CPC 028 0061
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psychiatrie
Pierrick Brient
Dans Cahiers de psychologie clinique 2007/1 (n o 28), pages 61 à 68
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1370-074X
ISBN 9782804154226
DOI 10.3917/cpc.028.0061
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 26/12/2023 sur www.cairn.info via CNP St Martin (IP: 212.166.54.164)
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La dimension relationnelle se trouve au cœur du travail à l’hôpi-
tal psychiatrique. Nous souhaitons essayer de montrer ici ce
que l’approche psychanalytique a pu et peut encore éclairer
quant à la relation soignant-soigné dans les soins en patholo-
gie mentale, particulièrement pour le personnel infirmier. Ce
projet s’articule à un enseignement dispensé après des étu-
diants infirmiers, ainsi qu’à un contexte institutionnel actuel,
où cette relation soignant-soigné tend à disparaître.
Un contexte
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du soignant en psychiatrie s’avère aujourd’hui nécessaires.
Sur le terrain, en France, la profession infirmière a elle aussi
subie des bouleversements. La disparition du diplôme d’Infir-
mier Spécialisé en Psychiatrie a contribué à l’inclusion de la
psychiatrie au rang d’une discipline médicale comme les autres,
ce qu’elle ne peut être du fait de son objet. Les jeunes Infir-
mier(e)s Diplômé(e)s d’État arrivant dans les services géné-
raux de psychiatrie, souvent pleins de bonne volonté et du désir
d’aider, se retrouvent confronté(e)s à des pathologies diffici-
les, où la violence côtoie la misère sociale, pathologies qui ont
elles aussi suivies les mutations de nos sociétés. Démunies face
à ces malades, les jeunes IDE rencontrent le doute, voire
l’angoisse, ce qui peut les conduire à la fuite ou à l’établisse-
ment de mécanismes de défense qui empêchent une position
soignante. Bien souvent, ces nouveaux soignants butent dans
la compréhension et l’appréhension de ces malades. On cons-
tate une perte de sens des pratiques, dissoutes dans les tâches
administratives, le nursing, la gestion des lits. Les temps plus
courts d’hospitalisation introduisent une autre temporalité qui
rend difficile les réflexions théorico-cliniques. Par là, la prati-
que n’est plus élaborée, pensée. Et, en lien avec une disparition
de la spécificité psychiatrique, les pathologies ne sont plus
décodées, le positionnement soignant est mis de côté. Essayons
Du regard a la parole : la relation soignant-soigné en psychiatrie 63
De l’œil à l’oreille
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découverte du transfert ne put se réaliser qu’en abandonnant
la modalité de relation soignant-soigné qu’instaurait la prati-
que hypnotique. Puis, nous reviendrons sur l’éclairage que les
notions de transfert / contre-transfert peuvent apporter au soi-
gnant.
A la fin du XIXe siècle, Jean-Martin Charcot 2 propose une
explication de la névrose hystérique et prétend faire disparaî-
tre ses symptômes en insistant sur le fondement psychologi-
que de ceux-ci. On sait l’influence qu’il aura sur Freud.
L’hystérie, par ses plaintes, par ses troubles somatiques, sans
signes visibles ou palpables d’un processus morbide, lançait
un défi à la médecine. On s’intéressa à l’hypnose pour la
soigner : celle-ci permettait de supprimer le « comportement
psychique du malade ». En effet, l’intensité avec laquelle
celui-ci aspire à la guérison et le pouvoir qu’il attribue au 1 J. Breuer, S. Freud,
Etudes sur l’hystérie
médecin concourent à l’effet du remède prescrit. Certains (1895), Paris, PUF,
médecins ont le don de gagner la confiance des malades, « le 1956.
malade se sent soulagé dès l’instant où il voit le médecin péné- 2 J.-M. Charcot,
trer dans sa chambre » 3. Mais, il y a aussi des malades réfrac- L’hystérie, Paris,
taires, tels les névrosés hystériques, chez lesquels le facteur L’Harmattan, 2000.
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troduit un certain type d’approche de la relation humaine, et
particulièrement de la relation soignant – soigné. Celle-ci se
trouve alors basée sur l’observation, par exemple des condui-
tes et des comportements. D’autre part, elle situe un sujet ob-
jectivé, c’est-à-dire en position d’objet observable. L’hypnose
n’échappe pas à ce discours et s’appuie sur une relation soi-
gnante fondée sur un processus d’identification. L’identifica-
tion est un mécanisme psychologique fondamental dans toute
relation soignant-soigné. Il s’appuie sur le recoupement des
regards et témoigne d’un phénomène de miroir entre deux in-
dividus. Pourtant, le traitement hypnotique apportait déjà autre
chose : la vertu curative du mot 5. En mesurant toute la portée
de la parole et les limites de l’hypnose, Freud rompit avec un
discours fondé sur le privilège du regard. Il inventa un dispo-
sitif où l’oreille prît le pas sur l’œil. Il découvrît, avec l’in-
conscient, un sujet qui parle dans l’homme et qui veut se faire
entendre, qui déjà se fait entendre dans le symptôme. L’accent
psychanalytique porte ainsi sur l’écoute : une parole, où l’in-
4 M. Foucault, conscient se dit entre les lignes. Une autre modalité de la rela-
Naissance de la clinique tion soignant-soigné est introduite, qui n’est plus basée sur le
(1963), Paris, PUF,
1990, coll. « Quadrige ». regard, le face-à-face, mais sur la parole d’un sujet. Le soignant
sort alors d’une position où il était miroir pour l’autre, pour
5 S. Freud, Traitement
psychique, op. cit., devenir lieu pour dire. Voyons ce que cela peut apporter dans
p. 12. le champ de la clinique infirmière en psychiatrie.
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Le processus d’identification
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nèse de l’hystérie à propos du cas d’Elizabeth Von R., qui a
soigné son père malade ; on songe aussi au cas princeps de la
psychanalyse, Anna O., qui, elle aussi, tombe malade pendant
la maladie de son père. Lacan, dans son retour à Freud, le re-
prend : « l’apparition de symptômes hystériques est liée à l’ex-
périence, si rude en soi-même, d’être toute dévotion au service
d’un malade et de jouer le rôle d’infirmière – et plus encore,
si l’on songe à la portée que prend cette fonction quand elle
est assumée par un sujet vis-à-vis de l’un de ses proches. Ce 6 J. Breuer, S. Freud,
sont alors tous les liens de l’affection, voire de la passion, qui Études sur l’hystérie,
op. cit., p. 129.
attachent le soignant au soigné. Le sujet se trouve ainsi en pos-
ture d’avoir à satisfaire, plus qu’en aucune autre occasion, ce 7 J. Lacan,
Le séminaire, Livre V,
que l’on peut là désigner avec le maximum d’accent comme la « Les formations
demande » 7. Lacan évoque alors l’entière soumission, « voire de l’inconscient »
l’abnégation du sujet par rapport à la demande » 8 de l’autre. (1957-198), Paris,
Le Seuil, 1998,
Certes, le soignant dans l’institution psychiatrique, premiè- coll. « Le Champ
rement ne soigne pas une personne proche, deuxièmement n’est freudien », p.325.
pas tout seul et tout le temps au chevet d’un malade. Pourtant, 8 Ibid.
ces indications soulignent les risques de la relation soignant- 9 S. Freud,
soigné sans distance et, d’autre part, mettent l’accent sur le « Psychologie collective
moteur de cette relation : l’empathie, qui est au fond un pro- et analyse du moi »
(1921), dans Essais
cessus d’identification. Comme Freud nous le montre dans de Psychanalyse,
« Psychologie collective et analyse du moi » 9, ce processus Paris, Payot, 1985, coll.
d’identification va fonctionner aussi au niveau du collectif des « Petite Bibliothèque ».
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Tenir de court le contre-transfert
que possible pour celui qui souhaite prendre cette place d’ana- 12 S. Faladé, Clinique
lyste. A cette place, il s’agit de tenir de court le contre-trans- des névroses, Paris,
Anthropos, Economica,
fert 10, nous dira Freud, ce parce que tout de son contre-transfert 2003, p. 272.
ne saurait être brider par l’analyste, ce que Lacan rappelle en
indiquant que « le désir de l’analyste n’est pas un désir pur » 11 ;
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et que l’amour, qui opère au cœur du transfert, est réciproque 12.
Conclusion
BREUER J., FREUD S., Études sur l’hystérie (1895), Paris, PUF, 1990. Bibliographie
CHARCOT J.-M., L’hystérie, Paris, L’Harmattan, 2000.
FALADÉ S., Clinique des névroses, Paris, Anthropos, Economica, 2003.
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venu objet d’un discours médical, au champ de l’oreille, où
l’écoute soutient un soigné alors sujet d’une parole à entendre.
Dans le lien social qu’institue la relation soignant-soigné et où
fonctionne l’identification, les notions de transfert et de contre-
transfert viennent rappeler l’enjeu d’un positionnement soignant.
Mots clés Psychiatrie, regard, écoute, identification, contre-
transfert.