Droit International Et Cyber-Propagande
Droit International Et Cyber-Propagande
Droit International Et Cyber-Propagande
Études internationales
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1703-7891 (numérique)
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* Alexandre Lodie est doctorant en droit international public rattaché au Centre d’études
sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (Cesice), Université
Grenoble-Alpes.
1. Voir en ce sens l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies qui stipule que : « Les
Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indé
pendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts
des Nations Unies ».
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2. Toutes les citations provenant d’ouvrages en anglais sont présentées ici en traduction libre.
3. Convention sur la cybercriminalité, Budapest, 23 novembre 2001.
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I–L
a qualification complexe de la propagande
en droit international
Si la propagande ne fait pas, en tant que telle, l’objet d’une prohibi-
tion en droit international, les actes de propagande pourraient cepen-
dant constituer un acte international illégal au regard du principe de
souveraineté (A) mais également sur le fondement du principe
de non-intervention (B).
5. L’article 1§2 de la Charte des Nations unies mentionne parmi les buts de l’Organisation
celui de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du
principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d›eux-mêmes, et
prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ».
6. L’article 1§1 commun aux deux Pactes, adoptés en 1966, dispose que « Tous les peuples
ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur
statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».
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7. Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 1961, Nations unies, Recueil des
Traités, vol. 500, p. 95.
8. Charte des Nations unies, San Francisco, 1945.
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9. Voir en ce sens la Résolution 2131 de l’Assemblée générale des Nations unies intitulée
« Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures des États
et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté » qui dispose qu’« [a]ucun
État n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que
ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre État. En conséquence,
non seulement l’intervention armée, mais aussi toute autre forme d’ingérence ou toute
menace, dirigées contre la personnalité d’un État ou contre ses éléments politiques,
économiques et culturels, sont condamnées ».
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II – L
es carences du droit international face à l’émergence
du phénomène de cyber-propagande
Du fait des spécificités du cyberespace, l’application du droit interna-
tional est rendue difficile, car il existe un certain nombre d’obstacles
techniques et juridiques pour attribuer un comportement répréhen-
sible à un acteur étatique (A), ce qui conduit les États à délaisser le
droit international au profit de leur droit interne pour sanctionner les
actes de propagande (B).
10. Voir en ce sens notamment la loi allemande sur l’amélioration du traitement des conte-
nus illicites par les réseaux sociaux (Netzwerkdurchsetzungsgesetz – NetzDG), entrée
en vigueur le 1er octobre 2017.
DROIT INTERNATIONAL ET CYBER-PROPAGANDE 331
Il est notamment dit à propos de ces pirates russes que « les agents du
gru étaient à l’origine des fuites perpétrées par “DCLeaks” et
“Guccifer 2.0.” […] Deux agents russes ont été mis en accusation pour
avoir piraté des ordinateurs destinés à l’administration des élections
de 2016 » (Efrony et Shany 2018 : 616). Autrement dit, si l’on reprend
les critères de mise en œuvre de la responsabilité internationale, il
semblerait que ceux-ci soient réunis. D’après ce qui est allégué, les
individus ayant piraté les serveurs du Parti démocrate feraient partie
des services gouvernementaux russes. Dès lors que ces individus
agissent en leur qualité d’agents du gouvernement, ces actes sont
imputables à l’État. Cependant l’hésitation américaine à invoquer une
violation du droit international est particulièrement intéressante.
Comme nous l’avons dit, la question de savoir si une action de propa-
gande est ou non constitutive d’une violation du droit international
demeure sujette à débats. Par conséquent, les États victimes préfèrent
poursuivre les personnes physiques qui se sont rendues coupables de
tels actes, conformément aux dispositions de leur droit pénal interne,
plutôt que d’invoquer une violation du droit international, sans être
certains de la qualification juridique à retenir, et sans être en mesure
de démontrer sans équivoque l’implication étatique.
Le problème d’un tel comportement est qu’il fait planer certaines
incertitudes concernant le droit international applicable aux activités
dans le cyberespace. Le corpus normatif du droit international paraît
inadapté au nouveau phénomène des cyber-opérations de faible inten-
sité, au premier rang desquelles se trouvent les actions de propa-
gande. En effet, la question qui se pose au sujet de ces opérations
déstabilisantes mais non coercitives est de savoir si elles sont consi-
dérées comme illégales ou simplement inamicales. Comme le sou-
lignent Scott Shackelford, Scott Russell et Andreas Kuehn, « il existe
un grand éventail de cyberactivités qui pourraient mettre à mal la
souveraineté d’un État. Et il n’existe aucun profil clair de comporte-
ment qui serait acceptable au niveau international » (Shackelford,
Russell et Kuehn 2016 : 12).
La solution pour mettre fin à ces incertitudes serait d’élaborer un
traité du cyberespace qui régirait l’ensemble des comportements
interétatiques dans le cyberespace, allant de la simple action de désin-
formation à l’agression armée. Nous pensons par conséquent, avec
Mary Ellen O’Connell, que,
outre le fait qu’il établit des règles claires pour les droits et
devoirs au niveau de la nation sur Internet, un traité peut
clarifier ce qui est autorisé au niveau individuel. Un traité
332 Alexandre Lodie
11. Pour des exemples illustratifs de la vision occidentale, voir l’Appel de Paris pour la
confiance et la sécurité dans le cyberespace (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
2018), ou encore Gestion du risque de sécurité numérique pour la prospérité économique et
sociale. Recommandation de l’ocde et Document d’accompagnement (ocde 2015). Pour des
exemples illustratifs de la vision sino-russe, voir le code de conduite international pour
la sécurité de l’information proposé dans la Lettre datée du 9 janvier 2015, adressée
au Secrétaire général par les Représentants permanents de la Chine, de la Fédération
de Russie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan auprès
de l’Organisation des Nations unies, 13 janvier 2005, A/69/723.
DROIT INTERNATIONAL ET CYBER-PROPAGANDE 333
Conclusion
Les actions de propagande sont protéiformes et de plus en plus fré-
quentes. Elles ne sont pas réellement encadrées par le droit interna-
tional dans la mesure où il n’existe pas de lex specialis du cyberespace
et que le droit international existant est peu adapté à ces nouvelles
formes d’ingérences étrangères. En effet, le principe de souveraineté
n’est pas universellement reconnu comme une norme applicable aux
actions dans le cyberespace. Le principe de non-intervention, quant
à lui, est défini en droit international de manière restrictive, de telle
manière qu’une action de propagande a peu de chance de répondre
à cette qualification. Une solution intermédiaire serait de reconnaître
l’existence d’un principe de non-ingérence, qui serait atteint dès lors
qu’un État ferait l’objet d’une intervention non coercitive venant de
l’étranger, cependant un tel principe n’est pas reconnu en l’état actuel
du droit international. Les États, assez logiquement, se tournent vers
leur droit interne afin de sanctionner ces actions de propagande.
Cependant, nous sommes d’avis que seule l’adoption d’un traité du
cyberespace, qui aurait vocation à réguler l’ensemble des rapports
334 Alexandre Lodie
Alexandre Lodie
Université Grenoble-Alpes
Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (cesice)
Grenoble
France
alexandre.lodie@univ-grenoble-alpes.fr
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