2015remoussenard Giraud Ansiau
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2015remoussenard Giraud Ansiau
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Laurent Giraud
Université Savoie Mont Blanc
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Laurent GIRAUD
Maître de Conférences en GRH - Université Toulouse 1 Capitole
IAE Toulouse – CRM UMR 5303 CNRS
laurent.giraud@iae-toulouse.fr
David ANSIAU
Docteur en Psychologie
Psychothérapeute
davidansiau@monaco.mc
Résumé
Cette étude a pour objet la présentation d’une recherche action réalisée sur le thème de la
perception de l'équité et de la reconnaissance par les salariés d'un site industriel en contexte
de changement organisationnel. S'appuyant sur les théories de la justice organisationnelle et
de la reconnaissance, l’étude met en relief les liens entre le sentiment de reconnaissance et
plusieurs dimensions de la justice organisationnelle (équité, procédures et interactions). La
contribution principale de cette recherche est la mise en avant le rôle d’interface du
management entre la perception de justice organisationnelle et le sentiment de
reconnaissance des salariés.
Mots-clés : Justice organisationnelle – Équité – Reconnaissance – Management des
Ressources Humaines – Recherche action – Gestion du changement organisationnel.
Abstract
The aim of this paper is presenting an action research on the employee perception of equity
and recognition in an industrial plant going through an organizational change. Based on
organizational justice and recognition theories, the study emphasizes the links between the
feeling of recognition and several dimensions of organizational justice (equity, procedures
and interactions). The main contribution of this research is to highlight the role of
management as a bridge between the perception of organizational justice and employees’
feeling of recognition.
Key-words: Organizational justice – Equity – Recognition - Human Resource Management –
Action research – Organizational change management.
1
JUSTICE ORGANISATIONNELLE, RECONNAISSANCE & MANAGEMENT : UNE
ETUDE EN CONTEXTE DE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
Introduction
De nos jours, la performance d’une entreprise ne tient pas seulement à sa productivité et aux
bénéfices qu’elle crée. On constate une importance accrue de la place de l’individu détenant
un véritable capital humain (Becker, 1993), capital qu’une entreprise aurait intérêt à préserver
et à enrichir. Paillé (2011) rappelle en effet qu’un mauvais climat social au sein de l’entreprise
peut entraîner des dysfonctionnements internes (manque de motivation menant à des défauts
dans la production ou à des grève...). De plus, l’intérêt des chercheurs pour le concept de bien-
être au travail se justifie par ses conséquences majeures sur les individus, les organisations et
les Etats (Kowalski et al., 2015). La justice organisationnelle apparaît ainsi comme une pièce
maitresse de la performance au travail (Colquitt et al., 2012). Peretti (2013, p. 422) rappelle
que « les enquêtes montrent une exigence accrue de justice et d’équité ». L’application de la
justice organisationnelle est par ailleurs un concept pertinent en contexte de mutation (Fuchs
& Edwards, 2012; Steiner & Rolland, 2006) car « elle permet […] de faciliter l’acceptation de
la mise en place de nouvelles procédures et de changements organisationnels » (Steiner, 2012,
p. 539).
Si la perception de justice d’un individu peut évoluer (Jones & Skarlicki, 2013), au même titre
que ses attitudes envers le changement (Giraud et al., 2013; Kim et al., 2011), il serait
intéressant d’investiguer les dimensions de la justice influençant le sentiment de
reconnaissance dans un contexte de changement organisationnel. En effet, la reconnaissance
au travail, « riche de sens », est une variable-clef de la gestion des ressources humaines qui
mériterait d’être plus amplement investiguée (Brun & Dugas, 2005, p. 79). Le rôle du
manager dans ce processus de garantie de sentiment de justice et de reconnaissance paraît
également intéressant à analyser, d’autant plus que pour les procédures d’appréciation par
exemple, « les contextes organisationnels se transforment profondément et modifient les
conditions d’exercice du manager » (Cadin & Guérin, 2012, p. 51). Voici, en somme, les
objectifs de la présente recherche action.
Ce type d’étude présente également un intérêt pour les entreprises en contexte de changement
organisationnel. En effet, la recherche action implique le chercheur dans la résolution des
problématiques rencontrées sur le terrain et si elle est bien menée, elle pourrait permettre de
prendre en compte la subjectivité des acteurs et des chercheurs eux-mêmes (Mouchet, 2014).
Or, prendre en compte la subjectivité des acteurs apparaît indispensable lors de l’étude du
changement organisationnel tant les salariés cherchent à donner du sens à ce processus
dynamique (Brown et al., 2015; Holt & Cornelissen, 2014). Si le changement doit avoir un
sens, c’est qu’il se décrit en fait comme une histoire qui serait amenée à résonner avec celle
des salariés (Thurlow & Mills, 2015). C’est ainsi que Giraud et Autissier (2013) ont montré
que les chercheurs ont favorisé la méthodologie des histoires de vie (Boje, 2001;
Czarniawska, 2004) pour étudier le changement.
Nous proposons ici une recherche action destinée à mieux comprendre, dans un contexte de
changement organisationnel, les liens entre la perception de justice organisationnelle et le
sentiment de reconnaissance d’un salarié, ainsi que le rôle du management dans le processus1.
1
Les auteurs ont déjà présenté une partie des résultats au congrès de l'AGRH en 2013 en mettant l'accent sur la
notion d'équité et la méthodologie de la recherche action. Dans ce nouveau papier, l'idée est de s'appuyer sur les
2
La première partie introduira le contexte de la recherche action. Ensuite, nous détaillerons la
méthodologie, le cadre conceptuel et la question de recherche. Enfin, les résultats obtenus
seront présentés et discutés.
Cette étude a été réalisée sous l’égide de la Direction des Ressources Humaines (DRH) du site
de production que nous appellerons B. Le site B comprend 300 personnes, sa production
s’élève à 8 millions de verres par an, ce qui représente 4% de la production mondiale pour un
CA de 3 milliards. L’entreprise se compose de salariés d’une moyenne d’âge de 50 ans et
d’une ancienneté moyenne de 23 ans. De plus, 70% des salariés sont sans diplôme et à grande
majorité de sexe féminin.
Sur ce site, il existe deux chaînes de production, une Organique et l’autre Polycarbonate. La
chaîne de production dite Organique est la plus ancienne et la plus manuelle, alors que celle
dite Polycarbonate est la plus moderne et la plus automatisée. L’usine B. est un site
laboratoire où se développent les innovations en matière d’organisation et de management.
Depuis 2006, l’entreprise met en place une nouvelle politique basée sur une meilleure gestion
des compétences.
1.1. Les résultats des précédentes études
données originales en mettant en perspective les notions d'équité et de reconnaissance dans un contexte de
changement organisationnel.
2
Dont le nom a ici été changé.
3
L’enquête Alpha Monde de 2006 (sondage quantitatif) avait fait ressortir trois points
importants : un quotidien au travail et politique humaine peu satisfaisants ; une information et
une communication au sein du site pas assez efficaces ; des problèmes au niveau de la
formation qui ne permet pas de faire évoluer les salariés.
L’enquête Alpha Monde de 2008 (sondage quantitatif) avait par la suite mis en évidence
plusieurs éléments importants. Si la satisfaction du personnel a augmenté sur la période 2006-
2008, passant de 58% à 68%, la tendance est complètement inversée quant à la politique
humaine de l’entreprise, particulièrement concernant les perceptions en termes d’équité. La
perception d’un traitement équitable est passée de 45% en 2006 à 37% en 2008.
1.2. Recherche action de 2009
Une étude menée en Décembre 2009 sur le site B a permis d’établir les principaux points sur
lesquels un sentiment de non équité et/ou de non reconnaissance était ressenti par les salariés
d’Alpha : la rémunération ; la répartition des primes ; la gestion de l’absentéisme ; les
différences de traitement entre hommes et femmes ; et, d’une façon plus générale, le
management organisationnel.
Ce sont les résulats de cet audit, qui s’inscrit dans le cadre d’une politique RH mise en place
depuis plusieurs années sur le site B, qui vont servir de base à notre étude empirique.
Projets Outils
Évolution métier (horizon 5 ans) Matrice de compétences personnelles
Mutualisation des compétences et Synthèses personnelles et entretiens
meilleures connaissance des postes annuels d'évaluation
Journées de formation régulières
4
Formations (de type inductif, déductif Journées de formation régulières et DIF
ou analogique selon le besoin des (Droit Individuel à la Formation)
salariés)
Amélioration des conditions de travail Outil ergonomique spécifique et
(ergonomie) chantier d'amélioration continue
6
situations d’inéquité : la « sur-équité » et la « sous équité ». Steiner et Rolland (2006) ont mis
en avant le fait que la personne devait avoir conscience de la situation d’équité. Singh &
Loncar (2010) ont quant à eux mis en évidence l’importance de la rémunération dans le
sentiment d’équité.
3.2 La reconnaissance
La justice organisationnelle est « [une] condition d’efficacité d’une politique de
reconnaissance » (Sire et al., 2005, p. 325). Selon Honneth (2000), la reconnaissance est
l’affirmation de qualités positives de sujets humains ou de groupes. Elle serait en fait la
7
condition intersubjective permettant de se réaliser de manière autonome. L’individu ne peut
pas développer une identité personnelle sans reconnaissance, c’est-à-dire sans compréhension
et légitimation par ses partenaires d’interaction (Honneth, 2000; Pierson, 2012). Hinault et al.
(2013, p. 93) notent par ailleurs que les « dynamiques » de la reconnaissance s’avèrent
particulières dans un contexte de changement organisationnel ou d’« incertitude
institutionnelle ».
Pour Siegrist (1996), la reconnaissance au travail est corrélée à l’estime et au soutien de la
part du supérieur ou des collègues, au salaire, à la possibilité de promotion et à la sécurité
d’emploi. Les échanges verbaux, la consultation pour avis, l’autonomie dans le travail, la
valorisation des réalisations et les opportunités de développement sont autant de formes de
reconnaissance au travail mises en lumière par la littérature (Brun & Dugas, 2005; Fall, 2014;
Stajkovic & Luthans, 1998, 2001; St-Onge et al., 2005).
Brun et Dugas (2005) proposent une catégorisation théorique des pratiques de reconnaissance
au travail, selon les formes et les acteurs impliqués : horizontale, verticale et
organisationnelle. La reconnaissance horizontale est celle qui s’exprime entre les collègues
sur notamment la qualité du travail accompli, la reconnaissance verticale est celle qui se
manifeste entre le gestionnaire et son employé, et la reconnaissance organisationnelle est celle
qui se manifeste entre l’organisation et ses employés, à travers notamment, les politiques et
programmes mis en place par l’organisation en faveur de ses membres.
Nous retiendrons le modèle de Brun et Dugas (2005) comme grille d’analyse dans notre
étude. Ces auteurs mettent en évidence quatre formes de reconnaissance :
Figure 2 : Les quatre pratiques de reconnaissance d’après Brun & Dugas (2005).
9
Figure 3 : Modèle de recherche.
Management
(Managers de proximité)
H4
Sentiment de
Perception de justice reconnaissance
organisationnelle Existentielle
Distributive Des pratiques de travail
Procédurale De l’investissement dans
H1, H2 &
Interactionnelle H3 le travail
Des résultats
Notre question de recherche est donc la suivante : le management est-il modérateur du lien
entre la perception de justice organisationnelle et le sentiment de reconnaissance perçu par les
salariés ? La revue de littérature nous ont permis de formuler une série d’hypothèses que nous
souhaitons confronter au terrain que nous étudions. L’ambition de cet article est notamment
de compléter le travail de Brillet et al. (2013) (1) en distinguant les différents types de
reconnaissance lors de l’analyse des résultats alors que ces auteurs ont envisagé la
reconnaissance de manière globale et (2) en étudiant un contexte de changement
organisationnel. Toutefois, la revue de littérature nous permet uniquement de formuler des
hypothèses se déclinant sur les dimensions de la justice organisationnelle. Chaque dimension
de la reconnaissance sera ensuite discutée à la lumière des données.
La littérature suggère d’abord que le sentiment de reconnaissance d’un salarié est influencé
par la justice distributive. Sire et al. (2005, p. 322) précisent même que « la rétribution […]
serait un mode de reconnaissance de la contribution du salarié ». Parallèlement, Rojot et
Duval-Hamel (2005, p. 278) rappellent que « pour beaucoup de salariés, la rémunération doit
rimer aussi avec la reconnaissance matérielle de leur performance, la qualité de leur
engagement, et les résultats qu’ils ont atteints ».
Brillet et al. (2013) testent l’existence d’un lien entre justice perçue et reconnaissance globale.
Dans leur proposition de mesure, les auteurs (2013, p. 10) mettent particulièrement l’accent
sur la dimension distributive qui peut être financière ou non-financière. En effet, Fraser
(2011) suggère que le sentiment de reconnaissance passe par ces deux dimensions de la
justice distributive. Les résultats de Brillet et al. (2013) montrent par exemple que la
dimension distributive non-financière de la justice qui a l’impact le plus important sur la
10
reconnaissance globale. Ainsi, nous pouvons formuler l’hypothèse que le sentiment de
reconnaissance d’un salarié est corrélé à sa perception de la justice distributive.
Uhalde (2013, p. 69) écrit que « les politiques et dispositifs de gestion – notamment de
gestion des ressources humaines (règles statutaires, dispositifs d’avancement, de formation, de
rémunération, discours, chartes, …) – comme les règles formelles d’organisation du travail
balisent les offres et les formes de reconnaissance possibles […] ». Ainsi, le sentiment de
reconnaissance d’un salarié ne serait pas seulement corrélé à la perception de justice
distributive, mais aussi à la perception de justice procédurale.
En complément du commentaire d’Uhalde (2013), Steiner (2012, p. 542) précise que nous
valorisons la justice comme une finalité en soi mais aussi que « nous sommes […] attentifs
aux procédures car quand elles sont justes nous possédons des éléments d’information sur
notre valeur ». Nous supposons alors que la perception de justice procédurale donnerait au
salarié une information sur sa valeur et devrait être accompagnée d’un sentiment de
reconnaissance plus élevé. L’Hypothèse 2 est formulée ainsi : Le sentiment de reconnaissance
d’un salarié est corrélé à sa perception de la justice procédurale.
De plus, Frimousse et al. (2008, p. 117) ont démontré que la justice interactionnelle a un
impact particulièrement significatif sur la performance eu travail et sur les comportements
« d’échange et de réciprocité ». Brillet et al. (2013) confirment par ailleurs l'existence d'une
corrélation entre justice interactionnelle et reconnaissance globale. Nous formulons alors
l’hypothèse 3 que le sentiment de reconnaissance d’un salarié est corrélé à sa perception de la
justice interactionnelle.
Dans leur ouvrage séminal, Crozier et Friedberg (1977) insistent sur le rôle d’intermédiaire du
manager. En effet, selon les auteurs (1977, p. 86), le manager a le pouvoir de « marginal
11
sécant, c’est à dire d’un acteur qui est partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en
relation les uns avec les autres et qui peut, de ce fait, jouer un rôle indispensable
d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire
contradictoires ». Ainsi, nous supposons que ce rôle « d’intermédiaire et d’interprète » du
manager affecte le lien entre la perception par un salarié de la justice organisationnelle et son
sentiment de reconnaissance.
Dans un autre ouvrage fondateur, Ulrich (1997) précise que l’une des fonctions des
responsables RH est d’être agents du changement. Or, si les tâches RH sont de plus en plus
déléguées au manager opérationnel (Dany et al., 2008), il s’agirait alors pour ce dernier d’être
agent du changement et donc de garantir les perceptions de justice dans un tel contexte.
Enfin, Bies et Moag (1986) suggèrent que la modération du management sur le lien entre
perception de justice et sentiment de reconnaissance pourrait particulièrement concerner la
dimension interactionnelle de la justice. Nous proposons ici d’étendre cette hypothèse aux
deux autres dimensions de la justice organisationnelle. Nous formulons alors l’hypothèse 4
que le management modère la relation entre la perception par un salarié de la justice
organisationnelle et son sentiment de reconnaissance.
12
Dans un chapitre dédié à la fixation du salaire, et donc à propos de l’équité interne, Peretti
(2013, p. 355) précise que « la perception par les salariés que la structures des classifications
et l’échelle des salaires reflète convenablement la valeur de chaque poste […] est
essentielle ». En effet, Colquitt et al. (2001) montrent que la justice distributive influence
particulièrement le sentiment d’équité des salariés qui doivent se partager les ressources
limitées de l’entreprise. C’est peut-être la raison pour laquelle Dubouloz (2014, p. 64) trouve
que la plupart des pratiques de mobilisation des ressources humaines attachent une
importance particulière aux récompenses et à la rémunération.
Famille 1: Salaire Entre 18 et 35 ans Entre 36 et 50 ans Entre 51 ans et plus Total
Salaire 1 7 6 14
Total 1 7 6 14
13
5.1.2 Compétences, reconnaissance de l’investissement au travail et justice distributive
L’enquête montre que pour les salariés d’Alpha le terme équité est rattaché principalement
aux termes : salaire, égalité, justice, compétences. Or, on constate que le sentiment d’inéquité
parmi les salariés (ateliers polycarbonate et organique confondus) concerne l’attribution des
salaires, la valorisation des compétences ainsi que des sentiments d’injustice et d’inégalité.
Selon l’analyse quantitative menée auprès des salariés du site B (voir Graphique 1), le premier
enjeu qui apparaît en termes d’équité est celui du salaire. En effet, l’analyse révèle que le
sentiment d’inéquité vient majoritairement du salaire, qui, selon les salariés, n’est pas à la
hauteur des efforts qu’ils fournissent (cf. Singh & Loncar, 2010). On retrouve ici la notion de
reconnaissance de l’investissement dans le travail (Brun & Dugas, 2005).
Par conséquent, ce manque d’impact sur les salaires agit directement sur la motivation de tous
les salariés, leur renvoyant l’image d’un manque d’appréciation de leur travail et des efforts
fournis. Cette impression revient surtout parmi les salariés polyvalents (qui doivent par la
nature même de leur travail être capables de maîtriser les compétences liés à plusieurs postes)
qui ont le sentiment que leur travail n’est pas reconnu parce que la rémunération ne reflète pas
l’effort supplémentaire fourni : « La polyvalence n’est pas reconnue » ; « On est des bouche-
trous, nous les polyvalents » ; « On est des laissés pour compte ». C'est ce qu'illustre l'arbre
des causes ci-dessous.
14
Figure 4 : Salaire, reconnaissance de l’investissement au travail, justice interactionnelle.
Absentéisme
15
classifications de salaire, notamment ici en ce qui concerne « le salaire de qualification,
généralement appelé salaire de base ».
Un autre problème apparaît quant à l’attribution des salaires. Les salariés notent une évolution
de la rémunération plus rapide chez les jeunes. Nos données montrent par ailleurs que pour
ceux-ci la rémunération n’est pas la source principale du sentiment d’inéquité et cet élément
est d’autant plus perçu comme étant injuste que les salariés les plus anciens ne voient pas
leurs taux horaire augmenter (« le taux horaire n’augmente jamais ») malgré les compétences
acquises au fil des ans par leur expérience et les formations qu’ils ont suivies.
Le Graphique 2 suggère que l’accès équitable à la formation est une forme de reconnaissance
de leur potentiel professionnel pour les 18-35 ans. Les entretiens collectifs ont permis
d’établir que, dès l’arrivée dans l’entreprise, des problèmes liés à la formation des nouveaux
entrants apparaissent. Il n’y a pas de plan de formation aux techniques pour eux, et ils doivent
se contenter d’un apprentissage « sur le tas ». Même concernant les tâches jugées comme
« simples » par l’encadrement, il y a un désir de perfectionnement des ouvriers par le biais de
la formation qui ne semble pas prise en compte. D’autant plus que, comme nous le montre le
graphique, la formation est considérée par 17% des salariés comme vecteur d’évolution de
carrières. On retrouve ici la notion de reconnaissance existentielle (Brun & Dugas, 2005).
Plus que la notion d’équité, c’est surtout la notion de non-équité qui revient chez tous les
employés quelle que soit leur tranche d’âge ainsi qu’une résistance par rapport aux managers.
« Les hommes sont peu nombreux, ils s’assemblent » ; « Plus d’avantages pour les hommes ».
Les perceptions de l'équité sont donc multiples, on retrouve ici le caractère subjectif de la
perception de l'équité au sens de la théorie d'Adams (1965).
Nous pouvons conclure que les différentes variables étudiées ci-dessus mettent bien en
évidence le fait que le sentiment de reconnaissance d’un salarié est corrélé à sa perception de
la justice procédurale. H2 est bien validée.
17
Graphique 3 : Proposition d’idée nouvelle, management et reconnaissance existentielle.
De plus, l’analyse qualitative montre que les relations managers/managés sont peu
pertinentes, avec des « chefs » qui ne sont pas « justes » (« à la tête du client »). Ainsi,
l’absence de réel management de proximité et par conséquent, l’absence de communication,
ne peuvent qu’alimenter le sentiment d’inéquité. On retrouve ici l’importance de la justice
interrelationnelle (Bies & Moag, 1986; Greenberg, 1993). Ce résultat a une importance non
négligeable car la perception d’équité impacte particulièrement les attitudes des salariés en
contexte de changement. Schumacher et al. (to be published) montrent en effet que le lien
entre insécurité et implication organisationnelle affective est modulé par la perception
d’équité, particulièrement au début du processus de changement.
L’évocation de problèmes de communication au sein de l’entreprise est un point intéressant à
noter. En effet, les salariés parlent d’inéquité en ce qui concerne différents domaines (salaires,
compétences…). Or, si l’on reprend la théorie de Leventhal (1976, 1980), le sentiment
18
d’inéquité peut provenir d’un manque d’information. Ainsi, les difficultés mentionnées par les
salariés pourraient résulter d’un manque de visibilité des procédures de la société en ce qui
concerne les salaires, l’égalité homme-femme, etc. En effet, un biais dans l’information peut
directement créer des sentiments d’inégalité car les salariés n’ont pas accès à l’explication de
la mise en place des procédures.
Selon l’analyse de Leventhal un sentiment d’équité vient d’une bonne communication autour
des procédures. Dans son modèle, plusieurs éléments permettent une justice procédurale
pertinente. Or, on constate que toutes les conditions du modèle de Leventhal ne sont pas
réunies dans le cas d’Alpha. Le verbatim est particulièrement révélateur : Bias suppression
rule : « pour certains chefs, c’est à la tête du client » ; Consistency rule : « pourquoi des
personnes ont des salaires différents pour le même boulot ? », Accurancy rule : « il y a un
grand tableau à la relève avec plein d’informations parfois erronées » ; Correctability rule :
« il faut mettre en place une prime d’assiduité » ; Representativeness : « ils préfèrent prendre
en considération des personnes extérieures alors qu’il n’y a pas d’écoute des salariés » ;
Ethicality : « harcèlement par le chef » / « ils ont donné des augmentations à des gens
toujours absents pour les motiver à venir ».
Sur le site B, on note d’une part un sentiment d’inéquité et d’autre part, une mauvaise vision
des procédures (le modèle de Leventhal concernant une justice procédurale efficace et
pertinente n’est pas validé).
Ainsi les différentes variables étudiées ci-dessus mettent bien en évidence le fait que le
sentiment de reconnaissance d’un salarié est corrélé à sa perception de la justice
interactionnelle. H3 est bien validée.
Le Tableau 5 montre que la place du management organisationnel n’est pas non plus à
négliger. En effet, l’attitude du manager vis-à-vis de son équipe affecte le lien entre le
sentiment d’équité et la perception de justice. L’équipe s’attache en effet à l’attitude du
manager envers les individus et le travail fourni. Ce résultat fait écho au travail de Greenberg
(1994) qui a montré que les managers qui montraient de la considération pour leurs salariés
avaient plus de chances d’avoir leur changement accepté. On décèle également dans cette
forme de reconnaissance l’effet de la dimension interactionnelle de la justice, qui s’avère
particulièrement corrélée aux comportements favorables au changement (Fuchs & Edwards,
2012). Pour créer un sentiment d’équité dans l’entreprise, les managers devraient alors être
19
au plus près des salariés, conscients des efforts fournis selon la difficulté des tâches
accomplies. Ils doivent surtout refléter cette connaissance des tâches et de leurs difficultés par
des feedbacks positifs envers les salariés (Peretti, 2004). Or, dans le cas d’Alpha on remarque
une vraie dissension entre ouvriers et managers.
Tout d’abord, les salariés ont l’impression qu’il y a du favoritisme de la part des managers à
l’égard de certains employés, des hommes en particulier, comme l’illustre la Figure 5 :
A la tête du
client
Lié au
physique
Favoritisme
Problème des
"lèche-bottes"
Certains ne
peuvent pas
s'exprimer
20
Figure 6 : Management, non-reconnaissance de la pratique de travail et justice
interactionnelle.
Par exemple, il n’y a pas de prise en compte des cas individuels pour l’adaptation de l’outil de
travail et des méthodes (les difficultés liées à l’âge par exemple). Les ouvriers considèrent
comme non équitable que chacun doivent occuper le même poste de la même façon sans
prendre en compte les difficultés individuelles car cela entraîne une différence de traitement.
Là encore, il semble que le problème vienne des managers qui ne seraient pas assez proches
des ouvriers, qui ne communiquent pas assez et ne s’intéressent pas assez aux tâches. « Pour
les chefs, le résultat est là au bout, pourquoi faire plus ? », « Plus il y a des chefs et moins ils
nous écoutent », « Ils devraient faire une formation pour savoir ce que l’on fait »,
« Aujourd’hui, les chefs nous regardent à travers les vitres ». Les ouvriers considèrent que la
différence de traitement vient en partie du fait que les chefs ne connaissent pas leurs tâches.
Ils n’ont fait aucune formation ou aucune immersion pour apprendre et comprendre ce que
font les ouvriers. Par conséquent, ils ne peuvent pas évaluer correctement le travail fait. Ici
au-delà du problème d’équité, on sent également pointer un problème de légitimité du pouvoir
des supérieurs hiérarchiques.
Ainsi, l'hypothèse H4 est bien validée et nous pouvons confirmer l’observation de Sire et
Tremblay (2012, p. 1245) selon lesquels « dans le cas où une partie des décisions est déléguée
aux managers (entretiens d’évaluation, décisions concernant les rémunérations individuelles,
etc.) il faut qu’ils soient sensibilisés non seulement au respect des processus mis en place,
mais aussi au « savoir-être » adéquat avec leurs collaborateurs à chaque étape du processus ».
Nous confirmons enfin qu’il serait nécessaire pour un manager de vérifier la pertinence des
différents outils permettant la reconnaissance de ses collaborateurs (Terramorsi & Peretti,
2011).
21
6. Limites
Cette étude s’est concentrée sur une seule entreprise et, à ce titre, elle comporte des limites en
termes de généralisation puisqu'il s'agit de raisonner à partir d'une situation d'entreprise bien
particulière qui comporte bien entendu ses contingences. Par exemple, notre échantillon est
constitué en grande partie d'une population féminine et senior ce qui met l'accent sur les
questions d'adaptation du salarié à son poste de travail et sur son vieillissement au travail.
Néanmoins, l’ambition de cette recherche n’est pas la généralisation de ses résultats et nous
cherchons à valoriser autrement nos données. Une recherche centrée sur une unique étude de
cas permet en fait de rester fidèle au contexte dans lequel s’effectue le changement. La prise
en compte du contexte paraît en effet indispensable dans le cadre d’une recherche en gestion
du changement organisationnel (Pettigrew et al., 2001).
7. Préconisations
Au terme de cette étude, trois recommandations principales peuvent être formulées à la DRH
du site B :
Améliorer la visibilité des procédures. Le modèle de Leventhal nous fournit des règles
et principes à respecter pour augmenter la visibilité des procédures par les salariés.
C’est justement cette visibilité des procédures qui a une influence positive sur la
perception du sentiment d’équité.
Communiquer davantage sur la répartition des salaires. La transparence en matière de
répartition des salaires permet aux salariés d’accepter plus facilement les salaires. S’ils
ont des éléments concrets et une grille d’évaluation claire sur des sujets et des
compétences à mettre en œuvre, ils seront plus enclins à accepter les différences de
salaires. On revient ici à la notion de la perception de justice organisationnelle dans
l’entreprise. Cela permettrait aussi d’avoir une meilleure visibilité sur les possibilités
d’évolution de carrières.
Former le management intermédiaire. En améliorant le management de proximité, la
communication sera meilleure de même que la perception d'équité par les salariés.
Conclusion
Notre étude a mis en avant l’influence que les managers de proximité pouvaient avoir sur les
liens entre perception de justice par un salarié et son sentiment de reconnaissance. De futures
recherches pourraient permettre de valider le modèle de recherche proposé dans notre article.
Depuis, l'entreprise Alpha a tenu compte des résultats d’étude menée. Tout d'abord, elle a mis
en place une meilleure communication sur les grilles de salaires en interne, et plus largement
elle a formé tous ses managers de proximité au management.
Ainsi, la justice distributive pourrait en fait être délicate à mettre en œuvre dans la mesure où
elle repose sur une perception individuelle et subjective de la justice. En effet, l’interprétation
de cette subjectivité nécessiterait un travail méthodologique exigeant (Mouchet, 2014). En
revanche, l’établissement d’une justice procédurale et interactionnelle semble plus aisée et
dépend des organisations et plus particulièrement du management de proximité qui ont une
certaine marge de manœuvre. Une communication claire des processus permet aussi une
meilleure perception de la justice par les salariés et par la même du sentiment de
22
reconnaissance. De même, une communication de proximité de la part des managers
garantirait un meilleur sentiment de justice interactionnelle et de reconnaissance.
Ainsi la recherche action permet au chercheur de répondre à des questions que se posent les
entreprises tout en apportant un cadre conceptuel qui nourrit la réflexion des deux parties
prenantes. Ce contexte de recherche très enrichissant suppose toutefois que chaque acteur
trouve sa juste place. L'indépendance du chercheur doit être protégée et l'intérêt de l'entreprise
respecté. Il s'agit de cheminer vers un partenariat responsable dans lequel chaque partie
prenante assume sa part de responsabilité (Royer, 2011). Cette recherche abordant un sujet
délicat et sensible en est une illustration.
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