Mars 2006
Mars 2006
Mars 2006
Claudie Boiteau
Document: La Semaine Juridique Edition Générale n° 10-11, 8 Mars 2006, doctr. 120
Droit administratif
Chronique sous la direction de Claudie Boiteau professeur à l'université de Poitiers
Droit administratif
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Dans la riche actualité jurisprudentielle du trimestre couvert par cette chronique (novembre 2005 à janvier 2006), on remarquera,
tout spécialement, l'abrogation implicite d'une loi inconciliable avec un texte de valeur constitutionnelle postérieur, le rejet des
recours contre le décret du président de la République prolongeant l'état d'urgence, dont on apprend qu'il ne constitue pas un
acte de gouvernement ou bien encore, l'affirmation du pouvoir de substitution du préfet en cas de carence d'une collectivité
territoriale à exécuter une décision de justice. Et, mettant fin à une longue controverse doctrinale, la qualification de marché
public donnée aux contrats de mobilier urbain.
1. Les sources
1. - Note 1Nous invitons le lecteur à se reporter à la chronique de MM. Mathieu et Verpeaux (JCP G 2005, I, 192)
3. - Hibernatus et le droit administratif. – Confirmant une position adoptée pour la première fois en 2002 dans
une affaire similaire illustrant les limites de la « subjectivisation » du droit administratif (CE, 29 juill. 2002,
n° 222180, Cts Leroy : Juris-Data n° 2002-064277 ; JCP A 2002, 1072, obs. J. Moreau), le Conseil d'État refuse,
dans l'arrêt Martinot et autres du 6 janvier (CE, 6 janv. 2006, n° 260307 : Juris-Data n° 2006-069429 ; JCP G
2006, II, note L. Erstein à paraître), de voir dans la cryogénisation un mode de sépulture légal. Mettant fin à ce
contentieux qui concernait également l'épouse du de cujus (TA Nantes, 5 sept. 2002, Cts Martinot : JCP G 2003, II,
10052, note S. Douay. – CAA Nantes, 27 juin 2003, Cts Martinot), le Conseil d'État affirme, contrairement à la
juridiction d'appel, que les stipulations conventionnelles pertinentes (Conv. EDH, art. 9) s'appliquent à l'hypothèse
dans laquelle un individu choisit, avec conviction, son mode de sépulture. L'arrêt précise, toutefois, que ce choix
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Revues juridiques
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peut faire l'objet de restrictions fondées sur l'ordre et la santé publics. Or, dans l'état actuel du droit, aucun texte
n'autorise, après le décès d'une personne, le traitement du corps consistant à le cryogéniser ; il s'ensuit que le
maire et, en cas de carence de celui-ci, le préfet (CGCT, art. L. 2213-7 ; art. R. 2213-33 et R. 2213-35) a
compétence liée pour refuser l'autorisation de conserver par congélation un corps dans une propriété privée.
Emmanuel Aubin
(...)
2. Les organes
(...)
4. - Pouvoir de substitution du préfet et inexécution de la chose jugée par les collectivités locales. - Par la
décision Société fermière de Campoloro(CE, 18 nov. 2005, n° 271898 :Juris-Data n° 2005-069227 ; JCP G
2006, II, note R. de Moustier et O. Béatrix, à paraître ; JCP A 2005, act. 765, obs. M.-Ch. Rouault ; Contrats –
Marchés publ. 2006, comm. 20, note J.-P. Pietri ; AJDA 2006, p. 137, chron. C. Lanfais et F. Lénica) rendue aux
conclusions contraires de N. Boulouis (JCP A 2005, 1387, concl. Boulouis), la section du contentieux du Conseil
d'État affirme qu'en vertu de la loi du 16 juillet 1980, le préfet doit, en cas de carence d'une collectivité territoriale à
exécuter une décision de justice, se substituer aux organes de la collectivité afin de dégager ou de créer les
ressources permettant la pleine exécution de cette décision de justice. À cette fin, le préfet peut notamment
procéder à la vente de biens appartenant à la collectivité dès lors que ceux-ci ne sont pas indispensables au bon
fonctionnement des services publics. Enfin, l'arrêt précise le régime de responsabilité applicable. Ainsi, l'abstention
ou la négligence du préfet à prendre une telle mesure engage la responsabilité de l'État en cas de faute lourde
commise dans l'exercice du pouvoir de tutelle (CE, 6 oct. 2000, Min. Int. c/ Cne de Saint-Florent : Juris-Data
n° 2000-061050 ; JCP G 2001, II, 10516, note M.-Ch. Rouault ; JCP G 2001, I, 296, n° 18, obs. A. Ondoua). Dans
l'hypothèse où le préfet a refusé de prendre les mesures demandées, « eu égard à la situation de la collectivité,
notamment à l'insuffisance de ses actifs, ou en raison d'impératifs d'intérêt général », le créancier de la collectivité
sera indemnisé sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'État, dès lors que le préjudice subi sera
anormal et spécial.
5. - Compétence de l'organe délibérant. – Le juge administratif s'emploie ces derniers temps à rappeler aux élus
qu'ils ne doivent pas s'abstenir d'exercer leurs pouvoirs dans toute leur étendue. Par l'arrêt Commune de
Montélimar, du 13 octobre 2004, (CE, 13 oct. 2004, n° 254007 : Juris-Data n° 2004-067353 ; JCP G 2005, I, 121,
chron. C. Boiteau, spéc. n° 12 ; JCP A 2004, 1683, concl. D. Casas et 1746, note F. Linditch), le Conseil d'État
avait affirmé, s'agissant d'un marché public, que le conseil municipal doit se prononcer sur tous les éléments
essentiels du contrat envisagé avant d'autoriser le maire à le signer. S'inscrivant dans la droite ligne de cette
jurisprudence, l'arrêt Commune de Pontoy du 5 décembre 2005 (CE, 5 déc. 2005, n° 270948 : Juris-Data
n° 2005-069365 ; JCP G 2006, IV, 1045 ; JCP A 2005, act. 841, obs. M.-Ch. Rouault), affirme qu'en vertu de
l'article L. 2121-29 du CGCT, le conseil municipal est seul compétent pour approuver la passation des baux sur les
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terrains communaux, sauf s'il a délégué cette compétence au maire en application de l'article L. 2122-22. Hors ce
cas, il appartient à l'organe délibérant de définir les principales caractéristiques de ces contrats (bénéficiaires,
nature et consistance des terrains, régime juridiques, loyer, durée...).C'est dans le même esprit que l'arrêt
Commune d'Arpajon(CE, 16 déc. 2005, n° 273861 : Juris-Data n° 2005-069386), rappelle que le conseil
municipal est seul compétent pour gérer les biens de la commune. Faisant observer qu'une servitude de passage
instituée au bénéfice d'une commune sur une propriété appartenant à son domaine privé constitue un bien
communal, il appartient au seul conseil municipal, en vertu de l'article L. 2241-1 du CGCT, de décider de renoncer
à cette servitude dès lors qu'il n'avait pas délégué cette compétence au maire.
Claudie Boiteau
6. - Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et respect du droit au procès
équitable. - Conformément à une jurisprudence désormais constante, il ressort de l'arrêt Société Banque privée
Fideuram Wargny(CE, 2 nov. 2005, n° 271202 : Juris-Data n° 2005-069162 ; Banque et Droit 2005, n° 104, p. 58,
chron. H. de Vauplane et J.-J. Daigre ; JCP A 2005, act. 757, obs. M.-Ch. Rouault), qu'en prononçant un
avertissement à l'encontre de la requérante, cette Commission décide du bien-fondé d'accusations en matière
pénale. Par ailleurs, même s'il ne s'agit pas d'une juridiction au sens du droit interne, il est possible d'invoquer à
l'encontre de cet organisme des moyens tirés de la violation du principe d'impartialité et du non-respect des droits
de la défense (CE, ass., 3 déc. 1999, n° 207434, Didier : Juris-Data n° 1999-051201 ; Rec. CE 1999, p. 399 ; JCP
G 2000, II, 10267, note F. Sudre ; RFD adm. 2000, p. 584, concl. A Seban ; AJDA 2000, p. 126, chron. M. Guyomar
et P. Collin. – CEDH, 27 août 2002, Didier c/ France : JCP G 2003, II, 10177, note G. Gonzalez). Examinant la
régularité de la décision attaquée, le CE juge que n'étant pas une juridiction en droit interne, l'absence de lecture
publique de la décision de la Commission ne porte pas atteinte à l'article 6 de la Convention EDH. En outre ni le
rôle du rapporteur ni la non prise en compte partielle des appréciations de ce dernier par la Commission ne sont de
nature à mettre en cause l'impartialité de cet organisme ni à porter atteinte aux droits de la défense (CE, sect.,
22 nov. 2000, n° 207697, Sté Crédit agricole Indosuez Chevreux : Juris-Data n° 2000-061571 ; Rec. CE 2000,
p. 537 ; JCP G 2001, II, 10531, note R. Salomon. – CE, 4 févr. 2005, n° 269001, Sté GSD gestion et Gautier :
Juris-Data n° 2005-068135 ; Rec. CE 2005, p. 28 ; JCP G 2005, IV, 1713 ; LPA 26 avr. 2005, n° 82, p. 5, concl.
M. Guyomar ; Banque et Droit 2005, n° 101, p. 44, chron. H. de Vauplane et J.-J. Daigre).
Alain Ondoua
3. Les fonctions
A. - Les polices
7. - État d'urgence. - Saisi de la décision du président de la République de prolonger l'état d'urgence déclaré le
9 novembre, par le décret n° 2005-1386, à la suite des violences urbaines ayant débuté le 27 octobre, le Conseil
d'État précise que cet acte n'échappe pas à son contrôle juridictionnel. La publication du décret d'application de la
loi de 1955 – non abrogée par la Constitution de 1958(CE, ord. réf., 21 nov. 2005, Boisvert, n° 287217 : Juris-
Data n° 2005-069266 ; JCP G 2005, IV, 3742 ; JCP A 2005, act. 802, obs. M.-Ch. Rouault) – rendant possible
l'adoption par les préfets de mesures nécessaires au rétablissement de l'ordre public (CE, ass., 16 déc. 1955,
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Dame Bourokba : Rec. CE. 1955, p. 590), les requérants habituels (CE, ord., 14 nov. 2005, n° 286837, Hoffer :
Juris-Data n° 2005-069233 ; JCP G 2005, IV, 3668 ; JCP A 2005, act. 739, obs. M.-Ch. Rouault : rejet en raison de
la domiciliation du requérant en Polynésie, territoire non concerné par les violences visées. –CE, 22 nov. 2005,
n° 287727 : 1000 € d'amende pour requête abusive, M. Hoffer ayant demandé à nouveau la suspension du décret
malgré un précédent rejet) ou occasionnels (CE, ord., 14 nov. 2005, n° 286835, Rolin : Juris-Data n° 2005-
069229 ; JCP G 2005, IV, 3672 ; JCP A 2005, act. 739, obs. M.-Ch. Rouault –CE, ord., 9 déc. 2005, n° 287777,
Allouache et a. :Juris-Data n° 2005-069389) soutenaient, à tort, que le recours à ce droit dérogatoire procédait
d'une mauvaise appréciation de la situation par le chef de l'État et était disproportionné. Après avoir précisé qu'il
n'entrait pas dans son office de prendre en considération une exception d'inconventionnalité en l'absence d'une
décision juridictionnelle ayant statué dans ce sens (CE, 20 déc. 2005, n° 288253, Alain Meyet : Juris-Data
n° 2005-069391 ; JCP G 2005, IV, 1126), le juge de l'urgence a estimé que le chef de l'État disposait d'un pouvoir
d'appréciation étendu dont l'utilisation n'a pas fait naître de doute quant à la légalité de la décision déclarant l'état
d'urgence compte tenu de l'aggravation continue depuis le 27 octobre des violences urbaines et de leur
propagation sur le territoire de plusieurs centaines de communes qui portaient des atteintes graves à la sécurité
publique. Nécessité fait loi en somme...
8. - Incompétence du ministre de l'Intérieur pour exiger une photographie tête nue aux demandeurs de
permis de conduire. – Saisi d'une requête formée par une personne de confession sikhe, le Conseil d'État a jugé,
en urgence, dans l'affaire Mann Singh du 5 décembre (CE, 5 déc. 2005, n° 278133 : Juris-Data n° 2005-069367 ;
JCP G 2006, II, note M.-Ch. Rouault à paraître ; JCP A 2005, act. 826, obs. M.-Ch. Rouault) que le ministre de
l'Intérieur n'est pas compétent pour exiger une photographie tête nue, l'article R. 221-19 du Code de la route
réservant au seul ministre des Transports le soin de déterminer les pièces à fournir. Pour le juge de l'urgence,
l'arrêté du 8 février 1999 n'est pas suffisamment précis pour être interprété comme créant l'obligation de fournir des
photographies tête nue ; il existe donc un doute quant à la légalité de la décision de refuser de délivrer un duplicata
de permis de conduire au demandeur fournissant une photographie sur laquelle il apparaît avec un turban. Dès le
lendemain de l'arrêt (!), le ministre des Transports a pris une circulaire exigeant, sur les photographies produites à
l'appui d'une demande de délivrance de permis de conduire, que la personne pose tête « nue et de face » (Circ.
DSCR, 6 déc.2005).
Emmanuel Aubin
(...)
4. Les actes
9. - Du respect de la répartition des compétences entre l'État et la collectivité de Polynésie française. - Une
ordonnance peut-elle, à défaut de précisions dans la loi organique portant statut de la Polynésie, déterminer les
modalités de combinaison des normes du droit du travail émanant de ce territoire avec celles en vigueur
notamment en métropole ? L'assemblée du contentieux y apporte une réponse négative (CE, ass., 4 nov. 2005,
n° 280003, Président de la Polynésie française : Juris-Data n° 2005-069153 ; JCP G 2005, IV, 3563 ; JCP A
2005, act. 712, obs. M.-Ch. Rouault). En effet, il ressort de la loi organique précitée que le droit du travail ainsi que
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ses principes généraux ne sont pas du ressort de la compétence de l'État en Polynésie. Les dispositions litigieuses
de l'ordonnance sont donc illégales dans la mesure où elles sont intervenues dans le champ que la Constitution, au
détour de son article 74, réserve à la loi organique. Est ainsi méconnue la répartition des compétences entre l'État
et cette collectivité d'outre mer (CE, avis, 7 oct. 1997, Haut commissaire en Polynésie française : Rec. CE 1997,
tables p. 1046. – CE, 24 oct. 2001, Président du gouvernement de la Polynésie française : RFD adm. 2002, p. 73,
concl. Ch. Maugüé). Au demeurant, cette espèce révèle à nouveau l'étendue du contrôle de la légalité des
ordonnances non ratifiées par la haute juridiction administrative (CE, ass., 28 mars 1997, Sté Baxter : Rec. CE
1997, p. 114 ; RFD adm. 1997, p. 450, concl. J.-Cl. Bonichot et obs. F. Melin-Soucramanien).
10. - La validité conditionnée de la publication d'un acte réglementaire sur le site intranet d'un organisme
de l'État. – La mise en ligne sur le site intranet de l'ANPE de plusieurs décisions régissant la situation de certains
personnels est-elle opposable à ces derniers ainsi qu'à leurs représentants ? L'arrêt du 11 janvier 2006, Syndicat
national CGT-ANPE (CE, 11 janv. 2006, n° 273665 : Juris-Data n° 2006-069538 ; AJDA 2006, p. 176, obs.
F. Aubert), apporte une réponse conditionnée à cette question. En effet, il est d'abord affirmé qu'une telle modalité
de publication n'est exclue par aucun principe général ni par aucune autre règle. Mais il est ensuite indiqué que le
délai de recours contentieux ne peut courir à l'égard des intéressés et de leurs représentants « qu'à la condition,
d'une part, que l'information ainsi diffusée puisse être regardée, compte tenu notamment de sa durée, comme
suffisante (CE, 12 déc. 2003, Synd. des commissaires et hauts fonctionnaires de police : Juris-Data n° 2003-
243430 ; JCP G 2004, IV, 1521 ; RFD adm. 2004, p. 186) et, d'autre part, que le mode de publicité par voie
électronique et les effets juridiques qui lui sont attachés aient été précisés par un acte réglementaire ayant lui-
même été régulièrement publié ». Or, en l'espèce, aucune mesure réglementaire de ce type n'a été publiée au
bulletin officiel de l'établissement ; la mise en ligne sur le site intranet des décisions en cause n'a donc pu faire
courir le délai de recours contentieux. Tel n'a pu être le cas que pour celles de ces décisions qui ont été ensuite
publiées audit bulletin officiel. Au demeurant, deux de ces actes réglementaires ont été annulés pour rétroactivité
illégale en tant que leur entrée en vigueur a été prévue à une date antérieure à leur publication effective (CE, ass.,
25 juin 1948, Sté du Journal « l'Aurore » : Rec. CE 1948, p. 289. – CE, 19 juin 1985, n° 43062, Cne de Saintes :
Juris-Data n° 1985-041272 ; Rec. CE 1985, p. 191).
Alain Ondoua
11. - Acte faisant grief et réponse ministérielle en matière fiscale. - Nouvelle illustration de l'autonomie du droit
fiscal, l'arrêt Sté Friadent France (CE, sect., 16 déc. 2005, n° 272618 : Juris-Data n° 2005-069384 ; JCP G 2006,
IV, 1122) vient rappeler qu'une réponse ministérielle prenant position en termes impératifs sur la portée du droit
fiscal en vigueur a le caractère d'un acte faisant grief susceptible de recours devant le juge de l'excès de pouvoir.
Réitérant la jurisprudence Hitzel (CE, sect., 12 juin 1936 : Rec. CE 1936, p. 641), le Conseil d'État précise que si
« les réponses faîtes par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas des actes
susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux », il en va, en revanche, différemment « lorsque la réponse
comporte une interprétation par l'administration de la loi fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le
fondement des dispositions de l'article L. 80 A du LPF ». Ainsi, les réponses ministérielles de nature fiscale sont
opposables à l'administration fiscale qui ne saurait poursuivre un contribuable de bonne foi en se prévalant d'une
interprétation différente de celle donnée dans une réponse ministérielle.
Loïc Levoyer
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B. - Les contrats
12. - Contrats de mobilier urbain. - Par les arrêts d'assemblée du 4 novembre 2005, Société Jean-Claude
Decaux(CE, ass., 4 nov. 2005, n° 247298 : Juris-Data n° 2005-069146 ; F. Linditch, Le Conseil d'État fidèle à sa
jurisprudence : les contrats de mobilier urbain sont des marchés publics de services : JCP A 2005, 1381 et JCP G
2006, II, 10007 ; Contrats – Marchés publ. 2005, comm. 297, note J.-P. Piétri), le Conseil d'État qualifie les contrats
de mobilier urbain de marchés de prestation de service au vu, principalement, de leur objet et, accessoirement, de
leur rémunération. Salués par la doctrine, ces arrêts mettent-ils pour autant fin à la controverse que ces contrats
avaient nourrie ? (CE, avis, 14 oct. 1980, n° 327449 : EDCE 1980-1981, p. 196 ; AJDA 1983, p. 193, note J.-M.
Auby ; F. Brenet, La qualification des contrats de mobilier urbain : nouvelles précisions : RFD adm. 2003, p. 253).
Rien n'est moins sûr. En effet, si réaliste soit-elle dans sa finalité, à savoir la nécessité de soumettre les contrats de
mobilier urbain à une procédure de publicité et de mise en concurrence, la solution retenue dissimule mal qu'elle a
usé de la plasticité de la catégorie des marchés publics pour y intégrer des contrats mixtes, développant de vraies
spécificités, notamment dans leurs aspects financiers. Des voix s'élèvent déjà pour proposer ici, l'élaboration d'« un
régime juridique spécifique tenant compte de leur particularisme » (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Les contrats de
mobilier urbain sont des marchés publics : Contrats – Marchés publ. 2005, repère 10) ou là, l'affirmation d'un
principe général de transparence applicable aux contrats autorisant l'exploitation économique d'une dépendance du
domaine public (A. Ménéménis, Contrats de mobilier urbain : quelques éléments de réflexion sur les arrêts
Decaux : AJDA 2006, p. 120).
13. - Contrat in house. – Dans sa décision Commission contre Autriche (CJCE, 10 nov. 2005, aff. C-29/04 :
Contrats et Marchés publ. 2006, comm. 2, note G. Eckert), la CJCE réaffirme très clairement sa volonté d'encadrer
la notion de contrat in house (CJCE, 11 janv. 2005, aff. C-26/03 : JCP G 2005, I, 145, chron. C. Boiteau, spéc. n° 7.
– CJCE, 13 oct. 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen : JCP G 2005, I, 197, chron. C. Boiteau, spéc. n° 1). En
l'espèce, la ville de Mödling avait créé une société à capitaux publics, la société Abfall, avec laquelle elle avait
immédiatement conclu un contrat relatif à l'élimination des déchets. Estimant qu'elle exerçait sur cette société un
contrôle analogue à celui qu'elle exerçait sur ses propres services (CJCE, 18 nov. 1999, aff. C-107/98, Teckal :
Rec. CJCE 1999, I, p. 8121), elle n'a pas soumis la passation du contrat à la procédure de publicité et de mise en
concurrence prévue par la directive n° 92/50/CEE(Cons. UE, dir. n° 92/50/CEE, 18 juin 1992), alors même,
d'ailleurs, que l'annexe I. A (pt 16) de cette directive soumet les marchés relatifs aux « services d'enlèvement des
ordures ménagères » à l'ensemble des obligations de publicité et de mise en concurrence qu'elle fixe. Puis,
immédiatement après la conclusion du contrat, la ville a cédé 49 % du capital de la société à une entreprise privée
et ce n'est qu'alors que le contrat a commencé à être exécuté.L'examen des obligations du pouvoir adjudicateur de
procéder à un appel d'offres public au vu des conditions existant à la date de l'attribution du contrat aurait peut-être
pu conduire à faire entrer celui-ci dans la catégorie des prestations intégrées. Mais, afin de préserver l'effet utile de
la directive, la Cour de justice – tout en soulignant qu'il convient, en principe, pour des raisons de sécurité juridique,
d'apprécier les obligations à la date de l'attribution du marché – choisit d'appréhender globalement l'opération sans
distinguer chronologiquement ses différentes étapes et leur finalité propre et peut ainsi sanctionner la procédure.
14. - Conséquences de la nullité du contrat administratif devant le juge du référé-provision. – Par son arrêt
Auguste et commune de Nogent-sur-Marne(CE, 16 nov. 2005, n° 262360 et 263709 : Juris-Data n° 2005-
069224 ; JCP G 2005, IV, 3670 ; JCP A 2005, act. 759, obs. M.-Ch. Rouault), le Conseil d'État rappelle qu'en cas
de nullité du contrat, deux voies de droit s'offrent cumulativement aux parties pour demander le versement des
sommes auxquelles elles prétendent – une action en responsabilité quasi contractuelle et une action quasi
délictuelle – la recherche de la responsabilité contractuelle de l'ancien cocontractant étant définitivement fermée
(CE, sect., 20 oct. 2000, Société Citécâble Est : Rec. CE 2000, p. 457). Il fixe, ensuite, le quantum des seules
dépenses utiles, les requérants ne s'étant placés que sur le terrain de la responsabilité quasi contractuelle
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(enrichissement sans cause). La rédaction de l'arrêt doit être, à cet égard, spécialement signalée. Ainsi ressort-il
très clairement de l'arrêt que les dépenses utiles sont composées d'une part, d'une indemnité égale à la valeur non
amortie des dépenses d'investissement (CE, 31 oct. 1928, Ville Pradelles : Rec. CE 1928, p. 1104) et, d'autre part,
du déficit d'exploitation supporté dans l'exécution du service (CE, sect., 27 juin 1930, Philippe : Rec. CE 1930,
p. 660). Observons, enfin, que pour statuer ainsi sur la demande de MM. Auguste, le juge a dû préalablement
écarter l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune. Si rien n'interdit que la prescription
quadriennale soit opposée à une demande fondée sur l'enrichissement sans cause, encore faut-il, aux termes
mêmes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, que l'intéressé n'ait pas été laissé dans l'ignorance de sa
créance. Or, estime le juge, compte tenu de la nature de la nullité (incompétence de l'autorité signataire), MM.
Auguste devaient être regardés, en l'espèce, comme ayant légitimement ignoré l'existence de leur créance au titre
de la responsabilité quasi contractuelle de la commune.
Claudie Boiteau
A. - Le principe de légalité
15. - Publication au Journal officiel. - Par un nouvel arrêt Meyet du 9 novembre 2005 (CE, 9 nov. 2005,
n° 271713 : Juris-Data n° 2005-069192) le Conseil d'État vient utilement rappeler les conditions de publication des
textes juridiques au Journal officiel, telles qu'elles résultent de l'ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004, ratifiée
par la loi du 9 décembre 2004. Pour le juge administratif, l'article 5 de l'ordonnance précitée peut valablement
prévoir que certaines catégories d'actes administratifs, déterminées par décret en Conseil d'État, peuvent être
publiées au Journal officiel que sous forme électronique pour entrer en vigueur. Eu égard à leur nature, à leur
portée, et aux personnes auxquelles ces actes s'appliquent, cette publication sur un support exclusivement
électronique n'est pas de nature à porter atteinte ni à l'article 10 de la Convention EDH en vertu duquel est garanti
à toute personne le droit à la liberté d'expression et celui de recevoir ou de communiquer des informations ou des
idées sans qu'il puisse y avoir d'ingérence d'autorités publiques, ni à la clause de non discrimination énoncée à
l'article 14 de la Convention EDH. De même le fait que la version imprimée du Journal officiel ne mentionne pas,
dans son sommaire analytique, les intitulés des textes publiés uniquement sous forme électronique n'est pas
contraire aux dispositions de la Convention EDH. À toutes fins utiles, on rappellera cependant que les lois,
ordonnances, décrets et lorsqu'une loi ou un décret le prévoit les autres actes administratifs doivent être publiés, le
même jour, dans des conditions de nature à garantir leur authenticité, sur papier et sous forme électronique, au
Journal officiel.
Loïc Levoyer
16. - Par un arrêt d'assemblée, Ministre des affaires sociales, Syndicat national des huissiers de justice, le
Conseil d'État constate l'abrogation implicite d'une loi inconciliable avec un texte de valeur constitutionnelle
postérieur (CE, ass., 16 déc. 2005, n° 259584 et n° 259753 : Juris-Data n° 2005-069378 ; JCP G 2006, IV,
1123 ;JCP A 2005, act. 871, obs. M.-Ch. Rouault).Étaient en présence en l'espèce des dispositions de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers et l'alinéa 6 du préambule de la Constitution de
1946 impliquant notamment le droit pour tout syndicat régulièrement constitué de participer à des négociations
collectives. Avant de régler la question de la compatibilité entre ces deux textes, l'assemblée du contentieux
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rappelle son refus de contrôler au contentieux la constitutionnalité des lois en vigueur (CE, 5 janv. 2005, n° 257341
et n° 257534, Mlle Deprez, M. Baillard : Rec. CE 2005, p. 1 ; JCP G 2005, IV, 1714 ; JCP A 2005, 1075, concl.
D. Chauvaux ; AJDA 2005, p. 845, note L. Burgorgue-Larsen ; RFD adm. 2005, p. 56, art. B. Bonnet). Au-delà, « il
lui revient de constater l'abrogation, fût-elle implicite, de dispositions législatives qui découle de ce que leur contenu
est inconciliable avec un texte qui leur est postérieur, que celui-ci ait valeur législative ou constitutionnelle ». Est
ainsi mis en valeur de façon solennelle un mécanisme déjà utilisé par la juridiction administrative (CE, 4 nivôse an
VIII : D. 1999, jurispr. p. 705, note P. de la Gironde. – CE, sect., 20 mai 1966, Meunier : Rec. CE 1966, p. 343),
quoique de façon assez rare (B. Genevois : RFD adm. 2000, p. 719. – En dernier lieu : CE, 3 févr. 1999, n°
178785, Nodière : Rec. CE 1999, p. 9 ; RFD const. 1999, p. 615, note J. Tremeau). De plus, statuant en référé, le
CE avait admis que la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence n'avait nullement été abrogée par la Constitution
de 1958(CE, ord. réf., 21 nov. 2005, n° 287217, Boisvert, préc. – Antérieurement : Cons. const., 25 janv. 1985,
n° 85-187 DC, État d'urgence en Nouvelle-Calédonie, cons. n° 4 : Rec. Cons. const. 1985, p. 43). En l'espèce, le
Conseil d'État constate l'existence d'une incompatibilité irréductible entre les dispositions de l'ordonnance de 1945,
en tant qu'elles prévoient un monopole de la Chambre nationale des huissiers de justice pour des questions
relevant des droits reconnus aux syndicats professionnels, et l'alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 ;
l'entrée en vigueur de cette dernière a donc implicitement abrogé les premières. Réglant l'affaire au fond, le Conseil
a estimé que le syndicat national des huissiers de justice ne pouvait être considéré comme étant représentatif à la
date de la décision attaquée (CE, ass., 5 nov. 2004, n° 257878, Unsa : Rec. CE 2004, p. 420 ; JCP G 2005, IV,
1205 ; RFD adm. 2004, p. 400, concl. J.-H. Stahl ; AJDA 2004, p. 2391, chron. Cl. Landais et F. Lénica).
Alain Ondoua
B. - Le principe de responsabilité
17. - Après avoir écarté la responsabilité pour faute de l'État au motif que le rapport établi par l'inspection des
installations classées était suffisamment circonstancié, l'arrêt Sté coopérative agricole Ax'ion (CE, 2 nov. 2005,
n° 266564 : Juris-Data n° 2005-069150 ; JCP G 2005, IV, 3565 ; JCP A 2005, act. 713, obs. M.-Ch. Rouault ; à
paraître au Recueil Lebon) engage la responsabilité sans faute de l'État du fait de la loi du 19 juillet 1976 relative
aux installations classées. Appliquant la règle à l'origine de la responsabilité sans faute de l'État législateur selon
laquelle le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne « permet pas de
penser que le législateur a entendu faire supporter à l'intéressé une charge qui ne lui incombe pas normalement »
(CE, ass., 14 janv. 1938, SA des produits laitiers « La Fleurette » : Rec.CE 1938, p. 25), le Conseil d'État engage,
sans recourir aux travaux préparatoires de la loi muette du 19 juillet 1976, la responsabilité de l'État en raison du
préjudice spécial résultant, pour l'exploitant d'une installation classée, de la fermeture de celle-ci en raison des
dangers ou inconvénients qu'elle représentait. Cet arrêt confirme la position jurisprudentielle adoptée en 1938 et
réactivée en 2003 dans une hypothèse concernant la responsabilité sans faute de l'État du fait de la loi du 10 juillet
1976 relative à la protection de la nature qui, en protégeant les cormorans, a permis à ces derniers de causer des
dommages aux piscicultures (CE, sect, 30 juill. 2003, Assoc. pour le développement de l'aquaculture en région
Centre et a : Juris-Data n° 2003-065588 ; Rec. CE 2003, p. 287 ; JCP G 2003, II, 10173, note J.-Ch. Jobart). Le
raisonnement adopté par le juge amène ce dernier à déduire du silence de la loi l'absence d'exclusion d'un droit à
réparation. En définitive, l'arrêt commenté illustre un cas rarissime dans lequel la loi, norme abstraite à vocation
générale et impersonnelle, crée un préjudice spécial justifiant l'indemnisation de la personne concernée qui ne doit
pas se voir imposer une charge anormale.
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Emmanuel Aubin
6. Les moyens
A. - Les agents
18. - Après que le législateur eut considérablement réduit, avec l'aval du Conseil constitutionnel (Cons. const.,
19 juin 2001, déc. n° 2001-445 DC, L. org. relative au statut des magistrats et au CSM), le bénéfice par les
magistrats judiciaires du rapprochement des conjoints (CE, 21 mars 2001, Beugnon : JCP G 2001, I, 344,
chron. C. Boiteau, spéc. n° 9), la section du contentieux juge dans l'arrêt Mme Baux, du 23 novembre 2005 (CE,
23 nov. 2005, n° 285601 et n° 285602 : Juris-Data n° 2005-069264 ; JCP G 2005, IV, 3740 ; JCP A 2005, act.
800, obs. M.-Ch. Rouault), que la loi Roustan du 30 décembre 1921 à l'origine de ce droit n'est plus en vigueur
depuis que l'article 60 de la loi du 26 juillet 1991 a modifié l'état du droit pour les fonctionnaires de l'État soumis au
statut général en supprimant l'exigence relative à l'adoption, au cas par cas, de mesures spécifiques dans le cadre
des décrets portant statut particulier. Sans répondre, une fois de plus, à la question de savoir si les conseillers de
TA et de CAA sont des magistrats, l'arrêt rejette la requête d'une conseillère de TA dont le mari est en poste en
Nouvelle-Calédonie et qui a demandé, en vain, à être affecté au tribunal de Nouméa. Après avoir suspendu l'arrêté
réintégrant une autre conseillère du tribunal sur ce poste après un détachement (CE, ord., 11 août 2005,
n° 281486, Mme Basse : Juris-Data n° 2005-069064), le Conseil d'État fait prévaloir l'intérêt du service en laissant
à l'administration une plus grande souplesse dans l'appréciation de la priorité à donner aux agents qui sollicitent un
rapprochement au titre de la mutation ou à l'issue d'une position permettant à l'agent de suivre « une carrière à
détours » pour reprendre l'expression du professeur J.-F. Lachaume. Cette solution pragmatique permettra à
l'administration de mettre en concurrence – sauf texte contraire – les agents demandant un rapprochement au titre,
soit de la mutation, soit d'une affectation après réintégration conséquemment à une mobilité statutaire.
19. - Sujet éminemment sensible, la notation des agents alimente un contentieux régulier illustré par l'arrêt Ministre
de l'Intérieur contre Vallée (CE, 6 janv. 2006, n° 262546 : Juris-Data n 2006-069438 ; sera mentionné aux tables
du Recueil Lebon), qui amène le Conseil d'État à préciser qu'un commissaire de police, chef de service, peut
prendre en compte, pour noter un agent exerçant les fonctions d'officier de police judiciaire, la note qui lui a été
attribuée par le procureur général compétent pour attribuer une note annuelle à chaque officier de police judiciaire
habilité. Illustrant un dialogue de ces deux autorités administratives sans retenir l'existence d'une « confusion » des
pouvoirs, cet arrêt montre que le pouvoir de notation doit s'appréhender de façon globale dans la police nationale
en prenant en compte l'ensemble des appréciations portées sur la valeur professionnelle des agents y compris par
une autorité judiciaire.
20. - La protection fonctionnelle est au cœur de l'arrêt Commune du Cendre, du 5 décembre (CE, 5 déc. 2005,
n° 261948 : Juris-Data n° 2005-069372 ; sera mentionné aux tables) dans lequel le Conseil d'État transpose aux
fonctionnaires territoriaux une jurisprudence applicable aux agents de l'État (CE, 28 juin 1999, Ménage : AJFP
2000/1-2, p. 30) qui précise que l'autorité compétente pour statuer sur une demande de protection fonctionnelle
formée par un agent faisant l'objet de poursuites judiciaires est celle dont l'agent relève à la date à laquelle il est
statué sur cette demande et non celle sous l'autorité de laquelle l'agent était placé au moment des faits à l'origine
des poursuites. Cette solution logique, compte tenu de la finalité de la protection fonctionnelle, peut donc amener
une administration qui n'est pas à l'origine des faits pour lesquels l'agent est poursuivi à assumer le devoir de
protection en avançant les frais de justice du fonctionnaire contre lequel elle pourra toutefois se retourner en cas de
faute personnelle commise par celui-ci.
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Emmanuel Aubin
B. - Les biens
21. - Classement de site. - Saisi d'un pourvoi contre un acte de classement de site auquel il est reproché de ne
pas inclure dans son périmètre des parcelles qui devraient l'être en vue de la conservation ou la préservation d'un
site classé (C. env., art. L. 341-1 et L. 341-2), il appartient au juge administratif de rechercher si, en excluant les
parcelles contestées, l'autorité compétente a fait une exacte application de ces dispositions et, dans la négative,
d'annuler l'acte attaqué en tant qu'il s'abstient de classer les parcelles en cause. Par l'arrêt d'assemblée
Groupement forestier des ventes de Nonant (CE, ass., 16 déc. 2005, n° 261646 : Juris-Data n° 2005-069379 ;
JCP A 2005, act. 873, obs. M.-Ch. Rouault) le Conseil d'État précise la nature du contrôle qu'il entend réaliser dans
une telle hypothèse. En l'occurrence, il était reproché à un décret étendant de 1 400 hectares le périmètre de
classement du site du Haras du Pin dans six communes du département de l'Orne, d'exclure de ce périmètre
certains bâtiments situés à l'intérieur de ce site alors qu'ils ne se distinguaient en rien des parcelles classées et
apparaissaient nécessaires à la cohérence de la protection que le décret entendait instituer. Par un contrôle limité à
la vérification de l'erreur de droit, à l'insuffisance de motivation et à la dénaturation des faits de l'espèce, le Conseil
d'État va faire droit à cette demande, montrant ainsi le soin qu'il entend porter au contrôle de la police de
classement des sites.
22. - Par l'arrêt Ville de Lille et Communauté urbaine de Lille (CE, sect., 28 déc. 2005, n° 284863 : Juris-Data
n° 2005-069453), le Conseil d'État confirme que l'atteinte portée à un site classé et au respect des dispositions d'un
règlement de plan d'occupation des sols relèvent tous deux de l'appréciation souveraine des juges du fond à
propos de laquelle la Haute juridiction, statuant comme juge de cassation, se limite à effectuer un contrôle de
l'absence d'erreur de droit, d'insuffisance de motivation ou de dénaturation des faits de l'espèce. En conséquence,
le Conseil d'État confirme l'annulation des permis de construire – initial et modificatif – délivrés par le maire de Lille
à la ville pour la réalisation de l'extension du stade Grimonprez-Jooris au motif d'une part de l'atteinte excessive
portée par le projet au site classé de la Citadelle Vauban et d'autre part de la méconnaissance des règles de
hauteur maximale des constructions prévues par le règlement du plan d'occupation des sols de la commune.
Loïc Levoyer
7. Le contentieux
23. - La responsabilité de Voies navigables de France à raison d'un fait d'exploitation relève de la
compétence du juge judiciaire. - Ainsi en a décidé le juge des conflits dans sa décision EURL Croisières
lorraines La Bergamote contre Voies navigables de France (T. confl., 12 déc. 2005, n° 3455 : Juris-Data n
2005-290595) où était en cause la réparation de préjudices commerciaux résultant de l'interruption du trafic fluvial
sur le canal de la Marne au Rhin consécutive à l'effondrement d'un pont mobile dont l'entretien dépendait de VNF.
Le dommage n'est pas relatif à l'exercice de pouvoirs de police et doit plutôt être rattaché à un défaut d'entretien ou
d'exploitation (T. confl., 29 déc. 2004, n° 3416, Épx Blanckeman : Juris-Data n° 2004-261607 ; JCP G 2005, I, 121,
n° 7, obs. A. Ondoua). Seule la juridiction judiciaire est compétente dans la mesure où, en l'espèce, le fait de
l'ouvrage est absorbé par le fait d'exploitation (CE, 14 mai 1937, Sté des forces motrices de la Tarde : Rec. CE
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1937, p. 503. – T. confl., 24 juin 1954, Galland c/ EDF : JCP G 1954, II, 8355, note J. Dufau). En outre, la notion de
dommage de travaux publics se trouve ici neutralisée car le litige concerne les rapports service public industriel et
commercial – usager (T. confl., 17 oct. 1966, Dame Veuve Canasse c/ SNCF : Rec. CE 1966, p. 834).
Alain Ondoua
B. - Compétence
24. - Le Conseil d'État est incompétent pour connaître des observations publiées par le Conseil
constitutionnel sur son site internet. - Le Conseil était saisi d'un recours contre la décision implicite du
Secrétaire général refusant de modifier le contenu des « observations du Conseil constitutionnel relatives aux
élections législatives de juin 2002 ». En se déclarant incompétent pour en connaître, la haute juridiction
administrative, dans l'arrêt Moitry, du 9 novembre 2005 (CE, 9 nov. 2005, n° 258180 : Juris-Data n° 2005-069188 ;
JCP G 2005, IV, 3613 ; JCP A 2005, act. 740, obs. M.-Ch. Rouault ; JCP A 2006, 1042, étude P. Cassia ; AJDA
2006, p. 147, concl. F. Donnat ; Dr. adm. 2006, comm. 9) marque à nouveau son souci de respecter l'autonomie du
juge constitutionnel. Cette volonté s'était déjà manifestée à propos du règlement définissant un régime particulier
pour l'accès aux archives du Conseil (CE, ass., 25 oct. 2002, n° 235600, M. Brouant : Juris-Data n° 2002-064514 ;
Rec. CE 2002, p. 356, concl. G. Goulard ; JCP G 2003, II, 10008, note A. Chaminade ; RFD adm. 2003, p. 8, chron.
L. Favoreu et p. 14, note P. Gonod et O. Jouanjan), ou encore relativement aux suites réservées aux démarches ou
réclamations dont ce dernier est saisi (CE, ord. réf., 20 janv. 2005, Hoffer : AJDA 2005, p. 621). Cette auto-
limitation du Conseil d'État a pu également se vérifier s'agissant d'un litige relatif au régime de pensions des
parlementaires (CE, ass., 4 juill. 2003, n° 254850, Papon : Rec. CE 2003, p. 308 ; JCP G 2003, IV, 3079 ; AJDA
2003, p. 1603, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFD adm. 2003, p. 917, concl. L. Vallée).
Alain Ondoua
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compétence de la juridiction administrative. Mais il rejette cependant la requête au motif que la décision du Conseil
de la concurrence ne présente pas, pour une part, de caractère décisoire (en ce qu'elle déclarait que les
entreprises avaient contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce) et, pour une autre,
qu'elle ne constitue qu'un acte préparatoire (en ce qu'elle demande au ministre d'enjoindre aux entreprises de
mettre fin à leurs pratiques anticoncurrentielles).
Claudie Boiteau
C. - Recours
26. - Le Conseil d'État réaffirme sa jurisprudence sur les effets des recours administratifs obligatoires. - Le
décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 (modifié par D. n° 2005-1427, 17 nov. 2005 : JO 19 nov. 2005, p. 18029), pris
en application de l'article 23 de la loi du 30 juin 2000, a institué, pour les actes relatifs à la situation personnelle des
militaires, un recours administratif obligatoire auprès d'une commission des recours. L'avis émis par cette
commission ne lie pas le ministre de la Défense. L'arrêt de section, Houlbrèque contre Ministère de la Défense
(CE, 18 nov. 2005, n° 270075 : Juris-Data n° 2005-069226 ; JCP A 2005, act. 763, obs. M.-Ch. Rouault ; AJDA
2005, p. 2207, obs. S. Brondel ; Dr. adm. 2006, comm. 5 ; Collectivités – Intercommunalité 2006, comm. 1, note
L. Erstein), donne l'occasion au CE de confirmer le principe selon lequel lorsqu'un recours administratif est un
préalable obligatoire à toute action contentieuse, la décision prise à la suite de ce recours se substitue
nécessairement à la décision initiale (CE, 29 avr. 1953, Colin : Rec. CE 1953, p. 158. – CE, 3 oct. 1979, Lasry :
Rec. CE 1979, p. 358) ; le recours contentieux n'est recevable qu'à l'encontre de la décision définitive (CE, avis,
29 déc. 1999, n° 210147, Leboulch : Juris-Data n° 1999-051485 ; JCP G 2000, IV, 1769 ; RFD adm. 2000, p. 215).
Un recours intenté à l'encontre de la décision initiale est par conséquent irrecevable (CE, 5 janv. 1979, Clinique
chirurgicale Francheville : Rec. CE 1979, p. 9. – CE, sect., 13 juin 1984, Assoc. Hand-ball de Cysoing : Rec. CE
1984, p. 217), même si, comme en l'espèce, les termes de l'article 8 du décret de 2001 semblent inférer un recours
contentieux contre « l'acte initialement contesté ».
Alain Ondoua
D. - Procédure
27. - Référé provision et contrôle du juge de cassation. - M. Lacroix, chirurgien au CHU de Poitiers, avait été
détaché auprès d'un centre hospitalier de Lyon par un arrêté ministériel, en date du 4 septembre 2003, prenant
effet le 1er novembre 2003, mais rapporté le 30 janvier 2004. N'ayant perçu aucun traitement à Lyon, il demanda
au juge du référé-provision (CJA, art. R. 541-1) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser une provision au titre
de ses traitements non perçus. À la suite du tribunal administratif de Poitiers, la CAA de Bordeaux avait rejeté sa
requête estimant que la détermination du débiteur posait une difficulté sérieuse dans la mesure où il était permis de
douter de la légalité du retrait rétroactif du détachement. Ainsi, la condition posée à l'article R. 541-1 du CJA
permettant au juge d'accorder une provision, à savoir l'existence d'une obligation qui ne soit pas « sérieusement
contestable », ne lui semblait pas remplie.La section du contentieux, dans son arrêt Lacroix (CE, 16 déc. 2005,
n° 274545 : Juris-Data n° 2005-069387 ; JCP A 2005, act. 874, obs. M.-Ch. Rouault), annule l'ordonnance du
président de la CAA, considérant que tant que l'arrêté « n'a été ni rapporté ni annulé et que son illégalité [n'a] pas
été déclarée par une décision juridictionnelle (...) il incombe à l'ensemble des autorités administratives de tirer, le
cas échéant, toutes les conséquences légales de cet arrêté aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin ». Ce faisant,
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le juge de cassation s'engage dans un contrôle poussé de l'erreur de droit de la décision de juge du référé-
provision qui conduit ce dernier à démentir tout éventuel doute suscité par une contestation juridique et donc à
trancher, le cas échéant, cette question de droit. Le Conseil d'État revient ainsi sur sa position (CE, 22 mars 1999,
n° 186336, Soudain : Juris-Data n° 1999-050317 ; Rec. CE 1999, p. 87 ; JCP G 1999, IV, 2421) après avoir
initialement exigé que le juge des référés qui refuse une provision motive suffisamment sa décision (CE, 23 oct.
1998, Elmira : Rec. CE 1998, tables p. 87) comme doit le faire le même juge lorsqu'il accorde une provision (CE,
27 juin 1997, n° 163496, Centre hospitalier de Lagny : Juris-Data n° 1997-050698 ; Rec. CE 1997, p. 266 ; JCP G
1997, IV, 2243).Ce contrôle, qui s'écarte sensiblement de celui exercé en matière de référé-suspension (CE, sect.,
29 nov. 2002, n° 244727, Cté d'aggl. de Saint-Étienne : Juris-Data n° 2002-064750 ; Rec. CE 2002, p. 421 ; JCP G
2002, IV, 2066), se justifie principalement par le fait que non seulement le juge du référé-provision préjudicie au
principal, mais qu'il peut être saisi indépendamment de toute demande au fond. Par conséquent, sa décision peut
mettre un terme au litige. La solution adoptée paraît donc préserver à la fois l'efficacité du référé-provision et
l'éventuel contrôle de cassation.
Claudie Boiteau
Ouvrages
Études et commentaires
J.-P. Camby, L'autonomie des pouvoirs publics, limite de la compétence du juge administratif : RD publ.
2002, p. 1855 ; J.-J. Daigre, Recours contre les décisions de la future AMF : compétence administrative ou
judiciaire ? : RD bancaire et fin. 2003, p. 197 ; P. Dubouchet, La tierce opposition en droit administratif,
Contribution à une théorie normative de l'institution : RD publ. 1990, p. 711 ; B. Genevois, Le Conseil d'État
n'est pas le censeur de la loi au regard de la Constitution : RFD adm. 2000, p. 715 ; R. Le Goff, Les membres
des corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont-ils des magistrats ? :
AJDA 2003, p. 1145 ; M. Lombard, Brèves remarques sur la personnalité morale des institutions de
régulation : RJEP 2005, p. 127 ; J. Moreau, Responsabilité administrative et sécurité publique : AJDA 1999,
n° spécial, p. 96 ; J.-L. Pissaloux, Une expérience réussie : le recours administratif préalable des militaires :
AJDA 2005, p. 1042 ; J. Tremeau, La caducité des lois incompatibles avec la Constitution : AIJC 1990, p. 219
Note 1 La chronique de Droit administratif est rédigée par : Claudie Boiteau, professeur ; Emmanuel Aubin, Loïc Levoyer, Alain Ondoua, maîtres
de conférences.
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