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Reform and Security Strategy in Tunisia - International Crisis Group

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24/7/2015 Reform and Security Strategy in Tunisia ­ International Crisis Group

Réforme et stratégie sécuritaire en Tunisie


Rapport Moyen­Orient/Afrique du Nord N°161 23 Jul 2015

REUTERS/Anis Mili

SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS

La Tunisie réagit au jour le jour à des violences jihadistes qui se multiplient et dont l’ampleur
s’aggrave, mais son appareil de sécurité intérieure est globalement dysfonctionnel. Les attentats
de Tunis et de Sousse, en mars et juin 2015, et les attaques fréquentes contre la police, la garde
nationale et l’armée depuis plus de deux ans, particulièrement dans les zones frontalières,
démontrent la percée significative des groupes islamistes radicaux. Les autorités éprouvent des
difficultés à faire face à cette menace et à développer une politique publique de sécurité. Si la
situation est en grande partie liée aux problèmes internes des forces de sécurité intérieure (FSI),
le contexte régional n’aide guère. Pour faire face à cette violence, mais aussi mieux gérer les
contestations politiques et sociales, une réforme d’envergure des FSI est nécessaire.

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et affirme son autonomie vis­à­vis du pouvoir exécutif et législatif au lieu de se professionnaliser
et de renforcer son efficacité et son intégrité. Ses membres, souvent démotivés, exercent leur
métier dans une institution déstructurée et politisée dans le sillage du soulèvement de
décembre­janvier 2010­2011 et dont les statuts remontent à la dictature. Pendant la période de
transition qui l’a suivie, les partis politiques ont profité du pouvoir discrétionnaire des ministres
de l’Intérieur successifs en termes de révocation, de nomination et de promotion du personnel ;
les syndicats de police censés défendre l’institution n’ont, pour la plupart, fait qu’aggraver ses
divisions.

Nombre de cadres et d’agents considèrent désormais les réformes comme un élément


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déstabilisateur à l’image de la révolution et de ceux qui s’en réclament. Un récent projet de loi
consacrant l’impunité des forces armées (FSI, armée nationale, douanes) et défendu en
particulier par les FSI, montre que celles­ci se recroquevillent sur elles­mêmes. Aux discours
politiques qui les renvoient dans le camp de la contre­révolution, de la dictature et des atteintes
aux droits humains, répond celui qui, au nom de la guerre contre le terrorisme, oppose sécurité
à démocratie.

Beaucoup de professionnels des FSI sont inquiets de l’état de leur institution, même s’ils
estiment que celle­ci est en mesure de se réformer sans que des acteurs extérieurs
n’interviennent. Les priorités seraient d’améliorer ses capacités de gestion, de réduire ses
mauvaises pratiques (brutalités policières, croissance de la petite corruption) et de lutter contre
le développement du système clientéliste qui risque de la gangréner.

Or, la présidence de la République, le gouvernement et l’Assemblée des représentants du peuple


(ARP) ont leur mot à dire pour améliorer le fonctionnement du corps sécuritaire (contrôle
parlementaire par exemple). Plutôt que de tenter d’imposer leur vision aux FSI, ils devraient
canaliser la volonté d’indépendance de celles­ci : les encourager à renforcer leurs propres
instruments de contrôle interne, recadrer leur fonctionnement dans le nouveau contexte
démocratique, et offrir le soutien indispensable à leur professionnalisation.

L’expérience de ces quatre années de transition montre que la lutte frontale entre FSI et pouvoir
politique aboutit à une impasse. La révolution et la contre­révolution n’ont pas été à la hauteur
de leurs ambitions. Leur combat, en partie exagéré par le citoyen ordinaire, a produit la fausse
antithèse entre ordre et liberté qu’il convient aujourd’hui de dépasser.

Le gouvernement et le parlement devraient se mettre d’accord avec les FSI sur des nouvelles
règles déontologiques, élaborées en commun à l’issue d’une large consultation à l’intérieur et à
l’extérieur du corps sécuritaire. Celles­ci prendraient notamment en compte la nouvelle mission
des forces de l’ordre dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Ceci suppose une réflexion collective, en
particulier au sein du ministère de l’Intérieur, ainsi qu’un débat politique national sur la notion
de sécurité, le rôle et les missions de la police (distinctes de l’armée), les causes de la fracture
Nord/Sud et de la violence jihadiste ainsi que la crise de confiance de la population envers
l’appareil sécuritaire.

La présidence de la République, le gouvernement et les partenaires internationaux de la Tunisie


gagneraient à comprendre que corriger de manière urgente les dysfonctionnements des FSI
pour faire face aux défis sécuritaires, ne peut se limiter à l’amélioration de l’équipement des
unités d’intervention ou au renforcement des capacités opérationnelles anti­terroristes, même si
ceci est nécessaire. Renforcer l’appareil de sécurité intérieure passe en priorité par la
modification des statuts juridiques qui régissent le secteur, la mise en œuvre d’un ambitieux
plan de gestion des ressources humaines ainsi que l’amélioration de la formation initiale et
continue.

Sans une réforme des FSI qui permettrait d’appliquer une stratégie de sécurité globale, le pays
maintiendra une gestion des crises au coup par coup, à mesure que son environnement régional
se dégrade et que ses tensions politiques et sociales augmentent, au risque de sombrer dans le
chaos ou de renouer avec la dictature.

Prévenir ce scénario demande un effort conjoint de la classe politique et du secteur de la sécurité


intérieure. Ceci semble fondamental pour éloigner la tentation de restaurer la « peur du
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policier » ou de conférer toujours plus de tâches de sécurité intérieure à l’armée nationale dans
le but de compenser la faiblesse et la mauvaise gestion des FSI.

Cet ensemble de mesures représente une étape préliminaire essentielle pour repenser la réponse
à la montée des violences sociales et politiques. Celles­ci constituent un enjeu national qui va
au­delà de la mission des forces de l’ordre : nécessité à terme de concrétiser des projets de
développement dans les régions frontalières, de rénover l’habitat dégradé dans les zones
périurbaines, d’améliorer les conditions carcérales, et de promouvoir des alternatives à
l’idéologie jihadiste, entre autres. Les FSI ne doivent pas se retrouver seules à combler le
manque de vision stratégique de la classe politique.

RECOMMANDATIONS

Afin d’apporter une réponse équilibrée et proportionnelle à la montée du jihadisme et des


violences sociales, et d’aider le pays à sortir de la fausse opposition entre ordre et liberté

A la présidence de la République et au gouvernement :

1. Eviter la tentation de conférer des tâches de police judiciaire à l’armée nationale afin de
corriger les dysfonctionnements des forces de sécurité intérieure (FSI) et d’améliorer la sécurité
à court terme.

2. Multiplier les réunions de la cellule de coordination sécuritaire et de suivi, et privilégier un


discours anti­terroriste qui ne soit pas antireligieux.

3. Poursuivre le projet de création du centre de regroupement des informations sécuritaires


(fusion centre) et, au­delà de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères,
l’élargir à de nouveaux ministères (Education, Formation professionnelle, Affaires religieuses).

4. Organiser une conférence nationale ouverte à tous sur la notion de sécurité dans un état de
droit, le rôle et les missions de la police, les causes de la fracture Nord/Sud et du jihadisme, la
crise de confiance de la population envers l’appareil sécuritaire, et les moyens démocratiques de
traiter les problèmes actuels, avec comme objectif de briser les tabous et établir un constat
objectif.

Aux principaux partis politiques :

5. Eviter d’instrumentaliser la menace terroriste sur le plan politique en en renvoyant la


responsabilité sur ses adversaires.

Afin d’améliorer la professionnalisation des FSI pour qu’elles répondent aux défis sécuritaires de
la Tunisie de l’après Ben Ali

Au gouvernement et à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) :

6. Mettre en place une série de consultations internes sur la manière dont les fonctionnaires de
la sécurité conçoivent leur profession dans la Tunisie de l’après Ben Ali ; le bilan des échanges
servant de base à un nouveau code de déontologie des FSI.

7. Créer, en collaboration avec les ministères de l’Intérieur et de la Justice, un Haut comité de


la réforme et de la gestion du corps sécuritaire, élu par les membres des FSI dans le but de
renforcer la cohésion du corps, de faire respecter les principes de moralité et de compétence, et

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de garantir la qualité des services de sécurité. Ce comité :

a) participera à l’élaboration d’un nouveau code de déontologie des FSI en partenariat avec les
commissions compétentes de l’ARP ;

b) mettra en œuvre, de concert avec la Direction générale de la formation professionnelle du


ministère de l’Intérieur, un plan de gestion stratégique et systémique des ressources
humaines (cellule psychologique pour le recrutement, référentiel d’emploi et de fonction,
informatisation des variables de compétences) ;

c) participera à la révision des statuts juridiques qui fixent la mission, les modalités de
recrutement, de formation, de promotion ainsi que les relations hiérarchiques des agents et
des cadres des FSI, notamment la réduction des prérogatives de nomination et de mutation
du ministre de l’Intérieur et de la loi n°82­70 du 6 août 1982 portant statut général des
forces de sécurité intérieure.

8. Accélérer la création du pôle de formation professionnelle de la sûreté nationale du ministère


de l’Intérieur.

Aux ONG internationales, aux instances internationales et aux Etats partenaires de la


Tunisie dans le domaine de la sécurité :

9. Soutenir de manière prioritaire la réforme des statuts, la mise en place d’un plan de gestion
des ressources humaines des FSI, l’amélioration de la formation initiale et continue, notamment
le projet du pôle de formation professionnelle de la sûreté nationale.

10. Coordonner les aides bilatérales et multilatérales.

Afin de mieux exercer le contrôle démocratique sur les FSI et d’encourager leur
professionalisation

Au gouvernement et aux membres de l’ARP, notamment ceux de la Commission de


législation générale, de la Commission de l’organisation de l’administration des forces
armées et de la Commission sécurité et défense :

11. Participer à l’élaboration d’un nouveau code de déontologie des FSI, co­signer avec le Haut
comité de réforme et de gestion du corps sécuritaire un agenda clair de réforme du secteur de la
sécurité. L’ARP devrait mettre en œuvre cette réforme sous la forme d’une loi organique,
comme prévu par la constitution.

12. Valoriser le travail de contrôle parlementaire de la Commission de l’organisation de


l’administration des forces armées et de la Commission sécurité et défense (formation des
députés sur les questions sécuritaires, embauche d’attachés parlementaires entre autres).

Tunis/Bruxelles, 23 juillet 2015

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