesser de s'occuper uniquement des ennemis du dehors? En se rsolvant l'invitable, la Croix n'eut certainement pas tort, mais alors que vient faire l'homlie charitaine de <Cyr? Car, il n'y a pas dire, Marc Sangnier se prtend catholique, les modernistes se dclarent pareillement fidles l'Eglise, et ds lors il n'y a pas moyen de les reprendre sans s'exposer des polmiques entre catholiques . Consquemment, Cyr met les journalistes icatholiques , s e s frres , en garde contre un travers que la Croix elle-mme a d finalement se donner. La vrit e s t que ce n'est pas un travers : c'est, tout au contraire, le droit chemin. Car, c'est prcisment saint Franois de Sales, si nous ne nous trompons, qui dit, en propres termes, o u en termes quivalents ceux-l : C'est charit de crier au loup , quand il court lentre les .brebis. L'article de Cyr n'a d'ailleurs pas d'autre intrt que celui qu'offrait sa malice finale. La lgret de jugement dont il procde pour le surplus apparat dans cette phrase ^ngligemment jete e n son milieu :
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Le patron des croiss de la plume serait saint Paul, s'il avait vcu clans les temps modernes, on l'a dit et rpt satit. Puisqu'il y avait dj satit , peut-tre Cyr et-il sagement fait de s'abstenir de cette insipide redite. Le nom de Mgr de Ketteler qui, le premier, imagine saint Paul journaliste , n'est pas u n e suffisante caution pour cette purilit, somme toute irrvrencieuse. Et dj notre Revue indiqua les raisons qui dfendent de confondre la besogne de nos braves. journalistes avec les crits inspirs du docteur de l'ordre surnaturel, de l'aptre des nations, du sublime commentateur des areana Dei. Paul T A I L L I E Z .
R P O N S E A LA C H R O N I Q U E S O C I A L E
Pour rpondre au dsir manifest par de nombreux amis, les articles publis sous cette rubrique par notre collaborateur M. Paul Tailliez viennent d'tre runis en brochure de propagande avec ce titre :
Le Grant : G . S T O T F E L
AVIS
Afin d'viter Revue sont
TRATION
et les retards
dans
qui veulent
directement
Paris. et
pour
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Le Dieu qui a form les hommes pour la socit, ne leur a pas donn le code de ces prtendus droits d'galit et de libert, principes de dsordre et d'anarchie. Le Dieu qui ne soutient la socit que par la sagesse des lois, n'a pas livr l'inexprience et au caprice de la multitude le s o i n de les dicter e t celui de les sanctionner. Le Dieu qui ne nous .montre l'empire et le maintien des lois, que dans la subordination des citoyens a u x magistrats, aux souverains, n'a pas fait autant de magistrats, de souverains que de citoyens. Le Dieu qui a li les classes de la socit par la diversit des besoins et qui fournit ces besoins par la diversit des talents, des professions, des arts, n'a pas donn l'artisan et au berger le droit du Prince charg de prsider la chose publique. A ces vrits simples et naturelles, rendez ce jour de l'vidence que les sophistes de la rbellion sont venus obsicurcir, et le danger des rvolutions disparatra. Prenez, pour clairer ce peuple, tous, les soins, qu'ont pris les jacobins pour l'aveugler.
RENDEZ-LUI SES PRINCIPES; R E N D E Z - L E S - L U I D A N S TOUTE L E U R (2) PURET, P O I N T D E COMPOSITION A V E C L ' E R R E U R .
Il disait vrai c e prtre, qui, sous le rgne mme de la guillotine, dnonait les sourdes et infernales machinations des sectes maonniques. Il comprenait ce qu'tait la Rvolution et toutes les belles protestations humanitaires de l'Encyclopdie ne le trompaient pas sur la laideur de cette philosophie rationaliste laquelle nous devons toutes les ruines du rgime moderne. Le remde cet tat de choses lamentable, il le signalait ds le dbut de son ouvrage sur le jacobinisme : Rendez au peuple ses principes, rendez-les-lui dans toute leur puret. Point de composition avec Verreur. La pire des catastrophes il l'entrevoyait en effet; s'il distinguait les principes de la religion des principes de la Rvolution et s'il nous mettait e n garde contre l'erreur, c'est qu'il prvoyait la possibilit d'une confusion entre la Rvolution et le catholicisme. Ainsi en pleine Rvolution, un prtre a consacr pon temps dmontrer, documents l'appui, qu'il n'y avait rien de commun entre 89 et l'Eglise catholique et qu'au contraire tout l'effort de la Rvolution, l'unique 1. Voir les numros des 1 et' 15 juillet 1911. 2. Barruel, Mmoires pour servir l'histoire du jacobinisme, prface, 1798,
Critique ilu libto'filiBiTiP l ^ o f i t .
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RELIGIEUX, POLITIQUE,
SOCIAL
but des hommes qui la firent, fut prcisment d'anantir le catholicisme lui-mme : Appuys sur les faits et munis des preuves qu'on trouvera dveloppe dans oes mmoires, dit-il, nous dirons et nous dmontrerons ce qu'il importe aux peuples et aux chefs des peuples de ne pas ignorer; nous dirons : Dans cette Rvolution franaise, tout jusqu' ses forfaits les plus pouvantables, tout a t prvu, mdit, combin, rsolu, statu (1) : tout a t l'effet de la plus profonde sclratesse,! puisque tout a t prpar, amen par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans les socits secrtes, et qui ont isu choisir et hter les moments propices aux complots. Dans ces vnements du jour, s'il existe quelques circonstances qui semblent mois l'effet des conspirations, il n'en tait pas moins une cause et des agents secrets qui appelaient ces vnements, qui savaient profiter de ces circonstances oui bien les faire natre, et qui les dirigeaient toutes v e r s l'objet principal... En dvoilant l'objet et l'tendue de ces complots, j'aurai dissiper u n e erreur plus dangereuse encore. Dans une illusion funeste, il est des hommes qui ne font pas difficult de Convenir que cette Rvolution franaise t mdite; mais ils ne craignent pas d'ajouter que dans l'intention de ses premiers auteurs elle ne devait tendre qu'ait bonheur et la rgnration des Empires ; quo s i de grands malheurs s o n t venus se mler leurs projets, c'est qu'ils ont trouv de grands obstacles; c'est qu'on ne rgnre pas un grand peuple sans de grandes secousses; mais qu'enfin les temptes ne sont pas ternelles; que les ftdts s'apaiseront et que le calme renatra; qu'alors les nations tonnes d'avoir pu redouter la Rvolution franaise, n'auront qu' l'imiter, en s'en tenant ses principes. Cette erreur est surtout celle que les coryphes des Jacobins s efforcent le plus d'accrditer... A cet espoir fallacieux; toutes ces prtendues intentions, j'opposerai les intentions de la sebte rvolutionnaire, s e s vrais projets, et s e s conspirations pour les raliser. Je dirai, parco qu'il faut bien enfin le dire, parce que toutes 'les preuves eh sont acquises : la Rvolution franaise a t ce qu'elle devait tre 'dans l'esprit de l a secte. Tout le "mal qu'elle fait, elle devait le faire, tous ses forfaits et toutes ses atrocits ne sont qu'une suite ncessaire de ses principes et de ses systmes. Je dirai plus encore : bien loin de prparer dans le lointain un avenir heureux, la Rvolution franaise n'est encore qu'un essai des forces de la secte; ses conspirations s'tendent sur l'univers entier (2). iDt-il en coter partout les mmes 1. Toutes les tudes rcentes ont abouti aux mmes conclusions. C'est ce qui ressort des tudes d P. TDeschamp et de MM. Claudio Jannet, Gustave Bord, Drumont, Copin-Albancelli. 2. L'avenir n'a que trop confirm les prvisions de Barruel. Lon XIII, dans une encyclique dont le titre seul rvle la haute porte Humanum genus , disait au monde catholique: Il importe souverainement de faire remarquer combien les vnements donnrent raison la sagesse de nos
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DU DMOCRATISME CHRTIEN
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crimes, elle les commettra; elle sera galement froce : il est clans ses projet de l'tre partout o le progrs de ses erreurs lui promettra le m m e succs.
II
Trente-deux a n s s e sont couls, une nouvelle gnration s'est leve. Ne sous l'empire des principes rvolutionnaires qu'elle respire dans l'air ambiant, elle fa dj oubli ces svres et judicieuses leons. En 1831 un prtre, Lamennais, a runi autour de lui an petit cnacle et le voil inaugurant une premire tentative de rapprochement entre le Catholicisme e t la Rvolution. C'tait au mme moment d'ailleurs que le isaint-simonisme s'tablissait. Si Ton e n juge par la nombreuse correspondance que Lamennais reoit du jeune clerg, l'on peut dj constater le phnomne d'infiltration rationaliste qui s'est opr dans la masse catholique. Une lettre du Pre Ventura Lamennais peut nous aider mesurer la profondeur de la fissure que ces trente-deux ans ont suffi laisser se former : Je suis fch, dit le thologien, le 9 fvrier 1831, de voir que VAvenir connaisse si peu la Rvolution, que de bonne foi, il s e flatte que par la nouvelle charte (1), la religion sera affranchie. prdcesseurs. Leurs prvoyantes et paternelles sollicitudes n'eurent pas partout, ni toujours le succs dsirable : ce qu'il faut attribuer soit la dissimulation et l'astuce des hommes engags dans cette secte pernicieuse, soit l'imprudente lgret de ceux qui auraient eu cependant l'intrt le plus direct la surveiller attentivement. 11 en rsulte que dans l'espace d'un sicle et demi, la secte des francs-maons a fait d'incroyables progrs . Ou ne lira pas sans intrt le passage suivant d'un rcent article de CopinAlbancelli : 11 y a dix-neuf ans bientt, j'crivais dans mon premier ouvrage sur la Franc-Maonnerie que cette congrgation secrte tait reprsente la Chambre par cent cinquante dputs; et j'ajoutais que si l'on n'y prenait pas garde, un temps viendrait o elle en aurait le double et serait par consquent la matresse du pays. Naturellement, tout le monde se mit me rire au nez et les gens qui se considraient comme les plus intelligents furent ceux qui crurent devoir rire le plus fort. Les vnements se sont trop bien chargs de raliser mes pronostics- pour que je puisse trouver, dans le dsarroi gnral, le moindre plaisir aux justifications qu'ils m'ont apportes . (L'uvre du 9 mars 1911). 1. On ne s'imagine pas quelle importance on attacha cette charte de 1830 : La politique (dans le systme philosophique de Victor Cousin) dit M. Paul Janet, devenait le critrium de la morale; les principes Ue 89 taient Yaliquid inconcussum sur lequel on fondait la philosophie. Notro scepticisme politique (I!l) s'accommoderait mal aujourd'hui de ce genre de dmonstration. Mais combien la Charte, ce monument si incomplet et si fragile de libert politique, n'avait-eUe pas enflamm les mes par la conception d'un idal nouveau, pour que cette conception devnt la mesure laquelle on comparait l'idal moral ? Dans ce temps-l, les esprits clairs et cultivs aimaient la socit dans laquelle ils taient ns, et ils y croyaient; ils n'en taient pas encore venus se servir de l'rudition et de la critique pour vanter les beauts de l'ancien rgime et dnoncer les illusions des liberts modernes. Ils croyaient avoir une tche remplir, raliser la pense de 1789; et ce but leur paraissait tellement grand que pour eux, la morale elle-mme s'y subordonnait et devait s'y accommoder . Paul Janet, Cousin et son uvre, (1833), p.
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Comment donc, aprs tout c e que vous avez crit vous-mme sur la Rvolution, vous pouvez v o u s faire illusion sur son esprit, ses projets, a u point de croire qu'elle n'aura boulevers la France que pour rendre la libert la religion qu'elle veut anantir 1 Non, Messieurs, on v o u s dpouillera, mais on continuera vous opprimer. Voyez ce qu'on a fait et c'est d'aprs cela que vous jugez de ce qu'on fera. Le parti de la rsistance ne peut pas tenir, le parti du progrs doit l'emporter, dites-vous. Or, v o u s verrez alors que le progrs de la libert pour les autres sera pour vous celui de la servitude. C'est que le principe de la Rvolution est essentiellement anticatholique et que toute rvolution dans ce sicle sera et doit tre toujours au prjudice de la religion et au plus grand profit de l'impit. . . . J e sais que parmi ceux qu'en France on appelle libraux, il y a des hommes de coeur, des hommes de foi, des hommes de bien, qui dsirent sincrement la libert, Tordre, l'empire des lois, le bien du pays e t qui au moins ne songent pas entraver la libert de la eligion catholique. Avec ces gens-l une alliance est possible, est dsirer et je ne puis qu'applaudir au zle de l'Avenir. Mais avec la Rvolution proprement dite, toute alliance, toute trve seulement est impossible. Elle n e peut pas mme tolrer la religion sans se dtruire elle-mme, car son principe constitutif est la haine de la religion. Jugez donc par l combien il est choquant, il est absurde, de voir des catholiques qui en parlent le langage, qui e n partagent les vux politiques, et qui, avec une joie froce, applaudissent la chute des trnes et aux malheurs des rois. Au nom de la religion dont vous dfendez la libert, dsavouez, je vous en conjure, des principes qu'elle abhorre et qui ont fait c e que vous voyez. Rclamez vos droits, mais respectez les droits des autres. Combattez l'arbitraire constitutionnel, mais ne prchez pas le dsordre, combattez l e despotisme, mais n'invoquez pas votre secours la Rvolution, Non tali auxilio nec defensoribus istis tempus eget... Le P. Ventura parlait l e langage du bon sens, mais le journal de Lamennais riposte avec une virulence assez commune du reste tous les dfenseurs du dmocratisme chrtien. Lamennais rappelle avec ijmpeitinence son illustre contradicteur qu'il v i t trop loin de la scne pour donner pn juste avi|s sur les "affaires politiques de la France (1), comme s'il ne s'agissait point l d'une pure question de doc1. Toutes les fois que Rome officiellement ou officieusement a dsapprouv les hardiesses des dmocrates chrtiens, on n'a pas manqu dans le camp des novateurs de mettre en avant le mme argument. On en jugera par le curieux passage d'un ouvrage de l'Abb Frmont : < La grande c erreur politique des catholiques franais . (Ouvrage gonfl de mots et phs nuisible qu'utile la cause qu'il veut dfendre) : Il serait cependant facile d'observer que la connaissance exacte de ce qui se passe dans un pays n'a pas autant de chances d'exister, cinq cents lieues du thtre des vnements, que sur ce thtre mme, et qu'il est trange de se croire mieux
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trine. Telle ide porte, en effet, en elle-mme, telle force, telle orientation et le temps et le lieu ne peuvent agir pour ou contre elle que par le milieu o ils la situent, ce qui se rduit encore une lutte d'ides. Mais o je prends Lamennais en flagrant dlit de rationalisme, c'est lorsqu'il laisse chapper (dans sa rponse au P. Ventura 12 fvrier 1831 L'Avenir) les paroles suivantes sur lesquelles j'attire l'attention du lecteur et qui, elles seules, suffisent pour peser son juste poids le fonds des erreurs de l'cole mennaisienne. . . . L o vous voyez, mon Rvrend Pre, un nouveau triomphe du mal, nous voyons, nous, le commencement d'une magnifique rgnration, Z'AURORE D U JOUR o ^accomplira cette solennelle promesse: et erit unum ovile et unus pastor. y> Nous y voil donc de nouveau dans le rve rationaliste des Condorcet et des Saint-Simon. Et suivons, je vous en prie, la marche ascendante vers le dmocratisme chrtien dfinitivement constitu. Chez Condorcet, c'est le rve du .grand jour qui brillera sur l'humanit quand la superstition religieuse sera absolument anantie. Chez Saint-Simon, c'est le rve du grand jour qui brillera sur l'humanit quand, l'aide du christianisme dgag du dogme et rduit la fraternit rpublicaine, l'Europe ne formera plus qu'un seul peuple. Chez Lamennais, c'est le rve du grand jour qui brillera sur l'humanit quand le catholicisme suffisamment libralis (ce sont ses propres termes), suffisamment rconcili avec les principes de la Rsolution, ralisera lui-mme ces principes.
III
Le rve de Condorcet, de Baint-Simon, de Lamennais, divergent sur le dtail, est, e n son fond, identique. Progrs indfini! Progrs indfini 1 Progrs indfini! Seulement l'es champions de la Rvolution se sont aperus au prerenseign, en Italie qu'en France, sur les mouvements varis que subit, chez nous, l'opinion publicit . Cette finale est fort instructive; l'auteur, en boi rpublicain, en excellent fils de la race, ne supporte pai qu'on froisse l'opinion publique, mme quand celle-ci varie dans ses mouvements. Cela est bien d'un dmocrate; la politique, pour ses pareils, ne doit pas s'attacher un principe stable; 'elle a pour mission d'iosciller avec l'opinion. Mais il y a mieux que cela, il faudrait que le pape, se rendant aux vux des dmocrates chrtiens, observt l'opinion publique mme en matire dogmatique. Ainsi Pie X aurait d consulter l'opinion franaise sur le cas des modernistes Nauclet et Dabry, qui donnrent le scandale de prcher le socialisme en pleine chaire catholique : Le peuple franais se demande pourquoi, dit M. Frmont, sont frapps de discrdit, les uns aprs les autres, tous les catholiques de France qui ont accept le programme de Lon XIII et qui se sont dclars rpublicains. Il est vident qu'on ne les aime pas puisqu'on les dconsidre : pas un seul grand journal, sincrement rpublicain catholique, (entendez : hypocritement rvolutionnaire), n'a encore p i vivre. L'abb Garnier, l'abb Naudet, l'abb Dabry et vingt autres peuvent l'attester... , op. cit., p. 63 et seq. Quel esprit faux!
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mier assaut contre le catholicisme que la vieille citadelle tait solidement mure dans le roc. Donc, changement de tactique, la premire troupe dit carrment ce qu'elle veut : anantir la religion pour rajeunir l a socit, la conduire j l'ge d'or dmocratique. La seconde troupe* s'apercevant que le corps catholique a survcu Tmi ettement des organismes d'ancien rgime, qu'il demeure seul une oligarchie rsistante sur les dcombres de l'individualisme moderne, a pens, exprience faite, qu'on ne viendrait bout de ce grand corps qu'en le dsagrgeant. La force du catholicisme, c'est son unit, unit de doctrine, Unit hirarchique; l'unit rompue, pensent nos jacobins, l'Eglise e s t vaincue. Voil le point vulnrable. Mais aurait-on raison du catholicisme e n lui opposant la Rvolution telle {qu'elle e s t e n son essence? N o n ! il faut user de ruse, il faut mler la vrit Terreur, pour que Terreur pntre avec la connivence de la Vrit l o seule elle serait rpudie. L'Echec de la Constitution civile exigeait ce dtour. L'essai de Saint-Simon, quoique trop franchement grossier, a russi tout de mme crer le rapprochement entre les deux mots Christianisme e t Rvolution. Le mot est lanc, fraternit chrtienne, fraternit dmocratique, c'est tout Un et le clerg finit par se laisser imposer c e principe qui n'a Tair de rien, mais qui, une fois admis, dveloppe tout de mme le rseau de ses consquences, dont le point terminus e s t la dformation pleine et entire de la doctrine catholique. Les modernistes nous Tont bien montr. L o vous voyez, mon Rvrend Pre, un nouveau triomphe du mal, n o u s voyons, nous, l e commencement d'une magnifique rgnration, l'aurore du jour o s'accomplira cette solennelle promess e : Et erit unum ovile et unus pastor ( 1 ) , disait donc Lamennais. Pour qui sait lire cela signifie textuellement que la Rvolution n'est pas, c o m m e le disait le Pre Ventura : essentiellement anticatholique , elle est, pour Lamennais, exactement le cpntraire puisque par elle s'accompliront les destines chrtiennes de Thumanit. C'est ce que Lamennais exprime en empruntant un texte de l'Evangile. C'est comme s'il disait : Jsus-Christ a pos (comme but la socit la fraternit universelle et la dmocratie nous achemine vers ce but. Il demeure bien entendu que cette fraternit n'exprime pas seulement d e 3 rapports moraux, mais un ordre social nouveau ayant sa source dans la Rvolution franaise et c'est pour cela que Lamennais dans 1. Je note en passant cette tendance vraiment protestante des dmocrates chrtiens interprter d'une faon tout fait fantaisiste les textes de l'Evangile. Ainsi celui qu'emploie ici Lamennais s'applique rigoureusement la conversion du monde entier au catholicisme et nullement au rve internationaliste des Condorcet, Saint-Simon, Lamennais, Gratry et Sangnier. Bchez tombe souvent dans ce dfaut et le P. Gratry en a fait un vritable abus.
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la mme lettre parle de c e que l e catholicisme a gagn depuis la dernire .Rvolution. , Ainsi, ds 1831, un demi-sicle aprs Tassant encyclopdique contre l'Eglise, la partie est gagne par le clan rvolutionnaire sur le terrain politique, lequel s e confond sous fun certain angle avec le terrain social. Mais le terrain politique n'est pas le terrain proprement catholique; pourquoi donc nous e n inquiter (1)? Il est vraiment admirable de voir combien les jacobins ont russi, jusque dans les plus: petits dtails, tourner l'opinion catholique contre l'intrt du catholicisme et partant de notre nation. Je signalais prcdemment cette haine des jsuites qu'ils ont inculque au clerg sculier; notons ici ce mot d'ordre parti des loges et batement accepta par les catholiques : pas de politique . Mais croyez-vous que la philosophie rationaliste s e soit passe de la politique pour dtrner l'esprit catholique? Non, car ses coryphes savent bien que tenir le pouvoir est pour e u x la seule garantie de leur succs. Le journal de Lamennais lui-mme disait dans un article du 23 avril 1831, sur les socits secrtes en Italie : C'est surtout chez les peuples parmi lesquels la religion s'identifie avec le systme social que les socits secrtes veulent la renverser. Pour e u x tout est l et c'est dans cette vue que dsesprant de gagner leur cause l'opinion catholique, ils ont tout tent pour obtenir, par des moyens dtourns, que le clerg qui dirige cette opinion partaget leurs v u x politiques. Je rappellerai volontiers ce texte qup M. Nel Aris donnait en note dans son ouvrage sur le Sillon, et qui mrite d'tre cit tout propos, tant il est de nature faire rflchir les bons prtres qui se sont gars par mgarde dans les marcages de ce jacobisme btard que reprsente merveille le dmocratisme chrtien. Ce sont les propres paroles d'un franc-maon, le snateur M. Maguette, publies dans le journal belgo Le Ralliement , dans un article intitul : Pmocratie chrtienne . Il est un moyen, crit-il', qui oprera bien plus rapidement l'infiltration des ides modernes : c'est le dveloppement de la dmocratie chrtienne. La dmocratie chrtienne est le coin qui largira l'ouverture par o nos ides ( ! ! ! ) pntreront dans le bloc dense des masses rurales et catholiques... Ils sment, mais c'est pour nous que sera la plus large part de la rcolte. Laissons-les donc semer I Mnageons la dmocratie chrtienne et favorisons-la . Les jacobins, d'ailleurs, ont toujours fond leurs espoirs sur la navet et le simplicisme de la grande majorit des Franais. C'est 1. Avant 1789, l'Etat tait chrtien et mme exclusivement catholique. La loi tait donc chrtienne et catholique . Paul Janet, Cousin et son uvre, (1883), p. 270.
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ce que constatait rcemment dans une belle prface d'un de ses ouvrages (1), l'ancien ministre M. de Marcre : Tout se dcouvre la longue, dit-il. La conspiration qui s'attaque la civilisation chrtienne et en particulier la nation franaise, cette conspiration demeure si longtemps secrte, a pris dans ces derniers temps son vrai nom et sa vraie figure. C'est la franc-maonnerie. Edouard Drumont Ta dnonce comme tant l'arme et l'instrument de la juiverie, l'ennemie de la chrtient. Copin-Albancelli s'est fait l'aptre de cette doctrine qui a fait la lumire sur les vnements du pass et sur les prils d'un avenir peut-tre prochain. Mais il n'est pas inutile sans doute de montrer de quels procdes Vennemi s'est servi pour accomplir cette sorte de miracle : la transformation en quelques annes, c'est-dire subitement, d'une nation vieille de quatorze sicles en un autre peuple si dissemblable de celui d'hier, qu'on dirait une race nouvelle substitue subitement une autre race avec laquelle elle n'a presque plus- de traits communs. Le procd employ fut simple autant que merveilleux dans ses effets. Il consistait rendre le peuple lui-mme (et que penser du clerg? ajoutons-nous) le complice et l'oprateur de s a propre transformation. La nation franaise, forme par la fusion de tant de races diverses, comme serait u n rsidu de mtaux prcieux fondus dans un creuset, est surtout idaliste. En offrant son imagination, surchauffe par des agitations entretenues habilement dans le pays entier, la formule : Libert, Egalit, Fraternit, on suscitait dans les [esprits les ides les plus propres enflammer des mes naves et passionnes pour des nouveauts qui leur apparurent comme un Eldorado moderne. En mme temps que cette formule flattait la vanit qui est proprement le mal franais, elle satisfaisait l'idal de cette nation, prise de -libert, et naturellement bonne et gnreuse. On l'affolait ce point de lui fermer les yeux sur les atrocits commises, qu'on lui prsentait comme des fatalits attaches tous les progrs de l'humanit (2). ' 1. M. de Marcre. Histoire de la troisime rpublique, (Pion et Cie, 1910), prface XL 2. Prsenter les atrocits commises au nom de la Rvolution comme des ncessits invitablement lies au progrs des socits, tel est bien la seule faon par laquelle les dmocrates escamotent la difficult qu'on leur propose. Marc Sangnier nous dira, par exemple (Le plus grand Sillon, p. 31) : Il es't certain que la Dmocratie ne pourra jamais se dvelopper sur un territoire que lentement, tape par tape et comme par une srie d'approximations successives. Ajoutons mme, pour rester dans la vri' historique et psychologique, qu'elle ne pourra jamais tre enfante (remarquez ce jamais qui marque une liaison scientifique, ncessaire, entre la dmocratie et son rsultat primordial, les troubles sociaux), sans crise, violence, action et raction excessives, dchirements parfois sanglants . Tous les dmocrates, de quelque nuance qu'ils soient, s'accordent sur cette connexion entre l'apparition de la Dmocratie et les rvolutions. Lisons en morceau de M. Ernest Lavisse : (Discours de M. E. Lavisse l'Acadmie,
LES
ORIGINES
RATIONALISTES
DU D E M O C R A T I S M E
CHRTIEN
)S7
Que dire ce sujet quand il s'agit des dmocrates chrtiens? Ils se sont mpris, ils ont consacr des vies entires et de prcieuses ressources cette cause anticatholique et antifranaise qu'est le dmocratisme sans supposer qu'ils taient les inconscients complices de la franc-maonnerie. En tout cas il faut reconnatre qu'on leur prpara la voie et c'est jusqu' Lamennais qu'il faut remonter pour saisir l'a premire phase du succs du jacobinisme dans le clerg. L'Avenir fut, en effet, la premire cole de dmocratisme chrtien.
IV
C'est ici qu'il importe d'tre attentif. Par quelle voie la Rvolution a-t-ello pntr dans l'opinion catholique? Je l'ai dj dit et je le maintiens, c'est mon avis, par l'intermdiaire du dogme foncier du rationalisme : le progrs indfini. Il n'y a pas hsiter, si nous n'en tenions pas compte, nous n'aurions sur lo rlo de l'cole de Lamennais que des vues fragmentaires et disparates, de v u e d'ensemble, aucune. Or, il me semble qu'on ne fait rien de solide en critique si Ton ne s e rattache pas une ide centrale; d'autant plus que, pour l e cas prsent, ce n'est pas un jeu d'idologue que d'tudier le dmocratisme chrtien par rapport l'ide de progrs, mais que celle-ci est trs visiblement le nceud mme de toutes les questions qu'agitrent, non pas seulement les dmocrates chrtiens car ceci ne serait pour nous d'aucun intrt mais aussi les dmocrates rvolutionnaires et les libraux de tout acabit. Avez-vous remarqu dans la lettre du P. Ventura Lamennais, la phrase suivante? Comment donc, aprs tout ce que vous avez crit vous-mme sur la Rvolution, pouvez-vous vous faire illusion sur son esprit, sur s e s projets, etc. Visiblement le P. Ventura accuse Lamennais de contradiction avec lui-mme. Il y aurait donc eu deux dcembre 1909). Tandis que l'idal d'une monarchie est clair, et que les ides et les intrts d'une classe dirigeante trouvent satisfaction par quelques lignes crites sur une charte, une dmocratie commence par iMvr. un tumulte norme d'instincts, de factions et d'ides-. Elle ne sait pas ni ne peut 'savoir au juste ce qu'elle vent (c'est sur ces prcisions ladmi rables qu'elle tablit son action toujours progressive) et personne n'est en tat de proposer 'h ses obscures volonts le p'an dn la ci' fu'ure. Gn , irrite par les institutions, lois et coutumes, e'if s'at a<rue fc>-s le"> 'ais de la cit prsente; et tout s'branle et semble pencher vers la ruine . Peut-on plus clairement nous dire que la dmocratie et la doctrine du progrs indfini sont un vaste tissu de mensonges? Les monarchies qui nous environnent pour n'tre pas travailles comme notre patrie par le ferment des innovations, n'en font pas moins meilleure figure que nous ai poin' de vu de la prosprit nationale, et pendant que nous courons nos be'les ohim~cfl tous les ressorts de l'tat se dtraquent, car les affaires publiffues ho se passent pas de vues nettes et systmatiques.
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Lamennais, mme avant l'apostasie! Un Lamennais qui aurait jug, dans ses premiers crits, la Rvolution sa juste valeur; un autre Lamennais qui aurait, par la suite, justifi et exalt c e qu'il avait d'abord incrimin et raval. C'est absolument exact. Lamennais a svrement jug la Rvolution et ses principes avant de les adopter et d'abandonner finalement pour eux l'Eglise catholique dont il tait le prtre. En 1829, dix-huit mois avant la fondation de l'Avenir. Lament i s publiait un ouvrage intitul : Des progrs de la Rvolution et de la guerre contre l'Eglise. On l'a appel l'acte de naissance du catholicisme libral. C'tait e n effet la premire fois que les ^catholiques distinguaient la thse de l'hypothse. Il s'y trouvait au moins affirm que dans la vraie socit chrtienne les hommes taient unis par des liens spirituels; que la soumission du peuple au prince (avait (pour condition celle du prince Dieu et que ce rgime dec meure Vidal de tout catholique . L'on sait, qu'aujourd'hui, l'idal de nos dmocrates est ailleurs. Mais l'important est prcisment de constater que Lamennais a gliss comme tous les libraux de < l'hypoc thse la thse (1). C'tait fatal; et voil d'ailleurs pourquoi nous avons noter deux attitudes diffrentes de Lamennais en prsence des dogmes naturalistes de la Rvolution franaise. Je ne m'attai'derai pas dtailler l'ouvrage de Lamennais que je viens de citer; au surplus cela nous est parfaitement inutile; mais j'attirerai l'attention sur le seul titre de l'ouvrage, car les titres d'ouvrage sonL souvent fort loquents; quand ils sont mal choisis, il faut y suppler par de longues prfaces. Des progrs de la Rvolution et de la guerre contre l'Eglise , crit Lamennais sur la couverture de son ouvrage en 1829, celui-l mme auquel le P. Ventura fait allusion quand il dit aprs tout ce que vous avez crit vous-mme sur la Rvolution. Il est certain que Lamennais s'inquitait des progrs de la Rvolution et non moins certain encore que l'on ne s'inquite pas d'une cause bienfaisante quand on est prtre catholique et un prtre particulirement passionn de questions isociales. Visiblement, pour Lamennais, la Rvolution est une machine de guerre dirige contre le catholicisme, et il recherche prcisment par quel moyen le catholicis m e pourra rsister l'assaut. Du reste, dans un autre de ses ouvrages : De la Religion considre dans ses rapports avec l'ordre politique et civil , il opposait nettement les principes essentiels de la Dmocratie avec la doctrine catholique, < parce que, disait-il (ch. premier), une autorit suprme c et invariable dans l'ordre religieux, est incompatible avec une au1. Voir sur cette question le chapitre de M. l'abb Emmanuel Barbier: Le devoir politique des catholiques franais. De l'hypothse la thse .
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torit qui varie sans cesse dans Tordre politique- Ce sont doux principes qui se combattent sans relche dans l'Etat, un principe d'unit et de stabilit, un principe de division et de changement perptuel. Et autant la dmocratie lui paraissait < incompatible ce moment-l, c avec l'esprit du catholicisme, autant il reconnaissait volontiers au gouvernement monarchique ses affinits, sa conformit avec les principes d'ordre catholique. Il disait, ailleurs (1) : Ne du christianisme., identifie avec lui, la royaut n'a de force que celle qu'il lui prte; mais cette force, pendant qu'il rgne, est toute-puissante; auasi est-ce toujours le christianisme qu'on attaque ,d'abord, lorsqu'on a rsolu de la renverser. Ses destines sont lies aux siennes et le moment o elle tente de les sparer est le moment o commence sa chute. Dans l'ouvrage que je cite plus haut (ch. X) ne jugeait-il pas les doctrines de la Rvolution en ces termes? Ce en quoi elle se trompe stupidement, c'est de penser qu'elle tablira d'autres gouvernements la place de ceux qu'elle aura renverss et qu'avec des doctrines T O U T E S D E S T R U C T I V E S , elle crera quelque chose de stable un ordre social nouveau. Son unique cration sera Vanarchie, et le fruit de ses teiuvres des pleurs et du sang.
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Le 30 novembre 1827 Lamennais (crivait Berryer : C'est le catholicisme que la Rvolution veut dtruire, uniquement lui; il n'y a pas d'autre question dans le monde. Enfin, dans Les Progrs de la Rvolution , il disait quelque part (ch. IX) : N e voit-on pas que la guerre qu'on voudrait viter aujourd'hui sera demain invitable; que nulle concession ne saurait satisfaire le parti antichrtien. Pourquoi faut-il qu'il ait oubli oette dernire et profonde vrit? De l'attaque directe il passa, e n effet, au rgime des concessions; c'est a l o s qu'il fut pris dans l'engrenage d'o le catholique qu'il tait en sortit broy. Pour arrter ces progrs de la Rvolution qui l'effraient, il n'a rien trouv de mieux que cette formule : catholiciser la Rvolution , et pour cela, libraliser le catholicisme , c'est-dire concilier d e u x contradictoires.
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Ainsi la Rvolution avec son code est intangible, s'il y que chose rogner, c'est dans la doctrine catholique qu'on Tel est l e mot d'ordre {diplomatique de toute l'ambassade et le mot d'ordre vient de Lamennais, qui traduisait du reste vel tat id'esprit : libraliser le catholicisme .
Mais libraliser le catholicisme, cela suppose que le catholicisme a quelque enseignement recevoir de la Rvolution, qu'il a des progrs faire et que l'impulsion doit lui venir des doctrines mmes qui n'ont t formules que pour le dissoudre lui-mme et du propre avis de Lamennais. Quel langage! et quelle belle logique! 1. Cf. Lamennais par Boutard, p. 208 et seq.
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Jo n'insiste p a s ; je v e u x simplement montrer o en tait arriv Lamennais aprs deux ans d'intimit avec les principes de 1789. En 1829, Lamennais constatait que l'ennemi du catholicisme, la Rvolution, faisait des pas de gant. En 1831 la Rvolution ne lut apparat plus comme l'hydre dvastateur. Le monstre qui .l'avait effray n'est plus pour lui qu'un petit caniche trs doux avec lequel il prend s e s bats. Qu'avait-i! besoin, en effet, de s'effaroucher de la Rvolution, celleci n'est-ellc pas anime d'un esprit incontestablement chrtien (1)? Et ce grand mouvement dont les catholiques s'effraient pour des raisons purement politiques, qu'est-ce autre chose qu'une phase du progrs que l e christianisme a impos au monde social? C'est la pense du Lamennais de 1831. Ouvrons un vieux recueil de son journal Y Avenir, au 28 juin 1831, nous y trouverons une srie d'articles intituls : De Vavenir de la c socit , et nous pourrons surprendre Lamennais en coquetterie avec l e grand dogme rvolutionnaire du- progrs indfini . Parlant de la Rvolution il nous dit en propres termes : Ce mouvement luimme, auquel tous les peuples de la chrtient participent plus ou moins et participeront sans cesse davantage, n'a pour origine aucune cause sur lesquelles Vhomme ait pouvoir. Il vient de plus haut, il part de Dieu, Q U I A V O U L U Q U E LA SOCIT AVANT P E R P T U E L L E M E N T VKRS
UN TERME QU'ELLE NE PEUT ATTEINDRE SUR LA TERRE, MAIS DONT ELLE
1. Quelle erreur indracinable que celle-l. C'est l le point o il faut frapper, tant que l'on confondra la Rvolution avec le christianisme, tant qu'on fera des rserves sur le mot de Rvolution l'on n'aura rien fait contre le dmocratisme chrtien; sur la mme souche repousseront les mme rejetons sauvages. Et c'est cela que des journaux comme la Dmocratie propagent. Un excellent prtre de mes amis dont j'ai entrepris de dissiper les nues et qui lit trs fidlement tout ce qui sort de l'officine librale et surtout de celle du boulevard Raspail, m'crivait tout dernirement : Quant la Rvolution, je voudrais qu'on n'en ft pas un masque hideux pour affubler toutes les ides de notre temps et les condamner en bloc. A ct des- utopies et des erreurs doctrinales formelles (mais- lesquelles? c'est ce carrefour que je vous attends), il y a des vrits et de nobles aspirations transposes de VEvangile . La pense de ce prtre est vidente; nous en connaissons dsormais l'arrire-foTul, mais aprs tout, je serai indulgent pour le mot transpos qui me parat fort bien choisi. Transposes { Oui, comme un arbre d'un autre climat et qui scherait sur pied. Il y a des aspirations qu'on ne transpose pas et la charit chrtienne est de ce nombre; si- vous voulez qu'elle lve, laissez-lui son milieu naturel, maintenez-la dans sa flore. Un prtre peut-il sans blasphme srieusement le contester? De mme le rve de la libert tel que l'a conu la Rvolution est une chimre et une duperie, il y a des liberts, il n'y a pas de libert. Or pour qu'il y ait des libert il faut qu'il existe des groupements sociaux. C'est prcisment ce que la Rvolution a dtruit, et ils savaient o ils allaient, ceux qui opraient en vandales; il nous conduisaient l'Etat paen. La proclamation de la libert a t un prtexte hypocrite pour nous ter nos liberts. Du reste c'est Lamennais lui-mme qui fera sur ce point, dans nos prochains articles, l a critique du libralisme. Les dmocrates chrtiens s'inclineront, il faut l'esprer, devant une pareille autorit et si chre l'cole.
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D O I T S ' A P P R O C H E R T O U J O U R S . . . Il a son principe indestructible dans la loi premire et fondamentale, en vertu de laquelle l'humanit tend so dgager des lois de l'enfance, mesure que l'intelligence affranchie par l e christianisme, croissant et se dveloppant, les peuples atteignent pour ainsi dire l'ge d'homme. Or, qu'est-ce qui caractrise l'ge d'homme, sinon l'indpendance l'gard des tuteurs naturels? Eh bien! do mme l'ge d'homme pour les peuples sera celui de l'autonomie. C'est en propres ternies ce que nous dira Lamennais dans son article du 2 juillet suivant : Ou a montr que les peuples passent comme les individus, par deux tats, l'un de minorit, l'autre de majorit et que les peuples du moyen 'ge qui taient, sous les rap.ports intellectuel, moral et politique dans l'enfance, durent tre ds lors, d'aprs les lois qui prsident au dveloppement de la socit, soumis un rgime d'ducation, sous la paternit royale, dirige ellemme par VEglise; R G I M E Q U I D O I T C E S S E R , lorsqu'ils sont arrivs 1 ge do majorit.
Voil l e thme fondamental du dmocratisme chrtien, de Lamennais jusqu' Marc Sangnier; l'on ne donnera pas d'autre base aux doctrines de l'cole, c est le principe premier de l'cole moderne , principe que des encycliques ont vigoureusement condamn, i Mais enfin, ces lois qui prsident au dveloppement des socits , depuis quand les souponnait-on e n 1831?? Est-ce Lamennais qui les a dcouvertes? C'est alors qu'il nous faut, cote que cote, prendre Lamennais la main dans le sac des doctrines encyclopdiques. Je crois l'avoir suffisamment dmontr prcdemment : la prtendue loi du progrs indfini sur laquelle reposent le libralisme doctrinal, le dmocratisme chrtien et jusqu'au modernisme (car tout cela en son principe est identique), cette prtendue loi du progrs, ce ne sont pas les dmocrates chrtiens qui l'ont imagine, elle leur a t fournie par Condorcet la suite des Bayle; Fontenelle, Voltaire et Turgot, et directement transmise par Saint-Simon.
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Si cependant cette loi du progrs indfini tait vraiment une loi scientifique, quel grief pouvez-vous faire Lamennais de l'avoir adopte! Car enfin c'est une chose bien imprudente pour des catholiques que do demeurer en retard sur leur sicle; c'est le plus sr moyen d'carter de la religion catholique les esprits de gnie et les hommes d'lite qui raisonnent leurs bpinions. Comprenez donc cet intressant point de vue auquel se sont placs dmocrates et modernistes, rangez-vous donc du ct de la science et ne confondez plus vrit et routine. (Nous connaissons cet attrape-nigauds). Je sais qu'il est encore notre poque des partisans du progrs
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LA CRITIQUE DU LIBERALISME
RELIGIEUX, POLITIQUE,
SOCiAL
indfini; seulement, savez-vous o Ton les trouve? Chez les rvolutionnaires et chez les dmocrates chrtiens; pas ailleurs. Ainsi Ton peut lire dans un petit opuscule publi par MM. Delpech et Lamy (1910) : Quarante ans de Rpublique , ce passage digne de l'poque de Condorcet : Nous n'avons qu' persvrer dans cette voie en (maintenant la porte ouverte au progrs indfini. Si vous lisez d'autre part la polmique que Marc Sangnier engagea en 1904 avec Ch. Maurras (publie sous c e titre : Le Dilemme de M. Sangnier), vous pourrez aisment constater, pour peu que vous alliez au fond des choses, que toute la discussion engage autour de la troisime lettre igjravito lautour de Vide de progrs. Ka somme, si le progrs indfini n'tait pas une nerie, si les socits, comme on l'affirmait e n s o n nom, voluaient sans cesse sur de nouvelles bases, si les phnomnes sociaux n e prsentaient aucune stabilit, il serait impossible de fixer des lois et il faudrait renoncer parler de sciences sociales et politiques. Il faudrait, et plus forte raison (ceci dit pour nos dmocrates), renoncer aux principes rvolutionnaires ,qui sont, en u n sens, quelque chose de fixe et "la prtention d'imposer un mode d'tre une socit perptuellement m voie de mtamorphose, selon la thorie qui leur sert de base. La socit ne serait alors qu'une drogation Tordre universel, un contre-sens de la nature, car partout sous le contingent, sous le variable, il y a des lois d'une fixit imperturbable. C'est pourtant ce contresens d e la nature que les sophistes entendirent raliser : Aucune gnration n'a le droit de lier la gnration suivante. Ainsi parlait Rousseau e n se conformant l'utopie du progrs indfini. Qu'il s e produise dans l a socit des changements profonds d'une poque l'autre, c'est certain, mais qu'on y prenne garde, sous ces changements, il y a toujours u n lment immuable. Il importe de dgager cet immuable, car tout phnomne ternellement permanent constitue une loi que la science ne |pout pas mpriser sans se destituer. C'est do ce domaine que relve la loi d'hrdit qui est absolument lie toui phnomne de vitalit nationale, or, c'est ce que la dmocratie nie et dtruit; mais on ne viole pas impunment une loi naturelle er. fondamentale de la .socit, et c'est pourquoi la dmocratie n'est qu'une maladie sociale qui conduit un peuple s a mort. Et puis il est facile d'tablir toute une organisation politique sur un principe a priori, le progrs indfini , niais la nature des choses se moque des thories quand celles-ci ne la refltent pas. C'est trs joli do partir en campagne vers la fraternit dmocratique et l'union de3 peuples. Que Condorcet proclame pour un avenir plus on moins lointain une re de lumire qui unira les peuples entre e u x ; que SaintSimon, pris de regret sur la Rpublique europenne du moyen-ge, essaye par s o n christianisme, tout fait lui, de reconstruire cette fdration l'aide de la fraternit rpublicaine; que Laiiiennis en-
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trevoie l'aurore d'un beau jour o se ralisera, politiquement parlant, cette parole de l'Evangile: Et erit unum ovile et unus pastor ; que Marc Sangnier qui a la navet de croire que les peuples s'lveront petit petit jusqu'aux franchises de l'Esprit , ne considre pas < comme ternels le patriotisme territorial, la diplomatie, la conc ception mme -de l'Etat tels que la monarchie les ont fixs, non pour toujours, mais pour un temps , tout cela c'est de la fantaisie d'idologues. Si nos dmocrates thoriciens avaient pris la peine de regarder le monde, ils n'auraient pas pos en axiome fondamental un principe aussi faux que celui du progrs indfini , ils n'auraient pas fond toutes leurs doctrines sur un prtendu changement d'orientation dans la conduite des peuples. L'hypothse du progrs indfini se heurte des lois certaines qui le contredisent nettement. Parler de science en son nom, c'est dvoiler une ignorance profonde et inexcusable en Tanne 1 9 1 1 . Dans cet ordre d'ides, Maurras disait liare Sangnier: Le monde est, depuis la fin dui X V I sicle, sous le rgime des nationalits rivales ; depuis la Rvolution qui a dtruit l'Europe comme la Rforme avait dtruit la chrtient cette rivalit est devenue plus aigu qu' aucun autre instant de l'histoire du monde. Toute vue d'avenir doit en tenir compte; le rgime des nationalits ne dcline pas. Sans doute un fait nouveau qui serait ou d'ordre international, ou d'ordre conomique, o u d'ordre religieux, pourrait se proauire demain. Mais lequel? Nous n'en savons rien. Ds lors sur quoi peut-on se fonder pour dire que ce fait avancera les affaires de la dmocratie, quand, tout aussi bien, il pourra les retarder ou les anantir et qu'il le pourra mme mieux, c'est--dire plus avantageusement pour le monde et plus facilement, toutes les autres forces travaillant dans lo mme sens? L'cole posait en principe : ignoti nulla cupido. Mais si l'on ne peut pas dsirer Y inconnu, encore moins peut-on raisonner de lui ou former des actes de foi en lui. Les vritables thologiens rient des spencriens rapides qui veulent identifier la notion de l'Inconnaissable et la notion de Dieu. Ainsi les vrais, sociologues riront-ils de ces charlatans ou de ces 'rhteurs qui croient chapper l'treinte des lois connues e n invoquant, m un certain sens qu'ils dterminent, l'influence ou l'action d'un phnomne qui leur est absolument inconnu. Dire, une fois qu'on a reconnu une situation dfavorable la thorie qu'on soutient contre l'vidence, dire : cela changera, c'est ne rien dire. D n'est d'ailleurs point" du tout sr que tout soit sujet changer. Ce qui n'a point chang dans l'histoire du monde, c'est notre axiome fondamental que les socits sont gouvernes quand elles le sont sur une base hrditaire. A tout lment d'ordre et de prosprit correspond toujours un lment d'hrdit politique... L ' A U R O R E que Marc Sangnier pronostique tout bout de champ, l'orientation imprvue, L E S T E M P S N O U V E A U X dont il se rclame, ne peuvent rien nous apporter qui soit contraire celte loi ternelle de Vhrdit.
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Et rien n'indique mme que ce qui doit changer change e n un sens dfavorable aux calculs les plus troitement ractionnaires , traditionnels et nationalistes : les changements modernes s'oprent dans le sens l e plus oppos ceux que Sangnier souhaite et que ses calculs inexacts lui ont fait escompter. Ce n'est pas la paix, c'est la guerre, ce n'est pas au cosmopolitisme, c'est au retranchement national, ce n'est pas la dmocratie universelle, c'est des aristocraties farouchement rivales que va le monde, et cette volution, sensible il y a dix ans, est devenue aujourd'hui l'vidence pure. Nos prvisions d'il y a dix ans sont vrifies (1). Ne voyez-vous pas la haute porte de cette argumentation? Maurras vise au bon endroit, il oppose la thse idologique du progrs indfini, uno leon irrfutable de politique exprimentale. Et s'il insiste sur ce fait que le rgime des nationalits ne dcline pas , c'est qu' sa forte doctrine nationaliste on n'a rien pu opposer de srieux et que pour la dtruire on a t oblig d'en attaquer le point de dpart le nationalisme . Comme vous le pensez bien, ce point de dpart tait srieusement fond (il l'tait du reste sur desi tudes trs documentes sur les diverses, questions actuelles de politique extrieure) et les arguments que Maurras vient de nous donner sont autrement dcisif s_ que les nues qu'on lui opposait. Si maintenant nous regardons au fond des doctrines d'o l'on tirait ces lubies, qu'y trouvons-nous? Toujours le progrs indfini. Mais ses partisans ne pouvant plus de nos jours afficher leurs doctrines simplistes, ont tent de les .enluminer. Qu'est-ce que la philosophie de M. Bergson (un juif) dont s'inspirrent les modernistes et au nom de laquelle on a combattu! l'Action franaise, sinon une ingnieuse, et nouvelle faon de prsenter le dogme surann du progrs indfini? Sans doute, dit le bergsonisme, on pourrait dduire du pass des enseignements pour le prsent, si les situations historiques pouvaient tre identiques par certains cts; mais chaque moment de l'histoire est quelque chose d'unique, de nouveau, il n'y a pas eh histoire deux situations sociales identiques. C'est comme si l'on soutenait que la mdecine ne peut pas formuler de lois gnrales tant donn la diversit des tempraments. La science exprimentale applique enfin la politique permettait dj la reconstitution d'un ensemble de principes naturels contraires aux utopies rpublicaines et dmocratiques; l'rudition dtruisait une une les niaiseries historiques sur l'ancien rgime. Le jacobinisme sent l'intelligence lui chapper; aussi le dogme du progrs indfini est aussitt remis en jeu. En invoquant l'inconnu on est toujours sr de se rserver une chappatoire. A u nom du progrs, quoique d'une 1. Ceci s'crivait en 1905 (Dilemme de M. Sangnier, p. 108, etc.), et il faut lire Kiel et Tanger de Maurras pour voir quel point l'orientation qu'il signale s'est accentue depuis, dans le sens qu'il dterminait dans le Dilemme*
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faon cache, cela, on insinue qu'il n'y a pas de loi fixe invoquer en politique et en sociologie, il n'y a que des phnomnes essentielment variables. Mais alors, charlatansI agissez selon vos dires; vous miez la possibilit de la science sociale, n'en parlez donc plus, ou si vous tenez vous en occuper encore et si les situations historiques sont ce point diffrencies, (raison de plus pour envisager le problme tel qu'il- se prsente et ne point invoquer au secours de pures thories un ordre de choses hypothtiques, que votre principe d'volution, tel que vous le concevez, vous interdit de fixer. Et Marc Sangnier, partant du mme point de dpart, s'est rencontr avec les contradicteurs bergsoniens de l'Action franaise. Dmasquonsle [encore une fois dans son internationalisme de progressiste : En bien! jCamarades, vous voyez que la conception de la Patrie a beaucoup chang (disait-il e n 1905 dans un discours sur l'ide de patrie et l'arme), s'est grandement modifie au cours des sicles, et je me demande pourquoi vous voudriez que la Patrie cesst d'voluer aujourd'hui, pourquoi vous voudriez lui imposer de garder toujours la forme qu'elle a prise, lorsque les rois et les princes ont constitu les patries territoriales qui se divisent aujourd'hui les territoires de l'Europe et mme du monde. Je dis que cette considration est abusive, je ne conois pas qu'on puisse la soutenir logiquement, et je ne vois pas pourquoi vous voudriez carter volontairement une volution que l'histoire vous montre comme incessante ( ? ? ? ) . (Pour de l'audace, c'en est u n e ! La mme plume qui, quelques lignes plus bas, constatera l'identit de la conception de notre patriotisme depuis les dbuts de la monarchie, parle ici d'volution incessante). Il n'est pas tonnant que les ;no-monarchistes, eux, se plaisent dvelopper la thse du nationalisme intgral; cela est non seulement de bonne guerre, mais, ce qui vaut mieux, cela est de bonne logique. JKn effet, s'il est vrai que les P A T R I E S T E R R I T O R I A L E S , T E L L E S Q U E N O U S L E S C O N C E V O N S A U J O U R D ' H U I (il n'y a donc pas OU d'volution!), ont t construites et labores grce ce puissant instrument d'identification de l'intrt gnral et de l'intrt particulier dans la personne du roi qu'est la monarchie, et si, par ailleurs, nous nous attachons avec une porte de religion et d'idoltrie cette conception d e la patrie territoriale, nous pourrons toujours formellement dduire, et c'est l Je travail' de Maurras, qu'un nationaliste intgral doit ncessairement tre monarchiste. Rien de plus vident ( 1 ) . Puisque nous prenons la conception de la Patrie telle que les rois l'ont faite, il faut recourir ncessairement aux rois qui l'ont conue, qui l'ont ralise, et qui, dites-vous, pourraient seuls la jraliser encore. (Trs bien! trs bien! sur quelques bancs). Je trouve que cette argumentation n'est pas sans valeur, mais ce qui me parat avoir beaucoup moins de valeur, c'est l'a ptition de principes que 1. Marc Sangnier voit-il les consquences de cet aveu?
Critique du libralisme. 1 " Aot. 3
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j'y dcouvre; car je ne vois pas comment il a pu vous chapper que le patriotisme, l'heure actuelle, subit une crise profonde, redoutable, crise qui ne provient pas simplement de ce que des hommes l'esprit lche et au courage amolli n'ont plus la force d'aimer la Patrie, nous reparlerons d'eux dans u n instant, crise qui provient aussi de ce que, vritablement, les conditions de l'existence contemporaine ne sont plus les mmes qu'autrefois. (Crise suscite surtout par la presse juive et enjuive soudoye par l'tranger e n vue de notre affaiblissement. Le fait e s t certain). C'est trs simple et d'une commodit extrme pour mettre couvert son ignorance et son parti pris. Mais qui donc avec Marc Sangnier se rclamait, contre le nationalisme intgral du progrs indfini accommod par Bergson? N'est-ce pas le juif Henri Hertz dont les articles dans la Dmocratie sociale ont t runis e n brochure et qui n'ergote tant que pour prouver que la Tradition ne s'oppose pas la dmocratie, parce que le pass ne peut pas servir de mesure a u prsent? La tradition, dit-il, s'est cre par ttonnements; elle rsulte de milliers d'essais. Le simple rappel que ces essais se sont arrts tel point, pour aller ensuite vers tel autre point et e n engendrer encore, suffit dtruire les considrations de ceux qui entendent tirer d'un pass si vari, aux contradictions perptuelles, une ligne de conduite absolue (1). Tout cela cache fort mal l'ide inavoue, mais subjacente, du progrs indfini. Cette loi d u progrs indfini tait fort belle et bien forge par les ennemis de la socit, pour les besoins du plan infernal des socits "secrtes. M. H. Hertz rappelle que la tradition s'est cre par ttonnements, et ,il n'admet pas qu'on rpudie la tradition dmocratique. Il n'oublie qu'une chose, c'est que la naissance de la dmocratie, en France, c'a t une rupture avec la tradition, un oubli des conditions vitales de notre patrie, car, au lieu de procder par ttonnements, la Rvolution a procd par amputations, ce qui cre une sensible diffrence. Elle a supprim le principe d'hrdit dans le gouvernement et a renforc la centralisation, alors qu'il fallait, selon les besoins de l'pioque, dcentraliser davantage e t consolider le pouvoir royal d'autant plus ncessaire qu'on aurait laiss plus d'autonomie aux provinces. Le problme est exactement le mme; car que demandons-nous? la paix intellectuelle 1. La vrit eL l'erreur sont ici entrelaces avec un art consomm. La tradition reprsente pour nous un ensemble de conditions vitales pour notre patrie. Ces conditions se rsument en quelques notions positives indissolublement lies la vie et la prosprit de notre nation. Quatorze! cents ans d'exprience nous permettent de les formuler empiriquement. L et l seulement se trouve cette ligne de conduite absolue. Elle est absolue parce, qu'elle est fixe, elle n'est pas pour cela arbitraire. La tradition n'englobe nullement toute l'histoire, mais seulement ce qui dans l'histoire a concouru la vitalit nationale. C'est pourquoi il faut en exclure tout ce qui a pouss sur la souche des faux dogmes de 1789.
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et la prosprit matrielle. Les faits quotidiens de notre vie politique et sociale nous prouvent continuellement que pour gurir les maux qui nous affaiblissent, il faudrait notre pays un organe d'Etat plus fort, dlivr jdu voisinage des sangsues du parlement et de l'administration, et ,n mme temps que dans l'ordre administratif les provinces feraient reprsenter les vritables intrts de leurs habitants. La dmocratie a donc bris avec la Tradition franaise, et ce n'est qu'une impudence de parler de tradition en son nom; elle ne s'accommodo que d'une chose; le progrs indfini. Oui, la tradition est quelque chose d'essentiellement vivant, mais c'est prcisment pour cela qu'elle suppose u n point d'appui ferme, tandis que l'volution entendue au sens dmocratique supposerait une dsagrgation perptuelle de la socit, c'est--dire ,une dcomposition qui exclut l'ide mme de vie, plus forte raison de vitalit. C'est e n vain qu'on essaie de dissimuler le grand dogme du progrs sous un fatras d'enluminures, il perce chaque instant sous les thses rvolutionnaires, et toutes les thories ne nous en cacheront plus la btise. . C'est qu'en effet le dessein des dmocrates, je parle des vrais dmocrates (les catholiques ne peuvent pas l'tre, moins de dnaturer le catholicisme ou la dmocratie, ce n'est alors de leur part qu'un abus des mots catholique ou dmocrate), les desseins des dmocrates, dis-je, n'ont pas vari, ils travaillent difier le programme laj'quo tout comme leurs anctres de 1789. A ce moment-l, une horde barbare avait conu le projet de changer du tout au tout ces institutions trop vivaces et qui ne pouvaient servir les funestes vues des agitateurs; la horde barbare ne trouva rien de mieux que d'obscurcir les principes les plus lmentaires de Tordre. L commence cette transformation de notre langue si claire en une confusion de mots vagues et Tabri desquels la horde distribua ses poisons (1). Et le mot qui servit le mieux ses intentions, ce fut encore celui de progrs. 1. Dom Besse, dans son Eglise et Monarchie, dit en visant les tendances librales : D'incessantes quivoques en jaillissent qui troublent les esprits et les empchent de discerner dans leur ralit toute simple les vrits et les faits. Certaines vrits et certains faits surtout leur chappent. On dirait que leurs intelligences en ont horreur ou peur. Elles les fuient, pour se cacher derrire des mots qu'ils ont pris soin de vider de leur sens propre. Tout se brouille devant eux. L'anarchie de leur langage dconcerte ceux qui les lisent ou les coutent. Ils ne voient pas, ils ne parlent pas comme le reste des hommes. Quand on s'adresse eux^ les sons et les images produisent des effets, inattendus. C'est un tat d'esprit dont il faut tenir compte, sous peine de perdre son temps et son. travail dans des confusions fcheuses . Bchez dit, tome 17, Histoire parlementaire, prface : Nous commencerons par la dfinition des mots... L'abus du langage a t pouss jusqu' sa dernire limite... Sous l'influence de l'cole, qui, depuis une quinzaine d'annes, manie, ou plutt gte notre langue nationale, le franais a perdu sa nettet et sa prcision, et plus tard, certainement, si cette cole devait durer, il perdrait jusqu' la qualit pro-
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N'oublions jamais que c'est par la magie de c e mot qu'eut lieu le carnage de nos traditions nationales. Lorsqu'on combat la Tradition, p'est [toujours au nom du Progrs. Les nouveaux vandales eurent, du reste, l'astuce d'associer au Progrs la Science. Or, il se trouva des catholiques qui redoutrent pour le dogme et pour l'influence de l'Eglise dans les temps modernes, cet veil de l a science. 1/immutabilit de l'Eglise effrayait les disciples du Progrs.
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Lamennais fut le premier chef de la troupe des trembleurs. Arm de la loi du progrs, il dmontrait e n 1829 qu'il fallait renouveler la thologie . Nous avons vu, de nos propres yeux, qu'il a t amplement cout et compris. Ge que nous retiendrons de toutes ces considrations, aprs toutes les preuves que j'en ai donnes, dans le prcdent et le prsent article, c'est que par l'ide de progrs indfini s'est produite l'infiltration rationaliste qu'un examen mme superficiel de la littrature du modernisme et du dmocratisme chrtien laisse souponner l'esprit impartial. En somme, les disciples de Lamennais pouvaient dire comme Bazard, le fondateur de la religion saint-simonienne (1) : Nous sommes tout la fois les hritiers du catholicisme et les continuateurs de la Rvolution; nous voulons achever de dtruire c e qui reste du trne (et il ajoutait de l'autel ceci sera J>our quelques modernistes impnitents), et, sur ces dbris, reconstruire la socit et l'autorit. L'influence du saint-simonisme sur Lamennais n e fait pour moi aucun doute, divers indices m e l'ont rvle. A l'poque de Lamennais, quelle cole professait la loi du progrs, sinon celle de Saint-Simon? Le genre humain, dit u n historien du saint-simonisme (2) rsumant l'enseignement de l'cole, est un tre collectif qui s e dveloppe dans la suite des gnrations; ce dveloppement est soumis une loi, celle du progrs^ qu'on peut appeler la loi physiologique de Vespce humaine. Saint-Simon Va dcouverte ( ? ), comme on dcouvre toutes les lois, par une inspiration de gnie... le fait l e plus saillant que nous montre l'histoire, c'est le progrs continuel du- principe d'association; des associations de plus en plus larges se sont formes.: la famille, la cit, la nation, la chrtient; donc nous marchons vers une association plus vaste encore, celle de Inhumanit entire . pre aux langues les moins parfaites, celle de possder des mots pour affirmer el pour nier . 1. La Revue, 1855, I, p. 270. 2. G- Weill, L'Ecole Sainl-Simonienne, Alcan, 1896, p. 27.
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On admirera la lgitimit d e cette conclusion, mais sans perdre de vue qu'elle est mot pour mot celle des dmocrates chrtiens d e Lamennais & Sangnier en passant par la cit idale de Gratry. Signe d'infiltration aussi l'ultrantontanisme de Lamennais. En effet, comment, sans une ide systmatique l'appui, expliquer ce phnomne chez le plus indpendant des prtres de 1830? Rappelonsnous, tout de suite, que Saint-Simon avait mis la mode ce retour au moyen-ge et que c'est l et pas ailleurs que Lamennais a puis son ultramontanisme. Hant par le rve internationaliste de Saint-Simon, il ne s'en tint pas comme lui regretter le systme europen sur lequel dominait la papaut; il pensa que cet ordre de choses renatrait. Divers articles de l'Avenir en font foi et toute la lutte que soutint ce journal pour l'Irlande, la Pologne et la Belgique ne relve pas d'une autre pense. Enfin, les saints-simoniens reconnaissaient en Lamennais un collaborateur. Nous e n avons la preuve dans ces" quelques lignes de l'un des fondateurs du saint-simonisme, le juif Eugne Rodrigues, qui crivait dans la prface de sa traduction de YEducation du genre humain, d e Lessing, textuellement ceci: Au commencement de cette anne, M. l'abb de Lamennais, dans son ouvrage : Les progrs de la Rvolution contre l'Eglise , sollicite une nouvelle impulsion pour la thologie catholique. Ainsi diverses communauts chrtiennes, gallicanes comme ultramontaines, se runissent pour demander un nouveau, christianisme. Lamennais attirait dj l'attention des novateurs avant la fondation de Y Avenir. C'est que sur le terrain politique, comme sur le terrain religieux, il tait le fervent disciple de l'ide de progrs qui commenait alors faire fortune (1). ( suivre).
J. HUGUES.
1. On ne saurait s'imaginer la quantit d'ouvrages et d'articles de Revue qui traitrent du progrs au XTXc sicle. J'ai lu la bibliothque nationale une thse soutenue en 1890 devant la facult de thologie protestante de Montauban, (c'est de l'cole protestante qu'est partie l'ide de Progrs du reste); l'auteur Maury choisissait comme thse : lissai sur les origines de l'ide de Progrs : < La question du progrs a t une des c proccupations du X sicle, dit-il, soit que cette impulsion, venue d'en haut, se soit transmise toutes les parties du corps social, soit que, par nue simple concidence, le progrs devienne une des. idoles du. forum dont parle ;Bacon .
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SOCIAL
. Citons d'abord Mgr Duchesne : Les VIEUX docteurs d'Asie, dont Papias ET Irne nous ont conserv les propos sont les derniers reprsentants de la tradition orale. C'est videmment sur celle-ci que l'on avait vcu d'abord, alors QUE le Nouveau Testament n'tiait pas encore form, que les vangiles, en particulier, ou n'taient pas crits, on ne jouissaient que d'une nofco/rit LIMITE. Une telle situation n'tait pas sans danger, car on sait avec quelle facilit s'altrent les traditions quand rcriture n'est pas venue les prciser. Le DPT confi la mmoire des gens est expos souffrir de leur imagination ET aussi des entranements de leur loquence. On racontait autour de Papias que le Seigneur avait vcu jusqu' la vieillesse, que Judas, au lieu de se pendre, comme il est dit dans l'Evangile, *.vait vu son corps enfler dans de telles proportions qu'il ne pouvait plus passer dans les rues carrossables, etc., etc. (2)... II tait tempe que l'on acceptt les vangiles crits et que l'on s'en tint leurs rcits. Sur la rdaction et la
PREMIRE APPARITION DE CES TEXTES VNRABLES AINSI QUE SUR L'ACCUEIL QUI LEUR FUT FAIT D'ABORD, NOUS NE SOMMES QUE TRS imparfaitement RENSEIGNES. EN DEHORS
du fait gnral, savoir que les vangiles ont t donns l'Eglise par les aptres ou leurs disciples immdiats, les RSULTATS auxquels parvient la critique la plus informe, la plus pntrante, la plus hardie mme, ont toujours quelque chose de vague et de conjectural, qui ne comporte qu'un assentiment dfiant et provisoire. Dans la question qui nous occupe, le plus ancien tmoignage extrinsque dont on puisse faire tat est un propos de Jean l'Ancien, rapport par Papias, sur les vangiles de Marc et de Matthieu... En remontant au del des entretiens de Jean l'Ancien, nous entrons dans la rgion des conjectures. La prdication chrtienne ne s conoit PAS sans un expos quelconque de la vie du fondateur. Ds les premiers jours, les aptres ont d raconter leur matre, le rappeler ceux qui' l'avaient connu, l'apprendre ceux qui ne l'avaient Jamais vu. De CET vangile oral, ncessairement divers, ont d driver de bonne heure
DES RELATIONS DIVERSES, ELLES AUSSI, et INCOMPLTES, QUI, SE COMBINANT ENTRE ELLES et SE TRANSMETTANT PAR DES INTERMDIAIRES PLUS OU MOINS NOMBREUX, ont abouti
aux trois textes que nous appelons Synoptiques et quelques autres que l'Eglise n'a pas adopts mais qui sont aussi trs anciens... Il est possible que nos vangiles synoptiques aient t, tout l'origine, d'usage local, comme ceux des Hbreux et des Egyptiens. Mais les noms dont ils se rclamaient taient de nature les recommander partout... Une fois rassembls, les textes vangliques donnrent lieu des confrontations. Ecrits avec un souci trs relatif de l'exactitude dans le dtail et de la prcision chronologique, inspirs immdiatement par des proccupations qui n'taient pas tonrjo'urs identiques, ils offraient des diversits sur lesquelles l'attention ne pouvait manquer 1. Voir les numros du 1* et 15 juin et 15 juillet 1911. 2. Toute la page 144 est consacre Tnumration de ces sottises.
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de s'arrter. De l des tentatives pour les complter ou les corriger les uns par les autres ou mme pour fondre leurs rcits en une sorte d'harmonie narrative. Les manuscrits qui nous sont parvenus et aussi les citations des anciens auteurs gardent trace de ces combinaisons, dont quel on es-un es remontent une trs haute antiquit. D'autres, sans tre attests de cotte faon, s'imposent par leur vraisemblance. Ici, cependant, il est dangereux d'tre prcis. Le mieux est de ne pas sonder des tnbres o les yeux s'usent sans rsultat bien apprciable... En dehors de ces compositions dans lesquelles l'Eglise reconnut l'inspiration divine et qu'elle jugea dignes de prendre place parmi ses critures canoniques, d'autres productions encore nous tmoignent des sentiments de nos anctres dans la foi (1).
1
Voil tout ce que l'rudition si avertie de Mgr Duchesne trouve nous dire sur l'authenticit et la vracit de nos vangiles. II y a manire d'crire l'histoire et, quand on a l'amour de l'Eglise, on choisit celle qui, tout en respectant la vrit historique, est la plus favorable ses intrts. Quelle autorit peuvent revendiquer nos vangiles, aprs cette page alambique, o livres canoniques et apocryphes sont placs au mme niveau, o les crits inspirs se corrigent les uns par les autres* parce qu'ils n'ont pas le souci de l'exactitude dans les dtails I Les aptres ont d raconter leur matre. Il est surprenant que Mgr Duchesne ait recours une hypothse, lorsque les Actes des Aptres nous donnent le texte mme des discours adresss au peuple par le chef du collge apostolique. Ces relations de la prdication primitive, en se combinant et en se transmettant par des intermdiaires, ont abouti aux synoptiques. Laissons l'inspiration divine, assez mal' sauvegarde dans une cornbinaszionc. qui parat faite au hasard. La critique textuelle ne justifie pas du tout cette manire de voir. Chacun des vangiles se rvle comme une composition homogne, accusant un travail personnel trs considrable, trs inform dans le troisime; dirig par une intention se manifestant dans chaque dtail ou du moins chaque page, dans l'es deux premiers. Il tait temps que l'on acceptt les vangiles et que l'on s'en tint ces rcits. Voil toute la Tradition rvle, supprime d'un trait de plume. Franchement, un peu de thologie ne nuirait pas messieurs les historiens. Mais venons-en des considrations d'ordre plus gnral.
1. P. 143 et suiv.
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Mgr Duchesne se dsintresse, sernble-t-il', de la question d'authenticit. Les vangiles ont t donns l'Eglise par les aptres, ou leurs disciples immdiats. C'est traiter au pied l e v une question de haute consquence, puisque c'est elle qui a surtout guid l'Eglise dans la fixation du canon, c'est--dire de la liste des livres inspirs du Nouveau Testament. Tout d'abord, il est manifeste que, seuls des contemporains ont pu prendre, d'un milieu ce point compliqu et dlicat, une ide si nette et si fidle. II faut avoir v u (pour ainsi dcrire. Nos crivains ont, par consquent, vcu au sein de la socit palestinienne. Mais cette socit a cela de particulier, d'unique peut-tre dans l'histoire de la civilisation, qu'en pleine activit et en plein jour, une date prcise, elle disparat, emporte dans une indescriptible tourmente. L'orage pass, rien n'est debout, rien n'est en place. Le Temple renvers, la ville en ruines, le sanhdrin dtruit, les factions extermines, le sacerdoce aboli, le peuple banni, c'est la fin d'un monde. O donc un crivain n aprs l'orage, aurait-il pu prendre les traits si caractristiques de nos rcits sacrs? Qui aurait remis sous ses yeux le spectacle d'institutions et de monuments disparus sans retour? Les auteurs de l'vangile vivaient donc en Palestine avant Tan 70, et nos rcits, ne tenir compte que des spectacles dont ils gardent l'image, taient fixs sous leur forme actuelle, moins de quarante ans aprs la mort du Sauveur ( 1 ) . Voil une page qui rconforte. Mgr Duchesne ne saurait en contester l'exactitude : elle est admise aujourd'hui par M. Harnack lui-mme, qui fixe la rdaction des Actes autour de l'an 60 et celle des trois synoptiques u n e date antrieure (2). Prtextera-t-il que ce n'est pas son fait de s'attarder des considrations de cet ordre? Mais alors pourquoi dtaille-t-il avec une complaisance vidente les inepties qui se dbitaient autour de Papias? Est-ce pour discrditer d'avance le seuil tmoignage sur lequel il fait reposer l'authenticit des deux premiers synoptiques? Pourquoi passer sous silence, cet endroit, le fragment de Muratori et saint Irne surtout, tmoin de la croyance de l'Asie et de Rome? Ne sont-ce pas l, en faveur de l'authenticit des synoptiques, des arguments de premier ordre? Au del de Jean l'Ancien nous entrons dans la rgion des conjectures. 1. Gondal. 2. Surtout dans Lukas der rzt et Die Apostelgeschichte. N'est-ce pas un trs curieux spectacle de voir les protestants rationalistes ramener nos critiques catholiques aux vieilles thses des Pres de l'Eglise, si prestement abandonnes dans l'espoir de frayer aux adversaires le chemin du retour? Ainsi se dvoile de plus en plus le vice de cette tactique dplorable.
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Est-ce bien vrai? La critique, si svre qu'on la suppose, a-t-elle le droit do mconnatre ce prologue ai prcis des Actes des Aptres ; J'ai fait un premier rcit SUT tout ce que Jsus a fait et enseign depuis le commencement jusqu'au jour o, aprs avoir donn ses ordres par le Saint-Esprit aux aptres qu'il avait choisis, il leur fut ravi? Nombre de ressemblances verbales entre ce premier rcit et les Actes d'une part et les Eptres de saint Paul, de l'autre; beaucoup d'expressions techniques n'obligent^eiles pas voir dans l'auteur de ces deux ouvrages Luc, le mdecin, le compagnon de l'aptre des Gentils? Il y a l, en faveur de l'authenticit du troisime vangile, quelque chose d'un peu plus srieux qu'une simple conjecture.
*
Jusqu' quel point les rcits de l'Evangile sont-ils vridiques? Mgr Duchesne nous parle de leurs divergences, de leurs inexactitudes, des tentatives faites pour les corriger. Voil qui est grave. Les divergences qu'on peut signaler ne sont pas irrductibles; on et aim trouver dans un appendice la liste des inexactitudes avec le nom" des correcteurs. La grande erreur de Mgr Duchesne est de traiter nos vangiles comme u n texte mort, dcouvert par hasard au fond de quelque carton d'archives, isol, par consquent, de tout contexte vivant, .n'ayant entran aucune consquence pratiqrue, n'ayant eu aucune rpercussion contre ceux qui l'avaient accept et qui s'taient donn Ja mission de le propager. Or, le fait concret, le voici : A peine l'Evangile est-il publi, que les pouvoirs publics s'meuvent et qu'ils prennent les mesures les plus rigoureuses pour en arrter la diffusion. Bientt tous ceux qui l'acceptent peuvent s'attendre aux plus effrayants supplices et la mort. Quiconque s'y rallie brise avec son pass, avec les traditions de sa race et se spare violemment des parents et des allis demeurs fidles aux vieux souvenirs. . Ajoutons qu'il s'agit d'un livre, sollicitant l'adhsion de l'intelligence aux mystres les plus dconcertants et imposant la volont des sacrifices extrmement pnibles. Ce livre, enfin, relate des merveilles et, en premier lieu, la rsurrection de celui qui en est le hros. Ces prodiges, on l'avouera, taient facilement vrifiables. Comment admettre que des enqutes n'aient pas eu lieu? Eh b i e n ! Ces merveilles ont t acceptes; ces mystres ont t crus; ces perscutions, joyeusement subies; ces sacrifices douloureux, raliss. Voil ce epe l'historien catholique devait prsenter en un
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saisissant tableau, sans ngliger d e culbuter au passage les vaines thories chafaudes pour mettre sur le compte de l a deuxime gnration l'agrandissement de la physionomie du Christ. A quoi et rim cette -dification posthume? Sur quoi et-il t possible de l'appuyer? Voil u n homme livr par l a trahison d'un de ses disciples aux chefs religieux qui incarnent aux yeux de tous l'autorit divine; la multitude fanatise rclame sa mort en lui prfrant un malfaiteur insigne ; il subit le supplice infamant de la croix et meurt, comme cras sous les sarcasmes de ses adversaires l'adjurant de descendre du gibet, pour donner une preuve authentique de sa divinit. Cette preuve, il l a refuse, mais il en avait annonc une autre, en promettant de ressusciter le troisime jour. Franchement, s'il ne ressuscite pas, sa cause est jamais perdue et la rdaction, des Evangiles ne s'explique d'aucune manire. Cette preuve, tangible et vivante de la vracit de nos livres saints, Mgr Duchesne n'a pas jug propos de la prsenter. Sa spcialit est plutt d'plucher des textes.
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Sans parler des traces que l'on a cru pouvoir relever dans l'Apocalypse et dans l'ptrc aux Hbreux, le dernier chapitre du quatrime vangile contient une allusion fort claire au supplice de l'aptre. Quel que soit celui qui a tenu ici la plume, il est sr iqu'il vivait au temps de Trajan ou bien peu aprs (1). Saint Justin sjourna longtemps Ephse, vers 135, une quarantaine d'annes environ aprs la date -que l'on assigne communment l'Apocalypse. Si la tradition dont il est le plus ancien reprsentant est accepte, le sjour de saint Jean en Asie ne fait plus de doute; mais il resterait encore
savoir si VEvangile peut lui tre attribu, et c'est ce que peu de critiques* dans Vta prsent du dbat semblent disposs faire. (2)
Il semble donc qu'entre les interprtations possibles de ces divers silences (de saint Ignace, de saint Polycarpe, de Papias et de l'Apocalypse) ou en puisse trouver qui ne contredisent pas une tradition trs anciennement accepte (l'attribution du 4e vangile saint Jean). Ds lors, le mieux est encore de s'en tenir celle-ci, sans dissimuler pourtant qu'il y en a de plus documentes (3). Sans hsitation aucune, je rejette la thse de notre historien. La rponse faite par la Commission biblique le 29 mai 1907 quelques doutes proposs, est formelle sur ce point. L'opinion qui nie l'authenticit du dernier Evangile non seulement n'est pas plus documente que l'autre, mais elle ne l'est pas du tout. M. Plarnaclc ( 4 ) admet l'identit d'auteur de tous les crits appels 1. 2. S 4. Page 62. Trajan mourut en 117. Page 137. Page 13? Chronologie, I, p. 675.
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johaiiniques, -et ce sentiment a tellement gagn de terrain en ces dernires annes qu'on peut le tenir pour prouv (1). Or, saint Jean a sign l'Apocalypse; donc il est galement l'auteur de PEvangile qui porto son nom. Deux des critiques protestants les plus considrs, Zahn (2) et Resch (3), attribuent expressment le quatrime Evangile saint Jean. Les caractres intrinsques du livre, eux seuls, en seraient une preuve suffisante. Tout ce que l'auteur raconte rvle un tmoin intimement ml aux vnements qu'il relate; les moindres dtails murs, usages, traditions, solennits, descriptions gographiques! sont d'une exactitude surprenante; on sent vibrer l'me du disciple ' bien-aim dans des souvenirs d'une prodigieuse fracheur. Aucune trace d'apports successifs : Tous les essais tentsi pour tracer une ligne de dmarcation nette et visible, soit entre des couches plus anciennes et des couches plus rcentes, soit entre des lments authentiques et historiques et des matriaux surajouts et lgendaires, s e briseront toujours contre l'unit solide et compacte de l'ouvrage, soit qu'on en considre le style, soit qu'on en tudie le (contenu (4). L'indpendance dont l'auteur fait preuve l'gard des synoptiques suppose qu'il les a connus car, non seulement il ne les heurte pas, mais s o n rcit s'intercale sans effort dans les leurs, ce qui n'tait possible qu' un tmoin immdiat. Cette indpendance s'explique, d'ailleurs, par la diffrence de but et de milieu. Si l'autour s'est pour ainsi dir appliqu ne pas copier les synoptiques, c'est apparemment qu'il se croit autoris exposer l'histoire vangque, tout en compltant l'uvre de ses devanciers. Cette mthode, dangereuse et pnible pour un tmoin mdiat, ne sent nullement l'effort et l'affectation. La narration est d'un charme et d'un naturel incomparables; elle est maille de dtails dont la vrit historique saute aux yeux. Ici tout est d'un Jet, disons-nous avec M. Resch. tout sort donc d'une unique et puissante source, tout vient de la plnitude d'un esprit qui gouverne les lments dont il dispose avec une libert entire, et l'on sent chaque instant qu'il pouvait nous donner infiniment plus qu'il ne nous a donn (5). Du- reste, saint Jean s'est fait connatre Pavant-dernier chapitre de son uvre. II est vrai que l'on conteste l'authenticit de ce chapitre XXI . Les difficults souleves ont paru insignifiantes aux rationalistes .cits plus haut; elles ne mritent pas d'arrter le critique qui jugo sans parti pris.
e
1. 2. 3. 4. 5.
Voir Camerlynck : De 4* evangeUi auclorr; Lmtvain, 1899. Einleitung, IL Paraletete zu Johannes. Holtzmann, Einleitung in das N.-T. Camerlynck, La question johannine.
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Saint Jean parat avoir ajout ce chapitre final pour dmentir la fausse interprtation donne par les, chrtiens une parole du Sauveur. S'il ajoute : C'est ce mme disciple qui a crit ces choses , c'est que le bruit de sa mort avait couru. Ce bruit, Papias l'avait enregistr : de l peut-tre le ddoublement qu'il fait de la personne de Jean dans le fragment - cit par Eusbe (1). Jean le presbytre de Papias doit tre le mme personnage que l'crivain qui prend ce nom dans les crits johanniques. Il ne paraissait pas possible l'vque d'Hirapolis d'identifier cet auteur avec Jean l'Aptre, emmen Rome sous Donatien, puis relgu dans l'le de Pathmos et qu'il croyait mo-rt; c'est pourquoi il les distingue.
Mais comment Mgr Duchesne n'accorde-t-il pas plus de valeur au tmoignage de saint Irne, crivain .au-dessus de tout soupon et dont les moyens d'information sont d'une sret parfaite? Disciple de saint Polycarpe, qui le fut lui-mme de saint Jean, l'vque de Lyon tait incapable de se tromper, en attribuant cet aptre la composition du dernier Evangile. Le Jean le presbytre , qu'on veut substituer au fils de Zbde, est un mythe, dont l'existence ne repose que sur l'opinion trs flottante d'Eusbe, les dires trs sujets caution de Denys d'Alexandrie et un texte tellement ambigu de Papias qu'on le voit interprt en sens contraire par les premiers historiens. Polycrafce, vque d'Ephse (125-190) (2), et saint Justin, qui sjourna dans cette ville vers 135, ne connaissent que saint Jean l'Aptre qui gouverna l'Eglise d'Ephse et y mourut. Il y a donc toutes les raisons du monde de s'en tenir cette conclusion d'un auteur qui a tudi consciencieusement ce sujet : L'hypothse de la substitution de Jean l'Aptre Jean le presbytre se heurte des difficults telles qu'on doit renoncer vouloir y trouver la solution de la question johannine. De plus, l'existence mme de Jean le presbytre s'appuie sur un fondement historique si prcaire et si suspect, et d'autre part, l'opinion traditionnelle qui fait de Jean l'Aptre le patriarche d'Ephse et l'auteur des crits johanniques, est si bien motive par de nombreux tinoifnaqes locaux, et pour ainsi dire contemporains, fOUS concordants, QUE CETTE DKRNIRE SEULE E S * CAPABLE DR FORMER UNE COKTVIOTrON SOLIDEMENT TABLIE. (S)
1. Voici ce passage : Et si parfois aussi (c'est Papias qui parle), Tun de ceux qui ont accompagn les anciens arrivait chez moi, je m'informais des dires des anciens : Qu'avait dit Andr ou Pierre ou Philippe... ou Jean ou tel autre des disciples du Seigneur; puis de ce qiie disent Aristion et...Jean h vresbytre, disciples du Seigneur... 2. Eusbe, H. E., V, 24. 3. Camerlynck, Bvue d'Hist. coles., Louvain, 1910.
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Plus graves sont les erreurs professes par Mgr Duchesne, propos de la canonicit et de l'inspiration de nos livres saints. Parlons d'abord de la canonicit. Le mot canon signifie, en grec, type, mesure, rgle, point de repre, modle et collection de modles, d'o le sens driv de liste des livres inspirs ou sacrs. Cette liste n'a t complte qu' l a fin du deuxime sicle; ce moment-l, saint Irne, Tertullien et saint Clment d'Alexandrie en signalent l'existence. L'laboration d'un tel catalogue n e pouvait se faire qu' la suite de la compntration parfaite et gnrale de la littrature sacre en usage dans toutes les Eglises particulires. La rgle suivie ds la premire heure pour l'admission d'un crit aux honneurs de la lecture publique fut de s'assurer s'il manait des aptres ou du moins, s'il tait approuv par eux. A l'origine, les premiers chrtiens n'eurent pas d'autres livres saints que ceux de l'Ancien Testament, mais bientt ils eurent leurs propres livres sacrs. Saint Pierre et les aptres rptaient les enseignements du Seigneur qu'ils avaient entendus, et la parole du Seigneur fut tenue pour inspire, comme l'avait t Jsus lui-mme. Jsus tait pour les premiers fidles l'autorit suprme... Les paroles de Jsus furent places au mme rang que les livres de l'Ancien Testament, ainsi que l'atteste saint Pierre, dans sa seconde ptre, quand il avertit ses lecteurs de se souvenir des paroles pnmonces par les saints prophtes et du commandement du Seigneur et Sauveur donn par les aptres (1). Hgsippe (2) atteste aussi cette croyance : Dans chaque succession, dit-il, et dans chaque ville on a ce qui est prch par la loi, les prophtes et le Seigneur. Ces paroles du Seigneur, rptes par les aptres, furent, une date que nous ne pouvons prciser, consignes dans des crits, puis furent runies, ainsi que les rcits de la vie de Jsus, pour former nos Evangiles. On comprend que ces Evangiles participrent l'autorit des paroles du Seigneur et devinrent pour les chrtiens, comme celles-ci, la parole de Dieu. Saint Ignace d'Antioche crit aux Philadelphiens (V) qu'il se rfugie dans l'Evangile comme dans la chair de Jsus et dans les aptres comme dans le presbyterium de l'Eglise. Aux Smyrniens (VII), il recommande de s'attacher, d'tre attentifs aux prophtes et spcialement l'Evangile. L'Evangile devenait donc le livre do la Nouvelle Alliance, la nouvelle loi de Notre-Seigneur Jsus-Christ ( . , ). Remarquons que les Eptres sont places ct de l'Evangile. La pseudo-ptre de Clment (XIV, 2) appelle en t1. Ptri. ITI, 2.
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moignage les livres des prophtes et des aptres; enfin, saint Justin dclare Tryphon (119) que la voix de Dieu nous a t parle par l e s aptres du Christ... . . . Bientt les crits apostoliques furent connus dans toutes les communauts chrtiennes de l'empire. Ils furent accepts avec respect comme manant d'hommes qui avaient reu l'Esprit divin et lus dans les runions des Eglises. On comprend que bientt on attribua aux Evangiles, reproduisant les paroles du Seigneur et aux crits apostoliques manant d'hommes possdant l'esprit de Dieu, l a m m e autorit qu'aux livres de l'Ancien Testament et qu'on les traita de la mme faon. En effet, dans les runions chrtiennes, outre les livres de l'Ancien Testament, on lisait les Evangiles et les lettres des aptres. Saint Justin affirme nettement cette pratique de l'Eglise : Au commencement du service public, dit-il, o n lisait les mmoires des aptres (qu'un peu plus haut il appelle Evangiles) et les crits des prophtes (I ApoL, 67, 2). Et cela dut se faire ds l'origine, car les premiers chrtiens ne purent avoir connaissance des Evangiles et des Eptres apostoliques quo par la lecture publique... De cette pratique il rsulta qu'on tint ces crits comme inspirs d e Dieu, qu'on les collectionna et qu'enfin on e n dressa des listes qui, officiellement approuves, furent plus tard l e canon d u Nouveau Testament (1).
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Voil les conclusions d'une rudition loyale et bien informe. Tout autre est le son rendu par l'ouvrage de Mgr Duchesne. Dans des pages trs embrouilles et d'une lecture fatigante, livres canoniques et crits apocryphes sont mis sur l e mme plan; ils ont contribu les uns -et les autres former la foi des premiers fidles; tous nous sont prsents comme manant d'une inspiration identique; les apocryphes, gnralement remplis d'extravagances et parfois d'inconvenances, servent mme nous renseigner d'une faon trs exacte sur ce que l'intelligence des premiers fidles tait capable d'admettre ou de rejeter. D'autres vangiles que les canoniques ont t rdigs pour les chrtiens de ces temps reculs et se sont fait accepter, au moins en certains cercles. On est fond s'en servir quand on veut dfinir ce qu'il tait possible ou impossible de proposer ce public . (2) Aprs avoir cit la ioav;/), la lettre de Barnabe, la Prdication, l'Apocalypse e t l'Evangile de Pierre, Mgr Duchesne ajoute : 1. E. Jacguier. Le Nouveau Testament tions prliminaires, 4. 2. Page 141, note. dans VBalise chrtienne- I, No-
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Les livres dcrits jusqu'ici ont tous t considrs au moins en certaines glises, comme des livres sacrs; ils furent admis aux honneurs de la lecture publique dans les assembles chrtiennes... Un autre crit romain, le Pasteur d'Hermas, parvint, lui aussi, aux honneurs de la lecture publique dans beaucoup d'glises. Celui-l se donnait clairement comme inspir. Il n'est pas jusqu'au roman de saint Paul (Acta Fauli), compos assez tard, dans le II sicle, qui n'ait t rang et l parmi les livres sacrs . (1) Quelles qu'aient t leur publicit et leur autorit, tous ces livres ont ceci de commun qu'ils ont t crits pour l'Eglise, et qu'elle 7 a reconnu l'inspiration dont elle procde elle-mme. Ce sont des livres sotriques, des livres d'intrieur, propres affermir la foi et entretenir le sentiment chrtien. Il n'est pas tonnant que, leur caractre tant le mme, on ne se soit pas proccup tout d'abord d'tablir entre eux des dmarcations prcises d'o sortiront plus tard les divers canons du Nouveau Testament, ot enfin le canon actuellement reu dans l'ensemble de la chrtient (2).
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Avant de passer plus loin, arrtons-nous un moment Hermas. A la page 234, Mgr Duchesne rsume ainsi l'enseignement trinitaire de ce Pre : En somme, la Trinit d'Hermas parat se composer de Dieu le) Pre, d'une seconde personne divine (Fils de Dieu, Saint-Esprit), enfin du Sauveur, promu la divinit en rcompense de ses mrites... On est tonn... d'entendre le prophte romain divaguer ce point sur la .thologie. Ce qui serait plus tonnant encore, c'est qu'une hrsie pareille et t enseigne publiquement sous le couvert de l'Eglise. Mgr Freppel (3) montre qu'il est possible et mme facile de donner aux passages amphibologiques du Pasteur un sens tout fait orthodoxe. S'il est vrai que Tertullien et saint Irne ont considr le Pasteur comme inspir (ce qui confirme l'interprtation de Mgr Freppel), Origne, dans le mme temps, observe que quelques-uns le rejettent et le Fragment de Muratori dit trs nettement : C'est pour* quoi il faut le lire, oui; mais on ne peut lui donner place dans l'Eglise, ni parmi les prophtes ni parmi les aptres. Or, ce fragment est de trs peu postrieur au livre d'Hermas (4).
Mgr Duchesne crit encore : Que les livres des hrtiques ne fussent pas admis la lecture dans les assembles chrtiennes, cela allait de soi. Mais entre ces productions rprouves et les saintes Ecritures, il y avait une marge considrable, o se rangeaient des compositions moins nettement dfinies, les unes d'inspiration correcte, mais d'authenticit douteuse ou de faible autorit, les autres o l'on pouvait relever 1. Page 151. 2. P. 152. 3. Les Pres apostoliques, p. 318. 4. Voir Rauschen, Elments de patrologie et Bahin, Les tmoins de Jsus et leurs tmoins et Mgr Duchesne lui-mme, page 508.
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des tendances inquitantes, encore que peu accentues. Ici et l, grce la simplicit des gens, des livres singuliers ou mme suspects taient tolrs, mme dans les runions de culte. Ailleurs, on en bornait l'usage la lecture prive. La curiosit du petit monde chrtien faisait trop aisment accueil des vangiles non officiels et surtout de pieux romans qfu'on lui prsentait comme l'histoire des aptres. De ces romans, le plus ancien parat tre celui qui s'intitule Actes de saint Paul . On est heureux de savoir que l'Eglise ne se reconnut pas dans cette histoire hardie et dans cette morale exagre (1). II faut avouer que l'Eglise Ta chapp belle. Se figure-t-on ce que ft devenue son infaillibilit, si elle avait eu l'imprudence d'estampiller de pareilles sottises? Voil donc la foi de Mgr Duchesne pleinement rconforte. . Ecoutons-le encore : Sous le nom de saint Jean parut, aprs sa mort, le quatrime de nos vangiles canoniques et aussi la premire des ptres johanniques. Ces crits venaient un peu tard, et la forme qu'y prenait le rcit vanglique ressemblait peu celle laquelle on tait accoutum dj. Aussi ne passrent-ils pas sans quelque opposition. Mais la mme inspiration qui avait port l'Eglise accepter sous bnfice d'inventaire, l'Ancien Testament tout' entier, y compris quelques appendices d'assez frache date, la dcida recevoir aussi l'vangile de saint Jean et lui faire place ct des textes jdj reus. Le renfort doctrinal qu'elle tira de la thologie yohannique lui fut une compensation pour les difficults d'exgse, alors en somme assez lgres, auxquelles elle s'exposait en l'acceptant (2). Mgr Duchesne a, plus que personne, le talent d'embrouiller les choses les plus simples. C'est habituellement le moyen qu'on emploie pour pcher en eau trouble. Je crois que l'Eglise a eu, pour accepter le quatrime Evangile, des raisons tout autres que le calcul d'quilibre que notre historien lui prte. Qu'entend-il par c e s appendices de frache date insrs dans l'Ancien Testament? Et qu'est-ce que cette inspiration laquelle obit l'Eglise dans la rcognition des livres sacrs? L'inspiration divine, celle-l se trouve dans ces livres eux-mmes et l'Eglise, e n l'y dcouvrant, est tout simplement assiste par le Saint-Esprit.
Mais il est un autre point sur lequel il est ncessaire d'insister. C'est chose vraiment intolrable d'entendre un historien nous dire que les stupidits dont s'maillent les apocryphes reprsentent la mentalit de YEcclesia discens primitive et de laisser croire que l a lecture de pareils crits ait t dans les communauts chrtiennes d'un usage un peu tendu. M. Jacquier vient de publier le premier volume de son 1. P. 509, 511. 2. P. 264. Nouveau
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Testament dans l'Eglise chrtienne; il y tudie avec sa comptence accoutum cette question difficile de la formation du canon de nos livres Sacrs. Je- vais lui laisser le soin de ramener les affirmations de Mgr Duchesne leur juste /valeur. 10 Evangile selon les Hbreux. On ne voit pas qu'en dehors de ces hrtiques (les Nazarens eL les Ebiouites) cet vangile se soit beaucoup rpandu, ni qu'on lui ait attribu, chez les crivains orthodoxes, une autorit gale celle des vangiles canoniques. 2o Evangile selon les Egyptiens. Mme dans son pays d'origine, ce rcit fabuleux n'a jamais joui d'une autorit gale celle des vangiles canoniques : Que cet vangile ait t celui des judo-chrtiens gyptiens, nous l'admettons, mais les chrtiens orthodoxes lisaient les vangiles canoniques. Cela ressort trs nettement du texte de saint Clment d'Alexandrie. 3 Evangile de Pierre. Constatons que cet vangile qui, dans ses parties principales, s'appuie sur les vangiles canoniques, a t peu rpandu, puisque nous n'en relevons l'usage que dans une petite communaut chrtienne des environs d'Antioche, et qu'il tait si peu connu, que l'vque d'Antioche ne l'avait jamais eu entre les mains. Eusbe d'ailleurs dclare que l'vangile qu'on attribue Pierre n'a absolument pas t transmis parmi les crits catholiques. Ailleurs, il le range parmi les crits des hrtiques. Saint Jrme... fait la mme constatation . 4 La Prdication, les Actes et l'Apocalypse de Pierre. Nous ne voyons nulle part que ces trois crits attribus saint Pierre aient t lus dans les assembles chrtiennes ou regards par qui que ce soit, sauf peut-tre par des hrtiques, comme Ecritures divines. Malgr les citations qui en ont t faites, ils n'ont pas t mis en parallle avec les livres du Nouveau Testament. Eusbe dclare nettement qu'ils ne nous ont pas t transmis parmi les crits catholiques et qu'aucun crivain ecclsiastique, ancien ou contemporain, ne s'est servi de tmoignages extraits de ceux-ci. On voit que, s'il y a beaucoup prendre dans Y Histoire ancienne de l'Eglise , il y a lieu aussi de ne recevoir certaines assertions que .sous bnfice d'inventaire.
Par la canonicit nous arrivons ( l'inspiration. De douloureuses surprises vont nous tre mnages : 11 fallut bien en venir reconnatre... que le fondement est Jsus et non le lgislateur du Sina, que c'est la Foi qui sauve et non l'observation de la Loi... Que la pense personnelle de l'aptre ait t plus loin, c'est ce qui n'est pas douteux. Mais il ne parat pas avoir t suivi dans certaines de ses thories, par exemple sur l'efficacit tentatrice de la Loi. On resta un peu en de de sa pense (1). Saint Paul lui-mme, il faut le rpter, est sans doule incompltement reprsent par certains de ses propos; on aura une impression plus exacte de son attitude ordinaire en considrant ce que VEglise a retenu de lui qu'en s'attachant exclusivement ce qu'elle en a ou laiss tomber ou interprt dans son sens elle (2). 1. Page 38. 2. Page 39.
CM tique tin libralisme. 1 Aot.
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Un peu plus haut, les lettres aux Thessaloniciens sont traites de correspondance idyllique. A u x Galates, saint Paul adresse ... Une lettre enflamme, o son indignation pour la stupidit do ses disciples se heurte, dans un conflit anim, la tendresse paternelle qu'il leur a conserve. Paul n'tait pas d'un caractre endurant; les judasants sont fort malmens dans la lettre aux Galates. Les ides qu'il y exprime assez tumultueusement, cause des circonstances, se retrouvent dans les dveloppements calmes de l'cptxo aux Romains (1). Plut* loin (2), il crit :
Si on mot part les Pastorales qui, telles au moins que nous les avons, sonL
de date un peu postrieure. 11 serait intressant de savoir si c e remaniement est le fait de l'Espirit-Saint Quant ce qui est possible ou impossible en fait d'histoire vanglique, l est bon de rappeler que les vangiles synoptiques ont aussi leurs divergences, qui ne sont pas toujours aises rduire. Il nous est, du reste trs difficile de tracer a priori les rgles d'un genre aussi spcial.W est sr que, pour le public de ces premiers temps, la concordance des rcits et Vexactitude du dtail n'avaient pas la mme importance que pour nous (3).
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Nous comprenons aisment qu'il soit difficile Mgr Duchesne de tracer la voie l'Esprit-Saint. Quant au peu d'importance que les premiers chrtiens attachaient l'exactitude des faits vangliques, Mgr Duchesne, malgr toute son rudition serait, sans doute, incapable de le dmontrer. Voici qui est encore mieux : L'Ecriture Sainte comportait toujours une interprtation. De cette interprtation les procds pouvaient varier d'un milieu l'autre et aussi d'un livre l'autre ; au fond, toutes les exgses s'accordaient donner aux textes sacrs le sens susceptible d'une application prsente* que ce sens ft ou non indentique celui qui en avait t dduit lors de l'apparition de chacun d'eux. Tous ces livres sonti divins; les choses qu'ils nous disent sont l'enseignement mme de Dieu (4). Comment l'auteur concilie-t-il l a divinit de ces livres avec l'clectisme dont l'Eglise aurait u s relativement aux ides do saint Paul? C'est ce que je ne m e charge pas d'expliquer. 11 faut videmment croire que l'enseignement de Dieu e s t sujet caution. Et puis, qu'estce que c e s interprtations, d'un mme texte, variant scion le temps et les circonstances et se contredisant au besoin? 1. Pages 30 et 31. 2. Page 134. 3. Page 141.
4 . PagQ 4 1 .
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Il e s t clair que Mgr Duchesne n'a pas la moindre ide de l'inspiration. Les Actes du Concile du Vatican lui eussent ouvert l'intelligence, s'il avait eu le loisir de les consulter : L'Eglise, disent ces Actes, tient ces livres pour saints et canoniques parce que, crits sous l'inspiration du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour auteur . Et comme, d'aprs le .Concile de Trente et l'encyclique Providentissimus Deus, l'inspiration s'tend toutes les parties de ces livres, il est absolument impossible que l'erreur s'y rencontre, ou que l'Eglise puisse se reconnatre le droit d'y changer ou d'en laisser tomber quoi que ce soit. Dieu est donc l'auteur des Evangiles et des Eptres, ainsi que de toutes leurs parties, non seulement dogmatiques ou morales, mais simplement historiques; toutefois, il n'en est pas l'auteur unique. Il y a ici uno superposition d'agents : l'un principal et premier moteur; le second, dpendant si bien de l'autre, qu'il n'crira rien en dehors de l'inspiration qui lui sera communique. Cette inspiration s'exercera tout d'abord sur la volont de l'hagiographe pour la dterminer infaillibement crire. Dans l'intelligence, elle ne sera rvlation proprement dite, que s'il s'agit de mystres ou de faits inconnus; hors ce cas, elle sera une communication de lumires surnaturelles, afin que l'crivain inspir peroive mieux les attaches de la vrit dj connue avec d'autres vrits, son opportunit ou son intrt par rapport au but poursuivi et voulu par Dieu. Ces clarts mettront en relief certains dtails, attireront l'attention du rdacteur sur telle ou telle leon qu'il s'agit de faire ressortir, sur la porte d'un vnement; elles le dirigeront dans le choix des documents crits et connus ou des traditions orales; elles iraient mme jusqu' suggrer l'expression qui traduirait le mieux la pense divine; tout au moins, y aurait-il sur ce dernier point une assistance spciale. . L'hagiographe ne sera donc pas tout fait une corde vibrante; il prouvera les sentiments qu'il exprime; il ne sera pas dispens d'un effort personnel. Dieu aura pu faonner ou prparer de longue main son instrument en vue de la mission laquelle il le destinait; rien n'empche qu'il no le saisisse dans un moment d'motion, so servant de cette motion mme pour lui faire rendre avec plus de sonorit et de vigueur le s o n qu'il a dcid de produire. Voil ce que Mgr Duchesne et trouv dans la thologie science rgulatrice trop ddaigne par l'histoire, depuis que l'abb Loisy et consorts ont revendiqu pour le critique une indpendance de jugement isans contrle.
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Si maintenant, nous quittons le terrain strictement doctrinal, nous serons obligs de convenir que le fond de l'ouvrage c'est l'histoire des aberrations, des dissensions, des scandales au sein de l'Eglise. Celle-ci est complte, presque minutieuse. Les Pres apostoliques, les grands apologistes du II et du III sicle fournissent pour cela de prcieux documents. Mais ils sont en mme temps des tmoins de la foi. La vritable histoire est dans ces ouvrages dont Mgr Duchesne reconnat l'authenticit. Or, sur ce point il est aussi muet que disert sur l'autre. En ayant sous l a main le cours d'loquence sacre de Mgr Freppel, le lecteur trouverait aisment, pour chacun des Pres, ce que Mgr Duchesne aurait d lui emprunter comme tmoignage de la foi (et de la discipline) de l'Eglise, e n regard des systmes dont il dcrit (avec complaisance le pullulement. Mais, il est vrai qu'crivant l'histoire de l'Eglise, il ne s'occupe pas de thologie. Mme procd pour l'histoire des perscutions. Il reste que les chrtiens apostasirent en masse, qu'ils furent le moins possible perscuts e n haine de la religion, etc., etc.
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Je viens de parcourir les trois premiers volumes du Cours d'loquence sacre et je ne saurais dire quel point la foi se raffermit ,au contact de ces pages si lumineuses et si fortes. Je ne crois pas l'illustre vque d'Angers moins bien document sur l'histoire des premiers sicles que l'acadmicien qui, dans son discours de rception, le traitait avec la scandaleuse dsinvolture que l'on sait, dsinvolture si opportunment releve, du reste. Son travail est tout aussi consciencieux, aussi inform et, en restant dans les strictes limites du vrai, quelle autre ide ne nous donne-t-il pas des irnurs dans la primitive Eglise 1 Pour nous retracer ces moeurs, Mgr Duchesne cite avec Une complaisance visible le Pasteur . Les fidles, et l'auteur tout le premier, sont loin d'tre ce qu'ils devraient tre, ce qu'ils ont promis d'tre. En suivant Hermas... nous pouvons nous faire une ide de la vie intrieure de l'Eglise romaine {en note: et mme de l'Eglise en gnral) dans la premire moiti du second sicle... L'apostasie tait dj un scandale assez commun. Il y avait des degrs dans ce crime. Quelques-uns se bornaient l'apostasie simple. D'autres ajoutaient le blasphme au reniement : ils n'avaient pas honte de maudire publiquement leur Dieu et leurs frres dans la foi. Il s'en trouvait mme qui allaient jusqu' trahir les autres et les dnoncer. En revanche, l'Eglise comptait avec orgueil de nombreux martyrs. Tous n'taient pas gaux en mrite. Plusieurs avaient trembl devant les supplices et hsit dans leur confession, bien qu'au dernier moment, ils eussent cout la voix de leur conscience et vers leur sang pour la foi... L'ensemble de la communaut chrtienne menait une vie suffisamment rgulire. Cependant, bien des imperfections et mme des vices appelaient correction... La foi en souffrait, on finissait par ne plus tre chrtien que de nom. Encore le souvenir du baptme se dissolvait il peu peu dans le commerce avec les profanes; la moindre tentation emportait ces convictions affaiblies, et Ton arrivait les renier pour des motifs assez lgers. On changeait de religion,
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en dehors de toute perscution, par simple attrait pour les ingnieux systmes de philosophie... Mme dans les rangs des fidles plus affermis, il se produisait des dfaillances morales fort attristantes. La chair tait faible... Le clerg lui-mme n'tait pas l'abri de tout reproche. On voyait des diacres trahir les intrts temporels dont ils avaient le soin (1).
On me dira sans doute : Mais enfin, si le tableau est exact, que veul-on y faire? C'est prcisment cette exactitude que je conteste. Il faut s e dfier beaucoup du procd de gnralisation. A Hermas on peut opposer les apologistes contemporains, Athnagore, fen particulier, qui conclut ainsi un travail prsent Marc-Aurle vers 177 : Je viens de dtruire les accusations portes contre nous, en montrant la pit, la douceur et la temprance qui distinguent les chrtiens. Hermas n'est pas un historien, mais un prdicateur qui, poussant h la rforme, doit fatalement exagrer. Mgr Duchcsne finit par en convenir : Le livre d'Hermas est un vaste examen de conscience de l'Eglise romaine. Il ne faut pas trop s'tonner d'y trouver tant de rvlations affligeantes : a nature de l'ouvrage veut que le mal y tienne plus de place que le bien, que Vexception soit plus souvent signale que In, rgle. Malr cette circonstance dfavorable, il est ais de voir qu'aux yeux d'Hermas le nombre des chrtiens difiants surpassait celui des pcheurs de toute catgorie... En somme, l'impression qui rsulte de ce tableau, c'est' crue l'Eglise, en ces temps trs anciens, n'tait pas exclusivement compose de saints, mais qu'elle en contenait un grand nombre, qu'ils y taient mme en majorit (2). Pourquoi livrer au public des renseignements qu'on s'efforce ensuite de retirer de la circulation? L'impression fcheuse demeure et les ennemis de l'Eglise, ngligeant la rectification, retiendront l'aveu. Le trait, enfonc plaisir n'est repris .qu' moiti. Nous a v o n s vu le mme procd employ pour citer les racontars mls la catchse apostolique. Ce procd, Mgr Duchesne le reprendra /encore propos des martyrs. Sous Marc-Aurle, les chrtiens lyonnais furent soumis des supplices d'une cruaut inoue. Malgr des dfaillances peu nombreuses une dizaine et, d'ailleurs presque aussitt rpares, l'Eglise de saint Pothin donna en cette circonstance le spectacle d'un hrosme ^vraiment magnifique. L'historien le rapporte; mais, aussitt, voici le coup de griffe : Ce qui fut particulirement grave, c'est que les esclaves paens n'hsitrent pas attester la ralit des infanticides et des scnes de dbauche (3). 1. Pages 226 et suiv. 2. Page 229, 230. 3. Page 255.
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DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Le souci de l'impartialit doit-il vraiment aller jusque-l? Je ne sais ce que penserait un honnte homme si son ami, pour renseigner un tiers, s e croyait tenu de signaler les bruits videmment calomnieux dont des gens disqualifis se font les propagateurs.
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Nous terminerons l notre travail. Si l'loge y a tenu si peu de place, c'est que cet loge a t copieusement prodigu dans des revues trs savantes, trs catholiques, par des hommes justement rputs comme les champions de l'orthodoxie. On y a prsent Mgr Duchesne comme une gloire qui rayonne sur Vjlise de France et que cette glise revendiquera toujours pour sienne. Et cela parce que, aprs avoir scrut dans leurs profondeurs les premiers sicles chrtiens, il vient d'en condenser l'histoire en trois /volumes alertes et lucides qui resteront parmi les plus durables monuments de la science ecclsiastique... Quelques ^calejmbours d'une exposition a. et l trop naturaliste et ingale aux grands sujets, ne paraissent pas des raisons suffisantes de lui dnier le respect voire l'admiration auxquels donnent droit les trophes d'une activit virile et fconde... ' Justesse du coup d'oeil, aptitude dmler dans l'amas des matriaux le trait rvlateur, faire Jaillir l'tincelle, rudition point du tout livresque, aisance du penseur non submerg sous un ocan de fiches mais dominant l e sujet avec srnit, exposition v i v e et nette, il fallait tout cela pour donner des premiers sicles chrtiens une image la fois s i comprhensive et si personnelle... Insistons sur une qualit morale d'ordre assez lev et assez rare pour mriter nos hommages : ce respect de la vrit scientifique dont on pourrait citer bien peu d'exemples aussi achev s . . . Une si exacte temprance dans l'affirmative, un culte si loyal de la vrit honorent grandement une intelligence et un caractre... Dieu lui conserve cette flamme pour l'avenir des bonnes tudes, pour l"honneur de son Eglise! Et puisse-til appliquer encore la mme puissance de discernement beaucoup de problmes obscurs, dont la solution arrivera parmi nous avec le parfum authentique des vieux ges, le sens de la vieille foi. Les rserves faites par l'auteur nous ont paru insuffisantes quilibrer ces compliments vraiment excessifs, et prvenir les illusions dangereuses qu'ils peuvent favoriser. Il serait regrettable que les catholiques demeurassent sous le charme d'une apprciation aussi flatteuse. L'utilit de remettre les choses au point nous a dtermin l entreprendre ce travail. Pour le conduire, il n'tait pas du tout ncessaire d'avoir fait de trs profondes tudes; il suffisait de connatre les sources et de possder les principes fondamentaux de la thologie, i Chanoine MARCHAND.
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DU
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RELIGIEUX,
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doivent pas essayer cette fois-ci do. faire le coup aux catholiques comme pour les prcdentes lois sociales, en prtendant que ces lois se sont toutes faites en dehors: d'eux. M. Pigasse, aprs lui, a confirm, au nom des catholiques, que la loi est ntre et proclame un principe de justice sociale . Evidemment il y a le danger que l'Etat fasse un mauvais emploi des fonds. : mais aprs tout, si les ouvriers sont ruins, les rentiers le seront avec eux , et ce isera une fiche de consolation. M. Oache, qui appartient au groupe du Sillon, a continu le dveloppement de la mme thse, que M. Bel'let a termine par un argument -assez inattendu. Aujourd'hui, a dit celui-ci, le vieillard devient facilement une bouche de trop; demain, avec la retraite, il apportera au foyer son franc par jour, qui lui rendra, avec sa place naturelle, l'affection et le respect sans contrainte des siens . Ici, il est vrai, sont venues les contradictions! : M. Nahon, d'abord, puis M. Durrieu. M. Nahon, excellent catholique, fort avantageusement connu, a t vertement rabrou comme un libral . C'est Tpithte que M. Duguet notamment lui a jete la tte, et tous les organisateurs de la runion ont fait chorus avec lui. M. Nahon a eu beau protester qu'il n'en tait pas un, il a t proprement excommuni comme tel. Aprs quoi un radical de bonne trempe, M. Abadie, est mont la tribtine pour fliciter son parti de l'adhsion que des orateurs! catholiques venaient d'apporter ta l'oeuvre du- Parlement, avec l'espoir que dsormais catholiques et radicaux marcheraient la main dans la main pour faire aboutir certaines rformes sociales dont celle-l.
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Mais le plus curieux de l'aventure, c'est bien l'accueil fait M. Nahon, puis son ami M. Durrieu. On les traite de libraux. Eh bien! qui est-ce qui fait ici le libral et e n quoi? Pas de doute, ces organisateurs de la runion faisaient de l a politique librale; leurs liens officiels avec l'Action librale et avec le toujours vivant Sillon, ne laissent aucun doute cet gard. Ce sont eux cependant qui sont les antilibraux en conomie, et eux cependant qui sont les tatistes en matire sociale. Par contre, leurs adversaires catholiques, eux, !sont trs, crment antilibcraux e n religion, e n philosophie, en politique aussi; seulement ifei sont non moins rsolument antitatistes en conomie. Tout cela demande une explication, cherche peut-tre d'un peu plus loin. Lo libralisme est condamn, isoit. Allons, si vous le Voulez, de l'Encyclique Mirari vos de Grgoire XVI en 1832, propos de Lamennais, -jusqu' la lettre de Pie X sur le Sillon; nous aurons' bien cette ide gnrale qu'il y a une certaine libert et un certain libralisme avec lesquels l'Eglise ne peut pas s'entendre. On peut mme trouver que
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nous autres, Franais, nous avons t bien tmraires et bien imprudents e n abritant sous ce mot de libralisme la dfense de nos liberts imprescriptibles o u plutt de nos droits inalinables de chrtiens; et de fait, partout ailleurs qu'en France, les libraux ont alliance ouverte avec les ennemis de l'Eglise, tandis qu'en Franco au contraire ite dfendent toujours celle ci, quoique parfois leur manire.
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Mais laissons l cette ambigut voulue de notre dictionnaire politique et demandons-nous de plus prs quels sont ce libralisme et cette libert (condamns. La question ainsi pose, une chose frappe d'abord : tous ces textes que l'on invoque visent des opinions du domaine religieux ou philosophique, et pas un n e s e rfre des opinions) de quelque jautre domaine. Ainsi l'erreur philosophique comme serait l'quivalence de tous les cultes ou le droit d'enseigner le vice est nettement rprouve : rien au contraire ne vise l'erreur conomique ou l'erreur scientifique, celles-l du moins qui n'ont aucun contact .avec des propositions philosophiques ou religieuses. L'Etat, par exemple, peut se dsintresser isi les chaires de ses Facults enseignent les bienfaits de la protection ou bien ceux du libre-change; se dsintresser galement si des professeurs de chimie tiennent pour l'existence du non, de l'argon, etc., ou" bien aui contraire pour leur inexistence. Parfaitement oui : et nous estimons qu'en ces points-l l'erreur a autant de droit que la vrit, en ce teens qu'elle n'engage aucunement la conscience. Du reste, pour qu'il en ft autrement, il faudrait que l'Eglise et dfini d'abord ce qui est vrit dans ces ordres-l, avant d'exiger qu'on le professt comme elle l'et dfini. Elle ne l'a point fait cependant.
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Voil donc u n premier point qui nous semble bien tabli : la condamnation du libralisme n'a rien voir dans l'es matires qui manifestement ne touchent ni de prs ni de loin aucune vrit d'ordre philosophique et par consquent d'ordre religieux par quelque bout. Et l'organisation de la socit? m e demanderez-vous maintenant. Serait-ce une vrit 'd'ordre religieux, que l'Etat doive l'entreprendre et y prsider? Serait-ce une vrit d'ordre religieux, qu'il doive effectuer la distribution des biens, attribuer et dplacer la proprit d'aprs ses lois lui, fixer enfin la manire dont chacun peut jouir de la sienne, en cultivant par exemple du bl plutt que de la vigne, ou de la vigne plutt que du bl? J'avoue ne connatre aucune solution dans ces sens-l. Tout aui contraire les enseignements tout rcents encore de Lon XIII et de Pie X sur l'institution naturelle de la proprit et sur l'antriorit d e la famille l'Etat, me donnent volontiers penser le contraire. L'Etat a une mission genrale de justice et de police; il interviendra contre les abus pour les rprimer toujours! et mme pour les prvenir quand des mesures prventives ne risqueront pas d'tre plus nuisibles qu'utiles; mais cela dit ou cela fait, il n'aura
organiser ni la famille, ni la proprit, ni la socit ollc-mmc. Il punira par exemple les parents coupables de mauvais traitements envers leurs enfants et il ira jusqu' leur retirer la puissance paternelle; mais cela n e signifie point que ce soit lui qui d'abord l'ait institue et confre. Voil l'Etat gendarme, comme aurait dit Bastiat. Ici c'est le bien de l'utilit gnrale qui doit inspirer l'Etat; majis savoir' comment cette utilit gnrale sera le mieux procure, n'est bien que de science humaine. En matire de commerce international par exemple, sera-ce par l'a libert ou bien au contraire par les contraintes douanires? On discute, et l'on discute comme en choses ncessairement contingentes; on discute comme on plaiderait pour les submersibles ou bien pour l'es sousmarins, pour les dirigeables oui bien pour les aroplanesi; mais on discute, notre sens, sans qu'aucune opinion religieuse ou philosophique soit e n cause. Ajoutons mme une remarque assez util : c'est que la question n e parat plus aujourd'hui susceptible d'une rponse absolue et invariable dans u n sens ou dans l'autre, depuis que l a thorie mieux approfondie de l a valeur internationale et les spculations nouvelles sur l'tat statique et l'tat dynamique ont ouvert des aperus nouveaux et suggr d e s solutions beaucoup moins simplistes que celles de List ou de Cobden. Bref, il y a, selon nous, une conomie politique librale parfaitement orthodoxe, parce qu'elle s e meut dans un cercle o religion et philosophie se refusent lui tracer aucune route, pas plus qu'elles n'en tracent l a chimie ou la physique. Mais vienne une question pratique o la moral ait dire son mot : c'est la morale seulement que je demanderai imon chemin, ce qui ne Veut point dire pourtant que la morale ait le dire dans toutes les questions pratiques. Rien de plus pratique, par exemple, que la question d'une lgislation sur rmission des billets de banque : et est-i cependant un moraliste qui veuille au nom de la morale se prononcer sur le privilge de la Banque d'Angleterre avec currency principle, ou sur celui de la Banque de France sous l e rapport de l a circulation l'encaisse, ou sur celui des 6.000 banques nationales des Etats-Unis, on bien enfin sur celui peine disnaru maintenant des anciennes banques concordataires de la Suisse ? Evidemment l'conomiste professera l-dessus telle ou telle opinion : mais je suis bien sr que le moraliste n'en professera aucune, tout aussi bien qu'en sa qualit de moraliste il n'en comprendra pas seulement une seule. Or, la question des retraites ouvrires, si elle relve bien par un certain ct de l'ide qu'on s e fait du rle de l'Etat, relve aussi beaucoup de considrations conomiques proprement dites. Que cotera le fonctionnement du systme? D'o viendra l'argent, en ce qui concerne les 180 millions et bientt sans doute les 400 demands par l'Etat? Quelles seront les consquences conomiques au point de
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vue de la concurrence internationale, alors que la crainte de ces consquences avait suffi, en 1900, pour empocher la Belgique d'dicter l'obligation iet d'exiger des contributions des patrons? Quelles seront enfin les consquences morales, soit sur les ouvriers pour affaiblir en eux le ressort de l'pargne, soit sur les familles pour relever celles-ci des devoirs de la pit filiale? Certes, voil assez de problmes envisager; et notre avis, c'est que leur souci a pes sur nos lgislateur? infiniment moins que ne pesait sur eux le souci' des popularits dmocratiques conqurir. Combien de dputes et de confrenciers, en effet, se sont faits ou se font tatistes ennemis par consquent dos liberts individuelles pour pouvoir capter quelques sympathies ou quelques suffrages! Eh bien! voil ce qui est du libralisme et du pire : aduler le peuple libre et souverain, on lui pcrsuailanL qu'il a toutes les lumires, toutes les sagesses et tous les droits, mais, de devoirs, pas le moindre et pas un seul. Cela vous sent le Sillon d'une lieue. A Toulouse, dans le discours de M. Pigasse, il y a ou aussi une perle que je me reprocherais d e ne pas cueillir. L'Etat, a-t-il dit. doit verser, parce que l'ouvrier ne travaille pas seulement pour la prosprit 'd'une industrie prive, mais dans un but social dont chaque 'citoyen profite.
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C'est l a Vieille thse du travail fonction sociale . Je la croyais pourtant morte, vanouie la luour de la premire discussion srieuse iet logique. Voyons, que voulez-Vous dire? Parlez-vous de l'intentio'n de l'ouvrier ton bien dui rsultat? De l'intention, je n'y crois gure : l'ouvrier a conscience et Volont de travailler pour lui, pour les siens, pour s e s besoins ou pour ses /plaisirs, toujours, mais pour la socit, jamais. Ne lui prtons donc pas un sentiment que personne ne lui demande d'avoir. Naturellement c'est pour s a subsistance .qu'il travaille et celle des personnes aux besoins desquelles, il pourvoit; isurnaturellement dans les cas o il aurait d e ces vues-l 'c'est pour son devoir et son saluL Mais convenons que l e souci du bien-tre conomique de la socit lui importe peu, sans que nous nous sentions le courage de lui en faire u n reproche.
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Quant a u rsultat, c'est tout diffrent, et ici vous ne prouvez rien, parce que si vous prouviez quelque chose, vous prouveriez beaucoup trop. Dieu, en effet, a fait ainsi l'homme et la socit, les liens qui nous unissent les uns aux autres, sont tels, nos actions et nos inactions se se compntrent de telle sorte que pas un de nous ne peut rien faire qui n e se rpercute conomiquement sur tous les hommes qui nous entourent. Que dis-je? Nous bnficions ou nous souffrons de tout
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ce que les gnrations antrieures ont fait avant nous sans nous prvoir, et nos actes actuels ou bien nos abstentions Vont aussi prolonger leur influence pendant de longs sicles sur les gnrations qui doivent natre aprs nous, Avez-vous jamais mdit l'apologue du menuisier de Bastiat? Avcz-vous jamais pens c e brave h o m m e qui, en passant sa journe raboter des planches et en ne pensant qu' gagner sa v i e et celle de sa famille, payait cependant sans le savoir sa dette envers Tes milliers d'individus qui, dans une longue srie de sicles coules, avaient invent Te fer, faonn la charrue, dcouvert l'Amrique et les Indes, construit des navires, dfrich des terres, cultiv du coton et de l'indigo, et ainsi fourni cet humble travailleur co pantalon de cotonnade bleue qu'il enfilait chaque matin au saut du lit, ou bien le morceau de |pain qu'il mangeait? Chacun n'avait pourtant travaill que pour s o i ; n'importe, chacun avait servi tout le monde et payait tout le monde. Bastiat e n dduisait que l'intrt personnel, sainement refrn dans ses abus par la morale de la conscience et du devoir laquelle aide aussi l'action rglementaire ou pnale des pouvoirs publics, est le moteur providentiel de l'activit conomique et que nous e n avons une raison de plus de bnir a mystrieuse sagesse du Crateur. Depuis Bastiat, on a invent le mot du travail fonction sociale , et l'on a cru y trouver toute une base sur laquelle on pt rdifier la socit et surtout la socialiser. Seulement, si l'expression, ici, est juste et si elle est fconde, ce n'est pas ici seulement et c'est partout. Je mange : est-ce que manger n'est pas aussi une fonction sociale, puisque par la nourriture que je prends, je ncessite et je rmunre le travail? Je btis une maison, non de mes mainsi, mais par mes capitaux que j'y consacre : fonction sociale aussi, puisefue l a socit, par l. aura des logements de plus pour abriter ses membres. Je vais plus loin, tsi vous' voulez bien m e le permettre. Je m e marie et je procre : eh bien! vous m'obligez ici encore dire que ma Ivie conjugale telle-mme est une fonction sociale que je remplis, puisque 'de son -accomplissement dpend le nombre plus ou moins lev des membres que l a socit et l'Etat vont renfermer dans leur sein! Alors, isi c'tait parce que le travail est une fonction sociale cfue l'Etat s'y devait intresser ot y devait prsider, je trouve que cet Etat a les mmes titres pour commander ma table, mon vtement, ma consommation, l'emploi de m e s capitaux et mme aux actes les plus sacrs de ma vie domestique. L'Etat sera tout; en tout il sera un matre, pour ne pas dire une idole. Le mot existe la statoltrie et la chose aussi, h mesure que l'individu perd en libert' tout ce que l'Etat gagne en puissance e t en adorations. Alors v o u s allez bon gr mal igr au socialisme, l'Etat attirant de plus e n plus lui, sous forme d'impts, Tes rsultats du travail individuel pour les reverser et les' rpartir ensuite entre Tes citoyens. Lo
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fisc v a tre l'instrument de la servitude conomique, qui psera toujours plus lourdement sur les producteurs de toute catgorie; mais ne doutons point que par l'apostasie officielle et par l'omnipotence de la franc-maonnerie cette servitude conomique ira s'accompagnant et se compltant d'une servitude morale et philosophique. Humainement, on n e Ivoit pas comment la libert des enfants de Dieu serait compatible avec le collectivisme qui est dans l'air et que le socialisme d'Etat est en voie de prparer. Or, contre des formules de paganisme ou d'hrsie, c'est par des formules de vrit que l'on se dfend, mais non pas par des concessions d'opportunistes, ni par des complaisances de candidats en qute de suffrages. Concessions et complaisances, voil le libralisme que l'Eglise a condamn et que nous ne voulons pas; M. Nahon, mieux que personne, pouvait en renvoyer le reproche ceux qui le lui faisaient.
J. RAMBAUD.
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Sous ce titre, le P. Dodat-Marie a crit dans la revue Duns Scot (25 (juin) un article que le Bulletin de la Semaine ne pouvait manquer d'insrer. Nous le reproduisons (d'aprs lui. L'auteur amorce habilement son sujet : Nous avons en scolastique moyengeuse quelques bons axiomes qui ne sont pas si btes. Nous disons trs candidement qu'une prsentation de thse, quand elle est bien faite, vaut souvent mieux que toutes les discussions. Bien prsenter, c'est toujours amonceler de la lumire, et discuter, c'est trop souvent fabriquer de la nuit. Aujourd'hui donc, mes chers lecteurs, vous me pardonnerez si je ne discute point. 11' nous excusera de nous ,approprier son entre en matire. Ayant surtout pour but de faire connatre de quel esprit sont le P. Adodat et sa revue, nous e n .trouvons la prsentation si bien faite dans son article, qu'une discussion sera superflue. Tout au plus, prendrons-nous la libert d'y joindre de courtes observations, d'o il pourrait Ibien rsulter que sa manire, lui, de prsenter une thse, au lieu d'amonceler de la lumire, fabrique une nue paisse. Et, sur ce point,. on verra que trois mots de discussion ont parfois jleur utilit. Les deux situations que le P. Dodat examine sont une certaine attitude du Saint-Sige l'gard du pouvoir usurpateur de Rome implique, selon lui, clans le procs Bricarelli-Verdesi et celle des catho-
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liques franais l'gard de leur gouvernement, pour conclure de ce qu'est l'une ce que doit tre l'autre. Le dfaut de cette adroit prsentation e s t double. Elle fausse les faits et les conclusions dans la premire partie, elle .assimile entre elles deux situations trs diffrentes. Voil c e qu'on peut appeler une prsentation de thse bien faite ! Aprs cela, en effet, on a .gain de cause sans, coup frir. Quand nous aurons dissip cette nue, il ne restera que l'expression des ides de l'auteur, assez claire, plie, pour qu'il suffise do le laisser parler. Ecoutons-le : Il vient, Rome, de se plaider un. retentissant procs. Le P. Bricarelli et l'ex-abb Verdesi sont alls devant les tribunaux civils romains. Si vous me dites que c'est chose banale, je vous rpondrai que rion n'esL banal ici. D'abjrd, la cause tait ecclsiastique. L'ex-abb Verdesi n'avait-il pas accus le P. Bricarelli, son ancien confesseur, d*avoir trahi le secret de la confession? Et pourquoi? Pour dnoncer au Saint-Office quatre prtres romains modernistes. Notez que le P. Bricarelli, diffam par un ex-abb qui ne reconnaissait plus juridiction de l'Eglise, pouvait faire un beau tapage et le mettre au dfi de l'attaquer, lui, Bricarelli, devant les tribunaux civils. Quiconque, en effet, trahit un secret professionnel, est justiciable devant les tribunaux. Mais non; c'est le jsuite Bricarelli qui prend son ex-abb au collet et l'amne tout honteux devant les tribunaux du roi. Si la cause a t juge dans le nouveau palais de justice qui insulte au Chteau Saint-Ange et au Vatican, ce n'a pas t, dans les journes du cinquantenaire de l'unit italienne, la protestation la plus efficace et la plus solennelle contre la prsence du gouvernement royal dans la cit pontificale. Et c'est de cela seulement que je veux parler. Puis-je rappeler un fait? Il y eut, ces annes dernires, un conflit Florence ou Milan. Et l'avocat Mda, catholique trs en vue et directeur d'un journal catholique, voulut traduire ses diffamateurs, clercs, devant les tribunaux du roi Florence ou Milan. Il y eut contre M. -Mda tout un concert de rcriminations. Il reconnaissait donc le nouveau royaume d'Italie, et c'tait faire injure la papaut. Aujourd'hui, c'est le jsuite Bricarelli qui en appelle, Rome mme, devant les tribunaux du roi. Et son Ordre y consent. Et la Curie pontificale s'y prte. En effet, les cardinaux appels en tmoignage se retranchent derrire la loi des garanties, laquelle consacre la destruction du pouvoir politique des Papes. Les cardinaux, comme cette fameuse loi l'dict, veulent tre traits en princes du sang, donc tre interrogs chez eux et refusent de comparatre la barre du tribunal. De plus, le Souverain Pontife adresse au cardinal-vicaire une lettre qui sera lue l'audience. Voil bien des choses qui disent quelque chose. Est-ce la reconnaissance formelle, et prcise, et dfinitive de l'tat actuel? A Dieu ne plaise que je pousse les dductions jusque-l! Non. (1). L'on trouvera que le fait de Rome au roi n'est pas sans intresser grandement l'indpendance du pouvoir ecclsiastique papal I Ur, cette indpendance regarde l'Eglise tout entire. II n'y a pas de nation catholique, ou comprenant des catholiques, qui ne soit intresse l'indpendance apirituella du Pape. S'il arrivait jamais qu'un Pape italianissime voult favoriser son pays au dtriment de son indpendance religieuse, les plus grands malheurs suivraient cette concession fatale. Le Pape et la Curie savent tout cela. Et l'on ne dira pas que la Papaut n'estime point son juste prix la maxime fondamentale du christianisme : Jsus-Christ n'aime rien tant que la libert de son Eglise . Il blasphmerait la Papaut celui qui tenterait d'insinuer, qu'elle rclame partout la route libre, partout sauf en Italie et Rome, sauf son point 1. Mais, pourtant, jusqu'o?
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de centre o la demi-servitude ne lui parat pas trop pesante. Mais, riv qu'il est sa volont solennelle et toujours affirme d'tre libre Rome, le SaintSige fait preuve d'une longanimit, d'une prudence qui ne se dment point. Cette prudence est vidente. Des agits, l'abb Duguet et je ne sais plus qui, avaient commenc dans l'Univers et hors de l'Univers une campagne retentissante contre l'tablissement de la monarchie savoyarde Rome. Les ftes du centenaire taient une occasion tentante pour nos tambourinaires. Qu'a fait la prudence du Saint-Sige? Elle a confidentiellement intim l'ordre aux voques de France de ne laisser faire aucune agitation sur ce sujet brlant. La prudence du Saint Sige est-elle, dites-moi, assez vidente? L'on ne ira pas davantage que sa force est en dfaut! devant l'installation de la royaut italienne dans la ville ternelle. Mais de quelle note qualifier ce mlange de force et de prudence? J'attends la note. Est-ce de l'intransigeance? Est-ce du libralisme? Est-ce une simple combinazione politique la Machiavel? J'attends la note. Pour moi, c'est bonnement une conduite sage, telle que l'quilibre des vertus de force et de prudence, de force dans l'affirmation des principes, de prudence dans la conduite, peut l'tablir. La diffrence des cas Mda et Bricarelli est prsente d'une manire compltement inexacte. Le directeur de VUnionc, M. Mda, excellent catholique, estimant avoir se plaindre de ses diffamateurs CLERCS devait se conformer a u droit canonique, en les dfrant aux Tribunaux ecclsiastiques. L'appel la justice civile et t rendu encore plus blmable par la condition prsente de l'Eglise en Italie. Le P. Bricarelli, lui, ne pouvait avoir aucun recours canonique contre un apostat et contre la presse antireligieuse qui exploitait son scandale. L e , Saint-Sige a estim que l'honneur de l'Eglise et celui du sacrement de pnitence ne pouvaient tre sacrifis, et, dans un cas d'une gravit aussi extrme, a jug ncessaire d e les dfendre. D n'y a pas d'assimilation possible entre l'intrt d'une personnalit, mme minente, comme celle de M. Mda, et celui de la cause que le P. Bricarelli reprsentait. En outre, sur quoi se fonde-t-on pour affirmer que l'appel la justice civile implique la reconnaissance formelle du pouvoir qui l'exerce, et insinuer que la conduite suivie par le Saint-Sige dans cette affaire consacre une acceptation dfinitive de l'tat actuel? Est-ce que le recours des vques aux tribunaux franais contre les spoliateurs et les perscuteurs du clerg impliquerait la reconnaissance de la lgitimit de la Rpublique? Le recours, au droit commun, si hautement prconis par les amis du P. Adodat, sera-t-il donc interdit quiconque proteste contre les faits accomplis? Le reste est une consquence de la poursuite intente. D'ailleurs, les cardinaux n'ont point invoqu personnellement la loi des garanties, comme ils auraient pu le faire. Mais, devant le tribunal italien, la forme de leur tmoignage no se pouvait discuter par leurs avocats qu'en s'appuyant sur elle. C'est au contraire la comparution des cardinaux qui et constitu la reconnaissance de l'abolition du pouvoir pontifical. Mais cette interprtation purement fantaisiste tait ncessaire au P. Adodat pour triompher par la simple prsentation de sa thse.
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D n'a plus maintenant qu' conclure. Laissons-le faire l'aise, aprs avoir seulement observ que le rapprochement est tout aussi faux
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entre la rsistance politique et religieuse des citoyens catholiques franais au gouvernement antinational qui dtruit chez eux la patrie com-' me l a religion, et la rserve que le Saint-Pre aurait cru prudent de conseiller a u x voques franais, l'gard de la monarchie italienne. Ge sont deux terrains fort diffrents, et, au surplus, au lieu de dduire d'un cas spcial une rgle gnrale de conduite, on ne devrait pas tenir pour non-avenu le magnifique exemple de protestation et de rsistance que le Saint-Sige a donn depuis trente ans. En face de la lutte papale en Italie, mettez notre lutte franaise. Deux buts taient poursuivre. La rconciliation du Gouvernement franais avec la Papaut. Si elle n'exigeait pas un Concordat nouveau, du moins elle [rclamait une reprsentation diplomatique. Et l'autre but encore plus important n'tait rien moins que la reconqute des masses franaises et des lites par le Catholicisme. Cette double action, dlicate et long terme, devait tre conduite avec prudence et avec force, comme la revendication romaine. A moins que l'exemple papal ne soit un mauvais exemple. Or, comment notre lutte franaise a-t-elle t mene? L'on sait trop que l'Episoopat de France n'a rien conduit du tout. Son humilit s'est incline devant de simples sergents (1). Quels taient ces chefs? Longtemps ils ont pu ootinmander les mouvements gnraux, rgenter l'piscopat, et faire croire leur mission. Divers indices prouveraient que leur rgne est au dclin. Un livre du P. Laberthonnixe, Positivisme et catholicisme, lnonce l'alliance des Ex-Religieux avec les doctrinaires de Y Action franaise, MM. Maurras, Vaugeois, etc. Et, il se trouve que ces messieurs les abbs Barbier, Besse, Delfour, Fontaine, Gaudeau, de Pascal (p. 130) qui jouent le rle d'inquisiteurs acharns contre le modernisme (ce qui est bien tant que les mthodes restent probes), ne trouvent pas que le contact intellectuel avec le positivisme athe de Maurras ait rien de salissant (2). Nous rendrons compte, dans le dtail, des positions de ces messieurs vis--vis de l'athisme des docteurs du droit divin des rois. D'autre part, (ici le titre 'd'une revue que nous ne voulons pas nommer) qui en est son cinquime numro, nous rvle maintes choses difiantes sur le rle doctrinal et social de l'alliance Fontaine-Maurras, Gaudeau-veaugeois, 1. C'est trop oublier que les vques. se sont inclins devant leur gnral, et que celui-ci a dtermin les conditions pralables de toute rconciliation. 2. Ceci est une distraction inexcusable sous la plume du P. Dodat ou une lourde tratrise. Non seulement chez le P. Fontaine, chez les abbs Gaudeau, Delfour et Barbier, qui se tiennent en dehors de YAction Franaise, mais aussi bien chez Dom Besse et l'abb de Pascal, qui en sont membres actifs, on ne peut dire, sans noncer une contre-vrit palpable, qu'il y ait contact intellectuel avec le positivisme athe de Maurras , que tous et chacun n'ont cess de dplorer publiquement. Si l'on n'admet pas l'ignorance paisse qui aurait d commander le silence, il n'y a pas d'autre qualification convenant cela que celle de calomnie. Nous verrons avec intrt le P. Dodat rendre compte, dans le dtail, de leur position vis-vis de l'athisme de Maurras ou autres; et quand il aura constat, bon gr mal gr, qu'elle ne diffre pas de la sienne, que tout est limite un accord pratique, abstraction faite des convictions religieuses personnelles, tel que celui qui a t, qui est encore prn au nom de l'Eglise par les partisans du (ralliement avec les partisans d'une Rpublique cense bonnte, nous esprons montrer sans trop de peine lequel des deux contacts a t salissant .
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de Pascal-Bujo, Besse-Lasserre, etc. Nous nous difierons dans l'analyse de la X... Enfin, et c'est ici que d'assez jolies choses nous sont prsentes, la lutte journalistique nous montre M. Franois Veuillot fonant avec ardeur contre M. Marc Sangnier, parce que le directeur de la Dmocratie soutient, l'audacieux, les mmes thses rpublicaines que dfendait jadis M, Eugne Veuillot dans l'ancien Univers. De plus, et dans le mme ordre d'ides, nous voyons quelques Mgrs royalistes se venger du ralliement de Lon XIII sur M. l'abb Lemire qui, dans sa navet limpide, croit encore au ralliement. Mgr d'Haranguier de Quincerot, doyen du chapitre de Bourges, s'est arrach cas temps-ci son rle de grand pnitencier. S'il lui plat de verser encore l'absolution sur les dtenteurs des biens de l'ancien clerg de France, il ne pardonne pas son ancien archevque d'avoir fait chanoine un dput dmocrate. Jugez avec quelle ardeur un autre Mgr royaliste, du Nord s'est jet sur le dput-chanoine I Quand Mgr Delassus se mle de polmique, l'histoire de ses batailles avec M. Eugne Veuillot nous dit assez qu'il n'a pas de rivaux dans la courtoisie, l'honntet, la probit. Contre M. l'abb Lemire vous jugez s'il fait une maigre dpense de ses hautes vertus 1 Nous n'avons pas prendre aujourd'hui la dfense, soit de M. 'l'abb Lemire, soit de M. Marc Sangnier, ou do la X..., ou de M. Veuillot; mais il nous convient de remarquer que nous sommes loin, de ce ct-ci des Alpes, de la manire prudente et forte du Saint-Sige. Toutes rserves faites sur les hommes et sur les doctrines, il nous plat de constater que les prtendus champions du catholicisme, nos inquisiteurs amis de l'Action Franaise, font tout ce qu'ils peuvent pour enlizer le navire de l'Eglise dans les sables, j'allais dire dans les boues de leur politique. C'est ici que nous croyons la discussion superflue, mme pour mesurer l'tendue et la profondeur d u marcage dans lequel patauge depuis si longtemps la politique chre au P. Dodat. Son propre langage suffit la prsentation que nous voulions faire. E. B.
< AURES R HABENT ET NON AUDIENT
Ce que l e psalmiste avait dit des simulacres de la divinit, cauvres de la main des hommes, a t plus d'une fois appliqu aux adorateurs eux-mmes des faux dieux, empchs par l'aveuglement de la superstition d'ouvrir leuT intelligence la lumire du christianisme : aure$ hbent et non audient. La mme application pourrait tre faite aujourd'hui maints enfants de l'Eglise, qui, aprs avoir longtemps prodigu leur encens l'idole dmocratique, demeurent encore rivs son culte. Chez la plupart, d'ailleurs, ce n'est nullement obstination volontaire, mais infirmit et impuissance d'esprit rsultant d'une erreur invtre. Ils ont des yeux, et ils ne voient pas que l'idole du dmocratisme vanglique a t mise en pices par les rcents actes du Saint-Sige; ils ont des oreilles, et ils n'entendent, ils ne comprennent pas ses enseignements; ils ont une bouche et ils parlent, mais c'est pour exalter encore leur fausse divinit. Aux exemples que nous avons dj cits va s'en ajouter un autre, fourni par La Libert de Fribourg ( 1 juin 1911). Il est d'autant plus frappant, que ce journal, aprs avoir t durant une longue pe r
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riode agent trs actif du mouvement des dmocrates chrtiens, fait depuis quelque temps de srieux et mritoires efforts pour bien servir les directions du Saint-Sige. Nous avons rcemment signal les courageux articles consacrs dans s e s colonnes l'ouvrage du R. P. Weiss par M. Decurtins, qui donne vaillamment l'exemple de cette conversion. Si l'on veut n'attribuer l'insertion du mauvais morceau dont nous allons parler qu' une distraction des directeurs, nous l'admettrons volontiers, mais on avouera qu'elle est bien forte. Loin de nous un parti pris quelconque contre cette feuille ou contre Fribourg. Nous accomplissons simplement et avec indpendance notre tche de critique, celle que nous avons spontanment embrasse en fondant cette revue, pour obliger ceux qui prfraient l'ignorer et se plaisaient mme le nier aveuglment, constater que le libralisme coule pleins bords. Parmi ceux-l, il y en a beaucoup qui lui savent le plus mauvais gr de son initiative, qui la qualifient volontiers de tratresse, et enveloppent dans le mme reproche de trahison les amis qui facilitent son uvre par leurs communications. D'autres apprciateurs y voient quelque chose de plus noble. Laissons dire et suivons notre voie. Pour viter aux gens de Fribourg une amertume de plus contre l'auteur des correspondances qui nous sont venues de l, mais au risque de leur en 'causer une nouvelle, j'ajouterai que l'article en question nous a t signal par un autre. Je ne chercherai pas dcouvrir quel crivain dsigne la signature L. A. W. La critique sera tout objective. Le (titre de son article : Le Sauveur attendu par la. France, dit lui seul qu'il a emprunt son inspiration aux pages de M. l'abb Thellier de Poncheville dans la Chronique sociale. C'en est, en effet, un petit pastiche, moins l'art trs nuanc et le tour trs fuyant du modle. Ici la forme ne dguise plus l'inanit de la thse, l'loquence tourne au .gongorisme, et son trmoussement n'arrive pas faire illusion sur Terreur qui se montre toute nue. Il est toujours dlicat u n tranger d'adresser une leon directe aux catholiques des autres pays. La feuille fribourgeoise ne doit pas manquer d'occupation chez elle. Mais si elle veut s'occuper de nos affaires, il faudrait avoir dire autre chose que des bourdes. Laissons passer l e dbut. Il y a quelques jours, les cloches de France sonnaient toute vole les allluias joyeux. Elles clbraient l'Ascension. Et leurs vibrations allaient mouvoir le cur mme de ceux qui doutent (Vous parlez 1) et qui n'accordent plus la foi des anctres qu'une adhsion atavique, instinctive, que la sympathie respectueuse que mrite l'ide sublime du Christ Sauveur, surnageant, invaincue, aprs vingt sicles o se sont engloutis tant de hros, d'empires et de systmes philosophiques. Le penseur ne peut que s'incliner avec une admiration tonne devant cette imperturbable srnit de l'Eglise qui chantait hier le mme hymne d'apothose qui a clos le drame sanglant du Calvaire. Elle chantait, les yeux fixs en haut, sur la Croix triomphante, oubliant, ou n'y pensant que pour pardonner, les os de ses perscuteurs, les squelettes de leurs systmes, qui blanchissent sur la route des vingt sicles qu'elle vient de parcourir.
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Elle chantait, mme au milieu de ses larmes, avec la certitude absolue et calme du triomphe final, malgr le flot du scepticisme qui mante, malgr l'orage pouvantable qui fond sur elle. Ici cela devient plus srieux : Et les cloches rptaient sa voix; elles acclamaient CET HOMME AU-DESSUS DE L'HUMANIT, CE SAUVEUR DONT L'APPARITION SUE LA TERRE A T LE SIGNAL DE L A PLUS TONNANTE RVOLUTION D'IDES ET D E MURS QUI SE BOIT JAMAIS VUE, RVOLUTION QUI, EN ANNONANT L'GALIT DE TOUS LES HOMMES, EN LES INVITANT A PARTAGER LE PAIN DE LA FRATERNIT, A REDONN A TOUS LES HOMMES LE SENTIMENT DE LEUR DIGNIT, A FAIT S'CROULER LES ANTIQUES DESPOTISMES ET A PAIT NAITRE CES CONSTITUTIONS DE GOUVERNEMENTS QUI, DANS LEUR ENSEMBLE, N'TAIENT QUE LES TAPES DES PEUPLES, EN MARCHE VERS LA DMOCRATIE. Ainsi, Jsus-Christ serait venu sur la terre pour mettre les peuples en marche vers la dmocratie! L'galit chrtienne, fruit de l'adoption divine, appelait la constitution des gouvernements dont les formes devaient nous acheminer vers ,ce bienheureux tat politique ! C'est le faire natre que tend le sentiment de notre dignit d'enfants de Dieu et c'est lui qui ralise la fraternit vangliquel C'est cela que chantent nos cloches 1 Voil du pur Lamennais. On n'a qu' se reporter plus haut l'article de M. J. Hugues. Mais comment ces faux dogmes du dmocratisfrie chrtien peuvent-ils tre encore formuls aussi crment aujourd'hui dans un journal catholique aprs la Lettre de S. S. Pie X sur le Sillon ? Aures haben et non audient. Prtons maintenant l'oreille la leon que cet aptre fribourgeois de la dmocratie se sent press d'adresser aux catholiques de France. L'Eglise chantait 1... Et'l'on comprend qu'elle s'accorde ces sublimes fantaisies, puisque, pour ses fidles, elle a les promesses de l'ternelle dure. Mais l'on songe de suite cette autre socit, qui a, elle aussi, ses fidles et ses ennemis, et qui, sans avoir les mmes promesses, subit des assauts formidables et persvrants : je veux parler de la France. Vous connaissez ses mauxl Ils sont incalculables! Et, devant leur nombre et leur tendue, des foules de Franais, dcourags, jettent leurs armes, si toutefois ils ont eu la vellit d'en saisir, et se mettent soupirer des lamentations aussi impuissantes que puriles! Ils n'ont plus qu'un cri : Il nous faut un homme. O est le sauveur de la France? O est le vir extraordinaire qui, dans Vmiettement infini de l'arme de l'ordre, dans l'incertitude des direclions, jettera les premiers linaments de l'union libratrice? Hlas! les Franais attendent un chef de peuples qui dlivrera leur patrie et l'Europe du cauchemar sanglant qui pse sur le sommeil des nations; qui, assez fort pour tablir et assurer la paix, dchargera les peuples de l'crasant fardeau du militarisme. Ils attendent ce qu'ils n'ont pas le droit d'esprer : un phnomne analogue celui qu'opra Jeanne d'Arc, l'hrone du XV sicle, en des temps plus malheureux encore que les ntres I
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C'est une bourde, ou plutt c'est une srie de bourdes, et de mauvais got. Vous avez tort de renchrir l'aveugle sur M. Thellier de Poncheville. Lui ne parlait que des catholiques ou des membres de Y Action Franaise, qui, d'ailleurs, sont justement les moins veules et les moins badauds d e nos compatriotes. Vous ne prenez pas garde que vous insultez et calomniez les catholiques franais. Il y a chez eux des indiffrents et des dcourags, comme il y en a partout. Leur tort a peut-tre plus d'excuse qu'ailleurs. Mais Fribourg n'est pas si loin de notre pays qu'on y soit en droit d'ignorer le magnifique effort dploy par des foules d e Franais pour restaurer la tradition religieuse et nationale, pour rorganiser nos forces religieuses et reconstituer une France catholique, sous le feu mme d'une perscution acharne. Quaint a u phnomne dont vous parlez, vous auriez dit quelque chose de juste, encore que d'inutile et de mal venu de la part d'un -tranger, e n nous avertissant que nous n'y avons pas droit et ne le mritons point. Mais le droit de l'esprer! Est-ce qu'on n'a pas toujours le droit d'esprer de Dieu ce qui est le pur effet do sa misricorde et de sa prdilection? Est-ce que la France du XV sicle y avait plus droit que celle d'aujourd'hui? Et pourtant on le vit alors, ce phnomne . A quel titre prtendriez-vous enlever aux catholiques de France cet espoir, si tant est qu'ils le nourrissent?
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Mais si je vous entends bien, c'est qu'en effet l'intervention klivine serait subordonne un rigoureux i aide-toi et le ciel t'aidera , c'est--dire crue cette intervention ;ne saurait se produire que quand elle n'aura plus rien de providentiel. Voil une conception tout fait digne d'un dmocrate. (Elle rejoint celle expose par M. Hugues. Laissez-nous la libert d'en avoir une autre, quel que soit l'avenir.
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Voyons si j'exagre : A ces Franais, qui excusent trop souvent par cet espoir, leur apathie invtre, qui comptent sur un sauveur problmatique pour sortir d'une situation que leur paresse ou leur gosme a faite ou prolonge, nous rpondrons que le sauveur est l, qu'il est au milieu d'eux, et que c'est... chacun d'eux. Ou, vous tous Franais qui vous rpandez en jrmiades sur la patrie agonisante, croyants et patriotes, sachez que vous serez, si vous le voulez, les sauveurs. Songez, avec la fixit du regard qui veut observer fond, songea: Ici la description grandiloquente en trois alinas des flaux dchans par l a perscution. Sur quoi il serait facile d'observer : nous le savons bien, parbleu! mais vous oubliez que les vrais complices de ces attentats, ce sont justement v o s amis les 'dmocrates de toute nuance, qui, par leur faux sentimentalisme, leurs furieuses coquetteries avec nos adversaires, leurs dclamations contre les ennemis de l'intrieur et contre leur intransigeance, par leurs serviles avances au parti anticlrical qu'aucun mpris ne lassait, ont partout sem la vile rsignation sous couleur de prudence et prch le dsarmement en
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chantant des airs criards de conqute. C'est vous, s'il vous plat, devriez-vous leur dire, que ce discours s'adresse. Et celui par lequel La Libert termine parat bien appartenir au rpertoire de la mme fanfare : Quand vous aurez sond enfin, avec l'effroi prcurseur du rveil des courages, l'abme de honte, de dsorganisation, de ruines financires, commerciales et morales o la France risque de s'ensevelir, ce jour-l, vous pousserez le rugissement de l'indignation enfin dbordante et agissante: Au travail, en avant, tousl . Au nord et au midi, du Finistre aux Vosges, les Franais oublieront Jeurs vtilles personnelles. Tomberont alors les vieilles tiquettes, bandelettes nfastes qui comprimaient les nergies momifies; et, aprs une treinte cordiale sous le regard de la libert, toutes les mains travailleront d'enthousiasme au grand uvre de l'organisation rdemptrice. Les rdempteurs ne s'improvisent pas. Aide-toi, le Ciel t'aiderai Mais, ce moment, comme une semence se lve d'un sol fertile et prpar, surgira naturellement l'homme prdestin, s'il en doit venir un, ou l'clan gnral qui ba layera la tourbe maonnique et socialiste pour confier la France des mains vraiment nationales. Oui, mais alors seulement, incarn dans un homme, ou synthtis dans un mouvement collectif, le sauveur aura sa raison d'tre, et trouvera prtes tre utilises, les nergies d'o sortira le salut de la patrie franaise. L. A. W. A h ! qu'en termes galants ces choses-l sont dites Mais, quand je vous avertissais que c'est une bourde! Justement, alors, ce phnomne , que nous n'avons pas le droit d'esprer, n'aura plus, S A RAISON D ' T R E , celle d'un phnomne providentiel, ni mme une raison d'tre humaine, car, lorsque nous aurons ralis nousmmes l'organisation rdemptrice, le Sauveur n'aura plus rien sauver, mais seulement conserver e t maintenir. Et ce n'est pas le regard louche de la libert dont le feu serait capable d'veiller ces nergies et d'en provoquer, d'en maintenir la coordination; c'est le regard de la foi, le regard de Dieu, celui de l'Eglise et de son Chef, dont il faut invoquer tout haut le patronage et suivre franchement la direction. Dans tout cela qu'y a-t-il? des bourdes, accompagnes d'erreurs surprenantes sous la plume de L. A. W. E. B.
ACTION LIBRALE ET UNIONS DIOCSAINES
Sous ce titre : Une prcision , La Correspondance de Rome du 2 juillet relve et commente le passage suivant, extrait du Bulletin de y Action Librale Populaire : Si, comme nous l'avons dit maintes fois, elle (yAction Librale) n'est pas seulement lectorale, elle n'en est pas moins politique et lectorale, et c'est en cela notamment qu'elle se distingue des Unions diocsaines. Le commentaire est celui-ci : Evidemment cette affirmation n'est pas exacte. Il y a des Unions
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diocsaines qui s'interdisent toute intervention sur le terrain lectoral; mais cette abstention est s i peu essentielle aux Unions, que celles qui se proposent de n e pas la pratiquer, sont plus nombreuses que les autres. La distinction essentielle qui diffrencie les Unions diocsaines de l'Action Librale Populaire, c'est ,que les Unions ne sont pas un parti politique. Rien de plus juste. Mais il nous semble qu'on peut prciser encore davantage. C'est d'autant plus opportun que le pioutisme a horreur de la prcision; il la fuit comme le hibou fuit l'a lumire du jour. Il n'a vcu que d'quivoques, et l'on voit qu'il s'en enveloppe encore avec soin. Ce n'est pas l'action politique et lectorale qui distingue l'Action Librale des Unions diocsaines. Ainsi qu'on vient de le noter, nombre de celles-ci se sont fondes pour rgler cette action. Elles entrent au contraire dans l'action politique, en tant que lie la dfense religieuse ncessaire, en quoi elles se sparent en effet de Y Action Librale pour laquelle cette dfense s'organise sur les bases d'un parti politique, la profession de foi rpublicaine. Mais ce n'est pas encore l la diffrence vraiment spcifique, celle qu'on n'a pas le courage d'avouer, et sur laquelle la prsente note cherche justement donner le change. Ce qui diffrencie le plus notamment ce double genre d'organisation, c'est que les Unions diocsaines se placent ouvertement sur le terrain religieux, tandis que Y Action Librale le fuit comme s'il allait la faire s'effondrer. Elle ne se trompe d'ailleurs pas, et c'est pourquoi elle n'ose pas changer son programme hybride de droit commun dans la libert. A son aise I Mais voil aussi pourquoi i l ne faut pas permettre qu'elle se passe un masque.
L'COLE LAQUE,L'COLE NEUTRE,L'COLE CONFESSIONNELLE
Sous ce titre, les Etudes du 5 juillet contiennent un excellent article de M. Macabiau, o sont parfaitement dmontrs le crime de l'cole laque, le droit des catholiques franais l'cole confessionnelle, et envisage l'hypothse de l'cole vraiment neutre. L'cole laque est sans contestation l'cole sans Dieu, l'cole athe. Son crime est de nier l'existence de Dieu, auteur et matre de la vie, universellement reconnu par le genre humain civilis, dont la notion n'est pas seulement fondamentale dans la vie humaine, mais encore absolument ncessaire l'homme pour vivre en tre moral et social, car, si Dieu n'existe pas, il ne peut y avoir d'obligation, ni prive, ni sociale. Ecoutons-le maintenant sur les deux autres formes.
L'COLE CONFESSIONNELLE
En fait d'cole, l'cole laque est l'extrme mal; l'cole confessionnelle (1) 1. Pour tre confessionnelle, l'cole doit runir une double condition : 1 On doit y donner l'enseignement religieux, tel qu'il est approuv par
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(ou plutt l'cole catholique) est l'extrme bien, il ne peut pas y en avoir de meilleure. L'cole laque nie, positivement ou pratiquement, l'existence de Dieu et, consquemment, tout ce qui s'ensuit. L'cole confessionnelle, en gnral, professe, en premier lieu, l'existence de Dieu avec toutes ses consquences; mais, de plus, elle ajoute des dogmes et des prceptes qui ne sont pas contenus dans la loi naturelle et dans les simples donnes de la rai&om, qu'ils compltent en les perfectionnant. Il existe en France trois confessions ou religions, la religion catholique, la religion protestante, qui se subdivise en multiples fractions htrognes, et la religion juive. Les protestants sont environ au nombre de 600.000, les juifs au nombre de 80.000, sur trente-huit millions d'habitants; le reste est, au moins nominalement, catholique. Parmi les catholiques, un nombre considrable est pass dans le rang des apostats: ils sont athes ou areligieux, On se tromperait cependant si l'on croyait que tous ceux qui vivent loigns de l'Eglise sont des libres-penseurs. Beaucoup ont abandonn les pratiques religieuses, mais ils voient de bon il que leur femme et leurs enfants soient des catholiques pratiquants. Si l'on excepte quelques grandes villes et quelques centres mi niers ou industriels, on peut dire que l'immense majorit des familles est catholique pai* un ou plusieurs de ses membres, sans opposition de ceux qui ne le sont pas. D'o il est permis de conclure que l'cole primaire, en France (nous nous limitons celle-l), peut et doit tre catholique. Je ne parle pas des coles libres. Il est vident que tous les parents doivent avoir la possibilit de faire lever leurs enfants dans leur religion et de les confier des matres de leur choix. Il est donc absolument ncessaire qu'ils aient leur disposition, au mains, des coles confessionnelles libres. Et certes, si les catholiques taient au pouvoir, ils se garderaient bien "de fermer une seule cole juive ou protestante. Mais il s'agit ici des coles officielles. L'Etat, dans ses coles officielles, doit rpondre aux lgitimes dsirs, sinon de toutes les familles, au moins, du plus grand nombre. Aujourd'hui, les ides sont perverties, les mots changent de signification : l'cole officielle est la chose de l'Etat; elle n'existe que pour l'Etat. C'est compltement faux. L'cole publique doit exister pour la nation, ou, du moins, pour la grande majorit des familles; elle doit tre officielle, en ce sens seulement que l'Etat en prend l'initiative et qu'il se charge de lui fournir des matres et des subsides (1). On dira, peut-tre, que l'Etat ne doit favoriser aucune confession, au les autorits comptentes de la confession laquelle appartiennent les enfants; 2 une atmosphre religieuse doit rgner l'cole. Pour que l'cole ait ces deux caractres, il ne suffit pas que l'instituteur se borne ne ]>as attaquer de front (ni sournoisement) les dogmes religieux, ou qnc son enseignement ne soit pas implicitement en opposition avec ceux-ci; il faut en outre qu'il y soit rellement et positivement conforme, ce qui n'est possible que si le matre donne la religion la place qui lui revient dans ses nombreux points de contact avec la science, car, dans ces cas, le Bilence quivaut une dngation, et, fort souvent, il est impossible de dissocier l'enseignement scientifique et l'instruction religieuse . (L. Schaetzen, Ligue scolaire catholique belge, 15 octobre 1910, p. 65). Le matre d'cole catholique ne doit pas seulement savoir, sur les matires qu'il traite, ce qui, directement ou indirectement, est conforme ou difforme l'enseignement de l'Eglise; il doit avoir l'esprit catholique et mme l'esprit apostolique. 1. Cette proposition parat bien obscirre. L'auteur ne peut pas vouloir dire que le rgime scolaire doit tre entre les mains de l'Etat.
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dtriment de l'autre, qu'il ne peut pas se prononcer sur leur valeur respective. Mais cette raison, si hautement prne en faveur de l'cole neutre, n'est qu'un sophisme. Il n'est pas question de dirimer un diffrend doctrinal : il s'agit uniquement de faire droit la grande majorit des parents. L'instruction primaire est une dette de l'Etat vis--vis de ceux qui ne sont pas mme d'en payer les frais ; vis--vis des parents catholiques, cette dette ne peut tre paye que par l'instruction catholique. Si l'on refusait d'admettre que la grande majorit des familles, en France, <fit catholique, je pourrais, d'abord, en appeler aux recensements officiels, qui tmoignent de ce fait. Ceux-l mme qui passent pour n'avoir aucune religion se font inscrire comme catholiques. Mais voici une preuve plus dcisive. Placez dans toutes les communes de France une cole de frres, ou une cole notoirement catholique, ct d'une cole laque, donnez aux uns et aux autres les mmes subsides, laissez aux parents toute libert de choisir sans pression d'aucune sorte : si l'cole laque comprend un plus grand, ou mme un gal nombre d'lves, que l'cole catholique, j'avouerai que l'cole officielle peut n'tre pas ou ne doit pas tre catholique. Voil une preuve bien simple. Si vous tes persuad que la majorit des familles ne lient sure l'enseignement catholique, vous ne courez aucun risque et la dmonstration, sera premptoire. Je suis bien sr que vous n'accepterez pas; mais vous ne pouvez nier que l o existe une cole libre, en face d'une cole laque, la grande majorit des enfants frquente la premire et dserte la seconde. Et cependant, l'cole catholique est dnue de ressources et de soutien, tandis que l'cole laque a toutes les faveurs de l'Etat. N'est-ce pas une preuve manifeste que les parents, en immense majorit, optent pour l'cole catholique? Si donc l'cole officielle doit rpondre aux vux du plus grand nombre, elle doit tre catholique. C'est l, il est vrai, un argument d'apprciation qu'on peut toujours luder, mme sans motif : en voici un autre, tir de la nature mme des choses. La religion' catholique n'est pas une simple philosophie : elle repose sur toute une srie de faits indniables. Aussi n'est-ce pas une religion qu'il est permis d'embrasser ou de dserter suivant son bon plaisir. Sans vouloir tablir ici que c'est la religion unique et ncessaire, il faut remarquer qu'on y entre par un acte qui oblige toute la vie. Les parents peuvent ne pas baptiser leurs enfants, mais, par le seul fait qu'ils les prsentent au baptme, ils s'engagent les lever ou les faire lever selon toutes les exigences du baptme. Une fois baptiss, les enfants doivent, au rveil de leur raison, croire ce que l'Eglise catholique enseigne au nom de Dieu, faire ce qu'elle prescrit. Comment pourraient-ils le croire ou le faire, s'ils ne le connaissent pas? Le baptme est donc l'engagement solennel, pris par les parents, de faire donner l'instruction catholique leurs enfants. On pourrait objecter tout l'heure que. sur trente-sapt millions de catholiques franais, il est est beaucoup d'indiffrents : soitl mais il n'en est pas moins vrai qu'en faisant, ou en laissant baptiser leurs enfants, ils se sont engags les faire lever catholiquement. Peu importent leurs convictions personnelles : ils ont pos un acte, qui, de sa nature, engage eux-mmes et leurs enfants; il s'agit de savoir s'il leur est loisible de manquer la parole donne et l'engagement pris pour leurs enfants (1). Tout enfant baptis a droit l'instruction catholique. 1. On a beaucoup reproch M. Jaurs d'avoir autoris la premire communion _ de sa fille; on l'accusait d'inconsquence. Pas du tout. Par le seul fait qu'il avait autoris le baptme de son enfant, il avait implicitement autoris la premire communion. Il n'a t que logique et fidle son engagement.
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Et ici il faut rsoudre une nouvelle objection : elle est spcieuse, mais, loin d'infirmer notre raisonnement, elle ne fait que le fortifier. On accorde grand'peine que l'instruction religieuse soit donne aux enfants catholiques, en dehors du local et des heures de classe, par les ministres du culte, si les parents le rclament, mais, en classe, jamais. D'abord, les parents n'ont pas rclamer l'instruction religieuse pour leurs enfants; ils ne peuvent pas s'y opposer, puisque, comme nous venons de 3e dire, ils se sont engags la leur faire donner. Mais et c'est le point qu'il faut mettre ici en lumire - l'ducation, ou, si l'on veut, l'instruction catholique ne consiste pas uniquement dans quelques leons de catchisme. Si la religion catholique n'tait qu'une simple philosophie, il suffirait d'en prendre quelques leons, n'importe quand et n'importe o, sauf oublier le lendemain ce qu'on a appris la veille; mais la religion catholique est essentiellement une vie. Tous les jours, toute heure, dans tout ce qu'il voit et entend, doit se former la mentalit catholique du baptis. Il ne lui suffit pas de ne rien apprendre contre le dogme et la morale de l'Eglise (ce qui est le propre de l'cole neutre); il do'it respirer une atmosphre catholique. Ce n'est pas assez que le matre d'cole soit catholique dans toutes les parties de son programme : lui incombe le devoir d'enseigner explicitement la doctrine chrtienne. Le catchisme, pour des lves catholiques, lait partie intgrante de la classe. De l'autorit, du prestige de l'instituteur doit leur venir cet enseignement. Les matres du jour, avec les journalistes qui les servent et en sont servis, se refusent admettre aucune de ces ides. Mais, s'ils ont la force, ils n'ont pas la raison. Un fait s'impose, qu'ils ne peuvent nier : dans presque toutes les coles de campagne, la totalit des enfants est baptise, dans les villes, & part un trs petit nombre, la proportion des baptiss est, au moins, de 80 p. 100. De ce fait, clatant tous les yeux, il rsulte que les enfants doivent fitre levs suivant les exigences du baptme, c'esL--dire suivant toutes les prescriptions de l'Eglise catholique. Les parents eux-mmes, aprs avoir consenti le baptme, ne peuvent pas s'opposer cette ducation, qui en est la ncessaire consquence. Or, l'ducation catholique est moralement impossible, si l'cole n'est pas foncirement catholique. Nous devons conclure, si nous sommes logiques et de bonne foi, que toutes les coles primaires de France doivent tre catholiques. Ce qui n'empche qu'on n'en puisse ouvrir pour le petit nombre de juifs et de protestants... jamais pour les aLhes. En toute sincrit, je ne crois pas qu'on puisse rien objecter contre ce raisonnement. Mais il s'en dgage une autre consquence, tout aussi ncessaire. Si les lves de toutes les coles primaires de France sont en immense majorit catholiques, ils doivent tre soumis la haute direction et la surveillance des vques. Aux vques appartient le droit de contrler tout l'enseignement qui se donne et tous les livres mis entre les mains des lves. Les parents de qui seuls relvent les enfants ne pouvaient pas prsenter leur fils au baptme, sans le mettre, ipso facto, sous la juridiction de l'vque. Cela ressort ncessairement de la nature mme du baptme. Le baptme el la juridiction piscopale sont absolument insparables : bout baptis qui se soustrait la juridiction de l'vque est un dserteur, un apostat. Je comprends que des incrdules, bien que la plupart baptiss, dnient toute valeur au baptme; ils ne peuvent pourtant pas nier que, parmi les catholiques, telle est la porte de cet acte et que, par suite, en consentant le baptme catholique, les parents consentent mettre leur fils sous la juridiction de l'vque. Une fois pass ce quasi-contrat qui, de sa nature, est irrescindible, les parents ne peuvent le retirer. Bien moins le peuvent-ils ceux qui n'ont aucun droit sur les enfants. Du fait de son baptme, tout baptis doit tre ajunris
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l'vque videmment, en seule matire religieuse et morale jusqu' son dernier soupir, sans que jamais personne au monde puisse le soustraire cette autorit paternelle. L'intervention des vques dans la question des coles primaires (on pourrait en dire autant des coles secondaires et suprieures) n'est donc pas une usurpation, une affaire de parti politique : c'est le plus strict de leurs devoirs, quoique seuls ils aient juger du moment et du mode de le remplir. Nos perscuteurs se plaisent redire que les catholiques ont toute libert de pratiquer leur religion. Mais ils ne prennent pas garde que la libert ncessaire pour tous les baptiss, c'est celle de recevoir une ducation catholique. S'il fallait choisir entre l'ducation non catholique et le fermeture de tous les difices religieux, il ne saurait y avoir un instant d'hsitation. L'cole catholique est pour tous les baptiss la premire et la plus indispensable des liberts. Il est manifeste, en effet, que si les enfants baptiss ne connaissent pas leur religion, il leur sera impossible de conformer leur vue ses croyances et ses prceptes. Nous ne le voyons que trop. D'une part, le baptme les oblige vivre en catholiques, d'autre part, ils sont mis dans l'impossibilit pratique de connatre leurs devoirs de catholiques. Si l'cole sans Dieu prvaut c'est forcment brve chance, la mort du catholicisme en France. Ce dernier point est admis par tout le monde (insuffisamment par certains catholiques); et c'est justement o tendent toutes les lois liberticides de l'cole confessionnelle. Mieux vaudrait le culte dans les granges et les souterrains. Quant au catchisme, qui se fait deux ou trois fois par semaine, je le rpte, ce n'est pas assez pour une ducation catholique, surtout lorsque l'cole vient contrarier ou contredire cet enseignement. Exile de l'cole, la doctrine chrtienne n'apparat plus que comme une connaissance accessoire indigne de retenir l'attention et dont on peut commodment se passer. L'enfant baptis ne doit pas tre clair par une lumire intermittente, fugitive, blafarde; mais par une vive lumire continue ; et cette lumire ne doit pas seulement clairer son intelligence, elle doit rchauffer son cur, enflammer et fortifier son vouloir. La religion est le soleil de sa vie. Il y a droit, un droit absolu et transcendant. Nous n'avons parl que de son devoir d'tre catholique; mais son droit l'emporte, de quelque manire, sur son devoir. Par le baptme, Dieu confre tout baptis le droit la batitude ternelle; lui confre, en mme temps, le droit tous les moyens ncessaires pour y parvenir. Bien que le service de Dieu soit un devoir essentiel et inhrent toute crature, cependant, ce devoir n'a pour objectif iel et pour terme final que les joies ineffables de l'ternit. Or un catholique ne peut servir Dieu, comme Dieu le demande, s'il ne pratique pas sa religion. Il a donc autant droit recevoir une ducation catholique, qu'il a droit, par son baptme, au paradis. Et c'est ce droit primordial, le plus lev qu'on puisse concevoir, que l'cole laque foule aux pieds, on privant le baptis de Dieu et de l'instruction catholique. Non, les parents eux-mmes ne peuvent rien contre ce droit; au contraire, c'est le premier qu'ils doivent dfendre, serait-ce contre l'Etat tout-puissant, et le dernier qu'ils puissent sacrifier, ou plutt, celui que, pour rien au monde, ils ne peuvent sacrifier. Riein de plus lgitime que les Associations des pres de famille cour dfendre ce droit intangible de leurs enfants. Si elles mritaient un reproche, ce serait de ne pas embrasser la France entire et de ne pas solliciter avec nergie la cration d'coles officielles primaires purement catholiques. Hlas 1 combien d'hommes ont perdu la foi et l'esprance du bonheur ternel, cause du mpris qu'on fit, aux jours de leur enfance, de ce droit suprieur! Ils seront ternellement malheureux, mais ils le devront ces lacisateurs barbares, qui leur enlevrent la vie de l'me. Personne n'est damn par sa
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faute; mais on peut tre mis dans de si mauvaises conditions, que le salut devient extrmement difficile. On peut juger par l de la responsabilit encourue par les auteurs de ce crime. Concluons que l'cole primaire, en France, doit tre catholique. Rien ne sert de dire que l'Etat n'a pas de doctrine (il devrait tre catholique, ne serait-ce que pour reprsenter dignement la majorit de la nation). En admettant pour un instant cette position, je dirais que justement parce qu'il n'a pas de doctrine, il est tenu de protger la doctrine du plus grand nombre. Tant que le baptme catholique sera tolr, tant que 80 p. 100 des enfants seront baptiss, l'Etat devra fournir aux parents et aux enfants des matres catholiques. Bien plus devra-t-il autoriser toutes les coles catholiques et prives. A cette conclusion, on ne peut opposer qu'une double fin de non-recevoir : la premire : bien que l'Etat professe n'avoir aucune doctrine, il en a une qui consiste affirmer que la religion catholique (il ne s'occupe pas des autres) est fausse et. digne de toute la vindicte des lois; la seconde : enfants, parents, cole, tout doit tre sacrifi aux vues et aux intrts de l'Etat. Sur ce double fondement repose l'cole laque. On disait autrefois l'cole neutre. C'tait bon pour les dbuts de la guerre religieuse : on craignait d'loigner les familles; aujourd'hui, aprs avoir ferm quatorze mille coles catholiques, et la veille peut-tre de dcrter le monopole laque, on n'a plus de mnagements garder ; (1). Il n'y a plus d'cole neutre; l'cole neutre est impossible . Voyons ce qu'il en faut penser. (La suite, relative Vcole neutre, dans notre prochain numro.)
HARO S U R LA CORRESPONDANCE
DE ROME
La presse anticlricale s'efforce de faire du bruit autour d'une information fantaisiste lance par la Klnische Vollczeistuncj contre La Correspondance de Rome; et nos organes catholiques libraux, heureux, eux a'ussi, de saisir une occasion de reprsailles diffamatoires, font cho avec empressement la feuille allemande. Il n'y a pas de couleuvre si norme que cette presse catholique dmo-librale, comme la vaillante Correspondance la qualifie exactement, ne soit prte en pareil cas avaler avec dlices, mais le prsent morceau paratra de digestion plus difficile aux catholiques qui n'ont 1. Dans la sance du 16 fvrier, le ministre de l'Instruction publique avait dnonc Mgr l'vque de Bayonne comme ayant condamn l'enseignement neutre (laque). La rponse ne s'est pas fait attendre, {La Croix, 23 fvrier); elle est sans Tpique. Mgr Gieure cite les coryphes du lacisme, qui condamnent bien plus fort que lui l'cole neutre : MM. Aulaxd, Lafferre, Viviani, Buisson. Qu'il suffise de reproduire ici deux ou trois citations : M. Aulard. La neutralit est une blague, un trompe l'il, un mot vide de sens. M. Lafferre. Si la neutralit tait admise vis--vis de la thocratie et de la Rpublique, elle serait une trahison envers la pense laque et la dmocratie. M. Viviani. La neutralit fut toujours un mensonge (entre des milliers d'autres)... On poursuit cette chimre, pour rassurer quelques timidits, dont la coalition et fait obstacle la loi. M. Buisson. Un pays qui rverait de tels matres (neutres) mriterait, pour sa honte, de les avoir. Tl faut lire toute la lettre de Mgr 'lieure.
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pas cet apptit effrn et furieux. Il ne s'agit pas moins, en l'espce, que d'un dsaveu formel inflig Mgr Benigni par le cardinal Merry del Val. C'est sous cette forme allchante que tous annoncent la nouvelle. Quelle jubilation partout! II faut si peu de chose pour faire le bonheur des malheureux! La dception n'en est pas moins cruelle quand ils s'aperoivent que c'tait un leurre. C'est cependant charit' de les e n avertir. Acquittons-nous de ce devoir. Voici l'information qui a couru aussitt de tous cts. Le protonofcaire apostolique, Mgr Ehses, en remettant hier le second volume sur les actes du Concile de Trente au pape et au sous-secrtaire d'Etat, raconta ce dernier les incidents rcents entre la presse allemande et l a Correspondance romaine. Le cardinal Merry del Val l'a autoris faire la dclaration suivante : La Correspondance romaine n'a aucun caractre officiel ou officieux. C'est simplement une publication prive agissant sous sa propre responsabilit. Le Vatican prend ses dcisions sans se laisser influencer par les indications de la presse, grce un contact continu avec les vques, sans se soucier des exagrations et des gnralisations de l'un ou l'autre parti. Les bruits venant de France, spcialement doivent plutt tre considrs au point de vue de l'antagonisme national, et on ne doit pas les prendre au tragique. La confiance du Vatican envers les vques et les catholiques allemands n'est en, rien branle, et de menue il n'existe aucune raison d'une nouvelle campagne contre les syndicalistes chrtiens professionnels. Hien ne s'est produit qui puisse donner motif au Saint-Pre de changer son opinion, clairement exprime diverses fois au cardinal de Cologne, et spcialement lors de son voyage ' Rome. Admettons cette information pour exacte : que contient-elle de particulier concernant La Correspondance de Rome? Absolument rien. Le cardinal Merry del Val n'aurait fait que rpter ce que la feuille romaine a pris soin de dire vingt fois elle-mme : elle n'a aucun caractre officiel ni officieux. O voit-on l l'ombre d'un dmenti ou d'un dsaveu? C'est simplement la confirmation de ce qui a toujours t affirm. Mais la vracit de cette relation est infiniment suspecte, et, pour mieux dire, absolument invraisemblable. Ce canard a des battements d'aile trop bruyants et crie comme un oison qui se sent le couteau dans la gorge. Affirmons sans crainte que le cardinal secrtaire d'Etat n'a nullement autoris Mgr Ehses faire cette dclaration en son nom. Quand le gouvernement pontifical veut faire savoir quelque chose, ce n'est pas en usant de pareils biais. Le procd qu'on lui prte ici est contraire tous les antcdents. A qui peut-on faire croire que son premier ministre ait choisi ce moyen et qu'il ait voulu discrditeriiKlirectement, par le langage cfu'on lui attribue et qu'il aurait charg Mgr Ehses de faire entendre, un fonctionnaire de son administration, [maintenu par lui la secrtairerie d'Etat mmo aprs sa sortie de charge rgulire, par une favetar spciale qui est une preuve de haute et intime confiance? Le Vatican n e demande pas ses dcisions La Correspondance de Rome, personne n'en toute, mais cela ne dit point qu'il n e se sert pas
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d'elle pour clairer les catholiques sur ces directions, les soutenir et les dfendre. Le jour o il dsapprouverait La Correspondance de Rome, Mgr Benigni serait invit ne plus s'en occuper : tant que ce fonctionnaire du Vatican continuera de l'inspirer, au vu et au pu du Saint-Pre et du cardinal secrtaire d'Etat, tout ce qu'on dira pour en infirmer le crdit prouvera seulement que ses adversaires sont anims d'un esprit d'opposition aux vues pontificales. On fait dire au cardinal que les bruits venant de la France spcialement doivent tre plutt considrs au point de vue de l'antagonisme national . Et le secrtaire d'Etat du Saint-Sige aurait aussi charg Mgr Ehses de rpter cela? Le diplomate qui parle ainsi rside Cologne. C'est clair. Quant la pense du Saint-Sige sur l'opportunit des syndicats chrtiens, sur la faveur leur accorder, elle a t en effet clairement exprime diverses fois, mais dans une note qu'on aurait peine reconnatre ici. Les Dbats, le Matin, et leurs cousins par alliance, nos journaux catholiques libraux, perdent donc leur peine. Mais line feuille q'ui rcolte ici ce qu'elle mrite, c'esL la Libre Parole (faon Bazire et Denais). Le Matin du 19 juillet, qui intitule en gros caractres son article : La Correspondance de Rome dvavoue par le Vatican , ne croit pas pouvoir mieux faire que d'aller rechercher et de reproduire intgralement, s'il vous plat, l'odieux article de ce journal contre Mgr Benigni, que nous avons insr et qualifi il y a plusieurs mois. Deux colonnes d'injures. L'article de la Libre Parole a trouv sa vraie place dans le Matin.
LES
CHRTIENS
SOCIAUX
EN
AUTRICHE
Le Nouvelliste de Lyon donne sur ce sujet un article d'intrt gnral qui mrite d'tre cit. On sait que les lections du mois dernier en Autriche ont t un dsastre pour les chrtiensrsociaux. A Vienne, notamment, sur vingt mandats qu'ils dtenaient au Reichsrath, ils en ont perdu dix-sept, dont neuf ont pass aux socialistes, sept aux libraux, c'est--dire au parti franc-maon bourgeois, et un aux indpendants. M. Gessmann, qui avait succd, comme chef du groupe, au docteur Lueger, longtemps maire de Vienne, a t battu dans la Basse-Autriche. Bref, c'est une dconfiture complte, et elle est d'autant plus remarquable que l'Autriche tait le pays o le parti chrtien-social s'tait constitu, o il avait labor ses formules et dessin son programme, d'o i l s'tait rpandu au dehors et notamment en Franco, le pays enfin o il avait t un moment en passe de conqurir le pouvoir. Quelles sont les causes de cette volution? A coup sr les chrtiens-sociaux avaient affaire forte partie. En Autriche, toute la grande presse sans exception est aux mains des juifs; les catholiques n'ont eux que des journaux de petites villes,
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LA CRITIQUE DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
hebdomadaires ou bihebdomadaires, influents sans doute dans leurs milieux, mais forcment trangers l'orientation de la grande politique et la formation de l'opinion dans le monde des intellectuels. En France, cette droute a t apprcie de deux faons trs sensiblement diffrentes, d'une part par la Vie nouvelle, organe, croyonsnous, de l'Association catholique de la Jeunesse franaise (1), de l'autre par YUnivers. La Vie nouvelle reconnat d'abord que ce groupe des chrtiens-sociaux d'Autriche tait quelque chose de fort htrogne. C'tait |un mlange d'ides chrtiennes et d'ides sociales, tel donnant davantage au catholicisme et tel autre au socialisme. Le parti social-chrtien, disait-elle, se compose de groupes bigarrs. Il est ce qu'et t le ralliement de Lon XIII en France. Avec cela, dirons-nous, on a des coalitions momentanes, mais ces coalitions ne survivent gure aux circonstances ou aux hommes. C'est bien ce qui est arriv Vienne : Lueger mort n'a pas eu de successeur qui impost comme lui la cohsion; puis un nomm Vergani, froiss dans ses ambitions ou ses intrts, a emmen plus gauche l'aile igauche strictement antismite. La Vie nouvelle joint une autre explication, plus suggestive peuttre. Les chefs, dit-elle, ont commis la faute impardonnable de paratre clricaliscr la politique. Nous touchons donc au vif de la question : il s'agit de savoir qui l'emportera, des proccupations religieuses ou des proccupations sociales. Comme la chose se prsentait en Autriche, la question tait ou bien de baptiser le socialisme, ou bien de socialiser la religion, quoique, notre avis, l'un des deux ne vaille pas mieux que l'autre. Le correspondant de l'Univers minente personnalit catholique fort au courant du mouvement international juge l a tactique des chrtiens-sociaux d'Autriche dans un sens diamtralement diffrent, v Il accuse d'abord la conjuration librale internationale et son action par la grande presse de tous les pays, y compris la presse de Vienne, qui marche la main dans la main avec celle de Paris, Berlin, Bruxelles, Romo et Madrid. Soit, niais continuons. Aprs, le correspondant en question accusie l'affaiblissement de la foi, qui est gnral, puis surtout l e flchissement dos principes chez ceux-l jnmes qui se posent en militants. La politique, dit-il, est une grande corruptrice, et les partis qui se constituent pour la dfense de nos principes religieux et sociaux, n'chappent pas certaines infiltrations dsagrgatrices. Alors qu'au dbut de leur action leur attitude tait franche et nette, ils en arrivent attnuer peu peu leurs principes, voiler leur drapeau, cacher leurs traite primitifs sous le masque blafard d'un certain libralisme; et tout cela dconcerte et loigne les catholiques sincres et enthousiastes; tout cela nerve la masse des popu1. La Vie Nouvelle est l'organe officiel de l'A. C J. F. Son apprciation est sugtigesve. (N. D. L. R.)
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lations et la jette dans les bras d'un libralisme plus accentu : car les foules sont simplistes, elles vont aux couleurs voyantes largement tales. Si tout ce que nous venons de dire se vrifie au point de Ivue religieux, il en est de mme au point de vue social. Tant de groupes catholiques qui avaient pour but primitif la restauration du rgne social de Notre-Seigneur Jsus-Christ dans son intgrit et par lui l'avnement de la justice et de la paix parmi les classes, en sont arrivs insensiblement tre plus sociaux que chrtiens, prparant sans s'en douter une partie de leurs adhrents passer avec armes et bagages au camp socialiste, o ils trouveront moins de rticences et plus d'nergie. Le parti chrtien-social autrichien est une victime de ces lentes dformations et de ces attnuations de fait, qui portent une atteinte profonde la vitalit des principes moteurs d'un parti catholique... La plus grande crainte du parti chrtien-social' autrichien tait toujours d'tre tax de clrical. Un mot chapp un des dputs ecclsiastiques qu'il envoyait la Chambre, caractrise bien cette mentalit : Notre parti n'est pas clrical, disait-il; entre le clricalisme et le libralisme, il existe une opinion intermdiaire, et c'est l'opi nion chrtienne-sociale. A cette dclaration malencontreuse quelqu'un rpondit finement : Il n'y a que le jour et la nuit : ce qui s'insinue entre les deux, c'est le crpuscule. Un autre dput, prtre aussi, ayant t, comme s e s collgues, trait de clrical, protesta contre cette pithte, juge imjurieuse par lui. Voil de petits faits qui expliquent la confusion des esprits, la droute et la dfection. Tout cela est crit pour l'Autriche, mais pourrait l'tre tout aussi bien pour la France. Je croyais entendre parler de l'abb Lemire. Nous connaissons bien, nous autres en France, ces tactiques d'effacement, tout aussi bien que ces complaisances pour les ides socialistes. Sous le faux prtexte que les socialistes ont pris de nous leur programme, nous avons des gens qui travaillent sans rire leur prendre le leur pour de bon. Faisons-nous petits comme chrtiens, semblentils dire, pour nous faire grands et trs grands comme sociaux et sociologues. Et le rsultat? demanderez-vous. Eh bienl c'est le mme qu'en Autriche, cela prs que les chrtiens-sociaux de l-bas ont perdu le pouvoir aprs l'avoir eu, tandis que nous ne l'avons jamais eu qu'en des esprances de plus en plus diffres et lointaines. L'Allemagne elle-mme n'chappe pas ces dissentiments. L-bas, il est vrai, le conflit porte sur une autre question, plus pratique eL moins thorique. Les syndicats ouvriers doivent-ils tre, oui ou non, confessionnels, c'est--dire catholiques? C'est ncessaire, dit-on Berlin; c'est inutile, rpond-on Cologne. De l deux grands courants opposs, celui des syndicats catholiques qui prvalent dans les diocses de Breslau et de Trves, et celui des syndicats simplement chrtiens, dont le centre est Cologne et qui ont malheureusement
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pour -eux nombre d e prtres insuffisamment domins par leur caractre sacerdotal. Entre les deux pgroupes rgne (malheureusement une division vritable, qui de la part des syndicats chrtiens va jusqu' l'hostilit contre les syndicats catholiques. Autant le Sillon contre les syndicats jaunes. On le voit, ce n'est pas en France seulement que les problmes sont poss. Mais ce qui vient de se passer en Autriche et ce lamentable effondrement des catholiques-sociaux peuvent bien nous servir de leon ou tout au moins d'avertissement. On ne lutte pas contre le socialisme en lui empruntant des ides ou des formules; et l'on dfend mal l'Eglise en en rougissant.
SEMAINE RELIGIEUSE ET KERMESSE (suite) Le Nord-Patriote, dirig par M. Robert Havard de La Montagne, ayant cit une partie de nos critiques adresses la Semaine religieuse d'Agen , a reu de M. le chanoine Lespinasse une longue lettre de rectification. Nous l'insrons spontanment, par loyaut, nous l'insrons mme tout entire, quoique l'apologie personnelle de l'auteur n'ait rien voir dans une discussion qui fut tout objective et o son nom tait mme compltement ignor. Voici cette lettre :
VCH D'AGEN,
J'ai reu votre numro du 8 juillet. Si c'est vous qui me l'avez adress, je vous en flicite. Vous avez fait acte de loyaut puisque vous m'attaquiez. Il faut donc que je me dfende. Ces plaidoyers pro domo, devant ces tri-, bunaux de la presse et de l'opinion dont je rcuse la comptence, me rpugnent a priori. Pour m'y dcider, il ne faut pas moins que l'obligation, que m'en fait mon trs distingu et trs aim Evque, soucieux de (mon honneur qu'il estime un peu le sien. I. Je commence par la question Barbier. Vous dites : Les nombreux archevques qui ont donn leur approbation aux admirables efforts de M. l'abb Emmanuel Barbier seront un peu surpris d'apprendre qu'ils ont encourag une vilaine besogne , une uvre trs canaille . J'ai l'honneur, comme on aurait dit au XVIIe sicle, de vous opposer sur ce premier point un formel dmenti. Je n'ai rien dit, absolument rien dit de semblable. J'ai mme dit le contraire, puisque dans la lettre laquelle vous faites allusion et sur laquelle je reviendrai tout l'heurre, j'ai dit M. l'abb Barbier dont je ne connaissais pas jusqu'alors la Revu : Les ides que vous me paraissez soutenir ont t les miennes depuis toujours . Ma querelle avec M. Barbier part d'un tout autre point de vue. Ce que je reproche M. Barbier, re n'est point son uvre doctrinale. Je lui ai Teproch d'avoir prt sa Revue, sans enqute et sans contrle, une correspondance agenaise diffamatoire pour tous mes collaborateurs et auxiliaires dans des ftes de charit organises sous ma direction. Il y avait l
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des prtres, des femmes du monde, de vaillants jeunes gens que j'ai voulu faire respecter. Pour ne toucher que le point principal, j'ai reproch M. Barbier d'avoir imprim, sur la foi de son correspondant, qu'il y avait eu dans nos fles une soire dramatique donne avec le concours d'artistes de mtier, de professionnels de la scne bien authentiques . Or ceci c'est de la diffamation. Le jeune prtre, mon collaborateur charg de cette partie des ftes, s'est adress la Socit de Saint-Genest, de Toulouse, forme et dirige par M. Armand Praviel, catholique militant, publiciste distingu, en vue des seuls patronages et uvres catholiques. Ces jeunes gens nous ont t conduits par notre compatriote Jacques du Puy de Goyne. Les rles de femmes taient' tenus par des professeurs, non des professionnelles. S'il y a eu dans leur faon de concevoir et de dresser leur programme des dtails dsagrables de farouches susceptibilits, il fallait nous les faire observer amicalement. Entre prtres, ce sont les procds qu'on se doit. Nous aurions transmis l'observation nous-mmes ces jeunes gens. Mais je n'ai pu supporter qu'on traitt une socit de jeunes catholiques, du meilleur monde, comme des cabotins; qu'on nous accust nous-mmes d'avoir appel des cabotins, de vouloir baptiser le thtre , d'tre des moralistes libraux , d'accomplir une uvre de dformation dans la mentalit catholique , etc. En vrit ce sont l des normits auxquelles d'honorables ecclsiastiques ne devraient pas tre exposs de la part d'une Revue catholique. Il y a plus. J'ai reproch tout cela vivement M. Barbier. Mais o? Dans une lettre destine la publicit? Pas le moins du monde. Je le lui ai reproch dans une lettre prive, que je lui interdisais mme de pubier. Or, pensant sans doute qu' raison clu ton elle pouvait me nuire, (il l'a publie quand mme. Approuvez-vous donc l'indlicatesse, puisque vous y puisez vos arguments? Entre gens du monde, Monsieur, vous le savez bien, ce procd susciterait une affaire d'honneur . Est-ce parce qu'entre prtres on n'a pas redouter d'affaires d'honneur qu'on est dispens d'agir selon l'honneur? II. Voil pour la question Barbier, qui est un peu vtre d'ailleurs. Maintenant je viens plus directement vous. Ohl c'est sans animositl A mon ge on est un peu blas. Donc, vous avez dform pour vos lecteurs, ma querelle avec M. Barbier. C'est dj grave. Mais vous m'en servez bien d'autres 1 Vous dites que mes opinions et tendances sont bien connues par la campagne que je fis jadis en faveur de la Libert du Sud-Ouest . J'ai l'honneur de vous opposer un second dmenti. Je n'ai pas juger la Libert du Sud-Ouest : des vques, d'minents catholiques la soutiennent : j'aurais mauvaise grce l'improuver. Mais les faits sont les faits. En fait, je lui suis tranger. Je ne la reois pas. Comme vicaire gnral, et dans mon ministre extrieur, je me tiens sur le terrain exclusivement! religieux, en dehors et au-dessus des partis politiques. Comme homme priv, j'ai mes ides et mes fidlits. Loin de combattre le Nouvelliste de Bordeaux, je le reois et le lis tous les jours : son correspondant jagenais est mon ami personnel. Je reois et lis Y Avenir de Lot-et-Garonne depuis sa fondation, et mme avant, car je collaborais au Journal d'Agen qui fut son pre, (en un temps o vous n'tiez peut-tre pas encore n), avec mon excellent ami Jules Ribs. Je reois la Croix, YUniverS, les Etudes, la Bvue thomiste, la Nouvelle Bvue thologique, etc.. Mais en vrit, que l'Inquisition moderne me permette d'arrter l l'talage de mon orthodoxie! Vous me qualifiez de libral . Troisime dmenti. Mais au lieu de m'indigner, j'aime mieux vous fournir d'autres titres que j'ai, et que vous
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ignorez, cette fltrissure I Ma plume me valut, en 1884, une suppression de traitement. Successivement je fus refus en 1887, et en 1890, par Je Gouvernement pour des cures de canton. Je passai frottement dur, en 1893, (aprs des pourparlers de six mois), par l'effort personnel de Mgr Curet-Varin, qui russit encore, en 1899, me faire nommer vicaire gnral. Mais, ds 1903, j'tais redevenu suspect, car M. Dumay, de hargneuse mmoire, s'opposait ce que je fusse agr pour un carme & Rome, parce que j'tais le principal instigateur de la campagne mene contre les Institutions rpublicaines en Lot-et-Garonne, aux lections de 1902 . Libral! voil ce que vous, ni M. Barbier, ne ferez admettre aisment dans les nombreux diocses de France o j'ai prch des retraites ecclsiastiques, Saint-Flour, Cahors, Montauban, Toulouse, Pamiers, Tulle, Bourges, Angers, Autun, Saint-Brieuc, Beauvais, Amiens. On sait avec quels accents mus j'y ai parl du Pape et de l'Eglise, avec quelle vigueur j'y ai fltri le modernisme, mme avant la lettre! Libral! voil ce que vous ne ferez pas admettre votre minent et vaillant archevque, Mgr Delamaire, dont j'ai l'honneur d'tre connu depuis qu'il tait notre voisin, Prigueux. Allons, Monsieur, concluons que vous et M. Barbier avez commis une erreur toujours dplorable sur un champ de bataille; vous avez tir sur un ami. Affirmez hautement les ides : combattez vaillamment pour elles. Mais laissez aux Evques et leurs Conseils de vigilance officiellement tablis le soin de censurer les personnes, s'il y a lieu. Le rle d'accusateur public, en ce temps surtout o la note de libralisme suffit tuer moralement son homme, est tmraire assumer, prilleux tenir. A s'en rapporter aux dlations d'individualits sans mandat, on risque de servir d'instrument la passion et l'injustice. Ce n'est pas r<* que vous voulez, j'en suis sr. Rparez donc, en publiant ma lettre, le prjudice que vous m'avez port et agrez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingus.
LESPINASSE.
Vicaire- gnral. Et maintenant quelques explications pour claircir, mais non pour envenimer la question. M. Lespinasse s'indigne de ce que j'ai publi sa lettre. Sans discuter, mais aussi sans abandonner le point de droit, je me bornerai rappeler la raison que je donnais. Je n'entends pas, disais-je, pie prter au jeu qui consiste exiger le silence d'un correspondant, en so rservant la libert de dire autour de soi qu'il a reu une leon dont il ne se vantera pas. Ce n'tait pas sans motif. Avant d'agir comme je l'ai fait, j'ai eu entre les mains la preuve, signe de M. Lespinasse, qu'il s'affranchissait du silence auquel il prtendait m'astreindre. Pour un fait de ce genre venu ma connaissance, il peut y en avoir vingt autres que j'ignore. On jugera o est l'indlicatesse capable d'amener entre gens du monde une affaire d'honneur. Cette lettre, tout lecteur l'a pu voir, ne contenait nullement la rectification qu'il dit ici m'avoir adresse. II. Lespinasse et t, certes, mieux inspir si, au lieu de se laisser aller des violences injustifiables, il m'avait crit simplement : yo-
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tre bonne foi a t surprise; nos acteurs ne sont pas des professionnels, mais des artistes de bonne volont. Je lui en aurais donn acte loyalement, en apportant l'excuse vidente de cette bonne foi, tire en premier lieu du propre langage de sa Semaine religieuse , car celle-ci a eu bien tort, en ce cas, d'affubler ces honorables amateurs de qualificatifs rservs aux gens de thtre : mre noble, forte jeune premire, jeune premier , comme si elle-mme avait t bien aise de donner le change et de les faire passer pour cabotins. J'aurais ajout que, loin de m'en tenir cette apparence pourtant trs plausible j'avais crit afin de m'informer si elle tait conforme la ralit et que j'ai t induit en erreur par une rponse affirmative. Voil ce que j'ai rpondu dans le Nord-Patriote. Mais, vraiment, c'tait aussi me montrer trop bonne me. D'abord, m'en tais-je pris la troupe? Avais-je qualifi indistinctement ses membres de cabotins et tax de libralisme l'initiative de l'honorable M. Armand Praviel, organisateur de ces reprsentations, ainsi que ce trs estimable auteur s'en plaint dans une lettre, suggre sans doute, qu'il voudrait que j'insre? Pas le moins du monde. Je n'ai rien dit de tout cela. C'est dplacer entirement la question. On voit ce que M. Lespinasse y gagnerait. La critique ne s'adressait nullement M. Praviel et son uvre, qui restent ici hors de cause, mais la Semaine religieuse. Et que disait-elle? Que ce n'est pas le rle d'une Semaine religieuse de faire, mme au profit des bonnes uvres, une rclame outrance en faveur de ces reprsentations thtrales, surtout quand des artistes femmes viennent figurer sur la scne de collges ecclsiastiques, ni d'exalter la moralit d'un auteur comme Jean Richepin, mme propos d'une uvre inoffensive. Tout cela subsiste aprs la dfense de M. Lespinasse. Gela parat encore plus dplac, ajoutais-je, si l'on fait attention au concours de professionnels du thtre, et je relevais l'trange complaisance du rdacteur qui les couvrait de compliments. Or, je constate, aprs ma rectification accorde dans le Nord-Patriote, sur la foi de M. Lespinasse, que le renseignement, ne lui en dplaise, tait parfaitement exact. Voici, de la plume mme de M. Armand Praviel, dans Y Express du Midi du 25 juillet 1911, le compte rendu dtaill d'une tragdie de M. Maurice Magre. YAn Mille, reprsente au thtre du Ramier, Toulouse, pice blasphmatoire, comme le constate le courageux critique o je lis que Mlle Ga.rdena.1 (la forte jeune premire de la Semaine religieuse ), soutint vaillamment l'honneur dramatique de Toulouse au milieu de tous ces artistes de la capitale . C'est donc bien une actrice professionnelle qui a eu les honneurs rpts de la Semaine religieuse d'A.gen et reu nommment les compliments fleuris de M. le Vicaire gnral (1). 1. II faut ajouter, informations prises, qu'elle a quitt le Conservatoire depuis trois ans.
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On peut me qualifier d'nergumne tant qu'on voudra et chercher susciter des indignations contre moi, je persiste dire que c'est l du laxisme pratique, et je n'ai rien retrancher de cet article qualifi, dans la lettre de M. Lespinasse, de trs perfide, trs venimeux et trs canaille; avec l'enjolivure de la police occulte, de la dlation et du vadcardisme. Je dirai seulement qu'en vrit, ce sont l des normits auxquelles d'honorables ecclsiastiques, directeurs de revues catholiques, ne devraient pas tre exposs de la part de respectables vicaires gnraux. En exprimant ces critiques, j'ignorais totalement que la Semaine 'religieuse d'Agen ft dirige par M. Lespinasse et, par consquent, je n'ai pu avoir la pense de mettre en cause ses sentiments personnels. Mais j'avoue que j'aurais t heureux d'avoir en juger autrement que par sa lettre.
E. B.
De son cot, le directeur du Nord-Patriote ajoute :
M. l'abb Emmanuel Barbier, vient de rpondre, avec sa nettet et sa loyaut ordinaires, aux reproches de M. l'abb Lespinasse. Il nous reste dfendre le Nord Patriote contre les dmentis que lui inflige M. le vicaire gnral d'Agen. Nous avions crit que les opinions et tendances de M. Lespinasse taient bien, connues par la campagne qu'il fit jadis en faveur de la Libert du Sud-Ouest. " . Vabb Lespinasse s'lve contre cette assertion. II se dclare M tranger la Libert du Sud-Ouest. Tel est le nud du dbat. Eh bienl que noire minent contradicteur nous permette de lui opposer certain Tapport lu, le jeudi 27 fvrier 1908, au congrs diocsain d'Agen dans la salle des ftes de l'cole Flix-Aunac. Dans ce rapport. M. le vicaire gnral Lespinasse, aprs avoir signal, comme figurant la bonne presse, la Croix et FUnivers, disait: C'est, plus prs de nous, la Croix d, Lot-et-Garoine, une des membre uses filles de la Croix de Paris, anime du mme esprit que sa glorieuse mre, le Bien du Peuple de VAgenais, dont la vie, aprs une premire phase courte mais militante, se prpare refleurir plus largement, transforme non pas teinte, dans la Libert du Sud-Ouest. A vrai dire, M. Lespinasse ajoutait immdiatement.: Ce sont d'antres excellents journaux locaux et rgionaux dont j'aperois des reprsentants dans cette enceinte, qui, quoiaue ne se plaant pas exclusivement sur le terrain catholique et poursuivant des vises politiques, dfendon avec nous la Religion et l'Eglise,, et auxquels nous tendons la main sur le champ de bataille, comme des auxiliaires et des compagnons d'armes.
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Les journaux ainsi viss taient entre autres, le Nouvelliste de Bordeaux et YExpress du Midi, de Toulouse. M. le vicaire gnral leur rendait hommage, mais il se bornait les considrer comme des auxiliaires, comme des compagnons d'armes, alors qu'il plaait dans une sorte de sphre suprieure la Libert du Sud-Ouest, alors en formation, et destine, la suite d'incidents dont le rcit n'aurait pas d'intrt pour notre public du Nord, , concurrencer le Nouvelliste de Bordeaux. Le directeur de VExpress du Midi M. Julien de Lagonde, assistait la sance o M. le vicaire gnral Lespinasse donna lecture de son rapport. M. de
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Lagonde, don! nous avions l'honneur d'tre l'ami et qu'une maladie cruelle a emport prmaturment l'hiver dernier, protesta vigoureusement contre les tendances de ce rapport: M. l'abb Lespinasse ayant rpliqu, M. de Lagonde crivit (Express du Midi, 6 mars 1908 : Je vous remercie, Monsieur le Vicaire Gnral. Je vous remercie d'avoir tenu confirmer avec la rigoureuse prcision du document la complte et parfaite exactitude de l'article auquel vous rpondez. J'avais dit qu'en attribuant la presse catholique et conserva Crice de la rgion un chiffre de tirage infrieur au moins des trois quarts la ralit, vous avez commis une erreur doublement regretfable; car elle discrditait injustement, aux yeux du commerce mridional et de quiconque a besoin de publicit, notre puissance de propulsion; et secondement elle avait pour effet d'garer le parti de la conservation religieuse et sociale sur la valeur relle de ses armes offensives et dfensives, de lui faire admettre, contrairement la vrit, qu'il n'est ni protg, ni soutenu, qu'il est frapp d'infirmit d^ins se? moyens et de rsistance, que son bras est gourd, sa voix impopulaire et sans cho, son pe courte et sans tranchant. J'ajoutais que cette affirmation si prodigieusement inexacte tait de nature dmoraliser des troupes dont il faut au contraire affermir le courage et retremper l'ardeur. Et je ne m'expliquais ce passade de votre rapport que par l'intervention de gens intresss vous fournir des chiffres faux, vous tromper sur la somme de nos forces, de telle sorte que vous fussiez conduit mettre explicitement ou implicitement, mais toujours en con'radc'ion avec la matrialit des faits, cette conclusion: Crons quelque chose, pmsmie de l'Ocan aux Pyrnes arigeoises, il n'y a qu'une pauvre p3tite clientle de 45.000 lecteurs, c'est--dire rien.' C'tait l, Monsieur le Vicaire Gnral le point capital de votre rapport. Je vois avec plaisir que, dans les extraits ci-dessus insrs, il n'en est plus question. Vous passez condamnation. Toute cette partie de ma discussion, de beaucoup la plus importante, reste donc intacte. J'avais signal un fait trs considrable, Monsieur le grand Vicaire. J'avais dit que vous patronnez officiellement un journal q"i n'est pas encore n et qui n'a rendu, par consquent, aucune espce de services; j'avais dt qu'en le nommant, flans votre rapport, de prfrence aux organes qui luttent depuis trente ans pour la bonne cause, vous commettiez une injustice criante l l'gard de ces derniers; j'avais dit que, aux termes de votre travail, hors la Croix, VUnivers, une feuille dfunte et un journal en expectative, il n'existe rien ou si peu de chose, que cela ne vaut vraiment pas l'honneur d'tre nomm. Or, encore une fois je vous remercie, Monsieur le Vicaire Gnral, je vous remercie de mettre sous les yeux de mes lecteurs la preuve clatante de la fidlit de mon analyse. Qu'on cherche, dans nos extraits, si longuement louangeurs l'gard de la Croix et de l'Univers, si tendrement affectueux pour le journal mort et pour le journal hypothtique, qu'on cherche le nom, le simple nom des organes qui. sur place, tous les jours, sans puiser les ressources des catholiques, comme le journal mort, sans faire appel leur bourse, comme le journal hypothtique, sans demander rien quiconque et en Sonnant au contraire tous, ont combattu. les ennemis de l'Eglise, ont maintenu compacts les rangs de ses dfenseurs et recueilli les gens de cur dans une forteresse qui ne s'est jamais rendue. On ne trouvera pas ces noms chez vous. Monsieur le Vicaire Gnral. Ils n'y sont pas. Ah! sans doute, vous consentez reconnatre d'une manire, gnrale qu'il y a-jde-ci, del, dans la rgion, des journaux locaux et rgionaux, excellents d'ailleurs, quoique poursuivant des vises politiques.
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Et vous voulez bien leur accorder le titre logieux peut-tre dans votre esprit, mais, permettez-moi 'de le dire, profondment blessant, notre sens, d ' A U X i L U i R E S de la dfense religieuse. Est-ce que, vraiment, vous avez cru, en nous assignant ce rle infrieur;- en nous reprsentant comme des corps de secours dans une lutte dont nous avons soutenu tout l'effort depuis la premire heure; est-ce que vous avez cru nous rendre justice? Mais nous nous battions avant mme que la Croix ne ft fonde. Mais nous couvrions les champs de bataille depuis toujours. Mais il y a trentetrois ans que, pour ma part, je poursuis, non pas des vises politiques, Monsieur le Vicaire Gnral, mais le triomphe de la vrit religieuse et le salut de mon pays par des moyens qui me semblent les plus appropris ce doubleobjet. Et ces moyens ne sont peut tre pas si draisonnables, si fragiles, si mal choisis, car je vis," ce qui est la premire qualit requise du soldat. Je vis, Monsieur le Vicaire Gnral, alors que vous tes dj mort cinq fois; Et vous lirez cet article dans Y Avenir, ma cration, alors que, de toutes Jes vtres, il ne subsiste pas mme un corpuscule de dbris I Et c'est nous les auxiliaires! C'est nous qu'il suffit de mentionner en bloc, comme des troupes de renfort! C'est nous qui l'on se borne dlivrer un certificat anonyme de bons services, applicable tous et personne, tandis qu'on met nommment au tableau d'honneur des organes prmaturment enterrs aprs une carrire onreuse et strile, ou bien souponns de pouvoir natre un jour et d'apporter... Mais au fait pourrait-on savoir ce qu'ils seraient capables d'apporter? Des nergies nouvelles? Mais les nergies n'ont pas attendu votre mot d'ordre pour se dvouer et pour agir. Des troupes fraches? Mais o donc, mon Dieu, o donc les intrpides athltes dont rien, jusqu' ce jour, n'a rvl le lieu de retraite et de concentration? Une doctrine plus solide? Mais oserais-je dire que si des divergences ont surgi parfois entre nous et certaines Semaines catholiques, certaines- Croix locales, certaines plumes, mme trs haut places dans la hirarchie, la voix de Rome, fulminant des blmes et des condamnations, est venue toujours nous donner raison? La citation.est longue, mais elle prouve surabondamment que nous n'avions pas vis la lgre, M. le vicaire gnral Lespinasse en parlant de ses tendances politiques et de son got pour la Libert du Sud-Ouest. Nos lecteurs savent que le Nord Patriote ne recherche pas les polmiques. Mais cette discussion est de nature les clairer sur les multiples assauts que depuis .le ralliement, la presse catholique et monarchique a d subir. M. Lespinasse ne saurait donc tre tonn, lui qui a jou un rle dans cette campagne, que nous le lui ayons discrtement rappel. Nous aurions prfr ne pas insister. Sa lettre nous a contraint revenir sur un pass douloureux. Faut-il ajouter que ces dissidences n'enlvent rien au respect que nous professons pour la personne et le caractre de M. le vicaire gnral d'Agen? Robert HAVARD DE LA MONTAGNE.
Le Grant :
G.
STOFFEL
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Mais quoi bon craser de ces splendeurs qui n'est point fait pour les comprendre? A quoi bon rendre obligatoires des disciplines qui supposent une vocation inne, une intelligence prpare? Les tudes grco-latines ne doivent pas tre imposes tous, mais ceux qui ont vraiment le sens d'en rpandre l'immortel parfum aprs en avoir cueilli la fleur. Et, ce disant, M. Steeg se rangeait parmi ceux qui portent gaiement le deuil de la culture latine et qui ne voient plus dans les humanits qu'un aimable dlassement de lettrs aristocratiques. Donc il est inutile d'y songer : M. Steeg se lave deux fois les mains; il n'est coupable ni d'avoir enterr 1 latin ni de vouloir l'exhumer. Mais qu'impartent la rhtorique et les ironies d'un ministre? Il s'agit ici du patrimoine national; il s'agit de dfendre la langue de France, la culture franaise et le gnie franais. Un tel dbat ne se tranche point par des fuites lgantes ou de subtiles distinctions. Il faut une solution; si nous ne l'avons pas aujourd'hui, nous l'obtiendrons demain, et je ne crois pas me tromper en disant qu'elle sera conforme aux exigences et aux traditions de l'esprit franais.
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La rforme de 1902, en confondant ou peu prs renseignement moderne et l'enseignement primaire, a t nfaste pour la culture gnrale de l'intelligence nationale. Elle fut l'uvre de quelques nafs qui voulaient toute fin donner la jeunesse franaise une formation plus positive, plus immdiatement pratique, mieux adapte aux conditions de la vie actuelle. Edmond Demolins venait de proclamer la supriorit des Anglo-Saxons et que cette supriorit tait l'uvre de l'cole, anglaise, des programmes anglais. Et la Eormule devint aussitt une sorbe de dfinition dogmatique. C'tait faire preuve de chauvinisme grossier et de sentiments rtrogrades que d'oser mettre en doute les arguments et les conclusions de l'conomiste libral. Dans les salons, autour des tables plus ou moins acadmiques, au fumoir mme, o n discutait prement; et, comme il est mal port de s'obstiner e n des (archasmes condamns, il tait bien rare jque la dernire objection des sceptiques ne s'vanout point dans la fiuane du dernier cigare. Ayant fait son tour de France, l'ide arriva enfin la Chambre. Une enqute fut ordonne; et, durant une anne, assis devant un tapis vert du Palais Bourbon, M. Ribot accueillit les plaintes et les veaux. Ce fut une lgie et ce fut une satire. Tous les crivains, tous les grands penseurs et ceux qui se contentent de passer pour tels, tous les professeurs lunettes et les critiques compas dfilrent l'un aprs l'autre devant le juge d'instruction. Et chacun dposa contre le latin, quelquefois avec des larmes, sans piti
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presque toujours et assez souvent sans raison. A certains mots (du prsident, o n sentait en lui l'homme qui a pass le dtroit, comme Csar passait le Rubicon, et qui rapporta d'outre-Manche, les mots aprs lesquels on n'a plus rien dire. M. Brouardel, doyen de la Facult de mdecine de Paris, tait un peu gn dans sa dposition. Il avait peur d e porter prjudice aux professeurs tablis dans leur chaire et habitus leur programme. Alors, M. Ribot le rassura d'un geste et d'un mot qui eussent paru sublimes en Angleterre. Il dit simplement : Ils luttent pour la vie ! . L e struggle for life domina le procs, et ce fut presque au nom de Darwin et de sa loi de la slection naturelle que le latin, vieux tardigrade inutile et dmod, fut yenvoy au monde des fossiles. D'ailleurs, en nous conviant imiter les Anglo-Saxons, on oubliait de nous dire qu'ils ne suppriment pas toute culture classique, soUjs prtexte de mieux armer la jeunesse en vue des luttes pour la vie. M. J. Richepin le rappelait, oes jours-ci dans le Figaro : Un pays comme l'Angleterre, qui sait coloniser, a donn aux tudes de langues anciennes un dveloppement particulier. Il est notamment une institution dont les Anglais sont trs fiers, puisqu'elle est charge de prparer leur admirable corps d'administratears coloniaux, c'est le Civil service. Or, que demande-t-on ces jeunes gens qui vont (tre chargs de l'organisation pratique d'un pays? Aucune connaissance spciale, professionnelle, mais simplement la preuve qu'ils sont intelligents et laborieux, et pour cela l'tude du latin, du grec, mme du sanscrit ou de l'hbreu, ne leur jparat pas inutile (1). M. Alfred Croiset se permit de signaler ce fait, en 1899, la bonne foi de M. Ribot. J5i le dbat ett t contradictoire, l'honorable prsident n'ei pas manqu de rpondre que l'imitation n'exclut pas le droit de donner l'exemple et que nous devons l'Angleterre le bon service d'achever son programme par l'introduction audacieuse du systme de l a table rase. Et toutes les ttes, mme les mieux faites, tournaient au vent. Il y eut des vertiges inexplicables. Le 14 mai 1894, alors qu'on en tait la premire escarmouche, M. J. Lematre avait crit dans les Dbats : Si je sais le franais, c'est en grande partie parce que je sais le latin . Et quatre ans plus tard, entran par le flot des dnigreurs ignares ou injustes, il s'criait en pleine Sorbonne : J'ai appris pendant dix ians le grec et le latin, et je n e sais pas un mot de grec e t de latin; je ne dois rien au latin, pas mme le talent d'crire en franais. Il ajoutait que l'enseignement des langues mortes, dans les conditions o il est donn, est compltement inutile aux neuf diximes des Franais qui l e reoivent . Et, au lieu d'en conclure h la rforme de l'enseignement dans le sens traditionnel, il criait haro! sur 1. Le Figaro, 5 juillet 1911.
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le latin et sur la culture classique. Au risque de se condamner luimme, il osait publier de ces verdicts par trop sommaires : Il y aura toujours assez d'artistes, de journalistes, d'hommes de lettres. Ce sont des espces qui n'ont pas besoin d'tre encourages . Ceux qui connaissent bien M. J. Lomatre et qui se soUvenaienL d'une de ses confidences : < II y a toujours deux hommes en moi , eurent c le droit de sourire et ils en usrent largement. Un seul homme peut-tre, en toute cette longue trahison, fut logique avec lui-mme et ses ides essentielles. M. Jaurs voyait bien les magnifiques dpouilles que la bourgeoisie abandonnait entre les mains des rvolutionnaires. Il assistait, narquois et passionn, ce spectacle navrant du suicide par snobisme. Ds 1896, dans une discussion sur l'enseignement secondaire, il s'criait la tribune : Je voterai pour l'enseignement moderne, parce que la suppression de la culture classique laquelle, personnellement, je suis de tout mon cur attach, vous portera le coup le plus funeste . Et il concluait en ces termes : Lorsque, il y a cinquante ou soixante ans, oii3 Louis-Philippe, la bourgeoisie est arrive au pouvoir, au gouvernement, aux affaires, elle avait compris alors que le prestige d la seule richesse ne lui suffisait pas, et elle essayait, en appelant sa tte des hommes imprgns de la culture antique, en la dfendant partout, d'ajouter pour elle a u prestige grossier de l'argent le prestige d'une noble culture. Vous faites de singuliers progrs dans la dcadence, messieurs. Et vous paraissez croire aujourd'hui que, dpouills de ce prestige de la culture antique, n'ayant plus que le prestige grossier de la richesse, vous pourrez vous dfendre. Won, messieurs, vous vous dsarmez, vous vous dpouillez, vous (Vous dcouronnez vous-mmes, et voil pourquoi noUs votons avec vous . L'hallali du chef socialiste ne fit mme pas rflchir la bourgeoisie rpublicaine; elle acheva, le cur lger, de se dpouiller et de s e dooUronner. La souveraine tristesse est que la couronne tombait DU front de la France elle-mme et que la rforme quivalait une diminutio cajritis pour notre nation. M. Jaurs se plaait son point de vue troit de chef de parti; il n'y aurait que quelques mots changer dans cette prophtie pour qu'elle soit quelque chose comme le glas de mort de l'esprit et du gnie franais.
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Le clerg de France avait un trs beau rle joUer dans cette crise. Ce rle lui tait indiqu par s e s traditions historiques, impos par s a vocation et ses fonctions. Mgr Dupanloup crit dans son livre de la Haute Education : L'tude de la langue latine est quelque chose de si important pour l'Eglise catholique QU'on peut dire que l'usage pratique d e cette langue n'est rien moins que la sauvegarde e t le
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boulevard de ses plus chers intrts (1). Une minute de rflexion aurait suffi au clerg de France puur qu'il comprt bien le sens de cette parole. Evidemment notre rle tait de maintenir contre l'engouement gnral et dans l'universelle trahison. Les lvres du prtre ne prononcent pour ainsi dire que des syllabes latines. Et c'est bien le moins qu'on puisse exiger du prtre qu'il ne soit point une faon de machine formules, un phonographe inconscient de ce qu'il chante, un instrument qui dvide des sons jusqu'au bout de son ressort. L'Eglise veut qu'il comprenne le sens d e son rituel, de son brviaire, de toutes les invocations qu'il adresse aju ciel. Et d'ailleurs cette gloire devait tenter le prtre de France de sauver une seconde fois la culture latine condamne. Les anctres l'ont fait jadis; le mme rle lui est offerL de nouveau, aux environs de 1895. La conscience de son pass doit lui donner la conscience du devoir acfluel. Il est impossible qu'il se fasse le complice des dmolisseurs, qu'il ne s'improvise point pour une heure o u deux l'incoercible gardien des traditions menaces. Il y a vingt ans, le prtre franais parlait le latin, comme sa langue maternelle. Une des plus fires joies de ma vie fut d'entendre, aiu soir d'un examen de licence s lettres, le prsident du jury dire propos de la dissertation latine d'un jeune clerc : Aujourd'hui, il n'y |a plus que les abbs qui sachent composer en latin . Hlas 1 le mot n'est plus vrai depuis quelques annes. A nous aussi on a parl de la supriorit des Anglo-Saxons , d u P. Hecker e t des mthodes nouvelles d'apostolat. On a raill devant nous le traditionalisme troit de la culture sacerdotale, l'archasme de la formation ecclsiastique dans les sminaires franais. On nous parla de Wyseman, de Manning, de Newmann, de Tyrrell... A la bonne heure! Tous ces grands docteurs amricains ou anglais ne s'engonaient point dans un vocabulaire lointain et prim. Ils parlaient la langue de la conscience moderne ; leur prdication n'tait point, comme la ntre, un farci macaronique de textes bibliques et de citations patrologiques. Ils connaissaient leur temps, ceux-l, et ils se faisaient comprendre des hommes de leur temps. D'ailleurs une rforme totale s'imposait la chaire franaise : prcher le dogme et la morale, annoncer les vrits de l'Evangile et les devoirs -du chrtien, il s'agissait bien de cela! < Soyons c sociaux! disaient les jeunes clercs. Ils s'en revenaient de la Semaine sociale peu prs comme les Aptres durent sortir du Cnacle : ils taient lyriques, enthousiastes, pendant vers le monde contemporain des bras de tendresse, prts parler toutes les langues, Une seule excepte peut-tre : cette vieille langue romaine qui donne au prtre un aspect hiratique et surann. Nos arrire-neveux riront nos dpens; telle scne les amusera dont leurs oncles vnrs furent Jes acteurs. Celle-ci, tenez : c'est Marseille, la clture de la Semaine sociale. U n bateau rentro dans le port; le pont est couvert de jeunes
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abbs qui ont ajout une excursion sur la grande bleue d'autres excursions dans le bleu des chimres. On revient maintenant. La brise est douce et parfume. Les abbs sont enivrs des souffles du large; ils entonnent la Marseillaise et le bateau glisse sur les flots a u x harmonies du pieux cantique. Soudain un coup de mistral imprvu dcoiffe les plus lyriques; les chapeaux tombent la mer, et, comme il fait nuit dj et que les ttes tsont suffisamment chaudes, o n abandonne aux vagues nocturnes les couvre-chefs inutiles. Et les bourgeois attabls la terrasse des cafs, sur la Canebire, voient dfiler le monme trange : T, mon bon, une procession! Le lendemain, les chapeliers ecclsiastiques de Marseille firent d'excellentes .affaires. Le malheur est que le mistral moderniste et dmocratique n'a pas lanc la mer que des chapeaux de voyage; il emporta une tradition. La langue latine fut jete par-dessus bord. Elle tait inutile, encombrante, dmode. Les nouveaux Pres de l'Eglise s'appelaient Blondel, Le Roy, Loisy, Lemire, Dabry, Laberthonnire. Ils parlaient franais, ces messieurs. Leur pense tait bien obscure, mais leur langage avait d e s limpidits d'eau claire. Et, quand une fois on a saisi les mots, c'est plus qu'il n'en faut pour tre un grand matre de modernisme et de dmocratie sociale. Aprs cela, on rentrait dans les sminaires..., et la sance continue. Les matres n'osent plus enseigner en latin; on ne les entendrait pas. Les jeunes lvites ont un manuel en langue vulgaire, u n e traduction de la Vulgate, et cela leur suffit. Quand, d'aventure, une phrase latine se risque dans les salles de tours, elle se pare d'une luxuriante floraison de solcismes et de barbarismes. Un pas de plus, crit M. l'abb Guilbert, directeur du Sminaire de l'Institut catholique de Paris, u n pas plus et il sera de bon ton d'ignorer le latin. Le pas a t franchi en certains lieux; et alors on sourit de ceux qui citent en'oore des textes latins dans leurs sermons, de ceux qui ont foi dans l'Utilit des argumentations latines, de ceux qui consultent les sources latines des Pres et des thologiens... (1). Et le courant est tellement violent que certains sminaristes en arrivent souhaiter une liturgie en langue vulgaire. Je m e souviens d'un jeune diacre que je rencontrais, l'an dernier Sils-Maria, dans l'Engaddine. Assis au bord du lac, il lisait un article de VEcclsiastical Review, o le Dr Campbell, d'Halifax, bataillait contre la liturgie latine. Le diacre tait conquis; il ne trouvait'pas la moindre objection opposer au paradoxe amricain. Une seule considration l'inquitait un tant soit peu : Le franais est si peu musical, m e disait-il, qu'il sera difficile de chanter les offices e n notre langue . Et, poussant du pied vers le 1. Revue pratique d'Apologtique, ( 1
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lac un minuscule morceau de rocher, il ajoutait en souriant : Le latin finira comme cela; il est dans le lac! Ce diacre est aujourd'hui lgion. Au lieu de maintenir, i l trahit, il abandonne. Il fait cause commune avec les dmolisseurs. Le maximum d e la conscience dmocratique a mouss chez lui le sens icatholique et le sens franais. Il marche rebours de ses origines et des traditions qui devraient commander sa vie. Et le groupe dont il est se fait tellement dense que le cardinal Satolli crivait, le 27 avril 1909, aux vques de France : Nous avons appris, non sans chagrin, que l'usago du latin, dans certains sminaires, est tellement tombe... qu'il y a lieu de craindre que l'ignorance cle cette langue n'apparaisse jusque dans l'exercice des fonctions sacres . La manie du moderne est u n formidable agent de destruction; elle a dvoy le clerg de France, jusque dans les [habitudes qui sont la gloire de son pass. Sous prtexte de l'adapter aux exigences nouvelles de son ministre, elle le dracine de son sol atavique. Bossuet disait : < Ce que j'ai c appris de style, je le tiens dos livres latins et un peu des grecs . Le jeune clerg de France n'a plus besoin de matres, qu'ils soient grecs ou latins. Il est modem' style, et cela lui tient lieu de tous les ... styles. III Le flau ne svit pas que dans la tribu d e Lvi. Il est VTai que les gnrations issues des nfastes programmes de 1902 ne font q'apparatre au soleil. Cependant la rforme commence de donner ses fruits et la cueillette des primeurs est navrante : une pleine corbeille o dominent la poire blette, le fruit vert et mme... le fruit sec. M. J. Lematre bat sa coulpe avec une touchante contrition; M. J. Richepin lui-mme, le pote des gueux et de l'argot, s'effraie soudain que les gueux pullulent et que l'argot se gnralise. Il n'y a que M. Ribot qui refuse d'ouvrir les yeux. Le 3 juillet, la tribune du Snat, il levait vers le ciel des bras immensment longs et il prononait quelques phrases immensment tristes. Il se rassurait toutefois avec quelques-unes de ces vrits premires qui sont la consolation des pres navrs et deshonors. Il disait : Il est bon d'avoir le culte des lettres anciennes; i l ne faut pas en avoir la superstition... La France e s t un pays latin, mais elle n'est pas un pays exclusivement latin..., etc., etc. . M. Ribot a deux raisons pour ne pas se repentir. La loi est son uvre et il est toujours cruel d'avouer une faute, surtout si cette faute est un crime. Et puis M. Ribot a le respect d e la volont populaire, si sotte qu'elle soit. Il ne serait plus rpublicain sans cette vertu lmentaire. La sagesse et le droit ne sont ses yeux qu'un total de voix. Or, la culture latine a contre elle les sentiments de la majorit, donc il ne peut tre question de la restaurer. Si quelqu'un d i t
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qu'on peut discuter la majorit, qu'il soit anathmo et... ractionnaire. Et pourtant les faits sont l. Ils parlent, ils crient, ils tourdissent les oreilles. Le concert est peu prs unanime des hommes sincres; les uns et les autres, celui-ci avec une franchise brutale, celui-l en des attnuations rougissantes, constatent une diminution, une dgradation de l'esprit public. Les hommes sont moins hommes qui se sont spcialiss trop tt et qu'on parqua tout de suite dans le cercle troit des proccupations utilitaires. En dehors de leur petit domaine ferm, ils sont lamentablement ignorants et inaptes tout le resfe. Leur esprit manque d'horizon et de nettet. M. Plsent, professeur Louis-leGrand, s'exprime ainsi : Les lves nourris de science, gavs de mathmatiques, sont de plus en plus dpourvus des deux qualits principales du mathmaticien : la logique et le raisonnement. Tous les professeurs de sciences vous le diront comme moi . Pas de bon mathmaticien, sans la culture latine. M. Guillain, prsident du Comit des Forges de France, ajoute : Pas de bons ingnieurs sans le latin , et il constate que la plupart des jeunes recrus sont incapables de prsenter leurs ides en des rapports clairs et bien rdigs . Le Conseil d'administration de l'Ecole polytechnique demande qu'on rtablisse les points d'avance pour les lves ayant fait leur ducation classique. Un professeur de droit, M. Ambroise Colin, crit ceci : J'ai pu constater ce fait, assez surprenant au premier abord que les jeunes gens dpourvus d'tudes classiques se reconnaissent en gnral l'infriorit de leur facult de raisonnement . Ils n'enchanent plus les ides, ils ne discernent pas le gnral du particulier, l'argument de l'exemple; les oprations les plus lmentaires du mtier juridique dpassent le niveau de leurs forces intellectuelles. C'est que les humanits ne sont pas seulement une science et une parure. Leur valeur ducative est au moins gale leur valeur d'esthtique. Elles sont une excellente gymnastique de l'esprit, une faon de sport qui dveloppe chez le jeune homme les forces d'analyse et de dialectique. Elles font de lui un tre attentif, qui examine et qui'raisonne. Les humanits sont une discipline, et, de la discipline, on pourrait dire comme de la pit, qu'elle est utile tout . Plus que cela encore : elle est ncessaire. Il est ncessaire pour un jeune homme, quel que soit son mtier, d'avoir l e sens de l'ordre, de la mthode, de l rgle, de l'ternelle logique. Il (ne peut se passer de voir clair et de penser juste, du raisonnement rigoureux et de l'expression lucide, de ce secret de l'art enfin qui donne, non seulement le style de la langue, mais ce que Gthe appelait le style de la vie . Et rien ne vaut peut-tre, pour arriver tout cela, le contact prolong, la familiarit avec la littrature d'un peuple qui se distingue de tous les autres par la belle ordonnance des penses, la clart des expressions et la gravit permanente de sou gnie. Le Pape Lon XIII songeait coup sr au commerce avec ses anctres latins, quand il crivait dans sa lettre du 8 d-
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cembre 1899 : C'est le propre des belles-lettres... de dvelopper dans l ' m e des jeunes gens tous l e s germes de vie intellectuelle et morale, en mme temps qu'elles contribuent donner au jugement de la rectitude et de l'ampleur, et, au langage, de l'lgance e t de la distinction . La littrature latine est comme l'expression de la raison hamaine; elle prend la vie au srieux, e l l e subordonne le plaisir des vaines spculations aux exigences de l'action. Elle est essentiellement morale, religieuse et politique; elle est l'uvre d'hommes qui vivaient on socit et qui ne supposaient pas que l'on put 'Vivre autrement. Joubert disait des Anciens qu'ils rendent le got plus pur, et le sens plus droit . Le mot est vrai, surtout des Romains. Les Grecs sont des dilettantes et des artistes; les Romains sont des hommes let rien d'humain ne leur e s t tranger, ils sont des citoyens et rien de l a cit no leur est indiffrent. Voici d'ailleurs un fait et u n document nouveaux qui font sauter aux yeux la mutilation que la rforme de 1902 inflige aux jeunes intelligences. Le mois dernier, plus de deux cents jeunes gens de l'Universit de Paris, tudiants pour la licence s lettres, tudiants en droit, lves de mathmatiques spciales et de premire suprieure, tous forms par les nouveaux programmes-, adressaient leurs dolances M. Steeg. Cette jeunesse se connat et se juge; elle sent que quelque chose manque en elle et ce quelque chose elle le prcise et le dfinit. Elle dit : Aux discussions thoriques, nous apportons l'appoint de nos observations. N'ayant pas eu, grce la rforme de 1902, de professeur principal en aucune classe, nous avons t tiraills entre toute sorte de professeurs et de mthodes. Et c'est notre premier point, Autrefois le latin, centre des tudes secondaires, en assurait Vunit, et h franais s*en trouvait bien ; comme ni latin ni franais n'ont plus de prpondrance, nous constatons en nous, bacheliers d'hier, le manque des plus lmentaires connaissances de littrature d de grammaire. Et c'est notre second point . Elle ajoute encore que les langues vivantes, les notions superficielles et fragmentaires des sciences physiques, chimiques et naturelles ont charg sa mmoire, rien de plus . Ces adolescents se sentent tiraills , incomplets, autant dire informes. La mmoire leur pse; leur jugement est lger. Ils sont moins hommes et, dans leur dtresse, ils voquent le souvenir d'autrefois, du temps o le latin, centre des secondaires, en assurait l'unit . Il faut que la misre soit bien profonde pour qu'elle s'avoue avec d e telles plaintes par ces jeunes lvres. Ils sont moins hommes, ai-je dit, ceux qui ignorent la langue et la littrature latines; ils sont moins franais surtout. Ahl si vous saviez comme ils parlent et comme ils crivent nos arrivants du dernier bateau! J'attends leur premier roman, leur premier drame, leur premier pome; je n'ai encore, pour les juger, que leurs lettres, leurs discours de tribune et surtout leur dernire composition franaise .
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Le vieux Laharpe affirmait jadis que c'est dans Cicron qu'il faut apprendre parler franais . Il -exagrait peut-tre; il est bien certain en tous cas que c'est dans le dictionnaire latin qu'il faut commencer d'apprendre le vocabulaire de France. Notre langue est latine; elle est la divine fleur qui poussa sur les ruines romaines. Neuf sur dix des mots franais hrditaires viennent de l, et ces ans de la langue en sont les gardiens , comme dit M. Lintilhac. Ce sont eux qui en reclent le Ignie et l'ont maintenu intact, dans la barbarie des vieilles invasions comme dans le torrent contemporain des exotismes et de nologismes. Et c'est pourquoi ceux qui n'ont jamais ouvert le dictionnaire latin sont peu prs perdus dans le dictionnaire franais. Ils ignorent le sens du mot, car ils n'en savent pas l'tymologie, la valeur originale, la proprit initiale. M. Crouzet, professeur au Collge Rollin, s'est amus collectionner les confusions de termes que commettent journellement les nourrissons de l'enseignement moderne. Ils crivent : Son Imminence, le cardinal de Richelieu... Il tait compatible aux maux d'autrui... La famille doit nous inculper les bons sentiments... Et d'autres formules qui dnotent chez eux une singulire tendance au massacre des vocables les plus simples. Pour ma part, j'ai tout un carnet plein de ces phrases et de ces expressions que les modernistes du langage lancent timidement dan. la circulation. La tragdie de Corneille est imprgne d'un souffle hroque... Il ne faut pas que les hommes croupissent au fond de Vchelle sociale... Le cur de J. Racine est empreint de tendresse . Ils parlent sans broncher de la raffinerie du style et de Y emballage vers l'idal. Ils font dans le charabia et le galimatias; la syntaxe, l'orthographe sont traits par eux avec une familiarit qui dconcerte, et la grammaire qui doit rgenter jusqu'aux rois , au dire de l'antique Philaminte, n'est plus qu'une bonne petite servante aux souplesses et aux rsignations hroques. Le jour o ces jnophytes entreront dans la littrature, je vous prdis qu'il y aura du nouveau e n France. Sur ces jeunes lvres, au bout de ces jeunes plumes, notre langue se transforme et se dissout. Dans cinquante ans, elle ne sera plus qu'un dialecte amorphe et polymorphe, une faon de ngre ou d'espranto que les philologues auront toutes les peines du monde rattacher par de vagues liens l'idiome de J. Racine et de Bossuet.
IV
On s'insurge la fin. Cette violente rgression vers la barbarie impatiente les plus rsigns. Il se fait, en ce moment, comme un branlebas gnral. La France se partage e n deux camps : d'un ct, les satisfaits; de l'autre les mcontents. Et les uns et les vautres font le plus beau tumulte du monde.
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Politique , crient les satisfaits. Et ils se bouchent les oreilles < pour ne plus entendre. La rvolte des esprits n'est qu'une insurrection de quelques mauvais esprits, de ces gens chagrins qui ont toujours une larme verser et une plainte exprimer. Et M. Steeg ne veut croire ni la sincrit de ces larmes, ni l'opportunit de ces plaintes: Les rformes, a-t-il dit, ne servent jamais rien. Quand on en fait une. o n e n rclame une autre. II y a toujours des gens pour qui rien n'est pariait . Et puis, M. Steeg est un mystique de la Dmocratie, un de ces hommes qui ne permettent point qu'on doute de l'idole, qu'on touche l'idole, qu'on ose discuter un de ses dogmes ou un de ses rites. Il a lu la ptition, et, prenant l'air inquiet d'un bedeau de temple huguenot qui n'est pas sr du visiteur, il a demand simplement : D'o cela vient-il? Si vous croyez, par exemple que M. Steeg est un naf et qu'il va laisser saboter la Rpublique sous prtexte de littrature, vous vous trompez bien. Il a donc pouss le cri d'alarme, et toutes les oies sacres lui rpondent en chur sur les murailles du Capitole. M. Jean Richepin a beau protester de ses vertus civiques, de son loyalisme rpublicain, de son vieux pass anticlrical; on ne le croit plus. Et les Droits de VhommeAm rpondent sans barguigner : Parmi vos oo-signataires, il y a des noms qui ne s'associeront jamais une action sincre pour la dulture franaise pour et par le Peuple, parce que ces noms sont troitement lis aux partis dont le but est de renverser la Rpublique (1). Et il n'y a rien dire cela. Il est bien vident que le latin menace la Rpublique et qu'il n'y aurait plus de place pour M. Steeg et la tribu criarde des volatiles capitolins en un pays o l'on aimerait Tacite et o l'on comprendrait Cicern. Cependant on pourrait objecter ces gens effars que les grands anctres de 1789 taient truffs de latin et que souvent, au peu d'esprit que ces bonshommes avaient, l'esprit des Anciens sup>plait. On pourrait leur dire enoore : Regardez M. Lintilhac. Est-ce un pur, celui-l? Il incarne, il symbolise la Dmocratie, comme Je Puy-de-Dme ou le Plomb du Cantal rsument d'Auvergne. Et cependant le Condones lui sue par tous les pores!; il est bourr de citations classiques qui lui chappent, comme le son ou l'toupe d'une vieille poupe. Il criait, l'autre jour, au Snat, un mot qui restera coup sr une des plus belles trouvailles de la critique moderne : Virgile n'est que la lune d'Homre! Et M. Lintilhac n'est luimme que le dernier-quartier de J. C. Scaliger, lequel monopolisait en son temps la priode de Cicern et la pense d'Aristote. Vous voyez bien que les humanits n'engendrent pas fatalement la raction et qu'on peut tre la fois Un esprit cultiv et un dmagogue inculte... Oui, on pourrait s'en tirer ainsi, avec des exemples et -des arguments. Et pourtant je crois que les palmipdes du Capitole ont raison, et, 1. Les Droits de l'Homme, 18 juin 1911.
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iiuss-je contrister le zle innocent de M. Jean Richepin, j'affirme que la question de la culture latine est une question politique et que le devoir s'impose de la placer sur son vritable terrain. Avez-vous remarqu d'abord d'o viennent les contradicteurs actuels de M. J. Richepin? Ils fondent un comit qui s'intitule les Amis du franais et de la Culture moderne; ils lancent u n manifeste et ce manifeste est sign de quelques noms qui sont aussi franais que le mien est allemand : Basch, Andler, Hadamard, Lvy-Bruhl, Rosenthal, Weill... J'en passe et des plus symboliques. Chacun de ces noms mriterait une notice. Comme tout cela sonne bien franais! et qu'il serait intressant de tracer la courbe des chemins par lesquels tous ces amis de la culture moderne sont venus jusqu' la frontire franaise!... Les mes sont d'ailleurs aussi franaises que le nom est ...franais. Charles Andler, alsacien d'origine et professeur en Sorbonne, est ce grand humanitaire qui, en 1908, conduisait ses tudiants Berlin et qui rve de civilisation socialiste, internationale . Il se souvient quelquefois de sa province natale, mais pour l'insulter; il estime que les menaces de Bismarck ont rendu l'Alsace hypocrite, sceptique et cauteleuse; elles l'ont refoule dans le clricalisme ou dans le souci abrutissant ot exclusif des intrts matriels . Ch. Andler est un patriote exquis!... Quant h M. Steeg, il a pris le chemin des coliers pour entrer au foyer franais. Son pre, Jules Steeg, tait prussien de naissance. Il affirmait qu'il s'tait fait naturaliser franais en 1857, mais par malheur ses lettres de naturalisation avaient disparu dans l'incendie du sige de Strasbourg. Il est pasteur Libourne en 1877. Depuis sept ans, il ne s'est pas le moins du monde mu de la disparition de l'acte adoptif. En 1877, le parti rpublicain arrive au pouvoir; l'avenir s'ouvre avec de riantes perspectives au huguenot jacobin. Alors, il dploie un zle prodigieux pour tablir, revendiquer, lgaliser sa nationalit. Jules Steeg, pre de M. Thodore Steeg, ministre de l'Instruction publique, est un beau spcimen de ces Franais sous condition qui tout d'un coup adorent notre pays, mais sous rserve expresse qu'il sera le pays de la Rvolution et du ple-mle dmagogique. Tels sont les adversaires nouveaux de l a culture latine. Juifs frachement dbarqus de Francfort ou de Hambourg, huguenots qui s'en viennent de Genve ou d'ailleurs, Franais d'hier ou d'avant-hier pour qui notre langue et notre littrature ne furent qu'une acquisition livresque, barbares et mtques que nous apporta la dernire vague des invasions, ils se coalisent contre la vraie culture nationale. Ils souffrent qu'on les reconnaisse la forme de leur phrase, l'accent de leur parole, ce baragouin qui sent la frontire et m m e le par del de la frontire. Mme de Stal disait un jour de Napolon qui l'exilait de iFrance : L'air de ce beau pays n'est pas pjour lui l'air natal : peUt-il comprendre la douleur d'en tre s-
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par? Je dirais volontiers la mme chose de M. Steeg et consorts : l'air latin n'est pas pour e u x l'air natal, ils ne peuvent comprendre notre douleur d'en tre spars. C'est au nom du principe dmocratique que les jacobins se joignent aux mtques pour proscrire la culture latine. La Dmocratie ne~s'accommode point des privilges et des distinctions; le monde qu'elle conoit et qu'elle s'efforce de raliser par le nivellement universel lui apparat sous l'image d'un paysage plat, sans le moindre pli de terrain, quelque chose de bien tass, d'admirablement uniforme, la brutale galit dans l'unanime mdiocrit. Les aeux rasaient les clochers et mme les chemines parce qu'ils brisent la ligne de l'horizon rpublicain, ils coupaient les plus hautes ttes parce qu'elles sont une insulte la gomtrie dmagogique. Les petits-fils ne coupent plus, ils se contentent d'aplatir. Le rouleau-compresseur remplace le couperet. Ils suppriment les lites et les classes. Plus d'aristocratie intellectuelle! La noblesse de l'esprit est condamne, comme le fut l'autre. La culture latine confre ceux qui la reoivent une distinction suprieure, une lgance morale; elle les fait plus hommes, c'est--dire qu'elle les isole un peu du vulgaire et les exhausse dans la foule. Et c'est l son crime. Ecoutez plutt M. Lanson ses heures de franchise brutale : Si, comme je le crois, crit-il, nous marchons vers un recrutement de plus en plus dmocratique, si le problme de la gratuit, qui est l'ordre dlu jour et sera peut-tre rsolu demain, doit installer la dmocratie mme dans l'enseignement secondaire, c'est notre devoir de nous proccuper de donner notre clientle... un programme et une direction qui lui soient appropris . Et la conclusion de M. Lanson veut qu'on abaisse l'enseignement , qu'on < le rende plus modeste pour lui donner plus de prise . c II y a deux faons de raliser l'galit : ou bien on lve ceux qui sont en bas, ou bien on abaisse ceux qui sont en haut. M. Lanson choisit le second mode : il abaisse, il avilit. Il rejette toute ducation littraire parce que celle-ci ne saurait convenir des enfants de condition humble qui sortent de familles o, Ton n'a jamais lu que le journal et o on ne lira jamais que le journal . Or, c'est pour ceux-ci, avant tout et surtout, que l'enseignement secondaire doit tre dsormais organis. Le latin les dpasse, et, comme dit M. Steeg, il ne faut point craser de ces splendeurs qui n'est point fait pour les comprendre . Alors sacrifions le latin; la dmocratie ombrageuse faisons l'hommage et l'holocauste de nos richesses intellectuelles. L'es^ tomac du primaire est incapable de digrer la forte nourriture qu'on servait depuis des sicles la table de France'. Il n'y a qu'une solution : mettons tout le monde au rgime du brouet noir. Ainsi nous serons tout fait en dmocratie, c'est--dire... en Botie. Et je vous prie de croire que je n'exagre point. Ds 1906, MM.
Lanson efc Brunot proposaient une licence, et mme une agrgation sans latin. Dans le Censeur du 8 dcembre 1906, on pouvait lire une petite note ainsi conue : Un groupe de jeunes professeurs rpublicains et libres-penseurs, dsireux de rendre l'Universit moins conservatrice , de l'adapter aux besoins d'une socit laque et dmocratique, vont fonder une association qui comprendra tout la fois des professionnels et des hommes politiques s'intressant aux questions d'enseignement : ce sera la Gauche universitaire. Elle agira, elle luttera; elle s'apprtera soutenir les ministres de l'Instruction publique, rformateurs et libres-penseurs, il y e n a eu, il y en a, il y en aura, contre les bureaux, les puissants bureaux de la rue de Grenelle qui, eux, demeurent immuabilement ractionnaires, classiques et clricaux . Enfin, les vrais sentiments s'avouent sans artifice; les crtins de la dmocratie universitaire ne prennent plus la peine de dissimuler leur me aigre. Expulser le latin est une uvre laque, digne de tenter l'effort de la libres-pense, de la Sorbonne anticlricale. Le latin est ractionnaire, la culture classique est ractionnaire; le groupe des < jeunes professeurs a jur de l'exterminer. On ne fait e point sa part au flau dmocratique : il faut qu'il fasse table i a s e de tout ce qui reprsente (une distinction et de tout ce qui, de prs ou do loin, ressemble une religion. T'ajoute enfin que, pour le syndicat des destructeurs, la langue latine est comme u n fil mystrieux qui relie notre prsent notre pass. Si jamais le latin disparaissait de notre enseignement secondaire, crivait un jour F. Brunetire, et que l'tude en ft relgue dans nos Universits, c'est de toutes communications avec ses origines ou son pass que nous aurions coup pour ainsi dire presque toute notre jeunesse (1). Au contraire Cicron et Tacite conduisent Bossuet, Virgile Racine, Trence Molire. Supprimez la littrature de Rome, les uvres du grand sicle, v o u s seront peu prs incomprhensibles. J'en eus, un jour, une preuve flagrante. Lorsque j'tais professeur de rhtorique, on fit "dbarquer dans ma classe, un beau matin, toute une escouade de l'enseignement moderne. J'tais charg de les initier aux beauts de notre tragdie classique. Les grands garons prirent place, ouvrirent de grands yeux, de grandes oreilles et d'immenses cahiers. Ils billaient souvent; ils avaient l'air anxieux et ahuri. Un jour, en descendant de chaire, j'avisai le plus intelligent et le moins distrait. Je venais de lire et de mmmenter les Adieux d'Jphignie. N'est-ce pas que c'est beau? lui dis-je. il eut un sourire honteux, demi dcourag; e t tout bas, comme confesse, il murmura ; Oui, a doit tre beau; mais je n'y comprends rien! Ce jeune homme rsume et symbolise toute une gnration. Elle ne sait pas le latin; on ne l'a point achemine pas pas de nos origines 1. F. Brunetire, Discours de Combat, l
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srie, p. 257.
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vers notre apoge littraire. Les mots, les formes, la langue, les images, les sentiments eux-mmes lui chappent. Elle devine vaguement que a doit tre beau ; mais elle ne comprend pas. Et c'est cela qui fait l a joie du jacobin fanatique. Comprendre, c'est peu (prs la moiti d'aimer. Comprendre J. Racine, La Fontaine, Molire, Bossuet, c'est aimer leur pense, se rapprocher de leur idal, communier* tous les souvenirs de gloire que ces noms voquent et l'histoire magnifique de notre pass. Voil le pril. Je connais un abb dmocrate qui le seul nom de Versailles donne des crises de nerfs. S'il vous plat, n'veillez point Louis XIV quand nous avons M. Fallieres, Jean Racine quand nous avons Edm. Rostand... et R. Fauchois, pas mme Bossuet puisque nous avons... M. l'abb Desgranges 1 Les institutions politiques n e sont dfinitivement enterres que le jour o se sont abolies dans la mmoire des hommes les 'splendeurs qu'elles crrent et qu'elles encadrrent. Ah 1 ce passe\ il donne de terribles insomnies M. Lanson, M. Brunot et mme M. Steeg. Us n e dormiront sur les deux oreilles que lorsque la pens et la langue de nos pres seront pour nous des documents trangers, la chose gristre et froide qui n'est plus qu'un dlassement d'rudits et de lettrs. Quel repos c e serait pour e u x si, au seuil de notre histoire moderne, tout d'un coup, ils arrivaient enfin crer un hiatus, cet abme profond kjui ne laisserait plus de communications possibles entre les souvenirs d'hier et les forces d'aujourd'hui I Et, c e repos, ils Je veulent tout prix, ils travaillent se le procurer. Il savent que le latin est la langue de nos origines, le support de pos traditions, et, pour ainsi dire, comme crivait encore F. Brunetire, le fondement de notre connaissance de nous-mmes . Ils savent que l'intelligence et l'amour des lettres latines peut conduire l'intelligence et l'amour de Tordre romain .Le spectre de Ch. Maurras visite leurs banquets. Cet esprit puissant, libr par la culture latine, de toutes les nues du libralisme anarchique, reprenant chaque matin son hymne clair la discipline de Rome, tous les principes essentiels sur quoi reposent les nations, pulvrisant les paradoxes, crevant les outres et groupant autour de lui tous ceux pour qui les sentimentalits dliquescentes ne sont pas une forme suprieure de la vrit, Ch. Maurras hante ces hommes comme un remords. Ils ont assez, et mme un peu trop, d'un adversaire de cette taille; ils n'en viendraient pas bout si, dans la lutte contre l'apostolat de ses ides, ils ne trouvaient des allis imprvus parmi ceux qui ont pourtant la mission d'aller au vrai avec toute leur me et de l'annoncer par toutes les voix. Du peu de latin qu'ils ont appris, une phrase leur demeure : Sublat causa, tollitur effectua. Et, puisque d e la culture latine peut natre et dchaner de telles forces de raction, ils se coalisent contre elle. Sus au latin I le cri de guerre est sur leurs lvres un cri d'effroi. Entre leur camp et le ntre, le dialogue qui s'change est peu
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prs celui-ci : Renoncer au latin, c'est nier nos origines . Et aprs? Renoncer au latin, c'est murer dans le tombeau toutes nos grandes uvres classiques . Et aprs? . Ainsi, cela ne nous fait rien?... Vous levez l'ignorance la hauteur d'un devoir civique2... Vous voulez faire de nos fils des cancres radieux, des espces d'enfants trouvs qui ne sauront rien de leur famille qui n'auront point d'anctres, qui n'auront rien respecter et aimer derrire e u x ? . . . C'est bien cela que vous v o u l e z ? Parfaitement, monsieur! Nous datons de 1789, nous autres... Nous datons de 1902... Notre berceau est l, notre patrie commence l. Nous n'en avons point d'autre! Alors, vive l'Espranto! Pourquoi pas?... Oui, vive l'Espranto! il n'a pas d'histoire, il est tout neuf, il n'voque point de souvenirs'... Vive l'EsprantoI .
b
*
Aprs cela, je ne puis m'empcher d'admirer la douce bonne foi impnitente de M. J. Richepin. Il rpondait, ces jours-ci, ceux qui l'accusent de faire de la politique avec sa campagne pour la culture classique : Je continue rpondre que non. Avec le comit d'honneur qui plane au-dessus de nous, compos de toute l'Acadmie franaise (moins quatre noms), et des trois quarts de l'Institut (peut-tre plus au moment o j'cris; car des noms nouveaux nous viennent encore tous les jours), avec nos comits de direction et d'action o sont reprsentes les opinions les plus diverses, avec l'unanimit de nos v u x ne tendant qu' faire rtablir les humanits et maintenir l'me franaise dans son essence, et enfin, j'ose le proclamer et en tre fier, avec l'indpendance de pense qui fut sans "doute l'unique vertu de ma vie, mais qui m'a valu la prsidence de notre LigUe, avec tant de garanties au-dessus de nous, autour de moi et en moi, je dfie bien qui que ce soit au monde de nous jeter dans la politique malgr nous (1). Le dfi ne peut en imposer ceux qui ont la superstition des sonorits et des gestes hroques. Je sais bien que Lucrce ne fut pas prcisment un clrical, ni Juvnal un royaliste ardent, et que Cicron plaiderait peut-tre aujourd'hui contre les Camelots du roi, ces jeunes Catilinas qui abusent de la patience des consuls. Et M. J. Richepin pourrait me broder sur ce thme facile des variations infiniment pittoresques qui se termineraient, comme une de ses chansons, pai : Ouvrez la porte au petiot! , le cher petiot exil, l'innocent qui s'appelle le latin. Mais quoi bon se leurrer de mots et se farder d'inoffensives intentions? H n'en reste pas moins qu'il y a des antinomie? irrductibles entre l'idal dmocratique et notre vieille ducation nationale, mme rajeunie et rendue accessible un plus grand nombre. Ce que nous voulons si ardemment, si largement, crit 1. Le Figaro, 14 juin 1911.
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encore M. J. Richepin, c'est reconstituer une me unique la France, une me en laquelle toutes les mes de ce pays puissent communier et se fondre (1). Cette me unique n'est sans doute qu'un beau rve, et il faut autre chose que le [traitement commun des humanits pour panser et fermer toutes les blessures qu'une partie de la France a faites l'autre. Et, d'ailleurs, cette me unique , amoureuse du pass, forme au culte fervent de ses gloires littraires, s'vadant par tous les gots acquis du matrialisme actuel, serait un danger permanent pour le rgime dmocratique. Elle postulerait autre chose; il y aurait en elle-mnie des raisons sminales , comme disent les philosophes, d'une rvolte et peut-tre d'une rvolution. Elle succomberait des tentations qui sont souvent mortelles pour le despotisme abject du nombre : elle se souviendrait, elle comparerait; elle sentirait natre et grandir e n elle-mme le regret mlancolique du temps o se faisait tout ce qu'a dit l'histoire , o le grand Franais tait autre chose qu'un baryton de tribune ou un maquignon heureux dans les foires lectorales... Voyez-vous, cher M. Richepin, il y a plus de logique dans la rsistance de vos adversaires que dans les manifestes que vous lancez. Ils se placent sur le terrain politique et vous le fuyez. Ils sont franchement dans le vrai, et vous vans mettez timidement sur un sol vague, sur un sable mouvant qui ne peut donner un solide point d'appui votre lan. Il faut se rsigner au dilemme : ou bien renoncer la culture latine, o u bien... Mais il est des mots qu'il est encore dfendu d'crire aujourd'hui. Je les retiens sur le bout de ma plume. On m'accuserait de mler l'apologie des humanits classiques l'apologie du pouc voir fort , et cela pourrait donner un nouvel accs d'incontinence verbale aux dlicates rosires de la Dmocratie chrtienne.
C. LECIGNE,
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Ainsi, au Congrs diocsain de Nice, M, A. Bofesard, l'un des professeurs les plus rputs des Semaines sociales, tait all prsenter une communication qui offrait ce double intrt d'allcher indirectement et de convoquer expressment les auditeurs qu'il s'agissait de recruter pour la grande manifestation stphanoise. Cette communication, qui a eu l e s honneurs d'une reproduction dans la Semaine religieuse de Lyon, le 9 juin, avait pour titre : Le devoir social du catholique laque vis--vis du prtre . Et certes, on ressent ds l'abord une impression d'dification en voyant l e souci que manifeste un professeur, et non des moindres, de traiter un sujet de cet ordre Mais la surprise nat bien vite la lecture des dveloppements tranges que l'auteur imagine autour de ce thme initialement onctueux. La surprise son tour se mue en dception vritable, quand on aperoit que le but poursuivi par l'auteur se rduisait colporter u n e recommandation avantageuse en faveur des ides < cac tholiques-sociales , lesquelles sont peut-tre toutes sociales, mais ne sont pas toutes rigoureusement catholiques, et aussi en faveur de certaines publications qui n'chappent pas non plus ce mme soupon. Il n'est pas sans intrt, pensons-nous, d'examiner d'un peu prs ces dveloppements, puis de relever les procds de publicit dont ils sont le prologue apparemment ingnu.
I
L'auteur commence par affirmer que le catholique laque, conscient de ses responsabilits et qui s e proccupe de remplir intgralement tous ses devoirs, a une activit sociale et charitable exercer au regard du prtre . Et il ajoute aussitt : Cela parat bizarre, au premier abord . Ehl non, il n'y a rien l de bizarre 1 Le bon sens, et aprs lui le catchisme, enseignent que rhooitne a des devoirs vis--vis de son prochain, vis--vis de ses suprieurs tout d'abjord, et comlrnia, dans la hirarchie religieuse, le prtre figure , l'chelon immdiatement suprieur au lac, les devoirs d e celui-ci vis-vis de celui-l apparaissent comme la chose du monde la plus normale, et donc la moins bizarre . Il y a pourtant, ce n'est pas douteux, quelque chose de bizarre ici, mais c'est dans l'nonc de M. Boissard : qu'est-il besoin, en effet, de recourir toute cette amplification prtentieuse? Croit-on que les devoirs dont il s'agit seront mieux remplis parce qu'on aura fait croire au catholique laque qu'en les remplissant, il exerce une a c t i v i t sociale et charitable , se montre conscient de ses- responsabilits , et se proccupe de T e m p l i r intgralement sa tche? Pour indiquer des devoirs immdiatement perceptibles et d'une simplicit obvie, pourquoi mettre contribution cette terminologie de runion publique?
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La raison que donne M. Boissard de la bizarrerie qu'il craint qu'on n'aperoive en sa thse, est d'ailleurs plausible : Quand il s'agit du prtre, dit-il, on est plus accoutum le voir donner qu' recevoir . Observation assurment juste, et que nous gotons d'autant plus qu'elle vient rencontre de l'orgueil dmocratique, lequel n'aime pas qu'on lui dise qu'il reoit plius couramment qu'il ne donne. Mais venons au dtail des devoirs que M. Boissard entend nous exposer. Le premier dont il parle est un devoir de respectueuse compassion et d'affectueuse motion pour la solitude morale et 1'isolement intellectuel des prtres. Et nous ne nions, pour notre part, ni cette solitude morale , ni cet isolement intellectuel . Nous inclic nions cependant penser que, contre l'une et l'autre, la prparation du sminaire et la vigilance pisoopale avaient pu prmunir assez les prtres, pour qu'il y eit, de la part des catholiques laques, une sorte d'indiscrtion, nous allions dire d'intrusion, prendre l'initiative de leur offrir un concours quelconque ce point de vue. M. Boissard est d'un autre avis, et, pour justifier son sentiment, il nous fait, de la vie du cur de campagne, cette peinture o quelques coups de pinceau sont imprvus : Quand le cur de campagne, mme le plus actif et le plus zl, a rempli toutes les fonctions de son ministre, de son ministre conu de la manire la plus apostolique et la plus large; quand il a dit sa messe et sojn brviaire, fait son catchisme, prpar ou tenu sa runion de patronage ou de cercle d'tudes; quand il a dirig quelque rptition de chant, visit ses malades, confess le petit groupe de ses pnitentes habituelles, song son sermon du prochain dimanche, pioch ou arros son jardin; combien de temps lui restet-il, surtout pendant les longues journes d't o ses paroissiens sont au travail depui.s le point du jour jusqu'au soleil couch, et peu prs inaccessibles d'autres proccupations que les proccupations purement matrielles et professionnelles! Combien de temps lui reste-t-il non employ, dsuvr mme, s'il ne veut pas pcher la ligne ou collectionner les coloptres, et s'il n'a pas le got de beaucoup lire ou les moyens de se procurer des lectures renouveles I. Combien de temps surtout lui reste-il pour sentir l'absence, ct de lui, d'une sympathie la fois discrte et fraternellement compatissante, dispose accueillir affectueusement ses visites, recevoir sans les provoquer les confidences de ses dceptions, de ses peines, ou de ses vaillants espoirs, lui donner un bon avis, une parole de consolation ou un mot d'encouragement! L'intention de ces lignes est d'une excellence non douteuse, encore que nous concevions mal les prtres du diocse de Nice coutant, sanssourire, ce professeur qui leur dresse indirectement un rglement ae vie. Et puis, est-il bien vrai que, pour un cur de campagne, le ministre, s'il veut l'entendre de la manire la plus apostolique et la plus large , doive ncessairement comporter un cercle d'tudes ? Cette mention ne figure-t-elle pas l pour achalander dj les denres ordinaires du march des Semaines sociales? Puis encore, est-ce faire grand honneur aux prtres dont M. Boissard dcrit l'habitus, que de les
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prsumer aussi indiffrents la lecture qu' la pche la ligne ou la recherche des coloptres? Nous savons bien que le sublime voisine comme par hasard avec le grotesque : faudra-t-il recourir cette raison pour expliquer comment un professeur, ayant parler d e cette chose grave qu'est l a vie du prtre, n'a pu le faire sans chopper dans la trivialit ? Ou mieux, n'est-ce pas le travers propre aux courtisans les plus discrets de la dmocratie, de prendre trop aisment le genre vulgaire pour le genre familier?
II
C'est cette mme mprise qu'il faut sans nul doute attribuer aussi l'erreur de goJt qu'a commise ensuite M. Boissard, quand, par les lignes qu'on v a lire, il a prsent des prtres, dans un congrs diocsain, cette dfinition d'eux-mmes/ telle que la conoit l'indiffrence mfiante ou le matrialisme gouailleur d'un trop grand nombre de leurs paroissiens : Ce sont des paresseux, de bons vivants, qui sont pays pour avoir l'air de prier "et pour gner autrui dans la libre jouissance des menus plaisirs de la vie : pour empcher les filles de danser, les hommes de boire, les femmes de dserter l'accomplissement de leurs devoirs d'pouses et de mres, les uns et les autres, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, de se tromper et de se voler qui mieux mieux 1 Au risque de passer pour pousser la dlicatesse jusqu' des limites dmesurment susceptibles, nous tenons qu'on ne peut lire, a fortiori que les auditeurs de Nice n'ont pu entendre, des propos de cette allure sans prouver un rel malaise. N'est-il donc pas possible, encore Une fois, d'avertir le prtre des prventions qui le guettent sans les libeller dans un langage presque poissard? La truculence de la citation ajoute-telle quelque chose la ralit ou l'vidence du fait qu'on dnonce? Ou suffit-il qu'un orateur de congrs professe des complaisances envers la dmocratie, pour qu'aussitt sa verve oratoire s'panche en crudits d'un ralisme peut-tre inconscient, peut-tre voulu, mais aussi fcheux dans un cas que dans l'autre? Un orateur simplement catholique se serait born constater que la mdisance des chrtiens tides ou des dissidents ne se prive pas de dnoncer dans le prtre un censeur incommodant pour la licence ambiante, et tout le monde et compris, sans qu'il flt besoin de dcrire cette licence elle-mme, sans qu'il f|t besoin surtout, parlant des prtres, de leur prsenter des prtres dans la posture de paresseux , de bons vivants , pays pour avoir l'air ... L'inlgance du procd semble d'autant plus choquante qu'en dfinitive, c'est la propagande dmocratique des trente dernires annes
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qui a notoirement mis la mode cette dfinition outrageante et calomnieuse d u Cur de campagne. Sans doute, depuis que le monde est monde, les gardiens de la morale individuelle et domestique portent ombrage quiconque veut s'affranchir de cette morale; mais quand vit-on un rgime politique s'instaurer en un pays en surexcitant let e n exploitant le ressentiment populaire que peut provoquer la vigilance de ces gardiens? c'est cependant le spectacle qui nous est donn depuis trente ans : gouvernants, fonctionnaires, dputs, journalistes, tous ceux qui firent l'uvre de la dmocratie se constiturent qui mieux mieux les dtracteurs passionns de la mission moralisante, prservatrice ou correctrice, du prtre au sein des populations. Un dilettante du semi-dmocratisme, tel que M. Boissard, est-il, aprs cela, bien venu se scandaliser des brocards par lesquels la presse dmocratique a coutume de dmontiser le prtre?
III
Le pis est qu'aprs avoir dpeint, sous les couleurs criardes qu'on vient de voir, l'ide que le peuple des campagnes se fait trop souvent du prtre, M. Boissard nous montre comme suit l'ide que s'en fait le monde de la ville : Bien souvent, il (le prtre) ne rencontre pas plus de sympathie vritable et de comprhension respectueuse de son ministre dans les milieux riches ou demiriches, parmi lesquels il est appel l'exercer. Parfois, il sera reu dans telle ou telle maison o la religion fait partie du programme de vie comme les sports et les relations mondaines ; mais ce ne sera; pas pour s'y voir attribuer la place d'honneur laquelle son caractre lui tonnerait droit, ni pour se voir tmoigner la cordiale dfrence laquelle sa charit toujours en veil et son dvouement lui ont acquis tous les titres; ce sera pour apporter, avec sa soutane, une note de respectabilit dans un ensemble dont on veut maintenir dcente l'avantscne, malgr le dshabill des -ct et les turpitudes des coulisses. L'abb sera donc admis faire un quatrime une table de bridge, mais il sentira "trs bien qu'il est trait, l, avec bien moins de considration que l'avocat sans causes, ou le reporter du journal sans lecteurs, et peine avec un peu plus de condescendance que le matre d'htel I Volontiers nous gagerions que, des deux tableautins qu'on vient ainsi de placer sous nos yeux coup sur coup, le premier n'a t bross que pour justifier l'exhibition du second, auquel on tenait bien davantage. Pour un professeur qui ne rpugne pas flirter avec la dmocratie, le plaisir est mince de censurer la conception qu'elle se fait du prtre; c'est, au contraire, un rgal de choix que de dcrire l'accueil que font aU prtre les milieux riches ou demi-riches . Quelle prcieuse occasion, en effet, de fltrir la vanit, la frivolit, rinfatuation, la morgue, l'hypocrisie, voire la lubricit de ces mi1
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lieux 1 E h ! sans doute, aucune des catgories sociales n'est l'abri des faiblesses humaines, et il n'est pas de doctrine qui garantisse, en fait ni en droit, l'impeccabilit d'aucune d'elles. Mais comment ne pas dplorer la malignit systmatique qui pousse les champions du catholicisme social, sous l'influence de leur dmocratisme inavou mais indniable, dnigrer les milieux riches ou demi-riches ? Le zle qu'ils affectent pour l'honneur du prtre, le souci qu'ils prennent des gards qui lui sont dus, la juste primaut qu'ils feignent de lui souhaiter dans les runions familiales et mondaines, tout cela semble bien ne figurer l que pour fournir le prtexte d'un dnigrement facile, par quoi se font jour les soupons de l'envie et s'assouvissent les vengeances de l'ambition due... L'galitarisme dmocratique opre par voie de nivellement, et le nivellement son tour ne se flatte d'abaisser qu'en prsumant chez autrui la bassesse. De l ces insinuations arbitrairement gnralises, o l'on englobe sans crier gare les milieux riches ou demi-riches , en les dpeignant comme la proie des plus viles passions, masques sous les plus trompeuses apparences. Nous voyons bien ce que gagne, ce vilain jeu, l'orgueil des autres classes qu'on flagorne, mais nous demandons le profit qu'y obtient le catholicisme mme social, et nous n'apercevons nullement, en tout cas, comment la considration du prtre y peut trouver son compte. Le prtre? S'il en est un qui ait jamais t trait de la faon humiliante que M. Boissard s'est complu dcrire, celui-l n*ava.it-il pas u n moyen, deux moyens mme, d'pargner sa soutane l'avanie dont o n parle? Le premier moyen, c'est d'opposer, cet accueil mprisant, tant de dignit, de simplicit triomphante, de vraie grandeur, que la tactique malicieusement prte aux milieux riches ou demi-riches soit finalement djoue; le second moyen, et celui-l est la porte du moins expert, est de fuir purement et simplement d'aussi incivils milieux . Mieux vaut cent fois la solitude la plus dlaisse que l'hypothse mme d'un ddain qui atteindrait ce point, non la personne du prtre, dont lui-mme peut faire bon march, mais son caractre, et l'Eglise sainte, et le Dieu qu'il reprsente. Et puis, serrons de prs, si vous le voulez bien, le problme qui se pose. M. Boissard veut que le prtre, partout o il est reu, le soit son rang, qui est le premier; il veut encore que cet accueil soit sincre. Nous le voulons comme lui. Malheureusement, nous connaissons un prtre qui notoirement accepte d'tre accueilli d'autre sorte, et qui mme met sa coquetterie l'tre d'autre sorte. Or, ce prtre est un des phnix des Semaines sociales, chres M. Boissard. C'est, pour le nommer, l'abb Lemire. Voil plusieurs annes .que l'abb Lemire, prtre infiniment social sinon scrupuleusement catholique, se glorifie d'tre reu dans des milieux coup sr riches , puisque ce sont les milieux gouvernementaux. Aucune promiscuit ne le dconcerte : blocards, juifs, francs-maons, dtenteurs de biens vols,
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anciens prsidents de Rpublique excornmiunis pour signatures d complaisance mises au bas de lois sacrilges et de dcrets sectaires, saboteurs de l'Eglise e n un mot, tels sont les gens auprs desquels il jouit de figurer. Y rencontre-t-il une . sympathie vritable ? peut-tre le croit-il; en tout cas, il n'y trouve certainement pas de comprhension respectueuse de son ministre , pour lequel ces gens-l n'ont que haine el que mpris. S'y voit-il < attribuer la place d'honneur ? alc lons donc! il n'y est admis que comme un paradoxal ornement, quelque chose (rvrence garde) comme le bouffon de la troupe ministrielle. S'y voit-il tmoigner une cordiale dfrence ? les salamalecs qu'on lui prodigue sont l'indigne salaire des reniements qu'on lui impose, et qu'on s'empresse d'exploiter ensuite contre l'Eglise et contre l'ensemble des catholiques. Y apporte-t-il, avec sa soutane, une note de respectabilit dans l'ensemble ? moins encore, car, mme en sa prsence, o n ne prend nul souci de maintenir dcente l'avant-scne , pas plus qu'on ne dissimule le dshabill des -ct o u les turpitudes des coulisses . Croit-on, par ailleurs, qu'il et fait rgner la respectabilit dans le Kursaal d'Ostende, s'il avait fini par ,y donner la confrence pour laquelle il avait accept de prendre date? Nous ignorons, au surplus, s'il est jamais admis faire un quatrime une table de bridge , mais nous savons qu'il fut navement heureux de s'asseoir, cinquime ou pis que cinquime, un banquet organis par les radicaux et les francs-maons des Flandres, o il fut trait avec bien moins de considration que tel avocat sans causes ou tel reporter du journal sans lecteurs : simplement il y joua, pour la politique sectaire, le rle d'une utilit , en change duquel on lui tmoigna peine un peu plus de condescendance qu'au matre d'htel ... Il est fcheux, on l'avouera, qu'aux dolances de M. Boissard sur la solitude mal compense des prtres de campagne, on soit ainsi tent d'opposer la dsinvolture avec laquelle le plus catholique social iies prtres franais a russi s'vader de son isolement d'antan. Mais qui ne voit que cette dsinvolture elle-mme^ avec l'extrme et un peu scandaleuse publicit qu'elle ne pouvait manquer de recevoir, a pu suggrer aux milieux riches ou demi-riches un certain scepticisme touchant les obligations dont ils sont tenus envers les prtres? Pareillement, quand M. Boissard parle de telle ou telle maison o la religion fait partie du programme de vie, comme les sports et les relations mondaines , comment oublier que, soit pour l'abb Lemire, dj nomm, soit pour Marc Sangnier, soit pour tant d'autres, la religion n'est qu'une section , un dpartement du cycle universel, sans aucune prrogative minente, sans primaut d'aucune espce, sans droit d' informer tout le reste a u sens scolastique du m o t ? Les milieux riches ou demi-riches ne sont donc pas seuls errer de de ce chef : il y a aussi les milieux dmocratiques, avec lesquels
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX;
POLITIQUE,
SOCIAL "
IV
Mais voici qu'aprs avoir dplor l'isolement des prtres, et calomni par voie d'hypothse la faon dont certains milieux trompent l'ennui de cet isolement, M. Boissard propose une rforme qui met en cause, non plus la conduite des catholiques laques, mais bien l'organisation mme de l'Eglise : Je ne voudrais pas diminuer en quoi que ce soit le mrite des religieux qui mnent, sous la rgle austre de l'obissance, une existence active ou contemplative. Et, cependant, quel rconfort ceux-ci ne trouvent-ils pas vivre constamment ou se retremper, frquents intervalles, dans la communaut avec d'autres hommes pntrs de la mme foi et enflamms des mmes enthousiasmes? Sans doute, la vie en communaut comporte un certain lot de sacrifices et de renoncements, et il est plus difficile de s'y faire pour ceux qui, pendant un certain nombre d'annes, ont vcu d'une vie tout fait indpendante; et c'est pour cela, probablement, que la vie commune n'est pas bou jours apprcie sa juste valeur dans les presbytres des villes et des bourgs o elle est pratique. Mais, en revanche, quels avantages elle prsente! Elle seule permet de raliser la division du travail, cette mthode si fconde de l'activit humaine. Elle seule permet l'utilisation rationnelle des aptitudes diverses, physiques et morales, de chacun. Il m'a t donn de visiter et d'admirer, il y a quelque vingt ans, ces magnifiques paroisses d'Alsace o, comme Mulhouse, par exemple, un Winterer ou un Cetty, aid de sept, huit ou dix vicaires, pourvoyaient d'une manire parfaite aux services complexes d'une vie paroissiale intensive, chacun des auxiliaires du cur se trouvant spcialement appliqu au labeur pour lequel il semblait le plus particulirement dsign par ses gots personnels ou par sa prparation antrieure. Et j'avais espr que, comme consquence de la Sparation de l'Eglise et de l'Etat, on procderait un peu partout, en France, la constitution de circonscriptions religieuses nouvelles, au centre desquelles un groupement de tro',s O quatre prtres, vivant ensemble, assurerait collectivement le U service de plusieurs anciennes paroisses. Je connais tel diocse o deux anciens directeurs de Grand Sminaire, dsireux de reprendre du ministre actif, et un jeune collaborateur choisi par eux, ont obtenu de leur vque d'tre chargs du service de deux ou trois pet tites paroisses runies en une seule circonscription religieuse; et, sur ce terrain d'exprience, ils ont opr dj de vraies merveilles. Cependant, on n'est pas encore entr largement dans cette voie, parce que, sans doute, on a tenu mnager les transitions et respecter les droits acquis; et parce que l'on n'a pas voulu, ds le lendemain de la Sparation, paratire loigner les prtres de leurs ouailles; parce que, aussi et surtout, la rsidence au sige des paroisses anciennes demeurait jusqu'ici ncessaire pour que les prtres qui les desservaient pussent toucher les indemnits temporaires, dont la loi de Sparation avait prvu le versement, pendant quelques annes. S'engagera-t-on plus rsolument l'avenir, dans la voie de ces groupements
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de plusieurs prtres en un mme centre interparoissial, qui supprimeraient l'isolement et sa dprimante tristesse? Ceci est affaire de Nos Seigneurs les Evoques, et nous n'avons, bien entendu, aucun degr, l'intention de paratre leur donner un conseil, quel qu'il soit, mme trs respectueux, en cette matire. Ce qu'il y a d e meilleur en tout ce passage, c'est videmment la prcaution oratoire et la rserve diplomatique par quoi il se termine. Et, puisque M. Boissard craint tout le premier d'usurper en agitant des problmes o sa comptence est trop aisment recusable, nous nous garderons notre tour d'mettre un avis quelconque sur ce plan de remaniement des circonscriptions ecclsiastiques par la constitution de centres interparoissiaux . Seulement, nous sera-t-il dfendu de signaler, dans le seul fait qu'Un orateur laque a ouvert un avis de cet ordre e n un congrs diocsain, une nouvelle preuve de l'inquitude qui n'a p a s cess d e tourmenter les catholiques sociaux, comme autrefois les soumissionnistos, et qui les pousse, tantt rechercher inlassablement les bases d'un statut lgal nouveau pour l'Eglise, tantt concevoir, pour l'organisation intrieure de l'Eglise spare de l'Etat, des innovations'varies, mais le plus souvent tapageuses? Ces excellentes gens, coup sr, ne pchent pas par un abus du principe : quieta non mover; mme quand ils s'aperoivent qu'ils s'garent en d'inaccessibles sentiers, ils y posent carrment les deux pieds, comme le montre la citation que nous venons de'faire; seulement, n'tait-ce pas dj trop qu'on et donn en spectacle au Congrs diocsain de Nice cette tmraire incursion, qui devait voquer le souvenir du congrs sacerdotal de Bourges? fallait-il encore que la Semaine religieuse de Lyon lui ft un sort? Nous n'insisterons pas autrement sur ce hors-d'uvre, malgr ses mystrieuses allures de ballon d'essai. Nous nous dfendrons notamment d'indiquer que, l o l'Alsace nous montre des prtres solides comme l'abb Winterer ou srieusement dvous comme l'abb Cetty, les marguilliers du catholicisme social auraient tt fait de promouvoir, la tte des centres interparoissiaux , des ecclsiastiques plus agits qu'actifs, plus rhteurs qu'aptres, et, pour tout dire, des abbs dmocrates. Et puis, comment ne pas sourire de l'une des raisons auxquelles M. Boissard attribue l'chec de sa conception interparoissiale? Car enfin, si cette conception devait offrir des avantages souverains, l'argument des rares indemnits servies encore certains prtres mililerait-il assez pour la faire rejeter par NN. SS. les lvques? N'est-ce pas paratre douter du dsintressement du clerg que de prendre en son lieu et place u n tel souci de ses dernires et infimes icrances ? moins que c e soit une faon d'taler son service un zle finalement obsquieux; il est vrai que, du mme coup, l'on fait preuve de civisme envers M. Grnebaum-Ballin, le juif maintenu la direction des cul-
tes, puisque ce petit couplet aboutit recommander la rsidence aux ultimes bnficiaires des reliefs du budget aboli; et cette rminiscence de gallicanisme, six ans aprs l'abrogation de la plupart des articles organiques, a du moins le charme de nous rajeunir. Pour en finir avec ce paragraphe, que M. le professeur Boissard nous permette un redressement philologique : qu'appelle-t-il une vie paroissiale intensive ? J'entends bien qu'il voudrait qu'on dveloppt la vie paroissiale d'une manire intensive , mais si intensif <jufe *pt tre co dveloppement, il ne parviendrait jamais qu' produire Une vie paroissiale < intense . Et ce n'est pas l, de notre part, une c chicane dont il pourrait railler le pdantisme. Non! Si nous relevons ce trait (alors que nous avons, plus haut, laiss passer le mot dsuvr , inopinment appliqu par M. Boissard, non pas au prtre, mais au temps inoccup), c'est que, par cette incorrection, l e professeur des Semaines sociales imprime son crit sa marque de fabrique. Tous, en cette cole, parlent avec une emphase comique qui les entrane, en fin de compte, en des quiproquos lancinants pour le lecteur. L o les braves gens et les catholiques orthodoxes, disent simplement : agir, ces messieurs des Semaines sociales disent : exercer une activit sociale; l o les premiers disent : un homme qui sait ce qu'il vmt, les seconde disent : un citoyen qui a acquis le maximum de conscience civique; l o les premiers disent : vie intense, les seconds disent : vie intensive. Et le reste l'avenant Le bluff des mots suit docilement ici l'extravagance des ides. Mais par quelle impertinence ose-t-on donner ces fantaisies l'estampille de catholicisme social ?
Y
Nous arrivons aux conclusions de l'tude de M. Boissard : ... II est de notre devoir indiscutable d'attnuer, dans toute la mesure du possible, les inconvnients et les souffrances qui rsultent pour nos prtres de la solitude dans laquelle ils sont confins et de l'indiffrence dont on les enveloppe. Ceci, nous le pouvons en donnant nos prtres le sentiment qu'il subsiste des foyers chrtiens o l'on s'intressera toutes leurs uvres et o l'on est respectueusement attach leurs personnes; en les recevant chez nous avec la simplicit accueillante de vrais amis; en les mettant leur aise, sans d'ailleurs laisser dgnrer cette simplicit de rapports en une familiarit qui ne se concilierait pas avec le respect dont nous les devons entourer d'autant plus qu'on le leur mesure plus parcimonieusement ailleurs. Les deux soulignements qu'on vient de voir sont de l'auteur. Et ce n'est pas le second qui nous chiffonne le plus, bien que nous puissions tre inquiets sur l'extension qUe des auditeurs trop zls du professeur catholique-social seraient tents de donner cette consigne de mettre les prtres leur aise : n'en prendra-t-on pas sujet
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pour griser les prtres de rhtorique dmocratique, au point de leur donner, suivant rimmortelle boutade de l'abb Naudet, l'ivresse du verbe ? Mais c'est le premier soulignement qu'il convient surtout de relever : quand, en effet, M. Boissard recommande qu'on s'intresse toutes les uvres des prtres, il est ais de voir poindre cette entreprise de propagande spciale que nous signalions en commenant. C'est sans doute la crainte de l'auteur que, parmi les uvres des prtres, les catholiques soutiennent seulement celles qui ont pour elles la conscration de l'autorit de l'Eglise et la sanction de la tradition, et qu'ils se dsintressent de celles qui ont un caractre de nouveaut ou, pour un motif ou pour un autre, un aspect tmraire. Le toutes spcifi par M. Boissard prparai!, donc habilement les auditeurs de Nice couter le boniment qui devait suivre. Lisez : Nous pouvons aussi, et nous devons exercer vis--vis de nos prtres la charit intellectuelle; chercher les mettre au courant de ce qui se fait ailleurs ; donner un aliment leur curiosit du bien et leur mulation apostolique. Quel secours prcieux n'apporterait-on pas la disette intellectuelle de tel jeune prtre sans ressources en lui offrant, moyennant 10 ou 20 francs par an,
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licite, suivant la vigilance de l'auditeur appel en bnficier; mais n'est-ce p a s grossir les choses que de parler ce propos du devoir social du catholique laque vis--vis du prtre ? Peut-tre serait-il plus lgitime d'invoquer le < devoir du prtre pour l'inviter se dc fier do certaines des thses que ces Semaines accrditent la lgre, se dfier surtout des commentaires dont ces thses sont l'occasion dans les entretiens annexes, spcialement dans les allocutions du banquet de clture. Il est, en vrit, pour le prtre avide d'apprendre et de se former l'action , d'autres sources de rconfort religieux *et de saines jouissances artistiques , de courage et die joyeux entrain au travail . Et quant la < documentation sociale , c'est s e moc quer du prtre que de la lui proposer abondante : tout au contraire, ce dont le prtre a besoin dans ce domaine, ce sont quelques conclusions simples, bien assises, bien motives, point extravagantes, la faveur desquelles la tradition chrtienne continue de pntrer les mthodes nouvelles qu'a pu suggrer l'volution conomique du temps. Aussi bien, quoi serviraient l e s professeurs, y compris ceux des Semaines sociales, s'ils ne se chargeaient pas de faire, dans l'abondante documentation dont ils s'entourent, le tri dont profiteront leurs auditeurs, y compris les prtres, qui frquentent les Semaines sociales? Mais, j'y songe, M. Boissard ne tient peut-tre pas (autrement co que les jeunes prtres s'encombrent d'une documentation sociale abondante : seulement, comme il se proposait de vanter les charmes des Semaines sociales, pouvait-il oublier la documentation , et ne sait-on pas que, pour un catholique social , la vraie documentation doi . tre sociale et, de plus, abondante? Encore une fois, tout ce formulaire est, e n quelque sorte, rituel.
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A peine est-il, aprs cela, besoin de relever les autres rclames que M. Boissard a eu l'adresse d'introduire en son discours pour acheminer celle qui lui tenait le plus au cur. Certes, c'est faire acte de charit intellectuelle que de faciliter u n prtre la lecture d'une revue assez solide pour fortifier ses connaissances, assez loyale pour ne point garer sa droiture, assez vivante pour tenir en veil son got pour les controverses religieuses ncessaires. Mais que valent, ce point de vue, les publications dont M. Boissard a donn les noms? Sa liste, nous l'entendons bien, n'a rien de limitatif, et il n'a prtendu que citer des exemples. Mme nous convenons qu'en la dressant, il a fait preuve d'un adroit clectisme, qui sauve sa rputation d'impartialit. Mais ne risque-t-il pas de faire tort la Bvue pratique d'apologtique, la Bvue du Clerg franais, et surtout aux publications de Y Action populaire de Reims, en les assimilant au Social, de Lyon, que nous ne connaissons pas, et la Chronique sociale de France, que nous connaissons trop? M. Boissard ajoute fort sagement que tout cela demande tre fait avec tact et discernement : que n'en donnait-il l'exemple, en ayant le tact de discer-
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ner entre : 1 les publications de l'Action populaire de Reims, gnralement excellentes; 2 > la Revwd'apologtique < et la Revue du clerg franais, o les insertions fcheuses ne sont que l'exception; 3 la Chronique sociale de France, dont les tendances ont t dnonces ici avec l'ampleur ncessaire?
VI
Aprs les devoirs positifs des catholiques vis--vis du prtre, M. Boissard dtaille, en terminant, leurs devoirs ngatifs. Et ici nous serons presque entirement de son avis. Nous le citons : Si- nous devons nous efforcer de donner nos prtres le sentiment qu'ils ne sont pas abandonns, qu'ils peuvent trouver, l'occasion, auprs de vrais amis, l'appui de respect et de sympathie dont ils pourraient avoir besoin, il faut nous garder soigneusement de paratre les absorber notre usage personnel et les accaparer. Il importe essentiellement que le prtre de paroisse ne paraisse infod aucune famille, aussi honorable et religieuse soit-elle. Evitons donc scrupuleusement de faire de notre cur notre chose, de l'associer trop troitement nos manires de juger les gens et les faits locaux, et de lui faire partager nos amitis et nos animosits personnelles. Si, madame, vous avez, dans telle uvre dont vous vous occupez avec le zle ardent qui vous caractrise, quelque difficult avec la bouillante et
imprieuse Mme ***, ayez le courage de mler le moins possible cette querelle M. le cur, ou M. le vicaire ui bnficie de votre confiance. Il est trs dsirable que M. le cur n'ait pas prendre parti en cette affaire,
aussi importante soit-elle; car M. le cur peut encore, par la suite, avoir besoin de Mme ***, et souvent une rancune de Mre de l'Eglise est plus tenace qu'un prjug de mcrant. Sauf la vulgarit de quelques expressions, tout ce petit morceau est fort juste, une condition toutefois, c'est qu'on en observe l'esprit avec une gale loyaut dans tous les groupements. Non, il ne faut pas accaparer le prtre; non, il ne faut pas l'engager en des querelles personnelles : mais ce scrupule s'impose, ne l'oublions pas, aux catholiques sociaux comme aux autres. Trop souvent, en effet, quand on parle d'un prtre infod une famille, on imagine que cette famille est titre, qu'elle est traditionaliste, qu'enfin (abomination de la dsolation !) elle est royaliste ; mais la crainte de voir le prtre accapar par une telle famille, crainte toute naturelle chez M. Boissard, ne doit pas, nous l'esprons bien, lui fermer les yetax sur les dangers que peut prsenter l'accaparement du mme prtre par une famille complaisante au dmocratisme, car cette autre famille aura tt fait de tourner la tte ce prtre et de l'induire en des maladresses diversement funestes, qui ne laisseraient aprs elles qu'aigreur, rancunes et dceptions amres. Nous commenterons de mme l'avis que M. Boissard, aprs avoir chapitr les dames, adresse aux messieurs :
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LA C R I T I Q U E
DU L I B R A L I S M E
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Et nous, messieurs, gardons-nous plus scrupuleusement encore de compromettre notre cur dans nos dmls de politique locale. Ayons l'abngation de le tenir d'autant plus en dehors de ces dmls que nous pouvons y tre intresss davantage Le prtre qui, comme citoyen, a le devoir de voter, a le devoir aussi de s'abstenir de toute autre activit lectorale, au moins en matire de politique locale. Car avant d'tre, au mme titre que quiconque, citoyen de sa commune, le prtre est le ministre de la misricorde pour tous, dans la paroisse; 1 doit faire faire la premire communion de tous les enfants : des enfants des rouges comme des enfants des blancs; il doit pouvoir avoir accs au chevet de tous les mourants, quelles qu'aient t leurs opinions ou leurs attaches de parti
il doit, par consquent, se maintenir au-dessus de toutes les rivalits locales de personnes. N'ayons jamais, Messieurs, sur la conscience d'avoir fait sortir notre
cur de cette indispensable abstention. Ici encore, s'il y a rciprocit dans la discrtion avec laquelle les divers groupements politiques ou sociaux se comporteront vis--vis du prtre, tout ira bien. Mais cette discrtion s'impose, notre sens, pour des raisons plus hautes que celles dont fait tat M. Boissard. Ni le droit lectoral du prtre, ni l'universalit de son ministre, ne nous semblent uniquement en cause e u cette affaire. La vrit e s t ,que le (ministre sacerdotal est, par essence, exclusif de l'esprit de contention. A l'exemple de son divin Modle, dont l'Ecriture dit que facta est reconciliatio, le prtre apparat comme le mdiateur minent de toutes les pacifications dont sa paroisse peut devenir le thtre. Et p a s n'est besoin de recourir cette considration, triviale en s a forme autant que mdiocre e n s o n fond : Il doit faire faire la premire communion des enfants des rouges comme des enfants des blancs; il doit pouvoir avoir accs a u chevet de tous les mourants . Raison assurment exacte, avons-nous besoin de le dire? mais elle a tant servi, au temps du ralliement, poUr cautionner une foule de capitulations, qu'elle nous met instinctivement en dfiance. A cette poque, en effet, se privait-on d'imposer aux prtres, au nom de cette mme raison, un rpublicanisme obligatoire, lequel, d'ailleurs, faisait fort peu de cas des enfants des blancs , sans russir christianiser efficacement les enfants des rouges ? ce qui, par contre, n'empchait pas les rfractaires d'aller fort lallgrement demander, le ' cas chant, l'absolution des prtres rallis, quand ceux-ci avaient l'me assez haute pour ne la point refuser. Au fond, cette raison terre terre, si on la poussait l'extrme, conduirait le prtre l'indiffrentisme politique, qui demeure, pour le prtre comme pour tous autres, u n e erreur. Quant au droit lectoral, sa valeur intrinsque e s t si ridiculement mince, qu'autant vaudrait, ce nous semble, ne l e point mentionner ici. Il est surtout trange de le faire dans la forme qu'a imagine M. Boissard, quand il dit que le prtre, comme citoyon, a le devoir de voter . Ce doit tre une coquille de la Semaine religieuse de
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Lyon : car nous ne voyons gure o l'honorable professeur aurait pris ce devoir' , qu'aucune loi, notre connaissance, n'impose. Certains catchismes continrent un moment des chapitres sur le devoir lectoral. Mais les rallis, prcurseurs des catholiques sociaux, firent dchirer ces chapitres, la prire des ministres radicaux. En tout cas, mme si les citoyens avaient le devoir de voter , c'est encore de la part du prtre que l'abstention se justifierait le mieux, prcisment pour la raison qu'invoque M. Boissard, quand il juge que le prtre doit s'abstenir de prendre parti , au moins < en matire c de politique locale . Aussi bien s'agit-il l des devoirs du prtre, et non plus du sujet que s'tait assign M. Boissard, c'est--dire des devoirs des catholiques laques vis--vis du prtre. Et nous croyons avoir suffisamment montr comment, dans sa faon d'envisager ces devoirs-l, l'honorable professeur des Semaines sociales avait ml, des vrits certaines, des trangets plus que discutables et d'inadmissibles dformations.
Paul
TAILLIEZ.
LES ORIGINES DU
RATIONALISTES C H R T I E N (0
DMOCRATISME
IV.
Certains catholiques, Lamennais et les siens, cherchent rajeunir l'Eglise par une alliance avec la libert; mais leur tentative est en contradiction avec le principe mme du catholicisme : en affectant une indpendance sauvage, en coiffant le bonnet rvolutionnaire, ils se font protestants. Gr.Weil, L'Eoole Saint-Simonienne, p. 154. Le plus grand grief que Taine ait fait aux actes politiques inspirs par la Rvolution, c'est qu'ils ont t le fruit d'une pense systmatique. La politique est l'art de diriger les affaires d'un pays; de la solution qu'on adopte dpend, non seulement, le bien-tre des citoyens actuellement existants, mais encore l'avenir mme d'une nation. Or, l'on ne traite pas des affaires, et des affaires d'une telle importance, l'aide de quelques axiomes simples et tout abstraits comme ceux d'galit civile et de souverainet populaire. Ce fut pourtant le cas 1. Voir les numros des 1 et 15 juillet, 1 aot 1911.
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permanent des assembles rvolutionnaires et le fond de toute l'histoire du parlementarisme en France. L'on se rappellera cette page de Taine, entre tant d'autres : Jusqu'ici on construisait ou l'on rparait une Constitution comme un navire. On procdait par ttonnements ou sur le modle des vaisseaux voisins; on souhaitait avant tout que le btiment pt naviguer; ton subordonnait sa structure son service; on le faisait tel ou tel selon les matriaux dont on disposait; on tchait d'estimer leur rigidit, leur pesanteur et leur rsistance. Tout cela est arrir; le sicle de la raison est venu, et l'Assemble est trop claire pour se traner dans la routine. Conformment aux habitudes du temps, elle opre par dduction, la manire de Rousseau, d'aprs une notion abstraite du droit, de l'Etat et du Contrat social. D e cette faon et par la seule vertu de la gomtrie politique, on aura le navire idal; puisqu'il est idal, il est sr qu'il naviguera, et bien mieux que tous les navires empiriques. Sur ce principe ils lgifrent, et l'on devine ce que peuvent tre leurs discussions. Point de faits probants, ni d'arguments prcis; on n'imaginerait jamais que les gens qui parlent sont l pour rgler des affaires relles. De discours en discours, les enfilades d'abstractions creuses se prolongent et se renouvellent l'infini, comme dans une confrence d'coliers de rhtorique qui s'exercent, ou dans une socit d e vieux lettrs qui s'amusent . Ceci met pleinement en relief les notions d'idalisme et de ralisme. L'idaliste en politique subordonne toutes les questions nationales, militaires, administratives, financires, commerciales, industrielles conomiques, coloniales, etc., etc., un principe abstrait qu'il applique impitoyablement aux affaires qui se prsentent dans leur immense complexit. Le raliste, s'il place avant tout le bien-tre de la nation, entend bien sacrifier toutes les chimres idologiques, aux multiples questions de tout ordre et dont la premire et la plus importante, celle qui les englobe toutes est, sans contredit, celle du gouvernement du pays. Quand donc nous parlons de la premire cole de dmocratisme chrtien et de Lamennais, une question se pose tout naturellement: Etant donn les principes sur lesquels Lamennais part en campagne, a-t-il parl de la question politique en idaliste ou en raliste? A-t-il t jusqu'au bout fidle son point de dpart? ou si l'on prfre, Lamennais n'chappe-t-il d'aucune faon aux consquences de ses principes libraux? Il |ne sert de rien de se le dissimuler, la question politique est la clef de vote de la question sociale dans un pays et surtout en France l'heure actuelle. Ne le nient plus que quelques attards du ralliement qui n'ont jamais fait autre chose que de la propagande dmocratique et qui s'en vont rptant aujourd'hui tous les chos du dsert o leur mentalit dsute les a laisses : pas de politique! pas de politique!
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Comme si Ton pouvait vaincre le franc-maon et le juif installs au pouvoir pour piller notre pays en toute scurit, sans se placer sur le terrain qu'il ont eux-mmes choisi. Nous ne rsoudrons pas la question par un oui, ni par un non. J'avoue, aprs avoir fouill l'Avenir de fond en comble, qu'il y aurait dvoiler u n Lamennais peu connu encore de nos contemporains et je ne sais pas si tout compte fait, nous n'en viendrons pas, comme les libraux mais pour de tout autres misons, dposer quelques gerbes de fleurs sur le tombeau de l'illustre cole. En tout cas, je ne cacherai pas au lecteur une partie de la vrit, ce qui serait en critique la pire espce de sophisme.
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Lamennais, disions-nous, s'tait laiss imposer par les rationalistes la prtendue loi du progrs indfini. Jugeant la Rvolution franaise et les principes qui l'avaient faite de ce point de vue du progrs, il admettait que la Rvolution tait une phase du progrs continuel que Dieu lui-mme imprimait la Socit. Ce qui vient de Dieu est toujours lgitime. C'est ainsi que pour Lamennais la cause de la Rvolution devenait sacre. Tout naturellement Lamennais en venait juger les bouleversements sociaux, qu'occasionnaient les nouveaux principes politiques, comme des phnomnes inluctables : Les socits, disait-il, sont conduites violemment et par une main invisible et toute-puissante dans l'arne des rvolutions : ce n'est ni calcul, ni prmditation de leur part; elles y sont prcipites, sans qu'elles aient autre chose faire que de se laisser aller (1). Et quand les secousses rvolutionnaires se font moins frquentes e n Europe, l'Avenir dit : Le mouvement qui entrane le monde vers ses destines nouvelles s'est ralenti (2). C'est en considrant le mouvement rvolutionnaire comme ncessaire et lgitime puisqu'il est naturel, c'est en croyant qu'il arrive un moment o les peuples doivent se placer sur le terrain neutre du laisser faire et laisser passer e n matire sociale, que Lamennais fut entran dvelopper ses diffrents points de doctrine librale. Le libralisme, a dit M. l'abb E. Barbier (3), est, pratiquement, la tendance de l'homme se soustraire l'obligation morale de la loi divine. Au point de vue social qui nous occupe, il est la ngation ou la prtention des droits essentiels de Dieu sur la socit, de la dignit surnaturelle et des droits de l'Eglise. La loi humaine n'a pas s'occuper de la religion des citoyens. Que les individus se croient o u ne se croient pas lis envers Dieu, peu importe, l'autorit so1. L'Avenir, 17 oct. 1830. 2. L'Avenir, 9 nov. 1831. 3. Le devoir politique des catholiques franais, p. 53.
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ciale les laisse leur conscience, elle leur demande seulement de ne gner personne, et de ne pas troubler l'ordre public. Mais si l'individu, le citoyen sont libres, l'Etat n e doit pas l'tre moins. / / ne reconnat donc pas de loi religieuse, p a s de dogme positif, pas de droit suprieur a u sien. Comme il doit protection aux citoyens, membres de l'Eglise, il saura, s'il est quitable et prudent, se montrer conciliant avec l'Eglise catholique, non moins, mais pas plus qu'avec les autres confessions; et quels que soient son respect ert sa bienveillance, ils procderont toujours d'un principe purement humain, purement social (1). On n e peut, e n s i peu de mots, donner u n e notion aussi complte et aussi lumineuse de l'essence du libralisme comme de ses applications l'ordre politique. En somme, la tactique librale consiste faire abstraction du catholicisme. Sur le terrain social, le libral catholique n'est plus qu'un citoyen. Et cela m e fait penser u n e fois d e plus - la russite de l a secte maonnique sur ce point-l encore. Je m e rappelle cette phrase du jacobin Rabaut Saint-Etienne, mort du reste sur l'chafaud : Les lumires, disait-il, dans les premires pages de son histoire de la Rvolution, dition de 1807 en s e communiquant bientt aux dernires classes de citoyens, les affranchiront de la plus dangereuse de toutes l e j servitudes, l'esclavage de la pense. Alors on les prtres seront citoyens (lisez libres-penseurs) o u l'on ne voudra plus de prtres . Notre gnration est tellement imprgne des principes dmocratiques, que nous jugeons les thses librales avec un parfait dsintressement de leur porte anticatholi,que. Il nous semble tout naturel qu'on nous parle de la neutralit de VEtai en matire religieuse, de la sparation de l'Eglise et de l'Etat, de la neutralit scolaire (toutes neutralits chimriques), de l'entire libert de la presse. Que voulez-vous I nous avons vcu dans Un milieu tellemient satur d'erreurs et d'utopies, que l'on nous tonne profondment quand on nous montre le vritable enseignement de l'Eglise ce sujet I C'est ainsi que tout le monde a pu entendre ce lien commun sur Lamennais; il tait en avance sur sou poque. De nos jours l'Eglise l'aurait laiss parfaitement tranquille . C'est un raisonnement perfide, car les ides condamnes chez Lamennais n'ont cess d'tre dnonces par les Souverains Pontifes jusqu' nos jours Dirai-je toute ma pense? Un des dogmes essentiels du libralisme, c'est sans contredit la libert do penser et consquemment la libert 1. Cette doctrine antili-brale, qui est celle de l'Eglise, ne dtruit pas/ la libert des consciences. 11 est bien certain que les individus demeurent libres de leurs convictions; mais, ce qui est tout diffrent, le droit d'enseigner des thories subversives de la Socit est un droit contre la Socit et le gouvernement d'un pays catholique doit la socit la protection sous ce rapport. Les Jacobins, sous couleur de libralisme, ont rendu hommage ce principe, ils ont voulu imposer des dogmes la Socit.
LES
ORIGINES
RATIONALISTES
DU
DEMOCRATISME
CHRETIEN
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d'afficher sa pense. Pour un libral, il n'y a pas de monstruosit intellectuelle, il n'existe pas de dogme malsain interdire en vue des dsordres possibles dans l'ordre social. Or, ceci est tellement contre nature et le libralisme est si faux de ce chef, 'que, si l'on y regarde de prs, il n'est pas de pire intransigeants que les dmocrates. Ceuxci n'ont attaqu l'intransigeance de leurs adversaires que pour mieux tablir leur dogmatisme. Les faits ne l'ont que trop montr et l'uvre de la Rpublique e n est un clatant exemple. Je citerai cependant un petit fait qui, sur c e chapitre, en dit fort long. J'ai parl dans le prcdent article des attaques du juif Henri Hertz dans la Dmocratie sociale contre VAction Franaise. L'auteur considrant bien entendu les principes dmocratiques comme la sauvegarde de la socit moderne, crit sur le nationalisme intgral ce passage qui respire un air de tolrance libre-penseuse remarquable : L'exprience exige, certes, que le parti pris demeure le droit quand un individu l'applique soi-mme, elle estime qu'il doit tre justifi quand cet individu l'tend son pays, car autant Y homme est libre dans le domaine de l'abstraction, autant le citoyen qui collabore l'opinion, la conseille et rve de la conduire, demeure tenu un examen de conscience minutieux. Il ne s'agit plus alors de raliser ou de perdre son existence passagre dont on ne doit compte personne, mais de bien peser la responsabilit formidable que l'on assume en face de la, collectivit et de tout ce que des gnrations successives ont mis dans la France (1). Peut-on mieux montrer le nant de l'indiffrence librale? Et remarquez que l'auteur a raison au fond, mais il e s t en complte contradiction avec ses principes. Il existait autrefois une autorit pour faire la dmarcation (2) entre 1. La Dmocratie Sociale contre l'Action franaise, p. 61. 2. C'est ici le cas de montrer comment la doctrine du Nationalisme! intgral entend la libert de penser : c Le catholicisme, religion traditionnelle e de la France, dit Maurras, recouvrera tous les honneurs auxquels il a droit. Un gouvernement d'illettrs et de furieux pouvait seul le lui marchander... Mais il est vident que la libert intellectuelle la plus complte rgnera sur le sol franais. Loin de troubler l'uvre de recherche scientifique et philosophique, il faut que l'Etat en seconde et en facilite le cours, au moyen de libralits et de dignits accordes tous les hommes qui s'y seront distingus. D'ailleurs sur le ferme terrain de Vorganisation et de la direction des socits, il ne peut y avoir conflit entre les esprits religieux et les esprits scientifiques. La politique catholique exclut l'idologie rvolutionnaire qui est en horreur aux positivistes; quant la politique positiviste,-, ses affinits et sympathies avec le catholicisme sont videntes. L'Etat aura seulement pratiquer envers lui-mme le devoir troit, de ne point favoriser, ni subventionner, comme l'a fait l'inimitable Rpublique prsente, des thories qui ont pour fin prochaine ou pour objet immdiat le renversement de l'Etat : l'anarchie politique et ses thoriciens seront donc surveills, et s'il existe des confessions religieuses qui tendent cette anarchie, elles seront soumises cette surveillance, qui est de droit naturel. 11 en serait de mme pour les confessions qui tiendraient desservir l'intrt national au profit de l'Etranger . Ch. Maurras, Enqute sur la Monarchie, p. 553-564.
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POLITIQUE,
SOCIAL
les principes d'ordre et les principes d dsordre, la Rforme en proclamant le libre examen a engendr le libralisme et la Dmocratie, et si nos libres-penseurs, voyant le libralisme menac et perdu (s'il s'en tient ses propres armes), cherchent le moyen de sauver l'uvre de 89, ils n'en auront qu'un : l'arbitraire et la violence. Tel .est le rsultat logique du libralisme impuissant. Le laisser faire et laisser passer dans l'ordre intellectuel est donc une erreur et c'est sur cela que Lamennais va chafauder tout son systme. Je n'ai pas insister sur un point de vue qui n'est pas le mien. Ce que j'en dis n'est que pour saisir Lamennais dans l'engrenage des ides rvolutionnaires. A peine a-t-il admis que la Rvolution tait une phase du progrs amen par le christianisme, qu'il adopte la tendance foncire des sociologues rvolutionnaires : l'individualisme.
II
Sous prtexte de libert, la sociologie rvolutionnaire nglige systmatiquement le terrain social et national et se plat, dans tout ordre de questions, envisager les choses par rapport l'individu. Par une erreur grossire, la Rvolution considre la socit comme jfcraelque chose d'irrel; l'individu seul reste debout devant elle. Les droits de F homme passent avant les droits de la socit. Marc Sangnier a merveilleusement analys cette utopie tout en la partageant : Ce qui caractrise la Dmocratie, ce qui la distingue, n'en point douter, a-t-il dit, de la monarchie ou du csarisme, c'est qu'elle s'occupe tout particulirement de dvelopper la valeur morale de chaque citoyen. Elle respecte trangement l'individu, elle s'efforce de mettre en pratique cette parole de Kant : Vhomme est une fin en soi. Les monarchistes triompheront de ce qu'ils s'imagineront avoir dmontr que leur solution accrot la prosprit matrielle et la force des tais; ce que du reste nous n'accepterons pas aisment; mais, en tout cas, les royalistes seront bien contraints de reconnatre que les dmocrates se soucient bien plus qu'eux du dveloppement de la valeur morale individuelle de chaque citoyen : c'est mme de l qu'ils partent pour nous accuser d'individualisme. Ce reproche d'ailleurs ne nous effraie nullement; au contraire, IL PEUT BIEN NOUS APPARATRE GOMME UN VRITABLE LOGE, puisque nous autres chrtiens sommes fiers de discerner dans l'individu quelque chose qui dpasse et dborde de toutes parts les socits humaines, puisque celle-ci aprs avoir servi comme de support au dveloppement des personnalits, seront un jour ananties, tandis que l'me est immortelle . C'est alors que parlant de la Dclaration des droits de F homme, Marc Sangnier, juge ainsi la Rvolution : Ce respect de l'individu, ce sens trs aigu de la valeur infinie d'une seule me humaine, cette affirmation que
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l'homme a des droits que lui confre sa nature mme et qui sont antrieurs toutes les lois crites : tout cela c'est du vrai, c'est du pur christianisme . Eh bien! non, Marc Sangnier, cela n'est ni du pur christianisme, ni de la pure Rvolution, vous avez travesti l'un et l'autre. Le christianisme catholique, le pur christianisme tout en reconnaissant l'individu ses droits, a proclam d'abord, ses devoirs. Il y a dj cette grande diffrence entre le christianisme et la Rvolution. Certes la valeur morale des mes est une notion essentiellement chrtienne et l'Eglise n'a pas attendu la Rvolution pour l'imposer. Si vous connaissiez mieux l'ancien rgime, vous vous fussiez convaincu que la Rvolution n'avait rien apport de nouveau, sous ce rapport, la socit. Mais, tout en enseignant le prix de l'individu, l'Eglise n'a jamais profess l'utopie individualiste qui est la vtre. L'homme n'est pas fait pour vivre isol, la socit est fort bien l'tat naturel de l'humanit et quand nous parlons de socit, nous incluons la question de nationalit telle qu'elle existe et existera toujours (1). L'homme ne fait rien de grand, isol, et les institutions politiques qui tiennent le plus de compte de la dignit humaine seront prcisment celles qui s'inspireront de ce principe. Les institutions de l'ancienne France, si haut que l'on remonte jusqu'au moyen-ge, taient entirement bases sur ce principe chrtien, et qui est chrtien, prcisment parce qu'il est de droit naturel. Or, le premier acte de la Rvolution a t de dtruire tous les liens qui rattachaient les hommes entre eux, de les laisser dissocis, et partant sans force. Jugement devenu banal, et qu'il faut cependant rappeler, tant l'ignorance des libraux est, ce sujet, profonde. Et ce n'tait pas un rsultat accidentel que cet individualisme, c'tait la consquence premire des principes de 89. De ce que les hommes sont libres, c'est--dire indpendants, il s'ensuit que toutes les autorits sont du mme coup supprimes. Mais, sans diffrenciation, pas d'autorit. Ainsi pour exalter l'individu, la Rvolution donnait un coup mortel au principe d'association, cette condition vitale des individus. De sorte 'que la Rvolution, en proclamant les droits de l'individu et en les plaant avant ceux de la socit, portait la plus grave atteinte possible aux individus eux-mmes, qui, selon l'ordre naturel, ne se dveloppent pleinement, et ne font prvaloir leurs droits qu' l'abri de la force que l'union leur procure. Mme si elle et sincrement voulu pour l'individu le bien-tre cni'elle promettait par ses principes, la Rvolution tait fatalement voue 1. Ch. Maurras, nous l'avons v u prcdemment, en discutant u n autre point de vue, a dmontr Marc Sangnier qu'aucun fait n'annonait le dclin du nationalisme des peuples.
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l'chec, car ses dogmes fondamentaux n'avaient que la valeur d'ineptes utopies. Comme motif de mfiance c e serait dj suffisant. Mais enfin si la Rvolution, comme on le dit encore de nos jours, dans le clan des dmocrates chrtiens, tait tellement imprgne d'esprit chrtien, comment ses rsultats diffrent-ils ce point de ses principes, qu'au lieu, comme l'affirme Marc Sangnier de respecter trangement l'individu- , elle n'inspire que des mesures d'abrutissement, d'abtissement! Voyons, les mots n e sont que des mots, rien ne sert de distinguer et de subtiliser l'infini, quand nous avons notre porte des actes inspirs par les doctrines de 89. Si celles-ci sont vraiment satures d'esprit chrtien, comme on veut bien le dire, quels que soient les hommes qui agissent, les bonnes causes doivent produire de bons effets. Or en fait, jetons un coup d'il sur les actes politiques rpublicains, engendrs par ces doctrines, que voyons-nous? Un effort permanent et sectaire pour dtruire chez les nouvelles gnrations l'influence de l'enseignement catholique qui seul dveloppera la valeur morale individuelle . II n'est pas d'exemple au monde que deux causes identiques produisent des effets diamtralement op. poss. J'estime qu'il faut avoir une fameuse dose de fausset d'esprit pour oser proclamer de telles absurdits I car enfin ici nous sommes sur le terrain historique, et l'histoire est ce qu'elle est. C'est donc se moquer de ses lecteurs, que d'aller leur parler de ce respect de l'individu, de ce sens trs aigu die la valeur infinie d'une seule me humaine , que professrent soit-disant les rvolutionnaires. Quand donc les royalistes disent socit d'abord , ne traduisez donc pas, comme le sophiste M. Sangnier, que l'individu est ngligeable, puisque c'est la connaissance mme des conditions naturelles de l'homme qui leur fait poser ainsi le problme. C'est dans ce sens que M. Ren de Marans rpondait Marc Sangnier : Un seul dilemme existe, mais entre ceux qui veulent faire reposer la socit 'sur la vertu des citoyens et ceux qui au contraire veulent appuyer sur une organisation sociale la faiblesse des individus . Les dmocrates occups avant tout de la valeur morale individuelle , voyez-vous cela? J'opposerai volontiers l'illuminisme de Marc Sangnier une forte page de Montalembert peu suspect, lui, dans le camp des novateurs : Quel est le rsultat des ides dmocratiques? crivait-il Lacordaire, partout la ruine et la dcroissance des ides et des institutions catholiques... Et maintenant que voyons-nous dans notre Franco renouvele, reconstitue par la dmocratie? quand nous examinons, non pas seulement la surface agite de la sphre politique, mais les entrailles mmes de la socit, l o s'infiltre lentement le cours des ides rgnantes et populaires? Voyons ces campagnes o,
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avant 89, la noblesse, dchue de tout pouvoir politique, exerait encore un ascendant immense... Tout l e monde reconnat qu'alors, dans les campagnes du moins, la foi tait sincre et pratique et les murs en gnral pures. Aujourd'hui o n peut, ce me semble, apprcier les fruits du systme dmocratique qui y rgne depuis cinquante ans. Ces fruits, quels sont-ils? L'absence presque totale de la foi chez les hommes, un nombre infiniment petit de communions et de confessions, u n immense mpris pour les prtres, et les filles-mres aussi nombreuses et effrontes que si le fameux dcret de la Convention en leur faveur avait encore force de loi; toutes les mes, toutes les imaginations, toutes les facults tendues vers un seul but, le gain, le gain sordide et ignoble. Rien ne parle plus ces populations malheureuses ni de Dieu, ni d'une autre vie, ni du germe d'immortalit dpos en eux. La posie a pri dans leurs mes avec la foi qui l'avait enfante ; ils n'ont ni souvenirs, ni penses, ni esprances quelconques au del du lucre qui est leur seul Dieu et leur seule croyance. Si le ciel n'envoie un secours inespr, rien no pourra galer dans quelques annes la barbarie morale et intellectuelle de nos populations rurales... Maintenant, demandez au cur de chaque village quoi il attribue cette immense dcadence de la race franaise et chacun vous rpondra : c'est aU caf o l'on reoit, o on lit le journal dmocrate... (un) excs d'orgueil joint cet excs d'impit, voil ce qui caractrise, non seulement la tendance dominante e n France, mais encore dans tous le pays o ce qu'on appelle les ides franaises ont pntr... Et voil ce que j'appelle I'ESPRIT INFERNAL D E LA DMOCRATIE MODERNE (1).
Mais o Marc Sangnier pourrait prendre sa revanche c'est en dmontrant que cet esprit de la dmocratie moderne, de quelque pithte qu'on le dote, se confond avec celui de la Rvolution que Montalerabert ne rpudiait pas. Tant est fertile en confusions l'anarchie intellectuelle qui accompagne toujours l e s principes de 89.
iil
L'on se demande sur quelle donne sont partis nos dmocrates chrtiens pour tenir ce point leurs yeux ferms sur des faits tangibles et de premire vidence; car enfin, mme si les yeux ne nous servaient de rien, la simple raison abstraite suffirait dnoncer, Sans l'ide d'galit dmocratique, un principe d'orgueil pour les humbles et il me semble bien que l'orgueil n'est tout de mme pas quelque chose de purement chrtien , qu'il est mme la forme la plus vicieuse de l'gosme humain. Je l'ai dit, le premier acte du chrtien est un acte d'humilit, le 1. Cf. Montalembert, par Lecanuet, p. 187, t. I.
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premier acte du dmocrate est un mouvement de rvolte contre Tordre social et le Crateur de Tordre social. Comment donc et par quel ct les principes dmocratiques ont-ils tent nos docteurs? Comment en ont-ils dduit que la dmocratie tait avant tout ne du respect de l'individu? C'est e n m e plaant au centre mme des proccupations des dmocrates chrtiens, que je rejoindrai tout naturellement Lamennais et nous serons renseigns, une fois pour toutes, sur ce que j'appellerai son idalisme . Un historien du Saint-Simonisme que j'ai dj cit, M. G. jWeill, nous disait, rsumant Une thse Saint-Simonienne : le fait le plus rsaillant que nous montre l'histoire, c'est le progrs continuel du principe d'association : des associations de plus en plus larges se sont formes, la famille, la cit, la nation, la chrtient; donc nous marchons vers une association plus vaste encore, celle de Vhumanit entire*. Je ne sais pas si vous discernez ici l'internationalisme en germe, et le pacifisme aussi, mais, c e qui m e frappe, c'est qu'au nom de lassociation, Saint-Simon professe l'individualisme le plus effrn. Dj la Rvolution a dtruit les divers enclos qui enserraient les hommes et les groupaient selon leurs intrts respectifs et leurs besoins identiques : Nous proscrivons, fait dire Taine aux Jacobins, Tesprit de localit dpartemental et communal . En cela, l'Assemble Constituante nous a fray la voie, puisqu'elle a dissous les principaux groupes historiques ou naturels par lesquels des hommes se sparaient de la masse et faisaient bande part, provinces, clerg, noblesse, parlements, ordres religieux et corps de mtiers (1). Saint-Simon veut largir encore le cercle des diffrences sociales, il abat les montagnes, comble les ocans et les mers, mconnat les divergences de race et finalement, au nom du principe d'association, dtruit toute association et laisse en prsence des Europens de toutes latitudes, des Chinois et des Peaux-Rouges, des Ngres et des Blancs confondus et se ralliant sur le terrain d'une abstraction, la fraternit rpublicaine. Voyez-vous ds lors le produit soi-disant chrtien du philanthropisme hypocrite de la Rvolution? C'est au nom du respect de l'individu que s'lvo ce flot .d'humanitarisme mensonger, qui caractrisa Tpoque romantique et battit nos rivages jusqu'aux environs de 1890. C'est do l que naquirent ces thories nfastes qui eurent nom de pacifisme, de patriotisme international, d'antipatriotisme, (Yantimilitarisme. Tout cela, si l'on vide le sens des mots, n'est qu'Une cousquence du principe individualiste prconis par 8 9 ; YIndividu avant la socit. Voil pourquoi, trs logiquement, Marc Sangnier discuta YIde de Patrie et Y Arme et cela au moment mme (en 1905) o une guerre avec l'Allemagne tait en perspective. 1. Taine. Les origines de la F. C, t. VIII. Le programme jacobin, p. 131.
UNE
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LIBRAUX
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Que leur importent les faits ces fanatiques de la Rvolution I Pour eux tous les problmes positifs, actuels et nationaux ne sont rien ct de leur idal et leur idal nglige les besoins de la socit concrte qu'ils ont l sous les yeux, pour rver de je ne sais quelle re nouvelle o les hommes de toute race se passeront de concurrence et so comporteront en vritables frres, cependant que la guerre civile bat son plein. Il y a l une dangereuse erreur et d'une sduction inoue pour qui, parmi les chrtiens., se laisse sduire par le mot de fraternit. Il est vrai, en effet, que le christianisme prche les mmes devoirs d'individu individu entre les hommes de tout climat, mais cela empche-t-il que la condition naturelle des peuples soit de garantir leurs intrts matriels et moraux par un faisceau d'organisations nationales? Que les rapports qu'ils ont entre eux soient pntrs d'un esprit de justice chrtienne, rien de plus dsirable! Mais n'est-ce pas lune consquence invitable des murs chrtiennes, qu'aucun phianthropisme ne remplacera, et cela va-t-il l'encontre du nationalisme des peuples ? Tant il est vrai, selon l'ternelle remarque de Taine, que la Rvolution lgifra sur Yhomme abstrait. Eh bien! Lamennais et son cole de l'Avenir tombrent, par certains cts, dans cette erreur. Il y a dans Y Avenir une forte empreinte de cet esprit humanitaire qui n'est cfu'un contresens de l'esprit chrtien; do l ces ardentes campagnes en faveur des peuples trangers qui se ralliaient aux principes de 89. Je signale en particulier aux curieux, les articles de Montalembert < sur la Rvolution de Poloc gne (1), et celui de Henri de Mrode sur la Rvolution de Belgique (2). Nous sommes trop familiers avec ces thories, pour ignorer dsormais qu'elles se confondent toutes d ans Yide de progrs. (A suivre).
J, HUGUES.
Le parti des catholiques libraux, au del et en de du Rhin, vient d'avoir une fausse joie : il a cru triompher de contradictions qui le gnent et y mettre un terme. Il y a quelque intrt revenir sur ls incidents qui la lui ont donne, pour constater qu'elle est sans cause srieuse c o m m e e l l e sera due dans son objet. 1. L'Avenir, 12 dcembre 1830. 2. Ibid., 13 dcembre 1830.
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La cause, c e seraient principalement les dclarations simultanes du Cardinal Merry del Val et de Mgr Frhwirtz, nonce Munich, relatives la Correspondance de Rome. On tira aussi parti d'une lettre rcente du Saint-Sige au Gnral des Dominicains propos de la Facult d e thologie de l'Universit d e Fribourg, qui mettrait la Critique du Libralisme dans une posture galement fcheuse. Nous avons dj parl de la premire. On sait que penser de ce prtendu dsaveu et de sa fausse tiquette de dclaration autorise. IJ reste cependant que le cardinal Secrtaire d'Etat n'aurait pas cru devoir refuser aux solliciteurs ces paroles qu'ils ont prises pour une fiche de consolation. Mais, en mme temps, une autre dclaration du Nonce de Bavire, dont on n'a pas de raison de contester le caractre autoris, ajoutait u n blme positif co dsaveu qui n'en est pas un. Un autre rdacteur de la presse librale courrouce, appartenant la rdaction du mme journal q u i sollicitait le Secrtaire d'Etat, l a Klnische Vollcszeitung, a u r a i t obtenu de Mgr Frhwirtz licence de rpter que Son Excellence regrettait le ton des critiques dont la Correspondance de Rome avait accompagn le texte de la circulaire confidentielle contre l'ouvrage du P. Weiss, et qu'elle avait a j o u t : Je ne le T e g r e t t e pas seulement, je le dsapprouve . On lira plus loin la lettre de S. S. Pie X iau T. R. P. Cormier, et l'on verra qu'il n'y a rien en tirer. Il faut savoir reconnatre que, mme rduites leurs justes proportions, l e s deux dclarations prcites, surtout raison de leur simultanit, donnent au moins une apparence de satisfaction aux libraux. On peut croire que les reprsentants du Saint-Sige ont cru opportun de calmer leurs susceptibilits et d'apaiser les esprits en la leur offrant. Ce n'est pas la premire fois que les plus vaillants et Tes plus dvous dfenseurs de l'Eglise, de ses doctrines et de ses direction^ font leurs dpens les frais de ces actes conciliateurs. Cela renKre > aussi dans leur mission. On accepte le service de ces soldats d'avantgarde, on bnit et l'on encourage in petto leur zle; mais il est entendu qu'ils marchent leurs risques et prils, sans jamais tre en droit do compter sur un appui officiel, surtout quand il nat quelque difficult. On se rappelle, qu'en France, dans les grandes luttes contre le libralisme catholique, il y a cinquante a n s , celui-c obtnt des succp do ce -genre. C'est dans une circonstance analogue que Inous Veuillot, avec son grand esprit de foi, savait reconnatre Ta bndiction de Dieu dans une preuve de cette sorte. Seulement, ajoutait-il, avec cet humour que lui conservait toujours la conscience d'un dvouement pur : c e sont des bndictions qui entrent chez vous en brisant les vitres.
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Elles les ont brises cette fois avec un clat inaccoutum, et c'est
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sans doute de quoi les libraux d'aujourd'hui jubilent. Quand ceux d'autrefois regimbaient et criaient trop fort sous l'aiguillon de l'illustre polmiste, le Saint-Sige enveloppait s e s conseils dans la forme discrte d'un avertissement gnral, en vitant de dsigner les personnes, d'autant qu'il y avait prendre pour les uns comme pour les autres; il les formulait dans quelque document adress l'un ou l'autre membre de la haute hirarchie, mais non par des dclarations accordes aux membres de la presse, surtout de la presse librale, partie dans le procs, sans doute afin de ne pas paratre Jui livrer ses partisans les plus utiles et les plus chers, et pour viter d'ajouter par leur humiliation au triomphe apparent de leurs adversaires. C'est galement ainsi que Lon XIII en usa plusieurs fois. Le Cardinal Merry del Val, nous l'avons dit, s'est bien gard de se prter au jeu des libraux et n'a nullement autoris la publication des paroles obtenues de lui et qui, d'ailleurs, n'avaient aucune porte particulire. Le Noncn de Bavire ne parat pas avoir redout le mme cueil, en autorisant le correspondant du journal le plus acharn contre la Correspondance de Borne (1) infliger de sa part celle-ci un blme atteignant visiblement, non pas un publiciste du commun, mais un membre de la Secrtairie d'Etat, lequel n'est pas son subordonn. Celui-ci a agi comme il fallait s'y attendre, en faisant dclarer aussitt par s a feuille qu'elle ne s e prtend pas impeccable et qu'elle s'inclinait avec respect devant ce blme. Mais on comprend la joie des libraux. Pourtant elle est vaine.
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# * On devine aussi avec quelle passion ite devaient exploiter l'incident. Le Bulletin de la Semaine aurait manqu son rle s'il avait nglig d'en colliger les tmoignages. Nous n'avons, pour jouir des plus significatifs, qu' consulter ses numros des 19 et 26 juillet. Nous y voyons dfiler la Klnische Volkszeitung, Te Beyerischer Courier, les Munehener Neuyoerten, les Nouvelles de Constance, le Journal de Bruxelles, entremls d e quelques flches que le Bulletin a tires de son carquois, lgres et barbeles. Cette nouvelle agression des pamphltaires ni officiels, ni officieux, dit-il aprs avoir reproduit Te texte et les commentaires de la pice divulgue, a suscit une motion et une indignation comprhensibles. Cette indignation, il trouve adroitement moyen de l'attribuer au Cardinal Secrtaire d'Etat lui-mme, c e qui corse joliment l'effet. Elle s e traduit, dit-il, travers 1. II (le Nonce) a fait ces dclarations par l'organe de la Koelnische Volkzeitung. journal particulirement vis, on le sait, par les accusations de la Correspondance de Rome et de ceux qui lui font cho, (Bulletin de la Semaine).
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l'information de la Knische Volkszeitung rapportant ses paroles. Aprs quoi, le Bulletin ajoute : Peut-tre u n dsaveu aussi formel ouvrira-t-il les yeux sur ces no-terroristes qui vivent des complots qu'ils inventent et dont les menes s'acharnent mthodiquement dissocier ou discrditer, en tout pays, tout ce qui constitue une force organise et vivante. La vraie force organise et vivante, c e serait donc le catholicisme libral, reprsent par le Bulletin de la Semaine et ses congnres. Pie IX e n jugeait diffremment lorsque, dans ses fameux brefs, il le dnonait comme la -grande cause de division entre catholiques et le principal obstacle au succs de leur action. Les lignes suivantes du Journal de Bruxelles (22 juillet) sont un aveu intressant de la campagne entreprise pour obtenir satisfaction et du rsultat qu'on en esprait : Au lendemain des dernires attaques de la Correspondance de Rome et de 1 Univers contre les catholiques allemands, la Klnische Volfc* zeitung , dnonant ce que l'auteur des lignes ci-dessus appelle le double jeu do la Correspondance de Rome et de Mgr Benigni, terminait soin article ien dclarant : Il faut qu' la fin cela finisse . Elle disait cela sur le ton de quelqu'un qui est peu prs certain d'obtenir ce qu*il demande. Sans doute ce moment-l dj, des reprsentants autoriss de l'Allemagne catholique tenaient-ils Rome mme un semblable langage; sans doute la Klnische Volkszeitung le savait-elle et savait-elle aussi qu'en effet cela devrait prendre une fin , comme dit le correspondant des Munchener Neuerten Nachrichten , ds le moment o certaines personnalits mettraient la main sur le nid et attireraient l'attention de Rome sur ce qu'il y avait d'inadmissible dans le double jeu qui se jouait et par la Correspondance de Rome . En ralit, qu'a-t-on obtenu? C'est ici qu'apparat l'inanit du triomphe. Le Secrtaire d'Etat et le Nonce ont confirm que la Correspondance de Rome n'a aucun caractre officiel ni officieux. Le fait tait dj acquis, de longue date, par les propres dclarations de cet organe. Il reste aujourd'hui c e cfu'il tait hier, et tant qu'il sera c e qu'il est, c'est--dire tant que Mgr Benigni, membre de la Secrtairerie d'Etat, continuera de le diriger avec l'agrment du Pape et de son ministre, tout ce qu'on dira pour infirmer son autorit, pour faire croire une disgrce, aura juste la valeur d'une plaisanterie de mauvais got et de mauvaise foi. Ainsi qu'il rpond trs justement, le jour o il cesserait de plaire et d'tre jug utile, il disparatrait. De ceci, la situation ne permet pas de douter. Mais c'est ce que les libraux attendront peut-tre longtemps de voir, et, d'ici l, ils s'apercevront que les gens qu'ils tuent conservent encore une rude vitalit.
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Le Nonce de Bavire a blm le ton d'un article. Mais outre que ce blme n'a, lui non plus, aucun caractre officiel, et quelle que soit la valeur de cette haute apprciation, le ton, ce n'est pas le fond. Le dsaveu visant la forme laisse intacte la ligne de conduite et l'uvre
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poursuivie. On peut et Ton doit tre assur que tout reprsentant du Saint-Sige voit d'un il trs favorable la rsistance ce semi-modernisme qui, sous des affectations de soumission filiale, contrecarre sourdement les prescriptions, les directions de l'Eglise, et dont son Chef a plus d'une fois dplor hautement les effets pernicieux. Cependant, c'est bien l le vrai motif du toile libral contre Mgr Benigni et son journal. On ne veut plus, s'il s'agit de l'Allemagne, qu'il soit permis de parler d'une volution du Centre ni de tiraillements dans son sein. Il doit tre admis, contre la vrit historique la plus claire, qu'il fut ds ses origines et dans sa priode glorieuse, ce qu'il devient aujourd'hui, un groupement politique faisant abstraction dana son programme essentiel de la profession de foi chrtienne et de la fidlit de ses membres l'Eglise. L'interconfessionalisme des uvres conomiques et sociales ne se rclamera plus seulement d'une tolrance proportionne aux exigences de situations particulires. On ne veut plus que soient rappels les principes.de l'action catholique qui le doivent modrer, quoique le Sainfc-Sige fasse tout ce que lui permet la prudence pour empcher qu'ils soient perdus de vue. S'il s'agit de la France, on y invoquera bien haut, malgr les diffrences capitales de situation, l'exemple prsent de l'Allemagne, et c'est pourquoi on le soutient si chaudement. On ne veut plus que le soumlssionnisme, sous ses formes multiples et fuyantes, puisse tre librement critiqu. Il ne sera plus loisible de signaler maints appels l'esprit ncessaire de libert exig par le nouvel tat social^ et dont on prtend faire un rempart la cause religieuse, mais qui ruine en fait les bases mme naturelles de toute socit et qui conduit a u monstrueux athisme d'Etat. Voil avec quoi l'on veut en finir, dt prir un organe, plus accrdit et plus courageux que tout autre, qui joint cette tche contre le libralisme et le semi-modernisme, celle de dvoiler aux yeux des catholiques de tous les pays la conjuration des modernistes apostats contre l'Eglise, et de leur faire constater celle dont les sectaires, anticlricaux et francs-maons s'efforcent de l'envelopper de toutes parts.
*
Les rflexions dont la Koelnische Volkszeitung a fait suivre la dclaration de Mgr Friihwirtz, et qu'il n'aurait certainement eu garde d'approuver, quoiqu'elles s'autorisent de ses paroles, mritent d'tre notes. Ce n'est un secret pour personne qu'il existe une sorte d'entente internationale entre quelques personnalits, au fond de peu de signification, pour jeter, toute occasion, bonne ou mauvaise, l e trouble dans les rangs catholiques . Ce serait exact, si l'on parlait des rangs des catholiques libraux, et d'une action ayant pour but, non pas prcisment d'y porter le trouble, .mais de les empcher de le se-
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mer sur le chemin des plus fidles enfants de l'Eglise; et s'il n'tait question que d'un accord tout naturel, nullement spcial on secret, rsultant d'une communaut de principes. Mais ne fallait-il pas chercher englober dans l'incident les antilibraux de tout p a y s ? La Critique du Libralisme , par exemple, qu'on croirait volontiers entre dans cette entente, et qui marche en effet en si complet accord avec la Correspondance de Rome, n'a cependant jamais eu- le moindre rapport direct avec elle. Ce n'est non plus un secret pour personne que le centre de ces agissements est une personnalit de la prlature romaine, qui utilise e n ce sens de nombreuses relations j l'tranger, pour tisser tou& jours, a v e c une force de travail d'ailleurs tonnante, les fils de l'intrigue . La Correspondance de Rome serait donc quelque chose comme une Ligue de Munster retourne, au service de l'antimodernismo et de rantilibralisme. Hl Hl Ce n'est pourtant pas elle qui pratique les organisations secrtes et les circulaires confidentielles (1). L'intrigue, elle la laisse d'autres. S o n dfaut, au gr mme de ses adversaires, serait au contraire de parler trop franchement. Mais voici la consquence qu'on ne souponnait pas. La position des vritables modernistes s'est par l singulirement fortifie, le champ de la- lutte s'loignant d'eux. Les bons aptres 1 La lutte contre le semi-modernisme serait donc autant d'enlev a celle contre les hrtiques. Occupez-vous de ceux-ci, et laissez-nous agir sans nous gner, nous, libraux et catholiques raisonnables , dont l'uvre ne leur saurait profiter. On dirait, pour un peu, que ce sont eux le vrai rempart de l'Eglise en face du modernisme. Oui, comme les dmocrates chrtiens le sont e n face du socialisme. Quittez ce souci. Les antilihraux seront sur le chemin des modernistes, comme sur le vtre qui rejoint le leur par les traverses. Il est a u moins un point sur lequel vous ne devriez pas avoir besoin d'tre tranquilliss. L'autorit piscopale a, d'autre part, souffert elle-mme de cette situation, surtout depuis que les vques euxmmes ne sont plus l'abri des suspicions que nous dnonons ici. Cette mthode, qui diminue l'autorit des vques et rtrcit l'efficacit de l'encyclique Pascendi , a pris les proportions d'un vritable danger. La surveillance de l'erreur moderniste est d'aprs l'encyclique Pascendi , confie l'piscopat. La confiance traditionnelle des catholiques allemands dans leur piscopat devrait suffire comme garantie tous les surveillants de la Foi. La racine du mal est en ceci que des lments tout fait sans autorit cet effet veulent exer1. Mgr Fruhwirtz, dans sa dclaration, a ni que celle relative au P. Weiss et ce caractre et donn pour raison qu'elle lui avait t adresse. La Correspondance de Rome rpond qu'elle a t galement envoye des personnages ecclsiastiques de Rome, mais choisis, et avec des rdactions diverses doses suivant les destinataires.
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cer un pouvoir de juge de plus e u plus illimit dans les choses ecclsiastiques. On voit mme des quotidiens de l'tranger s'riger en une sorte de tribunal de la Foi devant lequel ils font comparatre prtres et lacs, et mme des vques. L'abus devient ds lors insupportable. Cela ne peut pas continuer, telle est certainement la pense commune de tous les catholiques fidles et raisonnables. Les journalistes sans mandat n'ont aucune prtention d'exercer un pouvoir de juge dans les choses ecclsiastiques . Ils ne rclament et n'exercent qu'une libell d'apprciation gale la vtre, e n la soumettant au moins aussi sincrement que vous l'autorit vritable; le droit de ne pas trouver conforme aux directions et l'esprit de l'Eglise ce que vous donnez hautement pour tel, et de le dire en les rappelant. Nous devons, dites-vous, et pratiquons l'obissance envers l'autorit ordinaire, institue par Dieu, mais nous rejetons toute espce de gouvernement ct, non justifi, qui amoindrit la considration pour l'autorit vritable . Mais vous-mme, tes-vous un gouvernement ct, que vous puissiez user du mme droit de direction? Car vous ne vous e n faites pas faute davantage, et ce serait encore beaucoup plus abusif de prtendre exercer c e gouvernement sans contrepoids (1). On a dj remarqu que l'incident de la Correspondance de Rome se transforme en un procs gnral. Pour ne pas ngliger certaines, applications particulires, la Klnische Volkzeitung conclut que la dclaration de Mgr Frhwirtz enlve aussi tout caractre srieux l'agence d'informations de M. l'abb Kauffmann, dont l'a direction de Cologne avait e u se plaindre et souffrir. Le Journal de Bruxelles (16 juillet) s'tait empress d'en tirer la mme dduction. Ces gens-l ont un art merveilleux. Lorsque le cardinal Kopp, on s'en souvient, prit une mesure d'exclusion contre l'abb Kauffmann, les journaux catholiques libraux d'Allemagne, et ceux de France, comme la Libre Parole , voulurent toute force que la disgrce atteignt Mgr Benigni, dont M. Kauffmann serait rinformateur et le correspondant attitr. La Correspondance de Rome dclara de la faon la plus formelle, et itrativement, que l'allgation tait compltement fausse. Malgr cela, Mgr Benigni tant aujourd'hui sur la sellette, il faut que M. Kauffmann coppe son tour par ricochet. C'est d'une belle force.
t
Quant Mgr Benigni lui-mme," les en croire, c'est tout bonnement un homme la mer. Plusieurs journaux italiens, nous apprend le Bulletin de la Semaine , annoncent qu' la suite des incidents provoqus par la Correspondance de Rome , son inspirateur plus ou moins masqu, Mgr Benigni, aurait obtenu Un long cong pour un voyage l'tranger;. 1. On trouvera la rponse complte cette fausse thse des libraux dans notre numro du 1er juillet 1910, qui lui est entirement consacr.
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Cette faveur, aprs ravancement qui lui avait t inflig il y a quelques mois, porte les journaux catholiques allemands interprter le dplacement du prlat comme une disgrce. Le Bayerischer Courier , un des principaux organes du Centre bavarois, dclare apprendre de bonne source r- non pas cependant de la nonciature de Munich , ajoute-t-il que la situation de Mgr Benigni est fort branle e t qu'il faut srieusement compter sur une trs prochaine modification de ses fonctions. Il vaut la peine d'tre dgust, ce morceau d'un des principaux yorganes du Centre bavarois. S'il faut juger d'aprs lui des dispositions actuelles du grand parti catholique organis par Windthorst, on peut juger quel point il est tmraire et faux de dire qu'il a volu (1). Mgr Benigni, protonotaire papal la Daterie et l'esprit dirigeant de la Correspondance de Rome , laquelle a provoqu tant de protestations parmi le Centre, a entrepris un trs long voyage l'tranger. Cette fin provisoire de l'activit de Benigni tonnera beaucoup de monde, tous ceux notamment qui, depuis son loignement de la Secrtairerie d'Etat jusqu' l'actuelle mesure contre lui et sa Correspondance de Rome , ont laiss dire par lui et ses amis qu'il n'y avait rien de chang et que Benigni restait l'inspirateur de la politique vaticane et le collaborateur de Merry del Val. Les Munchener Neuesten Nachrichten ne sont pas de ces journaux qui se sont laiss aller couter ce que murmurait le chef du service de la presse [au Vatican]. Dans notre article : Gloire et fin de Benigni (publi dans notre no 120 de cette anne), nous tablissions dj qu'on ne pouvait donner qu'an dehors, l'illusion que l'loignement de la Secrtairerie d'Etat n'tait [pour Mgr Benigni] qu'une pure formalit. La forme de la mesure crivions-nous alors ne trompe personne, et moins que personne Benigni lui-mme, qui en est trs mu . Cette motion qui, naturellement, et t sans, raison si l'loignement de la Secrtairerie d'Etat n'avait t que pour sauver les apparences, et, ct de cette motion, le dsir convulsif de se poser, avant comme aprs, en homme important devant la presse, ont amen la catastrophe actuelle. Mgr Benigni voulait, par ses attaques contre les catholiques allemands dans la Correspondance de Rome , montrer qu'il tait bien rest tel que dans le pass et il voulut que Ton en tirt la conclusion que sa situation et son influence taient inbranles. Cela devait prendre une fin ds le moment o l e s , personnalits informes sur la situation relle mettaient la main sur le nid et attiraient l'attention de la Curie sur ce qu'il y avait d'inadmissible dans le double jeu qui se jouait. Quel srieux et quelle bonne foi! Mgr Benigni, on le sait et nous le rappelons plus bas, ayant achev son temps de service rgulier comme sous-secrtaire d e s affaires ecclsiastiques, a t maintenu 1. Les Nouvelles- de Constance , un des organes du parti du Centre en Bade, d'aprs le Bulletin de la Semaine , affirme sans nre que Mgr Benigni se sert de trois journaux libraux italiens, le Corriere dlia Sierra de Milan, la Stampa de Turin, la Tribuna de Rome , pour attaquer les catholiques et les vques allemands. Elles affirment avoir entre les mains un document qui ne laisse pas de doute sur cette complicit. Que n'en crasent-elles Mgr Benigni I
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la Secrtairerie d'Etat, par une drogation trs significative aux coutumes. Voil comment il l'a quitte et la mesure prise contre lui. Son voyage, son trs long voyage l'tranger, a consist prendre ses vacances, l'poque o tout le monde fuit les chaleurs de Rome. Mais, pour prouver qu'il n'tait pas relgu sur quelque nouveau rocher de Sainte-Hlne, il y est revenu et a adress dans son journal!, la date du 29 juillet, cet article aux amis de la Correspondance de Rome , qui est aussi un peu pour ses ennemis, que nos journaux catholiques ont reproduit, et o il annonce aux uns et aux autres qu'il n'a pas disparu, qu'il est toujours l, qu'il continuera sa ,tche. Et Ton peut compter sur sa vaillance, sur son dvouement dsintress, pour la mener aussi utilement que par le pass. Les libraux en sont donc pour une fausse joie.
Puisque l'attention et l'intrt des catholiques antilibraux et libraux ont t si vivement attirs sur son minente personnalit, nos lecteurs nous sauront gr de les renseigner sur elle avec quelque dtail. Mgr Humbert Benigni est n Prouse, le 30 mars 1862, dans cet illustre archidiocse de l'Ombrie illustr par le futur Lon XIII. Qu'on nous fasse grce du dtail de ses prcocits. Tout bon biographe ne manque jamais d'honorer par l son hros. C'est un lieu commun. Il e s t toutefois impossible de n e pas remarquer la rapide closion de cet esprit brillant et de s a vocation spciale. A onze ans, Umberto entre au sminaire diocsain; ( 18 ans, il en sort, dj prt pourles ministres les plus dlicats. En 1880, son vque, Mgr Foschi, l'attache d'abord comme secrtaire son vch, et il reste ensuite prs de douze ans faire tour tour l'apprentissage des fonctions les plus diverses : l'administration, l'enseignement et l'apostolat. Une croissante faveur et un juste succs s'attachent ses entreprises. Professeur d'histoire la Facult thologique, puis assistant ecclsiastique des uvres, c'est surtout dans ce dernier poste qu'il commence de donner toute sa mesure. Il fonde le Comit diocsain, avec une section de la Jeunesse catholique, le Cercle catholique, la Socit catholique de secours mutuels. II cre et dirige une feuille hebdomadaire, Il Monitore Umbro, et la Revue La Eassegna sociale. La double marque de son caractre se dessine ds ces premires campagnes. C'est un initiateur et u n organisateur. Aussi, s e senti l tout de suite et comme d'instinct publiciste.'I l'est et d'une large envergure; sa verve primesautire a ses sources profondes dans un labeur acharn, une vaste rudition et un tonnant coup d'oeil. Le souci des plus grands problmes sociaux l'entrane aux applications directes et aux vues synthtiques les plus profondes, mais solides,
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fondes sur la grande philosophie de l'histoire et des murs. Il marche, ds lors, au premier rang, sans s'garer, dans cette voie, aussi bien qu'aujourd'hui dans les chemins nouveaux. Eu 1893, il est nomm Gnes rdacteur en chef du journal Y Eco cVItalia, devenu depuis La Liguria- Il se montre de plus en plus, dans cette milice, le soldat intransigeant de la politique pontificale. Le Vatican le distingue et le flicite. En 1895, il est appel Rome pour ses tudes historiques. 11 collabore au Bessarione, la savante revue romaine d'tudes orientales. Il publie son livre sur la Doctrine conomique de l'Eglise avant Constantin et une tude trs documente sur la Lgislation et l'administration agricoles du gouvernement papal. Ce dernier travail tait rdig e n allemand, car Mgr Benigni est un polyglote presque universel, et il s'agissait de rpondre en l'occurrence aux fantaisies d'un historien allemand, accusant les Souverains Pontifes d'avoir nglig et mme ruin les intrts ruraux des Etats de l'Eglise. Lon XIII plaa Mgr Benigni la Bibliothque vaticane et le nomma successivement professeur d'histoire ecclsiastique au Sminaire romain et membre de la Sacre iCongrgation des Rites. En outre, e n 1900, il fut nomm rdacteur pour la politique trangre, puis directeur du journal romain, organe avr de la Secrtairerie d'Etat, la trs officieuse Voce dlia Verita. Et il y resta jusqu'en septembre 1903, c'est--dire pendant les trois dernires annes de Lon XIII et les premiers mois du pontificat de Pie X. En 1901, c'est lui qui commena dans cette vaillante feuille, a v e c le plein agrment du Saint-Sige, une vigoureuse et remarquable campagne contre les premires dviations de la dmocratie chrtienne . Il n'avait jamais aim le mot; il distingua vite les intolrables abus. L'abb Murri commenait de donner scandale, et Mgr Benigni dnona le Murrisme . Il s'en prenait en mme temps aux pionniers du modernisme intellectuel , tels que l'abb Minocchi. Ceux qui ont tent de faire de Mgr Benigni un libral sous Lon XIII , ,qui ont parl de sa dfaveur auprs de l'ancien archevque de Prouse prvenu sous la tiare contre le pass de son sujet d'hier, en ont donc menti! Ils ont menti contre les faits, contre ls tendances dj videntes du doctrinaire et du polmiste, contre le Vatican d'alors. Lon XIII chrissait au contraire l'abb Benigni; il apprciait et louait ses campagnes; il le recevait avec une bienveillance marque. Le grand Pape, jusque sur son lit d'agonie, se faisait apporter et lire le journal de son fidle champion. Les citations enfin seraient faciles qui dmontreraient l'accord profond de cette obissance active et avertie avec l'orientation gnrale, constante, sre d'elle-mme de cet esprit pntrant et lumineux. Le premier il salua de son vrai nom l'aurore religieuse du nouveau pontificat.
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Mais sa carrire allait l'engager dans une voie plus officielle encore.
UNE FAUSSE J O I E
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A l'automne 1903, l'abb Benigni rentre la Bibliothque vaticane, reprend son cours au Sminaire romain. Il est nomm, au mme titre de professeur d'histoire ecclsiastique, aux coles de la Propagande et au Sminaire du Vatican. En 1904, il devient minutante la Propagande. En 1906, il est sousrsecrtaire de la Sacre Congrgation des affaires extraordinaires. La rforme pontificale de la Curie fait passer son service la Secrtairerie d'Etat. Il y est nomm prlat de la maison du Pape. Cependant ses connaissances professionnelles, le besoin vite ressenti d'un service de presse et d'information prs de ce grand ministre excutif du gouvernement de l'Eglise, son esprit de dcision et de dvouement suggrent bientt Mgr Benigni, dans ce poste l'abri, semblait-il, des orages, une cration personnelle et hardie. En dehors de ses attributions obliges, il fonde et-soutient lui seul l'organisation d'un nouveau bureau. Et il y dploie cette merveilleuse entente du journalisme, des hommes et de la politique contemporaine, qui e n moins d'une anne le mettent en vedette. Il est l'oeil du Vatican ouvert sur tout ce qui s'imprime et se colporte de priodiques et de brochures dans le monde entier. Tout ce qui rampe dans l'ombre pour mordre au talon l'Eglise, pnre du genre humain, tout ce qui complote dans les grands centres internationaux des conjurations antichrtiennes, apprend ainsi redouter sa vigilance et sa clairvoyance. On en vient personnaliser en lui les mille fantmes des mauvaises; consciences inquites. Il a sa part des rancunes pour chaque coup de foudre qui clate, pour chaque masque jet bas, pour tout privilge de mauvais aloi branl par les leons de Rome. On veut voir partout sa main qu'il ne montre pas : et tout ce qui redoute le regard du Pape cume d'avoir fix ses yeux. Exagration ridicule qui cependant tmoigne du sentiment que chacun a bientt de la haute et inflexible conscience, de la sret de main avec laquelle il comprend son rle. Et son honneur est justement d'avoir donn croire que ce bureau tout rcent d'informations et de renseignements informait et renseignait en ralit, de faon bien mriter de la cause, de la foi et du gouvernement spirituel. Pie X au reste s'en porte garant, et quel autre tmoignage prvaudra contre celui d'un tel matre, en faveur d'un serviteur travaillant
ses (Cts?
Il y a quelques mois dj, le bruit d'une disgrce tait soudain rpandu et de toutes parts, l'on feignit de croire rompue une carrire jusque-l si assure. Il n'en tait rien, et personne ne crut jamais cette msaventure. Ceux qui la souhaitent en taient seulement rduits se donner cette courte joie! Tout secrtaire aux Affaires extraordinaires, aprs cinq ans de services, a droit une promotion. Rgulirement, d'aprs les usages, Mgr Benigni devait tre nomm quelque lointaine dlgation di-
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plomatique. Mais le Pape justement voulait le garder; il' voulait le maintenir la tte d'une uvre grandissant d'intrt, dont lui seul tait l'me. Mais il ne fallait pas non plus crue le bon ouvrier ft, e n raison mme de s e s services,, frustr de s a lgitime rcompense. Le Pape le promut protonotaire apostolique participant, la plus haute des dignits prlatrices d e la cour pontificale. Le collge de ces protonotaires n'en doit compter que sept; par une exception digne de remarque, Mgr Benigni fut le huitime. On le dchargea de s a besogne de sous-secrtaire, assez fastidieuse et peu compatible avec sa nouvello dignit. Mais il restait la Secrtairerie d'Etat. Il tait conconfirm dans son service personnel, directement aux ordres de S. E. le Cardinal Merry del Val.
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Et, enfin, il n'est personne qui ne voie mme aujourd'hui, qu'aprs tout, quoi qu'on ait dit, rien n'est chang, si c e n'est au profit du valeureux prlat. Aux rancunes dchanes contre lui, il y a, c'est vrai, un prtexte quotidien. C'est la Correspondance de Rome. Non pas que Mgr Benigni en soit le directeur; elle a son rdacteur responsable, M. Giovanni Grandi, ses bureaux et sa vie propre. Mais enfin il est manifeste et trs naturel qu'elle se renseigne auprs du service comptent, organis officiellement cet effet par la Secrtairerie d'Etat; et il faut croire qu'elle le fait bien, puisque jamais dsaveu autoris n'est venu infirmer la valeur mme de ses mots d'ordre d'avant-garde. Ceci d'ailleurs suffit dfendre cet organe de toutes les billeveses dbites chaque jour contre lui et contre le plus connu de ses prsums inspirateurs. Et nous n'entamerons pas ce dbat. Laissant pour compte nos adversaires, mme catholiques,-leurs frais d'indignation qui tombe faux et de critiques faciles sur la vivacit d'un langage qui, e n franais, souffre des allures un peu abandonnes de la pittoresque et intarissable verve italienne, nous nous contenterons de dresser simplement en face des accusateurs notre tmoignage contraire. La Correspondance de Rome, quelle que soit par ailleurs son autorit, a sauv du chaos libral toute une partie notable des intelligences franaises. Elle a droit, non seulement notre respect, mais notre gratitude pour son courage, sa droiture, la somme tonnante de labeur et de talent qui s'y dpense. Il suffit. On se rendrait encore mieux compte de l'extrme utilit et importance de ce service, e n examinant rapidement ce que sont le principaux reprsentants de la presse franaise Rome, autour du Vatican, et de ce solide noyau journalistique. La grande presse dite d'information, comme le Matin, n'a pas mme pris le soin d'tablir une agence srieuse de renseignements
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dans ce grand centre retentissant de la politique internationale qu'est la Rome papale. On lui tlphone ple-mle des rognures de la Stampa ou mme du Messagre-, cuisines dans les plus basses officines maonniques de la Ville Eternelle. C'est bien assez bon pour sa clientle, qui n'y regarde pas de si prs. L'Univers et la Croix, au contraire, ont des correspondants trs assidus, mais tous deux spcialiss dans l'information proprement religieuse et rests l'cart des grands courants de la nouvelle politique (pontificale. Celle-ci a des ennemis acharns; et il faut compter au premier rang, M. Maurice Pernod, correspondant des Dbats, qui a runi prcisment en volume ses factums hebdomadaires contre Pie X, ses directions et ses serviteurs. C'est un vritable pamphlet, assez lourd d'ailleurs. Si bien qu'on assiste ce paradoxe en action que le correspondant du Temps, par exemple, M. Jean Carrre, malgr la nuance plus radicale de son journal, donne, sur les affaires de Rome une note perptuellement plus modre, gnralement quitable et d'une information puise davantage aux sources authentiques, que son injurieux confrre du vieil organe universitaire libral. M. Mreu, "du Figaro, envoie peu. de choses et mauvaises. La perfidie active de M. de Narfon suffit la maison, et ce prtendu correspondant romain a d'autres besognes mener de front l-bas! L'Echo de Paris, trs clectique, a, lui, les deux notes. Un de ses correspondants, qui signe de l'initiale C , parat attitr au Quirinal et l'Ambassade de France; il n'y a pas lieu d'ajouter grande crance aux bruits religieux dont il lui chappe de se faire l'cho. e n'est pas s a partie. Son confrre, M. D., donne au contraire d'excellentes dpches romaines, courtes, mais substantielles et justes. Je ne sais o e n est la Libre Parole. Aprs diverses expriences, il semble qu'elle s'en tienne dsormais compiler les sources franaises les plus sres. Quant Aventino, de Y Action franaise, il faut convenir, en dehors de toute proccupation politique, que son information est la fois la plu abondante, la plus complte et la mieux inspire. Les jaloux o u les ennemis s'en vengent en feignant de reconnatre, sous ce pseudonyme, Mgr Benigni, lui-mme.
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Ami fidle et accueillant pour tous ceux qui viennent lui avec franchise, tincelant d'humour et de savoir, honor de tous* pour son crasante activit, nul en vrit n'est Rome moins mystrieux, plus inform des choses de France et plus sympathique tout effort Vraiment catholique que Mgr Benigni.
Un mot maintenant de la lettre adresse par S. S. Pie X au Gnral des Dominicains. En voici d'abord le texte :
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Au Rvdissime Pre Hyacinthe-Marie Cormier, Matre gnral des Dominicains, Rome. Au Rvrendissime Pre Je vous suis bien reconnaissant du rapport que vous m'avez remis aprs votre visite de la Facult thologique de l'Universit de Fribourg, dirige par vos chers confrres les PP. Dominicains. Je ne puis en effet que me rjouir des nouvelles que vous m'avez donnes de leur enseignement, bas sur les principes tant philosophiques que thologiques de saint Thomas d'Aquin et conforme en tout aux rgles tablies par ce Sige Apostolique comme une digue contre l'invasion des erreurs modernes. J'en ai la confiance : ces bons Pres, fidles aux dispositions particulires prises par vous, continueront de marcher toujours plus courageux dans cette voie. Comptant sur leur bont et sur leur zle, je suis certain que, dans leurs cours comme dans le Convict, ils cultiveront chez leurs lves, par une sage discipline, l'esprit ecclsiastique, combattu aujourd'hui par l'esprit du monde aussi fortement que le dogme catholique l'est par le naturalisme et le libralisme. De cette manire, ils mriteront de voir affluer, en grand nombre, leurs leons, des disciples d'lite, qui, de retour dans leurs diocses, par la saintet de leur vie et la puret de leur doctrine, non seulement feront honneur leurs matres, mais deviendront de vaillants dfenseurs de la foi et seront l'dification du peuple chrtien. Et, dans la certitude de ce rsultat, j'accorde avec une particulire |affection Vous, Rvrendissime Pre, aux bien-aims Pres Professeurs et leurs chers lves, la Bndiction Apostolique. Du Vatican, le 11 juillet 1911. PIE X, PAPE. On .ne devait pas manquer de faire un rapprochement entre cet acte et les critiques rcemment exprimes dans notre revue sur la dite Universit. La /< Croix elle-mme, si je l'ai bien lue, Ta insinu. c Le Bulletin de la Semaine , lui, l'a fait dans son style : Les attaques sournoises auxquelles, comme tant d'autres vigoureuses uvres catholiques, l'Universit de Fribourg s'est vue en butte de la part des professionnels de la suspicion, donnent un prix tout particulier la lettre que le Saint-Pre vient d'adresser au Matre gnral des DoIminicains. L* Bulletin de la "Semaine qui s'y connat si bien en fait de sournoiserie, aurait pu se rendre compte de la diffrence, de l'opposition qu'il y a entre ses procds et les ntres. Quelques brves observations lui donneront, s'il est de bonne foi, le regret de constater que nos critiques ne doivent faire attacher aucun prix particulier cette 'lettre, parce que la lettre n'a aucun rapport avec les critiques. 1 Cette lettre est restreinte la Facult thologique de Fribourg et de son enseignement. Or, notre correspondant n'a pas crit une ligne qui mt cet enseignement en cause. Il a parl de l'esprit libral, sil-
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lonniste et modernisant qui rgne dans une partie de l'Universit. La lettre du Pape ne s'occupe pas d'elle en gnral et ne contient pas un mot ayant l'apparence d'une rhabilitation sous le rapport indiqu. On y lit des avis qui sembleront plutt supposer la possibilit de ces abus. Notre correspondant a signal la faiblesse de la Facult de thologie rsister aux agissements du parti libral; il a constat mme que dans une sance solennelle de rentre, le R. P. Zapletal, recteur sortant de fonction, n'avait pas cru devoir insister, autant qu'on s'y serait attendu, sur les graves actes doctrinaux du Saint-Sige. Mais ce sont l des faits de conduite trs distincts de l'enseigniement thologique, unique objet de cette lettre. 2 La lettre de Sa Saintet n'exprime mme pas un jugement personnel sur ce qui en fait l'objet. Le Pape accepte le rapport qui lui est prsent et en suppose l'exactitude. 3 Aprs cela, si l'on veut y voir l'quivalent d'une fiche de consolation, c'est une apprciation trs libre. Mais supposons mme que le Saint-Pre ait adress directement l'Universit de Fribourg, et non pas une Facult spciale, un tmoignage de sa haute satisfaction, fa.udrait-il en conclure qu'au jugement du Saint-Sige, on ne devrait pas douter que tout y ft correct et en parfait accord avec ses directions? Ce serait en exagrer trangement et dangereusement la porte de ces marques de la bienveillance pontificale. Ce n'est pas une fois seulement, par exemple, si nous nous en souvenons bien, que l'Institut catholique de Paris en a t l'objet. Cela empche-t-il qu'on ait pu justement signaler qu'il comptait des lments douteux et des influences contraires aux directions, aux prescriptions du Saint-Sige? Il suffit de rappeler le nom et les uvres de M. l'abb Klein et de M. Paul Bureau. Cela empche-t-il qu'il y ait, ou qu'il y ait e u parmi les tudiants de cet Institut un fort courant sillonniste et semi-moderniste; et cela donne-t-il tort ceux qui ont cherch l'endiguer?' Et pour nous en tenir un seul fait appartenant au prsent comme au pass de cet Institut, cela veut-il dire qu'on ne paisse signaler comme peu conforme aux prescriptions de l'Encyclique Pascendi , sans parler d'autres considrations., qu'un fonctionnaire de l'Institut catholique soit en mme temps secrtaire gnral de la rdaction d'une revue aussi sournoisement et aussi constamment hostile aux directions du Saint-Sige que le Bulletin de la Semaine? Emm. BARBIER.
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H O M M A G E A S.S. L E P A P E P I E X
A l'occasion de l'anniversaire de l'lvation de S. S. Pie X au trne pontifical, YOsservatore Romano (4 aot) a publi, sous la plume
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de son directeur, un mouvant article que nous reproduisons e n faisant entirement ntre cet hommage d'une vnration, d'une admiration et d'une reconnaissance inexprimables. Saluons aujourd'hui avec un affectueux respect et une filiale allgresse le huitime anniversaire de l'exaltation de Notre-Trs Saint-Pre Pie X sur la chaire de Pierre; saluons-le avec cet amour profond et spontan, avec cette mme joie intense, qu'prouva le monde catholique en le voyant arriver cette chaire de vrit, o l'avaient lev ses vertus sacerdotales, son. zle d'aptre, sa soumission la volont divine, son humilit conqurante la plus efficace de tout faste et de toute grandeur, son abngation et son esprit do renoncement, pouss jusqu'au sacrifice de soi-mme, jusqu'au martyre. C'est un sacrifice, prcieux aux yeux de Dieu et des hommes, qu'il accomplissait en gravissant les degrs de ce trne auguste, vers lequel se tournent de toutes parts le regard et le cur des fidles, tandis que se dclarent contre lui des aversions de plus en plus atroces, les haines, les traits empoisonns des fils de tnbres. Ceux-ci, en effet, le calomnient parce qu'ils le craignent, ila redoublent contre lui d'assauts furieux parce qu'ils savent bien que, s'ils peuvent dchirer le cur paternel de celui qui sige sur cette chaire, ils ne sauraient branler les bases granitiques sur lesquelles elle repose. Et, en vrit, l'uvre de la puissance des tnbres, commence .contre l'Eglise de Jsus-Christ ds son berceau, s'est continue travers les -sicles sous mille formes diverses. Dans une perptuelle vicissitude, se sont succd les luttes sanglantes et les combats d'ides et de paroles, les embches de l'erreur et la violence des perscutions; mais cette uvre satanique semble prendre de nos jours des proportions encore plus vastes; partout elle multiplie des plus dures preuves pour l'Eglise, des amertumes et des douleurs sans fin pour le cur de pre de son vnr et souverain, Pasteur. Chaque anne ajoute sa couronne, faite l'image de celle de son divin Matre, une pine plus pntrante; chaque anne, la guerre satanique dclare l'Eglise s'tend, dborde, inonde quelque nouveau coin de terre ravage et dchire quelque portion nouvelle du mystique troupeau, trouble et rvolutionne quelque partie du royaume pacifique de JsusrChrist sur la terre. Et le doux Pasteur, au spectacle attristant d'une telle malice, du haut de son trne, comme autrefois le divin Rdempteur du haut de la montagne, fixe sou regard eu pleurs sur l'univers. Il ne s'attriste pas, non, il ne pleure pas sur lui-mme, sur les outrages dont il a t souvent l'objet, sur les angoisses qui l'assigent, sur l'amre passion que lui apprte de jour en jour, d'heure en heure, la mchancet des hommes. Il s'attriste et il pleure sur l'outrago qu'on prodigue eu tant d'endroits la sainte loi de Dieu, de son Eglise, de ses ministres,- sur les embches et les guet-apens partout dresss aux gnrations qui viennent; sur les redoutables preuves et les pres prils suspendus sur la tte de tant' de ses fils indignement perscuts au seul titre de croyants. Il s'attriste et il pleure sur l'aveuglement des ennemis de la Religion et de l'Eglise, sur les forfaits qu'ils commettent et qu'ils ne cessent de mditer, sur les terribles responsabilits dont ils chargent leur conscience. Il pleure sur la nouvelle Jrusalem, sur la socit d' prsent, qui s'en va rvant d'un second dicide, reniant Dieu, l'arrachant du cur des croyants, supprimant son image et son nom de toutes les formes, de toutes les manifestations de la vie sociale.
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Dans cette plainte il n'entre ni effroi ni faiblesse; rien que la tendresse du Pre, galement attach ses fils innocents qui souffrent et aux fils pervers qui les font souffrir. Pour le rconfort des uns et le salut des autres, il offre au Seigneur ses propes amertumes, ses propres douleurs. Et c'est pourquoi, Trs Saint-Pre, quoi qu'il nous en cote en ce jour de fte, nous prouvons le besoin de rappeler vos douleurs. Car elles sont votre vritable gloire, la cleste aurole qui orne d'une lumire divine la sublimit de votre sacrifice. Elles sont le tmoignage de la crainte que votre vertu, votre saintet inspirent l'enfer et ses fidles ministres, au point qu'ils ressentent ce grand besoin de rendre plus froce la guerre dclare l'Eglise gouverne par Vous, aux doctrines dont vous tes le Docteur, la loi de Dieu dont vous tes le vigilant gardien. Grce votre parole, parole de vrit, parole de sincrit et de simplicit vanglique, vous avez contraint l'erreur jeter le masque, se montrer telle qu'elle est, vous combattre et vous har en tant que vicaire du Christ. Jamais peut-tre n'apparut plus visible le conflit, jamais peut-tre comme l'heure prsente l'entreprise insidieuse des ennemis duf nom chrtien tne s'insinua plus audacieuse et plus meurtrire jusqu'au cur des peuples et des nations catholiques. Et c'est pourquoi jamais la mission confie au Suprme Pasteur de l'Eglise n'apparut plus ardue et plus dlicate qu' l'heure prsente, o les loups ravissants se sont glisss la drobe jusque dans le bercail. Jamais l'uvre d'un Pontificat ne fut plus sainte ni plus glorieuse que celle qui vous est confie. Rappeler d'ailleurs les difficults de cette haute mission, en montrer toutes les difficults et tous les prils, c'est redire ' en mme temps l'excellence fie l'Homme qui lui a t prpos. Mais, pour en revenir notre premire pense trouble par ces glorieux chagrins, nous, vos fils dvous, nous prouvons le besoin, Trs Saint Pre, de vous dire en ce jour, en notre nom et au nom de tous nos frres de l'univers catholique, que toutes vos peines, nous les ressentons au plus profond de notre cur, que nous les partageons avec vous, que nous voulons, pour autant que nous le pourrons, vous en ddommager par notre dvouement et notre affection. Remplis de confiance en la divine providence, nous multiplierons nos- prires afin que ces jours de deuil soient abrgs. Nous unissons de bon gr votre holocauste le sacrifice de l'amertume que nous prouvons vous voir souffrir. Et puisse ainsi se renouvveler de nos jours, comme aux temps de l'aptre Pierre, l'union des fils de l'Eglise n'ayant qu'un seul cur et une seule me avec leur Pasteur. A.
Les journaux milanais et YOsservatore Eomano publient un Bref trs important adress par Je Saint-Pre aux vques de Lombardie, en rponse l'adresse qu'ils avaient envoye | l'occasion de leur rcente confrence | Rho. En voici l a partie essentielle : Nous approuvons c e dessein; mais en mme temps Nous vous exhortons de veiller attentivement pour que ceux dont la tche est d'crire dans ces sortes de publications, non seulement ne s'cartent jamais du magistre de l'Eglise dans la dfense et la diffusion de la doctrine catholique, mais encore suivent avec un religieux
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scrupule toutes les directions du Saint-Sige. Il importe que chacun de vous soit convaincu que certains journaux dont la tendance habituelle est de persuader aux catholiques de subir sans protester les dommages infligs la religion par ceux qui, en bouleversant l'ordre public, ont ruin la proprit et opprim la libert de l'Eglis e ; de n e pas s e proccuper des conditions iniques faites au Sige apostolique, et de celles, plus dures encore, que lui prparent ses e n n e m i s ; de n'avoir cure que de clbrer le gnie et l'orthodoxie de tels auteurs dont les crits, examins de prs, s e trouvent fourmiller d'inexactitudes et d'erreurs trs funestes; enfin, s o u s l'honorahle couvert du nom de catholiques, de pntrer plus facilement dans toutes les maisons, de passer dans toutes les mains, d'tre lus par tous, y compris les ecclsiastiques, que chacun de vous, disons-Nous, soit convaincu que c e s journaux produisent chez les catholiques une perversion du jugement et de la discipline que n e produiraient mme pas les journaux ouvertement hostiles l'Eglise. Quant aux Associations catholiques, que Nous souhaitons voir se multiplier et prosprer dans chacun de vos diocses, il importe aussi de veiller trs attentivement ce qu'elles observent trs fidlement la discipline, et que chacun de leurs membres professe et dfende franchement sa foi au foyer et en public,
Il ne manquera pas de gens, e n France ou ailleurs, pour observer que ce document n e s'adresse qu'aux vques de Lombardie. D'accord, ou plutt non : les vques de Lombardie, en sont destinataires, et la leon s'applique directement leurs subordonns; mais s'il existe, dans d'autres rgions ou d'autres pays, des journaux catholiques dont l'attitude soit celle qui est ici analyse avec pntration et qui ne croirait que le Pape tende au loin son regard? sur ceux-l tombe aussi la svrit de son jugement. Selon la vieille formule : bon entendeur, salut!
CHAUVINISME
DMOCRATIQUE
Les dmocrates chrtiens se montrent chauvins leurs heures, mais c'est d'un chauvinisme retors qui sert de masque autre chose. Quand ils disent vive la France! c'est pour vous amener par surprise crier : vive la Rpublique! et presque : v i v e la Rvolution! Ainsi font aussi les blocards. Au lieu d'avoir la note, exubrante sans doute et quelque peu tartarinesque, mais sincre et franche, du chauvinisme de bon aloi, celui de nos dmocrates chrtiens rend un son faux et tourne invitablement la Marseillaise. Cet enthousiasme feint cache un mesquin et pitoyable calcul politique qui, pour mieux se dissimuler, mle la foi au patriotisme, mais ne fait e n (dfinitive, quoi qu'il en soit des intentions, qu'outrager l'un et l'autre. Abusif et blessant pour le pur sentiment national et leligieux sur toute lvre o u sous toute plume catholique, ce calcul l'est encore davantage quand il se dcouvre dans quelqu'un de ces grands organes de
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la presse qui s'honorent 1-e plus hautement de ne servir que la cause de Dieu et arborent leur frontispice, comme une loquente dclaration, l'image de notre divin Crucifi. Tel est le cas de La Croix du Nord, journal rgional grand tirage, dans son numro du 25 juillet 1911, avec son article de tte intitul : Dner en France!... Les Congrgations enseignantes proscrites de France par la Rpublique ont reform en Belgique des centres d'ducation. Une nombreuse jeunesse va leur demander la formation catholique qu'elle ne peut plus recevoir dans sa patrie. C'est l'exil, ou, du moins, pour elle, le sjour forc l'tranger, avec le cortge d'impressions pesantes qu'il comporte mme pour de jeunes mes choyes par des instituteurs dvous, et avec ses heures invitables de nostalgies. Un de ces jeunes collgiens, dans une de ces heures, presse un correspondant qui habite prs de la frontire, de venir lui faire passer son jour de sortie. L'aimable ami accourt, le promne, et le fait entrer dans un restaurant pour djeuner. Le gamin, qui a son ide en tte, n'en a rien dit encore. Mais voil qu'il fait la petite bouche sur tout ce qu'on lui offre, puis, soudain, s'crie : allons djeuner en France, c'est si prs! Il faut lui cder. On prend le train. C'est l'affaire d'une heure. Et, le soir, l'enfant rentre dans sa maison d'exil, radieux de- son heureuse journe. Il y a l matire une mouvante fantaisie, sinon un article de tte dans un journal. Mais voyons comment La Croix du Nord sait en tirer parti. J'ai rsum son rcit. Voici la partie intressante : A dix ans ils sont irrsistibles. Je fis ce que vous auriez fait ma place. Pestant part moi contre mon compagnon capricieux qui me faisait manquer mon dner, je m'embarquai trois quarts d'heure plus tard avec ce jeneur obstin dans le train de Baisieux. L'enttement du petit m'intriguait et tout prix je voulais trouver se secret mobile qui le poussait revoir la France. Ah 1 ce ne fut point long. Quand nous emes pass d'un moment la gare de Blandain, mon collgien qui depuis quelques minutes observait le paysage avec des yeux brillants, renifla soudain bruyamment le bon air de la campagne franaise qui par la portire nous arrivait dans la figure en chaudes bouffes. Les premires maisons franaises mergrent des moissons dores; des drapeaux tricolores claquaient leurs faades dans le soleil et dans la brise. Alors le brave petit homme battit des mains et se rejetant dans le wagon, il m'enveloppa d'un regard que je reverrai toujours. Maintenant je comprenais : Ce que j'avais pris pour un caprice, c'tait un imprieux besoin pour ce gamin de revoir son pays. En ce jour de fte nationale, son invincible instinct de bon petit Franais lui avait command do revenir fouler pour quelques heures la terre natale, et saluer les trois couleurs de chez nous. Oui; je comprenais. La souffrance de l'exil impie n'avait fait qu'approfondir au cur de cet enfant l'amour de son pays et le jour du 14 Juillet une nostalgie l'avait pris de la douce France que rien ne peut arracher de l'me namoure de ses ils bien-ns. Et de sentir affluer dans cette jeune poitrine, monter ces joues roses
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colores soudain d'une motion plus vive, chanter sur ces lvres l'orgueil quand mme d'tre Franais, d'appartenir la nation la plu& glorieuse du monde, je compris l'impuissance absolue de la franc-maonnerie mauvaise tuer l'ide de Patrie dans le cur des petits catholiques qu'elle exile. Le patriotisme et la Foi sont immortels; on peut les proscrire; on ne saurait les prescrire. On a voulu punir en ces enfants les croyances, de leurs pres et le culte de leurs traditions. Fort bien; ils sentiront mieux p. vingt ans tout le prix, ils seront plus fiers et plus pris de convictions pour lesauelles ils auront souffert. ... A manger du pain de France, boire du vin de chez nous mon cher mioche, qui me faisait vivre une heure vibrante de patriotisme, p.vait retrouv son bel apptit. Le soir il rentra radieux dans sa pension et la bonne religieuse ftjui lui demanda s'il ne regrettait point son aprs-midi, il rpondit simplement : Je l'ai passe dans mon Paysl Cette femme aussi tait de chez nous. La joie de l'enfant aviva sa douleur inconsolable d'exile. Les yeux remplis de larmes singulirement brlantes, pleines lvres de compatriote et de mre, elle embrassa les joues roses, comme pour respirer le parfum qu'y avait mis l'indicible caresse de la brise de France.
J. S.
Et, de peur qu'on ne saist assez bien le sens de son article, le rdacteur avait commenc par dire : Ce petit m'avait pri de l'aller voir dans la Pension, quelques, kilomtres de Tournai et, surtout, de choisir cette visite le jour de la fte nationale. On ne peut donc se mprendre sur l'^uSo; 3/jAot. L'exaltation du patriotisme chez notre petit hros n'est ici qu'une feinte pour introduire subrepticement l'acceptation par les catholiques de la fte nationale de la Rpublique. L'apologue est pour nous apprendre que c'est l'anniversaire de la prise de la Bastille, ouverture sanglante et monstrueuse de la Rvolution, mais devenue vraie fte nationale pour nos enfants catholiques, qui rveille en eux l'amour de la douce France et l'orgueil d'appartenir la plus glorieuse nation du monde, leve cette hauteur depuis le jour o elle a bris le joug des tyrans. L'amour de la France, c'est l'amour de la Rpublique et le patriotisme des petits Franais levs par nos religieux exils est incarn pour eux dans le gnie de la Bastille. Il reste se demander comment le petit Franais, form par ces leons, conciliera le sentiment du vrai patriotisme et le vritable amour de sa foi religieuse avec les enseignements de la fte nationale o on lui apprend les retremper. Le 14 juillet est la date symbolique impose par la Franc-Maonnerie pour clbrer son uvre d'anarchie sociale et religieuse. Si c'est ce souvenir hroque qui entretient ces grands sentiments au cur du petit Franais, je crains bien, qu' en approfondir la source, il ne dcouvre peu peu qu'ils ont besoin d'tre transforms. Pour tout dire, s'il est un moyen de permettre la Franc-Maonnerie de parvenir les dformer dans Pme des
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petits catholiques qu'elle exile, c'est celui que prend La Croix du Nord. Et, son calcul dvoil, comme cet article souffl parat piati
L'COLE
LAQUE, N E U T R E (1)
Que faut-il entendre par cole neutre? Quel doit tre sou programme? Existe-t-elle ? Est-elle possible ? Est-elle dsirable ou admissible pour des catholiques ? La neutralit, en gnral, suppose des partis, des opinions, des tendances plus ou moins opposes : on est neutre lorsqu'on se tient en dehors, l'cart, sans incliner d'aucun ct. Disons tout de suite qu'en fait d'cole neutre, il ne s'agit ici que d'ides religieuses. On peut concevoir deux sortes de religions, la religion naturelle et les religions positives. Tout homme peut et doit connatre Dieu, son Crateur, son Matre, son Rmunrateur, lui payer un tribut d'adoration, de gratitude, de rparation, de prire. C'est (ce serait, si elle existait quelque part l'tat pur) l'essence de la religion naturelle. Tout homme doit tre religieux. Il doit faire ce qu'il peut pour observer la loi naturelle et solliciter le secours de Dieu, pour ce que, priv de ce secours, il ne pourrait pas. La simple raison dmontre que l'homme irrligieux est un phnomne comme nature; et la cause de cette monstruosit vient, non de la nature elle-mme, mais des dispositions morbides de la volont. Il y a des religions positives, c'est--dire des religions qui surajoutent aux lments de religion naturelle des croyances, des rites, des pratiques rvls, imposs (ou crus tels) par une intervention libre de Dieu. Ces religions positives font profession de complter la religion naturelle; elles ne peuvent en aucune manire lui tre opposes, ni briser ou fausser les rapports ncessaires qui unissent la crature son Crateur. L'cole peut-elle garder la neutralit vis--vis de la religion naturelle, se tenir l'cart, en dehors? Poser la question, c'est la rsoudre. S'il existe, au sens indiqu plus haut, une religion naturelle, elle s'impose tout esprit que n'obscurcissent pas les prjugs ou les passions. On he peut pas plus tre neutre vis--vis de la religion naturelle qu'on ne peut l'tre vis--vis de la nature. Si l'on objecte que l'cole doit garder la neutralit philosophique, je rponds qu'on quivoque grossirement sur le mot philosophique. Toute perception de notre intelligence peut, dans un sens trs large, tre appele philosophique; tout homme qui' raisonne est philosophe. Mais, dans le sens propre du mot, celui-l seul est philosophe, qui recherche les causes intimes des choses et tire, des premiers principes, des conclusions hors de la porte du vulgaire. Ici trouve sa place la distinction que nous faisions ailleurs. Tout objet sollicite notre esprit sous un double rapport : sous le rapport de son existence, sous le rapport de sa nature. Il n'est pas ncessaire d'tre grand philosophe pour affirmer, la vue d'une horloge, l'existence d'un horloger. De mme, la vue de cet univers, tout homme peut facilement conclure
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qu'il ne s'est pas fait tout seul et, par suite, qu'il existe quelqu'un qui en est l'auteur. L'objection pche encore en supposant que toute connaissance acquise par renseignement est philosophique, parce que, si elle ne l'tait pas, chacun pourrait l'acqurir par soi-mme. A ce compte, presque tout l'enseignement du matre d'cole est philosophique, car il enseigne bien des choses que les enfants ne trouveraient pas tout seuls. Puis, il ne rpugne pas la raison, il n'est pa!$ indigne d'elle de savoir une vrit sur la seule attestation d'un homme probe et, clair. Aussi, Je matre d'cole peut-il donner ses lves certaines conclusions philosophiques, dont ceux-ci ne peroivent pas les fondements ou la dduction. jConnatre une vrit, mme sans en saisir les motifs, est un biein pour l'intelgence. Enfin, il y a dans la philosophie elle-mme des connaissances qui sont ou qu'on peut mettre facilement la porte des plus simples esprits. Telle la connaissance de Dieu, de la spiritualit, de l'immortalit de l'me; tels les principes et les premiers prceptes de la morale. Que si, par neutralit philosophique, on entend que le matre d'cole ne doit rien enseigner qui ne soit admis par tout le monde, ou qui ne soit ni par personne, le matre d'cole ne pourra rien enseigner, car il n'est pas de vrit qui n'ait t rvoque en doute ou nie par quelque esprit dtraqu. On ne peut donc pas dire que l'cole doit garder une absolue neutralit philosophique et que, sous ce prtexte, le matre d'cole ne doit parler ni de Dieu, ni d'me, ni de vie future. Cette neutralit est, d'ailleurs impossible. Dans une foule de circonstances, le matre d'cole doit se prononcer sur bien des points; il doit affirmer ou douter; son silence mme est un enseignement. Inutile d'insister; nous avons, ce sujet, les aveux les plus explicites et les plus autoriss. On ne parle de neutralit philosophique que pour tromper les simples et pour nier l'aise toute religion. Quelle sera donc la neutralit de l'cole neutre? Puisqu'il ne peut pas tre question de neutralit philosophique, et mme que cette neutralit est moralement impossible, reste que la neutralit soit confessionnelle. L'cole neutre, seule possible, est une cole non-confessionnelle. Elle s'abstient d'enseigner les dogmes et les prceptes positifs, particuliers une confession; elle s'abstient de tout blme et de toute attaque, directe ou indirecte, l'gard de ces dogmes- et de ces prceptes. Si elle n'a pas le premier caractre, elle est confessionnelle; si elle n'a pas le second, elle n'est pas neutre. Elle s'abstient de toute attaque indirecte; il est une manire de prsenter des ides ou des faits d'histoire, qui, sans tre une attaque formelle, laissent percer un esprit. Une fois, en passant, les lves peuvent ne pas le remarquer: mais, la longue, ils en subissent insensiblement une influence pire que d'attaques ouvertes et forcenes. Bien que l'cole laque soit excrable, on peut absolument s'en dfendre; de l'cole anmiante, on ne se dfend pas. On peut fltrir, anathmatiser un matre laque; le matre filtre empoisonn dfie toute sanction, comme toute censure. Quel doit tre le programme de l'cole neutre? En gros, le programme de l'cole neutre comprend deux aspects, l'un ngatif, l'autre positif. L'cole neutre doit s'abstenir de toute attaque ou mme de toute insinuation malveillante l'gard des diverses confessions religieuses : c'est l'aspect ngatif; elle doit enseigner la religion naturelle : c'est l'aspect positif. Mais observation importante elle ne doit pas
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enseigner la religion naturelle de telle sorte que les enfants comprennent qu'il n'y a rien et qu'il ne peut y avoir rien de plus. Ce serait manquer la neutralit, mme nier implicitement toute religion positive. Bien loin d'insinuer qu'il n'y a rien au del de la religion naturelle, le matre d'cole neutre doit dire ses lves qu'il existe, en plus, des religions particulires, qui ont la religion naturelle pour base : s'il s'abstient d'en parler, c'est qu'il veut seulement leur -enseigner ce que dicte tout homme une saine raison. Quant ces religions particulires, chacun est tenu d'couter et de suivre avec le plus grand soin les leons qui lui seront donnes. Ainsi, dans un cours lmentaire de mathmatiques le professeur, pour l'tude des mathmatiques spciales, renvoie ses lves z un autre enseignement. La premire vrit religieuse que doit enseigner tout matre neutre, vrit fondamentale, sur laquelle repose toute ide d'obligation, de droit, de devoir, de contrat, toute morale, c'est l'existence de Dieu. Cette vrit peut tre perue par tout homme, non seulement sur l'autorit de celui qui l'enseigne, mais sur des preuves faciles, videntes, la porte de toute intelligence. L'cole qui ne l'enseigne pas n'est pas neutre, car elle prend parti contre la raison et contre l'ordre moral. La libre pense est une philosophie (extravagante), un culte, le culte de soi et de l'indpendance. Pour avoir le droit de l'enseigner, il faudrait en apporter des preuves aussi manifestes que les preuves de l'existence de Dieu. Il ne faut pas tromper J'enfaht. Quand il aura grandi, et peut-tre acquis une science plus tendue, il ne doit pas se trouver mme de jeter son ancien instituteur la fltrissure d'ignorant ou de menteur. Si le matre d'cole ne peut pas se rendre le tmoignage qu'aucun de ses lves ne l'accusera, plus tard, de l'avoir tromp, c'est un malhonnte homme : il abuse de l'impuissance de ses lves pour leur enseigner l'erreur. A cette premire notion de l'existence de Dieu, le matre d'cole neutre doit ajouter la connaissance des attributs divins : ncessit, plnitude de l'tre, infinit, sagesse, bont, toute-puissance, immensit, justice, misricorde... Tout cela n'est que la consquence logique de l'existence de Dieu, peru comme cause premire de tout ce qui existe et pourrait exister. L'homme n'est pas qu'une abjecte matire, semblable aux animaux : spiritualit, immortalit de l'me; sa destination un bonheur qui ne passe pas,, bonheur que le seul vrai infini et le seul bien infini peuvent lui donner. Loi naturelle, originaire de Dieu, conscience. Principes de moralit; prceptes do la loi naturelle, parmi lesquels le principal est le culte de Dieu et la prire... Ainsi dfinie, l'cole neutre exste-t-elle, l'heure prsente, en France? Peut-tre, dans quelques rares communes, o l'on conserve encore, par . prudence, des matres moins irrligieux ou mme catholiques. Mais, en principe, l'cole est laque : plus de Dieu nulle part, la guerre ouverte ou hypocrite l'Eglise catholique. Les manuels scolaires, condamns par les vques, ne sont seulement le fruit spontan de l'cole laque; ils sont encore la manifestation de l'esprit qui anime, gnralement, les matres d'cole; ils rpondent leur mentalit. De l tous ces procs intents, bruyamment et sans vergogne, aux vques par les Amicales. Aussi la disparition de ces manuels ne serait qu'un bien tout fait relatif; reste le mal le plus profond et le plus irrmdiable : l'instituteur laque. Ecole laque et cole neutre sont deux termes irrductibles : non seulement l'cole neutre ne peut pas nier ou attaquer ce que nie et attaque l'cole laque, mais elle doit positivement l'enseigner.
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
Donc nous sommes en droit de dire que l'cole neutre n'existe pas en France. Peut-elle, du moins, exister? Elle pourrait exister, puisqu'on peut concevoir des matres, qui s'abstenant de toute attaque directe ou indirecte contre la religion, se contentent d'enseigner, sur Dieu, sur l'me humaine, sur le devoir et la vie future, les vrits fondamentales qui s'imposent la raison. Mais, en fait, les hommes qui nous gouvernent professent hautement l'athisme; ils font de l'cole laque un des pivots de leur politique. Aussi bien les matres d'cole sont eux-mmes, en trs grand nombre, imbus de lacisme ou d'athisme. Alors mme que, sous les cris de rprobation, ils consentiraient garder, quelque temps, un certain respect pour la religion, ils {ne le feraient que contre leurs convictions personnelles; ils laisseraient toujours percer quelque chose de leurs sentiments; et ce respect mme extrieur ne saurait durer. Avec de tels matres, l'cole neutre est impossible. La neutralit du matre doit venir de sa conviction; en fait de neutralit, les matres actuels, pour la plupart, sont disqualifis. Ce n'est pas l'cole qu'il faut modifier, ce sont les matres qu'il faut remplacer. Evidemment, l'Etat, tel qu'il est, n'y consentira jamais : raison de plus pour les catholiques et les honntes gens d'exiger la libert de l'cole. Et l'cole ne sera vraiment libre que si les matres reoivent, au prorata du nombre des lves, les mmes subsides que les matres de l'Etat. En tout cas, la conclusion qui se dgage immdiatement, c'est que les parents catholiques doivent tout faire en conscience, pour ne pas confier leurs enfants aux coles primaires de l'Etat (1). Les parents juifs ou protestants le doivent aussi, s'ils veulent conserver leurs enfants la croyance en Dieu et les premiers principes de -la moralit. Mieux vaut cent fois l'ignorance que le faux et l'immoral. Actuellement, un grand nombre de catholiques ont pris pour mot d'ordre : Des coles sans Dieu, dlivrez-nous, Seigneur. Cela ne suffit pas. Les coles de l'Etat sont trs souvent et ne peuvent plus gure, aujourd'hui, tre que des coles sans Dieu. Il faut donc dire : Aux coles de l'Etat refusons, tant qu'elles seront athes, nos enfants. Certes, loin de moi toute pense hostile envers l'Etat ou envers les personnes; mais le salut des enfants doit passer avant tout. Il faut dsabuser les parents, qui croiraient encore l'cole neutre ; qu'ils sachent bien que cette cole n'existe pas : avec le gouvernement et les instituteurs actuels, elle ne peut pas exister. Si l'Etat ne nous donne pas des matres d'cole vraiment neutres, il ne reste plus aux parents que d'envoyer leurs enfants a\ix coles libres, ou bien de ne les envoyer nulle part. On trouvera peut-tre cette conclusion excessive; on dira que les ministres du culte peuvent contrebalancer et annuler l'enseignement laque. C'est le contraire qui doit normalement arriver. Le ministre du culte aura beau enseigner le catchisme, l'instituteur aura tt fait de semer dans ces jeunes tte* et ces jeunes curs des ides qui toufferont la bonne semence. Hoc fecit inimicus homo. L'enfant est incapable par lui-mme de discerner entre deux doctrines; il ne raisonne pas, il ne contrle pas : il croit. Si le poison de l'erreur lui est habituellement servi, il le boit, sa raison naturelle en est blesse et sa foi religieuse tue. Si les principes les plus solides et les plus pressants d'une moralit parfaite (dont Dieu soit la. base) 1. On parle ici en gnral. Les cas d'espce doivent tre dbattus et jugs au concret, selon les circonstances particulires.
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ne lui sont pas fortement inculqus, on peut tre sur qu'il sera immoral, parce qu'il porte en lui-mme les principes les plus opposs. L'cole primaire laque est le plus grand flau qui puisse s'abattre sur un peuple. Si les ministres du culte veulent efficacement contre-balancer l'influence de l'cole laque, il n'y a qu'un seul moyen : la remplacer, et s'il s'agit de l'cole vraiment sans Dieu, autant qu'il est en eux, la dtruire. L'cole neutre est-elle dsirable ou admissible pour des catholiques? Pour des catholiques, elle n'est jamais dsirable en soi, parce que, dans L'cole neutre, l'enfant est priv d'une partie la plus considrable de la vrit qui lui est due; son instruction et surtout son ducation demeurent ncessairement tronques. Toutefois, dans le cas o des circonstances rendraient l'cole catholique officielle impossible, l'cole neutre est admissible, comme moindre mal que l'cole laque, ou mme comme bien relatif. Si l'cole neutre n'enseigne pas toute la vrit ncessaire aux catholiques, au moins, n'enseigne-t-elle pas l'erreur; si elle n'affectionne pas l'enfant sa religion, elle ne le dsaffectionne pas. Mais cette cole neutre n'est admissible, pour des catholiques, <ru' une double condition : que le matre insiste fortement sur les vrits fondamentales dont nous avons parl; que toute libert soit donne au ministre du culte pour enseigner les vrits spciales et les prcepLes particuliers de la religion. La premire condition s'impose. Le matre d'cole a sur ses lves une influence qui lui est propre. En supprimant, pour des catholiques, la partie la plus considrable de l'enseignement qui leur convient, il diminue d'autant l'influence qu'il devrait exercer sur eux. Il faut donc qu'il compense par la force avec laquelle il persuade ses lves les vrits premires qui rentrent dans son programme. Ce n'est que par ce moyen qu'il pourra former en eux l'homme moral. Rien de plus ncessaire aujourd'hui. Dans un pays o rgne la libert de la presse, llcole primaire, mme avec les meilleurs matres, doit presque infailliblement accumuler les ruines. Les enfants qui sortent de ces coles en savent assez pour tout lire; ils ignorent tout ce qu'il faudrait savoir pour se dfendre du mensonge et de l'erreur. Ils y sont d'autan* plus exposs que le mensonge et l'erreur se prsentent chaque pas, tantt sous les traits de la vrit, tantt sous l'aspect le plus sduisant du vice. Le matre d'cole ne saurait donc trop prmunir les enfants contre l'ennemi mille ttes qu'ils vont rencontrer. Il doit aussi, sans entrer dans l'enseignement confessionnel, les mettre en garde contre toutes les attaques antireligieuses; d'autant plus que ces attaques ne portent pas seulement sur une confession particulire, mais sur la religion naturelle ellemme. J'ose dire que l'cole laque ou l'irrligion ne doit pas rencontrer d'adversaire plus dcid que le matre d'cole neutre, s'il ne veut pas luimme tomber sous ses coups. . Quant la seconde condition, elle va de soi : les enfants catholiques ont droit recevoir l'enseignement catholique : il faut donc que le ministre du culte puisse en toute libert complter ce qui manque, sous ce rapport, par le fait de la neutralit du matre. Il convient que cet enseignement soit donn l'cole et comme exercice de classe; autrement ce ne serait plus qu'un enseignement accessoire. L'enfant se conduit, en grande partie, par l'imagination; s'il ne trouve pas dans l'enseignement un certain apparat extrieur, qui le relve ses yeux, il n'en fera pas grand cas. Et cependant, pour un catholique, l'enseignement catholique doit tenir la
CMtique du libralisme. 15 Aot. &
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premire place dans son esprit, parce qu'il doit tenir la premire place dans sa vie. Toutes ces rflexions sur l'cole neutre, si vraies qu'elles soient, restent dans Tordre platonique. A l'heure actuelle, il n'y a gure en prsence, en France du moins, que l'cole catholique et l'cole laque. Il faut donc, tout prix, multiplier et soutenir les coles catholiques. Si, ce qu' Dieu ne plaise, l'cole sans Dieu restait demain seule matresse de l'enfance oL de la jeunesse, il ne suffirait pas de protester; il faudrait dserter!
G. MACABIAU.
CONSEILS
DE
LECTURE
Le Bulletin de Sainte-Ccile, rdig par M. l'abb Birot, archiprtre de la. cathdrale d'Albi, bien connu do nos abonns, s'occupo de diriger les lectures des siens. Sous cette rubrique, nous indiquerons sommairement nos lecteurs les livres et les revues sur lesquels de prfrence peut se porter leur choix. Le Correspondant. Grande Revue bimensuelle, 35 fr. par an (Paris, 31, rue Saint-Guillaume). Le Bulletin de la Semaine. 8 fr. par an (Paris, 37, rue de l'AbbGrgoire) : parat tous les mercredis sur 16 pages grand in-4, et donne avec la plus entire impartialit et une complte indpendance tous les renseignements et documents relatifs l'histoire religieuse ot au mouvement social en France et l' ranger.
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Le Correspondant ne passe videmment en tte que pour frayer les voies au Bulletin de la Semaine. Voil les fidles d'Albi bien orients par leur archiprtre. Puis : Saint Jean Chrysostome, par ERMONI. M. l'abb Lugan, le distingu missionnaire diocsain dont s'honore le diocse d'Albi et qui a adress plusieurs fois la parole aux fidles de la Mtropole, a entrepris la publication d'uno collection d'tudes sur la Pense et Vuvre sociale du Christianisme. Son but est de dgager et de vulgariser les doctrines des Pres et des grands crivains chrtiens sur les principaux problmes sociaux, avec l'espoir de voir se dessiner de cet ensemble cle documents une sociologie inspire par le Christianisme. C'est un volume de cette collection, dans lequel M. Ermoni a rsum la pense de Saint Jean Chrysostome, que nous signalons aujourd'hui. (Paris, Tralin, 12, rue du Vieux-Colombier. Prix : 2,50). M. l'abb Ermoni a en effet quelques titres spciaux tre recommand comme guide social par M. Lugan et M. Birot. La revue moderniste internationale (avril 1910) a annonc sa mort en la dplorant comme une perte pour le parti moderniste. Elle rappelait sa collaboration aux Annales de Philosophie chrtienne sons la direction du trs audacieux abb Denis, la Justice sociale de M. l'abb Namlcl, o M. Ermoni crivait sous le pseudonyme de l'abb Morien des articles d'un rformisme violent, que j ai cits dans Les Dmot ?
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crates chrtiens et le modernisme , et un article trs scandaleux du mme, dans les Documents du progrs, sur la position des modernistes en face de l'Encyclique Pascendi, que notre revue a analys dans le numro du 1 septembre 1909.
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LES
AGISSEMENTS
DES
DMOCRATES
CHRTIENS
Dom Besse raconte dans VAction franaise du 7 aot comment oprent les dmocrates chrtiens en Sane-et-Loire. Son rcit est piquant. Il est suggestif aussi, car ce cfui se passe dans une rgion est, du plus au moins, ce qui se reproduit partout. Des incidents, qui remontent au mois d'avril, mettent cm pleine vidence les moyen* dont on use pour gagner au rpublicanisme et la dmocratie une partie de la jeunesse franaise. Il se forme ainsi des monopoles rpublicains et dmocratiques sous le couvert d'une action religieuse. Cette conqute est habilement organise. Elle a deux centres; l'un Pans, aux bureaux du journal la Dmocratie, et l'autre, Lyon, dans les bureaux de l'ancienne Chronique du Sud-est et du journal VExpress. Ce journal appartient au trust de la presse rgionale cr par M. Peron-Vrau avec le concours de capitalistes du Nord. Ces messieurs se figurent accomplir une uvre religieuse. Ils font, l comme Toulouse, Bordeaux et ailleurs, une uvre rpublicaine et dmocratique. La direction de l'Express, p-ar ses relations avec les abbs dmocrates prposs la direclion des uvres dnommes sociales, et avec le concours de ses correspondants, presque tous membres actifs do ces mmes uvres, tend son autorit rpublicaine et dmocratique sur plusieurs diocses. Je ne la crois nulle part aussi bien accueillie que dans le diocse d'Autan. Voici les faits. Ils me sont personnels. Je vais donc les raconter en tmoin. Les lecteurs comprendront au ton mme du rcit que la signature, place au bas de mes articles, n'est pas un pseudonyme. Les ftes du millnaire de Cluny m'avaiont cr des relations agrables avec le Maonnais. Je revis la capitale de ce dlicieux pays pendant l'hiver. L'acadmie de Mcon m'avait demand une confrence sur l'histoire monastique. Plusieurs personnes de Mcon eurent alors l'ide d'organiser une srie de trois confrences, que j'aurais consacres l'histoire du Catholicisme libral. Il tait convenu que je n'abandonnerais pas le domaine historique et littraire. Le projet fut bien accueilli : M. l'arohi prtre accepta la prsidence des runions, qui devaient avoir lieu dans la salle des uvres. Tout s'annonait au mieux. Cependant, le projet aboutit a un chec. J'appris par les organisateurs que M. rarchiprtro no prsidorait pas los runions, que les confrences n'auraient pas lieu dans la salle des uvres. Le vnrable ecclsiastique ajouta mme que rien ne serait chang a cctle dtermination, duss-jc parler sur les fins dernires. Cela sn passait pou do jours avant la date convenue. Je n'avais qu'une chose faire : annoncer que je ne ferais pas de confrence Mcon, ni dans la salle des uvres, ni ailleurs, comme on me le proposait. Qu'tait-il advenu? Il existe Mcon un groupe d'Action franaise. Son prsident m'avait demand une confrence pendant mon sjour en B O U T -
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gogne. J'avais accepl. Le Nouvelliste de Lyon eu dit un mot. Eh bien! ce simple fait de mon entre l'Action franaise de Mcon me rendait dangereux. Le clerg de Mcon se trouvait compromis. Il recula. Mais ces mouvements ne se font pas seuls, II y a toujours un artiste. Le correspondant de Y Express Mcon s'est vant d'avoir fait tout chouer. Ce jeune monsieur est une puissance. Comment s'y prit-il ? Je l'ignore. Il n'a pas livr ses secrets. Mais ce mystre n'est pas impntrable. Les incidents de Chalon ne manqueront pas de l'clairer. Nos amis de Chnlon voulurent utiliser les loisirs qu'un dmocrate maonnais m'avait mnags. Mal leur en prit. Les curs de la ville, cependant, leur tmoignrent la plus grande bienveillance. La salle des uvres tait mise leur disposition. Mais les dmocrates, qui ont envahi les uvres de jeunesse, ne l'entendirent pas ainsi. Ce sont des sillonnistcs. Le journal de Marc Sangnicr compte parmi eux de nombreux lecteurs. Son correspondant tient la Dmocratie au courant, jour par jour, de ce qui arrivait en l'occurrence. Une campagne fut mene domicile contre le confrencier. On y fit, la vrit quelques accrocs. Surtout, il fut convenu que la confrence n'aurait pas lieu dans la salle des uvres. Cela fut dit bien haut. Le clerg, pris entre les manifestations de cette journe et l demande du cotmit, n'hsita pas. Les dmocrates curent' gain de cause. La Dmocratie l'apprit par dpche. Les choses durent aller loin. Car MM. les curs de Chalon ne sont ni dmocrates ni libraux. Il y a dans le comit d'Action Franaise un homme qui s'impose par son caractre et par toute sa vie leur estime et leur reconnaissance. Une conversation me donna la clef de l'nigme. Mon interlocuteur me dit gravement : Nos populations sont rpublicaines. Si nous posions un acte pouvant tre interprt comme favorable la monarchie, nous perdrions sur elles toute notre influence . Cette rflexion explique l'tat d'esprit du clerg : Mais elle ne dit pas la provenance du rpublicanisme. . i - i . Les populations dont il s'agit sont quelques jeunes gens habitus frquenter les uvres. Ces cnfanls et ces jeunes hommes ont t entrans la dmocratie et la rpublique par qui? Nous le verrons tout l'heure. Ils sont dmocrates et rpublicains convaincus. Ils prennent tous au srieux de leurs convictions poliliques. L?Action Franaise excite en eux de la colre et du ddain. Tout vilain tour jou un monarchiste a pour leurs petits regards les proportions d'un triomphe. Ce sont eux qui garnissent les salles d'uvres. Le clerg de Chalon 'a craint de leur part une grve.. Pour l'viter, il est revenu sur sa parole. La difficult n'tait pas insurmontable pour nos amis. Les confrences eurent lieu dans une autre salle. Le sujet s'est ressenti du changement de local et surtout do l'arrive de groupes socialistes sur lesquels personne ne comptait. Le sujet strictement religieux et historique, qui n'a pu tre (rait Mcon, fut expos deux jours plus tard Annecy en prsence de Mgr Campistron et d'une partie de son clerg. De ce fait, on est en droit de conclure que les dmocrates ont en Savoie moins de puissance qu'en Bourgogne. Cette jeunesse bourguignonne est trs habilement entrane dans ls sillons de la dmocratie. Il ne faudrait pas en rendre tout le clerg responsable. C'est le fait d'un petit nombre de jeunes prtres. Je dis bien d'un' petU nombre; car il y en a, parmi les jeunes, qui n'ont rien de dmocratique ni de rpublicain. Ce sont des hommes tranquillement absorbs par leur ministre. Les autres ont de l'audace et ils s'agitent. Ils occupent dans l'organisation des uvres, les postes d'o l'on commande. Leur surveillance est active.
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Un jeune homme qui dpense son activit dans cos uvres a d prendre un engagement d'honneur de ne jamais montrer ses camarades ses ides politiques. On le savait royaliste. Il a tenu parole. Ceux auxquels il s'intresse finirent par le deviner. Quelques-uns lui en exprimrent toute leur joie. Ils se plaignirent en mme temps des prtres qui leur faisaient un devoir de conscience de se dire et d'tre rpublicains. Voil donc un laque oblig de taire ses convictions royalistes et des prtres usant de leur autorit religieuse pour imposer leur rpublicanisme. Cela se passe dans les mmes milieux. Lorsque les choses vont ainsi, une poigne de jeunes dmocrates est matresse des uvres dans une contre. Les prtres les plus graves comptent avec elle. Mais cela pourrait n'avoir qu'un temps. Ces procds lont leurs fruits Ils arrivent tt au tard. Ce moment viendra pour la rgion qui nous occupe. Nos amis n'ont qu' patienter. La Ligue patriotique des Franaises fonctionne en ce pays. A sa faon, elle rpublicanise, tout en dclarant qu'elle n'a plus rien de commun avec VAction librale. Les Dames royalistes de Mcon ont cru que les Ligueuses allaient laisser de ct toute action politique. Si cela et t on aurait pu enfin travailler d'un commun accord aux uvres religieuses. Des dmarches furent faites dans ce sens. C'tait inopportun. La Ligue exclut quiconque manifeste, en dehors de ses uvres, une ide royaliste. Ses reprsentants ne disent pas si on use de la mme rigueur avec les personnes affichant du rpublicanisme. Dans tous les cas, comment oser prtendre au monopole dos uvres fminines? Car c'est bien ce monopole qu'on organise au profit de cette Ligue. Je n'en dis pas pas plus long. Ces faits ne sont pas particuliers <au diocse d'Autun. Il est permis de les trouver mauvais. Les laques, qui s'en tonnent, n'ont pas tort. C'est plus qu'tonnant.
JEHAN.
Le Grant : G . STOFFEL
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La ;pense [gnrale de M. l'abb Calippe tient dans cette page qui termine son introduction : Les premiers -guides franais de la pense catholique s'engagrent^ ds le dbut du XIX sicle, e n ces deux directions opposes. Les uns, reprenant en sens inverse la voie ouverte par Rousseau, ne virent dans la Rvolution, prise en bloc, qu'une ngation satanique et sanguinaire du christianisme catholique; ils n'eurent qu'une ide^ la combattre, et qu'un dsir, la renverser. Les autres (remarquez bien que ces autres aussi sont des guides franais de la pense catholique ), les autres, croyant reconnatre dans l'imptueuse violence avec laquelle elle (la Rvolution) avait accompli son uvre, un fait providentiel, se plurent discerner en elle une sorte de christianisme inconscient : ils n e l'a considrrent point comme une ennemie vaincre, mais plutt comme une auxiliaire, une allie, presque une a m i e qu'il fallait clairer, convertir et diriger. Je me doute que M. l'abb Calippe est de ces derniers. Cependant
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il ajoute ces mots : De ceux-ci aussi bien que de ceux-l les catholiques reurent des leons trs positives et trs prcises, qui purent e n se combinant se complter : des premiers ils apprirent c e qu'il y eut de mauvais et de caduc, et des seconds ce qu'il y eut d'excellent et de durable dans des doctrines et les institutions trs mles qui s'abritaient sous le patronage de la Rvolution franaise (1). M. l'abb Calippe tient avant tout constater la place immense que les proccupations sociales ont tenue ; puis il veut e n mme temps dmontrer la convergence de toutes ces tudes et de toutes ces conclusions, pour que d'elles toutes doive ncessairement jaillir une forme nouvelle du catholicisme. J'ai nomm .ainsi le catholicisme social . Que beaucoup d'crivains s'en soient occups, je ne le nie aucunement; mais je n'en conclus rien non plus. Rvolution et socialisme, l'une dans l'histoire politique et l'autre dans l'histoire philosophique, sont deux faits trop importants et trop visibles pour que l'attention des penseurs ne se soit pas porte vers e u x : seulement j'estime que ces penseurs, mme catholiques et plus forte raison s'ils n e l'taient pas, les ont envisags de trs diffrente faon, et que mettre Joseph de Maistre ct de Bchez ou de Lamennais de Lamennais, surtout, deuxime manire est plutt un exercice de rhtorique la faon des Vies des grands hommes de Plutarque. Saint thanase, par exemple, et Arius s'occupaient beaucoup l'un et l'autre de la divinit du Verbe, mais avec cette diffrence que l'un s'en occupait pour la dfendre et l'autre pour la nier. C'est quoi je pense quand je lis dans M. l'abb Calippe, que tous, ultramontains et libraux, lgitimistes et dmocrates, tous parvinrent s'orienter dans un sens vraiment et rsolument social... et que tous sur ce terrain se rencontrent et le cas chant se rconcilient ou se compltent,... de Chateaubriand Tocqueville ou Lacordaire, de Charles de Coux au vicomte de Melun, de Frdric Ozanam Frdric Le Play (2). Parler ainsi, c'est faire vraiment bien peu de cas de la substance mme des thses sociales. M. Charles Gide, lui aussi, a jongl parfois avec les rapprochements forcs, notamment lorsque dans son Cours d'conomie politique il nous a rang nous-mme, avec nos ouvrages d'conomie politique, parmi les catholiques sociaux, contre quoi nous protestons : mais ailleurs aussi il a convenu que ce faisant il sacrifiait la vrit la symtrie. Ces doctrines et ces coles dit-il (par exemple dans son Histoire des doctrines conomiques, au chapitre sur les Doctrines inspires du christianisme sont trs diverses, puisque nous allons voir qu'elles varient depuis le conser1. Op. cit., p. 36-37. 2. Op. cit., p. 33.
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vatisme le plus autoritaire jusqu' l'anarchisme le plus rvolutionnaire, et ce n'est pas sans les forcer un peu que nous russirons les faire rentrer dans le cadre d'un mme chapitre (1). Est-ce que ces violences-l rpugneraient moins , M. l'abb Calippe? Etudions celui-ci pour pouvoir rpondre. Cela nous donnera l'occasion de constater : 1 Que M. l'abb CaJippe a choisi avec une haute fantaisie et souvent tout fait en dehors du catholicisme les hommes qu'il appelle les catholiques franais du XIX sicle ayant eu une atlitude sociale ;
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2 Que certains d'entre eux et non des moindres ont t de purs adeptes de l a Rvolution et du socialisme; 3 Que certains d'entre eux et non des moindres ont t des libraux, au pire sens du mot libral, tel que le libralisme philosophique et l'indiffrentisme religieux ont t condamns maintes reprises par le Saint-Sige, par Grgoire XVI entre autres en 1832 et par Pie IX dans le fameux Syllabus de 1862 ce qui s'accorde mal avec la sympathie ou l'admiration que M. l'abb Calippe cherche exciter' e n leur faveur.
Aprs l'introduction et l'ide matresse qui la termine, l'ouvrage de M. l'abb Calippe a quatre chapitres: 1 L e s intransigeants p > (de Maistre et de Bonald); -2 Les libraux (Chateaubriand et Tocqueville) ; 3 Sur les confins de l'orthodoxie (Ballanche, Bchez, les disciples de ,Buchez, (enfin, Bordas-Demoulin et Franois Huet); 4 La rencontre des deux tendances (Lamennais). Ce dernier, il l e regarde comme ayant t victime, non certes d'une opposition d e l'Eglise a u x aspirations populaires, mais d'une ou deux ides fausses auxquelles 1 resta obstinment fidle, malgr l'Eglise et malgr lui-mme, ides exploites avec une logique intraitable et des violences de passion inoues (exploites par qui? je le demande et je rponds : par ses adversaires sans doute et contre lui), puis, pousses enfin par lui jusqu' leurs plus extrmes consquences. Ces chapitres et ces hommes, c'est tout le volume, soit que le XIX sicle n'ait pas e u en France d'autres catholiques marquants, soit plutt que les quelques-uns dont parle M. l'abb Calippe soient les seuls en qui il ait dcouvert une attitude sociale .
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Eh bien! rpliquerons-nous, c'est dj une grave erreur. Beaucoup 1. Ch. Gide, Histoire des doctrines conomiques, 1909, p. 557.
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d'autres hommes e u France ont alli une foi intense arec des convictions sociales qu'ils y rattachaient, et beaucoup d'entre e u x ont "exprimi tout cela dans des crits qui leur survivent. Ne parlons que des morts. Pourquoi M. l'abb Calippe n'a-tdl pas une ligne sur de Villeneuve-Bargemon et de Metz-Noblat? Pourquoi pas une page sur Tminent professeur de l'Institut catholique de Paris, M. Claudio-Jannet? Pourquoi pas u n chapitre sur l'immortel Le Play? Le Play, il est vrai, est nomm une fois, comme se rencontrant, avons-nous dj vu, avec Ozanam; cependant dans leur mthode, dans leurs tudes, dans leurs conclusions aussi tout est diffrence, et je ne vois gure pour les rapprocher qu'un trait tout insignifiant et tout extrieur, le mme prnom de Frdric que portaient l'un et l'autre. Ces autres catholiques, donc, M. l'abb Calippe ne les a pas nomms. Ils lui auraient gn des conclusions toutes faites; ils auraient bris la convergence de vues qu'il fallait ou dmontrer ou supposer. Claudio-Jannet, lui tout seul, avec la sret de sa science conomique, aurait t plus embarrassant que personne, lui qui avait si bien constat la ncessit iu> mot socialisme chrtien et qui avait prdit que le socialisme sera la grande hrsie du X X sicle au sens o l'arianisme a t celle du IV , -et la Rforme, celle du X V I ; lui enfin qui, aprs s'tre form u n jugement d'ensemble sur la Rvolution par l'tude de Joseph de Maistre et de l'abb de Barrued, avait t un actif collaborateur du P. Deschamps dans ses travaux sur le rle et l'action des socits secrtes dans la Rvolution et par elle.
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Fallait-il mme que Charles Prin, de l'Universit catholique de Louvain, restt e n dehors de cette analyse de l'attitude sociale des catholiques? (Ch. Prin, il est vrai, tait B e l g e : mais M. l'abb Cajippe fait bien place, parmi les catholiques franais, Franois Huet, professeur de philosophie Gand. Seulement Charles Prin avait t par moments fort dur pour les dmocrates chrtiens : donc encore un catholique & ignorer! Catholiques, avec cela, la plupart de ses hros ne le sont gure. Ils sont sur les confins de l'orthodoxie , comme lui-mme l'avoue de plusieurs, mais sans qu'il nous dise si c'est sur les confins on dedans ou bien sur les confins en dehors. En dehors, rpondrons-nous. Pour-ne pas nous tendre outre mesure, nous - tudierons plus spcialement parmi ces prtendus catholiques franais du XIX sicle les deux figures de Bordas-Demoulin et de Franois Huet. Parlant du premier, M. l'abb Calippe conclut par ce jugement : C'est le Pape infaillible qui est devenu l'initiateur le plus hardi de quelques-unes des rformes sociales et dmocratiques cfue Bordas a le plus ardemment prconises. Si du pauvre lit de l'hpital Lar-iboisire o il agonisait, Bordas avait pu entrevoir cet admirable spectacle, il et sans doute voulu arracher de ses livres les pages
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violentes o il protestait contre le divorce de l'Eglise et de la dmocratie, du Pape et du peuple. Nous le ferons pour lui, en ne retenant de son uvre que le meilleur : nous jetterons l'corce et nous garderons le fruit (1).
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Voil donc le Pape M. l'abb Calippe ne nous dit pas si pe Pape-l est Lon XIII ou bien si c'est Pie X qui nous est montr comme {l'initiateur le plus hardi de quelques-unes des rformes sociales et dmocratiques que Bordas a le plus ardemment prconises . Je voudrais bien savoir lesquelles, mais M. Calippe ne me satisfait point. Aussi bien a-t-il une prfrence trop marque pour la vague phrasologie de beaucoup de rformateurs. Il prend les mots justice, bien-tre, progrs, dmocratie, dignit, etc. ; il les coud les uns aux autres ; mais nulle part il ne permet un juriste ou un conomiste de conclure quoi que ce soit du rgime effectif qu'il ferait rgner s'il avait le pouvoir d'en tablir un sa faon. En cela, il a beaucoup des procds sillonnistes. On le sent tranger la pratique d'aujourd'hui et incapable de dessiner, ni mme de concevoir c e que devrait tre celle de demain, s'il tait le matre de l'imposer. Eh bien! puisque M. Calippe ne me rpond pas, ouvrons ses auteurs trop vants. En 185C, Bordas-Demoulin et Huet ont publi en collaboration leurs Essais sur la rforme catholique ; nous les aurons donc l'un et l'autre la fois. Titre ambitieux que celui-l, Rforme catholique ! Quoil vous en demandez une, comme Luther au XVI sicle? Et qui tes-vous pour la demander? Quelle communaut de foi avez-vous avec l'Eglise!? Ou bien comment expliquez-vous que dans l'ternelle immutabilit de ses enseignements et dans l'incessante floraison des vertus que sa sve fait panouir, un hiatus se soit produit qu'il vous appartienne vous de combler, vous qui, n'tant pas mme dans la communion de ses dogtmes et de s a foi, prtendez cependant renouer une chane brise depuis des sicles? Voil ce que j'aurais demand Huet et Bordas-Demoulin, si la lecture de leurs crits ne m'avait pas suffisamment clair sur ce rformisme concidant avec ce dfaut de sens chrtien. .
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L'Avertissement qui ouvre le volume partage en trois sries les pices qui le composent. La troisime et dernire partie, y est-il dit, est consacre la question de l'Immacule Conception,' devenue dsormais une question de vie ou de mort pour l e catholicisme. On y prouve que le nouveau dogme contredit formellement l'Ecriture et la tradi1. A b b Calippe, op. cit., p. 217.
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tion. L'ouvrage s e termine par un appel aux catholiques contre la nouvelle hrsie (c'est de l'Immacule Conception qu'il s'agit) (1). Nous laissons de ct cette controverse, non certes qu'elle n e pse pas trs lourdement sur la mmoire des auteurs, mais bien plutt parce qu'elle est toute d'ordre religieux et videmment trangre au catholicisme social et l'attitude sociale de qui que ce soit. En tte de cet avertissement on lisait : Le titre de ce volume e n indique l'objet. Nous continuons c e que nous avons commenc : nous nous efforons toujours de concourir rgnrer l'Eglise. Loin de nous sans doute la prtention que les voques, la majorit des prtres qui les suivent aveuglment, ni les laques qui font de la religion un instrument politique, se corrigent : on verrait plutt la Seine passer sur les tours de Notre-Dame. L'endurcissement incurable est l e chtiment du pharisasme. Qu'est-ce donc que nous esprons? C'est qu'il se forme u n nouveau peuple catholique qui ait pour loi l'Evangile au l i e u - d u jsuitisme, qui est la loi du peuple actuel. Ce nouveau peuple sparera compltement l'Eglise de l'Etat. Repoussant tout despotisme, il "gouvernera l'Eglise avec l e concours de tous ses membres. Repoussant toute superstition, il n'aspirera qu' adorer Dieu en esprit et en vrit. Il mettra sa confiance en Jsus-Christ, le vrai, l'unique mdiateur. Les saints seront simplement des frres qui, s'intressant nous, prient Dieu, par Jsus-Christ, d'entendre nos besoins, d'accueillir nos demandes raisonnables, et dsirent seulement que nous glorifiions Dieu de leur flicit et que nous i m i t o n s leurs vertus. On ne connatra point les indulgences publiques et communes (2). Eh bien! est-ce un catholique ou un protestant qui a crit cela? Voil pour l'ensemble. La premire partie, disent les auteurs, exposera < les principes et les vues gnrales sur la mission et les c destines du catholicisme, sur son union avec la dmocratie, sur l'influence dsastreuse du rgime thocratique, sur la vraie constitution de l'Eglise, sur s a dcadence actuelle et sa prochaine rnovation. Dans l a seconde partie seront traites les questions de gouvernement et de discipline -gnrale ... y compris l'histoire de l'Eglise pendant la Rvolution franaise et en particulier l'admirable rforme opre par l'Eglise constitutionnelle, (aujourd'hui si mal juge (3). En ralit, l'oeuvre n'a pas cette unit et cet ordre que l'on nous promet. Elle n'est qu'un recueil de pices diverses, chelonnes de 1831 1856, l e s unes crites par Huet et les autres par Bordas-Demoulin, 1. Essais 2. Op. 3. Op. sonnelle VEglise, sur la rforme catholique, p. VII-VIII.
cif., p. V. cit., p. VII. Voyez dans ce mme volume une uvre perde Bordas-Demoulin, Dcadence actuelle et rnovation prochaine de p. 181 et suiv.
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les unes rdiges comme des manifestes d'cole, et les autres, simples rponses des lettres, des journaux ou des articles de revues. Retenons-en ce point essentiel. L'Eglise catholique a besoin d'une rforme; elle en a besoin depuis qu'elle a dvi du droit chemin. M'est avis que Luther et les grands rformateurs du XVI sicle en disaient autant, sans s'arrter, ni les uns ni les autres, cette objection que si l'Eglise est sortie un moment quelconque du sillon de vrit o elle devait marcher, il y a eu, par voie de consquence, un pioriodo de son histoire o Notre-Seigneur a manqu sa promesse de rester avec elle jusqu' la consommation des sicles : car j'estime que si l'Eglise se trompait, c'est qu'il n'tait pas ct d'elle pour la conduire. Or, d'aprs Bordas-Demoulin, cette priode de ce que j'appellerai l'erreur constitutive et sociale de l'Eglise, avait dur dj quinze sicles. Vraiment Notre-Seigneur, avec seulement un peu d'attention, aurait bien pu s'en apercevoir plus tt, si tant est que la chose l'intresst!
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Pour connatre sur ce point l'avis de ces crivains, prenons, par exemple, les lettres adresses en 1855 par M. Huet au journal Y Avenir sur l'union du catholicisme et de la dmocratie . Nous demandons, dit celui-ci, qu'allant au fond des choses, prenant les dogmes de l'Eglise en eux-mmes, sans les altrer, ni les agoriser, mais aussi sans les confondre avec les opinions de quelques fanatiques; prenant sa" constitution, son gouvernement, tel que Jsus-Christ et les aptres l'ont tabli, et non tel que l'ignorance ou Je pharisisme ont pu le dfigurer certaines poques, on dcide si par ce fond immuable la religion chrtienne n'est pas en parfaite harmonie avec une socit de libert, de justice et de fraternit... Il y a vingt-cinq ans qu'un de mes amis, M. Bordas-Demoulin, a dmontr que le moyen ge, la thocratie, la puissance temporelle des papes forment un reste de la socit paenne avec laquelle l'Eglise eut le malheur de s'amalgamer Vpoque de Constantin, o remonte le pervertissement de Vinstitution vangliquc (1). Vient l'loge des premiers sicles, o s'baucha une socit saintement fraternelle, o dans une dmocratie divine le peuple participait tous des" pouvoirs, o l'orgueil de la richesse tait abattu, et le seul mrite, en honneur; poque hroque et ternellement idale, expression propre, spontane, de la pense rdemptrice, que l e s rformateurs orthodoxes lont toujours oppose et opposeront toujours avec succs, aux abus, aux superstitions, aux usurpations sous lesquels jgmit l'Eglise (2). D'autres, il est vrai, parmi les catholiques sociaux dirons-nous 1. Essais sur la rforme catholique, p. 133. 2. Ibid., p. 134.
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RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
font remonter encore pJus haut l a dviation et par consquent Ja ncessit de l a rforme'. Je vise ici M. Paul Lapeyre, qui fut pendant quarante ans rdacteur YVnivcrs et qui fut, Nmes notamment, Un des orateurs trs autoriss des congrs franciscains. Selon lui, l'Eglise primitive de Jrusalem, celle pour qui saint Paul quta par le monde, est seule avoir possd l'exacte conception du programme divin, parce que, aprs elle, les tporsculions eurent ce dplorable rsultat d'empcher la socit chrtienne de se constituer et que, au bout de trois sicles, la notion du plan de reconstitution sociale conue par Jsus-Christ tait presque efface. Voil ce qui se lit, avec beaucoup d'autres inepties d'gale force, clans un ouvrage en trois volumes donl M. Lapeyre intitula le premier : Socialisme catholique, tome I, et tles deux autres -..Catholicisme social, tomes II et III (1). Mais revenons Bordas-Demouiiin et h H u e t Pour comprendre e n quoi, selon eux, devait consister la rforme, il faut avoir le sens exact du mot catholicisme social. La parfaite restauration de la naLure humaine, est-il dit ailleurs, comprend deux parties distinctes : Tune qui embrasse les rapports de l'homme avec Dieu et sa destine immortelle, l'autre qui regarde sa vie temporelle et ses rapports avec ses semblables. La premire est le christianisme religieux ; la seconde, le christianisme social . Le christianisme religieux eut 'une longue prparation , de quatre mille ans au moins; le christianisme social en exigeait une analogue. Aussi bien s'il et suffi de la foi et de la pratique religieuse pour oprer la rforme sociale, les beaux sicles de la primitive Eglise o clata le plus ardent amour d e p i e u et Ses hommes, auraient vu clore la civilisation moderne; e t le rgne des droits naturels, la souverainet du peuple, l'affranchissement du travail, la libert de conscience dateraient de l'avnement de Constantin au lieu de dater de 1789. Mille fois plus beaux seront donc les jours qui vont se lever. La libert universelle, l'galit des hommes entre eux, la supriorit reconquise sur l a nature physique, l'abondance des biens de l a terre, les pauvres admis au partage du commun patrimoine, la misre vaincue avec les vices, le rgne de la raison, de l'a justice et de l'amour, voil, selon l'Ecriture, les fruits de cette rdemption temporelle; qui commence brifller dans l a civilisation anoderne, mais dont l'avenir voile encore les plus fvives splendeurs... Depuis dix-huit sicles le christianisme rgle le ct religieux d e la nature humaine; rriais l n'avait point rgl jusqu'ici le ct social. C'est pourquoi il ne s'est point empar, comme il doit faire, de l'homme entier; et mme en religion il m'a point port tous ses fruits de rgnration. Si l'on excepte l'enthousiasme passager "des premiers sicles, l'Eglise n'a inspir qu'une foi gnralement faible et des uvres languissantes. C'est que l'a vie
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religieuse et la vie sociale sont lies par les plus troits rapports et no peuvent atteindre l'une sans l'autre leur parfait dveloppement (1). La Rvolution franaise est donc comme une autre et dernire rvlation. Un de nos amis a pui dire que les droits de l'homme promulgus e n 89 sont les doctrines sociales de l'Evangile (2) : et cela est vrai, parce que c'est d'elle que le christianisme social doit sortir. La loi juive avec Mose, l'Evangile avec le Christ, la dmocratie et Ta fraternit avec la Rvolution, voil la grande trilogie du relvement de l'humanit dchue. La fameuse dclaration des .Droits de l'homme par l'Assemble constituante de 1790 crit personnellement Bordas-Demoulin est dans toute la force des termes l a promulgation sociale de l'Evangile ;(3).
;
Le christianisme v a incessamment se renouveler, est-il dit encore, non dans ses dogmes qui ne changent point, mais dans sa discipline, dans son gouvernement, dans la partie variable de son culte et de son enseignement. Il reoit son existence isociale et se complte par l'a Rvolution. Car la Rvolution, dans son tenue absolu, c'est la rdemption temporelle ou le christianisme appliqu notre destine terrestre : c'est le rgne de Dieu sur la terre. Il n'exclut pas le rgne ternel dans la finale communion des saints; il doit au contraire on tre ici-bas l'image et la prparation ... Quant l'issue de la lutte, celle ci ne saurait tre douteuse; elle se terminera par la conversion du clerg au catholicisme social, par la conversion des rvolutionnaires au christianisme religieux (4). Alors l'Eglise sera revenue son gouvernement primitif, si libral, si saintement dmocratique et quji se trouverait si bien en harmonie avec l'esprit des temps nouveaux... Les laques prendront une large part l'uvre de cette restauration chrtienne. Ils reprsentent plus particulirement la raison dans l'Eglise, et c'est de raison qu'elle a surtout besoin aujourd'hui pour se redresser (5). Eh bien! voil d'o nous est Venue F appellation, si courante aujour d'hu, de catholicisme social . Aussi s'en parer comme trop de gens le font l'heure qu'il est, ne peut que supposer beaucoup d'ignorance JOIX beaucoup d'audace. M. 3'abb Calippe connaissait-il ces pages que nous venons de citer? Sans aucun doute, car il en rsume le cadre gnral. Il fait plus, et cite textuellement cette autre : Enfants du chrislianisme et de la 1. Essais sur 2. Op. cit., p. 3. Op. cit., p. 4. Op. cit., p. 6. Op. cit., p. la rforme 136. 20. 16. 12 et 14. catholique, p. 1-5.
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moderne civilisation, pourrions-nous douter de la rnovation du genre humain?... Aux mouvements extraordinaires qui agitent le monde, l'ardeur de progrs qui l'anime, au bruit des abus qui tombent, au rgne de la justice et de la fraternit qui s'avance, ne sentons-nous pa&i malgr les amertumes de la lutte et la lenteur du succs, que les antiques promesses s'accomplissent et quo le Librateur a paru? (1). Ici me sera-t-il permis d'baucher un parallle? On dit que les Juifs, las d'attendre un Messie personnel, tournent volontiers les Livres Saints dans le sens d'un messianisme allgorique. Affranchie par eux, par la Rvolution et la franc-maonnerie, l'humanit resplendirait dans le rayonnement d'un Messie qui ne serait autre que le Juif rgnant sur le monde, lorsque ce monde aurait fini par s'agenouiller devant e Juif. Eh bien! toute rserve faite sur la foi qu'Huet et Bordas-Demoulin prtendent conserver en un Christ incarn, n'y a-t-il pas chez eux ce mme essor de dsirs et d'esprances vers un monde meilleur que la Rvolution, bauche, mais non encore partout triomphante, a pour mission providentielle d'instituer partout, comme si elle tait un dernier Messie qui dt achever l'uvre du premier? Voil pourtant Bordas tout entier, et c'est bien le cas de rpter notre question M. l'abb Calippe. O donc avez-vous lu que le Pape infaillible est devenu l'initiateur le plus hardi de quelques-unes des rformes sociales et dmocratiques que Bordas a le plus ardemment prconises? Vous le faites croire et n'essayez pas de le prouver. Surtout en vous lisant on sent que vous voulez ramener vers lui la sympathie et presque l'admiration, tandis qu'au contraire pas un catholique clair ne peut le lire dans son texte sans prouver une aversion que la piti elle-mme ne parvient pas attnuer. M. Calippe nous prvient, il est Vrai, que ses Pouvoirs constitutifs de V Eglise (dont une quinzaine d'exemplaires seulement, parat il, auraient t vendus) furent condamns par l'Eglise, prcisment parce que Bordas-Demoulin subordonne la pntration du christianisme dans les dmocraties modernes l'introduction de la dmocratie dans la constitution divine du catholicisme (2) : mais pour le lecteur cela signifie bien que le surplus des ides est orthodoxe et incondamna' ble. Au -moins l'uvre conomique de Huet est plus complte* quoique non moins fausse. Elle est contenue dans son Rgne social du christianisme, qui, crit en 1850 et 1851, ne fut publi qu' la fin de 1852 et fut mis l'index ds le 21 juillet 1853. Huet prtendait .du reste avoir t condamn avant de savoir, dit-il, de quoi j'tais accus. 1. Cit par M. l'abb Calippe, p. 200, d'aprs la Science de de Huet. 2. Abb Calippe, op. cif., p. 207, en note. l'esprit,
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et mes juges n'ont pas daign m'apprendre de cruelles erreurs je suis coupable (1). On retrouve l toutes les ides dj vues sur la dviation de l'Eglise depuis Constantin et sur l'imminence d'un nouvel ge social dans lecjuel l'Eglise, fconde par son alliance avec la Rvolution, accomplira enfin tout entier le testament du Sauveur. Mais prcisment parce que cette uvre est plus conomique, accord du christianisme et du socialisme ou bien & socialisme chrtien sont des expression^ qui reviennent frquemment (2). La partie la plus intressante peut-tre, coup sr la plus originale, est la thorie de l'origine de la proprit, avec le systme nouveau qui lui doit tre appliqu. Aucune proprit no serait autre que viagre, quoique le droit de donation mais viager d'aprs la vie du donateur ne dt pas tre supprim. Alors, au dcs de quiconque, tout son patrimoine deviendrait vacant, pour tre alors partag entre tout le monde. Pratiquement, chaque anne ou plutt chaque srie d'annes, de manire avoir des moyennes peu variables entre elles. on distribuerait nouveau les biens de tous les individus qui seraient morts au cours de la dernire priode. Viendraient au partage : 1 pour une part simple tous les jeunes gens et jeunes filles ayant eu quatorze ans depuis la dernire distribution; 2 pour une part double tous ceux ayant eu depuis (lors vingt-cinq ans. Donc chacun toucherail son lot e n deux fois, pour une petite partie quatorze ans ou peu aprs, et pour une plus forte, vingt-cinq ans et quelque chose. On irait jusqu' interdire les contrats de rente viagre, parce que le crdirentier y aurait chance, s'il conomisait sur les fruits des biens donns, de s'assurer une possession fonde sur un legs dguis, une possession, en un mot, qui se prolonget au del de la vie du donateur (3). Puisque M. l'abb Calippe fait de Franois Huet un catholique, il aurait bien fait d'exposer et de discuter cette attitude socialet . Je l'y attends surtout pour qu'il me montre comment ces ides-l peuvent bien ne pas tre en une opposition brutale, soit avec l'Encyclique Rerum novarum de Lon XIII justifiant la proprit hrditaire, soit avec le Motu proprio de Pie X du 18 dcembre 1903, prenant la proprit sous sa protection, qu'elle soit acquise titre gratuit ou titre ionreux. Mais arrtons-nous : M. l'abb Calippe ne nous pardonnerait pas de serrer la question jusqu' ce que nous l'ayons accul dans une impasse. 1. Lettre Pie IX, dans les Essais sur une rforme catholique, n. 174. 2. Rgne social du christianisme, pp. 189, 198, etc. 3. Rgne social du christianisme, chapitre VT fr\ livre TTI. p. 272, 274 et gnralement tout Je
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Derrire ces formules ou rvolutionnaires ou socialistes, BordasDemoulin et Huet tenaient jnergiquement pour le libralisme philosophique le plus effrn. jL'Eglise, (suivant eux, au temps o elle tait imprgne encore de thories sociales paennes, avait d vouloir une doctrine d'Etat et une religion d'Etat, lie qu'elle tait alors cet Etat lui-mme : mais la Rvolution tait venue, le christianisme social avait t enfin rvl par elle, et l'indiflrentisme tait la loi ncessaire de la socit moderne. Ecoutez cette profession de foi de Bordas-Demoulin : Oui, le sicle est soulev contre l'Eglise, et le clerg a raison de se 'lamenter. Mais qui a soulev le sicle? N'est-ce pas le clerg, qui dclare l'Eglise contraire la socit cre par la Rvolution franaise, de manire qu'elles ne peuvent exister ensemble et qu'il faut que l'une ou l'autre disparaisse? Le fondement de cette socit, c'est que les cultes sont libres et gaux devant Ha loi. Aux yeux du clerg, la libert et l'galit civiles sont Je (matrialisme et l'athisme sociaux. $ Le fondement de cette socit, c'est que les opinions sont libres, > et que, hormis les principes de la religion naturelle sur lesquels cette socit repose, il n'est point d'ides, de dogmes, que chacun n'ait le droit d'attaquer comme de dfendre. Une pareille libert est aux yeux du clerg la destruction de la socit et du christianisme ( 1 ) . Ne dites point que ce soit l une solution d'hypothse. Pas le moins du monde : c'est la thse, et la thse en ce qu'elle peut avoir [de plus absolu et de plus inflexible. Ne dites pas, poursuit Bordas-Demoulin, que la socit a une religion comme l'individu. La religjion consiste adorer Dieu. Pour l'adorer, il faut le connatre. Pour le connatre, il faut penser. Pour penser, il faut tre Une substance pensante. Voil ce qu'est l'homme, et voil ce rque n'est point la socit -(2). # La inrutifcitude de philosophes et de politiques modernes qui regardent la religion comme trangre la socit, qui pensent que la libert des cultes est pour tous les peuples, comme pour chaque particulier, un droit naturel, inalinable, n'ont donc pas tort. Les philosophes et les lgislateurs anciens, dont les ides taient diamtralement opposes, n'avaient pas tort non plus, ceux-ci s'occupant des religions sensuelles de leur temps, ceux-l de la religion spirituelle du ntre (3). Religion sensuelle et religion spirituelle : c'est l'antithse du chris1. Essais sur la rforme catholique, p. 17. 2. Ibid., p. 25. 3. Ibid., pp. 26 et 27.
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tianisme religieux et du christianisme social; c'est le contraste des temps avant et des temps aprs la Rvolution. Qui dit adoration en esprit et en vrit, dit son tour Franois Huet, dit libert de conscience. Cette libert sacre, premier droit et premier intrt de l'homme religieux, est si propre au christianisme qu'elle forme la marque essentielle qui le distingue du judasme et du paganisme, et que, pour lui imposer l'intolrance, il a fallu voiler les prceptes comme les exemples du Sauveur. Voil ce que nous avons toujours enseign. Avant la fatale alliance de l'Eglise avec l'Elat sous des derniers Csars, c'tait l'enseignement commun, officiel, du catholicisme primitif. Tertullien et Lactance invoquaient la libert des cuites, la face de l'intolrance paenne, comme un droit naturel et imprescriptible : Locke, Bayle, Voltaire et la Rvolution franaise n'ont t que leur cho. Et l'alina se termine par ces mots : O trouver u n plus infatigable promoteur de la libert des cultes que le grand vque Henri Grgoire, l'ternel honneur de la Rvolution et du ^catholicisme ? (1). Je pourrais prolonger l'infini ces citations. Mais cette thse s'en joint une autre que je me reprocherais de passer sous silence. C'est que, dans l'esprit de ces deux auteurs, la formation ou la (dfinition d'un dogme impliquent essentiellement deux choses, d'une pat le concours actif des laques eux-mmes comme partie intgrante et ncessaire de l'glise enseignante; d'une autre, l'unanimit et non point la simple majorit, si grande soit-elle, de ceux qui contribuent d'abord laborer le dogme ou qui ensuite y acquiescent. Inutile d'insister davantage. Pas d'unanimit, pas de dogme. Au bout doivent tre la sparation intgrale de l'Eglise et de l'Etat, l'lection du clerg par les fidles et tous les principes de la constitution civile du clerg de 1790. A ce prix, le peuple reviendra l'Eglise, en prouvant c e que je ne cesse de dire, que les vques, infatigables paganisateurs de l'Eglise, sont la cause de l'aversion qu'elle inspire et par consquent ses premiers et vritables ennemis (2). N e vous inquitez pas des biens et ne vous gnez pas pour les prendre; car le fondement de cette socit (la socit cre par la Rvolution franaise), c'est que l'individu seul' est propritaire, naturellement ou par lui-mme, et que les associations, les corporations laques ou ecclsiastiques ne le sont que par la loi, qui, leur concdant oe> droit, peut' le leur retirer (3). Ne vous inquitez pas du lendemain; car sans doute la victoire du christianisme social, la Rvolution triomphante, fournira des ressources inespres (4). Ces derniers mots
1. Ibid., p. 136.
2. Bordas-Demoulin, dans Touvrage cit, p. 130. 3. Bordas-Demoulin, op. cit. p. 17. 4. Huet, op. cit., p. 13.
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sont de Huet, a u moment o il affirme que c'est dans M. BordasDemoulin que l'avenir reconnatra le vritable promoteur de la rforme catholique au XIX sicle (1).
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Nous avons analys loyalement ces deux crivains. Rvolutionnaires, ils le sont sans conteste : mais par o donc voyez-vous qu'ils soient catholiques et que leur attitude sociale fournisse matire un chapitre de la pense catholique a u XIX sicle? M. l'abb Calippe nous adjurait de jeter l'corce et de garder le fruit . Hlas! tout est corcc ou tout est scorie, moins que ce culte de la Rvolution dans oe qu'elle eut d'antichrtien et dans ce qu'elle nourrit de rvolte contre le pass de l'Eglise, contre s a mission, contre sa hirarchie et sa conception de la socit en gnral, ne soit le sentiment que M. Calippe voulait dvelopper dans les mes. Il plaidait plus que les circonstances attnuantes : il plaidait l'acquittement et sollicitait l'loge. C'est faire vraiment trop bon march des principes.
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Dj dans son introduction il avait pris trop au srieux les mots chrtien et christianisme que Saint-Simon usurpait quand il fondait son nouveau christianisme (2). J'aime mieux enleyer ces masques qui ne peuvent que tromper; j'aime mieux chercher le critrium de l'esprit chrtien dans la foi, dans la soumission effective l'Eglise et 'dans le culte loyal de ses vrits et de ses vertus; j'aime mieux juger de tout cela avec les mots mmes de l'aptre saint Jean : Hic est antichrisius qui negat Patrem et Filium... Omnis spiritus qui confitetur Jesum Ghristum in carne venisse, ex Deo est ; et omnis spiritus qui solvit Jesum, ex Deo non est et hic est antichrisius. Or, Saint-Simon est bien de ceux qui va le reproche de solvere Christum. Rconcilier l'Eglise et la Rvolution est une tche dangereuse, voire mme absurde. Les hommes cfui l'entreprennent n'aboutissent bien souvent qu' faciliter de honteuses compromissions, prludes souvent de dfections plus honteuses. Cette uvre-l, assume pourtant par M. l'abb Calippe, tait-elle donc d'une telle opportunit , puisque voil l'loge dont M. de Mun la gratifie, M. de Mun qui pourtant s'tait jadis fait applaudir en lanant comme un mot d'ordre son cri de oontrervolution ? Pendant que j'crivais ces quelques pages, M. l'abb Calippe professait la Semaine sociale de Saint-Etienne. Etaient-ce ces mmes ides-l? et parlait-il dans c e mme esprit?
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J.
RAMBAUD,
Professeur d'Economie politique la Facult catholique de Droit de Lyon. 1. Huet, op. cit., p. 15. 2. Op. cit., p. 2.
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CATHOLIQUES
ET
ANTILIBRAUX
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ET A N T I L I B R A U X
LE P.
Un ignoble pamphlet (2), (le mot n'est pas trop fort), dirig contre l'Action Franaise et dont la Dmocratie de Marc Sangnier a fait longtemps la rclame en quatrime page, avait t lanc l'hiver dernier par le clan dmocratiao'-modernisbe pour endiguer, chez les catholiques, ce flot d'anti-libralisme qui le dbordait de toute part. Ce pamphlet qui rvolte au premier coup d'il par ses exorbitantes exagrations, par son langage haineux, eL qui donne une si misrable ide de l'crivain compilateur et faussaire qui l'a rdig, ce pamphlet a, parat-il, chou, car on l'a jug insuffisant. A Dieu ne plaise que nos dmocrates envisagent directement la doctrine politique 1 Depuis le Dilemme de Marc Sangnier, c'est chose impraticable et l'on a d abandonner cette position intenable. Qoimtme il faut tout prix trouver quelque chose, on a dcid d'oprer du centre mme du modernisme, l'on a fait appel un reprsentant trs autoris de la philosophie qui alimenta les divers canaux du dni ocratisme chrtien. Le P. Laberthonnire a crit clans co but, son : Catholicisme et positivisme .
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Il est bien entendu que l'on veut trouver des bases philosophiques 1. Nous interrompons dans ce numro la srie de nos articles sur le Dmocratisme chrtien avant d'aborder l'tude dtaille du journal de Lamennais : l'Avenir. Comme le dernier article est complet en son espce, le lecteur reprendra sans difficult la lecture du suivant. Il se rappellera que nous avons analys les ides fondamentales du libralisme de Lamennais. La suite l'instruira des diverses nuances de ce libralisme et lui montrera par o Lamennais chappe ses principes. Du reste, le prsent article, relevant des mmes proccupations et d'une mme mthode, ne peut que corroborer les conclusions gnrales de notre tude analytique; bien que divergent en apparence, il se ramne aisment aux positions centrales o nous nous sommes posts au sujet du Dmocratisme chrtien. Le lecteur fera lui-mme la soudure, j'en suis sr, et ce chapitre formera un appendice naturel des prcdents. 2. Ceux qui ont parcouru la compilation double de faux que nous incriminons ici, savent quel point ce livre est rvoltant pour les mes droites. P. 158, M. Pierre prore sur la croix en forme de poignard dont la vignette orne l'ouvrage d'un converti au catholicisme par le Iraditonnalisme d'A. F. M. J. Valois- Cette croix est l'emblme des zouaves pontificaux. A sa sordide ignorance M. Pierre joignait l'outrage en disant : Et voil devant quoi le pieux M. G. Valois se prosterne et adore. Non! depuis la nuit de l'agonie au jardin des Oliviers, jamais livre humain n'appliqua sur le front du Sauveur un baiser plus drisoire . C'est abject I absolument abject I
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une politique dont les conclusions gnrales seules peuvent fournir matire Un systme, qui rejoindrait du reste la vritable philosophie chrtienne de Ronald o u de Bossuet, si l'on en poursuivait les consquences mtaphysiques. Le cas ne se pose pas. Ce qui est la base, ce ne sont pas des thories, mais des faits, faits indiscutables, sous la corrlation desquels gl la loi sociale, politique, laquelle est Un rsultat, n o n lun point de dpart. Qu'importe la vrit! qu'importe l'vidence 1 l'essentiel est de placer
la base du rationalisme intgral une philosophie, et une philosophie
antichrtienne. Que voulez-vous? Manie de scolastiques dcadents, rfractairco la mthode exprimentale et qui perptuent parmi nous l'cole-de Byzance, laquelle, dit-on, raisonnait sur l a lumire du Thabor pendant quo le blier de l'ennemi frappait aux portes de la ville, Pensez doncl un systme politique qui ne prendrait pas racine sur quelque axiome pralable, qfuel scandale pour u n e oole subsidiaire du romantisme, du Roussisme imme qui raisonne et ne s e lasse pas de raisonner pour dtruire la valeur de la raison raisonnante en faveur de l a raison concrte, laquelle a sur la prcdente le grand inconvnient de ne rien pouvoir tirer au clair par elle-mme! Et quel scandale pour des immanentistes ! un systme bas sur des faits, lesquels faits s'imposent du dehors et imposent, consquemment, une vrit du dehors, vrit qui n'est pas immanente, que l'homme ne trouve p a s en lui; nonl nonl cela test indigne de l'homme, do s a dignit, de son libre arbitre. Cela est repousser au mme titre que les motifs historiques de crdibilit e n matire de foi. Parlez-nous de fouiller dans les replis du cur, idans cette rgion lumineuse de la subconscience o l'homme prend contact avec la vrit immanente; ici plus d'oppression, plus d'autorit, la vrit informe l'me, comme l'air informe l e corps; fnme dans l'obissance l a loi nous restons nous-mmes, nous ne lsons pas notre sublime dignit. Souci de dmocrates, aprs tout, que cet immanentisme, soUci qui rejoint en philosophie, celui de Rousseau en sociologie : autonomie de l'individu. Souci qui rejoint (si peu que l'on remonte) le protestantisme,, puisqu'il se ramne aisment et sans heurt au libre examen. Citons et soyons attentifs. Il y a du reste des textes qui ont l'avantage de forcer la raison se rendre : L'Ide fondamentale qui, malgr toutes les divergences, s'est affermie plus nergiquement que jamais dans la philosophie moderne, savoir qu'il n'y a pas de vrit pour Vhomme qu'il ait subir, parce que cette vrit serait alors pour lui une compression au lieu d'un panouissement, l'esclavage au lieu de l libertj la mort au lieu de la vie, CETTE IDE NOUS L'ACCEPTONS E N PLEINE CONNAISSANCE DE CAUSE... Quand donc l e s philosophes, pour rester philosophes, pour sauvegarder cette autonomie
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qui constitue.notre, personnalit morale, rclament Une vrit qui ait pour caractre d'tre immanente , c'est--dire qui se rattache eux, qu'ils puissent trouver en eux, dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils doivent tre, nous ne saurions faire autrement que d'abonder dans leur Sens, P U I S Q U E T O U T E V R I T Q U I N ' A U R A I T P A S CE C A R A C T R E S E R A I T I N V I T A B L E M E N T O P P R I M A N T E , E N S ' i M P O S A N T DU DEHORS. (1) Voil du Laberthonnire tout pur. C'est pour cela que le catholicisme doit s'imposer au croyant, comme une vie, c'est--dire une vrit qui fasse corps avec Vme tout entire. D'o, transpos dans la doctrine du Sillon, annexe de rifnmanentisme, cela se changeait en ces formules bien connues : Le Sillon est une vie . Il faut aller au vrai AVEC toute son me (2), (et non de toute son me , seulement). Et cela encore une fois, par souci de dmocratisme, par peur de lser la fameuse dignit humaine. Marc Sangnier, grce cette ingnieuse philosophie, pouvait mystifier ses adeptes, difier pour eux tout un systme, imposer au Sillon jusqu'aux moindres nuances de sa pense lui, tout en se dfendant nergiquement d'avoir une influence prpondrante dans la secte, ce qui, selon l'ide matresse de sa doctrine, aurait t contraire la dignit le ses camarades. Ecoutez ceci : (Objection). J'admets aisment avec vous qu'il s'est trouv beaucoup de jeunes hommes de votre gnration pris du mme idal, conscients d'une mme tache sociale accomplir. Je vous concde volontiers que vous aviez le droit de choisir, comme vous l'avez fait, un nom pour dsigner ce mouvement spontan. Voici donc que le Sillon existe et se dveloppe. Mais de quel droit une autorit quelconque, ft-ce mme celle de son fondateur, viendra-t-elle imposer des lois" arbitraires ce dveloppement et instaurer une sorte de jacobinisme moral? (Rponse). Il ne saurait s'agir en aucune manire de rien imposer qui que ce soit. Il ne doit pas y avoir au Sillon un cerveau pensant qui, dans une altire solitude, labore des ides directrices et les jette en pture ^ l'humble foule des camarades (3). Le lecteur voit sans doute ici l'application du principe Immanentiste. Marc Sangnier fait des tours de force de ialectique, disons mieux, de sophistique pour se mettre en harmonie avec la philosophie moderniste. Il s'agit de prouver que les ides du Sillon ne s'imposent pas du dehors a chaque camarade , mais qu'elles sont en lui, ds l'instant que sa mentalit Ta rapproch du Sillon. C'est alors que bon gr mal gr, 1. Cit par N. Aris. Le Sillon et le Mouvement dmocratique, XXXI. 2. Ceux qui seraient tents de voir dans cette formule une simple concidence et que j'exploiterais, sont pris de croire que j'agis bon_ escient. Cette formule est tire des uvres du P. Gratry, elle n'est pas accidentelle dans l'uvre de M. Sangnior, elle rsume l'enseignement du matre Gratry et celui d'Oll-Laprunc, (Le prix de la vit). Nous en reparlerons au sujet du P. Gratry dans quelque temps. 5. Le plus grand Sillon (de M. Sangnier), p. 37 et sq.
Critique du libralisme. 1 Septembre.
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Marc Sangnier rvle l'influence immanentiste dont le Sillon a toujours port l'empreinte : Le Sillon se dveloppe comme un gernue vivant. Il suffit que deux glands de chne tombent dans le sol pour que, sous l'influence du soleil, de l'air et de la pluie, croissent bientt deux arbres semblables, deux chnes. De mme, si le Sillon est vraiment enferm dans deux mes humaines, spontanment celles-ci, sous l'action des mmes spectacles, des mmes vnements, des mimes circonstances, produiront les mmes sentiments, les mmes penses, les mfmes attitudes. Et toutes ces fadaises pour prouver, qu'au Sillon celui qui obit est celui-l mme qui commande . Tant il est vrai que dans cette cole dmiocratico-moderniste tous les principes fondamentaux taient en fonction d'une conception rationaliste de la libert humaine. Je ne fais qu'esquisser le trait qui relio le Sillon YImmanentisme, il est pourtant suffisamment net pour donner la clef de bien des actes. Immanentistes et Sillonistes ont sparment dvelopp les tendances du P. Gratry. D'o affinit commune. Mais cela explique surtout l'intervention d'un reprsentant d'une cole devant le danger commun du democratismo chrtien et du modernisme, danger que la doctrine d'Action Franaise fait oourir l'un comme l'autre. C'est l le point sur lequel j'arrte l'attention du lecteur pour le prparer mes conclusions. Aprs tout, nos dmocrates en faisant entrer en lice le P. Laberthonnire^ n e se doutent pas quel point cela nous ouvre des horizons sur la raison profonde de l'antagonisme des deux doctrines. Le P. Laberthonnire ne peut pas n'avoir pas conserv la tournure d'esprit que lui a faonne sa mthode. Or, regarder les choses de prs, ce conflit pourrait bien se ramener une phase, et non des moins intressantes, de la lutte du romantisme et du classicisme. Le P. Laberthonnire contre Ch. JWaurras, c'est le subjectivisme luttant contre le ralisme, l'un soutenant les puissances de sentiment, l'autre la raison classique au sens que lui donnait Boileau (1). Et il ne faut pas hsiter reconnatre qu'en cela, le plus en conformit avec le gnie catholique, ce n'est pas le P. Laberthonnire, mais Charles Maurras. L'Eglise admet une vrit substantielle qui s'impose l'homme du dehors. On n'a qu' se rappeler la thorie de la connaissance selon la doctrine de saint Thomas et que la thologie a adopte pour l'appliquer l a sainte Trinit. En un mot l'Eglise considre la vrit comme objective, vrit suprieure et antrieure l'homme et par consquent indpendante de lui. La philosophie subjectiviste, il faut le croire, ne donne pas, sos ce rapport, pleine satisfaction l'Eglise puisque ds 1899, Lon XIII parlait ainsi : Ce nous est une profonde
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Aimez donc, la raison,' que toujours vos crits Empruntent d'elle seule, et leur lustre, et leur prix . (Art.
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douleur d'apprendre que depuis quelques annes, des catholiques ont cru pouvoir se mettre la remorque d'une philosophie, qui, sous prtexte d'affranchir la raison humaine de toute ide prconue et de toute illusion lui dnie le droit de rien affirmer au del de ses propres aspirations, sacrifiant ainsi Un subjectivisme radical toutes les certitudes que la mtaphysique traditionnelle, consacre par l'autorit des plus vigoureux esprits, donnait cornme ncessaires et inbranlables fondements la dmonstration de l'existence de Dieu, de la spiritualit et de l'immortalit de l'me et de la ralit objective dit monde extrieur... Nous comptons que vous redoublerez de sollicitude pour carter de l'enseignement de vos sminaires cette fallacieuse et dangereuse philosophie... L'on comprend aisment que des gens qui considrent comme outrageante, pour la dignit humaine, toute vrit qui s'impose l'esprit, du dehors, par le simple concours naturel de la raison abstraite, regardent d'un il courrouc VAction Franaise o domine une mthode QUI est le oontrepied mme de "la leur. Ici au contraire on .ne raffine pas, on reconnat la raison sa fonction naturelle (1) qui est de primer sur le sentiment parce que la raison tire, au clair tout ce qui, dans le chaos de la subconscience, vit encore l'tat flou et nuageux. Ici l'on prend son point de dpart sur tout ce qu'il y a de plus extrieur et par consquent de plus tangible : les faits. II suffit ds lors pour qu'aux yeux do l'Immanentiste une doctrine aussi essentiellement raliste, lui apparaisse comane le triomphe de la Force sur l'Esprit et nous verrons que ce culte de la force est, en effet, le grand reproche que ces philosophes formulent l'endroit de VEmpirisme organisateur . Je voulais faire toucher du doigt au lecteur ce qu'il fallait prcisment entendre par cette formule, quelle porte exacte elle pouvait avoir dans la bouche de nos subjectivistes. Ayant pos ces quelques jalons pour nous orienter dans ce ddale, je prie le lecteur de m'excuser, et de m'accorder quelque crdit fei je ne le conduis pas l'allure qu'il souhaiterait jusqu' l'orifice o brillera le grand jour. Je suis forc pour le moment de faire un dtour avant d'arriver au rond-point o toutes nos voies doivent converger. Qu'on se tienne tranquille, elles y convergent.
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L'ennemi que l'on ne cesse ici de combattre se nomme : le Libra-
1. Le P. Gratry a crit un petit livre assez oubli, pour dfendre prcisment les droits naturels de l'intelligence contre une cole de Sophistes; ses disciples aujourd'hui tombent par bien des cts sous les coups de ses attaques et j'estime qu'il gagneraient beaucoup relue de leur matre le Petit Manuel de critique .
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Usme. C'est un tat d'esprit bas sur un principe que contredit la raison naturelle et le sens catholique pour ne pas dire le dogme, ce qui serait plus que lgitime aprs les condamnations mille fois rptes de toutes les manifestations doctrinales qui bourgeonnrent sur ce principe, lequel n'est autre que la prtendue parit de droits entre la vrit et Terreur, mais entendons-nous, au point de vue social. Si l'on va au fond des choses, ce principe lui-mme prend pied sur une erreur rationaliste qui a non* : libre examen. et qui nous conduit directement au cur m m e du Protestantisme. La vrit et Verreur ont mmes droits sur la socit. Pourquoi? Parce que l'homme est libre, c'est--dire qu'il n'a aucun compte rendre qui que ce soit de sa conduite intellectuelle l'gard de ses semblables. Un tel principe livre forcment pieds et poings lis les mieux pensants, les hommes d'ordre, aux exactions des rvolts contre le bon sens naturel, la discipline bienfaisante que l'ordre providentiel impose aux hommes dans leurs rapports. Gomme c'est l'ordre social qui est ici en question, et qui seul peut l'tre, ne pas admettre le principe libral ne se rduit pas, comme tant de niais le colportent, professer la tyrannie fanatique des musulmans, le crois ou meurs , c'est simplement rendre hommage au ct spirituel de l'homme en dclarant: que les ides tant des forces terribles, puisqu'elles sont le levier des passions humaines, l'individu n'a pas contre tous, le droit tie manier son gr ces forces, tout comme les droits sociaux d'autrui lui interdisent l'usage de la poudre et de la dynamite au dtriment des vies humaines. C'est pour cela que le vrai libral, le pur libral, celui qui pousse fond le principe est anarchiste. Tout libral qui ne va pas jusque-l, est, au fond, un ennemi du libralisme. Il refuse l'homme la force matrielle contre la Socit, mais de quel droit cette restriction? Si c'est l'autonomie qui fonde la dignit humaine, je ne vois pas et n'ai jamais pu comprendre au nom de quel principe cette autonomie se trouve limite Au nom de Dieu, me rpond le catholique habill en libral! Fort bienl Mais, par votre principe, vous reconnaissez prcisment lr.. Socit, si elle est en majeure partie athe, le droit de professer publiquement que les droits de Dieu sur la- Socit n'existent pas. Je ne vois pas, encore une fois, comment l'on peut sortir de cette impasse et se soustraire la loi du nombre, quand Une fois, on s'est engag dans les sentiers qui y conduisent. Mais ce que je sais, c'est que le libral, dtruisant tout frein qui lie les mes et niant les lois qui prsident l'harmonie de leurs rapports, doit facilement aboutir l'Etat paen, en un mot au culte de la forer Le lecteur peut- cet effet, prendre le Contrat Social de Rousseau, qui est bien l'van-
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gile du Libralisme, le lot que la thologie protestante, base sur le libre examen a fait aux socits. Par une gradation insensible, mais constante, par les mailles d'une logique qui ne se dment pas, le libre examen de Rousseau"aboutit au chapitre de la religion civile. Pour viter la barbarie qui est au bout de la chane, Rousseau en arrive professer le crois ou meurs . C'est l'esprit jacobin, que nous connaissons bien, c'est l'arbitraire prconis au nom du libralisme qui recule devant les dernires consquences de son principe : la barbarie pure et simple. Quand o n supprime les droits suprieurs de Dieu sur la Socit et que l'on veut ensuite maintenir la Socit s'ur la pente de la sauvagerie, l'on ne peut imposer des limites l'homme qu'au nom d'une volont humaine qu'elle soit collective ou individuelle. Il n'y a pas sortir de l, le libralisme qui dtrne les droits de Dieu exalte les droits de la force. Il peut se trouver des libraux meilleurs que leUr principe et qui n'exploitent pas celui-ci au profit des faveurs d'une coterie, le principe n'est pas moins un principe, gros de consquences, une arme dangereuse et antisociale. Ce qu'il peut engendrer n'est dj plus du domaine de la thorie, c'est de l'histoire. L'on comprend que l'Eglise, qui conut autrement la dignit humaine, qui enseigna de tout temps que la vrit avait des droits sur nous, et que notre libert n'tait pas cette facult de choisir, mais l'aboutissant de ce choix, notre repos dans l'obtention de la vrit veritas liberabit vos , l'Eglise a rpudi le principe libral, Elle n'admet pas que la vrit et l'erreur aient les mmes droits : Grgoire XVI disait dj en 1832, dans l'Encyclique Mirari vos . : De cette source empoisonne de Vindiffrentisme, dcoule cette maxime fausse et absurde ou plutt ce dlire : qu'on doit procurer et garantir chacun la libert de conscience; erreur des plus contagieuses, laquelle aplanit la voie cette libert absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l'Eglise et de l'Etat, va se rpandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excs d'impudence, ne craignent pas de reprsenter comme avantageuse la religion. Ehl quelle mort plus funeste po'ur les mes, que la libert de l'erreur 1 disait saint Augustin. Tout le monde le sait, les catholiques libraux, pour qui ce texte a t crit, n'admettent pas cette vrit, vrit naturelle, que la simple raison peut atteindre, car elle ne tient pas le moins du monde pu mystre. En cela donc les catholiques libraux ne peuvent pas tre catholiques, car, ne nous le dissimulons pas, ce principe, l'Eglise ne le cdera jamais en droit et les libraux catholiques par dfinition mme ne l'accepteront pas. Le libral est dans l'Eglise et d'une faon tacite et continu, Un r-
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volt contre l'enseignement catholique, car l'Eglise qui voit dans la libert d e l'erreur un grave dommage pour la Socit, pour le domaine spirituel de cette Socit dont elle a la garde, si vous prfrez, n'admet pas qu'on nglige son enseignement sur ce point et qu'on traite d'accessoire une question qui tient si fort la rdemption des mes. Bref, le libral, en ce point qui peut entraner fort loin, n'est pas vritablement catholique puisqu'il pense et agit en marge de l'orthodoxie. Consquemment, il sera impossible l'Eglise de s'entendre en principe avec un libral athe, s'il s'agit de dterminer quels doivent tre les rapports de l'Eglise avec l'Etat. Il peut se faire qu'un accord se produise en fait avec Rome, mais dans c e cas le libral fera forcment flchir son principe, et l'Eglise s'accommodera provisoirement d'une situation intermdiaire. Mais l'Eglise et le libral ne s'entendront touiours pas au sujet d'un principe foncier qui doit rgler la situation de l'Eglise dans l'Etal par rapport la doctrine de l'Eglise. L'Etat professera la libert de Terreur, dans une plus ou moins large mesure, selon le degr de libralisme des libraux au pouvoir.
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Supposez, ce qui cadrera du reste fort bien avec l'histoire de notre poque, qu'aprs cent ans de mise en pratique, le principe libral, la libert sans frein de Terreur, le libre examen, appelez cela comme vous voudrez, aboutisse une catastrophe sociale inhrente cette erreur sociale. Le pouvoir civil dgag de tout accord avec l'Eglise, ayant laiss l'erreur les coudes franches, celle-ci prendra facilement sa revanche sur la vrit. Socialisme, communisme, anarchisme, antipatriotisme, antimilitarisme, ces champignons vnneux pousss sur la souche du libre examen, et qui empoisonnent l'atmosphre nationale, apparatront tout homme d'ordre qui vivra cette poque de peste, ce qu'ils sont e n ralit : un poison social. Le mal fant alors visible l'il nu, il suffira d'avoir dans les veines un peu d e sang franais et dans l'esprit un peu de sens critique, pour mesurer les ravages qu'un tel flau peut dchaner sur notre patrie. Poussant plus avant la critique, que ces hommes, ainsi mis en veil par souci de la vie nationale et que nous appellerons pour cela d e s nationalistes, se rendent clairement compte que cet tat de dliquescence sociale est d au microbe libral, au principe du libre examen, d e la libert de Terreur, qu'ils dnoncent la cause, la prfeentent toute nue Tanimadversion publique, qu'ils crient : Le libralisme, voil l'ennemi ! les catholiques qui entendront ce langage
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ceux-l sur une vrit fondamentale de l'ordre social, que Ton y arrive par l e dogme ou par la raison toute pure? Un tel cri pouss en pleine poque d'anticlricalisme doit forcment attirer l'attention des catholiques peu habitus, mme parmi eux, tant d'accueil fait la doctrine du Syllabus . Une sympathie naturelle se crera ds l'instant mme". Que maintenant ces mmes hommes, qui partent si vous voulez d'un camp matrialiste, tout comme Tadne, poursuivent leur critique de la socit moderne, qu'ils Ttudient fond, qu'ils en dboulonnent tous les rouages pour les examiner sparment et voir comment ils s'ajustent et se subordonnent, que c e s homnies synthtisent ensuite les rsultats de leur investigation, et que, leur synthse termine, ils con-
cluent que la socit moderne en s loignant des directions sociales de l'Eglise, s'est loigne de l'ordre et de la prosprit, et que, devant
cette vrit claire oomme le jour, ils soient pris de curiosit sur la structure de cette Eglise si vieille et qui, par Un geste aussi naturel que ferme dterminait ainsi, sans effort, la condition de notre v i e sociale, que ces hommes veuillent examiner l'difice pour l'admirer, leur interdirez-vous, au nom de leur philosophie, de jeter Un regard curieux sur les tais de cet difice? Si, sans aller plus loin qu'une conclusion qui s'impose au sociologue, ils s'crient : C'est la cit de l'ordre! et qu'ils se conforment CL cet ordre sur le terrain des rapports qui doivent unir l'Eglise et l'Etat,- les repousserez-vous ? Et si, ouvrant de .grands yeux sur l'histoire de leur pays, ils constatent avec l e simple regard de l a raison, quel point renseignement moral de l'Eglise a contribu la grandeur sociale de notre nation, je le demande tout bon catholique, leur opposerez-vous une mfiance fanatique, de ce seul fait, qu'ils ne poussent pas l'examen jusqu' sa limite mtaphysique, de ce seul fait Qu'ils n'arrivent pas jusqu' la foi? Voici un Maurras et voici un P. Laberthonnire. La calomnie est ce qu'elle est l'gard du premier, elle est toute gratuite, rien ne permet de supputer la bonne foi de Maurras dans son admiration de l'Eglise de Tordre. Quant au P. Laberthonnire, il vient de se poser en adversaire dclar de l'uvre de salut social de Ch. Maurras. Mais il y a une quivoque dissiper et la chose est des plus faciles. Le problme du conflit ne se pose pas autrement que nous venons de le poser plus haut en quelques gnralits aisment transposables dans l'ordre des faits actuels. Il suffira, pour crever la tapisserie qu'a tisse le P. Laberthonnire d'appuyer tant soit peu, il suffira d'lever une simple objection trs facile rsoudre : l'attaque en question vientelle du catholique ou du libral?
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IV Dans la premire hypothse, l'attaque manque totalement de fondement et ce qui en simplifie considrablement la preuve, ce sont les raisons ad hominem que le cas personnel du P. Laberthonnire, je veux dire sa nuance de catholicisme lui, nous suggrent. A envisager les choses de ce point de vue, tout dans le cas de Maurras devrait lui gagner la sympathie d'un P. Laberthonnire, (je parle; pour le moment, du catholique, abstraction faite de ses tendances de moderniste, que sa bonne foi et sa conscience, vraiment catholique je le suppose, a d lui faire rpudier depuis septembre 1907). Je dis que le cas de Maurras devrait tre cher l'cole philosophique, laquelle appartient son contradicteur, disons le mot, son ennemi. Je sais que s'il est une thse prcieuse l'cole Blondel-Laberthonuilte, c'est la rconciliation de la science et de la foi . J'ai beaucoup lu VAvenir et Gratry et me souviens quelque peu d'Oll-Laprume^ je n'ignore donc pas que c'est l le v u le plus opinitre de ces matres, de voir un jour la science, j'entends la science sociale, revenir l'Eglise et lui rendre hommage. Gratry, qui a nourri l'intelligence de notre philosophe, a eu comme le pressentiment de ce retour de la science sociale l'Eglise, il en a salu de loin l'avnement, il a vu l'aurore d'un futur grand sicle. Or, il y a du vrai dans cette vision, seulement le tort du P. Gratry fut d'tre un simple mortel de son poque et comme le vent tait la Dmocratie, il croyait que celle-ci serait la cause du grand sicle. Il n'a pas tout vu, il n'a pas Un seul instant imagin que l'union (pt se faire entre la science sociale et la 'foi, par-dessus le dos de la Dmocratie. Ses lves, docteurs e n philosophie subjectiviste, ont recueilli la lettre, plutt que l'esprit de sa thse fondamentale. PoUr eux la Dmocratie devait tre la cheville ouvrire de la fameuse rconciliation. Qui dit Dmocratie, dit autonomie, royaut de l'individu, et c'est de ce point de vue, le lecteur s'en souvient, qUe Tlmmanentisme a difi son principe fondamental. Or, cette rconciliation, si souvent prne, a eu lieu, mais sur un autre terrain, elle s'est faite tout l'honneur du Catholicisme?. Quand la science nous disons l'tude raisonne des problmes sociaux a commenc au XVIII sicle, ses champions rationalistes n'avaient pas de termes assez mprisants pour qualifier le routinier esprit du catholicisme. On n'avait d'yeux que pour le Progrs, c'est--diro que l'on fit a priori un acte de foi en l'inconnu, en l'avenir. On le .supposait grandiosement install sur les ruines du christianisme romain. Que voulez-voUs? c'tait un jeu de collgiens rveurs d e libert 'et de raction. Les faits nous en ont fait rabattre depuis cent ans et plus, et, ayant plus perdu perdu que gagn, ce n'est plus
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vers un avenir muet et encore raliser que nous nous tournons, mais vers le pass plus fcond en enseignement positif. C'est l que nous jetons les yeux et que nous cherchons dcouvrir sous les phnomnes, la loi ou les lois qui rgissaient une socit o tout tait plus solidement fond. Oui, le jeu du progrs a cess et c'est dans ce retour en arrire que l'Eglise a gagn l'admiration qu'on ne lui marchande plus, chez c e U x l mmes qui sont les hritiers d'un mthode qui fut, dans ses libuts, au service du rationalisme, par une anomalie, du reste, dont l e temps devait avoir raison. Et n'est-ce pas un rconfort pour notre foi de voir cette Eglise: dont nous vnrons l'enseignement, admire aujourd'hui dans ses doctrines sociales par des positivistes? (Remarquez que Taine est accept par les dmocrates). Taine a bien .parl du catholicisme, on lui en sait gr. Mais Taine est mort et Taine n'est pas du comit d'Action Franaise. Ahl si le cas se prsentait comme la sophistique serait vite mise en jeu. Vite, on mettrait son trait de l'intelligence sous le pressoir pour en faire sortir les origines de la France contemporaine . Et que l'Eglise envisage sous cet aspect, nous apparat grande! Voil deux cents ans qu'on lui demandait d'voluer tel point que q U e l q u e s - U n s de ses enfants s'en taient mus. Elle a tenu bon sur ses positions immuables, et aujourd'hui, sans qu'elle ait fait la moindre concession aux sollicitations des enfants du progrs, voici qu'on vient elle sans s'embarrasser de l'attirail moderniste, voici qu'elle se rencontre point par point avec les dernires conclusions de la science sociale. Si bien que Ch. Maurras, crivant l e 4 a o t 1910, sur condamnation du Sillon a pu dire ces paroles dignes d'tre retenues : L'Eglise n'est pas seulement du ct de l'ordre, mais elle est encore du ct du mouvement, de la vie . Qu'a-t-elle fait pour cela, sinon enseigner c e qu'elle enseigna d e tout temps? Le phnomne que nous dcrivons ici est splendide, c'est un de ces miracles sociaux des temps modernes. Nos contemporains s e plaignent qu'il n'y a plus de miracle assez clatant pour les amener la foi; or, pour qui sait voir, le miracle, le voil. A ct du gchis des rvolutions, l'attitude tranquille et patiente de l'Eglise. De quels accents le P. Gratry ne saluerait-il pas cette rconciliation, lui q u i en parla toute sa vie et ne travailla que pour e l l e ! Malheureusement, son poque tait incapable de calculer ces v n e n e m e n t s qui s'oprent, sous nos yeux. Gratry avait 25 ans aux beaux jours de Lamennais et cela explique tout. Mais s e s disciples, parmi lesquels se range avec dvotion l e P. Laberthonnire, eux qui voient de leurs y e u x c e retour des choses en faveur do l'Eglise, comment, s'ils o n t au cur l'amour du catholic i s m e , comment ne reconnaissent-t-ils pas q u e l e s t e m p s prdits par l e s
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Matres, les Lamennais et les Gratry commencent se raliser sous nos regards ? Qu'est-ce qui peut offusquer leur rue et les rendre myopes, quand leurs v u x les plus chers se*trouvent raliss? Ils prchaient une rconciliation qui s'accomplit, que veulent-ils de plus? 11 est vrai qu'elle se fait sans eux, cette fameuse rconciliation si longtemps attendue! Pensez donc, tant de labeur, tant de concession, tout cela en vain! L'Ingrate Science se rconcilie avec l'Eglise sans l'entremise du Modernisme I Et d'abord, c'est que dans l'ordre providentiel, elle ne devait pas, elle ne pouvait pas faire; avec eux, cette rconciliation. Qui, la 'rconciliation devait avoir Jieu entre,deux expressions d'une mme vrit, mais elle devait se faire sans volution de la part de l'Eglise, et sur le terrain du dogme. C'est ce que n o s docteurs, reprsentants de Ja science auprs de l'Eglise n'escomptaient pas. Ils pensaient qu'on ne viendrait bout de l'entreprise qu'en manipulant, en frelatant, en altrant le dogme. Le programme Saint-Simonien de Lamennais persistait ou voulait libraliser le catholicisme . Or, la vrit se passe de pareils procds, l'Eglise ne pouvait pas ne pas s'en passer e t voil pourquoi la rconciliation s'est opre au milieu d'eux, au moment o ils y songeaient le moins, n'ayant jamais regard que d'un ct, celui du libralisme, pendant que sur le terrain oppos, celui de la contre-Rvolution, le retour se faisait grandes enjambes. On a dit de Taine qu'il revenait au catholicisme sur le terrain social , c'tait un premier pas, et le plus important, car c'est par l que dbuta le conflit. Eh bien! les continuateurs de Taine, parmi lesquels je l'espre bien, Ch. Maurras. compte quelque peu, ont complt le retour sur c e mme terrain social. Encore une fois U n catholique ne peut que s'en rjouir, et ce n e peut pas tre comme catholique, que le P. Laberthonnire et ses pareils le dplorent. Leur opposition relve d'un autre chef. Ce n'est pas comme catholiques que ces espritsl s'acharnent contre le nationalisme intgral, c'est comme libraux et cela change considrablement les choses. Toutes leurs chres concessions au libralisme ils ne les trouvent pas dans les documents de l'Action Franaise, ils y rencontrent la contradiction la plus formelle la moelle mme de leur pense. Comment voulez-vous que l'Action Franaise et l'tat d'esprit qu'elle rpand, ne les bouleverse pas! En effet, il n'y a pas autre chose au fond de ce conflit qu'une question de libralisme et d'antilibralisme, c'est en vain que tous ces rhteurs font de la fume autour d'une vrit si simple, leur passion politique est crite en lettres de feu sur leur front. Aprs leur chec clatant, ils mettent tout en branle pour enrayer un mouvement de l'me franaise qui les dpasse de cent coudes; le flot est cependant bien fort, et on leur souhaite bonne chance.
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Ces rconciliateurs sont trangement btis pour semer la brouille et la discorde, mais, en somme, aucun titre avouable, ils ne sont appels jouer le rle d'arbitres. Serait-co au nom de la foi? Allons donc! ne plaisantons pas, nous sommes encore trop prs de 1907 et l'encyclique Pascendi qu'il peut tre cruel, mais qu'il est indispensable de rappeler nous l'interdit. Le P. Laberthonnire et son cole ne peuvent pas iouir l'gard des catholiques d'une rputation d'orthodoxie qu'ils n'ont jamais mrite. Leur mthode d'apologtique se confondait avec celle des protestants et leurs thses fondamentales soudaient leur enseignement au christianisme sotrique des sectes maonniques! Il n'y a qu' lire tel document du christianisme sotrique dans le solide et suggestif ouvrage de M. l'Abb E. Barbier, pour que le rapprochement s'impose quiconque connat la doctrine de l'Immanence. Ainsi (p. 72), ce texte Prservons-nous d'imiter ces esclaves des choses du dehors, ces hallucins du visible. Ne cherchons pas comme <vux le Christianisme dans l'extrieur le plus pais, dans la politique et l'oppression. Ne le cherchons mme pas d'abord dans son histoire et les faits extrieurs de l'Evangile. Mais cherchons d'abord le Christianisme dans l'intrieur. Et dcouvrons-le au fond de notre me. (M. l'Abb Barbier met en note : C'est l'immanence vitale... ). Serait-ce au nom de la science que le P. Laberthonnire est, lui aussi, mont l'assaut du nouvel tat d'esprit de nos gnrations mieux informes que la sienne? Je ne le pense pas, car ce rconciliateur de la science et de la foi ne s'tait gure mis en mesure l'gard de la science exprimentale, laquelle, est, par dfinition, raliste, objective. Personne n'ignore que sa philosophie subjectiviste aboutissait la destruction pure et simple des motifs de crdibilit en apologtique. Si quelqu'un en doute encore, il n'a qu' jeter Un coup d'il sur la brochure d'un de ses disciples, l'Abb F. Mallet, brochure intitule : Qu'est-ce que la Foi? (Science et religion). Le P. Laberthonnire et son cole ont tout simplement, en supprimant les motifs de crdibilit, sacrifi le ct scientifique (puisque exprimental) rlc I'apologtiqUe, c'est, on en conviendra, une trange faon d'oprer lun rapprochement entre la science et la foi. 'Vraiment ce n'tait pas habile au point de vue catholique. AU point de vue protestant, c'est autre chose 1 Serait-ce donc comme Philosophe qUe le P. Laberthonnire interviendrait? SoUs ce rapport encore nous ne nous entendrons pas. Je veux bien pour tma part rendre hommage au talent du P. vLaberthonnire, lui reconnatre l'art de philosopher, lui accorder la mise en uvre, la forme, comme disaient les scolastiques, (le P. Laberthonnire me passera cet archasme). Peut-tre un Allemand lui donnerait-il,- sous rserve, le titre de philosophe. Un Franais ne le
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peut pas, sans faire tort nos traditions littraires. La philosophie ne fut jamais en France, Fart de pcher en eau trouble; le bon sens, le droit jugement, la simple bonne vidence y eurent toujours la place d'honneur, la sophistique en fut toujours rpudie avec soin, et le nom de Pascal nous rappelle bjen une uvre aussi claire que profonde. Bossuet, dans son libre arbitre, dans les Empires et l'histoire universelle nous reporte aux beaux temps de notre philosophie vraiment franaise.. Je ne sache pas que l'on puisse, sans mentir notre tradition, rapprocher le P. Laberthonnire de ces grands noms. Pascal et Bossuet ignoraient ce que nous appelons tirer par les cheveux , le P. Laberthonnire connat cela. La vraie philosophie n'est pas en fonction des ides a priori et des prjugs, elle doit prendre pied sur l'exprience tant la plus gnrale des sciences, comme disait Ch. Maurras, dans la prface d e son beau livre Kiel et Tanger : Le citoyen rflchi se rappellera qu'un principe gnral reprsente le plus grand nombre des ralits particulires leur plus haut degr de simplification . La philosophie est prcisment la science des principes gnraux, lesquels ne sont pas indpendants de l'exprience. Qui subordonne tout un systme un principe non justifi par la ralit, n'est pas digne du titro de philosopha Qui dnie l'esprit humain sa fonction essentielle, celle de puiser son bien au dehors de lui, qui mconnat ce procd naturel : ab exterioribus ad interiora , n'a pas droit au titre de philosophe. La philosophie est la doublure de la critique et n'est vraiment philosophe notre poque (car en philosophie gnrale et chrtienne tout est dit et l'on ne variera que de forme et d'emploi) n'est vraiment philosophe notre poque, que celui qui lit et fixe le sens cache clos vnements; celui-l s'lve de la pense vulgairey du prjug en cours, jusqu'aux causes gnrale, jusqu'aux axiomes ternels. Le P. Laberthonnire n'a jamais indiqu personne, que l'on sache, l'orientation de son poque. Mieux que cela, il n'a mme pas vu la direction guHl convenait de donner la littrature religieuse, il l'avait gare sur les chemins c'U protestantisme. Sans contredit le paen , Ch. Maurras a mieux connu que lui l'essence du dogme catholique, et son mrite n'en est que plus grand, jugeant les choses du dehors. Il n'y a qu' lire le Dilemme de Marc Sangnier pour s'en convaincre. Ah! ce Dilemme! de longtemps on ne le lui pardonnera pas. H y a des plaies qui se cicatrisent difficilement et celleci est encore vive. Il reste que ce soit au nom du libralisme que le P. Laberthonnire ait tourn ses batteries sur VAction Franaise. Et ici nous y sommes. Instinctivement, ce qui nous disions aiu dbut se prsente notre esprit : creusez un tant soi't peu l'immanentismle lest l. C'est donc une question de coterie, le motif qu'on invoque n'est pas rel, cela couvre simplement le drapeau, c'est une housse, mais une housse de gaze!
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C'est pourquoi, pour ne pas tromper ses lecteurs, le P. Laberthonnire aurait d intituler son ouvrage : La dernire cartouche du libralisme aux abois . Et quel est, en somme, le grand grief que le libralisme aux abois a fait la contre-Rvolution triomphante? C'est, chose trange, celui d'enseigner le culte de la force brutale. Ch. Maurras, dans YAction Franaise du 31 juillet et du 1 aot derniers a montr par quelles altrations de texte le P. Laberthonnire, se dgradant ce jeu frauduleux, a pu soutenir une si grotesque affirmation. Mais n'y aurait-il pas ce fait prcis mettre en vigoureux relief, il resterait le corps de doctrine, lequel est bas sur une thorie essentiellement anti-tatiste (1). Le nationalisme intgral est un pur retour au droit chrtien du moyen-ge, une exaltation du droit contre l'arbitraire. A tel point que l'on ne peut pas, sans une ignorance profonde des plus grandes lignes de cette doctrine, lui imputer d'enseigner la thorie de l'Etat paen. Il n'y a ici qu' rejoindre l'expos du libralisme que nous faisions au dbut de cet article pour voir, qui, des libraux Ou des antilibraux, professe implicitement le culte de la force. Nous l'avons vu, le libralisme, sous prtexte de tolrance, j conduit tout droit et d'emble. Il nous importe peu que Maurras rattache ou non les conclusions politico-sociales que l'observation lui a fournies, Une philosophie ou qu'il ne s'en soucie mme pas, il nous suffit de nous rencontrer avec lui sur le terrain de la constatation. Or, ici les choses sont simples, il n'y a mme pas matire confusion. La thorie fondamentale est base sur ce fait que le cesarisme et le parlementarisme, sont les deux formes de l'arbitraire de l'Etat, l'arbitraire d'un seul ou d'une coterie. Pour chapper cet arbitraire nous reconnaissons aux divers groupes naturels qui ont quelque droit, un droit limit, leur autonomie et une part dans Ja reprsentation nationale. La formule tait dans VAvenir de Lamennais, un trne entour d* institutions rpublicaines. Le pays s'administre pendant que le roi gouverne . Le roi en ses conseils, le peuple en ses Etats . Et pour peu que l'on examine les ouvrages politiques de Maurras, l'on se rend compte qu'il n'y a rien de plus oppos au culte de l'arbitraire, tandis que le libralisme nous y prcipite fatalement. Et la preuve qu'il n'y a l rien que de trs en harmonie avec l'enseie r
1. Le jeune revue d'Action Franaise La Bourgogne royaliste me fournit un texte bien clair et qui n'a pas t prpare pour moi; je prendfs. mon bien o je le trouve et je transcris : Qu'on veuille bien remarquer oue nous ne sommes pas des dtracteurs outra ncers et que nous ne chargeons pas, tel un bouc missaire, de toius les pchs d'Isral une forme gouvernementale parce qu'elle ncus dplat. Carrment mme nous affirmons que, tant donne la Centralisation, peu importe la forme rpublicaine ou la forme monarchique, LA PLAIE D'TATISME EST SEULE EN CAUSE . (B. R. Juillet 1911, p. 4).
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gnemcnt da l'Eglise, on remarquera que le catholicisme social du Marquis de la Tour du Pin rejoint tout naturellement le nationalisme intgral. Si le nationalisme intgral est condamnable, condamnable sera aussi l'uvre du Marquis de la Tour du Pin et celle de ce noble principe et de ce saint homme, le Comte de Chambord. Je montrerai mme dans quelque temps comment le meilleur de la pense de Lamennais se rencontre avec l'Action Franaise, et ce sera la confusion des dmocrates chrtiens qui n'ont pas su le lire. Ce qui droute nos docteurs, c'est la thorie du coup de force. Voil le hic. Ce coup de force les obsde. Que voulejsrvous ? il faut comprendre leur dsarroi, se placer au centre de leurs proccupations. Pour eux, la dmocratie, par une aberration que leur a communique le protestantisme autour duquel ils n'ont cess de papillonner pour eux, la dmocratie tait l'idal social, idal de justice chrtienne. Tout ce qu'ils ont fait, dans c e camp moderniste, soit la Quinzaine, soit aux Annales de philosophie chrtienne, tout -tait chafaud pour la construction de cet difice. Histoire, exgse, philosophie, apologtique, tout, dans ce clan littraire, se subordonnait ce but. L'chec de la Dmocratie, c'est la ruine de tous leurs projets; les catholiques dlaissant la btise de la dmocratie chrtienne, c'est leur chafaudage qui s'croule, ce sont tous leurs efforts qui sont du coup annuls. Ils sentent cela et tout en dclarant aujourd'hui que le mouvement anti-rvolutionnaire n'a aucune importance, o n les voit uniquement occups le combattre. Ils ne produisent plus que des uvres de dfense; (qu'on veuille bien le remarquer), tant il est vrai que leur raison d'tre disparat de jour e n jour. Pour revenir au coup de force, non seulement il les pouvante, mais cette thorie les scandalise. Selon leur intime conviction, ce coup librateur est une monstruosit l'gard du peuple franais. Ce qui fonde le droit d'un gouvernement, c e ne sont pas ses services, mais l'adhsion de la majorit des citoyens. Ils ne daignent mme pas se souvenir de l'enseignement formel de l'Eglise cet gard. Or s'il y eut un gouvernement malfaisant dans notre histoire, c'est bien en premier lieu notre troisime Rpublique. Eux, les fervents du grand et antisocial coup de force de 1789, prennent une attitude pharisaque devant le coup de force de salut et de droit public que l'Action Franaise leur annonce. En somme, ce coup de force constitue le quiproquo qu'on exploite. L'Action Franaise veut renverser par la force, donc elle construira au dtriment du droit. C'est de ce joli raisonnement qu'on s'autorise pour ne pas voir, pour ne pas lire, pour calomnier ce que l'on se re* fuse connatre. Ah! non! Monsieur l'Abb, si une doctrine vous est immanente, ce n'est certes pas celle du nationalisme intgral I Et tout cela porte un nom, cela s'appelle de lai mauvaise foi.
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V Enfin puisque l'on s'autorise du catholicisme pour attaquer l'Action Franaise, voyons comment Ch. Maurras, prsentait sa dfense ce point de vue. (Action Franaise, 31 juillet. A propos d'un Libelle) : Dans tous les milieux o l'on sait ce dont il s'agit quand on prononce le nom de l'Action franaise, personne n'ignore plus qu'un des reproches faits aux incroyants de ce groupe est de trop dire, de dire trop clairement et trop loyalement qu'ils ne partagent pas la foi catholique de l'immense majorit des Franais; avec des nuances diverses, qui vont du regret amical, au sensible ennui de ne pas trouver trace de fausse diplomatie parmi nous, ce sentiment exprime que nous serions bien plus gentils, bien plus commodes et de recommandation plus aise si nous insistions moins sur cette malheureuse difficult religieuse. Mais tous les catholiques vraiment pntrs et srieux en dplorant notre tat d'esprit, nous approuvent compltement de ne pas en escamoter la formule. C'est au plein jour qu'on peut et que l'on doit traiter et s'accorder : le trait, dt-il entraner parmi ses consquences une sparation, reste cependant un accord en ce sens qu'on aura chang des demandes et des rponses prcises, dont le sens n'est point double et dont la nettet laissera de part et d'autre un sentiment d'estime, un souvenir de droiture et d'honneur. Un crivain qui mconnat cette franchise est certainement incapable de distinguer la nuit du iour.
et sociale rpond Valliance qui s'est forme depuis six ans VAction franaise entre des patriotes franais de provenances trs diverses, les uns cathe
tiques ardents, les autres ns catholiques pour la plupart et devenus trangers la. foi. Leur tte tte dans notre ligue correspond au tte tte des croyants et des incroyants dans le pays... Leur cas concret pose le problme qui s'offre partout : en ce pays divis de sentiments et de croyances, comment les catholiques trouveront-ils la paix? Et le problme n'est soluble que par l'autonomie complte du catholicisme. En dehors de cette solution en effet, l'on se heurte la guerre l'Eglise, e t l e s m e m b r e s d e
l'Action franaise qui n'ont p a s l a foi catholique s o n t l e s p r e m i e r s r e c o n n a t r e qu'on n e p e u t r i e n entreprendre contre l'Eglise qui ne se retourne aussitt contre la nation, e t g n r a l e m e n t contre l a socit, plus g n r a l e m e n t con-
t r e l e g e n r e h u m a i n . . Pourquoi? Comment? Ce sont d'autres questions. Mais l'histoire est d'accord avec l'analyse pour tablir d'abord ce point. Il faut en tenir compte ou sortir des ralits de la politique religieuse franaise. Pour en tenir un compte vritable, il faut connatre le catholicisme tel qu'il est. Nos amis non croyants ont d s'y appliquer, et plusieurs d'entre eux avec un soin particulier. Ils ont dcrit de leur mieux les caractres spirituels, moraux, historiques et sociaux de l'Eglise romaine, et cette tude laquelle ils ont apport l'esprit de soumission impartiale qu'il faut appliquer l'tude des faits, a t juge en gnral assez exacte. Certes, ni le langage, ni la pense de ces incroyants n'avaient pas toujours t de nature satisfaire les catholiques en ce qui touche l'apprciation du dogme ou l'nonc de l'histoire. Mais si, sur ces deux sujets, une entire satisfaction et t possible, la difficult se serait vanouie, le problme examin ne se serait plus pos; nous aurions t des catholiques parfaitement orthodoxes. Un dissentiment religieux entre concitoyens, entre amis, entre proches est une plaie qui ne se gurit pas au moyen d'un trait d'alliance politique.
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Mais il ne s'agit pas de gurison, il s'agit de vie et d'action commune en vue d'un bien qui n'est pas contest. Ceux qui ne pouvaient pas penser comme les catholiques se sont efforcs de bien savoir comment les -catholiques pensent et doivent penser, de manire ne point les blesser par mgarde. Ce n'est point parmi nous que l'on a pu conseiller aux catholiques de professer leur religion la manire de Bossuet ou de Fnelon, ni qu'on a oppos aux dcisions du dernier Concile la tu riu taine du gallicanisme ou les visions du fidisme condamn. Quand l'Institut d'Action franaise B'est fond, la question d'un enseignement catholique s'est pose, et pour signifier ce que nous entendions par le catholicisme, un non croyant proposa la dnomination de chaire du Syllabus (1). Ces procds dont l'enchanement est irrprochable eurent pour rsultat naturel de nous attirer Vattention puis la faveur de ceux des ecclsiastiques franais dont la doctrine gnrale tait juge la plus pure au point de vue du sige romain, tandis que le clan libral silloniste et moderniste s'agitait avec une remarquable unanimit contre nous. Les vnements furent assez malicieux pour fortifier nos raisons en les vrifiant. Nous avions dit quelques historiens et romanciers de la philosophie religieuse. Ce que vous dites l peut tre bel eL bon en soi. mais ce sera tout ce que vous voudrez except du catholicisme. Et l'encyclique Pascendi vient en effet dclarer peu de temps aprs que du point de Jrue catholique il fallait rejeter absolument tout cela. Mme confirmation de pronostic en ce qui touchait le Sillon. Pendant sept ans entiers, l'auteur du Dilemme de Marc Sangnier rptait son hros : Mais prenez donc garde que de telles propositions exorbitent le catholicisme; il est impossible qu'elles ne soient point dsavoues tt ou tard... Ce qui est arriv. Ce qui ne pouvait pas ne pas arriver. Mais, non plus, ces rencontres ne pouvaient pas ne pas exasprer les haines et, quelque modrs qu'aient t nos .triomphes, les hommes que nous avions avertis inutilement ont fini par nous imputer des prtentions une orthodoxie dont nous n'avons mme pas le droit de nous occuper...
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L'article de Maurras met admirablement les choses au point et l'on demeure indign de voir l'injustice parfaitement raisonne dont font preuve e n ce cas, ces modernistes et dmocrates. C'est bien l libralisme qui s'agite. Priv, fcar des condamnations formelles, de ses moyens d'expansion, il emploie son activit enrayer tout au m'oins une doctrine qui le dmolit de fond en comble. Et cela compose Un titre de gloire cette doctrine et la recommande l'examen des catholiques. Cette attaque demeure toute l'honneur du nationalisme intgral, car, pour qu'on l'aborde de flanc, il faut vraiment que l'on comprenne qu'il est imprenable de face. Et maintenant, scrutant les choses de plus haut, examinant quelle attitude ont l'gard du catholicisme soit les antilibraux positivistes, soit les catholiques libraux gui les traitent en ennemis, nous sommes forcs de constater que les premiers font face au catholicisme, 1. Dom Besse disait dans la Bourgogne royaliste du 1 juillet 1911, en parlant de cette chaire du Syllabus : Charles Maurras qui prit cette fondation une part active, en donna lui-mme le motif .
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tandis que les seconds lui tournent le dos. Les uns n'ont qu' foncer droit devant eux pour le rejoindre, tandis que les autres devraient, pour y revenir, faire volte-face. Et cela suffirait pour trancher le dbat. VI Je m'en voudrais toutefois de ne pas clairer lai nature du conflit,* de ne pas mettre en vigueur le point sur lequel porte l'antagonisme,; en omettant de citer cette page d e . Brunetire, recueillie cet effet: L'Universit d e France, pendant soixante ans, dit-il, a cru fer mement qu'en opposant au positivisme sa mthode psychologique d'introspection ou d'observation du Moi par lui-mme elle soutenait contre Auguste Comte la cause du spiritualisme! Mais elle ne sou tenait que celle du subjectivisme, et le subjectivisme, vous le; savez, Messieurs, c'est prcisment une des grandes erreurs que nous do vions combattre, s'il n'est, Vrai dire, que le nom pdantesque et obscur de ce qu'on appelait autrefois plus clairement et plus sim plement le sens propre, ou individuel . Ne recevoir aucune chose pour vraie qu'on n e la connaisse videmment tre telle. ce qui quivaudrait pour la plupart des hommes repousser les conclu sions les plus certaines de la science, de l'astronomie, par exemple, ou de la physiologie; riger sa propre intelligence en souverain juge de toutes choses ; faire ainsi, de son degr d'ducation oit D de culture, Vunique mesure de la vrit ; ne dfrer, sous aucun yr texte, pour aucun motif que ce soit, aucune autorit; se retrancher orgueilleusement dans son Moi, comme dans Une forteresse, comme dans une le escarpe et sans bords , que l'on mettrait son point d'honneur dfendre principalement contre l'invasion du bon sens; ne pas admettre enfin qu'il puisse y avoir dans le monde plus de choses qu'il n'en saurait tenir dans les troites bornes de notre men talit personnelle, voil, Messieurs, le subjectivisme et voil, je le rpte, l'une des pires erreurs ou. des pires maladies de notre temps. Ai-je besoin de vous montrer qu'il n'y en a pas de plus contraire l'esprit du catholicisme? (Je n'ai pas besoin non plus de rappeler, ajoutait l'auteur, en note, qu'autant, qu'il est contraire l'esprit du catholicisme, autant ce subjectivisme est favorable l'esprit du protestantisme) . Ce subjectivisme qui fait le fond de la philosophie du XIX sicle en dehors de l'cole positiviste, le P. Laberthonnire ne dira pas qu'il ne l'a pas profess. Le lecteur n'a qu' se reporter au dbut de mon article, au texte cit o notre philosophe dclare accepter en pleine connaissance de cause, cette ide de la philosophie moderne, sa voir qu'il n'y a pas de vrit que l'homme ait subir . Or, puisque le P. Laberthonnire s'effarouche du positivisme du
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meilleur aloi des incroyants de l'Action franaise, voici comment Brunctire envisageait le positivisme tout court; je continue la citation. Eh bien I Messieurs, contre ce subjectivisme universitaire, et prtendument o u faussement spirilualiste, ce que le positivisme est venu fortement tablir ou rtablir, c'est le caractre extrieur ou objectif de la vrit. La vrit n'habite pas e n nous, mais en dehors de nous. Elle ne dpend pas de l'vidence que nous lui ai trbuons, et encore bien moins de Vassentiment ou de Vadhsion que nous lui donnons. Il n'importe pas au mouvement de la terre que nous nous sentions tourner avec elle ! II n'importe pas -la ralit de la vie que nous soyons, aujourd'hui mme, incapables de la comprendre, o u mme seulement de la dfinir! Il n'importe pas l'autorit de la loi morale que nos instincts ou nos apptits se r voltent et s'insurgent contre ses prescriptions! Commenons donc par faire abngation ou abdication de notre sens propre. Sortons de nous-mmes, O B S E R V O N S , COMPARONS ET CLASSONS. < Nosce te ipsum < disait la sagesse antique : c'est un excellent prcepte de morale; ce n'est pas un moyen d'investigation scientifique. NonI ne nous in terrogeons pas nous-mmes, mais plutt la nature et Vhistoire. De mandons -la science des faits la connaissance des faits!... C'est ce que le positivisme est venu nous enseigner; c'est ce qu'il enseigne tous les jours ceux qui le comprennent; c'est le premier de ses enseignements que nous devions nous .approprier. Nous n'avons pas, ne pouvons pas avoir de meilleur alli que lui dans la lutte ncessaire contre le subjectivisme... (1) . Je fais remarquer au lecteur que Brunettre en parlant ainsi dveloppait quelques motifs d'esprer. Il s'occupait d'apologtique. Sans doute, Brunetire a pouss assep loin utilisation du posi tivisme Nous n'allons certainement pas aussi loin que lui, mais il faut reconnatre que l'Action franaise, en fait de positivisme, n'a que la mthode. Elle a constitu la politique en science positive, elle a, sel o a la formule de Brunetire, observ, compar, class. L'Action franaise, comme nous le disions au dbut, n'est pas partie d'une ide prconue, ou du moins, sa seule ide prconue, c'est que si la politique recevait une solution exacte, cela ne pouvait se faire qu'aprs la connaissance des lments du problme. Le positivisme, disait Maurras Marc Sangnier, est une doctrine de constatation . C'est donc en vain que l'on essaie de troubler la limpidit de , de mettre en opposition le positivisme et le catholicisme; le positivis me qui est ici en question, ne peut pas dpasser les bornes de la m thode de constatation. Dj en 1901, M. J.-E. Fidao, sous le titre de Positivisme et catholicisme , publiait une tude dans la Revue du 1. Discours de Combat. Les motifs d'esprer.
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Clerg franais, (15 dcembre 1901). Et cet article tait destin faire chec Brunetire. C'est dire que l'essai n'est pas nouveau. Encore une fois, c'est le subjectivisme tributaire de Vautonomie individuelle mise en vogue par la Dmocratie, qui s'irrite de ce que l'on appuie les questions les plus passionnantes de notre poque sur des fondements qui sont l'antipcde des siens. Une partie de cet article tait dj partie pour l'imprimerie quand je lisais dans VAction Franaise du 14 aot dernier, la Revue de la presse , quelques rflexions d'un thologien qui dnonait les vraies raisons de l'entre en lice du P. Laberthonnire contre VAction Franaise. Je recueille cette dernire observation, qui nous ram ne n< s propres critiques : Ce qui gne les volontaristes (subjectivistes) comme M. Laber thonnire, c'est que pour vous, il est une vrit que nous avons le devoir de constater et non pas de faire, UNE VRIT QUI NOUS ME SURE, AU LIEU D'TRE MESUR PAR NOUS .
Ramenons le dbat sur le terrain politique et cela nous conduit tout droit la clbre prface des origines de la France contemporain". de Taine, S'il est une vrit politique, il n'est pas en notre pouvoir de -la fixer selon notre fantaisie, selon nos ides intimes, cette vrit est objective, c'est--dire que pour la dcouvrir il faut sortir de soi; il n'y a pas d'autonomie individuelle, cle dignit humaine qui tienne, ce n'es! pas ainsi que se pose le problme, une philosophie la base de la question politique, c'est la ngation mme de cette question, un seul principe et un principe rationnel s'impose : Observons, comparons, classons. N'en dplaise aux byzantins de l'cole subjectiviste, aise, ne fit jamais autre chose. VAction Fran-
S'il est parmi nos lecteurs quelques jeunes gens encore en voie de formation intellectuelle, je leur donnerai cet excellent conseil, de n'aller point chercher des enseignements fconds auprs de ces faux-matres subjectivistes qui rappellent d'aussi prs ceux de la scolastique en dcadence. Qu'ils s'loignent d'eux comme de la peste. Volontiers, je leur rappellerai le chapitre du bon Rabelais : , Comment Gargantua fut mis soubs autres pdagogues. : A tant son pre aperce ut que vraiment il estudiait trs bien et y mettait tout son temps, toutesfois que en rien ne profictait. Et qiii pis est, en devenait fou, niais, tout resveux et rassot. De quoi se complaignant don Philippes de Marais, viceroi de Papeligosse, entendit que mieux vauldrait rien n'apprendre, que tels livres soubs tels prcepteurs apprendre. Car leur savoir n'estoit que besterie : et leur sapienoe n'estoit que mouffles basiardissant les bons et nobles esperits, et corrompant toute fleur de jeunesse.
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VII Ainsi prpars, feuilletons l'ouvrage du P. Laberthonnire. Le P. Laberthonnire sait parfaiteonient quelles sont les doctrines fondamentales de VAction Franaise, il connat, non moins parfaitement sur quelles bases l'alliance entre catholiques antilibraux et antilibraux positivistes s'est faite, c'est avec une pleine connaissance de cause qu'il dnature, qu'il trompe, qu'il fait son possible pour embrouiller la question. Quand je disais que le P. Laberthonnire tait un scolastique de la pire espce! En tant que libral, VAction Franaise lui est odieuse, et c'est sa mauvaise foi de libral en dlire qui l'entrane falsifier les vrais lments du problme. Je ne puis pas croire, pour m a part, la bonne foi du P. Laberthonnire, prcisment parce qu'il me parat impossible qu'Un homme de sa valeUr ait si peu d'esprit critique. Seule la passion peut le pousser d'aussi grossires manuvres d'argumentation sophistique. Prenons le premier chapitre de son ouvrage : proposition d'alliance entre le catholicisme et le positivisme . Il importait naturellement de prsenter ainsi la question. Ds les premiers (mots je pjnends le sophiste au Collet, car enfin je suis son lecteur, u n catholique, j'esti|me qu'il me doit des raisons srieuses pour justifier sa prtention de m'interdire l'entre de l'Action franaise au noma du catholicisme. Ses chinoiseries suffiront qui voudra. Voici par quelle fumisterie le P. Laberthonnire dbute : On sait que jadis Auguste Comte entreprit de contracter une alliance avec la Compagnie de Jsus. Sa pense tait d'obtenir le concours du catholicisme pour l'organisation positiviste de l'humanit. Personne alors, bien entendu, n'avait song prendre cette* avance au srieux. Il semble que les temps soient considrablemlent changs. Ceci pour dire que les catholiques s e sont actuellement allis des gens qui veulent obtenir le concours du catholicisme pour l'organisation positiviste de l'humanit. Or, le P. Laberthonnire connat quel est le but de l'alliance puisque dans le suivant chapitre, il cite des passages du dilemme o Maurras explique prcisment quelle est la nature, la vraie nature de l'alliance. Passages auquels le P. Laberthonnire n e peut rien opposer, qu'un hochement de tte. Force lui est de constater que MaUrras se montre infiniment respectueux pour le catholicisme et que dans l'alliance entre catholiques et positivistes sur le terrain politicosocial, les catholiques ne cdent pas un pouce de terrain aux positivistes, puisqu'ils maintiennent leur catholicisme, intgral, sans lui faire subir les tortures que le P. Laberthonnire; et son cole connaissent bien, tandis qu'au contraire toutes les concessions viennent du c1
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t des positivistes, des agnostiques. Et cela cre tout de mme Une diffrence qui saute aux yeux des moins prvenus. Et Ton voit alors des reprsentants de ces unions jnterconfessionnelles faire aujourd'hui les farouches, (par tolrance, bien entendu!) quand leur programme, leur principe fondamental comporte prcisment une alliance autrement compromettante , puisqu'ils libralisent le catholicisme qu' ils concdent des points de doctrine pour " s'unir aux libres-penseftirs, que ces libres-penseurs professent les droits de l'homme ou qu'ils enseignent le subjectivisme universitaire . Deux poids et deux mesures, ainsi le veut leur sens dmocratique mis en droute par le nom de monarchie. Cela les oblige montrer la valeur exacte de leur prtendue tolrance.
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A l'Action franaise nous ne concdons rien puisqU'au contraire l'on nous concde. C'est alors que la mauvaise humeur du P. Laberthonnire est vraiment grotesque. On vous concde pour la forme? rpond-il. Le compilateur faussaire, Jules Pierre disait : C'est la peau de brebis . Au fond, l'on vous roule!
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Quod gratis affirmatur, gratis negatur . C'est cela que j'applique le mot de calomnie. Oui, calomnie! Vous n'avez rien opposer aux dclarations de Maurras l'gard du catholicisme, qu'une ngation, parce que si vous n'opposiez pas cette ngation arbitraire et outrageante cet homme de fort bonne foi, vous priveriez votre libralisme de sa seule planche de salut. Maurras d e bonne foi! Ah! par exemple, on va le voir! A nous Messieurs Lugan, Pierre, taillons droite, taillons gauche, cousons des textes aussi bien que mal, l'Uvre! Tout est bon pour confectionner la camisole de force dans laquelle on voudrait serrer l'Action Franaise. On parle d'ordre l'Action Franaise! Vite qu'on dmontre que ce n'est qu'un {masque pour le dsordre! On parle de pouvoir fort! Vite que l'on en appelle au cimeterre des Turcs! Quand o-n pense que le P. Laberthonnire en est venu, lui aussi, se faire pamphltaire jusqu' rditer la page 158 de M. Jules Pierre. Une fois encore, la croix en forme d e poignard, qui servit d'emblme aux zouaves pontificaux et dont la vignette orne VHomme qui vient de G. Valois, est exploite pour prouver le culte de la Force . Cet exemple montre bien le procd mesquin qu'emploient ces critiques et quelles boUrdes leur chappent qui les ridiculisent aux yex de tous les esprits vraiment sains! Dirai-jo aU P. Laberthonnire l'indignation qu'il soulve, l'endroit de ses critiques sur la bonne foi de MaUrras, dans le diocse natal de l'auteur du Dilemme! Le hasard veut que je sois, moi-mme qui cris ces lignes, Un compatriote de cet illustre penseur. Je sais combien sa
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famille et lui-mme jouissent de l'estime publique l o on les c o n nat de longue date. Quand on sait quels exemples de foi chrtienne Maurras a pu recevoir de sa vnrable mre, quand on a pour amis intimes la plupart des prtres, matres ou condisciples de Ch. Maurras, lesquels tmoignent de sa loyale nature, on Jpeut assurer ses contradicteurs, que leurs mchants propos rvoltent ceux qui connaissent l'homme et ce qu'il vaut en ralit. Dans les milieux o l'on connat Maurras et sa famille, je puis le dire au nom de plusieurs prtres qui sont aussi mes meilleurs amis, ces procds soulvent le dgot. Tant de fiel en'.re t-il dans l'me des dvots! . Ch. Maurras connat trop d'excellents prtres pour confondre Un instant la cause du catholicisme avec celle qUe font mine de soutenir ces chapps du modernisme. Commo nous le disions au dbut, c'est le libralisme qui se dbat grimaant sur son lit d'agonie, l'imagination, surexcite par les spectres qu'il a connus dans sa trop longue existence. Le P. Laberthonnire sait tout cela, il sait du reste quelle solidit la doctrine politique base sur la mthode exprimentale, prsente; il se garderait bien de l'attaquer. Il fuit le vrai terrain de la discussion. Il entrane le lecteur inattentif, mal prpar, dans un pige, escomptant, sur le vice de sens critique si rpandu aujourd'hui jparmi la masse des lecteurs, grce au libralisme. Dans l'ouvrage du P. Laberthonnire, le nccUd, le quiproquo, se trouve p. 136. C'est un pont habilement mnag, une fois franchi sans' mfiance, l'on tombe dans le pige qui vous attend sur l'autre rive. Mai3 tout le monde ne se livre pas corps et me la sophistique captieuse du P. Laberthonnire, c'est pourquoi nous allons nous arrter devant le pont et en examiner le jeu de bascule- dont on l'a truqu. L'Action franaise, dit M. Laberthonnire, parle d'ordre social : Mais de quel ordre s'agit-il, c'est peut-tre l-dessus qu'il faudrait s'entendre . C'est alors qu'il se propose de voir rapidement en quoi
ou en qui les positivistes de VAction Franaise se proposent d'ordonner les hom-
mes quand ils parlent d*ordre social et par quels moyens ils entendent raliser cet ordre. C'est cet endroit prcis que le P. Laberthonnire commence chambarder la doctrine de l'Action franaise. C'est le quiproquo qui commence cet endroit de l'ouvrage qui constitue tout le, secret du labyrinthe dans lequel on veut engager le lecteur. On va, l'aide de textes dnaturs, lui montrer les sicrets desseins de l'Action franaise. C'est l qu'il faut remettre les choses au point. Vous vous attendiez, n'est-ce pas? ce qu'on tale vos regards le programme politique. Pas du tout. On vous met au courant de quei ques ides extraites surtout d'une uvre de, Maurras qui date de 1895
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CATHOLIQUES
ET ANTILIBRAUX
POSITIVISTES
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et que l'aubeur lui-mme a dclar qu'il n'crirait plus maintenant (tout comme le P. Laberthonnire n'crirait plus son Ralisme chrtien et Idalisme grec). C'est sans doute que sur quel fues thories philosophiques, les vnements ou la rflexion sont venus altrer telle conception particulire. Mais quand toute la thorie d'Auguste Comte y serait, je m|e demande en quoi celle ci peut infirmer la valeur des conclusions politico-sociales, qui s e dgagent de 1' Enquta sur la Monarchie et du Dilemme de Marc Sangnier , ouvrages essenjtiels l'uvre politique de Maurras, et dont, par une concidence qui va s'expliquer, je ne trouve pas trace dans l'ouvrage du P. Laberthonnire, si c e n'est l'gard du Dilemme pour tirer par les cheveux deux ou trois soit-disant erreurs dogmatiques de la prface. L'alliance entre ligueurs d'Action Franaise est purement politique qu'on n e l'oublie pas, il n'y a que cela en question. Or, sur la question politique, si les lois auxquelles aboutissent les analyses de Maurras choquent le sens catholique de nos farouches orthodoxes, qu'ils le disent I En quoi la formule de la Monarchie base sur la Dcentralisation, (car c'est l l'ordre social auquel veut ainu'ir l'Action Franaise) en quoi cette formule qui est celle du trs chrtien Comte de Chambord s'oppose-t-elle au Catholicisme? C'est prcisment ce que nous voudrions savoir. Car nous savions dj, avant le P. Laberthonnire et son galimatias des Annales, que le positivisme en tant que doctrine matrialiste genre Littr et Taine (celui du dbut), n'est pas compatible avec le dogme catholique lequel est foncirement spirifcualiste. Mais, pour nous montrer en quoi lo programme royaliste est anticatholique, force sera au P. Laberthonnire de comprendre plus adquatement oe programme et de ne plus nous servir des contresens aussi normes que celui de son chapitre _Ls fait et Vidal o il fait professer l'Action Franaise le crois ou meurs que Maurras a du reste lumineusement rfut dans l'Action Franaise du l e aot 1911. Je le disais dans le cours de cet article, c'est trangement se fourrer le doigt dans l'il que de prter de semblables ides une doctrine qui ne combat que le csarisme sous toutes ses formes et c'est faire montre d'un vice de sens critique inou. Quand on n'est ^as capable de discerner la nuit au jour, on ne s'rige pas en astronome. Il faut donc que le P. Laborthionnire en fasse son deuil, les conclusions politiques prises en elles-mmes, sont actuellement la solution la plus chrtienne que l'on puisse donner au problme de l'heure prsente. Elle sont tributaires du positivisme coup sr, parce que sans le positivisme, la scienoe politique ne serait pas exprimentalement constitue l'heure qu'il est. Dt le P. Laberthonnire en scher d'pouvante, je lui dclare personnellement que cette science politique ainsi issue du positivisme n'a rien qui doive effaroucher un catholique. Encore une fois tout ce que peut notre philosophe c'est
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de dresser des tables de .prsence, de variation et d'absence, qu'il rassemble des faits, les compare, et en tire la loi; qu'il dmontre positivement , exprimentalement en quoi l'induction de l'Action Franaise est fautive. L, sa critique portera. Mais qu'il remue ciel et terre pour nous dmontrer que Maurras tout en se trouvant d'accord avec nous sur le terrain social, disons mieux, politique, n'a pas toutes les ides du catholique! c'est ce que tout le monde savait depuis longtemps. Que prtend-il tirer de l? Et pour bien montrer au P. Laberthonnire l'inanit de ses efforts, je le prierai de supposer u n instant qu'il ait eu gain de cause. Supposons que l'autorit ecclsiastique intervienne pour sparer les incroyants des croyants, parce que les uns et les autres arrivent la mme vrit par des voies diffrentes, les uns par tout ce que leur suggrera leur mentalit et leur culture propre, les autres par tout ce que l'Eglise leur impose par la doctrine antilibrale des pontifes du X I X sicle (laquelle [soit dit en passant est peu favorable au P. Laberthonnire) qu'arriverait-il aprs cette sparation? La doctrine politique serait-elle interdite? Le libralisme du P. Laberthonnire s'effaroucherait d'une telle exaction! Il arriverait que la doctrine subsisterait, enr elle est exactement celle du catholicisme social, seule la ligue cesserai!. El j est juste de reconnatre que ce petit sacrifice ferait merveille l'affaire du P. Laberthonnire. Il n'en demande pas davantage, car lorsque la ligue ne serait plus, le P. Laberthonnire nous donnerait bien le droit de croire tout ce que nous voudrions. Il y a longtemps qu e nous savons cela.
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VIII Mais au fait, nous pourrions peut-tre nous entendre avec le P. Laberthonnire au sujet du programme d'Action Franaise et je vous prie de croire que je ne .parle pas |ein tourdi. Tenez! coutez ce morceau (p. 276.). Il s'agit du rle de l'Etat au point de vue doctrinal : En tout cas ce qui importe, c'est .qju'il vite ici une double erreur : d'une part de vouloir s'en tenir la neutralit statique du laissezfaire; et d'autre part de prendre comm,e terme ou comme norme une sorte d'orthodoxie dogmatique formule dans l'abstrait, en prtendant Vimposer dfinitivement PAR U N E CONTRAINTE EXTRIEURE E T COMME U N E CONSIGN REUE DU DEHORS. (Comme M. Laberthonnire a de curieuses rminiscences dans ses formules!) Eh bien! n'en dplaise au P. Laberthonnire, il est parti en guerre contre des moulins vent? Prcisment cette situation intermdiaire qu'il rclame, l'Action Franaise la lui offre trs nettement prcise. Quel malheur que le P. Laberthonnire n'ait voulu connatre de Maurras que le Chemin de Paradis, (c'est--dire un ouvrage symbolique
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auquel il a pu faire dire tout oe qu'il a) voulu), Si notre philosophe avait daign jeter un regard direct sur l ' U v r e de Ch. Maurras et non pas s'en tenir aux compilations tronques de M. Jules Pierre, il aurait pu lire dans VEnqute sur la Monarchie, ce passaga qui l'aurait pleinement satisfait : (p. 553). Le catholicisme, religion traditionnelle de la France, recouvrera tous-les hionneUrs auxquels il a droit. Un gouvernement d'illettrs et de furieux pouvait seul les lui marchander et, par exemple, exclure de la Sorbonne de Louis IX et de Gerson l'enseignement de la thologie. Ce rgime de petitesses sera clos. Mais il est vident que la libert intellectuelle la plus complte rgnera sur le sol franais. Loin de troubler l'uvre de recherche scientifique et philosophique, il faut que l'Etat en seconde et en facili'e le "cours, au moyen de libralits et de dignits accordes tous les homim.es qui s'y seront distingus. D'ailleurs pur le ferme terrain de l'organisation et de la direction des socits, il ne peut y avoir conflit entre les esprits religieux et les esprits scientifiques. La politique catholique exclut Vidologie rvolutionnaire qui est en horreur aux jjositivistes; quant la politique positiviste, ses sympathies et ses affinits avec le catholicisme sont videntes. L'Etat aura seulement pratiquer envers lui-mme le devoir troit de ne point favoriser ni subventionner, comme l'a fait l'inimitable Rpublique prsente, des thories qui ont pour FIN PROCHAINE o u pour OBJET IMMDIAT le renversement de l'Etat : l'anarchie politique et ses thoriciens seront donc surveills, et s'il existe des confessions religieuses qui tendent cette anarchie, elles seront soumises cette surveillance, qui est de droit naturel. Il en serait d e m!|mie pour les confessions qui tendraient desservir l'intrt national au profit de l'Etranger. Voil qui doit pleinement satisfaire le P. Labarthonnire, car d'une part, on vite le laissez-faire de l'autre on nous assure qu' une libert intellectuelle la plus complte rgnera sur le sol franais . Que le P. Laberthonnire, en bon immanentisfce, tout en vitant le laissez-faire, s'puise trouver le moyen de sauvegarder Vautonomie individuelle des professeurs de dsordre social, c'est son affaire. Pour nous, Vautonomie individuelle de ces individus passera toujours aprs les droits de la socit et consquemftnent aprs les droits des individus qui reprsentent la partie la plus saine de la socit. Nous ne voyons pas comment on peut viter la contrainte des ides malsaines si l'on veut viter aussi le laissez-faire en matire sociale. Quand j e vous disais que ce conflit se ramenait un soubresaut de, YJmmanentisme libral? Sans doute cela n'est pas avou, mais il y a des nuances qui n'chappent pas qui sait lire. Tenez voici un exemple. Tout lo monde connat la belle prface de Ch. Maurras sur VEglise de Tordre. A coup sr, chacun peut admirer cette prface et un pr-
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tre frocement dmocrate qui je la citais dans une lettre, me rpondait c e s quelques lignes qui montrent la loyaut de leur signataire : Les pages de Maurras que vous m e citez sont fort belles et je serais fort blmable si j'en jugeais autrement. Parmi le3 attraits que le catholicisme exerce a u dehors, Mourras a subi le sien comm e Brunetire, comme Huysmans, comme ^Bourget e n ont subi un autre. Chacun vient au catholicisme subjugu par la beaut que son temprament le prdispose mieux saisir; c'est une gloire pour le catholicisme et oc sont les formes varies de la grce actuelle; qui pourrait se plaindre de tout cela? Pas vous, certes, mon cher dur, vous tes Un trop saint homme pour cela. Vous voyez les choses comme Un prtre doit les voir, mais le P. Laberthonnire que d'autres motifs aveuglent, se plaint prcisment do ce dont voUs vous rjouissez. Celui-ci fait le scandalis et s'efforce de ne pas comprendre devant une page qui rejoint celles du Dilemme . Je cite la citation qu'incrimine notre philosophe (il filosofastro, oomrrme dirait un Italien). C'est du Maurras, coutez*: Le mrite et l'honneur du catholicisme furent d'organiser l'ide de Dieu et de lui ter ce venin (le venin du thisme qui met cha!que me en relation avec l'infini). Sur le chemin qui mne Dieu le catholique trouve des lgions d'intermdiaires : il en est de terrestres et de surnaturels, mais la chane des Uns aux autres est continue. Le ciel et la terre en sont tout peupls, comme ils l'taient jadis de d i e t o . Cette religion rend ainsi premirement notre univers, e n dpit du monothisme qui la fonde, son caractre naturel de multiplicit, d'harmonie, de composition. En outre, si Dieu parle au secret du cur catholique, ces paroles sont contrles et comme poinonnes par des docteurs qui sont domins leur tour par une autorit suprme, la seule qui soit sans appel, conservatrice infaillibh d la doctrine : Vesprit de fantaisie et de idivagation, la folie du sens propre se trouvent ainsi rduits leur minimum, il n'y a jamais qu'un seul homme, le Pape, qui puisse se permettre au nom de Dieu, des garements d e pense et de conduite, et tout est combin autour de lui pour l'en garder . (Trois ides politiques, p. 59) (1). Un catholique ne s'exprimerait point comme Maurras (toutes rserves faites sur l'intgrit du texte), par exemple l'gard du rle du Pape, parce que pour le catholique l'Eglise est juge du point de vue de la foi. Mais sur la question de fait qui saute aux yeux, que peut-on reprocher Maurras sur cette conception du rle doctrinal de l'Eglise? Avant d'tre une vie, le catholicisme est d'abord une doctrine, une discipline et c'est cela qui saute aux yeux d'un homme n en pleine anarchie intellectuelle et que son temprament a organis pour ra1. Cath. et posit., p. 99.
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gir contre cette anarchie. Il aime Tordre en tout, il ne met point dans cette conception de Tordre une signification cabalistique que ses dtracteurs voudraient y mettre; comiment, dans notre anarchie intellectuelle, l'Eglise ne resplendjrait-elle pas ses yeux quand, chez elle, Tordre, la discipline intellectuelle joue un si grand rle. Ce n'est pas gout de l'autorit de sa part, mais amour de Vunit, de l'harmonie en v u e du bien social qu'il (envisage, laquelle unit appelle son secours 'une autorit fonde en droit. Bref, Maurras se rend compte de quels dsordres le mysticisme livr lui-mme est capable et ce n'est pas le dogme catholique qui contredira sur ce point son opinion. Ce qu'il admire dans le catholicisme, c'est prcisment cette discipline impose au sens individuel. Si Ton va au fond des choses, cela revient encore son intellectua* lisme; pour lui, il est une vrit qui s'impose nous du dehors. Mais c'est prcisment ce qui choqUe au suprme degr la substructure mentale du P. Laberthonnire : lui qui dirige une revue: les Annales de phil. chr., dans laquelle il tait dit (janvier 1899) : L'heure est venue pour l'homme moderne, aprs avoir t l'homme paen, puis Thoimme chrtien, de devenu' l'aide des deUx, Vhomme minemment homme, (le voil le fameux surhomme 1...) de se faire une doctrine lui, puisant d'une main dans le paganisme, de Vautre dans le christianisme (1) . Le P. Laberthonnire nous donne la signification symbolique du passage pourtant si clair de Ch. Maurras : Il veut dire, dit-il tranquillement, il veut dire ni plus ni moins que le mrite et l'honneur du catholicisme, c'est d'avoir ainsi paganis le christianisme en faisant que Tordre tabli sur la terre par les forts se prsentt comme consacr par le ciel-mme. Nous venons de voir que Maurras disait tout autre chose. Mais, dirait-il, cela, encore une fois, c'est de quoi nous n'avons cure et c'est de quoi lui gagner les sympathies des Annalzs de philosophie chrtienne, puisqu'il se rencontrerait avec le programme dei cette revue en 1899, c'est--dire qu'il puiserait d'une m%in dans le christianisme- de l'autre dans le paganisme pour raliser le surhomme l'homme m i n e m m e n t h o m m e . Vraiment aux Annales on a la mmoire trop courte I Je sais bien que Ton rpudiera ce texte au nom de Pascendi, ce qui confirmera merveille l'opinion de Mauirras : savoir que Vesprit de fantaisie et de divagation, la folie du syns propre se trouvent rduits dans le catholicisme au minimum par la' discipline. Le catholicisme est bien, en effet, une discipline et le P. Laberthonnire qui a t condamn autrefois pour un petit livre Ralisme chrtien, Idalisme grec , et une autre fois, pour un plus grand livre, ne le sait certes que trop. C'est pourquoi il n'aime pas qu'on lai prsente le catholicisme 1. Cf. N. Aris, Le Sillon, p. 85.
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de ce point de vue disciplinaire : Nous tous qui sommes catholiques pour tre chrtiens, pour l'tre compltement (vous allez voir ce qui complte!) et en tous sens, nous demandons, poursuit le P. Laberthonnire pour marquer l'antithse, nous demandons aux enseignements de l'Eglise, non pas seulement de diriger, mais de fconder notre vie intrieure; et vrai dire, nous ne leur demandons de la diriger que pour la fconder, pour l'amplifier, pour la promouvoir intrieurement un panouissement ternel (p. 103). Je serais bien mauvais si je voulais voir dans ce texte une expression bien crue de l'ancienne mthode d'immanence, mais je serais bien uupe des restrictions si je ne humais pas le fumet de subjectivisme, qui s'en dgage aussi, car visiblement, dans son ouvrage, l'auteur prend trop clairement parti pour le fameux christianisme intrieur. Au ct autorit, l'aUteur oppose celui de autonomie. Il n'y a que les habitus du P. Laberthonnire premier genre, qui peuvent ici faire des rapprochements suggestifs. Car enfin il n'y a pas d'antithse mettre en avant : Nous demandons aux enseignements de VEgUse non pas seulement de diriger, mais de fconder notre vie intrieure . S'agit-il de la distinction entre la doctrine et la rception des sacrements? Alors je n'ai plus rien dire, car l'Eglise, par oes deux moyens, remplit deux emplois do son activit, qui, s'il se rejoignent dans les rsultats surnaturels clans l'me de chacun de notas, n'en demeurent pas moins distincts en eux-mmes, indpendamment de notas. Mais il est par trop clair qu'il ne s'agit ici que du pouvoir enseignant de l'Eglise, c'est pourquoi, il est urgent de remarquer, que dans l'exercice de ce pouvoir il n'y a pas distinguer la direction de la fcondation . Ce qui fconde, c'est la doctrine intgrale; quand l'Eglise notas dirige, c'est qu'elle nous maintient dans sa doctrine; ce qui fconde notre vie, c'est cette doctrine, qui notas est impose du dehors, quelque mystrieuses que soient les voies par lesquelles notas y adhrons. L'Eglise est donc avant tout, une discipline . Cet panouissement qui rsulte de cette discipline, n'est un panouissement que si l'impulsion que la doctrine catholique nous donne, ne dpasse pas, en matire dogmatique, les limites qUe nous impose cette doctrine elle-mme. Cet panouissement se rduit donc encore une discipline. Donc discipline d'abord, panouissement dans la stricte discipline tant que votas voudrez ensuite. Maurras n'a pas dit autre chose, et le critique prvenu par le pass du P. Laberthonnire, sent que celui-ci voudrait dire aJutre chose et ne va pas au fond de son explication, quand il parle de son catholicisme lui. Qu'il prcise donc son christianisme intrieur et nous verrons ensuite en quoi nous diffrons. Mais le scandale, c'est que le P. Laberthonnire confond politique et religion et voudrait nous attribuer un catholicisme d'autorit qui n'est pas le ntre et s'arroger un catholicisme de
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spontanit qui n'est pas son apanage. Rduisez l'exagration, vous aurez le mot de l'nigme. La remarque qui s'impose, c'est que deux mots font ici tous les frais du conflit, ces deux mots, le P. Laberthonnire les a bien laiss deviner de la p. 267 285 de son ouvrage et pour nous facilitea* la besogne, pour qu'on ne nous accuse pas de ne rien forcer, il a eu la gentillesse de rsumer son ide la table des matires : La ralit humaine et sociale transformer du dedans par Vidal et non du dehors, par la thse . Et c'est cela qui met un peu d'ordre dans ce chaos. C'est cela qui dit mjeux que l'auteur ne le dirait, ce que l'auteur s'vertue ne pas dire. Du dedans, non du dehors, je ne le lui ai pas fait crire, mais chassez le naturel, il revient au galop. Sous cet angle, le souci du, libral claire toute sa sophistique et comme nous le disions, fatalement le subjectivisme est l-dessous. En vrit, ce subjectivisme est embusqu, mais il se rvle dans sa faon mme de dnaturer la pense d'autrui, il sa trahit par ses proccupations d'ordre intrieur. C'est toujours le libralisme qui s'pouvanto et ne veut plus rien connatre aux seuls mots de discipline, d'autorit. Il fallait le montrer au grand jour.
J. HUGUES.
LE BILAN DE LA SPARATION
Sous c e titre, M. Julien de Narfon, le chroniqueur soi-disant catholique du Journal de Genve, organe protestant, et du Figaro, organe du catholicisme assez mondain pour mettre en tte de ses colonnos, un jour de Pques, le Rveil d'Adonis , condensait dans deux articles de la Grande Revue, 10 et 25 avril, toutes ses fielleuses c lucubrations des dernires annes contre Sa Saintet Pie X. Il prtendait fixer l'histoire d'une sparation faite depuis quatre ans dj, et il en donnait une lgende perfide, qu' la faon des liquidateurs, dont on connat l'honntet la Duez, il intitulait le bilan de -la Sparation.
Il s'agissait de savoir ce que le nouveau rgime, inaugur en dcembre 1906, a fait perdre ou gagner au catholicisme, au double point de vue matriel et moral.
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Dans le Sicle le protestant M. Raoul Allier rsumait ainsi, sans la .trahir, la pense de M. de Narfon ; Dans ses grandes lignes, ce bilan est clair et assez connu. L'Eglise a perdu d'abord sa dotation officielle et les autres avantages que lui assurait le Concordat; c'tait prvu. Mais elle a perdu, en. outre, la totalit de son patrimoine; cela Ton s'attendait beaucoup moins. Ce n'est pas d au jeu automatique de la loi du 9 dcembre 1905; c'est d le fait est certain non pas la volont du lgislateur, mais la volont du Saint-Sige. Parler ainsi, c'est pousser aux dernires limites l'audace du mensonge. La volont du lgislateur , en effet, et non pas la volont du Saint-Sige , enlevait l'Eglise de France, par le jeu automatique de l a loi du 9 dcembre 1905 , article 12, les difices .qui servent l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres (cathdrales, glises, chapelles, temples, synagogues, archevchs vchs, presbytres, sminaires), ainsi que leurs dpendances immobilires et leurs objets mobiliers , pour en faire les proprits de l'Etat, des dpartements et des communes , si bien, article 14, que les archevchs et les vchs n taient laisss gratuitement aux associations cultuelles que pour deux ans, les presbytres et les grands sminaires que pendant cinq ans. La volont du lgislateur , et non pas la volont du Saint-Sige, faisait perdre l'Eglise de France, par le jeu automatique de la loi du 9 dcembre 1905 , article 7, les biens mobiliers ou immobiliers grevs d'une affectation charitable ou de toute autre affectation trangre l'exercice du culte, qui seront attribus... aux services ou tablissements publics ou d'utilit publique, dont la destination est conforme celle des dits biens . Ainsi, le budget des cultes, articles 2 et 11, et la presque totalit du patrimoine de l'Eglise de France, sauf les fondations de messes, lui taient ravis par cette loi nfaste que M. de Narfon innocente, comme M. Briand, son auteur, pour accuser le Pape d'intransigeance et d'quivoque .
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Continuons, en effet, l'analyse du bilan de la sparation : Le "Vatican a multipli et multiplie encore les quivoques pour faire croire qu'il a march d'accord avec les voques et qu'il a tout simplement sanctionn leurs conseils. On s'tonnerait qu'il en ft autrement. Il faut songer que l'encycliquo Gravissimo, comme l'observe M. de Narfon, a fait perdre l'Eglise de Franco environ 400 millions, et l'on comprend' merveille que le Saint-Sige ait intrt ne pas assumer seul une aussi terrible responsabilit . Ce fait est aujourd'hui incontestable. Il n'y a d'incontestable que l'effront mensonge de M. de Nar-
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fon, et il faut repousser avec indignation l'accusation d'quivoque porte contre le Pape, parce que, dans l'Encyclique du 10 aot 1906, en rejetant .dfinitivement les cultuelles, il a dclar confirmer ia dlibration presque unanime de l'assemble des voques. C'est vrai littralement, dit M. de Narfon, parce que les vques, l'unanimit moins deux voix, ont dclar inacceptables les associations cultuelles telles que les proposait le lgislateur . Mais il ajoute aussitt que ce vote n'tait mis ue lour donner la minorit intransigeante uno sorte de satisfaction platonique et pour rassurer le Pape sur ce qui allait suivre . En termes moins envelopps, c'tait une hypocrisie, sur laquelle le Pape n'avait pas, d'aprs M. de Narfon, le droit de s'appuyer. Les catholiques ont, grce Dieu, une tout autre ide de leurs vques, et, en attendant l e jour o l'histoire publiera les textes documentaires, ils ont retenu que leurs vques, dans un premier vote de principe presque unanime, avaient repouss les cultuel'lcis lgales non canoniques ; puis que, dans un second vote de fait , i l s avaient prsent un projet de cultuelles que, suivant la varit trs nuance de leurs esprits, une majorit croyait la fois canoniques et lgales, ou du moins n'osait pas affirmer anticanoniques. Le jugement tait trs finalement laiss au Pape. Et le Pape ayant, de son autorit souveraine, jug ces dernires cultuelles de fait anticanoniques, le premier vote de principe qui repoussait les cultuelles lgales s'appliquait aux cultuelles soi-disant canoniques. Il n'y a l, pour reprendre des expressions de l'crivain, ni mensonge historique , ni quivoque historique , mais bien un homma>ge rendu l'piscopat franais. Et celui-ci, en effet, dans sa lettre du 7 septembre 1906, dclarait : Nous attendions avec confiance cette parole du successeur de Pierre, qui Notre-Seigneur a confi le soin de patre les agneaux et les brebis, c-'est-dire de conduire les pasteurs et les fidles dans les voies de la vrit et du salut. Tous vos vques sont troitement unis autour du Souverain Pontife, .n'ayant avec lui qu'un cur et qu'une me pour aimer l'Eglise et la France. Vos prtres ne font qu'un avec leurs vques dans la soumission absolue 'et -gnreuse au Pontife Suprme.
M. de Narfon, en thologastre improvis, o u plutt en confident intime d'un Pape qu'il abhorre, affirme, comme un point d'histoire, que le Pape avait certainement inclin, au dbut, pour l'acceptation des associations cultuelles. il faut s'inscrire en faux contre cette audacieuse dformation de la vrit. Ds le 11 fvrier 1906, presque au lendemain de la publication de la loi clu 9 dcembre 1905, Sa Saintet Pie X, analysant cette loi et les associations cultuelles dans une dpendance de l'autorit civile
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telle que l'autorit ecclsiastique n'aura plus sur elles aucun pouvoir, concluait : Combien toutes ces dispositions sont blessantes pourl'EgJise et contraires ses droits et sa constitution divine, il n'est personne qui ne l'aperoive du premier coup d'ail. Le Pape J'a donc aperu du premier coup d'il , et c'est lui faire une injure gratuite, lui comme l'piscopat franais, que de mettre en opposition avec cet piscopat trois laques : MM. Groussau, Emile Ollivier et Fourens, qui auraient ouvert les yeux du Pape .
Autre injure encore que cette assertion aussi anticanonique qu'antihigtorique de M. de Narfon : Si l'on tient compte du prix formidable que l'intransigeance de Pie X a cot l'Eglise de France, si par ailleurs ou est frapp de ce qu'il y a, premire vue, d'incohrent obliger un propritaire faire le sacrifice intgral de ses biens plutt que de les plier une situation qui lui permettrait de les conserver, mais o son droit de proprit ne serait pas officiellement, publiquement affirm, o mme, si l'on veut, le libre exercice de ce droit risquerait de subir une fois ou l'autre quelque atteinte, il est bien permis de se demander s'il n'y a pas eu au veto pontifieial d'autres raisons, et de plus dterminantes, qu'on ne nous dit pas. Le veto pontifical n'avait d'autre raison que la divine constitution do l'Eglise , indignement foule aux pieds par la loi de M. Briand et de son conseiller, le juif Grubenhaum. 11 est donc intolrable de voir M. de Narfon et M. Raoul Allier dduire ainsi les raisons du veto pontifical pour les associations cultuelles, soit lgales, soit canonico-lgales : La premire, c'est que, vers le mme temps, l'Espagne menaait de dnoncer son concordat ou, du. moins, de le reviser. On a voulu l'intimider par un exemple d'intransigeance absolue. L'Eglise de France a fait les frais de cette dmonstration. Mais que sont, pour les cardinaux espagnols de la camarilla , les intrts de l'Eglise de France? Puis, il y a eu le dsir d'en finir avec le vieux fantme du gallicanisme. Il y a peu de chances que ce revenant sorte de son tombeau. Mais Rome le redoute toujours. Elle prend pour du gallicanisme le malaise que finit par crer dans l'Eglise) cette ingrence incessante du Vatican dans les moindres affaires, cette annihilation progressive de l'piscopat. Rduite la misre, cette Eglise, tant suspecte, deviendrait enfin docile. Ce raisonnement n'a sans doute pas t fait en forme; mais il y a des sentiments obscurs et puissants qui remplacent les raisonnements conscients. Il y a eu, enfin,' le bluff des inventaires. Le pape hsitait un peu; parait-il, suivre les conseils des quelques politiciens qui le poussaient la rsistance. L'meute, si bien machine, de Sainte-Clotilde lui fit croire que la France allait se soulever contre la loi maudite et, malgr les vques, malgr les cratures de M. Dumay, mettre fin, par la force, au rgime de la Sparation. Ce qui est prodigieux, c'est que le Saint-Sige, devant les faits rels, devant l'indiffrence constate du pays, devant l'absolue
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impossibilit de provoquer la rvolution escompte, ne se soit pas retourn vers certains de ses informateurs pour leur dire : Vous m'avez tromp. Ces raisons, plus ou moins formules, sont certainement celles qui ont dtermin le gouvernement pontifical. Mais il faut le dire : elles ont t singulirement fortifies par la conduit? des uqucs de France. Si ceux-ci, aprs l'chec de leur projet d'associations cultuelles canonico-lgales, ont t mis, par le Vatican, hors d'tat de sauver la moindre parcelle du patrimoine ecclsiastique, c'est eux-mmes qu'ils doivent s'en prendre. On a vu clairement que, mme en acceptant les associations cultuelles, les vques perdaient presque tout le patrimoine ecclsiastique ; leur conduite en obissant au Pape avec la plus touchante unanimit, est un des plus admirables exemples que l'piscopat ait donns au monde depuis dix-neuf sicles; c'tait dire l'univers : Entro quelques millions, avec le dshonneur, et l'honneur sans ces millions, nous n'hsitons pas : Vive la pauvret! Vive la constitution de l'EgliseI Vive sa hirarchie tablie par le Christ lui-mme!
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Comment M. de Narfon a-t-il p u affirmer que la pense vraie, intime du Pape, fut que, par le rejet des cultuelles, la loi de Sparation serait le Sedan de la Rpublique , que M. Briand ferait le lit de l'empereur ou du roi du roi de prfrence? Il y a dans ces paroles une injure de la plus haute gravit au Souverain Pontife, accus d'avoir obi un but de politique humaine dans un acte si grave de son magistre religieux. Bien que de la part de M. de Narfon nous ayons coutume de (ne nous tonner de rien, nous nous tonnons qu'il ait os crire cette audacieuse assertion dans un bilan de la Sparation . 11 ne pche pas par ignorance; il a en main tous les documents, et il sait que le Pape avait prvu et dtruit ( l'avance cette interprtation outrageante de ses dcisions suprmes : Ce que vont tre, contre Notre prsent Dcret et Nos ordres, disait-il dans l'Encyclique du 10 aot 1906, les rcriminations des ennemis de l'Eglise, il n'est- point difficile de le prvoir. Ils s'eforceroit de persuader au peuple que Nous n'avons pas eu en vue uniquement le salut de l'Eglise de France; que Nous avons eu un autre dessein, tranger la religion; que la forme de la Rpublique en France nous est odieuse et que Nous secondons, pour la renverser, les efforts des partis adverses. Ces rcriminations..., Nous les dnonons d'ores et dj, et avec toute Notre indignation, comme des faussets. Et les vques de France, dans leur lettre du 15 janvier 1907, disaient leur tour : En mme temps que le Saint-Sige tait reprsent comme domin ou influenc, dans le conflit actuel, par des proccupations plus ou moins trangres son ministre sacr, n'a-t-on pas os dire que l'piscopat franais marchait la suite du Pape avec plus de discipline que de conviction?
Critique riu libralisme. l e S e p t e m b r e , i
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Et les voques se dclaraient blesss de cette calomnie. Comment M. de Narfon a-t-il os la rditer? A h ! qu'il connat peu Pie X, cette me de cristal, qui si souvent a montr son crucifix ses interlocuteurs en leur disant : Ma dcision, voil Celui qui me l'a fait prendre. C'est grandiosement simple et beau. Mais le dfroqu modernisant de Narfon est absolument incapable de comprendre cette simplicit et cette grandeur.
Il aime mieux s'en prendre encore une fois aux vques, propos des ruines matrielles accumules par la loi de Sparation : Dans l'encyclique Graxi.simo, ciit M. Raoul'ATicr rsumant M. de Narfon, le pape avait dit aux vques : Il vous appartient, vnrables Frres, de vous organiser selon les moyens que la loi reconnat tous les citoyens. A dfaut de la loi de 1905, les vques po\ivaient se servir de la loi de 1901. Ils n'ont pas os. Ils ont rivalis de timidit l'gard de Rome. Ils n'ont pas eu le courage de tenter la moindre initiative. Ils ont harcel le SaintSige de questions et de suppliques. Et l a t la cause de tout le mal. L'piscopat franais, pris dans son ensemble, a donn .au cardinal Merry del Val la sensation qu'il n'tait compos que de secrtaires timides, incapables d'action personnelle, tout au plus bons pour recevoir des consignes et les excuter. On l'a trait en consquence. Il s'en plaint huis clos, tout en disant sa gratitude en public. A qui la faute? L'insolence ici gale la perfidie du calomniateur. Outre que le cardinal Merry del Val, qu'il accuse -de duplicit, se garde bien de lui confier huis clos le mpris qu'il n'a jamais eu pour l'piscopat franais, si admirable dans son u n i o n . a v e c le Pape, nos vques ne mritent aucun reproche propos de la loi de 1901. On l'a dj utilise dans bien des cas, non seulement pour les associations politiques, mais pour les associations de pres de famille. Quant tout ce qui touche au culte, il est impossible de ,perdre de vue que l'objectif du -gouvernement franais, depuis 1905, a toujours t d'amener, par des voies dtournes, l'Eglise de France .au rgime des cultuelles. Un abme spare -la conception catholique la hirarchie venant de Dieu et -parlant au nom de Dieu de la conception protestante o u rvolutionnaire qui voit dans l'Eglise un simple groupement d'hommes, une association matresse d'elle-mme et de son organisation. Tant qu'on ne reconnatra pas loyalement la conception catholique^ nous serons en tat de perscution et de lutte. Voil pourquoi on se sert peu de la loi de 1901, bien que, de toute vidence, les catholiques aient en principe le droit d'en faire usage. Mais, comme l'a dit Pie X , ses dfenses et ses interdits demeurent
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et demeureront en vigueur pour l e culte tant qu'il ne sera tabli d'une faon certaine et lgale, que la divine Constitution de Tglise, les droits immuables du Pontife romain et des vques,comme leur autorit sur 1 bien ncessaires VEglise^ particulirement sur les difices sacrs, seront irrvocablement en pleine scurit dans les Associations cultuelles.. Le Pape a dit encore (1) h l'adresse de M. Briand, si cher M. de Najfon : < t _ L e s fabricateurs de celte loi injuste ont voulu en faire une loijwn de sparation, mais d'oppression. Aussi, ils affirmaient leur dsir de paix, ...et ils font la religion du pays une guerre atroce ; ils jettent le brandon des discordes les plus violentes, au grand dtriment, comme chacun le voit, de la chose publique elle-mme. 11 Mais si M. de Narfon a fait de son bilan de la Sparation un instrument de guerre impie contre le Pape et les voques franais, il y a des libraux moins perfides, moins insolents, qui, eux, ne veulent voir que des avantages dans la Sparation de l'Eglise et de l'Etat. Do jeunes ecclsiastiques, ne doutant de rien, parce qu'ils ne doutent pas d'eux-mmes (2), parlaient nagure ainsi : La Sparation est un 'fait acquis, sur lequel il ne faut pas revenir. Au lieu de nuire l'Eglise de France, elle mancipe du Concordat et affranchie de la domination gnante d'un pouvoir nommant vques, -grands vicaires, chanoines, archiprtres et doyens. Nous nous flicitons, comme l'abb Thellier de Poncheville, dans la Chronique sociale, de n'avoir plus d'attaches officielles pour n'avoir plus d'entraves lgales. La Sparation garantit l'Eglise, avec la libert, une vitalit nouvelle et mme une popularit (3) qu'elle n'eut jamais sous le rgime concordataire. Inutile de dire que les jeunes ecclsiastiques qui parlaient ainsi 1. Encyclique Gravissimo. 2. Parole du cardinal Mathieu l'Acadmie franaise. 3. Voici, dans cet ordre d'ides, ce qu'on lisait dans une Croix de province rdige par un de ces abbs qui croient que tout est pour le mieux dans la meilleure des Rpubliques : L'anticlricalisme est mort. Les plus violents n'osent plus s'acharner aprs un clerg qui n'a pour toutes ressources que sa noble pauvret, pour tout appui* que les ides divines dont il est le vigilant gardien . C'est croire que l'auteur de ces lignes ne veut ni lire, n i voir les Corbeaux, la Calotte, Y Acacia, X Action, la Lanterne, le Radical et .autres feuilles qui ne vivent qu'en exploitant l'anticlricalisme. Qu'il aille soulvent quelques heures dans certains quartiers de Paris, de Limoges, de Toulon, de Lyon, o nagure, en pleine rue, on plein midi, un apache brutalisai!, u n vicaire, et il verra si la noble pauvret du clerg empche les sectaires de s'acharner contre lui.
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taient d'excellents dmocrates, voyant toutes choses travers le prisme de leur jeunesse optimiste et le mirage de leur idal dmocratique, toujours dsir, jamais ralis, mais qu'ils s'obstinent croire ralisable au gr de leurs rves chimriques. Il y a aussi beaucoup de catholiques qui s'imaginent que les choses sont telles que les conoivent les optimistes. Eh bienl au risque de passer encore une fois pour un destructeur d'illusions librales et pour un mchant pourfendeur de chimres d mocratiques, il faut mettre en face de la ralit vivante des rveurs obstins qui oublient la parole de Bossuet : Le plus grand drglement de l'esprit, c'est de croire les choses, parce qu'on veut qu'elles, soient, et non parce qu'on a vu qu'elles sont en effet.
* # *
Sans doute, la Sparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pas t la mort de l'Eglise de France, comme l'espraient et le disaient les sectaires qui la perscutent et l'auteur responsable des lois du 9 septembre 1905, du 2 janvier 1907 et du 13 avril 1908, M. priand, lorsqu'il jetait nos snateurs de droite lui parlant de sa premire loi de Sparation tombe en lambeaux , cette rponse cynique : C'est votre Eglise qui tombe en lambeaux! Non, certes, M. Briand, il n'y a de tombes en lambeaux que vos associations cultuelles schismatiques et'la rputation usurpe d'homme d'apaisement et de modration que vous avaient faite, vous, l'ancien avocat d'Herv et chaleureux partisan de la grve gnrale, l'incurable navet de catholiques qui aiment tre dupes , comme le disait la Correspondance de Rome. L'Eglise de France, qui participe aux promesses d'immortalit que le Christ a faites l'Eglise universelle, ne devait pas, ne pouvait pas mourir, parce que les pygmes qui singent les grands anctres l'ont cyniquement accule, comme e n 1790 et en 1793, au schisme ou la ruine, et lui ont dit : La bourse ou la vie ! Elle a jet la bourse et gard la vie, la vie conforme la divine Constitution qu'elle tient du Christ et que les Associations cultuelles de M. Briand lui auraient arrache, aussi bien que la Constitution civile du clerg d'il y a cent vingt ans, qui avait pour but d'anantir le catholicisme , disait le protestant Rabaut-Saint-Etienne. L'Eglise de France est donc vivante, aussi vivante aprs la Sparation qu'avant, et elle a la joie de ne plus voir Un Dumay, 3 3 honneur de la Franc-Maonnerie, arrter, ainsi qu'il l'a fait pendant 18 ans, la nomination des prtres les plus dignes comme vicaires gnraux, chanoines, archiprtres et doyens, et imposer Rome, parmi l e s candidats aux vchs vacants, le choix, non pas des meilleurs, mais des moins mauvais. La promotion des quatorze vques franais que le
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Pape Pie X voulut sacrer lui-mme, le 25 fvrier 1906, par un geste d'une grandeur sans gale dans Phistoire de l'Eglise, montrait au monde comment les refuss de M. Dumay taient des vques selon le cur de Dieu et du Pape. Ils peuvent dsormais faire arriver aux honneurs qui leur sont dus de doyens, de vicaires gnraux, les prtres impitoyablement tenus l'cart par un directeur des cultes, qui ne leur pardonnait pas leur trop de zle pour les coles libres ou leur trop peu d'amour pour la Rpublique perscutrice et sectaire, pour le gouvernement de mal-heur qui no-Us est arriv dans les fourgons de l'tranger , sur les ruines de la Patrie vaincue. Mais cet affranchissement de l'Eglise de France, libre d'un joug maonnique, n'tait un besoin et un bien, que parce que depuis 25 ans, depuis 1879 jusqu' 1905, la Rpublique avait compltement fauss l'esprit du Concordat. Ceux-l seuls en bnissent la rupture qui n'en ont connu que la dtestable application faite par des Francs-Maons nommant nos vques (1), peu prs comme .si Guillaume II nommait nos chefs de corps d'arme et nos ministres de la guerre. Il ne les nomme tout de mme pas; il se contente de les faire dbarquer par un Rouvier complaisant et servile. L'interprtation dloyale du Concordat par la Rpublique troisime de nom ne lgitime pas le ddain que professent beaucoup trop ,dc prtres pour le grand acte de 1801, dont l'illustre Dom Guranger. faisait ainsi ressortir les grands avantages : Vingt mille prtres exils par le Directoire rendus leur patrie et leur ministre, le schisme constitutionnel teint, les lois proscrivant les rfractaires, les inserments , dfinitivement abroges, l'Eglise catholique romaine officiellement reconnue, sa hirarchie et son culte rtablis, la perptuit de son sacerdoce assure par la facult reconnue aux vques d'ouvrir et d'organiser de grands et petits sminaires, les Ordres religieux libres de se reformer, la doctrine catholique prche et pratique publiquement, Qui de nous, s'criait le cardinal Pie, ne bnirait ce prcieux Concordat, qui a t-pour tout un demi-sicle dj il devait l'tre pour trois quarts de sicle le point de dpart de tout ce mouvement religieux dont s'tonnera la postrit ? (2)
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C'est donc un mal que la rupture du Concordat et, pour quelques avantages qui en rsultent par suite mme de la conduite criminelle des Dumay, des Waldeck-Rousseau et des Combes, se servant du Con1. Tous les Gouvernements qui s'taient succd depuis le Concordat jus* qu'en 1879, avaient eu cur de nommer l'piscopat les sujets les plus dignes, sauf deux ou trois regrettables exceptions. 2. Voir Un sicle de l'Eglise de France, par Mgr Baunard.
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cordt comme d'un instrument de perscution contre Lon XIII aussi bien que contre Pie X il faut bien se garder de croire qu'il n'y ait pas revenir sur le fait acquis de la Sparation. Le fait ne constitue point le droit, surtout quand il est contraire aux droits de l'Eglise et de Dieu, et comme l'action pour l e droit est ternelle au dire de Rossuet, nous avons tous* catholiques*, et nous surtout prtres, l'obligation imprieuse et sacre de protester contre une Sparation qu'il ne dpend point de nous de* faire cesser, mais, qu'il dpend de nous de fltrir comme elle le mrite. Au lieu de laisser s'habituer les gens, catholiques-, protestants, indiffrents et autres, cette ide nfaste condamne, rprouve par les paens eux-mmes depuis Platon jusqu' Plutarque, qu'une nation, qu'un Etat, peut se passer de Dieu, de religion, de culte extrieur et public, comme seule, dans le monde civilis et barbare, la France le fait depuis la Sparation, il faut rappeler tous que c'est un crime national que l'apostasie officielle, dont le Pape Pic X nous disait, dans l'Encyclique du 11 fvrier 1906 : Elle est profondment injurieuse vis--vis de Dieu, qu'elle renie officiellement, en posant en principe que la Rpublique ne reconnat aucun culte. C'est l'athisme national, aussi coupable aux yeux de la saine philosophie qu'aux yeux de la religion. catholique.
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Sa Saintet Pie X tablit lumincusoment que la Sparation de l'Eglise et de l'Etat est une thse absolument fausse, une trs pernicieuse erreur : car le Crateur de l'homme est aussi le fondateur des socits humaines, et II les conserve dans l'existence comme II nous y soutient. Nous lui devons donc, non seulement un culte priv, mais un culte public et social pour l'honorer. En outre, cette thse est la ngation trs claire de l'ordre burnatuxel. Elle limite, en effet, l'action de l'Etat la. seule poursuite de la prosprit- publique durant cette vie... et elle ne s'occupe en aucune faon, comme /lui tant trangre, de sa raison dernire, qui est la batitude ternelle propose l'homme... Cette thse bouleverse galement l'ordre trs sagement tabli par Dieu dans le monde, ordre qui exige une harmonieuse concorde- entre les deux socits... Enfin, cette thse inflige de graves dommages h la socit civile elle-mme, car elle ne' peut pas prosprer et durer longtemps, lorsqu'on n'y fait point sa place la religion, rgle suprme et souveraine matresse, quand il s'agit des droits de l'homme et de ses devoirs. Aussi les Pontifes romains n'ont-ils pas cess, suivant les circonstances et selon les temps, de rfuter et de condamner la doctrine de la Sparation de l'Eglise et de l'Etat. Notre illustre" prdcesseur, Lon XIII, notamment, a plusieurs fois et magnifiquement expos ce que devaient tre, suivant la doctrine, les rapports entre les deux socits: Entre elles , a-t-il dit, il faut ncessairement qu'une sage union intervienne,, union qu'on peut, non sans justesse, comparer celle qui runit dans l'homme l'me et le corps... Il ajoute encore : Les socits humaines: ne peuvent pas, sans devenir criminelles, se conduire comme si Dieu riexistait pas ou refuser d'e se proccuper de la religion, comme si elle leur tait chose trangre ou qui ne leur pt servir en rien .
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Que. nos libraux ne parlent donc plus de la Sparation comme d'un fait acquis, sur lequel il n'y aurait pas revenir ; mais qu'ils protestent avec une inlassable nergie contre ce crime social et national, qu'on ne pardonnerait certainement pas une monarchie, si elle s'en rendait coupable, et qu'on pardonne si aisment laRpublique, parce que c'est le Gouvernement prfr, chri de certains, malgr ses fautes et ses crimes , connue l'a dit le Pape.
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La loi de Sparation n'est pas seulement une loi 'apostasie nationale; elle est aussi une loi de spoliation cynique, ainsi que le dit encore le Pape : spoliation du clerg par la suppression du budget des cultes, reconnu comme dette nationale par la Constituante en 1789 et 1791, par la Convention nationale en 1793, par "le Concordat en 1801-1802; spoliation des menses episcopales et curiales et des fabriques de 65,000 paroisses, qui l'Etat a vol 5 600 millions, y compris le patrimoine des morts, fondations de messes et uvres ^'enseignement et de charit. Et maintenant, ceux qui nous ont pris toutes ces ressources, dons des fidles depuis un sicle, et qui nous laissent absolument dpourvus en prsence de charges crasantes, ces spoliateurs, sachant quel tat do pauvret ils nous ont rduits, nous invitent, en ricanant, entretenir les difices du. culte,, dont,, par-surcrot, ils ont dclar seuls propritaires l'Etat, les dpartements et les communes. Les communes dont les municipalits sont anticlricales refusent de pourvoir aux < grosses rparations qui. leur incombent pour les glic ses, comme M. Augagneur l'a fait Lyon. Parfois, les catholiques offrant un gnreux, concours la municipalit sectaire, celle-ci se drobe encore toute rparation. M. le maire d'Agen, la suite de la chute de quelques pierres des clochetons de la chapelle Sainte-Foy, avait fait demander Mgr du Vauroux ce qu'il comptait* faire, titre d'occupant, pour remdier au pril : M. Lespinasse, au nom de Mgr l'vque, offrait un concours de 3.000 francs pour la dpense value 4.500. Le Conseil municipal; cependant, invita* l'occupant effectuer ses frai toutes les rparations; M. Lespinasse rpliqua par les paroles de M. Briand la tribune : Jamais le Conseil d'Etat n'a accord la dsaffectation d'une glise une municipalit qui aurait refus une. offre de concours. La municipalit, s'appuyant sur d'anciens accords qui n'existent plus depuis que la ville est devenue propritaire de l'immeuble, a rpondu- par une menace, d-instance en dsaffectation. On ne' saurait assez louer Mgr l'vque d'Agen de soutenir nergiquement l droit qui rsulte de la priso de possession par l'Etat de tous
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les difices du culte, et on suivra avec intrt cette affaire dont la Semaine d'Agen a donn les documents. La municipalit agenaise manque videmment son devoir. On a mme vu- les catholiques prenant leur compte la totalit des charges se heurter un refus obstin de la commune propritaire. Et lorsque parfois les municipalits sont bien disposes, prfets et sous-prfets, avec un mauvais vouloir aussi rpublicain que blessant pour les consciences catholiques, s.'opposent, par des lenteurs calcules, des rparations faites en temps utile (1). D'autre part, le Conseil d'Etat, jugeant en contentieux, le 26 mai 1911, a dclar que l'article 136 de la loi du 5 avril 1884, qui mettait la charge des communes les grosses rparations effectuer aux difices du culte, a t abrog par l'article 44 de la loi du 9 dcembre 1905 et que la loi du 13 avril 1908, en autorisant les communes engager les dpenses ncessaires l'entretien des glises, n'a pas fait revivre L'obligation que leur imposait la loi de 1884 sus vise. Rsultat invitable : les glises tombent en ruine; on les fait sauter la dynamite, comme Tinqueux; on les dmolit officiellement, ou elles s'effondrent, comme le clocher de Saint-Jean-de-Troyes, fin mai 1911. Entre temps, janvier 1911, M. Maurice Barrs prononce, la Chambre des Dputs, un loquent discours, au nom de la spiritualit franaise , dont les glises, mme laides et ddaignes, sont les hautes expressions (2), pour protester contre les destructions d'un vandalisme sacrilge, qui oublie que sous les votes et sur les dalles de ces humbles sanctuaires, o se sont agenouilles tant de gnrations dans la foi et l'esprance de retrouver un jour ceux qui sont partis pour les rivages de l'ternit, s'est forme l'me, la grande et belle me de la France. Les membres les plus minents de l'Institut, les artistes, les cri1. Voir l'intressante et instructive brochure : Nos glises sont en danger^ par Mgr Auvray et Roger Duguet de l'Univers (1910). Voir aussi, F. de Vallavieille, avocat la Cour d'appel de Nmes : De la conservation des Eglises depuis les lois de Sparation. vEtparations, Assurances. Prfaces de Maurice Barrs. Chez Lecoffre. 2. Il est fcheux qu'aucun catholique n'ait dfendu les droits de la vrit intgrale et que M. Barrs, un ami du dehors , dont le magnifique langage a dpeint l'existence du sentiment religieux avec un si puissant ralisme, ait ajout : Je vous l'ai dj dit, no me plaant ici aucunement un point de vue confessionnel, je ne songe, ni contester les droits ncessaires do la raison, ni humilier celle-ci devant aucun dogme . Le dogme n'humilie pas la raison humaine; l'adhsion la rvlation divine est prcde de la connaissance de motifs lgitimes de crdibilit qui satisfont aux droits ncessaires de la raison . M Barrs a donn aussi l'Inconnaissable comme objet du sentiment religieux. Or, malgr tous les mystres qui l'enveloppent, Dieu se rvle notre raison comme l'Etre ncessaire, parfait, infini, et c'est l une ralit vivante, qui fait du sentiment religieux autre chose qu'une utile discipline du subconscient , comme disent les agnos'.iqnes.
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vains, les savants, ont sign avec M. Barrs une ptition dpose sur le bureau de la Chambre des Dputs en faveur des glises croulantes de nos divers diocses (1). Le Comit catholique de dfense religieuse, prsid par M. le colonel Keller, a publi, en mars 1911, une brochure douloureusement instructive sur 42 glises dlabres, menaces de ruine et rclamant d'urgentes rparations. (Depuis lors, le nombre s'en est singulirement accru, et M. Max Doumic, architecte diplm du Gouvernement et ancien membre du Comit des difices diocsains, a consacr tout un [article de Correspondant, 10 juin 1911, Nos glises en danger, signaler 48 glises du seul diocse de Troyes qui menacent ruine. Quatre de ces glises se sont tout rcemment croules. L'glise de Vosnon, avec son joli chevet et les lgants chapiteaux de ses colonnettes n'existe plus. L'glise de Nogent-sur-Aube qui datait des XIII et XVI sicles et possdait de remarquables vitraux de la Renaissance, a peu prs disparu. Le clocher est tomb dans l'intrieur, entranant une trave dans sa chute. Il en a t de mme pour l'glise de Laines-aluixBois, qui s'est croule aprs les inondations.
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Combien cl'autres diocses o il en sera bientt ainsi! Aussi le Comit catholique de dfense religieuse a-t-il tenu en juin dernier Une runion gnrale propos des glises. Le but de cette runion tait de concerter une action gnrale pour la dfense de nos glises. Les conclusions suivantes ont t adoptes : 1 ncessit d'entreprendre sans tarder dans toute la France une campagne de confrences destine affirmer devant l'opinion les droits sacrs des catholiques sur leurs glises; 2 donner cette campagne comme objectif immdiat l'organisation d'un ptitionnement de protestation contre la situation actuellement faite aux difices du culte; 3 formuler .ainsi qu'il suit les termes gnraux de cette protestation : Les catholiques protestent nouveau contre l'inique spoliation des biens ecclsiastiques. Dpouills de leurs biens, ils s'lvent avec in1. Voici les noms de quelques socits qui ont adhr cette ptition : La socit Les Parisiens de Paris ; le Syndicat d'initiative de Nevers, groupement particulirement soucieux de l'existence de ce qui est intressant aux points de vue historique et artistique ; Socit dmulation du Bourbonnais ; Socitarchologique du Gers; Ligue des catholiques franais de Lille, qui comprend 1.500 membres participants ; Socit archologique de Touraine, Qui compte 275 membres ; Socit des sciences, lettres et arts d'gen, heureuse de pouvoir s'associera l'initiative si noble et si gnreuse prise pour la conservation de nos gloires religieuses et artistiques ; Acadmie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux; Syndicat des architectes catholiques franais; Socit archologique de Nantes et du dpartement de la Loire-Infrieure ; Association provinciale des architectes franais ; Socit des architectes de Seine-et-Oise ; Socit d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres du dpartement aVIndre-et-Loire, qui compte 250 membres, se plaant au-dessus de toute ide politique ; Socit acadmique de Nantis et de la LoireInfrieure; Socit d'agriculture, lettres, sciences et arts del Haute-Sane, qui compte 260 membres, et Socit d'expriences agricoles de la Haute-Sane, qui compte 200 membres ; Socit historique du VI arrondissement de Paris, etc., etc.
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SOCIAL
dignation contre l'injustifiable attitude des pouvoirs publics laissant les glises l'abandon et les exposant ainsi une ruine prochaine. Sur ces glises, ils revendiquent hautement leurs droits; ils revendiquent plus hautement encore les droits de Dieu. Voici le dernier incident douloureux ce sujet : Cherbourg, 20 aol 1911. Un arrt municipal vient de dcider la fermeture de l'glise du Roule, dans le quartier de la Ville-Basse, qui comprend dix mille habitants. Cette dcision a t prise en raison des dangers que pouvaient courir les, fidles et les passants par suite de la vtust de cet immeuble. La toiture de l'glise notamment a besoin de rparations urgentes. Le cur en avait inform l'administration municipale, la priant de faire d'urgence le ncessaire, car- un effondrement meurtrier s'tait dj produit. Le conseil municipal avait renvoy cette question devant la. commission comptente, quand aujourd'hui, M. Delagrange, maire de- Cherbourg, sur avis de l'architecte de la ville, a dcid la fermeture. Aussitt, l'vque de Coutances a pris les mesures suivantes : Suppression de tout culte public; mariages et baptmes auront lieu au presbytre; pour les inhumations, leve du corps au domicile mortuaire puis transport au cimetire sans messe ou. office. Les catholiques de. Cherbourg tolreront-ils celte* situation intolrable? Gomment contraindront-ils la municipalit au devoir, c'est--dire la mise en lat convenable et immdiate, et non une fermeture brutale et dfinitive? La parole est eux. S'a Saintet Pie X avait prvu le triste sort' de nos glises, quand il crivait le 21 fvrier 1906: Il nous est extrmement douloureux qu'au mpris de tous ls droits, la loi dclare proprit de l'Etat, des" dpartements ou des communes, tous les difices ecclsiastiques" antrieurs au Concordat. Et si la loi en concde l'usage indfini et gratuit aux Associations cultuelles, elle entoure cette concession de tant et de telles rserves qu'en ralit elle laisse aux pouvoirs publics la libert d'en disposer. Nous avons de plus les craintes les .plus vhmentes en ce qui concerne la saintet de ces temples, asiles augustes de la majest divine et lieux mille fois chers, cause de leurs souvenirs, la pit du peuple franais. Car ils sont certaine ment, en danger, s'ils tombent entre des mains laques, i'tre profans'.
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C'est dj fait pour la chapelle des Dames du Sacr-Cur, Paris; qui a t le thtre d.'une infme orgie, et pour tant d'autres chapelles de Religieux, de Religieuses-, d'archevchs, d'vchs, de Grands et. de Petits Sminaires, indignement voles; dsaffectes e t employes* souvent aux plus vils usages. Cette profanation d'un si grand' nombre de- nos- sanctuaires, cette menace" de ruine et d dsaffectation pour tant d'autres n'ont-ell'es rien qui doive, mouvoir nos. catholiques. < libraux , au moins autant c
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qu'elles ont mu des incroyants comme Barrs, comme les artistes plus ou moins sceptiques qui lui ont donn leur nom pour la dfensede nos vieilles glises, comme Josphin Pladan, comme le Figaro et le Temps lui-mme? (1).
La loi du 2 janvier. 1907, ne de l'chec clatant des associations cultuelles, ^ rprouves par Pie X, ne reconnat au cur, dans les difices du culte, que le droit d'occupant, sans aucun titre juridique , 1. La campagne en faveur des glises est reprise, en effet, par tous les grands organes de l'opinion publique et surtout par le Figaro et le Temps. L'un explique l'autre et le rsume. Et nous nous garderons de faire au sujet de celuil ou de celui-ci les rserves faciles deviner de personnes ou de doctrine : ce n'est ni le lieu ni l'heure : M. Josphin Pladan a entrepris un travail extrmement utile. Il a relev et il publie au Figaro la liste de toutes les glises de France prsentant (im intrt artistique et mritant le classement lgal. M. Augagneur avait affirm la Chambre que toutes les glises intressantes taient classes, et par consquent protges par la loi. On avait eu tout de suite l'impression que M. Augagneur exagrait. On ne souponnait pas combien il tait loin de compte Il ne se trompait, dclare M. Josphin Pladan, que de huit ou dix mille glises 1 Ce sont ces huit ou dix" mille glises, pointes aprs une srieuse enqute, que M. Pladan signale purement et simplement, sans commentaires. Il n'en est pas besoin, en effet, et il n'y a rien de plus frappant que cette nomenclature toute, sche et qui s'allonge sans fin. Que de richesses! Encore pourrait-on reprocher M, Pladan d'tre us peu exclusif. Il exclut de ses tablettes touteglise postrieure Tan 1600. Il a contre le XVIIe sicle les prjugs des Rskin et des Courajod. Il n'a pas lu la remarquable tude publie rcemment par la Revue des Deux-Mondes sur l'architecture de la contre-Rforme. D'autre part, son catholicisme intolrant l'entrane au mpris de l'antique et du galloromain. Il crit que Notre-Dame de Paris nous touche plus que les Thermes, de Julien- Il oublie qu'il y a 'd'abord cela une explication premptoire : c'est que Notre-Dame existe encore, pieu merci 1 tandis qu'il ne reste des Thermes de Julien que de vagues pans d mur et quelques dbris de colonnes ou de sculptures, pars dans le jardin du muse de Cluny. Notre-Dame est assez belle et assez mouvante, il y a assez de bonnes raisons de la louer, pour qu'il soit superflu de sophistiquer en son honneur. Au reste, ces dtails importent peu. L'uvre qu'accomplit Pladan n'en est pas moins digne d'un artiste et d'un bon Franais, .ayant le culte profond du patrimoine national. C'est uniquement au point de vue esthtique que se place M. Pladan, se dfendant d'tre ausi ambitieux que M. Maurice Barres, lequel veut sauver toutes les glises, mme celles qui n'ont pour elles que d'tre des lieux de vie spirituelle . Il est certain que telle humble glise de village, sans style, sans caractre, vague et rudimentaire masure, est nanmoins attendrissante par sa pauvret mme et par la notion des tristesses, des esprances, des prires qui s y sont panches. La posie ne .suppose pas ncessairement la magnificence ni les quartiers de noblesse archologique. D'ailleurs les vux de M. Josphin Pladan ne sont nullement incompatibles avec ceux de M. Maurice Barrs. Ce que Ton peut conclure, c'est que les glises notes par M. Pladan ont. droit aux subsides de l'Etat, des dpartements et des municipalits : cause de leur valeur d'art, la nation franaise 'se droit elle-mme de les conserver, comme on. conserve les statues ou. les tableaux de muse. Quant aux* glises chres M. Barrs, mais- que M. Pladan ne croit pas pouvoir inscrire sur sa liste; c'est videmment aux. catholiques qu'il, appartient de les rparer. L'Etat ne peut tout faire : des cas comme ceux-l, sont du domaine de l'initiative prive . Seulement, si les pouvoirs publics n'interviennent pas. en faveur de ces
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droit toujours prcaire, et dont il peut tre dpouill, article 13 de la loi de Sparation, si la conservation de l'difice est compromise par insuffisance d'entretien . ,Ou bien, article 35, si un discours prononc ou un crit affich ou distribu publiquement, contient une provocation directe rsister Vexcution des lois ou aux actes lgaux de l'autorit publique, il peut y avoir emprisonnement de trois mois deux ans pour le cur coupable d'avoir, comme le lui commande l'Evangile, fltri la loi de divorce, les lois scolaires, les lois de Sparation. Qui ne sait que, depuis la Sparation, qu'on nous reprsente comme ayant affranchi l'Eglise de la domination de l'Etat , l'Etat qui so pique de ne plus reconnatre ni vques, ni curs, ni Eglise, a intent ou fait intenter l'Eglise, aux curs et aux vques plus de procs " que jamais? Procs contre le cardinal Andrieu, contre le cardinal Luon, contre le cardinal Coulli, assign par la Tribune de SaintEtienne, qu'il a condamne avec le Lyon et le Progrs, contre Mgr Laurans, tran trois fois devant les tribunaux, contre Mgr Gieure, Mgr Turinaz, Mgr Villiez, Mgr de Ligonns, Mgr Campistron, Mgr Duparc, etc., pour avoir rempli leur devoir d'vques en condamnant les Manuels scolaires qui sont un pril pour la foi des enfants; procs contre l'abb Carrier, du diocse de Grenoble, contre l'abb Turlin, d'Orlans, et d'autres prtres faisant, au catchisme, l'histoire de l'Eglise, comme c'est leur plus lmentaire obligation, ainsi que l'ont tabli vaillamment Mgr Henry et Mgr Touchet, montant dans la chaire de leur cathdrale pour enseigner, eux aussi, l'histoire et dfier les autorits civiles et judiciaires de les poursuivre comme elles avaient poursuivi curs et vicaires; procs dj presque innombrables contre les prtres qui, du haut de la chaire, ont fltri les Manuels condamns par l'Episcopat franais, o u ont dclar qu'ils refuseraient, pour la premire communion solennelle, les enfants qui se serviraient encore de ces Manuels. Ils sont rares, les diocses dont la chronique religieuse n'a pas eu enregistrer un ou plusieurs faits semblables ou suivant, du 22 juin 19U Vendredi dernier, 6 juin, est venu devant le tribunal correctionnel de Verdun le procs intent M. le cur d'Ormes et M. l'abb Guesdon, glises, il ne faudrait pas non plus qu'ils intervinssent contre elles. En plus d'une occasion, on a vu soit les catholiques runir l'argent ncessaire pour les rparations et se heurter l'opposition d'une municipalit bassement anticlricale et vandale, soit une municipalit d'esprit plus large voter des fonds et un prfet combiste annuler la dlibration! C'est triste cons'ater : il y a des sectaires qui trouvent un plaisir sadique dans le spectacle de l'croulement d'une vieillo et vnrable glise. Le gouvernement a le devoir vident de mettre obstacle l'assouvissement de ces passions destructrices, qui conviennent des barbares et non un peuple civilis. C'est bien le moins qu'on laisse faire les catholiques, lorsqu'ils offrent de dpenser leur propre argent en Iravaux de ce genre, sans rien demander l'Etat 1
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inculps de violation de l'article 35 de la loi de Sparation (11 dcembre 1905), en ralit pour avoir appliqu aux enfants dtenteurs des manuels scolaires condamns les instructions de Mgr l'vque do Verdun. L'avocat des deux honorables ecclsiastiques n'a pas eu de peine dmontrer la caducit de la poursuite : il y avait l'glise, le jour du prne incrimin, 400 personnes, et l'on n'a trouv citer, comme tmoins charge, avec l'instituteur et l'institutrice d'Ormes et la femme d'un inslituteur voisin, que 16 enfants, dont une fillette, petite-fille de la femme de mnage de l'instituteur. Que valent les dpositions contradictoires de ces coliers, pu regard des dclarations concordantes des tmoins adultes en faveur des prvenus ? Il montre en mme temps que les propos de M. le cur ne contenaient aucune provocation directe, comme on l'en accuse, et que l'entretien de M. Guesdon ne constitue pas un fait public. Et qu'on ne aise pas que ces poursuites-, intentes par cle petites haines locales, n'ont aucune sanction judiciaire; car Voici des faits douloureusement significatifs. L'abb Sansima, cur de Saint-Pe-sur-Nivelle (Basses-Pyrnes), avait, dans un sermon du 28 novembre 1909, exhort les pres de famille, sous peine de sanctions ecclsiastiques, retirer des mains de leurs enfants, lves de l'cole publique communale, et leur dfendre d'en faire usage, deux ouvrages d'histoire inscrits sur la liste officielle de l'enseignement primaire du dpartement des Basses-Pyrnes et qui leur avaient t remis par l'instituteur. La cour de Pau, le 24 mars 1910, condamna le cur de Saint-Pe-sur-Nivelle 100 francs d'amende. Comme il se pourvut en Cassation, la Chambre criminelle de cette Cour, rejeta son pourvoi, 8 dcembre 1910. Le cur de Mdeyrolles (Puy-de-Dme), M. l'abb Tissier ayant, dans trois sermons des 10, 17 et 24 janvier, dclar que les enfants qui feraient usage de Calvet (Histoire de France condamne par les vques) ne seraient pas admis la premire communion solennelle, la Cour de Riom, 16 mars 1910, l'acquitta et le renvoya indemne de la poursuite dont il tait l'objet. Mais le Procureur gnral se pourvut en Cassation, et la Chambre criminelle de cette Cour cassa l'arrt de la Cour de Riom, 9 dcembre 1910. Ainsi, d'aprs la Cour suprme, tout prtre qui, dans le lieu o |Sr'exerce le culte, dtourne les enfants de faire usage d'un livre rgulirement inscrit sur la liste dpartementale, est, par le fait mme, coupable de provocation directe rsister des actes lgaux de l'autorit publique, suivant les termes de l'article 35 de la loi du 9 dcembre 1905 ; interprtation si .abusive de cet article que l'un des projets Doumergue pour la dfense de l'cole laque , a prcisment pour but de faire entrer dans l'article 35 de la loi de Sparation, ce qui ne s'y trouve pas, la provocation directe l'infraction de la loi du 28 mars 1882 et des dcrets ou arrts conscutifs, sur Y usage en classa de livres rgulirement inscrits sur les listes dpartementales.
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Le projet de loi Doumergue n'ayant pas t vot, la Cour de Cassation se substitue aux lgislateurs et s'arroge le droit de dclarer punissable un dlit qui, d'aprs M. Doumergue et M. Briand lui-mme, n'tait pas susceptible de motiver les poursuites pnales prvues par l'article 35 de la loi de Sparation. Comme les arrts de la Cour de Cassation font jurisprudence, l'Association des anciens lves de l'Ecole normale de la Seine a constat que le texte (de M. Doumergue) n'a plus aucune utilit, depuis les jugements de la Cour de Cassation des 8 et 9 dcembre 1910, visant le mmo objet (1); et, dsormais, tout cur et vicaire est .punissa* ble qui, au nom de son vque et de sa conscience sacerdotale, promulgue du haut de la chaire qu'il est dfendu par l'Eglise de lire et de garde]' certains livres , seraient-ils ports sur les listes dpartementales, dfense qu'une lettre de Son Eminence le cardinal Merry del Val, l'archevque de Besanon, 15 mai 1911, fait une obligation grave aux prtres ayant charge d'mes d'enseigner aux enfants Je plus tt possible et par des avis rpts. La loi de Sparation interprte juridiquement par la Cour de Cas.sation place le prtre entre l'amende, la prison, d'un ct, et, de l'autre, une obligation grave de leur conscience sacerdotale. Est-ce encore l un affranchissement de l'Eglise par cette loi de Sparation que le libralisme regarde comme un fait acquis et que les cardinaux verts et autres soumissionnistes voulaient faire accepter par Pie X ? La Sparation, crivait M. de Mun, a t un mensonge odieux invent pour dpouiller l'Eglise, en gardant le droit de la billonner. (A suivre). . Th. D E L M O N T , Docteur s lettres.
INFORMATIONS
UN D I S C O U R S D E MGR
ET
DOCUMENTS
L'ENSEIGNEMENT LIBRE
MIGNOT SUR
Le Bulletin de la Semaine a l'heureuse fortune, qui ne doit pas surprendre, de pouvoir reproduire in-extenso un rcent discours de Mgr Mignot dans une distribution de prix. 1. Le 22 juin dernier, la Commission de l'enseignement recevait la Chambre les dlgus de la Fdration des Amicales d'instituteurs : Les instituteurs, a dit M. Roux, prsident de la Fdration, ne demandent pas que l'EUt intervienne lorsque l'Eglise use des peines spirituelles au sujet de l'cole. D'ailleurs, les pouvoirs publics sont suffisamment arms ce point de vue par l'article 35 de la loi de sparation. Ce qu'il faut viter, c'est de crer des dlils d'opinion ou d'intention, car, en le .faisant, on prtend dfendre .
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Ce discours archipiscopal a un caractre trs particulier. 11 est essentiellement profane. Je ne parle pas, en disant cela, de la circonstance o il fut prononc, mais du thme adopt par l'auteur. On peut donc l'apprcier sans manquer l'autorit ecclsiastique qui s'est .elle-mme soigneusement tenue hors de cause, pourvu qu'on demeure respectueux de la personne qui en est investie. Ce que nous avons en dire tait dj formul sous notre plume, lorsqu' paru e n tte .de L'Univers (24 aot) un long article de son directeur sur ce sujet. M. F. Veuillot consacre .tout une premire colonne justifier la position de Mgr Mignot, puis une seconde h montrer qu'elle est fausse, encore que ses observations soient trs incompltes; et il en commence une troisime pour bien faire entendre qu'il les propose l'occasion de son discours, mais non pas contre les doctrines de l'minent archevque. C'est lui qui souligne. Cet excs de prcautions nous parat superflu et l'on verra qu'il fallait aller un peu plus loin. M. Veuillot crit : Mgr l'archevque d'Albi vient de faire publier, par la Semaine religieuse de son diocse, le discours qu'il pronona nagure, ,1a distribution des prix de l'cole libre de Laon... Insr dans l'organe diocsain, ce /discours prend une autorit plus considrable. Il n'en devient pas, sans doute, un acte de la juridiction piscopale, devant lequel tout catholique devrait s'incliner; mais, parole authentique d'un vque, il s'impose notre .respect et les objections que Ton croit avoir soulever contre lui ne doivent tre formules qu'avec rserve. ' L'insertion dans la Semaine religieuse a t dtermine par les commentaires gnants, parce que trop aimables, de la presse a-reli gieuse et gouvernementale. Mais Le Bulletin de la Semaine avait eu la primeur de la publication, alors qu'on ne les prvoyait pas. D'ailleurs, quelques lignes plus bas, M- F. Veuillot rduit lui-mme sa juste valeur, sans s'en apercevoir, le degr d'autorit qu'il faut reconnatre ce discours, en le caractrisant d'une manire Lrs texacte :
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Il est positif, en effet, que, dans cette manifestation, l'archevque a voulu dpouiller momentanment son caractre sacr; pour revendiquer simplement, en citoyen d'une rpublique librale et dmocralique, une libert gnrale. C'est donc la parole authentique d'un archevque, mais qui dpouille momentanment son caractre sacr, pour rclamer en citoyen une libert dmocratique. La question est de savoir si cette libert est celle que les catholiques puissent admettre. Parlant en citoyen, et non, heureusement, en Prince de l'Eglise, Mgr Mignot, si nous ne trahissons pas pes paroles, croit pouvoir trouver un fondement solide la libert d'enseignement dans la dmocratie et la souverainet du peuple. La libert qu'elles donnent, quoiqu'elle se pare du caractre de libert gnrale , est une libert illusoire et fausse en ellemme, et qui contredira toujours la libert que rclament les catholiques. M. F. Veuillot ajoute :
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On peut affirmer que, si l'archevque d'Albi a voulu se porter jusqu' l'extrme limite des concessions, c'est prcisment pour rappeler aux anticlricaux que les concessions ont tout de mme une limite; et, s'il 'a renonc certains arguments qui nous sont propres et qui demeurent essentiels, c'est pour dmontrer que nous possdons, au service de notre cause, une surabondance d'arguments. Nous croyons que, malgr leur surabondance, ces arguments sont trs dficients, et que l'orateur a pouss au del des limites les concessions de fait et les concessions de principes. Peut-tre est-ce la suite de la proccupation que manifestait cette parole : Je suis venu ici pour unir les esprits et non pour les diviser; j'apporte des paroles de paix et non de haine . Il y a des situations que les catholiques n'ont point faites, et o non pas sans doute la haine, qu'ils ne doivent pas connatre, jmais la rsistance, la. lutte dclare leur sont imposes par le devoir et l'honneur.
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*
Observons d'abord le souffle moderne dont les premires paroles de l'orateur sont animes : La libert d'enseignement est Tune des premires conqutes des temps prsents sur les rgimes autoritaires du pass. Il m'est agrable de constater que cette conqute fut faite, dans notre pays, sous l'inspiration de l'esprit chrtien par ces grands catholiques qui s'appelrent Montalembert et Falloux, dont la mmoire est si grande, et qu'ainsi, sur ce point, au moins, le progrs politique se trouva d'accord avec nos aspiration religieuses.. Il convenait parfaitement au but de Mgr Mignot de prsenter jla libert d'enseignement comme une conqute de la dmocratie et de la Rpublique sur les rgimes monarchiques, et d'y chercher un indice d'accord entre elles et nos aspirations religieuses. La flatterie peut paratre adroite; d'autres la trouveront plate. Mais surtout comment la vrit s'en arrange-t-elle? Parle-ton seulement des rgimes autoritaires jssus de la Rvolution? Le vague voulu de la proposition semble plutt y enfermer l'ancienne monarchie, et sans doute on ne doit pas la classer au-dessous de la Restauration et de la Monarchie de juillet parmi Jes rgimes autoritaires du pass. Comment alors donner la libert d'enseignement pour une conqute faite sur e u x ? Elle a t recouvre car ce n'tait qu'un retour incomplet la libert de certains rgimes autoritaires du pass sous la seconde Rpublique. Est-ce assez pour lui en reporter tout l'honneur? Cette conqute .a t le fruit de longs efforts dploys par le parti catholique en u n temps de monarchie et n'a, au vrai, aucun rapport avec le progrs dmocratique. Vote sous le rgime de 1848, la libert d'enseignement .a t organise et maintenue, incomplte mais largement pratique selon l'tendue de la loi, par le second Empire. Le rle de la Rpublique, qui, en France, n'est pas un rgime autoritaire ( ? ) a t de dtruire cette libert de fond en comble, quand elle s'est im-
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plante par la Rvolution; on ne peut savoir ce que la seconde Rpublique en aurait fait, aprs l'avoir accepte, si elle avait dur; quant la troisime, ds qu'elle est devenue la Rpublique des rpublicains, son premier et son plus violent effort a t de recommencer l'uvre de la premire. Voil comment la libert d'enseignement est une conqute dmocratique et rpublicaine. Et s'il faut juger par l de l'accord de ce rgime avec nos aspirations religieuses, Mgr Mignot est loin de compte. Il est regrettable qu'il n'ait pas eu le loisir de le montrer sur d'autres points, mais le sujet ne lui permettait que d'insinuer le reste. 11 est vrai que l'orateur n e voit pas la situation actuelle sous un jour aussi triste que d'autres. Parlant plus loin de ses dangers, il dveloppe cette pense que la libert d'enseignement n'est pas seulement aujourd'hui une libert suspecte, mais une libert menace. L'expression est souligne dans le texte, sans doute pour en faire ressortir l a hardiesse. Si aprs l e s mesures de perscution qui se sont droules depuis 1880, aprs les lois sclrates, aprs la fermeture de nos coles en masse, aprs l'expusion et la spoliation de nos congrgations enseignantes, aprs les odieuses mesures prises pour refuser l'entre des carrires aux lves des rares maisons o l'enseignement libre vgte encore, les catholiques et leurs pasteurs en sont, mme aujourd'hui, ne considrer tout cela que comme des menaces, c'est qu'ils sont encore capables d'en supporter d'autres, et l'on se demande s'il est vrai que les concessions ont tout de mme une limite . Nos ennemis le croiront-ils?
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Des concessions de fait, qu'on se croit en droit de juger imprudentes et excessives, il s'en trouve plus d'une dans ce passage : Nous ne sommes, Messieurs, ni les ennemis de l'Etat, ni gnralement des adversaires de la Rpublique, ni des critiques passionns de l'enseignement officiel. Et si c'est bon droit que tout TEpiscopat s'est lev contre des abus trop nombreux qui s'taient glisss et l dans l'cole publique ; si d'autres part nous ne pouvons consentir voir dans l'Ecole neutre, telle qu'elle est tablie et pratique, la formule dfinitive de l'enseignement et de l'ducation nationale, cependant nous ne mconnaissons pas les mrites et les bonnes volonts qui s'y manifestent; nous ne marchandons ni notre estime, ni notre confiance la majorit des membres de l'enseignement public qui ont la loyaut et la dlicatesse d'accomplir leurs fonctions avec une haute conscience de leur responsabilit, et un sincre respect des convictions et de la foi des familles. L'orateur disait en commenant : Sans doute, les coles libres rencontrent gnralement, auprs des autorits acadmiques, la correction polie, la condescendance froide qui sont de tradition dans nos administrations publiques : La loi est donc respecte et applique, sinon toujours avec bonne grce et sans mauvaise humeur, du moins avec assez d'exactitude et d'impartialit Mais de quelle hosli-
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RAIN
Ht et de quel parti pris nos coles ne sont-elles pas l'objet, sur le, terplus libre de l'opinion, et de la politique!... .
Comment des abus qui se seraient simplement glisss a. et l. dans l'cole publique ont-ils pu motiver une protestation aussi solen. nelle, aussi formelle et aussi gnrale que celle exprime dans la. lettre collective de l'piscopat? Quelle proportion entre un mal aussi circonscrit et c e remde hroque? Il est vrai que ces abus taient trop nombreux . Cependant, si nos archevques ne mnagent ni leur estime ni leur confiance la majorit des membres de l'enseignement public qui ont la loyaut et la dlicatesse d'accomplir leurs fonctions avec une haute conscience de leur responsabilit et un sincre respect des convictions et de la foi des familles , de quoi se plaignent-ils donc si fort dans leur manifestation collective retentis-, saute? De telles paroles n e sont-elles pas une sorte de dsaveu? C'est, dira-t-on, que TEpiscopat visait plus haut qu'une simple question d'impartialit et de tolrance pratiques, et qu'il a voulu protester contre la neutralit elle-mme. Etant venu pour unir les esprits et non polur les diviser, pour apporter des paroles de paix et non .dehaine , l'orateur n'a pas jug btotn, dans la circonstance, d'aller jusque-l. Ses paroles donnent mme entendre quelque chose de trsdiffrent : Nous ne pouvons consentir voir dans l'Ecole neutre, telle qu'elle est tablie et pratique, la formule dfinitive de l'enseignement et de l'ducation nationale. D'o l'on doit conclure logiquement que, si elle tait tablie et pratique autrement. l'Eoole neutre pourrait parfaitement devenir la formule dfinitive de l'enseignement et de l'ducation nationale. Perspective pleine de promesses pour celle-ci ! Fidle son but, Mgr Mignot a voulu viter les exagrations de principes. L'minent archevque n'a-t-il pas t incomplet? En effet, Messieurs, la libert d'enseignement n'est pas autre chose ensoi que le droit reconnu au pre de famille d'lever ses enfants dans les ides qui sont les siennes : dans les principes religieux, philosophiques, politiques, sociaux qu'il aime et qu'il prfre. Supprimez: la libert d'enseignement, l'enfant chappe au pre, il lui est enlev. Rien do plus juste. Le premier principe invoquer, c'est le droit du pre de famille. De ce droit, la Dclaration des vques avait fait une analyse trs exacte, sur laquelle il serait superflu d'insister, tant apparat lumineuse la relation que le droit naturel tablit entre lo pre 0!. le fils. Mais, ce droit du pre de famille est corrlatif de ses devoirs envers Dieu. La paternit humaine tant elle-mme un don et ooimme un reflet de la paternit divine, le pre est tenu vis--vis de de Dieu, de ses droits, de sa loi. u n ensemble d'obligations qui l'astreignent subordonner l'ducation de ses enfauts la tutelle imprieuse et la souverainet de Dieu. On ne saurait donc faire srieusement tat en c e s matires de droit du pre 9 e famille qu' la condition di?'
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le subordonner toujours au devoir gui lie le pre lui-mme envers Dieu. Nous, catholiques, nous ne pouvons faire valoir le droit du pre de famille qu'en fonction du droit de Dieu. Le vrai principe de la libert d'enseignement est celui-l. Autrement, cette libert et ce droit, en les supposant reconnus par l'Etat, se trouveraient encore sanctionner, ou du moins, permettre d e s abus que rprouvent la conscience et la loi de Dieu. Mgr l'archevque d'Albi a estim plus sage, pour viter ce qui dsunit, de soutenir le droit du pre de famille, sans invoquer les droits (de Dieu eL les devoirs envers lui, sans presque prononcer son nom, et c'est pourquoi une telle dfense de renseignement libre, si elle a l'avantage d'tre acceptable pour un plus grand nombre de gens, peut tre prise, bien contre son gr, aussi bien, et mme plus exactement, pour l'apologie d'une des fausses liberts modernes que pour une revendication catholique. Ainsi l'a compris le Temps. Il est difficile de luli donner tort, d'autant que si ce que l'orateur dit du pre de famille est seulement incomplet, la raison qu'il invoque contre l'omnipotence de l'Etat le conduit noncer un principe gros d'normites et qui nous ramne simplement Rousseau. L'Ecole d'Etat, surtout l'Ecole monopolise est une institution autocratique, csarienne, en opposition absolue avec les principes d'une socit libre. L'Enseignement de l'Etat, tel qu'il est tabli, tel qu'on semble vouloir l'affermir encore, repose tout entier sur la conscience de l'Etal, or sa seule base raisonnable et vraie c'est le conscience du pre. L'Etat n'a ni conscience, ni doctrine qui lui soient propres; le pre, au contraire, a le devoir de faire passer son me dans l'me de l'enfant. Voil pourquoi la volont du pre, le choix du pre doivent tre prdominants dans l'Ecole. A moins que nous comprenions mal l'orateur et serait-ce notre faute? l'Etat qui n'a ni conscience, ni doctrine qui lui soit propres, - ce n'est pas l'Etat athe, par suite de la position criminelle o il se place, mais c'est l'Etat en gnral et comme tel. Or, l'Etat, c'est-dire l'autorit constitue pour le gouvernement de la socit, a les mmes obligations envers Dieu que l'individu. Dire que l'Etat n'a pas de conscience qui lui soit propre, n'est-ce pas admettre implicitement l'athisme d'Etat? Et n'est-ce pas le principe que l'Etat athe invoque contre la libert d'enseignement, loin de s'appuyer sur sa conscience? L'obligation de conscience qu'il se sent, c'est de n'avoir pas de conscience propre et de n'tre que la conscience collective. Dire que sa seule base raisonnable et vraie, c'est la conscience du pore, c'est lui enlever luimme conscience et base. La conscience de l'Etat ne serait donc que la conscience collective. C'est trs dmocratique, mais est-ce catholique? Et comment fera-ton sortir de l la vraie libert de l'enseignement qui est un moyen, non pas un but e n soi, qui n'est pas l'gale libert de la vrit et de l'erreur, mais la condition ncessaire pour que l'enfant soit mis dans la voie du salut? Rapproche de la position faite l'Etat, la
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CRITIQUE
DU
LIBRALISME
UEUGIEUX,
POUTIQUt.,
SOCIAL
dfinition insuffisante de la libert d'enseignement donne plus haut apparat avec ses consquences. Si la conscience collective des pres de famille marque une prfrence pour des doctrines philosophiques, politiques et sociales trangres ou contraires la religion, la conscience de l'Etat en exigera l'enseignement. Il n'y a place pour aucune intervention de Dieu et de l'Eglise, car l'Etat n'a pas de conscience propre. Non, jamais on ne tirera de- la souverainet du peuple le principe d'une vraie libert; et si c'est celui de la dmocratie qui doit nous rendre Dieu, la socit ne le retrouvera jamais. La libert d'enseignement est une question essentiellement religieuse, elle est irrductible une libert simplement dmocratique. Nous ne voudrions manquer de respect Mgr Mignot, ni sous une forme ni sous une autre, mais on s'arrterait volontiers penser, qu'absorb par des soins plus importants, il a laiss son vicaire gnral, M. l'abb Birot, le soin de composer cette sorte de manifeste, comme il le fit pour ses lettres sur l e Sillon adresses au cardinal Andrieu, propos du mouvement piscopal provoqu en faveur de celuici par Mgr l'Evque de Nice. Quoi qu'il e n soit, il est naturel que le mme discours, qui passerait pour louable, des rserves prs, sur les lvres d'un lac incroyant, ne produise pas l a mme impression dans la bouche d'un archevque. E. B. Le Temps huguenot a trouv fort son got le discours de Mgr Mignot et lui consacre u n article qui mlrite d'tre cit. Il flicite Mgr l'archevque d'AIbi de n'avoir pas, comme d'autres vques, revendiqu la libert d'enseignement < au nom de la vrit qu'ils prtendent c possder , mais d'avoir pris la thse vraiment rpublicaine, celle des liberts dmocratiques. Le compliment vaut ce qu'il vaut. Mais ce qui doit toucher plus encore le distingu prlat, c'est, qu' en croire le Temps, il serait encore plus prs du tout qu'il n'osait sans doute l'esprer, trop prs mme, peut-tre : si l'Eglise avait la rnlme bonne volont que lui, les catholiques ne seraient pas loin de s'entendre avec M. Ferdinand Buisson qui vient d'exposer, dans un rcent manifeste, les propositions des sectaires du gouvernement sur les moyens on sait lesquels d'assurer la paix l'cole par le respect scrupuleux de la libert de conscience. Pour nous, sans le dissimuler, nous sommes de ceux qui n'apprcient pas avec la mme faveur cotte haute leon de politique et de libralisme . Mgr Mignot, pri de prsider la distribution des prix d'une cole libre Laon, son pays d'origine, a profit de l'occasion pour exposer ses vues sur la question scolaire. Mgr Mignot a pris videmment la dfense de la libert d'enseignement, rappelant non sans propos qu'elle est l'une des premires conqutes des temps prsents sur les rgimes autoritaires du pass . Une dmocratie fonde pour garantir toutes les liberts lgitimes
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et qui dtruirait celle-l sous quelque prtexte qu'on pt imaginer, se dmentirait elle-mme. Rien n'est plus juste, et nous l'avons assez dit nousmmes. Ce n'est pas parce qu'un vque prend son compte la thse vritablement rpublicaine que nous la renierons; bien au contraire, nous nous fliciterons plutt de cette adhsion inattendue. Ce n'est pas en effet par des arguments de cet ordre que les prlats discoureurs combattent d'ordinaire en faveur de la libert d'enseignement. Ils se soucient peu d'invoquer ht lgitimit des principes dmocratiques pour lesquels ils ont peu de got, et qu'ils comprennent quelquefois rebours de leur sens. C'est an nom de la vrit qu'ils prtendent possder, qu'ils ont l'habitude de revendiquer le droit d'enseigner. Mgr Mignot n'est pas de ceux-l. Sans doute ne sacrifie-t-il rien des enseignements de l'Eglise dont il est un des docteurs. Et qui donc le lui demanderait? Mais il n'a pas ferm les yeux devant le spectacle de l'volution des socits modernes; et comme il est un des esprits les plus clairs de l'piscopat, il a compris sans peine. Il se garde de recourir au vulgaire argument de polmique qui consiste gnraliser des fautes individuelles; il a eu le courage c'en est un assurment, pour l'heure, dans l'Eglise de France de dire qu'il ne mconnat pas les mrites et lesbonnes volonts qui se manifestent dans l'cole neutre; il ne veut marchander ni son estime, ni sa confiance la majorit des membres de l'enseignement public qui ont la loyaut et la dlicatesse d'accomplir leurs fonctions avec une haute conscience de leur responsabilit et un sincre respect des convictions et de la foi des familles . Cela n'est pas si banal qu'on pourrait le croire. Mgr Mignot termine son discours en citant un mot de Victor Dumy Mgr Dupanloup : Ah ! monseigneur quel bien nous pourrions faire, nous tous qui tenons dans nos mains l'me de nos enfants, si chacun de nous poursuivait, avec les moyens qui lui sont propres, la tche commune! Si tous les catholiques sincres mettaient remplir ce vu autant de bonne volont que l'on en devine travers le discours de Mgr Mignot, la lche deviendrait singulirement plus facile de ceux qui veulent nous citions " hier l'appel de M. Ferdinand Buisson tablir la paix l'cole par le respect scrupuleux de la libert de conscience . Malheureusement les Mignot sont rares; et malgr que le discours de l'archevque d'Albi suit le plaidoyer le plus solide, et certes le plus habile, qui ait t prononc sur cette question du ct catholique, on a quelque raison de supposer que dans les milieux ecclsiastiques on ne voudra pas en comprendre la haute leon de politique et de libralisme.
LA S E M A I N E SOCIALE
DE SAINT-TIENNE
Un prtre, M. l'abb Louis Bourbonnais, auditeur habituel des semaines sociales, donne dans l'Action Franaise (15 aot), ses impressions sur Icelle qui vient de se tenir Saint-Etienne. Nous en reproduisons toute la partie qui est d'intrt gnral, heureux de constater loyalemtent comme lui le progrs ralis. Les souvenirs du pass qu'il y mle, et mme certaines observations sur le prsent, sont un argument de plus en faveur des critiques que nous avons d mettre plus d'une fois.
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Les semaines sociales se suivent, et, comme les annes, elles ne se ressemblent pas. C'est d'ailleurs fort heureux, puisqu'il s'agit de noter un progrs. A Rouen, c'tait le triomphe de la dmocratie. Ce mot revenait ;i tout instant sur les lvres des orateurs. On se souvient du discours retentissant, dans lequel M. l'abb Theliier de Poncheville clbrait les gloires et la douceur du fait dmocratique et disait leurs vrits aux attards des rgimes disparus. Cet excellent prtre rpta vingt fois la mme chose sous une forme diffrente. Et son auditoire nombreux exultait. On n'a pas oubli davantage le pilori dress par M. l'abb Sertillanges pour les royalistes antisociaux du coup de force. Quand un professeur prononait le nom de M. l'abb Lemire ou de M. Marc Sangnier, c'tait des applaudissements sans fin, du dlire. L'Univers ei. Y Action Franaise, en dpit de leur attitude trs diffrente sur un point essentiel, taient mis dans le mme sac que la Correspondance de Home et vous aux gmonies. C'est que la majeure partie de l'auditoire tait compose de sillonnistes ardents. Les directeurs de la Semaine Sociale le savaient fort bien, et, tout en dplorant certaines de leurs tendances et de leurs erreurs, ils se gardaient de les combattre et ne perdaient, au contraire, aucune occasion de les caresser. On sentait un courant d'hostilit hargneuse contre toute la politique du grand Pontife rgnant. En de nombreux groupes, on ne craignait pas de le juger svrement et on prenait plaisir l'opposer Lon XIII, contre lequel toute rserve tait dclare charitablement scandaleuse. Le noble Pie X tait un Pape antisocial, qui dcourageait les- meilleures volonts, dtruisait d'un geste les efforts passs et empchait les moissons de l'avenir. Les syndicats professionnels, d'inspiration et d'allure nettement catholiques, taient considrs comme les folles rveries d'un cerveau obscur. Et, par un prodige de contradiction, les plus irrespectueux, assuraient, confidentiellement, tenir de source sre que le Sillon avait la faveur de Rome, qu'il interprtait merveille les enseignements sociaux les plus rcents... Le modernisme lui-mme tait une invention du Souverain-Pontife. En tous cas il n'existait pas en France. La race des prtres qui clbrent sans foi le Saint-Sacrifice, tait un mythe de mauvais got. Dcidment, la Ville Eternelle tait sans tte. Je n'exagre pas. J'attnue plutt. J'ai entendu tontes ces misres, et, aujourd'hui encore, j'en ressens l'amertume dans mon cur de prtre romain. Il est juste de reconnatre que cet tat d'esprit n'tait point officiel. Mais aucune parole lance de la tribune ne le dcourageait. Au reste, les organisateurs de la Semaine Sociale avaient conscience trs nette de n'tre pas en communion d'ides parfaite avec le Vatican. Ils attendaient, dans une cruelle angoisse, la rponse du Pape au tlgramme qu'ils avaient envoy sans bruit... Et si courte et si suggestive que ft la bndiction pontificale, elle procura un immense soulagement... Ces lignes ne sont pas d'un adversaire des Semaines Sociales, mais d'un tmoin fidle, qui avait attendu d'elles une meilleure attitude : plus de fermet et de doctrine du ct des professeurs ; plus de retenue t de discipline de la part des lves. Son vu s'est peu prs ralis Saint-Etienne, et il est heureux d'eu " tmoigner ici.
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Lu Lettre de Pie K sur le Sillon, chef-d'uvre d'analyse et de synthse, .a mis en pleine lumire des erreurs incontestables, mais dguises (sous un flux de paroles ou voiles par des rticences. Elle a fait le procs df.nitif des nouveauts tmraires et lou l'excellence de la voie traditionnelle. Son argumentation est si puissante qu'on passerait pour un nigaud s'essayer de la discuter. Aussi, chacun veut-il avoir toujours pens comme le docteur souverain. Il tait temps, rpte-t-on partout de bon ou mauvais cur de .mettre un terme des erreurs indfinies, sans cesse renouveles, 1 peine -conscientes et d'autant plus dangereuses. Nanmoins la conversion des gars de la dmocratie n'est pas si complte qu'on aimerait le croire. Le sllonisme n'est pas mort. Un tout petit faiL, qui ne passa point inaperu, montre que les passions .ne sont qu'endormies. Les disciples de M. Marc Sangnier gardent une dignit prudente, voil tout. Mais quand le cur peut manifester impunment, il ne laisse aucun cloute sur ses attaches. M. Georges Renard ayant rappel l'initiative de son ami propos du pain de jour , ce fut une tempte inoue d'applaudissements. .D'Action Franaise a lou l'innovation du directeur de la Dmocratie; le signataire de cet article la trouve intressante et gnreuse. Ello mriie d'tre applaudie. Mais de l'aveu de plusieurs manifestants, il s'agissait moins d'applaudir un acte social de Marc Sangnier que tout Sangnier, tel qu'il est, c'est-dire bien peu chang... et prcisment cause de cela... Il est juste, toutefois-, de dire que les organisateurs de la semaine Sociale ne paraissent pas trs contents de cette dmonstration nullement quivoque. . Dans une louable pense d'union, ils choisirent des orateurs de diffrents groupements de catholiques sociaux et ils s'appliqurent confier des sujets innocents aux suspects. Aprs tout, les professeurs ne sont pas responsables des gestes et des paroles de l'auditoire. Ils feraient bien sans doute d'user de leur relle autorii pour le modifier. Mais tous les hommes ne comprennent pas la sagesse de la mme faon. On ne saurait leur en vouloir. Les organisateurs se sont d'ailleurs engags dans une voie nettement romaine. Le chef de l'Eglise ayant parl ferme et clair , comme on dit il VTJnivers, ils ont obi filialement. Ils n'ont plus oppos Lon XIII Pie X. en taisant le nom de celui-ci, en invoquant sans cesse la (doctrine de celui-l. Ils se sont aperus que cette doctrine ne variait pas de pontife pontife, qu'elle tait seulement prcise avec le temps et dbarrasse des fausses interprtations. Le Pape rgnant a reu les mmes tmoignages d'admiration que pon prdcesseur. On fit mme preuve d'un certain courage en rappelant opportunment, plusieurs fois, la lettre du 25 aot 1910, devant de nombreux sillonistes, qui se taisaient, mais qui auraient prfr le silence sur ce document humiliant pour eux. Et, constatation' plus tonnante encore, il ne fut pas une seule fois ques4ion de dmocratie, . On parla bien d'amour pour le peuple, que nous aimons nous aussi; .mais, on ne se gna pas d" lui dire ses vrits, comme aux capitalistes. Et, encore un coup, le mot : dmocratie, le fait dmocratique ne furent pas allgus une. seule fois. Pourtant s i ; M. l'abb Sertillanges ayant dclar que la justice en politique voulait que V autorit soit un service d'amour dvou appel l'amour soumis , ajouta que s'il voulait approfondir la ques*
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tion, il devrait rvler plus d'une tare dans le rgime dmocratique ... Sa belle dfinition convenait essentiellement, en effet, la Monarchie. Il y a une distance prcieuse entre ce langage et celui que le mnis orateur tenait l'an dernier; entre cette sage abstention de politique rpublicaine de tous les professeurs et les dithyrambes dmocratiques, aujourd'hui dmods, de M. l'abb Thellier de Poncheville. On sait maintenant qu'il y eut et qu'il y a d'excellents rgimes monarchistes et que la dmocratie a des tares. On le savait sans doute nagure; mais les confrenciers parlaient comme s'ils l'ignoraient. Pie X ayant rappel cette vrit salutaire, ils la reconnaissent. Prudence, disent les uns. Bon sens, pensons-nous. L'erreur n'esc pas toujours triomphante... Au cours de cotte dernire Semaine, la malfaisance et les bienfaits de l'argent ont t solidement dmontrs. L'emploi social et patriotique des capitaux fut ardemment conseille. La hirarchie de l'amour a t thologiquement tablie. Un patriotisme clair mit au second rang l'internationalisme. Il fut loquemment prouv que la question sociale ne serait rsolue que par l'Eglise et l'Etat. L'action convergente de ces deux puissances est ncessaire. La premire, religieuse et morale, apaise les haines, dtruit l'gosme, suscite l'amour, ordonne la justice. Le seconde, plus terrestre, assure par des lois opportunes le triomphe des ides sociales chrtiennes. Elle organise les classes et le travail, ou plutt, elle prside leur organisation, la dirige et la protge. L'accord de ces deux puissances, qui tiennent leur pouvoir de Dieu mme, est donc indispensable pour tablir une base sociale juste et durable. Parmi les leons professes Saint-Etienne, celle de M. l'abb Sertillanges, sur l a Justice chrtienne, a soulev des critiques dans la presse religieuse. Le subtil et disert orateur a repris le fameux thme : justice et charit, question fondamentale dans les rapports sociaux. Il n'est personne qui ait oiubli les discussions interminables auxquelles elle donna lieu, et dont fut cause l'obstination des dmocrates chrtiens confondre deux vertus si distinctes. On sait que cette confusion fut u n des principes les plus fconds de leurs erreurs. Il semblait que la question n'et plus besoin d'tre lucide, aprs les enseignements de Lon XIII et de P i e X, depuis l'Encyclique sur la Condition des ouvriers, jusqu' la lettre sur le Sillon, o cette distinction, avec ses consquences sociales, est si clairement et si fermement maintenue, tout en marquant les rapports. Le P. Sertillanges a jug bon do la reprendre et parat s'tre propos surtout de rduire autant que possible le vieux dualisme. En tte des vertus, il faut la justice. La charit, ou fraternit organique e n Dieu, voil l a justice. La charit, ressort principal, juge la justice. Justice dans lal charit, de la charit. La fraternit e n Dieu est l a base sociale. La justice est une sorte de moyen infrieur, qui intervient comme dficience d'unit. La justice n'est ni premire, ni indpendante, elle procde de la charit. La; justice chrtienne, c'est l'organisation de l'amour.
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L'usage courant prte souvent au mot justice un sens troit qui eu diminue la valeur sociale et met son contenu en opposition formelle; avec l'Evangile. La charit, son tour, en vient signifier je ne sais quelle concession hautaine ou pitoyable de celui qui possde celui qui ne possde pas, de celui qui est orgueilleux celui qui est lche. La justice chrtienne relve ces deux notions mutiles. Elle incorpore la. charit, sous le gouvernement de cette dernire. lia charit, pour le chrtien, n'est pas une bienveillance ou une hienfaisance quelconque; c'est notre unit fraternelle en Dieu et dans le Christ. Et un tel fait, une fois admis, se prsente videmment comme le fondement, de Tordre social. Toute justice prtendue qui le mconnat ne sera nos yeux qu'une fausse justice. Celle qui en tiendra compte, deviendra par l mme un amour appliqu, une fraternit en matire de distribution ou. d'change. II ne faut donc pas dire, comme y invite le vieux dualisme justice et charit . Mais : justice dans la charit; justice de la charit. Au vrai,, la justice chrtienne peut se dfinir, selon le mot d'Augustin : l'organisation de l'amour. Il sort de l une foule de consquences : Contre l'conomie orthodoxe , on dira : nulle convention soi-disant relle ne peut abstraire de la qualit fraternelle des personnes; refuser d'avoir gard leurs besoins, leur dignit, leur moralit, leur dlicatesse. Dans Tordre public, les rapports politiques, les rapports de groupes sociaux, classes, sexes, catgories de faibles ou de forts, d'innocents ou decoupables, les rapports internationaux, eux aussi, seront profondment A f fects par la conception chrtienne d'une justice fraternelle. Celle-ci repose sur le Dieu, pre de l'Evangile, et TEvangile n'ayant d'organe autoris et rgulirement oprant que l'Eglise, celle-ci est accuse bien tort par les socialistes d'esquisser en ce moment une manuvre, en s'inquitanl d'action sociale. Il y a l pour elle une question minemment doctrinale . Sur quoi le mme correspondant fait ces remarques : M. l'abb Sertillanges, professeur l'Institut catholique de Paris, a, certes, beaucoup de talent. Grande facilit d'locution, prodigieuse richesse de vocabulaire, habilet philosophique, rudition, telles sont ses qualits minentes. Mais nous avons le devoir de faire des rserves sur sa thologie, du moins quand il s'agit de la justice chrtienne. Pour lui le vieux dualisme Justice et Charit exprime mal la pense chrtienne et tend mutiler la fois Vide de charit et Vide de justice. Mon Dieul Lon XIII n'tait pas du moyen ge et il trouvait, comme saint Thomas, ces concepts diffrents, complets et clairs. Un thologien indiscut de la Semaine sociale partageait cette opinion, sans la dissimuler personne. Il trouvait mme que M. Tabb Sertillanges avait d se livrer une gymnastique tonnante pour prouver sa manire de penser. Ceci dit, reconnaissons le magnifique succs du confrencier, non seulement pour les qualits que nous avons admires, mais pour ses ides souvent belles et toujours gnreuses. Le Nouvelliste de Lyon ayant mis quelques observations analogues celles-ci et rappel la distinction affirme par les enseignements-
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du Saint-Sige a reu de M. l'abb Sertillanges la lettre ^qu'on va lire, (15 aot) : Monsieur, Un de vos correspondants, se faisant juge d'un cours de la a Semaine Sociale qu'il n'a pas entendu, trouve bon de cueillir, dans un rsum de journal, une phrase isole, qu'il essaie d'opposer une phrase du Pape. Vous l'y aidez, en dclarant qu'il y a entre la parole de Pie X et la mienne une antithse qui saute aux yeux . Permettez-moi, monsieur, de regretter des procds par trop superficiels eL injustes. Ce qui saute aux yeux , c'est quelquefois de la poussire. Pie X veut qu'on distingue la justice et la charit. Je ne veux pas -qu'on les spare. Rien de plus facile concilier que ces deux choses-l. L'Evangilo nous enseigne qu'en l'amour de Dieu et du prochain sont contenus la loi et les prophtes : donc aussi la justice. Or, dans ce monde des essences, ce qui se trouve contenu en autrui, et qui n'est donc pleinement soi-mme qu'en autrui, peut bien s'en distinguer encore; mais ne saurait s'en sparer sans mourir. C'est tout ce que prtendait ma thse. J'ai dit et je rpte que la justice bien comprise n'est qu'un reflet de la charit bien comprise. Ce reflet se distingue d'autres reflets et se distingue aussi de sa source; mais il ne s'en spare point, et il en participe comme le rayon participe de l'astre. Il est possible que cela paraisse subtil votre correspondant; mais j'ai fait voir qu'il en sort de graves consquences, dans tous les ordres. Enumrer ces consquences en ce qui concerne l'ordre social, c'tait le but de mon travail. Si votre ami s'y tait rapport, ou s'il avait eu la patience de l'attendre, il se ft vit et vous et vit des mots inutiles/ Votre publicit ne se propose sans doute pas de soulever des conflits, -mais de rpandre des vrits et d'exercer des justices. Recevez, monsieur, l'assurance de ma considration distingue.
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La rplique est facile. M. l'abb Sertillanges pouvait contester l'exactitude du rsum que Y Uni vers faisait de son cours profess la Semaine sociale de Saint-Etienne. Il ne Ta point fait; il tient ce compte rendu pour substantiellement exact. Donc la contradiction que nous relevions entre son cours et les enseigne.ments de Pie X existait bien, et nous pouvons dire aujourd'hui que sa lettre la confirme et l'aggrave. Pie X, dit-il, veut qu'on distingue la justice et la charit. Je ne veux c pas qu'on les spare . Et M. l'abb Sertillanges ajoute que rien n'est plus facile concilier que ces deux choses-l . L dessus il s'embarque pour le monde des essences . A-t-il donc parl pour tre compris ou pour ne pas l'tre? En tout cas, la justice est une vertu cardinale; la charit, une vertu thologale; tout le monde sent aussi que le domaine de l'une est autreroent tendu que le domaine de l'autre; tous les hommes, enfin, quelque coles qu'ils appartiennent, professent que VEtat a le devoir et la mission de faire respecter la justice, tandis qu'on ne lui reconnat pas qualit pour
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exigvr la charit. Le Pape lui-mme indique cette diffrence essentielle et pratique en notant qu'il n'y a lieu revendication que lorsque la justice est viole , si bien que cette conclusion marque encore plus profondment la sparation qu'il avait faite de l'une et de l'autre. Cela dit, comment la justice serait-elle, au dire de M. l'abb Sertillanges, un reflet de la charit , puisque logiquement et naturellement elle la prcde? Comme si le reflet pouvait prcder la lumireI on l'cho, prcder la voix 1 Au fond, ce n'est point une question de mots, sans quoi nous n'aurions point accueilli la critique faite de M. l'abb Sertillanges. Outre l'intrt qu'il y avait rappeler une rgle pose par le Saint-Sige il faut se souvenir que ic refus de sparer la charit d'avec la justice aurait cette consquence que l'Etal, gardien, incontestable de la justice, serait par cela mme constitu gardien aussi de la charit, pour les faire exercer l'une et l'autre par la contrainte des lois et des tribunaux. Or, cela n'est vrai que de la justice, mais est faux de la charit. Autant qu'on en peut juger sans avoir sous les yeux le texte authentique et complet du discours, il semble bien, d'aprs l'analyse de Univers, o M. l'abb Sertillanges ne relve pas d'inexactitude, que s a manire de ne pas sparer consiste ne pas distinguer suffisamment. La conciliation serait alors pousse bien loin. Les reflets qu'il fait adroitement miroiter n'empchent pas de trouver obscur le- fond qui devrait tre parfaitement clair. Les consquences de sa doctrine, en ce qui concerne l'ordre social sont graves, comme il le dit, plus graves mme que peut-tre il le suppose, car, moins que la justice sociale ne doive tre distingue de la justice chrtienne telle qu'il la dfinit, elle serait bien prs d'emporter les obligations de la charit, non seulement pour l'individu, mais mlm'e pour l'Etat qui a charge de la aire pratiquer et qui deviendrait le rgulateur de l'une et l'autre [vertu ( 1 ) .
OUVRIRES.
L'Action catholique franaise (aot 1911) publie un excellent article de M. Hubert-Valleroux sur cette question. Nous le publions comme supplment ce que nous en avons dj dit. Il ne faut pas se lasser de mettre en vidence l'illusion et l'erreur inexcusables des associations comme la Jeunesse catholique ou VAction librale et gnralement de l'cole qui aime se parer du nom de catholique sociale. C'est un, nouvel exemple de leur tendance se rapprocher du socialisme en croyant prendre en main les intrts de la classe populaire et favoriser l'tatisme, contrairement a u x principes d'une saine action sociale. Erreur qui devient une aberration dans l'tat prsent de la France. C'est e n s'engageant fond pour une loi de surenchre dmocratique, masquant un ignoble bluff lectoral, dont l'effet direct 1. L* P. Sertillanges a depuis envoy une nouvelle lettre d'explications % XUnivers. Elle n'ajoute rien la prcdente, mais donne au rdacteur de ce journal l'occasion d'affirmer l'exactitude de ses notes prises en sance et l'apprciation conforme d'antres thologiens auditp.urs.
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sera de tuer l'esprit, d'pargne et d'conomie chez l'ouvrier et l e paysan que cette cole prtend relever leur dignit. Est-ce l l'action catholique sociale? Que les catholiques sociaux parlent, s'il leur plat, pour leur compte personnel; mais qu'ils aient au moins la prudence de ne plus compromettre les autres avec eux et cessent de clamer, comme ils l'ont fait, dans l'espoir de gagner la faveur du proltariat, que les catholiques sont pour cette duperie et cette exaction lgales. Nous assistons, en ce moment, un bien singulier, mais bien peu difiant spectacle. Notre parlement a vot l'an dernier une loi (elle porte la date du 10 avril 1910) dite des retraites ouvrires et paysannes. Les membres du susdit parlement, en votant cette loi, taient convaincus, comme le gouvernement l'avait t en la proposant, qu'ils comblaient les vux des ouvriers et des paysans, c'est--dire de la grande masse des lecteurs, et c'est pourquoi la loi dont il s'agit a t vote par la Chambre l'unanimit moins cinq voix. Voici venue l'heure de l'application; surprise! ceux pour qui on avait fait la loi n'en veulent pasl On les croyait ravis, parfaitement heureux; point du tout, ils sont mcontents I Ils ne veulent pasde la loi; du moins la grande majorit n'en veut pas. Et pourquoi n'en veulent-ils pas? Parce que, disent-ils, nous nous dfions du gouvernement,, nous n'avons pas confiance en lui! Arrtons-nous un instant, lecteurs, sur cette trs nouvelle et trs heureuse disposition des citoyens franais. Ils n'ont pas confiance dans le gouvernement! Les Franais qui, jusqu'ici, regardaient le gouvernement, quel qu'il ft, comme une seconde Providence, qui lui apportaient leurs pargnes avec enthousiasme, qui le priaient, le suppliaient de les accepter, les. voil qui n'ont plus confiance l Nous ne voulons pas, disetnt-ils, lui remettre notre argent; nous ne savons ce qu'il en fera. Au moins la spoliation du milliard des congrgations religieuses a contribu ouvrir les yeux, faire comprendre aux admirateurs quand mme du gouvernement qu'il n'tait pas la vertu incarne. Telle est la situation et alors que font certains catholiques, de ceux surtout qui prennent le nom de sociaux ? Ils viennent au secours du gouvernement! Ils font campagne en sa faveur! Ils viennent dire aux ouvriers, aux paysans : vous vous dfiez du gouvernement ? Vous avez bien tort! Comment pouvez-vous croire que le gouvernement, qui a saisi et spoli les biens des congrgations, les fondations des catholiques, soit capablede saisir aussi les versements que vous ferez en vue des retraites? Le pass vous rpond de l'avenir; il a spoli dans le pass, il ne peut tre que trs honnte, trs dsintress dans l'avenir I M. Piou ne disait-il pas au rcent Congrs de Y Action librale, en parlant de ces retraites ouvrires : Nous devons excuter la loi quelque condition que ce soit ? Le journal la Dmocratie qui rapporte ces paroles (n" du 10 juin) nous assure qu'il fut applaudi tout rompre . On peut bien trouver qu'avec la tournure que prend notre lgislation: et avec l'esprit qui l'anime, tant donne, d'autre part, la pusillanimit des lecteurs l'gard du gouvernement, il' y a mieux faire, lorsqu'on exerce quelque influence par sou nom et par sa parole, qu' prner 1 % soumission quand mme la loi (1). 1. Le susdit Congrs a mis le vu qu'on ne devait pas se lais ser arrter par la ncessit de faire des versements dans les caisses de l'Etat .
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Qu'a-t-elln donc, cette loi des retraites ouvrires, de si admirable pour qu'on la dfende ainsi? pour qu'on s'empresse de procurer son excution malgr les intresses? Elle aura, si elle est excute, le rsultat le plus funeste; elle tuera l'esprit de prvoyance et d'pargne, car elle dira en clair langage ceux qui appartiennent aux populations laborieuses : inutile de vous proccuper de l'avenir, de songer vos vieux jours; l'Etat est l qui prvoit pour vous. En mme temps qu'il prlve un peu sur vos salaires, il prlve sur vos patrons et sur vos matres qui, eux, n'ont droit rien, il prlve surtout sur les contribuables qui, eux aussi, versent sans compensation. Admirez donc cet Etat bienfaisant qui tond les autres votre profit et ne songez qu' dpenser vos gains au jour le jour, ainsi que vous le conseillait judicieusement M. le ministre Viviani. Et puis, au jour du vole, n'oubliez pas cet Etat qui vous donnera la manne quotidienne. Nous n'ignorons pas ce que disent les dfenseurs de la loi : L'pargne? La prvoyance? est-ce que les ouvriers connaissent cela? Il faut leur apprendre clo force tre prvoyants. II est bien entendu que cela se dit dans le creux de l'oreille; on n'ira pas le dire aux assujettis , on les mnage trop pour cela; on n'irait pas, devant eux, parler aussi franchement sur leur compte. La vrit est que si les ouvriers des grands centres, ceux des agglomrations ne pratiquent gure, en effet, l'conomie, et la cause en edt pour une bonne part, on peut le remarquer en passant, dans le grand nombre des institutions de secours sur lesquels ils comptent par contre l'pargne se trouve encore et fort heureusement, chez les salaris des campagnes, au moins dans une bonne proportion. Elle se Irouve surtout dans la classe des domestiques. Sur ceux-l, la loi des retraites aura le plus nfaste effet. Elle dtruira cette prcieuse vertu de prvoyance qui les distingue encore. Pourquoi prvoir et pourquoi se priver lorsqu'on doit avoir une rento de l'Etat? On rendra notre pays semblable, sous ce rapport, au pays anglais o les ouvriers gagnent plus que sur le Continent et n'pargnent pas parer que l'assistance lgale est l et qu'ils rptent la fameuse chanson : Au diable le souci! au diable le soin de l'avenir! la commune (pariait) est l pour nous aider! Et voyez comme cette loi est odieuse sous toutes ses faces! Elle ne s'est pa* contente de mettre une contribution nouvelle sur les patrons et sur les matres, puisqu'ils doivent faire un versement gal celui de leurs salaris; elle les transforme en percepteurs forcs de l'impt. Elle prtend les obliger retenir de force leurs salaris la portion de salaire que ceux-ci doivent verser pour la retraite. On veut bien nous assurer que 'ettn retenue force pratique sur le salaire de l'assujetti (c'est le nom -donn par la loi aux salaris soumis la loi; un nom qui sonne bien, n'est-rc pas? cent vingt ans aprs la Rvolution franaise) contribuera resserrer les lions entre les ouvriers et leurs patrons ou matres. Le lec4eur apprciera la valeur de l'argument. On ajoute, il est vrai (on, ce sont les admirateurs de la loi) : le lien ontre les classes ne viendra pas du prlvement sur les salaires, il viendra des caisses autonomes que nous allons enter pour l'excution de la loi, afin de ne pas avoir verser nos fonds dans les caisses de l'Etat. Des caisses autonomes? Quelle illusion! Le nom est dans la loi, c'est vrai! Mais la chose y est-elle? La loi porte ceci : art. 15. Pour l'application de la prsente loi. la gestion financire des divers organismes viss l'article prcdent (l'article 14 numre les diverses sortes de caisses aux
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quelles on veuL bien donner le nom d'autonome*] est confie la Caisse de Dpts et Consignations qui effectuera gratuitement leurs placements , Voil qui est assez clair et qui signifie trs nettement que les fonds et les titres seront dposs la Caisse des Consignations, et seront administrs par cette Caisse; ils ne seront pas la disposition de ceux, assujettis ou patrons , qui les fourniront. Mais alors o est l'autonomie? D'abord un compte spcial sera ouvert chacune de ces caisses et puis le personnel desdites caisses aura, par l'intermdiaire de ses reprsentants, le droit d'opter pour le placement do ses fonds entre diverses sortes de valeurs numrees dans la loi et encore dans une limite assez troite. Letout sous la double surveillance du ministre du travail et de celui des finances, car on craint toujours que les susdites caisses aient quelque ombre d'indpendance; on voit qu'il y a t pourvu. On assure aujourd'hui que certaines de ces caisses prtendent conserver par devers elles leurs fonds et leurs titres et pourraient compter sur le consentement administratif. Disons, si le fait est exact, sur la tolrance administrative. Seulement elle durera ce que durent les tolrances, autant que les bonnes dispositions des hommes en place; on aurait grand tort des'y fier. De plus, qui garantit le contenu de ces caisses contre la spoliation, officielle ? Le gouvernement du premier Empire a saisi la caisse des invalides de la marine en 1810, parce qu'il avait besoin d'argent. Le gouvernement du second Empire a saisi en 1853 les caisses des fonctionnaires civils (l'Etat alors ne leur donnait point de pensions), non pas qu'il en et vraiment besoin, mais parce qu'un gouvernement rsiste mal la vue d'une caisse, passablement garnie et anonyme. Remarquons ceci : un gouvernement hsitera toujours saisir le bien d'un particulier, mais il n'hsitera pas saisir une caisse qui n'appartient personne spcialement. Or, notre gouvernement n'a point montr jusqu'ici une vertu particulire suprieure celle des gouvernements prcdents, ni une horreur spciale pour prendre le bien d'aufcrui. Ce qu'ont fait les gouvernements prcdents, il peut le faire. Lors donc que ces caisses de retraites contiendront quelque chose, que ces fonds ou titres soient dans un local ou dans un autre, ce contenu sera bien aventur.
Venons maintenant un ct bien grave de la question et dont les partisans de la loi ont soin de ne jamais parler. Lisez, en effet, les articles crits par les catholiques sociaux et ils sont nombreux; coutez leurs discours, jamais vous ne les entendrez parler de la question, indispensable pourtant examiner, des voies et moyens . Les ressources destines payer les pensions doivent tre, en effet, fournies par trois sources; cotisations des salaris ou pour parler comme la; loi, des assujettis ; cotisations des patrons; subventions de l'Etat. Les assujettis doivent verser : les hommes, 9 fr. par an; les femmes, G fr; les mineurs de 18 ans, 4fr. 50. Les patrons ou matres /ont un versement gal at tout cela est capitalis au fur et mesure. Mais on conoit que lo tout fasse un petit chiffre. L'assujettiihomme, lorsqu'il a droit sa pension, c'est--dire normalement au bout de trente ans, aura subi des retenues montant en tout 270 francs. On aura capitalis cela, mais avec lo taux actuel d'intrt, le rsultat seTa faible, car la capitalisation n'opre les prodiges quelquefois cits qu'aprs longtemps. 11 aura droit alors une pension pouvant dpasser 400 francs. Et cette pension, il peut la.
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toucher vingt ans, davantage mme, et il aura, mme avec la capitalisation, fourni de quoi payer peine un an et demi de pension! Qui dune, fera la diffrence, c'est--dire qui fera les autres annes de pension? Co seront les versements des patrons et de l'Etat, ou pour parler plus justement, des contribuables. On voit combien est faible la contribution des intresss et comment la loi dont il s'agit est vraiment une loid'assistance. Elle l'est si bien que les salaris gs de 65 ans toucheront de suite 100 francs de pension sans avoir vers un centime. Ceux figs de64, de 63 ans toucheront aussi 100 fr. de pension aprs avoir vers 9 fr. et 18 fr. Les pensionns des annes suivantes auront vers quatre, cinq,, six fois 9 fr. et toucheront leurs 100 fr. annuels. C'est donc de l'assistance au premier chef, et pour parler franchement, c'est une loi de rclame lectorale. II no faut pas beaucoup d'loquence pour faire comprendre aux intresss que_lo sort qu'on leur rserve est fait surtout avec l'argent d'autrui, celui du patron et celui des contribuables. Aussi c'est merveille d'entendre les hommes des partis les plus opposs s'crier l'envi : Ouvriers! c'est nous qui avons eu l'ide de vous faire ainsi des retraites et de vous en faire surtout avec l'argent des autres. Et cela, vous pouvez l'exiger, c'est un droit pour vousl Certes, ce n'est pas une leon de dignit donne aux travailleurs et ce n'est pas ce qui contribuera relever leur mentalit atteinte. Tel est donc bien et il faut insister l-dessus . le caractre de la loi : ce sont des libralits faites annuellement une certaine catgorie de citoyens avec l'argent des autres. Pour ceux qui doivent toucher, c'est incontestablement avantageux au point de vue matriel nullement au point de vue moral. Mais qui donc s'inquite de ceux qui auront payer sans rien recevoir ? Les patrons? Ils doivent doubler le versement de leurs salaris et il n'y a personne qui ne trouve cela trs naturel. Les lois annuelles de finance augmentent leurs charges, la loi sur les accidents du travail les a fortement accrues et l'augmentation se fait de plus en plus sentir chaque .anne : qu'importe? Ne sont-ils pas tous trs leur aise? Et ce nom de patron ne veut-il pas dire : caisse toujours pleine? En effet, les grands industriels et commerants paieront facilement, mais la charge des moyens et des petits surtout sera crasante, parce que leurs gains sont alatoireset parfois infimes ou nuls. On affecte en ce moment de s'intresser au sort des artisans petits ou moyens, et voici que l'on imagine pour eux une nouvelle charge. Et les contribuables ordinaires, c'est--dire nous tous qui ne sommes pas salaris? C'est sur nous que tombera la charge et une charge que rien nelimite. La contribution des salaris est limite et modeste, on l'a vu. La contribution des chefs d'exploitation est fix aussi, celle des contribuablesest illimite. Ce sont eux et eux seuls qui vont ds le dbut payer les pensions de100 francs. Et ensuite? Ils paieront seulement 60 francs par an pour chaque pension servie, nous dit le texte. Ah I le bon billet que nous avons l! La loi entre peine en vigueur que dj on songe en augmenter la charge! La Chambre, avant de se sparer, a vot une rsolution portant que les pensions devaient tre acquises 60 ans au lieu de 65. Voil qui diminue le versement des ouvriers et accrot du mme coup celui descontribuables. Et ceci n'est que le commencement. Car il faut bien le remarquer : les socialistes qui se montrent irritscontre la loi ne s'attaquent pas du - tout son principe. Donner des retrai-
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.tes tous les salaris est leurs yeux, chose excellente; c'est, disentils, une dette de Socit, mais ils trouvent que la loi a t trop chiche. D'abord elle exige un versement de l'ouvrier, cela ne doit pas tre; l'Etat seul de payer. Ensuite les pensions sont acquises trop tard; mme 60 ans, c'est trop tard; puis les sommes promises sont trop minimes; le piaximum actuel (environ 400 francs) doit tre un minimum. On va dire que tout cela est excessif, inadmissible! Excessif, oui! Mais inadmissible, nonl Rien n'est inadmissible en ' un pays de suffrage universel. Sous un rgime dmocratique, la surenchre lectorale est toujours ouverte. On vient de le voir la Chambre. Les partisans de l'augmentation des pensions ont d'ailleurs des arguments trs logiques. Voyez, disent-ils, les pensions des fonctionnaires et mme des ouvriers de l'Etat; elles sont bien au-dessus de celles concdes par la loi de 1910; que fait-on de l'galit? Est-ce que le parlement ii'a pas oblig rcemment les Compagnies de chemin de fer augmenter les retraites de leur personnel, dj bien suprieures aux retraites promises par la loi de 1910? Aussi lorsque dans une assemble quelconque on propose d'accrotre le montant des retraites lgales, la proposition est accla.me et souvent vote l'unanimit. Parmi les assistants, les uns se disent : nous en profiterons, les autres ont le cur sensible et voteront toujours touLes les subventions qu'on proposera en faveur des pauvres ouvriers . Au milieu de ce bel engouement, il y a quelqu'un qui Ton ne pense jamais, c'est celui qui doit payer, c'est le contribuable. S'agit-il d'une dpense nouvelle, d'une augmentation de dpense? Oui, oui! Mais vienton dire : cela va coter cher, on est considr comme un homme extraordinaire, trange et pour parler le langage moderne, comme un gneur . La dpense? est-ce que cela compte? Quelle singulire ide de s'arrter cela? Il ne me souvient pas d'avoir jamais vu un catholique social s'inquiter de cette infime question. Lorsqu'elle est allgue, ou lia admirateurs de la loi ne daignent pas s'y arrter, ou bien ils rpondent majestueusement, qu'une telle considration ne doit pas entrer en ligne de compte. Serait-il permis au plus humble des contribuables d'lever ici la voix au nom de ses frres par trop mpriss? Le budget de 1911 qui vient d'tre vot s'lve 4 milliards 386 imil"lions et demi, ce qui veut dire que nous avons commenc et que nous continuerons verser cette somme, mais c'est la part du gouvernement central. Les dpartements et les communes vont lever sur nous au moins treize cents millions. Pour obtenir cette norme somme, il a fallu pressurer le contribuable de toutes les manires. Je puis citer le cas de deux enfants deux orphelins qui ayant toucher une succession de cent mille francs, leur unique avoir, ont pay 20.000 francs de droits de mutation. Si je cite ce fait, c'est que les socialistes ont dsign les successions comme devant fournir le montant des retraites ouvrires indfiniment accrues. On trouve des mes honntes qui s'irritent de telles confiscations (c'est le seul mot qui convienne), et qui, en mme temps rclament teans cesse de nouvelles dpenses, sans songer aucunement que lorsqu'on vote des dpenses, il faut ensuite voter des recettes, c'est--dire ici des impts. Que pourra bien coter cette loi nouvelle des retraites ouvrires? Ceux *qui l'ont propose l'ignorent absolument et ceux qui l'ont vote aussi. On -a donn quelques chiffres en l'air; on a inscrit au budget de 1911, 34 mil-
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lions pour un semestre. Un sait bien que: ce sera absolument insuffisant, mais on a la ressource habituelle des crdits supplmentaires. Et ensuite? Les retraites des fonctionnaires institues en 1853 devaient, disait le gouvernement d'alors, coter 2 9 millions au maximum. Elles sont portes au budget de 1911 pour 112 millions et ce sera insuffisant. La loi des retraites aux vieillards qui date de six ans, devait coter 17 millions par an, chiffre officiel. Elle en cotera 100 cette anne; avis pour les retraites ouvrires. M. Viviani qui, en sa qualit d'ancien ministre du travail, doit avoir des lumires spciales, disait la Chambre (9 juin) qu'avec les modifications imprvues, on pouvait compter sur 400 millions par an. Et nous sommes dj le peuple le plus impos proportion I Jadis une tradition venue d'un commandement de Dieu faisait que les vieillards taient entretenus dans leur famille mme loigne. D'autre part, les travailleurs mme pauvres tenaient honneur de faire quelque chose en vue de leur avenir. On a remplac cela par des lois d'obligation et par les mains tendues vers l'Etat. Il est triste de voir trop de catholiques entrer dans cette voie et y pousser, par surcrot, les ouvriers et les paysans.
HUBERT VALLEROUX.
TOUS
LES
MOYENS SONT
BONS.
Tous les moyens sont bons pour certains adversaires. A propos de notre rcent article une fausse joie des catholiques libraux , le journal Y Italie, de Rome, a l'aplomb d'crire ( 1 aot) : M. Barbier prtend que Mgr Bnigni a t directeur de la Voce
e r
dlia
Verit
et
les
trois
dernires
annes
du pontificat de Lon XIII et jusqu'en septembre 1903. Or, si nous avons bonne mmoire, Mgr Bnigni fut remerci au bout d'environ huit mois de collaboration la Voce qui tait si officieuse que le Vatican la supprima. Or, nous mettons VItalie au dfi d'apporter un dmenti aux assertions suivantes : 1. Mgr Bnigni est entr la Voce dlia Verit avec le titre dment reconnu de rdacteur, en "1900, et il y resta sans interruption jusqu'au mois de septembre 1903. 2. Durant cette dernire anne, il fut, de titre et de fait, directeur de c e journal. 3. Il en sortit par une dmission volontaire, qu'il maintint malgr les instances faites pour l'en dissuader. 4. Pendant ces trois annes, la Voce dlia Verit publique, l'organe trs officieux du Vatican. fut, de notorit
5. La Voce dlia Verit fut supprime dix mois aprs la sortie de Mgr Bnigni, exactement en aot 1904. Comment Y Italie, journal qui se rdige Rome, peut-elle ignorer ces choses; et comment, ne les ignorant pas, peut-elle excuser Isa bonne foi?
Critique du libralisme. I
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Septembre.
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POUR
LES JEUNES
FILLES
CATHOLIQUES
Cotte revue a d s'occuper rcemment des Annales politiques et littraires (15 juillet 1911). Je ne les ai jamais suivies. Mais voici que, pendant une villgiature de vacances, j'en aperois par hasard un numro isol, oubli sur le coin d'un piano. En le parcourant, je trouve, dans la partie littraire, u n fragment d'une pice de vers intitule : La dernire nuit . Elle chante Alfred de Musset et avait t compose pour tre dite l'inauguration de son buste sur le Cours-larReine, Paris. L'auteur est M. Maurice Magre, dont le nom a t prononc ici propos de sa tragdie L'An mille, reprsente Toulouse. Voici le fragment que les Annales donnent leur jeune clientle : J'avais fait de ma vie un grand hymne d'amour. Je rvais de baisers et .d'treintes splendides. Aux voix qui n'taient pas des aveux, j'tais sourd. Mais j'entends tout, ce soir, couch dans mon lit vide, Et celles qui disaient devoir m'aimer toujours M'ont fait avec leurs bras, comme un berceau livide. O spectres de l'amour, ma chambre est sans lumire Et je peux clairement vous voir et vous compter. Quoi ! J'ai vers mes pleurs, mon sang, pour enfanter Ce peuple plissant de formes passagres. Je n'ai, pour hritage et pour part de beaut, Que mille souvenirs o je suis solitaire... Non, non, ne maudis pas celles qui t'ont aim Mme si tu les vois tristes, froides et vieilles, Car elles ont pour nous leur souffle parfum El leur sang frais et chaud court sous leur peau vermeille. Elles ont rajeuni quand leur nom fut nomm Dans le ple matin qui suit ta nuit de veille. Elles vivent toujours dans le cur des amants. Ta main, en les frlant, fit leur robe immortelle. Et pour avoir aim leur visage charmant, Pour la douceur des soirs que tu vcus prs d'elles, Tu fais les doigts fivreux s'unir plus tendrement, L'paule s'incliner vers l'paule fidle. O Juvnille lan d'un cur jamais combl. Ardeur de savourer le baiser impossible, Tu ne priras pas, gnie irrsistible, Subtil comme l'ther, nombreux comme le bl. Tu vis en nous, dsir toujours renouvel, Pouvoir de se donner qu'ont les tres sensibles... Je dois dire que ce numro, datant du 10 juillet 1910, n'a .pas pass sous les yeux de M. l'abb Lestre qui a examin seulement ceux de l'anne 1911, et qu'on ne saurait, en consquence, lui imputer directement de trouver cela inoffensif, mme pour les jeunes filles les plus chrtiennes. Mais, toute question de neutralit religieuse part.
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voil qui donne une lasticit remarquable au programme de YTJniver* site des Annales, invitant les jeunes filles y goter en pleine confiance les belles leons littraires et morales qu'on y donne, certaines de n'tre jamais blesses dans leurs convictions ni dans leur jeunesse et ajoutant qu'elles y viennent cultiver leur espiit et leur cceur. Dans ce mme numro, aprs cette posie vient le compte rendu, allchant de deux romans qui suffit pour deviner le profit que les jeunes filles catholiques trouveront les lire. La Foi. de Palacio Valds, est un grand roman : on y trouve une peinture de milieu, une tude psychologique de la plus haute crise morale, l'angoisse religieuse, et un drame de passion mystique. Si le mlange de ces lments divers ne prsente pas toujours l'harmonie laquelle nous sommes habitus en France, l'ensemble n'en est pas moins architectural et puissant et chacune de ces tudes est, par elle-mme, attachante et forte. Cette uvre, la meilleure de son auteur, peut aussi passer pour une des plus intressantes de ce roman espagnol dont nous voulons prcisment signaler la brillante renaissance. La dvotion, en Espagne, conserve un caractre qu'.elle ne semble plus avoir nulle part ailleurs, au mme degr du moins. Elle constitue, principalement dans les petites villes, un groupe social trs particulier, tout fait part, quasi professionnel, un monde ferm, avec ses grandes dames pnitentes, ses prtres directeurs, ses prlats, ses salons, ses jolies mystiques. C'est cette peinture du milieu dvot, Penacosca, que Palacio Valds a faite avec matrise et pittoresque. Il en a fait la douce ambiance, l'aimable et troublante atmosphre de cette double priptie morale : le doute du pre Gril, l'amour d'Obdulia. Le pre Gil a surtout tudi dans des livres et il s'est toujours signal dans ses tudes par son intelligence. Il croit cette intelligence absolument sre d'elle-mme et que sa foi peut tre fonde en raison. Il est prt discuter pour dfendre sa croyance. Mais, obissant son ardent dsir de proslytisme et son imprieux besoin d'assurer le salut des autres, il fait la connaissance d'un incrdule ardent et averti. Cet ami malheureux et farouche lui fait lire d'autres livres, les travaux des historiens sur Jsus, ceux des astronomes sur le ciel. Une autre conception du monde lui apparat et le trouble. Il entrevoit que la foi, pour tre solide, ne doit point se commettre raisonner, ne se dmontre pas; elle vient du cur, non de Vesprit. Dans le mme temps, la passion qui s'gare d'Obdulia, sa jolie et frntique pnitente, lui rvle les dangers et les piges de la chair. Mais, contre tant de menaces, l'me du pre Gil tient bon. Sa candeur et son innocence devant les manuvres d'Obdulia l'ont mme mis en un assez mauvais cas qui fait planer sur lui les plus abominables soupons, et l'amoureuse conduitc, pour se venger, n'hsite pas accuser le prtre et le faire passer en justice. Des spcialistes trouvent en lui des signes manifestes et naturels de criminalit. Le tribunal des hommes le condamne quatorze ans, huit mois et un jour de rclusion. Mais, cette condamnation, c'est la dlivrance, et, cette cellule, le salut : Le ciel riait. Plus joyeusement que le ciel, riait son me, inonde d'une jouissance enivrante. Dans le fond de son tre aussi brillait un azur infini. Depuis que la Grce l'avait visit, il vivait dans une fte perptuelle. iSes yeux, illumins soudain, contemplaient l'univers dans sa nature idale. Tons
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les voiles tendus par la raison taient tombs terre : le grand secret de l'existence se rvlait lui avec une clart et une puret admirables . Ds les premires pages, on comprend l'extrme plaisir qu'un crivain tel que M. Rmy de Gourmond a pu goter la traduction, dans sa belle langue, de la Gloire de Don Ramire. Ce livre d'Enrique Larrta est, en effet, une vocation d'art d'un trs grand mrite : elle est somptueuse et riche, varie, mouvante, troublante, d'une forme trs belle, et qui fait pense' nos uvres les plus clbres du mme genre, presqu' Flaubert. C'est au temps violent de Philippe IL Don Ramire porte dans son eang toute la frnsie trouble de l'poque. 11 est fils d'une chrtienne et d'une Maure. Il aspire pareillement la volupt et au sacrifice, et les fluctuations de sa jeunesse passionne, du dsir farouche la foi fanatique, sont le thme clatant du livre. C'est en se dvouant la cause sacre, pour remplir une mission qu'il croit divine, qu'il se lia d'une ardeur trop humaine avec Assa la Mauresque. Ue rcit de cette aventure avec l'exquise et mystrieuse jeune fille est parmi les plus plastiques que je connaisse. Puis l'ayant abandonne et mme trahie comme rengate devant l'Inquisition, il assiste, lorsqu'elle est brle vive, sa mort hroque et muette : admirable tableau que cet autodaf... Sans doute est-il difficile de juger en lui-mme le livre d'Enrique Larrta : il faut le prendre comme nous, l'a donn le traducteur. Pour une fois, il est fort possible que le traducteur ait embelli. Rmy de Gourmont est un des plus purs crivains de cette poque, et, s'il n'est pas connu de tous, il est apprci des meilleurs : il connat la langue comme Anatole France. Il est aussi un artiste qui, visiblement, s'est pri du caractre esthtique de l'uvre laquelle il a prt la parure de son esprit et de son got. La Gloire de Don Ramire est un roman espagnol : c'est surtout un trs beau livre de Rmy de Gourmont. Pour un seul numro, ce n'est pas mal.
ERRATA
Dans le numro du 15 aot 1911 : Passim : au lieu de Mgr Fruhwirtz, lire : Mgr Frhvirth. Page 643 : au lieu de Munchener Newerten, lire : Munchener Naschrichten. Page 647 (20 ligne) : a n lieu du cardinal Kopp, lire : le cardinal Fischer. Page 648 (note) : au lieu de : Corriera dlia Sierra, lire : dlia Sera.
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Le Grant : G . STOFFEL
IMPRIM PAR DESLR, DE BROUWER ET C' , RUE DU METZ, 41. LILLE.
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Messieurs, Je respecte absolument dans tout c e crue j'cris les prtentions dynastiques que vous dfendez. Elles sont trangres mes proccupations d'crivain cantonn dans la dfense de la vrit religieuse. Mais je crois tre e n droit de vous reprsenter que le publiciste auquel vous avez confi principalement le soin de soutenir votre cause ne l'honore pas. J'ajouterai qu'il la compromet. Confiant dans votre sens de ce qui est honnte et dans votre sens catholique, j'espre vous amener constater que c'est fcheux pour elle. En refusant de me prter une polmique avec < La Monarchie franc aise dans La Critique du Libralisme , mme avant de savodr que le provocateur cach sous tm pseudonyme tait M. Bernart, je n'ai pas entendu laisser celui-ci le droit d'injures et de diffamation. Quoique M. Bernart n'ait commenc signer ses articles, qu'aprs avoir t dmasqu comme leur auteur, j'avais compris, ds sa premire attaque, l'impossibilit de la discussion avec un homme chez qui la passion, tournant la frnsie, obscurcit le sens moral et tient lieu de raisonnement, et je pressentis les dispositions malignes dont ce prambule tait l'indice : Nul, assurment, plus que nous, ne professe l'gard de l'infatigable crivain qui, peu prs lui tout seul, suffit depuis deux ans la tche de sa revue La Critique du Libralisme , les sentiments d'estime, voire d'admiration, qui conviennent (n 2, p. 105). Cependant je ne souponnais pas, je dois l'avouer, quelle mesure ces sentiments devaient tre rduits peu aprs, ni que je puisse tre un homme aussi suspect, aussi coupable comme crivain catholique, aux yeux de votre secrtaire gnral du Comit . de l'Enqute, qui, ce titre, s'tait rcemment adress L moi pour me demander, comme un matre en la matire, sur le sujet du Sillon, une collaboration que je lui refusai. Il est vrai que, lui-mme, alors, ne s'tait pas encore avis que j'avais poursuivi M. Sangnier et son Ecole bien plus par passion politique que par zle de l'orthodoxie (n 4, p. 229). Mais j'ai hte d'ajouter que je ne suis pas seul en cause et; surtout;
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que le sujet dpasse la porte d'une question de personnes, d'intrt souvent fort mdiocre. n'en considrer que l'auteur et l a valeur, les attaques de M. Bernart, malgr leur virulence et leur acharnement, ne mriteraient pas d'autre rponse que le silence du mpris. Vous comprendrez mme, j'en suis sr, aprs m'avoir lu, crue, pour en parler, il me faut surmonter un profond dgot. Mais il crit e n votre nom. Plusieurs mme d'entre vous se sont publiquement rendus solidaires de ces attaques, e n le portant, leur occasion, l'ordre du jour du parti de Dieu et du Roi (1) (n 6, p. 359). Emporte par l'animosit (qui inspire son principal rdacteur l'gard de tous ceux qui refusent de s'associer ses aveugles rancunes contre l'Action franaise, votre revue en vient, sons sa plume et sous votre nom (2), ne reculer devant aucun moyen pour dconsidrer, comme dfenseurs d e la cause catholique des hommes qui la servent avec plus d'honneur que lui et qui ont tjoujours compt parmi les plus fidles soutiens de l'orthodoxie, tandis qu'elle marque ses sympathies pour les fauteurs du dmocratisme chrtien et pour des libraux avrs.
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Voil qui vous entrane loin du but politique qui est le vtre et qui cadre trangement avec les principes catholiques dont vous vous constituez les plus fermes dfenseurs. Aussi ne puis-je m e persuader que c e soit conforme votre premier dessein. * La distribution de la La Monarchie franaise que vous-mme vous vantez de faire largement, par tout l e clerg (no 4, p. 243), peut donc garer l'opinion de nombreux catholiques, peu au courant de ces discussions et auxquels votre drapeau apparat naturellement comme un symbole de radicale raction contre le dmocratisme politiefue et religieux. C'est cela surtout qui rend les prsentes observations indispensables. Celui qui prend la libert de vous les soumettre n'est pas, il Ta dit, seul en cause, sans cela il et peut-tre gard le silence mais la part excessive qui lui est faite dans v o s polmiques le qualifierait, s'il e n tait besoin, pour parler. Et afin d'tablir ce point, je me permettrai d'abord de rectifier, en ce qui me concerne, l'index d e s 1. Il est vrai qu'on ne trouve pas, parmi les vingt-quatre signatures de cet lat-major, celle du Comte de Maill, reprsentant officiel du Chef fie la Maison de France , dont le numro 2 contenait une lettre. En revanche, j'y vois figurer celle de M. l'abb Raux, qui est un sminariste. Je me plais croire que les autres reprsentants du parti sont personnages de plus grand poids. 2. M. Bernart crit tantt sous un pseudonyme, tantt sous son propre nom, tantt en celui du Comit de Rdaction, ou des Treize ou des Seize. Bien mieux, il remercie le comit de Rdaction de le dcharger du soin de rpondr-5 mes attaques , (n. 4, page 213), et cette rponse en vingt-deux pages pleines d'injures, signe : Le Comit de Rdaction, (pages 221 243) est de sa main lui, Bernart. Pouah 1
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noms cits la fin du* tome I . Est-ce un tardif sentiment de pudeur qui Ta fait donner aussi incomplet? On et mieux plac ce sentiment ne pas glisser une intention mchante jusqu'en cet endroit. Index de " La Monarchie franaise " Barbier (abb Emmanuel, ex-R.P.) 8 9 , 1 0 5 , 114, 116,213, 303,304,314, 356, 365. Index rdifi
89, 105, 114, 115, 118, 156, 158, 213,217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228. 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 245, 253, 273, 276, 303, 304, 356, 358, 365, 366, 367, 368.
Quarante-sept mentions, au lieu de dix, et souvent plusieurs dans la mme page. Pour faciliter la tche du rdacteur quand il dressera la table du tome II, je note ici dans les premiers numros les pages) 12, 13, 51, 92, 93, 101, 120, 161, 170, 203, 222, 227, 281, 282. C'tait se donner beaucoup de peine contre un homme qui avait annonc ds le commencement sa rsolution de ne plus rpliquer.
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Mme ici, n'attendez pas que je rentre en discussion avec M. Bernart. Je me bornerai 'justifier ce que j'crivais en commenant Je ne suivrai pas votre porte-parole sur le terrain des personnalits, encore moins des diffamations calomnieuses qui, retranches de son uvre, e n supprimeraient tant de pages et laisseraient apparatre toute nue la difformit du reste. La diffamation et la calomnie sont armes de malandrin de la plume. Celui qu'elles tuent le plus sftre- ' ment est l'crivain qui, se posant en dfenseur de Ja cause catholique, cherche l sa force dans une discussion religieuse. Les personnalits, moyen gure plus loyal, n'apportent rien de valable pour la dfense d'une conviction ou d'un systme. Je ne rechercherai pas quel genre de militant catholique fut antrieurement M. Bernart, e n Belgique, lorsqu'il rdigeait cette feuille dont le titre seul : Par le scandale , dit assez le caractre. C'est pourtant l qu'on trouverait le secret de la mthode qu'il applique dans La Monarchie franaise . Mais je puis bien demander quelle valeur peuvent donner la sincrit de ses philippiques contre VAction franaise les troits rapports qu'il eut avec elle. Il la servait hier aussi ardemment qu'il la combat aujourd'hui (1). Cela peut tre dans .la logique des passions, mais autre est celle des convictions enracines. Dira-t-on que M. 1. Entr au journal L'Action Franaise en aot 1908, il en fut vinc la fin de mars 1909.
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Bernart, qui n'est pas prcisment u n naf, et qui n'est plus un jeune, s'tait vou l'cole de M. Maurras sans la connatre? Voil donc le protagoniste actuel des Blancs d'Espagne convaincu d'tre lui-mme, hier encore, vendu l'orlanisme. Et s'il est vrai, comme il l'affirmait encore rcemment que l'esprit du journal l'Action franaise , pour le compte duquel' il travaillait avec tant de zle, est demeur le mme que celui de l'Action franaise revue , avant l'adhsion de nombreux catholiques au mouvement politique et social que sert ce journal, si la revue ancien style d'il y a huit ou dix a n s et le journal sont anims d'un mme esprit (n 4, p. 237), le voil donc galement convaincu, qui pis est, de s'tre trouv, hier encore, tout le premier, par une collaboration directe et trs active, le fougueux propagateur du no-monarchisme athe qu'il anathmatise aujourd'hui si violemment! C'est seulement ce qu'il crit dans La Monarchie franaise dont je veux m'occuper et sur quoi je m'appuie pour dire qu'il n'honore pas votre cause, qu'il l a compromet et que c'est fcheux pour elle.
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N'estimez-vous pas, tout d'abord, qu'il y a une tenue morale dont le publiciste catholique, comme tout homme, moins mme que tout autre s'il s'offre comme dirigeant, ne saurait s'affranchir dans les rapports professionnels et sociaux? L'crivain qui entre dans un journal, qui e n vit, qui est trait avec confiance par son directeur et se trouve peu peu initi aux affaires de la maison, peut-il^ s'il n'oublie pas le respect de sa profession et de lui-mme, critiquer publiquement son directeur et attaquer ses confrres par le moyen d'une autre feuille et e n usant d'un pseudonyme, et cela sans cesser d'tre leur collaborateur? Et, s'il quitte ce journal, peut-il honorablement, en mettant bas le masque, jeter dans le public les secrets de la cuisine dont il s'est nourri et qu'il demandait ne point quitter? Ne parlons plus des rapports de M. Bernart avec Y Action franaise. Mais le voil qui, tandis qu'il appartient la rdaction de l'Univers, morigne dans La Monarchie franaise , sous un pseudonyme, e n signant pour le Comit de Rdaction, son directeur, M. F. Veuillot, sur le peu de zle que met son journal appuyer cette revue naissante et dnonce un de ses confrres comme vendu l'orlanisme (n 2, pages 87 90). M. F. Veuillot, connaissant l'auteur de cette insolence, ne l'a pas mis dehors. Chacun est libre d'entendre sa dignit comme il lui convient. Mais cela ne change rien au fond des choses. En aot 1911, M. Bernart, sorti de YUnivers pour l a seconde fois, se met aussitt dmonter sa faon toutes les pices de la maison qu'il quitte, traite son directeur de mannequin, jette dans le public ce qu'il sait de l'tat financier, et se rpand en dnigrements aussi absur-
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des qu'injurieux, en basses personnalits envers presque tous ses conirres d'hier (n 11, pages 342 352). Je ne sais comment vous apprciez, Messieurs, cette manire de se comporter; mais je suis certain de ne pas me tromper en vous affirmant qu'aux yeux de beaucoup de gens, quel que soit l'intrt en cause, elle dnote un manque de moralit et fait peu d'honneur ceux qui trouvent bon d'tre servis par de tels moyens.
Allons maintenant au- fond de la question et commenons par clarcir brivement l'unique point srieux du dbat. Il y a, e n c e qui nous occupe, deux formes de positivisme : un positivisme religieux et un positivisme politique. Partis de principes trs distincts, sous l'apparence d'une mthode unique qui se pique d'tre strictement exprimentale, et appliqus dans des brdred diffrents, l'un spculatif, l'autre pratique, ils- aboutissent, chacun dans leur ordre, des conclusions qui paratraient contradictoires s i elles se droulaient dans le mme plan; L'un et l'autre se rclament galement du nom de positivisme, comme caractristique de cette mthode. Mais la possession, que l'usage a consacre, e n appartient proprement au- premier. C'est plutt par analogie que l'autre, en la forme dont il s'agit, entre en partage, encore qu'il applique beaucoup plus exactement cette mthode et quoiqu'il ait e u galement Aug. Comte pour matre. Il est seulement regrettable pour lui qu'il ait montr un souci excessif et imprudent de se faire donner un nom mal port. Mais iainsi le voulait son origine, car les initiateurs du positivisme politique d'Action franaise taient d'abord et demeurent malheureusement positivistes en religion. Le positivisme religieux subordonne la mthode exprimentale un systme de philosophie qui en infirme a priori les. conclusions d'ordre suprieur et condamne l'esprit humain un complet aveuglement e n prsence des faits suprasensibles, du surnaturel et de Dieu. , ; Il aboutit, non pas une profession positive d'athisme, c'est-dire une ngation formelle do Dieu et de la religion, mais, s'il est permis do dire, un athisme ngatif, plus exactement, l'agnosticisme. Le fondateur du positivisme, A. Comte, eut l'aberration de croire que le catholicisme tait destin disparatre et serait remplac par une religion nouvelle, celle de l'Humanit. Cependant 11 pressait ceux qui croient en Dieu de se rallier au catholicisme et appelait les autres lui. Sans* aucun doute, l'agnosticisme est implicitement et pratiquement, au regard de la foi, l'athisme. Mais, dans le langage franais, le mot athe s'entend couramment pour dsigner celui qui nie .Dieu formellement et est ennemi de la religion. Les adversaires de Maurras le savent bien. Et c'est pourquoi, en le qua1
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lifiant d'athe avec "an acharnement qui n'a rien de chrtien, "Vu les motifs qui les font agir, ils commettent intentionnellement une injustice et une diffamation. Dans le positivisme politico-social, la mthode exprimentale est adquate son objet tel qu'il la dlimite, car l'tude de l'organisation sociale exige par la condition particulire d'une nation est proprement matire d'exprience. La mtaphysique n'y intervient pas. Ainsi, le positiviste en religion lui-mme, s'il a la courageuse sincrit de n e pas opposer sa philosopfhie c o m m e une infranchissable barrire et une fin de non-recevoir aux conclusions que l'exprience lui dmontre, pourra arriver reconnatre la .ncessit sociale de l'Eglise, de ses droits et de sa libert, quoique son intelligence ne s'incline pas devant la divinit de son institution et de sa mission. Tel est le cas du chef d'cole de Y Action franaise et de quelques-uns de >ses amis. Ils arrivent par une exprience laborieuse et fort mritoire confesser ce que le catholique tient d'abord par la foi. Ils ne reconnaissent pas lo fondement divin du grand fait qu'ils proclament, mais ilsi en affirment l'objectivit relle (1). Ils n'atteignent pas la possession de la vrit encore qu'ils soient sensiblement en marche vers elle mais leur effort concorde avec ses droits. Ds lors, qui peut empcher les catholiques qui partagent leur doctrine politique et sociale de s'associer avec e u x ? N e sont-ils pas libres d'adhrer aux conclusions de ce positivisme politique par des motifs de foi auxquels le positivisme philosophique ne peut s'lever? Maurras leur demande-t-il' de n'admettre Dieu et l'Eglise qu' titre de rouage social? Les positivistes religieux de Y Action franaise reconnaissent en fait l'Eglise l'indpendance et la libert que les catholiques considrent avant tout comme un droit. N'y a-t-il pas l matire un accord licite sur le terrain de l'action politico^-sociale? On citerait vingt passages de Y Action franaise tels que ces lignes de Charles Maurras : Le problme n'est soluble que par l'autonomie complte du catholicisme. En dehors de cette solution en effet, l'on se heurte l'a guerre l'Eglise, et les membres de VAction franaise qui n'ont pas la foi catholique sont les premiers reconnatre qu'on ne peut rien entreprendre contre l'glise quine se retourne aussitt contre la nation, et gnralement contre la socit^ plus gnralement contre h genre humain. 1. La faiblesse et le vice de cette mthode, en tant qu'elle s'arrte la constatation du fait politique et social, est son impuissance tablir la socit sur une base indispensable qui est la dpendance envers Dieu, avec les obligations religieuses qui ten dcoulent. Ses conclusions demeurent muettes sur ce point capital. L'Etat demeurera-t-il sans Dieu, quoiqu'il respecte l'entire indpendance de l'Eglise? Ce serait l'oeuvre d'une saine philosophie de les complter. Mais ne doit-on pas admirer la loyaut et le courage de ces hommes qui font assez sincrement abstraction de la leur dans le champ de l'exprience politique pour ne pas se drober des consquences qui la dconcertent, et pour rclamer ouvertement en faveur de l'Eglise, eux incroyants, la complte autonomie que tant de catholiques rougissent de soutenir?
M. BERNAERT ET
< LA.
MONARCHIE FRANAIS! .
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Etrange contradiction! Depuis vingt annes, avec le consentement et souvent avec l'appui ouvert des reprsentants de l'Eglise, on a fait aux catholiques un imprieux devoir, au nom des ncessits sociales, de s'unir tous les partisans sincres de l'ordre et de la libert , quelles que fussent leurs convictions personnelles, religieuses et philosophiques, aussi bien que politiques. Et avec qui, pratiquement, cet accord? Avec des partisans dclars du lacisme d'Etat, avec les Rouvicr, les Spuller, les Charles Dupuy, les Ribot, les Mlinc, en un mot avec les soutiens de l'Etat athe . Ceux-ci posaient nettement, insolemment, comme condition pralable, l'acceptation par les catholiques des lois sclrates de scularisation. On ne trouvait pas que ce ft l un obstacle un accord politico-social de mme genre et mme une entente sur la condition de l'Eglise. Et aujourd'hui que surgit un parti social assurant aux catholiques la plnitude (de leurs droits, on leur fait un cas de conscience de marcher avec lui, parce qu'un petit groupe de ses membres, ses chefs, si l'on veut, ont personnellement une philosophie a-religieuseI Contradiction e n apparence inexplicable, car ce sont ceux-l mme dont l'intervention fut la plus pressante, la plus bruyante, en faveur du premier accord, qui condamnent plus hautement l'autre, toujours au nom des intrts catholiques : tous les rallis, les dmocrates, les libraux. Est-ce que l'accord qui tait obligatoire selon eux en faveur de la dmocratie et de la Rpublique deviendrait illicite avec un systme d'autorit et avec l'opinion monarchique? Oui, tout est l. M. J. Hugues, a excellemment dmontr, dans le prcdent numro de cette revue, que l e prtexte religieux ici invoqu par e u x n'est qu'un masque pour cacher le dpit et le dsarroi o les jette une rconciliation sociale qui s'opre en dehors de la dmocratie librale, au-dessus d'elle, contre elle, alors qu'ils croyaient avoir fait de celle-ci la base indispensable de cette rconciliation. L'intrt religieux une fois mis hors de cause, il reste une question politique que chacun est libre d'apprcier. Pour nous, qui nous sommes' toujours dfendu d'y entrer, nous n'avons pu voir sans une lgitime indignation qu'une cole aussi suspecte, aussi coupable de compromissions dont il n'y a plus trace dans le cas prsent, ost fltrir, au nom de la foi, les catholiques qui constituent aujourd'hui la trs grande majorit de Y Action franaise; qu'elle leur refust sous ce faux prtexte le droit, aujourd'hui indiscutable, de s'associer sa campagne politico-sociale et monarchique, et qu'elle travestt avec une incroyable audace les intentions de ses chefs e n recourant une odieuse manipulation de leurs crits, au point de formuler en thse des calomnies qui outragent le bon sens autant que la vrit. M. l'abb Pierre, par exemple, n'a-t-il pas -crit
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tout un livre pour dmontrer que les chefs de Y Action franaise l'ont fonde dans le but dtermin de ruiner la religion dans les mes, et qu'ils n'ont chang ni d'ides ni de programme ? (Voir La Critique du Libralisme , 15 dcembre 1911, pages 371 et ss.). Nous avons donc considr comme u n devoir de justice et comme un devoir -envers la cause nationale et religieuse de dfendre en faveur des catholiques une libert dont l'usage lui est si clairement favorable, lia se borne notre rle, mais nous le soutiendrons.
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Quelle e s t l'attitude de La Monarchie franaise et consquences l'entrane la direction de M. Bernart? Son systme est trs simple. L'excuse qui pourra. quelles
1. Tout d'abord, bien entendu, les catholiques n e sauraient faire partie de YAction franaise sans trahir leur religion. On a bien le droit de noter que, pour que les faits fussent tels (le fait de l'accord pratique entre croyants et incroyants), il avait failli de fe part des catholiques inscrits au groupe Un effort d'lasticit que la foi, prise au srieux et traite en conviction, ne parat gure comporter (nv 1, pages 16, 17). 2. Les crivains religieux, lacs ou prtres, mme coupables seulement, comme nous et d'autres, de dfendre la libert de ces catholiques et d'encourager ce positivisme politico-social, sont convaincus par le fait mme de patronner le positivisme philosophique et religieux et de s'en avouer complices, alors qu'ils n'ont pas manqu une occasion de le rprouver publiquement chaque fois qu'ils ont parl de Y Action franaise et crue les chefs de celle-ci, eux-mmes, savent faire si clairement pour leur propre compte le dpart entre l'un et l'autre (1). 1. Ds son second numro, la Monarchie Franaise entreprenait cette campagne, dont le premier pisode n'est pas le moins suggestif. (Voir la Critique du Libralisme, 15 avril 1911, pages 71 et suiv.). Trois mois avant la naissance de cette revue, j'avais crit cette phrase nonant un fait indiscutable : Le journal L'Action Franaise est, de tous les journaux religieux, peut-tre, celui qui donne, sur les sujets intressant la dfense de l'Eglise, la note la plus exacte, la plus courageuse, la plus en harmonie avec la pense du Saint-Sige . M. Bernart s'en empare, et, retroussant ees manches, dclare ne pas demander mieux que de s'expliquer avec moi , comme si je m'tais adress . la Monarchie Franaise , qui n'tait pas ne, (n<> 2, pages 105 et suiv.). A ce que j'ai dit du journal, fond depuis quatre ans, il oppose des textes vieux de dix, emprunts la revue ou d'autres crits; puis, substituant, grce ce stratagme, le positivisme religieux la doctrine politique de l'Action Franaise, sous la dnomination unique du nationalisme intgral et les confondant dessein; substituant, d'autre part, les enseignements doctrinaux du Saint-Sige contre l'athisme ce que je disais de l'appui donn ses directions pratiques contre les agissements modernistes et libraux, il m'accuse de soutenir une conformit entre le positivisme religieux de Maurras ou d'autres et ces enseignements. Et M. Bernart, aprs cela, me dfiait de dire en quoi je pouvais avoir,
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3. Ce n'est pas tout. Ces crivains et les priodiques qu'ils dirigent ou- les organisations catholiques dont ils s'occupent, ont beau se tenir en dehors de la politique et ne considrer que l'intrt religieux, sans se prononcer sur rien au premier de ces points de vue, sans se proccuper d'aucune comptition dynastique, ni mme d'un intrt monarchique, le seul fait de ne pas partager la violente animosit de M. Bernart contre Y Action franaise lui suffit pour Jes dclarer vendus l'olanisme, et pour dnoncer leur zle contre le modernisme et le libralisme comimie servant de masque u n compromis, pourquoi ne dit-il pas 'un complot? politique. Or, ces crivains, ces organes, qui sont-ils? Incontestablement les dfenseurs les plus courageux de l a doctrine catholique contre les erreurs modernistes et librales, les soutiens les plus francs des recommandations pontificales* et, dans tous les cas, ils sont d'une fidlit religieuse peut-tre rare. Et que deviennent-ils pour les lecteurs de La Monarchie franaise? Avant de le dire, permettez-moi de mettre sous vos yeux un article dm journal 1' Action franaise antrieur de quinze mois la fondation de votre revue (15 septembre 1909) et qui n'a donc point t en lui rpondant, une raison de l'appeler un mule des abbs Lugan et Pierre l Il avait, dbut en crivant : ' Reste examiner si l'on peut vraiment dire qu'elle (L'Action Franaise), par sa politique, a su mriter l'loge d'tre la plus en harmonie avec la "pense du Saint-Sige . On vient de voir comment il posait la question. (En transcrivant sa proposition, j'avais crit Il s'agit 'de au lieu |de i Reste . C'est l ce que M. Bemart affecte d'appeler un truquage , une falsification suffisante pour me disqualifier ; parce qu'il venait de faire, en commenant, allusion une lettre du chanoine Brettes dont il tire avantage, mais o je ne suis nullement en cause, comme si ce n'tait pas seulement l'article o M. Bernart me prend partie en quatorze pages que j'avais rpondre; comme si l'avis de M. Brettes devait ncessairement avoir pour moi l'autorit et la valeur qu'il plat M. Bernart de lui attribuer et comme si j'tais oblig de rpondre tout ce que La Monarchie Franaise peut avoir la fantaisie d'imprimer I Je faisais observer M. Bernart que je parlais du journal de L'Action Franaise, fond depuis que celle-ci a pris corps de parti politique et reu l'adhsion de nombreux catholiques, et qu'il n'avait pu citer rencontre de mon assertion et l'appui des siennes aucun texte tir de lui. Tout le monde sait d'ailleurs que TVaurras et ses amis s'abstiennent scrupuleustement aujourd'hui d'mettre o que ce soit leurs erreurs religieuses et dclarent qu'ils n'criraient pas aujourd'hui ce qu'ils ont dit il y a dix ans. M. Bernart s'en .tire par cette pirouette : cela n'a pas d'importance, car l'esprit de l'Action Franaise journal est demeur le mme que celui de l'Action Franaise revue , ils sont anims d'un mme esprit . Alors, il aurait d lui tre facile de le montrer, au lieu de divaguer. Tout cela agrment des insultes que l'on verra. Je n'avais qu' fermer ma porte des discussions de ce genre, et, depuis, ne l'ai pas mme entrebille. Voil comment j'ai attaqu La Monarchie Franaise. Cela ne l'a pas empche, pour donner une apparence de motif ses poursuites forcenes, de parler continuellement de mes agressions.
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inspir par les besoins de la discussion actuelle. Il contient lin passage bien suggestif sur l e s dispositions o tait dj votre protagoniste h Tgard de c e s organes et de ces crivains dvous (aux directions de S. S . Pie X, et vous aidera peut-tre comprendre que leur prtendue faveur pour le no-monarchisme athe n'est qu'un faux prtexte perfidement et honteusement exploit, peut-tre au profit d'autres que vous. L'Action franaise explique comment M. Bernart est entr chez elle et en est sorti. M. Edouard Bernart nous arriva de VUnivers. C'tait sa grande recommandation auprs de nous. C'tait la raison de la confiance que nous lui tmoignmes. Quelques-uns d'entre nous avaient t, plusieurs reprises, inquits par ses allures ou la libert de ses propos touchant certains hauts dignitaires ecclsiastiques, dont il s e rclamait (pourtant. Nous ne le connaissions pas. Ceux qui prtendaient le connatre lui attribuaient de singuliers avatars : ancien novice dominicain, ancien chanteur de caf-concert, condamn de conseil de guerre, etc. Il nous venait de VUnivers; le seul moment o notre confiance hsita fut celui o l'on nous dit qu'il avait t congdi par notre confrre. Rintgr par celui-ci, il retrouva chez nous son ancien crdit. ^ A un mommi donn, on constata chez M. Bernart une volont arrte de diriger VAction franaise (qui, en matire de politique religieuse, ne connat que la hirarchie ecclsiastique) dans une voie de rsistance aux indications certaines que nous recevions de nos correspondants romains. Voyant ainsi diminuer l'importance qu'il s'attribuait, il montra un jour une telle insolence que le lieutenant de Boisfleury, membri? des Comits directeurs de VAction franaise, dut l e prier de sortir. 'Depuis, M. Bernart mne contre nous, dans VUnivers, une campagne qui nous a dfinitivement clairs. Revenons vos lecteurs. Que pienseront-ils 'de Mgr Benigni et de La Correspondance d e Roane , le plus redoutable adversaire du modernisme religieux, social et littraire, et du libralisme politique? Mgr Benigni, membre de la Secrtairerie d'Etat, est un prlat romain vendu au no-monarchisme athe (n 11, page 352). C'est sous la conduite vidente de La Correspondance de Rome que les feuilles religieuses ont organis et maintenu la conspiration du silence (contre La Monarchie franaise ), (n 8, page 32, note). La Correspondance de Rome a francis son nom comme pour mieux marquer son parti pris de ne s'occuper que des affaires de France (n 11, page 345). Mais de mme que, catholique, Louis Veuillot n'et pas souffert de la part d'un prlat romain, ni officiel ni officieux, l'insupportable prtention die morigner nos pasteurs; de mme il n'aurait pas, Franais, support un seul jour l'ingrence dans n o s affaires, sous quelque
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couleur que ce ft, d'un, politicien tranger (n 11, page 348). C'est le langage des feuilles modernistes et librales, d'accord sur ce sujet avec Le Matin, Le Temps et Les Dbats. L'Univers? Et si Ton vous disait que les gens de l'Orlanisme ont avec eux, pour eux, leur dvotion, leur solde, le plus rpandu de nos grands journaux religieux, sinon le plus influent... J'affirme, je prcise et je prouve aussitt... c'est l'Univers (n 10, page 280). L'Univers... trahit, e n mme temps que le grand nom dont il se couvre, Y Eglise et la patrie auxquelles il dit appartenir (n 11, page 352). La preuve, c'est la prsence parmi ses collaborateurs, de M. l'abb Gaudeau, prdcesseur de Dom Besse dans la chaire dite du Syllabus , l'Institut 'Action franaise; de M. l'abb Delfour, de M. Gautherot, e t c . . (n 10, page 283). C'est surtout celle de M. l'abb Boulin (Boger Duguet) et de M. Rocafort (n 11, pages 342 et ss.). Les Unions diocsaines? Il suffit que M. Rocafort se soit particulirement intress leur formation. Les fameuses associations diocsaines voulues par M. Rocafort n'ont pas d'autre destination, dans les conseils de celui-ci, que seulement de servir de base plus ferme l'Action... dcentralise du no-monarchisme athe (n 11, page 349). Les voil galement suspectes. Et La Critique du Libralisme ! C'est l qu'il faut voir comment M. Bernart veut tre entendu quand il professe, plus que personne envers son .directeur, les sentiments d'estime, voire d'admiration qui conviennent . Elle est infode au no-monarchisme athe (n 7, page 15), organe de pntration du nationalisme intgral (n 4, page 214; n 10, page 279). On pourrait demander comment le no-monarchisme athe adopte pour organe la revue franaise la plus dclare contre les erreurs religieuses et librales. Mais M. Bernart a rponse, tout : Barbier, Jehan, Duguet, ce ne sont, on finira bien par le savoir et par le voir, que des masques d'antimodernisme derrire lesquels grimace Taise la figure de Vathe Maurras. Il y en a d'autres encore, et qui ne sont pas tous franais... (ceci l'adresse ^ de Mgr Benigni) (n 8, page 94). Si rsolu dans l'offensive que soit M. l'abb Barbier, si peu de vergogne qu'il montre de mentir perse*vraniment au programme annonc par le titre de sa revue, si dcid que soit son sectarisme politique l'emploi de tous les moyens y compris le faux et l'injure, au service du parti du coup ... (n 7, page 15). Et ailleurs : Si c'est ainsi, depuis trois ans, que, tous les quinze jours, dans sa revue, M. l'abb Barbier traite tous les auteurs plus ou moins libraux qu'il s'est donn mission de poursuivre de sa critique, on comprend surabondamment que les divisions entre catholiques, au lieu de s'tre attnues et rarfies, soient devenues, sur tous les points, plus profondes et plus nombreuses (no 4, page 233).
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Il y a encore d'antres noms ajouter la liste des crivains ou des priodiques engags dans le compromis orlaniste : Je veux qu'ils (l'abb Barbier, l'abb de Pascal, Dom Besse, le P. Exupre de Prats de Mello, capucin) (1), soient aids encore, tantt dans les Etudes des PP. de la Compagnie de Jsus par une tude du style de celle de ce R. P. Descoqs, qui les soutient de toutes ses forces, tantt dans la Foi catholique par l'ex-R. P. Gaudeau, tantt dans l'Universit catholique par l'minent abb Delfour, tantt dans la Revue de Lille par l'minent abb Lecigne, tantt ailleurs, comme dans la Revue Augustiniennc ou dans la Plume littraire, par divers autres. Ajoutez mme au compte de nos priodiques catholiques o, plus ou moins ouvertement, on leur marque de la faveur, la Semaine religieuse de Cambrai, de ce pourfendeur de modernistes politiques qu'est leur Mgr Delassus... Et puis, aprs?... (n 10, page 279). Ce sont l les malfaiteurs publics ( ! ) dont quelques-uns ont dj expriment l'imperturbable dcision de caractre du militant catholique qu'est M. Bernart (n 8, page 93).
Je sais, Messieurs, que, monarchistes, parce que catholiques (2), vous ne professez pas moins la puret du sens religieux que celle de la tradition dynastique. C'est pourquoi je prends la libert rie vous demander si vous avez srieusement envisag la position qui est devenue la vtre et si votre sens catholique ne rpugne pas ce qu'en votre nom, avec votre consentement et votre coopration, des organes qui forment l'avant-garde de l'arme de la foi soient e n butte des calomnies aussi ridicules qu'odieuses, leurs directeurs discrdits comme vendus au no-monarchisime athe, leur antimodernisme dnonc comme le masque d'une complicit politique et eux-mmes traits de malfaiteurs publics. J'en connais parmi vous, mme parmi les collaborateurs de La 1. L. P. Exupre, dont la vie s'est consume dans les travaux de jorrissionnaire, auteur d'excellents ouvrages asctiques et exgtiques. a pris part une rcente controverse sur la vocation sacerdotale. M. Bernart, qui n'est point embarrass de prendre position dans l'arne de la thologie, crit : L'admission de (sa) thorie aurait pour effet, par exemple, de lgitimer les abui qui, dans tels diocses o le P. Exupre a suffisamment (l'influence, font qu'on tient l'cart, ou. qu'ayant admis on rejette, sans autre forme de procs, comme n'tant point appels, les aspirants au sacerdoce suspects de modernisme politique ... c'est--dire, plus clairement, hostiles rOrlanisme. (Ainsi soulign). Et plus bas : Tandis qu'ils (L'Action Franaise) dcatholicisent, par l'administration quotidienne, doses savantes, de leur poison positiviste, une partie de notre jeunesse, leurs allis du type Exupre travaillent sourdement, silencieusement, dans l'o-mbre, nous recruter un clerg favorable au coup qu'on mdite . (No 8, pages 125. 126).
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Monarchie franaise , qu'on aurait pu citer comme modles de l'honneur et de l'urbanit aussi bien que du zle pour la foi. Je leur demande s'ils n'prouvent pas quelque confusion s'avouer les cooprateurs et les rpondants d'un homme qui ajoute cesi calomnies les plus basses injures et de honteuses diffamations, et dont les brutales violences rpugneraient mme des journaux impies qui, eux, ne se croient pas tenus au respect du caractre sacerdotal. Il serait facile d'en montrer l'ineptie. Mais vous comprendrez qu'on perdrait toute dignit en s'y abaissant. C'est dj beaucoup de surmonter le dgot qu'elles inspirent, pour vous en remettre une partie sous les yeux. Encore passerai-je beaucoup de choses. On en a dj vu [presque trop. Relisez dans le numro 11 (pages 342 352), l e s personnalits, auxquelles M. Bernart se livre contre M. l'abb Boulin (Roger Duguet), rdacteur l'Univers, cet i n t r i g a n t dont la fureur et la haine contre lui sont cause de tout le mal (n 8, page 94); et contre M. Rocafort dont il rappelle le passage aui sminaire, avec une insistance aussi courtoise que bien place dans sa bouche. Vous y trouverez u n rare exemple des inventions et des vilenies que de basses rancunes peuvent inspirer un homme qui n e s'embarrasse pas de scrupules. Dom Besse est un bndictin gyrovague (n 8, page 92), moine ambulant, moine gyrovague , personnage brl et compromis (n 7, pages 19 et 20). Dans chaque numro, ou peu prs, il n'est question que des audacieuses falsifications , des faux, de l'ex-R. P. Barbier , de ses altrations impudentes , de ses impudents mensonges , des articles fielleux o il falsifie ses. confrres , prenant comme un apache le soin d'touffer la discussion, e t c . . (tome I , pages 213, 220, 222, 230, 231, 209, 243, 303; tome II, pages 13, 15, 101, 295). "
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Est-ce l a douche ou la justice correctionnelle qu'il faudrait ce frntique? L'une et l'autre lui seraient bonnes. Cependant il a d'autres accs non moins rpugnants. M. Bernart m'oppose un prtre connu et rput universellement pour sa science et non impliqu, lui, dans des tripotages temporels 1 (n 4, page 241). Un journal, qui a aussi ses motifs de rancune contre le directeur (lo La Critique du Libralisme , a lanc son adresse, l'hiver dernier, une diffamation calomnieuse dont il a t fait publiquement justice. La Monarchie franaise ne rougit pas de ramasser cette arme empoisonne et d'avouer ainsi la plus insigne mauvaise foi : L'exR. P. Barbier, dont la Compagnie de Jsus, dans des conditions qui doivent tre son h o n n e u r a jug bon de se dfaire (n 7, page 51). Est-ce dans La Monarchie franaise , ou> bien dans le Journal
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ou quelque feuille immonde, toujours prte salir le caractre des prtres, qu'on s'attendrait lire alors mme que c'est sans intention de diffamation personnelle : Je ne croirais pas, pour ma part, en avoir fait suffisamment pour dmontrer l'erreur des doctrines de M. Maurras ou la partialit injuste d e s critiques de M. Barbier, en jne bornant affirmer, ft-ce avec preuves l'appui, que Charles Maurras, dit Criton, est l'auteur de l'assassinat, si fameux, de l'impasse Ronsin, ou que M. l'abb Barbier est le satyre du Bois de Boulognel... (n 6, page 367).
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Il n'est pas possible que quelques chos de rccaurement provoque par ces turpitudes ne soient pas parvenus jusqu' vous. Mais ils sont peut-tre touffs dans le cabinet d'un directeur. Il est bon que vous e n entendiez tous quelque chose. La Monarchie franaise, tout en se piquant d'taler les lettres de ses contradicteurs comme de ses amis, fait un choix parmi les premires. C'est son droit. Le mien, puisqu'elle a publi m a correspondance prive avec M. l'abb Raux (n 5, pages 302, 303) est d'user, dans des conditions identiques, de celle qu'un de v o s lecteurs m'a communique. La premire lettre est de lui. C'est un prtre, chanoine titulaire. L'autre est la rponse de votre administrateur. Je regrette de constater qu'elle est digne de M. Bernart. On peut mme croire qu'il l'a dicte. En oe cas, le signataire n'aurait rclamer comme sienne que l'orthographe. Le 6 mai 1911. Monsieur l'Administrateur de la Monarchie franaise , Aprs la lecture du numro 4 de votre Revue, je jette celle-ci la porte et je lui interdis absolument le seuil de ma maison, o, du reste, elle pntrait par pure tolrance. Il serait vraiment trop fort que l'on vnt sous mon toit outrager un prtre que j'aime, admire et vnre depuis longtemps. f Malgr moi, monsieur, une question se pose en mon esprit : Combien les modernistes ont-ils pay ce tombereau d'injures dont o n a tent, bien vainement d'ailleurs, d'accabler M. l'abb Barbier?... Croyez-moi, Monsieur, votre serviteur, X, chanoine. Paris, le 8 mai 1911. Monsieur le Chanoine, Les fondateurs de la Monarchie franaise reconnaissent et proclament, avec la Bienheureuse Jeanne d'Arc, Jsus-Christ roi de Fran-
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ce et l'an des Bourbons son lieutenant; c'est assez vous dire qu'ils sont, avant tout, avec S. S. Pie pour le parti de Dieu e t respectueux de tout ce qui touche la Religion. Mais que penser d'un homme qui s'abrite sous s a soutane pour attaque)' les dfenseurs de la vrit historique et falctfie (sic) les crits de ces derniers et cela pour soutenir les prtentions de la descendance du rgicide Egalit ? Si cet homme n'tait pas votre ami, comment le gugeriez-vous ? 11 nous a t pnible d'avoir svir; mais rsolue faire reconnatre et triompher le droit, l a Revue n e pouvait avoir gard qu'aux intrts du droit et de la vrit. Les personnes, quelles qu'elles soient, n'y psent pas plus qu'il no faut et c'est peu de chose. Veuillez agrer, Monsieur le Chanoine, l'assurance de mon respect.
B E V E N O D E R HAUSSOIS .
* * # Il y a enfin, un dernier aspect de la situation qu'il faut aussi, considrer. Puisque La Monarchie franaise range en bloc les crivains et les journaux ou revues les plus fidles l'orthodoxie parmi les complices conscients d'une doctrine athe et ne voit dans leur zle religieux qu'un masque hypocrite pour dguiser leur passion politique, quels sont ceux dont elle invoquera l'autorit ou prendra la dfense? Les dmocrates, les< libraux, les modernistes. Ceux qu'elle couvre contre les coups honteux de Doni Besse , elle les numre (no 8, pages Q2 et 93, ailleurs; passim). C'est flf. l'abb Pierre, ancien adhrent enthousiaste du Congrs sacerdotal dmocratique de Bourges dont La Critique du Libralisme a rapport les impressions (15 dcembre 1910, page 373), dignes de figurer dans la Vie catholique du prtre apostat Dabry dont il fut collaborateur et d'tre applaudies par l'abb Naudet, son autre ami. C'est M. l'abb Lugan, autre prtre dmocrate (voir La Critique du Libralisme , 15 octobre 1909, pages 13 et ss.), qui n'a pas rpugn prendre pour tribune contre l'A. F. les Entretiens idalistes o s'talent les doctrines les plus anticatholiques. C'est M. l'abb Thellier de Poncheville, ancien initiateur des correspondances secrtes entre les sminaires, et dont l e souple talent n'arrive pas cacher les erreurs du dmocratisme. C'est le P. Laberthonnire dont le systme d'attaques contre 1' Action franaise est si bien en rapport avec Pimmanentisme philosophique qui est l'me de ses ouvrages, comme M. J. Hugues l'a montre dans l'article mentionn plus haut. La Monarchie franaise triomphe d'avoir rencontr en lui un
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appui victorieux. Elle reproduit de lui des chapitres entiers, avec un accent de dfi : M. Maurras aura beau faire et appeler la rescousse, a v e c les ex-RR. PP. Barbier e t de Pascal', a v e c les RR. PP. Besse et ^Exupre, les Duguet et les sur-Duguet, les Fontaine, les Gaudeau, les Maignen et autres abbs sur qui Mgr Benigni projette tour tour de Rome les reflets de sa mitre blanche et de sa pourpre honorifique : le dbat, en ralit, n'en sera pas moins clos et la oau3e, au fond, entendue (1) (n 9, page 222). L e Sillon, on l'a vu, e s t devenu presque sympathique, ayant traqu bien plus par passion politique que par zle de l'orthodoxie , et ce qu'on ne pardonne pas VUnivers, c'est d'avoir laiss l'abb Boulin propos de la mort du malheureux TyrreT, s e poser en champion de La Correspondance de Rome contre l e Bulletin de la Semaine (n 11, page 344), un organe bien franais, celui-l, et si p e u romain!
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Voil donc, Messieurs, o l'on vous a conduits : champions zls de la pure tradition catholique, vous tes poss en adversaires Violents de s e s plus fermes dfenseurs, engags vis--vis d'eux dans une campagne de dnigrements, de calomnies et de manuvres qu'on ne saurait imaginer p l u s - b a s s e s ; et reprsentants d'une opinion dynastique forme de la quintessence du systme monarchique, c'est avec les dmocrates et les libraux que vous avez partie lie. Si encore cette lutte tait mene avec dignit et avec honneur I De notre part, vous le comprendrez, la dignit et l'honneur interdisent toute discussion; vous de voir si, de la vtre, ils s'arrangent d'tre remis entre les mains d'un Bernart.
Emm. BARBIER.
1. Notez que le P. Fontaine et M. l'abb Maignen, pas plus d'ailleurs que M. l'abb Gaudeau, n'ont pris aucune part ces "discussions. M. Gaudeau a donn un enseignement thologique dans la chaire du Syllabus , mais il a crit publiquement contre M. Maurras. Il y a plusieurs annes que M. Maignen n'crit plus. Suffit-il donc que ce soient d'minents apologistes de la vrit catholique pour les ranger coup sr parmi les adversaires de La Monarchie Franaise, pour les englober dans une complicit politique et les convaincre de travailler au profit du no-monarchisme athe ?
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Depuis la publication de l'Encyclique de Pie X sur l e Sillon, du 25 aot 1910, si promptement suivie de la Lettre du mme et vigilant Pontife M. Gaspard Decurtins sur le modernisme littraire, nous avons cru intressant de relire la plus grande partie de l'uvre de M. Georges Fonsegrive. Cet auteur, en effet, figure e n bonne place parmi l'es tenants du dmocratisme, et il a pris hardiment parti pour les thories du Sillon, non seulement l'heure o, dit le Pape, 'on n'en voyait que les apparences brillantes et gnreuses , mais mme quand on eut vrifi qu'elles manquent trop souvent de clart, de logique et de vrit. Il importe cependant d'observer tout de suite qu' l a diffrence de Marc Sangnier, M. Georges Fonsegrive ne pouvait tre accu s, soit de voiler le vague des ides et l'quivoque des expressions sous l'ardeur du sentiment et l a isonorit des mots , soit d'tre insuffisamment arm de science historique, de saine philosophie et de forte thologie . La prparation, l'information et l'exprience sont, chez M. Fonsegrive, pousses un degr qu'ignora toujours le chef ptulant et dsordonn du jeune Idmocratisme. De mme, M. Fonsegrive connat trop bien sa langue pour que ses crits- puissent prter au reproche de n e pas relever du gnie franais . Cette diffrence est un motif de plus pour dplorer qu'un esprit aussi dlie se soit vou la dfense d'une cause qui devait tomber sous d'invitables censures, et qu'il ait apport son appoint, nullement ngligeable, un mouvement dont il et bien d dceler de lui-mm-s l'inconsistance et la tmrit. Esprit minemment critique, et constamment appliqu prcher autrui l'exercice assidu des facults critiques, M. Fonsegrive en a lui-mme us trop discrtement lorsque, pour faire un sort ses ides propres, il a cru habile de se parer dea adhsions qu'elles rencontraient de la part de Marc Sangnier, d l'abb Lemire, de l'abb Naudet, voire de l'abb Dabry, qui depuis... Puisque M. Fonsegrive professait, puisqu'il prouvait le besoin de rpandre, en matire philosophique, exgtique, thologique, politique et conomique, des conceptions particulires, il n'et rien perdu, il et peut-tre gagn, ne leur point donner des cautions qui n'ajoutaient rien sa valeur propre et son mrite personnel . Il est vrai qu'on ne choisit pas toujours ses amis, et que le philosophe le plus
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dsintress se dfend mal de l a griserie dont l'enveloppent les applaudissements d'une cohorte m m e mdiocrement recrute. D'autre part, M. Fonsegrive n'a-t-il pas t fort aise de goter, auprs de ce petit groupe d'agits et .de surfaits, des triomphes qu'en dfinitive, il avait Vainement cherchs ailleurs? Car, n'en pas douter, toute l'oeuvre de M. Fonsegrive tendait oprer certaines conqutes. Professeur catholique dans l'Universit de France, qui,- en trs grande majorit, n'est pas catholique, M. Fonsegrive, en juger par cent passages de ses crits, s'est initialement jnn la tche de justifier ses croyances au regard de ses collgues dui corps enseignant. Et cette tche mriterait d'tre loue sans rserve, si, devant les difficults qu'il y a oien vite rencontres, il n'avait e u la malencontreuse pense de se retourner vers les catholiques non universitaires, de leur imputer lesdites difficults, et de les moiigner jusqu' ce qu'ils lui rendissent sa tche plus facile. Ou- nous nous trompons fort, ou c'est l qu'il faut chercher le processifs de l'uvre de M. Fonsegrive. Mais n'est-ce pas, en mme temps, la preuve que son apostolat, dont la pense premire est d'une excellence non douteuse, lui a valu de trop promptes et trop nombreuses dceptions ? Non que nous songions lui reprocher ces checs, qui n'enlvent, videmment rien la gnrosit de ses intentions. Mais l e seul fait qu'il les ait prouvs ne l'invitait-il pas plus de modestie qu'il n'en a montre par la suite envers ceux de ses frres catholiques qui n'taient pas entrs, comme lui, dans l'Universit d'Etat? Comment n'a-t-il pas entrevu l'outrecuidance qu'il y aurait vouloir rformer l'Eglise dans Tunique but de faciliter M. fonsegrive le moyen de faire accepter ladite Eglise par les collgues universitaires de M. Fonsegrive? C'est cependant l qu'il* semblait bien vouloir qu'on en vnt. V o y e z , plu tt comme il s'y prenait. Dans la plupart des prfaces par lesquelles il ouvrait chacune. des annes nouvelles de sa revue La Quinzaine, et qu'il a runies |en volume sous le titre : Regards en arrire; dans l e s confrences qu'il a rassembles en un autre volume, intitul : Catholicisme et dmocratie; dans telle ou telle des Lettres d'un Cur de campagne ou des Lettres d'un Cur de canton; dans telle ou telle page du Journal d'un JEvque avant ou aprs le Concordat ; enfin dans telle o u telle scne du roman social qu'il a nomm le Fils de VEsprit, il a nonc une thse qui se rsume comme suit : il n'y a pas dsaccord entre la science et la foi; mais, e n fait, ceux qui dclarent reprsenter la science n'ont gnralement pas la foi; et, s'ils ne l'ont pas, c'est que les formules l'aide desquelles nous prtendons la leur faire accepter ne leur paraissent pas susceptibles d'tre relies la science qu'ils reprsentent; l a cloison, du coup, demeure tanche entre eux et nous; et c'est un malheur; pour que ce malheur cesse, il faut que
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nos mthodes, notre langage, nos faons d'tre en toute chose, attestent que nous connaissons la pense de ceux qui reprsentent la science; il faut que nous nous appliquions les comprendre; il faut que nous cessions de les anathmatiser; il faut mme que nous nous habituions vivre dans leur milieu, que nous sortions au besoin de notre milieu a nous pour vivre dans le leur; l'extension des conqutes de l'Eglise sur le monde de la science, est ce prix. Et certes, nous comprenons que toutes ces penses, ou presque toutes, se soient, l'une aprs l'autre, veilles et coordonnes dans l'me d'un universitaire catholique. Ce que nous admettons moins, c'est le ressentiment inapais qu'il a conu contre tous les autres catholiques, depuis le jour o il a cru dcouvrir que ces autres catholiques n'avaient pas agit de pareilles penses. En quoi nous osons dire que M. Fonsegrive a manqu, non seulement la justice et la charit, mais mme aux lois de la critique, c'est--dire celles dont il se montre chaque instant le plus soucieux. Eh quoi ! il recommande sans cesse, pour viter les conflits, pour faire prvaloir l'accord entre les adversaires, qu'on s'attache bien pntrer la pense du contradicteur, qu'au besoin Von essaie de se mettre, en quelque sorte, dans sa peau : et voici qu'il fait grief, la masse des catholiques qui vit en dehors de l'immatriculation universitaire,' de ne se point comporter comme elle }e ferait peut-tre si elle avait subi ou accept cette immatriculation ! Nous n'avons pas, comme M. Fonsegrive, l'habitude professionnelle de la terminologie philosophique, qui nous permettrait de qual|iJJier spcifiquement, sans crainte d'erreur, la grosse mprise o il tombe de la sorte, mprise qui, nous le rptons, est l'origine de son curriculam de publiciste et de controversiste catholique; mais nous avons le droit de nous lever contre toutes les consquences que M. Fonsegrivo s'est permis de faire sortir de cette confusion prliminaire. Car c'est toute la socit catholique qu'il semble avoir voulu punir du fait que son apostolat personnel au sein de Vlma mater avait t trop infructueux. A quoi les pauvres catholiques seraient fonds rpondre : Pardon ! monsieur le professeur, mais si votre apologtique fut strile dans le champ particulier o vous aviez sujet do la faire valoir, s'ensuit-il que nous devions, pour autant, changer sance tenante les batteries de la ntre? et puis, si les mthodes nouvelles que vous prconisez ont quelque valeur, n'est-ce pas vous qu'il appartiendrait d'numrer les victoires que vous leur devez, avant de nous faire publiquement honte de nos prtendues dfaites? Or, il arrive que les adhsions rallies par M. Fonsegrive ses ides propres, et dont il fait tat dans ses ouvrages, sont toutes extrauniversitaires. Et ce n'est pas de quoi procurer auxdites ides une v o gue bien enviable, puisque, mises au jour et accommodes en vue de faciliter les conqutes de l'Eglise sur le monde de la science, elles ne
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peuvent allguer de ce ct aucune victoire srieuse. On a cependant bien d, dans l'Universit, lire les crits d e M. Fonsegrive; on n'a pu manquer d'y trouver un vif souci de gagner au catholicisme des mes d'agrgs, d e docteurs, de licencis, de normaliens; on n'a pu douter de l'application avec laquelle l'auteur abaissait, pour attirer ces mes, le plus possible de barrires : et l'on ne s'est pas, que nous sachions, prcipit sa suite! L'impuissance de sa mthode auprs de ceux qu'elle se proposait de gagner l'autorise-t-elle >se retourner avec des airs querelleurs vers ceux qui, au temps de ces luttes -d'ailleurs mritoires, formaient en dfinitive la galerie?
II. Le pis est qu'aprs avoir ainsi chou au sein de l'Universit, et imput cet chec quantit de catholiques qui en taient tout fait innocents, M. Georges Fonsegrive a entrepris de tenter, en dehors d'elle, des conqutes qu'il esprait plus faciles, et qui, hlas! le furent effectivement. Nous disons : hlas! car, alors qu'il travaillait des conversions quand il cherchait enrler sa suite les universitaires, c'est des rsultats bien diffrents qu'il finit par aboutir, du jour o il transporta son apostolat spcial en d'autres rgions. Le mot perversions , pour dsigner ces rsultats, serait videmment bien gros. Mais enfin, qu'il s'en rendt compte exactement ou non, son initiative eut ce fcheux effet, chez les lecteurs, les admirateurs, les amis, les proslytet de tout ordre qu'il atteignit, de rduire l'tendue, la polidit ou l'clat de leur patrimoine religieux. N'ayant pu faire faire aux hommes de science un pas vers l'Eglise, il ne russit que trop bien faire faire aux enfants . de l'Eglise, et mme des hommes d'Eglise, u n pas vers la science, ou du moins vers ce qu'il appelait la science, et qu'il serait plus exact d'appeler le scientisme, c'est--dire un systme qui tendrait reprsenter la science comme un principe ds maintenant complet, dfinitif, s'imposant intgralement l'acquiescement de l'esprit humain, et trs propre le dispenser de toute proccupation -en dehors d'elle-mme. Et ce n'est pas seulement au profit de oe scientisme, c'est encore au profit du dmocratisme, et de l'amricanisme, et de ce qu'on pourrait appeler le laxisme dans l'ducation ( propos de l'ouvrage de Mme Marie du S acre-Coeur), et enfin d e toutes les varits accidentelles du libralisme, que M. Fonsegrive tendait les victoires qu'il avaiit escomptes dans son nouveau champ d'atetion. Ce nouveau champ d'action, d'ailleurs, il tait all le chercher, non seulement parmi les catholiques laques, parmi les tudiants, parmi les militants des uvres sociales, mais, nous le rptons, jusque dans
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le clerg, et, ce qui est plus grave, dans la jeunesse clricale. (On ne saura jamais jusqu' quel point les enseignements et les crits de M. Georges Fonsegrive ont t recherchs, achalands, mdits et pieusement recueillis, pendant une dizaine d'annes, au sein des sminaires, grands et petits. Ce fut un vritable engouement La ferveur de cette popularit singulire n'tait du reste gale que par la lgret avec laquelle on avait omis d'en vrifier les titres, et de justifier la comptence et surtout l'orthodoxie du bnficiaire. On s'tonne parfois qu'il y ait eu tant d'abbs dmocrates, et qu'il en subsiste aujourd'hui encore un si grand nombre : on se l'expliquerait mieux si l'on voulait s e rappeler les grandes et petites entres dont M. Georges Fonsegrive eut si longtemps le privilge dans les tablissements institus pour la formation du clerg. Nous savons bien quel fut le sauf-conduit, Je Ssame, ouvre-toi, qui lui assura c e privilge : M. Fonsegrive tait ralli! Mieux que cela, son zle rpublicain tait bien antrieur au toast du cardinal Lavigerie, et ds longtemps il" avait souhait, appel, pressenti l'Encyclique : Au milieu oies sollicitudes. Et nous n e disons pas que ce fut, cette heurel, une tare. Nous demandons seulement si cet tat d'me , alors si opportun, devait, aux yeux de qui de droit, tenir lieu de toute garantie autre. Il n'est pas, que nous sachions, de pire injure faire la mmoire de Lon XIII que d'admettre que l'adhsion au constitutinnalisme rpublicain ait pu lgitimement servir de talisman tant d'erreurs que Lon XIII lui-mme, puis son successeur, (glorieusement rgnant, ont d condamner. Mais, si le blanc-seing octroy M. Fonsegrive pouir son apostolat inter vestibulum et altare demeure peu justifiable, combien on s'explique, par contre, le succs qu'il obtint auprs de ces auditoires si spciaux! Comment la jeunesse clricale n'aurait-elle pas pris got des confrences exceptionnelles, qui lui servaient tout le moins de distraction dans la monotonie des tudes rffulires, et qui offraient de surcrot tous les caractres d'une vritable attraction? Comment n'et-elle pas avidement accueilli cette parole o ne manquaient ni l'ardeur de la foi, ni l'accent surnaturel, ni l'onction de la forme, ni l'aisance -du dbit, ni la sduction des chimres exaltes par l'orateur? Comment surtout n'et-elle pas retenu les tmrits d'un enseignement qui, tout en bnficiant de la faveur des autorits ellesmmes du sminaire, correspondait ces secrtes aspirations de l'individualisme galitaire, dont se dfendent mal des lvites d'un atavisme trop exclusivement bourgeois, plbien ou rural?
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Songez au prestige dont un confrencier laque se trouve environn d'emble quand il monte, devant u n auditoire de futurs prtres, dans une chaire invariablement occupe par des prtres; songez cet autre prestige qu'exerce, auprs de tant d'excellents cathodiques, le titre de professeur de l'Universit officielCe; songez ce troisime prs-
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tige, qui venait M. Fonsegrive de ce que, bien qu'universitaire, il tait, sans contestation, connu et class comme catholique, et demandez-vous si s e s auditeurs ne furent pas, somme toute, excusables de l'couter, de P applaudir et de s'assimiler ses penses I De grce, qu'ici l'on ne nous arrte point- pour nous objecter que, catholique ce point, M. Fonsegrive avait tout droit d'tre accueilli dans les sminaires, e t d'y prendre la parole dans la mesure o on lui faisait l'honneur de l'y admettre. Encore Une lois, sa responsabilit, e n cette affaire, n'est pas seule en jeu, et ceux qui la partagrent avec lui ont sans doute mis beaucoup de temps s'apercevoir de leur tort; mais, pour ce qui est de sa responsabilit lui, devronsnous, par hasard, l e louer de c e que, l'accs des grands sminaires lui ayant t ouvert raison, non seulement de son ralliement, mais principalement, nous voulons le croire, de son catholicisme, il en ait profit pour enseigner prcisment mainte chose dont l'orthodoxie, contestable ds lors, a t par la suite infirme de haut? Nous accorderons, sur cette question dlicate, tout ce qu'on voudra : nous voulons bien, par exemple, reconnatre qu'on attache couramment une autorit particulire a u tmoignage d'un homme pris e n dehors des dfenseurs ordinaires de la vrit qu'il s'agit d'tablir; mme certains esprits ne jugeraient probante qu'une apologtique dont les ennemis de l'Eglise ou les indiffrents fourniraient toutes les (armes; c'est l'extension logique du fas est et ab lioste doceri. Et vraisemblablement cdaient-ils quelque peu cette propension bien humaine, ceux qui firent appel aux lumires de M. Georges Fonsegrive pour donner .un enseignement social aux lves des sminaires : Etant professeur d e l'Universit, pensaient-ils, M. Fonsegrive n'est pas absolument de chez nous; sa parole n'en aura cfue plus de poids. Et nous sommes loin d'y contredire, mais nous e n concluons que l'abus qui a t fait de ces conditions exceptionnelles n'en est que plus dplorable. Avoir figur par intermittence dans le personnel enseignant des grands sminaires, cela pouvait n'tre qu'une bizarrerie; en avoir profit pouT farcir de dmocratisme le personnel enseign, n'est-ce pas une uvre jamais funeste? Du coup se trouve amplement justifie, pensons-nous, l'tude que nous entreprenons aujourd'hui pour montrer, dans les uvres de M. Georges Fonsegrive, la prsence d'un modernisme social parfaitement caractris. Le mal qu'a pu faire cet auteur par ses confrences aux jeunes clercs, ne peut-il pas continuer le produire par ses uvres imprimes? Encore que, depuis l'Encyclique Pasceni, M. Fonsegrive, frapp ce jour-l d'une stupeur qu'il expliqua scientifiquement au Temps, ait limit son apostolat jadis multiple de discrets entrefilets dans la Dmocratie de Marc Sangnier, son influence persiste, et il importe d'en affranchir les uns, d'en prmunir les autres, en en mettant en relief les traits les plus fcheux, travers les sept
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volumes qui forment le gros de son oeuvre crite, et dont nous citions les titres e n commenant. Une raison subsidiaire milite en faveur de l'opportunit d'un tel travail. Les ouvrages de M. Fonsegrive ont t glorifis, on peut le dire, sans mesure, dans des revues dont on et eu l e droit d'attendre une discrtion plus grande. Cette glorification est demeure impunie, ou peut s'en faut; il n'est que temps d'interrompre ce soliloque d'une presse qu'on croyait avertie, et qui ne s'est montre que complaisante. Aussi bien, n'est-ce pas servir encore et toujours la cause de Pie X, que de montrer jusqu' quel point les erreurs qu'a discernes sa haute clairvoyance, et que poursuit sa vigilante et souveraine autorit, ont t prnes dans des ouvrages qui eurent une certaine vogue? N'estce pas justifier rtrospectivement l'nergie -dploye contre le dmocratisme, en quoi gt surtout le modernisme social, par l'auguste auteur des Encycliques Pascendi et Noire charge apostolique, que do faire toucher du doigt l'influence exerce par l'un des protagonistes de cette erreur, la faveur d'ouvrages qui ont eu, et qui ne pouvaient manquer d'avoir, un retentissement considrable? Alors que Marc Sangnier s'abandonnait la propagande verbale et verbeuse de l'esprit dmocratico-catholique, M. Georges Fonsegrive, par ses crits, le rpandait d'une manire bien plus pntrante, partant plus redoutable encore. En les parcourant, l'on comprendra, e n dpit de l'extrme subtilit do l'crivain, le mal' qu'il a pu faire. On admirera donc, on aimera davantage, on bnira et Ton remerciera Pie X, pour .la vigueur avec laquelle il a enray ce mal. Contribuer la glorification de Pio X et l'extension des bienfaits de son ceuvre doctrinale, J:elle est donc, e n fin de compte, la considration qui, bien plus que nous ne savons quel parti pris de controverse, nous guide en ce travail-, et qui- continuera de nous guider jusqu' son achvement.
III En M. Georges Fonsegrive, travers les ouvrages o il s'est rvl avec une sincrit si trangement nuance d'une adresse suprieure, on aurait sujet d'tudier le philosophe, puis le tenant du modernisme philosophique (et occasionnellement thologique), et enfin le champion du modernisme social. C'est sous ce troisime aspect que nous entreprenons de l'envisager ici, en commenant par le Fils de l'Esprit. Le Fils de VEsprit est un roman social publi en 1905, chez Lecoffre, et qui, ds 1906, accusait un tirage de huit mille exemplaires. L'auteur n'y apparaissait encore que sous le pseudonyme d'Yves Le Querdec. C'tait l'poque o, de mme qu'on demande.au-
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jourd'hui : Qui est Junius? , on demandait un peu- partout : Qui est Yves Le Querdec? De ce nom M. Fonsegrive avait sign les premiers ouvrages sortis de sa plume, notamment les Lettres d'un cur de campagne, les Lettres d'un cur de canton, le Journal d'un vque, dont nous parlerons plus tard, et cfui avaient d'abord paru dans le Monde. La curiosit qu'veillait c e pseudonyme, raison des tendances diverses qu'il cautionnait paralllement, fut mme une bonne fortune pour ce journal jusqu'au jour o l'Univers chercha, e n se l'annexant, compenser le prjudice que lui avait caus l a fondation de la Vrit. Combien de prtres crivirent au Monde qu'Yves Le Querdec, en juger par sa connaissance de la psychologie sacerdotale, devait tre un prtre, et des plus difiants ! M. Fonsegrive laissa courir cette flatteuse erreur, et n e l a dissipa que fort tard. Quoi qu'il en soit, son Fils de l'Esprit eut l a bonne fortune de trouver des approbateurs l mme o il et mrit des censeurs, et, par exemple, l'Ami du clerg ne lui consacra pas moins de sept colonnes de commentaires logieux, peine temprs de quelques rserves (1). Cela figura dans les consultations et lut amen avec une honnte franchise. L'Ami, demandait-on, voudrait-il nous parler du dernier volume de Fonsegrive, le Fils de l'Esprit? Un prtre aurait-il quelque intrt le lire? En reproduisant ici la rponse de Y Ami du clerg, non certes en son entier, mais dans ses passages les plus caractristiques, nous obtiendrons d'un seul coup deux rsultats : fournir nos propres lecteurs une suffisante analyse de l'ouvrage, et montrer comment les trangets de la thse de ce roman social n'avaient nullement dcourag la bienveillance du bibliographe, deux raisons qui feront pardonner la longueur de cette reproduction : Ce livre doit tre lu par tous ceux qui dplorent la situation actuele, C'est une critique parfois aigu de l'esprit bourgeois politique, de l'esprit bourgeois religieux, surtout de l'esprit Ibourgeois ocial. Presque tout y paratra paradoxal et risqu ,et presque bout y est juste. Nous sommes une poque de transformation extraordinaire. Tout change, tout s'oriente vers des lgions nouvelles; l'opinion, comme une aiguille aimante, se tourne vers un ple social obstin, mal explor encore; tout se renouvelle, except l'esprit bourgeois, et un peu l'esprit ecclsiastique. Voil ce qui ressort de ce remarquable- ouvrage de M. Yves Le Quardec, ouvrage d'explorateur politique et social, qui nous montre des horizons ignors de 'beaucoup, des mthodes neuves, des moissons blanchissantes, qui appellent des ouvriers, , et qui se ferme sur une page o rayonne l'esprance. I. Le hros de ce roman social, Norbert de Pchanval, est docteur en droit, auditeur libre des cours de l'Institut agronomique, passionn pour les confrences de Marc Sangnier, dont il est le disciple et l'ami, et son. pre, de noblesse toute rcente, est un grand propritaire terrien. Durant ses vacances de rhtorique, il a rencontr M. l'abb X..., cur de Saint-Julien, dont les Lettres d'un cur de campagne ont fait quelque bruit et retenu de lui ces enseignements : 1. L'Ami du Clerg, 19 janvier 1905, pages 49 57.
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Mon cher enfant, Jes trois quarts de ceux qui se disent chrtiens, catholiques, ne sont que des paens 'inconscients. Ils se croient ns pour commander, sans avoir achet par des services le droit au commandement. Les hommes ont pour but do vivre divinement par la grce suprme de Dieu, de s'entr'aider et de se servir; s'il y en a qui commandent, ce n'est pas pour eux, mais uniquement pour les autres... Quiconque pense autrement n'est pas un chrtien; et il ne Test pas davantage, celui qui, dans les droits qu'il s'attribue, trouve l'origine des grands devoirs qu'il s'impose : aux yeux du christianisme, c'est du devoir d'aider nos frres que peuvent natre des'droits... Ah,'i si nous tions chrtiens, si nous n'tions pas si orgueilleux 1... Ces paroles lui sont demeures graves dans l'esprit. Depuis, il a fait son anne de caserne, il a vu le peuple de prs, et il u pu comparer l'me pDpulaire avec l'me bourgeoise. Parmi ceux de son monde, il a connu de vrais chrtiens, une jeunesse qui se recherchait, s'associait, s'agitait, s'assemblait, dpensait des trsors de bonne volont, de talent et d'loquence, et n'arrivait pas trouver sa voie . Et ceux-l, c'tait l'exception; le reste, natures lgantes, menues, incompltes, rtrcies, fleurs d'mes presque sans parfum et incapables de supporter les intempries . Au contraire, la caserne, il voyait les hommes du peuple, uniquement proccups de leur vie organiser, de leur pain gagner, de leur famille \k fonder; ceux-ci savaient que faire, et ils savaient comment faire . Les vices taient les mmes, plus grossiers ici, l plus raffins. D'une part, des hommes pleins d'lan et de vie, avec des prventions dcides contre la supriorit qui veut s'imposer; de l'autre, des natures veules, faisant le bien sans but, sans me, par acquit de conscience, ou des inutiles. Alors, il sent port vers le peuple , il se sent parfois peuple lui-mme en dpit de sa particule dont il fait bon march. Depuis, Jacques Voisin, un publiciste philosophe, son matre, Ta pouss dans le mouvement catholique. U veut faire quelque chose, travailler pour sa part sauver la France . Mais comment la sauver? comment d'ailleurs et par quoi est-elle perdue? Grave question qu'il se pose et qu'il voudrait rsoudre avant de choisir une profession et de s'orienter dans la vie. Une des dernires lettres du cur .de Saint-Julien, devenu cur-doyen de SaintMaximin, date de quelques semaines avant sa mort, Ta frapp : C'est par en bas et non par en haut qu'il faut refaire la France, si vraiment elle a besoin d'tre refaite, et il jx'est pas douteux qu elle en ait besoin, quoique d'une tout autre faon que ne le croient ceux qui y pensent le plus. Il faut refaire la mentalit des croyants autant que celle des non-croyants... Une runion publique achve de le drouter. Tivoux, le reprsentant autoris des vieux cadres catholiques , Mabit, avec ses ides bonapartistes et autoritaires, Tassier, le jeune rpublicain catholique, Dombre, le nophyte ardent, le pote des humbles, tour tour exposent leur programme... Cette assemble de six mille honntes gens n'avait pas de doctrine, elle tait dnue, non pas certes de courage et de dvouement, mais de ces silencieuses et austres vertus civiques sans lesquelles, dans un pays de suffrage universel, on ne peut esprer raliser aucune rforme; destine par consquent tre broye par ses ennemis ou embrigade par un despote . Alors, les conseils du cur de Saint-Julien lui reviennent de nouveau 'en pense : C'est la mentalit mme, c'est l'esprit qu'il faut changer. Les chrtiens ne sont pas des fils de la matire, des organes de force brute; : ils doivent tre des fils de l'Esprit. Comment se donner des frres , comment changer la mentalit d'un pays, sinon en s'adressant dj aux individus? En conqurant d'abord quelques adeptes par un apostolat d'homme homme, par l'exemple, par des ser1
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vices rendus, le bien gagnera peu peu la socit, comme un baume actif qui s'chappe d'un appartement dans toute la maison. Sa voie est donc toute trouve. Son pre lui cdera un de ses domaines, et il vivra la campagne parmi les paysans... Jacques Voisin l'affermit dans cette rsolution : ... Il faut difier, et l'on n'difie que pierre par pierre. Vous avez compris ce que c'est que d'tre le fils de l'Esprit; allez donc, et servez l'Esprit'I II. C'est la Grange, un domaine de Briselaine, qu'il s'installe solennellement. Tous les chtelains du pays et de Tourtoirac s'y rendent au jour dtermin, claboussant de leur faste les paysans... A la fin du dner, M. de Pourtaillon porte un toast de bienvenue Norbert de Pchanval : ...Je bois, mon cher Norbert, votre entre la mairie, et plus tard, dans un avenir que j'espre peu loign, votre mandat lgislatif. Norbert, lgrement embarrass de ces prtentieuses dclarations, rpond: < ...La politique ne me tente pas... M. le cur m'aidera; lui, dans son glise, c moi, dans mes champs, nous ferons chacun ce pourquoi nous, sommes faits... Je veux faire de l'agriculturo, rien que de l'agriculture... Ces paroles ne recueillent pas l'approbation gnrale. M.. de Pourtaillon prend part le jeune homme et lui donne des conseils : Le seul moyen de russir, c'est de vous unir nous! Qu'il fonde un comit de la Ligue pour le peuple et pour la libert, qu'il pouse ensuite Mlle Armande de Ginestaux (les domaines se touchent), et ce sera la ralisation d'un double Hdeal. Norbert dcline ces conseils trop pressants... Armande le presse de faire des confrences : Mais qui? demande-t-il. A un auditoire que nous recruterons, compos de ceux qui sont sur nos listes, ... de nous enfin. Mais est-ce que vous avez besoin d'tre convertie? Pourquoi n'invilez-vous pas les socialistes? Nous n'invitons pas les cens de dsordre. Or, comme je n'aime parler que devant les socialistes ou les anarchistes, il s'ensuit que je ne puis pas parler chez vous. Sire Norbert, vous tes un rvolutionnaire, un bon petit dmoc, je vois a! Le voil perdu dans l'opinion de toute cette isocit... ' III. Pendant deux ans, Norbert mne une vie laborieuse, mais efface... Avenant, serviable, ... ne ddaignant ni la bche ni la charrue, sa conduite provoque d'abord l'tonnement. Avec cela, il garde des habitudes religieuses, et continue communier tous les dimanches l'une des messes... Mais comment se fait-il que l'influence ait tout entire pass au sabotier, le dlgu?.. Quoi! cet intrigant, cet homme sans instruction ni moralit, reprsentait seul la dmocratie franaise? Et pourquoi? Parce que celle-ci a t abandonne par ses reprsentants naturels. Les gros propritaires se sont carts du peuple... Arriv l de ses rflexions, Norbert sentit, la profondeur de son motion, qu'il venait de toucher la racine du mal national... Si ces reprsentants ont disparu, il faut qu'il s'en forme d'autres. Et cela sous peine de mort. Ces conclusions sont extrmement justes, et Norbert en est pntr. Lorsque Mme de Xandr l'invite dner avec M. l'abb Pontet, il refuse nettement. Elle est peinte de main de matre, la vieille et respectable clame, ... abonne de la' Croix et de la Vrit franaise... Elle tait persuade que lo cardinal Rampolla avait constamment entretenu Lon XIII dans des ides fausses C'est bien l, si l'on y ajoute les prjugs contre les directions pontificales, l'intrieur moral et l'tat d'me d'une quantit de chteaux. Pour elle (Mme de Xandr), la dmocratie, c'est la Rvolution, et le bon cur n'est pas loin de penser comme .elle. Il rpte, sans la comprendre* et pour faire son brin de cour, la parole de Pie IX : Suffrage universel, mensonge universel , et le pauvre Norbert est .qualifi aigrement de dserteur de la bonne cause. Vous devez faire voter vos ouvriers, lui dit la grande dame, leur donner des
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directions, des -ordres! Il se rcuse... Sa conduite indispose son pre, ses amis, tous les chtelains... Le dimanche suivant, toute la liste du maire passait une norme majorit... Par son abstention, par son attitude librale, Norbert s'est nettement spar de ces vieux partis routiniers, perptuellement amers, perptuellement vaincus, qui n'ont rien oubli et rien appris. Quiconque veut exercer une influence politique et sociale dans son pays, doit tre homme de progrs eL homme de belle humeur. Norbert l'tait... ... La confiance clt. Un petit garon, Gustave, trs intelligent, Ipourra quelque jour dire son mot dans les runions du village, au cabaret ou chez le sabotier: il l'attire, l'instruit, lui apprend lire les journaux et lui montre les malhonntets voulues de certaines feuilles trs rpandues. Il voudrait faire des confrences l'cole, mai3 l'inspecteur lui refuse cette faveur, au nom des rglements; alors il se rend chez le sous-prfet o il trouve l'inspecteur... Il finit par obtenir d'eux que l'inslituteur et l'institutrice s'occupent avec lui d'agriculture, en dehors des heures de classe. L'instituteur Rondeau accepte, presque avec enthousiasme... Mais l'institutrice? Mande par lui chez M. Rondeau, elle ne comprend pas qu'on apprenne aux petites filles une science qui regarde spcialement les hommes, mais, comme elle est passionne pour les abeilles et pour les fleurs, .elle accepte iifin de s'associer ce projet dont elle aperoit aussitt le ct moral et social... Mlle Toumier ne voit pas au del. C'csL un des meilleurs produits de l'Ecole de Fontenay-aux-Roses, autant dire son chef-d'uvre : une fille spirituelle du protestant Flix Pcaut, un saint laque, un moraliste trange qui parfois dans ses cours s'abandonnait de pieuses incursions sur le premier livre de YImitation de Jsus-Christ et bannissait Dieu de la morale. Curieuse physionomie toute moderne, que l'auteur a analyse avec complaisance et h diverses reprises, mais que Norbert considre avec plus de complaisance encore, en homme pris dj. Elle tait fort belle, virginale et vraiment liliale, nvec un front large, blanc et poli comme les cailloux des eaux courantes, des joues aux blancheurs de neige, lgrement roses par l'affleurement d'un rseau de veines presque transparent, le regard la fois limpide et profond . Fille d'un cultivateur ais, elle a eu, tout enfant, le got des tudes... Elle passe pour athe et mme pour sectaire... Norbert consulte, rflchit et prie beaucoup pour cette me qui lui est chro, qu'il aime d'un amour qu'il s'efforce de Tendre pleinement pur... IV. Dana son monde, on continuait de bouder Norbert et de le calomnier... Il se plaint amrement Mme de Favareilhe, son ange gardien, qui relve son courage : < Ah! vous pensiez que vous pourriez contenter votre conscience et le monde, que vous feriez autrement que les autres, et qu'ils continueraient vous sourire! Mme de Favareilhe donne bien le mot de la situation : Si l'on veut so librer, il faut en sortir . Cette parole fait comprendre tout le livre, qui par ailleurs sera fort critique. On allguera qu'Yves Le Querdec est oppos l'apostolat social parce qu'il plaide en faveur de l'apostolat individuel. Il ne blmo pas, il constate. Il constate les coups d'pe dans l'eau, ...les forces normes dpenses en pure perte, les discours d'apparat plus glorieux que pratiques. En Angleterre, c'est l'apostolat individuel qui a converti les catholiques par centaines de milliers, en s'adressant aux sommits intellectuelles, aux hommes qui pensent, et dont la pense libre appellera l'action libre. Ces Favareilhe, ces Jehan de Pchanval (un autre jeune viveur, le frre de Norbert), ces Ginestaux, ces Pourtaillon mme, sont-ce l des aptres? Ils ne connaissent pas, ils n'aiment pas le peuple, ils n'prouvent pour lui qu'une piti hautaine, un mpris dominateur; ils se cantonnent dans leur caste altire et ferme, et ils se plaignent des vices du peuple! Mais coup sr, ce
qui sera le plus blm, c'est le mariage de Norbert avec Mlle Tournier... Cependant, pou*' peu qu'on y rflchisse, cette union du gentilhomme et de l'institutrice est tout ce qu'il y a de plus logique au monde... L'esprit bourgeois se cabrera, mais qu'importe?... S'il consultait sa sur, cette douce Yolande, ...elle lui dirait dans sa simplicit voyante : Prends Mlle Tournier, elle est pure, elle est bonne, elle est peuple: elle a l'intelligence des besoins du peuple, ensemble vous vous dvouerez, vous attirerez, vous fonderez une famille qui produira des rejetons, pour crer un monde nouveau, actif et fcond, puisque l'autre est vieux, inutile et inintelligent. Car Mlle Tournier est chrtienne maintenant : Norbert l'a obtenu des bonts du Seigneur . V. ...Nous pourrions faire ressortir aussi le mrite littraire, le talent descriptif, la belle ordonnance du Fils de VEsprit Le ct social nous a entran. Le lecteur, tte repose, jouira de beaucoup de pages pleines de fracheur et d'motion discrte. Nous souhaitons que ce livre soit trs lu et trs mdit. 11 soulve des mondes d'ides. Peut-tre boutes les critiques ne seront-elles pas aussi bienveillantes que la ntre; nous nous sommes laiss prendre au charme, et nous avouons que le charme s'tend, non-seulement au rcit, mais aux ides. a et l, sans doute, l'expression est vive, elle pntre comme une aiguille; elle frappe fort, elle entre comme un clou. Mais, supprimer cette vivacit et cette force, ce serait diminuer la pense et enlever l'auteur sa magnifique originalit. Htons-nous de dire qu'en 1908, soit trois ans plus tard, quand il analysa un autre volume de M. Georges Fonsegrive, savoir Regards en arrire, recueil des prfaces annuelles de la revue La, Quinzaine, Y Ami du Clerg s e montra aussi svre qu'il s'tait montr enthousiaste en 1905, o n vient de le voir, pour le Fils de l'Esprit. Nous n'aurons pas la curiosit, qu'on jugerait peut-tre malicieuse, de rechercher les causes de c e revirement. Mais le seul fait du revirement lui-mme nous sert bon droit pour marquer combien profondes taient les illusions dont s'tait laiss bercer l'auteur de l'apologie bibliographique dont nous venons de citer, aussi largement que de besoin, la substance. Puisqu'en effet, Y Ami du Clerg a fini par perdre lesdites illusions, n'avons-nous pas la preuve qu'il tait faux que presque tout ft j u s t e dans le Fils de V Esprit? Non, nous n'tions pas une poqu de transformation extraordinaire , sauf clans' l'esprit des novateurs inquiets ou aigris qui prtendaient (imposer des conceptions particulires en vue d'un idal qu'ils ne dfinissaient eux-mmes que de faon fort vague. Non, nulles moissons blanchissantes n'taient e n vue, et vaine tait 1' esprance sur laquelle se fermait le livre trop vant. Le ple social' vers lequel l'auteur voulait tourner l'opinion tait mal explor certes, mais on ne peut lui faire le reproche de s'tre obstin . Quant l'esprit bourgeois , comm e on est toujours, et aujourd'hui plus que jamais, le bourgeois de quelqu'un, soit pour tre envi, soit pour tre nglig, il n'apparat pas non plus que l a guerre si bruyamment dclare cet esprit
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par l'Ami du Clerg en 1905 ait t marque par de nombreuses et dcisives victoires. Et c'est fcheux pour l'explorateur politique et social dont s'tait prise l'inconstante revue, car il est patent que ses explorations, paradoxales coup sr et risques Isjouhait, sont (demeures, e n fin de compte, striles. Vainement il a dcri les vieux cadres catholiques et leurs chefs, y compris ce pauvre M. Piou, mal rcompens de ses efforts pour les reformer sous l'tiquette librale; vainement il a suggr ses lecteurs la pense de se faire peuple ,* vainement il a prn l'apostolat individuel de prfrence < l'apostolat social , encore que c cette dernire formule soit trs chre prcisment aux dmocrates chrtiens qui ont le plus got ses ouvrages ; vainement il a prch l'indiffrentisme lectoral combin avec le constituitionnaljsme rpublicain; vainement il a imagin de tendancieuses gorgiques, pour favoriser le retour la terre et pour combattre l'absentisme, deux thses dont on peut d'ailleurs fort bien se rclamer sans faire la moindre cour la dmocratie ; vainement il s'est appliqu dcrire sous des traits toujours ridicules et souvent odieux, les reprsentants de castes qu'il accuse d'tre fermes dans l e temps mme o il nous raconte que le pre de son hros y tait entr par fraude, ce qui ne prouve gure que la fermeture en ft bien rigoureuse ; vainement il suggre aux catholiques avides d'apostolat agronomique l'ide d'en aller qumander la permission aux inspecteurs primaire? et aux sous-prfets; vainement il clbre la pdagogie nystico-rationaliste du protestant Flix Pcaut, alo-rs qu'il fait du cur de Briselaine un imbcile assez plat pour faire un brin de cour une grande dame e n citant sans la comprendre une parole (de Pie IX; vainement enfin il propose, peut-tre comme l e moyen d'installer l a dmocratie toujours attendue, le mariage des nobles de frache date avec les institutrices laques de conversion plus rcente encore : tout cela constitue sans doute une mosaque piquante de malicieuses pigrammes, de rosseries , comme on dit au boulevard, de satirer mchantes, de mordantes critiques, voire de dnigrements fielleux, de venimeuses diatribes, e n tout cas de malignits systmatiques, de mdisances raffines, et enfin de calomnies non douteuses; mais tout cela ne prouve pas que Norbert de Pchanval ait fait plus et mieux que tous ceux dont il prtendait rpudier la tradition ot abolir Ja routine; tout cela surtout ne nous fait pas connatre nettement les conditions de la cit future o nous menait ce rnovateur; ,tout cela enfin n'tablit pas que ce fils de l'Esprit le ft du bon Esprit , de l'authentique Esprit , lequel ne se distingue pas, en dfinitive, du Saint-Esprit lui-mme. Si bien que le roman social d'Yves Le Querdec mrite d'tre appel un coup d'pe dans l'eau ; une force dpense en pure perte , un discours d'apparat plus glorieux que pratique , bien
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plus juste titre que les objets auxquels le bibliographe de Y Ami du Clerg pensait e n crivant ces mots. Nulle action libre ne pouvait, sur ces bases mal tayes, tre entreprise par l e s sommits intellectuelles la pense libre desquelles il tait fait appel. L'exemple de l'Angleterre tait du< reste fort mal choisi pour justifier l'apostolat individuel aux dpens de l'apostolat social , attendu que le premier se trouve prcisment retard par l'absence du second; et le Congrs eucharistique de Londres, dont on a tant attendu pour favoriser la conversion des anglicans, n'tait-il pas un trait- d'apostolat .isocialV A coup sr, le Fils de l'Esprit soulve des mondes d'ides ; mais, ct de ces ides, dont beaucoup sont suspectes, et dont la plupart sont de* simples bauches ou de pures chimres, que de rancunes, que d e coups de patte, que de coups de dent! Comment, ds lors, clbrer le mrite littraire, le talent descriptif, la belle ordonnance, la fracheur, l'motion discrte, la vivacit, la force, la magnifique originalit d'un roman social qui prend plutt, en certaines pages, l'aspect d'un pamphlet antisocial? Il fut trs lu , certes, il n e pouvait tre trs mdit . Que Y Ami du Clerg, au surplus', n'aille pas croire qu'en censurant ainsi sa critique trop bienveillante d'il y a six ans, nous parlons au- nom de l'esprit bourgeois , qui se cabrerait ou non par notre plume. Pour nous, pas plus que pour Yves Le Querdec, ces Favareilhe, ces Jehan de Pchanval, ces Ginestaux, ces Pourtaillon ne sont pas des aptres ; mais nous tenons que Norbert, son tour, n'est qu'un idologue prtentieux, maniaque, falot et parfois fort mal embouch. Ses amours normaliennes achvent de faire de lui un snob pour magazine anglais, qui doit faire hausser les paules en terre franaise. Et, aprs comme avant le Fils de l'Esprit, l a sentence de Pie X reste la vrit historique et doctrinale : Les vrais amis du peuple ne sont ni les novateurs ni 3es rvolutionnaires, c e sont les tradition nalistes. Pour aujourd'hui, d'ailleurs, c'est seulement l'article bibliographique de YAmi du Clerg que nous avons voulu rpondre. A quinzaine, nous prendrons directement partie le Fils de VEsprit luimme. (A suivre). Paul T A I L L I E Z .
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Prises dans l'engrenage du libralisme, nous avons vu les femmes non seulement incapables de rsister la pousse des ides du jour, mais se faire, leur insu, les auxiliaires de tous les fauteurs de dsordre social, et collaborer ainsi au plan de dsorganisation et de corruption de la France, labor dans les officines de la secte maonnique. Entranes par la soif des plaisirs, des motions, des jouissances matrielles, elles n e s e contentent pas de se laisser aller au courant, elles cherchent couvrir leurs continuelles dfaillances du prtexte de la tolrance, de la largeur d'esprit, de la ncessit de marcher avec son sicle. Bref, elles acceptent, en les exagrant encore, tous les principes du libralisme. Transports dans la vie familiale, ils y causent d'incalculables dommages, puisqu'ils en sapent les fondements par la base. Il est, en effet, hors de doute qu'une famille, un socit, un pays ne peuvent subsister, prosprer et grandir qu'autant que sont sauvegards les ternels principes qui en constituent l'essence. Le corps social a, tout comme le corps humain, des lois qui gouvernent ,son organisme. Les transgresser c'est provoquer le dsordre et l'anarchie. Or, pour qui sait voir, ils sont partout aujourd'hui. D'o il faut conclure la violation des grandes lois qui prsident la constitution, l'harmonie et au plein panouissement des socits. Nous laissons do ct ici un des grands facteurs de la question : le lgirne politique auquel nous devons la dsagrgation et la dcomposition de la France. Mais ce n'est plus de libralisme qu'il faudrait parler alors, mais d'une vritable conspiration contre la vie mme du pays. Aussi bien .voit-on entrer dans cette mme conspiration tous les ferments de dissolution que recle l'erreur librale. Tant qlic la France s'est montre jalouse de conserver intactes les traditions et les murs chrtiennes qui l'avaient place la tte des autres nations, elle s'est maintenue dans cet tat, de dignit et de grandeur qui lui avaient valu son glorieux renom. Elle n'a commenc dchoir de son rang et de sa qualit de nation trs chrtienne, que du jour o, sous l'influence d'vnements que nous n'avons* pas rechercher ici, elle s'est peu peu dgage du joug bienfaisant, mais austre des inflexibles principes. L e mouvement date dj de loin, il n'a fait que s'accentuer la faveur du relchement gnral, qu'a introduit partout le faux dogme de la tolrance qu'on s'est plu opposer a*u rigorisme et l'intransigeance des exigences religieuses,. Depuis, il va toujours croissant, et nous assistons aujourd'hui au plein
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panouissement de la doctrine librale qui svit avec fureur jusque dans le camp fminin. Tout est fait pour l'y entretenir, et le flchis-t sment de plus en plus accentu de la morale lui promet de beaux jours. Le remde serait dans le retour aux fortes vertus chrtiennes, aux principes d'une religion claire. Mais qui oserait prvoir un tel revirement, au moment mme o toutes les ttes semblent prises de veitige, au sein d'une socit qui retourne au paganisme 1 L'exemple vient de haut, niais, hlas! la classe dirigeante est loin de donner le bon exemple. Au lieu de faire machine en arrire, et de rsister la pousse formidable de toutes les forces de dissolution, elle acclre plutt le mouvement et prcipite la dcadence. A quoi bon cacher le mal, sous le vain prtexte de prolonger l'illusion i Ayons plutt le courage de porter le fer sur la plaie, et de rvler une socit qui se dcompose le mal dont elle meurt. L a femme chrtienne restait comme le dernier espoir de salut. Elle seule pouvait endiguer le flot montant de l'immoralit et de la sensualit. Dans cette socit moderne qui donne le spectacle de tant de hontes et de scandales, o trouver cette femme forte pour rsister l'envahissement du m a l ? Les hommes de notre gnration ,se rappellent, en remontant cinquante ans en arrire, combien diffrentes taient, cette poque, dans les milieux chrtiens, les murs familiales et diffrente aussi la manire de comprendre les grandes lois de l'existence humaine. Tout tait subordonn au devoir, lequel prenait sa source dans une religion bien comprise et bien pratique. De bonne heure les enfants taient dresss envisager la vie, non comme une partie de plaisir, mais comme le moyen d'atteindre sa destine ternelle. Ainsi coin* prise, la vie avait un sens, un but suprieur auquel taient subordon nes toutes les autres contingences. Elle prenait un aspect srieux, une signification prcise d'o dcoulaient des devoirs dont on comprenait l'importance et auxquels on se soumettait d'autant plus volontiers. Ainsi nous ont levs nos. mres autrefois, ec nous ne saurions jamais assez les, en bnir. Ces notions qu'elles s'appliquaient faire pntrer dans nos |mes eit qui s'y ancraient peu peu, Jnousj aidaient trouver moins dure la loi du travail et accepter, avec plus dfl rsignation et de courage, les invitables ennuis et mcomptes de toute existence. Sans doute on travaillait alors comme aujourd'hui pour se faire une carrire. Mais elle n'tait pas le tout de la vie, l'unique but, le terme final de toutes les aspirations. Elle lestait toujours le moyen voulu par Dieu pour accomplir la grande loi du travail, et toujours anime du souffle chrtien, elle tait pleine d'honneur et de dignit. Le sentiment du devoir prsidait tout, on ne connaissait pas les capitulations de conscience, devenues aujourd'hui la monnaie courante de ceux qui occupent une fonction publique. On n'aurait pas trouv parmi les catholiques, des notaires prts liquider les biens ecclsiastiques-, pourvu qu'on y mette le prix; des avous
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ne se faisant pas scrupule de poursuivre la vente d'immeubles vols aux Congrgations religieuses; des magistrats rendant des services pour se maintenir e n place ou pour se donner des titres l'avancement. Nous pourrions continuer ainsi du haut e n bas de l'chelle sociale, dans le commerce, dans l'industrie, dansi la finance, dans les affaires, nous y surprendrions les mmes dfaillances et les mmes trafics -de conscience. Ne dites pas que ceux-l vivent en marge de l'Eglise : ils se donnent bel et bien pour des catholiques libraux et, de fait, ils appartiennent, souvent, des familles catholiques. Si l'on remonte l'origine d e ces anomalies, force est bien de reconnatre qu'il s'est produit au foyer familial comme une mentalit nouvelle qui explique le relchement des murs et les capitulations de conscience. Il serait vain de contester la grande influence de la femme, au sein de la famille. Dieu qui la destinait l'honneur d'tre la reine du foyer, lui a donn toutes les aptitudes et toutes les qualits ncessaires pour gouverner son petit royaume. Elle a tout ce qu'il faut pour se faire aimer, respecter et obir, tant qu'elle reste digne de sa mission domestique. Son influence est bienfaisante ou pernicieuse, suivant qu'elle s'exerce dans u n sens ou dans u n autre, qu'elle reste ferme dans l'accomplissement de tous ses devoirs ou qu'elle s'en affranchit, qu'elle donne le grand exemple d e toutes les vertus ou qu'elle s e montre volage, lgre, prte aux accommodements avec la morale.
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La plupart des hommes qui ont marqu leur place avec honneur dans la vie, et qui ont laiss u n e mmoire digne d'loges, ont tau prs d'eux soit une mre, soit une femme qui les a soutenus, encourags et fortifis par leur exemple. Forms la vertu par les leons d'une mre chrtienne, plus tard appuys sur une pouse vertueuse, ils ont fourni une honorable carrire, ayant cur de ne faire rougir ni l'une ni l'autre et de s e montrer, en tout, dignes de leur confiance et de leur affection. La France a d sa longue prosprit au culte ,de l'honneur familial, et aux fortes vertus qui se transmettaient, de gnration e n gnration, comme u n glorieux hritage. Du jour o au foyer, envahi par l e s ides librales, on s'est dparti de la rigueur des principes et des rgles inflexibles de la morale) chrtienne, la socit n'a pas tard en ressentir le contre-coufp. Et nous sommes une de c e s heures critiques o le foyer est de plus en plus menac. On le voit du reste par l e relchement qfui y rgne sous l'influence -des murs nouvelles qui tendent s'y acclimater, grce la. connivence de l'a femme qui n'a pas su rsister la pousse d u dehors et rester matresse de la place. Au lieu de dfendre vigoureusement la forteresse, elle a mieux aim flirter avec les ennemis qui e n faisaient le sige, quitte capituler ensuite. On sait, avec quelle rage la secte maonnique s'est attaque la
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femme et avec quel art elle a cherch la prendre dans s e s filets. Lentement, progressivement, elle a conduit son travail souterrain par tous les moyens de corruption dont elle dispose. Les prtextes n'ont pas manqu pour entrer inconsciemment dans les vues, de ceux qui visaient dtruire ou , dsagrger les foyers, en y faisant pntrer des moeurs contraires aux habitudes chrtiennes, et aux traditions franaises. Lance dans la voie des plaisirs dangereux et incompatibles avec le srieux d e la v i e et les devoirs de l'intrieur, la femme, sous l'influence des lectures mauvaises, de la frquentation des spectacles immoraux, a senti, peu peu, se refroidir son got pour une existence monotone et dpourvue d'idal. Rveuse et sentimentale, elle ne s'est plus (contente de l'horizon born du foyer et des devoirs domestiques. Une existence o se rptent, chaque jour, les mmes obligations, les mmes soucis, les immes travaux lui a paru d'une rebutante uniformit. Elle a cherch au dehors des distractions, du mouvement, des motions et parfois )mme des aventures. Bref, elle a dsert l'intrieur pour lequel elle est faite, et o nos mres trouvaient largement l'emploi de leur temps. Ddaignant les vulgarits du mnage, trouvant indignes d'elle ou trop monotones tous ces menus travaux qui constituent la vie d'une matresse de maison, allant mme jusqu' confier des mains trangres le soin et la garde de ses enfants, devenus des objets de luxe bu des poupes dont on s'amuse un instant, quand on rentre la maison, la femme moderne s'est lance dans les sports, le tennis-, la bicyclette, l'automobile. Elle fait de sa vie deux parts : l'une consacre la toilette, ce qui comporte des visites tous les magasins de nouveauts ou des sjours prolongs chez le grand faiseur, le couturier la mode; l'autre consacre aux divertissements de tous genres. Madame rentre le soir juste pour se mettre table, mais pour e n repartir bientt, aprs une nouvelle toilette, vers d'autres lieux de plaisirs : soires, bals, spectacles, et quels] spectacles ! Quand, par hasard, on reste la maison, c'est pour s'y plonger dans la lecture des romans la mode ou des journaux mondains. Mais, par ailleurs, cette femme lgre, affole de toilette, de plaisirs, dont la vie se passe au dehors dans une agitation conti-j nuelle, la recherche d'motions toujours nouvelles, se croit quitte envers le Ciel avec une prire trs courte, la plus courte possible, et e n assistant, le dimanche, une messe tardive laquelle on arrive le plus tard possible, et qu'on entend comme on peut. Moyennant c reste d'habitude chrtienne ou d e formalisme religieux d'o la vraie dvotion est absente, on se pare du titre de catholique. On donne mme son nom certaines uvres de sa paroisse, on tient, au besoin, un comptoir dans les ventes de charit; tout cela est bien port et vous fait la rputation d'une bonne catholique.
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Quant aux obligations de la vie chrtienne, quant aux vertus domestiques, quant ces actes de pit/ de charit, de dvouement, d e
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sacrifice qui sont de l'essence de la vraie dvotion, quant aux devoirs d'tat e n un mot qui, sanctifis par la prire et par une droite intention, constituent le tout de la vie chrtienne, le libralisme fminin ne s'en embarrasse pas. Il se fait une religion lui, trs large, trs accommodante, trs clectique, aussi peu exigeante que possible, o le plaisir occupe la premire place. Ce que devient la vie de famille dans ces intrieurs dlaisss par la femme qui n'y trouve plus son bonheur, il" n'est que trop facile de le deviner. C'est la dislocation du foyer. Le mari qui n'y rentre que pour trouver une femme maussade, ennuye qui ne rve que de la vie au dehors, que les plaisirs mondains, que les distractions malsaines, a bien vite fait de prendre son intrieur en dgot. Ou il accompagnera sa femme dans les divers lieux de divertissements peu faits pour resserrer le lien conjugal, et le plus souvent occasion de querelles et de scnes de mnage; oui il ira seul de son ct, pour tromper l'ennui quand il n e trompera pas sa femme. La jeuno fille, s'autorisant de l'exemple de sa mre prendra en dgot la vie laborieuse, les soins du mnage, les travaux de couture et tout ce qui constitue les occupations de l'intrieur. Elle se lancera, elle aussi, dans la lecture des romans et voudra partager tous les plaisirs que recherche sa mre. Comme elle, elle donnera une partie de sa journe aux sports de tous genres, l'autre aux visites, aux courses dans les magasins, la recherche des occasions ou de la nouvelle forme de chapeau. Le soir venu, aprs une journe si mouvemente, il semble que le repos dans la famille, dans les joies si douces, jsi profondes du foyer, dans les dlassements honntes et reposants de l'intimit domestique, doive suffire cette jeune fille. Hlas I les plaisirs de l'intrieur lui paraissent bien fades, en comparaison des motions du bal et du thtre. Sa mre tant d'ailleurs du mme avis, et toutes deux, ayant pour la vie de famille le mme loignement, voil de nouveau la dispersion du foyer. Le soir qui devrait au moins runir la famille, voit chacun partir de son ct poux ses plaisirs favoris. Dans cette maison d'o chacun ja hte de sortir, c'est une agitatiom perptuelle, rien n'y est sa place, toutes les ttes sont l'envers, et tout marche d e travers. Ce n'est plus le sjour de la paix, de la douce union des curs, des joies tranquilles et sereines, des honntes divertissements; ce n'est plus le foyer o Ton met tout e n commun, joies et peines, o la prire runit parents et enfants dans une mme action de grces et un mme acte de pit, o la imre modle des vertus chrtiennes, et le pre, homme de travail et d'honneur, sont pour les enfants une leon vivante des grands devoirs de la vie. La maison est devenue comme une htellerie de passage o chacun vient prendre ses repas et son repos. Les liens de la famille se relchent de plus en plus, l'affection s'en va avec la crainte et le respect des parents, et ainsi disparaissent, une une, les pieuses
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traditions qui faisaient du foyer domestique la plus grande force sociale. Toutes les familles, Dieu merci, ne ressemblent pas celles dont nous parlons, mais celles-ci ne sont que trop nombreuses aujourd'hui, dans les grandes villes surtout, et force est bien de reconnatre qu'il y a l u n vritable pril national. Avec ces nouvelles moeurs qui s'introduisent dans les familles, o le got des plaisirs, du Juxe. du bien-tre pervertit le sens moral et obscurcit la notion de la v i e chrtienne, comment s'tonner de la diminution, d'anne en anne plus sensible, du nombre des naissances, mme au sein des foyers -rputs catholiques I Les sociologues, et les hommes politiques s'tonnent et s'meuvent d e la dcroissance constante de la natalit en France. Ils cherchent arrter la marche du flau, et proposent divers remdes pour gurir cette plaie sociale. Les moyens cru'ils prconisent prtent rire, tant ils accusent une mconnaissance totale de la situation morale de la France. Chercher gurir un mal moral par des mesures fiscales, ou par l'appt d'avantages sociaux est une amre plaisanterie. Le seuil remde efficace serait de ramener la famille une conception chrtienne d e la vie et aux Vieilles traditions dont elle s'loigne de plus en plus. Mais c'est tout un courant qu'il faudrait remonter, et le libralisme contemporain est incapable d'un tel effort. Bien plus, il trouve trs commode de s'y laisser porter. Longtemps la femme, mieux prserve, par les principes religieux, contre les entranements et les sductions de la v i e moderne, a su y opposer une certaine force de rsistance. Mais du jour, o s o u s l'influence de ce relchement gnral, elle a flchi en cdant l'ambiance, en cherchant un terrain d'entente entre les devoirs do sa situation e t les attraits de la vie facile, joyeuse, dgage de tout scrupule, du jour o elle est entre dans ce mouvement vertigineux, qui fait tourner tant de ttes et capituler tant de consciences, elle a sign son acte de dchance et prcipit, du mme coup, la dcadence de la famille. Car la famille, c'est la femme, c'est la mre qui en e s t le soutien, comme elle en est l'honneur. On voit donc les consquences trs graves, trs profondes du changement survenu dans la mentalit de la femme contemporaine, et on comprend mieux maintenant pourquoi ceux qui poursuivent avec acharnement et par tous les moyens de corruption, la dsorganisation des foyers et la ruine de la famille, se sont attaqus celle qui en est le centre et la vie. Ils sont bien venus les statisticiens officiels de nous mettre sous les yeux l'affligeante ralit de la dcroissance constante de la population; ils sont bien qualifis les politiciens hypocrites de proposer des remdes cette maladie dont ils rpandent partout les germes morbides, en se faisant les auxiliaires d'une pecte qui a jur de tout dtruire en France : religion, famille, murs, institutions, traditions, pour difier sur ces ruines je ne sais quelle socit paenne adonne au seul
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culte du veau d'or et des jouissances matrielles. On dira peut-tre que nous poussons le tableau au noir, et qu'en tout cas on ne saurait rendre le seul libralisme responsable d'une situation cre de toutes pices, par ceux qui, faisant cause commune avec les loges, ont rsolu de n e rien laisser debout en France, de ce qui subsiste d'un glorieux et fcond pass. Nous en demandons bien pardon ceux qui nous feraient cette objection, mais les consquences d'une erreur, en apparence gnreuse et inspire, soi-disant, par les meilleures intentions, sont incalculables. C'est le cas du libralisme. Qu'on nous montre, en effet, les. .limites o s'arrte cette pernicieuse erreur qui pactise avec les doctrines destructrices de tout ordre et de toute morale? Nul ne saurait ,1e faire. Il est dans la logique et de l'essence do cette erreur d'alLqr aux consquences extrmes. Par l mme que ses partisans tenLent une conciliation impossible entre les contraires, ils acceptent l'avance les inluctables consquences de leur erreur. Les, femmes, leur tour, ont tent l'entreprise, et on sait ce qu'il en est rsult. Elles nous donnent le triste spectacle d'une profonde dchance au triple point de vue religieux, moral, et intellectuel. Du jour o la femme s'est affranchie du joug austre de la morale chrtienne qui la retenait dans la voie de la raison, du* bon sens et du bon ton, pour donner dans toutes 'les illusions et divagations de la doctrinq librale, elle n'a pas tard en subir les funestes- consquences. Plus particulirement portes aux extrmes, par l'impressionnante de leur nature et le manque de pondration, elles ont vite fait de perdre toute mesure, une fois lances sur la pente "des ides larges, des accommodements ncessaires avec le sicle. Elles se sont ainsi trouves avoir franchi, insensiblement et progressivement, ls limites qui sparent la femme honnte de celle qui ne l'est pas, II est triste d'avoir le constater^ mais la plupart des femmes du monde en sont arrives se faire une mentalit nouvelle en complet dsaccord avec les grands devoirs de la. vie chrtienne. Si la plupart ont conserv des habitudes religieuses, i s'en faut que celles-ci rpondent une saine conception de la morale. A force de chercher des accommodements avec le bien et le mal , force de faire plier les inflexibles lois morales au gr de leurs caprices et de leurs passions, il s'est fait dans leur esprit comme u n obscurcissement qui ne leur permet plus de distinguer nettement c e qui est bien ou ce qui est mal, ce qui est dcent 'et oe) qui ne l'est pas. Ainsi droutes, elles sont devenues le jouet de leurs propres illusions, et la proie facile de tous les agents de corruption. Les modes les plus inconvenantes n'ont plus rien qfui les effraie, et le mal a pris de telles proportions que nous entendons le cri d'alarme lanc par l'Archevque de Gnes, s'levant avec vhmence contre l'effronterie de ces modes. Il importe de faire cho ce svre avertissement en lui prtant la publicit de cette revue.
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Voici comment s'exprime ce sujet le document dont nous parlons: JVous devons lever la voix contre un abus trs grave qui s e propage au scandale et la douleur de toutes les bonnes mes. C'est u n sujet dont nous n'aurions pas voulu parler, si l'excs du scandale ne nous y contraignait. La faon de se vtir, que l'esprit du monde modifie perptuellement, se montre toujours plus porte une licence effrne et contraire cette modestie qui nous est enseigne par la religion et qui fait le plus bel ornement de la femme chrtienne. Il y a lieu de dplorer grandement, mais nullement d'tre surpris que des mes prives de la grce adaptent leur tenue extrieure; la corruption de leur cur et au drglement de leur vie. Mais que certaines modes indcentes de se vtir sur la voie publique pntrent dans le temple, s'approchent des saints autels, de l'administration du saint chrme, et mme de la sainte table, c'est une chose qui nous cause une immense douleur. C'est une contradiction criante entre la profession chrtienne et l'esprit effrontment mondain. A ces inconvnients qui prennent des proportions toujours plus graves et causent non seulement Un prjudice moral, mais tuicore un prjudice matriel aux familles en raison de l'norme gaspillage d'argent, il est ncessaire de mettre un frein, lequel ne peut venir d'ailleurs que de notre foi qui il appartient de vaincre le monde. A l'offense contre la pudeur, au scandale qui pervertit les mes, il faut non seulement un remde ncessaire, mais encore celle que nous appellerons Tunique rparation. On rpare pour le blasphme, on rpare pour les froideurs envers Notre-Seigneur .Tsus-Christ dans le Saint Sacrement; pourquoi n e devrait-on pas rparer pour Un scandale qui mine les mes, et pour une immodestie qui cgrade les chrtiens sanctifis par la trs Sainte Trinit dans le saint baptme, appeles tre Te temple du- Saint-Esprit, recevoir le Corps de Jsus-Christ, cheminer par les chemins qui conduisent . l a batitude cleste? Fidle ces penses qui dcoulent des principes de notre sainte religion nous rappelons : 1 Aux mres l'obligation qu'elles ont de donner l'exemple d'une chrtienne modestie et de l'inculquer leurs filles comme 1 trsor et la parure la plus prcieuse de toutes; 2 Aux Instituts religieux de femmes, e strict devoir qui Jour incombe d'apporter une vigilance assidue sur ce point dans l'ducation des enfants qui leur sont confis; et nous ajoutons que toute tolrance cet gard l'occasion des crmonies religieuses, distributions de prix, etc., outre qu'elle serait une offense envers le Seigneur, serait encore uin manque de respect aux prtres et, plus forte raison, l'Evque quand il est invit:
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de tontes formes, que c e doit tre aussi pour elles un des points principaux de leur zle et qu'elles peuvent suppler ainsi la ngligence des mres de famille et promouvoir le bien de leurs associes. Nous nourrissons l'espoir que c e cfue nous demandons sera bien accueilli de tous ceux qui ressentent encore de l'attachement pour notre sainte religion et pour ses suggestions, et que, grce au zle de toutes les bonnes mes, le bon sens chrtien triomphera encore une fois des prjugs du monde. Que la Vierge Immacule, notre cleste patronne, bnisse tous ceux qui coopreront cette uvre de rparation. Il est bon que le cri d'alarme lanc par l'archevque de Gnes contre ce dsordre social, trouve un cho en France et y soulve la mme rprobation pour des murs vraiment intolrables. Il est temps que l'on arrte la marche de c e flau qui ne rencontre devant lui que d'insuffisants obstacles. Tout plutt conspire l'entretenir. Seronsnous trop svre en constatant qu' notre humble avis, en France, le clerg et les directeurs d'mes s montrent, en gnral, trop enclins l'indulgence, pour cette forme de libralisme qui atteint au scandale? Puisque les femmes ne trouvent plus dans les principes chrtiens et dans le sentiment de leur propre dignit, la force de ragir contre cette pousse de murs paennes, il est bon qu'elles trouvent, du moins, dans la rprobation publique, et dans la condamnation de pareib abus, par l'autorit ecclsiastique, une juste rpression de leurs carts. Il est pnible d'avoir dire de telles vrits, mais qui la faute si ce n'est celles qui se sont mises dans le cas de se les attirer. Nous somme;* en prsence d'un vritable pril social, d'autant plus; dangereux qu'on n'y prend /moins garde. Aussi bien, ces signes extrieurs n'indiquent-ils pas une profonde dcadence des murs, Une atrophie du sens moral, une dviation mentale? Il semble donc qu'il soit grand temps de mettre un terme un drglement cfui prend l'es proportions d'un flau national . S'en proccupe-t-on suffisamment en France? Tel n'est pas notre avis. Les organes religieux, avertis du danger, devraient se faire un devoir, comme vient de faire l'archevque d* Gnes, de rappeler les femmes au sentiment de leur dignit et d'entreprendre une croisade contre cette vaste entreprise de corruption dont elles sont les victimes inconscientes. La. franc-maonnerie, Si ne faut pas se fatiguer le redire, mne une campagne acharne contre la femme. Elle veut, par tous les agents de coiruption dont elle dispose souverainement, prcipiter sa dchance, dans l'espoir que l'abaissement moral' de la femme contribuera, plus qu'aucun autre moyen, ruiner la religion dont cette secte poursuit la destruction. Malheureusement, nous l'avons dj dit, la femme moderne, prise des ides de largeur d'esprit, d e tolrance, de progrs, donne dtms tous les oueils tendus s a vanit, sa lgret par un libralisme
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qui sort merveilleusement la cause d e nos ennemis. Peu leur importent les moyens pourvu qu'ils arrivent leurs fins. Ils ont donc tout intrt favoriser une doctrine qui, en apparence, se diffrencie de la leur, mais qui, au bout du compte, la rejoint dans ses consquences. C'est par le libralisme que la France se dtruit elle-mme, et bien aevuigles sont ceux qui ne le voient pas. Il est grand temps d'arrter ce mouvement de soi-disant progrs qui n'est qu'un retour aux murs paennes. L'alarme est donne. A ceux qui regardent la femme chrtienne comme le dernier rempart contre l'envahissement d u paganisme dans la famille, dans la socit, lever la voix contre les dsordres et les scandales de murs antichrtiennes dont elle donne l'affligeant spectacle. Qu'elle revienne une plus sage conception de s e s devoirs d'pouse, de mre, de chrtienne; il n'est pas de plus sr moyen de mettre en droute tous ceux qui conspirent contre la religion et contre la patrie, par rabaissement des murs, par la diminution des caractres, par l'anantissement des principes chrtiens. On voit ce qu'il en cote u n e nation de transiger avec les principes qui sont la sauvegarde de sa foi, de son honneur et de s a prosprit. Et c'est le cas ici de faire son examen de conscience. Si les catholiques de France, au lieu de verser dans toutes les illusions et utopies du libralisme, qui les ont engags dans la voie des concessions, s'taient tenus fermes sur le terrain solide des vrits et des principes qu'il faut maintenir tout prix, ils ne seraient pas aujourd'hui le jouet et la rise de leurs ennemis. Croyant bien faire ou jugeant opportun de leur tout concder, ils sont devenus leurs prisonniers et, aujourd'hui, il leur faut subir le joug dshonorant des pires sectaires-, vainqueurs insolents et matres de la France. Nous n e croyons pas passer la mesure en disant que la France se meurt de libralisme. Le libralisme politique nous a donn Ja Rpublique -avec ses lois perscutrices et liberticides ; 1 libralisme doctrinal nous a donn l'amricanisme, Thypercriticisme, le modernism e ; le libralisme social nous a valu l'es divagations et les funestes erreurs de la dmocratie; Je libralisme religieux nous donne enfin la femme moderne. Si l'on juge un arbre par ses fruits, il nous semble qu'il est temps de couper l'arbre du libralisme par la racine et de le jeter, au feu, car il ne produit que des fruits empoisonns.
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' Ce n'est pas selulernlent l'oppression d e l'Eglise dans l'enseignement de la pure doctrine catholique qu'a voulue et prpare la Sparation telle que nous Ta faite M. Briand, c'est encore l'avilissement du clerg franais. Pour une libert aussi prcaire qu'apparente qu'il a conquise, il a perdu, outre sa situation honorable et tous ses biens qui faisaient de l'Eglise e n France une socit religieuse autonome, les conditions ncessaires pour lui permettre de vivre par lui-mme. L'Eglise, socit parfaite cre par Notre-Seigneur, n'est plus rien dans l'Etat rpublicain; elle n'existe mme plus lgalement. Elle ne peut ni acqurir, ni possder. Elle n'est que tolre pour l'exercice du culte. Elle n'a que ce qu'elle reoit des fidles, de la main la main; elle n e vit que de leurs subsides et de leur charit pour ses curs, transforms en mendiants perptuels . Ahl comme ils dchanteraient, les jeunes prtres, professeurs pour la plupart, qui acceptent la Sparation de gaiet de cur, parce que leur traitement leur arrive, sans plus de peine aprs qu'avant cette mesure nfaste, comme ils dchanteraient, s'ils savaient par exprience ce qu'il en cote} nos excellents curs de campagne de mendier Un asile et du pain , ainsi que le disait Pie le 19 avril 1909 propos de la Batification de Jeanne d'Arc! Dans certaines contres- du Centre et du Midi que je connais bien, les portes des, villages et des hameaux sont fermes, l o le prtre a annonc son passage pour le denier du culte. Quand on daigne le recevoir, c'est pour lui dire : Donner la caisse noire du Pape, qui transmettrait notre argent Guillaume pour nous faire dclarer la guerre, ahl non. Ceux-l mme qui donnent dans les campagnes donnent de si mauvaise grce et si peu! Tel millionnaire offre 20 francs son cur, qui aurait d les refuser. Il faut quelques prtres une sorte d'hrosme pour affronter les injures qu'on leur adresse, au cours de leur tourne de qutes, mme dans certains quartiers de petites villes anticlricales. Sans doute, il y a bien des paroisses iO d'excellents catholiques, des dames surtout, pargnent leurs pasteurs la corve d'une mendicit si onc reuse. Mais outre que ces quteuses ne se trouvent pas partout, tant s'en faut, elles ne peuvent pas empcher, malgr tout leur zle, les subventions pour le denier du culte de diminuer considrablement, par une anne de mauvaises rcoltes comme 1910.
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1, Voir numro du 1 Septembre 1911.
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Et que dire des difficults, parfois inextricables, que rencontrent les curs de campagne pour la location de leur presbytre? Tantt des municipalits anticlricales veulent le leur faire payer des prix exorbitants; tantt elles le refusent un prtre qui n'a d'autre tort que celui de faire nergiquement son devoir, et ce prtre alors doit se loger comme il peut, c'est--dire trs mal, parfois une trs grande distance de l'glise. J'en sais qui devaient faire, tous les matins, en hiver, pour aller dire leur messe, une course de vingt minutes dans la neige, haute souvent de plusieurs pieds. Combien de fois les vqUes ont-ils d retirer les desservants de paroisses mauvaises, o loi maire refusait toUtei rparation un presbytre malsain, inhabitable! Il y a l pour nos vaillants petits curs une source de misres inoues, qu'a cres la Sparation et que veulent ignorer ceux qui n'en disent que du bien. M. Maurice Barrs, plus quitable, crivait nagure, sur nos curs de campagne, cette belle page qui fait autant d'honneur l'illustre acadmicien qu' ses modestes hros : Il y a dans notre petit clerg, dans celui qui est le plus immdiatement en contact avec les fidles, toutes les belles vertus, l'enthousiasme guerrier, le dsintressement, le got du sacrifice et de l'action. Il faut les voir, n o s curs rustiques, aux prises avec une froide administration, parfois tracassire et goguenarde , comme disait le Temps dans l'un de ses bienfaisants articles des 18 et 19 janvier SUT Tes glises . Ils donnent prise quelquefois, c'est entendu. Mais qui de nous donc est parfait? Ils aiment ce qui est digne d'amour, et voil pourquoi je l'es aime. Il y a des prfectures et des municipalits brutalement hostiles ou sournoisement hostiles. Eh bien! ils dfendent le seuil vnrable pied pied. J'ai dans m e s dossiers toute Une correspondance, et pour ainsi dire des rapports, des bulletins d e curs qui m e font assister des campagnes piques autour des clochers menacs. Ce sont des drames balzaciens qui s'engagent et l, dans les paroisses, autour de l'glise croulante et du presbytre lzard. Elles m'ont fait vivre, ces lettres, la vie des communes franaises. J'y sens battre le ccejur d'innombrahles villages. Belles, fortes lettres plbiennes de curs de campagne, quelles indications, quel prcieux enseignement sur la vie de notre France ternelle!
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Les fidles mme les mieux disposs, les plus gnreux, n e peuvent suffire, avec l'augmentation incessante des impts qui atteignent cinq milliards et demi, un demi-milliard de plus que la ranon allemande de 1871, avec la chert croissante des vivres la campagne aussi bien qu' la ville, ne peuvent suffire, crivait M. Arthur Loth dans l'Univers, aux charges exceptionnelles crue leur impose la fois l'entretien du clerg, du culte, des coles, des uvres multiples de charit, paroissiales ou diocsaines, des institutions hospitalires d e tout le pays, des (grandes uvres d'intrt gnral de l'Eglise, Denier de Saint-Pierre, Propagation de la Foi, missions, coles d'Orient, ta1
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blissements de Terre-Sainte, abolition de l'esclavage. Les ressources catholiques s'puisent, e n tant obliges de s'tendre tant d'objets la fois; et le zle des meilleurs n e peut pas non plus suppler entirement l'indiffrence de tant d'autres. Ce sont toujours les mmes qui se font tuer , disait le marchal Bugeaud de ses soldats. Ce sont aussi toujours les mmes auxquels incombe le soin de se montrer gnreux sur le champ de bataille de la charit, et, malheureusement, leurs sacrifices ont des limites comme ileurs revenus. Qu'en rsulte-t-il, sinon dans certains diocses privilgis, o la foi est encore vive, o les ressources du moins sont abondantes, comme Cambrai, Lyon, Paris, Angers, Versailles, Nancy, Laval, Rouen, Rennes, Nantes, Bordeaux, du moins dans les diocses qui environnent Paris, Evreux, Soissons, Meaux, Troyes, Sens, Chartres, Chlons-sUrMarne, Reims, Orlans, Langres, et dans la plupart des diocses du Centre et du Midi, de la valle du Rhne jusqu'aux Alpes et Nice, de la valle de la Garonne et des penLes des Cvennes jusqu'aux Pyrnes? Le clerg n'a plus de quoi vivre. Malgr les appels ritrs et pressants des vques, le Denier du culte ne rpond pas aux besoins les plus urgents du personnel ecclsiastique. Au lieu des 900 francs qu'on croyait pouvoir assurer aux curs et desservants, on a t forc de rduire leur traitement 800 francs d'abord, puis 700, 600. Il y a bien des diocses o il n'est plus que de 500, 425 francs ! On me cite la Corse et deux autres dpartements o la portion congrue de 250 300 francs menace d'tre rduite encore (1). Avec de si modestes ressources, qu'augmentent peine un casuel insignifiant et l'argent des messes, qui manquent en maintes localits, comment un prtre peut-il vivre convenablement et payer une domestique? Il n-'en trouve, d'ailleurs, pas toujours, ou bien elle pose pour condition qu'elle n'ira jamais la' messe. Voil la ralit brutale que ne connaissent pas, j'aime le croire, ceux qui chantent les bienfaits de la Sparation. Dj, l'heure actuelle, et ce sera bien pire dans quelques annes avec les. progrs de l'indiffrence religieuse, pour ne pas dire de l'hostilit qu'engendrent de plus en plus les coles sans Dieu beaucoup de prtres manquent absolument du ncessaire : ils sont obligs de travailler de leurs mains en dehors des fonctions du ministre paroissial, pour subvenir leur subsistance. En ces derniers temps, il a paru , ce sujet, dans plusieurs journaux, une annonce navrante. Le prtre y figure avec la qualit d'ouvrier et c'est ce titre qu'on lui fait de la publicit. Il' s'est constitu, en effet, une Alliance des prlres-ouvriers dont le but est de faciliter
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1. Mgr Dsanti, vque d'Ajaccio, va venir en France quter pour ses pauvres curs.
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le placement de leurs travaux manuels. Le secrtaire de l'Association est d'un d'eux, M. Louis Ballu, cur do Paray, en Maine-et-Loire. Des prtres-ouvriers 1... Oui, sans doute, Jsus fut ouvrier et Paul, l'Aptre, ouvrait de ses mains des nattes et des toiles de tente. Mais, aprs dix-neuf sicles de christianisme, dans u n e socit qui doit l'Eglise sa civilisation, en France, la fille ane de cette Eglise, des prtres-ouvriers, des prtres obligs de manier l'outil pour vivre, de prendre sur le labeur du ministre ecclsiastique le temps de gagner leur pain, c'est une monstruosit! Du reste, une telle condition n'existe qu'en France. Il n'y a pas au monde un seul pays civilis, hrtique ou schismatique mme, o le prtre catholique en soit rduit, par les institutions politiques et la lgislation de ce pays, se faire ouvrier pour se nourrir. C'est, pour la France, u n effet de la loi de Sparation. (Arthur Loth, L'Univers).
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Plt Dieu, pourtant, que cette misre des prtres, rduits s e livrer des travaux et mtiers manuels pour y chercher un gagne-pain, ft la seule consquence de la fatale loi de Sparation ! Ce qu'il' y a de (plus (affligeant, c'est que les prtres manquent et manqueront de plus en plus. A Versailles et ailleurs, il y a un prtre seul pour des paroisses de 3 4.000 mes, et les baptmes, les enterrements, les mariages, les travaux matriels absorbent .tout son temps. Dans d'autres diocses; Un mme prtre est charg de deux, de trois paroisses, et, malgr tout son zle, il ne peut suffire ni aux catchismes, ni l'instruction Aie| ses ouailles. Combine avec la loi du service militaire de deux ans, obligataires pour tous une des plus perfides inventions de la Franc-Maonnerie qui nous gouverne la loi de Sparation a dj et aura d'anne en anne ce rsultat, prvu et voulu par nos adversaires, de diminuer le nombre des vocations ecclsiastiques e t de dtourner des Ordres sacrs une partie d e s jeunes clercs qui s'y prparent. D'abord, la source des vocations ecclsiastiques, tarie dans les lyces et collges de l'Etat, d'o sortaient autrefois des prtres minents, des vques m m e et des Religieux, tarie encore plus dans les coles communales laques, n'a plus gure pour s'alimenter que les ColQgjes et Institutions libres, qui ont remplac les 156 tablissements ecclsiastiques ferms e n 1906-1907, toujours au nom de la loi de Sparation. Or, a u lieu qu'il y a dix ans, en 1900-1901, l'enseignement secondaire libre comptait prs de 100.000 lves (99.274), contre 88.202 (1) dans les collges et lyces de l'Etat nous n'avons plus, depuis la 1. Je cite les chiffres officiels donns en 1909-1910 par le ministre de l'Instruction publique.
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Sparation, que 64.000 lves dont 20.000 appartiennent des tablissements laques, 44.000 seulement des tablissements ecclsiastiques; parmi ceux-l, les petits Sminaires proprement dits, formant de futurs lvites, n'ont pas plus' de 10 12.000 lves, au lieu de 23.000 qu'ils comptaient avant la Sparation. Sens et Troyes n'avaient pendant quelque temps qu'un seul Petit Sminaire pour les deux diocses. L'vque d'Agen est si pauvre de sujets manifestant une vocation sacerdotale, qu'il paie la pension d'enfants de la Lozre dans leur diocse d'origine, pour les prendre ensuite en humanits, au petit Sminaire d'Agen, et peupler ainsi son grand Sminaire. Tel autre diocse ilu Centre, que je connais particulirement et qui nagure encore avait 360 400 lves dans ses deux petits Sminaires, n'a plus qu'un petit Sminaire avec 130 lves et une section ecclsiastique de 40 50 lves dans un collge libre. Sans doute, l'anne 1910-1911 s'est annonce sous de meilleure auspices, Lyon, Dijon, o l'uvre des vocations sacerdotales, fox-, tement organise, favorise singulirement le recrutement des petits Sminaires. Mais, hlas ! dans la plupart des diocses, ce recrutement a baiss sans cesse, cotmme celui des grands Sminaires qui en d- pend. En dehors de quelques diocses excellents, Mende, Angers, Luon, Vannes, Nantes, c'est chose lamentable que la statistique compare diu nombre des lves !des 'grands Sminaires de France il y a 30 et 40 ans et aujourd'hui, ou mme il y a dix ans et cette anne. De 1870 1875, le Grand Sminaire de Saint-Flour avait 125 130 tudiants; il en a 23.
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Ils sont 16 Tulle, 20 Limoges pour deux dpartements> HauteVienne et Creuse; 20 Cahors, un peu moins Prigueux, Agen, Auch, Albi, l Angoulme, La Rochelle. Voici un tableau indiquant les pertes subies! depuis dix ans dans les diocses du Sud-Est :
Elves
du
Grand
Gap.
Grenoble. Autun. Rodez. Carcassonne. Viviers. Chambry. Lyon. Saint-Flour.
Moutiers et Saint-Jean de Maurienne n'ont que quelques sminaristes. M. de l a Porte, vicaire gnral et suprieur du Grand Sminaire -de Versailles, crivait nagure dans la Semaine religieuse de ce diocse, propos de l'uvre des vocations , que le fait qui est de nature frapper davantage [les esprits , c'est l a diminution effrayante du nombre des lves de nos grands Sminaires. L o il y avait 3 0 0 tudiants on e n compte peine 1 0 0 ; l o il y en avait 150, on e n trouve 50. Certains diocses ont 30, 20, voire m m e 10 sminaristes. M. de la Porte ajoutait :
Pendant CG temps-l, les prtres gs succombent la peine; les jeunes,
chargs de deux, trois et quatre paroisses, ne peuvent suffire une {&cho qui les dborde. Autre rsultat dont il ne faut pas sans doute nous plaindre, mais qui complique la si boa ti on : devant la besogne nouvelle et
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surnaturel ne se pose pas sur le nant, et que la grce ne dtruit pas la nature, dit saint Thomas-, elle la perfectionne : Gratia non destruit naturam, sed perficit. Nous aimions voir venir autrefois dans nos sminaires ' c'est beaucoup plus rare aujourd'hui ce fils des champs, enfant d'une race robuste et pauvre, lev souffrir les intempries des saisons et les privations de toutes sortes que comporte l'existence villageoise. Intelligent autant que d'autres, pas expansif comme l'enfant des villes, mais avis, un peu dfiant peut-tre, mais faisant attention o il met ses pas, comme le paysan travers les terres laboures, il avanait peu peu dans la culture de l'esprit, de la volont, de rame tout entire qui s'imposait lui. Sa mmoire tait lente, mais tenace, son caractre* obscur, mais ferme, sa parole peu brillante, mais encore expressive et sans ces exagrations faciles qu'une prcoce littrature inspire aux enfants trop avancs. Les belles-lettres ne l'attiraient pas tout de suite, mais il s'y mettait tout de mme; en tout cas, il se formait la grammaire, et plus tard au rudiment thologique. Il arrivait faire un prtre srieux, qui ne se paiera pas de mots, qui tracera son chemin dans la vie, comme on mne une charrue dans la plaine, avec une paisible et inlassable vigueur. O que l'autorit diocsaine le plat, il tait homme de devoir, un peu la sentinelle dans la gurite , dont parle Taine, mais on le trouvait toujours, quand on avait besoin de son conseil, do son modeste subside, de son calme dvouement. Cette race de prtres tend disparatre. D'abord, nos- campagnes sont de moins en moins chrtiennes. Puis elles se dpeuplent. Le paysan (contemporain a honte de se pencher vers la terre pour la travailler. Il rve pour son fils le veston au lieu de la blouse, et au lieu du labeur bni soins, le grand ciel, le travail de plumitif dans un arrire-bureau Paris, sous la fausse blancheur d'une lampe lectrique. Les familles, d'ailleurs, ont moins d'enfants qu'autrefois et ne veulent plus exposer ceux qu'elles ont aux misres qui les attendent' dans le ministre paroissial depuis l a Sparation. La Providence, il est vrai, nous mnage la ressource des vocations tardives, plus nombreuses que jamais, Saint-Sulpice surtout. Mais quelle constatation plus dsolante que celle qui tait fait au dernier Congrs diocsain de Paris : La Capitale manque de prtres, disait Mgr Amette. L'aime dernire, 16 ordinations seulement ont t faites. Cette anne il n'y en aura que onze et l'anne prochaine encore moins. 16, 11, 8, 6 prtres peut-tre fpour trois millions d'mes, quelle douloureuse situation! Dans le grand et beau diocse de Rouen, jadis si florissant, le grand sminaire compte peine quarante-cinq lves. A la dernire rentre, sur neuf clercs, qui avaient t appels faire leur service militaire, deux seulement sont rentrs. La situation est plus lamentable encore en beaucoup d'autres diocses. L'vque de Saint-Flour, Mgr Lecceur, clturait un plerinage diocsain Lourdes, de 15 juin, par ces mots : 0 Marie, sauvez-nous! Sauvez nos enfantsj! Sauvez nos malades!
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Sauvez notre p a y s ! Sauvez nos uvres et donnez-moi des prtres! On disait dans la Semaine religieuse d'Arras, le 23 juin :
Depuis son arrive parmi nous, Mgr Lobbedey n'a fait aucun discours, sans parler des vocations sacerdotales, sans exprimer les angoisses que lui a causes la pnurie dont nous sommes menacs sur ce point essentiel, sans faire appel ses prtres et aux familles chrtiennes, en vue de l'apostolat du recrutement ecclsiastique. On sait qu'avant son lvation au sige d'Arras, Monseigneur avait expos au Souverain Pontife l'imminence d'une disette de prtres dans ce diocse : Deus providebit, rpondit le Saint-Pre : Dieu y pourvoira! Dieu y pourvoit prcisment par l'action de notre vque : mais il faut que nous correspondions cette action; il est ncessaire d'une ncessit vitale, qu'avec lui nous nous fassions recruteurs, que l'organisation existante, l'uvre de Saint-Joseph, fonctionne rellement dans toutes les paroisses... pour remplir les cadres ecclsiastiques. Et ces vides ne sont encore que l e s maux extrieurs. Il y en a de plus intimes, de plus affligeants, qui se rattachent la situation politique faite au clerg de France, comme aux conditions sociales et l'ambiance intellectuelle d u moment. Tels vques, que je pourrais nommer, ont d retarder et mme refuser pour les Ordres sacrs des sminaristes sillonisants ou modernisants, comme l'ordonne Pie X, qui faisait nagure la mme chose pour plusieurs jeunes clercs de Congrgations religieuses. La Nouvelle Europe du 25 mars 1911 publiait un article sign TJgoBacciolini et la conversation qu'il avait eue avec un vnrable ecclsiastique franais sur la dpopulation du sanctuaire, sur les graves rvlations venues rcemment de certains diocses, de Paris en particulier sur la pnurie croissante des vocations sacerdotales, et le nombre de plus en plus restreint des ordinands la prtrise. Le vieillard commentait tristement la brutale interview attribue l'abb Sabatier, les aveux de l'archevque de Paris, les rflexions des journaux appartenant aux nuances les plus diverses : Que de raisons ne pourrait-on pas ajouter, disait-il, celles que nous venons de rsumer : le manque de scurit dont souffrent les prtres traits sans charit, et trop souvent sans justice, par des administrations composes d'homme notoirement au-dessous de leur tche; des promotions scandaleuses de sujets dnus (des capacits essentielles et surtout, pour la formation gnrale des chrtiens et mme des clercs, un manque d'nergie, de franchise et de virilit dans l'expos de la doctrine; de bruyantes protestations de dvouement au JSaintSige, suivies de directions ambigus et du scandale trop souvent constatable d'hypocrites compromis tantt avec le sillonnisme, tantt avec le modernisme, et mme avec le briandisme. Voil ce qui branle les couches du jeune clerg, ce qui droute les anciens, ce qui cure les familles et dtourne les prtres dvous d'encourager les jeunes gens entrer dans Une voie si remplie de prils. Croyez-vous, poursuivit le digne vieillard, qu'une ville o, dans deux paroisses diffrentes, le carme est prch par un abb Naudet, tant de fois compromis dans les campagnes amricanistes, pnodemistes ou politico-sociales, il y ait beaucoup de semence de surnaturel faire germer dans les. mes?...
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Faut-il donc dsesprer de l'Eglise de France et de son recrutement? Non, certes. 11 y a d'abord compter sur la Providence, qui a permis l'preuve que nous traversons et qui saura bien tirer le bien du mal : Salutem ex inimicis nostris. Ce n'est pas la premire fois que les ennemis de Dieu et de son Eglise serviront, malgr eux, leur assurer plus de gloire et de prosprit. Il y a aussi les gnreux efforts de tous les prtres qui feront ce qu'ont fait leurs devanciers, il y a un sicle, pour susciter, au lendemain de la Rvolution, de ces vocations sacerdotales (1) dont le saint Cur d'Ars demeurera l'ternel honneur. H y a, enfin, les prires ardentes de tant d'mes d'lite qui demandent Dieu, comme autrefois Thrse de Jsus, de donner l'Eglise de France des saints; prtres , dont la qualit supplera l a quantit. Mieux vaut peu de bons prtres que beaucoup de mdiocres , disait Mgr de Marbeuf, archevque de Lyon pendant la grande Rvolution. La prire, c'est la toute puissance suppliante , pour obtenir de Dieu des prtres selon son cur et l'efficacit de leur ministre, d'aprs la belle parole du P. Lacordaire : Si mes confrences font du bien, j'en dois peut-tre le succs une brave femme qui ne les comprend pas, mais qui rcit* pieusement son chapelet^ au pied de la chairei, poux leur russite.
Mais n'est-il pas trange qu'en prsence de ce qu'on peut appeler le bilan de la Sparation , diminution de plus de la moiti des lves de nos petits Sminaires; rduction des trois quarts des grands Sminaires la moiti, au! tiers, au quart, au cinquime', au dixime de leur effectif d'il y a 10, 15, 20 ou 3 0 a n s ; impossibilit pour beaucoup de diocses, 60 environ sur 86, d'avoir un recrutement sacerdotal en harmonie avec leurs besoins; condamnation des prtres de France l'tat de mendiants perptuels , rduits quand mme la misre ou des travaux manuels et serviles ; oppression des curs et vicaires, ne pouvant faire de l'histoire au catchisme ou parler en chaire des Manuels condamns par les vques, sans s'exposer toutes les pnalits de l'article 35 de l a loi de Sparation; destruction, dsaffectation et ruine imminente de tant d'glises, qu'on ne peut pas ou plutt qu'on ne veut n i restaurer ni laisser restaurer; scandale permanent de l'apostasie nationale de la Fille ane de l'Eglise, dui peuple choisi 1. La Semaine religieuse d'Arras, dj cite, disait trs bien : On ne prtend' pas qu'il soit possible de trouver dans toutes les paroisses, du jour au lendemain, des jeunes gens faire entrer au Sminaire; mais il est possible d'tablir partout, sur des bases si modestes soient-elles, une association de prires et d'apostolat en faveur du recrutement sacerdotal. Qu'il y ait partout des zlateurs et zlatrices cet effet, comme- on l'a obtenu en des diocses tels que celui d'Avignon Ainsi ferons-nous aboutir la grande intention, la pense premire de notre vque : remplir les cadres ecclsiastiques.
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de la nouvelle Alliance, pour lequel Dieu a plus fait en lui donnanL Jeanne d'Arc, l'ange de la puret, l'ange de la victoire, l'ange de la rdemption nationale, qu'en donnant aux Isralites Dbora, Judith et Esther; n'est-il pas trange qu'en prsence d'un si douloureux bilan, il se trouve tant de catholiques et de jeunes prtres, pour accepter bnvolement une Sparation si fatale aux intrts vitaux de l'Eglise? L'optimisme, disait un jour M. Ren Bazin, de l'Acadmie franaise, l'optimisme est une myopie intellectuelle . On ne peut pas appeler autrement la bate quitude de ceux dont le libralisme aveuglie s'accommode d'un tat de choses si prcaire et si contraire aux droits de Bien et de l'Eglise; moins qu'il ne faille voir dans ce libralisme aigu u n parti pris de tout absoudre dans la dmocratie, de tout pardonner l a Rpublique, sous prtexte que la Rpublique et la dmocratie sont populaires, ncessaires, invitables. Il y a 4 5 ans qu'un profond penseur et un grand conomiste, M. Le Play, fltrissait ainsi le libralisme soi-disant catholique : Je ne connais rien de plus dangereux que les g e n s qui propagent des ides fausses, sous prtexte que la nation ne voudra jamais y renoncer. Si elle n'y renonce pas, elle prira; mais ce n'est pas un motif pour acclrer la dcadence en admettant l'erreur. Il n'y a d'autre rgle de rforme que de chercher le vrai et de le confesser, quoi qu'il arrive. Telle a t l'unique ambition de l'auteur de cet article, qui voudrait tre vrai sans tre alarmant, sur l'tat de l'Eglise de France, rduite combattre, dans sa dchance, dans sa misre et son impuissance lgale, contre l'Etat, contre.les pouvoirs publics, contre la loi, contre l'administration, pour dfendre le peu de libert qui lui reste, pour protger la religion l'cole et l'glise.
Th. DELMONT,
Docteur s lettres.
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MADEMOISELLE LISE VEUILLOT
Dieu tire sa gloire des humiliations de ses serviteurs non moins que de leurs clatants services ou des plus hroques dvouements spontans- Voyez les reprsentants de ce vieil Univers qui fut, comme on le dit plus bas, la maison du premier soldat de l'Eglise au XIX sicle. Pourquoi Louis Veuillot, au lieu de succomber sur le champ de bataille, l e jour o la plume dfaillait entre ses mains, a-t-il tran pendant quelques annes la vie en apparence misrable d'un vieillard qui sent son cerveau, jadis puissant et fcond, trahir tout effort de
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pense? Pourquoi, Auguste Roussel, son lve prfr et son ami, aprs avoir relev et soutenu dans La Vrit Franaise, au prix de quelles contradictions et de quelles luttes! Je drapeau tomb des mains du matre., a-t-il d le laisser chapper son tour et languir lui aussi, durant la dernire partie de sa vie, dans l'infirmit^ l'isolement et l'obscurit pauvre? Pourquoi Elise Veuillot, cette femme de grande intelligence et de grand caractre, a-t-elle vu retarder si longtemps l'heure de la rcompense, une fois que les dfaillances de la nature l'eurent peu prs rduite l'tat d'une pave humaine, objet d'oubli et d'une piti sans charit ? C'est que Dieu voulait donner au monde chrtien le grand spectacle de ses serviteurs le glorifiant par l'acceptation du sacrifice et de l'humiliation comme par l'activit de leur zle. Enigme pour le froid et goste orgueil humain, mais splendeur de notre foi! M. Jules Delahaye qui fut pour Auguste Roussel et pour Mlle Elise Veuillot un confident et un ami dvou jusqu' la fin, consacre celleci un loquent article dans La Vende catholique (27 aot). Il y a des tres qui mritent d'autant plus l'hommage et le culte du souvenir, qu'ils ont rencontr moins de justice et de reconnaissance. Il faut avoir t le tmoin impuissant du martyre de l'hroque chrtienne, qui vient d'tre dlivre d'un long supplice, l'ge de 8 6 ans, pour estimer leur prix la foi, la vertu, la saintet, dont la sublime habitude soutint si longtemps, en de si cruelles preuves, Mlle Elise Veuillot. Aveugle depuis prs de dix annes, tendue par la paralysie sur un lit qui n'tait plus pour elle qu'un instrument de torture, elle semblait encore la femme forte , sur laquelle s'appuya son grand frre, plus forte mme, j'ose le dire, qu'au temps o elle tait la moiti de l'me de Louisi Veuillot Car si, alors, elle se donnait sans mesure, elle recevait aussi quelque chose de la force de la virilit, qui rayonnaient l'illustre foyer, dont elle tait, comme l'a crit son vrai frre, la vierge veuve, la religieuse sans voile, l'pouse sans droits, la mre sans nom. Il n'en fut pas de mme dans l'incroyable dtresse o elle dut achever ses dernires annes. C'tait dans une nuit sans espoir, dans un abandon sans piti, dans une douleur sans consolation, qu'elle puisait quand mme une rsignation inlassable, un fit voluntas sans cesse renouvel. Comme ces vieux chnes, mins et ouverts, jusqu'au cur, mais dont Tcorce survivante nourrit encore de hautes branches et un feuillage vigoureux, elle porta jusqu' son agonie toutes les penses qui avaient t la puissance et l'ornement de son existence. Je ne connais pas de spectacle plus pnible que celui de ces vieillards dlaisss, sous prtexte qu'ils ne servent plus, qu'ils ne souffrent plus, l'heure mme qu'ils donnent l'exemple de la patience la plus rare, o ils ont aussi le plus besoin d'assistance, parce que leur mmoire, la olus infrieure de nos facults, ayant seule dfailli, ils comprennent et sentent plus vivement, plus profondment que jamais les abandons, les oublis, les ingratitudes. Je ne sais rien de plus douloureux penser que ceci : c'est en tin pareil isolement, c'est au milieu d'une semblable conomie de dvouement, de bont, qu'a fini la belle intelligence, le noble cur, que s'est teinte la femme d'lite, quiavaU prsid s longtemps la maison du premier soldat de l'Eglise au XIX* sicle, miles Christi.
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P O L I T I Q U E , SOCIAL
Il est des indiffrences ou des calculs, qui font plus douter de certaines sincrits que toutes les variations de doctrine, que toutes les mobilits de conduite. Tout se paie mme en ce monde. Un jour viendra o la vie et la mort de Mlle Elise Veuillot pourront tre contes. A ce moment, sa figure toujours efface par l'abngation apparatra plus admirable encore que ne la peignit Louis Veuillot. Car ce fut elle surtout, j'allais dire elle seule, qui-, par la fermet inbranlable de son caractre et de ses ides, par son dsintressement sans limite, une poque o tout cela fut plus prcieux l'Eglise et la France qu' tout autre, ce fut Mlle Elise Veuillot qui se montra vraiment digne du nom qu'elle portait. C'est une noble figure qui disparat, et tout un pass s'en va avec elle, un pass que, avant sa dernire et longue maladie, avant la ccit dont elle fut afflige a la fin de ses jours, elle savait faire irevivre de la manire la plus intressante. Elle s'tait jadis dvoue son frre Louis et sa famille; et l'illustre crivain lui a consacr des pages d'une incomparable beaut. En voici une qui, comme M. l'abb Coub le dit justement dans sa revue L'Idal, vivra aussi longtemps que la langue franaise. J'esquisserai ici ton noble et doux visage, embelli nos regards comme aux regards des anges par les soucis qui l'ont fatigu avant le temps, toi qui par amour de Dieu t'es refuse au service de Dieu et qui, par charit, te svres des joies de la charit. Tu n'as pleinement ni la paix du clotre, ni le soin des pauvres, ni l'apostolat dans le monde, et ton grand cur a su se priver de tout ce qui tait grand et parfait comme lui. Tu as enferm ta vie en de petits devoirs, servante d'un frre, mre d'orphelins. L, tu restes, comme l'pouse la plus attentive et la mre la plus patiente, te donnant tout entire et ne recevant qu' demi. Tu as donn jeunesse, libert, avenir; tu n'es plus toi-mme, tu es celle qui n'est plus; l'pouse dfunte, la mre ensevelie; tu es une vierge veuve, une religieuse sans voile, une pouse sans droits, Une mre sans nom. Tu sacrifies tes jours et tes veilles des enfants qui n e t'appellent pas leur mre, et tu as vers des larmes de mre sur des tombeaux qui n'taient pas ceux de tes enfants. Et dans cette abngation et ces douleurs, tu cherches et tu trouves pour repos 'd'autres infirmits encore secourir, d'autres faiblesses soutenir, d'autres plaies gurir 1... Ohl sois bnie de Dieu comme tu l'es de n o s curs 1
L E C O N G R S DE
SAINT-MILION
la note sui-
SANT-EMIMON. Congrs rgional. Sous la prsidence d'honneur de M. Piou et de M. de Mun, les catholiques de la Gironde et de la Dordogne se sont runis, dimanche dernier, en congrs Saint-Emilion. Aprs avoir affirm leur soumission la plus entire an Pape et la hirarchie de l'Eglise, ils ont dcide* de mener bonne fin leur programme religieux,; conomique et social, quoi qu'il doive leur en coter.
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Ainsi prsente, voil videmment une manifestation irrprochable. Mais il se trouve que la mme note a paru clans plusieurs journaux, et dans la Croix elle-mme, avec une variante fort peu ngligeable, et qui modifie sensiblement, sinon le caractre et la porte de l'vnement lui-mme, du moins la signification que d'aucuns peuvent lui attacher. Ces journaux, en effet, et parmi eux, nous le rptons, la Croix, crivent, non plus : Les catholiques de la Gironde et de la Dordognc , mais bien : Les catholiques et les libraux de la Gironde et de la Dordogne... Et, tout de suite, on se demande quels sont ces libraux, distincts des catholiques, au sens o doit l'entendre la Croix, qui protestent de . leur soumission la plus entire au Pape ; on se demande surtout quel est leur programme religieux ... L'incertitude, il esL vrai, s'attnue, el l'quivoque se dissipe, quand on lit le commentaire que ce Congrs, si diversement tiquet, a inspir la Libert du Sud-Ouest, dans son numro du 29 aot, c'est--dire lo surlendemain de la manifestation. La grande feuille librale de Bordeaux crit en effet, sous la signature? de son directeur M. Paul Duch : Il y a quelque chose de chang dans noLrc pays jusqu'ici terrorise par une poignet; do sectaires audacieuse" et omnipotente , a pu dire l'un des orateurs du Congrs de Saint-Emilion en prsence de ces trois quatre mille hommes runis, dimanche, pour affirmer leur droit de penser et de croire librement. Il avait absolument raison et ne faisait que proclamer une vrit dont les manifestations et les preuves se succdent sur tous les points du territoire franais. Ce qui est nouveau, c'est de voir des foules o prdomine l'lment populaire, rompro avec les prjugs dont elles furent trop longtemps captives. Ce qui est nouveau, c'est d'assister des mobilisations imposantes que ne limite plus l'esprit de parti et o il fint mme par ne plus trouver le moindre cho. Ce qui est nouveau, c'est de sentir qu'un souffle purement patriotique **t religieux anime ces consciences indpendants aussi rebelles aux sommations des intransigeances politiques que prtes s'unir pour affirmer et pour dfon dre nergiquement les croyances qui renaissent en elles. Voil ce qu'il y a de chang en France et ce qui a t mis une fois de plus en lumire par le Congrs de Saint-Emilion. Il faut que les francs-maons on fassent leur deuil : le Lemps est pass o, pour mieux combattre les catholiques eL surtout pour les combattre plus perfidement, ils leur attribuaient, tous sans distinction, les mmes conceptions politiques, ils les accusaient de faire au rgime existant une opposition systmatique inspire par l'unique dsir de le renverser, ils les reprsentai en L comme des migr! l'intrieur, ennemis de tout progrs, boudant leur temps, se dsintressant de la vie nationale, se rfugiant dans la contemplation du pass et attendant, tous les matins, la catastrophe qui les ramnerait au pouvoir. Chaque jour inflige un nouveau dmenti ces odieuses calomnies que depuis trente ans les Loges jetaient dans la circulation publique par la presse ou par l'cole Jamais les catholiques, pris dans leur immense majorit, ne se sont plus efforcs d'lever leur cause au-dessus des intrts variables des partis.
Critique du libralisme. l.'i Septembre. 4 ht*
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Jamais ils ne se sont montrs plus insensibles aux tentatives d'embrigadement politique dont ils sont l'objet. Jamais ils n'ont pris une part plus active la vie sociale de leur pays. Jamais, sur ce terrain, leur action ne s'est manifeste par des uvres plus nombreuses. Jamais ils n'ont travaill avec plus d'ardeur ni avec plus de dsintressement rveiller le sentiment national auLour d'eux. Jamais le clerg franais, usant de l'indpendance qu'il a si chrement acquise par la Sparation de l'Eglise et de l'Etat, ne s'est plus appliqu faire tomber les barrires que la haine avait multiplies entre lui et le peuple. C'est pourquoi grandit, d'heure en heure, en dpit des vexations officielles, ceLte influence morale qui opre des conqutes dont nos francs-maons s'pouvantent et qui se traduit par des manifestations grandioses dont ils n'auraient jamais pense que le spectacle pt leur tre inflig. Et leur -exaspration ne connat plus de bornes quand ils voient des gnrations nouvelles, qui sont bien de leur temps, celles-l, et qui n'ont point connu d'autre rgime que la Rpublique, manifester leur foi religieuse et leur patriotisme aux accents de la Marseillaise, l'hymne national, qu'elles savent faire respecLcr au besoin. O allons-nous? s'crient alors ces bons radicaux et francs-mouchards, si nous ne pouvons plus dire ni crire que tous les catholiques sont d'abominables ractionnaires qui ne rvent que de dmolir le rgime rpublicain. Vous allez, mes Trs Chers FF. ., tout simplement la fin d'une quivoque dont vous avez si effrontment abus pour tromper et dmoraliser le peuple. Vous allez la fin de cette criminelle imposture qui, de votre part, a consist vouloir faire d'une question do conscience, d'une question de croyance, une question politique, quand vous savez fort bien que les catholiques ne luttent que pour reconqurir leurs liberts 1 Il serait hautement dsirable, coup sur, qu'il y et quelque chose de chang dans notre pays sur les points et dans les proportions dont parle la Libert du Sud-Ouest. Mais elle-mme croit-elle y parvenir en interprtant comme elle le fait la manifestation des congressistes de Saint-Emilion? A quelles proccupations continue-telle donc d'obir, quand elle s'applique tourner une telle manifestation au profit de l'indiffrentisme politique, et, ce qui est pis, au profit d'un constitutionnalisme obstin? N'est-ce pas solliciter abusivement les intentions de ces braves congrassistes que de les montrer rebelles aux sommations des intransigeances politiques , s'efforant d'lever leur cause au-dessus des intrts variables des partis , et insensibles aux tentations d'embrigadement politique dont ils sont l'objet ? Veut-on, en dfinitive, nous faire entendre que, chaque fois qu'on runira sous cette forme des catholiques, on n'aura d'autre but que de les empcher d'tre ou de devenir, par exemple, des monarchistes, si cela leur plat, suivant une facult que, soit le Pape, soit la hirarchie de l'Eglise, ne leur contestent pas ou ne leur contestent plus? Ce serait, nous n'hsitons pas l'crire, une vritable perfidie, ot elle justifierait une indignation d'autant plus vive, que l'effort qu'on semble dployer ainsi au profit de la neutralit politique aboutit i\ fabriquer, en fin de compte, d'authentiques et explicites rpu-
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blicains, comme l'atteste le gr qu'on leur sail de manifester leur foi religieuse et leur patriotisme aux accents de la Marseillaise et do savoir faire respecter au besoin l'hymne national . Le sens des mots et les leons de l'histoire sont donc systmatiquement dnaturs, pour qu'on en vienne lire dans la Marseillaise un hymne capable de servir glorifier la foi religieuse ! Et manquons-nous, en vrit, de rpublicains, pour que le clerg franais soit ainsi convi mettre profit, pour leur multiplication, l'indpendance qu'il a si chrement acquise par la sparation de l'Eglise et de l'Etat? Qu'il s'abstnt aprs comme avant cette sparation, de toute action politique directe, soit pour, soit contre le rgime, nous le comprendrions; mais que, libr de tout lien officiel, il s'applique prcisment nouer, entre le rgime et les catholiques, de nouveaux liens, mme seulement thoriques, n'est-ce pas l une aberration? En tout cas, loin de rompre avec 'les prjugs dont elles furent trop longtemps captives , les foules que la Libert du Sud-Ouest soumet ce traitement ne peuvent que s'y asservir d'une faon pin troite et plus irrvocable. Loin que l'esprit de parti ne les limite plus , ces mobilisations imposantes risquent de subir plus que jamais de tyrannie, puisqu'on leur fail une loi d'tre insensibles aux tentatives d'embrigadement politique , sauf celles de l'embrigadement rpublicain. Loin d'lever leur cause au-dessus des intrts variables des partis , on l'abaisse jusqu' vouloir faire d'une question de conscience, d'une question de croyance, une question politique , ce qui est une criminelle imposture au moins autant lorsqu'on travaille pour la Rpublique que quand on s'loigne d'elle Si encore cette influence morale que clbre la Libert du SudOuest oprait rellement des conqutes dont nos francs-maons s'pouvantent pour tout de bon! Mais elle n'est pas nave au point de se figurer qu'ils vont cesser d'crire que tous les catholiques sont d'abominables ractionnaires qui ne rvent que de dmolir le rgime rpublicain , ou qu'ils ne nous accuseront plus de faire au rgime existant une opposition systmatique inspire par l'unique dsir do le renverser , ou qu'ils vont mettre un terme aux vexations officielles. Les protestations de la Libert du Sud-Ouest, mme accompagnes de la Marseillaise, ne changeront rien aux dispositions de ces trs chers F. :. , et elle devra se convaincre qu'elle s'illusionne si elle croit rveiller le sentiment national alors qu'elle persiste dans l'apologie du constitutionnalisme rpublicain. L'unique rsultat de ses efforts aura t de faire mettre l'actif des libraux , jusque dans les colonnes de la Croix, une manifestation ou ses participants avaient sujet de voir un congrs de catholiques , ni plus ni moins. Une dernire rflexion. La Libert du Sud-Ouest a t fonde avec l'appui ouvert, dterminant, de l'piscopat de cette rgion. Il n'est pas possible -de croire que cette politique de parti, ce ralliement surann, sous couleur de constitutionnalisme, ait encore actuellement son approbation. Mais l'arbre donne ses fruits. Au vrai, fallait-il ni-
tendre autre chose des efforts dont ce journal est n? Organise, l'on s'en souvient, au prix d'une longue campagne, avec le concours de M. Feron-Vrau et de toutes les forces rallies, pour concurrencer, sinon pour dmolir la vritable presse catholique du midi, sous le prtexte d'une dfense religieuse plus rsolue et pure d'alliage politique, la Libert du Sud-Ouest continue de donner ce que tout le inonde en espera.iT. ou craignait.
PAROISSIAL
S'il est uu genre de littrature religieuse qui doive placer au-dessus de tout le reste la puret de a doctrine et se garder d'y mler aucun alliage douteux ou mauvais comme l'erreur dmocratique, c'est assurment celui des Semaines religieuses et des Bulletins, paroissiaux, parce qu'ils sont rdigs par des prtres et ont pour but particulier l'instruction et l'dification du peuple catholiefue. Nous avons plus d'une fois relev les errements d'un certain nombre d'entre eux. Le lecteur peut se reporter, par exemple, u n article spcial sur ce sujet, dans le numro du 15 avril 1910. Beaucoup de faits de ce genre nous chappent naturellement. Mais il ne faut pas se lasser de constaLer ceux qui viennent notre connaissance et de dnoncer une action nfaste exerce par des hommes ayant pour [mission d'tre le sel de la terre. Le Bulletin cantonal de Saint-Agnan (Charente-infrieure) en offre un spcimen qui mrite d'tre not (n de septembre 1911). Tl rend compte d'un plerinage et d'une grande manifestation religieuse la mmoire des prtres dports en 1794 et de 275 d'entre eux enterrs l'le Madame. Et voici comment il termine son rcit. Le soir, une procession part du Calvaire et se dirige vers l'le Mari a me. Elle va jusqu'au cimetire des prtres, apporter ceux qui moururent dans l'isolement, dans l'angoisse d'une vie sacerdotale peut-tre inutilement sacrifie, le salut et la prire de gnrations venues plus d'un sicle aprs eux. Elle se droule fraternelle, sans l'ordonnance rigide et artificielle que peut imposer un grand matre des crmonies. Elle s'grne le long de la Passenaux-Bufs, jusqu' l'le dont les ctes vibrent de lumire et les soutanes des Evoques sont des Lches violettes J>armi les sables. Les groupes sont sans ordre, leur fantaisie, imperceptibles dans l'immensit de la baie. Et je songe que cela est bien ainsi, que cet hommage spontan du pruple de France doit -plaire ces humbles prtres de France, ces petits curs de nos provinces qui vcurent parmi le peuple, souffrirent avec lui, pour une nouvelle esprance. Et je songe au malentendu sculaire dont ils furent les premires victimes tonnes, la longue erreur traditionnelle nui commence la Constitution civile du clerg, qui dtourna l'une de l'autre, qui arma l'une contre l'autre, les deux forces dont l'accord et fait en France l'inbranlable puissance, l'Eglise et la dmocratie. II y a l sans doute un enseignement qui pour nous a son prix, qui doit nous faire sentir toute la valeur de l'uvre rpublicai7ie laquelle nous travaillons. EL c'est cela que nous pensons tandis que derrire nous retombe dans
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le silence la lande rase que hrissent les chardons bleus, o les corps des martyrs reposent bercs par le vent du large et l'appel des golands. Je ne chicanerai pas l'auteur sur le rapprochement cherch entre le peuple et les petits curs dont il avait besoin pour amener sa tirade. Cependant, laissons le peuple, mais je constate, en parcourant la cinquime liste de victimes que le Bulletin donne en mentionnant leurs fonctions, que, sur 41 noms dont elle se compose, OH trouve 13 religieux (Capucins, Rcollets, Chartreux, e t c . ) , 1 vicaire gnral, 6 chanoines, 2 secrtaires d'vch et 1 grand chantre, 1 aumnier, 6 prtres , et seulement 7 curs avec 2 vicaires. Les petits curs ne sont donc l que le petit nombre. Passons. Ce qu'il serait intressant de connatre, c'est cette nouvelle esprance pour laquelle les uns et les autres ont souffert. Beaucoup de catholiques, dans leur simplicit, croyaient qu'ils ont souffert pour leur foi. Non, parat-il, c'tait pour l'esprance ouverte par la Rvolution. Et que dites-vous de ce malentendu plus ou moins sculaire qu'elle a caus? Malentendu n'est-il pas encore trop gros? Il semble que non, puisque l'effet en a t d'armer l'Eglise contre la dmocratie comme la dmocratie contre l'Egise, heureux <ru'on ne fasse pas peser uniquement sur celle-ci la responsabilit de la guerre. Le rdacteur du Bulletin est-il bien sr que le malentendu date seulement de la constitution civile du clerg? Serait-ce pas plutt de la Dclaration des droits de l'homme, par laquelle on mettait l'homm e et la socit en rvolte contre Dieu? Mais c'est ce qu'il ne fallait pas rappeler, parce que les condamnations portes par Pie VI, Pie VII, Grgoire XVI, Pie IX, Lon XII et Pie X perptueraient le malentendu entre l'Eglise et la dmocratie. Ah! sans elles, quelle puissance inconnue sous l'ancien rgime aurait form l'union de ces deux forces! L'Eglise seule, c'tait peut-tre quelque chose comme puissance religieuse, mais l'Eglise marie la dmocratie, songez donc! Voil renseignement qui, pour nous prtres, est du plus haut prix. Aprs cela, Le Bulletin de Saint-Agnan n'aurait pas eu besoin de nous avertir qu'il travaille une uvre rpublicaine et que ce doit tre celle du clerg. Quant une uvre sainement catholique... ce n'est pas celle-l qu'il pense. Et voil avec quelle panace on croit gurir le peuple et le renouveler dans la foi.
L'EDUCATION DE LA PURET
L'Osservatore romano donne sur cette question rcemment controverse dans notre revue un article intressant dans lequel il nous plat de constater une parfaite conformit d'apprciation avec ce que nous-mme avons crit. Une dernire recommandation que nous permettrons de faire tous ceux flui prendront part au Congrs pour la moralisation des mineurs, c'est de se
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montrer trs prudents vis--vis de' la recnte doctrine, suivant laquelle une des prcautions prendre contre l'immoralit consisterait rvler aux enfants les plus dlicats mystres de la vie. Tout d'abord, les partisans de cette thorie se trouvent srieusement embarrasss ds qu'il leur faut tablir qui incombe le devoir d'une pareille initiation. Nous nous rappelions tous combien de protestations s'levrent l'an pass, quand fut attribu la Commission royale pour les mineurs, plus ou moins tort ou raison, le projet de confier aux instituteurs primaires l'enseignement de ce qu'on appelle l'hygine sexuelle . Comment? disait-on, une matire aussi dangereuse, la traiter l'cole, en parler des enfants rassembls, l'exposer aux mauvais rires des pervertis prcoces, en faire par consquent une occasion de perversion pour tous? Quelle garantie au surplus offrent les matres? Sauront-ils en parler avec la sagesse, la prudence, le respect d cet ge tendre? D'ailleurs, mme en mettant part l'extrme difficult de choisir un initiateur prpar et les conditions -favorables cette rvlation, ses tenants, lorsqu'ils s'imaginent avoir mis la main sur une quintessence de la hardiesse et de la. connaissance du monde, sont dupes en ralit de deux ingnuits. La premire consiste croire que le vice ou l'inclina'ion au vice des adultes nat de l'ignorance o les enfants, mieux ils sont levs et plus Fs sont surveills, demeurent vis--vis de certains cts scabreux de la vie. Et l'on ne fait pas attention que cette ignorance n'implique nullement en fait celle qui serait vraiment prilleuse, savoir que boute action contraire la modestie est dfendue et vicieuse On ne prend pas garde que tout enfant, grce la pudeur naturelle et aux avertissements qui ne font dfaut en aucune famille sait trs bien que la puret lui est commande. S'il vient donc y manquer, soit envers lui-mme, soit avec ses compagnons, soit l'gard d'une personne plus ge, cela ne provient pas du tout de ce qu'il ne sait pas ce qu'il fait. Cela est si vrai qu'il se garderait bien de se comporter mal en prsence de sa mrel Lui enseigner par consquent tout l'ordre de choses auxquelles se rattachent les bonnes murs, toute l'conomie de certaines passions dans la vie humaine, ne rentre nullement dans cette quantit de savoir qui lui est ncessaire et qu'il possde dj. La seconde ingnuit consiste croire que les rvlations superflues, nous l'avons dj dmontr faites l'enfant par des personnes autorises e soustrairont au danger de l'immoralit, en cartant de lui la tentation de oonfidence3 honteuses de la part de quelque vicieux compagnon d'cole. ODmme si les mauvaises conversations entre enfants s'arrtaient ces rvlations-l, et. qu'ayant t faites lgitimement, la matire pouvait manquer pour y fournir. Quand un colier perverti en veut pervertir un autre qui ne s'en garde pas assez, les rvlations peuvent -tre le sujet de la conversation d'un jour, mais les jours suivants elles ne serviront plus que d'aliment aux commentaires. "Donc, pour prendre les devants vous pouvez instruire un enfant tant qu'il vous plaira, si de mauvais compagnons ne trouvent plus rien lui apprendre et que l'enfant ne soit pa profondment vertueux, vous ne pourrez empcher qu'ils l'entranent au pire et plus loin que ses suprieurs ne l'auront prvu. Et puis, en quel monde vivons-nous? Quand donc les rvlations pourront-elles jamais aller aussi loin que la malignit? A quoi risque ainsi d'aboutir l'uvre de l'initiation par les suprieurs? faciliter aux mauvais leur tche de commentateurs et enlever l'enfant cette force de rsistance qui consistait dans sa crainte de faire encore un pas sur un terrain dfendu, avant de s'engager 'dans un labyrinthe entour d'un solennel mvstre. D'ailleurs, n'est-ce pas encore une indication que la rpugnance de tous les ducateurs les plus clbres et les plus vertueux l'gard de ce systme d'o-,
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vrir avant le temps les yeux des enfants? N'est-ce pas une indication (rue lu rpugnance qu'prouvent l'gard de cette pratique les parents eux-mmes, de toute classo et de toute ducation, eux qui sauraient cependant s'en acquitter bien mieux que les matres, en dehors de boute intervention trangre, et avec une connaissance individuelle et prcise du caractre de chacun des enfants. < Cette pudeur, pour citer Manzoni, qui no nat pas de la triste science du ( mal, cette pudeur qui s'ignore elle-mme, pareille l'effroi de l'enfant qui tremble dans les tnbres sans savoir pourquoi , a une force prservatrice que nulle science du mal ne peut galer, et que la science du mal, au contraire, peut dtruire, de mme qu'il suffit id'un attachement maladroit pour faire perdre l'aile du papillon la lgre poussire qui la colore et la dfend.
Le Grant ; G. STOFFEL
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PROPOS
DU DE
CONGRS MAYENCE
CATHOLIQUE
L'Assemble gnrale que les catholiques allemands ont tenue Mayence, au mois d'aot dernier, tait la cinquante-huitime, et c'tait la cinquime fois qu'elle avait lieu dans cette vill\ o vit toujours la mmoire de son grand vque Mgr Ketteler, dont le centenaire concidait avec ce Congrs. Il ne se pouvait que cette runion ft muette sur les divisions introduites parmi les catholiques allemands par l'effort d'un certain nombre pour donner au Centre une direction toute diffrente de celle que ses illustres fondateurs lui avaient imprime- C'est depuis cette volution que les libraux franais s e sont pris d'admiration pour l'organisation catholique allemande ainsi modifie, qui tend devenir", par une sorte d'entente internationale, Je type reproduire partout. Il n'est pas de leon qu'on ne lui demande. Tmoin, pour commencer par une Narfonade, le trait qu'on Va lire. Le chroniqueur religieux du Figaro (15 aot) plaait cette lObserVation en tte de son compte rendu : Ce qui frappe le plus les Franais dans les congrs catholiques, allemands, c'est la collaboration des pouvoirs publics, laquelle rpond toujours une affirmation "trs nette de loyalisme l'gard de l'Etat, quoique cet Etat soit protestant. En mme temps qu'au Pape, les congressistes de Mayence ont envoy un tlgramme l'Empereur. Est-il tmraire de voir dans ce loyalisme mme le secret ou du moins l'un des secrets d'une force de cohsion et d'une influence; politique que les catholiques de France pourraient envier leurs coreligionnaires d'Outre-Rhin? Il est toujours insinuant, ce bon M. d e Narfon. Mais vfoyez-Vous nos congrs diocsains, ou mme ceux de Y Action Librale, ouvrant leurs runions par une adresse M. Fallieres? Aprs tout, de quoi M. de Narfon se plaint-il? Les catholiques franais ne les ont-ils pas: longtemps prodigues, mme au dtriment de toute dignit, ces protestations de loyalisme envers la Rpublique qui les opprime? Pie X, dans son discours pour la batification de Jeanne d'Arc, leur a dit nettement ce qu'il en pensait. Mais on sait qu'aux directions de Pie X M. de Narfon oppose les siennes. Venons quelque chose de srieux. L'volution politico-sociale du Centre nous fait assister une manuvre analogue celle qui se produisit au sujet du mouvement moderniste e n Allemagne. Manuvre audacieuse autant que simple, con-.
Cntique du Hbralisjc., 1 Octtbre. 1
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si&lant nier les faits les plus vidents. Au lendemain de l'Encyclique Pascendi, M. Etzberger, membre de ce groupe, dclarait au correspondant berlinois du Matin (29 dcembre 1907) cru* on se trompe en France en pensant qu'il y a beaucoup de modernistes en Allemagne et que de tous les thologiens connus, il n'en est pas un seul qui puisse compter au nombre des modernistes comme l'entend l'Encyclique . Nous ne Voudrions pas blesser les catholiques d'OutreRhin une heure o les susceptibilits nationales sont si vivement excites entre leur pays et le ntre, mais comment ne pas .donner raison Y Ami du Clerg disant que de telles dclarations procdent de cet orgueil germanique auquel aucun autre orgueil n'est comparable et qui, au lieu d'tre surtout l'effet de sensibilit et d'imagination, orgueil fleur d'me, comme c'est souvent le cas pour l a morgue espagnole ou la gentille vanit italienne ou le jingosmo anglais! ou le chauvinisme franais ou la jactance magyare, est au contraire d'essence intellectuelle et a quelque chose de l'orgueil lucifrien, pre de tout mensonge ? C'est bien d'Allemagne que sont venues les mthodes philosophiques dont l'application aux problmes religieux a fait natre l'agnosticisme, l'imirnianentisme, l'hypercriticisme historique, et tous les sophismes thologiques, politiques et sociaux qui en dcoulent. Et, pour ne parler que du temps prsent, l'affaire Schell, l'affaire Schnitzer, l'affaire Ehrard, je ne cite que les principales, montrent ce que vaut l'assertion de M. Etzberger, sans rappeler la fameuse Ligue de Munster, qui comptait parmi ses chefs le baron de Hertling. prsident du Centre. Une chose n'est pas moins surprenante et il doit tre permis de la rappeler sans se dpartir du respect Voulu, c'est, qu'un peu plus tard, le nouveau Nonoe en Bavire, Mgr Frhvirth, dont le nom a t ml un incident rcent, exprimait la mme opinion, au dire du Journal des Dbats (21 juin 1908) : Mgr Frhvirth, en prenant possession de la nonciature de Munich, eut pour premier soin de rassurer les catholiques allemands sur les intentions du Saint-Sige. II ne manqua pas de faire ressortir que les origines de la nouvelle hrsie, ses foyers de dveloppement taient e n France et e n Italie et que l'Allemagne apparaissait, aux yeux de Rome, pure de tout modernisme . Grand .merci pour elle et polir nous 1 En parlant d e l a sorte, Mgr Frhvirth cdait videmment la proccupation de conjurer par cette dmonstration de confiance les inquitants symptmes qu'il percevait trop bien. Et ceci nous amne la situation .actuelle, dont l'attitude prsente du mme Nonce suffirait pour dvoiler la gravit naissante. On n'a pas oubli ce qui se passa Toemment au sujet de Mgr Benigni et de La Correspondance de Rome . Dj les bons catholiques avaient t douloureusement frapps par ses dclarations p r o p o 3 de la polmique sur la fameuse circulaire de Colo'gne contre
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l e Pre W e i s s . L e N o n c e Mgr Frhvirth avait protest contre le t o n de l a Correspondance de Rome qui avait critiqu l a circulaire pourtant bien regrettable a u p o i n t d e Vue catholique romain. Il s'tait h t d e rappeler q u e l a Correspondance de Rome n'est ni officielle ni offic i e u s e ; e t il tait m m e d e s c e n d u c e dtail d e nier q u e l a circulaire tait secrte, e n p r e n a n t c e m o t d a n s l e s e n s a b s o l u e t e x t r m e qu'on n e pouvait, p a s , v i d e m m e n t , attribuer u n e circulaire. Cette attitude d u v n r a b l e Prlat tait Un s y m p t m e b i e n g r a v e ; car j a m a i s u n N o n c e A p o s t o l i q u e tait d e s c e n d u de telles p o l m i q u e s , d'autant p l u s q u e Mgr F r h v i r t h avait jug opportun d e n e p a s ajouter u n m o t d o r s e r v e s u r l a circulaire de Cologne qui e x c i t a i t sournosem e n t l e s susceptibilits a l l e m a n d e s contre l a F r a n c e et surtout contre Rome. . Or, l ' i m p r e s s i o n p n i b l e d e c e faiL n'tait p a s encore p a s s e , q u e l e m m e Prlat crut b o n d e faire d e s dclarations a n a l o g u e s contre u n a r t i c l e d e VUnit Cattolica d e Florence. Celle-ci avait fait d e j u s t e s r s e r v e s sur u n discours p r o n o n c par u n laque a u congrs catholique d e M a y e n c e . L e N o n c e s'est ht de dplorer l'article d u vaillant journal c a t h o l i q u e , a s s u r a n t qu'il n'est p a s inspir par l e P a p e , et conjurant l e s c a t h o l i q u e s a l l e m a n d s de n e p a s songer a u x crit i q u e s d e s j o u r n a u x m m e c a t h o l i q u e s (1). U n pareil fait, p e r s o n n e n e p e u t l e contester, contraste, n o n m o i n s q u e l e prcdent, a v e c l a r s e r v e toujours o b s e r v e p a r l e s a g e n t s d i p l o m a t i q u e s d u Saint-Sige. Or, c o m m e Mgr Frhvirth e s t bien c o n n u c o m m e u n prlat p i e u x e t bienveillant, rpugnant toute polmiq u e (et, certes, s a v n r a b l e p e r s o n n e e s t tout fait e n d e h o r s d e toute d i s c u s s i o n ) , i l faut v i d e m m e n t conclure q u e l e s proccupations extraordinaires d u R e p r s e n t a n t pontifical Munich p r o u v e n t o u v e r t e m e n t quelle s i t u a t i o n trange est faite au c a t h o l i c i s m e e n Allem a g n e p a r certains c a t h o l i q u e s . L'Univers l a caractrise a i n s i : Ces catholicrues politiciens, parven u s travers d e s c i r c o n s t a n c e s extraordinaires dominer l a presse t l e s o r g a n i s a t i o n s de l ' A l l e m a g n e catholique, ne permettent p a s qu'on discute leur dictature. E t d s qu'ils s o n t trop p u i s s a n t s h l'intrieur pour a v o i r redouter u n e l e v e de boucliers, leur grande proccupation, c'est q u e l a v r i t v r a i e n e perce p a s travers l a presse cathol i q u e d e l'tranger q u e l e u r oppression n'atteint p a s . Alors, n e pouv a n t p a s faire m i e u x , i l s m o n t e n t a v e c u n e ruse e t u n e a u d a c e extraordinaires, tout u n bluff d e m e n a c e s obscures, d e peurs va.gues, d e resp o n s a b i l i t s artificielles; i l s a n n o n c e n t l e s pires catastrophes pour l e 1. J'ai sous les yeux quelques numros de ces Bulletins paroissiaux qui sont aussi proccups d'entretenir les ides dmocratiques et librales que la foi catholique. Celui-ci ne manque pas d'informer sa clientle campagnarde de l'incident Benigm, et relatant la dclaration du Nonce, il dbute ainsi : < Mgr t Frhwirth crit dans le grand journal de Cologne : (Les Semailles, 15 aot 1911).
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LA
CRITIQUE
DU
LIBRALISME 'RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
catholicisme allemand si l'on ne se tait pas... Ainsi, pour viter toute responsabilit, le Nonce Apostolique croit opportun de faire ce qu'il a fait, peut-tre sans redouter assez de l e voir exploit effrontment par les imprsarios du bluff. Au congrs de Mayence, YAugusti7ius-Verein, groupement compos des journalistes, publicistes et diteurs catholiques allemands, a tenu une assemble gnrale prive dont est sortie une note pour la direction de la presse catholique dans ce pays. Voici l'analyse qu'en donne le correspondant de l'Univers (8 aot) : Pour ce qui est de la politique intrieure, Y Augustinus-V erein approuve sans rticence aucune la tenue des parlementaires du Centre au Reichstag, notamment en ce qui touche d'ordre de l'assurance d'empire et la constitution de VAlsace-Lorraine (1). V Augustinus-V erein reconnat que le devoir pressant des journaux catholiques, en raison des lections prochaines, est d'carter tout ce qui pourrait porter ombrage et dommage l'action du parti Centre. La presse du Centre n'aura jamais fait assez d'efforts pour empcher tout ce qui est de nature jeter le doute ou le discrdit sur les organisations politiques et sociales cres par les fonda/teurs du Centre et par les catholiques allemands pour la dfense de leurs justes intrts. De la faon la plus absolue, il repousse ce que disent les organes de la presse trangre, rpandant sur les catholiques allemands et sur leur action politique des jugements exclusifs, faux et injustes ; ces organes ne connaissent point Vtat des choses allemandes, et particulirement nont aucune intel' ligence des conditions ncessaires Vefficacit du Centre. C'est le devoir de la presse du Centre de soutenir et d'affermir ces organisations, de ne rien faire qui puisse affaiblir la discipline de la fraction Centre, et de soutenir l'activit de chacun, tout cela impitoyablement, sans faire acception des personnes. Les actions particulires, prives des personnalits sans vocation pour cela et sans responsabilit, doivent tre sans condition repousses. Ln organe de la presse du Centre doit encore moins se prter introduire luimme ou soutenir de telles actions. L'assemble gnrale de Y Augustinus-V ereinne veut rien savoir des tendances dans le parti du Centre. Elle ne connat qu'un parti uni, qui est rsolu continuer une politique qui a fait ses preuves depuis 40 ans et qui a t place par des matres expriments dans ses lignes directrices. [ \ Pour ce qui es-t de la politique extrieure, YAugustinus-V erein est satisfait de la politique trangre prsente de l'empire allemand, et a confiance que les dbats en cours recevront une solution conforme aux intrts du peuple allemand; elle -aitfaond cela des hommes d'tat qui s'en occupent. D'autre part, d'aprs la mme source (13 aot), 'dans la sance solennelle de clture, aprs lin discours d'un Abb bndictin sur l'art chrtien, le prince Aloys de Lc&wenstein prit la parole pour faire l'histoire du pontificat de Pie X. Il passe en revue toutes les encycliques les unes aprs les autres et commente avec elles l e Instaurare omnia in Christo, devise de l'action pontificale. A propos de i'auto1. La majorit du Centre' s'est unie aux libraux et aux socialistes pour faire rejeter, de cette constitution, le principe de l'cole confessionnelle. (Voir notre numro du 15 juin 1911, page 373).
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rite du Pape, laquelle ou doit l'entire et filiab obissance, il entre dans le vif des vnements rcents, fait une longue allusion peine voile aux choses de la Correspondance de Rome. Il ne veut point qu'on se laisse duper
par des dclarations pseudo-papales
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prim Rome ou ailleurs, alors qu'on doit les tenir comme l'expression loyale d'une conviction, mais d'une conviction de bureau de rdaction seulement. Le prsident de l'assemble des catholiques (Comte de Galen) termine par la revue des grands orateurs de ces jours-ci, leur donnant chacun une partie de la gerbe des flicitations et des remerciements dont son discours est tress. Lui aussi ajoute, renouvelle plutt, la pense, dlicate exprimer, des discussions encore pendantes. Il le fait d'une faon plus marque encore. Il ne veut point qu'on peigne en traits pessimistes les choses religieuses d'Allemagne; il appelle des ennemis ceux qui le font dans le sein de l'Allemagne et des gens qui ne connaissent point l'tat des choses, ceux qui en parlent au dehors, l'tranger. Cependant, il ne faut pas nous en laisser imposer. On n'a donc pas manqu de faire allusion l'incident Benigni dans les sances publiques du congrs de Mayence, et surtout de le commenter plus fond dans les runions de comits. Mais nous ne voulons nous arrter ici qu' dterminer l'origine, la ralit et le sens de la crise actuelle. Disons tout de suite que, sous le prtexte des exigences particulires un pays o les forces du protestantisme dpassent celles du catholicisme, et sous le couvert d'une entente sociale et politique interconfessionnelle, !es catholiques allemands sont en ralit pousss par une importante fraction du Centre Va-confessionnlisme politique et social. Et c'est cette volution dans le sens du modernisme social crue, d'une part, on nie presque avec emportement et que, de l'autre, en vertu d'une sorte d'entente tacite inter nationale entre les libraux de tout pays, ceux-ci appuient de tout leur pouvoir et proposent comme le modle de l'organisation catho* lique telle que l'exigent les temps prsents.
1
C'est nous la bailler belle et l'orgueil allemand le prend vraiment de trop haut, en refusant aux catholiques de l'intrieur ou de l'tranger la libert d'apprcier les nouvelles tendances ou la capacit de connatre la situation, comme si tout se passait dans le secret des curs ou mme des dlibrations. Que des nuances nous chappent, ou que les faits ne nous soient pas connus dans tous les dtails, c'est possible et mme certain, mais il importe peu et l'on va voir que les tendances sont assez manifestes, les faits assez patents, pour permettre des apprciations solidement fondes. C'est vainement qu'on essaie d'envelopper entre les deux cornes d'une habile tactique les francs catholiques qui ne sont pas sur leurs gardes.
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J'en laisse de ct une troisime, plus ancienne, dont s'armait Je front de nos dmocrates franais, rallis et libraux. Pour couvrir leur volution vers la Rpublique, n'allaient-ils pas, par une vritable* gageure, chercher u n exemple et un modle dans la conduite du Centre allemand tel qu'il fut sous la direction de ses premiers chefs I II nous souvient que M. l'abb Pierre, le mme qui vient d'obtenir une triste notorit, d'abord par ses feuilles anonymes contre l'Action franaise, puis par un gros pamphlet, fermant les yeux sur l'opposition accablante entre le soumissionnisme servile de son parti et les luttes hroques du Centre contre le Kulturkampf, crivait, dans La Vie catholique de l'abb Dabry, depuis apostat, toute une thse pour dmontrer que Windthorst tait le modle du parfait ralli (1). Depuis que le Centre a commenc d'voluer, les partisans intresss de l'orientation nouvelle ont tout mis en uvre pour faire accroire deux choses galement fausses et contraires a l'vidence historique comme la ralit des faits actuels. Elles se rsument dans cette proposition : le Centre catholique, au temps de la direction de Mallinckrodt et de Winthorst, n'tait pas diffrent de ce qu'il est aujourd'hui et il est aujourd'hui ce qu'il tait de ce temps rsolu continuer une politique qui a fait s e s preuves depuis quarante ans . L'une et l'autre affirmation a exactement la mme valeur que celle niant l'existence du modernisme en Allemagne. J'insisterai peu sur la premire. Elle est un dfi l'histoire. Pour m e borner ce trait, se reprsente-t-on Windthorst trempant, comme le baron de Hertling, prsident actuel du Centre, dans la Ligue de Munster, ou souscrivant comme d'autres membres la protestation injurieuse pour le Saint-Sige en faveur du moderniste Schell? Est-ce sous la direction de Windhorst, que le Centre et admis dans son sein un catholique partisan avr de la clricalisation, comme le jeune Spahn? Au surplus, ce dfi a dj t relevt ici mme. Le lecteur n'a qu' ,s'y reporter (2).. Mais il importe de noter la forme prcise de ce dfi. C'est le point qui relie entre elles ces deux affirmations plus que paradoxales et le pivot commun de la double tactiefue. Le Centre, affirme-t-on, n'a jamais t un parti confessionnel. C'est de l qu'on part pour justifier et nier tout, ensemble l'volution prsente (3). 1. Voir mon livre : Cas de conscience, pages 336 et ss. 2. 1er octobre 1909, pages 518 et ss. 3. Dans la Civilt mme, on vit le P. Pavissich soutenir que le .Centre n'a jamais t un parti confessionnel, et dvelopper les consquences dsastreuses qu'aurait eues cette attitude, (voir notre numro du 1 fvrier 1909, pages 318 et ss. Voir aussi, 15 juin 1909, un article considrable de la mme Civtft, en faveur de la dmocratie constitutionnelle). Nous avons- galement cit les paroles de M. de Mun, (1 fvrier 1909, page 317), et reproduit divers articles du XX sicle,, de Bruxelles, du Bulletin
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de la Semaine,
de La
Libre
Parole
et de l'Eveil
dmocratique
(1
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octo-
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Sous ce mot et sur ce terrain se trouve engage une lutte dont la gravit n'est pas moindre que celle des discussions philosophiques et thologiques. Il s'agit de savoir si les catholiques, en Allemagne et dans les autres pays, adopteront dans les affaires politico-sociales une ligne de. conduite, oppose aux directions les plus pressantes de S. S. Pie X et abandonneront les principes de l'action catholique pour verser dans le modernisme social qui se rsume d'un mot : l'a-confessionnalisme dans la vie publique. Dans une srie d'articles de cette revue, on a tudi fond cette question au point de vue des principes et nous avons e u la haute satisfaction de voir nos conclusions sanctionnes par les actes subsquents du Saint-Sige (1). Il faut ici la considrer dans les faits.
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En Allemagne comme en France, elle se pose dans deux ordres, d'ailleurs connexes : l'organisation des uvres conomiques et sociales et la conduite politique. Chez nous, c'est plutt la non-confessionnalit de celle-ci, favorise sinon pratiquement exige par le ralliement la Rpublique, qui a pouss l'cole des dmocrates chrtiens prconiser la non-confessionnalit des uvres conomiques, et sociales : en Allemagne, la marche du mouvement a t plutt inverse. L'expliquer brivement sera expliquer du mme coup l'volution du Centre.
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Le Centre, pendant longtemps, fut un. parti confessionnel exigeant de ses. membres non-catholiques fort rares et simples Hospitanten la profession ouverte du christianisme positif, croyance commune aux catholiques et aux protestants, et poursuivant avant tout, sous la direction de ses chefs, catholiques illustres, la dfense des intrts religieux-, des liberts essentielles de l'Eglise. Par la suite naturelle des choses, aprs la fin du Kulturkampf,. le dveloppement des forces catholiques et les vnements sociaux: l'ont amen se transformer en parti politique. C'est toujours parmi les catholiques que le Centre recrute ses lecteurs; llaction du clerg lui est acquise. Mais il s'est de plus en plus dparti de- son habituelle intransigeance, au (point d'aspirer * devenir une fraction d'un grand parti chrtien, du. moins de nom; Une partie de- l'piscopat croit avoir de bonnes raisons de favoriser cette politique 'interconfessionnelle. Cette volution s'est produite sous Une double influence. Les catholiques et l'es protestants- allemands se sont d'abord, rencontrs sur le terrain conomique et social avant que- la lutte parlementaire les ament s'unir sur le terrain politique. Le progrs de la social-dmocratie et le caractre nettement antireligieux d e ce 1. L'action sociale catholique.. Le problme d'une action sociale catholique non confessionnelle : 15 juillet, 1 et 15 aot, 1er t 15 septembre
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1909.
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parti avaient inspir aux catholiques, peut-tre plus tort qu' raison, l'ide d'un vaste mouvement interconfessionnel entre chrtiens, catholiques et rforms, dont les forces s'opposeraient au formidable groupement socialiste. On peut saisir ici un rapprochement avec le mouvemenL qui s'tait prcdemment dessin en France. Ainsi furent fonds, d'un commun accord, mais surtout, qu'on le remarque, par l'initiative des catholiques, les syndicats chrtiens . Peut-tre aussi tail-co l U n prtexte, une o c c a s i o n favorable pour ceux qui aspiraient dconfessionnaliser le Centre et l'action catholique. On oppose donc les syndicats chrtiens aux syndicats catholiques . En ralit, c'tait toute l'action sociale et religieuse qui s e trouvait en cause. Les consquences furent considrables. Aucun fait ne prouve mieux la gravit du flchissement que l'adhsion ce mouvement du Volhsverein, cette vaste organisation de dfense religieuse par l'association, la presse et les services d'informations, fonde spcialement sous l'inspiration des anciens chefs du Centre pour le soutien do la cause catholique. Et cette propension ne date plus d'hier. A propos des polmiques actuelles, un journal viennois observait rcemment : On n'a point assez fait attention une parole du directeur du Volksverein, le D Pieper, au congrs des reprsentants des fdrations Windthorst en 1907, Wiesbaden. Comme en discutait sur la question de savoir si oes fdrations devaient tre confessionnelles ou interconfessionnelles, un des assistants tira de la discussion des conclusions logiques. Puisque les fdrations Windthorst devaient tre interconfessionnelles, parce qu'elles taient des coles prparatoires au Centre, il demanda s'il devait en tre de mme, pour l a mlcme ai&on, de la presse du Centre et du Vollcsverein; il demanda qu'on les appelt dsormais presse et Volksverein pour la chrtienne Allemagne, et non pour la catholique Allemagne; et le Dr Pieper rpondit : Nous y arriverons aussi (Das kommt auch noch). (L'Univers, 12 septembre 1911). Voil qui est, e n effet, bien autre chose qu'une question de syndicats.
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Il n'est pas d'effort qu'on n'ait persvramment employ pour obtenir du Saint-Sige l'approbation, ou du moins la tolrance avoue des syndicats chrtiens. Cependant ni la situation particulire de l'Allemagne, ni les sollicitations de la diplomatie impriale et des cardinaux ou vques allemands, n'ont dtermin le Pape sortir de la rserve. On ne craignit pas de le faire parler mJalgr lui. A la suite d'un: plerinage des ouvriers allemands de Munchen Gladbach (sige du Volkverein) Rome, en avril 1909, la Klnische VoTkszeitung, le grand organe de la direction de Cologne , affirma que, dans son allocution l'audience, Pie X avait lou les catholiques de ce qu' unis aux protestants, ils travaillaient pour la conservation de la pense chrtienne . L'Osservatore romano lui opposa (23 avril) un dmenti autoris, malgr lequel le journal allemand maintint son affirmation et
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provoqua ainsi, peu de jours aprs, un nouveau et b u t aussi net dsaveu. A la fin de la mme anne, Pie X adressait au prsident de l'Union conomico-sociale catholique d'Italie cette lettre retentissante, sur le caractre des uvres conomiques et sociales, dont l'enseignement, ne pas s'y tromper, avait, au moins titre de direction, une po-rte universelle. Rpondant au doute ainsi pos : Quelques-uns dsireraient que le caractre d'association catholique n'appart pas aussi ouvertement, a f i n de runir de plus larges adhsions en recueillant dans la nouvelle organisation des groupements qui s'inspireraient mme seulement de Vide de l a justice chrtienne et aussi afin d'obtenir une reprsentation plus quitable auprs des pouvoirs publics , le Pape dclarait : Il est absolument impossible de l'accepter, et encore moins de l'approuver . Il e n donnait ces deux raisons. : D'abord, e n effet, les raisons allgues nous convainquent qu'on ne pourra pas obtenir ainsi la fin V i s e . . . En outre, il n'est ni loyal, ni digne de simuler en couvrant d'une bannire quivoque la profession de catholicisme comme si c'fait me marchande avarie et de contrebande . Loin de nous, certes, la prsomption de juger dfinitivement line cause qui demeure litigieuse et de nous prononcer sur le degr d'opportunit des syndicats chrtiens e n Allemagne. Il suffit notre sujet de marquer l'influence de leur mouvement sur l'volution d'une notable partie du Centre et des catholiques allemands. Quant aux rsultats obtenus par elle sur le terrain social, c'est d'autres de l'apprcier. M. l'abb Windolph, attach la direction de Berlin dont le catholicisme ne se prte aucune compromission, l'a fait aprs enqute srieuse dans plusieurs brochures. Un article de La Croix que nous avons reproduit (15 novembre 1910, page 214; voir aussi page 212) en rapporte des dtails fort intressants. M. Windolph conclut : Sous bien des rapports, les syndicats chrtiens ne s'accordent pas avec les principes chrtiens et conduisent une attitude souvent contradictoire avec les exigences d e la morale catholique . Dj, le 9 septembre 1907, M, Effert, chef bien connu du syndicat chrt i e n des mineurs, disait dans un congrs : Dans les questions conomiques, les syndicats chrtiens marchent la main dans la main avec les social-dmocrates .
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On lisait rcemment dans une tude adresse YUnivers par U n e minento personnalit catholique fort au courant du mouvement International : Les Syndicats dits chrtiens (interconfessionnels), qui sont dirigs par des catholiques appartenant au Centre, derrire lesquels s e cachent det- prtres, crue leur caractre sacerdotal ne domine plus assez exclusivement, livrent u n e guerre acharne ces organisations catholiques, mconnaissant ainsi l e s instructions pontificales, dans lesquel-
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les les Syndicats chrtiens sont tolrs, et les Syndicats catholiques (recommands. C'est une vritable fureur qui s'est empare de certains catholiques contre les organisations ouvrires dont le caractre religieux est accentu. Ils en arrivent tmoigner leur hostilit par des. manifestations dplaces et violentes qui sont l a preuve d'un tat d'esprit des plus inquitants, dans lequel le sens catholique parat profondment oblitr. Certains groupes catholiques, en Allemagne, parmi les plus influents, en Usent vis--vis de leurs coreligionnaires, lorsque ceux-ci les gnent dans leurs petites combinaisons, avec une dsinvolture et des procds dont on ne saurait s e faire une ide. T-ant\ ils font appel la conspiration du silence, tantt ils accablent l'adversaire sous une pluie de dmentis et de sarcasmes qu'on retrouve, selon un mot d'ordre, dans une quantit de journaux mobiliss cet effet. Nous voyons la presse infode la Gazette populaire de Cologne et dirige par le Syndicat de Y Augustinus-V erein passer sous silence, intentionnellement, certaines manifestations cathodiques et refuser mme les rapports officiels qui sont prsents . leur sujet. Il y a eu dernirement Berlin une grande et importante assemble des Syndicats- catholiques qui a prouv l'essor de ces organisations; c'est en vain que vous chercheriez une ligne de compte rendu dans plusieurs organes du Centre dont les colonnes sont remplies de renseignements sur des assembles protestantes ou neutres. Les ouvrages de beauooup d'auteurs catholiques ne sont pas mieux traits ds que certaines vrits y sont trop nettement rappeles, ds que certains principes mconnus y sont souligns. On ne craint pas d'intimer la- presse l'ordre de se taire et de faire le vide autour des publications qui dplaisent, mme lorsque leurs auteurs jouissent d'une rputation universellement reconnue dans le monde catholique. Le rsultat de tout ceci est que des auteurs catholiques rencontrent maintenant, parmi ceux qui devraient tre leurs amis, leurs plus dangereux adversaires, ceux qui touffent leur parole, ceux qui dnigrent systmatiquement leurs intentions. Cette tactique dsastreuse conduit des compromissions e t des effacements dont se rjouissent les ennemis de l'Eglise et dont ils [profitent. Comment les catholiques de tout pays ne seraient-ils pas dsorients en voyant la Civilt elle-mme, cette revue fonde par la Compagnie de Jsus, sous l'inspiration de Pie IX, pour tre le rempart du catholicisme, prendre fait et cause, comme elle l'a fait tout rcemment, en faveur du mouvement des syndicats chrtiens.? L'au-
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teur de cet article est le P. Biederlack. L'Univers (16 septembre) fait son sujet ces rflexions : < Le R. P. Biederlack, qui a sign ces pages, mrite une attention c toute spciale. Il e s t l'un des champions plus ou moins avous, de ce catholicisme social, teint de libralisme, o il n'est pas difficile de discerner quelques traces de l'universelle infiltration moderniste. Jadis recteur du Germanicum Rome, il passa pour l'un des plus fidles dfenseurs de l'ex-abb Murri et le pre spirituel de M. l'abb Sonnensche qui travaille, du centre de Mnchen-Gladbach, avec une ardeur inlassable, dclricaliser le catholicisme allemand. Le R. P. Biederlack semblait donc assez peu qualifi pour nous apporter la solution du difficile et dlicat conflit qui s'agite entre catholiques allemands; et l'on voit assez dans quel sens et dans quelles limites il sera bon de prendre la juste considration accorde sa documentation et son art. En ralit, chiffres et faits ont t magistralement exploits par lui pour frapper mort les malheureux clricaux allemands obstins dans leur confessionnalisme.
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L'autre influence qui amena l'volution fut celle de la politique. La politique est une grande corruptrice et les partis qui se constituent pour la dfense de nos principes sociaux et de nos droits catholiques* chappent difficilement certaines infiltrations dsorganisatrices. Alors qu'au dbut leur attitude tait franche et nette, ils en arrivent peu peu, quand l e progrs de leur force a oblig le pouvoir de compter avec eux, attnuer leurs principes pour accrotre leur puissance en gagnant des concours, voiler leur drapeau, cacher leurs traits primitifs sous le masque blafard d'un certain libralisme; et tout cela, loin de les fortifier, introduit en eux des germes de dissolution. ' C'est l'histoire du Centre allemand. Tant que dura la lutte confessionnelle, il fut trs facile ses chefs d'acqurir et de conserver des forces lectorales considrables. Grce elles, il devint puissant. La difficult commena lorsque le Centre changea d'objectif et que, n'ayant plus combattre pour les intrts religieux, il s'effora la conqute du pouvoir. Alors, comme le grand adversaire lectoral, c'tait la social-dmocratie, le Centre, sans cesser d'tre un parti religieux, devint un parti populaire, une Volkspartei. Et il parvint ainsi, en peu d'annes, au but que ses chefs s'taient propos; le gouvernement dut compter avec lui et accepter sa collaboration. Mais le jour vint o le Centre, de plus en plus fort, eut des exigences insupportables, et o le gouvernement songea se dbarrasser d'un alli trop autoritaire. Le parti catholique, sans attendre cru'on le congdit, changea encore une fois de tactique; M. Etzberger mena contre le gouvernement la fameuse campagne des scandales coloniaux, provoqua de la part d e
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M. Darnburg une dclaration de guerre qui, en jetant le Centre dans l'opposition, devait mettre le gouvernement en minorit. Ce fut la dissolution de 1907. Les nouvelles lections ne diminurent point les forces du parti catholique, mais elles permirent au chancelier de les tenir e n chec par la formation du Bloc conservateur-libral. JLa question financire mit le dsaccord entre les libraux et les conservateurs; le Centre s'unit aux conservateurs pour repousser le projet du gouvernement que soutenaient les libraux, et faire voter un contre-projet. Le prince de Bulow se retira, vaincu par le Centre qu'il avait voulu mettre la porte. Et les deux partis vainqueurs songrent depuis lors profiter de leur victoire et organiser une nouvelle conqute du pouvoir (1). De l, la nouvelle tacticfue du parti catholique et sa vellit prononce d'tendre son programme et d'largir ses rangs. On la couvre du prtexte d'une coalition chrtienne forme par les catholiques et les protestants unis aux libraux, en Vue de prvenir un nouveau IiultuJcampf. Mais la partie fidle du Centre ne prend pas cela au srieux et soutient qu'il doit rester confessionnel. Que deviennent, disent-i'ls, avec tout cela, ses principes et sa raison d'tre ? Le Centre a perdu de vue son caractre confessionnel, il a renonc au rle que lui-mme il s'tait'autrefois assign, il lutte pour le pouvoir comme un parti politique quelconque, avec cette diffrence que, pour conserver plus srement ses avantages lectoraux, il prend soin de donner son action politique un faux air de revendication et de dfense religieuse. Ce fut l'objet du grand et retentissant dbat soulev par MM. Bitter et Rren dans la runion de Coblentz en aot 1909. Nous l'avons relat dans cette revue (2). Finalement on parvint obtenir d'eux le retrait de leur proposition qui tait celle-ci : Il y a lieu de dfinir le Centre un parti politique ayant pour objet de reprsenter les intrts du peuple entier, dans tous les domaines de la vie publique, en conformit avec les principes de la conception catholique du monde. La grande influence que le Volksverein exerce sur la vie catholique exige une attache plus troite avec Vpiscopat. Quelles que soient les considrations qui ont dtermin le dsistement de MM. Bitter et Rceren et fait triompher e n cette circonstance M. Bachem, inspirateur de la direction de Cologne , la question reste pendante et continue, aujourd'hui encore, se discuter plus vivement que jamais. Les partisans de l'volution politico-relii gieuse ont beau vouloir nous mettre des illres et nous prescrire de faire la sourde oreille, il faudrait qu'ils parviennent d'abord imposer silence aux journaux et revues catholiques de l'Empire qui, chaque jour, font entendre des protestations vigoureuses. Dira-t-on qu'eux non plus n'entendent rien aux choses d'Allemagne? 1. Le Journal des Dbats, 15 sept. 1909. 2. 1 " octobre 1909, pages 524 et ss.
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Voici, par exemple, une lettre ouverte adresse il y a quelques semaines la Gazette de Cologne, journal de M. Bachem, par le Die-Stande-Ordining de Coblentz, sous la plume de M. Thodor Ochmen. Nous la citons parce qu'elle juge fond la nouvelle orientation, du Centre : C'est notre avis que votre tendance tout entire, quoique inconsciemment et dans les jmeilleures intentions, consiste en ceci : nous pousser dans cette voie, cette tendance qui crent une sorte de christianisme neutre, politique, qui enlvera fondamentalement l'Eglise catholique toute la vie politique, sociale, lgislative et industrielle, et par cela mme indirectement la vie religieuse sur une grande sphre. Quelle importance objective a donc encore le christianisme pour le bien-tre de l'Etat ou de la socit, si la formule chrtienne n'a plus ici un contenu dogmatique ou obligatoirement moral? Cette thorie conduirait ceci, que toute la vie publique des catholiques serait la longue dcisivement influence par les politiciens, qui tabliraient par l dans l'Eglise catholique une sorte de gouvernement ct d'un parti politique. Nous nous croyons tonus par devoir, en tant que catholiques, de protester le plus rsolument possible contre ces tendances et, aussi longtemps que cette tendance sera poursuivie, de mettre en garde contre la Gazette populaire de Cologne. Nous ne reconnaissons pour notre vie tout entire, au point de vue politique, religieux et conomique, qu'une seule rgle et qu'une seule direction, celle que la religion catholique et l'Eglise nous donne. Vous ne pouvez contredire la justesse de ce principe vous-mme, bien mieux vous la reconnaissez dans le numro 586, thoriquement, d'une faon lexpresse, mais pratiquement vous en excepteriez volontiers votre politique et Vous aimeriez la dlivrer de l'obissance envers l'Eglise. De cette manire, il est possible de 'dfendre continuellement l'Eglise catholique avec des mots, de fter toutes les autorits et tous' les guides catholiques, de mettre en vedette le nom catholique dans toutes les occasions, sans avoir besoin par l de mettre de ct dans pa vie pratique, comme en politique, .quelques incommodits dans le domaine de la morale ou de l'autorit ecclsiastique, et avant tout sans rsister au capitalisme et au socialisme d'Etat. L'a religion devient par l quelque chose de purement ecclsiastique, de purement intrieur, consistant aller l'glise, en des processions, en la rception des sacrements, tandis que la vie pratique est pleinement dchristianise sous le continuel maintien, la continuelle affirmation du nom catholique. Nos chefs ne se plaignent-ils pas continuellement haute Voix que cela est ralis dj sur une grande chelle? Et ne doiton pas chercher prcisment dans la sparation de la religion et de la vie, la source de la misre sociale de nos jours? C'est de .cette! semblable manire qUe de pareilles thories de choses purement conomiques ou purement politiques ou indiffrentes, ou d'un programme
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chrtien politique s'introduisent par fraude; et cela nous le repoussons avec indignation comme une erreur honteuse, parce que c'est conduire une foi sans les oeuvres, une sorte de protestantisme et prparer la fin de l'Eglise catholique en Allemagne en faveur d'un parti non-catholique. Si le Centre tait cela, ce que l'on pourrait croire d'aprs v o s phrases cites au commencement, ce serait le devoir de tout catholique de travailler nergiquement sa destruction et de fonder une fraction catholique, comme l'tait le Centre tout d'abord. On a vu plus haut que YAugustinus-Verein demandait une approbation entire et sans rticence de l'attitude du Centre dans la prsente affaire de la constitution de r Alsace-Lorraine. Elle fut pourtant misrable. A propos de cette Constitution, M. l'abb Wetterl, dput au Reichstag, a crit un article fort intressant dans le Correspondant du 10 juin. Sur la position prise par le Centre, il y a une page tjra tudie, et, comme dit Y Ami du Clerg, o tous les mots sont pess et portent. L'attitude du Centre est plus difficile expliquer et excuser (que celle des libraux). Jusqu'ici le grand parti catholique avait toujours soutenu les revendications des Alsaciens-Lorrains. Tant qu'il fut dans l'opposition, on le trouva constamment du ct des faibles : les Polonais et les Danois en ont eu cent fois la preuve. Que s'-etet-il produit depuis que le Centre est devenu, non pas parti gouvernemental, mais parti de gouvernement, et qu'en dplaant sesi cent voix, il forme sa guise la majorit au Reichstag? Quelques chefs trop diplomates ont pris got .au pouvoir ou, pour parler plus juste, l'action constante qu'ils exercent sur les hommes au pouvoir; car on n'a pas encore pu se rsigner leur accorder la, moindre place dans les conseils d e l'Empire. Est-ce sentiment exagr des responsabilits qu'ils encourent? Est-ce contagion de la mentalit des personnages officiels qu'ils sont obligs de frquenter? Estce simple dsir de manifester une libert de jugement et d'apprciation que leurs grands devanciers ne connaissaient pasi, quand les questions de principe se posaient? Est-ce conversion un chauvinisme dont le parti se gardait autrefois avec un soin jaloux? Est-ce dsir de rendre service au chancelier et aux autres personnages officiels dont l e 3 sourires ont, pour ceux qui en ont t longtemps sevrs, une sduction particulire? Est-ce enfin l'action corrosiVe qu'exerce fatalement sur les caractres les mieux tremps l'habitude, si vite acquise, de se montrer toujours habile alors qu'il suffirait souvent d'tre (convaincu et nergique? Le fait est que, depuis deux ans, la politique du Centre est devenue flottante. Ses dcisions dconcertent. Au sein mme du parti, des rvoltes se produisent. Les chefs ngocient avec le chancelier ou avec les autres comits de fractions, sans prendre auparavant l'avis de leurs amis politiques. Ceux-ci se trouvent presque toujours devant un
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fait accompli, quand on daigne enfin le3 mettre au courant de ce qui s'est pass au cours de ces confrences mystrieuses. Ils votent ensuite, non par conviction, mais par discipline, souvent en protestant avec indignation contre l'attitude dont on leur impose la complicit. L'affaire Heim a dj failli provoquer une scission. Des dfections se prparent. Si l'on n'y veille pas, les murs de la tour du Centre mcntreront bientt les fissures qu' grand'peine on a russi jusqu'ici dissimuler sous un pltras sans cesse renouvel. L'ancienne devise du Centre que Mallinkrodt avait donne aux catholiques allemands tait : Pour la vrit, pour le droit et pour la libert! Ils ont fait de grandes choses tant qu'elle est demeure l'me de leur action.
Emm. BARBIER.
Ce n'est pas l'individu qui possde, qui exerce les droits par lesquels on est rellement libre. f (L'Avenir, 7 janvier 183J..). .Les deUx prcdents chapitres nous ont donn quelques aperus suffisants sur ce que j'ai nomm Fidalisme de Lamennais pour que nous abordions enfin une tude plus dtaille des ides politiques de ce chef d'cole, exposes dans le journal Y Avenir. Lorsqu'on feuillette cet .trange journal, ce qui frappe au premier aspect, c'est prcisment Verreur librale que nous avons souligne et sur laquelle notas n'appuierons pas outre mesure pour ne pas tomber dans le lieu commun. Trs certainement, si l'on s'en tient la lecture superficielle de ce journal, il est absolument indubitable crue l'influence de Lamennais ne pouvait qu'tre extrmement fertile en erreur et e n malfaisance; d'autant plus que les esprits, avant notre poque, n'taient nullement prpars tirer du fatras les quelques' ides positives et fcondes que les ardents crivains y avaient ensevelies. Malgr tout, l'Avenir recle dans ses profondeurs toute une riche 1. Voir les numros des 1 et 15 juillet, 1er et 15 aot 1911.
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mine de politique vraiment exprimentale. Seulement ce programme est tellement enfoui sous un monceau de dcombres, qu'il faut un coup d'il scrutateur pour dcouvrir ce qu'un simple regard distrait ne sauraiL souponner. Ce sera, si vous voulez, les dbris d'un beau vase mls un tas, d'immondices que nous ramasserons. Nous les dbarrasserons des impurets qui les souillent, nous les juxtaposerons, et peu peu, morceau par morceau, nous reconstituerons la pice tout entire. Ce qui droute et fourvoie la plupart du temps la critique, c'est, mon sens, l'ambigut des mots, qui, en ces matires surtout, est chose presque fatale. Le m!ot de Dmocratie est un de ceux que l'on a truqu pour des besoins divers, et je crois qu'il faut y prendre garde. C'est, entre autre exemple, pour s'en tenir aux mots sans s'occuper du contexte, que les diverses apprciations que formula la petite Revue du Sillon s'ur Lamennais, m'apparurent toujours trangement errones. L'oole librale considre Lamjennais comme foncirement dmocrate. Rien n'est plus faux. Lamennais et son journal ne sont pas dmocrates. Cela parat risqu; c'est pourtant vrai, car l'on n'est pas dmocrate par le seul fait qu'on aime le bien-tre social de la classe populaire et laborieuse, tant s'en faut. Et que de braves gens font cette confusion! L'cole cle VAvenir (car les articles qUe je signalerai ne sont pas de Lamennais, seul) est, si je puis m'exprimer ainsi, intentionnellement dmocrate, mais, elle ne l'est pas effectivement. Il ne suffit pas de se rclamex d'une conception philosophique ou sociale pour tre en conformit d'ides et de vues avec elle. On peut, par exemple, se ^dclarer catholique toute preuve, tout en professant des ides anticatholiques. Le mme cas se prsente pour le dmocrate. Or, mon avis, Lamennais, malgr ses proccupations dmocratiques, a soutenu diffrentes thses, qui apparaissent, pour peu qu'on soit familier avec Y Avenir, comme les ides politiques essentielles de Lamennais, et ces diffrentes thses prtentions dmocratiques sont la contradiction la plus flagrante des principes dmocratiques. C'est Une question de fait et non une affaire d'apprciation; l'on n'a pas le choix, on ne peut que le constater. Du moins, telles sont mes conclusions, aprsun srieux examen. Mais par exemple cela ne peut se prouver qu' grand renfort yde textes, ce qui est toujours trs monotone, malgr tout le soin qu'on mette vivifier une dmonstration; il faut cependant en passer par l pour vider la question.
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mermis? D'abord sur une constatation qui revient sans cesse sous sa plume et quelquefois sous celle mme de ses disciples et collaborateurs. Mais on l'a dit : l'Avenir, c'est Lamennais . Le point de dpart de Lamennais, c'est que, la dmocratie, c'est-dire l'ascension du peuple au pouvoir et le droit de contrle qu'il exerce sur les affaires nationales, est un fait acquis, fait prpar de Jonguo date et dont l'accomplissement a t retard par la monarchie absolue, fait dsormais inluctable. Il y a l dj * n motif essentiel pour lequel, nous nous en Tendrons mieux compte dans la suite, Lamennais dteste l'ancien rgime, et c'est une raison, pour lui, dfinitive, de se tourner du ct de l'Avenir, du progrs, de l'inconnu. Or, cette erreur historique, (car c'en est formellement une, et nous sommes mme, aujourd'hui, de le prouver), mrite bien que nous nous y arrtions un instant. Le plus sr est d'invoquer le tmoignage d'autorits. Nous avons d'abord l-dessus les travaux de Taine : Avant 1789 dit Taine (1), il y avait encore des personnes collectives, provinciales et communales. D'une part,, cinq ou six grands corps locaux, reprsents par des assembles lues, bien vivants et spontanment actifs, entre autres le Languedoc et la Bretagne, se dfrayaient et se rgissaient encore eux-mmes; les autres provinces, que le pouvoir central avait rduites en circonscriptions administratives, gardaient au moins leur cohsion historique, leur nom immmorial, le regret, pu du moins le souvenir de leur ancienne autonomie, et et l, quelques vestiges ou lambeaux de leur (indpendance dtruite; bien mieux, dans ces vieux corps paralyss, mais non mutils, la vie venait de rentrer, et leur organisme renouvel faisait effort pour pousser le sang dans leurs veines : sur tout le territoire, vingt et une assembles provinciales, institues de 1778 1787 et pourvues de pouvoirs considrables, entreprenaient, chacune chez elle, de grer les intrts provinciaux. A la commune urbaine ou rurale, l'intrt communal avait aussi ses reprsentants. Dans les villes une assemble dlibrante, compose des principaux notables et dlgus lus par toutes les corporations et communales de l'endroit, formait un conseil municipal, intermittent comme aujourd'hui, mais bien plus amlple, qui votait et prenait des rsolutions dans les occasions majeures; sa tte tait un grant collectif, le corps de ville , qui comprenait les divers officiers municipaux, maire, lieu-* tenant du maire, chevins, procureur, syndic, trsorier, greffier, tantt lus par l'assemble dlibrante, tantt acqureurs, hritiers et propritaires lgaux de leur office, comme un notaire ou un avou l'est aujourd'hui de son tude, abrits contre les caprices administratifs par la quittance du roi, et, moyennant finance, titulaires dans leur 1. Le Rgime Moderne , p. 222, tome II.
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ville, comme un parlementaire dans son parlement, par suite, implants ou greffs perptuit dans la commune, comme un parlementaire dans sa compagnie, et, comme lui, dfenseurs de l'intrt local contre le pouvoir central... Tous ces restes de l'ancienne initiative provinciale et communale, respects ou tolrs par la centralisation monarchique, sont crass et anantis... . Or, qUi dit dcentralisation, dit limite au pouvoir central et ce n'est pas 'une page de Tai ne, mais cent qu'il faudrait citer si l'on voulait montrer toute sa pense sur ce point vital. Ceux qui ont les Origines, (et qui ne les a pas lues?) l e savent parfaitement. L'autorit de Taine comme historien est imposante malgr les chicanes que M. Aulard lui a cherches sur des questions de virgules, lequel M. Aulafd a t lui-mme pris e n dfaut par M. Augustin Cochin dans Un article fort remarqu de l a Revue des Deux-Mondes. Aprs les travaux de Taine, il demeure incontestable qae l'uvre qui s'imposait en 1789, c'tait quelques rformes de dtail, quelques retouches, et nullement un bouleversement absolu de la vieille constitution franaise. Si l'on s'en tait tenu aJux v u x de la nation rdigs dans les cahiers de 1789, l'uvre nuisible de l'Encyclopdie aurait chou. C'est prcisment cela qu'ignorent de parti pris les dmocrates chrtiens. Dans la Rvolution ils s'obstinent voir un effort du peuple franais pour se dgager des liens qui l'unissaient au monarque reprsentant d'une longue ligne de rois qUi firent la France pice par pice. ' C'est l'erreur que prche Marc Sangnier avec beaucoup de succs. Un prtre de ses adeptes, m'crivait rcemment : Vous professez que la Rpublique est incapable, que son histoire est convaincante, que la monarchie est seule apte et que son histoire le prouve. .Te proteste quo la Rpublique n'a que 55 ans d'essais e t de tentatives inexprimentes ct de quatorze ou quinze sicles de traditions plus ou moins monarchiques... L'une n'a pas apport la solution de nos maux, hlas 1 n o n ; l'autre les avait si peu guris que les Franais
Vont abandonne!
Il est facile de faire remarquer qu'Un gouvernement car un gouvernement n'est qU'un systme d'administration qui trouve son installation au pouvoir une nation toute constitue, (ceci change considrablement la question), extrmement prospre au point de vue conomique el forte l'gard de l'tranger (nous allons en donner les preuves) nous disons que ce gouvernement n'a aucun prtexte fournir de son incapacit, si aprs quarante ans d'essai, il a chou, de l'avis de tous. C'est qu'alors sa structure interne, son organisme mme es't dfectueux et il faut rechercher de quelle faon. Car enfin dfaire en cent ans ce que la monarchie a fait durant des ^sicles, cela doit servir de mesure t l'incapacit de la Rpublique.
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Pour cela je vous renvoie Maurras; car cette dmonstration est l'uvre propre de ce gnial et raliste penseur. Mais qu'on vienne nous dire, en se faisant l'cho de l'ignorance silloniste que la monarchie tait si incapable de grer nos affaires publiques, que les Franais l'ont abandonne! cela nonl Le tmoignage du rpublicain Saint-Simonien, Laurent de l'Ardche, que j'ai abondamment cit dj, dans les premires pages de ce travail, n'est certes pas suspect d'indulgence pour l'ancien rgime. . En 1792, (disait-il en 1877) (1), la proclamation de la Rpublique en France ne fut pas le rsultat -de l'ducation politique et de la marche progressive de l'esprit libral dans toutes les classes de la nation, non, la population n'tait pas alors thoriquement convertie la Rpublique. L e prjug, dans les ateliers, dans les champs, comme dans les salons "(c'est--dire de toute la masse franaise) tait encore profondment monarchique . Remarquons l'adverbe profondment. Quand on veut extirper quelque chose de ^profond, on emploie la violence, et c'est c e que firent nos Jacobins. Voyons maintenant comment l'ancien rgime tait incapable, et pour qu'il n'y ait pas d'quivoque, prenons l'poque que Ton est convenu de considrer comme la dcadence de la Imonarchie et de ses bienfaits. L'tat monarchique tait-il incapable de dfendre nos frontires et la France tait-elle sans direction srieuse l'gard de l'tranger, aux abords do 89? A cette question je laisse rpondre M. Etienne Lamy, un rpublicain qui n'est pas un ralli et qui jouit de la pleine confiance des dmocrates chrtiens. M. Etienne Lamy crivait dans le Correspondant du 25 Septembre 905 un remarquable article dont Ch. Maurras dans Kiel et Tanger donnait en appendice un large extrait; je ne me ferai aucun scrupule de lui emprunter une partie du mme texte, car notre but, 'ce n'est pas de raliser, je ne sais quelle fracheur d'rudition qui nous parat sinon parCai'ement ngligeable, du moins secondaire, mais de faire la lumire sur les diffrents points que les sophistes de la rbellion pour parler comme Barruel, sont venus obscurcir . M. Etienne Lamy crivait donc : Sous l'ancien rgime, un monarque hrditaire veillait sur les intrts durables, sans demander conseil aux gosmes viagers de ses sujets. Son rang parmi les rois tait fix par le rang de son royaume parmi les Etats. Ce n'tait pas Une garantie pour le repos des peuples, c'iait une sret contre l'oubli de leur grandeur. La fortune de chaque Etat trouvait le principal de ses facilits ou- de ses obstacles dans les dispositions ides autres couronnes. C'est donc au dehors que Vatlcntion du Souverain tait naturellement appele. S'y mnager des amitis par l^s alliances 1. uvre de Saint-Simon et d'Enfantin : Le nouveau Christianisme , prface, p. VIII.
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de famille, y surveiller les intentions et les prparatifs des cours par Une diplomatie attentive et, quand il y avait lieu, oorruptricie, tenir un march perptuel de combinaisons o s'changeaient les concours et, par un travail continu, liminer de ses desseins l'ignorance et de ses entreprises le hasard, voil parfois le secret du' roi toujours le devoir du roi. m II y avait une opinion publique, mais elle n'tait pas faite par l'a multitude. Celle-ci ne se reconnaissait pas comptente sur la politique, DE TOUTES LES SCIENCES LA PLUS COMPLEXE, et recevait docile ses penses de trois aristocraties : l'glise, la noblesse et cette bourgeoisie qui, sous le nom de Tiers Etat, administrait les villes, exer-i ait les professions librales et dirigeait les mtiers. C'est elles que les rois donnaient la parole dans les circonstances extraordinaires o ils consentaient recevoir des avis en mme temps que des subsides : c'taient elles qui, par l'action de l'enseignement, de l'exemple et du prestige, taient les vocatrices perptuelles d'une plus grande France. ("Vient Une numration des minents services des trois ordres). Grce cette hirarchie sociale et ses influences concordantes, Un tmoignage perptuel tait rendu la mission de la France dans le monde par tous ceux dont les paroles et les actes avaient autorit. La foule qui, rduite ses propres ides, les et tenues closes dans Fenceinte troite des intrts quotidiens, recevait, par l'enseignement de ses chefs, l'intelligence d'une vie plus vaste, de doctrines plus nobles, s'levait Un idal de gloire nationale, avait une vision des sacrifices dus par chaque tre aux autres, par chaque gnration la race, par chaque ra^e au genre humain (c'est exactement le contraire en dmocratie, chaque gnration ne voit pas plus loin qu'elle-mme, car s'il n'y a pas de commune mesure entre le prsent et le pass, quoi bon prparer grand renfort de sacrifices, ce qui sera demain probablement reni par une autre gnration. .Le principe d'hrdit, le principe vital des nations est formellement mpris, pitin par la dmocratie et c'esL pour cela qu'un peuple qui s'y abandonne dchoit peu peu et finit par disparatre) (1). Sans doute, les rois eux-mmes et leurs auxiliaires apportaient l'uvre leur caractre de Franais : l'allure de leur sagesse n'tait pas rgulire. Dans les monarchies absolues, tout vice du souverain, s'il amoindrit chez ce matre la volont saine qui est la garantie des sujets, devient un malheur public. Mais, malgr le dsordre de ces mouvements, l'quilibre de notre fortune finissait toujours par se rtablir, tant taient efficaces et stables les institutions. LEUR PUISSANCE
RPARATRICE DISPARATRE. APPARUT ENCORE LA VEILLE DU JOUR OU ELLES ALLAIENT
L'initiative des Franais, donnant la nire-patrie deux royaumes d'Amrique et d'Asie, le Canada et les Indes, a travaill en vain pour le roi qui s'amuse. Louis XV, qui n'a pas aid' leur l. La parenthse est de nous.
DU DMOCRA.TISME
CHRTIEN
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conqute, n'a employ sa prrogative qu' les abandonner et n'a pas plus pleur leur perte que la mort d e Mme de Potnrpadour. MAIS POUR
QUE TOUT SOIT REMIS A SA PLACE, IL SUFFIT QUE LE ROI REPRENNE LA
SIENNE. Avec Louis XV, la tradition de notre politique se renoue comme d'elle-mme. Nos armes prennent contre l'Angleterre une revanche coloniale, en aidant l'mancipation des Etats-Unis. Nos flottes obtiennent l'avantage sur les flottes britanniques. Avec ces forces reconstitues renat l'espoir secret de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV, qui, tout en maintenant au jour le jour le pacte des Valois avec l'Islam, rvaient de revenir la politique des Captiens et de partager entre la chrtient l'empire ottoman. Les anciens pourparlers recommencent entrei la Russie et l'Autriche poUr fixer les prtentions de chacun sur l'immense dpouille. La part reconnue la France par les chancelleries trangres est la Syrie et l'Egypte, d'o sera reprise l'Inde. La France assemble sans prcipitation loues ses chances et attend, prte et attentive, l'occasion de cueillir au moment propice le beau fruit qui mrit pour elle. C'est alors que la Rvolution dtruit l'ancien rgime et que commence notre impuissance en tablir solidement aucun autre (i). Ainsi donc devant cette page, d'Iune porte toute positive (puisqu'elle e^t historique et que la fantaisie de l'auteur, n'entre ici pour rien) devant cette page tombent comme Un chteau de cartes sous le coup d'une chiquenaude, toutes les niaiseries que le mensonge jacobin avait rpandues et que nous acceptions si btement ayons le courage de le dire sur cet ancien rgime, pour lequel le 5ieu commun nous tenait lieu d'opinion. Je prendrai mm'e Un malin plaisir rapprocher de cette forte page d'Etienne Lamy, c'est--dire d'un homlme qui sait Q qui mesure la porte de ses paroles, cette autre page de notre cher M. Sangnier, que nous ne perdons jamais! de vue, parce qu'il a prcisment dvoy le sens comlmun de toute une gnration qui est la ntre. Avez-votas remarqu, au dbut de la citation prcdente ce passage : Il y avait Une opinion publique, mais elle n'tait pas faite pour la multitude. Celle-ci lie se reconnaissait pas comptente sur la politique, de toutes les sciences la plus complexe et recevait docile, ses penses de trois aristocraties... . A cette remarque d'un homme
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1. Maurras concluait (Kiel et Tanger, p. 329): On n'a pas expos plus clairement les fonctions vitales de l'ancien Etat! Ohl sans doute, M. Etienne Lamy peut ensuite se reprendre ou se drober par quelques formules de fatalisme mystique, comme il en court un peu partout de nos jours : La Monarchie est morte, vous ne la ressusciterez pas . Mais ce sont l des mots qui ne signifient rien. Les ralits comptent seules. Une ralit bien constate, une ralit vivante et agissante, une force donc, c'est l'aTticle du Correspondant. Il n'y a qu' l'utiliser pour notrs propaga^Ce, d'o s'lancera tt ou tard, sous la pression des circonstances, un tat d'esprit royaliste, la faveur duquel la Monarchie dmontrera sa subsistance et sa puissance en reparais&ant .
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qui sait, comparez .celle-ci d'un homme qui ignore dans toute la plnitude du mot le b-a ba, des questions sur lesquelles il proro sans rpit et qui se contente de tout dduire d'un principe absurde et dangereux pour son pays. Nous sommes la runion publique que Marc Sangnier tenait le 3 octobre 1905 aUx Socits 3avantes, sur Y Arme et la Patrie. Un contradicteur objecte que le gouvernement devrait consulter la nation sur les questions diplomatiques et Marc Sangnier de rpondre : Si le contradicteur veut dire qUe les peuples devraient tre consults, je suis compltement d'accord avec lui. Je trouve! que notre politique trangre, bien que nous la qualifiions de politique dmocratique, est absolument monarchique, et que l'une des grandes uvres de la dmocratie, ce doit tre prcisment de travailler} no pas laisser toutes les questions de politique trangre inconnues de la masse du peuple, et rgles par des ministres qui n'informent mme pas de leurs intentions le Parlement, bien loin donc d'en faire part au peuple. Quant l'ide de conclure des traits entre la France! et des pays qui seraient disposs rompre ces traits propos d'une divergence de vue quelconque sur une question conomique, elle ne me parat pas extraordinairement intressante. Notas devons plutt travailler de plus e n plus oe que la nation tout entire soit (au courant de la politique internationale. Je voudrais que la France donnt cet exemple unique aU monde d'un peuple qui aurait assez de dignit, assez de matrise de soi pour pouvoir faire lui-mme ses affaires extrieures, comme il fait lui-mme ses affaires intrieures. Nous sommes donc tout fait d'accord star ce point (1). AU tmoignage inform de M. Etienne Lamy sur la vitalit franaise, ata point de vue de la [politique extrieure; au tmoignage non moins inform de Taine .star la bonne 'qualit de l'organisme de l'ancien rgime, j'ajouterai celui, trs prcieux aussi de M. Funck-Brentano sur la vitall conomique de la fin de l'ancien rgime. Le rgne de Louis XV, dit-il, a t Van des plus remarquables de notre histoire; poque d e prosprit matrielle, de prestige et de rformes. Depuis le milieu du XVIII sicle dj, ainsi que le fait observer M. Marius Sepet, l'industrie avait pris chez nous le plus brillant essor; mais les Franais taient impatients et le mouvement mme qui les portait en avant les poussait vouloir aller plus vite encore. Finalement ils n'eUrent plus d'yetax et d'oreilles que pour les hbleurs, les utopistes et les politiciens qui ouvraient devant eux,
e
1. Qu'on ne me dise pas que oe n'est plus l'opinion de Marc Sangnier. J'ai pouss le scrupule jusqu' passer au sige de la Dmocratie pour demander les brochures dont ja me sers (dans -ces articles. J'ai bien insist pour savoir si ces brochures dataient d'aprs la condamnation. Il m'a i rpondu que .tout co qui concernait les opinions errones de Marc Sangnier n'tait plus mis en vente. On avait fait un triage. Je suis donc parfaitement en rgle.
DU DMOCRATISME CHRTIEN
SoD
quelques-uns de la meilleure foi du monde, les plus sduisantes perspectives et cette magnifique course au PROGRS se termina par une culbute. Selon une erreur trs rpandue, le regne de Louis XVI n'aurait plus t qu'une poque d'alanguissement et d'inertie : l'tudier de prs, on est au contraire tonn d'y trnuvetf tant de vigueur, d'nergie, d'entrain et d'ardeur. Ce n'est pas de cette faon-l que sont tournes les dcadences : l'arme est rorganise, la marine reconstitue; sous l'habile impulsion de Vergennes, notre diplomatie reprend la direction du concert europen; enfin les arts et manufactures sont ports leur perfection. Par u n long labeur, la France tait parvenue, dans le cours du sicle, se donner Une exprience prouve, qUe les gnrations successives amendaient, compltaient, modifiaient en l'adaptant d'ge en ge aUx besoins nouveaux. D'o tait sortie une organisation du travail, qui avait fait la prosprit du pays et avait port les. productions de ses artisans une perfection sans pareille, une perfection dont rien n'avait approch dans le pass, dont plus rien n'approchera dans l'avenir, il n'est pas tmraire de l'affirmer. Et ce fut prcisment sous Louis XVI, l'poque o gouverna Turgot, que ces arts parvinrent ldur plus haute matrise. Les peuples les plus divers en taient devenus nos tributaires (1). Il ressort nettement de ces forts tmoignages que la Rvolution, sous ses prtentions btement progressistes, n'tait qu'une rupture avec le progrs, si l'on prend ce mot, non plus avec son cortge de lubies, mais dans le sens d'amliorations fondes en droit, bases sur l'exprience. Quand donc Lamennais considre la Rvolution comme une source de progrs, comme une phase du progrs, Lamennais sacrifie donc l'histoire l'idole du jour, son point de dpart est trangement faux, ce n'est qu'un prjug. L'ancien rgime mond et il devait l'tre davantage, si l'on s'en ft tenu aux vceux des cahiers de 1789 allait continuer Jde mener notre pays la gloire par la prosprit, si la Rvolution, au nom du progrs, n'tait venue retarder pour longtemps notre tranquillit et notre prosprit intrieure. Quant dire que la monarchie tait dlivre de tout contrle, c'est aUx. M. Etienne Lamy nous l'a dmontr. Seulement le roi gouvernait pendant qUe le pays s'administrait et l'on n'assistait pas ces dchirements intrieurs qui nous puisent. Les Franais d'alors, plus positifs, prfraient les liberts relles, au vocable de la Libert tout colurt, et ils savaient qu'on ne fait rien de solide que sur une base hrditaire, ils avaient la notion de la socit et c'est pour cela qu'ils n'auraient jamais song a u rgime du chacun son tour, si la Jiorde 1. Article de Funk - Brentano. Revue Hebdomadaire, 29 octobre 1910, h propos d'un livre du Marquis de Sgur : Au couchant de la Monarchie .
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barbare, sortie des coles protestantes et des synagogues:, n'avait invent, poiur tuer la France et travers elle la chrtient, toutes ces doctrines sophistiques, qui, avec Lam:nnris, pntraient dans le sanctuaire et devaient trouver protection l'ombre mme des autels.
II ' Mais Lamennais et son cole devaient chapper leur insu l'influence de la Rvolution par l'lude exprimentale des problmes politiques et sociaux de le'ur poque. Etrange chose I Lamennais croit suivre l'impulsion -de 89, alors qu'il se drobe presque totalement son emprise. Il no faut pas l'oublier, c'est que le Vandalisme rvolutionnaire, en matire d'institutions sociales, commenait faire sentir ses effets, en 1830. La monarchie pnle tout un ordre de choses qui la paralysait, n'avait presque plus, d'elle-mme, qUe le nom. Tel qu'il tait, emptr dans Je bourbier parlementaire, ce rgime bienfaisant tait la merci des intrigues; il n'tait pas viable. Tout au moins avait-il cet norme avantage sur la Rpublique, de sauvegarder un amboalu d'hridit (ei de retarder le pillage complet de nos ressources nationales. Seulement, de s a nature mme, il tait incapable do rsister aUx lments morbides qui s'agitaient dans la nation. Les institutions qui l'entouraient n'taient pas assez rsistantes, pas s&sez naturelles, pour neutraliser la pousse rvolutionnaire. Et c'est cette pousse qu'on a appele le fait inluctable de la Dmocratie. C'est ce qu'on prend pour base du loyalisme rpublicain. Mais il tait absolument fatal que le flot dmocratique l'emportt quand on lui ouvrait toutes les cluses! De tous temps, sous toutes les civilisations, la rvolution attendit aux portes de la cit l'heure propice, et le jour o elle pntre, soyez-en sr, c'est qu'il n'y ja dj plus de gouvernement. Le corps social, dit M. J|ules Delafosse, dput bonapartiste, a comme le corps humain, ce que les mdecins de Molire appelaient ses humeurs peccantes , c'est--dire, des principes morbides, des lments rfractaires ou malsains, en rvolte chronique contre l'ordre, qui est la sant. Ce sont, d'une part, les apptits et les passions dmagogiques; puis, d'autre part, les hostilits de religion ou de race, ou simplement les discordances d'humeur qui conspirent contre le gnie de la nation. En temps ordinaire, sous un rgime d'conomie bien rgle, d'hygine intelligente et svre, ces lments de dsordre sont canaliss, expulss ou contenus; le gros de la nation mme ne les connat pas. Mais il vient des moments o, par suite d'imprudences, ou d'accidents, les rgles prservatrices de l'ordre social sont bouleverses. Alors tous les lments ennemis se reconnaissent et s'unissent
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leur tour en rgime, et gouvernent pour leur propre satisfaction; c'est ce phnomne pathologique qui s'est appel la Rpublique (1). Par une aberration inexplicable, cette gnration de 1830 appelait de tous ses veaux la Rpublique dmocratique, c'est l'impression qu'on a en lisant les journaux de l'poque, et Y Avenir ne fait pas exception, tant s'en faut. Seulement Lamennais et ses collaborateurs ont une conception tellement part du rgime qu'ils appellent cependant Rpublique, qu'on ne peut pas, sans, trahir leur plus intime pense, les considrer comme des rpublicains. Il y a plus de distance entre la nuance politique de Marc Sangnierj et de Lamennais, qu'il n'y en a entre M. E. Faguet, par exemple, et le mme Marc Sangnier. Nous arrivons ici dans le vif du sujet, et rien ne m e parat plus intressant que de surprendre nos dmocrates faisant, sans le savoir, eux-mmes, la plus forte critique qu'on ait peut-tre jamais faite, du democratismo chrtien dont ils sont cependant, et malgr tout, les pres, si l'on s'en font au mode d'influence qu'il ont exerce. Il est certain, ne se fier qu'aux apparences, sans comparer les divers points de vue dvelopps dans l'Auenir, sous couleur de dmocratie, que Lamennais parat dmocrate. Ds les premiers numros de Y Avenir, nous pouvons le constater. Ainsi il dira dans un article du 17 octobre 1830 : On l'a dit, et rjien de plus vrai, il n'existe maintenant en France que des individus. Tous les centres particuliers d'influence politique fonde sur des droits spciaux et des intrts distincts, toutes les hirarchies, toutes les corporations ont t dissoutes; et ce travail de nivellement achev par la Rvolution, avait commenc plusieurs sicles avant elle sous la monarchie qui dgnrait rapidement en despotisme!. La consquence de ce fait universellement reconnu, c'est qu'il ne peut aujourd'hui exister en France qu'un seul genre de gouvernement, la rpublique. Quelque nom qu'on lui donne, sous quelque forme qu'on la dguise, ce sera elle, et uniquement elle, qu'on aura d'ici longtemps . DeUx principes opposs taient e n prsence, se combattant perptuellement : le principe monarchique sans force relle, sans racine dans les murs, sans appui solide dans la nation, et le principe dmocratique dans toute la vigueur d'une premire sve li aux intrts publics en harmonie avec les habitudes et les ides rgnantes, consacr fondamentalement par les lois. On s'est obstin faire prvaloir le premier de ces principes, le second a rgi, le troisime est tomb . * Et que penser des propos suivants : Un autre ge commence et avec lui Un rgime nouveau ; perlant des peuples, l'auteur dclare (c'est probablement M. l'abb Ger1. Article! de la Revue Hebdomadaire : La mle des partis, 1910.
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SOCIAL
bel, 1-article est sign G.), ils sont mancips ils ont atteint l'ge majeur, ils peuvent se conduire seuls (1). Le 17 janvier 1831, c'est Un article sur le suffrage: universel. JLe 7 fvrier suivant, un autre article sign H., sur la loi des communes o il est dit : Il faut rechercher cruelle est, dansi un tat dmOcra- tique comme le ntre, la source de toute autorit civile. C E T T E SOURCE E S T INCONTESTABLEMENT LA NATION. Sans doute l'auteur fera remonter jusqu' Dieu l'autorit civile, mais qui ne voit le danger social d'un tel enseignement? Le peuple est peu thologien, enseignez-lui qu'il est le souverain et vous aboutissez au mme rsultat que les rvolutionnaires. Le 28 fvrier de la mme anne je relve, clans un article non sign et (fui est fort probablement de Lamennais lui-mime, si l'on en juge par le style, je relve dans cet article intitul : Des causes qui empchent en France le dveloppement de la libert , cette opinion toujours tendance dmocratique, que dans l'ordre nouveau le roi n'est rien, que l'opinion est tout : Il faut qu'il se rsigne, ost-il dit en propres termes, n'tre qUe l'instrument d'une volont plus haute et d'une puissance plus grande que la sienne, la puissance et la volont de tous . Le 18 mai, nouveau retour de Lamennais, dans un remarquable article sur la pairie. Ce qui domine en France aujourd'hui, ce qui seul vit, et crot et se dveloppe sur les ruines du pass, c'est le principe dmocratique . Il y a de tout dans tionnaire qui domine. ne va-t-il pas jusqu' comme Marc Sangnier tes? (2) ce journal, mais il y a surtout un ton {rvoluL'Avenir, par ses tendances internationalistes, prcher indirectement Y Antimilitarisme, tout dans un article sur Les Armes permanen-
Mais l o vraiment nous pourrons surprendre Lamennais en flagrant dlit de dmocratisme, c'est dans son article sur la Rpublique (3). Je cito largement, car cela en Vaut la peine. Puisqu'on a jet dans nos dbats assez compliqus le nom do Rpublique qui, par sa signification vague, est merveilleusement propre soulever les passions les plus opposes, il nous parat propos de l'clairer, et de traiter cette grande question de la Rpublique dans ses rapports avec l'tat de la France et avec le genre de gouvernement qUe cet tat comporte. Car on ne doit pas craindre de discuter franchement aucune des questions agites aujourd'hui dans le monde, et rien a'u contraire n'importe davantage que de rduire des termes positifs et clairs, les points sur lesquels il exis'.e do profonds dissenli1. L'Avenir, 11 janvier 1831. 2. Id., 23 aot 1831. 3. Id., 9 mars 1831.
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ments, afin, au moins, de s'entendre, et que de part et d'autre on sache au moins c e qu'on veut. Parmi nous, un parti dsire la rpublique et, dit-on, travaille l'tablir; un autre parti la repousse avec violence et avec terreur, et certes il ne se peut que trop qu'une horrible anarchie naisse du choc do ces deux partis, l'un lus nombreux, l'autre plus dcid et tous deux, selon nous, galement aveugles. Qu'est-ce, en gnral, qu'une rpublique, indpendamment des formes infiniment diverses sous lesquelles elle peut tre constitue? Une Rpublique est un mode de gouvernement ou de socit qui exclut le pouvoir d'un seul, place le droit de lgislation dans le peuple entier Ou dans une partie dju peuple, ce qui fait la diffrence de la Rpublique dmocratique et de la Rpublique aristocratique, et l'une est prfrable l'autre, l'une est possible et l'autre ne l'est pas, selon la nature des lments dont se compose actuellement le peuple. Cela pos, examinons les deux partis qui, sous ce rapport, divisent maintenant la France. Et pour parler d'abord de ceux qu'pouvante le nom do rpublique, de bonne foi savent-ils bien ce qu'ils craignent et ce qu'ils veulent? Leur esprit n'est-il pas tellement proccup du souvenir des dsordres et des crimes d'une certaine poque, que pour eUx ces crimes, ces dsordres s'identifient avec une forme abstraite de gouvern ement, peu prs comme les dsordres et les crimes des guerres de religion s'identifient pour d'autres- avec la religion? Quoi qu'il en soit, et sans- remonter au del de ce qu'on est convenu d'appeler la Restauration, nous leur demanderons sous quelle forme de gouvernement ils ont vcu depuis cette poque. Il existait sans doute, comme il existe encore un roi, c'est--dire, Un homme qu'on appelle sire, qu'on loge dans Un palais, et qui on donne chaque anne une forte somme d'argent poUr y signer des ordonnances qu'il ne fait pas, et dont, avec justice, il ne rpond pas, du moins lgalement; mais le pouvoir rel, la puissance dernire, en qui rsidet-elle? en qui, depuis seize annes, a-t-elle constamment rsid, si ce n'est dans Une chambre qui vote le budget et par consquent dans ceux qui la nomment? Donc il y a seize annes que nous sommes en Rpublique, et la question n'est pas de savoir si nous y tomberons, mais si nous y resterons. Or comment pourrions-nous sortir de la Rpublique? Voyez quel est l'tat du pays : y subsiste-t-il une seule trace de l'ancienne organisation? Trouvez-vous quelque part une seule classe d'hommes, un corps qui ait ses droits propres, une force de rsistance et une force d'action? Apercevez-vous des centres autour desquels viennent se grouper des lments d'une nature spciale et homogne entre eUx, dont l'union forme Un tout vivant? L'opinion, les murs admettent-elles quelque chose de pareil? Serait-il possible de crer une noblesse vrita-
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ble, des corporations privilgies? Avant d'y russir, on bouleverserait dix fois la France, et c'est qu'en ralit les hommes ne font rien, ne peuvent rien faire de ce genre; c'est l'uvre du lemps et des circonstances, l'uvre mystrieuse et profondment inconnue elle-mme de la socit soumise des lois plus puissantes qu'elle, et qui, dans l'ordre gnral que Dieu dirige vers une invariable fin, rglent son dveloppement et sa dcadence mme. Au fond, le peuple franais se compose de simples individus politiquement gaux en toutes choses, et qui voudra.it porter atteinte cette galit politique, soulverait la nation entire. Ds lors sous une forme ou sous une autre, la Rpublique est invitable, moins qu'un homme, momentanment investi d'une force prpondrante, n'crase tous les droits sous sa volont arbitraire, c'est--dire, moins qu'un despotisme absolu dans son essence, ne substitue l'gale libert de tous, la .servitude gale de tous. Or, est-il un Franais quelles que soient ses opinions qui pt se rsoudre subir le joug d'un semblable despotisme et que, ds lors mme que la libert ne serait pas exempte d'inconvnients et de prils qui, en ralit, n'en sont nullement insparables, ne prfrt mille fois l'agitation d'une vie dont les lments constitutifs n'ont pas encore trouv leur parfait quilibre la paix des tombeaux et au repos de la mort que leur ferait un Bonaparte ou un Philippe II? Tout le monde a besoin aujourd'hui de respirer l'aise; tout le monde veut tre affranchi dans sa conscience, son intelligence, et mme repousser unanimement dans l'ordre intrieur, la tutelle oppressive qui depuis trop longtemps pse sur les communes et sur les provinces. Interrogez qui vous voudrez, demandez-lui, tout ide thorique part, ce qui lui manque et ce qu'il dsire, il se trouvera toujours que c'est la libert. Donc la libert est le v u commun, le vu universel, et les efforts des gens de bien doivent tendre sans relche la raliser; car c'est par elle que l'ordre renatra. Nous venons de voir qu'attendu l'tat moral et matriel de la France, elle n'avait de choix qu'entre le despotisme et la rpublique, et qu'en outre la rpublique existait de fait, depuis 16 ans. Qu'est-ce donc que le parti rpublicain et que se propose*t-il? Ici nous devons distinguer deux classes d'hommes, qui n'ont rien de commun que le nom, et dont la premire, numriquement presque imperceptible, n'a d'importance que par la force que l'imagination lui prte; fantme sinistre qui lui apparat cornfme quelque chose de gigantesque travers les nuages qui l'enveloppent. Je parle des anarchistes, de ces monstres aux mains sanglantes qui mditent, au fond de leurs repaires, le pillage, "le meurtre, l'incendie. Impuissants par eux-mmes, ils disparatront ds qu'on s'unira contre eux, et ce seraient des passions bien trangement aveugles que celles, nous ne disons pas, qui chercheraient des allis dans le crime et lai dvastation, mais qui
CHRETIEN
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ne suspendraient pas l'instant toute autre gue.re, lor:qje des antres o ils se cachaient sortent soudain, haletants de fureur, les bannis de la civilisation, pour branler la socit dans ses fondements mmes. Quiconque alors hsite se lever pour la dfense commune, celui-l n'est pas homme, celui-l est infme jamais. Et quant aux vrais rpublicains, c'est--dire ceux qui, indpendamment de toute vue personnelle, dsirent la rpublique comme Un gouvernement meilleur et plus libre, et ds lors, comme un nioyen d'ordre, nous ne voyons rien que d'honorable dans leur opinion, et nous croyons de plus qu'elle renferme, dans son application la France actuelle, un incontestable fond de Vrit. Seulement ils se laissent, notre avis, proeuper des mots, et ils semblent attacher aux formes une importance Jtrs exagre, erreur dangereuse qui se confond, dans son principe, avec la fausse ide qu'un gouvernement peut et doit tre constitu a priori, sur le modle que s'en est fait, je no isais quelle raison spculative qui, ne combinant que des abstractions, choue constamment toutes les fois quelle veut raliser ses thories, parce qu'elles ne rpondent rien d'existant, et que sans racines dans le pass, ni mme dans le prsent, dans les habitudes, l'opinion, les meeurs, elles feraient de la socit Un mcanisme mort. Nous le rptons, la France, sous la charte de 1830, est nue vritable rpublique, et nous sommes convaincus qUe si l'on ne fausse par la Loi fondamentale, si l'on n'en viole pas le principe, si l'on en dduit toutes les consquences lgitimes, et qu'on les coordonne dans des lois secondaires, les Franais jouiront d'une libert qui doit satisfaire tous les vux, d'une libert telle qu' nulle poque n'en a joui aucun peuple europen. En effet, DANS L'ORDRE S P I R I T U E L , ils ne seront pas seulement libres, mais indpendantSj et cette indpendance rsultera de cette grande et fondamentale maxime, que le pouvoir n'a, par sa nature, aucune autorit sur les esprits et sur les consciences; maxime d'o se dduit, d'une pari, la libert absolue de religion, et la libert d'enseignement, et, d'une autre part, la libert de la presse et la libert d'association, ainsi qu'on l'a tant de fois prouv. Or ces quatre liberts qUi affranchissent l'homme moral et intelligent, sont stipules solennellement et en termes exprs dans la Charte. Il ne s'agit donc pas sur ce point, le plus essentiel de tous, de changer la Charte, mais d'en obtenir la pleine et loyale excution. Or, c'est quoi on peut arriver sans sortir aucunement de l'ordre lgal. Donc, jusqu'ici, aucune forme de rpublique ne saurait nous donner plus que ce que nous possdons dj. Les liberts spirituelles une fois places l'abri de toute atteinte, e t le pouvoir ds lors ne conservant d'action que sur le matriel de la socit, il ne s'agit plus que de rgler cette action ,ou de la mettre en rapport avec les liberts du mme ordre, de sorte que le pouvoir ne soit que le ministre et pour ainsi dire F instrument de la
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LA CRITIQUE
DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
volont nationale. Or il est clair qu'ici tout se rduit un bon systme d'lection et un bon systme d'administration, systmes intimement lis 'un , l'autre. Car l'lection doit aboutir u n corps qui reprsente e n ralit et non fictivement la volont gnrale, et cette volont se rapportant des intrts positifs ces intrts doivent tre eux-mmes reprsents par les lecteurs, et par consquent les vrais lecteurs sont naturellement ceUx qui dans chaque lieu ont t choisis peur administrer ses intrts propres. Il y a l, je le veux bien, Un tat d'esprit tout imprgn des utopies de 89, je ne le contesterai certes pas. Mais aprs tout, quand Lamennais dit qu'il ne reste plus que des individus et non des corps politiques, Lamennais se place sur le terrain exprimental, et loin d'applaudir ce nouvel tat social, il ne cessera de le critiquer . L'avenir, le lecteur le verra dans le prochain article, nous rserve bien des surprises. Par l'ide de dcentralisation, 1 commence se dgager de la Rvolution sur le terrain politique.
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(A suivre).
J. HUGUES.
A P R O P O S D E S C I M E T I E R E S B R E T O N S (i)
Causerie Voulez-vous faire place dans votre Revue quelques rflexions que m'in&piro la rponse de Maurice Barrs Le Goffic, au sujet .des Cimetires bretons? A mon avis, il est assez inutile de louer l'inspiration de cette lettre, la noble angoisse qu'elle trahit et que l'auteur sait exprimer de manire treindre d'une souffrance semblable le cur des lecteurs. J'en admire et j'en loue bien plus encore l'absolue sincrit. Il s'agit, et c'est l'essentiel, de la comprendre. On lit si vite aujour1. Cette causerie de notre vnrable ami, le R. P. Exupre, parat avec un peu de retard, cause de l'abondance des malires. Mais la question demeure touL actuelle. Mme s'il en tait autrement, il faudrait publier cet article, pour montrer quel point les apologistes catholiques, comme le P. Exupre, sont vendus l'organisme et comment ils travaillent AU profit du no-monarchisme ane . Son amiti, plu3 encore son amour de la justice, me pardonneroni d'avouer un dsaccord sur un point et de dire que le jugement final sur Maurras et son influence est excessif et inexact. Je suis certain que, mieux inform, il en conviendrait avec empressement Mais, dans la situation prsente, j'ai estim prfrable de ne pas l'en prvenir et 'de le laisser faire justice, sans s'en douter, d'ignobles imputations ignores de lui. E. B.
A PROPOS
DES
CIMETIRES
BRETONS
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d'hui crue peut-tre tous, les catholiques surtout, n'ont pas entirement compris la dure leon qu'il nous donne. A-t-il voulu nous la donner? J'avoue que je n'en doute pas et c'est pour moi une raison |de plus do lui en tre reconnaissant. Du reste, il est si Franais, [qu'il n'aurait pas su ne pas y mettre des formes, de cela aussi, je le loue. Ce serait peu nous estimer que de ne pas nous croire capables d'aimer et d'accepter la vrit, qui blesse peut-tre, mais qui certainement dlivre et sauve; mais ce serait s'exposer aussi n'tre pas entendu que de la dire sans mnagement. Voyons ce qui en est. L'incroyant qu'est Barrs, croit au moins quelque chose : la justesse de son regard qui veut absolument voir les choses comme elles sonL, et certaines lois qu'il croit dmontres par l'histoire. Ces lois, pour lui, sont ncessaires absolument et l'hypothse d'une intervention suprieure qui en empcherait les effets, ne se prsente pas son esprit. A la lumire de ces lois il a bien regard, bien |vu et il dit avec angoisse ce qui lui parat invitable dans l'avenir, par suite de fautes commises dans le pass et continues dans le prsont. \ La loi ncessaire, dont il Voit l'invitable application dans ce qui se passe au sujet des glises de partout et des cimetires do Bretagne, est celle-ci : chez les peuples barbares, ou en train de devenir tels, tout droit crue la foroe, une force suffisante, ne soutient pas, est destin succomber. L-dessus il commence. Les catholiques franais aujourd'hui, sont incapables de sauver eux seuls leurs glises. Il ne dit pas les catholiques franais, il dit la foi. C'est un mnagement, une politesse. Mais chacun connat assez la figure de rhtorique qui met l'abstrait la foi, dans notre cas pour le concret, c'est--dire pour ceux qui la professent et qui, l'ayant reue gratuitement de Dieu et de leurs anctres, ont le devoir de la transmettre intacte ceux qui viendront aprs eux. Le sens est clair. Les catholiques franais n'ayant pas su ou pu ou voulu dfendre dans le pass leur hritage sacr et le signe matriel, qui en est le symbole et comme l'incarnation, ils ne peuvent plus aujourd'hui sauver eux seuls leurs glises. Il faut les y aider, il faut que tout homme qui pense Vienne en aide pour cela tout homme qui croit Trop d'intrts sacrs aussi pour lui, l'avenir de la nation surtout, lui e n font un devoir. Nous verrons un p?u plus loin le degr de la foi de Barres ou de sa confiance, en l'efficacit de ce secours. Mais si quelqu'un doutait que j'aie rendu exactement la pense de Barrs, je le prierais de lire avec attention un peu plus loin, ce qu'il rpond Le Goffic au sujet des cimetires. Je traduis: Mon cher Le Goffic, si les Bretons d'-prsent ont la foi et le courage de leurs anctres, pour dfendre les monuments qui leur ont t lgus, ils garderont leurs cimetires, sinon, non. Lisez attentivement, vous ne
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pourrez trouver un autre sens . la phrase de Barrs ( 1 ) . Cependant sa pense deviendra plus claire encore, lorscju'aprs y avoir prpar le lecteur, il fera entendre le cri suprme de son angoisse, la grande vrit, le mot dcisif comme il dit : les glises de France ont besoin de saints. Certes ce mot aura du retentissement en France et ailleurs, quoique non pas autant qu'il serait ncessaire. Mais ici & s'agit de comprendre le sens que lui donne l'auteur. Je n e sais si jamais un homme s'engagea dans une entreprise ,avec moins d'esprance de succs que ne l'a fait Barres e n entreprenant de sauver nos glises. Peut-tre le laisse-t-il trop voir. Ce n'est pas le meilleur moyen de donner courage ceux qui se sont levs son appel. Eai tous cas il ne se fait aucune illusion. Dans l'hypothse la plus favorable, il obtiendra du gouvernement de belles paroles, et mme peut-tre des promesses, mais pas un acte, pas un geste mme qui ressemble un secours rel. Tout l'effort de la nombreuse arme d'crivains et d'artistes qui a rpondu avec enthousiasme s o n appel, les discours, les crits, etc., tout cela aura moins de rsultat que n'en obtiendrait un seul prtre qui russirait remplir son glise de fidles et je vous prie de noter au passage cette Vue de vrit, qui vous aidera comprendre le sens que Barrs a donn son cri suprme : les glises de France ont besoin de saints. Non seulement il voit tout cela, mais comment aborder cette matire humaine ni pire ni meilleure que celle de jadis et que l'on persuaderait si on pouvait la raisonner, comment aborder un un pour les convaincre tous ces conseillers municipaux et enfin chacun de ces lecteurs de qui tout dpend? Il n'ajoute pas : et tandis que cela nous est, nous physiquement impossible, ce gouvernement de destructeurs contre lequel nouA essayons de lutter sur ce point, a mille moyens de leur faire parler et ensuite de les faire agir au gr de sa ra'ge de destruction. Il n'a pas ajout cela, mlais il l'a t i e n vu, et ce qui dconcerte, c'est que, le voyant, il demeure attach la Rpublique. Il a vu cela et alors dans son angoisse il a jet le cri qui retentira dans lo monde entier : les glises de France ont besoin de saints! C'est que l'histoire lui a appris, au moins la suite des invasions des barbares, que la force matrielle n'est pas la seule qui puisse 1. Voici le texte mme de Barres : Maintenant, imon cher Le Goffic, que pouvons-nous pour la sauvegarde des glises de France et des autres monuments de notre vie spirituelle?... Si vous voulez que je vous dise toute ma pense, je dois vous dire, Le Goffic, que nos glises et nos- cimetires ne peuvent lxe sauvegards pleinement que dans la mesure o la vie religieuse se maintiendra dans le village.- La solidit physique des glises, c'est d'ire moralement fcondes, et vos cimetires bretons mriteront d'tre conservs dans la mesure o les ombres des morts qui y flottent sauront encore parler aux vivants. Qu'ils soient aussi persuasifs que les ossuaires que je visitais l'autre jour, pieusement, Metz, t qui sont les lieux du monde les plus propres persuader l'hrosme .
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tre mise au service de la vrit et du droit et qu'une force morale qu'il appelle la saintet, peut galement ou mieux encore y russir. C'est le prtre qfui, plus haut, fait plus en remplissant son glise de fidles que tous les savants et artistes par leurs discours, c'est ce prtre qu'ii voit capable de sauver toutes les glises s'il devient lgion. Il n'ajoute pas : comme il y est oblig. Et cela n e veut rien dire du tout ou cela signifie que le prtre catholique, en France, est rest longtemps au-dessous de sa fonction, puisqu'il a laiss son glise qu'il avait trouve pleine, se vider de plus e n p l u s ; et que n'ayant pas t capable hier de garder le troupeau dans le bercail, il n'est pas capable aujourd'hui, s'il ne change, de le faire revenir ce bercail qu'il a laiss se vider. Tout cela, est l'vidence mme, au moins pour Barres. Que l e lecteur candide essaye de se mettre sa place, il sera forc de voir les choses comme lui. Peut-tre ne russira-t-il pas formuler sa pense avec autant de sincrit et tout ensemble de discrtion et de re" pect des personnes. Il a vu la foi jadis faire germer du sol franais, avec le blanc manteau de ses cathdrales et d e ses glises abbatiales, la multitude innombrable des glises pauvres et des chapelles rurales, et il voit la foi, aujourd'hui, laisser tomber ces mmes glises qui seules donnaient aux pauvres, avec les esprances immortelles, le courage de porter ici-bas le poids du jour et de la chaleur sans se plaindre. Il voit la foi non seulement les laisser tomber, mais ne pas mme tenter Un effort srieux pour empcher qu'elles ne s'croulent, hlas 1 sans blesser personne, puisqu'elles sont vides. Il voit cela et il conclut : la foi aujourd'hui n'est pas mme elle seule de sauver les glises. Il regarde de plus prs et il "voit que la foi qui construisait, conservait et remplissait les glises, n e connaissait ni divisions politiques, ni libralisme, ni sillonnisme ou dmocratisme, qu'elle n'avait jamais pens mettre par le socialisme l e paradis sur la terre, mais mriter ce paradis bienheureux pour l'ternit, en vivant dans le temps d'une vie digne d'elle. Il Voit que cette foi alors tait assez vivante: d a n 3 l'me des fidles pour leur faire accepter les plus grands sacrifices; que dis-je? pour les faire courir avec enthousiasme, comme pendant les croisades , au-deVant de tous les sacrifices et mme la mort. Et cette mme foi, aujourd'hui anmie par les infiltrations protestantes, encyclopdiques, rvolutionnaires et touffe en mme temps sous le poids fangeux du bien-tre matriel, devenue incapable du moindre effort viril, il la voit depuis plus de trente ans, n'opposer rien de srieux, rien d'efficace aux coups successifs et toujo-urs plus cruels qui l'atteignent dans s e s manifestations les plus vitales. Tout a pU se faire contre elle sans trouver d'autre rsistance que le geste lgant et inutile, la parole de protestation sonore et vide. Hlas! quelquefois mme certaines catgories de catholiques ont tenu
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RELIGIEUX,
POLITIQUE,
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ae pas paratre opposer, mme cette apparence d'insuffisante opposition, aux coups dirigs contre l a foi. O tiez-Vous, sillonnistes la vie chrtienne intense, pendant l e s inventaires? Vous avez laiss deux pauvres pres de famille le soin de rnourir comme saint Thomas de Cantorbry, pour la dfense d e l'Eglise et de son droit. O tiezvous quand Thalamas insultait e n Sorbonne l a bienheureuse Jeanne d'Arc? Vous laissiez aux Camelots du Roi seuls l e soin de recevoir des coups et d'aller e n prison pour s a dfense. Dans tous les thtres de France, l'honneur catholique et l a saintet du sacrement d e pnitence taient trans dans l a boue, l a Jeunesse cathodique non seulement no se leva pas pour la dfense de sa foi, mais refusa nettement de s'unir a u x royalistes qui protestaient | leurs dpens. En Bretagne, on crut devoir faire honneur l'antique rputation de ce peuple et sa foi de granit. On dressa des barricades e t on fit le geste de mettre des fusils derrire. La France fut u n instant dans l'anxit. Quoi! L're des martyrs allait renatre, on aurait un peu de guerre soutenue pour Dieu et le salut de la France? Mais M. de Mun et l'abb Gayraud taient l. Ils interposrent leur loquence et les fusils se remirent tout seuls au rtelier. Cependant les Bretons savaient bien qu'ils n e devaient aucune obissance ces deux parlementaires, mais leur conscience. Pourquoi s e laissrent-ils dsarmer? J'ai lu quelque part que M. de Mun s'est applaudi du succs de son intervention. Cel orateur n'a peut-tre pas remarqu encore qu'il arrive plus d'une fois que celui qui parle avec loquence obtient le succs, surtout e n s'inspirant des Vraies dispositions d e ceux qui l'coutant et en leur ouvrant une issue qui flatte ou satisfasse leur amour-propre. Mais Barrs n'ignore pas cela, d'o son profond mpris pour Jcs collgues dont il nous a burin l e s figures. Ce qui pendant des sicles a rempli en France les glises que la foi avait bties, c'tait la saintet du clerg sculier et rgulier. Ohl Il sait assez d'histoire pour n'avoir pas d'illusion non plus a u sujet de cette saintet. Il sait que ce n'tait pas la saintet de saint Benot, de saint Franois d'Assise, de saint Ignace; mais seulement la saintet de ceux qui croient de tout leur cur et .qui Vivent de cette foi, qui ajoutent la prire perptuelle l a lumire du bon exemple, laquelle fait glorifier le Pre qui est dans l e s cieux. Il ne pouvait pas ignorer qu' d'autres poques, les glises avaient menac de se vider de leurs fidles, que les dsertions avaient t nombreuses, clatantes et qu'il avait suffi de la rforme du clerg rgulier et sculier voulue fet ordonne par le Concile de Trente, pour que les dsertions cessassent et les glises s e remplissent de nouveau. Un retour la plnitude de la foi et la vie de foi avait tout arrang. Et maintenant il voit un clerg honnte et d'une tenue qui ne laisse pas dsirer. Mais ces prtres aussi ont respir l'air du si-
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cle. Combien sommes-nous en France qui ne soyons pas Jdus ou moins intoxiqus, sous une forme ou une autre, par le virus satanique de la rvolution dont nous avons respir l'air en naissant! Pour ma part, il y a plus de cinquante ans que je travaille me dbarrasser de ce poison et je ne suis pas sr d'y avoir entirement russi. (Or, j'en vois et beaucoup qui n'y travaillent pas, au contraire, qui croient mieux faire d'en favoriser en eux-mmes au moins une partie, qu'ils veulent bien se faire l'illusion de croire conforme l'Evangile. Et puis il y a de si beaux noms dans les rangs du libralisme; le monde supporte, loue, aime Imme ceux dont la foi, la pit, l'austrit de vie m'est pas intransigeante et qui montrent pour le moins Qu'il est avec le ciel des accommodements. J'ai fait des missions en de pauvres paroisses pendant plus jde quarante ans et je puis attester que ce qui est mondain, sans cependant tre pch, tait peu prs inconnu dans les pauvres presbytres d'il y a cinquante ans et plus et qu'il ne l'est plus maintenant. J'avoue que moi aussi j'aurais trouv plus commode et agrable cet adoucissement de l'antique ustrit. Oui, mais les glises se vident et tombent, et Barres a bien |vU que c e qui peut les relever et les conserver peut et peut seul les sauver e n les remplissant de nouveau. Il l'a vu et il l'a dit. Je l'en remercie. Veuillez remarquer que la seule esprance de Barrs pour arrter la chute dfinitive des glises de France et, ses yeux, de la fin de la civilisation franaise qu'il voit catholique et ne Voit que catholique; sa seule esprance pour arrter le retour la barbarie et, par consquent, la fin de la France, c'est qu'ils viennent les saints, dont les glises de France ont besoin. Le v u de cet incroyant est le cri mme qu'lve incessamment Vers le ciel le petit nombre de vrais catholiques et de prtres zls qui nous demeurent, j'entends les sept mille que Dieu s'est rservs et qui n'ont pas flchi le genou devant le Baal de la rvolution. N'est-ce pas chose instructive que cet accord d'un esprit incroyant,, mais appliqu sincrement, ardemiment Voir la Vrit, et de tous les curs qUe consume le zle de la gloire de Dieu et du salut Jdes mes et do la patrie ? Ces vrais catholiques comme Barrs et Barres comme eux oint Vu qU'il arrive parfois ainsi qu'il est crit, que la science enfle tandis que la pit difie, btit et n e laisse pas tomber ce qui est bti. Ils ont Vu que le mouvement qui a emport le clerg franais vers la science allemande a bien pu produire dos Loisy et d'autres qui, avec moins d'orgueil peut-tre ou moins de loyaut, lui ressemblent plus ou moins, mais n'a pas rempli ni par suite empch de tomber la plus petite chapelle. Il y a du reste longtemps crue cela dure, car la science n'a pas toujours t allemande. Elle n'tait pas plUs efficace
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pour remplir les glises quand elle tait franaise. En Barn, on raconte que Louis XIII envoya d'abord des docteurs de Sorbonne dans le pays pour le rendre la Sainte Eglise; mais leur science ne russit point et il fallut e n venir aux capucins qui taient alors (teins l'tat que souhaite Barrs et qui remplirent les glises, relevrent celles qui taient tombes et en construisirent de nouvelles. Qui croira que Barrs soit ennemi de la science, ft-ce de la science ecclsiastique? Mais ce n'est pas elle qu'il voit capable de remplir les glises et de sauver la civilisation franaise. Cela, ses yeux, le clerg seul le peut, mais ne le peut qu'en tant saint. D'autres ont cru, et ceux-l sont nombreux parmi les disciples de Marc Sangnier, de Bazire et de Baque, de M. Piou et de la Croix, quo ce n'est pas avant tout la saintet qu'il faut au clerg franais, il en a assez comme il est mais une bonne dose de dmocratjsme et de rpublicanisme avec intermdes de gymnastique, de cercles d'tudes et de fanfares. Mais Barrs a vu, comme les catholiques intransigeants, que tout cela faisait beaucoup de bruit et peu de besogne, que loin d'attirer aux glises et de les remplir, cela y menait le moins possible et faisait qu'on y trouvait peu de prtres disposs / L administrer les sacrements; enfin, que quelques-uns des plus fervents de cetto manire d'aller au peuple, s'exposaient imiter l'apostasie de Dabry et apprenaient l'cole de Hutin, autre apostat, une trange manire de respecter l'autorit ecclsiastique et de lui obir... le moins possible. Que puis-je y faire, si tout cela vu, Barres en arrive la conclusion des plus fervents catholiques, qui sont aussi les plus intransigeants: seuls les saints peuvent, avec les glises, sauver la France e t la civilisation franaise ?
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L-dessus, Charles Maurras intervient et voici ce qu'il rpond Maurice Barrs : J'ose penser que ce moyen de sauvetage suprieur 'la nature, n'est peut-tre pas le seul et qu'il est au pouvoir d'une morale et d'une politique, mais d'une politique et d'une morale attentives aux lois naturelles du monde, de se remmorer le vieux proverbe : Aidetoi, le ciel t'aidera. Si le dsespoir de Barrs tait destin durer, je n'hsiterais pas lui dire qUe ce serait bien fait. II ne veut pas des lote du monde. Il veut sauver son pays au rebours de ce3 lois. Il n e peut le sauver ainsi. Son pays en rneurt donc, quoi de plus naturel, de plus normal, de plus juste? Et quoi de plus affreux? Il n'est au pouvoir d'aucun homme de faire natre des saints. Mais chacun peut connatre les lois de la vie politique et en faire l'application son pays. ' II e s t ' c e r t a i n qu'aprs ce que nous avons, d'aprs Barrs, Jrap-
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port plus ha\it, de l'impuissance de ceux qui s'opposent l'action de l'Etal destructeur, impuissance o les rduit ncessairement un rgime qui confre la toute-puissance au parti impie et anti-national qui dtient le pouvoir, il est certain qu'on ne comprend pas que celui qui regarde si bien et voit si exactement, n'aperoive pas la contradiction absolue qu'il y a entre ces deux choses, vouloir la conservation de la Rpublique et celle du pays. A cet gard, Barrs a lui-mme fourni Maurras les verges dont il peut sentir la cuisson sur s a peau. C'est peine si les catholiques dmocrates du Si-Ion et les rpublicains librauv de la Jeunesse cathodique sont, en voulant en mme temps cette rpublique perscutrice et le triomphe de la religion, plus absurdes que lui. Heureusement pour eux qu'il y a Barres et que ce fait nous empche de dire qu'ils sont seuls aujourd'hui chez nous, avec les impies qui en profitent, soutenir et dfendre le rgime qui veut abolir toute religion, surtout la catholique en France pt qui y travaillent avec une ardeur et un succs qui ne se dmentent pas. Mais laissons cola et n'assumons pas le ridicule d'en tropren;dre d'arracher du beau pays des Gaules les chnes et les divisions celles-ci surtout, en face de l'ennemi. J'aime mieux admirer combien nos incroyants parlent merveille la langue des catholiques, sans y prendre garde tant cela leur est naturel. Barrs nous avait averti qu'il ne pout en tre autrement, ces incroyants (ceux e n qui parat encore quelque bont et quelque lvation), ces incroyants, dit-il, vivent dans une socit toute forme par le catholicisme; ils sont eux-mmes, compris et interprts par une socit catholique, ils bnficient de l'atmosphre, et c'est de l'Eglise mme qu'ils reoivent leur noblesse, que des observateurs superficiels seraient tents de prendre pour des qualits naturelles. Maurras a raison de Vouloir que l'homme, le citoyen, le catholique, se servent de leur raison, tiennent grand compte des lois naturelles et s'aident eux-mmes, avec l'esprance que .Dieu secondera leurs efforts et aidera leur bonne volont devenue effective (1). Mais mon gr, il va un peu loin, quand il affirme si carrment, et je crois qu'en cela sa pense tait catholique, qu'il n'est au pouvoir d'aucun homme de faire natre des-saints. C'est cependant contre ce mot que j'ai lever quelques objections. Il est vrai, il n'est au pouvoir d'aucun h o m m e - d e faire natre des saints, pas- plus qu'il n'est au pouvoir d'aucun homme de faire natre des hommes de gnie. D i e u seul, quand il le voudra, pourra donner l'Eglise un Franois 1. Maurras a encore mille fois raison lorsqu'il donne entendre- qu'un gouvernement gui voudrait le bien de la France, et non pas seulement la satisfaction des apptits les plus vils du plus abject des partis, empcherait les glises qui menacent ruine de tomber et relverait promptement celles qui sont tombes.
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d'Assise et la France u n Barres, l'Eglise un Ignace de Loyola et la France un Maurras, et il le fera peut-tre pour montrer l'inanit et l'impuissance des plus grands dons naturels augments de la plus parfaite culture et des meilleures intentions, mais spars de lui par le manque de foi, tandis que le monde entier, le ciel et la terre (admireront la puissance et la fcondit de dons semblables, dpourvus de culture, mais unis lui par une foi vive. Oui, Dieu seul peut faire natre de tels hommes, encore faut-il noter l'gard de saints semblables ceux que nous avons nomms, que la dtresse de l'Eglise et s a prire peut les obtenir do lui, parce que, li par ses promjesises, il ne peut refuser son EgtjLse ce qui lui est ncessaire, ni mme ce qu'implore une prire persvrante, lui transmise par notre Mdiateur tout-puissant et toujours exauc, Jsus-Christ Notre-Seigneur. Mais ct des gants de la saintet et du gnie, il y a la multitude des hommes et dans cette multitude beaucoup sont bien dous. J'entends ce mot dans son sens ordinaire. Un homme est dit bien dou quand, par l'ensemble de ses qualits et lexir harmonie, il se prte une bonne ducation et une culture leve. Ce ne sera certes pas Maurras qui contestera que de tels hommes puissent deVenir d'excellents disciples d'un homme de 'gnie, le seconder dans ses travaux et l'aider efficacement atteindre le but qu'il s'est propos, l'atteindre ou du moins continuer de le poursuivre mme aprs que l'homme de gnie a quitt cette terre tnbreuse et pourtant si remplie de merveilles. Si Maurras s'tait familiaris avec l'histoire de l'Eglise autant qu'il l'a fait pour l'histoire de la politique liUmaine, surtout de la politiquedes Captiens, si digne de l'admiration de tous les Franais, il saurait qu'en fondant son Eglise, Jsus-Christ n'a pas voulu fonder autre chose qu'une immense cole de saintet : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Pre, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant garder tout ce que je Vous ai command. Voici que je suis avec vous jusqu' la consommation des sicles. Il saurait que les aptres n'ont pas eu d'autre ambition que de faire des saints ; que dans cette imm'ense cole de saintet qui embrasse le monde entier, de sicles en sicles sont nes d'autres coles de saintet, appelant elles les chrtiens de bonne volont et les levant jusqu' une saintet vritable. Les principales et les plus clbres de ces coles de saintet dans notre Occident, ont eu pour chefs et matres saint Benot, saint Franois d'Assise, saint Ignace et il y en a eu beaucoup d'autres, soit en Orient avec les Pres du dsert et saint Basile, soit en Occident avec les Bernard, les Dominique, les Franois de Sales, les Vincent de Paul, les Liguori et j'en passe. Les grands saints dont nous parlons n'levaient pas des murailles de Chine entre le monde et leur cole de perfection chrtienne. Ils
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n'ont jamais perdu de vue au contraire, que Dieu, suivant le mot de saint Paul, veut que tous les hommes soient sauvs et qu'ils viennent pour cela la connaissance de la vrit. C'est pourquoi tous ont fait des disciples d'abord pour faire des aptres ensuite. Ils ne pouvaient ne pas suivre l'exemple de Jsus-Christ et prtendre, pour; atteindre la mme fin, se servir de noyens autres que ceux employs par le divin Matre. Peut-tre que si maintenant l'activit, je ne dis pas le zle, dploye par le jeune clerg, russit peu remplir les glises, c'est qu'il Veut employer des moyens autres que ceux ou plutt celui que nous a enseign Jsus-Christ et qui consiste se remplir soi-mme de l'esprit de l'Evangile qu'il faut enseigner, et de prou* ver par toute sa vie qu'on en est rempli en effet. Les hommes en croiront beaucoup plus la perfection vanglique de notre vie que l'loquence de nos paroles (1). Du reste, bien des fois les coles de saintet ont t ouvertes directement aux sculiers par les Tiers-Ordres, par exemple, et leurs analogues; plus souvent encore elles ont t faites pour le clerg sculier. A la suite de l'institution des sminaires par le Concile de Trente, les confrences de Saint-Lazare, l'cauVre de saint Philippe de Nri d'abord, plus tard de M. Olier, n'ont pas eu d'autre but. Jamais les mes ferventes n'ont cess de demander Dieu dans leurs prires, la saintet de tous les prtres. Or, chose remarquable, tous les matres en saintet ont russi faire des saints, e n faire un grand nombre aU moins pendant cent ans, plus ou moins; le but pour lequel Dieu les avait donns son Eglise et qu'ils s'taient propos d'atteindre toujours le mme au fond : pemplir les glises a t atteint. Oh! je sais bien qu'il y a eu des dchets et mme des trahisons, pe sais que l'uvre des matres en saintet n'a t ni aussi parfaite ni aussi durable qu'ils l'auraient voulu. L'humanit leve au-dessus d'ellemme par ses gants, tend retomber un tat moins hroque et finit par y russir. Mais tout cela n'empche pas que ces hommes 1. Je voudrais, dt-il m'en coter quelque chose, crue notre jeune clerg si affair, consentt suspendre un quart d'heure son activit pour rflchir sur ces faits : les aptres se dchargeaient de l'conomat et des uvres do charit sur les diacres, afin de pouvoir, eux, se consacrer entirement et d'une manire exclusive des prires et la prdication de la parole de Dieu : Nos vero orationi remarquez bien d'abord orationi et prdicationi Verbi instantes erimus. Je pourrais citer une semaine religieuse qui les et traits do paresseux, comme elle a fait pour ceux qui les imitent et qui pourtant font eux-mmes les fonctions des diacres primitifs. Passons. La foi est un don de Dieu. II faut que la prire la demande et l'obtienne; mais la prire de qui? De celui qui n'a pas la foi? Non. Comment pourrait-il, sans fa foi, prier et tre agrable Dieu? Mais la prire de l'aptre qui veut l'attirer. Il faut beaucoup parler Dieu des pauvres pcheurs, si l'on veut parler avec fruit ces pauvres pcheurs <de Dieu. Cette manire apostolique d'agir exige, non pas beaucoup de temps, mais la vie entire.
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avaient fait des saints et que ces saints avaient rempli les glises. Barrs a raison : les glises de France ont besoin de saints. Je ne dis pas qu'elles n'aient besoin que de saints, je dis que les saints seuls peuvent les sauver en les remplissant. Peut-tre serait-il bon de dire pourquoi nous manquons aujourd'hui de saints; au fond, pourquoi dans le dessein inscrutable de sa sagesse il n'a pas plu au Seigneur de donner au sicle qui vient de finir un de ces matres en saintet destins renouveler le monde. Peut-tre nous n'avons pas assez senti la dtresse de l'Eglise et par suite nous n'avons pas assez demand Dieu de nous envoyer celui qui tracera des voies nouvelles et sres travers* le chaos du temps prsent. Mais ce dessein nous entranerait trop loin. Arrtons-nous. En terminant, il faut que je dise Barres et Maurras toute Ja douleur qui remplit mon me et qui vient d'eux. Ils se croient l'un et l'autre des constructeurs et tous deux ont une horreur gale des dmolisseurs. Et je dois leur dire que nul parmi les radicaux jacobins ne dmolit avec autant de succs qu'eux-mmes. Qu'ils le veuillent ou non, la Providence les a placs sur des chandelles levs et leur lumire brille sur toute la France. Mais elle ne fait pas glorifier notre Pre cleste. Qu'ils s'en rendent compte ou non, toute l'ardente jeunesse franaise qui vient a les yeux fixs sur eux et le grand nombre, les meilleurs, croiraient avoir fait assez pour le salut de la patrie et le parfait emploi de leur vie, en s'arrtant o ils se sont arrts eux-mmes, je veux dire en devenant ou demeurant incroyants. C'est en cela que je les vois 'un et l'autre dmolissant avec plus de succs que ne le font les barbares du radicalisme. Que Dieu ait piti de ces deux grandes et belles mes I et si mon sang rpandu pouvait leur donner le grand bien, l'unique bien dsirable, la foi, il sait, ce Dieu, devant qui j'cris, que je le donnerais l'instant mme jusqu' la dernire :goutte, pour sa gloire Lui, pour le salut de ces mes destines en sauver ou en perdre tant d'autres et pour la gurison et peut-tre la rsurrection de la France.
F. EXUPRE DE PRATS DE MELLO,
Capucin.
JJI MODERNISME
SOCIAL CHEZ M.
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LE M O D E R N I S M E SOCIAL C H E Z M. F O N S E G R I V E ( i )
IV Pour vrifier jusqu'il quel point lo modernisme social est non seulement contenu, mais enseign, prconis, exalt par M. Georges Fonsegriv'c dans le Fils de l'Esprit, nous pensons qu'il y a lieu de se remmorer un instant les principes si nettement exposs dans l'Encyclique de Pie X sur le Sillon. C'est ce document dcisif, en effet, qui a dfini le modernisme social, qui en a dnonc les erreurs essentielles, qui les a dtermines avec une saisissante prcision, qui- les a rfutes avec une vigueur irrsistible, qui les a condamnes enfin avec une autorit sans appel. L'Encyclique Notre charge apostolique dpassait d'ailleurs .de beaucoup le cas particulier du Sillon, et ce n'est nullement commettre Une ignralisation abusive que d'tendre la-porte de ses censures tous les crits qui reproduisent les thses qu'elle rprouve, ces crits ne fussent-ils pas directement imputables au Sillon. Si mme il est un ouvrage auquel on ait le droit d'appliquer les dites censures, il parat bien que c'est surtout le Fils de VEsprit, puisque le hros de ce roman social , Norbert de Pchanval, s'y donne ds les premires pages comme un admirateur de Marc Sangnier, comme un fidle du Sillon, et que, jusqu' la fin du volume, il s'exhibe comme une sorte de Sangnier rural. Or, parmi les erreurs que condamne l'Encyclique sur le Sillon, celles dont, tout l'heure, nous retrouverons le plus souvent la trace dan le Fils de l'Esprit, sont : l'autonomie de l'individu, l'volution indfinie du proltariat, l'attribution de toute souverainet au peuple considr comme la source perptuelle de l'autorit, enfin la tendance au nivellement absolu des classes. On aimera relire les fortes pjenses que Pie X a exprimes sur ces quatre points. Sur l'autonomie de l'individu, le Pape crit : Le Sillon a le noble souci de la dignit humaine. Mais cette dignit, il la comprend la manire de certains philosophes dont l'Eglise est loin d'avoir se louer. Le premiar lment de celte dignit est la libert, entendue en ce sens que, sauf en matire de religion, chaque homme est autonome. De ce principe fondamental, il tire les conclusions suivantes. Aujourd'hui le peuple est en tutelle sous une autorit distincte de lui, il doit s'en affranchir : mancipation politique. Il est sous la dpendance de patrons qui, dtenant ses instruments de travail, l'exploitent, l'oppriment et l'abaissent, i! doit secouer leur joug : mancipation conomique. Il est domin enfin par une caste appele dirigeante, qui son dveloppement intellectuel assure une prpond1. Voir la Critique du Libralisme, 15 septembre 1911.
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rance inclue dans la direction des affaires, il doit se soustraire sa domination: mancipation intellectuelle. Le nivellement des conditions ce triple point de vue tablira parmi les hommes l'galit, et cette galit est la vraie justice humaine. Une organisation politique et sociale, fonde sur cette double base : la libert et l'galit (auxquelles viendra bientt s'ajouter la fraternit), voil ce qu'ils appellent dmocratie. Sur l'volution indfinie du proltariat, le Pape crit : Soustrait une classe parlioulitre, le patronat sera si bien multipli que chaque ouvrier deviendra une sorte de patron. La forme appele raliser cet idal conomique n'est point, affinne-t-on, celle du socialisme; c'est un systme de coopratives suffisamment multiplies pour provoquer une concurrence fconde et pour sauvegarder l'indpendance des ouvriers qui ne seront enchans aucune d'entre elles... ... Imaginez une socit o, dans l'me d'un chacun, avec l'amour inn du bien individuel et du bien familial, rgnerait l'amour du bien professionnel et du bien public; o dans la conscience d'un chacun ces amours se subordonneraient de telle faon que le bien suprieur primt toujours le bien infrieur, cette socit-l ne pourrait-elle pas peu prs se passer d'autorit, et n'offriraiLelle pas l'idal de la dignit humaine, chaque citoyen ayant une me de roi, chaque ouvrier uno me de patron? Arrach l'troitesse de ses intrts privs et lev jusqu'aux intrts de sa profession, et plus haut, jusqu' ceux de la nation entire, et plus haut encore, jusqu' ceux de l'humanit (car l'horizon du Sillon ne s'arrte pas aux frontires de la patrie, il s'tend tous les hommes jusqu'aux confins du monde), le cur humain, largi par l'amour du bien commun, embrasserait tous les camarades de la mme profession, tous les compatriotes, tous les hommes. Et voil la grandeur de la noblesse humaine idale ralise par la clbre trilogie : Libert, Egalit, Fraternit. Sur l'attribution au peuple de toute souverainet, le Pape crit : Le Sillon place primordialement l'autorit publique dans le peuple, de qui elle drive ensuite aux gouvernants, de telle faon cependant qu'elle continue ae rsider en lui. Or, Lon XIII a formellement condamn cette doctrine... Outre qu'il est anormal que la dlgation monte, puisqu'il est de sa nature de descendre, Lon XIII a rfut par avance cette tentative de conciliation de la doctrine catholique avec l'erreur du philosophisme... Si le peuple demeure le dtenteur du pouvoir, que devient l'autorit? Une ombre, un mythe; il n'y a plus d'obissance. Le Sillon reconnu : puisqu'en effiet il rclame, au nom de la dignit humaine, la triple mancipation politique, conomique et intellectuelle; la cit luture laquelle il travaille n'aura plus de matres ni de serviteurs ; les citoyens y seront tous libres, tous camarades, tous rois. Un ordre-, un prcepte serait un attentat la libert, la subordination une supriorit quelconque serait une diminution de l'homme, l'obissance une dchance. Est-ce ainsi que la doctrine traditionnelle de l'Eglise nous reprsente les relations sociales dans la cit mme la plus parfaite possible? Est-ce que toute socit de cratures indpendantes et ingales par nature n'a pas besoin d'une autorit qui dirige leur -activit vers le bien commun et qui impose sa loi? Et si, dans la socit, il se trouve des tres pervers (et il y en aura toujours), l'autorit ne devra-t-elle pas tre d'autant plus forte que l'gosme des mchants sera plus menaant? ...Peut-on dire avec une ombre de raison qu'il y a incompatibilit entre
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l'autorit et la libert, moins de se tromper lourdement sur le concept de la libert? Peut-on enseigner que l'obissance est contraire la dignit humaine et que l'idal serait de la remplacer par l'autorit consentie ?... Enfin, sur la tendance au nivellement absolu des classes, le Pape crit : Il (le Sillon) travaille, dit-il, raliser une re d'galit qui serait par l mme une re de meilleure justice. Ainsi pour lui, toute ingalit de condition est une injustice ou, au moins, une moindre justice. Principe souverainement contraire la nature des choses, gnrateur de jalousie et d'injustice et subversif de tout ordre social .Ainsi la dmocratie seule inaugurera le rgne de la parfaite justice 1 N'est-ce pas une injure faite aux autres formes de gouvernement, qu'on ravale, de la sorte, au rang de pis aller impuissants?... En enseignant que la justice est compatible avec les trois- formes de gouvernement qu'on sait, il (Lon XIII) enseignait que, sous ce rapport, la Dmocratie ne jouit pas d'un privilge spcial. Les sillonnistes, qui prtendent le contraire, ou bien refusent d'couter l'Eglise ou se forment de la justice et de l'galit un concept qui n'est pas 'catholique. C'est, vrai dire, l'Encyclique tout entire qu'il faudrait ainsi relire pour bien juger ensuite M. Fonsegrive, tant la coordination des thses qu'elle enchane les unes aux autres forme un faisceau solide et puissamment reli. Dj les quatre citations que nous venons d'en faire noncent des vrits et dnoncent des erreurs qui se compntrent l'une l'autre, tant il est vrai que, vis--vis de l'Eglise, le Sillon, et e n gnral le dmocratisme, oppose doctrine doctrine , si bien que le caractre synthtique de l a rfutation si magistralement dresse par Pie X rpond e n dfinitive la logique mme qui rgit entre elles toutes les erreurs du modernisme social.
V Voyons maintenant jusqu' quel point se retrouvent dans le Fils de l'Esprit ces erreurs, et spcialement celles que nous venons de spcifier. Avant tout, ce roman social est un pamphlet ogalitaire. Le ton, assurment^ diffre de celui des runions rvolutionnaires', des journaux anarchistes et des brochures de la Social-dmocratie. L'objectif est bien le mme cependant, et les raisons allgues, pour tre plus enveloppes, n'en sont pas moins fielleuses. C'est, dans toute sa hideur, la jalousie dont Pie X rend responsable le principe qui tient toute ingalit de condition pour une injustice ou, au au moins, une moindre justice . Sans doute, M. Fonsegrive, crivant un roman , tait libre de composer son gr ses personnages; mais crivant un roman social , c'est--dire une thse d'ordre moral, destine instruire ses contemporains et rgler leur conduite, avait-il le droit de fausser systmatiquement les donnes du problme dont il prtendait apporter une solution nouvelle?
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C'est pourtant ce qu'il entreprend quand, voulant nous faire apprcier un remaniement de la socit dans le sens dmocratique, il met aux prises, d'une part, des nobles qui sont de faux nobles, ides riches qui sont de mauvais riches, des chrtiens qui sont des sceptiques, des catholiques qui sont des paillards, et d'autre part, un dmocrate qui a toutes les vertus, et qui n'a qu'une tare, savoir une particule, dont il fait bon march et dont il ne conteste pas la supercherie. A l'ordonner ainsi, l'auteur, on l'avouera, se fait la partie bien facile. Qu'on en juge, d'ailleurs, par les textes. A la page 79, quand Yves Le Querdec traduit les impressions qu'a laisses dans l'me de Norbert le repas donn l a Grange pour inaugurer (son installation domaniale, nous lisons : ... Cette opposition que Norbert sentait entre ses pairs et lui-mme, d'autres la sentaient aussi, cette petite Ginestaux l'avait vue du premier coup : Sire Norbert, vous tes un dmoc. Ehl oui, il l'tait, il ne pouvait s'en dfendre; peut-tre par l'influence secrte du sang des vieux vignerons, de tous les Piarrille, de Lous les Dumont qu'il sentait sans aucune honte couler dans ses veines, il ne croyait ni la vertu de la naissance, ni l'infaillibilit de la tradition; il croyait la vertu, au mrite, leurs droits, d'o qu'ils viennent, et o qu'ils se trouvent. Les autres, Pourtaillon, Ginestaux, Favareilhe, son pre mme, taient des aristocrates. C'tait l le fond, quoique les deux mots fussent trs impropres. Les autres croyaient la vertu politique et sociale de la naissance, de la fortune, aux UroiLs que confre 'une situaLion de famille; lui n'y croyait plus, si jamais il y avait cru. Les autres croyaient que le pouvoir s'imposait du dehorsi et d'en haut la multitude; pour lui, il pensait que dsormais le seul pouvoir qui pt et rsister et durer, ne saurait tre que celui o celte multitude reconnatrait l'expression de ses aspirations intimes, des desseins plus ou moins obscurs de sa volont de vivre. Pour tout dire, en un seul mot, il tait arriv ne concevoir la loi que sous forme d'autonomie, et les autres ne la concevaient que comme un acte d'autorit. Cette citation, comme par un fait exprs, synthtise les quatre erreurs dont on a lu plus haut la condamnation et la rfutation par Pie X. Or, elle donne toute l a profession de foi du hros de M. Georges Fonsegrive en son roman social . Car elle rsume les conclu sion.s auxrruclles aboutit Je Fils de l'Esprit lorsque, ayant auscult ses contemporains, soit dans la runion publique dont il fut tmoin Paris, soit dans le repas inaugural de ses fonctions de propritaire, il va prluder au rle social qu'il s'est imparti. Dcmocratismc, aversion pour la naissance, pour la tradition, pour la fortune et mme pour la famille, galitarismc,- souverainet de la multitude, autonomie des gouverns, ngation de toute autorit extrieure, lgitimit unique de 1' autorit consentie , tout cela est ramass dans les quelques lignes qu'on vient de lire, et c'est c e bagage d'illusions, de prventions et de rancunes que Norbert de Pchanval emporte dans son voyage vers la cit future.
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Encore si. de ce programme, gros des erreurs qui devaient tre un jour si solennellement censures, Yves Le Querdcc avait esquiss quelque justification! Mais non : l'auteur se borne dclarer que son hros tait dmoc et ne pouvait s'en dfendre ; et, comme tout le volume prsentera sous des dehors systmatiquement flatts ce dmoc irrductible, il apparat bien que le dmocratisme constitue la rvlation ultime de l'Esprit ceux qui voudront tre ses fils. Pourtant, l'auteur a bien d penser que c'tait l du nouveau, et dans le fond, et dans la forme, pour les lecteurs qu'obtiendrait son roman . Comment admettre que, sans en tre troubl lui-mme, il se soit expos les troubler ce point dans leurs sentiments traditionnels? Et comment, en philosophe qui ne ddaigne pas disserter (et qui sait s'y prendre, n'a-t-il pas eu le souci de justifier, ft-ce par voie de'dialogue, comme il convenait au genre littraire adopt, des thses aussi neuves et pour le moins aussi tmraires? La responsabilit de la perturbation qui a pu s'ensuivre dans une foule d'mes ne saurait tre dcline, et elle accuse indubitablement l'auteur.
VI Ou. alors, c'est que nous devrons appeler justification cette succession de croquis tendancieux par lesquels M. Fonsegrive s'acharne caricaturer les nobles, les riches, ou simplement les catholiques non dmocratiss, en mme temps qu' magnifier tous les autres. Et certes, nous sommes absolument 'sincres quand nous protestons que nous n'avons sur ce chapitre aucune superstition. Nous tenons qu'aucune catgorie sociale n'est l'abri des infirmits intellectuelles ou des dchances morales. Encore considrons-nous comme coupable toute rprobation globale, et surtout toute campagne systmatiquement subversive, rencontre d'une catgorie sociale ou d'une autre, L'Encyclique Graves de communi est antrieure, de plusieurs annes, au Fils de l'Esprit; or, dans ce document, o Lon XIII s'alarmait des progrs que le dmocratisme avait accomplis la faveur d'une fausse interprtation de l'Encyclique Rerum novarurn, Yves Le Querdec et pu lire ce texte, rappel depuis par Pie X rencontre du Sillon : dispares tueatur ordines, sane proprios bene constitutes civitatis : qu'elle (la dmocratie chrtienne) maintienne la diversit des classes, qui est assurment le propre de la cit bien constitue . Il et suffi M. Georges Fonsegrive de retenir cette consigne de Lon XIII, pour garder en ses cartons, et pour n'exhiber qu'entre intimes, l'instar de certains collectionneurs maniaques ou dpravs, .ces tableautins o sa Verve, particulirement pre ds qu'elle s'exerce sur ce thme, s'est applique peindre.les travers rels ou possibles des vieux partis . Or, loin de garder cette sage rserve et d'obser-
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ver cette dcence, Yves Le Querdec a la prtention de nous imposer, au nom mme de Lon XIII, un dmocratisme qui puiserait sa raison d'tre dans la ncessit de ragir contre ces travers d'une socit condamne: c'est, on l'avouera, se moquer audacieusement, soit du Pontife dont on invoque l'autorit, soit du public qu'on espre abuser. Il n'est pas inutile, pensons-nous, de citer quelques-uns de ces traits, dnus non seulement de toute charit, mais mme de toute justice, que M. Georges Fonsegrive, au cours des six cents pages de son Fils de VEsprit, a dcochs l'adresse des autorits sociales d'autrefois : Elev par une mre pieuse, ,sous les yeux d'un pre grand chasseur et peu occup de l'ducation de ses enfants, entour des prjugs- de la noblesse provinciale dont sa famille faisait partie, Norbert, cependant, n'avait pu remarquer sans en souffrir que son pre et sa mre et tous ses proches et toutie leur socit s'taient plus d'une fois flicits les uns les autres de ce que quelqu'un des leurs, par la seule force de sa particule ou de ses relations, avait vinc ses concurrents (page 6), II en voyait peu parmi ces familles et parmi ses condisciples qui fussent disposs croire que les autres hommes, paysans, ouvriers ou petits marchands, avaient dans le monde une autre destination que celle de les servir ou tout au moins de s'abriter sous leur patronage et de suivre leur direction. Tous ses pairs se croyaient destins au commandement, et il semblait que ce ft les lser, leur faire injure, que de penser que d'autres, pris .hors de leurs rangs, pouvaient sans leur agrment prtendre aux fonctions les plus importantes (page 7). Et que voyait-il parmi sss camarades? Trs exactement les mmes dfauts (que chez les soldats sortis du peuple), les mmes tendances gostes, et souvent les mmes vices : moins d'ivrognerie, peu prs autant do luxure, mmes jalousies, mmes envies, un amour bien moins grand de leurs familles, l'esprit de dnigrement, sinon contre toutes les supriorits, au moins contre toutes celles qui ne sont pas de leur clan ou de leur parti, plus de vernis et de politesse extrieure, un dveloppement inou de l'gosme foncier. Et surtout moins d'nergie, moins d'lan, moins de sve et de rserves de vie (page 12). Si le jeune M. de Pchanval a des ides de politique, dit le paysan, toutes les places sont prises. Et puis, ces messieurs, ils ont bien assez faire de s'amuser, il faut qu'ils laissent la place aux autres... Ils se donnent du 'bon temps, dit le sabotier (page 33). C'tait toute la socit du canton qui venait de dfiler. Nobles de vieille souche ou de frache date, j>ar les hauts faits de leurs anctres, par la grce de la royaut ou de l'empire, ou simplement par la vertu des rectifications complaisantes en marge de l'tat-civil, ou plus simplement encore, par l'audace de l'usurpation; quelques-uns petits-fils d'migrs, et d'autoes petits-fils d'acqureurs de biens nationaux; gros propritaires des environs, presque tous nouveaux venus dans le pays et levs de frache date la bourgeoisie sur le tremplin des cus acquis par leurs pres : le pre de Norbert, comte de Pchanval, les avait voulus tous au djeuner qu'il donnait la Grange en l'honneur de l'installation de son fils (page 34). Ils sont toujours o on s'amuse, ceux-l 1 avait dit le sabotier (page 35). C'est (heureux d'tre riche. Ils n'ont jamais rien faire qu' s'amuser. a durera ce que a pourra, dit le sabotier. Est-ce que vous croyez que c'est jusbei qji!e les uns travaillent et que les autres s'amusent toujours? Si j'tais leur place, je ferais comme eux, dit le forgeron. Et toi, Pierre, si tu tais riche, est-ce que tu te lverais tous les jours de si matin? Je dormirais volontiers, dit l'autre. On -travaille parce qu'il faut; si on pouvait, on se donnerait du Ibon temps. Il faudrait que ce ne ft pas
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toujours les mmes, (reprit le sabotier, A chacun son tour. Ahl pour a, je ne demanderais pas mieux, mais je ne vois pas comment a pourrait se faire. Il faudra pourtant bien quelque jour que a se fasse. Qui est-ce qui fait pousser le bl dans les champs, et les raisins dans les vignes? C'est le mtayer, pas vrai? Ce n'est pas coup sr le comte ou M. Favareilhe. Est-ce que tu crois que tu n'as pas (droit - plus de bl et plus de vin que ton' comte qui ne fait rien? ((page 36). Arrtons-nous sur cette tranche d'apologtique dmocratique, et montrons-en l'artifice expressment vicieux. Dans deux mdaillons juxtaposs, l'auteur nous tale d'une part la classe dirigeante, celle du moins laquelle il reproche de prtendre la direction, et de l'autre la classe dirige, celle du moins qui juge insupportable de subir cette mme direction. Or, au lieu de les traiter l'une et l'autre avec uno impartialit qui permettrait de les juger toutes deux avec justice, il nous prsente de l'une des chantillons exceptionnels, extravagants, monstrueux, et il fait tenir l'autre un langage spcieux, tout plein de sophismes qu'il laisse sans rfutation : Ton se trouve ainsi conduit devoir conclure la table rase, dans une socit o les assaillis sont dignes d'tre dlogs, et o les assaillants, malgr l'vidente indignit de leur besogne, la poursuivent toutefois impunment, faute d'une juste riposte de la part des assaillis. Qu'attendre, en effet, pour la rfutation de l'envieux galitarisme de ces paysans borns et pervers, qu'attendre de ces faux nobles, de ces bourgeois parvenus, de ces ploutocrates gostes qu'on nous a prcdemment dcrits ? Yves Le Querdec, ainsi, dmantle la forteresse dans le temps mme o il arme irrsistiblement ceux qui aspirent s'emparer d'elle : est-ce l miiter le diplme d'aptre social? Est-ce l se rvler soi-mme Fils de l'Esprit ? C'est bien plutt faire uvre rvolutionnaire, et de la pire faon, puisque c'est sous le couvert d'un mysticisme affect qu'on y procde. Le pis est qu'une quivoque primordiale domine toute l'entreprise : si les nobles dont on nous dpeint les misres avec une recherche par trop maligne ont usurp leurs titres et leurs particules, ce n'est plus la vritahle aristocratie qu'on s'en prend, mais bien la bourgeoisie, ou du moins une fraction spciale de la bourgeoisie, savoir Ja plus ridicule, partant la moins exactement reprsentative de cette classe. Alors, quoi? l'auteur charge-t-il l'aristocratie? charge-t-il la bourgeoisie? Oui et non; ni l'une ni l'autre, et toutes deux ensemble, et avec si peu de prcision dans les contours et de probit dans c dessin, qu'il croit tre l'abri du reproche de diffamation qui lui viendrait, soit des aristocrates, soit des bourgeois. Ce qui n'est pas douteux, c'est la ralit de la charge, et la rudesse du coup de crayon, et la crudit des couleurs, et l'intention diffamatoire, et la partialit de l'artiste, et Tanimosit dlibre qui l'inspira. Dconcertant dans le dnigrement des dirigeants, Yves Le Querdec
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est plus dcevant encore dans sa mise en scne des dirigs, puisqu'il place sur leurs lvres des propos qui appelleraient d'urgentes ripostes, et qu'il s'abstient de fournir ces dernires. De deux choses l'une, ou il ne fallait pas imprimer ces papotages bassement envieux, ou il tait lmentaire d'imprimer en regard, ou du moins dans tel ou tel autre chapitre du roman , les rfutations appropries. Six ans avant M. l'abb Thellier de Poncheville, Yves Le Querdec estime que c'est d'me me, d'individu individu q*ue se communique la flamme de vie (page 29), il nous prne l'uvre de "reconqurir, une par une, les mes au lieu de s'acharner les vouloir prendre toutes ensemble comme d'un coup de filet (page 30) : que ne s'y consacrait-il luimme en rpondant son sabotier, son forgeron, ses autres paysans, ou e n leur faisant rpondre par quelque autre de ses personnages ? Mais pas u n de ces derniers n'assume cette tche : Norbert lui-mme garde pour lui le bnfice des suggestions dont l'Esprit pourrait le iav'oriser cet effet Si bien que ce Norbert, tout compte fait, demeure un idologue : jamais il ne rpond du tac au tac aux propos de ses interlocuteurs; il semble constamment craindre de rvler son sentiment d'une faon prmature; Vainement l'on dbite devant lui ou autour de lui de normito antisociales ou antireligieuses : il ajourne invariablement la rplique quelque chapitre ultrieur; tout comme il y a quarante ans, pendant le sige de Paris, le chef du gouvernement de la Dfense nationale, ce Norbert a son plan : c'est le Trochu de la dfense sociale et quand enfin l'on croit tenir le secret si longtemps rserv, l'on dcouvre quoi? un agronome qui a russi boucler son bilan, un (-ps&uo-)gentleman farmer qui fait honneur ses affaires, et qui, pour en dire sa satisfaction au ciel et la terre, pouse une institutrice laque! Quant aux sabotiers, aux forgerons, aux paysans, qui ont odieusement clabaud sur le compte de la socit, leurs clabauderies subsistent, invenges. De minimis non curt Le Querdec. Pie X reprochera au Sillon de s'tre drob la dfense de l'Eglise attaque; il y a longtemps que M. Fonsegrive avait mrit, de la part de la socit, u n reproche plus accablant encore, puisqu'il aviait fait plus que d'en ngliger la dfense : il l'avait fait attaquer par des comparses de ses livres, et il avait omis de rtorquer ces attaques ou de les faire rtorquer par des tiers. P e ses lecteurs il sera donc vrai de dire : parvuli petierunt panem, et non erat gui frangeret eis...
VII Encore si, aprs avoir dit son fait aux anciens partis , et mchamment persifl ce qu'il appelle, avec une nuance d'ironie mprisante, l a socit , Yves Le Querdec russissait proposer une mthode
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d'action qui et pour elle des garanties de succs, et nous montrer, grce l'application de cette mthode, un commencement, tout au moins, de victoire, on s'expliquerait son dsir de faire part au public de sa dcouverte. Mais quoi? Il prte aux rpublicains de Tourtoirac des propos avantageux sur l'impuissance de la raction avant l'entre e n scne de son Norbert : nous prouve-t-il, la fin cle son roman, que ces propos se soient modifis, et que le ton n'en soit plus le m m e ? Le sabotier, qui remplit consciencieusement son infme besogne de -dlgu , y renoncera-t-il parce que Norbert aura su grer son bien et vaincre les rsistances plbiennes de son institutrice? De mme que le Sillon n'a converti personne gauche et a perverti pas mal de braves gens droite, de mme l'originalit de Norbert laisse subsister tous les prjugs calomnieux au nom desquels le sabotier prononce des oracles comme ceux-ci : ... Son pre est un vieux cul-blanc qui, dans les temps, 'faisait voter pour Henri V. Il aurait voulu se prsenter pour dput, il n'a pas os; il s'est prsent pour conseiller gnral, il n'a pas pu arriver. Il est tout fait contre les pauvres. Tous les riches sont ici aujourd'hui, tous ceux qui dtestent la Rpublique; tous ceux qui ont t levs par les curs : les MM. Pourtaillon ont t levs Bordeaux par les Jsuites (il disait ; Zsuites); M. Norbert, le notaire, les Teyssire, les Salviac, Mortais, par les Jsuites; les de Cabon, les Villegente, Tourtoirac, au sminaire; les autres, Ghiguac, encore chez les curs... Les officiers ont tous t l'cole chez les curs. Ahl ce qu'on va en dire lthaut sur les pauvres et contre la Rpublique... La femme de Favareilhe, qui faisait l'autre-jour la morale au vieux Souci, aurait mieux fait de corriger son mari. Mais tout leuir est permis. Les pauvres, tu comprends, a ne doit pas boire, tandis que les riches... Et cela dure quatre pages, et Yves Le Querdec ne recule mme pas devant "des dtails d'une truculence parfaitement raliste pour fai:e entendre quels excs s'abandonne la socit de Briselaine. Je ne sais si pareille lecture peut tre impunment conseille aux jeunes gens, mais ce qui saute aux yeux, c'est que tous les coups d'encensoir prodigus au dmocratisme, sous cette forme ou sous d'autres, n'empcheront pas les commis-Voyageurs de la franc-maonnerie de persister identifier la cause de la Rpublique avec celle des pauvres, et, par voie de consquence, prsenter les adversaires de la Rpublique comme les ennemis des pauvres. En reproduisant ces sottises, et en leur donnant un tour piquant qu'elles n'ont pas au naturel. M. Fomsegriv-fc ne les ruine pas, il les achaland au contraire, et il le fait avec u n e complaisance qui donne penser qu'elles le froissent mdiocrement. En vrit, si la prsente critique pouvait, sans franchir les limites qu'elle- s'est imposes de toujours, et que protgent les rgles professionnelles de Ja polmique lgitime, scruter les intentions, les mobiles secrets et les arrire-penses, l'on aurait sujet de demander quelle
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mouche aristocratique ou bourgeoise, au choix, a bien pu piquer M. Georges Fonsegrive, pour l'induire ce dballage d'invectives implacables contre des classes sociales qui, de leurs fautes relles ou de leurs omissions possibles, de leurs torts individuels ou collectifs, semblent bien dj porter suffisamment la peine, sans d'ailleurs que le pays se puisse flatter d'y avoir gagn quoi que ce soit. L'aigreur de certaines descriptions, la malice de certains traits, la plainte discrtement implique dans certaines revendications, donnent h l'auteur la figure d'un mcontent qui ferait expier la socit tout entire no-us ne savons quel ressentiment gnrateur d'hypocondrie. Ce qu'il dit de lui-mme concorde d'ailleurs avec cette impression. Voici, en effet, comment il parle de Jacques Voisin, ce laque, publiciste et philosophe, qui a pris, dans les conseils de Norbert, la place du cur de Saint Maximin : Ce laque, absorb par sa famille et par ses travaux, plus habitu penser et s'claircfr lui-mme qu' clairer et conseiller les autres, dconcertait un peu Norbert. Jacques Voisin avait des saillies, des clairs de penses, des recherches haute voix plus propres veiller des doutes qu' fixer des hsitations. Incomparable excitateur de penses, il ne se souciait pas assez des troubles que sa parole inquite pouvait susciter. Il fallait que Norbert l'obliget prciser... (page 16). ' Peu d'auteurs, on l'avouera, ont pouss aussi loin le gnthi seauton. Reste savoir si, lorsqu'on a conscience d' veiller des doutes et de susciter des troubles par les recherches haute voix d'une parole inquite , on n'est pas deux fois coupable d'pancher ses inquitudes le long de s i x cents pages, o l'on se montre, toute modestie part, un incomparable excitateur de penses , mais o l'on se drobe chaque fois qu'un tiers, Norbert ou le lecteur, vous oblige prciser . Prciser, e n effet, c'est ce dont Ton e s t bien incapable, ou ce quoi Ton s'empresse bien peu, dans l'cole des Sangnier, des Le Querdec, des Norbert et des Jacques Voisin. Et l'aveu que nous relevons dans ce passage est d'autant plus sincre, d'autant plus piquant aussi, qu'il a prventivement confirm, cinq ans de distance, le jugement que Pie X devait porter, dans sa perspicacit translucide, contre les fondateurs d u Sillon, quand, dans l'Encyclique du 25 aot 1910, il devait se plaindre de leurs mes fuyantes . Cette fois, le Fils de l'Esprit n'est plus un roman , et ce passage est proprement une page d'histoire.'
VIII La digression apparemment tmraire que nous venons de faire ne semblera plus du tout illgitime, si l'on observe que, mme quand il semble dfendre une thse purement objective, M. Georges Fonse-
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grive y introduit un plaidoyer pro domo. C'est sa cause, lui-mme, tout autanl que la cause des hros de son roman, qu'il fait valoir lorsque, par exemple, il exalte la promiscuit des catholiques avec les incroyants. Vainement l'aptre saint Jean a-t-il crit : Si quelqu'un vient vous sans apporter cette doctrine (du Christ), ne le recevez pas dans votre demeure, et ne le saluez point, nec Ave ei dixeritis (1). Vainement saint Paul a-t-il dit, d'autre part : Si quelqu'un n'obit pas aux prceptes que vous porte cette ptre, dsignez-le, et, pour le confondre, abstenez-vous de tout commerce avec lui, ne commisceamini cum Mo (2), et, ailleurs encore : Je vous en prie, mes frres, prenez garde ceux qui soulvent des dissentiments et qui portent des atteintes mme lgres la doctrine que vous avez reue: et loignez-vous d'eux, et declinate ab iliis (3). Vainement Pie X devait-il, dans son Encyclique sur le Sillon, dnoncer son tour les prils de l'interconfessionnalisme thorique ou pratique, Yves Le Querdec a consacr pour le moins vingt pages du chapitre VII du Fils de VFJsprit, Deux dners, faire Norbert de Pchanval un titre de gloire de ce qu'il prfre la commensalit d'un franc-maon une autre. Invite chez les Ginestaux, Un dner o doit figurer rarchiprtre de Tourtoirac, le fier et .indpendant Norbert de Pchanval met son point d'honneur s'asseoir la table du docteur Mirdent, la sommit maonnique du cru. Sans doute, aprs le dner, il ira passelr quelques instants la soire des Ginestaux, mais c'est dlibrment qu'il a d'abord pris part a u dner du franc-maon. Songez donc! ce franc-maon a tmoign une sympathie vraiment confraternelle au docteur Ducros, lequel professe comme Norbert un zle non dissimul pour le Sillon; cela suffit pour que Norbert aille partager le succulent dner du docteur Mirdent. Tous les gots sont dans la nature, mais ceux de Norbert l'amnent rencontrer cette table d'ailleurs excellemment servie ; ...Le vtrinaire, prsident du Comit rpublicain; l'homme de lettres,- propritaire du Progrs et d'un assez bon nombre d'hectares; un vieux professeur de mathmatiques, tout glalbre, aux dents jaunes, ancien chapp de la Commune, rveur obstin du Grand Soir et de la Rvolution sociale, grand pcheur la ligne, et, sans que personne ait pu jamais savoir pourquoi ni comment, trs influent sur le menu peuple tourtoiracois ; deux commerants, l'un droguiste en demi^gros et l'autre marchand de fer, tous deux bedonnants, radicaux et pleins de haine pour les nofbles et la prtraille... (pp. 308-309). Cette numration s e poursuit encore, pour se clore sur le sousprfet, comme si la leon dduire de cette aventure et risqu d'tre incomplte, sans ce couronnement de l'trange cohorte : n'oublions 1. II Joan., 10. 2. II Thess., III, 14. 3. Born, XVI, 17.
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pas, en effet, que, par superstition prudhommesque, ou par ftichisme csarien, le dmocrate accompli, le silloniste exemplaire, se doit d'tre dans les meilleurs termes qu'il est possible avec les reprsentante des institutions de son pays , et leur tmoigne autant do dfrence qu'il se montre dtach vis--vis de tous ses autres contemporains. Ce Norbert, qui brave les Ginestaux et combien d'autres, ne privera pas d'une' seule courbette le sous-prfet, d'ailleurs anonyme, qu'il rencontre chez le docteur Mirdent! Qui donc nous reprsentait Yves Le Querdec comme un indpendant? Il s'avre, ce trait, bon garde-national... Citons cepondant les raisons produites pour faire accepter du lecteur l'insoutenable prfrence manifeste par Norbert. ... Par un trange contr-aiste ou.par une inconsquence bizarre, le Dr Mirdent avait pris en belle amiti son confrre, l'ami de Norbert, le catholique pr Ducros. Il avait bien prouv au dbut quelque dpit de se voir enlever par le jeune homme quelques-uns de ses meilleurs clients, il le fit cepondant nommer bien moins par amour pour lui qu'en haine de tous les autres con currents son auxiliaire l'hpital, et l la communaut de but, la convergence des efforts, une manire peu prs semblable de comprendre la science et la pratique mdicales, tout poussa les deux mdecins se rapprocher. Ils finirent par s'entendre, par se comprendre, par s'apprcier, mme par s'aimer. Car autant le Dr Mirdent tait dtestable ds que la politique tait en jeu, autant il tait bonhomme, complaisant et serviable ds qu'il n'lait plus question que d'affaires et de sentiments privs. Sa dmocratie n'tait pas seulement faite de phrases creuses, elle reposait aussi sur. des sentiments sincres de piti pour les malheureux, d'estime pour le travail. Que des sentiments moins purs se mlassent ceux-l, c'est ce qui malheureusement ne pouvait faire gure de doute; cependant cela suffisait avec la communaut de profession pour crer entre l'me haute et sincre du Dr Ducros et celle du Dr Mirdent des liens de sympathie qui finirent par devenir des liens d'affection. Malgr ou peut-tre cause de son assiduit aux pratiques pieuses, le Dr Ducros n'avait pas t persona grata auprs des autres mdecins, tous conservateurs, ni mme auprs de la partie masculine de la socit. Tous les hommes bien pensants de Tourtoirac allaient ostensiblement la messe, suivaient les processions et se donnaient comme les champions dvous de l'Eglise, mais plus d'un parmi eux ne laissaient pas que d'entretenir un faux mnage, beaucoup grognaient contre le carme et le vendredi; aucun ne jenait, cela va sans dire, quelques-uns oubliaient leurs Pques; seul, M. de Pourtaillon, l'avocat M. de Tournon et 1 Dr Pbeyre faisaient la complte dification des dvotes et du clerg, assistant chaque matin la messe et accomplissant avec zle- tous leurs devoirs de chrtiens. Aussi la pratique la fois libre, aise, rgulire du Dr Ducros ne fut-elle gure comprise. Les hommes en gnral le trouvrent trop dvot, les dvotes lui reprochrent de ne l'tre .pas assez. Comment un homme, qui faisait chaque dimanche la communion, pouvait-il manquer en semaine aux ftes de la Vierge et aux messes en l'honneur de saint Antoine? Comment, de mme cfue tous jpes messieurs, no suivait-il pas toutes les processions? Comment n'avait-il pas pris part .aux diverses manifestations en faveur de la libert religieuse? Comment surtout pouvait-il bien causer familirement avec le sous-prfet, paratre li d'amiti avec cet abomi^ nablo Dr MiTdent?
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Il y a, sans nul doute, quelque pstitesse dans les critiques diriges contre la conduite religieuse de ce docteur Ducros par les dvotes qu'imagine Yves Le Querdec, attendu que, si la pratique des devoirs religieux s'impose, le quantum de cette pratique demeure facultatif, surtout au regard des tiers, et le choix des dvotions relve pareillement du domaine subjectif. Mais s'agit-il bien de cela? Et l'intervention de ces quinteuses dvotes a-t-elle un autre objet, cet endroit, que de mettre en relief et d'exalter le parti-pris d'originalit, l'ostentation presque agressive, enfin le mysticisme tapageur, si l'on peut dire, de la pit spciale des sillonistes? Joignez-y une copieuse mdisance l'gard de la pratique des voisins, et vous aurez, sous le pinceau d'un ami du Sillon, la peinture acheve de l'asctique silloniste, telle que devait la juger, cinq ans plus tard, l'incorruptible droiture de Pie X. Le Pontife, en effet, dans l'Encyclique Notre charge apostolique, a dit ce qu'il fallait penser de ce mysticisme ml d'illuminisme, il a dnonc la dfection volontaire du Sillon dans diverses circonstances o la libert de l'Eglise rclamait des dfenseurs.; il a condamn enfin, de: la faon la plus explicite, l'interconfessonnaIisme et la promiscuit des cathodiques avec les mcrants. Il faut relire ces enseignements pour voir jusqu' quel point la thse d'Yves Le Querdec les contredisait de faon directe : ... Certes, ce n'est pas l'Eglise qui est descendue dans l'arne politique; on l'y a entrane et pour la mutiler et pour la dpouiller. Le devoir de tout catholique n'est-il pas d'user des armes politiques qu'il tient en mains pour la dfendre, et aussi pour forcer la politique rester dans son domaine et ne s'occuper do l'Eglise crue pour lui rendre ce qui lui est d? Eh bienl en face de l'Eglise ainsi violente, on a souvent la douleur de voir les sillonnistes sa croiser les bras, si ce n'est qu' les dfendre ils trouvent leur compte... Qu'pst-ce dire, sinon qu'il y a deux hommes dans le sillonniste : l'individu, qui est catholique, le sillonniste, l'homme d'action, qui est neutre? ...Voici fonde par des catholiques line association interconfcssionnelle, pour travailler la rforme de la civilisation, uvre religieuse au premier chef; car pas do vraie civilisation sans civilisation morale, et pas de vraie civilisation morale sans la vraie religion : c'est une vrit dmontre, c'est un fait d'histoire... Que faut-il penser de la promiscuit o se trouveront engags les jeunes catholiques avec des htrodoxes et des incroyants de toute sorte dans une uvre de cette nature?... Etranges, effrayantes ot attristantes la fois, sont l'audace et la lgret d'esprit d'hommes qui se disent catholiques, qui rvent de refondre la socit dans do pareilles conditions et d'tablir sur terre, par-dessus l'Eglise catholique, le rgne de la justice et de l'amour , avec des ouvriers venus de toute part, de toutes religions ou sans religion, avec ou sans croyances, pourvu qu'ils oublient ce qui les divise ; leurs convictions religieuses et philosophiques, et qu'ils mettent en commun ce qui les unit : un gnreux idalisme, et des forces morales prises o ils peuvent Dans ce chapitre du Fils de VEsprit, c'est la communaut de profession qui cre les liens d'affection entre le docteur silloniste et le praticien franc-maon, tout comme le gnreux idalisme
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devait unir les membres du plus grand Sillon . Mais le processus de l'interconfessionnalisme est le mme, et, s'il se revt ici du manteau de la fiction, le modernisme social n'clate pas avec moins d'vidence. On peut mme dire qu'il court au-devant d'une censure double, la Lettre de Pie X M. Gaspard Decurtins ayant atteint le modernisme littraire comme sa Lettre sur le Sillon avait perc jour le modernisme social. Le roman social de M. Georges FonsegriVe nous montre d'ailleuis bien d'autres manifestations d'interconfessionnalisme, et le mariage mme de Norbert de Pchanval avec Mlle Emma Tournier n'est, aprs tout, qu'une manifestation attnue de la mme ide fixe. Sans doute, l'auteur a voulu mettre comme prface cette union l a conversion de l'pouse : c'est que, d'une part, le contraire et t trop paradoxal; d'autre part, cette conversion fournissait M. Georges Fonsegrive u n e occasion prcieuse d'tablir que, dans le roman sinon dans la vie relle, son apologtique particulire opre des miracles, et que sa foi sait devenir conqurante au moins par la plume d'Yves Le Querdec. Il n'en est pas moins vrai que la bizarrerie da lx msalliance, a u point de vue social, n'est rien, dans le dessein probable de l'auteur, au prix du rapprochement qu'il exulte d'aVoir opr, rencontre des vraisemblances et des affinits religieuses, entre un fervent catholique comme Norbert et une rationaliste, docile lve du protestant Flix Pcaut. Allons plus loin, et disons tout net que l'interconfessionnalisme, c'est tout Fonsegrive. Une sincrit indniable dans la profession de sa propre croyance se complique organiquement chez lui du besoin assidu de tendre la main aux dissidents, aux incroyants, voire aux sectaires. Non seulement, quand il rcite les Litanies des saints-, il doit, j'imagine, omettre le verset : Ut inimicos sanct Ecclesi humiliare digneris, te rogamus, audi nos, ce qui doit lui sembler undesirable ; mais encore il n'est prcaution qu'il ne prenne pour qu'en ses actes, en ses crits, e n ses paroles, e n ses penses mme, nos frres spars trouvent satisfaction, dussent n'y pas trouver leur compte nos frres demeurs unis, ces .domestici qui ont la prfrence de saint Paul.
IX Il est ainsi fait, M. Fonsegrive. Est-ce propension de nature? Est-ce consquence de sa situation professionnelle, qui juxtapose e n lui et qui met constamment aux prises le catholique et le professeur, celuici investi par une Aima mater dont la plupart des fils servent d'autres dieux que le Dieu du catholique? Toujours est-il que le sentiment intime ou public de ceux qui ne sont ni du corps, ni mme de l'me
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de l'Eglise, le proccupe, en tontes choses, autant, sinon pins, rrue le sentiment des fils mme de l'Eglise. Personne plus que lui ne s'empresse d'accepter, en toute discussion, le point de vue de l'adversaire. Et il justifie souhait cette dfinition dj ancienne du libral : Libral? Un homme tolrant envers tous, sauf envers ses coreligionnaires. Pour tout dire, c'est cette disposition d'esprit qui l'a conduit, sans ncessit d'aucune sorte, dposer juscfue dans les pages d'un roman comme, le Fils de l'Esprit, quelques gouttes de fiel l'adresse de cette pauvre et chre grande Vrit franaise, qui prenait la libert de ne goter point son subtil clectisme... La scne se passe chez Mme de Xandr, vieille chtelaine, voisine de Norbert, qu'elle a invit pour avoir son avis s'ur la politique gnrale du pays aussi bien que sur les affaires de la commune. Et voici comment, sous prtexte de nous prsenter cette dame, M. Georges Fonsegrive donne libre cours sa passion contre ceux qui soutenaient les vraies doctrines l'poque o parut le Fils de l'Esprit : Abonne de la Croix et de la Vrit franaise, elle abandonnait sans la lire la premire feuille ses domestiques qui recevaient en cachette le Petit Parisien, mais lisait l'autre jusqu' la dernire ligne. Elle tait persuade que le cardinal Rampolla avait constamment entretenu Lon XIII dans des ides fausses l'aide de renseignements inexacts, qu'il existait une conspiration formidable compos; de prlats amricains, de prtres dmocrates, de savants orgueilleux, d'universitaires catholiques et de jeunes hommes dous de plus d'enthousiasme que de cervelle, et que cette conspiration ne visait rien moins qu' ruiner l'Eglise, la vider de toute orthodoxie et de toute discipline. Et elle dplorait l'aveuglement des Pontifes qui non seulement ne se rendent pas l'vidence des dmonstrations donnes par les Maignen de toute nature, mais qui mme ne paraissent pas se douter que ces crivains rendent la cause de l'Eglise les plus signals services. Car, chose trange ! les Papes paraissent les ignorer et ne leur envoient jamais le moindre encouragement, tandis qu'ils complimentent ouvertement les autres journaux qui soutiennent et les prlas d'Amrique et les prtres dmocrates et les laques savants... (pp. 171-172), Et ce bavardage continue, entassant les mchantes petites faussets ple mle avec les vrits notoires. Et l'on est tent de prendre en piti M. Georges Fonsegrive, homme qfui se croit srieux et qui est effectivement rput srieux, quand on le voit descendre ce stratagme : pour dire son fait la Vrit franaise, il prend le dtour de la fiction romanescrue! Faut-il, quatre ans aprs la disparition de la vaillante feuille, entreprendre de la venger de ces imputations la fois cancanires et barioles? Un attachement filial nous y incite, d'autant qu'elle a laiss dans le pays des souvenirs d'une vivacit rare, ce point qu'on continue de s'en rfrer elle et d'voquer les luttes qu'elle livra, chaque fois que surgit une controverse doctrinale ou qu'entre en lice un combattant de choix. Rappelons donc M. Fonsegrive, qui le sait du reste fort bien, que jamais personne, ni dans la rdaction de la Vrit franaise, ni parmi
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ses abonns, n'a cru, ni fait croire crue le cardinal R a m p o l a eut entretenu Lon XIII dans des ides fausses l'aide de renseignements inexacts ; mais rappelons-lui aussi, ce qu'il sait galement fort bien, que la conspiration dont il parle ensuite n'est nullement imaginaire ; elle compta parmi ses adhrents plus ou moins conscients, plus ou moins ardents, des prlats amricains , tels que Mgr Ireland et Mgr Spalding, des prtres dmocrates dont les noms sont bien connus, des savants orgueilleux non moins dsignes par tout le monde, des universitaires catholiques tels que M. Fonsegrive lui-mme, eL -enfin des jeunes hommes dous de plus d'enthousiasme que cle cervelle : 1 ce trait vous avez reconnu Marc Sarignier, fa qui, sans le vouloir, M. Fonsegrive dcernait ainsi, cinq ans d'avance, un brevet que Pie X lui-mme, dans un document exceptionnellement vnrable, devait ratifier quand il dclare qu'il manque aux chefs du Sillon la science historique , la saine philosophie , la forte thologie , la clart , la logique, la vrit , le gnie catholique et franais , si bien qu'il ne leur reste que le vague des ides et l'quivoque des expressions sous l'ardeur du sentiment et la sonorit des mots . Or, de cette conspiration , quel devait tre le rsultat, .pour ne pas dire l'objectif? N'tait-ce pas de ruiner l'Eglise , de la vider de toute orthodoxie et de toute discipline ? Ce n'est plus Mme de Xanclr, ce n'est plus l'ironique imagination de M. Fonsegrive qui le prsume, c'est Pie X qui le dclare et qui le prouve, dans les pages lumineuses de l'Encyclique Pascendi. Et le jour o parut cette Encyclique, M. Fonsegrive dut confesser le triomphe des dmonstrations donnes par les Maignen de toute nature , lesquels pouvaient dj mettre leur actif la lettre de Lon XIII au cardinal Gibbons, Tesiem bcnevolentice, pour la condamnation de l'amricanisme, et l'Encyclique du mme Lon XIII, Graves de communi, sur les conditions auxquelles la dmocratie peut se flatter de demeurer chrtienne. Si donc Mme de Xandr, avec une irrvrence que lui prte tout gratuitement Yves Le Querdec, dplorait l'aveuglement des Pontifes, c'est qu'elle ne lisait pas la Vrit franaise jusqu' la dernire ligne , ou qu'elle la lisait assez mal. Car ce fut le propre des crivains de ce journal dcidment unique, de rendre la cause de l'Eglise les plus signals services sans attendre et surtout sans rclamer le moindre encouragement , comme nous l'avons dj signal dans notre notice sur notre matre Auguste Roussel, qui fut dlicat, chevaleresque et dsintress jusqu' l'hrosme (1). Son journal ne Voulait mme pas savoir si d'autres journaux, qui soutenaient les prlats d'Amrique, les prtres dmocrater, et les laques savants , obtenaient ou mm'e recherchaient 1. Voir la Critique du Libralisme, du 15 juin 1910.
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des compliments Rome; il lui suffisait d'av"oir confiance dans l'vidence do ses dmonstrations , et d'tre assur crue de Rome finirait par en venir, mme lui mort, la solennelle et irreformable conscration. Il reste M. Fonsegrive la consolation de se croire un lacrue savant , et de faire imprimer ses frais ce certificat modeste, il reste aux crivains de la Vrit le souvenir, autretment vivifiant, d'avoir eu le dernier mot dans des luttes mmorables, mme alors qu'on eut bris entre leurs mains l'arme avec laquelle ils les avaient livres. La Quinzaine de M. Fonsegrive, en disparaissant presque dan, le mme temps, gardait moins d'allgresse et plus de remords. Souhaitons que la Croix, qui survit tout mais qui elle-mme ne trouvo pas grce devant M. Fonsegrive, soit lue par d'autres que par des domestiques , et qu'elle corrige mme ces derniers de la lecfcuro du Petit Parisien.
X Nous venons de relever une malice de M. Fonsegrive l'adresso de la Croix, qui n'avait certes mrit Ni cet excs d'honneur ni cette indignit. Or, ces sortes de malices, ainsi distribues tort et travers, fourmillent dans le Fils de l'Esprit. Elles faonnent l'auteur l'aspect dfinitif d'un tre quinteux, qui, dans les pages mme o il prsente la dmocratie comme destine raliser l'idal de la flicit humaine, ne so refuse aucune occasion, soit de troubler la flicit individuelle par d'impitoyables lardons, soit d'attester que sa flicit propre se meut dans une atmosphre d'acrimonie constamment inapaisc. Mais, de mme que nous devons renoncer discuter tous les passages critiquahles de son roman social , de mme nous ne relverons plus que quelques-uns de ces coups de dent qu'il a prodigus x uns et aux autres, cependant qu'il largissait la coupable entaille qu'il s'tait propos de pratiquer dans le corps social tout entier. Et nous les Irouvons dans la relation, qui ouvre le volume, d'une runion publique des groupes d'opposition, d'o Norbert de Pchanval doit soi tir rsolu sauver la France par la culture intensive, la campagne, d'un dmocratisme farouche et rageur. En cette runion prennent tour tour la parole des orateurs dsigns par les noms de Dombre, Tivoux, Mabit et Tassier, qui figurent Coppe, Piou, Lasies et Sangnier, l'auteur s'tant amus conserver les voyelles et ne remplacer que les consonnes des noms qu'il laissait deviner. Or, voici ce qu'il dit du discours de Tivoux : La haute et noble stature de Tivoux se dressa alors et les mains battirent encore. Les femmes avaient retir leurs gants pour mieux applaudir. Le dis-
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cours du prsident de la Ligue pour le peuple et pour la libert fut plus long, plus plein de choses et d'ides crue n'avait t celui du pote. De sa voix harmonieuse, malgr un lger dfaut de prononciation, il droulait avec ampleur, en les ponctuant de igestes rares, la sjuite de ses priodes. La prparation tait vidente et la prvision prudente des moindres dtails, ,et cependant nul apprt, une chaleur contenue et vive, une hauteur constante des vues, une correction impeccable de la phrase, une lgance soutenue de la diction. On sentait une passion intrieure, la flamme du cur qui s*est donn une tche, qui parle bien plus pour exprimer hors de lui comme son trop-plein que pour vaincre les autres, et qui arrive par l mme aux plus grands effets de persuasion. Ce qui cependant empchait cette parole si belle d'atteindre tous les effets qu'elle et mrits, c'tait une sorte de dtachement qui semblait trahir une lassitude, une espce de dsesprance. On et dit que l'orateur en parlant voulait avant toute chose s'acquitter d'un devoir qu'il accomplissait sans se faire aucune illusion... {pp. 18-19). Certes, tous ceux qui ont entendu M. Piou trouveront cette critique exacte, et ceux qui ne l'aiment pas la jugeront savoureuse. Mais on doit convenir aussi qu'elle n'est nullement indulgente, et que le prsident de Y Action librale populaire avait le droit d'esprer davantage et mieux de M. Georges Fonsegrive, qui jamais, que nous sachions, il ne se soucia de porter le plus petit prjudice. Et le lecteur est fond se demander par quelle malignit foncire Yves Le Querdec s'est trouv m n'pargner mme pas le gnralissime de la politique librale et constitutionnelle. N'aurait-on pas l'a clef de cette rigueur dans ce fait qu'aux yeux du doctrinaire Fonsegrive, M. Piou n'est, tout prendre, qu'un ancien royaliste? Nous aurons, e n effet, l'occasion de constater, dans tels autres ouvrages de M. Fonsegrive, que sa faon spciale d'entendre le ralliement consistait fendre l'oreille tous ceux qui avaient, jusqu'au toast du cardinal Lavigerie, figur dans l'opposition comme chefs, comme candidats, comme confrenciers, voire comme journalistes. A ce compte, ni M. de Mun, ni M. Piou, n'avaient t bien choisis pour conduire les catholiques rpublicains; seul, M. Lamy offrait l e s garanties ncessaires; Jmais, coup sr, M. Fonsegrive et chican M. Lamy lui-mme sur d'autres points Et la preuve, c'est que Marc Sangnier, ipsissimus ipse, ne trouve pas grce aux yeux d'Yves Le Querdec. Voici, en effet, le coup de massue qu'il assne sur Tassier, le prsident de YEssor, aprs avoir couvert de fleurs s a manire oratoire : Pas plus d'ailleurs que les orateurs ^prcdents, il n'indiqua bien clairement ce que chacun des auditeurs devait faire pour assurer le salut public... (page 27). N'est-ce pas l encore une confirmation prventive du jugement que devaiL porter Pie X sur le vague des ides sillonistes? Mais en voil assez sur les orateurs de cette symbolique runion; passons l'auditoire. Parmi les auditeurs, Yves Le Querdec distingue :
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...un certain nombre d'ecclsiastiques en soutane noire, qui tous portaient le rabat, mais o, l'allure la fois volontaire et retenue, la spontanit du sourire et la discrtion du regard autant qu'aux appellations de mon Pre que Von entendait de divers cts, l'on pouvait reconnatre des religieux de la Compagnie de Jsus... (page 3). Jusque-l, ce .n'est pas bien mchant, et les jsuites ne peuvent qu'tre flatts d'tre ainsi remarqus expressment dans un auditoire aussi considrable. Seulement, quand l'auteur rsume les souvenirs de collge de Norbert, il se gne beaucoup moins pour reprsenter s e s matres, prcisment jsuites, comme lui ayant inculcfu, soit par leur enseignement de l'histoire contemporaine, soit par leur direction morale gnrale, un esprit auquel naturellement, et comme par instinct, il rsistait , auquel $ rsistait d'autant plus qu'il Voyait que cet esprit s'accordait avec tout o& qui, hors du collge, l'avait le plus; vivement choqu . Cette priphrase, si on l'clair par ce qui prcde et par ce qui suivra dans le volume, signifie que les Jsuites avaient lev Norbert dans des ides, sinon aristocratiques, du moins antidmocratiques. Et si M. Fonsegrive a mis tant de prudence indiquer ce grief, c'est sans doute qu'il ne voulait pas rebuter le zle qu'ont mis, notre connaissance, certains de ces religieux faire lire le Fus de l'Esprit. Seulement, par quelle inadvertance M. Fonsegrive insinue-t-il cette accusation d'antidmocratisme contre des religieux qui, par ailleurs, il prte assez de condescendance pour qu'ils soient venus en nombre un meeting profitable au ralliement ? Lui-mme nous en avertit par cette phrase ddaigneuse : Inutiles et boudeurs, les reprsentants du vieux royalisme n'avaient pas t invits, mais tous les dbris actifs du parti s'taient d'avance fondus dans les autres associations... (page 17). Qui sait? c'est peut-tre cet effacement, moins spontan d'ailleurs que contraint, qui permit la publication et favorisa le succs relatif du Fils de VEsprit. Aujourd'hui, ce roman social tomberait k plat, tant l'Action franaise sifflerait Norbert de PchanVal. Paul TAILLIEZ-
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U N E O R I E N T A T I O N N O U V E L L E D F L'A. C. J. F.
M. Nel Aris a donn sur cet essai d'volution un piquant article dans La Revue critique des ides et des livres (25 aot 1911). Nous le citons en entier, en le faisant suivre de quelques rflexions.
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Une grande proccupation pour les catholiques soucieux de sauvegarder leur religion est de savoir la conduite politique tenir. Le problme est complexe. Il a t en gnral mal compris et par consquent mal rsolu: l'vnement l'a prouv. L'chec du ralliement, la stagnation de l'Action librale populaire, indniable malgr de vibrantes manifestations oratoires, ont amen ce rsultat chez les catho liques : un grand dgot et une grande crainte de la politique, cause perptuelle de dceptions. Aussi inclinent-ils croire que la sagesse conseille l'abstention. Pas de 'politique, tel est le mot d'ordre qui circule parmi eux depuis plusieurs annes. Ce mot d'ordre, on le sait, nul groupement n'a plus fait pour Je propager que l'Association catholique de la Jeunesse franaise. Non seulement elle fait profession de l'observer comme groupe, mais elle l'impose ses adhrents, mme agissant titre individuel : Pas de politique qui diviserait l'Association, surtout pas de politique militante, qui la compromettrait. De sorte crue le dernier mot de la sagesse, pour ceux qui en font partie, serait de limiter en France leur action publique celle qu'un tranger galement catholique pourrait comme tel exercer chez nous, ou bien celle qu'un Franais pourrait comme catholique exercer l'tranger. Il va sans dire qu'une telle ligne de conduite est aussi insoutenable en thorie qu'impraticable en fait. Mais le papier supporte tout. L'A. C. J. F. a donc, en l'habillant de diffrentes faons, maintenu ce principe dans ses tracts et publications, quoiqu'elle ne se soit pas fait faute de concourir l'action politique dirige par M. Piou. Comme c'est une action sagement contenue dans, les limites de la lgalit et de la constitution, elle passe sans doute pour ne pas mriter le nom de politique militante ou mme pour n'tre pas politique du tout. En tous cas, les jeunes gens et les hommes (il n'y a pas de limite suprieure d'ge) de la Jeunesse catholique, s'ils *se livrent assez volontiers une certaine action politique, pensent que a n e compte pas et n'en font jamais le sujet de leurs tudes. Ils prfrent n'en pas trop parler, ne se sentant pas sur un terrain assez sr pour y risquer des discussions. Jusqu' ces derniers ternes, l'A. C. J. F. a donc prtendu et sans doute cru se tenir en dehors de la politique. Mais voil que la force des choses remportant, une orientation nouvelle se dessine : on parlera du siijet jadis dfendu. Ce qui n'empche pas l'A. C. J. F. de prtendre plus nergiquement que jamais s'en tenir 3 e s anciens principes d'abstention, ce qu'elle appelle sa ligne , au moment mme o ses chefs avouent la ncessit de s'en dpartir. C'est au moment du dernier Congrs national de l'A. C. J. F. (18-21 mai 1911) Paris que la dcision a t prise et la contradiction manifeste, malgr toutes sortes d'artifices de langage pour la dissimuler. Les Annales de la Jeunesse catholique (numro du 16 juin 1911) en tmoignent. On surprend fort bien, dans le compte rendu rsum mais consciencieux de cet organe officiel de l'Association, l'embarras o la plonge la question politique, et l'empressement gnral de
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ses adeptes viter toute parole prcise sur ce sujet scabreux. Mais le sujet s'impose, il faut se prononcer. D'o deux attitudes que toutes les ruses du monde n'arriveront pas accorder : une pour correspondre aux rsolutions passes et la . ligne prtendue invariable de TA. C. J. F., une autre J)our l'avenir et les ncessits qu'il Comporte. Premire attitude : Dans une des sances du Congrs, celle du vendredi 19 mai, s e produisit un incident racont en ces termes par les Annales de la Jeunesse catholique (1) : TJn membre de l'Action franaise demande pourquoi l'on met la porte de l'Association des catholiques cause de leurs opinions royalistes. Et Grerlier (2) d'affirmer > nouveau qu'il est faux que l'Association ait jamais cart de ses rangs quelqu'un pour le seul fait de ses opinions politiques; elle compte dans ses rangs des royalistes et des rpublicains; elle demande seulement aux uns comme aux autres de ne pas engagei et compromettre par une action politique militante l'A. C. J. F. et sa propagande religieuse et sociale. Tout jeune homme qui accepte cette discipline est admis dans l'Association, quelles que soient ses opinions politiques. Cette dclaration, qui ne fait que rsumer la ligne de conduite de TA. C. J. F., est accueillie par une ovation significative et prolonge (3). Par consquent la politique est considre comme une opinion sans intrt et sans valeur. On peut avoir celle qu'on veut, a n'a pas d'importance, pourvu qu'on ne s'avise pas de la traduire en actes. Car alors ce serait faire tort la propagande religieuse et sociale, la seule qu'admette et pratique l'A. C. J. F. Son catholicisme dborde sur la socit en gnral plutt que sur la France dont les conditions propres d'existence et de salut comme nation restent en dehors de ses tudes. ' Tel est donc le sens des dclarations du 19. Or le jeudi 18, c'est--dire la veille, voici ce qui s'tait dit et les rsolutions qui avaient t prises, sur l'initiative dos dirigeants de l'A. C. J. F., non devant le public mlang du congrs, mais dans le cercle slectionn du Conseil fdral (4) : Le rapporteur, sur la demande du Comit, insiste tout spcialement sur la
ncessit des tudes qui ont pour but do former les jeu/nes gens la vie -piiblique,
leurs devoirs de citoyens, d'en faire des Fianais conscients de leurs devoirs Si la politique de parti doit tre bannie d'-un cercle d'tudes, il est un certain npmbre de questions (devoir lectoral, R. P. etc.) qui, bien qu'elles semblent toucher la politique, ne doivent pas tre ngliges? (5). 1. Voir sur les dtails de cet incident et sur la faon dont a t lude toute discussion publique, l'article de la Critique du Libralisme, 1 juillet. *2. M. Gerlier est le prsident gnral de l'A. C. J. F. 3. Les Annales de la jeun:sse cathoHjus, 16 juin 1911, p. 178. ,4. Le Conseil fdral runit szulement les dl$gu?s des groupes. C'est comme une petite chambre des -dpu's que convoque chaque anne le Comit gnral de l'A. C. J. F. 6. Annales, etc., p. 194.
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Ainsi on s'occupera de questions politiques, qu'on dbaptisera pour la circonstance. Admirons la navet : le devoir lectoral et la R. P. sont des questions qui semblent toucher la politique; mais rassurons-nous, ce n'est qu'une apparence... Grce quoi, san3 doute, l'A. C. J. F. pourra faire campagne avec M. Piou pour la fameuse R. P. Dans leur innocence, ces messieurs ne se doutent pas que rien n e touche davantage la politique de parti (qu'ils proscrivent avec raison de leurs groupesi) (1) que la R. P. Car la R. P. visanii une plus exacte reprsentation des partis, n'aboutit qu' tablir leur lutte sur des bases perfectionnes. La suite du compte rendu laisse entrevoir les efforts inous des orateurs pour ne pas appeler la politique par son nom. I^s tudier (les questions de devoir lectoral, de R. P.), ce n'est pas faire de la politique au sens courant du mot. Pourtant cette partie de notre programme ne semble pas en faveur prs des cercles d'tudes (2). D'accord avec 1 Comit gnral, le rapporteur croit devoir attirer sur elle 1 attention du Conseil fdral, * de faon orienter les tudes de l'A. C. J. F. vers ces questions dlaisses et cependant essentielles... Gerlier fait porter l'effort de la discussion sur un point spcial : l'orientation donner (aux tudes dans le sens de la formation civique. Dans la majorit des groupes, on ne donne pas assez de place ces questions; le Comit dsire tourner leur attention de ce ct . Personne ne songe en contester l'opportunit: c'est la direction et la prparation de ces tudes qui font l'objet du dbat. Mairot dclare ncessaires les tudes sur la cit , mais elles ont besoin d'tre diriges; aussi insiste-t-i pour que la littrature de l'Association s'augmente d'articles et surtout de tracts sur la cit... Gerlier rpond que notre premier travail sera une remise au point de nos tracts et qu'on y apportera cotte proccupation. D'ailleurs, observe de Gailhard-Bancel, l'Ecole des confrenciers de Paris a fait sur les applications des lois sociales des tracts qui sont dj quelque chose (3). A h l a h ! on avoue donc crue les lois sociales ne sont pas tout! D e la socit on consent h passer la cit, mais sans dire c e qu'on entend par ce terme substitu celui de politique. La proccupation d'viter le mot tout e n dsignant la chose perce de plus en plus; L'abb Lenauld voudrait que ces travaux spciaux soient prpars par u n travail d'ensemble : Il importerait de montrer notamment comment ces questions rentrent dans le programme de l'Association, en quoi c'est de la politique et ce n'en est pas: nous faisons de Vaction politique au sens action civique ; de ne l'avoir pas 1. A l'ouverture du congrs, l'A. C. J. F. a reu du Saint-Pre line lettre o, entre autres choses, il lui demande de s'abstenir de prendre une part active aux luttes des partis politiques . Ce qu'elle interprte comme une dclaration d'indiffrentisme politique et comme une approbation de sa conduite. Elle ne se doute pas qu'il peut y avoir une autre politique nue l'absurde et odieuse politique des partis, qu'elle pratique elle-mme dans la mesure o elle marche avec l'Action librale. 2. Comment en serait-il autrement, puisqu'on a tout fait pour carter les jeunes gens des tudes politiques ? 3. Annales, etc., p. 195.
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assez expliqu rsulte une confusion o il faut voir peut-tre la cause de la ngligence qu'on a mise l'tude de la cit... A l'expression action politique , il y a lieu de substituer action publique, dit Gerlier : elle ne prte pas confusion t Celle surtout d'action civique est exacte, remarque Jean Gaillard. ' Laissant la distinction avec la politique, on revient l'orientation mme des tud's vers la formation civique (1). En effet, distinguer l'action civique de l'action politique tait difficile; il est clair qu'on n'a pas pu s'en tirer. Aussi revient-on la formation civique dont l'imprcision est si contoode. Cependant, da n3 l'innocence de leur cur, quelques assistants, la recherche d'un sens, donnent la cit celui de comm'une et d'organisation municipale.
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En certains endroits, on est dj entr dans- la voie indique. C'est ainsi qu'Arnaud cite que l'instruction civique occupe une partie des programmes des avantgardes de Vende... et que M. le chanoine Lachenal rapporte que dans cette Union (de la Haute-Savoie) l'tude de la loi municipale de 1884 a t propose aux groupes; cela a obtenu un grand succs, plus de 20 groupes l'ont tudie (2). L'tude de la loi municipale, ce n'est pas grand'chose et c e n'est peut-tre pas d'ailleurs quoi voulaient en venir les dirigeants de l'A . C. J. F. (qui auraient employ, il y a deux ou trois ans, u n autre mot que la cit, et auraient dit carrment la dmocratie, la formation dmocratique. Ils n'osent plus; ils ont reu des avertissements, et l'encyclique sur le Sillon leur a au moins enseign la mfiance). Mais si peu que ce soit, patience 1 Les conseillers municipaux concourent l'lection du Snat et ainsi les rouages du gouvernement de la cit, puisque cit il y a, s'engrnent avec ceux du gouvernement de la nation. Qui mettra le doigt dans l'engrenage passera insensiblement de la commune l'Etat.
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Bref, conclut Gerlier, il n'y a pas d'objection de principe au sujet de I'orientation de l'tude. (Assentiment). Malgr l'orientation nouvelle, il reste entendu qu'on exhorte les groupes l'action sociale. Il n'est, dclare Gerlier, rien retranch ni diminu des autres tudes. La discussion est rsume dans ce texte : Le Conseil fdral invite les groupes orienter davantage dans l'avenir leurs tudes vers les questions susceptibles de former les jeunes gens la vie publique, en ayant soin de rester fidles h la ligne politique de l'Association; il dsire que, pour faciliter cette orientation, des travaux nombreux et prochains soient prsents sur ces questions dans les Annales, la Vie nouvelle, et les tracts de l'A. C. J. F. (3). Une orientation nouvelle, le mot y est. Puisse la chose y tre aussi 1 L'A. C. J. F. avait cru devoir joindre l'affirmation religieuse l'affirmation sociale; elle sera amene les complter l'une et l'autre par une troisime affirmation qu'elle appellera connue elle voudra, mais 1. Annales, etc. 2. Ihid. 3. Annales, etc.
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LA CRITIQUE
DU LIBRALISME
RELIGIEUX,
POLITIQUE,
SOCIAL
qui est du domaine politique. Et alors, si elle permet, si elle fournit ses adhrents des convictions politiques, comment continuerait-elle leur interdire l'action? Avant elle le Sillon avait compris crue de la religion dcoule une politique. Malheureusement son dmocratisme forcen, en altrant gravement les donnes de la religion catholique, a fauss la solution. L ' A . C. J. F., plus claire dans sa doctrine, pourrait marcher d'un pas plus sr. Mais il lui faudrait le courage d'aborder de front le problme, au lieu de ruser avec lui et de mettre toute son nergie luder c e qui est tudier. Youdra-t-elle se mettre rellement cette tude? Il est permis d'en douter encore. Ceux qui dirigent l ' A . C. J. F. semblent craindre d'avoir conclure contre leurs prjugs dmocratiques, contre leurs gots parlementaires, contre leurs habitudes librales. Mais un jour viendra o bon gr mal gr il faudra bien le {reconnatre : une action catholique une action sociale ne se suffisent pas, il faut une action franaise.
NEL ARIS.
On doit fliciter sans arrire-psnse l ' A . C. J. F. de cette noulvelle orientation et s'en rjouir. Peu importe qu'elle soit spontane ou qu'elle soit, l'effet d'une pousse irrsistible provenant d'un mouvement de plus en plus prononc parmi les jeunes gens catholiques d'aujourd'hui que l'Association veut retenir ou attirer, et qu'elle voit entrans sans elle, e n dehors d'elle, l'tude et mme la dfense active de la Cit . Sous ce rapport, une loyale mulation avec L'Action franaise ne peut manquer de produire des rsultats autrement heureux et fconds que celle qui porta l ' A . C. J. F., il y a sept ou huit ans, sous l'empire d'une proccupation analogue, se lancer dans la dmocratie par concurrence avec le Sillon. Dcnnons-lui donc acte de cette rupture avec la dclaration de son prsident-gnral, M. Jean Lerolle, au igrand meeting social du Congrs de l ' A . C. J. F. Autun, en 1907 : Que voulons-nous? Non pas christianiser l'Etat, mais faire une socit chrtienne, et pour cela conqurir l'me franaise (1). Le sens de cette proposition se trouve mis en lumire par les observations de M. Nel A n e s . Ce que nous avons ajouter montrera que l'orientation nouvelle efuivaut bien au dsaveu de cette formule et une assertion contraire, quoique le Comit fdral n'en ait pas vu aussi long en -rdigeant la sienne. En excution de cette mesure, L e s Annales de l ' A . C. J. F. ont rcemment donn (septembre 1911), sous la signature de M. Pierre Hardoin, membre du Comit gnral, un article: Pour, la c i t puisque cit il y a qui doit tre considr comme un programme et une sorte de manifeste. L'auteur prend surtout cur de prsenter cet essai d'volution comme un dveloppement logique des tudes de TA. C. J. F. Nous ne
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le chicanerons pas sur ce point. L'tude de la Cit devient le troisime terme du programme du catholicisme social , terme qui parat un peu bien ajout aprs coup, puisqu'on dclarait bien haut ne lui en reconnatre jusqu'ici que deux. Il est donc entendu que celui-ci se pose a son tour. On pourrait seulement observer que si la manire de procder a t logique et raisonne , l'ordre concret et pratique, les exigences des faits et de la situation peuvent se trouver mal satisfaits d'un ordre aussi rigoureusement logique, et que, quoi qu'il en soit de l'enchanement logique de ces trois termes : la famille, la profession, la cit, la logique concrte, ces exigences de la situation demandaient que ces trois tudes fussent menes de front. J'ajouterai plus loin, non pas seulement comme sujets d'tudes, mais comme objet de l'action. En ce sens, je souscrirai pleinement cette proposition de M. Hardoin : Il est impossible et arbitraire de vouloir sparer par des cloisons tanches ces trois cercles o se dploie toute activit humaine : la famille; la profession, la cit. Ils se compntrent, s'tayent et se commandent mutuellement : leur prosprit est lie comme leur dclin. Les sparer par des cloisons tanches, n'est-oe pas cependant ce qu'on avait tent de faire? Mais laissons le pass et disons aujourd'hui avec M. Hardoin : Ce serait faire preuve d'une trange troitesse d'esprit que de ne pas se proccuper, par crainte de la politique, des pripties et des modalits de la vie nationale.
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Mais il me semble que, pour se bien diriger dans la voie nouvelle, l'A. C. J. F. aurait besoin d'claircir, de prciser devant ses adhrents, ses ides sur deux points fondamentaux : le principe d'o dcoule le droit et le devoir d'entrer dans cette tude et dans cette action, et l'objet ou le but qu'elles doivent avoir. Si l'on place la base le faux principe dmocratique, on dbutera par une norme mprise sur ce droit et ce devoir et l'on risque de s'orienter fort mal. Or, nous ne voyons pas sans regret et sans surprise M. Hardoin ajouter presque aussitt aprs la dernire parole cite : N'oublions pas cette parole de Montalembert, qu'ici mme citait un jour Jean Lerolle : La souverainet ne rside plus dans la royaut seule (on tait alors en 1846), mais dans la nation tout en tire : c'est la nation qui est Csar : chaque citoyen est une portion de ce Csar*Or il e n rsulte pour nous non seulement un droit* mais u n devoir, un devoir strict et de premier ' ordre... Dieu a pos entre nos mains une portion de Vautorit. Cette autorit nous en sommes responsables devant nos enfants, devant notre conscience et devant Dieu (1). L'autorit de M. J. Lerolle, ni mme celle de Montalembert ne .peuvent faire que de telles propositions ne soient contraires la doctrine traditionnelle de l'Eglise. Il est fcheux crue M. J. Lerolle qui procla1. L'A. C. J. F. et les Elections, Annales, 16 avril 1906.
Critique du libralisme. 1
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mait si hautement, comime un titre spcial pour lui et ses amis : Nous sommes la gnration de Lon XIII ait si peu compris ou retenu les enseignements de ce Pape; plus fcheux encore que l'A. C. J. F. en s o i t encore l aprs la Lettre de S. S. Pie X sur le Sillon). Tant il est vrai, comme nous le disions i l y a quelque temps, que ceux-l mme dont la voix acclame chaleureusement la parole pontificale ont des oreilles et n'entendent pas 1 On voit que TA. C. J. F. n'a pas encore assez compltement rejet le V e n i n dmocratique dont elle s'est intoxique dans sa surenchre avec le Sillon. Le vrai principe sur lequel s e fonde l e droit et le devoir cju'ont ses membres de s'occuper de la Cit est autre. Dans une socit constitue normalement, honnte et chrtienne, la fonction politique appartient a u seul dtenteur du pouvoir. C'est l qu'il faudrait avoir des ides justes et prcises sur les deux lments constitutifs de la socit. Elments abstraits : l'autorit ou le pouvoir et la multitude. Elments concrets : souverain, sujets. Les enseigne*ments de Lon XIII et la Lettre sur le Sillon ont rappel la doctrine^ fondamentale en ces points. L'autorit ou le pouvoir vient d e Dieu, ils n e sont jamais dans le peuple iqui ne confre pas l'autorit, bien qu'en certaines circonstances il dsigne le dtenteur du pouvoir. Si bien que, en admettant le principe d'o part TA. C. J. F., la multitude aurait toujours un droit sur la politique de la Cit, m m e constitue normalement e t conformment sa fin ce qui est une erreur et que, dans le cas contraire dont nous allons parler, la part d'autorit dont elle se rclamerait serait encore un faux droit. Prenons e n effet une socit comme la Cit franaise actuelle. C'est u n tat d'anarchie vritable, non seulement matrielle, [mais d'anarchie intellectuelle, morale e t religieuse, contraire aux rgles essentielles du droit naturel a u t a n t que du droit chrtien, o les dtenteurs du pouvoir, loin de promouvoir le bien commun, conspirent contre lui. Dans cet tat, il appartient bien aux membres de la multitude de pourvoir au rtablissement de l'ordre. Mais en vertu de quel droit? Nullement en V e r t u d e celui d e la dmocratie, mais simplement parce que, dans une socit ainsi dcompose, retourne contre toutes ses fins, c'est l e droit e t le devoir de tous les citoyens que leur situation, leur talent, leur nergie y rend aptes, de travailler la restauration de l'ordre ncessaire et de se dvouer cette uvre de salut. De c e nombre sont certainement une grande partie des membres de l'A. C. J. F. Il faut donc applaudir leur rsolution de prendre [part cette uvre. Mais i l est clair, qu'ainsi comprise, non seulement elle les sollicite l'action, non moins qu' l'tude, mais qu'elle les entranera plus loin qu'ils ne l'ont probablement prvu. C'est ce dont ils se rendraient compte en prcisant l'objet ou l e but, ce qui est dsign par c e ternie : La Cit.
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L'A. C- J~ F. m e parat l'employer sans le comprendre. Peut-tre pr-
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fre-t-elle seulement ne pas tre oblige de voir ce qu'il exprime. M. Nel Aris a observ que certains membres du Comit fdral, la recherche d'un sens, donnaient la Cit celui de commune et d'organisation municipale. L'article de M. Hardoin en est aussi l. Il se dfend, il est vrai, de tracer ici le programme de nos tudes sur la Cit et d'essayer une numration de tous les problmes qu'elle soulve. Tout au plus, ajoute-t-il, nous sera-t-il permis d'indiquer nos amis le point sur lequel doit, notre avis, porter en premier lieu leur* effort. Avant toutes choses ils tudieront cet organisme si complexe qu'on appelle la commune : c'est en effet le rouage dont le fonctionnement touche chacun de nous de la faon la plus directe et la plus immdiate. Cependant, ce point expos, il dit encore, en citant M. Rouzaud : La cit comprend, pour les catholiques sociaux, autre chose encore : S.i nous partons, e n effet, de cette notion que le groupement local est de bonne base, ces intrts communs, qui drivent de l'habitation dans un mme lieu, nous Voyons le village avoir des intrts com muns avec d'autres groupes similaires, avec toute une contre, une valle, Un pays, un arrondissement... Mais nous voyons aussi que plusieurs contres, pays.-, ont d'autres intrts, plus gnraux, com muns avlec des contres semblables, forment un ensemble qui vient s'appeler rgion ou province. En indiquant ici comment l'tude de la commune nous amnera logiquement et forcment absorber le problme rgionaliste, j'ai Voulu montrer l'tendue immense du sujet qui s'offre notre activit. Terribles, ces catholiques sociaux! La cit est cela pour eux . Et pour les autres? Pour les autres, la cit est tout cela aussi, et mme quelque chose de plus, devant quoi l'A. C. J. F. parat s'arrter pour le moment, mais sans quoi elle ne serait pas la Cit. N e refusons pas d'admirer le bel ordre logique dans lequel procdent impeccablement ces jeunes catholiques sociaux et donnons-leur le temps d'enfanter son vrai terme. Ce n'est encore l, e n effet, qu'un acheminement. Ils ont l'ide, ils n'ont pas le concept. L'ide e s t peut-tre emprunte la Cit antique de Fustel de Coulanges. Il n'en aurait pas cot davantage de recevoir de lui le concept formel et clair : A l'origine de la civilisation, la cit tait une confdration, non pas d'individus, mais de plusieurs groupes qui s'taient constitus avant elle et qu'elle laissait subsister. Les familles s'organisent e n phratries, les phratries en tribus, les tribus s e groupent e n cit, c'est--dire se donnent une organisation suprieure uniefue pour la gestion et la dfense de leurs intrts communs et u n gouvernement pour les rgir. Une loi analogue a prsid l'organisation de la Cit moderne. La Cit c'est tout bonnement, dans sa forme concrte et vivante, l'Etat considr comme ressort de la conservation des organisations particulires, familiales, communales, rgionales, professionnelles, dont la nation est forme, de leur autonomie et de leurs droits, et comme gouvernement d e leurs intrts communs. Civitas, TTOAI , d'o politique, gouvernement de la Cit.
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Il faudra donc avoir bien nette devant les yeux la fin de la Cit, qui est le bien temporel commun, le bien public, l'intrt national, sans oublier leur rapport avec la destine suprme de toute socit humaine; et, comtme il n e s'agit pas du bien de la socit abstractitvement considre, mais de celle dtermine o nous vivons,* il faudra tudier, connatre, dterminer l'intrt franais catholique. D'o ncessit pour l'A. C. J. F., si elle veut faire uvre srieuse, d'tudier les diffrentes formes de gouvernement, de peser les avantages et les inconvnients des unes et des autres, envisages, d'abord en elles-mmes, mais aussi par rapport l'histoire, la constitution, au temprament de notre nation, sa mission en ce monde. Il faudra invitablement prendre parti pour une de ces formes, car la question reste ouverte dans un pays boulevers par cent vingt ans de rvolution. Et voil comment, sans avoir faire de la politique de parti au sens pjoratif du mot qui dsigne la prfrence donne par un groupe ses intrts particuliers sur le bien commun, l'A. C. J. F., se trouvera ncessairement entrane, qu'elle le veuille ou non, moins de reculei peine engage, faire purement et simplement de la politique, de la vraie politique. Ce jour-l elle aura renonc au beau ddain qu'elle professait jusqu'ici pour elle et son indififrentisme. Nous avertissons seulement cette jeunesse qu'il ne suffira pas d'noncer une prfrence; il en faudra donner et appuyer les motifs, montrer qu'elle est conforme aux exigences sociales et aux intrts communs de la Cit. Loi,n de nous l'intention de ralentir la nouvelle ardeur de l'A. C. J. F., bien au contraire. Nous la sollicitons non seulement d'tudier, mais d'agir. La France, Messieurs, vous attend. E. B.
ANCIENNE
DE
L'GLISE
DUCHESNE(i)
En date du 1 septembre 1911, la S. C. Consistoriale a rendu la circulaire suivante aux vques d'Italie : Il est la connaissance du (Saint-Sige que dans certains sminaires est entre l'uvre de Duchesne : Histoire ancienne de l'Eglise , et qu'elle a t mise entre les mains des lves, sinon comme manuel de classe, du moins comme texte consulter. Si Ton avait pris garde ce fque durent admettre, au cours d'une rcente polmique, ceux mme qui ont pris le soin de publier cet ouvrage, savoir que c'tait un livre rserv aux savants, aux hommes d'une forte culture, et 1. Un de ces derniers jours, M. Mreu, consacrant un article la Circu' laire de la S. C. Consistoriale dans le Figaro, et plaidant naturellement pour Mgr Duchesne, nous apprenait une chose grave autant qu'amusante. Plu-
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non pas propager dans les sminaires (1), sans doute on aurait mis plus de prudence admettre cette uvre. Mais part cet aveu des intresss, je dois porter un jugement bien plus grave la connaissance des Rvendissimes Ordinaires diocsains. Dj, le doute ayant t pos si l'Histoire ancienne de l'Eglise de Duchesne pouvait tre admise, ou au moins tolre dans les sminaires, je demandai, comme c'tait mon devoir, l'avis des consulteurs comptents, personnes non seulement trangres la rcente polmique, mais extrmement pondres; et leur vu a t en tout ngatif. Car, en raison des rticences tudies et continuelles (que du reste l'auteur reconnat lui-mme) en matire de premire importance, particulirement lorsqu'elles ont trait au surnaturel; en raison aussi du doute que l'auteur jette sur les autres sujets ou de la manire dont il les expose : non seulement il ne donne pas le vritable concept de l'histoire de l'Eglise, ,mas il le fausse et le dfigure normment, en reprsentant l'Eglise comme presque dpouille de ces charismes surnaturels sur lesquels elle se fonde et sans lesquels elle ne 'peut se dvelopper. A quoi s'ajoute son tableau des martyrs, dont non seulement il amoindrit le grand nombre, mais qu'il reprsente souvent comme atteints- de fanatisme, branlant ainsi le grand argument que- leur hrosme surnaturel fournissait en faveur de la foi; alors qu'au contraire les perscuteurs sont prsents comme des hommes de gnie, pousss la perscution par un grand idal politique. Les Pres de l'Eglise eux-mmes; ces vritables gnies de l'humanit, sortent de cette histoire diminus et en certains cas anantis. C'est ainsi que les luttes piques pour la foi contre les hrtiques, Duchesne aime les faire pas~ser souvent pour des litiges de sophistique, effet de malentendus qui pouvaient facilement s'accommoder; comme s'il n'y avait pas eu de diffrences essentielles entre la foi des Pres de l'Eglise, par exemple et celle d'Anus et des autres. Et non moins maltraits apparaissent beaucoup d'autres points d'une capitale importance, comme le culte de la Trs Sainte Vierge, l'tat de l'Eglise romaine, l'unit de l'Eglise, etc.. C'est pourquoi la lecture de cette histoire a t juge souverainement prilleuse et mme mortelle (anche esiziale) , de telle sorte qu'on doit en dfendre absolument l'introduction dans les Sminaires, mme comme simple texte consulter . La chose ayant t rapporte au Saint-Pre, Sa Saintet a pleinement approuv cet avis et m'-a ordonn de faire les communications opportunes aux Rvrendissimes Ordinaires d'Italie : ce que j'accomplis par la prsente. Rome, 1 septembre 1911. G-. Card. DE LA, secrtaire.
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On sait que le Pape est le Prfet de la S. C. Consistoriale -dont l'o cardinal de La. est secrtaire. L'Univers observe trs justement : sieurs prtres, dit-il, avec qui il s'est entretenu de cette mesure, lui ont exprim l'avis que la S. C. Consistoriale avait outrepass ses tuioi-ts et empit sur ceux du Saint-Office ou de l'Index, en motivant sa dcision. Oh! les bons aptresI Ces prtres figaristes ne seraient-ils pas par hasard de ceux qui approuvaient, au moins in petto, les protestations des modernistes contre le tyrannique arbitraire de l'Index et du Saint-Office rrui frappent auteurs ou livres sans expliquer en quoi ils sont condamnables? Il faut pourtant qu'une porte soit -ouverte ou ferme. Comment la veulent ces grincheux? 1. Cette remarque concerne l'dition italienne. (N. D. L. R.).
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La circulaire de la Sacre Congrgation Consistoriale ne vise, comme on le voit, que l'dition italienne et les diocses italiens; mais ses considrants atteignent l'ouvrage en lui-mme et valent aussi bien pour la France. Ils y portent encore davantage, de l'aveu mme des dfenseurs de l'Histoire ancienne de VEglise: car ils s'taient targus, pour l'Italie, d'une rvision svre et presque d'une refonte de ce pernicieux ouvrage; ils prtendaient en avoir entirement amlior la langue caustique, qui semblait un dfi au sens chrtien. Cependant c'est le texte mond, corrig, qui est aujourd'hui l'objet d'une censure et d'une prohibition autorises. Que pourront donc nous objecter dsormais les tenants de l'dition originale, si vante hier encore mme par des Bulletins officiels d'Institut catholique? Ce dernier trait est sans doute une allusion la virulente sortie du P. Ca.vallera contre les premiers articles de l'Unit cattolica (1). Je doute qu'il relise avec satisfaction ce qu'il crivait alors. C'tait fort bien de rclamer pour les savants catholiques la mission et le privilge de faire eux-mmes, avec la clairvoyance, la modration et la fermet requises, la police de leur corporation . Est-ce l a clairvoyance o u la fermet qui leur ont fait dfaut? Ce n'est pas la modration. Mais cette police, ce n'est pas seulement en faveur de leur corporation qu'ils ont l'exercer, ils ont aussi s'occuper de tous les catholiques et de l'Eglise que leur rle est de dfendre et de servir. Personne n e conteste la science de Mgr Duchesne ni les grands services qu'elle a rendus. Mais quand il s'agit d'apprcier en savant catholique, et au point de vue catholique, une uvre comme son Histoire ancienne de l'Eglise, dans des revues comme les Etudes qui se proposent premirement de former le jugement des catholiques, des rserves m m e expresses sur certains points compensent-elles le jugement d'ensemble qui prsente Mgr Duchesne comme une gloire qui rayonne sur l'glise de France et que cette glise revendiquera toujours pour sienne ? Et cela parce que, aprs avoir scrut dans leurs profondeurs les premiers (sicles chrtiens, il "vient d'en condenser l'histoire dans trois volumes alertes et lucides qui demeureront parmi les plus durables monuments de la science ecclsiastique 11 (2). Et que d'autres organes catholiques ont ainsi exalt cet ouvrage qui peut tre un monument de science, mais qui ne donne pas le Vritable concept de l'histoire de l'Eglise 1 C'est une tche qu'il aurait mieux Valu laisser M. de Narfon qui, avec son flair toujours sr, prenait en main la dfense de Mgr Duchesne, dans le Figaro du 17 aot, et s'levait loquemment contre l a campagne de l'Unit cattolica. L'habile homimie invoquait comme argument prjudiciel le respect d l'autorit ecclsiastique reprsente surtout dans la circonstance par le R. P. Lepidi, Matre du SacrPalais, qui avait accord l'imprimatur et il prenait le soin, peut-tre perfide, de faire observer que cette campagne ne pouvait avoir son excuse dans les trahisons supposes du traducteur, puisque l'dition franaise tait galement revtue de l'imprimatur du P. Lepidi. La 1. Voir notre numro du 15 nov. 1910, page 180. 2. lr aot 1911, page 566.
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mesure ratifie par le Saint-Pre aidera M. de Narfon comprendre qu'aucun mnagement ne saurait empcher le Pape, quand il y va d'intrts si graves, d'appliquer ce que lui-mme a ordonn aux ques dans l'Encyclique Pascendi au sujet des livres munis de ce laisserpasser par complaisance, par ignorance ou par surprise. Le Journal des Dbats (20 septembre) reprend et cherche renforcer l'argument de M. de Narfon et en tire cette conclusion admirable : Ce n'est pas la lecture de l'histoire de Mgr Duchesne qui lest mortelle pour les mes des catholiques italiens : l'approbation pontificale fait foi de son innocuit. C'est l'esprit des jeunes sminaristes italiens qui n'est pas prpar la lecture d'une telle oeuvre : le ent de la consistoriale fait seulement foi de cet tat d'esprit ! ! Le correspondant romain de l'Action franaise crit au sujet de cette circulaire :
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La mesura n'a en elle-mme rien qui puisse surprendre si l'on songe aux polmiques qui durent depuis des mois autour de ce livre et la campagne que VUnit Cattolica conduit avec tnacit contre lui. Le clbre et vaillant journal de Florence a relev et discut tous les passages dangereux contenus dans l'ouvrage et sa campagne a reu les encouragements d'une grande partie de l'piscopat italien. Mais la mesure est trs intressante un autre point de vue; si je ne me trompe, c'est la premire fois qu'elle est prise. On ne connaissait jusqu' prsent que le Saint Office et l'Index. Voici que la Consistoriale cre, son tour, son index particulier, index contre les livres d'tude. Blocards et modernistes vont certainement pousser les hauts cris contre cette innovation; nous rpondrons aux premiers qu'ils ont mis eux-mmes l'index des livres d'tude et mme de distributions de prix, tous les livres o se trouvent le nom de Dieu et des extraits de morale religieuse. Quant aux modernistes, nous leur rpondrons galement que les livres orthodoxes sont bannis de leurs cnacles. roulons surtout relever l'hommage rendu ici la vaillante conduite de VUnit cattolica et l'appui que l'piscopat italien lui a donn. C'est la combinaison de ces deux forces, la critique exerce par la presse catholique et les encouragements publics de nombre d'vques donns ses efforts, qui ont prpar ce rsultat et facilit au Saint-Sige cette mesure de prservation. A quoi tient-il qu'en France un pareil mouvement ne se soit pas produit? En premier lieu, ce que les crivains catholiques dont le rle et t d'entrer en ligne ont, comme on l'a dit plus haut, esquiv cette tche, soit par apprhension de la lutte, soit par des mnagements complaisants, soit encore par dfaut de solidit dans la doctrine. La Critique du Libralisme , pour sa faible part, peut se fliciter de n'avoir pas manqu son rle. La mesure dicte par la circulaire rpond exactement la conclusion qui termine l'article de M. Hyrvoix de Landosle sur l'ouvrage de Mgr Duchesne (1), et les considrants sont amplement dvelopps dans la magistrale tude de notre autre collaborateur, M. le chanoine Marchand (2).
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MENES LIBRALES E T MODERNISTES M. Jacqfues Rocafort signalait rcemment un nouvel exemple des intrigues qui se poursuivent contre S. S. Pie X : le tapage indcent fait pendant ces vacances autour de la villgiature du cardinal Rampolla. Pendant que leurs journaux plus ou moins catholiques ddient Son Eminence de longs articles d'une rclame banale, je lis dans les journaux anticlricaux des interviews, qu'ils font publier, avec des prlats peu authentiques, o le nom du vnr cardinal est effrontment exploit, seule fin d'insulter le gouvernement de Pie X et par suite son auguste personne. Ces prtendus admirateurs du cardinal Rampolla ne pensent pas cette consquence, pourtant bien naturelle, que Son Eminence est la premire offense par une propagande qui fait d'elle un chef de parti dans je ne sais quelle campagne dont les autres se proposent d'exploiter le succs. Le cardinal n'est pas dupe de ces intrigues : qui en doute? Mais, cause mme de la supriorit de son esprit et de soin caractre, non moins qu' cause de l'extrme rserve que lui impose la situation, il est empch de dire son mot dans ce tapage. Les intrigants en abusent. Les bons catholiques dans tous les cas ne s'y laisseront pas tromper; et toutes ces louches manuvres des faux amis de l'ancien Secrtaire d'Etat de Lon XIII ne les impressionneront pas. C'est la rdition amplifie des intrigues de mme genre que nous avions dj signales il y a trois, ans, dans la mme circonstance, autour du cardinal Rampolla (15 novembre 1908). Nous avons sous les yeux l e s articles de la Tribuna dans celle-ci. C'est aussi plat que mchant Deux colonnes pour raconter une visite Ensielden et une interview... qui n'est pas du cardinal. Le reporter ne Ta pu aborder, mais il a longuement caus avec quelqu'un de son entourage qui lui a confi les choses les plus intressantes, et entre autres, que le cardinal Ranrpolla serait certainement pape. Un autre prlat, authentique ou non, l'a gratifi d'autres aperus aussi srieux. On n'a pas vu sans tristesse et sans dgot la froideur calcule, l'indiffrence, ou plutt la secrte satisfaction avec laquelle les revues ou journaux libraux et modernisants de France et d'ailleurs enregistraient l e s nouvelles inquitantes de la sant de S. S. Pie X , peu prs comme s'il s'tait agi de celle du Shah de Perse. Presque le mme ton que celui des feuilles maonniques. Du rnoins est-ce un hommage pour le glorieux Pontife que celles-ci lui pargnent leur sympathie. Quel contraste entre le concert tourdissant de lamentations) hyperboliques lorsque Lon X I I I parut toucher sa fin et le calme observ devant le danger prsum de perdre le Pape actuel I Je ne crois pas qu'on ait encore rappel ce qu'un grand organe maonnique, VIndpendance Belge, disait le 8 juillet 1903 : Les souverains comme les peuples suivent anxieusement les progrs du mal, et Guillaume II, prince protestant, a manifest une fois de plus l'gard du Pape sa haute vnration. CELA P R O U V E UNE
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L'ON PLEURE, MAIS L'ADMIRABLE INTELLIGENCE QUI S'EST EMPLOYE DE SON MIEUX A CONCILIER LES CHOSES ET A ENGAGER L'GLISE ABSOLUMENT NOUVELLE CONDE MOITI D U XIX
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VOIE VRAIMENT MODERNE, A L U I FAIRE TENIR COMPTE DE LA SITUATION CRE PAR L'VOLUTION POLITIQUE DANS LA SESICLE. S'IL TAIT POSSIBLE DE CROIRE AU MI-
tous leg adversaires < " l'Eglise se joindraient certainement aux fidles pour fai des vux en faveur de la sant du Saint-Pre.
RACLE D'UN RTABLISSEMENT DU P A P E ,
UN
CONSEIL. P O U R L E S
SEMAINES
SOCIALES
Dan,: le Mouvement social (septembre 1911) revue de l'Action populaire qui prend rgulirement part aux Semaines sociales, M. l'abb Rigaux glisse au milieu d'un compte rendu trs sympathique cette page suggestive : Toutefois je voudrais ici, avec cette mme courtoisie qui, l'an pass, me faisait parler nos frres d'armes, exprimer le seul dsir que m'ait laiss la Semaine. Je le ferai d'autant plus volontiers que j'ai sous les yeux les excellentes paroles de M. l'abb Thellier de Poncheville : Dicte par la comptence et anime de cordialit, la critique est toujours salutaire : les professeurs ont assez le sentiment de leur responsabilit, voire mme de leurs dfectuosits, pour savoir gr qui les contredit en esprit de justice et les corrige par souci du bien. Oh! il ne s'agit pas d'une contradiction, ni de correction, mais de- signaler ce qui me semblerait tre l'indispensable complment de l'enseignement dvelopp jusqu'ici. Oui, les professeurs ont leur responsabilit, d'autant plus vidente que plus grande est leur puissance d'autorit sur leurs lves. Celle-ci ne fait que crotre, et c'est la meilleure louange que l'on puisse faire de leurs travaux. Ils doivent cet accroissement d'estime leur profonde sincrit, au souci constant qu'ils tmoignent de faire rayonner le spiritualisme et la moralit chrtienne dans la doctrine conomique et concourir ainsi efficacement au grand mouvement de concentration catholique issu de la volont pontificale. Ne donneraient-ils pas, dans ce travail d'unit, leur dernire mesure et ne mettraient-ils pas le sceau leur autorit en ajoutant leurs leons, qui en sont du reste inspires, l'tude explicite des documents mans du Sige apostolique? Par le canal de la Semaine , et ceci me semble important ct des exhortations sacerdotales o l'aspect surnaturel de noire activit est analys au point de vue mystique, mis en relief et glorifi, les documents (pontificaux doivent tre non seulement rappels, et souvent rappels, mais tudis ex professo. L'Encyclique Rerum Novarum a t justement, en cette anne de son vingtime anniversaire, l'objet d'tudes approfondies. Les Semaines sociales des autres pays qui procdent de la Semaine sociale de France peuvent leur tour, et lgitimement, faire profiter celle-ci de leurs initiatives : elles proposent gnralement aux mditations de leurs auditeurs les documents pontificaux : la Semaine qui s'achve Mastricht en est un frappant exemple. A Saint-Etienne mme, Mgr Dchelette, nous l'avons dit, a su mettre en relief les hauts enrouragernents donns aux tudes sociales par la rcente lettre de Pie X.
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Ce qui est vrai avant tout des encycliques doctrinales l'est aussi pour les directions pratiques. En dehors des rgles ternelles de justice et de charit chrtiennes, il est des orientations actuelles, des thmes de tactique contemporaine que transmet son arme fidle le Chef de l'Eglise militante. Ohl sans doute il n'appartient pas aux soldats de dpasser les directions indiques, de faire comme une surenchre de l'obissance 'au del de ce que veut le* commandement, de pousser l'extrme et parfois l'absurde les interprtations des ordres reus, avec, pour rsultat le plus clair, le trouble et l'impuissance en face de l'ennemi; mais la crainte de ce danger ne doit pas nous porter l'oppos. Un programme d'tudes catholiques qui porte son frontispice la devise parlante : La science pour l'action , ne peut pas, c'est notre humble avis, ne pas faire place, -et large, et belle, ces ordres de mobilisation d'o dpend en somme la victoire de la vrit. L'auditoire gnreux, srieux, group autour de ses matres aims, attend d'eux, en raison mme de la confiance qu'il leur accorde, non seulement l'information surnaturelle de la doctrine sociale gnrale, mais encore le mot d'ordre en vue de l'action, tel que le Pape le transmet. Ainsi l'intelligence des tudiants sera plus profondment illumine des clarts providentielles dont le Vatican est le foyer, et leur cur plus chaudement mu, plus filialement et sans rserve attach la personne du Pape, Docteur et Pasteur. Venant d'un adhrent et d'un ami, l'avis n'en a que plus de valeur. En ralit, il exprime un desideratum dont la gravit ne peut chapper personne. Il faut savoir gr M. Rigaux de l'avoir exprim courageusement. Aussi on lui pardonnera sans difficult d'avoir cherch faire accepter sa remontrance en envoyant en l'air un vague coup de patte aux outranciers qui font une surenchre de l'obissance, et qui poussent l'extrme et parfois jusqu' l'absurde les interprtations des ordres reus. Soyons indulgents cette faiblesse. On serait fort embarrass de prciser par o il a t excd dans ces interprtations e n matire d'action sociale catholique. L' excs par dfaut, M. Rigaux lui-mme est oblig de le constater. Il serait opportun de montrer l'autre.
L A S U R DE L O U I S V E U I L L O T
M. l'abb Gaudeau, dans La Foi catholique (15 septembre) consacre au souvenir de cette grande chrtienne quelques pages loquentes, o la vrit historique trouve aussi bien son compte que l'dification. Mademoiselle Elise Veuillot s'est endormie dans la paix de Jsus-Christ, Boulogne-sur-Seine, le 18 aot dernier, l'ge de quatre-vingt-six ans. Ce fut une me de grande foi. A ce seul titre, son nom mriterait ici une mention. Mais l'auteur de ces lignes lui doit davantage. Honor depuis de longues annes, comme ami, de son intimit, comme prtre de sa confiance, il manquerait un devoir en n'apportant pas la mmoire de cette grande chrtienne, qui fut quelqu'un , ce tmoignage et ce souvenir.
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Elle fut la sur de Louis Veuillot . Tout dans l'existence conspira pour qu'elle ne ft, pour qu'elle ne pt
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tre autre chose. Dieu permit ou voulut que tout le reste, tout (et ce mot tout doit tre entendu ici la lettre) ou dfaillt autour d'elle, ou mme se retournt contre elle, ou lui ft enlev, peu peu, par la vie ou par la mort. Mais, sur de Louis Veuillot, elle le fut tout fait, jusqu'aii bout et dans la plus haute acception du molt, et elle se montra de taille porter ce fardeau de gloire. Elle fut sa sur de coeur et d'me, sa sur de pense et d'esprit, sa sur de foi et de courage, sa sur de bataille et de victoire, sa sur d'preuve et de sacrifice, la confidente et l'aide de son gnie, la continuatrice de sa tradition et de sa volont. Elle n'apparatra pas seulement aux yeux de l'histoire comme enveloppe dans le rayonnement glorieux qui mane de lui, mais elle demeurera prs de lui, comme ayant t, par elle-mme et par sa valeur personnelle, quelque chose de sa gloire. Son rle ne se borna point tre l'ange du foyer, l'humble figure efface et tout applique aux soins du mnage, qu'on trouve auprs d'autres grands hommes, veufs ou clibataires, comme fut auprs du bon Coppe, cette douce et dvoue Annette, dont la pense avait srement inspir au pote, dans le Pater des vers comme ceux-ci : Un cur de sur ane, un cur de vieille fille, C'est un coffret d'avare, un trsor plein d'amour : Et nous ne nous tions jamais quitts un -jour. Sauf qu'il tait l'an d'Elise, Louis Veuillot aurait pu dire peu prs Ja mme chose de cette sur. Mais quiconque a lu sait qu'il en a dit bien davantage. Les presque innombrables pages qu'il lui a crites et celles qu'il a crites d'elle vivront autant que la littrature franaise... Il y eut deux phases dans la vie d'Elise Veuillot. La premire, que tout le monde connat, se termina la mort de son frre, en 18S3. On a assez bien esquiss la physionomie de son existence durant cette priode glorieuse. Remplie d'une admiration passionne pour son frre, ayant trop de sens intellectuel et chrtien pour ne pas sentir le gnie de ses ouvrages et la noblesse de ses campagnes, Elise Veuillot sut le seconder, dans sa vie publique, avec une dignit impeccable et un tact accompli. C'est ainsi qu'elle prsidait sa table hospitalire, avec un mlange de rserve et d'-propos, par o se rvlaient, chez elle, en mme temps que la discrtion qui s'efface au second plan, l'ouverture et l'attention qui suivent aisment les plus hauts entretiens. C'est ainsi qu'avec une modestie rsqjue, sa plume vigoureuse, anime, mordante, se confina dans la correspondance prive, sans vouloir empiter jamais sur le terrain public. Oui, ce fut bien, selon la touchante expression de Pie IX, la monaca di casa. ' C'est en 1859, au cours d'un voyage Rome o Louis^ Veuillot fut combl d'honneurs, que le Saint 'PTe attacha cette austre et douce pithte la sur du grand crivain. Dans le mme temps, par une attention dlicate, il tenait glorifier son vaillant dfenseur, en prodiguant Elise Veuillot les faveurs et les privilges habituellement rservs aux patriciennes ou aux ambassadrices (1). La sur de Louis Veuillot survcut prs de trente annes son frre. C'est toute une seconde vie, o l'preuve tint la plus grande part, une preuve qui alla s'aggravant sans cesse jusqu', la fin, et se termina par un long martyre. J. L'Univers, samedi 19 aot 1911, article de M. Franois Veuillot.
8 i 2 LA CRITIQUE DU LIBRALISME
Durant la plus grande partie de cette seconde existence, la sur de Louis Veuillot consacra toutes ses penses et tout son cur au journal la Vrit, dans lequel, comme l'crivait rcemment un de ses anciens rdacteurs, elle sentait plus particulirement, disait-elle, revivre l'me de son frre . Cela est vrai, mais ce qui est vtrai aussi, et qu'il ne faut pas craindre de redire, c'est que la sur de Louis Veuillot aima la Vrit, parce que cette uvre et ce journal ne furent point indignes du nom qu'ils portrent, et que l a sur de Louis Veuillot tait passionne pour la grande chose qu'exprime ce nom. Ne voyons-nous pas qu' la doctrine pour laquelle la Vrit lutta et souffrit, sont obligs de revenir, l'un aprs l'autre, ceux qui jadis la mconnurent le plus longtemps et la combattirent le plus prement? C'est que cette doctrine ne reprsentait pas une orientation contingente et transitoire due l'impulsion d'une volont humaine, mais que l, dans l'entourage de la sur de Louis Veuillot, on s'efforait uniquement, quoi qu'il en pt coter, de s'attacher ce qui, dans la mle des ides humaines, ne passe pas : la vrit toute seule et pour elle-mme. La bataille fut rude, niais belle aprs tout, et ceux qui s'y, jetrent n'ont rien en regretter. Il y eut l de saines ardeurs et des dvouements chevaleresques. Dans cette atmosphre de bataille, la sur de Louis Veuillot tait regarde un peu comme un palladium. C'tait une aeule qu'on entourait d'une vnration pieuse l'gal d'une relique vivante. L'ardeur de tous s'enflammait la sienne, car son cur ne vieillissait pas. Elle avait conserv la tradition des vendredis d'autrefois. Et comme au temps de Louis Veuillot, elle les prsidait, malgr ses pauvres yeux teints, avec cette bonne grce, cette dignit naturelle, cette relle distinction, cette vivacit d'esprit qui avaient mis llhumble fille du tonnelier de Bercy l'aise avec les grands de la terre et les princes de l'Eglise. Les privilgis de ces runions y taient fort attachs. Tant de souvenirs flottaient et vivaient dans ce logis austre et volontairement rserv aux choses d'autrefois, o l'on entrait avec recueillement, o tout tait plein de Louis Veuillot, o son portrait revivait et semblait parler, o les reliques et les cadeaux de Pie IX, les vieux tableaux, les vieux meubles sentaient bon le parfum de Rome ; autour de cette table de famille o le Matre s'tait assis chaque jour et o s'taient croiss tant de propos graves et charmants, tant de saillies gaies et redoutables- aux ennemis de l'Eglise... Vraiment oui, l'me de Louis Veuillot vivait l. Et quand sa sur parlait, au travers des anecdotes anciennes sur les choses et les gens du temps de l'Empire et du Concile , anecdotes que la mmoire tenace du pass ramenait, la fin, souvent les mmes, brillaient, souvent aussi, des flambes de l'esprit fulgurant du gTand frre. Au sortir de l, on sentait qu'on aimait mieux l'Eglise et qu'on hassait mieux l'erreur. Car la haine de l'erreur et du mal, la bonne haine, cette haine ncessaire et vigoureuse dont Helio a dit des choses admirables, vivait l, et l'me virile de la sur de Louis Veuillot en tait toute pntre et Jvibrante : cette haine de l'erreur, sans laquelle l'amour pour la vrit est au fond insincre et inefficace, et ressemble un glaive sans tranchant ou Tine citadelle sans dfense. C'est cette haine clairvoyante contre l'erreur qui valut au groupe militant des crivains du journal la Vrit d'avoir t rellement, en des heures difficiles (et dont plus tard seulement l'histoire pourra dire toute l'amertume), les fidles tenants et les bons soldats de la vrit catholique. Ils ne furent point
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exempts des dfauts, des lacunes et des misres de l'humaine nature, mais' leur passion dsintresse pour la vrit leur en donna l'inapprciable instinct. A prendre les choses en bloc, on peut et on doit proclamer crue toutes les erreurs condamnes depuis lors, ils les dnoncrent et les combattirent. Toutes les .vrits depuis lors lucides, promulgues et obligatoirement imposes la croyance de tous, ils les devinrent, les pressentirent, les soutinrent et travaillrent les dmontrer et les dfendre. Sur tous les terrains : exgse, philosophie, thologie, asctique, sciences sociales, ils furent rsolument antimodernistes avant que le modernisme se baptist lui-mme de ce nom et qu'il ft dmasqu. Kantisme, relativisme, loysisme, amricanisme, faux dmocratisme, tati&me, socialisme prtendu chrtien, sillonisme, neutralit, lacisme, mativais libralisme, toutes ces erreurs, qui n'en font qu'une, trouvrent en eux des adversaires irrductibles et ils surent ce qui leur en cota.
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Ils ont fait vraiment uvre d'aptres. A la sueur de leurs fronts, ils ont labour dans un sol ingrat, ils ont sem, ils ont vers dans les sillons le meilleur d'eux-mmes. Du ct det la teTre et des hommes, ils n'ont gure rcolt que des rebuts, des preuves et des souffrances, parfois des ingratitudes, des injures et des coups. Ils n'y furent point insensibles, mais ils surent les supporter vaillamment, pardonner et -attendre. Aujourd'hui la moisson lve, et c'est leur rcompense. Car cette moisson est celle qu'ils ont seme. Qu'importe que d'autres cueillent les gerbes dores, pourra que la rcolte soit belle, que les greniers de Dieu se remplissent, et que le grain de la vrit divine nourrisse et sauve les mes?... La vrit f Elle peut parfois s'obscurcir et se voiler aux yeux d'un grand nombre. Sans doute ceux qui la cherchent d'un cur sincre finiront toujours par la rencontrer ou la. retrouver; mais c'est une grce immense et peu banale, pour un combattant de la plumei, de ne l'avoir jamais perdue de vue, et d'avoir toujours Igard intacifce et resplendissante, en son me et dans ses crits, la sainte puret de son image. Car elle seule ne meurt pas. Et si l'on veut tre sauv, c'est elle,, elle seule que tt ou tard, de gr ou de force, de bonne ou de mauvaise grce, i l se faudra rallier... Pourquoi rappeler ces choses? Parce que, entre autres- raisons, ce serait une ingratitude honteuse de les oublier ou de les taire, au bord des tombes entr'ouvertes de ceux qui les vcurent, ces choses la fois cruelles et glorieuses, et qui moururent la peine et sur l a brche. Au milieu de ceux-l, j'ai dit le rle que tenait la sur de Louis Veuillot. Elle ne fut point mnage par l'preuve. Sans doute, longtemps encore, de prcieuses amitis l'entourrent. Un tendresse vraiment filiale, dvoue jusqu' l'hrosme, celle d'Auguste Roussel, le disciple chri de Louis Veuillot, veillait auprs d'elle et s'efforait de lui viter le plus possible les heurta de la vie. Mais par la permission divine la croix s'alourdissait tous les jours, et la sur de Louis Veuillot dut gravir, un un, tous les chelons d'un cruel calvaire. Rien ne lui fut (pargn. C'est en 1903, si je ne me trompe, qu'elle fut frappe de ccit. Peu d'annes aprs, elle ressentit les premires atteintes de la paralysie qui devait l'emporter. Mais le mal avait affaire forte partie. Il trouvait l en face de lui un temprament de corps et d'me comme il n'en existe plus gure. Cette charpente de fer, cette volont extraordinaire, ce cerveau puissant, cette organisation saine et pure luttrent dsesprment pendant plus de cinq annes, alors que tout aurait d, disaient les mdecins, tre
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terrass et emport du premier coup. Malgr les clipses dues l'amnsie, l'intelligence survcut, et la malade eut tout le mrite de ses souffrances comprises et acceptes. Et les souffrances physiques ne furent pas, beaucoup prs, les plus dures. On a crit qu'elle ne put jamais s'habituer tre aveugle et qu'il lui en resU jusqu' la fin une visible et inconsolable tristesse. Cela n'est pas tout fait exact. Sans doute elle ressentit trs douloureusement cette atroce infirmit et l'ardeur incessante de son caractre agissant et volontaire y trouva une ample matire des mortifications continuelles et souverainement sanctifiantes. Mais la cause du nuage de tristesse qui planait habituellement sur son front tait ailleurs, plus profonde et plus haute. Il m'est permis de rvler quelque chose d'un entretien intime que j'eus' avec elle, environ un an aprs que ses yeux s'taient teints, et dont j'ai gard mieux qu'un souvenir, une profonde et pntrante dification. Il tait dsormais vident que tout remde tait inutile, la science s'avouait vaincue. La malade &u fond s'en rendait compte. Mais je voulus lui faire prendre conscience elle-mme de ce qu'il y avait au fond de son me, et je savais que c'tait mieux que de la rsignation. Depuis longtemps dj j'tais frapp des ascensions- visibles de cette me, trs unie Dieu et trs humble, trs virilement forte, mais pleine de tendresses insouponnes, trs dtache et trs gnreuse, qui ressentait avec une effrayante vivacit les douleurs intimes, mais qui sut pardonner jusqu'au f>nd. Pour essayer de seconder en elle l'uvre sanctifiante de la grce, un jour qu'elle me confiait, dVlle-mme et trs calmement, qu'elle n'esprait plus du tout recouvrer la vue, et qu'elle ajoutait : A la volont de Dieu! , je lui dis : Eh bien, oui, Mademoiselle, p u i s q u e le bon Dieu le veut... Et j'insistai sur ce mot : N'est-ce pas, puisque le bon Dieu le veut, et que cela lui plat ainsi, n'est-ce pas que vous tes heureuse de cet tat? Elle ne rpondit pas tout d'abord. Toute son me se concentra l'intrieur et mit sur ses traits une expression trs grave, presque dure... Son absolue sincrit fouillait jusqu'au fond d'elle-mme. Puis soudain ses traits se dtendirent. Le nud qui parfois rapprochait ses sourcils disparut; sur le noble et doux visage que Louis Veuillot avait chant, un sourire, un vrai sourire d'me s'panouissait, et en me serrant la main fortement, elle me dit : Ohl oui, mon Pre, bien heureuse! Je continuai : A quelle intention offrez-vous Dieu votre sacrifice? Ce fut un cri : Pour l'Eglise I Et pour que la France retrouve la foil Et de ses paupires sans {regard, deux grosses larmes coulrent doucement. Elle offrait les yeux de son corps pour que la France retrouve les yeux de son me... J'tais mu jusqu'au fond de moi-mme. Et cet tat de joie dans le plus pnible des sacrifices, je sais qu'il persvra jusqu' la fin.
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La sur de Louis Veuillot est morte dans une pauvre chambrette de couvent, seule, oublie d'un grand nombre, presque de tous, n'ayant elle Et autour d'elle peu prs plus rien du pass. Et pourtant, son chevet, tout le pass tait l, veillant jusqu'au bout, sous la forme d'un dvouement incomparable, comme on n'en trouve plus de nos jours. La fidle Maria tait
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au service de Monsieur et de Mademoiselle depuis plus de cinquante ans. Monsieur , c'est Louis Veuillot, et quand Maria en parle, c'est comme de quelqu'un de vivant, et une flamme d'orgueil passe dans ses yeux. C'est elle qui a soign Monsieur dans sa dernire maladie, c'est elle qui a accompagn Mademoiselle au Concile ; l'entendre, c'tait hier. Ce qu'a t, depuis dix ans surtout, tout point de vue, et chaque heure du jour et de la nuit, l'hrosme de cette crature (le mot n'est pas trop fort), Dieu seul le sait qui seul aussi pourra tre sa rcompense. On a eu bien raison d.'crire qu'elle aura ru, au service d'Elise Veuillot, les extrmits des choses humaines (11 Et quand nous avons conduit la dpouille mortelle de la sur de Louis Veuillot sa dernire demeure, ce n'est faire injure personne de penser que, parmi les parents et amis qui taient l, la douleur la plus profonde se trouvait sans nul cloute dans le cur de cette humble , qui n'aura plus dsormais rien au monde. En marchant derrire le cercueil, je me suis trouv ct du cur de Boynes (Loiret), berceau de la famille Veuillot, et d'un habitant de ce village, parent de celle que nous pleurions. J'ai t heureux d'apprendre que la petite patrie de Louis Veuillot prpare, pour la date prochaine du centenaire de la naissance du grand crivain, une fte que l'on espre digne de lui. Quand Louis Veuillot, dictant d'avance son pitaphe, crivait : Et si l'on me donne une pierre, Gravez dessus : J'ai cru, je vois, il ne se doutait pas du sens poignant que ce mot : Je vois , devait revtir un jour pour sa sur bien-aime : le jour o, aprs l'avoir attendue vingthuit ans sous la pierre qui porte l'inscription demande, il la recevrait auprs de lui, dans cette dernire demeure terrestre, o ils attendent la ralisation de leur esprance bienheureuse : exweetantes beatam spem. Les pauvres yeux teints se sont rouverts. Et ensemble maintenant, de l'autre ct des tombeaux , Louis Veuillot et sa sur voient Celui qui fut l'objet de leur foi et de leur amour, et de qui il est dit, pour le bonheur des Saints et pour le chtiment des pcheurs : Et videbunt-.. Ils Le verrontl (2).
LA C H U T E D U M O D E R N I S M E D A N S L'ABIME
Venii in barathrum . La chute dans l'abme est la consquence logique et le chtiment de cet orgueil qui a port des catholiques baptiss et enfants de l'Eglise se rvolter contre son autorit divine. Si l'on veut mesurer la profondeur de cette chute, qu'on mdite le questionnaire suivant. Il est lanc par l e Cnobium (Lugano, Suisse) qui, comme les autres organes modernistes, se proposait d'abord de provoquer la rforme de l'Eglise, sans attenter sa constitution et sa doctrine essentielles. Le Cnobium prpare un almanach pour l'anne 1912, dont le texte sera fourni par les rponses de ses lecteurs et amis. On devine assez dans quel sens il les sollicite et ce qu'elles pourront tre. 1. Joseph MOLLET, ancien rdacteur la Vrit, article du 19 aot 1911. 2'. Louis VEUILLOT.
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1. Faites-vous une distinction entre la religion et les religions, entre l'esprit religieux commun tous les hommes des degrs divers et l'esprit confessionnel, limite aux dogmes d'un credo particulier? Dans lequel de ces deux sens entendrez-vous le mot religion dans la rponse que vous voudrez bien nous adresser? 2. Dieu occupe-t-il une place dans vos penses? Comment ooncevez-vous Dieu? A quoi ce mot rpond-il dans votre esprit? Que pensez-vous de la prire? 3. Qu'appelez-vous sentiment religieux? Si vous considrez qu'il soit n cessaire, ou du moins utile, quels moyens croyez-vous les- plus opportuns et propres le dvelopper, le renforcer et le purifier ? En quelle circonstance avez-vous prouv des motions religieuses, et pourquoi les appelez-vous ainsi? A quelle catgories ou quels degrs d'motions croyez-vous pouvoir appliquer la domination spcifique de religieuses? 4. La question de la vie future se pose-t-elle votre esprit? Concevez-vous une survivance de la personnalit aprs la mort? La comprenez-vous au sens figur de survivance de la rpercussion des actes, ou au sens mtaphysique d'une ralit d'outre-tombe? 5. Quel rapport y a-t-il, selon vous, entre le dogme et la religion? L'un est-il la condition de l'autre? D'-ailleurs, qu'entendez-vous par dogme? 6. La croyance et la science sont-elles conciliables ou non? Si oui, comment concevez-vous cette conciliation? 7. Considrez-vous, oui ou non, la morale comme indpendante de la religion? Quelle place l'ide d'une sanction occupe-t-elle dans votre vie morale? S. Croyez-vous que l'cole sans Dieu soit viable? L'cole laque ou, ce qui revient pratiquement au mme, l'cole dpourvue d'inspiration religieuse confessionnelle ? Dans ce cas, par quoi y remplaceriez-vous l'lment religieux manquant? Et clans le cas o vous croyez ncessaire- ou du moins opportune une inspiration religieuse, cfuel minimum pourrait, selon vous, se limiter une forme de religiosit pour que l'inspiration religieuse dans l'ducation ne lt pas trop vague et insuffisante? 9. Avez-vous conserv intacte la foi de votre enfance? Si non, quel ge et dans quelles circonstances avez-vous rompu la confession religieuse traditionnelle qui fut, pensons-nous, celle de votre jeunesse? Quel effet cette rupture a-t-ello produit sur vos sentiments, vos penses, votre conduite? 10. Admettez-vous des rapports entre l'Etat et l'Eglise et comment les concevez-vous? Le Cnohium .
LE CONGRS D E SAINT-MILION
Nous en avons dj parl dans le Inumer prcdent, il faut y revenir. Le bruit logieux fait autour de ce congrs dans la presse catholique de France et l'importance, dont tmoignent les comptes rendus des journaux, qu'on lui a attribue dans la rgion du Sud-Ouest, demandent qu'on en examine encore de plus prs le caractre et les rsultats. Il s'agit d'un type propos l'imitation. Quel est donc au juste ce t(ype? La Libert du Sud-Ouest, peu suspecte d'exagration clricale, place son rcit dtaill de la journe sous cette rubrique en caractres d'une grosseur inusite : Grandiose manifestation catholique . Ce fut bien, en effet, rellement comme dans l'intention des organisateurs, un
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faut
Or, c'est lui qui fait apparatre dos faiblesses, des lacunes et de graves dfauts. On aimerait mieux passer tout cela sous silence et n'avoir qu' louer ce qui est digne de grands loges, la gnreuse inspiration, le zle, le dvouement, des organisateurs. Toutes les voix sont unanimes en reporter principalement l'hommage M . l'abb Bergey, cur de SaintEmilion, prtre vertueux autant qu'anim d'une sainte ardeur pour la rfection des forces catholiques. Ce grand congrs, o sa propre loquence brilla, tait un couronnement de ses efforts. Mais quoi serviraient ces prcieuses ressources, si, aprs tant de faux pas, tant d'illusions, tant de dtours dans la conduite, qui ont rendu striles et mme pernicieux les essaisi prcdents, les nouveaux rejetaient les catholiques dans la mme ornire? Je crains, qu'en dpit d'intentions que nous serons les premiers m'ettre hors de cause, tel soit l'effet de celui-ci. Et c'est ce qu'il s'agit de montrer, grce des informations puises aux meilleures) sources, et, d'ailleurs, confirmes par des documents non douteux. Nous trouvons dans la Libert du Sud-Ouest (26 aot) le texte de l'invitation publique au congrs, affiche qui a t, dit-elle, placarde dan3 toute la rgion. Eh bien! dans cet appel adress par un prtre principalement, et, au fond, uniquement aux catholiques, car les autres n'y figurent que par une politesse laquelle, naturellement, ils n'ont pas rpondu que trouve-t-on? Tous les grands mots, jets avec fracas, d'indpendance, de libert ou d'oppression, de libert pour tous, d'galit, de justice et de fraternit. On annonce de magnanimes et presque farouches rsolutions. Mais au nom de quoi? A ces catholiques qu'il s'agit cle soulever, et que la nouvelle organisation veut enrler dans des groupes uniquement religieux -et placs entirement sous la direction de la hirarchie ecclsiastique, on ne dit pas un mot des atteintes portes l'Eglise; pas une ligne o s'affirment franchement la protestation et les revendications de la foi outrage qui doivent tre l'me du mouvement; le nom mme de Dieu ne s'y trouve pas, si ce n'est dans un vague appel son aide pour finir. C'est sans doute par mnagement pour les croyants de toute religion , les voqus aussi. Mais-, mme prendre universelle, tait ce un motif suffisant leur diapason? les libraux de tous partis , adversaires loyaux , conau srieux cette convocation de commencer par se mettre
En s'y rduisant, Y Action populaire chrtienne qu'on cherche lancer dans le Sud-Ouest, c'est le nom qu'elle se donne parat bien avoir mis de ct le titre rjui lui conviendrait le plus justement et se prsenter sous l'enseigne dfrachie de l'Action librale populaire . Qu'on en juge :
Critique du libralisme. 1
ER
Octobre.
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C n i T l n U K IMJ
L M t l t A L S M K
U E L I C J I U I J X , -
J ' O U T O W ; ,
SOCIAL
Le 27 aot se fera JSainl-Eiuilion Ja premire leve eu masse des forces indpendantes de noire rgion. Elle no sera que la inodesie bauche d'un mouvement, qui demain deviendra grandiose cl crera si nous le voulons un irrsistible lan d' indpendance et de libert . liais il faut que ce premier cri de libration, pouss par plusieurs milliers de mles poitrines, retentisse assez fort pour tre entendu de tous ; par les uns comme une clameur de rsurrection et d'espoir , par les autres comme un digne mais dcisif avertissement . 11 faut , que cette premire affirmation de notre vitalit rvle des rsolulions, des volonts, des nergies, que rien dsormais ne pourra mater. Catholiques, vous viendrez crier bien haut que vous en avez assez d'tre traits, dans voire Patrie, en parias auxquels sont interdites systmatiquement de trop nombreuses brandies de l'activit nationale et sur le dos desquels les ministres aux abois ont battu - impunment jusqu'ici le rassemblement des majorits hsitantes. Libraux de tous partis, vous viendrez affirmer avec nergie, que vous fltrissez l'injustice et la haine qui prsident depuis trop longtemps l'laboration de nos lois et au gouvernement du pays. Croyants de toute religion, vous viendrez protester, avec nous, contre la violation quotidienne et officielle des droits les plus imprescriptibles de J'ame humaine. Adversaires loyaux , vous viendrez prendre contact avec nos doctrines, nos mthodes, couter l'expos de nos- revendications et constater que vous no connaissez du christianisme qu'une odieuse caricature . Franais de tout rang, vous viendrez dire bien haut que vous repoussez ton le solidarit avec les gaspilleurs. des fonds publics, les exploiteurs de la Rpublique, les maquignons de dcorations officielles, avec un parlementarisme gangren, incapable, aprs trente ans de promesses lectorales , d'apporter au peuple, puis de travail et d'impts, une seule loi applicable. Porcs do famille , vous viendrez dire si vous acceptez la doctrine monstrueuse qui fait de vos enfants une proprit de l'Etat . Femmes et jeunes filles , vous continuerez les mles traditions de nos femmes franaises qui n'hsitrent jamais se jeter dans ta mle, aux heures graves de notre histoire et mettre au service de toutes les Siiinles Causes les immenses ressources de leur volont et de leur cur . Opprims de toute situation sociale , vous viendrez puiser, au milieu de nos vaillants camarades, une plus grande confiance dans l ' c r avenir . une rsolution plus inbranlable de travailler briser vos chanes et vous dresser, quand il le faudra., frmissants, invincibles en face de 1' oppression : qu'elle s'appelle la Franc-Maonnerie officielle, la - loi sectaire nu I' argent corrupteur... Le 27 vous quitterez tout , commo jadis les gueux, pour clamer votre faim de Libert pour tous , d' < galit devant la loi de justice pour c Ins travailleurs, do paix nationale , de vritable et fconde Fraternit . Voil 5 ans que nous avons mis en commun nos joins, nos lutes, nos espoirs... Malgr toutos los menaces et loutcs les haines, nous avons ou confiance on volrn nergie, en votre dvouement (fidle la Cause commune... C'est l'heure do dire si nous avons eu raison. Avec la gravit qui convient des citoyens comme nous, sans provocation , sans auriinc arrire-pense politique , avec le seul souci dp nous prparer suuUmir victorieusement les assauts formidables- que nos
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adversaire- prparent. contre NOS-droits lus plus chois, N O U S prendrons part, en niasse, la premire fte J'atniliale. A Saint-Emilion, cette anne; Sainlc-Foy l'anne prochaine, nous montrerons que, quoi qu'on en- dise, les bravos gens do noire pays savenl,, quand il le FAUT, faire trve leurs divisions politiques, s' organiser, lutter et A V G l'aide de Dieu remporter la Victoire! Pour le Comit organisateur :
I). M.-BERGEY.
Ce programme, on l'aura remarqu, repousse toute arrire-pense politique , o n montrera qu'on sait faire trve aux divisions politiques , et M. l'abb Bcrgey, dans la sance du matin, adjurait les catholiques de s'unir saiiri distinction de prfrences politiques. C'tait, personne n'en doute, avec la plus entire sincrit. Mais on a dj vu, par l'article de la Libert du Sud-Ouest, comment le congrs a t exploit au profit de l'indiMrentismc politique, et naturellement alors, ce rrai est pis, au profit d'un constitiitionnalisme obstin. A ct d'excellents rapports et discoure <|ui ont marqu cette journe, il y e n eut d'autres d'o il est permis de conclure fine l'interprtation du congrs donne par la Libert du Sud-Ouest n'est pas inexacte et que son rdacteur en chef, M. Paul Duch, a pu dire avec quelque raison dans son toast au banquet : Il me semble que j'assiste au plein panouissement de l'ide juste qui a prsid la fondation de la Libert du Sud-Ouest. (On sait laquelle). Votre programme, si sincrement libral, si largement ouvert toutes les bonnes, volonts, c'est le ntre. Votre union loyale, exempte de toute proccupation de parti, est celle (rue je n'ai cesse de prconiser depuis que j'ai l'honneur do tenir une plume. Aussi, au nom de la Libert que je reprsente 01, ai-je le bonheur de vous apporter notre adhsion et nos encouragements, sans arrire-pense, sans calcul, sans rticence. (Libert du Sud-Ouest, 28 aot). Dans cette mme allocution, M. Vaul Duch, pour bien marquer qu'il adhrait sans arrire-pense, sans calcul et sans rticence , et sous couleur de fltrir la politique d'exclusivisme, de dissiper les malentendus entre les catholiques et la dmocratie franaise, KO livjait une diatribe transparente contre le Nouvelliste do Bordeaux dont il a t jadis rdacteur eu chef, provocation que son directeur actuel prsent s'abstint de relever. L'motion et le juste mcontentai 1 nul que nombre d'assistants en prouvrent ont leur cho dans ce filet du Nouvelliste ( 1 septembre) :
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Nous avons reu do trs nombreuses lettres au sujet du Congrs catholique de Saint-Emilion. Beaucoup do nos correspondants se plaignent de ce crue nous n'ayons pas mentionn certaines tentatives d'un groupement politique, pour s'emparer d'une manifestation qui devait rester dans le domaine purement, religieux. Vous avez bien dit, nous crit un de nos abonns qui a suivi Je Congres, que la Marseillaise avait cltur cette manifestation d'o la politique devait tre exclue et vous avez protest avec raison contre l'excution de cet hymne L'voliilionnairc, impos tous les catholiques J'mus sans distinction d'opiN I O N . Mais V O U S n'IVVY. pas dit* que le Congrs, religieux- et NTIN ptililiquc, .'ivail
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t mis sous la prsidence do M. Piou, prsident de l'Action librale, groupement politique; que pendant le banquet on fit, sans le nommer, mais en le dsignant suffisamment, une vritable- diatribe contre le Nouvelliste , journal qui, depuis trente ans, a toujours vaillamment soutenu la religion, mais dont les ides politiques ne plaisent pas i certains. Beaucoup de catholiques qui, comme moi, partagent les ides du Nouvelliste et qui se trouvaient au Congrs, en ont t bien pniblement impressionns. Ils ont vu avec peine quelques organisateurs tenter de faire acclamer le programme de M. Piou et donner Je signal des applaudissements, lorsqu'on lanait des attaques qui ne paraissaient gure faites pour oprer l'Union catholique dont le Congrs devait tro l'unique but; ils se sont demander enfin si, pour ceux-l, le Gmgrs n'tait pas une occasion do propagande pour les ides et les uvres' d'un groupe politique, 1 Action librale . Pour une autre fois, ils se mfieront. * Nous rpondrons ce correspondant, qui est un fidle abonn du journal, ainsi qu' tous ceux qui nous ont crit dans le mme sens, que le Nouvelliste stc fidle la ligne de conduite ,qui fut toujours la sienne : 11 cherche comme il l'a toujours fait, faire l'union de tous les catholiques sur le terrain de la dfense religieuse, et pour cela, il vitera toujours tout ce qui pourrait les diviser. \
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Dans la sance du matin, M. le docteur Ansonneau, prsident d'un groupe de l'Action librale tait parti du dcalogue pour tracer tout un programme politique qui n'avait rien voir avec le but religieux de l'Action populaire chrtienne, mais rfui tendait la faire entrer dans un autre sillage, -et lui-mme d'ailleurs, comme le note la Libert du Sud-Ouest, prit soin de faire observer en terminant que ce programme est celui de l'Action librale . Au meeting de l'aprs-midi, M. Mortier, prsident de TA. C. J. F. insista sur ce que l'action des catholiques ne doit pas tre politique, mais seulement religieuse et sociale. Attitude dont le manque de franchise est transparent, d'abord de la part de l'A. C. J. F. elle-mme, on le sait assez, et aussi dans la circonstance particulire, laprs les dtails qu'on vient de lire. Voil l'inconvnient et le danger de ne pas exclure sincrement et rsolument toute arrire-pense politique. Seul, un programme franchement catholique y parerait. Avec un programme libral, on y relo(mbera toujours.
La fin du congres a t marque par un grave incident sur lequel la presse -a d'abord fait le silence. Le programme annonait que, pour clturer, l'hymne national serait excut par cent musiciens. M. l'abb Bcrgey avait t prvenu qu'une partie des catholiques adhrant au congrs considreraient comme un devoir de protester. Il crut pouvoir ngliger cet avis. La Marseillaise peine commenc!, sifflets et protestations clatent (il y avait en ralit une douzaine de camelots du Roi qui ont sans doule t seuls manifester bruyamment) au fond de la salle. Contreprotestations. Le public se dresse, les musiciens s'interrompent pour la plupart; le reste a point arriver au passage du sang impur ,
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s'il y arrive mme, car le public s'occupe moins d'eux que de la bagarre et les discussions qui s'engagent a et l. Les opposants sont violemment malmens; les aptres de la paix et de l'union se jettent sur eux et mme leur lancent des chaises tandis qu'un a,bb vocifre: A T e a u ! Sur l'estrade, on a l'air tout fait dsempar. L'amour de la Marseillaise n'est sans doute pas la seule bause des violences des contre-manifestants. Ils avaient d tre pousss aussi, peut-tre mme surtout, par l'ennui de voir interrompre et blmer le programme de l'abb Bergey, gnralement trs sympathique. Dans la Libert du lendemain (28 aot) le compte rendu porte que l'assistance a cout, debout, la Marseillaise, joue par cent excutants , et ne signale rien de plus. Et le surlendemain (29 aot), elle revient sur le congrs, faisant cette fois une allusion voile ce qui s'est pass, car M. Duch parla avec fiert des gnrations nouvelles catholiques qui manifestent leur foi religieuse et leur patriotisme aux accents de la Marseillaise, qu'elles savent la faire respecter au hesoin. Dans une lettre ouverte M. l'abb Bergey, que le Nouvelliste du 28 septembre a publie, le prsident des Camelots, du Roi, do Bordeaux, explique les motifs de cette manifestation. Ce document mrite d'tre reproduit. On ne pourra du moins s'empcher de reconnatre que l'action de cette jeunesse est aussi rflchie et raisonne qu'nergique. Le lecteur ne regrettera pas d'avoir cout ses raisons. Monsieur l'abb, Depuis plusieurs annes vous avez mis au service do l'ducation populaire, avec votre loquence, votre cur tout entier. Vous vous tes fail dans votre rgion l'aptre inlassable du catholicisme et de la foi patriotique. Il est mpossibh un Camelot du roi de ne* point vous admirer et vous vnrer. C'est dans de tels sentiments de profond respect que je tiens vous exprimer, Monsieur l'abb, h quel point nous avons t douloureusement peines d'avoir faire retentir la suite d'un meeting organis par vous des protestations et des sifflets qui, sans vous viser le moins du monde, ont pu tre interprts par certains comme une manifestation d'hostilit votre gard. L'accomplissement de ce devoir nous a t d'autant plus dur. que nous n'avions cess, pendant toute la runion* de prodiguer les marques d'approbation les plus chaudes comme les plus sincres aux discours qui avaient t prononcs, soulignant notamment de nos applaudissements les appels que tons adressaient la concorde catholique. Pourquoi a-l-il fallu qu'aprs ces paroles de paix retentisse la Marseillaise , provocation inconsciente, je veux le croire, pourtant si vidente, l'adresse des croyants et des royalistes qu nous s- mmes tout la fois? Ce qui s'en est suivi, vous avez pu le voir cl l'entendre : l'excution deVhynine dit national a provoqu une bagarre entre les catholiques franais qui venaient de crier leur accord. A peine lait-il annonce qu'un coup de sifflet en saluait l'approche. A la lecture de l'ordre du jour seules rpondaient des acclamations. Et un instant aprs, ds les premires mesures lances par la musique, une tempte de sifflels et de protestations en couvrait les accents. On s'esl battu alors coup do poings, de pieds, de m m e s , les chapeaux roulrent par terre. Deux chaises partirent des pinces rserves; l'une d'elles vint blesser au front !o plus jeune do nos cnmarndew, jeune homme de dix-sept ans; l'autre
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fui arrte au vol comme elle allait frapper en pleine poitrine la femme de l'un des ntres. Beaucoup de prtres firent alors leur devoir de ministres de Dieu, cherchant de toutes leurs forces ramener le calme. D'autres n'eurent pas cette attitude. Il y en avait un qui, furieux, criait : A l'eau! l'eau! Voil les faits dans leurs plus gros dtails. Ils ont profondment mu tous ceux qui assistaient au mceLing du 27 aot. Parmi ceux-l, il n'en est certainement aucun qui souhaite voir de tels incidents se renouveler, se multiplier, s'aggraver. Gomment en empcher le retour ? Ce n'est pas en nous rptant que la Marseillaise est l'hymne national. Elle ne l'est pas. Son caractre minemment diviseur a t reconnu cette anne Paris, et ce, sans la moindre hsitation, lors des manifestations collectives que la jeunesse tudiante organisa en faveur de l'Alsace opprime, Les prsidents des groupes politiques les plus divers, radicaux, radicaux-socialistes, plbiscitaires, sillonnistes... et naturellement royalistes, dcidrent, l'unanimit, que la Marseillaise no serait chante ni joue aucun moment dans le cortge ni dans les runions. Prcfrera-t-on nous faire lion te do notre incorrection ? L'autre jour, dans la bagarre, quelqu'un me disait : Ce que vous avez fait, Monsieur, est de la dernire grossiret; puisque vous aviez voulu venir, vous dvier rester poli. Je lui rpondis : Monsieur, il vaut mieux couter sa conscience que le code de la politesse. Non, me rpliqua-t-il, non; la politesse est la premire des obligations : la politesse avant tout! Je n'insistai pas; je passai un autre interlocuteur, non sans me demander h quoi pourrait bien jamais aboutir un mouvement doul le premier principe serait : Politesse d'abord! Ce que je ne pus faire entendre, vous du moins, Monsieur l'abb, vous le comprendrez, sachant combien peut tre la fois juste, bon, et peu convenable aux yeux du monde, le gesle d'un Polycucle. La Ma?seiaise est pour nous une de ces idoles modernes qu'il faut briser cause do tout ce qu'elle masque et dcore, si Von vent faire uvre utile au service de la foi catholique et de sai patrie. Nous nous emploierons cette tche avec toute la passion, toute l'nergie qu'il convient d'apporter l'excution d'un devoir. D'un devoir, et non point d'une fantaisie, d'une prfrence, d'un dsir irraisonn. Un nationalisme purement sentimental a pu admettre la Marseillaise ; un nationalisme raisonn y rpugne ; notre nationalisme intgral s'y refuse. Si je voulais vous en dire les raisons, vous m'arrteriez sans doute, vous refusant aborder une question aussi videmment politique. Mais vous ne pouvez que m'couter si je me permets de vous rappeler en passant que les services rendus par les Camelots du roi la cause de Dieu et de la patrie, mritent d'tre pris en considration par les catholiques franais. Ces services nous donnent, en effet, le droit de demander et d'obtenir que, dans des runions o tous les catholiques sont convis, nous n'ayons pas souffrir dans nos convictions les plus chres, des manifestations collectives qui peuvent y tre faites. Pour la dfense de Jeanne d'Arc insulte par Thalamas, pour la dfense des uvres catholiques, jbafoues, calomnies dans le Foyer , pour la dfense de l'honneur franais contre le juif dserteur H. Bernstein, les ntres ont couru au-devant des coups et de ta prison. L-es batailles contre Thalamas ont valu notre prsident gnral, Maxime Real dcl Sarte, entre autres vengeances du pouvoir maonnique, deux balles de revolver qui l'ont grivement bless. Quant aux jours de prison, c'est par dizaines de milliers que nos amis les c.omptenL. Si quelque catholique, tout en reconnaissant, notre dvouement, voulait douter rpondant de, l'effet, utile de nos campagnes, nous lui rappellerions que c'est, elles qu'il doit la trve de dtente oL d'apaisement accorde, par llrinnri
INl'OUMATlONS
K'V D O C U M E N T S
il nul r Foi perscute. L'ancien ministre lu dclarai I Im-miue au banquet Mascuraud : Par suite do circonstances fclieuses (on n'est pas le matre des vnements, mme quand ou a le pouvoir), indpendantes de la volont dos membres du gouvernement d'alors, des difficults graves avaient surgi dans le sein du pays; Je pays avait les nerfs tendus; une campagne ardente de discrdit se faisait contre le rgime parlementaire, contre les institutions rpublicaines. Et il faut bien convenir crue l'opinion, mcontente pour des raisons injustes si vous voulez, mais mcontente, ne faisait pas une atmosphre d'hostilit snf fisante . cotte agression contre la Rpublique. On voyait chaque jour les rues, les prtoires de justice envahis par des bandes dsireuses de violences eL de dsordres, on voyait des statues de rpublicains intgres et digues de notre vnration, macules, 'insultes; on sentait que la bataille lectorale allait se passer dans cette atmosphre d'hostilit : les travailleurs r'cearlaionf du parti rpublicain; le foss semblait devoir se creuser entre les rpublicains et. eux, si profond qu'il serait impossible combler. Alors foi considr que le premier devoir du gouvernement nouveau, dtail de lancer au pays des paroles de concorde. (Discours de Briaud au banquet Mascuraud. Octobre 1910.) Croyez, monsieur l'abb, qu'aprs de tels rsultats achets au prix des plus durs sacrifices, il est pnible vraiment d'avoir encore nous dfendre contre ceux qui pourtant, en dpit de cerlaines divergences, dfendent en ralit la mme cause crue nous. Et puis ce ne sont pas seulement des raisons politiques qui nous guident, en cette affaire. La Marseillaise nous blesse comme catholiques, il nous faut bien voir qu'elle est devenue l'hymne officiel de Vanticlricalisme international. C'est un fait que les meutiers de Barcelone en hurlaient les couplets, tandis qu'ils assassinaient les moines, pillaient les cou von tn, violaient les tabernacles. C'est un autre fait qu'elle a t le chant de guerre des jacobin* portugais contre le clerg de leur pays. C'en est un de plus que la manifestation organise Bruxelles, il y a quelques semaines, par les adversaires du pnrli catholique, nous empruntant encore et toujours noire hymne national . De sorte que celui-ci ne parat plus en dfinitive, que la marque d'exportation de l'anticlricalisme de chez nous. En France mme, malgr les efforts tents avec constance pour catboliciser ce chant ne prend pas. Et cela., parce que a ne peut pas prendre. Manifester notre foi religieuse avx accents de la t Marseillaise ? Eh ! il n'y est mme pas question du Dieu le plus abstrait! On y envisage la mort et son au del h un point de vue absolument paen. Est-ce l l'hymne national de la fille ane de l'Eglise? Nid n'ignore, d'ailleurs, le pass antireligieux de ce chant. Il n'est pas d'absolution qui (puisse l'effacer, ni faire oublier quels flots du sang le plus pur ont rejailli sur ceux qui chantaient ses refrains au pied des chafauds. Rien ni personne ne saurait empcher ses couplets d'avoir retenti sous les votes de Notre-Dame, associs par la foule aux hommages rendus la desse Raison sur l'autel profan. Un tel pass ne peut mourir. Ame de l'hymne lui-mme, il n'est pas d'exorcisme capable de l'en chasser. Cambcfta savait ce qu'il faisait quand, aprs 1870, il remettait en honneur le chant de Rouget do Visio. Entre les mains des sous-Ferry de maintenant, les strophes, que lo pre de l'anticlricalisme rappela la vie, sont restes en qu'il voulait qu'elles fussent : des armes contre les curs. On enseigne aujourd'hui aux jeunes laques, l'cole officielle, que de 1798 date la libration de la conscience et de l'esprit humains, touffs jusque-l sous les prjugs et les dogmes. Contre nous de la tyrannie... Libert, Libert chrie... , Ipur fait-on chanter on mme temps; et on leur rappelle que cet hymne, c'est h la Rvolution qu'ils le doivent aussi. Cela se tient; cela fait image. Sans le moindre
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LA CniTIQUE DU L I B R A L I S M E
R E L I G I E U X , P O L I T I Q U E , SOCIAL
commentaire (cl Dion sait pointant qu'il n'eu manque- pas), le simple chant de la Marsc'dlasse vient donc renforcer Vide de la Rvolution^ libratrice de la Penser, ennemie dr fouir. Autorit impose; matrielle comme celle du prince hrditaire, intellectuelle ou morale comme celle de l'Eglise. Et voil L'arme que des catholiques essaient de prendre l'adversaire! qui n'en voit tout le danger et quels risques nous- courons de nous en blesser nous-mmes? Car il ne s'agi! pas de dire : Nous interprtons la Marseillaise diffremment. L'interprtation qui vient d'tre donne tant l'interpirtaion officielle et disposant par consquent, la ni. qu'on ne se sera pas empar de l'Etat, d'une force de diffusion et. de pntrai ion incalculables, nous faisons tout simplement, en n'en tenant pas cornpfte\ le jeu de l'ennemi. En ouvrant les oreilles et les curs ses chants, nous prparons les cerveaux recevoir ses propositions d'entente intellectuelle. Qu'avons-nous donc besoin d'hymnes qui, aprs nous avoir diviss comme Franais, au point do vue politique, dovenL nous rpugner encore au point de vue religieux par l'usage qu'en l'ait l'adversaire, et risquent d'ailleurs de jeter dans les Ames des catholiques les plus pernicieux ferments? Combien plus sages nous serions d'avoir notre air nous, bien nous, uniquement catholique et patriotique et de ne lancer que lui aux chos de nos ftes! Un hymne ainsi compris, vritable reflet des passions qui nous unissent, et de celles-l seules, aurait une vertu conqurante analogue celle de P Internationale chez les socialistes. Autant que les plus beaux discours, il rallierail, conserverait les nergies et les convictions. Or de tels chants existent. Seul le choix reste faire. 11 y a le : Debout, chrtiens ; il y a surtout la cantate A l'Etendard do Jeanne d'Arc , qui, clbrant l'hrone commune du patriotisme et de la foi, synthtise merveille les .deux sentiments sur lesquels l'entenite pourrait se faire complte. uvre de deux prtres du diocse d'Orlans, la cantate, qui chaque jour, tend , devenir plus populaire, rpond, on no peut mieux, a u conseil donn par Pie X aux catholiques franais pendant les ftes de la batification : Prenez Jeanne d'Arc pour guide et pour chef. Le souvenir de notre vierge guerrire est bon k dresser souvent devant les dcourags; il opre des miracles comme .autrefois sa prsence. En 1910, il ne s'tait trouv que 500 bons Franais Paris, pour venir porter en chur aux statues de l'hrone leurs hommages et leurs fleurs. Il y en avait cette anne plus de 5.000. Voil ce que peut obtenir encore de notre peuple, malgr les sicles couls, la bergre de Domrmy ! Vnil quels sursauts, quels rveils, sa mmoire est encore capable d'enfanter 1 Laissera-t-on inemploye une aussi magnifique source d'nergies? Plutt que de la capter, prfrera-t-on s'attarder a un hymne prtendu national, diviseur au contraire, et dont l'adoption par l'anticlricalisme cosmopolite doit faire rflchir les catholiques aviss? La rponse ne saurait venir de nous. Et toutefois il nous parat impossible que vous ne soyez pas touch, monsieur l'abb, des raisons que nous vous avons donnes de notre hostilit l'gard de ce chant, comme du caractre absolument irrductible, parce qu'absolument rflchi de cette hostilit. Veuillez agrer, monsieur l'abb, l'assurance de mes sentiments respectueux, Louis-L. DE LACOMBE, Prsident des Camelots du roi de Bordeaux. Bien pens et bien agi. Le Grant :
i e
G . STOPFEL
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Novembre 1911
INDEX ALPHABETIQUE
DES NOMS DE PERSONNES ET DES CRITS CITS
A
Action Catholique Franaise (V), 191, 747. Action Franaise (P) 71, 72, 73, 74, 75, 110, 139, 170 et suiv., 198, 235 et suiv., 333 et suiv., 354, 390, 407, 413, 474, 653,667,668, 687 et suiv., 741, 758 et suiv., 880, 887. Action Librale Populaire (l'), 76 et suiv., 114, 100,191, 401 et suiv., 411, 443,509, 568, 581, 582, 747, 748, 874, 876, 878, 897, 900. Action populaire {V) de Reims, 68, 127 et suiv., 193, 889, 897, 900. Alliance des prtres-ouvriers, 799. Allier (Raoul), 718. Alta ( D ) , voir Mlinge (l'abb Calixte). Amette (Mgr), archev. de Paris, 453, 454, 516, 803, 804. Ami(V) du clerg, 133, 186, 187, 4 8 7 , 7 8 0 , 784, 785, 786, 818,830. Andrieu (le cardinal), 740. Angebault (Mgr), v. d'Angers, 280. Annales de la Jeunesse catholique, 400, 417, 876, 877, 878, 879, 880. Annales de Philosophie chrtienne, 2 5 3 , 6 6 6 , 702, 715. Annales politiques et littraires, 514 et suiv., 754. Annunzio (G. d'), 518. Ansonneau (le docteur), 900. Aris (Nel), 381, 535, 689,715, 875, 880, 883. Arlet (Mgr), v. d'Angoulme, 137. Association Catholique de la Jeunesse Franaise, 68, 128, 240, 340, 398
t r
et suiv., 443, 445, 455, 567, 590, 747, 853, 875 et suiv. Attitude sociale (V) des catholiques franais au XIX* sicle, 673. Aug (Claude), 300. Augustin (saint), 166. Augusiinusverein, 820, 826, 830. Aulard, 834. Autorit ( 0 , 408, 488, 491. Avenir (V), 531, 532, 533, 537, 540, 549, 633, 641, 679, 696, 701, 831, 832, 841, 842. Avenir (/') de la dmocratie, 125, Aventino, 175, 653. Ayroies (le P.), 3 9 , 4 1 .
B
Bachem, 509, 828, 829. Ballu (l'abb Louis), 800. Barbier (l'abb Emmanuel), 7 1 , 1 8 5 , 246, 2 5 0 , 4 5 1 , 488 et suiv., 592, 596, 633, 699,753, 759, 767, 768, 769. Barrs (Maurice), 471, 728, 798, 846 et suiv. Barruel, 387, 477, 520. Bastiat, 572. Bataille (Pabb), 502 et suiv. Baudrillard (Mgr), 406, 476. Baunard (Mgr), 135, 725. Bazin (Ren), 806. Bazire (Henri), 115, 1 1 7 , 4 0 1 , 4 0 8 , 411,589, 852. Beaupin (l'abb), 47, 48, 55, 58, 59. Bguinot (Mgr),v. de Nmes, 438. Benigni (Mgr), 24, 114, 115, 116, 118, 125, 422, 588, 589, 644 et suiv., 753, 76, 767, 772,818,821.
Index et Table.
906
INDEX ALPHABTIQUE
Bergey (l'abb), 897 et suiv. Bergson, 544, 546. Bernarfc (Edouard), 757 et suiv. Berthaud (l'abb), cur de SaintPorchaire, 120 efc suiv. Besanfc (Mme Annie), 446. Besse (dom), 547, 667, 704, 768, 769, 771. Bethlem (l'abb), 514. Bvenot des Haussois, 771. Biederlack (le P.), 826. Bien (le) du Peuple de VAgenas, 450,' 482, 483, 487, 488, 490 et suiv. Birot (l'abb L.), 86, 121,. 1 2 2 , 1 2 3 , 666,740. Bitter, 82S. Blondel (Maurice), 485, 486, 497. Bglin (l'abb), 506. Boisfleury (lieutenant de), 766. Boissard (.), 618 efc suiv. Bonaiuti (le professeur Ernest), 422, 424, 428, 429. Bonalcl (le cardinal de), 280. Bonald (vicomte de), 178, 231, 282. Bonnechose (Mgr de), 281, 284. Bonomelli (Mgr), v. de Crmone, 430, 481, 432, 432 efc suiv. Bordas-Demolin, 676 efc suiv. Bossuet, 166. Bougoiin (Mgr), v. de Priguenx, 82. Boulin (l'abb), alias Duguet (Roger), 767, 769, 772. Bourbonnais (l'abb Louis), 741. Bourgogne royaliste (la), 701, 704. Bourgoin, 7 9 . Boutard (l'abb), 133. Brmond (l'abb Henri), 186, 187. Breton (Mgr), 567. Brettes (le chanoine), 765. Briand, 121, 723. Bricarelli (le P.), 125, 418 et suiv., 574, 575. Brire (le P. Yves de la), 44. Brisson (Adolphe), 514, 516. Brisson (Mme Adolphe, ne Yvonne Raroey),r)l4, 516.
Broglie (l'abb de), 209. Broglie (duc Albert de), 205, 231. Brownson (D ), 504. Brunefcire, 382, 3 8 3 , 7 0 5 , 706, 707. Brunhes (Jean), 252, 258, 259, 518, 519. Brunhes (Mme Henriette J . ) , 132 252. Bchez, 388, 547. Buisson (Ferdinand), 196. Bulletin cantonal de Saint-Agnan 812, 813, 819. Bulletin de la Semaine, 1, 127, 265. 430, 4 3 2 , 5 7 3 , 643, 644, 654, 655, 666, 734, 735, 772 Bulletin de littrature ecclsiastique de Totdouse, 134. Bulletin paroissial de Sainte-Ccile, 66G. Bureau (Paul), 4 1 1 , 4 4 1 , 4 4 2 , 655.
r
C
Calippe (l'abb Charles), 673 et suiv. Canalejas, 14 efc suiv. Canchy (le comte), 455. Canoniste contemporain (le), 241. Carrre (Jean), 653. Cas de conscience. Les Catholiques franais et la R p u b l i q u e , 822. Casfcelein (le P.), 58. Cafchelinean - Monfcforb (comte de), 768. Catholicisme et dmocratie^ 774. Catholicisme (le) et la vie de Fespit, 485. Catholicisme et positivisme, 087. Catholicisme social, 680Cauly (Mgr), 182 et suiv. Cavallera (F.), 886.' Chambord (comte de), 282, 335, 343, 392. Chapon (Mgr), v. de Nice, 213, 214, 282, 740. Chollafc, 254, 256. Chrtien libre (le), 126, 127.
INDEX ALPHABTIQUE
Chronique de la Presse, 191. Chronique (la) du Sud-Est, 067. Chronique sociale (la) de France, 170, 182, 235, 241, 248, 250, 333 etsuiv., 578. Civili catlolica. 822, 826. Claudio-Jannet, 076. Cochin (Augustin), 834. Camobium, 895, 896. Comte (Auguste), 389, 392, 705, 761. Conditions (les) du refour au catholicisme, 487. Condorcet, 382, 383, 384, 385, 386, 393, 395, 471, 534, 541, 542, 5G7. Contrat social (le), 692. Copin-Albancelli, 531, 530. Cormier (le T. R. P.), 642, 654. Correspondance de Grimm, 93. Correspondance de Rome, 13, 18 et suiv., 22 et suiv., 114 et suiv,, 125, 370, 372, 507,508,513, 581, 587, 588, 589, G42et suiv., 724, 766,772, 818, 819, 821. Correspondant (le), 186, 370, 666, 830, 835. Corriere dlia Sera, 20. Corriere d'Italia, 12G. Coub (l'abb S.), 218, 808. Couget(le chanoine H,), 132,248. Cours d'loquence sacre, par Mgr Freppel, 564. Cousin (Louis), du Sillon, 254. Cousin (Victor), 382, 531. Cousin et son uvre, 531, 535. Critique (la) du Libralisme, 238, 249', 640, 767. Croix (Z),67, 7 2 , 7 3 , 114,120, 129, 1 9 0 , 1 9 1 , 340,401, 402, 404, 406, 441, 442, 524, 525, 526, 597, 598, 653,782,809, 825, 8 5 2 , 8 7 3 . Croix (la) du Cantal, 2G0 etsuiv. Croix (la) du Jura, 70. Croix (la) du Nord, 524, 059, 601. Croix (la) du 8ud~Ouesf, 188. Culte (le) de VIncomptence, 1, 470. Cyr, voir Masquelier (le chanoine).
Dabry (Pierre), 68, 120, 411, 533, 771, 773, 822, 852. Daru (comte Napolon), 222, 228. Daudet (Lon), 181. Dbats, voir Journal des Dbats. ' Dcadence (la) du Sillon* 00. Dchelette (Mgr), 889. Decrais, snateur de la Gironde, 188. Decurtins, 509, 578, 77?, 870. Delafosse (Jules), 840. Delahaye (Jules), 807. Delassus (Mgr), 191, 502 et suiv., 768. Delfour (1 abb), 767. Delpech et Lamy, 542. Demain, 251, 2 5 2 , 2 5 4 , 257, 432. Dmocrates chrtiens (les) et le modernisme, 496, 606. Dmocratie (la), 59, 61, 62, G5. 66, 67, 81, 125, 211, 217, 225, 228, 3 , 0 , 371, 386, 417, 441 et suiv., 667, 668, 687, 748, 778, 838. Dmocratie chrtienne (la), 506, 507. Dmocratie sociale (la), 64, 546. Deuais, 589. Denis (l'abb Ch.), GGG. Dodat-Marie (le P.), 573 et suiv. Dpche (la) de Toulouse, 263. Dpche (la) de Roven, 250. Dernburg, 828. Desanfci (Mgr), v. d'Ajaccio, 799.. Desbuqnois (l'abb), 128, 129, 130. Descartes, 383, 389. Deschamps (Paul), voir Marguerit (l'abb Paul). Descoqs (le P.), 768. Desdevises du Dzert, 134. Desgranges (l'abb) 47, 49, 51, 52, 54, 59, 137,138,139, 366 et suiv., 417. Devigne (Paul), 250. Devoir politique ( le) des ratholiqms franais, 538, 033. Dieulafoy ( M Jane), 518. Dilemme (le) de Marc Stmgnir, 397, 542,544, 087, 700, 708, 711.
m e
908
INDEX
ALPHABTIQUE
Dimier (Louis), 176, 177. Dimnefc (l'abb), 186, 498. Discours de combat, 706. Doctrines romaines (les) sur le libralisme, 86. Documents (les) du progrs, 195,196, 667. Donoso Cor tes, 231. Droits (les) de VHomme) 9, 64, 125, 127. Drumont, 471, 536. Dubois (Louis), 409. Duch (Paul), 809, 899, 901. Duchesne (Mgr), 184, 201 et suiv., 241,252,320 et suiv., 457, et suiv., 550 et suiv., 884 et suiv. Duguet (Roger), 767, 769. Dunand (le chanoine), 33. Dupanloup (Mgr), 134, 213, 288, 604. Durand (Louis), 194. Durault, prfet de la Gironde, 188. Duval (Jacques), 410.
H
Etudes (les), 44, 134, 582, 768,886. Evangile (V ) et V Eglise, 320. Eveil dmocratique (V), 132. Eveil populaire(V) des Flandres, 109. Express (V) de Lyon, 667, 668. Express {V) du Midi, 567, 595, 597. Exupre (le P.), 768, 846. Eyraud (le P.), 367.
Echo (V) de Paris, 216. Ecole Saint-Simonienne (V), 631. Effert, 825. Eglise (V) et la critique, 186. Eglise et Monarchie, 547. Ehrhard (Mgr), 818. Ehses (Mgr), 588, 589. Eleuthre, 266. Elliot (le P.), 504. Enqute sur la Monarchie, 635, 711, 713. Entretiens idalistes (les), 72, 771. Ermoni (l'abb), 666. Erreurs (les) du Sillon, 48. Erzberger, 818, 827. Esprit dmocratique (V), 124. Espi'it (V) des lois, 231. Esquisse d'un tableau historique des progrs de Vesprit humain, 567. Essais sur la rforme catholique, 677 et suiv. Essais sur le naturalisme, 202.
Faberi (Mgr), 420, 429. Faguet (Emile), 1, 476. Fallieres (le prsident), 177. Falloux (comte de), 211 et suiv., 236, 237, 277 et suiv., 363, 450. Feron-Vrau (Camille), 336. Feron-Vrau (Paul*), 114, 336, 340, 400, 411, 667, 812. Ferry (Jules), 219. Fesq, 260 et suiv. Fidao (J. E.), 706. Figaro (le), 59, 193, 211, 214, 454, G53, 717, 817, 886. Fils (le) de VEsprit, 774:, 779 et suiv., 857 et suiv. Fischer (le cardinal), 113, 114. Fogazzaro, 1 et suiv., 226, 265, 430, 431, 432. Foi catholique (la), par M. l'abb Lestre, 187. Foi catholique (la), revue mensuelle, 768, 890. Fonsegrive (G.), alias Yves L e Querdec, 184, 211, 217, 224 et suiv., 411, 482 et suiv., 492, 494 et suiv., 773 et suiv., 857 et suiv. Fontaine (le P.), 187, 246, 772. Fouard (l'abb), 469. France (la), de Bordeaux, 189. France libre (la), 673. Frmont Tabbe Georges), 532. Freppel (Mgr), 179, 291, 338, 559, 564. Friihvirth (Mgr), nonce Munich, 642 et suiv., 818, 819, 820. Funck-Brentano, 838, 839.
INDEX
ALPHABTIQUE
909
Gailhard-Bancel (de), 507. Galen (comte de), 821. Garnier (l'abb), 411,50G, 507, 533. Gaudeau (le chanoine),767,768, 772, 890. Gantherot, 318, 767. Gayraud (l'abb), 837, 850. Gazette (la) de France, 214. Gazette populaire de Cologne, voir Klnische Volfcszeitung. Gell, 4 1 1 . Gerbet (l'abb), 841. Gerlier, 399, 405, 406, 408, 414, 8 7 7 , 8 7 8 , 879. Gibier (Mgr), ev. de Versailles, 492. Gibon (Fnelon). 295, 299, 311. Gide (Charles), 674, 675. Gieure (Mgr), v. de Bayonne, 587. Giornale oVItalia, 26, 126. Godard (Charles), 136. Gondal (l'abb), 552. Gontaut-Biron (marquis de), 408. Grande Revue (la), 195, 717. Grandi (Giovanni), 652. Gratry (le P.), 382, 388, 549, 689, 690, 691, 696, 697. Graves de communi (l'encyclique), 194, 8 6 1 , 872. Gravissimo (l'encyclique), 723. Grgoire-le-Grand (saint), 166. Grgoire X V I , 279, 693. Grgoire (l'abb), 685. Grimm (le baron), 92, 93. Groeber, 3 7 3 . Guranger (dorn), 202, 205. Gurard (Mgr), v. de Coutances, 122. Guillain, 608. Guiraud (Jean), 133, 134, 135.
Havard (Oscar), 452, 453. Havard de la Montagne (Robert), 592, 598. Hecker (le P.), 184, 504. Hecker (le Pre) est4l un saint? par l'abb Charles Maignen, 183, 184. Hello (Ernest), 892. Hemmer (l'abb), 86. Hertling (baron de), 822. Hertz (Henri), 64, 546, 635. Histoire ancienne de VEglise, 201 et suiv., 320 et suiv., 457 et suiv., 550 et suiv., 884 et suiv. Histoire de la troisime Rpublique, 536. Histoire de VEglise de France sous la troisime Rpublique, 133. Histoire des doctrines conomiques, 675. Hochlana, 511. Hoensbroeck (l'ex-P.), 196. Holland(St. de), 365.
Homme (V) qui vient, 709.
Hoog (Georges), 217. Houtin (Albert), 852. Huberfc-Valleroux, 747. Huet (Franois), 676 et suiv. Hugues (J.),763, 771. Humanum genus (l'encyclique), 530. Hyrvoix de Landosle, 201, 252, 887.
Hanotaux (Gabriel), 27 et suiv. Hardouin (Pierre), 880, 8 8 1 , 8 8 3 . Harnack, 205, 484, 552, 554.
Idal (V), 218,808. Ide (V) de VEtat dans mint Thomas di'Aquin, 228 et suiv. Ides (les) du Sillon, 138. Immortale Dei (l'encyclique), 232. Indpendance belge (V) 888. Infiltrations maonniques (Us) dans VEglise, 196, 2 4 6 , 2 6 5 , 2 6 6 , 269, 446. Infiltrations protestantes (les), 246. Initiation (1% 269. Ireland (Mgr), 872. Italie (V), journal, 753.
%
910
J
INDEX ALPHABTIQUE
Jacquier, 560. Janefc (Paul), 531, 535. Jaurs, 584, 60 4. Jay (Raoul), 416. Jeanne d'Arc et Vglise, 33. Jeune Bretagne (la), 410. Jeunesse Catholique, voir Association Catholique de la. Jeunesse Franaise. Jeunesse Catholique (la) : Ides et doctrines, 410. Jounet (Albert), 267 et suiv. Journal de Bruxelles, 644, 647. ' Journal de Genve, 195, 214, 717. Journal des Dbats, I l S, 119, 120, 653, 818, 828. Journal d'Italie, 2G, 126. Journal d'un vque, 225, 774, 780. Justice Sociale (la), 666.
K
Kaufmann (l'abb), 113,114, 647. Keller (le colonel), 416. Ketteler (Mgr de), 526, 817. Kiel et Tanger, 544, 835, 837. Klein (l'abb), 1, 183,184, 411, 655. Klnische Volkszeitung, 113, 114, 509, 587, 642, 824, 826, 829. Kopp (le cardinal), 113, 114.
L
Laberthonnire (l'abb), 234, 411, 497, 687 et suiv., 771. Lacombe (Louis-de), 904. Lacordaire (le P.), 805. Lacroix (Mgr), ancien vque de Tarentaise,253, 256, 257. Lagonde (Juliende), 596, 597. La (le cardinal de), 886. Lamennais, 279, 382, 387, 388, 531 et suiv., 631 et sniv., 698, 701, 702, 831 et suiv. Lamy (Etienne), 470,835,837, 838, 839, 874.
Lapeyre (Paul), 680. Laporte (l'abb de), 802. Larive et Fleury, 299, 303. Lartisien (l'abb), vicaire gnral de Limoges, 367. La Taille (l'abb de), voir Taille (l'abb de la). Laurent (de l'Ardche), 835. Lecanuet (le P.), 86, 133, . 1 3 4 , 135, 214, 252. Lecigne (l'abb), 181, 265, 768. Lecceur (Mgr), vque de SaintFlour, 803. ' Lecoin, 413. Lecot (le cardinal), 454. Leila, 265, 430. Lemire (l'abb), 109 et sniv., 123, 139, 174, 188 et suiv., 249, 250, 338, 339, 342, 411, 417, 447, 448, 509, 622, 623, 773. Lemmi (Adrien), 435, 436. Lepidi (le P.), 887. Le Play, 504, 676, 806. Le Querdec (Yves) voir Fonse^rive (G.). Lerolle (Jean), 400, 408, 410, 411 880, 881. Le Roy (Edouard), 252,483,494,497. Lestre (l'abb), 187, 516, 517, 754. Lespinasse (l'abb), vicaire gnral d'Agen, 449 et suiv., 482, 092 et suiv. Lestang (l'abb de), 417. Lesueur (Daniel), 518. Lettre de S. S. Pie X l'piscopat franais sur le Sillon* : voir Notre charge apostolique. Lettres d'un cur de campaqne, 774:, 780. Lettres d'un cur th canton, 774, 780. Liant (l'abb Jean), 188. Libert (la), 447. Libert (la), par Mgr de Sgur, 95. Libert (la) de Fribourg, 125, 255, 509, 577. Libert (la) du Sud-Ouest, 139, 596, 598,809, 810, 811, 8 1 2 , 8 9 6 , 897, 899, 900, 901.
INDEX
ALPHABTIQUE
911
Libre Parole (la), 68, 69, 118, et suiv., 1 2 8 , 1 2 9 , 1 3 0 , 1 3 1 , 1 3 2 , 210, 3 9 9 , 4 0 1 , 405, 406, 408, 589, 647. Ligue de rsistance catholique des citoyens franais, 413. Ligue des F.emmes franaises, 405. Ligue patriotique des Franaises, 669. Lissorgues (l'abb), 261 et suiv. Lobbedey (Mgr), cv. d'Arras, 804. Lwenstein (prince de), 820. Loisy (Alfred), 175, 186, 252, 320, 484, 494, 497. Looten (l'abb C ) , 870, 371, 372. Lofch (Arthur), 798, 800. Loubet (le prsident), 388. Loyson (Paul-Hyacinthe), 64, 66, 125, 345. Lugan (l'abb), 71, 72, 175, 198, 666, 771.
M
Macabiau (le P.), 582. Magnard (Henri), 405, 414, Magre (Maurice), 754. Maguette, 535. Maignen (l'abb Charles), 183, 184, 185, 486, 772, 871, 872. Maill (comte de), 758. Maistre (Joseph de), 93, 342. Mallet (l'abb F.), 699. Mallinckrodt, 831. Mandonnet (le P.), 253. Manzoni, 5. Marans (Ren de), 638. Marbeuf (Mgr de), archev. de Lyon, 805. Marcre (de), 152, 536. Marchand (le chanoine), 887. Marguerit (l'abb Paul), alias Deschamps (Paul), 483, 488, 489, 492, 493. Marie (Mme) du Sacre-Cur, 776. Martinelli (le cardinal), 425, 426, 427. Martinet, 455. Masquelier (le chanoine), alias Cyr, 67, 524, 525, 526.
Mathieu (le cardinal), 483, 723. Matin (le), 198, 195, 214, 818. Mauduit (Robert), 126. Maura, 13. Maurras (Charles), 73,74, 110, 179, 238, 250,381,389, 391, 396,397, 4?4, 542 et suiv., 615, 635, (>37, 690,695, 696, 698, 700, 701,703, 704,706, 708 et suiv., 760, 761, 762, 764, 765, 772,772, 835, 837, 846, 852 et suiv. Mda, dir. de V Unione, hi A, 575. Mclinge (l'abb Calixte), alias D Alta, 26G, 269. Mmoires pour servir Vhisioire du Jacobinisme, 529. Mercure (le) de France, 495. Mreu, 653. Merry del Val (le cardinal), secrtaire d'Etat, 21,26, 27, 377, 588, 642, 643, 722. Michel, avocat, 76. Mignot (Mgr), archev. d'Albi, 186, 734 et suiv. Mirctri vos (l'encyclique), 279, 568, 693. Mission (la) et la propagation du christianisme dans les trois p'emiers sicles, 205. Modernisme, Science et Dmocratie 417. Monarchie Franaise (la), 757 et suiv. Monde (le), 780. Monlon (Sylvio de), 260, 51 et suiv. Monnier (Mgr), v. de Lydda, 506. Montalembert (comte de), 86, 134, 135, 211 et suiv., 277, 281. 284. 286, 289, 638, 881. Montesquieu, 230, 231. Morien (l'abb), t w E r m o n i (l'abb). Mortier, 900. Motuproprio du 18 dcembre 1903 sur l'action populaire chrtienne, 194, 683. Mouthon, 673. Mouvement social (le), 68, 889.
r
912
INDEX ALPHABTIQUE
Mun (comte Albert de), 343, 402, 403, 416, 567, 673, 686, 808, 822, 850, 874. Murri (-abb Romolo), 256, 827. Musy (l'abb L.), 377.
N
Origines (les) de la France contem poraine, 640. Osservatore Romano, 20, 21, 191, 192, 655,657, 813, 824.
Nadaud (Martin), 5G7. Nahon (Paul), 568. Narfon (Julien de) 59, 193, 194, 195, 196, 211, 212, 213, 214, 217, 342, 454, 653, 717 et suiv., 817, 886, 887. Naudet (l'abb), 193, 195, 411, 533, 6 6 6 , 7 7 1 , 773, 804. Newman (le cardinal), 186, 187. Newman, par l'abb H. Brmond, 186, New York Herald, 21. Nord patriote (1e), 592 et suiv. Notre charge apostolique (la lettre). Censure et condamnation du Sillon , 46, 131, 138, 173, 175, 194,247, 337, 347,348, 442, 568, 743, 773, 779, 857, 867,870, 879,882. Nouveau caiJwlicisme et nouveau clerg, 486. Nouveau Testament (le) dans glise chrtienne, 560. Nouvelle Europe (la), 804. Nouvelles $es), 64, 66. Nouvelliste (le) de Bordeaux, 899, 900, 901. Nouvelliste (le) de Lyon, 69, 416, 589, 668, 745, 746. Nova et Vetera, 428, 429. Nubius, 98.
Occultisme contemporain (), 136. Ocbman (Tneodor), 829. Odeurs (les) de Paris, 220. Olgiwolski (l'abb), 450, 488 et suiv, Oll-Laprune, 689, 096.
Pacheu (l'abb), 4 4 5 , 440. Prieu (de), 288. Parisis (Mgr), v. de Langres, 286. Par la mort, 124. Pascal (l'abb G. de), 177, 768. Pascendi (l'encyclique), 183, 184, 185, 247, 417, 493,496, 778, 779, 872, 887. Pavissicb (le P.), 822. Pcaut (Flix), 785. Pladan (Josphin), 731Penon (Mgr), v. de Moulins, 179. Pense catholique (la) dans VAngleterre contemporaine, 498. Pense chrtienne (la collection de la), 187. Pril religieux (le), 508. Prin (Charles), 177, 676. Pernod (Maurice), 653. Perraud (le cardinal), 134, 484, Perseveranza, 430, 431, 4 3 2 . Petit Dmocrate (le) de Limoges, 368, 417. Petite Gironde (la), 189. Petit manuel de critique, 691. Peuple Franais (le), 68, 114, 128, 411, 506. Picolo-Tigre, 98. Pie I X , 222, 236, 282, 335, 452, 4 5 3 , 644. Pie (le cardinal), 233, 282, 725. Pieper (Dr), 824. Pierre (l'abb Jules), 71, 72, 175, 198, 687, 709, 713, 763, 771, 822. Piot (G.), 411. Piou (Jacques), 79, 400, 401, 402, 404, 748, 785, 808, 852, 873, 874, 876, 878, 900. Plantier (l'abb), 129. Plus grand Sillon (le), 536.
INDEX
ALPHABTIQUE
9!3
Q
Quadrotta, 418.
Quarante ans de Rpublique, 542.
Revue critique des ides et des livres, 875. Revue de Lille, 768. Revue des Deux-Mondes, 834, Revue des Questions historiques, 133, 134. Revue d'Histoire et de Littrature religieuses, 86. Revue du Clerg franais, 133, 498, 707. Revue Duns Scot, 573. Revue hebdomadaire, 841. Revue moderniste internationale, 9, 666. Revue pratique d'Apologtique, 48, 134. Revue Thomiste, 253.
Ribot, snateur, 607. Richepin (Jean), 363, 365, 518,595. Rifaux (D Marcel), 487, 494. Rigaux (l'abb), 130, 131, 889, 890. Rocaforfc (Jacques), 767, 769, 888. Roeren, 828.
r
Romans-Revue,
514, 516.
Roosevelt, 419. Roquefeuil (de), 407. Rossi (de), 462, Rousseau (Jean-Jacques), 504, 692,
693.
Ramire (le P.), 86, 160. Rampolla (le cardinal), 506, 888. Baux (l'abb), 758, 770,
Regards en arrire, 774, 784. Rgne social du christianisme, 683. 682,
Sabatier (Paul), 251, 256, 257, 429, 497, 518, 520 et suiv. Sainle-Ccile, bulletin paroissial de l'glise mtropolitaine d'Albi, 666. Saint-Simon (comte de), 388 et suiv., 471, 472, 475 et suiv., 541, 542,
548, 549, 640, 686. Salut national (le) de Limoges, 368.
Sangnier (Marc), 46, 47, 48, 54, 59 et suiv., 79, 80, 8 1 , 1 2 4 , 138,139,
2 1 1 , 2 1 7 , 2 2 5 , 228, 240, 345 et
suiv., 369, 370, 371, 3 8 1 , 382, 386, 394 et suiv., 411, 417, 441 et
Index et Table ***
014
INDEX
ALPHABTIQUE
sniv., 472, 474, 478, 530, 5 4 ] , 542 et suiv.,, 623, 636, 637 638, 668, 687, 689, 706, 743,757,773, 779, 780, 834, 837, 838, 841,842, 852, 866, 872, 873, 874. Sanio (il), 6, 226, 431. Sapienii chrisliaiim (l'encyclique). 269. Sarcey (Yvonne), voir Brisson ( M Adolphe). Sarto (le cardinal), 505. Satolli (le cardinal), 007. Say ( J . - B . ) , 149. Schell, 818, 822. Schnitzer, 818. Science et Religion (la collection). 699. Sgur (Mgr de), 9 5 , 2 8 1 . Semailles (Us) 819. Semaine catholique ffAgen, 362 et sniv., 449, 450, 451, 592 et suiv. Semaine religieuse d'Amas, 804, 805. Semaine religieuse de Cambrai, 502, 503, 506, 507, 768. Semaine religieuse de Limoges, 137, 139, 366 et suiv. Semaine religieuse de Lyon, 618, 625. Semaine religieuse de Vprsailles, 802. Serre (Joseph), 266. Sertillanges (l'abb), 742 et suiv. Sicle (le), 202, 497, 718. Sillon (le), 46 et sniv., 59, 79, 80, ' 1J4, 124, 125, 132, 138,218, 225, 228, 252, 254, 255, 369, 374, 375, 376, 381, 385, 386, 388, 397, 398, 405, 416, 476, 478, 488, 536, 568, 689, 740, 757, 772, 773, 832, 853, 857, 858, 859, 861, 864, 865, 866, 869, 870, 872, 880, 882. Sillon (le) et le mouvement dmocratique, 689, 715. Socialisme catholique, 680. Sonnensche (l'abb), 827. Sonnois (Mgr), archev. de Cambrai, 506, 507.
me
Souriac, 405, 406. Spalding (Mgr), 872. Spahn (Martin), 511. Stal (M de), 472, 612. Steeg (Thodore), 601, 602,609, 611,
me
612, 613.
Taille (l'abb de la), 68. Tailliez (Paul), 4 8 , 1 3 3 . Taine, 391, 631, 032, 640, 641, 695, 697, 698, 707, 833, 834, 838. Talmeyr (Maurice\ 290, 291. Tavernier (Eugne), 216, 218. Tlgramme (le), de Toulouse, 445, 567. Temps (le), 26, 27, 496, 653, 739, 740, 778. Tesiem benevoleniim (la lettre), 183 184, 872. Testis, 234. Thalamas, 175, 196. Thellier de Poncheville, ancien dput, 171, 176. Thellier de Poncheville (l'abb), 170 et suiv., 224, 235 et suiv., 334 et suiv., 578, 742,744, 771,864,889. Thierry (Augustin), 389. Thiers, 288. Toiton (l'abb), 506. Torres Asencio (le chanoine), 180. Touchet (Mgr), v. d'Orlans, 492. Tour du Pin (marquis de la), 177, 390, 702. Tournade (le P.), 398, 407, 414. Tribuna(la), 888. Turinaz (Mgr), v. de Nancy, 184, 485, 486, 492. Turmel (l'abb), 133. Tyrrell (G.), 186, 772.
INDEX ALPHABTIQUE
015
Unions chrtiennes, 81. Union spiritualisie, 197. Unit caltolica, 434, 437, 438, 470, 819, 886, 887. Univers (V), 72, 73, 115,116, 120, 128, 132,216, 220, 221, 284,406, 443, 590, 597, 653, 680, 735, 744, 747,760, 766, 767, 769, 772, 780, 798, 800, 806, 819, 820, 824, 8 2 5 , 8 2 7 , 886, 891. Universit catholique (V), 768. Un sicle de VEglise de France^ 725.
V
Vacherot, 382. Valabrgue (Albin), 197. Valois (Georges), 687, 709. Vanneufville (Mgr), 185. Vauroux (Mgr du), v. d'Agen, 450, 451, 482, 488, 490, 491, 492, 493, 592. Vende catholique (la), 807. Ventura (le P.), 531 et suiv. Verdesi (Gustave;, 125, 126, 418 et suiv. Vrit franaise (la), 184, 780, 782, 8 0 7 , 8 7 1 , 872, 873, 892. Vrits sociales et erreurs dmocratiques, 191, 502 et suiv. Veuillot (Mlle Elise), 806, 807,808, 890 et suiv. Veuillot (Eugne), 219, 237.
Veuillot (Franois), 400, 443, 444, 735, 760, 891. Veuillot (Louis), 212 et suiv., 259, 278, 281, 286, 288, 642, 806, 891, 895. Vie Catholique (la), 68,126, 771, 822. Vie du P. ffeccer, 183, 184. Vie nouvelle (la), 398, 400, 405, 407, 409, 411, 414, 590, 879. Vie profonde (la), 124. Vindex, 98. Viollet (l'abb Jean), 130. Voce dlia Verit, 753. Voix du Peuple (la), d'uch, 408. Volksverein, 824. Vraies Ides (les) du Sillon, 138,417. Vrau (Philibert), 336. Vulliand (Paul), 72.
W
Weill (Georges), 631, 640. Weiss (le P. Albert-Marie), 507 et suiv., 578, 642, 646, 819. Wetterl (l'abb), 830. Windolpb (l'abb), 825. Windthorst, 822.
Z
Zamanski (J.), 67, 68, 411. Zapletal (le P.), 258, 259, 655. Zeiller (Jacques), 228 et suiv., 252, 253, 254.
SIXIEME
TROISIME ANNE
D e u x i m e S e m e s t r e .
er
"
6 i
7 2
Abb C. LECIGNE, Doyen de la Facult catholique des lettres de Lille Le testament de Fogazzaro Paul TAILLIEZ . . . Le Saint-Sige et l'Espagne Mgr DELMONT . . . Libralisme historique, propos de Jeanne d'Arc (Deuxime article, Fin) Emm. BARBIER. . . Une retraite de Dames au ce Sillon St. de HOLLAND. . . M. Marc Sangnier et' le a parti nouveau
I N F O R M A T I O N S E T D O C U M E N T S .
1
12
27 46 59
La fleur exquise D du sens social Un mule des abbs Lugan et Pierre Un congrs de 1' Action Librale La chrysalide du Sillon > Le sens chrtien
67 71 76 79 82
85
96 109
A travers le clan des libraux Chez les rengats et les apostats Le congrs de 1' Action populaire M. Jean Guiraud et le P. Lecanuet A propos d'occultisme . M. le chanoine Desgranges L'abb Lemire & Bordeaux
918
TABLE
DES
MATIRES
63 15 mai 1911
Pages
H,
TAUDI^IE
E, B P. TAILLIEZ
. . Une solution dangereuse des questions sociales : Le socialisme d'tat 141 Un article de foi oubli par les catholiques libraux . . 160 . . . Rponse la Chronique sociale (Premier article) . . 170
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
Mprises de Mgr Cauly Leon mrite : Lettre M. l'abb Lemire L' Action Librale taboue pour la Croix Le catholique du Matin et du Figaro et M, l'abb Naudet Proslytisme judo-spiite Rponse brve
. 64 1 juin 1911
J. MARCHAND. Emm. BARBIER G. de PASCAL. P. TAILLIEZ . . . . . . . . . Une nouvelle histoire ancienne de l'Eglise . I . . 201 Les catholiques et la libert 211 A propos d'un livre de M. Jacques Zeiller 228 Rponse la Chronique sociale (Deuxime article) . 235
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
er
277
290
Semaine religieuse et kermesse La fte de Jeanne d'Arc - Limoges Le rveil du Sillon Modernisme littraire : M. l'abb Looten Le Centre allemand et la a Tendance de Cologne Spcimen d'action sociale silloniste Le prtre et les manuels scolaires
TABLE
DES
MATIRES
010
er
. . .
Emm. BAHBIBR.
Les origines rationalistes du dmocratisme chrtien. I . Lidie mre du dmocratisme chrtien . . . . I L Les sources de la dmocratie chrtienne . . . . . A propos des noces d'argent de F A. C. J . F
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
Le procs Verdesi Mgr Bonomell et Fogazzaro L'Eglise et l'tat en Italie Le drapeau pontifical La dmocratie et La Dmocratie Nouvelle campagne des thosophes Le bon abb Lemire Semaine religieuse et kermesse ( suite) Agitation librale Les exclusions de TA. C. J . F Avis
418 430 432 438 441 446 447 449 452 455 455
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
Trois consultations de M. Fonsegrive Mgr Delassus dfr au Saint-Office Le pril religieux en Allemagne document, par ceux qui le nient . . . Un brevet ecclsiastique d'honnte neutralit scolaire L'affaire de l'Universit de Fribourg. Le patron des journalistes x . . . Rponse la Chronique sociale T
er
. . Les origines rationalistes du dmocratisme chrtien. I I I , La premire cole de dmocratisme chrtien. . 5 2 9 MARCHAND . . Une nouvelle histoire ancienne de l'glise . I V . . 550 KAMBAUD . . Libralisme conomique et libralisme tout court . . . 5 6 7
1)20
TABLE
DES
MATIRES
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
Pages
Deux situations Aures habent et non audient Action librale et Unions diocsaines L'cole laque, l'cole neutre, l'cole confessionnelle Haro sur la Correspondance de Rome Les chrtiens Bociaux en Autriche Semaine religieuse et kermesse (suite)
Hommage S. S. le Pape Pie X Le jugement de S. S. Pie X sur une certaine presse catholique Chauvinisme dmocratique L'cole laque, l'cole confessionnelle, l'cole neutre (suite) Conseils de lecture Les agissements des dmocrates chrtiens
er
Un discours de Mgr Mignot sur l'enseignement libre La Semaine sociale de Saint-tienne Les catholiques et les retraites ouvrires Tous les moyens sont bons Pour les jeunes filles catholiques
TABLE
DES
MATIRES
921
. M. Bernart et la Monarchie Franaise j> . . . . . 757 . Le modernisme social chez M. Fonsegrive (Premier article) 773 St. de HOLLAND. . Le libralisme fminin. II 787 Mgr DBLMONT . . < Le bilan de la sparation (Deuxime article, Fin) 797 Emm. BARBIER. Paul TAILLIEZ .
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
Mademoiselle Elise Veuillot Le congrs de Saint-Emilion Littrature dmocratique de Bulletin paroissial L'ducation de la puret
-.
er
. .
. A propos du congrs catholique de Mayence : La crise politico-religieuse n Allemagne 817 . Les origines rationalistes du dmocratisme chrtien.
article)
INFORMATIONS ET DOCUMENTS.
857
Une orientation nouvelle de TA. C. J. F . . Une circulaire de la S. C. Consistoriale contre L'Histoire ancienne de l'glise > de Mgr Duchesne Menes librales et modernistes Un conseil pour les Semaines sociales La sur de Louis Veuillot La chute du modernisme dans l'abme Le congrs de Saint-Emilion (suite J
Index alphabtique des noms de personnes et des crits cits dans le tome sixime 905
922
ERRATA
Page 126, 15 ligne, au lieu de : feuille, lire ; famille. id. 16 ligne, observation abjuration. Pages 183 et 184 (passim), au lieu de : le P. Haecker, lire : le P. Hecker. Page 221, 15 ligne * cess, essay. Page 370, le premier alina doit tre rtabli ainsi : Un seul trait pour le prouver .encore. Il est emprunt au compte rendu du discours de M. Sangnier dans la Confrence donne Lyon, salle Rameau, le 27 mai 1911.
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9.324.