MBCB 160062
MBCB 160062
MBCB 160062
org
Les auteurs, 2017
DOI: 10.1051/mbcb/2016053
Article original
Douleur neuropathique chronique suite à une chirurgie
implantaire : à propos de 8 cas
Amir-André Doustkam1,2,*, Solène Vo Quang1,3, Géraldine Lescaille1,4,**,
Vianney Descroix1,5,**
1
Service d’odontologie, groupe hospitalier Pitié Salpêtrière - Charles Foix, France
2
Université de Strasbourg, France
3 Université Pierre et Marie Curie, Paris 6, France
4 Université Paris Diderot - Paris 7, Cimi-Paris UPMC INSERM UMR1135, France
5
Université Paris Diderot - Paris 7, INSERM UMRS1138 - Centre de recherche des Cordeliers, Paris, France
(Reçu le 5 juillet 2016, accepté le 26 juillet 2016)
Mots clés : Résumé – Introduction : L’objectif principal de cette étude était de proposer, au travers de la description d’une
douleur série de cas, les facteurs de risque en lien avec une douleur neuropathique chronique post-implantaire, notamment
neuropathique / sans cause traumatique initiale objectivée. Patients et méthodes : Sur 164 patients suivis dans une consultation
implant dentaire / de la douleur du service d’odontologie inclus pendant un an, 41 patients présentaient des douleurs neuropathiques
lésion nerf trijumeau / chroniques iatrogènes oro-faciales, dont 8 présentaient des douleurs chroniques apparues après une chirurgie
trouble neurosensoriel implantaire. Chez ces 8 patients, nous avons recueilli les données épidémiologiques (âge, sexe, antécédents), les
critères propres aux implants dentaires (localisation, nombre) ainsi que des critères en lien avec la douleur
neuropathique elle-même (facteur déclenchant, localisation, évolution). Résultats : Chez ces 8 patients d’une
moyenne d’âge de 55 ans, de nette prédominance féminine, 18 implants avaient été posés (12 à la mandibule et
6 au maxillaire). Sept patients sur 8 bénéficiaient de la pose d’au moins 2 implants. Quatre cas sur 8 ont eu comme
symptôme initial une décharge électrique dont l’origine coïncidait, pour 3 d’entre eux, à la mise en charge ou la
mise en fonction. Pour 7 patients, les implants avaient été déposés, ce qui a été un succès clinique en terme de
douleur pour un seul d’entre eux. Conclusion : La fréquence et les facteurs de risque de douleurs neuropathiques
post-implantaires sont à l’heure actuelle encore mal connus. La mise en place d’implants multiples, la survenue de
décharges électriques lors de la mise en fonction ou de la mise en charge pourraient être des facteurs prédisposants
non décrit à ce jour. Des études prospectives seraient nécessaires pour mieux les évaluer prenant également en
compte les aspects anatomiques et radiologiques.
Key words: Abstract – Chronic neuropathic pain following dental implant surgery: report of 8 cases. Introduction: The main
Neuropathic pain / objective of this study was to identify the risk factors of chronic neuropathic pain after dental implant surgery in
Dental implant / a cohort study. Patients and methods: Among the 164 patients observed in the department of dentistry in one year
Trigeminal nerve who reported pain, 41 presented chronic neuropathic iatrogenic orofacial pain, 8 of them after dental implant
injury / Neurosensory surgery. For each of the 8 patients, data were collected including epidemiological data (age, sex, comorbidity) and
disturbance criteria associated with the dental implant surgery (location, number), as well as criteria linked to the neuropathic
pain itself (triggering factor, location, evolution). Results: For these 8 patients, with an average age of 55 years
and predominantly female (7:1), 18 dental implants were placed (12 in the mandible and 6 in the maxilla). 7 of
the 8 patients had at least two implants. 4 of the 8 cases experienced an electrical shooting pain as an initial
symptom, 3 of which occurred during implant loading or when the healing screws were placed. Implants had to be
removed for 7 patients, which ended the pain for only one patient. Conclusion: The frequency and risk factors of
post-implant neuropathic pain are not yet fully understood. The placing of multiple implants, and the occurrence
of electrical shooting pain during dental implant surgery, when the healing screws are placed or at the loading time,
could be predisposing factors. Additional studies are required to assess these factors better, taking into account
anatomical and radiological characteristics.
*
Correspondance : amirandredoustkam@gmail.com
** Contribution égale des auteurs
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which
permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited
13
Article publié par EDP Sciences
Med Buccale Chir Buccale A-A. Doustkam et al.
Introduction
164 patients
Les lésions iatrogènes du nerf trijumeau au décours d’un consultés pour
acte endobuccal sont fréquentes, notamment lors de l’avulsion douleur oro-faciale
des 3es molaires mandibulaires ou lors des traitements endo- Exclusion :
dontiques en secteur postérieur mandibulaire [1]. Concernant -Douleur non dentaire
les complications lors d’un acte implantaire, la prévalence des -Douleur non
lésions nerveuses iatrogènes semble faible bien que les don- neuropathique
nées épidémiologiques soient souvent anciennes et variables -Douleur aigüe ou
selon les sources. Ainsi, l’étude d’Ellies en 1992 [2], sur sub-aigüe
266 patients, rapporte une prévalence de 37 % de troubles de 41 patients avec
la sensibilité après chirurgie implantaire mandibulaire, persis- douleur
tant à long terme chez 13 % d’entre eux. Cependant, les auteurs neuropathique
d’une autre étude datant de 1999 retrouvent un risque de chronique
0,13 % de lésion nerveuse post-implantaire dont aucune défi- Exclusion des
nitive, après analyse de 1 527 patients partiellement ou tota- actes non post
post-
lement édentés et ayant reçu 2 584 implants dans la région implantaires
postérieure mandibulaire [3]. Par ailleurs, les données d’une
compagnie d’assurance française reprises par une étude datant 8 patients avec
de 2007 évaluent un risque de 0,008 % de lésion nerveuse post- douleur
implantaire par an et par odontologiste [1]. Enfin, une étude neuropathique
récente (2014) réalisée sur 93 patients avec 325 implants chronique post - Dont 1 patient
posés retrouvait un taux global de 16,1 % de paresthésie, sans implantaire avec « gêne »
précision quant au suivi évolutif [4]. suspectée
Bien que semblant peu fréquentes mais peut-être sous-éva- endodontique
luées au regard des résultats contradictoires de la littérature, et majorée
après pose
ces lésions nerveuses souvent faiblement documentées repré-
implant
sentent néanmoins des complications potentiellement lourdes
et invalidantes pour les patients. En effet, celles-ci peuvent
s’accompagner de banales lésions muqueuses par morsure
(lèvre et joue) pendant la mastication, jusqu’à une altération Fig. 1. Organigramme de sélection des patients inclus dans l’étude.
de la qualité de vie liée à la difficulté d’alimentation et à la Fig. 1. Flow chart documenting the selection process of patients
douleur chronique [5]. Par ailleurs, le caractère exceptionnel included in the study.
de ces lésions, le défaut d’information préopératoire (s’il
existe) et le manque d’efficacité des protocoles de gestion entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2012. Les patients
post-opératoire des douleurs chroniques [6, 7] en font des étaient référés par leur praticien ou consultaient de leur propre
complications très souvent mal acceptées. initiative pour prise en charge de la douleur. Après exclusion
L’objectif principal de cet article est de proposer une des- des autres antécédents rapportés (Fig. 1), 8 patients répon-
cription des douleurs neuropathiques post-implantaires à tra- daient aux critères de douleur neuropathique chronique post-
vers une série de cas. Il s’agit principalement de sensibiliser chirurgie implantaire, sans lésion anatomique radiologique-
l’ensemble des praticiens exerçant l’implantologie aux signes ment objectivée.
d’alertes pouvant faire suspecter l’apparition d’une douleur Concernant ces huit cas, les données ont été collectées par
chronique. un seul clinicien et portaient sur : les données épidémiolo-
giques (âge, sexe, antécédents médicaux), les critères de la
douleur (type, facteur déclenchant, siège, irradiation, évolu-
Patients et méthodes tion) ainsi que les critères en lien avec les implants (nombre,
localisation, avulsion et délai de dépose). La douleur était qua-
Il s’agissait d’une étude rétrospective sur 164 patients sui- lifiée de chronique lorsqu’elle persistait au-delà de 3 mois après
vis en consultation spécialisée pour une douleur oro-faciale son installation. Le questionnaire DN4 (Douleur Neuropathique
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Med Buccale Chir Buccale A-A. Doustkam et al.
Patient 1 2 3 4 5 6 7 8
Sexe Femme Femme Femme Femme Femme Femme Homme Femme
Age 58 ans 59 ans 56 ans 62 ans 55 ans 54 ans 48 ans 45 ans
Ménopause ménopausée ménopausée ménopausée ménopausée ménopausée ménopausée, non
ménopausé
Antécedents Pas Capsulite fibromyalgie, Pas HTA accouphènes reflux gastro- fibromyalgie et
d'antécédent rétractile de neuropathie d'antécédent essentielle non étiquetés oesophagien migraine
notable l’épaule pudendale notable et tabagisme
sevré depuis
deux ans
Tableau II. Localisation des implants. L’évaluation radiologique réalisée par le praticien a conclu au
Table II. Location of the implants. respect du nerf alvéolaire inférieur concernant les implants
mandibulaires. Pour 7 patients, l'acte chirurgical concernait la
Nombre
Localisation Nombre de cas d'implants pose d’implants multiples : 2 implants pour 4 patients,
Maxillaire Prémolo-molaire 1 2 3 implants pour 3 patients. Les implants multiples concer-
Molaire 1 2 naient le même secteur pour 6 des 7 patients (Fig. 2).
Antérieur 1 2 Concernant le délai d’apparition (Fig. 2), 4 des 8 patients
Mandibulaire Prémolo-molaire 4 11 étaient capables de le préciser. Pour le patient 6, la douleur
Molaire 1 1 est apparue lors de la mise en place de l’implant, pour le
Antérieur 0 0
patient 4 lors de la mise en fonction, pour le patient 5 lors de
la mise en charge. Pour le patient 1, il s’agissait de la mise en
charge. Les données radiologiques (panoramique dentaire au
en 4 questions) aidant au diagnostic de douleur neuropathique minimum) n’objectivaient pas de traumatisme des structures
a pu être utilisé dans certains cas [8]. anatomiques nerveuses.
L’objectif de la consultation était de proposer une prise en Le délai d’apparition de la douleur était très variable après
charge médicale de la douleur neuropathique. l'acte implantaire avec une moyenne de 2,21 mois [0 ; 6] cal-
culée sur 6 patients. En effet, ce délai d’apparition était de :
6 mois (1 cas), 4 mois (1 cas), 2 mois (1 cas), 1 mois (1 cas),
Résultats 15 jours à 1 mois (1 cas), per-opératoire (1 cas), douleur pré-
existante au traitement endodontique de la dent avulsée,
Description de la cohorte majorée 2 mois après l’acte implantaire (1 cas).
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Med Buccale Chir Buccale A-A. Doustkam et al.
Patients
P
6 5 4 3 2 1 0 1 2 3
Fig. 2. Critères d’apparition de la douleur neuropathique. Nous avons pour chaque patient précisé le nombre d’implants posés (à droite) et
le délai d’apparition de la douleur neuropathique en mois (à gauche).
Fig. 2. Onset characteristics of neuropathic pain. For each patient we have notified the number of implants (on the right) and the onset delay
of the neuropathic pain in month (on the left).
alvéolaire inférieur dont 1 avec une irradiation cervicale homo- qui ont été perdus de vue. Le patient pour lequel les implants
latérale. Trois patients présentaient une symptomatologie au n’ont pas été déposés a été également perdu de vue.
maxillaire, 1 patient sur le territoire de la lèvre supérieure et
de la face interne de joue homolatérale ; 1 patient sur la zone
cutanée de l’hémi-nez homolatéral ; 1 patient présentait une Discussion
symptomatologie alternée localisée aux territoires cutanés des
Notre étude portait sur l’analyse de huit cas de douleurs
deux hémi-maxillaires.
neuropathiques dans un contexte de chirurgie implantaire,
notre objectif étant de rechercher d’éventuels facteurs
Proposition thérapeutique et suivi prédisposants.
Notre cohorte, principalement féminine avec une moyenne
Tous les patients ont reçu au décours de la consultation un d’âge de 55 ans, correspondait à la littérature concernant les
traitement médicamenteux dont la molécule principale agissait douleurs neuropathiques iatrogènes du trijumeau qui révèle
sur le système nerveux central (inhibiteur non sélectif de la une grande prédominance féminine, notamment au-delà de la
recapture de la monoamine, anti-épileptique, inhibiteur de la 4e décennie de vie [6, 9]. Pour 6/7 patientes, ces douleurs sont
recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) seul, en com- apparues en cours de ménopause. Il a été évoqué que les œstro-
biné ou associé à d’autres classes d’antalgiques (anesthésiques gènes joueraient un rôle dans cette supériorité de prévalence
locaux, antalgique simple). du sexe féminin mais les mécanismes en cause ne sont pas
La dépose de l’implant a été réalisée pour six des patients encore élucidés [10]. Nous avons également étudié les comor-
sachant que nous n’avons pas retrouvé ce critère pour l’un bidités des patients. Pour six patients, les antécédents récu-
d’entre eux (donnée manquante). Les délais de dépose pour les pérés au décours des interrogatoires pourraient avoir un lien
implants étaient variables : de 15 jours (patient 3, un implant avec les mécanismes d’exposition au stress (fibromyalgie,
sur deux déposé), 2 mois (patient 1, un implant sur un déposé hypertension artérielle essentielle, névralgie nerf pudendal,
et 4 ans (patient 2, nombre d’implants déposés non connu). reflux gastro-œsophagien). Une prédisposition génétique à
Le délai de dépose de l’implant était manquant pour trois une sensibilité accrue à la douleur a été identifiée chez les
d’entre eux. patients souffrant de maladies chroniques comme la fibromyal-
Pour les patients chez qui les implants ont été déposés, gie, les troubles temporo-mandibulaires et les troubles
1 patient a connu une amélioration de la symptomatologie d’hypersensibilité à la douleur viscérale [11]. Le facteur psy-
douloureuse jusqu’à disparition plusieurs mois après la dépose chosomatique semble avoir un rôle important dans l’entretien
de l’implant, il s’agissait du patient chez qui la douleur avait des symptômes. Les facteurs psychologiques comme l’anxiété,
débuté 15 jours avant (le facteur déclenchant retrouvé était la dépression, la peur de la chirurgie et la vulnérabilité psy-
le dévissage de la vis de couverture). Pour les autres, il y en chologique ont été rapportés comme facteurs à risque de déve-
a eu trois chez qui la symptomatologie n’a pas changé et trois lopper une douleur chronique post-chirurgicale [12].
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Med Buccale Chir Buccale A-A. Doustkam et al.
Tableau III. Résumé des facteurs de risque d’évolution vers la douleur neuropathique chronique post-chirurgie implantaire.
Table III. Risk factors summary/Resume of post-dental implant surgery chronic neuropathic pain.
Pré-opératoire - Terrain : femme au delà de la 4ème décennie de vie/ troubles anxieux
Concernant les critères implantaires, nous avons observé seulement 83,87 % des foramens mentonniers et 45,83 % des
(Fig. 2) que 7 sur 8 avaient bénéficié d’implants multiples. La foramens mentonniers accessoires identifiés sur CBCT étaient
pose de plus de deux implants pourrait donc être un facteur aussi visibles sur panoramique dentaire. Cet argument renforce
associé au développement de douleur neuropathique post- l’idée d’une systématisation de l’imagerie tridimensionnelle
implantaire. Cette donnée semble en accord avec la série de pour l’acte implantaire dans la région prémolo-molaire mandi-
cas de Khawaja et al. (2009), décrivant 3 cas sur 4 de douleur bulaire ou à défaut de prendre une distance de sécurité mini-
neuropathique post-implantaire faisant suite à la pose d’au male entre l’apex implantaire et le toit du canal mandibulaire
moins 2 implants (3 cas d’implants multiples, respectivement comme le propose Hartmann et al. qui l’évaluent à 2,65 mm
4, 2 et 2 implants ; et 1 cas d’implant unitaire) [13]. Le rapport [21]. D’autre part, les hauteurs de crêtes pouvant être diffé-
de cas de Leckel évoque également la pose de 2 implants en rentes entre le versant buccal et lingual [23], le recours au CBCT
position 36 et 37 [14]. est fortement recommandé.
À l’opposé, le rapport de cas de Bhavsar et al. [15] fait réfé- Concernant le moment d’apparition de la douleur neuropa-
rence à la pose d’un implant unitaire mandibulaire de même thique par rapport au geste implantaire, nous avons observé
pour les rapports de cas de Delcanho et al. [16] et de Rodriguez- qu’elle pouvait être variable et liée à certaines séquences
Lozano [17] qui décrivent respectivement la pose d’un implant implantaires. Pour un des 8 patients, la douleur est apparue
mandibulaire dans la région symphysaire et d’un implant uni- lors de la lors de la séquence de forage implantaire. Cette don-
taire sur le site 23. Malheureusement, la seule étude contrôlée née rejoint les données de Juodzbalys et al. qui décrivent ce
avec 16 cas de douleur neuropathique post-implantaire ne per- phénomène chez 2 patients comme potentiel facteur de risque
met pas de répondre à ce critère [18]. Ce qui paraît également de développer une douleur neuropathique [18] ; également
intéressant dans notre cohorte est la proportion de cas de dou- l’étude de Khawaja et al. [13] qui rapporte la description par
leur neuropathique chronique post-implantaire au maxillaire, un patient sur quatre d’une décharge électrique lors de l’ostéo-
soit 37,5 % des patients (3/8 patients). La plupart des rapports tomie implantaire. Par ailleurs, nous avons également constaté
ou série de cas [13, 18, 15, 16] font référence aux douleurs que cette douleur peut apparaître lors de la mise en fonction
neuropathiques chroniques post-implantaires suite à une (2 de nos 8 patients) ou de la mise en charge. À notre connais-
lésion sur le nerf alvéolaire inférieur. Cependant la lésion du sance, seule l’étude de Rodriguez-Lozano et al. rapporte la des-
nerf maxillaire et ses branches distales doit également rester cription d’un patient avec douleur neuropathique chronique à
une priorité diagnostique, bien que l’imagerie ne soit pas per- six mois de la pose de l’implant. Le mécanisme lésionnel n’est
tinente dans ce cas. Il faudra rester vigilant sur les signes pas élucidé et nécessite de plus amples recherches. Les hypo-
d’alerte per- et post-opératoire qui sont les mêmes que pour thèses de compression gingivale et de fibrointégration peu-
tout autre nerf lésé (Tab. III). À la mandibule, la douleur neu- vent expliquer une douleur à type de décharge électrique. Au
ropathique après la pose d’implant peut survenir sans lésion vu de ces descriptions, nous pouvons nous poser la question
radiologiquement visible du canal mandibulaire, ce qui est le de la mise en place d’une supra-structure implantaire comme
cas pour l’ensemble de nos patients. Le cheminement du nerf potentiel facteur de décompensation ou facteur de risque
alvéolaire inférieur dans la mandibule est variable et il peut d’une douleur neuropathique. L’hypothèse de fibro-intégration
exister des ramifications nerveuses cheminant en dehors du est d’autant plus probable que le dévissage de la vis de cou-
canal [19] susceptibles d’être lésées. En effet, selon l’étude de verture s’est fait à J15 post-interventionnel (patient 5), délai
2015 de Muinelo-Lorenzo et al. [20] portant sur 344 patients, non recommandé pour mettre en place la vis de cicatrisation,
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Med Buccale Chir Buccale A-A. Doustkam et al.
propice à la mobilité implantaire liée au phénomène inflam- mais une maladie à part entière [9]. La recherche et le traite-
matoire. Par ailleurs, le traitement endodontique semble pour- ment du facteur causal n’apportent que peu voire pas de béné-
voyeur de lésion du nerf trijumeau, comme pour un cas de notre fice dans ces cas. Par ailleurs, le délabrement osseux lié à la
étude pour lequel une gêne, apparue quelque temps après le dépose de l’implant pourrait majorer le trouble nerveux.
traitement endodontique, était antérieure à la pose de
l’implant. L’incidence de douleur neuropathique après traite- Conclusion
ment endodontique serait estimée entre 3 et 6 % [22]. Bien
que notre étude n’ait pas relevé ce facteur par défaut de Cette description de notre série de cas présente des limites.
recherche, il est rapporté que le facteur de risque le plus fré- Au-delà de la faible puissance en raison d’un échantillon réduit
quent (50 % des facteurs retrouvés) pour une lésion du nerf et du caractère rétrospectif, l’absence de questionnaire stan-
alvéolaire inférieur était le saignement per-opératoire durant dardisé pour le recueil des données ne permet pas de répondre
la séquence de préparation de l’os [18]. Ceci est en accord avec mais de soulever plusieurs questions. La pose d’au moins deux
l’anatomie car l’artère alvéolaire inférieure se situe au dessus implants lors de l’acte implantaire ainsi que les étapes de mise
du nerf. L’atteinte vasculaire se présente donc comme un signe en fonction ou de mise en charge pourraient être des facteurs
d’alerte de lésion nerveuse. de risque de lésion nerveuse avec évolution possible vers une
La prise en charge de ces douleurs neuropathiques est com- douleur neuropathique chronique. Par ailleurs, la dépose pré-
plexe et souvent polymédicamenteuse. Conformément à la coce de l’implant pourrait améliorer la récupération nerveuse.
prise en charge standard d’une douleur neuropathique, tous les Des études prospectives seraient donc nécessaires pour
patients ont reçu un traitement médicamenteux par une molé- répondre à ces questions afin d’améliorer la prise en charge de
cule de la famille des anti-épileptiques ou anti-dépresseurs ces douleurs invalidantes.
dont l’objectif est d’agir sur la douleur au niveau du système
nerveux central. Il faut bien rappeler que toutes ces médica- Conflits d’intérêt : aucun
tions ne sont pas dénuées d’effets secondaires souvent diffi-
ciles à accepter pour le patient en plus des symptômes initiaux Références
[6]. Concernant l’intérêt de déposer l’implant en cas de douleur
neuropathique, notamment en l’absence de lésions nerveuses 1. Libersa P, Savignat M, Tonnel A. Neurosensory disturbances of the
radiologiquement décelables, il semble que le délai de prise inferior alveolar nerve: a retrospective study of complaints in a
10-year period. J Oral Maxillofac Surg 2007;65(8):1486-1489.
en charge soit important à prendre en compte. En effet, il est
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intéressant de noter que le seul patient ayant connu une amé-
a retrospective study. J Prosthet Dent 1992;68(4):664-671.
lioration des symptômes est celui pour lequel l’implant a été
3. Bartling R, Freeman K, Kraut R. The incidence of altered sensation
déposé le plus rapidement à savoir 15 jours post-opératoires.
of the mental nerve after mandibular implant placement. J Oral
Khawaja et al. [13] ont décrit que 2 des 4 cas pour lesquels Maxillofac Surg 1999;57:1408-1412.
les implants ont été retirés avant 36 heures ont connu une amé-
4. Kim Y-K, Kim H-S, Yi Y-J, Yun P-Y. Evaluation of subjective
lioration spectaculaire de leur symptôme. Selon cet auteur, une satisfaction of dental implant patients. J Korean Assoc Oral
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soit différent de celui proposé par Khawaja et al., une amélio- implant placement–practical knowledge for clinicians. Int J Oral
ration jusqu’à la disparition des symptômes s’est faite sur un Maxillofac Implants 2006;21(1):111-116.
délai de plusieurs mois pour notre patient. Il semblerait, selon 6. Renton T, Yilmaz Z. Managing iatrogenic trigeminal nerve injury:
notre série, qu’un délai de dépose implantaire trop long risque a case series and review of the literature. Int J Oral Maxillofac Surg
de n’avoir que trop peu voire aucun effet sur l’évolution de la 2012;41(5):629-637.
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pour lesquels le suivi a pu être réalisé . En effet, lors d’une response of the nervous system to damage. Annu Rev Neurosci
lésion nerveuse au niveau périphérique, les processus d’hyper- 2009;32:1-32.
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la douleur chonique [9]. Au niveau central, les neurones modi- or somatic lesions and development of a new neuropathic pain
fient leur réponse aux messages nociceptifs : il s’agit du phé- diagnostic questionnaire (DN4). Pain 2005;114(1-2):29-36.
nomène de sensibilisation centrale [9]. Une fois que les neu- 9. Al-Sabbagh M, Okeson JP, Khalaf MW, Bhavsar I. Persistent pain
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du tractus spinal, ont été sensibilisés, la douleur devient per-
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manente sans qu’il y ait stimulation nociceptive [23]. Quand
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