Peulh
Peulh
Peulh
Figures peules
Éditions KARTHALA
22-24, boulevard Arago
75013 PARIS
Remerciements
R.B.,J.B.,J.S.
Aires peules étudiées
Préface
Représentations
(Assaba), dans les années 1960, procède par assimilation des Ful6e aux
Arabes. Selon ce nouvel avatar des théories du X J X ~siècle, les Fulbe vien-
draient du Yémen. La thèse, au demeurant, ne fait pas l’unanimité, elle est
même combattue par les tenants d’un pan-fulanisme culturel basé exclusi-
vement sur la communauté de la langue pulaar.
À dire vrai, ce courant traverse de manière récurrente des sociétés
peules. L’Union des Peul, créée en 1947 au Sénégal, exprimait déjà des
préoccupations du même ordre (Ba 1986 : 262-263). Ses revendications,
formulées systématiquement lors du Congrès de 1957, mêlent d’ailleurs
modernité et attachement au passé. Qu’on en juge : lutte contre l’envahis-
sement des cultivateurs et dénonciation de leur ambition d’occuper les
forages, incrimination de la responsabilité du FIDES (Fonds d’investisse-
ment pour le développement économique et social) dans la substitution de
l’agriculture à l’élevage, nécessaire conversion des mentalités (scolariser
les enfants pour effacer les <<retardsdes Peuls >>, commercialiser le bétail,
laisser les jeunes entrer dans l’armée) et, surtout, nécessité de areconsidé-
rer nos coutumes bafouées.. . >> en revalorisant le vieil ordre coutumier de
commandement et, notamment, le très ancien titre d’ardo.
Délivrances
À la fin du X I X siècle,
~ le Fuuta Jaloo est une de ces formations où le
système esclavagiste constituait le fondement même de la société. À cette
époque, les Français en mettant en œuvre une logique d’encerclement du
pays, en le coupant de ses fournisseurs en captifs, puis en interdisant leur
commerce au Soudan, provoquèrent, avant même l’occupation du terri-
toire en 1896, l’asphyxie d’une économie reposant sur l’exploitation de la
main-d’œuvre servile. I1 en résulta une terrible crise sociale et politique.
Or, la pérennité de l’État dépendait nécessairement du maintien de ce
PRÉFACE 13
Mutations
Question essentielle car, s’il est vrai que les rapports de production ont
changé depuis la colonisation, la déconstruction de la relation décisive
maître-esclave est loin d’être achevée : l’abolition juridique, souvent
formelle, a rarement été accompagnée d’une libération économique et
sociale. Puisque, autrefois, la spécialisation des tâches agricoles et pasto-
rales recouvrait la distinction fondamentale entre hommes libres et non
libres, dans quelle mesure les anciens maîtres ont-ils réussi à transformer
le système de production esclavagiste et à substituer au travail servile
agricole leurs propres bras ? La diversité des sociétés peules concernées
par ce retournement radical montre qu’aucun obstacle structurel ne s’op-
pose à la conversion des pasteurs ou des sédentaires à un statut longtemps
méprisé et dévalorisé : seules interviennent des résistances idéologiques,
parfois si vives qu’elles sont insurmontables.
Si, dans nombre de cas, les Peuls ont manifesté bon gré mal gré un
intérêt ancien pour 1 agriculture ou l’agro-pastoralisme, ils entretiennent
encore à son é g a d une attitude spécifique. Marie (1993 : 197 sq.) constate
que les Peuls et les Iklan d’Osso10 (Niger), placés dans des conditions
techniques identiques, développent deux conceptions différentes de
l’usage de la terre : <<lesPeuls cultivent exclusivement pour se nourrir, les
Bella pour dégager, en plus de la production vivrière, des excédents
commercialisables v . Ailleurs, la conversion et la modification des atti-
tudes envers l’agriculture peuvent être plus tardives. Chez les Peuls
wodee6e de l’Issa-Ber (Mali), c’est la décimation du cheptel qui, lors des
dernières sécheresses, a poussé les hommes vers l’agriculture ; quant aux
femmes, dont l’activité était exclusivement consacrée à la conservation, la
transformation et la commercialisation du lait, elles participent désormais
à tous les travaux, quel que soit leur rang social (Sidibé et al. 1997 : 234).
Et Christian Santoir (1990b: 587) note qu’après l’expulsion des Peuls de
Mauritanie, en 1989, les femmes peules mauritaniennes font dans les
villages sénégalais tous les travaux autrefois dévolus aux femmes harätïn.
Cependant, le sentiment de déchéance est parfois si fort qu’il conduit à un
véritable blocage, au sens psychanalytique du terme. Au Hayre (De
Bruijn & Van Dijk 1995), lors de la famine de 1981-1985, les femmes
jallu6e préférèrent être affamées, voire mourir de faim, plutôt que de se
livrer à la cueillette des plantes sauvages : cette tâche, réservée aux
groupes serviles, était incompatible avec leur appartenance à la noblesse.
Par ailleurs, les bergers peuls se rencontrent partout désormais et, au
Niger, les groupes wodaa6e - ils avaient peu d’esclaves, au demeurant -
ont profondément modifié les conditions de la propriété animale : réduc-
tion importante des animaux effectivement possédés et augmentation
constante des animaux confiés par des propriétaires absentéistes. Certes,
ce mouvement social du cheptel s’opère au détriment des éleveurs, mais il
leur donne la possibilité matérielle de continuer à vivre dans un cadre
pastoral (Bonfiglioli 1985).
18 ROGER B o m , JEAN BOUTRAIS, JEAN SCHMITZ
ROGERBOITE
PF&FACE 19
moose qui coincide avec un État puissant (boucle du Niger), enfin la zone
des cités-États hawsa dont la langue véhiculaire a été répandue par les
commergants hawsaphones (Devisse & Vemet 1993).
Aussi bien les ethnologues que les géographes, qui sont majoritaires au
Greful par rapport aux linguistes, se sont astreints comme propédeutique à
des exercices de lexicographie pour ne pas être pris par l’enchantement
des mots, que ce soit sous la forme de l’étymologie populaire ou de fagon
plus savante par l’illusion des équations onomastiques (Dumézil
1981 : 1l),de l’établissement d’identités sociales à partir des racines des
mots. I1 n’y a pas si longtemps un programme de recherche dans la basse
vallée du Sénégal avait comme point de départ l’existence de WodaaGe
qui se devaient d’être des nomades comme leurs homologues du Niger et
du bassin du Tchad, alors que nos recherches ultérieures montrèrent que
ces mêmes Wodaa6e contrôlaient la plus grande partie de la plaine inon-
dée de la province du Dimar. Autre exemple pris maintenant dans la
titulature. Le mot wuro dont la racine signifie << corésidence >> donne le
titre dejoom wuro qui, dans la vallée du Sénégal, désigne le chef de
village ou de la communauté des habitants par opposition au maître du
territoire, lejoom leydi, alors qu’il renvoie à une maîtrise pastorale au
Maasina et à ce qui se rapproche le plus d’une maîtrise foncière au
Liptaako (Burkina Faso).
3. L‘enquête sur les Bororo du Niger avait neanmoins comme point de depart al’espoir de retrou-
ver les traces d’une religion preislamique originale que laissait supposer l’existence en langue
fulfulde d’une classe nominale Cnigmatique (nge) dans laquelle voisinent la vache, le feu et le soleil P,
espoir rapidement abandonne sans retour (Dupire 1970 : 14).
22 - ROGER BOTTE, JEAN BOUTRAIS, JEAN SCHMITZ
4.Nous préfdrons ce néologisme à celui de ((culture voyageuse n car il évcque non pas seulement
un déplacement linéaire mais également les allers et retours, les itérations successives, caractéris-
tiques des pratiques spatiales des Peuls -ce qui justifie probablement qu’il ait servi de titre aux textes
rassembk en hommage au linguiste Pierre-Francis Lacroix.
5. Voir le chapitre particulièrement stimulant et intitulé cum gruno sulis aLe “nomadisme”, ou le
nomadisme d’un mot et d’un conceptn où Daniel Nordman (1996 : 223-232) analyse l’étonnante
plasticité du mot qui, àrebours de la trajectoire habituelle, ne s’est pas dirigée de l’Europe vers le
Maghreb mais de l’Algérie ou du Maroc vers l’Europe pour désigner, non seulement les déplacements
pastoraux des montagnards des Alpes, mais également ceux du colporteur ou de l’artisan.
6. Au Cameroun le même mot désigne toutes sortes de transactions commerciales, que ce soit
l’achat ou la vente.
PRÉFACE 25
Dans les pâturages situés en zone sèche, hormis les dispersions brutales
provoquées par les accidents climatiques ou par des violences politiques 8,
rien n’est plus éloigné de la divagation connotée trop souvent par le terme
nomadisme que les déplacements annuels des troupeaux et des hommes.
Dans le cas le plus ordinaire, chez les WodaaGe selon Stenning (1957) et
Dupire (1970 : 222)’ que nous citons ici, << la migration apparaît comme
un déplacement lent et saccadé, de forme amiboïde : le groupe abandonne
ses pâturages de saison sèche et adopte son secteur de déplacement d’hi-
vernage pour y passer les saisons sèches suivantes ; la migration est le
résultat de modifications successives de ce type, apportées dans les dépla-
cements saisonniers >>. Dans les Grassfields camerounais Boutrais (1995 :
901) fait le compte des changements de site d’hivernage des Djafun
depuis les années 1920, observant de grandes variations entre des démé-
nagements fréquents du début de la période suivis de phases de
stabilisation progressive avant d’assister au début des années 1960 à une
remobilisation des éleveurs. Le fait que les migrations soient des enchaî-
nements de transhumances explique qu’elles s’effectuent le plus souvent
suivant le même axe et à l’intérieur de couloirs qui prolongent et subdivi-
sent les <<fuseauxméridiens >> traversant le Sahara - fuseau maure, twareg
et toubou séparés par des no man’s land - dont Théodore Monod (1968)
dressa le tableau et auxquels se réfèrent les travaux d’Edmond Bemus sur
les Twaregs nigériens (1981).
Décrivant l’aire de transhumances des Peuls du Djelgodji du Burkina
qui constitue un espace interstitiel situé entre d’anciens États (Yatenga et
Maasina), Patrick D’Aquino insiste sur les rivalités des deux chefferies,
celle de Barraboulé alliée au Maasina et celle de Djibo alliée au Yatenga
Moosi. Les migrations qui en découlent s’insèrent dans des couloirs de
7. Notion que nous empruntons à Clifford (1997 : 198) qui lui-même reconnaît sa dette à I’tgard
de Michel de Certeau.
8. Le même teme pusngo - la d6bâcIe. la dispersion en catastrophe -est employ6 pour rappeler la
chute de Nioro face aux Français qui signifiait la fin de I’htgtmonie des Toucouleurs d’al-Häjj Umar
et la razzia d’8tat mente par la gendarmerie et les milices mauritaniennes entre 1989 et 1991, soit
près d’un siècle plus tard, àl’encontre des troupeaux des Peuls du sud-est de la Mauritanie.
26 ROGER BOTTE, JEAN BOUTRAIS, JEAN SCHMITZ
Déambulation propédeutique
9. Au début du siècle on retrouve le même dispositif mais situé beaucoup plus au nord-est chez les
Touaregs de l’actuel Mali tels que Georg Klute (1995) en a reconstruitl’histoire.
PRÉFACE 27
rie des Tooro66eYet méprisent les Ful6e qui << suivent la queue des
vaches le livre de Yaya Wane (1969)’ lui-même tooroodo, qui faisait
autorité, ne mentionne pas l’existence de Peuls (Ful6e) dans la vallée du
Sénégal alors que selon les titres des œuvres d’Oumar Ba, admirateur
d’Hampaté Ba, il n’y aurait à l’inverse que des Peuls. Tout se passe
comme si la mobilité liée à la quête du savoir coranique puis arabo-
musulman devait se substituer à la mobilité pastorale.
Prenons l’exemple de la formation coranique de Shaykh Muusa
Kamara, qui rédigea dans les années 1920 le Zuhar, la grande ethnohis-
toire du Fuuta Tooro, dont un premier tome vient d’être publié en frangais
(Kamara 1998). On est frappé par le nombre de maîtres qu’a fréquenté
son auteur à la fin du X I X siècle
~ - une quinzaine - et la dispersion des
centres de cet enseignement tout le long de la vallée du Sénégal et en
basse Mauritanie, dispersion qui trouve sa principale raison d’être dans la
technologie de la communication (Goody) qui tisse étroitement l’oral et
l’écrit, modifiant la dichotomie opérée par Jack Goody.
On sait en effet d’après le livre de Pedersen intitulé The Arabic book
(1984) que, dans la civilisation musulmane, l’écrit doit être proféré orale-
ment à plusieurs reprises pour être légitime, reproduisant la figure du
<<livrecéleste >> dicté à Mahomet, à savoir le Coran. Tout livre est dicté à
un warräq qui enregistre et transcrit une première ébauche (Pedersen
1994 : 27 et 43). Le copiste la lit à l’auteur qui indique les corrections ou
les ajouts à opérer. Ce n’est que lorsque le texte définitif aura été récité en
public qu’il sera légalisé ou plutôt certifié par un ijäza, c’est-à-dire qu’il
pourra être enseigné à un autre shaykh, initiant ainsi une chaîne de trans-
mission (isnäd) qui remonte à l’auteur du livre. D’autre part
l’apprentissage de chaque corpus de savoir incarné en un <<livre>> était
aussi oral puisqu’il s’agit pour le disciple de le mémoriser: les œuvres de
beaucoup de shaykh maures sont simplement des versifications de textes
de grammaire ou de dogmatique antérieurs dans un but d’apprentissage
mnémotechnique.
On retrouve ce type d’itération entre oral et écrit également en Afrique
de l’Ouest, mais dédoublé par la distance entre la langue savante, l’arabe,
et la langue matemelle, le pulaar ou le fulfulde.Au texte arabe viennent
en général s’ajouter des commentaires en peul. Dans certaines régions, en
particulier au Fuuta Jaloo, furent composés des ouvrages entièrement en
ajami (peul transcrit en caractères arabes après vocalisation) dont le plus
célèbre est le livre de religion (fikh),Le filon du bonheur éternel de
Tierno Mouhammadou-Samba Mombéyâ (1971)’ lettré qui vécut durant
la première moitié du X I X siècle.
~ La préoccupation de ce savant était de
mettre à la portée de tous l’essentiel de la voie islamique car nombre de
Peuls ne pénètrent pas ce qui leur est enseigné par l’arabe et demeurent
dans l’incertain P. Enfin s’est développé, dans la plupart des anciens pôles
étatiques de l’archipel peul, un genre littéraire spécifique, la poésie reli-
28 ROGER BOTTE, JEAN BOUTRAIS, JEAN SCHMITZ
3. Itinérance culturelle
10. Comme l’indique Kamara à propos de Ceemo Sulayman, maître de son propre maître Moodi
Aalimu, qui n’enseignait que la Risdu.
1 1 . Dans une étude inaugurale Jack Goody (1968 : 225) parle de peripatetic system dans le Nord-
Ghana, tandis que Batran (1979 : 120) décrit les religious wandering des Kunta du Sahara. Voir aussi
Hiskett (1973 : 15-58) à propos d’Usman Dan Fodio.
12. Un seul exemple: Kamara effectue l’apprentissage de la Risãlu, Bcrit par ‘Abu Zayd
al-Qayrawiini (Tunisie actuelle) en 838 et qui constitue le manuel defiqh malékite le plus répandu
dans l’occident musulman, aux deux extémit& de son p4riple au Fuuta Tooro: à Seeno Palel, auprès
d’Abdul Elimaan et deux étapes plus loin, à Walalde dans la zone située en aval, auprès d'Alfas
Mammadu Aaw.
PRÉFACE 29
13. On passe ainsi d’une dominance phonique en allitkration à une autre qui est toujours annoncée
tandis que persiste l’ancienne dominante. D’où l’importance de l’anaphorecomme principe de classe-
ment mnémotechnique des listes d’oiseaux ou de toponymes, classés non geographiquement mais en
fonction de leurs phonèmes. On rencontre les mêmes procédés dans un autre genre poétique, celui des
niergi (sing. niergol), qui s’apparente à des jeux d’apprentissage de la grammaire de la langue et
qu’analyse également Christiane Seydou (1989a et b, 1991).
30 ROGER BOTIE, JEAN BOUTRAIS, JEAN SCHMITZ
14. S. Loncke, (< Chanter et danser dans les rassemblements interlignagers de ngaanyka : une
approche ethno-musicologiquen,,exposé au GREFUL, 4 mai 1998.
15. La transmission des terres s’y effectue le plus souvent latéralement de frère %frèreou % cousin
agnatique, alors qu’il semble qu’elle soit linéaire, de I’nrdo a son fils, dans le cas précédent.
16. Durant le ngaanyka I’énumCration des parties du taureau, d’abord découpé puis reconstitué,
est un enjeu de mhod‘angaaku démontrant pour celui qui l’exécute sa qualité de Boodaado selon
Patrick Paris (1998 : 85).
17. Notion enrichie par l’indianiste Stein.
PFU~FACE 31
JEANSCHMITZ
18. À l’autre extrémité du monde peul, au Fuuta Tooro, on retrouve deux de ces critères qui 18
aussi provoquent une sorte de feuilletage de la personne qui rend les conversions identitaires progres-
sives, généralement en deux ou trois générations (Schmitz 1990).
32 ROGER BO?TE, JEAN BOUTRAIS, JEAN SCHMITZ
La <<création
D d’autres Peuls
temps, reste fragile tant qu’elle ne se prolonge pas en une maîtrise spatiale.
Tant qu’ils restent pasteurs, les Peuls sont des << pénétreurs D de la nature
mais fort peu des <<contrôleurs >> d’espaces (Benoit 1988a: 387).
L’infiltration est la technique idéale des Peuls pasteurs pour prospecter
et pénétrer de nouveaux secteurs. En effet, la disp\ersion permet de mieux
se répartir les ressources des nouveaux pâturages. A l’inverse, des pasteurs
ne peuvent se concentrer longtemps dans des espaces restreints, sous
peine de provoquer une diminution sensible et irréversible de la ressource
fourragère. Mais, du point de vue des populations locales, l’infiltration ne
relève pas seulement d’une technique pastorale. Elle participe d’un
comportement simulateur qui est souvent attribué aux Peuls : s’introduire
en se dispersant afin de ne pas se faire remarquer, devenir progressive-
ment plus nombreux jusqu’à mettre les hôtes devant le fait accompli
d’une présence massive. De technique d’utilisation rationnelle des pâtu-
rages, l’infiltration devient alors stratégie de noyautage. Selon un
processus historique maintes fois répété, l’infiltration précède le soulève-
ment et prépare l’établissement d’une domination. Étant incontrôlable, la
vraie infiltration répond aux vœux des pasteurs mais en étant perçue par
les autres comme une migration àhauts risques.
Le processus d’infiltration pacifique est illustré par l’installation des
premiers Peuls de Barani (Yousouf Diallo), avant I’émergence d’une
chefferie dominatrice et prédatrice. Dans la plaine de Gondo, l’infiltration
pastorale ne se diffusait pourtant pas de façon générale car elle était
contrainte de s’appuyer à des puits relativement rares. En milieu déjà
soudanien, c’était une contrainte encore sahélienne. Des particularités
géologiques et hydrologiques peuvent introduire ce genre de décalage
écologique. Mais la nécessité de disposer de puits restreint les possibilités
pastorales d’infiltration au milieu de populations paysannes. Les trou-
peaux doivent être conduits régulièrement à des lieux qui peuvent être
soumis au contrôle d’un pouvoir villageois. Dès lors, la stratégie pastorale
d’infiltration n’est plus aussi efficace que dans les milieux oÙ l’abondance
de l’herbe guide seule les déplacements. I1 est probable que la faible pres-
sion des pouvoirs villageois dans la plaine de Gondo n’ait pas freiné les
arrivées peules. Un pouvoir plus dominateur aurait mieux surveillé et
peut-être refoulé les pasteurs. Forme de défense face aux pressions des
pouvoirs forts, la fuite-infiltration perd de sa pertinence lorsqu’elle est
dépendante d’ancrages fixes, Le contrôle de puits peut, en effet, décider
de celui des pâturages environnants.
I1 semble que les infiltrations récentes des pasteurs peuls réussissent
mieux dans les savanes humides qu’en zone sahélienne. En savanes méri-
dionales, les pasteurs acquièrent une liberté spatiale pratiquement totale,
tant que la salubrité du bétail est assurée. En Côte d’Ivoire (Philippe
Bernardet) comme en Centrafrique (Gérard Romier), les Peuls recourent B
la même échappatoire pour se soustraire à des pressions paysannes ou
PRÉFACE 41
Replis peuls
élevage bovin sur des franges devenues plus arides mais conséquence
également d’une faiblesse sociale et politique de leur occupation de
l’espace. C’est surtout face aux cultivateurs que cette faiblesse du pastora-
lisme peul se révèle, à la fois en zone sahélienne (Pierre Bonte) et en
savanes soudaniennes (Philippe Bemardet). Alors que Patrick D’Aquino
insiste sur les compétitions politiques pour le contrôle des espaces au
Djelgodji, Pierre Bonte met l’accent sur les différences de logiques
foncières entre Peuls et Dogons du Seno. Les Dogons exercent un véri-
table contrôle foncier par l’affirmation de droits sur la terre, l’existence
d’un pouvoir rituel et une structure lignagère du peuplement. Le tout est
mis en œuvre pour une stratégie expansionniste des terroirs cultivés. Au
contraire, les Peuls inscrivent leurs rapports à l’espace dans un cadre poli-
tique, sans matérialisation spatiale concrète. De plus, les avantages
économiques et politiques ont basculé d’une population à l’autre depuis le
siècle demier. À la domination politique peule du X I X siècle
~ s’est substi-
tuée la supériorité écoGomique actuelle des Dogons ; à l’appauvrissement
des éleveurs s ’oppose l’enrichissement des cultivateurs. Les pertes
d’emprise spatiale et de supériorité économique des Peuls du Seno illus-
trent une situation assez générale au Sahel : un recul des espaces pastoraux
dévolus aux Peuls devant l’expansion des terres cultivées par les popula-
tions locales mais surtout des migrants wolof au Ferlo sénégalais, mossi
au Djelgodji, songhay et haoussa au Niger méridional.
En savanes soudaniennes, la faiblesse peule n’est pas moindre face aux
cultivateurs et elle contraste avec leur dynamisme migratoire. Pourtant,
Philippe Bernardet estime que le système agropastoral des Peuls du nord
de la Côte d’Ivoire est efficace, d’un point de vue agronomique. D’après
lui, les tensions entre Sénoufo et Peuls tiendraient moins à des compéti-
tions entre des systèmes de production différents qu ’à des contradictions
internes à chaque système social. Ne pouvant les résoudre par elle-même,
chaque société tendrait à les reporter sur l’extérieur, en attribuant ses
difficultés à l’autre système social. Du côté des Peuls, Philippe Bemardet
développe cette hypothèse en montrant les rapports salariaux difficiles
qu’entretiennent employeurs et bouviers. Ceux-ci utiliseraient alors une
stratégie de détérioration des relations entre leurs employeurs peuls et les
cultivateurs, de façon à fragiliser ceux qui les exploitent. I1 est probable
que l’utilisation de l’autre groupe comme bouc émissaire, de façon à
résoudre des problèmes sociaux internes, contribue à instaurer une oppo-
sition latente entre les deux populations. Philippe Bemardet reconnaît
cependant que l’hypothèse ne rend pas compte de l’éclatement de tous les
conflits violents entre Sénoufo et Peuls. Ces conflits semblent se répéter
de façon cyclique, dans le cadre d’enjeux politiques plus larges.
À l’hypothèse d’un recours à la stratégie du pire, on pourrait ajouter
celle d’une absence d’acteurs de conciliation ou de rapprochement entre
les Peuls et leurs voisins. Les femmes peules, par le commerce local de
PRÉFACE 43
La faiblesse actuelle des pastoralismes peuls est évaluée ici par réfé-
rence aux meilleures perfoimances de populations agricoles. Une autre
méthode d ’évaluation consiste à mesurer les résultats Cconomiques de ces
pastoralismes eux-mêmes en se posant la question : les troupeaux permet-
tent-ils aux familles qui leur sont liées de vivre des produits animaux et
des revenus qu’ils génèrent? La question conduit vers la notion fonda-
mentale de la viabilité pastorale et le repérage d’un seuil de cette viabilité,
c’est-à-dire le nombre minimal d’unités de bétail nécessaire à la vie d’une
famille moyenne. Le calcul du rapport unités de bétailhombre de
personnes par famille est important pour appréhender sa situation écono-
mique, notamment après une crise. C’est ce qu’a entrepris de façon
rigoureuse Brigitte Thébaud (1999) au Niger oriental, deux ans après la
grande sécheresse de 1984. Or, les résultats chiffrés de ses investigations
démontrent que les pasteurs WodaaGe ont mieux surmonté cette séche-
resse que les FuZ6e agropasteurs de Diffa. Ceux-ci se trouvent alors dans
une situation pastorale particulièrement précaire, tant par la taille réduite
de leurs troupeaux que par le faible nombre d’animaux G stratégiques 9) :
femelles reproductrices pour l’approvisionnement en lait, mâles adultes et
bœufs pour assurer des ventes immédiates, jeunes femelles pour permettre
le rétablissement futur du troupeau. Sur tous ces points, les Wodaa6e
bénéficient d’une meilleure position que les FulGe, ce qui démontre l’effi-
cacité des pasteurs, même en zone sahélienne. D’une certaine façon, la
faiblesse du pastoralisme peul serait plus relative qu’absolue, plus liée à
des critères extemes et aux compétitions d’autres activités qu’à une insuf-
fisance des pasteurs eux-mêmes.
Une autre étude récente sur l’arrondissement de Filingué au Niger
(Colin de Verdière 1994) évalue les résultats économiques du pastora-
lisme mais aussi ses effets écologiques, une problématique qui n’est pas
abordée dans cet ouvrage. Or, les pasteurs peuls sont souvent accusés
PRÉFACE 45
Dans les relations sociales des Peuls avec les autres populations, un
stéréotype tend à s’imposer de part et d’autre. Les <<paysansnoirs >>
reconstruisent une identité et un mode de comportement collectif qu’ils
attribuent à tous les Peuls de façon indistincte et dépréciative. Les cultiva-
teurs au sud du Burkina Faso résument souvent leur rejet par la formule à
l’emporte-pièce : << le Peul est un faux type >> (Hagberg 1998 : 205).
Inversement, les Peuls eux-mêmes ne sont pas étrangers à l’élaboration de
stéréotypes à leur égard, en valorisant une singularité qui sublime leur
foulanité. La construction idéologique d’un comportement peul idéal,
symbolisé par la notion de puluaku, les écarte et les marginalise des autres
sociétés rurales. En fait, cet ethos pastoral n’a plus que rarement des bases
pratiques pour s’exprimer ; il devient une simple valeur de référence pour
se différencier des autres, dans un rapport de tension réelle ou imaginaire.
À l’opposé de cette simplification identitaire, l’objectif de cet ouvrage est
de montrer la grande variété des <<figurespeules >>.
PRÉFACE 49
JEANBOUTRAIS
1
L’invention des Peuls
DUPUY
CHRISTIAN
L’aire géographique occupée par les Peuls est très vaste; elle s’étend
de la bordure atlantique aux abords du lac Tchad. Où qu’ils se trouvent,
les Peuls élèvent des bovins. Tandis que certains groupes sont nomades,
d’autres ne sont mobiles qu’une partie de l’année. Ceux vivant à la fois de
l’élevage et de l’agriculture sont sédentaires. Cette diversité des modes de
vie suppose des vécus historiques différents selon les groupes et les
régions. L’archéologie peut-elle, dans ces conditions, contribuer à l’his-
toire ancienne des Peuls ? Les rites d’inhumation en vigueur chez les
Peuls non islamisés ont été jusqu’à présent trop peu étudiés pour servir en
archéologie funéraire dans un but ethnohistorique. L’habitat des Peuls en
matériaux périssables, bien que mieux décrit (Brasseur 1968 ; Dupire
1970; Pélissier 1966; Richard-Molard 1944), ne peut non plus aider à cet
objectif, étant donné la faible probabilité d’en retrouver les traces en
fouille. Maints gisements sont, par contre, riches en vestiges céramiques.
Malheureusement la signification ethnique à accorder au document céra-
mique est source d’écueils, particulièrement nombreux en ce qui conceme
les Peuls.
Atlantique
Fig. 1. Représentations gravée.~ de girafes à lien apparaissant dans des contextes riches en représentations schématiques de bovins, d’autruches et de girafes.
Sources : 1, Dupuy 1991; 2, Monod 1932 ; 3, Gauthier & Gauthier 1991; 4, Lhote 1987 ; 5, Monod 1947 ; 6, Van Noten 1978 ; 7, Corner 1970.
58 CHRISTIAN DUPUY
d’une laisse. Dans les régions où ce motif fut représenté, le furent égale-
ment des bovins montrant des caractères particuliers : bœufs, vaches et
taureaux aux corps remplis de motifs géométriques et aux cous parfois
sous-tendus de nombreuses pendeloques, ou bien individus au cornage
fermé en anneau ou aux cornes à courbures alternées démesurément
longues ou encore aux comes surnuméraires. Ces deux derniers caractères
échappent à la réalité. Les autres évoquent des pratiques pastorales spéci-
fiques : déformation des cornages, port de nombreuses pendeloques,
décoration des robes.
J’assigne à ces représentations une’valeur de marqueur culturel lorsque
toutes sont présentes sur un même site ou, plus ouvertement, dans une
même région. Ainsi les stations de gravures rupestres riches en représen-
tations schématiques de bovins, d’autruches et de girafes, montrant
également des girafes à lien et des bovins aux caractères particuliers, déli-
mitent une aire géographique qui couvre la majeure partie du Sahara
central et méridional. Les similitudes entre stations sont nombreuses, trop
nombreuses pour répondre de convergences iconographiques. I1 semble
plus logique d’y voir l’empreinte d’un courant culturel auquel auraient été
sensibles des pasteurs de bovins qui avaient pour tradition de graver les
rochers des régions qu’ils parcouraient. Les résultats convergents issus
des recherches en anthropologie sociale sur les sociétés de pasteurs
nomades confortent plutôt cette idée.
F”
im
Fig. 5.
Représentations
de porteurs de lance
dans la vallée
de Taghlit
(Adrar des Iforas).
résolus armes à la main en combats rappro-
chés’ ces éleveurs de bovins développèrent
un art qui donna la primauté aux images de
porteurs de lances (fig. 5). Celles-ci occu-
pent souvent une place centrale dans les
compositions. Les rapports de force naturels
sont parfois défiés, les attributs de masculi-
nité amplifiés, à l’instar de ces hommes
fortement sexués appliquant directement la
pointe de leur lance sur les corps d’élé-
phants, de rhinocéros ou de girafes.
Les contours des têtes épousent des
formes variées. Leurs dimensions, générale-
ment sans proportion avec le reste du corps,
traduisent des architectures de coiffures
élaborées, parfois exubérantes, sur les-
quelles pouvaient être fixées jusqu’à six
plumes d’autruches.
La répartition géographique des types de
coiffures témoigne de modes locales. Ainsi la
forme trilobée prédomine-t-elle dans
l’Adrar des Iforas. Celle bilobée est excep-
tionnelle alors qu’elle est bien représentée
sur certaines stations de l’Air. Les organes
sensoriels sont rarement figures. S’y substi-
tuent parfois des semis de points et des
motifs géométriques dont quelques-uns
évoquent les maquillages cérémoniels de
pasteurs africains. Certains porteurs de lance
ont leurs oreilles parées de pendentifs.
64 CHRISTIAN DUPUY
Tandis que les massifs de l’Adrar des Iforas et de l’Aïr devaient encore
recevoir, durant la saison des pluies de mousson, l’eau nécessaire au
maintien d’un réseau de mares pérennes qui assurait la survie d’une faune
soudanienne, plus au nord, en altitude et à l’abri des mouches tsé-tsé du
fait des températures basses d’hiver, létales pour les glossines, des
chevaux étaient élevés par un groupe qui possédait des chars que des
peintres se plaisaient à représenter aux plafonds d’abris sous roche
(fig. 6). La fidélité des transcriptions est telle que J. Spruytte (1986,
1996)’ après avoir construit, grandeur nature, divers types de chars
d’après des représentations peintes du Tassili-n-Ajjer, a pu démontrer,
expérimentations à l’appui, l’existence d’un système à a barre de trac-
tion >> original au Sahara central et son efficacité pour le dressage des
chevaux à l’attelage.
Au X V siècle,
~ en Égypte, Thoutmosis III ordonne la réalisation du
réseau des <<forteressesde la mer >> pour prévenir toute menace à l’ouest
du Delta. Deux siècles plus tard, Ramsès II fait prolonger ce système
\
Fig. 6. Composition peinte au plafond de l’abri sous roche de Weiresen dans le Tassili-n-Ajjer irord-occidental.
Source : Kunz 1982.
66 CHRISTIAN DUPUY
u
t Fig. 7. Répartition géographique des gravures de porteurs de lance apparaissant dans des contextes
animaliers riches en représentations schématiques de bovins.
Sources: 1, Dupuy 1991 ;2, Lhote 1987; 3, Roset 1988; 4, Vedy 1962; 5, Monod 1947; 6, Stdewen
& Striedter 1987; 7, cliché aimablement communiqué par Jean Courtin; 8, Huard 1963.
70 CHRISTIAN DUPUY
tés montés par des porteurs de lance et guidés à l’aide d’une laisse. Les
Peulsfoulankriabe du Hombori dans la boucle du Niger montent et
guident encore aujourd’hui leurs bovins de cette manière (Gallais 1975a:
152). D’autres bovins sont représentés le corps rempli de motifs géomé-
triques. Ces représentations renvoient à une tradition des Peuls du Macina
qui, chaque année, vers la mi-novembre, peignent des motifs géomé-
triques sur les robes de certains animaux avant que ceux-ci ne traversent,
avec leurs congénères, le fleuve Niger au niveau de Diafarabé à la quête
des pâturages de la rive gauche. Ces motifs peints mériteraient d’être
étudiés afin d’en définir le sens et de voir s’ils présentent ou non des simi-
litudes avec les signes géométriques gravés sur les corps de certains
bovins représentés dans l’Adrar des Iforas. Se trouvent traités à leurs
côtés des sujets ayant plusieurs pendeloques fixées à leur cou et à leurs
cornes. Ces représentations ne sont pas sans évoquer cette autre tradition
des Peuls du Macina qui, l’hivernage terminé, organisent un concours de
vaches grasses au terme duquel l’animal primé est paré à vie de colliers et
de pendeloques fixés à son cou et à ses cornes.
Les tarikh rapportent que les Peuls de la boucle du Niger seraient origi-
naires du Fouta Toro et qu’ils auraient formé à leur arrivée, aux alentours
du xivesiècle, le premier royaume peul d’Afrique de l’Ouest : le royaume
des Diallubés (Dembélé 1991 : 243 ; T. Diallo 1986 : 227). La tradition
orale indique, quant à elle, que la sédentarisation des Peuls dans la région
remonterait à la première moitié du X I X siècle
~ suite à leur conversion
massive à l’islam sous l’effet du charisme de Sékou Ahmadou (Bâ &
Daget 1984).
Les gravures rupestres du Sahara méridional datables du premier millé-
naire avant notre ère supposent un scénario quelque peu différent. Plutôt
que de phénomènes spontanés, la naissance du royaume des Diallubés
ainsi que la sédentarisation des Peuls résulteraient d’un processus lent, à
savoir de la concentration croissante de groupes peuls qui se seraient fixés
dans la boucle du Niger par suite de l’aridification marquée qui culmina
dans l’Ouest africain autour des débuts de l’ère chrétienne. Parmi ces
groupes, devaient figurer les descendants des pasteurs de bovins qui
avaient fréquenté l’Adrar des Iforas et (ou) l’Aïr, ou tout du moins un
certain nombre d’entre eux. Accompagnés de leurs troupeaux et de
quelques chevaux, ceux-ci s’imposèrent et se fixèrent dans le delta inté-
rieur du Niger à proximité des terres exondées riches en pâturages,
propices à la sauvegarde de leur genre de vie basé sur l’élevage des
bovins. À cette époque, ils avaient abandonné l’une de leurs traditions
!
72 CHRISTIAN DUPUY
La naissance du Peul
Invention d’une race frontière au sud du Sahara
Elles fondaient les frontières entre groupes sur des distinctions substan-
- tielles, une ethnie étant aussi un taxon au sens biologique du terme.
L’un des caractères les plus discriminants était la couleur de la peau. I1
fondait les grandes distinctions raciales et déterminait l’aptitude à la civi-
lisation. C’est ainsi que l’anthropologie du X I X ~siècle s’inscrivait dans
l’idéologie coloniale (sans Ctre pour autant, il importe de le souligner,
l’idéologie de la colonisation). Elle surdéterminait les oppositions
noirs/blancs ou nomades/sédentaires, toujours modalisées à partir de la
dualité dominantsldominés, conquérants/conquis.L’utilisation de la clas-
sification binaire fut considérée comme radicale s’agissant de <<Blancs>>
et de << Nègres >> puisque l’opposition conquérants/conquis y relevait du
couple dominantsldominés.
Disons tout de suite que cette logique classificatoire portait àfaux. On
pouvait, en effet, rencontrer toute sorte de <<Nègres>> comme des
<< Blancs >> de couleur noire, des <<Noirs >> dominants et des <<Noirs >> répu-
tés d’origine blanche comme les Peuls. La prolifération de ces <<hybrides >>
était, bien sûr, la conséquence de l’impossible application des taxinomies
rigides. I1 est cependant remarquable que, face à cette prolifération, le
discours savant soit demeuré assertatif, procédant par accumulation de
distinctions. Poussant cette logique jusqu’à l’absurde, on créait même des
taxons sans contenu morphologique distinct. I1 existait ainsi une catégorie
de Blancs, dits d’Afrique, différents des Blancs européens bien qu’il soit
impossible de les distinguer << du point de vue racial, car ils avaient le
même type >> (Howells 1948 : 288). Rien donc ne les départage si ce n’est
une localisation géographique différente. Précisons que notre but n’est
pas de savoir si Howells à raison ou tort, mais de mettre en évidence la
logique classificatoire qui a abouti à la prolifération de taxons. Cette
logique peut s’énoncer ainsi : l’idée de séparer est plus importante que les
critères de la séparation. C’est en ce sens que nous avons parlé d’un
impossible objet de la raciologie (Boëtsch & Ferrié 1993).
Les Peuls, difficiles à classer entre <<Noirs>> et << Blancs >> car trop
<< Noirs >> pour Ctre << Blancs >> et trop << Blancs >> pour Ctre << Noirs D, posè-
rent de nombreux problèmes classificatoires aux anthropologues et
continuent même d’en poser puisqu’il convient de se méfier constamment
des critères taxinomiques qu’on leur applique (Botte & Schmitz 1994b).
Mais, d’une certaine façon, suivre les aléas de leur classification permet
de comprendre les contraintes et les apories de l’activité taxinomique telle
que nous venons de la présenter.
Noirs et Blancs
noire >> mais mettait cette distinction sur le compte des différences de
nourriture (Buffon 1792 : 150). On sait que, pour ce savant, la nourriture
était, après le climat et avant les mœurs, l’une des trois causes de la diffé-
renciation des phénotypes. Mais, il est clair que cette question n’a pas
pour Buffon d’enjeux taxinomiques, dans la mesure où la diversité biolo-
gique de l’homme n’est - pour lui - qu’une série de variations découlant
du climat et des comportements humains. Au contraire, l’école polygé-
niste proposait, elle, le métissage comme seule explication de l’hybridisme
des traits, dans une pensée scientifique refusant absolument l’idée même
de variation à l’intérieur de l’espèce. Si pour un polygéniste convaincu
comme Bory de Saint-Vincent (1827 : 46), <<l’Afriquefut jusqu’ici la
patrie exclusive de l’espèce éthiopienne>>, la présence d’Africains hétéro-
gènes dans leur morphologie ne pouvait s’expliquer que par l’hybridisme,
comme le montre sa remarque sur << les Foulis sur les bords de la rivière
Gambie, déjà un peu croisés avec les Maures >> (ibid.: 47).
La présence des populations peules posa un double problème à l’an-
thropologie : celui du métissage (que nous venons d’évoquer) mais aussi
celui de la migration, c’est-à-dire de l’origine. La construction d’un
modèle anthropologique explicatif de la présence de ces populations
devait répondre aux attentes des nombreux observateurs, tel Gustave
d’Eichthal(1841: 1-2) qui remarquait que
a . . . la
nation des Peuls, Poules, Foulahs, Foutes qu’on trouve répandue dans la
Sénégambie, depuis le fleuve Sénégal jusqu’aux montagnes de Sierra-Leone, a de tout
temps été signalée par les voyageurs comme une race distincte de celle des Nègres
ordinaires. Les individus de cette nation, ceux du moins chez lesquels il n’y a pas de
mélange de sang nègre, ont une couleur de peau foncée que les voyageurs appellent
tantôt rouge, tantôt bronzée, tantôt cuivrée, quelque fois presque blanche. )>
Mais d’Eichtha1 ne propose pas d’explication généalogique auda-
cieuse ; il se contente d’expliquer cette morphologie singulière par le
principe de la variabilité sans s’avancer sur la genèse de celle-ci :
<<Aupoint de vue ethnologique, ce peuple présente des caractères qui ne sont pas
moins remarquables. Tous ceux qui l’ont observé se sont accordés & reconnaître qu’il
diffère essentiellement des Noirs sous le rapport physique et moral, et s’ils n’ont pas
osé reconnaître en lui une race distincte de celle des Nègres, du moins l’ont-ils consi-
dérée comme une variété toute spéciale de cette race. >> (Ibid. :V.)
Rouges et noirs
I1 est clair que ces Cléments de dissemblance des Peuls d’avec leurs
voisins sont à l’origine de ces mythes ethnogéniqaes : << Les Peuls se
distinguent de leurs voisins par des traits fins et réguliers [...] aucun
caractère n’est négroïde >> (Bordier 1884 : 270). Ce qui est repris par C.
Montei1 (1950 : 160) : <<Auphysique, le Peul Rouge n’offre pas de type
vraiment homogène. Mais il est, dans tous les cas, absolument différent
des nègres. >> L’idée de la proximité biologique du Peul perdurait encore
au début des années 1960, quand Dupire (1962 : 3) écrivait : <<LePeul, ou
du moins l’image idéale qu’on se fait de lui non sans raison, est d’aspect
plus “europoïde” que “négroïde”. >>
Rouges ou noirs
<c... l’on peut se demander si, dans la formation des Peuls, ne serait pas intervenu un
autre élément, qui nous est inconnu à l’état pur et leur aurait donné leur stature, leur
forte dolicocéphalie, leur teinte rougeâtre, la minceur des lèvres, le prognatisme, tous
caractères qui semblent se comporter comme dominant du point de vue génétique. On
voit toutes les difficultés que soulève l’interprétation exacte des Peuls dès qu’on quitte
les grandes conceptions théoriques pour rentrer dans le détail des faits. >>
Mélanisation et métissage
*
Du point de vue du colonisateur, on est dans une situation o Ù l’on doit
à la fois construire de l’altérité et maintenir de la proximité, tenir à
distance sans éloigner. Ainsi, les indigènes <<blancs>> d’Afrique du Nord
sont-ils toujours plus ou moins mélanisés pour marquer une différence
dans la proximité justifiant à la fois le projet d’assimilation et la hiérar-
chie coloniale ; ainsi, les << Noirs >>, généralement conçus comme très
distants sont-ils quelque peu rapprochés des colonisateurs par la présence
en leur sein d’Cléments originellement non-noirs. I1 s’agit, en quelque
sorte, d’une stratégie cognitive visant à mesurer l’altérité, à la réduire
pour la rendre manipulable. Mais cette mesure ne fait qu’euphémiser le
déclassement des colonisés dans une même étrangeté, fondée sur le fait
qu’ils ne sont pas Européens. Nous pourrions nommer cette stratégie
cognitive la stratégie du <<modèleberbère >>. Elle se définit comme l’ins-
tauration d’une opposition ethnologique entre deux groupes situés dans le
même espace, l’un qui devient proche du colonisateur, l’autre qui en
demeure éloigné. Ces deux groupes s’opposent entre eux et c’est cette
opposition qui rapproche l’un des groupes de l’Européen. L’avantage
évident de ce modèle est de fournir un cadre de lecture universelle de ce
que Maunier (1932) appellera le contact des races, définissant une hiérar-
chie naturelle des peuples. À l’intérieur de ce cadre, toutes les spéculations
identitaires deviennent possibles et, d’une certaine manière, légitimes.
Toute critique de l’histoire d’une discipline oblige la reconnaissance
d’une altérité au passé, empêchant par là même tout jugement de valeur
anachronique. En ce qui concerne les études << raciologiques >> sur
l’Afrique, on aurait pu penser que le débat sur la question de l’apport de
l’Clément <<négroïde>> à la << civilisation >> - dont relève la question de
l’ethnogénie et de l’identité peules - était un vieux débat anthropologique
appartenant à un X I X ~siècle positiviste révolu, avec des conceptions
structuralistes avant la lettre, parfois teinté de beaucoup d’humanisme,
comme celles de Gustave d’Eichtha1 qui fera de la <<race>> blanche une
<<race>> mâle et de la <<race>> noire une <<race>> femelle (le monde sauvage
de Rousseau). Le produit des deux termes du couple, le métis, sera l’en-
fant commun de l’Humanité nouvelle (Eichthal & Urbain 1839). C’était,
en effet, un débat incontournable pour une époque déjà marquée par un
très fort déterminisme biologique et par une idéologie européanocen-
trique. Ainsi, dans le cas du développement de la civilisation égyptienne,
il était apparemment difficile, pour la majorité des historiens et des
anthropologues, d’admettre la présence de caractères biologiques
<< négroïdes >> chez les peuples créateurs des civilisations méditerra-
néennes (Boëtsch 1995).
Une autre lecture de l’histoire proposée par Diop - conforme aux hypo-
thèses de Sergi (Boëtsch & Ferrié 1994) et d’Elliot Smith (1928) -
82 GILLES BOËTSCH & JEAN-NOËL FERRIÉ
Pulaaku
Sur la foulanité
La notion depulaaku
Les premiers chercheurs qui se sont intéressés aux FulGe et, bien avant,
les premiers voyageurs entrés en contact avec eux, n’ont eu, apparem-
ment, aucun doute sur le fait que les FuEGe disposaient de qualités
particulières ou, pour être plus précise, que les << FulGe purs >> ou les
<< Ful6e rouges >> disposaient de telles qualités, tant une distinction nette
entre ces derniers et les <<FulGe noirs >> leur semblait évidente’. C’est à
partir de cette différenciation interne que les chercheurs ont établi la
spécificité des FulGe par rapport aux autres, une spécificité qui ne résidait
pas seulement dans leur aspect physique mais aussi dans leur culture et
leur caractère.
L’éclaircissement du processus de formation et de I’hCtCrogCnCitC
originelle des FulGe2 n’a pas infirmé l’idée d’une forme culturelle à la
fois première et distincte : les FulGe restaient bizarrement différents. Leur
spécificité n’était plus considérée comme étant d’une nature raciale (en
tout cas, plus en premier lieu) mais culturelle. Pour marquer cette origina-
lité, les FulGe eux-mêmes utilisaient le vocable pulaaku. Dans ce terme de
pulaaku, les chercheurs ont reconnu quelque chose de traditionnel et,
malgré la diversité actuelle du groupe, de fondamentalement constant,
dont les racines pourraient bien se trouver dans la vie pastorale, autrefois
commune à tous les Ful6e, et dans le lien qui les unissait à leur bétail3.
Aux descriptions idéalistes qui s’imaginaient pouvoir atteindre l’es-
sence de la foulanité succédèrent alors des analyses beaucoup plus
réalistes présentant le pulaaku comme un phénomène socio-culturel
complexe. Dans sa monographie sur les WodaaGe du Bornu, Stenning
1. Voir par exemple Krause 1883: 183; Montei1 1950; Murdock 1959: 414-415. Cependant Barth
(1857-58, vol. 4: 144) constata qu’en raison de contacts avec d’autres peuples, les Fulk disposaient
d’un << caractère hétérogène et quelque peu indéterminé >> et qu’ils avaient incorporé U des Cléments
nationaux tout il fait différents les uns des autres m.
2. Voir Stenning (1959: 18 et sq.) pour une récapitulation des résultats de la recherche; sur la
classification du fulfulde, cf. Greenberg 1949.
3. Voir Dupire 1970: 189 sq. ; Stenning 1959: 59. Pour VerEecke (1988 : 41) qui cherche B
reconstruire I’identitéful6e c... in its traditional form I...] and then to show how it has been shaped
by history and social changes D , nguynaaku (a berger n) constitue, tout comme ndiniauku ( a libert6 n)
l’un des aoriginal components ofpicluakua (ibid.: 51 et sq., voir aussi 1993a: 307). Sur l’impact du
Hirrenkriegerfuni (.tradition de pasteurs guerriers >>)sur l’histoire de la civilisation, voir Braukimper
1971 : 102 sq.
SUR LA FOULANITÉ 85
(1960 : 5 ) décrit le laawol pulaaku, le << Fulany way >> comme ,,ant athe
exercise of familial virtues >> et il dresse une liste des règles générales
concernant le mariage, la vie familiale, les devoirs de I’éleveur.. . Dans
son étude sur les Wodaa6e du Niger, Dupire (1962: 169) parle dupulaaku
comme étant un << code moral et social [...] une codification élémentaire
des relations sociales >>.
Même s’il n’y a pas de correspondance totale, les différents auteurs se
sont cependant retrouvés au moins sur la perception fondamentale et
l’évaluation de l’objet de leurs recherches. Pour eux, le pulaaku était
avant tout un système de règles sociales ou, pour reprendre le terme de
Dupire, un code relationnel. Ils ont mis l’accent sur l’analyse de la strut-
. ture sociale et sur une détermination de la fonction sociale que fevêt le
pulaaku à côté du mariage, de la parenté, du système lignager.. . A partir
d’une notion assez diffuse de race et de culture, c’est-à-dire à partir de la
nature et de la spécificité des Ful6e s’est développée l’idée d’une institu-
tion sociale.
En plus de cette mise en Cvidence de la fonction normative du pulaaku,
les ethnographes des Wodaa6e ont fait avancer, d’une autre façon encore,
l’analyse de la notion. Ils ont établi une distinction entre le code social,
c’est-à-dire les règles concrètes associées à cette notion, et sa signification
idéale exprimée par des concepts abstraits de valeurs et de qualités. C’est
à Stenning que l’on doit d’avoir dressé une liste des valeurs qui définis-
sent le pulaaku ou qui, plus exactement, associées les unes aux autres
<<font>> le pulaaku. A côté du fuljulde qui ne désigne pas seulement la
langue des Ful6e, mais aussi << a whole range of rights and duties peculiar
to a Pullo >> (Stenning 1959 : 55), le pulaaku se compose également de
seemteende, une qualité que Stenning traduit par emodesty and reserve>>,
de munyal, c’est-à-dire <<patienceand fortitude >>, et enfin de hakkiilo,
<< care and forethought >>.
Cette conception semble avoir influencé ou stimulé, dès les années
1970, une série de recherches plus approfondies. Le <<problème ful6e >> se
posait de nouveau, à partir du moment où les ethnographes ont commencé
à remettre fondamentalement en question la nature de l’objet de leur
étude, à savoir la tribu ou l’ethnie. Le pulaaku constituait dès lors un
thème central des recherches consacrées aux FulGe. En effet, en dépit des
différences économiques, politiques et culturelles, cette notion semblait
affirmer l’idée de quelque chose de commun, car les chercheurs travaillant
dans différentes communautésful6e sont, dans leurs analyses du pulaaku,
pratiquement tous arrivés aux mêmes résultats4. Tout comme Stenning,
ils ont présenté un concept composite, s’accordant même avec lui sur les
différents Cléments de ce concept. Seemteende, munyal et hakkiilo sont,
4. Voir Bocqueni 1987: 233-234, 1986: 315 sq.; Dupire 1981: 169; Kirk-Greene 1986: 42;
VerEecke 1988. Pour une interpritation originale, voir Dognin 1975. L‘analyse beaucoup plus inten-
sive livrie par Riesman (1974) doit être consid6rée à part.
86 ELISABETH BOESEN
pour ainsi dire, entrés dans le répertoire standard du pulaaku. Les premiers
ethnographes, cependant, n’avaient été en contact qu’avec une seule de
ces qualités, car ils n’ont attiré notre attention que sur cette qualité que les
Ful6e, eux-mêmes, appellent seemteende ou gacce et que l’on traduit par
aretenue, réserve, shame, honte ou pudeur, modesty 9. Leurs successeurs
n’ont généralement pas donné de précisions sur la façon dont ils sont arri-
vés à cette multiplicité d’Cléments ni comment ils ont procédé pour les
isoler les uns des autres6.
Le pulaaku au Borgou
Les résultats obtenus par les chercheurs cités précédemment ont contri-
bué à différencier la notion de pulaaku. En discernant une multiplicité
d’Cléments, on a en même temps précisé la façon dont ils s’articulent les
uns par rapport aux autres. On a donc fixé la structure cognitive du
concept. Celle-ci semblait très simple : le pulaaku est apparu, pour ainsi
dire, comme la somme d’Cléments de même nature, chacun représentant
une valeur absolue et, par conséquent, isolable. Assemblés les uns aux
autres, ils donnaient le pulaaku.
Pour les Ful6e de Bagou, la commune dans laquelle j’ai vécu un an et
demi, on peut dire que ce procédé de décomposition ne correspond pas
aux représentations émiques. Mes informateurs n’ont pas nommé de
composantes. En général, ils ont plutôt donné des exemples simples
montrant de quelle manière le pulaaku se traduit dans la vie quotidienne ;
plus souvent encore, ils ont décrit des faits et des gestes allant à l’encontre
du pulaaku et représentant un manquement ou un défaut. Dans leurs
explications, les Ful6e n’ont utilisé le mot pulaaku que très rarement,
préférant plutôt employer d’autres’termes.Voilà quelques réponses exem-
plaires : << Imagine-toi quelqu’un, un jeune homme qui rencontre un ancien
de l’âge de son père, il va vers lui et le regarde droit dans les yeux. Celui-
là ne fait pas preuve de senteene. I1 a jeté son dimaaku [sa dignité et sa
fierté] D. Ou bien : << Quand tu sais que quelqu’un veut à tout prix avoir
quelque chose de bien précis, alors tu le lui donnes. Tu as fait lefulfulde.
Voilà, c’est cela le pulaaku. >>
L’idée d’une notion composée de plusieurs Cléments bien précis - idée
apparemment à l’origine des travaux d’autres chercheurs et motivaFt leur
quête de ces Cléments - s’est avérée douteuse au Nord du Bénin. A côté
des difficultés méthodologiques des analyses cognitives, il est question ici
de la nature même des représentations cognitives du savoir culturel. Ces
auteurs se sont surtout attachés à représenter un concept culturel, alors
5. Voir Vieillard 1932: 14 sq.; Pfeffer 1936: 160; voir aussi Dupire 1981 : 169.
6. À l’exception de VerEecke (1988) dont l’analyse est fondCe sur des données recueillies par
interviews standardisées.
SUR LA FOULANITÉ 87
que les explications et les exemples donnés au Borgou ont fait apparaître
le pulaaku comme une réalité de la vie, seulement présent et saisissable
dans la perception et l’expérience concrètes7.
L’étude de ces différents travaux ne permet pas de dire si la foulanité
peut être considérée comme quelque chose de commun unissant les diffé-
rents groupes de Ful6e. La concordance conceptuelle que les analyses
sémantiques mettent en évidence ne veut pas dire que la réalisation de cet
ethos - et, par là, l’expérience sociale de l’identité culturelle - soit la
même pour chacun des groupes. En général, ces travaux ne prennent pas
assez en compte cette dimension pratiqueg. Le problème du rapport entre
les normes sociales et l’action individuelle ou, plus fondamentalement,
entre le concept culturel d’identité et la notion de soi de chaque individu
fait cruellement défaut dans ces travauxg.
J’aimerais dépasser le cadre de la clarification sémantique pour voir de
quelle manière l’individu réalise concrètement le pulaaku. En bref, il
s’agit de définir l’importance de l’idée de la foulanité dans la vie des
Ful6e du Borgou. I1 n’est pas possible d’analyser le problème de façon
complète et détaillée. Je me bornerai donc à présenter quelques aspects
importants.
Que l’étranger ait affaire au pulaaku c’est, au moins chez les Ful6e du
Borgou, une chose certaine. Leur foulanité les préoccupe au plus haut
point. Le fait d’être Peul demande à être représenté et manifesté. Du
matin au soir, les occasions ne manquent pas d’évoquer le pulaaku, c’est-
à-dire de rappeler sa propre foulanité, à soi-même et aux autres, de
rappeler, sous forme de commentaire, de critique ou d’auto-ironie, les
conditions et les conséquences de cette identité, sans qu’il soit pour autant
nécessaire d’utiliser le mot pulaaku lui-même. Les Ful6e vivent chaque
jour leurs actions les plus banales - par exemple, la prise des repas -
comme autant de témoignages et de preuves de leur identité.
De telles observations m’ont donné l’impression que ce qui importe c’est
moins certaines valeurs, certaines convictions ou certaines règles intan-
gibles que cet acte d’affirmation, c’est-à-dire la satisfaction permanente
d’un besoin criant de se rassurer soi-même. C’est bien dans cet acte d’iden-
7. Voir entre autres Barth 1995; Bloch 1991, 1992; Csordas 1990, 1993; Fabian 1994; Jackson
1989; Hannerz 1993; Hastrup & Hervik 1994; Taussig 1993.
8. Cela vaut également pour des études plus récentes suivant une approche déconstructiviste. Les
auteurs conçoivent le pulaaku comme un élément du discours socio-politique, qui revêt une fonction
identificatrice, surtout dans les moments de confrontation avec d’autres groupes. Voir Bierschenk
1995; VerEecke 1993b. Pour une analyse symbolique, voir aussi Bovin 1974-75, 1985.
9. Ainsi Dupire (1981: 196) se contente-t-elle de constater que al’individu normal se plie si bien 9
ce modèle imposé par la société qu’il en arrive à faire du pulaaku une valeur individuelle detachée de
son conditionnementsocial : c’est l’intériorisation de l’impératif moral >>.
88 ELISABETH BOESEN
Vivre le pulaaku
10. Pour une telle notion, qui ne prend pas l’interaction en premier lieu comme un processus
cognitif et qui met en question la conception shiologique ou textualiste de la culture, voir notam-
mentcsordas 1990,1993; Jackson 1989; Lyon 1995; Stoller 1989; Wikan 1987,1992.
90 ELISABETH BOESEN
L’évitement
Même celui qui ne partage pas la pruderie des Ful6e n’aura aucun mal
à comprendre que, pour eux, l’acte de manger est quelque chose d’intime
qui doit donc s’effectuer caché. Mais pourquoi le fait de se retrouver par
hasard face à un vieil homme suscite, comme nous l’avons vu, les mêmes
sentiments de honte et d’humiliation que le fait d’être surpris en train de
manger? Les Ful6e décrivent un tel moment comme une torture physique
insoutenable : La honte te saisit et tout ton corps meurt (Senteene nagete,
bannu mua f u u waatan wu) P. Que peut-il y avoir de si humiliant dans
cette rencontre inopinée ?
On dirait que c’est la dignité et l’autorité de l’ancien qui exigent une
marque spatiale et physique de déférence. Mi sentii mo ( a J’ai honte
devant lui D) signifie : << J’éprouve du respect pour lui. >> Mais si, à l’occa-
sion de telles rencontres, il fallait seulement témoigner son respect, alors
on pourrait se demander pourquoi celui-ci ne s’exprime que dans le fait de
se cacher, dans la non-présence. Pourquoi ne se traduit-il pas plutôt de
manière positive, par une révérence ou une génuflexion, par exemple?
Les Ful6e du Borgou, ou tout au moins certains groupes, ignorent totale-
ment ces attitudes de prosternation. Le fait de courir se cacher dans les
buissons dès que l’on voit arriver un ancien ne doit pas non plus être
interprété comme un geste de soumission. Ici, il s’agit plutôt d’un renon-
cement à toute forme de geste, c’est-à-dire d’une absence d’échange.
Cette forme d’évitement, signe de certaines relations statutaires, doit être
considérée comme un effort réciproque. Pour l’ancien aussi, la rencontre
inopinée est désagréable. Lui aussi, est tenu de l’éviter. Même s’il lui
revient de laisser le rôle actif au plus jeune, l’ancien à son tour ne doit pas
voir l’afitre. S’il évite la vue du jeune, cela ne veut pas dire qu’il éprouve
pour ce demier de l’indifférence ou un manque de considération. I1 s’agit
SUR LA FOULANITÉ 91
11. Sur la diffkrence entre guilt et shame, voir Piers 1953 : 1 1 ;Cgalement Lynd 1958.
S U R LA FOULANITÉ 95
12. Seydan, Satan ; lekki, la magie, les médicaments ; lee& honki, lit. <<lesmauvais poils >>,
symbole d’une puissance personnelle ntfaste; ginaaji, les esprits.
13. Pour la condamnation des crimes, les FulGe s’en remettent aussi i des institutionskWangères A
leur communauté; aujourd’hui, ils s’adressent en premier lieu aux organes de I’fitíit.
96 - ELISABETH BOESEN
avec autrui et avec le monde. Les Ful6e parlent de manière d’autant plus
détaillée des actes des autres, à savoir des << grands >> (maw6e) ou de ceux
qui veulent le devenir. On a disserté des miens également et, surtout, on
en a parlé devant moi. Que ce regard qu’on a porté sur moi et sur mes
actes puisse m’être désagréable, me couvre de honte tout comme n’im-
porte quel Peul dans ma situation, cela personne ne s’en est soucié. Dans
mon cas, le désir fondamental ou la faculté d’exercer une influence pour
se faire valoir était, apparemment, hors de doute. C’est pour cela que ce .
désir a pu être traité ouvertement, bien que l’on ait pu soupçonner une
multitude de choses sur mes véritables intentions. Confronter un Peul
avec ses faits et gestes, les bons comme les mauvais, est un signe de
manque de respect. Féliciter quelqu’un en public est perçu comme un
outrage ou comme une critique. Les Fu& redoutent ces moments-là, tout
comme ils redoutent de rencontrer inopinément un ancien, et ils redoutent
ceux des leurs qui font preuve d’un tel manque de respect et qui e parlent >>
(6e batan wa), comme ils disent.
On peut tirer profit des possibilités financières et autres d’un Blanc et
surtout de son besoin d’activité ou, comme diraient les FulGe, de son
semme (<< force >>).Mais, on peut aussi en avoir peur. C’est justement en
agissant à la demande des Ful6e que j’ai confirmé à leurs yeux ce carac-
tère étrange et menaçant qui émanait déjà de moi. Pareillement un Peul
qui, d’une façon ou d’une autre, se distingue par son activité et sa résolu-
tion, même pour le bien de tous (par exemple, en participant à la
construction d’un puits ou d’une école), ne << fait >> pas le fulfulde. Au
contraire, on dira de lui qu’il veut devenir un mawdo, un << grand >>.
L’action n’est pas une preuve de pulaaku mais plutôt de semme, de force
et de puissance, la qualité des autres. Le Peul énergique s’apparente,
quelles que soient ses intentions, à l’autre qui représente l’inconnu et la
menace.
Nous voici parvenus à un aspect important du pulaaku, un aspect qui
jusqu’à présent n’a pas encore été abordé : l’idée et la réalisation de la
différence 14. Les Ful6e sont, sur un point essentiel, << différents >>, à savoir
qu’ils ne sont pas en mesure d’accomplir des actes. I1 leur manque semme,
la force nécessaire pour cela. Les Ful6e ont donc besoin d’actants.
D’abord dans un sens pratique, pour tout ce qui nécessite du semme, ils
ont besoin des Gando (anciens esclaves) qui aujourd’hui encore construi-
sent leurs maisons, aussi bien que des haa6e et des fonctionnaires qui
14. Voir Botte & Schmitz (1994b: 9) qui assignent une fonction identificatoire fondamentale aux
esclaves des FulGe ou à leurs descendants : a la masse servile sature inversement par des traits négatifs
-paganisme et agriculture - les valeurs fonctionnelles de l’identité peule, et c’est là probablement
qu’il faudrait en chercher le cœur*. Pour les Ful6e du Nord du Bénin ce sont plutôt les huafie,c’est-i-
dire les Bariba, qui constituent le vis-à-vis significatif, un vis-à-vis caractérisé, ici aussi, par les deux
traits de l’agricultureet du paganisme; aux yeux des FulGe, leurs voisins /muGe sont - en dépit d’une
islamisation rapide dès le début du Xxc siècle -restés des païens. Voir aussi Ogawa (1993) sur
l’importance de a othernesss pour l’idée de pulaugu chez les JenngelGe du Sénégal.
SUR LA FOULANITÉ 97
règlent leurs conflits. Ils ont également besoin d’eux en tant que vis-à-vis
dont la vue peut rendre faible ou bien effrayer et qui, donc, rend la diffé-
rence quotidiennement visible.
15. Sur les relations sociales entre Fulfie et hna6e, voir Boesen (1994) et pour une analyse de
l’ordre spirituel, voir également Boesen (1998a et b).
2
De la servitude a la liberté
ROGERB o m
4. Principalement dans les Rivières du Sud car le Fuuta Jaloo ne fournissait que de très faibles
quantités d’arachides ddcortiqukes ;mais. il livrait les esclaves nicessaires ? laiproduction,en particu-
lier dans des villages spdcialement fondds par les Jakanke (les Tubacayes) pour la culture de
l’arachide.
5. Je reprends la distinction de Meillassoux (1986 : 325) entre le captif, qui est une marchandise,
et l’esclave, qui est un moyen de production.
6. Car celui-ci a un coat, en particulier en hommes. Ainsi 2 Ngaabu une armée foutanienne entière
avait-elle été dtcimte par la variole.
7. Leur but visait l’interception des communications de Samori avec la Sierra Leone, Instructions
pour M Dargelos allant opdrer dans le Kissi, Kdrouané, 10 mars 1893, ANS, I D 138.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 103
La résistance diplomatique
8. Sur la résistance à l’expansion française entre 1881 et 1896. voir McGowan 1981;et Barry
1992 95-149.
9. Colonne Plat en 1887-1888, colonne Levasseur en 1888, colonne Audéoud en 1888. Ces
N colonnes n traduisent toutes la politique agressive de Gallieni. Elles visent à mettre au pas le Fuuta
Jaloo ou, comme le dit Audtoud, B ((braver en face ces Peuls pleins de morgue et dont la suffisance
envers les officiers français dépasse toute bomen (Gallieni 1891: 565). La mission Briquelot (1888-
1889). B l’initiative d’Archinard, tentera vainement de convaincre les almami des intentions
pacifiques de la France. Voir Arch 1911 : 436-438; Barry 1992 : 108-121; Person 1968 : 704-705,
708-709.
10. C’est la raison pour laquelle un système bicéphale avait tté mis en place qui permettait à deux .
almami, un Alfaya et un Soriya, de gouverner en altemance chacun durant deux ans. En réalitt, les
104 ROGER BOTTE
Le rejet par les almami de toute notion de protectorat -dont ils voyaient
bien que le but réel était la mainmise sur 1’État- s’accompagnait d’une
résistance plus active qui consistait à entraver l’expansion française au
Soudan en aidant Samori, le principal adversaire de la France dans la
région. Cela n’excluait d’ailleurs pas des rapports parfois conflictuels
avec l’Empire samorien, dont l’expansionnisme menaçait le Fuuta Jaloo :
les conquêtes de Samori sur la rive gauche du Niger inquiétaient les
rapports de force prévalaient presque toujours et la durée des règnes variait d’autant. L’alternance ne
concernait pas seulement les almami mais elle s’appliquait aussi àtous les niveaux politiques.
11. En fait, la situation ttait sensiblementplus nuanck: le Conseil ttait d’autant plus puissant que
rtgnait Amadu, consid6ré comme un almami faible. Son règne de trente-trois mois, de mars 1885 à
janvier 1888, durée inhabituelle, s’explique pour cette raison. II en va de même du raccourcissement
du règne d’Ibrahima en 1881.
12. En nommant son candidat, I’Alfaya Alfa Qassimu. Par la suite, ce chef refusera de céder la
place à un compétiteur dtsigné par I’almami et c’est -chose inouïe- une coalition Soriya-Alfaya qui
impose le choix de I’almami.
13. Sur le mouvement hubbu conjuguant rtveil religieux et contestation sociale, voir Botte 1988.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTFB 105
14. L’Ulada formait une marche entre le Fuuta Jaloo, le Firya et le Baleya et Btait surtout peuple
par des Jakanke venus de Timbo, la capitale du Fuuta Jaloo.
15. Sur l’accord entre les almami et Samori, voir Person (1968 : 329-330). Les hostilitks avec les
Hubbu, engagtes en 1882, aboutirent 2 leur extermination en janvier-fkvrier 1884 (Person 1968 :
454-456,461-462).
16. Le 27 juillet 1891, deux caravanes envoytes par I’almami Bokar Biro quittent le rio Pongo
(Sakarelli) oh elles ont kchang6 des bœufs apresque il vil prix, contre des fusils 2 piston, des chasse-
106 ROGER BOTTE
des captifs. À partir de décembre 1883, une fois liquidé l’abcès hubbu, ce
commerce ne cessa de progresser : <<Lestroupeaux de l’aristocratie peule
étaient inépuisables, et celle-ci était toujours disposée à acheter de
nombreux captifs au conquérant malinké avec qui elle sympathisait 17 >>.
L’installation à Heremakono (Solima), à la frontière du Fuuta Jaloo et de
la Sierra Leone, de l’armée samorienne de l’Ouest commandée par
Kemoko Bilali**permit aux sofas d’assurer la sécurité de la route vitale
de Freetown et la bonne marche du commerce des armes et des captifs. En
1890, les avant-postes français de 1’Ulada notaient régulièrement le
passage de nombreux troupeaux descendant du Fuuta Jaloo. Les transac-
tions s’accélérèrent encore à partir d’avril 1891, lorsque les Français
reprirent sur une grande échelle les hostilités contre Samori et que celui-ci
rechercha toujours plus de fusils. Les échanges s’amplifièrent d’autant
plus que la peste bovine de 1890-1892, exterminant les troupeaux des
savanes de l’Est (Konya, Wasulu), épargnait ceux des hauts plateaux du
Fuuta Jaloo. Les derniers grands convois de bétail sont signalés,-en
janvier 1893, quelques jours avant l’occupation par les Français du gué
sur le Niger à Faranah et de la place stratégique d’Heremakono. Les
progrès foudroyants de l’offensive française fermèrent brutalement la
frontière avec les États de Samori et provoquèrent l’arrêt des opérations
commerciales triangulaires 19. En outre, le verrouillage du Fuuta Jaloo
correspondit, à l’application effective (début 1893) de la Fire arms,
ammunitions and gunpowder ordinance prise le 3 mai 1892 à Freetown et
prohibant la vente des armes à tir rapide. Jusqu’alors les intérêts de la
colonie anglaise, opposée à-l’expansionnismefrançais, coïncidaient avec
ceux de Samori -et du Fuuta Jaloo : ce commerce des armes stimulait
grandement la prospérité commerciale de la colonie.
Pour le Fuuta Jaloo aussi, le troc, sur la base d’un bœuf contre un
captif, était une opération extraordinairement rentable puisque, avant les
guerres menées par Samori, l’acquisition d’un homme adulte coûtait de
cinq à sept bœufs (cf. infra tableau 1, p. 132). On imagine aisément les
effets bénéfiques d’une chute des cours aussi vertigineuse que durable sur
une économie fondée sur le labeur servile. Dès 1883 en effet, une partie
des cohortes de captifs dont disposait Samori prit le chemin du Fuuta
pots et des cartouches, comme le demandait Samory )>, Conakry, Rapport politique du 15 juillet au
15 août 1891, ANS, 7 G 53. En septembre 1892, un rapport de Kouroussa (ANS, 7 G 43) signale que
aLes Dialonkés [de Faranah] achètent des fusils Remington à Sierra Leone, les revendent B I’almamy
Bokar Biro qui B son tour les recède B Bilali. )>
17. Person 1968 :937.
18. L’armbe de l’Ouest (1 500 fantassins, 200 chevaux) est constitube en dkcembre 1883. Le choix
d’Heremakono s’explique par la proximi@du nœud caravanier de Falabd, en temtoire anglais (Person
1968 : 1033 sq., 1137,1192).
19. ((Notre prksence à Faranah et l’interruption du commerce avec Samory ddtruisirent brusque-
ment leurs illusions [des almami] en même temps qu’elle arrêta net un commerce excessivement
lucratif de captifs. n Lettre du capitaine Brouët, Faranah, 10 novembre 1893, ANS, 7 G 35.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 107
20. Person 1968 : 927, 1193. S’agissant des captifs, Person indique (ibid.: 942) qu’ils valaient
jusqu’à trois bœufs. Mais toutes les sources orales au Fuuta Jaloo donnent un bœuf pour un captif.
21. Toute estimation semble impossible. Les calculs remarquables effectués par Person (1968 :
908-909.941-942. 1197) pour évaluer le nombre d’armes (6000 armes modernes sans compter les
fusils de traite) achetées par Samori ne permettent pas d’estimer leur coat en captifs dans le systt“
triangulaire. D’une part, parce que Person minimise systhatiquement l’ampleur de la traite négrière
samonenne et que. d’autre part, d’autres produits (ivoire, or, caoutchouc) &aient consacrt5s B l’achat
d’armes. En outre, les bœufs du Fuuta Jaloo servaient aussi B l’alimentation de l’armée de l’Ouest.
22. En 1891, dans ses instructions à Beeckman qui se rend au Fuuta Jaloo, Ballay précise: <<Le
but le plus important de la mission que vous allez entreprendre au Fcuta est de vous occuper de la
108 ROGER BOTTE
question commerciale I...] Vous voudrez bien insister très vivement auprès des almami [...j pour
qu’ils s’engagent 1 dépenser l’argent des rentes [versées par la France] dans les Rivières du Sud, à
envoyer les caravanes Foulahs directement la côte et àrenoncer définitivement à leurs relations par
trop suivies avec les Anglais. Vous pourrez facilement leur dimontrer qu’ils trouveront les mêmes
articles et les mêmes prix à Conakry qu’à Sierra Leone. Ils ne feront ainsi que se conformer aux
clauses du traité de 1881...n Instructions données à M. Beeckman par M. Ballay, gouverneur des
Rivières du Sud et dipendances pour sa mission au Fouta, Conakry, 16 octobre 1891, ANS, 7 G 77.
23. Les Anglais avaient sign&le 10 aoGt 1889, un traité reconnaissant officiellementle protectorat
français sur le Fuuta Jaloo, mais ce n’est qu’en juin 1895 que le gouvernementbritannique interrom-
pit toutes relations officielles avec I%tat peu~.
24. À l’instar des Rivières du Sud, le développement commercial de la Sierra Leone dependait
très largement de l’accès aux marchés du Fuuta Jaloo et, à travers lui, aux marchés du Soudan de
l’Ouest
-. . ET LES IMPÉRIALISTES
L’ESCLAVE, L’ALMAMI 1o9
Les Alfaya, eux, se seraient montrés plus favorables aux Anglais depuis le
séjour à Timbo de Thompson, un missionnaire venu de Sierra Leone en
1842, sous un almami de leur obédience. La bipartition entre << franco-
philes >> et << anglophiles >> fonctionna presque parfaitement jusqu’à la
chute de 1’État en 1896. Ainsi, lors du passage des colonnes Plat et
Audéoud en 1888 et 1889, l’almami régnant, Ibrahima, pourtant <<le
propagateur de l’alliance française 25 D, exaspéré par ces irruptions mili-
taires intempestives, menaça de se rallier au camp alfaya, favorable à
l’ouverture aux Anglais.
Plus généralement, lorsque l’almami au pouvoir ne souhaitait pas
donner suite aux demandes des Français -et aucun ne le voulait-, il allé-
guait de son incapacité à engager l’avenir au prétexte que l’almami en
instance ne manquerait pas de rejeter, dès son arrivée aux affaires, ce que
lui-même aurait accepté. De son côté, l’almami en sommeil refusait de
donner son avis en objectant qu’il aurait ainsi outrepassé la réserve à
laquelle il s’estimait tenu. Bref, les deux almami << se renvoyaient tour à
tour la balle pour éluder les propositions françaisesz6D. Lors de l’alter-
nance Amadu/Bokar Biro, le nouvel almami introduisit une variante
supplémentaire : Bokar Biro, plus jeune, assurait ne rien pouvoir entre-
prendre sans connaître les vues d’Amadu, plus âgé que lui et plus
expérimenté. En outre, les almami ne se privaient pas d’invoquer la
nécessité -réelle, au demeurant - d’obtenir l’agrément du Conseil des
anciens, ou même des chefs de province, avant de prendre toute décision.
Ces manœuvres dilatoires portaient à l’incandescence l’irritation, les
impatiences et les aigreurs françaises.
D’autant que la situation, lors de l’alternance Amadu/Bokar Biro,
s’embrouilla un peu plus aux yeux des Français : Amadu qui eut long-
temps la réputation d’être 1’<< homme lige des Anglais >> fut bientôt perçu,
avec la même cécité politique, comme <<toutdévoué aux intérêts fran-
çais >> ; tandis que Bokar Biro, un Soriya pourtant, un temps considéré
comme <<unpartisan de la France >>, était décrit comme <<hostile>> et << le
plus achamé à combattre les intérêts français27>>. C’est que le contexte
politique, vers 1891, s’était profondément modifié : la guerre faisait rage
entre Samori et les Français et ces derniers, désormais, déterminaient
leurs amitiés en fonction du conflit. Or Amadu, sous la pression des
commerçants, était hostile à la présence au Fuuta Jaloo de partisans de
Samori, en quête de bétail, tandis que Bokar Biro leur apportait un soutien
voyant. En outre, Bokar Biro s’était emparé du pouvoir au sein du parti
25. Campagne 1888-89 au Fouta Dialon. MM. Briquelot, Aymerick et Crozat, ANS, 1 G 208.
26. Marty 1921 : 17. Voir également Diallo 1 9 7 2 ~ 136-138;
: McGowan 1981 : 251.
27. Sur les variations d’appréciation des Français voir notamment: Conakry, Rapport sommaire
sur la situation politique I...] du 20 octobre au 20 novembre 1892, ANS, 7 G 33; Faranah, Rapport
politique du 31 juillet 1893, du lernovembre 1893 et du 12 aoat 1894, ANS, 7 G 35; Heremdkono,
Bulletin politique, 5 juin 1895, ANS, 7 G 38.
110 ROGER BO’ITE
28. Celui-ci était la figure la plus Eminente d’un véritable aparti français >>, réunissant indiffkrem-
ment Alfaya et Soriya. Ce ((parti P s’&taitdEveloppé il partir de 1881 et, dans les années 1890, il
sollicitera de manière de plus en plus pressante une intervention française.
29. I1 comprenait le SBnCgal, la GuinEe française, le Soudan et la Côte d’Ivoire. Les dEcrets du
17 octobre 1899 et du Icr octobre 1902 consolidèrent l’organisme central tout en affirmant I’autono-
mie des colonies qui le composaient.
30. Par exemple, en mai 1894, lorsque Lamothe (StnBgal) accusant Ballay (Guinte) de mollesse i
l’égard du h u t a Jaloo veut y monter une expedition militaire, Grodet (Soudan) met en état d’alerte
des troupes prêtent i en découdre avec la colonne exp6ditionnaire(ANSOM, SEnégal VII/16, Sénégal
IV/72, Guinée IV/5).
_ .
L’ESCLAVE, L’ ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 111
31. Amadu dCplorant que les Français, àl’instar de Samori, ne soient pas musulmansexclut toutes
relations amicales avec eux. I1 souhaite se cantonner aux seules relations commerciales, ainsi
.
achacun de vous et chacun de nous restera dans son fil.. >> I1 termine sa lettre par cette exhortation:
((Nous vous prions pour l’amour de Dieu, par le ProphBte, par le Coran, par le Pentateuque, par les
Psaumes de David et par I’fivangile d’embrasser la religion musulmane. Amadu à Archinard.
))
32. ((Tu me demandes une armée et je suis disposé à aller avec mon armée pour me joindre à la
tienne et punir les Houbous de leurs pillages puisqu’ils sont tes ennemis...>> Archinard à Ibrahima,
12 novembre 1889, Lettre no 24, ANS, 15 G 8 1. Finalement, Archinard reviendra sur son soutien
parce qu’<(unennemi des Français >j,Soriba, un lieutenant de Samori, se trouve au Fuutd (Archinard B
Ibrahima, 6 février 1890).
33. McGowdn (1981 : 767-768). Les traditions orales d’inspiration alfaya font aujourd’hui de l’al-
mami Amadu un diplomate hors série et voient en lui un patriote intransigeant. C’est ainsi qu’il aurait
répliqué à l’administrateur Beeckman qui lui demandait, avant la conquête du Fuuta Jaloo, d’établir
une résidence dans son pays : ((Parcourstout le Fuuta Jaloo et occupe l’ancienne concession de ton
père,,. Certes, la réplique correspond bien a la forme peule de l’humour, mais elle est probablement
apocryphe.
34. Après le coup d’fitat du 13 décembre 1895 oh il fut attaqué à Bantinel. Sur cet episode et son
interprétation maoïste, voir Bah (1972 : 51-52).
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 113
35. Cf. supra n. 28. Curieusement les Français attendront avril 1896 pour s’appuyer sur ce parti et
mettre en œuvre la politique consistantà diviser pour rCgner. Jusqu’alors,malgr6 des dimembremenu
périphériques, ils misaient sur l’unit6 du Fuuta Jaloo. Là encore la traditionn sCkoutourienne Ctablit
((
37. Cette victoire fut popularisée par un chant composé par les jeunes et qui commence ainsi : <<Le
jeune et le vieux se sont brouillés ...n (Kauri e kaoiraati hino galdi). Dans ce vers, les vieux sont
représentés par le terme kaairooti; il désigne un petit livre de droit arabe qu’ils aimaient porter sur
eux et qui les symbolisait (Bah 1972 : 23). ’
38. On lui prête d’ailleurs le constat suivant: <<LeFuuta Jaloo est divisé en trois parties : la
première me hait, la seconde a peur de moi et la troisième est avec moi. D Sur les réformes, voir Bah
1972: 34-36, 116-117.
39. << Le remplacement des almami ne s’est pas effectué d’une manière normale. L’almami
Ahmadou devait céder le pouvoir B Bokar Biro le 12 juillet. Bokar Biro ne serait entré Timbo que
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 115
vers le 20 août [...] Bokar Biro aurait prié Ahmadou de garder le pouvoir un mois de plus, de façon ii lui
permettre de surveiller ses lougans (on a en effet recolté les pistaches le mois demier et Bokar Biro en
avait dit-on fait semer beaucoup) n, Rapport politique, Heremakono, Icr septembre 1894, ANS, 7 G 38.
40. Cette année, decisive pour l’histoire Cconomique du Fuuta Jaloo, peut être analyste grâce aux
<<Étudessur la captivité,, fort opportunementdemandCespar Grodet, gouvemeurdu Soudan(circulaire
du 25 janvier 1894), et aux premières mercuriales ttablies par les postes militaires français dans la
Région Sud (cf. infra tableaux 1 à 6, p. 132-138).
41. Vers 1202 Faninkaman Dyomande (Camara), frère d’armes de Sundiata Keita, est reçu par
son ami Konsaba Dyomande install6 depuis quelques andes d6jL dans le pays de Beyla comme
marchand d’esclaves et, vers 1230, Tumane Kuruma est dit se livrer au commerce de kola dans la
rCgion (A. Liurette, Monographie du cercle de Beyla, 1908, ANG, 1 D 1, p. 1 et 3). Sur les Kooroko,
voir Amselle (1977b).
Les réseaux dyula, les marchis relais et le Fuuta Jaloo.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 117
42. La, le grain se vend au prix (<énormen de 1 F le kilo (Faranah, Bulletin commercial de juillet
1893, ANS, 7 G 35).
43. Sur les marchés loma voir Béavogui (1991 : 143 sq.) qui signale l’existence de deux marchés,
Bhuseme et Foniaro dans le Oniguame, spécialises dans la vente d’esclaves femmes et mettant en
rapport Konianke, Kpele, Gbandi et Bhele. Sur les grands courants d’échange i la fin du X I X siècle,
~
voir Gœrg (1986).
44.Avant son occupation par les Français en avril 1889, Kouroussa, point de passage naturel des
caravanes venant de la côte et descendant dans le centre sud du Soudan, était le principal marché où
les habitants du Fuuta Jaloo Bchangeaient leurs bœufs ou du sel contre des captifs.
118 ROGER BOTTE
45. La grande r6gion exportatrice de kola allait, selon une ligne sud-nord, de la rivière Bandama
en Côte d’Ivoire àl’actuelle GuinQ en passant par le Liberia et la Sierra Leone.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 119
46.ANS, 7 G 46.
120 ROGER BOTTE
47. En février 1895, à Beyla toujours, le sel se vend encore courammentà 8 F, il descend B 5 Fen
mai. De mai à d6cembre 1896 son prix s’établit entre 2,20 F et 3,OO F le kg (55 à 75 F la barre de
25 kg). Malgré l’interdiction de la traite ntgrière, il s’échange toujours contre des captifs et si des
pénuries sont signalées en juin sur les marchés du Bhuuzu, ceux de Beyla et de Dyorodugu restent
très actifs comme le constate le capitaine Thenard : <<Lavente des captifs se fait sur une assez grande
échelle au Liberia mais tout à fait l’avantage de notre Soudan, qui maintenant vient clandestinement
s’y approvisionner de gens tirés des bassins côtiers, et prend ainsi sa revanche des temps passés >>,
Rapport du 25 février 1896, ANS, 7 G 48.
48. Ou encore sel marin venant du Liberia: celui du pays vaï, est le plus courant dans la zone
forestière àl’époque précoloniale (Anderson 1971 : 21, 55, 104-105). Les mercuriales dressdes par les
Français n’en tiennent aucun compte. Ni non plus de 1’6coulement des captifs par les Toma vers les
deux grands marchés de Kpedebu et Boporo, capitale de I’8tat de Kondo.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 121
49. Décret du 21 juillet créant au Sénégal, le corps d’infanterie indigène. Rappelons que les
troupes coloniales ne dépendaient pas du ministère de la Guerre mais de celui des Colonies.
50. Deherme 1908 : 25.
51. Guillaumet 1895: 156. I1 cite l’exemple de la campagne du Mossi, en 1894, oh, après la prise
de Bossé, 1 200 prisonniers furent partagés : <<Lesofficiers eurent droit B un certain nombre, six. je
crois, dont les deux tiers pour leurs boys, les soldats de la légion étrangère eurent aussi leur part, et
enfin on paya les tirailleurs, les porteurs, les palefreniers avec cette marchandise humaine m (ibid.:
155-156). En 1891, le colonel Archinard fut soupçonné d’avoir donné 3000 prisonniers B ses hommes
et, en 1894, le commandant de S6gou fut accusé par le gouverneur du.Soudan de poss6der
140 esclaves, la plupart capturés trois ans auparavant (La Politique coloniale, 27 juillet 1892, Gouv.
Soudan à M. C., 7 janvier 1895, ANSOM, Soudan I7/a, cité par Lovejoy & Kmya-Forstner 1994 7).
52. Elle est créée en 1892 avec siège à Kankan puis transférée, en 1893, B Bissandougou, puis B
Siguiri en 1895.
53. Lieutenant Morisson, fitude sur la captivité, Cercle de Kouroussa, mai 1894, ANS, K 14. Le
constat est le même B Beyla dans la region de l’extrême Sud, <<oÙles Dioulas affluent d6jà dans le but
de se procurer B bon compte la marchandise noire dont ils se défont avec gros bénéfices dans les
régions du Nordn, Capitaine Bohin, Renseignements sur la captivité dans le cercle de Beyla. Kankan,
10juin 1894, ANS, K 14.
54. Rapport général sur la situation politique du poste, Kouroussa, 15 avril 1894, ANS, 7 G 44.
122 ROGER BOTTE
s’empressent d’accourir de tous les pays, de très loin, pour acheter à vil prix des lots de
cette “marchandise” si recherchéesS.. >> .
C’est ainsi que Kankan, base des colonnes en Région Sud, fut durant
plusieurs années un marché en pleine effervescence. À chaque saison
sèche, le retour des opérations militaires assurait aux traitants le renouvel-
lement de la marchandise. En 1894, la course au captif se déplaça en
direction du Kuranko et du Kisi. Dans ces régions, restées longtemps
isolées du Fuuta Jaloo, les habitants souffraient cruellement d’une pénurie
de viande et de sel. Par contre, le pays regorgeait de captifs :
<<J’évalue 10000 ou 12000 le nombre des gens pris par nous et au moins à 10000 le
nombre de ceux qui ont été pris par le Kissi. Voilà donc d’un seul coup 10000 captifs
environ pour le Kissi seulement. On peut donc dire qu’aujourd’hui le nombre de captifs
dans la Résidence est assez considérable. J’ai essayé de faire rendre au moins les gens
du Kuranko et du Sankaran [parce qu’ils dépendaient de la Résidence] et n’ai pas
r6ussi :je n’ai pas insisté, car cela aurait été la guerre avec chaque village l’un après
I’autre56. >>
Ainsi, au début de l’occupation française (de fin 1893 à fin 1894), un
déstockage massif jette sur le marché des milliers de captifs à des prix
particulièrement attractifs. Le sel fait d’abord fureur : << On échangeait un
captif contre deux ou trois foufous de sel (10 à 15 kgs)57. >> Ensuite, c’est
le bœuf qui prime :
<<Entrele Kissi d’un côté et le Fouta et le Dinguiraye de l’autre, il y a un véritable
chassé-crois6 soit que les marchands du Kissi aillent dans ces pays vendre des captifs
pour des bœufs dans la proportion de un captif pour six ou sept bœufs, soit que ceux du
Fouta ou du Dinguiraye aillent au Kissi vendre leurs bœufs dans la proportion de un
bœuf contre un captif58. >>
Ici, deux remarques. D’une part, sur le lieu de vente, l’abondance de la
marchandise fait que le captif s’échange à un tarif unique sans plus aucun
critère de sélection. D’autre part, au loin, le captif enchérit normalement
en fonction des aléas encourus et de la prise de risques. Mais la différence
de valeur économique entre les deux montre aussi que la marchandise une
fois rendue au Fuuta Jaloo devenait du capital. Déstockage massif égale-
ment à Kérouané, en mars 1894, oÙ le commerce très actif des animaux
est attribué à <<laquantité de captifs à vendre [. ..] par suite de l’approche
de l’hivernage et du manque d’approvisionnement en vivres chez les
propriétaires >>. À ce moment <<leshabitants du Dinguiraye ne craignent
pas d’aller eux-mêmes jusque dans le Bouzié oÙ ils ont un captif pour un
bœuf, deux captifs pour une vache, un captif pour deux moutons59D. Là
Géopolitique de I’étranglement
et dépérissement du système esclavagiste
aux frontières du pays, les almami, sans considérer ces populations qui
contribuaient à la richesse de l’État comme tout à fait assujetties, refusè-
rent de les voir regagner leurs villages d’origine. Or, ceux-ci faisaient
désormais partie du Soudan français. Dès avril 1893, Archinard, <<misau
courant de l’opposition faite au retour des réfugiés dans leurs pays d’ori-
gine, avait signifié à l’almami du Fouta d’avoir à leur rendre toute liberté
d’action sous peine de voir une colonne aller les chercher61>>. Cauteleux,
l’almami Amadou démentit jusqu’à leur existence même et regretta qu’on
ait pu <<induireen erreur le colonel Archinard sur les procédés des almami
vis-à-vis des populations de territoires qui appartiennent maintenant aux
Français62 n.
Justement, Combes, nouveau commandant supérieur du Soudan, se
souvenant opportunément de l’existence de ces sujets français, réclama à
son tour la << libération D des réfugiés. Car il s’agissait de repeupler les
zones dévastées par la guerre, de faire redémarrer l’économie et, à terme,
de recueillir l’impôt. Après plusieurs tentatives infructueuses pour faire
céder l’almami, Combes, en représailles, traça à l’administration militaire
une ligne de conduite offensive : <<Laquestion des captifs du Fouta Djallon
est facile à régler. Tant mieux si les captifs du Fouta Djallon se sauvent.
Vous n’interviendrez en aucune façon en faveur de leurs maîtres, etc.63 >>
Par les agents politiques, il fit avertir les esclaves du Fuuta Jaloo que tous
ceux d’entre eux qui s’évaderaient seraient libres dès qu’ils atteindraient le
territoire du Soudan français. En l’occurrence, Combes appliquait le droit
du sol tel que défini par l’article 7 du décret d’abolition de l’esclavage du
27 avril 1848: << Le principe que le sol de la France affranchit l’esclave qui
le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République. >> Or,
au Soudan, ce principe était partout bafoué. Les directives de Combes
visaient donc uniquement le Fuuta Elles eurent un réel succès :
jour après jour, des esclaves s’enfuyaient vers le poste de Faranah. Le
mouvement d’évasion fut si prononcé -au moins deux cents déguerpisse-
ments en trois mois, de mars à avril 1894‘jS- que l’almami Bokar Bir0
demanda à plusieurs reprises que les esclaves lui soient rendus ‘j6, fournis-
61. Dargelos, commandant la Rtgion Sud à M.le Gouverneur du Soudan français à Kayes,
Bissandougou,28 août 1894, ANS, 7 G 76.
62. Le Gouverneur de la GuinCe française à M.le Gouverneur du Soudan français, Conakry,
30 novembre 1894, ANS, 7 G 33.
63. Lettre no 253 du 15 juin 1893 in Capitaine Brouet au Commandant p. i. de la Rtgion Sud,
Faranah, 18 octobre 1895, ANS, 7 G 36.
64. La même mesure avait été prescrite (ordre du 2 mars 1893) 5 I’tgard des ((captifs6chappés de
chez les Maures et Touareg [qui] ne doivent jamais être rendus n (Deherme: 478).
65. Depuis trois mois, plus de 200 captifs se sont évadés du Fouta et ont rejoint directement
((
leurs villages sur les différents points du Soudan, craignant que, vu nos bonnes relations avec les
almami, nous ne les rendions àleurs anciens maîtres, s’ils venaient se prtsenter aux commandantsdes
postesw, Bulletin politique, Faranah, mai 1894, ANS, 7 G 35.
66. Capitaine de Bouvre à M.le Gouverneur du Soudan français. Kayes, 25 mars 1894, ANS,
7 G 76; Lettre de I’almami Bokar Biro à Beeckman,Timbo, 22 juillet 1895, ANS, 7 G 77.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 125
sant même une liste nominative de ceux qui lui appartenaient ainsi que le
nom des notables qui réclamaient les leurs67. Sans succès, car <<parordre
supérieur>>les instructions ne seront jamais modifiées.
Bokar Biro, qui n’ignorait pas que le droit du sol selon Combes s’appli-
quait aux seuls esclaves du Fuuta Jaloo -ailleurs, ils étaient généralement
rendus à leurs maîtres-, prit aussitôt des mesures de rétorsion en interdi-
sant la fourniture de bœufs aux militaires du Soudan. L’interdiction,
strictement respectée, voulait priver de ravitaillement en viande des
troupes coloniales qui en avaient un grand besoin. Son efficacité était
assurée :
<<Lesmarchands de bœufs qui venaient avec de fortes caravanes conduites par leurs
captifs, voyant qu’on engageait ceux-ci à déserter, ne sont plus venus qu’avec quelques
bœufs conduits par eux-mêmes et leurs parents ; d’aucuns ne sont plus revenus du tout
et le ravitaillement en bestiaux a été très pénible68.D
Devant les difficultés d’approvisionnement,certains officiers s’interro-
gèrent sur le résultat des mesures prescrites par Combes et regrettèrent
que des <<tempéraments >> n’y aient pas été apportés :
<<Oneût pu [. ..] proposer à l’almami d’étendre à ses États, le modus vivendi imposé au
Soudan, c’est-à-dire, rendre les captifs réclamés dans le délai de trois mois ; mais
exiger, en échange, le retour dans leurs foyers des populations [. ..] qui avaient émigré
au Foutah pour échapper à Samory69.D
67. Lettre remise par Bokar Biro à un agent politique et transmise le 3 novembre 1894, Faranah,
18 octobre 1895, ANS, 7 G 36.7 G 77.
68. Rapport du lieutenant Delaforge (Heremakono,.
25 février 1894, ANS, 7 G 38) qui demande
que l’on revienne sur la décision de Combes.
69. Capitaine Concard, commandant la Région Sud p. i. au Gouverneur du Soudan français 2
Kayes, Bissandougou,3 novembre 1895, ANS, 7 G 77.
70. Capitaine Brouet au commandant de la Région Sud, Faranah, 24 octobre 1894, ANS, 7 G 36.
L’en-tête indique par erreur 1895 au lieu de 1894.
71. Ibid.
126 ROGER BOTTE
l’almami que cette suppression [...] n’était nullement une mesure dirigée
contre les gens du Fouta-Djallon, mais qu’elle résultait d’un accord arrêté
entre les puissances européennes, et que, pour notre part, nous l’étendions
à tout le Soudan français72.>> Et, de fait, Grodet, premier gouverneur civil
du Soudan, ému de voir figurer les captifs dans les relevés des postes (cf.
tableau 7) parmi les articles d’exportation et à l’actif du bilan général,
venait de décider que la traite et les marchés de captifs seraient abolis :
<<Jene puis admettre que, sur le territoire de la République [...I parmi les articles
d’achat ou de vente il y ait des représentants de l’espèce humaine. C’est on ne peut plus
triste au point de vue humanitaire et tout à fait contraire à l’Acte de Bruxelles [ 18901,
que la France a signé [. ..] En consCquence vous interdirez, en mon nom, d’une façon
formelle, le commerce des esclaves de traite73. B
Certes, si la mesure s’appliquait à l’ensemble du Soudan franqais, elle
n’avait aucune validité sur le territoire indépendant du Fuuta Jaloo, mais
- quelle que fût l’importance des filières clandestines- l’arrêt brutal des
transactions négrikres coupait le pays de ses fournisseurs et enclenchait
une crise de forte ampleur qui, à terme, allait ébranler les structures
mêmes de 1’État. Déjà, l’incitation des esclaves à la fuite, les conflits
perpétuels avec les postes du Soudan, les bruits de bottes aux frontières et
autres procédés d’intimidation, les traités de protectorat avec de petits
États situés dans la zone d’influence foutanienne, la création de postes
frontière à Wosu et à Laya, en Guinée française, le projet de liaison
directe entre le Haut-Niger et Benty, sur la côte, constituaient autant
d’empiétements sur l’autonomie politique du pays et ce démembrement
insidieux de leur espace géopolitique portait à son comble l’exaspération
des almami. Ils ne voyaient plus désormais dans le voisinage des Français
que menaces continuelles, et le moindre mouvement de troupes donnait
lieu à des rumeurs invraisemblables. Ils étaient d’ailleurs si convaincus de
l’imminence d’une agression qu’ils envoyaient chaque année << espionner
à Kayes, Bafoulabé et Kita pour savoir dans quelle direction se faisaient
les concentrations de troupes 74 >>. Les pérégrinations à travers le pays de
curieux commerçants (Sanderval, Gauthier) étaient perçues comme autant
de prétextes à <<leverdes plans pour la mise en route d’une colonne75>>.
Dans la capitale, les mises en garde se multipliaient. Un nommé
Souleymane, agent politique des Français envoyé demander des bœufs à
l’almami Amadou, indique que les chefs du pays réunis à Timbo en
<< auraient dissuadé l’almami, lui disant “Si tu envoies des bœufs aux
76. Cf. supra n. 74. Souleymaneetait porteur d’une lettre du commandant de la Région Sud 1 l’al-
mami Amadou. I1 rentre de mission le 28 février à Kankan, après une absence de deux mois.
77. Bokar Biro dans une lettre à Beeckman (6 mars 1894) se plaint des pressions répétées du
Soudan alors qu’il ne devait avoir affaire qu’avec la Guinée française: ... Je n’ai cessé de recevoir
des messages ou des menaces de Siguiri, Dinguiray, Kouroussa [...I Faranah et surtout Ouessou, oÙ
l’on m’a coupé la route avec Sierra Leone, ce qui fait que nous ne pouvons plus acheter de belles
choses. n I1 termine sa lettre ainsi :.aJ’aime encore mieux la guerre, où je serais probablement vaincu,
que la situation actuelle qui est inadmissible>>, Kayes, 17 ao& 1894, le Gouverneur à M.le chef de
bataillon Dargelos, commandant la Région Sud, Kankan, ANS, 7 G 23.
78. Capitaine de Bouvre, cf. supra n. 66. L’fitat du Fuuta Jaloo delivrait Ün sauf conduit pour
traverser le pays moyennant une redevance estimee à 1/10 de la valeur de la marchandise.
79. ah grand obstacle qui [s’oppose] (début 1894) à la reunion de la Région Sud et des Rivières
[est] le haut plateau du Fouta, dominé par son aristocratie féodale, (Arch 1911 : 532).
80. Rapport du capitaine Brouet sur la situation politique en février 1895, cercle de Faranah, ANS,
7 G 36.
128 ROGER BOTTE
81. Rapport du capitaine Brouet sur la situation politique en dtcembre 1894, Cercle de Faranah,
ANS, 7 G 35. L’auteur du rapport ajoute: a Maintenant que nous n’offrons plus aux Foutankés, en
tchange des bœufs qu’ils nous amènent à contrecœur, qu’une monnaie qui ne reprtsente pour eux
qu’une valeurà peu près inutilisable, on peut prtvoir que nous tprouverons d’ici peu d’insurmon-
tables difficultés 3 continuer r6gulièrement notre ravitaillement en bœufs. >>
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 129
82. C’est par exemple I’almami Amadou qui se plaint des transactions commerciales avec le
Soudan: aLes bœufs sont payés en espèces ? i prix désigné p
un a le chef de poste, mais en aucun cas
on ne discute la valeur des animaux,, Correspondancede M.l’administrateur principal de Beeckman
en mission au Fouta Djallon, Timbo, 7 mars 1894, ANS, 7 G 33.
83. Capitaine de Bouvre à M.le Gouverneur du Soudan français, Kayes, 25 mars 1894, ANS,
7 G 76.
84. Selon chaque région de la côte existait, établi d’un commun accord, un étalon de valeur (barre
de fer, pièce, acquêt d’or, etc.) qui servait de référent monétaire pour le commerce entre Africains et
Europiens. En Sénégambie toutes les marchandises avaient une valeur rapportée à la barre de fer, qui
était parfois utilisée pour le paiement effectif.
85. Heremakono, Copie trimeshielle du registre no 2,lO novembre 1894, ANS, 7 G 38 ; Capitaine
Brouet au commandant p. i. delaRégion Sud, Faranah, 18 octobre 1895. ANS, 7 G 36.
130 ROGER B O n E
86. Propos rapportés par Fode Bangoura et Lasuna, agents politiques envoyés dans le Fuuta Jaloo
pour y acheter des bœufs et qui ont rencontré I’almami Bokar Biro i Fougoumba. Le capitaine
Godfroy résidant du Kissi à M.le capitaine commandant la R6gion Sud, Kissidougou,24 octobre
1895, ANS, 7 G 51.
87. Ibid.
88. Beeckman, Rapport politique de mars-avril 1894, Colonies des Rivières du Sud, ANS, 7 G
53; Arcin 1911 : 533.
89. Sur ces faits et sur l’exacerbation des contradictions internes et la désintégration de I’8tat
précolonial, voir McGowen 1981 ; Bah 1972 : 100-140; Barry 1992 : 149-179.
L’ESCLAVE, L’ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 131
ì3
Catégorie de captif Cercle de Beylac Résidence du Kisii Résidence du Kisi Cercle de Cercle de Cercle de
(pays konianke) (pays kuranko) (pays kisi) Kérouanék Kouroussa 1 Siguiri m
a. Littéralement: nporteur de cache-sexe)) en maninka: c’est-à-dire enfant de 10 i 14-15 h. A cette époque la charge variait entre 25 et 30 kg, soit ici 750 & 900 kg au total. Avant r“
E
ans, par opposition au garçon déji circoncis qui, désormais, porte le pantalon bouffant souda-
nais (kursi). En réalité, seuls les jeunes les plus vigoureux et d’une <( taille sup6rieure i sept
mains n entraient dans cette catégorie. Le même terme désignait également les guerriers
constituant la garde de Samori et qui, jeunes captifs, avait reçu une education militaire collec-
tive particulièrement rude en vue d’en faire d’impitoyablescombattants.
les guerres de Samori, il fallait 42 charges au lieu de 30 pour obtenir un captif.
i. Aujourd’hui en Guinée forestière. En 1894,lors de l’occupation militaire française, la
Résidence du Kisi comprenait: le Kisi proprement dit et le Kuranko.
j. Le lankono (ou nonkon, ou kabafoa) est une toile de coton composde de bandes de 13 &
e
c
I5 cm de largeur d’un blanc écru -elle mesure alors 100 coudées, soit 50 m environ: la
b. Généralement, les enfants de moins de 5 ans n’étaient pas vendus seuls : ils compo-
coudée équivaut & plus ou moins 0,50m- ou, en alternant les fils, de bandes rayées de bleu et
saient, avec leur mbre. un << lot )>.
atteignant dans ce cas 80 coudées. L’assemblage de ces bandes donne des pagnes et des
c. La ville fondée au milieu du x V l i i c siècle par les Camara se trouve aujourd’hui en couvertures & mailles trbs serrées trbs résistants et trbs chauds. En 1893,au Kisi, le lankono
Guinée du Sud-Est dite forestière. A sa fondation, en mars 1894,le cercle comprenait la blanc, le plus courant, équivalait i:5 F français ou 1 kg de sel ou 5 coudées de guin6e impor-
circonscriptionde Touba rattachée par la suite i la Côte d’Ivoire. tée ou de 500 & 700 kolas, ou encore 5 guinze. Avant les guerres de Samori, dans le Kouroussa,
d. La valeur à peu près constante du captif d’un marché à l’autre tient au fait qu’un prix le lankono valait IO fois le contenu en grain d’un panier appelé gbasey (plus ou moins
courant de rachat a 6té uniformément fixé par les Français au Soudan. Par comparaison, au 100 kg) et 90 gbasey (900kg de grains) permettaient d’obtenir un bœuf qui s’&changeait
Fuuta Jaloo. avant les guerres de Samori et l’abondance de l’offre, le tableau des équiva- contre 9 chbvres ou 6 moutons (sur les unités de mesure, voir Traort5 1979).
lences s’établissaient ainsi: un captif égale 5 & 7 et même 9 bœufs ou 1 cheval; un mouton ou
une chèvre égale 7 poulets: un taureau ou une vache égale 7 moutons ou chèvres: une génisse k. Aujourd’hui en Guinée forestibre. Trois voies donnaient accbs h la zone forestière: par
&gale9 i IO moutons; un bœuf égale 7 i 9 moutons; un coq égale une natte ou un mortier. La le pays loma, par le Kpelle et par le Kisi. L‘enquête de 1894 constate que, sur ce marché, les
contrepartie des produits manufacturés (région de Faranah) était la suivante: un Coran calli- captifs hommes de 20 i 40 ans (Loma pour la plupart) ne sont généralement pas cot& car, ‘d
étant de la région, ils peuvent facilement s’échapper, ce qui oblige les acheteurs i les
n.
graphié égale 3 & 4 bœufs: une houe ou une hache ou cinq couteaux égalent 30 kolas ou un
poulet ou une natte; un sabre égale 300 kolas: une paire de sandales égale 100 kolas et 5 surveiller constamment.
E
poignées de sel: un pagne égale 100 kolas ou 5 nattes ou 5 calebasses de riz, ou un poulet les I. La ville fondee au début du xv~iicsiècle est aujourd’hui située en Haute Guinée. Outre
dix coudées. les valeurs du captif indiqué au tableau le rapport relève les équivalents suivants: homme
e. Le guinze (ou gbense) était une monnaie (petite ou grande) consistant en une tige de maigre 150 F, homme âg6 125 F, homme très âgé 85 F, femme maigre 60 & 65 F, femme âgée
fer travaillé de 40 i 60 cm de long et pesant 120 & 140 g. Ces tiges, de faible valeur unitaire, 50 F, enfant malade ou maigre 125 F. Lorsque le marché a 6t6 passé pour un captif qui paraît
lourdes et encombrantes, avaient pour aire de circulation monétaire l’ensemble de la zone maladif les deux parties attendent sept.jours avant de conclure définitivement. En fait, les
préforestière et forestière: pays konianke, kisi. loma et kuranko en Guinée actuelle, pays captifs âgés ou malades n’&aient généralement pas mis sur le marché car ils ne trouvaient pas
gbandi, gola, vaï, kpele, bhele et basa au Liberia, pays mende et kono en Sierra Leone. Ces
preneurs.
tiges 6taient rassemblées par paquets de vingt pièces, appeles kpoloe (ou buru),qui servaient
d’unit6 de compte (Portères 1960). A propos de la politique monétaire & l’époque pr6colo- m. Aujourd’hui en haute Guinée. A la confluence du Tinkisso et du Niger, les Français y
niale. et notamment sur la réglementation du cours du guinze pour éviter l’inflation et sur la construisirent un fort en avril 1888.En 1894,les limites du cercle s’étendaientjusqu’au Fuuta C-L
w
constitution de banques de réserve et de dépôt, voir Béavogui (1991 : 158-163). Jaloo. w
134 ROGER BO'ITE
Guinée (p. de 15 m) 15,OO 10,OO 15,OO 7,50 15,OO 15,OO 16,OO 16,OO I5,OO 12,OO 12,OO
Calicot (p. de 35 m) 30,OO 20,oo 18,oo 18,OO 20,oo 20,oo
Toile des Vosges (pièce) 22,OO
Pagne eurogen 10,OO l0,oo l0,oo l0,oo 12,OO l0,OO 16,OO 750 7,50
* Sources: ANS, 7 G 35. Occupation militaire française à partir du 4 fevrier 1893 (capitaine Briquelot).
En mai 1893, le colonel Combes fonde le cercle; par décret du i 6 juin 1895, celui-ci est rattaché à l a Guinée
française.
Toutes les valeurs recensees ici, comme dans les tableaux suivants, sont exprimees en francs. Les dyula
paient gtneralement les porteurs 25 F pour le trajet de Faranah à la cate ou inversement. Ils leur assurent en
outre la nourriture. Si les porteurs sont charges tant ?
l'aller
i qu'au retour, ils reçoivent de 35 ?40iF. La charge
moyenne est de 25 kg. Les dyula trouvent difficilement le nombre d'hommes necessaires, aussi les porteurs
sont-ils en grande majorité des esclaves ou des captifs. La suppression de la traite va donc considérablement
gêner le portage.
L'ESCLAVE, L'ALMAMI ET LES IMPÉRIALISTES 135
Guinée (p. de 15 m) 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO l5,W 15,OO l5,OO
Calicot (p. de 35 m) 5080 20," @,O0 20,OO 15,OO 15,OO l5,OO 15,OO 15,OO l5,OO
Toile des Vosges (pièce) 20,oo 20,oo 20,oo
Pagne européen 6,OO 7,OO 7,OO 7,OO 7,OO 7,OO
Guinée. (p. de 15 m) 25,OO 25,OO 25,OO 25,OO 22,OO 20,OO 12,OO 12,OO 12,OO 12,OO
Calicot (p. de 35 m)a 30,OO 3080 IOO,OO 85,OO 80,OO 18,OO 18,OO 18,OO 18,OO
Toiledes Vosges (pièce) 30,OO
Pagneeuropéen 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO 12,OO 15,OO
.................................................................................................................................................................................
Pagneen coton du pays l0,OO l0,OO 10,OO 10,OO 10,oo 10,OO 10,OO 10,OO
Toile du pays (pièce)
Etoffe dupays (mètre)
Lankono (pike)
Kola (cent) ll,oo l0,OO 4,OO 5,OO 4,OO 6,OO 4,OO 4,OO 4,OO 4,OO 4,OO
Huile de palme (litre) 1,OO 2,oo 2,OO 2,OO 1,50 I,OO 1,50 1,50 1,50 1,50
Tabacdupays(tête) 0,50 1,OO 1,OO 1,OO 0,75 0,40 0,40 0,40 0,40
Karité (kg)
Karité (pain)b 25,OO 20,OO 6,oO 7,OO 15,OO
Riz décortiqué(kg) 1,50 1,OO 1,OO 0,65
Mil (kg) 1O
,O 0,75 0,75
Mil (charge)
Fonio (kg) 150
Fonio (charge)
Janv. .Févr. Mars Avril Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.
Guinée (p. de 15 m) 25,OO 25,OO 25,OO 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO 15,OO
Calicot (p. de 35 m) 50,OO 35,OO 35,OO 35,OO 3500 35,OO
Toile des Vosges (pièce) 25,OO 25,OO 25,OO l5,OO
Pagne européen 15,OO 15,OO 15,OO l0,OO 10,OO 10,OO l0,OO
Kola (cent 250 230 2,50 3,OO 3,50 4,OO 4,OO 4,OO
Huile de palme (litre) 1,o0 1,OO 1O
,O 1,OO 1,OO 1,OO
Tabac du pays (tête) 0,50 1,OO 050 0,25 , 0,50 0,25
Kanté (kg) 600 3,OO 5,oo 5,OO
Karité (pain)
Riz décortiqué (kg) 2,oo 1,oo
Mil (kg)
Mil (charge)
Fonio (kg)
Fonio (charge) 2,50
.................................................................................................................................................................................
Calebasse (pièce) 2,OO 150 1,OO 150 1,50 1,50
Natte (pièce)
Caoutchouc (boule)
Guinze (pièce)
Argent monnayé
Chin& (p. de 15 m) 25,OO 20,OO 20,OO 20,oO 20,oO 13,50 13,50 13,50 18,50
Calicot (p. de 35 m) 30,oO 20,OO 20,OO 20,oo
Toiledes Vosges (pièce) 20,oO 20,OO 19,513 19,50 19,50
Pagneeuropien 20,oo 10,oo 10,oo l0,oo 10,oo 10,oo 10,Oo l0,oo
Pagneen coton du pays 15,OO 10,OO l0,oo 10,oo 10,oo 10,oo 10,oo 10,oo
Toile du pays (pièce)
Etoffe du pays (mètre)
Lankono (pièce) 5,oo 5900 5,oo 5,oo 5,oo 5,oo
................................................................................................ .................................................................................
Bœuf 60,OO 80,OO 200,OO 200,OO 150,OO 150,OO 100,OO IOo,OO 150,OO
Mouton 15,OO 15,OO 15,M 15,OO 15,M 15,W 15,OO
Poulet 1,oo
Cheval 600,OO 500,OO 600,OO 500,oo 500,Oo
................................................................................................ .................................................................................
Sel (kg) 2,oo 2,oo 2,oo 2,oo 2,oo 2,oo 2,oo 2,oo 2,oo
Sel (boule)
Kola (cent) 5,oo 5,oo 5,oo 5,oo 9,oo 10,oo 10,oo 7,Oo 5,oo
Huile de palme (litre) 1,oo 1,oo 1,oo 1,oo 1,oo 1,oo 1,oo 1,oo
Tabac du pays (tête) 1,OO 0,50 0,50 0,50 0,50 0,50 OSO OJO
Kanté (kg) 1,oo 1,oo 1,oo 1,o0 1,oo 1,o0
Kanté (pain)
Riz décortiqué(kg) 5,oo 1,oo
Mil (kg) 1,o0
Mil (charge)
Fonio (kg)
Fonio (charge)
Calebasse (pièce) 2,oo 2,oo 2,oo 2,OO 2,OO 2,OO 2,OO 2,50 2,50
Natte (pièce)
Caoutchouc (boule). 0,25 0,25
Guinze (pièce)
Argent monnayé
Beyla
Nb. dyula importateurs 8 31 104 129 141 124 107 164 121
Guinée. (nb. pièces) 288 188 728 307 529 276 257 252
Sel (en kg) 435 788 3508 4207 3823 4036 7358 9522
Nb. dyula exportateurs 17 22 63 81 126 137 154 140 137 167
Captifs 140 174 122 114 143 72
Kola (nb de pièces) 78200 91600 190700 139700244800 374700 542000 528400 500300 968900
K!hd
Nb. dyula importateurs 28 51 56 34 54 39 10 8 8 22
Guinée (nb. pièces) 360 108 87 96 129 138 28 40 49 28
Sel (en kg) 170 95 110 75 90 280 85 100
Nb. dyula exportateurs 79 76 68 44 106 40 41 32 23 27
Captifs 78 68 55 31 112 14
Kola (nb. de pièces) 7 300 22 100 61400 23500 37 650 9970 20800 16440 31000 35500 66000
KiSSidOUgOU
Nb.dyulaimportateurs 150 122 109 48 47 46 42 53 79 33
Guinée (nb. pièces) 247
Sel (en kg) 827 2473
Nb. dyula exportateurs 150 173 131 82 35 50 12 36
Captifs 135 143 118 133 52 72 56 80 84
Kola (nb. pièces) 100000700000
4. Demba Balde. 13 avril 1996: Mmadou Balde, Sare Yero Band, 2juin 1995.
144 ABDARAHMANE N’GAIDE
5. Jaawaringa est le nom des Peuls autochtones, plus connus sous l’appellation de Fulakunndaa.
IR terme, d’origine mandingue ( M e juuwuru), signifie a courageux D ou M bravesB, peut-être en réfé-
rence au comportement des Peuls pendant les guerres qu’ils livrèrent contre les Mandingues.
6 . Province située au sud du royaume du Gaalju, 2 la frontière avec le Fuuta Jaloo. Elle ttait habi-
tée par des Peuls.
7. Kansouko jouait le rôle de capitale de province et se situait dans les environs de Hamdallaye,
l’une des futures capitales de Muusa Moolo.
8. Lali Diawo, Sari Dembara, 4 février 1995.
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 145
9. Les anciens esclaves rappellent encore: ‘Yiiyummaamirau6e amen riiwi laamu se66e (.C’est le
sang de nos ancêtres qui chassa le pouvoir des Mandingues D).
10. Lali Diawo. 4 février 1995; voir aussi Hawkins 1981 : 66.
11. Maccudo haarii ( N l’esclave est rassasié,,).
12. Ce village qui était habité, semble-t-il, par des guerriers (kele Kuntiiji) permettait de surveiller
la frontière entre le Fuladu et le Pakao oil les Mandingues avaient trouvé refuge. Les rim& qui y habi-
taient ont fui après la répression exercée contre eux par l’armée d’Alfa Moolo.
13. Diata Sabaly, Kanwali, 19 mars 1996. D’autres disent que le différend entre Samba Egge et
Alfa Moolo a surgi lors d’une fête de circoncision. En effet, le soir une grande stance de danse (kafu)
146 ABDARAHMANE N’GAIDE
À sa mort, Alfaa Moolo laissa le pays à ses trois fils, Dikoori Kumba,
Muusa Moolo, Sambe1 Kumba et à son frère, Bakari Demba. Ce dernier
reprit la direction des opérations de guerre. En effet, cette période est
marquée de luttes incessantes pour réprimer plusieurs soulèvements
mandingues. Mais la force et l’organisation de l’armée peule étaient supé-
rieures. Muusa Moolo,avait commencé à faire ses preuves avant la
disparition de son père. A la fin de ces guerres, il se retira à Ndorna 15.
Quelques années plus tard, se sentant menacé aussi bien par son oncle
et ses frères que par le Fuuta Jaloo (ce pays avait conquis une partie du
Fuladu), il chercha un allié << sûr D. Le 3 novembre 1883, les Français
établis depuis quelques années à Sédhiou signèrent un traité de protectorat
avec Muusa Moolo. Même s’il faut considérer avec beaucoup de circons-
- pection les allégations et les témoignages des administrateurs coloniaux,
tout indique que Muusa Moolo entretenait la terreur pour maintenir le
Fuladu sous son autoritél6. I1 commença à s’inquiéter lorsqu’il comprit
que son oncle et son frère, Dikoori, trouvaient des appuis dans le pays.
Dès lors, une logique de compétition s’instaura entre Muusa Moolo et son
frère, débouchant sur une guerre fratricide. Avec l’appui des Français il
fut organisée au cours de laquelle les gens chantèrent: Cuudo, cuudo amatua doo, Cuudo, cuudo.
niaccudo a n m m doo. Ce qui signifie que l’esclave ne dansera pas ici. Le terme niaccudo (aesclaves)
aurait choqué ceux qui étaient venus de Ndorna, capitale d’Alfa Moolo, assister à la fête. Ce fut un
prétexte pour lever une armée et attaquer Samba Egge qui fut poursuivi et tué. Au-delà de l’anecdote
se profile la lutte entre les deux classes sociales.
14.Diatta Sabaly, 19 mars 1996.
15. Charles de La Roncière, Historique du Fouladou. Travail d’hivernage. Haute Casamance.
Ancien territoire de Moussa Molo, Dakar,ANS, 1903: 7.
16. Tous nos informateurs reviennent sur les exactions commises par Muusa Moolo; même sa
petite fille, vivant actuellement à Hamdallaye, a abondé dans ce sens lors de notre entretien le
7 février 1996.
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 147
Muusa Moolo, dont la tradition a retenu les faits d’armes et les exac-
tions à l’égard des populations, a été selon ces mêmes traditions un digne
continuateur de l’œuvre entreprise par son père. On lui doit la consolida-
tion du pouvoir peul et l’extegsion du royaume vers la Gambie et la
Guinée-Bissau actuelles. Son Etat avait presque épousé les limites du
Gaa6u. Réprimant toute velléité d’indépendance et de rébellion, il mit en
place une armée solide et réputée qui fut sollicitée à plusieurs reprises par
ses alliés français.
Cependant, trente ans ne suffirent pas à l’organisation d’un royaume
aussi vaste où persistaient les clivages entrejiyaa6e et rim6e18. Les Peuls
nobles, poussés par leur orgueil et soutenus dans leur résistance par les
almamy du Fuuta Jaloo, voulaient prendre la direction du pays ou devenir
indépendants, afin de ne pas vivre sous l’autorité d’un esclave (jiyaado).
I1 est difficile d’obtenir des données précises sur les clivages entre les
deux classes sociales car la question est généralement esquivée par les
informateurs. Ceci en dit long sur les rapports qui existaient entre les deux
groupes. Toutefois, quelques informateurs d’origine servile affirment que
Muusa Moolo n’a pas poursuivi l’œuvre de libération des esclaves initiée
par son père car il s’est surtout appuyé sur les nobles pour régner ‘9.
Le règne de Muusa Moolo fut à l’origine d’un départ massif de popula-
tions vers la Gambie, la Guinée-Bissau et d’autres territoires où régnait la
Le Fuladu en 1880.
paix, Ces réfugiés se recrutaient aussi bien chez les anciens maîtres
(rim6e) que chez les anciens esclaves (maccu6e). Malgré ses exactions,
Muusa Moolo avait réussi à se faire respecter et à mettre en place des
chefs dévoués à sa cause qui levaient l'impôt à son profit. En fait, il avait
réussi à bâtir un État peul dirigé par des esclaves : le Fuladu (cf. carte).
La rupture
Les Français, voyant leurs intérêts menacés par la politique de terreur
conduite par Muusa Moolo, annexèrent le Fuladu avant même que son
chef ne pût l'organiser complètement. Or, si Muusa Moolo a été, à l'inté-
rieur, un bon stratège militaire et un fin politicien, sa politique extérieure
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 149
21. C.de La Roncière, Historique du Fouladou. Travail d hivernage. Haute Casamance, ancien
territoire de Moussa Molo, 1903, Dakar, ANS.
22. Consulter à ce sujet le rapport Thibaut, Relations avec la Guinée portugaise, ANS, 2 F 8.
23. C. de La Roncière,Historique du Fouladou. 1903.
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 151
..
<< . le Fouladou deviendrait [...] le plus riche de toute la Sénégambie : il drainerait
tous les produits du Fouta et de la Guinée portugaise et enlèverait la Gambie le plus
clair de ses revenus. A la suite de plusieurs constatationsje ne crois plus en effet ?
lai
réussite par la rivière24. >>
26. Le père d’Alfaa Moolo, Malal Coulibaly, est un Bambara originaire du Mali qui, dit-on, serait
arrive 2 Soulabaly (deformation de Coulibaly?) en tant que gukrisseur. I1 fut accueilli dans la famille
de Samba Egge qui avait une esclave malade. Par ses pouvoirs <[magico-mystiques,, Malal reussit à
qui la hantaient. En guise de recompense, Samba la
extirper du corps de l’esclave les jinn (<<diables>>)
lui donna comme Bpouse. Mais il avait pose comme condition à Malal de rester dans la famille. Les
enfants nés de ce mariage, dont Alfaa Moolo est le plus connu, allaient changer de patronyme et adop-
ter celui de Balde. Ce récit en dit long sur l’origine ethnique d’Alfaa Moolo mais ne nous explique
pas pourquoi il a change de nom.
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 153
27. Oumar Balde alias Oumar Mamboa (ancien chef de canton), Dioulacolon, 2 fdvrier 1996.
28. Les Toucouleurs du Fuuta Tooro parlent de dahando pour designer ceux qui ont Btd faits
prisonniers lors de ces guerres. D’ailleurs, un adage populaire dit: Dahaado IaaGaa konu ((<Celuiqui
a dté pris lors d’une attaque est le seul habilit6 2 la raconter,,).
29. Mooliido, de nioolaade ou bien nakiido, de nakaade, ase rkfugier,.
30. Quelques informateurs disent: M o 6ur mau nay (iawd¿)fofcoraae les mum (((Celui qui a plus
de vaches que toi, tu te rkfugies auprès de luin). Ceci ddnote aussi le poids dconomique et social des
vaches en milieu peul.
31. Kuutorgal, de huutoraade, ((utiliser, user,,.
32. C. de La Roncière, Coutumes du Senegal, 1907. Coutumes peulhes, p. 3, ANS, 1G 330.
154 ABDAFUHMANE N’GAIDE
peu et prit une acception qui ne recouvre plus l’idée de servir. Longtemps
marginalisé, le maccudb acquit une autre personnalité et devint un person-
nage clé sur l’échiquier politique, économique et social. D’esclave il
devint guerrier, libéra son pays et son maître et, du même coup, se libéra
lui-même.
37. Ce village a été fondé en 1936. D’aucuns disent qu’il fut créé à l’instigation de quelques
esclaves attachés à des familles du village de Madina AI Hadji. LÆ fondateur, Ceemo Bokar, était le
talibt d’Al Hajji Aali Caam, fondateur de Madina Al Hddji. C’est après la mort de ce marabout que
les esclaves sont allés fonder un village où ils pourraient exercer les fonctions de chef et d’imam,
auxquelles ils n’avaient pas accès. Aujourd’hui, ce village joue un rôle économique important dans la
zone puisqu’il pourvoit en mil et autres denrées de consommation tous les villages environnants.
38. Sur l’esclavage en Afrique occidentale française, consulter aux ANS la serie K.
39. Jules Ferry, cité par Deherme, L’esclavage en Afrique occidentale française. (Étude hislo-
rique, critique et positive), juin-septembre 1906, ANS, K 25.
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 157
Évolution actuelle
est contesté par les jeunes qui 1’interprètent comme une subordination
dépassée. Au demeurant, la coercition n’a jamais été un Clément fonda-
mental des rapports entre nobles et esclaves, elle n’a jamais été
déterminante dans la soumission de l’esclave à son maître, ni servi de
fondement à l’organisation sociale et aux rapports de domination.
Même si des traditions et stéréotypes liés à chaque classe sociale survi-
vent, il serait simpliste d’affirmer que la société peule du Fuladu est
réfractaire aux changements, notamment à la disparition des relations de
domination, de dépendance et de subordination. Tout en servant de réfé-
rence et de justification constamment rappelées, dum ko aada (<< cela
relève des us et coutumes >>), les traditions font l’objet de mises en cause
permanentes. Elles,sont influencées par les évolutions socio-écono-
miques. Dans un Etat républicain, appliquant les principes de la
démocratie, l’insertion socio-économique des individus ne tient pas à leur
statut ni à leur position sociale antérieure. Ce principe est reconnu partout
mais des réactions renvoient à l’appartenance sociale. Ainsi, lors des élec-
tions, les votes se fondent selon une logique d’appartenance sociale. I1 est
fréquent d’entendre : <<Jepréfère voter pour ce candidat car il représente
un espoir pour notre endam. I1 saura mesurer et apprécier à sa juste valeur
notre situation. >> Si les nobles n’affichent pas leur mécontentement vis-à- .
vis des députés d’origine servile, nombre d’anciens esclaves affirment
que les RimGe vivent mal ce fait. Selon les JiyaaGe, les Peuls rim6e ont
oublié le rôle historique qu’ils ont joué dans la libération du pays. Au
contraire, ce fait est toujours rappelé par les JiyaaGe, avec << orgueil >> et
<<vanité D.
Beaucoup d’Cléments restent donc vivaces et rappellent l’ancienne
organisation sociale des Peuls du Fuladu. De plus, les JiyaaGe habitent
parfois un quartier à part, selon une ancienne ségrégation spatiale. Le
village de Bantancountou Mawnde43 et son quartier d’esclaves Gada
Kallu ( e derrière la route >>) est représentatif de la persistance d’une
certaine ségrégation dans l’occupation de l’espace44. Cependant, la sépa-
ration des habitats n’est pas généralisée ; esclaves et nobles cohabitent
dans des villages où la distribution des concessions n’obéit à aucune
logique statutaire. Le plus souvent, des villages rassemblent d’anciens
esclaves devenus majoritaires et quelques familles nobles, descendantes
des fondateurs. La fondation de tel ou tel village est souvent attribuée à
48. Voir Ogawa (1994) pour comprendre le sens et la portée idéologique de la notion de nguubdi.
49. Oumar Balde ulius Oumar Mamboa, op. cit.
ANCIENS MACCUBE DU FULADU 163
1. Dans cet article, nous utilisons le qualificatif <<peuln pour toutes les populations parlant le
pulaar, ayant des patronymes peuls et se reconnaissant comme telles, quelle que soit leur origine
sociale (libre ou servile).
I 16'
SÉNÉGAL I Fouta Toro L
o\
Q\
2. Les JiyaaGe, les anciens captifs des Peuls, se considèrent comme étant peuls, et sont vus comme
tels par les RimGe, même s’ils n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes connaissances que ces
demiers en matière d’élevage. Pour eux, il existe deux types de Peuls: les R i m k et les JiyaaGe.
3. Navétanes: travailleurs saisonniers venant au Sénégal pour la cukure de l’arachide.
168 SYLVE FANCHETTE
Le peuplement du Fouladou :
coexistence spatiale et emprunts entre les groupes
aussi bien que des Rim6e fuirent en grand nombre le Firdou, centre du
royaume, pour les provinces méridionales : <<Dansle sud du Fouladou, il y
avait peu de monde à l’époque et puisque c’était la guerre, les gens se
rapprochaient des gros villages4. >> Puis, quelques fidèles guerriers de
Moussa Mo10 fondèrent des villages afin de contrôler la frontière séparant
le Fouladou de la moyenne Casamance où s’étaient réfugiés les
Mandingues : Sare Kediang, Boguel, Sibikaranto, près de Medina Alpha
Sadou, Bodeyel Abdoul, Sare Pathe Kamako, Sare Kolis. Enfin, au
moment de la fuite en Gambie de Moussa Molo, d’autres guerriers sont
partis s’installer dans le sud du Fouladou.
Certains de ces guerriers Rim6e fondèrent des villages avec l’aide de
leurs Jiyaa6e. Ce fut le cas de Mounkou Diaw, fondateur de Sanka, chef-
lieu du Kanfodiang, de Djoubeirou Kande, fondateur de Bantankountou
Mawnde, chef-lieu de la province du Kamako, ou de Dembayel qui a
fondé Sare Dembayel, actuellement le plus grand village de JiyaaGe du
Fouladou. Les provinces périphériques du Fouladou, le Niampayo, le
Coudoura et le Kibo, une fois libérées du joug mandingue, furent peuplées
par des captifs appartenant aux chefs Rim6e ou Jiyaa6e qui se partagèrent
le pays, tout en reconnaissant la suzeraineté d’Alpha Molo. La polygamie
et le clientélisme permettaient de repeupler rapidement un secteur déserté6.
Avec les guerres d’Alpha et de Moussa Molo, le nombre des captifs n’a
fait que s’accroître, du fait des nombreuses prises que les guerriers
opéraient chez les Mandingues. Ainsi Moussa Mo10 possédait des
centaines de captifs dans ses concessions de Hamdalaye et de Ndorma.
Plus tard, l’abolition de l’esclavage, mCme si elle n’entra dans les faits
que très lentement, fut à 1 origine de l’éclatement de nombreuses locali-
tés, les captifs émancipés créant de nouveaux villages.
Enfin, durant la guerre de libération de la Guinée portugaise, des
groupes d’origine servile ont fui en grand nombre et se sont installés au
sud du Kamako. Certains vinrent comme navétanes chez les RimGe,
tandis que d’autres rejoignaient les villages de JiyaaGe.
La conquête coloniale, I’ émancipation
des esclaves et le développement de l’islam :
des flux migratoires contrastés vers une région pacifée
L’administration coloniale tenta de repeupler le Fouladou pour déve-
lopper les cultures vivrières et l’arachide. Dans ce but, elle favorisa
1’implantation de villages maraboutiques et l’installation de travailleurs
saisonniers. C’est seulement dans les années 1930 que des familles d’ori-
gine noble, ayant fui les exactions de Moussa Mo10 vers les régions
10. Sa creation fut l’oeuvre de Thierno Aliou Diallo, un marabout originaire du Fouta Djallon que
Moussa Mo10 avait fait venir à ses côtes durant la guerre contre les Mandingues (Thierno
Mouhamadou Diallo, marabout de Soboulde, entretien A. Ngaide, decembre 1995).
11. Wopa Ly, imam toucouleur de Boguel, fkvrier 1996.
12. Yaya Diallo,jurgu de Darou Beyda, fevrier 1996.
MIGRATIONS ET INTÉGRATION SPATIALE AU FOULADOU 173
_I
Ethnies surreprésentées par rapport au profil moyen
Pas d’information
Carte 2. Répartition des groupes peuls et des ethnies dans le Fouladou,par communauté rurale (1960).
16. Oumar Balde, dit Omar Mamboa, ancien chef de canton du Mamboa, entretien Ngaide à
Dioulacolon,juin 199.5.
178 SYLVIE FANCHETTE
Le regroupement despopulations
<<Lemodèle d’occupation de l’espace des Peuls en zone soudanaise repose sur la
sédentarité, le peuplement villageois, le fractionnement des unités migratoires, la
prédominance des groupes territoriaux sur les groupes parentaux. L’occupation de
l’espace se fonde beaucoup moins sur l’organisation des parcours que sur I’organisa-
tion des terroirs villageois.>>(Ba 1986: 72.)
Ce modèle s’applique également au Fouladou. Au contact des
Mandingues, les Peuls se sont mis à la riziculture de bas-fonds et, comme
eux, ils ont cherché à s’établir le long des nombreux marigots de la haute
Casamance. Les villages, localisés sur les pentes colluviales, sont adossés
aux forêts de plateaux qui procurent des parcours aux troupeaux de
bovins. Qu’il s’agisse des Peuls originaires du Fouta Djallon, du Gabou
ou de ceux établis dans le Fouladou depuis plusieurs générations, la loca-
lisation des villages est plus ou moins identique.
Toutefois, certains groupes se différencient par leurs modes d’organi-
sation et d’utilisation de l’espace et ils ont parfois tendance à se regrouper
en villages homogènes. Quant aux villages hétérogènes, ce sont en géné-
ral de gros établissements, d’anciennes places fortes, des marchés, des
localités administratives, ou bien ils sont situés aux frontières. En 1960,
les lieux habités par des Peuls de même origine constituent, en moyenne,
les deux tiers des villages du Fouladou mais ce rapport varie selon les
provinces et selon les groupes (CINAM-CERESA).
Au sud du Kamako, où la pression démographique est élevée, un plus
grand brassage ethnique s’est effectué, du fait de l’ancienneté du peuple-
ment peul et de la présence mandingue. Dans le Pathim Kandiaye, à l’est
du Fouladou, mis à part les Peuls Fouta qui se sont regroupés dans des
villages homogènes sur le plan social, la plupart des Jiyaa6e et des Rim6e
vivent ensemble.
Ailleurs, plus de la moitié des Jiyaa6e vit dans des villages homogènes,
tandis que seuls 20 9% des Rim6e se sont regroupés. Les RimGe habitent en
général des villages qui comportent beaucoup de JiyaaGe, ce qui montre
leur intérêt à vivre au contact d’autres groupes peuls. Dans ces villages
mixtes, soit les Rim6e sont majoritaires et ils ont amené leurs captifs
comme main-d’œuvre, soit ils ont rejoint leurs JiyaaGe. Ceux-ci détenaient
180 S Y L V E FANCHETTE
des savoirs mystiques, ils connaissaient bien la brousse en tant que chas-
seurs, et pouvaient intercéder auprès des divinités religieuses de la forêt
pour la fondation de nouveaux établissements.
La tendance à l’homogénéisation des villages s’est amorcée après
l’abolition de l’esclavage, au début du siècle, époque à laquelle les Rim6e
se sont mis à l’agriculture et les Jiyaa6e à l’élevage. Le besoin de complé-
mentarité qui existait au siècle demier a moins de raison d’être, sauf pour
les grands éleveurs. Autrefois, les Jiyaa6e vivaient avec leurs maîtres dans
la même concession et travaillaient dans leurs champs. Peuplées de colla-
téraux et de JiyaaGe, certaines concessions pouvaient compter plus de
trente foyers. Après l’abolition de l’esclavage, certains Peuls émancipè-
rent leurs JiyaaGe et les laissèrent travailler àleur compte :
<<Lesrelations entre pullo e t j i p a d o se sont terminées avec la colonisation. Ceux qui le
voulaient pouvaient partir. Ceux qui vivaient dans la concession du Peul n’avaient rien
et ne travaillaient que pour leur noble. I1 y avait des captifs qui étaient courageux, qui
avaient de grandes familles et qui demandaient à leur Peul de s’en aller20. >)
Quant aux villages gabounkés, ils regroupent également des popula-
tions de même origine. Ils ont été fondés par des familles partageant plus
ou moins les mêmes aspirations : pratiquer l’islam, fuir les potentats de
l’époque coloniale et s’adonner à l’agriculture. Toute personne se pliant
aux conditions de l’islam pouvait demander une parcelle pour installer sa
concession et, s’il y avait de la place, un bambeyzl. Or, les conditions de
vie très rigides dans ces villages n’attirèrent pas les Foulakoundas, peu
enclins à supporter le pouvoir religieux des marabouts.
Les Peuls Fouta, quant à eux, habitent souvent des villages hétérogènes
(dans les quatre cinquièmes des cas), du fait de la spécificité de leur passé
migratoire. Certains navétanes se sont installés chez des Foulakoundas au
sud du Fouladou où ils constituent une minorité. Dans la province du
Firdou, en partie dépeuplée au début du siècle, les chefs de village ont
cherché à attirer des populations étrangères. C’est l’arrivée des navétanes
qui l’a permis. Dans les années 1930, lejarga de Soulabaly, ancien fief
d’Alpha Molo, les accueillait, leur disant d’amener leurs amis et familles.
<(Leschefs de village préféraient faire venir des Peuls Fouta car ils ne bougent pas
comme les Foulakoundas qui, eux, ne tiennent pas en place. Comme il n’y avait pas assez
de monde dans le village, lejurga retenait les navétanes et les mariait avec ses filles**.>>
Les grands éleveurs, privés de main-d’œuvre servile, ont également
cherché à embaucher des navétanes pour augmenter leurs cultures d’ara-
chide et les chaumes pour leurs troupeaux en saison sèche. En même
temps, le défrichement des brousses permettait d’éclaircir la forêt, dimi-
nuant ainsi les risques de trypanosomiase. Comme la brousse était vaste
en limite des forêts, il n’y avait pas encore de risques que l’agriculture et
l’élevage se concurrencent.
<<Iciil y a assez de brousse pour le troupeau, donc pas de problèmes s’il y a beaucoup
de gens. Je préfère qu’il y ait des gens dans le village car si je meurs, ce ne sont pas les
vaches qui vont m’enterrer. Les gens peuvent défricher autour du village, mais qu’ils
ne touchent pas à la brousse=. )>
Dans la province du Pathim, au centre du Fouladou, oh la pression sur
la terre est peu élevée, les Peuls Fouta ont fondé leurs propres villages ou
occupé en grand nombre des villages foulakoundas, provoquant le départ
des anciens maîtres des lieux. Ainsi, dans plusieurs villages de cette
province, lors d’enquêtes menées en mars 1996, on a recensé jusqu’à
trente concessions de Peuls Fouta, alors que les Foulakoundas n’en comp-
tent pas plus de trois ou quatre. Lorsque la pression foncière est devenue
trop forte, les grands éleveurs foulakoundas ont fini par partir. Plusieurs
villages ont ainsi été fondés par des Foulakoundas puis peuplés progressi-
vement par des navétanes originaires du Fouta Djallon.
Certains Peuls Fouta disent que si les Foulakoundas ne peuvent vivre
avec eux, << c’est que les Foulakoundas buvaient du konjam (vin de palme)
et dansaient alors que les Peuls Fouta prient. Les Foulakoundas ne suppor-
tent pas de les voir prier et verser de l’eau à tous moments pour faire leurs
ablutionsZ4>>.
Au sein des villages mixtes, les familles de même origine se regroupent
par quartiers. De même, les JiyaaGe habitent souvent un quartier à part
dans les villages oÙ ils sont minoritaires.
taille que les grands éleveurs peuls d’origine noble et, même s’ils se sont
mis à l’élevage, ils n’ont pas les savoir-faire ni les relations sociales
nécessaires à l’expansion des troupeaux. Les femmes, principales déten-
trices du cheptel chez les Peuls d’origine noble, jouent un rôle peu
important chez les JiyaaGe ou les Peuls Fouta.
Les Gabounkés : de grands défricheurs
Dans les villages gabounkés les plus importants, les grands troupeaux
sont peu nombreux car le terroir cultivé est très vaste et éloigne d’autant
plus les pâturages. D’un autre côté, le marabout de Medina el Hadj,
voulant contrôler ses adeptes, avait cherché à limiter la prospérité écono-
mique de certaines familles, susceptibles de remettre en cause son pouvoir
économique et politique. À la suite d’un conflit avec celui-ci, un grand
éleveur, pourtant fervent musulman, a dû quitter le village. Ceux qui ont
voulu faire prospérer leur troupeau et qui étaient moins attachés à la
famille du marabout sont allés s’installer au nord de Kolda ou à l’est du
Fouladou, oÙ la pression foncière est plus faible.
L’emplacement et la taille des terroirs gabounkés se distinguent des
autres. En effet, situés souvent à l’amont des bas-fonds, où il est possible
de défricher de grands espaces, ils sont d’une taille bien supérieure à la
moyenne. Les bambey occupent une part minime du terroir, les villages
étant en général lotis. À Medina el Hadj, par exemple, de nombreuses
familles n’ont pas de bambey car les derniers arrivés y ont installé leurs
concessions. Les habitants sont obligés d’aller défricher des champs en
brousse assez loin. L’agriculture y est plus collective, et même les cultures
de rente, comme l’arachide, sont faites dans les maru30. À Guiro Yero
Bocar, les champs de la famille maraboutique sont plus grands que ceux
des Peuls Foulakoundas.
L’étroitesse des bas-fonds limite le développement de la riziculture ce
qui pousse les femmes gabounkés à cultiver de l’arachide pour leur propre
usage3’.
Les JiyaaGe : une grande diversité des pratiques agricoles et pastorales
Le peu d’animaux que possèdent les JiyaaGe est mis en commun sous
la garde d’un jom WUYO, en général l’éleveur possédant le plus de bétail.
Certains Peuls expliquent le manque d’engouement pour l’élevage des
anciens captifs par le fait que
e . .. leurs ancêtres n’étaient pas intéressés par l’élevage. Ils pensaient que c’étaient des
choses réservées aux Peulss2.>) << Une des raisons pour lesquelles les Jiyaa6e ne
parviennent pas à se constituer de grands troupeaux est que cela demande beaucoup de
travail. En plus, pour les RimGe l’élevage est leur tradition, ils ont des secrets que les
JiyaaGe ne possedent pas33. >>
Les Peuls Fouta: des << étrangers >> à faible pouvoir foncier
Les populations originaires du Fouta Djallon, très diversifiées, regrou-
pent aussi bien d’anciens captifs propriétaires de troupeaux que des
Rim6e vivant dans des villages maraboutiques et ne pratiquant pas l’élevage
ou des navétanes démunis. La possibilité de s’émanciper financièrementpar
le navétanat ou de s’adonner à l’enseignement coranique paraît avoir
bouleversé les statuts d’autrefois. Toutefois, les Peuls Fouta pratiquent
moins l’élevage que les Foulakoundas. <<Ilsne connaissent pas l’élevage.
C’est fatiguant. Ils n’osent pas. Ils ne connaissent que le Coran et le
commerce. Ils n’ont pas l’idée de l’élevage. Ils n’ont pas la connais-
anc ce^^. >> Certains confient leurs animaux aux Foulakoundas ou
regroupent tous leurs animaux au sein d’un seul troupeau. Lorsque les
parcours sont abondants, ces Peuls s’adonnent davantage à l’élevage.
Selon les provinces où ils se sont installés, leurs conditions de vie et
leurs pratiques agropastorales diffèrent. Dans la province du Kamako où
ils constituent une minorité, ils vivent un peu en marge de la société et
disposent d’un faible pouvoir foncier. En revanche, dans l’est du Fouladou
ou à la frontière sénégalo-gambienne, ils se sont regroupés en villages où
ils sont majoritaires et accèdent à une plus grande liberté d’usage de l’es-
pace agropastoral.
Installés récemment dans les villages foulakoundas de la province du
Kamako, les Peuls Fouta ont rarement accès aux bas-fonds. Lorsqu’elles
pratiquent la riziculture, leurs femmes empruntent des parcelles à l’année.
A défaut, elles partent en brousse cultiver de l’arachide avec leur mari, sur
des terres difficiles. Des chefs de familles nombreuses ont toutefois
réussi, à force de travail, à cultiver en brousse de grandes parcelles d’ara-
chide et à capitaliser dans le bétail. Ils s’adonnent souvent à un petit
commerce en saison sèche.
Les Peuls Fouta se singularisent par leur propension à cultiver beaucoup
de manioc qu’ils plantent dans leurs bambey enclos comme dans leur
région d’origine. Leur système de culture diffère peu de celui des
Foulakoundas auquel ils ont emprunté les techniques et les instruments
aratoires. Au bout d’une ou deux générations, les femmes peules Fouta
adoptent parfois les habitudes des Mandingues et abandonnent la traite des
vaches aux jeunes gens pour se consacrer principalement à la riziculture.
jarga. Les bambey se trouvent à l’intérieur des carrés mais, dans les quar-
tiers les plus peuplés, ils tendent à disparaître. Tout nouveau venu
construit sur le bambey des premiers installés. Les concessions sont grou-
pées autour de la mosquée et les champs vivriers rejetés en périphérie. La
construction de mosquées en dur a favorisé la fixation des villages.
À Medina el Hadj, les familles aisées et les marabouts ont abandonné
la case peule en terre et en chaume pour de grandes habitations recou-
vertes de tôle ondulée, tandis qu’à Guiro Yero Bocar, dans les concessions
des fondateurs, les grandes maisons carrées aux toits de chaume dominent.
Les Jiyaa6e
I1 serait difficile de définir un type d’habitat typiquementjiyaado, tant
est variée la configuration des villages. Ces populations d’origines très
diverses ont été influencées par les modes de vie peuls à des degrés
variables et disposent de ressources très inégales. Toutefois, les conces-
sions des JiyaaGe sont toutes moins structurées que celles des autres
groupes peuls et moins souvent encloses de hinting. Sans doute, la moins
grande propension à la pratique de l’élevage ne les pousse pas à protéger
leurs habitations des animaux44.
Dans la plupart des villages ou des concessions de JiyaaGe, les femmes
habitent des cases communes, appelées bumba. De grande taille, elles
peuvent abriter cinq à six femmes, alors que chez les Peuls d’origine
noble, il est rare que plus de deux femmes partagent la même case.
*
Malgré des origines sociales et géographiques diverses et la persistance
de certains clivages sociaux, les Peuls du Fouladou cint connu une intégra-
tion sociale et spatiale assez poussée, du fait de la généralisation de
l’agropastoralismeet de l’islam, du nivellement de la société lors des guerres
contre les Mandingues et du recours à plusieurs milliers de travailleurs
saisonniers pour la culture de l’arachide à partir des années 1930.
Le navétanat a bouleversé, chez les migrants, la structuration sociale
très hiérarchisée de la société foutanienne. Fuyant les crises politiques ou
sociales, qu’ils soient anciens captifs ou libres, les navétanes du Fouta se
sont mis au service des Foulakoundas et ont été relégués aux travaux agri-
coles. Peu ou mal intégrés dans ces villages, ils ont essayé de se regrouper.
Anciens captifs et nobles se sont donc mêlés dans de nouveaux villages et
l’organisation spatiale hiérarchisée des misiide45 et des r ~ u n d du
e ~Fouta
~
Djallon a disparu.
44. À Sare Dembayel, le plus grand villagejiyuado de la rkgion, les descendants des fondateurs
du village, anciens guerriers de Moussa Molo, vivent dans une très grande concession, de même type
que celles des grands Cleveurs, regroupant une soixantaine de cases.
192 SYLVE FANCHE’ITE
Dans cette riche région soudanienne aux pâturages encore peu exploi-
tés au début du siècle, l’éradication des grandes épizooties (notamment la
trypanosomiase), l’abolition de l’esclavage et l’extension de la culture de
l’arachide ont également favorisé le développement de l’élevage. Les
anciens serviteurs, déchargés des travaux pour leurs maîtres, ont pu
travailler pour leur propre compte. C’était une façon pour eux de se
<< foulaniser >>. Simultanément, l’émancipation des JiyaaGe a obligé les
RimGe à se mettre à l’agriculture et notamment aux cultures spéculatives.
L’adoption de l’élevage a permis une certaine émancipation des
JiyaaGe, alors que la forte pression démographique et pastorale dans
certaines provinces comme le Kamako47 a limité les possibilités d’ac-
croissement des troupeaux des Peuls Foulakoundas. Ainsi, malgré leurs
origines diverses, les populations du Fouladou ont adopté un système de
production plus ou moins similaire fondé sur la pratique de l’agriculture
et de l’élevage.
Le faible pouvoir de certains chefs de village, l’éclatement des grandes
concessions et le morcellement des troupeaux familiaux qui permettaient
une gestion sur de vastes espaces, le poids démographique des villages
gabounkés face aux autres villages et l’émergence d’autorités religieuses
ayant capté le pouvoir politique des communautés rurales, tout cela
risque, dans un contexte de pression démographique et de course à la
terre, de susciter des dissensions entre les divers groupes peuls.
Déjà, entre Gabounkés et Foulakoundas, des conflits à propos des
rizikres avaient éclaté dans les années 1940. Nombreux sont les villages
foulakoundas désormais uniquement peuplés de Peuls Fouta, après le
départ des fondateurs vers des espaces pastoraux moins encombrés. Entre
certains Jiyaabe et leurs anciens maîtres, de vieilles querelles demeurent,
notamment du fait des dégâts causés par les animaux de ces derniers. Les
liens qu’ils entretiennent, souvent sur le mode de la parenté à plaisanterie,
rendent difficile l’application des lois sur le dédommagement des cultures.
L’accès au cheptel constitue un nouveau critère pour différencier les
populations sur l’échelle sociale. I1 faudrait étudier les rapports qu’entre-
tiennent les Peuls RimGe avec de nouveaux grands éleveurs JiyaaGe pour
mesurer si leur statut actuel est surtout déterminé par l’origine sociale ou
le pouvoir économique. De même, avec le développement de l’islam, une
nouvelle stratification de la société a commencé à s’édifier.
1. Pour la littérature sur les Peuls, voir Seydou 1977; Kyburz 1991.
196 THOMAS BIERSCHENK
Leur diversité est telle qu’elle ne permet pas de retenir des modes de vie
particuliers comme plus << authentiques >> ou << archétypiques >> (Kintz
1985) que d’autres (Schmitz 1990)3. Dans la présentation du mode de vie
des Peuls du nord du Bénin, j’ai privilégié les aspects économiques et
politiques, à partir d’une analyse des structures de l’espace sur trois
niveaux, celui de la case d’habitation (suudu), celui de la ferme (wuro) et
’
celui du hameau (gure). Ce faisant, je considère les structures spatiales
comme des représentations concrètes des rapports sociaux, à partir
desquelles les principes d’organisation d’une société sont lisibles4. En
1. L’organisation de l’espace5
La ferme (wuro)
Qp
6o 7
6
4 GG
Q G
AP
t
Fig. 1. Plan d’un wuro.
Source: Bierschenk 1997 : 120 (distances non mesurées).
1,case de réception de Julde (dottiijo: doyen de la ferme); 2, case de I’épouse de Julde ; 3, cuisine de
l’épouse de Julde ; 4, case de I’épouse d’Ah (frère du dottiijo) ; 5, cuisine de I’épouse d’Ah ; 6,
cuisine de I’épouse de Mamadu (fils aînt? du dottiijo);7, case de la femme de Mamadu; 8, case du fils
d’Alu (mort en 1985 ; depuis, la case sert de case de passage); K, arbre karité; T,tombe de la
première épouse de Julde; P,poulailler; M, mortier; G, grenier.
vers l’arbre. Suivent les cases des femmes de ses fils mariés. Si l’aîné a un
frère cadet qui vit avec lui dans la ferme (comme fig. l),les cases et les
cuisines de ses femmes se trouvent alors directement au sud de la case
d’accueil. Les hommes plus jeunes peuvent construire leurs cases à la
suite.
Le troupeau de bovins est attaché pendant la nuit dans la cour inté-
rieure (fageere) ainsi formée par le cercle des cases. Ceci uniquement
pendant la saison des pluies. En saison sèche, le troupeau est transféré
dans les champs attenants (fig. 2). L’emplacement est régulièrement
déplacé afin d’obtenir une bonne fumure. D’une saison à l’autre, la dispo-
sition des animaux reste identique (fig. 3). Cette rigidité de disposition
peut être repérée visuellement. En revanche, une connaissance précise des
rapports de parenté des hommes et des animaux comme des conditions de
propriété individuelle sont nécessaires pour distinguer un principe sous-
jacent important : le troupeau est attaché dans la cour intérieure selon le
modèle d’agencement des cases. Dès lors, tout se passe comme si la
Champs N
de coton
d‘un Gando
t
sorgho
maïs et sorgho
(en culture mélangée) 23
Champs
d’igname
pour l’année sorgho
prochaine
O 50 100 m
\
\
\
O M
O o \\\ O M r-------
r/4 O G
1
//
I O
1OG //o
o I O G OM M I /
0 1
I Mamadou et Gortado I
II 0 (fils de Julde) lI O
I
Il nM O
M 0 1
l Julde
(doyen de la ferme)
I
I O 1
.k
o O
O O o
Animaux en
gardiennage
,'
/-
p
J o
\
O
---.
--. -.
O
Alu
(frère du doyen) O
et ses enfants
Alors que les hommes contrôlent toutes les activités, élevage et agri-
culture, les cases restent le domaine des femmes. Pour qu’une femme
nouvellement mariée accepte de venir vivre dans la ferme de son mari
après la naissance de son premier enfant, deux conditions doivent être
remplies : disposer d’une case personnelle et disposer du lait d’un nombre
suffisant de vaches.
Comme celui de la ferme, le plan intérieur de la case est très rtgulier
(fig. 4).Ici aussi le principe qui régit les Cléments est celui d’une distinc-
tion sexuée. Cependant, en raison de la disposition circulaire des cases
dans le wuro, elle ne se réfère pas aux
points cardinaux mais à un axe
gauche-droite et avant-arrière.
Le point pivot en est alors
la petite porte d’entrée
(dammugal). Le lit de
bambou et de tiges de mil
(dow leeso), sur lequel
dort le couple, se trouve
toujours à gauche de
l’entrée. On dort la tête
orientée vers le milieu de
la case, où se trouve
Cloison eneaille I
--pöEöñe)--- 1’emplacement du feu
(hu66inirde), de sorte que
’entrée se trouve toujours à
gauche. Immédiatement à
gauche de l’entrée et devant le lit
Fig. 4. Plan d’une suudu. Source: Bierschenk 1997: 125 (échelle non respecie).
202 THOMAS BERSCHENK
dont il est séparé par une natte de paille, un petit espace (ga kosonni) sert
à déposer les outils agricoles et des ustensiles ménagers. Le visiteur éven-
tue1 s’assied sur une natte (kosso) à droite de l’entrée, seul endroit public
dans l’espace privé de la case. C’est là aussi que les enfants dorment sur
un lit aménagé à leur attention.
Plusieurs calebasses (cirurga) où la femme conserve le lait (kosam)
sont posées sur une étagère (hoore danki) au mur du fond de la case. Juste
à droite de l’entrée, une jarre en terre (faande boyri) sert à stocker la
bouillie de mil (boyri) préparée à l’avance pour plusieurs jours. Le lait
doit toujours se trouver sur l’étagère du fond. I1 est ainsi soustrait à la
p0rté.e des hommes. La bouillie, par contre, doit rester à côté de l’entrée.
La présence des calebasses de lait et de la jarre de bouillie indique infailli-
blement que la case est celle d’une femme.
En résumé, l’espace de la ferme, y compris l’intérieur des cases, est
structuré socialement selon des critères géométriques rigoureux. Le prin-
cipe ordonnateur en est la distinction entre hommes et femmes projetée
selon un axe est-ouest ou gauche-droite.
Le hameau (gure)
en petits groupes. C’est là aussi que les femmes obtiennent leurs princi-
paux revenus grâce à la vente du lait. C’est encore là que paradent et se
jaugent les jeunes gens et les jeunes filles7.
7. Boesen (1997) met en évidence l’importance sociale des marchés villageois pour les Peuls
Mninois.
8. Les informations de cette partie proviennent de Bierschenk (1997: 156-215).
204 THOMAS BERSCHENK
9. Pour cette question, voir Bierschenk & Forster (1991). Les reprdsentations stdrdotyptes des
Peuls du nord du pays rdpandues dans les administrationsMninoises remontentau ddbut de la période
coloniale et elles sont le fait des premiers officiers coloniaux. Sur cette question, voir Bierschenk
1997 66-12.
PEULS DU NORD DU BÉNIN 205
Le lait (kosam) des bovins est un aliment de base pour les Peuls (Kuhn
1997). I1 est bu tel quel ou mélangé en bouillie avec du mil. Quand les
ingrédients sont disponibles, cette bouillie (boyri) est consommée quoti-
diennement. C’est elle aussi qui est offerte aux visiteurs. En même temps
le lait représente un bien économique primaire. Les hommes assurent la
traite puis le lait est partagé entre les différentes épouses. À leur tour,
celles-ci décident quelle part réserver à la consommation familiale et
quelle autre destiner à la vente sur le marché, après transformation éven-
tuelle en fromage (gasiiri). L’argent du lait, contrôlé par les femmes,
206 THOMAS BIERSCHENK
10. Nous entendons ici l’absence de mécanismes internes de stratification sociale. Le fait que les
chefs politiques peuls (mawfie)sont en général plus riches que les autres, surtout à cause du droit de
prélever certains produits de l’élevage et agricoles, et que leur position est devenue quasi héréditaire,
ne contredit pas cette proposition. Le rôle des chefs est en premier lieu de représenter les Peuls vis-&-
vis de leur patron baatombu : leur position sociale est donc, d’une certaine manière, imposée de
I’exthieur (Bierschenk 1993; 1997: 39-72).
11. Pour une sociologie historique du Borgou, voir I’Ctude classique de Lombard (1965).
208 THOMAS BIERSCHENK
(leydi) uniquement à propos des << agriculteurs >> (haa6e),ce qui donne le
concept de leydi haa6e. Le concept équivalent pour les Peuls serait gure
ful6e (<<lehameau des Peuls s). La terre appartient donc aux agriculteurs,
même si les Peuls peuvent y résider, y cultiver quelques champs et y faire
pditre leur bétail. Tant lors des querelles entre les guerriers, fréquentes à
l’époque précoloniale, qu’avant les grandes fêtes, les tioupeaux des Peuls
étaient la cible régulière de razzias. C’est pourquoi leurs hameaux étaient
placés sous la protection de guerriers, avec lesquels s’étaient développées
des relations de clientèle. De leur côté, les Peuls disposaient d’esclaves
(maccuu6e ou gandukee6e), qu’ils utilisaient entre autres pour cultiver
(Baldus 1969; Hardung 1997).
Avec la colonisation française, ces liens de dépendance et ces hiérar-
chies sociales furent modifiés de façon importante. Comme ailleurs dans
leur empire colonial d’Afrique de l’Ouest, les Français ont mené une
<<politiquede races >> fondée sur les représentations, courantes à l’époque,
du << caractère collectif >> propre à chaque <<tribuD, ce qui conduisit à une
séparation en groupes particuliers. Ils pouvaient ainsi mieux dominer,
selon le principe divide et impera. La situation sociopolitique des Peuls
s’est considérablement améliorée pendant cette période, grâce à l’effon-
drement du pouvoir des guerriers wasangari et la protection de la pax
gallica contre le pillage des troupeaux. À ce nouvel ordre de relations
entre les groupes, relève aussi la création par la puissance coloniale des
<< chefs de tribu peuls D qui n’existaient pas auparavant au Borgou
(Bierschenk 1993, 1997 : 39-72).
Cette situation s’est surtout modifiée au cours des années 1970. Une
forte croissance des populations et du cheptel, la diffusion de la culture
attelée et des cultures commerciales, particulièrement celle du coton, la
pression monétaire accentuée qui en résulte (Fett & Heller 1978 ;
Bierschenk 1987), l’élimination des instances d’autorité intermédiaires
<<traditionnelles>> (les chefs de tribu peuls) sans que le régime révolution-
naire qui accède au pouvoir en 1972 ne parvienne pour autant à consolider
son autorité sur le pays (Elwert 1983; Allan 1989) : tout cela conduit à des
conflits plus fréquents entre Peuls et agriculteurs à propos de l’utilisation
de la terre et de l’eau (De Haan et al. 1990). Ces conflits sont aggravés
par le fait qu’au Nord-Bénin, divers régimes fonciers coexistent toujours,
et que la possibilité d’accéder à la propriété de la terre se ramène souvent,
en fait, au droit du plus fort politiquement (Meissner 1990).
Dans ces conflits, comme face à la corruption généralisée des représen-
tants de l’État central (Wong 1982), les Peuls sont désavantagés par
rapport aux agriculteurs, mieux représentés dans les institutions de 1’Etat
moderne. C’est la conséquence, en particulier, d’une scolarisation beau-
coup plus faible que chez les autres groupes du Borgou. Pour les Peuls,
l’école moderne reste 1’<< école des Blancs >> (janirde batuure). Depuis la
suppression des chefs de tribu en 1972, ils se retrouvent donc sans protec-
PEULS DU NORD DU BÉNIN 209
12. Depuis le milieu des années 1980, les Peuls essayent de s’opposer à cette situation par une
organisation politico-culturelle fondée sur l’identité ethnique et des intérêts pastoraux communs
(Bierschenk 1992; Guichard 1990).
ANNE-MARIE
PILLET-SCHWARTZ
Le terrain
La diversité des terres de 1’<< archipel peul >> suppose une infinité d’ap-
proches régionales qui accordent une large place au savoir-faire du
géographe. C’est à lui que revient le rôle de les appréhender dans leur
particularité et, si besoin, de les démythifier. Si le décryptage de l’entité
culturelle qu’elles représentent est affaire d’historien ou d’ethnologue1, la
différenciation des îles ou des îlots qui émergèrent au xlxe siècle dans les
remous d’un djihad est un peu son privilège. Chacun d’entre eux se
présente en effet comme un véritable continuum doté d’une logique
interne et d’une personnalité à forte connotation régionale. Le chercheur
doit cependant se défier dans leur cas de l'étraite imbrication qui lie histo-
ricité et régionalité. La prise en compte de 1’<< insularité >> d’un groupe
peul qui s’imposa au X V I I I ~ou au x x e siècle par sa seule identité politique
peut effectivement l’amener à sublimer une épopée aujourd’hui vidée de
son contenu, à projeter abusivement dans l’espace les stigmates du passé,
en bref à perpétuer une région historique dont la physionomie est forcé-
ment différente au x x e siècle de ce qu’elle était un siècle ou deux
auparavant.
La connaissance des territoires qui servirent de support aux théocraties
peules est certes indispensable à l’appréhension des populations qui s’en
réclament aujourd’hui, que ce soit par héritage (cas des Peuls ou des
autochtones qui les précédèrent) ou par adoption (cas des Rimaïbe ou des
allochtones qui leur succédèrent), mais elle ne saurait suffire. Les noyaux
ethno-démographiques de jadis ont fait place avec le temps à des noyaux
2. Date o51 le dernier amiiru, Nassuru, Dicko Abdoulaye Usman de son vrai nom,fut destitué par
l’autorité voltaique.
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 213
La genèse
Si la << région de Dori >> peut se prévaloir du titre de << région >>, c’est
avant tout par contraste avec l’homogénéité des aires ethno-linguistiques
qui l’entourent. L’hétérogénéité de son peuplement lui confère en effet
une singularité, qui habituellement n’est pas celle d’une <<région>> en
Afrique soudano-sahélienne, où l’ethnicité fournit << le plus souvent la
base la plus appropriée à une division de l’espace >> (Gallais 1984 : 25).
C’était l’un de ces espaces interstitiels caractéristiques de la frange sud du
Sahel, véritables vides inter-ethniques lorsque s’opéra, à la charnière des
X V I ~et X V I I ~siècles, la transition entre la période fastueuse des empires
sahéliens et la période chaotique qui présida à la montée des royaumes
soudaniens. Localisé à la hauteur du 1 4 parallèle de latitude nord, il était
encore enclavé à l’époque, aux côtés des futures régions de 1’Oudalan et
de l’Aribinda, entre l’aire culturelle issue de l’empire songhaï et les
royaumes gourmantché et mossi naissants. Si Delafosse estime que les
Peuls y vinrent dès le xve siècle, les spécialistes s’accordent en général
pour dater leur arrivée au X V I I ~siècle, époque où un grand nombre de
migrants traversèrent le Gourma en direction de l’est (Madiéga 1982 :
121). De toutes les façons, comme l’écrit un historien: <<Lexve siècle est
hors des connaissances des traditionalistes et nous ne connaîtrons jamais
l’identité des premiers Peuls qui foulèrent le sol du Liptako, quand ils y
vinrent et d’où ils vinrent >> (Irwin 1976 : 8).
Ce ne sont pas les Peuls en fait, mais les Kurumba qui auraient occupé
les premiers la région de Dori - antériorité également retenue à propos du
peuplement des falaises de Bandiagara, du Yatenga ou du Djelgodji, par
exemple, oÙ ils sont connus sous d’autres noms (Chantoux 1964: 9 ; Izard
1985 : 9 ; Kiéthéga 1993 : 17 ; Madiéga 1982 : 115). Les Kurumba cepen-
dant ne dominèrent jamais les Peuls avec lesquels ils partageaient
l’espace, même si leur principal village, Diobbou, jouissait d’un certain
rayonnement et même s’il leur arrivait d’employer certains d’entre eux
comme bouviers, notamment les Kurojiibe. I1 semble même qu’ils aient
fini par avoir des problèmes d’autorité à la longue (à moins qu’ils n’aient
eu des problèmes de succession), puisqu’ils cédèrent leur pouvoir au
début du XVIII~siècle à un représentant de la dynastie gourmantché la plus
septentrionale, celle des Jagbira, à laquelle ils étaient apparentés.
À la même époque, autour de 1705-1707 (Delmond 1953 : 26; Hama
1971 : 343-368), des Peuls Sondeebe du Macina, qui se seraient rebaptisés
214 ANNE-MARIE PILLET-SCHWARTZ
peu après Feroobe3, migrèrent dans la région. Les Peuls qu’ils trouvèrent .
sur place (et qui étaient donc là en principe depuis moins d’un siècle)
appartenaient à différents clans. Trois selon Madiéga (1982 : 121) : celui
des Toroobe, qu’il considère comme les premiers venus, ceux des
Wakambe et des Sillube. Cinq selon Delmond (1953 : 23) et K. G. Barry
(1984 : 10) : celui des Kurojiibe, qui, selon eux, seraient arrivés les
premiers, celui des Toroobe, auxquels ils reconnaissent malgré tout une
réelle préséance4, ceux des Wakambe, des Jallobe et des Baabe. On
ignore quand ils se fixèrent définitivement, mais il semble qu’une partie
des villages qui existaient au moment du djihad, une douzaine au mini-
mum, selon Irwin (1976 : s), ait été créée dès le X V I I ~siècle : les quatre
plus anciens au moins, à savoir Wendu, Selbo, Torodi et Kampiti, qui
auraient déjà constitué à l’époque un embryon de région appelée Liptako
(Delmond 1953 : 25). Un indice plaide en faveur d’une sédentarisation
précoce de ces pionniers peuls : le mariage de Birmaali Sala Paate, leader
des Feroobe, avec la fille dujooro de Wendu, le village-mère des Toroobe,
où s’arrêta le taureau qui, selon la légende, les guidait, lui et les siens,
dans leur migration. Cette alliance permit en effet aux Feroobe de récupé-
rer le pouvoir (plus moral que réel, il est vrai) qu’exerqaient jusque-là les
Toroobe de Wendu sur l’ensemble des clans peuls de la région, ce qui
donne à penser que cette société était déjà bien ancrée au début du X V I I I ~
siècle, même si elle n’était pas vraiment organisée politiquement (et que
ce fait était connu).
Les Gourmantché
3. Ils sont connus depuis sous ce nom, qui serait issu du verbeferude, amigrern (Irwin 1976: IO).
4. Une préséance qui est loin d’être spécifique au Liptako.
5. Originaires du Yatenga, ces Kurumba imposèrent aux Songhii et aux Mossi avec lesquels ils
cohabitaient dans I’Aribinda non seulement leur langue, le kurunlfe, mais aussi leur nom. C’est toute-
fois le terme de Foulsé (qui désigne les Kurumba en moore) qui est le plus couramment employ6 B
leur égard.
6. Cette mesure n’aurait BtB levee que sous Paamba, le cinquième des huit bedo qui dirigèrent le
royaume de Koala (Madiéga 1982: 121).
L’ÉMIRAT DU LIFTAKO 215
7. La légende veut même qu’il ait tenté de porter ses conquêtes jusqu’à Kujuabongu, au sud de
Pamma, d’où seraient partis entre 1510 et 1570 les Buricimba, fondateurs de la dynastie des Jagbird.
Mais il paraît évident qu’il y a là amalgame entre les exploits du héros et les grands faits d’armes qui
firent du X V I I I siècle
~ une période exceptionnellement faste pour les Gourmantché.
8. La branche aînée alors au pouvoir, le diegu d’Alfa, allait jusqu’à commettre ses exactions sur
les berijabu (princes), les berisiubu (princesses), les tindumbu (chefs de terre), etc.
9. Djihad qui n’était en fait qu’une manifestation parmi d’autres de I’hégémonisme peul du
XKC siècle et plus particulièrement de la Qadiriya.
L'émirat du Liptako (province du Séno).
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 217
L’émirat
10. Cela n’empêcha pas le bedo Yenpabu, qui régna de 1940 ii 1986, d’accompagner en 1957 le
gouverneur Bourges à Dori, où il passa une nuit, àla plus grande inquittude des siens.
1 1 . Le terme Liptako lui-même qui, selon la tradition, aurait t t t choisi par Usman dan Fodyo
signifie <<quel’on ne peut terrasser,, ce qui montre la dttermination de ses fondateurs.
218 ANNE-MARIE PILLET-SCHWARTZ
Les Touaregs
12. Les Gourmantche avaient encore sous le premier anziiru quelques foyers de resistance dans le
Liptako, comme à Koria, par exemple, à 15 km au sud-est de Don.
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 219
La domination
13. I1 n’est pourtant pas exclu que Sori Hamma ait livré lui-même Katchirga aux Touaregs. I1 y
comptait en effet un rival, conséquence d’une alliance matrimoniale contractée par le premier amiiru
du Liptako. Braahima Seydu, et les Touaregs jouaient volontiers dans la région le rôle de mercenaires,
notamment chez les Songhai de la région de Téra.
14. Les Alkasseybaten sont des descendants des conquérants marocains de l’empire songhdi qui
ont opté pour le genre de vie touareg tout en continuant àparler de préférence I’nzofe. Installés en un
premier temps à Bamba, sur la rive haoussa du Niger, ils suivirent au XVIIICsiècle les Oudalan inzaja-
ren dans leurs migrations vers le sud, ce qui leur permit de préserver au moins partiellement leur
identit6 ethnique.
220 ANNE-MARE PILLET-SCHWARTZ
15. Les Feroobe utilisaient pourtant pour combattre les Gourmantchd de Koala les services des
Mossi de Boulsa et même de mercenaires maures. La guerre la plus importante, qui eut lieu sous les
règnes des aniiiru Sori Hamma (1831-32 - 1860-61) et Amadu Lisa (1886-87 - 1890-91) et du bedo
Yenkuagu (1878-79 - 1917-18), dura une vingtaine d’années.
16. Ce serait à cause de la mauvaisé volonté des Rimaïbd enrôlds dans I’armde que le Liptako
n’auraitpas réussi à dcraser le royaume de Koalaen 1887-1888. .
17. Ils devaient fournir entre autres la zakit, récupérée ici comme en maints endroits par la classe
au pouvoir.
18. Les Toroobe procuraient dans six villages, Wendu, Torodi, Kampiti, Lerbu. Babirka et Dori,
les membres du collège charge d’élire I’amiiru (Dicko 1975: 14).
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 22 1
La pacification
19. Soutenue d’un côté par Sokoto et, de l’autre, par les Torooe de Wendu, la branche cadette
sortit vainqueur de la querelle de succession qui l’opposait alors i la branche aînte.
20. Le terme Bella est celui qu’employaient les Songhai pour designer les iklun (esclaves) des
Touaregs. Les Bella constituent aujourd’hui un groupe ethnique i part entière.
222 ANNE-MARIE PILLET-SCHWARTZ
ses pâturages sahéliens, n’abandonnant derrière eux que ceux des Bella
qui avaient pris leur indépendance. De même, certains Peuls-Gaobe, plus
habitués à coexister avec les Oudalan imajaren, les Iwaragwaragen imgad
ou les Alkasseybaten qu’avec l’aristocratie feroobe, restèrent-ils indiffé-
rents aux possibilités que leur offrait la situation (une liberté et une
mobilité plus facile que du temps de l’émirat). Ces Peuls << targuisés >>,
selon l’expression de Barra1 (1977 : 35)’ cherchaient sans doute également
à éviter le colonisateur (ce qui était possible dans le nord du cercle de
Dori), celui-ci n’ayant de cesse de niveler la société peule et, par consé-
quent, de réduire le nomadisme après avoir réduit l’esclavage - ce qui
entraîna, selon K. G. Barry (1984 : 92)’ la révolte, la fuite ou même le
suicide de d u r o o h , pasteurs purs, parmi lesquels les Gaobe étaient de
-
loin les plus nombreux et les plus représentatifs.
La (re)structuration
21. La daba est la houe africaine. Elle a g6n6ralement un manche court, on la trouve sous toutes
les latitudes. L’iler est un instrument conçu pour les sols légers du Sahel. I1 est constitué d’un manche
long au bout duquel se trouve une lame de fer en forme de croissant.
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 223
l’émirat était encore libre. Des Songhaï, eux dont les ancêtres n’avaient
fait aucun cas de cette marche, du temps de leur propre gloire, tentèrent
les premiers de s’y tailler un fief. Dès la première moitié du X I X siècle
~ en
effet (peut-être même dès l’époque du djihad), un groupe de paysans
d’origine songhaï-kado22 venu de l’ouest tenta de s’implanter dans la
région de l’actuel Falagountou. À la mort de leur père-fondateur, Bamoye
Gado, cependant, ils ne furent plus en mesure d’y rester et partirent pour
Borobo23, d’où ils ne revinrent qu’après la signature du traité de 1891 :
entreprise encore très hasardeuse, mais qui se solda cette fois par un
succès, Falagountou formant aujourd’hui, avec quelque 6 O00 habitants, le
plus gros noyau songhaï du Burkina Faso.
La création de nouvelles localités au début de l’époque coloniale fut
surtout le fait des premières redistributions dans l’espace de Rimaïbe et
secondairement de Peuls, ces derniers n’hésitant pas dans bien des cas,
aussi surprenant que cela puisse paraître, à demander l’hospitalité à d’an-
ciens esclaves, même et surtout aux leurs. Deux exemples sont
significatifs, ceux des villages, très différents, de Haini et de Soffokel, qui
comptent aujourd’hui environ 300 et 1500 habitants. Créé vers 1915 dans
l’orbite de Falagountou par des Rimaïbe d’ascendance songhai venus de
Bafélé (à une dizaine de kilomètres de Dori), Haïni fut investi peu après
par des Peuls-Jallobe de la même localité. Purs pasteurs, ceux-ci purent
exercer sans contrainte leur activité jusqu’à la grande sécheresse de 1972,
avant de se mettre à l’agriculture sur le modèle de leurs hôtes et des
Songhaï. Le phénomène se répéta à Soffokel que les Rimaïbe des Feroobe
de Katchirga fondèrent à quelque 25 km de là, sur les champs de leurs
anciens maitres, avant même la signature du traité de 1895. Ils y accueilli-
rent des familles de toutes origines : haoussa, songhaï-zarma, bella,
gourmantché, ou encore des familles peules de différents clans, toroobe,
wakambe et surtout feroobe, ces dernières n’hésitant pas à leur demander
encore en période faste une part de leur récolte ! Et encore oublient-ils,
quand ils font l’inventaire de leurs << réfugiés D, les Gaobe qui campent
une partie de l’année sur leur territoire, comme s’ils ne comptaient pas. La
capacité d’accueil des Rimaïbe mérite d’être soulignée et, dans bien des
cas aussi, leur attachement à leurs anciens maîtres. En témoigne l’attitude
de ceux de Wendu, d’ascendance mossi pour la plupart, qui ont choisi de
rester auprès des leurs, se comportant à leur égard en véritables frères
cadets.
Les Peuls eux-mêmes firent montre après leur << pacification B d’une
tolérance qui tranche avec l’intransigeance dont ils avaient fait preuve
22. Les Songhdï-Kado seraient des descendants de tributaires songhaï qui auraient été métissés
avec les Gourmantché, dias Bemba ou Buricimba, qui occupaient jadis, à l’est, la rive haoussa du
Niger. Ceux de Falagountou comptent également des Mossi dans leur ascendance.
23. Borobo est situé dans la vallée du Gorouol, 21 quelque 30 km au nord-est de Falagountou,
apparemment 21 l’écart, au XIX=siècle, des parcours des belligérants peuls et touaregs.
224 ANNE,-MARIE PILLET-SCHWARTZ
24. ConsidérCs comme des imgad de par leur filiation paternelle, comme des M a n de par leur
filiation maternelle (Guignard 1984: 17), les Iboghelitan revendiquent en fait, dans ce cas précis,
l’héritage d’une chefferie maraboutique vieille de neuf generations -héritage qui fait d’une partie
d’entre eux au moins des kel es souk (des ressortissants de la classe des marabouts), c’est-à-dire en
fait d’authentiques illelan (Touaregs), aux côtés des imajaren et des imgad.
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 225
25. Depuis le début de l’époque coloniale, les Peuls du Liptako ont eux-mêmes créé 25 villages
dans le royaume de Koala, qui en compte 86 de nos jours (actuelles préfectures de Koala, Mani et
Liptougou).
26. Usman Bubakar, le père de Dicko Abdoulaye Usman, qui n’était encore àl’époque que le
a gestionnaire m des affaires interieures de l’est de I’émirat colonisé, approuva officiellement leur
réinstallation, allant jusqu’à faire remarquer, quand ils lui rendaient allégeance par un don de sorgho
ou autre, que leur seule présence était déjà en elle-même un cadeau. C’était au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, les temps avaient bien changé.
226 ANNE-MARIE PILLET-SCHWARTZ -
La mise en valeur
Jusqu’en 1984, année du boom de l’orpaillage au Sahel burkinabè,
l’unique motivation de ceux qui immigraient dans l’ancien Liptako était
l’agro-pastoralisme. I1 est tentant d’attribuer au milieu sahélien un rôle
niveleur, surtout depuis la grande sécheresse de la décennie 1970, qui a vu
les précipitations annuelles de la région se stabiliser autour de 400 mmz8,
mais l’étude des systèmes de production agricole propres à chaque groupe
humain montre qu’ils sont loin d’être uniformes, même si les stéréotypes
habituels sont parfois difficiles à retrouver. Ce n’est pas chez les Peuls,
par exemple, que les troupeaux y sont les plus importants, mais chez les
Gourmantché29. Ces derniers peuvent posséder jusqu’à trente têtes, alors
que la plupart de leurs voisins avancent à ce propos des chiffres inférieurs
à dix3O. À l’inverse, c’est chez les Peuls que les rendements de mil sont
27. Si l’on tient compte du fait que les six départements correspondantàl’ancien Liptako regrou-
pent les deux tiers de Ia population du Sdno (INSD 1988: 254; 259), les Peuls devraient y être
actuellement près de 100 000.
28. Des départements enregistrent même certaines années des ((creux >> à 200 mm. Ainsi, par
exemple, ceux de Falagountou et de Sampelga, lors de la campagne 1990-91.
29. J.Æ temps est loin oh les précurseurs du djihad ne cessaient de reprocher aux Gourmantché de
ponctionner leur cheptel pour accomplir des sacrifices ou pour nourrir leurs chiens.
30. Cet ordre de grandeur est confirmé par les enquctes du Centre régional de promotion agro-
pastorale (CRPA du SahelDEP 1990: 70).
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 227
les moins catastrophiques et non chez les Kurumba, eux que l’histoire
mythique de 1’Aribindaprésente comme des <<sorciersdu mil >>, dotés de
la <<forcedu vent et de l’eau >>, capables d’assurer une double récolte
annuelle (Guillaud 1993 : 16). Les Peuls obtiennent en effet des rende-
ments de l’ordre de 400 kg à l’hectare, alors que partout ailleurs ils
oscillent entre 200 et 300 31.
Les Kurumba partagent malgré tout avec les Gourmantché et les Mossi
le privilège d’avoir les plus grandes exploitations agricoles de la province
du Séno, celles-ci pouvant excéder 8 ha, ce qui pour la région est excep-
tionnel (CRPA du Sahel/DEP 1990 : 67). Ce sont les Peuls par contre qui
ont les plus petites. Chez les Toroobe de Wendu, par exemple, elles sont
de l’ordre de 2 à 3 ha (de 4 à 5 chez les Jallobe de Haïni), alors que chez
les Rimaïbe, les Iboghelitan et les Songhai elles atteignent plus fréquem-
ment 5 ou 6 ha, voire davantage parfois. Les superficies cultivées par
individu présentent des écarts moins marqués : d’environ 0,50 ha, par
exemple, à Falagountou, où la pression démographique est indéniable, à
environ 0,70 à Bandiédaga ou Soffokel. Celles-ci sont cependant là
encore inférieures chez les Peuls : de l’ordre de 0,30 ha à Wendu, chiffre
qui n’a d’équivalent que chez les Iboghelitan de Yatako. I1 existe incon-
testablement une hiérarchie entre les terroirs des uns et des autres avec,
aux deux extrêmes, les Gourmantché de Bandiédaga et les Toroobe de
Wendu. Hiérarchie que confirment les superficies cultivées par actif,
pourtant assez constantes d’une communauté à l’autre, puisqu’elles oscil-
lent partout entre environ 1,lO et 1,30 ha, saufà Wendu et Yatako, où
elles restent inférieures à un32.
À quoi correspondent ces dynamiques différentielles ? Les immigrés ou
leurs descendants s’investissent plus ou moins dans leur exploitation.
Leur volonté d’occuper l’espace, liée notamment à la mobilité des
hommes et à la part de travail réservée aux femmes (deux normes rare-
ment remises en question), varie notablement d’un groupe ethnique à
l’autre. Le fait que les Peuls et les Iboghelitan aient les plus petites super-
ficies cultivées par individu et par actif peut être mis sur le compte de leur
héritage culturel, de leur appartenance à une civilisation jadis purement
pastorale, encore que chez les Toroobe de Wendu cela ne soit pas évident.
Ils parviennent, quoi qu’il en soit, à se nourrir en <<faisantmoins grand >>
que les autres - attitude apparemment délibérée, qui n’est pas liée à la
pression foncière, comme ce pourrait être le cas chez les Songhaï de
Falagountou. Confronté à des conditions bioclimatiques peu favorables,
31. Cet ordre de grandeur est confirm6 là encore par les enquêtes du CRPA (CRPA du Sahel/DEP
1990: 16).
32. Le CRPA avance pour l’ensemble du Skno une moyenne de 1.71 ha par actif, avec une modu-
lation importante, il est vrai, selon la taille des exploitations. Les plus vastes ne semblent exister
qu’au prix d’un plus grand effort par actif, lequel assume 2,5 ha en moyenne dans celles de plus de
8 ha (CRPA du SahelDEP 1990: 67).
228 ANNE-MARJE PILLET-SCHWARTZ
33. Seules les femmes mossi peuvent se permettre de tels achats grâce àl’importance de leurs
champs personnels.
34. Malgré sa petite taille, Haïni est en février le lieu de rendez-vous des Peuls de la région.
35. Ces descendants de l’empire songhai représentent un cas extrême dans la rkgion, en raison de
leur concentration exceptionnelle dans l’espace et de leur situation à la limite de I’Oudalan. Les
Touaregs au nord, les orpailleurs à l’ouest, les Nigériens àl’est leur imposent une promiscuité dont
les effets ont éti malgr6 tout jusqu’à prksent plus positifs que négatifs.
232 ANME-MARIE PILLET-SCHWARTZ
Le modèle qui synthétise peut-être le mieux tous les autres est celui des
Kurumba d’Oulfo Alfa, ce qui répond à une certaine logique dans la
mesure où les Kurumba furent les premiers occupants de la région de
Dori. Sahéliens, mais aussi agriculteurs avant tout, ceux-ci sont de << gros D
producteurs de mil. Ils s’avèrent capables toutefois de cultiver autant de
sorgho que les Gourmantché, lorsque la saison est bonne; comme elle le
fut, par exemple, en 1988. Pragmatiques, ils n’insistent pas le cas échéant :
ils s’orientent vers une quasi-monoculture du mil.avec, comme à
Bandiédaga, une pratique assez exceptionnelle de la jachère. Les femmes
elles-mêmes se spécialisent parfois dans cette céréale, sans pour autant
remplacer la daba par l’iler, qui reste l’apanage des hommes. Ceux-ci
avouent quelquefois être tentés par la démarche inverse (le remplacement
de l’iler par la daba), influencés peut-être en cela par la dichotomie
mil/iler qui prévaut chez leurs voisins mossi de Léré. Opérer la reconver-
sion équivaudrait cependant pour eux à une véritable remise en question
de leur système d’exploitation, qu’ils ne semblent pas prêts à assumer :
nouveau déploiement sur le terroir, nouvelle vocation des espaces intersti-
tiels, nouvelle répartition du travail, etc. On mesure à travers leur aveu,
d’une part, la vitalité du réseau qui relie entre elles ces communautés, de
l’autre par contre, la force des liens que chacune d’elles a tissés avec sa
terre d’élection. Entre les desiderata des uns ou des autres et leur routine,
existe souvent un fossé. De même, entre leur routine et la réalité sahé-
lienne. Officiellement, par exemple, les cultures secondaires sont toujours
pratiquées à Oulfo Alfa (on y tient !), mais elles le sont sans conviction et
ne produisent guère, sans qu’il soit possible de dire o Ù est la cause, où est
- l’effet. Cette soumission au milieu naturel et humain, peu compatible en
général avec une remise en cause de <<paquetstechnologiques >> sécu-
laires, semble être davantage le fait d’une attitude raisonnable que d’un
fatalisme passif. C’est ce qui ressort de l’organisation de l’espace de ces
villageois : un habitat regroupé en quartiers bien individualisés, des
exploitations agricoles limitées à cinq ou six parcelles (aussi étendues
cependant que celles des Gourmantché), une dispersion modérée (dans un
rayon de deux à trois kilomètres au maximum). En bref une pondération
(peut-être idéale en soi, sinon dans la pratique) qui rejoint d’une certaine
manière leur capacité d’adaptation en matière de relations inter-ethniques
(comme en témoignent leurs échanges matrimoniaux avec les Gaobe, par
exemple), mais qui n’exclut pas les querelles entre quartiers !
L’identité ethnique
La menace
36. La transhumance des Bella et même de certains Touaregs de I’Oudalan dans le departement de
Sebba est un phénomène relativement récent, surtout en ce qui concerne les seconds. Elle tend 1
Cvoluer en une migration definitive en ce qui conceme les premiers.
37.La migration lointaine est toutefois moins intéressante depuis la dévaluationdu franc CFA.
L’ÉMIRAT DU LIPTAKO 235
soudure, c’est là tout ce qui intéresse les populations. Seuls ceux qui
vivent dans l’orbite immédiate de Dori, c’est-à-dire majoritairement des
Peuls et des Rimaïbe, échappent à cette angoisse - surtout depuis 1992,
année où fut achevé le bitumage de la piste Ouagadougou-Kaya. Les
avantages que peuvent tirer les Peuls de leur situation dans l’espace - et
qui ne sont pas sans rappeler, même de très loin, tous les privilèges que
leur conférait le pouvoir au X I X siècle
~ - sont à peu près les seuls qui leur
restent aujourd’hui. Quelques réminiscences du passé transparaissent
parfois dans les expressions populaires, du genre <<ilssont trop fragiles
pour aller faire l’orpaillage >> (sic),mais les Peuls eux-mêmes n’affichent
plus d’attitude ostentatoire, la révolution sankariste n’ayant pu que les
conforter dans leur volonté d’effacement et décourager les nostalgiques
de l’époque héroïque. L’assurance que confère le sentiment d’une certaine
puissance n’appartient plus qu’à quelques commerçants haoussa ou
songhaï, ainsi bien sûr qu’aux représentants de l’appareil d’État.
Le symbole
Chaque année, la montée des eaux apportées par les pluies et les crues
des fleuves Niger et Bani oblige les bergers peuls et le gros de leurs trou-
peaux, bovins, ovins, caprins, à quitter la plaine inondée du delta central
du Niger. De&ère eux, les familles restent au village, sur des buttes à
l’abri des eaux, avec quelques vaches laitières, ainsi que les autres groupes
socioprofessionnels, Bozos pêcheurs, Riimaay6e 1 agriculteurs. Les trou-
peaux se dispersent dans le Sahel de trois à cinq mois sur des pâturages
renouvelés par les pluies, effectuant une cure de terre saline dans certaines
zones propices. À la fin de la saison des hautes eaux, les bergers du delta
rebroussent chemin, se regroupent et reconduisent les troupeaux vers
leurs villages de la plaine. Contrastant avec la relative << anarchie B des
pâtures passées, le retour s’organise en ordre strict et en étapes fixes à
partir de l’entrée dans la plaine. Quittant les pâturages alors appauvris du
Sahel et des zones exondées, les animaux sont groupés sur les collines et
les marges sèches à la périphérie du delta. Ensuite, en file, selon un ordre
de préséance entre segments de lignage, les troupeaux progressent par des
voies précises dans les pâturages et les champs de riz fraîchement récoltés
de la plaine, le long de pistes pastorales relevant des droits et maîtrises de
leur lignage. Un juuwro, chef berger aîné du lignage, fait respecter la
discipline de la transhumance jusqu’à l’arrivée dans son pâturage lignager
( b u r p ) ,après avoir éventuellement suivi un ou plusieurs autres juowro’ en
et d’autres troupeaux dont il doit emprunter les pistes, traverser les pâtu-
rages, avant d’accéder au sien.
La richesse en pâturage de cette zone attire les pasteurs résidant dans
les régions exondées. Accompagnés de leur famille, chargeant bœufs ou
ânes de leurs multiples bagages et ustensiles, ils viennent s’installer dans
1. La transcription phonétique utilisée ici pour lefulfuk?e (la langue des Peuls) est celle qui a été
élaborée par le Congrès pour l’unification des alphabets des langues nationales de l’Ouest africain
(UNESCO,Bamako, 1966).
240 PASCAL LEGROSSE
-
Les différents pasteurs au Maasina
4. Les Fulankiriyaa6e, qui transhument sur la rive droite du Niger et ne viennent pas au Maasina,
ne sont pas retenus dans cet ensemble des Peuls abtrangersm des terres stches : cf. Marie (1975).
242 PASCAL LEGROSSE
ont peu d’animaux et préfèrent louer leur force de travail et leurs ânes
pour vivre et accumuler quelques sacs de riz. Quant aux Peuls des terres
exondées, ils se répartissent en quatre grands groupes qüi se distinguent,
outre le lignage, principalement par des différences dans la sélection des
bovins, l’habillement des femmes et la forme des huttes.
Le système socio-économique global des Peuls des régions non inon-
dables peut se résumer de la façon suivante :
La famille est attachée à un village dont la présence des membres fluctue selon les
travaux agricoles et les possibilités d’entretien du bétail. Les catégories les moins
mobiles de la population du village y demeurent toute l’année, tandis que les plus
mobiles n’ont quasiment pas de contact avec le village d’origine.
Une fréquentation alternée d’une mare et de lieux de culture à proximité du village en
hivernage et d’un terroir villageois du Maasina en saison sèche où s’installe saisonniè-
rement la plus grande partie du-groupe transhumant.
Le plus souvent, le gros du bétail effectue une transhumance sous la conduite des
hommes, distincte du déplacement de la famille, qui les rejoint dans des campements,
et de la population (non peule et non pastorale) qui reste au village avec des vaches
laitières.
Les groupes de transhumance sont le plus souvent constitués de familles agnatiques
étendues, avec une préférence pour l’association des frères, auxquels s’ajoutent parfois
des parents maternels, des amis. Dans de nombreux cas, seule la famille nucléaire
transhume, et plus rarement des adultes seuls.
Ces caractéristiques générales sont à compléter, pour les groupes peuls
déjà évoqués, par des traits particuliers relatifs à chacun et de leur
influence sur leur transhumance et leur séjour dans le Maasina. Nous les
présentons dans un tableau comparatif qui permet de mettre en évidence
les différences remarquables (fig. 1). Les traits distinctifs mentionnés sont
ceux que ces groupes considèrent eux-mêmes comme significatifs et utili-
sés comme emblemes de différence sans être constitutifs de leur
particularisme. Cette liste descriptive n’est pertinente que dans la plaine
inondée. Par exemple, hors Maasina, les WuwarGe utilisent des huttes
plus spacieuses dans le Nampalaari, les Peuls du Farimake vivent dans
des villages dont l’habitat est en dur.
Deux groupes peuls très différents sont absents de la figure 1 : les
SeenonkooGe et les WuwarGe. Les premiers sont les Peuls originaires
d’une région sableuse spécifique (seeno signifie << une région sablonneuse,
un sol sablonneux, le sable n) qui s’étend à l’est et au sud du plateau de
Bandiagara5 et parlent le << dialecte D seenonkoore.
En transhumance, les SeenonkooGe n’emportent pas de hutte comme le
font les autres pasteurs << étrangers >> au burgu, mais préfèrent s’installer là
où les femmes pourront facilement trouver les hautes herbes leur permet-
5 . Les particularités regionales du furfulde de ces diffkrents groupes sont aussi un Blément de
distinction entre eux et à 1’6gard dufulfulde du Maasina:furfulde du Aawsa (Cookinkoofk), du
Farimake (FarimakenkooGe,Sonnaa6e et NasadinkooGe), du Seeno Mango et Bankass (Seenonkook)
et du Nampalaari ( W u w h ) , etc.
Farimakenkoo6e SonnaaGe NasadinkooGe CookinkooGe
Forme
de la hutte
Description La hutte des FarimakenkooGe Peu de différences avec La hutte est plus large,
de la hutte et celle des SonnaaGe sont quasi identiques. les huttes des l’armature très complexe.
Le toit est fait de nattes recouvertes de seccos* FarimakenkooGe et des Le toit est fait de larges nattes,
de couleurs naturelle et noire. SonnaaGe; elle est plus de couleur naturelle.
vaste; les seccos et les
nattes sont plus colorés.
Le lit Des nattes et des seccos, entassés sur une armature en bois reposant sur des Pas de lit, mais des nattes à
piquets fichés dans le sol. même le sol.
Destination Ils se rendent au nord du Maasina, dans une aire ne dépassant pas les leyde Kootiya et Soosoobe au sud, ni le
en saison leydi Jallube Burgu à l’est. Ils ne forment pas de campement commun.
sèche Les campements restent sur la rive gauche et les Traversent peu le Diaka. Ne traversent pas le Diaka.
garci sont conduits dans le Jallube et vers le lac
Débo.
Fig. 1. Caractéristiquescomparées des Peuls du Farimake et du Aawsa.
* Le secco est un panneau fait de tiges (paille de mil) entrelacees et quelquefois teintes,
utilis6 dans la constitution du sommier du lit, pour décorer l’intérieur des huttes et des maisons.
244 PASCAL LEGROSSE
Un segment de lignage peut avoir la maîtrise d’un pâturage particulier qui a ses gîtes et ses règles
d’accès pour les animaux, fixées par la préséance àl’intérieur du leydi. Dans certains leyde, il existe
une diffkrenciationentrejoowro’en suivant le type de burgu, ou sa localisation, fruit de l’histoire: il
est joowro joom-hudo,joowro joom-tolo ou joowro joom-togge (Ba & Daget 1984: 73-74). Cette
diffkrenciation est aussi relative à une aécologie culturellen (Gallais 1984: 37, 125-126) qui ferait
correspondre une configuration naturelle à un titre et au statut d’un lignage.
10. Le mil est un terme génkrique designant plusieurs graminees cultivées qui constituent la base
de l’alimentation dans les régions non inondables du Sahel.
246 PASCAL LEGROSSE
11. Burgu est un terme d’origine malinké (buruku)qui signifie: <<boue gluante, sanie, pus, morve
(maladie du bétail), herbes aquatiques saccharifères dont les racines emmêlées forment un fouillis
vaseux infranchissable pour les pirogues, nom donnt àla zone d’inondation du Niger où abondent ces
herbesn (Delafosse 1929: 86). Enfulfulde, la plante est appelte gumuruuwol (Echinochloa stugninu).
12. Pour les descriptions du burgu, voir Gallais 1958; sa composition floristique,voir Riou 1995;
et ses caractkristiques pour I’tlevage, voir Wilson 1983.
PEULS DU MAASINA 241
Fig. 3. Flux de transhumance et localisation des Peuls des régions exondées. Source :Wilson 1983: 51.
Peuls <<étrangers,: 1, Wuwar6e; 2, Farimakenkode; 3, Sonnaabe; 4, Nasadinkodk;
5, Cookinkode; 6,Seenonkodk; 7, FulankiriyaaGe.
sent leur troupeau en garci, benndi et duumti13.À l’opposé, les Peuls des
terres sèches font la même division chez eux pour que l’essentiel de leur
cheptel bénéficie des pâturages renouvelés du Maasina en saison sèche.
Ainsi, les WuwarGe séparent le gros du troupeau transhumant (garci)des
laitières (6ireeteedi) et les Peuls du Farimake divisent le cheptel entre le
garci, les laitières (dabbitooji) - qui rejoignent les garci dans le Maasina
au mois de mai - et quelques vaches laitières (ceettooji)qui restent au
13. Le garci est compos6 de la plupart des vaches non allaitantes, des femelles en gestation, des
taurillons, des génisses, des bouvillons plus âg&, de taureaux géniteurs, de quelques vaches en lacta-
tion et leurs veaux pour fournir du lait aux bergers qui les conduisent; le benndi est form6 de
l’essentiel des vaches laitières et leurs veaux; le duumti correspond ?I un nombre limit6 de laitières
restant au village, les ((vaches encercl6es par l’eau >>.
Amont
Aval
Juin Juillet Aoüt Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril Mai
Nord
I
Grende mol lite
Regroupement
destroupeaux I
Sahel Di'
tspersior
des troupea
da' s le Sah
î
A U MAASINA
Aval
Juin Juillet AoÜt Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier Fivrier Mars Avril Mai '
Amont
Fig. 4. Schéma
Aval du système de
transhumance
lié au Maasina.
PEULS DU MAASINA 249
14. Le calendrier peul est divisé en quatre saisons principales et en plusieurs petites saisons qui
marquent les transitions. Cette division de l’année en quatre périodes inégales est différente d’autres
aires peules, qui n’en retiennent que trois (Donaint 1975: 103). Les quatre divisions de I’annke sont
déterminées par le calendrier musulman et ses vingt-huit périodes stellaires.
15. Les rapprochements et parallèles entre mois, étoiles et activités sont très riches et donnent un
rythme très vif au cycle des saisons. On joue par exemple de l’homophonieentre le mois de al sawla
et le verbe sawlude ( a être souillé par les mouches N) parce que les vaches qui se précipitent dans le
burgu sont comme un essaim de mouches sur un aliment ! Ce mois est un repère, mais les troupeaux
peuvent avoir envahi la plaine depuis le mois précédent. Si les labours commencent il balmal, c’est
parce que l’on est alors certain qu’à cette date, les libations de fécondité ont été faites par les maîtres
de terre markas.
250 PASCAL LEGROSSE
t O 5 10 20 km
Leydi Cooki Nyaaso :voir fig. 6.
Fig 5. Portes d’entrée du Maasina et localisation du leydi Cooki Nyaaso. Source: CIPEA 1983.
Maîtrise des principales pistes pastorales d’entrk au Maasina: 1,Joowro Jaafaraaji de Diafarabé;
2, Joowro Hoore Na’i Bon de Mayataké (Swengo); 3, Joowro Hoore Wumbere de Roundé (Cubi);
4, Joowro Na? Hadi de Ktkeye (Kotiya); 5, Joowro Hoore Cqaaji de Mopti-Kéba(Kootiya);
6, Joowro Hoore Na’i Sori Gale1 de Tiéhal (Kootiya); 7, Joowro Teeti de Sabar6 (Komongallu);
8, Joowro Cooki (Cooki Nyaaso); 9, Joowro Con (Wuro Ngiya);
10,Joowro Na’i Ardo (Wuro Ngiya) ; 11,Joowro Jamali (Doogo).
252 PASCAL LEGROSSE
16. Une liste des leyde a été dressée dès la fin des années 1950 (Ba & Daget 1984), puis ils ont été
dCcrits (Gallais 1967) et enfin cartographiés (CIPEA 1983). Leur nombre varie entre ces trois travaux,
montrant que ces frontières ne sont pas fixes (Schmitz 1986: 375-376).
17. Sources: Services de 1’8levage et CIPEA 1983.
18. Les fortes densités en bétail et un taux d’occupation des sols élevé entraînent des frictions
parfois vives entre éleveurs et agriculteurs. Les joowro’en et leurs familles ont aussi un rôle ambigu,
vivant parfois plus de leur rôle de chef de terre et de chef de pâturages que du revenu de leurs trou-
peaux, comme dans le reste du Maasina. Ils auraient aussi tendance à admettre beaucoup trop de
troupeaux étrangers, selon les Peuls autochtones, dans des pâturages que la pression agricole tend à
réduire avec la complicité des mêmes joowro‘en.
PEULS DU MAASINA 253
les riches burgu des grandes cuvettes du lac Débo où s’y concentrent
pourtant en masse les troupeaux de bovins. Mais la recherche du prestige
et les liens de réciprocité entre les joowro’en des portes du Maasina et les
joowro’en du Débo sont les raisons principales de ce choix.
L’analyse de l’organisation des parcours dans un leydi nécessite de
distinguer trois positions différentes dans l’ordre des préséances et des
254 PASCAL LEGROSSE
droits d’accès. En premier viennent les troupeaux des << citoyens >> du
Zeydi, avec à leur tête le troupeau du joowro. Cet ensemble constitue le
pdoton de troupeaux bovins (eggirgol) qui respecte, en son sein, son
propre ordre de préséance entre segments de lignage, suivant leur parenté
avec lejoowro, leur statut historique dans le leydi, leur puissance poli-
tique, etc. Suivent, en deuxième position, les troupeaux forains (Schmitz
1986 : 378), ressortissants d’autres leyde, qui doivent passer par les pâtu-
rages du groupe << citoyen >> pour accéder aux leurs. Une réciprocité les lie
qui permet aux premiers de passer chez les seconds pour rejoindre les
burgu du Débo. Viennent enfin les Peuls des terres sèches en position de
demandeurs. Au fil des ans, ils ont tissé des liens avec certains joowro’en
ou des Peuls citoyens afin de favoriser l’issue des négociations condition-
nant leur accès aux pâturages convoités et leur installation auprès de
villages qui les approvisionneront en riz par le troc ou la vente.
19. Comme dans le reste du Maasina, on n’a pas dans le leydi un espace agricole et un espace
pastoral, mais deux a maillages B différents d’un même espace. Une source importante de conflits
aujourd’hui est l’empiétement des cultures sur les pistes et les gîtes.
PEULS DU MAASINA 255
Le gîte de Jooce
20. Pour l’analyse du leydi, on se reportera aussi à Cissé 1982, 1986a; Schmitz 1986.
21. La conquête peule des pâturages inondée du Maasina (tiurgu) s’est d’abord faite pa les gîtes
(biille, sing. wiinnde, monticules suffisamment élevés pour être atteint au cours de la décrue pour le
repos et la traite des animaux), traçant ainsi des parcours à travers la plaine (buurrol, piste reliant les
gîtes). Les ar& puis la Diinn ont ensuite fixé le partage du burgu, délimitant les zones d’influence des
parcours en leur sein. Le tracé des frontières des leyde a plusieurs fois changé au cours de l’histoire
pour des raisons politiques (Gallais 1984: 122), mais très rarement le tracé des parcours.
oz o1 o
(sauna! snld x
'saBe snid sai xneaA sa N
....
9...........
(I
PEULS DU MAASINA 257
c( Fig. 7 :Plan du gîte (wiinnde) de Jooce, occupépar l’eggirgol Cooki Naaso, 28 novembre 1994.
Ordre de préséance des premiers troupeaux de I’eggirgol
Hoore Cooki (joowro) Niasse 7 Na’iBonko Walo
Niasso Na’¡ Hama Diougui
Cooki Cello Niasso 8 NaÏ Hamadun Bouta
Na’¡ Samba Bouta
2 NaÏ Gidoore Niasso Na’¡ Koola Bouta
3 NaÏ Gurdo Niasso 9 Na‘¡ Hama Demba Walo
4 NaÏ Ham Gurdo Walo 10 Na’¡ Hama Jam Bouta
5 Na’¡ Samba Dikko ( 2 0 j o oiro)
~ Diougui Na’i Hambarke Tenda
6 Na’¡ Birayma Diougui NaÏ Nuhu Ba Guélédid
II ft\
Piquet de tête et corde à veaux (voir le baahdrl Tente (Bellas)
L’accès autorisé au burgu pour les pasteurs non ayants droit du pâtu-
rage est conditionné par le versement d’une redevance aujoowro, le
conngi. Ce conngi est conçu, du point de vue du maître de pâturage,
comme étant la contrepartie à l’usage d’une richesse naturelle relevant de
la maîtrise-propriété de son segment de lignage. I1 manifeste d’une
certaine façon la reconnaissance, par le pasteur allochtone, des droits de la
communauté locale sur son territoire et sur les conditions de l’accès à ses
22. Celtis integrifolia (micocoulier africain). En cas de disette, les feuilles du nganki sont utilisées
pour faire une sauce en remplacement de celles du baobab, mais elles sont beaucoup plus amères. Les
feuilles vertes ou sèches sont bien app6tées par les ruminants.
23. La lance (Iabbo) se transmet de père en fils ou entre successeurs dans une chefferie.
258 PASCAL LEGROSSE
Terminologie
Dans le Maasina, la redevance que versent les non-ayants droit pour
l’exploitation du burgu n’est pas dénommée du terme tolo retenu par les
auteurs qui ont abordé ce sujet, mais par conngi24. Ce terme technique de
conngi désigne la redevance, le péage, pour profiter du tolo ; le terme tolo
désigne l’herbe nouvelle dont la pâture est très recherchée et l’accès
contrôlé (à rapprocher de tolde, des bas-fonds qui, à la décrue, sont les
premiers à être exondés et à se couvrir d’herbe). Si ce n’est par métony-
mie, il semble donc impropre d’utiliser tolo pour le paiement d’une
redevance de pâture.
L’emploi de tolo est ancien25 mais l’influence des travaux de Jean
Gallais sur la recherche dans cette région en a fixé l’usage, même dans
l’administration malienne. Un des premiers articles de Jean Gallais
(1958 : 125) montre que le terme conngi lui est connu :
<< [Le dioro] se préoccupe de l’utilisation raisonnable du bourgou, admet les étrangers,
perçoit le diongui, la taxe que ces derniers doivent verser à l’entrée du pâturage. La
propriété du bourgou familial est collective: le dioro ne peut ni l’aliéner ni vendre une
partie du bourgou; il doit verser aux hommes de sa famille une partie du diongui (note
16 : ce terme très général de redevance est remplacé chez les Ouroubé, pour la taxe
d’entrée dans le bourgou, par le terme plus précis de tiogou. Le tiogou est fixé chaque
année. C’est une source considérable de revenus pour les dioros) P.
Le << tiogou >> correspond au terme peul coggu ( a prix, vente D)tandis
que conngi est ici translittéré en << diongui D. Ce terme est bien repéré,
mais il choisit l’emploi de tolo dans sa thèse (Gallais 1967 : 139), emploi
qui sera constamment repris26.
24. Conngi peut se traduire littéralement par ((butin)> comme pluriel de sonngo, ala prise,, du
verbe sonngude, ((frapper,poursuivre à la chasse P.
25. R. Clément, Les pâturages peulhs. Etude consacrée aux bourgoutières de la subdivision de
Mopti, 1949, 37 p. multigr. (Mopti, Archives nationales du Mali, 1 D 49-5).
26. Le conngi désigne aussi la location de terre par les agriculteurs désireux d’implanter une
rizière dans le hurgu. Pour cela, on peut distinguer enfulfulde trois types de conngi: le conngi hudo
qui est la redevance d’origine pastorale, le conngi leydi qui est la redevance d’origine agricole et le
conngi ndiyarn qui est la redevance en poissons des pêcheurs bozos. Pour la terre, la négociation porte
sur le versement d’une rente sur la production. Elle peut être, la première année, suivant la production
espérée, par exemple d’un taureau, puis les années suivantes,d’un sac de riz si la rCcolte est bonne.
Le joowro (avec l’accord du patrilignage)a toute latitude de déclasser quelques parties de ses pâtu-
rages au profit de l’agriculture et la gestion lui en incombe directement.
PEULS DU MAASINA 259
vient sur cette zone, il faut qu’il te donne quelque chose. I1 faut que tu
parles et que tu t’entendes avec lui. I1 enlève une chose et te la donne. >>
<< Ils viennent à nous, et si on a un aada ( a règle, coutume, habitude D)
entre nous, ils nous versent seulement le prix du thé. Ils viennent chaque
année, on ne peut rien leur dire, mais celui qui est nouvellement venu,
pour lui montrer qu’il y a un gardien du leydi, il faut qu’il donne le prix
du thé au joowro. >>
Comme nous l’expliquait un joowro : << Lorsque des étrangers sont de
passage pour se rendre à Maayo-Tama (le leydi Jamali de Dogo), nous
leur demandons de faire un détour pour Cviter les pâturages de nos -
animaux. Mais s’ils se proposent de donner une chose avantageuse, nous
les autorisons à passer sans faire de détour. >> Pour des pasteurs des
régions exondées connus, <<jepeux laisser pénétrer le troupeau d’un étran-
ger connu dans notre burgu sans rien dire à ce dernier car je suis certain
qu’une fois son troupeau entré, il nous donnera une chose d’une grande
importance D. Aucun pasteur étranger ne doit échapper au conngi : << Si je
le laisse, quand les descendants viendront, ils diront que c’est à eux; si les
descendants trouvent que leurs parents ne donnaient rien et qu’on ne leur
dit rien, ils diront que c’est à eux27. >>
Le versement du conngi ne donne qu’un droit d’usage temporaire de
l’herbe d’un pâturage, mais il est à renouveler chaque année. << Toute
personne qui vient, donnera de sa richesse (bétail) et part ensuite >> ; <<toute
personne sera taxée puis elle part28 >>.
La collecte du conngi
27. So mi yoppii 6e fuu so taaniraa6e ngarii nibiyan kanyum njeyi. So taaniraatie tawii walaa
hokkata walaa ko we’ete mbiyan kanyuni njeyi.
28. Neddofuu waran, hookan jawdi niuni witta. Neddo fuu nanngete tan witta.
260 PASCAL LEGROSSE
Sa pérennité
Évolution et changements
L’ordre et la périphérie
personnel sont plus fortes avec les pasteurs étrangers qui constituent les
clients des citoyens d’un burgu que le joowro règle en dernier ressort.
I1 nous semble qu’à la suite des batailles en vue de la conquête du
burgu et de la maîtrise de ses accès, la pacification des parcours par les
ar6e a conduit à l’organisation de préséances et de péages, réglementa-
tions sociales du << droit d’y mettre le pied, de passer >>. Des tributs étaient
perçus directement par ces chefferies guerrières à l’intérieur de leur
domaine, et des butins à l’extérieur. Un péage permettait probablement à
l’étranger de se garantir contre le pillage, en particulier par l’intégration
au groupement des troupeaux transhumant du joowro assurant sa protec-
tion. Les droits perçus en fonction de maîtrises lignagères sur le burgu ont
alors évolué en rentes de situation pour les joowro’en et leur patrilignage
mais servent toujours à financer les frais du lignage : payement de tributs
divers, compensation pour un conflit, investissements collectifs, cadeaux
pour se concilier l’autorité, etc.
La Diina a eu un rôle de structuration et de différenciation des maîtrises
territoriales, ainsi que des différentes ponctions sur la paysannerie du
Maasina, elle a reconnu le pouvoir de perception dujoowro. Mais, la
notion de conngi s’est trouvée ensuite obscurcie par les bouleversements
de la période coloniale qui, supprimant les prérogatives des joowro’ en,
introduisit un temps le permis de transhumance et imposa des taxes sur le
bétail. Des conflits violents opposèrent alors les autochtones et les étran-
gers les ayant devancés sur leurs pâturages. Si l’ordre du parcours dans la
plaine inondée fut finalement reconnu, la perception de redevances reste
officiellement condamnée, l’administration se chargeant de réguler
l’accès au burgu par l’intermédiaire des << conférences des bourgou-
tières >> qui fixent annuellement le calendrier des parcours de la périphérie
au lac Débo.
266 PASCAL LEGROSSE
LEXIQUE
ardo, pl. ar6e chef de guerre, titre de noblesse, jusqu'au début du XIXCsiècle
baajankoo6e errants, nomades
baalndi espace du lait, lieu du campement sur un gîte
benndi troupeau de vaches (destiné à la production du lait)
burgu plaine inondée, pâturage de cette plaine
buurtol, pl. buurti parcours dans la plaine inondée pour le passage des troupeaux
conngi redevance de pâture sur un pâturage approprié
diimaajo, pl. Riimaay6e affranchi, descendant d'esclave, agriculteur
Diina religion, État musulman fondé par Sékou Amadou (1818-1863)
dugule autochtone
duumti ccvaches encerclées par l'eau D, vaches laitières restant au
village
eggirgol, pl. eggirgi groupement ordonné de troupeaux suivant un parcours de la
plaine inondée
garci troupeau de bovins (destiné essentiellement à la reproduction)
janano autrui, étranger
joltol retour de transhumance au Sahel pour entrer dans la plaine
inondée
joowro, pl. joowro'en maître-propriétaire de pâturage organisant les parcours des
troupeaux
kodo, pl. ho66e hôte, visiteur étranger
ley maayo ((intérieur du fleuve,,, autochtones de la plaine inondée
leydi, pl. leyde ((terre D, ((territoire >> agro-pastoral relevant d'une maîtrise
lignagère
MaasinankooGe habitants du Maasina, région du delta central du Niger (Mali)
seeno plaine sableuse
suudubaaba maison du père, patrilignage
toggere, pl. togge butte sableuse exondée
yeegol départ en transhumance vers les parcours sahéliens
wiinnde, pl. biille gîte d'étape oh sont rassemblés les animaux pour la traite et le
repos
PATRICK D’AQUINO
&¿ SAÏDOU DICKO
4” I a ’%
%.
peuplement peul sahélien, en
marge des grandes entités poli-
-G(2
MALI tico-religieuses de la sous-région
Ancien royaume
peul du Djelgoqi i .-‘\.N.
7- ’
et en limite septentrionale du
front de colonisation agricole,
ontX préservé
X siècle
~ unejusqu’au
grande partie
début du
de
./*- a
’ 4 ~ son organisation coutumière. La
- I L-x-,- ‘8
Djelgodji reste à écrire, mais il était nécessaire dans le cadre d’une étude
sur l’occupation spatiale de la région de souligner certaines étapes. Nous
nous proposons donc ici d’éclairer quelques Cléments de l’histoire du
Djelgodji intéressants pour la <<lecture>> du présent.
La genèse du Djelgodji
Zone et établisssement
a Songhaï
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MALI MOM
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indépendants (Tauxier 1917 : 53; Izard 1985 : 23)*. Par la suite, ceux des
Fulsé qui ne s’assimileront pas aux futurs migrants songhaïs3 se regrou-
peront surtout dans le sud-ouest de la province autour de l’ancienne
capitale du Lorum, Pobé Mengao, et sur les marches orientales de la
province à BCléhédé (carte 2). Le Lorum central (Pobé) sera alors évité
par le royaume mossi naissant du Yatenga jusqu’aux incursions du début
du X V I ~sigcle, où Naaba Rataageba, par le sud, atteindra So.depuis
4. Maditga (1981: 223) cite., propos de l’Empire songhaï, al’influent Aribinda-Farma Bokar en
956 (1449-1450) n (cf. Tarikh es Sudan).
270 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
5. On les nommait ainsi àcause d’une coupure particulière qu’ils faisaient aux oreilles de leur
bétail pour le reconnaître.
6. Nommé Simbikoi (de Simbi, localité proche de Boni au Mali: cf. supra carte 3).
7. Toutes les informations qui suivent proviennent de sources orales (anciens des villages, héri-
tiers de la fraction aînée de Barraboulé).
8. Le pays songhai dépendant de Banikani était divisé en deux chefferies: Banikani correspondant
àl’actuel Djelgodji, Zaran pour ce qui constitue aujourd’hui l’Aribinda, ?I l’est du Djelgodji (Guillaud
1993: 70).
9. Nommés Fulbè Kelli parce qu’ils dépendaient du chef songhai, le Kellikoï Yassabè.
10. Les Djelgobè s’allient dans un premier temps aux Songhaïs pour repousser leurs anciens
maîtres Diallobè du Mali, venus récupérer leurs troupeaux. Ils se seraient alliés pour cela avec des
Dogon présents en pays fulsé (à Djibo notamment)et probablement aux Fulsé eux-mêmes.
11. Ils les battent 9 Banikani, capitale du Kelli, sous la conduite du fils de Simbikoï, Hamadoum.
12. Ce faisant, ils se sont retoumés contre leurs anciens alliés Fulsé installés à Djibo.
13. Le frère cadet du chef, M’Boula Simbikoï.
14. À la mort de Hamadoum Simbikoï, son fils, Hamadi Djamboldi, fonde Baraboulé et s’y
installe.
15. Nommée Pella et dirigée par les Tarabè N’Boldi.
16. AppelCe M’Boula et dirigée par les Tarabè Adama
HISTOIRE DU DJELGODJI 27 1
17. Bien qu’il n’y ait pas eu de combat dans la partie centrale du Lorum.
18. Tongomayel, puis Aribinda furent les étapes de cette migration.
19. Problèmes provoqub par leur conversion, peut-être trop superficielle, à l’islam. Par exemple,
dans la tradition des Djelgobè, c’est le frère cadet qui succède au frère aîné (Riesman 1974: 113),
tandis que la religion musulmane prône la succession père-fils.
20. Ces marabouts étaient installés àOuro Saba près de Djibo (cf. infra carte 4).
272 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
Sanankoua 1990). Le xrxe siècle est marqué par une insécurité croissante.
Les auteurs 21 qui ont analysé la succession de conflits les interprètent de
façon différente. I1 y aurait eu deux conflits principaux, dans la première
moitié du siècle, dont les conséquences sur les dynamiques actuelles sont
fondamentales : les <<guerresde BarrabouléD (Izard 1985 : 99).
En 1805, la première guerre sainte au nord du Djelgodji, menée par le
Toucouleur Ousman dan Fodio, bâtit un empire à l’échelle du Soudan
central, vaste mais aux liens trop fragiles. Le Djelgodji sera compris dans
ce grand ensemble. À la mort d’Ousman dan Fodio (1817), la scission de
l’empire passe à l’est de Djibo, au marigot de Béléhédé (Menvielle 1896,
cité par Tauxier 1937 : 176) : royaume du Mali d’un côté, de Sokoto de
l’autre. Ces frontières sont assez théoriques et les <<possessions>> limi-
trophes, que ce soit le Djelgodji à l’ouest ou 1’Aribinda fulsé à l’est, sont
peu dépendantes du pouvoir central. Jusqu’aux années 1830, le Djelgodji
est donc pratiquement autonome. L’envoyé du Macina a été tièdement
reçu22.Le contact s’est cependant traduit par l’installation de deux garni-
sons symboliques, à Djibo et Béléhédé (marche orientale).
Mais les Djelgobè s’épuisent en querelles intestines. Vers 1830
(Ki-Zerbo 1987 : 253), un des prétendants à la chefferie de Barraboulé
supplanté par son frère cadet Amadou Alika, demande secours à la Diinn
qui envoie un corps d’intervention placé sous les ordres d’El hadj Moddi
Saïdou. Les forces djelgobè, enfin réconciliées face à ce qui est en fait
une tentative de domination directe, sont taillées en pièces. Le pays est
ensuite ravagé par les forces maliennes : Piladi, Filio, Tinié, Houbaye,
Béléhédé, Kobaoua (cartes 3 et 4)sont incendiés (Izard 1985 : 116). Des
négociations s’engagent alors, les Djelgobè tentant de se soustraire au
joug du Macina. Lassé de leur résistance, l’envoyé du Macina fait assassi-
ner les négociateurs : tous les notables du Djelgodji périssent. Le seul
rescapé, l’héritier de 1’Ardo de Djibo, demande alors l’aide du Naaba du
Yatenga, Naaba Totebalbo (1834-1850), pour chasser les occupants. Les
Mossi, inquiets de cette intensification de la présence du Macina à leurs
marches, s’empressent d’intervenir, rassemblent leurs troupes (Yatenga et
Ratenga) à Pobé Mengao, et repoussent pour un temps les troupes du
Macina. Les Mossi occupent alors provisoirement le Djelgodji. Mais les
exactions des vainqueurs sont telles que la révolte gronde bientôt chez les
Djelgobè qui harcèlent les Mossi provoquant le repli des forces du
Yatenga. La première << guerre de Barraboulé D (Izard 1985 : 117) est
terminée. Le Djelgodji renouvelle son allégeance au Macina (Sanankoua
1990), la Diina acceptant un statut particulier pour la région : le pays choi-
sira lui-même ses chefs, y compris ses percepteurs d’impôts.
21. Bâ & Daget 1984; Marchal 1980; Izard 1985; Tauxier 1917; Sanankoua 1990; Ki-Zerbo
1987.
22. Une expédition militaire du Macina, dont le but officiel &it de poursuivre un chef rebelle, est
passée par le Djelgodji au dCbut du XIXCsiècle (Izard 1985: 113; Sanankoua 1990).
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du Djelgodji, que Naaba Koalaga fit appel au << chef des Djelgobè >> contre
le Naaba de Kaya, ce qui constitue l’une des incursions << politiques >> les
plus méridionales pour le Djelgodji.
28. Peuls Barri de Banh (Nord-Yatenga)et Peuls maliens de la plaine du Gondo (Gallais 1975a).
29. Bataille de Bodoï-boï, perdue par les Djelgobè (Guillaud 1993: 100).
30. En 1827. après la défaite des Peuls du Liptako à Kissi (Delmond 1953), I’Oudalan tombe sous
la domination des Touaregs et leurs incursions méridionales deviennentplus nombreuses.
31. En 1898, ades réfractaires sont combattus par Destenave au Djelgodjin (anonyme 1931: 469).
En 1909, l’assassinat par les Dogon d’un administrateur-adjointà Bandiagara,provoque une agitation
chez les Peuls du Djelgodji (anonyme 1909,cité par Marchal 1980: 36).
32. ((Depuis que nous occupons la boucle du Niger, ce petit pays a forcement été négligé D
(C.Girodon, Rapports mensuels du cercle de Dori, 1900); <<notreaction en région peule est surtout
théoriquea (anonyme 1930, cité par Marchal 1980: 153).
276 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
sources écrites sur la région sont rares, les travaux (ceux des premiers admi-
nistrateurs ou de chercheurs plus récents) s’étant concentrés sur les grandes
entités voisines (Yatenga, Macina) et sur les chefs-lieux de cercle (Dori,
Ouahigouya). Il est remarquable de constater que les monographies sur les
deux cercles qui ont successivement englobé le Djelgodji (Dori et
Ouahigouya) effleurent à peine cette : le Djelgodji, terra incognita.
33. Cf. Tauxier 1917; Coutouly 1923; Delmond 1953; Franc 1958. C’est seulement en
janvier I949 qu’est établie définitivementla subdivision de Djibo,jusqu’alors rattachte à Ouahigouya.
Une année plus tard, avec l’arrivée du premier chef de subdivision,elle est divisée en quatre cantons:
Djibo, Barraboulé, Tongomayel, Bottodji comprenant dix-sept villages mossi ; en 1958, un poste
administratif està nouveau créé à Anbinda (Franc 1958: 14, 12).
34. aLes royaumes (Mossi) du Ratenga et du Rissiam (Tatenga)subissentau cours du XVIIICsiècle
des revers face aux Peuls qui réussissent às’opposer à leurs ambitions sur le Lorum et les environs de
Titao, (Benoit 1980: 31).
35. Elle amène les Tarabe Boubou àdéplacer trois fois leur chefferie: Oudouga, puis Ouendbpolli,
et enfin Barraboulésitut plus IL l’est.
t,
C
N
4
4
Carte 5. Migrations et occupation de l'espace du XIXCau xxe siècle.
278 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
Les deux (puis plus tard trois) ar6e sont en réalité chez les Djelgobè
des chefs de lignage. Ils ont souS.leur juridiction tous les membres de leur
lignage, c’est-à-dire concrètement tous ceux qui sont originaires de la
résidence de l’ardo (Bärraboulé ou Djibo). Ainsi les juridictions de l’une
et l’autre chefferies peuvent se superposer spatialement. Les juridictions
se calent sur les hommes, sur un ensemble de lieux habités plus que sur
des surfaces. L’organisation sociale, et donc foncière, peule s’appuie sur
l’origine de l’individu, sur ¡e lignage36. C’est l’homme qui est un enjeu de
pouvoir et non l’espace37. Cette organisation sociale répond à un mode de
vie pastoral et nomade, sans réelle attache territoriale. Elle n’est fonction-
nelle que lorsque la densité de population est assez faible pour permettre
des limites imprécises, que ce soit entre les deux chefferies ‘ou, surtout,
entre les différents points d’occupation de l’espace.
Or les Djelgobè, même si leurs troupeaux peuvent effectuer de très
longues transhumances, se sont sédentarisés en créant le Djelgodji, entité
spatiale fixe. Au Mali, la meilleure réussite de la sédentarisation peule a
tenu à la présence de très vastes espaces sans points d’eau et la constitu-
tion d’une organisation sociale nouvelle (fondée sur l’islam) et spatialisée.
Ici, la situation méridionale réduit les grands espaces inhabitables (climat
plus humide et populations agricoles proches) et la position marginale
empêche toute fédération réelle avec des populations peules voisines qui
connaissent des changements politico-religieux.
Des chefferies distinctes sans unité politique, un mode d’organisation
territoriale se fondant sur les hommes plus que sur les espaces : ces carac-
téristiques du Djelgodji sont les racines historiques des modes actuels
d’occupation de l’espace.
Tout comme les populations peules voisines du Nord-Yatenga (clan
Barri), les Djelgobè ont conservé de par leur marginalité une organisation
socio-culturelle peu adaptée à la sédentarisation et à la densité démogra-
phique croissante qui en découle. Mais ces antécédents vont être modifiés
par un nouvel événement historique capital, la colonisation.
36. << L’éloignement géographique n’a pas de signification symbolique préétablie [...I il y a
comme un réseau d’hommes liés entre eux par la parenen (Riesman 1974: 51).
37. On retrouve cette logique au niveau du village (wuro):tout emplacement d’une ((unité possé-
dant un homme reconnu comme [son] chef, et dont les membres sont liés [...I s’appelle un wuro [...I
Au sens le plus large, tout groupement qui se pense communauté est un wuro. Même un groupe de
voyageurs, s’arrêtantla nuit, crée un wuron (Riesman 1974: 39).
HISTOIRE DU DJELGODJI 279
dans une moindre mesure fulsé, qui fuient les travaux forcés et les impôts
instaurés plus au sud par l’administration coloniale.
La population mossi provient au début essentiellement du Yatenga41.
Cette dynamique s’accroît avec le démantèlement de la colonie de Haute-
Volta (1932) et le rattachement du Yatenga au Soudan, tandis que les
régions au sud du Djelgodji (cercle de-Kaya) sont associées à la Côte
d’Ivoire. La pression et les exactions coloniales sont plus fortes en Côte
d’Ivoire (plantations, chemin de fer) et les populations fuient vers les
régions septentrionales globalement plus épargnées (Soudan frangais) et
localement plus inaccessibles (Djelgodji). << Tout le secteur sud des
cantons de Tongomayel, Djibo et Barraboulé est le refuge des indépen-
dants Mossi, tant du cercle de Kaya que de Ouahigouya et même de
Koudougou42. >> Jusqu’en 1938, les rapports administratifs abondent de
références sur cette situation.
41. aLe. Yatenga Naaba et les quatre chefs de la province soumettent le problème du nombre de
Mossi qui, depuis quelques anntes dkjà, vont se fixer dans le sud des cantons peul de Djibo pour
tchapper aux obligationsn (anonyme 1929, cit6 par Marchal 1980: 139).
42. Anonyme 1930, cité par Marchal 1980: 154.
43. I1 existait déjà des p r h i c e s pr6coloniales de cette attitude dans l’alliance de Djibo avec le
Yatenga contre Barraboult.
HISTOIRE DU DJELGODJI 28 1
Enclave administrative
44. Respectivement: Bangahart, Sé vers 1930, puis Gomdt; Borguiendé vers 1936, So vers 1924,
Noufoundou dans les annbes 1930.
45. S t , Gomdé, Borguiendb, Noufoundou en 1952.
282 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
46. I1 s’agit uniquement de ceux situés au sud de la province. On recense alors 14783 migrants
<<nedépendant d’aucun groupement,, (Marchal 1980: 188).
47. Jusque-là, les immigrants mossi font administrativement partie de la localité de Djibo, ce dont
a Mnéficié I’ardo de Djibo.
48. La limite est le bas-fond qui court d’est en ouest au sud de Tongomayel.
49. Digue1 (Dogon), Nassoumbou (Songhaï) et Koutougou (Fulsé).
50. En 1947, elle réussit à faire intCgrer dans son département Noufoundou à l’ouest, Sé et
Tondiata àl’est. En 1953, c’est Pétéga et So, fractions de la maison de Barraboulé, qui sont ainsi
récupérés, provoquant la migration vers le Mali de groupes peuls (Gallais 1975a: 151) originaires de
Barraboulé.
HISTOIRE DU DJELGODJI 28 3
51. Prenons le cas de la chefferie de BarraboulB. Ce phtnomène est très bien dtcrit par Riesman
(1974: 37): <<leslignages aînés se trouvent plus près de Barraboulé, tandis que les lignages puinCs
s’en trouvent de plus en plus éloignés, vers l’est et le nord-est)).
52. Tarabè Boubou, Tarabè Pât6, Tarabè Belco, TaraG Sambourou,Tarabè Sambo.
284 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
Le départ des grands éleveurs vers le Mali est resté dans les mémoires.
Ce sont les Tarabè Boubou, pasteurs réputés et évincés de leur rôle prédo-
minant sur la province, particulièrement dans -les zones de Pétéga et de
Tongomayel, qui constituent la force vive de ce grand mouvement
toujours en cours. Beaucoup s’installent dans la région de Hombori, au
Mali, près de leurs lieux d’origine : des Tarabè Sambourou en 1940, des
groupes originaires de So en 1950, sous la pression.de Djibo. D’autres
Djelgobè nomadisent du nord-est de la province jusqu’à l’est de la mare
de Soum (région de 1’Oudalan) et s’y installent vers 1908. Certains
d’entre eux aboutiront plus tard au Mali, très loin jusqu’à l’est d’Ayorou
sur la rive gauche du Niger pour quelques groupes (Gallais 1975a : 151).
Les marches nord et sud de l’Aribinda, inoccupées par les Fulsé-Songhaïs,
sont elles aussi progressivement colonisées par des Tarabè Boubou origi-
naires de Tongomayel. Lorsque la chefferie artificiellement créée par les
Français passe sous la tutelle des Tarabè Adama, les pasteurs Tarabè
Boubou se déplacent vers le nord-est, où ils se mêlent aux mouvements
déjà évoqués et, vers l’est. Une << chefferie >> (djorro) est même installée à
Yalenga, avant-poste repris sur Aribinda, dont dépendent les installations
de Houbaye et Djika. Dans chaque cas les mêmes conditions président au
départ : tensions sociales et raréfaction des pâturages.
Les mouvements des anciens assujettis, les Fulbè Kelli, sont plus diffi-
ciles à restituer à travers la tradition orale des Djelgobè. Nous avons pu
localiser deux zones de regroupement de ces populations dans le Djelgodji
à la fin du X I X ~ les
, mêmes que celles des descendants des Tarabè N’Boldi :
le nord-est de la zone de Barraboulé (Quinquard 1974 : 31-32) et la région
de Tongomayel (Guillaud 1993 : 280-282). Les Fulbè Kelli sont d’ailleurs
toujours présents au nord de Pétéga (Riesman 1974 : 34). D’autres migra-
tions de ces Fulbè Kelli partent de la région de Tongomayel : la création
d’une nouvelle chefferie a dû, pour eux aussi, précipiter le départ.
En se basant sur les concordances géographiques relevées avec les
Tarabè N’Boldi, une hypothèse peut être avancée : ces populations assu-
jetties auraient été surtout liées à la fraction traditionnellement dominante,
c’est-à-dire la branche aînée de Barraboulé. La déstabilisation de cette
fraction par les Tarabè Adama pourrait avoir précipité le départ des assu-
jettis (affranchissement ou solidarité?). Si cette hypothèse se vérifiait, elle
renforcerait l’importance des situations précoloniales sur la migration
contemporaine.
La migration diffuse des Fulbè Kelli, débutée dès l’arrivée des Djelgobè
dans l’ancien pays songhaï-fulsé, semble avoir essentiellement visé des
<< retrouvailles >> avec ce groupe socio-culturel Songhaï-Fulsé : pays
d’Aribinda oÙ de nombreux pasteurs, assurément Kelli53, cherchent une
53. Soulébè et Sampargoubè, apremien Peul du Djelgodji,, dans les annees 1920, Kanankobè,
((venus de la zone songhaï et encore très li& B eux n dans les ann6es 1930, etc. (Guillaud 1993 :
280-282).
HISTOIRE DU DELGODJI 285
54. Le nomadisme, G technique tchappatoire aux dominations politiques n (Gallais 197%: 194).
286 PATRICK D’AQUINO & SAÏDOU DICK0
55. Le confinement spatial du <<temtoire>> de Djibo limite les possibilités pastorales; son dévelop-
pement comme centre administratif, puis urbain et commercial (marché au bétail) induit une
diversification des activités.
56. Gallais (1975a: 195) remar ue le glissement des Djelgobè vers de nouvelles lignes de
1
faiblesse: <<letrépied des lignes inter- tats Mali, Haute-Volta,Niger,.
57. Détruisant le Macina, pacifiant les groupes dogon du nord et les Touaregs du nord-est,
l’occupant français a facilité ce redeploiement des pasteurs vers le nord et l’est.
-TL FREDHANSEN
Le califat de Sokoto fut, au xrxe siècle, l’un des plus vastes empires de
l’Afrique sub-saharienne. I1 fut fondé au début du siècle par des adeptes
du jihad,la guerre sainte musulmane, conduit par Usman dan Fodio : sa
formation fut, dès l’origine, un résultat de ce jihad. Pourtant, la conquête
religieuse avait aussi des fins séculières. La plupart des historiens soutien-
nent que le califat fut entretenu et consolidé par la force militaire. Ils
maintiennent que le califat n’était pas principalement lié par la religion et
le rituel, mais que c’était une entité guerrière’.
Je fais l’hypothèse que le califat était unifié par le biais d’échanges
rituels, et que le pouvoir guerrier et administratif n’était pas centralisé
mais distribué entre des centres périphériques, et je le démontrerai en
appliquant à Sokoto la théorie de I’État segmentaire. Si l’on admet que le
califat était un État segmentaire, une recherche apparemment inconsis-
tante devient claire, et de mon raisonnement découle une explication
quant à la nature de la conquête puis de l’administration coloniales.
* Je remercie Pamela Price et Jean Boutrais pour leurs utiles commentaires d’une version anté-
rieure de cet article. Je remercie également le Conseil norvégien de la Recherche de son aide
financière qui m’a permis de menerà bien ce travail.
1. Kirk-Greene 1958; Johnston 1967; Sa’ad Abubakar 1977;T.H.Bah 1986.
288 ICETIL FRED HANSEN
particulier reposait entre les mains d’un groupe spécifique fandis qu’un
pouvoir central exerçait son autorité sur toute l’étendue de 1’Etat.
Plusieurs chercheurs ont recouru au terme << féodal >> pour décrire les
États africains : ainsi Nadel compare explicitement la société nupe à la
féodalité de l’Europe médiévale, tandis que Passarge, un administrateur
colonial allemand, et les gouverneurs français Marchand et Delavignette,
s’exprimaient de façon identique à propos du califat de Sokotoz. Tous ces
discours recèlent un même point de vue comparatiste et évolutionniste :
les États africains du xrxe et du X X siècle
~ sont comparés à ceux qui ont
existé en Europe huit cents ou neuf cents ans plus tôt ;en somme, l’Afrique
aurait huit à neuf siècles de retard par rapport à l’Europe.
Toutefois, nombre d’auteurs se sont servi du concept de féodalisme à
propos des empires africains sans les comparer explicitement à des Etats
européens médiévaux : il en est ainsi du Rwanda et du Baganda (Goody
1963). D’autres, encore plus nombreux3.,soutiennent que Sokoto était une
société féodale où le calife était le <<roiD et les émirs ses vassaux. La
question demeure ouverte de savoir s’il est possible d’user du concept de
<< féodalisme D tout en évitant l’eurocentrisme et l’évolutionnisme. Ceci
fait partie d’un débat plus général portant sur le fait de transposer en
Afrique, de façon légitime et fructueuse, des concepts élaborés en Europe
et pour elle. Certains estiment que pour se livrer à des comparaisons, les
historiens ont besoin de concepts communs et que la comparaison est un
exercice utile; d’autres se défient de l’application de tout un ensemble de
perceptions et de notions puisées dans l’histoire européenne. C’est préci-
sément sur ces bases que Goody (1963 : 11) estime que << there appears
little to be gained by thinking of African societies in terms of the concepts
of feudalism D. I1 nous faudrait plutôt élaborer des concepts spécifiques,
propres à l’analyse des sociétés africaines.
Une démarche qui se révèle fructueuse consiste à comparer les institu-
tions, les structures ou les idéologies. Le concept de féodalisme est chargé
d’une grande pluralité de sens, selon qui en use et selon le contexte. I1
serait sans doute possible d’en donner une définition suffisamment large
pour être admise par tous ;peu, cependant, la trouveraient rentable ou
féconde. Ceux qui ont parlé du califat de Sokoto comme d’un état féodal
sans le référer pour autant à l’Europe médiévale y ont décelé des simili-
tudes avec certains traits du système féodal : une agriculture largement
autosuffisante, une petite classe dirigeante disposant de la supériorité
militaire, enfin des relations politiques fragmentaires, fondées sur un
2. Nadel, 1954; Passarge, 1895; Archives nationales du Cameroun (ANC), Yaoundé, série 2 AC,
no 8534, Lettre du haut-commissaire Marchand au chef régional i NgaoundérC, 20 juin 1924 ;
R. Delavignette, <<Lapsychologie des Africains, des primitifs aux évolués >>, conférence i 1’8cole
supérieure de Guerre, 21 février 1957 : il y souligne que <<leseigneur musulman des savanes afri-
caines apparaît en pleine Afrique actuelle comme un Modal de notre 13 siècle D.
3. Rudin 1938 : 110; Kirk-Greene 1958 : 25; Tougueri 1959 : 1 ;Johnston 1967 : 166,266;
Hatch 1971 ;T.H. Bah 1986 : 4 ; Abwa 1989 : 153.
LE CALIFAT DE SOKOTO 289
4.Sur le asystème lignager segmentaire,, cf. Horton 1975. Sur les Mbororo. cf. Dupire 1970;
Bocquené 1987.
290 =TIL FRED HANSEN
État pour arriver aux États segmentaires, en Inde, Stein (1991 : 219) prit
comme point de départ des États qui, auparavant, avaient été considérés
comme unitaires ou féodaux et conclut qu’ils étaient segmentaires.
. Southall et Stein sont récemment tombés d’accord sur ce qu’impliquait
le concept d’<< État segmentaire B. Leurs définitions initiales n’étaient pas
vraiment différenteS.mais tous deux ont trouvé nécessaire de les préciser ;
aucun d’eux n’a exprimé de désaccord avec les singularités théoriques de
l’autre. I1 est par conséquent justifié de résumer leurs caractérisations et
leurs définitions d’un État segmentaire, de 1956 à 1991 (Southall 1956,
1988; Stein 1980, 1991).
Nous aurons une vision plus claire de l’État segmentaire si nous exami-
nons de quelle manière il change de forme. Un Etat segmentaire peut se
transformer en un seul État unitaire ou en plusieurs petits États unitaires.
Ceci a lieu si l’autorité et la force rituelle du chef prééminent décroissent
ou bien si est instauré un système fiscal pérenne. Le droit royal de
propriété sur la terre ou le développement d’une bureaucratie salariée
précisément définie sont aussi des facteurs contribuant à la transition d’un
État segmentaire vers des structures étatiques unitaires (Southall 1956 :
260-263). Nous pouvons penser que ceci survient dans des États segmen-
taires qui entreprennent leur modernisation : la construction des voies de
communications, l’accroissement de la mobilité sociale et géographique,
la sécularisation et Ia bureaucratisation mettent en question l’hégémonie
rituelle d’un chef traditionnel. En pareil cas c’est le fondement de l’exis-
tence de 1’État qui disparaît également.
La théorie de 1’État segmentaire est une théorie opérationnelle qui nous
permet de mieux comprendre certaines sociétés. Si cette théorie est appli-
quée au califat de Sokoto elle apporte des explications à un certain
nombre de sujets controversés : comment le califat dans son entier s’est
ordonné et comment fonctionnaient les différentes parties. Cette théorie
nous permet une meilleure compréhension de certains problèmes et de
certains conflits qui surgirent au début de l’ère coloniale ; elle explique
aussi l’autorité que détiennent aujourd’hui encore les sultans.
6 . Paden (1986) range sous l’appellation commune de <<DistrictHead n tous les sous-&mirsdu
califat. Je préfere utiliser lami&, même si ce terme n’avait cours que dans les segments où lefuljìulde
servait de lingua franca.
294 KETIL FRED HANSEN
7. Sur le segment de I’Adamawa, cf. Morgen 1893; Passarge 1895; Zintgraff 1895.
8. I1 faut se souvenir que les diffkrents segments du califat se sont dkveloppCs diffiremment à
diffkrents moments.
LE CALIFAT DE SOKOTO 295
from the Sokoto Caliphate, gave Sokoto the power it did not have
militarily >>, Tous les émirs respectaient l’islam et la loi musulmane. Ceux
qui ne-reconnaissaient pas le calife de Sokoto comme leur supérieur
étaient tenus pour incroyants. Ceci donnait au calife un grand pouvoir.
Adeleye (1971 : 3-7) souligne également que l’unité du califat reposait
avant tout sur la loi islamique et non sur une puissance militaire commune.
I1 développe ainsi ce thème :
<<Inan age of slow communications, the enormous distances [1350km de Sokoto 2
Yola] between the various Emirates and Sokoto did not render administrative control
from the centre easy. Yet it was possible through the application of Islamic norms of
State organisation to evolve a structurally coherent administrative system for the
Caliphate. In the arrangements that emerged, the Caliph was the effe.ctive source of all
authority and, certainly, the common bond which held the component parts together as
one polity. >> (Ibid.:38.)
9. En 1994. il a vraisemblablementchange d’opinion puisqu’il krivait (in Bumham & Last 1994 :
318) : <<itis much facile to assume a single stereotyped form of government that could be taken as the
norm for the Sokoto Caliphate,.
296 KXTIL FRED HANSEN
par Richard East au Nord-Nigeria dans les années 1930 traduisent aussi
par certains de leurs aspects la similarité structurelle des différents
segments du califat. C’est ainsi que East traduit (c Lamido Julbe par ))
10.Njeuma 1989 : 11. Les critères qui ont servi à définir un lamidat ont connu de grandes varia-
tions chez les administrateurs coloniaux et les chercheurs. Tandis que certains ont soutenu que Yola
était le seul véritable lamidat et que lui seul avait des urdo’en sous son autoritt, d’autres parmi les
plus ((extrêmes n ont considéré que tous les groupes ethniques politiquement organisés de façon plus
ou moins indépendante constituaient des lamidats indépendants. J’ai décidt d’appliquer le terme
<<lamidat>> aux zones gouvemées par un urdo, ou lamido, qui était sujet de 1’6mir de Yola.
11. Last 1967 : 97; Adeleye (1974 : 89) : aThe Shaika, like the Prophet Muhammad, laid down no
clear-cut procedures for succession to the office of (< caliph n. Similarly, succession systems and
LE CALIFAT DE SOKOTO 297
office-holding in the emirates remained in flux D ; Paden (1986 : 58) : N In theory, if not always in
practice, the succession to leadership in the caliphate [...I is a competitive process among the broad-
est possible cohorts of “extended family” candidates, of all ages and backgrounds and lineage
relations to the incumbant.a
12. ANC, Yaoundé, V.T.17/203, Lettre de Baba Yerima au haut commissaire, via I’administra-
teur colonial à Garoua, 2 novembre 1922.
298 KETIL FRED HANSEN
La cérémonie d’investiture
13. East 1934 : 84-87. I1 existe nombre de cas de décès extrêmement a inattendusn parmi les
émirs et les luni¡&. I1 n’était pas inhabituel d’empoisonner un émir ou un lamido impopulaire.
300 KETIL FRED HANSEN
transmits to the initiate [...] the blessing inherited from the Ptophet B, Ce
qui est important ici repose dans l’investiture et son maître spirituel, qui
apenetrates the most intimate thoughts and needs of the initiate and
becomes “his real father”>>(Bosworth, van Donzel et al. 1986,
vol. 5 : 17-18).
-En Inde, dans les royaumes musulmans Mughal, un échange identique
de présents signifie << an.act of incorporation >>. Selon Bernhard Cohn,
<<therecipient was incorporated through the medium of the clothing into
the body of the donor >>. Ceux qui recevaient de tels vêtements du Mughal
ne devenaient.pas seulement les serviteurs du roi mais aussi, rituellement,
une part de lui-même : ils partageaient sa souveraineté. En acceptant ces
vêtements, on reconnaissait l’empereur Mughal comme son supérieur et
on lui faisait allégeance (Cohn 1983: 168-170).
Le peuple ne reconnaissait pas les émirs ni les lam& avant qu’ils aient
participé à cette cérémonie. Une fois qu’ils l’avaient accomplie, ils deve-
naient << le représentant de Dieu, le << Commandeur des croyants >>. La
souveraineté étant d’essence divine, le chef idéal est nanti d’une véritable
bénédiction divine, << risku D, qui se traduit par la chance et la prospérité D
(Boutrais 1984 : 245-246). Au terme du rituel, le lamido prétendant deve-
nait un roi divin. Les caractéristiques de l’émir comme chef, sa puissance
et sa divinité, étaient transmises au lamido par l’offrande du boubou et du
turban. Le boubou et le turban recouvraient complètement le récipien-
daire. Ils le dissimulaient en tant que personne, dans le même temps où ils
l’incorporaient à la personne du donateur.
Le lamido de Ngaoundéré reçut de l’émir de Yola un boubou vert
(Passarge 1895 : 269). Pour les musulmans, le vert est la couleur la plus
vénérée : celui qui porte du vert est parvenu au plus haut niveau possible
pour un musulman - il est devenu un <<messager >> d’Allah (Baldick 1989 :
95). La relation entre les émirs et les lami6e était identique à celle du
calife aux émirs. Adeleye (1971 : 83) la dépeint en ces termes :
<<Theultimate dependence of each Emir on Sokoto [...] for his appointment and conti-
nuance in office, was a guarantee of loyalty to his overlord and of equitable rule in his
province. The importance of this factor to the unity and the preservation of the
Caliphate can hardly be overstressed. That Sokoto was the source of ultimate power
and authority in the Caliphate gave a semblance of centralisation to the govemment of
the Caliphate. In theory this centralisation was indeed real, but in practice, as long as
an Emir kept within the limits imposed by the constitution by fulfilling his obligations
both to his overlord and his subjects, he remained virtually independant of control
because by acting correctly he rendered intervention by Sokoto unnecessary. >>
La notion de hiirde
Le terme hiirde vient du verbe hiirgo qui revêt deux sens : d’une part, il
signifie << être le soir D, il a alors rapport au temps et exprime un moment
306 SAÏBOU NASSOUROU
un public sélectionné. L’entrée dans la case est payante pour les hommes.
Quant aux femmes, elles sont choisies en fonction de leurs qualités
personnelles. Ce sont toutes, en principe, des femmes <<libresD, c’est-à-
dire dégagées des obligations du mariage. Cependant, des femmes mariées
en fugue ou celles venues visiter leurs parents peuvent participer à cette
forme de hiirde. Le mari mécontent n’y peut rien et, surtout, n’ose pas se
faire entendre dans le village de ses beaux-parents. Certains chefs de
village se montrent partisans de la pratique. On cite, par exemple, Ardo
Dalil de Yonkolé qui aimait à rappeler aux jeunes de son village : << Consi-
dérez comme “libre” toute femme en fugue ou en simple voyage qui entre
dans Yonkolé’. D La participation des hommes n’est pas restrictive : y
assiste tout homme qui le désire, marié ou non. I1 est seulement interdit
aux enfants de se joindre à leurs dnés.
La troisième forme de hiirde peut commencer le jour pour s’achever
dans la nuit. I1 a lieu sous la direction bienveillante de responsables élus
des jeunes, choisis parmi les hommes et les femmes en fonction de leur
moralité, sagesse, savoir-vivre et de leur connaissance de la culture peule.
Le genre musical qui caractérise cette forme du hiirde est le dummbo.
I1 est joué par un orchestre dirigé par un chef (ardo). L’ardo joue d’une
petite guitare (moolooru),tandis que les autres musiciens tambourinent
sur des calebasses retournées contre le sol. Le rythme donné par le jeu des
calebasses est dit kara. Tout en jouant de la guitare, le chef chante surtout
des louanges. I1 est accompagné par un maabaajo. Celui-ci est son guide
et sa mémoire : il lui rappelle les détails de composition de chaque chant
de louange. Les autres membres de l’orchestre, les joueurs de kara,
reprennent un refrain qui accompagne chaque composition. Le dummbo,
musique instrumentale (moolooru et kara), est le genre typique et exclusif
de cette troisième forme de hiirde, riche en appellations : sukaaku
(e jeunesse >>), mais également mugaama, flaaba, njoonde ou encore
mustaadaha.
Le sukaaku désigne le jeu que mène un homme pour conquérir une
femme ou que celle-ci conduit pour conquérir un homme dans le cadre du
hiirde. Ce jeu consiste pour chaque intervenant à dépenser plus et à se
montrer meilleur maître de la parole que son rival. I1 impose aussi une
stricte discipline. En effet, dans le cadre du sukaaku, il est interdit de
parler sans autorisation du responsable du hiirde, et celui qui la reçoit doit
s’exprimer correctement, sans faute et sans lapsus.
Au travers de ces différentes formes, le hiirde apparaît comme un jeu,
un divertissement auquel s’adonne un public de jeunes, une fois dégagés
1. Yonkolé est un petit village du lamidat de Meskine, proche de Maroua. Son chef, Ardo Dalil
était rkputé pour son courage et son franc parler exceptionnels. L’autorisation qu’il donnait aux jeunes
de hiirde d’inviter une femme, même mariée, venant d’un autre village n’est que la reconnaissance
d’une pratique courante. En général, un mari qui surprend sa femme dans le hiirde, recourt rarement B
la violence ou à la justice du h”&, mais il essaie simplement de récupérer sa femme, parfois juste
h la fin de la siance.
308 SAÏBOU NASSOUROU
Par cadre social du hiirde, nous entendons tout ce qui concourt à cette
manifestation : les lieux où elle se déroule, puisque le hiirde varie en fonc-
tion de son cadre spatial, les principaux acteurs, les biens socialement
valorisés dans ce contexte.
L’alkaali est le principal responsable du hiirde. I1 est élu par ses pairs,
les jeunes qui, au préalable avertissent le laamiido de leur intention.
L’alkaali est choisi en fonction de ses qualités intellectuelles et morales,
également de ses aptitudes de rassembleur. I1 conduit le hiirde, rend la
justice, prend des sanctions (mais il ne faut pas le confondre avec l’alkaali,
juge à la cour du laamiido). L’alkaali chef du hiirde est aussi appelé
sarkin samaari (terme haoussa : << chef des jeunes D) et chez les Mbororo,
Peuls nomades, il se nomme laamnga sukaaku, le grand chef du sukaaku.
Responsable de la conduite des jeunes, il reçoit son investiture de l’ardo,
guide des lignages, en ces termes : <<Jete confie ces jeunes, veille sur eux,
partout où ils se trouvent, à la danse, à la cérémonie d’imposition du nom ;
qu’ils se comportent dignement P.
L’alkaali règne indistinctement sur les jeunes gens et les jeunes
femmes, mais avec un homologue ou plutôt un substitut auprès des
femmes, la sarkin-maata (en haoussa: <<chefdes femmes n). L’alkaali est
donc toujours un homme et la sarkin-maata toujours une femme. Elle
gère la conduite des femmes dont elle est le porte-parole auprès des
hommes. Elle joue aussi le rôle de mère, de conseillère et d’éducatrice des
jeunes femmes adeptes du hiirde. Sa case sert le plus souvent de lieu de
rencontre des jeunes et d’organisation du hiirde-sukaaku.
Le guraama*, toujours choisi parmi les hommes, est le proche collabo-
rateur de l’alkaali chargé des relations avec les femmes. C’est un
intermédiaire qui permet le dialogue entre l’alkaali et la sarkin-maata en
particulier, entre les hommes et les femmes en général. Dans le hiirde-
sukaaku, le guraama transmet les cadeaux et les paroles des hommes
auprès des femmes et vice-versa.
Le sarkin-dare (en haoussa : <<chefde nuit >>)est chargé d’assurer la
sécurité du hiirde en effectuant des rondes autour du lieu de la cérémonie.
2. Dans les provinces de l’Adamaoua et du Nord, le guraama est appel6 lawan, titre A ne pas
confondre avec le lawan, premier vassal du laamiido.
LE HIIRDE DES PEULS DU NORD-CAMEROUN 313
I1 veille surtout à empêcher les rencontres entre les hommes et les femmes
en cachette, c’est-à-dire en dehors du cercle du hiirde. I1 a le pouvoir de
perquisitionner la case d’un jeune, suspecté d’ignorer cette règle. Sa
mission est d’interdire les unions illicites, c’est-à-dire non autorisées par
l’assemblée du hiirde. Le << couple >) qui se fait surprendre par le sarkin-
dare est immédiatement traduit devant le << tribunal >> du sukaaku.
Le ustooku a pour fonction de plaider en faveur des inculpés afin d’al-
léger les sanctions prises à leur encontre.
Le sankara est le serviteur du hiirde chargé de distribuer les noix de
kola aux participants. C’est parce qu’il est un <<casseur>> (distributeur) de
noix de kola qu’il a reçu ce nom de sankara, terme qui désigne aussi une
certaine maladie de la noix de kola.
Les tuuse’en (sing. tuuseejo) forment un conseil de sages qui entoure
l’alkaali et son équipe. Ce sont des personnes suffisamment avisées sur
les questions de hiirde, car en ayant une longue expérience. Elles sont non
seulement des conseillers de l’alkaali et de son équipe mais aussi, en cas
d’errements, des interlocuteurs suffisamment habiles et respectés pour
pouvoir orienter le hiirde dans le droit chemin.
Le govornel, du français << gouvemeur est choisi parmi les tuuse’en.
Les questions qui embarrassent l’alkaali sont remises à son jugement
mais, dans la pratique, ses fonctions sont surtout honorifiques. La compé-
tence d’un govornel peut couvrir plusieurs <<territoires>> administrés par
différents alkaali’en,
Le hiirde en scène
Le cas du hiirde-fijirde
Le cas du hiirde-sukaaku
Socio-psychologie du hiirde
Qui participe au hiirde ? Quels sont les effets du hiirde sur ses acteurs ?
Que recherchent les adeptes du hiirde ?
L’analyse sociologique des acteurs de hiirde montre que les principaux
adeptes de ce jeu sont issus en majorité de bonne famille, fils ou fille de
LE HIIRDE DES PEULS DU NORD-CAMEROUN 317
à rappeler à leur enfant : <<Situ te laisses vaincre par ton rival au hiirde, ne
reviens pas me retrouver ici. >> Certaines épouses disent la même chose à
leur mari qui se rend au hiirde.
La victoire ou la défaite sur une scène du hiirde ne conceme pas seule-
ment les deux individus qui se sont directement affrontés ; elle touche un
ensemble de familles, de relations et de villages.
Littérature et identité
1. Une approche interdisciplinaire, comme celle effectuCe par LCvi-Strauss (1977) dans un
Séminaire sur l’identité, n’est bien entendu pas possible dans le cadre restreint de ce travail ;cf. pour
des recherches récentes dans une perspective interdisciplinaire, par exemple, Amselle 1990 ; ou
Jolivet & Rey-Hulman 1993.
2. En filigrane et sans l’exprimer toujours de manière explicite,l’approche ethnolinguistique de la
littérature orale s’intéresse à la problCmatique identitaire; cf. par ex. Derive 1986-87; Calame-Griaule
1987; Baumgardt 1988,1991,1994b; ou Görög-Karady 1994.
324 URSULA BAUMGARDT
Littérature orale
Genres littiraires
Constructions d’identités
Fonctionnement narratif
7. Je prendrai en considkration les contes peuls du Cameroun dans leur ensemble (cf. Eguchi
1978-1984; Noye 1980,1982,1983). Cependant, les exemples cit6s proviennent du corpus de contes
que j’ai collect6 au Cameroun entre 1986 et 1991 (Baumgardt 1994a).
328 URSULA BAUMGARDT
femme]. Le roi sursauta et lui enleva le bonnet. Le jeune homme revint et. dit ?i son
ami : <<Aujourd’huije suis tombé surle roi. I1 me tuera demain matin. - I1 ne te tuera
pas >>, lui dit-il. .
Exemple 2
Un chasseur partit à la recherche d’une femme. Cet homme était rapide, il tirait à l’arc.
[...] I1 tirait à l’arc. I1 vint B rencontrer une femme. La femme de son côté était partie à
la recherche d’un homme rapide.
Exemple 3
Un roi avait un fils, un enfant unique. Il grandit. Chaque fois que les gens venaient à la
cour et qu’ils saluaient le roi, ils se saluaient entre eux en disant : <<Etla misère du
monde ? - Ça va mieux. >> Le temps passa. I1 entendait cela. I1 dit ?i son père: << J’irai
voir la misPre. n
Exemde 4
C’était un homme; il avait vingt esclaves. C’est bien cela, deux fois dix esclaves ! I1
avait unfils, un seul. L’enfant grandit et devint pubère. Le père fut pris de fièvre. I1
appela les esclaves et dit : Je vais mourir. Après ma mort, je vous en prie, au nom de
Dieu, prenez soin de mon enfant jusqu’à ce qu’ilfonde une famille. - C’est bien >>,
répondirent-ils.
Le père mourut. Le temps des condoléances était ?i peine passé que les esclaves se
réunirent tous, ils vinrent et dirent : <<Nousne t’aimons pas. Tout comme le prophète
Mohammed n’aime pas le mécréant, nous ne t’aimons pas. - Qu’est-ce que j’ai fait?
- Rien, répondirent-ils, nous ne t’aimons pas. - C’est bien>>,dit-il.
On pourrait multiplier les exemples, mais dès à présent, plusieurs
observations sont possibles.
8. Les noms des personnages - indices identitaires importants -ne sont pas pris en considkration.
LITI%RATURE ORALE ET IDENTITÉ 329
Détermination symbolique
Réalisme de l’histoire
Après la définition des personnages dès les premiers mots, que font les
contes? Ils racontent l’histoire qui est censée être arrivée à ces person-
nages. Sans exclure le merveilleux, les histoires obéissent à une certaine
forme de réalisme, car les personnages sont réunis dans des constellations
précises, ce qui, à son tour, influence les <possibles
i narratifs >> (Bremond
1973) :
- les histoires à Co-épouses traitent des relations entre les femmes
d’une part, les femmes et leur mari d’autre part,
- la relation orpheline-marâtre focalise le statut de l’enfant, ainsi que la
relation mère (absente)/enfant,
- et prince et roi sont en relation pour régler la succession du roi.
À travers une constellation de personnages, on assiste à la définition
réciproque de deux personnages dans une relation précise, ce qui confère
une identité relationnelle à chacun. Celle-ci se définit d’abord par rapport
au même dans une perspective de comparaison : quel est le comportement
de deux amis, de deux frères, de deux sœurs? Elle est thématisée égale-
ment par rapport à l’autre, notamment l’autre sexe et l’autre âge. Ainsi,
des contes qui mettent en scène seulement des personnages d’enfant, ou
seulement un homme vieux et une femme vieille, ne sont pas attestés dans
le corpus, ce qui permet la lecture suivante : entre vieux, il n’existe pas de
relation qui pourrait être racontée ; entre enfants, non plus.
Possibles narratifs
Il‘llustrationdes conflits
Changements d’identités
Ce cas conceme une princesse qui, pour venger un affront subi par son
père, se déguise en homme. A travers les différentes épreuves, le <<princeD
illustre ce qu’un homme de son statut social doit pouvoir accomplir: réus-
sir des épreuves d’équitation, savoir discuter avec ses pairs, faire preuve
d’une sexualité vigoureuse (déflorer une esclave vierge), être capable
d’affronter un rival et pouvoir faire la guerre.
Le déguisement sert ici de prétexte narratif à l’illustration des traits
masculins du personnage. En les regroupant avec les indices narratifs des
contes mentionnés plus haut, on peut établir le <<portrait>> de l’homme
idéal, le noble, tel qu’il apparaît dans ce corpus de contes. I1 doit être
reconnu de son père, le roi (filiation). I1 dispose de richesses suffisantes
pour exercer le pouvoir et pour satisfaire sa femme. I1 est à l’abri d’une
épouse traîtresse ou méprisante et il établit au contraire une relation de
confiance avec sa femme. À cela s’ajoutent les qualités de virilité et d’in-
tégrité morale. Cette dernibre est illustrée à travers les conséquences
tragiques de la transgression d’interdits.
Perte d’identité
ANNEXE
Résumé des contes cités
1,Le fils du roi et le fils de l’homme uauvre
Un prince vit avec son ami, le fils d’un pauvre, dans le palais du roi. Son ami rend visite à ’
1. Lire ((notion de ... >>.Sauf indication contraire, les exemples s’appliquent aux parlers de
1’Aadamaawa(Nord-Camerounet régions pgriphériques). Abréviations: ACC = accompli; CL (ou CI)
= classificateur; dériv. = dérivatif; P = passif.
2. Les morphèmes nominaux d u peul connaissent des variantes combinatoires. On aura par
exemple dans la classe NGOL les formes suivantes: -01 (comme dans laaw-o1 aroute, chemin,,), -wol
(comme dans guara-wol fil>>),-gol (comme dans ka66or-gol (([corde] servant à attacher; attachen)
((
et -ngol comme dans kon-ngol ((mot; phrase D. Dans la classe ‘BE, ce sera -6.5 (comme dans Ful-Ge
ales Peuls,) et -‘en (comme dans Hawsa-’en cles Hawsa,). Ces différentes formes sont convention-
nellement classées en quatre séries paradigmatiques connues sous le nom de <<degrésde
classificateurs>>.
338 ALIOU MOHAMADOU
C’est au niveau des unités apparaissant dans la base des substantifs que .
se situe le problème qui nous concerne ici. Car il semble que cette base
intègre non seulement les dérivatifs lexicaux, mais également des
marqueurs verbaux indiquant la diathèse et l’aspect.
3. On formulera cependant des reserves pour ce qui concerne l’exemple de nnyeewu <<vieillesse,
dom6 par l’auteur (Riesman 1974: 136); il s’agit d’un substantif de qualit6 form6 ?tpartir de la racine
adjectivo-nominalenayee- et dans lequel /ee/ n’est pas un marqueur aspectuel.
4. Une certaine divergence est constatee sur le sens de ces termes: Gaden (1913: 68) et Zoubko
(1996: 134) signalent en pulaar du Fuuta-Tooro le nomfibe qu’ils traduisent par a nœud,. Celui-ci
signifierait plutôt ((accord,, le terme pour mœudn etant dans ce parler le même que celui cite ici et
que mentionnent par ailleurs Noye (1989: 116) et Taylor (1932: 53). FiGaare ccblocage,,, connu en
pulaar du Fuuta-Tooro, n’est mentionne que par Taylor (1932: 53). mais avec le sens de cmembrane
LES NOMS PEULS 339
fœtale X Toutefois, malgré cette divergence, un fait demeure : à une différence formelle - qui ne se
traduit pas par la présence d’un dérivatif lexical -correspond une différence de sens entre des noms
issus d’une même racine$&, àlaquelle tous les lexicographes reconnaissent la rkfkrence A la notion
de G nouer D.
340 ALIOU MOHAMADOU
logiquement les uns des autres par le degré de leur classificateur (degré 4
pour le résultatif passif et degré 2 (ou éventuellement 3), pour le factuel
moyen.
Le demier type de formations, le nom sériel, est marqué par -an-. Les
constituants, qui appartiennent aux classes NDE ou DE, sont attestés dans
la représentation d occurrences appartenant à un ensemble d’occurrences
identiques, par exemple une unité de mesure ou un tour de rôle, tels que :
yaa6-an-nde << un pas D,fiy-an-nde << une coudée >>, capp-an-de << des
dizaines >> ; winnd-an-nde << leSon >> (i. e. unité de texte écrit) ;def-an-nde
<< tour de faire la cuisine (dans un ménage polygame) B ; wa-l-an-nde
(cwaal- passer la nuit) atour de passer la nuit >>.
8. À moins que ces lexèmes n’aient subi une transformation verbale denominale (par suffixation
des derivatifs -h ou -w-).
9. Schema adopt6 de la formalisation propos& par Houis 1977 :20-25.
5
Pasteurs et politique
JEAN BOUTRAIS
La vache ou le pouvoir
Foulbé et Mbororo de l’Adamaoua
Les Foulbé de Tibati ont conquis la plus grande partie du plateau assez
rapidement au début du X I X ~siècle, avant de s’établir à Tibati, loin au sud.
Ils avaient obtenu la soumission des Mboum de Ngaoundéré avant même
LA VACHE OU LE POUVOIR 349
que d’autres Foulbé jettent leur dévolu sur cette région. De même, des
Foulbé Kiri’en, proches de ceux de Tibati, s’étaient établis à côté des
Nyem Nyem, dans la région actuelle de Tignère (Aliou 1975). À la
fondation de Tibati, aux environs de 1830, les Foulbé Kiri’en pouvaient
se glorifier de contrôler tout le plateau, avec ses populations de Mboum,
Vouté et Nyem Nyem.
À l’inverse, tous les témoignages concordent pour dire que les Foulbé
de Tibati possédaient peu de bétail. Dans L’histoire de Tibati,
Mohammadou (1965) rapporte deux anecdotes significatives à propos du
futur fondateur de Tibati. Alors qu’il ne détenait pas encore le pouvoir, à
Tchamba, il ne possédait, en tout et pour tout, qu’une vache. Au passage
d’un marabout qui lui demanda l’hospitalité, il n’avait rien à lui offrir.
Alors, il n’hésita pas à faire égorger sa vache et à distribuer de la viande à
tout le monde. Au décès de sa mère qui, elle, était propriétaire d’une
centaine de bœufs, le même Haman Sambo fit abattre tout ce bétail pour
le répartir encore entre les gens. Certains n’égorgèrent pas les animaux
reçus mais les placèrent dans leurs troupeaux. Pour des éleveurs, Haman
Sambo agissait de façon aberrante.
En fait, il faisait un usage politique du bétail. Les distributions géné-
reuses de viande servaient à établir des liens et à obtenir l’allégeance de
populations locales, d’abord parmi les Tchamba en plaine puis chez les
Vouté et les Mboum du plateau. Alors que la plupart des versions de la
fondation de Tibati la font résulter d’une conquête difficile (Mohammadou
1965)’ des informateurs sur place ont insisté sur le caractère pacifique de
l’installation des premiers Foulbé, grâce aux dons en viande de bétail’. La
guerre ne fut déclarée qu’aux Vouté de Yoko qui refusèrent d’entrer dans
le système d’alliance des Foulbé. Selon d’autres informateurs, la même
méthode d’apprivoisement servit à convaincre les Vouté des environs de
Tibati d’habiter en ville et de s’enrôler dans l’armée foulbé2. La plupart
des autres Foulbé avaient, il est vrai, une conception pastorale de leur
bétail. Ils répugnaient à abattre des animaux et se montraient avares d’en
donner aux villageois voisins. C’était pourtant, avec la distribution de sel,
un moyen aisé pour obtenir la soumission de populations locales, telle-
ment la <<faimde viande >> était grande.
Le mépris des Foulbé de Tibati envers l’élevage <<pastoral>> se mani-
festa souvent, à l’occasion d’expéditions lancées contre d’autres Foulbé
du plateau et qui étaient accompagnées de captures et d’abattages d’ani-
maux3 ou de discours blessants. Ainsi, Nyamboula accusa les Foulbé de
1. C’est également au moyen de distribution de viande bovine que les Foulbé de Tibati auraient
persuadé les Mboum de descendre de la montagne Ngaoundal où ils étaient réfugiés (Alhadji Ouya,
Bella Foukou, entretien du 15 décembre 1972).
2. Informateur:Koffa, Tibati, 2 janvier 1973.
3. Voici, par exemple, comment une tradition orale rapporte la destruction de Tignère par Tibati:
U Outre les gens qu’ils avaient massacrés, les troupes de Tibati avaient tout saccagé et s’btaient empa-
rées d’une bonne partie de leur bétail D (Mohammadou 1978 : 118).
350 JEAN BOUTRAIS
4. L’installation de pasteurs avec leurs troupeaux durant quelques années (deux ou quatre ans,
selon les informateurs) avant I’amvée d’Ardo Njobdi est confirmée par de nombreux témoignages.
D’après la tradition orale publike par Mohammadou (1978: 236,266), des chasseurs puis des transhu-
mants auraient eux-mêmes précédé ceux qui s’installèrent les premiers en permanence sur le plateau.
LA VACHE OU LE POUVOIR 351
5. Seuls les Mboum de Nganha détenaient ce type de bétail, avant l’arrivée des FOUIM.Les autres
Mboum du plateau, ceux des régions actuelles de Tibati et de Tignère, en étaient démunis, de même
que les Vouté. Est-ce la raison pour laquelle les Foulbé imposèrent si facilement leur domination, en
pratiquant des distributions de viande?
6. Djaoro Yaya &Léré,8 mai 1973: Djaoro Atikou ? Mounguel,
i 7 mai 1973.
7. Djaoro Kadiri à Tchabbal Haléo, 9 janvier 1973.
352 JEAN BOUTRAIS
entre 1835 et 1840 par Mohammadou (1981 : 243)’ elle est ramenée à
1862 par Aliou (1975 : 43). L’intrusion de ces Foulbé à l’ouest du plateau
a répondu à l’appel des populations locales elles-mêmes, des Vouté, pour
les défendre des attaques de leurs voisins Wawa et autres Vouté ou
Tchamba (ibid. : 44). Mais cette tradition des Foulbé conquérants, égale-
ment reprise chez Mohammadou (1978 : 172), fait l’économie d’une
migration peule antérieure (Njeuma 1978 : 57). Dès les années 1820, les
Vollarbe de Kontcha envoyaient des troupeaux en transhumance chez les
Vouté. Puis des groupes s’y installsrent en permanence. Ces premiers
arrivants dans la région de Banyo étaient regroupés äutour de quatre
ardo’en, ce qui laisse supposer qu’il s’agissait de pasteurs. De plus, ils
vivaient en bonne intelligence avec les chefs locaux et soutenaient même
le parti adverse aux Vouté qui firent appel aux Foulbé de Kontcha. Non
seulement, Dandi, le conquérant, dut soumettre des populations locales
mais également surmonter l’opposition des premiers habitants foulbé.
À Tignère comme à Banyo, la phase initiale de l’installation des Foulbé
sur le plateau est souvent occultée par les informateurs. En effet, ce n’est
pas une histoire prestigieuse. Les nouveaux venus ne sont que des
pasteurs, à la recherche de bons pâturages. Ils entretiennent de bonnes
relations avec les populations locales dont ils reconnaissent les chefs.
Tout cela relève d’une logique typiquement pastorale mais ne fonde pas
une domination.
8. Cette protection allait jusqu’à l’attribution de cultivateurs qui devaient livrer des produits agri-
coles aux nouveaux venus (Mohammadou 1978). Les familles de pasteurs pouvaient difficilement
survivre dans une nouvelle région sans liens avec des populations agricoles.
Carte 1 . Le partage du plateau de I'ddamaoua entre les Foulbé au xixC siècle.
354 JEAN BOUTRAIS
9. <<L‘arméede Tibati assiégea la place [de Tignère] et ils tentèrent d’affamerles habitants, ceux-ci
furent bientôt réduits à ne manger que de la viande de leurs bœufs, (Mohammadou 1978: 121).
LA VACHE OU LE POUVOIR 355
déplaçaient avec des bovins pour assurer leur ravitaillement mais égale-
ment en prévision de cadeaux. Dans un contexte de féodalités guerrières,
le bétail ne faisait plus simplement partie d’économies pastorales, il parti-
cipait à la puissance militaire. I1 est probable que ce nouveau rôle n’ait
pas favorisé un essor des effectifs de cheptel.
À la fin du X I X siècle,
~ chaque lamidat comporte deux espaces peuls :
nder gasol et Gaawo gasol. Le premier (à l.’intCrieur des fossés) corres-
pond à l’espace protégé par les fortifications. C’est la ville (wuro) qui est
la capitale et souvent, la seule agglomération à être défendue par des forti-
fications 12. Les Foulbé, leurs serviteurs domestiques et une colonie de
commergants haoussa s’y rassemblent 13, Le second espace (derrière les
fossés) n’est pas aussi sûr que le premier mais il bénéficie tout de même
d’une certaine protection. Les Foulbé y installent leurs esclaves à côté des
populations locales. Eux-mêmes y séjournent au moment des travaux
agricoles. Dans le système du rumde : village de culture ou domaine
seigneurial foulbé (Njeuma 1978: 140)’ la production agricole est assurée
par des esclaves et le bétail confié à des bergers. L’espace des domaines
agricoles foulbé est plus ou moins vaste et ne s’étend pas uniformément
dans toutes les directions. Autour de-Ngaoundéré,les Vollarbe ont créé de
nombreux villages de culture (dumde) au nord de la ville, le sud étant
accaparé par quelques domaines de grands notables, par exemple celui du
Galdima (représentant des Foulbé) à Laoupanga. Autour de Banyo, les
dumde les plus nombreux se trouvent également au nord (Mayo Fowrou)
et à l’ouest de la ville. À Tibati, l’espace des domaines foulbé semble
contenu aux abords de la capitale. Certes, les notables possèdent beau-
coup de HaaGe (chaque famille aurait disposé de 60 à 100 esclaves) mais
le cheptel bovin reste peu nombreux, les grandes vallées proches de Tibati
étant à peine salubres pour le bétail.
Au-delà des domaines agricoles des Foulbé, les lamidats englobent des
espaces périphériques peuplés de villages non foulbé ou vides d’habitants.
Une politique de regroupement des populations locales (par exemple, à
Tibati) a parfois contribué à accentuer des vides humains. Dans chaque
lamidat, le cheptel bovin est localisé dans l’espace Gaawo gasol, sauf en
saison sèche lorsqu’il part en transhumance. La cure du bétail à une ou
plusieurs sources natronées représente le moment fort de l’élevage.
Lorsque les Foulbé ne disposent que d’une grande source (Ngaoundéré),
c’est le pivot de toute l’organisation de l’élevage et un lieu central.
Lorsque plusieurs sources sont disponibles (Banyo), l’accès de certaines
est réservé aux troupeaux du laamiido (source de Tankouri).
12. Les Foulbé de Tibati édifièrent Bgalement d’autres fortifications dans la vallée du Béli pour
protéger-les populations locales des attaques (de Banyo et de Yola): Bérim, Djahoul, Pang.
13. A l’époque précoloniale, Tibati Btait ainsi une ville importante. Tout l’espace compris dans
l’enceinte fortifiée Btait habité mais personne ne résidait en dehors des murs.
LA VACHE OU LE POUVOIR 357
C’est vers 1870 ou 1872 que les premiers Djafoun s’installent sur le
plateau, sous la conduite d’Ardo Manya, du lignage des Gosi’en. Par cette
migration, connue sous l’appellation Peerol Manya, quelques familles
quittèrent la région de Yola où les Djafoun avaient reconstitué des trou-
peaux après un séjour mouvementé au Bomou. D’après Dognin (1981),
Ardo Manya se serait d’abord installé sur les hauts plateaux au nord de
Banyo, avant de se déplacer à Tignère, pour échapper aux exigences du
laamiido de Banyo. D’après une autre tradition orale, les premiers Djafoun
seraient venus directement à l’emplacement actuel de Tignère, à l’invita-
tion du laamiido de Tibati. Peu de temps après la seconde dispersion des
Foulbé Vollarbe, Tibati installe donc d’autres éleveurs pour occuper de
bons pâturages. Ce faisant, Tibati renouvelle une i< colonisation pasto-
rale >> comme cela s’était passé avec les fondateurs de Ngaoundéré et du
premier Tignère. En faisant appel à des Mbororo, il y a moins de risque
que ceux-ci deviennent des guerriers et revendiquent leur autonomie. Du
côté des Mbororo, l’Adamaoua exerce un attrait par l’abondance des pâtu-
rages et l’absence de maladie du bétail. Un informateur, né à la fin du
LA VACHE OU LE POUVOIR 359
XIX~siècle, ajoute à ces facteurs les effectifs peu nombreux des élevages
foulbé’5. C’est une remarque fondée, les troupeaux des Foulbé étant loin
d’occuper tous les pâturages disponibles.
L’installation des Mbororo au site actuel de Tignère est pertinente d’un
point de vue pastoral, par suite de la proximité d’une source natronée, lieu
décisif pour les anciens systèmes d’élevage sur le plateau. La source de
Falkoumré est toujours appelée Wuwru Munyaru, << le puits de Manya>>,
par les Djafoun (carte 2).
El PremierTignère
NouveauTignère
c,
Premiercentre
des Mbororo
Nouveau centre
o
desMbororo
L Migration des
Mbororo
w Source natronée
A Attaque contre
les Nyem Nyem
.. :....: Aire de parcours
.1.
: * des Mbororo
au debut du siècle
H Place fortifiée des
Foulbe de Tibati
À leur arrivée, ces Djafoun sont protégés par les Foulbé de Tibati. En
compensation, ils livrent des bœufs. Ce sont ceux que Morgen a admirés
devant Ngambé.
16. D’après une tradition orale transmise par les Mbororo, Ardo Manya fut capturd pendant qu’il
faisait sa prière. La destruction du premier Tignère par les Foulbd de Tibati serait d6jà intervenue
selon des circonstances un peu analogues: c’dtait un jour de fête et les gens de Tignère dtaient disper-
sds aux environs (Mohammadou 1978: 113). De façon curieuse, une tradition orale de la ddfaite des
Peuls de Barani par ceux du Macina, vers 1830,rapporte I’6vénement selon les mêmes modalités: une
attaque par surprise, un jour de f6te religieuse (Diallo 1993: 370). I1 semble qu’il s’agisse d’un stdrdo-
type pour rendre compte d’un revers : il est explique par des circonstances exceptionnelles, une
attaque scandaleuse par les vainqueurs.
LA VACHE OU LE POUVOIR 36 1
montagne o Ù les Nyem Nyem se sont réfugiés, pour échapper aux Foulbé
de Tibati. Ceux-ci n’ont jamais réussi à les soumettre, ce qui est un cas
unique en Adamaoua.
Lompta est, en fait, unsamp de guerre (sanyeere) o Ù les Foulbé vien-
nent, périodiquement, assiéger les Nyem Nyem. En y installant des
Djafoun, Tibati se sert de ces pasteurs pour maintenir une pression
constante contre les irréductibles. Déjà, un autre clan mbororo, les
Rahadji, avait été placé à Lompta mais il avait refusé ce <<piègeD et migré
au nord de Banyo; Les Djafoun, eux, s’y fixent mais en subissant ce qu’ils
appellent une guerre (konu) de la part des Nyem Nyem. Ceux-ci lancent
une série d’attaques de bergers et abattent du bétail, en particulier au
moment de l’abreuvement à la source natronée (Boutrais 1995 : 46). À
cette guérilla, les Foulbé de Tibati répliquent par une expédition en 1900
mais c’est un nouvel échec.
En 1906, les Allemands interviennent, à leur tour, pour protéger les
Mbororo. Les Allemands mènent une politique favorable.à l’installation
des Mbororo pour lesquels ils créent un district (Bezirk) avec un chef
djafoun. La compétition est alors vive entre familles du lignage des
Gosi’en pour détenir la chefferie de Lompta. L’éviction de prétendants au
pouvoir entraîne leur migration vers Banyo, sur les hauts plateaux au nord
.
du lamidat (Dadawal) puis au sud (Mambila).
I1 est probable que les exigences de Tibati en bétail ne sont pas étran-
gères à l’instabilité politique de Lompta. Les Mbororo perdent vite
confiance dans un ardo qui répercute auprès des éleveurs toutes les
demandes du suzerain. Au contraire, l’ardo doit jouer un rôle de tampon
entre ses gens et le laamiido de TibatiI7. De plus, malgré l’intervention
musclée des Allemands, la sécurité pastorale n’est toujours pas assurée à
Lompta. Les hauts pâturages proches du Tchabbal Mbabo restent interdits
aux Mbororo. De nouvelles campagnes militaires sont organisées par les
Allemands contre les Nyem Nyem en 1913 et 1914.
Au début du siècle, les Mbororo du plateau ont donc à faire face à deux
contraintes : la nécessité de disposer d’une source natronée et celle de
bénéficier d’une protection. Mais celle des Foulbé de Tibati devient de
plus en plus illusoire, une fois relayée par le pouvoir colonial. De protec-
tion, elle devient alors une oppression, par les versements en bétail exigés.
La création du district de Lompta présente l’avantage de lever partielle-
ment ces deux contraintes.
Dès qu’ils sortent de ce district, les Mbororo sont à nouveau confrontés
aux mêmes contraintes. Ils s’éloignent le plus possible des centres foulbé
17. D’après Pfeffer (1936). les Djafoun versaient chaque année un impôt en cauris aux Foulbe
(Houja’en) pour qu’ils assurent la protection militaire des sources natronées. Le recours à cette
monnaie ne paraît guère vraisemblable, étant donné la rareté des débouches commerciaux pour le
bétail sur le plateau à l’&poquepré-coloniale. Les Djafoun devaient plutôt remettre des animaux à
Tibati.
362 JEAN BOUTRAIS
taient déjà ces pâturages. À cette compétition s’ajoute le refus des Djafoun
de laisser leurs troupeaux côtoyer une autre race bovine, celle des zébus
blancs qu’ils méprisent tout de suite. L’antagonisme pastoral est aggravé
par des écarts culturels entre les deux groupes mbororo dans le vêtement,
le langage, et les coutumes 18.
À la fin des années 1950, le laamiido de Tibati fait pression, à son tour,
sur l’administration pour qu’elle encourage l’installation de Mbororo dans
son lamidat. En effet, de larges secteurs de Tibati sont vides de bétail.
Aux effets dissuasifs des prélèvements en bétail s’est ajoutée une invasion
des savanes de Tibati par des mouches tsé-tsé, au cours des années 1930
et 1940, qui a ruiné des Foulbé et provoqué la fuite des autres. En 1956,
Peerol Kaptel désigne une migration organisée de nouveaux Mbororo
Akou depuis la frontière camerounaise, à Kontcha, jusqu’aux pâturages
au nord‘de Tibati, les moins infestés par les glossines. Dès lors, les Akou
deviennent une composante pastorale importante sur le plateau, par leurs
effectifs de cheptel et leur comportement offensif. Lorsqu’ils s’installent
dans un pâturage, ils provoquent le départ des Djafoun et des petits
groupes Wodabe, en raison d’antipathies entre les personnes et surtout
d’une compétition entre les deux races de zébus. Les zébus blancs valori-
sent mieux les pâturages de savanes que les zébus rouges, par une pâture
non sélective des herbes. Ainsi, les Akou écartent les Djafoun d’une
partie du Tchabbal Mbabo dans les années 1940 et 1950. Une dizaine
d’années plus tard, ils les font quitter l’est du lamidat de Tibati (Béka
Baya) et, dans les années 1970, ils accaparent les environs de Ngaoundal.
I1 existe comme un front pastoral entre les deux groupes mbororo.
Avec les années, les Mbororo Akou tiennent un rôle plus grand dans
l’élevage en Adamaoua. Grâce à la rusticité de leur race bovine, ils béné-
ficient d’une plus grande liberté géographique que les Djafoun ou les
Foulbé. Ce sont des Akou qui ont peuplé ou repeuplé en bétail le lamidat
de Tibati. En même temps, en provoquant le départ des autres Mbororo,
ils introduisent une instabilité de peuplement. Encore plus grave, leur
bétail exploite tellement les pâturages qu’il est réputé les dégrader assez
rapidement. Après quelques années de ce régime, les Akou eux-mêmes ne
peuvent plus se maintenir sur des pâturages épuisés. Par déséquilibre
entre les besoins de leur bétail et les ressources, ils créent une instabilité
d’ordre écologique de l’élevage.
18. Comme la pratique du soro,un rite d’endurance des jeunes, soumis à I’kpreuve de la bastonnade.
364 JEAN BOUTRAIS
Les tensions entre éleveurs Mbororo et Foulbé sont aggravées par une
épizootie de peste bovine qui sévit à Ngaoundéré en 1927-1928, en provo-
quant 20 O00 pertes, d’après une estimation administrative. Des Foulbé,
ruinés, doivent se mettre à cultiver tandis que beaucoup de Mbororo
s’enfuient au sud, sur les nouveaux pâturages~de Meiganga.
Or, pour les Foulbé, la maladie a été introduite par des Mbororo venus
s’installer sur le plateau à l’est (Lougguéré Rey) puis entrés dans le lami-
dat. Le ressentiment des Foulbé est général à l’égard des Mbororo qui
sont expulsés de Ngaoundére, à l’est et au sud du lamidat. C’est un
renversement de politique à leur égard, entériné par un nouveau laamiido
de Ngaoundéré (nommé en 1930)’ sous la pression des Foulbé ayant le
plus d’intérêt dans l’élevage.
21. Rapport du vétérinaire capitaine Bardez concemant une tournée effectuée dans le lamidat de
Rey-Bouba, juillet 1938 (ANCY).
22. Lettre du chef de circonscription de Ngaoundéré au commissaire de la République au
Cameroun,juillet 1938 (ANCY).
23. Rapport de toum6e du chef de subdivision de Tibati, du 9 au 18 juillet 1937, dans la région de
Lompta et Galim (ANCY, APA 117 60/B).
Présence de Mbororo
Entrées de Mbororo
dans les années 1980
‘I&@-u
W Source natronée
F
c
b
FOi
C
.......
......
de Ngaoundére
24. Rapport annuel pour 1952 de la subdivision de Ngaound6r.6 (ANCY, 1 AC, 1838/1).
25. Ardo Bello, Nandongu6.4 mars 1977.
LA VACHE OU LE POUVOIR 369
26. Ministère de l’filevage, des Pêches et des Industries animales, Arrête 0013 du 31 mai 1994
portant creation du berceau de la race goudali de Ngaounderé.
27. Rapport annuel àla SDN sur l’administration du Cameroun pour I’annCe 1924.
28.Rapportdetoum6edeBru ..., 1921.
29. Capitaine Ripert, commandant la circonscription de Ngaoundtre, Situation politique de la
region de Ngaoundkrk, 1918, ANCY.
LA VACHE OU LE POUVOIR 37 1
Autour du puits
Paysans, pasteurs et politique de l’eau
dans le Gondo-Sourou (Burkina Faso)
Le Gondo est une plaine dominée par une vaste étendue sableuse
(seeno) localisée au pied de la falaise de Bandiagara (pays dogon). La
vallée du Sourou, affluent-défluent du Mouhoun, constitue le prolonge-
ment de cette plaine dans la partie nord-ouest de l’actuel Burkina Faso.
Autochtones et étrangers
Les Bobo, les Bwa, les Marka et les Sam0 sont les principaux groupes
anciennement installés dans cette région à vocation essentiellement agri-
cole. Les Bobo et les Bwa, qui présentent un ensemble de traits culturels
communs, occupent un territoire situé à cheval sur le sud du Mali et
l’ouest du Burkina. Les Marka sont établis des deux côtés du Sourou et à
l’intérieur de la boucle formée par le Mouhoun, tandis que les Sam0
vivent sur la rive orientale du Sourou. Les pasteurs, originaires des grands
centres de diffusion peuls de Ia vallée du Niger, constituèrent les dernières
colonies de peuplement du Gondo-Sourou.
374 YOUSSOUF DIALLO
l’existence dans cette localité d’un marigot fit de celle-ci l’un des princi-
paux centres à vocation véritablement pastorale où coexistèrent des
Sidibe, des Jallube et des Baabe. C’est également dans le village de Ba,
situé près de Djibasso, qu’un groupe de Diko, accompagnés de Sangare,
aurait conclu une alliance. avec des Jallube avant d’émigrer au Liptaako
(région de Dori).
Mais les régions de Barani et de Dokwi, dont l’occupation est posté-
rieure à ces lieux de rassemblement pastoral, devinrent les deux
principaux centres peuls du Boobola. L’importance du foyer de peuple-
ment local de Barani est signalée par les traditions, Le village de Tira,
réputé comme l’une des principales résidences des Sangare, fut probable-
ment le lieu de contact entre ces derniers et une fraction des Sidibe. I1
s’agit notamment de celle des HontorGe (sing. Kontoro) qui accompagnè-
rent vers les hauteurs de Dokwi ces Sangare venus de Wonikoro (moyenne
vallée du Sourou). Les indications fournies au sujet des HontorGe ne
permettent pas cependant de préciser les raisons de l’émigration dans la
région de Dokwi de certains d’entre eux.
Les affrontements entre les Peuls du Maasina et des groupes hostiles
aux visées hégémoniques de la Diina (18 18) poussèrent aussi des familles
à émigrer dans le Gondo-Sourou, ce qui eut pour effet de renforcer la
présence peule dans le Boobola, et surtout à Dokwi.
L’espace politique de Barani, place en partie abandonnée par les Bwa,
et celui de Dokwi, enclave en territoire occupé par le même groupe
ethnique, ont de nombreux points communs. L’occupation de ces lieux
pastoraux, situés dans les interstices des sociétés villageoises, s’effectua
essentiellement par étapes et par des groupes successifs, sans affronte-
ments. Les pasteurs s’installaient tout simplement dans le voisinage des
premiers occupants après avoir négocié l’hospitalité auprès des respon-
sables bobo et bwa. Mais par la suite, la présence peule prit une forme
plus inquiétante. En effet, les Peuls de Barani et de Dokwi réussirent,
après une solide implantation, à imposer une certaine domination à ceux
qui furent jadis leurs hôtes. Cette situation nouvelle amena les cavaliers
des deux chefferies à conduire désormais une politique de prédation dont
les populations agricoles firent les frais.
Ce processus d’infiltration-implantation-domination des Peuls de
Barani, comparable aussi à l’évolution du milieu peul de Dokwi, s’est
déroulé en trois étapes. A une étape initiale, correspondant à l’installation
dans le Gondo-Sourou des premiers groupes de pasteurs paisib1es;succéda
celle d’une accentuation de la pression démographique, entraînant locale-
ment l’abandon de certaines zones par les Bwa. Enfin, survint l’étape
décisive de la constitution d’un pôle de pouvoir à Barani. Mais notre
propos se limitera au processus de peuplement peul dans Ia région de
Barani.
316 YOUSSOUF DIALLO
L’hydrogéologie du Gondo-Sourou
On distingue dans cette région six zones (Benoit 1979 : 29)’ générale-
ment classées dans l’ordre des difficultés d’accès aux nappes par les
populations. La portion de plaine du Gondo-Sourou s’étend du plateau
gréseux (ouest) à la frontière occidentale du Yatenga (est). Les conditions
hydro-géologiques expliquent partiellement l’existence d’une aire de
concentration peule sur les marges occidentales, et un peuplement majori-
taire bwa dans la partie centrale.
L’aire de concentration peule, des abords du plateau gréseux au Gondo,
coïncide avec les contours d’un secteur bénéficiant de conditions hydro-
géologiques favorables. Cette distribution spatiale est d’ailleurs conforme
à une certaine maîtrise hydro-géologique du milieu. En revanche, la partie
centrale de la plaine est caractérisée par des difficultés d’accès à l’eau
souterraine : profondeur des nappes phréatiques, instabilité des matériaux
et faiblesse des hauteurs d’eau dans les puits.
L’implantation peule
1. Gure est le pluriel de wuro. À Barani, ce terme est le seul usit.5, dans la mesure où l’on pense
que la fondation d’un wuro est une entreprise collective.
380 YOUSSOUF DIALLO
à l’extérieur des cours (Héritier 1975 : 505). À la suite d’un conflit dynas-
tique ayant opposé le chef Jan au prince Widi Sidibe, Barani et sa région
se vidèrent de leurs habitants, entre 1865 et 1870. Au cours des affronte-
ments, les partisans du prétendant au trône, parmi lesquels se trouvaient
des cavaliers fuutankoo6e venus de Bandiagara, bouchèrent des puits,
entraînant ainsi de nombreux abandons de villages.
Ce mouvement est à l’origine des zones de regroupement bwa, en
particulier sur la rive gauche du Mouhoun. Ainsi, le gros village de Mao
fut le lieu de refuge des Bwa partis de Barani. La discrétion qui entoure
encore l’abandon des villages par des Bwa, explique le-caractère allusif
des informations disponibles sur ce sujet ; la charge démographique étant
le seul mobile sur lequel concordent les traditions de Barani.
La vache ou le mil
Peuls et Dogons au Séno (Mali)
Le Séno, spécifié selon les régions Séno Mango et Séno Gando, est un
massif dunaire fossile en contrebas des falaises du pays dogon et d’une
série d’autres reliefs karstiques se poursuivant jusqu’à Hombori. C’est
une zone à vocation pastorale ancienne, réputée en particulier par sa
couverture végétale d’Andropogon, oÙ l’eau, rare et difficile d’accès l, n’a
pas favorisé les établissements humains permanents. L’agriculture sous
pluie caractéristique des régions sahélienne et sahélo-soudanaise, s’en est
trouvée longtemps freinée. L’insécurité qui régnait dans cette zone trou-
blée où s’affrontaient Mossi, Peuls et autres Kel Tamasheq n’a pas non
plus favorisé sa mise en valeur.
Le Séno, au pied des falaises où les Dogons vécurent longtemps réfu-
giés, est aussi une zone de contacts anciens entre eux et les Peuls.
D. Paulme (1940: 26) en faisait autrefois le constat:
<<LesDogons s’installèrent d’abord dans la plaine, oÙ des pasteurs Peul faisaient depuis
longtemps paître leurs troupeaux. Les Peul sont nomades et lorsqu’un pâturage est
épuisé ils doivent en chercher un nouveau, poussant leurs troupeaux devant eux. Ils ne
virent pas sans mécontentement de nouveaux venus dans le pays, et les rapports entre
Peul et Dogon devinrent tels que, pour échapper aux attaques incessantes des Peul, les
Dogon gagnèrent peu à peu la falaise. La, protégés par la nature du terrain, qui rendait
presque impossible l’attaque de leurs villages, ils oppossrent à leurs ennemis une résis-
tance victorieuse. Ceux qui ne voulurent pas abandonner leurs champs mais préférèrent
rester en plaine, durent se résigner à devenir les serfs, les rimaïbe des Peul. >)
En fait l’histoire de cette longue cohabitation entre Peuls et Dogons
reste mal connue. Durant les dernières décennies les rapports de force
entre les deux groupes se sont inversés2.
13. Abdullaye qui menait la rksistance fut trahi par sa femme qui appartenait à la branche actuelle
de Diankabou et contestait son autorit6, en acceptant le ralliement aux colonisateurs. I1 en r6sulta une
haine profonde entre les deux branches.
14. Sur Dioungani, outre Mbana, Yourou, Dioungani même, Nawodi6, Tini et Nyaki sont les prin-
cipaux centres. Sur Diankabou, outre Diankabou même, les diffkrents villages rassemblks autour de
l’importante mare de Windou (Tan Ali, Tan Samba et Tan KoulC), Ginadama, Maye, Sengemara,
Sourind6 et Madougou.
15. Ils ont 6t6 rejoints neanmoins par d’autres groupes peuls qui reconnaissent leur autorit& C’est
le cas en particulier des WaIarM originaires de Bolli (non loin de Mopti) et qui Ctaient pass6s aupara-
vant par la r6gion de Bankass situ& plus au sud. Ils sont installts à Komboko et Ngiroga.
PEULS ET DOGONS AU SÉNO 389
((Chaque région forme une unité distincte, unité d’ordre triple, à la fois géographique,
linguistique et ethnique. Unité d’ordre géographique: les villages se groupent plus ou
moins autour des points d’eau, selon la nature du terrain et l’étendue d’une région
. dépasse rarement cinq à six kilomètres 16. Unité d’ordre linguistique : la langue
commune à tous les Dogons est l’ensemble des dialectes propres à chaque région, mais
ces dialectes comportent parfois entre eux des différences considérables, qui ne
peuvent s’atténuer vu l’absence de toute écriture. Unité d’ordre ethnique enfin, la
première aux yeux des habitants, tous d’accord pour affirmer leur communauté d’ori-
gine et se réclamer d’un même ancêtre, fondateur du premier village de la région. B
16. L’tchelle est beaucoup plus importante chez les Dogons de la plaine dont les hameaux de
culture peuvent se disperser dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres.
17. Surtout quand il s’agit de l’islam wahhabite saoudien, particulièrement oppost aux formes
syncrttiques.
18. Dont l’installation,la plus ancienne des Fombori de cette r6gion, se serait cependant effectuCe
avec l’accord des Peuls dicko de Boni avec lesquels ils entretenaient les meilleures relations.
19. Mandoro aurait 6t6 fond6 par des Dogons Fombori originaires de Douna, dttruit et dispersé
par les Peuls Gando, et ses relations avec les Peuls Dicko de Boni sont moins 6troites que celles
qu’entretenaient avec ceux-ci les Dogons de Yirma. Il s’agit d’une subdivision particulière du
Fombori, le Pomno dont le centre le plus ancien est Diegouna au sud de Mandoro, proXimit6 de la
frontiere du Burkina Faso.
390 PIERRE BONTE
Le second pays dogon localisé dans la zone du Séno est le pays domno.
I1 prend son nom de l’appellation patronymique du clan de celui qui aurait
été l’ancêtre de ce groupe, Moro Sani, venu anciennement de Barani, un
village situé au pied de la falaise, relativement au sud. Son lignage s’est
ensuite subdivisé en plusieurs lignages dont le plus important est celui des
Goro. Ils occupent la plaine au sud du Séno, dans la zone comprise entre
ce massif dunaire et les plaines argilo-sablonneuses qui s’étendentjusqu’à
la frontière du Burkina Faso, zone favorable à l’agriculture, les hauteurs
de pluie se situant entre 300 et 600 mm annuels.
L’ancêtre de ce groupe dogon se serait d’abord installé à Sari, dont sont
issus tous les villages qui constituent actuellement le pays domno, situé
principalement dans l’actuel arrondissement de Dinangourou.
Dinangourou même serait l’un des villages les plus anciennement issus de
Sari ; le second serait Douari créé par des groupes de même origine, mais
relevant des << griots >> des Dogons, des <<maîtresde parole >>, qui occupent
une fonction sociale importante.
20. Dans un même contexte de domination politique et de coexistence de deux groupes ethniques,
j’ai ttudit ces phtnomènes d’occultation historique rtciproque dans le cas des Touaregs Kel Gress et
des Hausa de l’Ader (Niger). Ils s’expliquent entre autres ar le contenu et la f o m e divergents de la
mtmoire historique dans l’une et l’autre socitt6 (Bonk & $chard 1977).
21. Ceux-ci lui donnent un cheval et lui offrent de partager un plat de mil, signe &oit d’alliance
aux yeux des Dogons, que le Peul refuse discrètement, ce qui montre les limites circonstancielles de
l’alliance, en donnant le plat de mil àmanger A son cheval.
PEULS ET DOGONS AU SÉNO 39 1
Domno dans cette zone. Kisso Paté s’alliera ensuite avec les Mossis
contre ses cousins de m a n a qu’il put ainsi vaincre. I1 mourra peu après
en lanpnt une attaque contre les Peuls de Ban (Burkina Faso).
.
Deux autres groupes sont également présents depuis longtemps dans le
Séno. Le premier est constitué de villages songhay qui sont implantés
dans des sites fortifiés au nord de Dalla, autour de Kikara, et à proximité
de Boni, à Dagara. Leurs terroirs, sans doute autrefois plus étendus, se
sont beaucoup restreints avec le déclin de la puissance songhay à partir du
X V I ~siècle.
Au sud les Tellem de Koroumba entourent le centre ancien de Yoro,
non loin de la frontière du Burkina Faso. Cette population très ancienne,
au statut quasi légendaire sur la falaise dogon, a laissé aussi de nombreuses
traces d’implantation dans la plaine : beaucoup de villages dogons sont
installés sur des sites qu’ils auraient antérieurement occupés. La présence
massive des Tellem dans la région de Yoro s’explique par leur alliance
étroite avec les Mossi22 qui leur permit de résister en particulier aux
attaques d’al-Hajj Umar dans la seconde partie du xxe siècle.
22. De nombreuses familles mossi se sont d’ailleurs installees dans la region de Yoro.
23. Voir sur ce point Bouju 1984, l’ouvrage le plus precis sur cette place de l’agriculture ceréa-
lière dans l’organisation sociale et rituelle des Dogons.
24. Les Peuls pratiquaient aussi quelques cultures sous pluie et obtenaient des cereales des
rimaybe, genéralement assez peu nombreux dans cette region, ou des villages dogons a asservis >>.
392 PIERRE BONTE
25. L‘insBcurik? chronique et la domination militaire des Peuls conhibuaient ti perp6tuer de vastes
zones ouvertes et non cultivtes qui servaient de support ti l’tlevage (et ti la chasse).
26. Souvent sur la base d’une alliance avec un N genie des eaux D.
27. I1 s’agit en ce cas du village d’origine du Fombori situ6 ti proXimit6 de Douentza.
PEULS ET DOGONS AU SÉNO 393
Tout récemment (28 ans) se sont installées plusieurs familles des Dogons de la falaise
originaires de Irelli (Sanga). Ils ont d’abord demandé aux Peuls de Tini l’autorisation
de s’installer, reconnaissance initiale d’une certaine prééminence des Peuls sur cette
zone. Les Peuls les ont renvoyés à la famille des Ongoyba, qui était déjà sur place, et
aux anciens de la région, par ailleurs située aux limites du terroir de Douari. Ils se sont
alors adressés aux anciens de Ouangani et de Guéséré qui leur ont dit qu’ils ne
pouvaient se prononcer et qu’ils devaient s’adresser aux anciens du village-mère de
Dianveli. Ceux-ci ont refusé de donner leur autorisation. Les nouveaux arrivants se
sont alors adressés aux anciens de Douari qui leur ont permis de s’installer à
Daydourou. De là, ils ont envoyé une nouvelle délégation qui est allée à Ouagani o Ù on
a exigé qu’ils se fassent accompagner d’un ((maître de parole B (griot), selon la
coutume. En cette compagnie, ils ont été à Guéséré d’abord, puis à Dianveli (Douentza)
où, malgré la présence du griot, un nouveau refus leur a été signifié.
Ils ont alors décidé de passer par l’intermédiaire d’un cousin installé à Dioungani,
c’est-à-dire auprès des Peuls du Gando dont on retrouve l’influence, pour qu’il inter-
cède en leur faveur. Grâce à lui, ils sont repartis à Guéséré, qui les a renvoyés à
Ouagani où on leur a donné le droit de cultiver parce qu’ils <<cherchaientà mangem.
Après la récolte, ils sont partis à nouveau à Dianveli (Douentza) oÙ ils ont trouvé tous
les anciens réunis pour l’accomplissement d’un rituel. Ils ont à nouveau posé leur
problème et exprimé le souhait de s’installer. On les a renvoyés chez eux en leur disant
d’attendre. Ils ont attendu quelques mois. Une délégation d’anciens de Dianvéli
(Douentza) s’est alors rendue à Guéséré et Ouagani et a réuni les anciens de ces
villages.’Devant cette assemblée ils ont annoncé : nous avons tous commencé par les
Falaises, nous sommes tous Dogons, soyez les bienvenus. C’était l’autorisation atten-
due.
Cependant I’aîné de la famille des Ongoyba installee rl Dianvéli a ajouté qu’il était
heureux de les accueillir mais qu’il voulait qu’ils suivent ses ((fétiches >> et qu’ils le
suivent. On leur a aussi demandé de vivre en accord avec les Peuls de Dioungani. Ils se
sont alors installés à Dianvéli.
Ce récit met en évidence la complexité des processus de dévolution
foncière et les précautions prises pour l’accueil de nouveaux venus, qui
doivent respecter l’autorité et les rituels des premiers instal1és:Les
précautions prises, et la longueur du délai imposé, tiennent peut-être à une
disproportion démographique : tout un groupe s’installe en un lieu contrôlé
par une seule famille. De fait le conflit est latent : les nouveaux arrivants
cherchent à accaparer le pouvoir dans le village qui pourrait devenir auto-
nome en raison de la proximité du point d’eau de Tini.
Revenons-en à la structure lignagère du foncier et à la logique expan-
sionniste qui en découle. À tous les niveaux, pouvoir lignager, pouvoir
rituel et droits fonciers sont liés. Le lignage est en un sens <<possesseur>>
des terres qu’il aurait initialement défrichées28 sous l’autorité du chef de
lignage (ginna banga). Les terres acquises individuellement, par défriche-
ment par exemple, sont transmises à la mort du père au fils aîné qui aura
la charge de distribuer les champs aux autres membres de la famille. La
dévolution foncière se fait ensuite au sein de la génération : le cadet
succède à l’aîné dans la charge de distribution des terres, et ainsi de suite
28. D’oh l’importance du droit du premier occupant qui commande tout le sysBme foncier dogon.
394 PIERRE BONTE
29. Ainsi, durant la demitre dkcennie, le gros village de Koba, hameau de culture de Douari, s’est
transformé en village autonome, processus toujours long et conflictuel.
30. Très approximative: les cartes IGN datent d’avant 1960 et ne permettent pas toutes les
identifications.
PEULS ET DOGONS AU SÉNO 395
.Guederou \
DOUARI
Hameaux de culture
0 transform& en village
o non transformés en village
_-,'
MANDORO \ Limite d'influence
d'un village fondateur
frontière du Burkina. Vers l'ouest et le nord, le terroir est borné par celui d e
Dinangourou que nous venons de décrire, et par celui de Yirma, village ancien, ainsi
que par celui de Sambaladio : une partie de la population de ce dernier village est
cependant originaire de Mandoro.
Tiguila
Sambaladio.
Daydourou
MhL\ .0-.
MANDORO ,.Toykana ,-;;;RFPSO
,/-y&
"Banay y:.
/y -
.
31. En apparence l’organisationlignagbre des Peuls prksente les mêmes caractères segmentaires
que celle des Dogons, mais il faut faire la part des caractères endogames du alignage >> peul, qui
l’apparente aux lignages des sociCt6s Mdouines, sur lesquels M.Dupire a attirt?la première l’attention.
PEULS ET DOGONS AU SÉNO 397
Séno pourja fin de la saison sèche. Ainsi dans la zone nord du Séno, entre
Douentza et Boni, ils utilisent les pâturages dufer032 une bonne partie de
l’année, entrant dans le Séno, là où il est accessible à partir de points
d’eau, à la fin de la saison sèche. Cependant il est impossible d’étäblir
avec quelques régularités le sens des mouvements pastoraux et tous les
cas d’espèce se présentent. Les seuls mouvements plus réguliers sont ceux
qui mènent le bétail sur les terres salées situées quelques dizaines .de kilo-
mètres plus au nord. Les éleveurs locaux ne semblent pas avoir fréquenté
les pâturages du delta intérieur de manière habituelle.
Les mouvements du bétail n’étaient pas les seuls déterminants de la
mobilité des Peuls et de la définition de leur terroir. La production agri-
cole couvre rarement les besoins alimentaires annuels, soit par suite des
conditions climatiques, soit par calcul délibéré des possesseurs de trou-
peaux qui s ’intéressent en priorité à leur bétail. Les mouvements de
celui-ci sont alors fixés par les échanges avec les villages dogons, où les
Peuls troquent le lait contre le grain ; ces déplacements les entraînent
parfois loin au sud, dans les cercles de Koro et de Bankass, ou encore au
Burkina Faso. Possesseurs de troupeaux, ils peuvent alors troquer le lait et
la fumure contre du grain.
L’agriculture des Peuls doit donc trouver sa place dans un système
orienté vers les finalités de l’élevage. La mobilité foncière apparaîtra de
ce fait très forte car les décisions, contrairement aux prises de décision
chez les Dogons, sont le fait d’une famille restreinte et non pas d’un
groupe lignager. Si l’installation d’un groupe extérieur d’agriculteurs
relève encore de l’autorité des responsables du suudu baaba, de l’autorité
politique et foncière, dans le Gando, ou encore dans la région de Boni, les
allégeances politiques comptent plus que les considérations foncières
locales33. Les terres cultivées par les Peuls entrent depuis longtemps dans
des processus de prêt, de cession ou de vente.
Les prêts de terres contre des services en travail - participation aux
travaux agricoles sur le champ du Peul, ou construction d’un grenier -
sont les plus répandus, mais le prêt peut se faire aussi contre du bétail,
voire sous forme monétaire34. Les ventes de terre par les Peuls, aux
Dogons en particulier, sont loin d’être rares : les Peuls de Sariéré
(Mandoro) considèrent ainsi que la plupart des champs du village dogon
de Sambabalio leur ont été achetés au cours des demières décennies.
La situation de suprématie politique et militaire des Peuls leur permet-
tait autrefois de maîtriser l’installation des agriculteurs sur les territoires
32. Zone inculte situBe entre le SBno et la ligne nord des falaises.
33. Ainsi la chefferie peule de Boni a favoris6 l’.installation de nombreux agriculteurs kel tama-
sheq depuis la secheresse de 1973 sur des terres exploitees traditionnellementpar les Peuls.
34. Ou sous forme de prêt avec hypotheque. Celui qui a besoin d’argent donne en gage une terre,
voire un arbre (baobab) et son exploitation, contre l’avance de la somme; il ne peut plus dès lors
avant son remboursement exploiter lui-même ce bien, ce qui ne signifie pas qu’il soit exploit6 par le
prêteur; toutefois celui-ci peut en revendiquer la propriBt6 au bout d’un d6lai de quelques andes.
398 PIERRE BONTE
giée, très tôt occup6e par les Peuls, et une source de production piscicole qui ingressait presque toute
l’Afrique occidentale.
400 P I E R E BONTE
37. Entre 1958 et 1981 on estime que le nombre de bovins qui entrent dans le delta pour pâturer
sur les riches bourgoutières passe de 500000 à 1400000 têtes (les troupeaux <(&angers>> aux popula-
tions locales passant pour leur part de 200000 & 560000). Parallèlement la baisse de la lame de crue
entraine une diminution de la surface des bourgoutikres, ainsi que leur mise en culture, et la produc-
tion piscicole chute brutalement.
38. Respectivement: Office du mil de Mopti; Office du riz de Mopti; Office de dBveloppementde
1’Blevage dans la rBgion de Mopti (cr& en 1975).
39. La zone méridionale du SBno, les rBgions de Koro et de Bankass sont par contre très concer-
nBes par les actions de l’OMM. Dans ces rBgions, les surfaces cultivees couvrent maintenant la
quasi-totalité des terres arables. Les espaces pastoraux qu’occupaient les Peuls de ces régions ont
presque disparu et les Peuls ont migré massivement avec leurs troupeaux vers la IIF Rtgion ou le
Burkina Faso.
40.Vers l’est: SBno et Kanvassa, au-delà le Gourma, et vers l’ouest: MBna.
PEULS ET DOGONS AU SÉNO 40 1
Les conflits fonciers autour des nouveaux puits n’opposent pas seule-
ment Peuls et Dogons mais sont l’objet d’affrontements au sein de chacun
de ces groupes. Voyons d’abord un cas o Ù s’opposent les Peuls entre eux.
41. Et à la prolongation des temps de parcours des 6leveurs du delta qui autrefois, faute d’eau, ne
pouvait tenir sur ces pâturages exondds que durant la saison des pluies.
42. A quelques exceptions près, concernant les Touaregs, remises en question du fait de la situa-
tion politique et militaire actuelle, ou encore la gestion de 17000ha de pâturages à I’int6rieur du S6no
(Point 17) qui s’est effectu6e favorablement sous le contrôle de fait de la chefferie peule de Boni. .
43. Les difficultés d’accès àl’eau dans cette zone apparaissentcomme le frein le plus objectifà la
colonisation agricole: il n’est pas rare que certains villages dogons soient totalement depourvus d’eau
en saison sèche et soient oblig6s d’aller chercher de quoi couvrir les besoins domestiques à 10, 15
voire 20 kilomètres.
402 PIERRE BONTE
44. I1 s’agit souvent de migrants de la Falaise auxquels les Peuls ont prêté des terres durant les
dernières décennies pour entretenir avec eux des échanges et obtenir des cér6ales.
45. Ils ont aussi empêch6 la création d’une banque de céréales à Dianveli qui aurait favoris6
l’autonomisationdu village.
46. Oh les villageois dogons de Gutsér6 auraient 6t6 antérieurement install6s.
47. Plus précisément du hameau de Ouagani.
404 PIERRE BONTE
Le dossier édité par Edmond Bemus et François Pouillon sur Les socié-
tés pastorales et le développement (1990) a fait litière de l’image d’Épinal
véhiculée durant des décennies qui présentait les pasteurs livrés à une
oisiveté contemplative - on parla même longtemps d’élevage contempla-
tif ou sentimental - et charriant d’incontournables archaïsmes culturels
que renforcerait une stagnation technique inévitable.
I1 y avait certes quelque paradoxe à insister de la sorte sur cet immobi-
lisme de l’éleveur, aussi bien sur le plan culturel que technique, alors que
l’on se complaisait à lui donner, par ailleurs, la figure du nomade refusant
à se fixer; mais une telle conception avait toutefois l’avantage de mainte-
nir l’éleveur dans le champ des connotations romantiques, alliant le
voyage à l’exotisme, l’aventure à l’authenticité et à la tradition, et permet-
tait ainsi de faire vibrer quelques cordes sensibles chez le lecteur’.
Dans ce nomadisme, on ne voulut voir longtemps qu’une simple capa-
cité à s’adapter aux variations cycliques et régulières, mais aussi parfois
soudaines, de l’environnement naturel, sans relever que cette capacité
d’adaptation aux fluctuations du milieu, par le biais du déplacement, s’ac-
compagnait d’une singulière aptitude à réorganiser la production, voire le
groupe social, selon les données nouvelles. Les études récentes ont
montré que les sociétés de pasteurs ne sont pas seulement en perpétuel
mouvement sur une aire géographique plus ou moins vaste ; elles le sont
encore de l’intérieur, au sein même de leur organisation sociale2.
L’immobilisme culturel et l’archaïsme prétendu des pasteurs ne résul-
taient en fait que de l’absence de champ pris par l’observateur, et de recul
1. Comme le note Amselle (1977a: 636): <<Dans la conjoncture intellectuelle qui s’est instauree
après mai 1968, la thematique du desir nomade a investi toute une fraction du champ intellectuel. D
Mais cette &poqueest aujourd’hui revolue.
2. Voir à ce sujet le numCro special des Cahiers d’Érudes africaines consacre à L’Archipelpeul
(Botte & Schmitz 1994a).
408 PHILIPPE BERNARDET
La mise en mouvement
3. Concernant la vall& du SBnbgal, voir Santoir (1994)qui constate que 1’6miettementdes campe-
ments y a 6t6 le plus fort entre 1958 et 1978,le nombre des campements ayant 6t6 multipli6 au moins
par trois durant cette p6riode.
410 PHILIPPE BERNARDET
ciées au souci de limiter les taxes et les frais d’élevages qui motiveront
une telle migration, mais la recherche de l’eau.
Pour s’en tenir à la région de Barani, signalons que l’administration y
recensait 9 972 personnes en 1958 cependant qu’il n’en subsistait plus que
2 838 en mars 1969 (Quéant & Rouville 1969b; Gallais 1972) ; ce qui
donne un aperçu de l’ampleur de la mise en mouvement et de la migration
qui, en vérité, est encore bien antérieure à 1958. Avant 1950 déjà, les
Peuls de Barani quittaient la plaine du Gond0 pour disperser leur bétail en
pays bobo, autour des marigots. Dans le même temps, ils semblent avoir
accru l’exploitation commerciale de leurs troupeaux (Quéant & Rouville
1969b).
Éleveurs peuls
0jusqu’en
Zone dgmplantation
1985
Zone d‘extension
de 1986 a 1988
depuis 1988
O 100 km
La fondation de Foulabougou
4. I1 semble cependant que, plus au sud, certains 6levages villageois employaient dkjà, depuis
plusieurs annies, des bouviers peuls.
416 PHILIPPE BERNARDET
5. Pour avoir le nombre total de Peuls présents à cette époque en Côte d’Ivoire, il conviendrait
d’ajouter les quelque 5 O00 bouviers peuls des &levagessédentaires des agriculteurs sen?ufo, malink&,
baoulé, dan, plus les femmes et enfants des premiers, soit au moins 10000 personnes. A ce chiffre, il
faudrait encore ajouter les bouchers, commerçants et transitaires, en sorte que l’ensemble des Peuls
présents à cette Cpoque en Côte d’Ivoire a pu, non sans fondement, être estime à 50000 âmes; ce qui
explique la fluctuation des chiffres dont s’&tonneArditi (1990); chiffres qui varient selon que l’auteur
ne prend en considération que les éleveurs peuls et leurs familles, voire les bouviers qui en dependent,
ou selon qu’il vise l’ensemble de la population peule prksente dans le pays, quelle que soit I’activit6
exercee par chacun.
418 PHILIPPE BEWARDET
Entre 1980 et 1986, l’élevage peul en Côte d’Ivoire est caractérisé par
une unité d’élevage circonscrite à un troupeau familial moyen de
145 bovins appartenant à cinq propriétaires6,toujours apparentés ; soit une
moyenne de 29 têtes par propriétaire. Cette moyenne demeure toutefois
trompeuse, car chaque unité d’élevage est en réalité placée sous la direc-
tion d’un chef de campement, chef de famille, qui possède généralement
les deux tiers du bétail, soit en moyenne une centaine d’animaux, cepen-
dant que les quatre autres propriétaires composant cette unité de production
moyenne, disposent, chacun, d’une dizaine de bovins seulement.
Le campement moyen comprend neuf à dix consommateurs (bouviers
salariés inclus), soit cinq à six adultes.
L’unité de travail pour la garde du troupeau compte un à deux bouviers,
qui sont soit des salariés d’origines diverses - sauf dans la région de
Dikodougou qui, comme nous le verrons plus loin, présente, sous ce
rapport, quelques particularités - soit des parents du chef de campement,
(généralement ses propres fils, parfois l’un de ses frères ou des neveux).
Ce n’est que dans les petits troupeaux, dont certains peuvent atteindre une
vingtaine d’animaux, rarement moins 7, que l’éleveur participe aux tâches
de gardiennage. Le gardiennage est toutefois le plus souvent individuel et
représente un travail pénible et hasardeux, surtout durant la transhumance
de saison sèche (Bassett 1994).
Au bétail zébu et méré s’ajoute parfois un petit cheptel ovin dont la
conduite peut nécessiter l’emploi d’un bouvier lorsque, dans les plus gros
campements, la troupe atteint plusieurs dizaines de moutons.
L’élevage ovin constitue un important moyen de régulation écono-
mique permettant de faire face aux petites dépenses et assure l’essentiel
6. Les études de la SODEPRA font gtnéralement ttat d’un troupeau moyen de 180 têtes.
Toutefois, les enquêtes sont souvent rtalisées dans les zones oh se concentrent les plus gros tleveurs,
en sorte que ces données nous paraissent surestimées. Bassett (1994) mentionne cependant un trou-
peau moyen de 180 têtes pour la rtgion de Katiali. I1 est vrai que la région de M’Bengué-Niellé se
caracttrise également par une forte prtsence des plus gros tleveurs (cf. carte 3). L’auteur signale
d’ailleurs que les plus gros troupeaux de brousse sont eux-mêmes scindés en deux troupeaux de 70 à
85 têtes en moyenne, cependant que le troupeau laitier comporte gtnkralement une vingtaine de
vaches suit6es ; ce qui porte en effet l’ensemble du cheptel à environ 180 têtes. Toutefois la majoritt
des élevages ne peut constituer deux troupeaux de brousse de cette importance; ce qui tend à confir-
mer qu’un cheptel de 180 têtes correspond aux zones de concentration des plus gros tleveurs, mais ne
saurait reprtsenter le cheptel moyen de l’ensemble des tlevages peuls, prksents en Côte d’Ivoire
- tlevage moyen qui ne doit guère dépasser 150 têtes. I1 est cependant vrai que les Peuls présents en
Côte d’Ivoire ont tendance à s’enrichir, en sorte qu’au fil des ans, l’on devrait assister à une élévation
sensible du cheptel moyen - à moins, comme il est probable, que cet enrichissement ne s’accompagne
d’une rtpartition nouvelle des richesses entre père et fils, voire entre aîné et cadet.
7. Lors de nos enquêtes, nous n’avons pas rencontré de troupeau inférieurà 18 têtes. Bassett
(1994) signale pour sa part que le plus petit troupeau recensé sur la région de Katiali comprenait
41 bovins, le plus gros tleveur de cette région possédant 1 O90 têtes. Nous avons rencontré, quant à
nous, un tlevage de plus de 1 300 bovins Nalogo en 1981.
420 PHILIPPE BERNARDET
8. Ceci est également vrai pour I’écoulement du lait trait par les bouviers des élevages séden-
taires; ce qui conduit àjuste titre Arditi (1990: 145) à moduler quelque peu les condamnations sans
appel de la SODEPRA concernant la traite faite par les bouviers àleur profit, laquelle influerait nota-
blement et nigativement, selon cette sociitk, sur la croissance des veaux.
9. Compagnie ivoirienne des textiles, encadrant la production de coton sur l’ensemble des savanes
du Nord et du Centre de la Côte d’Ivoire.
422 PHILIPPE BERNARDET
10. Soit 230000 dbus et mCrks pour 234000 taurins, auxquels il convient d’ajouter 35000 taurins
du pays lobi, dans le Nord-Est, et le bétail appartenant aux Malinké des prkfectures de Ségukla et
Touba i l’Ouest, ainsi que celui appartenant aux Dan-Yacouba de la sous-prkfecture de Biankouma,
soit encore 96000 taurins, auxquels il faut adjoindre les 70000 taurins baoulks du Centre et quelque
10000 têtes des trois ranchs nationaux existantà I’tpoque; soit un cheptel national total, en 1980, de
675O00 bovins, toutes races confondues.
PEULS EN MOYENNE ET HAUTE CÔ)TE D’IVOIRE 423
11. L’échec des tentatives de creer des reserves pastorales pour les Peuls s’observe dans d’autres
pays, même lorsque les conditions sanitaires paraissent plus favorables. Waters-Bayer et Bayer
(1994) constatent ainsi que sur la centaine de pasteurs peuls enregistres en 1979 dans la reserve de
Kurmin Biri, au Nigeria, il ne subsistait plus que cinq familles aux alentours de 1990; ces auteurs
suggèrent que les éleveurs peuls recherchent en définitive la proximité des cultivateurs.
PEULS EN MOYENNE ET HAUTE CôTE D’IVOIRE 425
Les conflits plus ou moins violents qui, entre 1970 et 1990, vont
émailler les rapports entre éleveurs et agriculteurs et qui auront pour motif
apparent les dégâts occasionnés dans les cultures, seront en réalité structu-
rés par la dynamique et l’enchevêtrement des rapports de production
propres à l’élevage en zone soudano-guinéenne; rapports qui concement
PEULSENMOYENNEETHAUTECÔTED'IVORE 427
j MarabGiassa
,---A ;Katiola
l I”anknnr\ A
De telles stratégies, que l’on rencontre dans tous les pays concernés par
l’élevage peul en zone subhumideI3,sont encore mises en place à des fins
directement lucratives. Implanter son champ à proximité de l’espace de
rotation du parc à bétail peul peut, en effet, être une façon d’obtenir des
indemnités, et donc un revenu, sans avoir à travailler jusqu’à la récolte
finale. Jacqueline Peltre-Wurtz (1979) avait déjà signalé ce genre de
pratiques chez certains Sénoufo de la région de Niofouin, tendant à tirer le
meilleur parti possible de la présence des Peuls sur le finage villageois, en
multipliant les occasions d’obtenir des indemnisations de la part des
éleveurs, perçus comme des gens riches, pouvant aisément prendre en
charge ce type de dépenses et se devant d’autant plus de le faire qu’ils se
trouvent être les <<hôtesD des agriculteurs, possesseurs de la terre.
Ces stratégies ne furent pas sans conséquences sur l’attitude des Peuls,
dont le pouvoir économique permit d’y répondre en organisant la cormp-
tion des commissions sous-préfectorales d’indemnisation des dégâts de
cultures. Cette réponse des Peuls concourut grandement à faire supporter
les méfaits d’une telle pratique par l’ensemble de la population paysanne,
comme à développer la rancune des cultivateurs à l’égard des Peuls. Dans
certaines régions, et singulièrement à Dikodougou 14, il devint de plus en
plus difficile àtout agriculteur victime d’un dégât de cultures d’obtenir
une compensation correspondant à ses pertes.
D’autres éleveurs prirent des dispositions d’ordre technique pour tenter
de limiter ces sources de frictions, en maintenant par exemple le troupeau
de brousse à l’écart du reste du cheptel, même durant la saison des pluies,
ou en organisant diffkremment l’espace de production durant cette même
période. C’est ainsi que certains éleveurs rassemblèrent, sur une même
aire, leur campement et le parc à bétail, déplaçant l’un et l’autre à distance
des anciennes soles fumées et mises en culture. Ainsi, tout cultivateur qui
viendrait à cultiver à proximité du parc en activité, plutôt que sur la sole
réservée à la culture, pourrait Ctre dénoncé comme un provocateur.
I1 n’en demeure pas moins que ces différentes sources de frictions et
d’oppositions seront naturellement un terrain favorable à l’explosion de
heurts violents entre les deux communautés ; heurts qui seront parfois le
prétexte à quelques reglements de compte entre cultivateurs : c’est ainsi
que, durant les affrontements en 1986, certains Sénoufo et Dioula, proprié-
taires de bovins, seront eux-mêmes mis en cause par leurs coreligionnaires,
moins fortunés, les accusant d’avoir partie liée avec les Peuls.
13. Ann Waters-Bayer et Wolfgang Bayer (1994: 224) les ont rkcemment observkes au Nigeria.
14. Sur la rkgion de Katiali, pres de M’Bengub, Bassett (1994) signale qu’entre 1981 et 1991,
moins de 30 % des d6gâts de cultures furent, en moyenne, indemnis6.s; 7 % seulement d’entre eux le
furent durant la campagne 1981-1982.
PEULS EN MOYENNE ET HAUTE CÔTE D’IVOIRE 433
Le confit de I981
quelques morts parmi les bouviers des élevages peuls. Quelques cas d’af-
frontements furent également signalés vers M’Bengué et Korokara, en
lisière, notamment, du projet d’aménagement de la zone du Lokpoho.
Ces affrontements provoquèrent le déplacement d’un certain nombre
d’éleveurs, notamment de la région de Sirasso-Boundiali, vers le nord, en
direction de Niellé et du Mali, comme un déplacement vers l’est de
certains éleveurs stationnant au nord de Ouangolodougou jusqu’à Tiègbé.
Ce mouvement vers l’est de quelque 5 O00 têtes et d’une trentaine de
campements jusqu’en pays komono et lobi était, à l’époque, tout à fait
remarquable et exceptionnel. Rejoignant la sous-préfecture de Téhini
pour se rassembler au nord, le long de 1’Iringou et aux alentours de
Tougbo, après avoir passé la Comoé, les éleveurs peuls longeaient la
réserve de faune,.particulièrement infestée de glossines, et faisaient ainsi
courir de grands risques à leur cheptel.
Cette nouvelle stratégie de fuite, qui conduisait habituellement les
peuls à regagner le Mali ou la Haute-Volta, paraît avoir eu plusieurs
causes conjoncturelles. I1 semble en effet que les premiers signes avant-
coureurs d’une épizootie avaient été décelés par certains éleveurs qui,
durant cette période, étaient précisément venus s’installer en Côte d’Ivoire
en passant par Niellé ; ce qui semble avoir ultérieurement dissuadé une
partie des Peuls,-objet de la vindicte paysanne, de remonter vers le Mali.
Par ailleurs, le 7 mars 1981, une descente de police à 1’Ile-Boulay
(banlieue d’Abidjan) avait provoqué la mort de plusieurs dizaines de
Voltaïques et de Ghanéens, suscitant divers incidents diplomatiques,
notamment entre la Côte d’Ivoire et la Haute-Volta, dont le gouvemement
menaqait de bloquer les frontières et d empêcher ultérieurement toute
immigration de ses ressortissants vers la Côte d’Ivoire pour laquelle ils
constituent une main-d’œuvre indispensable. En rejoignant la Haute-
Volta, les éleveurs peuls craignaient donc d’avoir de grandes difficultés à
revenir en Côte d’Ivoire lorsque les esprits se seraient calmés, alors, d’une
part, que la frontière entre les deux pays pourrait être fermée et que,
d’autre part, le détour par le Mali risquait lui-même d’être compromis par
le développement d’une épizootie redoutée. Ainsi certains Peuls se réso-
lurent-ils à tenter de séjourner quelques mois en pays lobi, le long de la
frontière voltaïque, le plus loin possible, malgré tout, du parc national de
la Comoé, afin de limiter l’attaque du bétail par les mouches tsé-tsé, et
dans l’attente d’un retour prochain dans la région de Boundiali. Enfin,
certains éleveurs semblent être entrés au Ghana.
Les escarmouches entre Peuls et Sénoufo ne tarderent pas à s’atténuer,
et permirent la réinstallation rapide des Peuls dans leur zone d’implanta-
tion, d’autant que les Lobi ne manquèrent pas, de leur côté, de << flécher >>
les animaux des Peuls, responsables de quelques détériorations de
cultures.
PEULS EN MOYENNE ET HAUTE CôTE D’IVOIRE 435
C’est encore le personnel politique qui mit le feu aux poudres en 1986,
à la suite de la campagne électorale du dernier trimestre 1985. Une fois de
plus, les candidats à la députation stigmatisèrent l’attitude des Peuls,
promirent leur départ et mirent en cause les aménagements coûteux faits,
à leur profit, par la SODEPRA. La violence des affrontements fut, cette
fois, bien supérieure à celle des événements de 1974 et de 1981. Toutefois,
ce n’est pas à l’occasion de la campagne électorale elle-même que les
principaux heurts eurent lieu.
L’Clément nouveau par rapport aux précédents conflits est la mise en
place d’un nouveau personnel politique ayant précisément tenté d’obtenir
les voix des agriculteurs sénoufo en exacerbant la rancœur paysanne. À
l’occasion de cette installation, durant le premier trimestre 1986, les chefs
traditionnels exigèrent des responsables politiques le respect de leurs
engagements et des actions précises afin de mettre un terme aux vols de
bétail et aux destructions de récoltes. Des contacts furent ainsi pris durant
plusieurs mois par les autorités traditionnelles avec le nouveau personnel
politique comme avec l’administration régionale ; les représentants des
paysans affirmant ne pas vouloir subir, lors de la prochaine campagne
agricole, les mêmes pertes que celles qu’ils avaient pu conndtre en 1985
et qui furent d’autant plus lourdes que les perturbations provoquées par la
campagne électorale avaient déjà suscité la désertion de certains bouviers
des élevages transhumants, laissant les troupeaux sans surveillance. L’on
se souvient encore que la région de Kiémou, zone traditionnelle de trans-
humance de certains élevages stationnant habituellement aux alentours de
Dikodougou, avait été le théâtre d’une << grève >> des bouviers en 1984,
source d’importants dégâts. Aussi n’est-il pas surprenant qu’en 1986,
l’initiative de tels contacts revint aux autorités traditionnelles de la région
de Dikodougou, et notamment de Guiembé, Koko, Kiémou, Nerkéné,
excédées qu’elles étaient, d’une part, de la multiplication des vols et des
dégâts subis ces deux demières années par leurs communautés et, d’autre
part, par la corruption organisée par les éleveurs peuls, dont la plupart,
résidant dans la région depuis dix à vingt ans, bénéficiaient d’aménage-
ments appréciables et dont la puissance économique était particulièrement
importante.
Dès la fin du mois de mars, la rumeur courut dans la région que les
Senoufo allaient déclencher une guerre contre les Peuls. Cette rumeur, en
partie ignorée de l’encadrement ou minimisée, fut toutefois suffisamment
précise pour être prise au sérieux par la communauté peule qui ne tarda
pas à prendre certaines dispositions en délestant une fraction des trou-
peaux vers Boundiali, Korhogo, voire même en direction de la frontière
malienne comme du Burkina Faso, tout en installant une partie de leurs
familles en ville, notamment à Boundiali et Korhogo.
436 PHILIPPE BERNARDET
forêt dense. D’un autre côté, 2000 têtes appartenant aux Peuls firent
également mouvement à partir de Boundiali, en direction de Dianra.
Enfin, les éleveurs de la région de Dikodougou, qui s’étaient réfugiés vers
Korokara, Niellé, Ouangolodougou, et qui faisaient habituellement trans-
humer leur bétail sur la rive ouest du Bandama Blanc, firent descendre
leurs troupeaux sur la rive est, durant la saison sèche de 1988-1989, tout
en les poussant toujours plus au sud en direction de Tafiré,
Niakaramandougou, Katiola, Dabakala, longeant ainsi le pays dioula de
Kong. La zone située au sud, entre Dikodougou et Mankono, devint
également une zone privilégiée de transhumance.
Cette descente au sud semble avoir été générale et fut telle qu’à la fin
de 1988, la SODEPRA-Centre enregistra plusieurs Peuls sur la frange nord
du lac de Kossou, à proximité de Tiéningboué, Kounahiri et Béoumi ; ce
qui, un an plus tôt, était inimaginable, mais ce que confirmeront ultérieu-
rement les études de la SODEPRA-Nord menées par J.-B. Defaye
concernant la transhumance de 1989-1990 comme celles ultérieures de
1991 et de 1992 (Bassett 1994 : 153-155). Métissant leurs troupeaux et
suivant les défrichements de la culture du coton, les éleveurs peuls parvin-
rent à rejoindre des régions que tous les experts excluaient jusqu’alors de
leurs prévisions relatives à l’extension possible de l’élevage peul.
Ce faisant, les Peuls s’enfongaient ainsi toujours davantage dans la
zone de la culture de l’igname, qu’ils avaient déjà atteinte en abordant les
alentours de Korhogo, mais surtout de Sirasso et de Dikodougou. Or,
comme le souligne Bassett (1994), si, dans les régions céréalières, les
récoltes sont achevées en décembre, elles ont encore cours au début du
mois de février dans la région de l’igname. De surcroît, la plantation des
ignames a lieu dès le début du mois de mars, deux à trois mois plus tôt
que les semis de céréales. Ainsi les occasions de dégâts dans les cultures
s’accroissent-elles au fur et à mesure que les Peuls s’enfoncent dans la
zone de l’igname, laquelle englobe les pays lobi et koulango du Nord-Est.
En s’approchant des savanes du <<VD baoulé du Centre de la Côte d’Ivoire,
les Peuls abordent toutefois un tout autre système de culture, fondé, cette
fois, sur l’exploitation des galeries forestières, laissant, par endroits, de
grands pans de savanes disponibles, au point d’ailleurs que les bouviers
peuls, en charge du bétail des agriculteurs et planteurs baoulé, n’assurent,
eux-mêmes, qu’une garde sommaire des troupeaux durant la saison des
pluies ; le cycle de gardiennage se trouvant, ici, souvent inversé (Bernardet
1988: 91).
Le reflux massif des Peuls posa également de nombreux problèmes au
Mali dans les régions frontalières, en sorte que, malgré la violence des
affrontements de 1986 et les escarmouches de 1987, le retour des Peuls en
Côte d’Ivoire fut plus rapide que prévu. Alors qu’en octobre 1986 l’on ne
dénombrait plus que 1730 bovins appartenant aux Peuls aux alentours de
Sirasso - région qui, avec celle de Dikodougou, fut principalement
440 PHILIPPE BERNARDET
15. Blench (1994) signale tgalement que les Peuls installCs au Nigeria eurent aistment accès aux
armes à feu et ne se privèrent pas d’en acqutrir. Or de nombreux Peuls, prksents au Ghana, ttaient
prtalablement passts par le Nigeria ou en provenaient.
PEULS EN MOYENNE ET HAUTE CÔTE D’IVOIRE 441
16. Blench (1994) confirme que de nombreux pasteurs du Nigeria durent rechercher de nouveaux
pâturages, durant des dtcennies, dans les pays voisins de l’Ouest.
442 PHILIPPE BERNARDET
* Les donnks pr6sentks ici ont Btt?recueillies au cours d’une recherche de terrain au Mali central
financee par WOTRO (Fondation nkerlandaise de recherches tropicales, dossier W 52-494).Nous
remercions Jantine Moesbergenpour ses corrections du texte français.
446 MIRJAM DE BRUIJN & HAN VAN DIJK
1. Un projet est une organisation qui veut survivre et le problème principal est donc de r6duire
I’inskurit6 dont elle souffre toujours (Thompson 1967: 159; Mintzkrg 1979: 21).
2. Voir De Bruijn & Van Dijk 1995 pour l’ethnographie de la r6gion.
3. Les termes WeheeGe, JalluGe, MoodibaaGe, NyeeyGe, JawaamGe et RiimayGe indiquent des
catkgories professionnelles. Les groupes sont endogames et coïncident avec des lignages. Le terme
Jallube est incorrect parce qu’il se rapporte 1 un clan et non 1 une cat6gorie professionnelle.Le terme
Eggu-HodaaGe signifie les gens qui transhument, ce qui ne correspond plus 2 la situation actuelle des
448 MIRJAM DE BRUIJN & HAN VAN DLTK
dleveurs. Le surnom des groupes pastoraux est Jallo. Les Wehee6e aussi disent qu’ils sont du clan
Jullu6e, un des quatre grands groupes claniques des Fu& dans cette partie de l’Afrique occidentale.
Pour une dlaboration de la formation de la hi6archie sociale dans le Hayre, voir De Bruijn & Van
Dijk 1994.
ÉLEVEURS DU MALI CENTRAL 449
définissent. Les Jallu6e se considèrent surtout comme des éleveurs pour qui
cultiver n’est qu’une tâche pour se nourrir: ils sont cultivateurs par défaut
(Kone & Tioulenta 1994: 12). Les RiimayGe, au contraire, sont d’abord des
cultivateurs pour qui les animaux ne représentent qu’un capital.
4. La zone d’intervention de I’ODEM &ait la rkgion de Mopti ainsi qu’une partie des kgions de
Tombouctou et de Gao.
ÉLEVEURSDU MALI CENTRAL 45 1
5. L’ODEM ttait financt par un prêt de la Banque mondiale (77 %) et par des organismes natio-
naux (23 %) (ODEM 1984).
452 MIRJAM DE BRUIJN & HAN VAN DIJK
herder cooperatives, fill an orgänizational vacuum which was preventing the full
exploitation of existing boreholes and finally to organize self-help by grassroots
producers. >>
Le grenier de réserve
Durant notre séjour à Serma, de juillet 1990 à février 1992, nous avons
souvent été confrontés à une disette telle que les gens ne pouvaient pas
travailler. Ils préféraient acheter des drogues plutôt que des céréales car,
pour la même s o m e d’argent, elles donnent plus d’énergie. Beaucoup de
gens souffraient aussi de maladies chroniques et de sous-alimentation.
Cette pénurie a interféré avec notre recherche pendant la période de
soudure et la saison des pluies. Nous avons passé beaucoup de temps à
transporter des sacs de mil afin de les vendre à bas prix aux habitants de
Serma. La cohue qui régnait alors montrait bien la difficulté de vivre à
Serma, d’autant que les pauvres ne profitaient pas de notre aide. La pénu-
rie de vivres était un des sujets lancinant dans nos conversations avec les
gens. En fin de séjour, nous avons consacré un temps important à la situa-
tion des pauvres et aux problèmes de santé dans les campementsfu16e et
dans le hameau des Riimay6e (De Bruijn & Van Dijk 1995).
Au cours d’une discussion, des gens nous demandèrent de les aider à
créer un grenier de réserve, comme cela se faisait déjà chez des cultiva-
teurs de la région. Ce qui les intéressait était moins le financement que de
trouver des arbitres pour les aider à s’organiser. Pour eux, le manque d’or-
ganisation du village constituait une des causes principales de leur misère.
C’est surtout pendant la saison des pluies lorsqu’on travaille aux champs
et que le prix du mil est au plus haut, que la situation alimentaire devient
critique : pour la plupart des habitants de Serma, le mil est alors trop cher
et ils ne peuvent échapper à la famine. Ils manquent de forces pour
travailler et la récolte suivante est compromise. Pour beaucoup de familles
c’est un véritable cercle vicieux (White 1990).
Le chef de Booni, dont Serma est un quartier aurait dû se préoccuper
de cette situation. Mais étant aussi leur <<cheftraditionnelD, il bénéficie de
certains droits anciens. Chaque famille, par exemple, doit lui remettre un
animal à I’occasion d’une visite. De plus, il peut toujours prétendre à une
partie de la récolte ou à d’autres biens auprès des Jallu6e et des Riimay6e.
Dans ces conditions, la création d’un grenier de réserve avec ce chef
comme président équivalait, selon les habitants, à nourrir sa famille : ce ne
serait en fin de compte qu’une répétition de la réserve de pâturages de
1’ODEM. Or, les gens de Serma voulaient un grenier de réserve pour eux
seuls, afin que chaque groupe social (suudu baaba7) du village puisse
profiter de cette initiative.
7. Suudu buubu designe la maison du père, ou bien le lignage patrilintaire. Ce terme englobe aussi
tout le village, donc les gens qui ont des buts communs.
ÉLEVEURS DU MALI CENTRAL 455
8. Dans le passé, il y eut des conflits entre les Weheebe de Booni et les Seedoobe qui aboutirent &
une alliance spéciale entre les deux groupes, donnant aux Seedoobe beaucoup de liberté envers les
Wekeebe, selon les traditions orales. Quelques Seedoobe sont aujourd’hui plus proches des Weheebe
que des Jallube.
456 MIRJAM DE BRUIJN & HAN VAN DIJK
9. Les HummbeeGe sont des Dogon islamisbs, des cultivateurs qui habitent la region depuis long-
temps d6jà. Les JulluGe s’installent sur les champs des HummbeeGe et leurs femmes ont l’habitude de
troquer du lait avec les femmes hummbee6e. Ce sont des liens qui existent depuis des gbnbrations.
ÉLEVEURS DU MALI CENTRAL 457
projet tous les groupes sociaux, afin qu’il ne soit pas seulement un succès
technique. On a déjà mentionné les présupposés concernant l’économie
des Ful6e. De même se pose la question : comment communiquer avec la
population? La plupart des éleveurs et des cultivateurs ne parlent pas le
français. Lors d’une réunion à Toula, 1’ODEM voulait créer une associa-
tion de Fulbe éleveurs et de Hummbee6e cultivateurs pour gérer un puits.
D’abord, il était difficile de leur expliquer le bien-fondé d’une telle asso-
ciation; ensuite restait à savoir s’ils pourraient la gérer en français. Aucun
des éleveursful6e ne parlait le moindre mot de cette langue et personne ne
savait I’écrire. C’est donc un Kummbeejo (plur. HummbeeGe) qui a pris
cette tâche et les Hummbee6e ont occupé toutes les positions-clés. Pour le
grenier de réserve nous avons utilisé le fulfulde écrit en caractères latins et
arabes, puisque des marabouts connaissant l’arabe disposent de la
confiance de la population. On devrait donc recourir à leurs services dans
les projets.
L’impossibilité de <<trouver>> des Ful6e, souvent définis comme des
<<broussards>>’ pour devenir membres de l’association apparut comme une
autre difficulté à la réunion de Toula. Ils n’étaient que quelques-uns parmi
une majorité de Hummbeebe. Toula est un village hummbeebe et les Ful6e
ont honte d’y entrer comme ils ont honte de parler en public, surtout en
présence d’Hummbee6e ou d’autres <<&rangers >>.
Un facteur culturel important tient à la distinction entre vie publique et
vie privée. Les Jallu6e parlent très peu en public. Ils n’exposent ni leur
richesse ni leurs problèmes devant les autres. Même entre eux, ils n’évo-
quent qu’avec retenue achats et ventes d’animaux. C’est la réticence
(yaage),ensemble de règles qui organisent les rapports sociaux entre
parents, voisins, et qui régissent les façons de faire. Si ces règles ne sont
pas suivies, les gens éprouvent un sentiment de honte. Yaage est très
important dans les rapports entre hommes et femmes. Ce sentiment existe
aussi entre Wehee6e et Jallube. Envers les RiimayGe, les Jallu6e n’éprou-
vent pas de yaage. Aussi, toutes les questions de financement, d’achat,
etc., ne peuvent être réglées par les seuls Jallu6e et encore moins lors de
réunions publiques. Toutes les décisions doivent être prises avant la
réunion, parce qu’il n’est pas permis d’exprimer une divergence d’opi-
nion en public. Le déroulement du projet de grenier de réserve a mis en
évidence le rôle d’intermédiaires joué par l’imam et les Riimay6e de
confiance. Un comité ou une association dominé par des Jallube et des
Wehee6e ne peut fonctionner sans représentants d’autres catégories
sociales.
Le même sentiment de honte (yaage) est responsable de la non-partici-
pation des femmes jallu6e. Elles éprouvent, plus encore que les hommes,
de la honte entre elles et ne parlent jamais en public. Par suite de la divi-
sion des tâches entre hommes et femmes, elles n’entrent pas dans les
domaines masculins. Elles s’occupent du lait et des petits animaux mais
460 MIRJAM DE BRUIJN & HAN VAN DIJK
10. Voir aussi Joekes & Pointing (1991) et Horowitz & Jowkx (1992) qui ont constat6 les mêmes
processus dans d’autres soci6t6s pastorales en Afrique.
ÉLEVEURS DU MALI CENTRAL 46 1
Epilogue
Cette politique, qui se veut favorable aux éleveurs, atteint très rapide-
ment ses limites. La concentration des troupeaux sur les plateaux aboutit à
une dégradation du pâturage qui se traduit en savanes humides par un
processus d’envahissement par les ligneux, arbres et arbustes, et un affai-
blissement de la valeur fourragère des graminées dont les meilleures
espèces disparaissent. Cette dégradation est remarquée dès 1950, mais les
études menées par les agrostologues et quelques essais de mise en défens
n’ont que peu de conséquences sur le plan pratique. À la fin des années
1950, les vétérinaires cherchent à ouvrir de nouvelles zones aux éleveurs.
Un important programme de mise en valeur est réalisé dans la région de la
Topia, à l’est de Carnot ; un bain détiqueur y est installé et la zone est
PEULS MBORORO DE CENTRAFRIQUE 469
2. Les communes d’&levage ont Bt6 cr66es en 1963, ?a partir des zones d’6levage.
470 GÉRARDROMIER
Extension de I’élevage
Un avenir incertain
Parmi les facteurs intérieurs pouvant avoir une influence sur la présence
des éleveurs peuls en RCA,les plus décisifs, nos yeux, sont les possibili-
tés d’écoulement du bétail ; les problèmes d’insécurité ; les relations avec
les paysans et les droits fonciers reconnus à l’élevage pastoral; la place de
l’éleveur dans la société centrafricaine ; la santé animale ; et, enfin, la
dégradation des pâturages.
Le marché intérieur absorbe 290 O00 têtes de bétail dont 66 O00 pour
Bangui. L’approvisionnement en viande de la capitale se fait de moins en
moins à partir du troupeau centrafricain qui n’en assurait plus que 56 %
en 1990 contre 93 % en 1986. En 1960-1965,90 9% du tonnage était
constitué par du bétail centrafricain.
Sur le marché intérieur les cours du bétail dépendent en grande partie
du pouvoir d’achat des fonctionnaires. En 1992 et 1-993ceux-ci étaient
payés avec plusieurs mois de retard; en 1994 ils sont payés avec régula-
rité et, malgré la dévaluation du franc CFA,les ventes reprennent. Le
problème principal, sur le marché intérieur, concerne surtout les éleveurs
de la région est, en concurrence directe pour l’écoulement de leur produc-
tion avec les importations en provenance du Soudan. Les régions
diamantifères de la Haute-Kotto, approvisionnées traditionnellement à
partir de la zone de Bambari, ne recevaient plus en 1990 que du bétail
soudanais. Toujours en 1990, les prix étaient 25 % plus élevés dans la
région ouest pour les meilleurs animaux et le différentiel atteignait 40 %
pour les femelles de réfoime et les animaux hors d’âge.
La concurrence des animaux en provenance du Soudan ou du Tchad
n’est pas un phénomène nouveau. L’approvisionnement de Bangui a
longtemps été assuré à partir du Tchad, puis à partir du cheptel centrafri-
cain mais la tendance s’est inversée ces demières années au détriment des
Cleveurs de l’est. Ceux de l’ouest approvisionnent la région de Carnot-
Berbérati, déficitaire en viande, et exportent aussi vers le Cameroun.
D’une manière générale, la perte de pouvoir d’achat des éleveurs a été
très importante, à cause de la baisse des prix du bétail, de l’ordre de 20 %
entre 1985 et 1990. Ceci a accéléré la surexploitation du troupeau chez les
petits éleveurs et une décapitalisation. Le taux d’exploitation moyen est
de 13 % mais atteint 19 % chez les plus pauvres. Or, le taux d’équilibre se
situerait à 12 %. Certains de ces éleveurs appauvris ont ainsi dû se lancer
dans la pratique de l’agriculture.
très difficiles et, qu’à moins d’une détérioration notable de leurs condi-
tions de vie, les éleveurs peuls centrafricains sont peu enclins à quitter le
pays. Ils y ont acquis, au fil des ans, une reconnaissance sociale et leur
poids économique rend leur présence nécessaire. Si la situation sanitaire
paraît à peu près maîtrisée,-il ne faut pas perdre de vue que l’élevage en
savanes humides reste un <<élevagesous seringueB dépendant d’un appro-
visionnement régulier en médicaments vétérinaires d’un prix élevé. De
plus, les problèmes de dégradation des pâturages, de droits fonciers, et de
sécurité n’ont pas encore trouvé de solution et inquiètent fortement les
éleveurs. La non-résolution de ces problèmes ne peut que concourir à
accroître une mobilité déjà forte. Le Service de 1’Elevage et les Projets
s’emploient, avec l’appui des bailleurs de fonds et des autorités, à les
résoudre. Mais ces problèmes qui relèvent plus du domaine social, voire
politique, que technique, seront plus délicats, plus difficiles, et surtout
plus longs à Ctre traités que les questions de santé animale.
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120, 121, 123, 124, 125, 126, 127, Grassfields (Cameroun) : 25.
128, 129, 131, 143, 145, 147, 151, GR~GOIRE, abbé : 9.
154, 157, 158, 159, 165, 167, 168, GRODET, gouvemeur : 126.
169, 172, 173, 174, 179, 188, 189, gudaali: AD 369.
190, 191. Guémé Sangan (Guinée) : 169.
Fuuta Tooro : 14,18,24,26,27,28,30,37, Guinée: 21, 142, 173, 174, 184. .
71, 143, 153, 154, 155, 157, 168, 169. Guinée Bissau: 102, 112, 145, 147, 157,
158, 168, 174, 175, 182.
Guinée française: 110, 111, 121, 131,
G 142 (v. aussi Guinée).
Guinéens : 173.
GaaGu: 15, 16, 102, 141, 142, 143, 144, Guinée portugaise: 143, 150, 151, 154,
145, 147, 169, 173, 174, 175, 178, 165, 178 (v. aussi Guinée Bissau).
179, 189. GUIROYEROBOCAR:171, 172,186,187,
GaaGunke (Peuls): 141, 151, 156, 162, 190,191.
168, 183, 185, 186, 192. gure: v. wuro.
Gabou: v. GaaGu.
Gabounkés : v. GaaGunke.
gacce: 86. H
galle: 177, 189.
GALLIENI, JOSEPH:103, 110. haafie, sing. kaado : BB 95, 96, 97, 201,
Gambie: 75, 142, 145, 147, 150, 156, 202, 208, JL 226, MS 241, AD 352,
168, 169, 170, 177, 178. 356, 362, 368, 369.
Gando: BB 12, 18,43. Haalpular’en : 14.
Gando (Mali): 385, 387, 388, 396, 397, hadith: 158.
398, 404. Haïni (Burkina Faso): 223, 231.
gandukeefie: BB 208. hakkiilo : 85.
Gao (Niger): 217. Hamallisme : 16.
Gaobe : v. Gawoofie. Hamana (Guinée) : 117.
gasiiri: BB 205. Hamdallaye (Sénégal): 147, 150, 170.
gasol: AD 354. Haoussa: 32,219,223,356,465.
Gawal (Guinée) : 173. Harungana mad. : 477.
Gawoofie (Peuls) : 37,38,222,223,224, Hautes Scarcies (Sierra Leone) : 107.
225, 232. Hayre (Mali) : 17,447,449.
gawri: BB 206. HECQUARD, HYACINTHE : 108.
Gbandi: 133. Heremakono (Guinée): 102, 106, 117.
Gbaya: 31,465,473,475. hiirde : AD 29, 305.
geerewol: NE 29. hijra: 14.
Ghana: 234,434,438,440,441. Hombori (Mali) : 71.
ginaaji: BB 95. hor6e, sing. kordo: FS 162, AD 309.
Gola: 133. Hubbu: 104,105.
Gondo (Burkina Faso): 40, 373, 375, hu66inirde : 201.
378, 383,411.
gooduado: FS 153.
Gorée (Sénégal) : 14. I
Gourma (Niger, Mali) : 38,46, 21 3, 219.
Gourmantché: 213, 214, 215, 219, 220, Iboghelitan (Bella) : 224, 227, 228, 230.
221, 223, 224, 225, 226, 227, 228, IBRAHIMA, almami: 103, 104, 109, 111,
229. 113.
526 FIGURES PEULES
Mauritanie: 10, 16, 17, 27, 41, 53, 62, Ngaabu : v. GaaGu.
157. Ngaoundéré (Cameroun) : 32, 35, 39,
mawGe, sing. mawdo : BB 96. 293,297, 305, 350, 363, 465.
mawdo laawol pulaaku : NE 89. ngaynaaku : 84.
Mayalo-Polynésiens : 77. Niampayo (Sénégal) : 170.
Mbewe’en (Peuls) : 357, 364. Niani (Sénégal): 171, 177.
Mbororo (Peuls): AD 31, 37, 38, 289, Niellé (Côte d’Ivoire): 412, 414, 417,
357, 358, 360, 365, 366, 368, 371, 420,438.
463, 465,468, 471. Niger (haut): 127.
Mboum : 349,351,352,354. Niger: 7, 13, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 24,
Medinael Hadj (Sénégal): 171, 172, 176, 26, 28, 30, 33, 41, 42, 44, 45, 61, 62,
177, 178, 191. 70, 71, 77, 85, 101, 115, 120, 143,
- Medina Gonasse (Sénégal): 172. 165.
Medina Yoro Foula (Sénégal) : 174, 187. Nigeria: 21, 26, 32, 48, 49, 441, 463,
Medine (Sénégal): 117, 119, 120. 478.
Meiganga (Cameroun) : 31. Nil: 10, 64.
Mellakore (Guinée): 149. . Ninguedugu (Guinée) : 1 17.
Mende: 133. Nioro (Mali): 14, 120.
MEFENPTAH: 66. Nord-Cameroun: 59, 305.
Meribe Demba (Sénégal): 183. Nord-Nigeria: 143.
MBSHER:66. Nubie: 56.
Milo (Guinée) : 120. Nyando (Guinée) : 119.
misiide: FJ 114, 191. NyeeyGe: MS 447.
Missira (Sénégal): 171, 187. Nyem Nyem: 349,351,361,362.
MOHAMMADU BELLO: 19.
MOLLIEN, GASPARD:19.
Monoma (Guinée) : 112. O
MoodibaaGe (Peuls) : 447,448.
Mossi: 213, 219, 220, 221, 224, 225, Oil Rivers (Nigeria) : 13.
227, 228, 229, 233, 272, 280, 385, Opobo (Nigeria) : 13.
391. OQBA BEN NAFI: 8.
Mossibe (Peuls) : 219. , ORTIZ DE MONTELLANO : 82.
Moundiouri : 171. Osso10 (Niger) : 38.
MOUSSAMOLO: v . Muusa Molo. Ouagadougou (Burkina Faso): 218.
munyal: NE 85. Oualata (Mauritanie) : 62.
Muséum d’histoire naturelle: 76. Oubangui-Chari: 464,465,466,468.
MUUSAMOLO:110, 145, 146, 147, 148, Ouda’en (Peuls) : 475.
149, 150, 151, 153, 154, 156, 165, Oudalan (Burkina Faso): 15,38,47,213,
167, 168, 169, 170, 175, 176, 177, 218,219, 221.
178, 187. Ouenat (Libye, Soudan) : 56.
Ouro Alfa (Burkina Faso) : 232.
OUSMANDAN FODIO:v. Usman dan
N Fodyo.
na’i: 38.
nanngaado : FS 152. P
Navétanes : 167.
ndimaaku : v. dimaaku. Pakao (Sénégal): 146, 171.
Ndoma (Sénégal): 146,147, 170, 175. Palé (Côte d’Ivoire) : 423,424.
Ndovi’en (Peuls) : 39. Pana (Centrafrique) : 465.
ngaafidi : 162. Paoua (Centrafrique) : 47 1.
INDEX 529
Vaï: 133.
Velingara (Sénégal) : 172, 173. Y
VollarGe (Peuls): 350, 351, 352, 364.
Vouté : 349, 352. yauge : 459.
Yagha (Burkina Faso): 38.
Yaloké (Centrafrique) : 471.
W Yatenga (Burkina Faso): 25,34,35,213,
271,274, 280, 377.
Waalo (Sénégal) : 14. Yola (Nigeria): 293, 294, 295, 296, 297,
Wagadou (Mali) : 168. 298, 300, 301, 348, 350, 355, 464,
Wakambe (Peuls): 214,215,223. 465.
WambaaGe : FT 28. Yoruba: 8.
warräq: 27.
wasanguri: 203,207,208,209.
Wasulonke : 107. Z
Wasulu (Mali, Guinée) : 106.
wuynau6e : AD 350. Zaire (ex-): 478.
Wehee6e (Peuls) : 447,449,450. zukkat : v. jukka.
Welia Kalifa (Sénégal): 185. zarguina: 475.
Wendu (Burkina Faso): 214, 217, 223, zone sahélienne: v. Sahel.
227, 230, 236, 237. Zuhür: 27.
Table des illustrations
Avant-propos
Aires peules étudiées. ......................... 6
Christian Dupuy
1. Représentations gravées de girafes à lien apparaissant
dans des contextes riches en représentations schématiques
de bovins, d’autruches et de girafes .................. 57
2. Modes de représentation différenciés des porteurs d’objets coudés
et des porteurs de lance, de réalisation plus récente . . . . . . . .
.... 59
3. Les premières représentations gravées de chevaux
dans l’Adrar des Iforas et dans l’Air.................. 60
.........
4. Éléphants et rhinockros associés à des porteurs de lance 61
5. Représentations de porteurs de lance dans la vallée de Taghlit
(Adrar des Iforas) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.. 63
6 . Composition peinte au plafond de l’abri sous roche de Weiresen
.................
dans le Tassili-n-Ajjer nord-occidental 65
7. Répartition géographique des gravures de porteurs de lance
apparaissant dans des contextes animaliers riches en représentations
schématiques de bovins. ....................... 68
Roger Botte
Les réseaux dyula, les marchés relais et le Fuuta Jaloo. .......... 116
Abdarahmane N’Gaide
Le Fuladuu en 1880 ......................... 148
Sylvie Fanchette
.............
1. Origine des vagues migratoires vers le Fouladou 166
2. Répartition des groupes peuls et des ethnies dans le Fouladou,
par communauté rurale (1960). .................... 175
Thomas Bierschenk
1. Plan d’un wuro ........................... 198
....................
2. Les champs d’une ferme peule 199
............
3. La disposition du troupeau attaché pendant la nuit 200
4. Plan d’une suudu .......................... 20 1
534 FIGURES PEULES
Anne-Mane Pillet-Schwartz
L’ancien émirat du Liptako (province du Séno) .............. 216
Pascal Legrosse
. .......
1 Caractéristiques comparées des Peuls du Farimake et du Aawsa 243
. ............
2 Type de hutte et marque de propriété des Wuwar6e -245
. .....
3 Flux de transhumance et localisation des Peuls des régions exondées 247
. ...........
4 Schéma du système de transhumance lié au Maasina 248
......
5.Portes d’entrée du Maasina et localisation du leydi Cooki Nyaaso 251
.................
6.Pistes pastorales du leydi Cooki Nyaaso 253
7.Plan du gîte (wiinnde) de Jooce. occupé par l’eggirgol Cooki
Nyaaso. 28 novembre 1994 ....................... 256
Jean Boutrais
. .....
1 Le partage du plateau de l’Adamaoua entre les Foulbé au X I X siècle
~ 353
2.Les tribulations des premiers Mbororo sur l’Adamaoua .......... 359
.
3 Refoulements des Mbororo du temtoire de Ngaoundéré .......... 367
Pierre Bonte
........
1.Expansion agricole du temtoire des Dogons de Dinangourou 395
.
2 Expansion du temtoire des Dogons de Mandoro ............. 395
Philippe Bemardet
...
I .Aire de répartition des éleveurs peuls en moyenne et haute Côte d’Ivoire 412
2.La région de Niellé ......................... 414
........
3.Répartition de la richesse peule en haute Côte d’Ivoire (1984) 418
.
4 Zones d’aménagements pastoraux de l’<<Opération .. zébu, . . . . . . . 425
................
5.Couloirs de transit du bétail de commerce 427
Gérard Romier
Limites de l’élevage bovin mbororo en 1935, 1953-1960. 1994 ....... 470
LES AUTEURS
URSULABAUMGARDT
Inalco) Paris
PHILIPPE BERNARDET
Cnrs, Paris
THOMAS BIERSCHENK
Université Johannes Gutenberg, Mayence
ELISABETH BOESEN
Université de Bayreuth
GILLES BOETSCH
Cnrs, Montpellier
PIERRE BONTE
Cnrs, Paris
ROGERB o m
Cnrs, Paris
JEAN BOUTRAIS
Ird, Paris
PATRICK D'AQUINO
Cirad-Sac Dakar
MIMAMDE BRUIJN
Centre d'études africaines, Leyde
YOUSSOUF DIALLO
Université de Bielefeld
SAÏDOUDICKO
Sahel-Action, Dakar
CHRISTIAN DUPUY
Lapmo, Aix-en-Provence
SYLVIE FANCHETTE
Ird, Dakar
JEAN-NOEL FERRIÉ
Cedej) Le Caire
KETILFREDHANSEN
Université d'Oslo
PASCAL LEGROSSE
Paris
ALIOUMOHAMADOU
Inalco, Paris
SArBOU NASSOUROU
Université de Yaoundé-I
ABDARAHMANE N'GAIDE
Ird, Dakar
ANNE-MARIE PILLET-SCHWARTZ
Cnrs, Paris
GÉRARD ROMIER
Paris
HANVAND I J K
Centre d'études africaines, Leyde
PRÉFACE
I. Un Peul peut en cacher un autre, par Roger Botte. - II. Joutes
de langue et figures de style, par Jean Schmitz. - Gens du pouvoir,
gens du bétail, par Jean Boutrais, . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2. De la servitude à la liberté
ROGERBOTTE
L’esclave, l’almami et les impérialistes :
souveraineté et résistance au Fuuta Jaloo ........ . ., . 101
&DARAHMANE N’GAIDE
Conquête de la liberté, mutations politiques, sociales
et religieuses en haute Casamance. Les anciens maccu6e
du Fuladu (région de Kolda, Sénégal) . . . . . . . . . . .... 141
SYLVIEFANCHETTE
Migrations, intégration spatiale et formation d’une société peule
dans le Fouladou (haute Casamance, Sénégal) . . . . . . . . . . 165
538 FIGURES PEULES
3. Apprivoiser l’espace
THOMAS
BIERSCHENK
Structures spatiales et pratiques sociales
chez les Peuls du nord du Bénin . . . . . ............ 195
ANNE-MARIE PILLET-SCHWARTZ
Approche régionale d’un îlot de l’a archipel peul >> :
l’émirat du Liptako d’hier à aujourd’hui (Burkina Faso). .... 21.1
PASCAL
LEGROSSE
Perception de redevances de pâturage
et transhumance des Peuls au Maasina (Mali) .......... 239
PATRICKD’AQUINO & SAÏDOU DICKO
Contribution à l’histoire du Djelgodji (Burkina Faso).
Les bases historiques de l’occupation peule de l’espace . .... 267
KETILFRED
HANSEN
Le califat de Sokoto, un État segmentaire:
le segment de l’Adamaoua. . . . . . . . . ........... 287
4. Jeux de mots
SAIBOU NASSOUROU
Le hiirde des Peuls du Nord-Cameroun ............. 305
URSULA BAUMGARDT
Littérature orale et identité. ................... 323
ALIOUMOHAMADOU
Des marqueurs aspecto-modaux dans les noms peuls ...... 337
5. Pasteurs et politique
JEANBOUTRAIS
La vache ou le pouvoir. Foulbé et Mbororo de l’Adamaoua . . . 347
YOUSSOUF DIALLO
Autour du puits. Paysans, pasteurs et politique de l’eau
dans le Gondo-Sourou (Burkina Faso) . . . . . . . . . . .... 373
PIERRE BONTE
La vache ou le mil. Peuls et Dogons au Séno (Mali) . ...... 385
6. Enjeux contemporains
PHILIPPEBERNARDET
Peuls en mouvement, Peuls en conflits
en moyenne et haute Côte d’Ivoire, de 1950 à 1990 . . . . . . . 407
TABLE 539
Imprimé en France
Depuis maintenant dix ans, le GRÉFUL (Groupe d’études comparatives des
sociétés peules) anime un séminaire de recherches interdisciplinaires et comparatives
consacré au monde peul. Ce lieu de rencontre a rassemblé chercheurs et doctorants,
représentant différentes disciplines des sciences sociales et relevant de diverses insti-
tutions françaises et étrangères. L’audience internationale du séminaire, en réunissant
chercheurs africains et européens, a permis, à partir de nombreux terrains, d’initier
une réflexion neuve et contradictoire sur des questions fortes qui sont parfois l’objet
de controverses.
La grande diversité de sociétés se réclamant d’une même identité et partageant
souvent la même langue caractérise ces Figurespeuks. La variété des problèmes traités
tient à l’extrême dispersion des Peuls, de l’Atlantique au Nil, à des héritages histo-
riques et à des systemes politiques très différenciés, ainsi qu’aux réponses singulières
apportées aux défis contemporains.
Ces Figurespeules sont déclinées comme autant de variations entre égalitarisme
pastoral et centralisation étatique, pulaaku et islam, servitude et liberté.. . L’ouvrage
est au cœur des débats sur l’origine égyptienne des Peuls, leur référence à l’arabité,
l’affirmation d’un invariant culturel et le recours à la figure fantasmée du « pasteur )).
11 pose l’esclavage comme une question centrale, en montrant que l’émancipation
réelle passe par la compétition pour la possession du bétail ou par l’accès aux revenus
issus de l’émigration. 11 souligne la mobilité nouvelle de pasteurs sahéliens vers des
régions de savanes, comme le paradoxe entre la détention d’un capital-cheptel consi-
dérable et la faible implication dans le commerce du bétail.
ISBN : 2-86537-983-3