ENCEPHALE Switch Arrêt Antidépresseurs 2018
ENCEPHALE Switch Arrêt Antidépresseurs 2018
ENCEPHALE Switch Arrêt Antidépresseurs 2018
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Revue de la littérature
i n f o a r t i c l e r é s u m é
Historique de l’article : La dépression est une pathologie fréquente, qui touche une personne sur cinq au cours de sa vie. On
Reçu le 30 avril 2018 estime, par ailleurs que 60 % des patients ne répondent pas ou seulement partiellement, à un traitement
Accepté le 25 juin 2018 antidépresseur après une première ligne de traitement bien conduite. Dans ce contexte, il est souvent
Disponible sur Internet le 31 août 2018
nécessaire de changer la première molécule choisie pour une seconde molécule (« switch »), ce afin
d’obtenir la rémission des symptômes dépressifs. Il existe différentes méthodes de « switch ». Un « switch »
Mots clés : entre deux molécules doit respecter certaines règles, prenant en compte les caractéristiques en lien avec
Antidépresseurs
la première et la seconde molécule utilisée, et les caractéristiques en lien avec l’individu. L’objectif d’un
Dépression
Switch
« switch » réussi est de garantir l’efficacité de la seconde molécule introduite afin de traiter l’épisode
dépressif, tout en diminuant le risque de survenue de symptômes de discontinuation dus à l’arrêt de la
première molécule, et en limitant le risque d’interactions médicamenteuses entre les deux traitements.
La période de « switch » est une période particulièrement délicate qui nécessite un suivi rapproché.
Les patients doivent être informés des symptômes pouvant survenir durant le « switch » (symptômes de
discontinuation et recrudescence de symptômes anxieux ou dépressifs). Cet article reprend les différentes
méthodes permettant de switcher de façon optimale un traitement antidépresseur.
© 2018
a b s t r a c t
Keywords: Major depressive disorder (MDD) is a common, typically recurrent, sometimes chronic and very disa-
Antidepressants bling disorder, with a lifetime prevalence of 20%. Moreover, antidepressant treatments may be partially
Depression effective. Studies have found that up to 60% of patients with MDD do not fully respond to the first
Switch antidepressant prescribed. Thus, switching antidepressants is a common strategy for antidepressant
non-responders. When switching between antidepressants, an appropriate switching strategy should
be used, depending on the characteristics of the first and the second antidepressant and patient’s back-
ground. Patients should be informed that antidepressants can cause discontinuation symptoms if stopped
abruptly after prolonged used. Relapse and exacerbation of depression can also occur during a switch.
Thus, all antidepressant switches must be carried out cautiously and under close observation. This article
summarizes the recommendations for an optimal antidepressant switch.
© 2018
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : clairgauthier@gmail.com (C. Gauthier).
https://doi.org/10.1016/j.encep.2018.08.001
0013-7006/© 2018
380 C. Gauthier et al. / L’Encéphale 44 (2018) 379–386
des doses supérieures à 40 mg/jour, il est recommandé de diminuer La méthode choisie pour le « switch » va à la fois dépendre des
progressivement. Dans le cas de la vortioxétine, le traitement peut caractéristiques en lien avec la première et la seconde molécule
également être arrêté brutalement, sans réduction progressive de (demi-vie, mode d’action, effets indésirables, métabolisme enzy-
la dose [23]. matique et risques d’interactions) et des caractéristiques en lien
Chez les patients chez qui il est difficile de diminuer le traite- avec l’individu (âge, grossesse, pathologies somatiques associées,
ment antidépresseur en raison de la survenue de symptômes de insuffisance rénale ou hépatique, traitements annexes et risques
discontinuation invalidants, il est possible dans un premier temps d’interaction avec l’antidépresseur, antécédent de syndrome de
de relayer le premier traitement par de la fluoxétine, puis d’arrêter discontinuation, gravité des symptômes dépressifs).
la fluoxétine dans un second temps puisque cette molécule entraîne L’objectif d’un « switch » bien conduit est de limiter les
peu de symptômes de ce type [24]. risques de symptômes de discontinuation, tout en limitant les
risques d’interaction médicamenteuse et en garantissant une
3. Switcher deux antidépresseurs bonne efficacité clinique pour éviter les risques d’aggravation de
la symptomatologie dépressive lors de la période du « switch ».
En cas d’absence d’efficacité de la première molécule, d’efficacité Il existe 4 méthodes de « switch » distinctes pour les antidé-
insuffisante malgré la majoration de la dose ou en cas d’effets secon- presseurs : le « switch » progressif avec période de washout, avec
daires gênants, il peut être utile de switcher un antidépresseur pour diminution du premier antidépresseur, période de washout (d’une
un autre. Pour rappel, il est recommandé d’attendre 4 à 6 semaines durée de 2 à 5 demi-vies de la molécule arrêtée), puis instauration
avant de juger de l’efficacité d’un traitement antidépresseur [4]. progressive du second antidépresseur ; le « switch » progressif sans
De plus, compte tenu de l’absence de preuve suffisante justifiant période de washout, avec diminution du premier antidépresseur,
l’efficacité supérieure d’un antidépresseur par rapport à un autre, arrêt, puis instauration progressive du second antidépresseur ; le
le choix de la molécule dépend des facteurs suivants [25] : effets « switch » direct, avec arrêt brutal du premier antidépresseur et
secondaires possibles, traitements associés et interactions médica- instauration directe du second antidépresseur à dose thérapeu-
menteuses éventuelles, nature des symptômes dépressifs, âge du tique ; enfin le « switch » croisé, avec diminution progressive du
patient, comorbidités, antécédent personnel ou familial de bonne premier antidépresseur, en parallèle instauration progressive du
réponse à un antidépresseur donné et coût du traitement. Il est second antidépresseur, tout en continuant la diminution progres-
toujours souhaitable de discuter avec le patient du choix de la sive jusqu’à arrêt de la première molécule pour ne garder que la
molécule. seconde (Fig. 1). Les avantages et inconvénients de chaque méthode
sont précisés dans le Tableau 1.
3.1. Les différentes méthodes de « switch » Dans le cas d’une molécule à demi-vie longue, comme la fluoxé-
tine, le risque de syndrome de discontinuation est faible, mais
Lorsqu’un changement de molécule est décidé, il est possible le risque d’interaction médicamenteuse est, par contre élevé. La
de choisir une seconde molécule de même classe ou de classe méthode de « switch » progressif avec période de washout est donc
différente de la première molécule utilisée. Comme précisé pré- préférentiellement utilisée, ce afin d’éviter la co-prescription des
cédemment, ces deux options semblent l’une et l’autre efficaces et deux molécules pour limiter les effets indésirables.
sont recommandées par la Nice, l’APA et la Haute Autorité de Santé À l’inverse, dans le cas d’une molécule à demi-vie courte, comme
[6,9,10]. la paroxétine, les méthodes de « switch » croisé sont possibles ; en
Tableau 1
Méthodes de « switch » pour les antidépresseurs.
Switch progressif avec Arrêt progressive du 1er ATD Diminue le risque d’interaction Risque de syndrome de
période de washout discontinuation
Période de washout de 2 à Risque de rechute pendant la
5 demi-vies période de washout
Instauration progressive du 2e
ATD
Switch progressif sans Arrêt progressif du 1er ATD Diminue le risque d’interaction Risque de syndrome de
période de washout discontinuation et de rechute
présent, mais moindre qu’avec
washout
Instauration du 2e ATD
directement après arrêt du 1er
Switch direct Arrêt du 1er ATD, sans Simple Risque d’interaction
diminution au préalable médicamenteuses, à préférer
lorsque le 1er ATD a une
demi-vie courte
Instauration directe du 2e ATD Risque de syndrome de À surveiller
à dose thérapeutique discontinuation faible, mais
dépendant du 2e ATD
Switch croisé Arrêt progressif du 1er ATD À privilégier chez les patients à Risque d’interaction et d’effets
haut risque de rechute, car pas secondaires cumulés
de période sans ATD
Pendant la diminution du 1er À surveiller
ATD, instauration progressive
du 2e ATD
Arrêt complet du 1er ATD et
ajustement du 2e ATD à dose
efficace
ATD : antidépresseur.
382 C. Gauthier et al. / L’Encéphale 44 (2018) 379–386
Tableau 2
Posologies d’antidépresseurs recommandées dans la dépression.
Antidépresseur + métabolite actif Posologies initiales recommandées (dépression) Posologies recommandées (dépression) Demi-vie
Tricycliques
Amitriptyline 25 mg/jour 50–200 mg/jour 10–28 heures
+Nortriptyline 30 heures
Clomipramine 25 mg/jour 30–250 mg/jour 16–60 heures
+Norclomipramine 36 heures
Dosulépine 75 mg/jour 75–225 mg/jour 18–21 heures
Doxépine 25 mg/jour 30–300 mg/jour 15–20 heures
Imipramine 25 mg/jour 50–200 mg/jour 11–25 heures
+Désipramine 15–18 heures
Trimipramine 25 mg/jour 50–300 mg/jour 23 heures
IMAO
TPhénelzine 15 mg/jour 15–30 mg/jour
TSélégiline, (patch) 6 mg/24 heures 6–12 mg/24 heures
ISRS
Citalopram 20 mg/jour 20–40 mg/jour 33 heures
Escitalopram 10 mg/jour 10–20 mg/jour 30 heures
Fluoxétine 20 mg/jour 20–60 mg/jour 4–6 jours
+Norfluoxétine 4–16 jours
Fluvoxamine 50 mg/jour 100–300 mg/jour 20 heures
Paroxétine 20 mg/jour 20–50 mg/jour 12–44 heures
Sertraline 50 mg/jour 50–200 mg/jour 26 heures
IRSNA
Duloxétine 30–60 mg/jour 60–120 mg/jour 9–19 heures
Milnacipran 12,5 mg/jour 25–100 mg/jour 5–8 heures
Venlafaxine 37,5–75 mg/jour 75–375 mg/jour 5 heures
+O-desméthyl-venlafaxine 11 heures
Autres
Agomélatine 25 mg/jour 25–50 mg/jour 1–2 heures
Maprotiline 25 mg/jour 75–150 mg/jour 20–58 heures
Miansérine 30 mg/jour 30–90 mg/jour 14–33 heures
Mirtazapine 15 mg/jour 15–45 mg/jour 20–40 heures
Vortioxétine 10 mg/jour 5–20 mg/jour 66 heures
Tableau 3
Métabolisme des antidépresseurs par les cytochromes P450.
Tricycliques
Amitriptyline + + ++ ++ ++ +
Clomipramine + ++ ++ +
Doxepine ++ ++ ++
Imipramine ++ + ++ ++ ++
Trimipramine + ++ ++
IMAO
Sélégiline + ++ + +
ISRS
Citalopram ++ + ++
Escitalopram ++ + +
Fluoxétine + + ++ + ++ +
Fluvoxamine ++ ++
Paroxétine ++
Sertraline ++ + ++ + +
IRSNA
Duloxétine ++ ++
Milnacipran
Venlafaxine + + ++ +
Autres
Agomélatine ++ +
Maprotiline + ++
Miansérine + ++ +
Mirtazapine ++ + ++ +
Vortioxétine + + + ++ +
Tableau 4
Principaux inducteurs et inhibiteurs enzymatiques.
recrudescence de symptômes dépressifs durant cette période (en des symptômes pouvant survenir durant le « switch ».
particulier en cas de risque suicidaire). La période de « switch » Les différentes méthodes de « switch » recommandées en fonc-
est quoi qu’il en soit une période particulièrement délicate qui tion des caractéristiques de chaque molécule sont résumées dans
nécessite un suivi rapproché. Les patients doivent être informés le Tableau 5 d’après [27,21].
384
Tableau 5
Recommandations pour switcher d’un antidépresseur à l’autre.
Vers → ISRS : citalopram Fluoxétine Fluvoxamine Vortioxétine IRSNA Miansérine Agomélatine Tricycliques (sauf Clomipramine Moclobémide IMAO : phénelzine
Antidépresseur de escitalopram paroxétine mirtazapine clomipramine) tranylcypromine
↓ sertraline
SC : switch croisé, avec diminution progressive du premier antidépresseur et en parallèle introduction progressive du second antidépresseur ; SD : switch direct, avec arrêt brutal du premier antidépresseur, puis début du
second antidépresseur le lendemain à dose thérapeutique ; SP : switch progressif, avec diminution progressive du premier antidépresseur, arrêt complet (classiquement, période de washout de 2 à 5 demi-vies, mais celle-ci
peut-être plus courte dans certains cas), puis instauration progressive du nouvel antidépresseur : w : période de washout recommandée, c’est-à-dire, période sans antidépresseur après arrêt du premier antidépresseur et avant
début du second ; IMAO : inhibiteur de la monoamine oxydase ; ISRS : inhibiteur sélectif de recapture de la sérotonine ; IRSNA : inhibiteur de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline.
a
Co-prescription des deux antidépresseurs non recommandée.
b
Dans le cas de la fluoxétine, la demi-vie étant longue, cette molécule peut être arrêtée sans diminution progressive. Une diminution progressive est recommandée au-delà de 40mg/j. À noter, la fluoxétine peut entraîner
des interactions médicamenteuses jusqu’à 5–6 semaines après son arrêt. En particulier, en cas de prescription de tricycliques après le switch, elle peut entraîner une augmentation des doses de tricycliques pendant plusieurs
semaines, il est donc recommandé de poursuivre le tricycliques à faible dose 3 semaines avant augmentation.
c
Il est possible de faire un switch direct entre un ISRS ou la venlafaxine et la duloxétine, en commençant la duloxétine à 60mg/j.
C. Gauthier et al. / L’Encéphale 44 (2018) 379–386 385
3.2. Le syndrome sérotoninergique gravité des symptômes dépressifs). L’objectif d’un « switch » réussi
est de garantir l’efficacité de la seconde molécule introduite sur
Compte tenu du fait que de nombreux antidépresseurs ont la symptomatologie dépressive, tout en diminuant le risque de
comme mode d’action de renforcer la transmission sérotoniner- syndrome de discontinuation dû à l’arrêt de la première molécule,
gique, la période de « switch » entre deux molécules peut aboutir et en limitant le risque d’interactions médicamenteuses entre les
à l’accumulation de leurs effets pro-sérotoninergiques et entraîner traitements. Il convient de prévenir le patient des symptômes
ainsi un syndrome sérotoninergique. Ce syndrome peut être bénin, pouvant survenir lors du « switch » et de maintenir une surveillance
mais il peut aussi dans certains cas être sévère [28]. Les syndromes régulière pendant toute cette période.
sérotoninergiques peu sévères se produisent en général en cas de
surdosage lors de la prescription d’une seule molécule à action
Déclaration de liens d’intérêts
sérotoninergique (ISRS par exemple), tandis que les syndromes
sérotoninergiques sévères sont en général liés à la co-prescription
R. Gaillard a reçu une compensation financière comme membre
de deux molécules d’action sérotoninergique, et notamment
du conseil scientifique consultatif des laboratoires Janssen, Lund-
lorsque l’une de ces deux molécules est un IMAO [29]. Il faut égale-
beck, Roche, Takeda. Il a été consultant et/ou orateur pour Astra
ment prendre en compte la majoration du risque par la prescription
Zeneca, Pierre Fabre, Lilly, Lundbeck, Otsuka, SANOFI, Servier, SOBI,
d’autres molécules, notamment les thymorégulateurs [28].
LVMH et a reçu des compensations financières de leur part.
Le diagnostic de syndrome sérotoninergique est clinique, dans
C. Gauthier a été orateur pour Pileje et a reçu une compensation
un contexte de prescription ou de co-prescription de molécules
financière.
d’action pro-sérotoninergique. Il existe une triade de symptômes
P. Abdel-Ahad déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
[28] :
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