Les Maquettes Darchitecture Fonction Et
Les Maquettes Darchitecture Fonction Et
Les Maquettes Darchitecture Fonction Et
sous la direction de
Sabine Frommel
avec la collaboration de
Raphaël Tassin
Campisano Editore
Sommaire
Sabine Frommel
Le rayonnement européen :
un changement crucial des pratiques
La presentazione dei modelli: il primo museo del Rinascimento dedicato all’architettura
Hubertus Günther
“To see its form considerably better”. Architectural models in the Low Countries, -
Merlijn Hurx & Konrad Ottenheym
Introducing Theodore Conrad or Why should we look at the architectural model maker?
Teresa Fankhänel
Exhibiting Models of the th Century: Destruction, Fieldwork and Photography
Oliver Elser
Un outil majeur au service du monument historique
Duecento anni di dibattito intorno alla stabilità della chiesa
di Sainte-Geneviève a Parigi : modelli materici e modelli virtuali
Carlo Blasi & Eva Coïsson
Town Portraiture in the Renaissance Period: The Sandtner Models and Town
Models in the context of humanistic communities and empirical discovery
Elke Nagel
Annexes
U
maire pour la mise au point d’un projet, puis de représentation persuasive destinée à convaincre
un commanditaire ou une collectivité et, enfin, de référence juridique à laquelle les artisans et
les maîtres d’ouvrage doivent se référer. Sous forme plastique ou d’évocation picturale, elles
jouent un rôle au sein des stratégies iconographiques de célébration princière et étatique, soit
dans des cycles de fresque, soit comme hommage à des alliés politiques ou bien au sein des col-
lections célébrant ces princes bâtisseurs. Sur le plan technique, certains systèmes statiques in-
novants sont le résultat de form finding models, de maquettes empiriques, exposées sur le long
terme à l’influence croissante de poids et des tensions, qui permettent de tester la résistance et
comportement statique de la future construction. Les cathédrales du gothique classique attes-
tent que le monument lui-même peut assumer la fonction de modèle alors qu’une construction
comme la mosquée de Soliman le Magnifique à Istanbul par Sinan traduit le modèle de Sainte-
Sophie dans une structure plus stable, processus qui s’applique jusqu’aux Meisterhäuser du
Bauhaus à Dessau. Même un tombeau peut être articulé comme une maquette d’architecture,
à l’instar celui de J.-J. Rousseau dans la crypte du Panthéon à Paris, qui représente un temple
rustique selon la description vitruvienne et fait allusion au « philosophe de la nature ». Une
fonction capitale est attribuée à la maquette dans des programmes d’enseignement, notamment
pendant des courants historicistes, ou comme exercice de « processus de composition à l’en-
vers » au sein des études en histoire de l’architecture. L’affectation détermine l’échelle, dans la
plupart des cas réduite, mais parfois aussi en grandeur nature, ainsi que les matériaux et les
techniques de construction. À l’heure actuelle, des diagnostics permettent de dater les témoi-
gnages de façon de plus en plus précise et de distinguer l’original de la copie, ce qui oblige dans
certains cas à une révision de résultats précédemment obtenus (par exemple la maquette de la
lanterne de Filippo Brunelleschi dans le Museo dell’Opera à Florence ou celle de l’Einsteinturm
de Mendelsohn, conservée dans la collection de l’Architekturmuseum à Francfort).
Les premières simulations tridimensionnelles sont documentées en Égypte, mais comme dans
le cas de l’Antiquité grecque et romaine, ces maquettes se réfèrent tout d’abord à des fins dé-
coratives, culturelles, funéraires ou votives. Ainsi n’est-il pas étonnant que le traité de Vitruve,
la référence la plus importante de l’Antiquité, n’en donne pas une définition précise. Des
sources littéraires d’Hérodote ou de Dinocratès, le modèle en marbre d’un temple tétrastyle
pseudopériptère du Ier siècle av. J.-C. à Ostie, du stade de Villa Hadriana à Tivoli et de la par-
tie inférieure de l’adyton du temple de Niha au cœur du IIe siècle après J.-C. rélèvent cependant
que de telles pratiques n’étaient pas inconnues.
Tout porte à croire que l’époque gothique au nord des Alpes a privilégié des dessins très éla-
borés, assis sur une science géométrique hautement développée, qui s’avèrent les instruments
les plus appropriés pour les tailleurs de pierre. Toutefois, si d’autres métiers comme les orfèvres
recourent au modèle, celui-ci ne devait pas être totalement ignoré par les corporations de bâ-
tisseurs. Certains indices l’affirment : au milieu du IXe siècle, on fabriqua un modèle en cire
préalablement à l’édification de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre ; une maquette réduite fait
partie des instruments figurés sur la dalle funéraire de Hugues Libergier, l’architecte de Saint-
Nicaise à Reims et, en , une maquette est mentionnée pour la tour Maubergeon à Poitiers.
La multitude des églises en miniature que les donateurs tiennent fièrement dans leurs mains ap-
partient en revanche au monde de la sculpture : elles peuvent imiter des monuments existants,
transmettre une idée sommaire de composantes architecturales essentielles du bâtiment sacré
ou être le fruit d’une libre imagination. En tout cas, elles sont porteuses d’un dense réseau de
significations métaphoriques, allant de la Jérusalem céleste aux cultes de saints.
En Italie, où une forte plasticité préside aux édifices, la maquette devint tôt un enjeu indis-
pensable des recherches conceptuelles. Pour la cathédrale de Florence, un modèle intégral est
documenté dès puis une « petite église » en brique de grandeur nature fut examinée avec
un esprit critique aigu par les corporations, les promoteurs et tous les citoyens. La première
maquette d’architecture civile, celle de Fioravanti pour le « Palazzo dei Signori » à Bologne,
date de . Avec Antonio Manetti Ciaccherj commence une série prodigieuse de legnaioli qui
devinrent de véritables architectes grâce auxquels les techniques évoluèrent tant qu’un chan-
tier pouvait être dirigé à distance. De nombreux documents concernant les maquettes de Giu-
liano da Sangallo, architecte privilégié de Lorenzo de’ Medici, révèlent que les travaux du quat-
trocento florentin se déroulaient de manière empirique et qu’au moment du lancement de
nombreuses parties de l’organisme architectural restaient à définir. On construisait, on véri-
fiait, on changeait de parti : un chantier constituait un véritable laboratoire qui exigeait un
nombre considérable de maquettes pouvant refléter d’importantes mutations techniques et sty-
listiques. Les solutions et les alternatives gravées dans le bois de celui du Palazzo Strozzi (),
foyer d’un débat assez vif, trahissent qu’un modello est en soi un champ d’intervention. L’énor-
me maquette en échelle /e du nouveau projet de la basilique Saint-Pierre qu’Antonio da San-
gallo le Jeune construisit pour Paul III en révèle l’essor formidable dont bénéficiaient de
telles simulations sur le chantier de l’église-mère de la chrétienté.
Dans presque tous les pays européens, la maquette a été adoptée au XVIe siècle, mais des condi-
tions locales pouvaient accélérer ou ralentir son emploi. Celui-ci déclencha d’importantes évo-
lutions morphologiques dans le cadre de l’émergence des clacissismes. En France, c’est grâce
aux maîtres italiens qui traversèrent les Alpes avec Charles VIII, notamment Domenico da Cor-
tona, que la maquette fit son entrée dans le métier des bâtisseurs. Bien que Sebastiano Serlio et
le traité de Philibert Delorme insistent sur cette pratique, les documents restent assez muets à
son propos et il semble qu’elle ne s’imposera pleinement que vers la fin du XVIe siècle. En Al-
lemagne, où les premiers témoignages remontent à /, des spécimens ont été conservés
dans les collections des villes impériales, à Augsbourg ou Ratisbonne, et dans des Kunstkam-
mern établies au milieu du XVIe siècle, comme à Munich ou à Dresde. Quant aux maquettes des
cinq villes de résidence qu’Albert V de Bavière fit construire par Jakob Sandtner (-),
elles font preuve d’une nouvelle vision du contexte bâti qui va sensiblement au-delà des vedu-
te. Elles servirent à des fins d’auto-célébration non seul mais des collections princières, mais
aussi dans le cadre d’opérations urbaines : les quatre modèles d’Elias Holl pour l’hôtel de ville
d’Augsbourg au début du XVIIe siècle affichent une fine culture italienne que ce soit sur le plan
formel ou technique. C’est à Grenade que les premières maquettes espagnoles sont documen-
tées, d’abord une énorme construction intégrale pour la cathédrale (-) et ensuite pour
le palais de Charles Quint (-). Un nombre assez impressionnant de maquettes fut utili-
sé tout au long du siècle, révélant que cette pratique s’imposa de manière immédiate. Les oc-
currences les plus spectaculaires concernent la cathédrale de Malaga, mais mais conservées de
manière fragmentaire, et de San Lorenzo de l’Escurial bâti sous Philippe II. Un courant qui pri-
vilégiait le dessin comme idée primordiale du processus figuratif, soutenu par l’architecte et
théoricien jésuite Juan Bautista Villalpando, devait provoquer un bref déclin temporaire de l’in-
térêt accordé au modèle tridimensionnel. Si aux Pays-Bas peu de témoignages ont survécus, de
multiples documents affirment que les maquettes ont été utilisées fréquemment et que la cour
des Habsbourg, ouverte à l’influence italienne, favorisait leur emploi. La maquette de la faça-
de de St. Pieter à Leuven (-), d’une hauteur de huit mètres et adossée à l’édifice même,
constitue une occurrence significative ; la ville, craignant qu’après la mort de l’architecte les ar-
tisans ne sachent continuer la construction selon ses idées, l’avait expressément commanditée.
Un nombre important de ces maquettes a sans nul doute suscité une nouvelle façon de voir et
de concevoir l’architecture, liée à la perspective haute et la vue aérienne (attestée par certains
dessins et gravures de J. Androuet du Cerceau ou de Ch. Sturm), tandis que les maquettes dé-
montables assurèrent un meilleure contrôle des distributions et des proportions des espaces de
chaque étage (une telle typologie a été utilisée déjà vers au palais Wettin à Dresde, alors
qu’une version particulièrement efficace s’est conservée au palais d’Henry et Louis Trip à Am-
sterdam de /).
Les évolutions dont bénéficièrent les maquettes aux XVIIe et XVIIIe siècles sont loin d’être co-
hérentes. Lorsqu’à Rome la recherche de nouveaux langages architecturaux se profila, un rôle
essentiel leur revint et les architectes recoururent à des techniques adaptées à leurs prédilec-
tions formelles : Bernin avec le bois, Borromini avec des matériaux ductiles comme la cire ou
l’argile, suivant ainsi les traces de Michel-Ange. En France, à peu d’exceptions près comme la
maquette du palais du Luxembourg (-) et celle de l’église Saint-Gervais (), les ma-
quettes semblent assez rares sur les chantiers royaux pendant la première moitié du XVIIe siècle.
Une floraison, portée par le souci de plus de précision et d’une plus grande publicité, se fit jour
au début du règne personnel de Louis XIV, particulièrement après la nomination de Jean-Bap-
tiste Colbert aux fonctions de surintendant des Bâtiments. De fait, entre et , le débat
assidu autour de l’achèvement de la cour carrée du Louvre se développa à travers des modèles
présentés in situ. Il est étonnant que Bernin, invité en dans la capitale française pour
concevoir un projet, ne fît qu’envoyer en / trois maquettes en bois et en stuc. Nico-
demus Tessin le Jeune les a documentées par un relevé et s’en est inspiré pour son projet du
palais royal de Stockholm. Une fois leurs missions remplies, de nombreuses maquettes ont été
déposées à l’Académie Royale d’architecture à la fin du siècle où elles répondaient à des ob-
jectifs didactiques.
Au sein de certaines collections du XVIIe siècle, la maquette est hissée au rang d’une œuvre d’art
autonome. Dans sa nouvelle maison à Ulm (), Joseph Furttenbach consacra un étage entier
à l’exposition de dispositifs militaires et de modèles rappelant son long séjour en Italie. Avec un
esprit systématique, il avait établi un inventaire précis qui permet de reconstruire les objets au-
jourd’hui dispersés et le parcours selon lequel ils étaient présentés. En général, le XVIIIe siècle a
renoué avec les méthodes léguées par le siècle précédent et il apparaît qu’une prospérité éta-
tique ou des revendications dynastiques entraînèrent souvent la prolifération de l’emploi de la
maquette. En Espagne, l’arrivée des Bourbons soutenant de desseins architecturaux ambitieux
provoqua un tel essor, cependant qu’en Lorraine les pratiques de la cour de France furent adop-
tées par le duc Léopold, conscient de l’importance d’un mécénat artistique. En France, la ma-
quette sortit du champ strict des chantiers royaux et un exemple impressionnant comme la ma-
quette en bois de la façade de la cathédrale d’Orléans (-) selon le projet de Jacques V
Gabriel à l’échelle /e, dotée de statuettes en terre cuite simulant les sculptures prévues, révè-
le la grande qualité de ces simulations. Les maquettes de Rondelet pour le Panthéon à Paris
(-) et, autour de , un modèle « expérimental » destiné à un « Pont à plusieurs
arches » par l’architecte montpelliérain Jean-Antoine Giral attestent que l’objet commençait à
remplir une nouvelle fonction, comme instrument pour des recherches structurelles complexes.
Pendant le Premier Empire, lorsque l’on expérimenta plus que l’on ne réalisa, les architectes ap-
précièrent des modèles « à grandeur », puisque Napoléon était soucieux de mieux comprendre
les spécificités et de prévenir les critiques du public. Plus tard, au sein de l’enseignement des Mo-
numents Historiques, Anatole de Baudot utilisa des modèles en plâtre d’un fort impact didac-
tique : la forme « écorchée » permet en effet une compréhension accrue de l’organisme intégral.
Les travaux de Théodore Conrad dans le New Jersey révèlent de manière pertinente à quel
point l’emploi de matériaux comme le verre, le fer et l’acier de la part des architectes de la mo-
dernité fit changer aussi les techniques et l’apparence des maquettes ainsi que leurs fonctions.
Certaines d’entre elles ont été construites dans le seul but d’être photographiées. Au sein de col-
lections comme celle du Deutsches Architekturmuseum à Francfort, fondées dans les années
, les maquettes du XXe siècle sont considérées comme des témoignages munis d’une histoi-
re propre dont la compréhension exige des méthodes spécifiques. La maquette virtuelle a fait,
depuis, une entrée triomphale dans les ateliers des architectes, mais n’a pas éclipsé le modèle
traditionnel qui demeure un outil important dont l’histoire reste en partie à écrire.
Nous remercions l’École pratique des hautes études, l’équipe HISTARA, le Centro Studi sul
Rinascimento (Fondazione Carisbo) et le Museo Genus Bononiae à Bologne pour l’aide qui
nous a permis d’organiser le colloque à Bologne en décembre et d’en publier un choix de
communications, complété par d’autres articles élargissant le panorama présenté. Nous remer-
cions Emmanuel Faure, Valeria Manfrè et Manuel Parada López de Corselas pour leurs tra-
ductions ; Eva Renzulli et Simone Sirocchi pour la relecture soignée des textes en langue an-
glaise et italienne. Marco Calafati a bien voulu nous aider pour des révisions formelles d’ar-
ticles. Nous exprimons aussi notre gratitude à Chiara Magni et Giancarlo De Leo quant à l’ai-
de qu’il nous ont fournie lors de la constitution du matériel iconographique. Sans la précieuse
collaboration de Raphaël Tassin, ce volume n’aurait pas vu le jour dans un intervalle si bref, ce
qui renforce son rôle en tant que nouvelle étape dans cette réflexion toujours en cours.
NOTES
1
Rinascimento da Brunelleschi a Michelangelo, dir. H. Millon, V. Magnagao Lampugnani, Milan, ; Il trionfo del
Barocco, dir. H. Millon, Milan, .
2
En novembre la Technische Hochschule à Munich, Lehrstuhl für Baugeschichte, Historische Bauforschung
und Denkmalpflege a organisé un premier colloque intitulé Modelle und Architektur sous la direction scientifique de
M. Schuller, suivi en par le colloque La maquette : un outil au service du projet architectural organisé par la Cité
de l’architecture et du patrimoine (École de Chaillot et musée des Monuments français).