Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Enseignement Des Fractions

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 25

Enseigner les nombres rationnels au cycle 3 ?

Une
proposition didactique
Claire Margolinas

To cite this version:


Claire Margolinas. Enseigner les nombres rationnels au cycle 3 ? Une proposition didactique. Grand
N, Revue de mathématiques, de sciences et technologie pour les maîtres de l’enseignement primaire,
2020, 106, pp.5-30. �hal-02981512�

HAL Id: hal-02981512


https://hal.science/hal-02981512
Submitted on 6 Dec 2021

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est


archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents
entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de
teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
VERSION AUTEUR

ENSEIGNER LES NOMBRES RATIONNELS AU CYCLE 3 ?


UNE PROPOSITION DIDACTIQUE

Claire MARGOLINAS1
Laboratoire ACTé, Université Clermont-Auvergne

INSPE Clermont-Auvergne, 36 av Jean-Jaurès, CS 20001, 63407 Chamalières CEDEX

Résumé : L’ingénierie de Guy Brousseau (Brousseau & Brousseau, 1987) sur les rationnels et les décimaux dans la
scolarité obligatoire est le point de départ de ce travail. Le rationnel-mesure est introduit dans la première partie de
cette ingénierie en deux temps, dont la première situation fondamentale est mise en scène dans des situations de
désignation de l’épaisseur de feuilles de papiers. Les pratiques ordinaires d’enseignement des fractions (terme usuel)
reposent, quant à elles exclusivement sur le fractionnement de l’unité. Dans cet article, nous décrivons une proposition
didactique argumentée qui repose sur des bases assez similaires à celle de Brousseau & Brousseau, mais qui pourrait
être plus compatible avec les instructions officielles des programmes de mathématiques.
Mots-clés: Nombre rationnel, partage, guide-âne, fraction, théorie des situations.

INTRODUCTION
1. Le contexte
L’ingénierie de Guy Brousseau (Brousseau & Brousseau, 1987) sur les rationnels et les décimaux
dans la scolarité obligatoire a été, pour moi comme pour beaucoup d’autres chercheurs, un élément
essentiel pour une compréhension de la théorie des situations didactiques et de l’ingénierie
didactiqueJ’ai d’ailleurs analysé dans ma thèse les articulations de cette ingénierie (Margolinas,
1993).
Dans les années 1986-1987, j’ai eu aussi l’occasion d’enseigner à des adultes qui reprenaient des
études à un niveau fin d’école primaire et passaient le Brevet des Collèges en trois ans en
m’appuyant sur cette ingénierie. J’ai pu en éprouver en pratique la puissance sur les apprentissages
de mes étudiants et aussi en comprendre mieux les subtilités en position d’enseignante. L’étude de
cette ingénierie m’a en fait permis de mieux comprendre les rationnels eux-mêmes, et pas
seulement leur enseignement.
Formatrice à l’IUFM puis l’ESPE, puis l’INSPE Clermont-Auvergne j’interviens depuis 2007 dans
la formation des Professeurs des Écoles (PE). Dans ce cadre, nous devons prendre en compte les
textes officiels et il n’est pas vraiment possible de trop s’écarter de ces cadres alors que nos
étudiants doivent passer un concours ou bien être titularisés.
En 2019, intervenant dans la formation des Référents Mathématiques dans le cadre de la mission
Villani-Torossian (Villani & Torossian, 2018), j’ai réfléchi à une proposition didactique qui
pourrait permettre de respecter une partie de l’ingénierie didactique de Brousseau tout en étant
plus proche des textes officiels et des documents d’accompagnement (Barilly & Le Poche, 2012;

1
claire.margolinas@uca.fr

1
VERSION AUTEUR

Ministère de l’Éducation nationale, 2016a, 2016b) . Cet article est le résultat de cette réflexion.
Si je parle ici de « proposition didactique » c’est que je considère qu’il faut réserver le terme
d’ingénierie didactique à une proposition ayant fait l’objet de mises en œuvre et d’observations en
classe ce qui n’est pas le cas en ce qui me concerne, à l’heure actuelle.
2. Quelques mots sur l’ingénierie de Brousseau & Brousseau (1987)
Guy Brousseau a montré dans l’ingénierie la plus importante pour son travail théorique (G.
Brousseau, 1980; Guy Brousseau, 1980, 1981, 1990; Guy Brousseau & Brousseau, 1987)
récemment publiée en anglais (Brousseau, Brousseau, & Warfield, 2014) qu’il est possible, dans
des conditions expérimentales, d’enseigner les rationnels par des situations. Les 65 leçons de la
séquence ont été reproduites, aux niveaux CM1-CM2, pendant 25 ans dans le cadre du COREM2
(Salin & Greslard, 1998). Sans rentrer dans les détails, le projet théorique de la théorie des
situations didactiques (Guy Brousseau, 1998) est de modéliser les différentes significations des
savoirs mathématiques par des situations « fondamentales » (Bessot, 2011) qui peuvent, par un jeu
de variables, engendrer des situations didactiques qui permettent de construire les connaissances
relatives à ces savoirs.
Ce travail s’appuie sur l’idée d’introduire d’abord les rationnels comme des mesures de longueurs
impossibles à distinguer facilement et à mesurer avec des instruments traditionnels : la mesure de
l’épaisseur d’une feuille de papier, ce qui permet d’introduire le rationnel-mesure. La situation
fondamentale du rationnel-mesure consiste à trouver un moyen de communiquer à autrui
l’épaisseur d’une feuille de papier pour reconnaître un paquet de feuilles d’une qualité donnée
parmi d’autres paquets de feuilles de même couleur et de même format, un pied à coulisse
rudimentaire étant disponible. Les élèves comprennent facilement qu’il faut communiquer deux
nombres : le nombre de centimètres correspondant à un nombre de feuilles, ce qui conduit dans un
premier temps à diverses écritures d’un couple (ex : 2cm pour 17 f.). L’écriture conventionnelle
2
est alors introduite dans ce contexte de mesure de l’épaisseur d’une feuille de papier. La
17
question « est-ce que ce sont des nombres ? » est posée explicitement une fois que l’usage initial
est stabilisé. Cette première partie de la séquence permet d’introduire tout ce que l’on peut faire
𝑎 𝑎 𝑎×𝑐
avec des rationnels-mesure : relation fondamentale3 𝑏 × 𝑏 = 𝑎, propriété fondamentale 𝑏 = 𝑏×𝑐 ,
comparaison, addition et donc multiplication par un entier. Une deuxième partie, qui introduit une
autre situation fondamentale (l’agrandissement), permet d’introduire un processus qui conduit à la
multiplication de deux rationnels, ce qui n’est pas possible dans un contexte de rationnels-mesure
et permet de construire les rationnels comme des nombres à part entière, en se détachant du
contexte de mesure (Guy Brousseau, 1981). Dans les années 70-80 ces deux aspects étaient
pertinents à l’école élémentaire puisque la multiplication de fractions et de décimaux y était étudiée.
Il n’est pas utile ici de décrire plus avant cette séquence expérimentale. Son intérêt repose à la fois
sur l’étude historique et didactique de l’enseignement des rationnels et des décimaux (Brousseau,
1980) et sur l’étude mathématique et didactique des rationnels et des décimaux (Brousseau, 1981).
Une précision est importante ici puisqu’elle motive notre texte : comme Guy Brousseau l’a
plusieurs fois affirmé, la séquence des 65 leçons des rationnels et décimaux dans la scolarité

2
Centre pour l’Observation sur l’Enseignement des Mathématiques, impulsé par Guy Brousseau, qui a fonctionné au
sein d’une école primaire (Jules Michelet, Talence) de 1973 à 2000.
3
Le terme de « fondamentale » associé à la relation qui permet de définir un rationnel et à la propriété dont découlent
toutes les autres propriétés des rationnels est une façon d’insister sur leur importance dans la conception de la
séquence de Brousseau (et également celle qui sera décrite plus loin).

2
VERSION AUTEUR

obligatoire, même si elle a été utilisée comme base de l’enseignement dans ce domaine pendant
25 ans à l’école Jules Michelet, n’a jamais été destinée à une reproduction telle quelle dans les
classes non expérimentales. On n’en trouve d’ailleurs de trace dans aucun des documents
d’accompagnement des programmes, même anciens.
Un très grand nombre d’études internationales montrent par ailleurs que les rationnels, souvent
désignés par le terme « fractions » (voir ci-dessous) sont très mal compris par les élèves et
entrainent de très nombreuses erreurs. Leur compréhension est pourtant essentielle pour la suite
de la scolarité en mathématiques, car les nombres rationnels sont omni-présents en algèbre,
notamment dans les résolutions d’équations du premier degré (solutions des équations 𝑎𝑥 + 𝑏 =
0, 𝑎 ≠ 0). Ces résultats coïncident avec le ressenti quotidien des professeurs, non seulement ceux
qui enseignent au niveau auquel les « fractions » sont introduites (fin d’école élémentaire), mais
aussi aux niveaux suivants (collège et lycée). Il suffit d’introduire un nombre en écriture
fractionnaire dans un exercice d’algèbre pour faire chuter la réussite, même au lycée…
Il semble donc d’une grande actualité de revenir sur l’enseignement des nombre rationnels. Cet
article a pour but de poser les bases d’une séquence d’enseignement des rationnels-mesures qui
s’appuie sur une situation fondamentale qui semble a priori assez compatible avec les attentes
institutionnelles du cycle 3, en restant proche au plan épistémologique de l’ingénierie de Brousseau.
3. Quelques remarques sur les pratiques ordinaires observées
Avant de parler des pratiques ordinaires, une précision de lexique s’impose entre « nombres
rationnels » et « fractions ».
Les nombres rationnels sont définis en mathématiques en tant qu’élément du corps ℚ.
Le terme de « fraction » est plus ambigu. Il désigne parfois : une fonction (prendre les deux-tiers
de) ; une écriture de forme numérateur/dénominateur ; un nombre. Par exemple, dans wikipedia,
article fraction (math)4 l’ambiguïté est assez nette : « une fraction est un certain nombre de parts
considérés après la division d'un nombre entier en parties égales ». Le terme de fraction réfère à
un fractionnement en plusieurs parts, le plus souvent d’une unité.
Dans ce texte, le mot « fraction » n’est utilisé que quand il réfère aux programmes et aux pratiques
ordinaires, car c’est le terme usuel, le mot « nombre rationnel ou rationnel » sera utilisé au sens
mathématique, pour désigner des nombres du corps ℚ, avec la définition usuelle :
« Un réel q est un nombre rationnel si et seulement s’il existe deux entiers relatifs a et b avec
𝑎
𝑏 ≠ 0 𝑡𝑒𝑙𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑞 = 𝑏 » (Bouvier et al., 1979, p. 628)
D’après mes observations en tant que formatrice, les fractions sont introduites la plupart du temps
dans un contexte qui présente plusieurs caractéristiques :
On introduit d’abord un fractionnement d’une unité de mesure, cette « unité » est assez grande
pour pouvoir être fractionnée physiquement ;
Cette unité est déjà fractionnée dans un schéma qui est souvent circulaire et parfois
rectangulaire (bande) ou d’autres formes ;
1
On introduit alors une fraction, par exemple 4 pour parler d’un morceau (une fraction) qui
correspond à une partie du schéma, qui est souvent définie comme une part d’une unité
que l’on a coupée en 4 parts égales ;
Les élèves sont appelés à mesurer des grandeurs (le plus souvent longueur ou aire) en utilisant
des fractions, pour cela ils doivent compter le nombre de parts qui divisent l’unité puis le

4
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fraction_(math%C3%A9matiques)

3
VERSION AUTEUR

nombre de parts coloriées (par exemple) ;


Dans beaucoup de documents à destination des élèves, l’unité qui est partagée est implicite
(voir annexes).
Jusque-là, les élèves ont eu très peu de choses à faire : ils doivent compter en combien de parts est
divisée l’unité, la seule difficulté est donc de comprendre ce qui, dans le schéma, représente une
unité (ce qui est plus ou moins explicite dans les pratiques ordinaires). Ils doivent ensuite compter
le nombre de parts. Ces nombres étant assez petits, il n’y a aucune difficulté particulière pour
réaliser cette tâche de dénombrement. Bien sûr il peut arriver que les élèves ne mettent pas ces
deux nombres au bon endroit dans l’écriture fractionnaire (inversion du numérateur et du
dénominateur), mais après tout ce n’est qu’une question de convention d’écriture.
Les difficultés sérieuses commencent notamment :
quand on cherche à comparer des fractions qui n’ont pas le même dénominateur ;
quand il faut représenter des fractions supérieures à l’unité.
En 2018-2019, des étudiants de 1e annéedu Master MEEF5 de l’ESPE6 Clermont-Auvergne ont
recueilli de nombreuses erreurs d’élèves au sujet des fractions durant leurs stages en classe.
Arrêtons-nous un instant sur deux de ces documents.
Dans le document en annexe 1, Zoé (CM1) montre qu’elle sait répondre à presque toutes les
questions de l’évaluation. Dans les exercices 1, 2 et 3, il fallait pour réussir compter le nombre
total de parts, inscrire ce nombre au dénominateur puis inscrire le nombre de parts coloriées au
numérateur ou inversement à partir de l’écriture donnée, colorier le nombre de parts de disques ou
𝑛 𝑎
de bandes déjà partagés. Dans l’exercice 5, il fallait savoir que 𝑛 = 1 et que si a<b alors 𝑏 < 1.
Zoé est donc une élève qui apprend ses leçons et qui montre qu’elle a des connaissances.
Cependant tout se gâte dans l’exercice 4 (Figure 1).

Figure 1 : Erreur recueillie au CM1

Comme dans l’exercice 2, les subdivisions sont déjà faites : la plaque de chocolat est subdivisée
en 8 rectangles identiques mais, contrairement à l’exercice 2 (réussi), ces subdivisions ne
correspondent pas toujours au nombre inscrit au dénominateur.
Evan, au CM2 (annexe 2), sait lui aussi répondre à des questions qui n’impliquent pas une

5
Métiers de l’Enseignement de l’Education et de la Formation
6
Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education

4
VERSION AUTEUR

connaissance de ce que représente une fraction : il sait en particulier traduire en mots les écritures
mathématiques des fractions et opérer cette traduction dans l’autre sens (dictée). Cependant, il
produit exactement la même erreur que Zoé.

Figure 2. Erreur recueillie au CM2

Pour réussir plus ou moins les évaluations, les élèves n’ont besoin que de quelques connaissances
qui parfois, même quand elles sont fausses, se révèlent souvent efficaces (si l’on compte la
proportion de réponses fausses sur l’ensemble des réponses, on obtient seulement 7,5% pour Zoé
et 12% pour Evan, autrement dit, ils ont bien réussi l’évaluation…). Cependant, la compréhension
des fractions n’est pas assurée pour autant.
4. Objectifs de la proposition didactique
Les objectifs de cette proposition didactique pour le cycle 3, qui nous allons détailler dans tout le
texte, sont :
De définir des rationnels par le partage comme un prolongement de la division, en s’appuyant
sur un dispositif (le guide-âne) présent dans des textes officiels, des documents
d’accompangement et des documents contemporains destinés aux enseignants (voir infra) ;
De construire une situation fondamentale pour les rationnels-mesure en s’appuyant sur le
milieu du partage ;
De définir de nouveaux nombres dans un contexte de mesure;
D’établir la relation fondamentale et la propriété fondamentale des rationnels, qui n’ont pas
d’équivalent pour les entiers ;
D’étudier les comparaisons et l’addition des rationnels.
La multiplication des rationnels ne peut être abordée dans un tel contexte, ce qui sera fait
ultérieurement (conformément aux programmes de 2015). Dans l’ingénierie initiale de Brousseau,
la multiplication des rationnels étaient travaillée en s’appuyant sur une autre situation
fondamentale.
5. La division
La division est étudiée dans des situations de partage, implicitement aux cycles 1 et 2 et
explicitement au cycle 3. La division, en tant qu’opération qui à deux nombres fait correspondre
un troisième nombre n’est pas toujours possible dans ℕ. En effet, on peut diviser 12 par 3, ce qui
a pour résultat 4 car 12=3x4, ce que l’on peut écrire 12 ÷ 3 = 4, mais par contre on ne peut obtenir
un nombre entier en divisant 10 par 3.
On a donc des égalités suivantes
12÷3=4 car 12=3x4, et aussi 12÷4=3
La « division » euclidienne est une réponse possible à ce problème, elle permet un partage avec
reste. Cependant la division euclidienne ce n’est pas une opération au sens strict puisqu’à deux
nombres, la division euclidienne fait toujours correspondre deux nombres et non pas un seul.

5
VERSION AUTEUR

C’est dans l’ensemble des rationnels ℚ que l’on trouve une réponse à ce problème : pour tout
entiers a et b (avec b non nul) il existe un nombre rationnel 𝑞 𝑡𝑒𝑙 𝑞𝑢𝑒 𝑞 × 𝑏 =
𝑎
𝑎, 𝑞𝑢𝑒 𝑙 ′ 𝑜𝑛 𝑛𝑜𝑡𝑒 𝑞 = 𝑏

I. RATIONNELS ET RELATION FONDAMENTALE


1. Situation fondamentale
Il s’agit de considérer qu’un rationnel est le nombre q qui vérifie la relation b  q = a (a et b sont
des entiers, b ≠ 0). Cette relation fondamentale est mise en scène ici dans un dispositif de partage
de longueur. Dans ce cadre, a et q sont des mesures de longueurs dans une unité u donnée, b est
un nombre entier (non nul) qui définit le partage de a unités en b parties égales. Nous construisons
donc des rationnels-mesure, comme le fait Brousseau dans la première partie de son ingénierie7.
Par rapport à la situation fondamentale mise en scène dans la situation des feuilles de papier, il y
a une différence importante. Dans la situation des feuilles de papier, il n’y a pas de partage et
d’ailleurs la mesure de l’épaisseur d’une feuille est implicite, au départ au moins. Il y a une relation
(une fonction) entre le nombre de feuilles et l’épaisseur du paquet, relation qui caractérise la qualité
du papier (par son épaisseur). Dans ce contexte, dans la relation b  q = a, b représente le nombre
de feuilles de papier (c’est donc bien un nombre sans dimension), q est la mesure de l’épaisseur
d’une feuille en centimère et a est la mesure de l’épaisseur du tas de feuilles en centimères. Tant
que q reste implicite (dans les premières séances), (a, b) représente un couple de nombres dont le
premier est une mesure en centimètres qui permet de désigner un tas de feuilles pour le distinguer
des autres.
Pour désigner la mesure de l’épaisseur d’une feuille de papier, les élèves sont souvent amenés à
considérer un assez grand nombre de feuilles (par exemple 1cm pour 31 feuilles du tas A).
L’avantage est de considérer d’emblée de nombreux couples comme légitimes et en même temps
d’en rejeter certains : si d’autres élèves écrivent que les feuilles du tas A peuvent se désigner par
2 cm pour 40 feuilles, par exemple, les élèves peuvent dire qu’il y a une erreur et le vérifier. Par
contre le contexte : mesure de l’épaisseur d’une feuille de papier en centimètres, conduit
uniquement à des mesures plus petites que 1. Dans la proposition développée dans ce texte, les
nombres naturels en jeu dans les mesures de longueur ne sont pas très grands (autour 10 et 12 au
début) et les partages non plus (pas plus de 8), par contre les mesures rencontrées sont d’emblées
plus grandes que 1.
Cependant, il s’agit de propositions assez proches dans la mesure où elles s’appuient au départ
uniquement sur la relation fondamentale (dans le milieu des feuilles de papier, la mesure de
l’épaisseur d’une feuille (q) multipliée par le nombre de feuilles d’un tas (b) est égale à la mesure
de l’épaisseur du tas) et sur la propriété fondamentale des rationnels (dans le milieu des feuilles de
papier, si la mesure de l’épaisseur d’un tas de 17 feuilles mesure 2cm alors la mesure de l’épaisseur
d’un tas de 2x17 feuilles mesure 2x2cm). Dans les deux propositions, la valeur 1 de l’unité ne joue
aucun rôle particulier et l’on n’introduit pas au départ le fractionnement de l’unité. Dans les deux
cas, on n’utilise pas le vocabulaire des fractions (demi, tiers, etc.), le fractionnement de l’unité
n’étant introduit que dans un second temps (Ratsimba-Rajohn, 1982).
Dans la théorie des situations, « ce qui est fondamental ce n’est donc pas une situation, mais un

7
Je m’excuse auprès des lecteurs qui ne connaîtraient pas l’ingénierie de Brousseau (Guy Brousseau & Brousseau,
1987), pour lesquels la comparaison entre ce qui est présenté ici et la situation fondamentale des feuilles de
l’épaisseur d’une feuille de papier pourrait être obscure et je les invite à passer au paragraphe suivant.

6
VERSION AUTEUR

ensemble de situations et leur articulation, situations générées dans le paradigme que représente
une situation fondamentale. » (Bessot, 2011, p. 40). « Un paradigme est une représentation du
monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une
base définie » (Ibid. p. 39).
Une situation fondamentale n’est donc pas une « introduction » qui, une fois passée, sera vite mise
de côté au profit d’une formalisation et de calculs, c’est au contraire une situation qui va rendre
possible, la construction des connaissances qui participent à un savoir visé pendant une durée
importante.
2. Un dispositif de partage (le guide-âne)
Le guide-âne sert comme dispositif de partage, ce qui est une proposition courante au cycle 3
(Anselmo et al., 1999; Anselmo & Zucchetta, 2018; Barilly & Le Poche, 2012; Ministère de
l’Éducation nationale, 2016a, 2016b). Nous avons choisi d’utiliser à la fois une règle graduée en
unités entières informable (sur laquelle on peut écrire au feutre effaçable) et des bandes de papier
de différentes longueurs (qui peuvent être découpées avant l’activité). Le partage matériellement
réalisé avec le guide-âne doit pouvoir contribuer à la validation, sachant qu’une mesure est toujours
liée à une précision plus ou moins grande. Il est normal, dans le cadre d’un travail sur les nombres
rationnels, de trouver un lien avec les grandeurs et les mesures, qui sont toujours associées à une
précision (voir à ce sujet les cours de Michèle Arthaud et de Floriane Wozniak donnés lors de la
vingième été de didactique des mathématiques à paraître en 2021).
Les questions posées, dans différentes situations, reviennent à produire, comparer, additionner les
mesures de longueurs résultant de partages ou bien à trouver le partage à faire pour produire une
mesure de longueur donnée.
3. Installation du milieu « 12 en 3 »
Le dispositif matériel de partage est introduit d’abord dans le cas d’une bande de 12 unités. Une
règle informable ad hoc a été fabriquée, il faut en effet disposer d’une règle sur laquelle seule les
unités entières sont indiquées, ce qui n’est jamais le cas dans les règles du commerce. L’unité à
laquelle nous nous référons dans ce texte correspond donc à l’unité de cette règle informable, qui
sera toujours la même au cours des différentes situations.
La technique du guide-âne doit sembler fiable aux élèves (qui, au cycle 3, ne peuvent pas justifier
mathématiquement des propriétés de cette technique) et cette technique doit être entraînée car elle
joue un rôle indispensable dans la validation par le milieu de toutes les situations.
Il s’agit d’un point délicat : comme avec toute technique matérielle de mesurage, la mesure
obtenue relève d’une approximation. Cependant si la technique n’est pas suffisamment entraînée
et raisonnablement fiable, cela risque de conduire les élèves à rejeter la validation par le milieu,
ce qui conduirait à une impasse des situations suivantes. C’est pourquoi il peut être judicieux à la
fois d’entraîner et de vérifier la fiabilité de la technique avec des partages conduisant à des résultats
entiers facilement vérifiables sur la règle graduée informable.
Des bandes de papier qui sont toutes de longueur 12u sont disponibles et peuvent être pliées. Le
guide-âne s’utilise de la manière suivante :
On pose la bande dont la longueur mesure 12u sur le guide-âne en faisant correspondre une
extrémité de la bande avec la ligne 0
On fait correspondre l’autre extrémité de la bande avec la ligne 3 du guide-
On marque au crayon les intersection entre les lignes du guide-âne et la bande
On plie la bande suivant ces marques et on obtient une bande pliée en 3 parties égales

7
VERSION AUTEUR

Figure 3. La technique du guide-âne pour « 12 en 3 »

Lors des premières utilisation, il est judicieux d’utiliser aussi la règle graduée informable avec la
technique du guide-âne pour vérifier que la technique fonctionne
On pose le repère 0 (l’origine de la mesure) de la règle sur la ligne 0 du guide-âne et le repère
12 de la règle sur la ligne 3
On marque les intersections entre les lignes du guide-âne
Le dispositif du guide-âne de « 12 en 3 » conduit à marquer les repères 4 et 8 sur la règle, qui
sont distants de 4u
La bande pliée lors d’expérience précédente a bien une longueur qui mesure 4u sur la règle

Figure 4. La technique du guide-âne pour « 12 en 3 » sur la règle graduée informable

Les opérations matérielles correspondent à deux égalités connues :


En partageant 12u en 3 on obtient 3 parties de 4u
12u3=4u

8
VERSION AUTEUR

En mettant bout à bout les 3 parties de 4u on obtient la bande totale de 12u


34u=12u
À ce stade, il ne s’agit que d’une expérience amusante, qui permet de partager en 3 une bande de
12 unités. Il est important de montrer que le résultat ne change pas avec des guide-ânes avec des
réseaux de parallèles plus ou moins resserrés. C’est ici l’appropriation et l’usage de la technique,
essentielle à la séquence, qui est travaillée.
Le dispositif matériel introduit n’a bien entendu aucune raison de fonctionner seulement pour une
bande de 12u. Il n’induit pas non plus que l’on ne puisse faire qu’un partage en 3, puisque le
dispositif du guide-âne permet de nombreux partages, seulement limités par le nombre de
parallèles effectivement représentées. Ce sont ces possibilités que nous allons exploiter maintenant.
4. Une situation de communication
Comme dans la séquence des rationnels-mesure de Brousseau, nous introduisons alors une
situation de communication. Il s’agit pour les élèves de se rendre compte qu’il faut deux nombres
entiers pour désigner la longueur d’une bande pliée.
Des bandes non marquées, déjà découpées, de 10u, 11u, 12u et 13u sont disponibles en nombre
suffisant pour avoir une bande de chaque type pour chaque groupe d’élèves. Chaque
groupe d’élèves dispose d’un guide-âne et d’une règle graduée informable. On organise
une communication écrite entre un groupe d’émetteurs et un groupe de récepteurs. Pour
éviter les communications orales intempestives, les élèves ne savent pas qui va recevoir
leur message, qui est transmis par le PE (Professeur des Ecoles).
« PE : Vous allez choisir une bande et la plier comme vous le souhaitez en utilisant la
technique du guide-âne. Vous écrivez le nom de votre groupe sur la bande et vous la gardez.
Vous devez ensuite écrire un message pour que le groupe qui va lire votre message puisse
fabriquer une bande pliée qui aura la même longueur que la vôtre.
On vérifiera ensuite si la longueur des bandes pliées est bien la même dans les deux groupes. »
Pour réussir, il faut donner deux informations : longueur de la bande choisie et nombre à atteindre
sur le guide-âne. À la suite de cette situation, le PE propose une désignation orale sur le modèle
suivant : « dix unités en trois » désigne la mesure de la longueur de la bande de dix unités pliée en
3.
5. Introduction d’un questionnement « 10 en 3 »
En utilisant la technique du guide âne pour une longueur de 10u partagée en 3 sur la règle graduée
informable, plusieurs constatations peuvent être faites.
Dans la situation précédente, personne n’a eu de difficulté à partager sur bande de 10u en 3.
En utilisant la règle informable, on constate que le dispositif du guide-âne de « 10 en 3 »
conduit à marquer deux repères qui ne tombent pas sur des unités entières.
En reportant ces marques sur la bande de 10u et en pliant, on obtient bien un partage de la
bande en 3 parties égales.

9
VERSION AUTEUR

Figure 5. La règle marquée par le partage de 10 en 3 avec le guide-âne

Les opérations matérielles réalisée pour le partage de 10u en 3 correspondent à des égalités
inconnues :
En partageant 10u en 3 on obtient 3 parties mais on ne sait pas désigner par un nombre la
mesure de la longueur de ces parties
Quand nous avions partagé 12u en 3, le résultat : 4u, correspondait bien à la division de 12u
par 3.
la division de 10u par 3 ne tombe pas juste mais, en en mettant bout à bout les 3 parties
obtenues par le guide-âne on obtient la bande totale
Si l’on savait écrire la mesure de la longueur en unité u de ces parties alors le produit de cette
mesure par 3 serait 10u
Cette introduction est basée sur l’idée intuitive (admise) qu’à toute marque dans le repère de la
règle graduée ou à toute mesure de longueur dans une unité donnée (ce qui revient au même)
correspond un nombre. Remarque : mathématiquement, la correspondance entre la droite réelle et
les nombres réels conduit à la construction de ℝ, dans le cas de l’obtention de points sur la droite
réelle par le dispositif du guide âne appliqué à des segments de mesures entières, on n’obtient que
des rationnels.
Notre expérience montre qu’il y a des nombres (dans ce sens) qui ne sont pas entiers. Le choix de
« 10 en 3 » est stratégique : la longueur de la bande pliée n’est pas entière (elle n’est même pas
décimales), cela montre bien qu’il y a quelque chose de tout à fait nouveau par rapport à « 12 en
3 ».
Contrairement à ce que l’on rencontre le plus souvent, notre situation n’est pas basée sur le partage
de « l’unité ». Toutes les bandes mesurent des longueurs différentes et de ce fait il y a bien deux
nombres qui sont nécessaires pour définir la longueur de la bande pliée. De plus, nous travaillons
avec une unité qui est proche des unités usuelles (sur les photos, une unité mesure 2 cm mais l’on
pourrait prendre tout aussi bien le centimètre comme unité, même si l’on ne peut pas utiliser les
règles usuelles à cause de la présence de millimètres, qui correspondent à des décimaux), alors que
pour travailler sur le « partage de l’unité », l’on est contraint d’introduire comme « unité » une
bande suffisamment grande qui, de ce fait, ne sert pas d’unité pour mesurer mais est une
construction ad hoc à partager.
Par ailleurs, la relation avec la multiplication est le point nodal de la séquence : quand on prend
trois fois la longueur de la bande pliée en trois, on retrouve la bande totale (ce qui, matériellement,

10
VERSION AUTEUR

correspond à déplier la bande).


6. Une écriture conventionnelle correspondant à « 10 en 3 »
Nous concluons cette phase en introduisant une écriture conventionnelle. Pour désigner la mesure
en unité u de la longueur de la bande de 10u partagée en 3, nous ne pouvons pas écrire 10 ÷ 3 u
pour les raisons déjà évoquées, pourtant il existe un nombre d’unités u qui résulte du partage de
10u en 3.
10
Nous écrivons ce nombre « ». Dans le contexte du guide-âne ce nombre est lu « dix en trois »
3
10
et de même, u se lit « dix en trois u », puisqu’il s’agit bien du nombre (dix en trois) d’unités u.
3
Introduire ici le mot « tiers » pourrait conduire à une impasse car nous ne savons pas ce qu’est un
« tiers » dans cette situation, puisque nous n’avons pas partagé l’unité. De plus les élèves
connaissent ces mots et y attachent parfois des connaissances erronées qu’il n’est pas nécessaire
de traiter maintenant, le mot « tiers » sera utilisé par l’enseignant seulement quand nous
partagerons une unité, en toute fin de séquence.
Si des élèves proposent la lecture « dix-tiers », l’enseignant pourra indiquer que la relation entre
« dix en trois » et « dix tiers » sera faite à la fin de la séquence. Si besoin, pour les élèves qui savent
de le tiers de l’unité correspondent à une unité partagée en trois et que dix tiers c’est prendre dix
tiers d’unités, l’enseignant peut faire remarquer que l’unité n’a pas été partagée en trois dans notre
expérience du guide-âne.
Sur le guide-âne, nous avons disposé une bande de mesure 10u de la ligne 0 jusqu’à la ligne 3, ce
qui nous a permis de partager 10 en 3 et d’obtenir une longueur que nous appelons donc « 10 en
3 ». Les opérations matérielles correspondent donc à la relation fondamentale :
10
En partageant 10u en 3 on obtient 3 parties de 3
u
10
En mettant bout à bout les 3 parties de u on obtient la bande totale
3
10
𝑢 × 3 = 10𝑢 c’est la relation fondamentale des rationnels-mesures
3

Figure 6. Schéma du partage de 10 en 3. Relation fondamentale

Notre proposition est donc d’emblée appuyée sur la relation fondamentale, que nous ne voyons
pas apparaître dans les pratiques usuelles, car celle-ci est masquée par le décompte des
subdivisions. Nous ne pensons pas à ce stade de la séquence que beaucoup d’élèves vont
s’approprier l’égalité de la relation fondamentale. Ils vont petit à petit s’acculturer à la
dénomination « 10 en 3 ; 11 en 3 ; 10 en 4, etc. » pour parler de la mesure de longueur d’une bande
10
de 10u pliée en 3, etc. Ils vont progressivement utiliser l’écriture 3 pour écrire « dix en trois ».
Les allers-et-retours entre le dispositif matériel, les schémas et les écritures numériques vont rester
constants pendant toute la séquence : il ne faut perdre personne en route…

11
VERSION AUTEUR

7. Renforcement de la technique du guide-âne et autres questionnements : « 10 en 4 »


Le partage de 10u en 4 est demandé à tous les élèves8. Il s’agit à la fois de vérifier le maniement
du dispositif, de susciter de nouvelles questions et de continuer à s’acculturer aux nouvelles
écritures.
L’observation collective de la règle graduée informable disposée sur le guide-âne semble montrer
qu’une des marques est un entier : le deuxième. Il faut donc se demander pourquoi c’est le cas.
Plusieurs réponses sont possibles, notamment :
C’est au milieu sur la bande pliée ;
Je sais plier une bande en 4 sans guide-âne : il faut plier en 2 (on obtient le pli du milieu) puis
en 2 (on obtient les deux autres), le résultat est bien le même qu’avec le guide-âne.
On peut produire des schémas correspondant à cette expérience.
On peut aussi écrire de nouvelles relations :
10
En partageant 10u en 4 on obtient 4 parties de 4
u
10
En mettant bout à bout les 4 parties de 4
u on obtient la bande totale
10
4
𝑢 × 4 = 10𝑢 c’est la relation fondamentale
10
En partageant 10u en 2 on obtient 2 parties de 2
u
10
2
u = 10u ÷ 2 = 5u
10
En mettant bout à bout les 2 parties de 2
u on obtient la bande totale
10
2
𝑢 × 2 = 10𝑢 c’est la relation fondamentale des mesures
Au cours du travail, on a aussi rencontré d’autres résultats :
10
2u < u < 3u
4
10 10
u ×2= 𝑢
4 2
Ces résultats ne sont pas institutionnalisés mais ils peuvent être enregistrés dans un « journal »
(Sensevy, 1998; 1997) ou bien plus classiquement dans un cahier de résultats. La relation
fondamentale des rationnels mesure est continuement institutionnalisée et commence à être
mémorisée.
Il est possible de traiter d’autres exemples (« 11 en 3 », « 12 en 5 », par exemple).
Dans cette partie de la séquence, il est surtout important :
D’ancrer les nombres rationnels dans une situation qui permet une rétro-action d’un milieu ;
D’appuyer cette connaissance implicite par la production de schémas (qui n’ont pas à être
institutionnalisés) ;
De permettre la compréhension en situation et la mémorisation de la relation fondamentale.
Remarque : la situation du guide-âne n’est pas destinée à être abandonnée au profit d’écritures de
nombres ou de schémas. En effet, son rôle est essentiel dans la compréhension, et aussi dans la
suite de la séquence.

8
Nous ne nous intéressons pas, dans ce texte, aux aspects organisationnels : travail en groupe, par deux, individuel,
etc. Il ne s’agit pas ici de décrire une mise en œuvre en classe mais les propriétés d’une séquence. D’autres travaux
expérimentaux suivront qui, eux, seront basés sur l’analyse de résultats empiriques.

12
VERSION AUTEUR

8. Rationnel-mesure et nombre rationnel


Dans cette séquence, comme dans celle de Brousseau, mais aussi (souvent implicitement) comme
le font tous les manuels à propos des « fractions », les nombres rationnels sont introduits dans le
contexte des mesures, il y a bien un nombre d’unités (et donc un nombre) mais ce nombre n’est
pas conçu indépendamment de sa mesure, ce que Brousseau appelle le rationnel-mesure.
Les nombres rationnels ont pour raison d’être de représenter mesures de grandeurs dont les
rapports sont entiers et plus largement, les nombres sont toujours impliqués dans la proclématique
des grandeurs (Chambris, 2012).
Le problème didactique se pose alors de considérer des opérations sur des nombres et non pas des
opérations sur des mesures. Les préconisations des programmes ont beaucoup varié à ce sujet
(Ibid.). À l’heure actuelle, et tout particulièrement aux cycles 3 et 4, il est recommandé d’être très
attentifs aux unités de mesure et à l’homogénéité des calculs. C’est dans cette perspective que dans
ce texte j’ai indiqué les unités dans les calculs de relations entre mesures.
C’est d’autant plus pertinent dans les calculs dans lesquels il y a à la fois une mesure et un nombre
10
sans dimension comme dans la relation fondamentale des rationnels-mesure 4 𝑢 × 4 = 10𝑢.
Cependant, les nombres rationnels vont modéliser cette réalité, qui en fait ne dépend pas de l’unité
u (qui pourrait être d’ailleurs aussi bien une unité de longueur qu’une unité d’aire, par exemple).
10
Le professeur sait bien que l’égalité 4 × 4 = 10 est vraie également.
Dans le contexte des rationnels-mesure, cela ne peut pas être montré formellement car on n’a
introduit la multiplication que par addition répétée, ce qui fait que l’on ne sait multiplier une
mesure que par un entier, cette « multiplication » représente l’ajout successif de longueurs de
10
mesures égales mais on ne sait pas ce que représente la multiplication par 4 . Dans l’ingénierie de
Brousseau, une autre situation fondamentale était introduite ensuite (l’aggrandissement) qui
permettait d’introduire les rationnels comme des coefficients d’agrandissement (des coefficients
de fonctions linéaires) et donc comme des nombres9. Dans les programmes actuels, cette stratégie
n’est pas possible puisque la multiplication des rationnels n’est pas étudiée avant le cycle 4.
La conséquence de cette réflexion n’est pas évidente.
Il est possible de faire le choix d’indiquer systématiquement les unités, car cela permet d’être le
plus proche de la réalité des mesures. Cependant, c’est parfois délicat et de plus les programmes
visent certaines opérations sur des fractions simples.
Il est donc possible aussi, dès le départ, de faire le choix de ne jamais indiquer l’unité, sachant que
tant que l’on n’a qu’une seule unité dans le calcul cela n’introduit pas d’erreur de calcul.
Il est possible enfin d’écrire au départ les égalités sur les mesures et donc avec les unités et de
passer ensuite à des égalités sur des nombres toutes les fois où cela ne semble pas poser problème.
Remarquons que cette difficulté n’apparaît ici que parce que ce texte cherche à modéliser avec
rigueur la réalité des situations qui sont présentées aux élèves. Si elle n’apparaît pas dans les
manuels les plus courants, c’est parce que l’unité est en fait gommée d’emblée, ce qui produit les
erreurs montrées dans l’introduction, cependant les mesures des aires de parties de disques-unité
coloriées dans les manuels ne sont jamais des nombres sans dimension, même si les unités sont
gommées.

9
Remarque mathématique : il s’agit d’une forme de passage au dual des applications linéaires, ce qui permet de définir
la multiplication des rationnels via la composition des applications linéaires

13
VERSION AUTEUR

Dans ce texte, j’ai fait le choix d’écrire les égalités sur les mesures et d’indiquer qu’on admettra
l’égalité sur les nombres, de manière à alerter l’attention du lecteur sur le fait qu’il s’agit d’un
glissement qui, dans le contexte des mesures, ne peut pas être justifié.
Par exemple :
10
4
𝑢 × 4 = 10𝑢 c’est la relation fondamentale des rationnels-mesure
10
On admet que 4
× 4 = 10 qui est la relation fondamentale des rationnels

II. PROPRIÉTÉ DES RATIONNELS, UN NOMBRE ET DES ÉCRITURES


1. Situation d’action : anticipation
Jusqu’à présent, nous avons fait en sorte que les élèves rencontrent des connaissances implicites
en situation et qu’ils soient acculturés à une écriture culturelle, celle des nombres rationnels ainsi
qu’à une relation fondamentale qui fonde les rationnels-mesure. Nous adoptons pour ce faire une
ostension assumée (Matheron & Salin, 2002, p. 40), même si celle-ci est produite dans un contexte
favorable à la compréhension de la nécessité de nouveaux nombres et de nouvelles désignations
basée sur la donnée de deux paramètres (la mesure en unité u de la longueur de la bande et le
nombre de parties de longueurs égales à la bande pliée résultant du partage au guide-âne).
Nous allons maintenant pouvoir introduire une situation d’action, dans laquelle un enjeu est donné
dans le milieu qui est maintenant installé.
« PE : « Voici une bande de 10u pliée en 3. Combien mesure la longueur de la bande pliée ? ».
À ce moment de la séquence, presque tous les élèves doivent savoir dire que la bande pliée
10
mesure 10 en 3 unités (ou 10u en 3) que le PE va écrire 3 𝑢.
« PE : « Je vous distribue des bandes bleues de longueur 20u. Vous devez trouver comment
utiliser le guide-âne pour plier cette bande bleue pour obtenir exactement la même
longueur que 10u en 3 [le PE montre la bande de 10u pliée en 3] ». Le PE précise qu’il
faut bien utiliser uniquement la technique du guide-âne, qui est maintenant bien connue.
« Quand vous pensez avoir trouvé, je viendrai avec la bande de 10u pliée en 3 pour vérifier. »
La solution consiste à partager 20u en 6. Certains élèves vont peut-être essayer de partager 20u en
3 mais le résultat est bien trop grand ! Des ajustements perceptifs sont possibles (par exemple
partager en 8 par pliages en 2 successifs) mais ils ne résisteront pas à la validation par superposition
et ne pourront être expliqués.
On a donc trouvé deux nombres égaux :
20
Nous avons fabriqué une bande dont la longueur mesure 6
𝑢
10 2×10 20
3
u = 2×3
u = 6
u c’est une propriété des rationnels-mesure
10 2×10 20
On admet que = = c’est une propriété des nombres rationnels
3 2×3 6

Figure 7. Le partage de 10u en 3 et de 20u en 6. Propriété des rationnels-mesure

14
VERSION AUTEUR

Certains élèves commencent peut-être à comprendre cette propriété, cependant des répétitions de
cette situation sont nécessaires pour ne pas perdre en route des élèves moins rapides. Comme
précédemment, le choix est de commencer par se placer dans un cas qui, parce que le résultat n’est
pas décimal (ce que les élèves ignorent), est un cas plus général et d’utiliser ensuite des réplications
de la situation dans des cas qui vont fournir des cas particuliers.
2. Variations de la situation d’action
On peut répliquer la situation avec 12u en 4. Comme partager en 4 a été automatisé par le guide-
âne, certains élèves ne s’apercevront pas nécessairement que le résultat est une bande pliée dont
la longueur est une mesure entière. Dans tous les cas, le passage obligatoire par le guide-âne
impose de considérer 12u en 4 comme une mesure rationnelle, même si c’est aussi une mesure
entière.
24
Nous avons fabriqué la bande pliée dont la longueur mesure 8
𝑢
On peut résumer cette fabrication en écrivant les calcul suivants
12 2 × 12 24
u= u= u
4 2×4 8
12
4
u = 12u ÷ 4 = 3u
24
8
u = 24u ÷ 8 = 3u
12 2×12 24 12
On admet que = = on admet que = 12 ÷ 4 = 3
4 2×4 8 4
Les entiers peuvent être aussi des rationnels
Les rationnels sont parfois des entiers
Il y a donc une cohérence entre les nombres que nous connaissons depuis longtemps (les entiers)
et les nouveaux nombres (les rationnels).
On peut répliquer la situation d’action en faisant varier la relation multiplicatives entre les deux
bandes à comparer (par exemple 10u en 3 et 30u en ?) et avec les autres nombres en jeu
précédemment (10u en 4, 11u en 3, 12u en 5 etc.). Cependant, on va vite atteindre les limites
matérielles de la situation, ce qui va conduire à modifier le rôle du schéma.
3. Modification du rôle du schéma
Le schéma qui était pour l’instant un outil pour représenter à l’écrit l’action avec le guide-âne va
devenir progressivement un moyen pour réfléchir à des questions que l’on ne peut pas réaliser
concrètement mais que l’on peut faire par la pensée. Cependant, il est très important de ne pas
perdre le fil et, toutes les fois où c’est possible, de procéder au pliage en se servant du guide âne
(ou de pliages déjà marqués dans les bandes).
« PE : Expliquez par quelle méthode vous pouvez délimiter un segment dont la longueur mesure
10u en 3 dans une bande de 20u, de 30u, de 40u, de 100u ? Justifiez votre réponse par un
raisonnement et/ou un schéma. »
10 2×10 3×10 4×10 10×10
3
u = 2×3
u = 3×3
u = 4×3
u = 10×3
u
Les propriétés précédentes nous permettent aussi d’écrire directement les relations sur les
10 2×10 3×10 4×10 10×10
nombres 3 = 2×3 = 3×3 = 4×3 = 10×3
Les nombres rationnels ont plusieurs écritures ! Ils sont différents des nombres entiers qui,
même s’ils ont plusieurs écritures aussi (01 et 1, par exemple), en ont une que l’on utilise
presque toujours
C’est une propriété essentielle des nombres rationnels

15
VERSION AUTEUR

Cette propriété est institutionnalisée et mémorisée.


4. Jeux de renforcement de la propriété des rationnels et exercices
On a admis et institutionnalisé précédemment les relations entre les nombres rationnels, que l’on
a appuyé sur l’étude systématique des rationnels-mesure. Il devient possible de s’interroger sur les
nombres rationnels, et de revenir au rationnel-mesure pour fonder le raisonnement. Suivant
l’avancée des élèves, le retour systématique au contexte de la mesure peut être plus ou moins
nécessaire : schéma, technique du guide-âne.
Écritures multiples d’un rationnel
Écrire rapidement sur son ardoise plusieurs nombres rationnels égaux à un nombre donné écrit au
tableau.
Intrus
Trouver rapidement l’intrus (à écrire sur l’ardoise) parmi des nombres rationnels qui sont tous
égaux à un nombre rationnel donné sauf l’intrus.
14 20 20 100 10
Exemple : parmi les nombres 8 ; 8 ; 14 ; 40 lesquels sont égaux à ? Écrire les égalités et
4
expliquer les non égalités par un schéma ou un raisonnement.
14 20
et ont été choisis car ils représentent des procédures additives fausses (ajouter 6 au
8 14
numérateur et au dénominateur). Ils ont été choisis aussi car il est possible de raisonner à leur sujet.
10 20
Si je sais que 4 = 8 (relation fondamentale) alors ce n’est pas possible qu’en faisant 14 en 8 cela
fasse la même longueur que 20 en 8 car la bande que l’on plie est plus longue. De même ce n’est
pas possible non plus qu’en prenant 20 en 14 cela fasse la même longueur que 20 en 8 car on plie
la même bande en 14 au lieu de la plier en 8.
Il est pertinent de vérifier au guide-âne tout en expliquant si au moins un élève ne semble pas
suivre le raisonnement. À ce stade de la séquence, on ne peut laisser personne en chemin.
Écritures égales sous contraintes
Exercices visant à produire des écritures égales à un nombre rationnel donné et respectant certaines
contraintes.
10 40
=
3 ?
Fais un schéma pour trouver ou pour expliquer ta réponse
10 ?
=
3 18
Fais un schéma pour trouver ou pour expliquer ta réponse
Certains élèves sont maintenant capables d’essayer de répondre à ce type de question, posée
directement dans le cadre numérique, c’est bien mais il ne faut pas qu’ils rentrent dans un jeu
purement formel qui n’aurait rapidement plus de sens : ils doivent faire un schéma pour expliquer
leur réponse, même s’ils n’en ont pas besoin pour produire cette réponse.
D’autres élèves ont besoin d’un schéma pour trouver la réponse. Ils peuvent dessiner des segments
de 10u bout-à-bout (en ligne ou non) partagés en 3, ils dessinent donc 4 segments pour arriver à
40u et peuvent compter les subdivisions : il y en a 3 et encore 3 et encore 3 et encore 3, ce qui fait
12u. Remarque : ils schématisent alors à la fois le numérateur représenté par une longueur et le
dénominateur représenté par un nombre de partages, contrairement aux schéma à compléter que
nous avons rencontrés dans l’introduction qui, le plus souvent, représentent déjà l’unité partagée.
Lors de la correction de l’exercice, s’ils ne l’ont pas vu avant, ils feront le rapport avec 4x10 et

16
VERSION AUTEUR

4x3.

Figure 8. Égalités entre nombres rationnels

III. COMPARER DES RATIONNELS


Si les rationnels sont bien des nombres, alors on doit pouvoir savoir, sans recourir toujours au
guide-âne, quand deux nombres donnés sont plus petits ou plus grands. Il faut expliciter l’objectif
de cette nouvelle partie de la séquence aux élèves, car ils ne sont toujours pas sûrs que ces objets
sont des nombres : pour l’instant ils ont surtout des propriétés jamais rencontrées ! Dans cette
partie, on inverse en fait le propos : au lieu de modéliser la mesure de la longueur des bandes pliées
par un nombre, on va chercher des propriétés sur les nombres en s’appuyant sur la modélisation
des bandes pliées. Je n’aurais recours aux unités de mesure que quand cela semblera nécessaire
pour la signification de l’égalité.
1. Des rationnels que l’on peut comparer assez facilement
10 13
Nous allons comparer 3 et 3 en utilisant les bandes pliées. Pouvez-vous anticiper le résultat ?
Expliquez votre réponse.
Le raisonnement est simple : 10 < 13, on a plié une bande moins longue et une bande plus longue
10 13
en trois, le résultat est donc 3 < 3 .
10 1
Remarque : nous n’avons pas encore fait la relation entre 3 et 10 × 3 , on ne peut donc pas
raisonner de cette manière. Cette relation sera faite le plus tard possible dans notre séquence.
10 10
Nous allons comparer 3 et 4 en utilisant les bandes pliées. Pouvez-vous anticiper le résultat ?
Expliquez votre réponse.
Là aussi le raisonnement est simple : on a plié la même bande en parts égales, quand on fait un
10 10
partage avec plus de parts alors les parts sont plus petites, le résultat est donc 4 < 3 .
On s’aperçoit donc que, dans quelques cas au moins, on sait comparer deux rationnels.
2. Les premiers problèmes de comparaison
a. Même partage
10 13
Nous allons comparer et en utilisant les bandes pliées. Pouvez-vous anticiper le résultat ?
3 6
Expliquez votre réponse.
Le raisonnement n’est pas évident puisque 10<13 mais 3<6, ce qui a été établi précédemment n’est
donc d’aucune utilité. Dans cette situation, pour la première fois, les élèves vont être amenés à
utiliser la propriété qui permet de trouver une autre écriture d’un rationnels comme une
connaissance utile (Conne, 1992).
Dans ce cas particulier (6 est multiple de 3), la solution est de se ramener à un même partage.
10 20
3
= 6
13 10
Conclusion 6
< 3

17
VERSION AUTEUR

b. Bandes de même longueur


10 20
Nous allons comparer 3 et 7 en utilisant les bandes pliées. Pouvez-vous anticiper le résultat ?
Expliquez votre réponse.
Le raisonnement n’est pas évident puisque 10<20 mais 3<7. Dans ce cas particulier (20 est multiple
de 10), la solution est de se ramener à une bande de même longueur.
10 20
3
= 6
20 10
Conclusion 7
< 3
Il est théoriquement possible d’aborder alors la comparaison dans le cas général, cependant il ne
me semble pas pertinent, au CM, d’automatiser ces calculs, ils le seront en fin de cycle 3 et au
cycle 4, au collège. Le risque de la perte de sens augmente avec la complexité des calculs.
En conclusion de cette recherche plusieurs conclusions peuvent être tirées
On peut comparer les rationnels, ce qui est important pour qu’ils puissent bien être considérés
comme des nombres
Cette comparaison est parfois facile parfois difficile, il faut utiliser la propriété pour obtenir
des égalités de rationnels

3. Comparaison entre rationnels et entiers


12
Jusqu’à présent, nous n’avons pas considéré les entiers de manière particulière, en particulier, 4
12 10 10
et 3 , qui sont des entiers, n’ont pas été traités de façon différente que 4 et 3 qui ne sont pas des
entiers et, dans le dernier cas, n’est pas un décimal. En effet, dans le contexte du partage égal des
bandes par le procédé du guide-âne, les entiers n’ont pas de statut particulier.
Cependant, depuis le début, sur la règle graduée informable, nous avons marqué les points
correspondant aux intersections avec les lignes du guide-âne et nous avons pu comparer la position
de ces points dans le repère de la règle, par rapport aux graduations entières. Il s’agissait jusque-
là d’une simple constatation.
Nous allons maintenant poser la question de façon explicite.
10
Nous voulons encadrer entre deux nombres entiers en utilisant les bandes pliées. Pouvez-vous
3
anticiper le résultat ? Expliquez votre réponse.
Deux solutions sont possibles.
a. Relation fondamentale et division
10
Nous savons que × 3 = 10 c’est la relation fondamentale. Si nous faisons la division
3
10
euclidienne de 10 par trois, nous obtenons 10=3x3+1. On peut en déduire que est plus grand
3
que 3 (3x3=9) et plus petit que 4 (4x3=12).
b. Propriété des rationnels et division
Nous avons déjà rencontré la relation entre des entiers et des rationnels (12 en 3, 12 en 4) et la
division. Nous pouvons donc écrire des entiers sous une forme rationnelle.
9
3=9÷3=3
12
4 = 12 ÷ 3 = 3
Nous pouvons donc en déduire que

18
VERSION AUTEUR

9 10 12
3
< 3
< 3
C’est-à-dire
10
3< 3
<4
10 3×3+1
Remarque : nous pouvons dire que 3 = 3 , mais nous ne savons pas quoi en déduire. Nous
n’avons pour l’instant aucun moyen de savoir ce qui se « distribue » ou pas. On ne peut pas encore
1
faire le rapport avec la multiplication par 3 , qui ne sera étudiée qu’au collège. Il est important de
ne pas considérer comme « évident » ce qui ne peut pas se justifier dans le contexte de la situation
fondamentale.

IV. ADDITION DES RATIONNELS


Il s’agit de la dernière partie de la séquence, conformément aux programmes de 2015. Si les
rationnels sont des nombres alors on peut les additionner. Le raisonnement va être très proche de
celui de la partie précédente, ce qui va renforcer les techniques à l’œuvre.
1. Des rationnels que l’on peut additionner facilement
Une situation de communication
Pour introduire l’addition, nous pouvons engager les élèves dans une situation de communication.
10 1
En effet, nous n’avons pas encore fait le rapport entre 3 et 3 × 10. Il faut donc trouver un autre
moyen pour comprendre le résultat. Cela va nous permettre de rencontrer la relation fondamentale
comme une connaissance utile. Un rationnel-mesure est défini dans notre cadre par la mesure d’une
longueur (un nombre dans un système d’unité donné) et un nombre qui définit le partage sur le
guide-âne.
Des bandes déjà découpées de différentes longueurs (10u, 11u, 12u, 13u), toutes pliées en 3,
sont disponibles en nombre suffisant pour chaque groupe d’élèves. Chaque groupe d’élèves
dispose d’un guide-âne. On organise une communication écrite entre un groupe
d’émetteurs et un groupe de récepteurs. Pour éviter les communications orales
intempestives, les élèves ne savent pas qui va recevoir leur message, qui est transmis par
le PE.
« PE : « Vous allez mettre bout-à-bout deux bandes pliées. Vous devez écrire un message pour
que le groupe qui va le lire puisse fabriquer une bande pliée qui aura la même longueur
que celle que vous avez fabriquée en mettant bout à bout vos deux bandes pliées. Vous
pouvez découper les bandes pliées si besoin »
Pour trouver la longueur de la bande qu’il faut plier, il faut retravailler sur la relation fondamentale
des rationnels. Si l’on a choisi par exemple de mettre bout à bout une bande de 10u pliée en 3 et
une bande de 11u pliée en 3, il faut réorganisant physiquement ou schématiquement les morceaux
de bande pliées, dont la longueur totale mesure 21u. Le schéma ou le découpage et la
recomposition permettent de constater qu’il faut désigner une bande de 21u pliée en 3.

Figure 9. Addition de rationnels

19
VERSION AUTEUR

10 11 10+11 21
3
+3 = 3
= 3
Certains élèves peuvent se laisser entrainer par les nombres en jeu et penser que le résultat doit
10 11 10+11 21
être 3 + 3 = 3+3 = 6 . Ils ont tort, ce qu’ils peuvent comprendre à la fois par le raisonnement
et par la validation dans le milieu : le dépassement de cette erreur fait partie de l’apprentissage,
non seulement pour ceux qui l’ont commise mais aussi pour les autres élèves. En effet, dans le
contexte des bandes et du guide-âne, certains élèves ne feront pas cette erreur mais ils pourront la
faire dans un contexte purement numérique. Ils doivent pouvoir se souvenir que c’est faux et
pourquoi c’est faux.
2. Multiplication d’un rationnel par un entier
10
Nous voulons multiplier par 3 en mettant bout à bout des bandes pliées. Pouvez-vous
4
anticiper le résultat ? Expliquez votre réponse.
Il faut mettre bout à bout 3 bandes pliées. On peut remarquer au passage que cela sera en tout cas
plus petit que 10, car il y faut une bande pliée de plus pour faire 10 (relation fondamentale).
Nous savons additionner les rationnels quand ils représentent un partage par le même nombre.
10 10 10 10 10+10+10 3×10
3× 4
= 4
+ 4
+ 4
= 4
= 4
Il n’est peut-être pas pertinent au CM de systématiser cette propriété, surtout hors d’un contexte
dans lequel elle a du sens. Comme c’était le cas pour l’addition (non répétée) la même erreur peut
se produire pour les mêmes raisons et certains élèves peuvent répondre :
10 3×10
3× 4
= 3×4
Ils ont tort et cela fait aussi partie de l’apprentissage que de le savoir et aussi de comprendre les
raisons qui fondent le résultat correct.

CONCLUSION
1. Relation avec les fractions
Même si notre séquence n’est pas à proprement parler sur les « fractions », puisque nous n’avons
pas fractionné l’unité, nous sommes en fait restés au plan numérique dans le domaine de ce qui
peut être modélisé par des « fractions simples » au sens du document d’accompagnement de
programme, en prenant toujours un petit nombre de parts (Ministère de l’Éducation nationale,
2016a) : « lors que le partage de l’unité se fait en un petit nombre de parts (2, 3, 4, …) et que l’on
2 5 3
prend un petit nombre de telles parts, on parle de fraction simple : 3 , 4 , 10, etc. [en note de bas de
page : la notion de « fraction simple » n’est pas définie de manière précise en mathématiques] »
(p.1).
La relation avec les fractions demande de fractionner l’unité, c’est-à-dire de partager une bande
dont la longueur mesure 1 unité. Sur les photos, la longueur de l’unité choisie mesure 2cm, ce qui
permet le partage en 4 avec un guide-âne avec des parallèles espacées d’au plus 0,5cm.
Il est alors possible de faire la relation entre ce que l’on appelle d’habitude un quart et le rationnel
1
(un en 4) et de même pour les autres fractions « usuelles ». Puisque les élèves connaissent la
4
1 10
multiplication par un entier, il est alors possible de retrouver la relation avec 10 × 4 = . On
4
10
pourra donc lire 4 dix quarts pour satisfaire à l’usage, sans oublier toutefois que dix quarts (10
quarts d’unité) est aussi dix en quatre (10 unités partagées en 4).

20
VERSION AUTEUR

2. Rôle de la situation fondamentale


Mon ambition dans cet article, même si la séquence est assez détaillée, est de montrer comment
un enseignant pourrait s’appuyer sur la situation fondamentale du guide-âne pour fonder un
enseignement des fractions correspondant aux objectifs mathématiques qui sont ceux du début du
cycle 3 (CM1 et CM2). Il y a d’autres solutions possibles, cette description n’est pas un « carcan ».
Cependant, il me semble très important, contrairement à ce qui se produit très souvent dans les
classes, de ne pas considérer la situation du guide-âne comme une « manipulation » qui ne sert
qu’à une introduction et qui peut être écartée rapidement. Dans ce texte, je me suis toujours référée
à la situation de partage permise par le guide-âne et la référence à la mesure de longueur est restée
essentielle jusqu’à la fin de la séquence.
La situation fondamentale du partage et, dans celle-ci, la validation par le milieu du guide-âne, est
indispensable pour comprendre les propriétés des objets étranges que l’on a construit. Plus la
référence à la situation fondamentale est forte pour les élèves et plus ils auront, plus tard, la
possibilité de remédier eux-mêmes aux erreurs qu’ils pourraient être tentés de faire.
Abandonner trop vite la validation par le milieu pourrait compromettre les apprentissages des
élèves les plus fragiles : ceux qui ont un rapport délicat avec l’écrit, ceux qui sont plus lents, ceux
qui ont tendance à penser qu’il n’y a rien à comprendre en mathématiques. Il vaut mieux attendre
que les élèves, même les plus fragiles, soient exaspérés par le retour constant au milieu pour la
validation et qu’ils interdisent au professeur d’y avoir recours…
3. Un travail en cours
Ce texte représente une ébauche, même si la réflexion qui le nourrit est plus ancienne et provient
tout particulièrement de la nécessité, en formation des enseignants, de trouver un compromis entre
les instructions officielles et les ingénieries les plus originales et les plus fécondes.
Ce travail a été rendu possible et nécessaire dans le contexte de la conception de la formation des
référents mathématiques circonscription de l’Académie de Clermont-Ferrand, dont la responsable,
Stéphanie Tinayre (IEN) a conçu le dispositif et encouragé un travail de qualité dans d’excellentes
conditions. Dans cette formation, l’association de formateurs de statuts variés : premier degré (PE,
PEMF, conseillers pédagogiques) et second degré, a permis la conduite d’une réflexion à la fois
concrète et rigoureuse dont cet article est, je l’espère, le reflet. C’est à la demande des référents
mathématiques que je l’ai écrit car sur un sujet délicat, il est important de disposer d’un écrit.
Peut-être que ce texte inspirera des déclinaisons en classe, c’est son ambition. En l’état, ce n’est
qu’une proposition didactique.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Anselmo, B., Bonnet, M., Colonna, A., Combier, G., Latour, J., & Planchette, P. (1999). La sixième entre
fractions et décimaux. IREM de Lyon.
Anselmo, B., & Zucchetta, H. (Éd.). (2018). Construire les nouveaux nombres au cycle 3. Fractions et
décimaux. Réseau Canopé/ IREM de Lyon.
Artaud, M. (à paraître). Besoins praxéologiques de la profession : Le cas des grandeurs et de leur mesure.
In H. Chaachoua (Éd.), Actes de la 20e école d’été de didactique des mathématiques—Titre
provisoire. La Pensée Sauvage.
Barilly, B., & Le Poche, G. (2012). Les fractions. In J.-L. Durpaire & M. Mégard (Éd.), Le nombre au cycle
3 (p. 82‑96). Paris: SCÉRÉN CRDP-CNDP.
Bessot, A. (2011). L’ingénierie didactique au coeur de la théorie des situations. In C. Margolinas, M.

21
VERSION AUTEUR

Abboud-Blanchard, L. Bueno-Ravel, N. Douek, A. Fluckiger, P. Gibel, & F. Wozniak (Éd.), En


amont et en aval des ingénieries didactiques (p. 29‑56). Grenoble: La pensée sauvage.
Brousseau, G. (1980). Problèmes de didactique des décimaux : première partie. Recherches en Didactique
des Mathématiques, 1(1), 11‑59.
Brousseau, G. (1981). Problèmes de didactique des décimaux : deuxième partie. Recherches en Didactique
des Mathématiques, 2(1), 37‑127.
Brousseau, G., & Brousseau, N. (1987). Rationnels et décimaux dans la scolarité obligatoire. Consulté à
l’adresse https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00610769/fr/
Brousseau, G., Brousseau, N., & Warfield, G. (2014). Teaching Fractions through Situations: A
Fundamental Experiment. Dordrecht Heidelberg New-York London: Springer.
Conne, F. (1992). Savoir et connaissance dans la perspective de la transposition didactique. Recherches en
Didactique des Mathématiques, 12(2‑3), 221‑270.
Margolinas, C. (1993). De l’importance du vrai et du faux dans la classe de mathématiques. Grenoble: La
pensée sauvage.
Matheron, Y., & Salin, M.-H. (2002). Les pratiques ostensives comme travail de construction d’une
mémoire officielle de la classe dans l’action enseignante. Revue Française de Pédagogie, 141,
57‑66.
Ministère de l’Éducation nationale. (2016a). Fractions et nombres décimaux au cycle 3. Consulté à
l’adresse
http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Fractions_et_decimaux/60/1/RA16_C3_MATH_frac
_dec_doc_maitre_V2_681601.pdf
Ministère de l’Éducation nationale. (2016b). Fractions et nombres décimaux au cycle 3/ Annexe 5: le guide-
âne. Consulté à l’adresse
http://cache.media.education.gouv.fr/file/Fractions_et_decimaux/42/4/RA16_C3_MATH_frac_de
c_annexe_5_673424.pdf
Ratsimba-Rajohn, H. (1982). Eléments d’étude de deux méthodes de mesures rationnelles. Recherches en
Didactique des Mathématiques, 3(1), 65‑113.
Salin, M.-H., & Greslard, D. (1998). La collaboration entre chercheurs et enseignants dans un dispositif
original d’observation de classes, et lors de la préparation d’une séquence de classe, le Centre
d’Observation et de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (COREM). Consulté 11
novembre 2014, à l’adresse Les liens entre la pratique de la classe et la recherche en didactique des
mathématiques, 50e Rencontre de la CIEAM website: http://guy-brousseau.com/wp-
content/uploads/2010/08/Collaboration-entre-chercheurs-et-enseignants.pdf
Sensevy, G. (1998). Institutions didactiques: étude et autonomie à l’école élémentaire. Paris: Presses
Universitaires de France.
Sensevy, G. (1997). Un prototype d’ingénierie didactique: le Journal des Fractions. Publications de
l’institut de recherche mathématiques de Rennes, fascicule 3(Fascicule de didactique des
mathématiques et de l’E.I.A.O). Consulté à l’adresse
http://www.numdam.org/article/PSMIR_1997-1998___3_45_0.pdf
Wozniak, F. (à paraître). « Grandeurs et mesures » un domaine connexe à la statistique : Impact sur le
curriculum. In H. Chaachoua (Éd.), Actes de la 20e école d’été de didactique des mathématiques—
Titre provisoire. La Pensée Sauvage.

22
VERSION AUTEUR

ANNEXE 1
DOCUMENTS RECUEILLIS PAR DES GROUPES D’ÉTUDIANTS
DE M1 MEEF – ESPE CLERMONT-AUVERGNE EN 2018-2019
CM1

23
VERSION AUTEUR

CM2

24

Vous aimerez peut-être aussi