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Reflets
Revue ontaroise d'intervention sociale et communautaire

Les jeunes et leurs visions du féminisme


Christiane Bernier et Renée C. Mallet

Visibles et Partenaires : Pratiques et recherches féministes Résumé de l'article


Volume 3, numéro 2, automne 1997 Nous présentons, dans cet article, une partie des résultats d’une enquête qui portait
sur les opinions des jeunes, particulièrement des jeunes femmes, sur le féminisme.
URI : https://id.erudit.org/iderudit/026176ar Cette enquête a été effectuée auprès d’étudiantes et d’étudiants inscrits dans divers
DOI : https://doi.org/10.7202/026176ar programmes de baccalauréat. Les résultats présentés ici démontrent que les jeunes
femmes d’aujourd’hui donnent, dans l’ensemble, une définition relativement
favorable du féminisme, mais ne semblent pas voir comme nécessaire leur
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implication dans le mouvement.

Éditeur(s)
Reflets : Revue ontaroise d'intervention sociale et communautaire

ISSN
1203-4576 (imprimé)
1712-8498 (numérique)

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Citer cet article


Bernier, C. & Mallet, R. C. (1997). Les jeunes et leurs visions du féminisme. Reflets, 3
(2), 128–142. https://doi.org/10.7202/026176ar

Tous droits réservés © Reflets : Revue ontaroise d'intervention sociale et Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services
communautaire, 1997 d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous
pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.


Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université
de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour
mission la promotion et la valorisation de la recherche.
https://www.erudit.org/fr/
Le dossier Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997

Les jeunes et leurs visions du


féminisme
Nous présentons, dans cet article, une partie des résultats d’une enquête qui portait sur les
opinions des jeunes, particulièrement des jeunes femmes, sur le féminisme. Cette enquête a été
effectuée auprès d’étudiantes et d’étudiants inscrits dans divers programmes de baccalauréat.
Les résultats présentés ici démontrent que les jeunes femmes d’aujourd’hui donnent, dans
l’ensemble, une définition relativement favorable du féminisme, mais ne semblent pas voir
comme nécessaire leur implication dans le mouvement.

Christiane Bernier
Professeure, Département de sociologie, Université Laurentienne
Renée C. Mallet
Étudiante, École de service social, Université Laurentienne

Introduction

Est-il vrai que les jeunes d’aujourd’hui ont une telle vision du
féminisme que cela les détourne de militer activement au sein
d’organismes qui promeuvent la transformation des espaces
symboliques féminin et masculin? Est-il possible que l’appellation
même de «féministe» soit encore si connotée et renvoie à une
telle image de repoussoir que les jeunes femmes ne veulent surtout
pas y être identifiées? Et si tel est le cas, comment ces jeunes
femmes se définissent-elles? Quels sont les éléments à partir
desquels elles construisent leur identité de femme, dans un monde
où la lutte des femmes pour l’espace social et économique n’est
certes pas gagnée?

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

Pour le savoir, Renée, avec la collaboration de Christiane, a voulu


mener une recherche auprès de jeunes adultes universitaires de
niveau baccalauréat, dans le cadre d’un cours portant sur les
rapports de sexe. L’objectif de la recherche ne prétendait pas
dévoiler dans quelle mesure les jeunes sont informé-es ou non
des diverses politiques qui sont favorables aux femmes dans la
société contemporaine, ni même de mesurer leur savoir sur les
diverses tendances du féminisme actuel et les débats multiples
qui s’y expriment. Il s’agissait plutôt de découvrir à quoi la
symbolique féministe correspond dans leur esprit.
Ce sont les résultats partiels de cette enquête qui sont livrés
ici, agrémentés des réflexions qu’ont suscité l’analyse des résultats
chez chacune des auteures.

Contexte de la recherche

Militante féministe dans des organismes sociaux et para-


«…l’expérience de universitaires, l’expérience de Renée l’a amenée à penser que les
Renée l’a amenée à personnes de moins de trente ans, et particulièrement les jeunes
penser que les hommes, ont une opinion assez négative du féminisme, alors que
personnes de moins de les jeunes femmes ne sentent pas la nécessité de travailler pour la
trente ans, et «cause des femmes». Comment alors les «recruter» pour venir
particulièrement les grossir les rangs devenus trop maigres des femmes actives dans le
mouvement?
jeunes hommes, ont
une opinion assez Christiane s’intéresse plutôt à un autre aspect de la question :
négative du si les convictions de Renée s’avèrent, où s’en va donc le féminisme?
féminisme…» Le changement de génération en sonnera-t-il le glas? Selon elle,
ce qui importe ce n’est pas tant que le Féminisme avec un grand
F doive être maintenu dans sa version idyllique, mais de découvrir
si son «détournement» ou son «évitement» n’entraîne pas un retour
en arrière sur des valeurs dites «féminines» présentées comme vertu.
Bien sûr, la question de la relève, au sein du mouvement
féministe, n’est pas nouvelle. Déjà, à la fin des années 1980, les
féministes de la première heure, épuisées et inquiètes sans doute,

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Le dossier Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997

se demandaient bien comment — et surtout à qui — passer le


flambeau. Non résolue à cette époque, cette question demeure
particulièrement épineuse pour diverses raisons.
Une des raisons majeures réside assurément dans le contexte
dans lequel vivent les jeunes femmes d’aujourd’hui, qui ont
bénéficié, à double titre, du travail de leurs mères féministes. D’une
part, elles n’ont plus à revendiquer ce qui a été acquis et qui est
devenu monnaie courante, non seulement dans le langage
quotidien, mais aussi dans les représentations sociales (le principe
de l’égalité constitutionnelle des sexes, le droit de la femme non
accompagnée aux espaces publics, l’autonomie juridique de la
femme mariée, l’accès au patrimoine après divorce, le partage de
la responsabilité de la garde des enfants, les lois anti-viol, l’anti-
harcèlement…). D’autre part, après voir été témoins du coût
physique et psychologique qu’ont dû payer les superwomen de
leur enfance pour tenter de tout faire, tout concilier, tout changer,
elles en tirent peut-être une leçon d’expérience, en se disant «à
moi, ça n’arrivera pas!», et se refusent à tout militantisme.
Mais ces raisons, que l’on invoque à la décharge des jeunes
femmes d’aujourd’hui qui, en grande majorité, ne se sentent pas
concernées par le mouvement féministe, sont-elles les bonnes?
Serait-ce ce qu’elles répondraient si la question leur était posée?
Ou bien ont-elles une vision du féminisme ou des critiques portant
«…le féminisme, sur d’autres éléments, d’autres enjeux? Par exemple, le féminisme,
quelle qu’en soit la quelle qu’en soit la tendance théorique, pourrait ne pas répondre
tendance théorique, à leurs besoins de jeunes femmes d’aujourd’hui, comme l’ont
pourrait ne pas mentionné certaines d’entre elles (Godin 1990; Michaud 1994;
répondre à leurs Vanstone 1996)? Ou que les rapports hommes/femmes instigués
besoins de jeunes par les revendications féministes ont impliqué trop d’agressivité
femmes et qu’elles aimeraient bien en faire changer la teneur…
d’aujourd’hui…» L’enquête
L’enquête a été menée au mois de mars 1997, dans les classes de
l’Université Laurentienne de Sudbury, sur une population
d’étudiantes et d’étudiants de niveau baccalauréat, toutes disciplines
confondues.

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

La collecte de données
La collecte de données a été réalisée à partir d’un questionnaire
auto-administré, comprenant, outre les questions d’ordre socio-
démographique de base :
1. Une échelle de Likert, à partir de laquelle on demandait aux
répondantes et aux répondants de donner leur opinion sur le
féminisme en se prononçant sur une douzaine d’énoncés1.
2. Une question ouverte portant sur leur définition du féminisme
(Qu’est-ce que le féminisme pour toi?) dont l’objectif était
d’identifier à partir de quels mots, de quels éléments les jeunes
parlent du féminisme; cela explique pourquoi nous avons tenu
à rester résolument vagues sur le mot comme tel de féminisme,
parce qu’en avoir identifié des tendances aurait, à notre sens,
biaisé les résultats.
L’échantillon
L’échantillon retenu, comme l’indique le tableau 1, comprend
164 personnes inscrites dans divers programmes de baccalauréat,
de la première à la quatrième année. Le groupe visé par l’enquête
était les jeunes femmes de moins de trente ans; cependant, aux
fins d’exemples et de comparaison, nous avons conservé les
données provenant des autres répondants. Deux sous-échantillons
ont ainsi été constitués : celui des personnes de sexe masculin et
celui des personnes de plus de trente ans, recrutées dans les mêmes
classes. On remarquera sans peine le déséquilibre entre les sous-
groupes de l’échantillon.
Tableau 1 — Profil de l’échantillon global (n = 164)

Sexe Âge Programme


Féminin = 140 19 ans 55 Sciences sociales 55
Masculin n = 23 20 ans 36 Humanités 15
Manquant n=1 21 ans 26 Écoles professionnelles 74
22 à 29 ans 35 Sciences 18
30 et plus 12 Manquant 2

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Le dossier Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997

L’analyse des résultats


Les données obtenues ont été soumises à deux types d’analyse:
quantitative et qualitative.
En premier lieu, les réponses à l’échelle d’attitude ont été
traitées à l’aide de différents tests statistiques (corrélations, tests t
et régressions multiples). Nous voulions, à partir de ces tests, obtenir
deux sortes d’informations. D’une part, identifier l’influence de
l’âge et du sexe sur la variation des opinions exprimées pour
chaque énoncé. D’autre part, nous avons cherché à voir si des
tendances réelles, en faveur ou contre le féminisme — toujours
en fonction de l’âge et du sexe —, pouvaient être identifiées dans
l’ensemble des réponses. En effet, les énoncés avaient été construits
de telle sorte que des regroupements étaient possibles, identifiant
certaines valeurs à l’égard du féminisme: soit en faveur, soit à
l’encontre, voire encore sans connotation particulière lorsque
l’énoncé est de type descriptif ou n’implique pas une position
claire. Cette axiologisation volontaire de l’ensemble des énoncés
avait été conçue pour identifier trois blocs d’attitudes : pro-
féministes, anti-féministes et indéterminées.Mais, pour des raisons
liées au type d’échantillon obtenu (manque d’homogénéité entre
les sous-groupes, déséquilibre des échantillons contrôles), les
résultats de cette partie de l’enquête, même s’ils ont été soumis
aux traitements statistiques appropriés, ne peuvent être retenus
sans risque. Aussi la prudence nous impose-t-elle de les soumettre à
une vérification ultérieure: ils feront donc l’objet d’une recherche
subséquente.
En deuxième lieu, les données provenant des définitions du
féminisme ont été traitées à partir d’une analyse de contenu de
type thématique; nous avons donc identifié les catégories et les
sous-catégories auxquelles renvoient les éléments mentionnés dans
les énoncés de chacune des définitions.
Nous présentons ici les résultats de l’analyse qualitative.

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

Lecture des résultats : les éléments d’une


représentation sociale
À la question «Qu’est-ce que le féminisme pour toi?», un total de
146 définitions ont été retenues parmi les réponses obtenues : dix
personnes s’étant abstenues et huit autres ayant déclaré «je ne sais
pas». Ces définitions, relativement succinctes en général, sont assez
disparates du point de vue de la forme : elles peuvent se présenter
comme un ensemble d’énoncés articulés, émettant plusieurs idées,
ou comme une vision réfléchie du phénomène…
Pour moi le féminisme c’est l’étude de la condition des
femmes. C’est aussi l’affirmation de nos droits et liberté [s]
en tant que femme (F156, 20 ans).
…tantôt elles ne seront composées que de quelques mots : un
mode de vie! (F154, 21 ans).
Mais, dans l’ensemble, les thèmes abordés sont récurrents et la
représentation que l’on y développe du féminisme est, somme
toute, assez positive : trente définitions seulement seront en partie
ou totalement négatives, comme l’indique le tableau 2.
Pour obtenir les catégories d’analyse, nous avons relevé tous
les thèmes abordés dans chaque définition. Lorsqu’il y avait plus
d’un thème renvoyant à la même catégorie, nous inscrivions la
définition dans une sous-catégorie comprenant les deux thèmes:
ce pourquoi il semble y avoir, dans le tableau 2, quelques
répétitions, qui, de fait, n’en sont pas. Par ailleurs, lorsque la
définition comprenait plusieurs thèmes différents ou qu’elle
contenait une pensée plus complexe, elle a été catégorisée dans la
section Définitions complexes; c’est pourquoi cette catégorie n’a
pas de sous-thèmes. En ce qui concerne le deuxième groupe de
«…il nous paraissaît définitions, Un mouvement ou groupe [s] en faveur de l’égalité, il a fait
intéressant de voir l’objet d’une hypothèse particulière; en effet il nous paraissaît
dans quelle mesure le intéressant de voir dans quelle mesure le féminisme était perçu
féminisme était perçu comme un ensemble, un mouvement, une organisation, plutôt
comme un ensemble, qu’uniquement comme des actions accomplies par des acteures
un mouvement…» individuelles.

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Le dossier Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997

Nous comptons plus ou moins le tiers des «définitions» qui en


sont réellement, c’est-à-dire qui découlent d’une réflexion
articulée et qui, d’un point de vue féministe, sont intéressantes.
Dans ces définitions, contrairement à l’ensemble des autres énoncés,
on fait plus que présenter uniquement l’objectif que l’on croit être
celui du féminisme (l’égalité entre les sexes) : on élabore, sur sa
dimension historique, sur sa nécessité actuelle ou future…
Dans l’ensemble cependant, on définit le féminisme moins
comme organisation ou ensemble de groupes de femmes que comme
mouvement et on présente, comme équivalent, le fait de se battre
pour l’égalité de la femme avec l’homme et pour l’égalité entre les
sexes ou les droits égaux, sans comprendre que cette vision donne
encore à l’image de l’homme le statut de référent dans les
représentations des aspirations.
La plupart des autres définitions sont plus ou moins des opi-
nions spontanées qui renvoient à la rumeur sociale. Quelques exemples
d’énoncés, pour chacune des catégories, suffiront à rendre le propos.
Tableau 2 — Liste et fréquence des thématiques abordées dans les
définitions du féminisme (n = 146)

Catégories thématiques F Sous-thèmes f

Définitions complexes 20
Mouvement/groupe-s en 20
faveur de l’égalité
Définitions autour du thème 25 • luttes pour l’égalité ......................... 14
des luttes • luttes pour les droits ....................... 11
Définitions autour des 31 • Droits égaux .................................. 13
thèmes égalité et droits • l’égalité seulement .......................... 15
• les droits seulement ......................... 3
Définition autour de thèmes 20 • autonomie/
diversifiés indépendance de la femme .............. 6
• autour du pouvoir ........................... 3
• discrimination contre les femmes ..... 4
Définitions ambivalentes: 15 • Bon…mais ...................................... 8
l’exagération du féminisme • mouvement trop extrême ................ 7
Définitions négatives 15 • femmes qui se sentent supérieures ... 7
• discrimination envers les hommes .... 3
• propos sexistes ................................. 5

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

• Définitions complexes
– Lorsque les femmes ont gagné plusieurs droits : vote, emploi.
Son début est pendant la 2e G-M. Même encore aujourd’hui,
«…il y a plusieurs il y a plusieurs groupes féministes, car les femmes n’ont pas
groupes féministes, car encore gagné tout le respect voulu dans les carrières, en plus
les femmes n’ont pas des stéréotypes (F34, 19 ans)2.
encore gagné tout le – Mouvement qui vise à améliorer la situation des femmes dans
respect voulu dans les la société. Vise à obtenir une certaine égalité entre les deux
carrières, en plus…» sexes. Permet aux femmes de s’exprimer et de dénoncer
qu’elles n’apprécient pas (F49, 20 ans).
– Le féminisme signifie le statut que porte la femme dans son
milieu communautaire, social, culturel et économique. Le
féminisme signifie aussi les actions entreprises par les gens
pour apporter des meilleures conditions de vie par rapport au
statut de la femme (F96, 23 ans).
– Le féminisme c’est une pensée d’égalité entre les hommes et
les femmes, les hommes peuvent être féministe [s]. La pensée
qu’il n’y a pas de sexe [plus supérieur qu]’un autre (F106, 20 ans).

• Mouvement ou groupe(s) en faveur de l’égalité


– Le féminisme est un mouvement qui réclame des droits
égalitaires entre le sexe féminin et masculin (F56, 19 ans).
«Mouvement prônant – Mouvement prônant les droits des femmes sur le marché du
les droits des femmes travail, le domaine juridique. Prône l’équité sexuelle (H31, 21
sur le marché du ans).
travail…» – Le féminisme est un mouvement dans lequel les femmes
veulent l’égalité de sexe. C’est-à-dire même paie, même
traitement au travail de même que égalité partout. (F18, 20 ans).
– Un «mouvement», un [e] attitude qui reflète le pouvoir et la
détermination de femmes intelligentes et actives (aware) (F145,
20 ans).

• Autour du thème des luttes


– Le féminisme est plutôt quelque chose, idéologie, pour lutter
pour l’égalité (F11, 21 ans).

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Le dossier Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997

– Des gens qui se battent pour que la femme soit sur le même
pied d’égalité que les hommes. Pour qu’il n [i] [est] ait pas de
discrimination (F14, 21 ans).
– Pour moi le féminisme est simplement que les femmes ont les
mêmes droits que les hommes. En d’autre [s] mot [s] le
féminisme lutte pour qu’il y ait de l’égalité entre les deux
sexes (H06, 21 ans).
«La lutte pour – La lutte pour l’égalité entre les sexes, la fierté de son genre. La
l’égalité…» lutte pour éliminer le sexisme (F74, 21 ans).

• Autour des thèmes : égalité et droits


– La libération des droits de la femme qui ont longtemps été
considéré [s] comme inférieur [s] à ceux de l’homme (H117,
21 ans).
– C’est le droit de la femme d’avoir sa place au sein de la société.
C’est l’égalité. C’est le point de vue de la femme dans diverses
situations familiales, sociales, politiques, etc.(F01, 22ans).
– Le féminisme est pour moi les gens qui croi [en] t aux droits
des femmes. Qu’elles devraient avoir les mêmes privilèges que
les hommes (F118, 19 ans).
– D’être fière d’être femme. Que je suis égale à la population
(femme et homme). J’ai le droit de faire tout ce que l’homme
fait si je le désire (égalité) (F97, 23ans).

• Autour de thèmes diversifiés


– Une femme qui prend toutes décisions face à son corps et son
entière personne (F12, 32 ans).
– C’est d’être une femme indépendante, d’avoir son propre
succès, se surpasser en soi et être confiante, ne pas se soumettre
à aucune idéologie sociale (F59, 19 ans).
«C’est le fait qu’une – C’est le fait qu’une femme est considérée comme moins
femme est considérée importante qu’un homme dans tous les aspects. Ex: au travail,
comme moins à l’école, dans la société (F46, 19 ans).
importante qu’un – Les femmes qui essaient d’affermir leur pouvoir dans un monde
homme…» surtout dominé par le sexe masculin (F128, 19 ans).

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

• Définitions ambivalentes
– Il me semble qu’il ne faut pas qu’on utilise «féminisme» encore
parce que ça donne des idées des femmes enragées qui veulent
être vues comme supérieures. C’est supposé que les femmes
se battent pour les “equal opportunities”. C’est à dire qu’il ne
faut pas avoir le même nombre de femmes que [d’] hommes
à une institution, mais que les femmes ont vraiment l’occasion
égal [e] d’être acceptées ou employées (F123, 19 ans).
– C’est qu’une femme se pense meilleur [e], supérieur [e], elle [s]
sont éga [ux] dans tous les sens et elle travaille pour l’égalité
(F116, 19 ans).
– Ce sont des femmes qui désirent promouvoir les droits des
femmes. C’est un groupe à mon avis qui pousse un peu trop
fort et qui mène à l’exagération (F80, 20 ans).
– Ce sont des gens qui poussent pour l’égalité de la femme par
rapport aux hommes. Par contre, il y en a qui pousse [nt]
l’affaire beaucoup trop loin, exagère [nt] leur point de vue
(F105, 19 ans).
– Pour moi le féminisme est quelqu’un qui utilise la position de
la femme d’aujourd’hui à un cas extrême. Elles veulent lutter
contre les hommes au lieu de travailler avec eux afin
d’améliorer leur situation (F16, 20 ans).
«Le féminisme pour – Le féminisme pour moi est un mouvement extrême à atteindre,
moi est un mouvement un objectif non-atteignable en réalité (F58, 19 ans).
extrême…»
• Définitions négatives ou sexistes
– C’est lorsque les femmes croient qu’elles sont meilleures que
les hommes, que les hommes sont bon [s] à rien (H120, 19
ans).
– Femme qui pense qu’elle est supérieure aux hommes.
Contredit tou [t] sur les hommes (H143, 19 ans).
– Un mouvement avec des points forts ainsi que faibles. Il aide
parfois aux problèmes de femmes, mais en majorité elles ne
font que descendre les hommes (F72, 21 ans).
«C’est être sexiste…» – C’est être sexiste; contre plusieurs choses concernant les mâles
(F77, 22 ans).

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– Quelque chose de fatiguant! Les féministes poussent trop les


choses à des sujets extrêmes! Le féminisme c’est du lavage de
cerveau (F39, 20 ans).
– le support extrême (presque “right-wing”) des droits féminins
(H139, 19 ans).
– des femmes [qui pensent] que les féministes sont la race
supérieure et qu’elles n’ont pas de besoin de l’homme sauf pour
reproduction et ouvrir des pots de conserve (H152, 20 ans).

Il ne fait aucun doute que les thèmes de l’égalité et des droits


sont ceux autour desquels tournent la majorité des définitions
(76/146). Et c’est justement en cela que réside la principale
différence, dans les représentations du féminisme, entre les jeunes
femmes actuelles et celles des années 1970 : alors que les féministes
d’antan auraient parlé d’aliénation, de revendication, d’oppression
des femmes, de victimisation, de patriarcat, de libération même,
ici, les maîtres-mots sont égalité et droits3. Cela seul pourrait suffire
à nous convaincre que, au delà de tous les courants, de toutes les
factions, de toutes les tendances, le féminisme libéral a remporté
tous les suffrages et que c’est celui qui, non seulement passera à
l’histoire, mais surtout qui est le seul que célèbrent les jeunes
femmes et certains des jeunes hommes des années 1990, lorsque
les unes et les autres parlent positivement du féminisme.
Parce que, mis à part les quelques commentaires négatifs —
«…le féminisme est qui sont loin de faire l’unanimité — le féminisme est généralement
généralement présenté présenté de façon positive, et l’on voit bien qu’il fait partie des
de façon positive…» représentations sociales des répondants, au même titre, pourrait-
on dire, que d’autres éléments symboliques construisant leur vie :
la nécessité de faire des études, la difficulté de se trouver un bon
emploi, l’importance d’avoir une reconnaissance sociale, etc.
Le deuxième élément que l’analyse de ces résultats souligne,
«…la majorité des c’est qu’il apparaît assez clairement que la majorité des jeunes
jeunes femmes femmes d’aujourd’hui ne se sentent pas contraintes, ne se voient
d’aujourd’hui ne se pas opprimées ou victimes de l’idéologie patriarcale; elles vivent
sentent pas avec l’idée que la discrimination contre les femmes relève d’une
contraintes…» question d’aménagements ponctuels de certains secteurs, parti-
culièrement au niveau du marché du travail, et avec l’assurance

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

qu’une fois les quelques luttes nécessaires menées, elles obtiendront


l’égalité sexuelle réelle. C’est une illusion bien propre au féminisme
libéral!
Finalement, on voit bien aussi que leurs principales critiques
portent sur l’attitude des femmes des années 1970 : elles con-
damnent le féminisme de ces années-là pour ne pas avoir intégré
les hommes au processus de transformation de la situation des
femmes et les féministes d’antan pour avoir été trop radicales
dans leurs revendications et leur détermination. On ne s’étonne
pas, dès lors, que le partage des tâches domestiques, la lutte contre
la pornographie, la lutte pour le droit à l’avortement libre et gratuit,
ne fassent plus partie du discours et ne soient jamais mentionnés
comme éléments essentiels de la revendication des femmes pour
atteindre l’égalité.
On trouve donc là, en partie, confirmation aux hypothèses
soulevées au début de la recherche.

Conclusion

Les résultats de l’enquête sur la vision du féminisme par les jeunes


universitaires amènent, certes, certains constats, mais imposent
aussi certaines réflexions. Particulièrement à travers l’analyse des
définitions, on a pu voir que des tendances pro-féministes se
manifestent très clairement. Mais la vision du féminisme qui y est
présentée nous laisse perplexe. L’analyse de ces définitions qui
nous montrent sans cesse les mêmes opinions, les mêmes
jugements, laisse apparaître l’effet répété d’un discours devenu
«…le féminisme… est social et passé dans les représentations. Le dire sur le féminisme ne
passé dans la coutume tient plus de la marginalité, de l’exclusion, de la pensée
sociale.» révolutionnaire. Il est passé dans la coutume sociale.Voilà pourquoi,
peut-être, on obtient tant de définitions répétitives, mais si peu
de réflexions plus complexes: pour penser le différent, il faut penser
de façon critique à partir de ce qui est, et non seulement s’en
faire l’amplificateur…

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Le dossier Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997

La distinction entre pensée articulée et redite sociale apparaît


clairement aussi dans les différents glissements sémantiques qui,
dans les définitions, font passer le discours sur l’objet de réflexion
(le féminisme) à un discours sur les sujets ou les acteures qui le
personnifient dans les représentations de la répondante ou du
répondant (le féminisme, c’est des femmes qui…); et ce saut discursif
advient d’autant plus facilement que l’énoncé produit sera de
premier niveau, de l’ordre du préjugé, une opinion toute faite, un
jugement négatif.
Tout se passe comme si le féminisme n’était pas un réel sujet
de réflexion, pour les jeunes femmes, mais, au contraire, un sujet
de réaction : l’important étant soit de s’en démarquer, soit d’en
atténuer la portée de la représentation dans sa vie sociale, comme
si cela était pour porter atteinte à leur image d’elles-mêmes, à
«On ne pense pas le leurs relations sociales, à leur carrière, à leur futur. On ne pense
féminisme, chez les pas le féminisme, chez les jeunes femmes d’aujourd’hui, on vit
jeunes femmes avec son existence et l’obligation d’avoir une position claire à son
d’aujourd’hui, on vit sujet, pour ne pas être étiquetée. Peu s’interrogent sur la pertinence
avec son existence et de l’étiquette, pourtant. Comment alors, avec une telle vision du
l’obligation d’avoir féminisme, peut-on avoir envie de s’y impliquer, peut-on voir la
une position claire à nécessité de son action?
son sujet…» Cet état de fait est assurément le meilleur indicateur de la
réussite du féminisme des années 1970, tant décrié. Mais il porte
le poids de ses contradictions : il aurait été moins radical que
l’étiquette sociale en ferait moins peur aux jeunes femmes
d’aujourd’hui, mais elles auraient moins d’espace symbolique pour
le clamer. On ne sort pas d’un tel paradoxe.
Pourtant, au delà de ces constations, il est quelque part rassurant
de voir que les jeunes femmes actuelles, ne sont non seulement
pas totalement dupes de la nouvelle position sociale des femmes,
mais, qu’en plus, elles affirment devoir asseoir leur propre réussite,
leur propre pouvoir en se faisant valoir à la fois comme femme et
comme individu dans un monde qu’elle reconnaisse encore, malgré
tout, masculin à plusieurs égards.
Cette certitude inaliénable de leurs droits et le regard, somme
toute positif, qu’elles portent sur le féminisme — lorsqu’elles ne
se sentent pas contraintes de s’en démarquer dans leur vie

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Reflets — Vol. 3, no 2, automne 1997 Le dossier

personnelle — nous font voir qu’il y a bien là un processus en


marche. Ils sont les espoirs sinon les garants de l’avenir au féminin,
en tous les cas, les bastions de sa construction au présent.

Bibliographie

BERNIER, Christiane (1991). Libéralisme et Féminisme : une lecture épistémologique, Thèse de Ph.D.
sociologie, Université de Toulouse le Mirail, non publiée.
GODIN, Colette (1990). «Que pensent Danièle et ses copines: le mouvement féministe et la relève»,
Femmes d’action, vol. 19, no 3, 19.
GUINDON, Geneviève (1996). Les opinions et perceptions de jeunes femmes à l’égard du féminisme,Thèse
de M.A., Université du Québec à Montréal, non publiée.
MICHAUD, Lyne (1994). «Moi, une féministe», Femmes d’action. vol. 23, no 4, 33-35.
MOLLER OKIN, Susan (1995). «Sur la question des différences», dans La Place des femmes: les enjeux
de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales, Actes du colloque de préparation française à
la 4e conférence mondiale sur les Femmes, Paris, Éditions La Découverte, 57-69.
PICQ, Françoise (1993). Libération des femmes. Les années-mouvement, Paris, Seuil.
PICQ, Françoise (1997). «Un homme sur deux est une femme: les féministes entre égalité et parité»,
Les Temps Modernes, no 593, 219-237.
VANSTONE, Susan (1996). «Young Women and Feminism in Northern Ontario», dans M. Kechnie et M.
Reitsma-Street (éd.), Changing Lives:Women in Northern Ontario,Toronto, Dundurn Press, 325-334.

Notes
1. Ces énoncés se voulaient une synthèse des idées les plus véhiculées par les jeunes
femmes lorsqu’elles s’expriment sur le féminisme. Pour exprimer leur opinion, les
répondants et les répondantes devaient encercler une valeur, pour chaque énoncé, sur
une échelle de Likert à 6 niveaux, où 1 = pas du tout d’accord et 6 = tout à fait
d’accord. Il s’agit des énoncés suivants :
1) Le féminisme n’a pas d’importance pour moi;
2) Le féminisme est encore nécessaire;
3) Le féminisme est une affaire de femmes;
4) Il y a des féministes dans mon entourage;
5) Le féminisme ne répond pas aux besoins des jeunes femmes d’aujourd’hui;
6) Je ne m’identifie pas comme jeune féministe;
7) Le féminisme m’aide dans ma vie personnelle;
8) Je ne suis pas féministe mais je crois à l’égalité de la femme;
9) J’aurais peur de me présenter comme féministe;
10) Le féminisme défend des dossiers importants pour moi;

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11) Le féminisme, ça concerne autant les hommes que les femmes;


12) Je n’aimerais pas que mon entourage me voie comme féministe.
2. Les énoncés présentés proviennent tous des définitions prises sur les questionnaires.
Les informations entre parenthèses renvoient au sexe de la personne (F ou H), au
numéro de codification du questionnaire (de 1 à 164) et à l’âge de l’énonciatrice ou de
l’énonciateur. On a aussi indiqué entre crochets, dans le texte même des énoncés, des
corrections orthographiques ou de sens, ajoutant les accords ou signalant les fautes de
forme et les anglicismes lorsque cela s’imposait.
3. Pour une analyse de certains des thèmes récurrents des revendications des féministes
des années 1970, voir l’article de Françoise Picq (1997), tout particulièrement les pages
219-224 ainsi que les premiers chapitres de son livre (1993) et la thèse de Bernier
(1991, vol. I).

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