Droit 043 0061
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LA CONFECTION DE LA LOI
e
SOUS LA V RÉPUBLIQUE :
POUVOIR LÉGISLATIF OU FONCTION PARTAGÉE ?
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On voudrait donc essayer de montrer la contradiction entre les
intentions des rédacteurs de la Constitution de 1958 et la pratique
constitutionnelle qui a déformé les institutions de la Ve République en
faisant une analyse du processus de confection de la loi et montrer en
quoi il a affaibli le parlementarisme libéral.
Dans un régime parlementaire, la relation entre le Gouvernement et
le Parlement est la règle majeure qui permet la conduite des affaires du
pays, selon deux principes essentiels : le Gouvernement est responsable
devant le Parlement, le Parlement exerce le pouvoir législatif et la fonc-
tion de contrôle politique.
Il faut d’abord rappeler que la loi du 3 juin 1958 qui fixe les grands
principes que doit respecter la future Constitution comporte trois
points sur cinq touchant au régime parlementaire : « seul le suffrage
universel est la source du pouvoir ; le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif doivent être effectivement séparés ; le Gouvernement doit être
responsable devant le Parlement ».
La volonté des auteurs de la Constitution est, on le sait, clairement
exprimée par Michel Debré dans cette célèbre allocution devant
l’Assemblée générale du Conseil d’État du 27 août 1958 qui est à la
fois le point d’aboutissement des travaux préparatoires du Cabinet et
le point de départ de la conception initiale des institutions de la
Ve République.
On le sait aussi, Michel Debré rejette et le régime d’Assemblée et le
régime présidentiel et il en vient alors à ce qu’il appelle « la voie étroite,
celle du régime parlementaire ».
« À la confusion des pouvoirs dans une seule Assemblée, dit-il, à la
stricte séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l’État, il
convient de préférer la collaboration des pouvoirs – un chef de l’État et
un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et
responsable devant le second, entre eux un partage des attributions
donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l’État
et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout le
système démocratique, la rançon de la liberté. »1
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profonde de la procédure législative et budgétaire ; une mise au point
des mécanismes juridiques indispensables à l’équilibre et à la bonne
marche des fonctions politiques »1.
On peut dire aujourd’hui que sur ces quatre points, la conjonction
de l’appareil politique, de l’appareil administratif et les effets pervers du
constitutionnalisme ont presque réussi à contourner les principes posés
en 1958, à défaut de les abattre.
I . CONSTAT
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quement (cf. les rapports du Conseil d’État, 1991 en particulier) la
médiocre qualité des textes soumis au Parlement.
L’accélération des alternances politiques produit enfin un effet de
« détricotage » de ce qu’a pu faire la majorité précédente et un effet de
précipitation dans la rédaction de textes dont on sait qu’il faut les adop-
ter rapidement si on veut un tant soit peu en mesurer les effets, textes
dont la durée de vie est brève, au gré des alternances. Le contenu de la
loi s’en ressent nécessairement : loi par « à coup », loi proclamatoire, loi
non normative ou pointilliste.
II . FACTEURS D’AGGRAVATION
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d’ailleurs largement à des démonstrations déjà faites.
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cadre constitutionnel à celle-ci : une finalité d’intérêt général qui
répond à « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et
d’intelligibilité de la loi », l’interdiction pour le Gouvernement d’ap-
porter des modifications de fond aux dispositions codifiées, ce qui
revient à consacrer le principe de la codification « à droit constant »,
l’interdiction de codifier par ordonnance ce qui relève de la loi orga-
nique selon la Constitution, le respect des principes constitutionnels
sous le contrôle du Conseil d’État. Le recours à la codification législa-
tive à droit constant a été d’ailleurs officiellement inscrit dans la loi du
12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec
les administrations2.
Le Conseil constitutionnel a confirmé sa jurisprudence à plusieurs
reprises3. Cette jurisprudence, relative à la codification et au recours
légitimé aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, consacre le
dessaisissement et du Parlement et du Conseil constitutionnel dans des
prérogatives essentielles. Autant on peut comprendre que le Parlement
abroge de lui-même des dispositions de nature réglementaire contenues
dans une loi à l’occasion d’une codification, exerçant là un pouvoir
d’appréciation souverain ne cherchant qu’à maintenir une distinction
matérielle des domaines de la loi et du règlement, autant on doit
s’interroger sur le recours au procédé des ordonnances, devenu presque
habituel en matière de codification ou de recomposition de textes, avec
l’accord du Conseil constitutionnel. On est en présence d’un réel aban-
don de la compétence du Parlement, dont l’accord est obtenu pour de
bonnes raisons techniques (urgence, calendrier parlementaire chargé,
technicité des mesures à codifier), mais qui détourne de la légitimité
démocratique des pans entiers de législation, pour des raisons autant
technocratiques que politiques. Ces procédés ne relèvent pas d’une
idéologie libérale mais d’une utilisation de techniques constitutionnel-
les au profit d’une efficacité administrative.
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sition du droit par la codification, l’autre largement favorable parce
qu’il y tient un rôle majeur. Plus largement, les codifications subissent
la pression due à l’accélération des modifications normatives de cer-
tains secteurs d’activités publiques, sous l’influence du droit commu-
nautaire, ce dont témoignent les successions aussi chaotiques que
rapides de plusieurs Codes des marchés publics.
Le Conseil constitutionnel lui-même contribue pour une part à
cette dévalorisation selon une jurisprudence bien connue qui conduit à
une grande incertitude sur le périmètre de la loi. La jurisprudence Blo-
cage des prix et des revenus de 19821, dans le sens de l’élargissement ; la
jurisprudence de 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la jus-
tice ; loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure2, et
de 2005, Loi d’orientation et de programmation sur l’avenir de l’école3, à
propos des rapports annexés à la loi dont on apprend qu’ils n’en font
plus partie et qu’ils n’ont pas de valeur normative, alors qu’ils font
l’objet d’une véritable discussion parlementaire, d’amendements et de
vote. À ces jurisprudences, il faut ajouter le détournement de procé-
dure fait par le Conseil constitutionnel lui-même qui opère le déclasse-
ment direct de dispositions législatives sans utiliser la procédure
prévue, à savoir l’article 37, alinéa 2 de la Constitution4. Enfin, la
déclaration par le Conseil constitutionnel du normatif et du non nor-
matif dans la loi, dans la même décision Avenir de l’école de 2005, à tel
point qu’on ne sait plus vraiment s’il faut utiliser une définition for-
melle ou matérielle de la loi. Pourtant, les efforts du Conseil constitu-
tionnel doivent aussi être soulignés lorsqu’il lutte contre l’absence de
contenu, c’est-à-dire de normativité, de la loi et en vient à déclarer
inconstitutionnelles les dispositions non normatives5.
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nier lieu, la jurisprudence de l’incompétence négative protège le législa-
teur contre lui-même, lorsqu’il délègue abusivement sa compétence
aux autorités réglementaires, soit nationales, soit spécialisées telles les
autorités de régulation2.
Ces jurisprudences « balancées », sinon contradictoires, révèlent le
même abaissement du Parlement et de l’outil législatif. Tantôt pour
consacrer le dessaisissement parlementaire, tantôt pour protéger un
Parlement affaibli par la pratique constitutionnelle. Mais le constat est
bien le même finalement : le régime parlementaire est en voie de réduc-
tion à sa plus simple expression, celle d’un Parlement devant lequel le
Gouvernement se présente toujours, mais sans courir aucun risque de
désaveu.
Un dernier phénomène de contournement du pouvoir normatif se
manifeste par le développement et la puissance des autorités de régula-
tion. Elles exercent un pouvoir normatif sans contrôle démocratique, en
particulier parlementaire, alors que dans d’autres États qui connaissent
ce type d’autorité, les contrôles existent depuis longtemps, même s’ils ne
sont pas sans défauts. De ce point de vue, il est indispensable que le Par-
lement exerce un contrôle d’une autorité démocratique sur des instan-
ces dont les pouvoirs s’exercent sans véritable contrôle démocratique.
1. C. const., no 2001-454 DC, 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, Rec., 70, § 20.
2. Depuis la première décision du 26 janvier 1967 (no 67-31 DC, Rec., 19), la juris-
prudence de l’incompétence négative s’est développée dans tous les domaines, jusqu’à
fonder sur ce motif une déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi : no 93-322 DC,
28 juillet 1993, Universités expérimentales, Rec., 204.
Confection de la loi 69
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raître une nouvelle caste oligarchique surtout soucieuse d’interpréter
l’ “intérêt général” à sa manière et à son propre avantage. Tentée de
subrepticement confisquer le pouvoir, ne risque-t-elle pas d’inventer
une “volonté générale” dont elle serait la dépositaire exclusive, en pré-
tendant mieux savoir que les électeurs ce qui est bon pour eux (car bon
pour elle) et en allant même contre leurs vœux explicites ? »1.
N’est-ce pas la description exacte de ce à quoi nous assistons depuis
tant d’années dans le système de gouvernement français ? L’expression
de la volonté générale est devenue le masque des volontés de la mino-
rité dirigeante, s’appuyant sur les ordres (j’allais dire les hordes) de
hauts fonctionnaires, les Grands Corps sans âmes et le système admi-
nistratif, relayés par le système des partis. Dans ces déviations du
régime constitutionnel de la Ve République, on s’éloigne des règles libé-
rales du consentement des citoyens aux règles communes d’exercice du
pouvoir, de cette participation délibérative de tous à la désignation des
dirigeants et à leurs décisions.
Ce que voulaient justement éviter les initiateurs de la Ve République
était cette collusion d’intérêts et de corps destinés à la continuation
d’un système. Par exemple, l’interdiction du cumul de fonctions minis-
térielles et parlementaires instituée en 1958 était une règle saine com-
parée aux excès immédiatement antérieurs de la IVe République2. Elle
est bien maintenue encore aujourd’hui dans son principe mais telle-
ment diluée dans l’appareil politico-administratif que l’on ne sait plus
toujours comment sont composés les Gouvernements et si untel est
encore ministre ou déjà redevenu parlementaire.
Une autre illustration concerne la conception de la souveraineté
dans la Constitution de 1958. « La souveraineté nationale appartient au
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concernant le recours normal au référendum en matière de révision de
la Constitution. Ce n’est pas seulement pour des raisons plébiscitaires
que ces dispositions sont inscrites dans la Constitution, la pratique
contemporaine le souligne suffisamment concernant les dernières
consultations organisées. Mais c’est le moyen de recréer, périodique-
ment, le lien entre le citoyen et les gouvernants, de retisser ce lien con-
tractuel que défend la conception libérale des institutions. Et la désaf-
fection des électeurs pour ce mode de consultation souligne justement
la distance créée par la pratique, et non par les institutions elles-
mêmes, entre les gouvernants et le citoyens.
Enfin, la conception même du chef de l’État, au moins dans la
conception initiale de la Ve République, relève de ce « pouvoir neutre »
cher à Benjamin Constant, qui doit exister à côté des pouvoirs classi-
ques, exécutif, législatif, judiciaire1. L’idée générale étant celle d’un pou-
voir qui a intérêt à ce que les autres pouvoirs agissent de concert et ne se
détruisent pas les uns les autres2. C’est bien la conception initiale de la
fonction du président de la République. Le déséquilibre à son profit pro-
vient essentiellement de deux causes. La réforme de 1962 introduisant
l’élection du chef de l’État au suffrage universel a déstabilisé l’équilibre
libéral des institutions au profit du président de la République. Cette
modification des équilibres et des forces est peut-être l’erreur majeure de
l’évolution du régime, contre laquelle il sera bien difficile de revenir. La
pratique successive des différents présidents, seconde cause, n’a fait
qu’augmenter la dérive commencée à partir de 1962.
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La question qui demeure est celle de l’attitude à adopter face aux
dérives de la Ve République, beaucoup plus que celle d’une critique
frontale. Doit-on adopter l’attitude du « libéralisme d’opposition »,
celle d’un Benjamin Constant décrit par Pierre Manent qui pose une
« troublante question : le libéralisme, pour rester fidèle à son inspiration
originelle, est-il condamné à adopter toujours à nouveau sa première
attitude, celle de l’opposition, à invoquer l’individu, naturel ou histo-
rique, contre tous les pouvoirs, même contre les institutions ou concep-
tions politiques originellement fondées sur cet individu, c’est-à-dire sur
le libéralisme ? »2.