Bayad GehinCommunicationmta4
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Sapir et Whorf1 ont montré que la langue dans laquelle on s’exprime n’est pas sans
conséquences sur le type de réalité que l’on saisit (A. Chanlat et Bedart, 1992). Dans
l’hypothèse Sapir-Whorf, il existe un rapport intime entre la langue et les formes de pensée
(Journet, 2001). Ainsi, certains types de réalité sont mieux saisis avec certaines langues
qu’avec d’autres. L’appellation des choses est importante, non pour les choses elles-mêmes,
mais pour ceux qui les appellent en les nommant, rappelle Hagège (1995). Nommer ne permet
pas de reproduire les choses, mais de les classer par l’action de la pensée car les mots sont des
sources de concepts. Sur ce terrain où les mots (ou plutôt les signes dirait le linguiste)
permettent de penser des classements, il apparaît nécessaire de comparer les apports respectifs
des termes de leadership et de coaching afin d’évaluer la pertinence des réponses
managériales actuelles aux évolutions structurelles et comportementales des organisations.
Une première partie fait le point des écrits académiques de synthèse sur le leadership, une
seconde met en exergue les discours des praticiens sur le coaching principalement dans ses
déclinaisons autour du manager-coach et du coaching d’équipe. Dans une troisième partie,
1
Edward Sapir (1884-1939) et Benjamin Lee Whorf (1897-1941). Whorf fut l’élève de Sapir. Voir
« L’hypothèse Sapir-Whorf » (Journet, 2001)
1. Le leadership
Dans ce paragraphe est d’abord mise en relief la thématique mobilisatrice et pluridisciplinaire
que constitue le leadership au sein des sciences sociales. Sa mise en œuvre au service du
management est ensuite appréciée, sans pouvoir, en définitive, ignorer la charge que
représente cette fonction pour ceux qui en sont investis.
Dans l’approche américaine, le leadership, au delà des nombreuses acceptions dont ce concept
peut faire l’objet, s’inscrit dans un triple cadre culturel, idéologique et identitaire remarque.
Pelletier (1999) : un homme « libre », des droits individuels forts, des communautés locales
relativement autonomes, une réglementation sociale « légère », un appareil bureaucratique
faible. La question du leadership est devenue encore plus prégnante en raison de la
concurrence effrénée que se livrent les pays industrialisés à l’échelle mondiale (Aubert, 1992)
et cette demande ne diminue pas selon Northouse (2001, p. XIV) : « As we enter the 21st
century, these is a genuine demand for effective leadership ». Selon Henriet (1993), qui
privilégie l’approche par processus, un leadership efficace suppose de s’intéresser à ce que
font les personnes au delà de ce qu’elles sont, au travers d’une mise en œuvre effective. Il
donne une définition du leadership notamment par ses déterminants (1993, p. 105) : « C’est le
résultat d’une interaction permanente entre le contexte culturel, les données technico-
économiques (…) et les caractéristiques des personnes en présence (…). Cette interaction
peut se révéler plus ou moins efficace et durable ».
Si le concept de leadership dépasse le cadre du monde du travail (ce qui explique peut-être en
partie son attractivité générale), il est facilement associé à la fonction managériale
(Northouse, 2001) sans pouvoir pour autant lui être strictement identifié (Levy Leboyer,
2001). Tant dans l’acception américaine que française, le leadership n’est qu’un aspect du
management qui en comporte d’autres (Levy Leboyer, 2001).
Les travaux de Koter (1990) ont cherché à distinguer les deux notions, montrant que le
management (dans sa dimension administration, gestion, direction, termes plus appropriés en
Français) hérité de Fayol (1916), encore représentatif du champ de la gestion aujourd’hui
selon Northouse (2001), développe une dimension d’ordre et de stabilité, alors que le
leadership développe une dimension dynamique favorable au changement.
MANAGEMENT LEADERSHIP
« Produces Order and Consistency » « Produces Change et Movement »
- Planning / Budgeting - Vision Building / Stategizing
- Organizing / Staffing - Aligning People / Communicating
- Controlling / Problem-Solving - Motivating / Inspiring
Dans un travail de synthèse, les rapports mis en relief par Henriet (1993) entre leadership et
management permettent de dégager notamment les points ci-dessous :
1. Le management est considéré désormais comme une pratique décisive quant au bon
fonctionnement d’une organisation, mais cette pratique est de plus en plus contestée et
sanctionnée, remettant en cause le management traditionnel.
2. Le management évolue sous la pression d’un environnement globalement changeant et des
critiques dont il fait l’objet, modifiant, entre autres, les relations de travail. L’autorité a
alors mission de mettre en valeurs les potentiels dans des relations individualisées qui
s’inscrivent dans un cadre collectif.
3. Le leadership est un levier d’action et de relation pour le manager en insistant sur la
dimension personnelle de l’autorité.
Au terme de sa réflexion Henriet (1993, p. 147) résume la position qui semble culturellement
être admise en France : « Ainsi, avec la montée en puissance du leadership, le management de
l’entreprise n’est plus la simple administration des hommes, ce n’est plus seulement la
« gestion » mais l’ensemble des actions et des dispositifs qui vont avoir un rôle de
dynamisation. C’est cette dynamisation qui est au cœur du leadership. Elle réintroduit une
dimension humaine et fait un pari sur les personnes. Les aspects psychologiques deviennent
alors dominants et la gestion doit en tenir compte (…) Ce faisant, rien n’est jamais acquis en
matière de leadership et c’est sur cet aspect de contingence et de renouvellement permanent
qu’il nous a paru souhaitable d’insister pour clore cette réflexion. »
2. Le coaching
Pour aborder le phénomène coaching, encore diffus et en relation intime avec les modes
mêmes de sa diffusion, différentes sources sont utilisées. Elles sont principalement issues de
publications non ou peu académiques, mais susceptibles de porter en leur sein des éléments du
discours managérial et, par là-même, susceptibles de participer à une transformation des
pratiques2.
Pour tenter d’extraire les éléments pertinents de cet ensemble, le plan adopté dans cette partie
permet de considérer d’abord le coaching dit interne (par opposition au coaching dit externe),
et ensuite d’entendre les débats autour du manager coach. Ces deux paragraphes se situent sur
une toile de fond où se rencontrent une culture managériale anglo-saxonne a priori ouverte à
une démocratisation large du coaching, et une posture hexagonale (via notamment la Société
Française de Coaching) plus mesurée.
Le coaching interne est pratiqué par un salarié de l’entreprise alors que le coaching externe est
le fait d’un consultant, externe à l’entreprise. Cette distinction semble être consensuelle, peut-
être parce qu’elle pourrait s’appliquer à d’autres formes de consulting que le coaching. Ainsi
le coach interne est « sédentaire » le coach externe est « nomade » (Fourès, 2003). Le
coaching interne apparaît comme le dérivé du coaching externe, obéissant alors à une logique
de démocratisation dans le temps. Certains parlent d’un coaching de deuxième génération.
Mais surtout un personnage nouveau apparaît dans le coaching interne qui est le « manager
coach ». Le schéma ci-dessous propose une synthèse.
Coaching
C. Externe C. Interne
Sens du temps
D’après les enquêtes effectuées en France sur les pratiques coaching, il semble que la
préférence aille pour l’instant au coaching externe 10 alors que les entreprises anglo-saxonnes
investissent fortement dans le coaching interne. Ces deux modes semblent se révéler
complémentaires (Costes et Julien, 2001 ; Fourès, 2003). Ainsi, est de plus en plus observée,
dans les entreprises, une stratégie combinée de coaching externe démultiplié à l’interne.
Citons comme exemples d’entreprises déclarant pratiquer les deux formules conjuguées,
interne et externe : Arthur Andersen11, la SNCF12, EDF13, Renault14, Rank Xerox15, Ernst et
Young16.
S’appuyant sur l’expérience de 8 années de coaching chez IBM qui a fait le choix exclusif du
coaching interne, Costes et Julien (2001) considèrent que ce dernier est moins coûteux, plus
accessible, et peut être perçu comme un coaching de situation tandis que que le coaching
externe favorise le benchmarking, met en relation avec l’universel, et peut agir sur le
structurel de l’entreprise. Une autre nuance est identifiée chez EDF-GDF au plan de la
demande: en interne elle concernerait davantage le coaching dit « de performance » orienté
vers un développement de compétences, alors qu’en externe, elle concernerait davantage le
coaching dit « de croissance » favorable à une dynamique de développement personnel
(Pilard, 2002, p.62). De plus le coaching interne à moyen terme favoriserait « l’organisation
apprenante » (Fourès, 2003, p. 35), car plus susceptible d’introduire une dynamique
relationnelle entretenue sur la durée.
La demande de coaching en interne semble légitime, mais elle peut se révéler problématique
dans son application concrète. Le coach interne est-il un manager devenu coach, cumulant les
rôles éventuellement contradictoires de hiérarchique et de coach 17 ou bien est-il un consultant
interne chargé de coacher des personnes et des équipes dont il n’est pas le hiérarchique ? « Le
coach interne est pris dans des logiques organisationnelles qui rendent sa tâche beaucoup
plus ardue que celle d’un coach externe » estime Chavel (2003, p. 178-179). Celui-là se
révèle en fait complémentaire à celui-ci, « tous deux restant aux avant-postes des
changements de l’entreprise ». Les cadres de la fonction RH seraient appelés au premier chef
6
Les écoles de formation au coaching se sont fortement développées depuis 2000-2001et offrent en général une
certification à l’issue de la formation.
7
Notamment les certifications de la Société Française de Coaching et de l’ICF (International Coach Federation)
8
Malarewicz (2000, 2003), fort de son expérience de thérapeute familial, considère que les premiers coachs de
dirigeant furent les épouses (et/ou les maîtresses).
9
Conférence débat de la SFCoach, Paris, 16 décembre 2003 : « Coaching interne, coaching externe quelle
synergie ? »
10
Voir notamment l’enquête du Syntec, réalisée fin 2000 qui a été fortement médiatisée
(www.syntec.evolution-professionnelle.org)
11
Management, mars 2000, p.93-98
12
Liaisons sociales, novembre 2002, p. 80.
13
Forestier 2002, p. 51 ; Pilard, 2002.
14
Management et conjoncture sociale (2002, p. 47-49. Liaisons sociales (novembre 2002, p. 74-76 et 80).
15
Zylbermann et Kallel (1997).
16
Entreprises & Carrières (13-19 novembre 2001, p. 17).
17
Voir paragraphe 2.3.
Quand le coaching d’une équipe est assuré par un coach qui n’est pas le manager, la situation
peut s’avérer délicate et requiert une très grande clarté dans le contrat et la mise en œuvre
puisqu’il y a alors potentiellement deux leaders, le coach et le manager (Délivré, 2002 ;
Cardon, 2003), la mission du consultant étant pourtant de mettre en relief les divergences
comme sources d’enrichissement (Malarewicz, 2000). Dans le cadre d’opérations conjointes
de coaching individuel et d’équipe, il est préférable de faire appel à des coachs différents pour
ménager les espaces distincts de transfert (Giffard, 2003). Quand le coaching prend une
coloration dite « stratégique », il accompagne en général le changement, favorise la
dynamique d’apprentissage appliquée à l’équipe, et travaille sur le système en prenant avant
tout en compte les interactions dans le groupe (Lang, 2002) dans une lecture systémique : « Le
travail systémique est avant tout un travail avec les relations, avec les liens, avec les
interactions » déclare Malarewicz (2000, p. 128) qui prévient par ailleurs: « en même temps
que nous avons à être ensemble, nous en avons perdu le mode d’emploi » (2000, p. 11).
En synthèse, la position a priori prudente en France, notamment portée par la SFCoach 20,
quant à la conjugaison des rôles de manager et de coach, tend à s’adoucir. La demande
croissante des entreprises et les pratiques en vigueur dans le monde anglo-saxon invitent à
considérer que le « manager coach » participe à une vision enrichie de la fonction
19
Journées du Coaching, organisées par ICAD et EM Lyon à Paris (10-11 décembre 2002).
20
Conférence du 28 mai 2002 de la SFCoach « Le manager-coach existe-t-il ? » (www.sfcoach.org)
3. La pertinence du coaching
Trois dimensions sont ici proposées pour apprécier la possible valeur ajoutée du coaching,
dans la lignée du leadership, au service de la gestion : rhétorique, psychique et mythique.
Sans vouloir mobiliser outre mesure des théories linguistiques poussées, et même si pour le
sens commun la question de la relation entre le langage et la réalité ne se pose généralement
pas, il importe de préciser ici la posture adoptée, au regard des développements conséquents
qu’a vécu la linguistique dans le dernier siècle (Dortier, 2001). A l’aide de la réflexion du
linguiste V. Nickees22 (2001), il est possible d’adopter une position tierce qui ne souscrive ni à
un langage conçu comme reflétant une réalité objective, ni à un langage arbitraire. Il s’agit
alors de rechercher la clé de l’organisation sémantique des langues dans l’expérience humaine
elle-même. La langue n’évolue, dans la perspective saussurienne, ni comme l’effet de
volontés individuelles, ni comme l’effet de la volonté de sujets supra-individuels. Nickees
souligne qu’une étude minutieuse des changements de sens conduit à penser que les nouvelles
significations ne se produisent pas au hasard, mais qu’elles sont conditionnées, tout au long de
l’histoire de la langue « par les relations entre le système linguistique et les expériences
collectives qui traversent la communauté des locuteurs » (Nickees, 2001, p. 131). On
approche alors, au sein du courant de l’interactionnisme social, les thèses notamment
développées par J. Habermas où le langage joue le rôle de médiateur de l’activité collective
(Bronckart23, 2001)
Le mot coaching peut être une étiquette cousine du mot leadership dans l’action que suppose
le management des projets, des hommes et des équipes, ces deux termes rendant compte
d’une posture de responsabilité managériale et de la dynamique ad hoc. Mais le leadership
évoque d’abord la personne, le leader, alors que le coaching évoque d’abord une action
d’accompagnement ou d’entraînement. Le mot coaching, mieux que le mot leadership peut
rendre compte d’une réhabilitation de la relation mesurée dans cette économie de l’échange
relationnel, perçu comme précieux pour asseoir aujourd’hui la réussite d’un projet,
l’implication d’une équipe, l’atteinte d’un objectif. Le mot leadership, même si il a essayé
dans les représentations collectives de porter l’idée d’un processus dynamique et actif (peut-
être avec plus de succès dans le monde anglo-saxon qu’en France au travers du gérondif
« leading ») risque de renvoyer en Français indubitablement à une logique binaire : le leader
et les « autres ». De plus, le leadership même apprécié comme un processus notamment
relationnel, est d’abord souvent pensé comme un attribut personnel, une fonction émettrice,
une intelligence contextuelle, une vision stratégique. Ainsi ce sont d’abord le talent,
l’intelligence ou la vision du leader qui sont cause et objet du leadership, au-delà des
différentes lectures qui en sont faites par les spécialistes.
Le terme coaching, popularisé en France sous cette appellation, traduit et favorise tout à la
fois une représentation du lien dans le management, sans mettre d’abord en avant le coach ou
le coaché, mais bien le lien entre les deux par l’évocation d’une médiation humaine. De plus,
21
(voir en médiologie, exp. sur la langue comme outil de tranmission, Debray 2000, p.2)
22
Vincent Nickees est Maître de conférences en linguistique à l’Université de Lilles III.
23
Jean-Paul Bronckart est psycholinguiste et professeur de didactique à l’Université de Genève.
Martinet (1990, p 15-16) souligne l’essor considérable des discours en gestion et met en relief
ce qu’il appelle « L’archipel des sophistes » au travers de peuplades, qui tentent de se faire
entendre, se disputant les feux de la rampe, pour le pouvoir, l’argent ou la notoriété. Cette
métaphore demeure d’actualité et particulièrement pertinente au regard du coaching. Au
regard des enquêtes réalisées pour connaître la population des coachs 24, plusieurs
« peuplades » sont susceptibles de les accueillir, témoignant de l’actualité effective du
coaching sur le registre discursif : les praticiens (heureux de se reconvertir au coaching), les
sophistes d’action (ayant pour eux une expérience riche et intégrée) et encore les
métasophistes plus ou moins sophistiqués (n’hésitant pas à mettre au point leur propre modèle
pour remplacer ceux qu’ils ont déjà expérimentés). Les « meilleurs » des coachs pourraient
cependant être hébergés dans la famille des socratiques. En effet, le coaching s’inscrit selon
les dires de beaucoup, dans l’héritage d’une maïeutique socratique ; ainsi deux ouvrages sur
cinq consacrés au coaching, en français, font référence explicitement à Socrate.
Si les recherches ont permis d’avancer dans la compréhension du leadership, elles n’ont pas
pour autant circonscrit les choses, pouvant même se révéler « décevantes » (Levy-Leboyer,
2001, p. 340), et laissant, pour le moins, au leadership une irréductible part de
mystère (Ivancevich & Matteson, 1993). Pour tenter d’apprécier cette part de mystère, il
semble pertinent, à l’interface de la gestion et de des savoirs sur l’humain, de considérer
d’abord l’intériorité psychique puis la capacité de retrait et d’introspection du manager leader,
en faisant alors écho au retour de la subjectivité dans la gestion étiqueté par Henriet (1993).
Le leadership, figure rayonnante d’extériorité, repose aussi, sur l’intériorité d’une personne,
une des « dimensions oubliées » en gestion (Chanlat, 1992). « Il est banal de rappeler que le
24
Les enquêtes de la Société Française de Coaching conduites en 1998 et 2000 auprès de ses membres montrent
que le coach est âgé de 46 ans en moyenne, dispose de 10 à 20 ans d’expérience en entreprise à son actif, qu’il
est souvent un spécialiste des ressources humaines, de formation supérieure (bac+4 à bac +6 en général),
souvent issu d’école de commerce ou d’ingénieur ou diplômé en sciences humaines.
Intériorité Extériorité
Mode du leadership Mode de l’administration
intuition analyse
La vision jugement modèle de décision
(la capacité d’imaginer et convictions personnelles occasions et menaces
de conceptualiser) réalité intérieure du leader réalité politique de la situation extérieure
désir de transformation besoin de transaction
considérations d’éthique considérations de droit
acceptation domination
La position affective ménager mener
intra-individuelle empathie distance
ressentir rationaliser
créer, produire exploiter, reproduire
engagement personnel jeu politique
Le mode d’interaction et implication distance
d’influence communication personnalisée communication médiatisée
jeux de création jeux de compétition
mentor par relations intimes mentor par relations d’estime
qualité de vie (mieux-être) efficacité (richesse)
En s’appuyant sur la philosophie de Dewey, Badaracco (2000, p. 119) explique que certaines
situations managériales obligent à prendre position : « nous forment, nous testent et nous
révèlent à nous-mêmes ». Par exemple dans le cas du management de projets, Declerck (2000,
p.158) met en relief la pertinence de l’accompagnement face à ce qu’il appelle « the
loneliness of the long distance runner ». Au-delà de l’approche leadership, l’accompagnement
permettrait de questionner davantage les dimensions « temps », « durée », « fréquence »,
« intensité », « suspension et ruptures » que suppose de plus en plus souvent le management
25
Lapierre s’appuie principalement sur Zaleznik, Kets de Vries et Miller
La montée en puissance de l’affectif sur la scène sociétale et managériale semble être un trait
caractéristique de la société post moderne. Quand les managers retrouvent le droit d’éprouver
des sentiments, est-ce pour leur demander implicitement de mieux les dominer et de s’en
défaire, quitte à devenir le gestionnaire intégral de leur savoir-être (Bellier-Michel, 1997), ce
savoir-être dont l’utilité sociale réside dans l’instrumentation d’une soumission librement
consentie (Bellier, 1998). Ou bien est-ce pour suggérer aux managers de mobiliser l’ensemble
de leurs ressources socio-cognitives afin de développer des sentiments de compétences
croissants au travers d’expériences réussies dans la lignée du concept de self-efficacy
développé par Bandura (1997, p. 423) : « A subtantial body of reseach shows that beliefs of
personal efficacy play a key role in career development and pursuits ».
Parce que issu du monde du sport (Whitmore, 1998), le coaching, beaucoup plus que le
leadership, invite à la santé du corps, mais suppose également un individu complet, incarné et
complexe à la fois suffisamment fort pour inventer des solutions à ses problèmes et
suffisamment incertain (Ehrenberg, 1996) pour mériter un accompagnement. Cet
accompagnement emprunte aux philosophies traditionnelles, qui n’hésitent pas à se coupler
avec les choix existentiels, permettant dès lors de marier opportunément exercice
entrepreneurial, dynamisme vital et choix existentiels.
Les classiques métaphysiques de l’action sont nécessaires aux organisations qui se pensent
éternels et/ou naturels, ou qui s’appuient sur des principes immuables. Hatchuel (2002), dans
une perspective gestionnaire, propose de les récuser au profit de théories généalogiques et
axiomatiques de l’action collective. L’entreprise peut alors apporter une vision sans
transcendance et artefactuelle du collectif. Elle use de la rhétorique inhérente à l’action
Le coaching en tant que doctrine, pourrait apporter sa pierre dans une entreprise de plus en
plus envisagée comme mortelle, prenant la forme d’un collectif engagé dans l’action, sans
vérité première et sommé de survivre. Les tensions conscientisées par des acteurs amenés à
délibérer, sont autant de sources de constructions inédites, vers une connaissance praticable,
opératoire et actionnable. Il y a alors « inséparabilité de l’action collective et de pensée sur
cette action » (Hatchuel, 2002, p. 18). En favorisant ce lien entre action et pensée, individu et
collectif, le coaching apparaît comme un artefact au service de l’action dans une dynamique
de réflexivité où savoirs et relations sont indissolublement liés.
Le coaching concerne le « sujet ». Ici, le sujet est celui qui vit dans sa conscience de soi,
porteur de son projet, désirant son identité, sujet de lui-même à travers les relations à l’autre.
Il est concerné, au cœur de son identité par ce rapport à l’autre que constitue la relation
asymétrique de pouvoir. De ce point de vue, le coaching invite à réfléchir à l’exercice du
pouvoir nécessaire, de sujet à sujet et non de dominant à dominé. Cette évolution de la notion
de pouvoir « classique » (autorité, hiérarchie) vers la notion de rapports de prescription
implique que l’ensemble des individus concernés négocient et élaborent des systèmes
d’activité convenables à la fois aux exigences de l’éthique et de la production du moment.
Ainsi au pouvoir « d’influence » auquel fait référence le leadership, vient s’ajouter le pouvoir
« contributif » auquel invite le coaching.
Conclusion
Sous des atours aux couleurs de la nouveauté, le coaching adopte une posture paradoxale à
l’instar de celle que l’on peut lire plus globalement pour l’ensemble des Sciences Humaines et
Sociales. De tout temps, des hommes ont entrepris, seuls et ensemble, détenteurs d’un monde
hérité et responsables d’un monde à construire. Héritée de la maïeutique socratique, et issue
du monde du sport, l’étiquette actuelle de « coach » sur certains managers, conseillers,
formateurs, consultants, psychologues, entraîneurs, ne pourrait que témoigner d’une évolution
de mise en forme, de packaging diraient les marketeurs, d’une fonction autrefois existante,
mais non étiquetée, ou du moins pas sous cette appellation à la résonance anglo-saxonne. Le
coaching, notamment dit de deuxième génération avec le « manager coach » et le coaching
d’équipe pourrait prendre le relais du leadership dans les doctrines managériales, la doctrine
leadership ayant elle-même évolué. En effet la prise en compte des importantes et nombreuses
recherches sur le leadership montrent qu’à l’approche par les traits de personnalité a succédé
la prise en compte des styles et des comportements ; la mise en relief de dimensions
contingente, transactionnelle puis transformationnelle du leadership était alors facilitée, mais
laisse en définitive intacte, voire renforcée, et toujours complexe, la responsabilité du
manager en prise avec lui-même, la situation, l’équipe et les objectifs.
Au-delà de cette vision duelle, la vision pragmatique des sciences de gestion permet de
concevoir celles-ci en charge de l’ingénierie des organisations sociales et en lien avec les
théories de l’action collective. Gérer et légitimer ont alors partie liée. Dans cette perspective
gérer suppose une mobilisation consciente de mythes rationnels dans une théorie de l’action
collective qui écarte les métaphysiques nourries de principes et de sujets totalisateurs, propres
à nourrir les débats, mais sources de division récurrente car idéologique, et impropres à une
avancée construite, concertée et co-conçue en intelligence de contexte.
Au plan épistémologique, il convient de rappeler que « l’histoire des idées n’est pas
nécessairement superposable à l’histoire des sciences. Mais comme les savants mènent leur
vie d’homme dans un milieu et un entourage non exclusivement scientifiques, l’histoire des
sciences ne peut négliger l’histoire des idées »26.
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Sans autre indication de lieu, la ville d’édition est Paris.