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Aditi 2 Reva

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ADITI

No. II 2019

Kali Yuga
D
ans notre monde en crise, marqué par une dissolution des structures de la
société moderne mais aussi la corruption des grandes traditions spirituelles,
l’hindouisme se présente comme l’expression d’une vision métaphysique et
primordiale des rapports entre l’homme, le monde et le Sacré. Certains Occidentaux
peuvent y trouver un écho des religions de l’Antiquité classique et une minorité une
véritable voie initiatique aussi exigeante que celles qui peuvent encore exister en marge
des traditions abrahamiques.
Alors que le bouddhisme français est représenté institutionnellement depuis longtemps
par des associations, des revues ou des maisons d’édition spécialisées, rien d’équivalent
n’existe pour les pratiquants français de la tradition hindoue. En général, l’espace est
occupé soit par des publications strictement académiques qui pratiquent un strict
agnosticisme méthodologique, soit par des publications de type new age qui déforment
les doctrines hindoues jusqu’à les rendre méconnaissables.
Le Centre Aditi d’Etudes sur la Tradition Hindoue se propose de combler ce vide.
Il s’appuie sur les travaux d’érudition disponibles sans perdre de vue la dimension
proprement initiatique du Sanātana dharma. Il rejette également toutes les tentatives de
récupération des pratiques et des symboles de la tradition hindoue par les courants néo-
spiritualistes, leur réduction à des techniques insipides de développement personnel ou
de recherche narcissique du bien-être. Ce centre s’inscrit ainsi dans la perspective ouverte
par l’œuvre de René Guénon sans pour autant se rattacher à aucune école particulière.
Le centre et le journal qu’il publie se placent sous le patronage de la déesse Aditi. Dans
la littérature védique ancienne, Aditi est le nom de la Mère des Dieux. C’est à la fois
une personne divine à laquelle le dévot peut s’adresser et le symbole de la conscience
universelle et illimitée que le métaphysicien reconnaî�t au fond de lui-même. Le culte
d’Aditi trouve son prolongement dans l’hindouisme contemporain à travers le culte
tantrique de la Shakti sous des formes telles que Pārvatī�, Kālī� ou Tripurasundarī�.

1
Déesse Durga (Photo de Peacay)

2
Sommaire
5 Editorial
Renaud Fabbri

7 Entretien avec Swami Amritananda Saraswati

13 Hymne de réminiscence matinale: Prātaḥ Smaraṇa Stotram


Ā� di Ś� aṅkara (trad. d'Ira Schepetin)

Dossier sur le Kali yuga

17 L’alchimie du temps: le Shivaïsme du Cachemire sur la manière de tuer la


Mort ou d’être le Temps, plutôt que de le subir
David Dubois

29 Histoire et Temps: une perspective indienne


Á� lvaro Enterrí�a

47 Post-modernité et signes des temps


Patrick Laude

59 De la maitrise de soi à l’abandon de soi: les bons cotés de l'Age Sombre de


Kali
Vasanthi Srinivasan

73 La théorie des âges: des Lois de Manou à la République de Platon


Martine Chifflot

93 Les temps de la fin et la fin des temps: dialectique de l’histoire chez René
Guénon
David Bisson

103 A la racine du mal ? Eric Voegelin et l'Inde


Renaud Fabbri

123 Destin et libre arbitre: dialogue avec Śrī Candraśekhara Bhāratī III
(trad. de Gabriel Arnou-Laujeac)

159 Notices biographiques

3
Viśvarūpa, l'Omniforme

4
Editorial

Un sentiment de torpeur changement climatique semblent donner


apocalyptique plane sur l’Europe alimenté un contenu laï�que aux peurs millénaristes
par des mutations géopolitiques de relatives à une fin imminente des temps.
grande ampleur : la distance toujours plus Dans les circonstance présentes,
marquée entre l’Europe et son protecteur les enseignements hindous sur les cycles
américain, la montée en puissance de cosmiques et notre condition dans le kali
l’Empire Chinois, des conflits endémiques yuga, cet age de ténèbres et d’ignorance,
sur sa frontière Est et Sud nourrissant apparaissent plus pertinents que jamais.
des mouvements massifs de population. Que les chronologies hindoues soient
Dans un tel contexte, le thème du déclin à interpréter de manière littérale ou
est revenu à la mode, comme le prouvent symbolique, elles mettent le destin
certaines publications grand public de l’homme moderne en perspective
comme Décadence de Michel Onfray avec les rythmes cosmiques. Alors que
ou Soumission de Michel Houellebecq. depuis la Renaissance, ce dernier a
Les idées qu’avait pu formuler Oswald méthodiquement coupé les liens qui le
Spengler à la fin du premier conflit reliaient à la fois à la nature qui l’entoure
mondial sont de nouveau prises au et au principe transcendant dont il tire
sérieux. son existence, les doctrines hindoues
Le déclin spectaculaire de nous rappellent que l’homme, y compris
l’Europe ne devrait pas nous faire ignorer dans sa dimension historique, n’est pas
que la tendance est globale et a des « un empire dans un empire » (imperium
implications profondes. On est en droit in imperio). Pour citer Guénon, « l’ordre
de se demander si ce n’est pas la vision humain et l’ordre cosmique, en réalité,
moderne de la société, le rêve, né avec ne sont point séparés comme on se
les Lumières, d’un progrès scientifique l’imagine trop facilement de nos jours
et technologique sans fin, qui s’étiole …. ils sont au contraire étroitement liés,
sous nos yeux. La décomposition de de telle sorte que chacun d’eux réagit
l’épicentre historique du modernisme a constamment sur l’autre et qu’il y a
pour pendant la crise de ce qui reste des toujours une correspondance entre les
sociétés traditionnelles. A considérer états respectifs. »1 Nous ne devrions
l’état de l’islam contemporain, comment donc pas nous étonner qu’une époque
ne pas se souvenir des mises en garde de qui voit l’homme actualiser certaines des
Guénon contre « la grande parodie » qui possibilités les plus inférieures qu’il porte
accompagne la fin d’un cycle et concernant en lui soit le témoin non seulement de
le destin des traditions religieuses une l’effondrement des grandes spiritualités
fois que leur cœur spirituel a cessé de traditionnelles mais aussi de catastrophes
battre ? Au même moment, les signes de écologiques sans précédents. Le désordre
1 René Guénon, Le Règne de la Quantité, Gallimard (1945-1972), p. 113

5
spirituel en l’homme se reflète dans ceux d’Hésiode et de Platon. David
les bouleversements que subit notre Bisson nous offre une lecture critique de
environnement naturel. l’interprétation guénonienne de la notion
La grande force de la perspective hindoue de kali yuga. Dans un article sur
hindoue, par comparaison avec d’autres Eric Voegelin, je remets en question la
théologies de l’histoire, consiste en ce généalogie qu’il propose du Gnosticisme
qu’elle ne perd jamais de vue que, quels et du millénarisme en m’appuyant sur le
que soient les maux du kali yuga, l’homme contre-exemple de l’Inde.
reste éternellement en lien intérieur avec Ce numéro contient aussi
le Brahman ou le Principe Suprême. En un interview complet de Swami
conséquence, on ne saurait attendre que Amritandanda Saraswati, un sannyāsin
la libération de la souffrance, qu’elle ait qui apparaissait dans le film documentaire
une origine individuelle ou collective, Guru & Disciple ainsi qu’une traduction par
nous vienne de quelque évènement Ira Schepetin d’une prière d’Ā�di Ś� aṅkara.
eschatologique, d’une forme de parousie Vous découvrirez enfin une traduction
qui mettrait un terme au cycle sans fin inédite par Gabriel Arnou-Laujeac d’un
de la violence et de l’injustice. Même la dialogue avec Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī�
descente du kalkin avatāra n’apportera III, 34ème Ś� aṅkarācārya du Ś� ṛṅgeri Ś� āradā
au mieux qu’un soulagement temporaire. Pī�ṭham sur le thème du destin et du libre-
L’unique moyen pour transcender la arbitre.
condition humaine se situe en nous-
même, dans notre soi et ce de toute Renaud Fabbri, rédacteur en chef
éternité. C’est peut-être pour cela que
l’Inde, tout au moins jusqu’à l’époque
moderne a su ne jamais tomber dans le
piège du millénarisme qui a si souvent fait
chavirer le monde chrétien et musulman.
Le présent numéro explore la
conception hindoue du temps et de
l’histoire. David Dubois nous présente
l’enseignement métaphysique sur le
temps dans le Shivaï�sme du Cachemire et
médiate sur ses implications pour l’homme
du kali yuga. Á� lvaro Enterrí�a propose un
aperçu général de la vision du temps et
de l’histoire dans l’Inde ancienne. Patrick
Laude et Vasanthi Srinivasam interrogent
les conséquences de la doctrine des yugas
sur la compréhension que nous pouvons
avoir de notre monde moderne et post-
moderne. Martine Chifflot compare
l’enseignement des Lois de Manu avec
6
Entretien
avec Swami Amritananda Saraswati
Traduction anglaise à partir de l’hindi par J.D.
Retraduit en français par Renaud Fabbri

Swami Amritananda Saraswati est un sannyāsin et un disciple de Swami


Swarupananda Saraswati, le Shankarācārya du Nord et de l’Ouest de l’Inde.
Certains extraits ont été initialement inclus dans le documentaire Guru & Disciple.
Les questions ont été posées en hindi par Manjula Rao.

Manjula Rao : Swamiji, pourriez -vous nous MR : Pourquoi l’hindouisme et le Vedānta


parler de la manière dont vous êtes devenu Advaita accordent-ils tant d’importance à
renonçant ? la relation entre le guru et son disciple ?
Swami Amritananda Saraswati : SAS : Nārāyaṇa! Ācāryād dhaiva vidyā
Nārāyaṇa! Né dans une famille orthodoxe viditā sādhiṣṭhaṃ prāpat (Chāndogya IV,
traditionnelle et ayant terminé ses études 9, 3) « Seule la connaissance obtenue par
religieuses, le brāhmaṇa peut se consacrer le précepteur (ācārya) porte ses fruits. »
à la connaissance du Soi intérieur. Seule Il est toujours possible d’étudier dans
une personne au mental purifié peut des livres mais la connaissance livresque
atteindre la connaissance du Soi intérieur. ne prend pas racine dans l’esprit. L’océan
Pour purifier le mental, des observances est rempli d’eau. Les rayons du soleil
religieuses comme les sacrifices doivent transforment cette eau en nuages. La
être accomplis. pluie tombe des nuages. La vie subsiste
Avec la grâce de Dieu, des individus grâce à l’eau de pluie. L’eau de l’océan
comme moi, nés dans des familles pieuses, n’est pas directement potable mais,
en viennent à s’intéresser à l’étude du transformée en nuages et pluie par les
Vedānta. Ainsi s’éveille le désir de quitter rayons du soleil, cette eau devient une
le foyer. Quand le détachement et la véritable ambrosie. Elle se transforme
dévotion apparaissent, vient avec eux le en une substance médicinale qui nourrit
renoncement à la vie de famille. Le maitre tout le monde végétal et animal. La
parfait (sadguru) se manifeste alors et il connaissance livresque est comme l’eau
y a prise de refuge auprès de lui. De cette de l’océan, elle ne peut être d’aucun
manière, j’ai été initié par mon guru à la bénéfice telle qu’elle est. Lorsque le texte
vie de renonçant et je suis maintenant la a été dument étudié par un disciple, si le
voie des Paramahaṃsas (littéralement les guru en communique l’essence alors il
« cygnes suprêmes », une catégorie élevée se transforme en ambrosie, à la manière
de moines ascétiques). de l’eau tombée des nuages. Pour cette

7
Swami Amritananda Saraswati (Photo d'Alexi Liotti)

raison, notre tradition comprend un un car il n’y a aucune chance de trouver


lignage ininterrompu d’enseignants. la voie juste autrement. C’est pourquoi
Les précepteurs ont également besoin dans notre tradition la figure du guru est
d’un guru. Ainsi, il est dit : « Le disciple si essentielle.
du Seigneur Nārāyana était Brahmā,
le disciple de Brahmā était Vasishta, le MR : Quelle est la place des écritures saintes
disciple de Vasishta Ś� akti, le disciple de dans l’hindouisme ?
Ś� akti Pāraśara, le disciple de Pāraśara SAS : Dieu a établi la loi éternelle
Vedavyāsa, le disciple de Vedavyāsa (sanātanadharma) non seulement en
Ś� ukadeva, le disciple de Ś� ukadeva Inde mais aussi dans les 14 sphères qui
Gaudapada, le disciple de Gaudapada constituent l’univers dans son entier. Nous
Govindapāda, le disciple de Govindapāda sommes tous les protecteurs du dharma
était Ś� ankarācārya et Ś� ankarācārya révélés originellement aux grands voyants
a eu quatre disciples principaux, primordiaux (ṛṣi-s). Ce même dharma est
[consacrés ensuite comme les quatre connu dans les temps modernes sous
premiers Śankarācārya-s]: Padmapāda, le nom de Hindudharma mais son nom
Hastāmakaka, Sureśvara et Totaka. Je me véritable est le sanātana vaidika ārsha
prosterne devant ces gurus dont le lignage dharma c’est-à-dire le dharma védique
est celui de mon propre guru. éternel consigné par les voyants.
Il est impossible d’atteindre la Il y a un seul dharma qu’enseignent les
connaissance parfaite sans un guru. Le écritures. Selon ce dernier, les deux fois nés
Seigneur Nārāyana lui-même l’a atteinte (c’est-à-dire les brāhmaṇa-s, les kṣatriya-s
avec l’aide de son guru. La connaissance et les vaiśa-s] doivent porter un chignon
s’obtient uniquement par l’intermédiaire au sommet du crâne. Le front devrait
du guru. Aussi, chacun doit en chercher toujours arborer des signes religieux

8
selon les écoles : le santal, le rouge ou (niyama-s). Des obligations telles celles
des marques de cendres. Des vêtements de prendre un bain quotidien, de vivre de
cousus sont à proscrire. La culture manière pure, de se laver le corps avec de
indienne est une culture traditionnelle qui l’argile et de l’eau sont des niyama-s. Il y a
enseigne à tous le respect de la mère, du aussi beaucoup d’interdictions à respecter
père et du guru. La vénération de la Vache comme la non-violence, la maitrise de
sacrée, en tant que notre Mère à tous, est soi, le célibat, la patience etc… Parfois
aussi un élément essentiel. Le Gange et les en raison des circonstances, il n’est pas
autres fleuves sacrés sont aussi vénérés possible d’accomplir ses obligations. Il n’y
comme une Mère. Les dieux reçoivent un a en revanche pas de dérogations pour les
culte quotidien, combiné avec la pratique interdits. La satisfaction devrait toujours
de la méditation. Le mental doit être emplir l’esprit ; les péchés tels la luxure,
concentré de manière continue sur Dieu. la colère ou l’avidité n’ont pas leur place.
Mettre un terme à la roue des morts et Une simple négligence dans le respect des
des renaissances est le but de l’existence. interdits et c’est l’échec assuré. Le pot
C’est là la caractéristique propre du commence à fuir à la première fissure. De
hindudharma. même pour une personne qui ignore les
interdits, sa connaissance et ses exercices
« La libération (mokṣa) ne spirituels cessent de porter leurs fruits.
Une foi solide est indispensable pour
consiste pas en autre chose que
respecter toujours les interdits. Les
notre être même, notre Soi déjà
écritures saintes prescrivent le respect
libre de toute éternité. » des interdits et des obligations et pourtant
les interdits doivent faire l’objet d’une
Tout doit être fait pour que la mort ne vigilance particulière.
puisse plus avoir raison de nous, ce qui
implique la résolution ferme d’atteindre la MR : Selon quels critères reconnait-on un
connaissance de l’Absolu (Brahmajñāna). vrai enseignant du Vedānta ?
Si la connaissance est réalisée en cette SAS : Il faut savoir que seuls ceux qui sont
vie, alors le libéré-vivant, n’ayant plus qualifiés et qui connaissent l’essence des
rien à accomplir, échappe à la mort. Il écritures peuvent enseigner les vérités
n’a plus besoin de reprendre naissance révélées qu’elles renferment. Celui qui en
dans une matrice et de faire de nouveau est ignorant n’est nullement qualifié pour
l’expérience d’une vie de souffrance. Tel enseigner. Seul celui qui connait l’essence
est le but ultime des pratiques prescrites des écritures peut expliquer en quoi il
par le hindudharma. consiste. Et seul celui qui connait le cœur
même des écritures peut le décrire. Celui
MR : Qu’en est-il des devoirs d’un aspirant qui ne connait pas convenablement les
spirituel ? écritures n’a pas la moindre qualification
SAS : Le sanātanadharma énonce des pour en parler. En conséquence, seul
interdictions (yama-s) et des obligations celui qui a une expérience directe et

9
ininterrompue (sākshātkāra) du Soi conscience-béatitude (saccidānanda).
non duel est qualifié pour enseigner Il est pur, éveillé et [éternellement]
la doctrine de l’advaita. La foi dans le libre. Ce Soi est mon soi. Pour réaliser
dharma, dans les rites etc… qualifie une cela, le guru est nécessaire. C’est lui qui
personne pour parler du dharma. Celle transmet l’enseignement des écritures.
qui n’a pas foi dans le dharma et dans le La libération est donc impossible sans
brahman (l’Absolu) n’est en aucun cas la connaissance des écritures. Il est
qualifiée. Il faut donc retenir que celui qui justement dit dans les textes sacrés :
est rempli de foi à l’égard du dharma et du ‘nāvedavin manute tam bṛhantam tam
brahman est seul qualifié pour s’exprimer tvā aupaniṣadam puruṣam pṛcchāmi’, ce
à propos du dharma et du Soi intérieur. qui signifie qu’ « on ne connait le Soi que
Tel est le verdict final des écritures. par le guru et les écritures. » Le Soi doit
être connu par les écritures, le guru et
MR : Pouvez-vous évoquer pour nous le but l’expérience personnelle directe. C’est
de la voie spirituelle ? pourquoi encore les sages déclarent que
SAS : La libération (mokṣa) ne consiste c’est par la révélation (śruti, le Veda),
pas en autre chose que notre être même, le raisonnement, les paroles du guru et
notre Soi déjà libre de toute éternité. l’expérience directe qu’il est possible
Il est écrit : nivṛttirātmā mohasya d’atteindre la Libération.
jñānattvenopalakṣitaḥ’. La libération
est le Soi lui-même. La connaissance de Pour conclure l’entretien, Swami
la nature essentielle du Soi est le but à Amritananda Saraswati récite une portion
atteindre. La libération est « l’expérience de la Gajendra Stuti qui appartient au
ininterrompue du Soi, une fois la nescience 8ème Skanda (versets 2 à 9) du Shrimad
dissipée. » Pourtant il n’y a pas de Bhagavatam Purana, une prière implorant
véritable asservissement, ni de libération la protection et le salut adressée au
car l’asservissement n’est qu’une illusion. Seigneur Vishnu par Gajendra, le roi des
Si ce dernier était réel, il serait impossible éléphants. A la demande Gajendra, Vishnu
de s’en libérer. En réalité bien que nous se manifeste sur la terre pour le protéger
ayons l’illusion d’être enchainés, tous les de l’étreinte mortelle des mâchoires d’un
êtres sont libres depuis toujours. crocodile.
La libération des illusions passe par les
écritures. Supposez que quelqu’un qui Oṁ namo bhagavate tasmai yata
porte un collier croit à tort qu’il l’a perdu. etaccidātmakam, puruṣāyādibījāya
Cette personne va se lamenter. Mais si pareśāyābhidhīmahi.
une autre qui connait la vérité vient lui Je présente mes hommages et médite sur
demander : « qu’avez-vous au cou ? », le Glorieux Seigneur [Vishnu] qui est la
la première qui était dans l’innocence cause primordiale de ce monde, qui sous
réalise son erreur et se réjouit. De la même la forme de la personne suprême séjourne
manière, le Soi est omniprésent. Tel est dans le cœur, qui est le Seigneur de tout
notre être véritable et sa nature est être- l’univers. Grace à lui, la conscience anime

10
[ce monde matériel]. êtres vivants pourraient l’atteindre ou en
Yasminnidam yataścedam ya idam parler avec des mots ?
svayam, yo’smāt parasmācca parastam yathā naṭasyākṛtibhir viceṣṭato
prapadye svayambhuvam. duratyayānukramaṇaḥ sa māvatu.
Ce monde repose en lui et se manifeste Ses actions sont aussi difficiles à saisir
à partir de Son Ê� tre. Enveloppé de toute que les gestes d’un danseur. Puisse-t-Il
part par Lui, le monde est la manifestation nous protéger.
de la Forme même [du Seigneur]. Et didṛkṣavo yasya padam sumaṅgalam
pourtant, Il transcende [la dualité de] la vimuktasaṅgā munayaḥ susādhavaḥ,
cause et [de] l’effet. Je prends refuge en carantyalokavratamavraṇam vane
Lui qui se suffit à Lui-même. bhūtātmabhūtāḥ suhṛdaḥ sa me gatiḥ.
yaḥ svātmanīdam nijamāyayārpitam Les renonçants et les grands sages qui
kvacid vibhātam kva ca tat tirohitam. regardent tous les êtres vivants avec
Cette manifestation cosmique, qui est équanimité, qui sont bienveillants avec
soutenue par Lui à travers son pouvoir tous et pratiquent sans discontinuer leurs
d’illusion apparait [dans les phases vœux [célibat, ermitage, renoncement]
d’émanation] et disparait [durant les aspirent à contempler Ses pieds en forme
phases de dissolution]. de lotus et à la signification auspicieuse.
aviddhadṛk sākṣubhayam tadīkṣate sa Puisse-t-Il être ma destination.
ātmamūlo’ vatu mām parātparaḥ. na vidyate yasya ca janma karma vā na
Il voit tout. Il est le témoin [de la nāmarūpe guṇadoṣa eva vā,
manifestation et de la dissolution]. Il est Il est sans naissance, sans action, sans
la cause sans cause de toutes choses. Il nom et forme, sans qualité et sans défaut.
transcende donc la cause et l’effet. Puisse- tathāpi lokāpyayasambhavāya yaḥ
t-il nous accorder sa protection. svamāyayā tānyanukālamṛcchati.
kālena pañcatvamiteṣu kṛtsnaśo lokeṣu Et pourtant quand le temps est venu, il
pāleṣu ca sarvahetuṣu. agit de tel sorte que le monde puisse se
Durant la dissolution, la manifestation manifester et disparaitre par son pouvoir
totale est annihilée avec tous les mondes, d’illusion.
ceux qui en ont la garde et toutes les tasmai namaḥ pareśāya
causes. brahmaṇe’nantaśaktaye,
tamas tadāsīd gahanam gambhīram arūpāyorurūpāya nama
yastasya pāre’bhivirājate vibhuḥ. āścaryakarmaṇe.
Durant cette phase, il n’y a rien d’autre Je rends hommage à Lui qui est le
que des ténèbres denses et profondes. Et Seigneur suprême, le Brahman suprême
pourtant, Il plane au-dessus d’eux. Puisse aux pouvoirs illimités. Je rends hommage
le Tout-Puissant nous protéger. à Lui qui est le sans-forme et pourtant
na yasya devā ṛṣayaḥ padam vidurjantuḥ possède toutes les formes, lui dont les
punaḥ ko’rhati gantumīritum. actions sont sujets d’émerveillement.
Son essence échappe aussi bien aux dieux
qu’aux voyants. Comment donc d’autres

11
Le Seigneur Gaṇeśa

12
Hymne de réminiscence matinale
Prātaḥ Smaraṇa Stotram

Ādi Śaṅkara
Traduit du sanskrit par Ira Schepetin (Atmachaitanya)
Traduit de l’anglais par Renaud Fabbri

1 AaTma siCcTsuo— äü 2 AaTma Svy<àkaz äüEv

àat> Smraim ùid s——<)urdaTmtÅv< àat-Rjaim mnsae vcsamgMy<


siCcTsuo< prmh<sgit< turIym!, vacae iv-aiNt iniola ydnu¢he[ ,
yTSvßjagrsu;uÝmvEit inTy< y< neitneit vcnEinRgma Avaecus!
tdœäü in:klmh< n c -Uts'œ"> . 1 . t< devdevmjmCyutmahur¢!(m! . 2 .

Ātmā saccitsukham brahma Ātmā svayamprakāśa brahmaiva

Prātaḥ smarāmi hṛidi saṁphuratātmatattvam prātarbhajāmi manaso vacasāmagamyaṃ


saccitsukhaṁ paramahaṁsagatim turīyam vāco vibhānti nikhilā yadanugraheṇa
yatsvapnajāgarasuṣuptamavaiti nityam yaṃ netineti vacanairnigamā avocus
tadbrahma niṣkalamahaṃ na ca bhūtasaṅghaḥ taṃ devadevamajamacyutamāhuragryam

Le Soi n’est autre que ce Brahman qui Le Soi est le Brahman auto-lumineux.
est Existence, Conscience et Béatitude.
Ce matin, je vénère Celui qui est
Ce matin, je me remémore cet éclat dans inatteignable par le mental ou la parole
le Cœur, identique à la Vérité du Soi ; Mais par la grâce duquel la parole révèle
Lui qui est existence, conscience et tous les objets,
béatitude, qui est le but recherché par les Lui que les écritures décrivent comme
Paramahamsas, le Quatrième (turya). étant « ni ceci, ni cela »,
Lui qui connait de toute éternité les états Lui qui est le Dieu des dieux, le non-né,
de rêve, veille et sommeil profond, l’inengendré.
Je suis cet Absolu sans partie et non un On dit de Lui qu’il est le Premier, celui qui
agrégat d’éléments. vient avant toute chose.

13
3 AaTmEved< svRm! 4 StaeÇpiQTa°[a— )lm!

àatnRmaim tms> prmkRv[R< ðaekÇyimd< pu{y<< laekÇyiv-U;[m!! ,


pU[R< snatnpd< pué;aeÄmaOym! àat> kale pQe*Stu s gCDet! prm< pdm!
yiSmind< jgdze;mze;mUtER
rJj!va<< -uj’!gm #v àit-aist< vE . 3 . Stotrapaṭhitṝṇāṃ phalam

Ātmaivedaṃ sarvam Ślokatrayamidaṃ puṇyaṃ lokatrayavibhūṣaṇam


Prātaḥ kāle paṭhedyastu sa gacchet paramaṃ
Prātarnamāmi tamasaḥ paramarkavarṇaṃ padam
pūrṇaṃ sanātanapadaṃ puruṣottamāghyam
yasminidaṃ jagadaśeṣamaśeṣamūrtau Les fruits qu’apportent la récitation de
rajjvāṃ bhujaṅgama iva pratibhāsitaṃ vai cet hymne

Le Soi est le Soi de toute chose. Celui qui recite le matin ces trois slokas
auspicieux
Ce matin, je me prosterne devant ce qui est Qui sont comme un ornement pour les
au-delà des ténèbres et qui est identique à trois mondes,
la lumière du soleil. Atteindra certainement la Demeure
C’est lui la Totalité, la résidence éternelle, Suprême.
celui qu’on appelle la personne suprême.
C’est en lui que l’univers tout entier, avec
chacune de ses innombrables formes,
apparait, de la même manière que la corde
passe pour un serpent.
Calligraphie du OM

Un commentaire sanskrit de l’Hymne de réminiscence matinale de Śaṅkara


composé par sa sainteté Sri Sri Satchidanandendra Sarasvati et intitulé Vedanta
Balabodhini, a été traduit en anglais et est disponible aux éditions Vedantic Light
Publishers (tajmahal108@gmail.com) à Woodstock (NY, Etats-Unis) ou auprès
d’Adhyatma Prakasha Karyalaya à Bangalore en Inde.

14
Dossier sur le Kali yuga

“Je suis le Temps qui va, broyant les


mondes, engagé à présent dans la
résorption des êtres. »
Kṛṣṇa, Bhagavad Gītā XI, 32.

15
Kāmeśvarī (Photo de G41rn8)
16
L’alchimie du temps
Le Shivaïsme du Cachemire sur la manière de tuer la Mort ou
d’être le Temps, plutôt que de le subir

David Dubois
Traduit par Renaud Fabbri

Celui qui contemple toute chose en a un nombre infini, est littéralement


Avec un regard non-duel un gigantesque four. Le feu le dévore
Le miracle merveilleux de la conscience – progressivement de bas en haut, jusqu’à
Celui-ci n’a pas plus à choisir ce qu’il ne reste plus que des cendres et
Entre l’action et le renoncement. de la fumée. Alors un cycle recommence
Abhinavagupta, Mâlinîvârttika, II, 81 et il en va ainsi pour toujours. Le plus
long des récits indiens, le Mahābhārata,
Il est bien connu que la vie n’enseigne pas autre chose : à la fin, tout
oscille entre deux tentations opposées : meurt, les hommes s’entretuent, même
l’engagement dans l’action et le ceux qui étaient supposés rester maî�tres
renoncement à elle. Se battre ou fuir, d’eux-mêmes. Le Temps se doit de tout
tel était le dilemme aussi dans l’Inde consumer. Le Temps est la nature même
ancienne. S’engager (pravṛtti) ou se des choses. Elles ne peuvent lui échapper,
tourner vers l’éternité (nivṛtti), tel était le parce qu’elles ne peuvent échapper à
dilemme des Voyants primordiaux. ce qu’elles sont. Le Temps est le Dieu
Le désir de s’engager dans l’action immense, la puissance suprême à laquelle
en vue de construire un monde humain nul ne peut échapper, pas même les dieux.2
était contrarié par la croyance générale L’alternative est de renoncer au
que le devenir conduit uniquement à la projet de construire dans le monde du
déchéance. La perfection appartient au devenir, et au contraire d’échapper à
passé. L’action rituelle (karma, kriyā) l’emprise du Temps. C’est une solution
et l’obéissance au dharma1 éternel peut effectivement séduisante : renoncer au
ralentir la descente vers le désordre mais plaisir pour ne plus souffrir. Mais ces
la fin est inéluctable. La Mort triomphera, aspirations à la Transcendance sont
parce que la mort n’est autre que le Temps aussi des pièges à leur manière parce
(kāla) lui-même. De ce point de vue, le que désirer l’absence de désir est encore
Temps s’apparente à un feu sur lequel le une forme d’appétit. Comment bâtir
monde « mijote. » Chaque monde, et il y la démolition ? Comment une forme

1 L’ordre naturel des choses.


2 Voir “The Doctrines of Svabhāva and Kāla in the Mahābhārata and Other Old Sanskrit Works”,
V. M. Bedekar, dans Time in Indian Philosophy, p. 187.

17
Trois incarnations de la déesse (Jaipur)
quelconque d’effort dans le temps peut- humaine : lutter coûte que coûte jusqu’à
elle nous conduire en dehors du temps ? la fin de l’Age des Conflits (kali-yuga)
Et plus encore : la culture indique, comme ou tout abandonner, jusqu’à sa vie et
n’importe quelle culture, aspire aussi son corps ? Eros ou Thanatos. Et soyons
aux plaisirs et aux accomplissements. assuré que ce dilemme n’est pas une
Malgré tous les récits pessimistes sur caractéristique proprement indique.
l’apocalypse, la tradition la plus ancienne Parce qu’en réalité, c’est bien notre destin
brille d’une aspiration intense à la vie. Les à tous. La littérature indique est remplie
rituels védiques et hindous en portent de cette hésitation entre consentement et
suffisamment témoignage. Le but des rejet. Les héros cherchent des solutions,
ritualistes, qui représentent la majorité voire même une forme de réconciliation.
des adeptes, n’est pas d’arrêter le cours Une des formules consiste à affirmer que
du Temps ou de lui échapper, mais d’en la connaissance (jñāna) et l’action (kriyā)
comprendre les lois pour bâtir (kḷpti, ṛta) se complémentent pour apporter à la fois
en son sein. De construire un univers de la libération (mokṣa) et le plaisir (bhoga),
symboles rituels qui forme une sorte de comme les deux ailes d’un oiseau. D’un
pont entre l’Homme et le Cosmos. autre côté, les ritualistes védiques
Ainsi, le Veda, le corpus le plus n’ont soif que d’action, la connaissance
ancien de la révélation indique, témoigne n’étant à les entendre qu’une forme de
de cette contradiction profondément divertissement. A l’autre extrême, se situe

18
les Gnostiques védiques pour qui seule (vikalpa).
la connaissance a une valeur, l’action Nous allons examiner ici une
consistant uniquement en une forme de solution qui s’inspire de ce qui apparait
renoncement comme condition préalable de plus en plus comme un des sommets
à l’accès à la connaissance libératrice. Dans de la culture indique, ce qu’on appelle le
la Bhagavad Gītā, la situation d’Arjuna, Shivaï�sme du Cachemire.
sanglotant au beau milieu du champ de Bien que les traditions
bataille entre deux armées et deux options cachemiriennes soient nées en dehors
(se battre ou renoncer à son devoir) en du Cachemire, c’est là-bas qu’entre
est une parfaitement illustration. Devons- 800 et 1100 ap. J.-C., elles ont reçu
nous nous jeter dans la lutte au risque de les interprétations les plus fécondes,
la défaite ou d’une victoire dépourvue de influençant le reste des traditions
sens. Ou au contraire renoncer et vivre indiennes jusqu’à aujourd’hui. Elles se
une existence tournée vers l’abstraction basent sur des ouvrages (tantra), censés
et la solitude ? être tirés d’une sagesse éternelle, de
Ce dilemme trouvera des échos cette connaissance que l’Absolu a de lui-
constants dans la spiritualité indique même. On appelle cet Absolu Ś� iva et cette
jusqu’aux débats modernes sur le connaissance qu’il a de lui-même est sa
soi-disant « désir indien morbide de Puissance ou Ś� akti. Par un tel pouvoir de
renoncement », un désir de mort qui serait réalisation de soi, l’Absolu se révèle à lui-
selon certains critiques l’apport central de même en tant que tout, et aux humains
certains textes révélés tels que la Bhagavad aussi sous la forme de cette connaissance
Gītā. De la même manière, le Bouddhisme contenue dans ces livres et sous la forme de
serait un culte du néant. A condition bien maî�tres et de Mantras3 qui ont le pouvoir
sûr d’exclure l’universalisme (mahā- de transmettre la puissance libératrice
yāna) et le symbolisme (mantra-yāna) de Ś� iva à travers le rite initiatique. Le
du Bouddhisme … Quoi qu’il en soit, Shivaï�sme du Cachemire contient aussi
c’est selon nous l’alternative « lutter une riche tradition de yoga qui remonte
ou fuir » qui a alimenté la spiritualité à 300 ans ap. J.-C. 4 Le Shivaï�sme du
indique à travers l’histoire, assurant ainsi Cachemire, qui n’est en rien confiné au
son extraordinaire floraison à travers le Cachemire géographique, s’appuie sur
temps. C’est aussi notre point de vue, que deux traditions : la Triade (Trika) et la
loin d’être le produit d’un certain contexte Marche (Krama), deux branches de la
socio-économique, la culture indique est religion Kaula, un courant ésotérique au
l’expression dans le Temps d’une difficulté sein du tantrisme.
proprement universelle : comment tirer Kaula-dharma ou la tradition
parti au maximum de la vie tout en la Kaula affirme que « la libération de »
transcendant ? Tel est le dilemme originel (mokṣa) et la « libération en vue de »

3 Ê� tres divins s’incarnant dans le rite sous la forme de sons sacrés et d’hymnes.
4 Une des meilleures sources sur l’organisation et l’évolution de la religion Śaiva (ou révélée par
Śiva) sont les articles du Professeur Alexis Sanderson d’Oxford.

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(bhoga) l’action dans le Temps peuvent choses (varna-āśrama-dharma) est un
être atteintes à travers le corps. Mais artifice. Il n’a rien de naturel, puisque
cette forme de yoga est différente du nous voyons quand dans d’autres pays
« yoga tantrique » qui a ensuite prévalu d’autres formes d’organisation sociale
sous le nom d’Hatha yoga. Le Hatha yoga, ont prévalu. Cette prison a été crée par
probablement d’inspiration bouddhique les hommes intelligents pour protéger les
mais empruntant à la terminologie fous contre eux-mêmes. C’est néanmoins
tantrique, est fondé sur des techniques une construction bâtie sur l’ignorance
en vue d’atteindre l’immortalité physique. de la réalité véritable, un mensonge et
Kaula-dharma est une tradition de la source principale de toutes les peurs.
dévotion à Dieu et à la Déesse. Elle diffère Le Kaula-dharma est d’accord avec les
aussi du ritualisme tantrique. Elle enseigne brahmanistes sur l’idée que l’ordre du
le salut (par rapport au devenir) et la monde dégénère. Mais les adeptes de la
réalisation (au sein du devenir) à travers Divine Famille (Kula) ne se lamentent pas
des cérémonies, mais les concernant, elle sur le destin. Le Kali yuga signifie la mise
insiste sur une simplicité relative et sur à bas des mensonges, d’une prison pour
l’expérience intérieure. Ce qui compte le esclaves (paśu), pour ceux qui n’avaient
plus est une forme de ressenti intérieur, pas été initiés à la connaissance de
plutôt que l’accomplissement exact de l’essence des choses.
procédures rituelles complexes. Elle
accorde ainsi plus de place à la découverte
C’est un principe général pour
intérieure. comprendre le Shivaï�sme du
Sa structure de base est ce qu’on Cachemire. Quoi qu’il enseigne,
appelle la Famille ou le Clan (kula). il est toujours question de
L’initiation représente l’entrée dans la l’expérience ordinaire.
famille immortelle de Ś� iva et de Ś� akti.
Le Temps lui-même n’est autre que le L’ignorance (avidyā) par
souffle (prāṇa). Il trouve sa source dans excellence est la peur (śaṅkā) de
la Conscience libre et toute-puissante, l’impureté. L’ignorance se manifeste
l’origine de tout et le Soi des êtres. Sa sous la forme de dilemmes. (vikalpa), du
pratique est affaire d’adoration et de type « est-ce pur ou impur ? » Ce genre
quête de la grâce, plutôt que de techniques de pensées dualistes détruit la vitalité
mécaniques. Aussi les cérémonies vibrent de la conscience et la jette dans les bras
d’hymnes. Non sans rappeler certains de religions superficielles, de religions
Gnostiques, cette tradition affirme que d’esclaves (paśu-dharma) avec des listes
le monde de la vie quotidienne est pour sans fin de devoirs et d’interdits. Le Divin
l’essentiel un vaste mensonge. Mais ici se réduit lui-même en esclavage à travers
par « monde », il faut entendre le monde des religions artificielles et des obligations
brahmanique, avec son système de classes qu’il s’est lui-même imposées.
sociales et les stades de vie. Selon le La conscience ordinaire est ainsi
Kaula-dharma, l’ordre brahmanique des contractée (saṃkucita), prisonnière des

20
choses qu’elle a créées en raison de sa en tant que manifestation de notre propre
méconnaissance du processus de création. Puissance.
Le but, en dehors de l’adoration de la Abhinavagupta, l’interprète le
Divine Famille et son adoption par elle, est plus éminent de cette tradition, vivait
de relâcher ce corps, ce corps qui n’est rien au alentours du premier millénaire.
de plus que la cristallisation du nectar de la Il enseignait que Trika et Krama sont
Conscience. La glace doit se fondre encore deux aspects d’une même tradition.
en eau. Le but n’est pas de séparer l’esprit Abhinavagupta n’a pas inventé cette
de la matière ou de détruire complètement synthèse. Mais il en a offert une
l’égo mais d’éveiller la Conscience, en un formulation particulièrement profonde
sens quasi-physique. Tout ce qui peut dans laquelle le Temps occupe une place
relâcher les formes de contrainte sociale essentielle.
est le bienvenu : vin, union sexuelle, chant, Le temps est conscience, la
danse et consommation de viande avec Puissance suprême de l’Absolu. Elle est
des hors-castes (une grave offense pour suprême en ceci qu’elle contient en elle-
le Brahmanisme), le contact avec la mort même toutes les formes de puissance
et les sécrétions sexuelles (tout ce qui sort et toutes les possibilités. La Conscience
du corps est impur selon le Brahmanisme) s’incarne et se transforme en souffle, c’est-
et le yoga. Ici yoga signifie participation à-dire en vie. L’inspiration et l’expiration
au divin (bhakti) et les diverses formes sont l’expression de la surabondance de la
de contemplations. Deux de ces yogas vie et peuvent constituer une voie totale
consistent à méditer sur l’espace et à et complète en elle-même. Avant de se
observer la respiration. manifester comme souffle, l’Absolu se fait
Cette dernière pratique nous vide (kha), transcendant radicalement
ramène à la question du Temps. Qu’est- tous les objets. Ce vide est l’objet
ce que le Temps ? Selon la philosophie primordial, le premier état, ou plutôt un
de la reconnaissance (pratyabhiñā), une non-état qui formera l’arrière-plan de
école de pensée inspirée par le Kaula- tous les états et de tous les objets à venir.
dharma, le Temps est changement, rien de C’est l’espace, c’est la Conscience se niant
plus que la succession des phénomènes. elle-même, se prenant pour son contraire,
Certains sont réguliers, comme le l’inconscience, les ténèbres de la perte
mouvement du soleil. A travers eux, nous de conscience, la matière. Cela peut
pouvons mesurer des phénomènes moins rappeler la notion de Tsim-Tsum. Mais
réguliers. Mais ces cycles sont comme le ici l’évènement se produit au niveau de
souffle de l’Absolu, sa libre manifestation. l’individu, dans son expérience même. Pas
Parmi ces cycles, le souffle est central. seulement une fois, mais comme prélude
L’observation des cycles respiratoires est à rigoureusement chaque cycle cognitif.
une forme naturelle et subtile d’adoration. C’est un principe général pour comprendre
En prendre conscience, c’est réaliser la le Shivaï�sme du Cachemire. Quoi qu’il
véritable nature de la béatitude. Observer enseigne, il est toujours question de
le souffle est la clef pour saisir le Temps l’expérience ordinaire. A chaque instant,

21
tout, c’est à dire le destin de chaque chose, inséparables. Bien évidemment, nous
se joue. Mais seulement ceux « riches en ne voudrions avoir part qu’à l’aspect
conscience » sont en capacité de profiter de création, de béatitude et d’extase.
de ces richesses. Tout ce qui est enseigné Mais l’enseignement qui est transmis
est une invitation à porter son attention ésotériquement par le Krama (krama
sur les détails les plus infimes de ce signifiant « la transmission », mais aussi
qu’on appelle la vie quotidienne. Dieu se « la Marche du Temps ») nous invite à
cache dans les détails. Et de fait, chaque dépasser cette première impression. La
cognition (pensée, émotion, perception, Mort est aussi une délivrance. Comme le
souvenir, désir, action …) débute par cet Temps qui enveloppe tout, la Conscience
état « zéro », dans lequel l’Absolu se nie lui- est libre de tout objet. Sans elle, la
même, ouvrant un espace pour l’Altérité, conscience s’identifierait et serait bloquée
c’est-à-dire pour prendre conscience sur un seul objet, dans un état, sans jamais
de lui-même comme un autre, comme pouvoir aller plus loin. La conscience ne
le cosmos, l’ensemble des individus, le serait pas libre, parce qu’être libre, c’est
Temps. être libre de toute essence, ne pas être
Puis le souffle se fait duel et la confiné à une définition. Ê� tre libre est
course du temps démarre. L’intérieur être libre de soi-même. Si ce n’était pas le
et l’extérieur, l’ici et le là-bas, le haut et cas, la Conscience ne serait pas différente
le bas, voici le fondement de toutes les d’une pierre, dépourvue de souveraineté.
dualités qui sont à la base du Temps. Dans Bien évidemment, il va de soi que la
le souffle, tous les symboles se révèlent. liberté conduit aussi à la souffrance et la
Dans la synthèse d’Abhinavagupta, le confusion. Mais tel est le prix à payer et le
Trika correspond à l’inspiration et Krama problème est aussi la solution : le Temps
à l’expiration. Pourquoi ? Parce que la est à la fois la cause de toutes les peurs et
tradition Trika incarne l’aspect créateur le refuge. Parce que le Temps est la mort,
de l’Absolu, la béatitude et l’extase. mais la mort est libération, la vraie liberté.
Elle est la Conscience en tant qu’elle Pour en faire l’expérience
donne la vie, qu’elle nourrit et permet concrète, il ne faut pas fermer les yeux
l’accomplissement des choses. Son ou chercher l’isolement. Il suffit de
symbole, ce sont les déesses rayonnant faire attention au contenu l’expérience.
de beauté, incarnant la création. Krama L’attention est la pierre philosophale.
exprime l’aspect destructeur de l’Absolu, Distraits nous perdons pieds, même si
en tant que mort ou plutôt le Temps en nous sommes plongés dans une méditation
tant que mort, la Déesse Kālī. Le Temps profonde. Concentré sur ce qu’il faut,
est la mort, la limite, la fin. La Conscience nous sommes libres et décontractés,
crée mais ce même geste est destructeur. même au milieu de l’agitation. Le Temps
Elle avale ce qu’elle a vomi. Comme une est comparable à un vase à double anse.
image dessinée dans l’eau, les choses L’une brule tandis que l’autre est source
apparaissent et disparaissent en l’espace de joie. Si nous considérons le Temps
d’un instant. Les deux aspects sont comme ce qui détruit ce que nous aimons,

22
Kālī assise sur Śiva (Himachal Pradesh)
nous n’éprouvons que du chagrin. Si au L’apparition des pensées, autrefois cause
contraire nous voyons cette destruction d’effroi, élargit et nourrit notre conscience,
comme une forme de liberté, alors il n’y a enfin libre de toute construction et
place que pour toujours plus de béatitude. lumineuse. Ainsi, la connaissance du
Prenons l’exemple que des pensées qui Temps est la clef et la clef de cette clef est
se succèdent tout le … Temps. Si nous l’attention. C’est la voie royale du Temps.
nous focalisons sur leur apparition, nous Le Kali-yuga devient ainsi la révélation
ne pouvons que nous sentir submergés, de la déesse Kālī laquelle n’est autre que
pris au piège et tendus. Nous pouvons les l’Absolu sous la forme du Temps.
arrêter ou les contempler passivement, ce Au Chapitre VI de son ouvrage
qui peut produire une forme bien limitée Lumière sur les Tantras, Abhinavagupta
de soulagement. Si au contraire, nous décrit une pratique complexe qu’il appelle
envisageons leur tendance à disparaitre « la Voie du Temps. » Le Temps est action.
d’elles-mêmes, nous éprouvons une Mais l’action est une succession de formes.
forme de soulagement comme si un poids Les formes n’existent pas en dehors de
nous avait été enlevé. Le flot des pensées la Conscience. Et ces formes, explique
s’apparente à une forme d’ouverture, Abhinavagupta, se succèdent l’une à l’autre,
soulage les tensions les plus profondes. dans la mesure où elles sont incompatibles

23
l’une avec l’autre, comme le feu et l’eau. Le parties. Le Temps est alors cette même
Temps ou le devenir est donc un moyen conscience du Tout, à ceci près qu’une
pour la Conscience de manifester ses partie est envisagée après l’autre. Il va sans
aspects contradictoires. Dans la mesure dire que le Temps lui-même se manifeste
où ils sont incompatibles, ils ne peuvent dans l’Eternité. Le Temps ne l’annule pas,
pas se manifester simultanément, mais ni ne la remplace parce que sans l’Eternité
seulement successivement. Telle est qui n’est autre que la Conscience, le Temps
l’origine du Temps. ne pourrait pas apparaitre, comme les
Mais cette manifestation en reflets ne pourraient exister sans le miroir
mode successif est fondée sur la Relation, qui les rend visibles.
parce que l’« avant » et l’« après », le Ayant saisi cela, l’adepte ou le yogi
passé et l’avenir sont relatifs les uns aux s’assoit dans son temple privé et contemple
autres. Mais comment une telle Relation sa respiration, une manifestation directe et
est-elle possible ? Ici Abhinavagupta naturelle de la Vibration de la Conscience.
emprunte à la philosophie d’Utpaladeva. Une inspiration suivie d’une expiration
Selon ce dernier, toutes les affaires et d’une hauteur de trente-six doigts depuis
activités quotidiennes se tissent autour le cœur jusqu’à un point situé à douze
de relations. La perception est entre doigts au-dessus de la tête, la Fin des
le sujet et l’objet, la mémoire entre la Douze, là où se situe la porte vers l’Absolu.
perception présente et l’acte de cognition En règle générale, le souffle circule de
passé. Un jugement est une relation entre manière irrégulière jusqu’au nez. Mais
une cognition erronée et une autre qui dans ce cas, il forme une ligne verticale.
en établit la fausseté. Même la simple L’inspiration est une descente vers le cœur
perception d’une chose est l’unité de cette et l’expiration une montée vers l’Espace
chose et donc une synthèse, une relation au-dessus de la Tête. L’énergie s’éveille et
entre des éléments multiples. se redresse, de manière assez similaire à
Mais qu’est-ce qu’une relation ? un cobra que l’on réveillerait doucement
Les choses, affirment Utpaladeva et en le titillant.
Abhinavagupta, ne peuvent se relier les L’adepte doit alors ressentir et
unes aux autres parce qu’elles sont inertes, contempler tous les cycles du Temps
dépourvues de conscience, de désir et de la à travers les cycles respiratoires, une
capacité d’aller au-delà d’elles-mêmes. En demi-inspiration et une demi-expiration.
conséquence, la relation est Conscience, D’abord un instant. Ensuite une minute,
et en ce sens tout est conscience. En ce puis une clepsydre, puis une demi-
qui concerne le Temps, il ne s’agit jamais journée. Ensuite un jour et une nuit, un
que de l’Eternité se déployant en mode mois lunaire, une année, un yuga, un jour
successif. L’Eternité est la totalité mais se de Brahmā et ainsi de suite jusqu’à un jour
manifestant d’un seul coup, comme une et une nuit de Ś� iva, qui sont sans fin. Dans
cité que l’on verrait dans son ensemble du un cycle, un Temps infini. Ainsi la synthèse
sommet d’une colline, une peinture que du Temps et de l’Eternité est accomplie en
l’on contemplerait sans s’attacher à ses cette vie même, dans ce corps même. C’est

24
la libération en cette vie et l’état non-duel Mais tuer le tueur n’est pas
de l’absolu, au-delà des contraires, les le but ultime. En effet, comme le dit
intégrant dans une harmonie supérieure. Abhinavagupta, « la conscience est un
En même temps, si on peut le dire océan et il est dans la nature d’un océan
ainsi, le mouvement de la respiration se d’avoir des vagues .» A la différence du
ralentit, lentement. Les intervalles entre Vedānta, le Shivaï�sme du Cachemire ne
l’inspiration et l’expiration s’allongent. voit pas le mouvement comme un défaut
Le mouvement grossier est consumé ou un mystérieux accident à la surface
par le feu de la conscience, dévorant d’un Absolu impassible, mais comme la
toutes les entraves et les divisions. C’est nature propre de l’Absolu, sa liberté et
une croyance commune à toutes les son excellence. L’Absolu est Vibration. A
médecines traditionnelles de l’Inde que la la manière d’un cœur, il a une pulsation.
longueur et la fréquence des respirations Il manifeste le Tout en lui-même, s’oublie
permettent de prédire la durée de vie. en lui avant de finalement se reconnaitre,
Si la souffle ralentit au point de devenir toujours dans ce Tout. Le Temps est
aussi imperceptible qu’un morceau de consumé et résorbé avant de se manifester
coton, alors la durée de vie s’allonge en de nouveau. Il se déploie de nouveau mais
conséquence. La personne commence à sans perdre le contact avec sa source, la
tendre vers l’immortalité. Le Yoga Vashista Conscience en tant que souffle et vie, et
(ou le Livre qui procure la libération) fut non pas à la manière d’un élément isolé
composé au Cachemire vers la même au sein d’un tout qui lui serait étranger.
période et rapporte l’histoire d’un corbeau C’est le schéma typique dans la pratique
divin qui obtint l’immortalité par cette tantrique : dualité oublieuse de l’unité ;
simple pratique d’observation du souffle. ensuite retour à l’unité, avec exclusion
Au chapitre VII, Abhinavagupta temporaire de toute forme de dualité ;
décrit une autre pratique qui combine finalement le retour à la dualité mais
l’observation du souffle et la récitation accompagnée de la pleine conscience de
de Mantra. On doit réciter un Mantra son unité sous-jacente.
par cycle respiratoire. Ensuite, ce même Une forme plus simple de pratique,
Mantra doit être « récité » en une minute, décrite en de multiples endroits dans les
une heure, une journée, un mois, une écritures du Shivaï�sme du Cachemire,
année, douze ans (selon la tradition la consiste en une simple observation
durée pour qu’une action devienne une du souffle. C’est en fait la forme plus
habitude, un saṃskāra), un yuga, et ainsi ancienne de pratique qu’on trouve dans
jusqu’à l’Eternité. Comme précédemment, les vieux traités du Kaula Tantra et dont
le souffle s’arrête. C’est le cœur de nous vante les mérites un trésor pour la
la pratique consistant à « dévorer le méditation comme le Vijñāna Bhairava
Temps. » Le Temps est souffle. Arrêter le Tantra. Ici, il faut s’assoir comme pour
souffle, c’est arrêter le temps. Si le Temps une séance classique de méditation
est la mort, alors arrêter la respiration, dans laquelle on observe le souffle à la
c’est tuer le Tueur. manière d’un Vipassana. Mais au lieu

25
Couverture d’un manuscrit shaktique représentant Umā et Māheśvara (Népal)

d’être le témoin de ces « phénomènes », ces « jonctions » (saṃdhyā) quand la


un peu à la manière du Témoin dans le Conscience est mise à nue et se révèle telle
Vedānta, on doit se concentrer sur la qu’elle est. Dans les almanachs, cet instant
fin de l’expiration. Au terme de chaque est présenté comme le plus intense,
expiration et avant l’inspiration suivante, quand le chemin vers la libération est
il y a une pause. Cet instant échappe à la grand ouvert. Cela correspond à l’échelle
dualité, ni intérieur, ni extérieur, ni saisi, ni cosmique, aux équinoxes, aux solstices
lâcher prise, ni engagement dans le temps, et aux éclipses. Au niveau psychique à
ni arrachement à lui. ces moments où une pensée vient de
On peut aussi se concentrer sur se finir et la suivante n’est pas encore
la fin de l’inspiration, quand les souffles apparue. La conscience passe alors par
atteignent le centre cardiaque. Mais la un état de pure transparence proprement
pratique est plus facile avec l’expiration céleste. La « méditation » n’est pas autre
dans la mesure où ce mouvement invite chose qu’une manière de se familiariser
naturellement à la relaxation. Il y a alors (pariśīlana) avec ce simple fait.
une pause – un moment d’équilibre L’expiration est appelée prāṇa,
parfait qui n’est ni ceci ni cela. C’est une parce qu’elle est dirigée vers l’extérieur.
porte vers la Source du Temps, non pas ce Elle correspond au soleil, au jour etc…
qui s’y oppose au Temps mais plutôt son C’est le temps de l’action créatrice.
âme même, son mode d’être surabondant. C’est pourquoi, à un autre niveau, la
L’Eternité peut être considérée plus ou prédominance de l’énergie dans le canal
moins ici comme une condensation du solaire droit, apporte la prospérité ou la
Temps, son rassemblement dans une guérison. L’inspiration s’appelle apāna
unité, celle d’un simple regard si on peut parce qu’elle descend dans le Cœur.
dire. Cela correspond au moment le plus Elle est similaire à la lune parce qu’elle
sacré que Calendrier indique : l’aurore apporte fraicheur et vie. C’est encore la
et le crépuscule, midi et minuit, toutes nuit et est donc propice à la violence et à

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la destruction. Mais les deux – expiration dans le sommeil profond. Les potentialités
et inspiration - appartiennent au plan de qu’ils renferment restent à l’état latent, se
la dualité, à ce jeu sans fin de création et limitant à la restauration des facultés de
destruction qu’on appelle le saṃsāra. Par l’organisme.
définition, ce plan est incapable d’apporter Mais quand on s’assoit et que l’on
la satisfaction, parce qu’inspiration et fait pleinement attention à ces moments,
expiration sont relatives l’une à l’autre et cet espace de potentialité s’ouvre. Dans
se chassent mutuellement. C’est encore le les ténèbres du sommeil, une flamme
Temps similaire à ce couple effrayant de se consume. Cette flamme est le souffle
chiens que nous décrit le Veda et auquel qu’on appelle udāna, l’Ascendant, parce
Abhinavagupta fait référence : on peut qu’à la manière d’une flamme, il monte
leur jeter des morceaux de viande pour et brûle les entraves que représentent
calmer leur faim mais, à la fin c’est la mort les doutes et les hésitations du Cœur
qui l’emportera. Comme le jour et la nuit, et qui, plus ou moins consciemment
ils font leur chemin, l’un dévorant la vie entravent la voie vers l’Harmonie. On
de l’autre et réciproquement – cette vie l’appelle parfois Kundaliṇī, ou Conscience
qu’ils alimentent qu’elle en vaille la peine endormie, ralentie, comme hypnotisée
ou pas. par sa propre création. Le Temps est
La pause entre chaque respiration cette Conscience se déplaçant de plus en
est appelée samāna, l’Egalisateur, plus lentement, devenant de plus en plus
parce qu’il se situe à égale distance de mécanique jusqu’au niveau de la matière
l’inspiration et de l’expiration. Du point et de ses « lois ». Mais ce que la Tradition
de vue médical, il prédomine dans le Brahmanique appelle « l’ordre naturel »
sommeil profond et favorise l’assimilation fait partie du songe cosmique. Et ce qu’on
(ou « l’égalisation ») de la nourriture appelle l’Age des Conflits n’est jamais que
ingérée aux différents éléments comme l’effondrement d’un mensonge. La glace
le sang ou les os. Mais ce niveau fond. L’Idéal ne consiste pas à séparer
d’interprétation, bien connu mais sans un Esprit vrai et immuable d’une Māyā
rapport direct avec le sujet abordé ici, ne mouvante, mais de sauver la matière,
devrait pas nous concerner ici. Samāna laquelle n’est jamais que l’Esprit endormi.
est équilibre. Il se situe donc au-delà du Le but pour l’esprit n’est pas de ralentir
Temps puisque le Temps est déséquilibre (sinon temporairement) mais d’atteindre
(vaiṣāmya), et le but final, l’Harmonie sa vitesse originaire qui est en fait infinie.
(sāmya) des différentes possibilités de Ce Feu monte soit graduellement,
la Conscience, la réconciliation entre les soit d’un coup. Mais dans les deux cas,
ennemis absolues : l’unité et la dualité.5 il rend possible cette libération par
Mais la plupart du temps, on ne fait pas rapport au Temps en même temps
attention à ces moments de pause, que ce que la pleine participation à cette
soit entre des respirations, des pensées ou extase créatrice qui n’est autre que le

5 Pratyabhijñā-vimarśinī, IV, 1: «La pleine non-dualité est au-delà de la plénitude, [parce qu’]
elle a intégré à la fois la dualité et l’unité.

27
Temps. Une fois pleinement déployé, il se reconnaitre elle-même. Abhinavagupta
devient vyāna, un type d’énergie encore affirme que cette pratique peut se baser
appelé « l’Enveloppant », cette Conscience sur le souffle mais qu’il existe un moyen
pleinement éveillée, cet Absolu pleinement encore plus simple. Un « souffle » est en
parvenu à la conscience de lui-même vérité une cognition. Cet instant de pure
sous la forme d’un individu. Ainsi, les conscience peut être saisi entre deux
intervalles de pure conscience s’éveillent cognitions, sans élaboration, sans yoga ou
entre chaque souffle, commencent à méditation. Celui qui y parvient devient
« dévorer » le Temps, comme un feu alors le Metteur en Scène universel. Le
consume du bois. Le Temps disparait. centre de soi-même coï�ncide avec le
Mais alors en vyāna, de nouvelles formes centre de la Roue du Temps. On passe
commencent à se manifester. Une nouvelle ainsi de la condition d’esclave du saṃsāra
création, ou plutôt la même vie, mais à celui de Seigneur de la Roue de l’Energie.
vécue en étant pleinement conscience C’est la véritable Alchimie du Temps, celle
de la Source dont elle tire son origine. Le qui permet de jouir du Temps tout en
Temps est le déploiement de la richesse étant libéré de Lui. Le Temps n’est autre
sans fin de l’Absolu. « Et il fait et sait ce que l’Absolu se découvrant lui-même
qu’il veut »6, non pas parce que l’adepte dans son insondabilité, à la fois évident et
est devenu un surhomme, mais parce qu’il mystérieux, voilé par sa propre présence,
vit en harmonie avec sa Source. Le Temps présent dans son absence. Qui peut en
devient sa danse. Il n’y a plus d’écart entre effet nier ou prouver la Conscience ?
ce que l’individu et la Source désirent.
La Personne a fait l’expérience d’une Sources Sanskrites
seconde naissance en tant que fils ou fille Abhinavagupta, Tantrāloka, Motilal
de la Famille composée de Ś� iva et Ś� akti. Banarsidass
Ainsi la Triade (Trika, le nom de l’une des Abhinavagupta, Mālinīvārttika, Kashmir
branches de la religion Kaula) formée de Sanskrit Series
Ś� iva, Ś� akti et l’individu est complète et en Abhinavagupta,
Harmonie parfaite. Īśvarapratyabhijñāvimarśinī, Motilal
La connaissance du Temps (kāla- Banarsidass
jñāna) est donc vitale. C’est d’ailleurs le Mahāmahopadhyāya
titre d’une série de textes parmi les plus Hārāṇacandrabhaṭṭācārya,
anciens. Par ailleurs, dans la plupart des Kālasiddhāntadarśinī,
Tantras, on trouve un chapitre intitulé Sampūrṇanandaviśvavidyālaya
« Tromper la Mort ». On y apprend à
reconnaitre les signes de mort imminente Etudes
et comment la conjurer par des pratiques Anindita Noyogi Balslev, A Study of Time in
magiques. Mais la connaissance suprême Indian Philosophy, Manoharlal
sur le Temps et le moyen le plus direct de Time in Indian Philosophy, edité par Hari
la conjurer restent pour la Conscience de Shankar Prasad, Sri Satguru Publications

6 Pratyabhijñā-kārikā, IV, 15.

28
Histoire et Temps
Une perspective indienne

Álvaro Enterría
Traduit par Renaud Fabbri

Histoire faire la part de l’histoire et celle du mythe


En Inde, le passé est toujours et de la légende, et ce même si la légende a
au tournant : temple, palais, stupas souvent un fondement historique.
bouddhistes, mosquées, forts et des Le souvenir des personnes et
milliers de monuments contribuent à son des gestes qui ont contribué à bâtir cette
attractivité touristique. L’Inde est aussi civilisation s’est estompé, l’historique
un endroit parfait pour étudier l’histoire se confondant avec le mythologique.
vivante. Tous les siècles coexistent, nous Un roi est « le Roi » par excellence (le
permettant d’étudier et de comparer couronnement des rois, abhiṣeka, n’avait
les modes de vie et les mentalités pas pour but d’en faire les souverains de
des civilisations du passé. Des modes tel ou tel royaume mais des souverains
de pensées d’essence symbolique et universels) ; une bataille était un reflet
synthétique, des manières d’approcher la de la guerre du Mahābhārata ; une figure
vie par la pensée ou la contemplation qui religieuse était indiscernable de son
ont disparu depuis longtemps en Occident archétype, le ṛṣi ou le sage primordial.
survivent miraculeusement au côté du Ce qui définit un roi, c’est son autorité de
mode de vie moderne, nous permettant souverain, quelles que puissent être les
de nous souvenir de ce que fut l’existence circonstances extérieures. Ce qui compte
dans un passé lointain. chez un sage, c’est son état intérieur, pas
Bien que dépositaires de son caractère ou sa date de naissance. Les
l’héritage de la civilisation la plus évènements et les habitants de ce monde
ancienne qui existe encore, les Indiens ne sont que le reflet du monde divin ;
ne se sont guère intéressés à l’histoire, ce sont ces derniers, les archétypes,
du moins de la manière à laquelle on qui constituent la réalité véritable.
la conçoit aujourd’hui. Au sein de cette La multiplicité des détails est d’une
immense production de textes sanskrits importance secondaire.
sur les sujets les plus divers, il semble que Il est extrêmement difficile
guère de place ne soit laissée à l’histoire.1 de dater les évènements de l’histoire
L’histoire indienne nous est parvenue ancienne ou la vie de ses figures les
enveloppée de mythes et il est difficile de plus illustres dont nous ignorons le plus

1 Une exception souvent mentionnée est l’histoire du Cachemire écrite par Kalhana au 12ème
siècle de notre ère.

29
souvent le nom.2 Prenons l’exemple de eu un sens de l’histoire, ou qu’ils ne
Ś� aṅkarācārya : le saint et philosophe qui a peuvent rien en tirer ou en apprendre.
exercé une influence énorme sur toute la Bien au contraire, ils ont un sens aiguisé
métaphysique postérieure se voit assigner de l’antiquité de leur culture. Raimon
des dates se situant entre le 6ème siècle av. Pannikar a pu écrire : « La vision qu’un
J.-C. et le 9ème siècle de notre ère (soit une people a de l’histoire indique la façon dont
marge d’erreur de 1400 ans !). Les dates il comprend son propre passé et l’assimile
du Bouddha (peut-être 564-483 avant dans le présent. … Or, l’Inde a vécu son
notre ère) sont aussi sujettes à caution. passé beaucoup plus par ses mythes que
La chronologie de l’Inde ancienne repose par l’interprétation de son histoire en
donc sur des bases très fragiles : la date de tant que souvenir des événements passés.
l’invasion d’Alexandre, celle de la venue de Non que cette dernière soit absente —
pèlerins chinois etc… ; presque toutes les en certaines régions on a même une
dates de l’Inde pré-musulmane se fondent conscience aigüe de l’histoire dans ce
sur des données incertaines combinées à sens-là — mais l’on manque de critères
des approximations et des conjonctures. de différenciation entre mythe et histoire,
Jusqu’à 1838, quand James Prinsep fait déconcertant pour l’esprit occidental
a déchiffré les inscriptions du grand qui ne voit pas que son mythe a lui est
empereur Aśoka (273-236 av. J.-C.), les précisément l’histoire. »3
Indiens avaient oublié jusqu’au souvenir De fait, l’Occidental a appris
de son nom. Ce sont donc les Anglais qui, à réduire le monde à des catégories
à partir du milieu du 18ème siècle, ont temporelles grâce auxquelles tout est
commencé à étudier l’histoire de l’Inde, censé être explicable. Nous tendons
suivis par les chercheurs indiens à partir à attacher du sens et de la valeur au
du 19ème siècle. Aujourd’hui les indiens se changement, pas à ce qui est permanent,
sont mis à l’étude de leur propre histoire alors que d’autres cultures ont soutenu
avec passion. Malheureusement, en ce exactement l’inverse. L’homme moderne
début de 21ème siècle, l’histoire est souvent a perdu l’expérience, et presque la notion
devenue un instrument de politique d’éternité, qui désigne non pas une durée
partisane. illimitée mais ce qui est atemporel, au-
Mais tout ceci ne veut pas dire delà du temps ; la dimension verticale
que les Indiens n’ont pas ou n’ont jamais de l’existence. L’expérience esthétique

2 L’anonymat est un trait commun aux civilisations traditionnelles. Qui connait les noms
des architectes des cathédrales et temples et ceux des sculpteurs et des peintres qui les ont
décorés ? Pour compliquer encore plus les choses, des pseudonymes étaient souvent utilisés
pour dissimuler l’identité des individus ou des groupes, ou encore un travail était attribué
à un personnage célèbre pour lui donner une aura supérieure (le cas bien connu de Saint
Denys l’Aréopagite en Europe). L’individu n’était pas conçu comme un auteur mais comme un
instrument ou le canal par lequel des œuvres se manifestaient.
3 Raimon Panikkar, “Temps et histoire dans la tradition de l’Inde” dans Les cultures et le temps,
études préparées pour l’UNESCO (Paris: Payot, 1975), p. 88.

30
parce que nous croyons en la réalité du
temps, et, en conséquence, nous oublions
ou sous-estimons l’éternité. »4
De leur côté, les Hindous n’ont
jamais eu le sentiment d’être prisonniers
de l’histoire et pour cette raison n’ont
pas cherché à mémoriser la séquence
des évènements particuliers ; ils ont écrit
leur histoire à travers les épopées du
Rāmāyaṇa et du Mahābhārata (ce qu’on
appelle les itihāsas, « Il en fut ainsi ») et
dans certaines parties du corpus touffus
des Purāṇas (textes “anciens ») dans
lesquels on trouve notamment les lignages
royaux. Même si ces travaux peuvent ne
pas résister à un examen historique de
type « scientifique », il ne fait guère de
doute que beaucoup de ces évènements
ont fort probablement une base
Mircea Eliade (1907-1986)
historique. Par exemple, la découverte
est peut-être la seule chose qui vient récente d’une cité sous les eaux aux larges
lui rappeler qu’il n’est pas juste un être de Dwarka au Gujarat semble corroborer
historique et social. le récit de l’engloutissement de cette cité
Pour citer Mircea Eliade : rapporté par le Mahābhārata. Ces oeuvres
« L’intérêt pour l’histoire se manifeste ont façonné l’histoire de l’Inde dans la
dans la philosophie contemporaine par mesure où de manière plus indubitable
la tendance à définir l’homme comme que n’importe quelle forme d’histoire au
un être historique particulier, un être sens moderne, ils portent témoignage des
conditionné, une création de l’histoire aspirations et de l’âme d’un peuple.
… L’angoisse de l’homme moderne est Ajoutons que les périodes
secrètement liée à la conscience de son de temps envisagées et l’univers
historicité, et cela se traduit à son tour « historique » dans lequel évolue l’Inde
par son anxiété face à la mort et au néant sont beaucoup plus larges et moins limités
… ‘La mauvaise action’, comme diraient les que celui de l’Occident. L’histoire est
Hindous, consiste non pas à vivre dans le pensée en termes de millénaires ; deux ou
temps mais à croire que rien n’existe en trois siècles est de la longue durée pour
dehors du temps. Nous sommes dévorés la mentalité occidentale contemporaine,
par le temps et par l’histoire, non pas mais beaucoup moins pour la perspective
parce que nous vivons dans le temps, mais
4 Les citations de Eliade sont tirées d’un petit livre, sortie en Argentine : Mircea Eliade, Los
mitos del mundo contemporáneo (Buenos Aires: Ed. Almagesto, 1991). Les textes originaux
n’ont pas pu être identifiés. [Note du traducteur]

31
Baratage de l'océan par les devas et les asuras

indienne traditionnelle. Kabī�r (1440- un sens qui ne peut pas être épuisé par
1518 ?) est presque un contemporain une interprétation purement « littérale »
pour les Indiens alors que la distance des faits. La sagesse universelle a toujours
séparant les Européens d’aujourd’hui de opposé « l’Etre » au « Devenir. » Ne
ceux de cette époque semble quasiment voir que le Devenir (en termes indiens,
infranchissable. le saṁsāra) sans saisir la dimension
L’histoire, telle qu’on la conçoit verticale, « l’Etre » (sat, Brahman), c’est
aujourd’hui, trace une série linéaire en rester à la surface des choses.
d’évènements séparés les uns des autres Dans la perspective indienne,
et liés entre eux uniquement par des selon Ò� scar Pujol, « l’explication
rapports de causalité. Le point de vue traditionnelle est holistique, pas
indien est organique : il voit l’univers historique. Elle tend à créer du sens en
comme un tout – constitué de différents surimposant et en unifiant différents
niveaux hiérarchiques, s’élevant du niveaux d’interprétation en vue de former
matériel au spirituel pur – avec des parties un conglomérat herméneutique, doué
interconnectées et unies par la Divinité, d’un sens propre, étranger aux avatars de
le centre de toute chose. C’est cette l’histoire. En effet, une icône traditionnelle
dimension verticale qui unit le temps à ne représente pas des ‘faits’, mais plutôt
l’éternité, sa source. Tout ce qui arrive a des ‘archétypes’ et par définition ne peut

32
ni s’accommoder, ni résister à la critique de limitations et de distinctions, le temps
historique. »5 éternel se change en temps empirique. En
Inde, le cakra ou la roue est le symbole
Le Temps (kāla) classique du monde du devenir (saṁsāra)
Le Temps est le début, le milieu et gouverné par le temps. La circonférence
la fin des créatures, l’existence même des tourne rapidement, mais son mouvement
êtres. Il est la puissance suprême (śakti) est rendu possible uniquement par la
par laquelle Dieu tisse sa māyā.6 Il est dit présence d’un moyeu immobile au centre.
dans l’Atharva Veda : « le Temps est ce qui Selon le Tantra, le monde est né de l’union
cause la naissance des mondes et les fait du pole masculin et féminin de la Divinité.
subsister. Il est le père de toute chose. Il n’y Śiva (la conscience) s’identifie à l’éternité,
a pas de puissance plus grande que lui. » son épouse Śakti (l’énergie) avec le temps,
On insiste surtout sur l’aspect destructeur et avec leur union débute le mystère de la
du temps qui dévore toutes les ambitions création.
et les aspirations humaines et les réduit Contrairement à la vision
au néant. Kṛṣṇa déclare dans la Bhagavad scientifique moderne, le temps, tout
Gītā: “Je suis le Temps Tout-Puissant qui comme l’espace, n’est pas neutre.
détruit toute chose. » (XI, 32). Ś� iva, en tant Chaque moment du temps a un contenu
que Dieu de la destruction qui résorbe spécifique dont il ne peut pas être séparé :
l’univers, est appelé Mahākāla (le Grand il n’y a pas de temps vide (peut-on
Temps), et son épouse ou énergie, Kālī� (de concevoir un temps sans phénomènes ?).
kāla, le temps ; selon une autre étymologie, Deux moments différents ne sont pas
« la noire »). Pour citer la Maitri Upaniṣad interchangeables.
(VI,14-15): « En vérité, il y a deux formes Dans un ouvrage qui tente un
du Brahman7 : le temps et l’intemporel. Ce rapprochement entre Vedānta hindou
qui est antérieur au soleil est intemporel, et Christianisme, l’auteur, « un moine
sans parties ; ce qui se manifeste avec le d’Occident », met en garde « contre une
Soleil est le temps avec ses parties … celui pente naturelle à l’esprit occidental
qui vénère le temps comme Brahman, de consistant à s’imaginer qu’à la distinction
lui, le temps s’éloigne. » de ses concepts correspondrait une
Le temps créé est divisible et limité séparation réelle des choses. S’agit-il du
mais le Temps éternel est un, homogène, temps, par exemple, nous avons tendance
indivisible et illimité. Avec l’introduction à nous le représenter spontanément

5 Ò� scar Pujol, “Introducción”, in Patañjali, Yogasūtra, Los aforismos del yoga, traduction,
introduction et commentaires de Ò� scar Pujol Riembau (Barcelona: Kairós, 2016) p. 18.
6 Māyā est « l’illusion cosmique », la « magie », « l’art », « le pouvoir occulte » du Dieu qui crée le
monde des apparences, par lequel l’unité apparait comme multiplicité, Brahman sous la forme
du monde. Tout ce qui n’est pas divin appartient au royaume de māyā.
7 Brahman est l’Absolu, le Dieu au-delà de toute forme et de toute personnalité. Selon les
doctrines non-dualistes (advaita), Brahman est au-delà de toutes les dualités comme celles
entre Dieu et l’Univers, l’Observateur et l’Observé etc…

33
comme une sorte de réalité en soi, conceptions du temps en Occident et
séparable de ce qui passe (et dont nous dans la civilisation indienne. Alors que
sommes) … Monde et temps ne sont pas la conception occidentale du temps est
des réalités séparées. Il n’y a pas le monde linéaire, la pensée indienne l’envisage
d’un côté, et de l’autre, à part du monde, le comme circulaire, ou plutôt cyclique. Le
moment présent. Il y a un unique existant temps ne peut être mesuré qu’en prenant
que nous pouvons appeler ‘le monde- comme point de départ les cycles de la
maintenant’. »8 nature et il est donc logique qu’il adopte
D’un point de vue microcosmique, une forme cyclique à tous les niveaux.
le temps est une construction mentale Comme les jours et les nuits, les saisons et
sans réalité intrinsèque. Quand le les années se répètent sans être jamais les
mental se calme, le temps ralentit ; mêmes11, de la même manière les grands
quand l’activité mentale s’apaise dans la cycles cosmiques se succèdent les uns
contemplation (samādhi), le temps cesse aux autres, de telle sorte que la fin d’un
d’exister. Selon Bartṛhari: « dans l’état cycle coï�ncide avec le début du suivant
d’ignorance, le temps est la première dans une succession sans commencement
chose à se manifester, mais il disparait ni fin.12 Avec quelques nuances, cette
dans l’état de sagesse. »9 Seul le sage conception cyclique est commune aux
libéré le transcende définitivement, Hindous, Bouddhistes et Jaï�nistes.
vivant à jamais dans l’éternel présent, Le plus court de ces grands cycles
cet instant intemporel dans lequel le est le mahāyuga ou caturyuga, qui se
monde n’existe pas encore. Pour citer divise en quatre ères (yuga) ou périodes
A. K. Coomaraswamy : « C’est ‘nous’ qui de développement du monde et de
nous déplaçons alors que le Maintenant l’homme de durée décroissante. Les noms
reste immobile et donne simplement de ces phases du cycle ont été empruntés
l’impression de se déplacer – de la même aux quatre coups dans le jeu de dés
manière que le Soleil semble se lever et indien. La première période est le Kṛta
se coucher en raison de la rotation de la yuga (kṛta: accompli, fini, parfait) appelée
terre. »10 aussi le Satya yuga (satya: vérité). C’est
l’âge pendant lequel l’univers et le monde,
Les cycles cosmiques en raison de sa proximité avec le Principe
Métaphysiquement, il y a dont ils sont la manifestation, sont dans
une différence énorme entre les un état de plénitude et de perfection. Le

8 Un moine d’Occident, Doctrine de la non-dualité (advaita-vâda) et christianisme. Jalons pour un


accord doctrinal entre l’Église et le Védanta (Paris: Dervy, 1982), pp. 80, 81-82.
9 Bartṛhari, Vākyapadīya, II, 233, cité par Raimon Panikkar dans Les cultures et le temps, op. cit.
10 Ananda K. Coomaraswamy, Time and eternity, (New Delhi: Munshiram Manoharlal, 2014), p. 3.
11 Ce qui exclut l’éternel retour, deux cycles ne pouvant être que similaires pas identiques.
12 Ces descriptions des phases de l’univers se trouvent dans les Purāṇas et le Mahābhārata, qui
font partie de la smṛti (« remémoré »), une grande masse de textes qui ne cède en autorité qu’à
la śruti (« entendu », au sens d’une révélation) : les Veda, incluant les Upaniṣads.

34
taureau, symbole du dharma13 se tient sur l’imperfection, les ténèbres et la lumière
ses quatre pattes à la fois. Dans ce yuga, s’équilibrent. Les hommes commencent
l’homme est conscient de son origine à oublier la connaissance spirituelle à
divine et manifeste toutes les possibilités mesure que l’univers s’éloigne de son
de l’état humain. Tous les hommes Origine. Dans le mouvement descendant
appartiennent à une seule caste appelée du cycle nous atteignons finalement le
haṁsa qui se situe au-dessus des quatre Kali yuga (kali : le pire de toute chose, le
castes (varṇa) qui vont lui succéder. conflit, la dissension ; aucun rapport avec
la déesse Kālī� avec deux voyelles longues)
« Dans l’état d’ignorance, le ou l’Age Sombre dans lequel nous nous
temps est la première chose à trouvons, le taureau du dharma ne tenant
se manifester, mais il disparait plus que sur une seule patte, les trois autres
dans l’état de sagesse. » ayant disparu. « Quand sous l’influence
Bartṛhari maléfique de Kali les hommes ont perdu
leur vigueur, quand le dharma des varṇas
Mais le processus de manifestation and āśramas14 tel que l’enseigne les Vedas
implique un éloignement progressif et a péri ; quand les manières des athées et
inexorable par rapport au Centre – ce qui leurs enseignements se répandent ; quand
nait a commencé à mourir –, une descente les rois ont dégénéré en simple voleurs ;
à mettre en parallèle avec le concept quand l’homme se met à pratiquer le
judéo-chrétien de « Chute ». Au Kṛta yuga vol, le mensonge et le meurtre gratuit »,15
succède le Tretā yuga, au cours duquel la enseigne le Śrīmad Bhāgavatam, alors
maladie et le travail apparaissent et les nous sommes dans le Kali yuga. « Dans
hommes se répartissent en quatre castes l’âge de Kali, la fortune prend le pas
en fonction de leur nature particulière. sur la naissance, la vertu et la dignité
Le taureau du dharma ne tient plus que personnelle pour jauger la valeur d’un
sur trois pattes, puis sur deux dans le homme. La force fait le droit, déterminant
Dvāpara yuga, l’âge où la perfection et ce qui relève du dharma et de la justice.

13 Dharma, un mot difficile à traduire, désigne « ce qui maintient » l’ordre cosmique, social et
personnel, la loi, la nature de l’homme et de l’univers. Pour être en harmonie avec l’univers
et son soi le plus essentiel, l’homme doit mettre sa conduite en conformité avec son propre
dharma (svadharma), en fonction de sa nature particulière et de sa situation dans la vie.
14 Les varṇas sont les quatre états ou « castes » (à ne pas confondre avec les jātis, parfois décrites
comme des « sous-castes ») entre lesquelles est divisée la société hindoue : les brāhmaṇa ou
la caste sacerdotale et intellectuelle ; les kṣatriya, les guerriers ou administrateurs ; les vaiśya,
les marchands et les entrepreneurs ; et les śūdra ou travailleurs manuels. Les āśramas sont
les quatre phases traditionnelles de l’existence : brahmacārī, étudiant; gṛhastha, maitre de
maison, vānaprastha, ermite vivant retiré dans la forêt et saṁnyāsī, moine ayant complètement
renoncé au monde. On appelle varṇāśrama dharma l’organisation en varṇas et āśramas.
15 Srimad Bhagavata, Skanda XII, cap. 2 traduit à partir de la traduction anglaise de Swami
Tapasyananda, (Madras: Sri Ramakrishna Math, 2003).

35
L’attraction mutuelle sera le seul facteur tourné en dérision et on se persuadera
à prendre en compte dans les relations que ce n’est là que mensonge. Aucun mot
maritales. Les affaires deviendront de révérence ou de piété, pas une parole
synonymes de pratiques frauduleuses. »16 digne du Ciel et des dieux qui le peuplent
Il y aura confusion des castes (varṇa), les ne se fera entendre ou n’éveillera plus la
brāhmaṇas (brahmanes: dépositaires et foi. »18
transmetteurs du savoir spirituel) feront Ovide de son côté écrit : « Tous les
commerce du savoir et se comporteront maux se déchainèrent avec l’avènement
comme des śūdras, les śūdras (les gens de cet age de bassesse (l’âge de fer) : la
sans tendance spirituelle) obtiendront les modestie, la vérité et la foi fuirent cette
positions les plus élevées dans la société. terre et furent remplacées par la duperie,
A la fin du cycle, la famille disparaitra, les les intrigues, les pièges, la violence et ce
gens mourront de faim et la spiritualité maudit appât du gain … Et le géomètre
sera réduite à la part congrue.17 vint tracer les limites précises sur cette
terre qui était jusque-là un bien commun
L’Age des conflits comme la lumière du soleil et l’air que
Des textes similaires se l’on respire … ils fouillèrent même les
rencontrent dans beaucoup d’autres entrailles de la terre ; et les richesses que
traditions. Selon Hermès Trismégiste : le créateur y avait enfouies et dissimulées
« Ils disséqueront les animaux inférieurs … furent mises à jour, ces richesses qui
– oui mais aussi ils se disséqueront entre poussent l’homme au crime. »19
eux — cherchant le secret de la vie et ce Ne sommes-nous pas plus ou moins
qui se cache à l’intérieur … Ils couperont dans cette situation ? Selon le discours
les arbres de leur terre natale et officiel qui identifie arbitrairement
navigueront sur les mers pour découvrir progrès technologique et progrès humain,
ce qui se trouve au-delà. Ils creuseront nous serions dans le meilleur et le plus
des mines, explorant les entrailles les sage des âges de l’humanité. Platon, qui
plus ténébreuses de la terre (…) En ce disait que les hommes d’antan « valaient
qui concerne l’âme et la croyance en sa mieux que nous et étaient plus proches
nature immortelle ou même l’espérance des dieux »,20 écrivait dans le Critias ou
d’atteindre l’immortalité … tout cela sera l’Atlantide que « quand l’élément divin

16 Srimad Bhagavata, ibid.


17 Il est important de remarquer qu’il y un minimum en dessous duquel il n’est pas possible de
sombrer. Dans le Kali yuga, le taureau du dharma tient encore sur une patte. Il ne peut pas y
avoir une disparition pure et simple du dharma, qui n’est autre que la nature humaine, laquelle
ne peut être complètement ignorée ou oubliée.
18 Hermes, Stobaei, Exc. XXIII, 45; Asclepius, III, 25-26a.
19 Ovide, Les métamorphoses, Livre I. [Les citations d’Hermès et d’Ovide sont traduites de l’anglais
à partir de The Treasury of Traditional Wisdom, édité par Whitall N. Perry, George Allen and
Unwin, 1971.]
20 Platon, Philèbe, 16c, Œuvres Complètes (Paris: Flammarion, 2008).

36
La déesse Bhadrakali vénérée par les dieux

vint à s’étioler en eux, parce que cet discernement, ils apparurent moralement
élément avait été abondamment mélangé laids, parce qu’ils avaient laissé se
et souvent avec l’élément mortel, et quand corrompre les biens les plus beaux qui
le caractère humain vint à prédominer, viennent de ce qu’il y a de plus noble,
alors, désormais impuissants à supporter tandis qu’aux yeux qui n’arrivent pas à
le poids de la prospérité qui était la discerner quel genre de vie correspond
leur, ils tombèrent dans l’inconvenance, véritablement au bonheur, ils parurent à
et, aux yeux de celui qui fait preuve de ce moment-là être parfaitement beaux et

37
heureux. »21 avec une cuillère en bois et conduisait
Les saints n’ont besoin de presque un chariot tiré par des chevaux blancs. Il
rien pour vivre en ce bas monde puisque n’y a rien d’étonnant à ce qu’aucune trace
leur bonheur ne dépend des choses archéologique ne soit restée, à l’exception
extérieures ; et pourtant aujourd’hui, peut-être d’un fragment de bol en argile. »22
l’homme moyen a des besoins multiples Plutarque raconte que « les
et le monde moderne n’a d’autre ambition É� gyptiens … avaient érigé à Thèbes, dans
que d’y répondre. Une vie frugale n’est le temple d’Isis, une colonne sur laquelle
pourtant pas synonyme de pauvreté étaient gravées des imprécations contre
intellectuelle, bien au contraire. Au fil des le roi Ménis [Pharaon du 3ème millénaire
millénaires, les Brahmanes de l’Inde ont av. J.-C.], qui, le premier, leur avait fait
mené une vie très simple et produit une abandonner leur manière de vivre simple,
riche tradition intellectuelle et spirituelle, frugale et modeste. »23 L’historien R. H.
transmise oralement en Sanskrit, une Tawney explique ainsi le changement
langue beaucoup plus sophistiquée et de perspective : « D’un être spirituel qui
complexe que les langues modernes. Ne doit pour survivre consacrer une partie
peut-on pas croire que ce ne fut pas aussi raisonnable de son temps aux affaires
le cas pendant une partie significative de économiques, l’homme donne parfois
la très longue « préhistoire » ? l’impression d’être devenu un animal
Selon Arthur Osborne, « le terme économique, qui aura néanmoins la
d’ ‘Age de Pierre’ est utilisé avec une prudence de veiller également à son bien-
connotation péjorative, évoquant de être spirituel. »24
manière trompeuse la brutalité. Il n’y a Les derniers siècles ont été
rien d’intrinsèquement absurde dans la le témoin d’un essor sans précédent
légende chinoise relative à l’Empereur du savoir extérieur. Mais la sagesse, la
Yao, ce souverain de l’âge de pierre qui connaissance « intérieure », a diminué
était vénéré comme un modèle de pureté dans des proportions alarmantes.
et d’austérité et était déjà vu comme L’homme contemporain est un géant en
un Ancien du temps de Confucius. On termes de connaissance des mille et un
raconte qu’il portait des vêtements de détails du monde physique et des moyens
chanvre l’été et de la peau de daim en d’agir sur lui (machines, transports,
hiver, habitait une maison en bois dont instruments pour mieux voir, entendre
les poutres n’étaient pas sculptées ou et communiquer …) mais c’est un nain
le chaume coupé, qu’il mangeait de la atrophié en termes de contrôle de lui-
nourriture frugale dans un bol en argile même et de développement de son âme.

21 Platon, Critias ou l’Atlantide, 121 a-b, ibidem.


22 Arthur Osborne, The Rhythm of History (Varanasi: Indica Books, 2011), p. 15.
23 Plutarque, Isis et Osiris (Editions de l’Arbre d’Or, 2001).
24 R. H. Tawney, Religion and the Rise of Capitalism (Penguin, 1987), cité par Bryan Appleyard,
Understanding the Present: Sciences and the Soul of Modern Man (New York: Anchor Books,
1994), p.53.

38
L’homme moderne ne peut guère survivre corrompus de ce que nous laissons
que dans son environnement artificiel derrière nous. Le nouveau monde nous
et appauvri. Il n’a pratiquement pas de montre au contraire en quoi les choses
préoccupations au-delà de ses besoins se sont améliorées mais celui qui périt
immédiats : il cherche l’argent, pas la emmène avec lui mille et une vertus
vertu, il n’a pas le temps pour les grandes désormais complètement oubliées.
réflexions ou la méditation des grands Les évènements du Mahābhārata se
mystères de la vie, pour ne rien dire de déroulent à la fin du Dvāpara yuga, se
la contemplation. Toutes les grandes prolongeant dans le Kali yuga. La guerre
traditions religieuses s’entendent sur le purifie et nettoie un monde corrompu par
fait que notre époque est marquée par des rois arrogants et autocratiques qui
une extrême pauvreté spirituelle. incarnaient des valeurs très anciennes
Mais rien n’est complètement mais dégénérées au dernier degré ; le Kali
blanc ou noir. Toute époque a des yuga, bien qu’inférieur spirituellement,
compensations qui peuvent la rendre commence en paix avec le règne du
supérieure aux autres de ce simple point souverain bienveillant Yuddhisthira.
de vue. Même si la tendance générale est La marche descendante des yugas
descendante, Robert Bolton explique en indique une tendance générale même si
quoi l’illusion du « progrès » - l’idéologie des cycles mineurs peuvent se manifester,
par excellence de notre temps – tient avec leurs hauts et leurs bas dans chaque
toujours : « Le commencement d’un cycle yuga. Comme les jours forment les années,
mineur implique toujours le retour initial chaque cycle contient d’autres cycles,
à un état de perfection plus élevé que la de petits cakras au sein de plus grands.
fin immédiate du cycle qui le précédait. Si nous prenons le calcul des durées des
C’est en raison de cette propriété du cycles littéralement, on pourrait supposer
temps que la croyance au progrès semble que nous sommes à la fin d’un petit Kali
se trouver confirmée, dans la mesure où la yuga, un micro-cycle dans le grand Kali
manifestation de possibilités inférieures yuga.
apparaitra d’abord comme l’actualisation Une date souvent proposée pour
de valeurs nouvelles. Notre attention est le début du Kali yuga est 3102 avant notre
ainsi détournée de la perte bien réelle qui ère, date légendaire de la mort de Krishna,
est la nôtre, focalisée que nous sommes 36 ans après la fin de la guerre que
sur le gain tout relatif mais plus visible qui raconte le Mahābhārata. Remarquons au
l’accompagne. »25 passage que toute l’histoire connue tombe
Le monde qui nait est nouveau et dans le Kali yuga. A la fin de cet « Age
prometteur, gros de possibilités encore des Conflits », au terme de tribulations
méconnues ; celui qui meurt est vieux et terribles, Kalki, l’ultime avatāra
décadent, mettant en évidence les aspects (incarnation divine) apparaitra, monté

25 Robert Bolton, The Order of the Ages: World History in the Light of a Universal Cosmogony,
(Sophia Perennis, Ghent, 2001), p. 219.

39
sur un cheval blanc et, après une tempête « la science ne connait absolument rien
d’eau ou de feu,26 restaurera toute chose de l’homme préhistorique ; pour la simple
dans son état primordial, inaugurant ainsi raison qu’il est préhistorique … l’histoire
le début d’un nouveau cycle qui débutera n’a rien à en dire ; et toutes les légendes
avec un nouveau Satya yuga.27 disent que la terre était plus bienveillante
La perspective cyclique tend à voir qu’aujourd’hui. Il n’y a pas de tradition
tous les commencements, et toutes les relative au progrès ; mais toute l’espèce
fins, comme relatifs. Il n’y a pas de Genèse humaine a une tradition relative à la
ou de fin du monde au sens propre dans Chute. »28
l’Hindouisme. La perfection, tout comme
l’inéluctable décadence, à la manière de Une cosmologie vertigineuse
l’aube et du crépuscule, se situent aussi Les yugas sont de durée
bien derrière que devant nous. décroissante, avec des proportions
Comme nous pouvons le respectives de 4, 3, 2 et 1 faisant ainsi
remarquer, ce concept des quatre âges un total de 10 pour le cycle total. Chaque
est similaire à celui de l’Antiquité gréco- yuga comprend une aube et un crépuscule
latine : Age d’Or, d’Argent, de Bronze et (sandhyā), le Kṛta yuga durant 1 728 000
de Fer. Les civilisations babyloniennes, années terrestres (4 800 années divines),
persanes, précolombiennes et beaucoup le Tretā 1 296 000 ans, le Dvāpara 864 000
d’autres avaient des conceptions ans et le Kali yuga 432 000 ans pour une
cycliques similaires. L’idée d’un déclin de total de 4 320 000 d’années (12 000
l’homme depuis un âge plus noble et pur années divines) pour le cycle complet.
est universelle, si on excepte la civilisation Maintenant 71 de ces cycles ou mahāyugas
contemporaine qui confond progrès forment un manvantara ou période
matériel et niveau culturel et spirituel. de Manu. Manu est le « Noé » du cycle
Il n’y a pas de peuple sans un mythe du précédent, l’archétype de l’être humain,
paradis perdu. D’après G. K. Chesterton, le père de l’humanité actuelle, celui qui lui

26 Platon dans le Timée (22-23) rapporte une conversation entre Solon et un vieux prêtre
égyptien. Solon lui raconte les souvenirs historiques les plus anciens des grecs. Ce à quoi le
prêtre répondit : « Solon, Solon, vous autres Grecs êtes toujours des enfants ; vieux, un Grec
ne peut l’être. » Sur ce, Solon s’enquit : « Que veux-tu dire par là ? » Et le prêtre de répondre :
« Jeunes, vous l’êtes tous par l’âme, car vous n’avez en elle aucune vieille opinion transmise
depuis l’antiquité de bouche à oreille ni aucun savoir blanchi par le temps. Voici pourquoi.
Bien des fois et de bien des manières, le genre humain a été détruit, et il le sera encore. Les
catastrophes les plus importantes sont dues au feu et à l’eau, mais des milliers d’autres causes
provoquent des catastrophes moins importantes … En tout cas, les généalogies concernant les
gens de chez vous que tu viens, Solon, de passer en revue, diffèrent bien peu des mythes pour
enfants. D’abord, vous ne gardez le souvenir que d’un seul déluge sur terre, alors que plusieurs
sont survenus auparavant. » (Œuvres Complètes, traduction dirigée par Luc Brisson).
27 On peut établir ici un parallèle avec le retour du Christ et la descente de la Jérusalem Céleste.
28 Gilbert K. Chesterton, Orthodoxy (Hazleton PA: The Electronic Classics Series, 2014), p. 132.

40
manifesté se résorbe (pralaya) et n’existe
plus sinon à l’état de potentialité, et ce
jusqu’au réveil le « jour » suivant. Jour
après jour, Brahmā vit jusqu’à 100 ans et
finalement « meurt », se résorbant dans
la Substance Primordiale ou la Divinité
indifférenciée dont il est venu. Dans ce
mahāpralaya ou destruction universelle
de grande ampleur non seulement
les trois mondes (ciel, terre et espace
intermédiaire) disparaissent mais aussi
toutes les sphères d’existence, y compris
les plus élevées. Cette vie de Brahmā ou
mahākalpa est la période la plus longue
qui existe, égal à 311 040 000 millions
d’années terrestres.29
Viṣṇu, conçu alors comme la
divinité suprême (l’Absolu, Brahman, est
souvent personnifié sous les traits de
Brahmā, le créateur (Photo de Tim Evanson) Viṣṇu, Ś� iva ou la Déesse (Devī�) qui ne sont
dans les autres cas que des aspects partiels
transmet la loi suivant laquelle elle doit
de la Divinité) sous la forme de Nārāyaṇa,
vivre. Un manvantara dure donc le chiffre
est étendu endormi sur le serpent Ananta
astronomique de 306 720 000 ans ! 14
(« sans fin, infini ») à la surface de l’océan
manvantaras avec leurs crépuscules
primordial de lait qui n’est autre que sa
respectifs ou 1000 mahāyugas constitue
propre substance. Seul subsiste alors le
un kalpa ou jour de Brahmā, le dieu
Brahman au-delà de toute manifestation
créateur. A la fin de cette journée de
et de toute différentiation, reposant en
4 320 millions d’années, Brahmā ferme
lui-même dans la Grande Nuit, là où il
les yeux et s’endort pour une nuit de
n’y a plus ni lumière ni ténèbre.30 Quand
durée égale au cours de laquelle l’univers

29 Selon certaines interprétations, les nombres d’années attribués à chaque cycle ne devraient pas
être interprétés littéralement mais symboliquement (encore qu’ils ne soient pas arbitraires).
Dans tous les cas ces données doivent être basées sur la période de précession des équinoxes,
durée de rotation que met l’axe de la terre pour revenir à sa position initiale (cet axe tourne
comme une toupie), c’est-à-dire environ 26 000 ans. Ce grand cycle, dont la moitié (13 000
ans) correspond à la Grande Années des Perse et des Grecs, était bien connu des civilisations
anciennes. Sur cette question, René Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques (Paris:
Gallimard, 1970).
30 « Quand tous les mondes ont disparu, tout est endormi : Lui seul est éveillé. Puis de cet espace
infini, de nouveaux mondes apparaissent et s’éveillent, un univers aussi vaste que la pensée.
L’univers est dans la conscience du Brahman et à lui il retourne. » (Maitri Upaniṣad, VI,17, trad.

41
Nārāyaṇa finalement se réveille, un lotus Vivre dans l’Age Sombre
surgit de son nombril et donne naissance La manière chronologique dont
à un autre Brahmā, qui sera le géniteur le mythe est raconté relève dans une
d’un nouvel univers. certaine mesure de l’analogie parce
Le nombre d’univers qui se que notre esprit ne peut comprendre
succèdent ou coexistent est sans limite, que des évènements qui se déroulent
« Ah, qui fera le décompte des univers qui dans le temps. Une interprétation plus
ont disparu ou des créations nouvelles profonde suggère une chaine causale se
qui sont apparues encore et encore à déroulant hors du temps, à un niveau à
partir de l’abime insondable des eaux la fois macro et microcosmique. La loi de
immenses ? Qui peut dénombrer la suite correspondance qui existe entre toutes les
des âges du monde qui se succèdent sphères de l’existence33 permet l’usage de
sans fin ? Qui cherchera à travers les modes d’expression de type sensoriel ou
espaces infinis les myriades d’univers, rationnel en vue de saisir par analogie des
chacun ayant son Brahmā, son Viṣṇu,31 réalités supérieures n’étant plus régies
et son Ś� iva? … Au-delà de tout ce que par les lois ou conditions, notamment
nous pouvons voir, les univers vont et spatio-temporelles, qui s’appliquent à
viennent remplissant l’espace extérieur notre monde ; tout le symbolisme est
en multitude innumérable. Comme de basé sur ce principe. De la même manière,
fragiles bateaux, ils voguent sur les eaux le mythe des cycles est la traduction d’une
pures et sans fond qui forment le corps de cosmogonie en langage temporel. Le réel
Viṣṇu. De chaque pore de son corps éclot en tant que tel est au-delà du temps et
un univers … A chaque clignement d’œil inaffecté par lui.
du grand Viṣṇu [Mahāviṣṇu] un nouveau La prédominance de l’un ou l’autre
Brahmā fait son apparition. Tout se qui se des trois guṇas34 est ce qui détermine le
tient en dehors de la sphère de Brahmā moment cosmique. « Quand le mental,
est aussi fugitif que des nuages qui vont et l’intellect et les sens sont surtout associés
qui viennent. »32 avec le sattva, nous sommes dans le Kṛta

Joan Mascaro). Voir aussi Nāsadīya sūkta ou le « Poème du Non-Etre» dans le Ṛg Veda, X.129.
31 Viṣṇu, envisagé à d’autres moments comme la Divinité suprême, est conçu ici comme Dieu sous
son aspect de protecteur et préservateur, en tant qu’il forme une partie du trimūrti, un des trois
aspects de Dieu.
32 Heinrich Zimmer, Myths and Symbols in Indian Art and Civilization (Delhi: Motilal Banarsidass,
1990), pp. 5, 6, 9. Extrait du Brahmavaivarta Purāṇa, 47.
33 « Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas. » (Hermès Trismégiste)
34 Les trois guṇas sont les constituants fondamentaux dont sont faits la nature et le mental.
Sattva est la qualité de « transparence », « légèreté », la tendance ascendante. Rajas produit le
mouvement, l’action, la passion ; c’est le mouvement expansif sur un plan horizontal. Tamas
est la qualité de « lourdeur », l’inertie, les ténèbres, l’opacité ; c’est la tendance descendante.
Dans le mental, ces trois qualités produisent la connaissance, l’activité ainsi que la stabilité et
l’inertie.

42
yuga … Quand les hommes commencent textes affirment néanmoins que dans
à être essentiellement préoccupés par le cette période, il est plus facile d’atteindre
dharma, l’artha et le kāma,35 alors sache la mokṣa. Selon le Viṣṇu Purāṇa, “les fruits
que le Tretā yuga, caractérisé par le des pénitences (tapas), de l’abstinence
rajas l’emporte … Dans le Dvāpara yuga (brahmacārya), de la prière silencieuse
… le rajas combiné avec le tamas sera (japa) accumulés en dix ans pendant le
l’influence dominante. Quand la tromperie, Kṛta yuga, un an pendant le Tretā, un mois
le mensonge, l’oisiveté, l’endormissement, pendant le Dvāpara sont obtenus en un
la cruauté, la souffrance, l’illusion, la peur jour et une nuit pendant l’Age de Kali. »38
et la misère dominent, nous sommes dans Parce que l’aspirant spirituel doit lutter
le Kali yuga, lequel est sous l’emprise du dans une ambiance hostile et nager contre
tamas. »36 Les caractéristiques propres au le courant, la grâce divine lui permet
Kṛta Yuga sont « la vérité, la compassion, d’atteindre son but avec de moindres
l’austérité et la générosité » ; celles du efforts. Quand les élèves dans une classe
Kali yuga sont « le mensonge, la violence, sont ignorants, les examens doivent être
l’insatisfaction, la discorde ». Dans ce plus faciles …
yuga, le mental des gens est dans un Swami Chandrasekhara Bharati,
état d’agitation, livré aux passions qui Shankaracharya de Sringeri de 1912
ont été mentionnées. Au début du 20ème à 1954, expliquait que « dans les âges
siècle, en réponse à la notion occidentale passés, Kṛta, Tretā et Dvāpara, ceux qui
de « progrès », K. S. Ramaswamy Sastry désiraient consacrer leur esprit à Īśvara39
déclarait que le vrai progrès « signifiait étaient pléthores. Ils devaient donc se
simplement la victoire du sattvique sur qualifier par des pénitences intenses.
les pulsions rajaso-tamasiques. Le déclin Mais la situation est totalement différente
est l’inverse. »37 aujourd’hui. Ceux qui veulent consacrer
Le Kali yuga est cette ère difficile leur esprit à Īśvara sont en petit nombre.
au cours de laquelle l’essentiel du savoir Īśvara sait pertinemment qu’à moins de
spirituel a été perdu. En conséquence, les diminuer les attentes, il ne Lui restera
passions humaines les plus inférieures plus d’aspirants … C’est pourquoi même
s’expriment sans frein. Beaucoup de pour l’homme de peu de mérite, c’est le

35 Le dharma est la conduite droite ; artha renvoie à la richesse et au pouvoir ; kāma est la
satisfaction des désirs. Avec le mokṣa ou la réalisation spirituelle, ils constituent les quatre
buts de l’existence.
36 Srimad Bhagavata, op. cit., Skanda XII, ch. 2, 27-30.
37 K. S. Ramaswamy Sastry, Hindu Culture: An Exposition and a Vindication, (Madras: S. Ganesan,
1922).
38 The Viṣṇu Purāṇam, texte Sanskrit avec traduction anglaise de H. H. Wilson, édité apr K. L.
Joshi (Delhi: Parimal Publications, 2011), VI,2,15-16.
39 Īśvara est le Dieu personnel : créateur, protecteur et destructeur du monde, à dissocier du
Brahman ou l’Absolu en qui aucune dualité (Dieu-univers-homme) n’est possible. L’homme
peut avoir une relation avec Īśvara, pas avec le Brahman.

43
moment idéal pour chercher à plaire au lui. Entre l’instant le plus infinitésimal et
Seigneur en lui faisant offrande de son un mahākalpa, il n’y a pas réellement de
esprit. »40 Les choses étant ainsi, « nous différence qualitative. Seul Brahman, la
devons faire fi de la morosité spirituelle pure conscience au-delà de la dualité du
ambiante et chercher la lampe qui pourra sujet et de l’objet, la réalité sous-jacente
nous guider et dissiper les ténèbres sinon au cosmos et à l’homme, est au-delà du
pour tous du moins pour nous-mêmes. »41 temps.
Si nous parvenons à calmer Aussi n’en déduisons pas que
le mental et que le sattva prédomine, la tradition indienne nous encourage à
favorisant ainsi les qualités propres fuir devant nos problèmes et obligations
au Satya yuga, alors à un niveau mondaines. Chacun devrait mener sa vie en
microcosmique, nous vivrons dans une suivant son propre dharma et en honorant
ère beaucoup plus pure. Le sage habite ses responsabilités. Pour citer encore une
toujours dans le Satya yuga. fois Raimon Panikkar : « Presque toutes
les traditions indiennes ont considéré le
L’action détachée sens ultime de la vie comme atemporel et
Pour la civilisation indienne dans un certain sens a-historique. Elles ont
classique, collecter et organiser des davantage mis l’accent sur le détachement
données historiques a autant de sens que et l’abandon des valeurs historiques
de compter les grains de sable d’une plage. que sur un engagement temporel, la
La suite sans fin des évènements n’a en soi vraie histoire étant toujours au-delà
aucun intérêt. Ce qui compte, ce sont les du temporel. Pourtant cet engagement
archétypes, les vérités éternelles qui sont n’a pas manqué, et sa justification
vraies quelle que soit la période historique. se trouve précisément dans une
La doctrine des cycles cosmiques n’a conception religieuse du devoir séculier.
pas pour fin de plonger l’homme dans le L’enseignement de la Bhagavad Gī�tā a été et
désespoir ou l’indolence en lui montrant demeure le modèle par excellence de cette
la toute-puissance tyrannique du Temps, attitude. … Les grands leaders de l’Inde
pas plus que d’appeler à un impossible contemporaine comme Mahatma Gandhi,
retour vers une époque révolue ou encore Vinoba Bhave et d’autres ont trouvé leur
à une évasion vers un autre domaine plus source d’inspiration dans cette spiritualité
subtile de la temporalité (comme celle de l’action de la Gita. Ils ont purifié l’action
gouvernant les cieux ou la vie des dieux). politique des fins personnelles et donné
Elle vise au contraire à faire prendre un sens divin à l’histoire. Ils ont abordé
conscience à l’homme que son seul moyen l’histoire non pas comme une fin en soi —
de salut consiste à s’élever à un autre comme si une société future plus parfaite
niveau où le temps n’a plus de prises sur pouvait constituer l’objet de l’espérance

40 A. R. Natarajan, His Holiness Chandrasekhara Bharati Mahaswamin: A Pictorial Biography and


Teachings (Bangalore: Ramana Maharshi Centre for Learning, 2004), pp. 158-159.
41 H. H. Jagadguru Sri Chandrasekhara Bharati Swaminah of Sringeri Sarada Peetham, Our Duty.
(Bombay: Bharatiya Vidya Bhavan, 1982), pp. 11-12.

44
Kṛṣṇa et Arjuna (Cachemire)

de l’humanité — mais comme un devoir la pensée indienne insiste sur ce point


assigné par Dieu et qu’il faut à la fois particulier : l’ignorance et l’illusion ne
accomplir en s’engageant totalement et consistent pas à vivre dans l’histoire,
avec le plus grand détachement possible. »42 mais à croire en la réalité ontologique de
Ou encore Mircea Eliade : « La prise de l’histoire. »43
conscience de la dialectique de māyā ne Et de fait la Bhagavad Gītā, un des
conduit pas toujours à l’ascétisme et au principaux textes sacrés de l’Hindouisme,
renoncement à l’existence dans la société se déroule au cœur de l’histoire : de
et l’histoire. Cette prise de conscience se manière inattendue au milieu d’un champ
traduit en général par une autre attitude, de bataille avant le massacre. Son message
celle que Kṛṣṇa enseigne à Arjuna dans nous invite néanmoins à agir dans le
la Bhagavad Gītā, à savoir : continue à monde en gardant l’esprit fixé sur l’esprit,
vivre dans le monde et à participer au dans le temps sans oublier l’éternité.
mouvement de l’histoire, tout en prenant On nous demande d’accomplir notre
garde à ne pas donner à cette dernière devoir, comme une offrande, sans nous
une valeur absolue. Plus qu’une invitation préoccuper des fruits : « Tu as vocation
à renoncer à l’histoire, c’est le danger à agir mais non à récolter les fruits de
d’idolâtrer l’histoire contre lequel la tes actes. Que ces fruits ne soient pas le
Bhagavad Gītā nous met en garde. Toute motif de ton action ; mais ne t’attache pas
42 Raimon Panikkar, “Temps et histoire dans la tradition de l’Inde”, dans Les cultures et le temps,
op. cit., p. 89.
43 Mircea Eliade, Los mitos del mundo contemporáneo, op. cit.

45
davantage au non-agir. » (II, 47) ; « Plaisir
et douleur, profits et pertes, victoire et
défaite, considère que tout cela se vaut
et apprête-toi au combat. » (II, 38). « Le
sage … agira sans attachement, en n’ayant
en vue que l’ordre du monde. » (III, 25)44
Ainsi en agissant de manière droite dans
le temps, on atteint ce qui est au-delà du
temps et on s’établit fermement dans son
propre Ātman45. (VI, 20-22)
En conséquence, la valeur de
notre existence ne se perd pas dans ce
tourbillon de millions de siècles mais
trouve au contraire sa valeur véritable ;
parce que ce qui Est maintenant a existé
et existera toujours, immensément vieux
et en même temps éternellement jeune.
Chercher à s’en tenir au temps, croire
qu’il a une valeur en soi, est l’essence
même de l’illusion parce que le temps
détruit inexorablement tout ce qui ne
lui est pas supérieur. Le voir comme une
manifestation ou l’expression de ce qui
est au-delà du temps est l’essence de la
sagesse. Chaque instant est le véhicule de
l’éternel présent. L’Eternité se révèle dans
le « Maintenant ».

44 Citations de la Bhagavad Gītā tirées de la traduction d’Emile Senart et de Michel Hulin (Editions
Points, 2010)
45 L’ Ātman est notre essence la plus profonde, notre véritable nature. Il est identique ou similaire
– selon les écoles – à Brahman ou l’Absolu.

46
Post-modernité et signes des temps
Patrick Laude

La question du Kali yuga ne tradition hindoue, et particulièrement à


sera point considérée, dans les pages sa phase terminale. Au 20ème siècle, René
qui suivent, dans ses rapports avec les Guénon fut le premier Européen à faire
données traditionnelles concernant la usage de catégories hindoues relatives
datation des cycles cosmologiques. Les au Kali yuga en vue de corroborer sa
considérations et spéculations relatives rigoureuse critique du monde moderne.
à l’établissement d’une chronologie Le présent article fait fond sur certains
cyclique et à la situation de notre des principes et des concepts proposés
période historique à l’intérieur de cette par Guénon à partir d’une réflexion sur
chronologie ne sont certes pas sans intérêt quelques données principales du Vishnu
ni sans pertinence. Ainsi, par exemple, Purāna.2 Une analyse des principales
les travaux de Richard L. Thompson ont conclusions susceptibles d’être tirées de
pu confirmer la plausibilité de la thèse cette méditation conjointe de l’écriture
selon laquelle l’alignement planétaire hindoue et des écrits du métaphysicien
identifié par les Jyotisha Shāstras – un français se trouve donc ébauchée ci-
des Vedāngas ou disciplines védiques dessous.
secondaires – comme le début du Kali Quels sont les caractères
yuga1 situerait bien le début de ce dernier principaux des événements symboliques,
en l’année 3102 avant Jesus-Christ. Quels ou effectifs, que le Vishnu Purāna
que soient les fondements et les limites de déroule à nos yeux? C’est d’abord et
ces considérations chronologiques, il nous essentiellement l’abandon ou la parodie,
semble beaucoup plus utile d’envisager selon les cas, des voies de communication
la thématique du Kali yuga d’un point de avec le Transcendant consacrées par
vue phénoménologique, c’est-à-dire en la tradition.3 Le second caractère,
considération des critères et caractères intimement lié au premier, relève de la
attribués à ce dernier cycle par la destruction ou de la disparition du dharma
1 Vedic Cosmography and Astronomy (New Delhi: Motilal Banarsidass, 2004), p.19.
2 Traditionnellement attribué au sage Vyasa, la datation du Vishnu Purāna est extrêmement
controversée et varie de près de deux millénaires (avant et après Jésus-Christ) selon les
sources. Voir notamment Ludo Rocher, “The Purānas” in Jean Gonda, A History of Indian
Literature (Wiesbaden: Otto Harrassowitz, 1986).
3 « Les hommes corrompus par les incroyants diront : « Mais quelle est au juste l’autorité
des Vedas ?’ « Les sages mesureront le progrès du Kali yuga à la vitesse de propagation de
l’hérésie. » Vishnu Purāna -- A System of Hindu Mythology and Tradition, traduction de H.H.
Wilson, Vol. V, 1ère partie (London : Trübner & Co, 1870). [Traduit à partir de l’anglais par
l’éditeur.]

47
comme principe éthique et existentiel c’est aussi et par là même ce qui donne
de l’être.4 Le troisième n’est autre, au rite sa capacité à maintenir le monde
parallèlement, que le renversement des dans l’être. En l’absence d’activité rituelle
hiérarchies institutionnelles et sociales, l’existence manifestée sombre dans le
ainsi que la transgression de toutes chaos et retourne en un sens au néant,
délimitations qualitatives.5 Le dernier soit symboliquement soit effectivement.
élément négatif, relativement extrinsèque Le rite est à la convergence de ce que
mais néanmoins relié aux précédents par Mircea Eliade a fort bien décrit en son
divers fils, n’est autre que la diminution temps comme l’espace sacré et le temps
des ressources naturelles.6 La vision du sacré.8 Dans le rite l’ici de l’omniprésence
Kali yuga présentée par le Vishnu Purāna divine et le maintenant de l’éternité divine
n’est cependant pas toute négative. Nous se rencontrent dans l’acte par excellence,
mettrons ainsi en évidence, par contraste, celui qui reproduit à sa façon l’acte
la conclusion positive du texte, à savoir son cosmogonique originel. Et c’est ainsi que le
insistance sur l’accessibilité et la facilité rite constitue le lien effectif avec l’origine
des moyens de grâce et particulièrement métaphysique et le présent existentiel.
sur les vertus de l’invocation du Nom de Le Kali yuga, en accusant une distance
Dieu. toujours accrue d’avec la Source de l’être,
Le Kali yuga est caractérisé, dans est à la fois la cause et le résultat de la
le Vishnu Purāna, par une trahison ou un disparition ou de la subversion de l’acte
rejet des rites et sacrifices qui constituent rituel. Ce dernier est fondamentalement
l’ordre même de la société, mais aussi sacrificiel en ce sens qu’il restitue aux
du cosmos.7 C’est sous ce rapport que le dieux ce qui leur a été symboliquement
rite – étymologiquement apparenté au enlevé du fait de l’illusion existentielle,
sanskrit rita – peut désigner le principe laquelle produit un monde séparé et
d’unité du cosmos, à savoir ce qui donne en apparence indépendant. Ainsi l’acte
à ce dernier sa cohérence, son ordre, et rituel est une actualisation concrète
d’une certaine façon sa réalité elle-même. du sens de la Réalité et de l’illusion. Il
C'est en effet du rapport direct qu’il établit est au sein de l’illusion l’affirmation
avec la Source métaphysique comme existentielle maximale de la Réalité; sa
principe de l’existence universelle que le disparition n’est rien d’autre au fond que
rite tire sa nécessité et son efficacité. Mais le triomphe, tout apparent et temporaire,

4 « Le respect des castes, de l’ordre et des institutions déclinera dans le Kali yuga. » Ibidem
5 “L’initiation des deux fois-nés se fera en dépit des règles. » « Les lois régissant les rapports
entre un mari et son épouse seront malmenées. » Ibidem
6 « Les épis de maï�s seront de petite taille et les céréales auront une sève peu abondante. »
Ibidem
7 “Les cérémonies décrites dans le Sāma-, Rig-, et Yajur-Vedas [seront négligées]. (…) N’importe
quel texte sera traité comme sacré pour peu que les gens en décident ainsi ; tous les dieux
seront des dieux aux yeux de ceux qui les vénèrent. » Vishnu Purāna, p. 171-2.
8 Mircea Eliade, Le sacré et le profane (Paris: Gallimard, 1965).

48
de l’illusion. C’est donc dans sa négligence précédentes, aussi imparfaites qu’elles
ou son incompréhension du rituel, de son aient pu être. Guénon caractérisait cette
intégrité et de sa fonction, que réside le réalité come une «anomalie» et une
vice fondateur et le principe même du Kali «monstruosité.»10 Il ne s’agit là que de la
yuga. manifestation extrême, et ultime, de l’oubli
Il convient d’autre part de de l’Origine principielle dont la trahison
souligner que le rituel est une forme des pratiques héritées de la tradition n’est
universelle, d’institution divine, et que au fond que le symbole et le symptôme.
c’est uniquement en tant que tel qu’il est En tant que manifestation par
à même de remplir la fonction essentielle, excellence de l’unité dans la multiplicité,
vitale, qui est le sien. L’individualisme le rite constitue d’autre part le paradigme
religieux décrit dans le Vishnu Purāna, de toute différentiation qualitative dans
9
selon lequel les écritures, les dieux et l’existence terrestre. Comme nous l’avons
les pratiques religieuses ne sont tels que suggéré, il manifeste la présence du
sur la base d’un choix individuel, est une Réel, ou de la conscience du Réel, dans
atteinte fondamentale à l’universalité l’irréel, ou dans le champ, le kshetra,
transcendante qui est inscrite au coeur de l’illusion existentielle. Toute autre
du rite. L’insistance de bon nombre de différence qualitative résulte en un sens
mouvements religieux contemporains de cette distinction fondamentale. On ne
sur la nécessité de l’usage de langues peut comprendre la logique de l’univers
modernes vernaculaires constitue traditionnel hindou si l’on ne saisit pas
une instance fort révélatrice de cet qu’il est tout entier ordonné en vue de
individualisme religieux. fournir les instruments d’un éveil de
L’oubli ou l’individualisation de la conscience humaine à la Réalité. Le
l’activité rituelle caractérise donc, et d’une système des castes lui-même, quels que
certaine façon définit, l’humanité du Kali soient ses limitations, ses effets pervers
yuga. Le caractère fondamentalement et les abus et aberrations qu’il draine dans
anti-métaphysique du monde moderne son sillage historique, doit être considéré
s’exprime pratiquement dans cette dans la perspective de la pérennité de
rupture de la communication rituelle formes socio-religieuses qui sont conçues
avec le monde d’en haut, soit négation comme les moyens les moins imparfaits
soit par aplatissement subjectiviste et de préservation et de promotion de la
individualiste. C’est ce qui distingue la possibilité même de la Délivrance. C’est
fin du Kali yuga de toutes les époques donc le sens de l’Unité transcendante

9 “Dans le Kali yuga, le jeune, les austérités et la charité seront pratiquées suivant le bon plaisir
de chacun et on dira de lui que c’est un homme droit. »
10 «C’est ainsi que, si le monde moderne, considéré en lui-même, constitue une anomalie et
même une sorte de monstruosité, il n’en est pas moins vrai que, situé dans l’ensemble du cycle
historique dont il fait partie, il correspond exactement aux conditions d’une certaine phase de
ce cycle, celle que la tradition hindoue désigne comme la période extrême du Kali yuga.» René
Guénon, Le Règne de la quantité et les Signes des Temps (Paris: Gallimard, 1945), p. 8.

49
Rencontre sur les Ghats de Varanasi (Photo d’Alexi Liotti)
qui donne, ou prête, à la multiplicité significative de cette transcendance
immanente sa structure hiérarchique et de l’ordre traditionnel au nom même
sa légitimité traditionnelle. Mais, comme de ce qui le fonde. Et c’est la raison
l’a bien vu Louis Dumont, cette structure pour laquelle l’obligation de l’activité
hiérarchique n’est ni absolue ni ultime. rituelle est, pour le sannyāsin, abolie. On
Elle se caractérise au contraire par le pourrait presque dire que le sannyāsin
principe de «l’englobement du contraire.»11 est «l’Homme sans qualités», non au
En fait la hiérarchie traditionnelle est à la sens passif et «construit» du héros de
fois fixe et flexible selon les points de vue. Musil, mais au sens éminemment actif
Du point de vue de la partie elle-même, de l’ativarnāśramin qui transcende
la hiérarchie est fixe dans la mesure où symboliquement, ou spirituellement,
elle établit une différentiation qualitative toute différentation formelles.
sans laquelle elle n’a pas de sens. Du point Dans la mesure où le Kali yuga se
de vue du tout, cependant, elle ne peut laisse définir comme une rupture d’avec
qu’être flexible et sujette à modifications le rite symbolique qui relie l’existence
puisqu’elle n’a de sens ultime que par terrestre au Réel, il est parfaitement
rapport à une transcendance qui la compréhensible que ce qui le caractérise
relativise radicalement. L’ «institution le plus clairement dans les textes
anti-institutionnelle» du sannyāsa est eschatologiques hindous soit précisément
sans doute la manifestation la plus l’élimination des différentiations,

11 « La relation hiérarchique est très généralement celle entre un tout (ou un ensemble) et un
élément de ce tout (ou de cet ensemble) : l’élément fait partie de l’ensemble, lui est en ce sens
consubstantiel ou identique, et en même temps il s’en distingue ou s’oppose à lui. C’est ce que
je désigne par l’expression “englobement du contraire”. » Louis Dumont, Homo Hierarchicus
(Paris : Gallimard), p. 397.

50
tant verticales qu’horizontales, qui donc caractérisées dans les écritures
constituaient l’univers traditionnel. hindoues comme fondamentalement
Comme on l’a vu, ce dernier tend à a-dharmiques ou même anti-dharmiques
concevoir les différences sociales, dans l’exacte mesure où elles sont
vocationnelles, fonctionnelles et humaines principalement caractérisées par le rejet
en général comme les supports par de toutes notions d’essence et donc de
excellence de la réalisation de la finalité nature propre et de devoir intrinsèque.
humaine. Dans le domaine spécifiquement Ainsi, la critique postmoderne de l’
hindou ces différentiations sont liées à la “essentialisation” n’est que l’autre nom
prévalence du dharma à tous les niveaux du rejet de la transcendance, ainsi que
de l’existence. Le dharma n’est autre que de tout ordre ontologique qualitatif. La
la loi ontologique et éthique de l’être réalité postmoderne n’admet aucune
qui régit depuis l’existence universelle transcendance qui pourrait en quelque
(Sanātana dharma) jusqu’à l’existence sorte orienter et ordonner le champ
de chaque entité individuelle en fonction phénoménal. Elle rejette bien évidemment
de sa nature propre. Le dharma au sens toute idée d’archétype immuable qui
plénier n’est autre que l’expression du ne pourrait renvoyer, de son point de
Brahman dans l’univers manifesté sous vue, qu’à des constructions historiques
la forme de la normativité universelle. visant à fournir une fonction idéologique
Ce dharma éternel, qui n’est autre que justificatrice aux relations de pouvoir.
l’hindouisme entendu en son sens le plus La postmodernité pose la multiplicité
profond et le plus universel, exprime ainsi comme ultime dans la mesure où le
le lien entre l’univers et son Principe. postmoderne n’a de sens que sur la base
Quant aux innombrables dharmas qui d’une inconsciente et contradictoire
régissent les réalités existentielles les plus absolutisation de la multiplicité des
diverses, ils constituent en quelque sorte points de vue relatifs. Cette multiplicité
à la fois les marques et les symboles du est productrice de sens en elle-même, et
dharma universel. Chaque être participe ne saurait nullement être considérée d’un
ainsi à quelque degré de l’universel point de vue métaphysiquement unitaire.
en fonction de la nature qui l’intègre Tandis que le « relativisme » métaphysique
organiquement à la totalité existentielle, des écoles ésotériques dérive d’une vision
en faisant ainsi un symbole adéquat, bien conséquente et intégrale de l’Absolu
que limité et partiel, de l’universel. Le dont la radicale indépendance est
dharma exprime ainsi l’ordre même de nécessairement synonyme d’infinitude,
l’univers et l’enracinement de ce dernier et donc génératrice d’une multiplicité
dans la transcendance. indéfinie d’aspects et d’angles d’approche,
C’est précisément cette le relativisme postmoderne découle au
double dimension qui rend les contraire de la négation de l’Absolu, et de
principes traditionnels irrecevables tout absolu.
par les mentalités modernes. Les A l’opposé de la dissémination
phases terminales du Kali yuga sont post-moderne, la différentiation

51
traditionnelle constitue au fond yuga est de renverser ce rapport en
une projection de l’Unité dans imposant une diversité intrinsèque
l’univers du multiple. L’Unité est à et une unité extrinsèque. L’acmé de
la fois intrinsèquement inclusive et la première s’exprime, comme nous
extrinsèquement exclusive. Elle est, l’avons vu, dans l’éclatement ontologique
d’une part, englobante de la totalité, sans et épistémologique de la vision post-
quoi elle ne pourrait qu’être productrice moderne. Le monde post-moderne, plus
de multiplicité. Elle ne peut cependant encore que ses prodromes modernes,
être intégralement inclusive que dans se laisse avant tout définir comme pure
sa dimension essentielle puisque, d’un multiplicité. Le concept polysémique
point de vue existentiel, elle ne saurait de «diversité» se trouve ainsi, par
englober en tant que telles les réalités exemple, intrinsèquement valorisé,
accidentelles qui forment l’univers indépendamment de toute considération
manifesté. En d’autres termes l’Unité ne du contenu qualitatif de cette diversité.
peut qu’être exclusive du point de vue Quant à l’unité extrinsèque, qui n’est selon
de la multiplicité existentielle qui forme Guénon qu’une uniformité, elle apparaî�t
l’expérience ordinaire de l’humanité. Ce dans la négation systématique de toute
sont précisément ces deux points de vue différenciation qualitative et hiérarchique,
inclusif et exclusif qui se trouvent ajointés sinon en fait —ce qui est en définitive
dans l’univers traditionnel, dans lequel la impossible— du moins en principe. Il est
diversité cosmique et humaine est à la fois important de souligner, sous ce rapport,
différenciée par ses contenus qualitatifs et que Guénon fait état d’une “analogie
essentiellement une sous le rapport de son inverse” entre la multiplicité essentielle
essence, qui est aussi à la fois origine et fin contenue dans l’Unité métaphysique et
dernière. La différentiation traditionnelle les “unités” existentielles contenues dans
est donc un symbole de l’Absolu, d’où sa le multiple.12 La première avère que toute
rigueur exclusive et sa permanence, mais qualité manifestée est nécessairement
elle ne saurait être l’Absolu. incluse principiellement et donc a priori
La tendance directrice du Kali dans l’Unité Divine. S’il n’en était pas

12 Ces remarques sont incluses dans l’avant-propos de l’ouvrage: «Il peut sembler qu’il y ait, en
un certain sens, multiplicité aux deux points extrêmes, de même qu’il y a aussi corrélativement,
suivant ce que nous venons de dire, l’unité d’un côté et les « unités » de l’autre; mais la
notion de l’analogie inversée s’applique encore strictement ici, et, tandis que la multiplicité
principielle est contenue dans la véritable unité métaphysique, les « unités » arithmétiques
ou quantitatives sont au contraire contenues dans l’autre multiplicité, celle d’en bas; et,
remarquons-le incidemment, le seul fait de pouvoir parler d’« unités » au pluriel ne montre-
t-il pas assez combien ce que l’on considère ainsi est loin de la véritable unité? La multiplicité
d’en bas est, par définition, purement quantitative, et l’on pourrait dire qu’elle est la quantité
même, séparée de toute qualité; par contre, la multiplicité d’en haut, ou ce que nous appelons
ainsi analogiquement, est en réalité une multiplicité qualitative, c’est-à-dire l’ensemble des
qualités ou des attributs qui constituent l’essence des êtres et des choses.» Ibidem, p. 18.

52
ainsi le Principe absolu serait «privé» ne serait ainsi qu’une détermination a
des perfections présentes dans la posteriori. C’est tout compte fait le point
manifestation. Quant au principe d’unicité de vue de la dialectique hégélienne,
à l’oeuvre dans l’existence — qui est un comme celui de l’évolutionnisme
reflet direct de l’Unité principielle, son transformiste. A l'opposé, sans nier ce
absence signifierait l’impossibilité même que le Principe et l’origine peuvent avoir
de la multiplicité, laquelle présuppose de simple au sens d’indivisible, Guénon
distinction entre les éléments du multiple. conçoit plutôt l’origine comme étant
Guénon considère ces unités comme caractérisée par ce que l’on pourrait
principalement quantitatives, tandis appeler une “complexité synthétique.”
que la multiplicité essentielle de l’ordre Ces considérations théoriques permettent
principiel est, par contraste, d’ordre de mieux comprendre pourquoi et
qualitatif. En d’autres termes, l’unité comment le Kali yuga se caractérise
quantitative relève du champ phénoménal pratiquement par une fausse diversité et
— elle distingue les diverses entités une fausse unité. La fausse diversité est
existentielles, tandis que la multiplicité une diversité détachée de l’Unité et donc
principielle est d’ordre archétypique et destructrice de la synthèse du multiple
ne remet aucunement en cause l’Unité dans l’Un que l’ordre traditionnel exprime
principielle qui enveloppe les racines et promeut. La diversité traditionnelle
ontologiques de l’existence manifestée. est une diversité en vue de l’Unité, et
donc une diversité qui, par l’entremise
[Dans le monde post- des ordres, hiérarchies, vocations,
moderne] toutes normes institutions et corps constitués vise à une
structurantes reflétant ... coordination du multiple en vue de l’Un.
l’Unité ultime se trouvent Il est trop évident que cette unité dans la
déconstruites, vidées de toute multiplicité ne peut être qu’approximative
essence qualitative, et en et grevée d’imperfections, à la fois dans
définitive reléguées au rang son principe — de par les limitations
d’instrument d’aliénation. qu’elle comporte, et dans son évolution —
du fait de la loi d’entropie ontologique qui
C’est à partir de ces remarques que, préside à l’ordre relatif, ou au domaine de
nonobstant le caractère « complexifiant » Māyā. C’est précisément en conséquence
de la dissolution postmoderne, on peut de ces limitations et de l’entropie qui
mieux saisir un des axes principaux de la détermine leur devenir que la diversité
critique du monde moderne par Guénon, centrifuge, ou ce que Guénon désigne
à savoir son examen de la tendance comme la multiplicité quantitative,
moderne à la “simplification.”13 En effet, le s’impose peu à peu comme la logique
point de vue moderne tend à percevoir la directrice du Kali yuga. On pourrait
simplicité comme étant originelle, et cela par exemple produire une lecture de
dans tous les domaines. La complexité l’émergence de l’individualisme, tant sur

13 Ibidem, p. 78

53
René Guénon (1886-1951)

le plan socio-politique que sur le plan reflétant —d’une manière opérative ou


psycho-culturel, qui mettrait en avant symbolique— l’Unité ultime se trouvent
la dynamique atomisante de ce dernier déconstruites, vidées de toute essence
sous la forme d’une remise en question qualitative, et en définitive reléguées au
toujours plus intense et toujours plus rang d’instrument d’aliénation.
compréhensive de l’ordre coordinateur Cependant, la multiplication
et structurant des univers traditionnels. atomisante qui préside à l’éclatement
La diversité post-moderne constitue des formes traditionnelles va de pair,
très probablement le terme extrême de paradoxalement —tout au moins en
cette remise en question dans la mesure apparence, avec ce que Guénon dénonce
où, avec elle, comme nous l’avons déjà comme un processus d’uniformisation.
mentionné, toutes normes structurantes Il s’agit bien ici de la fausse unité

54
précédemment évoquée. Cette uniformité, personne « n’est autre» que sa fonction,
dont la limite est d’ordre quantitatif, tend à ce qui ne signifie bien évidemment
effacer toute différentiation vocationnelle pas que ses traits individuels les plus
et fonctionnelle. La mondialisation tous contingents et accidentels soient niés ou
azimuths et les instruments virtuels qui rejetés, mais simplement que l’individu
la servent constitue sans aucun doute n’a d’être réel que dans la mesure où il
aujourd’hui le princiopal moteur de cette se rattache à l’Unité par la médiation
uniformisation. Dans son analyse des « qualitative de sa fonction, laquelle n’est
deux sens de l’anonymat » Guénon montre autre que son « nom » entendu en un sens
bien comment la diversité qualitative des ontologique et aussi secondairement, et
personnes définies par leurs dharmas symboliquement, social.
diffère de la multiplicité quantitative Le Vishnu Purāna décrit les
des individus du rouage économique et tendances dont nous venons d’ébaucher
machiniste, aujourd’hui «virtuellement» les formes dans les pages qui précèdent.
démultipliée. Faisant fond sur la notion On pourrait dire que le Kali yuga se
hindoue de namā-rupā, ou nom-et- réduit de ce point de vue à une culture
forme, le métaphysicien traditionnel de la forme individuelle (elle-même en
évoque l’identification traditionnelle de fait vide de déterminations qualitatives
la forme individuelle au nom fonctionnel et donc virtuellement protéiforme) qui
ou qualitatif, celui qui exprime la est en même temps une négation du
différentiation archétypale de la personne, nom essentiel et vocationnel. Le rôle
et donc le mode de sa participation à déterminant des facteurs économiques
l’Unité.14 Dans le monde traditionnel la apparaî�t comme l’élément principal de

14 « Si nous nous demandons ce que devient l’individu dans de telles conditions, nous voyons
que, en raison de la prédominance toujours plus accentuée en lui de la quantité sur la qualité, il
est pour ainsi dire réduit à son seul aspect substantiel, à celui que la doctrine hindoue appelle
rûpa (et, en fait, il ne peut jamais perdre la forme, qui est ce qui définit l’individualité comme
telle, sans perdre par là même toute existence), ce qui revient à dire qu’il n’est plus guère
que ce que le langage courant appellerait un ‘corps sans âme’, et cela au sens le plus littéral
de cette expression. Dans un tel individu, en effet, l’aspect qualitatif ou essentiel a presque
entièrement disparu (nous disons presque, parce que la limite ne peut jamais être atteinte en
réalité) ; et, comme cet aspect est précisément celui qui est désigné comme nâma, cet individu
n’a véritablement plus de « nom » qui lui soit propre, parce qu’il est comme vidé des qualités
que ce nom doit exprimer ; il est donc réellement ‘anonyme’, mais au sens inférieur de ce
mot. C’est là l’anonymat de la ‘masse’ dont l’individu fait partie et dans laquelle il se perd,
‘masse’ qui n’est qu’une collection de semblables individus, tous considérés comme autant
d’ ‘unités’ arithmétiques pures et simples ; on peut bien compter de telles ‘unités’, évaluant
ainsi numériquement la collectivité qu’elles composent, et qui, par définition, n’est elle-même
qu’une quantité ; mais on ne peut aucunement donner à chacune d’elles une dénomination
impliquant qu’elle se distingue des autres par quelque différence qualitative. » Le Règne de la
Quantité, p. 70

55
cette individualisation anti-organique telle sorte que «les hommes fixeront leurs
qui est en même temps principe désirs sur les richesses, même quand
d’uniformisation. Ainsi, la richesse elles sont acquises malhonnêtement»
matérielle devient synonyme de pouvoir: et que «l’esprit des hommes sera
« celui qui possède un véhicule, un totalement préoccupé par l’acquisition
éléphant et des coursiers sera raja. » Le de la richesse.»15 Cette obsession des
pouvoir politique, traditionnellement biens matériels s’accompagne du reste
associé au kshatriya, devient l’apanage d’une pénurie: «les humains vivront
des détenteurs de l’influence économique. presque constamment dans la crainte de
Il convient d’ailleurs d’ajouter que ces la disette et appréhensifs de l’absence
derniers ne sont pas identifiables aux de ressources: ils observeront donc
vaishyas comme tels, mais à ces derniers constamment les phénomènes du ciel, ils
pour autant qu’ils ont déserté l’agriculture vivront tous de feuilles, racines et fruits,
et le commerce, les champs d’activité et mettront fin à leurs jours de peur de la
traditionnels de leur dharma, au profit de famine et de la disette.» La pauvreté des
la « servitude » et des « arts mécaniques. récoltes résulte du reste de la raréfaction
» Le vaishya n’est donc plus un « deux des pluies, qui n’est elle-même qu’un
fois né » mais il trahit sa propre nature symptôme symbolique de l’oubli de la
au point de devenir l’instrument passif transcendance et de la négligence des
des rouages de la mécanisation et de la devoirs cosmiques. En outre, du fait des
technologie. Sur le plan socio-culturel famines et des taxations excessives que
c’est d’ailleurs le shudra qui constitue la les princes leur impose «les hommes
caste dominante, et ce dans la mesure où déserteront leur pays d’origine pour
il subit le plus passivement le mouvement aller dans d’autres pays aux céréales plus
d’homogénéisation quantitative qui grossières.» 16 On a donc ici le tableau d’un
régit le Kali yuga. Les relations maritales monde humain qui, s’étant totalement
et familiales, traditionnellement livré à la poursuite des biens quantitatifs,
déterminées par le dharma, deviennent semble épuiser les ressources mêmes de
elles-mêmes conditionnés par les biens son existence. L’affirmation de l’individu et
matériels: «Les épouses déserteront leurs de ses désirs, initialement conçue comme
époux quand ils perdront leurs propriétés une libération de toutes contraintes,
et seuls ceux qui sont riches seront débouche tragiquement sur une logique
considérés par les femmes comme leurs de l’auto-destruction.
seigneurs.» Le contrôle de l’humanité en Selon le Vishnu Purāna l’unique
général est lui-même déterminé, selon le vertu du Kali yuga est que les hommes
Vishnu Purāna, par le pouvoir financier: peuvent y faire leur salut spirituel sans
«Celui qui donnera beaucoup d’argent sera avoir à accomplir les devoirs religieux
le maî�tre des hommes,» et l’attrait du gain rigoureux et complexes caractéristiques
sera la finalité principale de l’existence, de des cycles précédents. Durant le Kali yuga

15 Vishnu Purāna, p. 171


16 Ibidem, p. 175

56
Viṣṇu luttant contre deux démons (Mārkaṇḍeya Purāṇa)

le salut est assuré par la seule répétition n’est pas fonction d’une association
du Nom de Dieu. Il en est ainsi dans la humaine et mentale, mais elle résulte
mesure où le Nom de Dieu constitue la au contraire d’une Auto-manifestation
synthèse de toutes les vertus et pratiques divine qui n’est autre que le coeur de la
spirituelles, et que son invocation peut Révélation religieuse ou de la Réalisation
donc se substituer à toutes les médiations métaphysique. C’est de cette adéquation
rituelles et traditionnelles. Le Nom de que résulte le pouvoir salvateur de
Dieu exprime l’Unité dans la multiplicité l'invocation du Nom. On retrouve ce
de la manière la plus directe qui soit. Il principe dans le climat du Bouddhisme
consacre l’irruption du Transcendant de la Terre Pure, bien qu’avec une
dans le domaine de l’expérience humaine accentuation un peu différente. Hōnen en
commune. En l’absence des médiations fut le théoricien et l’instigateur. Pour lui,
traditionnelles et des différentiations les pratiques spirituelles instituées du
qualitatives que le Kali yuga répudie, l’Unité temps du Bouddha ne sont plus efficaces
ne peut se manifester salvifiquement que car elles dépassent de beaucoup les
sous la forme la plus directe et la plus qualifications de l’homme contemporain.
synthétique qui soit, la plus indépendante Ici l’accent est mis sur l’incapacité
des formes différenciées aussi. Or le Nom humaine et donc, en creux, sur le pouvoir
de Dieu “n’est autre que” Dieu Lui-même. boddhisattvique de l’Autre, le tariki. Il est
L’adéquation du Nom et du Nommé significatif de constater, dans le même

57
ordre d’idée, que la dernière des grandes transcendant. Ainsi la primauté du
traditions religieuses, l’islam, mette tout Nom de Dieu témoigne avant tout de la
l’accent sur les vertus sotériologiques Transcendance elle-même. Elle manifeste
du souvenir de Dieu, le dhikr, dont la le triomphe in fine de l’Essence que
manifestation opérative la plus directe est la dissolution des médiations sacrées
l’invocation méthodique des Noms divins orchestrée par les forces centrifuges
dans le Soufisme. du Kali yuga oblige à distinguer de ses
Selon le Vishnu Purāna la formes providentielles mais provisoires.
seule vertu positive du Kali yuga réside On est en droit de penser que c’est dans
donc dans l’invocation du Nom du cet ultime paradoxe du Kali yuga que
Seigneur. Il est précisé, en outre, que le réside sans doute, sur un plan opératif et
pouvoir salvifique de ce Nom demeure non seulement théorique, le sens le plus
indépendant des qualifications, et même profond de la référence guénonienne au
parfois des intentions, de ceux qui en font «petit nombre de ceux qui seront destinés
usage. Que l’on interprète ce dernier point à préparer, dans une mesure ou dans une
comme une hyperbole symbolique, ou autre, les germes du cycle futur.» 17
qu’on le prenne à la lettre, nul doute en
tout cas qu’il s’agit ici de mettre l’accent
sur la primauté de la grâce divine. D’autre
part, ce que l’on peut déduire de cet état
de fait spirituel c’est un nivellement de
toutes valeurs et capacités humaines
devant le Transcendant. Il est d’ailleurs
tout-à-fait révélateur de constater que
l’islam, la dernière venue des traditions
spirituelles dans le cycle humain associé
à l’âge sombre, est celle qui se caractérise
le plus nettement par un effacement des
différences et hiérarchies spirituelles. La
prière rituelle musulmane, à la différence,
par exemple, des rites sacrificiels hindous
et chrétiens, mais aussi de la liturgie juive,
élimine toute médiation sacerdotale et
exprime cette réduction universelle de
la façon la plus expressive qui soit par
la prosternation conjointe et uniforme
de tous devant Dieu. Ce nivellement
n’aurait aucun sens spirituel positif s’il
ne renvoyait positivement au principe
de l’incomparabilité du Principe

17 Le Règne de la Quantité, p. 11-12.

58
De la maitrise de soi à l’abandon de soi
Les bons côtés de l’Age Sombre de Kali
Vasanthi Srinivasan

Le Kali yuga ou l’âge sombre décrit ainsi les principaux maux :


est considéré en général et de manière « Les rois de cette période seront des
paradoxale comme le plus dégénéré du esprits grossiers, de tempérament
point de vue du dharma et comme le violent et habitués au mensonge et la
plus propice à la libération (moksha). bassesse. Ils massacreront les femmes,
Bien que les maux sociaux, politiques les enfants et les vaches ; ils se saisiront
et moraux se multiplient, les textes des biens de leurs sujets ; ils n’auront
sacrés et les enseignements affirment qu’un pouvoir limité et ils disparaitront
constamment que les humains peuvent aussi rapidement qu’ils seront apparus ;
facilement « échapper » à la roue du leur durée de vie sera courte ; ils seront
temps en s’abandonnant simplement dévorés par des ambitions immenses et
au Dieu unique (habituellement Vishnu- seront dépourvus de piété. Les hommes
Narayana). Quels sont les fondements qu’ils gouvernent auront la même nature
spirituels de cet espoir confiant ? En quoi qu’eux. Et les barbares extermineront
les pronostics sur le Kali Yuga diffèrent-ils les sujets du roi avec sa bénédiction. La
de ceux concernant notre époque émanant fortune et la piété déclineront de jour en
de quelque penseur occidental de premier jour jusqu’au moment où la dépravation
plan ? Quels sont les obstacles existentiels prévaudra partout. La fortune sera le
auxquels nous sommes néanmoins critère de l’ascendance et de la piété ; la
confrontés quand nous prenons la notion passion sera le seul lien du mariage ; le
d’abandon de soi au sérieux à notre mensonge sera le seul moyen de succès
époque ? Comment pouvons-nous en en cas de différents ; et les femmes
tant que modernes attachés à la raison seront rabaissées au rang de simple objet
et à la liberté individuelle faire sens de la de gratification sensuelle. La terre ne
doctrine de l’abandon ? sera valorisée que pour ses ressources
minérales ; le cordon sacrificiel sera
Le progrès de la décadence suffisant pour faire un Brahman ; seules
Les ténèbres du Kali yuga sont les marques extérieures permettront de
essentiellement évoquées dans deux distinguer les ordres et la bassesse sera
textes clefs, le Srimad Bhagavatam le seul moyen de subsistance … les dons
(Chant 12, chapitres 1 à 3) et le Visnu feront vertus. La fortune sera le signe de
Purana (Livre IV, chapitres xxiv et livre VI, l’honnêteté. Une simple ablution tiendra
chapitres 1 à 3). Les deux textes sont en lieu de purification. Le consentement
accord sur l’essentiel ne différant que sur mutuel fera office de mariage. Un homme
des points de détails. Le Vishnu Purana en bien habillé sera tenu pour honnête

59
et n’importe quelle eau exotique sera des relations familiales au point que seuls
considérée comme une source sacrée. les plus proches compteront encore et
Quand le monde sera noyé sous les péchés, que les relations maritales l’emporteront
le plus fort, quelle que soit sa caste sera sur les parents ou les personnages âgées,
fait roi. L’avarice des rois sera sans borne fait encore partie des traits mentionnés.
et les sujets, incapables de payer leurs Curieusement, le Vishnu Purana critique
impôts, iront se réfugier dans le creux des le fait « les hommes et les femmes
vallées et se nourriront de miel sauvage, vénéreront leurs beaux-parents comme
d’herbes, de racines, de fruits, de fleurs ou leurs propres parents », remettant ainsi
encore de feuilles ; leur seul vêtement sera en question l’idée que c’est bien cela que
l’écorce des arbres et ils seront exposés l’on attend d’une femme mariée.2 Est
au froid, au vent, au soleil et à la pluie. aussi particulièrement frappant le fait que
Aucun homme ne vivra plus de vingt-trois la terre n’est plus valorisée que pour ses
ans. Ainsi à la fin du Kali yuga, l’essentiel ressources minérales et non plus comme
de l’humanité sera annihilé. »1 le siège de hiéro- ou de théophanies. Les
Le Srimad Bhagavatam commence hommes seront hantés par la peur des
aussi en évoquant les assassinats famines et des pénuries ; le millet et le lait
politiques et les violences intestines de chèvre seront devenus très répandus.3
avant de se tourner vers des aspects Le plus effrayant sera que l’aberration
plus individuels. Les souverains vont sera devenue la norme : la malhonnêteté
« dévorer » leurs sujets par le mensonge, comme moyen universel de subsistance,
la méchanceté, l’extorsion, la cruauté. Ils le déclin de la piété, les désirs matériels
seront dénués de charité, irréligieux et intarissables, une vie courte rendue
libidineux. L’ordre social s’effondrera encore plus pénible par des souverains
et la fortune sera la seule source de tyranniques. Alors le Srimad Bhagavatam
respectabilité. Les Brahmanes et les mentionne une durée de vie réduit à
renonçants ne le seront que de nom et en cinquante ans, le Vishnu Purana la réduit
apparence, sans les initiations et les vœux à vingt-trois ans.4
adéquats. La fortune sera vue comme un Heureusement, le règne de Kali
signe de haute naissance et de vertu. Un (la noire) a commencé seulement en 3102
homme riche pourra se marier avec qui il av. J.-C. et d’après les calculs épochaux
veut et celui qui dilapidera sa fortune fera des hindous, il doit s’écouler sur 426 880
office de parangon de vertu. La réduction ans.5 De surcroit, certains signes comme

1 M. N. Dutt, Vishnu Purana, (sur la base de la traduction de H H Wilson) livre IV, chapitre xxiv
(Elysium Press, Calcutta 1896), p. 311. [Retraduit à partir de l’anglais]
2 M. N. Dutt, Vishnu Purana, p. 431.
3 Ibidem, livre VI, Section i, p. 430.
4 Ibidem, p. 430.
5 Shri Chandrasekhara Saraswati (Periyava), “Kaliyugam” (Kali Yug: Beginning and Progress)
dans Deivathin Kural, Vol 5. http://www.kamakoti.org/tamil/5part107.htm consulté le
24/6/2018

60
Matsya, premier avatāra de Viṣṇu (Photo de B. N. Goswamy)
celui selon laquelle la passion sera le gouvernés plutôt que sur leur seule caste
seul lien unissant dans le mariage ou d’origine.7 Nonobstant le biais patriarcal
le mélange des castes peuvent nous (« les femmes deviendront effrontées et
sembler un signe de progrès. Et que les menteuses et n’obéiront ni à leurs parents
hommes politiques soient « habitués » ni à leurs maris » se lamente le Vishnu
au mensonge et au vol du bien d’autrui, Purana), le thème des violences faites aux
que les possessions fassent le rang social, femmes et de leur objectification sexuelle
que la fortune soit le seul objet de tous a des résonances très contemporaines.
les désirs ou encore que la prétention Dans le même registre, dans les âges les
passe pour le savoir n’a rien en soi de bien plus anciens, des vertus comme la véracité,
nouveau. Bien que les préjugés de caste la compassion, l’austérité et la charité
soient transparents (la multiplication dominaient alors que, sans surprise non
des « shudras »), il est aussi question ici plus, dans le Kali yuga, on trouve plutôt en
de brahmanes déchus et de mangeurs de abondance la malhonnêteté, le mensonge,
viande (mlecchas).6 L’insistance porte sur la paresse, l’apathie, la violence, la
les passions (rajasiques) et l’ignorance dépression, la détresse, le sentiment
(tamasique) des gouvernants et des d’exil, la peur et la pauvreté.

6 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam, Chant XII, 1, 37. https://www.vedabase.com/en/


sb/12/1/37 consulté le 22/9/2018.
7 Ibidem, XII,1,39-40.

61
Pour dire vrai, tous ces problèmes décadence a un effet essentiellement
politiques, sociaux et familiaux existaient débilitant : la force physique et l’espérance
déjà dans les âges anciens ; après tout, de vie sont drastiquement réduits. Tous
Rama, l’homme-dieu est dépouillé de les gurus spirituels s’entendent sur le fait
son héritage légitime par sa fourbe belle- que le mode de vie matérialiste et orienté
mère en plein Treta yuga à une époque où vers la technique, avec sa recherche sans
le taureau du dharma est censé tenir sur fin du confort, nous fait oublier notre
trois jambes et Krishna doit exterminer nature véritable. Poursuivant un désir
les démons que lui a envoyés son oncle après l’autre, nous finissons par devenir
en plein Dwapara yuga. Et il y avait déjà esclave de nos pulsions et oublions les
beaucoup de rois injustes et tyranniques, formes supérieures de bonheur. Comme
sans compter sur le fait que l’âge de Kali le rappelait Prabhupada, l’existence
commence avant que Krishna n’ait quitté humaine est un moyen d’atteindre la
son corps. libération mais malheureusement en
Ni la tyrannie ni les désaccords raison de l’influence du Kali yuga, les
familiaux ne sont propres au kali grihasthas (maitres de maison) travaillent
yuga. Paradoxalement, c’est plutôt comme des malades.9 Ils accumulent
leur omniprésence et leur opacité qui de l’argent seulement pour voir le
distinguent notre époque. Comme gouvernement s’en saisir en invoquant
l’enseigne Shri Chandra Sekhara Saraswati, la loi. Dans une parabole puissante,
le « grand péril » du Kali yuga vient du fait Mukkur Laxminarasimhacariyar décrit
qu’il n’y a pas d’espèces bien séparées et les péripéties d’un homme poursuivi par
identifiables pour les asuras (anti-dieux) un tigre dans la forêt un soir de nouvelle
et les rakshasas (démons) comme dans lune. Il tombe dans un puits abandonné
les temps anciens. Ce qui anime ces êtres, et bien qu’il saigne abondamment, il est
« les forces de l’adharma » est internalisé soulagé d’avoir échappé au tigre. Mais
par les gens de telle sorte qu’ils ne soudainement, il discerne quelque chose
peuvent pas être facilement identifiés qui bouge devant lui. Il réalise que c’est
ou reconnus.8 Autrefois leur apparence un python. Déboussolé et tremblant, il
cruelle les trahissait, de sorte que les gens rassemble toutes ses forces pour s’élancer
ordinaires les évitaient. Mais aujourd’hui, et attraper la branche d’un arbre. Mais cette
ces forces prennent possession de nous branche est en train d’être rongée par des
de l’intérieur et nous attirent à elles de bandicoots. Cherchant désespérément à
sorte que nous ne pouvons pas prévenir échapper à la mort, il s’élance vers l’autre
leurs assauts, moins encore y résister. coté du puits où se trouve une ruche. Les
A l’échelle individuelle, la abeilles commencent alors à attaquer le

8 Periyava, “Kaliyin Perapaayam” (Supreme danger of Kali Yuga) in Deivathin Kural, Vol 5.
http://www.kamakoti.org/tamil/5part108.htm, consulté le 20/8/2018
9 Srila Prabhupada, Srimad Bhagavatam (commentaire) VII, 14,3-4. https://vaniquotes.
org/wiki/Kali-yuga_(SB_cantos_6_to_12)#SB_Cantos_10.14_to_12_.28Translations_Only.29
consulté le 31/7/2018

62
perturbateur. Au milieu de ses souffrances, parce qu'elles sont toutes synonymes de
quelques goutes de nectar coulent dans répression des émotions, des instincts et
sa bouche et il se délecte de leur saveur des autres forces de vie qui agissent dans
sucrée. Le tigre est le karma accumulé ; le monde. La raison humaine autonome,
le puits symbolise notre lieu d’habitation affranchie de la révélation, qui en tant
et nos relations ; le python représente la que « sujet transcendantal » pose ses
maladie ; les bandicoots correspondent propres critères de vérité n’est que
au temps et à la mort, la branche de l’arbre l’expression d’une volonté de domination.
aux médecins, les abeilles aux proches et Les Méditations de Descartes nous
le nectar à quelques instants de bonheur décrivent comment un individu se met à
éphémère.10 douter de toutes les vérités admises, de
Mais ne sommes-nous pas libres sa propre existence et de celle du monde
de surmonter cette ignorance et de pour finalement les arrimer toutes au
choisir un autre mode de vie ? Oui mais Cogito. Mais ce geste inaugural n’a pas
seulement à condition de reconnaitre tardé à être remis en question et il fut
la tâche immense devant nous ; parce rapidement reconnu que d’autres forces
que la conception moderne de la liberté comme l’Histoire, la Société, la Langage
comme autodétermination supprime et la Culture ou encore l’inconscient
toute référence à la transcendance. A jouaient un rôle décisif. La neutralité
ce niveau, les critiques philosophiques de la raison du point de vue des valeurs
de la conception moderne ouvrent et par extension différentes techniques
une nouvelle voie. Après deux guerres allant des plus évidentes comme les
mondiales, l’holocauste, la course aux machines d’atelier au moins évidentes
armements nucléaires et la guerre froide, comme la comptabilité, ont été critiquées
les crises environnementales et sociales, notamment en raison des inégalités
la confiance dans le progrès au sens sociales qu’elles entretiennent. Un coup
moderne du terme est en perte de vitesse. d’œil rapide sur les ouvrages importants
Et le credo moderne de la liberté a été de notre époque - La dialectique de
soumis à une critique radicale d’un point la raison (Adorno et Horkheimer),
de vue intellectuel, moral et historique. Connaissance et intérêt (Habermas) et
Histoire de la folie (Foucault) – suffit à voir
La dialectique de la liberté à quel point les revendications de la raison
Le diagnostique le plus à être universelle, impartiale et libératrice
provocateur concernant notre époque ont été remises en question.
nous vient de Friedrich Nietzsche qui Dans le même ordre d’idée, la
identifie la raison moderne à la volonté pure raison pratique ou cette volonté
de puissance, la morale moderne au morale libre susceptibles soi-disant de
ressentiment et l’histoire moderne transcender toutes les contingences ont
à une promesse de déclin et de mort été aussi dénoncées comme une force

10 Mukkur Laxminarasimhacariyar, Godaiyin Paadai (Godadevi’s Path), partie 1, (Madras: Vanathi


Publications, 2003), pp. 242-246.

63
souffrances et les sacrifices encourus.
Avec des effets encore plus destructeurs
fut la mise dans une perspective
historique de l’éthique, ce qui suggérait
qu’il n’y avait pas d’absolu en matière de
moralité et que chaque époque avait son
propre horizon éthique défini par ses
propres valeurs dominantes. Combinées
avec le scepticisme face à l’idée d’une
impartialité et d’un désintéressement
total, ces critiques ont ouvert la voie à
une forme de nihilisme qui renvoie les
valeurs à de simples choix personnels et
à la liberté de chacun.
A un niveau collectif, sommes-
Martin Heidegger
nous libres de choisir nos propres fins ?
(Peinture de Michael Newton)
Martin Heidegger montre qu’une telle
liberté est illusoire quand il affirme
morbide avec une tendance à vouloir que l’essence de la technique moderne
« discipliner et punir » les énergies et consiste à réduire le monde à un réservoir
forces naturelles (pour parler comme illimité de ressources à exploiter pour
Foucault). Au lieu de chercher à vivre notre usage et notre confort.11 De manière
en harmonie avec une loi naturelle similaire, le corps et l’esprit de l’homme
gouvernant l’ordre cosmique, la raison sont devenus un capital à cultiver et à
humaine doit légiférer et se choisir stocker. Le « danger suprême » est que les
ses propres fins. Avec la disparition humains caressent l’illusion qu’ils restent
de l’idée de fins préexistantes ou de maitres de la technologie au moment où
causes finales, de commandements ils sont forcés de manipuler la vie et le
venus « d’en haut » et s’imposant à nous cosmos même à l’échelle microscopique.
de manière inconditionnelle, la raison Dans la mesure où ces technologies
morale se trouve affranchie de toute s’étendent à toute la planète, cette analyse
autorité extérieure. Des principes nobles métaphysique est valide. Même en Inde
comme celui qui nous demande d’agir où la religion est partout, on peut se
en fonction de lois universelles ou de demander si la volonté de domination
traiter les autres comme des fins en soi n’a pas fait son chemin en remettant en
remplacent les lois de Dieu quand il s’agit question l’emprise souveraine des dieux.
de nous guider dans l’action. Mais ces Par exemple, quand les gens peuvent
principes sont trop abstraits et fragiles enregistrer ou même rattraper un rite
pour nous être d’aucune aide dans des sacré et le regarder à la télévision ou « en
situations difficiles où l’individu devrait ligne » selon leur bon vouloir sans avoir à
agir moralement sans égard pour les
11 Martin Heidegger, « La question de la technique », Essais et Conférences (1954)

64
se rendre dans des lieux de culte bondés, On peut s’interroger sur la nature de cette
on se trouve confronté à une forme « autre » liberté qui ne chercherait pas à
extrême d’individualisation de l’espace et contrôler. C’est dans cette optique que
du temps sacré. Comme l’anticipait déjà la tradition méditative et dévotionnelle
le Vishnu Puruna, le jeûne, la charité et hindoue peut s’avérer éclairante.
les austérités à la carte sont considérés
comme des marques de piété et quelques Je respire, donc CELA EST
ablutions tiennent lieu de purification.12 Dans la mesure où le « Je pense
Il est aussi annoncé que « n’importe quel donc je suis » cartésien a terminé sa
texte sera considéré comme un shastra, trajectoire historique, le temps est venu
qu’on ne fera plus de différence entre pour un « Je respire, donc CELA EST. »
les êtres célestes et que les distinctions Passant au-delà de l’état de rêve (sur
entre les castes auront disparus. »13 lequel Descartes s’appuie pour affirmer
Bien évidemment, le Vishnu Purana pas le caractère illusoire des certitudes du
plus que le Srimad Bhagavatam n’ont moi sensible), les Upanishads plongent
anticipé la modernité occidentale et le dans le sommeil profond et meme dans
colonialisme en tant que tel mais ils ont l’état de Turya pour transcender les
entrevu avec justesse sinon le chemin dualités de tous les jours et établir notre
parcouru, du moins son terme à savoir unité antérieure à toute parole avec l’Un,
l’individualisme et le nihilisme. qu’on l’appelle Dieu, la Déesse, Brahman
Un regard vraiment libre sur ou le Principe. Indra vécut quatre-vingt-
le phénomène de la technique, tel celui seize ans avec Prajapati pour atteindre
qu’Heidegger appelle de ses vœux, la « brahman vidya » ou la connaissance
nécessiterait un renoncement au désir de du « Soi qui est libre de mal, libre de
domination, une autre manière d’ « être- vieillesse, libre de mort, libre de peine,
au-monde. » Reconnaissant la difficulté libre de faim et de soif, dont les désirs sont
de la tâche, Heidegger en vient à déclarer réalités, les intentions sont réalité », de ce
que « seul un dieu peut encore nous Soi dont la découverte permet d’obtenir
sauver » et que la pensée nous permet tous les mondes et tous les désirs. Il reçut
seulement de « supporter son absence alors l’enseignement suivant : « quand
et d’espérer un salut ». 14 Etant donné quelqu’un est endormi, totalement
le retrait pour ne pas dire la mort du rassemblé et tranquille, qu’il ne discerne
Dieu qui commande et punit, on peut se aucun rêve, c’est le Soi … il est immortel,
demander quel type de Dieu peut encore libre de peur, c’est le brahman. »15 Bien
nous toucher et réclamer notre dévotion. qu’initialement satisfait, Indra réalisa

12 M. N. Dutt, Vishnu Purana, livre VI, section 1, p. 428


13 Ibidem, p. 428
14 Martin Heidegger, “Only a God Can Save Us”, The Spiegel Interview (1966), http://www.ditext.
com/heidegger/interview.htmlm consulté le 15/9/2018
15 Chandogya Upanishad, VIII,7 et VIII, 11 dans Les Upanisads (trad. Ayette Degrace), Paris :
Fayard (2014) p.199 et 203.

65
rapidement que le Soi dans le sommeil vital, il fait l’expérience d’un sentiment
profond n’a même pas conscience du « Je océanique de béatitude, quand bien
suis ceci » et il revint auprès de Prajapati même celui-ci serait passager. Comme
pour s’entendre dire qu’il devrait vivre l’enseigne Ramana Maharshi, se poser
cinq années de plus sous l’habit d’un la question « Qui suis-je ? » contribue à
étudiant célibataire. Evoquant l’état calmer le mental et à rompre l’emprise
suprême, Prajapati lui expliqua ensuite du « Je suis ceci ou cela ». Il faut prendre
ceci : « ce corps est mortel, il est pris par conscience du fait qu’avant toute chose,
la mort. C’est le siège du Soi non-mortel et derrière toute chose et après toute chose,
non-corporel … Tel un cheval attelé à un il y a le souffle vital ; cette « conscience
chariot ainsi est ce souffle attelé au corps. pure » donne accès à l’expérience de
A présent, là où l’œil est fixé sur l’espace, « Cela » qui transcende les noms et les
c’est l’Homme qui a la vision. A présent, formes, de ce qui est en nous et ce en quoi
celui qui sait et dit : ‘je veux sentir’, c’est le nous sommes. Le contrôle du mental et
Soi (atman) – le nez est là pour sentir. Et du souffle vise à « voir Cela », ce que ce
celui qui sait et dit : ‘Que je dise ceci’, c’est nous ne produisons pas ou ne contrôlons
le Soi – la parole est là pour parler. Et celui pas mais tout simplement « est ». Comme
qui sait et dit : ‘Que j’entende ceci’, c’est le l’enseigne la Brihadaranyaka Upanisad,
Soi – l’oreille est là pour entendre. Et celui « qui respire vers le dehors par le souffle-
qui sait et dit : ‘Que je pense ceci’, c’est le vers-le-dehors, c’est ton Soi qui est au-
Soi – le mental est là l’œil divin. En vérité, dedans de tout. »17
en percevant l’œil divin ces désirs qui sont Aussi intellectuellement
dans le monde qu’est brahman, le mental satisfaisant qu’il paraisse, il y a consensus
se réjouit. En vérité, les dieux vénèrent général que cette voie est difficile et
ce Soi. C’est pourquoi, tous les mondes et demande un engagement complet. Om
tous les désirs sont atteints par eux. Et il Swami, une étoile montante en matière
obtient tous les mondes, tous les désirs, de spiritualité, explique que le chercheur
celui qui découvre le Soi et le discerne. »16 ordinaire doit faire trois sessions d’une
De ce point de vue, il est heure chacune pendant six mois avant
compréhensible que le yoga et la d’éprouver les premiers effets et passer
méditation aient attiré l’homme moderne ensuite à six sessions d’une heure
éduqué, en particulier venu d’Occident pendant les six mois suivants et ainsi de
et en quête de « sagesse orientale ». suite. Durant la phase la plus extrême de
Beaucoup d’indiens éduqués y viennent sa pratique, il médita vingt-deux heures
aussi pour faire taire leur bavardage pendant six mois au fond d’une grotte
intérieur et leur anxiété. Tout adepte de avant d’avoir l’expérience illuminative de
la méditation sait que quand le mental la déesse.18
est calme et concentré sur le souffle De surcroit, cette voie expose

16 Ibidem, VIII, 12 p. 204-205.


17 Brihadaranyaka Upanisad, III, 4, 1, Les Upanisads, p. 261
18 Om Swami, A Million Thoughts: Learn All about Meditation from the Himalayan Mystic (Bombay:

66
Homme au temple de Arunchaleshvara (Photo de Adam Jones adamjones.freeservers.com)
celui qui la suit à de nombreux risques dans des expériences qui ultimement
comme celui de confondre l’ego pour détournent de l’altérité transcendante
la réalité suprême ou pire de se perdre radicale de Dieu ou du Principe. On peut

Jaico Publishing, 2017), p. 294-296,

67
aussi être assailli par le découragement Kesava apportant de grands bénéfices.20
devant le vide intérieur auquel on se Pour notre plus grand chagrin, il ajoute
trouve confronté dans les premières aussi que les « shudras » et les femmes
étapes de l’entrainement du mental. ont « cette grande fortune » de n’avoir
Sans compter les innombrables illuminés qu’à « servir » respectivement les hautes
autoproclamés qui promettent la castes et leurs maris pour atteindre « l’état
libération, uniquement pour soutirer suprême », à la différence des deux fois
de l’argent à leurs suivants et trahir la nés qui ont besoin d’accomplir des rituels
confiance de leurs disciples. C’est sans complexes et des pénitences difficiles.
doute la raison pour laquelle la voie Prabhupada interprète néanmoins ce
contemplative était originellement passage comme voulant dire que tous les
indiquée comme adaptée aux conditions hommes sont shudras (déchus) et donc
particulières de l’Age d’Or ou du Satya dépourvus des qualifications nécessaires
yuga. Prabhupada cite le Srimad pour invoquer le pravana mantra (le
Bhagavatam selon lequel le but qui OM sacré), d’où la nécessité d’utiliser le
pouvait être atteint dans le satya yuga mantra Hare Krishna à la place.21 Aussi
en méditant sur Vishnu, dans le treta choquant que ces remarques sur les
yuga par les sacrifices et dans le dwapara « shudras » et les femmes puissent
yuga par le culte dans les temples peut sembler pour des oreilles modernes,
être obtenu dans le kali yuga par le chant leur portée doit être nuancée par le fait
dévotionnel (samkirtana yagna) du Hare que beaucoup de ces « shudras » et de
Krishna maha mantra. 19 ces femmes ont atteint l’état suprême en
matière de dévotion sans servir personne
Un Dieu qui nous attend et la voie sinon leur déité d’élection. Si on met de
royale côté les aspects biaisés du raisonnement,
Le Vishnu Purana rapporte on ne peut manquer de reconnaitre les
aussi les paroles de Veda Vyasa selon retombées bénéfiques de la situation.
lesquelles le kali yuga serait une période Ailleurs dans le Srimad
particulièrement auspicieuse parce que Bhagavatam, on lit que les avantages
les mérites accumulés par l’ascèse, la du kali yuga tiennent au fait que le bien
prière silencieuse ou autre en dix ans quel qu’il soit porte immédiatement
dans le krita yuga, en un an dans le treta ses fruits, mais pas le mal ; que le péché
yuga ou en un mois dans la dwapara yuga nait des actes coupables mais pas de
peuvent être obtenus en un jour et une simples mauvaises pensées.22 Pour ces
nuit, la simple récitation des noms de raisons, beaucoup d’êtres des autres

19 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam (commentaire) VII, 14,16, VII, 14,39, XII, 3,51.
https://vaniquotes.org/wiki/Kali-uga_(SB_cantos_6_to_12), consulté le 31/7/2018
20 M. N. Dutt, Vishnu Purana, p. 432.
21 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam (commentaire) IX, 14, 48
22 Ibidem, SB I, 18,7. https://vaniquotes.org/wiki/Kali-yuga_(SB_cantos_6_to_12) #SB_
Cantos_10.14_to_12_.28Translations_Only.29 consulté le 31/7/2018

68
Prière matinale devant le Gange (Photo de Jorge Royan)
âges souhaitent prendre naissance dans un abandon complet (saranagati) à
le Kali yuga pour y retrouver des dévots Sriman-Narayana forcent l’adhésion par
du Seigneur suprême, nombreux surtout leurs arguments. Elles affirment que
dans le sud de l’Inde.23 Le voyant de Kanchi vénérer d’autres dieux est aussi vain que
ajoute de son côté que les maux du dernier d’arroser un tronc alors que Narayana
âge sont exagérés, que des sommets de est la racine de toute existence. Elles
spiritualité seront aussi atteints comme proposent une réflexion sur les caractères
le prouvent la naissance et la vie du grand de la déité à laquelle il convient de s’en
Shankaracharya et d’autres.24 remettre, sur le pourquoi de l’abandon à
Beaucoup de gurus hindous Dieu et ses fruits. Ces théologies affirment
insistent sur le fait que le moyen « le plus aussi que seul un guru appartenant à un
facile » d’accéder à la libération est par la lignage authentique peut accomplir le
dévotion et l’abandon au divin. Le Dieu rite d’abandon, insistant sur le fait que
est dans l’attente de son dévot, et même l’abandon ne concerne pas uniquement
s’il accomplit un effort infime, les grâces le corps mais aussi le Soi le plus intime
pleuvront sur lui. Tout en admettant que (atman), les fruits de l’action, jusqu’au
l’inclinaison sectaire influence le choix de souci de se défendre contre les ennemis
la divinité suprême et la conception de la intérieurs et extérieurs. Elles ont enfin
libération, il convient de reconnaitre que codifié la théorie et la pratique de
les théologies Vaishnavistes qui prêchent l’abandon au point que seul un « initié » de

23 Ibidem, SB XI, 5,38-40.


24 Shri Chandra Sekhara Saraswati, “Is Kali consigned to Adharma”, http://www.kamakoti.org/
tamil/5part113.htm, consulté le 6/9/2018.

69
Narasiṃha, le quatrième avatara de Viṣṇu
cette tradition peut avoir accès à un guru premier plan notre déchéance radicale,
régulier pouvant effectivement accomplir l’impuissance de notre volonté et la
le rite d’abandon. K. Varadachari a pu vanité de nos espérances.26 Saranagati
faire remarquer qu’en tant que technique, ou l’abandon ne peut être synonyme de
ce rite tend à devenir une simple routine voie royale que là où notre absence totale
et à perdre sa signification, sans une de toute valeur et notre dépendance sont
expérience de la crise intérieure et reconnues. D’un point de vue moderne,
d’impuissance radicale.25 Ce type de cela semble assimilable à une forme de
discours a aussi une propension à perdre fuite, une posture presque choquante eu
de vue les problèmes qui naissent du égard à la dignité que l’on accorde au soi
penchant moderne à l’affirmation de soi. individuel. Et pourtant, ce désir de fuite
Qu’est-ce qui pourrait rendre devant les maux du monde moderne n’est
attractif pour le philosophe cette idée peut-être pas tout à fait injustifié ? Le
d’un abandon au divin une fois écartée sentiment de répulsion que nous pouvons
toute forme de sectarisme ? L’abandon éprouver devant ce qui semble remettre
n’implique-t-il pas une négation radicale en question notre dignité personnelle tend
de notre liberté et de notre responsabilité. à disparaitre quand nous nous posons la
Comme le fait remarquer Steven Hopkins, question de savoir « qui est cette déité à
la notion d’abandon semble mettre au laquelle nous devons nous abandonner. »

25 K. Varadachari, Visistadvaita and its Development (Tirupati: Chakravarti Publications 1969),


p. 111.
26 Steven Paul Hopkins, Singing the Body of God, (Oxford University Press, 2002), p. 213.

70
Loin d’être un Dieu inconnaissable et de vénération (Aasrayaneeyan), comme
autoritaire s’imposant à une volonté omniprésent (Sarva Vyapthan) et comme
rebelle, c’est un Dieu en posture d’attente toujours proche (Nithya sannihithan),
qui promet de libérer les êtres vivants de alors je pense à eux au moment de
l’ignorance et des souffrances inutiles qui leurs derniers instants, quand ils sont
les tourmentent ici-bas. complètement inconscients comme une
Une preuve scripturaire buche ou un pierre et je les conduis par la
témoignant de l’efficacité de l’abandon se voie du Dieu du feu (archirAdhi maargam)
trouve dans le Bhagavad Gita dans laquelle jusqu’à ma demeure suprême où je les
Krishna déclare : « Laisse de coté toutes les bénis en faisant d’eux mes serviteurs pour
règles et accours vers moi comme vers ton l’éternité. »28
unique refuge ! Je t’affranchirai de tous les Se fondant sur ces versets,
maux. Ne t’afflige pas ! »27 Dans le même les acharyas de lignage Vaishnaviste
ordre d’idée, le vœu de Rama de protéger affirment qu’il faut prendre refuge
ceux qui s’abandonnent à lui, quels qu’ils aux pieds de Sriman Narayana en
soient, quand bien même seraient-ils reconnaissant notre totale impuissance.
dans les rangs ennemis est cité comme La théologie vaishnaviste établit d’ailleurs
une preuve additionnelle. Une troisième une forme de métonymie entre les
est à chercher dans le Varaha Purana où pieds et le Seigneur lui-même. Francis
la Terre Mère demande au Seigneur un Clooney mentionne le point de vue de
« moyen simple » de sauver tous les êtres Vedanta Desika selon lequel « les pieds
immergés dans l’ignorance et incapables représentent la forme entière du Seigneur
d’accomplir des rites compliqués. Le dans ce qu’elle a d’éternel et d’auspicieuse
Seigneur lui répond : … suggérant à la fois sa transcendance
« O Buhmi Devi ! L’univers tout entier est et son accessibilité. »29 Mukkur
mon corps (sariram). Je ne prends pas LaxmiNarasimhachariyar enseigne qu’un
naissance, ni ne meurs. Quand des dévots dévot doit chercher les pieds du Seigneur
animés par une foi intense s’abandonnent avec la ferveur d’un enfant pour le sein
à moi alors que leur mental est calme de sa mère. En un sens, on peut dire que
et qu’ils sont en bonne santé physique, Ses pieds sont supérieurs à Lui dans
pensant à Moi comme la racine causale la mesure où ils supportent Celui qui
de toute chose (Sarva Aadharam), comme supporte tout.30 Selon la même logique,
le régent interne (Niyantha), comme le les sandales qui recouvrent Ses pieds
suprême (Sarva Seshi), comme digne sont encore supérieures et c’est pour cela

27 Bhagavad Gita, trad. Emile Sénart et Michel Hulin (Points, 2010), XVIII, 66, p. 126.
28 V. Varadachari Sadagopan, Varaha puranam: Annotated commentary, disponible à cette adresse
https://www.sadagopan.org/pdfuploads/Varaha%20Puranam.pdf, consulté le 24/08/2018.
29 Francis X. Clooney, Beyond Compare: St Francis De Salles and Vedanta Desika on Loving
Surrender to God, (Washington DC: Georgetown University Press, 2008), p. 157
30 Mukkur Laxminarasimhacariyar, Godaiyin Paadai [Goda’s path] (Madras; Vanathi 2003),
p. 296-7

71
que Bharat (le frère de Rama) les vénère Pundalik trop occupé à s’occuper de ses
et rend hommage à leur majesté. De la vieux parents quand le Seigneur était
même manière, l’acharya qui montre la arrivé ! A Tirupati, Il se tient avec la main
voie doit être vénéré et s’en remettre à lui droite pointant vers Ses pieds et la main
(ou à elle) revient à prendre refuge aux gauche un peu au-dessus des hanches
pieds du Seigneur. Les pieds de ce dernier comme pour assurer ceux qui viennent
ne connaissent que la grâce (anugraha) à chercher Son secours que les difficultés ne
la différence de Ses mains qui punissent les atteindront pas au-dessus des hanches.
et tuent les êtres malfaisants. Déjà dans A Srirangam, Il est allongé sur un serpent,
le Purusha Sukta, il était d’ailleurs fait comme s’Il n’avait pas hâte de quitter le
référence à la manière dont la Terre était monde terrestre, faisant ainsi accepter
sortie des pieds du Seigneur suivant une l’idée aux hommes qu’ils sont encore loin
relation homologique. Le Seigneur, sous d’atteindre la liberté véritable. Il accepte
la forme de l’avatar Vamana (le nain), ainsi leurs marques de dévotions, comme
mesurant la terre tout entière d’un seul un roi au milieu de sa cour accorde des
pas, atteste aussi du lien intime entre audiences. Il se laisse même retenir par des
la terre et Ses pieds. Ajoutons que Sri cordes et balader sur des chariots (comme
Laxmi, la déesse de la fortune et sa plus au temple de Jagannath de Puri) pour que
grande dévote, n’abandonne jamais ses tous puissent jubiler à la vue de Sa majesté.
pieds. Pour ne pas donner l’impression Qui ne serait pas bouleversé par une telle
de n’envisager qu’un aspect des choses, compassion sans limite et ne serait pas
mentionnons enfin l’histoire du Seigneur prêt à s’abandonner complètement aux
cherchant la poussière des pieds des gopis pieds du Seigneur ? Et que faire si un tel
de Vrindavan pour guérir un mal de tête. acte entre en conflit avec l’idée moderne
Etant facilement accessible et d’autonomie de la raison qui promet
désireux de protéger les humains, Il se toujours plus de reconnaissance et de
manifeste sous la forme d’un icone de confort mais pas le bonheur ? Comment
pierre pour que Ses dévots puissent le la maitrise de la volonté et la volonté de
voir et profiter de Sa beauté. Chacune domination pourraient-elles prévaloir
des histoires sacrées concernant le contre le désir d’un amour inconditionnel
Suprême Vishnu (le protecteur) qui est et de repos dans le Soi véritable ?
aussi Narayana (le résidant intérieur) Peut-être seule une crise existentielle
nous raconte comme Il descend sur terre potentiellement mortelle, avec son lot de
sous la forme d’une image sacrée (arca) « peur et de tremblements » peut produire
par compassion pour les hommes. A un abandon authentique et complet
Badrinath, Il siège en méditation sous (comme avec le roi-éléphant Gajendra)
un arbre Badari pour soulager leur mais l’étonnement philosophique peut
souffrance et hâter leur libération. A certainement contribuer à nous faire
Vittala à Pandharpur, Il attend les humains apprécier la saveur (rasa) de l’abandon de
avec les mains sur la taille, debout sur soi au Suprême Principe.
une simple brique déposée par son dévot

72
La théorie des âges
Des Lois de Manou à la République de Platon

Martine Chifflot

Pour comprendre la place et conquêtes d’Alexandre, et Platon nous en


la teneur du Kali Yuga, il convient de fournit une version et une interprétation
rappeler la théorie des âges qui est une des (dans la République) dont les différences
composantes de la conception hindoue du valent mention. La dimension éthico-
temps et de l’histoire. La théorie des âges politique des deux textes étant patente,
trouve une expression quasi-juridique le cadre comparatif s’en trouve légitimé.
dans le célèbre texte dit Les Lois de Manou,
dont le titre exact est Traité du devoir de La cosmogonie indienne du
Manu.1 En l’occurrence, Manu est le nom de Manava-dharma-śastra
l’ancêtre mythique (ou réel ?) présidant à On rattache les Lois de Manou
notre ère. Que signifie Manu ? Manu2 c’est, au point de vue (darśana) du Sāṃkhya
certes, l’Homme (man) celui qui dispose mais il faut souligner aussi son caractère
de manas, de l’esprit, mais c’est surtout, exotérique : c’est un code « civil »
pour la tradition religieuse indienne qui s’adresse à tous et que le pouvoir
hindouiste, l’un des sept personnages politique a charge de faire respecter,
qui ont gouverné le monde et ce traité, certains articles en sont très durs et
considéré comme émané de Brahma lui- paraissent iniques – notamment à l’égard
même, s’est transmis d’ère en ère. En des femmes – car ils reflètent les normes,
tout cas, ce traité est un des premiers voire certains « préjugés », de l’époque ;
codes éthico-juridiques que l’humanité on dispute d’ailleurs à propos de la date
ait promulgué. Il comporte douze livres et de sa rédaction entre le XIIème et le VIème
embrasse la totalité des aspects de notre siècle, voire le IIème, avant J.-C., mais c’est
condition. Le livre I traite de la création évidemment un texte ancien3. Ce n’est
du monde et c’est là que nous trouvons ni un ouvrage religieux ni un ouvrage
la théorie des âges (yuga) et des cycles philosophique. Il offre pourtant un
divins. Cette théorie des âges a retenti remarquable condensé des conceptions
jusqu’en Grèce – et ce, bien avant les traditionnelles et constitue une référence

1 Manavadharmaśastra
2 William Jones a rapproché le nom de Manu de ceux de Ménès et de Minos. Cf. Préface de
Loiseleur-Deslongchamps, VI.
3 Depuis sa première traduction en 1794 par Sir William Jones, la datation du texte a été
abondamment discutée et on s’accorde actuellement pour situer sa rédaction entre 200 avant
et 200 après J.-C. alors que les philologues la plaçaient jadis entre 1250 et 1000 avant J.-C.

73
majeure pour les indianistes. 4 La société l’ultime moment. Cette théorie s’inscrit
hindoue s’est structurée autour d’un dans une conception cyclique du temps
certain nombre de ces croyances, qui qui implique toutefois l’alternance de la
ont perduré et maintenu un ordre social manifestation et de la non-manifestation,
bien particulier, dont Louis Dumont a ce qui correspond à la succession des
su exhiber le principe dans son ouvrage jours et nuits de Brahmā, le principe
Homo hierarchicus5. S. Radhakrishnan « créateur » dont tout émane. Mille âges
reconnaissait l’importance de ce code, divins composent un jour de Brahmā au
auquel il consacrait quatre pages, en cours duquel la manifestation dans son
soulignant que : « une tradition (smṛti) ensemble a lieu mais la nuit de Brahmā où
opposée à Manu n’est pas agréée »6. Ce tout se résorbe dure également mille âges
qui nous intéresse ici n’est toutefois divins. Ces durées sont astronomiques
pas l’organisation de la société mais la et elles correspondent à 4.320.000.000
conception cosmogonique que l’ouvrage d’années humaines de 360 jours7. Il se
expose en son début et qui fonde la produit une dissolution (pralaya) au
théorie des âges dont le kali-yuga est terme de chacun de ces jours de Brahmā

4 Quelques auteurs ont toutefois contesté sa valeur ou sa portée, notamment Koenraad Elst, qui
a écrit à son propos : « Les lois sont un traité didactique rédigé par des brahmanes. Loin d’être
un reflet de la société de l’époque, elles ne représentent que l’opinion de certains milieux
brahmaniques sur la façon dont une société idéale doit être ordonnée. » “Manu as a weapon
against Egalitarism. Nietzsche and Hindu political philosophy”, in Siemens, Herman W/Roodt,
Vak (Hg), Nietzsche, Power and Politics: Rethinking Nietzsche’s legacy for political Thought
(Berlin/New York, 2008), pp. 543-582.
5 Louis Dumont, Homo hierarchicus, essai sur le système des castes (Poche, 1979, 1ére édition,
1966). Rappelons à ce propos le principe spirituel qui ordonne ces castes et que Louis Dumont
identifie comme l’opposition du pur et de l’impur mais qui nous paraî�t relever davantage de
la proximité ou de l’éloignement par rapport à la conscience absolue que constitue l’ātman-
brahman, qui est, certes, pur, voire quasi translucide, mais aussi saturé d’être et de félicité,
source de tout bien, ineffable en sa prééminence, et l’appartenance à telle ou telle caste
est le fruit d’actes antérieurs. Le critère économique est insignifiant puisqu’en principe les
brahmanes n’ont ni le droit de travailler ni celui d’être rémunérés ou de faire des profits, ils
n’ont droit qu’aux dons qui leur sont faits. Dans cette perspective le devoir (dharma) prime le
droit et chaque caste a des devoirs bien particuliers avant d’avoir des droits.
6 Indian Philosophy, Centenary Edition, volume I, (Delhi: Oxford University Press, 1991, première
édition 1923), XII, Le code de Manu, pp. 515-518. « Une tradition relevant de la smṛti qui est
contraire à l’enseignement de Manu doit être rejetée. ». Note 7. Voir Taittirīya Saṁhitā, II, 2,
10; III, 1,9,4, p. 515.
7 « Le jour de Brahmā est appelé kalpa. Trente de ces kalpas forment un mois de Brahma ;
douze de ces mois une année ; l’année de Brahmā équivaut donc à 3.111.400.000.000 d’années
humaines.» Note 2, p. 4, MDŚ, trad. A. Loiseleur Deslongchamps, (Paris: Editions d’aujourd’hui,
Les introuvables, Garnier Frères, 1976).

74
suivi de sa nuit équivalente. Tout cela ou telle renaissance dans telle ou telle
se trouve exposé dans le livre I, qui fait condition. Cette conception implique
précéder l’émanation du cosmos d’une l’idée d’une étroite correspondance entre
sortie des ténèbres de la dissolution : les âges et l’incarnation de ceux qui s’y
« Quand la durée de la dissolution (pralaya) trouvent, elle n’exclut pas la liberté morale
fut à son terme, alors le Seigneur existant de s’améliorer au cours d’une nouvelle
par lui-même, et qui n’est pas à la portée existence mais elle justifie les données
des sens externes, rendant perceptible ce génétiques et personnelles et le coefficient
monde avec les cinq éléments et les autres d’adversité échéant. Nous sommes les fils
principes, resplendissant de l’éclat le plus de nos actes, notre naissance n’est pas
pur, parut et dissipa l’obscurité, c’est-à contingente et notre vie doit épuiser tout
dire, développa la nature (prakṛti).»8 ou partie du fruit des actes antérieurs.
On a rapproché, à juste titre,
cette cosmogonie de la métaphysique Les âges et le kali-yuga
du Sāṃkhya mais Radhakrishnan, Il convient de bien distinguer les
s’appuyant sur Colebrooke, la lit comme kalpa et les yuga, d’une part, les années
un mélange de Sāṃkhya puranique et divines et, d’autre part, les années
de Vedānta9. La cosmogonie en tant que humaines, qui engagent des ordres de
telle ressortit toutefois davantage au grandeur très différents.
Sāṃkhya qu’au Vedānta, dont le propos Un kalpa vaut un jour de Brahmā,
est plus purement « métaphysique », pour qui vaut mille âges divins, soit mille yuga,
autant que l’on puisse utiliser ce terme à auquel on peut ajouter une nuit de Brahma
propos du Vedānta. Pour ce qui est de la qui vaut également mille âges mais où
cosmogonie, le modèle des lois de Manou rien ne se manifeste et où tout reste en
retient une conception cyclique du temps semence, involué. Le mot kalpa10 a divers
incluant une alternance de manifestation sens dont celui de précepte sacré, de loi,
et de non-manifestation d’égale durée, règle, etc. mais, en l’occurrence, il signifie
la manifestation se décomposant en la durée d’une existence du monde.
kalpa eux-mêmes divisés en yuga soumis Pour ce qui est de la nuit de Brahma,
à l’entropie. A l’intérieur de ces yuga, équivalente en durée absolue, on ne parle
les êtres se réincarnent à proportion pas de kalpa car rien ne se produit et il
de leurs mérites donc en fonction d’un n’y a pas de yuga non plus. Ce n’est pas le
déterminisme moral qui justifiera telle néant mais une sorte de latence de toute

8 Op. cit., §. 6. p. 3, trad. A. Loiseleur Deslongchamps.


9 Indian Philosophy, p. 516: « Comme l’affirme Colebrooke, on trouve dans les Lois de Manu un
Sāṃkhya purānique mélangé au Vedānta. Le récit de la création dans Manu n’a rien de très
original. Il se fonde sur l’hymne de la création qu’on a dans le Ŗg Veda. La réalité ultime est
Brahman qui se dissocie rapidement entre Hiraṇyagarbha, cause de soi, et les ténèbres.»
10 KḶP- signifie être arrangé, réussir, correspondre, etc., mais aussi produire, causer, imaginer.
Cette racine convoque donc à la fois l’idée de production adéquate et d’imagination, car c’est
l’imagination divine et projective, qui façonne ces durées et ces âges récurrents.

75
Nandi (Photo Dharma, Sadao, Thailande)
la phénoménalité matérielle, subtile et à 3.111.400.000.000 années humaines.
même de la causalité principielle qui s’est Les quatre âges (yuga) qui sont
résorbée, elle aussi. Lorsque Brahmā se inclus dans chaque kalpa (ou jour de
réveille tout se retrouve reprojeté dans un Brahmā) sont présentés dans le livre
ordre d’apparition que restitue le traité de premier du traité de Manu, d’abord, eu
Manu. Et le kalpa se décline en yuga, qui égard à leur durée:
sont des périodes ou des ères du monde. Le « Quatre mille années divines composent,
mot yuga, dérivé de la racine YUJ- signifie, au dire des sages, le krita-yuga ; le
paire, couple mais aussi génération et il en crépuscule qui précède est d’autant de
vient à signifier ces « âges » du monde qui centaines d’années ; le crépuscule qui suit
nous préoccupent. est pareil. »11
Pour ce qui est des années, si Si l’année divine vaut 360
un kalpa vaut un jour de Brahmā, trente ans, quatre mille années divines font
kalpa valent un mois de Brahmā et douze 1.440.000 années humaines, à quoi il
mois valent une année donc une année faut ajouter deux fois 400 années divines
vaut 360 kalpa, chacun valant mille yuga. pour les crépuscules, soit un total de
On se gardera toutefois de confondre une 1.728.000 années humaines pour l’âge
année de Brahmā avec une année divine et ses crépuscules qui ne sont pas des
qui dure, elle, 360 années humaines nuits mais des périodes d’obscurité et de
tandis que l’année de Brahmā correspond latence relatives.

11 MDŚ� , op. cit., § 69. Le kṛta-yuga est l’âge parfait, il est le premier et le dharma y est respecté
intégralement.

76
« Dans les trois autres âges, d’un autre jour ces nominations puisqu’il
également précédés et suivis d’un est le nom du dé (ou du côté du dé)
crépuscule, les milliers et les centaines perdant au jeu, que personnifie aussi un
d’années sont successivement mauvais génie, une sorte de démon. Kali12
diminuées d’une unité. » Il faut donc signifie encore la dispute ou la discorde,
comprendre que le temps imparti décroî�t personnifiée elle aussi, ainsi que le plus
proportionnellement pour chaque âge. mauvais objet d’une classe ou d’un groupe
Le second âge, qui sera nommé trétā- quelconque. On ne saurait donc nommer
yuga, est de 3000 années divines ; le plus négativement une durée. Mais dans
troisième âge, dvāpara-yuga, comporte ce paragraphe, seul le premier âge est
2000 années divines, et le dernier âge, nommé car il est le seul qui soit intact,
celui qui retient notre attention dans tous les autres seront le théâtre d’une
cet article, le kali-yuga, est de 1000 progressive dégradation, ce que traduit
années divines, à quoi il faut ajouter à bien le mot de décadence. Les qualités
chaque fois les centaines diminuées des et défauts de chacun des âges seront
crépuscules. La dégradation affecte donc mentionnés ultérieurement après que
la durée au premier chef et elle affectera l’émanation cosmique à partir de Brahmā
proportionnellement la durée de la vie aura été décrite.
humaine, comme on le verra plus loin « Dans le krita-yuga, la Justice sous la
dans le traité. Soit donc pour ces trois forme d’un taureau, se maintient ferme
derniers âges décadents 1.296.000 sur ses quatre pieds ; la Vérité règne, et
années humaines, puis, 864.000 années aucun bien obtenu par les mortels ne
humaines, puis, 432.000 années humaines dérive de l’iniquité. »13
pour le kali-yuga. Ces longues durées sont Justice et vérité sont donc les
quasi inimaginables, car nos imaginations deux valeurs-vertus qui donnent à cet âge
peinent à se figurer le temps au-delà de parfait son équilibre.
dix mille années. On remarquera aussi que « Mais dans les autres âges, par
le sanskrit nomme les âges autrement que l’acquisition illicite des richesses et de la
nous et qu’il inverse le compte ordinal des science, le Justice perd successivement un
deux âges intermédiaires puisque Trétā pied ; et remplacés par le vol, la fausseté
signifie troisième et dvāpara deuxième et la fraude, les avantages honnêtes
tandis que le premier et le dernier âge diminuent graduellement d’un quart. »14
reçoivent des noms qualifiés : perfection Le processus de décadence et
et accomplissement pour le premier, sa cause15 sont clairement énoncés :
kṛta. Le dernier reçoit un nom qui éclaire c’est l’illicite, la transgression des règles

12 Il ne faut toutefois pas confondre ce mot avec le nom de la déesse Kālī� autrement nommée
Durgā, parèdre de Ś� iva, même si celle-ci se révèle terrible et destructrice.
13 Op. cit., pp. 16-17, §. 81,
14 Ibidem, §. 82.
15 Mais cette dégradation est aussi inscrite dans la constitution temporelle du monde -
comme dans le mythe du Politique, imaginé par Platon - qui comprend dès lors les phases

77
morales d’acquisition des biens matériels ne peut en aucun cas porter la résolution
et intellectuels qui, progressivement, et des problèmes existentiels que seul le
par quart, déséquilibre la taurine justice, respect de la « morale », toujours possible
laquelle, dans le Kali-yuga, ne tiendra même dans le Kali-yuga, peut offrir
donc plus que sur un pied. Justice s’entend mais ce ne sont pas les mêmes vertus
ici au sens le plus large et désigne aussi particulières qui peuvent être cultivées
bien la rétribution que la distribution, le dans les différents âges en raison d’une
plan politique et le plan moral ; la société sorte d’affaiblissement des capacités
devient progressivement adharma et éthico-métaphysiques :
l’on peut s’attendre à une inversion « Certaines vertus sont particulières à
des valeurs qui étaient légitimement l’âge Krita, d’autres à l’âge Trétâ, d’autres
reconnues par la raison ou lumière à l’âge Dwâpara, d’autres à l’âge Kali,
naturelle (buddhi). Loin de considérer le en proportion de la décroissance de ces
sens de l’Histoire comme marqué par un âges. » « L’austérité domine pendant le
progrès, les hindouistes ont appréhendé premier âge, la science divine pendant le
le temps historique comme décadent et ils second, l’accomplissement du sacrifice
ont cherché à préserver leurs institutions pendant le troisième ; au dire des Sages,
sociales et religieuses sans succomber la libéralité seule pendant le quatrième
aux illusions technicistes, qui se sont âge. »16
pourtant imposées peu à peu avec la Les textes désignent très
modernité, conformément d’ailleurs au clairement les pratiques adaptées
schéma défaitiste de la succession des à chaque âge et semblent exclure la
yuga. Cette conception explique leur possibilité qu’une pratique puisse être
négligence de l’historiographie. Dans le conservée dans un autre âge. Ainsi les
kali-yuga, il importe de faire partie du austérités et l’ascétisme spontané sont
quart qui respecte encore le dharma afin réservés aux forces spirituelles de l’âge
de préparer une bonne renaissance ou parfait, au cours duquel les hommes
une réintégration dans l’absolu. L’avenir sont aptes à maî�triser leur psychisme

susceptibles de recevoir, dans les périodes terminales du cycle, les réincarnations engendrées
par des actes mauvais. Bien entendu, des réincarnations positives sont possibles dans
le kali-yuga, si un quart des êtres suit encore le dharma et si la dégradation ne touche pas
tout le monde à la fin. Le déterminisme moral s’accorde toutefois avec une cosmologie qui
prévoit une fin des temps catastrophique. Tout cela s’inscrit logiquement dans l’essence de
la manifestation. Les Lois de Manu développent une théorie de l’émission divine, qui par
créateurs interposés (Virādj, Manu, Prajāpati, etc.) produit les dieux mais aussi les vampires,
les dragons, les démons, etc., le juste et l’injuste. On lit en v. 50 « Telles ont été déclarées, depuis
Brahmā jusqu’aux végétaux, les transmigrations qui ont lieu dans ce monde, qui se détruit sans
cesse. » Le créé est donc un ensemble de noms et de formes qui recevront les sujets des actes
correspondants. Il faut de tout, y compris du mal, pour faire un monde dont le devenir est
compromis. Cf. Op. cit., Livre premier, v. 33-50, pp. 9-12.
16 Idem, I, 85-86, p. 17.

78
et leur corps pour s’identifier presque des effets biologiques et la durée de la vie
spontanément à la divine conscience du s’abrège proportionnellement à la débilité
Soi tandis que, par la suite, une approche métaphysique et morale :
plus théologique ou métaphysique « Les hommes, exempts de maladies,
conviendra. Le sacrifice, à travers les obtiennent l’accomplissement de tous
rites prescrits, s’applique ensuite tandis leurs désirs, et vivent quatre cents ans
que la générosité, la « charité », à travers pendant le premier âge ; dans le Trétâ-
aumônes et dons constitue l’ultime vertu yuga et les âges suivants, leur existence
accessible à une humanité devenue perd par degré un quart de sa durée. »17
incapable d’engagements plus profonds C’est pourquoi les hommes ne
sous l’aspect des postures, leçons ou peuvent guère espérer vivre plus de cent
rites. Le don, sous ses divers aspects, ans dans le kali-yuga et, s’ils vont au-
reste alors l’acte moral disponible à ceux delà, voient leurs facultés se dégrader
que l’acquisition illicite des richesses n’a peu ou prou, les exceptions étant rares
pas crispés dans l’avare rétention mais le et significatives car la longévité dans
remords peut évidemment toujours saisir maintes cultures fut souvent reconnue
l’escroc ou l’exploiteur qui restituera comme une faveur divine et des textes
alors les profits injustement récoltés. anciens attestent l’âge avancé de vieux
La richesse ayant été surinvestie dans sages réputés. Ces quelques lignes ne
le Kali-yuga, s’en défaire partiellement permettent pas de décliner toutes les
ou totalement constitue le nec plus ultra caractéristiques du kali-yuga mais
de la vie religieuse et morale que le vœu elles suffisent pour se représenter un
de pauvreté fait resplendir. Mais le texte processus entropique inéluctable qui,
du śastra nous laisse mesurer ce qui a si on le rapporte à la métempsychose
été perdu : austérité, connaissance et que le śastra expose également, laisse
sacrifice s’en sont allés, appauvrissant imaginer que les incarnations dans ce
radicalement notre vie intellectuelle et yuga final sont le fruit (phala) de fautes
morale. L’intériorité s’en trouve altérée passées, en raison du strict déterminisme
et seule l’extériorisation libérale vient moral causatif. Les scénarios les plus
l’enrichir de son bon sentiment. Les plans sombres sont ainsi accréditables pour
de l’Ê� tre, du Savoir et du Faire auront été une fin des temps qui se produit au terme
successivement délaissés pour ne garder des 432.000 années dévolues à cet âge
que le seul plan de l’Avoir que la libéralité sombre, que suit un crépuscule égal. La
peut alors libérer de sa pesanteur mais, nature de ces crépuscules est à concevoir
si le mal court et si les richesses sont sur le modèle des nuits de Brahmā mais
accaparées illicitement par la fraude et par la différence est de degrés et elle concerne
le vol, on imagine aisément l’étendue du l’état des « semences » en latence. Il
désastre. La libéralité des uns ne saurait convient de penser la création enténébrée
compenser la convoitise des autres. et les êtres non manifestés, le plan causal
A ces maux sociaux correspondent restant seul en puissance. Tout renaî�t dans

17 Idem, I, 83.

79
sa perfection avec le retour d’un nouveau en siècle. La réincarnation dans le samsara
krita-yuga. Nietzsche a développé son doit donc être soigneusement distinguée
intuition de l’Eternel Retour à partir d’une de l’éternel retour nietzschéen. Le
lecture de ce śastra, qu’il mentionne en mai déterminisme moral n’est pas l’équivalent
1888, mais il commit vraisemblablement du Destin car nous sommes, au contraire,
un contresens en voyant dans ce cycle un moralement libres à proportion de notre
retour du « même ». Ce qui est identique lucidité métaphysique et constamment
ce sont la nature et les caractéristiques des invités à nous recentrer sur l’absolu (le
yuga mais ce ne sont pas nécessairement Soi : brahman) dont nous avons l’intuition
les mêmes êtres qui reviennent et en tout grâce aux textes sacrés et à l’introspection
cas pas nécessairement dans les mêmes méditative mais la tradition hindouiste
conditions. En vertu du déterminisme admet aussi le culte exotérique de Viṣnu
moral, le retour peut soit s’effectuer ou de Ś� iva dans les religions populaires.
dans un yuga ou l’autre, dans une Le kali-yuga offre toutefois le spectacle
condition humaine ou animale, soit ne d’une progressive (en réalité régressive)
plus s’effectuer, si la délivrance a eu lieu confusion dans le champ religieux et
laquelle dissipe les contours de l’ego et philosophique lui-même, ce qui peut
élève l’âme à l’absolu. Nous ne reviendrons rendre difficile la reconnaissance du vrai.
pas nécessairement tels que nous sommes C’est alors l’expérience - notamment
mais en fonction de nos actes, paroles et douloureuse - qui nous instruit et peut
pensées, nous reviendrons avec telles ou nous orienter, en l’absence de maitres
telles qualités dans tel ou tel âge, de tel spirituels authentiques en nombre
ou tel cycle. C’est pourquoi la vie morale suffisant, vers le maî�tre intérieur.
et religieuse que nous menons a tellement Dans ce contexte, la révélation
d’importance, elle décide des vies futures chrétienne peut apparaî�tre comme
qui nous écherront et les hindouistes particulièrement adaptée car elle met
aspirent à la libération par-dessus tout, l’accent sur la libéralité (charité) et
encore que cette aspiration décroisse prêche la pauvreté comme art de vivre.
au fur et à mesure de l’avancée dans « Pauvreté en esprit » signifiant pauvreté
le kali-yuga où s’opacifient nos désirs, non seulement économique mais surtout
concentrés sur l’avoir et les apparences. mentale, au sens d’une identification à
Il y a en vérité peu de chances que nous la non-possessivité et du détachement ;
revenions tel(le)s que nous sommes, car, le « pauvre selon l’Esprit » pourrait à
en principe, notre vie épuise en partie la rigueur être matériellement riche
les fruits d’une autre mais chacun de nos mais suffisamment détaché de ses biens
actes nous prédestine à un nouvel état, pour les gérer librement et les donner
pire ou meilleur que celui-ci. La recherche si nécessaire. La parabole du jeune
de la vérité et du bien reste donc l’objectif homme riche est toutefois significative
majeur, y compris dans le Kali-yuga mais de l’injonction à se libérer des attaches
elle est de plus en plus difficile, les esprits temporelles pour suivre l’Esprit. Les
et leurs œuvres s’obscurcissant de siècle hindouistes voient en Jésus-Christ une

80
incarnation de Viṣnu mais on peut être humains correspondent des âges révolus.
interpelé par le fait que la révélation Le premier, au temps de Kronos, constitue
évangélique se produise assez peu de cet âge d’or qui correspond à la nature
temps après l’entrée dans le kali-yuga, qui de cette humanité : « D’or fut la première
aurait commencé environ 3102 années race d’hommes périssables que créèrent
avant la naissance de Jésus-Christ. Ces les Immortels, habitants de l’Olympe ». 18
spéculations peuvent paraî�tre farfelues eu Puis, vient une race d’argent, inférieure
égard aux découvertes paléontologiques en qualités physiques et morales et
ou géologiques, et, surtout, à l’esprit déjà affligée par la démesure, puis une
scientifique, animateur de toute recherche troisième race, dite de bronze, lui succède,
universitaire, et il est de bon ton de pire que la seconde et ne songeant « qu’aux
réduire cette littérature à des hypothèses travaux gémissants d’Arès et aux œuvres
historicistes ou sociologisantes. Ces de démesure »19. Mais une quatrième
textes continuent toutefois d’interroger race, « plus juste et plus brave, race divine
l’imagination métaphysique, qui leur des héros que l’on nomme demi-dieux et
cherche un sens, littéral ou autre. Le dont la génération nous a précédés sur
spectacle de l’Histoire et des violences des la terre sans limites »20, interrompt la
sociétés modernes accréditent cette idée suite de ces créations et restaure la vertu,
d’un âge sombre à venir que la science- notamment le courage. La cinquième race,
fiction ne cesse de noircir. dite de fer, n’est pas créée par les Dieux et
elle connaî�t une condition misérable, qui
L’âge de fer, d’Hésiode à Platon dans les derniers de ces temps s’abî�mera
La théorie des âges trouve une dans la méchanceté et le crime : « le seul
réplique dans des conceptions grecques, droit sera la force, la conscience n’existera
recueillies par Hésiode et développées plus. Le lâche attaquera le brave avec des
plus philosophiquement par Platon. mots tortueux, qu’il appuiera d’un faux
Pouvons-nous légitimement rapprocher serment. De tristes souffrances resteront
le Kali-yuga de l’Â�ge de fer ? Une révision seules aux mortels : contre le mal, il ne
rapide des conceptions permettra de sera point de recours.»21 La description
répondre provisoirement à cette question des comportements peut faire penser à
instructive. Au terme de yuga, le texte grec un temps d’où la vertu s’est absentée, à
d’Hésiode préfère celui de genos (γέ� νος), l’instar du kali-yuga en sa phase terminale.
que nous traduisons par genre ou race, On peut s’étonner qu’Hésiode interrompe
et ce sont cinq « races » dont Les travaux le processus de dégradation avec la
et les jours décrivent la procession et les naissance de la quatrième race qui semble
caractéristiques. Mais à ces genres d’êtres amorcer une remontée vers les valeurs

18 Hésiode, Les travaux et les jours, traduction Paul Mazon (Paris: Les Belles Lettres, 2001, 1ère
édition 1928), v. 110, pp. 90-91.
19 Ibidem, v. 146-147, p. 91.
20 Ib. v. 158-159.
21 Ib. v. 192-195, p. 93.

81
et le divin, à moins de la lire comme une l’aristocratie à la timocratie, à l’oligarchie,
justification de la mythologie, qui rapporte puis, à la démocratie pour finir sous la
aussi les hauts faits de quelques héros. De tyrannie. Mais, s’il admet cinq formes de
cette intrusion, Dumézil, Goldschmidt et gouvernements correspondant à cinq
Vernant ont proposé des interprétations formes d’âmes, Platon revient au mythe
judicieuses, analysées par Jean-François primitif des quatre âges24 (voire des trois
Mattéi dans Platon et le miroir du mythe22, en rapprochant le bronze du fer) assimilés
qui continue tout de même d’interroger à des natures d’êtres (et d’âmes) justifiant
cet ajout : leur hiérarchisation. A partir d’une même
« Si le mythe originel comptait seulement nature humaine, les uns mêlés d’or seront
quatre races associées à chaque reprise aptes à gouverner, les autres, mêlés
à un métal, pourquoi Hésiode a-t-il pris d’argent , seront leurs auxiliaires, et pour
la peine d’associer la cinquième race des finir cette liste, mêlés de bronze et de fer,
héros au lieu de se contenter de l’ordre viendront les cultivateurs et les artisans.
déclinant des métaux, or, argent, bronze Cette tripartition, correspondant aux
et fer ? […] Le déséquilibre introduit fonctions de l’âme, dessine en synchronie
par le cinquième âge dans une genèse une psychosociologie justifiant un ordre
à quatre termes (les quatre métaux) et social dont le mythe d’Er fournira le motif
dans une structure à trois termes (les moral et métaphysique puisque les âmes
trois puissances posthumes) toutes deux en se réincarnant choisiront leur genre de
fondées en dernière analyse sur une vie et par suite la nature de leur âme. Le
opposition à deux termes (Dikè et Hubris), façonnage des êtres par la terre, mère et
ne saurait être justifié que par la nécessité nourrice, du mythe phénicien25 laissera
impérative, pour le poète, de parvenir à la place à un processus métempsycotique
un cycle complet à cinq termes. Il convient incluant une liberté prénatale susceptible
alors de se demander pour quelle raison d’être éclairée par le (bon) choix résultant
un mythe forgé sur l’alternance de la d’une vie philosophique. Ainsi Platon forge
tétrade et de la triade devait naturellement un modèle complexe qui, bien qu’appuyé
aboutir à la constitution d’une pentade. »23 sur une hypothèse cosmologique et sur des
C’est en se tournant vers le calculs astronomiques , met l’accent sur la
remaniement platonicien du mythe liberté morale octroyée par la philosophie.
que Jean-François Mattéi résout ce Le rapprochement avec la perspective des
problème cosmo-éthique, dont Platon Lois de Manou repose sur la conception
tire finalement un paradigme politique cosmologique du Timée. Platon y
éclairant la décadence des cités passant de mentionne26 une grande année : période

22 Chapitre II, Kronos, Le mythe de l’âge d’or, (Puf, Quadrige, 2002, 1996), pp. 57-80.
23 Ibidem p. 63.
24 République III 415a-415d ; VIII 545d-547b (Garnier-Flammarion, Paris, 2002).
25 Op. cit., 414 c., p. 209 : « une affaire phénicienne, qui s’est passée autrefois en maints endroits. »
26 39d : « Il est néanmoins possible de concevoir que le nombre parfait du temps remplit
l’année parfaite, au moment où ces huit révolutions, avec leurs vitesses respectives mesurées

82
� me, et celle du vivant mortel. Mais il admet
des cycles et des durées de génération.
Le nombre de la génération humaine est
216, soit 33x43x53. Aristote27 nous donne
une explication quant à ce nombre.  « Le
principe est que la base épitrite conjuguée
avec le nombre 5 produit deux harmonies,
voulant dire par là quand le nombre de la
figure obtenue devient solide. »
Dans la République, qui interroge
« comment la discorde survint pour
la première fois », Platon imagine une
réponse des Muses analogue :
«Pour les générations divines il y a une
période qu’embrasse un nombre parfait ;
pour celle des hommes, au contraire, c’est
le premier nombre dans lequel le produit
des racines par les carrés – comprenant
trois distances et quatre limites – des
éléments qui font le semblable et le
dissemblable, le croissant et le décroissant,
établissent entre toutes choses des
rapports rationnels. Le fond épitrite
de ces éléments, accouplé au nombre
Saturne dévorant son fils (Francisco de Goya) cinq, et multiplié trois fois donne deux
harmonies : l’une exprimée par un carré
où tous les cycles des planètes retournent dont le côté est multiple de cent, l’autre
simultanément à leur point de départ. Le par un rectangle construit d’une part sur
nombre de la génération divine pourrait cent carrés des diagonales rationnelles
lui équivaloir soit 12.960.000 = (3 x 4 x 5)4 de cinq, diminuées chacune d’une
= (3.600)2 = 4.800 x 2.700. Si nous élevons unité, ou des diagonales irrationnelles
à la puissance 4, le nombre du volume des diminuées de deux unités, et d’autre part
solides chez les Pythagoriciens, on obtient sur cent cubes de trois. C’est ce nombre
le nombre nuptial exprimant les jours des géométrique tout entier qui commande
36.000 années solaires. Platon distingue aux bonnes et aux mauvaises naissances,
la génération du cosmos éternel, mis en et quand vos gardiens, ne le connaissant
ordre par le démiurge qui lui associe une
par le circuit et le mouvement uniforme du Même, ont toutes atteint leur terme et sont
revenues à leur point de départ. » p. 418, trad. Chambry (Paris: Editions Garnier Frère, 1969).
On se rappellera que le mouvement du Même est celui du cercle extérieur et que le Démiurge
lui a donné la prééminence, ce qui garantit une relative stabilité cosmique (36 c-37c)
27 Politiques, V, 12,1316a 5-8. Cité par Georges Leroux note 21. p. 295.

83
pas, uniront jeunes filles et jeunes gens à court, sauf si nous admettons avec Robert
contretemps, les enfants qui naî�tront de Baccou : « qu’il y a dans 12.960.000 (ou
ces mariages ne seront favorisés ni de la 3.6002) 360.000 harmonies proprement
nature ni de la fortune. »28 dites + 360.000 unités, à chaque harmonie
La discorde et la décadence seront s’ajoutant une πά� ντων ἀ� ρχή� . On constatera
donc causées par des naissances mal de même que 216 contient 6 ἁ� ρμονί�αι
aspectées causant de mauvais maî�tres. + 6 πά� ντων ἀ� ρχαί�. C’est apparemment
Pour ce qui est des nombres, ils sont assez pour cette raison que les Muses donnent
inférieurs à ceux que les Lois de Manou au premier le nom d’harmonie, et disent
proposent, si ce n’est que l’année divine que le second accorde toutes choses (s.e.
y vaut 360 ans et que le chiffre platonicien dans le corps humain) selon des rapports
de 36.000 ans correspond au nombre de rationnels. Elles semblent vouloir rappeler
la loi du devenir mais la durée du kali- par là l’analogie que les Pythagoriciens
yuga est de 1000 années divines, ce qui, établissaient entre le macrocosme –
multiplié par 360 donnerait 360.000 et l’univers regardé comme un magnus homo
non pas 36.000, si l’on n’ajoute pas les – et le microcosme – l’homme, regardé
crépuscules. Mis à part ce rapprochement, comme un brevis mundus. »30
explicable par la division de l’année en 360 Le mythe du Politique31, auquel
jours, les chiffres exprimant les durées des Robert Baccou se réfère aussi, diffère
kalpa et des yuga ne se retrouvent pas car toutefois de celui de la République et cette
la grande année de 12.960.00029 ne trouve différence nous interroge car elle n’exclut
pas d’équivalent dans le compte des quatre pas une désignation d’un équivalent du
yugas. La comparaison paraî�t tourner Kali-yuga ; plus antithétique, le mythe

28 Livre VIII, 546b, traduction Baccou, pp. 305-306 (Garnier-Flammarion, Paris, 1966).
29 La note 540 de Baccou explique : « Or il semble que les deux harmonies mentionnées dans la
République symbolisent ces deux phases – d’égale durée nous dit Platon – de la vie de l’univers.
Elles sont en effet exprimées par le même nombre, 12.960.000, qui doit désigner des jours,
comme le nombre nuptial 216. Si l’on compte 360 jours dans l’année parfaite – comme fait
Platon qui n’ignore pourtant pas la durée de l’année réelle – chaque phase sera de 36.000
ans, ce qui s’accorde avec l’assertion du Politique (πολλὰ� ς περιό� δων μυριά� δας, 270a). En
outre les traits dominants du monde, lorsqu’il se meut en avant, sont l’ordre et la justice, la
convenance (ὁ� μοιό� της) et lorsqu’il se meut en arrière, le désordre et la lutte, la disconvenance
( ἀ� νὁ� μοιό� της). Mais nous savons que la première harmonie (3.6002) est ἲ�σην ί�σά� κις,
ἐ� κατὸ� ντοσαυτά� κις, c’est-à-dire formée par le carré d’un nombre qui est lui-même cent fois
un carré : 3.6002 = (62 x 100)2 tandis que la seconde est un nombre rectangulaire (προμἡ� κης).
Si l’on observe que les Pythagoriciens nommaient ὃ� μοιοι les nombres carrés , et ανό� μοιοι les
nombres rectangulaires, on conviendra qu’il est assez naturel de considérer 3.600 2 comme
désignant le premier cycle, et 4.800 x 2.700 le second cycle de l’existence du monde.» Op. cit.
Notes du livre VIII, p. 465
30 Ibidem, p. 466.
31 268e-274e

84
L'École d'Athènes (Raphaël)

fait contraster deux cycles relatifs au même et de l’autre mentionnés dans le


mouvement de l’univers, tantôt dans Timée. Ainsi, « tantôt il est dirigé par une
un sens, tantôt dans le sens opposé. Au cause divine étrangère à lui, recouvre une
cours du premier cycle, celui du règne vie nouvelle et reçoit du démiurge une
de Cronos, l’univers est mu par une force immortalité nouvelle, et tantôt, laissé
divine, l’homme naî�t de la terre, vieux, à lui-même, il se meut de son propre
chenu, et il rajeunit jusqu’à l’enfance. mouvement et il est ainsi abandonné
Au cours du second, l’univers est livré assez longtemps pour marcher à
à lui-même, l’homme naî�t de l’homme rebours pendant plusieurs myriades de
et il vieillit. A chaque changement il se révolutions, parce que sa masse immense
produit, comme dans l’hindouisme, une et parfaitement équilibrée tourne sur
destruction quasi-totale des animaux un pivot extrêmement petit ».32 Ce
et des hommes. Chaque cycle comporte mouvement rétrograde est la cause des
plusieurs dizaines de milliers d’années. maladies et du désordre qui affecte toute
Le mythe pourrait certes désigner la chose et qui pousse le monde à sa perte.
disjonction exclusive qui fait opposer la « Tant qu’il fut guidé par son pilote dans
vie de sagesse et la vie de perdition, les l’élevage des animaux qui vivent dans
cités organiques et les cités décadentes son sein, il produisait peu de maux et
puisqu’il servira à « définir le roi » mais de grands biens ; mais une fois détaché
sa valeur cosmogonique est aussi patente de lui, pendant chaque période qui
et elle semble faire écho aux cercles du suit immédiatement cet abandon, il

32 Le politique, 269d, traduction Chambry (Garnier Flammarion, Paris, 1969), p.188.

85
administre encore tout pour le mieux ; La visée politique de ce texte
mais à mesure que le temps s’écoule et est manifeste et Platon montre ainsi la
que l’oubli survient, l’ancien désordre nécessité du roi qui tient le gouvernail de
domine en lui davantage, et à la fin, il se la cité sur l’océan du devenir. L’entretien
développe à tel point que, ne mêlant plus des structures et des justes rapports est
que peu de bien à beaucoup de mal, il en la condition sine qua non de la vie sociale
arrive à se mettre en péril et tout ce qui est mais la force du texte est de mettre en
en lui. Dès lors, le dieu qui l’a organisé, le évidence la sympathie des deux plans
voyant en détresse, et craignant qu’assailli cosmique et politique et l’analogie
et dissous par le désordre, il ne sombre convainc de la résonance de l’un en l’autre.
dans l’océan infini de la dissemblance,
reprend sa place au gouvernail et relevant Ces points communs
les parties chancelantes ou dissoutes
permettent de faire l’hypothèse
pendant la période antérieure où le monde
d’une transmission ... de l’Orient
était laissé à lui-même, il l’ordonne, et
en le redressant, il le rend immortel et
(indien) à l’Occident grec, via
impérissable »33
l’Egypte ou l’Asie Mineure, mais
Platon, à travers ce mythe, surtout d’une signification
traverse les plans cosmique et politique métaphysique transculturelle,
en montrant les effets de la dissemblance sinon transcendante.
qui indéfiniment altère et dissocie ce
que l’ordre divin associait et vivifiait.
Le processus entropique à l’œuvre dans Les lois de Manou mènent
l’univers laissé à l’abandon est celui qui également de l’ordre cosmique à l’ordre
cause la dégradation des âges. Un même social qui implique une juste répartition
processus de dérèglement affecte tous les des êtres à proportion de leurs mérites
plans, à commencer par le plan cosmo- effectifs. Dans le Politique l’allusion aux
physique dont les autres dépendent. réincarnations est également manifeste,
Le caractère cyclique et alternatif du notamment eu égard aux bien nés du
phénomène montre que la stabilité premier cycle:
n’est pas acquise mais que le monde est « Lorsque le temps assigné à toutes ces
tributaire de l’action divine organisatrice, choses fut accompli, que le changement
qui, à l’instar d’une restauration continue, dut se produire et que la race issue de la
maintient le monde dans son être et dans terre fut entièrement éteinte, chaque âme
son identité. L’océan de la dissemblance, ayant payé son compte de naissances en
comme sous l’emprise d’une cause tombant dans la terre autant de fois qu’il
errante et dégradante, altère indéfiniment lui avait été prescrit, alors le pilote de
les structures et dissout les rapports qui l’univers, lâchant la barre du gouvernail,
conditionnent harmonieusement la vie se retira de son poste d’observation et
des corps et des cités. le monde rebroussa chemin de nouveau,

33 Ibidem 273d.

86
suivant sa destination et son inclination besoin est de purger des peines, puisque
native. »34 dans les Lois de Manou comme dans
C’est toutefois dans la République le mythe d’Er, qui clôt la République, la
que la thèse de la métempsycose est la réincarnation suit le jugement et la peine
plus manifeste car, à l’instar des Lois (ou récompense) mais dans les Lois de
de Manou, elle agrée deux phases, une Manou le déterminisme continue de jouer
phase de châtiment ou de récompense35 tandis que Platon admet un choix des
en Enfer ou au Paradis et une phase de vies à partir de leur seule face visible,
métempsycose, l’âme choisissant une les actes impliqués restant cachés, ainsi
vie et le corps correspondant mais en ceux qui choisissent une vie de tyran
fonction de sa liberté prénatale et de son ne découvrent leur destinée qu’après
instruction antérieure plus que par un coup et ils l’oublieront avant de renaî�tre.
strict déterminisme moral alors que dans Les modèles sont donc assez différents
Les Lois de Manou, à tels actes du corps , sur un fond de similitude impliquant la
de la parole ou de l’esprit, correspondront responsabilité morale, de toute façon,
automatiquement telles renaissances36. puisque les cycles et les processus de
Mais la mention des cycles ne réapparaî�t dégradation ne sont que les conditions
pas dans ce dernier livre. On peut imaginer d’effectuation d’une destinée voulue
que les incarnations trouvent les cycles antérieurement, fruit des actes passés
correspondant à leurs caractéristiques mais aussi d’une décision prénatale,
et la possibilité du séjour définitif sur rendue inconsciente par la réincarnation.
l’Î�le des bienheureux et évoquée dans Ces points communs permettent
plusieurs dialogues et elle donne à la mort de faire l’hypothèse d’une transmission
de Socrate tout son sens car il vaut mieux par le biais des mythes et de leurs variantes
subir l’injustice que la commettre. De ces locales en passant de l’Orient (indien)
cosmologies c’est la composante morale à l’Occident grec, via l’Egypte ou l’Asie
qui ressort avant tout comme si le cours et Mineure, mais surtout d’une signification
le décours des âges ne constituaient que métaphysique transculturelle, sinon
le support d’un drame éthique récurrent. transcendante. La valeur éthique des deux
La signification reste globalement propositions eschatologiques est, en effet,
analogue pour autant que la dégradation patente, dans les deux perspectives, l’action
se pense dans un cycle cosmique qui laisse (karma ou praxis) est prépondérante. La
toutefois la métempsycose s’effectuer, perspective du salut repose sur la bonne
à proportion des mérites et démérites, conduite et la justice, équivalents du
au terme d’un passage par les enfers, si dharma, qui dans l’hindouisme orthodoxe

34 Ibidem, 272 e
35 Lois de Manou, Livre douzième v. 16-23. Les transmigrations sont l’objet de ce douzième livre
comme elles le sont du dixième livre de la République.
36 « Tout acte de la pensée, de la parole ou du corps, selon qu’il est bon ou mauvais, porte un
bon ou un mauvais fruit ; des actions des hommes résultent leurs différentes conditions
supérieures, moyennes ou inférieures. » Livre douzième, 3, p. 356.

87
ne se dissocie pas de
la caste, mais dans la
perspective de Platon
l’exercice du pouvoir
est réservé aux âmes
d’or qui ne sont
absentes d’aucun des
âges et Platon remplace
le mythe des âges par
celui de la décadence
des cités, dont la cause
tient à la fois du hasard
et de l’inadvertance
humaine, laquelle
produit les naissances
au mauvais moment
et désorganise la
société en perturbant
les hiérarchies - ce
qui, dans le monde
indien, est causé par
le mélange des castes.
Contrairement à ce
que l’on imagine à
tort, les castes du
système indien ne
sont pas fondées sur
des privilèges, ni sur
la distinction du pur
et de l’impur, qui sont
des conséquences et
non des causes. Le
fondement des castes
Visions de l'au-delà (Jérôme Bosch)

est purement moral et


spirituel, au sens où la
caste des brahmanes
est censée accueillir
les êtres les plus
transparents et les
serviteurs du dharma,
en tant que détenteurs

88
des grandes paroles sacrées, etc ., tandis résiduelles. Les enseignements hindous
que la seconde caste, celle des guerriers ne contredisent pas sur ce point les leçons
(kṣatrya) assume le pouvoir militaire de Socrate ni celles de Platon, le rappel
et politique. Le pouvoir économique de l’appartenance à ces temps obscurs
et technique échoit aux producteurs permet de relativiser quelques patentes
(vaiśya), qui ont le droit de travailler et injustices et de comprendre que le vice
de s’enrichir. Cette tripartition admet une rende de moins en moins hommage à la
quatrième caste de serviteurs (sudra) vertu mais, si le quart de l’humanité suit
dont les fonctions ont pu varier et dont encore la vertu et si la libéralité reste à
les contours sont mouvants. Les sudra notre portée, nous pouvons nous réjouir
ne sont pas des esclaves, ils forment de faire partie de ceux qui le savent,
une caste d’hommes libres intégrés au même si les scandaleuses condamnations
système orthodoxe hindou et, par la à mort de Socrate et de Jésus-Christ font
suite, l’hindouisme leur a laissé une place comme des preuves de la méchanceté
suffisante dans les cultes et les lignées de ces temps. La théorie des yugas, les
spirituelles parallèles ou marginales. Il cosmogonies hindoues, à l’instar des
n’en est pas moins vrai que l’hindouisme doctrines de la réincarnation, sont des
orthodoxe n’admet les promotions de croyances dont les contenus ne peuvent
castes qu’exceptionnellement et que évidemment pas être vérifiés, leur sens
les lois d’endogamie restreignent les et leur valeur sont en question et leur
possibilités d’alliance. La croyance aux rejet par d’autres religions peut dissuader
vies antérieures et aux fruits des actes les fidèles de les considérer. Depuis leur
justifie la naissance dans tel ou tel âge diffusion dans la culture universelle, nous
et dans telle ou telle caste et il est admis ne pouvons toutefois pas les négliger et les
que la kali-yuga se caractérise par le mythes qui les portent nous offrent des
mélange et le désordre des castes. Ainsi sujets de méditation et des opportunités
le mérite et l’appartenance peuvent- d’interprétation féconds. Ils répondent
ils être dissociés, les hiérarchies se à nos inquiétudes et enrichissent notre
pervertissant. L’hindouisme traditionnel lecture du temps, quel que soit notre
est longtemps resté très réservé à l’égard engagement religieux ou philosophique.
des occidentaux, mleccha et hors castes,
du fait de leur naissance non indienne, Sens et valeur
mais précisément l’avancée dans le kali- Une interprétation littérale de ces
yuga ménage des surprises et bouleverse mythes paraî�t évidemment simpliste mais
le rapport de l’être à l’appartenance certaines périodes historiques semblent
sociale, comme l’atteste l’enseignement de donner raison à ce scénario. L’idée que
Mâ Â� nanda Moyî� , qui ouvrit l’hindouisme nous puissions être entrés dans le kali-yuga
aux Occidentaux. Si l’on en croit les durées aux alentours de 3000 avant Jésus-Christ
prévues, le kali-yuga n’en est qu’à ses trouve par ailleurs quelques vérifications
premiers temps et nous pouvons nous eu égard à l’histoire de la terre et aux
réjouir de bénéficier encore des lumières textes ancestraux mais rien qui ne puisse

89
être scientifiquement contesté eu égard à renaî�tre indéfiniment.
des durées plus importantes. La science- Une prise en compte symbolique
fiction, qui prédit des avenirs de plus en du mythe laisse diverses opportunités,
plus sombres et immoraux abonde dans celle notamment d’une récurrence
ce sens défaitiste. Il est très rare qu’elle de l’âge de fer à toute époque, pour
corrobore le mythe antonyme du progrès ; autant que l’immoralité et le désordre
au contraire, elle montre le plus souvent affectent chaque génération et que les
les méfaits des technologies aveugles, la catastrophes marquent des points de
révolte des machines ou leur monstrueuse dissolution manifestes. Les quatre âges,
et désordonnée prolifération. C’est un comme les quatre cavaliers, seraient donc
peu comme si l’imagination des artistes simultanément présents, à proportion de
répugnait à dépeindre un futur radieux notre situation et de notre engagement
dans le droit fil des sciences souveraines. moral mais nous nous heurtons à
Dès le XIXème siècle, l’optimisme des l’inconstance de la Justice immanente
prétendues lumières cède la place à la puisque la vertu n’est pas souvent
défiance : Frankenstein symbolise à la récompensée. D’autres interprétations
perfection cette nouvelle monstruosité peuvent dénoncer la fonction idéologique
née de l’expérimentation mais l’Espace, de ces mythes et de leur articulation sur
au fur et à mesure de sa découverte la doctrine des castes mais ces dernières
interplanétaire, n’en est pas moins peuvent toutefois être dissociées de la
menaçant et la Guerre des mondes atteste théorie des âges. Il faudra pourtant rendre
une extension du domaine de la lutte et de compte de cette aggravation des conditions
l’agressivité. de vie et de cette perversion croissante,
L’hypothèse d’un âge sombre est si l’on retient une lecture pessimiste de
d’autant plus plausible qu’il remonte bien l’Histoire comme décadence. D’aucuns
au-delà de notre ère chrétienne laquelle continuent résolument d’espérer un
marquerait comme une rémission en son avenir radieux tandis que les alarmes
sein mais la révélation chrétienne s’achève écologiques rejoignent les scénarios
avec et dans le texte de l’Apocalypse qui, apocalyptiques.
par ses quatre cavaliers, pourrait bien La valeur poétique l’emporte
figurer les quatre âges et qui, de toute certainement sur la valeur prémonitoire
façon, prévoit un cataclysme final lequel de ce récit, qui nous fournit des raisons
semble toutefois clore toute histoire de valoriser la vertu et le vivre éthique
et propulser l’Humanité sauve dans le car l’imagination d’un lien entre notre
Jérusalem céleste et éternelle : « il n’ y conduite et notre destin dans le cosmos
aura plus de temps » et tout se fige pour et dans l’histoire s’avère convaincante.
le jugement après que les sept anges Le spectacle de l’entropie et la menace
ont sonné. Passée la catastrophe, c’est de la dissolution attirent aussi l’attention
l’éternité qui succède à la dégradation tandis que l’inadvertance nous familiarise
morale et environnementale, les justes avec toutes les formes de désordre
sont tirés d’affaire mais ce n’est pas pour ou de chaos jusqu’à nous les faire

90
paradoxalement aimer. Le spectre du kali- comme les fruits, doux ou amers, de nos
yuga et de la fin des temps reçoit dès lors libres choix, vertueux ou vicieux.
une valeur didactique en sensibilisant aux Deux interprétations culminent,
conséquences, pour autant que se profilent l’une se saisit du sens littéral et voit
des réincarnations ou des rétributions l’Histoire comme un procès décadent pour
eschatologiques. La conscience l’Humanité dans son ensemble tandis
moderniste fait toutefois fi de tout que certains individus peuvent encore
avertissement ; elle se repaî�t d’assurance se maintenir ou se convertir. L’autre
et de jouissance dans la certitude des interprétation admet la contemporanéité
bienfaits de la Science et dans l’espoir de ces âges et incite à la vigilance dans
de la répartition des richesses. L’image un temps nécessairement harcelé par les
du kali-yuga et de ses horreurs contraste cataclysmes et la perversité contrastant
alors violemment avec cette imprudente avec la délivrance ou l’Î�le des Bienheureux
naï�veté que des catastrophes imprévues mais elle s’éloigne évidemment des
- bien que prévisibles - viennent souvent intentions des auteurs – notamment
invalider. Le mystère du Temps demeure, des brahmanes indiens de notre ère
à l’égal de celui de l’Espace, et la poésie – qui regardaient le kali-yuga comme
cosmogonique nous tire alors de notre massivement actuel au terme d’un
suffisante léthargie. Dans l’incertitude, processus régressif. L’omniprésence et la
nous sommes alors invités à veiller, telles récurrence du mal, l’urgence des questions
les vierges sages de la parabole, et à garder écologiques nous enjoignent toutefois à
nos lampes allumées. prendre au sérieux ce thème du kali-yuga
et à interroger toutes nos façons de vivre
Pour conclure, nous pouvons et de penser.
reconnaî�tre l’ancienneté et la pertinence
d’une représentation de l’Histoire
et de la cosmogonie que les faits ne
démentent pas absolument. Des Lois
de Manu à la République de Platon, de
l’Orient à l’Occident, un modèle semble
se transmettre, qui privilégie l’entropie et
l’associe à une dégradation morale. Cette
vision cosmo-éthique accroî�t le sentiment
de notre responsabilité et elle nous oblige
à poser un regard critique sur les temps
modernes ; elle exclut toutefois le fatalisme
car chacun reste libre de s’accorder à
l’exigence morale que la religion ou la
philosophie continuent de rappeler, elle
ne prédit pas un éternel retour du même
mais plutôt des réincarnations conçues

91
Le grand Dragon Rouge et la Femme vêtue de soleil (William Blake)
92
Les temps de la fin et la fin des temps
Dialectique de l’histoire chez René Guénon

David Bisson

« Toutes choses s’écoulent modernité occidentale. Ce vaste processus


toujours » écrit le plus solitaire des marquerait l’entrée du temps dans le
philosophes : Héraclite d’Ephèse. Comme rythme de l’histoire, lequel est de plus en
la mer sur le rivage va et vient, le feu de plus effréné jusqu’au concassement final,
la vie se consume et se disperse. Une c’est-à-dire l’extinction d’un monde.
poignée de sable, quelques cendres On le voit, l’auteur de La crise du
volées. Appliqué au temps, cette image monde moderne utilise plusieurs registres
de l’écoulement correspond également de parole – métaphysique, cosmique et
à la pensée de René Guénon : chez lui, historique – pour étayer sa conception du
le temps surgit, se déploie, se contracte temps. Pour comprendre son approche
puis se résout en un point immobile souvent originale parfois visionnaire,
avant de se jeter à nouveau dans le flux il convient de réinscrire Guénon dans
de la manifestation. En s’écoulant, il finit sa propre histoire afin d’en saisir les
par créer des seuils, des bordures, des différentes couches sédimentaires. Né
béances, etc. que l’homme pris dans son à Blois en 1881 dans une famille de la
rythme doit interpréter pour savoir où petite bourgeoisie provinciale, très bon
il se situe. A ce niveau, Guénon n’a pas élève mais de complexion fragile, il reçoit
cessé d’alerter ses contemporains quant une éducation religieuse assez poussée à
à l’accélération du temps, corollaire de travers sa mère et sa tante, de ferventes
la contraction de l’espace, qui se traduit catholiques. Dès l’adolescence, il nourrit
par la matérialisation continue du également un dialogue approfondi avec
monde ; autrement dit, sa densification l’abbé Gombaut qui le touche durablement,
qui finit par empêcher l’air, le fluide, peut-être moins dans le contenu des textes
l’esprit de passer et de s’écouler, lui aussi. chrétiens que dans une sorte de religiosité
Ce phénomène cosmique trouve son marquée par la prégnance du mal. Jeune
explication dans la doctrine hindoue des homme, il s’installe à Paris en 1906 pour
cycles qui embrasse le très long terme tenter le concours de Polytechnique qu’il
et qui envisage une succession de cycles abandonne rapidement pour emprunter
qui s’enchaî�nent les uns aux autres pour un chemin inattendu, celui de l’occultisme.
décrire une année de Brahma (plusieurs Il explore ce monde foisonnant, peuplé de
milliards d’années). Guénon reprend cette figures hautes en couleurs, et en devient
doctrine à son compte pour s’attacher à l’un de ces principaux animateurs en
décrire la dernière phase du kali yuga (âge dépit de son jeune âge et d’une relative
de fer) qu’il finit par confondre avec la timidité. L’intégration dans plusieurs

93
groupes initiatiques révèle l’un des traits primordiale » pour désigner cette fois-ci la
les plus saillants de sa personnalité : source originelle, de nature anhistorique,
la recherche d’une connaissance totale à laquelle s’abreuvent toutes les autres
que l’on peut apparenter à une forme traditions. C’est ce deuxième sens qui
de gnose salvatrice. La révélation permet à Guénon de remonter la pente
provint cependant d’une autre source de l’histoire pour déceler dans chaque
intellectuelle : les doctrines hindoues en tradition, dont la plus ancienne serait
général et la doctrine de la non-dualité en l’hindouisme, les principes métaphysiques
particulier. C’est là assurément le point le de la tradition primordiale.
plus mystérieux de l’itinéraire de Guénon : En 1930, alors que le « penseur
comment a-t-il pu avoir accès au début de la Tradition » se trouve de plus en plus
des années 1910 à une telle connaissance, isolé sur la scène intellectuelle française,
quasiment inconnue du public ? L’énigme les aléas d’un voyage en Egypte le poussent
ne sera jamais résolue. En tous les cas, à retarder son retour en France puis à
cette « révélation » constitue la trame s’installer dans un quartier du Caire, ville
fondamentale de sa métaphysique qu’il dont il ne reviendra finalement jamais.
expose dans deux ouvrages majeurs : Pendant cette longue période qui s’étire de
Introduction générale à l’étude des 1930 à 1951 (date de son décès), Guénon
doctrines hindoues (1921) et L’homme et précise toutes les entrées de son système
son devenir selon le Védânta (1925). et parvient à constituer une véritable
Il ne devient pas pour autant école de pensée qui s’appuie, d’un côté,
un spécialiste de l’hindouisme dans sur la petite revue parisienne Le Voile
le contexte des études naissantes de d’Isis – qui devient Etudes Traditionnelles
l’orientalisme. Au contraire, il intègre le en 1936 – et, de l’autre, sur les groupes
paysage intellectuel français comme un initiatiques formés dans le sillage de la
diagnosticien implacable de La crise du Tradition. Dans ce contexte, la notion de
monde moderne, titre de son essai le plus Tradition évolue sensiblement puisqu’elle
célèbre paru en 1927 qui fait suite à Orient se rapporte également à un état d’être
et Occident (1924). Les différentes sources à retrouver, et à recouvrer, à travers un
d’influences s’agrègent finalement dans processus de connaissance initiatique.
un concept qui constitue la clé de voûte Elle débouche donc sur une orthopraxie
de l’œuvre guénonienne : la Tradition que Guénon ne cessera de préciser et
écrite avec un « t » majuscule. Comment d’encadrer intellectuellement, à charge
la définir ? Cette Tradition regroupe pour les groupes qui se revendiquent de
toutes les grandes traditions religieuses sa pensée de les mettre en œuvre. L’autre
de l’humanité autour d’un même noyau évolution absolument déterminante
transcendant – une seule et unique vérité réside dans son affiliation à l’islam soufi.
métaphysique – tout en reconnaissant Il faut attendre le début des années 1930
à chacune d’entre elles sa dimension pour que Guénon révèle discrètement ce
spirituelle spécifique. Guénon utilise rattachement et la décennie suivante pour
également l’expression « tradition qu’il oriente, toujours discrètement, ses

94
« disciples » vers le soufisme. Précisons
tout de même que d’un point de vue
doctrinal il continue de se référer à une
Tradition présentée comme universelle.
Ce détour par l’itinéraire de
Guénon nous permet de comprendre les
multiples sédimentations de sa pensée
qui trouve, en définitive, son unité dans
la notion polysémique de Tradition.
Sa conception du temps relève d’une
logique similaire : elle prend sa source
dans les doctrines hindoues pour décrire
les principaux âges de l’humanité et se
concentre sur la crise du monde occidental
René Guénon au Caire
pour dénoncer les apories de la modernité.
Elle suppose le franchissement de seuils cyclique et la décadence moderne.
pour en saisir le sens profond et la mise
en place d’une dialectique capable de Le temps de la fin : la doctrine
faire résonner l’onde sismique du temps involutive des cycles
avec le rythme intense des événements. Comme nous l’avons esquissé
Précisément, sa conception repose sur précédemment, Guénon fait sienne la
deux visions complémentaires : d’abord doctrine hindoues des cycles cosmiques
une haute histoire ou « supra-histoire » pour envisager le très long terme :
qui cherche à repérer les mouvements une année de Brahma correspondant
du temps et, donc, les âges de l’humanité à plusieurs milliards d’années ! C’est
sur le très long terme ; ensuite, une basse également un moyen pour lui d’opérer
ou une petite histoire qui s’attache à un décalage complet par rapport à la
décrypter les événements qui s’égrènent conception linéaire (et chrétienne) du
depuis l’entrée dans les temps modernes. temps. Précisément, l’auteur d’Orient et
Les deux mouvements (cosmique et Occident ne pense pas l’histoire comme
historique) annoncent de façon inéluctable une succession d’événements qui s’inscrit
la fin prochaine de ce cycle. Dans le dans une chronologie précise et se situe
cadre de cet article, nous souhaitons entre deux bornes temporelles (début/fin).
reprendre ces deux perspectives afin de Il l’analyse plutôt comme le déploiement
les mettre en discussion au regard de d’une manifestation qui se déroule en
leurs sources orientales d’une part, et de plusieurs vagues successives à partir d’un
leurs interprétations occidentales d’autre point unique. D’où la succession de cycles
part. La remarquable synthèse opérée enchevêtrés les uns dans les autres :
par Guénon ne tient qu’à la condition ainsi, la première vague « temporelle »
de prendre ensemble deux données correspond au kalpa, périodes de
étrangères l’une à l’autre : l’involution déploiement de l’univers, qui s’oppose
au pralaya, périodes de dissolution

95
cosmique. Le kalpa représentant le avec une vitesse sans cesse croissante,
développement total d’un monde, il jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin un point
est difficile de lui donner une durée ou d’arrêt »1.
même de le penser en termes de mesure C’est dans cette fresque
de temps. Le kalpa, qui s’apparenterait monumentale du temps, fidèle à
au Big Bang dans le vocabulaire l’enseignement hindou, que l’auteur de
cosmologique actuel, se compose lui- La crise du monde moderne entreprend
même de deux séries septénaires de d’« installer » son système personnel,
Manvantaras que l’on peut décrire comme quitte à en étirer les coutures et à en forcer
les quatorze âges du monde. A ce stade, les interprétations. Trois points essentiels
il est encore impossible de déterminer méritent d’être relevés, chacun renvoyant
une durée quelconque puisqu’un seul des à des portes d’entrée différentes et
Manvantaras compte plusieurs milliers démontrant à la fois l’agilité intellectuelle
d’années. Guénon ne s’appesantit pas sur et l’originalité profonde de Guénon.
le kalpa et ses multiples subdivisions. Il se Comme le souligne Renaud Fabbri : « Nul
concentre sur le Manvantara qui concerne parmi les “antimodernes” n’avait osé se
plus spécialement notre humanité réclamer des écritures sacrées de l’Inde
terrestre et qui, selon la loi de Manu, en pour condamner le monde moderne »2.
détermine l’évolution ou plus exactement C’est pourquoi il est également nécessaire
l’involution. En effet, l’humanité de ce de faire la part des choses entre l’apport
Manvantara traverse successivement oriental, que l’on peut qualifier de
quatre âges (yuga) dont la logique « traditionnel », et les conceptions
déclinante traduit l’éloignement du occidentales qui, elles, relèvent davantage
principe de la manifestation. La tradition d’un parcours personnel.
hindoue recoupe ici la mythologie grecque Le premier point renvoie au
avec la description des quatre âges de cœur de la doctrine guénonienne :
l’humanité : Krita-yuga (âge d’or), Treta- l’idée de Tradition. L’ajout de l’adjectif
yuga (âge d’argent), Dwapara-yuga (âge « primordiale » permet à Guénon de
de bronze), Kali-yuga (âge de fer). Guénon resituer la Tradition dans le cours du
insiste tout particulièrement sur les développement cyclique et de lui donner
caractéristiques du dernier âge puisque une grande profondeur temporelle. Ainsi,
celui-ci marque l’entrée de l’humanité l’âge d’or correspond à ce moment où
actuelle dans sa phase ultime. A cet le temps n’a pas encore marqué de son
égard, il note que la « descente » cyclique empreinte le monde. Autrement dit, la
s’accélère au fur et à mesure que toute manifestation reste à l’état de potentialité.
manifestation s’éloigne du principe dont L’Etre et l’Esprit ne font qu’Un. La Tradition
elle procède : « Partant du point le plus est conçue comme une image immobile de
haut, elle tend forcément vers le bas, l’Eternité, un reflet immédiat de la Vérité.
et, comme les corps pesants, elle y tend On le comprend, l’âge d’or relève de la

1 René Guénon, La crise du monde moderne (Paris: Gallimard, 1958, 1927), p. 22.
2 Renaud Fabbri, René Guénon et la tradition hindoue (Lausanne: L’Age d’Homme, 2018), p. 79.

96
Cain et Abel (William Blake)

métahistoire : l’humanité primordiale le dernier âge, le kali-yuga, marqué par l’«


appartient à un autre plan d’être qui obscurcissement graduel de la spiritualité
ressemble à certains égards au Paradis primordiale ». Concrètement, la Tradition
décrit dans la Genèse. C’est l’apparition de est non seulement éparpillée au sein de
l’homme – tel qu’on le connaî�t aujourd’hui plusieurs civilisations, mais également
– qui marque une première césure dans enserrée dans un tempo de plus en plus
l’unicité de la Tradition, une première accéléré. Ce passage de la métahistoire
« chute » dans le temps. Guénon n’aborde à l’histoire, selon la logique des cycles
quasiment pas les deuxième et troisième hindous, lui permet de se présenter
âges. Il note seulement que durant ces comme le détenteur d’une connaissance
périodes, les hommes vivaient dans la originelle dont il faut à la fois préserver le
proximité de la tradition primordiale dont dépôt et transmettre l’héritage.
ils avaient reçu le dépôt intégral. Ces stades Le deuxième point d’entrée
s’apparenteraient aux temps mythiques réside dans l’esquisse d’une géographie
dont il ne reste aujourd’hui aucune trace. sacrée – corollaire de la métahistoire.
En vérité, Guénon s’attache surtout à Précisément, l’auteur d’Orient et Occident
réinscrire son concept de Tradition dans cherche à localiser les pôles initiatiques,

97
dépositaires de la Tradition, au cours l’histoire à travers les hymnes védiques.
des différents cycles. On notera que Pour Guénon, la tradition hindoue
cette démarche ne s’accorde pas avec la constitue, donc, la tradition originelle
perspective hindoue puisqu’elle suppose de notre humanité, celle qui provient
la survivance d’un centre initiatique directement de la tradition primordiale
suprême. Or, la fin d’un cycle, quel qu’il et qui finit par se diffracter dans les
soit, signifie l’épuisement de toutes les multiples traditions religieuses apparues
possibilités (phase de destruction). En au cours de l’involution.
vérité, Guénon greffe ici tout un pan de
la culture occultiste sur la conception C’est dans cette fresque
hindoue des cycles. C’est assurément monumentale du temps, fidèle
dans ce domaine qu’il se risque à à l’enseignement hindou,
des interprétations singulières voire que l’auteur de La crise du
fantaisistes tant il est difficile d’identifier monde moderne entreprend
les jonctions parfaites entre le temps d’« installer » son système
et l’espace, là où se jouent les pliures de personnel.
l’existence et jaillissent les événements
extraordinaires. Ainsi, il reprend à son Enfin, le troisième point réside
compte les thèses avancées par Bâl dans une relecture plus tardive et à notre
Gangâdhar Tilak quant aux origines sens plus approfondie de la doctrine
arctiques des Védas. Le nationaliste indien des cycles exposée dans Le Règne de la
fixe l’origine de la tradition hindoue quantité et les signes des temps (publié
dans la patrie arctique (10 000 av. J.- en 1945). Cette fois-ci, Guénon transpose
C.), évoque les migrations postérieures les termes de la cosmologie hindoue
vers l’Europe du nord et l’Asie (8000- dans le corpus philosophique occidental.
5000 av. J.-C.) puis date la composition Précisément, il dévoile les conditions
des hymnes védiques aux alentours de la manifestation en s’appuyant sur la
de 4000 av. J.-C. Cette chronologie, par distinction établie par les scolastiques :
ailleurs très discutable, renforce chez infini (non mesurable), indéfini (materia
Guénon la croyance dans l’existence prima ou chaos) et fini (materia secunda
d’une « thulée hyperboréenne » comme ou cosmos). Nous retrouvons ici l’idée
siège de la tradition primordiale, et ce, d’un univers ordonné dont toutes les
d’autant plus que cette croyance recoupe parties sont reliées les unes aux autres
très largement ses lectures occultistes, dès l’origine par un geste créateur :
en particulier celle de Fabre d’Olivet qui dans ce sens, le principe premier de la
évoquait l’Hyperborée comme terre des manifestation peut se comprendre comme
premiers hommes. Par la suite, il tente le Fiat Lux de la Genèse. C’est également
de retrouver les traces de cette tradition l’occasion pour lui d’attribuer à l’espace-
originelle dans la succession des cycles, temps une qualité essentielle, inhérente
ce qui suppose des sortes de « bonds aux conditions de son dépliement, qui
temporels », jusqu’à sa « fixation » dans s’oppose aux conceptions mécanistes

98
portées par Descartes. Ainsi, l’espace prise dans les mailles d’un cycle qui la
ne se réduit pas à son aspect quantitatif mène inévitablement à son épuisement
(la grandeur) mais comprend un aspect et, de l’autre, la civilisation moderne en
qualitatif (les directions). D’où la nécessité constitue le point le plus avancé, une sorte
de l’envisager sous l’angle géométrique à d’avant-garde de la catastrophe à venir.
travers, notamment, le symbolisme de la Une nouvelle fois, les registres de parole
croix : les directions forment les rayons se multiplient et se confondent pour voir
émanés du centre de l’être à partir duquel dans l’âge sombre la logique involutive
s’établit la croix à trois dimensions. Il suit des cycles tout en l’interprétant sous
la même logique pour ce qui concerne l’angle du malheur qui touche l’humanité
le temps : il ne faut pas le réduire à une actuelle. En insistant davantage sur ce
simple quantité (la durée) mais prendre en dernier point, l’auteur d’Orient et Occident
compte sa qualité essentielle (la vitesse). finit par acclimater la doctrine hindoue à
Ainsi, l’entrée dans l’âge sombre marque ses propres idiosyncrasies.
l’accélération inéluctable du temps du En effet, après avoir rappelé que
fait de l’éloignement du principe premier. le kali-yuga s’étirait sur plus de 6000
Au final, la contraction de l’espace et ans, il s’intéresse tout particulièrement
l’accélération du temps finissent par créer à sa dernière phase qu’il fait débuter au
un climat de fin du monde dans lequel VIè siècle av. J.-C. S’il est parfois difficile
Guénon semble de plus en plus s’enfoncer de s’y retrouver dans la chronologie
jusqu’à quitter les rives impersonnelles hindoue, Renaud Fabbri observe qu’il
de la tradition hindoue pour rejoindre est difficile de réduire la fin du Kali-yuga
celles, plus chrétiennes, de l’apocalypse. à un phénomène, la modernité, tant la
Autrement dit, la logique implacable des cosmologie hindoue se déroule sur une
temps de la fin se convertit en l’esprit durée « vertigineusement longue » : « Le
eschatologique de la fin des temps. dernier âge aurait commencé en 3102 av.
J.-C., à la mort de Krishna, […] et devrait
La fin des temps : la décadence du durer 432 mille ans, infiniment plus que
monde moderne les 6480 ans que Guénon lui assigne »4.
Guénon est constamment En revanche, l’auteur d’Orient et Occident
traversé par une tension paradoxale qui a parfaitement saisi l’importance de cette
rejaillit dans ses écrits : « La civilisation « période axiale », selon la formulation
moderne, comme toutes choses, a proposée par Karl Jaspers5, qui voit
forcément sa raison d’être et, si elle est l’émergence quasi simultanée de nouveaux
vraiment ce qui termine un cycle, on modes de pensée en Perse, en Inde, en
peut dire qu’elle est ce qu’elle doit être, Chine et en Occident. Le fait que Guénon
qu’elle vient en son temps et en son se risque à établir une durée (6480 ans) à
lieu »3. D’un côté, la manifestation est cet âge sombre provient sans doute de sa

3 La crise du monde moderne, p. 42.


4 René Guénon et la tradition hindoue, p. 80.
5 Voir Karl Jaspers, L’origine et le sens de l’histoire (Paris: Plon, 1954, 1949).

99
Jour du jugement (Photo de José Luiz Bernardes Ribeiro)

certitude de vivre l’épuisement du cycle. A d’existence.


cet égard, il sort de nouveau du cadre de la Cette lecture quelque peu biaisée
tradition hindoue pour adopter une grille de la doctrine cyclique est encore renforcée
d’analyse tout à fait occidentale à travers par l’influence du providentialisme
la notion de décadence. Cette dernière lui antimoderne de Joseph de Maistre. Sur
permet de croiser la grande histoire (les un ton prophétique, Guénon multiplie les
cycles) avec la petite histoire (le monde références aux textes sacrés pour évoquer
moderne) afin de déceler les signes de « l’abomination de la désolation ». La
la matérialisation progressive du monde décadence est consommée. L’espoir dans
et, donc, de l’étiolement de la tradition un Orient régénérateur est dissipé. Toute la
primordiale. Dans le prolongement des terre plonge dans les ténèbres. A partir de
penseurs de son époque (Spengler, Valéry, là, sa description renvoie très clairement à
Massis, etc.), Guénon porte naturellement l’univers eschatologique du christianisme
un jugement de valeur très négatif à avec l’emploi récurrent d’expressions
propos de la société moderne, d’autant telles que l’« Apocalypse », le « jugement
plus qu’il dispose d’une référence absolue, dernier », etc. Cette dimension culmine
inatteignable : la perfection de l’âge d’or. dans Le Règne de la quantité où son auteur
Or, on ne trouve pas chez les Hindous un décrit sur un ton inspiré l’ouverture de
tel sentiment de déréliction : le processus brèches dans la « grande muraille » qui
d’involution suppose au contraire une entoure le monde pour laisser déferler les
acceptation détachée des conditions « hordes dévastatrices de Gog et Magog ».

100
La fin du cycle s’apparente très clairement spirituelle en Occident. Selon ce schéma,
à une « descente aux enfers » qui voit la « révolte des Kshatriyas » constitue
les forces du mal prendre possession du une première déviation qui manifeste
monde jusqu’à s’infiltrer dans l’idée même l’émancipation des guerriers à l’égard des
de Tradition pour la saper de l’intérieur. clercs. Guénon en retrouve la trace dans
C’est le dernier stade de l’involution : la le règne de Philippe le Bel au XIVè siècle
grande entreprise de subversion parvient ainsi que dans la destruction de l’Ordre
à « fabriquer » de toutes pièces un monde du Temple, dépositaire de la Tradition.
artificiel qui constitue une « contrefaçon », Par la suite, la fin de la féodalité marque le
un « simulacre » ou encore une « grande passage du règne des guerriers au règne
parodie » du monde traditionnel. Et des bourgeois (Vaishyas). La prévalence
pourtant, comme le stipule la tradition de l’économie et la reconnaissance des
hindoue, ce « temps maudit » s’ouvrira nations correspondent à de « véritables
sur un nouveau cycle, un nouvel âge tentatives d’asservissement du spirituel
d’or. Ainsi, et c’est la seule note d’espoir au temporel ». Enfin, Guénon prévoit
chez lui, Guénon finit par dépasser son que les temps à venir se caractériseront
pessimisme radical pour s’en remettre par la domination de la dernière caste,
au cours inéluctable du temps : « Le les Shudras, et l’avènement d’un monde
désordre, l’erreur et l’obscurité ne entièrement collectivisé. Chose étonnante,
peuvent l’emporter qu’en apparence et cette contre-histoire de la modernité
d’une façon toute momentanée, […] tous n’est pas sans évoquer le matérialisme
les déséquilibres partiels et transitoires historique de Marx. A front renversé,
doivent nécessairement concourir au les deux hommes pronostiquent un
grand équilibre total »6. Il n’en reste aboutissement similaire : pour le premier,
pas moins que son providentialisme le collectivisme clôture l’histoire avec la
antimoderne fait basculer la doctrine domination de la dernière caste tandis
hindoue du côté de la décadence que pour le second le communisme ouvre
occidentale et par là même de la tradition l’histoire avec l’avènement de la société
chrétienne. sans classes.
Enfin, il faut souligner un dernier Pour clore cette plongée dans la
point qui démontre que l’inspiration de fin de l’histoire, il convient de rappeler
Guénon se tient constamment sur une que Guénon ne s’est jamais résolu à
ligne de crête où l’on trouve, d’un côté, la laisser aller les choses, comme on peut le
trame de la pensée hindoue et, de l’autre, pressentir dans une forme de détachement
les floraisons d’une âme occidentale. hindou. Au contraire, il a souhaité mettre
Ainsi, il s’appuie sur le modèle des castes en place des digues, colmater des brèches
pour mieux le transposer dans une pour retenir encore un peu de cette
grande fresque historico-thématique effusion spirituelle issue des grandes
qui s’articule autour de la distinction traditions religieuses. Et même, une fois
entre le pouvoir temporel et la puissance admis l’inéluctabilité de la fermeture

6 La crise du monde moderne, p. 201.

101
cyclique, il a encore appelé les « siens » et le renoncement méditatif, l’adepte
– les « initiés », les « élus » – à conserver shankarien se détache du monde
le dépôt de la tradition primordiale pour illusoire (mâyâ) pour s’unir au Soi
le transmettre aux représentants du (âtman) puis disparaî�tre dans la non-
nouveau cycle, comme une forme d’ultime dualité. Dans ce passage de l’Etre au
espérance. Non-Etre, il n’y a plus aucune trace de la
manifestation, le « délivré » s’est fondu
Chez Guénon, la dialectique de dans l’indétermination absolue.
l’histoire est particulièrement complexe
parce qu’elle entremêle constamment
deux plans distincts : d’un côté, la haute
histoire qui se rapporte aux cycles
cosmiques et, de l’autre, la basse histoire
qui décrit les événements humains. Or,
la première conditionne doublement la
seconde, elle lui fournit le cadre dans lequel
elle peut se déployer et en même temps
se résorber. Dès lors, l’auteur d’Orient et
Occident se présente à la fois comme un
« archéologue » qui cherchent à identifier
les empreintes de la Tradition que les
différentes sédimentations historiques
ont laissées, et comme un « prophète » qui
dévoile le sens de l’histoire, c’est-à-dire
l’état actuel de la Tradition, dans le flux
chaotique des événements. Cependant,
il existe encore un autre niveau chez
Guénon qui relève cette fois-ci de la sphère
individuelle et qui envisage la possibilité
de sortir de l’histoire ; autrement
dit, de s’absoudre dès à présent du
conditionnement historique et cosmique.
C’est la réalisation métaphysique : elle
doit permettre à l’individu de retrouver
en soi le sens de cette Tradition à travers
un cheminement de type initiatique.
Une nouvelle fois, Guénon se réfère à la
tradition hindoue et tout particulièrement
à la doctrine de la non-dualité exposée
par Shankara. Au terme d’une existence
qui associe l’investigation métaphysique

102
A la racine du mal ?
Eric Voegelin et l'Inde
Renaud Fabbri

Eric Voegelin, dont les travaux apocalyptiques. Ce qui s’avère encore


commencent juste à être traduits en plus problématique pour ceux qui
français, est un philosophe politique connaissent la pensée indienne, c’est que
américain d’origine allemande, surtout Voegelin semble suggérer qu’à la racine
connu pour ses études sur la dimension de toutes ces idéologies pernicieuses
politique du gnosticisme. Selon Voegelin, se retrouverait la croyance en l’identité
la plupart des idéologies politiques suprême entre le soi individuel et l’Absolu,
occidentales ou des « religions politiques » ce en quoi Voegelin ne voit rien de plus
telles que le communisme, le fascisme qu’un vertige de l’ego. Bien que le terme
ou le national-socialisme devraient être gnosis puisse être traduit plus ou moins
interprétées comme une remanifestation directement par le terme sanskrit de
du gnosticisme ancien. Mais alors que jñāna, il faut pourtant bien reconnaitre
les gnostiques de l’Antiquité cherchaient que le non-dualisme de Ś� aṅkara n’a
à échapper au monde matériel par la qu’une ressemblance très lointaine avec
connaissance et à retrouver ainsi l’état les spéculations des gnostiques du monde
d’union avec le vrai Dieu, le Dieu au-delà occidental au cours de l’Antiquité tardive.
de tout, les gnostiques modernes ont un Dans cet article, nous allons
autre programme en vue. Leur but est d’ montrer que Voegelin, dans sa quête
« immanentiser l’eschaton », ce par quoi des origines des idéologies politiques
Voegelin entend établir le paradis sur modernes, cherchait dans la mauvaise
terre, et ce même si c’est au prix de formes direction. Depuis le temps des Voyants
extrêmes de violences comme celles dont primordiaux, l’Inde a reconnu dans le
les régimes totalitaires du 20ème siècle se Soi un mystère plus grand que tous les
sont rendus coupables. dieux. En même temps, la conscience
La caractérisation de ces indienne n’a pas connu les soubresauts
mouvements comme « gnostiques » a bien qui dans l’histoire du judéo-christianisme
entendu suscité des débats animés parmi et de l’Islam ont donné naissance à
les universitaires,1 plus particulièrement des mouvements apocalyptiques et
parmi les spécialistes de l’histoire millénaristes. L’analyse critique de
des religions. Les mouvements que l’approche voegelinienne de l’hindouisme
Voegelin a en tête seraient probablement posera aussi les bases d’un examen du
mieux décrits comme millénaristes et phénomène des « religions politiques »2

1 On lira par exemple, E. Webb, “Voegelin’s ‘Gnosticism’ Reconsidered”, Political Science


Reviewer, 34-1 (2005).
2 Voegelin a utilisé le terme au début de sa carrière pour désigner les mouvements totalitaires.

103
dans l’Inde contemporaine, de la manière que « l’homme n’est pas un simple
dont le néo-vedānta et le nationalisme spectateur enfermé en lui-même. C’est
hindou déforment l’hindouisme un acteur, jouant un rôle dans le drame
traditionnel. de l’existence. »4 Pour Voegelin, qui était
dans une certaine mesure un philosophe
La phénoménologie de la mystique, l’expérience humaine la plus
conscience et la philosophie de fondamentale est celle d’une forme de
l’histoire de Voegelin tension vers le divin qui trouve ensuite
Avant d’en venir au traitement de son expression à travers des symboles,
l’hindouisme par Voegelin, un bref examen eux-mêmes au fondement de toutes
de sa phénoménologie de la conscience et les visions mythologiques, religieuses,
de sa philosophie de l’histoire s’impose. philosophiques et même politiques que
Notre exposé cherchera au maximum l’humanité ait jamais pu produire.
à éviter de s’appesantir sur les aspects La phénoménologie de la
les plus techniques de sa pensée. Bien conscience de Voegelin telle qu’il l’élabore
que la motivation première, derrière dans sa grande œuvre, les cinq volumes
l’élaboration de sa théorie de la conscience, d’Order and History, suit l’évolution
fût la critique des idéologies totalitaires, sa de ces symboles à travers l’histoire.
grille conceptuelle s’est élaborée à travers L’expérience du sacré a quelque chose
son étude de la pensée antique et sa de constant et d’universel mais dans sa
critique de la phénoménologie de Husserl. forme archaï�que, elle se fait à travers
Comme l’explique Voegelin dans une lettre l’unité compacte du cosmos, « rempli
à Alfred Schütz, il ne pouvait se résoudre de dieux », « Dieu et l’homme, le monde
à admettre avec Husserl que la conscience et la société » étant réunis dans une
était prioritairement orientée vers des « communauté existentielle originaire ».
objets.3 « L’intentionnalité » ne représente En termes simples, ce que Voegelin appelle
qu’une dimension de l’expérience de la « expérience originaire du cosmos » se
conscience. Voegelin lui oppose cette autre rapproche beaucoup de ce qu’on appelle
dimension qu’il appelle « luminosité ». vulgairement le panthéisme. Au cours de
Voegelin analyse la luminosité de la l’Age Œcuménique, une transformation
conscience en termes d’une expérience de radicale, un processus de différenciation,
participation (methexis, μέθεξις) à ce qui s’est néanmoins produit qui a rompu
est ultimement une réalité transcendante l’unité du cosmos et contribué à une
(« le Principe divin de l’existence »). « La dédivinisation du monde. La notion
perspective de la participation » implique voegelinienne d’Age Œcuménique

Plus récemment Barry Cooper l’a appliqué aux mouvements islamistes contemporains. Voir
son livre New Political Religions, or an Analysis of Modern Terrorism (Colombia: University of
Missouri Press, 2005).
3 E. Voegelin, Anamnesis: On the Theory of History and Politics (Columbia: University of Missouri
Press, 2002) p. 43.
4 E. Voegelin, Israel and Revelation (Columbia: University of Missouri Press, 2001), p. 39.

104
s’appuie sur les écrits de Karl Jaspers5 Comme conséquence de l’émergence de
sur « l’Age Axial », la période pivot dans symboles plus différenciés, les formes
l’histoire humaine (entre le 8ème et 2ème plus anciennes de symbolisation à
siècles avant notre ère) qui fut le témoin de base cosmologique commencent à être
révolutions spirituelles quasi-simultanées perçues comme « fausses », bien que dans
à travers différentes civilisations allant leur essence, elles expriment la même
de la Grèce à la Chine. C’est au cours de soif humaine du Sacré (ce que Voegelin
cette époque que ce que Max Weber a reconnait en évoquant « l’équivalence des
appelé les « religions universelles de la symboles »).
délivrance » ont vu le jour et avec elles Voegelin était chrétien et il croyait
ce que la plupart d’entre nous entendons que la révélation chrétienne présentait
spontanément par religion. Par rapport l’apogée de l’expérience humaine du Divin.
à l’Age Axial, l’Age Œcuménique dont Il n’hésitait pas à interpréter les hérésies
parle Voegelin est plus étendu, incluant religieuses des débuts de la modernité
l’émergence du Christianisme. A la et les idéologies révolutionnaires laï�ques
notion de révolution spirituelle (spiritual comme une révolte prométhéenne contre
outburst), Voegelin ajoute l’expérience de Dieu et sa transcendance radicale par
l’expansion impériale et la naissance de rapport à l’homme et au cosmos. Les
l’historiographie comme caractéristiques gnostiques veulent abolir la tension
fondamentales de l’Age Œcuménique. entre Dieu et l’homme en supprimant
Du point de de vue de sa soit le monde dans lequel il vit soit Dieu.
phénoménologie de la conscience, Alors que les gnostiques de l’Antiquité
l’Age Œcuménique est marqué par la cherchaient à diviniser l’homme (ou tout
découverte de l’âme ou psychè. A mesure au moins « les élus »), les gnostiques
que l’idée d’un Dieu supramondain modernes préfèrent réduire Dieu au
supérieur aux dieux du panthéon émerge, monde, établir « le Royaume de Dieu »
les symboles cosmologiques s’avèrent de sur la terre. De facto, ils créent un monde
plus en plus inadéquats et sont remplacés imaginaire, « une réalité seconde »
par des symboles philosophiques (ou pour nourrir leurs illusions, mais aussi,
« noétiques ») ou théologiques (ou trop souvent, pour assouvir leur soif
« pneumatiques »). Une fois opérée de violence et de sang quand le monde
la dissociation entre le monde et son qui est le leur ne correspond pas à leurs
fondement divin, l’âme prend conscience attentes les plus folles.
d’elle-même comme le moyen par lequel Le plan initial d’Order and
l’expérience du divin devient possible. History laissait penser à une progression
Voegelin décrit cette évolution en termes graduelle de symboles compacts vers
de « progrès des expériences et des des formes plus différenciées à travers
symboles du compact vers le différencié. »6 l’histoire, depuis le Proche-Orient ancien

5 K. Jaspers, “The Axial age of human history: A base for the unity of mankind”, Commentary,
6(5), (1948) pp. 430-435
6 Israel and Revelation, p. 43.

105
jusqu’à l’émergence du Christianisme voie de la Délivrance (mokṣa ou nirvana)
en passant par le monde juif et la Grèce. est devenue la préoccupation majeure
Bien que plus tard dans son œuvre, des écoles hindoues et bouddhistes, et
Voegelin ait remis en question cette idée ce jusqu’à aujourd’hui. Voegelin n’a pas
d’un développement linéaire – critiquant ignoré la portée de l’expérience indienne,
au passage la philosophie hégelienne de mais comme nous allons le voir, il l’a
l’histoire comme une vaste supercherie – toujours considérée comme incomplète
il n’est jamais revenu sur son appréciation par rapport à ce qu’avait pu accomplir la
originellement négative de la spiritualité philosophie ancienne de l’Occident.
hindoue. Pour Voegelin, comme pour Au cœur de la tradition de
Hegel, l’Inde reste cette terre dans sagesse de l’Inde, on trouve les Vedas.
laquelle l’esprit n’est pas encore sorti de Leur enseignement semble illustrer à la
sa torpeur mythologique.7 perfection ce que Voegelin entend par
« expérience originaire du cosmos. »
La différenciation incomplète Selon le Ṛgveda, les castes (varṇas) sont
de la conscience pendant l’Age nées du sacrifice de l’homme primordial
Œcuménique indien (puruṣa). Non seulement les dieux ou
Selon Jaspers, les Upaniṣads et devas de l’Inde ancienne symbolisent
la prédication du Bouddha occupent une les forces intracosmiques, mais tout un
place équivalente à la philosophie grecque réseau de correspondances lie entre eux
dans le processus par lequel « l’homme les dieux du panthéon avec les couches de
prend conscience de son existence en la société. L’organisation tripartite de la
tant que totalité, de son soi et de ses société entre les castes de deux-fois nés,
limitations », faisant ainsi l’expérience à savoir les Brahmanes, les Kṣatriyas et
pour la première fois de « l’absolu les Vaiśyas, est modelée sur le panthéon
dans les profondeurs de lui-même et védique avec Mitra et Varuṇa au sommet,
dans la clarté d’une transcendance. » symbolisant les fonctions de souveraineté,
L’interrogation sur l’existence et la suivis par Indra, le dieu de la guerre, et les
nature du soi (ātman) ainsi que sur la jumeaux Nasatya et Dasra représentant

7 Pour éviter une analyse démesurément technique de la pensée de Voegelin, nous n’évoquerons
pas ici le tournant métaphysique dans le dernier volume, laissé inachevé de Order and History,
In Search of Order, qui suscite encore beaucoup d’interrogations chez les lecteurs de Voegelin
les plus fervents. David Walsh évoque par exemple une « tendance orientale » dans les derniers
écrits de Voegelin, une volonté d’éliminer le Dieu-personnel (D. Walsh, “Voegelin and Heidegger:
Apocalypse without apocalypse” in Eric Voegelin and the Continental Tradition: Explorations in
Modern Political Thought, edited by L.Trepanier & Mcguire, Columbia: University of Missouri
Press, 2001). La question reste ouverte de savoir si les développements tardifs de la pensée
voegelinienne, en particulier l’introduction de la notion de It-Reality trahissent une tendance
crypto-gnostique refoulée et un point de convergence possible avec certaines intuitions
védāntiques.

106
Bouddha (Photo de Vijayakumar TT)

les fonctions de fécondité.8 Dans The nous explique qu’au commencement,


New Science of Politics, Voegelin, sans se seul existait l’Un et comment, animé par
référer directement au cas de l’Inde, a un désir, ce dernier a manifesté l’univers.
baptisé « représentation transcendantale » Ce chant est d’autant plus intéressant
le processus par lequel une société que d’après le poète védique lui-même,
historique modèle son organisation sur ni les dieux intracosmiques, ni Varuṇa
sa compréhension des vérités relatives à lui-même, pourtant le premier des dieux,
l’ordre cosmique.9 ne connaissent le Principe suprême et ni
L’émergence des Upaniṣads comment l’être est advenu à partir du non-
dans l’Age Axial ou Œcuménique être. Le texte est souvent mentionné par
marque une révolution spirituelle, avec les Indologistes comme une préfiguration
la double découverte du Brahman, le de la philosophie du Vedānta. Pour
Principe métacosmique, et de l’ātman, l’exprimer en termes voegeliniens, le
le Soi universel. La dissociation entre le commentaire (bhāṣya) śaṅkarien de la
cosmos rempli de dieux et le Principe révélation (śruti) peut être assimilé à
est évoquée dans un des passages les une interprétation noétique de la tension
plus célèbres du Ṛgveda. Le chant X, 129 entre l’homme et le Principe, tension qui

8 G. Dumézil, Mythes et dieux des Indo-Européens (Paris: Flammarion, 1992), p. 117.


9 E. Voegelin, Modernity Without Restraint: The Political Religions, The New Science of Politics,
and Science, Politics, and Gnosticism (Columbia: University of Missouri Press, 1999) p. 192.

107
trouve une de ses premières expressions que Voegelin propose son traitement
dans le Ṛgveda. L’unité compacte du le plus systématique de l’expérience
cosmos védique se dissout, donnant ainsi upaniṣadique. Il se focalise en particulier
naissance à la littérature Upaniṣadique sur un passage de la Bṛhadāraṇyaka
dans laquelle la question du soi apparait Upaniṣad dans lequel Gārgī� Vācaknavī�
aussi. interroge le sage Yājñavalkya sur le
Selon Michel Hulin, l’interrogation fondement ultime de l’existence. Au cours
mystique sur l’identité personnelle du dialogue, ils s’élèvent spéculativement
suit deux voies dans les Upaniṣads.10 La à travers les degrés de réalité, jusqu’à
première s’attache aux constituants atteindre l’Absolu lui-même. Pour
grossiers et subtils, de l’individu. Si au Voegelin, on trouve bien dans ce passage
moment de la mort, le corps se dissout un écho de certaines des intuitions les
avec les éléments et les facultés retournant plus fondamentales de la philosophie
à la matrice cosmique, qu’advient-il grecque au cours de l’Age Œcuménique.
de la personne ou du puruṣa ? Y-a-t- Et pourtant, à l’en croire « bien que
il un soi (ātman) ou un régent interne les dialogues de type upaniṣadique
(antaryāmin) ? Et s’il existe, que devient- mettent bien en branle une interrogation
il quand le corps meurt ? Certains textes conduisant au Principe … le mouvement de
proposent une identification archaï�que dépassement du mythe n’est pas compris
entre l’ātman et le souffle (prana). D’autres comme une vraie rupture avec le mythe ».11
au contraire, rompant avec l’analogie En d’autres termes, la différenciation de la
entre le macrocosme et le microcosme, conscience reste incomplète en Inde et
identifient le soi avec le fondement de les sages hindous ont finalement échoué
l’existence même, avec le Brahman lui- à atteindre leur but dans la mesure où
même. Selon l’enseignement d’Uddālaka ils ne sont pas parvenus à se libérer
Aruṇi à son fils Ṥ�� vetaketu tel qu’il est complètement de « l’expérience originaire
rapporté dans la Chāndogya Upaniṣad, du cosmos. »
Tat Tvam Asi, « Tu es Cela », le Soi n’est Voegelin n’hésite pas à assimiler
autre que le Brahman. Des Upaniṣads plus la pensée hindoue aux spéculations
tardives comme la Śvetāśvatara Upaniṣad archaï�ques et encore imprégnées par la
offrent néanmoins une approche plus mythologie des précurseurs ioniens de
théiste du rapport entre l’individu et le Platon et d’Aristote. Philosophiquement,
Principe, laissant ainsi le champ libre aux elle ne peut pas être mise sur le même
écoles védāntiques et à la philosophie plan que la pensée de ces derniers, pas
indienne en général pour décider si la plus qu’elle ne peut être comparée avec
Réalité absolue est de nature duelle ou la révolution religieuse dont le monde
non-duelle. prophétique juif fut le théâtre à la même
C’est dans The Ecumenic Age époque. Faisant référence à l’étude

10 M. Hulin, Comment la philosophie indienne s’est-elle développée ? : La querelle brahmanes-


bouddhistes (Editions du Panama, 2008), pp. 13-27.
11 E. Voegelin, The Ecumenic Age (Columbia: University of Missouri Press, 2000), p. 393.

108
comparative de Rudolf Otto sur Ś� aṅkara et sans fin du temps – les manvantaras et les
Maitre Eckart, Voegelin peut écrire que la yugas de la doctrine hindoue des cycles.
perspective de celui qui a donné au Vedānta Par comparaison, le Dieu judéo-chrétien
son expression classique était en somme quand il fait son entrée dans l’histoire
altérée par les limitations intrinsèques – d’abord indirectement à travers
de la tradition dont il était issu. Comme les prophètes juifs puis directement
dans le cas du philosophe présocratique avec son Fils – lui confère une portée
Parménide, l’intuition śaṅkarienne de eschatologique, introduisant ainsi une
l’Etre restait axée sur la distinction entre le discontinuité radicale avec le sens d’un
changeant et l’immuable. La conséquence avant et d’un après la venue du Dieu.
de cela, c’est que l’expérience mondaine Il n’est pas bien difficile de voir
ne pouvait pas être reconnue à sa juste que le traitement de l’Inde ancienne par
valeur et que l’ācārya ne pouvait concevoir Voegelin est le reflet de présupposés
le rapport entre Dieu et le monde qu’en eurocentriques très communs à
termes d’opposition massive entre le réel son époque, y compris dans la littérature
et l’illusoire (voire même le néant). universitaire. On se souviendra ici de
Au risque de tomber dans des l’affirmation de Husserl dans La crise de
clichés orientalistes, Voegelin affirme la conscience européenne suivant laquelle
encore que l’hindouisme a échoué à la philosophie serait un phénomène
développer un sens de l’histoire et serait purement occidental ou encore de la
resté enfermé dans une conception tentative des néothomistes pour réduire
cyclique du temps. Déjà dans Anamnesis, la spiritualité hindoue à une simple
Voegelin écrivait que « l’historiographie « mystique naturelle », ignorante du vrai
est apparue dans l’histoire de l’humanité Dieu. Comme nous allons le montrer, ces
en trois endroits : en Hellas, en Israel et préjugés ont empêché Voegelin de saisir
en Chine », pointant ainsi l’incapacité le sens véritable de l’attitude de l’Inde
de l’Inde à développer une approche face au temps et à l’histoire et peut-être
réflexive de l’histoire.12 Dans The plus grave encore, de réaliser que le
Ecumenic Age, Voegelin fait remonter cet secret de la remarquable stabilité de la
échec de l’Inde à penser l’histoire à des conscience religieuse indienne à travers
racines théologiques, au fait qu’elle n’a les millénaires tenait probablement
pas connu de « théophanie historique » à l’enseignement non-dualiste ou
comparable à « l’épiphanie du Christ. »13 « gnostique » des Upaniṣads.
L’hindouisme se concevant comme la
religion éternelle (Sanātana dharma) ne L’équilibre de la conscience dans
pouvait qu’ignorer l’histoire et percevait l’Inde Ancienne
le monde comme une simple « chose » Nous devons aborder
soumise à des changements perpétuels successivement les trois « insuffisances »
et dépourvus de sens à travers l’abime de l’hindouisme selon Voegelin à savoir :

12 Anamnesis, pp. 319-320.


13 The Ecumenic Age, p. 394.

109
Sadhu (Photo de Pierre-Emmanuel Boiton)
[1] le caractère incomplet de sa rupture liquidation graduelle des symboles
avec l’expérience originaire du cosmos ; cosmologiques (ou pré-œcuméniques)
[2] l’absence de théophanies majeures ; dans le Christianisme, un phénomène qui
[3] son rapport à l’histoire. a culminé avec la réforme protestante,
[1] Voegelin lui-même s’est combinée avec les révolutions
inquiété des conséquences spirituelles de scientifiques, qui a contribué plus que
la dédivinisation du monde et du retrait tout autre chose à la sécularisation de
des dieux pour la majorité des hommes. l’Occident. Le processus de rationalisation
Dans The New Science of Politics, Voegelin dans le Christianisme, depuis la
observe que dans le Christianisme « le marginalisation graduelle de la dévotion
sentiment de réconfort qu’apporte un ‘un à Marie et aux saints jusqu’à la réforme
monde rempli de dieux’ s’est évanoui avec liturgique de Vatican II, a produit une
les dieux eux-mêmes. » Seul demeure « le prodigieuse perte de sens du sacré, « un
lien ténu de la foi. » Mais ce lien « peut effondrement de la foi » dans le monde
facilement se rompre », causant par là occidental. Par comparaison, l’hindouisme
même « un effondrement de la foi » au a su rester une tradition vivante jusqu’à
niveau tant individuel que collectif.14 aujourd’hui et ce même si elle a eu à
En s’appuyant sur une intuition faire face à des menaces existentielles
que Voegelin n’a pas lui-même approfondi, comme les invasions musulmanes ou la
on peut faire l’hypothèse que c’est la colonisation européenne. De surcroit,

14 Modernity without restraint, p. 187

110
le caractère soi-disant incomplet de la [2] Concernant la question des
révolution spirituelle qui s’est produite théophanies divines, ce dont Voegelin ne
en Inde pourrait bien s’avérer la clef de tient pas suffisamment compte, c’est que
la prodigieuse continuité du Sanātana la doctrine chrétienne de l’incarnation a
dharma depuis l’Antiquité. Ce qui fait la contribué non seulement à une valorisation
singularité de l’hindouisme parmi les de l’histoire dans un sens eschatologique,
religions du monde, c’est sa capacité à mais aussi à sa manière à la sécularisation
préserver les formes les plus archaï�ques de l’Occident. Comparées à d’autres
d’expérience du sacré par lesquelles il religions comme l’Islam par exemple, la
est passé tout en assimilant l’altérité, au théologie et la liturgie chrétiennes sont
point d’en faire une partie de lui-même. centrées sur la figure du médiateur, et non
Les symboles cosmologiques des temps sur la Réalité invisible que ce dernier est
anciens n’ont jamais été rejetés comme censé représenter. La tension originaire
faux, comme cela a pu se produire dans qu’on peut saisir à travers le dogme des
les religions monothéistes, mais ont été deux natures tel qu’il a été formulé au
réinterprétés et continuent à jouer un Concile de Chalcédoine, a ouvert la voie
rôle dans les pratiques rituelles. En ce qui à une humanisation toujours plus grande
concerne la conception hindoue du divin, de Dieu à travers les siècles, culminant
elle se caractérise par un équilibre entre au 18ème siècle avec l’image du Christ
le Dieu avec forme (saguṇa Brahman) et qui n’aurait été qu’un maître de morale,
le Dieu sans forme (nirguṇa Brahman). La illégitimement élevé au rang de Dieu par
pratique religieuse quotidienne du fidèle ses disciples. L’hindouisme a également
est centrée sur le culte d’un Iṣṭadevatā, développé une doctrine des incarnations
ou d’une « déité d’élection » mais ce ou descentes divines (avatāras). La bhakti
dieu ou cette déesse, revêtu d’attributs hindoue est centrée sur la relation
cosmiques, est toujours conçu comme interpersonnelle entre le dévôt et sa
une ouverture donnant accès au suprême déité d’élection qui s’avère souvent être
Brahman des Upaniṣads, le principe une descente divine (Rama ou Kṛṣṇa)
ultime qui enveloppe en lui-même le soi laquelle s’intègre elle-même dans une
individuel (jīva), le monde (jagat) et le histoire sacrée. En Inde, les conceptions
dieu personnel (Ī�śvara). La soi-disant personnalistes et anthropomorphiques
incomplétude de la tradition hindoue du divin sont néanmoins toujours
se laisse donc plutôt définir en termes compensées par des approches plus
d’intégration harmonieuse entre des métaphysiques et aniconiques, ce qui
éléments pré-axiaux (ou cosmologiques) a contribué historiquement à prévenir
et post-axiaux. Alors que le fidèle des fois l’émergence d’une vision purement
monothéistes a tendance à bruler ce qu’il immanentiste de l’homme et du monde.
a adoré, l’hindou adopte une posture plus [3] Concernant la dernière critique,
noétique qui consiste à constamment il faut reconnaitre que le développement
réinterpréter plutôt qu’à écarter les vieux d’une historiographie et la valorisation
mythes. chrétienne de l’histoire conçue comme un

111
drame orienté représentent une condition encore à venir et son avènement marquera
nécessaire (mais certes pas suffisante) la fin du kali-yuga et la restauration de
de l’émergence du millénarisme. Au l’ordre.
contraire, l’Inde, tout au moins jusqu’à On trouve aussi dans la littérature
l’époque coloniale, semble être restée hindoue des récits sur l’origine des
relativement immunisée contre les formes institutions socio-politiques. Selon
de distorsion d’inspiration apocalyptique Louis Dumont,15 il y aurait deux types
ou millénariste qui ont périodiquement de légendes sur les origines de la
ensanglanté l’histoire occidentale. monarchie dans les épopées indiennes,
Ce que Voegelin tend aussi le Manusmṛti et les Purāṇas. L’une en fait
à négliger, c’est que si les détails de une institution remontant à l’Age d’Or
l’histoire profane ont suscité peu d’intérêt et l’autre le produit d’un contrat social
dans l’Inde traditionnelle, l’hindouisme entre les citoyens en vue de compenser
a construit une théologie de l’histoire les maux spirituels et sociaux qui vont
particulièrement élaborée qu’on trouve toujours croissant. Dumont voit dans cette
essentiellement dans les Epopées ou les vision contractualiste de la monarchie
Purāṇas et qui mérite mieux que quelques un signe annonciateur d’un mouvement
remarques expéditives. La théorie des de sécularisation, qui trouverait son
yugas, qui rappelle les enseignements aboutissement dans le très machiavélique
que rapporte Hésiode dans Les Travaux Arthaśāstra, attribué à Chānakya. Le
et les Jours fait de l’état actuel de désordre phénomène ne fut pas accompagné par
social et moral le point terminal d’un un déclin de l’autorité religieuse per se et
processus de déclin spirituel. Chaque c’est pourquoi, il semble plus approprié
âge, et ce jusqu’au nôtre le kali-yuga, se d’utiliser le concept voegelinien de
caractérise par une durée et un degré différenciation pour rendre raison de
de perfection moindre que le précédent. la séparation progressive du pouvoir
Dans la théologie Vaiśnaviste, le dharma, temporel et de l’autorité spirituelle dans
la loi socio-cosmique, est périodiquement l’Inde ancienne.
restaurée par la venue d’un avatāra. Alors A première vue, il n’y a aucune
que les premières descentes divines raison de traiter les récits hindous
comme Matsya (le poisson), Kūrma (la différemment des constructions semi-
torture) ou Varāha (le sanglier) et ce mythologiques qu’on trouve en Egypte
jusqu’à Narasiṃha (qui est mi-homme-mi- ou en Grèce. Ce qu’on ne saurait nier, c’est
lion) ou encore Vāmana (le nain) revêtent que ces récits n’ont jamais débouché sur
des traits essentiellement légendaires, les le type d’affrontement à la fois grandioses
descentes plus tardives sont présentées et autodestructeurs qui ont opposé les
sous un jour semi-historique et sont historiens romains, juifs et chrétiens
douées d’une forme humaine. Le dernier dans l’Antiquité tardive. Ils ne se sont
avatāra de Viṣṇu, le Kalkin-avatāra, est pas plus cristallisés sous la forme d’un

15 L. Dumont, Homo Hierarchicus: Essai sur le système des castes (Paris: Gallimard, 1979), pp.359-
360.

112
Scènes de l’enfance de Kṛṣṇa

récit monolithique et unilinéaire. Une humaine et ne possède donc pas le même


des raisons de cela était probablement degré d’autorité que la śruti ou révélation.
contingente : la relative instabilité Enfin, on peut reprendre ce constat de
des structures impériales dans l’Inde Shmuel N. Eisenstadt dans son étude
ancienne. Une autre tient au fait que ces comparée des civilisations de l’Age Axial
récits se trouvent pour l’essentiel dans la suivant lequel l’Inde n’a jamais vu dans la
smṛti qui est reconnue comme d’origine sphère politique le champ au sein duquel

113
l’homme devrait accomplir sa vocation primordiaux en gardant à l’esprit que la
la plus haute.16 L’artha, la quête de la perfection divine devait être cherchée
réussite matérielle et du pouvoir, reste nulle part ailleurs qu’en nous-mêmes.
toujours subordonnée à la mokṣa, la quête Nous ne chercherons pas à nier
pneumatique du Principe, sur l’échelle le fait que notre thèse revient à renverser
traditionnelle des valeurs (puruṣārtha). complètement l’hypothèse qui se situe à
La conséquence de ce soi-disant « échec » la base des travaux de Voegelin. Ce n’est
de l’Inde à développer une historiographie pas l’affirmation des gnostiques que le
fut en fait que l’équilibre spirituel de la soi et Dieu sont un qui a planté les germes
conscience fut finalement mieux préservé de toutes les calamités à venir mais au
par la révolution « incomplète » qui s’est contraire le dualisme, l’idée que Dieu est
produite dans le sous-continent que autre que le soi. Le lien organique entre
par la révolution prétendument plus millénarisme et dualisme est illustré
« complète » qui a eu lieu en Occident. dans l’hindouisme même par le cas de
L’Inde s’est finalement trouvée préservée la littérature épique et dévotionnelle.
pendant des siècles de la furie destructrice Comme on le sait le Mahābhārata nous
du millénarisme apocalyptique qui a raconte l’histoire d’un affrontement
dévasté l’Occident et a finalement rongé apocalyptique entre deux clans, les
de l’intérieur sa tradition religieuse Kauravas et les Pāṇḍavas. Ce conflit a
jusqu’à aujourd’hui. été tramé par les dieux pour exterminer
Si on va un peu plus loin et au les Kṣatriyas et précipiter l’avènement
risque de donner l’impression de parodier du kali-yuga, l’âge sombre et terminal
la formule de Marx, on pourrait affirmer de l’humanité. Plus que n’importe quel
qu’il faut remettre Voegelin à l’endroit. autre texte hindou, le Mahābhārata a des
C’est l’enseignement des Upaniṣads sur résonances millénaristes, se déroule dans
l’identité entre le Soi et l’Absolu qui a évité une ambiance apocalyptique qui atteint
à l’Inde ancienne de traverser les mêmes son paroxysme avec la bataille finale et la
turpitudes millénaristes que celles qui destruction de Dvārakā par un déluge qui
ont agité le monde occidental. Alors qu’en rappelle le destin de l’Atlantide. Ce qui est
Occident, les mouvements millénaristes particulièrement significatif, c’est que le
ont cherché à abolir la tension entre Mahābhārata n’est pas centré sur la quête
le soi et le Principe de toute chose en de la connaissance mais sur la question
élaborant un grand récit sur « la fin de de l’honneur et du devoir et contient la
l’histoire » et la transfiguration prochaine Bhagavad Gītā, qui, tout au moins selon la
de ce bas-monde soit par une intervention plupart des commentateurs, est axé sur la
divine, soit par une révolution menée par dévotion à Kṛṣṇa, à un dieu personnel. De
l’homme, l’Inde ancienne est restée fidèle manière similaire, le Kalkin-avatāra, sous
au cœur de l’enseignement des Voyants forme actuelle au moins, est inconnu de

16 S. N. Eisenstadt, The Origins and Diversity of Axial Age Civilizations (Albany: State University of
New York, 1986), p. 296.

114
la littérature védique et porte les signes Aurobindo et le millénarisme
d’une addition tardive,17 plus en phase indien moderne
avec les religions sectaires de l’Inde Au-delà de quelques observations
médiéval qu’avec la perspective sapientale rapides, Voegelin n’a pas traité de la
des Upaniṣads. Si on se tourne maintenant question de l‘influence des idéologies
vers l’histoire des religions, on apprend gnostiques modernes sur les sociétés non-
qu’on fait souvent remonter les croyances occidentales dans la foulée de l’expansion
millénaristes à l’ancienne Perse, à coloniale européenne. On pourrait
cette branche de la civilisation indo- néanmoins avancer l’idée que les empires
européenne qui voyait le monde nous pas coloniaux, comme les empires de l’Age
comme un « jeu divin » (līlā) mais comme Œcuménique, ont accéléré le processus de
la scène d’un combat eschatologique entre dédivinisation du monde. Le colonialisme
deux principes, Ahura Mazda et Angra et plus récemment la mondialisation
Mainyu, le Dieu de la Lumière et l’esprit néolibérale, en détruisant les repères
des ténèbres. Les attentes millénaristes et traditionnels, ont créé un vide spirituel que
le dualisme semblent aller de pair, en Inde les « religions politiques ». l’Islamisme au
comme ailleurs. Moyen-Orient et le Nationalisme Hindou
Avant de porter notre regard sur en Inde, sont venus combler.19
l’Inde moderne et contemporaine, nous Le nationalisme hindou, qui a
devrions ne jamais perdre de vue que trouvé sa première expression doctrinale
si la tradition dévotionnelle indienne a dans les écrits de V. D. Savarkar, est apparu
développé une conception de l’histoire à la fin de l’époque coloniale à mesure
qui résonne avec les peurs millénaristes que les tensions entre les Musulmans
de l’Occident, pour le Sanātana dharma, et les Hindous montaient, en prélude
« la fin du monde » n’est jamais que à la partition. Ce fut néanmoins après
« la fin d’un monde », la fermeture d’un l’épisode de l’Etat d’Urgence (1975-
cycle coï�ncidant toujours avec le début 1977) et la crise autour d’Ayodhya, que
d’un nouveau. Plus significatif encore, les nationalistes hindous ont commencé
la conscience religieuse indienne a leur ascension vers le pouvoir qui a
prudemment repoussé la fin du kali-yuga débouché sur la formation du premier
dans un futur très reculé, dans plus de gouvernement BJP en 1998. L’influence
400 000 ans, nous rappelant au passage des « religions politiques » occidentales
qu’il y a plus urgent pour nous que en Inde, en particulier du fascisme et du
d’attendre la parousie.18 national-socialisme, reste controversée
mais bien documentée, notamment grâce

17 M. Rabiprasad, Theory of Incarnation: Its Origin and Development in the Light of Vedic and
Purāṇic References (Pratibha, 2000).
18 Sur la question de la durée des cycles, R. Fabbri, René Guénon et la tradition hindoue: les limites
d’un regard (Lausanne: L’Age D’Homme, 2018), p. 80.
19 Sur le versant musulman, R. Fabbri, Eric Voegelin et l’Orient: Millénarisme et religions politiques

115
aux travaux de Christophe Jaffrelot.20 Dans porteuses au mieux d’un sens moral. Selon
une certaine mesure, on pourrait dire que Roy, les rites devraient être remplacés par
les nationalistes hindous ont imité plus un culte purement mental de l’Etre qui a
ou moins consciemment leurs ennemis, créé cet univers.21
les groupes islamistes qui florissaient en On peut considérer que Ram
Inde à la même époque et ensuite, après la Mohan Roy, plus qu’aucun autre
partition, au Pakistan. réformiste, a contribué au processus
Comme tout mouvement ethno- de désenchantement de la vision du
nationaliste, le nationalisme hindou monde dans l’hindouisme. Son geste
s’avère indigent intellectuellement. Et n’est pas passé inaperçu. Non seulement,
pourtant, il a été capable de capitaliser il a suscité des polémiques dans certains
sur certains bouleversements de fond cercles traditionnels,22 mais il est possible
induits par le colonialisme occidental et la d’interpréter les travaux de penseurs néo-
réponse que les intellectuels locaux lui ont hindous plus tardifs tels Tilak, Gandhi ou
apportée. Parmi eux, on se doit de citer Vivekananda comme une réaction contre
Ram Mohan Roy, le plus emblématique le monisme abstrait de Ram Mohan Roy,
des premiers penseurs néo-vedāntins. Sa comme une tentative pour réconcilier
critique du culte des Iṣṭadevatā comme Dieu et le monde en reformulant le
une forme d’idolâtrie a porté un premier Vedānta dans le sens d’une philosophie
coup à l’équilibre de la conscience pratique avec un vrai contenu éthique et
dans l’hindouisme traditionnel, à cette politique.23
compréhension de l’immanence de C’est néanmoins à Sri Aurobindo
l’Absolu transpersonnel dans les formes Ghose qu’on est redevable d’une
cosmiques qui était la marque distinctive tentative pour opérer un complet
de l’Hindouisme depuis l’Age Œcuménique. « réenchantement du monde », au
Dans les études que Roy consacre aux risque d’opérer une immanentisation
écritures saintes, les symboles perdent de de l’eschaton Hindou et ainsi de créer un
leur transparence métaphysique, de leur désordre spirituel dont les nationalistes
capacité à pointer vers la réalité supra- hindous ont pu ensuite profiter. Cette
rationnelle. Ils se trouvent au contraire affirmation semble d’autant plus
réduits au niveau de simples allégories, surprenante qu’aujourd’hui en Occident

de l’Antiquité à Daech (L’Harmattan, 2015), pp. 65-120.


20 C. Jaffrelot, Les nationalistes hindous : Idéologie, implantation et mobilisation des années 1920
aux années 1990 (Presses Universitaires de Science Po, 1993).
21 W. Halbfass, India and Europe: an Essay in Understanding (Albany: State University of New
York, 1988), pp. 197 et suivantes.
22 Halbfass mentionne ainsi un pamphlet anonyme, le Vedāntacandrikā, publié en 1817. Le
Tantra-tattva, traduit par Arthur Avalon sous le titre de Principles of Tantra (Madras : Ganesh
and Company, 1999) contient une critique de Ram Mohan Roy (Volume II, p.301 et suivantes).
23 P. Hacker, Philology and Confrontation: Paul Hacker on Traditional and Modern Vedānta,
(Albany: State University of New York, 1995), pp. 229 et suivantes.

116
on se souvient surtout d’Aurobindo et a donc préparé sans le vouloir le
pour son ashram de Pondichéry et pour terrain pour la diffusion du nationalisme
Auroville, la cité utopique fondée par lui hindou sous couvert de renaissance de
et celle qui lui a succédé Mirra Alfassa, la culture indienne. Comme nous allons
encore appelée la Mère. Bien que pendant le voir Aurobindo est finalement plus le
4 ans, entre 1906 et 1910, il ait appartenu descendant de Hegel et de Nietzsche que
à la frange radicale du parti du Congrès, de Yājñavalkya ou de Ś� aṅkara.
rédigeant des pamphlets nationalistes et Selon Indra Sen, Aurobindo
finissant même en prison pour activisme dans La Vie Divine, soulève la question
révolutionnaire, Aurobindo renonça de savoir comment « une vie divine, une
rapidement à la politique et ses écrits vie nourrie par l’Esprit » est « possible
postérieurs témoignent de sa défiance vis- sur terre. Comment peut-on réconcilier
à-vis du « modernisme réactionnaire ».24 l’Esprit et la Matière ? »26 Pour Aurobindo,
Peter Heehs avait donc sans doute raison māyāvada, la doctrine de l’illusion
d’affirmer qu’intégrer Aurobindo dans cosmique, trahirait l’intention originelle
la généalogie du nationalisme hindou des sages védiques – intention qu’il
contemporain, comme les intellectuels prétend avoir retrouvé par ses études
marxistes l’ont fait fréquemment depuis pionnières sur le sens ésotérique des
les années 70, est trompeur, reposant Vedas – parce qu’elle s’avère incapable de
sur une simplification « caricaturale » rendre raison à la fois de la réalité absolue
de sa pensée.25 Ceci étant dit, bien du Brahman et de la réalité relative du
que l’usage politique d’Aurobindo monde. Le monde n’est pas une simple
comme « une icône symbolique ou une illusion (mithyā) mais un jeu divin (līlā).
mascotte » nous en dise sans doute En d’autres termes, l’Absolu ne devrait pas
plus sur la quête de respectabilité être conçu comme une Unité insondable
intellectuelle des nationalistes hindous et indicible mais comme un processus
que sur le philosophe bengali lui-même, auquel l’homme peut participer pour
nous voudrions avancer l’idée que sa peu qu’il éveille en lui le « supramental »
pensée, indépendamment de sa valeur grâce auquel il peut voir l’Un dans le
intrinsèque, illustre un phénomène de multiple et le multiple dans l’Un. En fait
déraillement millénariste de l’expérience Aurobindo affirme avoir fait lui-même
upaniṣadique, sa transformation en une l’expérience du type de samādhi décrit
idéologie immanentiste et intramondaine dans la littérature védāntique et yogique,

24 Le terme a été utilisé pour la première fois par Jeffrey Herf dans une livre de 1984 sur le
Troisième Reich. L’attitude ambiguë qui consiste à embrasser la modernité technologique
tout en promouvant une forme de conservatisme socio-politique se retrouve aussi chez les
islamistes et les nationalistes hindous.
25 P. Heehs, “The uses of Sri Aurobindo: mascot, whipping-boy, or what?” Postcolonial Studies, 9:2
(2006) pp. 151-164.
26 Indian Philosophy in English: From Renaissance to Independence, edited by N. Bhushan and J. L.
Garfield (Oxford University Press, 2011), p. 596.

117
horizon ultime.
Aurobindo voyait ces évènements
parousiastiques comme marquant la « fin
de l’histoire ». S’appuyant sur la doctrine
hindoue des quatre âges, Aurobindo
distinguait un double mouvement de
déclin spirituel et de progrès matériel
à l’œuvre derrière l’évolution humaine.
L’Orient symbolise l’état originel de
perfection mais il a progressivement
sombré dans une forme de torpeur
spirituelle durant le troisième age ou
dvāpara-yuga. Le quatrième âge ou kali-
yuga est dominé par l’individualisme et
le rationalisme. C’est l’âge de cet Occident
Ramana Maharshi (1879-1950) qui cherche à explorer les puissances de
mais de l’avoir rapidement écartée parce la subjectivité individuelle, secrètement
qu’il cherchait une forme d’illumination guidé peut-être par le désir de se
encore plus élevée. réapproprier les intuitions spirituelles
Remarquons que le tantrisme, qui ont été graduellement enfouies sous
avec ses tendances plus alchimiques les erreurs et les dogmes. Dans cette
qu’ascétiques, avait déjà commencé entreprise, l’Occident a malheureusement
à estomper la limite entre Délivrance libéré des forces apocalyptiques qui ont
(mokṣa) et jouissance (bhoga), contribuant causé les deux guerres mondiales. Du
ainsi à une forme d’immanentisation de vivant d’Aurobindo, l’Occident dominait
l’expérience de béatitude du jīvanmukta. encore le monde mais il était convaincu
Aurobindo était pourtant très clair sur le qu’à mesure que le cycle parvenait à son
fait que son « yoga intégral » s’éloignait terme, l’humanité allait atteindre des états
des pratiques du yoga traditionnel, même plus élevés de conscience ; il entrevoyait
de type tantrique. Comme il l’explique même pour l’Inde un rôle d’avant-garde
lui-même, alors que dans le tantrisme, dans la révolution spirituelle à venir.28
la śakti est envisagée comme un moyen Malheureusement pour
de réaliser l’Esprit Suprême, sa méthode Aurobindo et ses disciples, ils ne purent
fonctionnait dans le sens inverse, partant qu’attendre en vain la réalisation de leurs
de l’esprit et descendant ensuite vers les rêves chimériques. Comme le « dernier
énergies cosmiques,27 avec la descente dieu » de Heidegger, le « supramental »
du supramental et la transformation de resta sourd aux prières d’Aurobindo. Son
l’homme et de la vie sur la terre comme projet naï�f de couronner tous les systèmes

27 The essential writings of Sri Aurobindo, edited by R. McDermott (Lindisfarne Books, 2001),
p. 160.
28 Aurobindo, Le Cycle Humain (Sri Aurobindo Ashram, 2011), chapitres I-III.

118
soi-disant incomplets du passé avec son espérances millénaristes, l’attente d’une fin
propre petit système ne déboucha sur imminente de l’histoire dans l’imaginaire
rien. Considérant a posteriori l’échec indien. Pire, Aurobindo a sécularisé ou
d’Aurobindo on ne peut que souscrire immanentisé l’idée de Délivrance (mokṣa)
à la réponse de G. K. Malkhani devant du cycle des renaissances (saṃsāra) en le
l’affirmation très hégelienne d’Aurobindo remplaçant par la perspective d’un progrès
suivant laquelle « la conscience doit passer intramondain de la conscience. Ce progrès
au-delà de cette raison finie et des sens passe par l’autodétermination de nations
finis et parvenir à une raison plus vaste, comme l’Inde, la marche de l’histoire se
à des sens spirituels en contact avec la terminant avec l’établissement de l’unité
conscience de l’Infini et ouverts à la logique du genre humain et un éveil collectif sous
de l’Infini qui est la logique même de l’être la guidance d’Aurobindo, le prophète du
lui-même. »29 N’en déplaise au sage de supramental.
Pondichéry, « la logique de l’Infini ne peut Aurobindo représente pour
consister qu’en une reconnaissance que nous un cas troublant de distorsion
l’Infini est radicalement transcendant idéologique. N’étant pas un de ces gurus
et sans rapport avec le fini, et que ce religieusement illettrés qui ont fleuri en
dernier n’est qu’une expression erronée Inde ces dernières décennies et attirent
du premier et doit être supprimé. » Il est des cohortes d’Occidentaux et d’Hindous
donc illusoire de chercher « une raison en rupture avec leur propre tradition,
supérieure ou plus vaste qui pourrait il ne pouvait pas manquer de savoir
réconcilier les deux ou abroger le principe qu’il déformait la doctrine des yugas. Il
de non-contradiction lui-même. »30 savait aussi qu’en transformant l’Absolu
Comme l’enseignait Sri Ramana Maharshi, transcendant des Upaniṣads en un Esprit
un autre guru de l’Inde du Sud qui était qui prend conscience de lui-même dans
le contemporain d’Aurobindo, le but de la le monde, en temporalisant l’Absolu, il
voie spirituelle est de faire taire le mental trahissait l’intuition centrale de l’Advaita
de telle sorte que la Réalité omniprésente Vedānta concernant la nature de la réalité.
et éternelle puisse se révéler. Comme le Comme l’affirme Gauḍapāda dans ses
système hégelien, celui d’Aurobindo offre Māṇḍukya Kārikās, « rien de ce qui est
moins qu’il ne promet. Le supramental existant ne nait … Ce qui est non-existant
d’Aurobindo n’est pas situé au-dessus du ne nait absolument pas. »31 Du point de
mental. C’est toujours le même mental vue ultime (paramarthika), rien n’est
mais qui aurait perdu conscience de ses jamais venu à l’existence. Il n’y a pas de
propres limitations. devenir, seul existe l’Etre pur et éternel.
D’un point de vue plus voegelinien, Aurobindo avait connaissance
on pourrait dire qu’Aurobindo a contribué de l’ajātivāda, de la doctrine de la « non-
plus que quiconque à introduire des naissance », l’enseignement ultime de

29 Aurobindo, La Vie Divine, Volume II, (Albin Michel, 1973), chapitre 34.
30 Indian Philosophy in English, p. 626. [traduit de l’anglais].
31 Gauḍapāda, L’āgamaśāstra, trad. C. Bouy (Diffusion De Boccard, 2000), IV, 4, p. 206

119
l’Advaita Vedānta. Et pourtant, il a choisi dans le nationalisme hindou. Son
délibérément de l’écarter. Il a troublé la universalisme est passé au second plan.
sérénité de la Réalité unique en l’intégrant L’ordre social ne dépend plus d’une
dans un processus32 temporel parce qu’il conformité intérieure et extérieure de
ne pouvait pas ignorer le fait que s’il n’y a l’homme à la Vérité, mais en termes
« ni extinction ni création … ni personne schmittiens, de la conscience d’une
qui soit asservi, ni personne qui s’efforce dichotomie entre amis et ennemis. Si dans
[vers la libération] … personne qui aspire le nationalisme hindou, la nation (rashtra)
à la délivrance …. [ou] qui soit délivré »33 a pu se substituer au Principe divin et la
sa tentative pour réconcilier le temps et quête d’une identité collective remplacer
l’éternité, l’être et le devenir, mokṣa et la connaissance du Soi, c’est parce que le
artha, pour ne rien dire de sa « théologie colonialisme occidental puis la réponse
politique », perd tout son sens. qu’ont cherché à lui apporter des penseurs
En fait, Aurobindo illustre à comme Ram Mohan Roy, Vivekananda ou
merveille le cas d’un intellectuel brillant Aurobindo ont détruit l’équilibre spirituel
qui, accablé par le sentiment d’aliénation de la conscience en Inde.
sous le joug colonial, s’est senti obligé La montée de « nouvelles
de créer une « réalité seconde », un religions politiques » en Inde n’a donc
pseudomythe qui défigure l’expérience pas grand-chose à voir avec le caractère
hindoue beaucoup plus riche et sobre supposément « incomplet » de la
avec la Transcendance. Comme beaucoup différentiation dans l’Inde ancienne ou
de gens de sa génération, Aurobindo la nature « gnostique » de la sagesse
était aussi horrifié par les destructions hindoue au sens où pouvait l’entendre
et le désordre spirituel laissés par les Voegelin. On peut se demander si l’Inde
deux guerres mondiales et il a voulu leur va succomber au même type de maladie
donner une signification eschatologique, spirituelle qui détruit l’Islam de l’intérieur.
les élever au rang de signes d’un conflit Le cas de Swami Karpatri, un saṃnyāsin
cosmique et de la venue prochaine d’un charismatique originaire d’Uttar Pradesh
nouvel age avec lequel le drame de qui dans ses écrits propose une critique
l’humanité atteindrait enfin son heureuse métapolitique du nationalisme hindou,
conclusion. le dénonçant à juste titre comme une
contrefaçon moderne de la spiritualité
Il ne reste pas grand-chose des hindoue, une idéologie politique sous un
intuitions les plus profondes d’Aurobindo habit védāntique, devrait nous laisser

32 On ne saurait nier que des théologies du process de type non-dualiste ont pu fleurir à travers
les grandes religions du monde, à commencer par l’Inde et le Shivaï�sme du Cachemire ou plus
proche de nous la théosophie de Jacob Boehme. Le dénominateur commun de ces doctrines
était néanmoins la conscience de la radicale transcendance du Principe divin, laquelle manque
chez Aurobindo.
33 Ibidem, II, p. 137.

120
quelques raisons d’espérer.34 Et pourtant Cerf, 1994
son œuvre, pour ne rien dire du petit parti La Nouvelle Science du Politique, Paris :
qu’il a créé après l’indépendance (le Ram Editions du Seuil, 2000
Rajya Parishad), n’a pas eu d’effet politique Hitler et les Allemands, Paris : Editions du
tangible, tout au moins sur une large Seuil, 2003
échelle. Cet échec, plus l’état de désordre Réflexions Autobiographiques, Paris :
intérieur dans l’Inde contemporaine tel Editions du Seuil, 2004
qu’il se manifeste dans la marchandisation Science, Politique et Gnose, Bayard, 2004
criante du spirituel par des gurus auto- Foi et Philosophie Politique : La
proclamés et l’enthousiasme de la jeune correspondance Strauss-Voegelin 1934-
génération pour les expressions les plus 1964, Paris : Vrin, 2004.
aberrantes de la culture occidentale Race et Etat, Paris : Vrin, 2007
laissent peu de place pour l’optimisme, Israël et la Révélation (Ordre et Histoire,
tout au moins dans un futur prévisible. vol.1), Paris : Editions du Cerf, 2012.
Platon et Aristote (Ordre et Histoire, vol.3),
Traductions en français de Voegelin Paris : Editions du Cerf, 2015.
Les Religions Politiques, Paris : Editions du

34 Sur ce Swami, on consultera J-L. Gabin, L’hindouisme traditionnel et l’interprétation d’Alain


Daniélou (Paris: Editions du Cerf, 2010), Swami Karpatri, Symboles du monothéisme hindou : le
linga et la déesse (Paris: Editions du Cerf, 2013) et “Swami Karpatri, Présence de l’Hindouisme
Traditionnel”, La Règle d’Abraham, Hors Série I (2014)

Temple de Mahamaya (Photo de Soumendra Barik)

121
122 Badavilinga au Karnataka (Photo de Ashwin Kumar)
Destin et libre arbitre
Dialogue avec Śrī Candraśekhara Bhāratī III
34ème Śaṅkarācārya du Śṛṅgeri Śāradā Pīṭham

Traduit de l’anglais, annoté, translittéré et introduit


par Gabriel Arnou-Laujeac

La destinée de Ś� ri Narasiṃha Ś� astrī�


(1892-1954), une des figures spirituelles
les plus éminentes du vingtième siècle, fut
hors du commun des mortels. Ce grand
Jñāna-yogi qui sera connu en Inde sous
le nom de Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī� III
Mahāsvāmī�, naquit à Ś� ṛṅgeri2 le dimanche
16 octobre 1892, un jour d’ekadaśī (c’est-
à-dire le onzième jour du demi-calendrier
lunaire3); un jour consacré au jeûne et
à la prière particulièrement auspicieux
selon les Jyotiṣa-śāstras4. Ses biographes
rapportent qu’il fut le seul enfant de sa
famille, parmi quatorze, à avoir survécu à
la petite enfance grâce à la bénédiction de
Ś� rī� Saccidānanda Ś� ivābhinava Narasiṃha
Bhāratī� (1858-1912), alors pontife du
Śrī Candraśekhara Bhāratī III Dakṣiṇāmnāya Ś� ṛṅgeri Ś� āradā Pī�ṭham,
dont ses parents étaient d’ardents
fidèles. Après avoir reçu la bénédiction
de ce dernier, des astrologues leur
Nous avons suivi les usages de la norme prédirent non seulement la naissance du
académique dite IAST (International futur Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī�, mais
Alphabet Of Sanskrit Transliteration), aussi le caractère extraordinaire de la
pour le sanskrit romanisé, translittéré destinée de ce dernier : « Votre fils sera
dans l’alphabet latin, à l’exception des un Simhāsanādhipathi », un empereur
marques du pluriel que nous avons parmi les hommes5. La prédiction se
systématiquement ajoutées1. réalisera d’une manière différente de ce

123
Temple du matha de Śṛṅgeri (Photo de B. Sarangi)
que les parents attendaient : dès l’âge réputation et d’une autorité spirituelle
de vingt ans, leur fils unique renoncera remarquables en Inde. Ś� rī� Svāmī�
à toutes les poursuites temporelles et Dayānanda Sarasvatī� (1930-2015)11, un
à une descendance ; son royaume sera grand maî�tre contemporain de l’Advaita-
spirituel. Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī� Vedānta traditionnel, porte un regard sur
deviendra, effectivement, le 34ème pontife6 le Pīṭham de Ś� ṛṅgeri exemplaire de l’aura
du Ś� ṛṅgeri Ś� āradā Pī�ṭham à partir de singulière qui entoure cette institution
1912. Ce Pīṭham, situé à Ś� ṛṅgeri, dans et de l’autorité spirituelle incontestée de
l’Etat du Karnātaka, fut le premier des celle-ci : « Parfois, les Ācāryas doivent leur
quatre monastères fondés par Ś� rī� Ā� di stature à celle de leur Pīṭham ; d’autres
Ś� aṅkarācārya Bhagavatpāda au neuvième fois, ce sont les Pīṭhams qui gagnent en
siècle7, à la tête duquel il plaça l’aî�né et le stature grâce à celle de leurs Ācāryas. (Le
plus érudit de ses disciples, Ś� rī� Sureśvara8. Pīṭham de) Ś� ṛṅgeri jouit d’une double
Une lignée de maî�tre à disciple s’y succède stature : grâce à ses Ācāryas, il a acquis
depuis, portant le titre de « Jagadguru9 une stature et, grâce à sa propre stature,
Ś� aṅkarācārya ». Cette institution où ses Ācāryas sont importants. (Cela
Ā� di Ś� aṅkarācārya, selon des recherches fonctionne) dans les deux sens. C’est ainsi
menées récemment en Inde, aurait que je perçois Ś� ṛṅgeri.» 12
demeuré douze ans pour écrire ses
célèbres commentaires sur la Bhagavad- Dès la tendre enfance, le jeune
Gītā, les Upaniṣads et les Brahmasūtras Candraśekhara, nommé Ś� ri Narasiṃha
10
jouit, aujourd’hui encore, d’une par ses parents en l’honneur de leur

124
Guru13, montra tous les signes d’une rien qui ne soit un produit impermanent et
nature d’exception sur le plan spirituel que l'action est donc futile, un brahmane
Son comportement était celui d’un doit recourir au dépassionnement.
grand dévot (bhakta) et il entrait Pour connaî�tre cette Réalité absolue,
déjà régulièrement en samādhi. En fagot sacrificiel en main, il doit aborder
outre, l’intellect de Ś� rī� Narasiṃha était uniquement un śrotriya (un Guru bien
aiguisé comme une pointe ; il était un versé dans la révélation védique) et un
medhāvī, une personne dotée d’une rare brahmaniṣṭha (un Guru parfaitement
intelligence et d’un grand détachement, établi en Brahman.) »18
à l’instar de son éminent grand-père, Un śrotriya est un fin connaisseur
le Pandit S. Ś� astrī�14. Il jouissait, enfin, de la Śruti. Il doit être parfaitement
d’une mémoire prodigieuse. Il put ainsi versé dans les écritures védiques, c’est-
étudier à la Pāṭhaśālā de Ś� ṛṅgeri où il à-dire les avoir apprises de la bouche
excella et à Bangalore auprès de maî�tres d’un autre śrotriya appartenant à
les plus illustres de son temps. Il devint une lignée traditionnelle de maî�tre à
naturellement un authentique vidvan, disciple (guru–śisya-paramparā). Outre
un savant parfaitement versé dans les l’interprétation correcte des écritures,
écritures védiques, les Traités de logique un authentique śrotriya doit avoir reçu
(Tarka), la Mīmāṃsā et le Vedānta. C’est de son Guru la méthode d’enseignement
à cette époque que Ś� rī� Saccidānanda bien spécifique du Vedānta traditionnel,
Ś� ivābhinava Narasiṃha Bhāratī� décida notamment les différentes méthodes
de le désigner comme son successeur à la de transmission de la Brahma-vidyā
tête du monastère de Ś� ṛṅgeri. (« science de l’Absolu ») connues sous
En plus d’être un poète raffiné, un le nom de « prakriyās », validées par
compositeur d’hymnes dévotionnels en des siècles et des siècles de pratique
sanskrit remarquables, Ś� rī� Candraśekhara de l’enseignement de Guru à disciple.
Bhāratī� était réputé dans toute l’Inde, dit- Un śrotriya est donc compétent pour
on, pour être capable de convertir un athée instruire et accompagner un aspirant
ou un mécréant d’un simple regard15, qualifié sur le chemin de la connaissance
à l’instar de l’un de ses contemporains, de soi. Un brahmaniṣṭha est un sage
un autre Jñāna-yogi et Jīvan-mukta accompli, fermement établi en Brahman,
bien connu, jusqu’en Occident, sous l’Absolu. Un brahmaniṣṭha peut être ou ne
le nom de Ramana Maharshi (1879- pas être un śrotriya et vice versa.
1950)16. Toutefois, à la différence de ce A l’aube de ses vingt ans, le 7
dernier, Candraśekhara Bhāratī� incarnait avril 1912 (encore un dimanche), le jeune
pleinement les deux qualificatifs avec Candraśekhara Bhāratī� fut initié dans le
lesquels le Vedānta traditionnel décrit le saint ordre monastique du Paramahamsa-
Guru idéal17. Ainsi la Mundaka Upaniṣad sannyāsa et, dans la foulée, officiellement
(I, ii, 12) : intronisé à la tête du Pīṭham. De nature
« Après avoir bien examiné les mondes contemplative, il s’est toujours considéré
obtenus par l'action en se disant qu'il n'y a comme un sannyāsin19 par vocation

125
et comme le pontife de l’une des plus Que se passait-il derrière la porte close ?
importantes institutions du Sanātana- Nous disposons de témoignages de son
Dharma par obligation seulement. entourage immédiat. A.R. Naṭarājan, un
Si Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī� aimait des biographes du Jagadguru, rapporte
enseigner les écritures à ses disciples par exemple celui d’un assistant nommé
et aux sanātanis 20 de passage, il finit en Annapa Manja :
revanche par se désintéresser, de plus « Une nuit, à minuit passé, Manja qui
en plus notablement, au fil du temps, de dormait devant la chambre du Mahāsvāmī�
l’administration et de la gestion du Ś� āradā entendit une musique merveilleuse
Pī�ṭham. Il se tenait généralement à l’écart émaner de l’intérieur de la chambre. Au
de l’agitation mondaine, loin de toute bout d’un moment, il ne put résister à la
préoccupation temporelle, plongé dans curiosité. Il poussa doucement la porte
une profonde et imperturbable méditation. et l’entrouvrit. Il n’en crut pas ses yeux.
Il perdait régulièrement conscience du Le corps du Mahāsvāmī� était couvert
monde extérieur et, malheureusement, de cendres. Il était dans la posture de
ses états extatiques ne furent pas danse de Ś� iva en tant que Naṭarāja. Il se
toujours compris par son entourage, tenait en équilibre sur le pied droit, la
en particulier par l’administrateur du jambe gauche soulevée et les deux bras
Ś� āradā Pī�ṭham de l’époque. L’état au-delà écartés. La musique continuait de jouer…
de la conscience du corps dans lequel La pièce était sombre de part en part, à
il se trouvait est celui que la Tradition l’exception de l’endroit où le Mahāsvāmī�
nomme « avadhūta-sthiti » — un état se tenait dans la posture de Naṭarāja. Ne
de liberté intérieure inconditionnelle souhaitant pas être découvert, Manja
et par conséquent permanente, sans ferma la porte à contrecœur. Il retourna
lien avec les contingences de ce monde dans son lit mais ne put trouver le
qui vont et viennent, affranchi de toute sommeil. Comment l’eût-il pu ? Même s’il
convention sociale. En cela, il rappelait le était le témoin oculaire de ce drame divin,
grand avadhūta Ś� rī� Sadāśiva Brahmendra il avait du mal à croire ce qu’il avait vu. Le
(ou « Sadāśivendra, disciple du Gracieux lendemain matin, lorsque Manja ouvrit
Parama Ś� ivendra », comme il se désignait la porte, le Mahāsvāmī� était réveillé et sa
lui-même). Il affectionnait d’ailleurs première question fut : 'Manja, tu ne dors
particulièrement l’autobiographie pas la nuit ?'. Le Mahāsvāmī� savait ce qui
spirituelle de ce dernier, un chef d’œuvre s’était passé, parce que son état était celui
de la poésie sanskrite nommé Ātmā- du Sahaja Samādhi, dans lequel la félicité
Vidyā-Vilāsa. Il se référait souvent à ce intérieure de l’Etre n’est pas perturbée
texte dont il avait mémorisé chaque mot par la conscience des objets extérieurs. » 22
et qu’il chantait volontiers dans des états Cet état d’intériorisation
de conscience défiant toute tentative s’intensifia au retour de la tournée qu’il
d’explication rationnelle21. dût effectuer, de 1924 à 1927, dans divers
Le Jagadguru vivait, le plus clair de Etats du Sud de l’Inde pour exaucer le
son temps, en réclusion dans sa chambre. vœu de Ś� rī� Kṛṣṇarāja Udayar, le Mahārāja

126
de Mysore. Ainsi qu’en témoigne Ś� rī� Svāmī� et de la façon de leur choix. Ce pouvoir est
Jñānānanda Bhāratī� dans un des divers désigné par les termes « svecchā-mṛtyu »
ouvrages qu’il consacra à ce Jagadguru : ou « icchā-mṛtyu» ou encore « icchā-
« Quand Sa Sainteté devint totalement maraṇam ». Le redoutable archer Bhī�ṣma
indifférente aux affaires matérielles d’Hastināpur, fils de Ś� antanu, roi des
du Math, le gouvernement de Mysore Kurus, et de la déesse Gaṅgā, bien connu
intervint et prit en charge la gestion. pour son vœu de célibat narré au début du
Ceci aida grandement Sa Sainteté à Mahābhārata, était doté de ce pouvoir.
disposer de plus de temps à passer dans Etait-ce également le cas de Ś� rī�
son état de communion intérieure. Il Candraśekhara Bhāratī� ?
effectua un nouveau voyage à Kaladi en Son disciple et successeur à la
1940 et retourna à Ś� ṛṅgeri dans les dix tête du Śāradā Pīṭham, le grand yogi Ś� ri
mois. Hormis l’enseignement qu’il devait Abhinava Vidyātī�rtha Mahāsvāmigal,
donner aux jeunes Svāmī�s et les entretiens fit examiner son corps pour vérifier si
occasionnels qu’il accordait à de chanceux l’estomac était rempli d’eau, ce qui eût
disciples, il était complètement retiré du indiqué un décès par noyade. Il n’en
monde. Même lorsque des milliers de contenait pas une goutte.
dévots arrivèrent en masse des quatre
coins de l’Inde pour assister aux rituels Le dialogue intitulé « Destin
Sahāsrā Caṇḍī et Ati Rudra Yāga à Ś� ṛṅgeri et libre arbitre » («Fate and free-
en 1953, il n’éprouva aucun désir de will»), dont nous proposons ci-après
sortir. »23 une traduction française inédite est
Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī� un de ces entretiens que le Jagadguru
III quitta ce monde le 26 septembre Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī� accordait à
1954 (toujours un dimanche) dans des des disciples de passage, auxquels fait
circonstances aussi déroutantes pour référence Svāmī� Jñānānanda Bhāratī�
le commun des mortels que l’existence dans l’extrait susmentionné. Ce dialogue
qu’il mena ici-bas. Avant l’aube, il est constitué de trois parties : « Une
descendit les marches menant à la rivière vaine investigation » («A futile enquiry»),
Tungā qui borde les temples du Pīṭham, « Le destin, un guide de conduite »
prit la position du lotus (Padmāsana), («Fate and guide to conduct»») et « La
fit quelques prāṇāyāmas et entra en fonction des Śāstras 24 » («Function of the
Mahāsamādhi. Il dériva dans cette position shastras»). Il est extrait du livre Dialogue
jusqu’au bord de la rivière. Le pouce et with the Guru, publié en 1957 en Inde,
l’index de chaque main formaient le cin avec une préface de Paul Masson-Oursel
mudrā, représentant l’unité entre l'Ātman (1882-1956)25, un orientaliste français
et Brahman, le Soi véritable et l’Absolu. Son qui fut professeur à l’É� cole Pratique des
visage était, dit-on, lumineux comme un Hautes Etudes (EPHE).
astre. Les écritures du Sanātana-Dharma Brahman ou l’Absolu étant la
rapportent le pouvoir de certains yogis Pure Conscience immuable, au-delà des
avancés de quitter ce monde au moment noms (nāma), des formes (rūpa), des

127
Extrait de la Katha Upaniṣad (Photo de Ms Sarah Welch)
actions (karma), des facteurs d’actions A l’inverse, selon la révélation védique, le
(kāraka) et des résultats (phala)26, des destin (prārabdha) est le propre karma-
notions comme celles du libre arbitre phala de l’individu, soit le fruit des actions
(svātantryam)27 et du destin (prārabdha)28 accomplies par ce dernier lors de ses
qui sont deux temps de l’action selon les précédentes existences.
Śāstras, nous ramènent forcément dans le Le Jagadguru corrige l’erreur
domaine relatif. A l’évidence, le concept d’appréciation du disciple concernant
même de libre arbitre n’a de sens qu’en sa vision du destin et lui enseigne, entre
rapport avec une individualité limitée, autre, qu’il n’existe pas de conflit ou
conditionnée par l’espace, le temps et la d’opposition de nature entre le destin et
causalité et non avec le vrai Soi (Ātman) qui le libre arbitre dans le Vedānta : bien que
est la seule réalité insubvaluable29 sur le les deux puissent sembler opposés, les
plan absolu. C’est donc logiquement que le écritures ne les distinguent qu’en rapport
Jagadguru aborde le sujet principalement au facteur Temps :
du point de vue relatif dans le dialogue - le destin en cours (prārabdha-
ci-après ; d’autant que le disciple qui karma) est déterminé par les conséquences
l’interroge ne semble pas très avancé dans de l’exercice passé du libre arbitre, c’est-
sa compréhension de l’Advaita-Vedānta, à-dire par le résultat des actes accomplis
si l’on en juge à sa croyance en une sorte dans les naissances antérieures (pūrva-
de « puissance » qui fixerait le cours des janma-karma-phala). Plus précisément,
événements irrévocablement, en privant il s’agit de cette fraction du résultat des
l’individu de son libre arbitre, une actions destinée à se manifester au cours
« puissance » qui serait arbitrairement de la présente existence, ce qui signifie,
imposée à l’être humain indépendamment concrètement, qu’elle sera expérimentée
de sa volonté et de ses actes, par quelque sous forme de plaisir ou de souffrance
divinité arbitraire et totalitaire, traduisant selon la nature des actions dont le fruit est
la prédestination absolue de toute chose. parvenu à maturité ;

128
- le destin futur (āgāmi-karma) la moindre action de la vie présente est
dépend de l’exercice actuel du libre prévue avant ou depuis la naissance.
arbitre, c’est-à-dire par le résultat des D’autant que le destin comme l’action
actes accomplis dans cette vie (vartamāna- dont il est le résultat est nécessairement
karma) qui ne sont pas fixés à l’avance. conditionné par l’espace, le temps et la
Dans la majorité des cas, l'āgāmi-karma causalité. L’action est inéluctablement
est constitué d'actes méritants et d'actes limitée et il en est de même de ses effets
déméritants, c’est-à-dire, dans un contexte — tel le destin.
védique, d’actes enjoints par les Śāstras La Katha Upaniṣad (II, 1-2)
et d’actes contraires aux Śāstras. Le libre enseigne également que l’être humain
arbitre joue dans l’accomplissement des jouit d’un libre arbitre du point de vue
deux types d’acte, sous l’influence des relatif, puisqu’il a le choix entre deux
bonnes ou des mauvaises tendances de chemins de vie : śreyas et preyas. Ś� reyas
l’individu qui elles-mêmes proviennent est le chemin de ce qui est préférable et
de bonnes ou de mauvaises actions preyas celui de ce qui est plaisant. Choisir
antérieures.30 le chemin de preyas, de ce qui est plaisant,
Bien qu’il soit assujetti à revient pour l’être humain à rechercher
l’ignorance ontologique, le jīva qui éprouve ce qui est immédiatement agréable : les
tel ou tel désir développe en conséquence plaisirs sensoriels. Choisir le chemin de
une volonté propre qu’il met en œuvre śreyas, de ce qui est préférable, revient
pour atteindre l’objet de son désir au pour l’être humain à rechercher ce qui est
moyen de l’action, comme l’enseigne le ultimement agréable : l’accomplissement
Ṛṣi Yājñavalkya dans la Bṛhadāraṇyaka spirituel. Dans la Bhagavad-gītā (XVIII,
Upaniṣad (IV, iv, 5)31 : 37-38), en décrivant les deux premières
des trois sortes de bonheur (sukham) en
kāmamaya evāyam puruṣa iti | fonction du guṇa34 dont elles procèdent,
Sa yathākāmo bhavati tat kratur- Kṛṣṇa enseigne à Arjuna que ce qui paraî�t
bhavati | être du poison au début devient de
yat kratur-bhavati tat karma kurute I l’ambroisie à la fin, alors que ce qui est
yat karma kurute tad-abhisampadyate II32 comme de l’ambroisie au début s’avère
n’être qu’un poison à la fin, le premier cas
« L’Homme est identifié à son désir seul. s’appliquant aux efforts spirituels « car ils
Selon son désir, il exerce sa volonté. impliquent une grande lutte » commente
Selon sa volonté, il agit. Ā� di Ś� aṅkara, et le second aux plaisirs
Selon son acte, il atteint tel ou tel sensoriels.
résultat. » 33 Certes, quelques passages extraits
du « triple canon35 » sur lequel se fondent
Sur le plan empirique, le désir toutes les lignées orthodoxes (āstika) du
détermine donc la volonté d’une personne Vedānta peuvent paraî�tre contradictoires
et seule la volonté détermine ses actions. au non initié au sujet du destin. Par
Il serait donc erroné de prétendre que exemple, le verset 33 du chapitre III de la

129
Bhagavad-gītā 36 : nul n’est exempt d’attachements (rāgas)
et d’aversions (dveśa) variés qui en sont
sadṛśaṃ ceṣṭate svasyāḥ l’effet direct. Ces vāsanās influencent la
prakṛterjñānavānapi | production du désir qui se situe en amont
prakṛtim yānti bhūtāni nigrahaḥ kim de tout acte humain ; mais que l’on cède à
kariṣyati || ce désir en le concrétisant par une action
ou que l’on décide de le maî�triser dépend
« Tout le monde, y compris le sage, agit de notre volonté propre. « Nul ne doit
selon sa propre nature. tomber sous leur influence » dit Kṛṣṇa ;
Tous les êtres suivent leur nature. Que autrement dit, Kṛṣṇa enjoint de se libérer
pourrait y faire la restreinte. » de l’emprise aveuglante et liberticide des
vāsanās par l’usage lucide et souverain de
Comme beaucoup de passages la volonté propre, du libre arbitre ou de
de la Bhagavad-gītā ou des Upaniṣads, ce l’effort individuel entendu comme effort
verset s’inscrit dans un contexte particulier de mise en conformité avec les injonctions
et doit être interprété en fonction de celui- des Śāstras, c’est-à-dire avec le dharma ou
ci; en l’occurrence, ce verset ne peut ni ne l’ordre universel (ṛtam)38. Le jīva a donc la
doit être interprété à la lettre, afin d’éviter possibilité d’apprendre, de comprendre,
de tirer des conclusions erronées sur la d’évaluer et de rejeter les « demandes »
portée de la Bhagavad-gītā. Précisément, incessantes de ses vāsanās. C’est un aspect
dans son commentaire sur ce verset, important du travail que doit accomplir le
Ś� aṅkara objecte que si chacun agissait de karma-yogi39. . ’La notion de libre arbitre
façon totalement contrainte par la nature fait donc notamment appel à ses capacités
(prakṛti), les Śāstras n’auraient plus de d’évaluer, de délibérer et de décider, qui
raison d’être, en particulier les injonctions sont des fonctions de buddhi, l’intellect.
d’ordre moral ou éthique. Il indique, Par exemple, les vāsanās d’une personne
ensuite, que la réponse au verset 33 est diabétique de type 2 ou celles d’un fumeur
donnée au verset 34 : leur dicteront respectivement de manger
du sucre ou de fumer, mais s’ils font
indriyasyendriyasyārthe rāgadveṣau preuve de suffisamment de discernement
vyavasthitau | d’une part, et de volonté d’autre part, ils
tayor na vaśamāgacchettau hyasya feront le choix de s’en abstenir.
paripanthinau || L’apparente contradiction des
écritures au sujet du destin et du libre
« L’attachement (rāga) et l’aversion arbitre peut donc s’expliquer par une
(dveśa) envers chaque objet des sens analyse hors contexte comme nous
résident dans les sens, venons de le voir, soit par l’ignorance
Nul ne doit tomber sous leur influence. Ils du sens impliqué des mots (lakṣyārtha)
sont, en effet, ses ennemis. » qui doit être connu sans se contenter du
sens littéral (vācyārtha), ce qui nécessite
Nul n’étant exempt de vāsanās37, l’éclairage d’un détenteur des méthodes

130
d’exégèse validées par la tradition40. Elle une sorte de marionnette à fils entre les
peut enfin s’expliquer par le fait que les mains d’Īśvara44. En revanche, quand
écritures du Vedānta considèrent tout cette perception erronée d’être l’agent et
objet et tout concept selon deux points de le patient est corrigée, le jī�va réalise non
vue principaux41. En simplifiant: seulement que seul le sens de l’ego est lié
- le point de vue absolu nommé par le destin et non le Soi, mais surtout
pāramārthika-dṛṣṭi qui enseigne une que l’ego est ultimement inexistant
vérité qui n’est pas subvaluable par une et que le vrai Soi est éternellement
vérité supérieure, dans aucune des trois libre. Eternellement libre de tout
périodes du temps ; conditionnement, le Soi est libre du destin
- le point de vue relatif ou mais aussi du libre arbitre ou de la
empirique nommé vyāvahārika-dṛṣṭi, « libre volonté », expression qui exprime
qui enseigne des vérités ou réalités une contradiction dans les termes : la
susceptibles d’être subvaluées à tout liberté absolue implique aussi la liberté
moment par la connaissance du point de vis-à-vis de toutes les volontés, c’est-à-
vue supérieur ou pāramārthika-dṛṣṭi. dire l’absence de manque ou d’espace
nécessaire à l’émergence d’un « vouloir »
Le concept même de libre
relatif et limitant qui est toujours fondé sur
arbitre n’a de sens qu’en l’ignorance. Telle est Mokṣa, la Libération
rapport avec une individualité du cycle de la transmigration.
limitée, conditionnée par Négation n’est pas dénégation et
l’espace, le temps et la si la réalité du libre arbitre est niée sur le
causalité. plan absolu, son existence ne doit pas être
Du point de vue absolu, en l’absence déniée à l’être humain sur le plan relatif.
de la connaissance juste (samyag-jñāna) Bien que le jīva soit assujetti à l’ignorance
du vrai Soi qui est éternellement libre par ontologique, le Vedānta accepte
nature, l’exercice du libre arbitre ne peut provisoirement l’existence du libre arbitre
être qu’une illusion puisqu’il repose sur sur le plan relatif ou empirique, comme
l’ignorance (avidyā). Or l’ignorance n’est présupposition de la responsabilité morale
pas une simple absence de connaissance et de l’éthique. Si tout était prédéterminé,
mais un ensemble de connaissances et l’initiative individuelle serait logiquement
de perceptions erronées (mithyā-jñāna), impossible et il ne serait plus nécessaire
comme le sentiment d’être l’agent (kartā) d’accomplir le moindre effort dans aucun
ou le patient (bhoktā)42. En ce sens, la des domaines de l’activité humaine au
Chāndogya Upaniṣad (VIII, 1-6) enseigne cours de l’existence, ce qui serait non
qu’il n’y a de réelle liberté, dans aucun des seulement absurde mais contradictoire
trois mondes43, pour l’Homme qui n’a pas avec les injonctions des Śāstras.
la Connaissance directe du Soi (Ātman). Indéniablement, si la discipline et l’effort45
En ce sens aussi que la Kauṣītaki Upaniṣad sans tension excessive (l’effort sattvique)
(III, 8) décrit le jīva, l’individu encore sous sont enjoints par les écritures, c’est qu’ils
le joug de l’ignorance ontologique, comme contribuent à l’atteinte de la connaissance

131
du Soi, par la maî�trise de soi prônée entre Ajoutons que la doctrine du
autre par Kṛṣṇa dans la Bhagavad-gītā karma (qui est admise par l’ensemble
47

(XV, 11). des darśanas48 orthodoxes du Sanātana-


Doué d’un libre arbitre, le jī�va dharma), en vertu de laquelle pour
doit conformer ses actes à ce qui est juste, chaque action il y a une conséquence
au dharma, s’il souhaite générer un fruit proportionnée dans la vie de l’agent, repose
invisible appelé puṇyam ou mérite. On le d’une certaine manière sur l’existence du
nomme alors « puṇyavan ». Il peut aussi libre arbitre. Selon cette loi de la cause
faire usage de ce libre arbitre pour aller à et de l’effet, l’action (karma) produit
l'encontre de ce qui est juste et engendrer, deux types de résultats, l’un immédiat et
ainsi, un fruit invisible appelé pāpam ou l’autre différé. Le résultat immédiat est
démérite, qui se manifestera tôt ou tard, appelé « dṛṣṭa phala » ou « fruit visible »
dans cette vie ou une vie future, en tant de l’acte. Le résultat différé est appelé
que duḥkham ou souffrance. On le nomme « adṛṣṭa phala » ou « fruit invisible » de
alors « pāpī ». Les résultats des actions l’acte. Concrètement, selon les mérites et
du jīva sont le fruit de la loi universelle les démérites individuels résultant des
du karma gouvernée par le dharma, qui actes, Ī�śvara qui est omniscient répartit
est la manifestation même d’Īśvara (ce équitablement pour chacun les conditions
dernier se manifestant dans l’Univers en de vie (jāti), la durée de vie (āyuh) et le
tant qu’ordre cosmique et intelligence type d’expériences (bhoga) en fonction
universelle). en tant que fruit ou résultat des actions
Si tout était entièrement accomplies dans les existences passées et
prédéterminé sur le plan relatif, on qui n’ont pas encore donné de fruit.
aboutirait, selon le Vedānta, à une double Nous sommes, d’un point de vue
impasse, éthique et métaphysique : relatif, l’auteur de nos actions, puisque
éthique parce qu’Ī�śvara serait responsable nous avons le libre arbitre d’agir, de ne
des actions, bonnes et mauvaises, des êtres pas agir ou d’agir autrement, mais nous
humains ; métaphysique parce que cette ne sommes en aucun cas l’auteur de leurs
idée fallacieuse « impliquerait qu’Ī�śvara résultats qui sont régis par plusieurs
soit responsable de toutes choses alors facteurs. Ce sont donc les fruits invisibles
qu’il n’est en vérité ni un agent (kartā) ni ou adr̥ ṣṭa-phala de l’action qui produisent
un patient (bhoktā). Même en considérant les facteurs imprévisibles de notre
qu’Iśvara connaî�t le passé, le présent et le existence et les effets du destin.
futur en raison de son omniscience, il n’est La force et le caractère
pas pour autant l’auteur ou l’agent de tout imprévisible du karma et la manière de
cela ni par conséquent celui qui décide de s’y adapter peuvent être diversement
tout à l’avance, mais le Témoin immuable exemplifiées. Un exemple classique est
et pour Lui rien de tout cela n'est donc celui d’un nageur tentant de traverser une
réel », ainsi que l’explique Ś� rī� Svāmī� rivière. Bien que nageant vers la bonne
Yogānanda Sarasvatī�, disciple de l’actuel destination, le trajet du nageur peut être
Jagadguru de Ś� ṛṅgeri46. dévié par le courant de la rivière. Dans cet

132
Temple de Śaṅkara à Śrīnagar au Jammu et Cachemire (Photo de Divya Gupta)
exemple, la direction choisie par le nageur destin et celle du moteur au libre arbitre :
représente nos efforts pour atteindre un « …un navire flottant sur une rivière se
objectif. Même lorsque nos efforts sont déplacera à la même vitesse que la rivière,
orientés de manière appropriée vers nos mais si le navire est équipé d’un moteur
objectifs, les résultats peuvent différer du et piloté par un navigateur intelligent, il
résultat que nous attendions. Le parcours aura son mouvement propre même s’il est
du nageur est donc déterminé par deux conditionné par le courant de la rivière.
facteurs: la qualité de notre discernement Supposons que les eaux de la rivière
(pour adapter par exemple sa direction en se déplacent à deux nœuds à l’heure.
tenant compte du courant) et de l’effort Lorsque le compteur de vitesse du navire
produit par le nageur d’une part et, d’autre indique dix nœuds à l’heure, il se déplace
part, la force du courant. De la même à une vitesse de 12 nœuds à l’heure s’il
manière, le résultat de chaque action est descend la rivière [avec l’aide du courant],
dû à deux facteurs: notre effort personnel mais à seulement huit nœuds à l’heure s’il
et les résultats différés de nos actes passés la remonte [à contre-courant]. Le courant
(le destin). de la rivière sera toujours là; mais grâce
Afin d’exprimer cette même idée, au moteur [qui représente la volonté
Svāmī� Chinmayānanda Sarasvatī� (1916- individuel, l’effort, NdT] et à l’intelligence
1993) propose la métaphore d’un navire du conducteur, le navigateur a maintenant
à moteur navigant sur une rivière dont la une liberté de mouvement limitée. 49 »
vitesse du courant peut être comparée au Bien sûr, la « liberté » reste

133
limitée50. La volonté humaine n’est pas du cycle de la transmigration par la
toute-puissante. Notre force physique connaissance du Soi), est peu probable
est limitée. Nos capacités mentales sont s’il n’est pas né dans pays ou une famille
limitées. Les conséquences de nos actions imprégnés de la culture védique. En ce
antérieures (notre prārabdha-karma) sens, le destin, dont fait partie le lieu de
ainsi que le libre arbitre des autres naissance, détermine largement nos choix
individus, etc., constituent des facteurs individuels.
limitants indéniables. L’influence de ces L’image classique utilisée pour
facteurs réduit les l’étendue des choix illustrer le fait que notre liberté est limitée
qui s’offrent à un individu au cours de est celle de la vache attachée par une corde
son existence, dans une mesure variant à un poteau. Elle est libre d’agir à son gré,
sensiblement d’un individu à l’autre51. dans la limite de la longueur de sa corde !
La culture maternelle, pour commencer, L’être humain, en ce qui le concerne,
conditionne considérablement la majorité est libre d’agir selon son désir dans la
des individus et réduit leur champ des limite de la « corde » invisible des trois
possibles. A la fin d’un enseignement guṇas54 (litt. « corde ») à laquelle il est
oral sur les Bhakti-sūtras du sage attaché. Toutefois, il existe une différence
Nārada, Ś� rī� Svāmī� Paramarthānanda significative entre une vache ou tout autre
Sarasvatī�52, un éminent disciple de Svāmī� animal et un être humain. La naissance
Dayānanda Sarasvatī�, insiste sur la force humaine (nara-janma) est un don rare et
des conditionnements liés à la culture précieux, une des « neuf bénédictions »
maternelle. Par exemple, qu’un individu majeures énumérées par Ś� rī� Ś� aṅkara au
se fixe d’atteindre mokṣa53 (la Libération second verset du Vivekacūḍāmaṇi. Et

Temple de Gondeshwar (Photo de Abhideo21)

134
au verset suivant, lorsqu’il indique que finir sur les derniers mots prononcés par
trois choses sont très difficiles à obtenir, Sa Sainteté le Jagadguru dans le dialogue
il cite la naissance humaine en premier, qui suit.
puisqu’elle est la condition pour obtenir
les deux suivantes55. La naissance humaine
est considérée comme un privilège
rare et une grande bénédiction parce
que les êtres humains ont un intellect
(buddhi) et un libre arbitre (svātantryam)
contrairement aux autres formes de vie.
Ayant un intellect potentiellement aiguisé,
seuls les êtres humains sont conscients de
soi et peuvent poser la question ultime de
la nature réelle du Soi, faire la distinction
entre Ātman (le Soi réel) et Anātman (le
non-Soi) et finalement « atteindre » la
Libération.

En conclusion, il ressort de
l’enseignement des Śāstras et du dialogue
avec le Jagadguru que le libre arbitre a une
place et un rôle important dans le monde
relatif de la transmigration.
Les motivations de chacun, qui
déclenchent et déterminent les actions
qui permettent d’exercer une force sur
le destin, sont elles-mêmes déterminées
par le désir, comme l’indique le verset
de la Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, (IV, iv, 5)
susmentionné. Chacun peut d’ailleurs le
constater dans sa vie quotidienne. Quant à
la cause du désir, c’est l’ignorance, et c’est
pourquoi la connaissance du Soi met fin
à l’ensemble des désirs. Chaque individu
jouit donc de son libre arbitre pour agir en
bien ou en mal jusqu’à ce qu’il comprenne
que seule la connaissance de son véritable
Soi peut le libérer du samsāra et donc de
la souffrance56. Finalement, « Il ne reste
que la liberté pour toujours et cette liberté
s’appelle mokṣa [La Libération] », pour

135
Gaṇeśa (Photo de Dineshkannambadi)

136
Dialogue avec Śrī Candraśekhara
Bhāratī III

Un soir, un disciple approcha Sa Sainteté dans l’espoir de recevoir ses précieuses


instructions, mais ne parvint pas à trouver les mots pour exprimer son intention.
Sa Sainteté vint à son secours en entamant lui-même la conversation.

Une vaine investigation pose l’éternel conflit du destin et du libre


Sa Sainteté (S.S.). J’espère que vous arbitre. Quel est leur champ respectif et
poursuivez, comme il se doit, votre étude comment éviter le conflit qui les oppose ?
du Vedānta. S.S. Présenté comme vous le faites, ce
Disciple (D.). Je ne peux pas dire que j’étudie problème est effectivement complexe et
régulièrement, mais de temps en temps. susceptible de tenir en échec l’intellect
S.S. Vous avez dû faire face à de nombreux des plus grands penseurs.
doutes au cours de votre étude. D. Qu’est-ce qui ne va pas dans ma
D. Je n’ai pas étudié assez profondément présentation ? J’ai seulement fait état de
pour cela. mon problème et n’ai même pas expliqué à
S.S. Je ne pensais pas aux doutes qui quel point je le trouve difficile à résoudre.
apparaissent lorsque l’on tente de saisir S.S. Votre difficulté est la conséquence de
les subtilités techniques du système la façon dont vous présentez le problème.
du Vedānta, mais aux problèmes plus D. Pardon ?
ordinaires que rencontre quiconque S.S. Un conflit n’est concevable et possible
s’efforce de mener une réflexion en qu’en présence de deux choses. Il ne peut
profondeur. y avoir de conflit s’il n’y a qu’une seule
D. Les doutes de cet ordre sont nombreux, chose.
c’est certain. D. Mais, en l’occurrence, il y a bien deux
S.S. Accepteriez-vous d’exprimer l’un deux choses : le destin et le libre arbitre.
et de m’indiquer comment vous avez tenté S.S. C’est précisément cette hypothèse qui
de le dissiper ? est responsable du problème qui se crée
D. Je pourrais mentionner un doute qui dans votre esprit.
assaille régulièrement mon esprit et que D. Ce n’est aucunement une hypothèse
je n’ai pas encore réussi à solutionner. Je personnelle. Nul ne peut ignorer le fait qu’il
saurais gré à Votre Sainteté si elle voulait s’agisse de deux facteurs indépendants, que
bien le résoudre pour moi… l’on reconnaissance ou pas leur existence.
S.S. Je vous en prie, dites. S.S. Là encore vous faites erreur.
D. Il s’agit ni plus ni moins du problème que D. Comment ?

137
Temple de Sri Lakshminarayana, Hosaholalu (Photo de Bikashrd)
S.S. En tant qu’adepte de notre Sanātana impossible de faire fi.
Dharma57, vous devriez savoir que le S.S. Je ne veux pas que vous en fassiez fi,
destin n’est rien d’extérieur à vous-même, mais tout simplement que vous l’analysiez
mais qu’il n’est que la somme totale plus profondément. Le présent est en
des résultats de chacune de vos actions quelque sorte « devant vous » [autrement
passées. Īśvara 58 étant le dispensateur dit, vous pouvez en faire l’expérience
des fruits de l’action, le destin, représenté directe, NdT], vous pouvez donc essayer
par ces fruits, n’est pas Sa création mais la de le façonner par l’exercice de votre libre
vôtre uniquement. Et le libre arbitre est ce arbitre. Le passé est le passé et, de ce fait,
que vous exercez lorsque vous agissez ici se situe en dehors de votre capacité de
et maintenant. perception [directe] ; aussi est-il à bon
D. Je ne vois toujours pas en quoi ce ne escient appelé adṛṣṭa, « invisible ». Vous
seraient pas deux choses différentes. ne pouvez pas, raisonnablement, essayer
S.S. Efforcez-vous de voir les choses de mesurer la force relative de deux
autrement. Le destin est le karma passé, le choses à moins que les deux puissent
libre arbitre le karma présent. Bien qu’ils faire l’objet d’une perception [directe].
diffèrent du point de vue temporel, les Or, par définition, seul le karma présent
deux sont un en réalité : le karma. Etant est visible, tandis que le destin, le karma
un, ils ne peuvent entrer en conflit. passé, est invisible. Quand bien même vous
D. Mais la différence temporelle est verriez deux lutteurs accroupis devant
une différence déterminante dont il est vous, vous ne pourriez juger de leur force

138
relative. L’un pourrait être lourd, l’autre Le destin, un guide de conduite
agile ; l’un être musclé, l’autre tenace ; D. Votre Sainteté veut-elle dire que nous
l’un bénéficier d’une grande expérience, devrions nous résigner à notre destin ?
l’autre être capable de garder la tête froide S.S. Certainement pas. C’est précisément
en toute circonstance et ainsi de suite. Sur le contraire : vous devez vous dévouer à
la base de la comparaison de ces qualités, l‘exercice de votre libre arbitre.
on pourrait construire un argumentaire D. Comment est-ce possible ?
dans l’objectif de démontrer que tel S.S. Le destin, ainsi que je vous l’ai déjà dit,
ou tel lutteur sera le vainqueur. Mais est la conséquence de l’exercice de votre
l’expérience enseigne que l’une ou l’autre libre arbitre dans le passé. En exerçant
de ces qualités pourrait faire soudain votre libre arbitre dans le passé, vous avez
défaut lors du combat, voire entraî�ner obtenu le destin qui en résulte. En exerçant
une disqualification. Par conséquent, votre libre arbitre dans le présent, mon
la seule méthode à la fois raisonnable, vœu est que vous affaiblissiez les effets
pragmatique et sûre pour déterminer des actes du passé s’ils sont cause de
leur force respective consiste à leur souffrance, ou que vous les renforciez si
demander de combattre. Puisqu’il en est vous les estimez désirables. Dans tous les
ainsi, comment comptez-vous trouver cas, que ce soit pour accroî�tre le bonheur
une solution au problème de la puissance ou atténuer le malheur, vous devez exercer
relative du destin et du libre arbitre au votre libre arbitre dans le temps présent.
moyen de l’argumentation, alors que D. Mais le libre arbitre, aussi bien exercé
celui-ci est, par nature, « invisible »? soit-il, échoue très souvent à produire
D. N’y a-t-il donc aucun moyen de résoudre le résultat souhaité puisque le destin
ce problème ? intervient et annule son action.
S.S. Si, il en existe un : les lutteurs doivent S.S. Vous n’avez pas encore compris notre
combattre et prouver, ainsi, lequel des définition du destin. Ce n’est pas quelque
deux est le plus fort. chose qui vous est étranger, quelque
D. Autrement dit, la problématique du chose de nouveau qui interviendrait de
conflit ne sera résolue qu’à l’issue du conflit. l’extérieur pour annihiler votre libre
Mais, alors, la problématique cessera arbitre. Au contraire, le destin est déjà en
d’avoir le moindre intérêt pratique. vous.
S.S. Pas seulement. Elle cessera aussi D. C’est certainement le cas, mais son
d’exister. existence ne s’éprouve que lorsqu’elle
D. Donc, avant le commencement du conflit entre en conflit avec l’exercice du libre
le problème est insoluble et à l’issue du arbitre. Comment pouvons-nous éliminer
conflit ce n’est plus nécessaire de trouver les conséquences d’actes du passé que
une solution. non seulement nous ignorons, mais que
S.S. Tout à fait. Dans les deux cas, il est nous n’avons en outre aucun moyen de
vain de se lancer dans une investigation connaître ?
au sujet de la force relative du destin et du S.S. Exception faite de rares âmes très
libre arbitre. avancées, le passé reste bien sûr inconnu.

139
Du reste, cette ignorance du passé est être accompli et répété. Si nous échouons
très souvent un bienfait. En effet, si complètement à la première tentative,
nous avions connaissance de l’immense nous pouvons facilement en déduire
variété de résultats [karmiques] que que nous avions, jadis, exercé notre libre
nous avons accumulés en conséquence arbitre dans la direction opposée, que
de nos actes au cours de cette existence l’effet de cette action passée doit d’abord
et d’innombrables existences antérieures, être éliminé et nos efforts actuels être
nous serions tout simplement abasourdis proportionnés à ceux qui furent déployés
par leur ampleur, leur quantité, et dans le passé [dans le sens opposé]. Ainsi,
abandonnerions, désespérés, toute l’obstacle que semble dresser le destin
tentative de les surmonter ou de les n’est autre que la « jauge » qui nous
atténuer. Même dans la présente existence, permet de juger de la direction à donner à
l’oubli est une bénédiction que le Seigneur notre conduite actuelle.
miséricordieux nous a accordée ; à D. L’obstacle n’étant visible qu’après que
défaut, nous serions susceptibles de nous nous avons exercé notre libre arbitre,
écrouler à tout moment sous le poids du comment peut-il nous aider à guider nos
souvenir de tout ce qui est advenu dans actions à l’avance ?
le passé. Ainsi, l’étincelle divine continue SS. Nul besoin qu’il nous guide à l’avance.
de briller en nous grâce à l’espérance et Au début, vous ne devez en aucun cas
nous permet d’exercer notre libre arbitre être obsédé par l’idée qu’un quelconque
avec confiance. Nous ne devrions jamais obstacle pourrait éventuellement se
sous-estimer l’importance de ces deux dresser sur votre chemin. Commencez
bénédictions : la capacité d’oublier le avec une confiance sans limite et la
passé et d’espérer pour l’avenir. conviction que rien ne pourra faire
D. L’oubli du passé peut être utile afin de obstacle à l’exercice de votre libre arbitre.
ne pas se dissuader d’exercer notre libre En cas d’échec, dites-vous que c’est parce
arbitre et l’espérance peut stimuler cet que vous avez vous-même généré une
exercice. Pour autant, il est indéniable que influence contraire en exerçant, jadis, votre
le destin dresse, souvent, de redoutables libre arbitre dans la direction opposée.
obstacles sur notre chemin, qui entravent Vous devez donc exercer, maintenant,
l’exercice du libre arbitre. votre libre arbitre avec une force et une
SS. Il n’est pas tout à fait correct de dire constance redoublées pour atteindre
que le destin entrave le libre arbitre. votre objectif. Dites-vous que, dans la
En réalité, en paraissant s’opposer à mesure où c’est vous qui avez créé cet
nos efforts, il nous indique la force avec obstacle, vous êtes également capable de
laquelle nous devons, désormais, exercer le surmonter. Ne désespérez pas si jamais
notre libre arbitre afin que son exercice vous ne réussissiez pas, même après de
soit fructueux. D’ordinaire, lorsque tel ou nombreux efforts. Le destin ne peut être
tel acte est prescrit en vue d’atteindre tel plus puissant que votre libre arbitre dont
ou tel objectif, nous ignorons avec quelle il n’est qu’une création. Cet échec signifie
intensité ou avec quelle fréquence il doit seulement que la force avec laquelle vous

140
exercez votre libre arbitre actuellement dépend du nombre de coups qui l’ont
n’est pas suffisante pour contrecarrer entraî�née, de l’intensité de chacun de ces
l’effet produit par l’exercice passé de celui- coups et de la résistance du bois.
ci. Autrement dit, le problème n’est pas le D. Absolument.
rapport de proportionnalité entre deux S.S. Le nombre et l’intensité des tirages
supposés facteurs distincts de l’existence nécessaires pour retirer le clou dépendent
que seraient le destin d’un côté et le libre donc du nombre et de l’intensité des coups
arbitre de l’autre, mais le rapport de qui l’ont enfoncé.
proportionnalité entre la force d’une D. Oui.
action que nous avons accomplie dans le SS. Mais vous n’avez pas vu les coups qui
passé et la force d’une action accomplie ont enfoncé le clou et ils sont maintenant
présentement. « invisibles ». Ils se rapportent au passé et
D. Mais là encore, l’intensité relative de sont adr̥ ṣṭa.
chacune ne peut être connue qu’à l‘issue D. Oui.
de notre effort actuel dans une direction S.S. Devons-nous abandonner notre
particulière. tentative de retirer le clou du simple
SS. C’est le cas pour tout ce qui est adr̥ ṣṭa fait que nous ignorons quelle longueur
ou invisible. Prenons l’exemple d’un clou a pénétré dans le bois ou le nombre et
enfoncé dans un pilier en bois. Lorsque la force des coups qui l’ont enfoncé? Ou
vous le voyez pour la première fois, vous persister, persévérer pour le retirer en
n’en apercevez vraiment, disons, qu’un augmentant le nombre et l’intensité de
pouce qui dépasse du pilier. Le reste est nos efforts actuels ?
rentré dans le bois et vous ne pouvez D. Par pragmatisme, nous opterons sans
plus, dès lors, voir quelle longueur exacte doute pour la dernière option.
du clou est enfoncée. Cette longueur est S.S. Optez pour cette option pour chacun
donc invisible ou adr̥ ṣṭa, du moins pour des efforts que vous accomplissez.
vous. Si ce pilier est soigneusement verni, Exercez-vous autant que possible. Votre
vous ne pouvez pas non plus savoir quelle volonté doit finir par triompher.
est la composition du bois dans lequel le
clou est planté. Cela aussi est invisible La fonction des Śāstras
ou adr̥ ṣṭa. Supposons, maintenant, que D. Mais beaucoup de choses nous restent
vous vouliez retirer ce clou : pouvez- inaccessibles, certainement, même en
vous me dire combien de tirages seront faisant les plus grands efforts.
nécessaires et quelle devra être la force de S.S. Là vous vous trompez. Si une chose
chaque tirage ? existe, par définition elle doit pouvoir être
D. Comment pourrais-je déterminer le un objet d’expérimentation59. Rien n’est
nombre de tirages ? Le nombre et l’intensité vraiment inaccessible. Tout au plus une
des tirages dépendent de la longueur du chose peut-elle nous être inaccessible au
clou qui a pénétré dans le bois. stade où nous en sommes, ou en fonction
S.S. Tout à fait. Et la longueur qui a pénétré de nos qualifications. L’accessibilité ou
dans le bois n’est pas hasardeuse. Elle non de telle chose ou telle autre n’est

141
par conséquent pas une caractéristique votre propre destin. C’est à vous de le créer,
absolue de ces choses ; elle est seulement de l’améliorer ou de le gâcher. Tel est votre
relative à notre capacité personnelle à privilège. Telle est votre responsabilité63.
l’atteindre ou non. D. J’en suis bien conscient. Mais il arrive
D. Qu’un effort se solde par un succès ou un souvent que je ne sois pas vraiment maître
échec ne peut être connu de façon certaine de moi-même. Par exemple, tout en sachant
qu’à la fin. Comment pouvons-nous, dès très bien que tel ou tel acte est mauvais, je
lors, savoir à l’avance si, avec nos capacités me sens pourtant comme poussé à le faire.
actuelles, nous pouvons atteindre ou non De même, tout en sachant que tel ou tel
un objet donné, et quel type d’effort est autre acte est bon, je me sens impuissant à
approprié pour atteindre cet objet. l’accomplir. J’ai l’impression qu’il existe un
S.S. Votre question est très pertinente. pouvoir capable de contrôler ou de défier
L’objectif de nos Dharma Śāstras 60 est, mon libre arbitre. Tant que ce pouvoir
précisément, d’apporter une réponse est actif, comment puis-je vraiment être
détaillée à cette question. Ils analysent considéré comme le maître de mon propre
nos capacités, nos compétences, et destin? Qu’est ce pouvoir, si ce n’est le
prescrivent en fonction les actes destin?
spécifiques que toute personne dotée de S.S. Vous confondez, à l’évidence, deux
l’adhikāra 61 [de la qualification nécessaire] choses bien distinctes. Le destin est très
peut entreprendre. Les types d’actes différent de cette autre chose que vous
prescriptibles sont divers, innombrables, appelez « pouvoir ». Supposons que vous
parce que les capacités de chacun sont manipuliez un instrument pour la première
également variables et incalculables. fois. Vous le ferez très maladroitement
Réglementer la conduite ou, en d’autres malgré beaucoup d’efforts. La seconde
termes, mettre le libre arbitre sur les bons fois que vous l’utiliserez, vous le ferez
rails, les moins préjudiciables et les plus déjà moins maladroitement et avec
bénéfiques pour l’aspirant, est la principale moins d’effort. Grâce à de nombreuses
fonction de la religion. Une telle conduite, utilisations, vous aurez appris à l’utiliser
conforme à la réglementation, s’appelle facilement et sans effort. Autrement
svadharma62. La religion n’entrave pas dit, la dextérité et l’aise avec lesquelles
le libre arbitre de l’Homme, elle le laisse vous utilisez une chose croissent avec le
tout à fait libre d’agir, mais lui indique en nombre de fois que vous l’avez utilisée.
même temps ce qui est bon pour lui et L’utilisation répétée et habituelle de cette
ce qui ne l’est pas. La responsabilité est chose créera une tendance à l’utiliser. [Par
entièrement et seulement sienne. Il ne exemple], la première fois qu’un homme
peut pas y échapper en blâmant le destin, vole, il le fait avec beaucoup d’effort et
car le destin est sa propre création, ni en beaucoup de peur ; la fois d’après, ses
blâmant Īśvara, car Īśvara n’est que le efforts et sa peur sont moindres. À� mesure
dispensateur des fruits conformément au que les opportunités se présentent, voler
mérite [ou au démérite] des actions [qui devient pour lui une banale habitude
les engendrent]. Vous êtes le maî�tre de qui ne requiert plus aucun effort. Cette

142
habitude va générer une tendance à voler diriger par le bon courant des vāsanās
même lorsqu’il n’a aucune nécessité de et de ne pas vous laisser entraî�ner par le
le faire. C’est cette tendance que l’on mauvais. Quand vous savez qu’une vāsanā
appelle vāsanā.64. Le « pouvoir » qui fait particulière est en train d’émerger de
que vous agissez, en apparence, contre votre esprit, il n’est pas juste de dire que
votre volonté, n’est en réalité autre que vous êtes à sa merci. Vous avez toutes vos
la vāsanā qui est, elle-même, le produit facultés intellectuelles et la responsabilité
de votre volonté. Ce n’est pas le destin. de décider si vous allez l’encourager ou
Seule la punition ou la récompense, sous non est entièrement vôtre. Les Ś� āstras
forme de déplaisir ou de plaisir, qui est énoncent en détail quelles vāsanās sont
la conséquence, inévitable, d’un acte bonnes et doivent être encouragées
méritant ou déméritant, dépend du destin et quelles vāsanās seront mauvaises
ou de la destinée. La vāsanā que l’acte et doivent être maî�trisées. Lorsque, à
génère dans le mental sous la forme d’un force de pratique, toutes vos vāsanās
penchant, d’une plus grande facilité ou sont devenues bonnes et que vous avez
d’une plus grande tendance à refaire le pratiquement éliminé le risque d’être
même geste, est une tout autre chose. Il égaré par de mauvaises vāsanās, les Ś� āstras
se peut que la punition ou la récompense se chargeront de vous apprendre à libérer
d’un acte passé soit inévitable, dans des votre libre arbitre y compris du besoin
circonstances ordinaires, c’est-à-dire en d’être dirigé par de bonnes vāsanās. Vous
l’absence d’un contre-effort personnel serez progressivement conduit à un stade
[d’une intensité proportionnelle à où votre libre arbitre sera entièrement
l’acte passé] ; mais la vāsanā peut être exempt de toute sorte de « coloration »
facilement gérée à condition d’exercer due à des vāsanās. À� ce stade, votre
correctement notre libre arbitre. mental sera pur comme le cristal et tout
D. Mais le nombre de vāsanās ou de motif d’acte personnel cessera. La liberté
tendances qui régissent nos penchants à l’égard des résultats d’actes personnels
est infini. Comment pouvons-nous les est une conséquence inévitable67. Le
contrôler? destin et les vāsanās disparaissent. Il ne
S.S. La nature essentielle d’une vāsanā reste que la liberté pour toujours et cette
est de chercher à s’exprimer à travers liberté s’appelle mokṣa [La Libération]68.
l’accomplissement d’actes tournés vers
l’extérieur. Cette caractéristique est
commune à toutes les vāsanās, bonnes
et mauvaises65. Le flux de vāsanās, le
« vāsanā-sarit » comme on l'appelle, a
deux courants : le bon et le mauvais66.
Si vous essayez de contenir tout le flux,
il peut y avoir un danger. Les Ś� āstras
ne vous demandent donc pas de tenter
cela. Ils vous demandent de vous laisser

143
Varanasi (Photo de Mirrormundo)

Notes concernant l'introduction le point ajouté sous un "h" (ḥ) pour le


1 Selon cette norme, décidée visarga.
au Congrès des Orientalistes de 1912, 2 Parmi la longue lignée de
les termes sanskrits translittérés ne Jagadgurus (cf. note 9) du Pī�ṭham de Ś� ṛṅgeri
prennent pas de « s » final au pluriel fondé par Ā� di Ś� aṅkarācārya (788-820)
même dans des phrases françaises, par au IXème s. et hormis Ś� rī� Candraśekhara
exemple « Les Veda ». Pourtant, ainsi que Bhāratī� III, deux Jagadgurus seulement
le fait remarquer Ś� rī� Svāmī� Yogānanda naquirent à Ś� ṛṅgeri : le 31ème (Ś� rī� Abhinava
Sarasvatī� (Kaivalya Āśrama), « même en Saccidānanda Bhāratī� II, qui régna de
sanskrit, tout visarga [signe diacritique 1814 à 1817) et le 32ème (Ś� rī� Narasiṃha
dans l’écriture sanskrite devanāgarī] Bhāratī� VII, 1817 – 1879).
précédé d’un mot singulier ou pluriel 3 Ce qui correspond à une lune aux
a valeur de « s » et est même prononcé trois quarts lumineuse et, dans sa phase
comme un « s » dans beaucoup de cas obscure aux trois quarts sombre.
(par exemple « Namas-te »). D'ailleurs, 4 Jyotiṣa : l’astrologie védique.
dans une phrase française la logique veut L’astrologie est, avec l’astronomie, un
qu'un mot sanskrit ou français employé des Veda-ṣaḍ-aṅgas (un des six membres
au pluriel soit tout naturellement accordé annexes des Vedas) avec la phonétique
au pluriel. Il n'y a donc rien d'illogique et la phonologie (śikṣā), la prosodie et
ou de sacrilège d'écrire «Les Vedas» dans la métrique (chandas), la grammaire
une phrase française ». (Correspondance (vyākaraṇa), l’étymologie (nirukta) et l’art
privée avec l’auteur, 2 août 2018). ). Nous liturgique (kalpa).
pourrions ajouter qu'en écrivant par 5 A.R. Natarajan, Jagadguru Sri
exemple « les Veda », on induirait en erreur Chandrasekhara Bharati Mahaswami,
le lecteur néophyte qui pourrait alors mystic and seer, A birth centenary offering,
s'imaginer que même en sanskrit les mots (Bangalore, India: Ramana Maharshi
doivent s'employer tel quel sans aucune Centre for Learning, seconde édition,
terminaison, alors que sans sa terminaison 1970), p. 3.
appropriée un mot sanskrit perd toute 6 En Inde, beaucoup de gens
fonction dans une phrase sanskrite. Par attribuent le qualificatif de "pontife" aux
ailleurs, les deux points verticaux qui Jagadgurus, c’est pourquoi nous l’utilisons
marquent le visarga en devanâgarî ne sont ici par commodité, mais son usage est
pas des signes diacritiques, mais l'écriture discutable car il renvoie inévitablement à
sanskrite de la quinzième voyelle. Les la papauté catholique, qui est fort éloignée
signes diacritiques ne sont utilisés que de fonction spirituelle d'un Jagadguru.
pour la translittération, par exemple Vide infra, notes 7 et 9.

144
7 Afin de préserver la tradition non la seconde. Je suis le Guru du premier,
védique, Ā� di Ś� aṅkarācārya fonda quatre pas du second. Le mot ne définit donc que
monastères aux points cardinaux de mon devoir; il n’implique aucun droit ni
l’Inde, à la tête desquels il installa ses aucune autorité sur ceux qui ne cherchent
quatre disciples. Une lignée traditionnelle pas mes conseils. »
de maî�tre à disciple s’y succède depuis, [« The word Jagadguru does not mean at
portant le titre de « Jagadguru » all that I can claim any right as spiritual
Ś� aṅkarācārya. Vide infra, note 9. teacher over everybody in this vast world.
8 Sureśvara fut également It only means that, if anybody residing
renommé sous le nom de Maṇḍana Miśra, anywhere in the world earnestly seeks My
le chef de file des Mīmāmsākas, avant de spiritual guidance, I am bound to give it to
devenir un disciple d’Ā�di Ś� ankara après him as far as it lies in My power.
avoir été vaincu dans un débat par ce A person may live in a distant country
dernier. and yet be prepared to be guided by Me.
9 Jagadguru: litt. « Guru de Another may reside in the Mutt itself and
l’Univers ». Traditionnellement, le titre be unwilling to abide by My advice. It is My
ou la position de Jagadguru est accordée duty to help the former and not the latter.
au Seigneur Kṛṣṇa, à Veda Vyāsa et To the former I am his Guru; to the latter I
Ā� di Ś� aṅkara, ainsi qu’à ses successeurs am not. The word therefore defines only
dans les quatre monastères qu’il a fondés My duty; it does not signify any right or
de son vivant. jurisdiction over others who do not seek
Voici une explication que donna Sa My guidance. »]
Sainteté Ś� rī� Saccidânanda Ś� ivābhinava Extrait de Sri Jnanananda Bharati,
Narasiṃha Bhāratī� Mahāsvāmigal, 33ème The saint of Sringeri (Chennai, India:
Jagadguru du Śāradā Pīṭham (c’est-à-dire Dakshinamnaya Sri Sharada Peetham,
le Guru de Candraśekhara Bhāratī� III dont troisième édition, 2012).
nous traduisons ci-après un dialogue) : 10 Précisions toutefois que selon
« Le mot Jagadguru ne signifie nullement la tradition rapportée par le Śaṅkara-
que je puisse revendiquer un quelconque Digvijaya, l’hagiographie médiévale de
droit, en tant qu’instructeur spirituel, sur Ś� aṅkara écrite au quatorzième siècle
tout un chacun dans ce vaste monde. Cela de notre ère par l’illustre Vidyāraṇya
signifie, simplement, que si quelqu’un (alias Mādhavācārya), Ś� aṅkara a écrit ses
résidant n’importe où dans le monde Bhāṣyas entre l'âge de 12 ans et de 16
recherche sincèrement ma direction ans, c'est-à-dire bien avant son arrivée à
spirituelle, je suis obligé de lui accorder Ś� ṛṅgeri.
dans la mesure où cela est en mon pouvoir. 11 En raison de la contribution
Une personne peut résider dans un pays significative que Svāmī� Dayānanda
lointain et être préparée à être guidée par apporta à la préservation de la Tradition
moi. Une autre peut résider dans le Math védantique, le « Prix Ā� di Ś� aṅkarācārya »
et ne pas vouloir suivre mes conseils. Il lui fut décerné, le 26 avril 2012, par le
est de mon devoir d’aider la première et Jagadguru du Ś� ṛṅgeri Maṭh, Ś� ri Bhārati

145
Temple de Virupaksha (Photo de Sid Mohanty)

Tī�rtha Mahāsvāmigal. Cf. Svāmī Dayānanda ténèbres (connaissance). Le Guru est donc
Sarasvatī, Une brève biographie de l’instructeur qui dissipe les ténèbres de
N.Avinashilingam, traduite en français et l’ignorance et conduit à la lumière de la
annotée par Gabriel Arnou-Laujeac, Arsha connaissance. Vide infra, note 17.
Avinash Foundation, Coimbatore, Inde, 14 Le Pandit S. Ś� astrī� était un érudit
2018. très respecté au Pīṭham de Ś� ṛṅgeri où
12 “Sometimes Ācāryas get their il vécut et enseigna avant de prendre
stature because of their Pīṭham, sometimes la robe ocre du renonçant et de partir
the Pīṭhams gets stature because of their seul dans les Himalayas pour accomplir
Ācāryas. Ś� ṛṅgeri has twofold stature : des austérités, avec la bénédiction
because of his Ācāryas it got its stature and du Jagadguru Śaṅkarācārya d’alors, Ś� rī�
because of its stature its Ā� cāryas become Narasiṃha Bhāratī� VII.
important. Both ways. This is how I look 15 Sages of Sringeri (Chennai, India:
upon at Ś� ṛṅgeri.” Extrait du DVD « The Tattvāloka), p.91.
Jagadguru Shankaracharya of Sringeri: 16 Selon la définition traditionnelle
Life & Teachings of an Inspiring Saint », que nous donnons un peu plus loin dans
Sringeri, 2011. l’article des termes brahmaniṣṭha et
13 Le mot Guru est formé de deux śrotriya, Ś� rī� Ramana Maharshi était un
racines : « Gu » représente les ténèbres brahmaniṣṭha mais pas un śrotriya. Vide
(ignorance) et « Ru » la dissipation de ces infra, note 17.

146
17 Il existe trois types de Gurus : ses disciples grâce à son exceptionnelle
- L’uttama-Guru (Litt. « Le Guru le plus érudition, sa compréhension juste des
grand, supérieur ») est à la fois un śrotriya écritures révélées et sa connaissance
et un brahmaniṣṭha. des différentes méthodes ancestrales de
- Le madhyama-Guru (Litt. « Le Guru transmission de la brahma-vidyā (« science
médian ») est un śrotriya mais pas un de l’Absolu ») connues sous le nom de
brahmaniṣṭha. « prakriyās » validée par des siècles et des
- Le kaniṣṭhā-Guru (Litt. « Le Guru le plus siècles d’enseignement de Guru à disciple
petit, inférieur ») est un brahmaniṣṭha dans les lignées traditionnelles.
mais n’est pas un śrotriya. Il ignore donc 18 Traduction du sanskrit de Svāmī�
la méthode traditionnelle d’enseignement Yogānanda Sarasvatī�.
du Vedānta, telle qu’elle est transmise de 19 « Nulle civilisation n’a célébré
la bouche du Guru à l’oreille du disciple avec autant de ferveur et de continuité
depuis des temps immémoriaux. la figure hiératique du renonçant que
Le Guru idéal est donc à la fois un la civilisation védique. Aujourd’hui
brahmaniṣṭha et un śrotriya. Selon les encore, malgré le chant des sirènes du
écritures, seul un brahmaniṣṭha peut matérialisme mondialisé, le renonçant
reconnaî�tre un autre brahmaniṣṭha. ou sannyāsin — 'lui qui repousse même
Un aspirant disciple peut certes tenter la richesse comme une guenille ', dit Ā� di
d’inférer le statut d’un brahmaniṣṭha Ś� aṅkara (788-820) dans sa 'Quintaine
en étudiant objectivement son de l’ascète' — a conservé un statut
comportement pendant une période privilégié dans la société indienne. Tout
prolongée [en s’assurant qu’il maî�trise comme le sādhu emblématique de la
ses sens, par exemple et qu’il possède Kumbha Mehlā, le sannyāsin inspire
différentes qualités décrites par Kṛṣṇa le respect par le dépassionnement
dans la Bhagavad-gītā (XVIII, 42) comme (vairāgya) ultramondain dont il fait
la sérénité, l’austérité, la pureté, la preuve, sachant qu’il se détourne de
droiture, etc.] mais cette méthode n’est pas toutes les possessions et préoccupations
sûre : non seulement l’objectivité pure est temporelles qui suffisent à consumer la
impossible, mais le comportement d’un vie des autres Hommes. Non seulement
brahmaniṣṭha peut dépasser la capacité laisse-t-il le monde terrestre derrière lui,
de compréhension du reste des Hommes. mais il n’éprouve pas plus d’attrait pour
Sachant que seul un brahmaniṣṭha les mondes célestes*. Ces lieux relatifs,
peut reconnaî�tre de façon certaine un conditionnés par l’espace et le temps, ne
autre brahmaniṣṭha, c’est un śrotriya sauraient constituer le but de celui dont le
que la tradition conseille à un aspirant regard porte, au-delà des mondes visibles
à la libération de rechercher pour être et invisibles, vers l’Absolu (Brahman)
guidé. La qualification du śrotriya sera révélé par les Upaniṣads, défini en tant
attestée par l’authenticité de sa lignée. que Cit ou Pure Conscience en sa qualité
Même s’il n’a pas encore totalement de cause efficiente de l’Univers et en tant
assimilé l’enseignement, il n’égarera pas que Sat ou 'Pure Existence' en sa qualité

147
de cause matérielle. was besmeared with ashes. He was in
L’unique désir qui reste au sannyāsin est the dancing pose of Ś� iva as Naṭarāja. He
la connaissance de la Réalité suprême was standing balanced on his right foot
qui mène à la Libération (mokṣa) totale with his left unraised and both his arms
et définitive, résultant de l’impérience streched out.
directe (aparokṣa-anubhūti) de l’unité de The music was continuing…The entire
l’Absolu et du Soi suprême (Ātman). place was dark excet the spot where the
De par son dénuement et la majesté de son Mahāsvāmī� was standing in the Naṭarāja
apparence — vêtu d’une simple robe ocre, pose. Not wishing to be discovered, Manja
il ressemble à une flamme qui s’élève, closed the door reluctantly. He went back
resplendissante, dans la nuit du monde to his bed but not to sleep. How could he ?
—, l’authentique sannyāsin incarne, aux Even though he was an eye-witness to
yeux de l’Homme de foi, la métaphore de the divine drama, he still found it hard to
la connaissance qui dissipe l’obscurité accept what he had seen.
de l’ignorance : 'La Vérité qui est une Next morning, when Manja opened the
nuit obscure pour tous les êtres, en elle door, the Mahaswami was awake and
s’éveille le Yogi maî�tre de soi. L’ignorance his first question was : 'Manja, don’t you
en laquelle veillent les êtres n’est qu’une sleep at night ?'. The Mahāsvāmī� knew
nuit pour le sage qui voit' enseigne what happened. For, his state was one of
poétiquement la Bhagavad-Gītā (II, 69). » Sahaja Samādhi, when the bliss of Being
(Extrait de "Renoncement au monde et is not disturbed by the awareness of the
Vedānta” par Gabriel Arnou-Laujeac, objects.‘’ Sages of Sringeri, op.cit,. pp.117-
Ultreïa n°14, hiver 18, pp. 95-101). 118.
* Paradis et enfers sont éphémères selon 23 Sri Jnanananda Bharati,
les Vedas, des lieux de transit entre deux Some Saintly Lives (Chennai, India: Sri
incarnations. Gnanananda Bharati Grantha Prakasana
20 Un sanātani (ou un sanātana- Samithi, 2013), pp. 28 à 30.
dharmavādī) est un adepte du Sanātana- 24 Les Śāstras sont l’ensemble des
Dharma (« Loi éternelle »), nom traités énonçant les règles techniques
traditionnel de la religion connue, en spécifiques à un domaine de connaissance.
Occident, sous le nom d'hindouisme. Ici, il s’agit de l’ensemble des traités
21 Sages of Sringeri, op.cit., p.115. religieux et philosophiques reconnaissant
22 "Manja, who was sleeping outside l’autorité de la révélation védique.
the Mahāsvāmī�’s room one particular Deux grandes catégories de textes
night, when it was past midnight, heard constituent les écritures du Sanātana-
enchanting music emanating from inside Dharma : la Ś� ruti et la Smṛti. Les quatre
the room. Vedas, une somme gigantesque dont font
After a while he couldn’t resist his partie les Upaniṣads (également nommées
curiosity. He softly pushed the door open « Vedānta »), constituent la Śruti (litt. « Ce
a little and looked within. What he saw he qui fut entendu »). La Śruti fait autorité
couldn’t believe. The Mahaswami’s body sur la Smṛti, c.-à-d. sur les textes d’origine

148
humaine (pauruṣeya) transmis en accord 25 Paul Masson-Oursel fut
avec la révélation védique (p. ex., les notamment l’auteur de la fameuse
Purāṇas, le Rāmāyaṇa et le Mahābhārata). Esquisse d’une histoire de la philosophie
Contrairement au corpus de la Smṛti et indienne, parue chez Geuthner en 1923.
selon la tradition, les Vedas sont d’essence 26 C’est pour cette raison que la
extramondaine (alaukika ou asādhāraṇa), Māṇḍūkya Upaniṣad définit le Soi comme
d’origine non-humaine (apauruṣeya), non étant « avyavahārya », c'est-à-dire
créés et sans commencement (anādi). Ils « inemployable » ou « inutilisable », car
ne sont pas créés par les Ṛṣi, ni même le Soi ou l'Absolu qui est le substratum de
par Brahmā qui est une manifestation toute chose (sarvādhiṣṭhāna) n’est pas
d’Īśvara le Seigneur (vide infra, note 43). simplement un instrument ou un moyen
Ainsi que le révèle la Bṛhadāraṇyaka dont on peut se servir pour tirer un
Upaniṣad (II, iv, 10 & IV, v, 11), les Vedas quelconque profit.
émanent naturellement de l'omniscience 27 Il n’y a pas d’expression sanskrite
d'Īśvara comme s'ils étaient son souffle strictement identique à celle de « libre
(asyai'vai'tāni nihśvasitāni), lors de arbitre » dans les écritures védantiques,
la manifestation phénoménale, puis néanmoins, il existe plusieurs mots peu ou
se résorbent en Lui au moment de la prou équivalents comme « svātantryam »,
dissolution (pralaya) qui intervient à « svairatā », « svecchā », « svacchandatā »,
l’issue d’un cycle cosmique (kalpa) ; ils « svācchandyam », « svakāmaḥ »
réapparaissent au commencement d’un « yadricchā ». Le mot « puruṣārtha » est
nouveau cycle cosmique et ainsi de suite. souvent employé aussi pour désigner
Selon un verset du Śāntiparvan du le libre arbitre. Néanmoins, cet usage
Mahābhārata (XII, cciii, 17) cité par peut prêter à confusion car le mot «
Ś� aṅkara dans son Brahmasūtra-Bhāṣya puruṣārtha » désigne spécifiquement les
(I, iii, 29), c’est grâce aux austérités quatre objectifs humains prescrits par
accomplies dans leurs vies précédentes et les Vedas, par opposition aux objectifs
à l’autorisation d’Īśvara que les Saptaṛṣis proscrits, et non le libre arbitre de manière
ou sept Ṛṣis primordiaux sont capables de générale. Même dans les Sānkhya-kārikās,
percevoir les Vedas, de les « capter » pour le mot « puruṣārtha » désigne uniquement
ainsi dire : le ou les objectifs du soi individuel et non
Yugānte'ntarhitān vedān setihāsān le libre arbitre. Certes, l'activité impliquée
maharṣayaḥ | pour atteindre un des quatre objectifs
Lebhire tapasā pūrvām-anujñātāḥ humains provient du libre arbitre, mais
svayambhuvā || le libre arbitre ne se limite pas aux quatre
"Jadis, grâce à leur austérité et « puruṣārthas » puisque les mauvaises
autorisés par Īśvara dont l'existence est actions proviennent également du libre
indépendante, les grands Ṛṣis ont obtenu arbitre.
les Vedas rétractés à la fin des âges 28 Le destin est bien sûr constitué
précédents, ainsi que les récits védiques de plusieurs sortes de destin: prārabdha-
explicatifs." karma, āgāmi-karma (également connu

149
sous les noms de « sañcīyamāna », ne détermine pas l’action. Il peut être
« vartamāna » et « kriyamāṇa ») et à l’origine de projets qui n’aboutissent
sañcita-karma. Autrement dit, le karma- jamais faute de détermination pour les
phala est de trois types: sañcita, āgāmi et mettre à exécution. Ils ne seront mis en
prārabdha. Les mots sanskrits « vidhi », exécution qu’à la condition que kāma
« niyati » et « daivam » sont également évolue en « kratu saṅkalpa », en ferme
utilisés dans certains textes pour désigner résolution.
le destin. Nous utiliserons ici le terme 33 Traduction du sanskrit de Svāmī�
« prārabdha » parce que c’est ce mot que Yogānanda Sarasvatī�. Correspondance
Ś� rī� Candraśekhara Bhāratī� III emploie privée avec l’auteur, 26 août 2011.
dans le dialogue que nous avons traduit. 34 Guṇa : litt. « corde ». Les trois
29 La subvaluation (bādha) est le guṇas (sattva, rajas et tamas) sont les trois
processus intellectuel de discrimination forces dont la Prakṛti (la racine productrice
entre le réel et l’irréel, par lequel on des phénomènes psycho-physique) et
dévalue le degré de réalité d’un objet l’ensemble de ses effets sont constitués.
A tenu ex ante comme réel, parce qu’il Selon le Sāṅkhya, c’est par le jeu des trois
est contredit ex post par l’expérience guṇas que la Prakṛti manifeste l'Univers.
ou la connaissance d’un objet B d’une « Sattva-guṇa est le principe de révélation
valeur ontologique supérieure à A et (la couleur qui lui est symboliquement
dont l’existence de A dépend. Ainsi, la associée est le blanc), tandis que rajas
réalité absolue (satyam) est cette réalité (rouge) est celui de mutation et que tamas
indépendante de tout autre support, (noir) est celui d’inertie ou d’obscurité.
que nulle autre réalité relative ne peut Sattva a pour nature de révéler, tamas
subvaluer (dans aucune des trois périodes de faire obstacle à cette révélation
du temps). (agit comme un voile), rajas d’opérer
30 Etant conditionné par les bonnes la mutation dans les deux sens: de
ou les mauvaises tendances de l’individu, l’ignorance à la révélation et vice versa.
le libre arbitre est une notion très relative. Prakṛti étant la somme des guṇas
La véritable liberté est uniquement celle et les effets étant de même nature
du jīvan-mukta comme nous le verrons que leur cause, il résulte que tous les
plus loin. états du monde manifesté (physique
31 Yājñavalkya décrit ensuite le et psychique) sont le produit de la
sage qui est sans désir (akāma), qui est combinaison de ces trois principes
libéré du désir (nishkāma), qui est comblé antagoniques (chacun d’eux cherchant à
(āpta-kāma), dont le seul désir est le Soi dominer les autres) et interdépendants,
(ātma-kāma) et qui, de ce fait, est libre du parfaitement indissociables. Le nombre
samsāra, le cycle de la transmigration. de combinaisons possibles des guṇas
32 Ā� di Ś� aṅkara établit une est potentiellement illimité. Un exemple
distinction entre kāma et kratu. Kāma classique donne l’image d’une cordelette
est un désir faible alors que kratu est constituée d’une multitude de brins de
un désir bien déterminé. Un désir faible chanvre portant les couleurs associées

150
aux guṇas en proportions diverses. (triguṇatita). La domination systématique
Physiquement, sattva correspond à la de l’un des trois guṇas implique la présence
pureté, la finesse, la légèreté, tamas des deux autres : ils sont subordonnés au
à la lourdeur et à l’obscurité, rajas au dominant, tenus sous son contrôle. Les
mouvement. Psychologiquement, ce guṇas les plus faibles sont pilotés par le
guṇa se traduit par l’état d’équilibre, plus fort, contraints de suivre sa direction
d’intelligence, de discernement, de et de l’assister dans son processus. Même
paix. Rajas est synonyme de passion, chez l’être le plus grossier ou dans un
d’agitation, d’effort, d’émotion, de douleur caillou, le sattva-guṇa n’est pas absent,
(la souffrance est un des états de rajas) il est seulement perclus. Ainsi, les trois
et tamas d’inconscience, d’ignorance, guṇas coopèrent pour l’accomplissement
d’apathie. Tamas fait aussi bien obstacle d’un dessein unique : ' ... Ils agissent
aux qualités de sattva qu’à celles de rajas. ensemble, à la manière d’une lampe à
S’agissant du corps physique lui-même, huile, pour répondre à une nécessité ' (SK.
sattva préside à la tête, rajas à la poitrine 13). La lumière (le dessein) ne peut être
et aux bras et tamas à la partie inférieure obtenue que par la combinaison de trois
du corps. Dans la nature, on pourrait éléments: le réceptacle, l’huile et la mèche.
dire que sattva domine dans la sérénité Et la nécessité dont parle cette kārikā
et la beauté d’un coucher de soleil, rajas est, comme nous le verrons, l’expérience
dans l’agitation frénétique d’un volcan (bhoga) et la Libération (mokṣa) du
en éruption et tamas dans l’inertie d’un Puruṣa. » (extrait de « Le Sāṅkhya, une
rocher. voie cosmologique traditionnelle » par
Les guṇas se combinent chez chaque Gabriel Arnou-Laujeac, 3è Millénaire,
individu, mais un des trois prédomine n°51, 1999.)
systématiquement. En simplifiant : les 35 « Prasthāna-traya »: litt.
personnes dont le guṇa dominant est « « triple fondement ». « Prasthāna »
sattva sont de nature spirituelle, calme, signifie « fondement », « établissement »
méditative, des hommes d’intelligence ou « institution ». Ce triple fondement
pure ; l’individu rajasique est actif, est traditionnellement enseigné dans
passionné, combatif, vaillant ; lorsque l’ordre chronologique suivant, qui tient
tamas domine, il est léthargique, grossier, compte de la complexité respective de ces
pauvre d’esprit. Le joug de tamas doit écritures: Bhagavad-Gītā, Upaniṣads et
être transcendé en cultivant les qualités Brahmasūtras.
propres à rajas et celui de rajas par le 36 His Holiness Jagadguru Sri
développement des qualités sattviques. Le Abhinava Vidyateertha Mahaswamigal,
but ultime est néanmoins de transcender Exalting Elucidation (Chennai: Sri
les trois guṇas, c’est-à-dire de rompre toute Vidyatitrtha Foundation, 2009), pp. 95-98.
identification à la Prakṛti, en réalisant 37 Vāsanā : « imprégnation »,
notre identité de Puruṣa lequel n’étant ni « impression d’une sensation antérieure »,
producteur ni produit en tant que pure « tendance », « inclination ». Dans la
Conscience, est dénué des trois guṇas psychologie védantique, Citta (qui,

151
selon le contexte, peut être traduit par accordé aux injonctions des Śāstras,
« mental », « subconscient », « mémoire », l’objectif final étant néanmoins d’être
etc.) est le réceptacle ou le réservoir des libre de toute forme de conditionnement
vāsanās à l’état subtil. Les vāsanās sont y compris ceux des bonnes vāsanās.
les tendances résiduelles subconscientes 39 Agir en karma-yogi, en
qui migrent d’existence en existence, pratiquant du yoga de l’action, implique
les penchants qui résultent de ces de renoncer aux actes intéressés (kāmya)
impressions et poussent, en quelque et à ceux qui sont proscrits (niṣiddha)
sorte, à reproduire le comportement par les Vedas, c’est-à-dire à toutes les
ou la sensation qui en sont à l’origine. actions néfastes à la croissance spirituelle,
Techniquement, les expériences passées impliquant par exemple le recours
forment un agrégat d’imprégnations à la violence (hiṃsā), en pensée, en
mentales, de tendances, d'attentes ou parole et/ou en action. De même doit-il
prédispositions stockées dans citta, le cultiver diverses vertus comme l’absence
subconscient, à partir des objets perçus d’orgueil, l’impassibilité (kṣāntih), la
ou conçus par le mental (manas) grâce droiture (ārjavam), la détermination
aux indriyas, les instruments d’expérience (sthairyam), la fréquentation des lieux
de l’individu : les cinq jñānendriyas ou isolés (viviktadeśa-sevitam) etc. Au total,
moyens de perception sensorielle, vue la Bhagavad-gītā enjoint, en son treizième
(œil), ouï�e (oreille), odorat (nez), goût chapitre (strophes 7 à 11) qui a pour
(langue), toucher (peau) ayant leur siège objet le discernement entre le Soi et le
dans les organes correspondants ; les cinq non-Soi, vingt pratiques ou « moyens
karmendriyas ou moyens d’action, parole de connaissance » (Jñāna-sādhanas) qui
(bouche), préhension (mains), locomotion préparent au jñāna-yoga ou yoga de la
(pieds), excrétion (anus), procréation Connaissance. Ils sont enseignés dans un
(sexe). Les dix forment le sens externe sens progressif, partant de « l’absence
(bāhyakarana). Manas, le mental discursif d’orgueil » (amānitvam), pour aboutir à la
et spécificateur, est le onzième instrument « perception du but de la connaissance de
qui fait partie du sens ou organe interne. la vérité » (tattva-jñānārtha-darśanam).
38 Précisons qu’il existe deux sortes Le Karma-Yoga ou Yoga de l’Action, peut
d’efforts humains selon les Vedas, « en se résumer en une équation simple :
accord ou en désaccord avec les Śāstras - action juste + attitude juste dans
cette dernière sorte mène au désastre, la l’accomplissement de l’acte. L’état d’esprit
première à la Réalité ultime » prévient la que doit cultiver le karma-yogi peut être
Muktikā Upaniṣad (II,ii,1), avant d’ajouter résumé ainsi :
qu’il existe aussi deux sortes de vāsanās: - Faire offrande de l’acte et du fruit de
śuba vāsanā et aśuba vāsanā , les bonnes l’acte à Īśvara ;
et les mauvaises sortes de vāsanā ; la - Accueillir le résultat de cet acte, quelle
première sorte peut être cultivée et que soit sa nature, comme une offrande
la dernière doit être éliminée par le (« prasāda ») qu’Īśvara offre en retour.
déploiement résolu de l’effort humain (Le terme « prasāda » a un double sens

152
d’offrande au divin et de redistribution de représentants de la Tradition affirment,
l’offrande sous forme de grâce. Dans un sans ambiguï�té, qu’un texte d’une portée
contexte liturgique, il s’agit d’une offrande, spirituelle aussi élevée que la Bhagavad-
de nourriture par exemple, présentée à gītā doit être appris de la bouche d’un
une divinité lors d’un office religieux afin maî�tre compétent, d’un śrotriya éclairé.
qu’elle soit bénie avant d’être redistribuée Malheureusement, de plus en plus de gens
aux officiants et aux fidèles à l’issue de se lancent dans la lecture des écritures
l’office). védiques sans réelle compétence et sans
Autrement dit, que le résultat soit en aucune connaissance de la méthodologie
apparence favorable ou défavorable, traditionnelle, ni des mots, des phrases
qu’il se solde par un succès ou un et des moyens de connaissance qui
échec, le karma-yogi ne doit pas en tirer conduisent à la compréhension juste,
respectivement orgueil personnel ou transmis de maî�tre à disciple depuis la nuit
sentiment de déshonneur. Il doit s’efforcer des temps dans les lignées traditionnelles.
d’accueillir le résultat comme un prasāda 41 Dans un objectif pédagogique, le
d’Īśvara, une offrande du Seigneur. Vedānta distingue, provisoirement, trois
C’est ainsi que doit être comprise, selon ordres de réalité (sattātrayam) grâce
le Vedānta traditionnel, la notion de au processus de discrimination entre
renoncement aux fruits de l’action (karma- le réel et l’irréel, entre ce qui est éternel
phala-tyāga) enseignée dans la Bhagavad- et ce qui est impermanent (nithyānitya-
Gītā et parfois mal comprise. Il n’est pas vastu-viveka). Techniquement, ce
demandé au karma-yogi, d’être négligent, processus de discrimination est nommé
de cesser de s’efforcer d’adapter ses actes « subvaluation » (bādha). Précisément, la
en fonction d’un but spécifique à atteindre. subvaluation est le processus intellectuel
Au contraire, toute action implique la de discrimination entre le réel et l’irréel,
vision claire d’un but à atteindre ; la mise par lequel on dévalue le degré de réalité
en œuvre d’un processus adapté à ce but d’un objet A tenu ex ante comme réel,
est donc un devoir. Il s‘agit, simplement, parce qu’il est contredit ex post par
de distinguer le résultat d’une action et l’expérience ou la connaissance d’un objet
l’état d’esprit avec laquelle ce résultat est B d’une valeur ontologique supérieure à
accueilli. A et dont A dépend pour son existence.
Une telle attitude intérieure permet de Ainsi, la réalité absolue (satyam) est
cultiver « samatva » ou l’égalité d’âme, cette réalité indépendante de tout autre
l’équanimité, tout en vivant au milieu support, que nulle autre réalité relative
de la diversité et, parfois, de l’adversité. ne peut subvaluer (dans aucun des trois
Elle élimine progressivement les fausses temps). Brièvement ; les trois ordres de
notions d’être l’agent (kartṛtva) et le réalité sont :
patient (bhoktṛtva), c’est-à-dire d’agir et - Pāramārthika-satyam : la Réalité
de subir, et avec elles l’identification au absolue, transcendantale, non-duelle,
corps, au mental et à l’ego. présente sans discontinuité dans les
40 C’est pour cette raison que les trois périodes du temps et au-delà du

153
temps. Il s’agit du statut ontologique est dénué : l’eau véritable désaltère, pas
de Brahman. Evident en lui-même celle d’un mirage. Comparé à vyavahārika-
(svaprakāśam), Brahman est indéniable satyam, prātibhāsika-satyam est donc
ou irréfutable, litt. « dénué d’annulation » illusoire comme un mirage.
(bādha-rahitam). Autrement dit, il est 42 Alors que les actions sont
insubvaluable (abhādhya) par un autre accomplies par le corps grossier ou
ordre de réalité, encore moins réductible physique (sthūla-śarīra) constitué des cinq
à un simple néant. Etabli en lui-même éléments et par le corps subtil (sūkṣma-
(svataḥsiddham), sa nature propre ne śarīra) constitué du psychisme et des
dépend de rien, n’a besoin de nul autre sens, le sens de l’ego donne l’impression
support (adhiṣṭhāna). erronée d’être l’agent ; pourtant, le
- Vyavahārika-satyam : la « réalité » vrai Soi qui est le Témoin immuable, la
empirique, transactionnelle, duelle, Réalité pure et absolue au-delà de tous
présente dans une partie du temps. Le les conditionnements, ne prend pas part
monde et tous les phénomènes psycho- aux activités relatives, limitées, du corps
physiques qu’il contient appartiennent à grossier et du corps subtil bien qu’il soit
cet ordre de réalité, subvaluable (bhādhya) le Principe qui les anime. C.f. Bhagavad-
par la connaissance de son support ou gītā, III, 27-28.
susbratum qu’est pāramārthika-satyam, 43 Selon la tradition védique, quand
la Réalité absolue, Sat ou Brahman. Il on mentionne trois mondes seulement
s’agit du statut ontologique de Māyā. (sur les sept mondes inférieurs et
- Prātibhāsika-satyam : la « réalité » supérieurs décrits par les Śāstras), il s’agit
virtuelle, duelle. Par exemple, la alors de :
perception d’un mirage dans le désert - Bhūr-loka: la terre, perceptible par les
ou de flaques d’eau sur une route sèche cinq sens, le monde des minéraux, des
exposée à une forte température. Cet végétaux, des animaux et de l’Homme.
ordre de réalité est subvaluable par la - Bhuvar-loka : le monde intermédiaire et
connaissance de vyavahārika-satyam subtil, domaine de résidence des esprits et
et, bien sûr, de pāramārthika-satyam. des génies, bons ou mauvais. C’est aussi le
Par exemple, l’apparente « réalité » d’un monde des devas (divinités mineures), des
monstre perçu dans un rêve peut être gandharvas et des apsaras.
subvaluée à l’état de veille (vyavahārika- - Svar-loka ou svarga-loka : le monde
satyam) et qualifiée d’irréelle du point de supérieur, le paradis, le monde des dieux.
vue du veilleur. Au-delà de ces trois mondes existe le
Comparé à āramārthika-satyam qui est monde de la véracité (satyam) également
le support (adhiṣṭhāna) dont dépend appelé Brahmā-loka, le monde de Brahmā
leur existence, les deux autres ordres qui permet à ceux qui n’ont pas pu
constituent une réalité relative et atteindre la libération immédiate (sadyo-
provisoire ; cependant, vyavahārika- mukti) ou libération de leur vivant (jīvan-
satyam jouit d’une forme de réalité mukti) au cours de leur incarnation sur
transactionnelle dont prātibhāsika-satyam terre, de l’atteindre par étapes graduelles

154
(krama-mukti). le karma n’agit pas seulement sur le plan
44 Īśvara (√ISH- : « Puissance ») physique.
est le Souverain, le Seigneur, le Tout 48 Un darśana (√drish: voir)
Puissant, c’est-à-dire Brahman qualifié orthodoxe (āstika) est un système
(saguna-brahman) ou l’Absolu en tant métaphysique fondé sur la révélation
que cause efficiente (nimitta-kāraṇa) védique.
et cause matérielle (upādāna-kāraṇa) 49 Dans The Penguin Swami
de l’Univers. Précisons cependant que Chinmyananda Reader, édité par Anita
Brahman et Īśvara sont une seule et même Raina Thapan (India: Viking, 2004), p. 73.
réalité. Brahman ne « devient » Ī�śvara “… a log floating down a river will move at
que par son association au sattva-guna the same speed at which the river flows,
et non par un réel changement. Saguna- but if the log is fitted with a motor and
brahman (Brahman avec attributs ou manned by an intelligent driver, the log
Īśvara) ou Nirguna-brahman (Brahman will have an independent movement of
sans attribut), c’est toujours de Brahman its own, although conditioned by the flow
dont il s’agit. Īśvara étant omniscient, of the river. Let’s assume that the waters
omniprésent et omnipotent ne peut of the river are moving at two miles an
pas être différencié de Brahman. C’est hour. When the speedometer on the log
pourquoi Ś� aṅkara emploie indifféremment shows ten mile an hour, the log will move
les mots Brahman, Ī�śvara ou Parameśvara at twelve miles an hour down the river
dans son Brahmasūtra-bhāṣya, but only eight miles an hour if it goes
45 Même Ś� rī� Ramana Maharshi, upstream. The flow of the river will always
dont l’enseignement sur le « lâcher prise » be there; but because of the motor and
a parfois été dévoyé, a reconnu que the intelligence of the driver, the log has a
« l’effort est nécessaire jusqu’à l’état de limited freedom of movement now”.
réalisation » : « Effort is necessary up to 50 Tout dépend si le prārabdha
the state of réalisation . Even then the Self est faible (durbala-prārabdha) ou fort
should spontaneously become evident. (prabala-prārabdha). Toutefois, même
Otherwise happiness will not be complete. dans un cas jugé désespéré, les écritures
Up to that state of spontaneity there must conseillent la prière. En effet, même si la
be effort in some form or another » (extrait prière ne peut, sauf exception, neutraliser
du discours 78 dans Talk with Ramana complètement le prabala-prārabdha, elle
Maharshi, Extract Version, 10ème édition, procure la maturité ou la force mentale
édité par V. S. Ramanan (Tiruvannamalai, nécessaire pour supporter la souffrance.
India, 2000), p. 24. Par ailleurs, la prière peut, dit-on,,
46 Inédit. Correspondance privée affaiblir et même détruire le durbala-
avec l’auteur, 26 août 2011. prārabdha. Ainsi, la prière est une source
47 La loi du karma est souvent non négligeable de soutien dans les
comparée à la troisième loi du mouvement deux cas. A propos des rites, prières et
de Newton (« Pour chaque action, il y a autres actes prescrits par les écritures
une réaction égale et opposée »), sauf que pour atténuer le prārabdha, la Kaivalya

155
Upaniṣad indique par exemple que la de l’ignorance ontologique par la
récitation du Ś� ri Rudram en respectant Connaissance du Soi. C’est le plus haut but
le juste protocole est un acte purificateur d’une existence humaine.
(prāyaschitta karma) particulièrement 54 Vide supra, note 32.
efficace pour neutraliser les effets du 55 Ces trois choses rares sont : la
prārabdha. Ceux qui ne sont pas qualifiés naissance humaine, éprouver un désir
pour chanter le Rudram (cad. l’écrasante intense de Libération (mokṣa) et enfin
majorité des aspirants de nos jours) l’association avec les sages capables de
peuvent réciter le nom du Seigneur, par nous enseigner la cause de la Libération.
exemple le Pañcākṣara-mantra associé à 56 « Le connaisseur du Soi dépasse
Ś� iva (qui se trouve d’ailleurs au cœur du la souffrance » (Tarati śokam-ātmavit),
Ś� ri Rudram) ou le Mahā-mantra associé à Chāndogya Upaniṣad (VII, i, 3).
Viṣṇu.
51 Les résultats différés, qui Notes concernant la traduction
constituent le destin, le prārabdha, 57 Vide supra, note 17.
varient d’un individu à l’autre en fonction 58 Vide supra, note 21.
de leurs actions respectives, mais aussi 59 Selon le Vedānta, un des
du désir ou de l’intention qui en est à déterminants (avacchedaka) des
l’origine, etc. Nul ne peut prédire de façon réalités empiriques est la capacité de
précise et définitive le prārabdha en ces dernières à être illuminées par un
dehors d’Īśvara, du fait qu’il soit constitué, processus cognitif, c’est-à-dire à être
justement, de la partie invisible du fruit déterminées comme existantes dans au
de l’action que Lui seul connaî�t du fait de moins une des trois périodes du temps
son omniscience. Notons qu’un des noms (passé, présent, futur). Au contraire, le
d’Ī�śvara est « karmādhyakṣa », qui signifie mot asat désigne ce qui est dénué de
« Régent de l’action » (Svetāśvatara substratum et ne peut donc constituer
Upaniṣad VI,11). Il est le « dhātā » un objet d’expérience dans aucune des
(Bhagavad-gītā, IX, 17), celui qui soutient trois périodes du temps, par exemple un
le monde, le « soutien ou régulateur cercle carré ou un lièvre à cornes. Dans
attribuant aux êtres vivants les fruits de le Traité Advaita-Brahma-Siddhi, le grand
leurs actions » précise Ś� rī� Ā� di Ś� aṅkara védantin Kaśmī�raka Ś� rī� Sadānanda Yati
dans son commentaire sur ce verset, ou le (XVIIème siècle) définit l’absolue non-
« rétributeur des fruits de l'action passée» existence, comme quelque chose « qui
ou le «pūrva-karma-phala-dāta» ainsi que est incapable d’être expérimenté comme
le qualifie, par exemple, Draupadi dans existant à aucun moment, passé, présent
un verset extrait de l’Āraṇyakaparvan du et futur. » Advaita-Brahma-Siddhi by
Mahābhārata (III, xxxiii, 20). Kaśmīraka Śrī Sadānanda Yati, édité par
52 Président du Vedānta Vidyārthi G. Tarka-Darshanatirtha et P. Tarkavagish,
Saṅgha de Chennai. (Calcutta, India: University of Calcutta,
53 Mokṣa : la Libération du cycle 1932) p. 180.
de la transmigration, la Libération 60 Vide supra, note 23.

156
61 Adhikāra: n.m. sanskrit est particulièrement importante et
signifiant, notamment, « compétence », bien expliquée dans la Bhagavad-gītā
« qualification », « autorisation ». Un (III,35 et XVIII,47).
adepte doté d’adhikāra est un adhikārī. 63 Le débat sur le déterminisme et
Dans le Sanātana Dharma, toute la le libre arbitre peut également être posé
transmission orale de la connaissance, de au regard de la pratique de l’astrologie,
la bouche du Guru à l’oreille du disciple, à plus forte raison dans un contexte
repose sur cette notion de qualification. védique, l’astrologie traditionnelle
Ś� aṅkara estime que pour être compétent (Jyotiṣa) étant, avec l’astronomie, un
(adhikārī) ou éligible au Jñāna-Yoga des Vedaṣaḍaṅga, c’est-à-dire un des
(Yoga de la Connaissance), l’aspirant doit six membres annexes du Veda, avec la
être doté de la quadruple qualification phonétique et la phonologie (śikṣā), la
(sādhana-catustaya) suivante: viveka prosodie et la métrique (chandas), la
(le discernement), vairāgya (le grammaire (vyākaraṇa), l’étymologie
dépassionnement à l’égard de ce qui est (nirukta) et l’art liturgique (kalpa).
impermanent), śamādiṣaṭkasampatti Interrogé par un disciple à ce sujet, Ś� ri
(les « six vertus ») et mumukṣutva Abhinava Vidyātī�rtha Mahāsvāmigal, le
(éprouver un intense désir de Libération). 35ème Ś� aṅkarācārya de Ś� ṛṅgeri (ci-dessous
Quand le discernement est aiguisé, le nommé « Ācāryal ») répond que par
dépassionnement qui en découle est l’exercice du libre arbitre l’individu peut
stable et les « six vertus » recommandées changer le cours des événements dans
dans la Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad (IV, l’extrait de dialogue ci-dessous :
iv, 23) s’ensuivent: śama (le contrôle « D. Si, selon le thème astral, une personne
du mental); dama (le contrôle des vivra quatre-vingts ans, cela signifie-t-il
sens); uparati (l’intériorisation) ; titikṣa qu’elle ne mourra pas avant ? De même, si
(l’endurance); śraddhā (la foi) ; samādhāna une autre personne est censée avoir une
(la concentration). D’autres qualités vie très courte, ne peut-elle pas vivre plus
comme l’humilité, la pureté, la droiture, la longtemps ?
détermination, la maî�trise de soi, l’absence A. La réponse à vos questions est négative.
d’ego, le non-attachement et l’équanimité D. Ā� cāryal veut-il dire que le thème astral
sont prônées dans les treizième (7-11) et est alors mal interprété ou qu’il a été mal
seizième (1-3) chapitres de la Bhagavad- dressé ?
gītā et sont qualifiées de « richesse A. Ni l’un ni l’autre.
spécifique » (viśiṣta-sampatti) par Ś� aṅkara D. Dans ce cas, tout ce qui est prédit sur la
dans le Guru-pādukā-pañcakam parce que base du thème astral est inutile. Ajoutons
celui qui les possède est spirituellement que la chiromancie n’est pas rationnelle et
fortuné (dhanya). on peut en conclure que les Jyotiṣa-śāstras
62 Svadharma : le devoir personnel [Les traités d’astrologie dont ceux sur la
(sva : « propre » - dharma : « loi, chiromancie font partie] ne servent à rien.
devoir ») auquel doit se conformer Est-ce le point de vue d’Ā�cāryal?
chaque individu. La notion de svadharma A. Pas du tout.

157
D. Ā� cāryal voudra-t-il bien nous expliquer ? (II, ix, 30) :
A. Le thème indique simplement l’effet śubhāśubhābhyāṃ mārgābhyām vahantī
des actes que l’on a accomplis au cours vāsanāsarit
des existences antérieures. Dans la vie pauruṣeṇa prayatnena yojanīyā śubhe
actuelle, en exerçant le libre arbitre, nous pathi
pouvons sans aucun doute changer le « Le fleuve des tendances coule le long
cours des événements. Si nous obtenons des sentiers favorables et défavorables.
la grâce du Seigneur, comme Mārkaṇḍeya, Au moyen de l’effort personnel, on devrait
nous pouvons vivre plus longtemps que le diriger le long du chemin favorable. ».
prévu. De même, en tombant dans des Cela indique que le libre arbitre exercé
voies mauvaises, nous pouvons nuire à avec effort peut être plus puissant que le
notre santé et mourir plus tôt que nous destin (Etant entendu que le destin est
ne le devions. D’ailleurs, les astrologues la résultante de l’ensemble des mérites
eux-mêmes disent bien : «Si l’on agit et démérites individuels générés par les
ainsi, l’effet de ce karma sera réduit». Si actions du passé).
le verdict du thème astral était immuable, 67 Vide supra, note 35.
à quoi serviraient de telles expiations?» 68 Vide supra, note 50. Dans le
Exalting Elucidation, op. cit. pp. 95 à 98. contexte de ce dialogue, il ressort que
64 Vide supra, note 37. le libre arbitre a donc une place dans
65 Voir par exemple le monde relatif de la transmigration.
Muktikā Upaniṣad (II, ii, 1-9). Ensuite, quand le désir et sa cause
66 On le nomme « vāsanā-sarit » qu’est l’ignorance sont éliminés vient la
dans la Muktikā Upaniṣad (II, ii, 5-6) par libération qui est la seule véritable liberté.
exemple et ci-dessous dans le Yogavāsiṣṭha

Dévot adorant un Śiva liṅgaṃ (Photo de Suraj S Rao)

158
Notices biographiques
Swami Amritananda Saraswati est un érudit et un sannyāsin. Il est disciple de Swami
Swarupananda Saraswati, le Shankarācārya du Nord et de l’Ouest de l’Inde.

Ira Schepetin (Atma Chaitanya) a étudié le Vedānta depuis plus de 45 ans, notamment
auprès de Sri Sri Swami Satchidanandendra Sarasvati entre 1972 et 1974. Sanskritisant,
il intervient régulièrement dans des conférences internationales et a publié différents
articles dans des revues spécialisées.

David Dubois est docteur en philosophie et sanskritiste. Il explore les textes


d’Abhinavagupta depuis plus de vingt ans et voyage souvent en Inde. Il a publié des
traductions et des essais parmi lesquels Abhinavagupta, la liberté de la conscience
(Paris: Almora, 2010). Ses prochains livres à paraî�tre chez Almora en 2020 : Le Yoga de
la Déesse, petite anthologie sur les yogas du shivaïsme du Cachemire; Les Quatre yogas,
Manuel de vie intérieure selon le shivaïsme du Cachemire; Plonger en soi, pratique de la vie
intérieure d'après les œuvres sanskrites de Ramana Maharshi.

Álvaro Enterría vit à Varanasi depuis 1989. Il est partenaire de la maison d’édition
Indica Books. En tant qu’éditeur, il a publié de nombreux ouvrages en anglais et en
espagnol sur l’Inde et sa culture. Il est notamment l’auteur du célèbre La India por
dentro. Una guía cultural para el viajero publié en Inde sous le titre de India from Within:
A Guide to India’s History, Religion, Arts, Culture and Society (Indica Books, 2010). Il a
aussi traduit de l’hindi à l’espagnol des nouvelles de Premchand ainsi qu’autres auteurs
indiens.

Patrick Laude enseigne les religions comparées à l'Université de Georgetown. Il est un


spécialiste reconnu de la mystique, de l’imagination symbolique et de la littérature. Ses
publications les plus récentes incluent Pathways to an Inner Islam: Massignon, Corbin,
Guénon, and Schuon (Suny Press, 2010), Apocalypse des religions (L’Harmattam, 2016)
et Shimmering Mirrors: Reality and Appearance in Contemplative Metaphysics East and
West (Suny Press, 2017). Il prépare un nouveau livre sur Ramana Maharshi intitulé
Surrendering to the Self.

Vasanthi Srinivasan est professeur dans le département de Science Politique


de l’université de Hyderabad. Elle est l’auteur de Gandhi’s Conscience
Keeper: C. Rajagopalachari and Indian Politics (Permanent Black, 2009) et de Hindu
Spirituality and Virtue Politics (Sage, 2014).

159
Martine Chifflot est un écrivain, de langue française, philosophe et traductrice
(sanskritiste, latiniste). Docteure habilitée à diriger des recherches en philosophie,
professeure agrégée honoraire de l'Université Lyon 1, elle se consacre à la composition
de livres et à la réalisation de films. Elle a notamment traduit du sanskrit Le collier de
perles des doctrines du Vedānta de Prakāçānanda (Paris : l’Harmattan, 2005) et publié
Platon, l'âme et le bien (Publibook, 2015) et La Cultuerie de Masse (Editions Aedam
Musicae, 2017).

David Bisson est docteur en sciences politiques et historien des idées. Ses recherches
portent sur les relations qui se nouent entre le politique et le religieux dans un monde
marqué par la sécularisation. Il est l’auteur de René Guénon. Une politique de l’esprit
(Paris: Pierre-Guillaume de Roux, 2013).

Renaud Fabbri est directeur du Centre Aditi. Diplomé de philosophie, religion comparée
et science politique, il est ancien Chercheur Invité du Centre d’Etude des Religions du
Monde de la Divinity School de Harvard et ancien rédacteur en chef adjoint de la revue
Adyan/Religions. Il a notamment publié Eric Voegelin et l’Orient (Paris : L’Harmattan,
2016) et René Guénon et la tradition hindoue: les limites d'un regard (Lausanne: l'Age
d'Homme, 2018).

Gabriel Arnou-Laujeac est diplomé notamment de Science Po et d’un troisième cycle


juridique spécialisé dans les droits de l’Homme. Il a sillonné les routes de l’Inde et a
entrepris, dans un contexte traditionnel, une étude de la philosophie indienne classique
et en particulier du Vedānta traditionnel. Il est l’auteur de Plus loin qu'ailleurs (Ed. du
Cygne, Paris, 2013) et a publié dans diverses anthologies littéraires, revues et magazines
en France et à l’étranger. Son prochain livre est intitulé L’Univers existe-t-il ? Introduction
à l‘ontologie du Vedānta (Les Deux Océans, Paris, 2020).

160
I
n an age marked by the collapse of the social structures of the modern world
and the spiritual derailment of so many religious traditions, Hinduism, with
its metaphysical and primordial perspective on man, the world and the Sacred,
occupies a unique position. A few westerners may find in it an echo of the religions
of Ancient Europe and a minority an authentic initiatory path as demanding as those
that may still exist in the margins of Abrahamic traditions. Whereas Buddhism is well
established in France and represented institutionally through organizations, journals
and publishing houses, nothing similar exists for Hinduism. In general, the landscape
is dominated either by an agnostic academic discourse or by new age publications that
totally distort Hindu teachings.

The Aditi Center for the Study of the Hindu Tradition intends to fill up this gap.
Without dismissing the importance of scholarly works on Hinduism, it focuses on the
initiatory dimension of the Sanātana Dharma. It also rejects all the New Age attempts
to reduce Hindu symbols and spiritual practices to a few superficial techniques for self-
development and well-being. To some extent, this center finds its inspiration in the work
of the French metaphysician René Guénon, without being affiliated to any school per se.

The center and the journal it publishes are symbolically placed under the patronage of
the Goddess Aditi. In the Ancient Vedic literature, the Mother of all the gods is called
Aditi. She is both a divine person to whom devotees can address their prayers and the
symbol of the universal and infinite consciousness that the metaphysician discovers
within himself. The Vedic worship of Aditi prefigures the tantric worship of Goddesses
such as Pārvatī�, Kālī� or Tripurasundarī� in contemporary Hinduism.

161
Goddess Durga (Picture by Peacay)

162
Table of contents

165 Editorial
Renaud Fabbri

167 Interview with Swami Amritananda Saraswati

173 Morning Remembrance Hymn: Prātaḥ Smaraṇa Stotram


Ā� di Ś� aṅkara (trans. Ira Schepetin)

Section on the Kali yuga

177 Alchemy of Time: Kashmir Shaivism on How to Kill Death and Be Time
Rather Than a Victim of It
David Dubois

189 History and Time: An Indian Perspective


Á� lvaro Enterrí�a

207 Postmodernism and the Signs of Time


Patrick Laude

219 From Self-Mastery to Self-Surrender: Silver Linings in the Dark Age of Kali
Vasanthi Srinivasan

233 The Theory of the Ages: From The Laws of Manu to Plato’s Republic
Martine Chifflot

253 The Time of the End and the End of Time: The Dialectics of History in René
Guénon
David Bisson

263 At the Root of Evil? Eric Voegelin and India


Renaud Fabbri

281 Biographies

163
Viśvarūpa, l'Omniforme

164
Editorial

A confused feeling of an the Hindu teachings about the cosmic


impending doom is hanging over Europe, cycles and our living in the Kali-Yuga,
nourished by geopolitical shifts of first the age of darkness and ignorance seem
magnitude: the increasing gap between more relevant than ever. Whether Hindu
Europe and its American protector, the chronologies are to be taken literally
rise of a new Chinese empire, endemic or symbolically, they put the destiny
wars on the south and eastern borders of of modern man in perspective with
the continent causing mass migrations. the rhythm of the universe. Whereas,
In this context, the topic of decline since the Renaissance, modern man
has become once again fashionable as has systematically cut his ties both with
illustrated by mainstream publications the nature surrounding him and with
such as Michel Onfray’s Decadence or the transcendent Principle from whom
Michel Houellebecq’s Soumission. Oswald he draws his being, Hindu doctrines
Spengler’s ideas, conceived toward the are reminding us that man, including
end of War World One, are, once again, in his historical dimension, should not
taken seriously. be regarded as “an empire within an
The spectacular decline of Europe empire” (imperium in imperio). To quote
should not make us ignore the fact that Guénon, “the human order and the cosmic
the trend is global and far reaching. order are not in reality separated, as
One may wonder if it is not the modern they are nowadays too readily imagined
vision of society, the dream of an endless to be; they are on the contrary closely
scientific and technological progress, bound together, in such a way that each
born with the Enlightenment, which is continuously reacts on the other, so
disintegrating before our eyes. The decay that there is always a correspondance
of the historical epicenter of modernism between their respective state.”1 It
is mirrored by the crisis of what is left of should therefore not come as a surprise
traditional societies. When considering that the age in which some of the lowest
the state of contemporary Islam, one may possibilities of the human condition are
only recall the analysis of Guénon about given free rein does coincide not only with
the “great parody” accompanying the the collapse of traditional spiritualities
end of a cycle and the fate of religious but also with ecological catastrophes on
traditions once their spiritual heart has an unprecedented scale. The spiritual
ceased to beat. At the same time, signs disorder in the human soul is reflected
of climate change across the globe give in the alarming transformations of our
a secular content to millenarian fear of a natural environment.
forthcoming apocalypse. The strength of the Hindu
Under the present circumstances, perspective, compared with other
1 René Guénon, The Reign of Quantity (Sophia Perennis, 2004), p. 113

165
theologies of history, is that it never loses full interview of Swami Amritananda
sight of the fact that whatever the miseries Saraswati, a sannyāsin who appeared in
of the Kali yuga, man remains eternally the movie documentary Guru & Disciple
connected in his inner self to Brahman, and a translation by Ira Schepetin of a
to the Supreme Principle. Therefore, morning prayer by Ā� di Ś� aṅkara.
liberation from individual as well as
collective sufferings is not to be expected Renaud Fabbri, Editor-in-Chief
from some parousiastic event that could
bring an end to the endless cycles of war
and injustice. Even the coming of the Kalkin
avatāra will bring but a temporary relief.
The true and only means of transcending
the human condition lies within ourselves,
in our own self from all eternity and that is
possibly why India, at least till the modern
period, has never fallen into the spiritual
trap of millenarianism, which has so often
caused spiritual derailments in Christian
and Muslim history.
The present issue explores
the Hindu conception of Time and
History. David Dubois introduces us to
the metaphysical conception of time
in Kashmir Saivism and reflects on its
implications for the man of the Kali yuga.
Á� lvaro Enterrí�a provides an overview
of the classical vision of time and
history in Ancient India. Patrick Laude
and Vasanthi Srinivasan question the
consequences of the doctrine of the yugas
for the understanding of our modern
and postmodern world. Martine Chifflot
compares the teaching of the Laws of Manu
with those of Hesiod and Plato. David
Bisson proposes a critical assessment of
Guénon’s reception of Hindu notion of kali
yuga. In an article of Eric Voegelin, I call
into question his genealogy of Gnosticism
and Millenarianism based on the counter-
exemple of India.
This issue also contains a

166
Interview
with Swami Amritananda Saraswati
Translated from Sanskrit into Hindi by Brahmachari Nirvikalpasvarupa
and from Hindi into English by J.D.

Swami Amritananda Saraswati is a sannyāsin and a disciple of Swami


Swarupananda Saraswati who is is the Shankarācārya of Dwarka and Jyothirmath.
Some excerpts were originally included in the documentary Guru & Disciple. The
questions were asked in Hindi by Manjula Rao.

Manjula Rao: Swamiji, would you tell us MR: Why do Hinduism and Advaita
how you became a renunciant? Vedānta give so much importance to the
Swami Amritananda Saraswati: Nārāyaṇa! guru-disciple relationship?
Born in the right family and after the SAS: Nārāyaṇa! Ācāryād dhaiva vidyā
proper traditional studies, the brāhmaṇa-s viditā sādhiṣṭhaṃ prāpat (Chāndogya,
engage themselves in the knowledge of the IV, 9, 3) ”Only the knowledge attained
inner Self. Only a person of pure mind can through the preceptor (ācārya) is fruitful.”
achieve the knowledge of the inner Self. We can study the contents of books, but
To purify the mind, religious observances bookish knowledge lies unsteady in the
like sacrifices etc. are performed. mind. The ocean is filled with water. The
With God’s favor, people like me born rays of the sun transform that water into
in families performing such religious clouds. Rain falls from the clouds. Life is
observances get interested in the study sustained by the rainwater. The water
of Vedānta. After that, comes the desire from the ocean cannot be directly drunk
of leaving home. When detachment ... but, once transformed into clouds and
and devotion arise and, with them, the rain by the rays of the sun, that water
renunciation to family, then the perfect becomes like ambrosia. It becomes like
master (sadguru) is approached and a medicine which sustains the plant and
refuge in him taken. In this way, I was animal world. Bookish knowledge is like
initiated by my guru to the renunciant’s the water from the ocean, it cannot be of
life and now I am following the path of any benefit [if directly drunk]. Once the
the Supreme Swans (Paramahaṃsa-s i.e. a text has been duly studied, if the guru
high category of ascetics). communicates its essence, then that
knowledge becomes ambrosia like the
rain falling from the clouds. This is why
in our tradition we have an uninterrupted
lineage of teachers.

167
Swami Amritananda Saraswati (Picture by Alexi Liotti)

Preceptors as well need to have a guru. MR: What is the role played by the
Thus, it is said: the disciple of Lord scriptures in Hinduism?
Nārāyaṇa was Brahmā, the disciple of SAS: God established the eternal law
Brahmā was Vasiṣṭha, the disciple of (sanātanadharma) not only in India but
Vasiṣṭha was Ś� akti, the disciple of Ś� akti throughout the 14 spheres (the whole
was Pāraśara, the disciple of Pāraśara was universe) and we are all the protectors of
Vedavyāsa, the disciple of Vedavyāsa was this dharma which was firstly retained by
Ś� ukadeva, the disciple of Ś� ukadeva was the great seers (ṛṣi-s). The same dharma
Gauḍapāda, the disciple of Gauḍapāda was is known in modern times under the
Govindapāda, the disciple of Govindapāda denomination of hindudharma, but its real
was Ś� ankarācārya and Ś� ankarācārya had name is sanātana vaidika ārṣa dharma,
four main disciples [who were consecrated i.e., the eternal Vedic dharma laid down
as the first four Ś� ankarācārya-s]: by the seers.
Padmapāda, Hastāmalaka, There is only one dharma taught by the
Sureśvara and Toṭaka. I bow to all of these scriptures. According to it, a tuft should
guru-s whose lineage my guru belongs to. stand on the crown of the head [of the
It is impossible to achieve perfect twice born, i.e., brāhmaṇa-s, kṣatriya-s
knowledge without a guru. The very Lord and vaiśa-s].: The forehead shouldn’t be
Nārāyaṇa attained it through the help without the religious mark. The sandal,
of a guru. Knowledge is achievable only rouge or ash’s mark should be applied
through a guru. Therefore, everyone must according to the respective religious
search for a guru. There is no chance of school. Sewn clothes cannot be put on.
finding the right path without a guru. This Indian culture is a traditional culture in
is why in our tradition the figure of the which everybody is devoted to the mother,
guru is so important. father and Guru. Devotion to Mother

168
Cow is also of paramount importance. never be neglected. Contentment should
The Ganges along with the other sacred always fill the mind, defects like lust,
rivers is worshipped as a Mother. anger, greed etc. should never prevail. One
Likewise, gods are daily worshipped, mere negligence in the abstentions and
and meditation performed. The mind everything fails. The pot starts leaking
must be uninterruptedly focused on God. water once it gets cracked, likewise,
To put an end to the wheel of birth and when a person disregards abstentions,
death is the purpose of one’s life. This his knowledge and spiritual exercises
is the distinguishing characteristic of become fruitless. Being so, a solid faith
hindudharma. is needed for an uninterrupted practice
Effort should be accomplished in order of abstentions. Though the practice
that death will not swallow us again. The of observances and abstentions is
determination of achieving Liberation equally prescribed by the scriptures, yet
through the knowledge of the Absolute particular attention should be paid to the
(Brahmajñāna) should be there. Once practice of the abstentions.
knowledge is achieved in this life, the
liberated, for whom no action is left to MR: What are the criteria to recognize a
be done, becomes free from death. He true teacher of Vedanta?
no longer returns to a mother’s womb SAS: It is well known that only those
to experience life and sorrow. This is who are qualified and who know the
the main purpose and observance of essence of the scriptures can teach the
hindudharma. truths revealed by the scriptures. Who is
devoid of that kind of knowledge is not
« The essence of one’s own eligible to teach. Only he who knows the
being and ever accomplished essence of the scriptures can explain it.
Self is that which is called Only he who knows the very core of the
Liberation (mokṣa). » scriptures can describe it. He who does
not know the scriptures properly does
MR: What are the duties of a spiritual not even have the smallest qualification to
seeker? talk about them. Therefore, only he who
SAS: The sanātanadharma prescribes has the uninterrupted direct experience
abstentions (yama-s) and observations (sākṣātkāra) of the non-dual Self is
(niyama-s). Observations like taking bath qualified to teach the doctrine of Advaita.
daily, living in purity, washing the body Faith in dharma, rituals etc. makes a
with clay and water are all examples of person qualified to speak about dharma.
niyama-s. There are many abstentions The person without faith in dharma and
amongst which the most important are Brahman (the Absolute) is by no means
non-violence, self-restraint, celibacy, qualified to speak about them. The main
patience etc. Sometimes, due to particular point is that he who has faith in dharma
circumstances, it is possible to neglect and in Brahman is the one qualified to
the observances but the abstentions can speak about dharma and about the inner

169
Self. This is the final view of the scriptures. bṛhantam tam tvā aupaniṣadam puruṣam
pṛcchāmi’, that is, ‘the Self is known only
MP: Could you tell us about the Supreme through the Veda and the guru’. The Self
Goal? should be known through the scriptures,
SAS: The essence of one’s own being the guru and one’s own direct experience.
and ever accomplished Self is that This is why the sages declare that
which is called Liberation (mokṣa). Liberation should be achieved through
It is written: nivṛttirātmā mohasya revelation (śruti, the Veda), reasoning,
jñānattvenopalakṣitaḥ. Liberation is the guru’s words and direct experience.
very Self. Knowledge of the essential
nature of that Self should be attained. [To conclude the interview Swami
Liberation is “the uninterrupted Amritananda Saraswati recites a portion
experience of the Self as the result of the of the Gajendra Stuti from the 8th Skanda
withdrawal of nescience”. Yet there is no (verses 2-9) of the Shrimad Bhagavatam
real bondage, nor liberation, because Purana, a prayer for protection and
bondage is a mere illusion. If bondage salvation addressed to Lord Vishnu by
were real, release from it would never be Gajendra, the King Elephant. Invoked by
possible. Actually, although the illusion of Gajendra, Lord Vishnu comes to earth to
bondage is there, all beings are liberated protect him from the clutches of death by
at all times. a crocodile.]
The release from the delusion can be
attained through the scriptures. Suppose Oṁ namo bhagavate tasmai yata
that someone who is wearing a precious etaccidātmakam, puruṣāyādibījāya
necklace, erroneously believes that the pareśāyābhidhīmahi.
jewel has dropped from his neck: he I pay obeisance and devoutly meditate
will grieve. But, if someone who knows upon that Glorious [Lord Vishnu] who
the truth comes and reminds it to him is the prime cause of this world, who in
by asking ‘what is it that is hanging on the form of the Supreme Person abides in
your neck?’, then the deluded man, after every heart, who is the Lord of the entire
bringing his hand to the neck, realizes world. Because of Him consciousness
that the necklace is still there and he animates [this material world].
rejoices. Likewise, the Self is everywhere, Yasminnidam yataścedam ya idam
it is one’s own essential nature, existence- svayam, yo’smāt parasmācca parastam
consciousness-bliss (saccidānanda) is its prapadye svayambhuvam.
very essence, it is the pure, awakened and The universe rests firm upon Him, it has
liberated one. That Self is my self. To realize been manifested out of His Being, it is
that, the guru is needed and the guru entirely pervaded by Him and it is the
imparts the teachings of the scriptures. manifestation of His own form. Yet, He
Thus, Liberation cannot be attained transcends both, cause and effect. I take
without the knowledge of the scriptures. refuge with Him, the self-sufficient.
Scriptures say: ‘nāvedavin manute tam yaḥ svātmanīdam nijamāyayārpitam

170
kvacid vibhātam kva ca tat tirohitam. living beings equally, who are friendly
This cosmic manifestation, which is with everyone and who flawlessly practice
supported by Him through His illusive in the forest the vows [celibacy, living as
power, sometimes appears [during an hermitage and renouncement] desire
emission] and sometimes disappears to see His all-auspicious lotus feet. May
[during dissolution]. He be my destination.
aviddhadṛk sākṣubhayam tadīkṣate sa na vidyate yasya ca janma karma vā na
ātmamūlo’ vatu mām parātparaḥ. nāmarūpe guṇadoṣa eva vā,
He is all-seeing, He is the witness of both He has not birth, action, name, form,
[manifestation and dissolution]. He is the qualities or defects.
uncaused cause of everything, thus He tathāpi lokāpyayasambhavāya yaḥ
transcends cause and effect. May He give svamāyayā tānyanukālamṛcchati.
me protection. Still, when time comes, He accepts all
kālena pañcatvamiteṣu kṛtsnaśo lokeṣu these to let the world’s manifestation and
pāleṣu ca sarvahetuṣu. destruction happen through His illusive
During dissolution, the whole power.
manifestation is annihilated with all its tasmai namaḥ pareśāya
worlds, their maintainers and all their brahmaṇe’nantaśaktaye,
causes. arūpāyorurūpāya nama
tamas tadāsīd gahanam gambhīram āścaryakarmaṇe.
yastasya pāre’bhivirājate vibhuḥ. I pay obeisance unto Him who is the
At that time there is nothing but a dense Supreme Lord, the Supreme Brahman
and deep darkness. He, however, exists with unlimited potency. I pay obeisance
over and above this darkness. May the unto Him who is the formless possessing
Almighty protect me. all forms and whose actions are wonderful.
na yasya devā ṛṣayaḥ padam vidurjantuḥ
punaḥ ko’rhati gantumīritum.
His station [i.e., Reality/Essence] can’t
be understood neither by gods nor seers.
Thus, how can other living beings reach it
or express it by words?
yathā naṭasyākṛtibhir viceṣṭato
duratyayānukramaṇaḥ sa māvatu.
His actions are very difficult [to
understand], like the different ways of
dancing of the dancer. May He protect me.
didṛkṣavo yasya padam sumaṅgalam
vimuktasaṅgā munayaḥ susādhavaḥ,
carantyalokavratamavraṇam vane
bhūtātmabhūtāḥ suhṛdaḥ sa me gatiḥ.
Renunciants and great sages who see all

171
Lord Gaṇeśa

172
Morning Remembrance Hymn
Prātaḥ Smaraṇa Stotram

Ādi Śaṅkara
Translated by Ira Schepetin (Atmachaitanya)

1 AaTma siCcTsuo— äü 2 AaTma Svy<àkaz äüEv

àat> Smraim ùid s——<)urdaTmtÅv< àat-Rjaim mnsae vcsamgMy<


siCcTsuo< prmh<sgit< turIym!, vacae iv-aiNt iniola ydnu¢he[ ,
yTSvßjagrsu;uÝmvEit inTy< y< neitneit vcnEinRgma Avaecus!
tdœäü in:klmh< n c -Uts'œ"> . 1 . t< devdevmjmCyutmahur¢!(m! . 2 .

Ātmā saccitsukham brahma Ātmā svayamprakāśa brahmaiva

Prātaḥ smarāmi hṛidi saṁphuratātmatattvam prātarbhajāmi manaso vacasāmagamyaṃ


saccitsukhaṁ paramahaṁsagatim turīyam vāco vibhānti nikhilā yadanugraheṇa
yatsvapnajāgarasuṣuptamavaiti nityam yaṃ netineti vacanairnigamā avocus-
tadbrahma niṣkalamahaṃ na ca bhūtasaṅghaḥ taṃ devadevamajamacyutamāhuragryam

The Self is Brahman, which is Existence, The Self is the Self-effulgent Brahman
Consciousness, Bliss. alone

This morning I remember the effulgence This morning I worship that which is
in the heart which is the Truth of the Self; ungraspable by mind or speech
Which is existence, consciousness, bliss, But due to whose grace speech is able to
which is the goal of the Paramahamsas, revealing all its objects.
the Fourth, Turya. That which is described in the scriptures
That which eternally knows the dream, as ‘not this, not this’
waking and deep sleep, And who is the God of Gods, unborn and
That partless Absolute, I am, and not a undescended,
collection of elements. He is said to be the first, the foremost.

173
3 AaTmEved< svRm! 4 StaeÇpiQTa°[a— )lm!

àatnRmaim tms> prmkRv[R< ðaekÇyimd< pu{y<< laekÇyiv-U;[m!! ,


pU[R< snatnpd< pué;aeÄmaOym! àat> kale pQe*Stu s gCDet! prm< pdm!
yiSmind< jgdze;mze;mUtER
rJj!va< -uj’!gm #v àit-aist< vE . 3 . Stotrapaṭhitṝṇāṃ phalam

Ātmaivedaṃ sarvam Ślokatrayamidaṃ puṇyaṃ lokatrayavibhūṣaṇam


Prātaḥ kāle paṭhedyastu sa gacchet paramaṃ
Prātarnamāmi tamasaḥ paramarkavarṇaṃ padam
pūrṇaṃ sanātanapadaṃ puruṣottamāghyam
yasminidaṃ jagadaśeṣamaśeṣamūrtau The fruit of reciting this hymn
rajjvāṃ bhujaṅgama iva pratibhāsitaṃ vai
He who recites in the morning time these
The Self is the Self of All three auspicious slokas,
Which are an adornment to the three
This morning I prostrate to that which is worlds,
beyond darkness and is the color of the Will certainly attain the Supreme Abode.
sun.
It is complete, it is the eternal abode, it is
called the supreme person,
That in which this whole world with its
infinite forms without remain, indeed
appears like a snake in a rope.
OM Calligraphy

A Sanskrit commentary on Shankara’s Morning Remembrance Hymn by H.H. Sri


Sri Satchidanandendra Sarasvati called Vedanta Balabodhini, has been translated
into English and is available at Vedantic Light Publishers, Woodstock, NY, USA
(tajmahal108@gmail.com) or the Adhyatma Prakasha Karyalaya, Bangalore, India.

174
Section on the Kali yuga

“I am Time, the mightly cause of


world destruction, who has come
forth to annihilate the worlds. »
Kṛṣṇa, Bhagavad Gītā XI, 32.

175
Kāmeśvarī (Picture by G41rn8)
176
Alchemy of Time
Kashmir Shaivism on How to Kill Death and Be Time Rather
Than a Victim of It

David Dubois

When contemplating all things with fire at the bottom, slowly going
through a non-dual vision upward, until all is ashes and fume. Then
- the miracle and wonder that is a new cycle begins, on and on without
awareness - end. The longest Indian narrative, the
one gives up choosing between Mahābhārata, is a lesson in that matter:
engaging and renouncing action. in the end, all die, men destroy each
Abhinavagupta, Mâlinîvârttika, II, 81 other and, even if they were to master
themselves, Time would burn all, for so
It is a well known fact that life it must. Time is the very nature of things.
goes through two opposite temptations: to They can’t escape it, because they can’t
embrace action or to renounce it. Fight or escape their very nature. Time is the Great
fly, such was the dilemma in Ancient India God, the supreme power that none can
as well. Brace up (pravṛtti) or embrace escape, not even gods2.
eternity (nivṛtti) was the dilemma of the The other side of the coin is to
ancient Seers. renounce the project of building within
The desire to engage in action in becoming, and instead to fly out of Time.
order to build a human world was marred This is a tempting deal indeed: renouncing
by the common belief that becoming is a pleasure to get rid of pain. But those forces
process of degradation only. Perfection of transcendence were also, in part at
belongs to the past. Ritual action (karma, least, self-defeating, for to desire absence
kriyā) and conformity to the eternal of desire is still a craving. How could one
Dharma1 may slow down the growth construct destruction? How could an
of disorder, but the end is unavoidable. endeavor in Time bring us out of Time?
Death shall win, for Death is none other But even more than that: Indic Culture,
than Time (kāla) himself. In that view, like all cultures, is also quite starving for
Time is akin to a fire “cooking” the world. enjoyment and construction. In spite of
Each world, of which there is an infinite all the pessimistic tales of Doom, the most
number, is literally a huge cooking oven, ancient tradition is radiating with an

1 The natural order of things.


2 See “The Doctrines of Svabhāva and Kāla in the Mahābhārata and Other Old Sanskrit Works”,
V. M. Bedekar, in Time in Indian Philosophy, p. 187.

177
Three forms of the Goddess (Jaipur)
undeniable yearning to live to the fullest. quest for solutions or even reconciliation.
Vedic rituals and Hindu rituals are enough One such formulation is the theory that
evidence to this. The goal of the Ritualists, knowledge (jñāna) and action (kriyā)
who are the vast majority of the adepts, should go hand in hand to bring us to both
is not to stop Time or to escape it, but freedom (mokṣa) and pleasure (bhoga),
to understand its laws in order to build like the two wings of a bird. On the other
(kḷpti, ṛta) within it. To build a ritual world hand, Vedic Ritualists cry for action alone,
of symbols that bridges the gap between knowledge being, according to them,
Man and the Cosmos. nothing but a kind of advertisement. And
Thus, the Veda, the oldest corpus at the opposite side, we have the Vedic
of Indic revelation, bears witness to this Gnostics, according to whom knowledge
deeply human contradiction: to fight alone is good, action being, in their
one’s way unto the very end of the Age terms, only renunciation, a grounding for
of Strife (Kali-yuga), or to let down all liberating knowledge. In the Bhagavad
and everything, up to one’s breath and Gītā, the situation of the warrior Arjuna,
one’s body? Eros or Thanatos? And let us sobbing in the middle of the ultimate
be assured that this quandary is not an battlefield between two armies and two
Indic trait. For is is really the fate of all. options - fighting or renouncing his duty
Indic literature is full of such hesitations - is a case in point. Should we engage in
between accepting and rejecting. Heroes battle and risk failure and a meaningless

178
glory? Or renounce and live a life of awareness of the absolute. That absolute
abstraction and loneliness? is called Ś� iva, while the awareness it has
That dilemma will be echoed of itself is his Power, Ś� akti. Through such
again and again in Indic spirituality, a power of self-realization, the absolute
until the modern debates about the reveals himself to himself, as everything,
so-called “Indian ill-wished desire for and to men as well, in the form of
renunciation”, a wish for Death, that knowledge contained in these books and
being, according to some critics, the in the form of masters and Mantras3 that
real import of central revelations such have the unique capacity to convey Ś� iva’s
as the Bhagavad Gîtâ. Thus, Buddhism power of freedom in a ritual of initiation.
would be a cult of nothingness. That It has also a rich tradition of yoga which
is, of course, if we except universalism dates back at least to 300 AD4. Kashmir
(mahā-yāna) and symbolism (mantra- Shaivism, which is by no way confined to
yāna) from Buddhism... But whatever Kashmir, is grounded in two traditions:
may be the case, that predicament of the Triad (Trika) and the March (Krama),
“fight or fly” is really, we believe, the main two branches of the Kaula religion, an
fuel of the extraordinary development esoteric movement within tantricism.
of Indic spirituality on the long run. It Kaula-dharma or Kaula tradition
is our understanding that, rather as a says that both “freedom from” (mokṣa)
purely accidental product of social or and “freedom to” (bhoga) act in Time
economical context, Indic culture can be can be achieved through the body. But its
best understood as a display, in Time, of yoga is different from the “tantric yoga”
a deep universal difficulty: how to get the that will prevail later under the name of
better of life, while transcending it? The Hatha Yoga. Hatha Yoga, probably largely
root dilemma (vikalpa). inspired by Buddhism but borrowing
Here, we shall offer a solution tantric terminology, is based on techniques
inspired by a tradition that is coming to reach physical immortality. Kaula-
out more and more as one of the highest dharma is a tradition of devotion to the
achievements of Indic Culture: so-called God and the Goddess. It is also different
Kashmir Shaivism. from tantric ritualism. It teaches salvation
While the Kashmiri traditions (from becoming) and realization (within
were born outside of Kashmir, it is there becoming) through ceremonies, but in
that, between 800 and 1100 AD, their those it stresses comparative simplicity
import has been interpreted in most and inner experience. What is imperative
brilliant ways, that were to influence is inner feeling, rather than proper
Indian traditions up to the present day. It execution of complex ritual procedures.
is based on books (tantra) seen as extracts Hence it provides more space for inner
from an eternal knowledge, the self- discovery.

3 Divine beings who incarnate within ritual world as sacred sounds and hymns.
4 One of the best source on the organization and evolution of the śaiva (or revealed by Śiva)
religion are the papers of Professor Alexis Sanderson, of Oxford.

179
Its general structure is that of duties he himself creates.
the Family or the Clan (kula). Initiation Thus, ordinary awareness is
is entry into the immortal family of Ś� iva contracted (saṃkucita), imprisoned
and Ś� akti. Regarding Time, it is breath by the very things it creates, for it is
(prāṇa). Its source is a free and all- unaware of that process of creation.
powerful Consciousness, the source of The goal, beside adoration of the Divine
all and the Self of beings. Its practice is Family and integration into its fold, is to
adoration and quest for grace, rather relax the body, that body being nothing
than mechanical technique. Hence its but a crystallization of the nectar of
ceremonies are bursting with hymns. Not Consciousness. Ice must melt again into
unlike some Gnostics, it affirms that the water. The goal is not to separate spirit
common world is, by and large, a lie. By from matter, or to destroy completely
“the world” we must here understand the the ego, but to reawaken Consciousness,
Brahmanical world, the system of social in a quasi physical sense. Whatever can
classes and stages of life. According to loosen the bonds of social restraint is
Kaula-dharma, the brahmanical order welcome: wine, sexual union, chant,
of things (varna-āśrama-dharma) is dance and consumption of some meat
artificial. It is not natural, for we see that together with outcasts (a serious offense
in different countries, different social for Brahmanism), contact with death
organizations prevail. This prison has been and sexual products (whatever comes
built by the intelligent ones to protect the out of the body is impure, according to
fools from themselves. It is nonetheless Brahmanism) and yoga. Here yoga means
a construction based on ignorance of divine participation (bhakti) and various
reality, a lie and the main source of fear. types of contemplations. Two of those
Kaula-dharma agrees with brahmanists yogas are about looking at space and
that the world-order is degenerating. But observing the breath.
the adepts of the Divine Family (the Kula)
do not lament this fate. For the Kali-yuga
It is, in effect, a general rule for
is the collapse of falsehood, of a prison for
understanding the Kashmiri
the slaves (paśu), those uninitiated in the tradition that whatever it
knowledge of the essence. says, it speaks of ordinary
Ignorance (avidyā) is fear (śaṅkā) experience.
of impurity. Ignorance manifests in That last practice brings us
the form of dilemmas (vikalpa), as in back to the topic of Time. What is
“is this pure or impure?” That kind of Time? According to the philosophy of
dualistic thinking destroys the vitality Recognition (pratyabhiñā), a school of
of Consciousness and throws it into the thought inspired by the Kaula-dharma,
hands of superficial religions, religions Time is change, nothing but the succession
of slaves (paśu-dharma) with its endless of phenomena. Some are more regular,
lists of do’s and don’t. The Divine enslaves like the movement of the sun. Through
himself in the artificial religions and them, we can measure less regular ones.

180
But those cycles are like the breath of the that whatever it says, it speaks of ordinary
absolute, its free manifestation. Among experience. Each instant, everything, the
those cycles, breath is at the centre. The whole destiny of all, is given. But only
observation of breath cycles is a natural those “rich in awareness” shall enjoy
and subtle form of adoration. Becoming those riches. Whatever is said here is an
aware of it is actualization of its true invitation to pay attention to the minutest
nature of bliss. Observing the breath is key details of so-called daily life. God hides in
to realizing Time as one’ own Power. the details. And as a matter of fact, each
Abhinavagupta, the most thorough cognition (thought, feeling, perception,
interpreter of the tradition, who lived at memory, desire, action...) starts by such a
the turn of the millennium, revealed a “zero” state, where the absolute negates
system where Trika and Krama are two himself, opening a space for the Other,
aspects of one Tradition. Abhinavagupta that is, for realizing itself as that other, as
did not invent that synthesis. But he the cosmos, as individuals, as Time.
certainly offered an incredibly deep Then breath becomes dual and
expression of it, where Time is essential. Time rally begins. In and out, coming
Time is Consciousness, the and going, up and down, is the basis for
supreme Power of the absolute. It is all dualities that are Time. In breath, all
“supreme” in the sense that it contains symbols are revealed. In the synthesis of
all other powers and possibilities. Abhinavagupta, the Trika corresponds
Consciousness incarnates herself and to the inbreath and the Krama to the
transforms into breath, that is, life. outbreath. Why? Because the Trika
Breathing in and out is an extremely rich tradition embodies the creative aspect
manifestation of life, rich enough to be a of the absolute, bliss and ecstasy. It is
path, full and complete in itself. Before Awareness as life-giving, nourishing
manifesting as breath, the absolute and fulfilling. Its symbols are goddesses
realizes himself as void (kha), absolutely shining in beauty, embodying creation. The
transcending all objects. That void is the Krama expresses the destructive aspect of
primordial object, the first state, or rather the absolute, as Death, or rather of Time
non-state, that shall be the background of as Death, the Goddess Kālī�. Time is Death,
all other states and objects to follow. It is the Limit, the End. Consciousness creates
space, and it is Consciousness negating but, in the very same gesture, destroys.
herself, taking herself for her very She swallows what she has vomited.
opposite, unconsciousness, the darkness Like pictures drawn on water, things
of loosing consciousness, matter. That appear and disappear in one stroke. Both
reminds us of Tsim-Tsum. But here, that aspects are inseparable. Of course, we
event happens at the individual scale, in would like to have only creation, bliss and
his very experience. And not just once, but ecstasy. But the teaching of the esoteric
at the beginning of each and every cycle transmission of the Krama (krama means
of cognition. It is, in effect, a general rule “transmission”, as well as “the March of
for understanding the Kashmiri tradition Time”) invites us to see beyond that first

181
impression. For Death is also liberation. deepest tensions. The arising of thoughts,
As Time all-consuming, Consciousness is once dreaded, reveals itself as nourishing
freed from the objet. Without it, awareness open awareness, unconstructed and light.
would be identified to and stuck in only Thus, knowledge of Time is key, and the
one objet, one state, without ever being key to that key is, of course, attention.
able to move forward. Consciousness That is the royal path of Time. Kali-yuga
would not be free, for being free is to be then becomes revelation of Goddess Kālī�,
free from any essence, to be unconfined by who is none other than the absolute as
any definition. To be free is to be free from Time.
oneself. If not, Consciousness would be no In the chapter VI of his Light on
different from a stone, bereft of lordship. the Tantras, Abhinavagupta describes
Or course, it is true that that freedom is a complex practice he calls “the Path of
open door to pain and confusion as well. Time”. Time is action. But action is the
But that is the price, and the problem is succession of forms. Forms do not exist
the solution: Time is both the terror and outside Consciousness. And those forms,
the refuge. For Time is Death, but Death is explains Abhinavagupta, succeed each
liberation, real freedom. other inasmuch as they are incompatible,
To make that a concrete like fire and water. Time or becoming is
experience, one needs not close eyes thus a way for Consciousness to manifest
or seek seclusion. It is enough to pay its contradictory aspects. As they are
attention to experience. Attention is the incompatible, they cannot manifest
wishfulfilling stone. Distracted, we are simultaneously, but only successively. And
lost, even if in deep meditation. Paying that is the origin of Time.
attention where it should, we are free and But that successive manifestation
easy, even in the middle of agitation. Time is grounded in Relation, for “before” and
is like a vase with two handles. One burns, “after”, past and future are relative to
the other is delightful. If we approach one another. But how is such a Relation
Time as destruction of what we love, there possible? Here Abhinavagupta draws on
is only pain. If we train in approaching the philosophy of Utpaladeva. According
that destruction as freedom, there is more to him, all daily dealings and activities
and more bliss. Let us take the example are based on relationship. Perception is
of thought going on all the... Time. If we between subject and objet, memory is
stress their arising, we feel overwhelmed, between present perception and past
trapped and tense. We may block them or cognition. Judgment is a relation between
witness them passively, which option gives a refuting cognition and a refuted one.
a little relief, though limited. If, rather, we Even the simple perception of a thing is
stress the natural, effortless fading away one thing, and hence a synthesis, a relation
of thoughts, we start to feel a relief, like between multiple elements.
a burden falling off our shoulders. The But what is relation? Things, argue
flow of thoughts itself feel more and more Utpaladeva and Abhinavagupta, cannot
like an opening up, a breaking down of relate to each other, because they are

182
Kālī seated on Śiva (Himachal Pradesh)
inert, deprived of consciousness, of desire situation, the adept or yogi sits in his
and of the power to go beyond themselves. private temple and contemplate his breath,
Therefore, relation is Consciousness a most direct and natural manifestation of
and, in that sense, all is consciousness. the Vibration that is Consciousness. One
Regarding Time, it is Eternity displayed in, one out, its measure is of 36 finger
as a succession. Eternity is everything, breadth, from the Heart up to twelve finger
but manifest at once, like a city seen as a above the top of the head, the End of the
whole from the top of a hill, or a painting Twelve, the door to the absolute. Usually,
contemplated without selecting any part. breath moves in a crooked way, following
Time, then, is that same awareness of the the direction to the nose. But here, it forms
Whole, but taken one part after the other. a vertical line. In and out become down
Or course, Time displays itself in Eternity. to the Heart and up the Space above the
It doesn’t cancel it nor does it take its Head. Energy awakens and straightens up,
place, so to speak, for without Eternity, not unlike a cobra under gentle strokes.
which is Consciousness, Time could not The adept is then to feel or
present itself, like reflections bereft of a contemplate all Time cycles within breath
mirror. cycles, half in, half out. First, one instant.
After having understood that Then, one minute, then one clepsydra,

183
then one half-day. Then one day and one is stopping Time. If Time is Death, then
night, one lunar month, one year, one stopping breath is to kill the Killer.
yuga, one day of Brahmā and so on, until But killing Time is not the
one day and night of Ś� iva, which is infinite. ultimate goal. For, Abhinavagupta say,
In one cycle, an infinity of Time. Thus the “consciousness is an ocean, and it is
synthesis of Time and Eternity is achieved indeed the very nature of an ocean to
in this very life, within that very body. have waves”. Unlike Vedānta, Kashmir
That is liberation in life and the non-dual Shaivism doesn’t see movement as a
state of the absolute, beyond all opposites, defect or as a mysterious accident within
integrating them in a superior harmony. the motionless absolute, but as the very
At the same time, if one may say nature of the absolute, its freedom and
so, the movement of breath quiets down, excellence. The absolute is Vibration. Like
slowly. The pauses between in and out a heart, it pulsates, manifests the Whole in
lengthen. Gross movement is consumed himself, forgets himself in that Whole, and
by the fire of Consciousness awakening, then recognizes himself in the whole of
eating all fetters and divisions. But it is a it. Therefore, after having consumed and
common belief of Indic health-wisdom swallowed Time, Time is created anew. It
that the length and frequency of breath proceeds again, but in full awareness of
foretell of the lifespan. If breath slows its conscious source, as its breath and life,
down to the point of being hardly felt, not as a lost piece in a strange Whole. This
like a piece of cotton, then one’s lifespan is the typical scheme of tantric practice:
lengthens accordingly. One begins to duality forgetful of unity; then coming
go towards immortality. The Yoga of back to unity, excluding duality for a while;
Vasishtha or the Book Which is the Mean and finally the comeback of duality, but in
to Freedom, composed also in Kashmir full awareness of its own ground.
around the same period, tells the tale of a A more simple form of that
divine crow who achieved immortality by practice, prescribed in many places in
just that practice of observing breath. kashmiri shaiva scriptures, is a simpler
In chapter VII, Abhinavagupta observation of breath. It is, in fact, the
describes another practice which more ancient form of the practice found
combines observation of breath with in older Kaula Tantras or scriptures and
Mantra recitation. One is to recite one extolled in such treasuries of meditation
Mantra within one breath cycle. Then, as the Vijñāna Bhairava Tantra. Here, one
that same Mantra is to be “recited” within sits like for a regular meditation session,
one minute, one hour, one day, one month, and observes the breath, like in Vipassana.
one year, twelve years (the traditional But instead of just being a witness to those
amount of time for any action to become “phenomena”, not unlike the Witness of
a natural habit, a saṃskāra), one yuga, up Vedānta, one pays attention to the end of
to Eternity. Just like before, breath comes exhalation. At the end of each outbreath,
to a stop. This is the key practice of “eating and before the next inhalation starts,
Time”. Time is breath. Stopping breath there is a pause. That moment escapes

184
duality, for it is neither in nor out, neither life-giving. It is the night and is good for
taking no abandoning, neither engaging in violent and destructive actions. But both
Time nor rejecting it. in- and out- breath are on the level of
One can pay attention to the end duality, of never ending games of creating
of the inbreath as well, when winds stop and destructing, saṃsāra. By and of itself,
in the Heart center. But it is easier on the it is vain, unable to bring satisfaction, for
outbreath, for that movement naturally in and out are relative and so carry each
invites relaxation. Then one pauses - a other. It is Time as a dreadful couple of dogs
moment of pure balance, neither this nor described in the Veda and remembered by
that. It is a door to the Source of Time, Abhinavagupta: one has to throw balls of
not seen as an opposite of Time, but as its meat to quell their hunger but, in the end,
soul, its more lively and passionate way of Death will prevail. As day and night, they
existing. Eternity here, if one wants to use are going on, eating each life - the very life
that word, is Time condensed, gathered in they sustain, whether that life is successful
unity, within a single gaze, so to speak. It or not doesn’t matter.
corresponds to the most sacred moments The pause between each breath
of the Indic calendar: dawn and sunset, is called samāna, the Equalizer, because
midday and midnight, all those “junctions” it is equal, neither in nor out. From the
(saṃdhyā), when Consciousness is naked point of view of health, it predominates
and raw, given as it is. In the almanacs, it during deep sleep and is responsible for
is given as the most powerful moment, the “equalization” of digested food among
when the way to freedom is fully open. the different elements like blood and
It also corresponds, on a cosmic scale, bones. But that level of interpretation,
to equinoxes, solstices and eclipses. It better known but less related to our
corresponds, on a psychic level, to the topic, shall not concern us here. Samāna
moments when one thought has finished is balance. Therefore it is outside of Time,
and the next has not yet appeared. There because Time is Misbalance (vaiṣāmya),
is, then, a nakedly transparent sky-like and the goal is Harmony (sāmya) of
awareness. “Meditation” is familiarization the possibilities of Consciousness, the
(pariśīlana) with that simple fact. reconciliation of the arch enemies: unity
Outbreath is called prāṇa, and duality5. But usually those moments
because it goes out. It corresponds to the of pause, whether between breaths,
sun, to the day, and so on. It is the time for thoughts or in deep sleep, are overlooked.
creative actions. That is why, on another Their potential remains dormant, limited
level, when energy dominates in the right to a partial restoration of body faculties.
solar channel, it is good for actions of But when one sits and gives full
enrichment or healing. Inbreath is called attention to those moments, that space
apāna, for it goes down to the Heart. It awakens. In darkness of slumber, a fire
is like the moon because it is fresh and is kindled. This fire is the mode of breath

5 Pratyabhijñā-vimarśinī, IV, 1: “Full non-duality is beyond fullness, [for] it has integrated both
duality and unity”.

185
Cover of a śakta manuscript depicting Umā and Māheśvara (Nepal)

called udāna, the Ascendant, because like expanded, it becomes the mode of energy
a fire, it ascends and burns the fetters vyāna or the Pervading, fully awake
in the form of the many doubts and Consciousness, the absolute awakened to
hesitations of the Heart that, more or less himself in an individual. So, the intervals
consciously, blocks the way to Harmony. of pure awareness awaken in between
In some places, it is called Kundaliṇī, or each breath, start to “eat” Time, like a fire
Consciousness asleep, slowed down, does wood. Time disappears. But then,
hypnotized by its own creation. Time is in vyāna, manifestation of forms starts
consciousness going slower and slower, again. A new creation, or rather, the same
becoming more and more mechanical, life, but lived consciously from its Source.
until matter and it’s “laws”. But the so- Time as a display of the unending wealth
called “natural order” of Brahmanist of the absolute. “And he does and knows
tradition is precisely part of that cosmic what he desires”6, not because the adept
slumber. And the so-called Age of Strife becomes a Superman, but because he or
is a crumbling down of a falsehood. Ice is she has aligned himself with the Source.
melting. The Ideal is not to separate a real, Time becomes her dance. There is no more
immutable Spirit from a moving Māyā, gap between what the individual wants
but to save matter, for matter is Spirit in and what the Source wants. The Person
sleep. The aim is not to slow down (except is born again a son or a daughter of the
temporarily), but to awaken oneself to Family, Ś� iva and Ś� akti. And thus, the Triad
one’s original infinite speed. (Trika, the name of one of the branches of
That Fire ascends gradually or at the Kaula religion) of Ś� iva, Ś� akti and the
once. But in all cases, it actualizes both Individual is fully accomplished in total
freedom from Time and the fullness of Harmony.
participation in that ecstatic creation Knowledge of Time (kāla-jñāna)
that Time is really all about. Once fully is thus vital. It is indeed the title of a
6 Pratyabhijñā-kārikā, IV, 15.

186
series of texts among the oldest. Also, Sanskrit sources
in most tantras one will find a chapter Abhinavagupta, Tantrāloka, Motilal
on “Cheating Death”. One learns to Banarsidass
recognize signs of imminent death and Abhinavagupta, Mālinīvārttika, Kashmir
to avert it through magic practices. But Sanskrit Series
the highest knowledge of Time and the Abhinavagupta,
most direct way to cheat Death remains Ī�śvarapratyabhijñāvimarśinī�, Motilal
for Consciousness to recognize herself. Banarsidass
Abhinavagupta says that this practice can Mahāmahopadhyāya
be done based on breath, but there exists Hārāṇacandrabhaṭṭācārya,
an even more simpler way. A “breath” is, Kālasiddhāntadarśinī,
truly, a cognition. The moment of pure Sampūrṇanandaviśvavidyālaya
awareness can be recognized between
cognitions, without any other elaboration, Studies
yoga or meditation. Then one can live Anindita Noyogi Balslev, A Study of Time in
one’s role while being the Master of all Indian Philosophy, Manoharlal
plays. The center of oneself is the center of Time in Indian Philosophy, edited by Hari
the turning wheel of Time. Being a slave in Shankar Prasad, Sri Satguru Publications
saṃsāra is then transmuted into being the
Lord of the wheel of energies. That is the
true Alchemy of Time and the way to be
free from Time while enjoying it. Time is
the absolute discovering itself, fathomless,
all obvious and all mysterious, hidden
by his own presence, present unto his
own absence. For who can deny or prove
Consciousness?

Back: Goddess Kālī (Wellcome Library, London)

187
188
History and Time
An Indian Perspective

Álvaro Enterría
Translated from Spanish by Leslie Cadavid

History legendary usually has a historical base.


In India, the past is present on The people and the actions
every street corner: temples, palaces, that wove this civilization have become
Buddhist stupas, mosques, forts and the blurred, their particular characteristics
thousands of monuments that form part have become mixed with mythological
of its main tourist attractions. India is ones. A king was “The King” by
also an excellent arena for the study of antonomasia (the coronation of kings,
living history. Every century of history the abhiṣeka, was not meant to crown
co-exists, enabling us to study the ways of them as the king of such and such a
life and mentalities of past civilizations by realm, but as sovereigns of the entire
analogy. Modes of thought both symbolic world); a battle was a reflection of the
and synthetic, concepts and manners war that took place in the Mahābhārata;
of contemplating life that have all but a religious person was indiscernible from
disappeared long ago in the West survive the archetype of the ṛṣi, or the primordial
miraculously alongside modern living, sage. What most defines a king is his royal
allowing us to observe how life must have authority, whatever be the surrounding
been in the far-off past. circumstances. The essential of a sage
Albeit guardians of the most is his inward state, not his character or
ancient extant civilization, Indians have date of birth. The events and people of
scarcely been interested in history, this world are reflections of the divine
at least in the sense that it is thought world; it is the latter, the archetypes,
of today. In the midst of an immense that constitute reality. The multitude of
production of Sanskrit texts on the most specific details are of no importance.
diverse topics, there seems to be no room It is thus extremely difficult to
for history.1 Indian history has come date the events of ancient India or the
down to us clothed in myths, and it is lives of its outstanding personalities,
difficult to separate the historical from whose names we often do not even know.2
the mythological or legendary, even if the Let us take Ś� aṅkarācārya as an example:
1 Often cited as an exception to this is the history of Kashmir written by Kalhana in the 12th
century A.D.
2 Anonymity is a common feature of traditional societies. Who knows the names of the architects
of cathedrals and temples, or those of the sculptors and painters who decorated them? To
further complicate the matter, pseudonyms were often used to mask the identity of a person

189
the most eminent Indian philosopher- past much more through its myths than
saint who exerted an enormous influence through the interpretation of its history
on all later metaphysics is attributed as a memory of past events. Not that this
dates anywhere from the 6th century B.C. last is missing — in certain regions there
through the 9th century A.D. (a range is even an acute consciousness of history
of 1400 years!). The time of Buddha in this sense — but there are no criteria
(perhaps 563-483 B.C.) is also debated. for differentiating myth from history; a
The chronology of ancient India is thus disconcerting fact for the western mind,
built on very shaky foundations: the date unaware that its own myth is precisely
of Alexander’s invasion, the dates of the history”.3
coming of Chinese pilgrims, etc.; nearly all Indeed, the westerner is educated
the dates of pre-Muslim India are based on in an interpretation of the world that
such scanty data, plus approximations and reduces everything to temporal categories
conjectures. Up until 1838 when James by which practically everything can
Prinsep deciphered the inscriptions of supposedly be explained. We tend to
the great Emperor Aśoka (273-236 B.C.?) attach meaning and value to change, not
Indians had lost even the memory of his to permanence, whereas other cultures
name. It was thus the English who, from have sustained just the opposite. Modern
the middle of the 18th century on began to man has lost the experience, and almost
study the history of India and were later the very notion of eternity, which is not
joined by Indian scholars at the end of the an unlimited span of time, but rather
19th century. Today Indians have taken atemporal, what is beyond time; the
on the study of their own history with vertical dimension of life. The aesthetic
a passion. However, in the India of the experience may be the only thing that
beginning of the 21st century, history is vaguely reminds him that he is not just a
often used as a partisan political weapon. social and historical being.
But all this does not mean that In the words of Mircea Eliade:
Indians do not have, or have never had, a “Interest in history is manifested in
sense of history, or that they do not live western contemporary philosophy by the
from or learn from it, but rather that they tendency to define man as a particular
have on the contrary an acute sense of the historical being, a conditioned being, and
great antiquity of their culture. Raimon finally, a creation of history… Modern
Panikkar writes: “The vision a people has man’s anguish is secretly linked to the
of its history indicates the way in which it awareness of his historicity, and this in its
understands its own past and assimilates turn reveals his anxiety vis-a-vis death and
it into its present. … And India has lived its the naught… ‘Wrong action’, as the Hindus

or a group of people, or works might be attributed to a famous person to make them more
important (note the case of Dionysius the Aeropagite in Europe). The individual was not thought
to be the author but a mere instrument or channel through which works were manifested.
3 Raimon Panikkar: “Temps et histoire dans la tradition de l’Inde”, in Les cultures et le temps,
études préparées pour l’UNESCO (Paris : Payot, 1975), p. 88.

190
is no doubt that many of the events
related therein do have, in all likelihood, a
historical base. For example, the recently
discovered underwater ruins next to
the city of Dwarka in Gujarat appear to
confirm the sinking of that city into the
sea as narrated in the Mahābhārata.
These writings make up the history of
India insofar as they show, with much
greater clarity than does history in a
modern sense, the aspirations and soul of
a people.
Let us add that, the periods of time
that are contemplated and the “historical”
universe in which India lives are greater
and less limited than in the West. History
is often thought of in terms of millennia;
two or three centuries is a long time in
today’s western mentality, but very little
Mircea Eliade (1907-1986)
in the traditional Indian perspective.
would say, does not consist of living in Kabī�r (1440-1518?) appears in India as
time, but in believing that nothing outside quite a recent personality, whereas the
time exists. We are devoured by time and distance separating the European present
by history, not because we live in time, but from anyone of those same dates is all but
because we believe in the reality of time, impassable.
and therefore forget or underestimate History, as it is conceived of today,
eternity”.4 tracks a linear series of events separated
Hindus, on the other hand, have from each other and linked solely by
never felt themselves to be trapped in causality. The Indian point of view is
history, nor for that reason have they been organic: it sees the universe as a whole —
interested in memorizing the sequence made up of different hierarchical levels,
of specific events; they have written starting from the material all the way to
their history in the epics Rāmāyaṇa and the purely spiritual — whose parts are
Mahābhārata (known as the itihāsas, “So interconnected and united by the Divinity,
it was”) and in certain parts of the profuse the centre of all of them. It is this vertical
body of writings that make up the Purāṇas dimension that unites time with eternity,
(“ancient” texts), in which, for example its source. Everything that happens has
we find lists of royal lineages. Although a meaning which cannot be understood
these works may not pass the scrutiny or exhausted through a mere “literal”
of a “scientific” historical analysis, there
4 Mircea Eliade, “Valorización de la angustia”, in Los mitos del mundo contemporáneo (Buenos
Aires: Ed. Almagesto, 1991).

191
Churning of the ocean by the devas and the asuras

reading of the facts. Universal wisdom its own meaning, foreign to the avatars of
has always postulated “Being” as well as history, for the traditional icon does not
“Becoming”. To observe only Becoming (in represent ‘facts’, but rather ‘archetypes’,
Indian terms, saṁsāra), without grasping and by definition neither accepts nor
its vertical dimension, Being (sat, withstands historical analysis”.5
Brahman), is to remain on the surface of
things. Time (kāla)
In the Indian perspective, Time is the beginning, middle
according to Oscar Pujol, “the traditional and end of creatures, the very existence
explanation is holistic, not historical. of beings. It is the supreme power (śakti)
It tends to create meaning through the through which God weaves His māyā.6 It
superimposition and uniting of different is said in the Atharva Veda: “Time is that
levels of interpretation so as to form a which causes the birth of the worlds, and
hermeneutic conglomerate endowed with that which sustains them. It is the father
5 Ò� scar Pujol: “Introducción”, in Patañjali, Yogasūtra, Los aforismos del yoga, Translation,
introduction and Commentaries by Ò� scar Pujol Riembau (Barcelona: Kairós, 2016), p. 18.
6 Māyā is the “cosmic illusion”, “magic”, “art” or “occult power” of God which creates the world of
appearances, by which unity appears as multiplicity, Brahman appears as the universe. All that
is not divine belongs to the realm of māyā.

192
of all things. There is no power greater time, and from their embrace issues forth
than it”. Emphasis is often placed on the the mystery of creation.
destructive aspect of time that devours Contrary to the scientific
all human ambitions and aspirations conception, time, like space, is not neutral.
and reduces them to naught. Kṛṣṇa says Each moment of time has a specific content
in the Bhagavad Gī�tā: “I am all-powerful from which it cannot be separated; there
Time that destroys all things” (XI,32). is no empty time (could one conceive of
Ś� iva, in his aspect of destroyer god who time without phenomena?). Two different
re-absorbs the universe, is known as moments are not interchangeable.
Mahākāla (Great Time), and his spouse or In a book that attempts a
energy, Kālī� (from kāla: time. According rapprochement of Hindu Vedānta and
to another etymology it also means “the Christianity, the author, “a western monk”,
black one”). Quoting the Maitri Upaniṣad warns “against a natural propensity
(VI,14-15): “In truth, there are two forms of the western mind that consists in
of Brahman:7 time and the atemporal. imagining that in the distinction of its
What is before the sun is atemporal, conceptions there corresponds a real
without parts; but what begins with the separation of things. If it is a question of
sun is time with its parts… he who reveres time, for example, we have the tendency
time as Brahman, from him time recedes”. to picture it to ourselves spontaneously
Created time is divisible as a kind of reality in itself, separable
and limited, but eternal Time is one, from what happens (and from what we
homogenous, indivisible and unlimited. are). … World and time are not separate
Upon imposing limitations and realities. The world does not exist on one
distinctions on eternal time, empirical side and the present moment on the other.
time comes forth. In India the cakra, or There is only one existent, which we could
wheel is the classical symbol of the world denominate ‘the world now’”.8
of becoming (saṁsāra) governed by time. Microcosmically, time is a mental
The circumference spins rapidly, but its construction with no intrinsic reality.
movement is only made possible by the When the mind becomes calm, time slows
presence of an immobile hub at its centre. down; when mental activity is stilled in
In Tantra, the world is formed by the union contemplation (samādhi), time ceases
of the masculine and feminine poles of the to exist. According to Bartṛhari: “In the
Divinity. Ś� iva (consciousness) is identified state of ignorance, time is the first thing
with eternity, his wife Ś� akti (energy) with to manifest itself, but it disappears in

7 Brahman is the Absolute, God beyond all form or personality. According to non-dualist
doctrines (advaita), Brahman is beyond all duality, such as God-universe, observer-observed,
etc.
8 Un moine d’Occident, Doctrine de la non-dualité (advaita-vâda) et christianisme: Jalons pour un
accord doctrinal entre l’Église et le Védanta (Paris : Dervy, 1982), pp. 80, 81-82. [Eng. Trans.: A
Monk of the West: Christianity and the Doctrine of Non-Dualism, Sophia Perennis, 2004].

193
the state of wisdom”.9 Only the liberated The shortest of these great cosmic
sage transcends it definitively, living cycles is the mahāyuga or caturyuga,
ceaselessly in the eternal present, that which is divided into four eras (yuga), or
intemporal instant in which the world periods of development of the world and
does not yet exist. In the words of A. K. man in decreasing durations. The names
Coomaraswamy: “It is ‘we’ who move, of these phases of the cycle have been
while the Now remains unmoved and taken from the four plays in the game of
only seems to move — much as the sun Indian dice. The first period is the Kṛta
appears to rise and set only because the Yuga (kṛta: done, finished, perfect), also
earth revolves”.10 called the Satya Yuga (satya: truth). This
is the age in which the universe and man,
The Cosmic Cycles because of their proximity to the Principle
Metaphysically, there is an of which they are the manifestation, are in
enormous difference between the a state of plenitude and perfection. The
concepts of time in the West versus those of symbolic bull of dharma13 is standing
the Indian civilization. While the western on all four legs at that time. In this yuga
idea of time is linear, Indian thought has man is conscious of his divine origin and
always conceived of it as circular, or rather manifests the full array of possibilities
cyclical. Time can only be measured using of the human state. Everyone belongs to
as a starting point the natural cycles, and one caste, or class called haṁsa, which is
it is thus logical that it adopts a cyclical above the four subsequent castes (varṇa).
form on all levels. Just as day and night,
seasons and years ceaselessly repeat "In the state of ignorance, time
themselves without ever being the same,11 is the first thing to manifest
in this same way great cosmic cycles itself, but it disappears in the
follow upon one another, such that the state of wisdom." Bartṛhari
end of one cycle joins the beginning of
the next in an uninterrupted succession But the process of manifestation
without beginning or end.12 With some implies a constant and inexorable
differences, this cyclical concept of time is distancing from the centre — what has
common to Hindus, Buddhists and Jains. been born has begun to die —, a descent

9 Bartṛhari, Vākyapadīya, II, 233. Quoted by Raimon Panikkar in Les cultures et le temps, op. cit.
10 Ananda K. Coomaraswamy, Time and eternity (New Delhi: Munshiram Manoharlal, 2014), p. 3.
11 Which excludes the theories of eternal returning, for two cycles are never identical, only similar.
12 These accounts of the phases of the universe are found in the Purāṇas and the Mahābhārata,
which make up part of the smṛti (“remembered”), a huge mass of texts with authority second to
the śruti (“heard” in the sense of revelation): the Veda, including the Upaniṣads.
13 Dharma, a word difficult to translate, is “that which sustains” the cosmic, social and personal
order, the law, the nature of man and the universe. To be in harmony with the universe and
his deepest self, the human being must align his conduct with his own dharma (svadharma),
according to his particular nature and situation in life.

194
that parallels what is contained in the falsehood and vain slaughter”15 then, says
Judeo-Christian concept of “The Fall”. The the Śrīmad Bhāgavatam, we are in the Kali
Kṛta Yuga is followed by the Tretā Yuga, Yuga. “In the age of Kali wealth takes the
when illness and work appear and men place of high birth, virtuous conduct and
are divided into four castes according to character in estimating a man’s worth.
their particular nature. The bull of dharma Might will become right, being accepted
now stands on three legs, and will later as the factor determining what is dharma
stand on only two in the Dvāpara Yuga, and what is justice. Mutual attraction
the age of equilibrium between perfection will become the sole consideration
and imperfection, darkness and light. Men in marital relationship. Business will
begin to forget spiritual knowledge as the become tantamount to the practice of
universe moves away from its Origin. And fraud”.16 There will be confusion among
in the downward movement of the cycle castes (varṇa), the brāhmaṇas (Brahmins:
we finally come to the Kali Yuga (kali: the depositories and transmitters of spiritual
worst of each thing, struggle, dissension; knowledge) will sell knowledge and
no relation to the goddess Kālī�, with behave as śūdras, the śūdras (people with
two long vowels) or Dark Age in which no spiritual tendencies) will achieve the
we currently find ourselves, propped highest social rank. At the end of the cycle
up by only one leg of dharma, the other the family will disappear, great numbers of
three having been lost. “When due to the people will die of hunger and spirituality
evil influence of Kali men have become will be reduced to a minimum.17
physically weak; when the dharma of
the varṇas and āśramas14 inculcated by The Age of Conflict
the Vedas has perished; when the ways Similar texts are to be found
of the atheists and their teachings have in many other traditions. According to
become widespread; when kings have Hermes Trismegistus: “They will dissect
degenerated into mere robbers; when men the lower animals — yes, and one another
in general have begun to indulge in theft, also — seeking to find out how they

14 The varṇas are the four states or “castes” (not to be confused with the jātis, sometimes denoted
“subcastes”) into which Hindu society is divided: brāhmaṇa, the priestly and intellectual class;
kṣatriya, warriors and administrators; vaiśya, merchants and the self-employed; and śūdra,
manual workers. The āśramas are the four traditional phases of life: brahmacārī, student;
gṛhastha, householder; vānaprastha, forest dweller, in spiritual retreat; and saṁnyāsī, monk
who completely renounces the world. This organization in varṇas and āśramas is called
varṇāśrama dharma.
15 Srimad Bhagavata: The Holy Book of God (4 vols.), translated by Swami Tapasyananda (Madras:
Sri Ramakrishna Math, 2003), Skanda XII, cap. 2.
16 Srimad Bhagavata, ibid.
17 But let us note that there is a minimum below which we cannot sink. In the Kali Yuga, the bull
of dharma still stands on one foot. There cannot be a complete absence of dharma, for the latter
is the very nature of the human being, and can only be forgotten or ignored to a degree.

195
have come to be alive, and what manner and closer to the gods”,20 writes in Critias
of things is hidden within. … They will or Atlantis: “When the divine essence
cut down the woods of their native land, began to be altered in persons by force
and sail across the sea to seek what lies of having allied itself numerous times
beyond it. They will dig mines, and search to human nature, and when the latter
into the uttermost darkness of the depths gained importance, unable to bear their
of the earth. (…) As to the soul, and the prosperity, they degenerated. Since then,
belief that it is immortal by nature, or may those who had eyes to see could recognize
hope to attain to immortality…, all this their misery, for they had lost the best of
they will mock at, and will even persuade their possessions; while those incapable
themselves that it is false. No word of of appreciating what in reality constitutes
reverence or piety, no utterance worthy of happiness believed, on the contrary, that
heaven and of the gods of heaven, will be they had arrived at the culmination of
heard or believed”.18 glory and good fortune...”21
Ovid: “(When the age of hard iron Saints scarcely need anything to
came) all evil burst forth into this age of live in the world, for their happiness does
baser vein: modesty and truth and faith not depend on any outward thing; yet
fled the earth, and in their place came today the average person has countless
tricks and plots and snares, violence and needs, and the modern world is focused
cursed love of gain. … And the ground, almost exclusively on fulfilling them. A
which had hitherto been a common materially simple life does not imply
possession like the sunlight and the air, intellectual poverty, quite the opposite.
the careful surveyor now marked out Over the span of millennia, Brahmins in
with long-drawn boundary-line. … they India led a very simple life coupled with
delved as well into the very bowels of the an illustrious intellectual and spiritual
earth; and the wealth which the creator tradition that was transmitted orally
had hidden away and buried deep… was in Sanskrit, a much more sophisticated
brought to light, wealth that pricks men to and complex language than modern
crime”.19 languages. Who can claim that this was
Are we not now more or less in not the case during at least a significant
such a situation? However, according to part of the extremely long “prehistory”?
the official line, which arbitrarily equates According to Arthur Osborne:
technological advancement with human “The term ‘stone-age’ is used with an
progress, we are currently in the best and implication of brutishness that may be
wisest era of humanity. Plato, who said altogether misleading. There is nothing
that the men of ore “were better than we inherently improbable in the legendary

18 Hermes, Stobaei, Exc. XXIII, 45; Asclepius, III, 25,26a.


19 Ovid, Metamorfosis, Book I. These last two quotes appear in The Treasury of Traditional
Wisdom, edited by Whitall N. Perry (George Allen and Unwin, 1971).
20 Plato, Philebus, 16c.
21 Plato, Critias, 121 a-b.

196
Goddess Bhadrakali worshipped by the gods

Chinese description of the stone-age trimmed, that he ate simple food from a
Emperor Yao who was revered as a model clay bowl with a wooden spoon and rode
of purity and austerity and was already an in a chariot drawn by white horses. It is
Ancient in the time of Confucius. It is said significant that nothing of all this would
that he wore simple clothes of hempen remain as evidence for the archaeologist
cloth in summer and deerskin in winter except perhaps a fragment of the clay
and dwelt in a wooden house whose bowl”.22
beams were not carved nor its thatch Plutarch narrates that “there

22 Arthur Osborne, The Rhythm of History (Varanasi: Indica Books, 2011), p. 15.

197
is a pillar in the temple at Thebes that life, not to mention contemplation. All
bears inscriptions carved on it cursing authentic religious traditions concur
Meinis [Menes, pharaoh during the 3rd that this time is one of extreme spiritual
millennium B.C.], king of Egypt, who was poverty.
the first to make the Egyptians give up But nothing is absolutely good
the frugal, sober and simple way of life or bad. Every era has compensations
they had until then practiced”.23 Historian which, from that standpoint, make it
R. H. Tawney explains thus the change appear better than others. Although the
of perspective: “From a spiritual being, general tendency of history is downhill,
who, in order to survive, must devote Robert Bolton explains why the illusion of
a reasonable attention to economic “progress” — the official ideology of our
interests, man sometimes seems to have time — manages to hold on: “The first and
become an economic animal, who will highest state of a lower sub-cycle always
be prudent, nevertheless, if he takes due comprises a return to a higher state than
precautions to assure his spiritual well- that of the lower parts of the next-higher
being”.24 sub-cycle before it. It is essentially owing
Recent centuries have witnessed to this naturally self-reversing property
an immense growth of outward of time that belief in progress finds
knowledge. But wisdom, the inward confirmatory evidence, as every advance
“science”, has decreased to an alarming into a lower range of possibilities will be
degree. Man today is a giant in terms compensated by the realization of values
of knowing thousands of details about in it which went unrealized before. Such
the physical world and about actions in changes deflect attention from what has
this world (machines, transportations, been lost in order to make these new
instruments of seeing, hearing, and relative goods possible, so that lost values
communicating…), but he is an infra- fall into oblivion while things gained have
developed dwarf in terms of his self- immediate evidence”.25
control and the development of his The world that is born is new
soul. Modern man can scarcely survive and promising, full of as yet unexplored
outside of his artificial, impoverished possibilities; the one that dies is old and
surroundings. He has practically no decadent, showing up the corrupted
preoccupations outside of his immediate aspects of the previous world. The new
needs; he seeks money, not virtue, and world reveals the many ways in which it
has no time for profound thought, or for has improved things, but the world that
meditating upon the great mysteries of perishes takes with it many virtues that

23 Plutarch, Isis y Osiris (Palma de Mallorca : Olañeta, 2007), p. 24. [Several English translations].
24 R. H. Tawney, Religion and the Rise of Capitalism (Penguin, 1987). Quoted in Bryan Appleyard,
Understanding the Present: Science and the Soul of the Modern Man (New York: Anchor Books,
1994), p. 53.
25 Robert Bolton, The Order of the Ages: World History in the Light of a Universal Cosmogony
(Sophia Perennis, Ghent, 2001), p. 219.

198
are no longer even remembered. The following tremendous tribulations, Kalki,
events of the Mahābhārata took place at the last avatāra (divine incarnation) will
the end of the Dvāpara Yuga, ushering appear, mounted on a white horse, and
in the Kali Yuga. The war purified and following a flood of water or fire,26 will re-
cleansed a corrupt world full of arrogant establish everything in the integrity of its
and autocratic kings, where long-held primordial state, thus initiating the start
values had degenerated to an extreme of the next cycle which will begin with a
degree; the Kali Yuga, albeit lower in new Satya Yuga.27
the hierarchy from a spiritual point of This cyclical perspective results
view, commences in peace under the in seeing all beginnings, as well as all
benevolent rule of Yuddhisthira. ends, as relative. There is no Genesis or
The downward progress of end of the world in Hinduism. Perfection,
the yugas indicates a general tendency and its inevitable decadence, just as dawn
even though other minor cycles are and nightfall, are found as much behind us
manifested, with their ups and downs, in as ahead of us.
every yuga. Just as days form a year, every As we can see, this concept of the
cycle contains other cycles, lesser cakras four successive eras is similar to those
within greater cakras. If we were to take of Greco-Latin Antiquity: the Golden,
the calculations of duration of the cycles Silver, Bronze and Iron Ages. Babylonian,
literally, we might suppose that we are at Persian, pre-Columbian and many other
the end of a sub-Kali Yuga: a lesser cycle ancient civilizations also had similar
within a greater Kali Yuga. cyclical concepts. The idea of the decline
A date often proffered as the of man after a more noble and pure age
beginning of the Kali Yuga is the year 3102 is almost universal with the exception of
B.C., legendary date of the death of Krishna, the current civilization, which confuses
36 years after the Mahābhārata war. Note levels of material advancement with
that all known history falls within the Kali cultural and spiritual levels. There exists
Yuga. At the end of this “Age of Conflict”, no people who has not its myth of a lost

26 Plato in Timaeus (22-23) narrates a conversation between Solon and an old Egyptian priest.
Solon recounts to him the most ancient of the Greek historical memories. The priest replies: “O
Solon, Solon, you Hellenes are never anything but children, and there is not an old man among
you. Solon in return asked him what he meant. I mean to say, he replied, that regarding your
soul you are all young; there is no old opinion handed down among you by ancient tradition,
nor any science which is hoary with age. And I will tell you why. There have been, and will
be again, many destructions of mankind arising out of many causes; the greatest have been
brought about by the agencies of fire and water, and other lesser ones by innumerable other
causes… As far as those genealogies you have just mentioned, O Solon! They differ but little
from children’s tales. In the first place, you remember only one deluge, whereas before that
there have been many others”.
27 Once again we could draw a parallel with the second coming of Christ and the establishment of
the Heavenly Jerusalem.

199
paradise. According to G. K. Chesterton: creator god. At the end of this day of 4,320
“Science knows nothing whatever about million years, Brahmā closes his eyes and
pre-historic man; for the excellent reason sleeps one night of equal duration, during
that he is pre-historic. ... History says which the formal universe is reabsorbed
nothing; and legends all say that the earth (pralaya) and no longer exists except in
was kinder in its earliest time. There is potential, returning into existence once
no tradition of progress; but the whole again upon awakening the following
human race has a tradition of the Fall”.28 “day”. Day by day, Brahmā lives to be one
hundred years old, and thereupon “dies”,
A Dizzying Cosmology being reabsorbed into the Primordial
The yugas are of decreasing Substance or Undifferentiated Divinity
duration, with periods of time whence he arose. In this mahāpralaya or
proportionate to durations of 4, 3, 2, massive universal destruction not only
and 1, adding up to 10 as a complete the three worlds (heaven, earth, and the
cycle. Each yuga comprises a dawn and intermediate world) disappear, but also
a sunset (sandhyā), the Kṛta Yuga lasting every sphere of existence, including the
1,728,000 earth years (4,800 divine most elevated. This life of Brahmā or
years), the Tretā 1,296,000 years, the mahākalpa is the largest span of time that
Dvāpara 864,000 years and the Kali Yuga exists, equal to 311,040,000 millions of
432,000 years, for a total of 4,320,000 earth years.29
years (12,000 divine years) making up Viṣṇu, here conceived of as the
the complete cycle. Now, 71 of such cycles highest divinity (the Absolute, Brahman,
or mahāyugas make up a manvantara, or is often personified as Viṣṇu, Ś� iva or the
interval of Manu. Manu is the “Noah” of Goddess (Devī�), who are otherwise none
the previous cycle, the archetype of the other than partial aspects of the Divinity),
human being, who is the origin of the in the form of Nārāyaṇa, lies asleep on
present humanity and hands down the the serpent Ananta (“endless, infinite”),
law by which it must act. A manvantara floating upon the ocean of primordial milk
thus lasts a hair-raising 306,720,000 that forms his own substance. Then only
years! 14 manvantaras with their the eternal Brahman subsists, beyond all
respective twilights, or 1,000 mahāyugas, manifestation and differentiation, resting
constitute a kalpa, or day of Brahmā, the in himself in the Great Night beyond light

28 Gilbert K. Chesterton, Orthodoxy (Hazleton PA: The Electronic Classics Series, 2014), p. 132.
29 According to some interpretations, the number of years allocated to each cycle are not to be
taken literally, for they are symbolic (but not arbitrary). In any case, the duration of these eras
must be based on the astronomical period of the precession of the equinoxes, or duration taken
by the earth’s axis to complete a rotation up to its initial position (the axis turns like a spinning
top), equivalent to approximately 26,000 years. This great cycle, the half of which (13,000 years)
was known as the Great Year by Persians and Greeks, was known to ancient civilizations. See
René Guénon: Formes traditionnelles et cycles cosmiques (Paris : Gallimard, 1970). [Eng. Trans.:
Traditional Forms and Cosmic Cycles, Sophia Perennis et Universalis, 2003].

200
the formless abyss of the vast waters?
Who will number the passing ages of the
world, as they follow each other endlessly?
And who will search through the wide
infinities of space to count the universes
side by side, each containing its Brahmā,
its Viṣṇu,31 and its Ś� iva? ... Beyond the
farthest vision, crowding outer space, the
universes come and go, an innumerable
host. Like delicate boats they float on the
fathomless, pure waters that form the
body of Viṣṇu. Out of every hair-pore of
that body a universe bubbles and breaks.
… Each flicker of the eyelids of the great
Viṣṇu [Mahāviṣṇu] registers the passing
of a Brahmā. Everything below the sphere
of Brahmā is as insubstantial as a cloud
taking shape and again dissolving...”32

Living in the Dark Age


The chronological manner in
Brahmā, the creator (Picture by Tim Evanson)
which the myth is narrated is to some
and darkness.30 When Nārāyaṇa finally extent an analogy, for our minds can
awakes, a lotus grows out of his navel and only understand things that take place
gives rise to another Brahmā, who will be in time. A higher level of reading reveals
the originator of a new universe. a causal chain that is beyond time, both
The succession of universes, just macro and microcosmically. The law of
as those that co-exist, is never-ending. correspondences that exists between
“Ah, who will count the universes that every sphere of existence33 permits the
have passed away, or the creations that use of a mode of expression using sensory
have risen afresh, again and again, from or rational forms to be able to conceive,

30 “At the end of the worlds, all things sleep: He alone is awake in Eternity. Then from his
infinite space new worlds arise and awake, a universe which is a vastness of thought. In the
consciousness of Brahman the universe is, and into Him it returns” (Maitri Upaniṣad, VI,17,
trans. Joan Mascaro). See also: “Nāsadīya sūkta” or “Poem of non-being” of the Ṛg Veda, X,129.
31 Viṣṇu, conceived of before and after in the text as the supreme Divinity, is here understood to
be God in the aspect of protector and preserver, forming part of the trimūrti, or three aspects of
God.
32 Heinrich Zimmer, Myths and Symbols in Indian Art and Civilization (Delhi: Motilal Banarsidass,
1990), pp. 5, 6, 9. From the Brahmavaivarta Purāṇa, 47.
33 “As above, so below; as below, so above” (Hermes Trismegistus).

201
by analogy, higher things to which the beginning of the 20th century, confronted
same laws and conditions, such as space with the western notion of “progress”,
and time, no longer apply; all symbolism K. S. Ramaswamy Sastry said that true
is based on this principle. In this way, the progress “is simply the dominance of
myth of the cycles represents a cosmogony the sattvic over the tamasic and rajasic
described in temporal language. The true impulses. Decay is simply the dominance
reality is beyond time and is unaffected by of the latter over the former”.37
it. The Kali Yuga is a difficult era, for
The predominance of one or the greater part of spiritual knowledge
another of the three guṇas34 is what has been lost, and as a consequence,
determines the cosmic moment. “When the lowest human passions have been
the mind, intellect and senses are mostly unleashed. Nevertheless, many texts say
associated with sattva, then it is Kṛta Yuga. that this is the era in which it is easier to
… When interest in dharma, artha and attain liberation (mokṣa). According to
kāma35 begin to dominate in men, then the Viṣṇu Purāṇa: “The fruit of penance
know that Tretā Yuga, characterized by (tapas), of continence (brahmacārya), of
rajas prevails. … in Dvāpara Yuga… rajas silent prayer (japa), and the like, practised
in combination with tamas will be the in the Kṛta age for ten years, in the Tretā
dominating influence. When deception, for one year, in the Dvāpara for a month,
untruth, idleness, sleep, cruelty, sorrow, is obtained in the Kali age in a day and a
delusion, fear and wretchedness prevail, night”.38 Because the spiritual aspirant has
then there is Kali Yuga which is dominated to struggle in a hostile ambience, and has
by tamas”.36 The qualities of the Kṛta to swim against the current, the divine
Yuga are “truth, compassion, austerity, mercy allows him to attain his objective
and generosity”; those of the Kali Yuga with less effort. When all the children in
are “untruth, violence, dissatisfaction, the class are ignorant, the exams should
discord”. In this yuga, people’s minds be easier…
are in a state of agitation, dominated by Swami Chandrasekhara Bharati,
the passions described above. At the Shankaracharya of Sringeri from 1912

34 The three guṇas are the basic constituents that make up nature and mind. Sattva is the
“transparent” quality, “lightness”, the ascending tendency. Rajas produces movement, action,
passion; its tendency is expansive movement on the horizontal plane. Tamas is the “heavy”
quality, inertia, darkness and opacity; it is the downward tendency. In the mind, these three
guṇas produce knowledge, activity, and stability and ignorance.
35 Dharma is correct conduct; artha comprises wealth, power; kāma is the satisfaction of desires.
Together with mokṣa or spiritual realization, they constitute the four goals of life.
36 Srimad Bhagavata, op. cit., Skanda XII, ch. 2, 27-30.
37 K. S. Ramaswamy Sastry, Hindu Culture: An Exposition and a Vindication (Madras: S. Ganesan,
1922).
38 The Viṣṇu Purāṇam, Sanskrit text and English translation according to H. H. Wilson, edited by
K. L. Joshi (Delhi: Parimal Publications, 2011), VI.2.15-16.

202
to 1954, explained that “in the early ages, The doctrine of cosmic cycles is not aimed
Kṛta, Tretā and Dvāpara yugas, those at bringing men to a point of desperation or
willing to offer their minds to Īśvara39 indolence through a demonstration of the
were available in plenty. Hence they had brutal dominion of Time, nor at preaching
to qualify themselves further by intense an impossible return to a better epoch, or
penance. But the position is wholly an escape to a more subtle time (such as
different now. Those who are willing to that ruling the heavens or the lives of the
offer their minds to Īśvara are very few. gods), rather it tries to make man aware
Īśvara knows only too well that unless He that his only possibility for salvation lies
waters down the old standards He would in passing to another level in which time
be left without seekers. … Therefore cannot make him its prisoner. Between the
even for the comparatively undeserving briefest instant and the mahākalpa there
persons this is the time to please the Lord is no qualitative difference. Only Brahman,
by offering their mind to Him”.40 And given pure consciousness without subject or
this, “we must ignore the spiritual gloom object, the immutable reality underlying
prevailing in the land and seek out a the cosmos and man, is beyond time.
guiding torch which will dispel the gloom Thus, let us not think that
for us though it may not do so for the rest Indian tradition encourages escapism
of the world”.41 in the face of life’s temporal problems
If we succeed in calming the mind, and obligations. Everyone ought to live
and sattva dominates, thus favouring his life following his own dharma and
the qualities of the Satya Yuga, then accomplishing his responsibilities. Once
microcosmically our abode will be a more again quoting Raimon Panikkar: “Nearly
pure era. The sage abides always in the every Indian tradition has considered the
Satya Yuga. ultimate goal of life to be atemporal and
in a certain sense, a-historical. They have
Detached Action insisted more on detachment and giving
For classical Indian civilization, up historical values than upon a temporal
collecting and organizing historical data commitment, for real history is always
makes as much sense as counting the beyond the temporal. However, this sense
grains of sand on a beach. The countless of commitment has not been lacking, and
temporal events are of no interest, but its justification is precisely to be found in
rather the archetypes, the eternal truths a religious conception of secular duty. The
which are valid in every historical period. teaching of the Bhagavad Gītā has been and

39 Īśvara is the personal God: creator, sustainer, and destroyer of the universe, different from
Brahman or the Absolute in which no duality (God-universe-man) is possible. Man can have a
relationship with Īśvara, not with Brahman.
40 A. R. Natarajan, His Holiness Chandrasekhara Bharati Mahaswamin: A Pictorial Biography and
Teachings (Bangalore: Ramana Maharshi Centre for Learning, 2004), pp. 158-159.
41 H. H. Jagadguru Sri Chandrasekhara Bharati Swaminah of Sringeri Sarada Peetham, Our Duty
(Bombay: Bharatiya Vidya Bhavan, 1982), pp. 11-12.

203
Kṛṣṇa and Arjuna (Kashmir)

continues to be the model par excellence awareness generally translates into a


of this attitude. … The great leaders of very different attitude, that which Kṛṣṇa
contemporary India such as Mahatma revealed to Arjuna in the Bhagavad Gītā,
Gandhi, Vinoba Bhave and others have namely: continue living in the world and
found their source of inspiration in this participate in history, while taking care
spirituality of action found in the Gī�tā. not to give history an absolute value. More
They purified political action of personal than an invitation to renounce history, it is
ambitions and gave a divine meaning to the danger of idolatry in regard to history
history. They approached history not as an which is the message revealed by the
end in itself — as if a more perfect future Bhagavad Gītā. All Indian thought insists
society could constitute the object of upon this exact point: ignorance and
humanity’s hopes — but as a duty assigned illusion is not that one live in history, but
by God that must be accomplished with that one believe in the ontological reality
total engagement and with the greatest of history”.43
detachment possible”.42 And once again Indeed the Bhagavad Gītā, one
Mircea Eliade: “The awareness of the of the main scriptures of Hinduism, is
dialectic of māyā does not necessarily situated in the midst of “history”: in the
lead to asceticism and the abandonment unlikely scene of a battleground moments
of all social and historical existence. This before the massacre. However, its main

42 Raimon Panikkar, “Temps et histoire dans la tradition de l’Inde”, in Les cultures et le temps, op.
cit., p. 89.
43 Mircea Eliade, Los mitos del mundo contemporáneo, op. cit.

204
message consists of acting in the world
with our gaze set on the spirit, and acting
in time with our gaze set on eternity. We
are urged to accomplish our duty as an
offering, without attachment to the results
of our actions: “You have a right to action,
but not to its fruits. Let not the fruit of
action be your motive, nor allow yourself
to fall into inaction” (II,47); “Treating alike
pleasure and pain, gain and loss, victory
and defeat, then prepare yourself for
battle” (II.38). The sage acts not out of his
own interest, but for the good of the world
(III,25). Thus, through correct action over
time, one attains That which is beyond
time, he becomes firmly established in his
own Ātman44 (VI,20-22)
Consequently, the value of our
present life is not lost in that whirlpool of
millions of centuries, but is given its full
value; for what Is now is what has been
and will always be, immensely old yet
eternally young. To try to hold on to time,
to think of it as having a value in itself, is
the essence of illusion, for time inexorably
destroys everything that is not superior to
itself. To perceive it as a manifestation and
expression of that which is beyond time
is the essence of wisdom. Every instant is
a vehicle for the eternal present. Eternity
reveals itself in the “Now”.

44 The Ātman is our most profound essence, our true nature. It is identical or akin — according
to the various schools — to Brahman, the Absolute.

205
206 Śiva liṅgaṃ (Picture by Bijay Chaurasia)
Postmodernism
and the Signs of Times

Patrick Laude
Translated by Patricia Reynaud

In this essay, the question of cycle and, more specifically in its final
the Kali yuga will not be examined in stages. In the 20th century, René Guénon
its relationship with traditional data was the first European to make use of
on the dating of cosmological cycles. Hindu categories related to the Kali yuga
Considerations and speculations on with a view to corroborate his rigorous
the foundations of cyclical chronology critique of the modern world. This article
as well as the location of our historical is grounded in some of the principles
period within this chronology are no and concepts proposed by Guénon and
doubt interesting and relevant. Thus, from the study of a few main data of the
for instance, Richard L. Thompson’s Vishnu Purāna.2 Thus one will find here
works have confirmed the plausibility an analysis of the main conclusions to be
of the thesis according to which the drawn from this twofold meditation of
planetary alignment identified in the Hindu texts as well as from the writings of
Jyotisha Shāstras – one of the Vedāngas or the French metaphysician.
secondary Vedic fields – as the beginning What are the main characteristics
of the Kali yuga1 does locate the beginning of symbolic or effective events displayed
of this yuga in the year 3102 B.C. in the Vishnu Purāna? First and foremost
Whatever the foundation and limits of the abandonment or the parody,
these chronological considerations may depending on the circumstances, of
be, it is for us more important to study paths of communications with the
the Kali yuga from a phenomenological Transcendent as consecrated by the
perspective, i.e. one taking into Tradition.3 Secondly, a characteristic
consideration criteria and characteristics intimately linked to the first one, the
granted by the Hindu tradition to the last destruction or disappearance of dharma

1 Vedic Cosmography and Astronomy (New Delhi: Motilal Banarsidass, 2004), p.19.
2 Traditionally attributed to the great sage Vyasa, the date of the Vishnu Purāna is highly
disputed and it varies of almost two millenia (before and after Christ) according to the sources
used.
3 “(…) Men, corrupted by unbelievers, (…) will say: ‘Of what authorities are the Vedas?”. “In
proportion as heresy extends, (…) shall the progress of the Kali age be estimated by the wise.”
Vishnu Purāna – A System to Hindu Mythology and Tradition, translated by H.H. Wilson, Vol.V,
First Part (London: Trübner & Co. 1870).

207
as the ethical or existential principle of plunges into chaos and, in a way, returns
being.4 Thirdly, the reversal of social and to chaos, be it symbolically or truly so. A
institutional hierarchies as well as the rite is situated at the crossroad of what
transgression of all qualitative limits.5 The Mircea Eliade accurately described as
last negative element, relatively extrinsic sacred space and sacred time.8 In a rite
to the others although linked to them by the here of divine omnipresence and the
various threads, is but the dwindling of now of divine eternity are joined in the
natural resources.6 However, this vision act per se, reproducing in its own way
of the Kali yuga presented by the Vishnu the original cosmogonic act. Thus, a rite
Purāna is not altogether negative. We institutes an efficient link between the
shall highlight, in contrast, the positive metaphysical origin and the existential
conclusion of the text, which consists in present. Creating an ever increasing
stressing the accessibility and ease with distance from the Source of being, the Kali
which means of grace are granted, more yuga is both the cause and the result of
specifically the virtues of the invocation of the annihilation or the subversion of the
the Divine Name. ritual act. The latter is sacrificial in nature
In the Vishnu Purāna, the Kali inasmuch as it returns to the gods what
yuga is characterized by a counterfeiting was taken from them by the existential
or by a rejection of rites and sacrifices illusion, which gives rise to a separate
that constitute the very order of society world, one that is illusorily independent.
and also of the cosmos.7 In this light, The ritual act is therefore a concrete
any rite –etymologically linked to the rendition of the sense of Reality and of
Sanskrit rita—may designate the unity illusion. Within illusion it represents
principle of the cosmos, i.e. that which the maximum existential assertion of
gives it its coherency, its order and, in Reality; its disappearance is nothing
some way, its reality itself. Indeed the else but the triumph of illusion although
rite draws its necessary nature and its apparent and temporary. Consequently,
efficiency from the direct relationship it it is in neglecting or misunderstanding
establishes with its metaphysical Source rituals, their integrity and their function
as the principle of universal existence. that dwells the founding vice and very
But it is also what gives a rite its ability principle of the Kali yuga.
to keep the world into existence. For lack It is also necessary to stress
of ritual activities, the manifest existence that a ritual is a universal form of divine

4 “The observance of caste, order, and institutes will not prevail in the Kali age.” Ibidem.
5 “A regenerated man will be inititated in any way whatever.” “The laws that regulate the conduct
of husband and wife will be disregarded.” Ibidem.
6 "The corn will be light in ear; and the grain will be (poor and) of little sap.”
7 [The observance] of the ceremonial enjoined by the Sāma-, Rig-, and Yajur-Vedas (will not
prevail) (…) Every text will be scripture, that people choose to think so; all gods will be gods to
them that worship them.” Ibidem, pp.171-2.
8 Mircea Eliade, Le sacré et le profane (Paris: Gallimard, 1965)

208
institution, and as such, and uniquely principial origin whose distortion of
as such, it becomes entitled to fulfill the practices inherited from the tradition is
essential and vital function which defines but the symbol and the symptom.
it. The religious individualism described Since they ultimately manifest
in the Vishnu Purāna,9 according to unity within diversity, rites also
which scriptures, gods and religious constitute the paradigm of all qualitative
practices are what they are only on the differentiation in human existence. As it
basis of an individual choice, represents was already pointed out, they manifest the
a fundamental threat to the transcendent presence of Reality or the consciousness
universality inscribed at the heart of of the Real in what is unreal i.e. in the
rites. The stress that many contemporary field (kshetra) of existential illusion. Any
religious movements put on the necessity other qualitative difference is, of sorts, the
of using vernacular modern languages result of this fundamental distinction. One
does constitute a highly revelatory will never be able to understand the inner
instance of this religious individualism. logic of the traditional Hindu universe if
The fact of forgetting or of one does not grasp that its inner unity is
individualizing ritual activity thus meant to provide the instruments needed
characterizes and even defines the for human consciousness to be awakened
human condition in the Kali yuga. The to Reality. The caste system itself, whatever
modern world and its fundamental its limits, its perverse effects, abuses and
anti-metaphysical stand are practically aberrations entailed in its historical wake,
expressed in the break of ritual has insured the stability of socio-religious
communication with the world above, forms conceived as the least imperfect
be it by its negation or by its subjectivist means to preserve and promote the very
and individualistic flattening. This is what possibility of liberation. It is indeed the
makes the end of the Kali yuga different transcendent unity which gives or which
from all the previous eras however lends its hierarchical structure as well as
imperfect they may have been. For its traditional legitimacy to the immanent
Guénon, this reality was characterized as multiplicity. But, as Louis Dumont pointed
an “anomaly” and a “monstrosity.”10 What out accurately, this hierarchical structure
we witness is the extreme and ultimate is neither absolute nor ultimate. What
manifestation of the forgetting of the characterizes it, is the principle of “the

9 “In the Kali age, fasting, austerity, liberality, practiced according to the pleasure of those by
whom they are observed, will constitute righteousness.”
10 “Thus, whereas the modern world considered in itself is an anomaly and even a monstrosity,
it is no less true that, when viewed in relation to the whole historical cycle of which it is a
part, it corresponds exactly to the conditions pertaining to a certain phase of that cycle, the
phase which the Hindu tradition specifies as the final period of the Kali Yuga.” The Reign of
Quantity and the Signs of the Times, translated by Lord Northbourne (New Delhi: Munshirma
Manohartal, 2000), p. 8.

209
Man on the Ghats of Varanasi (Picture by Alexi Liotti)
encompassing of the contrary”11. Verily, Man without qualities,” not in the passive
the traditional hierarchy is both fixed and “constructed” sense Musil used for his
and flexible depending on the point of hero, but in the eminently active meaning
view considered. From the standpoint of ativarnāśramin who transcends all
of the part itself, the hierarchy is fixed formal differentiation, symbolically or
inasmuch as it establishes a qualitative spiritually.
differentiation without which it is Inasmuch as the Kali yuga
meaningless. From the standpoint of the may be defined as a break away from
whole however, it can only be flexible symbolic rites linking earthly existence
and prone to modifications since it to the Real, it becomes obvious that, in
holds its ultimate meaning only with Hindu eschatological texts it is explicitly
respect to a transcendence that makes it characterized by the removal of vertical
radically relative. The “anti-institutional as well as horizontal differentiations,
institution” of sannyāsa is perhaps the differentiations that used to be
most significant manifestation of the constitutive of the traditional universe.
transcendence of the traditional order in The latter conceives social, vocational,
the very name of what institutes it. For this functional and human differences as the
reason, the obligation to perform ritual supports par excellence for achieving
acts is abolished for the sannyāsin. One the human finality. Within the Hindu
could almost say that the sannyāsin is “the context, all differentiations are grounded

11 The hierarchical relationship is globally speaking one between a whole (or series) and
one element of this whole (or this series): the element is part of the whole and is therefore
consubstantial or identical to it but, at the same time, it is different from it or opposed to it.
This is what I mean using the expression “encompassing of the contrary.” Louis Dumont, Homo
Hierarchicus (Paris : Gallimard), p. 397.

210
in an encompassing dharma, at all an ideological function to justify power
levels of existence. Dharma is but the relationships. Postmodernity establishes
ontological and ethical law of being multiplicity as paramount inasmuch as
which governs universal existence the postmodern is meaningful only on
(Sanātana dharma) according to its the basis of an unconscious and self-
proper nature from universal existence contradictory absolutization of the
to each individual entity. Dharma as multiplicity of relative viewpoints… This
such is only the expression of Brahman multiplicity is itself the bearer of meaning
in the manifested universe, Brahman in and could never be considered from
the guise of universal normativity. This the standpoint of a metaphysical unity.
eternal dharma, which is Hinduism in Whereas the metaphysical “relativism”
its most profound and universal sense, of esoteric schools emerges from a
expresses the link between the universe consistent and integral vision of the
and its Principle. As for the countless Absolute whose radical independence is
dharmas ruling the most varied existential necessarily synonymous with infinity and
realities, they constitute somehow the as such generates an infinite multiplicity
markings and symbols of this universal of aspects and viewpoints, postmodern
dharma. Therefore, each being shares in relativism derives, on the contrary, from
the universal in some degree, depending the negation of the Absolute, the negation
on the nature which organically integrates of any absolute.
it within the existential totality, thus In opposition to post-
making it an adequate, albeit limited and modern dissemination, the traditional
partial, symbol of the universal. Dharma differentiation constitutes a projection of
expresses the very order of the universe unity onto the multiplicity of the universe.
and its rooting in transcendence. Unity is both intrinsically inclusive and
This twofold dimension makes extrinsically exclusive. On the one hand,
traditional principles unacceptable by unity encompasses the totality, without
modern mentalities. Terminal phases of which it could only produce multiplicity.
the Kali yuga are characterized in Hindu However, Unity is fully inclusive in its
scriptures as a-dharmic and even anti- essential dimension only since, from an
dharmic inasmuch as they are mainly existential point of view, it cannot as such
depicted as rejecting any notion of include the incidental realities forming the
essence, proper nature and intrinsic duty. manifested universe. In other words, Unity
This makes the postmodern critique of can only be exclusive from the point of view
“essentialization” yet another version of existential multiplicity which surrounds
of the rejection of transcendence, which the ordinary experience of mankind.
could in some way guide and ordain the These two points of view, inclusive and
phenomenal field. It obviously rejects any exclusive, are precisely reconciled in the
notion of unchangeable archetype which word of the Tradition. Human and cosmic
could only, according to this point of view, diversity is differentiated in its qualitative
refer to historical constructs that provide contents and united into one in its essence,

211
also in its origin as well as ultimate aim. former proves that any manifested quality
Traditional differentiation is a symbol of is necessarily included principially and
the Absolute, whence its exclusive rigor exists a priori in the Divine Unity. Were it
and its everlasting quality, but it cannot be not the case, the absolute Principle would
the Absolute itself… be “deprived” of perfections inherent in
The main tendency of the Kali what is manifested. As for the latter, that is
yuga is to invert this ratio and to impose the principle of unicity at work in worldly
an intrinsic diversity and an extrinsic existence, which is a direct reflection
unity. The acme of the first is expressed, as of the principial unity, its absence
already mentioned, in the ontological and would mean the very impossibility
epistemological fragmentation of the post- of multiplicity, which presupposes a
modern vision. The post-modern world, distinction among the elements of the
more so than its modern precursors, can multiple. Guénon considers these units as
be essentially defined as pure multiplicity. mainly quantitative whereas the essential
The polysemous concept of “diversity” for multiplicity of the principial order is,
instance finds itself intrinsically valorized conversely, eminently qualitative. In
regardless of any consideration of the other words, quantitative unity pertains
qualitative content of this diversity. As to the phenomenal field, distinguishing
for the extrinsic unity which, according to the various existential entities whereas
Guénon, is none other than a uniformity, it the principial multiplicity informs
reveals itself as the systematic negation of an archetypal order and in no way
all differentiations, qualitative as well as compromises the principial Unity
hierarchical, in principle at least because enfolding the ontological roots of
it represents a factual impossibility. At this manifested existence.
point, it is important to stress that Guénon From the above remarks and
refers to an “inverse analogy” between notwithstanding the “complexifying”
the essential multiplicity contained in the nature of postmodern dissolution, one is
metaphysical Unity and the existential better able to understand one of the main
“units” entailed in the multiple.12 The axes of Guénon’s critique of the modern

12 These remarks are found in the foreword of the book: “It might appear that there is, in a
sense, multiplicity at the two extreme points, in the same way as there is correlatively, as has
just been pointed out, unity on the one side and ‘units’ on the other; but the notion of inverse
analogy applies strictly here too, so that while the principial multiplicity is contained in
metaphysical unity, arithmetical or quantitative ‘units’ are on the other hand contained in the
other and inferior multiplicity. Incidentally, does not the mere possibility of speaking of ‘units’
in the plural show clearly enough how far removed the thing so spoken of is from true unity?
The multiplicity of the lower order is by definition purely quantitative, it could be said to be
quantity itself, deprived of all quality; on the other hand the multiplicity of the higher order,
or that which can be called so analogically, is really a qualitative multiplicity, that is to say the
integrality of the qualities or attributes that constitute the essence of beings and of things.” The
Reign of Quantity, p. 18.

212
world, that is the tendency to simplify.13 planes: it would highlight the atomizing
The modern point of view indeed tends to dynamics of individualism consisting
perceive simplicity as being primeval and in an ever increasing questioning and
this in all possible fields. Complexity would an ever encompassing dynamics of the
merely be an a posteriori determination. coordinating and structuring order of
Broadly speaking it is the point of view traditional universes. Most likely, post-
developed by the Hegelian dialectics or modern diversity represents the extreme
that of transformist evolutionism. On limit of this questioning inasmuch as
the contrary, and without denying the all structuring norms reflecting -be it
simplicity that the Principle and the operatively or symbolically- the ultimate
origin can have under the meaning of Unity are deconstructed, voided of their
indivisibility, Guénon rather conceives qualitative essence, and finally relegated
the origin as characterized by a so called to the rank of an instrument of alienation.
“synthetical complexity.” These theoretical
considerations shed light on how and [In the postmodern world] all
why the Kali yuga is practically defined structuring norms reflecting
as a false diversity and a false unity. The ... the ultimate Unity are
former is detached from Unity and thus deconstructed, voided of
destructive of the synthesis of the multiple their qualitative essence, and
in the One, expressed and promoted by finally relegated to the rank of
the traditional order. Traditional diversity an instrument of alienation.
aims at Unity and is therefore a diversity
which, through orders, hierarchies, And yet, the atomizing
callings, institutions and intermediate diversification presiding over the break-
bodies aims at a coordination of the up of traditional forms goes paradoxically
multiple in view of achieving the One. hand in hand, at least apparently, with
This unity within diversity is obviously what Guénon denounces as a uniformizing
approximate and laden with flaws, both in process. This refers to the pseudo-unity
its principle -from the very limitations it we have previously made reference to.
implies- and in its evolution - because of Uniformity, whose limit is quantitative,
the law of ontological entropy presiding tends to erase all vocational and functional
over the relative order or the realm of differentiation. All-round globalization
Maya. As a consequence of these limits and the virtual instruments at its service,
and of the entropy which determines no doubt represent today the main
their becoming, centrifugal diversity that vehicle of this uniformity. In his study
Guénon calls quantitative multiplicity, “The Twofold Significance of Anonymity”
ends up constituting the guiding logic of Guénon shows with pertinence how the
the Kali yuga. One could generate a study qualitative diversity of people, defined by
on the emergence of individualism, both on their respective dharmas, varies from the
the socio-economic and psycho-cultural quantitative multiplicity of the people of

13 Ibidem, p. 92.

213
René Guénon (1886-1951)

economic and machinist cogs, people who form to the functional or qualitative name,
are today “virtually” multiplied. Building the one which expresses the archetypal
on the Hindu notion of namā-rupā, name- differentiation of the person and thus the
and-form, the metaphysician recalls the mode of his participation to the Unity.14
traditional identification of the traditional In the traditional world, the person “is
14 “Anyone who wonders what happens to the individual in such conditions will find that, because
of the ever growing predominance of quantity over quality in the individual, he is so to speak
reduced to its substantial aspect, called in the Hindu doctrine rupa (and in fact he can never
lose form without thereby losing all exist- ence, for form is what defines individuality as such),
and this amounts to saying that he becomes scarcely more than what would be described in
current language as ‘a body without a soul’, and that in the most literal sense of the words.
From such and individual the qualitative or essential aspect has indeed almost disappeared
(“almost”, because the limit can never actually be reached); and as that aspect is precisely the

214
but” its function. This does not obviously identified with vaishyas as such, but
mean that his most contingent and only inasmuch as they have deserted
accidental characteristics are negated or agriculture and commerce, have given up
rejected but only that any individual has the songs of traditional activity of their
a true meaning only in relation to the dharma, in favor of “enslavement” and of
Unity through the qualitative mediation “mechanical arts.” The pseudo-vaishya is
of his function, a function which is none not a twice-born anymore because he has
other that his “name” understood as an betrayed his true nature to the point of
ontological meaning and secondarily and becoming the passive instrument in the
symbolically, as a social meaning. cogs of mechanization and technology.
The Vishnu Purāna refers to the On the socio-cultural plane, it is the
same tendencies mentioned above when shudra who now represents the dominant
describing the evils of the Dark Age, using caste, since the latter submits most
a language that could be interpreted passively to the movement of quantitative
symbolically or literally. The Kali yuga is homogenization governing the Kali yuga.
reduced, so to speak, to an individualistic Traditionally determined by dharma, the
culture (a culture deprived of qualitative marital and family relationships have also
determinations and thus virtually become conditioned by material goods:
protean) one which is, at the same time, the “The wives shall desert their husbands
negation of the essential and vocational when their property is lost, and rich
name. The determining role of economic husbands only will be considered by
factors appears as the main element of women as their lords.” Generally speaking
this anti-organic individualization, which the control of humanity is determined by
at the same time, represents a standard of finance according to the Vishnu Purāna:
uniformization. And so, material wealth “The one giving away lots of money will be
has become synonymous with power: the master of men” and lure of profit will
“the man who owns a vehicle, an elephant constitute the main finality of existence to
and steeds will be raja.” Traditionally the extent that “men will grow obsessed
associated with the Kshatriya, political with wealth even when acquired by
power has become the privilege of those dubious means” and “the mind of men will
holding economic clout. At this point, be wholly occupied in acquiring wealth”15
it is worth adding that the latter are not Such obsession with material goods will

aspect called nama, the individual really no longer has any ‘name’ that belongs to him, because
he is emptied of the qualities which that name should express; he is thus really ‘anonymous’,
but in the inferior sense of the word. This is the anonymity of the ‘masses’ that are no more than
a collection of similar individuals, regarded purely and simply as so many arithmetical ‘units’.
‘Units” of that sort can be counted, and the collectivity they make up can thus be numerically
evaluated, the result being by definition only a quantity; but in no way can each one of them be
given a denomination indicating that he is distinguished from the others by some qualitative
difference.” Ibidem, p. 83.
15 Vishnu Purāna, p. 171

215
be accompanied by shortages: “human the field of ordinary human experience.
beings will live almost constantly in the Short of traditional mediations and
fear of dearth and will be apprehensive qualitative differentiations, Unity in the
of scarcity; they will constantly observe Kali yuga can only manifest salvifically
the skies, subsist on leaves, roots and fruit in the most direct and synthetic form
and commit suicide for fear of famine existing and also the most independent
and drought.” The poor quality of crops of all differentiated forms. And precisely,
is the result of the rarefaction of rain, in the Name God “is but” God Himself. This
itself a symbolic symptom of a forgetting adequacy between the Name and the
of Transcendence and also a symbol of Named does not depend on a human and
the neglect of cosmic duties. In addition, mental association, on the contrary it
oppressed by famine and taxation imposed results from a divine Self-manifestation
on them by Princes “men will desert their none other than the core of the
native lands and go to these countries religious Revelation or the metaphysical
which are fit for coarser grains”16. Here Realization. From this adequacy, the
is indeed the picture of a human world saving power of the Invocation of the
which, having fully engaged in the pursuit Name is restored. This principle is also
of quantitative goods, seems to exhaust found in Pure Land Buddhism although
the very resources of its existence. The with a slightly different stress. Hōnen was
assertion of the individual and his desires, its theoretician and instigator. For him, the
first conceived as a liberation from all spiritual practices instituted at the time of
constraints, ends up tragically with self- the Buddha are no longer efficient because
destruction. they largely exceed the qualifications of
According to the Vishnu Purāna, our contemporary man. What is stressed
the saving grace of the Kali yuga consists here is the human inability and therefore,
in the fact that during that time humans by contrast, the boddhisattvic power of
are able to achieve their spiritual the Other, the tariki. Within the same
salvation without having to perform the order of idea, it is worth noticing that
rigorous and complex religious duties the last of the great religious traditions,
that characterized the previous cycles. Islam, puts the most emphasis on the
In the Kali yuga salvation is granted by soteriological virtues of remembering God
the mere repetition of the Divine Name. i.e. on the dhikr, the most direct operative
This is so because the Divine Name manifestation of which consists precisely
forms the synthesis of all virtues and in the methodical invocation of divine
spiritual practices and its invocation Names in Sufism.
can be substituted to all ritualistic and According to the Vishnu Purāna,
traditional mediations. The Name of God the only positive virtue of the Kali yuga lies
expresses Unity within diversity in the in the invocation of the Name of the Lord.
most direct manner that be. It consecrates It is also specified that the saving power
the irruption of the Transcendent within of this Name remains independent from

16 ibidem, p. 175

216
Viṣṇu fighting two demons (Mārkaṇḍeya Purāṇa)
the qualifications and even, at times, from meaning were it not positively referring
the intentions of those who practice it. to the principle of incomparability of the
Whatever interpretation of this last point transcending Principle. In this way, the
be given, as a symbolic hyperbole or a primacy of the Name of God witnesses,
literal truth, there is no doubt that the above all considerations, the Transcendent
stress is put here on the primacy of the itself. It manifests in fine, the triumph of
divine grace. Furthermore, what can be the Essence that the dissolution of all
drawn from this spiritual state of affairs sacred mediations orchestrated by the
is a leveling of all values and human centrifugal forces of the Kali yuga leads
capabilities before the Transcendent. It is one to distinguish from its providential
revealing that the last spiritual tradition in albeit provisional forces. One is justified in
the human cycle associated with the dark thinking that, in this ultimate paradox of
age, Islam, is very precisely characterized the Kali yuga, resides most certainly, on an
by a levelling down of spiritual and operative and not only theoretical plane,
hierarchical differences. The Muslim the most profound meaning of Guénon’s
ritual prayer, unlike in Christian or Hindu reference to “the small number of those
sacrificial rites, but also differently from who are destined to prepare in one way
the Jewish liturgy, eliminates all priestly or another, the germs of the future cycle.”17
mediation and expresses this universal
reduction most meaningfully with a joint
and uniform prostration before God. Such
leveling would entail no positive spiritual

17 The Reign of Quantity, p. 11.

217
Rāma, Sītā and Lakṣmaṇa visiting an hermitage

218
From Self-Mastery to Self-Surrender
Silver Linings in the Dark Age of Kali
Vasanthi Srinivasan

Kali Yuga or the dark age is usually the property of their subjects; they will be
characterised paradoxically as the most of limited power, and will rapidly rise and
degenerate in terms of dharma and most fall; the duration of their lives will be very
favourable for salvation (moksh). Though short; they will form high expectations
social, political and moral ills multiply, and acquire very little piety. The people
sacred texts and teachings also reiterate of the countries they rule over will imbibe
that humans can easily ‘escape’ from the the same nature. And the barbarians
wheel of time by simply surrendering to being powerful under royal patronage will
the One god (usually Vishnu-Narayana). destroy the subjects. Wealth and piety will
What are the spiritual sources for this decrease day by day, until the whole world
confident hope? How does the Kali yuga will be depraved. Wealth will be the test
prognosis differ from secular diagnoses of of pedigree and virtue; passion will be the
the present by some prominent western only tie of marriage; falsehood will be the
thinkers? What are the existential only means of success in litigation; and
obstacles that nevertheless surface women will be merely objects of sensual
when we take self-surrender seriously gratification. Earth will be respected
in our time? How can we make sense of only for its mineral treasures; sacrificial
the doctrine of surrender as moderns thread will be the only test of a Brahman;
committed to reasoning and individual external marks will constitute the only
choice? distinctions of orders and wickedness
will be the only means of livelihood... gifts
Progress of Decay only will constitute virtue. Wealth will be
The darkness of Kali Yuga is the only sign of honesty. Simple ablution
mainly elaborated in two key texts, the will be purification. Mutual Consent will
Srimad Bhagavatam (Canto 12, chapters be marriage. A man wearing good clothes
1-3) and the Visnu Purana (Book 4, will be considered honest and water at a
chapters xxiv and Book 6, chapters i-iii). distance will be considered a holy spring.
Both texts agree on many points differing When the world will be thus sunk in faults,
slightly in emphasis. The Vishnu Purana he, who will be the strongest amidst
delineates the main evils thus: those castes, shall be the king. They will
“These and all the contemporary kings grow avaricious and the subjects, unable
will be of churlish spirit, violent temper, to bear the burden of various taxes will
and always addicted to falsehood and take refuge amongst the valleys of the
wickedness. They will destroy women, mountains, and will be glad to feed upon
children, and cows; they will seize upon wild honey, herbs, roots, fruits, flowers,

219
and leaves: their only covering will be the for its mineral treasures rather than as a
bark of trees, and they will be exposed to site of hierophany or theophany. Humans
the cold, and wind, and sun, and rain. No would be haunted by fear of famine
man shall live more than three and twenty and dearth; millet and goat milk would
years. Thus, in the end of Kali Yuga, most become common.3 What is chilling is that
of humankind will be annihilated.”1 these would not be an aberration but the
The Bhagavatam also begins with norm – dishonesty as a universal means
political assassinations and internecine of subsistence, declining piety, insatiable
violence and proceeds to more individual materialist desires, short lives rendered
aspects. Rulers would ‘devour’ the nastier by tyrannical rulers. While the
subjects through falsehood, meanness, Bhagavatam mentions that humans will
extortion and cruelty. They would be only live for fifty years, Vishnu Purana
uncharitable, irreligious and libidinous. shortens it further to only twenty-three
Social order would collapse, and wealth years.4
would be the only source of respectability. Fortunately, the reign of Kali
Brahmanas and renouncers would only be (darkness) began only in 3102 BCE and
namesake and superficial without proper as per the Hindu epochal calculus, there is
initiation or vows. Wealth would be taken another 4,26,880 years during which this
as a sign of good birth and virtue. A rich scenario will be played out.5 Moreover,
man could marry anyone and he who gives some of the above fears, such as passion
away wealth would be regarded as beacon being the only bond for union between
of virtue. Narrowing family ties so that the sexes or marriage ensuing from
one’s immediate family alone matters, mutual consent or intermingling of castes
especially that of the marital relations to may actually be signs of progress for us.
the detriment of one’s own parents and And the political class being ‘addicted’
other dependent elders is mentioned. to falsehood and seizing property of
Curiously, the Vishnu Purana complains the subjects, property alone conferring
about this saying that ‘men and women status, wealth being the only source of
would venerate the wife’s parents or devotion and mere presumption passing
husband’s parents as one’s own’ belying off for learning are all apace even now.
the customary view that expects precisely While there is a casteist angle (they
this from a married woman.2 What is also would mostly be ‘shudras’), there is also
striking is the veneration of the earth only mention of fallen brahmanas and meat

1 M. N. Dutt, Vishnu Purana, (based on the Translation by H H Wilson) Book IV, Chapter xxiv
(Calcutta: Elysium Press, 1896), p. 311.
2 M. N. Dutt, Vishnu Purana, p. 431
3 Ibidem, Book VI, Section i, p. 430
4 Ibidem, p. 430
5 Shri Chandrasekhara Saraswati (Periyava), “Kaliyugam” (Kali Yuga: Beginning and Progress)
in Deivathin Kural, Vol 5. http://www.kamakoti.org/tamil/5part107.htm accessed 24/6/2018

220
Matsya, the first avatāra of Viṣṇu (Picture by B. N. Goswamy)
eaters (mlechhas) here. The emphasis is
6
social and domestic problems existed
on the qualities of passion (Rajasic) and in the earlier ages too; after all, Rama,
ignorance (Tamasic) of the rulers and the god-man is cast out of his rightful
ruled rather than caste identity alone.7 inheritance by a conniving step-mother in
While there is also a patriarchal bias the Treta Yuga when Dharma is on three
(“women would become scolds and liars legs or Krishna must slay demons sent
listening neither to parents nor husbands” by an uncle in the Dwapara Yuga when
as Vishnu Purana laments), violence Dharma is doddering on two legs. In fact,
against women and their objectification there were many kings who were unjust
into sex sirens should resonate with and tyrannical, and the age of Kali began
us. Thus, the earlier ages had greater even before Lord Krishna left the earth.
truthfulness, mercy, austerity and charity Neither tyranny nor familial
while cheating, lying, sloth, sleepiness, discord are unique to the kali yuga.
violence, depression, lamentation, Paradoxically it is their ubiquity and
banishment, fear and poverty thrive in the opacity that is peculiar to our time. As
Kali Yuga. Shri Chandra Sekhara Saraswati put it,
On the face of it, all these political, the ‘supreme danger’ in Kali Yuga is that

6 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam, Canto 12: 1: 37. https://www.vedabase.com/en/


sb/12/1/37 accessed 22/9/2018
7 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam, XII,1,39-40

221
there are no separate species of asuras abandoned well and though he is bleeding
(anti-gods) and rakshasas (demons) as from injury, he is glad that he escaped
in earlier epochs. What these beings the tiger. But he soon senses something
espoused, ‘powers of adharma’ are moving in front of him and realises that
‘internalised’ by the people so that they it is a python. Shaken and trembling, he
cannot be easily identified or recognised.8 musters all his strength and leaps to hold
Earlier, they could be identified by their on to a tree branch only to discover that
cruel external forms and deeds so that it is being gnawed away by bandicoots.
they were shunned as harmful by ordinary Desperate to save himself, he swings to
people. But now, these powers colonise the other side of the well and disturbs a
us from within our minds and attracted honeycomb to be bitten by the bees. In
to them, we cannot see their assaults, let the midst of all the pain, a few drops of
alone overcome them. nectar fall into his mouth and he relishes
At the individual level, the decay the sweetness. Accumulated Karma is the
is most debilitating in many ways; both tiger, one’s house and relatives are the
physical strength and life span are well, disease is the python, time and death
drastically reduced. All the spiritual are the bandicoots, doctors are the tree
gurus agree that the materialist and branch, relatives are the bees and fleeting
technical ways of life obscure who we happiness is the nectar.10
truly are by making us seek more and But are we not all free to overcome
more comforts. Chasing desire after this ignorance and choose another way of
desire, we end up slaves to our urges life? Yes, but only when we recognise the
and forget higher forms of happiness. As uphill task ahead; for the modern view
Prabhupada mused, human life is meant of freedom as mere self-determination
for liberation but unfortunately due cuts us off from all transcendence. Here,
to the influence of Kali Yuga, everyday philosophical diagnoses which articulate
grihasthas (householders) are working discontents of modern freedom open
like asses.9 They accumulate only for the up a path. After two world wars and the
government to take away the money of holocaust, the nuclear race and the Cold
citizens by the force of law. In a powerful War, environmental and economic crises,
parable, Mukkur Laxminarasimhacariyar the confidence about modern progress
describes the travails of a man running has been somewhat punctured. And
through a forest on a new moon night the creed of modern freedom has been
chased by a tiger. He falls into an subjected to rigorous critique in the

8 Periyava, “Kaliyin Perapaayam” (Supreme danger of Kali Yuga) in Deivathin Kural, Vol 5.
http://www.kamakoti.org/tamil/5part108.htm, accessed 20/8/2018
9 Srila Prabhupada, Srimad Bhagavatam, Purport VII,14,3-4. https://vaniquotes.org/
wiki/Kali-yuga_(SB_cantos_6_to_12)#SB_Cantos_10.14_to_12_.28Translations_Only.29
accessed 31/7/2018
10 Mukkur Laxminarasimhacariyar, Godaiyin Paadai (Godadevi’s Path), Part I, (Madras: Vanathi
Publications, 2003), p. 242-246.

222
spheres of thought, morality and history. liberating have been questioned.
By the same token, pure
Dialectic of Freedom practical reason or a free moral will that
The most provocative diagnosis transcends all contingent pulls was also
of the present age was announced by exposed as life-negating in its penchant
Friedrich Nietzsche who saw modern to ‘discipline and punish’ (à la Foucault)
reason as will to power, modern morality natural energies and forces. Instead of
as ressentiment and modern history as aligning itself to a natural law embedded
death bound because all these repress in the cosmic order, human reason must
the power of emotions, instincts and legislate and choose ends for itself.
other life-forces which move us to act in Following the extirpation of pregiven
the world. Autonomous human reason, ends or final causes, of commands that
unhinged from Revelation, determining come from ‘above’ and lay unconditional
for itself the criteria of truth, which are claims upon us, moral reason is freed from
legislated by a ‘transcendental subject’ external authority. Noble principles such
only reflects a will to mastery. Descartes as acting according to maxims that can
Meditations encapsulate this process become universal laws or treating others
wherein one begins by doubting all as ends-in-themselves are substituted
inherited verities, one’s own existence for divine laws to provide guidelines on
and even the world and ends up anchoring how to act. But these are too abstract
them all in the Cogito. But this view from and flimsy to be of any concrete use in
nowhere would be suspect and soon it was difficult situations when individuals must
admitted that there were other powers, act morally notwithstanding the sacrifices
such as History, Society, Language/ and suffering involved. More corrosive
Culture, Unconscious, and so on that was the historicisation of ethics which
shaped it. The value neutrality of reason meant that there were no moral absolutes
and thus by extension diverse techniques, and that each age evolves an ethical
ranging from the obvious applications horizon within which the dominant
such as machines on the shop floor to the values are sustained. Coupled with the
less obvious ones such as book-keeping scepticism regarding whether one can
practices, were analysed and criticised ever be impartial and disinterested, this
in terms of their asymmetrical impact paved the way for a nihilistic view that
on different classes. Just a cursory look values depend upon individual freedom
at the influential titles of our time – the and choice.
Dialectic of Enlightenment (Adorno and At the collective level, are we
Horkheimer), Knowledge and Human really free to choose ends of ourselves?
Interests (Habermas), and Madness and Martin Heidegger exposed the unfree
Reason (Foucault) – is enough to show character of this phenomenon when
the extent to which the claims of modern he claimed that the essence of modern
reason to be universal, impartial and technology consists in reducing the world

223
it all ‘virtually’ at leisure without having
to bestir themselves to crowded places,
there is individualisation of sacred time
and space. As Vishnu Purana anticipated,
fasting, liberality and austerity according
to one’s convenience and pleasure is
considered piety and mere ablutions as
purification.12 It also predicted that ‘all
texts will be considered ‘shastras’, all
celestials will be considered in equal light
and all orders of life will be common alike
to all persons.’13 Of course, Vishnu Purana
or Bhagavatam did not foresee western
modernity or colonialism but the many
routes to individualism and nihilism need
Martin Heidegger
not detract us from the prognosis.
(Painting by Michael Newton)
A genuinely free approach to
technology, as Heidegger hinted, would
to a reservoir of unexploited resources require us to step beyond mastery to other
to be mastered for our use and comfort.11 ways of being in the world. Recognizing
By the same token, human bodies and how difficult that is, Heidegger also
minds also become stuff to be harvested declared that ‘only a god can save us’ and
and stored. The ‘supreme danger’ is that thinking can only prepare us to ‘face the
humans nurse the delusion that they are absence and wait for saving grace’.14 Given
free masters of technology even as they the distancing if not death of an earlier
find themselves compelled to manipulate commanding and punishing God, we may
life and cosmos at a micro-level. wonder which kind of god may now entice
To the extent that there is a us and reclaim our devotion. We may
planetary spread of these technologies, also ask what is the nature of this ‘other’
this metaphysical analysis is valid. Even freedom, one not oriented to mastery. It
in India where religion is pervasive, one is in this context that Indian meditational
must wonder if the will to mastery has wisdom as well as Hindu devotional
not made deep inroads affecting the theologies are insightful.
sovereignty of the gods. For instance,
when individuals can record or catch up
with a sacred ritual (telecast) and watch
11 Martin Heidegger, “The Question Concerning Technology” In Basic Writings, ed. David Farrel
Krell (New York: Harper and Row, 1977), p.299
12 Vishnu Purana, Book VI, section 1, p. 428.
13 Ibidem, p. 428
14 Martin Heidegger, “Only a God Can Save Us”, The Spiegel Interview (1966), http://www.ditext.
com/heidegger/interview.html, accessed 15/9/2018

224
I breathe, therefore THAT IS smell enables him to smell. The one who
Given that the trajectory of the is aware: “let me say this”—that is the
Cartesian “I think, therefore I am” has run self; the faculty of speech enables him
its course, the time is ripe for “I breathe, to speak. The one who is aware: “let me
therefore THAT IS”. Going beyond the listen to this”—that is the self; the faculty
dream state (which Descartes relied on to of hearing enables him to hear. The one
undermine the certainties of the sensing who is aware: “Let me think about this”—
self), the Upanishads plumbed deep sleep that is the self; the mind is his divine
as well as Turiya states to go beyond faculty of sight. This very self rejoices as it
everyday dualisms and show our pre- perceives with his mind, with that divine
linguistic oneness with the One, whether sight, these objects of desire found in the
it is called God or Goddess or Brahman world of Brahman. It is this self that the
or Ground. After living with Prajapati for gods venerate, as a result of which they
ninety six years to get the ‘brahma vidya’ have obtained all the worlds and have had
or knowledge about the “self free from all all their desires fulfilled. Likewise, when
evils, from old age and death, from sorrow someone discovers this self and comes to
and hunger and thirst, the self whose perceive it, he will obtain all the worlds
desires and intentions are real ... the self and have all his desires fulfilled.”16
(atman) by discovering which one obtains From this standpoint, it is
all the worlds and all one’s desires are understandable that yoga and meditation
obtained”, Indra is told that “when one is have captivated modern educated
fast asleep, totally collected and serene, individuals, especially from the West
and sees no dreams, that is the self; that who seek ‘eastern wisdom’. They are also
is the immortal, that is the one free from becoming popular with many educated
fear; that is Brahman”.15 While initially Indians who wish to get away from
content, Indra was quick to see that the incessant inner chatter and anxiety. Every
self in deep sleep is not even aware “I meditator knows that when the mind
am this” and returns to be told to live is stilled and watches the life breath, it
another five years as a celibate student. experiences an oceanic feeling if only
Discoursing on the highest state, Prajapati fleetingly. As Ramana Maharishi taught,
says “this body is in the grip of death. So, asking ‘who am I?’ helps in stilling the
it is the abode of this immortal non-bodily mind and breaking the stranglehold of
self... The life-breath is yoked to this body, “I am this or that’. One must realise that
as a draught animal to a cart. Now when before all, behind all and after all, there
this sight here gazes into space, that is the is the life breath; this ‘pure awareness’
seeing person, the faculty of sight enables deepens the experience of ‘That’ which
one to see. The one who is aware: “let me transcends name and form and is ‘in’
smell this”—that is the self; the faculty of us and ‘In’ which we subsist. Mastering

15 Chandogya Upanishad, VIII, 7 and VIII, 11 in Patrick Olivelle, The Upanisads (Oxford: Oxford
University Press, 1996), p. 174
16 Ibidem, VIII, 12 p.175

225
the mind and breath is oriented to prescribed and suited to the golden age or
direct ‘seeing’ of ‘That’ which we do not satya yuga wherein the conditions were
make or control but simply “IS”. As the conducive for such practice. Prabhupada
Brihadaranyaka Upanisad puts it, “He cites the Bhagavatam to the effect that the
who breathes through your Breath is your same goal that could be achieved in Satya
Self.”17 Yuga by meditating on Vishnu, in Treta
Intellectually satisfying as all Yuga by performing sacrifices, in Dwapara
this is, there is also general consensus Yuga through worship in temples can be
that this path is arduous and requires achieved in Kali Yuga through samkirtana
extraordinary commitment. Om Swami, yagna (devotional chanting) of Hare
a new star on the spiritual firmament Krishna maha mantra.19
prescribes that an ordinary seeker must
do three sessions of meditation of one A Waiting God and the Royal path
hour each for six months to first see the The Vishnu Purana also narrates
impact and then progress to six sessions of Veda Vyasa who declared that the Kali
of an hour each for another six months yuga was excellent since the fruits of
and so on. At the peak of his own practice, penance of continence, of silent prayer
he meditated for almost twenty-two and the like, practised in the Krita Yuga
hours for six months in a cave before his for ten years, in the Treta Yuga for one
mind-blowing experience of the goddess.18 year and in the Dwapara Yuga for a month
Moreover, this path is prone to is obtained in the Kali Yuga in a day and
many risks not the least of which is that night and that merely reciting the names
one might mistake the ego-based self for of Kesava can bring great reward.20 Much
the highest or worse, get caught up in to our chagrin, he also added that the
spurious experiences that detract from the ‘shudras’ and women are ‘most fortunate’
transcendental ‘otherness’ of the Ground in that they only have to ‘serve’ the upper
or God. One may also be frustrated by the castes and husbands respectively to attain
inner emptiness that confronts one in the the ‘highest station’ unlike the twice born
early stages of mind training. And there who need to engage in complex rituals
is no dearth of self-proclaimed realised and difficult penances. Prabhupada
souls who promise enlightenment only to interpreted this to mean that all humans
denude the wealth of patrons and betray are shudras (fallen) and hence unfit to
the trust of the disciples. This is probably chant the pranava mantra (sacred “OM”)
why the contemplative path was ideally and hence the Hare Krishna mantra is

17 Brihadaranyaka Upanisad, III, 4,1, Ibid., p. 39.


18 Om Swami, A Million Thoughts: Learn All about Meditation from the Himalayan Mystic (Bombay:
Jaico Publishing, 2017), p. 294-296.
19 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam, Purport, VII, 14,16, VII,14,39, XII,3,51. https://
vaniquotes.org/wiki/Kali-uga_(SB_cantos_6_to_12), accessed 31/7/2018
20 Vishnu Purana, p. 432.

226
Man in the Arunchaleshvara temple (Picture by Adam Jones adamjones.freeservers.com)
apt.21 Offensive as this is to our modern women have achieved the highest state
sensibility, it is somewhat mitigated by the of devotion without serving anyone but
fact that many exemplary ‘shudras’ and their chosen deity. Biases apart, the silver

21 Swami Prabhupada, Srimad Bhagavatam, purport IX, 14,48

227
linings have attracted much attention. surrender, why one should surrender
Elsewhere in the Bhagavatam, and the efficacy of surrender. They assert
we hear that the advantage of Kali that only a lineage guru can perform the
Yuga is that whatever good one does rite of surrender. They clarify that what
fructifies immediately while evil does not; is surrendered is not just the body but
moreover, sin accrues to sinful deeds and the core self-atman as well as the fruits
not to thoughts.22 For these reasons, many of action along with burden of protecting
personages from other ages are eager oneself against inner and outer enemies.
to take birth since there will be many They have codified the theory and practice
devotees of the supreme Lord especially of surrender such that only ‘insiders’
in South India.23 The Kanchi seer also now have access to a lineage guru who
reiterates that the ills are somewhat performs the rite. K. Varadachari has noted
exaggerated and that there will be that as a technique, it becomes routinised
spiritual efflorescence as evidenced in the and tends to lose its significance unless
birth and life of the great Shankaracharya the crisis of helplessness is maintained.25
and others.24 Their discourses are also oblivious to the
Many Hindu gurus amplify that real problems that arise from the modern
the ‘easiest’ means to achieve liberation penchant for self-assertion.
is through devotion and surrender to the What could render surrender
divine. The God waits for the devotee and attractive from a philosophical standpoint
even if one makes a feeble effort, His grace sans sectarian commitments? For
is showered. While sectarian preferences surrender appears to be a radical negation
inflect the choice of the supreme deity of our freedom and responsibility. As
and the nature of liberation, it would be Steven Hopkins pointed out, the tonality
fair to say that Vaishnava theologies that of surrender foregrounds our abjection
espouse complete surrender (saranagati) and going beyond will and beyond
to Sriman-Narayana provide extensive hope.26 Saranagati or surrender is touted
rationale. They claim that worshipping as the royal path wherein our extreme
other gods is like watering the trunk worthlessness and dependence are
and leaves whereas Narayana is the root affirmed. From a modern perspective, this
of all existence. They inquire into the all seems escapist if not repulsive given
nature of the deity to whom one should the dignity accorded to the individual

22 Ibidem, SB I,18,7. https://vaniquotes.org/wiki/Kali-yuga_(SB_cantos_6_to_12) #SB_


Cantos_10.14_to_12_.28Translations_Only.29, accessed 31/7/2018
23 Ibidem, SB XI,5;38-40. https://vaniquotes.org/wiki/Kali-yuga_(SB_cantos_6_to_12) #SB_
Cantos_10.14_to_12_.28Translations_Only.29, accessed 31/7/2018
24 Shri Chandra Sekhara Saraswati, “Is Kali consigned to Adharma”, http://www.kamakoti.org/
tamil/5part113.htm, accessed 6/9/2018.
25 K. Varadachari, Visistadvaita and its Development (Tirupati: Chakravarti Publications 1969),
p.111.
26 Steven Paul Hopkins, Singing the Body of God, (Oxford University Press, 2002), p. 213.

228
Morning prayer before the Ganga (Picture by Jorge Royan)
self. And yet, escapism in the face of the requests the Lord for an ‘easy means’
aforesaid malaises of modern reason may to save the many beings immersed
not be unjustified. Revulsion and dignity in ignorance and unable to perform
fade away when we ask “who is the deity complicated rites. The Lord responds:
to whom we should surrender”? Far from “Oh Bhumi Devi! The entire universe is
being an inscrutable commanding god my body (sariram). I do not have births
whose fiat evokes a defiant will, it is a or deaths. When my devotees with
waiting god who promises the liberation great faith surrender to me, while they
of living beings from ignorance and are still in a state of tranquil mind and
needless suffering that calls out here. healthy body and reflect about Me as
The proof text for the efficacy of root cause of all (Sarva Aadharam), one
surrender is adduced from the Bhagavad who commands from within (Niyantha),
Gita where Krishna declares, ‘Abandoning the ultimate (Sarva Seshi), One who is fit
all duties, take refuge in Me alone/I shall to be worshipped (Aasrayaneeyan), all
liberate you from all evils/Do not grieve”.27 pervasive (Sarva Vyapthan) and One who
Alongside, Rama’s vow to protect those is always near (Nithya sannihithan), then I
who surrender unto him whoever they think of them in their last moments, when
may be including rank enemies is cited they are totally unconscious like a log or
as additional proof. A third one is from a stone and lead them by the path of fire-
the Varaha Purana where Mother Earth god (archirAdhi maargam) to My highest

27 The Bhagavad Gita, trans. Winthrop Sargeant, (Albany: The State University of New York Press
1994), p. 726

229
Narasiṃha, the fourth avatāra of Viṣṇu
abode and bless them to have the bliss of with fervour like an infant that seeks a
eternal service to Me there.”28 mother’s breasts. In a sense, His feet may
Invoking these verses, the be said to be greater than Him in that they
Vaishnava Acharyas (lineage gurus) assert bear and support the all-supporter.30 The
that refuge is to be sought at the feet of footwear that support his feet are deemed
Sriman Narayana affirming our utter even greater which is why Bharat (Rama’s
helplessness. Sri Vaishnava theology brother) worshipped and enthroned
also sees the feet as a metonym for the them. By the same token, the Acharya who
Lord himself. Francis Clooney has cited shows the path is also worshipped and
Vedanta Desika’s view that ‘the feet holding on to him/her is akin to holding
stand in for the Lord’s entire eternal and on to the Lord’s feet. The Lord’s feet know
auspicious divine form’ and ‘it suggests only ‘anugraha’ (grace) unlike his hands
both His transcendence and accessibility.’29 which punish and kill evil doers. As early
Mukkur LaxmiNarasimhachariyar teaches as Purusha Sukta, we see the homology
that a devotee must seek the Lord’s feet between the earth and feet when we

28 V. Varadachari Sadagopan, Varaha puranam: Annotated commentary, available at https://www.


sadagopan.org/pdfuploads/Varaha%20Puranam.pdf, accessed 24-08-2018. [Translation
slightly modified by the author]
29 Francis X. Clooney, Beyond Compare: St Francis De Salles and Vedanta Desika on Loving
Surrender to God, (Washington DC: Georgetown University Press, 2008), p. 157
30 Mukkur Laxminarasimhacariyar, Godaiyin Paadai [Goda’s path] (Madras; Vanathi 2003), p.
296-7

230
hear of the latter emerging from his feet. hip as if to reassure those who seek him
The Lord’s measuring the earth with one that their troubles will not rise above
giant stride in Vamana (dwarf) avatar also the hips. In Srirangam, he reclines on
attests to the close intimacy between the the serpent couch, as if he is in no rush
earth and His feet. Sri Laxmi, the goddess to leave the earthly abode, reconciling
of prosperity and foremost devotee does that it would be a long time until humans
not leave His feet ever. Lest we think this realise their true freedom. And he accepts
is one sided, there is the story of the Lord their worship, holding court like a king
seeking dust from the feet of the gopis of and giving audience. He even lets himself
Vrindavan to cure a headache! be bound with ropes and mounted on
As one who is easily accessible chariots (à la Jagannath of Puri) so that
and determined to protect humans, he all can exult in his Lordship. Who will not
manifests in a stone icon as if to enable the melt at such boundless compassion and
devotees to see and enjoy his beauty. One surrender headlong at His feet? What if
sacred story after another of the Supreme such an act conflicts with the autonomy
Vishnu (sustainer) Narayana (indweller) of modern reason which only promises
details how he descends to earth as more recognition and more comfort but
arca (sacred image) out of compassion not happiness? How can the mastery of
for humans. In Badrinath, he sits in the will and the will to mastery prevail
meditation under a Badari tree to lessen over the heart’s longing for unmerited
the sufferings of humans and hasten their love and repose in an abiding True Self?
liberation. As Vittala in Pandharpur, he Perhaps only a life-threatening crisis and
awaits for humans with his arms on the the attendant ‘fear and trembling’ propels
waist, standing on a mere brick that was an authentic and wholesome surrender
cast by his devotee Pundalik who was (as with the elephant king Gajendra) but
busy tending to aged parents when the philosophical wonder can certainly aid in
Lord arrived! In Tirupati, he stands with relishing the taste (rasa) of surrendering
his right hand pointing to his feet and oneself to the highest Ground.
the left hand resting a little below the
I surrender again (Picture by the author)

231
232 Viṣṇu (Picture by Ms Sarah Welch)
The Theory of the Ages
From The Laws of Manu to Plato’s Republic

Martine Chifflot
Translated by Patricia Reynaud

In order to understand the place well before Alexander’s conquests and


and content of the kali-yuga, it is worth Plato provides us with one version and
remembering the theory of the ages, interpretation of it in the Republic, and the
which is part of the Hindu conception of differences between the two are worth
time and history. The theory of the ages mentioning. The ethical and political
finds a quasi-legal expression in the dimension of both texts being obvious, a
famous text titled The Laws of Manu whose comparative analysis proves a legitimate
exact title is Treatise on Duty according endeavor.
to Manu.1 As it happens, Manu is the
name of the mythical (or real?) ancestor The Indian cosmogony of Manava-
presiding over our era. What does Manu dharma-śastra
mean? Certainly Manu2 is the Man, he who The Laws of Manu are part of
has manas, mind, but, overall, it is for the the Sāṃkhya perspective (darśana) but
Hindu religious tradition of India one of one needs to stress as well its exoteric
the seven characters who have ruled over dimension: it is a “civil” code for all
the world and this treatise, considered as that the political power is responsible
an emanation of Brahma himself, which for enforcing; some of its provisions
has been transmitted from an era to the are extremely harsh and may appear
next. Be it as it may, this piece is one of the unjust -notably with respect to women –
first ethical and legal codes that humanity reflecting the norms and perhaps some
has enacted. It includes twelve books and “prejudices” of the time. The date when it
encompasses in full all the aspects of our was written is contested, between the 8th
[human] condition. Book I deals with the and the 6th century (even the 2nd century)
creation of the world and in it, we find the B.C., proving that it is nonetheless a very
theory of the cosmic ages (yuga) as well ancient text.3 It is neither a religious
as the divine cycles. This theory of the work nor a philosophical one. And yet, it
ages has reverberated as far as Greece – offers a remarkable condensed book on

1 Manavadharmaśastra
2 William Jones has assimilated the name Manu to those of Menes and Minos. Cf. Preface by
Loiseleur-Deslongchamps, VI.
3 Since its first translation in 1794, by Sir Williams Jones, the date of the text has been widely
discussed. Nowadays it is agreed that its writing took place between 200 B.C. and 200 A.D.
while philologists once located it between 1250 and 1000 B.C.

233
traditional conceptions and constitutes corresponding to the days and nights of
a major reference for Indianists.4 The Brahmā, the very “creating” principle from
Hindu society got structured around some whom all things emanate. One thousand
of these beliefs which have lasted while divine ages comprise one day of Brahmā,
maintaining a very specific social order during which manifestation as a whole
whose principle Louis Dumont was able takes place; however, the night of Brahmā,
to reveal in his book Homo Hierarchicus.5 when all manifestation is reintegrated also
S. Radhakrishnan was well aware of the lasts one thousand divine ages. We are
importance of this code about which he dealing here with astronomical durations
devoted four pages, stressing that : “a corresponding to 4,320,000,000 human
tradition (smṛti) opposed to Manu is not years of 360 days.7 At the end of every day
approved.”6 What is of interest to us here of Brahmā, a dissolution or pralaya takes
is not, however, how society is organized place, followed by its corresponding night.
but the cosmogonic conception the book Book I describes all this, and it makes the
exhibits to start with, which establishes emanation of the cosmos preceded by a
the theory of the ages of which the kali- release from the darkness of dissolution:
yuga represents the last moment. This “When the duration of dissolution
theory is inscribed in a cyclical conception (pralaya) has come to an end, then the
of time implying an alternation between self-existing Lord, untouched and beyond
manifestation and non-manifestation, all external senses, makes this world,

4 Some authors have nevertheless called into question its value and significance. For instance
Koenraad Elst in “Manu as a weapon against Egalitarianism. Nietzsche and Hindu political
philosophy“, in Siemens, Herman W/Roodt, Vak (Hg), Nietzsche, Power and Politics. Rethinking
Nietzsche’s legacy for political Thought (Berlin/New York, 2008) pp. 543-582
5 Louis Dumont, Homo hierarchicus, Essay on the Caste system (University of Chicago Press,
1991). Let us remind the spiritual principle directing these castes that Louis Dumont identifies
as the opposition between the pure and the impure. To us, it seems to deal more relevantly
with the proximity or the distance with respect to the absolute consciousness constituted by
ātman-Brahman, no doubt pure, quasi-translucent even but also saturated with being and
bliss, the source of all good, ineffable in its pre-eminence and the fact of belonging to one
caste or another is but the fruit of prior acts. The economic yardstick is insignificant since,
in principle, the brahmins neither have the right to work nor that of being paid, nor to make
profits, they are only entitled to receive gifts. Within this perspective, duty (dharma) comes
first and each caste has quite specific duties before enjoying any rights.
6 Indian Philosophy (Centenary Edition), volume I (Delhi: Oxford University Press, 1991, first
edition 1923), XII, The code of Manu, pp. 515-518. “A smṛti opposed to Manu is not approved.”
(Note 7). See Taittirīya Saṁhitā, II, 2,10; III, 1,9,4, p. 515.
7 “One day of Brahmā is called a kalpa. Thirty kalpas form one month of Brahmā. Twelve of
these months form a year: one year of Brahmā is thus equivalent to 3.111.400.000.000 human
years.” Note 2, p. 4, MDS, A. Loiseleur Deslongchamps, Editions d’aujourd’hui, Les introuvables,
Garnier Frères, Paris, 1976.

234
together with its five elements and other as well as the corresponding adversity
principles perceptible and, shining with coefficient. Thus, we are the sons of our
the purest radiance, He appears and actions and our birth is not contingent;
dispels darkness, thus developing Nature also, our life is meant to spend all or part
(prakṛti).”8 of the fruit of our past actions.
Deservedly, this cosmogony
has been assimilated to the Sāṃkhya The ages and the kali-yuga
metaphysics although Radhakrishnan, One needs to clearly distinguish
relying on Colebrooke, reads it as a mix kalpa and yuga, on the one hand, the
between Purāṇic Sāṃkhya and Vedānta.9 divine years and, on the other, the human
As such, cosmologony pertains more to years, covering very different magnitudes.
the perspective of the Sāṃkhya than to the One kalpa is worth one day of
one of Vedānta, whose purpose is more Brahmā or one thousand divine ages or
purely “metaphysical” inasmuch as this one thousand yuga. To this, one may add
term is to be applied to Vedānta. As far as one night of Brahmā or one thousand ages
cosmogony is concerned, the pattern of The during which nothing gets manifested
Laws of Manu offers a cyclical conception and everything remain in a seed form i.e.
of time alternating between manifestation involuted. The word kalpa10 has different
and non-manifestation of equal duration, meanings among which that of a sacred
with the manifestation being composed precept, law, rule etc… but, in our context,
of kalpa, then divided in yuga, submitted it means the duration of the existence of
to entropy. Within these yuga, the beings a world. A night of Brahmā, of the same
reincarnate according to their merits, absolute duration is not called kalpa
thus following a moral determinism since nothing happens and there is no
which will justify such and such rebirth in yuga either. Properly speaking, it is not
one condition or another. This conception a nothingness but a kind of latency of
stresses a strict correspondence between all material phenomenality, or subtle
ages and the incarnation of those in them; one or even of the principial causality,
it does not exclude the moral freedom of which is resorbed as well. Upon Brahmā’s
perfecting oneself in a new existence but awakening, all is projected anew, following
it justifies the genetic and personal data an order of appearance described in the

8 Op. cit., paragraph 6, p. 3, translation by Loiseleur Deslongchamps.


9 Indian Philosophy, p. 516: « As Colebrooke asserts in his essays, we have in Manu the Pourāṇik
Sāṃkhya mixed up with the Vedānta. The account of creation given in Manu has nothing
distinctive about it. It is based on the hymn of creation of the Ŗg Veda. The ultimate reality
is Brahman, which soon manifests a dualism between the self-existent Hiraṇyagarbha and
darkness.”
10 KḶP- means to consist of, to succeed, to correspond to etc. but also to produce, to cause, to
imagine. This root summons the idea of adequate production and imagination since it is
the divine imagination and projective imagination that produces these durations and these
recurring ages.

235
Nandi (Photo Dharma, Sadao, Thailand)
treatise of Manu. A kalpa is divided into their duration:
yuga as periods or world eras. The word “It is said that the Winning Age (krita-
yuga derived from the root YUJ- means a yuga) lasts for four thousand years; the
pair, a couple but also a generation and it twilight (preceding it) lasts for the same
comes to mean the world “ages” we are number of hundreds (of years), and the
concerned with in this essay. partial twilight (following it) is the same
As far as a year is concerned, if one size.”11
kalpa is worth one day of Brahmā, thirty If a divine year is worth 360 years,
kalpa are worth one month of Brahmā and 4,000 divine years add up to 1,440,000
twelve months a year: thus a year is worth human years plus twice 400 divine
360 kalpa, each being equivalent to one years for both of the dusks, with a total
thousand yuga. One should not however of 1,718,000 human years for one age
mistake one year of Brahmā with one plus two dusks, which are not nights but
divine year, which lasts 360 human years periods of darkness and relative latency.
whereas one year of Brahmā corresponds “In the three other (Ages) with
to 3,111,400,000,000 human years. their twilights and their partial twilights,
The four ages (yuga) included the thousands and hundreds (of years)
in each kalpa (or day of Brahmā) are are calculated by subtracting one (from
introduced in Book I of the treatise of each progressive Age).” One needs
Manu, in the first place with respect to to understand that the allotted time

11 MDŚ, op. cit., I, 69, translated by W. Doniger with B.K. Smith (Penguin Books, 1991) The kṛta-
yuga is the perfect age. It is the first one and, in it, dharma is perfectly respected.

236
decreases proportionally with each age. evil entity, a devil of sort. Kali12 also means
The second age or tetrā-yuga consists dispute or dissension, personified as well,
of 3,000 divine years; the third age or and finally it means the worst object of a
dvāpara-yuga has 2,000 divine years and class or any group of objects. One could
the last age, the one we are dealing with not find a more negative naming for a
in this article, the kali-yuga is made of duration. In this paragraph however,
1,000 divine years to which one needs only the first age is named because it is
to add, each time, the hundreds minus the only age remaining unspoiled; all the
the dusks. Deterioration affects duration others offer the spectacle of a progressive
in the first place but it will also affect deterioration, well captured by the word
proportionally the duration of human “decadence”. The qualities or the flaws of
life, as we shall see further along in the each age will be subsequently mentioned
treatise. Thus, for these three decadent after the description of Brahmā’s cosmic
ages we get 1,296,000 human years, then emanation.
864,000 and then 432,000 human years “In the Winning Age (kṛta-yuga), justice
as far as the kali-yuga is concerned. These [under the form of a bull] is entire,
long durations are hardly imaginable: standing on all four feet, and so is truth;
our imaginations labors to think of time and men do not acquire any gain through
beyond ten thousand years. Additionally irreligion.”13
one notices that Sanskrit names the ages Justice and truth are the two
differently and that it inverts the ordinal cardinal virtues providing balance to this
counting of the two intermediary ages perfect age.
since tretā means third and dvāpara “But in the other (Ages), through (such
second whereas the first and the last age wrong) gains, religion is brought down
are given specific names: perfection and foot by foot; and because of theft, lying,
fulfilment for the first, the kṛta; the last and deceit, religion goes away foot by
age has been given a name which sheds foot.”14
a different light on these designations: The decadence process and the
it bears the name of the losing dice (or reason for it15 are clearly stated: what is
losing side of the dice), personified by an illicit, the transgression of moral codes for

12 One should not mix up this word with the name of the goddess Kālī� otherwise named Durgā,
Ś� iva’s consort, however terrible and destructive she may appear.
13 Op. cit., I, 81 (Modified translation).
14 Ibidem, I, 82.
15 This deterioration is also inscribed in the temporal fabric of the world, as in the myth of the
Stateman imagined by Plato, which includes the stages likely to get, in the terminal phases
of the cycle, those reincarnations begotten by evil deeds. Positive reincarnations, of course,
are still possible in the kali-yuga, inasmuch as one fourth of all beings continue to follow the
dharma and if the deterioration does not include everybody at the end. Moral determinism
however goes hand in hand with a cosmology foreseeing that the world is nearing its end in a
catastrophic way. All this logically pertains to the essence of manifestation. The Laws of Manu

237
acquiring material and intellectual goods, metaphysical capabilities:
which, progressively and per quarter, “The religious duties of men are different
unbalances the bull symbolizing justice; in the Winning Age (kṛta-yuga) and in the
in the kali-yuga, this justice will only Age of the Trey (tretā-yuga) and the Age
remain standing on one foot. Justice is to of the Deuce (dvāpara-yuga); they are
be understood in the broadest context: different in the Losing Age (kali-yuga),
it designates both the retribution and in proportion with the decrease of each
distribution, the political as well as the Age. Inner heat is said to be paramount
moral plane. Gradually society becomes in the Winning Age, and knowledge in the
adharma and, ultimately, an inversion Age of the Trey; they say that sacrifice (is
of values is to be expected, values that paramount) in the Age of the Deuce, and
were once recognized by reason or the the one thing in the Losing Age is giving.”16
natural light i.e. buddhi. Hindus have not Sacred texts clearly designate the
considered History as defined by progress practices adapted to each age and they
but, on the contrary, they understood seem to exclude the possibility of a practice
historical time as decadent; thus they kept from one age to another. Thus, a
have tried to preserve their social and spontaneous austerity and asceticism are
religious institutions without falling specific to the spiritual strength of the
into technicist illusions, those that have perfect age, during which men are able
gradually imposed themselves with to master their psyche and their body
modernity and precisely in accordance and to identify almost spontaneously
with the downfalling sequence of yuga. to the divine consciousness of the Self
This conception explains their disregard whereas, later on, a more theological or
of historiography. In the kali-yuga, what metaphysical approach will be adopted.
matters is to belong to the one quarter Sacrifice, through the prescribed rites,
of men still respecting the dharma so becomes fit then while generosity,
as to prepare and auspicious rebirth or “charity” through alms and gifts, constitute
a reintegration into the absolute. The the last attainable virtue of a humanity
future will never be in the capacity to incapable of making deeper commitments
solve existential issues and it is only by via postures, lessons or rites. Under its
respecting “morality”, always possible various forms, the charitable gift remains
even in the kali-yuga, that problems can then the sole moral action available to
be resolved. However, specific virtues those who have not fallen prey to the illicit
to be cultivated vary according to the acquisition of wealth and miserly hoarding,
ages due to a weakening of our ethical- notwithstanding the fact that remorse

develop a theory of divine emission which, through (interposed) creators (Virādj, Manu,
Prajāpati, etc.) produces gods as well as vampires, dragons, devils, etc., what is just and what
is unjust. In v. 50, one reads: “In this terrible cycle of transmigration of living beings, which
moves relentlessly on and on, the levels of existence are said to begin with Brahmā and to end
with them.” Cf. op. cit., I, 33-50
16 Ibidem, I,85-86.

238
may seize the crook or the exploiter who likely to provide a full account of the kali-
may then return the profits he has unjustly yuga, they are nonetheless sufficient to
garnered. While people from the kali-yuga present an inevitable entropic process,
overindulge in wealth, the getting rid of which, if connected to metempsychosis
it, partially or totally, constitutes the nec also exposed in the śastra, enables one
plus ultra of religious and moral life and to imagine that incarnations in our
the poverty vow its shining epitome. current yuga are but the fruit (phala)
The śastra however gives a measure of of past mistakes, due to a strict moral
what has been lost: austerity, knowledge and causative determinism. The darkest
and sacrifice are gone now, making our scenarios are also likely and accredit
intellectual and moral life all the poorer. the end of time after 432,000 years of
With our inner being now corrupted, kali-yuga and following a dusk of equal
displays of generosity only serve to ease duration. The nature of these dusks is to
our consciousness. Being, Knowing and be conceived in a similar way to the nights
Doing have been successively neglected in of Brahmā, although a difference in degree
favor of Having, which can be redeemed remains concerning the “seeds” in latency.
by generosity only. But, if the course of Creation is then benighted, and beings
events continues unchecked and if wealth are unmanifested while only the causal
is gotten illicitly, through fraud and theft, plane remains in a state of potentiality.
one can only surmise the disaster awaiting Everything is to be reborn in a perfect
us: the generosity of some is unable to state with the return of a new kṛta-yuga.
compensate for the greed of others. Nietzsche has perfected his intuition of
To these social evils, biological the Eternal Return from a reading of this
effects follow suit and life expectancy gets śastra that he refers to in 1888, but, most
shortened in proportion to the moral and likely, he misinterpreted it, seeing in this
metaphysical debility. cycle the return of the “same.” The nature
“In the Winning Age, (people) are free and characteristics of the yuga do remain
from sickness, achieve all their goals, and identical but not the same beings are
(have) a lifespan of four hundred years; coming back and not necessarily under
but in the Ages that begin with the Age of the same conditions. Owing to moral
the Trey, their lifespan grows smaller foot determinism, the return may take place
by foot.”17 in one yuga or another, in a human or
In the kali-yuga men unlikely animal condition or not take place at all,
live over one hundred years and, if they if a liberation has taken place, dispelling
do, their capabilities deteriorate with the ego’s outline and thus raising the
few significant exceptions: in most soul to the level of the absolute. We will
cultures, longevity has been considered not return as we are but will come back
as a divine favor and ancient texts make with such and such quality, in whichever
mention of the advanced age of some age and cycle, depending on our actions,
reputed sages. These remarks are not words and thoughts. For these reasons,

17 Ibidem, I, 83.

239
the moral and religious life we lead is so it emphasizes generosity (charity) and
important since it determines the future preaches poverty as an art of living.
lives that will befall to us, and knowing “Poverty in spirit” not only means
that Hindus yearn above all to be liberated economic poverty but above all mental
although this aspiration tends to decrease poverty or an identification to non-
as the kali-yuga advances, as our desires possessiveness and detachment; a person
get opaque and focused on what we have “poor in spirit” could be, potentially
and what we appear to be. There is hardly rich but sufficiently detached from his
any chance we will come back as we are possessions to administer them freely and
since our life depletes, at least partly, the to give them up if necessary. The parable
fruit of a previous existence and each of of the wealthy young man is significant
our actions predestinates us for a new and points out to the injunction to free
state, better or worse than the one we oneself from temporal ties in order to
currently have. The search for truth and follow the Spirit. Hindus consider Christ
good remains the main objective, even as an incarnation of Viṣnu but one may
in the kali-yuga but it gets more and be struck by the fact that the evangelical
more difficult as souls and actions get revelation took place shortly after the
darker as time goes on. Reincarnation beginning of the kali-yuga, having begun
within samsara must therefore be clearly about 3,102 years before Christ. Such
distinguished from Nietzsche’s Eternal speculations may seem far-fetched with
Return. Moral determinism does not respect to paleontological or geological
correspond to Destiny since we are discoveries and above all to the scientific
morally free, depending of course on spirit, instigator of all academic endeavor
our metaphysical lucidity and constantly and it is fashionable to reduce this
invited to re-center our self on the absolute literature to historicist or sociological
(or the Self: brahman) whose intuition we hypotheses. These texts continue to
get through the sacred texts and through trigger our metaphysical imagination,
meditative introspection. But the Hindu which seeks their meaning, literal or other.
tradition also makes room for the exoteric The spectacle of History and of the various
cult of Viṣnu and Ś� iva in popular religions. violence of modern societies give credit to
The kali-yuga nonetheless offers the the idea of a dark age to come, one that
spectacle of a progressive (truly speaking science fiction never stops to darken.
regressive) confusion within the religious
and philosophical fields and it makes The Iron Age from Hesiod to Plato
it more difficult to recognize the truth. The theory of the ages is replicated
Experience then, often painful ones, is in Greek conceptions, collected by Hesiod
our true guide and it may lead us, when first and developed by Plato in a more
genuine spiritual masters are lacking, to philosophical way later. The informative
our inner master. question is: are we legitimately entitled to
In this context, the Christian connect the kali-yuga with the Iron Age? A
revelation may appear particularly suited: quick overview of these conceptions will

240
enable us to answer tentatively. To the description of such behaviors reminds us
word yuga, Hesiod’s Greek text prefers of a time when virtue is gone, such as the
that of genos (γέ� νος), translated by kali-yuga in its final phase.
gender or race and in Works and Days, five One may be surprised that
“races” are described with respect to their Hesiod puts a stop to the degradation
evolution and characteristics. However, to process with the coming of the fourth
these types of human beings correspond race as it seems to initiate and ascent
past ages that no longer are. The first one, towards positive values and the divine,
corresponding to the era of Cronos, is unless we read it as a justification
the golden age corresponding to the very for mythology, which relates the high
nature of that humanity: “First of all, the deeds of a few heroes. On this intrusion,
deathless ones, who have their homes on Dumézil, Goldschmidt and Vernant have
Mount Olympos, fashioned a Golden Race offered clever interpretations. They were
of mortal humans.”18 Then comes a silver analyzed by Jean-François Mattéi in Platon
race, inferior in its physical and moral et le miroir du mythe [Plato and the Mirror
qualities, a race already afflicted by hubris, of Myth]22, a work which, nonetheless,
then a third one, worse still, “concerned keeps wondering about this intrusion of
only with the groans and violence of the fourth race:
Ares.”19. But a fourth race, “more just, more “If the original myth was only comprised
righteous, the godly Race of Heroes, who of four races, each associated with a metal,
are called half-gods, the race before our why did Hesiod took pain to associate to
own upon the boundless earth”20 comes them a fifth race of heroes rather than
and interrupts the continuum of the first stick to the declining order of metals: gold,
three creations, restoring virtue, notably silver, bronze and iron? […] The unbalance
courage. The fifth race or the Iron race introduced by the fifth age in a genesis
is no longer created by the gods and it is made of four terms (the four metals)
afflicted by a wretched condition, which, and in a structure with three terms (the
in this last time, will ruin itself and revel three posthumous powers), both relying
in wickedness and crime: “Justice will be ultimately on a dual opposition (Dikè and
what you can get away with, and there Hubris) could only be justified, for the
will be no shame. The evil man will harm poet, by the imperative necessity to reach
the better, slandering him with crooked a complete cycle made of five terms. One
words and swearing an oath upon it. ... Sad may wonder then in what ways a myth
pains will be left for mortal humans, and created on the alternation of a tetrad and
there will be no defense against evil.”21 The triad would naturally end up with the

18 Hesiod, Works and Days in The Poems of Hesiod, trans. Barry. B. Powell (University of California
Press, 2017), v. 98-99.
19 Ibidem, v. 127.
20 Ibidem, v. 137-138
21 Ibidem, v. 168-175.
22 Chapter II, “Kronos, Le mythe de l’âge d’or”, (PUF, Quadrige, 2002, 1996), pp. 57-80.

241
making of a pentad.”23 earth, mother and wet nurse of all, from
Turning to the platonic remaking the Phoenician myth25 is being replaced
of the myth, Jean-François Mattéi is able by a metempsychosis process enjoying a
to solve this cosmo-ethical issue from prenatal freedom likely to be enlightened
which Plato elicits a political paradigm by ethical choices from a philosophical life.
that enlightens the process of decadence Thus, Plato ends up with a complex model
of cities, passing from aristocracy to that, although based on a cosmological
timocraty, to oligarchy, to democracy, to hypothesis and on astronomical
end up in tyranny. Although he admits calculations, stresses moral freedom
five forms of governments corresponding granted by philosophy. The link with the
to five forms of souls, Plato returns to the perspective offered in The Laws of Manu
primitive myths of the four ages24 (even relies on the cosmological conception of
of the three ages in bringing together Timaeus. In it, Plato makes reference26 to
bronze and iron) assimilated to different a great year: a time when all the cycles of
natures of beings (and souls) thus the planets return simultaneously to their
justifying their hierarchization. From a point of departure. The number of the
single human nature, some associated divine generation could be equivalent to
with gold will be capable of governing, it, that is to say: 12,960,000 = (3 x 4 x 5)4
those associated with silver will serve as = (3,600)2 = 4,800 x 2,700. Elevating to
their auxiliaries, and, at the bottom of the the power four, the number of the volume
list, those associated with bronze and iron of solids for the Pythagoreans, we obtain
will turn to be farmers and craftsmen. the nuptial number expressing the days of
As it characterizes the functions of the the 36,000 solar years. Plato distinguishes
soul, this tri-partition forms a social the generation of the eternal cosmos,
psychology justifying a social order of arranged in order by a demiurge who
which the myth of Er will provide the gives it a Soul from that of mortal beings.
moral and metaphysical motive since But he admits cycles and durations for
souls, as they reincarnate, choose the kind generation. The number of the human
of life they will get and thus the nature of generation is 216 or 33 x 43 x 53. Aristotle27
their soul. The shaping of all beings by the provides an explanation for this number:

23 Ibidem p. 63.
24 Republic III 415a-415d; VIII 545d-547b.
25 Op. Cit. 414 c., p. 209: “a Phoenician affair, which happened in many places in days of old”
26 39d: “It is none the less possible, however, to discern that the perfect number of time brings
to completion the perfect year at that moment when the relative speeds of all eight periods
have been completed together and, measured by the circle of the Same that moves uniformly,
have achieved their consummation.” Plato, Timaeus, 39d in Complete Works, ed. John M. Cooper
(Hackett Publishing Company, 1997), p. 1243 One will remember that the motion of the Same
is that of an external circle and that the Demiurge gave it the first place, thus guaranteeing a
relative cosmic stability (36c-37c)
27 Politics, V, 12,1316a 5-8, trans. T.A. Sinclaire, revised by Trevor J. Saunders (Penguin Books,

242
lengths and four terms, of elements that
make things like and unlike, that cause
them to increase and decrease, and that
render all things mutually agreeable and
rational in their relations to one another.
Of these elements, four and three, married
with five, give two harmonies when thrice
increased. One of them is a square, so
many times a hundred. The other is of
equal length one way but oblong. One of
its sides is one hundred squares of the
rational diameter of five diminished by
one each or one hundred squares of the
irrational diameter diminished by two
each. The other side is a hundred cubes
of three. This whose geometrical number
controls better and worse births. And
when your rulers, through ignorance of
these births, join brides and grooms at the
wrong time, the children will be neither
good natured nor fortunate.”28
Discord and decadence will be
the result of ill-aspected births and will
end up producing bad masters. With
Saturn Devouring His Son (Francisco Goya) respect to numbers, they are somewhat
inferior to those proposed by The Laws
“this periodicity has its origin in those of Manu: a divine year is worth 360
entities ‘in which a basic proportion of years and the Platonic number of 36,000
four to three, coupled with five, produces years corresponds to the number for
two harmonies’, meaning by that, when the law of becoming; the duration of the
the number on this diagram is cubed.” kali-yuga is one thousand divine years,
In the Republic, asking “how will which multiplied by 360 make 360,000
civil war arise” Plato imagines the answer and not 36,000 if dusks are not added.
given by the Muses in a similar way: Except for this connection, explainable
“For the birth of a divine creature, there by the division of a year into 360 days,
is a cycle comprehended by a perfect the numbers expressing the duration of
number. For a human being, it is the first kalpa and yuga are not found here since
number in which are found root and the great year of 12,960,00029 finds no
square increases, comprehending three
1981), p. 354.
28 Republic, book VIII, 546b in Complete Works, p. 1158.
29 Baccou’s note 540 explains: “It seems that the two harmonies mentioned in the Republic

243
equivalent in the counting of the four the movement of the universe, sometimes
yugas. The comparison seems to fall apart, in one direction and other times in
except for admitting, with Robert Baccou: another and opposed direction. In the first
“that there is in 12,960,000 (i.e. 3602) cycle when Cronos reigns, the universe is
360,000 harmonies properly speaking + moved by a divine force, men are born
360,000 units, to each harmony a πά� ντων from the earth old and hoary and they get
ἀ� ρχή� is being added. One also notices younger until they reach childhood. In the
that 216 contains 6 ἁ� ρμονί�αι + 6 πά� ντων second cycle, the universe is fending for
ἀ� ρχαί�. It is apparently for this reason that itself, men are born from men and they
the Muses gave the first man the name get older. Whenever a change of cycle
harmony and declare that the second one occurs there is almost a full destruction
connects everything up (i.e. in the human of animals and men, as in Hinduism. Each
body) according to rational proportions. cycle lasts several tens of thousands of
Doing so, they seem to recall the analogy years. The myth could well mean the
established by the Pythagoreans between exclusive disjunction opposing a life of
the macrocosm -the universe seen as a wisdom and one of perdition, organic
magnus homo- and the microcosm -man cities and decadent cities since it is used
considered as a brevis mundus.”30 to “define the king.” Still, its cosmogonic
The myth of the Statesman31 also value is as relevant, echoing the circles
referred to by Robert Baccou, differs of the same and the other mentioned in
from the myth of the Republic and this the Timaeus. Thus, “at times it is helped
difference calls our attention since it is by the guidance of another, divine, cause
possible to designate from it an equivalent acquiring life once more and receiving a
to the kali-yuga; in a more antithetical restored immortality from its craftsman,
fashion, this myth contrasts two cycles in while at other times, when it is let go, it

symbolize these two phases – of equal duration Plato adds – of the life of the universe. They are
indeed expressed by the same number 12,960,000, which may designate days, as the nuptial
number 216. If 360 days represents the perfect year – as Plato considers without ignoring the
real duration of a year – each phase will count 36,000 years, and it agrees with the affirmation
in the Stateman (πολλὰ� ς περιό� δων μυριά� δας, 270a). Furthermore, the main characteristics of
the world, as it moves forward, are order and justice, and contentment (ὁ� μοιό� της) whereas
when it moves backward, disorder, fighting and disharmony (ἀ� νὁ� μοιό� της). But we know
that the first harmony (3,6002) is ἲ�σην ί�σά� κις, ἐ� κατὸ� ντοσαυτά� κις, that is to say formed by
the square of a number being itself a hundred times squared: 3,6002 = (62 x 1002) whereas
the second is a rectangular number (προμἡ� κης). Observing that the Pythagoreans used to call
ὃ� μοιοι the square numbers and ανό� μοιοι the rectangular numbers, we can assume that it is
rather natural to consider 3,6002 as designating the first cycle and 4,800 the second cycle of
existence of the world.” Plato, La République, trans. Baccou (Garnier Flammarion, 1966), notes
from book VIII, p. 465.
30 Ibidem, p. 466.
31 268e-274e.

244
The School of Athens (Raphaël)

goes on its own way under its own power, it mixes in are slight, but the admixture
having been let go at such time as to travel it causes of the opposite is great, and it
backwards for many tens of thousands reaches the point where it is in danger of
of revolutions because of the very fact of destroying both itself and the things in it.
its movement combines the effects of its It is for this reason that now the god who
huge size, perfect balance, and its resting ordered it, seeing it in difficulties, and
on the smallest bases.”32 This backward concerned that it should not, stormtossed
motion is the cause of all illnesses and as it is, be broken apart in confusion and
disorder affecting everything and leading sink into the boundless sea of unlikeness,
the world to its ruin. takes his position again at its steering-
“So while it reared living things in itself in oars, and having turned round what has
company with the steersman, it created become diseased and been broken apart
only slight evils, and great goods; but in in the previous rotation, when the world
separation from him, during all the time was left to itself, orders it and by setting it
closest to the moment of its letting go, it straight renders it immortal and ageless.”33
manages everything very well, but as times In this myth, Plato crosses
moves on and forgetfulness increases in through the cosmic and political planes,
it, the condition of its original disharmony revealing the effects of unlikeness, which
also takes control of it, and, as this time distorts and dissociate indefinitely what
ends, come to full flower. Then the good the divine order associates and vivify. The

32 Stateman, 270a in Complete Works, p. 311.


33 Ibidem 273d, p. 315

245
entropic process at work in a universe left been completed and the hour for change
abandoned is precisely what causes the had come, and in particular all the earth-
degradation of the ages. A similar process born race had been used up, each soul
of disturbance affects all planes starting having rendered its sum of births, falling
with the cosmo-physical one, from where to the earth as seed as many times as had
the other planes depend. The cyclical and been laid down for each, at that point
alternative character of the phenomenon the steersman of the universe, let go – as
shows that stability is never a given fact it were – of the bar of the steering-oars
and that the world is dependent on an and retired to his observation-post; and
organizing divine action which, like a as for the cosmos, its allotted and innate
continuous restoration, keeps maintaining desire turned it back again in the opposite
it in its being and identity. The sea of direction.”34
unlikeness, as if under the influence of
a wandering and degrading cause,
ceaselessly distorts the structures and These common features enable
dissolves the relations that harmoniously us to make the hypothesis of a
structure the lives of the bodies and of the transmission ... from the East
cities. (Indian) to a Greek West, via
The political aim of this text is Egypt or Asia Minor, and, above
obvious, and Plato reveals the necessity all, to admit a transcultural
of a king holding the rudder and steering metaphysical meaning, if not a
the city on the ocean of becoming. transcendent one.
Maintaining the structures and equitable
relations represents the sine qua non
condition of social life. The strength It is however in the Republic
of the text however is to underline the that the theme of metempsychosis
correspondence between the two planes, become most evident for, like The Laws
cosmic and political, while the analogy of Manu, it makes reference of two
satisfies the reverberation of one within phases, one of punishment or rewards35
the other. in hell or paradise and the second of
The Laws of Manu also lead from metempsychosis when the soul chooses a
the cosmic to the social order implying a life and a corresponding body. This body
just repartition of beings in proportion to depends though on its prenatal freedom
their real merit. In Statesman, the allusion and on its previous degree of knowledge
made to reincarnation is also obvious rather than on a strict moral determinism
particularly with respect to those born whereas in The Laws of Manu, to a
well and auspiciously in the first cycle: specific act of the body, the speech or
“When the time of these things have the thought process will automatically

34 Ibidem, 272e.
35 Laws of Manu, Book XII v. 16-23. This book deals with the topic of transmigration as the Book
X of the Republic.

246
corresponds such and such rebirth.36 In gives the fruit of past actions but also of
this last book however, cycles are not a prenatal decision made unconscious by
mentioned again. One can imagine that reincarnation.
incarnations find cycles corresponding to These common features enable us
their characteristics and the possibility of to make the hypothesis of a transmission
an eternal stay in the Island of the Blessed, via myths and their local variations, from
evoked in several dialogues, giving its full the East (Indian) to a Greek West, via Egypt
meaning to Socrates’ death, inasmuch as or Asia Minor, and, above all, to admit a
it is preferable to suffer injustice than to transcultural metaphysical meaning, if not
commit it. In these cosmologies, the moral a transcendent one. The ethical value of
component prevails, as if the ebb and flow the two eschatological clauses is obvious:
of the ages were only serving as the basis in both perspectives action (Karma or
for an ethical drama being played over praxis) predominates. The prospect of
again and again. salvation rests on good behavior and
The meaning remains globally justice, both equivalent to dharma, never
analogous as far as degradation is to be dissociated from the caste-system in
considered within a cosmic cycle letting orthodox Hinduism; in Plato’s perspective
metempsychosis occur in proportion however, only the souls of gold exert
to merits and misdeeds and after, one power and such souls are present in
descends, if need be, into the underworld, every age. Plato also replaces the myth
in order to serve a sentence. Indeed in The of the ages by that of the decadence of
Laws of Manu as in the myth of Er, which Greek cities caused by chance and human
is at the end of the Republic, reincarnation inadvertence producing births at the
follows a judgement, be it indictment wrong time, thus disorganizing society
(or reward) but in The Laws of Manu by disrupting hierarchies all things that,
determinism continues to be applied in the Indian context, is caused by the
while Plato allows for a choice of lives mixing of castes. Contrarily to what is
based however on a purely superficial imagined and wrongly so, castes in the
examination. Acts that are committed Indian system are not based on privileges,
being hidden, those choosing, for instance, no more than on the distinction between
the life of a tyrant will only discover their pure and impure, which are consequences
destiny afterwards and they will forget and not causes. The foundation of the
it before their subsequent rebirth. The caste system is purely moral and spiritual,
two models thus differ somewhat but in the sense that the brahmanic caste is
their background is similar and implies likely to welcome the most transparent
a moral responsibility. The reason is that beings, servants of dharma, holders of
cycles and degradation processes are the great sacred words, etc., whereas
but the conditions to perform a destiny the second caste, the warriors (kṣatrya)
previously requested, a destiny which hold the military and political power. The

36 “The action that arises in the mind-and-heart, speech, and the body bears good and bad fruits;
the highest, lowest, and middle levels of men’s existences come from their actions.” XII, 3.

247
economic and technical
power befalls to
producers (vaiśya),
who are allowed to
work and make money.
This division into three
allows for a fourth caste
of servants (sudra)
whose functions have
varied and are less
clearly defined. Sudras
are not slaves, they
form a caste of free
men integrated within
the Hindu orthodox
system; thereafter,
Hinduism has given
them a sufficient space
in the cults and in the
parallel or marginal
spiritual lineages. That
being said, orthodox
Hinduism admits
only exceptionally
promotions between
castes and endogamy
laws restrict the
possibilities of inter-
marriages. The belief
in past lives and in the
Visions of the Hereafter (Hieronymus Bosch)

fruit of actions justify


being born in one age
or other, in one caste
or other and it is a fact
that the kali-yuga is
characterized by the
mixing and confusion
between castes: thus
merit and belonging
may be dissociated as
hierarchies are being

248
corrupted. For a long time, traditional Meaning and Value
Hinduism remained very diffident with A literal interpretation of these
respect to westerners, mleccha and myths may seem simplistic, but some
outcastes because of their having a historical periods give credence to this
non-Indian birth but, as the kali-yuga scenario. The idea that we ushered into
advances, this view is being transformed: the kali-yuga around 3 000 years B.C.
the kali-yuga subverts the relations finds some claims in view of the earth
between the being and its social belonging history and ancestral texts but nothing
and this is attested in the teachings of Mâ that could not be scientifically disputed
Â� nanda Moyî�, who opened Hinduism to in view of more extensive durations.
Westerners. If the calculations are right, Science fiction, as it predicts an ever
the kali-yuga is just in its incipient stages gloomier and immoral future abounds in
and we are still able to rejoice and to this defeatist meaning. Very rarely does
benefit from its remnants of truth. Indian it corroborate the antonymic myth of
teachings agree with the lessons of Plato progress; on the contrary, it often reveals
and Socrates: we belong indeed to these the wrongdoings of blind technologies,
obscure times and so we are able to put the rebellion of machines or their
into perspective a few obvious injustices monstrous and disorderly proliferation. It
and to understand that vice pays less and is as if artistic imagination was reluctant
less homages to virtue. But, as long as one to depict some bright future in line with
fourth of humanity still follows virtue sovereign sciences. From the 19th century
and practices liberality, we may rejoice onwards, the optimism generated by
in belonging to those who know, even the so-called enlightenment gives way
when the outrageous death sentences of to defiance: Frankenstein symbolizes
Socrates and Christ are but the proofs of perfectly this new monstrosity born
the wickedness of our time. The theory out of experimentation and space, as its
of the yugas, Hindu cosmogonies, like interplanetary discovery continues is no
the doctrines of reincarnation are beliefs less threatening: the intergalactic wars
whose contents cannot be verified, their attests to the extension of the field of
meaning and value are open to question struggle and to a new aggressiveness.
and their rejection by other religions may The hypothesis of a dark age
deter believers from considering them. is all the more likely that it dates back
Since they have been diffused in the global before our Christian era, which would
culture, it is no longer possible to neglect offer a kind of remission within the age
them and the myths that carry them may but the Christian revelation ends up with
still offer us topics to meditate and fruitful and by The Apocalypse of John, although
opportunities to interpret. They also give its four horsemen could well reveal the
answers to our worries while making four ages and predict a final cataclysm
richer our comprehension of time and this seemingly closing off all history, with only
whatever our philosophical or religious a few elects reaching safely the eternal
commitments may be. and celestial Jerusalem: “Time will exist

249
no more” and all is frozen for the last paradoxically end up not disliking them.
Judgement once the seven angels have The ghost of the kali-yuga and the end of
sounded their trumpets. Once the disaster time is then endowed with a didactical
has ended, eternity follows the moral and value: it makes us aware of potential
environmental degradation while the Just consequences in terms of reincarnations
are saved, not to be reborn indefinitely. or eschatological retributions. Modernist
If one takes into account the consciousness however tends to ignore
myth symbolically, various opportunities all warnings: it feasts on reassurance
surface, especially that of a recurring and enjoyment so certain it is of the
Iron Age in every age since lawlessness benefits of science, while hoping for a
and disorder affect all generations and fairer distribution of wealth. The image
since disasters coincide with major steps of the kali-yuga and its horrors violently
in the process of dissolution. The four contrasts with this reckless naivety
ages, like the four horsemen would thus whenever unforeseen catastrophes
be simultaneously present, in proportion (although very predictable ones) strike.
to the circumstances and to our moral The mystery of time remains, such as
commitment although we collide then the mystery of space and a cosmogonic
with the inconstancy of immanent justice poetry pulls us out of our pretentious
as long as virtue is rarely rewarded. Other lethargy. While living in uncertain times,
interpretations, although denouncing we are invited to be watchful, like the wise
the ideological function of these myths virgins of the parable, and to keep our
and their articulation on the caste lamps lighted.
doctrine, may however be dissociated
from the theory of ages. One will still In conclusion we are able to
need to account for the worsening of life recognize the antiquity and the relevance
conditions and increasing perversion of a representation of History and
if a pessimistic reading of History as cosmogony that facts are not in the least
decadence is chosen. Some do continue to able to deny. From The Laws of Manu
hope for a bright future while ecological to Plato’s Republic, from the East to the
disasters meet with apocalyptic scenarios. West, a pattern seems to be transmitted,
The poetic value no doubt wins one that privileges entropy, associated
over the premonitory value of this with moral degradation. This cosmic and
narrative and gives us reason to value ethical vision increases the feeling of our
virtue and an ethical way of life since responsibility and compels us to cast a
imagining a link between our behavior critical view on modern times. It excludes
and our destiny in the cosmos proves however fatalism since each of us remains
convincing. The spectacle offered by free to follow the moral requirements
entropy and the threat of dissolution also that religion or philosophy keeps on
draw our attention while inadvertence reiterating; this view does not predict
makes us familiar with all kinds of and eternal return of the same but, rather,
disorders or chaos to the point where we reincarnations conceived as the fruit,

250
sweet or bitter, of our free choices, be they
virtuous or vicious. Two interpretations
stand out: one literal, which considers
History as a decadent trial for humanity as
a whole while some individuals may still
keep up or change for the better; the other
accepts the contemporaneity of these ages
and encourages vigilance during a time
troubled by cataclysms and perversity,
a time which contrasts with liberation
or the Island of the Blessed. This second
interpretation no doubt diverges from
the authors’ intentions, especially those
of the Indian brahmins of our era who
interpreted the kali-yuga literally and
saw in it the unavoidable conclusion of a
regressive process. Evil being omnipotent
and recurrent, ecological questions being
urgent, we are enjoined to take the theme
of the kali-yuga quite seriously and to
interrogate all our ways of living and
thinking.

251
The Great Red Dragon and the Woman Clothed with the Sun (William Blake)
252
The Time of the End
and the End of Time
The Dialectics of History in René Guénon

David Bisson
Translated by Renaud Fabbri

“Everything flows” wrote the process reaching its end, time itself is now
most solitary philosopher, Heraclitus of following the frenetic rhythm of history,
Ephesus. Like the sea on the shore comes till the final catastrophe, the destruction
and goes, the fire of life burns and fanes of the world.
away. A handful of sand, a few stolen As we see, the author of the Crisis
ashes. Applied to time, this image of the of the Modern World, combines different
flow corresponds exactly to Guénon’s perspectives – metaphysical, cosmological,
thought: for him, Time appears, deploys, historical – to support his conception of
contract and then resorbs itself into an time. To understand his often original,
unmovable point before the process sometimes visionary approach and to
of manifestation restarts. By flowing, distinguish its layers, we need to examine
thresholds, edges, yawning gaps etc... the historical context in which Guénon
are generated and man, caught in this wrote. Born in Blois in 1881 in a bourgeois
rhythm, must interpret them to know provincial family, Guénon was a very good
where he stands. At this level, Guénon has student but endowed with a poor health.
constantly warned his contemporaries He received a strong religious education
that time is accelerating and corollarily from his mother and his aunt, both pious
space is contracting, which translates into Catholics. From his youth, Guénon started
the progressive materialization of the a dialogue with Abbot Gombaut who had
world; in other words, its solidification a lasting influence on him, not so much in
prevents the air, the fluid or the spirit to the sense that he gave him access to the
flow as well. This cosmic phenomenon spiritual treasures of Christian scriptures
can be accounted with the Hindu doctrine but more with his distinct style of piety
of the cycles, which thinks in terms of always concerned with the pervasiveness
very long duration, and divides a year of of evil. As a young man, Guénon settled in
Brahma (several billions of years) into Paris in 1906, with the project to the pass
a series of successive cycles. Guénon the examination and enter Polytechnique.
embraces this vision in order to account He gave up this project rapidly though to
for the final stage of the kali yuga (the follow an unusual path in occultism. He
dark age), which he ends up identifying discovered this vibrant universe, with
with western modernity. With this long colorful figures and became himself one of

253
its pivotal members despite his young age metaphysical Principles, present in each
and relative shyness. His joining of various tradition (Hinduism being the most
initiatory groups illustrates a prominent ancient), to the Primordial Tradition.
feature of his personality: his thirst for In 1930, as the “thinker of the
total knowledge with amounts to a form Tradition” was finding himself more and
of saving gnosis. The true revelation came more isolated in the French intellectual
however form another intellectual source: environment, the hazards of a trip to
the Hindu doctrines in general and the Egypt led him to postpone his return
doctrine of non-duality in particular. That to France and ultimately to settle in an
is arguably the most mysterious aspect of area of Cairo, from which he would never
Guénon’s trajectory: how could he gain in return. During this long period from1930
the early 1910s, such knowledge largely to 1951 (when he died), Guénon clarified
inaccessible to the general public? The all the aspects of his system and managed
enigma has never been solved. In any case, to establish a true school of thought,
this “revelation” provided the background based on the one hand on a small
for the metaphysics teaching outlines in Parisian journal Le Voile d’Isis – which
two major books: Introduction to the Study became Etudes Traditionnelles in 1936
of the Hindu Doctrines (1921) and Man and – and on the other on initiatory groups,
his Becoming according to Vedanta (1925). inspired by his work. In this context,
At a time, which was witnessing the notion of Tradition was broadened
the birth of Oriental studies, he did not to refer also to an inner state to be
become however a scholar of Hinduism. On recovered and restored though initiatory
the contrary, he became part of the French knowledge. This led Guénon to gradually
intelligentsia, famous as a relentless critic conceptualize a form of orthopraxy. It was
of The Crisis of the Modern World, which up to the groups inspired by his work to
gives its title to his most famous book put it in practice. The other extremely
published in 1927 and preceded by his significant development of the time was
East and West (1924). The various sources his embracing of Sufi Islam. It was not until
were finally integrated into a single the beginning of the 1930s that Guénon
overarching concept: the Tradition, with a began to discreetly reveal this connection
capital “T”. How to define it? This Tradition and the following decade that he started
gathers all the great religious traditions of to push his “disciples”, very discreetly as
the world around a single transcendent well, toward Sufism. Let us add tough, that
core – a unique metaphysical truth – while from a doctrinal standpoint, he continued
acknowledging that each has its own to refer to the Tradition as universal in its
spiritual peculiarities. Guénon uses the content.
phrase “Primordial Truth” to designate This digression about Guénon’s
the common source, of anhistorical trajectory should help us understand
nature, from which proceeds the other better the various layers of his thought,
traditions. It is this second meaning that how they find their unity in the polysemic
allows Guénon to trace back the same notion of Tradition. His conception of

254
Time proceeds from a similar logic: it
draws from the Hindu doctrines to depict
the main ages of mankind and focuses
on the crisis of the modern western
world in order to stigmatize the aporia
of modernity. One must proceed by step
though, to grasp its deeper meaning and
how the laws of time relates dialectically
to the rapid rhythm of events. Let us
add that this conception is based on two
complementary perspectives: first a
Higher History or “meta-history” which
seeks to identify the movement of time,
and therefore the ages of humanity on René Guénon in Cairo
the very long term; second a Lower or an end. He rather approaches it in terms
short-term history aimed at deciphering of manifestation, proceeding through
the meaning of modern events. Both waves and originating from a single point.
perspectives (cosmic and historical) This explains why cycles are overlapping:
foresee an unavoidable and imminent for instance, the first “temporal” wave
end to this cycle. In this article, we shall corresponds to a kalpa, the period during
treat both aspects, how they relate to which an entire universe is manifested, as
each other, with their eastern sources and opposed to a pralaya, a period of cosmic
how those sources were interpreted in dissolution. A kalpa representing the
the West. Guénon’s remarkable synthesis entire development of a world, it proves
holds only as long as two ideas, foreign to difficult to assign it a length or even to
each over are taken for granted: cyclical think of it using temporal measures.
involution and modern decadence. A kapla, which is akin to the big bang
in modern cosmological vocabulary,
The Time of the End: the doctrine of is composed of two series of seven
cyclical involution Manvantaras, in other words of 14 ages
As mentioned previously, Guénon of the world. At this stage, it is also still
appeals to the Hindu doctrine of cycles to impossible to assign a precise duration
think about the very long term: a year of since a single of those manvantaras
Brahma corresponds to several billions lasts for several thousand years. Guénon
of years! That also allows him to break does not elaborate on the kalpa and its
completely with the linear (and Christian) multiple subdivisions. He focuses on the
conception of time. Precisely, the author Manvantara, which is of direct relevance
of East and West does not conceive for our present earthly humanity and on its
history as a series of events taking place process of evolution, or rather involution
in a chronological order between two was described in the Laws of Manu. In fact,
temporal boundaries with a beginning and the humanity of our Manvantara passes

255
through four successive declining ages, the idea of Tradition. By adding the
each one corresponding to an increasing adjective “primordial”, Guénon manages
remoteness from the Divine Principle. to put the Tradition into perspective with
The Hindu tradition parallels the Greek the cyclical laws and to give it a temporal
mythology with its four ages of mankind: depth. The Golden Age corresponds for
krita-yuga (golden age), treta-yuga (silver instance to this moment when time has
age), dwapara-yuga (bronze age), kali- not yet put its mark on the world. In other
yuga (iron age). Guénon insists more words, the manifestation remains in its
directly on the features of the last age as original state of potency. Being and Spirit
its marks mankind’s entering its ultimate are still One. The Tradition is conceived
stage. In this regard, he remarks that the as an immovable image of eternity, a
cyclical “descent” is accelerating as the direct reflection of the Truth. Arguably,
manifestation is moving away from what the Golden Age pertains to metahistory:
it proceeds: “starting from the highest primordial humanity belongs to another
point, it tends necessarily downwards, as level of being which reminds us to some
with heavy bodies, the speed of its motion extent Paradise in Genesis. It is the
increases continuously until finally its appearance of man – as we know him –
reaches a point at which it is stopped.”1 which marks the first crack in the unity of
It is as part of this majestic vision the Tradition, a first “fall” in time. Guénon
of time, faithful to the Hindu teachings, makes virtually no reference to the second
that the author of The Crisis of the Modern and third ages. He only comments that
World “includes” his personal system, during these periods, men were living
even if it is at the risk of distortions and closer to the primordial tradition from
forced interpretations. Three essential which all wisdom originates. These phases
points should be mentioned, each leading are mythical times, of which no trace is left
to different directions and demonstrating today. In fact, Guénon is mostly interested
the intellectual sharpness as well as in connecting his concept of Tradition with
deep originality of Guénon. As Renaud the last age, the kali-yuga, characterized
Fabbri points out: “Nobody among the by “a gradual oblivion of the primordial
“antimoderns” had dare to draw from the spirituality.” Concretely, the unity of the
sacred scriptures of India to condemn the Tradition is not only broken between
modern world.”2 That is why one must multiple civilizations but she is also
distinguish between what comes from subjected to a tempo of increasing speed.
Eastern sources and should therefore be The Hindu doctrine of the cycles sheds its
characterized as “traditional” and western light on the transition from metahistory to
conceptions, which are more the reflection history and Guénon can present himself as
of a personal trajectory. the bearer of a primeval knowledge, to be
The first point is linked to what preserved and transmitted.
lies at the heart of the Guénonian doctrine: The second point is related to the

1 René Guénon, The Crisis of the Modern World (London: Luzac & Co, 1942), p. 11.
2 Renaud Fabbri, René Guénon et la tradition hindoue (Lausanne, L’Age d’Homme, 2018), p. 79.

256
Cain and Abel (William Blake)

outlining of a sacred geography which temporal and spatial orders, how they
parallels metahistory. Precisely, the relate and how extraordinary events
author of East and West seeks to locate the may unfold prove difficult to establish.
initiatory centers where the Tradition is Guénon does not hesitate to embrace the
kept, throughout the successive cycles. One views presented by Bâl Gangâdhar Tilak
may remark that this conception does not regarding the Artic Homeland of the Vedas.
agree with the Hindu perspective, since it The Indian nationalist locates the origin of
assumes that a supreme initiatory center the Hindu tradition in a polar homeland
is preserved throughout the ages. Yet, the (10 000 BC) and mentions subsequent
end of cycle means the exhaustion of all migrations toward Northern Europe and
the possibilities, to be followed by total Asia (8000-5000 BC), assigning a period
destruction. In fact, Guénon is projecting around 4 000 BC to the composing of
elements from the Occultist culture onto Vedic hymns. This rather questionable
the Hindu conception of the cycles. It is timetable reinforces Guénon’s belief in the
probably there that Guénon offers the most existence of an “hyperborean Thule” as
bizarre, if not fanciful, interpretations, in- the seat of the primordial tradition. This
as-much as the connection between the idea was also supported by his occultist

257
readings, starting with Fabre d’Olivet first principle of manifestation can be
who had also identified Hyberborea as assimilated to the Fiat Lux of Genesis.
the land of the first men. Guénon then Guénon also treats time and space in an
traces this primeval tradition throughout essential qualitative manner, intrinsic
the subsequent cycles. At the cost of a to the process of their deployment, thus
few “temporal leaps”, Guénon reaches the opposing the mechanist approach of
“crystallization” of this tradition in history Descartes. Thus space cannot be reduced
under the form of the Vedic hymns. In his to its quantitative side (size) but also has
views, the Hindu tradition represents the a qualitive one (directions). From there
original legacy of mankind, what comes comes the necessity to consider it from a
directly from the Primordial Tradition geometrical angle, though, in particular,
but was diffracted throughout multiples the symbolism of the cross: the directions
religious traditions during the course of represent the rays emanating from the
human involution. center of being from which is established
the cross with three dimensions. The
same logic is applicable to time: it
It is as part of this majestic cannot be reduced to a simple quantity
vision of time, faithful to the (duration) and one must take into account
Hindu teachings, that the its essential quality (speed). Thus, the
author of The Crisis of the beginning of the dark age corresponds to
Modern World “includes” his an acceleration of time due an increasing
personal system. remoteness from the first principle. In the
end, the contraction of space and time
creates an atmosphere of end of time, in
Finally, the third point lies in which Guénon seems to dwell more and
a later and, according to us, more in- more to the point of moving away from
depth reinterpretation of the doctrine the more impersonal perspective of the
of the cycles presented in The Reign of Hindu tradition and closer the Christian
Quantity and The Signs of Times (1945). apocalypticism. In other words, the
This time, Guénon transposes Hindu implacable logics of the times of the end
cosmological notions into the western turns into the eschatological spirit of the
philosophical corpus. More precisely, end of time.
scholastic distinctions are used to
analyze the conditions of the [universal] The End of Time: the decadence of
manifestation. Infinite (non-mesurable), the modern world
indefinite (materia prima or chaos] Guénon is constantly struggling
and finite (materia secunda or cosmos). with a tension which is reflected in his
He finds here the idea of an organized writings: “Modern civilization has of
universe whose parts are connected to necessity its reason for existing, as have
one another from the beginning though all things, and if indeed it represents the
a creative gesture: in that sense, the state of affairs that terminates a cycle, one

258
Goddess Kālī

should say that it is what it should be and the author of East and West ends up
it comes in its appointed time and place.”3 projecting his own idiosyncrasies on the
On the hand, the cosmic manifestation is Hindu doctrines.
caught up in a cycle that unavoidably leads Indeed, after reminding us that
it to its end, and on the other modern the kali-yuga lasts for more than 6 000
civilization represents the most advanced years, Guénon focuses more directly
state of its involution, a sort of vanguard of on the last stage which began in the 6th
the catastrophe to come. Once again, both century BC. Notwithstanding it proves
registers coexist: the dark age proceeds challenging at times to find one’s way
from the involutive logics of the cycles around Hindu chronology, Renaud Fabbri
and is interpreted in the light of the evils remarks that reducing the end of the kali-
besetting contemporary humanity. By yuga to a single phenomenon, namely
insisting more on the second aspects, modernity, is questionable considering

3 The Crisis of the Modern World, p.29-30

259
Last Judgment (Picture by José Luiz Bernardes Ribeiro)

that Hindu cosmology takes into account around the notion of decadence. The latter
“prodigiously long” durations: “the last enables him to connect Higher history
age would have started in 3102 BC, at (the cycles) with Lower history (the
the death of Krishna […] and should last modern world), to discern the signs of a
432 000 years, much more than the 6 480 progressive materialization of the world,
years that Guénon assigns to it”.4 That and therefore of a fading away of the
being said, the author of East and West legacy of the primordial tradition. In the
has perfectly grasped the importance of footsteps of thinkers of his age (Spengler,
this “axial period”, which according to the Valéry, Massis etc…), Guénon passes a
formulation of Karl Jaspers,5 witnessed very critical judgment on the modern
the almost simultaneous emergence of word, and even more so that he appeals
the same kind of thinking in Persia, India, to an absolute and unreachable reference:
China and the West. The fact that Guénon the perfection of the golden age. One
insists on assigning a duration (6 480 does not encounter among Hindus such
years) to this dark age probably originates a feeling of dereliction: the process of
from his certainty of living at the end of a involution entails on the contrary a form
cycle. On this issue, he departs from the of detachment and acceptance of living
content of the Hindu doctrines to embrace conditions.
a typically western analytic grid built This somehow biased reading of
4 René Guénon et la tradition hindoue, p. 80.
5 Karl Jaspers, the Origin and Goal of History (Yale University Press,1959).

260
the cyclical doctrine is again reinforced providentialism tends to reinterpret the
by the influence of Joseph de Maistre’s Hindu doctrine in the light of a western
antimodern providentialism. With a theory of decadence and even more of the
prophetic language, Guénon multiplies Christian tradition.
references to sacred texts and evokes “the We need to raise a final point
abomination of desolation”. Decadence which shows that Guénon’s inspiration
has triumphed. Hope in a regenerating originates both from a Hindu matrix and
East has vanished. The entire earth is from a western imaginary. He builds on
covered with darkness. This depiction the caste system, while transposing it into
draws very clearly from the eschatological a great historical and symbolical narrative
universe of Christianity with the recurring based on the western distinction between
use of expressions such as “apocalypse”, temporal power and spiritual authority.
“last judgement” etc. This tendency According to this scheme, “the revolt of
culminates in The Reign of Quantity in the kshatriyas” represents the first step in
which the author describes, in an inspired the process of deviation, with the warriors
tone, the cracks in “the Great Wall” freeing themselves from the clergy. Guénon
surrounding our world, which let in “the traces the process back to the reign of
devastating hordes of Gog and Mogog”. Philippe le Bel in the 14th century as well
The end of the cycle is akin very clearly to the destruction of the Knight Templars,
to “a descent into hell” witnessing the he saw as bearers of the Tradition. The
forces of evil taking control of the world, next step witnessed the end of feudalism,
even subverting the very idea of Tradition the transition from an aristocratic order
from within. This corresponds to the and to bourgeois order (vaishyas). The
last stage in the process of involution: preeminence of the economy and the
subverting forces have managed to “build” rise of nations are interpreted as “true
an artificial world which constitutes attempts by the temporal to enslave the
“a counterfeit”, a “travesty” or “a great spiritual”. Guénon ultimately foresees the
parody” of the traditional one. And yet, domination of the last caste, the Shudras
according the Hindu tradition, “these and the advance of collectivism on a
evil times” are paving the way for a new world-scale. As surprising as it may seem,
cycle, the next golden age. Thus, with this this counter-history of modernity recalls
only sign of hope, Guénon manages to to some extent the historical materialism
overcome his radical pessimism, resigning of Marx. Starting from opposite starting
himself to the unstoppable course of point, both men predict a similar outcome:
time: “confusion, error and darkness for the former, collectivism brings an end
can win the day only apparently and in a to history with the domination of the last
purely ephemeral way, […] all partial and caste whereas for the latter, communism
transitory disequilibrium must perforce opens history with the advance of the
contribute toward the great equilibrium classless society.
of the whole.”6 Still, his antimodern As a final remark about the end

6 The Crisis of the Modern World, p. 170

261
of history, we should recall that Guénon an initiatory path. One again Guénon
never resolved to let the flow of events to refers to the Hindu tradition and most
simply follow its course as a Hindu type of particularly to the non-dualist doctrine of
detachment would invite him to. On the Shankara. Through metaphysical inquiry
contrary he sought to erect barriers, to and contemplative renouncement, the
fill the gaps and to keep alive, as long as shankarian adept frees himself from the
possible, the spiritual bestowal originating illusory world (mâyâ) to unite with the
from the great religious traditions. Even Self (âtman) and vanish in the non-dual
though he did acknowledge that the end Absolute. In the passage from Being to
of the cycle was unavoidable, he still called Non-being, no trace of the manifested
upon “those close to him” (the “initiates”, remains, the “liberated one” has merged
the “elects”) to protect the legacy of the into absolute boundlessness.
primordial tradition, to transmit it to the
representatives of the next cycle, as an
ultimate gesture of hope.

With Guénon, the dialectics of


history turns to be very complex with two
distinct levels constantly overlapping: on
the one hand, a higher history related to
the cosmic cycles; on the other, a lower
history accounting for human events. In
fact, the former influences the latter in two
ways, providing it with a frame into which
it deploys and later resorbs. The author of
East and West therefore presents himself
to us both as an “archeologist” seeking
the traces of the Tradition throughout
the layers of history and as a “prophet”
who reveals the meaning of history,
that is to say the present state of the
Tradition in the midst of the chaotic flow
of events. One should not ignore another
level in Guénon’s discourse belonging to
the individual sphere and opening the
prospect of escaping history; in other
words of transcending here and now
historical and cosmic limitations. That is
the purpose of metaphysical realization:
it should enable the individual to retrieve
the Tradition within himself through

262
At the Root of Evil?
Eric Voegelin and India
Renaud Fabbri

Eric Voegelin, whose works with the true God, the God of the Beyond,
have begun to be translated into French, modern Gnostics are pursuing a different
is a German-born American political agenda. Their goal is to “immanentize
philosopher best known for his study the eschaton”, by which Voegelin means
of political Gnosticism. According to establishing paradise here on earth,
Voegelin, most of Western political even if it is at the cost of extreme forms
ideologies or “political religions” such of violence as illustrated by the crimes of
as Communism, Fascism or National 20th-century Totalitarian Regimes.
Socialism are best interpreted as parts The characterization of
of a revival of Ancient Gnosticism. But these movements as “Gnostic” has
whereas Gnostics of Ancient Times understandably aroused fierce scholarly
sought to escape the material world debates1 especially among scholars of
through knowledge and thus be reunited Religions. The movements Voegelin had

1 For instance, E. Webb, “Voegelin’s ‘Gnosticism’ Reconsidered”, Political Science Reviewer, 34-1
(2005).

Mahamaya Temple (Picture by Soumendra Barik)

263
in mind are probably best described as Voegelin’s phenomenology of
millenarian or apocalyptical. What proves consciousness and philosophy of
even more problematic to those familiar history
with Indian thought is that Voegelin Before discussing Voegelin’s
seems to suggest that at the root of all treatment of Hinduism, we should
those ideological evils lies the belief in the first provide a brief overview of his
supreme identity between the individual phenomenology of consciousness and
self and the Absolute, which Voegelin philosophy of history, seeking to avoid
reduces to a form of self-aggrandizement. as much possible to dwell into the most
To this we should add that although the technical aspects of his thought. Whereas
term gnosis can be more or less directly the initial impulse behind his theory
translated by the Sanskrit term jñāna, of consciousness was his critique of
the non-dualism of Ś� aṅkara bears little totalitarian ideologies, his philosophical
resemblance with the dualist speculations language gradually developed from his
of Western Gnostics in Late Antiquity. study of Ancient thought and from his
In this article, we shall show that critical reception of the phenomenology
Voegelin, when searching for the origin of of Husserl. As Voegelin wrote it in a letter
modern political ideologies, was looking to Alfred Schütz, later republished in
in the wrong direction. From the time of Anamnesis, he could not accept Husserl’s
the Ancient Seers, India has recognized in idea that consciousness was primarily
the Self a mystery higher than all the gods. oriented toward objects.3 “Intentionality”
At the same time, Indian consciousness only represents one side of the experience
never experienced the type of derailment of consciousness. Voegelin refers to the
that occurred throughout Judeo- other side as its “luminosity”. Voegelin
Christian and Muslim history and gave analyzes the luminosity of consciousness
birth to apocalyptical and millenarian as an experience of participation
movements. A discussion of Voegelin’s (methexis, μέθεξις) to what is ultimately
approach to Hinduism will also lay the a transcendent reality (“the divine
foundation for a critical examination of ground of existence”). “The perspective
the phenomenon of “political religions”2 of participation” means that “man is not
in contemporary India, the distortion of a self-contained spectator. He is an actor,
traditional Hinduism in neo-Vedānta and playing a part in the drama of being.”4
Hindu Nationalism. For Voegelin, who was somehow a mystic
philosopher, the most fundamental
human experience is an experience

2 Early in his career, Voegelin used the expression to designate Totalitarian movements. More
recently, Barry Cooper applied it to Islamist movements. See his New Political Religions, or an
Analysis of Modern Terrorism (Colombia: University of Missouri Press, 2005).
3 E. Voegelin, Anamnesis: On the Theory of History and Politics (Columbia: University of Missouri
Press, 2002) p.43.
4 E. Voegelin, Israel and Revelation (Columbia: University of Missouri Press, 2001), p. 39.

264
of tension toward the divine, which include the rise of Christianity. In addition
finds its expression in symbols, which to the notion of spiritual outburst,
lie at the root of all the mythological, Voegelin adds the experience of imperial
religious, philosophical and even political expansion and the development of
worldviews ever produced by mankind. historiography as defining characteristics
Voegelin’s phenomenology of the Ecumenic Age.
of consciousness, as presented in his From the perspective of his
magnum opus, the 5 volumes of Order phenomenology of consciousness, the
and History, traces the evolution of these Ecumenic Age is marked by a “discovery”
symbols through history. The experience of the soul or psyche. As the idea of an
of the sacred is constant and universal extramundane God beyond the gods of the
but in its archaic form, the sacred is pantheon emerges, cosmological symbols
experienced in the compact unity of the prove more and more inadequate and are
cosmos, “full of gods”, with “God and man, replaced by philosophical (“noetic”) or
world and society” forming “a primordial theological (“pneumatic”) symbols. With
community of being”. To put it simply, the dissociation between the world and
Voegelin’s “primary experience of the the Divine ground, the soul becomes aware
cosmos” bears many similarities to what of itself as the true seat from where God
is usually called pantheism. During the can be experienced. Voegelin describes
Ecumenic Age, a radical transformation, this evolution as “a progression from
a process of differentiation, took place compact to differentiated experiences
however, that destroyed the unity and symbols”.6 As a consequence of
of the cosmos and contributed to a the emergence of more differentiated
dedivinization of the world. Voegelin’s symbols, older forms of cosmological
notion of Ecumenic Age builds upon the symbolization started to be rejected as
writings of Karl Jaspers5 on what the “untrue”, although in their essence they
latter called the “Axial Age”, the pivotal expressed the same human thirst for the
period in human history (between the 8th Sacred (which Voegelin acknowledges by
and the 2nd centuries BC) which witnessed referring to “the equivalence of symbols”).
almost simultaneous spiritual outbursts Voegelin was a Christian and he
across different civilizations from Greece believed that the Christian Revelation
to China. It is during this period that represented the pinnacle of human
what Max Weber calls the universalistic experience with the Divine and he
“religions of deliverance” and what most did not hesitate to interpret early-
people would spontaneously think about modern religious heresies as well as
when they refer to religions, took shape. secular revolutionary movements as a
Compared to the Axial Age, Voegelin’s Promethean revolt against God and his
Ecumenic Age extends chronology to radical transcendence from both man

5 K. Jaspers, “The Axial age of human history: A base for the unity of mankind”, Commentary,
6(5), (1948) pp. 430-435
6 Israel and Revelation, p. 43.

265
and the cosmos. Gnostics want to abolish The incomplete differentiation of
the tension between God and man by consciousness during the Indian
suppressing either the world in which he Ecumenic Age
lives or God. Whereas Ancient Gnostics According to Jaspers, the
sought to divinize man (or at least the Upaniṣads and the predication of the
“elects”), Modern ones prefer to reduce Buddha occupy a place similar to Greek
God to the world, to realize the “Kingdom philosophy in the process by which
of God” here in this earthly realm. In “man became aware of existence as a
effect, they are creating an imaginary whole, of his self and of his limitations”,
world, a “secondary reality” to justify their experiencing for the first time “the
illusions but also, too often, their thirst for absolute in the depth of selfhood and
violence and blood when the world they in the clarity of transcendence”. The
inhabit does not live up to their foolish questioning about the existence and
expectations. nature of self (ātman) and the path to
The original plan of Order and an extramundane Deliverance (mokṣa or
History suggested a gradual advance from nirvana) became the central concern of
compact to more differentiated symbols both Hindu and Buddhist schools to this
on a chronological axis, from the Ancient day. Voegelin did not ignore the spiritual
Near East to Israel and Greece, all the way significance of the Indian experience but
to the rise of Christianity. Although later as we shall see, he deemed it incomplete
in his work, he gradually broke with the compared to the achievements of Ancient
scheme of a unilinear development – Western Philosophy.
severely criticizing Hegel’s philosophy At the heart of the wisdom
of history as an intellectual forgery tradition of India lies the Vedas. Their
– Voegelin never revised his original teaching seems to illustrate directly
negative appraisal of Hindu spirituality. what Voegelin refers to as “the primary
For Voegelin, as for Hegel, India remains experience of the cosmos”. According
the land where the Spirit has not awakened to the Ṛgveda, the castes (varṇas) are
yet from its mythological slumber.7 born from the sacrifice of the primordial
man (puruṣa). Not only are the gods
or devas of Ancient India symbolized

7 To avoid dwelling into a too technical discussion of Voegelin’s thought, we shall not examine
the metaphysical turn in his last and unfinished fifth volume of Order and History, In Search
of Order which still puzzles many of his admirers. For instance, David Walsh discerns in
Voegelin’s later writings an “oriental bent”, a tendency to eliminate the “personal god” (D.
Walsh, “Voegelin and Heidegger: Apocalypse without apocalypse” in Eric Voegelin and the
Continental Tradition: Explorations in Modern Political Thought, edited by L.Trepanier &
Mcguire, Columbia: University of Missouri Press, 2001). The question remains open whether
the later developments in Voegelin’s thought, especially the introduction of the notion of “It-
Reality” betray a repressed but crypto-gnostic inclination, a possible convergence with some
of the core intuitions of Vedānta.

266
Buddha (Picture by Vijayakumar TT)

by intra-cosmic forces, but a web of The emergence of the Upaniṣads


correspondence connects the gods of the in the Axial or Ecumenic Age marks
pantheon with the stratum of society. The a spiritual outbreak, with the double
tripartite organization of society between discovery of the Brahman, the metacosmic
the twice born castes, namely Brahmins, ground, and the ātman, the universal Self.
Kṣatriyas and Vaiśyas is modeled on the The dissociation between the cosmos
Vedic pantheon with Mitra and Varuṇa, full of gods and the Divine ground is
at the top symbolizing sovereignty, expressed in one of the most famous
followed by Indra, the god of war, and the passages from the Ṛgveda. Hymn X, 129
twins Nasatya and Dasra representing describes how in the beginning, only the
fecundity.8 In his New Science of Politics, One was and how, moved by a primordial
Voegelin, without directly mentioning the desire, he manifested the world. The
case of India, has called “Transcendental hymn is particularly interesting because
Representation” the process by which according to the Vedic composer, neither
an historical society shapes its internal the intracosmic gods, nor even Varuṇa, the
order on its understanding of the truth first among the gods, really knows about
regarding the cosmos.9 the Beyond and how being came out of

8 G. Dumézil, Mythes et dieux des Indo-Européens (Paris: Flammarion, 1992), p. 117.


9 E. Voegelin, Modernity Without Restraint: The Political Religions, The New Science of Politics,
and Science, Politics, and Gnosticism (Columbia: University of Missouri Press, 1999) p. 192.

267
non-being. The text is frequently regarded schools of Vedānta and Indian philosophy
by Indologists as a prefiguration of Vedānta in general to decide if Absolute Reality is
philosophy. To put it in Voegelinian terms, dual or non-dual.
the Ś� aṅkarian commentary (Bhāṣya) on It is in The Ecumenic Age that
the Revelation (Śruti) amounts to a noetic Voegelin offers its most systematic
interpretation of the tension between man treatment of the Upaniṣadic experience.
and the Divine ground, which had been In particular, he focuses on a passage
recorded for the first time in the Ṛgveda. from the Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad in
The compact unity of the Vedic cosmos is which Gārgī� Vācaknavī� questions the sage
dissolving, giving birth to the Upaniṣadic Yājñavalkya about the ultimate ground of
literature, in which the question of the self existence. In their intellectual enquiry, the
also emerges. two gradually ascend from lower to higher
According to Michel Hulin, two degrees of cosmic reality, all the way till
lines of mystical investigation about the Absolute. For Voegelin, the passage
the nature of personal identity can be echoes some of the core intuitions of Greek
delineated in the Upaniṣads.10 The first philosophy during the Ecumenic Age. Yet,
one focuses on the constituents, both although “the dialogues of the Upaniṣadic
gross and subtle, of the individual. If at the type enact the Question that leads
moment of death, the body dissolves, with toward the ground … they understand
the elements and faculties returning to this movement beyond the myth not as
the cosmic matrix, what about the person, a break with the myth.”11 In other words,
the puruṣa? Is there a self (ātman), an the differentiation of consciousness
inner regent (antaryāmin) and if there is remained incomplete in India and the
one, what happens to it when the body Hindu sages ultimately failed to reach
dies? Certain texts suggest an archaic their goal because they proved unable
identification of the ātman with the to completely free themselves from “the
breath (prana) but others, breaking up primary experience of the cosmos”.
with the analogy between the microcosm Voegelin does not hesitate to
and the macrocosm, identify the self with assimilate Hindu thought to the still
the ground of being, with Brahman itself. primitive mytho-speculations of the
According to the teaching of Uddālaka Ionian predecessors of Plato and Aristotle.
Aruṇi to his son Ṥ�� vetaketu recorded in Philosophically, it cannot compete with
the Chāndogya Upaniṣad, Tat Tvam Asi, the two luminaries of Greek thought,
“That Thou are”, the self is Brahman. Later nor does it compare with the religious
Upaniṣads like the Śvetāśvatara Upaniṣad revolution that shook the Ancient Israel.
give however a more theistic description Referring to the comparative study by
of the relationship between the individual Rudolf Otto on Ś� aṅkara and Meister
and the ground, leaving to the different Eckhart, Voegelin writes that even the

10 M. Hulin, Comment la philosophie indienne s’est-elle développée ? : La querelle brahmanes-


bouddhistes (Editions du Panama, 2008), pp. 13-27.
11 E. Voegelin, The Ecumenic Age (Columbia: University of Missouri Press, 2000), p. 393.

268
perspective of the foremost teacher of meaning, introducing a radical sense of a
Vedānta remained somehow impaired by before and an after God’s coming.
the intrinsic limitations of the spiritual It is not difficult to see that
tradition he came from. As in the case of Voegelin’s treatment of ancient India
the presocratic teaching of Parmenides, largely betrays Eurocentric assumptions
Ś� aṅkara’s intuition of being was centered common in his lifetime even in the
on the difference between the changing scholarly literature. One may recall
and the changeless. The result was that Husserl’s assertion that philosophy is a
the experience of the world was not given purely western phenomenon in his Crisis
its proper significance and the ācārya of European Sciences and Transcendental
could conceive the relationship between Phenomenology or the neothomist attempt
God and the universe only in terms of a to reduce Hindu spirituality to a form of
simplistic dichotomy between the Real “natural mysticism”, unable to approach
and the unreal (if not pure nothingness). the True God. As we shall establish,
At the risk of falling into these prejudices ultimately prevented
Orientalist clichés, Voegelin also claims Voegelin from understanding the Indian
that Hinduism failed to develop a sense of attitude toward time and history in its
history as it remained trapped in a cyclical own terms and, more importantly, from
conception of time. Already in Anamnesis, realizing that the secret of the remarkable
Voegelin could write that “historiography stability of Indian spiritual consciousness
has arisen in mankind’s history in three for millenniums probably lied in the
focal points: in Hellas, Israel and China”, non-dualist or “gnostic” teaching of the
pointing at the failure of India to develop Upaniṣads.
a “reflexive” approach to history.12 In
The Ecumenic Age, Voegelin traces back The balance of consciousness of
this inability of India to think history to Ancient India
more theological roots, to the absence We need to address successively
of an “historic theophany” comparable the three “shortcomings” of Hinduism
to “the epiphany of Christ.”13 Hinduism, as identified by Voegelin: [1] the
conceiving itself as the eternal religion incompleteness of its break with the
(Sanātana dharma), ignores history primary experience of the cosmos; [2] the
and sees the world as a mere “thing”, absence of theophanies of first magnitude;
undergoing meaningless changes through [3] its relationship to history.
eons of time – the Manvantaras and the [1] Voegelin himself has
yugas of the Hindu doctrine of the cycles. sometimes expressed some concerns
By contrast, the Judeo-Christian God when about the spiritual consequences of the
entering history – first indirectly through dedivinization of the world and of the
the Jewish prophets and then directly with flight of the gods on the average man.
His Son – infuses it with an eschatological In the New Science of Politics, Voegelin

12 Anamnesis, p. 319-320.
13 The Ecumenic Age, p. 394.

269
Sadhu (Picture by Pierre-Emmanuel Boiton)
remarks that in Christianity, “the feeling of a “breakthrough of faith” in the Western
of security in a ‘world full of gods’ is lost world. By comparison, Hinduism has
with the gods themselves.” Only remains managed to remain a vibrant tradition to
“the tenuous bond of faith”. But this bond this day, despite having to defend itself
“may snap easily” causing an individual against the existential threat of Muslim
and collective “breakthrough of faith”.14 invaders and later European colonialism.
Building on an intuition that Moreover, the supposed incompleteness
Voegelin did not pursue, one may make of the Indian spiritual outburst might well
the argument that it is the gradual be the secret of the prodigious continuity
liquidation of cosmological (or pre- of the Sanātana dharma since Antiquity.
Ecumenic) symbols in Christianity, a What singles out Hinduism among the
phenomenon that culminated with the World Religions has been its capacity
Reformation, combined with the scientific to preserve the most archaic layers of
revolutions, that contributed more than its own experience of the Sacred and to
anything else to the secularization of the assimilate the “Other”, making it part of its
West. The process of rationalization of own tradition. The cosmological symbols
Christianity, from the marginalization of of earlier times were not devalorized as
the devotion to Mary and the Saints to the untrue, as it happened in monotheistic
liturgical reform of Vatican II, has caused a religions, but have been reinterpreted and
prodigious loss of the sense of the Sacred, continue to play a role in ritual practices.

14 Modernity Without Restraint, p. 187

270
As far as the Hindu conception of the relatively similar doctrine of the divine
divine is concerned, it is characterized incarnations or descents (avatāras). Hindu
by an equilibrium between the God with bhakti is centered on the interpersonal
form (Saguṇa Brahman) and the God relation between the devotee and his
without form (Nirguṇa Brahman). The deity of election which is often a divine
daily religious practice of the individual is descent (Rama or Kṛṣṇa), itself part of
centered on the worship of an Iṣṭadevatā a sacred narrative. In India however,
or a “deity of election” but this god or the personalist and anthropomorphic
goddess, endowed with cosmic attributes, conceptions of the divine are always
is conceived as a gate toward the supreme compensated by more metaphysical and
Brahman of the Upaniṣads, the ultimate aniconic approaches, which historically
ground encompassing the individual self prevented the emergence of a purely
(Jīva), the world (jagat) and the personal immanentist vision of man and the world.
God (Ī�śvara). Hindu “incompleteness” [3] Finally, the development
could therefore be redefined in terms of of historiography and the Christian
harmonious integration between pre- valorization of history as a meaningful
axial/cosmological elements and post- drama provide the necessary (though not
axial elements. Whereas the monotheist sufficient) background for millenarianism.
man burns what he has adored, Hindu On the contrary, India, at least until the
man adopts a more noetic posture, colonial period, seems to have remained
reinterpreting continuously, rather than largely immune from apocalyptical and
discarding old myths. millenarian distortions of reality that have
[2] On the question of the divine periodically caused bloodshed throughout
theophanies, what Voegelin insufficiently Western history.
takes into account is that the Christian What Voegelin also tends to
doctrine of the incarnation contributed overlook is that, although there was little
not only to eschatological valorization of appetite in traditional India for recording
history but also, in its own ways to the the details of profane history, Hinduism
secularization of the West. Compared to built a quite elaborated theology of
other religions like Islam for instance, history, found mostly in the Epics and in
Christian theology and liturgy are focused Purāṇas and which deserves more than
on the figure of the mediator, not on a passing reference. The theory of the
the invisible Reality it is supposed to yugas, which closely parallels Hesiod’s
represent. The original tension captured teachings in Works and Days, makes the
with the dogma of the two natures, present state of social and moral disorder
formulated at the Council of Chalcedon, the culmination of a downfalling process
gave way to an increasing humanization of spiritual decline. Each age, down to
of God over the centuries, ending up with our age, the kali-yuga is characterized
the depiction of Christ in the 18th century by a decreasing length and perfection. In
as a moral teacher illegitimately divinized Vaiśnavism, the dharma, the socio-cosmic
by his disciples. Hinduism did develop a law, is periodically restored by the coming

271
of avatāras. Whereas the description of At first glance, there is no reason
the first divine descents like Matysa (the to treat Hindu narratives differently from
fish), Kūrma (the turtle), or Varāha (the similar Egyptian and Greek semi-mythical
boar) up to Narasiṃha (the half-lion constructions. What cannot be denied
half-human avatāra) and Vāmana (the however is that these stories never ended
dwarf) contains legendary traits, the later up in a both grandiose and self-defeating
descents are presented as semi-historical conflict as the one that opposed Roman,
and endowed with a human form. The last Jewish and Christian historians in late
avatāra of Viṣṇu, the Kalkin-avatāra is Antiquity, nor did they solidify to the
yet to come and his advance will coincide point of taking the shape of a monolithic
with the end of the kali-yuga and the and unilinear narrative. One reason for
restoration of order. this was probably contingent, the relative
One also finds in the Hindu instability of imperial structures in
literature narratives about the origin Ancient India. Another was the fact that
of social but also political institutions. these narratives are found mostly in the
According to Louis Dumont,15 one can Smṛti, which is considered of human origin
distinguish between two types of stories and of a much lower level of authority
about the origin of the monarchy in than the Śruti or revelation. Finally,
the Indian epics, the Manusmṛti and there is the observation already made by
the Purāṇas, one making it a divine Shmuel N. Eisenstadt in his comparative
institution from the Golden Age and the study of Axial Age civilizations, that India
other the product of a contract passed never considered the political sphere
between the members of society to as a domain where man could fulfill
counter increasing spiritual and moral his highest purpose in life.16 Artha, the
evils. Dumont interprets the development pursue of material success and power,
of this contractualist interpretation of remained always subordinated to mokṣa,
kingship as a sign of early secularization, to the pneumatic quest of ground, on the
which would find its completion in the traditional scale of values (puruṣārtha).
Machiavellian Arthaśāstra, attributed The result of this so-called “failure” of
to Chānakya. The phenomenon was not India to develop historiography was that
accompanied however by a decline of the spiritual balance of consciousness was
religious authority per se and, for this better maintained by the “incomplete”
reason, it seems more appropriate to use breakthrough that took place in Hinduism
the Voegelinian concept of differentiation than by the supposedly more “complete”
to account for the gradual separation one that occurred in the West. India was
between temporal power and spiritual thus preserved for centuries from the
authority in Ancient India. fury of apocalyptic millenarianism that

15 L. Dumont, Homo Hierarchicus: Essai sur le système des castes (Paris: Gallimard, 1979), pp.359-
360.
16 S. N. Eisenstadt, The Origins and Diversity of Axial Age Civilizations (Albany: State University of
New York, 1986), p.296.

272
Scenes from Kṛṣṇa's childhood

devastated the West and has undermined Millenarian derailments as the West
its religious tradition up to this day. was the very teaching of the Upaniṣads
Making a step further and at regarding the identity between the Self
the risk of being accused of somehow and the Absolute. Whereas in the West,
parodying Marx’s gesture toward Hegel, millenarian movements sought to abolish
we should not hesitate to turn Voegelin the tension between the self and the Divine
on his head. What prevented Ancient ground of existence by building a great
India to experience the same type of narrative about the “end of history” and

273
the transfiguration of life on earth though on devotion to Lord Kṛṣṇa, to a personal
either a divine intervention or a man- God. Similarly, the Kalkin-avatāra, at least
made revolution, Indian consciousness in its present form, is ignored by the Vedic
remained faithful to the core teaching literature and displays all the features of
of the Ancient Seers, remembering that relatively late addition,17 more compatible
divine perfection was to be pursued with the sectarian religions of medieval
nowhere but within one’s self. India than the sapiential perspective of
We do not intend to deny that the Upaniṣads. If we consider the history
our position entails nothing less than to of religions, it teaches us that millenarian
reversing the hypothesis at the core of creeds have sometimes been traced
Voegelin’s work. It was not the Gnostic back to Ancient Persia, to this branch of
claim that the self and God are one that Indo-European civilization that saw the
planted the seeds of all later evils but world not as a “divine play” (līlā) but as
on the contrary dualism, the view that a scene of eschatological conflict between
God is other than the self. The necessary two principles, Ahura Mazda and Angra
connection between millenarianism and Mainyu, the God of Light and the spirit of
dualism is illustrated within the Hindu darkness. Millenarian expectations and
tradition itself by the case of the devotional dualism seem to always go hand in hand,
and epic literature. As it is well-known, be it in India or elsewhere.
the Mahābhārata tells the story of an Before turning to modern and
apocalyptical wars between two clans, the contemporary India, let us add that even
Kauravas and the Pāṇḍavas. This conflict if the devotional tradition of India did
was plotted by the gods to cause the develop a vision of history that partially
downfall of the Kṣatriyas and precipitate echoes the Western apocalyptical fears,
the advance of the kali-yuga, the last and we should never lose sight of the fact that
dark age of mankind. More than any other for the Sanātana dharma, “the end of the
Hindu text, the Mahābhārata betrays world” remains “the end of a world”, the
a millenarian bend, is pervaded by an closure of a cycle always coinciding with
apocalyptical climate, reaching its climax the opening of a new one. Even more
with the final battle and the destruction important, Indian religious consciousness
of Dvārakā by a flood which unmistakably prudently pushed back the end of the kali-
reminds us of the fate of the Atlantis. What yuga to a very distant future, more than
is significant is that Mahābhārata is not 400,000 years from now, thus reminding
centered on the pursue of knowledge but us that we have more pressing concerns
on the question of honor and duty and than waiting for the parousia.18
contains the Bhagavad gī�tā which, at least
for most commentators, places emphasis

17 M. Rabiprasad, Theory of Incarnation: Its Origin and Development in the Light of Vedic and
Purāṇic References (Pratibha, 2000).
18 On the question of the length of the kali-yuga, see R. Fabbri, René Guénon et la tradition
hindoue: les limites d’un regard (L’Age D’Homme, 2018), p.80.

274
Aurobindo and Modern Indian more or less unconsciously modeled
Millenarianism themselves on their enemy, Islamist
Beyond passing remarks, Voegelin militant groups that were also flourishing
did not directly approach the question in India at the time and later in Pakistan
of the influence of modern gnostic after the partition.
ideologies onto non-Western societies in Like any ethno-nationalist
the wake of European colonial expansion. movement, Hindu nationalism remains
The case should be made though that intellectually unsophisticated. Yet it
colonial empires, like the empires of was capable of capitalizing on certain
the Ecumenic Age, have accelerated the tectonic shifts triggered by Western
process of dedivinization of the world. colonialism and the reformist response
Colonialism and more recently neoliberal among native intellectuals. Among these
globalization, by causing the collapse intellectuals stands first and foremost the
of traditional landmarks, have created neo-vedāntist thinker Ram Mohan Roy,
a spiritual vacuum, progressively filled whose rationalist critique of the worship
by “political religions” like Islamism for of Iṣṭadevatā, as mere idolatry, probably
the Middle East or Hindu Nationalism in struck the first blow to the balance of
India.19 consciousness in Traditional Hinduism,
Hindu Nationalism, which found to the awareness of the immanence of
its first doctrinal expression in the writings the transpersonal Absolute into cosmic
of V. D. Savarkar, emerged toward the end forms which had been the defining feature
of the colonial period, with the rise of of Hinduism since the Ecumenic Age. In
tensions between Hindus and Muslims as Roy’s studies of the scriptures, symbols
a prelude to the partition. It was however lose their metaphysical transparency,
after the Emergency (1975-1977) their capacity to point toward a supra-
and the Ayodhya crisis, that the Hindu rational reality. They are reduced to the
nationalists started their rise to power level of mere allegories carrying a moral
which led to the formation of the first BJP teaching at best. Rituals are to be replaced
government in 1998. The influence of the by a purely mental worship of the Pure
Western “political religions” in India, and Being, the creator of the universe.21
more particularly fascism and national- One can argue that Ram Mohan
socialism, remains controversial but is Roy contributed more than any other
well-documented, notably by Christophe reformists to a process of disenchantment
Jaffrelot.20 To some extent, it should also of the Hindu worldview. His gesture did not
be argued that Hindu Nationalists have remain unnoticed. Not only did it trigger
a critical response from traditionalist

19 On the Islamic side of the story, see R. Fabbri, Eric Voegelin et l’Orient: Millénarisme et religions
politiques de l’Antiquité à Daech (L’Harmattan, 2015), pp. 65-120.
20 C. Jaffrelot, The Hindu Nationalist Movement in India (Columbia University Press, 1998)
21 W. Halbfass, India and Europe: an Essay in Understanding (Albany: State University of New
York, 1988), pp.197 and following.

275
circles,22 but one can interpret the works right to argue that placing Aurobindo in
of later neo-Hindu thinkers such as Tilak, the genealogy of contemporary Hindu
Gandhi or Vivekananda as a reaction to nationalism, as Marxists intellectuals
Ram Mohan Roy’s abstract monism, as an have frequently done it since the 70s, is
attempt to reconcile God and the world by misleading, implying a simplification of
restating Vedānta as a practical philosophy his thought “to a point of caricature”.25 Still,
with a true political and ethical content.23 although the political use of Aurobindo as
It was however Sri Aurobindo “a symbolic icon, a mascot” may tell us
Ghose who arguably sought to operate a more about the Hindu nationalist search
full “reenchantment of the world”, at the for an intellectual respectability than the
risk of operating an immanentization of Bengali philosopher himself, we would
the Hindu eschaton and thus of creating like to make the argument that his thought,
a spiritual disorder on which nationalist whatever its intrinsic value, epitomizes
movements could later capitalize. This a process of millenarian derailment of
claim may come as a surprise considering the Upaniṣadic experience into a world-
that Aurobindo is mostly known in the immanent ideology and thus unwillingly
West today for his ashram in Pondicherry prepared the ground for the spread of
and for Aurovillle, the utopian city he and Hindu nationalism under the cover of a
his successor Mirra Alfassa (also called rebirth of Indian culture. As we shall see,
the Mother) established. Although for ultimately, Aurobindo proves to be more
four years, between 1906 and 1910, he a disciple of Hegel and Nietzsche than he
belonged to the radical fringe of the Indian was of Yājñavalkya or Ś� aṅkara.
Congress, writing nationalist pamphlets According to Indra Sen,
and even landing in jail for revolutionary Aurobindo’s Life Divine raises the following
activism, Aurobindo quickly withdrew question: How is “divine life, a full life of
from politics and his later writings the Spirit, possible on earth? How can
bear witness of a deep awareness of the Spirit be reconciled to Matter?”26 For him,
dangers of “reactionary modernism.”24 māyāvada, the doctrine of the cosmic
Peter Heehs was therefore probably illusion, betrays the original intention of

22 Halbfass mentions an anonymous pamphlet, the Vedāntacandrikā, published in 1817. The


Tantra-tattva, translated by Arthur Avalon under the title Principles of Tantra (Madras: Ganesh
and Company, 1999) contains a critique of Ram Mohan Roy (Volume II, p. 301 and following).
23 P. Hacker, Philology and Confrontation: Paul Hacker on Traditional and Modern Vedānta
(Albany: State University of New York, 1995), pp.229 and following.
24 The term was first coined by Jeffrey Herf in a 1984’s book on the Third Reich. The ambivalent
attitude which consist of embracing modern technologies which promoting social and political
conservatism is also found among Islamists and Hindu nationalists.
25 P. Heehs, “The uses of Sri Aurobindo: mascot, whipping-boy, or what?” Postcolonial Studies, 9:2
(2006) pp. 151-164.
26 Indian Philosophy in English: From Renaissance to Independence, edited by N. Bhushan and J. L.
Garfield, (Oxford University Press,2011), p. 596.

276
the Vedic seers – which he claims to have from the Hindu doctrine of the four ages,
rediscovered with his pioneer study on the Aurobindo delineates a two-fold process
esoteric meaning of the Vedas – because of spiritual decline and materiel progress
it fails to account for both the absolute driving human evolution. The East
reality of Brahman and the relative reality symbolizes the original state of perfection,
of the world. The world is not a mere but it gradually fell into a form of spiritual
illusion (mithyā) but a divine play (līlā). slumber during the third age or dvāpara-
In other words, the Absolute should be yuga. On the contrary, the fourth age or the
conceived of not as an unfathomable and kali-yuga is dominated by individualism
unspeakable One but as process to which and rationalism, with the West exploring
man can partake through the awakening of the power of individual subjectivity,
what he calls the “supermind” by which he possibly driven by the secret desire to
can see the One in the many and the many recapture the spiritual intuitions gradually
on the One. In fact, Aurobindo claimed buried beneath misunderstandings
to have experienced the type of samādhi and dogmas. In this endeavor, the West
described in the Vedāntic and yogic has unfortunately unleashed however
literature, only to reject it and to search apocalyptical forces that caused the two
for a higher experience of enlightenment. World Wars. In his lifetime, the West was
Let us remark that Tantrism, still controlling the world, but Aurobindo
with its alchemic rather than ascetic was convinced that as the cycle was
bend, had indeed already loosened the coming to an end, humanity would reach
boundaries between Deliverance (mokṣa) higher levels of consciousness and he
and enjoyment (bhoga), contributing to an foresaw a role for India as the vanguard of
immanentisation of the blissful experience the pending spiritual revolution.28
of the jīvanmukta. Still, Aurobindo was Unfortunately for Aurobindo
quite clear that his “integral yoga” was and his disciples, they waited in vain
departing from traditional yogic practices, for the fulfillment of their delusional
even of a tantric variety. As he himself dreams. Like Heidegger’s “Last God”, the
put it, whereas in Tantrism, the śakti was “Supermind” remained deaf to the prayers
used as a means to realize the Supreme of Aurobindo. His project of crowning all
Spirit, his method was working the the “incomplete” teachings of the past
other way around, from the Spirit to the with his own naï�ve little system simply
cosmic energy27 with the descend of the miscarried. Looking back into Aurobindo’s
supermind and the transfiguration of man failure, one may only agree with G.K.
and life on earth as the ultimate goal. Malkani’ response to Aurobindo’s almost
Aurobindo saw these parousiatic Hegelian claim that “consciousness must
events as the “end of history”. Borrowing pass beyond this finite reason and the

27 The essential writings of Sri Aurobindo, edited by R. McDermott, (Lindisfarne Books, 2001), p.
160.
28 Aurobindo, The human cycle, The ideal of human unity, War and self-determination (Pondicherry:
Sri Aurobindo Ashram, 1971), pp. 5-34.

277
beyond the mind, but the mind itself when
it has lost awareness of its own limitations.
From a more Voegelinian
perspective, it seems that Aurobindo
has contributed more than anyone else
to introduce millenarian expectations
in an imminent “end of history” into the
Indian imaginary. Worst, Aurobindo has
secularized or immanentized the idea
of release (mokṣa) from the cycle of
rebirth (saṃsāra), replacing it with the
prospect of an intramundane progress
of consciousness. The first step should
be the self-determination of nations like
India, the march of history ending with
Ramana Maharshi (1879-1950) the establishment of the unity of mankind
finite sense to a larger reason and spiritual and a collective enlightenment under the
sense in touch with the consciousness of guidance of Aurobindo, the prophet of the
the Infinite and responsive to the logic of “supermind”.
the Infinite which is the very logic of being Aurobindo illustrates a very
itself”29 With all due respect to the sage puzzling case of ideological distortion.
of Pondicherry, “the logic of the Infinite Not being one of these religiously
can only consist in the recognition that illiterate gurus who have flourished in
the Infinite is wholly transcendent and India over the last decades and attract so
unrelated to the finite, and that the latter many westerners and lapsed Hindus, he
is only an erroneous formulation of the knew that he was distorting the doctrine
former that requires to be negated.” It is of the yugas. He was also aware that by
therefore illusory to search for a “higher turning the transcendent Absolute of the
or larger reason that can reconcile the two, Upaniṣads into a Spirit realizing itself
or abrogate the law of non-contradiction within the world, by temporalizing the
itself”.30 As Sri Ramana Maharshi, another Absolute, he was contradicting the core
South Indian guru and contemporary of intuition of Advaita Vedānta regarding the
Aurobindo, was teaching, the real goal of nature of reality. As Gauḍapāda declares
spiritual life is to silence the mind so that in his Māṇḍukya Kārikās, “something
the everlasting, ever-present Reality can that already exists cannot be reborn and
manifest itself. Like the Hegelian system, something which has never existed cannot
Aurobindo’s gives less than it claims. come into existence.”31 From the ultime
Aurobindo’s supermind is not located standpoint (paramarthika), nothing

29 Aurobindo, The Life Divine (Aurobindo Ashram, 2005), p. 492.


30 Indian Philosophy in English, p. 626.
31 Gauḍapāda, Māṇḍukyakārikā: the metaphysical path of Vedānta, translated by Raphael (Aurea

278
has ever come to existence. There is no nationalism. His universalism has fallen in
becoming, only pure and eternal Being. the background. The order in society no
Aurobindo knew about ajātivāda, longer depends on man’s living inwardly
the doctrine of “non-birth”, the ultimate and outwardly in conformity with the Truth
teaching of Advaita Vedānta. And yet he but, in Schmittian terms on the awareness
chose deliberately to discard it, to disturb of a dichotomy between Friends and Foes.
the serenity of the One Reality by making If however in Hindu nationalism, the
it part of a temporally-oriented process32 nation (rashtra) could be turned into a sort
because he could not have possibly missed of immanentist substitute for “the divine
the fact that if “there is neither birth, nor ground of existence” with the quest for a
dissolution, no aspirant to liberation nor collective identity replacing the search for
liberated nor anyone in bondage”33, his Self-knowledge, it was because Western
attempt to reconcile time and eternity, colonialism and later the response to this
being and becoming, mokṣa and artha, to challenge by thinkers like Ram Mohan Roy,
say nothing of his “political theology”, will Vivekananda or Aurobindo had destroyed
prove utterly pointless. the spiritual balance of consciousness in
In fact, Aurobindo illustrates the India.
case of a brilliant intellectual whose feeling The rise of “new political
of alienation under colonial ruler was so religions” in India has therefore little to
unbearable that he felt compelled to create do with the supposed “incompleteness”
a “secondary reality”, a pseudo-myth that of differentiation in Ancient India or
disfigures the much richer and sober the “Gnostic” nature of Hindu wisdom
Hindu experience with Transcendence. diagnosed by Voegelin. One may wonder
Like many of his generation, Aurobindo however if India will finally succumb to the
was also horrified by the destructions and same sort of spiritual disease that is slowly
spiritual disorder left behind by the two killing Islam from within. The career of
World Wars and he sought to interpret Swami Karpatri, a charismatic saṃnyāsin
them in eschatological terms, as signs of from Uttar Pradesh, who offered in his
a cosmic struggle and of the advance of a writings an metapolitical critique of Hindu
new age in which the drama of mankind Nationalism, accurately portraying it as a
would finally reach its happy ending. modern counterfeit of Hindu spirituality,
a political ideology dressed in Vedāntic
Little remains of the most clothes, should provide reasons for hope.34
profound insights of Aurobindo in Hindu Yet, his work, to say nothing of the small

Vidya, 2002), IV,4, p. 100.


32 It cannot be denied that “process” theologies of a non-dualist type flourished through the world
religions, starting in India with Kashmir Ś� aivism, or closer to us the theosophy of Boehme. Yet
a common denominator of these doctrines was the awareness of the radical transcendence of
the Divine Principle, which is lacking in Aurobindo.
33 Ibidem, II, 32 p. 72.
34 On Swami Karpatri see J-L. Gabin, L’hindouisme traditionnel et l’interprétation d’Alain Daniélou

279
political party (the Ram Rajya Parishad)
he created after Indian independence, has
failed to produce any tangible political
result, at least on a large scale. This
failure plus the state of inner disorder
in contemporary India reflected in the
blatant commodification of spirituality by
self-appointed gurus and the enthusiasm
of the younger generation for the most
absurd expressions of the Western culture
leave little room for optimism, at least for
the foreseeable future.

(Paris: Le Cerf, 2010), Swami Karpatri, The Liṅga and the Great Goddess (Varaṇasi: Indica Book
2008) and “Swami Karpatri, Présence de l’Hindouisme Traditionnel”, La Règle d’Abraham, Hors
Serie I (2014)

280
Biographies
Swami Amritananda Saraswati is a scolar and a sannyāsin. He is a disciple of Swami
Swarupananda Saraswati who is the Shankarācārya of Dwarka and Jyothirmath.

Ira Schepetin (Atma Chaitanya) has been studying Vedānta for more than 45 years,
including spending three years with Sri Sri Swami Satchidanandendra Sarasvati
between 1972 and 1974. In his capacity as a Sanskrit scholar, he regularly presents at
international conferences and has published articles in specialized journals.

David Dubois has a Ph.D in philosophy and is a Sanskrit scholar. For more than twenty
years, he has been studying the teaching of Abhinavagupta and frequently travels to
India. His works include Abhinavagupta, la liberté de la conscience (Paris: Almora,
2010). He has a series of forthcoming book to be published by Almora in 2020: Le Yoga
de la Déesse, petite anthologie sur les yogas du shivaïsme du Cachemire; Les Quatre yogas,
Manuel de vie intérieure selon le shivaïsme du Cachemire; Plonger en soi, pratique de la vie
intérieure d'après les œuvres sanskrites de Ramana Maharshi.

Álvaro Enterría lives in Varanasi, India, since 1989. He is a partner of the book company
Indica Books. As a publisher, he has published many books on India and its culture, both
in English and Spanish. He is the author of the bestseller book La India por dentro. Una
guía cultural para el viajero, which has been published in India as India from Within: A
Guide to India’s History, Religion, Arts, Culture and Society (Indica Books, 2010). He has
translated a collection of short stories of Premchand from Hindi into Spanish, as well as
short stories by other Indian writers.

Patrick Laude teaches Comparative Religion at Georgetown University. His research


focuses on the relationship between mysticism, symbolism and poetry. His most recent
publications include Pathways to an Inner Islam: Massignon, Corbin, Guénon, and Schuon
(Suny Press, 2010), Apocalypse des religions (L’Harmattam, 2016) as well as Shimmering
Mirrors: Reality and Appearance in Contemplative Metaphysics East and West (Suny Press,
2017). He has a forthcoming book on Ramana Maharshi titled Surrendering to the Self.

Vasanthi Srinivasan is a professor in the department of Political Science at the University


of Hyderabad. She is the author of Gandhi’s Conscience Keeper: C Rajagopalachari and
Indian Politics (Permanent Black, 2009) and Hindu Spirituality and Virtue Politics (Sage
2014).

281
Martine Chifflot is a French writer, philosopher and translator (Sanskrit and Latin). She
received a Ph.D in Philosophy (Sorbonne IV) and is an Honorary professor at the University
Lyon I. Her publications include a translation of the Vedāntasiddhāntamuktāvalī by
Prakāçānanda (Le collier de perles des doctrines du Vedānta de Prakāçānanda, Paris :
l’Harmattan, 2005), Platon, l'âme et le bien (Publibook, 2015) and La Cultuerie de Masse
(Editions Aedam Musicae, 2017). She is also a movie director.

David Bisson has a Ph.D in Political Science and is specialized in the History of Ideas.
His research focuses on the relationship between politics and religion in the secular
world. He is the author of René Guénon. Une politique de l’esprit (Paris : Pierre-Guillaume
de Roux, 2013).

Renaud Fabbri is the director of the Aditi Center. He received a Ph.D in Political Science.
He is a former Visiting Scholar at the Center for the Study of World Religions at the
Harvard Divinity School and the former Editing Manager of Adyan/Religions. He has
published Eric Voegelin et l’Orient (Paris : L’Harmattan, 2016) and René Guénon et la
tradition hindoue: les limites d'un regard (Lausanne: L'Age d'Homme, 2018).

282 Devotee worshipping the Śiva liṅgaṃ (Picture by Suraj S Rao)


Aditi II
Publié par le Centre Aditi d’Etudes sur la Tradition Hindoue
https://centre-aditi.com/

En couverture: "Shiva Nataraj"


Source : Temple de Chidambaram au Tamil Nadu (Photo de Richard Mortel, cc-by-2.0)

283
Kali Yuga
Selon la cosmologie indienne, nous vivons dans le quatrième
âge de l’humanité ou « Age Sombre » caractérisé par un
éloignement croissant du Principe et l’occultation de
la Science Sacrée. Le second numéro d’Aditi explore la
conception hindoue du temps et de l’histoire. Le troisième
numéro sera consacré au lien entre Vedānta, Yoga et Sādhanā.

Kali Yuga
According to Indian cosmology, we are living in the fourth
Age or "Dark Age" of mankind, characterized by an increasing
remoteness from the Divine Principle and the oblivion
of Sacred Knowledge. This second issue of Aditi explores
the Hindu conception of time and history. The third issue
will deal with the relationship between Vedānta, Yoga and
Sādhanā.

ISSN 2608-8835

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