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Io 1923

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INSTRUCTIONS RELATIVES AU NOUVEAU PLAN D'ÉTUDES DES ÉCOLES PRIMAIRES

ÉLÉMENTAIRES
(20 juin 1923)

Introduction
I. Simplicité des programmes
Deux arrêtés du 23 février 1923 viennent de modifier l’horaire et les programmes des écoles primaires
élémentaires. À quel besoin répond la réforme ? Quelles en sont, dans l’ensemble, les idées directrices ?
Quelle en est, dans le détail, la signification ? Il importe que ces questions soient traitées sans retard
devant le corps enseignant afin que, dès la rentrée prochaine, instituteurs et institutrices puissent appliquer
selon son esprit le nouveau plan d’études. À quel besoin répond la réforme ? Le plan dressé par les
auteurs de nos lois scolaires s'est-il révélé défectueux ? En aucune façon. Chaque fois qu'on en relit
l'exposé dans les instructions de 1887 on est rempli d'admiration. Ce n'est pas sans appréhension que nous
nous sommes décidés à apporter à ce monument les retouches que le temps rendait nécessaires. Aussi
bien nous sous sommes gardés d'en détruire les grandes lignes, et, si importants que puissent paraître
certains aménagements nouveaux, ils n'en changent pas le style. En réformant l'institution, nous
entendons restés fidèles aux principes des fondateurs. Mais l'expérience a prouvé que pour obtenir une
meilleure application de ces principes, il devenait nécessaire de préciser l’emploi du temps, de simplifier
et de graduer les programmes, de vivifier les méthodes, de coordonner les disciplines : préciser,
simplifier, graduer, vivifier et coordonner, tel a été notre dessein. L'arrêté du 18 janvier 1887 réglait à
merveille l'organisation du travail dans les écoles primaires. Partager chaque séance en plusieurs
exercices ; placer le matin (ou en début de classe) les exercices qui demandent le plus grand effort
d'attention ; unir étroitement l'enseignement oral et le travail écrit, toutes ces prescriptions demeurent
excellentes, et, quels qu'aient été depuis trente six ans les progrès de la psychologie, de l'hygiène mentale
et de la pédagogie, nous n'y trouvons rien à reprendre. Mais la répartition des heures de classe était faite
avec moins de sûreté. Cette répartition ne permet pas de voir nettement combien de temps doit être
consacré à chaque partie du programme dans chacun des cours de l'école. Et, si l’on voulait faire le total
des heures assignées à chaque discipline, on s'apercevrait que ce chiffre dépasse de quelques unités les
heures de classe réglementaires. À la faveur de cette imprécision, des abus se sont produits : dans
certaines villes, dans certains départements, on a sacrifié des enseignements essentiels - même celui de la
langue française - à d'autres qui, pour intéressants qu'ils soient, ne sont pas d'égale importance. Il fallait
réagir. Tel a été l'objet principal du premier arrêté du 23 février.
Mais la précision du nouvel horaire ne doit pas faire illusion. Cet horaire ne saurait revêtir un caractère
absolument impératif. Il est manifeste que le maître d'une école à classe unique ne pourra pas s'y
conformer pour tous ses enseignements et pour toutes les divisions. Autant que par le passé, il devra, sous
le contrôle de son inspecteur, rédiger un emploi du temps qui s’adapte à la situation particulière de sa
classe. Même dans les écoles à classes multiples, les circonstances pourront obliger les maîtres à modifier
la répartition officielle. L'essentiel est qu'on s’efforce d'appliquer le nouvel horaire aussi strictement que
possible, car il accorde à chaque partie du programme, dans chaque cours, la juste place qui lui revient en
raison du rôle qu'elle doit jouer dans le plan général de l'éducation populaire. Les auteurs du plan de 1887
ont voulu faire simple. Si l'on relit leurs programmes (précaution que ne prennent pas toujours ceux qui
font profession d'en dénoncer la lourdeur) on voit vite combien ce reproche est injustifié : la substance de
sept années de scolarité y tient en quelques pages. Il faut avouer que, depuis 1887, des additions ont été
apportées à certains chapitres, et ces excroissances ne vont pas sans troubler la sobre harmonie du plan
primitif. Mais celui-ci n'en est pas moins d'une réelle simplicité. Il faut avouer encore que, dans la
pratique, on n'a pas toujours su lui conserver ce caractère : les instructions rédigées pour les instituteurs
de chaque département, les livres écrits pour les maîtres et pour les élèves n'ont pas tardé à substituer aux
quelques pages du programme officiel de volumineuses interprétations. Et sans doute il était nécessaire de
développer, pour guider maîtres et élèves dans leur tâche quotidienne, les indications sommaires du
programme général. Mais les interprètes des programmes de 1887 ont abusé de ces développements.
Aussi la mémoire de nos enfants est-elle trop souvent encombrée d'une multitude de détails au milieu
desquels leur esprit se perd, si bien que rien n'y reste, pas même l'essentiel. Les réponses extravagantes
que les journaux attribuent de temps à autre à nos écoliers ne prouvent pas que ceux-ci n'ont rien appris,
mais au contraire que leur mémoire est surchargée de souvenirs mutilés et confus qui s'associent au gré du
hasard. Mieux vaudrait moins apprendre, mais bien retenir ; mieux vaudrait moins de souvenirs, mais
des souvenirs complets et ordonnés. Pour obtenir ce résultat, nous avons pensé qu'il fallait faire plus
simple encore que nos devanciers. Les nouveaux programmes sont deux fois plus courts que les anciens.
Les excroissances qui, avec le temps, avaient défiguré le plan de 1887, ont été extirpées. Et l'on a élagué
tous les articles qui pouvaient paraître trop ambitieux pour l'école élémentaire De cette simplification
résultera pour le maître une plus grande liberté. Nous ne guidons point chacun de ses pas. Nous lui
faisons confiance. Suivant le niveau de sa classe, il pourra aborder ou écarter telle ou telle question,
exposer ou ajourner tel ou tel détail. Il pourra, d'autre part - et même il devra - varier son enseignement
selon les besoins de ses élèves, l'adapter aux conditions de la vie locale. Jouiront d'une liberté analogue
tous ceux qui auront à guider nos instituteurs : auteurs de manuels scolaires, inspecteurs de tout degré.
Mais ils se mettraient en contradiction flagrante avec l'esprit des nouveaux programmes s'ils chargeaient
leurs instructions et leurs livres de détails trop nombreux : en rédigeant des programmes courts, nous
avons tenu à marquer que l'enseignement primaire doit avoir pour qualité principale la sobriété. Nous
reprenons, en y insistant avec énergie, le mot de Gréard que citaient déjà les instructions de 1887 :
"L'objet de l'enseignement primaire n'est pas d'embrasser sur les diverses matières auxquelles il
touche tout ce qu'il est possible de savoir, mais de bien apprendre, dans chacune d'elles, ce qu'il
n'est pas permis d'ignorer".
Pour bien enseigner aux enfants "ce qu'il n'est pas permis d'ignorer", il faut savoir choisir et doser,
suivant leur âge, les connaissances qu'ils auront à assimiler. L'enseignement doit être gradué. C'est perdre
le temps et gaspiller l'énergie des maîtres et des élèves que d'offrir à ceux-ci une nourriture pour laquelle
ils n'ont pas de goût et que leur esprit ne saurait digérer. Mieux vaut laisser l'enfant dans l'ignorance que
de lui imposer un enseignement prématuré. Telle était bien la pensée des auteurs de 1887, et c’est pour ce
motif qu’ils ont rédigé des programmes différents pour les enfants de six à sept ans (section enfantine),
pour ceux de sept à neuf ans (cours élémentaire), pour ceux de neuf à onze ans (cours moyen) et pour
ceux de onze à treize ans (cours supérieur). Mais, d’une part, ils ont peut-être éprouvé une confiance
excessive pour la méthode dite "concentrique", qui fait reparaître, aux divers cours ou aux divisions
successives d’un même cours, les mêmes articles du programme en exigeant simplement qu’ils soient
traités avec une ampleur croissante. Et, d’autre part, ils ont été trahis, sur ce point encore, par leurs
interprètes. Dans beaucoup de départements, peu de temps après 1887, on a vu surgir des programmes
locaux qui plaçaient au cours élémentaire des notions que le programme officiel réservait au cours
moyen, au cours moyen des notions que le programme officiel réservait au cours supérieur. Les auteurs
des manuels scolaires sont tombés – non sans complaisance – dans le même défaut, si bien qu’il est rare
de trouver aujourd’hui dans une classe un livre qui réponde à l’esprit et à la lettre du programme officiel :
les manuels écrits pour les sections enfantines – d’où ils devraient, d’ailleurs, être bannis, car l’enfant,
dans ces sections, n’a pas besoin d’autre livre que le syllabaire – sont du niveau du cours élémentaire ;
ceux que les auteurs destinent aux cours élémentaires suffiraient pour les élèves du cours moyen, et, s’ils
possédaient les connaissances énumérées dans les livres faits pour le cours moyen, on pourrait féliciter de
leur savoir les élèves des cours supérieurs. Sous prétexte que les enfants ne fréquentent guère l’école
après le cours moyen, on a pris l’habitude, pour les contraindre à absorber les matières du cours supérieur,
de fondre ensemble ces deux derniers cours. Ainsi l’échelle construite par les auteurs du plan de 1887
s’est raccourcie. Ce n’est pas en sept ans, c’est en cinq que sont répartis les articles du programme. Les
graves inconvénients de cette précipitation nous ont amenés à penser qu’il fallait revenir à la conception
de 1887 et même, puisque cette conception n’a pas été bien comprise, qu’il fallait en accentuer les
dispositions. Le cours supérieur doit cesser d’être un mythe ; il faut remettre en vigueur l’article 9 de
l’arrêté du 18 janvier 1887, d’après lequel la constitution des trois cours (élémentaire, moyen et supérieur)
est obligatoire dans toutes les écoles. Aussi bien l’arrêté du 24 février 1923 qui scinde le certificat
d’études en deux parties, dont l’une correspond au cours moyen et l’autre au cours supérieur, aura-t-il
pour effet, du moins nous le souhaitons, de ressusciter ce dernier cours, sans lequel l’enseignement
primaire élémentaire est, pour ainsi dire, décapité. Mais la résurrection du cours supérieur aura surtout
pour résultat de mieux marquer les étapes que doit franchir l'écolier, de mieux en mieux, à mesure qu’il
mûrit, les difficultés de sa tâche, la quantité et la qualité de son savoir.
II. Progression de l'enseignement
C'est surtout en examinant le programme de chaque discipline que nous verrons en quoi consiste cette
progression. Ne retenons, pour l'instant, que les traits essentiels. Au cours préparatoire, l'enfant prend
possession de l'instrument sans lequel il ne pourrait acquérir aucune autre connaissance scolaire : il
apprend à lire. Les autres exercices auxquels on le soumet n'ont d'autre but que d'entretenir les bonnes
habitudes physiques, intellectuelles et morales qu'il a contractées à l'école maternelle. Mais
l'enseignement essentiel à cet âge, c'est la lecture ; le cours préparatoire est, avant tout, un cours de
lecture. L'enfant sachant lire, le cours élémentaire, doit lui fournir, en toute discipline, les "éléments", les
faits et les notions simples, sans lesquels il ne comprendrait rien à rien. C'est à ce cours qu'on apprend ce
qu'est un mot et ce qu'est un nombre, ce qu'est un golfe, et ce qu'est un son. Il ne s'agit pas, bien entendu,
d'enseigner aux enfants la définition abstraite de tous ces termes ; c'est, au contraire, en faisant appel à
leurs sens qu'on les amène à se rendre compte de ces réalités. Mais cette méthode concrète s'applique ici à
des éléments simples. Au cours moyen, sans abandonner la méthode concrète, on commence à grouper
ces éléments simples. Cette coordination se fait, non pas exclusivement, mais principalement autour de
deux idées, l'idée de la France (langue française, histoire et géographie de la France, voilà l'essentiel du
programme littéraire) et l'idée du travail (le programme scientifique a pour objet de fournir à l'enfant les
notions indispensables dans la plupart des professions). au cours supérieur apparaît, sous une forme
modeste, le minimum d'abstraction que comporte l'enseignement primaire élémentaire. À ce degré
seulement reçoivent un commencement de systématisation logique les notions morales et les notions
scientifiques que l'enfant a jusqu'alors acquises par une méthode intuitive ou expérimentale. En même
temps, on élargit son horizon ; on lui fait entrevoir, dans les plus lointains pays et dans le plus lointain
passé, des civilisations différentes de la nôtre. Enfin, sans prétendre faire son apprentissage ni même son
préapprentissage, on le prépare avec plus de précision à son rôle de travailleur et de citoyen.
Ainsi se différencient, dans le nouveau plan d'études, les cours de l'école primaire. Chacun a sa
physionomie et sa signification. En passant de l'un à l'autre, l'écolier progresse. Nous voudrions même
que, dans les écoles où chaque cours comprend deux classes, l'écolier fît un progrès en passant de la
première à la seconde division et nous souhaitons qu'on ne prenne pas trop à la lettre le second paragraphe
de l'article 12 de l'arrêté du 18 janvier 1887 d'après lequel, en pareil cas, ces deux classes suivent le même
programme. Ce n'est pas que nous méconnaissons les avantages de la méthode "concentrique" avec des
écoliers de six à treize ans, il serait dangereux de renoncer à toute révision, à toute répétition. Il est des
leçons sur lesquelles il faut revenir, aux divers cours, pour compléter, à mesure que l'enfant est plus
capable de comprendre et de réfléchir, les notions précédemment enseignées. Mais, si l'on veut que l'élève
travaille avec joie et avec profit, il faut lui éviter la monotonie des redites, le dégoût du déjà vu. Il ne faut
pas croire que la mémoire retienne volontiers ce qui est répété "à satiété" ; au contraire, l'enfant a
l'illusion de savoir ce que, dans les révisions, il reconnaît au passage et il ne fait aucun effort pour le
conserver. Si vous tourniez toujours dans le même cercle, ou même dans des cercles concentriques,
auriez-vous du plaisir à marcher ? Donnez donc à votre élève l'impression qu'il avance, qu'il progresse,
qu'il découvre du pays nouveau. À la méthode concentrique préférez la méthode progressive. Celle-ci
exige, comme celle-là, que les connaissances soient solidement acquises ; aller de l'avant, ce n'est pas
nécessairement aller à l'aventure. Dans chaque cours, on s'assurera que les enfants possèdent bien les
notions inscrites au programme ; dans chaque cours, on procédera périodiquement à des révisions.
On ne fera de nouvelles conquêtes que si l'on est sûr de bien tenir le terrain déjà conquis. Et, dans les
derniers cours, on pourra encore, par des questions fortuites, s'assurer que le programme des cours
précédents n'est pas oublié ; on pourra en rafraîchir le souvenir. Mais l'enfant n'en aura pas moins
l'impression, en passant d'un cours à un autre, qu'il pénètre dans un monde nouveau ; et, comme la
graduation des programmes apportera à chaque âge ce qui lui convient, il retiendra aisément ce qu'il a
appris, en temps opportun, avec plaisir.
III. Méthode générale de l'enseignement primaire
La méthode à suivre dans l'enseignement primaire a été définie par les instructions de 1887, en termes qui
n'ont rien perdu de leur valeur. Cette méthode, disent ces instructions "ne peut consister, ni dans une suite
de procédés mécaniques ni dans le seul apprentissage de ces premiers instruments de communication : la
lecture, l'écriture, le calcul, ni dans une froide succession de leçons exposant aux élèves les différents
chapitres d'un cours. "La seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait
intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui un continuel
échange d'idées sous des formes variées, souples et ingénieusement graduées. Le maître part toujours de
ce que les enfants savent, et, procédant du connu à l'inconnu, du facile au difficile, il les conduit par
l'enchaînement des questions orales ou des devoirs écrits à découvrir les conséquences d'un principe, les
applications d'une règle, ou inversement les principes et les règles qu'ils ont déjà inconsciemment
appliqués. "En tout enseignement, le maître, pour commencer, se sert d'objets sensibles, fait voir et
toucher les choses, met les enfants en présence de réalités concrètes, puis peu à peu les exerce à en
dégager l'idée abstraite, à comparer, à généraliser, à raisonner sans le secours d'exemples matériels. "C'est
donc par un appel incessant à l'attention, au jugement, à la spontanéité intellectuelle de l'élève que
l'enseignement primaire peut se soutenir. Il est essentiellement intuitif et pratique : intuitif, c'est-à-dire
qu'il compte avant tout sur le bon sens naturel, sur la force de l'évidence, sur cette puissance innée qu'a
l'esprit humain de saisir du premier regard et sans démonstration non pas toutes les vérités, mais les
vérités les plus simples et les plus fondamentales ; pratique, c'est-à-dire qu'il ne perd jamais de vue que
les élèves de l'école primaire n'ont pas de temps à perdre en discussions oiseuses, en théories savantes, en
curiosités scolastiques, et que ce n'est pas trop de cinq à six années de séjour à l'école pour les munir du
petit trésor d'idées dont ils ont strictement besoin et surtout pour les mettre en état de le conserver et de le
grossir dans la suite. "C'est à cette double condition que l'enseignement primaire peut entreprendre
l'éducation et la culture de l'esprit ; c'est, pour ainsi dire, la nature seule qui le guide ; il développe
parallèlement les diverses facultés de l'intelligence par le seul moyen dont il dispose, c'est-à-dire en les
exerçant d'une manière simple, spontanée, presque instinctive ; il forme le jugement en amenant l'enfant à
juger, l'esprit d'observation en faisant beaucoup observer, le raisonnement en aidant l'enfant à raisonner
lui-même et sans règles de logique". Méthode intuitive et inductive, partant des faits sensibles pour aller
aux idées ; méthode active, faisant un appel constant à l'effort de l'élève et l'associant au maître dans la
recherche de la vérité. Méthode inspirée par la grande tradition des penseurs français qui se sont occupés
de l'éducation, depuis Montaigne jusqu'à Rousseau. Elle est devenue pour nous si classique, elle est
tellement entrée dans nos mœurs que nous n'en sentons plus toujours la valeur, de même que n'apprécient
pas toujours la valeur de la santé ceux qui ont l'habitude de faire jouer leurs organes sans douleur. Elle
nous est si naturelle que nous l'appliquons parfois sans le savoir : si bien que nous ne la reconnaissons
plus lorsque des auteurs étrangers - ou même des auteurs français - viennent nous en exposer les principes
comme s'il s'agissait de sensationnelles nouveautés. La tâche qui s'impose à nous n'est pas de chercher
une nouvelle méthode. Notre effort doit consister surtout à éviter qu'à l'usage notre méthode ne s'altère.
Qui dit usage dit usure. Tel croit très sincèrement suivre toujours une méthode concrète qui peu à peu se
laisse aller à des procédés et à des mots de plus en plus abstraits ; tel croit toujours faire appel à la
réflexion de ses élèves qui peu à peu en vient à leur imposer d'autorité ses opinions. Le grand ennemi de
l'éducateur, c'est l'habitude. Elle tend à transformer en routines mécaniques les pratiques mêmes qui
étaient destinées à lutter contre la routine et le mécanisme. Aussi pour obtenir le résultat visé par les
auteurs du plan de 1887, sommes-nous obligés, sur ce point comme sur d'autres, de faire un pas de plus
qu'eux. C'est pour ce motif que nous avons éliminé des programmes certaines "théories" abstraites qu'ils y
avaient laissées (théories arithmétiques, par exemple, ou théories musicales). C'est pour ce motif qu'à
l'observation, qui laisse encore l'écolier passif, nous préférons, dans la mesure où elle peut être pratiquée à
l'école primaire, l'expérimentation qui lui assigne un rôle actif. Dans certaines écoles, les enfants du cours
préparatoire eux-mêmes pèsent des liquides et se rendent compte de la différence des densités. Et il faut
voir avec quelle joie ils enregistrent les résultats. Nous souhaitons que de telles pratiques se généralisent,
que partout les élèves collaborent à la préparation des leçons, à la récolte des matériaux et des documents
(qu'il s'agisse de cartes postales illustrées, de plantes ou d'insectes) ; que partout ils fabriquent de leurs
mains des objets de démonstration ; que partout ils travaillent effectivement pendant que le maître parle ;
que partout on s'ingénie à rendre la classe plus animée et plus vivante. À l'enseignement par l'aspect,
forme intéressante de la méthode concrète qui n'a pas dit son dernier mot et que le cinématographe va
renouveler, il faut superposer une autre forme de la même méthode qui n'en est encore qu'à ses
balbutiements, mais qui décuplera l'efficacité de l'art pédagogique, l'enseignement par l'action.
IV. But de l'enseignement primaire
D'après le plan d'études de 1887, l'enseignement primaire vise un double but. Il doit donner à ses
élèves "d'abord une somme de connaissances appropriées à leurs futurs besoins, ensuite et surtout de
bonnes habitudes d'esprit, une intelligence ouverte et éveillée, des idées claires, du jugement, de la
réflexion, de l'ordre et de la justesse dans la pensée et dans le langage". L'école primaire, dit encore le
même document, "ne donne qu'un nombre limité de connaissances. Mais ces connaissances sont choisies
de telle sorte que non seulement elles assurent à l'enfant tout le savoir pratique dont il aura besoin dans la
vie, mais encore elles agissent sur ses facultés, forment son esprit, le cultivent, l'étendent et constituent
vraiment une éducation". L'enseignement primaire a donc l'ambition d'être à la fois utilitaire et éducatif,
de préparer l'enfant à la vie et de cultiver son esprit. Combien de critiques n'ont aperçu que l'une de ces
deux fins ? Combien lui ont reproché d'être exclusivement utilitaire ? D'être exclusivement préoccupé du
sort qui attend, dès leur sortie de l'école, la majorité de ses élèves ? À vrai dire, le reproche inverse, qui ne
lui a pas été épargné, serait peut-être plus justifié : peut-être trouverait-on encore dans nos classes trop
d'exercices formels, qui n'ont d'autre but que de soumettre l'esprit ou les doigts à une gymnastique dont
les bienfaits ne se feront sentir qu'à longue échéance et qui pourraient être avantageusement remplacés
par d'autres d'une plus immédiate utilité. Nous n'avons l'intention d'abandonner aucune des deux fins qui
ont été assignées à l'enseignement primaire. Nous n'oublions pas que la plupart de nos élèves devront, dès
qu'ils nous auront quittés, gagner leur vie par leur travail, et nous voulons les munir des connaissances
pratiques qui, dès demain, leur serviront dans leur métier. Mais nous n'oublions pas davantage que nous
devons former en eux l'homme et le citoyen qu'ils seront demain. Le souci des réalités urgentes ne nous
fera pas négliger le culte de l'idéal. Bien plus, il nous semble que ces deux fins de l'enseignement primaire
doivent être considérées comme les deux aspects d'une fin unique. Le travailleur, le citoyen, l'homme ne
sont pas trois êtres différents, mais trois aspects d'un même être. Il n'y a pas de véritable éducation,
pensons-nous, si l'on ne s'efforce à la fois de cultiver l'être humain et de le préparer à la vie. Une
éducation purement utilitaire, qui exclurait de son programme tout ce qui fait la dignité de la conscience
et de la pensée, serait non pas un apprentissage, mais un dressage auquel nul père ne voudrait condamner
son enfant. Une éducation purement formelle, qui bannirait de son horizon le milieu même où vivra
l'enfant, produirait de malheureux déséquilibrés, de véritables déments (s'il est vrai que la folie puisse
résulter d'un défaut d'adaptation). Cherchons donc à donner aux enfants du peuple une éducation qui, si
l'on ose dire, soit à la fois utilitaire et désintéressée, réaliste et idéaliste et qui tienne un compte égal de
leurs besoins les plus effectifs et de leurs plus nobles aspirations.
Dans l'océan immense des notions qui peuvent être offertes à des enfants, puisons celles qui sont
susceptibles de former leur jugement tout en servant à leur vie pratique et réciproquement. Ne choisissons
que celles qui présentent ce double caractère : elles sont assez nombreuses pour constituer un programme
scolaire. Renonçons aux exercices, dits éducatifs, dont l'utilité n'apparaît pas : comme ces mouvements
vains qu'on imposait jadis aux prisonniers de certains pays, condamnés à tourner des manivelles qui ne
commandaient aucun treuil ni aucun engrenage, ces exercices constituent pour les enfants le pire des
supplices. Renonçons, d'autre part, aux leçons qui ne contiendraient qu'un indigeste plat de notions utiles
sans doute mais sans valeur éducative, de notions qui peuvent bien s'emmagasiner dans la mémoire mais
ne déclenchent dans l'esprit aucune réflexion. En procédant ainsi, nous donnerons satisfaction aux deux
catégories d'élèves qui se rencontrent dans nos classes : à ceux qui doivent abandonner leurs études dès la
sortie de l'école et à ceux qui pourront les continuer soit à l'école primaire supérieure ou professionnelle,
soit dans un établissement secondaire. Si l'on a cru nécessaire de séparer ces deux catégories d'élèves et
de réserver à la seconde des classes spéciales douées de programmes particuliers, c'est que l'on jugeait
trop exclusivement utilitaire l'enseignement donné à l'école primaire proprement dite. Nous avons
l'intention de supprimer cette dualité et d'assigner aux classes élémentaires et primaires des lycées et
collèges les mêmes programmes qu'aux écoles ordinaires. C'est que nous considérons comme
indissolublement unies, dans le nouveau plan d'études, les deux fins de l'éducation populaire. En toute
discipline l'instituteur doit s'en tenir aux notions et aux procédés qui, provoquant la réflexion, servent à la
pratique ou, servant à la pratique, provoquent la réflexion. Par chacun de ses actes, par chacune de ses
paroles, il doit viser à la fois le but utilitaire et le but désintéressé de l'éducation...

EDUCATION PHYSIQUE
Abstraction faite de l'influence qu'elle exerce sur l'éducation intellectuelle en rafraîchissant l'attention et
sur l’éducation morale en disciplinant la volonté, l'éducation physique se propose, à l'école primaire, un
double but: corriger les attitudes défectueuses qu'impose trop souvent au corps de l'enfant le travail
scolaire, développer ses qualités physiques, sa force, son adresse, son agilité.
Il ne faut pas oublier que l'âge de nos écoliers est celui de la croissance et qu'à cet âge là tout leur avenir
physique est en jeu. L'éducation physique ne doit leur imposer que des exercices appropriés avec
exactitude aux besoins comme aux moyens de leur âge. Elle est avant tout hygiénique, c'est à dire qu'elle
tend à faciliter et à activer le jeu normal et progressif des grandes fonctions (respiratoires, circulatoire,
articulaire) et à perfectionner la coordination nerveuse. Mais elle n'a pas pour but exclusif l'acquisition de
la vigueur musculaire. Elle écarte, au contraire, tout travail qui, exigeant une dépense excessive de force,
produit un durcissement des muscles et contrarie la croissance régulière. D'une façon générale, elle se
garde de ne s'appliquer qu'à tel ou tel organe au détriment des autres. Elle se porte également sur toutes
les parties de l'organisme, de façon qu'il se développe, dans son ensemble, avec équilibre et harmonie.
Tel étant l'idéal qui doit guider le maître d'éducation physique, comment pourra-t-il le réaliser? Nous
allons le voir en suivant l'enfant depuis le début jusqu'à la fin de la leçon d’éducation physique, et depuis
l'entrée à l'école jusqu'à la sortie.
Tout enfant doit participer aux exercices d'éducation physique. Aucun n'en peut être dispensé, sauf le cas
d'incapacité, permanente ou temporaire, constatée par un certificat médical. Trop souvent, on dispense de
ces exercices les enfants qui, précisément, en auraient le plus besoin puisqu'ils sont les moins vigoureux
et les plus maladifs.
Tout enfant reçoit tous les jours une leçon d'éducation physique. Cette leçon a lieu, en principe, l'après-
midi.
Toutefois, elle pourra être placée le matin pendant la saison chaude, et toutes les fois que les besoins du
service l'exigeront. L'essentiel est que l'heure choisie soit éloignée de l'heure des repas.
Pour les tout petits, la leçon sera courte: de dix minutes environ, si l'on prévoit deux séances quotidiennes,
de vingt minutes environ si l'on en prévoit qu'une. Pour les autres cours les deux heures accordées par
l'emploi du temps se décomposeront en trois séances de vingt minutes (les lundis, mardis et vendredis), et
deux leçons complètes d'une demi-heure (les mercredis et samedis). En dehors de ces séances, des
mouvements respiratoires seront exécutés, entre deux exercices scolaires, toutes les fois que l'on verra
l'attention fléchir. Ces mouvements seront exécutés debout et fenêtres ouvertes. Enfin, les récréations qui
coupent les exercices de chaque classe dureront environ dix minutes le matin et dix minutes le soir. Elles
pourront parfois se décomposer en deux parties dont l'une précédera et l'autre suivra la leçon d'éducation
physique. Toute leçon d'éducation physique doit être donnée en plein air, ou, si le temps est mauvais,
dans un préau largement ouvert. Il est urgent de poursuivre partout l'établissement de terrains de jeux
avec douches ou piscines. En attendant cette importante amélioration de nos installations scolaires, il faut
saisir toutes les occasions pour utiliser les espaces libres qui peuvent être mis à la disposition de l'école.
L'enfant qui se présente à la leçon d’éducation physique EP doit avoir la pleine liberté de ses
mouvements; il doit donc se débarrasser de sa coiffure, de son faux-col, de sa cravate; au cours de la
leçon, il se dévêtira progressivement, si la température le permet. Il doit avoir des chaussures qui ne
l'empêchent ni de courir ni de sauter.
Toute leçon complète d'éducation physique doit être préparée, comme les autres, par écrit. Elle doit être
conduite avec méthode et se diviser en trois périodes: d'abord, une mise en train, puis, la leçon
proprement dite, enfin le retour au calme. Pas de brusque départ qui violente le système nerveux. Un
entraînement progressif, puis après les exercices les plus fatigants, une diminution progressive des efforts
afin d'éviter une brusque cessation d'activité qui pourrait provoquer un refroidissement dangereux.
Il serait bon, après la leçon, de faire procéder à une friction du torse. S'il paraît difficile d'obtenir partout
des ablutions à l’eau froide ou tiède, il sera toujours possible de demander aux élèves de se pourvoir d'une
serviette sèche réservée à cet usage.
Pour le détail des exercices, les maîtres feront bien de se reporter au « Projet de règlement général
d'éducation physique » (première partie - enfance), qui a été publié par le ministère de la guerre et
approuvé par le ministre de l'instruction publique. Ils y trouveront une liste et un commentaire des
mouvements que notre programme recommande pour chaque cours. Bornons-nous à quelques indications.
Au cours préparatoire, et même au cours élémentaire, les jeux prédominent. Ils ne sont exclus ni du cours
moyen, ni du cours supérieur, et l'on en sera pas surpris si l'on se rappelle que notre but n'est pas de faire
des athlètes, mais de favoriser le fonctionnement libre et régulier des principaux organes. Aux jeux
viennent s'adjoindre, pour les enfants du cours moyen, des mouvements éducatifs et correctifs: des
marches, des exercices d'escalade, des sauts, des courses, des luttes des mouvements destinés à
développer successivement les diverses parties de l'organisme; enfin, des mouvements destinés à
augmenter le pouvoir du système nerveux en rompant les associations motrices habituelles pour permettre
au cerveau d’en réaliser d'autres: tels sont les mouvements dissymétriques (circumduction des poignets en
sens opposé; faire du bras gauche le geste de tirer un cordon de sonnette, tandis que du bras droit on
tourne une manivelle, etc); ils assouplissent les organes et les mettent à la disposition de la volonté.
Comme l'ancien programme, le nouveau fait figurer au cours moyen des exercices de natation. Si l'eau
manque, on fera exécuter à sec les mouvements du nageur. Si l'eau ne manque pas, on les fera exécuter
dans des endroits de la rivière où enfant ne perdra pas pied et l'on ne cessera de le soutenir. Mais malgré
la responsabilité grave que l'apprentissage natation fait peser sur les maîtres, il n'a pas paru possible
d'éliminer du programme des exercices dont l'utilité et la valeur éducative sont également incontestées.
Le programme du cours supérieur présente, par rapport à celui du cours moyen, deux nouveautés: «
éducation des sens au cours des promenades scolaires » et « application des exercices à la vie courante ».
Il s'agit de faire de l'éducation de la vue, de l'ouïe, des autres sens par les procédés que déjà recommandait
Jean-Jacques, et que, de nos jours, le scoutisme a très heureusement renouvelés et perfectionnés. Il s'agit
d'amener les enfants à apprécier les distances, à se mettre en garde contre un danger, à se tirer d'une
difficulté imprévue, à s'aider eux-mêmes et à aider les autres, à développer à la fois le sens de l'initiative
individuelle et le sens de la solidarité. Ces qualités que, à l'intérieur de l'école, la leçon de travail manuel
doit faire acquérir à l'enfant, la leçon d'éducation physique les lui fera également acquérir, en dehors de
l'école, au cours des promenades. Et comme la leçon de travail manuel, la leçon d'éducation physique
s'adaptera à la vie de l'écolier, elle doit proscrire les exercices abstraits; toutes les fois qu'on le pourra, il
conviendra de montrer que les exercices n'ont rien d'artificiel mais peuvent s'appliquer à la vie courante.
On ne grimpe pas pour grimper; on grimpe pour pouvoir franchir un obstacle, un mur par exemple, ou
pour pouvoir découvrir du haut d'un arbre, le but qu'on veut atteindre ou le spectacle qu'on veut admirer.
De même, les exercices du saut doivent permettre de franchir un fossé ou un ruisseau. Toute gymnastique
doit être utile en même temps qu'elle doit être éducative.
Tout ce qui vient d'être dit convient aux filles comme aux garçons. Il appartient aux institutrices de
choisir les jeux et les mouvements les mieux adaptés au sexe féminin, ceux qui donnent de l'agilité et de
la grâce plutôt que ceux qui donnent de la force. Toutes les fois que ce sera possible, on aura soin, dans
les écoles de filles, d'associer la musique à la gymnastique. Mais abstraction faite de ces différences
d'ailleurs importantes, le programme et la méthode d'éducation physique sont identiques dans les écoles
de filles et dans les écoles de garçons.
Ce programme et cette méthode sont tels qu'ils peuvent être appliqués par tout instituteur et toute
institutrice. Il n'est pas nécessaire, pour les suivre, d'être un gymnaste de profession. Aucun des
mouvements prescrits n'est irréalisable pour un homme ou une femme de santé normale, et beaucoup, loin
d'être irréalisables par des malades, serviraient au rétablissement de leur santé. Au surplus, pour certains
mouvements, le maître peut recourir à la collaboration d'un moniteur choisi parmi les élèves. Un moniteur
intelligent comprend un mouvement sur le vu d'une image, d'un schéma, ou à l'aide d'explications
simples. Lorsqu'il sait le faire, il le montre à ses camarades, suivant les indications du maître qui dirige et
rectifie. Mais il vaut mieux que le maître paye d'exemple. Il le pourra presque toujours. Pour les plus
jeunes, l'épreuve de gymnastique du brevet élémentaire les aura obligé à acquérir en cette matière des
connaissances suffisantes. Et elles ne sont pas inaccessibles aux plus âgés. Nul instituteur, nulle
institutrice ne peut donc arguer de son incompétence pour négliger l'éducation physique. Et celle-ci doit
faire, dès la rentrée prochaine, de sérieux progrès dans nos écoles.
Si cette discipline est la dernière sur le nouvel emploi du temps, ce n'est pas à dire qu'elle doive être au
dernier rang dans les préoccupations des éducateurs. Aucun rang de préséance n'a été établi entre les
diverses matières d'enseignement. Et la preuve que nous désirons voir grandir le rôle de l'éducation
physique, c'est que, au moment même où nous réduisons le temps assigné à la plupart des disciplines,
nous augmentions celui qui lui était réservé. Nous sommes bien certains que l'éducation intellectuelle ne
souffrira pas de ce léger sacrifice qu'elle consent à l'éducation physique. Et l'on peut espérer que cette
modeste réforme résultera pour la race française un regain de vigueur et d'énergie.
CONCLUSION
Lorsque le nouveau plan d'étude entrera en vigueur, lorsque les instructions qui les commentent seront
appliquées selon leur esprit, qu'y aura-t-il de changé dans notre école nationale? Certes les anciennes
pratiques n'auront pas été du jour au lendemain remplacées par des pratiques contraires; aucune
révolution brutale n'aura bouleversé nos institutions scolaires. Nombreux sont les maîtres qui, dès
maintenant, s'inspirent de principes analogues, à ceux qui ont dicté les nouveaux programmes. Mais, en
devenant plus générale, l'application de ces principes permettra de réaliser de sérieux progrès.
L'école, telle que nous la rêvons, sera, du dehors, avenante et accueillante, entre un jardin fleuri et des
cours ensoleillées. A l'intérieur, elle sera inondée d'air et de lumière. Et cette gaieté que lui donneront les
dispositions matérielles prises par l'architecte, nous voudrions qu'elle fut entretenue grâce aux
dispositions pédagogiques prises par l'instituteur. On ne travaille bien que dans la joie. Bien démodées
sont les bâtisses scolaires – encore trop fréquentes cependant - qui ressemblent à de sombres prisons.
Mais un magister au ton rude ne serait pas moins archaïque. Ce n'est pas à dire que tout règlement
disciplinaire doive être aboli: la volonté et la raison de l'enfant sont trop peu formées pour qu'on puisse
tout espérer de la persuasion. Mais on peut faire en sorte que l'emploi de la punition devienne
exceptionnel et que l'atmosphère de la classe soit à peu près constamment d'une parfaite sérénité. Ce n'est
pas par la crainte, c'est par l'affection que le maître obtient le travail le plus régulier et le plus productif.
Le travail sera d'autant plus régulier et productif que l'enseignement sera plus vivant. A chaque étape de
ces instructions, qu'il s'agisse de l'enseignement de la morale ou de celui du travail manuel, de celui de la
grammaire ou de celui de la musique, de celui de l'histoire ou de celui des sciences, nous avons préconisé
les méthodes susceptibles d'intéresser l'enfant, bien plus, de lui inspirer pour son travail une sorte
d'enthousiasme. On aurait tort de confondre la théorie contenue dans ces pages avec la théorie de
l'éducation attrayante. Notre but n'est pas d'amuser les écoliers. Mais nous voulons que les écoliers
travaillent avec plaisir, parce que le plaisir est un moyen efficace de stimuler leur activité. Le plaisir dont
il s'agit ici n'est pas une jouissance passive, c'est la joie qui accompagne toute activité libre, consciente de
travailler à la réalisation d'un bel idéal. C'est la joie qu'éprouve le touriste au cours d'une ascension qui
exige pourtant de lui beaucoup d'efforts et beaucoup de fatigue, mais, où il sait que chaque pas le
rapproche d’un spectacle magnifique. Ce que nous souhaitons, ce n'est pas qu'on réduise au minimum les
efforts intellectuels de l'écolier: c'est, au contraire, qu'on l'amène à les multiplier en les lui faisant
accomplir dans la joie. Tous les procédés qui rendent l'enseignement concret, qui font appel à l'activité de
l'enfant, qui permettent de passer par d'habiles transitions du jeu à la leçon, sont de nature à créer dans la
classe les dispositions intellectuelles et morales sans lesquelles il n'est pas de bon travail. La curiosité est
éveillée, l'intérêt excité, et chacun fait avec entrain une tâche dont il tirera bon profit. Nous ne demandons
pas qu'on laisse chacun agir au gré de son caprice: l'école n'est pas plus une salle de jeu qu'elle n'est une
prison. L'école est l'école: une réunion d'enfants qui travaillent de bon coeur à leur éducation commune,
sous la direction de leur maître.
Plus d'air, plus d'aisance, plus de liberté, plus de joie et partant plus de travail. Des efforts plus nombreux
parce qu'ils seront plus volontairement consentis, des efforts mieux équilibrés et mieux coordonnés parce
que chaque discipline occupera sa juste place; des efforts plus fructueux parce qu'ils seront mieux adaptés
aux besoins présents de notre patrie; des enfants mieux instruits par un dosage plus exact des
connaissances qu'ils doivent progressivement acquérir, par une culture plus méthodique de leurs facultés;
des caractères mieux formés par une éducation morale moins abstraite mais non moins haute; voilà ce que
nous attendons de cette réforme de l'enseignement primaire. Puisse-t-elle donner au pays des travailleurs,
des citoyens, des hommes qui, imbus de son idéal, contribuent à accroître sa prospérité et sa grandeur.

Paris, le 20 juin 1923


Le ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts
Léon BERARD

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