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Analyse Du Roman-Converti

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Module : Analyse du roman

Semestre 3

Préparé par : Mme. ABDELOUAHED

Année universitaire : 2020-2021

55 pages

1
Les éléments du contexte

I. EMILE ZOLA (1840-1902)

1. LES DATES IMPORTANTES DE LA VIE DE ZOLA

1840 : Naissance d'Emile Zola à Paris


1847 : Mort du père d'Emile : François Zola
1862 : Zola entre à la librairie Hachette comme employé pour dev1enir chef de
la publicité deux ans plus tard.
1866 : Zola quitte la librairie Hachette.
1870 : Zola épouse Gabrielle-Alexandrine Melay, sa compagne depuis cinq ans.
1871 : Zola débute son cycle des Rougon-Macquart.
1877 : Zola obtient son premier gros succès littéraire avec son roman
l'Assommoir.
1878 : Zola achète sa maison de Médan :" Une cabane à lapin "
1888 : Zola débute une liaison avec l'ancienne lingère de sa femme : Jeanne
Rozerot
1889 : Zola découvre les joies de la paternité avec la naissance de sa fille Denise
qu'il a eue avec Jeanne Rozerot
1891 : Zola devient à nouveau père d'un petit garçon : Jacques, deuxième enfant
de sa maîtresse
1893 : Zola achève ses Rougon-Macquart avec le dernier volume : Le Docteur
Pascal.
1897 : Zola publie son premier article en faveur de Dreyfus
1898 : Zola publie sa lettre ouverte au Président de la République : "J'accuse". Il
quitte la France pour l'Angleterre afin d'échapper à sa condamnation d'un an
de prison.
1899 : Zola rentre en France après l'arrêt de révision du procès Dreyfus.
1900 : Zola écrit trois articles à la mémoire de son père afin de répondre aux
articles diffamatoires le concernant parus durant l'Affaire Dreyfus.
1902 : Emile Zola est retrouvé sans vie dans son appartement parisien suite à
une asphyxie due au mauvais tirage de sa cheminée, bouchée par des pierres.
Accident ou acte intentionnel ?

2. LA VIE ET L’OEUVRE

Après une période de ferveur romantique, le jeune Zola découvre les


ressources que la science peut fournir au romancier. Il conçoit alors une
œuvre monumentale, Les Rougon-Macquart. Un de ses romans,

2
L'Assommoir, triomphe : Zola devient alors le chef de l’école naturaliste.
Enfin, converti aux doctrines socialistes, il consacre ses dernières années à
des œuvres de propagande sociale et humanitaire.

• DU ROMANTISME AU NATURALISME (1840-1877)

Né d'une mère française et d'un père italien naturalisés, Emile Zola passe son
enfance à Aix et achève ses études secondaires à Paris. Il nourrit un culte pour
les romantiques et déteste le réalisme, qui peint « des sujets dénués de
poésie ». Un échec au baccalauréat le contraint à gagner sa vie : il travaille
aux docks, puis entre dans les services de la publicité à la librairie Hachette.
En 1865, il devient journaliste.
Son nouveau métier l'oblige à compléter une culture assez rudimentaire. Sous
l'influence de Taine et de Claude Bernard, il conçoit le roman comme une
œuvre scientifique qui doit étudier « les tempéraments et les modifications
profondes de l'organisme sous la pression des milieux et des circonstances ».
Thérèse Raquin (1867), où le remords est étudié comme un « désordre
organique », puis Madeleine Férat (1868), illustrent ses nouveaux principes.
En 1868, Zola a l'idée « de réunir tous ses romans par la réapparition des
personnages » et de faire pour le Second Empire ce que Balzac avait fait pour
la Restauration et pour la monarchie de Juillet. L'ensemble de son œuvre sera
intitulé Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous
le Second Empire. Chaque jour, il rédige un nombre égal de pages et fait
alterner portraits et paysages avec une « symétrie de damier ». Il brasse un
univers de plus de mille personnages et décrit la vie provinciale après le coup
d'État (La Fortune des Rougon, 1871) ; le carreau des Halles (Le Ventre de
Paris, 1874); les milieux ecclésiastiques (La Conquête de Plassans, 1875, La
Faute de l’abbê Mouret, 1875) ; la Cour impériale (Son Excellence Eugène
Rougon, 1876).

3
• LA CAMPAGNE NATURALISTE (1877-1893)
En I 87 7 3 L'Assommoir, un roman qui se déroule dans le monde ouvrier et
qui peint avec un relief cruel la déchéance de l’homme par l'alcool, est
accueilli avec enthousiasme. La presse littéraire signale la naissance d'une
« école naturaliste ». Quelques jeunes écrivains, Paul Alexis, Henri Céard,
Joris-Karl Huysmans, Léon Hennique, Guy de Maupassant, prennent
l'habitude de se réunir chez Zola, rue Saint-Georges, puis dans sa villa de
Médan, près de Paris. Ils conçoivent l'idée d'un recueil collectif de nouvelles,
Les Soirées de Médan (1880). Désormais sûr de lui, Zola se lance dans une
campagne ardente. Il définit son esthétique dans Le Roman expérimental
(1880) puis dans Le Naturalisme au théâtre (1881) et Les Romanciers
naturalistes (1881). En même temps, il publie de nouveaux romans : Une
Page d'amour, Nana, Pot-Bouille, Au Bonheur des dames, La Joie de vivre.
En 1885 triomphe Germinal, son chef-d'œuvre, où la rude vie des mineurs est
décrite avec une puissance épique.
En 1887, après la publication de La Terre, un roman consacré à la peinture
du monde paysan, quelques disciples de Zola éprouvent le besoin de protester
contre « la littérature putride » et, dans le Manifeste des Cinq, se
désolidarisent de leur maître. Sans se décourager, Zola, après un essai de
conte bleu (Le Rêve, 1888), publie La Bête humaine (1890), un drame de la
jalousie qui se dénoue sur la plate-forme d'une locomotive ; puis, de 1891 à
1893, L'Argent, La Débâcle, enfin Le Docteur Pascal (1893). Ainsi s'achève
le cycle des Rougon-Macquart.

• LA PROPAGANDE HUMANITAIRE (1893-1902)


En se renseignant sur le monde ouvrier, Zola s'est initié au socialisme.
Cette doctrine répond à ses aspirations généreuses; il y adhère. L'affaire
Dreyfus lui fournit une occasion de passer à l'action : Zola, convaincu de
l'innocence du capitaine, dénonce les responsables dans un retentissant article,
4
J'accuse ; il est poursuivi, condamné à un an de prison « pour outrages à
l'armée » et se réfugie en Angleterre, d'où il revient, en 1899, lorsque Dreyfus
est gracié.
Dans ses derniers ouvrages, il met le roman au service de sa foi sociale. Il
évoque trois cités modernes, Lourdes, Rome, Paris (1894-1898); puis il ouvre
un nouveau cycle, celui des Quatre Évangiles, Fécondité, Travail, Vérité,
Justice (1899-1902), où il exalte les luttes du peuple et décrit la Cité future

3. LE ROMANCIER
Orphelin de père à 7 ans, il vit dans une grande gêne financière. Au collège
d'Aix il se lie d'amitié avec Paul Cézanne, avec qui, plus tard, il va jeter à
bas toutes les conventions de l'art. Il flâne dans les rues de Paris, fréquente
les ateliers de peinture et écrit des vers. Après une désillusion amoureuse, il
tourne le dos à l'élégie romantique et s'inscrit à la rude école du réel. De ses
débuts littéraires datent également les Contes à Ninon, fortement
romantiques. Comme journaliste, il défend les peintres impressionnistes et
surtout Manet. La publication du roman naturaliste Thérèse Raquin (1867) le
rend célèbre dans le monde littéraire. De 1871 à 1893, il fait paraître les 20
romans qui forment la grande fresque intitulée Les Rougon-Macquart; c'est
une œuvre qui illustre ses principes naturalistes. Il se marie en 1870 avec
Alexandrine Meley; en 1888 il rencontre Jeanne Rozerot, une lingère
embauchée par sa femme. Zola commence à mener une vie double, qui le
désespère. Il est un anxieux, un obsessionnel et un compulsif; il ne peut pas
supporter la foule et les cauchemars de claustration lui sont familiers.

Œuvres essentielles : 1864: Contes à Ninon; 1865: La Confession de Claude;


1867: Thérèse Raquin; 1871-1893: Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et
sociale d'une famille sous le Second Empire (Les romans qui forment cette vaste
fresque de la société française sont:1871: La Fortune des Rougon;1872: La

5
Curée;1873: Le Ventre de Paris;1877: L'Assommoir;1880: Pot-Bouille;1883: Au
bonheur des dames;1885: Germinal;1886: L'œuvre;1887: La Terre;1890: La
Bête humaine;1891: L'Argent; 1892: La Débâcle; 1893: Le Docteur
Pascal;1894: Les Trois Villes: Lourdes;1896: Rome;1898: Paris);1899:
Fécondité; 1901: Travail; 1903 (posth.): Vérité.
Zola réussit, grâce à son tempérament, à échapper à l'étroitesse de sa doctrine et
à créer dans ses romans une atmosphère hallucinante.
Son œuvre majeure, le cycle des Rougon-Macquart, prétend être une étude des
tares héréditaires qui se répercutent, à travers les milieux les plus variés, sur cinq
générations successives d'une seule famille, qui est repartie en deux branches: la
branche légitime et la branche bâtarde. Une fatalité sociale primordiale distingue
l'une de l'autre la branche légitime, qui court à la richesse et aux honneurs, et la
branche bâtarde, qui se confine dans la misère, le vice, la marginalité et le crime.
L'univers romanesque des Rougon-Macquart fait de la succession des
générations un principe de succession des œuvres dans le cycle (à l'Assommoir,
le roman de Gervaise, de la mère, succède Nana, le roman de la fille, puis
l'Œuvre, le roman du fils).
Pour réaliser ces volumes, Zola se documente minutieusement; il fouille son
univers social pour dévoiler tous les secrets d'un monde déchiré de
contradictions. Chaque œuvre apparaît, d'une part, comme une étape d'un long
périple qui traverse tous les milieux sociaux de l'époque, et de l'autre, comme
une matrice de transtextualisation.
Par exemple, dans La Curée, sur le fond des jeux et des misères du monde des
spéculations bancaires, se trouve l'histoire de Renée, l'épouse d'Aristide Saccard,
qui devient l'amante de Maxime, fils d'un premier mariage de son mari. Bafouée
par les deux hommes, elle meurt. La Curée devient ainsi un hypertexte de
Phèdre, une transformation qui n'est ni un pastiche, ni une parodie, mais une
adaptation centrée sur le motif de l'inceste. Aussi peut-on dire que l'œuvre-
source Phèdre fournit sa matrice structurelle entière à l'œuvre-cible La Curée;

6
mais le système des personnages et, en général, toute la dynamique tragique du
roman zolien obéissent à un autre code historique, social, idéologique et
esthétique que ceux mis en œuvre par Racine. Les critiques parlent de ce roman
comme d'un livre-miroir, car Zola affiche explicitement au centre de son roman
le motif mythique et dramaturgique qui en est la source. Renée, Saccard et
Maxime assistent un soir à la représentation de Phèdre et découvrent sur la
scène du théâtre des Italiens leur propre histoire (même si Phèdre ne sera jamais
la maîtresse d'Hippolyte). Renée assiste ainsi par anticipation à ce que lui
promet sa propre destinée. Le roman joue avec lui-même et avec sa genèse. Le
texte se regarde dans le miroir de son intertexte, qui est aussi son avant-texte; les
personnages se découvrent et se doublent dans le miroir que leur tend le
spectacle. On a donc affaire à une double mise en abyme: celle de l'intrigue et de
ses personnages et celle d'un motif qui court à travers tout le roman, celui du
double (Renée devant sa glace, Renée devant la prostituée du boulevard, Renée
devant Phèdre etc.) Tout est donc ici reflet, dédoublement équivoque.
Germinal (1885), le chef-d'œuvre de Zola, est un roman d'enquête sur la
condition ouvrière et sur le travail des mines aux alentours de 1880. C'est le
treizième du cycle des Rougon-Macquart et a pour sujet la condition des
mineurs, dont il évoque le mode misérable de vie, le travail pénible, douloureux,
et les luttes syndicales. Etienne Lantier, fils de Gervaise Macquart, est un jeune
ouvrier intelligent et sincère qui travaille dans une mine du Nord. Au moment où
dans la mine éclate une lutte sociale violente, il essaie en vain de l'organiser; les
mineurs sont exterminés et Lantier comprend que son échec est dû à un manque
de méthode et décide de se rendre à Paris pour tenter une action sociale plus
cohérente.
Pour réaliser ce roman, Zola séjourne deux mois dans la région minière d'Anzin
et descend dans une mine. Le roman contient également des réminiscences
mythiques: Etienne Lantier défiant le Voreux avant de plonger dans le
labyrinthe de ses galeries fait penser à Thésée affrontant le Minotaure, dévoreur

7
des jeunes gens d'Athènes. D'autre part, il se transforme en figure orphique au
moment où il laisse derrière lui Catherine morte avant de remonter du fond de
l'enfer minier. En outre, Lantier forme avec Chaval un couple antagonique (on
peut y percevoir un souvenir des frères ennemis de la Thébaïde).

II. LE XIXE SIECLE : HISTOIRE, SOCIETE ET CULTURE


1. QUELQUES DATES

Le XIXème siècle s'étend de 1789 à 1914. C’est la période littéraire la plus


longue et la plus riche. Quelques dates marquent l’histoire de ce siècle :

1800 - Napoléon Bonaparte, sacré empereur en 1804, s'empare du pouvoir et fait


la conquête de presque toute l'Europe. Cette période est connue dans l'histoire
sous le nom d'Empire. Bonaparte supprime les libertés acquises par les
citoyens français au moment de la Révolution de 1789, ce qui ramène
progressivement la France à une monarchie absolue;

1815 - la France est vaincue par les Anglais et les Prussiens lors de la bataille de
Waterloo (déroulée le 18 juin 1815), qui est perçue comme un désastre
provoquant la chute de Napoléon Bonaparte. Les Bourbons reviennent au
trône, ce qui donne à cette période historique le nom de Restauration. On
assiste au règne de Louis XVIII, suivi par celui de Charles X, dont le règne
provoque de vifs mécontentements de la population parisienne, qui se révolte
et dresse des barricades;

1830 - pendant trois jours, (les « Glorieuses »), les 27, 28 et 29 Juillet, c'est
l'instauration de la Monarchie de Juillet, lors de laquelle Louis-Philippe
remplace la monarchie dite « de doit divin » par la monarchie dite
« bourgeoise » des Orléans ;

1848 - Napoléon Bonaparte proclame la IIe République, ce qui met fin à la


Monarchie de Juillet ;

8
1852 - Louis Napoléon Bonaparte (Napoléon III) s'empare du pouvoir et règne
pendant une vingtaine d'années, jusqu'en 1870. Période appelée le Second
Empire ;

1870 - la guerre franco-prussienne, doublée par la capitulation des Français à


Sedan. Le gouvernement provisoire installé pendant ces moments
dramatiques est prêt à abandonner le pays aux mains des envahisseurs
étrangers, aussi la population parisienne se soulève-t-elle de nouveau pour
proclamer la Commune de Paris et ensuite la IIIe République, forme de
gouvernement de la France moderne.

2. SOCIETE ET CULTURE

Le XIXe siècle est une période très mouvementée, assez instable sur le plan
politique et social, mais très riche sur le plan de la connaissance et de la
littérature.

A. Sur le plan politique

La période du XIXe siècle est marquée en France par instabilité politique et


par nombreux changements des régimes. Pendant ce temps, on a changé en
France huit régimes politiques : on a établi en France le Consulat (17991804),
l'Empire (1804-1814), deux Restaurations (1814-1830), une Monarchie de
Juillet (1830-1848), la Seconde République (1848-1852), Second Empire (1852-
1870) et à la fin du XlXe siècle on avait instauré la Troisième République qui
avait duré jusqu'à 1940. Les Français ont changé tous les régimes politiques et
plusieurs rois, monarques et empereurs à partir de Napoléon Bonaparte, Louis
XVIII ou Napoléon III,

B. Sur le plan soci-culturel

Les changements politiques sont accompagnés par des changements sociaux


et culturels. Pendant le XIXe siècle la société s'industrialise et beaucoup de

9
découvertes, courants et styles artistiques sont nés. Beaucoup de gens croit à la
science et au progrès. Ces découvertes ont, au fil de temps, formé l'image d'une
nouvelle société française.

C. Sur le plan scientifique

Parmi les bouleversements scientifiques et techniques les plus importantes,


on peut mentionner la naissance de la locomotive, monsieur Champollion a
réussi à déchiffrer les hiéroglyphes, on a inventé la photographie, le télégraphe,
le téléphone et le cinéma. On a fait de grands progrès dans le domaine de la
science et médecine. On a trouvé vaccin contre la rage et les rayons X et Charles
Darwin a publié sa théorie de l'évolution... Grâce à la révolution industrielle, une
société totalement nouvelle se forme - une société moderne, que nous
connaissons dans sa forme actuelle.

Avec les prodigieuses découvertes scientifiques et techniques (la machine à


vapeur, le moteur électrique, la photographie, le télégraphe, le téléphone, le
ciment, les gratte-ciel… l'homme et les sciences humaines occupent une place
privilégiée dans la pensée et la connaissance L'homme devient « un objet
d'investigation scientifique ».

Jusqu'au XVIIIe siècle, il était considéré comme un être homogène, faisant


harmonieusement partie de l'univers ; on lui dessine dès 1800 une nouvelle
représentation et il apparaît comme un individu divisé, problématique,
complexe. L'image de l'homme sensible et timide, surtout dans la première
moitié du siècle est exploitée en littérature de manière très fréquente.

A LIRE

FURET, François. La Révolution française. Terminer la Révolution. De Louis


XVIII a Jules Ferry (1814-1880). Hachette Pluriel Editions, 2007.

TADIE, Jean-Yves, Introduction à la vie littéraire du XIXème siècle, Paris,


Bordas, 1984.

10
III. Le contexte littéraire de l’œuvre

1. Le naturalisme : définitions

11
12
Bénac, Henri, Nouveau vocabulaire de la dissertation et
des études littéraires, Paris, Hachette, 1972, pp. 131-132.

13
Dès le XVIIe siècle, les savants utilisent le terme «naturalisme» pour
désigner « l'étude rationnelle des phénomènes naturels ». Rien n'existe donc en
dehors de la nature ; en outre, pour Denis Diderot, «naturaliste» est synonyme
d'« athée »: « Les naturalistes sont ceux qui n'admettent point de Dieu, mais qui
croient qu'il n'y a qu'une substance matérielle ». (L'Encyclopédie, 1765)

Les romanciers du XIXe siècle reprennent ce terme pour désigner le roman dont
l'objectif essentiel est la description exacte et scientifique des milieux sociaux.
Zola utilise ce terme pour la première fois au XIXe siècle, en 1868, lors de la
publication de son roman Thérèse Raquin; ce roman marque l'apogée de
l'esthétique de la vérité, caractéristique des années 1860-1880, dans le
prolongement du réalisme. Les réalistes se réclamaient de l'observation de la
nature; les naturalistes vont plus loin: ils en font l'expérimentation.

Ce courant littéraire est influencé par la révolution industrielle, par le


développement des sciences naturelles, par la confiance dans la méthode
expérimentale et dans le progrès. Le naturalisme est le produit de l'urbanisation,
des conflits violents qui traversent la vie et de la déchéance que la ville
précipite.

Pour les naturalistes, l'homme est un être naturel, influencé par le


développement de la nature, dont destin est déterminé sous l'influence de sa
hérédité et sous l'action de ses instincts. décrire l'homme comme un être naturel
dont caractère est prédéterminé non seulement par l'hérédité mais aussi par le
milieu dans lequel il vit.
La nouvelle génération demande, elle aussi, une nouvelle forme d'expression. En
outre, le naturalisme naît en réaction avec d'autres mouvements; selon Zola, est
naturaliste «tout écrivain qui emploie la forme scientifique, étudie le monde par
l'observation et l'analyse en niant l'absolu, l'idéal révélé et irrationnel». Ce type
d'écriture romanesque réagit ainsi contre l'idéalisme et le romantisme. Zola renie

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les romantiques à cause de la primauté, dans leur tempérament, de l'imagination
sur l'observation et de la sensibilité idéaliste sur la raison réaliste:

«Le roman expérimental est une conséquence de l'évolution


scientifique du siècle; il continue et complète la physiologie, qui
elle-même s'appuie sur la chimie et la physique; il substitue à
l'étude de l'homme abstrait, de l'homme métaphysique, à l'étude de
l'homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé
par les influences du milieu; il est en un mot la littérature de notre
âge scientifique, comme la littérature classique et romantique a
correspondu à un âge de scolastique et de théologie ». (Emile Zola,
Le roman expérimental)

L'idéal des naturalistes est lié au goût de la recherche, appuyée sur «le plus
grand nombre de sciences» ; selon Zola, « le roman est devenu une enquête
générale sur la nature et sur l'homme ».

Le roman naturaliste n'est plus seulement une reproduction fidèle et objective de


la vie ; elle se propose de devenir l'instrument de l'observation et de l'expérience,
du phénomène biologique et social, et permet de dévoiler les déterminismes
héréditaires et les lois du milieu qui conditionnent le comportement humain. Ce
mode de pensée implique l'élimination du hasard : rien ne se produit sans avoir
une cause ; en outre, la connaissance des lois de l'évolution de l'homme permet
de prévoir ses états futurs.

2. Influences
• Le positivisme
« Doctrine philosophique qui tire son nom du Cours de
philosophie positive d'Auguste Comte, disciple de Saint-Simon
et inventeur de la sociologie. Contre l'idéalisme, contre les
religions et la métaphysique, il affirme la supériorité de l'étude

15
positive et scientifique des faits. Le bonheur naîtra pour
l'homme de la connaissance des lois scientifiques et
sociologiques. Les idées positivistes se répandirent dans tous les
secteurs de la pensée, philologie, critique littéraire, histoire,
médecine, etc. La Médecine expérimentale de Claude Bernard,
par exemple, qui marqua tellement Zola, est issue du
positivisme. L'influence de ce mouvement de pensée fut très
grande sur des auteurs comme Littré, Taine ou Renan, mais
aussi sur les poètes alors même qu'ils affirmaient l'art pour l'art.
Le tableau des religions antiques qui apparaît chez Leconte de
Lisle est par exemple à mettre au compte de l'idée positiviste
que le travail critique sur le passé pourrait libérer les hommes
de toute forme de servitude. »
GARDES-TAMINE, Joëlle et HUBERT, Marie-Claude, Dictionnaire de
critique littéraire, Paris, Armand Colin, 1993, pp. 161.

La philosophie positiviste d'Auguste Comte joue un grand rôle dans le contexte


socioculturel de ce courant littéraire, car elle cherche à s'appuyer sur les faits
réels, «positifs » et à ne réfléchir qu'à partir de certitudes précises, pour ne pas
donner lieu à des divagations oiseuses. Il s'agit de partir des faits.

L'influence de la philosophie de Comte ne se manifeste qu’à l’époque du Second


Empire grâce à un certain nombre de successeurs comme Littré ou Taine.
Philosophe et historien Hippolyte Taine a influencé le développement de la
littérature française naturaliste par la théorie de déterminisme. Il a affirmé que la
psychologie est seulement une branche de la physiologie et que l’étude de la
nature humaine n'est rien de plus que l'étude du tempérament et du milieu
physique qui déterminent la vie humaine. Donc, tout dans la vie humaine est
déterminé par plusieurs facteurs. Taine a aussi appliqué les méthodes positiviste
et sociologique à l'étude de la littérature. Dans son œuvre Histoire de la

16
littérature anglaise (1864) il présente une vie des hommes déterminée par
plusieurs facteurs par exemple par le tempérament, l’intégration ethnique, le
milieu naturel, physique et social et par l’époque dans lequel il vivait.

La nouvelle génération demande, elle aussi, une nouvelle forme d'expression. En


outre, le naturalisme naît en réaction avec d'autres mouvements ; selon Zola, est
naturaliste «tout écrivain qui emploie la forme scientifique, étudie le monde par
l'observation et l'analyse en niant l'absolu, l'idéal révélé et irrationnel». Ce type
d'écriture romanesque réagit ainsi contre l'idéalisme et le romantisme. Zola renie
les romantiques à cause de la primauté, dans leur tempérament, de l'imagination
sur l'observation et de la sensibilité idéaliste sur la raison réaliste: « Le roman
expérimental est une conséquence de l'évolution scientifique du siècle; il
continue et complète la physiologie, qui elle-même s'appuie sur la chimie et la
physique; il substitue à l'étude de l'homme abstrait, de l'homme métaphysique, à
l'étude de l'homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par
les influences du milieu; il est en un mot la littérature de notre âge scientifique,
comme la littérature classique et romantique a correspondu à un âge de
scolastique et de théologie ». (Emile Zola, Le roman expérimental)

17
• L’expérimentalisme de Claude Bernard

Claude Bernard est considéré comme le fondateur de la médecine


expérimentale. Dans son œuvre Introduction à l'étude de la médecine

18
expérimentale, il a décrit les règles d’une nouvelle méthode de la recherche,
utilisée par des chimistes ou des biologistes - les règles de la méthode
expérimentale.
“L'expérience n'est au fond qu'une observation provoquée dans un
but quelconque. Dans la méthode expérimentale, la recherche des
faits, c'est-à-dire l'investigation, s'accompagne toujours d'un
raisonnement, de sorte que le plus ordinairement l'expérimentateur
fait une expérience pour contrôler ou vérifier la valeur d'une idée
expérimentale. Alors on peut dire que, dans ce cas, l'expérience est
une observation provoquée dans un but de contrôle”.
BERNARD, Claude. Introduction à l'étude de la
médecine expérimentale [en ligne] p. 32.

La méthode expérimentale consiste à «faire mouvoir les personnages dans une


histoire particulière pour y montrer que la succession des faits y sera telle que
l'exige le déterminisme des phénomènes mis à l'étude ». Le roman naturaliste
devient ainsi «une expérience véritable que le romancier fait sur l'homme en
s'aidant de l'observation ». Cette méthode de l'observation qui porte sur « les
faits de la nature » doit être doublée de l'expérimentation, qui met en lumière «
le mécanisme des faits ».

D'ailleurs, l'expérience scientifique est « une observation provoquée dans un but


de contrôle». Si l'observation «montre», l'expérience «instruit». Claude Bernard
expliquait en effet que «l'expérimentateur est celui qui, en vertu d'une
interprétation plus ou moins probable, mais anticipée, des phénomènes observés,
institue l'expérience que, dans l'ordre logique des prévisions, elle fournisse un
résultat qui serve de contrôle à l'hypothèse ou à l'idée préconçue».

Zola applique la méthode expérimentale à la littérature et la théorie de


l’observation est devenue la base pour l’écriture des romans naturalistes. Ses
romans sont le résultat d’un travail sur terrain, Il a précisément observé et décrit

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tous les endroits pour pouvoir le plus fidèlement possible documenter une réalité
absolument exacte.
“L'observateur chez lui donne les faits tels qu’il les a observés, pose
le point de départ, établit le terrain solide sur lequel vont marcher
les personnages et se développer les phénomènes. Puis
l'expérimentateur paraît et institue l'expérience, je veux dire fait
mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y
montrer que la succession des faits y sera telle que l'exige le
déterminisme des phénomènes mis à l'étude. C'est presque toujours
ici une expérience « pour voir », comme l'appelle Claude Bernard.”
Le Roman expérimental, Émile Zola, 1880
Le roman naturaliste est basé sur une documentation de la réalité par la méthode
scientifique de l’observation. À partir de l'observation du réel, le romancier
formule des hypothèses (notamment concernant des lois qui s’occupent de
l'homme et de la société), puis il accomplit ses propres expériences pour les
vérifier. Il devient une sorte de laboratoire, où se formulent des hypothèses qui
permettent au romancier expérimentateur de vérifier leur validité. Ils choisissent
un cadre des personnages et les confrontent à une intrigue et observent comment
se déterminent le comportement des hommes et régissent leurs comportements
dans la société.

De même, l'expérimentateur littéraire doit insister sur le déterminisme des


phénomènes mis à l'étude. Le roman doit être une enquête ancrée dans un certain
milieu. Il doit analyser l'homme entièrement expliqué par la physiologie et le
milieu où il vit. Pour ce faire, Zola mène des enquêtes sur le terrain et remplit de
nombreux dossiers préparatoires.

20
• Le déterminisme scientifique
➢ La notion de l’hérédité
Dr. Prosper Lucas a publié une étude qui s’occupe de la théorie de
l’hérédité : Traité philosophique et physiologique de l’Hérédité naturelle dans
les états de santé et de maladie du système nerveux.

Lucas s’efforce de capturer dans son travail les diverses anomalies, physiques ou
morales, comme les maladies psychiques, la folie ou les tendances à la
criminalité et il a expliqué leurs naissance par l’action de l’hérédité.

Zola intègre cette étude dans son dernier ouvrage de la série des Rougon-
Macquart, dans Le Docteur Pascal. C’est un œuvre dans lequel Zola conclut
l’histoire de la famille et où il explique pourquoi il a élaboré l’arbre
généalogique de cette famille L’hérédité est un motif central des Rougon-
Macquart et pour cette raison Zola a élaboré l’arbre généalogique de la famille
où il pouvait montrer l’influence de l’hérédité dans la vie des personnages. Il a
créé les personnages avec de diverses maladies psychiques (comme p.ex.
l’alcoolisme, la folie) et il avait observé comment ces maladies, sous l’influence
de l’hérédité, se transmettaient de génération en génération.

➢ Taine et L’influence du milieu

Le naturalisme s'inspire des théories du philosophe Taine pour qui


l'homme est conditionné par trois facteurs : la race, le milieu et le moment. On
parlera de déterminismes biologiques (hérédité / « la race ») et de déterminismes
sociaux et historiques (le « milieu » et le « moment »).

Pour Zola, comme pour Taine, l'homme est soumis au déterminisme universel :
les sentiments et les caractères sont rigoureusement prédestinés par des lois
analogues à celles qui forment le support de la biologie et de la physiologie. Le
roman doit être une annexe de l'histoire naturelle et de la médecine. Dans la
Préface de L'Assommoir, Zola continue à affirmer son ambition d'être un peintre

21
véridique des classes populaires : « C'est une œuvre de vérité, le premier roman
sur le peuple qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple ».

Tout au long de sa carrière, Zola s'est comparé soit au médecin dans


l'amphithéâtre, soit au chirurgien disséquant les cadavres, soit au philologue
rassemblant des exercices du langage populaire. Lors de la publication de ce
roman qui décrit cruellement la déchéance de l'homme par l'alcool, la presse
littéraire signale la naissance d'une «école naturaliste».

L'expérience naturaliste de Zola a le pouvoir de métamorphoser le réel en lui


conférant un statut de mythe : l'alambic et l'absinthe dans L'Assommoir, le
Voreux dans Germinal, Paris dans La Curée, le Carreau des Halles dans Le
Ventre de Paris, la Mine dans Germinal. Sa vision est parfois si intense qu'elle
communique aux objets inanimés une vie mystérieuse et gigantesque.

➢ Le projet des Rougon-Macquart

En 1862, Zola est très ambitieux et a un grand projet. Il veut faire l’histoire
d’ « une grande famille en dix volumes », comme il le dit aux frères Goncourt. Il
a 28 ans et écrit un petit texte intitulé « les différences entre Balzac et moi » (fin
du cinquième volume de la pléiade).
« Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une
seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par le
milieu ».
Zola, Le roman expérimental
Le sous-titre des Rougon-Macquart est «Histoire naturelle et sociale d’une
famille sous le Second Empire ».
• Histoire : ou fiction, ou compte rendu de son époque.
• Naturelle : il étudie cette famille comme un biologiste.
• Sociale : grâce aux trois branches de la famille, Zola a touché toutes
les couches de la classe sociale.
22
• Famille : traité de l’hérédité.
• Dans le Second Empire : la famille est « modifiée par le milieu ». Il
y a des circonstances politiques et historiques.
Le cycle se compose de vingt romans suivants : La Fortune des Rougon
(1871) c’est le premier roman de la série des RougonMacquart. Ce roman
contient l'introduction à l'ensemble de ce cycle. L'action se déroule à Plassans,
dans une ville située au sud de France dans le moment du coup d’État de Louis
Napoléon en1851.

« Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d'êtres, se


comporte dans une société, en s'épanouissant pour donner naissance
à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d'œil,
profondément dissemblables, mais que l'analyse montre intimement
liés les uns aux autres. L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur. Je
tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des
tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement
d'un homme à un autre homme… Physiologiquement, ils sont la
lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent
dans une race, à la suite d'une première lésion organique, et qui
déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette
race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les
manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits
prennent les noms convenus de vertus et de vices. Historiquement,
ils partent du peuple, ils s'irradient dans toute la société
contemporaine, ils montent à toutes les situations…»
ZOLA, Émile. Préface de La Fortune des
Rougon. p. 3.

23
• Histoire des Rougon-Macquart
L’Histoire de notre famille commence par Adélaïde Fouque, dite Tante Dide,
née en 1768 à Plassans. Elle se marie avec Rougon, un jardinier avec qui a un
fils Pierre Rougon. Mais son mari meurt et elle prend pour amant Macquart avec
qui a encore deux enfants, un fils Antoine Macquart et une fille Ursule
Macquart. À partir de ce moment, la famille se divise en deux branches :
Rougon et Macquart.
Adélaïde Fouque est hystérique et devient finalement folle. Son amant Macquart
est un ivrogne, seulement Rougon est en bonne santé. Dans la série, Zola décrit
cinq générations de cette famille et dans la plupart des cas, il se manifeste auprès
des descendants l’une de ces maladies nerveuses.
Les membres de cette famille se pénètrent dans toutes les couches sociales
et occupent divers postes. Les Rougon- Macquart sont tout d’abord paysans.
Rougon est un jardiner et Macquart contrebandier, mais au fil du temps ils se
pénètrent dans des milieux sociaux différents. La branche des Rougon entre dans
le monde de la petite bourgeoisie et puis passe dans le monde de la haute
société. La branche de Macquart se compose plutôt de petits commerçants ou
des ouvriers (la plupart alcooliques). Une caractéristique typique de ce cycle est
le mélange de caractères dans plusieurs romans, où on peut voir comment elles
se développent.

Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire


Préface d’Emile Zola pour La Fortune des Rougon
Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se
comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à
vingt individus, qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément
dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres.
L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

24
Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des
tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme
à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j’aurai entre les
mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l’œuvre, comme acteur
d’une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts,
j’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la
poussée générale de l’ensemble.
Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a
pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre
âge, qui se rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la lente succession
des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d’une
première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun
des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les
manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les
noms convenus de vertus et de vices. Historiquement, ils partent du peuple, ils
s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les
situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses
classes en marche à travers le corps social, et ils racontent ainsi le Second
Empire, à l’aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d’État à la
trahison de Sedan.
Depuis trois années, je rassemblais les documents de ce grand ouvrage, et
le présent volume était même écrit, lorsque la chute des Bonaparte, dont j’avais
besoin comme artiste, et que toujours je trouvais fatalement au bout du drame,
sans oser l’espérer si prochaine, est venue me donner le dénouement terrible et
nécessaire de mon œuvre. Celle-ci est, dès aujourd’hui, complète ; elle s’agite
dans un cercle fini ; elle devient le tableau d’un règne mort, d’une étrange
époque de folie et de honte.
Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma pensée,
l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire. Et le premier

25
épisode : la Fortune des Rougon, doit s’appeler de son titre scientifique : les
Origines.
Émile Zola.
Paris, le 1er juillet 1871.

DISCUSSION

En 1871, Zola écrit dans la préface du premier roman de la série des


Rougon Maquart :
« Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se
comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à
dix, à vingt individus, qui paraissent, au premier coup d’œil,
profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés
les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.
Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question
des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement
d’un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand
j’aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à
l’œuvre, comme acteur d’une époque historique, je le créerai agissant
dans la complexité de ses efforts, j’analyserai à la fois la somme de
volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l’ensemble. »

Plusieurs thèmes se développent dans cette préface qui fonctionne comme


un programme.

Tout d’abord, il faut remarquer ici que l’auteur utilise un vocabulaire qui
rapproche de l’homme de science. Il a :
• une thèse qu’il formule de manière très claire : « l’hérédité a ses lois
comme la pesanteur ».

26
• une matière : une « famille », un « groupe »
• une démarche :
• suivre un fil conducteur,
• résoudre les problèmes de la volonté et de la fatalité,
• montrer comment de manière mathématique un individu est
déterminé par des lois,
• faire voir,
• amener à observer des comportements, à constater les réactions des
uns et des autres, comme si on était dans un laboratoire…
L’idée est qu’il y a dans les comportements et les tempéraments des
individus, une part de déterminisme. L’hérédité se définit comme une
communauté de caractères au sein d’une famille qui se manifeste sous une
manière ou sous une autre selon les circonstances et qui peut toucher plusieurs
générations.
L’influence par les découvertes scientifiques est très manifeste. Zola
s’intéresse aux travaux des hommes de science qui ont traité l’aspect
physiologique et médical de la question.
Sur le plan littéraire, il est influencé par Hyppolite Taine qui développe
dans ses essais critiques l’idée selon laquelle un écrivain est défini par la race, le
milieu et l’époque. C'est-à-dire que, pour étudier un auteur dans son œuvre, il
faudrait tenir compte de ces trois composantes.

Ce que fera Zola, c’est appliquer cette théorie à l’œuvre littéraire, et plus
précisément au roman. C’est ainsi que l’on parle de naturalisme ou, selon
l’auteur, de « roman expérimental ».

27
Zola continue dans la préface :

« Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me


propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement
des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se
rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la
lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se
déclarent dans une race, à la suite d’une première lésion
organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez
chacun des individus de cette race, les sentiments, les
désirs, les passions, toutes les manifestations humaines,
naturelles et instinctives, dont les produits prennent les
noms convenus de vertus et de vices. Historiquement,
ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société
contemporaine, ils montent à toutes les situations, par
cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent
les basses classes en marche à travers le corps social, et
ils racontent ainsi le Second Empire, à l’aide de leurs
drames individuels, du guet-apens du coup d’État à la
trahison de Sedan. »

Le projet littéraire se précise dès le début de la série des Rougon-Macquart.


L’idée est très claire
Il s’agit de montrer que l’hérédité est un phénomène déterminant dans le
développement des individus. C’est une loi qui, en plus de se manifester
physiquement, fonctionne psychologiquement. Une première perturbation
apparaît dans l’ancêtre des Rougon, une « lésion organique ». Cette anomalie va
se propager dans toute la descendance. Ainsi, les personnages « sont la lente
succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à

28
la suite d’une première lésion organique : Cela illustre le volet « physiologique »
Zola affirme ensuite que cette perturbation ne se manifestera pas de la même
manière chez tous les personnages. Il y a un dénominateur commun (on dira
maintenant un « gène ») mais aussi quelques variantes qui suivront l’évolution
historique de l’époque.
L’individu est le fruit de l’hérédité qui, selon les milieux, explique son être
profond.

Du point de vue de la création de cette œuvre, Zola explique :

« Depuis trois années, je rassemblais les documents de ce grand


ouvrage, et le présent volume était même écrit, lorsque la chute des
Bonaparte, dont j’avais besoin comme artiste, et que toujours je
trouvais fatalement au bout du drame, sans oser l’espérer si
prochaine, est venue me donner le dénouement terrible et nécessaire
de mon œuvre. Celle-ci est, dès aujourd’hui, complète ; elle s’agite
dans un cercle fini ; elle devient le tableau d’un règne mort, d’une
étrange époque de folie et de honte.
Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma
pensée, l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second
empire. Et le premier épisode : la Fortune des Rougon, doit
s’appeler de son titre scientifique : les Origines. »

- Les R.M. est, selon Zola, une recherche, beaucoup plus qu’une œuvre de
pure création.
- Il la rattache aux documents
- Il la situe dans le contexte social et politique de l’époque (Le Second
Empire)
- Il souligne qu’elle constitue un ensemble fini, cohérent, une sorte de
démonstration prête à être posée

29
- Il annonce que le premier volume dont il rédige cette préface est consacré
à l’origine de la famille des R.M.
- Le titre illustre largement tout le projet de Zola : « Histoire naturelle et
sociale » (le qualificatif « naturelle » est le volet scientifique) « d’une
famille » (est-ce un échantillon de toute une société ?) « Sous le second
empire » (la dimension historique)

Préface d’Émile Zola pour la première édition de La Curée

Dans l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, La


Curée est la note de l’or et de la chair. L’artiste en moi se refusait à faire de
l’ombre sur cet éclat de la vie à outrance qui a éclairé tout le règne d’un jour
suspect de mauvais lieu. Un point de l’histoire que j’ai entreprise en serait resté
obscur.
J’ai voulu montrer l’épuisement prématuré d’une race qui a vécu trop vite et qui
aboutit à l’homme-femme des sociétés pourries ; la spéculation furieuse d’une
époque s’incarnant dans un tempérament sans scrupule, enclin aux aventures ; le
détraquement nerveux d’une femme dont un milieu de luxe et de honte décuple
les appétits natifs. Et avec ces trois monstruosités sociales, j’ai essayé d’écrire
une œuvre d’art et de science qui fût en même temps une des pages les plus
étranges de nos mœurs.
Si je crois devoir expliquer La Curée, c’est que le côté littéraire et scientifique a
paru en être si peu compris dans le journal où j’ai tenté de donner ce roman,
qu’il m’a fallu en interrompre la publication et rester au milieu de l’expérience.
ÉMILE ZOLA. Paris, 15 novembre 1871.

30
Liste des vingt romans de l’histoire des Rougon Macquart

1. La Fortune des Rougon (1871)


2. La Curée (1872)
3. Le Ventre de Paris (1873)
4. La Conquête de Plassans (1874)
5. La Faute de l'abbé Mouret (1875)
6. Son Excellence Eugène Rougon (1876)
7. L'Assommoir (1877)
8. Une page d'amour (1878)
9. Nana (1880)
10. Pot-Bouille (1882)
11. Au Bonheur des Dames (1883)
12. La Joie de vivre (1884)
13. Germinal (1885)
14. L'Œuvre (1886)
15. La Terre (1887)
16. Le Rêve (1888)
17. La Bête humaine (1890)
18. L'Argent (1891)
19. La Débâcle (1892)
20. Le Docteur Pascal (1893)

31
Partie pratique
Les pré-requis :
• Une langue correcte
• Une bonne maîtrise de l’œuvre support
• Une bonne maîtrise la méthodologie

Les compétences à développer :


• Compétences d’analyse : repérer, définir, analyser les procédés utilisés
(linguistique, stylistique, littéraire)
• Compétences de synthèse : décomposer, recomposer pour produire un
texte cohérent et cohésif (le but de l’existe est la décomposition et
recomposition du texte.

Objectif du module : produire un commentaire composé

METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE COMPOSE

1. QU’EST-CE QU’UN COMMENTAIRE COMPOSE ?


C’est un bilan de lecture organisé d’un texte, entièrement rédigé, selon le
modèle de la composition française (introduction, développement en 2 ou 3
parties, conclusion). Il montre comment la combinaison des différents effets de
style mis en oeuvre dans un texte contribue à produire un sens et un effet sur le
lecteur.

3. TRAVAIL PRELIMINAIRE

A. PREMIERS QUESTIONNEMENTS

- Posez-vous d’abord la question du thème : de quoi parle le texte ?


- A quel genre littéraire appartient le texte ? (roman, poésie, théâtre, essai)
précisez : apologue, tragédie, roman autobiographique…
- Quel est le type (narratif, descriptif, argumentatif)
- Quel est le registre utilisé ?
- Quelles informations apporte le paratexte ?(auteur, mouvement littéraire,
titre, date)

32
- Quelle est l’intention de l’auteur ? la visée du texte ?
Ces premières impressions de lecture vous donnent une carte d’identité du texte
qui mène à des hypothèses de lecture.

B. LECTURE ANALYTIQUE

Afin de valider ces hypothèses et de repérer les différents centres d’intérêt du


texte, il faut procéder à une lecture analytique. Il faut porter un intérêt
primordial à :
La progression du texte (structure-début-fin)
L’énonciation (l’auteur se manifeste-t-il ?)
Les champs lexicaux/ les réseaux de caractérisation (adjectifs)
Les temps des verbes
Les figures de style
La syntaxe
La disposition typographique
Les rythmes, les sonorités
La focalisation
Les registres et tous leurs procédés

4. ELABORATION DU PLAN DU COMMENTAIRE

En fonction des repérages et des interprétations convergentes de votre lecture


analytique, il faut élaborer un plan qui dégage 2 ou 3 axes de lecture, eux-
mêmes subdivisés en 2 ou 3 sous-parties. Il n’existe pas de plan type. On peut
par exemple s’inspirer des thèmes, des typologies, des effets produits, des visées
d’un texte...
L’ordre de présentation des différents axes est un élément essentiel de la
qualité du commentaire : on s’efforce d’aller du plus simple au plus complexe,
de l’explicite à l’implicite.
Il faut répondre aux 3 questions suivantes :
- QUOI ? le type, le genre, le thème
- COMMENT ? le registre, la stratégie
- POURQUOI ? la visée

4. LA REDACTION

Le commentaire doit être entièrement rédigé. On n’utilisera ni abréviation, ni


numérotation. Il se compose :

D’une introduction en 3 étapes :


• une phrase d’accroche qui intègre le texte dans un ensemble plus vaste (genre,
33
mvt littéraire, biographie, thématique…).Evitez les généralités sans rapport avec
le texte.
• Une présentation du texte qui fait apparaître le titre, le nom de l’auteur, la
date et son aspect général (de quoi parle le texte ?)
• L’annonce élégante du plan du commentaire
Sauter 2 ou 3 lignes

D’un développement
Il comporte une introduction partielle qui annonce l’idée, la thèse qui sera
développée dans cette partie et une conclusion partielle qui fait une rapide
synthèse et assure le lien avec la partie suivante.
Il comporte plusieurs paragraphes qui correspondent aux sous-parties, aux
arguments qui valident la thèse.
Un argument n’est complet que s’il comporte 3 composantes indispensables :
• La qualification de l’élément relevé
• La citation des indices relevés dans le texte
• L’interprétation
Il convient de varier la formulation pour relier l’interprétation et le procédé de
style :
(L’idée) est soulignée par, est rendue par, est mise en valeur par, est marquée
par, est mise en évidence par, est traduite par, s’appuie sur…(Tel procédé)
traduit, souligne, rend compte de, révèle, crée l’impression de , suggère,
transmet, concourt à l’effet de , sert à…
Sauter 2 ou 3 lignes

D’une conclusion en 2 étapes :


• Récapitulation des bilans intermédiaires ( ne surtout pas reprendre l’annonce
du plan faite dans l’introduction, il faut montrer que l’analyse a produit un
résultat, que de questions on est passé à des réponses) ; jugement sur le texte
qui souligne son intérêt littéraire.
• Elargissement qui s’interroge sur l’intérêt du texte par rapport à l’œuvre dont
il est extrait, à l’auteur, au mvt littéraire, au contexte historique, à son genre, au
thème qu’il développe, à ses objectifs…( éviter de finir par une question)

34
Extrait 1

Au retour, dans l'encombrement des voitures qui rentraient par le bord du lac, la
calèche dut marcher au pas. Un moment, l'embarras devint tel qu'il lui fallut
même s'arrêter.
Le soleil se couchait dans un ciel d'octobre, d'un gris clair, strié à l'horizon de
minces nuages. Un dernier rayon, qui tombait des massifs lointains de la
cascade, enfilait la chaussée, baignant d'une lumière rousse et pâlie la longue
suite des voitures devenues immobiles. Les lueurs d'or, les éclairs vifs que
jetaient les roues semblaient s'être fixés le long des réchampis jaune paille de la
calèche, dont les panneaux gros bleu reflétaient des coins du paysage
environnant. Et, plus haut, en plein dans la clarté rousse qui les éclairait par-
derrière, et qui faisait luire les boutons de cuivre de leurs capotes à demi pliées,
retombant du siège, le cocher et le valet de pied, avec leur livrée bleu sombre,
leurs culottes mastic et leurs gilets rayés noir et jaune, se tenaient raides, graves
et patients, comme des laquais de bonne maison qu'un embarras de voitures ne
parvient pas à fâcher. Leurs chapeaux, ornés d'une cocarde noire, avaient une
grande dignité. Seuls, les chevaux, un superbe attelage bai, soufflaient
d'impatience.
- Tiens, dit Maxime, Laure d'Aurigny, là-bas, dans ce coupé... Vois donc, Renée.
Renée se souleva légèrement, cligna les yeux, avec cette moue exquise que lui
faisait faire la faiblesse de sa vue.
- Je la croyais en fuite, dit-elle... Elle a changé la couleur de ses cheveux, n'est-
ce pas ?
- Oui, reprit Maxime en riant, son nouvel amant déteste le rouge.
Renée, penchée en avant, la main appuyée sur la portière basse de la calèche,
regardait, éveillée du rêve triste qui, depuis une heure, la tenait silencieuse,
allongée au fond de la voiture, comme dans une chaise longue de convalescente.
Elle portait, sur une robe de soie mauve, à tablier et à tunique, garnie de larges
volants plissés, un petit paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve, qui
lui donnait un grand air de crânerie. Ses étranges cheveux fauve pâle, dont la
couleur rappelait celle du beurre fin, étaient à peine cachés par un mince
chapeau orné d'une touffe de roses du Bengale. Elle continuait à cligner des
yeux, avec sa mine de garçon impertinent, son front pur traversé d'une grande
ride, sa bouche, dont la lèvre supérieure avançait, ainsi que celle des enfants
boudeurs. Puis, comme elle voyait mal, elle prit son binocle, un binocle
d'homme, à garniture d'écaille, et, le tenant à la main sans se le poser sur le nez,
elle examina la grosse Laure d'Aurigny tout à son aise, d'un air parfaitement
calme.

Les voitures n'avançaient toujours pas. Au milieu des taches unies, de teinte
sombre, que faisait la longue file des coupés, fort nombreux au Bois par cet
après-midi d'automne, brillaient le coin d'une glace, le mors d'un cheval, la

35
poignée argentée d'une lanterne, les galons d'un laquais haut placé sur son siège.
Çà et là, dans un landau découvert, éclatait un bout d'étoffe, un bout de toilette
de femme, soie ou velours. Il était peu à peu tombé un grand silence sur tout ce
tapage éteint, devenu immobile. On entendait, du fond des voitures, les
conversations des piétons. Il y avait des échanges de regards muets, de portières
à portières ; et personne ne causait plus, dans cette attente que coupaient seuls
les craquements des harnais et le coup de sabot impatient d'un cheval. Au loin,
les voix confuses du Bois se mouraient.
Zola, La curée, chapitre I

Démarche à suivre
• Rappel de la méthodologie du commentaire composé (voir le document :
commentaire composé)
• il convient de procéder par une lecture analytique rigoureuse du texte,
entrer dans l’univers du texte en s’intéressant à son vocabulaire, sa
syntaxe, son réseau d'images, le point de vue du narrateur….
• Une première lecture vous donne une série d'impressions. N'hésitez pas à
les formuler par écrit, mais pensez déjà à les assortir de points d'appui qui
sont les expressions ou les procédés du texte.
• Problématiser : mettez maintenant en relation ces différentes pistes autour
d'une problématique d'ensemble.

Qu'est-ce qu'une problématique ?


La problématique est la direction que l'on se propose de suivre dans le
traitement d'un problème. Lancée dès le départ de la démarche analytique
comme un enjeu ou un projet dont rien n'assure de la réussite, elle doit
néanmoins se donner la rigueur nécessaire pour tenter d'y parvenir : les
questions que nous poserons systématiquement au texte sont destinées à la
garantir, de même que les bilans intermédiaires que nous établirons à chaque
étape.
Comment poser une problématique ?
La première lecture du texte est déterminante : avant de vous lancer dans
son "explication", il vous faut faire état d'un enjeu d'analyse. Chaque texte, bien
sûr, méritera le sien, mais on peut compter sur quelques principes :
➢ un texte se rattache à un contexte, voire à un intertexte. Ce peut être le
mouvement culturel dans lequel il s'inscrit, une forme ou un thème
traditionnel. Vous semble-t-il qu'il en présente les caractères attendus, ou
pensez-vous qu'il manifeste quelques écarts ? Voici une problématique.
➢ un texte se rattache à un genre. Selon un principe identique, y
reconnaissez-vous les caractéristiques les plus fréquentes ? Constatez-

36
vous, là encore, quelques irrégularités ? Excellente occasion d'aller y
regarder de plus près.

➢ un texte est traversé de plusieurs registres. Leur nature, leur variété


pourront vous paraître paradoxales et vous indiquer un terrain d'analyse
fructueux.
➢ Dans l'ensemble, d'ailleurs, une problématique naîtra de votre étonnement
devant un caractère inattendu présenté par le texte.
Comment formuler une problématique ?
Vous aurez soin de lui garder son caractère hypothétique par la tournure
interrogative. La problématique constituera l'élément central de votre
introduction.
Dans ce passage qui constitue l’incipit d’un roman naturaliste, le
lecteur se trouve au cœur de l’action devant une scène réelle.
Comment ce début dominé par la description annonce et programme
l’action à venir ?

➢ Ne construisez jamais vos axes autour des "thèmes" du texte : vous


risqueriez alors d'en faire une simple description qu'on appelle la
paraphrase. Appuyez-vous au contraire sur vos remarques de forme et
sachez, grâce aux bilans intermédiaires de votre lecture analytique, en
faire une synthèse capable de mettre en valeur l'intérêt du texte.

Axes de lecture
1. Les éléments du récit qui compose l’incipit

- Un début in medisas res « au retour » : le lecteur se trouve devant une


scène de dialogue entre deux personnages : Renée et Maxime (désignés
par leurs prénoms) en train de faire une promenade dans la calèche.
- Le lieu : le Bois de Boulogne, lieu aménagé à l’époque sous l’ordre du
Baron Haussmann pour rehausser le prestige de la capitale, lieu à la mode
où se rencontrent les personnages de Renommée du Second Empire
- Le temps : le narrateur situe la scène au Mois d’Octobre, « le soleil se
couchait », « en plein automne », des clichés romantiques que l’auteur
sollicite pour dépeindre cette scène.

Synthèse partielle : le début est ancré dans la réalité, les


indicateurs spatio-temporels créent un effet de réel qui rappelle les
techniques utilisées par les réalistes. La mimèsis à laquelle Zola recourt

37
dans cet incipit donne à voir deux formes de description : portrait et
paysage.

2. description connotative
▪ Portrait :
Le personnage mis en avant est celui de Renée : le narrateur focalise d’abord
l’attention sur sa prospographie
▪ La vue : « faiblesse de vue », « elle voyait mal » : une myopie qui
redessine en filigrane le portrait d’Œdipe, le héros tragique
▪ une bouche « dont la lèvre supérieure avançait que celle des enfants
boudeurs » : l’image incarne les désirs inassouvis, obscurs du personnage,
résonne audace, caprice.
▪ Aspect vestimentaire : « une robe de soie mauve, à tablier et à tunique,
garnie de larges volants plissés, un petit paletot de drap blanc, aux revers
de velours mauve » « binocle à garniture d’écaille », des indices qui
dénotent le luxe à outrance dans lequel vivait Renée et qui lui octroie le
sentiment de vanité.
Synthèse partielle : Le luxe du milieu s’imbrique à la luxure qui se dessine sur
la face du personnage de Renée, annonciatrice d’un destin obscur qui explique
pourquoi Renée a focalisé l’attention sur Laure d’Auvigny, une femme une
femme désignée par son nom et prénom et qui représente l’image d’une
prostituée, entretenue par la classe aristocratique. Renée ne cesse de la
contempler et éprouve même le plaisir de le faire : « tout à son aise, d’un air
parfaitement calme » ; un plaisir obscur qui suscite maintes interrogations chez
le lecteur : quel intérêt pour cette femme ? une réflexion qui reste suspendue,
démystifie le lecteur qui se trouve brusquement à l’extérieur de la calèche, en
plein Bois de Boulogne, le paysage-cadre de la scène.

▪ Le paysage du parc

- Un lieu encombré de voitures, mais aussi de remontrances et d’opulence :


« l'encombrement des voitures qui rentraient par le bord du lac, ».
- Zola s’imprègne des techniques impressionnistes pour mieux rapprocher
son lecteur du lieu et sa représentation :
▪ il fait appel aux sensations pour produisent des impressions, les
sens contribuent à les dégager : le visuel « gris clair » « lumière »
« minces nuages » / l’auditif, le mors d’un cheval » « la poignée
argentée d’une lanterne » « tapage »,……

38
▪ Infusions de couleurs « gris mauves » « lueurs d’or » « noir »
« jaune, je de lumière et de contraste « soleil » « rayon »
éclairés » « brillaient ».
- Une panoplie de techniques impressionnistes fondée surtout sur le jeu de
correspondances entre sens et sensation, entre couleur et lumière.
- L’ensemble de ces techniques construisent la synesthésie qui, d’une part
dévoile la subjectivité de celui qui regarde et sa fascination par la beauté
du lieu et du moment, d’autre part, elle met l’accent sur l’impression qui
se situe en aval de la beauté de l’endroit et n’épargne pas celui qui perçoit
de prendre conscience de cette « teinte sombre » qui laisse son empreinte
à cause de l’encombrement, de la présence de ces personnes « aux
regards muet » et « voix confus ».
- Au sein de cet enchantement, Les gens perdent leurs formes, disparaissent
au profit des masses, « taches unies ». ils ne restent que des échos, des
reflets : ils sont ce qui apparaît, une masse définie par son apparence, le
type de véhicule dont ils se servent, le luxe de leurs vêtements, les
masques qu’ils mettent sur leur visage, une masse qui se définit par le
milieu ; c’est le milieu qui agit sur les volontés de ces individus et décide
même leur avenir et devenir : luxe et luxure.
Exemple de Conclusion
L’incipit du roman naturaliste dépasse celui du roman réaliste ; l’objectif
de l’auteur n’est pas seulement de créer la vraisemblance, mais de donner à voir
une scène comme un champ d’expérience d’un ensemble de personnages
plongés dans leur milieu, taillés sur mesure selon les règles de la société à
laquelle ils appartiennent. Ce début est annonciateur d’une histoire qui
commence dans le jeu de masques, à l’affût d’un désir annonciateur de
démesure voire de débauche.

Extrait2 :
Deux mois avant la mort d'Angèle, il l'avait menée, un dimanche, aux
buttes Montmartre. La pauvre femme adorait manger au restaurant ; elle
était heureuse, lorsque, après une longue promenade, il l'attablait dans
quelque cabaret de la banlieue. Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des
buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s'ouvraient sur Paris, sur cet
océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant
l'immense horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce
spectacle des toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une
bouteille de bourgogne.
Il souriait à l'espace, il était d'une galanterie inusitée. Et ses regards,

39
amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et
pullulante, d'où sortait la voix profonde des foules. On était à l'automne ;
la ville, sous le grand ciel pâle, s'alanguissait, d'un gris doux et tendre,
piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles
de nénuphars nageant sur un lac ; le soleil se couchait dans un nuage
rouge, et, tandis que les fonds s'emplissaient d'une brume légère, une
poussière d'or, une rosée d'or tombait sur la rive droite de la ville, du côté
de la Madeleine et des Tuileries. C'était comme le coin enchanté d'une cité
des Mille et une Nuits, aux arbres d'émeraude, aux toits de saphir, aux
girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux
nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se
fondre comme un lingot d'or dans un creuset.
- Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d'enfant, il pleut des pièces de
vingt francs dans Paris !
Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n'être pas
faciles à ramasser. Mais son mari s'était levé, et, s'accoudant sur la rampe
de la fenêtre :
- C'est la colonne Vendôme, n'est-ce pas, qui brille là-bas ?... Ici, plus à
droite, voilà la Madeleine... Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire...
Ah ! cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?... On dirait que le quartier bout
dans l'alambic de quelque chimiste.
La Curée, extrait du chapitre 2 - Emile
Zola

Consigne : Procéder au commentaire composé de l’extrait


Rappel des différentes parties du commentaire.
Introduction :

- Un préambule

▪ Situer le texte dans son contexte général (par rapport à son auteur, son
œuvre, le mouvement dans lequel s’inscrit l’auteur). L’idée avancée doit
avoir une relation directe avec la problématique et non pas un inventaire
d’informations générales juxtaposées
▪ Situer le texte par rapport à son co-texte : situer le passage par rapport à
ce qui précède et ce qu’il énonce (l’idée générale du passage).

▪ Problématiser (la problématique pose problème et oriente la lecture vers


un objectif fédérateur, elle privilégie et cherche le comment dans le texte
qui se situe entre le thématique et l’esthétique sans dissocier fond de
forme)

40
▪ annoncer le plan (2 à 3 parties). Il répond à la problématique. Il doit être
progressif du plus évident au moins évident.

- Exemple de situation co-textuelle du passage :


Aristide Saccard, le futur mari de Renée, quitte la province avec sa première
femme Angèle et sa fille pour aller vivre à Paris dans le but de réaliser ses
ambitions et réussir son ascension sociale. Ses projets sont avortés dès son
arrivée à Paris car son frère, le député sur qui il compte, ne peut lui offrir qu’un
poste modeste d’agent voyer à la mairie de Paris. Un jour de Dimanche, il
emmène sa femme au dîner dans les buttes de Montmartre. Son regard dévore
Paris.
- La problématique
La ville attise le désir d’Aristide. Comment le regard assoiffé d’Aristide
parvient-il à créer une harmonie voire une fusion entre lui et Paris ?

- Axes de lecture :
▪ Le récit enchâssé
▪ Le jeu de regard
▪ Une harmonie annonciatrice

1. Le récit enchâssé
- Il s’agit de repérer les différents éléments qui renvoient aux
circonstances de la scène du dîner.
- Il faut mentionner d’abord que le passage s’ouvre sur une analepse « 2
mois avant la mort d’Angèle », le texte se présente comme un retour en
arrière qui relate une scène qui date du premier mariage de Saccard.
- La scène représente un couple qui sort pour dîner : des motifs servent
de cadrage : « dimanche », « jour d’automne », « coucher du soleil »,
suggère une sortie romantique et laisse le lecteur penser qu’il s’agissait
d’un couple heureux.
- Des indications qui renvoient à la classe sociale à laquelle appartient le
couple : le lieu « les buttes de Montmartre », une banlieue qui se situe
dans la périphérie de Paris où se rencontrent les gens pauvres, démunis
qui ne pouvaient pas se présenter dans les lieus de Paris.
- Le personnage d’Angèle : Une femme d’un esprit simple, parle peu,
écoute seulement, ne réagit qu’une seule fois « se mit à rire en
accusant ces pièces-là de n’être pas faciles à ramasser », son mari ne
porte aucune affection pour elle. Il n’éprouve que pitié et mépris à son
égard « pauvre femme », absence de communication.

41
- Sur le plan de l’action, Angèle est un personnage passif, elle sert
seulement de prétexte pour relancer les pensées de Saccard ; c’est lui
qui parle, commente et domine.
Synthèse partielle : L’horizon d’attente du lecteur est cassé ; l’image de la
scène idyllique est brisée par la froideur qui régit le couple,
l’incommunicabilité et l‘incompatibilité entre les deux.

2. Le jeu de regard

- La scène est racontée par un narrateur intradiégétique qui se met dans


le regard du personnage.
- Face à la pitié qu’il éprouve pour cette femme dépouillée de charme
qui s’installe devant lui, le regard de Saccard est focalisé sur l’étendue
qui s’étale devant lui. Le motif de « la fenêtre » sert de passerelle au
regard.
- Le positionnement du personnage est très important : au sommet
« haut de Montmartre » ; il domine par sa hauteur avec cette positon
de plongée. Ce qu’il perçoit : « cet océan de maisons aux toits
bleuâtres pareils à des flots pressés emplissant ’l’immense horizon » :
la juxtaposition de l’hyperbole et de la comparaison traduit l’émotion
que Saccard éprouve pour Paris, son engouement pour cet espace qui
ne lui appartient pas encore.
- L’ardeur du regard devient intense à travers la personnification de la
ville : « la ville, sous le grand ciel pâle, s'alanguissait », s’anime,
répond au regard séducteur qui l’éveille et l’enchante.
Transition : La description impressionniste qui succède à cette image
témoigne de l’harmonie naissante entre les deux.

3. Impressionnisme et harmonie
Aristide est fasciné par cette « cité des Mille et une nuit », enivré par l’aspect
exotique et grandiloquent de cette ville.
« Il souriait à l'espace, il était d'une galanterie inusitée. Et ses regards,
amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante,
d'où sortait la voix profonde des foules » : Paris se met en avant, prend la
place d’Angèle. Elle « égaya Saccard », répond à son regard et son désir
dans un jeu de symbiose et d’harmonie.
Pour dépeindre cette impression, le narrateur qui se met dans le regard de
Saccard fait appel à certaines techniques impressionnistes :
- Le jeu des couleurs « ciel pâle » « gris doux » « verdures sombres »
« nuages rouges »,

42
- Le jeu de lumière : « le soleil, l’or, rayon, flamber »
- Le jeu de sens : vue : brume/ ouïe : « voix profondes
s’alanguissaient »…
- Le Jeu de trompe-l’œil : La clarté, la limpidité est nuancée par la
présence du « sombre, bleuâtre » les deux adjectifs brouillent la vision
du lecteur.
- Estompage des couleurs qui devient de plus en plus accru avec le
cliché du coucher du soleil.

La palette impressionniste sert à montrer :


- Le désir qui dévore Saccard
- L’effet exercé par Paris sur lui, un désir qui se manifeste notamment à
travers les échos du feu qui se dégage du regard, un regard enivré,
ensorcelé.
- prépare une métamorphose : l’or tombe du ciel sur Paris et c’est Saccard
qui en est le démiurge, c’est lui qui transforme la pierre en or « en
émeraudes, saphirs, rubis », c’est son regard, celui de l’Alchimiste, celui
qui façonne à sa guise, qui détient le pouvoir de couper et découper :
« c’est la colonne Vendôme à droite voilà la madeleine » « quartier à
faire… »……….

Conclusion
Aristide possède les qualités d’un visionnaire, il est l’architecte et le
spéculateur en acte qui prépare son entrée à Paris, une entrée spectaculaire,
hypothéquée à l’or. Le texte dresse le portrait de l’opportuniste, de l’arriviste
qui brûle de désir pour dévorer cette femme qui le fascine par sa beauté :
Paris

Extrait 3 :

Les treize ans de Maxime étaient déjà terriblement savants. C’était une de ces
natures frêles et hâtives, dans lesquelles les sens poussent de bonne heure. Le
vice en lui parut même avant l’éveil des désirs. À deux reprises, il faillit se faire
chasser du collège. Renée, avec des yeux habitués aux grâces provinciales,
aurait vu que, tout fagoté qu’il était, le petit tondu, comme elle le nommait,
souriait, tournait le cou, avançait les bras d’une façon gentille, de cet air féminin
des demoiselles de collège. Il se soignait beaucoup les mains, qu’il avait minces
et longues ; si ses cheveux restaient courts, par ordre du proviseur, ancien
colonel du génie, il possédait un petit miroir qu’il tirait de sa poche, pendant les
classes, qu’il posait entre les pages de son livre, et dans lequel il se regardait des
heures entières, s’examinant les yeux, les gencives, se faisant des mines,
43
s’apprenant des coquetteries. Ses camarades se pendaient à sa blouse, comme à
une jupe, et il se serrait tellement, qu’il avait la taille mince, le balancement de
hanches d’une femme faite. La vérité était qu’il recevait autant de coups que de
caresses. Le collège de Plassans, un repaire de petits bandits comme la plupart
des collèges de province, fut ainsi un milieu de souillure, dans lequel se
développa singulièrement ce tempérament neutre, cette enfance qui apportait le
mal, d’on ne savait quel inconnu héréditaire. L’âge allait heureusement le
corriger. Mais la marque de ses abandons d’enfant, cette effémination de tout
son être, cette heure où il s’était cru fille, devait rester en lui, le frapper à jamais
dans sa virilité.
Renée l’appelait « mademoiselle », sans savoir que, six mois auparavant, elle
aurait dit juste. Il lui semblait très obéissant, très aimant, et même elle se
trouvait souvent gênée par ses caresses. Il avait une façon d’embrasser qui
chauffait la peau.
Mais ce qui la ravissait, c’était son espièglerie ; il était drôle au possible, hardi,
parlant déjà des femmes avec des sourires, tenant tête aux amies de Renée, à la
chère Adeline qui venait d’épouser M. d’Espanet, et à la grosse Suzanne, mariée
tout récemment au grand industriel Haffner. Il eut, à quatorze ans, une passion
pour cette dernière. Il avait pris sa belle-mère pour confidente, et celle-ci
s’amusait beaucoup.
Chapitre III, La curée

Mise en situation
Délaissé par son père, Maxime grandit dans la province de Plassans, Saccard
le récupère après son mariage de Renée qui se réjouit de son arrivée et prend
en charge son instruction et son entrée dans le monde.

Problématique
Ce passage fonctionne comme une prolepse qui prépare le devenir de la
relation entre Maxime et sa belle-mère. Il met l’accent notamment sur le
portrait typiquement féminin de maxime.
Comment l’effminité précoce de Maxime annonce la débauche du
personnage ?

Axes de réflexion
- Un portait féminin
- Le regard de Renée
- Prémisses de la débauche

1. Le portrait féminin
- Les marques de la féminité : « se soignait les mains », « cheveux
courts », « possédaient un petit miroir » « se
regardaient……coquettes » : profil d’une fille coquette qui prend soin
44
de son apparence avec une « taille mince », « hanches d’une femme
faite »
- « effémination de tout son être……..sa virilité » : Maxime prend
conscience de sa nature hybride porteuse de tragique.
- L’effémination de Maxime a des origines :
- Le milieu où il a grandi, Plassans : allusion à son appartenance à la
brèche des Rougon, branche maudite par le déterminisme de l’hérédité.
- le collège où il étudie était « un milieu de souillure » : le déterminisme
du milieu
Zola, imprégné par la théorie de Taine et de LUCAS explique le tempérament
du personnage par l’influence du milieu et de l’hérédité. Le passé détermine le
tempérament du personnage et conditionne son devenir.

2. Le regard de Renée
- Le narrateur intradiégétique se met dans le regard de Renée pour nous
rapprocher et zoomer la personnalité de Maxime : maxime est
l’adolescent à « la nature frêle et hâtive », possède un désir précoce,
une sensualité naissante « il avait d’une façon d’embrasser […] la
peau », esquisse du vice « le vice en lui parut même en avant l’éveil
des désirs ». le désir envahit aussi le regard de Renée qui se porte
comme une mère jalouse.
- Le regard de Renée complète le portrait de Maxime : elle l’appelait
« Mademoiselle », « lui semblait très obéissant, très aimant….souvent
gênée par ses caresses ».
- la nature hermaphrodite de Maxime joue le rôle de prolepse, prépare le
futur dandy. Certains caractères l’annoncent : « son espièglerie »,
« son voyeurisme « collé toujours aux femmes » « parlant déjà des
femmes avec des sourires, tenant tête aux amies de Renée » ; Maxime
n’existe que dans le harem des femmes.
Le milieu féminin attise le désir latent de Maxime et que la présence féminine
dégage le refoulé « ces dames encourageaient Maxime par leurs rires étouffées
précoce ». Le nouveau milieu prépare la nouvelle identité du personnage

3. Annonce de la débauche
- Une débauche « fort aristocratique » ; le ton ironique de cette
expression rappelle le luxe de ce monde où les valeurs s’enlisent au
profit de caprices immorales « les femmes séduisent Maxime ».
- Le tempérament des femmes a aussi des explications : elles
menaçaient une « vie tumultueuse [….]par la passion […] leur goût ».

45
- Chaque personnage a ses raisons mais le dénominateur commun entre
ces comportements abusifs est le désir, cette pulsion qui exerce un
pouvoir sur les gens et conditionne même leur avenir ; ils seront brûlés
par ce feu qui prend forme, s’anime devient même la matière qui crée
leur univers : « les femmes laissent Maxime toucher leur robe, frôle
leurs épaules…douce »
- La description au ralenti visualise de plus en plus la débauche des
femmes de l’aristocratie, ce milieu qui est à l’origine de leur
démesure : elles « riaient comme des folles », ont tendance à faire de
Maxime « un joujou, un petit homme de mécanisme ingénieux qui
faisaient la cour », le prototype de l’homme séducteur, l’homme qui
n’existe pas dans leur vie réelle mais qui satisfait leur caprices.
Or, la vérité de Maxime est autre, la vérité est occultée : l’homme en lui n’est
qu’une apparence « un petit homme en carton », la virilité est étiolée car « sous
sa main d’enfant se cache un frisson très doux » ; le frisson féminin.

Extrait4
Avec un tel mari, Renée était aussi peu mariée que possible. Elle restait des
semaines entières sans presque le voir. D’ailleurs, il était parfait : il ouvrait pour
elle sa caisse toute grande. Au fond, elle l’aimait comme un banquier obligeant.
Quand elle allait à l’hôtel Béraud, elle faisait un grand éloge de lui devant son
père, que la fortune de son gendre laissait sévère et froid. Son mépris s’en était
allé ; cet homme semblait si convaincu que la vie n’est qu’une affaire, il était si
évidemment né pour battre monnaie avec tout ce qui lui tombait sous les mains,
femmes, enfants, pavés, sacs de plâtre, consciences.
Depuis ce marché, il la regardait un peu comme une de ces belles maisons qui
lui faisaient honneur et dont il espérait tirer de gros profits. Il la voulait bien
mise, bruyante, faisant tourner la tête à tout Paris. Cela le posait, doublait le
chiffre probable de sa fortune. Il était beau, jeune, amoureux, écervelé, par sa
femme. Elle était une associée, une complice sans le savoir. Un nouvel attelage,
une toilette de deux mille écus, une complaisance pour quelque amant,
facilitèrent, décidèrent souvent ses plus heureuses affaires.
Souvent aussi il se prétendait accablé, l’envoyait chez un ministre, chez un
fonctionnaire quelconque, pour solliciter une autorisation ou recevoir une
réponse. Il lui disait : « Et sois sage ! » d’un ton qui n’appartenait qu’à lui, à la
fois railleur et câlin. Et quand elle revenait, qu’elle avait réussi, il se frottait les
mains, en répétant son fameux : « Et tu as été sage ! »
Renée riait. Il était trop actif pour souhaiter une Mme Michelin. Il aimait
simplement les plaisanteries crues, les hypothèses scabreuses. D’ailleurs, si
Renée « n’avait pas été sage », il n’aurait éprouvé que le dépit d’avoir
réellement payé la complaisance du ministre ou du fonctionnaire. Duper les
46
gens, leur en donner moins que pour leur argent, était un régal. Il se disait
souvent : « Si j’étais femme, je me vendrais peut-être, mais je ne livrerais jamais
la marchandise ; c’est trop bête. »
Chapitre III, La curée, Zola.

Consigne : procédez au commentaire composé du passage suivant :

1. Mise en situation du passage


2. Problématique
Comment l’ironique et le pathétique fusionnent dans ce passage et mettent en
avant une condition féminine tragique ?

3. Axes de réflexion :
- Le truchement de l’ironique et du pathétique
- Une situation féminine tragique

1. L’ironique et le pathétique
C’est un procédé stylistique qui consiste à tourner en dérision un personnage,
une situation….le registre ironique fait appel notamment à des figures
d’opposition, un lexique dépréciatif, les fausses causes, la caricature……

Dans ce passage Zola recourt à :


- L’antithèse : « Avec un tel mari, Renée était aussi peu mariée que
possible » : le mariage est tourné en dérision. Renée, mariée à
l’affairiste Saccard est malheureuse « peu mariée », dépossédée de tout
pouvoir sur lui « elle restait des semaines entières sans presque le
voir » : le mariage n’est qu’apparence, la relation à l’intérieur du
couple est disloquée, disharmonieuse.
- Fausse cause : « il était parfait il ouvrait pour elle sa caisse toute
grande » : le lien qui régit la relation entre les deux maris est celui de
l’argent ; c’est l’or qui les rassemble, détermine la relation entre eux
« elle l’aimait comme un banquier obligeant ».
- Réification : L’ironie devient de plus en plus intense dans le passage,
le sarcasme qui en découle dépeint le portrait de deux amoureux,
amoureux de l’or. Ils deviennent leurs serviteurs et fidèles.
- Cette rapacité conditionne leur social et sociétal : l’or conditionne les
relations sociales et les façonnent. En allant voir son père Renée
« faisait un grand éloge de lui devant son père, que la fortune de son
gendre laissait sévère et froid. » la réaction du père est frappante, elle

47
montre son impassibilité et la froideur qui domine sa relation à sa fille
ce qui renforce le pathétique de la situation de Renée.
- « qu’elle ne pouvait lui reprocher le marché de leur mariage » :
l’analepse de cette phrase forme un clin d’œil qui rappelle l’histoire de
rencontre entre Saccard et Renée, le marché conclu entre lui et le père
pour sauver son honneur
- « Depuis ce marché, il la regardait un peu comme une de ces belles
maisons qui lui faisaient honneur et dont il espérait tirer de gros
profits » : Renée le fait est cantonné à un objet ; sa chosification
témoigne de la situation tragique dans laquelle elle vit sous silence
derrière le paravent. D’ailleurs même la comparaison dans cette phrase
évoque une dimension d’inclusion et de possession. Renée est
assimilée à une maison qui fait partie à Saccard.

2. Une situation féminine tragique


- Le pouvoir de domination Saccard rend la situation de Renée de plus
en plus pathétique : « Il la voulait bien mise, bruyante, faisant tourner
la tête à tout Paris. Cela le posait, doublait le chiffre probable de sa
fortune. Il était beau, jeune, amoureux, écervelé, par sa femme. Elle
était une associée, une complice sans le savoir. Un nouvel attelage,
une toilette de deux mille écus, une complaisance pour quelque amant,
facilitèrent, décidèrent souvent ses plus heureuses affaires »
- La femme se met au service de l’homme qui détient ses ficelles dans
ses mains, joue d’elle à sa guise comme une marionnette. La femme se
met à son insu, désarmée. Lui, il en tire profit, l’exploite jusqu’à
l’extrême ; il en profite d’abord de son mariage avec elle, du statut que
lui octroie ce mariage et les opportunités qu’il offre, il en profite aussi
de la beauté de sa femme et de son charme, s’en sert pour conclure ses
marchés et réussir ses affaires : « Souvent aussi il se prétendait
accabler, l’envoyait chez un ministre, chez un fonctionnaire
quelconque, pour solliciter une autorisation ou recevoir une réponse.
Il lui disait : « Et sois sage ! » d’un ton qui n’appartenait qu’à lui, à la
fois railleur et câlin. Et quand elle revenait, qu’elle avait réussi, il se
frottait les mains, en répétant son fameux : « Et tu as été sage ! » »
- Le truchement de l’ironie dans ce paragraphe rend le tragique de plus
en plus accru : Saccard se sert de sa femme jusqu’à la dernière
substance. L’effet du matraquage qui résulte de l’utilisation de la
parataxe : « Un nouvel attelage, une toilette de deux mille écus, une
complaisance pour quelque amant, facilitèrent, décidèrent souvent ses
plus heureuses affaires », le rythme saccadé des phrases cumulées

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miment l’immoralité de l’acte et son indignation : Saccard fait de sa
femme une prostituée de luxe, une entretenue à qui il trouve des
amants de la haute société pour l’aider à avancer ses projets et
transactions. Renée est dépouillée de toute volonté devant cet
alchimiste qui fait « battre monnaie avec tout ce qui lui tombait sous
les mains, femmes, enfants, pavés, sacs de plâtre, consciences ».
Saccard est l’homme sans scrupules, le prototype de l’affairiste
machiavélique (Haussmanisé) qui possède la toute-puissance, le
manipulateur qui décide, qui ordonne « sois sage » et contrôle.
Quant à Renée, c’est la femme-poupée, sans volonté, elle est l’obéissante et la
soumise à son bourreau. Son rire est le glas qui précipite sa déchéance
circonscrite par la main d’un démiurge qui s’accapare des volontés, usurpe les
forces, perverti les essences. Une femme pour lui, est faite pour être vendu et
s’en prendre de sa beauté afin d’avoir l’argent : « Si j’étais femme, je me
vendrais peut-être, mais je ne livrerais jamais la marchandise ; c’est trop bête.
»

Extrait 5 :
Et, dans l’ombre bleuâtre de la glace, elle crut voir se lever les figures de
Saccard et de Maxime.
Saccard, noirâtre, ricanant, avait une couleur de fer, un rire de tenaille, sur ses
jambes grêles. Cet homme était une volonté. Depuis dix ans, elle le voyait dans
la forge, dans les éclats du métal rougi, la chair brûlée, haletant, tapant toujours,
soulevant des marteaux vingt fois trop lourds pour ses bras, au risque de
s’écraser lui-même.
Elle le comprenait maintenant ; il lui apparaissait grandi par cet effort
surhumain, par cette coquinerie énorme, cette idée fixe d’une immense, fortune
immédiate. Elle se le rappelait sautant les obstacles, roulant en pleine boue, et ne
prenant pas le temps de s’essuyer pour arriver avant l’heure, ne s’arrêtant même
pas à jouir en chemin, mâchant ses pièces d’or en courant. Puis la tête blonde et
jolie de Maxime apparaissait derrière l’épaule rude de son père ; il avait son clair
sourire de fille, ses yeux vides de catin qui ne se baissaient jamais, sa raie au
milieu du front, montrant la blancheur du crâne. Il se moquait de Saccard, il le
trouvait bourgeois de se donner tant de peine pour gagner un argent qu’il
mangeait, lui, avec une si adorable paresse. Il était entretenu. Ses mains longues
et molles contaient ses vices. Son corps épilé avait une pose lassée de femme
assouvie. Dans tout cet être lâche et mou, où le vice coulait avec la douceur
d’une eau tiède, ne luisait seulement pas l’éclair de la curiosité du mal. Il
subissait. Et Renée, en regardant les deux apparitions sortir des ombres légères
de la glace, recula d’un pas, vit que Saccard l’avait jetée comme un enjeu,
49
comme une mise de fonds, et que Maxime s’était trouvé là, pour ramasser ce
louis tombé de la poche du spéculateur. Elle restait une valeur dans le
portefeuille de son mari ; il la poussait aux toilettes d’une nuit, aux amants d’une
saison ; il la tordait dans les flammes de sa forge, se servant d’elle, ainsi que
d’un métal précieux, pour dorer le fer de ses mains. Peu à peu, le père l’avait
ainsi rendue assez folle, assez misérable, pour les baisers du fils. Si Maxime
était le sang appauvri de Saccard, elle se sentait, elle, le produit, le fruit véreux
de ces deux hommes, l’infamie qu’ils avaient creusée entre eux, et dans laquelle
ils roulaient l’un et l’autre.

Problématique :
Comment l’hallucination de Renée introduit le fantastique comme un
intermédiaire pour une prise de conscience qui finit dans la déchéance ?

Axes de réflexion :
- De l’hallucination au fantastique.
- Prise de conscience
- déchéance

1. L’hallucination et le fantastique

- Regard problématique : il se situe aux côtés du flou, de l’indécis « elle


crut voir », « regardent les deux apparitions » dans la glace : nous
sommes face à une illusion de la réalité, à mi-chemin entre le réel et le
surnaturel.
- L’indécis, le motif de la glace, l’atmosphère du mystère « l’ombre
bleuâtre » introduisent le fantastique.
- Dans ce monde superposé au monde réel surgit deux figures, la
première de Saccard et l’autre de Maxime. Le mot « apparition » qui
définit leur présence est charrie de dimension biblique qui rappelle
l’apparition illuminante du Christ :
- Zola inverse le cliché biblique : l’apparition de ces deux figures est
teintée d’obscurité : « noirâtre, ricanant, avait une couleur de fer ».
- « Renée le voyait dans la forge, dans les éclats du métal rouge, la
chair brûlée, haletant…. » : Saccard revêt le portrait de l’alchimiste
qui transforme tout en feu y compris lui-même qui se consume imbibé
de désir.
- Ce désir est la substance qui crée Saccard. Quant à l’or il est la matière
qui le façonne « mâchant des pièces d’or ». cette image allégorique
constitue un déclic pour Renée.

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2. Une prise de conscience
Renée est avertie de l’essence de cet homme, un homme qui dépasse l’ordinaire,
qui possède des volontés et des puissances lui permettant de mettre tout le
monde à son insu.
L’image du démiurge rappelle le surhomme (Nietzsche) qui outrepasse l’homme
ordinaire par ses qualités :
- la métaphore filée de l’agilité « sautant sur les obstacles, roulant en pleine
boue, ne prenant pas le temps de s’essuyer, ne s’arrêtant pas…. »
- L’hyperactivité et la frénésie qui jalonnent du mouvement du personnage
témoigne de sa mollesse, sa capacité de l’ubiquité qui redresse en filigrane
l’image du diable.
- Le portrait de Maxime succède à celui du père :
• Positionnement « apparaissait derrière l’épaule rude de son père »
• Traits : « le sourire de fille », « yeux vides de catin » « ses longues
mains contenaient ses vices » : description de l’efféminé destiné à
la débauche.
• Paresseux, inactif, indifférent à l’argent : il paraît au début
dissemblable par rapport à son père
• De plus près : « un être lâche et mou » : la mollesse est le point de
ressemblance entre lui et son père, caractéristique qui permet aux
deux de changer de forme, de s’adapter à toutes les situations, d’y
accéder facilement notamment quand il s’agit de vice « qui coulent
avec la douceur d’une eau tiède »
- La métaphore de l’eau : la fluidité s’ajoute à l’agilité, rend le
personnage pénétrable au mal : l’axiome de l’hérédité est
omniprésent : Maxime ressemble à son père : L’un affairiste, l’autre se
prostitue, les deux sont érigés par la même substance (le désir et la
démesure).

3. La déchéance de Renée
- Traumatisme de Renée devant cette prise de conscience, harcelée par
l’hallucination qui rend de plus en plus flou sa vision. Les distances
s’estompent.
- Elle prend conscience de sa propre vérité : comprend que Saccard
« l’avait jetée comme un enjeu, comme une mise de fonds » : elle
n’était qu’une marchandise, un moyen pour amasser l’argent que
« Maxime s’était trouvé là pour ramasser…….spéculateur ».
- Chosification de Renée : « la tordait dans les flammes de sa forge »,
un modèle forgé par le forgeron, victime de son bourreau.

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- Cette dépossession la rend « assez folle, assez misérable pour les
baisers du fils », partagé entre le père et le fils « ce dernier qui n’a fait
qu’accomplir l’œuvre de son père ».
Maxime et Renée, les deux sont la production du père ; lui « le sang appauvri »,
il porte les gènes de la médiocrité du père et elle « le produit, le fruit véreux de
ces deux hommes » qui tirent leur force de leur race et du milieu dans lesquels ils
sont prospérés les germes de cette race. Les deux sont les résultats de
« l’infamie », du dénuement moral qui mène vers les ténèbres, vers l’abîme « ils
roulaient l’un et l’autre ».

Ce passage représente une scène cruciale dans le parcours de Renée. La prise de


conscience est le début de l’effondrement. La vision s’estompe pour devenir de
plus en plus clair. Le ressort est débandé ; les prémisses de la folie rejaillissent
pour tracer la fin tragique de Renée.

Extrait 6 :
Renée étouffait, au milieu de cet air gâté de son premier âge. Elle ouvrit la
fenêtre, elle regarda l’immense paysage. Là rien n’était sali.
Elle retrouvait les éternelles joies, les éternelles jeunesses du grand air. Derrière
elle, le soleil devait baisser ; elle ne voyait que les rayons de l’astre à son
coucher, jaunissant avec des douceurs infinies ce bout de ville qu’elle
connaissait si bien. C’était comme une chanson dernière du jour, un refrain de
gaieté qui s’endormait lentement sur toutes choses. En bas, l’estacade avait des
luisants de flammes fauves, tandis que le pont de Constantine détachait la
dentelle noire de ses cordages de fer sur la blancheur de ses piliers. Puis, à
droite, les ombrages de la Halle aux vins et du Jardin des Plantes faisaient une
grande mare, aux eaux stagnantes et moussues, dont la surface verdâtre allait se
noyer dans les brumes du ciel. À gauche, le quai Henri-IV et le quai de la Rapée
alignaient la même rangée de maisons, ces maisons que les gamines, vingt ans
auparavant, avaient vues là, avec les mêmes taches brunes de hangars, les
mêmes cheminées rougeâtres d’usines. Et, au-dessus des arbres, le toit ardoisé
de la Salpêtrière, bleui par l’adieu du soleil, lui apparut tout d’un coup comme
un vieil ami. Mais ce qui la calmait, ce qui mettait de la fraîcheur dans sa
poitrine, c’étaient les longues berges grises, c’était surtout la Seine, la géante,
qu’elle regardait venir du bout de l’horizon, droit à elle, comme en ces heureux
temps où elle avait peur de la voir grossir et monter jusqu’à la fenêtre. Elle se
souvenait de leurs tendresses pour la rivière, de leur amour de sa coulée
colossale, de ce frisson de l’eau grondante, s’étalant en nappe à leurs pieds,

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s’ouvrant autour d’elles, derrière elles, en deux bras qu’elles ne voyaient plus, et
dont elles sentaient encore la grande et pure caresse. Elles étaient coquettes déjà,
et elles disaient, les jours de ciel clair, que la Seine avait passé sa belle robe de
soie verte mouchetée de flammes blanches ; et les courants où l’eau frisait
mettaient à la robe des ruches de satin, pendant qu’au loin, au-delà de la ceinture
des ponts, des plaques de lumière étalaient des pans d’étoffe couleur de soleil.

1. Mise en situation :

Ce passage se situe à la fin du roman. Renée s’agonise. Étouffée, elle ouvre la


fenêtre pour jeter son dernier regard sur le monde.

2. Problématique :

Comment du paysage dépeint par des techniques impressionnistes émane une


subjectivité qui met en opposition ville et nature ?

3. Axes de réflexion

- Paysage impressionniste
- Opposition ville/ nature

1. Le paysage impressionniste

- La focalisation : le paysage est décrit via le regard de Renée, donc


c’est une focalisation interne.
- Usage des techniques impressionnistes :
• Positionnement en plongée : Renée domine le paysage en haut :
« en bas l’escalade avait de luisant ….puis à droite…………à
gauche ».
• La lumière : le soleil se trouve « derrière elle », rend la vision
plus claire.
• Le temps : « le coucher du soleil », moment si cher pour les
impressionniste (soleil couchant : Manet).
• Une palette de couleurs flamboyantes : « jaunissant », « flammes
fauves » « surface verdâtre » « chemins rougeâtre » :
fonctionnent en harmonie avec les effets de contraste « le noir,
le blanc, la blancheur »
• Usage de l’hypotypose : un tableau animé, vif et en même temps
porteur d’une impression de mélancolie comme l’exprime le
suffixe « âtre » associé aux couleurs.
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Ce sentiment émane d’un malaise ressenti par Renée, tiraillée entre les deux
espaces qui forment ce paysage : ville et nature

2. Mise en opposition : ville/ nature

- La description à tendance impressionniste met en avant une critique


sous-jacente de l’urbanisme : « l’estacade avait des luisants de
flammes fauves tandis que le pont de Constantine [….] la dentelle
noire de ses cordages de fer….ses piliers » : l’intrusion de l’urbanisme
a défiguré la beauté de la nature, l’a souillé même « les ombrages de la
Halle aux vins faisaient une grande mare, aux stagnantes et
moussues. »

- La critique est destinée aux affairistes, ceux qui ont ôté à la ville sa
beauté et son identité, se sont accaparés des terres, hangars, usines
pour en faire le quai Henri VI et le quai de la Râpée. Zola s’en prend
de ces gens qui ont démoli des lieux de mémoire pour réaliser leurs
projets.

- La position de Zola vis-à-vis de l’affairisme devient de plus en plus


familière pour le lecteur, mais ce qui intrigue c’est que cette critique
cette fois-ci prend forme à partir du regard de Renée, jadis alliée,
complice de la mondanité et du luxe offert par cet urbanisme.

- De sa subjectivité découle une relation d’intimité et d’entente avec la


nature : « là rien n’était salit » : l’adverbe « là » s’oppose à Paris.
Dans ce monde nouveau « elle retrouvait les éternelles joies » « des
douceurs infinies » : le nouveau lieu de Renée est un monde intact pur
où elle éprouve de l’euphorie, du bien-être.

- Le lexique employé crée une dimension lyrique dans ce passage :


Renée s’exalte dans ce calme, se réjouit au sein de ce monde qui
« mettait de la fraîcheur dans sa poitrine » où son âme s’harmonise
avec les plantes, où elle trouve son « identité originelle » « ces
heureux temps », de « leurs tendresses », « leur amour », « aux pieds
de la Seine », « la géante ».

- La personnification de la Seine prend une dimension épique, lieu de


mémoire, source d’amour et de tendresse pour les petites filles, il
s’allégorise, prend forme d’une mère protectrice « l’eau grondante
s’étalant en nappe à leurs pieds…..s’ouvrait…caresse » : l’image de
l’eau purifie Renée, elle retrouve le vrai luxe, c’est la Seine qui devient
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maintenant habillée de « robe de ruches de satin……de couleur de
soleil », un luxe naturel, simple, fidèle et surtout immuable voire
éternel.

- Zola glorifie la mémoire de La Seine ; lieu qui a écrit des histoires et


Histoire, lieu des souvenirs collectifs, de la mémoire collective gravée
sur ses bords (locus amoenus) qui s’oppose au locus horribils (Paris) :
le produit des affairistes qui ont défiguré l’Histoire, la mémoire pour
rebâtir une histoire faussée dépouillée du vrai.

La nouvelle Phèdre sort du monde de la débauche, elle parvient à comprendre


que la culture corrompt les gens, que le luxe urbain mène à la luxure. Ce passage
fonctionne comme un moment de confession, d’apaisement qui précède la mort
de Renée.
Cette confession est aussi un discours virulent contre l’urbanisme qui déprave la
ville de ces lieux de mémoire et de son Histoire.

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