Le Populisme Au Secours de La Démocratie by Chloé Morin (Morin, Chloé)
Le Populisme Au Secours de La Démocratie by Chloé Morin (Morin, Chloé)
Le Populisme Au Secours de La Démocratie by Chloé Morin (Morin, Chloé)
LE POPULISME
AU SECOURS
DE LA DÉMOCRATIE ?
INTRODUCTION
INSTABILITÉ ET VOLATILITÉ
L’ÈRE DE L’HYPERDÉFIANCE
ACCENTUATION DE LA POLARISATION
Non seulement l’opinion est polarisée (plus ou moins selon les pays),
ou tribalisée, comme évoqué précédemment, mais les clivages
idéologiques qui la parcourent se sont multipliés depuis les années
1990 : clivage « ouvert / fermé », opposition entre priorité sociale et
priorité environnementale, rapport à l’État et à la liberté économique,
sujets identitaires…
Ce mouvement de fragmentation a contribué à affaiblir des partis qui
sont incapables de s’adapter assez vite et se retrouvent souvent à cheval
sur des lignes de faille : il en est ainsi du PS, divisé en deux par la
question européenne et celle de la mondialisation, entre « ouverts » et
partisans d’une priorisation de la protection économique et sociale.
Ainsi, 55 % des sympathisants PS pensaient en 2019 que « la
mondialisation est une opportunité », alors que se trouvent relativement
unis sur la question certains partis comme LREM (78 % considèrent que
c’est une opportunité) ou LFI et RN (70 % chez LFI pensent que c’est une
menace, et 75 % au RN). De la même manière, 83 % des sympathisants
LR et 97 % des sympathisants RN estiment qu’il y a « trop d’étrangers en
France », alors que, là encore, le PS se trouve divisé, avec 42 % de ses
sympathisants jugeant qu’il y a trop d’étrangers. Le rapport à l’économie
fait également l’objet de divergences qui traversent certains partis : 48 %
des sympathisants LREM souhaitent limiter le rôle de l’État dans
l’économie, ce qui explique certaines difficultés de la majorité
présidentielle au cours des débats économiques et sociaux, alors que
71 % des sympathisants LR sont clairement pour limiter le rôle de l’État,
et 80 % de ceux de LFI veulent plus de contrôle étatique de l’économie.
À cela s’ajoute désormais le clivage social-écologie, qui traverse la
société française de part en part (51 % donnent la priorité à l’urgence
environnementale), exceptés les sympathisants EELV et les CSP+
urbaines qui penchent clairement pour donner la priorité au climat.
Par conséquent, selon les évolutions de l’agenda médiatique et
législatif, tel ou tel parti sera mis en difficulté et cherchera une voie
médiane pour ne pas fracturer un socle de sympathisants déjà trop
divisé, et ce au risque d’être trop modéré, incohérent et inaudible.
On débattra un jour des violences en marge des manifestations
contre la réforme des retraites, à la grande joie des Républicains ou des
Marcheurs que ce sujet fédère, puis, le lendemain, on débattra de la
question de l’accueil des réfugiés, sujet qui fédère et mobilise le RN d’un
côté et LFI de l’autre, mais qui mettra bien mal à l’aise un parti
présidentiel héritier des valeurs sociales-démocrates sur ce sujet, et
tiraillé entre « humanité » et « efficacité » – pour reprendre les mots de la
majorité présidentielle.
Ainsi, le débat politique devient pour chacun des partis un exercice
d’équilibrisme constant, et une rude bataille pour gagner le contrôle de
l’agenda, afin de faire tourner les sujets du jour à son avantage. Il n’est
évidemment pas anodin que le RN, dont l’un des chevaux de bataille est
la lutte contre ce qu’il appelle la « submersion migratoire », prenne
prétexte du moindre fait divers impliquant un étranger, un réfugié ou
quelqu’un « issu de l’immigration » pour consolider l’idée
qu’immigration et insécurité seraient systématiquement liées. Pas anodin
non plus que Jean-Luc Mélenchon, plus à l’aise sur le terrain de la lutte
des classes que sur les thématiques touchant à l’ordre public ou à
l’identité, se fasse relativement silencieux lorsqu’un fait divers – souvent
monté en épingle par le camp adverse – vient faire se télescoper la
question de l’Islam et de l’insécurité. Chacun son terrain, chacun sa grille
de lecture, chacun ses forces et ses faiblesses, dont il joue comme il le
peut, au gré d’une actualité qui tourne toujours plus vite.
LA QUESTION IDENTITAIRE
LE PRIX DE LA DÉFIANCE
SORTIR DU FRANCO-CENTRISME
D’abord et avant tout, compte tenu des débats français qui ont
marqué les convulsions sociales de l’année 2019 et du début de l’année
2020, il convient de souligner une chose : la défiance exprimée par les
citoyens à l’égard des institutions démocratiques – Parlement, élus,
élections, syndicats, justice, médias… – n’a rien de spécifiquement
français ou, du moins, a-t-elle relativement peu à voir avec notre histoire
et notre culture propres.
Certes, notre imaginaire a été façonné par la révolution et des luttes
sociales parfois violentes et violemment réprimées. Mais dire, comme
certains, que nous serions à la veille de la Terreur parce que tel ou tel a
eu la bêtise de promener l’effigie du Président de la République au bout
d’une pique, paraît quelque peu exagéré. Tout comme de prétendre que
nous serions d’ores et déjà en dictature… Que restait-t-il à dire, pour
ceux qui dénonçaient la dictature dès 2019 ou au début de l’année 2020,
lorsque nous fûmes tous confinés, assignés à résidence pour impératif de
santé, avec un droit du travail détricoté – temporairement, certes – dans
le cadre d’un état d’urgence sanitaire conférant à l’exécutif de très vastes
pouvoirs ? L’histoire est souvent cruelle avec les propos excessifs…
La réalité est qu’au-delà de nos disputes franco-françaises il existe un
malaise démocratique, une coupure peuple-élites, un sentiment de mal-
représentation qui dépasse largement le cadre de nos frontières. Cela
signifie, d’une part, que les causes sont en partie structurelles et globales
et, d’autre part, que les solutions ne peuvent se résumer, par exemple, à
blâmer seulement la Ve République et à modifier en conséquence son
fonctionnement. Les Italiens ou les Anglais n’ont pas un Président aussi
omnipotent que le nôtre, pourtant la défiance envers la politique et les
élus y est aussi grande. Ce qui ne signifie évidemment pas que notre
culture révolutionnaire et nos institutions ne puissent pas amplifier le
problème…
Le franco-centrisme a conduit, à cet égard, de nombreux
responsables politiques ou analystes à se tromper tant sur les causes de
nos dysfonctionnements démocratiques que sur leurs solutions. Et à
chercher dans des réformes institutionnelles paramétriques une réponse
miracle à ce qui relève, comme nous le verrons plus loin, d’une crise
culturelle, voire de civilisation.
LE SYMPTÔME ET LA MALADIE
La désidéologisation et la désintermédiation
La désolidarisation
Polarisation ou tribalisation
LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION
VERS LA POST-POLITIQUE ?
Il ne s’agit là que d’un exemple parmi des milliers qui ont marqué,
dans de nombreux pays, l’exercice du pouvoir par la gauche ces
dernières décennies. Indépendamment du bien-fondé des choix discutés,
lorsque François Hollande renonce à la « grande réforme fiscale » ou
bien lorsqu’il adopte le « Pacte de responsabilité », puis propose la loi
Travail au printemps 2016 et valide donc l’idée que le « coût du travail »
et le code du travail – c’est-à-dire les droits des salariés, qui avaient été
présentés depuis des décennies comme des « conquêtes » – sont les
causes endémiques du chômage en France, il semble se rallier au
diagnostic et aux recettes proposés depuis des années par la droite de
gouvernement. Lorsqu’il fait de la maîtrise du déficit un point cardinal
de son programme et opère une hausse de la fiscalité sur les ménages qui
donnera lieu, dès la fin 2013, au fameux « ras le bol fiscal », il déroute là
encore une gauche qui a tenu pendant des années le sujet de la dette et
de la fiscalité comme un élément majeur de différenciation idéologique
avec la droite « gestionnaire ».
La gauche n’est évidemment pas seule responsable. Car, de la même
manière, la droite s’est ralliée, bon gré mal gré, à un libéralisme sociétal
issu des revendications de la gauche, par exemple sur le mariage des
personnes de même sexe. Elle a ainsi contribué à rendre les frontières du
débat plus floues : lorsque Nicolas Sarkozy inaugure son quinquennat en
faisant entrer au gouvernement des « ministres d’ouverture », ce qui
suscite le commentaire ironique d’un de ses fidèles se disant partisan
« que l’ouverture aille jusqu’aux sarkozystes » ; lorsqu’il supprime la
« double peine » ; lorsqu’il prononce un discours sur la nocivité du
système financier, à Toulon, au lendemain de la crise de 2008, que
nombre d’élus de gauche auraient signé des deux mains ; lorsque, plus
près de nous, Les Républicains ne firent campagne contre la PMA que de
manière molle, presque honteuse, au grand regret de cette droite des
« Veilleurs » qui envahit les rues par milliers à l’occasion du débat sur le
mariage pour tous… autant d’exemples qui viennent nourrir le sentiment
qu’entre droite et gauche la différence n’est que de quelques degrés. Sur
bien des points Emmanuel Macron, avec son « ni droite, ni gauche », a
eu le mérite d’oser aller plus à droite que la droite (sur l’ISF, sur le droit
du travail ou sur les retraites), contribuant à brouiller un peu plus la
perception d’un clivage déjà affaibli par ses prédécesseurs.
Macron 2017-2020 : triomphe du post-politique
Médias et polarisation
7. Chantal Mouffe, « Macron, stade suprême de la post-politique », Le Monde, 1er juin 2017.
8. Extraits de débats à la Chambre en juin 1906 opposant Jaurès et Clémenceau, alors
ministre de l’Intérieur (consultable sur le site dédié à Jaurès « Rallumer tous les soleils, Jaurès ou
la nécessité du combat).
9. C. Mouffe, L’Illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016.
10. « Explainer. Political Polarization in the United States », Facing History, 2019
(consultable en ligne).
11. Monica Anderson, Brooke Auxier, Madhu Kumar, « 10 Tech-Related Trends that Shaped
the Decade », Pew Research Center Fact-tank, décembre 2019.
12. Adam Hughes, Emma Remy, Sono Shah, Aaron Smith, « Democrats on Twitter More
Liberal, Less Focused on Compromise than those not on the Platform », Pew Research Center
Fact-tank, février 2020.
13. Cas Mudde, Cristobal Rovira Kaltwasser, Brève introduction au populisme, La Tour-
d’Aigues, Éd. de L’Aube, 2018.
14. Margaret Canovan, « Trust the People ! Populism and the Two Faces of Democracy »,
Political Studies, vol. 47, no 1, p. 2–16 (consultable en ligne).
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L’archipélisation est-elle vraiment un problème
démocratique ?
ÉLOGE DE LA DIVISION
Toute différence, tout clivage n’est donc pas une menace en soi pour
la démocratie. Au contraire, ils en sont bien souvent le carburant
lorsqu’ils trouvent à s’exprimer de manière raisonnée dans le cadre de
nos institutions. Mais toute différence est-elle un carburant
démocratique ? À quelles conditions peut-on considérer que les
antagonismes menacent l’ordre démocratique ?
Comme le rappellent de nombreux travaux, le conflit politique
suppose l’existence d’un pluralisme, d’une multiplicité de points de vue
ou d’intérêts. Mais deux avis qui s’opposent ne suffisent pas à constituer
un conflit : deux individus en désaccord peuvent se contenter d’acter
leur dissensus ou pire, de s’ignorer – renonçant par là à « faire société ».
Le passage de cette divergence à l’affrontement suppose de
reconnaître son interlocuteur comme un adversaire avec qui engager un
débat ou un rapport de force. Comme l’écrivent très justement Marine
Goupy et Sébastien Roman8, « le désir de transformation du rapport de
forces par le conflit n’est pas une nécessité. Un groupe social peut
vouloir faire perdurer le conflit et refuser toute tentative de résolution,
notamment parce que l’identification d’un ennemi lui permet de
renforcer son identité. Dans un tel conflit “irréaliste”, la lutte n’a pas
pour finalité le changement, mais le conflit lui-même pour consolider la
cohésion du groupe ».
Dans un monde perçu comme de plus en plus menaçant – 80 % des
citoyens de tous les pays, dont la France, considèrent en 2019 que le
monde est devenu plus menaçant qu’en 2018, selon Ipsos –, mais aussi
de plus en plus complexe, et où il devient de plus en plus difficile de
distinguer le vrai du faux, l’ami de l’ennemi, la recherche d’un groupe
d’appartenance, d’une communauté dont on partage les valeurs et les
codes, et dont on attend une reconnaissance sociale, est un réflexe
primaire9.
La menace est perçue non seulement comme extérieure – attaque
terroriste, conflit mondial, pandémie mondiale… – mais aussi intérieure,
traversant les frontières de la communauté nationale : 55 % des Français
jugent probable ou très probable qu’un conflit vienne à opposer, au sein
de leur pays, différentes ethnies. Une inquiétude partagée par 6 citoyens
mondiaux sur 10, même si elle ne touche pas tous les pays de manière
égale (plus de 80 % en Afrique du Sud et en Turquie, contre moins de
50 % au Japon, en Corée du Sud, ou en Pologne, sociétés beaucoup plus
homogènes, il faut le souligner). Le caractère volatil et protéiforme de la
menace perçue nous incite à nous replier, mais dans une société où les
classes se sont dissoutes sous les assauts de la tertiarisation et de la
globalisation, où le périmètre du noyau familial a évolué avec
l’extension de la liberté de choix (avortement, accroissement du nombre
de divorces et de naissances hors mariage, puis mariage des personnes
de même sexe), où les affiliations partisanes sont de moins en moins
fortes et les identités locales sont remises en question par la
mondialisation économique et culturelle, et où, enfin, la conviction
religieuse a perdu de son importance et son emprise sur beaucoup, nous
ne nous replions plus spontanément sur les groupes qui ont structuré
notre vie sociale depuis des siècles.
De plus en plus, nous allons chercher confort et reconnaissance non
pas au sein des groupes sociaux traditionnels mais au sein de
communautés de valeurs, de goûts, de causes et d’épreuves choisies,
dont la construction ne procède pas forcément d’une communauté
d’opinions politiques, de religion ou de classe sociale.
67 MILLIONS DE VICTIMES
1. Jérôme Fourquet, « 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession », Note de
la fondation Jean-Jaurès, février 2018.
2. « Celles qui comptent. Zoom sur les inégalités en France », 20 janvier 2020 (consultable
en ligne).
3. « Populist and Nativist Sentiment in 2019. A 27-Country Survey », Ipsos Global Advisor,
2019.
4. Olivier Blanchard, interview au Wall Street Journal, 11 février 2010.
5. Michel Pebereau, « Rompre avec la facilité de la dette publique. Pour des sciences
publiques au service de notre croissance économique et notre cohésion sociale », rapport public
remis au ministre de l’Économie et des Finances le 14 décembre 2005.
6. « Les Français et la dette publique », sondage Fondapol, 28 janvier 2010.
7. Vice Chair Richard H. Clarida, « The Federal Reserve’s Review of Its Monetary Policy
Tools, and Communication Practices. Discours prononcé lors de la 37e conférence annuelle de
politique monétaire du Cato Institute, 14 novembre 2019.
8. « Fractures françaises », sondage Ipsos / Sopra Steria pour Le Monde. Voir note 8.
9. Zygmunt Bauman, Retrotopia, Paris, Premier Parallèle, 2019.
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Séparatisme : le péril numérique
Le spectacle quotidien offert par les réseaux sociaux comme par des
médias, hélas de plus en plus nombreux, traduit nos difficultés
croissantes à dialoguer, bâtir des compromis et respecter les désaccords
sans vouloir pour autant bannir l’« autre » de la sphère sociale. Hystérisé,
le débat est confisqué par des minorités bruyantes qui confondent de
plus en plus le droit et la morale et veulent ériger leurs normes propres
en règles collectives, au besoin par des méthodes radicales et abjectes.
On a pu voir une auteure mondialement connue – J. K. Rowling –
harcelée pour avoir fait une blague jugée « transphobe » sur les réseaux
sociaux. Blague qui, faut-il le rappeler, ne tombait nullement sous le
coup de la loi. Mais l’offense semble être devenue intolérable, voire
criminelle, pour certaines personnes.
On a vu, en juillet 2020, un élu parisien démissionner de ses
fonctions à la suite d’accusations (là aussi, qui n’étaient, au moment de
sa démission, pas encore fondées en droit ni véritablement étayées) de
complaisance vis-à-vis des pratiques pédophiles de l’écrivain Gabriel
Matzneff.
Des éditorialistes, comme Bari Weiss au New York Times, ont
démissionné face aux pressions d’une forme de nouvel ordre moral
imposé au moyen de violences verbales ou psychologiques.
Savoir qui parle est devenu plus important, pour beaucoup,
qu’écouter ce qu’il a à dire.
Les actes pèsent moins que les intentions que l’on prête, les liens que
l’on tisse, et ce que l’on est.
Peu à peu, le débat de l’avoir et du faire se déporte vers l’être. Or,
personne ne peut négocier son identité. L’affrontement des identités peut
amener seulement au conflit.
Et, au fond, quelles que soient les causes en jeu, la manière dont elles
sont défendues rend surtout l’espace public plus insupportable,
nauséabond, violent, au point que de plus en plus de gens raisonnables
fuient l’espace public pour cultiver leur jardin.
Dans un tel contexte, la question qui s’impose à nous est la suivante :
comment pouvons-nous encore vivre ensemble ? Non pas simplement se
tolérer mutuellement, mais partager un espace, des valeurs et un horizon
commun sans avoir constamment besoin d’ériger des barrières et des
protections contre un « autre » que nous percevons comme menaçant ou
que nous ne voulons plus tolérer ?
Or, le populisme est en partie un leurre. Non pas qu’il soit inoffensif :
Salvini, Trump, Bolsonaro auront amplement démontré la menace qu’il
représente pour le monde. Mais, outre le fait que leurs pays ne se sont
pas effondrés dans les gouffres économiques que certains leur
promettaient, le temps que les démocrates que nous sommes perdons à
combattre les « populistes » de tout poil sur leur prétendue dangerosité,
nous ne l’employons pas à identifier ni à traiter les racines du populisme,
que j’ai tenté d’exposer ici. Or, ce sont bien ces causes profondes qui font
le carburant des ennemis de la démocratie.
D’une certaine manière, le populisme pourrait même être considéré,
du point de vue de ce qu’il traduit de la demande citoyenne, comme
l’instinct de survie des démocraties en péril. De nombreuses études que
j’avais réalisées pendant que j’occupais mes fonctions à Matignon
montraient que, derrière le vote Le Pen, se trouvait pour beaucoup de
citoyens (mais évidemment pas pour tous) une demande radicale mais
assez républicaine d’égalité – « réelle » –, de laïcité, d’ordre, un appel à
l’aide face à des « élites » qu’ils ressentaient comme éloignées et
insensibles à la vie réelle du commun des Français. N’étant plus
entendues, ces demandes se radicalisent, et finissent par s’extrêmiser ou
par renoncer à s’exprimer.
Bien que l’étude du populisme soit utile et même indispensable, il me
semble enfin urgent de considérer et de débattre collectivement des
nouveaux périls démocratiques posés par le numérique, par la
tribalisation et par l’indifférentiation idéologique issue de la perception
d’une similitude des politiques en principe les plus symboliques de
l’alternance politique. Tout se passe comme si, au fond, nous n’avions
plus rien à négocier que la place de la religion et des groupes
minoritaires qui enferment les débats désormais d’abord sociétaux. C’est
un débat que j’ai modestement tenté d’ouvrir ici, en espérant qu’il
permettra un sursaut civique et démocratique avant que la catastrophe
que nous pressentons tous ne survienne.
1. Jamie Susskind, Future Politics. Living Together in a World transformed by Tech, Oxford
University Press, 2008.
Éditions Gallimard
5 rue Gaston-Gallimard
75328 Paris cedex 07 FRANCE
www.gallimard.fr
LE POPULISME AU SECOURS DE LA
DÉMOCRATIE ?
D’où vient la crise qui paralyse lentement mais sûrement les démocraties
et qui provoque en retour les sursauts populistes ? Sur la base d’études
approfondies de l’opinion, Chloé Morin dégage les principaux facteurs
qui ont créé cette situation. Les règles du jeu politique ont changé sans
que son personnel s’en soit avisé. La défiance des citoyens envers les
pouvoirs s’est installée sans que ses sources soient véritablement saisies
et combattues. Le « séparatisme » fait des ravages, mais il n’est pas
seulement là où l’on croit. Il est aussi le séparatisme des élites par
rapport aux peuples, ou encore le fait des tribus dont le numérique
encourage la fermeture sur elles-mêmes.
Tels sont les vrais périls qu’affronte aujourd’hui la démocratie et qui
soulèvent les passions populistes. Au lieu de dénoncer celles-ci comme
une menace, soutient Chloé Morin, il faut savoir y lire un rappel de nos
régimes à leur inspiration d’origine.
Titre
Introduction
Conclusion
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Présentation
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