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L’ANALYSE DES PRATIQUES

PROFESSIONNELLES À L’ÉNAP
Quelques repères

Sébastien Poirier

Département de la recherche
2021
École nationale d’administration pénitentiaire
2

« Dis-moi et j’oublierai,
montre-moi et je me souviendrai,
implique-moi et je comprendrai »
(Confucius)
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
3

Préface

Par Christophe Millescamps, directeur de l’Énap

Dans le cadre d’une recherche commandée par la direction de l’école et en lien


avec le contrat d’objectifs et de performance (COP), dans le dessein notamment
de renforcer l’articulation entre recherche et formation, Sébastien Poirier
a produit un rapport intitulé « Nouvelle ingénierie de la formation des élèves
surveillants : l’impact de l’approche par les compétences sur l’alternance ».
Ce rapport, présenté devant le conseil pédagogique et scientifique de l’école,
puis devant son conseil d’administration, a fait l’objet d’un exposé récent par son
auteur dans le cadre des ateliers du CIRAP1. Ces différents auditoires ont accueilli
très favorablement le travail réalisé par S. Poirier et la direction de la recherche a
souhaité le décliner en plusieurs fascicules opérationnels.
Le premier d’entre eux, déjà publié, a été consacré à l’approche par les
compétences. Il vise à permettre à l’ensemble de la communauté pédagogique
l’appropriation de cette méthode, aujourd’hui partagée par l’ensemble des écoles
du réseau des écoles du service public (RESP). Le second fascicule, objet de cette
préface, est consacré à l’analyse des pratiques professionnelles.
Cette thématique vient opportunément compléter notre compréhension
de l’approche par les compétences, car elle en est l’un des piliers. L’approche
par les compétences repose entre autres éléments sur la capacité d’assumer
les tensions pouvant surgir entre les règles applicables à une profession et la
pratique opérationnelle qui en découle. Plutôt que d’éluder cette tension, soit
en l’ignorant, soit en la travestissant sous la forme bien connue mais totalement
inopérante de « guerre entre la théorie et la pratique », elle en fait un ressort
professionnel de tout premier plan en permettant d’échanger, entre apprentis et
formateurs accompagnant ces derniers, voire entre pairs, sur les pratiques et la
difficulté parfois de leur mise en œuvre.
L’analyse des pratiques professionnelles, en lien avec les apprentissages, les
exercices de simulation et les débriefings lors des retours de stages, doit conduire
l’apprenti à intégrer l’une des vertus cardinales du professionnel confirmé, destiné
à évoluer en autonomie et en responsabilité : le discernement.
Gardons-nous bien de laisser penser que l’on peut prendre ses aises avec la
règle, a fortiori dans un métier si étroitement lié au droit ! Il s’agit simplement
de rappeler que la connaissance de la règle ne suffit pas dans le domaine de
la formation professionnelle. On s’attachera davantage à la question de sa

1 Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire.


École nationale d’administration pénitentiaire
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mise en œuvre, de son effectivité dans un environnement donné. Au-delà de


la connaissance, il faudra aussi envisager l’environnement professionnel, le
positionnement professionnel, la déontologie, la connaissance des publics, etc.
Ce sont ces différents paramètres que mobilise l’analyse des pratiques, en lien
avec l’approche par compétences.
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Quelques rappels relatifs à l’approche par les compétences

L’analyse des pratiques s’inscrit ici dans une approche par les compétences.
Il est donc conseillé de prendre connaissance du livret APC de l’Énap (2020)
pour comprendre le cadre d’appropriation de cette modalité de formation et
d’accompagnement.

Rappelons qu’une compétence est


une combinaison, et non une addition,
de savoirs, savoir-faire, savoir-être,
mobilisée dans une situation concrète et
déterminée.
La compétence devrait être formulée
avec :
- un verbe d’action ;
- le quoi : sujet de l’action ;
- le pourquoi qui exprime la finalité de la
compétence (pour, afin de, en vue de, à
l’attention de)
- éventuellement, du comment, lorsqu’il
faut préciser un mode opératoire ou un
moyen mis à disposition
Le livret conclue sur le fait que « La mission
de formation ne se résume pas à des
contenus de formation qui présentent
plus ou moins efficacement les fameuses
« bonnes pratiques ». Elle s’élargit, elle
s’enrichit, elle prend du sens lorsqu’on
réussit à convaincre l’apprenti qu’il lui
incombe de développer ses propres
compétences en stimulant notamment
son discernement ».

L’important est de retenir que la formation professionnelle n’est pas enseignement.


La transmission de connaissances n’est qu’une partie d’une formation qui vise
plus largement le développement des compétences par l’apprenti lui-même. Une
compétence ne se transmet pas !
Ainsi, l’approche par les compétences privilégie une pédagogique active qui place
le formé au cœur de ses apprentissages et implique une interaction formateur/
apprenants (par opposition avec les cours magistraux). Ce type de pédagogie part
du principe que c’est essentiellement dans l’action que les apprentis se forment
(pensons, pour s’en convaincre, aux métiers de l’artisanat).
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Dans ce cadre, deux leviers de développement des compétences sont précieux


et complémentaires :
L’apprentissage par les situations de travail (stages et simulations)
L’analyse des pratiques

L’apprentissage par les situations de travail permet d’expérimenter les pratiques,


au plus proche du réel, pour s’approprier la compétence dans toute sa dimension
(connaissances/techniques/attitudes). Dans une approche par les compétences,
la formation se construit avant, pendant et après l’action.
Les spécialistes de la didactique professionnelle ont démontré que, même si
c’est fondamental, il ne suffit pas de « faire » pour se former. Il faut aussi et
surtout réfléchir après l’action pour construire progressivement sa compétence.
On pourrait faire le parallèle avec le sportif. Ce n’est pas uniquement sur le terrain
qu’il progresse mais aussi en dehors lorsqu’il repense à son match, à la tactique
choisie, à la qualité technique, aux effets du stress, etc.
Les formateurs habitués à animer des simulations savent bien que le débriefing
est le moment clé de leur séance de formation. Ce temps permet d’évoquer et de
discuter à la fois des procédures, des techniques et des attitudes. Ce débriefing
part toujours du « ressenti » des acteurs. Les formateurs font ensuite émerger les
conditions et les modalités des bonnes pratiques.
Autre point de repère, le retour de stage est une forme également d’analyse des
pratiques puisqu’il a vocation à échanger, à partir de l’expérience des apprentis,
autour de trois questions essentielles :
Ce qu’ils ont vécu (quelles situations ?)
Ce qu’ils ont fait (quelles pratiques professionnelles ?)
Comment ils l’ont vécu (quels raisonnements ? quelles émotions ? quelles
difficultés ?)

Attention : Dans cette approche, le retour de stage sert moins à informer le


formateur sur la qualité de son stage qu’à amener l’apprenti à décrire son
stage pour qu’il en tire lui-même des questionnements et des conclusions qu’il
partagera avec ses collègues. Pour le dire rapidement, c’est dans la prise de recul
et l’échange qu’un individu consolide ses compétences.
Le retour de stage collectif et l’entretien individuel sont, à ce titre, des temps de
formation extrêmement importants. Ils ont vocation à prendre une place plus
importante dans l’ingénierie de formation depuis l’adoption d’une approche par
les compétences.
Dans un centre de formation professionnelle, l’ancien enseignant/transmetteur
de connaissances devient un formateur/accompagnateur. Il s’agit notamment de
stimuler la posture réflexive des stagiaires, l’aider à se « regarder dans un miroir »
pour comprendre comment il s’y prend et pourquoi il fait ce qu’il fait.
Le livret APC explique déjà la portée de la pratique réflexive définie par Balas-
Chanel (2014) comme un « processus mental qui vise à apprendre à partir des
expériences vécues, par un retour de la conscience sur elle-même, de manière
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régulière et volontaire, avec le but de prendre conscience de sa manière d’agir et


de réagir, dans les situations professionnelles ».
En se fondant sur la formation des infirmiers, l’auteure liste les bénéfices pour le
participant aux séances de pratique réflexive parmi lesquels :
S’interroger sur sa propre pratique,
S’approprier sa propre expérience,
Mettre à distance ce qui lui arrive, pour mieux le comprendre,
Prendre conscience de sa manière d’apprendre, pour apprendre à apprendre,
Prendre conscience de sa manière d’agir (…),
Prendre pour objet de réflexion son action physique, mentale, ses prises de
décisions, pour en comprendre les ressorts, souvent implicites mais puissants,
Élargir la réflexion dans l’action à la réflexion sur l’action et sur ce qui la pilote
plus ou moins consciemment,
Analyser une situation, en s’interrogeant : « Comment j’ai, moi aussi,
contribué à ce qui est arrivé? »
Construire du positif, à partir d’événements (positifs ou non) en se demandant
« Quoi qu’il m’arrive, qu’est-ce que cela m’apprend ? »
Prendre appui sur le passé pour envisager l’avenir en étant mieux outillé, plus
« instruit »,
Prendre appui sur ces nouvelles connaissances pour produire des
comportements adaptés dans des situations toujours nouvelles,
Construire une identité professionnelle réfléchie et évolutive,
Devenir autonome.

Evidemment, la pratique réflexive n’est pas réservée aux apprentis…

Implications concrètes :
Chacun comprendra que la réflexivité dépasse la simple réflexion.
On réfléchit en permanence pour résoudre nos problèmes quotidiens. La
pratique réflexive relève plutôt d’un véritable travail sur soi pour atteindre une
prise de conscience.
Ex : le professionnel réfléchit pour savoir comment atteindre l’objectif fixé par
son chef. Il réfléchit sur un objet. En revanche, il adopte une pratique réflexive
s’il cherche sincèrement à prendre conscience de son rapport au travail, de ses
relations avec sa hiérarchie, de ce qui le motive dans sa carrière, de ce qui le
pousse à agir de telle ou telle manière, etc. Sa pratique réflexive porte sur lui-
même et sa propre façon de faire.
Cette pratique réflexive est un des principaux leviers de la formation. Mais
encore faut-il être capable de la mettre en œuvre. La pratique réflexive peut
être personnelle par auto observation, auto analyse (cf. tableaux de bord de
l’Énap) mais l’analyse des pratiques offre une solution pédagogique précieuse.
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De nombreux auteurs ont vérifié que la pratique réflexive est plus efficace
lorsqu’elle est accompagnée (le rôle du formateur est donc majeur) et lorsqu’elle
se pratique en groupe pour que l’individu se confronte à d’autres expériences
que la sienne.
Ex : Un élève surveillant qui a peur de la violence en détention a besoin de
savoir qu’il n’est pas le seul dans ce cas… Sinon, il développera un sentiment de
solitude, de complexe, de dévalorisation qui compromettra son implication dans
sa formation.
Finalement, la pratique réflexive sert à comprendre sa propre manière d’agir et
de réagir. C’est d’autant plus important dans les métiers qui comportent une
dimension relationnelle.
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Analyse des pratiques : De quoi parle-t-on ?

Ce livret puise son intérêt dans le fait que l’analyse des pratiques est un dispositif
aussi souvent cité que mal défini. Il faut réussir à sortir de cette nébuleuse dans
laquelle plonge le formateur.

La première précaution à prendre est de ne pas confondre les séances d’analyse


des pratiques, animées par le formateur, avec la supervision par un psychologue
d’une équipe de professionnels. L’apprentissage pédagogique ne se confond
évidemment pas avec une prise en charge psychologique ou thérapeutique. En
outre, le formateur ne s’adresse pas à une équipe constituée mais à des apprentis
qui ont fait leur stage sur des établissements différents.
Pour autant, même dans son seul usage didactique, l’analyse des pratiques revêt
des réalités différentes comme le souligne Marguerite Altet (2000) :
« L’expression « Analyse de pratiques » est très employée dans les milieux de la
formation professionnelle. Elle a connu un essor important cette dernière décennie
et correspond à une demande sociale forte des divers milieux de la formation
qui ont mis en place des démarches variées sous cette dénomination. (…) Notion
polysémique, elle recouvre en réalité des conceptions théoriques, des modalités de
mise en œuvre très différentes et des dispositifs variés. »
Dans un souci de simplification, plusieurs termes sont employés indifféremment
à l’Énap et dans ce livret même si les spécialistes trouvent des nuances qui ne sont
d’ailleurs pas toujours identiques selon les auteurs :
Analyse de pratiques
Analyse des pratiques
Analyse des pratiques professionnelles (APP)

Nous n’utiliserons pas, en revanche, le terme « d’échange de pratiques » ou celui


de « partage d’expériences » qui visent plutôt les rencontres entre professionnels
qui comparent leurs pratiques professionnelles, dans le but de récupérer des
bonnes pratiques (ex : échange de pratiques entre formateurs, entre équipes ERIS,
etc.). Le formateur peut lui aussi, dans un autre cadre que l’analyse des pratiques,
témoigner de sa propre expérience.

L’objet du présent support n’est pas d’arbitrer de stériles débats sémantiques.


Il s’agit ici d’éclairer concrètement les formateurs sur la finalité et les méthodes
d’animation d’une séance d’analyse des pratiques. Cette modalité devrait en
effet se développer. Il en existe déjà quelques exemples :
Analyser sa pratique professionnelle (auprès des CPIP)
Analyser sa contribution au maintien des liens avec l’extérieur (auprès des
surveillants)
Analyser les pratiques de fouilles (auprès des surveillants)
Analyser les enjeux des distributions (auprès des surveillants)
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C’est en multipliant les séances que formateurs et apprentis s’en approprieront la


méthode et les bénéfices. Comme d’autres pratiques mentales (ex : méditation),
la pratique réflexive exige de l’entraînement pour devenir efficace.

Nous retiendrons ici la définition ci-dessous.


L’analyse des pratiques professionnelles regroupe « les activités qui, sous cette
appellation ou une appellation similaire :
sont organisées dans un cadre institué de formation professionnelle, initiale ou
continue ;
concernent notamment les professionnels qui exercent des métiers (…) ou des
fonctions comportant des dimensions relationnelles importantes dans des
champs diversifiés (… );
induisent des dispositifs dans lesquels les sujets sont invités à s’impliquer dans
l’analyse, c’est-à-dire à travailler à la co-construction du sens de leurs pratiques
et/ou à l’amélioration des techniques professionnelles;
conduisent à une élaboration en situation interindividuelle, le plus souvent
groupale, s’inscrivant dans une certaine durée et nécessitant la présence d’un
animateur, en général professionnel lui-même dans le domaine des pratiques
analysées, garant du dispositif en lien avec des références théoriques affirmées »
(Blanchard-Laville et Fablet, 1996, p. 262-263)

Il conviendra de distinguer, dans le chapitre suivant, l’analyse des pratiques et


l’analyse des situations professionnelles (ASP) car l’objet est sensiblement différent.
Aucune comparaison ne doit être faite en revanche avec l’analyse du travail qui
consiste à observer et analyser des postes de travail dans le but notamment de
rédiger un référentiel métiers/compétences. Cet exercice vise l’activité et non les
individus.

L’apprentissage par simulation focalise souvent l’attention sur l’application et la


répétition des gestes professionnels, qui développent surtout les savoirs faire, aux
dépens des mécanismes de résolution de problèmes qui valorisent les savoirs agir.
L’analyse des pratiques est complémentaire. Elle permet à l’apprenti de réfléchir
sur tout ce qui entoure ses gestes à partir de la situation vécue (ce qui l’a poussé
à agir, pourquoi ? comment ? pour quel résultat? dans quel état émotionnel ?).
Conformément à l’approche par les compétences, cette modalité redonne sa
place à l’individu qui est souvent perdu dans l’anonymat d’une promotion. La
formation aux bonnes pratiques ne peut pas gommer les personnalités. Chaque
agent a ses propres aptitudes, ses propres motivations, ses propres sentiments. Il
n’applique pas une règle de façon robotisée.
Une bonne pratique est un idéal prescrit par une Institution. La réalité du terrain
met cette bonne pratique à l’épreuve quotidiennement et dans une infinité de
situations différentes. Non seulement la bonne pratique ne correspond jamais
totalement à la situation réelle mais jamais deux situations ne sont totalement
identiques.
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Dès lors, chaque agent doit réussir à construire son positionnement professionnel
selon ses capacités, son envie de se rapprocher le plus possible de la bonne
pratique. En d’autres termes, il doit trouver son propre « style » professionnel
qui sera dicté par son sens du discernement. C’est dans cette quête d’identité
professionnelle qu’il réfléchira notamment aux écarts à la règle qu’il est prêt à
assumer ou non.
Exemples fictifs à l’égard du vouvoiement (obligatoire) auprès des personnes
détenues :
Un surveillant : « moi, je respecte la règle à la lettre. C’est vouvoiement pour tous
les détenus et dans toutes les situations »
Un autre : « moi, je ne comprends pas pourquoi il faut vouvoyer les détenus. Je
préfère les tutoyer pour montrer plus de proximité »
Un autre : « moi, je respecte généralement le vouvoiement mais il m’arrive de
perdre mon sang froid et de tutoyer le détenu quand la situation est tendue »
Un autre : « moi, je respecte toujours le vouvoiement mais j’avoue que j’ai déjà
tutoyé un détenu qui était en pleine crise suicidaire. Il m’a semblé sur le coup
que ça faciliterait l’entrée en relation »

Dans cet exemple, l’analyse des pratiques pourrait servir à rappeler la règle mais ce
n’est pas le but premier (contrairement à une séance de formation « classique »).
Les écarts ne sont ici pas dû à une méconnaissance de la règle. Ce serait donc
parfaitement inutile.
Il ne s’agit surtout pas de juger ceux qui assument un écart à la règle ou de
glisser dans la leçon de morale. Cette fonction relève moins du formateur que
du supérieur hiérarchique qui évaluera ensuite la faute, ses conséquences et la
responsabilité de l’agent.
L’analyse des pratiques servirait à chaque participant à mesurer lui-même s’il est
bien conscient de son choix, de ce qui l’a conduit à faire ce choix et s’il en assume
pleinement la responsabilité. La décision lui appartient de toute façon !

Implications concrètes :
L’analyse des pratiques, dans le domaine de la formation, participe à la
professionnalisation en impliquant l’apprenti dans une réflexion sur son métier,
son identité professionnelle, les premières expériences vécues en stage.
L’analyse des pratiques se réalise généralement en groupe de pairs, autour
d’un formateur qui connaît l’environnement professionnel. Ce formateur ne
s’improvise pas psychologue. Il régule les prises de parole. Il rappelle si nécessaire
des repères théoriques (de réglementation essentiellement).
Il ne s’agit pas d’une simple discussion. C’est un vrai travail sur le sens des
actions à partir des témoignages et des échanges entre apprentis.
L’analyse des pratiques ne cherche pas à dégager une pratique standard, encore
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moins une recette. Elle consiste justement à souligner la complexité du métier


en analysant l’écart entre les règles et les pratiques vécues par chacun, donc des
réalités subjectives.
L’analyse des pratiques rapporte les choix, les décisions individuelles pour
souligner la portée du discernement. Un formateur est aussi un accompagnateur.
Il ne suffit pas de dicter, ou même de justifier une règle, pour prétendre faire de
la formation. Il faut ensuite aider l’apprenti à se l’approprier sans oublier que son
émancipation passe par sa capacité à établir ses propres choix. En tout état de
cause, le formateur ne peut pas se mettre à la place de l’apprenti.
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Ne pas confondre analyse des pratiques


et analyse des situations…

Dans l’analyse des pratiques, l’apprenti se fonde sur son expérience pour
comprendre ses propres actions et conforter ses pratiques. Tout professionnel se
construit à partir de ce qu’il vit au quotidien, des évènements qui surgissent, des
épreuves traversées. Tout dépend ensuite de la manière dont il traite ce vécu (ce
qu’il en tire comme enseignements et comme résolution pour l’avenir).
L’analyse des situations correspond en revanche aux études de cas fondées
initialement sur l’hexamètre de Quintilien, plus connu désormais dans le
questionnement habituel QQOQCCP.

Pourquoi ?
Qui ?
Combien ?

Situation
problème Quoi ?
Comment ?

Où ?
Quand ?

Cette seconde modalité est également intéressante mais elle reste différente.
L’apprenti ne travaille pas sur lui-même. C’est la situation qui est au cœur de la
séance. Une situation réelle ou inventée que l’apprenti n’a généralement jamais
rencontré.

Pour illustrer la différence, prenons l’exemple d’une séance consacrée à


l’intervention en cellule.
• L’analyse des situations professionnelles conduirait le formateur à décrire un
problème dans son contexte et à demander : comment feriez-vous devant ce
contexte ?
Ex : Il est 10h à la maison d’arrêt de X ; Un détenu, seul en cellule, refuse de sortir
alors qu’il est convoqué par le juge. Il se barricade avec un couteau artisanal. Vous
êtes l’officier du secteur concerné. Que faites-vous ?
Le questionnement est méthodique conformément à la méthode QQOQCCP :
Par qui ? Pour qui ? Avec qui ?
Quel est le problème ?
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Depuis où ? Vers où ?
Depuis quand ? Jusqu’à quand ?
Quels moyens matériels utilisés ? Quelles procédures appliquées ?
Combien de personnes ? Quel volume ? Quel coût ? Combien de fois ?
Quelles causes ?, quels objectifs ? (à la fois pourquoi et pour quoi)

Le formateur animera les débats avant d’apporter un « corrigé » qui répond à la


question « comment résoudre le problème ? ». Il apporte des connaissances, des
préconisations techniques, sur le type de situations concerné. Il pourra même
établir une fiche « réflexe ».

• L’analyse des pratiques professionnelles conduirait le formateur à proposer


aux apprentis de décrire eux-mêmes une situation vécue (ce qu’il a fait, ce qu’il
a ressenti, ce qui lui pose aujourd’hui question) pour provoquer des échanges
avec ses pairs et amener une pratique réflexive définie plus haut.
Exemple fictif : Un officier - « tel jour, dans tel endroit, à telle heure, devant son
comportement violent, j’ai hésité à ordonner l’usage de la force pour placer le
détenu en prévention en cellule disciplinaire parce qu’il me semblait qu’une
négociation était encore possible. Au final, j’ai préféré donner une chance au
détenu mais il a agressé un surveillant une heure après, pendant la distribution du
repas. Je regrette ma décision ».
Le questionnement n’est pas nécessairement méthodique (par opposition aux
entretiens directifs ou semi directifs) même si ses objectifs sont précis. Il suit le
récit de la personne qui témoigne pour stimuler sa propre prise de conscience. La
question n’est pas de savoir s’il fallait décider une mise en prévention en cellule
disciplinaire, encore moins de juger s’il a commis une erreur ou non. L’objectif
est d’amener l’apprenti à comprendre pourquoi, devant cette situation, il a agi
ainsi et pas autrement :
Ex : Est-ce que je doutais du cadre juridique de la mise en prévention ? Est-ce que
j’ai eu peur physiquement ? Est-ce que j’ai été incapable de donner un ordre aux
surveillants ? Est-ce que j’ai raison de vouloir négocier le plus possible ? Est-ce que
j’ai bien choisi mes mots, mes gestes ? La prochaine fois, à quel moment je dois
cesser de négocier ?
C’est l’échange avec les pairs qui aident à susciter ces questions et à alimenter
les éléments de réponse.
Soit par des interrogations :
Ex : Connaissais-tu le détenu, le motif de son énervement ? Tu as pris combien
de temps, quels avis, pour prendre ta décision ? qu’est-ce que tu ressentais en
arrivant sur les lieux ? comment tu as négocié avec le détenu ? comment les agents
présents ont réagi ?etc.

Soit par des points de comparaison :


Ex : - Moi j’ai déjà rencontré la même situation que toi mais j’ai décidé une mise
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
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en prévention. Au final, ça a envenimé les choses. Le détenu est devenu ensuite


ingérable
- Moi j’ai réussi à négocier et c’est quand même mieux pour tout le monde
- Moi j’ai refusé de négocier et c’est moi qui suis intervenu physiquement
- Moi j’ai fait la même chose que toi mais j’ai accompagné la distribution des repas
le soir pour accompagner le surveillant
- Moi j’ai préféré appeler le directeur pour qu’il prenne la responsabilité
Etc.

Le formateur régule le débat, empêche les jugements, fait le lien avec les autres
contenus de formation, mais il n’apporte pas une réponse-type (elle n’existe
d’ailleurs pas toujours). Il n’est pas l’arbitre ! C’est l’apprenti qui dégage des
connaissances sur lui-même (pourquoi j’ai agi ainsi ? est-ce ma manière d’agir qui
a provoqué telle conséquence ? qu’est-ce qui a guidé ma décision ? comment agir
la prochaine fois ?).
Selon D. Fablet (2004) : « Le travail conduit dans les dispositifs d’analyse des pratiques
vise essentiellement l’évolution de l’identité professionnelle des praticiens dans ses
différentes composantes : renforcer les compétences requises dans les activités
professionnelles exercées, accroître le degré d’expertise, faciliter l’élucidation des
contraintes et enjeux spécifiques de leurs univers socioprofessionnels, développer
des capacités de compréhension et d’ajustement à autrui… »

Implications concrètes :
L’analyse des pratiques et l’analyse des situations peuvent avoir un déroulement
pratique comparable (présentation d’une situation et échanges). L’objectif n’est
en revanche pas du tout le même.
L’analyse des situations permet de dégager les bonnes pratiques devant une
situation type que l’individu n’a généralement jamais vécue. Le formateur attend
la même réponse de tous les apprentis, fondée sur les contenus de formation. Sous
la forme d’une étude de cas, elle peut d’ailleurs être évaluée individuellement.
L’analyse des pratiques amène l’individu à se questionner sur son propre vécu,
à mesurer la complexité du métier, à comprendre comment et pourquoi il a agi
d’une certaine façon pour éventuellement corriger sa façon de faire. L’analyse de
pratiques n’est évidemment pas évaluable.

Proposition pour l’ingénierie de formation


La fiche pédagogique de chaque séance doit en préciser la modalité pédagogique
(cours magistral, simulation, etc.)
Il serait utile de fixer un vocabulaire précis et distinctif, ou des acronymes, pour
les séances d’analyse :
Analyse des pratiques professionnelles (APP)
Analyse des situations professionnelles (ASP)
École nationale d’administration pénitentiaire
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Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
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L’analyse des pratiques donne du sens à l’alternance

Les spécialistes de la didactique justifient le déploiement de l’alternance par


l’aspect irremplaçable de l’expérience du travail réel dans la construction de la
compétence. Il s’agit ici de considérer qu’aucun modèle ne traduit la complexité
d’une activité professionnelle. Il s’agit par ailleurs d’adopter, à la suite de Leplat, la
notion de compétences implicites, incorporées et d’un savoir « non énonçable et
donc non transmissible avec des mots ».
Ces compétences implicites, incorporées à l’action s’acquièrent par l’observation
et l’expérimentation (en simulation mais surtout en situation réelle). Pour le dire
très vite, l’apprenti s’approprie des connaissances, des manières d’agir et des
attitudes de façon plus ou moins conscientes. Elles sont parfois assimilées à la
« routine » ou aux « secrets du métier », ces astuces qui ne s’apprennent pas à
l’école.
Tout professionnel a ses « habitudes ». Pour autant, il n’en a pas nécessairement
conscience et n’a pas toujours réfléchi à leur bien-fondé. Il les a adoptées parce
qu’il les a observées ou parce qu’elles découlent « naturellement » de l’activité.
Elles sont largement partagées par les collègues ou restent individuelles.
Ce sont ces compétences « incorporées » qui rendent l’expérience irremplaçable.
Schön (1994) parle d’un « savoir caché dans l’agir professionnel ». Un titulaire
évoquera volontiers son « savoir-faire » personnel, son « style » professionnel.
Ex : Un surveillant expérimenté peut repérer des éléments insignifiants qui
annoncent un incident.
Ex : Un CPIP expérimenté peut deviner dans le langage non verbal de son
interlocuteur des éléments à creuser (risque suicidaire, mensonge, etc.).

L’apprenti s’approprie en stage la pratique locale puisqu’il est soucieux de « faire


comme les autres » (logiques de socialisation et de construction de l’identité
professionnelle). En matière de formation, si les bénéfices sont évidents, deux
risques existent aussi :
Copier les titulaires sans comprendre le sens de leurs pratiques
S’approprier des pratiques sans repérer ou mesurer un éventuel écart avec la
règle (ce qui ne permet pas de décider d’assumer ou non cet écart à la règle)

Personne ne peut correctement se former sans donner du sens aux contenus de


formation. Dans cet esprit, l’approche par les compétences cesse d’opposer la
formation « théorique » de l’école et la formation « pratique » des stages dans
la mesure où les séances de formation visent une compétence opérationnelle
et que les pratiques réalisées en stage se fondent évidemment sur des savoirs
réglementaires dits « théoriques ».
L’écart entre la réglementation et les pratiques reste inévitable, dans les services
pénitentiaires comme ailleurs. Le centre de formation est généralement pointé
du doigt lorsque c’est aussi sans doute les pratiques qui devraient se rapprocher
de la réglementation.
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Cet écart existe et il restera en partie incompressible. Pourtant il ne s’agit surtout


pas de s’y résigner. L’enjeu pédagogique consiste moins à réduire cet écart qu’à
préparer les apprentis à y faire face. A minima, l’Énap veille à actualiser ses
contenus selon la réglementation mais elle ne peut pas garantir leur respect
sur le terrain. Le danger serait de se « réfugier » derrière la règle et d’exposer les
apprentis à la réalité sans capacité à s’adapter.

Un écart entre les contenus de formation et le terrain ? Evidemment !

Photo : JC Hanché pour le CGLPL


Perrenoud (2001) pose comme principe que « former à des compétences, c’est
garder constamment en tête que les savoirs sont des ressources qui doivent être
transférables, mobilisables en situation, donc enseignées et apprises dans cet
esprit ».
Le formateur, trop éloigné de la réalité, sera incapable de lier ses contenus avec la
réalité et contribue surtout à préparer les examens. A l’opposé, le professionnel de
« terrain » peut être tenté de s’affranchir des apports théoriques en s’appuyant sur
la seule expérience. Il s’agit donc de trouver le juste équilibre en contextualisant
les savoirs théoriques et méthodologiques (en les mettant en situation).
L’analyse des pratiques donne du sens à l’alternance. Cette affirmation ne
surprendra pas les formateurs habitués à animer des « retours de stage ». Pourtant,
il faut rappeler les conditions d’un retour de stage efficace avec les termes de
Pastré, Mayen, et Vergnaud (2006) :
« Le retour sur l’expérience vécue en situation dans un dispositif de formation par
alternance, ne peut pas être un simple retour sur l’action de celui qui apprend, mais
c’est forcément aussi un retour sur son activité de compréhension, d’interprétation
des situations, de l’activité des autres plus expérimentés, au premier rang desquels
le professionnel-tuteur »
Le premier cycle passé à l’école doit être un véritable cycle de préparation du
premier stage alors qu’il sert souvent à donner des concepts et des repères
institutionnels, plus ou moins utiles, dans lesquels les apprentis ne se projettent
pas puisqu’ils n’ont aucune référence professionnelle.
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
19

Le stage 1 et les suivants doivent ensuite servir d’expérience exploitée


individuellement et collectivement pour qu’ils puissent développer leurs
compétences. C’est à partir de ces expériences que l’apprenti peut s’approprier
les contenus de formation pour se professionnaliser et pas seulement pour
préparer des examens.

Implications concrètes :
L’alternance ne se réduit pas à « j’apprends à l’école et puis ensuite j’expérimente
en stage ».
L’analyse des pratiques permet aussi d’exploiter « j’expérimente en stage puis je
comprends à l’école »
La séance de retour de stage, telle qu’elle était animée par le passé, était très
insuffisante puisqu’elle amenait chaque agent à décrire, dans un tour de table
laborieux, les conditions de son stage sans que son témoignage ne serve une
véritable pratique réflexive.
A sa sortie du centre de formation, un apprenti doit disposer des compétences
pour devenir le meilleur « débutant possible ». Pour autant, il continuera à
développer ses compétences à partir de formation continues mais aussi en
étoffant son expérience.
C’est parce que les compétences expérientielles s’acquièrent de façon plus
ou moins consciente que le travail d’explicitation mené en séance d’analyse des
pratiques est précieux. D’une certaine façon, l’explicitation est le contraire de
l’explication.
Pierre Vermersch (1994) a élaboré la technique de l’entretien d’explicitation.
L’ambition n’est pas nécessairement de devenir expert dans cette technique
d’entretien. La logique est néanmoins fondamentale.
Pour comprendre rapidement la différence :
J’explique à l’autre ce que je sais ou ce que j’ai compris et qu’il ne sait pas ou qu’il
n’a pas compris.
J’explicite une situation en la décrivant le plus finement possible grâce aux
questions/réactions des autres. En m’obligeant à décomposer toute la situation,
les autres m’aident à l’analyser et à prendre parfaitement conscience de ce que
j’ai vécu.
A partir de cette différence, les autres posent leurs questions sous forme de
« comment ? » (pour m’amener à décrire) et non sous forme « pourquoi ? » (qui
me conduirait à expliquer, à donner une opinion, voire à me justifier)
École nationale d’administration pénitentiaire
20
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
21

Un espace de discussion sur l’écart règle/pratiques

L’approche par les compétences s’oppose à la conception applicationniste qui


désigne la pratique comme la mise en œuvre automatisée d’enseignements
théoriques. C’est d’ailleurs le principal frein à l’adoption de l’APC dans une
Institution qui, par nature, s’appuie sur un cadre très normé. La conception
applicationniste supposerait que les situations réelles soient toutes examinées
dans les contenus de formation. Or, elles sont illimitées et ne se réduisent pas
à une procédure. Le contexte du service, son management, les personnes, les
équipements, les locaux, etc. fournissent des variables dont la combinaison n’est
jamais la même.
La pratique est toujours plus complexe que ce qui est prescrit, a fortiori dans
un métier de la relation. C’est dans cet aller-retour entre séances de formation
et expériences réelles que l’apprenti comprend l’écart entre la règle et les
pratiques. Pour faciliter cet aller-retour physique et intellectuel, l’ingénierie
de formation gagne à proposer des cycles courts (quelques semaines). Ainsi, il
peut expérimenter progressivement les activités professionnelles préparées à
l’Énap mais aussi revenir à l’école pour bénéficier régulièrement de temps de
décompression et de recul sur l’expérience.
Un centre de formation ne peut pas exposer et préparer les apprentis à toutes les
situations professionnelles possibles. Donc il « simplifie » nécessairement autour
de LA Règle.

UNE RÈGLE
« Théorie »

Code de procédure pénale et Bonnes pratiques Valeurs exigées et com-


ensemble des textes norma- professionnelles (gestes, portement attendu
tifs (dont circulaires, code techniques, procédures) (loyauté, exemplarité,
de déontologie, notes de respect, neutralité, laïcité,
service, etc.) etc.)

Autres contenus non norma-


tifs (psychologie, communi-
cation, criminologie, etc.)

Avant de penser à la pratique de l’apprenti lui-même, il faut prendre en


considération la diversité des établissements et des services pénitentiaires
d’insertion et de probation. On entend parfois parler de la « culture » de
l’établissement ou d’un service. Aussi indistinct soit-il, ce terme révèle une vraie
diversité.
La règle ne s’oppose donc pas à une réalité mais à des réalités, des pratiques
locales. Pour que l’apprenti le mesure, il est souhaitable qu’il découvre au
minimum deux lieux de stage.
École nationale d’administration pénitentiaire
22

DES PRATIQUES
LOCALES

Caractéristiques de Caractéristiques du Caractéristiques du Caractéristiques du


la structure: management: personnel: public pris en charge:

- Géographie - Organisation des - Compétences - Nombre


- Histoire services - Nombre - Catégories âge/sexe
- Architecture - Accompagnement - Ancienneté - Catégorie pénale/
- Équipements des bonnes pratiques - Motivation type d’infractions
- Contrôle - Relations profes- - Besoins (dispositifs
- Dialogue social sionnelles d’insertion et de
- Formation sécurité)

Au-delà des différentes structurelles, reste pour chaque individu à réussir à


concilier une injonction paradoxale adressée aux personnels pénitentiaires :
Il s’agit de s’approprier un cadre normatif très étroit avec des procédures
très formalisées, parfois même labellisées, censées sécuriser les pratiques
professionnelles et garantir l’égalité de traitement pour les personnes détenues.
Il s’agit en même temps de s’inscrire dans des métiers profondément humains
qui reposent nécessairement sur une capacité individuelle d’appréciation et de
discernement pour réagir intelligemment à la complexité, à la variété, à la gravité
des situations.
Cette question est au cœur de l’analyse des pratiques. L’apprenti attend qu’on
lui livre un « répertoire de recettes » soigneusement classé et photocopié. On
constate même que la distribution des supports de cours, en début de séance,
compromet l’attention du public qui pense détenir l’essentiel. A l’inverse,
un cours peu rédigé sera jugé insuffisant. L’enjeu est de faire admettre que la
connaissance du code de procédure pénale est certes essentielle pour inscrire sa
pratique dans un cadre légal mais qu’elle n’interdit pas l’initiative, l’appréciation
personnelle, le discernement.
L’analyse des pratiques ne sert pas à « modeler » les participants, il s’agit au
contraire de renforcer la capacité d’adaptation.

Exemple relatif à l’usage de la force :


- Des séances de formation peuvent expliquées théoriquement les mécanismes
de la violence, les mesures de prévention, les modalités de l’intervention.
Des séances de formation peuvent amener à expérimenter des techniques
« modèles » sur un dojo ou dans le bâtiment de simulation avec les collègues.
Il n’en demeure pas moins que l’usage de la force en situation réelle sera très
différente. Ces apprentissages sont précieux mais naturellement insuffisants.

- Au cours des stages, l’apprenti sera peut-être témoin ou acteur d’une situation
de violence. Celle-ci ne saurait pourtant être représentative de tous les actes de
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
23

violence qui sont commis en détention. Elle sera plus ou moins préparée, plus ou
moins maîtrisée (selon le lieu, le nombre, l’aptitude technique et l’état émotionnel
des personnes concernées, les équipements utilisés, la qualité des ordres donnés,
etc.). Cette expérience sera plus ou moins conforme au « modèle » et sera plus
ou moins traumatisante.

L’APP permettrait à l’apprenti d’analyser le déroulement de la situation (ce qui


aurait pu être évité ou amélioré). Elle illustrerait l’écart inévitable entre la règle
et la réalité. Elle amènerait l’agent à prendre du recul sur le « comment je me
suis comporté au cours de cet évènement ?», « comment je peux faire évoluer ma
pratique ?», « comment je peux me préparer à ce type de situation ?», « qu’est-ce
que j’ai ressenti avant, pendant et après l’action ?»

Souvent cité, Philippe Perrenoud (2000) résume l’enjeu.


« Plus l’école s’enferme dans la sphère du prescrit, moins elle prépare au « grand
écart », plus le stagiaire ou le débutant seront déconcertés par la réalité du monde
du travail. Ce sera d’autant plus probable que les formateurs s’identifient aux
auteurs des prescriptions plus qu’à leurs destinataires (…).
Si, par angoisse et souci de bien faire, on s’interdit de sortir de la prescription,
on ne s’autorisera pas à être compétent. Il en ira de même si l’environnement
professionnel, qu’il soit hiérarchique ou non, est prêt à stigmatiser le moindre
écart à la norme. Le dilemme se joue alors entre l’efficacité et le conformisme aux
normes. C’est celui de tous les professionnels et nul ne l’a définitivement résolu ».
L’auteur ajoute que « La maîtrise totale d’un savoir inclut probablement la capacité
de s’en servir à bon escient, donc de le contextualiser, de le compléter, de le
nuancer, de le relativiser en fonction de la situation ».
S’il suffisait d’enseigner la règle pour apprendre un métier, nous économiserions
un centre de formation professionnelle et des dispositifs longs et couteux. Nous
pourrions nous contenter de distribuer un code de procédure pénale et une
valise de circulaires à chaque apprenti.
S’il suffisait d’apprendre des techniques, l’Énap se réduirait à son bâtiment de
simulation et à des scénarios « modèles » qui ne correspondent jamais totalement
à la réalité. Simuler un risque suicidaire a ses limites, simuler l’usage de la force
a ses limites, simuler un entretien a ses limites, etc. Chacun comprendra que
de nombreux facteurs altèrent le modèle (personnes concernées, temps et
matériels disponibles, locaux, mode de management, qualité des relations, etc.)
S’il suffisait de réaliser des stages, l’apprenti manquerait probablement
de références pour donner du sens à ses actions, se conformer à un cadre
juridique, repérer les pratiques préconisées dans l’administration pénitentiaire,
expérimenter ces pratiques, se donner le droit à l’erreur. Ce serait prendre le
risque de ne pas différencier pratiques « locales » et bonnes pratiques, de ne
pas comprendre pourquoi les lieux de stage ne fonctionnent pas tous de la
même manière. Ce serait aussi priver l’apprenti de ce temps de prise de recul, de
réflexion et d’échanges avec les formateurs et avec ses pairs.
Il ne s’agit pas de trois temps de formation distincts, il s’agit d’une seule et
même formation à condition de donner du lien entre contenus des séances de
École nationale d’administration pénitentiaire
24

formation, simulations et stages. L’analyse des pratiques tisse ce lien. Elle permet
notamment aux apprentis de questionner l’écart entre formation et réalité
en réfléchissant collectivement sur les paramètres qui orientent les pratiques
professionnelles (selon les établissements et selon les agents).
Exemple fictif : Un CPIP – « Moi, j’étais très nerveux avant ma rencontre avec M. X
parce que le dossier est très lourd et je n’étais pas sûr de répondre à ses besoins.
En plus, c’est quelqu’un d’agressif et je craignais sa réaction. Du coup, je dois
reconnaître que je n’ai pas mené l’entretien correctement »
Un autre CPIP – « Je te comprends…, sur mon lieu de stage, dans ce genre de cas,
les CPIP examinent collectivement le dossier pour définir le projet le plus cohérent.
C’est une pratique qui m’a complètement rassuré »
Un autre CPIP – « Moi, j’avoue que c’est encore plus simple sur mon lieu de stage.
Lorsque l’entretien risque d’être tendu, nous le conduisons à deux. Je me demande
comment j’aurais fait à ta place »
Etc…

Implications concrètes :
Evidemment, une formation professionnelle s’appuie sur la réglementation.
Evidemment, l’Énap doit s’appliquer à promouvoir les bonnes pratiques.
Néanmoins, la formation n’atteindra jamais totalement ses objectifs si elle ne
prend pas en compte la complexité de la réalité, surtout si elle veut attribuer
une grande place aux compétences relationnelles. Il y a autant de réalités que
d’établissements, d’équipes, d’individus. L’Analyse des pratiques rétablit de la
subjectivité personnelle pour que chacun s’inscrive dans sa propre réalité.
Un agent n’est pas un robot programmé avec un code de procédure pénale !
Une personne détenue n’est pas un objet ! La situation rencontrée n’est jamais
tout à fait la même que celles qui figurent dans les guides et autres mémento.
La compétence s’inscrit toujours dans un contexte particulier qui soulève des
questions éthiques, provoque des émotions, engage des responsabilités et se
heurte à des problèmes non prévus par les textes.
Le discernement dont l’agent doit faire preuve relève aussi d’une compétence
transversale qui se travaille à partir des expériences vécues. C’est dans ce cadre
que l’analyse des pratiques trouve son sens. C’est dans cet espace que l’apprenti
réfléchit au contenu des bonnes pratiques, à leur applicabilité réelle, à sa
capacité personnelle à les mettre en œuvre.
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
25

Limites et bénéfices de l’analyse des pratiques…

Pour les apprentis, plusieurs éléments peuvent freiner leur implication dans
l’analyse des pratiques professionnelles :
La compréhension, l’adhésion à ce type d’exercice ;
Le caractère obligatoire de leur présence (l’analyse des pratiques est naturel-
lement plus constructive lorsqu’elle ne réunit que des volontaires) ;
la capacité à prendre la parole en public, à s’exposer personnellement (re-
connaissons ici que la composition de groupes de 20 élèves n’est pas idéale
pour cet exercice) ;
la volonté d’évoquer une expérience personnelle marquante, voire dévalori-
sante (au-delà du regard du groupe, l’apprenti peut notamment craindre la
réaction du formateur qui reste par ailleurs perçu comme un évaluateur) ;
la capacité d’analyse et d’explicitation de cette analyse ;
la capacité à entendre des témoignages et des avis sans juger (c’est ainsi un
excellent exercice pour développer le travail en équipe…).

Les retours de stage témoignent d’une certaine réserve de la part de certains à


commenter leur stage et à révéler leurs observations de façon sincère (peur du
jugement, complexes, doutes, etc.). D’autres afficheront une grande assurance
plus ou moins feinte (n’oublions pas que les apprentis se voient aussi comme des
rivaux au regard du classement final).
Le rôle du formateur est fondamental. Pour investir pleinement sa mission et
donner du sens auprès des apprentis, il doit pouvoir les convaincre des bénéfices
de l’exercice. En termes de dynamique de groupe et de capacité, l’analyse des
pratiques devrait pouvoir s’installer sur plusieurs séances.

Marc Thiébaud (2013) énumère les 12 principaux bénéfices de l’analyse de


pratiques :
• Avoir du temps pour réfléchir à sa pratique, prendre du recul, se mettre en
question (s’arrêter et réfléchir)
• Élaborer de nouvelles réflexions et pistes d’action par rapport à des
situations ou projets (devenir plus efficace face à la complexité des défis
rencontrés)
• S’entraider en s’offrant écoute, soutien, feed-back (avoir un espace de
partage et de ressourcement privilégié, gérer ses émotions, sortir de la
solitude)
• Bénéficier d’un accompagnement et offrir de l’accompagnement en
collectif (apprendre à accompagner et être accompagné, à accueillir et
développer la confrontation bienveillante)
• S’enrichir mutuellement et développer de nouveaux savoirs pratiques
(apprendre par la formation – action et en interaction avec des pairs)
École nationale d’administration pénitentiaire
26

• Acquérir différentes approches d’analyse de la complexité et la capacité à


mobiliser diverses perspectives selon besoin (développer le savoir analyser)
• Développer le sentiment d’appartenance à un groupe ou une équipe (se
sentir en lien, se retrouver dans des vécus partagés)
• Élaborer sa réflexion en lien avec son identité et ses rôles professionnels (se
professionnaliser, se construire des repères)
• Identifier ses modèles mentaux, ses grilles de lecture préférentielles et
apprendre à s’en « libérer » si nécessaire (se remettre en question, développer
une pensée « souple » capable d’élaborer de nouveaux cadres de référence
en situation)
• Réfléchir à soi, sa manière de vivre son activité et son contexte professionnels
(mieux se connaître, gérer ses propres ressources, savoir devenir)
• Apprendre et modéliser des processus de travail et d’animation de groupe
(expérimenter, identifier et entraîner des modalités de travail qui peuvent
être transposées ultérieurement dans sa pratique professionnelle)
• Développer les compétences relationnelles dans un groupe (approfondir
ses capacités de communication, écoute, questionnement, expression de
soi, partage de feed-back, etc.)
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
27

Concrètement…

Une séance d’analyse des pratiques suit un déroulement simple :

1/ L’accueil par le formateur


L’animateur place les apprentis de façon à faciliter les échanges (idéalement en
cercle, à défaut tables alignées en U).
Il ouvre l’exercice, comme pour une séance de formation, en resituant la séance
dans la formation et l’alternance (stages qui ont précédé).
Il explique la nature de l’APP, les bénéfices attendus (voir encadré ci-dessus) et le
déroulement pratique de la séance.
Il met en confiance le groupe puisque la réussite de l’APP repose sur la liberté
de parole. Les règles de prise de parole et d’écoute (active et bienveillante) sont
soulignées. Tout jugement est exclu. L’exercice suppose donc d’accepter les
différences (il peut à ce propos servir la lutte contre les discriminations), les avis
divergents entre formateur et élèves mais aussi entre participants.

2/ Un premier témoignage
Proposer à un volontaire (l’exposant) de relater une expérience vécue, qui soulève
des questions, des doutes, des émotions en lien avec le sujet de la séance. La
situation sera d’autant plus intéressante qu’elle pose un problème. Le problème
peut être de nature technique, juridique (écart à la règle), psychologique, éthique,
etc.
Exemple fictif : Un surveillant - « j’ai dû fouiller la cellule d’un détenu qui a excellent
comportement. Je comprends pourquoi on fouille les détenus s’ils sont dangereux
mais là… j’étais mal à l’aise, il y avait même des dessins de ses enfants. Du coup,
j’ai fait une fouille très rapide pour ne pas déranger ses affaires. Ensuite le premier
surveillant me l’a reproché et j’ai été convoqué par le formateur. D’un côté, on nous
dit de respecter les détenus mais de l’autre, on ne leur laisse aucune intimité. Je ne
comprends plus ce que je dois faire ! »
Au-delà des faits, l’apprenti explicite comment il a fait, ce qu’il a ressenti, ce qui
a facilité ou freiné son action de la façon la plus détaillée possible. Il révèle les
questions qu’il se pose (sur ses pratiques, ses choix, son comportement, son sens
éthique).
Le but est d’énoncer la liste des actions mentales qui ont commandé sa façon
d’agir, autrement dit ce qu’il avait en tête pour répondre à la situation (son
raisonnement, ses émotions). Il n’est présent ni pour s’expliquer, ni pour donner
son opinion, ni pour interpréter, ni pour se justifier, il décrit !

3/ Des échanges
Idéalement les échanges se déroulent en deux temps :
un temps de questions à l’exposant
un temps d’analyse collective
École nationale d’administration pénitentiaire
28

Dans les faits, c’est difficile de réguler la séance aussi méthodiquement.


Les membres du groupe réagissent donc à son discours pour interroger, chercher
à comprendre le collègue, clarifier son propos, donner des points de comparaison
avec ce qui est vécu ailleurs, isoler les facteurs qui semblent déterminants dans
la situation donnée. Le public aide le témoin à se rappeler l’expérience et à en
repérer les détails qu’il n’a pas livré spontanément (la mémoire est naturellement
sélective).
Le but des questions est de pousser l’exposant à décrire le plus finement possible
son expérience dans toutes ses dimensions (ce qu’il a fait, ce qu’il a ressenti) mais
sans entrer dans l’explication ou la justification.
Ex : Comment fais-tu la différence entre un détenu dangereux et un autre ?
Comment es-tu certain que le détenu « exemplaire » n’endort pas ta vigilance pour
préparer quelque chose ?
Comment veux-tu faire une fouille sérieuse tout en respectant le détenu ? à quelles
conditions ?
C’est quoi une fouille « rapide » pour toi ?
Comment présentes-tu les choses au détenu lorsque tu fouilles une cellule ?

POURQUOI ? COMMENT ?

Le formateur rappelle si nécessaire des références réglementaires pour encadrer


la réflexion de chacun mais ce n’est qu’un cadre qui sert notamment, pour
l’apprenti, à mesurer sa prise de responsabilité. Autrement dit, il peut aider
l’apprenti à mesurer si l’écart est « acceptable » ou non. Acceptable aux yeux de
l’apprenti lui-même et non pour le formateur.
L’APP permet aux participants de mesurer les écarts entre établissements et
entre professionnels. Ils découvrent ainsi qu’il n’existe pas UNE réalité mais DES
réalités. Ce constat est crucial pour réfléchir l’écart entre LA règle, LES pratiques
et MES pratiques.
Le formateur n’arbitre pas les débats. Il les régule en s’assurant d’une bonne
distribution de la parole. Il veille à ce que les échanges restent respectueux et
centrés sur le sujet et invite chacun à adopter une écoute active. Le formateur
doit admettre ici qu’un apprenti sera parfois plus sensible ou plus attentif aux
réactions de ses pairs qu’à ses propres retours…
L’APP repose sur une attitude bienveillante de tous. Il veillera éventuellement
à ce que le témoin ne se livre pas de « trop ». Il ne s’agit pas qu’il s’expose sans
retenue et qu’il le regrette ensuite (dans la mesure où nous ne pouvons garantir
la confidentialité des échanges). L’expérience du formateur lui sert à comprendre
l’apprenti, non à lui donner des leçons (ne jamais se mettre à sa place).
Le formateur ne s’improvise jamais psychologue.
Il empêche les jugements. C’est pourquoi les questions commencent par
« comment ?» et non par « pourquoi ?». L’exposant n’est pas poussé à s’expliquer
ou à se justifier. Le questionnement lui permet au contraire d’expliciter, de
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
29

décomposer son récit. Pour le dire autrement, il s’agit de l’amener à préciser sa


propre pensée pour atteindre une prise de conscience. Les questions chercheront
à déceler les omissions, les imprécisions, les généralisations.
La prise de conscience aidera finalement l’apprenti à définir son positionnement
professionnel, autrement dit son propre « style » professionnel.

4/ Alternance de témoignages et d’échanges


Le formateur gère le temps. S’il stimule les débats autour de chaque exposant,
il permet à un maximum de volontaires de livrer leur propre témoignage pour
enrichir la séance et éviter les frustrations. Il faut souligner que l’échange profite
à tous puisqu’autour de l’exposant, tous se questionnent aussi : « à sa place,
qu’aurais-je pensé ?, qu’aurais-je fait dans la même situation ? »
Le but est qu’un maximum d’apprentis bénéficient successivement des apports
des autres participants. C’est aussi intéressant pour chaque personne qui passe
du statut d’accompagnée à celui d’accompagnante.
Pour réguler et maîtriser les échanges, il interviendra pour recentrer le débat si
nécessaire :
Exemples :
- Souhaitez-vous revenir sur le contexte, les causes de la situation ?
- Sur quels aspects souhaitez-vous que le groupe concentre ses questions et ses
hypothèses ?
- Voulez-vous qu’on rappelle des éléments de réglementation ?
- Qu’est-ce que le groupe peut vous aider à comprendre ?
- Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans la situation vécue ?

Il faut choisir des questions ouvertes (surtout ne surtout pas induire la réponse).

5/ La conclusion par le formateur


Contrairement à l’analyse des situations (études de cas), l’analyse des pratiques
ne se conclut pas sur une réponse unique. Il ne s’agit pas de dégager LA bonne
pratique.
La synthèse consistera plutôt à repérer les questionnements qui se sont
répétés dans les témoignages et les débats, d’en cerner les enjeux (juridiques,
techniques, déontologiques) et d’inviter les individus à réfléchir leur pratique
pour la conforter ou la modifier.
Finalement, chaque apprenti doit mesurer ce qui conditionne ses pratiques pour
repérer ce sur quoi il a une marge de manœuvre et ce sur quoi il a envie d’agir.
École nationale d’administration pénitentiaire
30

Ce que j’ai
retenu de la Règle
(textes, bonnes Ce que je suis
Ce que mes pratiques et capable de
propres prin- comportement réaliser tech-
cipes moraux niquement et
me dictent physiquement

Comment je Ce que je ressens


suis perçu par (motivation,
les «usagers» compréhension
(bienveillant, colère, peur, etc.)
rigide, etc.)
Mes pratiques
dépendent de... Ce que j’ai les
moyens de réali-
Quelles sont
ser (équipement,
les pratiques
temps, effectif)
locales

Comment je Ce que je suis


m’inscris dans le prêt à assumer
travail en équipe Comment je
(responsabilité,
(relations profes- suis encadré
écart à la règle)
sionnelles) (soutien,
autonomie,
contrôle, etc.)

Implications concrètes :
Le formateur doit changer de positionnement. Il régule la séance d’analyse des
pratiques. Il n’est pas là pour apporter des réponses, pour rapporter le débat à sa
propre expérience ou à ses propres compétences.
Autrement dit, il doit exclure les interventions du type « moi, à votre place,
j’aurais fait ça ».
S’il est peu habitué, le formateur peut ressentir de la frustration puisqu’il n’est
pas dans la position du sachant qui transmet ses connaissances. Il peut avoir
le sentiment d’une séance qui apporte peu de savoirs aux apprentis. C’est
parfaitement logique puisque ce n’est pas le but de la séance.
L’objet est d’amener chaque participant à se poser des questions, à prendre du
recul sur ses propres pratiques, à prendre conscience de sa manière d’agir. C’est
donc le contraire de la présentation des bonnes pratiques qui sont recommandées
pour tous. Les situations réelles ne correspondent jamais totalement au modèle.
Ex : Une séance de formation peut servir à expliquer aux directeurs comment
animer une réunion (fixer un ordre du jour, ouvrir la réunion, réguler les débats,
conclure, etc.). Le cours présentera donc les bonnes pratiques qui sont
évidemment précieuses pour un débutant.
Sur le même sujet, une séance d’analyse des pratiques amènera les participants
à témoigner d’une expérience qui pose un problème par rapport au modèle :
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
31

Exemple fictif : « tel jour, j’ai présidé une réunion sur l’organisation du service. J’ai
voulu réguler les débats mais je me suis laissé déborder par un participant qui
connaissait mieux le sujet que moi. En plus, c’est quelqu’un que je n’apprécie pas.
Je me suis senti démuni et je n’ai pas été capable de conclure parce que j’ai eu
peur de perdre la face et de prendre la mauvaise décision ».
Ici, par les questions du public, l’individu pourra réfléchir à sa façon de préparer
les réunions, à la place de l’affectif dans son relationnel, à l’importance qu’il
accorde au regard des autres, à sa capacité à arbitrer. C’est dans cette pratique
réflexive qu’il se forme.
Éviter les « pourquoi ? »
Ex : « Comment avez-vous préparé cette réunion » et surtout pas « pourquoi avez-
vous présidé cette réunion sans maîtriser le sujet ? »
Le formateur doit aider à soulever les bonnes questions et à rappeler, si nécessaire,
des éléments du cours. Il n’est pas là pour répondre « il fallait faire ceci ou y’avait
qu’à faire cela ».
École nationale d’administration pénitentiaire
32
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
33

En conclusion : Appuyer le développement des


compétences de l’apprenti sur sa propre expérience

Tout l’enjeu d’un centre de formation professionnelle est de trouver un équilibre


entre le fait d’inscrire les agents dans un cadre collectif unique (pour qu’ils entrent
dans le même « moule ») et leur permettre de développer leurs compétences
individuelles pour atteindre le niveau d’autonomie attendu.
L’analyse des pratiques conduit le formateur à adopter une posture
d’accompagnant et non d’enseignant. Il amène l’apprenti à penser par lui-même
et non à lui fournir des réponses standardisées.
De façon à peine caricaturée, une séance d’APP réussie voit les participants
sortir en se posant plein de questions (la pratique réflexive) lorsque la séance de
formation habituelle apporte un maximum de réponses (les bonnes pratiques).
Ces deux entrées sont cruciales et ont vocation à se compléter.
L’analyse des pratiques souligne l’importance d’appuyer la formation de chaque
apprenti sur sa propre expérience. C’est à cette condition qu’il s’appropriera
les compétences. Tous ont une expérience, y compris avant le premier stage
pénitentiaire.
Un élève externe qui se présente à l’Énap a souvent d’autres expériences
professionnelles. Dans tous les cas, il a sa propre expérience de vie qui façonne ses
représentations de l’autorité, de l’ordre, des relations humaines, de la violence, de
la délinquance, etc. Il a aussi ses propres capacités de compréhension et d’analyse
des expériences vécues.
C’est pourquoi l’approche par les compétences s’adresse à l’individu et
valorise l’accompagnement. Avec l’analyse des pratiques, c’est la fonction
d’accompagnement individuel et collectif qui est renforcée. En stimulant la
pratique réflexive, le formateur aide l’apprenti à trouver et à définir son « style »
professionnel. A cet effet, le formateur doit donc accepter d’éveiller plus de
questions qu’il n’apporte de réponses.
L’analyse des pratiques professionnelles est un puissant levier de professionnalisation
puisqu’elle croise :
Un renforcement des savoirs qui sont rappelés et placés dans un contexte réel
Un examen technique, déontologique et éthique des pratiques professionnelles
Un questionnement individuel et collectif sur l’écart règle/pratiques
Une réflexion individuelle et collective sur le métier (construction de l’identité
professionnelle)
Une approche du travail en équipe (en mesurant la diversité des pratiques, des
personnalités, des « styles » professionnels pour mieux la tolérer et s’y adapter)
Une prise de recul sur soi-même (sur sa manière d’apprendre, sa manière d’agir)
Une projection sur le professionnel que chaque apprenti veut devenir
École nationale d’administration pénitentiaire
34

Annexe : Vocabulaire de formation professionnelle dans l’APC

Tableau schématique des différences « Enseignement/Formation »

Enseignement, scolarité Formation professionnelle

École Centre de formation

Enseignant/professeur Formateur/accompagnateur

Élève Apprenti

Savoirs (thèmes, matières, disciplines) Compétences (combinaisons de


savoirs, savoir-faire, savoir-être)

Programme des savoirs à assimiler Référentiel de formation

Programme collectif et standardisé, Cheminement collectif et individuel


centré sur les savoirs qui vise des compétences

Enseignement = accumulation de Apprentissage = transformation de


connaissances la personne, développement de ses
propres compétences

Cours magistraux, classe, classe Cours magistraux + pédagogie active


« inversée » + accompagnement

Effectif = contrainte Effectif = ressource

L’enseignant, au cœur du dispositif, L’apprenti, acteur central de sa


transmet des connaissances formation, se forme en développant
ses compétences

L’enseignant a une posture de savant Le formateur a une posture d’ac-


partageant un savoir compagnateur aux côtés de l’ap-
prenti

L’école se concentre sur les savoirs Le centre de formation se concentre


transmis, voire sur la seule qualité de sur les compétences acquises par les
l’intervenant apprentis

Finalité = Diplôme Finalité = Autonomie du jeune pro-


fessionnel
Direction de la recherche, de la documentation et des relations internationales
35

Bibliographie :

- Altet, M. (2000). L’analyse de pratiques : une démarche de formation


professionnalisante ?. In: Recherche & Formation, N°35, p. 25-41.
- Balas-Chanel, A. (2014). La pratique réflexive dans un groupe, du type analyse de
pratique ou retour de stage. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles,
2, p 28-49.
- Blanchard-Laville, C., Fablet Dominique (coord.), (1996). L’analyse des pratiques
professionnelles, Paris, L’Harmattan, 264 p. (édition revue et corrigée, 2000, 287
p.).
- Chami, J. (2020). L’analyse des pratiques professionnelles : quelques repères.
Savoirs, 2(2), p. 11-47.
- Fablet, D. (2004). Les groupes d’analyse des pratiques professionnelles : une visée
avant tout formative. Connexions, 2004/2, n°82.
- Jorro, A. et Wittorski, R. (2013) De la professionnalisation à la reconnaissance
professionnelle. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 46, n° 4, 11-
22.
- Lagadec, A.M. (2009). L’analyse des pratiques professionnelles comme moyen
de développement des compétences: ancrage théorique, processus à l’œuvre et
limites de ces dispositifs. Recherche en soins infirmiers, n°97, pp. 4-22.
- Leplat, J. (1995), À propos des compétences incorporées. Éducation Permanente,
n° 123, p. 101-114.
- Pastré P., Mayen P., Vergnaud G. (2006), La didactique professionnelle, note de
synthèse, Revue française de pédagogie, jan-fév-mars 2006.
- Perrenoud, P. (2000). Mobiliser ses acquis : où et quand cela s’apprend-il en
formation initiale ? De qui est-ce l’affaire ?, Recherche et formation, n° 35, p.12-14.
- Perrenoud, P. (2001). Articulation théorie-pratique et formation de praticiens
réflexifs en alternance, dans Lhez, P., Millet, D. et Séguier, B. (dir.) Alternance et
complexité en formation. Éducation – Santé – Travail social, Paris, Éditions Seli
Arslan, p. 10-27.
- Schön, D.A. (1994). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir
professionnel. Montréal : Éditions Logiques.
- Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation. Paris, ESF.
- Thiébaud, M. (2013). Multiples bénéfices de l’analyse de pratiques professionnelles
en groupe : quels éléments clés les favorisent ? In Revue de l’analyse de pratiques
professionnelles, 1, pp 61-72.

Au sujet de l’approche par les compétences à l’Énap :


- Rapport professionnel de S. Poirier (Juillet 2020), Nouvelle ingénierie de la
formation des élèves surveillants : L’impact de l’approche par les compétences
sur l’alternance. Énap.
- Livret professionnel de S. Poirier (2020), L’approche par les compétences à l’Énap.
Quelques repères. Énap.
L’ANALYSE DES PRATIQUES
PROFESSIONNELLES À L’ÉNAP
Quelques repères

Rédaction : Sébastien Poirier


Mise en page et impression : Unité édition

Énap - 440, avenue Michel Serres - CS


1002847916 AGEN cedex 9
www.enap.justice.fr
Intranet : http://e-nap.enap.intranet.justice.fr

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