PLS N402
PLS N402
PLS N402
XXXXXXXXAUTISTES : comment
: comment sauverles protéger
la pêche despêcheurs
et les charlatans??
Dinosaur es
On a retrouvé du sang
dans leurs fossiles
À quoi servent
les supraconducteurs ?
De l’imagerie médicale
aux réseaux d’électricité
Les Vikings
en Normandie
Une intégration réussie
Les insectes-robots
Des scarabées en vol téléguidé
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3:HIKMQI=\U[WU^:?a@o@k@c@a; France métro : 6,20 € - DOM s : 7,30 € - BEL : 7,20 € - CH : 12 FS - CAN : 10,95 $ can - Grèce : 7,60 € - LUX - Italie – PORT cont : 7,20 €
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ÉDITO
de Françoise Pétry directrice de la rédaction
POUR LA
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Groupe POUR LA SCIENCE
Directrice de la rédaction : Françoise Pétry
Pour la Science
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier,
Philippe Ribeau-Gésippe, Bénédicte Salthun-Lassalle
Dossiers Pour la Science
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
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Contre le dogmatisme
Cerveau & Psycho
L’Essentiel Cerveau & Psycho C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique.
Rédactrice en chef : Françoise Pétry
Rédacteur : Sébastien Bohler Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688
Directrice artistique : Céline Lapert
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P
Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy as plus que les autres domaines, la science n’est à l’abri des
Site Internet: Philippe Ribeau-Gésippe assisté de Ifédayo Fadoju dogmes. Ils y sont même légion, mais tombent peut-être plus
Marketing: Élise Abib régulièrement qu’ailleurs, grâce aux travaux des chercheurs,
Direction financière : Anne Gusdorf
Direction du personnel : Marc Laumet quand s’impose l’évidence apportée par de nouveaux résul-
Fabrication : Jérôme Jalabert assisté de Marianne Sigogne tats. Ainsi en va-t-il en paléontologie: jamais nous ne retrouverons de restes
Presse et communication : Susan Mackie
Directrice de la publication et Gérante: Sylvie Marcé organiques dans des fossiles de dinosaures! Et des traces de globules
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This
Ont également participé à ce numéro :
rouges tapis au creux des os fossilisés se révèlent (voir Dinosaures: on a
Alain Bousquet-Mélou, Eric Buffetaut, Bettina Debû, Guillaume retrouvé leur sang, page 30). En archéologie: les Vikings sont venus en
Duménil, Étienne Guyon, Évelyne Host-Platret, Philippe
Lognonné, Martine Maïbeche-Coisné, Marie-Christine Maurel, conquérants aux alentours de l’an Mil, quand ils ont envahi la vallée de la
Raphaël Mercier, Nicolas Peretto, Pierre Pica, Christophe Pichon, Seine! Mais à y regarder de plus près, on constate que les noms de nom-
David Point, Laureline Porcar, Marc de Rafélis, Valérie Simon-
neaux, Jeroen Sonke, Daniel Tacquenet, Christophe Tzourio. breux hameaux, villages, villes et fleuves portent la marque d’une origine
PUBLICITÉ France nordique; les Vikings ont davantage cherché à s’intégrer qu’à s’imposer
Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin
(jf.guillotin@pourlascience.fr), assisté de Nada Mellouk-Raja par la force dans cette région (voir Les Vikings de la Seine, page 38).
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En technologie: les dispositifs supraconducteurs, refroidis à l’hélium
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Quand s’impose l’évidence...
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de distribution d’électricité ou encore les dispositifs d’imagerie médi-
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Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, cale (voir La supraconductivité à l’ère industrielle, page 76). Ou encore
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Suisse: Servidis: Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis
en astronomie: Mercure est si proche du Soleil que cette petite planète
Belgique: La Caravelle: 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles. n’est certainement rien d’autre qu’un astre mort! Pourtant, même si cette
Autres pays: Éditions Belin: 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06.
planète n’est pas beaucoup plus grosse que la Lune, elle retient une
SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristina. Editors: Ricky
Rusting, Philip Yam, Gary Stix, Davide Castelvecchi, Graham Collins, Mark atmosphère ténue, est dotée d’un champ magnétique, et sa surface
Fischetti, Steve Mirsky, Michael Moyer, George Musser, Christine Soares, Kate témoigne d’une activité volcanique passée (voir Mercure: une planète
Wong. President : Steven Inchcoombe. Vice President : Frances Newburg.
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou
dans la fournaise, page 60).
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents conte- À mesure que les connaissances progressent, l’ignorance recule, les
nus dans la revue «Pour la Science», dans la revue «Scientific American»,
dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par dogmes aussi. Mais quand la science n’apporte pas les réponses atten-
écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. dues, le dogmatisme résiste. Ainsi, la recherche n’avance pas aussi vite
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adap- que le voudraient les parents d’enfants atteints d’autisme, et, comme tou-
tation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le
nom commercial «Scientific American» sont la propriété de Scientific Ame- jours dans ces cas-là, les charlatans profitent de la détresse des per-
rican, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ».
sonnes concernées, assénant leurs théories fallacieuses. Ils proposent
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de
reproduire intégralement ou partiellement la présente revue des solutions au mieux inefficaces, au pire dangereuses (voir Autisme,
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de attention aux charlatans !, page 46). Il est urgent de donner aux cher-
l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augus-
tins - 75006 Paris). cheurs et aux médecins les moyens nécessaires pour améliorer la prise
en charge de ces enfants, dont le nombre ne cesse d’augmenter.
SOMMAIRE
1 ÉDITO À LA UNE
4 BLOC-NOTES
Didier Nordon
30 PALÉONTOLOGIE
Actualités Dinosaures :
6 Un cœur superfluide on a retrouvé
dans les étoiles à neutrons leur sang
9 Lucy avait le pied arqué
11 L’argile, berceau de la vie ? Mary Schweitzer
12 Le cannibalisme La préservation
de matériaux organiques
nutritionnel de Gough’s Cave durant plusieurs dizaines
... et bien d’autres sujets. de millions d’années passait
pour impossible.
Pourtant, les paléontologues
14 ON EN REPARLE en trouvent de plus en plus
dans des os de dinosaures.
Opinions
16 POINT DE VUE
Moins d’antibiotiques : 38 Les Vikings de la Seine
ARCHÉOLOGIE
88 EN IMAGES
Ventouses sous pression
Frank Grasso
90 LOGIQUE & CALCUL
Du rêve à la réalité
des preuves
Jean-Paul Delahaye
Les ordinateurs ne savent pas prouver
BLOC-NOTES
de Didier Nordon
U ne statistique affligeante
vient d’être publiée. Dès la fin
de leur première année de
retraite, 80 pour cent des profes-
seurs de mathématiques ont oublié
lecture, puisque la contrainte tem-
porelle n’a pas changé: nous devons
lire une ligne après l’autre. Pou-
voir en lire plusieurs à la fois, voilà
qui serait une expérience sans pré-
la formule donnant sin(a+b). Au cédent. Cette façon de lire nous
bout de deux ans, ils sont 95 pour ferait accéder à une compréhen-
cent à ne plus savoir pourquoi moins sion riche comme une polyphonie :
par moins fait plus. Qu’une troisième l’effet musical créé par des sons
année s’écoule, et ils se mettent à hésiter sées, de tant de gens. Les extrémistes (il simultanés n’a rien à voir avec ce qui se pro-
sur l’orthographe de leur ancienne disci- s’en trouve toujours) affolent les débats duit si les notes de chaque accord sont égre-
pline. Matémathiques ? Mathémathiques ? par leurs surenchères et en faussent l’is- nées l’une après l’autre. Le plaisir de la
Matématiques ? sue. Quand d’innombrables volontés s’en- lecture serait métamorphosé, comme le
Toujours empressé dans sa lutte contre trechoquent, le choix retenu n’exprime la plaisir du palais est métamorphosé par la
les incompétents, le ministre de l’Éduca- volonté de personne. Il peut être sensé dans cuisine : déguster un gâteau est un délice
tion va instituer des cours de recyclage obli- le contexte où il a été opéré, et exercer incomparable avec la sensation que cause-
gatoires afin de maintenir les ex-professeurs ses effets dans un contexte où il ne l’est rait l’absorption successive de l’œuf, du
de mathématiques à un niveau digne de plus. Aucune décision ne répond à tous les sucre, de la farine, de la levure, du sel,
la fonction qu’ils ont autrefois occupée. aspects du problème qu’elle prétend etc., qui composent celui-ci.
Tant qu’on n’est pas mort, on n’est jamais résoudre. Certains acteurs la feront servir Vivement l’hyperlecture ! Camarades
tranquille... surtout pas en avril. à des fins que nul n’imaginait. Dans la masse inventeurs, tâchez de trouver un procédé par
énorme des mesures prises pour gérer des lequel nous pourrons lire plusieurs textes
populations, les contradictions, les incohé- simultanément, d’un seul et même coup
rences, les lacunes, sont inévitables. d’œil. En vous inspirant de la musique et
§ À QUAND LA LOI Quelques-uns sauront les utiliser à leur pro- des gâteaux, vous devriez y parvenir.
fit, d’autres en seront victimes.
DES PETITS NOMBRES ? Un morceau de bravoure apprécié des
ACTUALITÉS
Astrophysique
a b
NASA/CXC/M.Weiss)
d’une paire
NASA/CXC/M.Weiss
Neutron
Neutrino
A c t u a l i t é s
Préhistoire
breuses traces de découpe (ci-contre, en bas) sur les zones d’attaches de l’Université de l’Alaska ont
musculaire et tendineuse. Ils ont été trouvés dans la grotte d’Anjohibe montré que la température de
(ci-contre), au Nord-Ouest de la Grande île, donc à proximité des deux l’animal ne passe que de 37 °C
voies les plus courtes pour une colonisation humaine: celle du Nord- à 32 °C, tandis que sa consom-
Ouest passant par les Comores (colonisation d’origine africaine) et celle mation d’oxygène, par exemple,
du Nord-Est (colonisation d’origine asiatique). Cette découverte indique baisse de 76 pour cent. Ainsi, chez
5 cm que l’homme a cohabité avec la grande faune disparue de l’île, puisqu’il les ours noirs, le métabolisme
en a consommé l’une des espèces. Or l’extinction il y a quelques millé- baisse proportionnellement beau-
naires de ces grands vertébrés, notamment de grands lémuriens, est inex- coup plus que la température.
pliquée. L’homme aurait-il joué un rôle?
.§ Maurice Mashaal.
D. Gommery et al., Comptes Rendus de l’Académie des Sciences (série Palevol), à paraître, 2011 L’ILLUSION DU DEMI-SHIVA
A c t u a l i t é s
Astrophysique
Biologie cellulaire
L ucy, l’australopithèque
femelle découverte en1974
en Éthiopie, allait debout,
mais pouvait-elle courir ? Jusqu’à
présent, comme on n’avait pas
États-Unis, une équipe vient d’étu-
dier en détail le quatrième méta-
tarsien (os situé entre le tarse et
les phalanges du pied) d’un aus-
tralopithèque particulièrement
un pied arqué et suffisamment
raide pour, d’une part, amortir les
chocs et, d’autre part, emmagasi-
ner de l’énergie dans la plante du
pied lors de chaque poussée au sol.
21 contrepétries – y compris
le titre – et, le 1er avril,
vous trouverez quelques indices
sur notre site.
© Shutterstock/mashe
retrouvé d’os fossiles du pied, bien conservé qui, comme Lucy, Ainsi, la transition d’un mode fr www.pourlascience.fr
on ne pouvait pas savoir si Aus- a été trouvé récemment sur le site de vie arboricole vers une station
tralopithecus afarensis, hominidé de Hadar en Éthiopie. Les cher- debout au sol, qui incluait la course
qui a vécu entre 3,7 et 2,9 millions cheurs ont établi que les deux et une exploitation de l’environ-
d’années, était, comme nous, extrémités de cet os, vieux de nement à plus grande échelle,
capable de marcher ou de courir 3,2 millions d’années, sont reliées semble avoir été déjà accomplie il
sur de grandes distances. L’ana- par un arc osseux, dont la pente y a environ 3,7 millions d’années.
lyse d’un os de pied d’australo- devient relativement grande vers Elle constitue l’une des grandes
K. A. Congdon
pithèque suggère aujourd’hui que l’orteil. Nombre des caractéris- étapes de l’hominisation, la course
les congénères de Lucy avaient un tiques de ce métatarsien sont par étant nécessaire à la transforma-
pied arqué comparable au nôtre, ailleurs les mêmes que chez tion des charognards-cueilleurs en L’os étudié est le quatrième méta-
et donc adapté à la course. l’homme moderne. chasseurs-cueilleurs. tarsien, l’un des os longs du pied
Autour de Carol Ward, de Ces observations suggèrent .§ François Savatier. (ci-dessus en position dans un pied
l’Université du Missouri aux que les australopithèques avaient Science, vol. 331, pp. 750-753, 2011 d’homme moderne).
A c t u a l i t é s
Biologie moléculaire
L’invasion du méningocoque
D ans 20 à 25pour cent des cas,
les méningites – des infec-
tions des méninges qui
entourent le cerveau– sont dues à
de se multiplier, puis de former des
agrégats. Quand ces agrégats se
fragmentent, des méningocoques
s’échappent et pénètrent dans les
mination de la bactérie : quand ces
groupes chimiques se fixent à la
piline, ses propriétés changent, et
la bactérie perd alors la capacité de
A c t u a l i t é s
Botanique Chimie
à trois, ni rassembler un nombre donné d’objets (plus de trois), quand Des liposomes
on le leur demande. se sont formés
Ces travaux montrent qu’il ne suffit pas d’être en contact avec dans une vésicule
un système d’échange monétaire pour développer une représenta- de montmorillonite.
tion des nombres, suite croissante d’éléments ; le langage jouerait Trop gros pour
un rôle déterminant dans l’adoption ou non de cette représentation. ressortir, ils restent
Pour Pierre Pica, linguiste au CNRS, ce résultat soulève surtout une piégés dans
autre question: pourquoi ces individus – et les Mundurucus – n’in- la vésicule où
tègrent-ils pas la numération dans leur gestuelle, alors qu’ils auraient ils s’organisent.
la capacité de le faire (certains de leurs compatriotes sourds le font) ?
.§ Marie-Neige Cordonnier.
E. Spaepen et al., PNAS, vol. 108, n° 8, pp. 3163-3168, 2011
fr En vidéo sur www.pourlascience.fr
A c t u a l i t é s
Paléoanthropologie
Cerf Les chercheurs ont étudié sous toutes été découvertes dans les grottes magdalé-
les sutures des ossements humains retrou- niennes d’Isturitz dans le Pays basque et du
vés mêlés à ceux d’animaux dans la grotte Placard en Charente. C’est cependant la
de Gough (Gough’s Cave) dans le Somer- première fois que de tels objets sont trouvés
Cheval Lynx set. Découverts entre 1929 et 1987, ces os dans un contexte clairement cannibale.
Trois crânes humains transformés en coupes à boire comprennent notamment ceux d’un enfant D’après Bruno Boulestin, du Laboratoire d’an-
(en haut, l’un d’eux) et datant de quelque 15 000 ans de trois ans, de deux adolescents et de deux thropologie des populations passées et pré-
ont été découverts en Grande-Bretagne. La façon jeunes adultes. Ils datent d’environ sentes de l’Université de Bordeaux 1, ces
dont les os des mâchoires ont été travaillés (en bas) 14 700 ans, comme l’a révélé le carbone 14, coupes ont pu représenter une sorte de tro-
indique que les techniques de dépeçage des animaux c’est-à-dire du tout début de la reconquête, phée pris à l’ennemi, comme ce fut le cas plus
ont été appliquées à l’homme. par des hommes modernes de culture mag- tard chez les Scythes ou les Gaulois. Ainsi,
dalénienne (il y a 17 000 à 10 000 ans), de nos ancêtres chassaient l’homme, et le
la péninsule Européenne que formaient consommaient, car ils lui prêtaient une valeur
alors les futures îles britanniques. nutritive. Et symbolique aussi sans doute.
En ces temps de déglaciation rapide, .§ F. S..
un groupe de chasseurs avait manifeste- S. Bello et al., PLoS One, vol. 6(2), 2011
1 an au prix de 48 e
soit 4 e seulement par numéro au lieu de 5,20 e
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ON EN REPARLE
Retour sur des sujets déjà traités dans nos colonnes
© NASA/JPL/Université d’Arizona
les migraineux et les causes et les mécanismes d’hui très lentement dans un climat glacial et
de la migraine restent encore inconnus (voir aride, au point que certains scientifiques pen-
Le cerveau migraineux, Pour la Science, décem- sent qu’elles sont figées depuis leur apparition
bre 2008, http://bit.ly/plsoer374). Toute- (voir Mars, des dunes insolites, Pour la Science,
fois, Tobias Kurth, de l’Unité Inserm Neu- décembre 2008, http://bit.ly/plsoer374_2).
roépidémiologie, et ses collègues annoncent Candice Hansen, de l’Institut des sciences pla-
que les migraines, ainsi que les maux de tête nétaires à Tucson aux États-Unis, et ses col- Les dunes de Mars sont recouvertes
d’une couche gelée de dioxyde de
importants et à répétition, n’augmentent lègues ont analysé pendant deux ans les carbone; quand ce dernier se sublime
pas le risque de déclin cognitif. En effet, nouvelles images de la sonde spatiale Mars au printemps, il favorise les ava-
on sait que le cerveau des migraineux Reconnaissance Orbiter. Ils ont montré qu’un lanches de sable.
présente davantage de lésions des micro- phénomène absent sur Terre participe au remo-
vaisseaux cérébraux (mais on ignore pour- delage, à la diversité et à la particularité des formes observées des dunes: elles subis-
quoi); or ces lésions seraient associées à une sent une remobilisation saisonnière du sable à leur surface (Science, février 2011).
détérioration cognitive, à un risque plus En effet, au cours de l’hiver martien, les dunes sont couvertes d’une couche de
important de maladie d’Alzheimer ou d’ac- dioxyde de carbone gelé. Au printemps, ce dioxyde de carbone se sublime, favo-
cident vasculaire cérébral. Les chercheurs risant alors l’érosion des dunes et les avalanches de sable.
ont étudié pendant dixans plus de 800per-
sonnes âgées de plus de 65ans, en réalisant
des tests de cognition et des IRM cérébrales. LE CYCLE DU MERCURE tions en mercure et méthylmercure dans
Vingt et un pour cent des participants les régions arctiques montrent des varia-
souffraient de céphalées importantes (pour DÉPEND DE LA BANQUISE... tions géographiques et temporelles com-
70 pour cent d’entre eux, il s’agissait de mi- ET DU CLIMAT plexes. Une collaboration franco-américaine
graines), mais les résultats des tests cogni- a montré que le climat influe sur le cycle
tifs étaient identiques avec ou sans les maux
de tête (British Medical Journal, janvier 2011).
Si les migraineux avaient en effet deux fois
plus de risque de souffrir de lésions cérébra-
les, leur mémoire et leur capacité d’appren-
L e mercure est un élément toxique,
volatil et peu soluble, de sorte que
des vapeurs de mercure stagnent
dans l’atmosphère et diffusent tout autour
du globe. Les émissions anthropiques de
du mercure (Nature Geoscience, février2011).
Les scientifiques ont étudié les œufs de
guillemots (des oiseaux marins) récupé-
rés dans différentes régions arctiques. Ces
oiseaux se trouvent en haut de la chaîne ali-
tissage n’étaient pas davantage altérées. mercure (issues de la combustion de mentaire et représentent de bonnes espèces
matières fossiles) ont dépassé les émissions sentinelles pour étudier la pollution au mer-
naturelles (provenant des océans et du cure dans les écosystèmes marins; la quan-
dégazage des volcans) et atteignent les tité de mercure dans leurs œufs reflète celle
régions polaires sous l’effet des courants du métal sur le site du prélèvement à un
atmosphériques. Le mercure s’oxyde alors instant donné. Les scientifiques ont mon-
et se dépose dans la neige et la glace, d’où tré que ces variations sont dues à la pré-
il est libéré à la fonte des glaces sous forme sence ou à l’absence de banquise près du
d’une substance toxique, le méthylmer- lieu de ponte: la banquise empêche la dégra-
© C. Tzourio
cure, qui s’accumule dans les organismes dation du méthylmercure par le Soleil et
vivants le long de la chaîne alimentaire(voir limite les échanges de mercure entre l’océan
En imagerie par résonance magnétique, dif- Du mercure aux pôles, Pour la Science, Arctique et l’atmosphère. Ainsi, la fonte de
férentes lésions sont visibles (flèches) dans août 2004, http://bit.ly/plsoer322). la banquise accentue la libération du pol-
le cerveau d’une personne souffrant régu-
lièrement de céphalées (à droite), comparé Depuis une vingtaine d’années, les pro- luant dans l’atmosphère.
à une personne n’en ayant jamais(à gauche). grammes de surveillance des concentra- . Bénédicte Salthun-Lassalle.
OPINIONS
POINT DE VUE
L
a campagne «Les antibiotiques: ignore comment évoluera ce nombre. Nous mation des antibiotiques chez l’homme ne
c’est pas automatique » a eu sommes entrés dans une période d’incerti- suffira pas, car les humains ne sont pas
deux conséquences : la dimi- tude. Les antibiotiques sont devenus une res- les seuls gros consommateurs : plus de
nution de la consommation de source limitée qu’il faut préserver. Un usage la moitié des antibiotiques utilisés en
ces médicaments et la prise de conscience raisonné et parcimonieux s’impose. France le sont par les animaux. Or si les
de la fin des « produits miracles ». Le temps Depuis une dizaine d’années, un plan bactéries responsables des maladies chez
des pionniers de l’histoire des antibiotiques, national visant à préserver l’efficacité des l’homme et chez l’animal diffèrent géné-
dans les années 1940 et 1950, est bien loin. antibiotiques a été mis en place en méde- ralement, les familles d’antibiotiques uti-
Pendant les 30 années qui ont suivi leur cine humaine. Son efficacité est avérée : lisés par les médecins, d’une part, et les
découverte – années d’emballement col- selon la Direction générale de la santé, la vétérinaires, éleveurs et agriculteurs,
lectif –, les limites du raisonnable ont été consommation d’antibiotiques a diminué d’autre part, sont les mêmes.
franchies. La consommation d’antibiotiques de près de 15 pour cent entre 2002 et 2009, Les antibiotiques favorisent la survie et
n’a cessé de croître, notamment dans notre avec 40 millions de prescriptions inutiles la prolifération de bactéries résistantes
pays, sans que les indications ne soient tou- évitées depuis le début des actions, soit et, par conséquent, la multiplication des
jours justifiées. Seuls le dynamisme et gènes de résistance. L’homme et l’ani-
l’ingéniosité de l’industrie pharma- UNE ÉVOLUTION DARWINIENNE mal étant traités avec les mêmes
ceutique, qui mettait régulièrement sur familles d’antibiotiques, les gènes de
le marché des nouvelles molécules, accélérée de la résistance résistance qu’ils sélectionnent sont
ont permis de masquer l’apparition se déroulait sous nos yeux, les mêmes. Or les gènes – notamment
de la résistance des bactéries aux anti- mais personne ne voulait la voir. les gènes de résistance – se trans-
biotiques. Personne n’a mesuré alors mettent d’une population bactérienne
les risques qu’il y avait à ne pas prendre l’équivalent d’un hiver de prescriptions. Le à une autre, qu’elle soit humaine ou animale,
en compte les capacités du vivant à faire recul le plus fort touche les enfants : on a pathogène ou non, et les conditions actuelles
face aux situations et aux contraintes nou- enregistré une diminution de 31 pour de mondialisation de l’élevage et de distri-
velles : une évolution darwinienne accélé- cent pour les enfants de moins de cinq ans, bution des produits facilitent ces échanges.
rée de la résistance se déroulait sous nos et de 36 pour cent pour les 6-15 ans. Dans De surcroît, les animaux domestiques vivent
yeux, mais personne ne voulait la voir. le même temps, la fréquence des pneu- à proximité des humains et peuvent échan-
Puis, au début des années 1980, la mocoques peu sensibles à la pénicilline a ger bactéries et gènes de résistance. L’an-
découverte et la mise sur le marché de diminué (ils représentaient 53 pour cent tibiothérapie vétérinaire et d’élevage a une
nouveaux antibiotiques ayant cessé, l’avance des souches en 2001 contre 32 pour cent influence notable sur la résistance des bac-
que nous avions prise sur les bactéries en 2008). Néanmoins, après des années téries humaines. Ainsi, les principales orga-
s’est réduite. L’époque de la maîtrise des infec- de baisse, on constate une reprise de la nisations mondiales de santé humaine et
tions bactériennes par les antibiotiques tou- consommation depuis deux ans. Les actions animale, ainsi que d’agriculture, cher-
chait à sa fin. Aujourd’hui, des bactéries de sensibilisation aux risques d’une sur- chent à faire adopter une liste d’antibio-
résistant à tous les antibiotiques disponibles consommation doivent se poursuivre. tiques dont l’utilisation chez les animaux
apparaissent, sans doute quelques dizaines Toutefois, quelle que soit son effica- devrait être proscrite afin d’en préserver l’ef-
par an en France encore seulement, mais on cité, un plan pour le contrôle de la consom- ficacité chez l’homme.
Opinions
Or, dans ces conditions, c’est tout un nomiquement, devient secondaire, sauf à la à ajuster les doses administrées en fonc-
secteur qui sera confronté à de graves dif- repenser. C’est la tâche à laquelle se consacre, tion du stade de la maladie, par une détec-
ficultés économiques. Si les éleveurs utili- en France, le nouveau Comité national de tion plus précoce des animaux infectés. En
sent moins d’antibiotiques, les risques coordination pour un usage raisonné des l’absence de recherches visant à découvrir
d’épidémies se multiplieront, entraînant antibiotiques en médecine vétérinaire, en de nouveaux antibiotiques, on est face à
des pertes parmi les animaux malades, et concertation avec les autres agences euro- un défi : préserver l’efficacité de molécules
les autres acteurs de la filière seront éga- péennes du médicament animal. qui ont permis à l’homme de s’affranchir des
lement touchés : les producteurs d’anti- Plusieurs pistes sont envisagées, par épidémies qui ont jalonné son histoire, mais
biotiques, et les vétérinaires, souvent à la exemple mieux surveiller l’apparition et l’évo- contre lesquelles les bactéries résistent tous
fois prescripteurs et distributeurs. Un pan lution des bactéries résistantes et mieux les jours un peu mieux. I
entier d’un secteur important de l’économie utiliser les antibiotiques actuels ; en un mot,
nationale devra trouver un nouvel équilibre traiter aussi bien en consommant moins.
pour conserver sa compétitivité. Aujourd’hui, lors d’un épisode infectieux, tout Antoine ANDREMONT est microbiologiste
Et pourtant, avons-nous le choix ? Les le troupeau reçoit la même dose. Or diverses à la Faculté de médecine
antibiotiques doivent rester des médica- équipes, dont celle d’Alain Bousquet-Mélou, de l’Université Paris-Diderot.
ments actifs pour soigner les infections bac- de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, A. Andremont et M. Tibon-Cornillot,
Le triomphe des bactéries : la fin
tériennes des hommes, au risque de voir ont montré que la dose administrée et le des antibiotiques ?, Max Milo, 2006.
réapparaître d’anciens fléaux. Devant cette moment où l’on intervient sont déterminants:
réalité, l’utilisation des antibiotiques chez un animal traité très tôt a besoin de moins Réagissez en direct
l’animal, pour importante qu’elle soit éco- d’antibiotiques. On pourrait ainsi apprendre fr àwww.pourlascience.fr
cet article sur
ÉCONOMIE
À
l’heure où j’écris, Ben Ali et mécréants si Tintin n’était pas parvenu à le jamais une telle importance, et la Marque
Moubarak ont perdu le pou- récupérer in extremis. Mais hors des aven- Jaune, par exemple, peut dévaliser la Tour
voir, et celui de Kadhafi ne tient tures de Tintin, les bijoux de la Couronne n’ont de Londres sans que la monarchie britan-
qu’à un fil. Mais qu’est-ce que nique ne vacille sur ses fondements.
le pouvoir? Est-ce vraiment un objet que l’on Je trouve beaucoup plus éclairant le conte
puisse perdre, comme une paire de clefs d’Andersen sur les habits de l’empereur. Celui-
qui glisse de votre poche quand vous vous ci est nu, mais on a annoncé à son de trompe
levez, ou une épée qui se détache du plafond qu’il était vêtu d’habits magnifiques, ouverts
au moment où l’on ne regarde pas ? à l’admiration de tous les bons patriotes et
On sait par exemple que le pouvoir du roi honnêtes gens, mais invisibles aux traîtres
de Syldavie est matérialisé par un sceptre et à tous ceux qui ont quelque chose à se
d’or, dit hérité de son ancêtre Ottokar, qu’il reprocher. Chacun donc, soucieux de ne
doit présenter au peuple tous les ans lors de pas se singulariser, se joint au concert de
la fête nationale. Le vol du sceptre, perpétré louanges sur la beauté de ces vêtements,
J.-M. Thiriet
en plein jour par d’audacieux conspira- et l’empereur lui-même, convaincu par l’admi-
teurs, aurait entraîné ipso facto la chute de ration générale, se croit propriétaire du plus
la monarchie et la prise du pouvoir par les bel habit du monde.
Opinions
C’est un bel exemple de ce que les éco- Si l’on dit à Untel d’aller se rhabiller, sur qui Le pouvoir, c’est l’illusion du pouvoir. Les
nomistes appellent un équilibre. L’habit se portera l’admiration aveugle des foules ? gens obéissent parce qu’ils croient que
n’existe pas en tant qu’objet matériel, c’est La théorie est muette sur ce point. Elle dit les autres vont obéir. Tous ces manifestants
une pure convention, un contrat moral entre quand il existe un équilibre (c’est le fameux qui ont occupé les places publiques pen-
plusieurs personnes. Chacun le respecte, théorème de John Nash, qui lui a valu un prix dant des semaines, au péril de leur vie, n’ont
car le dénoncer, c’est se dénoncer soi-même Nobel d’économie 50ans plus tard) et quand pas attendu 40 ans pour se faire une opi-
comme traître et mauvais citoyen : on peut il en existe plusieurs, mais elle ne dit pas nion sur leurs dirigeants. Mais il a fallu 40ans
le pardonner à un enfant, qui ne sait pas ce comment l’on en choisit un, ou comment pour qu’ils sachent que les autres pensaient
qu’il dit, mais un adulte s’exposerait à l’oppro- on passe de l’un à l’autre. Sur ce chapitre, comme eux, et qu’ils étaient prêts à des-
bre public et aux enquêtes de moralité, sinon elle n’enseigne que quelques évidences. Le cendre dans la rue pour le dire. On sait en
pis. La situation ainsi créée est donc stable : point essentiel est que la multiplicité est physique que les changements d’états sont
le nouvel habit de l’empereur n’est pas seu- un facteur d’instabilité : plus il y a d’équi- difficilement calculables.
lement magnifique, il est facile d’entretien, libres possibles, plus il sera difficile d’en choi- Ces prises de conscience n’auraient peut-
inusable, intachable, indéchirable, imper- sir un. Pour lever cette indétermination, pour être pas été possibles sans les nouveaux
dable. Elle durera tant que les déviants ne se coordonner sur l’un d’eux, les acteurs moyens de communication, comme Facebook
s’avoueront pas mutuellement leurs opi- feront en général intervenir des facteurs ou Twitter, car les médias traditionnels sont
nions, et ne se regrouperont pas pour pro- mineurs, qui au premier abord sembleraient sous le contrôle des pouvoirs économiques
clamer ensemble que l’empereur est nu. S’ils étrangers au problème. Dans l’euphorie de et politiques. L’équilibre ancien est détruit.
sont suffisamment nombreux, ils en entraî- la victoire, on couronnera Untel plutôt que Quel sera le nouveau? Il est trop tôt pour le
neront d’autres, et la société basculera vers Telautre, non parce qu’il a plus de qualités dire, mais on peut déjà saluer l’émergence
un nouvel équilibre. pour faire un empereur, mais parce qu’un de d’une nouvelle forme de démocratie. I
Lequel? Question délicate, car si les équi- ses partisans a été le premier à crier « Vive
libres sont stables, ils sont aussi arbitraires. Untel ! Vive l’empereur ! ». Ivar EKELAND est professeur d’économie.
DÉVELOPPEMENT DURABLE
L
a nature est souvent tenue pour couleuvres, mais plus de cerfs, de chevreuils diquement conflictuelle, tandis que d’autres
immuable. Et pourtant, elle chan- et de sangliers, et un retour dans certai- espèces défrayent moins la chronique, à
ge parfois vite. En France, par nes régions des lynx et des loups. Ainsi, l’exemple du cormoran, accusé de dépeu-
exemple, les animaux sauvages environ 500 000sangliers et chevreuils et pler les étangs. Ces conflits opposent
ne sont plus les mêmes qu’il y a seulement 50 000cerfs ont été tués au cours de la sai- hommes et animaux, en raison de ces dépré-
20 ans, que l’on considère leur diversité, leur son de chasse 2009-2010, soit une forte dations et de la concurrence qu’ils se livrent
nombre, leur localisation et jusqu’à leur com- augmentation en dix ans. Et l’un des indi- pour l’espace et le gibier ; ils opposent aussi
portement et leur aspect. La petite faune s’est cateurs de la population de loups en France, les hommes entre eux – tels éleveurs et
raréfiée, tandis que la diversité, l’abondance « l’effectif minimum retenu », indique qu’il écologistes – quand ils débattent du com-
et les territoires des grands animaux ont aug- y en avait environ 70 en 2009-2010, dans portement à adopter à l’égard de la grande
menté – à l’exception de l’ours, dont les effec- le Sud-Est du pays. faune sauvage.
tifs, déjà faibles au milieu du XXe siècle, ont Notre monde urbanisé, appauvri en bio- Alors, peut-on « gérer » la faune sau-
continué de diminuer. diversité, s’est donc paradoxalement ensau- vage ? Ou plutôt, comment explorer, col-
Moins de perdrix, de hérissons, de li- vagé. La présence du loup, du lynx et de lectivement, les voies de sa cohabitation
bellules, de grenouilles, d’escargots et de l’ours, qui attaquent le bétail, se révèle pério- avec l’homme ? Pour notre part, nous pen-
Opinions
sons, avec d’autres chercheurs, qu’il n’y a Améliorer nos relations avec la faune
pas d’un côté des sociétés humaines, de sauvage exige aussi d’explorer les ques-
l’autre la nature, mais que les hommes et tions économiques. Certains veulent savoir
les animaux sauvages forment, ensemble, combien coûte, ou rapporte, l’adaptation de
des communautés en constante recom- leurs pratiques à la présence d’animaux
position, précisément parce que les uns sauvages. Par exemple, quelles pertes
et les autres changent du fait de leurs directes, par prédation, et indirectes, du
alliances et de leurs antagonismes. fait de mesures de protection limitant
Instaurer une cohabitation avec les ani- l’engraissement des agneaux, la présence
maux sauvages demande de saisir tous ses de loups occasionne-t-elle à l’élevage des
enjeux. Ils sont multiples, aussi bien scientifi- moutons ? Que rapporterait à l’économie
locale une valorisation de la faune sauvage
par l’écotourisme, par exemple ?
LES ENJEUX SONT MULTIPLES, De même, il faut redéfinir le droit pénal
aussi bien scientifiques, techniques, et le droit administratif national ou inter-
national, et s’interroger sur leurs modalités
économiques, sociologiques, d’application. Les procès de personnes ayant
juridiques, qu’éthiques. tué un loup ou un ours sont devenus des
lieux de confrontation entre les associations
ques, techniques, économiques, sociolo- de protection de la nature et les défenseurs
giques, juridiques qu’éthiques. L’arrivée de corporations économiques. Le droit appa-
ou l’extension géographique de certaines raît souvent là moins appliqué que négocié,
espèces a stimulé les recherches ainsi que ce qui ne diminue en rien son importance.
la mise en place de réseaux de suivi des Enfin, nos relations avec la faune sau-
grands prédateurs. vage ne pourront progresser sans réflexion
Ainsi, en modélisant l’évolution de la éthique. Dans les zones où la faune est pro-
population d’ours en fonction de diffé- tégée, il est par exemple nécessaire que les
rents scénarios de gestion, des biomathé- partisans de la « naturalité », réticents à
maticiens ont formulé des recommandations toute forme d’intervention sur la faune,
sur le nombre de mâles et de femelles à débattent avec les tenants d’une interven-
introduire dans les Pyrénées. Dans le cas tion à visée scientifique ou conservatoire.
du loup, les recommandations des scienti- C’est donc en articulant les différentes
fiques portent notamment sur le nombre questions et explorations touchant aux rela-
d’animaux qui peuvent être abattus sans tions de l’homme et de l’animal, dans le cadre
nuire à l’espèce. Mais il reste beaucoup à d’institutions démocratiques faisant place
faire pour saisir la dynamique et le com- à tous les acteurs concernés, que des poli-
portement des populations sauvages. tiques durables de la faune sauvage et de
Si les avis scientifiques ne sont pas la nature pourront voir le jour. À cette condi-
toujours suivis par les décideurs – le tion, elles pourront affronter les questions
gouvernement a ainsi stoppé le programme inédites soulevées par l’évolution des rela-
de renforcement de l’ours dans les Pyré- tions entre hommes et animaux sauvages,
nées –, l’exploration des relations de et apporter peut-être des solutions aux
l’homme avec les animaux sauvages s’ap- conflits, fussent-elles provisoires. I
puie désormais sur des données de plus
en plus robustes. D’autres acteurs expé- Isabelle MAUZ et Céline GRANJOU sont
rimentent des dispositifs techniques qui sociologues, Coralie MOUNET est géographe,
pourraient faciliter la résolution des conflits et Antoine DORÉ est doctorant dans l’Unité
Développement des territoires montagnards
homme-animal. Ainsi, des éleveurs confron- du CEMAGREF, à Saint-Martin d’Hères,
tés à la présence de l’ours ou du loup près de Grenoble.
s’adjoignent le concours de chiens de pro- Gestions durables de la faune sauvage,
tection, ou testent des parcs de regrou- Natures Sciences Sociétés, vol. 14,
pement nocturne. Suppl. 1, 2006, www.nss-journal.org
Opinions
VRAI OU FAUX
© Shutterstock/Horiyan
Oui, rien ne prouve le contraire. Dans une alimentation équilibrée,
le lait est nécessaire au même titre que les autres classes d’aliments.
Jean-Marie BOURRE
A
lors que leur implication dans tabiliser le nombre de malades. Les mêmes elle touche deux à trois pour cent des jeunes
l’équilibre nutritionnel et la affabulations concernent les Chinois, qui boi- enfants. Elle disparaît pour 80pour cent d’entre
santé est avérée (pour leur vent peu de lait, alors que leurs besoins en eux dès l’âge de trois ans. Quant aux acides
apport en calcium, zinc, iode, calcium sont similaires à ceux des Occiden- gras des lipides du lait, leur profil est parti-
vitamines et même certains acides gras), les taux. D’ailleurs, les autorités chinoises dis- culier et varié; certains ont des effets favo-
produits laitiers, et surtout le lait, suscitent tribuent maintenant du lait dans les écoles rables pour la santé. L’ANSES (l’Agence nationale
discussions et controverses, en particulier pour éviter les effets délétères d’un déficit de sécurité sanitaire) a d’ailleurs revu à la
dans le grand public. Ces attaques sont fon- en calcium. Les experts prévoient en effet hausse les recommandations liées aux
dées sur des interprétations erronées ou abu- une augmentation considérable du nombre graisses (leur contribution calorique passant
sives d’études scientifiques pourtant de fractures liées à l’ostéoporose dans le de 30 pour cent à 35-40).
sérieuses, quand il ne s’agit pas d’affabula- continent asiatique d’ici 2050. La seconde série d’arguments relève de
tions. Leur accorder crédit peut engendrer un Dans le cadre de la diversité alimen- l’irrationnel, mais bénéficie malheureusement
véritable problème de santé publique; d’au- taire, les produits laitiers diminuent le risque d’un certain impact auprès du consomma-
tant que remplacer le lait par de faux «laits», de cancers du côlon, voire du sein. Pour le can- teur. Ainsi, le lait serait réservé à l’espèce qui
en général des jus de végétaux, menace la cer de la prostate, un excès de calcium (plus le produit. Mais pourquoi la viande de vache
santé, notamment celle des enfants, comme de 1 500 milligrammes par jour, soit un serait bonne pour l’homme, et pas son lait?
l’ont récemment rappelé le Comité nutrition camembert et demi!) serait néfaste, mais les Autres arguments: on n’a jamais vu une espèce
de la Société française de pédiatrie et les Aca- données sont encore confuses. Le lait ne boire le lait d’une autre, et les laits de chèvre
démies de médecine et d’agriculture. Réta- fait pas maigrir et ne guérit pas le diabète; en et de brebis seraient plus recommandables,
blissons la vérité à la faveur des données revanche, sa consommation diminue le risque car ils sont semblables au lait humain... Absur-
scientifiques et médicales. de surpoids, de diabète et d’hypertension. dité, d’autant que la concentration en calcium
Deux séries d’arguments, utilisées par de ces laits est plus importante que celle du
les détracteurs, doivent être contrecarrées. De bons acides gras lait humain, laquelle est proche de celle du
La première prétend se fonder sur des don- lait de vache. Et le lait de brebis est bien plus
nées médicales et scientifiques concernant L’intolérance au lactose et l’allergie sont deux gras que le lait de vache.
des cancers, le syndrome métabolique phénomènes différents. La première cor- Que faire en pratique? La recommanda-
(incluant l’hypertension, le diabète, l’obésité, respond à une hypolactasie, c’est-à-dire une tion est de trois produits laitiers quotidiens.
etc.), l’ostéoporose, l’allergie et l’intolérance, diminution physiologique, au moment de la Ce qui représente un verre de lait le matin, une
ainsi que les acides gras. Ainsi, certaines affir- diversification alimentaire, de l’expression du portion de fromage le midi (soit 1/8e de camem-
mations lient la consommation de lait et les gène de l’enzyme qui dégrade le lactose, le bert) et un yaourt le soir. Dans une alimen-
fractures dues à l’ostéoporose, prenant sucre du lait. Elle peut entraîner des signes tation diversifiée, ne pas utiliser les produits
comme preuve que celles-ci sont légion en de malabsorption quand les quantités de lac- laitiers est dangereux pour la santé: chaque
France, alors qu’elles seraient exceptionnelles tose sont importantes; elle touche environ la classe d’aliments présente un intérêt spéci-
en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où la consom- moitié des adultes français, mais n’interdit fique et aucune ne doit être négligée. I
mation de lait est faible. C’est occulter que, pas une consommation modérée et frac-
là-bas, l’espérance de vie est réduite (elle ne tionnée de lait, encore moins de yaourts ou Jean-Marie BOURRE est membre de l’Académie
permet pas à la maladie de se développer), de fromages, qui ne contiennent pas de lac- de médecine et ancien directeur des Unités
Inserm de neurotoxicologie, puis de neuro-
et surtout que les structures de diagnostic tose. L’allergie aux protéines de lait de vache pharmaco-nutrition. Il est l’auteur de Le lait,
et de soins sont rares, empêchant de comp- met en jeu un mécanisme immunologique; vrais et faux dangers, Odile Jacob, 2010.
.. DE L’ANALOGIE EN BIOLOGIE.. .. LE NOM DES LANGUES.. placé en l’un de ces points (il en existe cinq)
Dans l’article Les mots de la biologie sont-ils L’article L’arrivée des langues décrit une trajectoire autour du Soleil ayant la
bien choisis ? (Pour la Science n° 399, jan- indo-européennes en Europe même période que la Terre.
vier 2011, http://bit.ly/pls399_pointdevue), (Pour la Science n° 400, février 2011, Le point de Lagrange L2, situé à 1,5million
Pierre-Henri Gouyon et Marc-André Selosse plai- http://bit.ly/pls400_langues) a suscité de kilomètres de la Terre dans la direction oppo-
dent pour une « vision unifiée du vivant » qui plusieurs réactions. En voici deux : sée au Soleil, et son symétrique L1, à la même
justifierait en biologie l’emploi de termes issus – Dans l’arborescence italique de l’arbre distance dans la direction du Soleil, sont des
du vocabulaire courant, tels que «gène égoïste» de parenté des langues indo-européennes, points instables : un corps situé à proximité
ou « stratégie tricheuse », sans quoi nous on trouve une langue inexistante : le valachien. – et un objet étendu ne peut se trouver en un
encourrions le risque d’une surenchère de mots Le terme correct est plutôt « valaque ». seul point – finit toujours par s’en éloigner, avec
nouveaux et d’une dissociation maintenue entre Mais même ainsi, cette dénomination est un temps caractéristique de l’ordre du mois.
les humains et les processus naturels. impropre, car il s’agit d’un adjectif désignant Une sonde placée en L 2 ne peut donc pas
Mais la vraie question est de savoir si, entre des régions géographiques et des populations, tourner sur une orbite stable comme le ferait
l’image métaphorique et ce qu’elle illustre, les et non des langues. Le nom exact de la branche un satellite en orbite terrestre. Mais il suffit de
mécanismes sous-jacents sont les mêmes. Les est le roman oriental, qui se ramifie petites corrections de trajectoires répétées
métaphores biologiques procèdent par analogie. en aroumain, daco-roumain, istro-roumain pour se maintenir au voisinage de L2. Les orbites
Une analogie est une ressemblance de rapports. et mégléno-roumain. ainsi décrites (dites de Lissajous) sont des
Supposons qu’un mécanisme A explique les rela- Ion Cepleanu trajectoires complexes, très différentes des
tions entre des entités du monde humain et que, – Le néerlandais est indiqué sous la ellipses classiques.
par ailleurs, les rapports entre des entités du dénomination de sa variante dialectale
monde naturel ressemblent à ceux qu’entre- belge, le flamand. N’est-ce pas inexact ? .. INSECTES PHOTONIQUES..
tiennent les entités du monde humain. Le Elisabeth Hooghe-Peters Dans l’article Des insectes à la photonique,
mécanisme A est alors transposé métaphori- (Pour la Science n°401, mars 2011,
quement pour suggérer une explication des rela- RÉPONSE DE LA RÉDACTION http://bit.ly/pls401_photonique), l’auteur
tions naturelles, et cette transposition sert de Le terme « flamand » est bien celui de l’auteur, attribue les changements de couleur
justification pour supposer l’existence d’un méca- Ruth Berger (Flämischen allemand). Par ailleurs, du Morpho godarti au changement de l’indice
nisme B similaire à A. bien que le nombre de néerlandophones soit plus de réfraction de l’air produit par les vapeurs
Le problème, c’est que l’analogie ne garan- élevé aux Pays-Bas qu’en Belgique, cela ne d’acétone ou de trichloréthylène. L’indice
tit pas que la transposition soit adéquate, et ne rend pas l’usage du terme flamand faux pour de réfraction indiqué pour la vapeur
peut alors pas avoir valeur de démonstration. autant sur le plan linguistique, si l’on admet d’acétone est en fait celui de l’acétone
Elle ne peut qu’être suggestive. S’il s’avérait que que le terme flamand désigne toutes les formes liquide. Celui de la vapeur d’acétone
les mécanismes sous-jacents étaient différents, dialectales du néerlandais au Sud du Rhin, c’est- est 1,001090, bien peu différent de celui
l’usage d’un mot commun serait pire que l’usage à-dire une très grande partie des néerlando- de l’air (1,0003). Comment ce faible
de mots différents, car au nom d’un rapproche- phones du monde. changement d’indice peut-il entraîner
ment entre l’homme et la nature, nous laisse- un changement de couleur ?
rions le mot commun nous tromper, au moins .. EN ORBITE AUTOUR DE RIEN ?.. Louis Peralta
potentiellement, sur ce qui rapproche vraiment Selon l’article Le télescope spatial
de l’homme. Or nous sommes en droit de douter James Webb, un observatoire origami RÉPONSE DE SERGE BERTHIER
que ce que nous appelons « stratégie » chez un (Pour la Science n° 398, décembre 2010, Louis Peralta a parfaitement raison. La faible dif-
humain corresponde, dans le processus même http://bit.ly/pls398_jwst), cet instrument férence d’indice de la vapeur d’acétone et de l’air
désigné par ce nom, à une « stratégie » adap- sera mis en orbite autour du point ne peut expliquer le changement drastique de cou-
tative d’une population ou d’une espèce. de Lagrange L2. Comment peut-on leur. Cela montre en fait que le matériau volatil se
Enfin, il ne faut pas craindre les mots nou- se mettre en orbite autour d’un point trouve en phase liquide dans la structure. Tout vient
veaux, si ceux-ci sont justifiés. C’est le rôle des qui n’attire rien ? Ne suffit-il pas de ce que l’on appelle « vapeur ». Dans le cas pré-
sciences que de donner accès rationnellement de rester en ce point ? sent, et dans les expériences menées en parti-
aux objets et aux mécanismes qui échappent au Hugo Roca culier en Hongrie, l’acétone se trouve sous forme
sens commun, et donc pour lesquels nous n’avons de micro/nanogouttelettes qui pénètrent dans la
pas de mots disponibles dans la langue verna- RÉPONSE DE LA RÉDACTION structure et adhèrent à sa surface, formant un film
culaire. C’est en gagnant de la précision avec des Si l’on se place dans le référentiel héliocentrique liquide continu, donc d’indice plus élevé. La sur-
mots nouveaux que l’homme se rattachera de tournant avec la Terre, les points de Lagrange face développée de la structure est énorme et per-
la façon la plus exacte au reste du vivant. sont des points d’équilibre entre l’attraction du met une condensation efficace des vapeurs.
Guillaume Lecointre, MNHN, Paris Soleil, de la Terre, et la force centrifuge. Un objet C’est tout l’intérêt de cette technique.
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Opinions
QUESTIONS OUVERTES
B
rewster Kahle, ingénieur amé- Cependant, les bibliothèques nationales Avec le Web 2.0, ces contenus qui consti-
ricain diplômé du MIT, a inventé – la BnF, mais aussi ses homologues de tuent des pans entiers de notre vie numé-
le premier système de publica- Grande-Bretagne, de Suède, du Danemark ou rique ne sont pas seulement (voire pas du
tion sur l’Internet, WAIS (Wide d’Australie – n’ont pas attendu la mise en tout) conservés sur nos disques durs, mais
Area Information Service). En 1995, il rend place d’une législation pour engager des expé- directement sur la Toile.
visite à des amis travaillant à Palo Alto sur rimentations visant elles aussi à mettre le Le déluge de données est tel que la
le grand moteur de recherche de l’époque, Web en boîte à des fins patrimoniales. L’aven- difficulté n’est plus tant de trouver les infor-
Alta Vista. Il y découvre que la quasi-totalité ture de l’archivage du Web a débuté il y a plus mations que de les trier et de supprimer
du Web d’alors, 16millions de pages indexées, de dix ans. Les ingénieurs pionniers ont celles n’ayant pas d’utilité. À première
tient dans l’équivalent de deux distributeurs d’abord vu le défi technique d’une telle entre- vue, ce grand ménage semble se faire tout
automatiques de café : le voilà qui enlace, lit- prise. Aujourd’hui, alors que notre mémoire seul. Les webmestres évaluent la durée
téralement, tout l’Internet ! du monde numérique commence à faire de vie moyenne des sites à deux ou trois
Marqué par cette expérience et fasciné défaut, beaucoup s’aperçoivent que cet archi- ans : le Web s’évaporerait ainsi naturelle-
par le mythe de la Bibliothèque universelle vage soulève aussi des questions de société: ment. Et au fond, l’idée que les données
d’Alexandrie, B. Kahle fonde l’année suivante peut-on vraiment tout conserver ? À qui et à d’hier disparaissent à mesure que de nou-
Internet Archive, un organisme à but non quoi un Web archivé pourra-t-il servir ? velles strates s’ajoutent serait plutôt ras-
lucratif qui se fixe pour objectif d’archiver surante: à quoi bon une mémoire numérique
tout le Web afin de conserver la mémoire si les marées du Web peuvent, d’elles-
numérique du monde et de la rendre acces-
Oubli ou mémoire ? mêmes, nous éviter de trier ?
sible à tous. Son site, www.archive.org, basé Google n’a que 15 ans, Wikipedia 10 ans, Cathy Marshall, de la Société Microsoft
à San Francisco, permet depuis 1997 de Facebook à peine 5 ans. Et nous ne savons Research, a étudié les comportements des
retrouver ce que les bibliothécaires appel- pas ce qu’il restera en ligne, dans un an ou Américains confrontés à leur propre mémoire
lent les incunables de l’Internet (par exemple dix, des blogs et des réseaux sociaux ayant numérique. Beaucoup estiment qu’il n’est pas
les premières pages du site Web du quoti- contribué à la propagation des révoltes en utile de se préoccuper de leur conservation
dien Le Monde). Tunisie et ailleurs. Faute de recul, il est dif- au motif que « d’autres » (« quelqu’un »,
Les pouvoirs publics étant toujours un ficile de savoir ce qui mérite d’être conservé Google, le Gouvernement fédéral, la Biblio-
peu plus lents face à l’innovation, il faudra et ce qui n’a pas été fait pour durer. Cette thèque du Congrès...) s’en chargeraient déjà.
attendre août 2006 pour que le Parlement problématique n’est pas nouvelle, mais est Elle a même perçu chez certains un « amour
français vote la loi DADVSI qui institue un centrale dans tout projet patrimonial. Les du risque », pour qui la disparition volontaire
dépôt légal des « signes, signaux, écrits, contours et les usages du patrimoine « né ou accidentelle de leurs données aurait l’ef-
images, sons ou messages de toute nature» numérique » (c’est-à-dire issu du Web, et fet d’une libération – ce serait une page de
publiés dans le cadre d’une communication non de la numérisation des livres) sont, de sa vie que l’on pourrait enfin tourner : affran-
au public par voie électronique –c’est-à-dire fait, encore difficiles à cerner. chi de son existence numérique, on peut tout
un dépôt légal de l’Internet. Celui-ci est confié Internet est un média éphémère, où recommencer à zéro.
à la Bibliothèque nationale de France (BnF), l’instantanéité est la règle, mais nous y accu- Le principe même d’une mémoire numé-
chargée de la collecte des sites français, à mulons une quantité croissante de données rique n’est-il pas fondamentalement dange-
l’exception des sites des émetteurs de la numériques : photographies, conversations, reux? Les grands moteurs indexeurs comme
radiotélévision qui relèvent, eux, de l’Insti- enregistrements sonores et filmés, publi- Google assureraient une mémoire totale,
tut national de l’audiovisuel (INA). cations sur des blogs, des réseaux sociaux... capable de conserver vos meilleurs souve-
Le spectre
de « Big Brother »
Dans cette actualité où la mémoire peut
sembler à la fois superflue et dangereuse,
on peut donc se demander pourquoi une
institution publique, telle la BnF, s’évertue
à archiver des échantillons du grand fatras
du Web ; serait-elle capable de trouver une
juste mesure entre le spectre de Big Bro-
theret la perspective tout aussi angoissante
d’un monde privé d’histoire ?
Les internautes manquent peut-être de
distance historique sur leurs propres pra-
tiques pour se préoccuper de questions long-
temps réservées aux chercheurs et aux
conservateurs du patrimoine. C. Marshall
observe cependant que la « non-politique »
de conservation pratiquée par la majorité
d’entre nous permet, assez paradoxalement,
de retrouver par hasard des données
oubliées. On compare souvent cette pratique
de la « redécouverte » des fichiers oubliés
dans les tréfonds des répertoires à l’expé-
rience magique « d’une boîte à chaussures
dans laquelle on retrouverait, pêle-mêle,
de vieilles photographies, des coupures de
presse, des lettres d’amour». Une image qui
n’est pas sans rappeler, pour les plus anciens,
Opinions
Opinions
Pour la Science
cessible au robot Heritrix pour des raisons
techniques (base de données, contenu pro-
tégé par mot de passe, formulaire d’accès...)
ou commerciales (contenu payant, abon-
nement ...), la loi autorise la BnF à solliciter 2. UNE QUARANTAINE D’INSTITUTIONS publi-
l’éditeur pour trouver des solutions tech- ques ou d’organismes privés à but non lucratif
sont membres du consortium IIPC (Internatio-
niques lui permettant d’améliorer la collecte. nal Internet Preservation Consortium), voué à la
conservation du patrimoine changeant qu’est le
Il est impossible contenu de l’Internet. Internet Archive, la Biblio-
thèque nationale de France, la British Library à
d’être exhaustif Londres, la Bibliothèque du Congrès à Washing-
Compte tenu des volumes de données en ton figurent parmi ses principaux membres. Il existe aussi d’autres acteurs de l’archivage du
Web qui ne font pas partie d’IIPC, par exemple des grandes entreprises qui stockent les contenus
ligne, la BnF ne peut garantir l’exhaustivité de successifs de leurs propres sites Web, notamment pour leurs besoins juridiques.
son archivage. Aussi n’a-t-elle plus l’ambition
ni la mission de tout conserver. Elle pro-
cède donc par échantillonnage, fondé sur la teur ou webmestre. Ce n’est pas le cas dans lecte aussi plus fréquemment et plus pro-
combinaison de plusieurs types de collectes la plupart des pays de droit anglo-saxon. La fondément des sites dont les auteurs ou les
(collectes automatiques et collectes ciblées, British Libraryou la Bibliothèque du Congrès, thématiques s’inscrivent dans la continuité
assistées par des bibliothécaires, plus fré- par exemple, ne disposent que d’archives de ses collections.
quentes et plus profondes). La politique de sélectionnées et négociées à l’unité. Leurs Chaque matin, le même robot va ainsi
la B n F est de constituer une collection collections couvrent certaines thématiques « chercher le journal », c’est-à-dire la une en
représentative de l’Internet français tout en ou des événements (les attentats du 11sep- ligne d’une centaine de sites d’actualités qui
archivant certains contenus qui sont dans la tembre2001, l’ouragan Katrina...), mais rien donnent les nouvelles du jour. Le robot veille
continuité de son patrimoine imprimé. qui ressemble au dépôt légal au sens où on à la pluralité des opinions et des sensibili-
Le service du «dépôt légal numérique» l’entend en France. tés. Il puise aussi bien dans la presse natio-
créé à la BnF en2008 pour organiser et déve- La politique patrimoniale mise en place nale, régionale, gratuite, que dans des
lopper cette activité emploie neuf bibliothé- au fil des ans à la BnF repose sur plusieurs sites d’actualités nés avec le Web, tels Media-
caires et informaticiens à temps plein... ainsi types de collectes, visant à refléter le plus part ou Rue89. Le chercheur de demain
qu’une quarantaine de serveurs chargés de la fidèlement possible la société française. Par retrouvera ainsi aisément les événements
collecte et de l’indexation des données, une exemple, la bibliothèque réalise une fois marquants d’une date précise avant de plon-
sauvegarde étant par ailleurs effectuée à la par an un instantané de la totalité des ger dans des fonds plus spécialisés qui
fois sur disque (pour la diffusion) et sur bande noms de domaines enregistrés sous « .fr » l’attendent déjà. Ces derniers sont le fruit
(pour la conservation). Cela représentait auprès de l’AFNIC (plus de 1,8million fin2010, d’un patient travail de veille et de sélection
fin2010 près de 200 téraoctets de données qui ne réprésenteraient qu’un tiers des sites effectué par un réseau de 80bibliothécaires,
(1 téraoctet = 1000 gigaoctets). effectivement enregistrés en France la même souvent en partenariat avec des biblio-
Ce volume peut aujourd’hui paraître année, à comparer aux 192 000 millions de thèques régionales, des associations ou des
modeste, mais c’est l’une des plus grandes noms de domaines recensés fin 2009 dans laboratoires de recherche.
collections d’archives Web du monde, après le monde). Cette collecte a occupé l’été der- Depuis 2002, chaque grande campagne
Internet Archive (près de deux pétaoctets, nier une trentaine de serveurs durant électorale mobilise ainsi une équipe de la
soit 2000téraoctets). Le régime juridique du 12 semaines, et a recueilli près de 24 téra- BnF qui suit jour après jour les faits et gestes
dépôt légal numérique français, similaire à octets de données, soit 832 millions d’URL. numériques des candidats, de leurs oppo-
celui des pays nordiques, est en effet très Pour compléter ces collectes à grande sants et partisans, et veille à leur enre-
favorable: il lui permet de collecter des sites échelle, fidèles à l’esprit du dépôt légal qui gistrement dans les archives portant sur
sans avoir à demander l’accord de chaque édi- n’exclut aucun contenu a priori, la BnF col- les élections. On y retrouve tracts, affiches,
Opinions
discours, vidéos et autres documents numé- usages et de la liberté d’expression sur Inter-
riques qui cristallisent les grands enjeux de net. L’initiative était pertinente puisque, au
société d’une époque. Le site de campagne même moment, le gouvernement américain
du candidat Jacques Chirac archivé en 2002 interdisait l’accès au site Wikileaks depuis
(www.chiracaveclafrance.net, disparu les agences fédérales américaines, y com-
depuis), où l’on trouve par exemple son appel pris à la Bibliothèque du Congrès.
aux Français le soir du premier tour de l’élec-
tion du 21 avril 2002, y fait figure de pièce
de collection...
En prise avec l’actualité
La B n F suit la vie des mouvements Quelques semaines plus tard, en partenariat
sociaux en ligne et conserve les sites des avec Internet Archive, les robots de la BnF
organisations syndicales, des grandes asso- partaient moissonner les sites de Tunisie et
ciations et des grandes causes, mais d’ailleurs qui ont permis de suivre les révoltes
aussi des entreprises cotées au CAC 40 dont d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. On peut
Bertrand Desprez / Vu
elle archive notamment tous les rapports se réjouir, pour une fois, que la France ne soit
annuels. Elle s’intéresse aux arts et à l’écri- pas la plus démunie juridiquement et tech-
ture littéraire. L’une de ses collections les niquement pour se protéger, face à ce type
plus fascinantes est faite de journaux per- d’événements, contre l’oubli.
3. L’ACCÈS AUX ARCHIVES DU WEB est
souvent strictement encadré en raison des sonnels en ligne et de sites d’écrivains connus Entre droit à l’oubli et devoir de mémoire
données à caractère personnel qu’elles contien- ou non. C’est une sorte de salon littéraire vir- numérique, on voit ainsi s’opposer des argu-
nent. À la B n F , cet accès est ainsi réservé tuel où l’on découvre les traces des premiers ments convaincants de part et d’autre. Idéa-
aux chercheurs. En Scandinavie, les archives blogueurs (qui étaient des informaticiens) lement, un archivage qui ne conserverait du
Web ne sont pas accessibles. En revanche, et de leurs suivants : policiers, infirmières, Web que sa partie publique, filtrant toute
celles du site privé américain www.archive.org
sont disponibles en ligne.
agriculteurs ou caissières qui, un jour, ont donnée personnelle, constituerait évidem-
préféré le clavier à la plume pour raconter ment le compromis le plus acceptable entre
leur vie ou livrer leurs observations. Ces récits la protection des individus et la conserva-
de vie numériques, qui côtoient les premiers tion d’un patrimoine commun. Ce scénario
brouillons et essais en ligne d’écrivains de est toutefois impossible à mettre en œuvre
SUR LE WEB renom, forment une galerie inédite; pourquoi dans l’état actuel du droit et des technolo-
Le consortium IIPC : l’histoire de la littérature devrait-elle s’arrê- gies: même si les collectes de la BnF ne repré-
http://netpreserve.org/ ter à Casanova, Proust ou Flaubert ? sentent qu’une part infime de la totalité des
Dépôt légal des sites Web Le robot est également programmé pour données publiées en ligne, pour rester repré-
à la Bibliothèque nationale réagir aux urgences et aux grands événe- sentatives elles doivent être effectuées à
de France : ments imprévus. Les bibliothécaires suivent une échelle suffisamment grande, ce qui
http://www.bnf.fr/fr/ l’actualité et sont parfois confrontés à des implique une large part d’automatisation.
professionnels/depot_legal/
a.dl_sites_web_mod.html choix difficiles. Ceux de la BnF ont, par le Or identifier et filtrer les données per-
passé, pris des initiatives de collecte spon- sonnelles à cette échelle n’est pas pos-
G. Illien, Le dépôt légal de l’Internet tanée, jusque dans la rue, dont les historiens sible, pour des raisons économiques et
en pratique : les moissonneurs
du Web, Bulletin des Bibliothèques leur sont redevables aujourd’hui, comme ce informatiques, mais aussi parce qu’il est dif-
de France, n° 6, pp. 20-27, 2008, fut le cas pendant l’Occupation ou Mai 68. ficile d’apprécier le caractère personnel des
disponible sur : Ainsi, en décembre 2010, la BnF décida informations. Les pratiques d’expression
http://bbf.enssib.fr/consulter/
bbf-2008-06-0020-004 d’archiver l’intégralité du site controversé en ligne ont rendu très poreuses les lignes
Wikileaks : l’un des serveurs miroirs étant de partage habituelles entre espace public
Bibliographie établie par la BnF : hébergé chez OVH à Roubaix, le site était et privé, entre publication et communication
http://bibnum.bnf.fr/conservation/
bibliographie_dl_web.pdf juridiquement assujetti au dépôt légal fran- interpersonnelle. De ce point de vue, les robots
çais, fondé depuis cinq siècles sur la relation d’archivage ne sauraient faire la part des
CRÉDOC, La diffusion au territoire national. Il ne s’agissait pas de choses, même s’ils respectent les espaces
des technologies de l’information
et de la communication prendre parti, mais de s’assurer que les privés lorsqu’ils sont clairement signalés
dans la société française, «archinautes» du futur auraient les moyens comme tels (par exemple, le robot n’a pas
décembre 2010 de retrouver trace d’une affaire et d’un débat d’amis sur Facebook et ne peut s’introduire
(rapport disponible sur planétaires, qui seront probablement déter- dans un réseau social à moins qu’il ne soit
http://www.credoc.fr/).
minants pour l’évolution de la régulation des déclaré public et visible par tous).
Opinions
Plusieurs bibliothèques nationales scan- Selon le Code du patrimoine, l’auteur d’un service en ligne dédié à la communication
dinaves (Norvège, Danemark...), pourtant site ne peut interdire « la consultation de avec les internautes en demande de
en pointe dans le domaine de l’archivage, l’œuvre sur place par des chercheurs dûment « mémoire ». Chacun pourrait, par exemple,
font les frais de cette situation: leurs archives accrédités [...] sur des postes individuels de y indiquer l’adresse de son site au moment
du Web restent, pour ces motifs, inacces- consultation dont l’usage est exclusivement de sa fermeture ou de sa refonte, afin que
sibles au public faute de pouvoir en extra- réservé à ces chercheurs». En pratique, cela la B n F l’archive à temps et le conserve
ire les informations à caractère personnel. signifie que, contrairement aux données dans son magasin numérique.
accessibles depuis le site www.archive.org, Bien sûr, les innovations actuelles (smart-
celles de la BnF ne peuvent en aucun cas être phones, tablettes numériques, émergence
Un accès bien encadré mises en ligne. Leur consultation a lieu dans d’un Web sémantique, etc.) nous éloignent
Un strict encadrement de la consultation des les murs de la BnF et des dispositions pra- des modèles de publication traditionnels et
données constitue en revanche une solu- tiques ont été mises en œuvre afin de réser- rendront vite obsolètes les technologies
tion pragmatique. C’est a priori celle retenue ver l’exploitation des données à un usage employées. Mais c’est déjà une autre ère et
par le législateur français. En l’attente d’un scientifique ou personnel : notamment, il un nouveau défi pour les institutions dans
décret qui doit préciser, après consultation n’est pas possible d’effectuer de copie numé- leur course contre le temps et l’oubli. En atten-
de la CNIL, les conditions spécifiques de la rique des données. dant, ce que la BnF et les autres membres du
consultation des collections issues du dépôt Une autre voie envisagée par la BnF pour Consortium IIPC auront réussi à sauvegar-
légal de l’Internet, c’est le régime général de améliorer sa mission de dépôt légal du der de l’âge d’or de l’Internet permettra aux
communication du dépôt légal qui est appli- Web est la participation directe des inter- générations futures de retracer les muta-
qué à la BnF depuis l’ouverture de la consul- nautes à la sélection des sites à conserver. tions technologiques et culturelles qui auront
tation, en 2008. En 2011, elle projette d’ouvrir un nouveau marqué notre temps.
Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef
Paléontologie
Dinosaures :
on a retrouvé leur
sang
Mary Schweitzer
La préservation
de matériaux organiques
durant plusieurs dizaines
D e petites boules rouges ! Quand un
collègue me les montre sous le
microscope, je refuse d’y croire. Ces
minuscules objets se trouvent dans ce
qui ressemble à un capillaire serpentant
ques constituant les tissus mous étaient
remplacées par des minéraux provenant
du sol, et que seuls les minéraux des os
subsistaient. Cette après-midi de 1992, ce
que je voyais de mes propres yeux sug-
de millions d’années passait au milieu de la masse jaunâtre de l’os. Cha- gérait pourtant l’existence d’exceptions.
cune est dotée d’un centre foncé (voir Mais je me disais aussi que ces petites bou-
pour impossible. l’encadré pages 32 et 33). Un noyau cellu- les ressemblant à des globules rouges à
Pourtant, les paléontologues laire ? Je sais que, hormis les mammifères, noyau résultaient peut-être de quelque
tous les vertébrés – dont les dinosaures – processus géologique inconnu.
en trouvent de plus en plus ont des cellules sanguines à noyau. Ces À l’époque, tout juste diplômée de
dans des os de dinosaures. petites sphères rouges dotées d’un centre l’Université d’État du Montana, je n’étais
sombre ressemblent donc à des globules pas une paléontologue confirmée. Parce
rouges. Mais la lamelle d’os que nous que je demandais l’avis de divers ensei-
venons de glisser sous l’objectif du micros- gnants et thésards, Jack Horner, le conser-
cope provient d’un Tyrannosaurus rex trouvé vateur du Département de paléontologie
au Montana dans les Rocheuses. Or cet ani- du Muséum des Rocheuses, à Bozeman,
mal est mort il y a 67 millions d’années, et eut vent de mes petites sphères rouges. Il
chacun sait que la matière organique ne me pria d’y jeter lui-même un coup d’œil,
résiste jamais autant de temps… et je le vis alors, le front plissé par l’atten-
Depuis plus de 300 ans, les paléonto- tion, regarder dans le microscope pendant
logues partent du principe que la taille et ce qui me sembla des heures. Puis il me
la forme des os sont les seuls indices livrés demanda ce que j’en pensais. Je lui répon-
par les fossiles. On pensait qu’au cours dis que ces structures avaient la taille, la
de la fossilisation, les molécules organi- forme et la couleur de globules rouges et
L’ E S S E N T I E L
On pensait que tous
les composés organiques
disparaissaient avec
la fossilisation,
et que seuls des restes
minéralisés subsistaient.
Da
vid
Lii
Toutefois, de plus
tts
ch
wa
ge
r
qu’elles semblaient aussi être là où l’on rus rex, j’ai d’abord pensé que si ces rési- dense sont vides; ils ne sont pas remplis de
trouve de telles cellules… C’est alors qu’il dus étaient vraiment ceux d’un tissu vas- dépôts minéraux comme c’est générale-
me lança le défi qui, aujourd’hui encore, culaire, ils ne pouvaient avoir subsisté, ment le cas dans les fossiles. Et nos micros-
inspire mes recherches : « Eh bien, prou- sous une forme sans doute très altérée, tructures rouge rubis n’apparaissent que
vez-moi qu’il ne s’agit pas de cellules san- que si les os eux-mêmes étaient excep- dans les vaisseaux, et jamais en dehors.
guines ! » Si je n’y parviens pas, il faudrai tionnellement bien conservés… Ce genre Ensuite, je me suis concentrée sur la
alors bien admettre que c’en sont. de tissu mou devait avoir disparu des composition chimique de ces petites struc-
Depuis, mes collègues et moi avons squelettes mal préservés. MOR 555, notre tures rouges. Les analyses ont montré
retrouvé dans plusieurs spécimens divers spécimen de T. rex du Montana, est pres- qu’elles sont riches en fer, comme il se doit
restes organiques: vaisseaux sanguins, cel- que complet et ses os sont exceptionnel- pour des globules rouges, et que le fer
lules osseuses, fragments du tissu corné lement bien conservés. caractérise ces structures, mais pas leurs
qui constituait les griffes, etc. La préser- De fait, l’examen au microscope de voisines. Ainsi, la composition en éléments
vation de tissus mous au cours de la fos- lamelles d’os des membres a confirmé cette de ces petites choses rondes et rouges
silisation est certes très rare, mais ce bonne conservation. La plupart des canaux diffère de celle des os et des sédiments
phénomène ne s’est pas non plus pro- des vaisseaux sanguins présents dans l’os entourant le fossile.
duit qu’une seule fois.
Ces découvertes contredisent les des-
criptions classiques de la fossilisation. L A FOS SILIS ATION
Εn outre, elles ouvrent de nouvelles pers-
La fossilisation d’un animal commence par une dégradation de Mort
pectives sur la biologie des animaux dis- la peau, des muscles, des intestins et des tendons, qui déta- L’animal meurt
parus. Par exemple, on a déduit de résidus chent des os. Les cellules, les protéines et les vaisseaux san- à l’abri des charognards
organiques trouvés dans les ossements guins constituant l’os se dégradent aussi. Puis des minéraux et autres animaux
d’un autreTyrannosaurus rex qu’il s’agis- du sol s’infiltrent dans les espaces libérés et finissent par nécrophages.
sait d’une femelle qui, juste avant de mou- former un composite solide avec les minéraux de l’os originel.
rir, allait pondre. Et une protéine détectée Toutefois, cette conception classique de la fossilisation
doit être nuancée depuis que des cellules, des protéines et
dans des résidus fibreux retrouvés près des tissus mous ont été découverts dans les os de certains
d’un petit dinosaure carnivore exhumé fossiles de dinosaures.
en Mongolie a permis d’établir que l’ani- Pour le moment, les chercheurs ne comprennent pas pré-
mal avait des plumes qui, sur le plan molé- cisément comment des molécules organiques peu-
culaire, étaient proches de celles des vent se conserver pendant des millions
oiseaux actuels. d’années, mais ils ont identifié plusieurs
facteurs qui favorisent la préservation
et la découverte de tels restes.
Un scepticisme
tenace
Nos résultats ont soulevé beaucoup de
scepticisme chez les paléontologues, car,
après tout, ils sont extrêmement surpre-
nants. Mais le scepticisme est chose nor-
male en science, et je continue à trouver
fascinants et prometteurs les travaux sur
les tissus mous fossilisés. L’étude des molé-
cules organiques provenant des dinosau-
res nous permettrait de mieux compren-
dre l’évolution et l’extinction de ces
remarquables animaux, ce que l’on ne
pouvait imaginer il y a 20 ans.
Des découvertes extraordinaires exi-
gent des preuves extraordinaires. Avant
d’accepter un résultat, un chercheur pru-
dent doit tout faire pour le réfuter. C’est
pourquoi, au cours des 20dernières années,
j’ai effectué toutes les expériences imagi- Les globules rouges de MOR 555.
nables pour essayer de montrer que nos Ces petites sphères rouges, situées
dans ce qui ressemble à un vaisseau
trouvailles n’étaient pas des composants
Mary H. Schweitzer
Pour pousser plus loin mon enquête que son centre est métallique. Ces tests ont de rat et de dinde, nous avons constaté
sur le lien entre les petites particules ron- montré que dans le matériau sont présents qu’ils s’y liaient : on en déduit que les os
des et les globules rouges, j’ai tenté de trou- des composés ayant les mêmes signatures de MOR 555 contiennent une substance
ver l’hème, la molécule riche en fer qui spectroscopiques et optiques que l’hème. très proche de l’hémoglobine des animaux
confère aux protéines de l’hémoglobine L’une des expériences les plus convai- d’aujourd’hui.
la capacité de transporter l’oxygène et cantes que nous ayons menées tirait pro- Aucun des nombreux tests chimiques
qui donne au sang sa couleur écarlate. fit de la réponse immunitaire. Lorsqu’un et immunologiques effectués n’a contredit
organisme détecte des substances orga- l’hypothèse que nos sphères étaient des
niques étrangères, il produit des anticorps. globules rouges de T. rex. Pour autant, nous
Recherche d’anticorps En injectant des extraits d’os du tyran- n’avons pu montrer que la substance pro-
Pour ce faire, nous avons utilisé le fait que nosaure à des souris, nous avons déclen- che de l’hémoglobine trouvée dans l’os
l’hème vibre et absorbe un rayonnement ché la fabrication d’anticorps dirigés de notre tyrannosaure provenait bien des
électromagnétique approprié suivant un contre les composés organiques contenus petites sphères, les techniques disponibles
motif caractéristique, et aussi qu’il absorbe dans les os. Et quand nous avons ensuite ne permettant pas de déterminer le lieu
la lumière de façon particulière parce exposé ces anticorps à de l’hémoglobine d’origine d’une substance. C’est pourquoi
Raúl Martin
Mary H. Schweitzer
L’os d’un doigt de Rahonavis ostromi, oiseau qui vécut il y a Ce filament creux (au centre) a l’apparence d’une fibre
environ 70 à 80 millions d’années à Madagascar, est recouvert de plume ; il appartenait à Shuvuuia deserti, un petit
par de la substance blanche. Cette dernière semble être le résidu dinosaure carnivore qui peuplait la Mongolie,
d’une enveloppe protéique qui recouvrait les griffes de cet animal. il y a 70 millions à 83 millions d’années.
nous sommes restés très prudents en au jour, ses découvreurs avaient remarqué bêta. D’autres analyses ont permis de révé-
publiant nos conclusions en 1997 ; nous la présence, sur les os des doigts, d’un maté- ler des acides aminés localisés sur la mem-
nous sommes contenté d’affirmer qu’une riau fibreux et blanc. Aucun autre os sur brane qui recouvre l’os; on a aussi détecté
substance proche de l’hémoglobine sem- le site ne portait de traces de cette subs- de l’azote (un composant des acides ami-
blait avoir été préservée malgré la fossili- tance, par ailleurs absente dans les sédi- nés) qui était lié à d’autres composés, tout
sation, et que son origine probable était à ments de l’endroit. C’est pourquoi les comme les protéines se lient les unes aux
chercher au sein des cellules du dinosaure. paléontologues qui fouillaient se sont autres dans les tissus vivants, y compris
Notre article n’a eu qu’un très faible écho. demandé si cette substance blanche pou- dans la kératine. Tous nos tests confirmaient
Ces travaux sur l’os de tyrannosaure vait être apparentée à l’enveloppe dure l’idée selon laquelle le mystérieux maté-
m’ont fait prendre conscience du poten- de kératine qui recouvre les os des doigts riau blanc recouvrant les os des doigts de
tiel scientifique des restes fossilisés de tis- des oiseaux actuels et forme leurs griffes. cet ancien oiseau incluait des fragments de
sus organiques. Si l’on pouvait récupérer Ils m’ont alors demandé de l’aide. kératine alpha et de kératine bêta et repré-
des protéines, nous pourrions remonter sentait en fait des restes de griffes.
à la séquence des acides aminés qui les
constituent, tout comme les généticiens
Kératine de griffes Le second spécimen que nous avons
étudié était un fossile spectaculaire de la
séquencent les « lettres » qui forment et de plumes fin du Crétacé, découvert en Mongolie par
l’ ADN . À l’instar de celles d’ ADN , les Les kératines pourraient être conservées des chercheurs du Muséum américain
séquences des protéines contiennent des très longtemps: elles sont abondantes chez d’histoire naturelle, à New York. Bien
informations sur les relations de parenté les vertébrés et résistent bien à la dégra- que ses découvreurs l’aient nommé Shu-
entre espèces, sur l’évolution des espè- dation. Elles se présentent sous deux for- vuuia deserti, ou «oiseau du désert», il s’agis-
ces et sur la façon dont l’acquisition de mes principales : alpha et bêta. Tous les sait en fait d’un petit dinosaure carnivore.
nouvelles caractéristiques aurait conféré vertébrés ont de la kératine alpha qui, chez Alors qu’elle nettoyait ce fossile, Amy
des avantages aux animaux concernés. les humains, constitue les cheveux et les Davidson, du muséum, remarqua de peti-
Mais avant d’explorer ces possibili- ongles et permet à la peau de résister à tes fibres blanches sur la nuque de l’ani-
tés, il fallait établir que des protéines ancien- l’abrasion et à la déshydratation. Quant mal. Elle me demanda s’il pouvait s’agir
nes avaient persisté dans des fossiles autres à la kératine bêta, elle est absente chez de restes de plumes. Les oiseaux descen-
que celui de l’exceptionnelle femelle de les mammifères et n’apparaît, dans les dent de dinosaures, qui ont eu des plumes
tyrannosaure que nous avions étudiée. organismes actuels, que chez les oiseaux bien avant eux. L’idée que Shuvuuia pos-
Mark Marshall, Seth Pincus, John Watt et et les reptiles. sédait un revêtement duveteux était donc
moi nous sommes alors concentrés sur Pour tester la présence de kératine dans plausible. Cependant, je ne m’attendais
deux fossiles bien conservés qui semblaient le matériau blanc découvert sur les os des pas à ce qu’une structure aussi fragile
prometteurs. doigts de Rahonavis, nous avons employé qu’une plume puisse avoir résisté si long-
Le premier de ces fossiles était Rahona- bon nombre des techniques utilisées pour temps. Je me disais que les fibres blanches
vis, un bel oiseau primitif datant de la fin étudier l’os de tyrannosaure. En particu- provenaient plutôt de plantes modernes
du Crétacé (il y a 80 à 70 millions d’années) lier, les tests d’anticorps ont indiqué la pré- ou de champignons; mais j’acceptai d’y
exhumé à Madagascar. Lors de sa mise sence de kératine alpha et de kératine regarder de plus près.
Mary H. Schweitzer
Mary H. Schweitzer
De l’os médullaire a été trouvé dans un os vieux de 68 millions Des vaisseaux sanguins, ou du moins des structures
d’années provenant d’un tyrannosaure exhumé dans le Montana. qui leur ressemblent fortement, sont apparus après dissolution
Ce type de tissu est formé pendant une durée limitée des minéraux d’un morceau d’os cortical (de l’os compact)
par les femelles d’oiseaux sur le point de pondre. appartenant à l’un des tyrannosaures du Montana.
À ma grande surprise, les tests ini- pour des molécules très anciennes don- ne pouvait le soulever… L’équipe dut alors
tiaux ont exclu les plantes et les champi- naient des âges ne dépassant pas quelques le diviser en plusieurs blocs, ce qui pro-
gnons. En outre, des analyses ultérieures dizaines de milliers d’années. duisit de nombreux fragments d’os, que
de la microstructure de ces étranges brins Face au scepticisme que suscitaient l’on recueillit à mon attention. Comme mes
blancs ont indiqué la présence de kéra- mes travaux, un collègue me conseilla de premières études sur un tyrannosaure
tine. Les plumes « adultes » des oiseaux prendre du recul et de démontrer l’effi- étaient mises en doute, j’étais impatiente
actuels sont constituées presque exclusi- cacité de nos méthodes en identifiant des de les répéter sur un second spécimen…
vement de kératine bêta. protéines dans des os très anciens, mais Dès que je retirai le premier fragment
Si les petites fibres découvertes sur pas aussi vieux que notre os de dinosaure. de la boîte, un fragment de fémur, je sus
Shuvuuia étaient apparentées à des plu- En collaboration avec le chimiste John qu’il y avait quelque chose de particulier :
mes, elles devaient donc renfermer uni- Asara, de l’Université Harvard, j’obtins la surface interne de ce fragment était
quement de la kératine bêta, contrairement des protéines provenant de fossiles de bordée d’une fine couche de matière
à l’enveloppe des griffes de Rahonavis, qui mammouths dont l’âge était estimé entre osseuse absente des précédents fossiles de
contenait à la fois de la kératine alpha et 300000 et 600000ans. Leur séquençage par dinosaures. Cette couche était très fibreuse,
de la kératine bêta. De fait, c’est exacte- spectroscopie de masse a révélé qu’il s’agis- remplie de canaux de vaisseaux sanguins,
ment ce que nous avons trouvé lorsque sait de collagène, l’un des principaux com- et différait par sa couleur et sa texture de
nous avons réalisé nos tests d’anticorps. posants des os, des tendons, de la peau l’os cortical qui constitue la plus grande
J’étais désormais convaincue que de et d’autres tissus. La publication de ces partie de la masse osseuse d’un squelette.
petits restes de protéines anciennes pou- résultats, en 2002, passa assez inaperçue. « C’est une femelle, et elle porte un petit »,
vaient perdurer dans des fossiles extrê- m’exclamai-je devant mon assistante
mement bien conservés et que nous
avions les outils pour les identifier. Mais
Une femelle qui était médusée, Jennifer Wittmeyer.
Connaissant bien la physiologie des
de nombreux chercheurs restaient scep- prête à pondre oiseaux, j’étais presque sûre que cette struc-
tiques. Nos découvertes allaient à l’en- L’année suivante, une équipe du Muséum ture caractéristique était de l’os médul-
contre de tout ce que l’on pensait savoir des Rocheuses achevait d’exhumer le sque- laire, un tissu particulier qui n’apparaît
sur la décomposition des cellules et des lette du plus vieux tyrannosaure trouvé que pendant une durée limitée (souvent
molécules organiques. à ce jour : un animal mort il y a 68 mil- deux semaines seulement), quand les
Des études en laboratoire suggéraient lions d’années. MOR 1125, tel est son nom, oiseaux sont sur le point de pondre ; son
que les protéines ne devaient pas résister provient de la formation rocheuse du rôle est de fournir du calcium afin de
plus d’un million d’années environ; l’ADN «ruisseau de l’enfer» (Hell Creek) dans l’Est renforcer la coquille des œufs.
durait encore moins. Des chercheurs tra- du Montana. L’os médullaire se distingue des autres
vaillant sur de l’ADN ancien avaient déjà Ce site est si isolé qu’il a fallu un héli- types d’os par l’orientation aléatoire de
annoncé qu’ils avaient découvert de l’ADN coptère pour transporter au camp de base ses fibres de collagène, due à sa formation
vieux de plusieurs millions d’années, mais les blocs de plâtre contenant les os mis très rapide. Cette croissance anarchique
les travaux ultérieurs n’ont pas confirmé au jour. Le bloc contenant les os des mem- rapide se produit aussi pendant la cica-
ces résultats. Les seuls résultats bien admis bres se révéla si lourd que l’hélicoptère trisation d’une fracture, ce qui explique
les excroissances alors constatées à l’em- tout à fait à des vaisseaux sanguins. Sus- fluctuantes, ce qui avait été conservé dans
placement de la fracture. Afin de révéler pendus à l’intérieur de ces vaisseaux se les fossiles pouvait n’avoir plus beaucoup
l’arrangement des fibres de collagène, il trouvaient soit de petites structures rou- de rapport avec les substances présentes
est possible de déminéraliser les os d’un ges et rondes, soit des amas amorphes de du vivant des animaux. Le seul moyen
oiseau actuel ou de tout autre animal en matière rouge. D’autres expériences de de prouver de façon ferme et définitive
utilisant des acides faibles. C’est ce que déminéralisation ont révélé des ostéocy- la nature de ces matériaux consistait à éta-
nous avons tenté : s’il s’agissait bien d’os tes, les cellules osseuses qui sécrétent le blir avec précision leur composition.
médullaire contenant du collagène, l’éli- collagène et d’autres composés constituant
mination des minéraux révélerait l’orien-
tation aléatoire des fibres. Or c’est bien un
la partie organique de l’os. Le dinosaure
tout entier semblait contenir du matériel
Des protéines
amas de tissu flexible et fibreux que nous préservé qui n’avait jamais été trouvé de tyrannosaure
avons observé une fois la déminéralisa- auparavant dans un fossile de dinosaure ! En utilisant toutes les techniques amélio-
tion effectuée. Nous avons répété la même Lorsqu’en 2005, nous avons publié nos rées avec les fossiles précédents, j’analy-
expérience à de multiples reprises, avec observations de ce qui semblait être du col- sai le nouvel os de tyrannosaure. Avec
le même résultat à chaque fois. Tout se lagène, des vaisseaux sanguins et des cel- l’aide de J. Asara, qui avait amélioré les
passait exactement comme lorsque l’os lules osseuses, l’article retint l’attention de méthodes de purification et de séquen-
médullaire d’oiseaux actuels est traité la communauté scientifique, mais sans la çage mises en œuvre dans notre étude des
de la même façon… faire sortir de son attitude attentiste. os de mammouth, nous voulions séquen-
Qui plus est, lorsque nous avons Il faut dire que nous nous limitions à cer des protéines de dinosaure, beau-
ensuite dissous des morceaux de l’os annoncer une ressemblance entre les maté- coup plus anciennes.
plus dense et plus fréquent qu’est l’os cor- riaux découverts et des composants L’exercice était bien plus difficile, la
tical, nous avons obtenu d’autres tissus modernes, mais nous n’affirmions pas qu’il concentration de matériaux organiques
mous. Des tubes creux, transparents, flexi- s’agissait des mêmes substances. Après dans les restes de dinosaure étant infé-
bles et ramifiés apparaissaient dans la des millions d’années passées dans des rieure de plusieurs ordres de grandeur
matrice en dissolution – et ils ressemblaient sédiments et des conditions géochimiques à la concentration dans ceux de mam-
Les structures
ramifiées rougeâtres sont
des ostéocytes de Brachylophosaurus.
La matrice fibreuse blanche
est du collagène.
Raúl Martin
Mary H. Schweitzer
Brachylophosaurus canadensis
Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef
Archéologie
Vincent Carpentier
En revanche,
L a chose est connue : les hommes
du Nord ont colonisé la Norman-
die, qui, pour cette raison, porte leur
nom. Pourtant, si l’on demandait à un
archéologue ignorant les textes historiques
pas pour vider la vallée de ses habitants,
mais bien pour s’intégrer parmi eux.
Une bande
de nombreuses traces – par exemple à un spécialiste chinois de d’aventuriers
linguistiques attestent la dynastie Song (Xe siècle) – de rechercher Non seulement l’inventaire des objets nor-
l’influence viking. en Normandie les traces matérielles d’une diques recensés dans les deux régions nor-
conquête scandinave au Xe siècle, il ne mandes tient en quelques pages, mais
Ce tableau confirme pourrait que conclure que, probablement, l’attribution ethnique des objets qui le com-
les récits des chroniqueurs : pareille invasion n’a pas eu lieu ! Oissel, posent est aussi incertaine. Il s’agit pour
les Vikings de la Seine une ancienne île de la Seine en amont de commencer d’une petite dizaine de haches
voulaient avant tout Rouen, passe par exemple pour avoir été de guerre, d’épées (voir la figure 2) et de
s’insérer dans la société un repaire de Vikings. Qu’y ont révélé des fers de lance retrouvés pour la plupart à
carolingienne. fouilles récentes ? Les vestiges d’un habi- l’occasion de dragages effectués dans la
Ils ont contribué tat carolingien contemporain des incur- Seine, autour de Rouen, Elbeuf, Pîtres ou
à la culture médiévale sions scandinaves, mais ni témoignage Oissel. La moitié de ces armes est d’ori-
originale du duché de direct de la présence nordique – mobi- gine nordique. Elles peuvent être datées
Normandie, dont l’héritage lier, architecture – ni trace de violences de la fin du IXe ou du début du Xe siècle,
est considérable, en France, subies par les habitants. époques des grands assauts conduits
comme en Angleterre. Nous allons voir que cette constata- contre Rouen et Paris par une flotte viking
tion archéologique peut être étendue à la à laquelle appartenait Hrolfr, qui allait
gique est bien étonnante si l’on considère tin – est aussi « tombée » récemment. En
que le port de Rouen et les rivages de la dépit d’une tradition tenace entretenue
Normandie étaient en contact avec les rou- depuis les années 1950 par un cortège d’his-
tes maritimes datant de la Préhistoire. toriens partisans de la thèse « colonisa-
Si des Vikings sont venus vivre et mou- trice », le Hague-Dike ne doit absolument
rir en France, ils doivent y être enterrés, rien aux Scandinaves. S’il fut rebaptisé
se dit-on alors… Or, à ce jour, on ne compte 3. DEUX FIBULES EN CARAPACE DE TORTUE ainsi au Moyen Âge central à partir d’un
qu’un seul site funéraire que l’on puisse de ce type ont été trouvées en 1865 près de Pîtres vocabulaire effectivement nordique, il
associer à la présence viking : en 1865, dans l’Eure en compagnie d’objets de fer, de pote- s’agit néanmoins d’une construction anté-
ries et d’ossements. Caractéristiques de la parure
une tombe découverte fortuitement à Pîtres, rieure aux Vikings dont les premiers seg-
féminine scandinave du IXe au Xe siècle, elles fai-
près d’Oissel, a livré des restes humains saient probablement partie des offrandes funé- ments, datés par le carbone 14, remontent
accompagnés d’une paire de fibules en raires de l’une des rares femmes scandinaves à eux aussi à l’âge du bronze. Décidément,
bronze dites en « carapace de tortue » avoir été enterrées en Normandie. le dossier archéologique des Vikings en
(voir la figure 3). De style purement scan- Normandie ne cesse de s’amenuiser…
dinave, de telles fibules formaient sans Peut-on en déduire que les Vikings
doute la parure d’une femme issue de l’aris- n’ont guère arpenté la future Normandie?
tocratie nordique. Uniques à ce jour en Nor- Non. Trop de traces autres qu’archéolo-
mandie, ces objets remontent à la seconde giques attestent d’une forme de présence ;
moitié du IXe siècle. elles sont trop importantes pour être igno-
Pour leur part, les chefs vikings se rées. De quoi s’agit-il ?
faisaient mettre en terre sous un tertre, D’abord des nombreux textes du cor-
souvent dans un bateau où ils se fai- pus historique médiéval, notamment les
Musée de Normandie, Caen
saient incinérer ; dans certains cas, seule récits des chroniqueurs normands tels
la forme de la barque funéraire était repré- Dudon de Saint-Quentin (Historia Norman-
sentée, par une série de pierres dressées norum, fin du X e siècle), Guillaume de
au-dessus d’une tombe en plein sol. Cette Jumiège (Gesta Normannorum ducum,
mode funéraire typiquement scandinave vers 1070), ou Wace (Roman de Rou,
4. CE PETIT VASE GROSSIER a longtemps été
a-t-elle laissé des traces en Normandie ? considéré comme une importation viking, parce
vers 1170), etc. ; ou encore les sagas telle la
À ce jour, aucune n’y est encore appa- qu’il a été trouvé dans une tombe censée être Heimskringla (recueil de sagas écrites et com-
rue. La seule tombe à barque viking connue en forme de bateau dans l’embouchure de la pilées en Islande vers 1225). L’ensemble de
en France a été identifiée et fouillée en 1906 Saire. En fait, il remonte à l’âge du bronze. ces textes témoigne de l’existence de Rol-
lon et de ses affiliés, et raconte, voire exalte, Danois, Bernard le Danois…) ou patrony- L’ A U T E U R
leurs actions, du reste si marquantes, qu’el- mes régionaux (Anquetil (Asketill), Angot
les ne pouvaient qu’être enregistrées par ( Asgautr), Omont ou Osmont (Osmund),
les chroniqueurs médiévaux, tant en Toutain, Tostain (Thorstain), Ozouf, Turs-
France, en Angleterre, qu’en Scandinavie. tin, Haugmard…) suggèrent un apport
nordique sans doute non négligeable à la
population indigène. De multiples anthro-
Fossiles linguistiques ponymes norrois ou saxons se sont aussi
Il s’agit ensuite de très nombreux fossiles fixés dans la toponymie. Ils servent sou-
linguistiques, c’est-à-dire de mots d’origine vent de radical dans un nom se termi-
norroise (vieux nordique) et anglo-saxonne nant par le suffixe –ville, d’origine latine, Vincent CARPENTIER,
dans les patois normands, mais aussi noms qui désigne la villa, c’est-à-dire le domaine: archéologue,
travaille à l’INRAP
de lieux – les toponymes – ou autres noms ainsi Mondeville (Amundi-villa), etc. de Basse-Normandie.
de personnes – anthroponymes et ethno- Détail hautement significatif, nombre
nymes – présents en Normandie. de toponymes incorporent des termes ou
Or que constate-t-on à les examiner ? des noms non pas norrois, mais saxons,
Pour commencer, que les toponymes d’ori- ce qui démontre que la composition eth-
gine norroise sont extrêmement nombreux nique des « Vikings » de la Seine, en d’au-
en Normandie, mais qu’ils ne sont pas tres termes des compagnons de Rollon,
répartis de façon homogène (voir la figure 6). était mixte, comprenant sans doute des
La simple consultation des cartes régio- Scandinaves, des Saxons et des Anglo-
nales ou un regard sur les panneaux de Scandinaves issus de la colonisation viking
signalisation suffit à prendre la mesure de dans les îles britanniques. Ainsi, aeppel,
cette réalité. Ainsi, tous ces cours d’eau pomme en vieil anglais (la langue anglo-
et bourgades portuaires dont le nom saxonne), se retrouve par exemple dans
s’achève en –bec (de bekkr, ruisseau), Auppegard, nom d’un village de Seine-
comme Caudebec, ou en –fleur (de floi, Maritime, qui, jusque vers 1160, se nom- 5. LES TOMBES DE CHEF SOUS LES TUMULUS
golfe), comme Honfleur, Harfleur ; tous mait Appelgart, autrement dit «pommeraie» sont typiquement vikings (ci-dessous
en saxon. Notons que Auppegard ou plu- – voir les flèches – deux exemples varègues
ces noms de villes, de villages et de
à Staraja Ladoga, près de Saint-Pétersbourg,
hameaux dont le nom s’achève en –tot (de tôt Appelgart a son correspondant exact en Russie). Le défunt s’y faisait incinérer
toft, habitation) ou en –beuf (de both, dans la principale région de colonisation dans un vaisseau, à bord duquel il partait
cabane), comme Yvetot ou Elbeuf. On des Vikings d’Angleterre, le Yorkhire : pour l’au-delà avec armes et bagages, ainsi
trouve aussi nombre de lieux-dits dont le Applegarth. Le cas de la commune de Flot- que, souvent, une captive ou une épouse
nom dérive du norrois pour îlot ou prai- temanville, dans la Manche, recèle un sacrifiée. La seule tombe à barque jamais
rie marécageuse, comme «le Homme» (de indice encore plus frappant de la présence retrouvée en France le fut bien loin
de la Normandie, sur l’île de Groix, en Bretagne
holmr, île, prairie entourée d’eau) ou « la de Saxons ou d’Anglo-Scandinaves parmi
(voir le cartouche). Fouillée en 1905,
Hogue » (de haugr, petite hauteur). les compagnons de Rollon : le terme flote- elle a livré les restes d’un chef viking
Ensuite, force est de noter que beau- man ne signifie en effet rien d’autre que accompagné en effet d’une jeune femme,
coup de noms médiévaux (Robert le « Viking », mais… en vieil anglais ! ainsi qu’un riche mobilier funéraire.
© Yann Arthus-Bertrand/Corbis
Vincent Carpentier
conforterait l’idée que les Vikings se sont C’est d’ailleurs cette nuance fonda- BIBLIOGRAPHIE
intégrés dans le tissu rural de la basse mentale qui a conduit Lucien Musset, spé-
vallée de Seine. Toutefois, on aurait tort cialiste de l’histoire médiévale scandinave E. Riedel, Les Vikings
et les mots : L’apport de l’ancien
d’y voir la preuve d’une authentique colo- et normande, à développer le concept de scandinave à la langue française,
nisation de peuplement homogène. Le fait « colonisation d’encadrement », par oppo- Errance, 2009.
que des toponymes qui se créent alors puis- sition à la lecture catastrophiste du phé-
L. Musset (dir.), Nordica
sent être d’origine anglo-saxonne sug- nomène viking héritée de la dramaturgie et normannica : recueil d’études
gère plutôt l’arrivée d’une armée recrutée chrétienne d’époque franque, puis récu- sur la Scandinavie ancienne
dans le monde anglo-scandinave. Du reste, pérée ensuite par la pensée nationaliste et médiévale, les expéditions
les apports linguistiques vikings aux patois et régionaliste. L’authentique exception des Vikings et la fondation
de la Normandie, Société
normands touchent très peu la sphère historique de cette première Normandie des études nordiques, Paris, 1997.
domestique, ce qui signale la quasi-absence fondée au Xe siècle réside donc d'abord et
des femmes scandinaves… surtout dans sa longévité, liée à sa réus- J. Deuve, La Fondation du duché
de Normandie, Éditions
site militaire et politique. Au contraire, Charles Corlet, 1997.
l’éphémère fondation normande de l’em-
Intégration réussie bouchure de la Loire n’a duré que 18 ans R. Boyer, Les Vikings, Plon, 1992.
Ainsi, si la culture viking n’a pas laissé (entre 919 et 937). Bousculée quelque Traduction anglaise en ligne
d’empreinte plus forte, et notamment dans temps, l’aristocratie franque resta néan- de la Heimskringla :
quelques secteurs spécifiques, c’est bien moins toujours capable de vaincre les Nor- http://omacl.org/Heimskringla/
parce que les nouveaux venus ont très rapi- mands en bataille rangée, de même
dement adopté la langue et les coutumes d’ailleurs que les Bretons dès qu’ils s’unis-
locales ; leurs chefs se sont convertis au sent sous une même bannière.
christianisme afin de s’assimiler aux éli- Si, en 911, à la suite d’une longue période
tes franques et se sont implantés au sein de contacts et d’affrontements, Charles le
ou à la tête de domaines préexistants, quel- Simple a finalement offert aux Vikings de
quefois rebaptisés pour l’occasion. On sait la Seine leur entrée officielle dans le tissu
en outre que les mœurs réputées scandi- de l’aristocratie franque, c’est avant tout
naves, comme le concubinage more danico pour tirer profit de leur savoir-faire pour
(de mœurs danoises) des premiers ducs défendre les marches occidentales de la
de Normandie, n’étaient guère étrangères Neustrie contre les prétentions des Bre-
aux aristocrates francs… tons et des autres pirates nordiques.
De mères probablement gallo-fran-
ques, les enfants des Vikings de la pre-
mière génération sont ainsi devenus très
rapidement des sujets à part entière du roi
carolingien. On s’en aperçoit aujourd’hui :
l’histoire des origines du duché de Nor-
mandie tire ses caractères originaux non
pas d’un processus de colonisation par la
force, mais plutôt de l’assimilation rapide
d’une minorité agissant au sein d’une cul-
ture continentale gallo-franque, qui s’est
enrichie surtout d’un héritage technique
et linguistique spécialisé en rapport avec
l’origine maritime des nouveaux venus.
À compter du début du Xe siècle, l’es-
pace correspondant à l’actuelle Norman-
die fut donc progressivement confié par le
pouvoir carolingien à l’autorité d’une nou-
velle élite anglo-scandinave, très dynami-
que militairement et politiquement parlant,
incarnée par le personnage semi-légendaire
de Rollon. C’est dire si les nouveaux arri-
S.C. Bikel
b e
c d
© akg-images/Erich Lessing
a b c d
8. L’INFLUENCE VIKING SUR LE PARLER DE NORMANDIE a été impor- tion des planches de bordage (a) ; un racloir servait à réaliser des moulu-
tante dans les domaines où ils ont apporté des innovations. Ainsi, tous res décoratives sur les bordages supérieurs (b) ; un petit marteau servait
les outils de charpentiers de marine retrouvés en Scandinavie ont la même à la pose des chevilles ou gournables et des clous du bordé (c) ; une her-
forme que les instruments représentés sur cette scène de la tapisserie minette était utile à la finition des bordés (d) ; une tarière à cuillère ser-
de Bayeux (XIIe siècle). La doloire servait à l’équarrissage et à la prépara- vait à forer les trous pour le chevillage des varangues (e).
À deux reprises, en 924 et 933, le pre- les prémices ont été discernées par Pierre fait souche dans la population locale, sans
mier territoire de Rollon fut ainsi augmenté Bauduin dès le IXe siècle. Ainsi, au milieu doute essentiellement dans ces espaces lit-
vers l’Ouest, à mesure que les ennemis du du Xe siècle, les chefs normands sont deve- toraux qui leur offraient un cadre de vie
roi franc reculaient sous les assauts des Nor- nus des élites «normanno-franques» que proche de celui qu’ils avaient quitté.
mands engagés contre des troupes rivales leur mode de vie ne permet plus de dis- Aussi l’archéologie de la Normandie
en activité jusqu’au milieu du Xe siècle dans tinguer de leurs pairs de souche continen- des Xe-XIIe siècles n’est-elle pas à proprement
le Bessin et le Nord-Cotentin. Ces derniè- tale, même si leurs origines sont parfois parler une archéologie normande, ni même
res, constituées de Vikings restés pirates, rappelées par un double patronyme. La viking, mais bien plutôt celle d’un territoire
fondaient surtout leurs succès militaires part quasi légendaire accordée à l’activité parmi d’autres du Nord-Ouest de l’Europe,
sur la ruse et la rapidité, s’en prenant à militaire de cette nouvelle élite masque lar- d’obédience franque, dont les liens avec l’es-
des proies faciles et esquivant autant que gement chez les chroniqueurs francs la pace maritime, nautique, économique, poli-
possible les affrontements militaires défa- dimension politique, économique et géo- tique et culturel compris entre l’Atlantique
vorables en terrain découvert. graphique de ses entreprises. Même si ces et la Baltique sont multiples et complexes.
Un mode de vie que Rollon et ses des- chroniqueurs nous les dépeignent comme Dans ce renversement de perspective réside
cendants abandonnaient au contraire pour une horde de guerriers surpuissants, les ce qui jusqu’alors apparaissait comme un
adhérer à celui de l’aristocratie franque. De berserkr (voir la figure 7), les Vikings de la paradoxe identitaire fondé sur une inter-
fait, dès la deuxième génération des com- Seine forment dès la fin du IXe siècle une prétation étroite des chroniques médiéva-
tes normands (Guillaume Longue-Épée), véritable armée, suffisamment coordonnée les de l’époque ducale, dont le dessein
la reconfiguration politique de la région est pour se tailler une place sur l’échiquier poli- premier était d’asseoir la légitimité dynas-
parachevée (après 933) et débouche sur une tique carolingien. tique. Des processus de métissage cultu-
assimilation politique, culturelle et sociale. Les faits sont là: de pirates, marchands rel, tel celui qui a produit la Normandie, se
Elle s’accomplit grâce à l’adoption de la lan- et voyageurs, les aventuriers venus du sont maintes fois répétés dans l’histoire euro-
gue, de la religion et du droit francs, cou- Nord, se sont transformés en seigneurs péenne. Le temps est venu de leur donner
plée à un jeu d’alliances matrimoniales dont francs. Les autres, les « sans grade », ont leur importance réelle.
Format classique
ou pocket
Format classique
ou pocket
Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef
Médecine
Nancy Shute
46] Médecine
pls_402_p000_000_autisme.xp_bsl_02_03 4/03/11 18:58 Page 47
leurs enfants partout où ils allaient. Et ils sant d’enfants sont diagnostiqués autis- L’ A U T E U R
administraient aux garçons des dizaines tes selon des critères plus larges. Dans
de compléments alimentaires, augmentant les années 1970, l’autisme, alors nommé
ou diminuant les quantités selon chaque psychose infantile, était un mélange de
changement comportemental de leurs fils. troubles sociaux et de retard intellectuel,
Bien sûr, leurs expériences ont échoué. et l’on considérait que le syndrome était
Un jour, la maman arrêta de donner ses rare. Quand un enfant de huit mois, par
compléments à son aîné et attendit deux exemple, n’établissait pas de contact
mois avant de le dire à son époux. Son visuel, les pédiatres disaient à ses parents
silence prit fin le jour où l’enfant avala une inquiets d’attendre de voir ce qui se pas-
gaufre sans autorisation. Ses parents le serait. Environ 5 enfants sur 10 000 souf- Nancy SHUTE
regardèrent avec angoisse, pensant qu’il fraient alors d’autisme. est journaliste
en neurosciences
régresserait dès l’instant où il s’écarterait Ce chiffre a augmenté à mesure que et en santé de l’enfant.
de son régime. Mais ce ne fut pas le cas. les médecins ont redéfini le syndrome en
Les parents s’en doutaient depuis le trouble du spectre autistique, qui inclut
début, car ils savaient que les traitements des symptômes plus modérés. Quand le
qu’ils utilisaient pour leurs enfants nouveau Manuel diagnostique et statis-
n’avaient pas été testés scientifiquement tique des troubles mentaux (ou DSM-IV)
dans des essais cliniques. Mais l’espoir a été publié en 1994, les médecins ont
avait pris le pas sur le scepticisme (voir l’en- ajouté le syndrome d’Asperger – une
cadré page 48). Des centaines de milliers de forme d’autisme sans retard initial de lan-
l’on espère obtenir un jour de véritables dent de la Société internationale pour la comprendre les causes
résultats scientifiques. recherche sur l’autisme. de l’autisme, pour trouver
Si la demande de traitements aug- En outre, aucun marqueur n’est dispo- des médicaments.
mente, c’est parce qu’un nombre crois- nible pour dire quels enfants sont à risque
cialisée, où les budgets sont modestes et versité de Rochester, a réalisé une nouvelle BIBLIOGRAPHIE
les protocoles différents de ceux de la étude auprès de 14 enfants suivant un
recherche médicale. Certains projets n’im- régime; elle n’a trouvé aucun changement R. Anney et al., A genome-wide
scan for common alleles affecting
pliquent par exemple qu’un seul enfant. de l’attention, du sommeil ou des compor- risk for autism, Human Molecular
Toutefois, une étude publique est en cours tements caractéristiques de l’autisme. Genetics, vol. 19, pp. 4072-4082,
aux États-Unis pour déterminer l’effica- Bien que les données scientifiques octobre 2010.
cité des traitements comportementaux; les s’accumulent pour montrer que les régi- R. Toro et al., Key role for gene
résultats seront disponibles cette année. mes n’auraient pas d’effet sur le trouble dosage and synaptic
du spectre autistique, il est difficile de homeostasis in autism spectrum
changer l’opinion des gens. Autre exem- disorders, Trends in Genetics,
Aucune preuve ple : la sécrétine, qui est devenue une
vol. 26, pp. 363-372, août 2010.
scientifique substance prisée en1998. Une étude avait J. Green et al., Parent-mediated
Il y a peu de recherche scientifique concer- alors montré que trois enfants avaient communication-focused
treatment in children with autism
nant des traitements de l’autisme, et progressé dans le contact oculaire, la vigi- (PACT) : a randomised controlled
lorsqu’une étude a lieu, le nombre de lance et l’utilisation du langage après trial, The Lancet, vol. 375,
patients impliqués est souvent faible. administration de l’hormone lors d’un pp. 2152-2160, juin 2010.
En 2007, la Collaboration Cochrane, une examen pour des troubles gastro-intes-
E. Andari et al., Promoting social
organisation internationale indépendante tinaux. Les médias s’étaient fait l’écho behavior with oxytocin
à but non lucratif qui évalue la recherche des heureux parents qui racontaient la in high-functioning autism
médicale, a analysé les bénéfices des régi- transformation de leurs enfants. L’Insti- spectrum disorders, PNAS, vol. 107,
pp. 4389-4394, mars 2010.
mes sans caséine, une protéine du lait, et tut américain pour la santé des enfants
sans gluten, une protéine du blé, bénéfices et le développement humain a financé M. B. Ospina et al., Behavioural
qui reposeraient sur le fait que certains com- des essais cliniques : en mai 2005, cinqétu- and developmental interventions
posants de ces protéines interfèrent avec des montraient l’absence de bénéfice et for autism spectrum disorder :
a clinical systematic review,
des récepteurs cérébraux. L’organisation a l’intérêt pour la sécrétine s’est émoussé PLoS ONE, vol. 3, e3755,
identifié deux essais cliniques, l’un incluant en plusieurs années. novembre 2008.
20 participants et l’autre 15. La première Toutefois, l’augmentation de la de-
étude a mis en évidence une petite dimi- mande pour des traitements a un effet
nution des symptômes autistiques ; la positif : elle stimule la recherche et les
seconde n’a rien montré. financements. En2007, quand s’est tenue
En mai2010, Susan Hyman, professeur la première Conférence internationale
de pédiatrie à l’École de médecine de l’Uni- pour la recherche sur l’autisme (IMFAR),
0
1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
1943 Descrip- 1980 Pour la première 1987 La catégorie devient 1990 Pour la première 1994 Le trouble autisti-
tion de l’autisme fois, l’autisme infantile est «trouble autistique» dans la fois, on considère que l’au- que devient le trouble du spec-
par le pédopsychia- décrit dans le DSM-III (Ma- version révisée du DSM-III ; tisme nécessite une éduca- tre autistique dans le DSM-IV
tre américain Léo nuel diagnostique et statis- 8critères sur 16doivent être tion spécialisée. et inclut des syndromes tel
Kanner. tique des troubles mentaux, remplis pour que le diagnos- celui d’Asperger ; 6 critères
3e édition). tic soit posé. diagnostiques sur 12 doi-
vent être remplis.
L’ A U T I S M E : D U D I A G N O S T I C P R É C O C E À L’ A U T O N O M I E
es troubles du spectre autisti- vie,l’enfant ne babille pas,ne pointe
L que (l’autisme, le syndrome
d’Asperger et les troubles enva-
pas, ne fait pas de gestes sociaux et
communicatifs ou ne répond pas à
hissants du développement non son prénom. Puis il présente un re-
spécifiés) recouvrent des tableaux tard dans l’apparition de mots sim-
cliniques très hétérogènes selon ples ou de phrases de deux mots ;
l’âge, l’intelligence, le langage et et à tous ces âges, on observe une
les maladies associées. Leur pré- régression de sa capacité langagière
valence est passée de 4 pour ou sociale. Quand il est plus âgé,
10 000 il y a 20 ans à 70 pour on relève une diminution des ges-
10 000. Pour quelles raisons ? Les tes exprimant l’intérêt de l’enfant ou
© Shutterstock/StockLite
facteurs environnementaux qui dirigeant l’attention de l’autre sur
ont fait l’objet d’études (les vac- un objet d’intérêt, et un manque de
cins et les allergies) ne sont pas contact visuel intégré à l’acte de com-
en cause dans cette augmenta- munication, ainsi qu’une difficulté
tion. La raison en est plutôt que de compréhension du langage oral.
l’on a inclus dans la définition des Des intérêts ou des aversions spéci- gendre un changement dans le trai- à « traiter» une trisomie 21, du fait
individus d’intelligence élevée et fiques pour des stimulations percep- tement de l’information, depuis l’in- que la modification génétique qui
bien adaptés socialement, ainsi tives ou des éléments spécifiques formation perceptive élémentaire l’entraîne est définitive et irréversi-
que des troubles neuro-dévelop- d’objet sont aussi notés.D’autres for- jusqu’à l’information sociale (visa- ble,l’idée que l’on puisse traiter l’au-
pementaux multiples correspon- mes correspondant au syndrome ges, voix, mouvement), la percep- tisme reste ancrée dans les esprits.
dant aux critères actuels de d’Asperger se révèlent bien plus tard, tion et la mémoire de l’environne- On la retrouve dans l’idée qu’un fac-
l’autisme ; de plus, les sociétés sont par une limitation de la socialisation ment et du langage, avec des ef- teur environnemental est en cause
davantage vigilantes à l’égard spontanée et l’existence d’intérêts fets soit délétères, soit avantageux. et qu’il pourrait être supprimé.
de cette condition et le diagnos- spécifiques. Pour les mécanismes génétiques,on On la retrouve aussi dans des
tic d’autisme est plus avanta- est passé de l’hypothèse de l’inter- méthodes telles que l’intervention
geux par rapport à d’autres
troubles du développement pour
Des troubles action de quelques gènes à la pos-
sibilité d’une multitude de mécanis-
comportementale intensive (ICI).
Celles-ci visent à réamorcer les mé-
obtenir de l’aide. En conséquence, génétiques mes, différents selon les individus, canismes cérébraux supposés at-
l’incidence de la déficience intel- L‘autisme est un trouble neuro-dé- chacun pouvant être monogéni- teints via le renforcement et la frag-
lectuelle dans l’autisme, autrefois veloppemental, lié à une modifica- que (n’ayant qu’un gène muté). mentation des comportements à
attachée à cette condition, a forte- tion du fonctionnement synaptique Est-ce l’absence de traitement apprendre. Ces méthodes, contrai-
ment diminué ces dernières années. et de l’organisation cérébrale, à de valide qui justifie l’émergence rement à la rumeur, ne guérissent
Quels sont les signes de ces trou- multiples niveaux. Cette modifica- constante de panacées frauduleu- pas l’autisme, ont des effets impré-
bles? Dans sa deuxième année de tion est d’origine génétique. Elle en- ses ? Alors qu’on ne penserait pas visibles et n’ont pas fait l’objet de
moins de 150personnes étaient présentes. Les nouveaux programmes vérifient peu nombreuses dans le pays. En outre,
En mai 2010, 1 700 chercheurs, docto- aussi l’efficacité des interventions préco- aux États-Unis, le Réseau pour le traite-
rants et représentants des parents assis- ces par thérapie comportementale, qui ment de l’autisme a créé un registre de plus
taient à la même conférence. Les nouvelles enseignent des compétences sociales aux de 2 300 enfants pour faire des recherches
techniques et la prise de conscience du enfants au moment où leur cerveau est sur les traitements des complications médi-
public ont contribué à faire de l’autisme en phase d’apprentissage du langage et cales fréquentes chez les enfants autistes,
une question de santé publique. de l’interaction sociale. En novembre 2009, notamment les problèmes gastro-intesti-
En conséquence, depuis dix ans, le une étude a montré que les enfants sou- naux et les troubles du sommeil.
financement américain de la recherche sur mis à deux années de thérapie comporte- Mais ces études visant à trouver des
l’autisme a augmenté de 15pour cent par mentale à raison de 31heures par semaine, médicaments risquent de se heurter à plu-
an, l’accent étant mis sur les applications en commençant entre 18 et 30 mois, ont sieurs obstacles. Certaines interventions
cliniques. En2009, les Instituts américains augmenté leur quotient intellectuel et leurs médicales ont été décevantes. Par exemple,
pour la santé ont attribué 132 millions de compétences de langage. les antidépresseurs, qui augmentent la
dollars aux recherches sur l’autisme et Selon le Comité consultatif d’éthique, concentration de sérotonine dans le cerveau,
les fondations privées ajoutent quelques la France serait en retard, par rapport aux diminuent les mouvements répétitifs des
dizaines de millions supplémentaires. Au pays d’Europe du Nord et anglo-saxons, mains dans les troubles obsessionnels com-
total, environ 27 pour cent des finance- en ce qui concerne le diagnostic et l’accès pulsifs ; en août 2010, on a montré qu’ils
ments concernent la recherche de traite- à un accompagnement éducatif adapté. ne soulageaient en rien les mouvements
ments, 29pour cent la recherche des causes, Malgré de nombreux rapports et des lois, répétitifs typiques de l’autisme.
24 pour cent la biologie fondamentale et les actions pour le traitement des trou- Autres candidats: un médicament qui
9 pour cent le diagnostic. bles du spectre autistique sont encore augmente l’ocytocine, une hormone qui
démonstrations scientifiques centrées sur les personnages,le faire cient aujourd’hui d’une crédibilité et dans les formes les plus verba-
convaincantes; elles soulèvent d’im- semblant, la variété, les joies par- scientifique supérieure à la thérapie les, d’anxiété, d’irascibilité et de
portants problèmes éthiques et tagées avec des pairs ; elles sont comportementale intensive, du fait dépression, qui peuvent bénéficier
n’obtiennent, quand c’est le cas, techniques, centrées sur les fonc- de larges essais cliniques. Elles vi- de traitements pharmacologiques.
que de faibles modifications com- tionnements des objets, la réalité sent à redonner aux parents les Et ces derniers ne changent pas les
portementales. De plus, on ignore physique, explorée dimension par moyens de communiquer avec leur symptômes sociocommunicatifs de
leurs effets à long terme et leurs dimension. On est aussi tolérant de- enfant, au lieu de juger ces der- l’autisme. L’approche cognitivo-
éventuels effets négatifs sur l’ap- vant des manifestations de joie sous niers comme déviants par rapport comportementale chez l’adulte qui
prentissage spontané de l’enfant. forme de mouvements répétitifs, ou à une norme communicative ou parle consiste à travailler des atti-
Enfin, les acquis obtenus ne tien- de frustration sous forme de mou- développementale. tudes bénéfiques et adaptatives, et
nent pas compte du fait que les en- vements d’automutilation, le plus Un enfant autiste devrait être à en supprimer d’autres qui lui nui-
fants autistes d’intelligence nor- souvent bénins.On doit accepter que scolarisé dans le système régulier. sent ou nuisent à son entourage.
male, le groupe pour lequel ces mé- le langage oral soit en apparence Plusieurs niveaux d’adaptation sont Enfin, chez l’enfant, mais aussi chez
thodes sont les plus efficaces, exclu de ses interactions au début possibles, depuis la classe spéciale l’adulte, une intervention sélective
progressent souvent d’eux-mêmes, de la vie, et parfois pour toute la vie, dans le système régulier jusqu’à est la gestion de crise survenant en
quel que soit leur environnement. ce qui n’empêche pas l’enfant au- l’aide individuelle. La fonction de milieu familial, scolaire ou profes-
Alors que fait-on avec un en- tiste d’observer et de comprendre l’aide sera d’individualiser les consi- sionnel. Celles-ci seront abordées
fant, puis un adulte autiste ? On beaucoup de choses. Et il comprend gnes et les évaluations académiques par une enquête, une explication
ne le « soigne » pas, on l’élève et souvent le langage écrit. En outre, selon le niveau intellectuel et la com- de leur déclenchement et une adap-
l’éduque, on le scolarise, en rendant son intérêt pour les autres enfants préhension des consignes,et d’amé- tation du milieu aux particularités
son environnement suffisamment et l’intérêt des autres enfants pour nager la façon de les transmettre. de la personne, comme c’est le
prédictible et compréhensible, et en lui n’occupent pas une place pré- Dans les cas les plus extrêmes, un cas pour les handicaps.
le préservant des dangers extérieurs. pondérante dans son éducation. enfant autiste peut n’être accessi- Ainsi, un enfant autiste gran-
Enfant, on met à sa disposition du ble qu’à une seule tâche, directe- dira, se compliquera, étonnera
matériel permettant d’exercer son
intelligence, sa volonté d’explorer
Aider les enfants ment inspirée de ses intérêts parti-
culiers au moment de son entrée
ses parents et son entourage par
une intelligence différente, avec
le monde et d’interagir avec autrui. et les parents dans la classe;il s’agit ensuite d’élar- le désir et la capacité de trouver
À l’âge adulte, on l’aide à trouver Pour aider les parents dans ce par- gir et de diversifier ses intérêts.Tou- une place sociale, et l’envie d’être
un emploi et à être autonome. cours, il existe depuis peu des mé- tefois, la majorité des enfants au- heureux et un sentiment d’épa-
Toutefois, on doit accepter que thodes d’intervention plus légères tistes s’intéressent à l’acquisition nouissement personnel.
sa façon de jouer, les matériaux que l’intervention comportementale des connaissances, et s’adaptent
qui suscitent son intérêt et le rôle intensive;elles s’appliquent souvent bien dans un cadre scolaire. Laurent MOTTRON
des parents sont très différents d’un en milieu familial, ou lors de cour- Alors que traite-t-on avec les psychiatre et chercheur
autre enfant. Les informations qui tes séances où famille et enfant sont médicaments ? L’autisme s’accom- à l’Hôpital Rivière-des-Prairies
l’intéressent ne sont pas enfantines, observés et aidés. Celles-ci bénéfi- pagne parfois, surtout à l’âge adulte de l’Université de Montréal
stimule la lactation et dont on pense tions détectées modifient des gènes impli- SUR LE WEB
qu’elle favorise les liens mère-enfant. qués dans la communication entre neuro-
En février 2010, une équipe du CNRS a nes. On pense d’ailleurs que des défauts Fondation FondaMental, réseau
montré que 13 adolescents ayant un syn- dans les synapses, les points de contact entre de coopération scientifique
en santé mentale :
drome d’Asperger réussissaient mieux neurones, seraient en cause dans l’autisme. http://www.fondation-
à identifier des photos de visages après Le directeur de l’étude, Daniel Ges- fondamental.org/
avoir inhalé de l’ocytocine. Mais beau- chwind, de l’École de médecine David Gef-
Association autisme France :
coup reste à faire avant que l’on confirme fen, à l’Université de Californie à Los http://autisme.france.free.fr/
que l’ocytocine améliore certains symp- Angeles, constate que les mutations dif-
tômes autistiques. fèrent selon les enfants, mais qu’elles Fédération française sésame
autisme, association de parents :
peuvent perturber les mêmes voies biolo- http://www.sesame-autisme.com/
La recherche sur giques. Il a aussi créé une banque de res-
sources génétiques sur l’autisme, qui Site de Stephen Barrett,
l’autisme progresse contient des échantillons d’ADN provenant psychiatre en Caroline du Nord,
qui examine les traitements
La recherche sur les troubles du spectre de plus de 1 200familles où certaines per- douteux : quackwatch.com.
autistique gagne du terrain dans les pays sonnes sont atteintes d’autisme.
développés. En juin 2010, un consortium Aujourd’hui, seule la thérapie com-
international de chercheurs, qui ont exa- portementale repose sur quelques don-
miné les gènes de 996enfants, a trouvé de nées scientifiques. Des milliers de parents
nouveaux variants génétiques rares chez espèrent que la science offrira un jour
les enfants autistes. Certaines des muta- d’autres traitements.
coléoptère, scarabée, cétoine, télécommande, téléguidage, robot, insecte-robot, vol, cyborg, contrôle, insecte
Robotique
Scarabées en vol...
téléguidé
Michel Maharbiz et Hirotaka Sato
Da
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tts
ch
wa
ge
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fabriqués par l’homme, qui interviennent Amit Lal, directeur des programmes de la sur les criquets, les papillons de nuit et
si nécessaire dans le vol des insectes. DARPA, a jugé que c’était le bon moment les mouches. Comment pouvions-nous
En d’autres termes, l’insecte vole de pour tirer avantage de ces avancées en déter- nous appuyer sur ces travaux ? Les cri-
lui-même, mais des circuits implantés minant si l’on pouvait aussi transmettre quets et les papillons de nuit sont grands,
dans son système nerveux lui ordonnent des signaux électriques à ces muscles à l’aide mais ils ne peuvent pas porter beaucoup
de tourner à gauche ou à droite, de mon- de microcircuits implantés, qui les feraient de poids. Restaient les mouches.
ter ou descendre, etc., ces commandes bouger comme on le souhaiterait.
étant transmises par des manipulateurs
humains à distance. En fait, nous avons
Les cyberinsectes ont potentiellement
de nombreuses applications militaires ;
Mouches, scarabées,
construit des cyberinsectes volants, mi- l’une des plus importantes serait la pos- libellules: que choisir?
insectes, mi-machines. sibilité de se renseigner sur les occupants Les mouches présentent de nombreux
L’idée nous en est venue il y a cinq d’un bâtiment ou d’une cave afin de déci- avantages. Tout d’abord, les biologistes
ans, quand l’un de nous (M. Maharbiz) a der du type d’intervention. Des hybrida- en ont une bonne connaissance. Michael
participé à un atelier sur les cyberinsectes, tions entre circuits électroniques et circuits Dickinson, de l’Institut de technologie de
organisé par la DARPA (Defense Advanced cérébraux auraient aussi beaucoup d’uti- Californie, et d’autres chercheurs ont
Research Projects Agency, l’agence de recher- lité dans le domaine civil, par exemple déterminé de façon très détaillée quels
che militaire américaine). Les participants avec des insectes-robots capables de retrou- muscles se contractent et à quels moments
à l’atelier ont passé en revue certaines tech- ver des survivants dans les décombres lorsque la mouche s’élève ou effectue un
niques permettant aux biologistes de rece- d’un tremblement de terre. virage. En outre, les mouches utilisent
voir et d’enregistrer des signaux électriques Avant 2005, les meilleures études décri- l’énergie avec beaucoup d’efficacité, ce
émis par des muscles d’insectes en vol libre. vant le vol des insectes ont été réalisées qui leur permet de battre des ailes et chan-
Taille réelle
ger de direction à une vitesse étonnante. coléoptères sont des insectes assez grands Il a d’abord fallu décider d’un ensem-
Toutefois, du point de vue technique, il – entre un millimètre et plus de dix centi- ble minimal de comportements à contrô-
est difficile de travailler avec ces insectes. mètres – et qu’ils ont une carapace lisse, ler. Nous ne voulions pas attacher les
Les mouches sont si petites que pour sur laquelle il est facile de coller des élé- insectes à un fil pour régir leur comporte-
leur implanter des câblages et des circuits, ments. De plus, on connaît plus de 350000 ment, comme d’autres l’ont fait ; les atta-
il faut pratiquer de la nanochirurgie. espèces de coléoptères. En théorie, l’accès ches auraient été longues et se seraient
Quant aux libellules, elles volent bien à de tels insectes devait être aisé. Mais il y enchevêtrées. Nous avons opté pour une
et sont de taille suffisante, mais elles sont avait trop peu d’éleveurs de coléoptères aux télécommande radio, comme celle des aéro-
très fragiles. Les blattes étaient d’autres États-Unis pour couvrir nos besoins. Fina- modélistes qui commandent à distance de
insectes envisageables... lement, il a fallu des années avant que le petits avions ou hélicoptères. Nous vou-
La consultation d’un manuel de bio- laboratoire arrive à se fournir régulièrement lions faire démarrer et stopper à la demande
logie des coléoptères, écrit par Roy Albert en coléoptères, qu’il importe désormais les battements des ailes, augmenter ou
Crowson en 1981, nous a révélé que le d’éleveurs européens et asiatiques. diminuer l’ascension de l’insecte en vol
vol des scarabées est très semblable à celui Notre objectif était de réussir à inciter et le faire virer vers la gauche ou la droite.
des mouches. Les muscles du thorax d’un à distance un insecte à voler, contrôler ses Nous ne voulions pas contrôler tous les
coléoptère déforment sa carapace de telle changements de direction et sa vitesse en aspects du vol de l’insecte, les coléoptè-
façon que les ailes oscillent comme un dia- cas de besoin, puis l’arrêter une fois atteint res ayant déjà une bonne capacité à stabi-
pason. Les types de muscles et leurs posi- le lieu visé. En tant qu’ingénieurs, nous liser leur vol en se calant sur l’horizon et
tions sur l’insecte paraissaient également voulions que ces fonctions soient repro- à régler leur vitesse et leurs trajectoires en
similaires à ceux des mouches. Le point ductibles et fiables, avec peu ou pas de fonction du vent et des obstacles.
peut-être le plus important est que les dommages causés à l’insecte.
Stimuler les circuits
neuromusculaires
En même temps, nous voulions nous assu-
LA MÉCANIQUE DU VOL DU COLÉOPTÈRE rer que nous pourrions envoyer des
Les coléoptères battent leurs ailes de haut en bas
Contraction du muscle en utilisant des muscles de vol indirects. Au lieu signaux directement dans les circuits neu-
longitudinal dorsal de tirer leurs ailes vers le haut et le bas à l’aide romusculaires de l’insecte, de sorte que
de muscles directement insérés à la base même s’il tentait de faire autre chose, nous
des ailes, deux ensembles de muscles pourrions envoyer une contre-commande.
se contractent (en orange) Tout insecte qui ignorerait nos comman-
et s’étirent (en bleu) des ferait un mauvais robot.
en alternance pour déformer La plupart des coléoptères sur lesquels
le thorax. Ce mécanisme
permet aux ailes nous avions choisi de travailler peuvent
de battre très transporter entre 20 et 30pour cent de leur
rapidement. poids. C’est donc la taille de l’insecte qui
Contraction du muscle détermine la taille maximale de notre équi-
dorso-ventral
pement de commande. Comme nous
savions quels sont les muscles de l’insecte
qui font osciller ses ailes, il paraissait rai-
sonnable de supposer que l’envoi de
décharges électriques de différentes fré-
quences aux muscles d’un côté ou de l’au-
tre du corps nous permettrait de modifier
la trajectoire de l’insecte, en modulant son
battement d’ailes.
Nous savions aussi que ces insectes
utilisent largement des repères visuels
durant le vol. Tout comme chez les
Microbatterie LES PREMIÈRES EXPÉRIENCES humains, la lumière pénétrant dans les
Les travaux préliminaires réalisés avec yeux des insectes stimule des neurones
Microcontrôleur
la cétoine verte du pêcher (Cotinis texana)
Électrode ont établi que l’on pouvait commander sensibles à la lumière. Les signaux engen-
les oscillations des ailes. Pour ce premier drés par ces neurones passent par les lobes
modèle, des commandes de vol ont été optiques (structures nerveuses directe-
Cotinis texana préalablement chargées dans le microcontrôleur, ment liées aux yeux) et arrivent au cer-
(taille réelle) mais une télécommande sans fil nécessitait veau et aux ganglions, qui les traitent et
l’ajout d’une radio à la charge transportée, ce qui fournissent à l’insecte des informations
représentait un poids trop important pour
visuelles pendant son déplacement. Nous
ces scarabées de deux centimètres de long.
savions aussi que la quantité de lumière
SUR LE WEB avait beaucoup d’importance. Par exem- farine géant. Ces insectes se trouvent en
ple, si l’on éteignait brusquement la lumière animalerie, leurs larves étant utilisées
Vidéos disponibles en ligne dans une pièce, nos coléoptères s’arrêtaient comme nourriture pour les geckos et autres
aux adresses :
de voler sur-le-champ; cela signifie que les petits reptiles de compagnie.
www.eecs.berkeley.edu/ insectes ont besoin de recevoir des données Malheureusement, nous n’avons jamais
~maharbiz/cyborg.html visuelles pour continuer à battre des ailes. pu les faire voler. Nous les avons lancés
www.frontiersin.org/
Nous en avons déduit que la stimula- en l’air des centaines de fois, ils refusaient
interactive_neuroscience/ tion des lobes optiques ou des régions situées d’ouvrir leurs ailes. Apparemment, Zopho-
10.3389/neuro.07/024.2009/ à leur base pourrait déclencher de fortes bas n’aime tout simplement pas beaucoup
abstract réponses locomotrices. Comme l’implanta- voler. C’était un échec, mais en tout cas nous
www.ScientificAmerican.com/ tion d’un dispositif de stimulation directe- avons beaucoup appris sur l’anatomie
dec2010/cyborg_video ment dans l’œil ou le lobe optique lui-même des insectes grâce à Zophobas.
affecterait la capacité de manœuvrer de l’in-
secte, nous nous sommes concentrés sur les
régions situées à la base des lobes. Il n’était
Des tâtonnements
pas nécessaire de stimuler des neurones uni- Finalement, nous sommes passés à la
ques. En appliquant juste une impulsion cétoine verte du pêcher (Cotinis texana), un
électrique appropriée à proximité de la base scarabée répandu dans le Sud-Est des États-
des lobes optiques, les propres circuits neu- Unis qui mesure 2 centimètres et pèse entre
ronaux du coléoptère se chargeaient du reste 1 et 1,5 gramme. Cotinis texana est un insecte
et l’insecte s’envolait. volant bien connu, sans parler du fait que
Il y a eu de nombreux faux départs c’est un nuisible pour les producteurs de
avant notre premier vol réussi. Initialement, fruits. Pendant plusieurs années, nous en
nous avons travaillé pendant six mois avec avons collecté des milliers chez les produc-
des Zophobas morio (longs de 1,5 centimè- teurs, qui avaient du mal à croire que nous
tre et pesant un gramme), coléoptères dont leur offrions cinq dollars par scarabée pour
la larve est communément nommée ver de les en débarrasser.
Forts de ces premières expériences avec L A TRA JECTOIRE D’UN CYBERSC ARABÉE
Zophobas et Cotinis, nous avons trouvé com-
ment saisir les scarabées sans les blesser Les chercheurs du laboratoire de M. Maharbiz mettent à l’épreuve leurs coléop-
et où coller, avec de la cire d’abeille, les
tères-robots dans une pièce spécialement équipée (ci-dessous, avec H. Sato
debout). La trajectoire de vol figurée à droite a démarré (ligne blanche en bas à
microfils sur leur dos, près des muscles droite) en stimulant les lobes optiques du scarabée, ce qui déclence un com-
des ailes et à la base de la tête. Nous avons portement de vol. Les impulsions électriques appliquées au muscle basilaire
conçu et construit sur mesure de minus- droit (ou gauche) font tourner l’insecte à gauche (ou à droite). Le vol s’est inter-
cules circuits pouvant recevoir des instruc- rompu (en haut à gauche) lorsque les lobes optiques ont reçu une impulsion plus
tions radio et appliquer les types de longue que la première.
signaux électriques que nous expérimen-
tions (voir l’encadré pages 54 et 55). Commande
Actuellement, le système de base com- de virage à droite
prend les composants suivants : un micro-
LES AUTEURS de l’espèce Mecynorrhina torquata: pesant enregistrements à haute fréquence de sca-
huit grammes, elles conviennent bien pour rabées en vol. Il s’agit de cartographier la
porter à la fois la radio et les charges que configuration tridimensionnelle et la fonc-
nous avons développées. tion de certains autres muscles qui gouver-
Aussi spectaculaires que puissent être nent l’orientation des ailes. À partir de ces
certains de ces résultats, les efforts sont à données, nous visons maintenant différents
Michel MAHARBIZ poursuivre. Certes, nous avons montré muscles susceptibles de nous permettre de
est professeur de génie que nous pouvons faire tourner un sca- contrôler les mouvements de roulis et de
électrique et d’informatique
à l’Université de Californie rabée à gauche et à droite et lui faire par- tangage de façon plus indépendante.
à Berkeley (États-Unis). courir des trajectoires à peu près circulaires.
Hirotaka SATO travaille
dans son laboratoire.
Mais l’objectif à terme est de guider le
vol d’un scarabée suivant des schémas
Devons-nous fabriquer
complexes en trois dimensions, de façon des scarabées-robots?
que l’insecte puisse contourner des obsta- La question de savoir si des insectes télé-
cles, par exemple descendre le long des commandés seront utiles comme robots ou
cheminées et remonter des tuyaux. non est ouverte, mais nous pressentons
Pour ce faire, nous avons ajouté à la que tel sera le cas. Des radios et des micro-
charge transportée de minuscules micro- contrôleurs plus petits et de faible puis-
phones, qui enregistrent les battements sance continueront à apparaître sur le
d’ailes de l’insecte en vol. Quand le son marché et nous permettront de contrôler
atteint un niveau donné, indiquant géné- mieux et plus finement nos cyber-scara-
ralement quand l’aile est en position haute bées. Tant qu’il sera difficile de dévelop-
per de petites sources d’alimentation
LA DÉMARCHE VISANT À ATTEINDRE artificielles ou de construire des ailes méca-
niques très économes en énergie, nos sca-
une fusion parfaite entre éléments biologiques rabées et leurs muscles super-efficaces
et éléments fabriqués par l’homme auront un net avantage sur des objets
n’en est qu’à ses débuts. volants entièrement fabriqués par l’homme.
Parmi toutes les applications que pour-
ou basse du battement, nous pouvons raient avoir nos travaux, nous pensons que
appliquer des impulsions de stimulation la plus essentielle est la suivante: à mesure
précises aux muscles directeurs du sca- que la technologie informatique se minia-
rabée, pour les contrôler plus finement. turise et que la connaissance des systèmes
À ce stade, le matériel fonctionne très biologiques progresse, nous serons de plus
bien, mais nous avons besoin d’aide pour en plus tentés d’introduire des interfaces
les programmes informatiques qui contrô- et des boucles de contrôle dans des systè-
lent nos coléoptères. Nous avons fait appel mes biologiques existants. La mise au point
BIBLIOGRAPHIE à certains de nos collègues ayant plus d’ex- des détails en commençant par des insec-
périence sur les logiciels d’objets volants tes nous évitera de commettre des erreurs
H. Sato et al., Remote radio entièrement fabriqués. En s’appuyant sur en procédant sur des organismes supérieurs
control of insect flight, Frontiers ses travaux relatifs à des hélicoptères auto- tels que le rat ou la souris, voire l’homme.
in Integrative Neuroscience, vol. 3,
article 24, 5 octobre 2009. nomes, Pieter Abbeel, de l’Université de Cela nous permet aussi de repousser à plus
Californie à Berkeley, avec ses étudiants tard de nombreux problèmes éthiques plus
N. Ando et al., A dual-channel Svetoslav Kolev et Nimbus Goehausen, profonds, qui concernent notamment le
FM transmitter for acquisition
of flight muscle activities from développe un système de contrôle pour libre arbitre, problèmes qui deviendraient
the freely flying hawkmoth, insectes, qui décompose les commandes plus pressants si ces travaux étaient réali-
Agrius convolvuli, Journal complexes (telles que « changer le cap de sés chez des vertébrés.
of Neuroscience Methods, 20degrés ») en leurs éléments constitutifs Le développement de cyberinsectes ne
vol. 115(2), pp. 181-187, 2002.
(comme «appliquer des impulsions de dix remplacera pas la démarche fondamentale
M. H. Dickinson et al., Wing millisecondes au muscle basilaire droit pen- qui consiste à concevoir et construire des
rotation and the aerodynamic dant tant de secondes »). Un utilisateur robots entièrement artificiels. Toutefois, ce
basis of insect flight, Science,
vol. 284, pp. 1954-1960, 1999. n’aura alors plus qu’à entrer certaines cor- type de travaux relève d’une démarche
rections de route et le microcontrôleur pren- plus générale consistant à relier des tis-
H. Fischer et al., A radiotelemetric dra en charge les stimulus nécessaires pour sus vivants à des dispositifs artificiels, que
2-channel unit for transmission
of muscle potentials during free faire voler l’insecte dans cette direction. ce soit dans un contexte biologique, médi-
flight of the desert locust, Pour déterminer quelle doit être cette cal ou robotique. Et cette approche visant
Schistocerca gregaria, Journal série de stimulus, nous faisons appel à l’ima- à atteindre une fusion parfaite entre élé-
of Neuroscience Methods, gerie par résonance magnétique, à des exa- ments biologiques et éléments synthéti-
vol. 64(1), pp. 39-45, 1996.
mens anatomiques approfondis et à des ques n’en est qu’à ses débuts. I
Planétologie
Mercure :
une planète dans la fournaise
Scott Murchie, Ronald Vervack Jr. et Brian Anderson
Après trois survols, la sonde MESSENGER s’est mise en orbite autour
de Mercure pour observer en détail cette planète méconnue.
d’obtenir des images que d’un seul hémis- sion MESSENGER devrait enfin terminer ce
phère. La moitié du bassin Caloris, en par- que Mariner 10 n’avait fait qu’à moitié.
Jen Christiansen, source : NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Carnegie Institution of Washington
Position de Mercure
à l’insertion en orbite
Trajectoire
de MESSENGER
Position de Mercure
lors des survols
Orbite
de Vénus
Orbite
terrestre
Soleil
Orbite de Mercure
Position de Vénus
lors des survols Position de la Terre
lors du lancement
NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Arizona State University/Carnegie Institution of Washington; John Harmon Arecibo Observatory
de vue géologique. Une planète tion différentes de celles des sont plus cratérisées et pour- plus claires.
cesse d’être active lorsque sa bords des cratères et des éjec- raient être des plaines plus Les images que la sonde
source de chaleur interne se tas (voir l’image ci-dessus ; les anciennes . Alors que les plai- MESSENGER obtiendra quand elle
tarit. Le délai dépend de la taille: couleurs ont été exagérées).En nes de la Lune sont concen- sera en orbite auront une réso-
plus l’objet est petit, plus sa outre, la densité de cratères trées sur la face visible et que lution au moins trois fois supé-
surface est importante par rap- secondaires dans ces plaines celles de Mars sont concen- rieure à celle des images de
port à son volume, et donc plus est moins élevée qu’à l’exté- trées dans l’hémisphère Nord survol, et les instruments
il refroidit vite. Mercure n’étant rieur, ce qui indique qu’elles sont et sur un grand plateau volca- embarqués se mettront à l’ou-
que 1,5 fois plus grande que plus jeunes que les bassins. nique, celles de Mercure sont vrage. Les spectromètres à
la Lune, son destin géologi- Des évents volcaniques présentes sur l’ensemble de rayons gamma et à neutrons,
que aurait dû être semblable. ont été repérés dans les mar- la planète. La plus jeune plaine, par exemple, vont scruter en
Mariner 10 a remis cette ges internes du bassin Caloris, dans le cratère Rachmaninov, détail les régions polaires qui
idée en question lorsqu’elle a entourés de régions brillantes pourrait n’avoir qu’un milliard réfléchissent fortement les
révélé des images de vastes qui rappellent des traces d’années, ce qui est récent signaux radar, découvertes en
plaines lisses qui semblaient d’éruptions explosives. comparé à celles de la Lune ou 1991 par des observations
d’origine volcanique (le vol- Toutes ces images suggè- de Mars, qui datent pour l’es- depuis la Terre : elles abritent
canisme est un marqueur de rent que les quelques kilomè- sentiel de la période du « grand peut-être de la glace d’eau .
l’activité interne de la planète). tres supérieurs de la croûte de bombardement », il y a 3,8 mil- La glace est sans doute l’une
Cependant, à la différence de Mercure sont constitués de liards d’années. des dernières choses que l’on
la Lune, les plaines de Mercure dépôts volcaniques formant Les scientifiques restent s’attendrait à trouver sur une
ne sont pas plus sombres que des couches distinctes. perplexes quant aux régions à planète surchauffée, mais les
les terrains environnants, et MESSENGER a permis de tra- dominante bleue qui couvrent régions dans l’ombre éternelle
les images n’étaient pas d’as- cer la première carte géologi- 15 pour cent de la surface, tel près des pôles pourraient être
sez bonne qualité pour écar- que de Mercure, où sont le bassin Tolstoï. Ces terrains suffisamment froides pour
ter la possibilité que ces identifiés les terrains présen- pourraient contenir des oxy- conserver les moindres volu-
plaines résultent d’impacts. tant des reliefs et des couleurs des de fer et de titane, que tes de vapeur d’eau libérées
La sonde MESSENGER a réglé similaires (à droite). Environ les impacts auraient fait par les impacts de comètes ou
la question dès ses premiers 40 pour cent de la surface sont remonter des grandes profon- de météorites.
50 km
4
LES AUTEURS
Scott MURCHIE, Ronald
1 VERVACK et Brian ANDERSON
sont géophysiciens
au Laboratoire de physique
appliquée de l’Université
Johns Hopkins, aux États-Unis.
BIBLIOGRAPHIE
R. Vervack et al., Mercury’s
complex exosphere : results from
MESSENGER’s third flyby, Science,
vol. 329, pp. 672-675, 2010.
B. Anderson et al., The magnetic
field of Mercury, Space Science
Reviews, vol. 152, n° 1-4,
pp. 307-339, 2010.
B. Denevi et al., The evolution
of Mercury’s Crust : a global
perspective from MESSENGER,
Science, vol. 324,
3 pp. 613-618, 2009.
Le site officiel de la mission
MESSENGER :
http://messenger.jhuapl.edu/
2
La mission européenne
vers Mercure Beppi Colombo
sur le site du CNES :
http://smsc.cnes.fr/
BEPICOLOMBO/Fr/
E n analysant la trajectoire de
la sonde Mariner 10, les scien-
tifiques ont pu mesurer le champ
ments du fer fondu dans le noyau
externe. Bien que l’hypothèse d’un
champ magnétique fossile im-
(par rapport au plan du Système
solaire), et était aligné avec le
champ magnétique de la planète
gravitationnel de Mercure et donc primé dans la croûte lors de son à l’équateur . La magnétos-
sa densité. Sa densité décom- refroidissement ne puisse être to- phère était paisible.
pressée (l’effet de la pression in- talement écartée, le champ ma- À la deuxième visite de la sonde,
terne due à la gravité est corrigé, gnétique de Mercure résulte sans le champ interplanétaire pointait
de façon à pouvoir comparer les doute aussi d’un effet dynamo. De vers le Sud, dans la direction oppo-
propriétés intrinsèques des ma- très petites variations de la pé- sée au champ magnétique de Mer-
tériaux) est étonnamment éle- riode de rotation propre de la pla- cure à l’équateur. Or des lignes de
vée : environ 5,3, contre 4,4 pour nète au cours de son orbite, qui champs magnétiques parallèles,
la Terre et 3,3 pour la Lune. Sous suggèrent que le noyau externe mais de directions opposées, peu-
la croûte rocheuse de Mercure n’est pas complètement solidifié vent se reconnecter , phéno-
doit donc se trouver un noyau (malgré la petite taille de Mercure), mènes qui libèrent de grandes
dense dominé par le fer. La Terre renforcent par ailleurs cette hypo- quantités d’énergie et injectent
possède aussi un noyau de fer, thèse. D’une façon ou d’une autre, des particules chargées du vent
mais rapporté à la taille de la pla- Mercure a échappé au sort de Mars, solaire dans la magnétosphère.
nète, celui de Mercure est deux qui possédait un champ magnéti- Lors du deuxième survol, la sonde
fois plus gros. Peut-être la pla- que au début de son histoire et MESSENGER a ainsi mesuré un taux
nète Mercure a-t-elle autrefois l’a perdu. Comprendre pourquoi de reconnexion magnétique dixfois
possédé un manteau rocheux est l’un des objectifs majeurs de supérieur à ce qu’on observe à Lobe Nord
plus épais, arraché depuis par la mission MESSENGER. proximité de la Terre.
des impacts massifs. Une autre Par ailleurs, comme le champ Au troisième passage, les lignes
possibilité est que le matériau à magnétique de la Terre, celui de de champ magnétique de Mer-
partir duquel Mercure s’est for- Mercure entraîne une dynamique cure étaient très déformées et
mée était plus riche en fer (à proxi- complexe autour de la planète ; instables : par moments, elles
mité du Soleil, les éléments non 1000 à 2000kilomètres en amont étaient liées au vent solaire, puis,
métalliques étaient sublimés). du côté jour de la planète, le champ une à trois minutes plus tard, les
Cet imposant noyau de fer est magnétique défléchit le vent liens normaux entre les hémisphè-
sans doute l’explication d’une des solaire, un flux de particules char- res Nord et Sud étaient rétablis .
découvertes les plus marquantes gées issues du Soleil. Cela crée Durant ces épisodes de reconne-
de Mariner 10 : l’existence d’un autour de Mercure une région où xion, la magnétosphère de Mercure
champ magnétique global. Ce le champ magnétique de la planète peut disparaître complètement du
champ est dipolaire, comme celui domine le champ magnétique inter- côté jour, et les cuspides (ou trous)
de la Terre. Bien qu’il soit, à la sur- planétaire engendré par le vent au Nord et au Sud fusionnent.
face de Mercure, 100 fois plus fai- solaire, la magnétosphère. Mari- Avec une dynamique magné-
ble que sur Terre, sa seule exis- ner 10 a détecté des bouffées de tique aussi puissante, une bous-
tence est remarquable. Aucun particules énergétiques sembla- sole ne serait pas d’un grand
autre corps rocheux du Système bles à celles qui sont associées secours pour s’orienter sur Mer- Feuillet de plasma
solaire, excepté la Terre et le sa- aux aurores boréales sur Terre. cure, car elle changerait constam-
tellite de Jupiter Ganymède, n’a MESSENGER a mis en évidence ment de direction à l’échelle de
de champ magnétique. que la magnétosphère de Mer- quelques minutes.
Le champ magnétique terres- cure ne cesse de changer. Lors Quelles autres surprises la
tre est engendré par une «dynamo du premier survol, le champ inter- magnétosphère de Mercure nous
planétaire », à savoir les mouve- planétaire pointait vers le Nord réserve-elle ?
Champ
magnétique
de Mercure
Vent solaire
Jen Christiansen
Don Foley
L’ E X O S P H È R E : U N S T R O B O S C O P E A U R A L E N T I
M ercure n’a pas d’atmos- L’hydrogène et l’hélium seraient solaire, formant ainsi une
Magnétogaine
Cuspide Nord
6 Magnétopause
Front
d’onde
de choc
Croûte Manteau
plasma Cœur
4 Trajectoire
des atomes
5
Cuspide Sud
Vent
solaire
reptation, ondulation, serpent, lézard, guttata, poisson des sables, dynamique moléculaire, milieu granulaire, Navier-Stokes, locomotion, force normale, force axiale, frottement, traînée, poussée, viscosité,
Biophysique
Onduler
pour avancer
Pour se déplacer, les serpents et d’autres animaux se tortillent.
Leurs ondulations se ressemblent, mais sont en fait régies
par des mécanismes très différents suivant le support.
66] Biophysique
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ité,
plus ou moins fluides, tel le sable où de long, sans dépenser plus d’énergie qu’un
« nagent » les poissons des sables (Scin- organisme à pattes de même poids, filer L’ E S S E N T I E L
cus scincus), petits lézards du désert afri- presque aussi vite qu’un homme peut cou-
cain. Les mouvements de ces reptiles rir (à cinq mètres par seconde). La locomotion
peuvent sembler similaires. Pourtant, nous Avec Michael Shelley, de l’Université par ondulation permet
verrons qu’ils se propulsent grâce à des de New York, l’un de nous (D. Hu) s’est à de nombreux animaux
de se déplacer vite dans
interactions propres à leurs environne- consacré en 2009 à l’étude de la locomo-
des environnements variés.
ments respectifs. tion des jeunes serpents de lait et serpents
des blés, en raison de leur capacité à Comprendre la physique
S’appuyer glisser dans des habitats terrestres tels
que des prairies et des pentes caillou-
de ces mouvements
sur les aspérités teuses. Comme tous les serpents, ils se
peut aider à concevoir
des robots rampants aussi
Des serpents filiformes de quelques cen- déplacent de plusieurs façons (voir performants, voire plus.
timètres aux anacondas de dix mètres de page 68). Nous avons étudié la plus com-
long, les reptiles dépourvus de pattes ont mune, la reptation par ondulation : les En combinant
tous un corps fondé sur le même principe : serpents glissent en appuyant leurs flancs expériences et modélisation,
un tube flexible de chair recouvert d’écail- contre des pierres et des branches. Nos des biophysiciens ont
les durcies. Cette forme leur confère une premières expériences ont donc consisté montré que des serpents
© Shutterstock/Eric Isselée
grande souplesse : ils peuvent glisser à la à faire glisser des serpents sur un pan- sur le sol et des lézards
verticale le long de troncs d’arbres, pas- neau muni de chevilles. Sur ce dispositif, dans du sable ondulent
ser de la terre ferme à l’eau sans changer un serpent avance, car les forces muscu- selon des mécanismes
de mode de locomotion, se déplacer sur laires qu’il exerce sur les chevilles envi- différents.
terre, tel le mamba noir de deux mètres ronnantes sont supérieures à la force de
Biophysique [67
pls_402_p000_000_serpents.xp_mnc_03_03b 4/03/11 19:12 Page 68
frottement qui s’exerce sur son ventre Quatre types de reptation leur ventre se chevauchent comme les bar-
(voir l’encadré ci-dessus). Mais les serpents deaux d’un toit et s’accrochent au sol lors-
glissent aussi avec aisance sur un ter- La reptation par ondulation, que le serpent est traîné latéralement ou
rain presque sans aspérités, comme le courante chez les petits serpents : par la queue. Cette orientation confère
sable ou une roche nue, qui ne fournis- le serpent glisse sur le sol une propriété utile : sur certains supports,
sent pas de points d’appui évidents. Com- en propageant une ondulation les écailles ventrales glissent préférentiel-
ment font-ils ? Pour le comprendre, nous dans son corps. lement dans une direction donnée. En
avons étudié plus précisément les frot- La reptation rectiligne, fréquente endormant des serpents pendant quel-
tements des serpents sur le sol. chez les serpents lourds: des ondes ques minutes et en les disposant sur des
Le frottement est une force qui résiste musculaires tirent vers l’avant le corps, plans inclinés, nous avons mesuré le coef-
au glissement d’un objet sur un autre, qui reste à peu près droit dans l’axe ficient de frottement d’un serpent en fonc-
comme la semelle d’une chaussure sur le du déplacement, tandis que la peau tion de son orientation. Les mesures ont
sol. La force résulte du fait qu’aucune sur- est ancrée au sol par endroits. été réalisées sur un tissu dont l’échelle
face n’est parfaitement lisse. Toutes les sur- de longueur caractéristique de la rugosité
faces sont couvertes de minuscules La reptation en accordéon, (0,2 millimètre) était comparable à l’épais-
aspérités qui s’accrochent et se déforment utilisée par de nombreux serpents : seur des écailles ventrales du serpent
lorsque deux surfaces sont pressées l’une le reptile, ondulé en forme de S, avance (0,1 millimètre), afin que les écailles puis-
contre l’autre et glissent. Cette résistance la partie antérieure de son corps, sent s’accrocher au tissu. Pour des ser-
au glissement est décrite par un coefficient puis la partie postérieure, pents de lait, le coefficient de frottement
de frottement, rapport de la force de frot- en les soulevant successivement. est minimal si le serpent glisse vers
tement résultante entre deux surfaces et La reptation par « déroulement » l’avant (0,10), moyen s’il glisse vers l’ar-
de la force de compression appliquée. Pour latéral des serpents des sables : rière (0,14) et maximal s’il glisse sur le
glisser, un serpent doit ainsi appliquer une l’animal, ondulé en forme de S, côté (0,20). Sans cette anisotropie du frot-
force supérieure au produit de son poids projette latéralement sa partie tement, le serpent serait incapable d’avan-
et du coefficient de frottement. antérieure, puis ramène sa queue. cer sur un sol plat.
Si le dos des serpents est couvert Il effectue ainsi une série de sauts Pour le prouver, il suffit d’habiller le
d’écailles en forme de losange, celles de obliques, et peut être très rapide. reptile d’une «veste isotrope» – en l’occur-
rence une manche de tissu ajustée pour col- une trace ondulante continue. Sur des LES AUTEURS
ler au serpent sans gêner sa respiration (voir surfaces réfléchissantes et de la gélatine
la figure 2). Les forces de frottement s’oppo- photo-élastique (qui transmet la lumière
sent toujours au glissement sur le sol du ser- lorsqu’elle est comprimée), nous avons véri-
pent vêtu de sa veste. Toutefois, lorsque le fié que les serpents sont aussi capables de
serpent engendre une onde de déplacement, soulever leur ventre tout en ondulant
la somme des forces s’appliquant sur le ven- vers l’avant (voir la figure 4).
tre du serpent est nulle: le serpent ondule En injectant cette nouvelle donnée Daniel GOLDMAN
sur place, comme s’il se trouvait sur de la dans notre modèle, nous avons observé est maître de conférences
glace. On obtient le même effet en plaçant qu’un tel équilibrage dynamique de la à l’École de physique de l’Institut
de technologie de Géorgie,
les serpents sur des surfaces très lisses, en charge entraîne une augmentation de la à Atlanta aux États-Unis.
plastique par exemple. Les serpents sont vitesse de 35 pour cent et de l’efficacité David HU est maître
alors incapables d’avancer, à moins de sou- de 50 pour cent. Pourquoi un tel avan- de conférences de génie
mécanique et de biologie
lever leur corps en ondulant ou d’adopter tage ? Parce que les zones que le serpent dans le même institut.
un autre type de mouvement. soulève présentent des forces de frotte-
ment perpendiculaires à sa direction de Article publié
avec l’aimable autorisation
Répartir son poids déplacement, c’est-à-dire qui ne partici-
pent pas à sa propulsion. Le frottement
de American Scientist.
pour aller plus vite étant proportionnel au poids appliqué, le
L’agencement des écailles ventrales suffit- serpent engendre davantage de poussée
il à expliquer la vitesse du serpent qui s’il soulève son corps dans ces régions
ondule ? Pour le savoir, nous avons modé- et augmente son poids ailleurs. La rep-
lisé le déplacement d’un serpent virtuel tation par ondulation partage ainsi cer-
auquel nous avions donné les propriétés taines caractéristiques avec la marche
des écailles du serpent; en d’autres termes, humaine. Quand nous marchons, nous
outre les caractéristiques du mouvement transférons du poids de notre pied arrière
par ondulation (fréquence, longueur sur le pied avant en soulevant le pied
d’onde et amplitude), le serpent virtuel arrière au lieu de le traîner. De même,
présentait les coefficients de frottement du
ventre déterminés expérimentalement.
Nous avons par ailleurs supposé que sur a
toute la longueur du serpent, son poids
Sauf mention contraire, l’iconographie est de Daniel Goldman et David Hu
3. UN SERPENT DES BLÉS QUI SE DÉPLACE EN ONDULANT sur un exercées par le sol lors de son déplacement le propulsent lorsqu’elles
miroir. Il soulève certaines portions de son ventre, dont on aperçoit sont orientées vers la droite, le freinent lorsqu’elles sont vers la gauche
alors le reflet (a, flèche). La modélisation de l’ondulation montre que (forces de traînée), et entraînent une dissipation d’énergie dans les
cette répartition non uniforme du poids (c) augmente la vitesse du ser- autres directions. En soulevant certaines parties de son corps (c, seg-
pent par rapport à une répartition uniforme (b) : le serpent virtuel se ments orange), un serpent diminue les forces de frottement dissipati-
déplace de gauche à droite. Les forces de frottement (flèches vertes) ves et augmente la force tirant vers l’avant aux points d’inflexion.
un serpent soulève les parties de son corps sous le sable. Les lois physiques qui régis-
qui effectuent le travail le moins utile. Cet sent les forces de propulsion dans un tel
ajustement est une simple modification milieu granulaire sont différentes des for-
BIBLIOGRAPHIE de la répartition du poids. ces de frottement qui interviennent dans
l’ondulation sur des surfaces solides, essen-
Y. Ding et al., Drag induced lift in
granular media, Physical Review
Letters, vol. 106, 028001, 2011.
Le sable : parfois tiellement parce que les matériaux granu-
laires peuvent céder (s’écouler) ou se
solide, parfois liquide solidifier en réponse à une perturbation.
N. Cohen et J. H. Boyle, Swimming
at low Reynolds number : De nombreux organismes du désert – ser- Généralement sec, le sable du désert est
a beginner’s guide to undulatory pents, taupes, lézards, scorpions – dispa- composé de particules à peu près sphéri-
locomotion, Contemporary raissent dans le sable pour échapper aux ques de 0,1 à 0,3 millimètre de diamètre.
Physics, vol. 51, pp. 103-123, 2010. prédateurs et à la chaleur, ou pour attra- Elles n’interagissent que par contact, l’éner-
É. Guyon et al., « Avoir un bon per des proies. Le poisson des sables que gie étant dissipée sous l’effet de forces tel-
contact », dans Matière et l’un de nous (D. Goldman) a choisi pour les que la viscoélasticité (réaction à une
matériaux, pp. 78-79, Belin, 2010. modèle est un lézard de dix centimètres de contrainte du matériau, qui se comporte
D. Hu et al., The mechanics long, muni d’orteils à franges sur ses qua- comme s’il était composé d’un solide élas-
of slithering locomotion, tre pattes, d’un groin en forme de pelle, et tique et d’un fluide visqueux), la défor-
PNAS, vol. 106, n° 25, d’un ventre et de flancs aplatis – des traits mation plastique et le frottement. Selon la
pp. 10081-10085, 2009. qui l’aident à s’enfouir et à «nager» dans contrainte appliquée, le milieu granulaire
R. D. Maladen et al., Undulatory le sable. Ses écailles sont lisses et résistan- présente tout un éventail de comportements
swimming in sand : subsurface tes à l’abrasion, comme celles des serpents, physiques avec des propriétés caractéristi-
locomotion of the sandfish lizard, mais les écailles ventrales ne se chevau- ques des gaz, des liquides et des solides.
Science, vol. 325,
pp. 314-318, 2009. chent pas. Le déplacement de ce petit ani- Par exemple, un tas de grains sur une plan-
mal sous le sable a été très peu étudié, che plane se comporte comme un liquide
D. C. Rapaport, The Art notamment à cause des difficultés d’obser- à seuil élastique : il se comporte comme
of Molecular Dynamics
Simulation, Cambridge vation, le sable étant opaque. un solide s’il n’est pas trop penché, mais à
University Press, 2004. Le poisson des sables utilise ses mem- des angles d’inclinaison suffisamment éle-
bres pour se déplacer à la surface du sable, vés, il s’écoule comme un liquide.
mais dès qu’il sursaute, il pointe son groin Le comportement des milieux granu-
vers le bas et disparaît en une demi-seconde laires dépend aussi de leur compacité, c’est-
effet sur la vitesse pour une fréquence différentes régions du sable n’influent pas qu’il prédit est comprise entre 0,4 et 0,7 (il
donnée de l’onde. De plus, les mouve- les unes sur les autres, de sorte que les for- faudrait tenir compte de la forme de la
ments de l’animal étaient les mêmes dans ces agissant sur des « tranches » du corps tête pour affiner ce résultat) et est bien indé-
les milieux de faible et de forte compacité. s’ajoutent de façon linéaire. pendante de la compacité. Le modèle a donc
Plus étrange encore, en moyenne, le pois- montré que l’animal peut «nager» sous le
son des sables nageait plus vite dans le
matériau très tassé que dans celui de fai-
La modélisation sable sans utiliser ses membres. De plus, il
donne une explication plausible de l’indé-
ble compacité. Comment ? En augmen- du poisson des sables pendance de l’efficacité de l’onde par rap-
tant sa fréquence d’ondulation. Comme avec les serpents, la première étape port à la compacité : lorsque la force de
De fait, la locomotion du poisson des de la modélisation consiste à décrire les for- résistance augmente dans un matériau très
sables est particulièrement efficace. L’ef- ces de frottement qui s’exercent sur le rep- tassé, il en va de même pour les forces de
ficacité de son onde en milieu granulaire tile. À défaut de connaître les lois de la poussée qui peuvent être engendrées.
(le rapport de sa vitesse moyenne de nage dynamique des milieux granulaires, Y. Ding Notre modèle prédit aussi avec quelle
et de la vitesse de l’onde) est de 0,5, soit et Chen Li, un autre doctorant du groupe, amplitude le poisson des sables doit ondu-
plus du double de celle des vers némato- ont établi des lois empiriques en mesurant ler pour atteindre une vitesse maximale
des dans des liquides (environ 0,2) et supé- les composantes de la traînée sur un cylin- en milieu granulaire: pour accélérer, le rep-
rieure à celle des serpents sur une surface dre en acier inoxydable tiré dans le sable tile augmente l’amplitude de son onde tout
rugueuse (environ 0,3). L’efficacité maxi- sous différents angles par rapport à la direc- en maintenant à peu près constant le nom-
male, 1, correspond à un animal qui avance tion de déplacement (voir l’encadré ci-des- bre d’ondulations par seconde. L’animal
sans glissement dans un milieu statique, sous). Ils ont observé que la composante ayant une longueur finie, au-delà d’une cer-
et l’efficacité minimale, 0, à un animal cher- perpendiculaire à l’axe du cylindre était taine amplitude d’ondulation, il avance
chant à se déplacer dans le vide. accrue par rapport à celle qu’aurait subie moins loin à chaque ondulation. Notre
Pour comprendre ce phénomène, un le cylindre dans un fluide réel ou sur le modèle a trouvé pour cette amplitude limite
de nos doctorants, Yang Ding, a modé- sol. L’efficacité de l’onde du poisson des une valeur d’environ un cinquième de la
lisé le mouvement du poisson des sables sables était-elle due à l’accroissement de longueur d’onde. Dans notre dispositif
à l’aide de la technique de la force de résis- cette composante? expérimental, l’amplitude d’ondulation des
tance (voir l’encadré page 68). Cette appro- Oui, a répondu le modèle mathémati- lézards testés se concentrait autour de cette
che nous semblait applicable, car, d’une que dans lequel ces lois empiriques avaient valeur : nos animaux fuyaient donc pro-
part, l’étude aux rayons X a indiqué que été injectées: le modèle retrouve bien que bablement le plus vite possible dans le sable.
le matériau s’écoule au voisinage de l’ani- la vitesse augmente de façon linéaire avec La concordance des données expérimen-
mal et, d’autre part, les perturbations des la fréquence. En outre, l’efficacité de l’onde tales avec notre modèle est encourageante,
Grains peu
Avec l’aimable autorisation d’Andrei Savu
5 compactés c d
Sens du
mouvement
Force
de traînée
0
0 5 Temps (en secondes) 10
a
b
Position verticale (en centimètres)
10
0 0,5 1
Temps (en secondes)
c
5
5
Direction du mouvement
0 1,2
En surface Enfouissement Dans le sable Temps (en secondes)
0 0
0 5 10 15 0 5 10 15 20 25
Position horizontale (en centimètres) Position horizontale (en centimètres)
6. LES MOUVEMENTS DU DOS D’UN POISSON DES SABLES filmé à l’aide
d’une caméra rapide à rayons X (a)et de son homologue virtuel (b-d). Après
d
un déplacement très rapide en surface, le reptile s’enfouit tout aussi vite,
puis commence à onduler sous le sable en ralentissant (a). Le mouve-
ment d’un lézard simulé dans un bac contenant environ 150 000 perles
de verre de trois millimètres de diamètre ressemble à celui d’un animal
réel (c). Les forces de frottement (b, en vert) sont principalement per-
pendiculaires à l’axe du corps : ce sont elles qui propulsent le reptile. Le
milieu est quant à lui solide (d, en bleu foncé), sauf dans une petite zone
autour du lézard (particules plus rouges).
et la prédiction d’une nage optimale ten- informations à l’échelle de la particule: nous mente le nombre de segments de façon à
tante. Toutefois, ne concluons pas trop avons visualisé l’écoulement des particules ce que le corps soit presque lisse, l’effica-
vite. L’approche choisie présente quelques autour du poisson des sables et estimé la cité optimale de l’onde avoisine 0,5.
inconvénients. D’une part, changer les para- force s’exerçant sur différents éléments. Des Nous avons étudié deux environne-
mètres du modèle, tels que la taille des grains travaux complémentaires avec ce modèle ments distincts où la locomotion par ondu-
de sable, nécessite à chaque fois de nou- nous permettront d’étudier en détail les lois lation est efficace. Chez les serpents se
velles mesures empiriques. D’autre part, physiques qui déterminent la poussée et déplaçant sur le sol, un frottement aniso-
rien ne prouve que nos hypothèses (comme la traînée pour lesquelles l’efficacité de l’onde trope du ventre engendre une poussée qui
celle selon laquelle les différents segments et la compacité deviennent indépendantes. surpasse la traînée, alors que dans le sable,
du lézard n’influent pas les uns sur les autres) Test ultime, nous avons conçu, à l’aide l’animal engendre une poussée en exploi-
sont judicieuses, de sorte que la concordance des données de la dynamique moléculaire, tant avec ses flancs les frottements de type
n’est peut-être que fortuite. un modèle physique du poisson des sables, liquide des milieux granulaires. Bien que
un robot qui nage dans un matériau gra- les lois de traînée soient différentes dans ces
Des reptiles virtuels nulaire. Ce robot est une chaîne de sept seg-
ments de cinq centimètres de long, chacun
deux régimes, les techniques de modélisa-
tion de la force de résistance, issues de
aux robots contenant un servomoteur dont l’oscilla- l’hydrodynamique, s’appliquent avec suc-
Nous avons donc adopté une autre appro- tion est ajustée pour que l’ensemble se cès dans les deux cas.
che utilisant les techniques de dynamique déplace en ondulant. Nous avons aussi aug- Ces travaux soulèvent plusieurs ques-
moléculaire décrites plus haut. Après avoir menté la taille des particules granulaires à tions : d’abord, nous n’avons exploré les
montré que ce modèle présentait une bonne six millimètres, pour éviter qu’elles pénè- mouvements que dans deux dimensions.
capacité prédictive du comportement du trent dans les moteurs et simplifier la modé- Qu’apporte la troisième ? Ensuite, que se
sable pour tout un éventail de conditions lisation (le poisson des sables se déplace passe-t-il si la forme de l’animal ou de
expérimentales, nous avons créé un pois- par ailleurs avec la même efficacité d’onde l’onde change ? Quelles sont les limites
son des sables virtuel qui combinait les carac- dans des particules plus grosses, et les simu- métaboliques et musculaires des animaux
téristiques de déplacement expérimentales lations obtiennent aussi le même résul- étudiés ? Que se passe-t-il dans un maté-
et les forces de frottement calculées dans tat). Nous avons obtenu un bon accord entre riau mouillé ? Avec des modèles amélio-
le modèle de dynamique moléculaire. l’expérience avec le robot et sa simulation. rés des environnements et des organismes,
Nous avons trouvé une bonne concor- Lui aussi présente une efficacité optimale ainsi que de leurs interactions, notre appro-
dance avec l’efficacité de l’onde expérimen- de l’onde, tant dans la simulation que dans che aiderait à trouver des conceptions de
tale et celle prédite dans notre premier l’expérience, mais de 0,3 et non 0,5 comme dispositifs robotiques sans membres, capa-
modèle: la dynamique moléculaire confirme le poisson des sables. Ce résultat est pro- bles de se déplacer sur un terrain com-
l’existence d’une nage optimale du poisson bablement dû au nombre fini de segments plexe plus vite et plus efficacement que
des sables. De plus, elle donne accès à des du robot: dans la simulation, quand on aug- leurs homologues naturels.
Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef
Technologie
L’ E S S E N T I E L
En ce mois
d’avril 2011, la découverte
D ans le monde, plus de 26 000 appa-
reils d’IRM (imagerie par résonance
magnétique) fournissent de pré-
cieux diagnostics médicaux. L’ IRM est
maintenant familière au grand public (voir
tonné la supraconductivité à des niches
particulières.
L’histoire commence dans une petite
ville universitaire des Pays-Bas, Leyde, qui
devint le 10 juillet1908 l’endroit le plus froid
de la supraconductivité
a 100 ans. la figure 1), mais combien savent qu’une au monde. Heike Kammerlingh Onnes
bobine supraconductrice fonctionnant (1853-1926) y avait réussi, le premier, à liqué-
Les applications à –269 °C, près du zéro absolu (0 kelvin fier de l’hélium, donc à atteindre la tem-
de la supraconductivité ou –273,15 °C), est à la base de ce remar- pérature record de 4,2 kelvins (–269 °C).
sont limitées par le coût quable équipement médical ? La liquéfaction de ce gaz découvert en1895
et la complexité Plus généralement, les applications de faisait l’objet d’une compétition internatio-
de la cryogénie requise. la supraconductivité, phénomène extraor- nale: c’était le dernier des «gaz non conden-
dinaire découvert il y a 100 ans, restent sables » qui résistait à la liquéfaction,
La découverte méconnues, car discrètes. C’est l’occasion après celle de l’hydrogène en1898.
en 1986 des premiers de passer en revue quelques-unes des uti- En ayant accès à l’hélium liquide,
supraconducteurs à haute lisations les plus importantes des matériaux Kammerlingh Onnes pouvait étudier la
température critique a fait supraconducteurs: imagerie médicale, puis- résistivité des métaux aux très basses tem-
croire à une révolution sants aimants pour la physique des parti- pératures. Or le 8 avril 1911, Gilles Holst,
technologique imminente. cules, détection et mesure de champs un étudiant de Kammerlingh Onnes, qui
Cette révolution magnétiques infimes, transport de l’électri- sera l’un des fondateurs du Centre de
a pris du retard, mais cité, conception de circuits quantiques. recherche de Philips et son premier direc-
les applications Mais commençons par rappeler ce teur, constata que la résistance électrique
© Shutterstock/Levent Konuk
de la supraconductivité qu’est la supraconductivité, comment elle du mercure placé dans un capillaire en verre
(imagerie médicale, a été découverte et quelles sont les prin- devenait brusquement non mesurable au-
électrotechnique, etc.) cipales propriétés des matériaux supra- dessous de 4,15 kelvins. Après de multiples
se multiplient. conducteurs. Cela nous permettra de et méticuleuses vérifications, tant le phéno-
comprendre les difficultés qui ont can- mène paraissait extraordinaire, le mercure
se révélait bien devenir un «super» conduc- La circulation sans pertes d’un cou- mum est de 2,9 watts seulement à 77 kel-
teur: la supraconductivité était découverte. rant électrique dans une pastille supra- vins (azote liquide). Il est donc 25 fois plus
Avec la liquéfaction de l’hélium, elle valut conductrice est à l’origine de sa suspension avantageux de fonctionner à la tempéra-
à Kammerlingh Onnes le prix Nobel de phy- au-dessous d’un aimant permanent, phé- ture de l’azote liquide...
sique en 1913, premier d’une série d’une nomène qui fascine toujours (voir la En pratique, les installations de liqué-
dizaine de ces prix attribuée pour des tra- figure 3): le champ magnétique de l’aimant faction sont bien moins efficaces, d’où
vaux liés à la supraconductivité. crée une force électromagnétique sur le des coûts énergétiques trois à quatre fois
courant persistant porté par la pastille. supérieurs. Ces coûts élevés se reflètent
Un supraconducteur est donc un maté- pour partie dans le prix des fluides cryo-
Du courant sans pertes riau qui ne connaît pas l’effet Joule, c’est- géniques. En grosses quantités, l’hélium
Examinons de plus près ce phénomène de à-dire qui ne dissipe aucune chaleur lors liquide à 4,2 kelvins coûte quatre à cinq
disparition de la résistance électrique. du passage d’un courant. Cette propriété euros par litre, contre 0,1 euro par litre pour
Une résistance nulle n’a pas de sens expé- exceptionnelle n’existe qu’au-dessous l’azote liquide à 77 kelvins. Ces chiffres
rimentalement, car sa valeur dépend de la d’une certaine température, la tempéra- résument tout l’intérêt des matériaux qui
précision des appareils de mesure. Des ture critique. La contrainte de refroidisse- sont supraconducteurs à relativement
mesures très fines de la décroissance du ment limite l’exploitation commerciale de haute température.
courant dans une bobine supraconductrice la supraconductivité. La cryogénie, science La supraconductivité disparaît si la
soigneusement court-circuitée, dite « en et technologie des basses températures, température dépasse une certaine valeur,
mode persistant», ont indiqué que la baisse reste complexe et surtout très coûteuse. mais la température n’est pas le seul acteur.
du courant atteindrait seulement 0,07pour Quel est le coût énergétique du refroi- Un champ magnétique trop intense, supé-
cent au bout d’un siècle! Cela a fourni une dissement nécessaire ? Des calculs ther- rieur à une valeur dite critique, détruit aussi
borne supérieure à la résistivité électrique modynamiques montrent que, pour une l’état supraconducteur. Kammerlingh
d’un supraconducteur (10–24 ohm.mètre). machine thermique fonctionnant à tem- Onnes en avait fait la mauvaise expérience
Avec la même bobine, mais en cuivre à tem- pérature ambiante (300kelvins ou 27 °C), dès 1913. Il avait immédiatement com-
pérature ambiante (1,7 ⫻ 10–8 ohm.mètre), il faut fournir au minimum 74 watts pour pris l’intérêt des supraconducteurs pour
le courant diminue de 0,07 pour cent en extraire un watt à un fluide refroidi à 4 kel- réaliser de puissants électroaimants, mais
moins de 0,2microseconde... vins (hélium liquide), tandis que ce mini- toutes ses tentatives furent vaines. Les
CERN/Maximilen Brice
2. LES ACCÉLÉRATEURS ET DÉTECTEURS DE PARTICULES font protons du CERN, le LHC, est équipé tout au long de son tunnel circulaire
désormais appel à la supraconductivité, notamment pour créer des de 1 232 électroaimants supraconducteurs utilisant l’alliage niobium-
champs magnétiques intenses. Ainsi, le nouveau collisionneur protons- titane (NbTi), qui produisent chacun un champ de 8,3 teslas.
ou le Nb 3 Sn à 18 kelvins. Ensuite, les LES AUTEURS pas au cours du temps. Traversé par un
composés à haute température critique, courant variable ou soumis à un champ
tels le YBaCuO à 93 kelvins ou le BiSrCa- magnétique variable dans le temps, un
CuO à 110 kelvins. supraconducteur est le siège de «pertes CA »
Les premiers supraconducteurs à haute (pour courant alternatif): d’après les lois de
température critique ont été découverts l’électromagnétisme, toute variation tem-
en 1986 par Johannes Bednorz et Karl Mül- Pascal TIXADOR porelle du champ magnétique (extérieur ou
ler (prix Nobel en 1987), des Laboratoires est professeur à l’Institut lié au courant transporté) induit un champ
polytechnique de Grenoble
IBM à Zurich. Il s’agissait d’un composé (Grenoble INP/ENSE3) électrique qui, associé aux courants dans
BaLaCuO, autour de 30 kelvins alors que et chercheur à l'Institut Néel le supraconducteur, crée des pertes. C’est
la température critique du supraconduc- et au Laboratoire de génie pourquoi les supraconducteurs sont sur-
teur le plus « chaud » connu à l’époque électrique de Grenoble (G2Elab). tout utilisés en courant continu.
Philippe LEBRUN travaille
(Nb3Ge) était de 23,3 kelvins. Une quête au CERN, le Laboratoire
enthousiaste d’autres matériaux s’ensuivit
et les records de température critique
européen pour la physique
des particules, à Genève,
Une rupture
tombèrent : YBaCuO (janvier 1987), BiSr-
sur les applications
de la supraconductivité
technologique
CaCuO (1988), etc. Le record est aujourd’hui et de la cryogénie Comme nous l’avons vu, un matériau n’est
détenu par le composé HgTlBaCaCuO avec aux accélérateurs supraconducteur que dans des conditions
164 kelvins sous une pression de 30 giga- de particules. bien particulières, et c’est pourquoi la tech-
pascals, valeur qui descend à 138 kelvins nologie correspondante est onéreuse. Le
(–135°C) à la pression atmosphérique. cuivre ou l’aluminium sont de très mau-
La découverte du composé YBaCuO vais conducteurs en comparaison des supra-
a marqué une étape : c’était le premier conducteurs, mais ils répondent en général
matériau restant supraconducteur au-des- assez bien aux cahiers des charges actuels
sus des 77 kelvins de l’azote liquide, de l’électrotechnique – les techniques de
jusqu’à 93 kelvins. production, de transport et de distribu-
En 2001, Jun Akimitsu, un chercheur tion de l’électricité – avec des rendements
de Tokyo, découvrait que le diborure de pouvant atteindre 99,6 pour cent pour les
magnésium (MgB2) est supraconducteur très gros transformateurs par exemple.
à 39 kelvins. Cette température critique est, La supraconductivité améliore nota-
certes, plus faible que pour bien d’autres blement les performances électrotechni-
supraconducteurs, mais ce matériau est ques et offre de nouvelles perspectives
simple et peu onéreux à produire. Des (nous y reviendrons). En revanche, elle
dispositifs d’imagerie fondés sur des élec- constitue une rupture technologique totale,
troaimants à MgB2 sont fabriqués et com- face à laquelle les électriciens et les distri-
mercialisés depuis 2006, alors que ce n’est buteurs d’électricité restent assez conser-
toujours pas le cas avec les supraconduc- vateurs. Quelques chiffres permettent de
teurs à haute température critique. mieux les comprendre. Une seule heure
Une dernière famille de supraconduc- d’arrêt de l’alternateur des futures cen-
teurs a été découverte en 2008. Il s’agit trales nucléaires EPR (1 650 mégawatts)
de pnictures de fer, des semi-métaux à base représentera 132 000 euros de manque à
de fer et d’arsenic ou de phosphore. Ces gagner et ruinera le gain de 0,1 pour cent
nouveaux supraconducteurs ont des tem- en rendement apporté par la supraconduc-
pératures critiques allant jusqu’à 56 kel- tivité pour une durée d’environ 42 jours.
vins. Ils ouvrent une voie nouvelle pour La question de la fiabilité se pose donc
comprendre la supraconductivité et les immédiatement. Reste que de multiples
conditions de son apparition, puisqu’une réalisations en exploitation donnent des
Institut Néel-G2Elab
ce qui autorise un refroidissement à l’azote en 2009) ; pourtant, leurs température et fragiles, et le transport du courant élec-
liquide et non plus à l’hélium liquide. Mais champ critiques sont bien plus favorables trique y est sensible aux défauts et à l’orien-
la disponibilité industrielle, la facilité de et ils ont été découverts quelques années tation des grains cristallins. Les défis ont
mise en œuvre, le coût ou la constance des plus tôt. Mais le Nb 3 Sn est beaucoup cependant été relevés et la production de
performances sont d’autres critères sou- plus onéreux et plus complexe à mettre en conducteurs YBaCuO performants atteint
vent plus importants. œuvre. Il n’est donc utilisé que lorsque le désormais le stade préindustriel. Le coût
C’est déjà le cas parmi les supracon- Nb Ti ne convient plus, notamment pour de ces conducteurs reste très élevé, mais,
ducteurs à basse température critique : les de très hauts champs magnétiques, supé- comme il est dû au procédé plus qu’aux
conducteurs à base de Nb3Sn (une ving- rieurs à 12 teslas. matériaux, l’industrialisation devrait le
taine de tonnes en 2009, mais le projet ITER Les matériaux à haute température faire décroître rapidement.
de réacteur expérimental pour la fusion critique se sont révélés très complexes à Venons-en aux applications propre-
nucléaire en utilisera plus de 500 tonnes) mettre en œuvre et il a fallu redoubler ment dites de la supraconductivité. L’une
sont nettement moins utilisés que les d’imagination pour y faire passer des cou- des plus importantes porte sur l’imagerie
conducteurs à base de Nb Ti (2 000tonnes rants intenses. Ce sont des céramiques très médicale, l’imagerie par résonance magné-
tique (IRM) en particulier. C’est d’ailleurs
a l’IRM qui a apporté à la supraconducti-
H He vité son principal débouché commercial.
Li Be B C N O F Ne
Au service
Na Mg Al Si P S Cl Ar de l’imagerie médicale
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr L’IRM est une technique d’imagerie de
choix pour tous les tissus mous, tels les
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd AAg Cd In SSn Sb Te I Xe X
muscles ou le cerveau. La résolution peut
Cs Ba La* Hf Ta W Re Os Ir Pt AAu Hg Tl Pb Bi Po AAt RRn être meilleure que le millimètre dans
tout le volume étudié. L’IRM va mainte-
Fr Ra Ac** Rf Ha Sg Bh Hs Mt Ds Rg Uuh nant au-delà de la simple imagerie si l’on
de lanthanides
* Série des suit l’activité cérébrale via les variations
Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu locales des débits sanguins (IRM fonction-
nelle, ou IRMf). Plus récemment est appa-
ie ddes
** Série es actinides
acttinides
rue l’IRM de diffusion (IRMd) qui permet
N Pu Am
Th Pa U Np A Cm Bk Cf Es Fm Md No Lr de suivre le mouvement des molécules
d’eau à l’échelle microscopique et qui
b Densité de courant apporte d’autres informations précieu-
(en méga-ampères/m2) ses sur le fonctionnement du cerveau.
Toutes ces techniques utilisent un
10 000 champ magnétique uniforme et constant
NbTi pour aligner les spins (moments cinéti-
ques intrinsèques) de noyaux atomiques,
tels ceux d’hydrogène, et les faire tour-
ner autour de l’axe du champ à des fré-
Nb3Sn quences radio (quelques dizaines de
mégahertz). Excités par un champ magné-
tique perpendiculaire variant à la même
fréquence, les spins nucléaires oscillent
10 K 14 T et entrent en résonance, ce qui produit
YBaCuO 18 K 25 T un signal à l’arrêt de l’excitation. L’ana-
lyse de ce signal permet de construire
110 K 92 K Hélium liquide des images qui reflètent l’activité des tis-
BiSrCaCuO Azote liquide (4,2 K)
sus ou leur composition chimique.
Température (77 K)
Champ magnétique Les bobines (classiques) qui fournissent
(en kelvins, K) (en teslas, T) le champ aux fréquences radio sont respon-
4. LA SUPRACONDUCTIVITÉ EST ASSEZ FRÉQUENTE dans la nature : une trentaine (a, cases sables des claquements perçus lors d’un
en gris foncé) des 103 éléments du tableau de Mendeleïev sont supraconducteurs à température examen d’IRM. La bobine supraconductrice,
suffisamment basse et sous pression atmosphérique. Une vingtaine d’autres (en vert) ne sont elle, est très discrète, mais son refroidisse-
supraconducteurs que sous haute pression. Par ailleurs, l’état supraconducteur ne se maintient
que si le champ magnétique et la densité de courant qui circule ne sont pas trop élevés. Dans ment utilise des cryoréfrigérateurs qui pro-
une représentation où les trois axes de coordonnées représentent les valeurs maximales de la duisent un bruit sourd à quelques hertz.
température, du champ magnétique et de la densité de courant, l’état supraconducteur est déli- Le rapport signal sur bruit et la résolu-
mité par une surface dite critique (b, les surfaces critiques de quelques supraconducteurs). tion spatiale augmentent avec l’amplitude
du champ magnétique constant. Celle-ci qui existent. Ils exploitent le fait que la
doit être particulièrement stable dans le supraconductivité est un état quantique,
temps (dérive moyenne inférieure à 0,1 par- observable à l’échelle macroscopique.
tie par million et par heure). Une bobine Un courant peut circuler (par effet tun-
supraconductrice est la meilleure réponse nel) à travers la jonction Josephson sans
à ces exigences pour des champs magnéti- qu’il y ait une tension à ses bornes. Et le
ques supérieurs à 0,5 tesla environ. Il faut couplage des états quantiques dans les
noter qu’un imageur classique à 0,6 tesla supraconducteurs situés de part et d’au-
consomme 225kilowatts, alors qu’un ima- tre de chaque jonction fait qu’un SQUID est
geur supraconducteur à 1,5 ou même 3tes- très sensible au champ magnétique qui
las ne consomme que 7,5 kilowatts pour le traverse la boucle.
maintien de la basse température. La bobine Plus généralement, la jonction Joseph-
fonctionne généralement en mode persis- son est la brique de base de toute une élec-
tant, donc sans alimentation. tronique « quantique ». Des circuits avec
La tendance de l’imagerie par réso- ces jonctions Josephson peuvent se com-
nance magnétique est à une augmentation porter comme des sortes d’atomes artifi-
du champ. Les appareils courants utilisent ciels, où l’énergie ne peut prendre que des
un aimant solénoïde de 1,5 tesla, pesant valeurs bien déterminées. Ils constituent
environ cinq tonnes. Le marché des appa- des systèmes modèles pour mener des
reils à 3 teslas est en forte croissance. Des expériences et sonder les concepts de la
NIMH
appareils à haut ou très haut champ (supé- mécanique quantique. Ils sont aussi inté-
rieur à 7 teslas) sont plus rares, mais ils se ressants pour la nanoélectronique, où les
multiplient dans les laboratoires de recher- dimensions nanométriques font apparaî-
che. Ainsi, le projet français Iseult/INU- tre des effets quantiques. Enfin, ils ouvrent
MAC (Imaging of Neuro Disease Using High Jonction la voie aux processeurs quantiques à
Field Magnetic Resonance and Contrasto- Josephson base de qubits (bits quantiques), c’est-à-
phores), en construction à Saclay, près de dire à de possibles ordinateurs quantiques.
Paris, vise un champ de 11,7teslas. Il offrira
pour l’imagerie du cerveau une résolution
spatiale et temporelle dix fois supérieure
Traquer les particules
à celle des instruments actuels. L’aimant, La supraconductivité est également le
long de quatre mètres et d’un diamètre pro- compagnon indissociable d’un autre
che de cinq, pèsera 150 tonnes... domaine, la physique des particules élé-
La magnétoencéphalographie (voir mentaires, dont les outils de base sont
MIT/Laboratoire de paléomagnétisme
Boucle
la figure 5) et la magnétocardiographie sont supraconductrice les accélérateurs et détecteurs de particu-
deux autres outils d’investigation médi- les. Ces appareils font appel à des champs
cale où la supraconductivité est primor- électromagnétiques dans de grands volu-
diale. Elles reposent sur la mesure du mes pour accélérer, guider, focaliser et ana-
champ magnétique créé par l’activité du 40 m lyser les trajectoires des particules chargées.
cerveau et du cœur respectivement. L’ana- En donnant accès à des champs plus éle-
lyse des signatures magnétiques rensei- 5. LA MAGNÉTOENCÉPHALOGRAPHIE consiste vés et en réduisant la consommation
gne sur certaines pathologies. à enregistrer les infimes champs magnétiques d’énergie, aimants supraconducteurs et
Pour l’heure, la magnétoencéphalo- produits par l’activité du cerveau. Pour cela, cavités supraconductrices à champs de
graphie et la magnétocardiographie sont le patient porte un casque (en haut) tapissé de radiofréquence ont rendu possibles les
utilisées principalement à des fins de centaines de petits capteurs à base de SQUID. progrès spectaculaires de ces machines.
Un SQUID est un circuit supraconducteur très
recherche dans une centaine de labora- sensible au champ magnétique qui le tra- C’est pour la physique des particules
toires à travers le monde, mais elles sont verse (ci-dessus). qu’ont été développés les premiers aimants
en passe de devenir des outils de diagnos- supraconducteurs, dès les années 1960. Ce
tic dans les hôpitaux. domaine a donné une grande impulsion
Les champs magnétiques en ques- aux matériaux supraconducteurs et conti-
tion sont extrêmement faibles, d’où le nue de faire progresser les techniques.
recours aux SQUID (Superconducting Quan- Le premier cyclotron, construit à Ber-
tum Interference Devices, ou dispositifs keley en1930, tenait dans la paume d’une
supraconducteurs à interférences quan- main. Aujourd’hui, le grand collisionneur
tiques). Ces petits circuits à base de bou- LHC du CERN accélère des protons à une
cles supraconductrices interrompues en énergie 100 millions de fois supérieure, le
deux endroits par une mince tranche iso- long d’un cercle de 26,7 kilomètres de cir-
lante, une « jonction Josephson », sont les conférence. Ces énergies sont nécessaires
capteurs magnétiques les plus sensibles pour sonder la matière à la très petite échelle
2000 tonnes de
niobium-titane au LHC
Au LHC, qui a démarré en 2008, d’autres
Pour la LIPA, l’un des principaux opérateurs aimants jouent le rôle de lentilles magné-
de réseaux électriques des États-Unis, la Société
tiques et focalisent les faisceaux. Le champ
française Nexans a fabriqué et installé un câble
de transport supraconducteur mis sous magnétique se révèle aussi très utile autour
une tension de 138 000 volts. C’est la liaison des zones de collisions pour dévier les par-
supraconductrice la plus longue (600 mètres) ticules chargées produites et ainsi mieux
et la plus puissante du monde les analyser. Ces aimants de détection doi-
(ci-contre, une coupe du câble ; vent produire des champs intenses dans
ci-dessus, son raccordement au réseau). de grands volumes et être peu encom-
brants pour laisser le maximum de place
aux détecteurs eux-mêmes : c’est le cahier
Nexans
des constituants élémentaires, et pour pro- des charges idéal pour un aimant supra-
duire des particules de masse élevée qui conducteur. Le LHC fait ainsi appel à
ont pu exister juste après le Big Bang. Les plusieurs très grands aimants supracon-
masses des particules appartenant au ducteurs de détection, tel le toroïde supra-
«modèle standard» de la physique des par- conducteur ATLAS , dont la masse de
ticules restent aujourd’hui inexpliquées. matériau supraconducteur est de 376 ton-
Il y a plusieurs décennies, le physicien nes. Au total, le LHC utilise plus de
britannique Peter Higgs a proposé un méca- 2 000 tonnes de niobium-titane.
nisme théorique qui suppose l’existence Notons que les accélérateurs de par-
d’une particule, le boson de Higgs ; l’in- ticules ont aussi des applications médi-
teraction de ce dernier avec les particules cales, telle la protonthérapie où des
connues leur conférerait leurs masses. faisceaux de protons déposent leur éner-
Mais ce boson de Higgs aurait une gie avec une précision millimétrique et
masse très élevée et il faut donc des accé- sans endommager les tissus traversés. La
lérateurs de particules particulièrement production des protons avec la bonne éner-
puissants pour le découvrir. Deux accé- gie (plusieurs centaines de mégaélec-
lérateurs, tous deux à technologie supra- tronvolts) fait, là encore, intervenir des
conductrice, sont sur les rangs : le Tevatron aimants, auxquels la supraconductivité
américain (0,9 téraélectronvolt par fais- peut conférer une masse, un volume et une
ceau, donc le double pour l’énergie des consommation réduits.
collisions) qui sera bientôt arrêté et le LHC Un autre domaine d’application de
(Large Hadron Collider, ou grand colli- la supraconductivité, et qui prend de plus
sionneur de hadrons) du CERN, à Genève en plus d’importance, est celui des réseaux
(7 téraélectronvolts par faisceau). de distribution de l’électricité. Étant donné
Dans ces accélérateurs, des aimants la place que cette forme d’énergie occupe
maintiennent les particules sur une trajec- dans la vie moderne, les réseaux électri-
ques sont devenus une infrastructure cri- ment de l’interrompre. Comment? La seule Ainsi, les supraconducteurs sont deve-
tique, qu’il faut sécuriser au mieux, avec réponse satisfaisante est fournie par la nus indispensables pour certaines applica-
une qualité (en termes de tension notam- supraconductivité, grâce au courant criti- tions, notamment en électrotechnique
ment) garantie. que qui caractérise un matériau supra- comme nous venons de le voir. Sans supra-
conducteur. conductivité, l’IRM n’aurait pas connu son
Sécuriser les réseaux Pourquoi ? Parce que dès que le cou-
rant dépasse la valeur critique, l’élément
développement actuel et le LHC aurait été
inconcevable. Les supraconducteurs sont
électriques supraconducteur perd sa supraconducti- à la base de détecteurs ultrasensibles pour
Une façon simple de sécuriser la fourni- vité et développe presque instantané- la physique ou de nouveaux outils de diag-
ture d’électricité à un point de consomma- ment une résistance qui limite le courant nostic médical pour le cerveau ou le cœur,
tion donné est de multiplier les chemins de défaut. En revanche, pour des cou- ils permettent de construire des systèmes
possibles d’alimentation. Cette technique rants inférieurs à la valeur critique, l’élé- modèles pour la physique et l’ingénierie
très efficace est limitée par le problème des ment est électriquement transparent, quantiques. Et ils rendent bien d’autres ser-
« courants de défaut » (dus à un court- puisque sans résistance. Deux limiteurs vices, par exemple dans les réacteurs expé-
circuit par exemple). En effet, un disjonc- supraconducteurs ont ainsi déjà été ins- rimentaux pour la fusion nucléaire.
teur ne coupe pas instantanément un tallés dans le réseau européen et les distri- La supraconductivité représente une
courant de défaut, ce qui laisse le temps buteurs d’électricité s’intéressent de plus technologie de rupture, qui prend du temps
à un tel courant d’occasionner des dégâts en plus à ces appareils. pour s’imposer, surtout dans un marché
sérieux. Par exemple, les forces électrody- D’autres équipements supraconduc- bien établi et parce qu’elle est tributaire
namiques étant proportionnelles au carré teurs ont fait leur apparition en électro- de la cryogénie. Mais le centenaire de la
du courant, un courant de défaut 20 fois technique. Notamment, une liaison supra- découverte de la supraconductivité coïn-
supérieur au courant normal conduit à des conductrice de 600 mètres fonctionne cide avec deux faits: la préindustrialisation
forces 400 fois plus élevées. depuis avril2008 dans le réseau électrique de matériaux à haute température criti-
Or lorsqu’on multiplie les chemins d’ali- américain à très haute tension (138 kilo- que performants (YBaCuO) et de nouvel-
mentation, les courants de défaut s’addi- volts) ; elle peut transporter 600 méga- les exigences pour les réseaux d’électricité.
tionnent. La solution à ce problème est de voltampères (puissance nécessaire pour L’avenir des supraconducteurs n’en est que
limiter le courant de défaut, et pas seule- 600 000 habitants environ). plus prometteur.
REGARDS
HISTOIRE DES SCIENCES
Madame d’Arconville,
femme de sciences au temps des Lumières
De la traduction scientifique à ses travaux sur la putréfaction, cette femme du XVIIIe siècle,
savante reconnue par ses pairs, mit un point d’honneur à rester dans l’anonymat.
Patrice BRET
1
804. Fortunée Briquet, femme de Mme d’Arconville : 12 volumes de manus- elle admire l’éloquence, ses textes rappel-
de lettres, dédie au Premier consul crits inédits rédigés à la fin de sa vie, soit lent l’introspection de ses maîtres à pen-
Napoléon Bonaparte, sur le point plus de 200 textes que l’on croyait perdus ser Montaigne et Pascal, ou le style incisif
d’accéder au trône impérial, un dic- à jamais. « Il paraît que Mme d’Arconville de ses contemporains les écrivains
tionnaire féministe dans lequel elle fait n’avait d’autre but, en écrivant, que celui Jacob Grimm et Louis-Sébastien Mercier.
sortir une inconnue de l’anonymat : « Elle de se rendre utile », écrit encore Fortunée Revenant comme une nostalgie ou un regret,
joignit à l’étude de la physique et de la chi- Briquet. C’est le cas pour une bonne part la science reste un leitmotiv de ce recueil
mie, celle de la morale, de la littérature et de sa production imprimée, mais elle est sur- hybride, à l’image de l’intérêt qu’elle lui a
des langues. » L’entrée « Arconville » ignore tout mue par le besoin d’«écrire à tout prix», porté toute sa vie.
que l’auteur vit encore et, à 80 ans passés, besoin qui l’anime jusqu’à la mort. Car, quand
continue d’écrire même si elle ne publie plus elle reprend la plume après la Révolution, Traductrice
depuis 20 ans. Elle omet aussi l’histoire, der-
nier domaine d’étude de celle qui fut un auteur et expérimentatrice
original du siècle des Lumières et l’une des Certes, Mme d’Arconville n’eut ni l’envergure
quelques femmes de l’époque à avoir pro- intellectuelle ni la notoriété d’Émilie du Châ-
duit de la science. Qui est donc cette Mme telet (1706-1749), traductrice des Princi-
Thiroux d’Arconville, née Marie Geneviève pia de Newton et compagne de Voltaire
Charlotte Darlus (1720-1805), à la produc- – faute, peut-être, d’avoir bénéficié de l’édu-
tion si variée que l’on redécouvre aujourd’hui cation de celle-ci... Enfant, elle aurait aimé
Avec l’aimable autorisation du château de Cheverny
après une longue éclipse ? être ambassadeur, si elle avait été un homme.
« Une des femmes les plus instruites Adulte, elle jongle entre sciences, littérature
et les plus modestes du XVIIIe siècle», déclare et histoire – activités masculines –, traduc-
en 1820 le bibliographe Antoine-Alexandre tions et production personnelle. Elle est pour-
Barbier, qui ajoute : « Ses nombreuses tant bien plus qu’un simple écrivain. Fille
productions obtinrent, de son vivant, beau- d’un riche fermier général, mariée à 14 ans
coup de lecteurs ; par leur seul mérite. » à un jeune conseiller – bientôt président –
La même année, la Biographie nouvelle des au Parlement de Paris, elle est d’abord une
contemporains, dictionnaire des Français lectrice acharnée que guident la curiosité et
célèbres depuis la Révolution, lui ouvre le 1. MME D’ARCONVILLE (1720-1805) fut un le goût du savoir. À 20 ans – déjà mère de
champ des grands dictionnaires historiques. auteur prolifique tant en sciences qu’en lettres. ses trois fils ! –, elle prend son éducation en
Des extraits de ses œuvres morales sont mains et se mue en femme savante auto-
cités, et l’on se réfère à ses traités scienti- elle n’entend plus écrire que pour une poi- didacte. Femme de sciences, elle l’est à la
fiques. Sa gloire posthume s’éteint cepen- gnée de proches, rédigeant pour passer le fois en tant que traductrice critique et, cas
dant au fil des décennies. temps une série de petits essais de facture plus rare, comme expérimentatrice patiente
Bien éphémère au regard de l’histoire, très libre ou recopiant des œuvres de jeu- et rigoureuse. Tout cela dans le plus parfait
cette réputation vient de rebondir en ce début nesse inédites. Elle a un ton plus person- anonymat, choisi et maintenu parce qu’elle
de XXIe siècle avec la mise au jour inatten- nel et un regard distancié, parfois non dénué a une conscience aiguë du risque social pour
due des Pensées, réflexions et anecdotes d’humour. Si elle est loin de Rousseau, dont les femmes de lettres : « Affichent-elles la
Regards
Regards
Était-il dans la confidence ou est-ce seule- toutes les «sciences physiques» et la base
ment l’influence de la charge de directeur de de l’histoire naturelle. Elle se lance dans un
l’Académie qu’il exerce aussi ? Quoi qu’il en long programme de recherche expérimentale
soit, le jeu est réservé aux hommes. dont l’ambition est tant utilitaire et humani-
Au demeurant, l’anonymat est surtout un taire (la conservation des aliments) que scien-
masque pour le public et le nom de la traduc- tifique : l’étude de la transformation de la
trice circule dans la profession: dans son His- matière entre les trois règnes.
toire de l’anatomie et de la chirurgie (1770),
Antoine Portal révèle que le Traité d’ostéolo- La putréfaction
gie a été «traduit en français par Madame la
Présidente d’Arconville, et exécuté à ses frais, au jour le jour
avec des planches, et des remarques par Pendant huit ans, de 1755 à 1763, elle mène
M. Sue ». Fortunée Briquet présente même plusieurs centaines d’expériences sur la
l’ouvrage comme «publié sous un autre nom conservation de substances putrescibles
que le sien quoiqu’elle en soit véritablement (viandes, poissons, œufs, lait), en suivant
l’auteur » ! Malgré cela, aujourd’hui comme un protocole rigoureux : chaque jour, elle
hier, les bibliographes et les historiens de la note l’état de dégradation des échantillons
Cliché E. Bardez
médecine omettent souvent de restituer expérimentés et les conditions extérieures
l’identité de la traductrice. (température, humidité). Elle en publie les
Parallèlement, Mme d’Arconville a un inté- 3. FRONTISPICE des Leçons de chymie de résultats en 1766 dans un Essai pour ser-
rêt croissant pour la chimie, encouragée par Pierre Shaw, premier médecin du roi d’Angle- vir à l’histoire de la putréfaction, qu’elle signe
son parent François Poulletier de la Salle, terre, traduites anonymement par Mme d’Ar- « par le traducteur des Leçons de Chymie
conville en 1759.
chimiste amateur dont elle partage les de M. Shaw » (voir la figure 5).
expériences, et par son ami le chimiste Pierre- Sa principale conclusion est que «le pou-
Joseph Macquer, qui révise ses manuscrits. voir conservateur» se trouve dans la préser-
Ainsi, l’année-même de la publication du Traité vation du « contact de l’air extérieur », bien
d’ostéologie, elle publie encore la traduction qu’elle néglige d’effectuer une expérimen-
des Leçons de chymie propres à perfection- tation dans le vide. Sur le plan pratique, elle
ner la physique, le commerce et les arts de prouve que le quinquina est le meilleur «anti-
Peter Shaw. Si l’édition est toujours anonyme, septique », capable de ralentir le processus
elle n’a plus recours à un prête-nom. Les recen- inévitable de la putréfaction. Elle rejoint ici
sions saluent la rectification des erreurs et le médecin britannique John Pringle, de la
le «discours préliminaire» original de près Royal Society, dont elle discute les travaux
de 100 pages qu’elle y joint – une histoire cri- parus à Londres en 1752 et traduits à Paris
tique de la chimie –, le texte dont elle est la en 1755. En revanche, elle réfute ses dires
plus fière à la fin de ses jours. sur les vertus supposées de la camomille,
De cette époque date encore la traduc- que contredisent ses expériences. Enfin, elle
tion de 15 mémoires d’anatomie, médecine s’incline devant les résultats du chirurgien
et botanique, tirés des Philosophical Tran- britannique David MacBride, résultats publiés
sactions de la Royal Society de Londres. à Londres en 1764, dont elle n’a connais-
Mais la traduction n’est qu’un marchepied sance que pendant l’impression de son propre
vers la pratique de la science. Le texte et le ouvrage et qu’elle juge supérieurs aux siens
laboratoire se soutiennent et s’enrichissent (il n’est cependant pas plus avancé qu’elle
mutuellement. dans la découverte des micro-organismes
Dans son laboratoire de Crosne, Mme d’Ar- impliqués dans le phénomène).
conville travaille avec deux amis amateurs de MacBride lui retourne l’hommage en 1767
chimie sur les résines ou la bile humaine. Elle et se montre admiratif du soin apporté par
s’attaque ensuite à ce que Macquer considère son compétiteur inconnu à ses expériences.
MNHN
comme «ce qu’il y a de plus difficile [et] en 4. LE SQUELETTE DE FEMME que Mme d’Arcon- Le travail original de Mme d’Arconville est
même temps ce qu’il y a peut-être de plus ville ajouta à sa traduction (anonyme) du Traité encore cité, de son vivant, par Macquer
important à connoître dans la physique»: la d’ostéologie d’Alexander Monro (1759). Ses tra- (1778), par le chimiste irlandais William Hig-
putréfaction, qu’elle regarde comme la clef de ductions étaient toujours critiques et annotées. gins (1799) et, surtout, à plusieurs reprises,
Regards
S. Barles, La ville délétère : médecins et ingénieurs dans l’espace urbain, XVIIIe-XIXe siècles, p. 65, 1999
mort, son travail continue à être cité dans • Le vent N.O. le ciel nuageux, la chaleur tempérée.
les manuels de chimie médicale et de méde- • Je mis deux gros de tranche de bœuf crud, & tué la veille,
cine légale jusqu’à la découverte du rôle des dans un bocal, couvert d’un papier, lié avec une ficelle.
micro-organismes par Pasteur dans les • J’étois pour lors à la campagne, à quelques lieues de Paris. Le laboratoire où je faisois
années 1850. Aujourd’hui, à défaut d’avoir mes expériences étoit au rez-de-chaussée, un fossé fort large, rempli d’eau vive baignoit
une quelconque valeur scientifique, son Essai un des murs de ce laboratoire. De ce même côté étoit
reste une référence pour les historiens de une fenêtre exposée au midi, & une autre vis-à-vis, exposée
l’hygiène urbaine... par conséquent au Nord. Ce lieu est assez humide.
Mais déjà, le suivi quotidien des expé- • Le 30, le thermomètre 16d1/2
riences ne suffisait plus à satisfaire les aspi- • Le vent N.N.O. le ciel comme la veille, mais le temps plus frais.
rations intellectuelles de l’expérimentatrice. • Je trouvois que la viande avoit déjà contracté une odeur aigre,
Ses deux grandes traductions scientifiques & que sa couleur étoit plus pâle.
à peine publiées, elle s’est tournée vers les
• Le 31, le thermomètre 16d1/2.
lettres. Lorsqu’elle réunit – à l’exception de
Cliché E. Bardez
l’histoire – l’ensemble de ses travaux et • Le vent E. le ciel couvert & le temps frais.
quelques inédits, un seul des sept volumes • La viande étoit putride, quoiqu’elle fût toujours ferme. Je la jettai.
de ses Mélanges de littérature, de morale
et de physique(1775-1776) est consacré aux 5. EXTRAIT DES NOTES PRISES PAR MME D’ARCONVILLE pendant ses expériences sur la putré-
faction et publiées dans son Essai pour servir à l’histoire de la putréfaction (1766). « C’est parti-
sciences. En quelques années, Mme d’Arcon-
culièrement à l’étude de la fermentation, de ses différens degrés, & sur-tout à celui de la putréfaction,
ville est devenue une femme de lettres. que nous sommes redevables d’un très grand nombre de connoissances utiles. Il n’y en a peut-
être pas même de plus intéressantes dans toute la physique. C’est pour ainsi dire la clef de
La démarche toutes les autres, & l’histoire de la nature entière. Tout ce qui a vie, soit animal, soit végétal, est
soumis à son pouvoir », écrit-elle en introduction de son essai.
scientifique appliquée
à l’histoire c’est à la période de la Réforme, omnipré-
sente dans ses manuscrits, qu’elle consacre
Elle enchaîne d’autres genres à la mode: Pen- ses travaux : Vie du cardinal d’Ossat (1771),
sées et réflexion morales (1760), De l’ami- Vie de Marie de Médicis (1772), Histoire de BIBLIOGRAPHIE
tié (1761), Des passions (1764). Non sans François II (1783). Condamnant l’histoire P. Bret et B. Van Tiggelen (dir.),
succès : ces deux derniers traités donnent officielle – elle critique un auteur écrivant Madame d’Arconville
lieu à une édition pirate à Liège et à une tra- « plustot à la vérité en gazettier payé pour (1720-1805), une femme
duction allemande (1770) sous la signa- en rendre compte, qu’en fidèle historien » –, de lettres et de sciences au siècle
des Lumières, Hermann, 2011.
ture de... Diderot ! À l’inverse, l’Essai sur elle déniche des manuscrits inédits, les
l’amour-propre de Frédéric II, lu cette même traduit et les édite avec des notes, devenant M.-A. Bernier et M.-L. Girou
année à l’académie de Berlin, est bientôt ainsi l’une des premières historiennes. Dans Swiderski (sous la dir.),
Mme d’Arconville, femme
porté à son crédit. Erreurs d’attribution qui l’histoire, elle trouve enfin la possibilité de de lettres et femme de sciences,
auraient pu être moins flatteuses... Néan- concilier ses préoccupations morales et son Studies on Voltaire and the
moins piquée au vif dans son intégrité d’au- goût du récit, d’une part, développés dans Eighteenth Century, à paraître.
Nous les remercions de nous avoir
teur, Mme d’Arconville marque sa propriété ses travaux littéraires, et son attrait pour la autorisés à citer ces manuscrits.
littéraire de façon inattendue: elle ne dévoile recherche, sa démarche critique et le sen-
pas son identité, mais publie ses Mélanges. timent d’être utile, d’autre part, déployés M.-L. Girou Swiderski, Écrire
à tout prix. La présidente Thiroux
Parallèlement, elle publie des traduc- dans ses travaux scientifiques. d’Arconville, polygraphe
tions de littérature anglaise (romans, poé- Finalement, la clef de l’œuvre éclectique (1720-1805), 2006,
sie et théâtre) et italienne et ses propres de Mme d’Arconville se trouve dans l’un de http://aix1.uottawa.ca/˜margirou/
romans et poésies. Mais à partir de 1768, ses derniers essais inédits, Sur l’observa- Perspectives/XVIIIe/arconvil.htm.
elle s’adonne surtout à l’histoire, qui l’a tion : l’observation est le moyen d’appréhen- A. Gargam, Savoirs mondains,
accompagnée sa vie durant. À dix ans, elle der le monde – observation physique dans savoirs savants : les femmes
commençait à dévorer l’Histoire ancienne les sciences (botanique, anatomie, chi- et leurs cabinets de curiosités
au siècle des Lumières,
de Charles Rollin, publiée dans les mie) et observation morale en littérature Genre et histoire, n° 5, 2009.
années 1730. Elle affectionne les Grecs, mais (essais de morale, romans, histoire). I
REGARDS
EN IMAGES
À
première vue, une ventou- sés dans la détection des substances chi-
se de pieuvre (ou poulpe) miques présentes sur les surfaces – des
ressemble à la coupelle de chimiorecepteurs– tapissent ses bords. Avec
caoutchouc qui fait adhérer les mécanorécepteurs et les proprio-
une fléchette à un mur, ou un GPS à un pare- cepteurs, qui relaient respectivement
brise. C’est en fait un organe remarquable- les messages de contact avec la cible
ment élaboré, qui peut non seulement et de pression, et ceux liés à l’acti-
adhérer plus ou moins aux objets, notam- vité des muscles, les chimiorécep-
ment pour capturer des proies, mais aussi teurs sont reliés à un ganglion ner-
les manœuvrer grâce à des groupes de veux propre à chaque ventouse.
muscles spécialisés. Chaque ganglion de ventouse
Chaque ventouse de pieuvre comporte reçoit donc des informations sensorielles
deux chambres : l’infundibulum, externe, et et coordonne les réactions cohérentes de
l’acetabulum, interne. Lorsque l’animal se la ventouse, telle les contractions. Ces gan-
trouve devant une palourde, par exemple, glions sont connectés les uns aux autres
les muscles qui bordent la première chambre par une chaîne de ganglions brachiaux plus
modifient la périphérie de la ventouse de grands, disposés le long de chaque bras (la
façon à la faire adhérer à la surface de la pieuvre en a huit). Les ventouses d’un bras
coquille, formant un joint étanche. Sous l’in- peuvent ainsi coordonner leurs mouvements
fundibulum, les muscles de l’acetabulum se en l’absence d’ordre moteur venant du
contractent alors, produisant à l’intérieur de cerveau central. Reste à élucider com-
la ventouse remplie d’eau une dépression ment ce dernier et les deux types de gan-
© Corbis/Newmann (photo), Bryan Christie (dessins)
importante par rapport à la pression de l’eau glions collaborent pour contrôler précisé-
de mer environnante. C’est cette diffé- ment le fonctionnement des ventouses et
rence de pression qui provoque la succion. la capture des proies. I
Plus les muscles de l’acetabulum se contrac-
tent, plus la dépression et la succion sont
Frank GRASSO, professeur de psychologie,
élevées. Simultanément, des muscles dits dirige le Laboratoire de robotique
extrinsèques qui entourent la ventouse per- biomimétique et cognitive de la Faculté
mettent à ses bords de faire tourner la Brooklyn, à New York.
cible, sans rompre le joint adhésif et sans
réduire la différence de pression.
Par ailleurs, un réseau de neurones par-
court la ventouse. Des neurones spéciali-
Ganglion brachial
Ganglion
de ventouse
Acetabulum
Infundibulum
Ganglion
de ventouse
Récepteurs
Ganglion
brachial Muscle extrinsèque
En images [89
pls_402_p000_000_delahaye.xp_mm_25_02 7/03/11 19:09 Page 90
mathématiques
REGARDS
I
l y a 100 ans paraissait le premier traite la démonstration et qui se contentera garantie qu’aurait dû donner le formalisme
des trois tomes des Principia Mathe- de contrôler si les règles de manipulations ne fonctionne pas.
matica d’Alfred Whitehead et Ber- symboliques des Principia, en nombre fini D’autres formalisations générales des
trand Russell. En s’appuyant sur et fixées à l’avance, ont été respectées. mathématiques ont été proposées, dont
les travaux de Gottlob Frege, Giuseppe Cette formalisation est un immense pro- celle de Bourbaki, le célèbre mathématicien
Peano, Richard Dedekind et grès, puisque plus aucune français polycéphale. Sa proposition, qui
Georg Cantor, cet ouvrage controverse ne peut exister sur date des années 1930, s’appuie sur la théo-
montre comment réduire les la validité d’une preuve écrite rie des ensembles et le logicien Adrian
mathématiques à la logique dans le langage des Principia. Mathias en a révélé une propriété cocasse.
symbolique. L’ouvrage est l’un Si quelqu’un prétend qu’une Dans le formalisme de Bourbaki, la notation
des plus importants de l’his- preuve est fausse, l’opérateur complète pour désigner le nombre « 1 » est
toire des mathématiques, car ignorant trouvera l’erreur. Tout une longue suite de symboles et Bourbaki
il montre pour la première fois se passe comme pour un cal- indiquait que si l’on tentait de la déployer
qu’un savoir scientifique peut cul arithmétique: aucune faute sans utiliser aucun raccourci, l’écriture com-
être entièrement formalisé. ne peut se dissimuler. Grâce plète du « 1 » comporterait quelques
Avant le travail de White- à la formalisation, et comme dizaines de milliers de symboles. A. Mathias
head et Russell, écrire une l’avait imaginé Leibniz avec sa a montré que la situation était pire et
démonstration mathématique était un exer- characteristica universalis au XVIIe siècle, qu’écrire le nombre « 1 », en respectant à
cice de nature littéraire où il fallait convaincre démontrer est devenu un simple calcul. la lettre le formalisme de Bourbaki, néces-
les lecteurs d’une affirmation abstraite. L’ac- Tout cela est très beau, mais c’est un siterait 4 523 659 424 929 symboles, soit
ceptation d’une preuve ou son refus résul- rêve : la formalisation proposée par White- l’équivalent de quatre millions de livres
tait d’un consensus entre spécialistes head et Russell est trop complexe pour être de 400 pages.
conduisant le plus souvent à un accord una- pratiquée dès qu’on aborde autre chose que
nime. Dans toutes les sciences, cette situa- des théorèmes élémentaires de logique L’informatique
tion prévaut : il n’y a pas de procédure ou d’arithmétique. Dans les Principia, les
automatique et absolue de validation d’un preuves formelles sont rarement écrites rend-elle tout simple ?
résultat ou d’une théorie. On dispose de entièrement, les auteurs se contentant de Les premiers formalismes complets pro-
méthodes de contrôle, variées selon les dis- montrer qu’elles existent et d’indiquer ce posés pour les mathématiques ne sont pas
ciplines, mais l’affaire reste humaine et dans qu’il faudrait faire pour les écrire. destinés aux mathématiciens terrestres !
certaines situations, les désaccords per- Avec les Principia, les mathématiques Pourtant, l’informatique et un siècle de
sistent longuement. deviennent formalisables en principe, mais travail de la part des logiciens ont mainte-
Avec les Principia, la formalisation des pas en réalité. S’en tenir au langage des nant transformé le rêve en réalité. Le en
mathématiques fait basculer ces dernières Principia conduit à des preuves dont la principe qui était juxtaposé à « mathéma-
dans une situation différente : vérifier si un longueur empêche leur écriture effec- tiques formalisables » peut être enlevé.
résultat mathématique est juste peut être tive et donc leur contrôle. Le formalisme L’informatique n’a pas peur des grandes
confié à un opérateur ignorant de ce dont des Principia n’est pas praticable et la quantités de données. La formalisation des
Regards
k/Volina
décimales de , on en est seulement à
5 000 milliards de décimales. Le forma-
tterstoc
lisme des Principia ou du traité de Bour-
S hu
©
baki est bien trop gourmand en puissance,
même pour les plus puissants des ordi-
nateurs ou des réseaux informatiques.
Attendre serait une solution, mais il n’est
1. AVEC DES ASSISTANTS DE PREUVE, des
pas certain que les progrès technologiques erreurs auraient été évitées. Le 4 juin 1996,
ne buttent pas sur une limite ultime : il est la fusée Ariane 5 explosait 40 secondes
probable, au contraire, que la miniaturisa- après son décollage (a). La catastrophe résul-
tion ne pourra aller en deçà de la taille des tait d’une erreur de programmation. On peut
atomes. Le plus sage pour obtenir une for- colorier une carte, comme celle des régions de
France, avec quatre couleurs seulement (b) :
malisation pratique et réelle des mathé- le « théorème des quatre couleurs» a été défi-
matiques est donc de mener une double nitivement prouvé par un assistant de preuve,
attaque : améliorer les formalismes en les ce qui a mis fin à une controverse sur les pre-
simplifiant pour les rendre praticables et pro- mières démonstrations. Ces logiciels, qui aident
fiter des gains de puissance que la techno- à produire des démonstrations formalisées de
logie nous offre. C’est ce que l’on a fait et théorèmes, sont aussi utilisés pour démon-
trer que certains circuits de microprocesseurs,
l’heure du succès est maintenant arrivée. dont le Pentium 4 (c), fonctionnent correcte-
ment. La démarche est prudente, car, en
Assistant de preuve octobre 1994, Thomas Nicely, de l’Université
de Lynchburg (États-Unis), a dévoilé un dys-
Le premier travail de formalisation des fonctionnement dans l’unité de calcul en vir-
mathématiques fut le projet Automathconçu gule flottante du Pentium: il s’est rendu compte
que certaines opérations du processeur ren-
et développé aux Pays-Bas à partir de 1966 voyaient une valeur erronée par excès.
par Nicolaas de Bruijn. Il fut suivi par une
série de projets dont les plus avancés sont, c
en Pologne le projet Mizar, en Grande-Bre-
tagne et aux États-Unis le projet HOL-Isa-
belle et, en France, le projet Coq.
L’idée est de mettre à la disposition du
mathématicien un système informatique
Matthieu Riegler (Wikipedia Commons)
Regards
Regards
dinateurs pour une partie de la preuve restée longtemps cachée. Aussi le délicat,
de 1976. Cette utilisation était en fait seu- long et pénible travail de formalisation
3. Démonstrations
es démonstrations formelles sont peu
lement l’indice que l’on avait affaire à un
résultat particulièrement compliqué.
des mathématiques avec assistant infor-
matique est-il vraiment utile ? La réponse L lisibles et même souvent illisibles. Cela
ne doit pas surprendre, car, sans qu’on ait
Notons aussi que le logiciel Coq est est deux fois « oui ».
toujours bien fait la distinction, les démons-
souple et adaptable à de nombreux pro-
trations mathématiques possèdent deux
blèmes, et que José Grimm de l’INRIA a pu
grâce à lui entreprendre de formaliser les
Vraiment utiles ? fonctions.
La première fonction d’une démons-
Éléments de mathématique de Bourbaki. Oui, la formalisation est utile, car certaines tration est de garantir que l’affirmation expri-
L’idée n’est pas de suivre exactement le for- démonstrations récentes sont si longues que mée dans l’énoncé du théorème est exacte.
malisme décrit dans le traité – nous avons personne n’est entièrement persuadé de leur C’est la fonction de certification.
vu que ce n’était pas envisageable –, mais exactitude. C’est le cas du théorème de Tho- La seconde fonction est de permettre au
de concevoir un formalisme équivalent per- mas Hales qui résout la conjecture de Kepler mathématicien de percevoir et de comprendre
mettant d’exprimer tous les résultats que concernant l’empilement optimal des sphères pourquoi les choses sont comme le théorème
l’on y trouve en même temps qu’on forma- dans l’espace. Personne ne peut dire que la l’énonce. C’est la fonction didactique.
lise le détail des preuves. En janvier 2011, preuve de Hales a été contrôlée. Mener la véri- Lorsque les démonstrations ne sont pas
une grande partie du livre I du traité de Bour- fication formelle d’une telle preuve n’est donc trop compliquées, les deux fonctions peu-
baki avait été formalisée. pas un luxe, mais une nécessité (voir la vent être envisagées simultanément: le texte
figure 2). La situation est pire encore dans de la démonstration assure la validité de
l’énoncé et, en même temps, il en explique
Des théorèmes encore le cas du théorème de classification des
les raisons profondes.
groupes simples, dont la première démons-
trop complexes tration a été annoncée en 1983. Elle s’étend Lorsqu’on a affaire à des résultats
vraiment difficiles, un double travail est
Parmi les 15 résultats de la liste des sur des dizaines d’articles mathématiques
nécessaire. La complexité dans le cas des
100 théorèmes qui restent trop difficiles à écrits par plus d’une centaine de mathéma- mathématiques a donc pour conséquence
formaliser aujourd’hui, même en utilisant ticiens différents et couvre un total de plus la nécessité d’une part, de mener un contrôle
des assistants de preuve, citons en deux. de 10000 pages. Un trou important y a été formel (par l’utilisation des assistants de
– La transcendance du nombre . C’est découvert, qu’un complément de 1300 pages preuve), d’autre part de présenter un texte
l’affirmation que n’est racine d’aucun poly- est venu combler dans les années 1990. La non formel illustré et largement commenté
nôme à coefficients entiers (ce résultat seconde version de cette démonstration est expliquant les idées mises en œuvre dans
montre que l’antique problème de la qua- en cours d’élaboration et s’étendra sur envi- la démonstration.
drature du cercle est insoluble). Le théo- ron 5000 pages. Bien qu’impossible à envi- C’est ce second texte qui permettra aux
rème a été démontré par Lindemann sager dans l’immédiat, il est clair que seule mathématiciens de saisir le sens du théo-
en 1882 et on peut dire qu’il est à la limite la mise au point d’une preuve formelle sera rème... et d’imaginer le prochain théo-
de ce que peuvent faire les assistants de susceptible de rassurer définitivement les rème et la façon dont il faudra à son tour
preuve actuels. Il est probable qu’il sera rapi- mathématiciens qui, comme Jean-Pierre Serre, le démontrer.
dement prouvé de manière formelle. contestent l’affirmation que ce théorème
– Le théorème de Fermat-Wiles. C’est «monstrueux» a été démontré.
l’affirmation, démontrée en 1993 par Andrew Oui, la formalisation des démonstrations
Wiles, qu’il n’existe pas de solutions à l’équa- mathématiques est utile, car elle sert à cer-
tion xn + yn = zn où x, y, z sont des entiers tifier des logiciels ou des puces informatiques
positifs et n un entier fixé supérieur à 2. ainsi d’ailleurs qu’à y repérer des erreurs. Les
Sa preuve est extrêmement difficile. Elle «assistants de preuve» utilisés pour la mise
avait été recherchée pendant 350 ans et au point des preuves formelles sont des outils
elle n’est vraiment comprise que par puissants exploités par l’industrie du logiciel
quelques spécialistes. En produire une ver- pour les morceaux de programme dont on
sion formelle serait intéressant. veut avoir la certitude qu’ils font correcte-
Jean-Michel Thiriet
Même si les erreurs sont fréquentes, ment certaines tâches cruciales. Aujourd’hui,
le fait qu’une démonstration soit faite et assez peu de logiciels sont ainsi validés par
refaite par de nombreux mathématiciens la formalisation complète de la démonstra-
assure qu’aucun résultat classique n’est tion qu’ils font ce qu’on attend et rien d’autre,
faux. Jamais dans les parties centrales des et de nombreuses autres méthodes de
mathématiques une erreur grave n’est contrôle et de certification sont utilisées.
Regards
ORDINATEUR
Système d’aide
interactive
Dialogue informatique OK
d’écriture des
démonstrations Démonstration
résultat du dialogue
Vérificateur
Utilisateur de démonstrations
mathématicien formalisées
Cependant on a là, venue des mathématiques n’intéresser qu’une petite communauté de possible, et en demandant ensuite à un
et de la logique, une technique quasi défi- chercheurs se révèlent importantes pour nombre aussi grand que possible de spé-
nitive permettant d’assurer l’absence de tout le monde. C’est là un exemple nouveau cialistes de relire ces programmes clefs.
bogues dans les parties clefs d’un pro- et spectaculaire de l’utilité des théories – En testant ces noyaux logiciels sur de
gramme ou d’un microprocesseur. En 1993, abstraites, ici la logique mathématique. très nombreux exemples : si une erreur per-
la firme Intel avait mis en circulation une sistait, elle aurait très probablement des
puce qui commettait des erreurs arithmé- conséquences et aurait produit des effets
tiques ennuyeuses ; elle utilise aujourd’hui
Quelle certitude ? visibles lors des essais.
la méthode des assistants de preuve pour Certains voient un paradoxe dans l’idée d’uti- – En démontrant formellement que ces
éviter que cela se reproduise. liser l’informatique pour contrôler des démons- noyaux logiciels sont corrects à l’aide de
Récemment dans un article du New York trations mathématiques, car notre expérience versions différentes du même noyau ou,
Times, Adi Shamir (le S du système de cryp- des ordinateurs montre que loin d’être des mieux encore, avec d’autres assistants de
tage RSA) faisait remarquer que la présence outils fiables, ce sont des sources nou- preuve écrits par des groupes de chercheurs
d’une seule erreur dans une puce informa- velles et incontrôlables d’erreurs dont on indépendants.
tique largement utilisée mettrait en danger ne comprend souvent pas l’origine : on Bien sûr, on n’arrive pas à une certitude
la sécurité de millions de machines ; elle redémarre sa machine et ça s’arrange (par- totale que le noyau de l’assistant de preuve
rendrait peut-être manipulables frauduleu- fois...) sans que personne ne sache pourquoi. est sans erreur, mais à une très faible pro-
sement toutes les transactions faussement Comment, dès lors, croire que les preuves babilité qu’il en contienne. Tout le risque
sécurisées du commerce électronique. formelles par ordinateur sont plus sûres que se concentre sur un petit nombre de lignes
Non seulement la présence d’erreurs les preuves informelles et humaines ? de programmes (moins de 500 dans le
dans les logiciels et les puces peut faire La réponse est que les assistants de cas de l’assistant HOL) et sur lui seul. Au
tomber la fusée Ariane, ce qui s’est produit preuve reposent sur des noyaux logiciels, total, on a considérablement gagné en sûreté
le 4 juin 1996, mais elle peut aussi être à la partie qui mène le contrôle des preuves et sans doute réduit le risque d’erreur de
l’origine de problèmes économiques produites lors des séances de travail inter- plusieurs ordres de grandeur. De même que
majeurs. Les difficultés qu’on a en mathé- actif, aussi petits que possible et que l’on les théorèmes les plus anciens des mathé-
matiques à garantir l’exactitude des longues contrôle minutieusement : matiques ayant été redémontrés (sans uti-
démonstrations et les méthodes élaborées – En s’arrangeant pour que leur pré- liser d’assistant de preuve) un grand nombre
pour résoudre ce qui ne semblait devoir sentation soit la plus lisible et la plus simple de fois ne contiennent certainement aucune
Regards
erreur, les noyaux des assistants de preuve recherche mathématique se produira dans L’ A U T E U R
gagnent en fiabilité de jour en jour. Toutes la prochaine décennie.
les autres preuves reposent sur eux, et Mentionnons encore deux points. Il n’est
l’on atteint donc une certitude de correction pas question de laisser à la machine l’ini-
quasi absolue. tiative de la recherche mathématique : sauf
Les assistants de preuve ne seraient- dans des cas exceptionnels ou à propos
ils pas susceptibles de changer notre façon de problèmes se réduisant à du calcul, les
de faire des mathématiques ? C’est l’idée méthodes de recherche automatique de
du manifeste QED dont le nom vient de l’ex- preuves ne trouvent que des résultats faciles
pression latine Quod Erat Demonstrandum et ne peuvent donc pas se substituer au
(Ce qu’il fallait démontrer). Formulé en1994 mathématicien humain, qui reste la clef des Jean-Paul DELAHAYE
est professeur à l’Université
par des chercheurs qui ont souhaité rester découvertes. de Lille et chercheur
anonymes, ce manifeste énonce l’objectif de Les assistants de preuve permettent au Laboratoire d’informatique
mettre au point un assistant de preuve géné- d’accroître la sûreté des démonstra- fondamentale de Lille (LIFL).
ral pour toutes les mathématiques, de tions, mais la fonction d’une démonstra-
manière à garantir la totalité de tout ce qui tion, en particulier dans l’enseignement,
se fait dans la discipline. est aussi de faire comprendre ce qui se
L’assistant de preuve envisagé serait passe mathématiquement dans l’univers
à la fois puissant, fonctionnant avec un for- des objets abstraits. Or les preuves for-
malisme proche du langage qu’utilisent melles, désagréables à lire, entravent la
les mathématiciens, et évidemment serait compréhension plus qu’elles ne l’aident.
aussi sûr que possible. Avec un tel assis- Même si les objectifs du manifeste QED
tant de preuve, on formaliserait toutes les sont un jour atteints, on continuera d’écrire BIBLIOGRAPHIE
mathématiques existantes et à chaque fois des preuves informelles, car ce sont elles
qu’un nouveau résultat serait proposé, le qui font passer les idées d’un cerveau de F. Wiedijk, Formalizing
chercheur qui le soumettrait en donnerait mathématicien à un autre. the « top 100 » of mathematical
theorems, 2011 :
une preuve formelle, ce qui dispenserait de http://www.cs.ru.nl/~freek/100/
le faire expertiser par d’autres chercheurs. Prouver ainsi H. Geuvers, Proof assistants : His-
La pratique de la recherche mathématique
en serait transformée. tous les résultats ? tory, ideas and future, Sadhana,
vol. 34-1, pp. 3-25, février 2009 :
Aujourd’hui, cet assistant de preuve idéal D’ici quelques années, les assistants de http://www.ias.ac.in/sadhana/
n’existe pas. Les assistants de preuve actuels preuve seront probablement en mesure de Pdf2009Feb/3.pdf
restent trop compliqués et les langages qu’ils prouver l’ensemble des résultats mathéma- G. Gonthier, The four-color
utilisent souvent éloignés de celui prati- tiques classiques. theorem, Notices of the AMS,
qué par les mathématiciens. Formaliser une Aujourd’hui, des théorèmes très diffi- vol. 55, n° 11, pp. 1382-1393, 2008.
preuve reste un énorme travail et il faut un ciles ont pu être validés par la méthode des Th. Hales, A proof of the Kepler
ou plusieurs jours par page pour traduire une preuves formelles. C’est le cas du théorème conjecture, Annals of Mathematics,
preuve classique d’un article mathématique des nombres premiers de Jacques Hada- vol. 162, pp. 1065-1185, 2007.
en preuve formelle. mard et Charles de La Vallée Poussin (qui F. Wiedijk, Formal proof - Getting
Tout cela fait que les chercheurs en mathé- précise la densité asymptotique des started, Notices of the AMS,
matiques n’utilisent que très rarement les nombres premiers), dont deux démons- vol. 55, n° 11, pp. 1408-1414,
assistants de preuve disponibles et que la trations différentes ont été formalisées 2008.
communication entre mathématiciens conti- et validées. Th. Hales, Formal proof,
nue de fonctionner par échange de preuves Il n’en est pas de même pour des résul- Notices of the AMS, vol. 55, n° 11,
informelles et sans processus de validation tats plus avancés comme le grand théo- pp. 1370-1380, 2008.
informatique. Le chemin menant à une nou- rème de Fermat, qui reste trop complexe F. Wiedijk, The QED manifesto
velle pratique des mathématiques n’est pas pour les outils actuels. Mais F. Wiedijk et revisited, Studies in Logic,
achevé et il n’est pas sûr qu’on atteindra l’idéal d’autres chercheurs du domaine consi- Grammar and Rhetoric,
vol. 10(23), pp. 121-133, 2007.
imaginé par le manifeste QED. dèrent que ce n’est qu’une question de
Toutefois, Henk Barendregt et Freek Wie- moyens, et que même les plus difficiles F. Wiedijk (éd.), The Seventeen
dijk, deux spécialistes des preuves formelles, des grands théorèmes sont maintenant Provers of the World, Springer,
2006.
prédisent que le changement dans la à portée de main.
REGARDS
Le fantôme de Louis XV
Dans un portrait allégorique, Charles-Amédée Van Loo dissimule le portrait
de Louis XV dit le Bien-Aimé : il n’apparaît qu’avec une lentille polyédrique
dont le fonctionnement « magique » est fondé sur les lois de la réfraction.
Loïc MANGIN
L
’anamorphose est un jeu opti- trait allégorique de Louis XV (voir page ci- seille : « Ces Vertus concourent à former la
que par lequel la perspective contre, figure b), peint par Charles-Amédée tête du Roy. » En effet, en regardant le
d’une image est distordue. Van Loo, en 1742. Cette œuvre a été étudiée tableau à travers une lentille polyédrique
L’image et sa signification n’ap- par Hélène Delalex, adjoint de conservation insérée dans un tube (de façon à faire une
paraissent alors que sous un point de au château de Versailles. Qu’y voit-on ? sorte de longue-vue), différentes parties
vue donné ou grâce à un « décodeur », La Magnanimité, sous la forme d’un per- des Vertus représentées sont réfractées
tel un miroir. La plus ancienne connue serait sonnage féminin, a une main posée sur un par le dispositif et s’assemblent en un por-
due à Léonard de Vinci : il s’agit de l’ana- grand bouclier blanc cerclé d’or et rehaussé trait du monarque au centre du bouclier (voir
morphose d’un œil d’enfant, que l’on trouve de trois fleurs de lys dorées. Autour d’elle, figure a, une reconstitution informatique
dans le Codex Atlanticus, daté de 1485. sont représentées les allégories de la réalisée par H. Delalex) : la Magnanimité
L’une des plus célèbres est celle figurant Justice (en bas à droite), de la Valeur mili- prête au roi la joue, une partie de l’œil, une
dans la partie inférieure du tableau Les oreille et un sourcil ; la Justice donne une
Ambassadeurs, du peintre allemand Hans partie d’un œil; la Valeur militaire cède le nez
Holbein le Jeune (1498-1543). Dans cette
La Justice et la bouche ; la Vertu héroïque partage la
toile exposée à la National Gallery de fournit au visage petite joue, la bouche, le nez et les narines;
Londres, la forme oblongue au pied des la Vertu invincible offre une partie d’un œil ;
deux personnages devient, lorsqu’elle de Louis XV la Générosité participe aussi à un œil ainsi
est observée en vue rasante, un crâne. Ces une partie de l’œil, qu’à la tempe ; un lion se retrouve dans la
différents exemples sont des anamor- tempe et le front ; enfin, le masque joue un
phoses simples, ou directes. Mais on en car « rien n’échappe rôle dans le front et un sourcil.
distingue deux autres types. aux regards Rien n’est laissé au hasard ! Van Loo pré-
Ainsi, les anamorphoses à miroir (on cise que la Justice fournit au visage de
parle aussi d’anamorphoses catoptriques) de la justice ». Louis XV une partie de l’œil, car « rien
nécessitent un cylindre ou un cône réflé- n’échappe aux regards de la Justice ». De
chissant sur lequel l’image « normale » taire (derrière la Magnanimité, avec ses même, la Valeur militaire prête sa bouche
apparaît. L’image déformée est peinte lances et son drapeau), de l’Intrépidité (le « pour le commandement ».
sur une surface autour d’un emplacement soldat derrière la Valeur militaire), de la Ces anamorphoses dioptriques ont été
prévu pour y placer le miroir. Aux XVIIe et Vertu héroïque (guerrier sous les attri- théorisées par le père de l’ordre des Minimes
XVIIIe siècles, cette technique d’anamor- buts d’Hercule tenant une massue et les Jean François Nicéron (1613-1646) dans
phoses a favorisé la diffusion de caricatu- trois pommes d’or), de la Vertu invincible le premier ouvrage qui a été consacré à
res, de scènes érotiques... (représentée par Minerve, un rameau à la ces effets d’optique, La Perspective curieuse,
Enfin, les anamorphoses dioptriques main) et de la Générosité (la jeune fille à publié en 1638. On y trouve une des pre-
sont les plus spectaculaires. Un exemple gauche). Et Louis XV ? mières occurrences des travaux de Des-
est au château de Versailles et a été pré- Le peintre a donné la clef de l’œuvre à cartes sur la réfraction publiés l’année
senté lors d’une exposition consacrée aux Barraly, son gérant, qui a transmis l’infor- précédente dans La Dioptrique (un dioptre
liens entre sciences et cours royales : le Por- mation à l’Académie de peinture de Mar- est la surface séparant deux milieux).
Regards
Rappelons que la réfraction consiste en une le philosophe, nous devons douter de nos
déviation de la lumière lorsqu’elle passe sens, car ils sont parfois trompeurs, les
d’un milieu à un autre, par exemple de l’air illusions d’optique l’attestent. L’image
à l’eau : un bâton plongé dans l’eau, mais du bâton brisé dans l’eau le conduit même
dont une pointe est émergée, semble brisé. à s’interroger : nos sens ne nous trompent-
Ce phénomène avait été décrit par le mathé- ils pas tout le temps ? Louis XV ne s’em-
maticien arabe Ibn Sahl à la fin du Xe siècle. barrassa pas de telles considérations et
Nicéron donne plusieurs exemples d’ana- fut « satisfait et très satisfait » de son
morphoses dioptriques, dont le portrait de portrait magique. I
Louis XIII obtenu à partir de fragments
d’Ottomans (voir figure c).
De façon étonnante, le Portrait de H. Delalex, « Le portrait caché de Louis XV »,
dans Sciences et curiosités à la cour
Louis XV illustre le doute que Descartes de Versailles, catalogue de l’exposition,
a mis au centre de ses réflexions. Selon RMN et château de Versailles, 2010.
a b
© Christian Millet
c
Château de Versailles
REGARDS
IDÉES DE PHYSIQUE
U
n tintement dans le lointain solide, il est rare d’obtenir un son harmo- niques, c’est-à-dire des multiples entiers de
qui marque l’heure, la joyeuse nieux et durable. On obtient plutôt un bruit, cette fréquence fondamentale ; c’est ce qui
sonnerie qui accompagne les c’est-à-dire une superposition d’ondes rend le son harmonieux à nos oreilles.
mariés à la sortie de l’église... sonores sans ordre particulier. Prenons maintenant un solide dont la
Les sons des cloches rythment nos vies Or les règles de l’harmonie occidentale forme est proche de celle d’une cloche et
profanes ou spirituelles, mais d’où vient la requièrent des relations bien précises entre dont on sait calculer exactement les modes
qualité musicale de ces instruments? Qu’est- les fréquences émises simultanément. Ces de vibration : un cylindre long par rapport à
ce qui détermine les vibrations qui vont per- relations sont satisfaites avec les cordes son diamètre et creux, ouvert à ses deux
sister dans le matériau et, ainsi, seront des pianos et des violons. On peut consi- extrémités, comme pour les carillons de
audibles ? La réponse réside dans la forme dérer les vibrations de chacune de ces cordes porte d’entrée. Un tel tube a toujours une fré-
de la cloche, dont la conception reste un comme une superposition de vibrations quence fondamentale, la plus basse, mais
secret jalousement gardé par les fondeurs. sinusoïdales. La fréquence la plus basse, la les fréquences suivantes n’en sont plus des
« fréquence fondamentale », définit la note multiples entiers (les rapports de fréquence
Une harmonie émise. Les fréquences supérieures, qui valent 2,68, 7,59, 14,55, ...). Le son obtenu
déterminent le timbre, sont des harmo- sera un tintement au son métallique, auquel
qui ne va pas de soi on peut associer une note, mais qui
Dans le principe, il est difficile de faire n’aura pas la rondeur et la musica-
plus simple qu’une cloche. Une pièce lité d’un son de cloche.
en métal homogène, en l’occurrence Couronne L’art ancestral des fondeurs
du bronze, est mise en vibration par de cloches a consisté à trouver la
le choc du battant. Et, tout comme Épaule forme la plus appropriée pour un
la membrane d’un haut-parleur, la son musicalement juste. Quelques
surface de la cloche met en mou- millénaires ont conduit à la forme
vement l’air environnant et engen- Bélière à symétrie axiale que nous connais-
Manteau
Dessins de Bruno Vacaro
Regards
Regards
BIBLIOGRAPHIE le grave, soit une division de la fréquence l’oreille humaine entend mieux les aigus
par huit, on doit multiplier par512 la masse que les graves, la perte de puissance est
N. McLachlan et al., The design de la cloche. C’est pourquoi les cloches ont telle qu’il faut s’éloigner de la loi homothé-
of bells with harmonic overtons,
Journal of the Acoustical des masses qui vont de quelques dizaines tique : pour ces petites cloches, on préfère
Society of America, vol. 114, de grammes à plusieurs tonnes ! moins diminuer le diamètre (et donc
n° 1, pp. 505-511, 2003. La seule exception sur l’homothétie accroître la surface) et augmenter l’épais-
T. D. Rossing (éd.), concerne les petites cloches qui produisent seur (pour conserver la fréquence). Là
Acoustics of Bells, Van Nostrand les sons les plus aigus. La puissance sonore encore, l’art du fondeur est crucial.
Reinhold Company Inc., 1984. émise dépend en effet de la superficie La conception des cloches n’est pas un
vibrante. Cela explique qu’une corde émet art dépassé : les ordinateurs permettent
très peu et que, pour rendre le son audible, d’effectuer des simulations numériques et
on a besoin d’une caisse de résonance, d’améliorer les tracés existants, voire d’explo-
comme pour un violon ou une guitare. rer des profils innovants. Le fondeur Royal
Les cloches présentent au contraire Eijsbouts, aux Pays-Bas, a récemment conçu
des surfaces d’émission importantes, donc des cloches qui émettent un arpège majeur.
produisent des sons puissants, qui s’en- On a aussi fabriqué des cloches harmoni-
tendent de loin. Mais à chaque fois que ques, qui produisent les mêmes vibrations
l’on double la fréquence, on diminue l’aire qu’une corde tendue. Ces innovations son-
de la cloche et, partant, la puissance émise neront-elles la fin de la mélancolie ou de la
par un facteur quatre environ. Même si joie dans nos campagnes ? I
REGARDS
Jean-Michel Thiriet
il se transforme en divers composés, aujourd’hui identifiés,
qui inspireront différentes créations culinaires.
Hervé THIS
L
a glace fond à 0 °C, une tempé- fois, les analyses sont plus subtiles. On vitesses différentes, on comprend mieux
rature constante, parce que l’eau tient compte du fait que les sucres sont très pourquoi les vitesses d’échauffement don-
n’est composée que d’une sorte hygroscopiques (ils absorbent l’humidité) : nent des comportements différents.
de molécules. Cependant, le les cristaux sont le plus souvent entourés De surcroît, J. W. Lee et ses collègues
beurre, composé de molécules variées, com- d’eau, venue de l’atmosphère. ont mesuré les absorptions et dégage-
mence à fondre à –10 °C et il est complète- Avec les années, on avait identifié que ments de chaleur liés aux transformations
ment fondu vers 50°C. Alors pourquoi le sucre le saccharose, par exemple, peut se décom- chimiques qui expliquent, avec d’autres
de table, le saccharose, dont toutes les molé- poser en fructose et glucose. Selon la teneur phénomènes comme la perte de cristalli-
cules sont identiques, n’a-t-il pas un point en eau, on sait aussi que le saccharose peut nité des produits, les variations des tem-
de fusion bien net ? Et quelle importance ? former des anhydrides de saccharose, par pératures de « fusion » et la variété des
La température de fusion du sucre perte d’atomes d’hydrogène et d’oxygène corps obtenus.
augmente avec la vitesse à laquelle on le (sous la forme d’eau), ou bien des isomères La confiserie gagnera à s’emparer de ces
chauffe. Le glucose et le fructose, eux du saccharose. Pour le fructose, la trans- résultats pour orienter ses productions. Elle
aussi faits de molécules identiques, pré- formation conduit soit au 5-hydroxymé- saura produire des sirops qui ne recristalli-
sentent également ce comportement anor- thylfurfural, à l’odeur de caramel, soit à des sent pas si elle sait patiemment orchestrer
mal. Cela, ce sont les faits de la science des anhydrofructoses, soit à des oligosaccha- la dissociation du saccharose en glucose
aliments. Parallèlement, en pâtisserie et en rides, c’est-à-dire des enchaînements de et en fructose, qui viendront s’intercaler entre
confiserie, les artisans ont leurs observa- quelques maillons (résidu de fructose, rési- les molécules de saccharose et bloquer leur
tions centenaires : les sirops chauffés d’une dus de saccharose, etc.). Quand la tempé- assemblage en édifices réguliers, cristal-
« certaine » façon ne recristallisent pas rature augmente encore, une foule de lins. Elle maîtrisera les goûts si elle utilise
quand ils sont ensuite refroidis. composés se forment par pyrolyse, et l’aven- les courbes établies, qui montrent les pro-
Si l’empirisme confiseur n’est pas à même ture du caramel commence. portions des divers produits de décompo-
d’expliquer les observations, sinon par des Pour en rester au sucre chauffé, non cara- sition du saccharose. Elle y perdra en art,
intuitions souvent fausses (parce que fondées mélisé, les chimistes américains ont mis au mais y gagnera en régularité... à condition
sur l’usage de concepts macroscopiques, et point des techniques de chauffage et de que le gourmand le veuille vraiment : ne
non moléculaires), les chimistes ont expliqué trempe qui ont permis des analyses aux sommes-nous pas incessamment partagés
que les sucres se décomposent quand on les résultats fiables. À l’aide de ces techniques entre le désir de retrouver un goût mer-
chauffe, de sorte qu’il n’y aurait plus de rai- et par chromatographie en phase liquide, ils veilleux et l’envie de la découverte ? I
son pour que la masse chauffée fonde à une ont bien montré que le saccharose se décom-
température fixe. Le phénomène a été étu- pose lorsqu’il est chauffé jusqu’au point de Hervé THIS dirige le groupe INRA
dié par Joo Won Lee et ses collègues de l’Uni- « fusion ». Ce point doit donc être plutôt de gastronomie moléculaire
versité d’Urbana-Champaign, dans l’Illinois. nommé « perte de cristallinité » : il ne cor- au Laboratoire de chimie
d’AgroParisTech. Il est aussi
Ces chimistes ont séparé les composés appa- respond pas stricto sensu à la fusion du sac- directeur scientifique
raissant à des températures différentes. charose, mais à la fusion d’un mélange de de la Fondation Science & Culture
On n’avait pas attendu 2011 pour étu- composés formés par les sucres de base Alimentaire (Acad. des sciences).
dier la décomposition thermique du saccha- et leurs produits de décomposition.
rose, du glucose ou du fructose, laquelle diffère Comme les diverses réactions de trans- Retrouvez les articles
en présence ou en absence d’eau; mais, cette formation moléculaire s’effectuent à des fr www.pourlascience.fr
de Hervé This sur
À LIRE
pas été attirés par les mathéma- hommes. Montrer comment les
§ MATHÉMATIQUES
tiques au lycée. C’est souvent mathématiciens l’affrontent les ren-
Parcours après avoir hésité, ou un peu drait encore plus humains !
de mathématiciens par hasard, qu’ils les ont choisies
.§ Didier Nordon.
Philippe Pajot de préférence aux lettres ou à la
Préface de Michel Serres philosophie. L’ambiguïté des ma-
thématiques (on discute à perte
Le Cavalier Bleu, 2011 § HISTOIRE DES SCIENCES
(240 pages, 18 euros). de vue sur la nature de leurs ob-
jets) ne serait donc pas qu’une La vie immortelle
d’Henrietta Lacks
C e recueil d’entretiens menés
par Philippe Pajot, journa-
liste scientifique, présente
les itinéraires intellectuels de neuf
chercheurs en mathématiques (Be-
question abstraite. Elle aurait aus-
si une conséquence concrète :
les mathématiques attirent ceux
qui ne veulent renoncer ni aux
sciences ni aux lettres.
Rebecca Skloot
Calmann-Lévy, 2011
(440 pages, 21,50 euros).
À l i r e
§ ANTHROPOLOGIE disponibles, et sont donc sans ha- sions, de la part d’un gouverne- Brèves
bitat fixe. Le but de cette recherche ment qui les érige en symboles de
Pasteurs nomades est de comprendre les transfor- l’identité nationale, au sein d’une OUTILS
de Mongolie PRÉHISTORIQUES
mations de ces sociétés, comme le propagande faisant de Gengis
Linda Gardelle rôle que peut y jouer l’État. Khan, premier empereur mongol, J.-L. Piel Desruisseaux
Que nous apprend-elle? Dans le héros «fondateur» du pays. Errance, 2011
Buchet Chastel, 2010
les deux cas, ces sociétés se révè- (196 pages, 22 euros).
(190 pages, 25 euros).
.§ Régis Meyran.
lent en transition et soumises à de musante, cette petite encyclopé-
Pasteurs touaregs
dans le Sahara
grandes difficultés. Le troupeau
est leur seul capital : vaches, mou-
Docteur de l’École des hautes
études en sciences sociales A die pratique des outils lithiques. Elle
résume les principes de la taille, par-
malien tons, chèvres, yaks pour les Mon- fois pratiquée depuis des millions d’an-
gols ; chameaux et chèvres pour nées, des principaux types d’outils
Linda Gardelle préhistoriques. Elle sera utile aux (fu-
Buchet Chastel, 2010
les Touaregs. Les nomades se dé- § GÉOLOGIE turs) préhistoriens, et dotera les pas-
(214 pages, 25 euros). placent en pesant le moins lourd
possible, emportant le minimum De la Durance sionnés de Préhistoire de sensations
aux monts nouvelles dans les musées.
d’eau, de nourriture et d’abri, dans
de Vaucluse
À l i r e
Brèves responsable des séismes actuels, séismes. Une manière de faire ai-
BONNES BACTÉRIES tout est relaté avec précision, y com- mer la géologie de 7 à 77 ans.
ET BONNE SANTÉ pris la grande période d’érosion
.§ Michel Villeneuve.
qui a façonné les paysages lorsque
Gérard Corthier CNRS/Université de Provence
Quæ, 2011 (128 pages, 19 euros).
la Mare Nostrom avait disparu pour
renaître aussitôt, il y a entre cinq et
ui sont ces milliards de bac-
Q téries qui peuplent nos in-
testins et quel est leur rôle? Com-
six millions d’années. La lecture et
la compréhension sont facilitées
§ ARCHÉOLOGIE
par une bonne corrélation de cartes,
ment sont-elles arrivées là et
pourquoi ne nous rendent-elles
schémas et coupes géologiques Vatican
pas malades ? Telles sont les ques- simplifiées et coloriées. La nécropole
tions auxquelles répond de façon clai- La vie n’est pas absente de cet et le tombeau
re et accessible un spécialiste de mi- ouvrage où une grande place est de saint Pierre
crobiologie et de physiologie digestive. faite aux fossiles terrestres et ma- Paolo Liverani,
rins qui ont servi de bornes au Giandomenico Spinola
calendrier terrestre. Même l’hom- et Pietro Zander La nécropole de la via Trium-
me, dont les activités ancestrales Hazan, 2010 phalis est abordée à travers diffé-
L’ADN ont été intégrées au parc naturel, (352 pages, 79 euros). rents secteurs de fouilles dont ce-
Israel Rosenfield et al. a droit à un chapitre spécifique. lui de Santa-Rosa, impressionnant
Odile Jacob, 2011
(258 pages, 19 euros).
L
’histoire de la décou-
verte de l’ADN et de
Mais sans le don artistique
de l’auteur, initié aux couleurs et
aux grands espaces sahariens, en
Mauritanie, ce livre ne serait qu’un
guide géologique de plus. Ce qui
L e qualificatif de «Pompei fu-
néraire » n’est pas usurpé !
Voilà l’impression que pro-
cure cet ouvrage richement illus-
tré et documenté. Les auteurs nous
par sa conservation et qui a fait l’ob-
jet d’une fouille récente.
Le principal intérêt de cet ou-
vrage est de montrer, à travers les
monuments, le mobilier et l’ico-
son rôle pas à pas, à travers le regard de
deux professeurs d’université américains en fait l’originalité, ce sont les présentent une vue claire et syn- nographie (peintures, mosaïques,
et d’un dessinateur de bandes dessinées. magnifiques aquarelles illustrant thétique des fouilles menées dans statuaire…), le passage progressif
C’est ce que nous propose cet ouvrage paysages et fossiles. Il est vrai la cité vaticane de 1930 à 2006. Entre de l’incinération à l’inhumation
qui réussit, par des dessins très explicites, que les tons pastel de la Haute- le Ier et le IVe siècle, la zone orien- entre les Ier et IVe siècles à Rome.
à rendre tangibles les mécanismes les Provence, des bleus profonds des tale de ce territoire accueillait un On observe ainsi la succession chro-
plus complexes de réplication et de ré- forêts aux blancheurs lumineuses vaste espace funéraire en bordure nologique des sépultures et les
paration de l’ADN. des falaises «urgoniennes» en pas- d’une voie romaine (via Triumpha- divers aménagements au sein
sant par les ocres d’Apt et les vio- lis). La nécropole s’étendait sur le d’une nécropole vite saturée. Les
versant d’une petite colline où de deux zones offrent l’avantage de
CULTURE SCIENTIFIQUE fréquents éboulements, durant présenter des tombes monumen-
ET HUMANISME l’Antiquité et le Moyen Âge, ont tales et des tombeaux plus mo-
contribué à la conservation de nom- destes de type colombarium, voi-
Nicole Hulin
breux tombeaux antiques. re d’humbles tombes avec de
L’Harmattan, 2011
(202 pages, 20 euros). La présentation est axée sur simples vases surmontés de
deux zones de la nécropole, sous la conduits à libations. Les stèles fu-
a question de la place des sciences
L dans l’enseignement n’est pas nou-
velle, rappelle cet ouvrage qui retrace les
basilique Saint-Pierre et près de la
via Triumphalis. Dans la première,
néraires nous renseignent parfois
sur le statut social des individus
principaux débats du XIXe et du XXe siècles
d’importants tombeaux maçonnés en révélant, outre leur identité, leur
sur le sujet. Nombre de scientifiques lets des champs de lavande, se prê- et richement décorés ont été édifiés statut (esclave, affranchi de l’em-
s’étaient mobilisés pour améliorer l’en- tent bien à l’exercice. par une frange aisée de la popula- pereur…) et leur fonction au sein
seignement des sciences, de la leçon de Mieux que des photographies, tion. Un éclairage spécifique est ap- de la société romaine.
choses de l’école primaire au rapport entre ces esquisses soulignent les grands porté à l’un d’eux, attribué à l’apôtre
.§ Philippe Blanchard.
sciences et lettres dans le secondaire. traits géologiques et, quand cela Pierre et sur lequel des générations
INRAP, Tours
Les questions soulevées – quelles n’est pas suffisant, les paysages de pèlerins se sont recueillis.
sciences enseigner ? Dans quels buts ? sont expliqués par une gravure
Comment favoriser la recherche ? Com- géologique. De même, les diffi-
ment former les professeurs? – sont tou- Retrouvez l’intégralité de votre magazine
fr www.pourlascience.fr
cultés sont aplanies, comme le séis-
jours d’actualité. et plus d’informations sur :
me de Lambesc, précédé d’une ex-
plication sur le mécanisme des
Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal 5636 – AVRIL 2011 – N° d’édition 077402-01 – Commission paritaire n° 0912K82079 –
Distribution : NMPP – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur I01/163 047 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé.