Les Politiques Agricoles Et Alimentaires: Pisani E
Les Politiques Agricoles Et Alimentaires: Pisani E
Les Politiques Agricoles Et Alimentaires: Pisani E
Pisani E.
Montpellier : CIHEAM
Cahiers Options Méditerranéennes; n. 1(4)
1993
pages 19-23
http://www.ciheam.org/
http://om.ciheam.org/
CIHEAM - Options Mediterraneennes
Une politique agricole, c'est un ensemble d'objectifs tentation est grande de considérer qu'acheter sur le
et de moyens permettant à une société nationale ou marché mondial peut paraître profitable puisque le
multinationale géographiquement définie de gérer prix mondial est plus bas que ne l'est le prix natio-
sa production agricole, sa société agricole et son nal. Mais, acheter ses denrées à bas prix sur le
espace rural, en négociation avec l'impératif que marché mondial, c'est se priver de l'existence d'un
semblent constituer désormais l'évolution marchan- marché intérieur fondé sur le revenu agricole, la
de et la mondialisation de l'économie agricole et ali- demande agricole représentant l'immense majorité
mentaire. Parler donc de politique agricole, c'est de la population.
s'interroger sur les affirmations fondamentales de la
société internationale actuelle, qui semble avoir C'est se priver aussi d'une capacité d'importation
accepté pour règle et pour inspirateur le marché, et technologique ; l'essentiel des ressources moné-
le marché seulement. Parler politique, c'est mettre taires d'un pays lorsqu'il est consacré à l'acquisition
en cause le marché ; encore faut-il savoir pourquoi de l'alimentation n'est plus consacré à l'importation
et comment. Je voudrais, avant d'entrer dans l'ana- des techniques dont le développement a besoin. Le
lyse de quelques aspects plus précis de cette pro- concept de sécurité alimentaire, tel qu'il est globale-
blématique générale, présenter quelques ment présenté à l'échelle du monde, et c'est cela
remarques liminaires qui sont susceptibles de don- qui justifie l'idée de politique agricole, doit être mis
ner un sens à notre recherche. en cause de deux façons :
➤ La première remarque liminaire est relative au – la sécurité alimentaire n'est pas assurée du fait
concept de sécurité alimentaire. Si, à un moment qu'il existe quelque part dans le monde des
donné de l'histoire, le monde a connu des carences stocks suffisants pour le monde entier, mais
graves qui ont abouti à des famines importantes, il exige une vision géographiquement plus res-
est clair qu'actuellement, le risque de voir se repro- treinte de l'autonomie ;
duire des situations semblables semble s'être éloi-
– la sécurité alimentaire est un des éléments de la
gné de nous. Il demeure que l'analyse du concept
dynamique économique globale d'un pays ou
de sécurité alimentaire peut se faire à deux
d'une région en développement.
niveaux ; ou, plus exactement, que l'exigence de
sécurité alimentaire peut s'exprimer à deux niveaux
➤ La deuxième remarque liminaire soulève un
d'extension géographique différents. Selon la pre- débat qu'il faudra un jour conduire. Est-ce que, au
mière analyse, qui semble triompher actuellement, il moment où les négocations du GATT sont enga-
suffit que le monde produise assez pour l'ensemble gées, au moment où la tendance à la mondialisa-
du monde, sans se préoccuper de savoir si chaque tion de l'économie et la volonté de libéralisation des
pays, chaque région du monde, produit assez pour échanges semblent occuper avec une telle force
sa propre satisfaction. A partir de là, on glisse vers l'ensemble de la réflexion politique et économique
un autre mode d'analyse, qui est non plus seule- mondiale, il est pertinent de parler de politique,
ment de sécurité dans le sens de résistance aux c'est-à-dire de restriction à cette liberté ? Car, je le
risques de famine, mais de sécurité dans le sens de répète, la politique agricole, c'est une restriction à
maintien d'une dynamique de développement dans l'application pure et simple du principe de liberté
une région déterminée et de non dépendance poli- des échanges. Le moment est bien choisi de poser
tique. le problème pour deux raisons :
Il est clair que le concept de sécurité alimentaire est 1) Tant qu'existait une économie administrée du
beaucoup plus complexe dans un pays en voie de type soviétique, parler d'autre chose que de liberté
développement qu'il ne l'est dans un pays dévelop- des échanges, c'était se présenter comme complice
pé. Dans un pays en voie de développement, la d'un socialisme que l'essentiel du monde récusait.
La mort du système soviétique tel qu'il a existé libè- Seconde observation : s'il est vrai que l'économie
re en quelque sorte les médiateurs, si bien que par- agricole joue encore un rôle important dans l'écono-
ler aujourd'hui de régulation, ce n'est plus plaider en mie de l'Europe (celle de la France, celle de
faveur d'une économie administrée mais d'une l'Espagne, de l'Italie ou de la Grèce), il est clair
modération des excès d'une économie livrée à elle- aussi que l'économie agricole n'a pas de rôle cen-
même. tral dans l'évolution de ces économies du Nord et
que, donc, la négociation économique se fait à la
Cela est très important ; nous avons le droit, sans marge lorsqu'il s'agit de l'agriculture alors que, pour
être nécessairement accusés de complicité avec le
les pays du Sud, elle se fait essentielle. En consé-
diable, de nous interroger sur les problèmes de
quence, il y a une dissymétrie entre les partenaires
régulation.
d'une éventuelle négociation autour de la Méditer-
2) La deuxième raison pour laquelle il me semble ranée, les uns étant de façon vitale concernés par
que le débat vient tout à fait à son heure, c'est que le développement de leur agriculture, les autres
l'expérience qui a été faite par les politiques d'ajus- l'étant moins.
tement structurel a été, dans un certain nombre de
cas, tellement catastrophique que le problème est Troisième observation : il est intéressant de
posé de savoir si l'application pure et simple des constater que, mis à part la Turquie et le Maroc, les
règles de l'économie libérale valables au Nord pou- pays du Sud vitalement concernés par l'agriculture
vait convenir au Sud, et si, en définitive, dans un ont une agriculture fragile, insuffisante. Il n'y a pas
certain nombre de pays du Sud, l'application d'un correspondance entre le rôle de l'économie agricole
certain degré de protectionnisme n'était pas néces- dans l'économie nationale et la santé de l'agricul-
saire au développement. De tels propos qui, il y a ture et de l'économie agricole dans les pays.
deux ou trois ans, étaient totalement impossibles à L'agriculture italienne, l'agriculture française, vont
l'échelle du monde, sont maintenant possibles à mieux, bien qu'elles ne soient pas vitales pour les
telle enseigne qu'aux Etats-Unis même est en train économies, que ne vont l'agriculture algérienne ou
de se développer avec beaucoup de force une l'agriculture égyptienne, qui jouent pourtant un rôle
école de la régulation, qui s'interroge sur la faculté vital. On peut donc se demander pourquoi les pays
que l'on a de laisser le monde soumis à la seule loi
dont l'avenir dépend de l'agriculture ne sont pas
du marché.
parvenus à élaborer une politique agricole qui cor-
responde à leurs propres exigences en dehors de
Ainsi le problème est posé de savoir comment
négocier, avec le principe de liberté, le principe de toute négociation extérieure.
libre entreprise ; comment négocier entre ces prin-
cipes et les valeurs et objectifs au nom desquels un Je voudrais là ajouter une remarque de philosophe
pays veut conduire sa propre évolution? plutôt que de politique : l'une des tendances qui
m'ont le plus frappé au cours de ma carrière, c'est
La réponse à cette question ne peut pas être homo- que l'évolution des sociétés industrielles tend à exi-
gène à travers le monde ; chaque pays, ou chaque ger que le prix des denrées et des biens d'une
ensemble de pays, doit négocier ses objectifs avec manière générale soit d'autant plus bas que le bien
cette règle et élaborer les moyens et les disciplines est essentiel. C'est-à-dire que, contrairement à la
de fonctionnement qui lui soient propres. Prenons, règle économique de base : plus un bien est acces-
à cet égard, l'exemple de la Méditerranée pour soire, plus on est prêt à dépenser et à gaspiller de
essayer de montrer à quel point le propos est fort. l'argent ; plus un bien est essentiel, plus on a envie
de l'avoir à bon marché. Il y a là une espèce de per-
Première observation : autour de la Méditerranée, version, parfaitement légitime, mais contraire à la
nous avons une première dissymétrie qui est d'une règle économique. Méfions-nous de cet aspect, et
extrême importance, c'est que les pays du Sud sont je le dis en me référant à l'Egypte, au Maroc, à la
tout entier méditerranéens, même si certains lon-
Tunisie : l'Egypte a en particulier déséquilibré son
gent l'Atlantique et si d'autres vont vers la
agriculture en maintenant le prix du pain à un
Caspienne, alors que les pays du Nord appartien-
niveau si bas que les agriculteurs avaient intérêt à
nent à un ensemble dont une partie est méditerra-
néenne et dont l'autre appartient à une autre zone, livrer leur blé aux magasins de l'Etat et à donner du
à un autre système de production. pain à leurs poules !
Donc, la négociation des politiques agricoles entre Posons à partir de là une série de questions. Quels
le Nord et le Sud doit tenir compte de la dissymétrie sont les objectifs que peut se proposer une politique
profonde qui existe entre les pays totalement enga- agricole, qui, je le répète, est un ensemble d'objec-
gés et les pays très partiellement engagés dans le tifs et de moyens en négociation avec le courant
système productif méditerranéen. général du marché ?
Le premier objectif est la sécurité alimentaire ; d'une société rurale, le maintien d'un environnement
mais, dès lors qu'on a posé ce problème, se pose dynamique, vivant, très fort, sont deux objectifs par-
un second, celui de la compétition que se livrent à faitement légitimes. Mais ces propos n'ont pas du
l'intérieur les pays du Sud, la production de denrées tout le même sens au Nord et au Sud : le maintien
vivrières et celle de denrées d'exportation. Chaque d'une société rurale au Nord est, en quelque sorte,
pays peut s'interroger sur le fait de savoir s'il vaut une nécessité marginale ; c'est presque un luxe
mieux qu'il se nourrisse lui-même dans la mesure nécessaire, car après tout l'on pourrait parfaitement
du possible, ou s'il vaut mieux que, profitant du coût imaginer que les cantons entiers du Sud de la
très bas des denrées alimentaires de base sur le France soient plantés en arbres et abandonnés par
marché mondial, il consacre sa capacité productive toute population. Pourtant, ce maintien est néces-
à des denrées exportables à des prix élevés. saire à notre propre équilibre culturel, à la percep-
Aucune réponse catégorique n'est raisonnable. Un tion de nous-mêmes.
pays ne peut pas, délibérément, se consacrer qu'à
la production de denrées alimentaires essentielles, Au Sud, le peuplement rural est une anti-urbanisa-
négligeant ses capacités de cultures de rente ; il ne tion, l'urbanisation étant le danger qui pèse le plus
peut pas non plus se consacrer exclusivement à la lourdement sur les sociétés sur lesquelles pèsent
production de matières exportables, négligeant du en même temps l'explosion démographique et l'exo-
même coup la production de denrées alimentaires de rural vers des villes incapables d'accueillir
de base. Prenons un exemple qui n'est pas méditer- convenablement les flux migratoires.
ranéen, et qui est intéressant parce que presque
caricatural, celui de la Côte-d'Ivoire. L'Algérie a fait l'expérience d'une industrialisation
accélérée, qui a détruit le tissu rural, prélevant dans
La Côte-d'Ivoire est un pays béni par le ciel, c'est un l'arrière-pays toute la main-d'œuvre dont les
lieu où il pleut beaucoup, où la terre est fertile, et où grandes usines avaient besoin. Cette urbanisation a
des traditions agricoles anciennes permettent d'ima- atteint aujourd'hui un tel degré que l'équilibre même
giner n'importe quelle agriculture. Et le rêve d'un de la société est menacé.
homme, le Président Houphouët-Boigny, a été de
faire de son pays le premier exportateur en cacao, Donc, l'aspect sociologique de la politique agricole,
et l'un des premiers exportateurs en café et en huile comme élément de maintien hors de la zone urbai-
de palme. Le résultat en est que pendant toute une
ne d'une population qui trouve une activité, est un
période de son histoire, de sa longue histoire poli-
des facteurs fondamentaux de cette politique dans
tique personnelle, il a totalement favorisé les cul-
les pays du Sud, plus qu'il ne l'est dans les pays du
tures d'exportation. Il a joué sur un marché qu'il
Nord où, pour important qu'il soit, il n'a pas la même
pensait maîtriser, dont il pensait tirer des profits
prégnance.
considérables, pour constater quelques années
après que sa leçon avait été entendue par d'autres
Le troisième objectif est l'occupation de l'espace
pays et que finalement l'Indonésie était un concur-
du point de vue biologique : nous nous trouvons là
rent contre lequel il ne pouvait pas grand-chose.
face à un problème environnemental ; la question
doit être posée de savoir dans quelle mesure l'occu-
Il avait élaboré un système très largement tourné
pation de l'espace est un élément de sauvegarde
vers la production de produits exportables et se
trouvant tout à coup devant un effondrement des de cet espace. J'ai tendance à penser, au gré des
cours, il n'avait plus le système de production de expériences que j'ai pu étudier, que si le « retour à
denrées alimentaires essentielles dont son pays la nature » est un concept faux, l'aménagement
avait besoin. Sa politique, pourtant logique, pourtant volontaire d'un territoire et le maintien et la restaura-
cohérente en elle-même, avait conduit son pays à tion des équilibres naturels sont des nécessités.
un dangereux déséquilibre.
La nature n'existe plus que fabriquée par l'homme,
Car, lorsqu'on aborde la définition de la politique elle n'existe plus à l'état naturel dans nos régions.
agricole dans les pays à économie en évolution Je constate même que dans la forêt méditerranéen-
économique encore fragile, il faut impérativement ne, ou dans la forêt landaise – mises à part les bor-
rechercher l'équilibre, mais un équilibre changeant, dures urbaines où il y a incendies volontaires pour
assurant la flexibilité des systèmes de production spéculation foncière – les zones forestières qui
entre les denrées de subsistance et les denrées vivent le mieux, qui sont les plus protégées, sont
d'exportation. celles où il y a peuplement humain ; on réinvente la
nature en la cultivant, on ne laisse pas à la nature le
Le deuxième objectif est l'occupation et l'entretien soin de se reconstituer seule. Il y a donc des études
de l'espace, sous un double aspect : son aspect à pousser dans le domaine de l'équilibre entre le
sociologique et son aspect biologique. Le maintien peuplement et l'environnement.
Voilà pour les objectifs de la politique agricole ; je leur a permis de devenir le leader incontesté dans
n'irai pas plus loin aujourd'hui. le domaine scientifique agronomique, technologique
et, bientôt, industriel. Les quantités d'argent qui ont
Se pose alors le problème des moyens, et c'est le été consommées par les universités américaines et
quatrième aspect. Pour atteindre les objectifs dans ont fait leur prospérité, pour rendre les Etats-Unis
l'analyse desquels on peut entrer beaucoup plus performants en matière agricole, ont été colossales,
avant, les moyens dont on dispose sont importants. hors de proportion avec ce que nous connaissons
Je vais les esquisser rapidement. en France où nous avons pourtant un degré relati-
vement élevé d'investissements en matière de
– Il y a la politique des prix, telle que l'a pratiquée recherche agricole et industrielle.
la Communauté Economique Européenne. Je
constate que, légitime jusqu'à un certain stade, elle Mais il y a beaucoup d'autres moyens. Il y a le
devient bientôt dangereuse. La PAC est en crise moyen fiscal : il n'est pas douteux que la fiscalité
parce qu'elle n'a pas su, au moment où elle avait appliquée à l'individu, la fiscalité appliquée à la
atteint son objectif d'autosuffisance, réviser ses terre, la fiscalité appliquée aux produits, sont des
règles pour se fixer d'autres règles. C'est parce instruments dont on peut se servir pour moduler sa
qu'en 1972-73, la règle de l'unanimité est encore politique agricole.
valable dans la gestion de la CEE, qu'il a été impos-
sible de changer le mode de gestion de l'agriculture Essayons de conclure. Le concept de politique agri-
européenne et qu'on en est arrivé à une surproduc- cole est une nécessité et la mise en œuvre de poli-
tion parfaitement intolérable pour le marché interna- tiques agricoles est une nécessité, mais c'est une
tional et pour la CEE. Mais de surcroît, l'instrument nécessité extraordinairement difficile à gérer. Elle
prix est un instrument pervers dans la mesure où il est difficile à gérer parce qu'elle est, dans l'immé-
accroît les inégalités entre les producteurs ; un diat, en contradiction avec la philosophie écono-
homme qui produit 10 sacs reçoit 10 fois la subven- mique dominante, mais les choses évoluent. Elle
tion, un homme qui en produit 1 000 la reçoit 1 000 est difficile à gérer parce que difficile à définir et à
fois, un homme qui en produit 100 000 la reçoit conduire avec flexibilité et pertinence.
100 000 fois. L'instrument prix non modulé devient
un élément de distorsion et d'aggravation des désé- Toute société considère comme droit acquis une
protection qui lui a été accordée, et même lorsqu'a
quilibres qu'on prétendait corriger.
disparu la condition qui justifiait cette protection, elle
en exige le maintien. Je veux dire, au risque de sur-
– Il y a un second instrument, qui est l'instrument
prendre, qu'il faut changer une politique lorsqu'elle
protection. Il consiste à mettre aux frontières des
a réussi, parce qu'ayant réussi, elle a changé le
barrières de différentes natures. Vous avez plu-
monde auquel elle s'appliquait ; or, on a tendance à
sieurs manières de gérer votre protection : les
croire que parce qu'une politique a réussi, elle conti-
Marocains savent bien que la CEE en matière de
nue d'être bonne. Il est dangereux de mettre en
primeurs joue soit sur des contingents, soit sur des
place une politique agricole qui ne s'impose des
calendriers ; on peut dire aux Marocains « vous rendez-vous « solennels » de remise en cause pour
exporterez vos tomates jusqu'à telle date, et après tenir compte des évolutions. On conçoit la difficulté
nous fermons les frontières », ou au contraire politique d'une telle entreprise. Mais qui ne procède
« vous avez un contingent de 3 000 tonnes de pas de la sorte s'enferme dans une logique qui
tomates et lorsque vous avez atteint conduit à l'immobilité et à la rupture. Mais la premiè-
3 000 tonnes... », voilà une première façon de gérer re difficulté, conceptuelle et politicienne, est de dire
sa frontière. L'autre façon, c'est de dire que l'on avec clarté les objectifs qu'on se propose et qu'on
impose à l'entrée des droits d'accès qui peuvent propose à la foule innombrable des acteurs.
être importants, et ainsi la PAC, pour pouvoir assu-
rer la protection des prix, a prélevé à l'entrée des Il est politiquement difficile de dire avec clarté que
sommes considérables sur les importations. l'on veut ceci ou que l'on veut cela, parce que le
problème est très complexe et qu'il est très difficile
Mais il y a aussi d'autres moyens et les Américains de faire admettre comme plausible le même objectif
les pratiquent : ils les pratiquent mieux que nous, par les citadins et par les ruraux. Afficher les objec-
avec un effet considérable. Par exemple, la régle- tifs d'une politique agricole a quelque chose de pro-
mentation sanitaire et l'aide à la recherche. Les voquant, à la fois à l'égard des agriculteurs aux-
Etats-Unis sont le seul pays au monde à l'entrée quels on dit « on ne peut pas tout vous donner » et
duquel on vous demande si vous n'avez pas dans aux citadins auxquels on dit « on veut vous prendre
vos bagages quelques graines ou quelques plants quelque chose pour des motifs de longue durée,
importés. Mais surtout, depuis un siècle, l'Etat fédé- pour des motifs d'équilibre, pour des motifs biolo-
ral apporte aux universités une aide décisive qui giques ».
Et il est de plus en plus difficile d'afficher les objec- Luxembourg ; et il y avait l'Italie qui n'avait pas une
tifs d'une politique agricole parce que la politique connaissance précise de son propre marché, de
est devenue l'art du court terme, et que, en matière son propre système productif – sa population agri-
agricole, en matière d'aménagement rural, l'intru- cole représentant une masse considérable et étant
sion du long terme dans le raisonnement est une un enjeu politique majeur. Nous avons donc connu
nécessité absolue. On ne fait pas de gestion de la difficulté de gérer en même temps une société se
l'agriculture, même si je confirme l'idée de remise connaissant et une société ne se connaissant pas,
en cause tous les cinq ans de la politique agricole, une société structurée ayant ses règles et une
on ne fait pas de politique agricole qui n'ait pas de société non structurée économiquement et n'ayant
très longues perspectives devant elle car les iner- pas ses règles, ou ayant d'autres règles. Cette dis-
ties sont considérables, du moins dans certains symétrie entre la Hollande et l'Italie est peu de
secteurs de la vie agricole et rurale. chose à côté de celle qui existe aujourd'hui entre le
Nord et le Sud et qui va souvent s'aggravant.
Mais en dehors de la difficulté politique, il y a une
difficulté conceptuelle par laquelle je voudrais Reste un obstacle qui prend une importance décisi-
conclure. Quel est le rôle du chercheur ? Quel est le ve quand les acteurs sont innombrables, c'est la
rôle du formateur, placé devant cette analyse que communication, le langage de communication, qui
j'ai faite du concept de politique agricole ? permet de transmettre les objectifs et les règles à
l'ensemble d'une population et pas seulement à des
Il est de former des équipes capables d'articuler les experts ou à des organisations.
scénarios qui consistent à dire aux politiques « si Et c'est cela peut-être le grand problème de la
vous voulez tel résultat, voici globalement comment réflexion auquel il faudra se consacrer un peu plus
il faut faire », ou « si vous prenez telle décision, tard ; là est la découverte du passage du socialisme
voici les conséquences auxquelles vous risquez administré à une certaine conception de la liberté
d'aboutir ». Or, la mutiplicité des paramètres, des en économie : le rôle du politique n'est pas de faire,
facteurs déterminants, est telle qu'au-delà d'une il n'est même pas toujours de faire faire, il est de
approximation pas absolument satisfaisante, il est clarifier au point de donner à chacun des acteurs
extraordinairement difficile de prévoir avec certitu- l'envie de se consacrer comme naturellement et de
de. Là encore, il y a dissymétrie entre le Nord et le son propre mouvement à la réalisation des objectifs
Sud. Il est beaucoup plus facile à des équipes du définis et acceptés.
Nord – parce qu'elles existent, parce qu'elles ont
des instruments statistiques, parce qu'existent des L'objectif d'une politique, c'est de faire en sorte que
structures d'organisations – de faire un « calcul de ses définitions soient assez claires, assez perti-
probabilité » sur les réactions d'un monde productif nentes, assez équilibrées, pour qu'il n'ait pas à
à l'égard d'une décision politique déterminée, que la intervenir à tout moment afin que chacun les res-
chose n'est facile au Sud. Nous l'avons vécu dans pecte, mais que l'adhésion obtenue soit telle que,
la CEE avec l'Italie. Quand nous avons lancé la comme naturellement, les gens réalisent les objec-
PAC, il y avait un pays bien organisé, qui était la tifs. L'ambition est grande dans les pays dévelop-
Hollande ; nous avions des pays capables de s'or- pés, elle est immense dans les pays en quête de
ganiser : la France, l'Allemagne, la Belgique, le développement.
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