F Biblique-1
F Biblique-1
F Biblique-1
PRÉAMBULE.
Notre siècle assiste à l'un des spectacles les plus curieux, les plus intéressants
que l'érudition puisse faire apparaître à nos regards : il est témoin de la
résurrection du monde primitif. L'archéologue évoque les monuments antiques ;
et ceux-ci, secouant la poussière où ils étaient ensevelis, se relèvent et revoient
la lumière. Le linguiste, retrouvant les idiomes disparus, découvre la pensée des
peuples qui ne sont plus, et la rend au fonds commun de l'esprit humain. Et
l'imagination de l'historien, groupant les édifices qui surgissent de terre,
reconstruisant les cités écroulées, leur redonne, en les repeuplant de leurs
habitants, la vie morale qui les animait.
Devant l'apparente variété des civilisations primitives, le polygéniste s'est écrié
une fois de plus : Sur divers points du globe sont nées des races humaines.
Devoir leur existence à la même force naturelle, telle est leur seule communauté
d'origine.
Sous l'expression particulière au génie de chaque peuple, le polygéniste n'a-t-il
donc pas découvert que, d'un hémisphère à l'autre, cette expression voilait la
même pensée, que cette expression n'était qu'une des manifestations de l'âme
de l'humanité ?
De son côté, le rationaliste, voyant chez toutes les nations antiques le culte du
bien, a dit : La vérité ne s'est pas fait uniquement entendre sur la terre
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. La vérité est la voix de la conscience humaine ;
où l'homme a passé, cette voix -a vibré.
Oui, reconnaissons-le avec joie, et que ceci soit la meilleure preuve de la
commune origine des races : ce qui frappe, ce qui émeut, dans la reconstitution
de l'antiquité, ce n'est pas seulement la beauté, la grandeur des monuments de
marbre ou de granit ; c'est aussi, c'est surtout cette voix de la conscience
humaine qui s'élève des ruines du passé. A l'aurore de toutes les civilisations
orientales plane la vérité. Mais quand on s'éloigne des premiers temps de leur
existence, où la vérité s'est-elle conservée ?
Est-ce sur la terre des Pharaons ? Ses monuments attestent, en effet, que la
justice y régna, même sur les rois, pendant leur vie, après leur mort ! Mais les
lois auxquelles les Égyptiens attribuaient la durée de leurs monuments en eurent
aussi l'immobilité ; et l'immobilité, même dans le bien, c'est la mort ! L'Égypte
s'arrêta, ses institutions s'écroulèrent, et la licence succéda à la loi.
Pénétrons maintenant chez cette nation qui eut même renom de sagesse que
l'Égypte, la Chine. Nous y trouvons, il est vrai, le culte de la raison, mais le culte
immobile de cette raison humaine, bornée, qui, en se creusant sans cesse elle-
même, ne rencontre que le néant.
Enfin, voici la poétique contrée où le génie des races aryennes se déploya dans
son premier et radieux épanouissement. C'est l'Inde ! Ah ! nous comprenons
l'enthousiasme qu'elle inspire ; cet enthousiasme, nous l'avons partagé, exprimé,
et nous l'éprouvons toujours ! Oui, nous nous souvenons encore de notre
étonnement, de notre bonheur, quand, transportée au sein des grands paysages
de la nature tropicale, nous y vîmes les sentiments les plus délicats, les plus
tendres, exprimés avec un exquis abandon, mais toujours soumis et souvent
sacrifiés à la règle austère du devoir ! Cependant, tout en aspirant les parfums
d'une exubérante végétation, tout en nous berçant de cette harmonieuse poésie
où vibre l'écho de la beauté morale, nous nous sentions peu à peu oppressée par
une mystérieuse puissance : l'inaction du peuple indien l'avait soumis au destin,
et le devoir était devenu la fatalité.
Où donc la vérité se conserva-t-elle ? Elle se conserva là où le souvenir de son
auteur se perpétua. Quand la justice, la raison, le devoir cessent d'avoir Dieu
pour principe, la vie leur échappe, et avec la vie, la possibilité du progrès.
La vie, le progrès, c'est là ce qui caractérise l'idée religieuse, telle que la comprit
le peuple de Dieu.
Sans doute, les Hébreux ne surent pas toujours entendre cette idée dans toute
sa pureté ; et, au nom même de Celui qui vint pour perfectionner la loi, nous
protestons contre celles de leurs interprétations que réprouvent les droits
imprescriptibles de la conscience. Quelle que fût l'inspiration divine à laquelle
obéît l'Hébreu, il était homme, et devait mêler à l'esprit quelque limon terrestre.
Mais de ce que le vase qui reçoit une eau vivifiante, y infiltre un peu de son
argile, il ne s'ensuit pas que cette eau ait jailli moins pure de la source, ni qu'elle
ne puisse recouvrer sa limpidité. Dans la Bible, l'idée religieuse confiée aux
communs ancêtres de toutes les races se pose, se transforme, s'épure chez le
peuple qui la garda, et reçoit du Verbe de Dieu ce caractère d'excellence,
d'universalité, qui fera de l'Évangile le guide de l'humanité. Ainsi, la notion dont
le Créateur accorda l'intelligence au premier homme est celle qui, perfectionnée
par l'Homme-Dieu, ramènera les enfants d'Adam à leur unité première, et
répondra aux plus légitimes, aux plus généreuses aspirations de leur âme libre et
régénérée. Ne cherchons pas une autre religion de l'avenir que celle dont la
naissance se rattache à notre extraction même.
La femme se mêla activement au mouvement d'élaboration, d'amélioration,
d'expansion dont la Bible reproduit les phases. Le sujet de notre étude, la
condition et l'influence de notre sexe chez la nation hébraïque, se lie donc
étroitement à notre histoire religieuse.
Notre travail, au frontispice duquel nous avons placé la figure d'Ève, la femme-
type, notre travail se divise en quatre livres : la femme devant la religion ; — la
jeune fille et le mariage ; — l'épouse, la mère, la veuve ; — la femme devant
l'histoire.
Dans le premier livre, nous essayons de suivre l'idée religieuse depuis la
révélation primitive jusqu'à la révélation évangélique inclusivement, et nous
indiquons d'une manière générale la coopération de la femme au développement
de cette notion.
Dans les deux livres suivants, nous esquissons les types de la jeune fille, de la
fiancée, de l'épouse, de la mère, de la veuve, en signalant les modifications qu'ils
subirent sous l'influence même de la transformation de l'idée religieuse.
Après cette étude de la femme biblique, considérée comme être collectif, nous
suivons les applications de son caractère dans l'histoire du peuple hébreu et dans
celle du Christ. C'est là l'objet de notre quatrième et dernier livre.
Nous nous sommes attachée dans le cours de ce travail à faire vivre la femme
dans le milieu qu'elle traversa. Nous avons cherché à connaître les coutumes qui
lui furent particulières ; la demeure, le paysage qui lui servirent de cadre. A cette
intention, nous avons consulté les traditions talmudiques, les études de
l'hébraïsant allemand Michaëlis et de M. Salvador sur les institutions mosaïques ;
les travaux archéologiques ou géographiques de MM. de Saulcy, Munk, du
docteur américain Robinson1 ; et le vaste répertoire anglais des antiquités
bibliques, édité par M. Smith, et rédigé, non-seulement par des hébraïsants,
mais encore par des égyptologues, des assyriologues, etc.
Ce n'est pas uniquement, en effet, dans leurs livres nationaux qu'il faut étudier
les Hébreux. Les vérités bibliques ont laissé des traces dans tout l'Orient ; nous
en avons recueilli quelques-unes. — La vie même des Hébreux s'est mêlée à celle
des Chaldéens, des Arabes, des Égyptiens, des Assyriens, des Perses. L'origine
des habitants du Hedjaz nous autorisant à commenter par leurs coutumes celles
de leurs ascendants, les patriarches hébreux, nous avons appelé à notre aide
cette poésie antéislamique dont la simplicité, la vigueur, la hardiesse et l'éclat
sont merveilleusement appropriés aux scènes de la tente et du désert. Le séjour
des Israélites sur la terre de Gessen nous a permis de demander aux vestiges de
l'art pharaonique quelques indices de l'influence égyptienne sur les enfants de
Jacob. Quand il nous fallait suivre les femmes de la Bible hors de leur patrie, les
traditions des Ismaélites, les annales de la Perse nous livraient de curieuses
révélations sur l'histoire de nos héroïnes.
Dans ces recherches, nos guides ont été, pour l'Arménie, le Mékhitariste Indjidji,
dont les travaux ont été résumés en italien par Cappelletti ; pour l'Arabie, MM. le
baron Sylvestre de Sacy, Reinaud, Caussin de Perceval ; les traducteurs de
Maçoudi, MM. Barbier de Meynard et Pavet de Courteille ; pour l'Égypte, MM. le
vicomte de Rougé, Champollion-Figeac, Brugsch, Reginald Stuart Poole ; pour la
Chaldée, l'Assyrie, la Perse, MM. G. Rawlinson, Hœfer, Layard, Oppert,
Fergusson, etc.
Ce n'est pas une vaine curiosité qui attire notre temps à l'étude des antiquités
bibliques. Cette étude, c'est celle de nos origines morales, et c'est pourquoi elle
agite les âmes comme une question actuelle.
Femmes-chrétiennes, nous sommes toutes intéressées à suivre la formation de
notre type, et à voir se dessiner dans la suite de l'histoire sacrée cette
individualité dont nous devons à l'Évangile la pleine possession2.
1 Nous regrettons que l'achèvement de notre essai, précédant la publication des résultats
du voyage scientifique qu'a fait récemment en Palestine M. le duc de Luynes, ne nous ait
pas permis de recourir aux découvertes dues à l'homme illustre qui donne et l'inspiration,
et l'exemple des œuvres de l'intelligence.
2 L'exposé de notre plan indique suffisamment que nous n'avons point voulu
recommencer l'œuvre que le vénérable et éloquent archevêque de Paris a publiée sous ce
titre : Les Femmes de la Bible, principaux fragments d'une histoire du peuple de Dieu,
avec collection de portraits des femmes célèbres de l'Ancien et du Nouveau Testament,
gravés par les meilleurs artistes, d'après les dessins de G. Staal, 2 vol. gr. in-8°.
PRÉAMBULE.
1 C'est en Arménie que les traditions placent généralement le paradis terrestre. Cf.
Armenia di Cappelletti, Firenze, 1841.
2 Genèse, II, 18, traduction de Cahen.
3 Genèse, II, 18, traduction de Le Maistre de Sacy.
néant fit jaillir la vie, et de s'aimer en Lui ! Il comprendra plus ; mais elle sentira
mieux ! Dieu, séparant pour unir davantage, animant deux vies du même souffle,
a, de la même pensée, créé la femme, institué le mariage dans son unité, dans
son indissolubilité, et posé, avec la famille, les assises des sociétés à venir.
Elle entre dans la vie, la compagne plutôt pressentie qu'attendue d'Adam. Dieu la
présente et la confie à l'homme, et celui-ci la salue de ce cri de bonheur qui lui
révèle à lui-même pourquoi il s'était senti seul en présence de Dieu et de la
nature :
Cette fois, c'est un os de mes os, c'est la chair de ma chaire !1
L'être créé à l'image de Dieu, reconnaissant en sa compagne le souffle sacré qui
l'anime lui-même, appelle d'un nom semblable au sien celle qui le rendra père de
l'humanité2, celle qui lui inspire l'unique loi sociale qu'il ait léguée à sa postérité.
Que celle-ci soit appelée femme, parce qu'elle a été prise de l'homme ;
C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère, s'attache à sa femme, et ils
deviennent une seule chair3.
Involontairement ici, le livre sacré nous échappe, et notre imagination se retrace
les scènes qu'inspira l'esquisse de la Bible au génie chrétien de l'aveugle qui, ne
voyant plus la terre, se représentait mieux le ciel. Avec Milton, nous pressentons
les premières impressions de la femme, son étonnement du monde et d'elle-
même ; l'effroi, le trouble de la vierge, et la chaste et confiante tendresse de
l'épouse. Avec Milton, nous la voyons, préludant à sa mission domestique,
recueillir le lait des troupeaux, le miel des abeilles et les fruits de la terre. Avec
Milton, nous errons sur les pas du premier homme et de la première femme dans
ces paysages que son pinceau anime des feux éblouissants de la lumière
orientale ; nous les entendons, unissant leurs voix dans le même élan
d'adoration, chanter le Dieu qui leur donna la vie, l'amour, la terre, et lui offrir
l'hommage de ce qu'ils reçurent de lui ! Ah ! quittons ces pages, toutes
frémissantes encore de l'enthousiasme du poète, et reprenons le livre simple et
sublime qui les inspira. Ici l'auteur sacré ne s'arrête pas à respirer les parfums de
l'Éden, la fraîcheur de ses eaux ; il n'en contemple pas les cieux de saphir, car il
voit approcher le nuage qui, de ses flancs déchirés, fera ruisseler la foudre sur le
premier, le dernier abri du bonheur humain. Il ne salue pas dans la femme la
source de la vie, car il voit aussi en elle la source de la mort.
La femme, fille de Dieu, égale à l'homme devant Dieu, telle est sa première
apparition dans nos annales sacrées. Ainsi la considère Moïse quand, répétant les
antiques traditions de sa race, il évoque les scènes du monde primitif, et cherche
dans la loi naturelle la base des institutions sinaïques.
Cette loi naturelle, cette révélation primitive, c'est la notion de ce qui est, c'est la
vérité, reflet de l'Essence divine et lumière de l'âme humaine. Par la pénétration
et par le culte de la vérité, l'être créé à l'image de Dieu se rapprochera de son
idéal modèle ; et Dieu, la confiant à ses enfants, leur en accorde l'intelligence,
leur en prescrit le respect.
Devant sa loi, il leur laisse la liberté. De même que l'homme, la femme peut
choisir entre le bien, qui est le vrai ; et le mal, qui est le faux. C'est l'être moral
et perfectible.
A la femme l'historien sacré rattache la première faute de l'homme, sa chute et
son exil. Devant elle, devant celui qu'elle a perdu, se sont fermées les portes de
cette divine patrie où tous deux s'étaient éveillés à la vie, au bonheur ! Des
terres inconnues se sont présentées à (leurs regards attristés, et ce sol inculte,
qui ne leur paiera désormais que le prix de leurs sueurs, ne leur offrira qu'un
repos assuré : le tombeau !
Mais de leur châtiment même naîtra leur régénération1. Dans leur lutte contre
une terre rebelle à les nourrir, à les abriter, ils puiseront une force qui, décuplant
1 Rappelons ici les généreux accents qu'inspirait à une voix bénie la puissance
régénératrice du travail : Paroles de Mgr l'évêque d'Orléans, prononcées dans sa
cathédrale, à son retour de Rome, le soir du dimanche des Rameaux, etc., 1864.
toutes leurs facultés, leur fera mieux comprendre leur véritable grandeur.
L'âpreté du combat leur aura révélé leur énergie, et leur triomphe leur puissance.
Victorieux de la nature, ils auront appris à se vaincre eux-mêmes ; et le Dieu qui
agrée les premiers-nés des troupeaux qu'ils élèvent, les prémices des plantes
qu'ils cultivent, recevra avec plus d'amour encore le sacrifice de leurs passions,
l'hommage de leurs vertus.
Tel devait être le premier culte de l'humanité déchue.
1 La Bible ne mentionne aucune fille de Noé ; elle ne cite que la femme et les trois brus
du patriarche. Au sujet de cette légende, Cf. Cappelletti, ouvrage cité.
2 Haïg, descendant de Japhet, et père de la nation arménienne.
3 Cappelletti a comparé la Vénus grecque à l'Astlice arménienne.
4 Cf. Maçoudi, Les Prairies d'or, texte et traduction par MM. Barbier de Meynard et Pavet
de Courteille, Publication de la Société asiatique de Paris, 1861, chap. IV.
5 Chez les Hébreux, comme chez plusieurs autres peuples qui avaient le calendrier
lunaire, les jours commençaient par le soir (Lévitique, XXIII, 32), parce que le croissant
se lève le soir. Dans le récit de la création, on lit toujours : Et il fut soir et il fut matin.
Palestine, par M. Munck, Paris, 1845.
6 Cf. Job, XXXVII, 2-5, traduction de Cahen.
7 Cf. Job, XXXVI, 29, traduction de Cahen.
la foudre a déchiré les flottantes draperies. — Il donne la rosée à la fleur des
champs, à l'herbe des prés. Il donne au reém1 la liberté, à l'autruche, sa course
rapide ; au cheval, son hennissement et sa belliqueuse ardeur ; à l'aigle, sa
retraite inaccessible, son regard perçant ; au behémoth2, au léviathan3, leur
structure merveilleuse et l'empire des mers. A tous les animaux, aussi bien à
l'insecte qu'à la bête fauve, il donne l'instinct de la conservation et la nourriture
matérielle. A l'homme enfin il donne l'intelligente et la sagesse qui la nourrit ; la
sagesse dont lui seul est la source ; la sagesse, trésor plus précieux que l'or
d'Ophir, la perle, l'onyx, le saphir ou la topaze d'Éthiopie !4
Effrayé de la force du Maître, l'homme l'a d'abord nommé Élohim5 ; mais bientôt,
bientôt, pénétré de sa bonté, de sa justice, protectrices, omnipotentes, il
l'appelle Adonaï, le Seigneur ; El-Shaddaï, le Tout-Puissant. Ignorant de l'origine
de ce pouvoir bienfaisant qui a précédé, créé les générations, et les a vues se
succéder, il salue du nom d'Éternel le Dieu sans commencement et sans fin.
Reconnaissant l'universalité de cette Providence qui veille à jamais sur tous les
hommes, les patriarches ne considèrent en eux que le rameau sacré d'un tronc
unique : Adam, Noé, chefs de leur race, sont aussi pour eux les pères de
l'humanité ; et par le Christ, leur descendant, toutes les nations de la terre
seront bénies en eux6.
Princes et princesses sous leurs tentes, les patriarches et leurs compagnes vivent
à l'abri de la protection immédiate, visible, de leur souverain Maître. Arrêtons-
nous dans le site qui fut témoin de leurs rapports les plus intimes avec l'Éternel.
Au nord des déserts de l'Arabie, au sein de la montueuse et stérile contrée située
à l'occident de la mer Morte, le roc laisse passer entre ses deux bras une vallée
qui, débouchant du nord-nord-ouest, va se perdre au sud-sud-est. Large
d'abord, elle court entre des ceps abondants ; et, en se rétrécissant, étage le
long de ses pentes la ville d'Hébron. Ici, le sol, bien que rocailleux, se couvre
d'une luxuriante végétation ; et sur le penchant des collines et dans le sein de la
vallée, croissent des vergers de vieux oliviers, des bouquets de grenadiers et de
figuiers, des vignobles où mûrissent les plus beaux raisins de Canaan. Ici aussi,
l'herbe a sa fraîcheur, et les pentes se tapissent de cette verdure si rare dans les
contrées où le soleil darde ses ardents rayons. Sur ces gras pâturages erraient
les troupeaux, richesse des antiques pasteurs. — Des blés assurent la nourriture
de l'homme, et au milieu même d'un champ, un chêne dont la vaste
circonférence atteste la vieillesse rappelle l'hommage reconnaissant que, sous les
ombrages, les patriarches rendaient au Dieu qui fécondait leur sol.
Les Hébreux sur la terre des Pharaons. — Influence des idées égyptiennes sur
les croyances israélites. — Moïse à Héliopolis. — Jocabed, mère de Moïse, et le
nom de Jehova. — Les Hébreux au pied du Sinaï. — Le Dieu de l'humanité,
Dieu national d'Israël. — La vérité placée sous la sauvegarde de la crainte. —
Les femmes jurent l'alliance de Jehova et du peuple élu. — Châtiment de la
femme infidèle à ce pacte. — Moïse était-il déiste ? — Le tabernacle ; part de
travail et de richesses qu'y apportent les femmes ; types égyptiens des miroirs
d'airain et des bijoux des femmes. — Fêtes sabbatiques, basées sur la charité,
l'égalité, la liberté. — Fêtes de pèlerinage ; leur sens symbolique, leur but
politique et moral, leur caractère agronomique. Pendant la fête des Cabanes,
les femmes entendent la lecture de la loi. Les sacrifices n'apparaissent qu'au
second plan du code mosaïque. — Sacrifices offerts par les femmes. — Le
sacerdoce. Les femmes de la tribu de Lévi. — Influence de la loi mosaïque sur
le caractère de la femme. — Moïse avait-il l'idée de l'humanité ? — Moïse et
l'immortalité de l'âme.
La famine avait obligé les enfants de Jacob de quitter les collines et les vallées de
Canaan, et de chercher, au sein des gras pâturages de Gessen, un lieu de refuge
qui devint un jour leur maison d'esclavage.
Mêlés aux Egyptiens, ils en subissaient toutes les influences. Les filles d'Israël se
laissèrent-elles, elles aussi, attirer au culte de leur nouvelle patrie ? De même
que les prêtresses de Misraïm1, saluaient-elles la puissance créatrice dans cette
mystérieuse triade qui, se renouvelant à chaque degré de la vie universelle,
formait les anneaux de la chaîne par laquelle le ciel s'unissait à la terre2 ? Ou, à
ce panthéisme substituaient-elles le fétichisme des classes inférieures et
personnifiaient-elles les symboles ?
Non loin de Gessen3, au pied de l'obélisque de granit rose du temple
d'Héliopolis4, un homme méditait. C'était un rejeton de la race hébraïque, de la
race proscrite ; et son nom rappelait qu'il avait été tout ensemble exposé et
arraché au péril de son peuple : ce nom était Moïse, sauvé des eaux.
Sur l'une des cimes de ce même rocher devait se sceller l'alliance de Dieu et des
descendants de Jacob. Les tribus d'Israël, arrachées au joug de l'étranger,
s'acheminaient vers la terre où reposaient leurs ancêtres. Au commencement
même de leur pèlerinage, elles allaient recevoir la loi qui devait les régir. Pour
rendre l'homme cligne de la liberté, il faut lui apprendre à plier sous le joug du
devoir.
1 Le miel du palmier. Cf. Deutéronome, XXXII, 13, et note de Cahen. C'est apparemment
la datte.
2 Sous Moïse, Deutéronome, XXIX ; sous Josué, Josué, VIII ; et au retour de la captivité,
Néhémie, VIII.
3 Deutéronome, XIII, 7.
4 Deutéronome, I, 31.
5 Exode, XIX, 4 ; Deutéronome, XXXII, 11, 12.
Juste, il punit la faute ; clément, il pardonne au coupable qu'il a châtié, et la
prière de Moïse put appeler sur Miriam la miséricorde divine.
Non, Moïse ne croyait pas, ainsi qu'on l'a dit de nos jours, que la liberté de
l'homme fût entravée par la Providence. Il ne croyait pas que, soutenu par le
Tout-Puissant, l'homme se sentît plus faible. Il ne croyait pas que les mots
Providence, fatalité, fussent identiques : la Providence veille sur l'homme, la
fatalité l'entraîne, et soustraire l'homme à la première, c'est le soumettre à la
seconde. Non, Moïse ne croyait pas que Dieu dût s'absenter de son œuvre, que le
cri d'une âme souffrante dût se perdre dans le vide ; et, au besoin, la puissance
surnaturelle de la prière lui eût révélé l'action de la Providence !
1 Thahasch, animal inconnu. D'après le Talmud, ce serait une espèce de fouine. Cf.
Palestine, par M. Munk, p. 156.
2 C'est le travail des Gobelins. Cf. Exode, XXVI, note 1 de Cahen ; Histoire de l'art
judaïque, par M. de Saulcy, 1864 ; les Tapisseries d'Arras, par M. l'abbé Van Drival,
1864.
3 Cf. Josèphe, Antiquités Judaïques, liv. III, chap. V.
tubes de purification ; et ce candélabre travaillé au repoussé, et dont les sept
branches supportaient au sommet de leurs tiges des calices s'arrondissant en
pommeau, s'allongeant en amande, s'épanouissant en fleur. — Dans l'or aussi
avaient été sculptés ces deux chérubins qui, de leurs ailes étendues,
protégeaient l'arche sainte, et entre lesquels Dieu parlait à Moïse1.
A ce temple les femmes avaient consacré leurs travaux, leurs richesses. De leurs
mains elles avaient filé la laine, le lin, le poil de chèvre des courtines et des
tentures2. La matière du bassin d'airain provenait de la fonte de ces miroirs
arrondis dont la terre des Pharaons nous a livré de curieux modèles3. Naguère
peut-être, le miroir à la main gauche, le sistre à la main droite, les descendantes
de Jacob avaient-elles, en cette attitude hiératique, adoré les dieux de Misraïm4.
Peut-être le manche de ce miroir reproduisait-il encore ou la fleur du lotus, ou la
souriante figure d'Hathor, la Vénus égyptienne, ou plus généralement le masque
horrible de Bes, dieu Typhon qui présidait à la toilette des Égyptiennes, et servait
de repoussoir à leur beauté5. — Moïse accepta-t-il sans difficulté ces profanes
objets ? L'Exode n'en dit rien ; mais une légende talmudique raconte que
l'austère législateur, hésitant à vouer au culte cette offrande, en appela au
tribunal de Dieu.
Ce don, aurait répondu le Seigneur, me plaît plus que tous les autres6.
Dieu jugeait digne de lui être consacré ce qui avait reflété l'une de ses plus
suaves créations.
Les objets du culte devaient aux femmes une partie de leurs ornements7. Les
filles d'Israël avaient sacrifié à Jehova les joyaux qu'elles avaient emportés de la
maison d'esclavage, et qui, sans doute, reproduisaient les emblèmes des
divinités de l'Égypte. Les types probables de ces bijoux sont encore sous nos
yeux8 : d'élégantes fleurs de lotus, des vases à libations, sveltes et allongés ;
Les patriarches, élevant en tout lieu des stèles en l'honneur d'Adonaï, lui
rendaient en tout temps leur hommage En établissant un sanctuaire central,
Jehova fixa les époques où les enfants d'Israël, unis en une même foi, devaient
s'unir en un même culte.
Le Décalogue ne sanctionne qu'une loi cérémonielle : l'observance du sabbat4.
Symbole de la création, le sabbat représentait le repos du Seigneur quand
l'univers fut, à sa voix, sorti du chaos, et rappelait aux Hébreux, entourés de
peuples panthéistes, le dogme d'un Être suprême distinct de son œuvre. Son but
moral, c'était le soulagement du travailleur, de l'esclave, de la bête de somme
même, qui, par le repos d'un jour, pouvaient combattre l'influence meurtrière
d'un labeur sans relâche. Le Décalogue et le code mosaïque développent tous
deux l'idée religieuse que symbolisait le sabbat, et l'idée philanthropique que
réalisait cette divine institution :
Souviens-toi du jour de repos pour le sanctifier.
Six jours tu travailleras et feras tout ton ouvrage.
Mais le septième jour, repos consacré à l'Éternel ton Dieu, tu ne feras aucun
ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton esclave, mâle ou femelle, ni ton
bétail, ni ton étranger qui est en tes portes. Car en six jours l'Éternel a fait le ciel
pendant leur longue servitude chez un peuple au comble de la puissance. Il est bien
difficile de déterminer une époque exacte pour les bijoux qui ne sont pas dans la salle
historique, parce qu'ils ne portent pas d'indication précise ; mais le style égyptien n'a pas
varié sensiblement sous le second empire, et vous ne courez pas le risque
d'anachronismes dangereux en vous servant des diverses pièces exposées dans nos
vitrines comme objets de comparaison dans la recherche qui vous occupe. Les bracelets
eux-mêmes, quoique un peu plus anciens, sont encore parfaitement du style qui devait
régner au temps de Moïse.
1 La déesse Pacht est la créatrice de la race asiatique et la vengeresse du crime. Cf.
Notice sommaire des monuments égyptiens exposés dans les galeries du Louvre, par le
vicomte de Rougé.
2 Osiris, type et sauveur de l'homme après sa mort. Notice sommaire des monuments
égyptiens exposés dans les galeries du Louvre, par le vicomte de Rougé.
3 Exode, XXXVI, 5, 6.
4 Le sabbat est antérieur à la promulgation de la loi. Cf. Exode, XVI.
et la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve, et s'est reposé le septième ; c'est
pourquoi l'Éternel a béni le jour de repos et l'a sanctifié1.
Dans les entretiens de Dieu et de Moïse se trouve complétée l'idée mère du
sabbat :
..... Au septième jour tu le reposeras, afin que se reposent ton bœuf et ton âne,
et que le fils de ton esclave et l'étranger reprennent des forces2.
Tu ne feras aucun ouvrage, répète dans le Deutéronome le législateur du Sinaï,
..... afin que ton esclave, mâle ou femelle, se repose comme toi. Tu te
souviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte, et que l'Éternel ton Dieu
t'en a retiré à main forte et bras étendu ; c'est pourquoi l'Éternel ton Dieu t'a
ordonné de faire le jour de sabbat3. Le soulagement de l'opprimé était le
principal hommage qu'exigeât du peuple délivré le Dieu libérateur.
1 Deutéronome, XII, 12, 18 (ces deux versets s'appliquent en général aux réjouissances
de tous les sacrifices) ; XVI, 11, 14.
2 En général, chez les anciens Hébreux, les mois sont déterminés par l'adjectif ordinal :
premier mois, deuxième mois, etc. Cependant ils sont parfois désignés par des
dénominations expressives : abib, le premier mois, le mois de la maturité ; assif ; mois
de la récolte, etc. Le calendrier des Israélites, rédigé après la captivité de Babylone, est
tout talmudique. Cf. la Notice sur le calendrier talmudique, jointe au Lévitique traduit par
Cahen.
3 Nombres, VIII, 15.
se rendre à la fête de pèlerinage, et de retremper dans l'audition de la loi leur foi
religieuse et leur force morale1.
Fêtes sabbatiques, fêtes de pèlerinage, toutes les solennités des Hébreux
célébraient à la fois Dieu, la patrie, l'homme et la nature.
Les droits de Dieu sur la terre furent l'origine des sacrifices. Le patriarche offrait
librement au Seigneur les premiers-nés de son bétail, les prémices de son
champ. — Le Décalogue, loi purement morale, ne renferme aucune prescription
concernant les sacrifices, et ce n'est qu'au second plan du code mosaïque
qu'apparaissent les lois rituelles. Moïse pouvait craindre que le peuple encore
grossier qu'il formait, perdant de vue le sens spirituel des sacrifices, ne crût que
des liens matériels suffisaient pour l'unir à Jehova ; et cependant le moment
n'était pas venu encore de l'esprit de l'homme pouvait, sans le secours des sens,
s'élever à l'idée de Dieu.
Jehova, tout en sanctionnant donc les sacrifices, ne consentit à les recevoir qu'au
sanctuaire central. Il permit que, fière d'une récente maternité, une femme,
apparaissant au seuil du tabernacle, lui offrît pour l'holocauste un agneau d'un
an, et joignît à ce sacrifice d'adoration l'offrande expiatoire d'un jeune pigeon ou
d'une tourterelle2. Il permit que, repentante d'une faute involontaire envers lui
ou envers l'humanité, une femme fit suivre du sacrifice de péché ou de délit la
confession et la réparation de son erreur3. Il accepta les prémices de la pâte que
pétrissait la maîtresse de maison4. Il agréa aussi le sacrifice pacifique qu'à la
suite d'un vœu une jeune fille, une épouse, une mère, venait lui offrir. Naguère,
dans un moment de folle terreur ou d'ardente espérance, une femme avait juré
de vouer à Jehova ou ses biens, ou sa personne, ou son fils même, si le malheur
s'éloignait d'elle, si le bonheur s'en approchait. Un père, un époux, avait été
informé de ce serment et ne s'y était pas immédiatement opposé5. L'Éternel
avait exaucé la prière de sa servante ; et celle-ci, ne voulant point se racheter de
son vœu6, avait offert ses richesses à Jehova ; ou, après avoir observé
l'abstinence du nazir, sacrifiait jusqu'à sa chevelure sur l'autel des holocaustes7 ;
; ou, plus courageuse encore8, avait consacré son fils à Celui qui lui avait
accordé l'orgueil, et le bonheur de la maternité.
1 A propos des miroirs d'airain, l'Exode, XXXVIII, 8, dit qu'ils furent offerts par les
femmes assemblées à l'entrée de la tente d'assignation. Des commentateurs concluent
que ces femmes étaient vouées au service du temple. D'après la version grecque et la
version chaldaïque, ce service eût consisté dans la prière et le jeûne. Cf. Palestine, par M.
Munk, p. 156, et note 8 de Galien ; Exode, XXXVIII. — Les femmes de la famille du
cohène n'avaient d'autre privilège que celui de pouvoir goûter à la poitrine et à la cuisse
des animaux offerts par les Israélites pour le sacrifice pacifique. Mariée à un homme
étranger au sacerdoce, la fille du cohène perdait ce droit ; mais veuve ou répudiée, elle
en jouissait de nouveau, si, n'ayant point d'enfant, elle retournait chez son père. Cf.
Lévitique, X, 14 ; XXII, 12, 13 ; Nombres, XVIII, 11.
2 Déshonorée, la fille du cohène était brûlée. Lévitique, XXI, 9.
3 Palestine, par M. Munk.
4 Lévitique, XXI, 7 ; Ézéchiel, XLIV, 22.
5 Ézéchiel, XLIV, 22.
6 Lévitique, XXI, 13, 14.
7 La loi.
l'étranger ? Non, l'homme qui rappelait dans la Genèse la commune origine des
peuples, l'homme qui, en souvenir de la captivité d'Égypte, prescrivait aux
Hébreux d'aimer et de respecter l'étranger établi au milieu d'eux, cet homme
n'immolait pas les droits de l'humanité à un étroit esprit de nationalité. Ce n'était
pas le Cananéen qu'il haïssait : c'était l'erreur que personnifiait l'indigène ; et
jaloux de conserver intact le dépôt des traditions divines, il frappa ceux qui
pouvaient l'altérer. Il sacrifiait tout à une idée.
Déjà il prévoyait le jour où les Hébreux auraient perdu la foi antique. Il devait
voir les filles de Moab et de Midian attirer à leurs croyances en même temps qu'à
leurs charmes les fils d'Israël. Et l'on comprend tout ce qu'il y eut d'amertume
dans ce dernier adieu qu'il laissa à ce peuple qu'il avait sauvé ; à ce peuple que,
pendant quarante années, il avait dirigé, soutenu ; à ce peuple auquel il aurait
voulu insuffler son âme, et qui pour prix de son sacrifice, de son amour, de son
génie, lui avait donné l'ingratitude, et lui réservait l'infidélité.
Cependant, au moment où il va disparaître pour toujours derrière les rocs du
mont Nébo, il sent que l'idée dont il a déposé le germe pourra s'altérer parfois,
mais s'anéantir, jamais ! Avec un de ces accents de tendresse émue qui, en ce
sombre génie, ressemblent aux rayons de soleil se jouant pendant l'orage, il
s'écrie : Bonheur à toi, Israël !1 Oh oui ! Israël, bonheur à toi, car tu portes clans
ton sein une idée qui régénérera le monde !
Alors le législateur peut mourir, car il a compris que son œuvre lui survivrait à
jamais ! Il peut mourir, car, du fond des sanctuaires de l'Égypte jusqu'aux cimes
de l'Horeb, il avait entrevu une vérité qu'il n'osa confier au peuple grossier qui en
eût matérialisé le sens : l'immortalité de l'âme !
Les Hébreux étaient entrés par la force des armes dans cette Terre de promission
où les appelait la voix de Dieu. Mais une main puissante eût seule pu établir
l'homogénéité au sein de ces tribus habituées à l'indépendance du régime
patriarcal, et les liens religieux qui les unissaient ne tardèrent pas à se relâcher
sous l'influence des cultes polythéistes que, contrairement aux ordres de Moïse,
les Israélites avaient laissés subsister autour d'eux. A l'heure du péril, le peuple
élu, privé de l'action décisive d'un gouvernement central, cédait aux attaques
des peuples étrangers, et le Cananéen même asservissait Israël. Alors un
homme, une femme, reprenant la pensée de Moïse. ; rappelait momentanément
les vaincus à l'idée de Jehova, à l'amour de la patrie ; et sous l'inspiration et la
conduite du Juge, du Schophêt, les Hébreux, en recouvrant leur foi,
reconquéraient aussi leur indépendance.
Au gouvernement des Juges succéda le pouvoir des Rois qui, glorieusement
inauguré, devait néanmoins amener le schisme politique et religieux de dix
tribus, et l'asservissement des deux royaumes divisés, Israël et Juda.
Mais, dans la gloire des armes ou dans la force des institutions politiques, n'était
pas la véritable mission des Hébreux. Et le dernier des juges avait posé les
fondements d'un ordre qui, destiné tout d'abord à contrebalancer la
prépondérance de la royauté, devait dégager le sens libéral de la loi mosaïque et
préparer le règne du Messie : ce fut l'ordre des Prophètes.
Déjà au temps de l'Exode apparaît la mission religieuse du prophète ; et, incident
digne de remarque, elle est pour la première fois directement attribuée à Miriam,
sœur de Moïse1. Il appartenait à la nature impressionnable et enthousiaste de la
femme de frémir la première sous le souffle sacré de l'inspiration. Et l'un des
1 Dieu avait indirectement donné à Abraham le nom de prophète, quand il fit entendre sa
voix dans un songe au roi de Gerar.
prophètes de Juda n'hésitait pas à placer Miriam parmi les trois libérateurs1
qu'envoya Jehova à son peuple asservi en Égypte.
Nous n'essaierons pas de peindre maintenant les femmes inspirées que nous
verrons plus loin occuper le rang le plus éminent dans les scènes imposantes de
l'Ancienne Alliance. Nous ne ferons qu'indiquer sommairement ici la part qu'elles
eurent dans le développement des idées messianiques contenues dans la loi de
Moïse. Elles devaient à la fois aider à conserver intact le dépôt que Jehova avait
confié à sou peuple, et préparer le moment où l'amour répandrait dans le monde
entier le trésor que la crainte avait placé sous la sauvegarde d'une seule nation.
Les premières prophétesses, Miriam et Débora, nourries des fortes doctrines de
Moïse, rappellent plus l'Ancienne Alliance qu'elles ne pressentent la loi nouvelle.
S'élevant au moment où Israël cherchait à se créer une patrie ou à s'affermir
dans sa nationalité, elles furent, non les apôtres de l'avenir, mais les sévères
gardiennes du présent.
C'est donc encore un Dieu jaloux et vengeur qu'elles exaltent. Leur imagination
le reflète dans sa grandeur menaçante, dans son éclat fulgurant, tel enfin qu'il
descendit dans le buisson d'Horeb et sur le Sinaï.
Peu à peu l'idée de Dieu se dessine avec non moins de douceur que de majesté,
avec non moins de clémence que de justice ; et l'âme forte et tendre d'une
femme, d'Anne, mère de Samuel, célèbre le Dieu miséricordieux qui soutient le
faible et qui juge l'humanité que régénérera le Christ.
Quand Samuel, dont la naissance avait excité l'enthousiasme prophétique de sa
mère, régularisa les fonctions des Nebiîm ou orateurs inspirés ; quand ceux-ci
furent à la fois et les interprètes de la pensée de Dieu, et les défenseurs des
droits de l'homme, les femmes aussi furent admises dans leurs associations.
Les prophètes suivaient, en l'élargissant, la voie religieuse où les avaient
précédés Miriam, Débora, Anne. Des lèvres d'un roi, leur élève, devait s'échapper
vers le ciel, non plus le cri de terreur d'un esclave de Jehova, mais le murmure
de tendresse d'un enfant de Dieu.
Les chants du roi-prophète, vibrants d'un enthousiasme divin, mais palpitants
aussi d'une vie vraiment humaine ; ces chants, entendus par les femmes aux
jours solennels, imprimaient dans leur âme une image à la fois imposante et
attendrie de la Providence céleste.
Oui, David voit en Dieu un ami. Ce que son cœur affectueux et expansif a donné
aux hommes d'amour et de confiance lui a échappé. Même son meilleur ami,
l'homme de sa paix2, l'a trahi. Même son père et sa mère l'ont abandonné3 ;
mais il s'est réfugié dans le sein de Jehova, et l'Immuable Bonté l'a recueilli.
Défendu par le Maître suprême de l'univers, couvert d'une égide protectrice, la
piété, comment craindrait-il l'homme, l'impie que ses richesses même ne
préserveront pas du schéol ? C'est cette ferme assurance d'une protection divine
qui imprime au juste une force surnaturelle.
Dans les images de ses psaumes, David reflète les impressions que, pasteur, il
dut éprouver. Il emprunte à la nature les scènes les plus imposantes ; à la vie
1 Principalement dans l'admirable psaume CIV, duquel nous nous sommes inspirée ici.
2 Psaume CIV, 2.
3 Psaume CIV, 16. Cette dénomination désigne les arbres qui croissent sans la culture de
l'homme. Cf. la note de Cahen.
4 Psaume CIV, 15.
5 Psaume LXV, 10.
6 Psaume CIV, note 11 de Cahen.
7 Isaïe, LXVI, 13.
8 C'est le nom enfantin que Dieu donne parfois à Israël. Cf. pour les diverses
interprétations de ce mot : Deutéronome, XXXII, note 15 de Cahen.
politique de sa patrie, Jérémie, qui voyait avec un mélange de colère et de
douleur les filles de Juda encenser la reine du ciel1, Jérémie est le plus souvent
le poète du désespoir. Isaïe fortifie, Jérémie abat. En entendant les accents
lugubres, plaintifs de celui-ci, on réagit contre cette douleur presque
irrémédiable, la nature humaine proteste contre l'éternité du malheur. Et l'on se
sent tenté, après avoir été assombri par ces hymnes funèbres, de répéter avec
Isaïe ce cri de triomphe : Réveille-toi, réveille-toi, lève-toi, Jérusalem !2
Cependant, quand les malheurs qu'il a prédits se sont réalisés, Jérémie sait
trouver des paroles d'espoir, de tendresse et de paix. Mais il a trop souffert pour
ne pas donner au bonheur même une teinte mélancolique, et c'est au milieu
d'une peinture de la Jérusalem nouvelle qu'il évoque le souvenir de Rachel.
L'acheminement progressif de la loi ancienne vers la loi d'amour, un moment
arrêté par les imprécations de Jérémie, s'accentue dans les prophéties d'Ezéchiel.
Ce sombre génie qui, s'élevant à la conception matérielle de Dieu, donnait à
cette image un éclat étrange et terrible, sut pressentir dans le Christ le Bon
Pasteur recueillant sa brebis égarée3.
Comme tous ceux qui souffrent du présent, les prophètes vivent dans l'avenir, et
saluent la Jérusalem nouvelle qui naîtra sous les pas du Fils de la Vierge4,
ouvrira ses portes aux femmes5, sera témoin de leur apostolat6, et abritera leur
leur douleur quand, en l'Homme-Dieu, l'homme mourra, le Dieu quittera la
terre7.
Aussi bien dans leurs douleurs et dans leurs espérances patriotiques que dans
leurs souffrances et dans leurs joies intimes, les femmes se souvenaient encore
de la Providence8. Dans les calamités publiques, elles imploraient la miséricorde
divine, et leurs voix modulaient la complainte9. Dans les triomphes nationaux,
elles rendaient grâces au Dieu des armées, à Jehova Sabaoth, et s'accompagnant
du toph10, unissant leurs danses à leurs chants, faisaient vibrer dans leurs
accents tous les enivrements de la victoire11.
Au tabernacle avait succédé le temple de Jérusalem, et de l'une de ses cours les
femmes pouvaient participer aux cérémonies du culte. Pendant les fêtes
sabbatiques et les néoménies, les femmes se rendaient aux assemblées
religieuses et politiques qui se tenaient chez les prophètes, et dans lesquelles les
orateurs inspirés spiritualisaient la loi en l'interprétant, et décidaient, au nom de
Jehova, du sort des nations12.
1 Cf. Jérémie, VII, 18, et XLIV. — D'après Gramberg, cité par Cahen, la reine du ciel
serait Astarté. Voir aux notes supplémentaires de la traduction de Jérémie, par Cahen.
2 Isaïe, LI et LII.
3 Ézéchiel, XXIV.
4 Isaïe, VII, 14.
5 Isaïe, LX, 4.
6 Joël, III, 1, 2.
7 Zacharie, XII, 12-14.
8 I Samuel, I ; Psaume CXLVIII, 12-13 ; Joël, II, 16.
9 Cf. Ézéchiel, XXXII, 16, et note de Cahen.
10 Le tambour de basque, que les Arabes nomment encore aujourd'hui doff, et les
Espagnols aduffa. Palestine, par M. Munk.
11 Juges, XI, 34 ; I Samuel, XVIII, 6,7 ; Psaumes LXVIII, 12-15.
12 II Rois, IV, 23.
Les femmes savaient aussi monter à Jérusalem quand les trois fêtes annuelles
appelaient les fidèles au sanctuaire central1. Sous les ardeurs du soleil de la
Syrie, sur la route poudreuse de Bacca, les regards alourdis des pèlerins
cherchaient à l'horizon les portes de Jérusalem, et leurs lèvres brûlantes
laissaient échapper ces psaumes qui allégeaient les fatigues du voyage par la
perspective du but, et qui, au sein des déserts, évoquaient les vivantes
splendeurs de la cité sainte2.
Mais alors ce n'était plus sur les sacrifices que les prophètes appelaient la pieuse
attention des Hébreux. Qu'importent à Dieu les prémices de la terre ? Le monde
entier ne lui appartient-il pas ? Ce qu'il demande, ce sont les fruits de sagesse,
de justice, de charité, que l'intelligence de la vérité fait éclore dans l'âme de
l'homme. Que lui importe la victime qui se consume sur l'autel ? Ce qu'il exige,
c'est l'anéantissement des passions mauvaises qui entravent le perfectionnement
de l'humanité. Que lui importe le sacrifice expiatoire ? Ce qui le touche, c'est le
sanglot d'un cœur brisé et repentant. Que lui importe le sacrifice d'actions de
grâces ? Ce qu'il aime, c'est l'hommage filial et reconnaissant de ce cœur, son
plus sublime ouvrage.
Ce fut ainsi que le prophétisme devint-le sacerdoce des Hébreux. Sans doute,
David et Jérémie ne surent pas toujours pratiquer cette charité dont ils élevaient
l'exercice au-dessus des sacrifices. On éprouve une impression pénible en les
entendant appeler sur les femmes de leurs ennemis les douleurs du veuvage3. Et
Et devant leur appel à Jehova : Frappe ceux qui nous haïssent ! nous, enfants de
l'Évangile, nous remplaçons involontairement cette imprécation par les dernières
paroles du divin Crucifié : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils
font !4
Néanmoins les orateurs inspirés furent les véritables prophètes de l'humanité.
Naguère, Anne, mère de Samuel, avait pressenti le moment où tous les peuples
de la terre s'uniraient en une même foi5. Isaïe, développant cette idée, fut le
premier prophète de Juda qui, digne héritier de la pensée des patriarches, et
véritable précurseur de l'esprit du Christ, sut s'élever à ce sentiment dont seul
l'Évangile devait alimenter la flamme : l'amour de l'humanité ! Quand il lit dans
l'avenir le châtiment réservé aux ennemis d'Israël, quand il le leur annonce, son
regard brille d'un saint courroux, sa voix éclate comme la dernière fanfare du
jugement dernier. Mais quand il contemple les désastres de ceux qu'il a
menacés, cette voix imposante sait s'attendrir, ce regard fulgurant sait se noyer
de larmes. Et le prophète vengeur d'Israël pleure sur l'ennemi de sa patrie,
abattu et désarmé !
Jérémie même enjoint à ses compatriotes transportés à Babylone de prier pour le
lieu de leur exil6. Et les prophètes s'accordent à faire de tous les étrangers les
citoyens de la Jérusalem nouvelle.
1 Luc, II.
2 Cf. Psaumes LXXXIV, LXXXV.
3 Psaume CIX, 9 ; Jérémie, XVIII, 21.
4 Luc, XXIII, 34, traduction de Le Maistre de Sacy.
5 I Samuel, II, 10.
6 Jérémie, XXIX, 7.
A mesure que le culte se spiritualisait, l'idée de l'âme se dégageait avec plus de
netteté et de lumière. Ici encore, ce furent les femmes, Anne1, Abigaïl2, qui les
premières proclamèrent la croyance à l'immortalité de l'âme et à la justice
rémunératrice de Dieu. — L'Éternel n'est pas le Dieu de la mort, il est le Dieu de
la vie. Il est Jehova, il est celui qui est !
1 I Samuel, II, 6.
2 I Samuel, XXV, 29.
CHAPITRE QUATRIÈME. — RÉVÉLATION ÉVANGÉLIQUE.
Décadence politique et religieuse des Juifs. — Les sectes. La femme devant les
pharisiens, les saducéens, les esséniens. — La Vierge amène le règne de la vérité
sur l'humanité entière. — La Galilée. Appropriation de cette contrée à l'esprit
de paix et à l'universalité de la prédication évangélique. — La nature âpre et
heurtée de la Judée est le théâtre de la lutte de l'esprit nouveau contre la lettre
morte. — Jésus et les femmes. — Amour de Dieu et de l'humanité. — L'idée de
la Providence exclut-elle la nécessité du travail ? Prière de l'humanité. —
Charité, miséricorde, tolérance. — Absence de lois cérémonielles dans
l'Évangile. — Les nouveaux sacrifices. Apostolat. Mission de la femme. —
Influence de la loi d'amour sur le caractère de la femme. — La mort, seuil de
l'éternité.
1 Les habitants du royaume de Juda, qui seuls étaient restés fidèles aux antiques
croyances, profitèrent à peu près seuls aussi de l'édit de Cyrus, qui autorisait les captifs
de Juda et d'Israël à rentrer dans leur patrie.
2 Josèphe, Antiquités Judaïques, XVIII, 2.
Cependant une aurore nouvelle naissait. Le germe de la vérité éternelle, c'est-à-
dire de la loi naturelle, ce germe, déposé par Moïse dans le code sinaïque, incubé
par l'inspiration des prophètes, brisait son enveloppe matérielle, et allait éclore à
la lumière de la Parole de Dieu.
Le Verbe, descendant vers l'humanité, s'incarnait dans ce qu'elle renferme de
plus pur, de plus sacré, la Vierge ! L'antique et consolatrice promesse de Dieu se
réalisait. Ève écrasait la tête du serpent ; et la mère sauvait ce qu'avait perdu la
femme.
C'est en Galilée que le messager du ciel salue en Marie la Mère de Dieu. C'est là
que Jésus passe sa jeunesse et commence sa prédication.
Cette contrée, l'une des plus luxuriantes que puisse rêver l'imagination du poète,
s'étend au sud d'une prolongation du Liban1. Le sommet de la montagne, coupé
en plateau, disparaît sous une couche de chênes nains, de vergers, et
d'aubépines aux teintes virginales, au suave parfum. Arbres et arbustes, ici
s'entrelacent en épais bosquets, là se groupent en vertes clairières. A l'est, un
fleuve naissant et un lac, véritable mer, limitent la Galilée : ce fleuve, c'est le
Jourdain ; ce lac, c'est la mer de Génésareth. Au nord-ouest du lac ruisselle, de
la fontaine ronde de Capharnaüm, une source qui, courant au milieu des aliziers
et des lauriers-roses, répand sur son passage une traînée de verdure2. Le
Jourdain, sortant du lac où il a mêlé ses eaux, continue la limite orientale de la
Galilée jusqu'à Scythopolis. Ici la frontière méridionale de la province se dessine,
court à travers la plaine d'Esdrélon, et s'étend au pied des montagnes d'Éphraïm
et du Carmel. Le sud de cette contrée embrasse une succession de collines et de
vallées qui n'offre rien de heurté ; les collines, tapissées de forêts, arrondissent
leurs moelleux contours, et descendent en ondoyant au sein des vallées
sinueuses. A l'ouest, une lanière du territoire phénicien sépare la Galilée de la
Méditerranée. De ce côté, les étrangers, qui formaient la masse de la population
galiléenne3, pouvaient entrevoir ou deviner la patrie absente ; et le Grec saluait
peut-être les flots d'or et d'azur qui, de leur sein, faisaient jaillir ses îles chéries,
ou qui ceignaient de leur frange d'écume les rives helléniques.
Cette contrée était admirablement appropriée à la révélation évangélique. Sur le
pic sévère et menaçant du Sinaï, l'Éternel avait confié à Israël la garde du pacte
qu'au sein des plus ravissants paysages du monde naissant il avait conclu
naguère avec Adam et sa postérité. Dans des sites aussi doux que les jardins
d'Éden, que les cimes de l'Ararat, que la vallée d'Hébron, il devait donner à
l'humanité le gage de l'alliance qu'il avait nouée avec elle. Oui, la Galilée, avec le
dessin pur et harmonieux de ses lignes, le suave coloris d'un paysage qu'animent
les teintes d'une lumière éclatante, et que baigne une transparente atmosphère,
la Galilée semblait avoir été créée pour être le théâtre de la promulgation d'une
loi sereine et lumineuse comme elle ! Au milieu de ce peuple où les enfants de
1 Cf. pour la description de la Galilée : Galilée, by Porter (Dict. of the Bible) ; Palestine,
par M. Munk.
2 Cf. Robinson's biblical researches.
3 Le noyau de la Galilée consistait dans les vingt villes données par Salomon à Hiram, roi
de Tyr, en échange de sa participation aux travaux du temple. Pendant la captivité, la
population étrangère s'accrut, et, au temps des Maccabées, la Galilée ne comptait que
peu d'Israélites. Strabon constate qu'à l'époque où il écrivit, cette province était
principalement habitée par des Égyptiens, des Phéniciens, des Arabes ; et Josèphe
mentionne les habitants syriens et grecs des cités galiléennes. Cf. Galilée, by Porter
(Dict. of the Bible) ; Strabon, XVI, 2 ; Josèphe, Autobiographie.
l'Égypte, de la Grèce, de l'Arabie, de la Syrie, se mêlaient aux fils d'Israël, sur les
bords de cette mer au delà de laquelle vivaient ou s'éveillaient les peuples
nouveaux, devait rayonner le foyer où l'humanité allait éclairer son esprit,
échauffer son cœur.
Mais, pour établir cette doctrine de paix il fallait, et combattre, et souffrir, et
mourir ! C'est au cœur du pharisaïsme, c'est à Jérusalem, que la flamme de
l'esprit nouveau luttera contre les ténèbres de la lettre morte ; c'est au sein des
rocs et des déserts de la Judée que se dérouleront les scènes de la passion du
Sauveur.
Autour du type de la beauté humaine transfigurée par la beauté divine, ayant le
charme vivant et fascinateur de la première et la calme grandeur de la seconde,
autour de l'Homme-Dieu se groupèrent les femmes de la Galilée. Elles le
suivirent de Capharnaüm à Jérusalem, du lac de Génésareth à la montagne de
Golgotha. Elles vécurent de sa vie mortelle, partagèrent les angoisses de son
agonie ; et, les premières, saluèrent sa résurrection.
Elles adoraient ce Maître qui initiait à sa mission la Samaritaine, admirait la foi
ardente d'une fille des Syriens, aimait la pécheresse qu'une faute avait perdue
devant le monde, mais que le repentir sauvait devant Dieu. Elles adoraient ce
Maître qui rassasiait la faim de leur corps et la faim de leur âme ; ce Maître qui
guérissait leurs souffrances physiques et leurs blessures morales ; ce Maître qui
ne leur imposait d'autre joug que l'amour de Dieu et l'amour de l'humanité.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout
ton esprit.
C'est là le grand et le premier commandement.
Et le second est semblable au premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-
même.
Ces deux commandements renferment toute la loi et les prophètes1.
Dans ces deux commandements, non, dans cet unique commandement, se
trouve le germe de toutes les vertus. Aimer Dieu, l'aimer avec toutes les forces
de l'intelligence, c'est aimer le vrai, le beau, le bien, idées éternelles dont il est le
type. Aimer Dieu avec toutes les puissances du cœur, c'est appliquer ces divins
principes, c'est pratiquer le devoir.
Aimer l'humanité, c'est, dit Jésus, une loi semblable à la première. Oui, aimer
l'homme dans sa grandeur, c'est aimer Dieu, c'est aimer le Verbe agissant dans
l'âme qu'il habite, lui donnant l'inspiration des grandes pensées et la force des
grandes actions ! Aimer l'homme dans sa déchéance, c'est encore aimer Dieu,
c'est ramener le Verbe dans l'âme qui a cru le chasser et qui lui devra l'impulsion
du repentir et le courage de la réhabilitation !
La Providence n'est plus le bras qui châtie ; c'est la main qui soutient et relève.
L'Eternel n'est plus le Dieu des vengeances, c'est le Dieu des miséricordes.
Jehova ne menace plus l'âme dans ses faiblesses, il ne l'accable plus dans ses
chutes. Mais le Bon Pasteur guide son troupeau à travers les écueils, et
1 Évangile selon saint Mathieu, XXII, 37-40, traduction du P. Gratry. Cf. Commentaire
sur l'Évangile selon saint Mathieu, seconde partie, 1865.
cherchant au fond du précipice la brebis qui y tombe, la place avec amour sur
son épaule, et, dans cette caressante attitude, la rapporte au bercail.
C'est alors que la Providence se mêle le plus intimement à la vie de l'homme, à
sa vie matérielle, et surtout à sa vie morale. De même qu'elle revêt d'une robe
virginale le lis des champs qui, sans souci de l'avenir, puise dans la terre des
sucs vivifiants ; de même qu'elle livre à la recherche de l'oiseau le grain de mil
qui le nourrit, de même elle fait trouver à l'homme, dans le labeur du jour, le
pain du lendemain, et dans l'âpre poursuite de l'idée la vérité éternelle. Elle ne
supplée pas au travail, elle le fait fructifier. Elle ne supprime pas l'ouvrier, elle en
couronne l'œuvre. Et c'est ainsi que, ne permettant à l'homme d'autre
préoccupation que la pratique du devoir et le respect de la justice, elle lui dit : Le
reste vous sera donné par surcroît1.
Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez2, dit
Jésus. Comment, sous la loi évangélique, l'homme recourra-t-il à cet irrésistible
appel à la Providence ?
Les Hébreux invoquaient dans le Tout-Puissant le protecteur d'Israël ; ils le
priaient de les bénir dans leurs biens terrestres, dans leur patrie, dans leur
postérité ; ils le suppliaient d'éloigner d'eux les dangers matériels et de renverser
leurs ennemis. Les disciples du Christ invoqueront dans l'Éternel le Père de
l'humanité ; ils lui demanderont le triomphe de la vérité sur toute la terre ; ils
imploreront son secours dans les périls de leur âme ; ils défendront enfin devant
lui ceux qui les attaquent devant le monde.
Dieu ne rend à l'homme que ce que celui-ci a donné à autrui. Avant de demander
Dieu une assistance spirituelle, un secours matériel, que l'homme aille à son
frère. Qu'il le console dans sa douleur, qu'il le soutienne dans sa misère. Avant
d'implorer de Dieu le pardon de ses fautes, qu'il aille à son ennemi. Coupable,
qu'il se jette aux pieds de celui qui le hait. Innocent, qu'il lui tende les bras.
Avant de recourir à Dieu dans une défaillance morale, qu'il apprenne à respecter
l'homme dans ses luttes, dans ses chutes même. Pour ramener celui qui s'égare
dans l'obscurité, qu'il ne le pousse pas brutalement vers le droit chemin. Mais
qu'il apporte la lumière, et les ténèbres se dissiperont, et le voyageur retrouvera
sa route. Que l'homme, en un mot, sache unir la tolérance à la foi, et respecter
tout ensemble les droits de la vérité et la liberté de la conscience !
Un Ismaélite, issu de la race de Modhar, la plus noble et la plus fière des familles
arabes, Sassaa, aïeul du célèbre poète Farazdak, avait perdu deux chamelles
près de devenir mères. A l'Arabe des temps antéislamiques, le sobre et robuste
animal du désert est aussi précieux que son coursier, aussi cher que la femme
qu'il aime ; et les poètes des moallacât1 célèbrent à l'envi la chamelle
indomptée, au regard farouche, légère comme l'autruche, rapide comme le
torrent2.
Aussi Sassaa n'hésita-t-il pas à s'élancer sur son chameau et à rechercher lui-
même les traces des chamelles égarées.
Deux tentes réunies s'offrirent à sa vue. Leur disposition annonçait que l'une
était occupée par un chef de famille, l'autre par sa femme. Sassaa pénétra sous
la tente de l'époux.
Un vieillard s'y trouvait, et, sur la demande du voyageur, l'informa du sort de ses
chamelles.
Descendant, lui aussi, de Modhar, il avait pour toute richesse conservé le
souvenir de cette origine. C'était auprès de lui que se trouvaient les chamelles de
Sassaa, qui, devenues mères, avaient nourri de leur lait et le vieillard et sa
famille.
1 Les Sept Moallacât ou Poèmes suspendus, sont les poésies les plus remarquables
qu'aient produites les temps antéislamiques. Elles étaient écrites en lettres d'or sur des
étoffes précieuses que l'on tendait aux portes de la Caaba, le temple de la Mecque. Cf.
sur les moallacât, le jugement du savant qui fut le père des études orientales en France,
le baron Sylvestre de Sacy, Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. L ; et Mélanges
de littérature orientale, précédés de l'Eloge de N. de Sacy, par M. le duc de Broglie, dont
la parole, d'une éloquence austère et noble, rappelant les titres scientifiques du célèbre
orientaliste, nous initie avec tant de charme à ce que son caractère eut d'élévation
morale.
2 Cf. Les Moallacât d'Imroulcaïs, d'Amr, fils de Colthoum ; d'Antara, traduites avec la
couleur et la verve orientales par H. Caussin de Perceval ; Essai sur l'Histoire des Arabes
avant l'islamisme.
Le voyageur écoutait son hôte. Soudain une voix, s'élevant de la tente voisine,
apprit au vieillard qu'un enfant lui était né..... sans doute, au cri suprême de la
maternité, allait répondre le tressaillement de l'amour paternel ?..... Pas encore.
De quel sexe est l'enfant ? demanda le vieillard. Si c'est un garçon, nous
partagerons avec lui notre nourriture ; si c'est une fille, qu'on l'enterre1.
Si c'est une fille, qu'on l'enterre ! — Ainsi parlait, quand un enfant lui naissait,
tout Arabe trop pauvre pour surveiller la conduite d'une fille, trop noble pour en
supporter le déshonneur.
Un cri de terreur, un cri de mère, répondit à l'ordre du vieillard : C'est une fille.
Quoi ! faudra-t-il donc la faire mourir ?
Le cœur de l'étranger défaillit : Épargne-la, dit Sassaa au père, je t'offre de
l'acheter.
Mais le vieillard frémit d'indignation. Vendre sa fille, lui, homme de noble race !
Lin descendant de Modhar ne vend pas sa fille : il la garde, ou la tue !
Et Sassaa se hâte de compléter sa pensée. Il veut, non emmener, esclave, la fille
de son hôte, mais la laisser, libre et rachetée, sous la tente paternelle. Ses deux
chamelles, leurs petits, le chameau qui l'a conduit à leur recherche, deviennent
la rançon de l'enfant condamnée. Et de ce jour Sassaa, ému d'une généreuse
indignation, jura de payer d'un prix semblable la vie naissante et déjà menacée
des filles de l'Arabie.
Trois cent soixante enfants furent ainsi sauvées par lui jusqu'au jour où l'islam
abolit la barbare coutume des Arabes païens. Et le poète Farazdak, élevant au-
dessus de toute noblesse de race la noblesse de cœur de son aïeul, établissait la
suprématie de son origine sur celle d'un rival en disant : Je suis enfant de celui
qui rappelait les morts à la vie2.
1 Traduit du Kitâb-al-Aghâni, IV, folio 224, par M. Caussin de Perceval, et inséré dans sa
notice sur les trois poètes arabes Akhtal, Farazdak et Djérir. Nouveau Journal asiatique,
tome XIII.
2 Femmes arabes avant et depuis l'islamisme, par M. Perron, 1858.
3 Cf. Le Coran, XVI, 59-61.
4 Par exception et comme une dernière bénédiction accordée à Job, ses filles eurent une
part dans son héritage. Cf. Job, XLII, 15.
5 Note 21 du chapitre XLVI de la traduction de Jérémie, par Cahen.
6 Palestine, par M. Munk.
7 Palestine, par M. Munk.
sa douceur ; Débora, abeille1, rappelait sa destinée laborieuse, sa mission utile
et bienfaisante ; Peninnah, perle2, évoquait l'ensemble des qualités aimables et
solides attribuées à la femme et le prix qu'on y attachait.
C'était dans les plaines d'Aram-Naharaim de Padan-Aram, le pays entre les
fleuves, le district cultivé au pied de la montagne, c'était dans cette région
mésopotamienne que furent élevées la plupart des jeunes filles auxquelles
s'allièrent les descendants immédiats d'Abraham. Là était cette patrie que le
patriarche avait quittée pour aller répandre dans le pays de Canaan le nom de
l'Éternel. Là était mort son père. Son frère, ses neveux y vivaient ; et dans leur
lignée seulement, il voyait se perpétuer, sinon le pur souvenir du Révélateur
suprême, du moins le respect de la loi naturelle.
C'est donc sous une autre latitude que la vallée d'Hébron qu'il nous faut suivre
les premiers pas des filles des patriarches. — Pénétrons dans cette contrée qui,
située au pied de l'Ararat, est entourée, ainsi que d'une ceinture argentée, des
flots de l'Euphrate et du Chabor ; cette contrée qui, à nos yeux, a le charme si
puissant et si doux de nous rappeler au sein de l'exubérante végétation de
l'Orient, la flore de nos climats3.
Peu d'arbres forestiers, il est vrai, dans cette région mésopotamienne ; mais, çà
et là, des bois de noirs cyprès, des bouquets de peupliers, de poiriers, de
cognassiers, de noyers, contrastent avec les éblouissants massifs des orangers,
des cerisiers, des citronniers et des grenadiers.
Libres de leurs mouvements, les filles des patriarches parcouraient, le visage
découvert, ce pays qui, au luxuriant aspect d'un jardin, unit la solitude d'un
désert, et que seuls troublent le cri du chacal, le vol de l'autruche, la course
rapide de l'antilope et de l'âne sauvage4. Tantôt, un vase sur l'épaule, la vierge
allait puiser à la source l'eau destinée aux besoins de la maison paternelle5 ;
tantôt elle guidait les troupeaux du patriarche6 dans ces prairies sans cesse
arrosées par les fleuves, et qu'émaillent les corolles immaculées du lis, les
capitules rouges du chardon, les fleurons d'or de l'absinthe, les étoiles d'azur du
bluet. La brebis, le mouton à large queue, broutaient les salsolas7, ces plantes
marines qui, éloignées des flots où elles se sont baignées, conservent encore
dans l'intérieur des terres le sel vivifiant dont elles se sont imprégnées. Là aussi
les bestiaux rencontraient d'odorants pâturages : le thym, le serpolet, l'origan et
le safran, dont la fleur ou blanche, ou pourpre, ou lilas, laisse s'échapper ces
stigmates d'un rouge orangé qui exhalent un pénétrant parfum.
Soumise au pouvoir royal de son père, la jeune fille araméenne était tout
ensemble protégée et menacée par le sévère tribunal de la famille, qui savait ou
1 Sur la terre de Canaan, les frères de Dina vengent leur sœur outragée ; et Juda
condamne à mort sa bru coupable, et légalement considérée comme sa fille. Cf. Genèse,
XXXIV et XXXVIII.
2 Genèse, XXXVIII, 2.
3 Genèse, XXIV.
4 Cf. notre premier essai : La Femme dans l'Inde antique.
5 Cf. Marriage, by William Latham Bevan (Dict. of the Bible). L'auteur combat avec
succès, en s'appuyant sur le rapprochement des textes, une opinion généralement
admise de nos jours, et d'après laquelle le mohar aurait été reçu par le père de la fiancée
comme prix de sa fille. Les plaintes de Lia et de Rachel prouvent que Laban avait dérogé
à la coutume en vendant ses tilles comme des étrangères. Cf. Genèse, XXXI, 14-16.
6 Cf. la note précédente.
7 Cf. Genèse, XXIX et XXXI, 14-16.
8 Genèse, XXIV, 22, 53.
9 Genèse, XXIV, 22, 53, et Marriage, by William Latham Bevan, étude déjà citée.
qui se prolongeaient pendant la semaine entière, complétaient la solennité
nuptiale1.
Les incidents qui accompagnaient la formation du lien conjugal chez les
patriarches se retrouvent dans l’un de ces antiques récits bibliques dont s'est
bercée notre enfance, et qui nous apparaissent toujours saisissants d'une beauté
vivante, comme ces peintures qui, sous la poussière des siècles, ont conservé
leur puissant coloris, et qui, revues mille fois, mille fois nous surprennent par un
attrait nouveau.
Trois années s'étaient écoulées depuis la mort de Sara, et Isaac pleurait encore
sa mère.
Pour dissiper les ombres de tristesse qui obscurcissaient la vie d'Abraham et
d'Isaac, il fallait un rayon de jeunesse, de beauté et d'amour ; il fallait qu'une
vierge qu'Abraham appellerait sa fille, qu'Isaac nommerait sa femme, vînt
occuper la place laissée vide par celle qui naguère était saluée des titres
d'épouse et de mère ; il fallait que, digne de succéder à Sara, à la fière et
imposante princesse, dans l'autorité royale de la maîtresse dé la tente, l'épouse
d'Isaac méritât de s'asseoir après elle au fond de ce sanctuaire domestique tout
parfumé encore des vertus de la morte.
Et une poignante inquiétude étreignait le cœur d'Abraham. Il redoutait
l'avenir.....
Alors il manda auprès de lui Éliézer de Damas, son vieux serviteur et son fidèle
ami. Au nom de l'Éternel, Dieu du ciel, Dieu de la terre, il l'adjura de ne point
livrer la tente de l'épouse sans tache à l'une de ces Cananéennes que
l'immoralité de leur culte disposait à une effrayante dissolution de mœurs. Il lui
fit jurer de chercher au berceau de sa race la compagne d'Isaac.
Mais une jeune fille consentirait-elle à abandonner son pays natal, et son père et
sa mère, pour rejoindre, accompagnée d'un étranger, un époux dont elle ne
connaîtrait que le nom ? Telle fut la crainte qu'Éliézer exprima à son maître.
Fallait-il alors qu'Isaac lui-même quittât les vallées de Canaan pour les plaines
mésopotamiennes ?
Une semblable éventualité effraya le patriarche. Et que deviendraient les
promesses divines qui assuraient à sa race la possession de sa nouvelle patrie ?
Garde-toi d'y mener mon fils, dit Abraham.
L'Eternel, le Dieu du ciel qui m'a fait sortir de la maison paternelle et de mon
pays natal, qui m'a parlé et qui m'a juré en ces termes : Je donnerai ce pays à ta
postérité, c'est lui qui enverra son ange vers toi pour que tu prennes de là une
femme pour mon fils ;
Mais si la femme ne veut pas te suivre, alors tu seras dégagé de ce serment que
je te fais faire2.
Et le patriarche, mal remis encore de son effroi, ajouta :
Mais tu n'y mèneras pas mon fils. Éliézer jura et partit. Des serviteurs, dix
chameaux le suivaient.
À leur sortie d'Egypte, les Hébreux avaient senti germer dans leur esprit l'idée de
la nationalité. Pour fonder et affermir leur existence politique, pour dégager et
perfectionner l'idée religieuse dont celle-ci n'était que l'enveloppe, il fallait des
hommes qui, de leur force matérielle, établissent la première, et de leur
puissance morale, soutinssent la seconde. Nous avons vu, nous reverrons dans la
suite de cette étude des femmes s'élever par l'ascendant d'une volonté
énergique, par le souffle de l'esprit divin, aux plus hautes fonctions politiques et
religieuses ; mais là en général n'était pas la véritable mission de leur sexe ; et
malgré les brillantes exceptions qui prouvèrent aux Hébreux que leurs filles aussi
pouvaient devenir les défenseurs d'Israël, les interprètes de Jehova, c'était la
naissance d'un fils qui seule répondait à leur ambition nationale, à leurs
espérances messianiques.
Le désir de perpétuer l'héritage de leurs droits politiques et de leurs idées
religieuses était donc non moins vif chez les Israélites que ne l'avait été chez les
patriarches araméens celui de transmettre avec l'héritage de leurs biens
matériels le souvenir de leur nom.
En incident de l'époque mosaïque avait d'ailleurs atténué ce qu'offrait d'affligeant
à l'Hébreu qui n'avait que des filles la perspective de ne laisser nulle trace
palpable de son passage ici-bas.
C'était pendant la quarantième année du séjour des Hébreux dans le désert. Le
troisième recensement du peuple venait de s'opérer dans les plaines de Moab,
près du Jourdain, vers Jéricho, la ville des palmiers et des roses. La Terre de
promission, ruisselante de lait, de vin et de miel, s'offrait aux regards de cette
nouvelle génération qui, sortie presque enfant de l'Égypte ou née dans les
solitudes de l'Arabie, n'avait point reçu le stigmate d'une énervante servitude ;
et, connaissant à peine les douleurs du passé, aurait pu vivre tout en-fière dans
les joies de l'avenir. — Ils n'étaient plus, ceux qui avaient souffert de l'esclavage
et n'avaient pu supporter les luttes de l'affranchissement ; leurs cendres
s'étaient mêlées aux sables du désert. Mais leurs enfants continuaient leur vie, et
représentaient leurs droits sur la terre d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
Moïse, le pontife Éléazar, les nasis ou chefs des tribus, entourés de l'assemblée
d'Israël, étaient réunis à l'entrée du tabernacle. Cinq jeunes filles se présentèrent
devant l'imposant tribunal. Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirtsa, tels étaient leurs
noms. C'étaient les filles de Salphaad, de la tribu de Manassé.
Notre père, dirent-elles à Moïse, est mort dans le désert ; lui, il n'a pas été au
milieu de la troupe des révoltés contre l'Éternel dans le rassemblement de Coré ;
mais il est mort de son propre péché, et il n'a pas laissé de fils.
Pourquoi le nom de notre père sera-t-il retranché du milieu de sa famille, parce
qu'il n'a pas de fils ? Donne-nous une possession au milieu des frères de notre
père1.
La fierté patriarcale des tribus sémitiques, le culte ardent et respectueux de la
mémoire paternelle, imprimaient une grandeur touchante à la prière de ces
orphelines, qui puisaient dans la conscience de leur individualité la force de
soutenir dignement l'héritage de leur race, de leur famille. Moïse les comprit, et
leur requête fut l'une des quatre causes qu'il porta devant le tribunal de Dieu2.
Les filles de Salphaad parlent bien, prononça l'Eternel ; donne-leur une
possession d'héritage au milieu des frères de leur père, et tu feras passer à elles
l'héritage de leur père.
Et aux enfants d'Israël tu parleras ainsi : Un homme qui mourra et qui ne
laissera pas de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille3.
Mais les chefs de la famille de Galaad, aïeul de Salphaad, s'inquiétant des
résultats de cette loi, exposèrent à Moïse, et le dommage que causerait à la tribu
de Manassé le mariage des héritières de Salphaad avec des membres des autres
tribus, et la confusion qu'entraîneraient des faits de cette nature dans les
partages assignés aux douze rameaux politiques du tronc israélite.
Au nom de l'Éternel, Moïse décida que toute fille héritière serait obligée de se
marier dans sa tribu4. Et les filles de Salphaad s'allièrent à leurs cousins.
Quand fut conquis le pays de Canaan, et que le sort eut assigné à chaque tribu
son territoire, les filles de Salphaad parurent encore devant l'assemblée qui
naguère avait accueilli leurs vœux. Moïse n'était plus ; Josué occupait sa place.
Les jeunes femmes réclamèrent l'exécution des promesses que leur avait faites
Jehova. Et sur les pentes boisées du Carmel qu'habitait la demi-tribu occidentale
de Manassé, s'étendirent les possessions des filles de Salphaad.
La courageuse initiative des cinq orphelines, l'importance attachée par Moïse à
leur cause, qu'il jugea digne d'être soumise à Jehova, enfin la décision rendue
par l'Éternel en leur faveur, sont des particularités dé notant la forte éducation
suppose au contraire que, la vouant au célibat, il l'enferma dans une maison où, aussi
longtemps qu'elle vécut, elle fut visitée pendant quatre jours chaque année par les filles
d'Israël. Cette opinion a été adoptée par Lévi ben Gersom, Bechai Drusius, Grotius,
Estius, de Dieu, Hall, Waterland, Hales, etc. La première interprétation est la plus
conforme au texte biblique. Cf. Jephthah, by William Thomas Bullock (Dict. of the Bible).
1 Cf. Euripide, traduction de M. Artaud, Iphigénie à Aulis.
habitation enguirlandée de fleurs, ni les vierges, couronnées d'hyacinthe,
n'enverront dans les chants d'hyménée leurs adieux à la vierge, leurs vœux à
l'épouse1..... Et néanmoins là ne se reporte pas la pensée d'Iphigénie. Quand,
calme, héroïque, la victime salue la mort qui fera d'elle la libératrice de la Grèce,
et chante Diane souveraine, Diane bienheureuse, qui la transportera dans un
monde inconnu, seul le souvenir de sa mère brise sa voix, et voile de larmes son
regard ; seule la pensée du sol natal lui arrache un cri qui s'élance vers
l'Argolide, vers Mycènes, dont les prairies voient s'enrouler le chœur des vierges
frappant le sol de leur pas cadencé2 ; vers les rives pélasgiques que dorera
toujours cette lumière que plus jamais Iphigénie ne reverra !
La fille d'Israël regrette l'avenir, la fille de la Grèce regrette le passé.
1 Cf. pour les coutumes des fiançailles et les cérémonies du mariage : Euripide, Iphigénie
à Aulis, Hélène, les Phéniciennes ; Théocrite, Idylle XVIII, épithalame d'Hélène ; Voyage
du jeune Anacharsis en Grèce, par Barthélemy ; Grèce, par Pouqueville.
2 Cf. Euripide, Iphigénie en Tauride.
3 Exode, XXI, 7-9.
4 Les peuples désignés à la colère des Israélites étaient les Héthéens, les Gergéséens, les
Amorrhéens, les Cananéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens.
Deutéronome, XX, 17, 18 ; Josué, III, 10.
5 Deutéronome, XXI, 11-13.
On s'explique le soin jaloux qu'ont les peuples naissants d'accentuer et de
maintenir l'individualité de leur race par des mariages nationaux. Pour qu'un
peuple atteigne le plus haut degré de perfection originale dont il est susceptible,
il faut qu'il y parvienne par le déploiement exclusif de ses propres forces et
l'éloignement de toute influence étrangère. Parvenues à leur maturité seulement,
les races peuvent se croiser, et échanger alors, non les préjugés particuliers aux
peuples enfants, mais les idées communes à l'humanité virile.
Le développement du génie de chaque nation, telle fut l'œuvre des civilisations
antiques ; le perfectionnement du génie de l'humanité, tel est le but de la
civilisation moderne.
A ce sentiment de répulsion pour les nations étrangères, inné chez les peuples
primitifs, se joignait chez les Hébreux la conscience d'une mission particulière,
celle de maintenir, en même temps que l'originalité de leur race, la pureté de
l'idée religieuse que leur avait confiée Jehova. Les ténèbres du passé s'éclairaient
pour eux d'une lueur sinistre qui leur montrait les enfants de Dieu perdus par
leur alliance avec les filles d'une race maudite. Les traditions domestiques des
Israélites leur rappelaient l'effroi qu'inspiraient aux patriarches les unions
contractées par leurs enfants avec les indigènes au milieu desquels ils vivaient,
et la douleur qui les accablait quand des Cananéennes étaient introduites sous
leurs tentes. Les contemporains de Moïse avaient vu le sévère législateur lui-
même courber son front hautain sous l'opprobre d'un mariage antinational. Les
instincts des Hébreux, leurs idées, leurs souvenirs, tout enfin élevait un mur de
séparation entre eux et les nations qui les environnaient.
La communauté israélite pouvait cependant recevoir dans son sein les étrangers
qui n'appartenaient pas aux races de Canaan, d'Ammon et de Moab1. Les
Edomites, ces indomptables enfants du désert qui sentaient ruisseler dans leurs
veines le sang généreux d'Abraham et d'Esaü, les Égyptiens qui avaient donné
aux Hébreux l'hospitalité de leur territoire acquéraient, en embrassant le culte de
Jéhova, la faculté de s'allier aux filles d'Israël ; et la troisième des générations
issues de ces unions était admise à l'exercice des droits politiques, que
transmettaient ainsi les femmes hébraïques2.
Au temps où le peuple élu n'était représenté que par la famille araméenne dont il
tirait son origine, les patriarches étaient obligés de rechercher dans leur propre
parenté les seules femmes qu'ils jugeassent dignes de leur alliance. Les mariages
consanguins furent donc nécessaires jusqu'au moment où, s'éloignant de leur
commune origine, les membres de la famille de Jacob n'eurent plus d'autre
parenté que celle de la fraternité sociale. Ce fut alors que Moïse, effrayé de
l'immoralité de certaines unions qu'autorisaient les coutumes de l'Egypte et du
pays de Canaan, défendit aux Hébreux toute alliance de famille, hors celle de
l'oncle et de la nièce, du cousin et de la cousine.
1 Selon le Talmud, il était permis aux Israélites d'épouser des femmes d'Ammon et de
Moab. Ruth appartenait à cette dernière race. Mais les femmes hébraïques ne pouvaient
s'allier aux Ammonites et aux Moabites, ceux-ci étant à jamais exclus du droit de cité en
Israël. Cf. Deutéronome, XXIII, 4, 5, et note 4 de Cahen ; Marriage, by William Latham
Bevan, étude déjà citée.
2 Cf. Deutéronome, XXIII, 8, 9.
A l'exception des unions consanguines, les coutumes de l'époque patriarcale se
retrouvent dans le mariage mosaïque. Aux parents ou à un ami du prétendant
est confiée la mission de demander une jeune fille à sa famille. La fiancée
n'accepte pas, elle subit le mari que lui impose le chef de sa maison1, et reçoit
son douaire de son futur époux. Alors le mohar consiste soit, d'après la loi, en
une somme d'argent2 ; soit, suivant une tradition chevaleresque, en une action
d'éclat, et, de même que les vierges aryennes de la caste militaire des
Kchattriyas, les filles de Caleb et de Saül deviennent le prix de la valeur
guerrière.
Le mariage d'Achsa, fille de Caleb, avec Othoniel, nous offre le premier exemple
d'une fille dotée par son père3. Achsa avait reçu de Caleb une possession
territoriale ; mais à ce sol manquait ce que recherche tant l'Oriental : une eau
vivifiante. Et la jeune épouse excitait Othoniel à réclamer de son père des
champs dont la fraîche verdure fût alimentée par une source. Othoniel résista
sans doute aux pressantes instances de sa compagne, puisque nous retrouvons
celle-ci se laissant, en présence de Caleb, glisser comme une suppliante de l'âne
qu'elle montait.
Qu'as-tu ? lui demande son père. — Donne-moi un présent, répond la jeune
femme ; car tu m'as donné un pays sec ; donne-moi des sources d'eau4.
Caleb accéda avec bonté à cet appel.
1 Les fiançailles étaient nulles si la jeune fille avait, en contractant ce lien, cédé à la
menace ou à la violence. Parvenue à sa majorité, la jeune fille qui avait été fiancée par
sa mère ou par son frère lors de sa minorité pouvait devant les juges renoncer à son
union. Cf. Histoire des Institutions de Moïse et du peuple hébreu, par M. Salvador, Paris,
3e édit., 1862.
2 Suivant la Mishna, le mohar était fixé à deux cents deniers pour une vierge, mais
pouvait croître proportionnellement à la fortune particulière de la jeune fille. La femme
n'entrait en jouissance de son mohar que quand la mort de son époux ou le divorce
rompait son union. Mais son mari pouvait lui donner par anticipation soit une partie, soit
la totalité de ce mohar. Cf. Eighteen treatises from the Mishna, translated by D. A. de
Sola and M. J. Raphall, London, 1843, Treatise Ketuboth. Le traité Ketuboth régularise les
contrats de mariage. Sous la loi mosaïque, le contrat ne fut sans doute qu'une
convention orale ; ce n'est que pendant l'exil babylonien qu'apparaît le contrat écrit et
scellé. Cf. Tobie, VII, 16, et Palestine, par M. Munk.
3 La princesse égyptienne qu'épousa Salomon fut aussi dotée par le roi son père. I Rois,
IX, 16.
4 Josué, XV, 18, 19, et Juges, I, 14, 15, traduction de Cahen.
5 Marriage, by William Latham Bevan.
6 Eighteen treatises from the Mishna, translated by D. A. de Sola and M. J. Raphall.
Treatise Ketuboth, I, 5.
Pendant douze mois encore, la vierge demeurait dans la maison paternelle1.
Matériellement séparée de son fiancé, elle lui était moralement unie, et sous
peine de mort devait lui conserver sa fidélité2. Elle apprenait ainsi à baser sur
l'austère pratique de son devoir l'honneur et la prospérité de la maison qu'elle
allait fonder.
Rien ne troublait la douce quiétude de la fiancée. Qu'à l'annonce d'un combat
même les schoterîm3 rassemblent sous les étendards les tribus d'Israël, elle
n'est point exposée à subir, avant les joies de l'hymen, les douleurs du veuvage.
Par une touchante prévoyance, la loi exempte du service militaire et le fiancé qui
attend le bonheur, et le nouvel époux qui en jouit4. Ah ! le mariage même aura-
t-il pour la jeune Israélite la sérénité des fiançailles ? Ne sentira-t-elle pas un
jour que, si l'espérance se donne, le bonheur s'achète ?
L'année des fiançailles est révolue.
Au quatrième jour de la semaine, temps fixé pour le mariage des vierges5, la
fiancée, purifiée la veille par un bain6, ointe et parfumée d'essences précieuses7,
précieuses7, revêt, entourée de ses parentes, de ses amies, les blanches
draperies8 brodées d'or9 du jour de l'hyménée. La double tunique autour de
laquelle s'enroule plusieurs fois une ample ceinture10, dessine la beauté
sculpturale et vivante de la fille de Sem, et descend sur ses pieds que chausse la
peau fine du thahasch11. Le çaîf, le manteau traînant, dont les plis ondulent sur
son corps, voile aussi son visage12. Des bracelets ceignent ses poignets, une
chaîne serpente autour de son cou, des anneaux s'arrondissent à ses oreilles13.
Sur ses cheveux flottants14 scintille cette couronne d'or, principal attribut de la
fiancée, et à laquelle celle-ci doit le nom de Callah, la Couronnée15.
1 Matthieu, XVIII, 19, 20, traduction du R. P. Gratry, Commentaires sur l'Évangile selon
saint Matthieu, seconde partie, 1865.
2 Le R. P. Gratry. Cf. l'ouvrage ci-dessus.
LIVRE TROISIÈME. — L'ÉPOUSE, LA MÈRE, LA VEUVE
La tente des Arabes nomades, tissée du poil de leurs chèvres noires, nous
rappelle aujourd'hui encore l'habitation des patriarches. Tantôt un tapis, en
divisant l'intérieur, limite l'appartement de l'époux et celui de l'épouse. Tantôt un
groupe de deux ou de plusieurs tentes indique que la compagne de l'émir ou que
chacune des femmes de celui-ci a sa demeure particulière.
C'est à l'ombre des bois que le patriarche plantait sa tente. Père, roi et juge, il
gouverne ses enfants et ses serviteurs, lève une petite armée quand il lui faut
défendre un allié attaqué ; et de son tribunal peut, nous l'avons vu, prononcer
une sentence de mort.
A ses côtés se tient sa femme. Elle partage, sinon le rigoureux exercice de la
justice souveraine, du moins l'autorité de la royauté, et l'Éternel l'a nommée
princesse1.
Son rang ne la dispense pas des humbles travaux de la vie domestique. Elle sait
préparer les repas, donner même au jeune chevreau le goût du gibier2. Quand le
patriarche, introduisant un étranger sous la tente, tue un jeune bœuf, le fait
rôtir, prépare le beurre et le lait, c'est à sa femme qu'appartient le soin de
mélanger avec de l'eau la fleur de la farine de froment, de pétrir la pâte d'où
sortiront ces gâteaux cuits clans la cendre chaude, et que, de nos jours, les
Arabes nomment Mafrouk3.
Et cependant des esclaves entourent la reine de la tente. Consciente de sa
dignité, implacable quand il lui faut défendre ses prérogatives, imposante dans
sa hauteur, tout fléchit devant elle ; et quand elle a prononcé le renvoi d'une
esclave, — celle-ci fût-elle la mère d'un fils du patriarche, — l'esclave, son enfant
même, s'éloigneront4.
1 Pièce de vers. Cf. Histoire générale du système comparé des langues sémitiques, par
M. Renan, 3e édit., 1863. Première partie, liv. IV, chap. II, branche ismaélite ou
maaddique.
2 Traduit du Kitâb-al-Aghâni, par M. Caussin de Perceval, Essai sur l'Histoire des Arabes
avant l'islamisme. C'est à cette traduction qu'appartiennent les phrases que nous avons
placées dans la suite de cet épisode.
Avec un tendre intérêt il continue :
Cependant nos gens battent le pays, tu es sans armes, et si jeune !...
Et d'un chevaleresque mouvement Dourayd se désarme : Prends ma lance, mon
ami, dit-il à son adversaire, et je vais, de ce pas, ôter à mes compagnons l'envie
de te poursuivre.
Il tourne bride, va à ses guerriers, leur dit que, sachant défendre l'honneur de sa
compagne, l'inconnu a tué trois de leurs contribules, lui a enlevé à lui-même sa
lance ; et devant ce redoutable adversaire, il donne le signal d'une prompte
retraite. Et le pate-guerrier, frémissant du désir de connaître le nom du héros,
celui de son père, celui de sa mère, exprimait dans une kasida l'admiration qu'il
éprouvait pour le plus valeureux protecteur des femmes
La compagne de voyage que défendait Rabîa, fils de Moucaddam, était sa
femme. Elle se nommait Rayta. Comme son époux, elle avait la jeunesse, la
beauté, le courage ; et c'était naguère en échange du salut de leur tribu
menacée qu'elle avait offert sa main à Rabîa.
Les hostilités avaient continué entre les contribules de Rabîa et ceux de Dourayd,
et les premiers, victorieux d'une attaque qu'ils avaient dirigée contre les seconds,
s'étaient retirés sous leurs tentes, suivis de leurs prisonniers de guerre. Les
femmes de Firâs se promenaient devant les captifs, et par l'altière et radieuse
expression du triomphe semblaient vouloir augmenter l'éclat de leur beauté. Les
regards de l'une d'elles s'attachèrent sur un Djochamite qui, selon la coutume
des prisonniers bédouins, avait tu son nom...
Par la mort ! s'écria-t-elle, nos gens ont fait un beau coup ! Savez-vous quel est
ce personnage ? C'est précisément celui qui fit cadeau de sa lance à Rabîa, le
jour où il sut défendre sa pèlerine contre trois adversaires.
Et jetant sur l'inconnu son manteau :
Enfants de Firâs, s'écrie-t-elle encore, je me déclare sa protectrice. C'est
l'homme de la journée d'El-Akhram.
C'était Dourayd, Dourayd qui apprenait en même temps le nom et la mort de son
héros de prédilection ! Et comme il demandait ce qu'était devenue la jeune
femme dont Rabîa avait sauvegardé l'honneur :
Tu la vois, répondit sa protectrice, c'est moi, Rayta, fille de Djidhl-Ettiân, et
Rabîa était mon mari.
Armé par la veuve de celui à qui il avait cédé sa lance, Dourayd partit libre, et
jamais ne combattit contre les Benou-Firâs.
Veuve, le titre de mère protège encore la femme ; et, un enfant sur le bras ou à
son côté, elle voit s'ouvrir devant elle les tentes de ces chefs de famille qui
consoleront sa douleur, allégeront sa misère3.
Nous ne savons si ce titre la soustrayait à l'autorité, à la juridiction de son beau-
père4 ; mais il l'exemptait de l'obligation d'épouser le frère de son mari.
Il ne fallait pas que le nom du patriarche s'éteignit avec lui. Aussi, de même que
la servante procurait à sa maîtresse stérile une maternité d'emprunt, le frère de
l'Hébreu mort sans enfants devait s'allier à la veuve de ce dernier et donner à
celui qui n'était plus la postérité dû en revivrait du moins la mémoire5 !
1 Genèse, XXVII.
2 Genèse, XXIV, 67.
3 Job protège la veuve, XXIX, 13 ; XXXI, 16.
4 Pendant son veuvage, Thamar est condamnée à mort par son beau-père. Genèse,
XXXVIII, 24.
5 Genèse, XXXVIII.
CHAPITRE DEUXIÈME. — INSTITUTIONS MOSAÏQUES.
Aux coutumes d'une peuplade nomade ont succédé les institutions régulières
d'une nation stable. Le gouvernement patriarcal régit encore, sinon l'État, du
moins la famille, et, de la tente, a transporté son siège dans la maison.
Naguère, nous assistions aux fêtes des premiers jours de l'hymen. Le chant
nuptial nous envoyait en notes mélodieuses les accents émus, passionnés, d'un
amour jeune, naïf, tout entier aux sensations du moment, insoucieux des devoirs
du lendemain.
Nous avons quitté la nouvelle mariée, cherchons maintenant l'épouse ;
cherchons-la aussi bien dans la cabane du pauvre que dans la maison du riche.
Une hutte de terre se présente à nous, et étend en surface plane son toit de
chaume où serpente une herbe maigre et rare1. Sur cette terrasse, le linge
nouvellement lavé déploie ses blanches draperies ; là aussi sèchent les grains,
les figues, les raisins2.
Entrons dans cette cabane. Une natte, l'humble couche sur laquelle s'étend le
pauvre en s'enveloppant de son manteau, un moulin à bras, tel en est
1 Psaume CXXIX, 6 ; Palestine, par M. Munk ; House, by Henry Wright Philloth (Dict. of
the Bible) ; A compendious introduction to the study of the Bible, originally written by the
late Thomas Hartzvell Horne and now revised and edited by John Ayre, M. A., 10th
edition, London, 1862.
2 House, étude précitée.
l'ameublement. L'Hébreu ne peut se voir enlever par un créancier ni la
couverture qui protège son repos de la nuit, ni le moulin qui lui assure sa
nourriture du jour1.
Une femme tourne la meule du moulin ; le travail est pénible, et le riche le
réserve au prisonnier, à l'esclave2 ; mais l'épouse du pauvre ne lui a pas apporté
de servante3, et c'est elle qui d'une main agite la lourde machine, de l'autre y
jette les grains d'orge4. Elle se fatigue, et néanmoins elle chante, et sa voix
accompagne le bruit criard et monotone du moulin5.
Elle pétrit la pâte, l'amincit, imprime aux pains cette forme circulaire qui leur
donne le nom de kiccar6, et les passe au four7.
Elle prépare la laitue et l'endive, fait cuire les fèves, les lentilles et sécher les
fruits ; pressant les figues, elle en compose des gâteaux taillés en brique et en
tuile8.
Et quand arrive l'heure à laquelle son époux doit rentrer, elle l'attend.
Le mari n'est-il qu'un cardeur de laine, dit le Talmud, la femme l'appelle
néanmoins gaiement devant le seuil de la maison, et s'assied à côté de lui9.
dennoch zwischen die Vornehmem hin, l. c., 227. — Le mari n'est-il qu'un garde
champêtre, la femme est contente et n'exige pas beaucoup de lui. — Le mari n'est-il pas
plus grand qu'une fourmi, la femme se place néanmoins parmi les gens distingués.
1 Proverbes, XV, 15-17 ; XVII, 1.
2 La matière ordinaire des cordages, le chanvre, n'est pas mentionnée dans la Bible. Le
chanvre est originaire de la Perse, et la culture n'en fut probablement introduite en
Palestine qu'au retour de l'exil de Babylone. Cf. Palestine, par M. Munk.
3 Mishna, Ketuboth, V, 8, 9.
4 Mishna, Ketuboth, V, 9.
5 Ecclésiaste, XXXVI, 24-27, traduction de Genoude. — Dans son éloquent discours sur
les prit de vertu décernés en 1862 par l'Académie française, M. le comte de
Montalembert appliquait heureusement ce dernier verset aux héroïnes de la charité.
Les frères sont un secours au temps de l'affliction ; mais la miséricorde est un
secours plus puissant1.
Il n'y a rien à ajouter à cette glorification de la mission suprême de la femme, si
ce n'est de faire rayonner maintenant cette auréole dans une autre sphère.
Pénétrons aux premières clartés de l'aube2 dans les rues de la cité israélite, et
arrêtons-nous devant la demeure du riche.
La maison de pierre3, peinte en rouge4, couronnée d'une plate-forme, est
précédée d'une avant-cour qu'un mur sépare de la route5. Franchissons cette
première enceinte ; une porte qu'ouvre un verrou de bois6 nous livrera, en
tournant sur ses pivots7, l'entrée d'une cour intérieure que limitent quatre corps
de bâtiment, et au milieu de laquelle se trouve une citerne8. Des appartements
lambrissés de cèdre9 s'ouvrent sur cette cour. Les salles de réception, couvertes
couvertes de tapis10, nous offrent leurs divans11 ; les chambres à coucher
recèlent leurs lits d'ivoire12. À la lueur du candélabre à sept branches déposé sur
le sol de l'une de ces pièces13, nous voyons circuler une femme vêtue de bysse
et de pourpre14.
Elle distribue du pain à sa maison et la tâche à ses servantes15.
Et donnant aux femmes qu'elle surveille l'exemple du travail, elle-même saisit
avec un joyeux entrain le fuseau, la quenouille ; et, sous ses doigts agiles,
s'enroulent les fibres du lin. Tissus par elle, les fils qu'elle tord lui donneront les
précieuses étoffes qui se draperont sur elle, les doubles vêtements qui
préserveront sa famille du froid de l'hiver, les lapis qui s'étendront sous les pieds
de ses hôtes, et les voiles, les ceintures qu'elle vendra au Phénicien.
Pourquoi chez la femme riche cette activité matinale, cette soif, cette volupté du
travail, ce souci de l'argent gagné ? C'est que la mère de famille a le noble et
légitime orgueil d'accroître le patrimoine de son époux, de ses enfants ; c'est
que, du fruit de ses veilles, elle achètera un champ, une vigne, qui témoigneront
de sa 'participation au grand œuvre de la prospérité d'une maison. C'est que la
pieuse fille de Jehova a besoin de nourrir son autre famille, le pauvre ! C'est que
son labeur, qui augmentera la richesse des fils de ses entrailles, donnera du pain
1 Nous avons essayé de reproduire les types féminins de la poésie sanscrite dans notre
étude précédente La Femme dans l'Inde antique, études morales et littéraires.
2 Osée, II, 16, et note de Cahen ; Proverbes, II, 17 ; Jérémie, III, 4.
3 Cf. Ecclésiaste, XVII, 5-12.
4 Ecclésiaste, XXV, 2.
5 Exode, XX, 10 ; Deutéronome, V, 14 ; XII, 18 ; XVI, 11, 14.
6 La condition de la femme en Égypte, écrit M. le vicomte de Rougé dans la lettre
particulière que nous citions plus haut, paraît avoir été bien plus élevée qu'on ne le
soupçonnerait maintenant en parcourant l'Orient. Elle était, dès le début de l'histoire,
associée à tous les honneurs, même à ceux du sacerdoce. Elle apparaît partout avec son
mari ; le fils cite, par préférence, le nom de sa mère, et la princesse possédait un droit
spécial à l'hérédité du trône.
7 Musée du Louvre, salle Henri IV, et la Notice de M. le vicomte de Rougé.
8 Musée du Louvre, salle funéraire. La sœur de l'époux accompagne son frère et sa belle-
belle-sœur.
Idée sublime qui unit dans l'éternité ceux qui ont passé ensemble dans le temps
!
1 Jérémie, III, 4.
2 Cf. Isaïe, LIV.
3 Deutéronome, VII, 13, 14.
4 Psaume CXXVIII ; voir aussi le psaume précédent.
5 De même que le Coran, le Talmud permet à l'homme d'épouser quatre femmes. Cf.
Coran, IV, 3 ; et Palestine, par M. Munk.
6 Lévitique, XVIII, 18.
7 Exode, XXI, 7-11.
8 Deutéronome, XVII, 17. Le livre des Rois témoigne des violations de cette loi. Les
souverains d'Israël eurent leurs sérails, qu'ils transmettaient à leurs successeurs avec
leurs droits au trône. II Samuel, XII, 8 ; XVI, 21, 22 ; I Rois, II. Cf. Michaelis Mosaiches
Recht, Erster Theil, vom Könige.
compagne unique de celui qui l'associait à la souveraineté de la famille. La
première est le type de l'amante ; la seconde, celui de l'épouse.
Chez l'une on pressent l'inquiète jalousie de la favorite qui se sait exposée à
subir des rivales ; chez l'autre on respire la calme confiance de la mère de
famille, de la maîtresse de maison, qui ne soupçonne pas qu'une autre femme
puisse jamais être admise au partage de son autorité.
L'histoire d'Anne, mère de Samuel, témoigne du désespoir qui accablait la femme
forte quand sa stérilité obligeait son mari de demander à une seconde épouse le
bonheur de la paternité. En vain préférait-il la compagne de sa jeunesse à la
mère de ses enfants ; la première souffrait et pleurait, car elle sentait qu'un lien
plus puissant que l'amour, un fils, unissait sa rivale à son époux.
Aussi, quand le Dieu qui protège l'épouse stérile1 faisait cesser la cause de sa
douleur, on ne s'étonne pas que le premier cri de sa maternité ait été un hymne
de reconnaissance ; on ne s'étonne pas que la pensée de celle qui avait tant
souffert du passé s'élance dans l'avenir, et que, des lèvres de cette mère, ait pu
jaillir une des notes les plus enthousiastes et les plus vibrantes de la poésie
prophétique2 !
D'après ce qui précède, on comprend mieux l'étrange incident qui motiva le
célèbre jugement de Salomon. Cette femme qui, ayant involontairement causé la
mort de son fils, se lève pendant la nuit, couche le cadavre de son enfant sur le
sein de sa compagne de chambre, prend dans ses bras le fils de celle-ci et le
nomme le sien ; cette femme qui, devant les angoisses, les cris de la véritable
mère, maintient inflexiblement ses droits sur l'enfant qu'elle lui a volé, cette
femme provoque plus de pitié que de colère ! Et notre admiration s'accroît
encore pour ce jeune souverain qui, sachant pressentir que, devant la vie
menacée de son fils, la vraie mère ferait céder son orgueil à son amour, ordonna
qu'on lui apportât un glaive, et dit :
Coupez l'enfant vivant en deux, et donnez-en la moitié à l'une et la moitié à
l'autre3.
Frémissante, l'une des femmes criait : De grâce, mon seigneur ! donnez-lui
l'enfant vivant, mais qu'on ne le tue pas. Calme et impérieuse, l'autre disait : Il
ne sera ni à moi ni à toi ; coupez !4
La vraie mère s'était déclarée.
Parmi les lois de Moïse, il en est qui détendent notre cœur oppressé par la
sévérité générale du code sinaïque, et le pénètrent d'une émotion douce et
bienfaisante : ce sont celles qui nous excitent à l'une des manifestations les plus
miséricordieuses de la charité : la pitié ! La pitié qui nous fait donner aux
pauvres, aux faibles, aux malheureux, plus que l'aumône de notre fortune, plus
que le secours de nos soins, la consolation de notre sympathie !
1 Psaume CXIII, 9.
2 I Samuel, I-II. — Quand l'Hébreu avait un fils de la femme qu'il aimait, il ne pouvait
sacrifier à cet enfant le droit d'aînesse du fils de l'épouse qu'il haïssait. Il devait à ce
dernier la double part d'héritage que la loi attribuait au premier-né. Deutéronome, XXI,
16-17.
3 I Rois, III, 25.
4 I Rois, III, 26.
Cette pitié, Moïse l'étend jusque sur les animaux. Le prophète, dont le cœur de
bronze semble ne devoir vibrer que sous le choc d'impressions surhumaines,
s'attendrit en recommandant au promeneur qui trouve, soit dans le feuillage d'un
arbre, soit au bord du chemin, un nid d'oiseaux, de ne point priver la mère de sa
liberté au moment où il lui enlèvera les œufs qu'elle couve ou les poussins qu'elle
abrite de ses ailes. Moïse défend aussi que le veau et l'agneau soient égorgés le
même jour que leurs mères, et que le chevreau soit cuit dans le lait qui l'a
nourri1.
Ce sentiment si exquis de l'amour maternel trahit le cœur affectueux de l'homme
à travers l'austère attitude du législateur.
La mère tient de Dieu l'autorité qu'elle exerce sur son fils6. Même parvenu à
l'âge d'homme et à la dignité royale, celui-ci respecte et écoute la voix
maternelle qui le détourne des écueils des passions, et le guide vers le port où le
calme l'attend. Se laisse-t-il séduire par la coupe qui lui offre une liqueur
excitante, et par la femme étrangère dont la beauté lui cause une ivresse plus
dangereuse encore, sa mère accourt et jette le cri d'alarme :
Qu'est-ce, mon fils ? Qu'est-ce, fils de mes entrailles ? Qu'est-ce, fils de mes
vœux ?
Le soir était arrivé. La glaneuse avait fait ample moisson. Chargée de gerbes,
elle dut battre son orge dans le champ même de Booz, et la secouant, elle en
retira près d'un épha2 de grains. Puis elle retourna auprès de l'amie dont elle
était séparée depuis le malin, Noémi vit la récolte de Ruth, et quand elle reçut
des mains de la jeune femme sa part-de nourriture, elle lui demanda à quel
maître hospitalier appartenait le champ où elle avait butiné. Ruth le lui nommait,
et Noémi bénissait Jehova : Booz était un de leurs rédempteurs.
La veuve d'Élimélech engagea sa bru à continuer de glaner sur la terre de leur
parent.
A la moisson de l'orge avait succédé celle du froment, et cette dernière était
terminée.
Ruth allait-elle être condamnée à un travail qui n'aurait ni la facilité, ni la poésie
de son labeur champêtre ? Son dévouement allait-il l'exposer à briser ses forces
dans ces luttes quotidiennes auxquelles la faim excite, et dont le prix est un
morceau de pain ?
Ma fille, dit Noémi à sa bru, ne te chercherai-je pas un repos qui te soit
bienfaisant ?3
Et elle lui rappela les droits qu'accordait à la veuve la loi mosaïque.
Vers le soir qui suivit ce jour, Booz vannait son orge dans l'aire, enceinte
arrondie qui avait le ciel pour voûte, et dont le sol aplani était couvert des tas de
céréales que les chariots avaient déchargés4. La tiédeur de l'atmosphère
permettait aux Hébreux de se livrer pendant la nuit au battage des blés, à cette
fatigante opération que la chaleur diurne eût rendue plus pénible.
Ce fut dans son aire que Booz prit son repas du soir. Il jouissait de ce calme
moral, de cette plénitude d'âme, qui accompagnent la fatigue du travail ; il sentit
le besoin du repos ; et, s'étendant au pied d'un monceau de gerbes, il
s'endormit.
Au milieu de la nuit, il se réveilla. Une femme, ointe d'aromates5, enveloppée
d'un ample et élégant manteau6, était couchée à ses pieds.
Saisi d'effroi : Qui es-tu ? demanda-t-il.
Nous ne suivrons pas l'épouse chrétienne dans les détails matériels de sa vie
domestique. Par ses occupations, la femme hébraïque posait les bases de sa
maison. Par ses sentiments, la femme de l'Évangile coopérera à la fondation du
monde nouveau.
Les vertus, les penchants que l'Évangile développait dans l'humanité, étaient
précisément ceux qui sont innés dans le cœur de la femme. Quel que fût l'encens
que brûlassent sur l'autel de Vénus le Grec et le Romain, le respect de l'homme
saluait la chasteté de la vierge, de la matrone. Quelle que fût la déchéance civile
de la femme dans le code de Manou, l'épouse subjuguait par la puissance infinie
de sa tendresse et de son dévouement l'époux aux pieds de qui la courbait la loi.
Quelle que fût la justice rémunératrice de l'Israélite, le poète sacré aimait à faire
jaillir du cœur de la femme l'inspiration de la clémence, à faire déborder de ses
lèvres ces paroles d'apaisement et de guérison, dont une sensibilité délicate sait
trouver le secret.
La pureté, l'amour, le sacrifice, la miséricorde, le tact du cœur, n'est-ce pas
l'essence du christianisme ? Que manquait-il donc à la femme, sinon de recevoir
le souffle qui devait enflammer le feu qu'elle sentait couver dans son cœur ?
En donnant aux instincts de la femme cette puissance d'expansion qui allait se
mêler aux forces civilisatrices, l'Évangile imprima au type de l'épouse sa véritable
signification.
Consciente de son individualité, la femme chrétienne se recueille devant sa
mission : infuser sa vie morale dans celle de son époux, tel est son but. Ce but,
elle ne le poursuit point par l'apostolat de la parole, mais elle l'atteint par
l'entraînement de l'exemple. Le regard fixé sur le Verbe incarné, l'écoutant dans
le silence de son cœur, elle essaye de dégager en elle les traits de l'idéal divin, et
les laisse exercer d'eux-mêmes leur irrésistible attraction. Et l'époux qu'elle
enveloppe de sa tendresse dévouée reçoit en même temps les effluves
magnétiques de sa vertu. Devant cette femme, l'idée du bien se présente à lui
sous la forme sympathique que lui avaient donnée les rêves de sa jeunesse, et
qu'avait altérée son expérience de la vie. Devant cette femme, il se dit que
l'humanité est belle, et que sa grandeur morale témoigne de l'existence de Dieu ;
il se dit que l'humanité, quelles que soient les ombres qui parfois l'égarent,
marche vers la lumière ; qu'il est doux de lui pardonner ses erreurs au nom
même de ses efforts pour atteindre la vérité ; qu'il est noble de la relever quand
elle tombe et de guérir ses meurtrissures ; il se dit qu'il est grand d'aider à son
mouvement dans la voie du progrès, et de mourir pour sa cause ! Il aime, il
croit, il espère, avec toutes les délicatesses de la charité, tous les enthousiasmes
de la foi, tous les pressentiments d'une généreuse attente !
La femme a animé son mari de la vie de son cœur ; l'époux fait vivre sa
compagne de la vie de son intelligence. La femme sentait sa mission ;
maintenant elle la comprend, et ses impressions deviennent des idées.
Au temps où elle partageait plus les sentiments que les idées de son époux, son
activité morale risquait de se renfermer dans un cercle étroit ; désormais cette
activité reçoit mie direction virile qui la maintient dans une sphère élevée.
La mansuétude de l'épouse a enlevé à l'homme son âpreté, sans le priver de sa
mâle vigueur. L'énergie de l'époux fortifie l'épouse, sans lui faire perdre sa grâce
et sa délicatesse.
Entre les époux chrétiens naît un amour que jusqu'à l'Évangile l'homme
pressentait sans en comprendre toute la valeur. Dans le regard de sa compagne,
l'époux lit-il le calme de l'innocence, l'ardeur du bien, l'émotion de la charité, il
surprendra en elle le principe de la beauté morale. Sur le front de l'homme, la
femme voit-elle rayonner l'auréole du génie ou le nimbe du martyre, elle sentira
ruisseler en lui la source inspiratrice des plus saints enthousiasmes. Et les époux
aimeront et vénéreront l'un dans l'autre le Dieu qui les anime tous deux. C'est
l'apparition de l'amour idéal, c'est-à-dire de la réunion en Dieu de deux âmes
jumelles qui se touchent et se confondent. Ainsi se trouve complètement rempli
le rôle qu'à la première page de l'histoire du monde Dieu avait attribué à la
femme, en la nommant aide et compagne de l'homme. Ainsi se trouve
reconstitué dans toute son ampleur le type de l'être humain, de l'être double et
cependant un.
En proscrivant le règne de la violence, même quand il peut préparer celui de la
justice, la loi chrétienne assure à la femme la liberté de ses pensées, de ses
actions. En apprenant à l'homme que la force n'a d'autre privilège que celui de
soutenir la faiblesse ; en le pénétrant, pour la souffrance d'autrui, de ce tendre
respect que l'on nomme la pitié, l'Évangile fait de la délicatesse physique de la
femme un titre de plus à l'affection de son époux. L'homme a compris sa mission
protectrice ; il en a le respect, la fierté ; il la con-- sidère comme un devoir
d'honneur ; et puise dans le cœur de Jésus le secret de cette sollicitude délicate
qui lui fait craindre de heurter, même en l'abritant, la frêle créature dont sa
vigueur est l'appui.
Le dévouement conjugal devient l'expression la plus intime de la charité
évangélique. Ce n'est pas seulement sur son lit de maladie que l'homme est
soutenu par la présence assidue de la femme qui le soigne, le calme et le
rassure. Que, perdant de vue la lumière du devoir, il vienne à chanceler, c'est
cette même femme qui raffermit ses pas, et qui, s'il tombe, le relève avec
amour, même quand la chute du coupable a été un outrage à la dignité de
l'épouse. En appuyant sur la croix ses lèvres muettes de douleur, la femme n'a-t-
elle pas vu le Christ prier et mourir pour ses meurtriers !
L'épouse elle-même courait-elle sur la pente du mal, les législations antiques
refermaient impitoyablement sur elle l'abîme qui s'ouvrait sous ses pas.
Comment la loi chrétienne, la souveraine expression du spiritualisme, châtiera-t-
elle la violation de son principe de pureté ?
Jésus était assis dans le temple.
Les scribes et les pharisiens entrèrent dans la maison de Jehova. Ils entrainaient
une femme qu'ils placèrent au milieu d'eux. Cette femme avait trahi la foi
conjugale, et, selon la loi de Moïse que les scribes et les pharisiens rappelèrent à
Jésus, elle avait mérité la lapidation : Toi donc, que dis-tu ?1 ajoutèrent-ils.
Si la justice du Dieu prononçait l'arrêt, que devenait la clémence de Jésus ? Si la
miséricorde du Rédempteur faisait taire la sévérité du juge, où donc était la
véracité de Celui qui avait dit : Je viens, non pour abolir, mais pour accomplir ?
C'était un piège ; et ceux qui le dressaient comptaient que le Sauveur y perdrait
sa popularité ; ou le Dieu, son autorité.
Le front incliné, le Christ se taisait. Son doigt traçait sur la terre de mystérieuses
paroles. Il se taisait ; et les scribes, les pharisiens, le pressaient de parler.
Il se redressa.
Que celui de vous qui est sans péché jette contre elle la première pierre2, dit-il.
Et, retombant dans sa méditation, de nouveau se courba, et continua d'écrire sur
le sol.....
L'orgueil du pharisien, celui du docteur, avaient cédé au cri de la conscience de
l'homme. Les vieillards, les hommes mûrs, les jeunes gens, tous avaient, fun
après l'autre, passé devant la coupable, sans la frapper, sans l'insulter. Tous
avaient disparu. Tous s'étaient sentis responsables de l'iniquité de la femme
qu'ils avaient accusée..... Le Christ venait de poser le principe de la solidarité
humaine.
Quand Jésus se releva, seule la pécheresse était devant lui.
Femme, dit-il, où sont ceux qui vous accusaient ? Aucun ne vous a-t-il
condamnée ?3
— Aucun, Seigneur4, répondit-elle.
Elle semblait attendre. Les hommes l'avaient absoute, Dieu lui pardonnerait-il ?
Elle se tenait devant son Juge suprême
Dès le commencement de cette scène, l'intuition de l'Homme-Dieu avait-elle
surpris dans la coupable plus de souffrance de sa faute que de terreur de ce
châtiment qui l'avait menacée ? Jésus eut un de ces divins mouvements de pitié
par lesquels il savait faire succéder chez les pécheurs, aux étreintes du remords,
les larmes salutaires du repentir.
Et moi je ne vous condamne pas, dit-il ; allez, et ne péchez plus5.
Le déshonneur de l'épouse était la seule cause de répudiation qu'admit le
Christ1. En commençant sur la montagne sa prédication, il avait déclaré que
Les mêmes raisons qui consolaient le disciple du Christ de mourir sans enfants
mâles devaient, en effaçant la honte du manque de postérité, empêcher, sinon
de fait, au moins de droit, la répudiation de l'épouse stérile, et abolir la
polygamie et le lévirat.
La femme hébraïque jetait un cri d'orgueil en se sentant sauvée par sa maternité
; elle aimait dans son fils le prix de sa victoire. — Régénérée par la divine
maternité de Marie, la femme chrétienne ne mêlera à sa tendresse pour son fils
nulle préoccupation personnelle. Son bonheur en sera-t-il moins profond ? Oh !
rappelons-nous Jésus peignant les tortures de celle qui va être mère, et dont le
visage, altéré par la souffrance, soudain se rassérène, se transfigure : Elle ne se
souvient plus de sa douleur à cause de sa joie, parce qu'un homme est né au
monde6.
1 I Timothée, V.
2 Les saducéens, niant que l'homme fût animé d'un souffle divin, ne pouvaient
comprendre l'immortalité et l'union des âmes. Allant à Jésus, ils lui demandèrent auquel
de ses époux appartiendrait dans l'éternité la femme qui aurait été mariée sept fois.
Jésus leur répondit : Vous êtes dans l'erreur, ne sachant ni les Écritures ni la puissance
de Dieu ; car au jour de la résurrection les hommes n'auront point de femmes, ni les
femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. (Matthieu, XXII,
29, 30, traduction de Genoude. Cf. aussi : Marc, XII, 18-25.) N'est-il pas évident que,
loin de rendre les époux étrangers l'un à l'autre, Jésus ne fait que spiritualiser leurs
seul a éprouvées s'anéantisse avec lui, soit ! Mais que l'âme oublie en regagnant
sa patrie l'un des amours qui ont été sa vie pendant l'exil ; que l'âme n'ait plus
conscience d'elle-même, et l'immortalité sera ce rêve monstrueux que les
philosophies indiennes nomment l'absorption finale dans le grand tout.
Penser que ceux avec lesquels notre vie s'est confondue ne nous reconnaîtront
plus quand nous les rejoindrons dans l'éternité, ce serait là une torture que le
Dante lui-même n'a pas osé ajouter aux supplices de son enfer !
Mais la femme chrétienne n'éprouvera pas cette angoisse. Naguère, elle
cherchait Dieu en aimant son époux. Maintenant, c'est en priant Dieu qu'elle
retrouve celui dont elle pleure le départ. C'est en pratiquant le devoir qu'elle se
prépare à cette réunion qui consomme dans l'éternité le mariage évangélique : la
fusion des âmes en Dieu !
relations ? Ils ne sont plus femmes et maris, dit le Père Gratry. Ils seront amants
éternels ! (Commentaire sur l'Évangile selon saint Matthieu, Seconde partie.)
LIVRE QUATRIÈME. — LA FEMME DEVANT L'HISTOIRE
Pendant que nous recherchions quelle fut l'œuvre de notre sexe dans le
développement de l'idée religieuse, un écrivain arabe nous montrait dans Saraï,
femme d'Abram, le premier disciple du patriarche, sa coopératrice dans sa
mission divine.
Sœur de Loth, selon la tradition juive2, Saraï, en épousant Abram, s'était alliée à
son oncle.
Quand Tharé, père d'Abram, quitta la ville d'Ur en Chaldée pour la ville d'Aram
en Mésopotamie, Abram, Saraï, Loth, l'accompagnèrent. Ce fut de cette dernière
résidence qu'Abram, obéissant au souffle de l'esprit divin, se rendit dans le pays
de Canaan pour y répandre la connaissance de l'Etre suprême. Sa femme, son
neveu, le suivirent3. (1965 av. J.-C.)
Les émigrés s'arrêtèrent dans cette vallée de Sichem, dont l'opulente végétation,
les eaux courantes, arrachent, de nos jours encore, un cri d'admiration au
voyageur. Aussi bien dans la vallée de Sichem que sur la montagne aux gras
pâturages qui se dresse à l'orient de Béthel, Abram invoquait le Dieu unique et
lui élevait des stèles.
Alors commençait pour Saraï cette vie de fatigues et de périls à laquelle l'avaient
entraînée son dévouement conjugal et sa foi religieuse. Que, dans le cours de
l'œuvre civilisatrice d'Abram, une famine obligeât celui-ci de se réfugier avec sa
famille dans la fertile Égypte, l'irrésistible beauté de sa compagne lui semblait un
danger personnel ; et, n'osant se dire l'époux de Saraï, il la suppliait de lui
donner le nom de frère4. Mais le Pharaon5, trompé par ce titre, enlevait la
femme qu'il croyait libre ; et peut-être allait-il ceindre son front du diadème,
quand de soudaines calamités l'avertissaient qu'il avait mérité le châtiment du
ciel : sa fiancée était l'épouse de son hôte.
Effrayé, il mandait Abram, lui reprochait d'avoir douté de lui, d'avoir employé
une ruse qui eût pu provoquer le même crime qu'elle était destinée à prévenir ;
et le Pharaon, congédiant les époux, leur fournissait une escorte pour protéger
leur départ.
1 Voir plus haut la description de la vallée d'Hébron, au chapitre Ier du premier livre.
2 Genèse, XVI, 2, traduction de Cahen.
Mon injure vient de toi... Que l'Éternel juge entre moi et toi1.
Abram respecta le désespoir de sa femme, et répondit :
Ton esclave est en ton pouvoir, traite-la comme bon te semblera2.
La jalousie rendit Saraï cruelle. Sans pitié pour cette femme faible et
abandonnée, pour cette femme qui allait être mère, elle fit peser sur sa tête
jeune et fière le joug d'un dur esclavage.
Humiliée par la tyrannie de sa maîtresse, par le silence du père de son enfant,
Agar s'enfuit.
Instinctivement elle se dirigeait vers sa patrie. Elle était près d'une source, dans
le désert, sur te chemin de Sur, entre Kadès et Barad, quand elle s'entendit
interpeller par une voix surhumaine :
Agar, esclave de Saraï, d'où viens-tu ? et où vas-tu ?
— Je fuis ma maîtresse Saraï3, répondit la jeune femme.
La voix mystérieuse ordonnait à l'esclave de retourner sur ses pas. On triomphe
d'une épreuve, non en s'y dérobant, mais en s'y soumettant.
Retourne auprès de ta maîtresse, et, souffre sous elle4.
L'idée du devoir l'a relevée ; que l'espérance la soutienne ! Cet enfant qui vit en
elle, cet enfant est un fils, cet enfant sera le père d'un peuple innombrable.
Nomme-le Ismaël5, car l'Éternel t'a entendue dans ta misère ;
Il sera un homme farouche, sa main sur chacun, la main de chacun sur lui ; il
campera en face de ses frères6.
Agar invoquait l'Éternel. Elle en avait reconnu la voix, elle avait pu l'entendre
sans mourir ! La fontaine qui fut témoin de sa vision fut nommée le puits
consacré au vivant qui voit7.
Agar retourna sous la tente de Mamré. Ismaël naquit. L'historien sacré ne nous
dit pas comment Saraï accueillit la naissance du fils de son esclave.
Quand la tente de Mamré s'ouvre de nouveau à nos regards, nous y voyons
l'émir et sa femme dans tout l'éclat d'une gloire nouvelle. Dieu, apparaissant au
patriarche qu'il nommait Abraham8, lui avait promis une lignée de rois et de
peuples, et avait établi la circoncision comme un signe de l'alliance qu'il
contractait avec les descendants du prince hébreu.
Quant à Saraï, ta femme, avait ajouté Adonaï, tu ne l'appelleras plus Saraï, son
nom est maintenant Sara ;
Abraham planta sa tente dans le pays de Gerar. Ici encore le nom de sœur, qu'il
donnait à sa femme, induisit en erreur Abimélech, le père-roi de Gerar, qui se fit
amener Sara, belle, sans doute, d'une nouvelle jeunesse. La voix de Dieu, qu'il
entendit dans un rêve, lui découvrit sa méprise ; et la princesse fut rendue à son
époux par le souverain qui devint plus tard un fidèle allié d'Abraham.
L'Éternel se souvint de Sara. Au temps fixé par lui, elle allaitait un fils, et,
souriante et confuse, semblait, avec une douce ironie, se plaindre de son
bonheur1. (1940 av. J.-C.)
Au festin qui célébra le sevrage d'Isaac, la princesse surprit un sourire narquois
surie visage d'Ismaël. Froissée naguère dans sa dignité d'épouse, elle se sentit
blessée dans ski orgueil maternel. La colère qui depuis longtemps fermentait
dans son sein éclata avec une sauvage énergie. S'adressant à son époux, Sara
dit :
1 Le nom d'Isaac exprime la gaieté qui devait accueillir sa naissance. Ce nom venait du
mot yishak, on rit. Cf. Palestine, par M. Munk. Ce fut Dieu lui-même qui imposa ce nom à
l'enfant avant qu'il fût né. Genèse, XVII, 19.
Chasse cette esclave et son fils ; car le fils de cette esclave ne doit pas hériter
avec mon fils, avec Isaac1.
Abraham se révolta contre l'idée d'éloigner de lui cet enfant, qui, le premier, lui
avait donné le nom de père. Mais l'Éternel lui apparut et fit cesser sa résistance :
Ne sois pas inquiet du jeune homme ni de ton esclave, lui avait dit Adonaï ; obéis
à tout ce que Sara te dira ; car c'est par Isaac seulement que se nommera ta
postérité. Quant au fils de l'esclave, je le ferai aussi devenir une nation, puisqu'il
est ta postérité2.
Le lendemain, au lever du jour, l'émir plaça sur l'épaule d'Agar une outre d'eau
et du pain. Il lui tendit leur enfant, lui dit un dernier adieu. L'esclave s'éloigna.
Selon une légende arabe, Abraham conduisit Agar et Ismaël dans la solitude où
devait s'élever la Mecque. A la vue de ce désert, son cœur se serra, et sa foi
dans la Providence soutint seule son courage défaillant. Agar l'étreignait, comme
pour le retenir. Quoi ! s'écriait-elle, abandonneras-tu dans un désert une femme
sans force et un jeune enfant ?
— J'obéis à l'ordre du ciel3, répondit le patriarche.
La Bible nous montre Agar errant dans le désert de Bersabée. Sans guide, sans
appui, elle s'égare... Sa provision d'eau est épuisée, son fils a soif, et nulle
source ne s'offre à son regard. Ah ! que ses propres lèvres, que son gosier se
dessèchent et s'enflamment, peu lui importe ! Elle ne se meurt que du péril de
son fils1 Elle n'a plus la force d'être témoin de ces souffrances qu'elle ne peut
alléger ; et dans un fol élan de désespoir, elle jette Ismaël sous un arbre.
Je ne veux pas voir la mort de l'enfant4, dit-elle.
Elle ne peut toutefois se résoudre à perdre entièrement de vue son fils. S'en
éloignant assez pour ne plus en entendre les plaintes, elle s'assied en face de lui,
et sa voix éclate en sanglots.
Cependant les gémissements de l'enfant montaient vers le ciel. Dieu rassurait la
mère, la consolait :
Lève-toi ! relève ce jeune homme et serre-le dans tes bras, car je le ferai devenir
une grande nation5.
Au travers de ses larmes, Agar aperçut une de ces sources dont les enfants du
désert scellent l'ouverture. Elle recueillit dans son outre l'eau qui allait sauver
son enfant ; et, osant alors revenir à lui, elle le fit boire.
Une vie nouvelle s'ouvrait pour Agar. Soucieuse de sa dignité, l'esclave ne s'était
même pas appartenue, elle n'avait eu aucun droit sur son enfant. Maintenant elle
était maîtresse d'elle-même, responsable de ses actes ; elle élevait son fils dans
cette solitude où nulle clameur mondaine n'étouffe la voix de Dieu, dans cette
solitude où ceux que l'oppression des hommes a humiliés, amoindris, relèvent la
tête, apaisent et agrandissent leur âme, et jettent le cri de la liberté !
1 Cf. l'ouvrage d'un illustre arabisant : Monuments arabes, persans et turcs du cabinet
de M. le duc de Blacas et d'autres cabinets, considérés et décrits d'après leurs rapports
avec les croyances, les mœurs et l'histoire des nations musulmanes, par M. Reinaud,
Paris, 1828.
2 C'est le nom que lui donne M. Caussin de Perceval. Maçoudi l'appelle el-Djada. — Nous
avons fondu pour ce récit les traditions qu'a groupées M. Caussin de Perceval dans l'Essai
sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme, et les dires que rapporte Maçoudi dans les
Prairies d'or, texte et traduction de MM. Barbier de Meynard et Pavet de Courteille.
3 De même que M. Caussin de Perceval, nous suivons l'exemple des écrivains arabes qui,
par anticipation, nomment la Mecque l'emplacement où s'éleva plus tard la ville sainte.
4 Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme, par M. Caussin de Perceval.
5 Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme, par M. Caussin de Perceval.
6 Maçoudi, Les Prairies d'or, traduction de MM. Pavet de Courteille et Barbier de
Meynard.
Quand Agar et Ismaël revinrent à leur habitation, le temps du soir était arrivé, et
cependant les teintes lumineuses et rosées de l'aurore caressaient l'azur du ciel.
Dans la vallée, étincelante de clarté, les brebis flairaient des traces... Ismaël
pressentit qu'un mystérieux événement avait dû s'accomplir en son absence. Il
interrogea sa femme. Amâra lui apprit qu'un vieillard s'était arrêté devant la
tente, et elle lui redit les paroles du voyageur.
Ismaël comprit le sens de ce conseil qu'Abraham avait voilé sous l'une de ces
allégories familières aux Orientaux. Il renvoya sa femme.
Quelque temps après, Abraham frappa de nouveau à la demeure de son fils,
pendant une absence d'Ismaël et d'Agar. Cette fois encore, une jeune femme
parut sur le seuil de la tente.
Elle était belle, et la suave expression de ses traits décelait une âme aimante et
pure. C'était une nouvelle épouse d'Ismaël. Fille des Djorhom1, le sang des rois
des anciennes tribus yectanides empourprait ses veines.
Elle s'avança avec grâce, apprit au voyageur que son époux et sa belle-mère
faisaient paître leurs troupeaux2. Quand l'étranger lui témoigna le besoin de se
soutenir par quelques aliments, la Djorhomite, s'empressant de lui apporter du
lait, du gibier, des dattes, s'excusa de manquer de pain.
Fidèle à la promesse qu'il avait renouvelée à Sara, Abraham ne descendit pas de
sa monture pour goûter à la collation que lui offrait la noble et gracieuse
compagne d'Ismaël. Il bénit les aliments auxquels il avait touché, et qui, en
souvenir de la charité de son hôtesse, devaient dès lors, dit la légende, abonder
à la Mecque.
La Djorhomite baigna et parfuma la tête du vieillard. Pendant ce temps, Abraham
demeurait toujours sur sa monture ; mais incliné vers la jeune femme qui n'eût
pu atteindre à sa hauteur, il appuyait tantôt la jambe droite, tantôt la jambe
gauche, sur une pierre qui conserva l'empreinte de ses pieds.
La femme d'Ismaël regardait cette pierre avec étonnement : Mets-la à part, lui
dit Abraham, car plus tard on la vénérera3.
Avant de partir, il dit à sa douce bienfaitrice :
Quand Ismaël reviendra, dépeins-lui ma figure, et dis-lui de ma part que le seuil
de sa porte est également bon et beau4.
La jeune femme s'acquitta de sa mission. Ismaël lui dit :
Celui que tu as vu est mon père. Le seuil de ma porte, c'est toi-même. Il
m'ordonne de te garder5.
Les traditions arabes font de la Djorhomite la mère de ions les descendants
d'Ismaël, ces magnanimes et hospitaliers enfants du Hedjaz.
1 On ne s'accorde pas sur le nom de cette princesse. Parmi les traditions qui la
concernent, les unes la nomment Rala (ou Wàla), les autres Sayyida (Cf. Essai sur
l'Histoire des Arabes avant l'islamisme, par M. Caussin de Perceval). Maçoudi l'appelle
Sameh. (Voir les Prairies d'or.)
2 D'après une tradition rapportée par Maçoudi, Agar n'aurait plus vécu à ce moment, et
serait morte à quatre-vingt-dix ans.
3 Maçoudi, etc., traduction de MM. Barbier de Meynard et Paul de Courteille.
4 Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme, par M. Caussin de Perceval.
5 Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme, par M. Caussin de Perceval.
Après l'exil d'Agar, Abraham, invoquant l'Éternel à Bersabée, avait planté en ce
lieu un bois à l'ombre duquel il avait dressé sa tente.
La tradition juive rapporte que Sara apprit que son mari et son fils étaient allés
offrir un holocauste sur le mont Morya. Abraham était le sacrificateur, Isaac la
victime.
La mère courut au-devant d'Abraham. Qu'allait-elle faire ? Elle ne pouvait plus
sauver son enfant ; allait-elle le venger ? Déjà elle avait atteint la vallée
d'Hébron, l'asile de ses premières espérances maternelles. Elle n'alla pas plus
loin, elle était morte.
Quand Abraham, en qui le Tout-Puissant venait de nommer pour la seconde fois
l'aïeul du Messie, quand Isaac, qui avait miraculeusement échappé au coup fatal,
arrivèrent à Hébron, ils n'y trouvèrent plus que le cadavre d'une épouse, d'une
mère1. (1903 av. J.-C.)
Abraham pleura. Il regrettait la compagne qui l'avait courageusement assisté
dans son œuvre civilisatrice, la compagne qui l'avait aimé jusqu'à la jalousie, et
qui avait conservé intacte la pureté de la race patriarcale.
Sara était une de ces natures primitives dont la puissante vitalité n'a pu encore
se plier à toutes les exigences de la loi morale. Impressionnables, mobiles,
impérieuses, elles se livrent à tous leurs instincts, généreux ou cruels ;
ressentent au même degré le bienfait et l'outrage ; sont ardentes dans leur
gratitude, implacables dans leur vengeance ; brisent ce qui s'oppose au
déploiement inintelligent de leur exclusive personnalité ; caressent et mordent
tour à tour la même main ; se repentent de leurs bonnes actions comme de leurs
fautes ; passent du rire à la terreur, de la joie à la colère, d'une foi d'enfant à un
scepticisme railleur. Elles savent aimer et haïr, torturer un ennemi, et mourir de
la mort d'un être aimé. Elles attirent et repoussent ; elles intéressent enfin sans
provoquer la sympathie.
1 Sara mourut à cent vingt-sept ans. C'est la seule femme dont l'âge, au moment de sa
mort, soit indiqué dans la Bible.
2 Au-dessus du tombeau des patriarches s'élève aujourd'hui une mosquée. Cf.
Robinson's biblical researches ; Voyage en Terre-Sainte, par M. de Saulcy.
3 Le Targum Jonathan Ben Ouziel dit que Cetura est Agar. Cf. Genèse, XXV, note 1 de
Cahen.
d'Agar se joignit au fils de Sara pour réunir les restes d'Abraham à ceux de la
princesse dans le sépulcre de Machpéla.
Son attachement pour Rébecca avait consolé Isaac de la mort de Sara. A cet
amour était venu s'en joindre un autre qui dut rendre moins pénible au fils
d'Abraham la perte de son père. La vie qu'il avait reçue du fondateur de sa race,
il avait pu la transmettre : ses enfants représentaient son père.
L'aîné de ses fils, Ésaü, lui était particulièrement cher. Il aimait sa nature à la
fois rude et généreuse, son caractère loyal et aventureux, sa passion pour la vie
au grand air. Il aimait à le voir, fuyant la tente, &élancer à travers les champs,
atteindre de sa flèche le gibier.
Mais la plus tendre prédilection de la mère reposait sur Jacob. Rébecca retrouvait
en lui la douceur de ses habitudes, la flexibilité de son caractère, la finesse de
son esprit. Quand Ésaü courait à la recherche du gibier qu'il destinait à son père,
Jacob restait sous la tente maternelle, aidait même Rébecca dans ses
occupations culinaires. Tandis que l'aîné des deux frères développait, en les
dépensant au dehors, ses forces physiques, Jacob ; se repliant sur lui-même,
concentrait parla méditation toute son activité dans le déploiement de ses
facultés intérieures. Rébecca comprenait que celui-ci, mieux que celui-là, saurait
garder la parole de Dieu.
Deux souvenirs fortifiaient encore la conviction de la mère. Avant que ses fils
vissent le jour, elle les avait sentis lutter l'un contre l'autre. Consultant l'Eternel,
elle en avait appris que c'était là le choc de deux chefs de nations, et que le plus
grand servirait le moindre. Puis, quand naquirent les jumeaux, Esaü tenait à la
main le talon de son frère. Et Rébecca espérait que l'élection divine tiendrait lieu
de droit d'aînesse au second fils d'Isaac.
Un jour vint où ce droit d'aînesse même appartint à Jacob. Son frère, exténué de
fatigue, mourant de faim, le lui avait vendu au prix d'un plat de lentilles.
Une famine obligea Isaac de se rendre à Gerar avec sa famille. Suivant l'exemple
que son père lui avait donné, il se disait le frère de sa femme. Mais Abimélech,
étant à une fenêtre de son palais, surprit les deux époux ensemble. Au caractère
de leur entretien, il devina la vérité. Pure comme l'amour fraternel, leur affection
s'exprimait avec tout l'élan de la tendresse conjugale1.
Abimélech ordonna que la vertu de l'épouse fût respectée, et menaça du
châtiment suprême celui de ses sujets qui oserait attenter à l'honneur de son
hôte.
De misérables querelles suscitées par les habitants du pays contraignirent Isaac
de chercher le repos à Bersabée, où il reçut la bénédiction de l'Éternel. Il dressa
ses tentes sous ces ombrages qui avaient abrité son père et sa mère, et fit
creuser un puits qui, peut-être, est l'un de ceux qu'encadre de nos jours une
belle pelouse de gazon, toute diaprée de lis et de crocus2.
1 Saint François de Sales a admirablement fait ressortir le caractère de cette scène. Cf.
Introduction à la Vie dévote. Troisième partie, chap. XXXVIII.
2 Cf. Beer-Sheba, by George Grove (Dict. of the Bible), Robinson, qui a minutieusement
décrit les deux puits principaux de Bersabée, vante la douceur et la pureté de leur eau.
Biblical researches.
Isaac ne jouit pas du calme qu'il avait espéré. Ésaü s'allia à deux Cananéennes,
Judith et Basmath. Isaac, à qui son père avait fait chercher au loin une
compagne digne de lui, vit avec tristesse cette union. Mais ce fut la chaste mère
de famille qui souffrit le plus de la profanation de son sanctuaire. Seraient-ce ces
deux femmes qui lui succéderaient clans le gouvernement de sa maison ?
Elle prévint ce malheur, cette honte.
Isaac était vieux ; ses yeux s'étaient éteints. Il appela son fils aîné, le pria d'aller
à la chasse, et de lui rapporter de ce gibier qui, préparé par Ésaü, avait pour le
vieillard une saveur parfumée. Il lui promit de lui donner à son retour cette
bénédiction qui était, en quelque sorte, l'héritage des promesses divines.
Rébecca entendit tout.
Le souci de la gloire de sa maison, la tendresse qu'elle avait vouée à Jacob, le
chagrin que lui avaient causé les mésalliances d'Esaü, firent taire en elle les
délicatesses du sens moral. Quand Ésaü fut sorti, elle dit à Jacob :
J'ai entendu ton père parlant ainsi à ton frère Esaü :
Apporte-moi du gibier et fais-moi un plat ragoûtant pour que j'en mange, et que
je te bénisse devant l'Éternel avant ma mort.
Et maintenant, mon fils, continua Rébecca, écoute ma voix pour ce que je vais
t'ordonner.
Va aux bestiaux et prends-moi de là deux bons chevreaux, j'en ferai un ragoût
pour ton père, comme il l'aime.
Tu l'apporteras à ton père pour qu'il en mange, afin qu'il te bénisse avant sa
mort1.
Jacob hésita.
Mon frère Ésaü est un homme velu, et moi je suis un homme uni.
Peut-être mon père me tâtera-t-il ; alors je serai à ses yeux comme un
trompeur, je m'attirerai une malédiction et non une bénédiction2.
Ce que, femme, Rébecca avait conseillé, mère, elle l'ordonnait.
Que cette malédiction retombe sur moi, mon fils ; obéis seulement à ma voix, va
et apporte-moi3. À cette parole énergique, impérative, Jacob ne résista plus.
Quand Rébecca eut donné aux chevreaux un goût de venaison, elle revêtit Jacob
des plus riches habillements d'Ésaü, couvrit ses mains et son cou de la peau des
cabris, et lui remit le ragoût et le pain qu'elle destinait à Isaac.
Quelques moments après, tout avait réussi au gré de Rébecca, et quand Ésaü,
rentrant de la chasse, vint à Isaac, celui-ci ne pouvait plus bénir en lui l'héritier
de sa mission.
Un cri de douleur déchira la poitrine d'Ésaü, et le hautain chasseur pleura.
Larmes terribles qui, loin d'apaiser son courroux, l'envenimèrent ! Il aimait son
père et ne voulait pas le priver d'un enfant ; mais un jour, prochain peut-être,
Jacob se dirigeait vers le pays entre les fleuves. Pendant ce voyage, il rêvait à
l'avenir ; il entendait l'Éternel lui rappeler qu'une œuvre civilisatrice et
rédemptrice lui était réservée ; il éprouvait cette émotion religieuse qui fait
palpiter le cœur de ceux auxquels Dieu confie l'exécution de ses desseins, et,
rempli de foi et d'enthousiasme, il arriva à Padan-Aram. Un doux tableau s'offrit
à sa vue. Dans un champ, autour d'un puits, reposaient trois troupeaux de
brebis. Les pasteurs qui les gardaient, répondant aux questions que leur adressa
Jacob, lui apprirent qu'ils connaissaient Laban, que celui-ci était en paix. Ils lui
montrèrent dans le lointain Rachel, sa fille, qui guidait ses troupeaux vers
l'abreuvoir.
Depuis un mois, Jacob consacrait gratuitement à son oncle son temps et son
labeur. Laban le pria de lui fixer le salaire qui désormais rémunérerait ses
services.
Jacob répondit :
Je te servirai sept ans pour Rachel ta plus jeune fille2.
Laban agréa la demande de son neveu.
Les sept années qui suivirent s'envolèrent sur les ailes de l'espoir. Le fiancé de
Rachel, vivant auprès de la jeune fille, sentait toute l'ivresse de cette chaste
intimité, et les années avaient pour lui la brièveté des jours.
Mais pendant que Rachel attendait l'heure de l'hymen, l'espérance même du
mariage semblait devoir être refusée à Lia, sa sœur aînée. Celle-ci avait les yeux
faibles, dit l'Écriture.
L'union du neveu et de la fille cadette de Laban fut célébrée (1796 av. J.-C.).
Jacob était assuré de son bonheur : il l'avait payé de son travail.
Mais le lendemain, quand revint le jour, une cruelle déception l'attendait. Les
sept dernières années de sa vie n'avaient servi qu'à assurer le mohar d'une autre
femme que Rachel. Il était l'époux de Lia.
Un doute troublait pour le fils d'Isaac la joie de son retour dans son pays natal.
Ésaü lui avait-il pardonné ? Jacob avait enlevé à son frère la bénédiction d'un
père. Ésaü ne se vengerait-il pas en le frappant dans ses affections, en tuant la
mère avec ses enfants ?
Esaü habitait alors le pays de Séir. Jacob se dirigea vers cette terre. Il se fit
précéder de nombreux troupeaux qu'il destinait à son frère.
Jacob et sa famille avaient passé le gué du torrent de Jabock. Le patriarche se
laissa devancer par la caravane. Il foulait un sol sanctifié par les pas de ses
pères, un sol sur lequel marcheraient en vainqueurs ses enfants, les soldats de
l'Éternel. Il se recueillit. Le souvenir de ses fautes, la conscience de la mission
moralisatrice qu'il était appelé à exercer, l'absorbèrent et l'émurent. La Vérité
suprême lui apparut et lutta contre lui. Jacob soutint cette attaque. Il souffrit.
Enfin il se soumit à l'Être divin auquel il résistait ; et quand il sentit que le vieil
homme était vaincu en lui, il pria son Maître de le bénir dans sa régénération.
Désormais il n'était plus Jacob, le supplanteur ; il était Israël, le combattant ou le
prince de Dieu.
Il leva les yeux. Dans le lointain, quatre cents hommes paraissaient. Ésaü était à
leur tête.
Jacob n'eut peur que pour ceux qu'il aimait. Confiant ses enfants à leurs mères, il
plaça sur le premier plan Zelpha, servante de Lia, Gad et Aser ; Bala, servante
de Rachel, Dan et Nephthali ; sur le second plan, Lia, Ruben, Siméon, Lévi, Juda,
Issachar, Zabulon, Dina ; sur le troisième, le plus éloigné du danger, Rachel, sa
femme bien-aimée, Joseph, son dernier-né.
Il s'avança au-devant d'Esaü, et se prosterna sept fois. Mais Ésaü, courant à lui,
se précipita dans ses bras et pleura avec lui.
Les servantes de Jacob, puis ses épouses, s'avançant les unes après les autres
avec leurs enfants, s'agenouillèrent, ainsi que ceux-ci, devant le vaillant chef du
désert, cet homme qui unissait au courage du lion la sensibilité de la femme.
Quand Ésaü et Jacob se séparèrent, la générosité de l'un, le repentir de l'autre,
avaient établi entre les deux frères des liens plus forts que ceux du sang : les
liens de la sympathie.
Une espérance atténuait la violence des coups qui frappaient Jacob : Rachel
attendait une seconde maternité.
La caravane était sur le chemin d'Ephrata. Rachel sentit que sa vie allait passer
dans celle de son enfant...
Ne crains pas, lui criait la femme qui l'assistait, car celui-ci aussi est un fils2.
Un fils ! Autrefois Rachel avait eu un fils qu'elle avait salué d'un de ces cris
d'orgueil que la plénitude de la vie peut seule laisser échapper. Maintenant c'était
par une plainte douce et tendre qu'elle accueillait cette nouvelle maternité,
consolation suprême de son agonie !
Benoni, fils de ma douleur3, murmura-t-elle, et elle mourut.
La malédiction que Jacob avait lancée contre le recéleur des idoles de Laban,
cette malédiction était retombée sur son plus cher amour !
Ce fut sur la route même que Jacob dut abandonner les restes de la femme qu'il
avait adorée jusqu'à lui sacrifier quatorze années de sa vie. Il éleva une stèle sur
la sépulture de sa compagne4. Ses descendants devaient se rendre en pèlerinage
à ce tombeau.
1 La nourrice de Rébecca, Débora, qui avait accompagné sa jeune maîtresse sur la terre
de Canaan, expira à l'endroit même où, selon la tradition, Jacob apprit la perte de sa
mère. C'était probablement après la mort de Rébecca qu'elle avait rejoint Jacob. Elle fut
enterrée sous un chêne qu'on nomma Chêne des pleurs.
2 Genèse, XXXV, 17, traduction de Cahen.
3 Genèse, XXXV, 18, traduction de Cahen.
4 C'est la première stèle funéraire dont il soit fait mention dans la Bible ; nous avons vu
qu'une caverne fut la sépulture des patriarches. L'emplacement du tombeau de Rachel
est à une demi-lieue de Bethléem. Benjamin de Tudèle et le rabbi Pétachia y virent un
mausolée composé de onze pierres qui représentaient le nombre des fils de Jacob, hors
Plus tard, quand les calamités nationales frappèrent les Israélites, ce ne fut pas
Lia, mère de six de leurs tribus, de Juda, la plus puissante de toutes ; ce ne fut
pas Lia qui pour eux personnifia la patrie ; ce fut Rachel, Rachel dont ils
croyaient voir l'ombre sortir de son tombeau, pleurer sur ses enfants, et prier
pour eux !
Qu'avait-elle fait cependant pour s'attirer la vénération de ceux-là même qui
étaient nés de ses rivales ? Avait-elle, plus que Sara et Rébecca, adoré, servi
l'Éternel ? Non : les idoles de Laban partageaient peut-être son culte avec le Dieu
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Comme la mère de son époux, avait-elle du
moins employé la souplesse de son esprit à une cause d'humanité ? Non. Mais
elle a eu le charme fascinateur de la beauté ; elle a été passionnément aimée ;
elle a eu, jalouse, plus de douleur que de colère. Impressionnable et vive, ses
chagrins ont été des désespoirs ; ses joies, des ivresses. Elle est morte jeune ;
elle a, sans amertume, regretté la vie ; en expirant, elle a trouvé une de ces
paroles dont la touchante éloquence révèle une âme profondément sensible. Elle
a, en un mot, été vraiment femme ! Et c'est pourquoi sa mélancolique image
nous attire, nous attache ; c'est pourquoi nous partageons son émotion quand
elle salue, dans son dernier né, le fils de sa douleur !
Isaac était mort quand la famine vint à exercer ses ravages dans le pays de
Canaan. L'Égypte avait été préservée de ce fléau par la prévoyance d'un sage à
qui le Pharaon, reconnaissant, avait accordé un pouvoir royal. Les fils d'Israël
allèrent chercher du blé sur cette terre.
Mais Benjamin resta auprès de Jacob : par la mort de Joseph, le dernier-né de
Rachel avait hérité de la prédilection que son père avait accordée à son frère.
le dernier né ; mais le géographe arabe Edrisi compta une pierre de plus au même
monument. Cet édifice n'existe plus aujourd'hui ; il est remplacé par une construction
turque que les Israélites, les chrétiens, les musulmans entourent de leur vénération. Cf.
Rachel's tomb, by Edward Paroissien Eddrup (Dict. of the Bible) ; Histoire de l'Art
judaïque, par H. de Saulcy ; Palestine par M. Munk ; Robinson's biblical researches.
1 Il s'agit probablement des brus de Jacob, car on ne lui connaît qu'une fille, Dina.
Dix enfants d'Israël étaient partis pour l'Égypte. Neuf seulement en revinrent. Le
dixième, Siméon, était demeuré auprès de l'homme qui avait épargné aux
Égyptiens les horreurs de la disette. Cet homme, désirant voir Benjamin, avait
ordonné aux fils de Jacob de lui amener leur plus jeune frère, et avait exigé
qu'un otage lui répondit de l'exécution de sa volonté.
Jacob résista. Il refusa de livrer aux hasards d'un voyage l'objet de son dernier
amour, le legs suprême que lui avait laissé sa compagne. Enfin, la famine
augmentant, Jacob céda ; il céda avec désespoir, car il se sentait sous la
puissance du malheur.
Ce fut sa dernière épreuve. Quand revinrent ses onze fils, Jacob apprit que le
douzième vivait encore ; que c'était là ce sauveur de l'Égypte qui avait voulu voir
Benjamin, l'enfant de sa mère ! Jacob apprit que, vendu par ses frères, Joseph
leur avait pardonné ; qu'il avait besoin d'embrasser son père, et que le Pharaon
attendait toute la famille israélite1. Par l'ordre du roi, des chariots devaient
amener en Égypte les femmes de la maison de Jacob.
Les Israélites étaient établis depuis dix-sept ans sur la terre de Gessen, dont, au
nom du Pharaon, Joseph leur avait assuré la propriété. Jacob vit approcher la
mort, et voulut bénir ses fils. Ce n'était pas à un seul de ses enfants que le
patriarche allait léguer sa mission divine : c'était à tous ses fils, et aux deux
héritiers qu'Aseneth, fille d'un prêtre d'Héliopolis, avait donnés à Joseph.
Jacob appela auprès de lui le fils aîné de Rachel. Il exhala devant lui la douleur
qu'il avait éprouvée quand il dut laisser derrière lui les restes de sa femme bien-
aimée.
Bientôt tous les enfants d'Israël entourèrent leur père. Le vieillard était arrivé à
ce moment où l'âme, se dégageant de la matière qui l'empêchait de voir le ciel,
pressent les mystères d'une autre vie. Jetant sur le passé un dernier regard, il
jugea la conduite de ses enfants, se souvint avec amertume des crimes de
Ruben, de Siméon, de Lévi, et reprocha encore à ces deux derniers l'assassinat
du fiancé de leur sœur, le carnage du peuple dont elle eût pu être la reine.
Soudain la tristesse du mourant disparut. Un enthousiasme divin vibra dans sa
voix ; des strophes aux images éclatantes se pressèrent sur ses lèvres : il saluait
le dernier rejeton de la postérité royale de Juda, le Messie, le Rédempteur !
Quand il eut béni chacun de ses enfants, il leur rappela son désir d'être enterré
dans le pays de ses pères. Abraham, Sara, Isaac, Rébecca, Lia, l'attendaient
dans le caveau de Machpéla. Ainsi la même tombe ne devait pas réunir Jacob à
l'amie de ses années d'épreuves, et c'était auprès de la moins chère de ses
épouses qu'il allait à jamais reposer.
Peut-être était-ce là le triomphe le mieux approprié à la vie effacée de cette
femme qui avait su aimer sans qu'elle fût payée de retour ici-bas.
1 C'est sous le quatrième roi de la dix-septième dynastie, celle des Pasteurs, c'est sous
Apophis II que MM. Champollion-Figeac et Brugsch croient pouvoir placer l'histoire de
Joseph. Cf. Égypte ancienne, par M. Champollion-Figeac ; Histoire d'Égypte, par le
docteur Brusgch. Leipzig, 1859. Telle est aussi l'opinion de Champollion le jeune, citée
par M. de Riancey. Cf. l'Histoire du Monde, ce vaste travail où se trouve reconstruit, avec
les matériaux originaux, le monument de l'histoire universelle. La croyance de l'auteur à
l'identité d'origine des races humaines imprime à cet édifice l'unité, l'harmonie.
CHAPITRE DEUXIÈME. — ÉPOQUE NATIONALE.
Sur les bords du Nil, une jeune fille semblait attendre. Son regard était attaché
sur les roseaux du fleuve. Au sein de cette végétation aquatique flottait un
berceau de papyrus.
Un groupe de baigneuses descendit vers le Nil. Ce groupe se composait d'une
jeune femme, de ses suivantes.
Le berceau de papyrus attira l'attention de la maîtresse. A son ordre, une esclave
le lui apporta. La jeune femme l'ouvrit ; et un bel enfant de trois mois, pleurant
et criant, lui apparut.
Elle s'attendrit. Jeune fille, cédait-elle à cette impression par laquelle toute
vierge, à la vue d'un enfant, sent palpiter en elle un cœur de mère ? Épouse,
ravivait-elle, devant la frêle créature, les souffrances de sa stérilité ? Son
émotion trahissait-elle un pressentiment ou un regret ?
Elle regardait l'enfant, et disait :
Il est des enfants des Hébreux, celui-ci1.
Cette jeune femme était la fille du roi d'Égypte, Ramsès-Meïamoun, le Sésostris
des Grecs2. Elle avait appris que l'homme vaillant à qui elle devait sa naissance,
redoutant la famille même de ce Joseph que les Egyptiens avaient salué comme
un sauveur, avait été entraîné par la crainte, à une barbarie étrangère à sa
grande âme.
1 Les Chétas sont les Hethéens, cette peuplade cananéenne dont nous avons déjà parlé.
Le poème de Pen-ta-our célèbre la victoire que remporta sur les Chétas Ramsès-
Meïamoun. La foi de Sésostris dans la Providence a été exprimée par le poète épique
dans un style qui rappelle celui de la Bible. Cf. le poème de Pen-ta-our, Extrait d'un
mémoire sur les campagnes de Ramsès II (Sésostris), traduction de M. le vicomte de
Rougé.
2 Exode, II, 7, 8, traduction de Cahen.
3 Exode, II, 8, traduction de Cahen.
Prends cet enfant, dit la princesse à cette dernière, nourris-le moi, je te donnerai
ton salaire1.
La nourrice hébraïque s'approcha de l'enfant, et celui-ci aspira le lait qu'elle lui
offrait : il s'était senti sur le sein maternel !
Personne n'avait soupçonné que la jeune messagère de la princesse fût Miriam,
sœur de -l'enfant arraché aux ondes ; ni que la nourrice qu'elle avait amenée fût
Jocabed, leur mère à tous deux..
C'était Jocabed qui, après avoir dérobé pendant trois mois le nouveau-né à la
mort, l'avait confié, sur le fleuve, à la Providence de Dieu.
Trois ans après cette scène, l'enfant qui avait sans doute sucé avec le lait
maternel la première notion de l'Être suprême, l'enfant fut rapporté par Jocabed
à la princesse, et celle-ci fut irrésistiblement attirée à lui. Il avait ce charme
ineffable du jeune âge, ce charme qui, s'insinuant dans notre cœur, y fait
pénétrer les plus pures, les plus douces, et aussi les plus austères émotions.
Nous aimons l'enfant, parce que son âme, toute fraiche éclose sous les mains du
Créateur, encore réfléchi aucune de nos misères, et qu'elle ignore tout, tout,
excepté l'amour ! Nous aimons l'enfant, parce qu'il est faible, et qu'il a besoin de
notre appui pour-résister au premier souffle qui le ramènerait vers sa divine
patrie. Nous aimons l'enfant, parce que, espérance incarnée et vivante, il sera
l'un des combattants et peut-être fun des triomphateurs de l'avenir ! La
princesse céda à l'entraînement de son cœur. Elle appela son protégé son enfant.
Elle ne lui avait pas, il est vrai, donné la vie, mais elle la lui avait sauvée, et
c'était là encore une maternité !
La fille de Ramsès, perpétuant le souvenir du jour où elle avait recueilli le rejeton
d'une race proscrite, nomma celui-ci Moïse, sauvé des eaux.
Avec cette liberté dont jouissaient les Egyptiennes, ces femmes associées aussi
bien aux honneurs du trône qu'à l'autorité du foyer domestique, la princesse,
tenant son fils dans ses bras, vint à son père, et déposa sur le sein du roi le doux
présent du Nil2.
Ramsès était jeune encore, et dans le premier éclat de cette gloire dont l'avaient
couvert ses expéditions contre les Éthiopiens et les Chétas.
Nous avons sous les yeux le sphinx qui représente les traits du conquérant3. La
tête, belle et imposante, empreinte d'un caractère d'intelligence, de franchise, de
fermeté, de douceur, a une majesté et une grâce toutes royales. On aime à se
figurer ainsi Ramsès-Meïamoun, quand, recevant dans ses bras l'enfant de ses
victimes, il l'attira à lui, et le serra sur son cœur.
Dans l'un de ces épanchements familiers auxquels les Pharaons aimaient à se
livrer avec leurs enfants, Ramsès essaya son diadème au front de Moïse. Mais
celui-ci, avec la pétulance de son âge, rejeta cette couronne, et la foula aux
pieds.
Le prêtre qui avait prédit que, parmi les descendants de Jacob, un enfant naîtrait
pour la gloire d'Israël et la honte de l'Égypte, ce prêtre était là... Devant le geste
1 On trouve aussi les noms des filles de Ramsès au spéos de Derri, etc. Parmi ces
princesses, il en est cinq qui, sur plusieurs monuments, portent des titres royaux que
leur ont sans doute valu leurs mariages avec des souverains. L'une de ces cinq reines,
Bathianti, est la seule fille de Ramsès qui figure auprès de ce roi à Silsilis, et au temple
d'Ammon, à Karnac. Cf. Égypte, par M. Champollion-Figeac ; Histoire d'Égypte, par le
docteur Brugsch. Mais Bathianti ayant, été, selon M. Champollion-Figeac, l'enfant de la
vieillesse de Sésostris, ne peut être confondue avec l'héroïne de la Bible, ni avec celle de
Diodore, qui, toutes deux, exercèrent leur influence sur leur père, jeune encore, et
récemment investi du pouvoir souverain.
2 Cf. Nubie, par M. Cherubini, compagnon de voyage de Champollion le jeune en Égypte
et en Nubie, Paris, 1847.
La princesse éthiopienne épousa l'enfant d'Israël. Triomphant, Moïse ramena en
Égypte les troupes de Ramsès.
1 C'est par le mot de cheikh que M. Reginald Stuart Poole exprime le pouvoir religieux et
politique de Jethro. Cf. Moses (Dict. of the Bible).
2 Exode, II, 18-20, traduction Cahen.
Accompagné de sa femme, des deux fils qu'elle lui avait donnés, Moïse se dirigea
vers l'Égypte.
Aaron, son frère, vint au-devant de lui dans le désert1. Selon une tradition
talmudique, il dit à Moïse en lui désignant Séphora et ses enfants :
A qui sont ceux-ci ?
Celle-ci est ma femme que j'ai prise dans le Midian ; ceux-ci sont mes fils,
répondit Moïse.
— Où les mènes-tu ?
En Égypte2.
Aaron, rappelant à Moïse l'affliction que leur causait le malheur de leurs frères,
lui reprocha de venir augmenter le nombre de ceux pour lesquels ils souffraient
tous deux.
C'était là une parole qui trahissait la douleur du proscrit et la pitié de l'homme.
Moïse comprit son frère. Il ne voulut pas exposer aux miasmes énervants de
l'esclavage la libre existence des enfants du désert. Sacrifiant ses joies
domestiques à la tranquillité de ceux auxquels il les devait, il renvoya sa femme
et ses fils sous la tente de Jethro.
Moïse et Aaron arrivèrent ensemble sur la terre des Pharaons.
Ramsès était mort. Son fils Ménephtah lui avait succédé. Le sphinx de ce
dernier3 est la révélation même de son caractère. Au premier abord, on croit lire
sur son visage une souriante bonhomie ; mais en le considérant avec quelque
attention, l'on ne tarde pas à y découvrir une expression de duplicité qui
contraste avec le grand air de loyauté que respire la physionomie de Sésostris.
C'est bien là ce Pharaon égoïste et trompeur contre lequel eut à lutter le
libérateur d'Israël.
Au nom de l'Éternel, Moïse et Aaron prièrent le roi de permettre que les Hébreux
allassent, dans le désert, sacrifier à leur Dieu. Ménephtah résista. Mais la main
de Jehova s'appesantit sur les oppresseurs de son peuple ; et de même que le
vautour blessé, affaibli, lâche la proie qu'étreignait sa serre, l'Égypte, saignant
encore des plaies que lui avait infligées la colère divine, laissa s'échapper ses
captifs.
Les descendants de Jacob s'avançaient vers la mer Souph4. Du sein d'une
colonne, nuageuse le jour, flamboyante la nuit, Jehova dirigeait Israël.
Les Hébreux étaient campés près de Pi-Hahirôth. Ils levèrent les yeux, jetant un
dernier regard sur la terre qu'ils allaient quitter. Ils levèrent les yeux et
frémirent. Six cents chars de guerre couraient sur eux. Ménephtah avait appris
que l'excursion de ses esclaves n'était que le prétexte de leur fuite. Et lui-même
s'était élancé sur leurs traces, entouré de ses archers.
Resserrés entre la mer, les montagnes et l'armée égyptienne, les Hébreux se
livraient à un sombre désespoir qu'irritaient encore les larmes de leurs femmes,
1 Suivant Josèphe, Miriam fut enterrée en grande pompe sur la montagne de Cîn ;
pleurée par le peuple aussi longtemps que devaient l'être ses deux frères, c'est-à-dire
pendant trente jours. A l'expiration de ce deuil, Moïse purifia le peuple par l'étrange et
inexplicable sacrifice de la vache rousse, ce sacrifice dont l'institution précède
immédiatement, dans le livre des Nombres, la mention de la mort de Miriam. — Du
temps de saint Jérôme, on montrait, près de Pétra, la tombe de la prophétesse. —
Josèphe dit que Miriam était femme de Hur et mère de Béséléel, l'un des deux artistes
qui dirigèrent les travaux du tabernacle. D'après d'autres traditions, Hur était non
l'époux, mais le fils de Miriam. Cf. Josèphe, Antiquités judaïques, liv. IV, chap. IV ;
Miriam, by Arthur Penrhyn Stanley (Dict. of the Bible) ; Palestine, par M. Munk.
Moïse et Aaron eux-mêmes ne tardèrent pas à souffrir des angoisses de
l'incertitude. Ils avaient compté sur la courageuse confiance de cette jeune
génération qu'ils avaient élevée, et quand ils virent celle-ci se révolter contre
eux, ils doutèrent de tout, même de la Providence.
De même qu'à l'ancienne génération, Dieu leur interdit la jouissance d'un avenir
dont ils avaient osé désespérer.
Aaron tomba le premier. Seul des trois libérateurs d'Israël, Moïse continua de
diriger les descendants de Jacob vers le pays de Canaan.
L'heure des luttes guerrières approchait. Moïse ne voulait pas s'emparer des pays
situés sur la rive orientale du Jourdain. Mais les Amorrhéens ayant cherché à
entraver la marche d'Israël, ils furent massacrés avec leurs femmes, leurs
enfants, par le peuple hébreu qui fit de leurs deux royaumes, Hesbon et Basan,
ses premières conquêtes.
Témoins de la chute de leurs voisins, les Moabites et les Midianites craignirent
pour leurs propres domaines l'invasion des Israélites ; et n'osant attaquer ceux-
ci par les armes, ils essayèrent d'attirer sur eux les ma-édictions du ciel. Mais en
vain appelèrent-ils à leur secours le devin Balaam, celui-ci ne put que bénir, avec
un enthousiasme prophétique, le peuple contre lequel il devait lancer l'anathème.
Balaam comprit que ce qui l'avait lui-même subjugué à Israël, c'était cette force
morale que les Hébreux de la nouvelle génération savaient, malgré leurs
égarements, retremper dans leur croyance aux promesses divines. Il comprit
aussi que, pour les perdre, il fallait leur enlever et cette fermeté d'âme, et cette
foi religieuse, qui les rendaient invincibles. D'après ses conseils, les Moabites et
les Midianites essayèrent d'attirer par leurs filles le peuple de Jehova à Baal-
Phéor, leur impure déité.
Ils y réussirent.
Une plaie frappa les Hébreux. Au moment où, entourant Moïse, ils pleuraient
devant Dieu, ils virent Zimri, un des Nasis de la tribu de Siméon, introduire dans
leur camp une princesse midianite, Cozbi, fille de Tsour, chef des peuples.
Indigné de cet outrage à la majesté d'un Dieu Courroucé, au repentir d'un peuple
en deuil, un petit-fils d'Aaron, Phinées, frappa de sa lance les deux coupables.
Le fléau cessa.
Les Midianites se disposaient à venger leur jeune sœur. Moïse prévint l'exécution
de leurs desseins, et douze mille Israélites commandés par Phinées, le meurtrier
de Cozbi, les attaquèrent.
Quand les Hébreux revinrent de cette expédition, ils avaient exterminé la
population mâle de Midian, et ils amenaient avec eux les veuves et les orphelins
de leurs victimes.
A la vue de ces femmes qui avaient provoqué la démoralisation et le châtiment
des Israélites, Moïse, reprochant violemment aux vainqueurs de les avoir
épargnées, ordonna qu'elles fussent tuées ainsi que leurs enfants mâles.
Il laissa la vie aux vierges.
Ses lois n'accordaient pas la même faveur aux jeunes filles cananéennes.
Ah ! il fallait que Moïse, naguère le protecteur des opprimés, le défenseur des
filles de Jethro, il fallait que Moïse eût bien souffert des infidélités d'Israël, il
fallait qu'il en redoutât bien le retour, pour qu'il pût immoler aux cruelles
exigences de son plan religieux et politique ces êtres à qui leur faiblesse même
sert de sauvegarde : la femme, l'enfant !
Quand mourut Moïse, déjà les tribus de Ruben, de Gad et une partie de la tribu
de Manassé, avaient obtenu en faveur de leurs nombreux bestiaux la possession
des terres aux gras pâturages conquises sur les Amorrhéens. Après avoir installé
dans leurs nouveaux domaines leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, les
hommes de ces tribus se disposaient à passer le Jourdain, à aider leurs frères
dans la conquête du pays situé sur la rive occidentale du fleuve.
Séparée du camp israélite par le Jourdain, la ville de Jéricho était la première
place que les Hébreux dussent attaquer. Josué envoya deux explorateurs dans
cette cité.
Sur une muraille de Jéricho s'élevait une maison. Cette demeure était habitée
par une femme nommée Rahab.
Fille de Canaan, adoratrice d'Astarté, Rahab vivait au sein d'une brûlante
atmosphère, dans cette plaine où les palmiers croissaient à profusion parmi les
rosiers, les sycomores, les oliviers, les myrobolans, les cyprès qui donnent le
henné à l'Orientale, et les arbustes d'où jaillit le baume de Judée1.
La volupté du culte, l'ardeur du climat, la molle beauté du paysage, toutes ces
influences énervantes avaient empêché Rahab de réagir contre les séductions du
mal : elle s'était perdue.
Pendant qu'elle se livrait aux égarements de la passion, elle apprit qu'un peuple
se préparait à conquérir son pays. Rien n'avait arrêté les envahisseurs, ni les
éléments, ni les hommes. Ils s'étaient frayé un passage entre les flots de la mer,
et avaient brisé les nations qui s'étaient opposées à leur marche. Ils étaient
guidés par leur Dieu, et ce Dieu n'était pas l'une de ces vaines et impures idoles
qu'adorait le Cananéen : c'était la -Vérité éternelle, l'immuable Perfection.
Les habitants de Jéricho s'alarmèrent. Rahab partagea leur effroi, fa avec eux
elle pressentit la grandeur d'Israël, la puissance de Jehova.
En vain l'éducation d'un peuple lui a-t-elle appris à faire de ses vices ses lois, ses
divinités même ; cette éducation ne peut intervertir dans sa conscience la notion
du bien et celle du mal ; et quand il voit la vérité, il la reconnaît, fût-ce même
pour la fouler aux pieds. Rahab était sous l'impression du trouble qu'avait jeté
dans Jéricho la nouvelle de l'approche des Hébreux, quand elle vit entrer chez
elle deux jeunes gens. Elle leur accorda l'hospitalité.
Pendant la nuit, elle reçut un message du roi de Jéricho. Les deux hommes
qu'elle avait reçus étaient les émissaires de Josué ; et son souverain lui
ordonnait de les lui livrer.
Rahab n'avait pas ignoré quels étaient ses hôtes ; elle n'avait pas ignoré qu'en
les abritant elle exposait sa vie ; mais elle bravait le péril qu'elle courait ; car,
dans le néant d'une existence qu'elle croyait perdue, une tâche sublime s'était
offerte à elle.
Les envoyés de Josué accomplissaient les desseins de l'Éternel, Rahab le savait ;
et ces desseins qu'elle avait redoutés, elle se voyait appelée à les servir, elle, la
Cananéenne, elle, la courtisane !
Devant la grandeur du but que l'Esprit divin lui montrait, Rahab arrachait son
âme à la léthargie où elle l'avait laissée pendant sa sensuelle existence. Les
généreuses émotions du réveil suffisaient pour expier des rêves coupables. La
femme qui s'était senti la force de s'immoler à la cause de Dieu s'était régénérée
par ce sacrifice.
La courtisane avait disparu, l'héroïne apparaissait.
1 Cf. pour la description de Jéricho : Josèphe, Guerre des Juifs, liv. IV, chap. XXVII ;
Ecclésiaste, XXIV, 18 ; Itinéraire de Paris à Jérusalem, par Chateaubriand ; Palestine, par
M. Munk ; Robinson's biblical rescarches ; Voyage en Terre-Sainte, par M. de Saulcy,
1865.
Rahab répondit aux messagers de son roi qu'en effet deux inconnus étaient
venus à elle ; mais, quand les ombres du soir s'étaient étendues sur la plaine, ils
étaient partis.
Je ne sais où sont allés ces hommes, dit-elle ; poursuivez-les promptement, vous
pourrez les atteindre1.
Les envoyés du roi de Jéricho se dirigèrent vers le Jourdain. Rahab monta sur la
plate-forme de sa maison : là, sous des tiges de lin, avaient été cachés par ses
soins les explorateurs israélites.
Rahab s'adressa à eux. Sa parole décelait cette agitation intérieure qui suit le
calme qu'aux heures de péril une nature énergique possède.
Je sais que l'Éternel vous a donné le pays2, dit-elle à ses hôtes.
Et elle leur peignit la terreur qu'avaient inspirée à ses concitoyens, à elle, la
valeur des Israélites, la protection que leur accordait leur Dieu, leur Dieu en qui
elle saluait l'Éternel, le Dieu du ciel, le Dieu de la terre. Cette terreur allait livrer
Jéricho au peuple de Jehova.
Rahah adjura ceux qu'elle avait sauvés de se souvenir d'elle quand l'armée
d'Israël entrerait victorieuse dans Jéricho. Pour eux, Rahab avait joué sa vie,
mais elle ne pouvait leur sacrifier celle de son père, de sa mère, de ses frères, de
ses sœurs, de toute cette famille dont elle s'était séparée. Au nom de l'Éternel
elle demanda à ses hôtes de lui promettre sous serment que la maison de son
père serait épargnée.
Notre vie répond de la vôtre3, lui dirent les envoyés de Josué, qui posèrent une
condition à leur foi : le silence de Rahab sur leur entretien avec elle.
A l'aide d'une corde que leur tendait Rahab, les jeunes gens se laissèrent glisser
de la muraille sur laquelle était assise la maison de leur hôtesse. Rahab leur
conseilla de se diriger vers la montagne, de s'y cacher pendant trois jours. Alors
ceux qui les poursuivaient seraient rentrés à Jéricho, et les deux Israélites
pourraient continuer leur route.
Les envoyés de Josué, renouvelant à leur bienfaitrice l'assurance de protéger la
vie de sa famille, lui recommandèrent d'attacher à la fenêtre par laquelle ils
venaient de s'échapper un cordon d'écarlate qui signalerait l'hospitalière
demeure de Rahab au respect de l'armée israélite, et l'invitèrent à rassembler sa
famille dans cette maison qui les avait abrités. Sans cette dernière précaution, ils
ne pouvaient répondre de la sûreté de sa famille.
Avant de quitter leur hôtesse, ils lui rappelèrent que leur fidélité dépendrait de la
sienne.
Selon vos paroles, ainsi sera-t-il4, dit Rahab.
Et elle congédia ses hôtes.
Au septième jour du siège de Jéricho, Rahab entendit et le son des trompettes
guerrières, et un cri immense s'élever du sein de l'armée israélite. Les murailles
de la ville s'écroulèrent, et les Hébreux se précipitèrent dans la cité, frappant,
La conquête de Canaan est l'une des phases les plus brillantes de l'histoire des
Hébreux. Nous n'entendons plus sourdre de leur camp ces murmures de rébellion
qu'avait dû si souvent étouffer la sévérité de Moïse. Nous ne sommes plus
témoins de ces défaillances qui les soumettaient à de séduisantes et fatales
influences. Ils ont l'ardeur de la foi, l'élan de la bravoure, la vivacité du
sentiment national. Et quand du haut des monts Ébal et Garizim, hommes et
femmes d'Israël entendent Josué leur rappeler la Thorah, ainsi que les
bénédictions, les malédictions que, selon Moïse, devait leur attirer leur respect ou
leur mépris pour cette loi, ils ont été fidèles à la parole de Jehova, et n'ont
mérité que les bienfaits du ciel.
Entreprise avec ce saint enthousiasme, la conquête se poursuivit ; Sans attendre
qu'elle fût achevée, Josué procéda au partage du Pays de Canaan.
Le chef d'Israël mourut sans s'être désigné de successeur, et après avoir laissé à
chaque tribu le soin de compléter elle-même le territoire qu'il lui avait assigné.
Par ces deux fautes politiques, Josué affermissait chez les Israélites, au
détriment de l'esprit national, le
caractère patriarcal des races sémitiques. S'habituant à vivre isolément, comme
tribus d'abord, comme individus ensuite, les Hébreux perdirent de vue l'unité de
leurs intérêts et de leurs croyances. Vivant au milieu de celles des peuplades
cananéennes qu'ils n'avaient pas exterminées, ils s'allièrent à elles par des
mariages mixtes, et subirent leur funeste ascendant.
1 Cf. Matthieu, I, 5.
2 Cf. Rahab, by Ven. Lord Hervey (Dict. of the Bible).
Sur la montagne d'Éphraïm, on vit une femme d'Israël, recouvrant des mains de
Micha, son fils, une somme que lui avait dérobée celui-ci, témoigner à l'Éternel
sa reconnaissance en consacrant une partie de cet argent à la fonte d'une statue
de Jehova, le Dieu immatériel. Micha dédia un temple à la statue, et la fit
desservir par un lévite. Un jour, six cents hommes de la tribu de Dan enlevèrent
l'idole, en emmenèrent le prêtre ; l'une devint l'objet de leur adoration, l'autre le
ministre de leur nouveau culte, le fondateur d'une race sacerdotale héréditaire.
Pendant ce temps, le tabernacle, le sanctuaire central, était à Silo.
Les Hébreux ne se contentèrent pas d'adapter au culte de Jehova les formes de
l'idolâtrie, ils adressèrent leur hommage même aux dieux de Canaan, à Baal, à
Astarté.
Leurs mœurs s'altérèrent avec leur foi, et un jour arriva où Israël fut saisi de
terreur devant le degré d'abaissement où une partie de ses enfants était
descendue.
Ce jour-là, chacune des douze tribus avait reçu un lambeau de chair humaine :
c'étaient les débris du corps d'une femme. Celte femme avait été victime des
outrages des habitants de Gabaa, ville de Benjamin ; et c'était son époux lui-
même, un lévite, qui, dépeçant son cadavre, en avait envoyé les morceaux à
ceux auxquels il confiait le soin de la venger.
Le cri de la conscience éveilla les Israélites et les unit. Ils agirent comme un seul
homme1.
La nation, représentée par quatre cent mille hommes de guerre, s'assembla à
Mitspâ, entendit la cause du lévite, reconnut la culpabilité des habitants de
Gabaa et somma la tribu de Benjamin de lui livrer ces derniers. Les Benjamites
refusèrent, et se réunirent à Gabaa dans une attitude menaçante.
Alors la nation qui, en se constituant en tribunal, avait jugé ses propres enfants,
se levant pour exécuter sa sentence, frappa tout ensemble et ceux que
condamnait son arrêt, et ceux qui ne l'avaient point respecté.
Au nom de Jehova, le grand prêtre Phinées, le meurtrier de Cozbi, l'implacable
défenseur de la loi morale, excitait la nation à poursuivre la mission douloureuse
qu'elle s'était imposée.
La tribu de Benjamin fut exterminée. Six cents de ses fils échappèrent au
carnage, s'enfuirent dans le désert. Survivant à leur tribu, ils ne pouvaient la
perpétuer en Israël, car, à Mitspâ, les Hébreux avaient dit : Nul d'entre nous ne
donnera sa fille à un Benjamite pour femme2.
Ce n'était pas sans déchirement que la nation israélite avait frappé l'une de ses
filles. Quand elle la vit tomber, le juge disparut, la mère seule resta. Et celle-ci
pleura.
Les Hébreux désirèrent faire revivre la tribu qu'ils avaient voulu retrancher de
leur communauté. Leur serment les empêchant de donner leurs filles aux
Benjamites qui avaient échappé à leur vengeance, ils se souvinrent qu'une de
leurs villes, Jabès-Galaad, ne les avait pas aidés à châtier la tribu rebelle.
Deux fois Israël avait été sauvé quand les tribus septentrionales furent asservies
par Yabin, roi de Hasor. C'était un Cananéen.
Le profond mépris de l'Israélite pour l'indigène rendait plus âpre la tyrannie de
celui-ci, plus amère la servitude de celui-là.
Depuis vingt ans, les Hébreux souffraient de cette oppression. Dans leur
désespoir, ils se souvinrent de leur Dieu, et jetèrent vers lui un cri d'angoisse.
Alors on voyait les Israélites gravir la montagne d'Éphraïm, s'approcher d'un
palmier qui étendait son bouquet de feuillage entre Rama et Bethel. Une femme
demeurait sous cet arbre. Elle se nommait Débora1.
1 Prophétesse.
2 Juge.
3 Juges, IV, 9, traduction de Cahen.
Autour du Thabor se déroule la plaine de Yezreel, avec ses molles ondulations1.
C'est là que le Cananéen attendait sa victime révoltée.
A la tête des troupes de Yabîn, de ses neuf cents chariots de fer, était son
général Sisara.
Lève-toi, dit Débora à Barak ; car c'est en ce jour que l'Éternel livre Sisara en ta
main ; certes, l'Éternel est sorti devant toi.»
A ce signal, dix mille soldats d'Israël, suivant avec confiance le Dieu qui les
conduisait à la victoire, se précipitèrent du Thabor dans la plaine (1335 av, J.-C.).
Le torrent Kison roule les cadavres des Cananéens. A l'évocation de cette scène,
la prophétesse excite encore son poétique élan :
Torrent des anciens temps, torrent Kison !
Mon âme ! marche avec vigueur !4
Dans la déroute des ennemis, Débora entend le sabot des chevaux frapper le sol.
Devant le triomphe des Hébreux, elle appelle la malédiction sur Meroz, cité
israélite qui a refusé de s'associer à la révolte de la patrie. La prophétesse arrive
enfin à ce tableau que, tout à l'heure, nous eussions désiré voiler : la mort de
Sisara.
Disons-le à regret. Débora exalte le crime de Jahel. Il fallait que le nom de Sisara
personnifiât pour elle toutes les souffrances de sa patrie pour qu'elle pût
redouter encore ce général isolé, fuyant ; pour qu'elle crût le destin d'Israël
attaché à la vie d'un vaincu. Avec quel enthousiasme elle loue Jahel ! Avec quelle
complaisance elle vante sa trahison ! Avec quelle volupté sauvage elle se repaît
de l'agonie de Sisara, cette agonie dont elle note d'une voix palpitante les
dernières convulsions !
Bénie soit plus que toutes les femmes, Jahel, femme de Héber, le
Scénite ;
Plus que toutes les femmes sous la tente.
De l'eau il demanda,
Du lait elle offrit,
Dans le vase des opulents
Elle lui présenta de la crème.
Elle porte sa main sur la cheville,
Sa droite sur le marteau des hommes de peine,
Frappe Sisara,
Nous nous sommes longuement arrêtée sur le type de Débora parce que cette
figure, nous le disions plus haut, est la personnification de la nation hébraïque
telle que la rêvait Moïse.
Débora, c'est Israël, le peuple de Jehova, veillant avec un soin jaloux sur une loi
dont la diffusion n'est pas encore possible ; c'est Israël, comprenant que sa
nationalité est l'expression de sa loi ; sauvegardant avec son indépendance le
dépôt qui lui est confié ; frappant dans les violateurs de sa liberté les ennemis de
sa foi. C'est Israël, l'instrument et la verge d'un Dieu sévère ; Israël, puisant
Pendant de longues années, les Hébreux demeurent livrés à cet état de malaise
qui précède l'organisation politique d'un peuple. Quarante années après leur
victoire sur Sisara, nous les voyons soumis aux Midianites, et délivrés par
Gédéon. Las de leur indépendance mal dirigée, ils éprouvent le besoin d'un
pouvoir central, et offrent la royauté à leur sauveur, qui la refuse et qui demeure
leur juge. A sa mort, son fils Abimélech recherche la dignité que Gédéon a
repoussée, et les habitants de Sichem le proclament roi. Mais ces derniers ne
tardent pas à briser eux-mêmes la joug qu'ils se sont imposé. Abimélech fait
rentrer violemment Sichem dans l'obéissance, et s'empare d'une autre ville,
Thébès. Il entre dans cette dernière place, et se dirige vers une tour forte située
au milieu de la cité. Là se sont réfugiés les habitants de Thébès. Abimélech
attaque cette tour. Il allait l'incendier quand une meule de moulin, lancée par
une femme, lui brise le crâne.
Tire ton glaive et tue-moi, dit à son écuyer le hautain guerrier ; on pourrait dire :
Une femme l'a tué1.
Israël désirait un maître, il repoussait un tyran.
Les Hébreux s'écartent de plus en plus des voies de Dieu. Les Ammonites et les
Philistins les asservissent. Jephté, dont nous avons raconté plus haut le sacrifice,
les délivre des premiers. A la mort de ce juge surgit un athlète qui les défend
contre les seconds : c'est Samson. Mais à la vigoureuse organisation physique de
ce dernier manque la force morale. Il ne sait pas résister aux séductions des
femmes.
Les Philistins découvrent le côté vulnérable de cette robuste nature. Par une de
leurs filles, Dalila, ils font perdre à l'athlète et son énergie, et son désir même de
vivre. Samson est livré à ses ennemis par l'enchanteresse qui l'a asservi.
Ne nous arrêtons pas sur ces scènes. Sans doute, elles comportent un grave
enseignement. Mais ce qui nous occupe ici, ce ne sont pas les séductions
exercées par les femmes sur les figures qui n'ont laissé aucune trace morale
dans l'histoire sacrée : c'est l'influence de notre sexe sur les destins des
représentants de l'idée religieuse.
C'est ainsi que, nous éloignant des compagnes de Samson, nous nous
approchons d'une femme qui fit entrer dans une phase nouvelle les croyances
des Israélites.
L'année suivante, Anne n'accompagnait pas son époux à Silo : elle nourrissait un
enfant, son fils !
Elle n'avait pas oublié son vœu. Elle attendait qu'elle pût sevrer son enfant pour
aller le déposer au tabernacle.
Anne est au sanctuaire central. Elle vient consacrer Samuel, son fils, à l'Éternel.
Son époux l'accompagne.
Après avoir offert à Jehova le sacrifice d'un bœuf, Anne et Elkana présentent leur
enfant à Éli. La mère de Samuel rappelle au grand prêtre le jour où elle priait en
sa présence. Alors elle demandait à Dieu le fils qu'elle lui promettait de lui
consacrer. Le Seigneur l'a exaucée. A elle maintenant d'accomplir son vœu !
Les pèlerins se prosternent. Ce n'est plus une prière muette qui s'échappe du
cœur de la mère, c'est un hymne de triomphe au rythme éclatant.
A la fierté de ses accents, on devine avec quelle joie enivrante la femme,
naguère écrasée par une orgueilleuse rivale, s'est vue relever par le Tout-
Puissant, le destructeur de la violence, l'appui de la faiblesse ; par le souverain
Principe du vrai et du bien, qui sait distinguer l'injustice sous les voiles dont
celle-ci se couvre.
Devant le Dieu en qui elle reconnaît la source de la vie universelle, Anne est le
premier interprète de la croyance à l'immortalité de l'âme, l'âme, ce souffle de
l'Être impérissable ! Devant le Moteur suprême, Anne exalte aussi l'action de la
Providence sur l'humanité entière.
L'élan de son esprit a fait pénétrer à la mère de Samuel la pensée de Dieu. En
contemplant l'Idée éternelle, Anne entrevoit l'avenir, elle devient prophétesse !
Et elle annonce la venue triomphale du Messie.
La présence de l'arche d'alliance au milieu des Philistins ayant attiré sur eux des
calamités, ils la renvoyèrent aux Hébreux.
Depuis vingt années l'arche était installée à Kiryath-Yaarim, et les Israélites se
groupaient autour du sanctuaire central. Samuel comprit que les fautes qui tant
de fois avaient perdu les Hébreux étaient, non des vices incurables, mais les
égarements passagers de la jeunesse. Il ne fallait qu'imprimer une direction
salutaire à la sève qui débordait de ces fortes natures.
Samuel fit disparaître de son pays les derniers vestiges de l'idolâtrie. Il excita les
Hébreux au repentir. Il pria pour ce peuple qu'il dirigeait désormais. Puis, quand
la nation se fût fortifiée en s'épurant, le nouveau Schophêt la conduisit au
combat, et le Philistin tomba devant le peuple de Dieu.
Samuel avait affermi l'œuvre de Moïse. Il en assura la durée en confiant à l'ordre
des prophètes, institué par lui, le soin de la faire vivre, progresser.
Samuel vieillissait. Ses fils n'étaient pas dignes de recueillir son héritage moral et
politique.
Le prophète espérait que la nation saurait soutenir par elle-même son unité et
son indépendance. Mais les Hébreux crurent qu'une royauté héréditaire pourrait
seule consolider leur homogénéité. Ils prièrent Samuel de leur choisir un maître.
Et, malgré les avis du prophète qui leur prédisait qu'un roi ferait de leurs fils et
de leurs filles ses serviteurs et ses servantes, de leurs biens sa propriété, ils
maintinrent leur vœu.
Deux hommes entraient dans la ville de Rama qu'habitait Samuel. L'un était
Saül, fils de Cis, de la tribu de Benjamin ; l'autre était son serviteur.
Saül, cherchant les ânesses égarées de son père, venait recourir à ce don de
seconde vue qu'on attribuait au prophète.
A l'entrée de la ville, Saül et son serviteur rencontrèrent des jeunes filles qui
allaient puiser de l'eau.
Les Philistins avaient attaqué Israël. Saül alla au-devant d'eux. Quand il les
rencontra, ils étaient campés entre Socho et Azéka.
Chacune des deux armées était placée sur une hauteur ; une vallée les séparait.
David, à qui ldroi permettait quelquefois d'aller reprendre auprès d'Isaïe ses
occupations pastorales, arriva au camp avec des provisions que son père l'avait
chargé de remettre à ses frères, soldats d'Israël, et au chef de mille sous les
ordres de qui étaient placés les fils d'Isaïe.
Quand David pénétra dans le camp, les armées étaient rangées en bataille, et
Israël jetait le cri de guerre. Au milieu du tumulte, David vit un homme d'une
taille colossale sortir des rangs ennemis. Ce guerrier proposait de confier au
résultat d'un combat singulier le sort des deux peuples en présence. Il se
constituait le champion de son pays, et jetait le défi à tout Hébreu qui voudrait le
relever.
David apprit que, depuis quarante jours, celte scène se renouvelait soir et matin,
et qu'aucun de ses compatriotes n'avait osé répondre à la provocation de
l'athlète. Cependant, parmi les dons que le roi réservait au vainqueur de Goliath,
était la main d'une de ses filles.
Saisi d'une généreuse indignation, David se proposa de venger l'honneur de cette
patrie dont il devait être un jour le défenseur suprême.
Avec le fougueux élan de la foi et du patriotisme outragés, David n'eut besoin
que de ses armes pastorales, une fronde et cinq cailloux, pour abattre le colosse
qui avait humilié la nation de Jehova.
Ce fut avec la tête de Goliath à la main que David reparut devant son maître.
A ce moment, le fils aîné de Saül, Jonathan, était auprès de son père. Épris de la
gloire, il en avait reçu les premiers sourires. Il la voyait maintenant se donner à
un rival ; et, planant au- dessus des jalousies vulgaires, il la chérissait encore,
cette gloire, dans celui à qui elle se livrait ! Il aima David comme son âme1.
Le roi donna au vainqueur un commandement dans son armée. Quand il quitta le
camp, il ramena le jeune chef à sa résidence.
Ce parcours fut un triomphe pour le héros, mais aussi une humiliation pour le roi.
Les femmes d'Israël, sortant des villes, se portant au-devant de leur souverain,
faisant retentir leurs tambourins et leurs cymbales, cadençant leurs pas,
adressaient, dans leurs chants joyeux, un compliment ironique à Saül, un éloge
enthousiaste à David :
Saül a battu ses mille, disaient-elles, et David ses dix mille.
David était depuis seize mois installé dans la ville de Siclag, sous la protection
d'Achis, roi de Gath. Les Philistins, qui naguère avaient repoussé en lui le
vainqueur de Goliath, l'accueillaient maintenant comme l'ennemi de San Nombre
d'Israélites venaient à lui, grossissaient son armée, l'aidaient dans les excursions
guerrières qu'il entreprenait principalement contre les Amalécites. Pour mieux
captiver la confiance du roi de Gath, David assurait à ce prince que ses
expéditions étaient dirigées contre les Israélites ; et, de peur que des témoins ne
s'élevassent contre lui, il exterminait jusqu'aux femmes de ses victimes.
Cette cruauté faillit lui devenir fatale.
Les Philistins avaient entrepris une guerre décisive contre Saül. David et ses
partisans avaient dû se joindre aux ennemis d'Israël. Mais ceux-ci se souvinrent,
cette fois encore, de cette victoire du fils d'Isaïe qu'avaient exaltée les femmes
hébraïques ; et, redoutant, non sans justesse, la défection du frère adoptif de
Jonathan, ils exigèrent de leur roi que David et ses troupes quittassent l'armée.
Quand David et ses soldats retournèrent à Siclag, ils trouvèrent la ville en
cendres. Leurs femmes, leurs enfants avaient disparu. Parmi les premières
étaient Abigaïl et Achinoam de Yezreel que David avait épousée avant de s'unir à
la veuve de Nabal.
Les Amalécites avaient vengé leurs femmes :
David et ses guerriers sanglotèrent jusqu'à ce que la source de leurs larmes fut
tarie. Alors, au désespoir que causait au jeune chef la disparition de ses femmes,
se joignit la crainte d'un danger personnel, car ses gens, le rendant responsable
de leur malheur, tournaient contre lui leur rage.
Mais, assuré par la voix de Dieu qu'il atteindrait les auteurs de la razzia, David
entraîna à sa suite six cents de ses partisans.
David revint à Siclag avec les femmes, les enfants, le butin enlevés.
1 On montre encore de nos jours la grotte de la pythonisse. Cf. Palestine, par H. Munk ;
En-Dor, by George Grove (Dict. of the Bible).
Elle résista. Elle se souvenait que Saül avait exterminé les ohoth1 et les
yidonime2, et elle redoutait un piège.
L'inconnu insista, promettant à la pythonisse que sa vie serait sauve.
Qui veux-tu que je te fasse monter ?3 dit-elle, prête à se livrer à ses
mystérieuses incantations.
Fais-moi monter Samuel4, dit à cette femme son interlocuteur.
Soudain la sorcière jeta un grand cri. Elle n'avait pas le pouvoir de faire sortir un
prophète de sa tombe ; et cependant elle voyait apparaître une ombre
Alors elle devina que la présence du visiteur était l'enchantement qui avait attiré
le fantôme ; et elle dit à l'homme qui la consultait :
Pourquoi m'as-tu trompée, puisque tu es Saül ?5
C'était en effet le roi, le roi qui, avant de livrer la bataille, avait en vain demandé
aux interprètes de Jehova quelle serait l'issue de ce combat, et qui, abandonné
de l'Esprit divin, était réduit à solliciter le secours de cet art occulte qu'il avait-
proscrit !
Cependant le prophète montait, enveloppé de son manteau. Il reprocha à Saül
d'avoir troublé son dernier repos, et lui apprit que le lendemain, jour de la
bataille, le roi, ses fils, l'auraient rejoint dans le Schéol, et qu'Israël serait vaincu.
Involontairement ici, nous nous souvenons de cette scène riante où les vierges
de Rama montraient au fils de Cis, ce voyant, ce prophète, qui allait verser
l'onction royale sur sa belle et noble tête. Qu'était devenu ce temps ?.....
Quand Saül entendit le sombre avertissement de Samuel, il n'avait rien mangé,
ni pendant cette nuit lugubre, ni pendant le jour qui l'avait précédée. Épuisé par
la faim, il ne put résister à la peur. Il défaillit et tomba.
La pythonisse vint au roi. Elle lui rappela que, pour lui obéir, elle s'était exposée
à la mort ; et elle le supplia de céder, lui aussi, à sa prière. Elle lui conseilla de
prendre quelque nourriture. Il refusa ; mais, vaincu par les instances de cette
femme, il se releva, et, s'asseyant sur un lit, attendit que son hôtesse lui
apportât des aliments.
La pythonisse avait un veau engraissé, elle s'empressa de le tuer ; elle prépara
des pains dont elle n'eut pas le temps de faire lever la pâte ; puis elle servit au
roi, aux deux hommes qui l'avaient suivi, le repas qu'elle leur offrait.
Josèphe loue avec raison le dévouement magnanime et désintéressé de cette
femme, qui secourait son persécuteur au moment même où celui-ci allait
descendre dans la tombe.
Quand le roi et ses serviteurs quittèrent l'antre de la pythonisse, le jour ne s'était
pas encore levé.
Roi de la tribu de Juda, David luttait contre un fils de Saül, Isboseth, qui avait
été proclamé roi d'Israël.
David résidait à Hébron. Il y prit de nouvelles femmes. Parmi les enfants qui lui
naquirent de ses six épouses, l'un d'eux, Kilab1, dut le jour à Abigaïl qui avait vu
le front de David se couronner des premiers rayons de cette gloire royale qu'elle
avait annoncée à l'exilé.
Cependant l'admiration qu'Abigaïl avait inspirée à David n'avait pu faire oublier à
celui-ci son premier amour. La femme de sa jeunesse était toujours présente à
sa pensée. Et quand Abner, le principal soutien d'Isboseth, fit proposer à David
de passer à son service, le roi de Juda accepta les offres du général à la
condition qu'Abner lui ramènerait Michal. David fit aussi demander sa première
femme à son rival Isboseth, frère de celle-ci. Il se rappelait que, pour la
conquérir, il avait bravé les dangers de la guerre. Et pouvait-il oublier qu'il lui
devait la vie ?
Isboseth renvoya sa sœur à David. Abner la conduisait au roi de Juda.
Mais alors, nous le disions plus haut, Michal avait contracté d'autres liens. Adorée
de son second époux, le quittait-elle sans regret ? Palti ne pouvait se résigner à
se séparer d'elle. Blessé au cœur, versant des larmes, il la suivit jusqu'à ce que,
parvenu à Bahourime, il entendit Abner lui dire : Va-t-en, retourne2.
Michal ne se souvint-elle pas de celle scène quand, arrivée à Hébron, elle
n'occupa plus à elle seule le cœur de son premier mari ; quand, même après sa
réunion avec David, celui-ci lui adjoignit d'autres rivales ? Fille de roi, et naguère
compagne unique de David, que ne dut-elle pas souffrir dans sa double fierté de
princesse et de femme !
Michal perdit son frère Isboseth, dont la mort violente fut vengée par David. Un
seul survivant mâle représentait la race de Saül : c'était Méphiboseth qui, âgé de
cinq ans quand mourut le roi son père, avait été emporté si précipitamment par
sa gouvernante que cette femme l'avait laissé tomber : Méphiboseth était
devenu boiteux.
Ce ne fut pas auprès de lui que se groupèrent les tribus. Michal vit la couronne
d'Israël ceindre la tête de David. La fille de Saül était reine.
Malgré le pardon que lui avait accordé David, un jour vint où Absalom se révolta
contre son père.
Le roi fuyait devant son fils. Deux de ses partisans apprirent par une servante,
messagère d'un de leurs affidés, qu'Absalom poursuivait l'homme qui lui avait
donné la vie. Ils allèrent avertir leur souverain. Pendant leur route, ils avaient
fait halte dans la maison d'un habitant de Bahourime, dont la femme les avait
cachés dans un puits.
Le roi se prépara au combat.
Quand la bataille eut cessé, le vainqueur n'avait plus de fils, et le roi pleurait le
rebelle.
David eut à comprimer une autre révolte. Séba, fils de Bichri, se leva contre lui,
et se retira dans la ville d'Abel, où Joab l'assiégea.
Une femme sage d'Abel, interpellant Joab, lui reprocha de vouloir détruire une
cité israélite. Le général lui répondit que l'extradition de Séba serait la rançon de
la ville.
Selon le conseil que cette femme donna à ses concitoyens, la tête de Séba fut
jetée à Joab par-dessus la muraille d'Abel.
La vieillesse accablait David. Il allait mourir, laisser à un successeur un État à
l'apogée de sa puissance, de sa civilisation. Véritable roi d'un peuple animé de
l'enthousiasme patriotique et de la ferveur religieuse, David avait su, malgré ses
fautes, en comprendre l'esprit, en diriger les aspirations.
Pendant qu'il étendait son empire jusque vers l'Euphrate, il amassait à Jérusalem
les matériaux destinés à ce temple dont l'érection était réservée à son fils
Dans les premières années de son règne, Salomon, déjà marié à l'Ammonite
Naama, s'allia à une princesse égyptienne que l'on croit fille de l'un des deux
Psebencha, Pharaons de la vingt et unième dynastie1.
La royale fiancée reçut en dot de son père l'emplacement de la ville cananéenne
de Guézer que le Pharaon avait brûlée.
Aux fêtes de son mariage, la jeune femme souffrait. Transportée dans une cour
étrangère, elle se souvenait de sa patrie ; auprès d'un époux encore inconnu,
elle regrettait sa famille.
Soudain les fils de Coré entonnent un de ces chants dont l'expression concise,
nerveuse, éclatante, révèle le fougueux élan de leur génie :
Mon cœur bouillonne d'un bon propos, je dis : Mes ouvrages seront pour le roi,
ma langue sera le stylet d'un écrivain habile2.
Le plus doux hommage qui puisse être offert à une fiancée, c'est l'éloge de
l'homme à qui elle va s'unir. Le chœur exalte Salomon, et dans cette beauté
plastique, si chère aux antiques pontes ; et dans cette grandeur morale qui ceint
encore Salomon d'une austère auréole.
Les fils de Coré louent aussi leur souverain dans sa magnificence. Voici, dans son
palais aux murs ornés d'ivoire, le vrai roi asiatique, au jour de son hymen, assis
sur son trône, le glaive au côté, parfumé d'aromates, bercé d'harmonies, servi
par des filles de roi !
À la droite du mélech3 est la princesse d'Égypte, la reine d'Israël, la compagne
de Salomon, couverte d'or d'Ophir. Et les fils de Coré, devinant la mélancolie de
la fiancée, adressent à la jeune femme de caressantes et flatteuses paroles.
Qu'elle penche vers eux sa belle tête attristée ; qu'avec eux elle considère son
bonheur ; qu'elle oublie et la terre d'Égypte, et le palais des Pharaons, pour ce
jeune époux que l'on vient de célébrer, et celui-ci l'aimera ! Que le dévouement
de l'épouse paie l'époux de sa tendresse :
Écoute, fille, et considère, incline ton oreille, et oublie ton peuple et ta maison
paternelle.
Et le roi sera épris de ta beauté, car c'est lui qui est ton maître ; prosterne-toi
devant lui4.
Et les Tyriens, et les grands d'Israël, offriront leurs hommages, exposeront leurs
vœux à la jeune souveraine.
Qu'elle se rappelle l'allégresse répandue sur son passage quand, présentée au
roi, dans sa parure de fiancée, avec ses vêtements brodés d'or, elle était suivie
par ses jeunes compagnes !
1 Cf. Ézéchiel, XXVII, 22 ; Hérodote, liv. III, § CVII-CXIII ; Arabie par M. Noël Desvergers.
2 Les Arabes identifient cette princesse avec Belkîs, la reine qui fit réparer cette digue de
Mareb à laquelle le pays de Saba doit sa fertilité. Mais M. Caussin de Perceval démontre
que cette dernière princesse fut à peu près contemporaine de Jésus-Christ. La légende de
la reine de Saba qui visita Salomon est rapportée dans le Coran, chap. XXVII. — La
chronique des rois d'Axum revendique pour les Sabéens de l'Éthiopie l'honneur d'avoir
été gouvernés par la souveraine dont la Bible raconte le voyage à Jérusalem, et dit que
Ménilek, fils de cette reine et de Salomon, fonda la dynastie des rois abyssins. M. Caussin
de Perceval conjecture qu'il est possible de concilier les traditions arabes et
abyssiniennes. Cf. Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme ; Abyssinie, par M.
Noël Desvergers.
elle manifesta au roi les sentiments qui l'agitaient. Naguère elle n'osait ajouter
foi aux récits dont le roi d'Israël était le héros ; et cependant ce qu'elle ne
pouvait croire n'était que la moitié de ce qu'elle voyait.
Ah ! elle enviait le bonheur de ceux qui pouvaient vivre dans l'intimité de
Salomon ! Elle bénissait l'Éternel qui avait aimé son peuple jusqu'à lui donner,
pour le conduire, l'incarnation même de la justice !
Il y avait, dans les paroles que la femme arabe adressait à Salomon, une
mélancolie qui semblait trahir un
sentiment plus vif que l'admiration. Aussi les traditions arabes prétendent-elles
que, lorsque la reine de Saba quitta Salomon, elle était sa femme et la mère d'un
de ses enfants. Mais la Bible ne mentionne pas ce mariage.
La reine de Saba, offrant au roi d'Israël les produits de son beau pays, lui donna
cent vingt talents d'or, de nombreuses pierreries et la plus grande quantité
d'aromates qui fût jamais apportée au pays de Canaan. Avant de partir, la
princesse étrangère reçut de Salomon les marques d'une reconnaissance toute
royale.
Le jour devait venir où les étrangers chercheraient à Jérusalem, non plus le
théâtre de la sagesse humaine, mais le lieu que sanctifia la source même de
cette sagesse, la parole de Dieu. Alors, de même que la reine de l'Yémen et le roi
d'Israël, les peuples s'uniraient entre eux dans le culte de la vérité éternelle.
Cependant ce même faste qui, à la cour hébraïque, avait ébloui la reine de Saba,
devait être fatal au roi d'Israël.
Amolli par le luxe, Salomon ne sut pas se préserver de l'influence des femmes
étrangères ; cette influence qu'il retraçait dans ses Proverbes, avec un si
saisissant relief, une si énergique expression. Parmi les mille femmes de son
gynécée, sept cents étaient reines.
En aimant les étrangères, Salomon adopta leurs cultes, éleva des autels à leurs
dieux. L'érudition moderne a découvert sur le mont du Scandale un bloc
monolithe de style égyptien, qui domine le point le plus sinistre et le plus
resserré de la vallée de Josaphat. C'était, paraît-il, l'oratoire de la fille du
Pharaon1.
Pour satisfaire ses goûts fastueux, Salomon écrasait d'impôts ce peuple qui, au
temps de la royauté de Saül, conservait encore ses habitudes pastorales.
La prédiction de Samuel s'était réalisée. Le maître des Israélites en était devenu
le tyran.
Les Hébreux le comprirent. Aussi, quand Salomon mourut, quand Roboam, fils et
successeur de ce prince, prétendit élargir encore la voie funeste qu'avait ouverte
son père : A tes tentes, Israël !2 s'écria le peuple.
Longtemps comprimés, les instincts d'indépendance du Sémite faisaient
explosion dans ce cri de révolte.
Ce n'était pas pour revenir à la foi et à la simplicité antiques que dix tribus
s'étaient séparées de leurs sœurs.
La politique de Jéroboam dicta au chef du nouveau royaume d'Israël l'idée
d'opposer au sanctuaire national de Jérusalem, deux foyers d'idolâtrie : Dan et
Béthel.
Jehova frappa Jéroboam dans l'un de ses fils, le seul de sa maison qui eût
conservé quelque amour du bien. Le jeune prince tomba malade. Alors Jéroboam
se souvint du prophète Achiah qui, sous Salomon, lui avait annoncé son élévation
au trône. Le roi ordonna à sa compagne, la mère de l'enfant, de se rendre auprès
d'Achiah, sous le déguisement d'une femme du peuple, afin que l'homme de Dieu
lui dît sans détour ce qu'allait devenir le malade. Jéroboam conseilla à la
princesse d'offrir au prophète un don qui pût le fléchir : dix pains, du biscuit, un
vase de miel.
C'était à Silo que résidait Achiah. L'âge avait éteint sa vue ; mais une intuition
surhumaine lui fit reconnaître, dans l'humble femme qui venait à lui, la reine
d'Israël.
Entre, femme de Jéroboam, lui dit-il ; pourquoi fais-tu semblant d'être étrangère
? j'ai une mission dure pour toi1.
Et il dit à la reine ce qu'elle devra répéter à son époux. Tous les membres de la
maison de Jéroboam périront, tous, jusqu'à ce pauvre enfant qu'Israël pleurera,
et qui mourra au même instant où sa mère sera de retour à Thirsa, la résidence
royale.
Le prophète ajoute que le nouveau royaume sera bouleversé par des troubles
jusqu'au jour où, exilé sur la terre étrangère, Israël expiera son idolâtrie.
Le cœur de la mère agonisait. Elle se lève. Sans doute, elle veut courir à son fils,
l'arracher, s'il se peut, à la mort, à Dieu même..... Elle se hâte2..... Mais ne se
souvient-elle pas de l'arrêt du prophète ? Au moment où elle rentrera à Thirsa,
son fils rendra le dernier soupir Et chacun de ses pas précipite la mort de l'enfant
qu'elle veut sauver.....
Quittons ces scènes douloureuses. Pénétrons dans le royaume de Juda. Au pied
du sanctuaire, trouverons-nous la sérénité ?
Non. Ici aussi, sur les hauts lieux et sous les ombrages, se dressent des autels
consacrés aux divinités étrangères. Une femme même, l'épouse de Roboam, la
mère du roi Abiam, régente pendant la minorité de son petit-fils Asa, Maacha
place une idole dans un bocage.
Mais Asa, ressaisissant les saintes traditions abandonnées par Salomon et
méprisées par les successeurs de celui-ci, Asa retire le pouvoir à son aïeule,
brûle le dieu qu'elle adore et dont le Cédron charrie la cendre.
Pendant même le fléau qui punissait le crime auquel elle avait entraîné les
Israélites, Jézabel nourrissait à sa table les nombreux prophètes de Baal. Quand,
à la voix puissante et redoutée d'Élie, ces prophètes sont massacrés, la reine se
dispose à les venger ; et l'homme de Dieu, fuyant devant elle, éprouve un
moment de découragement et appelle la mort !
Délivrée de la présence de celui qui eût peut-être arraché Achab à son influence,
Jézabel continue d'entraîner son époux sur la pente où elle court. Que le roi
désire une terre, que cette terre soit la vigne du pauvre, que celui-ci préfère
s'attirer la colère de son souverain plutôt que d'abandonner l'héritage paternel,
Achab se contente de se livrer à une morne tristesse. Mais que Jézabel connaisse
le sujet du chagrin d'Achab, alors, riant de sa faiblesse, elle ordonne que deux
faux témoins accusent Naboth, le pauvre, d'un crime imaginaire. Et,
triomphante, elle peut offrir à son époux la vigne qu'il convoitait, et dont le
propriétaire a été lapidé.
Achab vient prendre possession de son nouveau vignoble. Soudain une figure
imposante se dresse devant lui. C'est Élie, l'interprète des décrets divins, le
vengeur des droits du peuple.
Le prophète venait annoncer à l'époux de Jézabel que l'extermination de sa
maison allait répondre à l'assassinat juridique de l'un de ses plus humbles sujets.
Élie ajoutait :
Cette femme, dont l'histoire sacrée ne nous a pas conservé le nom, est l'un des
types les plus caractérisés de la galerie biblique. Au milieu des scènes de carnage
qu'évoquent les livres des Rois, cette figure austère et généreuse, énergique et
tendre, repose notre cœur.
Qu'autour de la femme de Sunem ses compatriotes perdent l'antique croyance à
la mission du peuple élu, elle demeure fidèle à l'esprit de la loi ; et quand l'un
des interprètes de la parole de Dieu passe auprès d'elle, elle le reconnaît et
l'abrite.
Elle puise dans l'ardeur de ses convictions religieuses la force de résister au
malheur. Que la mort terrasse ce qu'elle a de plus cher, elle sent que sa foi est
plus inflexible encore que le sépulcre. Elle ne pleure pas devant le cadavre de
son enfant, car sa pensée se reporte vers le prophète qui peut ramener la vie
dans ce corps inerte. Seule sa parole brève, impérative, trahit son agitation. Son
énergie ne l'abandonne qu'au moment où, ressaisissant l'enfant qu'elle a
reconquis sur la mort, elle s'enfuit avec lui3.
L'esprit de vertige qui avait perdu le royaume d'Israël troublait jusqu'au royaume
de Juda.
Athalie exerça sur son mari, sur son fils, l'influence à laquelle Jézabel avait
soumis Achab et ses enfants.
Le roi Ochosias, fils d'Athalie, se trouvant auprès de Joram, frère de sa mère,
pendant le massacre de la maison d'Achab, n'échappa point à ce carnage.
Alors Athalie veut gouverner, non, comme sa mère, par l'ascendant de sa
volonté sur les membres régnants de sa famille, mais par sa propre et
souveraine autorité. Elle extermine tous les princes de la maison royale ; elle ne
se réserve même pas un successeur parmi eux. Peu lui importe qu'à sa mort la
couronne ceigne le front d'un chef de dynastie ! Un héritier du trône pourrait
devenir son rival.
Pendant six ans Athalie, qui ne recherche d'autre appui que celui de Baal, vit
dans la sécurité qu'elle doit à ses cruautés. Mais, dans la septième année de son
règne, elle entend une rumeur immense s'élever du temple : Vive le roi !4
s'écriait-on. Et le peuple frappait des mains.
Le royaume d'Israël est tombé1. Les dix tribus sont captives à Ninive.
Juda, le seul des deux royaumes séparés, qui, malgré de nombreuses erreurs, dit
conservé le sens des traditions divines, Juda, tout en se soutenant encore,
chancelle déjà. Le roi Manassé, dont le père, Ézéchias, a été témoin de la chute
d'Israël, le roi Manassé n'a point puisé dans ce sinistre exemple la force de
continuer la mission régénératrice poursuivie par son prédécesseur. Il a sacrifié
aux dieux étrangers.
Hommes et femmes de Juda pleurent aux pieds de Jehova, car le vainqueur
d'Israël menace ce qui reste du peuple de Dieu.
Les nations sur lesquelles a passé l'invasion assyrienne ont été brisées par sa
marche impétueuse, ou se sont courbées sous l'ouragan.
1 Dans la grande inscription du palais de Khorsabad élevé par le roi Sargon, ce souverain
atteste sa victoire sur le pays d'Israël : J'assiégeai, j'occupai la ville de Samarie, et
réduisis en captivité 21.280 personnes qui l'habitaient ; j'ai prélevé sur eux 50 chars, et
j'ai changé leurs établissements antérieurs. J'ai institué au-dessus d'eux mes lieutenants
; j'ai renouvelé l'obligation que leur avait imposée un des rois mes prédécesseurs.
Grande inscription du palais de Khorsabad, publiée et commentée par MM. Jules Oppert
et Joachim Ménant (Journal asiatique, janvier-février 1863).
A cette époque vivait à Béthune une femme jeune et belle, Judith, fille de Mérari,
et veuve de Manassès.
Depuis trois ans et six mois, Judith avait perdu son époux. Héritière de la grande
fortune de celui-ci, elle ne jouissait point de ses richesses. Tout entière au
souvenir de rami de sa jeunesse, au culte de la foi qui lui faisait supporter sa
douleur, elle vivait dans la chambre haute de sa maison. Là, sans autre
compagnie que celle de ses servantes, elle ceignait ses reins d'un cilice, et
n'interrompait son jeûne qu'aux sabbats, aux néoménies, aux fêtes nationales.
Dans cette sévère retraite, elle était vénérée du peuple.
Judith apprit et le danger que couraient ses compatriotes, et le désespoir qui
allait les jeter aux pieds de leurs ennemis. Alors cette veuve, qui ne vivait plus
que dans l'ombre du passé, se rattacha à la vie. Elle avait pu ensevelir dans la
tombe de son mari les illusions de la femme, non les immortelles espérances de
la fille de Jehova, de la citoyenne d'Israël. Le cœur de Judith, mort aux
jouissances humaines, pouvait encore frémir d'indignation au déshonneur de la
terre de Jehova, et battre d'enthousiasme pour sa délivrance.
Forte de l'autorité que lui donnent son rang et son renom, Judith appelle auprès
d'elle Chabri et Charmi, prêtres de la ville. L'accueil qu'elle leur fait est sévère.
Qu'est-ce que ce bruit de reddition ? Qu'est-ce que ce délai fixé par l'homme à la
miséricorde de Dieu ? Qu'est donc l'homme pour qu'il assigne une limite à l'infini,
une durée à l'éternel ? L'homme ose concevoir un Dieu à son image ? Ah ! si
Dieu était réellement tel que se le représente l'homme, il s'irriterait de se voir
amoindrir par sa créature ! Mais, inaccessible aux passions humaines, il plane,
clans son inaltérable sérénité, au-dessus de cette orageuse région. Qu'ils se
repentent donc, ceux qui ont voulu tenter le Seigneur ! Cette même miséricorde
dont ils ont douté accueillera leurs regrets.
Pourquoi les habitants de Béthulie craignent-ils d'être abandonnés par le Tout-
Puissant ? Lui ont-ils été infidèles ? Non. Mais leurs pères ont péché ? Qu'importe
à la Justice souveraine ! Que l'homme pleure les fautes paternelles, mais qu'il en
rejette la responsabilité ! L'Éternel ne punit pas les pères dans leurs enfants.
Les habitants de Béthulie ont pu oublier, non leur Dieu, mais sa loi. Eh bien !
qu'ils regrettent leurs erreurs ; et leur humiliation devant Dieu sera leur force
contre leurs ennemis. Que leurs prêtres leur fassent comprendre que Dieu
éprouve par leurs souffrances leur foi en lui-.
Tel était le sens des conseils que Judith adressait aux deux prêtres. Ozias était
avec eux. Tous trois s'inclinèrent devant la vérité de ses paroles, et lui
demandèrent de prêter aux habitants de Béthulie le secours de ses prières, les
prières d'une sainte femme
Mais Judith semblait vouloir aider au salut de son pays par un autre moyen
encore. A elle d'agir ! A ses compatriotes d'appeler sur elle la protection de Dieu
! — Cette nuit, quand Ozias et les prêtres seront aux portes de la ville, Judith
sortira. Que personne ne cherche à connaître la cause de son départ.
Ozias lui dit : Allez en paix, et que le Seigneur soit avec vous pour nous venger
de nos ennemis1.
Pendant la nuit, Ozias et les prêtres sont aux portes de Béthulie. Judith leur
apparaît.
Surpris, ils la regardent..... Est-ce encore l'austère veuve de Manassès qui se
présente à eux dans cette femme parfumée de myrrhe, couverte de riches
vêtements, chaussée de brillantes sandales, parée de bracelets, d'anneaux, de
pendants d'oreilles, de lis ; belle d'un charme enivrant, irrésistible ? — Mais,
fidèles à la promesse qu'ils lui ont faite, ils ne l'interrogent pas.
Ils lui adressent les vœux qu'ils forment pour le succès de son entreprise, et le
peuple, s'associant à eux, ajoute :
Qu'il soit ainsi, qu'il soit ainsi2.
Judith ne répondait pas ; elle priait, et franchissait les portes de la ville.
Une servante la suivait, portant de la farine, des figues sèches, des pains, du lait
caillé, et deux vases contenant, l'un du vin, l'autre de l'huile.
L'aube naissait. Les Assyriens virent descendre de la montagne deux femmes.
C'étaient Judith et sa servante.
Arrêtée par les soldats des avant-postes, Judith s'annonce à eux comme une fille
des Hébreux, comme une transfuge. Elle demande à parler à leur général.
Introduite sous la tente d'Holopherne, elle voit le satrape étincelant d'or,
d'émeraudes et d'autres pierreries, et abrité par un pavillon de pourpre.
Elle s'avance, attache sur lui un regard qui le trouble, puis se prosterne à ses
pieds.
Effrayée par le meurtre de son général, l'armée assyrienne fuyait, poursuivie par
les Hébreux. Elle avait abandonné dans son camp d'immenses richesses qui
tombèrent au pouvoir des habitants de Béthulie.
Le grand prêtre, la classe sacerdotale, voulurent voir et bénir l'héroïne. Ils se
rendirent à Béthulie.
Tu es la gloire de Jérusalem, tu es la joie d'Israël, tu es l'honneur de notre
peuple3, disent en unissant leurs voix les prêtres à Judith. Et ils reconnaissent
que c'est l'austérité de ses habitudes qui a fortifié la jeune femme dans sa mâle
résolution. C'est dans la pureté de la vie que se retrempe l'énergie du caractère.
Hommes, femmes, jeunes filles fêtaient le triomphe national au son des harpes
et des cithares.
Et Judith, chantant l'hymne d'actions de grâces, offrait à Dieu l'hommage d'une
victoire remportée, non par la force des géants, mais par la grâce séductrice
d'une femme. À Jehova seul les Hébreux doivent leur reconnaissance. Par lui tout
se fait de toute éternité. Malheur au peuple qui s'élèverait contre la nation de
Jehova !
Les habitants de Béthulie vinrent à Jérusalem. Judith, qui avait reçu l'hommage
des dépouilles d'Holopherne, offrit au sanctuaire national les armes du général.
Elle joignit à ces dernières la tenture qu'elle avait enlevée au lit de sa victime.
Pendant trois mois Judith partagea les joies triomphales du peuple qui lui devait
son indépendance. Puis les habitants de Béthulie revinrent sur leur montagne.
Judith demeura au milieu d'eux4. Aux solennités d'Israël elle paraissait dans tout
le prestige de sa gloire.
Judith ne vit pas la chute de sa patrie. Et quand, âgée de cent cinq ans, elle
mourut, ses espérances patriotiques étaient immaculées comme le souvenir
qu'elle avait conservé à son époux.
Ses restes furent réunis à ceux de Manassès. Le peuple la pleura pendant sept
jours.
Une fête annuelle rappelait aux Hébreux la victoire de Judith5.
Nous n'aurons pas pour Judith la même sévérité que pour Jahel. La femme du
Bédouin Héber n'avait pas, nous le disions, l'excuse du patriotisme. Sans
s'exposer à un danger personnel, elle frappait lâchement, sans hésitation, sans
Amon, fils et successeur de Manassé, commit les mêmes fautes que son père.
Mais son fils Josias reprit les meilleures traditions de la dynastie davidique.
Dans la dix-huitième année du règne de Josias, un exemplaire de la Thorah fut
découvert dans le temple. Le roi se fit lire l'œuvre de Moïse.
Devant l'inflexibilité de principes du sévère législateur, que devait sembler à
Josias la condescendance de ses prédécesseurs, celle de ses sujets même, pour
les cultes polythéistes ? Lorsqu'il entendit énumérer les châtiments dont Moïse
avait menacé les violateurs de la loi, le souverain déchira ses vêtements et
pleura.
L'heure de la vengeance divine était-elle venue ? Jehova seul pouvait le faire
savoir au roi.
Josias ordonna au grand prêtre Hilkia, au secrétaire royal Schaphan, à trois
autres personnages, d'aller consulter l'Éternel.
Les messagers du roi s'adressèrent à une femme inspirée, à Holda1.
Les tristes pressentiments de Josias n'étaient que trop fondés. La prophétesse
déclara que le châtiment de Juda était proche. Toutefois elle ajouta que le
souverain qui avait gémi des fautes de son peuple sans y avoir participé ne
verrait pas tomber la nation à laquelle il avait essayé d'insuffler les généreuses
aspirations de son âme.
Époque douloureuse que celle où le repos de la tombe devait être la récompense
du juste !
1 Holda était femme de Sallum, inspecteur des vêtements. Selon M. Munk, les fonctions
de Sallum consistaient dans la garde des costumes sacerdotaux. Cf. Palestine.
Josias détruisit les objets des cultes étrangers. Il retrempa la vie morale de son
peuple dans la loi mosaïque, qu'il lut à haute voix dans le temple. Les Hébreux
renouvelèrent leur alliance avec Jehova.
Quand vint la Pâque, Josias, qui avait soumis à son pouvoir une partie de l'ancien
royaume d'Israël, réunit à Jérusalem les restes des dix tribus et les habitants de
Juda.
Les Hébreux n'avaient plus rien à espérer, ils allaient mourir ; mais, avant de
tomber, ils se groupaient autour de l'antique sanctuaire national, et essayaient
de sauver la loi que leurs pères avaient reçue de Jehova.
Cet élan sublime n'eut pas de lendemain. Jérémie accabla de ses sombres
menaces les hommes et les femmes de Sion, qui, retombant dans leur idolâtrie,
allaient être témoins du désastre de leur pays. Jérémie annonçait que, bientôt,
aux chants des fiançailles succéderaient les gémissements des veuves. Il
prédisait à ses concitoyennes, si fières de leur maternité, qu'elles la
considéreraient désormais comme une souffrance. Et devant les malheurs qu'il
prévoyait, le prophète, renouvelant l'anathème de Job, maudissait le jour de sa
naissance.
Ce fut sous les faibles successeurs de Josias que se consomma la ruine de Juda.
Cyrus, roi de Perse, avait asservi l'empire chaldéen. Par l'immatérialité de ses
croyances, il était digne de comprendre l'œuvre religieuse des Hébreux : il leur
avait accordé les moyens de la poursuivre en leur permettant de rentrer dans
leur patrie, de reconstruire leur temple.
Une première colonie juive avait profité des généreuses intentions de Cyrus.
Nous sommes dans la troisième année du règne de Xerxès1 (482 av. J.-C.). Excité
par Mardonius à venger sur la Grèce le désastre de Marathon, le jeune roi a réuni
à Suse les hauts dignitaires de son royaume pour leur soumettre son plan de
campagne2.
1 Suse devait son nom aux lis qui croissaient abondamment dans son voisinage. Cf.
Shushan. History, by G. Rawlinson (Dict. of the Bible).
2 M. Fergusson croit que cette fête eut lieu devant l'un des portiques latéraux du palais
de Suse. Cf. Shushan. Architecture (Dict. of the Bible).
3 Cf. Hérodote, liv. V, § XVIII.
4 Hérodote, liv. VII, § XXXV.
Adieu, vieillards ; même au temps de détresse et d'amertume, donnez votre âme
à la joie, chaque jour1.
En effet, Xerxès chercha dans les plaisirs la consolation de sa défaite. Mais ni la
cruelle Amestris, ni Artaynte2, ne lui firent oublier la compagne chaste et fière
qu'il avait punie de sa pureté même.
Alors on chercha dans tout le royaume les vierges les plus belles. Elles furent
réunies à Suse dans la maison des femmes. Parmi elles, Xerxès devait choisir la
compagne qui remplacerait Vasthi sur son trône, dans son cœur !
Les jeunes filles passèrent à tour de rôle devant le roi. Mais vainement, pendant
douze mois, s'étaient-elles ointes de myrrhe, de baume, d'odorantes senteurs ;
vainement, pour paraître aux yeux du roi, avaient-elles ajouté à leur beauté le
prestige du luxe, Xerxès les laissait partir. Elles devenaient les femmes de son
gynécée. Aucune ne demeurait sa compagne.
Au dixième mois de la septième année du règne de Xerxès, l'une des jeunes filles
réunies à Suse lui fut présentée. A la beauté qui attire le regard elle unissait la
grâce qui inspire l'amour, la pudeur qui commande le respect. D'où venait-elle ?
Nul ne le savait. Mais chaque jour, depuis l'entrée de l'étrangère dans la maison
des femmes, un vieillard s'informait de son état. La jeune fille avait captivé la
bienveillance de l'aga, et celui-ci lui eût volontiers donné toutes les parures
qu'elle eût demandées ; mais elle n'en avait point désiré d'autres que celles qu'il
lui avait remises.
En la contemplant, Xerxès ne chercha plus la femme qui devait remplacer Vasthi.
De sa main il posa le diadème sur le front de la jeune inconnue.
En cette femme, la fille des captifs hébreux de Babylone, s'asseyait sur le trône
des vainqueurs de la Chaldée.
Orpheline, la jeune Juive3 avait été adoptée par le vieillard dont la tendresse
veillait encore sur elle dans la maison des femmes. C'était Mardochée, son
cousin.
Deux noms avaient été donnés à la fille des Hébreux : celui du myrte, Hadassa ;
celui de l'étoile, Esther. Elle devait le premier à son idiome natal ; le second à la
langue perse. Elle conserva celui-ci.
Ce ne fut pas uniquement par un festin d'apparat, le festin d'Esther, que Xerxès
célébra son mariage. Il diminua les impôts de son peuple et lui fit des dons.
La loi de justice et de charité n'était pas impunément représentée par une
femme auprès d'un despote.
Reine, Esther fut toujours entourée de la vigilante sollicitude de son père adoptif,
et ce fut par celui-ci qu'elle put prémunir son époux contre une conspiration
tramée par deux chambellans royaux.
Suivant le conseil de Mardochée, la reine avait continué de taire son origine.
1 Le pays d'Agag était inconnu jusqu'à nos jours. C'était une province médique, dont le
nom a été retrouvé dans une inscription cunéiforme. Cf. Grande Inscription du palais de
Khorsabad. Commentaire philologique, par MM. Oppert et Ménant. II. Partie historique,
Campagnes de Sargon (Journal asiatique, janvier 1864).
2 Cf. Hérodote, liv. VII, § XVII-XXIX.
frappera la souveraine qui aura lâchement décliné l'honneur d'exposer, pour leur
salut, sa vie à un péril.
Esther comprend le rôle qui lui est réservé. Maintenant, que ses compatriotes
prient pour elle !La reine leur ordonne un jeûne de trois jours. Ce jeûne, elle
l'observera avec ses femmes. Après avoir ainsi dompté la chair rebelle, elle aura
une plus grande force d'immolation.
Vêtue d'habits de deuil, la tête couverte de cendres, la reine est en prière. D'elle
seule dépend sa résolution ; c'est contre sa propre faiblesse qu'il lui faut lutter ;
et Dieu seul peut la soutenir dans ce combat intérieur : Mon péril est en mes
mains1, dit-elle.
Oui, son péril est en ses mains. Elle peut, si elle le veut, rejeter ce fardeau,
s'abandonner tout entière à ses nouvelles destinées, s'enivrer des adorations
d'un roi et des respects adulateurs d'un peuple...
Mais elle se souvient de la mission dont Jehova a chargé les enfants d'Israël.
Cette mission, que deviendra-t-elle si le peuple qui doit la remplir n'existe plus ?
Le péril d'Esther est en ses mains, a-t-elle dit ? Oui, mais l'avenir de l'idée
religieuse repose aussi sur elle... Elle se dévouera. Que Dieu la soulage des
angoisses qui l'étreignent. Qu'il lui inspire des paroles qui fléchissent le roi, ce
fier lion !
Il sait, Celui qui voit tout, il sait qu'elle ne s'est point enivrée des honneurs de la
royauté : il sait que sa couronne lui pèse, qu'elle la porte avec douleur devant le
monde ; mais que, dans sa retraite, elle la rejette. Que Dieu ait donc pitié d'elle.
Qu'il sauve le peuple dont il est le seul espoir ; et que la main dont il se servira
pour délivrer Israël ne tremble plus à cette heure, l'heure du péril !
Esther quitte ses sombres vêtements, les remplace par ses parures de reine, se
fait accompagner de deux de ses suivantes. L'une porte les plis traînants de ses
riches draperies, l'autre la soutient.
L'émotion que ressent la jeune reine, la généreuse pensée de son sacrifice,
communiquent à son teint l'éclat ; à son regard, la douceur et la flamme.
Elle arrive sous ce portique septentrional que soutiennent deux rangées de six
colonnes : c'est la salle du trône2.
Xerxès était sur le siège royal.
Quand on se représente un roi de Perse, le front ceint de la tiare, revêtu de la
robe médique aux plis flottants, couvert d'or et de pierreries, on comprend
l'impression que son aspect imposant devait produire sur ses sujets.
Xerxès lève les yeux. L'étincelle de la colère jaillit de son regard. Et la reine
chancelle, et sa belle tête décolorée se penche sur l'épaule de sa suivante.
Xerxès n'était pas toujours cruel. Son cœur était accessible aux sentiments
humains. Quand il voit s'affaisser sous le poids de son courroux cette femme qu'il
chérit, il oublie son rang, il ne se souvient que de son amour... Éperdu, il s'élance
de son trône, et recueillant sa femme dans ses bras frémissants, il la soutient, la
Reine Esther, dit Xerxès pendant le festin, quelle est ta demande ? elle te sera
accordée ; et quelle est ta prière ? s'il s'agit de la moitié de mon royaume, il y
sera fait droit3.
Le moment suprême était arrivé.
— Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, répond la fille d'Israël, et si le roi le
trouve bon, accorde-moi la vie à ma demande, et à mon peuple à ma prière.
Car moi et mon peuple nous avons été livrés pour être détruits, égorgés et
anéantis. Encore si nous avions été livrés pour devenir esclaves, je me tairais,
mais l'oppresseur n'a pas égard au dommage du roi4.
A ces énergiques paroles, Xerxès se trouble. Eh quoi ! cette femme à laquelle il
offrait la moitié du vaste empire qu'il possède, cette femme l'implore pour sa vie,
pour celle de son peuple ? Esther, l'épouse bien-aimée de Xerxès, est en danger
sur le trône de Perse ?
Qui est-il et où est-il, celui qui a l'orgueil d'agir ainsi ?5 demande le roi.
Désignant le coupable à la justice vengeresse du souverain, la reine prononce
ces paroles vibrantes d'une noble indignation :
L'homme, le persécuteur et ennemi, c'est ce méchant Aman6.....
La terreur avait foudroyé le ministre, car le roi, violemment ému, s'était levé et
s'était retiré dans le jardin intérieur. Ce mouvement était déjà l'arrêt de mort
d'un sujet.
Par une inspiration subite, Aman se jette aux pieds de la reine. Elle est femme,
peut-être se laissera-t-elle fléchir..... A ce moment le roi rentre. Il voit Aman
penché sur le divan d'Esther ; il croit à une nouvelle insulte de son ancien favori,
et sa colère éclate.
On couvre le visage du condamné, on l'entraîne. La potence qu'il a destinée à
Mardochée devient l'instrument de son supplice ; et le pouvoir qu'il exerçait est
conféré à l'homme qui allait être sa victime.
Il ne suffisait pas à Esther que les biens d'Aman lui eussent été donnés par le roi,
et que son père adoptif occupât la place de l'ancien ministre. Sa mission n'était
pas encore remplie, car la sentence de mort prononcée contre les-Juifs planait
encore sur eux.
Le lendemain de cette scène, Esther, pleurant aux pieds de son époux, le
suppliait de faire rapporter l'édit qui frappait la race hébraïque.
Les décrets royaux étaient irrévocables ; mais Xerxès permit aux Juifs de se
défendre contre leurs persécuteurs.
Le 13 adar, jour fixé pour l'extermination des Juifs, ceux-ci commencèrent le
massacre de leurs ennemis.
Nous voudrions terminer ici l'histoire d'Esther, et ne pas ajouter que la reine vint
demander à Xerxès que le carnage se continuât à Suse le lendemain, et que les
fils d'Aman eussent la même fin que leur père.
Onze cents Perses furent frappés à Suse, soixante-quinze mille dans les autres
parties du royaume.
Une fête commémorative, la fête des Purim ou des Sorts1, précédée d'un jour
d'abstinence, le jeûne d'Esther, célèbre de nos jours encore le salut de la race
israélite par la main d'une femme.
N'appuyons pas sur l'impression pénible que nous fait éprouver la dernière action
d'Esther.
Pure, gracieuse et tendre, la jeune Benjamite n'avait pas d'instincts sanguinaires.
Ses premiers pas sont même caractérisés par une timidité toute féminine. Elle a
besoin de lutter contre ses défaillances morales pour soutenir le rôle que la
Providence lui impose. Elle a besoin de se pénétrer des destins d'Israël pour
qu'elle leur sacrifie son repos, son bonheur. Alors, craignant que l'idée religieuse
ne tombe avec le peuple qui la garde, elle s'immole au salut de sa foi. Mais
quand elle a réussi dans son œuvre, la réaction de sa terreur même la rend
implacable. Sa raison troublée n'est pas en état de comprendre l'inutilité actuelle
de cette loi du talion que Moïse avait dû consacrer et que le Christ devait
annihiler. Et la fille d'Israël venge la cause qu'elle a fait triompher.
Une seconde colonie juive rejoignit la première sur la terre de Juda. Esdras la
dirigeait. A peine était-il arrivé à Jérusalem qu'il fut saisi de douleur devant la
démoralisation de la première colonie. De nouveau la source de la vie morale, la
famille, s'était altérée : les Juifs s'étaient alliés à des femmes étrangères. Au
moment où, châtiés de leurs erreurs, ils auraient pu recommencer une vie
nouvelle, ils avaient encore perdu le sens de leurs traditions, et s'étaiera exposés
1 Purim vient du mot perse lot, sort. Cette fête est ainsi nommée parce que Aman avait
jeté le sort pour exterminer la race hébraïque. Cf. Esther, IX, 24, traduction de Cahen, et
Commentaire historique et philologique du livre d'Esther, d'après la lecture des
inscriptions perses, par M. Oppert. Étude citée plus haut.
aux malheurs qui attendent les peuples quand ceux-ci s'écartent de leurs voies
nationales.
A la vue d'Esdras qui, les vêtements déchirés, pleurait et priait devant le temple,
les Juifs eurent un mouvement héroïque : ils consentirent à se séparer de leurs
femmes étrangères, des enfants même qu'elles leur avaient donnés.
Avec le concours de -Néhémie, homme d'action qui, pour être utile à ses
compatriotes, quitta la cour de Perse, Esdras se dévoua à la renaissance des
institutions mosaïques. Il fit même renouveler aux hommes et aux femmes de
Juda leur alliance avec Jehova.
Mais quand, après un voyage en Perse, Néhémie revint à Jérusalem, il vit le
temple profané, les femmes étrangères introduites de nouveau dans les familles
juives et jusque dans la maison du grand prêtre. Néhémie rappela avec
indignation à ses concitoyens ce que les femmes étrangères avaient fait du plus
sage des rois hébreux.
Il fallut que les Juifs fussent atteints dans les croyances même qu'ils laissaient
sommeiller, pour qu'ils les sentissent se réveiller sous l'aiguillon de la douleur.
Après avoir subi le joug de la Macédoine, celui de l'Égypte, ils étaient soumis à la
domination syrienne.
Il y avait, pour leurs maîtres, un danger permanent dans leurs institutions qui,
bien que trop souvent négligées par eux, leur imprimaient un caractère
indélébile.
Antiochus Épiphane qui, saccageant Jérusalem, en massacra les habitants mâles,
en vendit les femmes, sentit qu'il frappait les hommes, non les idées. Il crut
dompter à jamais les Juifs en substituant le culte énervant des divinités grecques
à l'austère adoration de la Vérité éternelle. Il rencontra une résistance
inattendue. Sans doute quelques Juifs avaient pu se laisser attirer aux élégances,
aux voluptés de la civilisation hellénique ; mais la masse de la population rejeta
avec horreur le culte que le tyran voulait lui imposer, et brava la persécution que
lui attira sa fidélité au Dieu d'Israël.
On vit des femmes, coupables d'avoir fait imprimer à leurs fils le signe de
l'alliance divine, précipitées du haut des murailles avec leurs enfants suspendus à
leur sein.
Avant que le cri de l'indépendance eût été jeté sur les monts de Juda par une
famille sacerdotale, on amena devant Antiochus sept jeunes gens et une femme
âgée : c'étaient les Maccabées et leur mère.
Le roi veut forcer les Maccabées à goûter à un aliment défendu par la loi
mosaïque. Ils résistent aux paroles d'Antiochus, ils résistent aux lanières qui
déchirent leurs corps ; c'est qu'ils défendent plus qu'une de leurs coutumes : l'un
des signes distinctifs de leur culte, de leur nationalité.
La mère des Maccabées voit six de ses fils martyrisés. C'est sa chair que l'on
torture, c'est son sang qui coule..... Et cependant elle souffre sans faiblesse. Si
l'existence matérielle qu'elle a donnée à ses fils s'éteint maintenant, jamais la vie
morale qu'elle leur a insufflée ne s'est déployée avec plus de force. Elle reste
calme devant leurs douleurs physiques, mais elle frémirait des défaillances de
leurs âmes ! Elle-même les excite à braver le martyre. Elle leur dit qu'ils se
doivent plus à Dieu qu'à leur mère. Elle ne sait comment l'âme qui les anime est
descendue en eux dans son sein. Cette âme que Dieu seul leur a donnée, il saura
la leur conserver à jamais.
Tombant l'un après l'autre, les Maccabées mouraient en se riant de la puissance
d'Antiochus, celte puissance éphémère qui ne devait avoir nulle action au delà de
cette vie. Ils mouraient en déclarant au roi que celui-ci leur ouvrait les portes de
la bienheureuse éternité, mais que lui-même il ne les franchirait jamais.
Enfin le plus jeune des Maccabées a survécu à ses frères. Antiochus a pitié de lui
; et si celui-ci se courbe sous sa volonté, le roi jettera sur lui un reflet de sa
puissance et lui accordera son amitié. Le jeune homme refuse les offres royales.
Les honneurs terrestres ne le tentent pas : il a placé plus haut ses espérances.
Antiochus croit que la mère du jeune homme saura faire fléchir son austère
résistance. Cette mère a sans doute assez lutté, assez souffert..... Son énergie
brisée ne pourra plus contenir en elle le cri de la nature. Le roi la supplie de
sauver le dernier de ses enfants ! Elle le lui promet.
Au nom de sa maternité, au nom des soins qu'elle a prodigués à son plus jeune
fils, cette femme exhorte en hébreu son enfant à se souvenir qu'ici-bas tout est
néant, que Dieu seul existe. Elle lui dit qu'elle-même va rejoindre ses fils. Le
dernier des Maccabées manquerait-il à cette réunion ?
Elle n'avait point menti au roi, cette mère intrépide : elle avait sauvé son fils !
Elle le suivit dans la mort.
C'est par ce type que nous avons voulu clore les portraits des femmes de
l'Ancienne Alliance. Placée presque sur le seuil du Nouveau Testament, la mère
des Maccabées est la personnification la plus éclatante de cette foi israélite qui,
développée par le prophétisme, n'avait plus qu'à recevoir le rayonnement de la
lumière évangélique.
La mère des Maccabées pouvait, et pour ses enfants, et pour elle, dédaigner la
terre, car elle savait que dans l'éternité seulement est la vie !
CHAPITRE TROISIÈME. — ÉPOQUE ÉVANGÉLIQUE.
La maison à laquelle les Juifs durent les libérateurs qui les arrachèrent à la
tyrannie syrienne leur donna des rois dont les querelles de succession amenèrent
sur la Judée la domination romaine.
La dynastie asmonéenne est tombée. Hérode, fils de l'Iduméen Antipater, règne
sous la protection d'Auguste.
Adorateur du pouvoir dont il dépend, Hérode dresse des temples à l'empereur
romain. Mais les Juifs qu'il opprime se rattachent énergiquement aux antiques
croyances dont, par malheur, l'âme leur échappe1.
Ils attendent ce Messie que leur a promis l'Eternel. Mais, ne saisissant que
l'enveloppe des prophéties, ils attribuent à Celui qui doit venir une royauté
temporelle, nationale.
Cependant, même au sein du pharisaïsme, quelques esprits d'élite pressentent
que la mission du Rédempteur sera toute morale, tout humanitaire.
Dans cette Galilée, dont nous esquissions naguère les vaporeux contours, une
vallée serpente mollement entre les montagnes qui, formant les chaînes
méridionales du Liban, se fondent dans la plaine d'Esdrélon. Cette vallée ;
s'élargissant, s'arrondit en un bassin qui abrite la ville de Nazareth2. Des champs
de blé, des haies de cactus, des bouquets d'arbres fruitiers, croissent
abondamment clans cette coupe d'émeraude que protège une ceinture de
'collines au brillant calcaire parsemées de figuiers et de roses trémières.
Dans cet enclos rempli de paix et de fraîcheur se trouvait une jeune fille, une
fiancée. Descendante de David, elle allait s'unir à un simple charpentier dans les
veines de qui ruisselait le même sang royal.
Un incident inattendu attire l'attention de la jeune fille. Un étranger est auprès
d'elle et lui dit :
Je vous salue, Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes
bénie entre toutes les femmes3.
A cet hommage, Marie se trouble et, inquiète, s'interroge...
Les rapports de Jésus avec Marie révélaient déjà en lui et l'homme et le Dieu.
Soumis à sa mère, il élevait au-dessus de sa tendresse pour elle le soin de sa
mission.
Il avait douze ans quand ses parents, qui l'avaient emmené à Jérusalem au
temps de la Pâque, s'aperçurent en reprenant la route de Nazareth que leur
enfant n'était pas avec eux. Inquiets, ils retournèrent à Jérusalem, et
retrouvèrent dans le temple Jésus qui enseignait aux docteurs cette sagesse dont
il était le principe. Marie lui adressa de doux reproches, mais Jésus s'étonna de
l'émotion de sa mère. Marie ne savait-elle pas qu'il se devait au service de la
vérité ?
La Vierge ne comprit pas alors ce que lui disait Jésus. Mais elle recueillait avec
ferveur les paroles que prononçait ce fils dont elle devenait ainsi le premier
disciple.
Marie assistait à la révélation progressive de la divinité du Sauveur. Elle voyait
les humbles habitants de la Galilée accourir vers ce jeune Maître qui, par
l'amour, les conduisait au bien. Les hommes qui, vivant au sein d'une paisible
nature, n'avaient pas altéré leur simplicité native, devaient spontanément
reconnaître la vérité.
Marie provoqua, par l'élan de son ardente charité, le premier miracle de son fils.
Elle résidait à Cana. Conviée avec Jésus à des fêtes nuptiales qui se célébraient
dans cette ville, elle s'aperçut que le vin manquait aux coupes des invités ; elle le
fit remarquer à son fils. Le Christ devina la muette prière que trahissait cette
observation ; il accueillit avec sévérité le vœu tacite de Marie : Mon heure n'est
point encore venue1, disait-il.
Malgré cette parole, Marie savait qu'elle n'en aurait pas vainement appelé à la
miséricorde du Sauveur ; elle ordonna aux serviteurs de faire ce que leur dirait
Jésus. Et, à la voix du Christ, les domestiques répandirent, dans les vases de
pierre destinés aux purifications, de l'eau qui se transforma en un vin généreux2.
1 Cf. Chrestomathie arabe, par M. le baron Sylvestre de Sacy. Seconde édition, tome I ;
et Palestine, par M. Munk.
2 Évangile selon saint Jean, IV, 11, 12, traduction de Genoude.
3 Évangile selon saint Jean, IV, 13, 14, traduction de Genoude.
Abordant avec franchise l'un des points qui séparaient des Juifs les Samaritains,
elle dit à Jésus :
Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites qu'à Jérusalem est le lieu
où il faut adorer1.
— Femme, croyez-moi, répondit le Sauveur, l'heure vient que vous n'adorerez
votre Père ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem.
.... Mais l'heure vient, et elle est maintenant, que de vrais adorateurs adoreront
le Père en esprit et en vérité : car le Père demande de semblables adorateurs.
Dieu est esprit ; et il faut que ceux qui l'adorent en esprit et en vérité2.
Après avoir évoqué l'unique idée qui puisse répondre aux besoins de l'homme,
Jésus vient d'annoncer le temps où cette idée, planant sur l'univers entier,
recevra le culte qui lui est dû. L'Européen dans ses somptueuses cités ; l'Africain
dans ses déserts ; l'Hindou au sein de ses jongles et au sommet de ses hautes
montagnes ; l'habitant du nouveau monde dans ses savanes et au bord de ses
grands fleuves ; le Groënlandais sur ses rocs neigeux d'une morne blancheur ; le
Polynésien dans ses îles verdoyantes irradiées de lumière et ceintes de coraux ;
tous les peuples enfin, reconnaissant la vérité promulguée par le Verbe divin, en
pratiqueront les lois immuables. C'est là le culte que Dieu a prescrit à l'humanité
naissante ; c'est aussi celui qu'il demande à l'humanité régénérée.
La Samaritaine écoutait, et elle pensait à ce Rédempteur qui devait ramener les
hommes à leur unité originelle.
Je sais, dit-elle, que le Messie (qui est appelé Christ) doit venir ; quand celui-ci
sera venu, il nous annoncera toutes choses3.
Jésus se dévoila.
C'est moi, moi qui vous parle4.
Pour la première fois, le Rédempteur avait pleinement affirmé et sa divinité, et
sa mission humanitaire.
Par la femme à laquelle Jésus s'était révélé, les habitants de Sichem le reçurent
comme le Sauveur du monde.
Jésus aimait à confier sa parole aux femmes. Il savait que par l'effusion de leur
cœur, par la généreuse spontanéité de leur nature, elles comprenaient sa
mission d'amour et de tolérance. Éprouvant aussi pour elles cette tendresse
protectrice qu'inspirent à un être supérieur la faiblesse et la souffrance, il aimait
à calmer leurs douleurs ; et la foi ardente qu'elles avaient en lui secondait
l'influence surhumaine qu'il exerçait sur elles.
Dévorée par la fièvre, la belle-mère de Pierre voit se poser sur sa main la main
du Sauveur, et à ce divin contact elle est guérie. Une femme, épuisée par douze
années de souffrances, touche la frange du vêtement de Jésus, et retrouve
subitement la santé. La fille de Jaïr, prince du peuple, est plongée dans une
léthargie qui fait croire à sa mort ; déjà les pleureuses et les joueurs de flûte
1 L'éloquent défenseur des grandes traditions chrétiennes a consacré des pages d'une
exquise délicatesse aux relations de Jésus avec les femmes : Il n'y a, dans ses rapports
avec les femmes qui l'approchent, pas la moindre trace de l'homme, dit M. Guizot, et
nulle part le Dieu ne se manifeste avec plus de charme et de pureté. Méditations sur
l'essence de la religion chrétienne, 1864.
2 Évangile selon saint Luc, VIII, 40-43, traduction de Genoude.
C'était principalement sur les maladies morales que se manifestait le pouvoir
bienfaisant de Jésus. Parmi les femmes dont les souffrances nerveuses cédèrent
à sa sereine influence, Marie de Magdala lui voua une adoration passionnée.
Aussi était-elle du nombre des femmes qui, suivant le Christ, le servaient, ou
subvenaient à son existence matérielle1. Ces femmes, Jésus les nommait et ses
mères et ses sœurs, car elles recevaient clans leurs cœurs son essence, la vérité.
Les filles d'Israël jouiront-elles seules des bienfaits du Rédempteur ? 'Voici que
vient à lui, sur les bords de la Méditerranée, une suppliante, une mère. C'est une
Syro-Phénicienne qui implore de lui la guérison de sa fille. Éprouvant l'étrangère
par sa résistance, il semble borner sa mission au pays d'Israël. Mais quand,
humble et confiante tout ensemble, cette femme persiste à voir en Jésus non-
seulement le libérateur des Juifs, mais le Rédempteur des hommes, sa foi a
vaincu, et sa fille est sauvée.
Pendant que d'humbles femmes comptaient parmi les plus ardents disciples du
Christ, les princesses de la maison d'Hérode causaient la mort de Jean le
Précurseur, fils d'Élisabeth.
Jean était venu préparer par la pénitence les hommes à se rendre dignes du
règne de l'esprit,- de l'amour, de la paix.
Témoin des crimes qui déshonoraient les maîtres Iduméens de la Palestine, Jean
vit Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, et sa belle-sœur Hérodiade, s'allier
entre eux au moyen d'un double divorce. Il reprocha au tétrarque l'immoralité de
cette union, et la prison fut le châtiment de cet acte de courage civique. Mais
Antipas commença bientôt à subir l'influence de ce prophète qui, par son aspect
austère et menaçant, rappelait la figure d'Élie. Hérodiade vit le péril.
Un festin célébrait l'anniversaire de la naissance d'Antipas. Salomé, fille
d'Hérodiade, exécuta devant le tétrarque, son beau-père, une de ces danses
auxquelles la grâce languissante des Syriennes donne un séduisant attrait.
Charmé, ravi, Antipas jura à la princesse de lui accorder tout ce qu'elle
désirerait.
Conseillée par sa mère, Salomé demanda au tétrarque la tête de Jean-Baptiste.
Attristé, le faible prince n'osa manquer à sa promesse.
Par sa mort, aussi bien que par sa prédication, Jean avait précédé Jésus. Le
Christ disait à ses disciples qu'il allait consommer à Jérusalem le sacrifice de sa
vie mortelle.
A l'une de ces heures où, prédisant sa fin prochaine, il annonçait aussi sa
résurrection, Salomé, mère de Jacques et de Jean, vint à lui. Elle était
accompagnée de ses deux fils.
Se prosternant devant l'Homme-Dieu, elle le supplia d'accorder à Jacques et à
Jean les deux sièges placés à sa droite et à sa gauche dans son éternel royaume.
La parole de Jésus prit une expression de grave et doux reproche. Cette mère,
ces enfants, savaient-ils ce qu'ils demandaient ? La première place après le trône
de Dieu appartient à celui qui, dans son dévouement aux hommes, a épuisé ce
calice d'amertume que lui tendent ceux-là même qu'il veut sauver. Pour s'élever
au-dessus de l'humanité, il faut savoir mourir et pour elle et par elle.
1 Saint Luc cite parmi les compagnes de Marie de Magdala, Jeanne, femme de Khouza,
intendant d'Hérode Antipas, et Suzanne. Cf. Évangile selon saint Luc, VIII, 2, 3.
Pendant que Jésus séjournait à Jérusalem, les Juifs cherchèrent à s'emparer de
lui ; mais le Christ n'ayant pas complètement achevé son œuvre morale, ne
voulut pas encore exposer sa vie. Il se retira au delà du Jourdain.
Un événement hâta son retour dans la Judée.
Pendant les voyages que Jésus faisait dans cette dernière région, il était une
retraite où le Maître aimait à se reposer de ses âpres combats contre les
Pharisiens. C'était le village de Béthanie, qui s'abritait dans un creux boisé sur le
sommet du mont des Oliviers1. Au milieu de la nature désolée qui entourait
Jérusalem, c'était un des rares coins de verdure qui rappelassent à Jésus les
sites riants de sa Galilée. Là aussi, il trouvait une famille amie qui lui rendait le
même culte que ses disciples du lac de Génésareth. Cette famille se composait
de Lazare et de ses deux sœurs, Marthe et Marie.
Saint Luc nous a tracé un délicieux tableau de cet intérieur de Béthanie qu'anima
le Verbe. Un jour que, par la parabole du bon Samaritain, Jésus avait prouvé aux
docteurs de la loi que la charité unit les hommes que séparent leurs convictions
religieuses, le Maître entra dans la maison de Marthe. Marie vint s'asseoir à ses
pieds. Elle recueillait les paroles que prononçait le Verbe.
Pendant ce temps Marthe, s'empressant autour de Jésus, se livrait à tous les
soins extérieurs de l'hospitalité. La calme attitude de sa sœur la blessa. Marthe
s'approcha de Jésus :
Seigneur, ne voyez-vous pas que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dites-
lui donc qu'elle m'aide.
— Marthe, Marthe, répondit le Christ, vous vous inquiétez et vous vous troublez
de beaucoup de choses.
Or une seule chose est nécessaire : Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui
sera point ôtée2.
Une fois de plus, Jésus avait établi la supériorité du culte de l'âme sur les
minutieuses prescriptions rituelles du judaïsme. Combien de natures, d'ailleurs
bien intentionnées, s'attachant uniquement aux formes de l'adoration, laissent
s'alanguir leur existence morale ! Combien d'entre elles accusent d'une coupable
indifférence les vrais serviteurs du Christ qui, sans affectation extérieure,
aspirent, muets et recueillis, la parole divine qui active leur vie intérieure !
Cependant ces derniers ont choisi la meilleure part.
Marthe comprit sans doute ce que lui avait dit Jésus, car nous allons la voir
s'élever aux plus hautes notions spiritualistes.
1 Cf. Robinson's biblical researches ; Bethany, by George Grove (Dict. of the Bible).
2 Évangile selon saint Luc, X, 40-42, traduction de Genoude.
3 Évangile selon saint Jean, XI, 3, traduction de Genoude.
La profonde affection que Jésus avait vouée à Lazare et à ses sœurs lui fit braver
le danger auquel il s'était dérobé.
Deux jours après avoir reçu le message de Marthe et de Marie, le Christ rentrait
en Judée. Il savait ne devoir rencontrer à Béthanie que le corps inerte de son ami
; mais il pouvait ramener la vie dans un cadavre. Il approchait de Béthanie.
Marthe courut au-devant de lui. Marie, accablée de douleur, était demeurée à la
maison, et les Juifs essayaient vainement de la consoler.
Seigneur, disait à Jésus la sœur de Marie, si vous eussiez été ici, mon frère ne
serait pas mort1.
Marthe savait maintenant que le Christ pouvait faire reculer la mort.
Jésus lui promettait que son frère ressusciterait ; et Marthe, pleinement
convaincue de l'immatérialité de l'âme, manifestait avec énergie sa croyance à la
vie éternelle.
Une autre pensée préoccupait Jésus. Il demandait à Marthe si elle reconnaissait
en lui le principe de la vie ?
Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu, qui est venu en ce
monde2.
Marthe quitta Jésus, attira mystérieusement sa sœur et lui dit :
Le Maître est ici, il t'appelle3.
A cette parole magnétique, Marie se leva, et les Juifs qui l'entouraient, la voyant
sortir de son morne accablement, crurent qu'elle allait pleurer au sépulcre de
Lazare.
Marie se dirigeait vers Jésus. Quand elle le vit, sa douleur déborda. Agenouillée à
ses pieds, elle lui disait comme Marthe :
Si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort4.
A la vue du désespoir de Marie, Jésus ne put contenir son émotion ; il frémit. Et
quand on le conduisit au tombeau de son ami, la nature humaine réagit en lui
contre la substance divine. Ses larmes jaillirent.
Il ordonna qua la pierre sépulcrale fût levée. Marthe hésita. Depuis quatre jours
Lazare avait cessé de vivre, et sa sœur craignait que les miasmes de la mort ne
s'élevassent de sa tombe.
Jésus réitéra son ordre. On lui obéit. Il se recueillit dans sa divinité,
Lazare, viens dehors5, s'écria-t-il.
L'ami de Jésus répondit à cet appel.
En rendant à Marthe et à Marie le frère qu'elles pleuraient, le Christ avait
consommé sa perte. Cette manifestation de sa puissance surnaturelle fit éclater
la haine de ses ennemis.
FIN DE L'OUVRAGE