Petite Anthologie Bilingue de Litteratur
Petite Anthologie Bilingue de Litteratur
Petite Anthologie Bilingue de Litteratur
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préparée par
Denis Matringe
Première mise en ligne : 2011 ; cette édition revue et augmentée : avril 2024.
PRÉSENTATION
Carte de l’Iran vers l’an 1000
(http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/1758568)
Ce petit manuel est issu des cours donnés quelques années durant par le compilateur à des étudiants
de mastère en sciences sociales désireux de se spécialiser dans l’étude de l’Inde dite musulmane,
islamisée à la suite de conquêtes venues pour l’essentiel du monde iranien. L’enseignement en question
leur proposait une initiation à la langue persane à travers une introduction au vaste héritage des belles
lettres persanes classiques que l’élite intellectuelle indo-musulmane a fait sien pendant un millénaire,
du XIe siècle au début du XXe. Pendant toute cette période en effet, le persan a été dans l'Inde du Nord
des Ghaznévides (Xe-XIIe siècles), des sultanats (1192-1526) puis de l'empire moghol (1526-1857)
langue véhiculaire ainsi que langue de culture et d’administration, et il est resté pratiqué comme langue
littéraire jusque dans la première moitié du XXe siècle.
Pour introduire à l’étude de cet héritage, nous avons rassemblé dans les pages qui suivent de
brefs extraits de chefs-d’œuvre de la littérature persane classique. Suivant en cela l’exemple de
Charles-Henri de Fouchécour dans sa présentation de la littérature persane dans l’ Histoire des
littératures de l’Encyclopédie de la Pléiade1, nous avons ordonné les textes selon les genres, et non
selon l’ordre chronologique. Pour chaque genre, nous avons retenu d’un à quatre auteurs
particulièrement importants. Ferdowsi (~ 940 - ~1020) représente ainsi l’épopée et Neẕâmi (1141-1209)
le roman en vers. Vient ensuite un ensemble consacré à la littérature didactique : soufisme, miroirs des
princes et morale. Dans le domaine du soufisme, ʿAṯṯâr (vers 1119-1190) a été choisi pour le poème
mystique allégorique, Rumi (1207-1273) pour sa célèbre somme spirituelle en vers, le Maṣnavi, ʿErâqi
(1213-1289) et Jâmi (m. 1414-1492) pour les traités mêlant prose et vers et aussi, concernant le second,
pour le genre hagiographique. Neẕâm al-Molk (m. 1093), lui, illustre le manuel de gouvernement au
contenu bien organisé, Abu l-Maʿâli Naṣirallâh Monši (m. vers 1160-1187) le miroir des princes
consistant en une succession de récits et Nâṣer al-Din Ṯusi (1201-1274) la morale. Puis vient Saʿdi
(~1209 - ~1295), dont le Bustân (Jardin des parfums) et le Golestân (Roseraie) embrassent tout le
champ de la littérature didactique. Comme exemples des sommets de la poésie lyrique sont enfin
proposés une ode de Rudaki (m. 940), des quatrains de ʿOmar Xayyâm (~1047-1123) et de Jahân
Malek Xâtun (après 1324 – après 1382) et des ghazals de Ḥâfeẕ (~1325 - ~1390). La place de choix
réservée au premier et aux deux derniers de ces auteurs n’est rien d’autre qu’un reflet des préférences
du compilateur.
Les textes, donnés en graphie originale et en transcription, sont tirés d’éditions courantes.
Quand des traductions françaises en ont été publiées, ce sont elles qui sont reproduites ici, en hommage
aux traducteurs, même si celle du Šâhnâme par Jules Mohl est fondée sur sa propre édition du texte,
antérieure à celle utilisée ici.
L’anthologie est suivie de deux appendices. Viennent en premier lieu des rudiments
grammaticaux du persan contemporain standard, basés sur la commode Elementary Persian Grammar
1 Pour la référence de ce travail et de ceux qui sont mentionnés plus bas dans cette introduction, voir la
bibliographie.
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
de L. P. Elwell-Sutton. Le persan a en effet cette particularité fascinante pour un Européen que, lorsque
apparaissent ses premières attestations littéraires, il se présente pour l’essentiel comme la langue
soutenue d’aujourd’hui, celle de la littérature et de la presse. Certains faits de la langue des textes de
l’anthologie, toutefois, sont propres au persan classique, et ils sont présentés dans l’avant-dernière
rubrique de ces rudiments grammaticaux, à l’aide de l’ « initiation au persan classique » incluse par
Charles-Henri de Fouchécour dans ses Éléments de persan (p. 317-344). Cette partie se conclut avec
une note sur la métrique. Le second appendice consiste en un lexique persan-français de tous les mots
rencontrés dans les textes, qui suit le Dictionnaire persan-français de Gilbert Lazard, avec des
compléments empruntés aux dictionnaires de Haïm et de Steingass (voir ci-dessous, bibliographie).
Après la conquête arabe qui, vers le milieu du VIIe siècle, met fin à un empire sassanide déjà ébranlé
par son conflit avec l’empire byzantin, l’arabe s’impose rapidement comme langue de culture aux
nouvelles élites musulmanes d’Iran. Mais avec la désintégration du califat abbasside, à partir du IXe
siècle, l’apparition de dynasties provinciales autonomes dans le monde iranien favorise l’accession du
persan, écrit en caractères arabes, au statut de langue littéraire, notamment au Khorasan et en Asie
Centrale. Les potentats de ces régions, issus de l’aristocratie terrienne, souhaitent s’entendre louanger
en des poèmes empruntant leur forme aux panégyriques arabes, les qaṣide, mais dans la seule langue
que, tout comme leurs sujets, ils comprennent : le persan.
Rudaki, qui tient encore de l’aède ancien, est ainsi poète officiel d’un émir de la première
dynastie iranienne apparue après la conquête arabe, celle des Samanides (819-1005), dont les plus
grands souverains règnent sur la Transoxiane et le Khorasan, avec Boukhara comme capitale. Un autre
genre, issu lui de la tradition iranienne, s’impose aussi dans ces cénacles : l’épopée, dont le grand
maître, Ferdowsi, écrit dans le Khorasan ghaznévide (962-1186) le Šâhnâme, véritable épopée
nationale iranienne. C’est encore à la cour ghaznévide qu’Abu l-Maʿâli Naṣirallâh Monši invente une
prose persane sophistiquée dans son miroir des princes intitutlé Kalile va Demne (Kalila et Demna).
Turcs iranisés comme les Ghaznévides, les Seljoukides unifient le monde iranien aux XIe et XIIe
siècles. À leur époque, la poésie lyrique, comme celle de ʿOmar Xayyâm (pour autant que l’on puisse
identifier le poète au grand savant qui porte ce nom), prend son premier essor, et le roman médiéval en
forme de couplets rimés à l’iranienne AA, BB, etc., atteint son apogée avec ʿAṯṯâr et surtout Neẕâmi.
Durant cette période s’écrit en persan une importante littérature scientifique et technique, et Neẕâm al-
Molk rédige, avec le Siar al-Moluk (La Conduite des rois), le plus important manuel de gouvernement
du Moyen Âge musulman.
Au XIIIe siècle, les ravages de la déferlante mongole poussent nombre d’hommes de lettres, de
science et de religion vers l’exil, en Inde ou en Turquie. C’est dans ce dernier pays que se réfugie la
famille du grand mystique Rumi, représentant archétypal de ces maîtres établis loin des cours et dont
la poésie donne à sentir l’expérience de l’ineffable tout en instruisant leurs disciples. Certains
intellectuels, toutefois, comme le savant et moraliste Nâṣer al-Din Ṯusi qui s’était d’abord réfugié auprès
des ismaéliens d’Alamut, se mettent au service des Mongols. D’autres, comme Saʿdi, ont la chance de
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PRESENTATION
pouvoir demeurer dans une cité dont le prince turc iranisé qui les patronne a préventivement fait
allégeance aux conquérants. ʿErâqi, lui, se trouve en Inde durant la période la plus troublée, et gagne
de là la Turquie, où il rencontre Rumi, puis Damas.
L’Iran, désormais coupé du monde sunnite arabo-turc, se relève de ses ruines et retrouve
graduellement prospérité et rayonnement culturel sous les sultans Ilkhanides (1256-1353) après la
conversion à l’islam du sultan mongol de Perse Ġazan Xân en 1295. Le pays redevient un carrefour
commercial entre l’Europe et l’Asie, avant de se morceler à nouveau, vers 1340, en principautés rivales,
comme celle des Moẓaffarides (1314-1393), qui dominent la Perse, le Kerman et une partie de l’Irak.
Un prince de cette dynastie, dont Chiraz est la capitale, Šâh Šojâʿ (r. 1363-1384), est le principal patron
du plus grand poète lyrique iranien, Ḥâfeẕ, tout comme de sa contemporaine Jahân Malek Xâtun. Cette
période prend fin avec les invasions dévastatrices des Turco-mongols tchaghataïs de Tamerlan (1336-
1405). Ses descendants, les Timourides, sont des mécènes qui encouragent la littérature, la peinture
et les sciences. À leur époque, Jâmi, dernier grand représentant de la littérature persane classique,
récapitule tout l’acquis antérieur en matière de prose et de poésie dans des chefs-d’œuvre marqués par
le soufisme.
Bibliographie sommaire
Dictionnaires
Lazard, Gilbert, Dictionnaire persan-français, Leiden, Brill, 1990 (régulièrement réimprimé en Iran).
Haïm, Suleyman, Persian-English Dictionary, Téhéran, Bekhourim, 1961.
Steingass, Francis Joseph, A Comprehensive Persian-English Dictionary, Londres, Allen, 1892
(régulièrement réimprimé par divers éditeurs).
Grammaires
Elwell-Sutton, L. P., Elementary Persian Grammar, Cambridge, Cambridge University Press, 2e édition,
1972.
Fouchécour, Charles-Henri de, Éléments de persan, Paris, Publications Orientalistes de France, 1981.
Lazard, Gilbert, Grammaire du persan contemporain, 2e édition, Téhéran, Institut Français de
Recherche en Iran et Farhang Moaser, 2006.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Encyclopædia Iranica, dir. Ehsan Yarshater, New York, Columbia University, en cours de publication
depuis 1982, en ligne (consultation gratuite) depuis 1996 à http://www.iranicaonline.org/.
Fouchécour, Charles-Henri de, « Littérature persane », dans Raymond Queneau (dir.), Histoire des
littératures, 2 vols., 2e éd., Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Gallimard,1977, vol. 1, p. 755-787.
Fouchécour, Charles-Henri de, « Iran VIII. Persian Literature (2) : Classical», dans Encyclopaedia
Iranica, http://www.iranicaonline.org/articles/iran-viii2-classical-persian-literature, 2006.
Massé, Henri, Anthologie persane, Paris, Payot, 1950.
Mélikian-Chirvani, Assadullah Souren, Le Chant du Monde : l’art de l’Iran safavide, Paris, Musée du
Louvre Éditions et Somogy Éditions d’Art, 2007.
Porter, Yves, Les Iraniens, Paris, Armand Colin, 2006.
Rypka, Jan (dir.), History of Iranian Literature, 2e édition, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company,
1968.
Thackston, Wheeler M., A Millenium of Classical Persian Poetry, Bethesda, Ibex Publications, 1994.
Transcription
Les mots sont transcrits d’après leur prononciation en persan contemporain standard comme dans le
dictionnaire de Gilbert Lazard, mais les consonnes sont strictement translittérées, de manière à
différencier, par exemple, les quatre graphèmes arabes correspondant au son /z/ en persan, ou encore
ġeyn ( )غde qâf ()ق, prononcés à l’identique en persan, et à faire apparaître dans la graphie la lettre ʿeyn
()ع, non prononcée en persan. Une telle transcription n’est bien entendu pas à même de rendre compte
de la métrique, et n’y vise pas.
ا a-, e-, o-, -â(-) ر r ق q
آ â- ز z ک k
ب b ژ ž گ g
پ p س s ل l
ت t ش š م m
ث ṡ ص ṣ ن n
ج j ض ẓ و v, o (rare), u, ow, w
چ c ط ṯ (non prononcé)
ح ḥ ظ ẕ ہ h, -e
خ x ع ʿ ی y, i, ey, -ä
د d غ ġ ا -an
ذ ż ف f ا, ئ, و, یʾ
Dans les quelques mots transcrits directement de l’arabe, le vocalisme de cette langue et sa notation
habituelle ont été respectés : a, i, u pour les voyelles brèves, ā, ī, ū pour les voyelles longues, ay et aw
pour les diphtongues.
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PRESENTATION
Abréviations
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TEXTES
Kayumarṡ, premier roi du monde
Page du Šânâme de Ṡâh Ṯamâsp
Tabriz, 1524-1539
Genève, Aga Khan Trust for Culture
1. L’ÉPOPÉE
Ferdowsi (vers 940-1020), Šâhnâme
Ferdowsi est le grand poète épique de la littérature persane. Né dans les environs de Tus, près de
l’actuelle Meshed, dans le Khorasan, il était issu d’une de ces familles de gentilshommes ruraux
(dehqân) qui assurèrent longtemps après l’islamisation la continuité culturelle avec l’Iran pré-islamique.
Il entreprit la composition de son poème vers la quarantaine, en acheva une première rédaction à l’âge
de soixante-et-onze ans, et y mit, de son propre aveu, la dernière main à près de quatre-vingts ans.
Ferdowsi a raconté lui-même comment il a recherché fiévreusement des documents dépendant
d’anciennes œuvres en pehlevi, langue littéraire de l’époque sassanide, et comment il a incorporé dans
son texte les quelque mille vers écrits par son prédécesseur, Daqiqi, qui périt assassiné par son esclave
en 978 (voir ci-dessous, extrait 1). Son Šâhnâme, écrit dans le mètre motaqâreb (˘ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ | ˘ ˉ),
compte quelque 60.000 couplets rimés et se divise en trois grandes parties, mythique, héroïque et
historique. La première, qui est aussi la plus courte, raconte l’histoire de quatre rois civilisateurs régnant
sur un monde uni. Avec la division du monde entre les fils du quatrième commence la partie héroïque,
et Ferdowsi s’attache dès lors à suivre le destin de l’Iran. Cette partie traite des conflits intermittents
entre Iraniens et Turcs turâniens, dans lesquels les rois d’Iran sont aidés par une noble famille du
Séistan, notamment par le héros Rostam ; elle relate aussi le passage de l’Iran au zoroastrisme. Enfin,
les aventures d’Alexandre ouvrent la partie historique de l’épopée, qui est consacrée aux Sassanides,
jusqu’à leur défaite devant les Arabes.
Dans cette immense fresque, il s’agit pour le poète d’expliquer à l’aide de mythes, de légendes
et d’éléments historiques comment s’est formé puis a décliné l’Iran sassanide et zoroastrien et ce qui a
fondé la légitimité de ses rois jusqu’à la catastrophe de l’invasion arabe. Quand Ferdowsi traite des
Sassanides, le récit se fait plus historique qu’épique, avec des développements politiques et moraux et
des narrations de contes.
Le Šâhnâme a représenté une épopée nationale pour tous ceux qui se considéraient comme
iraniens par la naissance et l’origine géographique, ou en raison de leur adoption de l’éthos et de la
culture de l’Iran. Autant livre pour les rois et leurs sujets, sur la nature de l’homme et sa destinée, que
livre sur les rois, il ne contient, dit Ferdowsi, « ni tromperie ni faux-semblant. L’homme intelligent y
trouvera tout ce qu’il lui faut, quand même il devrait déchiffrer des symboles 2 ».
2 Šâhnâme-ye Ferdowsi, texte de l’édition de Moscou (dir. Y. A. Bertel et al., 9 vol., Moscou, Institut Narodov
Azii,1960-1971), Téhéran, Našr-e qaṯre, 1381sh (2007), p. 4 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre des rois, publié,
traduite et commenté par M. Jules Mohl 7 vols., Paris, Imprimerie Nationale, 1876, réimpr. Paris, Jean
Maisonneuve, 1976, vol. 1, p. 17.
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Après avoir achevé sa première rédaction du Šâhnâme, Ferdowsi décida d’en faire hommage
au sultan turc du Khorasan Maḥmud de Ghazna (971-1030, r. 997-1030), dont la cour était brillante et
le royaume le plus grand d’Asie occidentale. Mais Maḥmud ne lui accorda qu’une rémunération
dérisoire, soit que, habitué aux brèves qaṣide, il n’ait pas saisi la grandeur de l’œuvre, soit qu’il ait été
offusqué par la valorisation des Iraniens face aux Turcs dans le Livre des rois, soit encore qu’il ait été
choqué, dans son orthodoxie sunnite affichée, par le chiisme de Ferdowsi et par le grand cas fait par le
poète du zoroastrisme dans son œuvre (on a, à tort, longtemps attribué à Ferdowsi une diatribe contre
le sultan). Ayant regagné Tus après s’en être enfui, le poète y finit ses jours dans l’amertume et la gêne.
On circule aisément dans le Šâhnâme grâce à la remarquable vision d’ensemble qu’en a
donnée Charles-Henri de Fouchécour dans « Une lecture du Livre des Rois de Ferdowsi » (Studia
Iranica 5.2, 1976, p. 172-202). Les éléments de situation des textes de Ferdowsi figurant ci-dessous
doivent beaucoup à cette étude.
Extrait 1
Comment Ferdowsi entreprit la composition du Šâhnâme3
Le Šâhnâme commence par un prologue de deux cents vingt-cinq couplets dans l’édition utilisée, – celle
dite de Moscou. Il s’ouvre sur une louange à Dieu, suivie d’un éloge de la raison. Des couplets consacrés
à la création du monde, à celle de l’homme, à celle de la lune et à celle du soleil précèdent ensuite un
long éloge du Prophète.
Après cette entrée en matière originale par la place de choix accordée à la raison, Ferdowsi en
vient à présenter la genèse de son grand-œuvre.
بر باغ دانش ھمہ رفتہ اند سخن ھر چہ گویم ھمہ گفتہ اند
نیابم کہ از بر شدن نیست رای اگر بر درخت برومند جای
ھمان سایہ زو باز دارد گزند کسی کو شود زیر نخل بلند
بر شاخ آن سرو سایہ فکن توانم مگر پایہ ای ساختن
بہ گیتی بمانم یکی یادگار کزین نامور نامہ شھریار
بہ رنگ فسون و بھانہ مدان تو این را دروغ و فسانہ مدان
دگر بر راہ رمز و معنی برد ازو ھر چہ اندر خورد با چرد
فراوان بدو اندرون داستان یکی نامہ بود از گہ باستان
ازو بھرہ ای نزد ھر بخردی پراگندہ در دست ھر موبدی
دلیر و بزرگ و خردمند و راد یکی پھلوان بود دھقان نژاد
گذشتہ سخنھا ھمہ باز جست پژوھندہ روزگار نخست
بیاورد کاین نامہ را یاد کرد ز ھر کشوری موبدی سالخورد
فرخ مھانّ وزان نامداران بپرسیدشان از کیان جھان
کہ ایدون بہ ما خوار بگذاشتند کہ گیتی بہ آغاز چون داشتند
بر ایشان ھمہ روز کند آوری چہ گونہ سرامد بہ نیک اختری
سخنھای شاھان و گشت جھان بگفتند پیشش یکایک مھان
یکی نامور نامہ افکند بن چو بشنید از ایشان سپھبد سخن
3 Šâhnâme-ye Ferdowsi, texte de l’édition de Moscou (dir. Y. A. Bertel et al., 9 vol., Moscou, Institut Narodov
Azii,1960-1971), Téhéran, Našr-e qaṯre, 1381sh (2007), p. 4-5 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre des rois, publié,
traduite et commenté par M. Jules Mohl 7 vols., Paris, Imprimerie Nationale, 1876, réimpr. Paris, Jean
Maisonneuve, 1976, vol. 1, p. 17-21.
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TEXTES
سوی تخت شاہ جھان کرد روی دل روشن من جو بر گشت ازوی
ز دفتر بگفتار خویش آورم کہ این نامہ را دست پیش آورم
بترسیدم از گردش روزگار بپرسیدم از ھر کسی بیشمار
بباید سپردن بدیگر کسی مگر خود درنگم نباشد بسی
ھمین رنج را کس خریدار نیست و دیگر کہ گنجم وفادار نیست
سخن را نھفتہ ھمی داشتم] [برین گونہ یکچند بگذاشتم
بجویندگان بر جھان تنگ بود] [سراسر زمانہ پر از جنگ بود
فرخ مھانبنزد سخن سنج ّ ز نیکو سخن بہ چہ اندر جھان
نبی کی بدی نزد ما رھنمای] [اگر نامدی این سخن از خدای
تو گفتی کہ با من بہ یک پوست بود بشھرم یکی مھربان دوست بود
بہ نیکی گراید ھمی پای تو مرا گفت خوب آمد این رای تو
بہ پیش تو آرم مگر نغنوی نبشتہ من این نامہ پھلوی
سخن گفتن پھلوانیت ھست گشادہ زبان و جوانیت ھست
بدین جوی نزد مھان آبروی شو این نامہ خسروان باز گوی
بر افروخت این جان تاریک من چو آورد این نامہ نزدیک من
Translittération
soxan har ce guyam hame gofte and bar bâġ-e dâneš hame rafte and
agar bar daraxt-e barumand jây nayâbam ke az bar šodan nist rây
kasi ku šavad zir-e naxl-e boland hamân sâye zu bâz dârad gazand
tavânam magar pâye’i sâxtan bar šâx-e ân sarv-e sâye fekan
kazin nâmvar nâme-ye šahreyâr begiti bemânam yeki yâdegâr
to in râ doruġ-o fasâne madân berang-e fosun-o bahâne madân
azu har ce andar xworad bâ xerad degar bar rah-e ramz-o maʿni barad
yeki nâme bud az gah-e bâstân farâvân bedu andarun dâstân
parâgande dar dast-e har mo’bedi azu bahre’i nazd-e har bexradi
yeki pahlavân bud dehqân nežâd dalir-o bozorg-o xeradmand-o râd
požuhande-ye ruzegâr-e naxost gożašte soxanhâ hame bâz jost
ze har kešvari mo’bedi sâlxword beyâvard kin nâme râ yâd kard
beporsidešân az keyân-e jahân va zân nâmdârân-e farrox mehân
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
del-e rowšan-e man co bar gašt azuy su-ye taxt-e šah-e jahân kard ruy
ke in nâme râ dast piš âvaram ze daftar begoftâr-e xwiš âvaram
beporsidam az har kasi bišomâr betarsidam az gardeš-e ruzegâr
magar xwod derangam nabâšad basi bebâyad sepordan bedigar kasi
va digar ke ganjam vafâdâr nist hamin ranj râ kas xaridâr nist
bar in gune yek cand bogżâštam soxan râ nahofte hami dâštam
sarâsar zamâne por az jang bud bejuyandegân bar jahân tang bud
ze niku soxan beh ce andar jahân benazd-e soxansanj farrox mehân
agar nâmadi in soxan az Xodây nabi key bodi nazd-e mâ rahnomây
be šahram yeki mehrabân dust bud to gofti ke bâ man be yek pust bud
marâ goft xub âmad in rây-e to beniki gerâyad hami pây-e to
nebešte man in nâme-ye pahlavi bepiš-e to âram magar naġonuy
gošâde zabân-o javâniat hast soxan goftan-e pahlavâniat hast
šav in nâme-ye xosrovân bâz guy bedin juy nazd-e mehân âberuy
co âvard in nâme nazdik-e man bar afruxt in jân-e târik-e man
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TEXTES
Traduction
Tout ce que je dirai, tous l’ont déjà conté, tous ont déjà enlevé les fruits du jardin de la connaissance.
Quand même je ne pourrais atteindre une place élevée dans l’arbre chargé de fruits, parce que mes
forces n’y suffisent pas ; toutefois, celui même qui se tient sous un arbre puissant, sera garanti du mal
par son ombre, et peut-être je pourrai atteindre une place sur une branche inférieure de ce cyprès qui
jette son ombre au loin, de sorte que par ce livre des rois illustre, je laisserai dans le monde un souvenir
de moi. Sache qu’il ne contient ni mensonge, ni fausseté ; mais ne crois pas que tout, dans le monde,
suive la même marche. Tous ceux qui sont doués d’intelligence se nourrissent de mes paroles, quand
même il leur faudrait y chercher des symboles.
Il y avait un livre des temps anciens, dans lequel étaient écrites beaucoup d’histoires. Tous les
Mobeds en possédaient des parties, chaque homme intelligent en portait un fragment avec lui. Il y avait
un Pehlewan, d’une famille de Dihkans, brave et puissant, plein d’intelligence et très illustre ; il aimait à
rechercher les faits des anciens et à recueillir les récits des temps passés. Il fit venir de chaque province
un vieux Mobed, qui avait rassemblé les parties de ce livre ; il leur demanda l’origine des rois et des
guerriers illustres, et la manière dont ils organisèrent le monde, qu’ils nous ont transmis dans un état si
misérable, et comment, sous une heureuse étoile, ils terminèrent chaque jour une entreprise. Les
grands récitèrent devant lui, l’un après l’autre, les traditions des rois et les vicissitudes du monde. Il
écouta leurs discours, et en composa un livre digne de renom. C’est le souvenir qu’il a laissé parmi les
hommes, et les grands et les petits célèbrent ses louanges.
Les chanteurs chantaient à tout le monde beaucoup d’histoires de ce livre, et le monde se prit d’amour
pour ces récits ; tous les hommes intelligents et tous les hommes de cœur s’y attachèrent. Alors parut
un jeune homme, doué d’une langue facile, d’une grande éloquence et d’un esprit brillant. Il annonça le
dessein de mettre en vers ce livre, et le cœur de tous en fut réjoui. Mais il aimait de mauvaises
compagnies ; il vivait oisif avec des amis pervers, et la mort l’assaillit subitement et posa sur sa tête un
casque noir. Il suivait son penchant vers les mauvais ; il leur abandonna son âme douce, et ne put se
réjouir du monde un seul jour. Tout à coup la fortune l’abandonna, et il fut tué par la main d’un esclave.
Il périt, et son poëme ne fut pas achevé ; et la fortune qui avait veillé sur lui s’endormit pour toujours. Ô
Dieu, pardonne-lui ses péchés, et place le bien haut dans ton paradis.
Lorsque mon âme se fut détournée de ce souvenir de lui, elle se tourna vers le trône du maître du
monde. Je désirais obtenir ce livre pour le traduire dans ma langue. Je le demandais à un grand nombre
d’hommes ; je tremblais devant la rotation du temps, craignant que si ma vie n’était pas longue, je ne
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
fusse obligé de le laisser à un autre. D’ailleurs, mon trésor pouvait m’échapper ; il pouvait ne se trouver
personne qui payât le prix de mon labeur : car le monde était rempli de combats, et le temps n’était pas
favorable à ceux qui cherchaient des récompenses. Ainsi se passa quelque temps, pendant lequel je
ne fis part à personne de mon plan ; car je ne vis personne qui fût digne de me servir de confident dans
cette entreprise. Qu’y a-t-il de mieux qu’une bonne parole ? Les grands et les petits s’en réjouissent. Si
Dieu n’avait pas révélé la meilleure des paroles, comment le prophète pourrait-il être notre guide ?
J’avais dans ma ville un ami qui m’était dévoué ; tu aurais dit qu’il était dans la même peau que
moi. Il me dit : « C’est un beau plan, et ton pied te conduira au bonheur. Je t’apporterai ce livre pehlewi.
Ne t’endors pas ! Tu as le don de la parole, tu as de la jeunesse, tu sais conter un récit héroïque.
Raconte de nouveau ce livre royal, et cherche par lui la gloire auprès des grands. » Puis il apporta
devant moi ce livre, et la tristesse de mon âme fut convertie en joie.
Extrait 2
Kayumarṡ, premier roi du monde4
Ce texte est tiré du récit consacré, juste après le prologue, aux six rois qui régnèrent sur le monde avant
le partage de celui-ci. Il traite du premier d’entre eux, Kayumarṡ, qui enseigna aux hommes les arts du
vivre, et dont le fils fut tué par Ahriman, esprit du mal dans le zoroastrisme. Le cycle des vengeances,
qui occupe une grande place dans le Šâhnâme, et le thème constant dans l’ouvrage de la lutte, parfois
en un même individu, entre les forces du bien et de celles du mal sont ainsi abordés d’entrée de jeu.
Le nom même de Kayumarṡ est la forme arabisée du vieux nom persan Gayômart. Il existe
diverses versions de l’histoire de ce roi, et l’une d’elle a été traduite en français par Gilbert Lazard 5. Elle
date de la même période que le Šâhnâme, mais elle plus développée que l’épisode correspondant de
l’épopée. Ce dernier a été superbement illustré dans les années 1524-1539 par le grand peintre
d’époque safavide Solṯân Moḥammad dans le grand Šâhnâme (380 feuillets, 258 peintures) préparé
dans les ateliers impériaux de Šâh Ṯahmâsp (1514-1576). La composition picturale, chef-d’œuvre de la
peinture iranienne, répond au texte plutôt qu’elle ne l’illustre, comme il en va toujours des meilleures
miniatures. Le manuscrit du Šâhnâme de Šâh Ṯahmâsp fut démembré par son propriétaire Arthur M.
Houghton, et cette miniature fut vendue aux enchères à Londres en 1976. Elle se trouve aujourd’hui
dans les collections de l’Aga Khan, à l’Aga Khan Trust for Culture de Genève. Exposée au Louvre en
2007 dans le cadre de l’exposition Le Chant du Monde : l’art de l’Iran safavide, elle a fait l’objet
d’analyses remarquables par le commissaire de l’exposition et auteur du catalogue, Assadullah Souren
Mélikian-Chirvani6.
4 Šâhnâme-ye Ferdowsi, op. cit., p. 7-8 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre des rois, publié, traduite et commenté
par M. Jules Mohl, 7 vol., Paris, Imprimerie Nationale, 1876, réimpr. Paris, Jean Maisonneuve, 1976, vol. 1, p. 49.
5 Gilbert Lazard, « Un texte persan sur la légende de Gayōmart », Journal Asiatique 244 (1956), p. 201-216.
6 Assadullah Souren Mélikian-Chirvani, Le Chant du Monde : l’art de l’Iran safavide, Paris, Musée du Louvre
Éditions et Somogy Éditions d’Art, 2007, p. 60-62 et 214-215.
18
TEXTES
Transcription
Traduction
Un homme [qui a lu un ancien livre où sont contenues les histoires de héros] dit que Kaïoumors institua
le trône et la couronne, et qu’il fut le premier roi. Lorsque le soleil entra dans le signe du bélier, le monde
fut rempli de splendeur, d’ordre et de lumière ; le soleil brilla dans le signe du bélier, de sorte que le
monde en fut rajeuni entièrement : alors Kaïoumors devint maître du monde. Au commencement il
établit sa demeure dans les montagnes ; son trône et sa puissance s’élevèrent de la montagne, et il se
vêtit, lui et son peuple, avec des peaux de tigre. De lui vint toute civilisation, car l’art de se nourrir et de
se vêtir était nouveau. Il régna trente ans sur la terre. Il était beau sur le trône comme le soleil ; il brillait,
du haut de son trône royal, comme une lune de deux semaines brille au-dessus d’un cyprès élancé.
Les animaux féroces et les bêtes sauvages qui le virent accoururent vers lui de tous les lieux du monde
et se tenaient courbés devant son trône : ce fut là ce qui releva sa majesté et sa haute fortune. Ils [les
hommes] venaient devant lui pour rendre hommage ; ce fut de lui qu’ils reçurent les lois.
19
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Extrait 3
Jamšid, quatrième roi du monde7
Jamšid, quatrième des premiers rois du monde encore indivis, régna 700 ans. Il inventa les armes et
enseigna aux hommes différents arts et techniques, tels que le filage, le tissage, la couture. Il divisa la
société en quatre classes (1. prêtres, 2. guerriers, 3. agriculteurs, 4. artisans et commerçants), et il
commandait aussi aux div (esprits maléfiques dans le zoroastrisme), auxquels il enseigna la
maçonnerie. Il inventa les bijoux, les parfums et les remèdes. Les div portaient aux nues son trône,
autour duquel s’assemblait toute l’humanité.
چہ مایہ بدو گوھر اندر نشاخت فر کیانی یکی تخت ساخت ّ بہ
ز ھمون بہ گردون بر افراشتی کہ چون خواستی دیو برداشتی
نشاستہ بر او شاہ فرمان روا چو خورشید تابان میان ھوا
شگفتی فرو ماندہ از بخت او جھان انجمن شد بر آن تخت او
بر آن روز را روز نو خواندند بہ جمشید بر گوھر افشاندند
بر آسودہ از رنج روی زمین سر سال نو ھرموز فروردین
و جام و رامشگران خواستند بزرگان بہ شادی بیاراستند
بہ ما ماند از آن خسروان یادگار فرخ از آن روزگار ّ چنین جشن
ندیدند مرگ اندر آن روزگار چنین سال سیصد ھمی رفت کار
میان بستہ دیوان بسان رھی ز رنج و ز بد شان نبود آگھی
ز رامش جھان پر ز آوای نوش بہ فرمان مردم نھادہ دو گوش
بہ گیتی جز از خویشتن را ندید یکایک بہ تخت مھی بنگرید
ز یزدان بپیچید و شد نسپاس منی کرد آن شاہ یزدان شناس
Transcription
be farr-e kiâni yeki taxt sâxt ce mâye bedu gowhar andar nešâxt
ke cun xwâsti div bardâšti ze hâmun be gardun bar-afrâšti
co xworšid-e tâbân miân-e havâ nešaste baru šâh-e farmân-ravâ
jahân anjoman šod bar ân taxt-e u šegofti foru-mânde az baxt-e u
be-Jamšid bar gowhar afšândand bar ân ruz râ ruz-e now xwândand
sar-e sâl-e now hormuz-e farvardin bar-âsude az ranj ru-ye zamin
bozorgân be-šâdi biârâstand va jâm-o râmešgarân xwâstand
conin jašn-e farrox az ân ruzegâr be mâ mând az ân xosrovân yâdegâr
conin sâl siṣad hami raft kâr na-didand marg andar ân ruzegâr
ze ranj-o ze bad-šaʾn nabud âgahi miân baste divân be-sân-e rahi
be farmân mardom nehâde do guš ze râmeš jahân por ze âvâ-ye nuš
yekâyek be taxt-mehi benegarid be giti joz az xwištan râ na did
mani kard ân šâh-e Yazdân-šenâs ze Yazdân bepicid-o šod na-sepâs
7 Abu l-Qâsem Ferdowsi, Šâhnâme, 2 vols., texte de l’édition de Moscou par E. Bertels et al. (9 vols., Institut
Narodov Azii, 1960-1971), Téhéran, Hermès, 2006, vol. 1, p. 20-21 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre des rois,
publié, traduite et commenté par M. Jules Mohl 7 vols., Paris, Imprimerie Nationale, 1876, réimpr. Paris, Jean
Maisonneuve, 1976, vol. 1, p. 53.
20
TEXTES
Traduction
Il fit un trône digne d’un roi, et y incrusta toutes sortes de pierreries ; et à son ordre les Divs le
soulevèrent et le portèrent de la terre vers la voûte du ciel. Le puissant roi y était assis comme le soleil
brillant au milieu des cieux. Les hommes s’assemblèrent autour de son trône, étonnés de sa haute
fortune; ils versèrent sur lui des joyaux, et donnèrent à ce jour le nom de jour nouveau (Neurouz) : c’était
le jour de la nouvelle année, le premier du mois Ferverdin. En ce jour, le corps se reposait de son travail,
le cœur oubliait ses haines. Les grands, dans leur joie, préparèrent une fête ; ils demandèrent du vin,
des coupes et des chanteurs ; et cette glorieuse fête s’est conservée, de ce temps jusqu’à nous, en
souvenir du roi.
Ainsi s’étaient passés trois cents ans, pendant lesquels la mort était inconnue parmi les
hommes. Ils ne connaissaient ni la peine, ni le malheur, et les Divs étaient ceints comme des esclaves.
Les hommes étaient attentifs aux ordres de Djemchid, et les doux sons de la musique remplissaient
le monde. Ainsi passèrent les années : Djemchid brillait de la splendeur de rois ; le monde était en paix
par les efforts de ce maître fortuné. Le roi reçut toujours de nouveaux messages de Dieu, et pendant
longtemps, les hommes ne virent en lui rien que de bien. Le monde tout entier lui était soumis, et il était
assis dans la majesté des rois ; mais tout à coup, il fixa son regard sur le trône du pouvoir, et ne vit plus
dans le monde que lui-même ; lui qui avait rendu jusque-là hommage à Dieu, devient orgueilleux, il se
délia de Dieu et ne l’adora plus.
EXTRAIT 4
La venue du printemps8
Dans le Šâhnâme, le règne des Sassanides est narré en trois époques : celle des premiers rois jusqu’à
Bahrâm Gur, qui rendit son pays heureux, – celle du plus grand souverain de la dynastie, Kasrâ le juste,
secondé par son vizir Buzorjmehr le sage, et celle des derniers rois contestés, jusqu’à Yazdegerd qui
connaît la défaite devant les Arabes.
Le texte ci-dessous est extrait de la relation du règne de Bahrâm Gur, qui est un roi chasseur
et galant, en contact avec ses sujets et qui, dès son accession au trône, a remis le royaume en bon
ordre. Après avoir, lors d’une partie de chasse, puni un avare en le mettant au service de son serviteur,
et avant de partir chasser en pays turânien, où il va tuer un dragon, Bahrâm passe « quelque temps
avec ses grands, s’amusant avec du vin brillant, des coupes et des chanteurs ».
Ces vers sont typiques de la veine lyrique qui court en maint passage du Šâhnâhme, dont le
projet fut assurément tout autant poétique qu’historique, moral et spirituel, et le premier d’entre eux est
célèbre pour évoquer la venue du printemps dans tout le monde iranisé.
8 Abu l-Qâsem Ferdowsi, Šâhnâme, 2 vols., texte de l’édition de Moscou par E. Bertels et al. (9 vols., Institut
Narodov Azii, 1960-1971), réimpr. 1 vol. Téhéran, Našr-e qaṯre, 2002, p. 979 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre
des Rois, publié, traduit et commenté par M. Jules Mohl, 7 vols., Paris, Imprimerie Nationale,1876, vol. V, p. 609.
21
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
بہ خاک سیہ بر فلک اللہ کشت بھار آمد و شد جھان چون بھشت
جوی آبھا چون می و شیر گشت ھمہ بومھا پر ز نخجیر گشت
کشیدند بر سبزہ ھر جای نخ گرازیدن گور و آھو بہ شخ
بسان گل نارون می بہ خم ھمہ جویباران پر از مشک دم
Tanslittération
bahâr âmad-o šod jahân cun behešt be xâk-e seyah bar falak lâle kešt
hame bumhâ por ze naxjir gašt juy âbhâ cun mey-o šir gašt
gorâzidan-e gur-o âhu be šax kešidand bar sabze har jây nax
hame juybârân por az mošk dam besân-e gol-e nârvon mey be xom
Le printemps arriva, le monde devint comme le paradis et le ciel sema des tulipes sur la terre noire ;
tout le pays se remplit d’animaux, l’eau dans le ruisseau devint comme du vin et du lait, les onagres et
les antilopes parcouraient les plaines et formaient partout des rangs sur la verdure, tous les courants
d’eau exhalaient un parfum de musc, et le vin brillait dans les amphores comme la fleur du grenadier.
EXTRAITS 5 ET 6
La coupe de Xosrow
Dans le Šâhnâme apparaît à deux reprises un objet magique célèbre dans la culture iranienne : une
coupe dans laquelle son détenteur, en l’occurrence le roi Xosrow, voit l’univers entier et son avenir et
dont la tradition a ensuite attribué la possession à Jamšid, quatrième roi du monde encore indivis 10.
Xosrow est l’un des souverains du cycle héroïque du poème de Ferdowsi, qui fait suite au cycle
mythique dans lequel Ferdowsi traite de l’histoire des premiers roi du monde indivis et du partage de
celui-ci par Faridun entre ses fils, Salm, l’aîné, obtenant l’Occident, Tur le Turân et le benjamin, Iraj,
l’Iran. Après le complot des aînés qui aboutit à l’assassinat d’Iraj par Tur, Faridun obtient du ciel un
vengeur, Manucehr, né d’une fille d’Iraj, qui tue ses oncles.
S’ouvre alors le cycle mythique, dans lequel les rois d’Iran sont aidés par les princes du Sistân,
au premier rang desquels Rostam, fils de Zâl, lui-même fils de Sâm. Du côté des dynastes, le fils de
Manucehr, Nowżar, est un roi injuste, qui est tué lors d’une attaque des Turâniens. Zow est choisi pour
lui succéder, mais âgé, il décède peu après son sacre. Rostam parvient alors à ramener de l’Elborz un
descendant de Feridun, Key-Qobâd, qui désigne son fils Key-Kâvus pour lui succéder. Ce dernier est,
9 Les deux groupes de mots en italiques sont traduits d’après l’édition dite de Moscou, qui en ces deux endroits
diffère de celle de Jules Mohl, « un paradis » a été remplacé par « le paradis » et « la terre » par le « le monde »,
pour éviter une répétition.
10 Pour un exemple, voir plus bas le ghazal 1 de Ḥâfeẕ (« Qui tient en main la coupe… »).
22
TEXTES
dans diverses aventures, aidé par Rostam, qui après maint exploit, tue Sohrâb, le fils qu’il avait eu de
Tahmine, fille du roi de Samangân.
L’action se centre alors sur les rois et sur une histoire de juste vengeance, dont Xosrow est le
héros. De Sudâbe, descendante de Faridun et du frère d’Afrâsyâb, roi du Turân, Kâvus a un fils,
Siyâvuš. Sudâbe, dont les avances ont été repoussées par son fils, accuse Siyâvuš : mais une ordalie
innocente le prince. Sudâbe décide de se venger, et les Turâniens attaquent les Iraniens. Ces derniers,
emmenés par Siyâvuš et Rostam, remportent des succès mais acceptent la paix proposée par Afrâsyâb.
Kâvus voulant poursuivre la guerre, Siyâvuš se réfugie chez Afrâsyâb et épouse la fille de son conseiller
Pirân, puis la fille d’Afrâsyâb lui-même, Farangis. Le frère d’Afrâsyâb, Garsivâz, prend peur et provoque
un affrontement à l’issue duquel Siyâvuš est décapité. Farangis, épargnée grâce à la médiation de
Pirân, met au monde un fils, Xosrow.
Afrâsyâb fait alors confier Xosrow à des bergers, pour qu’il ignore son origine royale, mais Pirân
parvient à le ramener à la cour et à le rendre à sa mère. Kâvus, de son côté, apprend la mort de Siyâvuš.
Rostam tue Sudâbe, les Iraniens attaquent Afrâsyâb, dont ils tuent le fils, mais qui emmène Xosrow
dans sa fuite. Alors Giv, à la suite d’un songe de son père Gowdarz, part à recherche de Xosrow et le
découvre, au bout de sept ans, auprès d’une source, une coupe en main (texte 1). Giv, Xosrow et
Farangis s’enfuient. Bien que poursuivis par Pirân puis Afrâsyâb, ils réussissent à franchir l’Oxus et à
gagner Ispahan.
Xosrow, qui parvient malgré l’opposion de Ṯus, l’un des deux grands barons de l’Iran, à se faire
reconnaître comme héritier du trône, jure à son grand-père Kâvus qu’il vengera Siyâvuš. La guerre
s’engage entre Iraniens et Turâniens. À cause d’une désobéissance de Ṯus, elle tourne d’abord à
l’avantage des Turâniens. Mais grâce à Bižan, fils de Giv, puis surtout grâce à Rostam, les Iraniens
renouent avec le succès : les Turâniens sont battus, mais Afrâsiyâb parvient à prendre la fuite.
En conséquence des destructions causées par les Turâniens en pays arménien, une certaine
forêt a été infestée par les sangliers. Bižan se porte volontaire pour l’en débarasser. Le vieux Gorgin-e
Milâd, qui l’accompagne mais le jalouse, l’entraîne à une fête des Turâniens, lui proposant d’enlever
des filles. Là, Maniže, fille d’Afrâsiyâb, s’éprend de Bižan et l’emmène au palais royal, où il est reconnu.
Garsivâz l’emmène devant le roi et seule l’intervention de Pirân lui permet d’échapper au gibet. Bižan
est enchaîné dans un puits et Maniže, attachée à sa garde, doit mendier pour lui.
Giv, qui cherche son fils partout, a finalement l’idée, le jour de la fête de Nowruz, de demander
à Xosrow de consulter sa coupe (texte 2). Xosrow, y ayant découvert et la trahison de Gorgin et la
situtation de Bižan, charge Rostam d’aller délivrer le jeune héros. Entré déguisé en marchand au Turân,
après avoir promis à Gorgin d’obtenir son pardon, Rostam parvient à délivrer Bižan, avec l’aide de
Maniže, et lui fait pardonner à Gorgin avant de ramener les deux amants à la cour iranienne.
Afrâsiyâb décide de se venger et la guerre reprend, où Bižan se distingue. Pirân est tué et
Afrâsiyâb non seulement échoue à le venger, mais doit prendre la fuite. Après diverses péripéties, il est
finalement rattrapé : Xosrow lui tranche la tête et fait tuer Garsivâz.
Kâvus meurt et Xosrow est couronné, mais ne voulant pas être orgueilleux, il se retire en prière,
sachant par un ange qu’il va quitter le monde, comme il l’a désiré. Le trésor est distribué, les grands
reçoivent les provinces à gouverner et Lohrâsp, descendant de Hušang, deuxième roi du monde encore
23
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
uni, est appelé à montrer sur le trône. Xosrow fait alors ses adieux et disparaît au désert. Bižan et
Fariborz, qui voulaient le suivre, meurent dans une tempête de neige inattendue.
24
Coupe de Chosroes, VI e-VIIIe siècle
Cabinet des médailles,
Bibliothèque National de France
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Extrait 5
Giv découvre Xosrow assis au bord d’une rivière une coupe à la main 11
Transcription
saraš por ze ġam gerd-e ân marġzâr hami gašt šah râ konân xwâstâr
yaki cašmeʾi did tâbân ze dur yaki sar-o bâlâ del ârâm pur
yaki jâm por-e mey gerefte be cang be sar bar daste-ye buy-o rang
ze bâlâ-ye u farre-ye izadi padid âmad-o râyat-e bexeradi
to gofti Manucehr bar taxt-e ʿâj nešastast bar sar ze piruze tâj
hami buy-e mehr âmad az ruy-e u hami zib tâj âmad az muy-e u
be del goft Giv in bejoz šâh nist conin cehre joz darxwor-e gâh nist
pyâde bedu tiz benehâd ruy co tang andar âmad gow šâh juy
gereh sost šod bar dar-e ranj-e u padid âmad ân nâmvar ganj-e u
Traduction
Le héros qui était à la recherche du roi parcourait tristement le monde lorsqu’il vit de loin une fontaine
brillante, et à côté un jeune homme d’une taille de cyprès, et dont la vue calmait l’âme. Il tenait en main
une coupe remplie de vin, et portait sur la tête un bouquet de fleurs de toutes les couleurs. Sa taille était
empreinte de cette majesté que donne la grâce de Dieu, son visage annonçait l’intelligence d’un sage.
Tu aurais dit que c’était <Manucehr> assis sur son trône d’ivoire et portant sa couronne de corail. Son
visage exhalait un parfum d’amour et ses cheveux embellissaient sa couronne de fleurs. Guiv dit dans
son âme : « Ce ne peut être que le roi. On ne trouve pareils traits qu’à ceux à qui appartiennent les
trônes. » Il s’avança à pied et lorsque, <ayant des années cherché ce roi vaillant>, il fut près de lui, les
nœuds de la corde qui avait fermé si longtemps la porte de ses soucis se relâchèrent, et le trésor qu’il
avait tant cherché lui apparut.
11 Abu l-Qâsem Ferdowsi, Šâhnâme, 2 vols., texte de l’édition de Moscou par E. Bertels et al. (9 vols., Institut
Narodov Azii, 1960-1971), Téhéran, Hermès, 2006, vol. 1, p. 400 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre des Rois,
publié, traduit et commenté par M. Jules Mohl, 7 vols., Paris, Imprimerie Nationale,1876, réimpr. Paris Adrien
Maisonneuve, 1976, vol. II, p. 489 et 491, ajustée par le compilateur au texte de l’édition de Moscou (les passages
modifiés ou ajoutés figurent entre crochets).
26
TEXTES
Extrait 6
Xosrow voit dans sa coupe Bižan enchaîné au fond du puits12
بدان جام روشن نیاز آمدش فرخ فراز آمدش ّ چو نوروز
ز بھر پسر گوژ گشتہ نوان بیامد پر ا ّمید دل پھلوان
دلش را اندر آزردہ دید چو خسرو رخ گیو پژمردہ دید
بدان تا بود پیش یزدان بہ پای بیامد بپوشید رومی قبای
بہ خورشید بر چند برد آفرین خروشید پیش جھان آفرین
از آھرمن بدکنش داد خواست ز فریادرس زور و فریاد خواست
بہ سر بر نھاد آن خجستہ کالہ خرامان از آنجا بیامد بہ گاہ
بدو اندرون ھفت کشور پدید یکی جام بر کف نھادہ نبید
ھمہ کردہ پیدا چہ و چون و چند زمان و نشان سپھر بلند
نگاریدہ پیکر ھمہ یکسرہ ز ماھی بہ جام اندرون تا برہ
چو خورشید و تیر از بر و ماہ زیر چو کیوان و بھرام و ناھید و شیر
بدیدی جھاندار افسونگرا ھمہ بودنیھا بدو اندرا
بدید بندرو بودنیھا ز بیش نگہ کرد و پس جام بنھاد پیش
ز بیژن بہ جای نشانی ندید بہ ھر ھفت کشور ھمی بنگرید
بہ فرمان یزدان مر او را بدید سوی کشور گرگساران رسید
ز سختی ھمی مرگ جست بندر آن بہ چاھی ببستہ بہ بند گران
ز بھر زوارش ببستہ میان یکی دختری از نژاد کیان
بخندید و رخشندہ شد پیشگاہ سوی گیو کرد آن کھی روی شاہ
ز ھر بد تن مھتر آزاد دار کہ زندہ است بیژن دلت شاد دار
Transcription
12 Abu l-Qâsem Ferdowsi, Šâhnâme, 2 vols., texte de l’édition de Moscou par E. Bertels et al. (9 vols., Institut
Narodov Azii, 1960-1971), Téhéran, Hermès, 2006, vol. 1, p. 624 ; trad. Abou’lkasim Firdousi, Le Livre des Rois,
publié, traduit et commenté par M. Jules Mohl, 7 vols., Paris, Imprimerie Nationale,1876, réimpr. Paris Adrien
Maisonneuve, 1976, vol. III, p. 345 et 347,
27
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Traduction
Lorsque la joyeuse fête du Nourouz fut arrivée, Guiv sentit le besoin de consulter la coupe fortunée. Le
vieux Pehlevan, tout courbé par ses inquiétudes sur le sort de son fils, se rendit au palais le cœur plein
d’espérance. Quand Khosrou vit les joues hâves de Guiv, quand il vit que la douleur dévorait son cœur,
il se hâta de revêtir sa tunique de Roum, et sortit pour aller se présenter devant Dieu. Il éleva la voix
devant le créateur du monde, il invoqua longtemps ses grâces sur la coupe brillante ; il demanda
secours à Dieu le secourable, il demanda justice contre Ahriman le méchant.
Ensuite il revint dans son palais, couvrit sa tête du diadème fortuné, prit dans sa main la coupe,
et regarda dedans. Il y vit les sept Kischwers ; il y vit révélés les actions et les desseins du ciel sublime,
et leur nature, leurs motifs et leur étendue ; il y vit réfléchie l’image du monde entier, depuis le signe des
Poissons jusqu’à celui du Bélier ; il y vit Saturne et Mars, <Vénus> et le Lion, <le Soleil> et Mercure en
haut et la Lune au-dessous. C’est ainsi que le maître du monde, à l’aide de son art magique, observa
dans la coupe tout l’avenir. <Il regarda puis posa la coupe devant lui ; il y vit tout ce qui allait advenir.>
Il regarda les sept Kischwers, mais il ne trouva pas de trace de Bijen. À la fin il arriva au pays des
Kerguesars, et par la grâce de Dieu il y vit Bijen dans la fosse, lié de lourdes chaînes, et désirant la mort
pour échapper à la rigueur de son sort. Auprès de la prison se tenait, ceinte comme une servante, une
jeune fille de race royale.
Khosrou se tourna alors vers Guiv avec un sourire qui illumina le trône, et lui dit : « Il vit, réjouis-
toi, bannis tous ces soucis qui t’ont accablé (…). »
28
TEXTES
2. LE MAṠNAVI ROMANESQUE
Neẕâmi (1141-1209), Xosrow va Širin
À la différence de l’épopée, le maṡnavi romanesque est centré sur un destin individuel. Si le Šāhnâme
lui-même comporte plusieurs romans d’origine diverse, qui racontent les amour de Zâl et Rudâbe,
Rostam et Tahmine, Siyâvaš et Sudâbe, Bižan et Maniže, Sikandar et Qeydâfe, ou encore Xosrow et
Širin, le premier grand auteur d’un roman en vers en persan est Faxr al-Din Asʿad Gorgani (XIe siècle),
employé d’un gouverneur seldjoukide d’Ispahan qui lui demanda de mettre en vers l’histoire de Vis et
Ramin, d’après un original pehlvi en prose. Vis a été promise par sa mère, Shahru, princesse de Médie,
à Mowbad, roi du Khorâsân dont, fidèle à son époux Qâren, elle a refusé les avances. Râmin, lui, est le
jeune frère de Mowbad, confié à la même nourrice que Vis. Shahru marie Vis à son propre frère, Viru,
et Mowbad envoie une armée commandée par Ramin. Vis est enlevée avant que son mariage n’ait été
consommé, et Mowbad l’épouse. Mais Ramin et elle s’éprennent l’un de l’autre, tandis que la nourrice
a rendu Mowbad impuissant. Après diverses péripéties, au cours desquelles les amants sont séparés,
Mowbad meurt et Ramin lui succède. Il vit heureux avec Vis et meurt peu après elle, retiré dans un
temple du feu. Ce roman serait à l’origine de celui de Tristan et Yseult.
Mais l’auteur de romans en vers dont l’influence fut de très loin la plus considérable est Eliyâs
Abu Moḥammad Neẕâmi, qui passa toute sa vie à Ganje, dans l’actuel Azerbaïdjan. On garde de lui un
recueil de poèmes lyriques composés tout au long de son existence et cinq longs poèmes en vers rimés
deux à deux (AA, BB, etc.) ou maṡnavi, rassemblés sous l’appellation arabe collective de xamse « les
cinq ». Le premier, daté de 1176, est un poème didactique sur la doctrine soufie, intitulé Maxzan al-
asrâr (L’Entrepôt des secrets) et regorgeant de conseils et de maximes. Les quatre suivants sont des
poèmes narratifs, dont trois empruntent leur sujet au Šâhnâme de Ferdowsi : Xosrow va Širin (1177-
1181), Haft peykar (Les Sept miroirs, 1197), centré sur les amours du prince sassanide Bahram Gur
pour sept princesses orginaires des sept climats dans lesquels les anciens Iraniens divisaient le monde,
et Eskandar-nâme (Le Livre d’Alexandre, composé de deux ouvrages distincts, Šarafnâme « Livre du
noble héros » et Xeradnâme « Livre du héros de sagesse »). La trame du quatrième, Leyli va Majnun
(1188), provient de la tradition arabe. Cette célèbre xamse a souvent été imitée et retravaillée dans les
littératures du monde musulman : pour le seul domaine persan, mentionnons parmi tant d’autres les
noms d’Amir Xosrow de Delhi (1253-1325), le plus grand poète indo-persan médiéval, et de Jâmi de
Herat, que nous retrouverons à propos du soufisme.
Xosrow va Širin, écrit dans une variété de mètre hazaj ( ˘ ˉ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ ), est un récit à
l’intrigue complexe qui incorpore dialogues, lettres et pièces lyriques. Il raconte d’abord comment naquit
l'amour entre Xosrow, prince d'Iran, et Širin, princesse d'Arménie. Pour sa conquête du trône, Xosrow
a dû épouser Mariam, fille du Qeyṣar de Byzance ; Širin, malheureuse, abandonne son trône et
s'enferme au château de Qaṣr. Le tailleur de pierres Farhâd, entré à son service, s’éprend d’elle.
Informé, Xosrow lui commande le percement du Mont Bisutun pour faire couler jusqu’à Širin un canal
29
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
de lait, puis lui fait croire que Širin est morte : Farhâd se suicide en se précipitant du haut de la montagne
dans le passage qu’il a creusé. Mariam aussi meurt, mais Xosrow la remplace par Šekkar d’Ispahan :
Širin est désespérée, mais elle et Xosrow s’aiment toujours. Après divers épisodes mettant en scène le
dépit amoureux de Širin, les amants finissent par s’unir et se marier. Ils vivent des années heureuses ;
Širin fait instruire Xosrow et lui enseigne le véritable amour. Mais Širuye, le fils que Xosrow a eu de
Mariam, s’éprend de Širin et poignarde Xosrow pendant son sommeil. Lors des funérailles, Širin, dans
le tombeau de son amant, se poignarde sur son cadavre : c’est à cette scène ultime qu’est consacré
l’extrait suivant.
La mort de Širin13
Transcription
co mahd-e šāh dar gombad nehâdand bozorgân ruy dar ruy istâdand
miân dar bast Širin pis-e mūbad be farrâš darun âmad be gombad
dar gombad be ru-ye xalq dar bast su-ye mahd-e malek šod dašne dar dast
jegar-gâh-e malek râ mohr bar dâšt bebusid ân dahan ku bar jegar dâšt
bedân âʾin ke did ân zaxm râ riš hamân jâ dašneʾi zad bar tan-e xwiš
be xun-e garm šost ân xwâb-gah râ jerâḥat tâze kard andâm-e šah râ
pas âvard ân gahi šah râ dar âġuš labaš bar lab nehâd-o duš bar duš
be niru-ye boland âvâz bar dâšt conân kân qowm az âvâzaš xabar dâšt
ke jân bâ jân-o tan bâ tan bepeyvast tan az duri-o jân az duri rast
be bazm-e Xosrow ân šamâʿ-e jahân-tâb mobârak bâd Širin râ šakar-xwâb
be âmorzeš rasâd ân âšenâʾi ke cun in jâ resad guyad doʿâʾi
kelahi tâze dâr in xâk-dân râ biâmorz in do yâr-e mehrabân râ
zehi Širin-o širin mordan-e u zehi jân dâdan-o jân bordan-e u
conin vâjeb konad dar ʿešq mordan be jânân jân conin bâyad sepordan
13 Neẕâmi, Xamse-ye Neẕâmi, éd. Y. A. Bertels, Téhéran, Entešarât-e Qaqnus, 1380, p. 446 sq. ; trad. : Nizâmi, Le
Roman de Chosroès et Chîrîn, traduit du persan par Henri Massé, Paris, Maisonneuve et Larose, 1970, p. 231.
30
TEXTES
Traduction
Lorsque dans le tombeau l’on posa le cercueil, tous les grands se tenaient debout, et face à face. Chirin
se prépara en présence du prêtre, entra dans le tombeau pour les derniers apprêts ; fermant la porte
sur les personnes présentes, puis prenant un poignard, elle vint au cercueil ; elle enleva du cœur du roi
le pansement et baisa cette plaie béante sur son flanc ; de la même façon qu'elle le vit blessé, et à ce
même endroit, elle se poignarda ; elle inonda de son sang chaud ce lit funèbre, sur le corps de Xosrow
ravivant la blessure ; alors elle prit dans ses bras le corps du roi, mit sa lèvre à sa lèvre, épaule sur
épaule, et de toute sa force elle poussa un cri tel que le peuple fut informé par ce cri qu'elle s’était unie
de corps et d'âme au roi, qu’elle sauvait son corps de leur séparation et qu’elle soustrayait son âme à
tout litige.
Chirin, ce flambeau qui illuminait le monde – et que son doux sommeil soit donc béni de Dieu !
– aux obsèques du roi porta donc son amour à la rémission venue d'En-haut, de sorte qu'arrivant auprès
d’eux on dise la prière : « Ô Dieu ! rafraîchissez la terre sur leurs restes ! à ces tendres amants assurez
le pardon. Bravo, Chirin ! Bravo pour ta fin courageuse ! Rendre son âme ainsi, la retirer du monde,
c'est bien ! c'est ainsi qu'il faut mourir en amour et que pour l’être aimé il faut livrer sa vie. »
31
TEXTES
3. LA LITTÉRATURE DIDACTIQUE
3.1. Le soufisme
3.1.1. Farid al-Din ʿAtṯâr (vers 1119-1190), Manṯeq al-ṯeyr (Le Langage des oiseaux)
Farid al-Din ʿAtṯâr était né à Nishapur à l’époque des derniers grands seljoukides, et c’est là que se
trouve sa tombe. Ses biographies regorgent d’anecdotes sur sa formation auprès de religieux et de
maîtres soufis du monde musulman, notamment à Meshed, La Mecque et Samarcande. Il aurait été
banni de cette dernière ville pour avoir fait l’éloge de ʿAli et des imams dans un son ouvrage Lesân al-
ġeyb (La Langue du mystère) et avoir, pour cela, été soupçonné d’être chiite. Revenu dans sa ville
natale, il dut, d’après son nom, y exercer le métier de droguiste (ʿaṯṯâr). Il donna toute son envergure à
l’expression du soufisme en poésie persane, qui avait atteint un premier sommet dans les poèmes de
Sanâ’i de Ghazna (~1080-1131).
ʿAṯṯâr appartenait à l’école soufie de Najm al-Din Kobrâ (1145-1220), qui mettait l’accent sur la
purification du cœur par la concentration sur la répétition (żikr) d’un nom de Dieu, d’une formule ou
d’une incantation, sur l’expérience visionnaire, sur les centres subtils du corps et sur les étapes de la
vie spirituelle. Il eut pour maître Majd al-Din Baġdâdi (m. ~1209).
Soucieux d’instruire en soufisme, il est l'auteur de nombreux écrits qui le montrent méditant,
tout particulièrement sur la brièveté de la vie et les mystères de l’âme, partie divine de l’homme et tout
à la fois source et objet de connaissance. Les principales grandes œuvres attribuées à ʿAṯṯâr de manière
fiable s’organisent en trois ensembles. Le premier consiste en une collection de poèmes lyriques
d’inspiration mystique. Le deuxième est un recueil hagiographique, Tażkerat al-owliāʾ (Le Mémorial des
saints), qui rassemble les faits et dits de soixante-douze spirituels de renom, dont le dernier est Ḥallâj,
mort en 922 à Bagdad. Viennent enfin quatre maṡnavi, dans lesquels s’opère une magnifique synthèse
entre art poétique persan et mystique islamique. L’ Elâhi-nâme (Livre divin) vise à l’éducation du désir à
partir de divers thèmes et à travers fables et anecdotes par la mise en scène d’un roi montrant à ses fils
comment réaliser leurs plus sublimes déisrs par le perfectionnement de l’ego. Le grandiose Moṣibat-
nâme (Livre de l’épreuve) décrit métaphoriquement la progression mystique de l’âme à travers des
sphères de plus en plus élevées. L’Asrâr-nâme (Livre des secrets) consiste en anecdotes regroupées
en vingt-deux sections centrées chacune sur un concept soufi.
Mais le maṡnavi le plus célèbre de ʿAṯṯâr est le Manṯeq al-ṯeyr (Langage des oiseaux), écrit
autour d’un terme coranique (Coran XXVII.16 ; voir aussi XXIV.41) dans une variété de mètre ramal
plus tard adoptée par Rumi pour son Maṡnavi (ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ). Ce poème a été traduit en de
nombreuses langues et a connu une fortune immense en Inde. Le Manṯeq al-ṯeyr raconte l'itinéraire
allégorique d'une multitude d'oiseaux guidés par la huppe, messagère des secrets divins, à la recherche
de leur vrai roi, le Simorġ. Après une pérégrination à travers les sept vallées de la Quête, de l’Amour,
de la Gnose, de l’Indifférence, de l’Unification du « moi » en « Toi », de la Stupeur et de
33
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
l’Anéantissement, trente oiseaux (si morġ) parviennent devant la porte du Simorġ. Quand le gardien
veut les repousser, ils protestent de leur amour et sont introduits. Ils demandent alors au Simorġ, sans
se servir de la langue, « de leur dévoiler le grand secret, de leur donner la solution du mystère de l’unité
et de la pluralité des êtres ».
کاینہ ست این حضرت چون آفتاب بی زفان آمد از آن حضرت خطاب
جان و تن ھم جان و تن بیند درو ھر کہ آید خویشتن بیند درو
سی درین آیینہ پیدا آمدید چون شما سی مرغ اینجا آمدید
پردہ ای از خویش بگشایید باز گر چل و پنجاہ مرغ آیید باز
خویش را بینید و خود را دیدہاید گرچہ بسیاری بہ سر گردیدہاید
چشم موری بر ثریا کی رسد ھیچ کس را دیدہ بر ما کی رسد
پشہ ای پیلی بہ دندان برگرفت دیدہ ای موری کہ سندان برگرفت
آن نبود،و آنچ گفتی و شنیدی چو دیدی آن نبود،ھرچ دانستی
وین ھمہ مردی کہ ھر کس کردہاید این ھمہ وادی کہ از پس کردہاید
وادی ذات صفت را خفتہاید جملہ در افعال مایی رفتہاید
بیدل و بیصبر و بیجان ماندہاید چون شما سی مرغ حیران ماندہاید
زانک سیمرغ حقیقی گوھریم ما بہ سیمرغی بسی اولیتریم
تا بہ ما در خویش را یابید باز محو ما گردید در صد عز و ناز
سایہ در خورشید گم شد والسالم محو او گشتند آخر بر دوام
Transcription
14 Farid al-Din ʿAṯṯâr, Manṯeq al-ṯeyr (maqâmât-e ṯoyur), éd. Sayyed Ṣâdeq Gowharin, Téhéran, Šarkat-e entešârât-
e ʿelmi-o farhangi, 1348 (1969), p. 235-236 ; trad. ʿAttar, Le Langage des oiseaux, trad. Joseph H. Garcin de Tassy,
Imprimerie Impériale, 1863 ; réimpr. Paris, Albin Michel, 1996, p. 295-296.
34
TEXTES
Traduction
Alors, le Simorg leur fit, sans se servir non plus de la langue, cette réponse : « Le soleil de ma majesté,
dit-il, est un miroir ; celui qui vient s’y voit dedans, il y voit son âme et son corps, il s’y voit tout entier.
Puisque vous êtes venus ici trente oiseaux, vous vous trouvez trente oiseaux (sî morg) dans ce miroir.
S’il venait encore quarante ou cinquante oiseaux, le rideau qui cache le Simorg serait également ouvert.
Quoique vous soyez extrêmement changés, vous vous voyez vous-mêmes comme vous étiez
auparavant.
Comment l’œil d’une créature pourrait-il arriver jusqu’à moi ? Le regard de la fourmi peut-il
atteindre les Pléiades ? A-t-on jamais vu cet insecte soulever une enclume, et un moucheron saisir de
ses dents un éléphant ? Tout ce que tu as su ou vu n’est ni ce que tu as su ni ce que tu as vu, et ce que
tu as dit ou entendu n’est pas non plus cela. Lorsque vous avez franchi les vallées du chemin spirituel,
lorsque vous avez fait de bonnes œuvres, vous n’avez agi que par mon action, et vous avez ainsi pu
voir la vallée de mon essence et de mes perfections. Vous avez bien pu, vous qui n’êtes que trente
oiseaux, rester, stupéfaits, impatients et ébahis ; mais moi, je vaux bien plus que trente oiseaux (sî
morg), car je suis l’essence même du véritable Simorg. Anéantissez-vous donc en moi glorieusement
et délicieusement, afin de vous retrouver vous-mêmes en moi. »
Les oiseaux s’anéantirent en effet à la fin pour toujours dans le Simorg ; l’ombre se perdit dans
le soleil, et voilà tout.
La vie de Rumi est connue grâce au Munâqeb-e ʿârefin (Les Vertus des gnostiques) écrit au milieu du
XIVe siècle par Aflâki (c. 1286/91-1360), historien de la famille et des disciples du maître. Elle porte le
témoignage d’un épisode crucial de l’histoire de l’Iran : son invasion par les Mongols.
Fils d’un prédicateur originaire de Balkh, Bahâ’ al-Din Valad (1148/52-1231), Rumi est né dans
cette ville en 1207. Ce sont les invasions mongoles qui poussent la famille à fuir vers l’ouest, jusqu’à
Konya en Turquie, où elle s’installe en 1229 à la requête du souverain seljoukide ʿAlâ’ al-Din Keykobâd
(r.1220-1237).
Après la mort de Bahâ’ al-Din, son disciple Borhân al-Din (m. vers 1240) lui succède et envoie
Jalâl étudier à Alep et Damas, où le jeune homme se familiarise avec le droit hanafite et la doctrine
panthéiste du grand mystique d’origine andalouse Ibn ʿArabī (1165-1240). Revenu à Konya, il y prend
un enseignement et y fait, en 1244, une rencontre décisive : celle d’un derviche nommé Šams-e Ṯabrizi,
installé chez le marchands de sucre du bazar et qui refait toute son éducation, l’orientant vers une
mystique centrée sur la « station de l’Aimé » (maqâm-e maʿšuq), où l’amour du disciple se fixe sur le
maître. Rumi a chanté son amour de Šams dans le Divân-e kabir (Le Livre du grand [homme]). Mais
jalousé par les disciples de Rumi, Šams doit s’enfuir. Rumi l’ayant fait rappeler, il périt assassiné en
1247, et sa mort est cachée à Rumi. Ce dernier, fou de douleur, part à la recherche de Šams, et croit le
retrouver dans un bel orfèvre illettré du bazar de Damas, Ṣalâḥ al-Din. Il le ramène à Konya et le place
35
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
à la tête de ses disciples ; Ḥisâm al-Din Ḥasan Celebi lui succède en 1258, et c’est lui qui encourage
Rumi à composer le Maṡnavi.
Outre le Divân-e kabir, on garde de Rumi le Fīhi mā fīhi (Le Livre du dedans), recueil de notes
rassemblé par ses disciples, et son chef-d’œuvre inachevé, le Maṡnavi-e maʿnavi (Le maṡnavi spirituel,
25 000 distiques), écrit dans la même variété de mètre ramal que le Manṯeq al-ṯeyr de ʿAṯṯâr (ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘
ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ). Il s’agit d’une somme mêlant styles narratif, didactique et extatique. Rumi n’a pas fait sienne
la doctrine de la waḥdat al-wujūd (unicité de l’Être) dérivée d’Ibn ʿArabī (voir plus bas à propos de Jâmi).
Son soufisme, si l’on s’en tient à la distinction classique, relève de la waḥdat al-šuhūd (unicité du
témoignage), doctrine selon laquelle l’ensemble de la création témoigne de l’existence de Dieu.
Dans le Maṡnavi, Rumi raconte avec vivacité et dans un idiome poétique sans artifices des
histoires souvent emboîtées, dont il tire une morale religieuse et qui lui servent de point d’appui pour
aborder les grands thèmes qui lui tiennent à cœur, comme l’amour de l’Aimé ou le passage à la non-
ipséité (bi-xwodi), avec de fréquentes adresses directes au lecteur.
EXTRAIT 1
La complainte de la flûte15
L’un des thèmes centraux du Maṡnavi est celui de la patrie perdue de l’âme, exposé de manière
inoubliable dans la complainte de la flûte qui ouvre le poème.
Transcription
15 Rumi, Maṡnavi-e maʿnavi, éd. Nicholson, 2e réimpr. Téhéran, Intešârât-e šarq, 1370 (1991), p. 45 ; trad. Djalâl-
od-Dîn Rûmî, Mathnawî : la quête de l’absolu, traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch et Djamshid
Mortazavi, Monaco, Éditions du Rocher, 1990, p. 53.
36
TEXTES
serr-e man az nâle-ye man dur nist lik cašm-o guš râ ân nur nist
tan ze jân-o jân ze tan mastur nist lik kas râ did-e jân dastur nist
âtešast in bâng-e nây-o nist bâd har ke in âteš nadârad nist bâd
âteš-e ʿešq-ast kandar ney fetâd jušeš-e ʿešqast kandar mey fetâd
ney ḥarif-e har ke az yâri borid pardehâ aš pardehâ-ye mâ darid
Traduction
Écoute le ney (la flûte de roseau) raconter une histoire, il se lamente de la séparation :
« Depuis qu'on m'a coupé de la jonchaie, ma plainte fait gémir l’homme et la femme.
« Je veux un cœur déchiré par la séparation pour y verser la douleur du désir.
« Quiconque demeure loin de sa source aspire à l'instant où il lui sera à nouveau uni.
« Moi, je me suis plaint en toute compagnie, je me suis associé à ceux qui se réjouissent comme à ceux
qui pleurent.
« Chacun m'a compris selon ses propres sentiments ; mais nul n'a cherché à connaître mes secrets.
« Mon secret, pourtant, n'est pas loin de ma plainte, mais l'oreille et l’œil ne savent le percevoir.
« Le corps n'est pas voilé à l'âme, ni l'âme au corps ; cependant, nul ne peut voir l’âme.
« C’est du feu, non du vent, le son de la flûte : que s'anéantisse celui à qui manque cette flamme !
« C'est le feu de l'Amour qui est dans le roseau, c'est l'ardeur de l’Amour qui fait bouillonner le vin.
« La flûte est la confidente de celui qui est séparé de son Ami : ses accents déchirent nos voiles. »
EXTRAIT 2
La rencontre avec le maître16
Les soufis sont conscients des dangers (xaṯar) qui jalonnent l’itinéraire spirituel. Pour eux, il n’est
possible d’en triompher qu’en se soumettant à l’autorité d’un maître, un pir (vieux, sage) dit Rumi. Ce
thème a été largement développé dans toute la littérature soufie. Le pir est pour son disciple à la fois le
guide, le médecin de l’âme et le bien-aimé mystique. Il lit dans ses pensées, interprète ses rêves, le fait
progresser d’une étape spirituelle (maqâm) à l’autre et lui enseigne comment se comporter dans les
différents états mentaux (ḥâl) qui les caractérisent. « pir râ begozin ke bi pir in safar / hast bas por-e
âfat-o xauf-o xaṯar », dit Rumi (« Choisis un pir, car sans ce pir ce voyage / n’est que rempli de malheur,
d’effroi et de danger »)17.
Bien des anecdotes et poèmes soufis sont ainsi consacrés au premier voyage initiatique du
disciple, -- celui qui le conduit jusqu’aux pieds du maître de son choix et qu’il refera souvent,
16 Rumi, Maṡnavi-e manaʽvi, éd. Nicholson, 2e réimpr. Téhéran, Entešârât-e šarq, 1370, p. 1118 (livre VI, vers 2126-
2130) ; trad. Djalâl-od-Dîn Rûmî, Mathnawî : la quête de l’absolu, traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch
et Djamshid Mortazavi, Monaco, Éditions du Rocher, 1990, p. 1511.
17 Rumi, Maṡnavi-e manaʽvi, éd. Nicholson, 2e réimpr. Téhéran, Entešârât-e šarq, 1370, p. 180 (livre I, vers 2942-
2943).
37
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
physiquement et mentalement, après son initiation (beyʿat) et son parcours de la voie (ṯariqe). De ce
voyage, le Maṡnavi offre un exemple archétypal.
L’extrait ci-dessous est tiré de l’histoire d’un derviche qui quitta la ville de Tâleqân (capitale du
Takhar, dans le nord de l’actuel Afghanistan) pour se rendre auprès du cheikh Abu l-Ḥasan à Kharraqan
dans le Khorasan. L’anecdote recèle les ingrédients hagiographiques classiques de ce type de voyage
initiatique. C’est la renommée (ṣit) du cheikh qui motive la quête, caractérisée par le triomphe sur les
obstacles naturels (une montagne et une longue vallée) et, surtout, spirituels. Ces derniers toutefois
sont de deux ordres. Il s’agit d’abord des propos insultants de l’épouse du cheikh à propos de son mari,
auxquels le derviche répond lui-même longuement. Puis le jeune homme est confronté aux questions
suggérées par le démon sur les raisons qui font rester le cheikh auprès d’une telle femme. La réponse
cette fois ne pourra venir que du cheikh enfin rencontré, et qui connaît le secret du jeune homme « par
la lumière du coeur ». Le texte suivant décrit l’apparition du cheikh, près d’une forêt où il était allé
chercher des fagots. On rapprochera de cet extrait le texte ci-dessous tiré du Bustân (Le Jardin des
parfums) de Saʿdi, « Le spirituel chevauchant une panthère ».
زود پیش افتاد بر شیری سوار اندر این بود کہ شیخ نامدار
بر سر ھیزم نشستہ آن سعید غران ھیزمش را میکشیدّ شیر
مار را بگرفت چون خر زن بکف تازیانش مار نر بود از شرف
ھم سواری می کند بر شیر مست تو یقین می دان کہ ھر شیخی کہ ھست
لیک آن بر چشم جان ملبوس نیست گرچہ آن محسوس نیست و این محسوس نیست
Transcription
andar in bud ke šeyx-e nâmdâr zud piš oftâd bar širi savâr
šir-e ġorrân hizomaš râ mi kešid bar sar-e hizom nešaste ân saʿid
tâziâneš mâr-e nar bud az šaraf mâr râ begereft cun xar-zan be kaf
to yaqin mi dân ke har šeyxi ke hast ham savâri mi konad bar šir-e mast
garce ân maḥsus nist-o in maḥsus nist lik ân bar cašm-e jân malbus nist
Traduction
Il était plongé (dans cette perplexité) quand soudain le grand sheikh apparut devant lui,
chevauchant un lion.
Le lion rugissant portait ses fagots, tandis que cet être béni était assis par-dessus.
À cause de son honneur, son fouet était un serpent dangereux ; il avait saisi le serpent dans sa
main, comme une cravache.
Sois assuré que de même chaque sheikh qui existe monte un lion furieux.
Bien que (cette chevauchée et ce lion) ne soient pas perçus par les sens, cependant ce n'est
pas caché à l'œil spirituel.
38
TEXTES
3.1.3. Faxr al-Din Ebrâhim ʿErâqi (c. 1213-1289), Lamaʿāt (Éclats [de lumière divine])
Faxr al-Din ʿErâqi (c. 1213-1289) contribua de manière décisive à introduire dans la littérature soufie
d’expression persane les conceptions du grand mystique d’origine andalouse Ibn al-ʿArabī (1165-1240)
à partir de l’enseignement du principal disciple et fils adoptif de ce dernier, Ṣadr al-Dīn Muḥammad
Qūnawī (1207-1274), d’origine persane, qui vécut et enseigna à Konya, en Turquie – il y fut proche de
Jalâl al-in Rumi (1207-1273, voir ci-dessus, p. 37-41)–, et qui subsuma la doctrine de son maître dans
la formule waḥdat al-wujūd « unicité de l’être ».
ʿErâqi était né vers 1213 à Komjân, village des environs de Hamadan, et n’est connu que par
une biographie du début du 15e siècle. Plusieurs des anecdotes le concernant suggèrent qu’il était un
adepte de la pratique appelée šâhed-bâzi, « jeu » (bâzi) en théorie spirituel qui consiste à considérer le
visage des adolescents de sexe masculin comme « témoin » (šâhed) de l’attribut divin de beauté
(jamâl). Il avait reçu une très bonne éducation et semble avoir tôt mémorisé l’intégralité du Coran. Jeune
homme, il se joignit à un groupe de qalandars (derviches faisant fi des conventions) et se retrouva en
Inde, à Multan : il y fut vingt-cinq années durant disciple du maître sohravardi Bahâ al-Din Zakariyâʾ
(1170-1267), dont il épousa la fille (la Suhravardiyya aurait été fondée à Bagdad par Abu Ḥafṣ ʿOmar
al-Sohravardi [1145-1234], savant et soufi d’origine persane auteur d’un manuel fameux en arabe, les
ʿAwārif al-maʿārif, « Bénéfices de la gnose » ; l’ordre se répandit jusqu’en Indonésie, avec une présence
importante en Inde du Nord et du Nord-Ouest à partir dy 15e siècle).
Après la mort de Bahâ al-Din, ʿErâqi partit pour La Mecque puis Konya, en Turquie. Là, il devint
l’étudiant de Ṣadr al-Dīn Muḥammad Qūnawī et rencontra Jalâl al-Din Rumi, aux séances de concerts
spirituels duquel il participait. L’administrateur mongol Moʿin-al-Din Parvâne (m. 1277) lui fit construire
une loge (xânqâh) à Tokat, mais quand ce mécène tomba en disgrâce, ʿErâqi dut s’enfuir, aidé par le
vizir ilkhanide Šams-al-Din Moḥammad Joveyni (m. 1285). Il séjourna successivement à Sinope, au
Caire, où il passa quelques années, et finalement à Damas, où il mourut et fut enterré auprès d’Ibn al-
ʿArabī.
La vision de certitude18
Le divân de ʿErâqi compte quelque 5800 couplets. Il comporte surtout des ghazals, dont beaucoup
furent composés en Inde. Les Lamaʿât (Éclats [de lumière divine]), par contre, furent inspirées par
l’enseignement de Qūnavī sur Ibn al-ʿArabī. Cet ouvrage mêle prose et poésie classique. Ainsi qu’en
attestent des manuscrits anciens, ses vingt-sept chapitres étaient initialement vingt-huit, soit le même
nombre que ceux des Fuṣūṣ al-ḥikam (« Sceaux de la sagesse ») d’Ibn al-ʿArabi. Le chapitre 25 évoque
la découverte par le mystique en quête de la présence de Dieu en son cœur.
18 Faxr al-Din ʿErâqi, Resâle-ye lamaʿât-o resâle-ye eṣṯelâḥât, éd. Javâd Nuxbaxš, Téhéran, Entešârât-e yaldâ
qalam, 1974, réimpr. 2003, p. 66.
39
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
بیت
در منزل تست لیکن انباشتہ ای آن چشمہ کہ خضر چورد او از آب حیات
: گفت،چون بہ عین الیقین در خود نظر کرد خود را گم یافت۔ آنگاہ دوست را باز یافت۔ چون نیک نگاہ کرد خود عین او بود
رباعی
ھر دم خبرت از این و آن می جستم ای دوست تو را بہ ھر مکان جستم
خجلت زدہ ام کز تو نشان می جستم دیدم بہ تو خویش را تو خود من بوری
Transcription
moḥebb xwâst ke be ʿeyn al-yaqin jamâl-e dust binad. ʿomri dar in ṯalab sar-gašte mi gašt. nâgâh be
samʿ-e serr-e u nedâ âmad :
beyt
ân cešme ke Xeẓr xword az u âb-e ḥayât dar manzel-e tost liken anbâšte i
cun be ʿeyn al-yaqin dar xwod naẕar kard xwod râ gom yâft. ângâh dust râ bâz yâft. cun nik
negâh kard xwod ʿeyn-e u bud, goft :
robāʿī
ey dust to râ be be har makân jostam har dam xabarat az in-o ân mi jostam
didam be to xwiš râ to xwod man budi xejlat zade am kaz to nešân mi jostam
Traduction
L’amant voulut voir la beauté de l’Ami avec la vision de certitude. Il passa toute une vie à errer dans
cette quête. Soudain, une voix parla dans le secret de son cœur.
COUPLET
La source où Xeẓr but l’eau de la Vie éternelle,
Elle est dans ta maison, mais tu l’as bloquée.
Quand il regarda en lui-même avec les yeux de la certitude, il s’égara, mais c’est alors qu’il
retrouva l’Ami, car lorsqu’il contempla d’un regard purifié, il vit qu’il était lui-même l’Ami.
QUATRAIN
Ô mon Ami, je t’ai cherché dans chaque maison.
À chaque instant, j’ai demandé à tel et tel de tes nouvelles.
<Puis> je me suis vu en Toi : Tu étais moi.
J’ai alors été honteux d’avoir cherché un signe de Toi.
40
TEXTES
Nur al-Din ʿAbd al-Raḥmân Jâmi est le dernier grand maître de la littérature irano-persane classique,
ainsi qu’un soufi naqšbandi ayant fait sienne la doctrine de la waḥdat al-wujūd (voir ci-dessus, à propos
de Faxr al-Din ʿErâqi). Natif de la banlieue de Herat où l’on visite encore son tombeau, il ne quitta sa
ville natale que pour deux pèlerinages, l’un à Meshed, où se trouvent les tombeaux du calife Hârun al-
Rašid (m. 809) et de ʿAli al-Reżâ (m. 818), huitième imam des chiites duodécimains, et l’autre à La
Mecque et Médine. Auteur d’une œuvre immense, il mourut honoré à la cour de Herat par le dernier
grand Timouride, Ḥuseyn Beyqara (r. 1478-1506), dont cette ville était la capitale.
Le talent de Jâmi était sans limite, ses connaissances variées et profondes et sa maîtrise du
persan et du style parfaite. En vers, il est l’auteur de trois divans de poésie lyriques, et de sept maṡnavi,
regroupés sous le titre générique de Haft owrang (Les Sept trônes, désignation métaphorique de la
Grande Ourse). Deux de ces derniers seulement empruntent leur thème à Neẕâmi, Leyli va Majnun et
Xerad-nâme-ye Sekandari (Le Livre de la sagesse d’Alexandre). Les autres sont Silsilat al-żahab (La
Chaîne d’or), série d’anecdotes à contenu philosophique, éthique ou religieux, –Toḥfat al-aḥrâr (Le
Présent offert aux hommes libres), poème didactique de philosophie morale, – Soḥbat al-abrâr (La
Société des Justes), poème didactique soufi, – et enfin deux histoires d’amour, Yusof va Zuleyxâ et
Salmân va Absâl, à visée mystique.
En prose, outre de nombreux commentaires sur le Coran, les Traditions et des œuvres de
mystique, on doit à son calame quatre livres de tout premier plan : un ouvrage didactique de prose et
de vers mêlés dans le genre du Golestân de Saʿdi (voir plus bas, n° 5), le Bahârestân (Jardin du
Printemps), un recueil hagiographique Nafaḥât al-ons (Les Effluves de la familiarité [avec Dieu]) et deux
traités de soufisme, Šavâhid al-nabovva (Les Preuves de la prophétie) et Lavâyeḥ (Les Jaillissements
de lumière).
EXTRAIT 1 (Lamaʿât)
La réalité ontologique de l’Être19
L’extrait ci-dessous est tiré de ce dernier ouvrage qui, à la manière des Lamaʿât de Faxr al-Din ʿErâqi
(voir ci-dessus) mêle des vers à la prose et forme de résumé saisissant de la doctrine de la waḥdat al-
wujūd. Les « jaillissements » se suivent pour évoquer finalement les plus hauts degrés de l’expérience
de la fusion en Dieu, dans le vingt-neuvième jaillissement.
َُ قِیلَََ ُک ّل: در حقیقت ھر موجودی ساری است و لھذا،ھقیقت ھستی بہ جمیع شوون و صفات و نسب و اعتبارات کہ حقایق ھمہ موجودات اند
َ َُ شی ئ فِی ِہ ُک ّل
شی ئ ۔ صاحب "گلشن راز" گوید َ
:
19 Jâmi, Les Jaillissements de lumière, éd., trad. et notes par Yann Richard, Paris, Les Deux Océans, 1982, p. 144
sq.
41
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
شعر
برون آید از و صد بحر صافی دل یک قطرہ را گر بر شکافی
رباعی
اشیاء ھمہ در وی اند و وی در ھمہ نیز ھستی کہ ب َُود ذات خداوند عزیز
باشد ھمہ چیز مندرج در ھمہ چیز این است بیان آنکہ عارف گوید
Transcription
ḥaqiqat-e hasti be jamiʿ-e šo’un-o ṣefât-o nasab-o eʿtebârât ke ḥaqâyeq-e hame-ye mowjudât and, dar
ḥaqiqat-e har mowjudi sâri ast-o lehâżâ : qīla kullu šay’ fīhi kullu šay’. ṣâḥeb-e Golšan-e râz guyad :
šeʿr
del-e yek qaṯre râ gar bar šekâfi borun âyad az u ṣad baḥr-e ṣâfi
robâʿi
hasti ke bovad żât-e Xodâvandi ʿaziz ašyâ’ hame dar vey and-o vey dar hame niz
in ast bayân-e ânke ʿâref guyad bâšad hame ciz mondarej dar hame ciz
Traduction
Par la totalité de Ses modes, attributs, relations et aspects – qui sont les réalités ontologiques de tous
les étants, la Réalité ontologique de l’Être (ḥaqiqat-e hasti) se diffuse dans la réalité de tout étant. C’est
pourquoi il est dit que « Tout est dans tout » ; et l’auteur de la Roseraie du Mystère dit20 :
Couplet
Si tu ouvres le cœur d’une goutte d’eau
Il en sortira cent océans purs.
Quatrain
L’Être est l’Essence du Seigneur bien-aimé :
Toutes choses sont en Lui, et Lui aussi en toutes choses.
C’est cela l’explication du dire du gnostique (ʿâref)
Que toute chose est contenue dans toute chose.
20 Maḥmud Šabestari (1288-1340), de Herat, auteur du Golšan-e râz (La roseraie du secret), réponses versifiées
en forme de maṡnavi à quinze questions en vers posées par un maître sohravardi de Herat, Amir Sayyed Ḥoseyni
(avant 1272 - avant 1350).
42
TEXTES
Les Nafahât al-ons relèvent de l’un des grands genres de la littérature soufie : le recueil d’hagiographies
(tażkere, pl. ar. tażkerât). Dans son Tażkerât al-owliyâʾ (Mémorial des Amis), ʿAṯṯâr a remarquablement
indiqué les raisons qui peuvent pousser un mystique à écrire à propos des Amis de Dieu, dessinant par-
là une « lignée croyante » (belle expression forgée par Danièle Hervieu-Léger dans La religion pour
mémoire, Paris, Cerf, 1993) depuis l’époque des compagnons de Muḥammad jusqu’à son propre temps.
« J’ai considéré, observe-t-il notamment, que les mots des Amis de Dieu étaient les plus beaux après
le Coran et le hadith, et j’ai considéré que toutes leurs paroles formaient un commentaire du Coran et
du hadith. Je me suis assigné cette tâche de manière à ce que même si je ne suis pas un Ami de Dieu,
je puisse une fois me rendre semblable à eux (...). Une autre raison est qu’il est nécessaire de maîtriser
le vocabulaire et la grammaire (de l’arabe) pour comprendre le Coran et les Traditions, et que la plupart
des gens ne sont pas capables d’en comprendre le sens. Ces paroles en sont un commentaire, et tant
l’élite que le peuple peut ainsi y avoir accès22. »
Dans son livre, qui marque l’aboutissement du genre en persan, Jâmi déclare avoir fondé son
travail sur celui de ses prédécesseurs, au premier desquels Ies Ṯabāqāt al-Ṣūfiyya (Générations des
soufis), écrites en arabe par ʿAbd al-Raḥmân Solami (937-1201) de Nishapur et couvrant cinq
générations d’Amis, du 8e au 10e siècle, ainsi que leur traduction en persan par Xwâja ʿAbd Allâh Anṣâri
(m. 1089) de Herat. Mais Jâmi réarrangea une grande partie du contenu de cet ouvrage et y ajouta tout
un matériau nouveau, trouvé dans d’autres livres qu’il jugeait fiables. Parmi les nouvelles biographies
introduites figurent celles de nombreux Naqšbandis et de leurs prédécesseurs, jusqu’à l’époque où
vivait Jâmi. Une place encore plus grande est faite à la Kobraviyya, ordre d’origine centrasiatique fondé
par le grand auteur et savant mystique Najm al-Din Kobrâ (1145-1220), dont les principaux écrits
explorent la science des cœurs et les étapes du développement spirituel. Enfin, il est remarquable que
Jâmi inclue dans les Nafaḥât des notices sur onze poètes persans, du grand poète mystique Sanâʾi (m.
c. 1131) à Ḥâfeẕ (vers 1325-1390, voir ci-dessous, p. 71-82).
Dans son ouvrage Friends of God : Islamic images of piety, comitment and servanthood
(Berkeley, University of Californial Press, 2008), John Renard distingue trois types principaux de
tażkerât : l’hagiographie, centrée sur les qualités morales et spirituelles des Amis, la bio-hagiographie,
qui renseigne sur la vie personnelle et publique des personnages, et l’hagiologie, plus orientée vers des
éléments de doctrine des considérations théoriques, – catégorie à laquelle il rattache les Nafaḥât de
Jâmi. On verra en effet dans l’extrait ci-dessous que Jâmi ne dit rien de la vie de ʿAli al-Hojviri.
Ce dernier, né à Hujvir, faubourg de Ghazni, vint s’établir à Lahore en 1039, sous le règne de
Solṯân Masʿud (r. 1031-1040), fils de Maḥmud de Ghazni (r. 998-1030). On ne sait pas grand-chose de
lui, mais sa haute spiritualité impressionna à ce point les Indiens qu’ils l’appelèrent en hindi Dātā
21 http://torbatj.persiangig.com/dl/book/nafahat-ol-ons-jami.pdf/download?5d96, p. 288-289.
22 Farid al-Din ʿAṯṯâr Nišâburi, Tażkerât al-owliyâʾ, éd. Moḥammad Esteʿlâmi, Téhéran, Entešâtât-e zavvâr,
1360sh/1981, p. 7.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
(Donateur), ou encore, mêlant hindi et persan, Dātā Ganj Baxš (le Donateur qui répand des trésors).
Son tombeau à Lahore reste fréquenté chaque jour par d’innombrables visiteurs.
Quant au seul ouvrage qui ait survécu de ʿAli al-Hojviri, le Kashf al-maḥjub (Révélation de ce
qui est voilé), il est le premier grand traité de soufisme en persan. Les vingt-cinq chapitres du livre se
répartissent en quatre parties : la première est consacrée à certains principes fondamentaux du
soufisme, – la deuxième à des hagiographies qui font remonter la pratique du soufisme aux compagnons
de Muḥammad et qui s’échelonnent jusqu’à l’époque de ʿAli al-Hojviri lui–même, – la troisième à des
vies de grands maîtres spirituels et de soufis, la troisième aux fondateurs d’ordres, aux confréries et à
leurs doctrines concernant divers sujets très débattus dans les milieux soufis (ivresse, miracles,
conception de l’âme...), – et la quatrième à onze dévoilement touchant aux cinq piliers de la religion, à
la conduite et à l’étiquette, à certains termes techniques du soufisme et au concert spirituel.
Rétrospectivement, ʿAli al-Hojviri a été construit comme ayant eu après sa mort, par le pouvoir de sa
baraka (puissance bénissante) autorité spirituelle sur toute l’Inde : aucun Ami, disait-on, ne pouvait venir
s’y installer sans avoir reçu son autorisation.
Transcription
ʿAlī ben ʿOṡmân ben Abi l-Jolâbi al-Ġaznavi, raḥmat Allāh taʿlä
konyat-e vey Abu l-Ḥasan ast, ʿâlim-o ʿerfân bude. morid-e šeyx Abu l-Faẓl ben Ḥasan Xatli ast-o be
ṣoḥbat-e besyâri az mašâyex-e digar raside ast. ṣâḥeb-e ketâb Kašf al-maḥjub ast ke az kutub-e
moʿtbare-ye mašhure dar in fan ast, va laṯâyef-o ḥaqâyeq besyâr dar ân ketâb jamʿ karde ast.
vey goft ke : « as šeyx al-mašâyex Abu l-Qâsem Gorgâni raḏī Allâhu taʿlä ʿanhu porsidam ke :
darviš râ kamtarin ciz ce bâyad tâ esm-e faqr râ sazâvar gardad ? goft : se ciz bâyad-o kam az se ciz
našâyad. yeki bâyad ke pâre-i râst bedânad duxt, va digar soxani râst bedânad goft-o šonud, va digar
pâʾi râst bar zamin dânad zad. goruhi az darvišân bâ man ḥâẓer budand ke in soxan begoft. cun be
manzel-e xwod bâz âmadim, goftim : beyâyid tâ har kasi dar in soxan cizi beguyim. har yek cizi goftand :
cun nowbat be man âmad, goftam : pâre-ye râst duxtan ân bud ke be faqr duzand na be zinat. cun roqʿe
be faqr duzi, agar nârâst duzi râst bâšad. va soxan-e râst ân bâšad ke be ḥâl šenavad na be monyat va
be ḥaq-o vajd dar ân taṣarrof konad na be hazl va be zendegâni mar ân râ fahm konad na be ʿaql. va
44
TEXTES
pâ-ye râst bar zamin zadan ân bâšad ke be vajd bar zamin zanad na be lahv. va in soxan râ beʿeyne
piš-e ân bozorg naql kardand, goft : aṣāb ʿAlī, jabra Allāhu taʿlä. »
va ham vey goft ke : « vaqti ke be mahne bar sar-e qabr-e šeyx Abu Saʿid nešaste budam tanhâ,
kabutari didam sefid ke beyâmad-o dar zir-e ân fuṯe šod ke bar gur fekande budand. cun bar xâstam-o
negâh kardam, dar zir-e fuṯe hic nabud. ruz-e dovvom hamân bedidam-o ruz-e seyyom niz, dar taʿajjob-
e ân foru mândam, tâ šabi vey râ be xwâb didam-o az vey ân vâqeʿe porsidam, goft : ân kabutar ṣafâ-
ye moʿâmelat-e man ast ke har ruz be monâdemat dar gur-e man âyad. »
Traduction
ʿAlī ben ʿOṡmân ben Abi l-Jolâbi al-Ġaznavi, sur lui la clémence de Dieu le très haut
Son surnom était Abu l-Ḥasan. Il était à la fois un savant (ʿâlem) et un mystique (ʿâref). Il avait été l’élève
de Šeyx Abu l-Faẓl ben Ḥasan Xatli et il s’était entertenu avec nombre d’autres maîtres. Il est l’auteur
du live intitulé Kašf al-maḥjub (La révélation de ce qui est voilé) qui fait partie des chef-d’œuvres
d’authenticité du genre et qui comporte beaucoup de subtilités et de vérités.
Il dit : « J’ai demandé au Šeyx Abu l-Qâsem Gorgâni (puisse Allah le Très Haut l’agréer !) quel
était le minimum requis pour un derviche afin que l’on pût parler à son propos de Pauvreté (faqr). Il me
répondit qu’il fallait trois choses et pas une de moins : que l’homme en question sût bien coudre les
morceaux d’étoffes dont était fait son vêtement, ensuite qu’il sût ne prononcer et écouter que des
paroles véridiques, et enfin qu’il sût marcher d’un pas droit. Un groupe de derviches se trouvait être
avec moi quand il parla ainsi. Quand nous retournâmes chez nous, nous dîmes : « Allons, exprimons-
nous chacun à ce sujet ! » Chacun prit la parole. Quand mon tour vint, je dis : « Bien coudre son
vêtement, cela veut dire le coudre avec la Pauvreté, et non le garnir d’ornements. Quand on coud une
pièce d’étoffe avec la Pauvreté, même si on la coud mal, c’est bien. Quant à tenir un discours de vérité,
je dis que cela consistait à écouter en extase et non sous l’impulsion du désir, à prendre la parole avec
véridicité et sérieux, et non en plaisantant, et à lui insuffler de la vie et non du raisonnement. Enfin, à
propos de marcher d’un pas droit, je dis que cela signifiait avancer dans l’extase et non en s’amusant.
Quand on rapporta à ce grand maître mes paroles de manière exacte, il dit : « Aṣāb ʿAlī, jabra Allāh ».
Et il dit : « Une fois, à Mehne23, j’étais assis seul sur la tombe de Šeyx Abu Saʿid. Je vis un
pigeon blanc venir et se glisser sous l’étoffe dont on avait recouvert la tombe. Mais quand je me levai
pour regarder, il n’y avait plus rien sous l’étoffe. Je fus témoins du même événement le jour suivant, et
encore celui d’après. J’en restai stupéfait, jusqu’à ce qu’un jour je voie ce maître en rêve. Je le
questionnai sur ce qui s’était passé et il me répondit : « Ce pigeon m’apporte de la joie. Chaque jour, il
vient me tenir compagnie. »
23 Ville du Khorasan où naquit et mourut Abu Saʿid Abu l-Xeyr (967-1049), mystique iranien à qui sont attirbués, à
tort, quelques douzaines de quatrains.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Neẕâm al-Molk est postérieur de deux générations à Ferdowsi. Le monde est-iranien dans lequel il naît
est encore celui de la rivalité entre Ghaznévides et Seljoukides, ces derniers finissant par triompher et
créer un grand empire.
Neẕâm, fils d’un agent chargé du revenu au service des Ghaznévides, était né dans le milieu
lettré et cultivé de la haute administration persane. Dans la confusion qui accompagna la première
expansion des Turcs seljoukides, son père s’enfuit pour Ghazna, et Neẕâm entra au service des
Ghaznévides. Il ne tarda toutefois pas à regagner le Khorasan, pour se mettre à la disposition de celui
qui en était le gouverneur seljoukide, Caġri Beg (m. 1059), puis de son fils Alp Arsalân (1030-1073), qui
était lieutenant de son père dans le Khorasan oriental et le plaça sous l’autorité de son propre vizir.
Quand ce dernier mourut, Neẕâm fut appelé à le remplacer, et lorsque Alp Arsalân succéda à son père
en 1059, Neẕâm se retrouva en charge de l’administration du Khorasan. Puis, quand Alp Arsalân devint
le chef de tous les dynastes seljoukides en 1063, il fit de Neẕâm al-Molk son vizir.
Neẕâm al-Molk occupa cette fonction sous deux grands empereurs seljoukides, dans un empire
qui s’étendait de l’Oxus à l’est au Khwarezm, au Caucase du Sud et à l’Anatolie centrale à l’ouest. Son
influence fut particulièrement grande sur Malek Šâh (1055-1092), qui monta sur le trône seljoukide à
l’âge de 18 ans. C’est à la demande de ce souverain qu’il écrivit, en 1091-1092, le Siar al-moluk, aussi
appelé Siâsat-nâme « traité de politique ». Dans ce miroir des princes qui fit bientôt et pour des siècles
autorité dans tout le monde musulman sunnite, il parle peu de l’administration (divân), qu’il contrôlait
avec l’aide de collaborateurs choisis et façonna de manière traditionnelle. Par contre, concernant la
cour (dargâh), il critique l’ignorance du protocole, le manque de magnificence, le déclin du prestige des
principaux serviteurs du prince et la négligence des services d’espionnage. Les onze derniers chapitres
de l’ouvrage, rajoutés en 1092, s’en prennent aux non-sunnites, les chiites en général, et les ismaéliens
en particulier, tant pour des raisons politiques que du fait des convictions de l’auteur.
Ces vues religieuses et politiques amenèrent Neẕâm al-Molk à fonder de nombreuses
madrasas, appelées d’après lui Neẕâmiye (et leur cursus dars-e neẕâmi « leçon nézamienne »). Ces
établissements d’enseignement supérieur étaient destinés à former une classe d’administrateurs
compétents, fiables et pieux sunnites. Neẕâm al-Molk fit aussi bénéficier de ses largesses certains
ordres soufis, ainsi que divers hospices, notamment pour les plus pauvres, et patronna des travaux
publics destinés à faciliter les pèlerinages à La Mecque et Médine.
Mais Neẕâm al-Molk avait perdu de son ascendant sur Malek Shâh après 1080. Il s’était aussi
opposé au courtisan favori du sultan, Tâj al-Molk, et s’était aliéné l’épouse du souverain, Terkhen Xatun,
en préférant le fils d’une autre épouse pour la succession. Neẕâm al-Molk périt assassiné peu après
avoir achevé le Siar al-Moluk, en 1092, sur la route d’Ispahan à Bagdad, près de Nehavand. Son
meurtrier était un ismaélien d’Alamut, qui agit probablement avec la complicité de Tâj al-Molk et Terkhen
Xatun, peut-être aussi avec celle du sultan lui-même. Ce dernier fut assassiné à son tour un mois plus
tard. Le déclin de l’empire des grands Seljoukides avait commencé.
46
TEXTES
Le passage ci-dessous est tiré du chapitre 42 intitulé « Les femmes de la cour et les subalternes ».
ھمہ آن فرمایند کہ صاحب غرضان ایشان را شنوانند و بہ راٴی العین چنان کہ مردان احوال بیرون،ھر آن گاھی کہ زنان پادشاہ فرماندہ شوند
فرمان دھند۔ البد فرمانھای، ایشان نتوانند دید۔ پس بہ موجب گویندگان کہ در پیش کار ایشان باشند چون حاجبہ و خادمہ،پیوستہ می بینند
ایشان بہ خالف راستی باشد و از آنجا فساد تولّد کند و حشمت بادشاہ را زیان دارد و مردمان در رنج افتند و خلل در ملک و دین آید و خواستہ
مردمان تلف شود و بزرگان دولت آزردہ شوند۔
Transcription
har ân gâhi ke zanân-e pâdšâh farmândeh šavand, hame ân farmâyand ke ṣâḥeb-e ġaraẓân išân râ
šenavânand-o be ra’y al-ʿeyn conân ke mardân-e aḥvâl-e birun-peyvaste mi binand, išân natavânand
did. pas be mujeb-e guyandegân ke piš-e kâr-e išân bâšand cun ḥâjebe-vo xâdeme, farmân dahand.
lâbod farmânhâ-ye išân be xelâf-e râsti bâšad-o az ânjâ fasâd tavallod konad-o ḥešmat bâdšâh râ ziân
dârad-o mardomân dar ranj oftand-o xalal dar molk-o din âyad-o xwâste-ye mardomân talaf šavad-o
bozorgân-e dowlat âzorde šavand.
Traduction
Chaque fois que les femmes du prince donnent des conseils, ils leur sont suggérés par des gens
malintentionnés, qui se rendent comptent, par leurs propres yeux, de ce qui se passe au dehors, tandis
qu’elles ne peuvent rien voir. Elles suivent les avis donnés par les personnes attachées à leur service,
telles que la dame de compagnie, l’eunuque, la femme de chambre, et les ordres qu’elles donnent
seront nécessairement contraires à ce qui est juste et vrai, et ils feront naître (dans l’État) la
mésintelligence et la discorde. Le prestige du prince en sera atteint, le peuple souffrira, le gouvernement
et la religion seront ébranlés, la fortune publique sera détruite et les grands du royaume seront
persécutés.
Manuel de gouvernement, le Siar al-moluk est aussi à bien des égards un miroir des princes, genre qui
se développe dans l’univers politique fragmenté des dynasties provinciales qui règnent sur l’Iran du XIIe
au XIVe siècle. Les miroirs des princes sont tout à la fois des œuvres littéraires dans lesquels s’épanouit
la prose persane et des manuels où fables, apologues et anecdotes sont censés enseigner aux futurs
souverains, à travers exemples et contre-exemples imagés et frappants, comment se comporter en
24 Abu ʿAli Ḥasan bin ʿAli Ṯusi « Neẕâm al-molk », Siar al-moluk, éd. Moḥammad Esteʿlâmi, Téhéran, Entešârât-e
Zavvâr, 2007, p. 244 ; trad. Nizam al-Mulk, Traité de gouvernement, trad. Charles Schefer, préf. Jean-Paul Roux,
Paris, Sindbad, 1984, p. 271 sq.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
bons et sages monarques, comment choisir de conseillers et des ministres vertueux et dévoués,
comment empêcher un entourage travaillé par les rivalités jalouses de fomenter complots et séditions
et comment exercer la justice pour le bien du peuple.
Le miroir des princes persan qui, sur le plan littéraire, a l’histoire la plus extraordinaire et connut
le succès le plus considérable et le plus durable est le Kalile va Damne (Kalila et Dimna) d’Abu l-Maʿâli
Naṣirallâh Monši (m. vers 1160-1187). La lointaine origine de ce texte remonte à l’époque sassanide,
et plus précisément au règne de Kasrâ (531–579), présenté par Ferdwosi, dans le Šâhnâme, comme le
plus grand roi de sa dynastie. Non seulement Kasrâ organise et pacifie l’Iran, mais il recrute un conseiller
de tout premier plan, Buzorjmehr, et s’assure les services d’un médecin d’une grande sagesse, Barzuy.
Ce dernier dit un jour à Kasrâ avoir lu que sur une montagne de l’Inde pousse une herbe qui redonne
la vie. Il demande au roi l’autorisation de se rendre en Inde pour l’acquérir et malgré son doute, le roi lui
écrit une lettre pour le souverain indien. En Inde, un savant vieillard révèle à Barzuy, dont les recherches
n’ont pas abouti, que l’herbe est l’homme savant et la montagne le savoir, et qu’il y a dans le trésor du
roi un livre appelé Kalile (en fait, le Pañcatantra sanskrit, sur lequel nous reviendrons). Ce livre, dit-il,
est précisément pour les hommes engourdis par l’ignorance comme l’herbe de leur résurrection et la
science qu’il recèle comme la montagne. Prié par Barzuy, le roi indien lui prête le livre pour un jour et
une nuit, – temps qui suffit au médecin iranien pour l’apprendre par cœur. Barzuy restitue ensuite le
livre par écrit, en pehlvi, et rentré en Iran, le présente à Kasrâ, qui voit en effet son savoir et sa vie
augmentés par sa lecture. Il demande alors au roi de bien vouloir autoriser Buzorjmehr à écrire une
introduction sur lui en tête de l’ouvrage quand il le recopiera. Le roi accepte, et le livre ainsi augmenté
rejoint le trésor royal.
Cette version pehlvi allait être le point de départ d’une fabuleuse carrière internationale pour le
livre. Après une traduction, dès le VIe siècle, en syriaque, importante langue véhiculaire de l’époque au
Proche-Orient, un jeune intellectuel iranien génial, Ibn al-Muqqafāʿ (né en 720, brûlé vif en 756 pour son
iranisme et ses idées politiques), produit à partir du texte pehlvi un ouvrage en arabe de tout premier
plan intitulé Kalīla wa Dimna (Kalila et Dimna), du nom des deux chacals qui en sont les principaux
protagonistes. Le succès en est foudroyant, et ne s’est jamais démenti. Le livre est imité, mis en vers
et en prose rimée, on en tire des poèmes. Il est bientôt traduit dans de nombreuses langues. Une
nouvelle version syriaque lui donne une coloration chrétienne, tandis qu’apparaissent des traductions
en persan, dans divers dialectes turcs, dans plusieurs langues de l’Inde – pays où le Kalīla wa Dimna
voisine désormais avec sa source sanskrite –, en malais, en mongol et en éthiopien.
La première version européenne du livre est une traduction grecque du XIe siècle, suivie de
versions slaves, allemande et latine. Au XIIe siècle, un certain Rabbi Joël traduit le Kalīla wa Dimna en
hébreu ; sa traduction est mise en latin par Jean de Capoue (1236-1278) sous le titre Directorium vitae
humanae (Guide pour la vie humaine), version mère de la plupart des versions européennes ultérieures.
Mais c’est une autre traduction latine que Jean de La Fontaine aurait eue entre les mains, exécutée en
1666 à partir de la version grecque par le Père de Poussines, le Specimen sapientiae Indorum veterum
(Échantillon de la sagesse des anciens Indiens), ainsi qu’un ouvrage en français, le Livre des lumières
ou la conduite des rois, composé par le sage Pilpay Indien, traduit du persan par l’orientaliste Gilbert
48
TEXTES
Gaulmin (1585-1665) avec l’aide d’un Iranien établi à Paris, et première version française du Kalīla wa
Dimna fondée sur un original en langue orientale.
Revenons à l’Inde, et ouvrons la version classique du Pañcatantra. Le récit cadre, précédé
d’une introduction, raconte comment le roi Amaraśakti demanda au brahmane Viṣṇuśarman d’instruire
ses fils dans la science politique. Le brahmane, auteur putatif des fables, raconte dans le livre I, La
Désunion des amis, comment un chacal ambitieux, Damanaka, ruina l’amitié du roi lion et d’un taureau.
Le livre II, sur L’Acquisition des amis, démontre que par l’entraide, les faibles (rat, daim, tortue…)
peuvent triompher de leurs ennemis. Le livre III, La Guerre des corbeaux et des hiboux, incite à la
réflexion sur l’action politique et ses pratiques (paix, guerre, duplicité, alliances…). Quant aux deux
derniers livres, La Perte du bien acquis et La Conduite inconsidérée, ils incitent à agir avec prudence et
lucidité.
Dans son Kalīla wa Dimna, attribué par lui au sage hindou Bidpaï, Ibn al-Muqaffāʿ innove.
Procédant par histoires imbriquées, il conte comment un buffle nouveau venu parvient à devenir le
confident du roi lion, suscitant jalousies et complots. Le chacal Dimna, notamment, cherche sa perte, et
semble parvenir à ses fins ; mais l’imposture est démasquée et les méchants punis.
Quant à la plus célèbre traduction en persan du livre d’Ibn al-Muqaffāʿ, dont l’influence fut
considérable dans le monde iranien et en Inde, elle est celle d’Abu l-Maʿâli Naṣirallâh Monši (m. vers
1160-1187), achevée vers 1144 avec le même titre que l’original arabe, Kalile va Demne – son auteur
ayant utilisé aussi d’autres traductions en persan, aujourd’hui perdues.
Naṣirallâh était issu d’une vieille famille de fonctionnaires et de vizirs lettrés en arabe et en
persan, et il appartenait lui-même à la chancellerie du roi ghaznévide Bahrâmšâh (r. 1118-1152). Son
Kalile va Demne, plus qu’une traduction, est une création originale, et d’abord sur le plan linguistique.
En effet, avant Naṣirallâh, la prose persane était simple, directe et sans ornements d’aucune sorte. Fort
de son héritage littéraire bilingue, Naṣirallâh invente un nouveau persan littéraire dans lequel fleurissent
des emprunts à l’arabe, des dictons arabes et persans, des suites de synonymes, des citations du Coran
et des insertions de vers. La fortune de cet idiome littéraire va durer quelque quatre siècles.
Dans son chef-d’œuvre, Monši simplifie les récits de la version arabe, développe les aspects
moraux des dialogues et des débats, et valorise le rôle de la raison. Il centre son récit sur l’entourage
du prince et sur le rôle qu’y jouent l’amitié, la ruse et le destin. Le conte présenté ci-dessous, repris d’Ibn
al-Moqaffāʿ et dont se souviendra La Fontaine dans Pérette et le pot au lait, s’insère dans un récit cadre
intitulé « L’ascète et son fils », destiné à illustrer les inconvénients qu’il y a à agir de manière précipitée
et irréfléchie. L’épouse d’un homme qui n’espérait plus de descendance se trouve enceinte. L’homme
aussitôt rêve de la manière dont il élèvera sont fils à naître, mais sa femme lui reproche de parler sans
réfléchir, comme si l’avenir était certain et Dieu pas maître du destin. Elle illustre son propos avec la
fable de l’homme au pot rempli de miel et d’huile.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
. و ھر روز بامداد قدری از بضاعت خویش برای قوت او بفرستادی،پارسا مردی بود و در جوار او بازارگانی بود کہ شھد و روغن فروختی
. یک روزی دران مینگریست. بآھستگی سبوی پر شد.چیزی ازان بکار بردی و باقی در سبویی میکردی و در طرفی از خانہ میآویخت
ھرماھی پنج بزایند و از نتایج ایشان رمھا سازم و مرا، ازان پنج سرگوسپند خرم، اگر این شھد و روغن بدہ درم بتوانم فروخت:اندیشید کہ
، نام نیکوش نھم و علم و ادب درآموزم،اسباب خویش ساختہ گردانم و زنی از خاندان بخواھم؛ الشک پسری آید،بدان استظھاری تمام باشد
این فکرت چنان قوی شد و این اندیشہ چنان مستولی گشت کہ ناگاہ عصا برگرفت و.چون یال برکشد اگر تمردی نماید بدین عصا ادب فرمایم
. درحال بشکست و شهد و روغن تمام بروی او فرو دوید،از سر غفلت بر سبوی زد
Transcription
pârsâ mardi bud va dar jevâr-e u bâzargâni bud ke šahd-o rowġan foruxti, va har ruz bâmdâd qadri az
beẓâʿat-e xwiš barây-e qovvat-e u beferestâd ; cizi azân be kâr bordi va bâqi dar sabuʾi mi kardi va dar
ṯarafi az xâne mi âvixt. be âhestegi sabuy por šod. yeki ruzi darân mi negarist, andišid ke : agar in šahd-
o rowġan be dah daram betavânam foruxt, azân panj sar guspand xaram, har mâhi panj bezâyand va
az natâyej-e išân ramehâ sâzam va marâ esteẕhâri tamâm bâšad ; asbâb-e xwiš sâxte gardânam-o
zani az xândân bexwâham ; lâ-šakk pesari âyad, nâm-e niku-š neham va ʿelm-o adab dar âmuzam ;
cun yâl bar kešad agar tamarrodi nemâyad bedin ʿaśâ adab farmâyam. in fekrat conân qovi šod va in
andiše conân mastowli gašt ke nâgâh ʿaśâ bar gereft va az sar-e ġaflat bar sabuy zad, dar ḥâl bešekast
va šahd-o rowġan tamâm be ruy-e u foru david.
Traduction
Il était une fois un homme pieux qui avait pour voisin un marchand. Ce dernier vendait du miel et de
l’huile et chaque matin, il en prélevait un peu sur son stock pour l’envoyer à cet homme afin que celui-
ci restât en bonne santé. Le dévot en consommait une partie et mettait le reste dans un pot suspendu
dans un coin de sa maison. Le pot se remplissait peu à peu. Un jour, le regardant, l’homme se dit : « Si
je peux vendre ce miel et cette huile dix drachmes, avec cela, je m’achèterai cinq moutons ; chaque
mois (sic !), ceux-ci mettront bas et ainsi, j’aurai bientôt tout un troupeau et je pourrai vivre en toute
confiance ; je ferai prospérer mes affaires et je pourrai espérer épouser une femme de bonne famille.
Assurément j’aurai un fils, auquel je donnerai un bon nom et auquel j’enseignerai les sciences et les
lettres. Quand il grandira, s’il désobéit, c’est avec ce bâton que je lui apprendrai les bonnes manières.
Cette pensée s’empara si vivement de lui que prenant tout soudain son bâton, par inadvertance il frappa
le pot, qui se brisa sur le champ, et reçut le miel et l’huile sur la figure !
25 Abu l-Maʿâli Naṣirallâh Monši (m. vers 1160-1187), Kalile va Damne, éd. Sayyed ʿAlī Raẓavi Bahâbâdi, Kerman,
Entešârât-e peyâm-e Kermân, 1382sh/2003, p. 228-229.
50
TEXTES
Comme celle de Rumi, la destinée de Nâṣer al-Din Ṯusi est liée à l’irruption des Mongols sur la scène
iranienne. Nâṣer, fils d’un juriste chiite duodécimain de Tus, la ville de Ferdowsi au Khorasan, partit
étudier à Nishapur, à 75km à l’ouest, alors que Gengis Khan (m. 1227) allait entrer dans Tus en 1220.
L’année de la mort du chef mongol, en 1227, le gouverneur ismaélien Nâṣer al-Din al Raḥim, qui devait
lui-même mourir cette année-là, offrit à Nâṣer al-Din Ṯusi l’asile dans ses forteresses du Khorasan,
avant de l’inviter à résider dans sa capitale Alamut. C’est à ce gouverneur que Nâṣer al-Din Ṯusi
dédicaça son fameux traité de morale, Axlâq-e nâṣeri, dont est extrait le texte ci-dessous. Sous le règne
du nouvel imam, ʿAlâ’ al-Din Muḥammad (r. 1227-1255), Nâṣer al-Din se convertit à l’ismaélisme et se
mit à écrire sur la théologie ismaélienne et sur les mathématiques.
Quand Hülegü (vers 1217-1265), petit fils de Gengis Khan et persécuteur des ismaéliens, mit
fin au royaume de ces derniers en prenant Alamut en 1256, al-Ṯusi accepta de devenir conseiller
scientifique à la cour mongole. Il prit une épouse mongole et se retrouva en charge de l’administration
des fondations pieuses. Profitant de la croyance de Hülegü à l’astrologie, il obtint son soutien pour faire
construire, entre 1259 et 1262, un très bon observatoire astronomique près de la nouvelle capitale
mongole de Maragha dans l’Azerbaïdjan actuel. Il obtint surtout du souverain mongol une bibliothèque
de premier plan, financée par une fondation, où il invita des savants de diverses régions du monde
islamique.
Al-Ṯusi était un homme d’une érudition exceptionnelle, qui écrivit quelque cent cinquante livres,
en arabe, en persan et en turc, et qui produisit les éditions définitives de traductions arabes d’auteurs
grecs comme Euclide, Archimède et Ptolémée. Sa contribution aux sciences mathématiques et
astronomiques fut considérable.
Son traité de morale comporte trois livres, précédés d’une introduction. Le premier est consacré
à l’éthique proprement dite, et se subdivise en deux parties : les principes et les fins. Le deuxième traite
de l’économie et le troisième de la politique.
L’ultime chapitre du dernier de ces trois livres, d’où est tiré l’extrait suivant, se présente comme une
conclusion de l’ensemble, sous le titre « Les testaments de Platon sur lesquels se terminent le livre ».
Al-Ṯusi y expose, « pour le profit général de l’humanité », les sentences testamentaires de Platon à son
disciple Aristote.
یاد کن کہ چہ بودہ ای در اصل و چہ خواھی شد بعد از مرگ و ھیچ کس را اذائ مکن کہ کارھای عالم در معرض تغیّر و زوال است؛ بد
بخت آن کس بود کہ از تذ ّکر و عاقبت غافل بود و از زلّت باز نائیستاد۔
26 Nâṣer al-Din Ṯusi, Axlâq-e nâṣeri, éd., intr. et notes de M. Minovi et ʿA. R. Ḥeydari, Téhéran, Xwârezmi,
1356/1977, p. 342 ; trad. anglaise Naṣīr ad-Dīn Ṭūsī, The Nasirean Ethics, trans. G. M. Wickens, London, George
Allen & Unwin, 1964.
51
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
بلکہ پیش از التماس افتتاح کن۔ حکیم،سرمایہ خود از چیزھائ کہ از ذات تو خارج بود مساز۔ در فعل خیر با مستحقّان انتظار سوال مدار
مشمر کسی را کہ بہ لذّتی از لذّتھای عالم شادمان بود یا از مصیبتی از مصائب عالم جزع کند و اندوھگن شود۔ ھمیشہ یاد مرگ کن و بہ
مدرگان اعتبار گیر۔
Transcription
yâd kon ke ce budeʾi dar aṣl-o ce xwâhi šod baʿd az marg-o hic kas râ iżâ’ makon ke kârhâ-ye ʿâlam dar
maʿraz-e taġayyor-o zavâl ast ; bad baxt ân kas bud ke az tażakkor-e ʿâqebat ġâfel bud-o az zallat bâz
nâʾistâd
sarmâye-ye xwod az cizhâʾi ke az żât-e to xârej bovad masâz. dar faʿl-e xeyr bâ mostaḥaqqân
enteẕâr-e so’âl madâr, balke piš az eltemâs eftetâḥ kon. ḥakim mašomar kasi râ ke be lażżati az
lażżathâ-ye ʿâlam šâdmân bovad yâ az moṣibat az maṣâ’eb-e ʿâlam jazaʿ konad-o anduhgen šavad.
hamiše yâd-e marg kon-o be mordegân eʿtebâr gir.
Traduction
Souviens-toi de ce que tu fus et de ce que tu seras après la mort, et ne fais de mal à personne, car le
fonctionnement de l’univers est exposé au changement et au déclin ; infortuné, celui qui ne se soucie
pas de se souvenir de la fin et de ne s’abstient pas de la faute.
Ne t’investis pas dans ce qui est extérieur à ton être propre. Pour ce qui est de faire du bien aux
indigents, n’attends pas qu’ils demandent, mais prends l’initiative avant leur supplication. Ne tiens pas
pour sage celui qui se réjouit de l’un quelconque des plaisirs du monde ou qui se lamente ou s’afflige
de l’un quelconque des malheurs du monde. Pense toujours à la mort et prends exemple sur les morts.
Bien que quasi-contemporain de Rumi, Moṣleḥ al-Din Saʿdi connut un tout autre destin. Sa ville natale,
Shiraz, capitale du Fars, fut en effet épargnée par les Mongols parce que leur chef Hülegü (1217-1265)
avait reçu la soumission anticipée du maître seljoukide de la ville, Saʿd bin Zangi (r. 1202-1226. C’est
en l’honneur de ce mécène que Moṣleḥ al-Din prit pour nom de plume Saʿdi, et c’est à ce prince qu’il
dédia sa première œuvre, le Bustân (Jardin des parfums).
Saʿdi a beaucoup parlé de lui dans son œuvre, et l’on a longtemps pris à la lettre ce matériau
apparemment autobiographique. Mais la recherche a permis de démontrer que le narrateur du Bustân
et du Golestân (Roseraie), qui a visité le monde musulman du Maghreb à l’Inde et à l’Asie Centrale, est
loin d’être identifiable à l’auteur nommé Saʿdi. Au demeurant, ledit narrateur ne se présente-t-il pas
souvent comme l’un de ces voyageurs envers lesquels il appelle à la bienveillance, mais non sans cette
mise en garde (Golestân I.32) : jahândide besyâr guyad doruġ « qui a vu le monde dit beaucoup de
mensonges » ?
Ce que l’on peut tenir pour probable ou acquis est que Saʿdi, ayant tôt perdu son père qui
appartenait aux milieux religieux de Shiraz, étudia à Bagdad, à l’université dite Neẕâmiye (voir ci-dessus
52
TEXTES
Neẕâm al-Molk), fréquenta des maîtres soufis en Syrie et accomplit plusieurs fois le pèlerinage à La
Mecque. Une fois établi à Shiraz, il ne quitta plus la ville que pour un dernier pèlerinage. Mais s’il
bénéficia du patronage des princes de Shiraz et même de la cour mongole, on ne sait rien du milieu
dans lequel il vécut. Il se dit derviche (c’est-à-dire pauvre et pieux), parle avec distance des soufis et
condamne les antinomistes. D’après un commerçant de son temps, il aurait été attaché au principal
centre spirituel de Shiraz, fondé par Moḥammad ibn Xafif (m. 982), introducteur du soufisme dans la
ville.
L’œuvre de Saʿdī comporte un vaste divan poétique, avec des ghazals classiques de premier
plan, un long maṡnavi intitulé d’abord Saʿdi-nâme puis Bustân, et le Golestân. Écrite dans un persan
littéraire arrivé à sa pleine maturité et dans un style simple et élégant, avec ici ou là un court passage
en arabe, elle se situe au confluent de la poésie, de l’art du récit, des traités de morale, des miroirs de
princes et de l’expression littéraire du soufisme, et dessine le portrait de l’homme iranien médiéval
cultivé.
EXTRAIT 1 (Bustân)
Le spirituel chevauchant une panthère27
Le Bustân fut achevé en 1257. C’est un poème long et complexe, écrit en forme de maṡnavi dans le
mètre motaqâreb du Šâhnâme, et qui fut retouché par Saʿdi et les copistes. De facture plus classique
que le Golestân, il est divisé en dix chapitres, précédés d’un préambule : 1) de la justice du prince ; 2)
de la bienfaisance du prince ; 3) de l’amour humain et mystique ; 4) de l’humilité ; 5) du consentement
que l’homme doit offrir au destin que lui réserve la providence divine ; 6) du contentement dans lequel
il doit établir son âme ; 7) de l’éducation des enfants ; 8) des dispositions de reconnaissance dans
lesquelles il faut toujours vivre ; 9) du repentir de ses fautes ; 10) prière et conclusion. Chacun des neuf
premiers chapitres est fait d’histoires illustrant une doctrine commune, dans une langue parfaitement
souple et harmonieuse et avec un grand bonheur d’expression.
À la fin du prologue, Saʿdi fait l’éloge du prince Saʿd bin Abi Bakr bin Saʿd (r. 1231-1260) et
conclut son compliment par une anecdote (ḥekâyat) destinée à inviter le prince à suivre les conseils des
sages. Cette courte pièce met en scène un spirituel monté sur un lion tout à fait semblable au cheikh
dont Rumi campe le portrait dans l’extrait ci-dessus. L’analogie entre les deux passages n’a pas
échappé au peintre de l’époque safavide qui a illustré ce passage 28. L’artiste en effet, tout comme Solṯân
Moḥammad pour l’histoire de Keyomarṡ dans le Šâhnâme (voir plus haut), répond à l’anecdote plus
qu’il ne l’illustre, introduisant dans sa peinture un trait importé de la scène correspondante du Maṡnavi
de Rumi : le fagot de bois sur lequel est assis le spirituel.
27 Šeyx Moṣleḥ al-Din Saʿdī, Golestân-o Bustân, éd. bilingue avec les traductions anglaises d’Edward Rehatsek
(Golestân) et G. M. Wickens (Bustân), Téhéran, Hermes, 2004, p. 762-765.
28 Voir Assadullah Souren Mélikian-Chirvani, Le Chant du Monde : l’art de l’Iran safavide, Paris, Musée du Louvre
Éditions et Somogy Éditions d’Art, 2007, p. 212-213.
53
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Transcription
Traduction
54
TEXTES
55
Le Mystique qui chevauchait une panthère
Page d’un manuscrit du Bustân de Saʿdi (Herat, 1525)
Washington D. C., Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution
TEXTES
Extrait 2 (Golestân)
Le prince et le derviche29
Comme l’indiquent les dates respectives des deux ouvrages (1257 et 1258), le Golestân semble avoir
été écrit par Saʿdī en même temps que le Bustân. Il s’inscrit pour une part dans la tradition littéraire
arabe des Maqāmāt (séances) inventée par l’iranien al-Hamaẓâni (Hamadhan 968 -Herat 1008) : ces
« séances de chacune quelques pages sont des scènes de genres en un mélange de prose rimée et
rythmée et de vers qui font avec piquant la satire des mœurs des différentes classes sociales.
Le Golestân lui aussi consiste en courtes « séances » mêlant prose et vers. Chacune est
centrée sur une anecdote (ḥekâyat) dans laquelle il ne s’agit pas de moquer mais de partir de la vie
quotidienne pour aboutir à une morale souvent exprimée en une formule frappante, parfois sous forme
de proverbe ou de conseil, et généralisée par un ou plusieurs couplets. L’œuvre comporte huit livres
encadrés par une introduction et une conclusion, et intitulés (trad. Omar Ali Shah) : 1) du caractère et
de la conduite des rois ; 2) de l’éthique des derviches ; 3) des vertus du contentement ; 4) des avantages
du silence ; 5) de l’amour et de la jeunesse ; 6) de la faiblesse et de la vieillesse ; 7) des effets de
l’éducation ; 8) de la conduite de la société.
Le texte ci-dessous forme la seizième histoire du livre deux. Il met en scène les deux figures
qui dominent la société dépeinte par le Golestân : le roi et le derviche.
یکی از جملہ صاحبان بہ خواب دید بادشاھی را در بھشت و پارسایی را در دوزخ ۔ پرسید کہ موجب درجت این چیست و درکت آن کہ مردم
تقرب پادشاھان در دوزخ ۔
ّ بہ خالف این معتقد بودند ۔ ندا آمد کہ این پادشاہ بہ ارادت درویشان بہ بھشت اندر است و این پارسا بہ
خود را ز عمل ھائ نکوھیدہ بری دار دلقت بہ چہ کار آید و مسحی و مرقّع
درویش صفت باش و کالہ ترکی دار حاجت بہ کالہ برکی داشتنت نیست
Transcription
yeki az jomle-ye ṣâḥebân be xwâb did bâdšâhi râ dar behešt-o pârsâʾi râ dar duzax. porsid ke mujeb-e
darajât-e in cist-o darakât-e ân ke mardom be xelâf-e in moʿtaqed budand. nedâ âmad ke in pâdšâh be
erâdat-e darvišân be behešt andar ast va in pârsâ be taqarrob-e pâdšâhân dar dozax.
dalqat be ce kâr âyad-o masḥi-o moraqqaʿ xwod râ ze ʿamalhâ-ye nekuhide bari dâr
ḥâjat be kolâh-e baraki dâštanat nist darviš-ṣefat bâš-o kolâh-e torki dâr
29 Šeyx Moṣleḥ an-Din Saʿdī, Golestân-o Bustân, éd. bilingue avec les traductions anglaises d’Edward Rehatsek
(Golestân) et G. M. Wickens (Bustân), Téhéran, Hermes, 2004, p. 258-259 ; trad. française : Saadi, Le Jardin des
roses, traduction et préface d’Omar Ali Shah, Paris, Albin Michel, « Spiritualités vivantes », 1966, réimpr. 1991, p.
84.
57
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Traduction
Un Sage vit dans un rêve un Roi au paradis et un derviche en enfer. Il demanda : « Que peut bien
signifier l'élévation du Roi et la chute du derviche ? J'avais coutume de penser que leurs destinées
étaient tout l'opposé ? » [Il entendit] une voix qui disait : « Le Roi est entré au paradis pour son respect
envers les derviches. Son mépris envers les rois a conduit le derviche en enfer. »
58
4. LA POÉSIE LYRIQUE
Les genres privilégiés de la poésie lyrique persane ont été la qaṣide, « ode » en couplets rimés AA, BA,
CA, etc., le ghazal, bref poème d'amour fréquemment symbolique, aux distiques sémantiquement
indépendants et rimant comme la qaṣide, qeṯ'e, formellement semblable au ghazal mais traitant d'un
thème unique, et la robâʿi, quatrain rimé AABA, porteur d’un message dense sous une forme
particulièrement travaillée.
Les œuvres d’un poète sont généralement rassemblées dans un divan (divân), où les qaṣide
viennent en premier, suivies des ghazals et des robâʿi puis des maṡnavi. Un poète qui a un divan est
respectueusement appelé ṣâḥeb-e divân (maître – c’est-à-dire titulaire – d’un divan).
La qaṣide est le genre typique des cours du monde iranien dans lesquelles le poète était chargé de faire
l’éloge du prince et des puissants en des circonstances aussi diverses que les fêtes saisonnières ou la
célébration des victoires militaires. Mais elle put bientôt s’adresser aussi à d’autres personnages,
mécène ou imam par exemple, ou encore se faire l’expression plus directe du poète à propos de thèmes
tels que la vanité de ce bas monde, la fuite du temps ou la célébration du vin.
Dans sa forme classique, la qâṣide comporte trois parties. La première est un exorde (tašbīb)
destiné à attirer l’attention en créant une atmosphère et dans lequel on a pu voir l’ancêtre du ghazal.
Elle consiste souvent en la description d’un être aimé (nasib), ou dans l’évocation de sa condition par
le poète amoureux. L’éloge proprement dit (madḥ) s’adresse au prince ou à un protecteur. Le
destinataire, mis par l’exorde en état de réceptivité, doit être transporté par l’habileté du poète, le rythme
de son eulogie et sa capacité à produire du balâġe, c’est-à-dire une gande richesse de sens exprimée
en peu de mots. La qâṣide se termine par une requête discrètement en vue d’une récompense : le poète
y met en valeur le charme de sa composition et le renom qu’elle vaudra à son destinataire. L’ensemble
doit comporter au moins quinze distiques et ne pas en avoir plus de trente.
Sur le plan formel, le ʿaruẓ, fin du premier hémistiche (meṣrâʿ) du premier distique (beyt), donne
la rime de tout le poème, qui est répétée à chaque ẓarb, partie finale du second hémistiche de chaque
distique. Et pour ce qui est du sens, chaque distique est une unité sémantique autonome. Ces règles
énoncées par les théoriciens persans de la poésie seront également valables pour le ghazal. Dans la
qâṣide, les trois vers les plus importants sont le premier (maṯlaʿ, lit. l’ « orient »), destiné à capter
l’attention, celui qui fait la transition (maxlaṣ) entre l’exorde et l’éloge, et le dernier (maqtaʿ), déterminant
pour l’impression laissée par le poème.
Les qâṣide étaient principalement récitées lors des grandes fêtes princières, comme celle du
printemps (nowruz, le nouvel an) ou celle d’automne (mehregân). Mais elles pouvaient aussi s’adapterà
toutes sortes d’autres occasions (une victoire, des funérailles, une catastrophe naturelle, etc.).
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Né vers le milieu du IXe siècle à Banj-e Rudak près de Samarcande, Rudaki Jaʿfar bin
Muḥammad (…) Rudaki, poète et musicien héritier de la tradition bardique, a été le premier grand maître
du genre. Devenu poète officiel de l’émir samanide Naṣr-e Aḥmad II (r. 914-943), il vécut à sa cour de
Boukhara. D’après les fragments de ses œuvres préservés dans des anthologies, il excella aussi dans
d’autres genres que la qaṣide. Mais finalement tombé en disgrâce et, selon certains, aveuglé au fer
rougi, il revint finir ses jours dans son village natal.
Le fragment ci-dessous, dans le mètre ramal qui sera plus tard celui de Langage des oiseaux de ʿAṯṯâr
et du Maṡnavi de Rumi (ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ), est une citation et, vu sa brièveté, pourrait n’être pas une
qaṣide intégrale. Il respecte toutefois à sa façon le mouvement en trois temps propre au genre, et il est
révélateur de l’aptitude de Rudaki à évoquer nature en quelques traits et à concentrer un éloge en deux
ou trois couplets. L’occasion de sa composition a été rapportée par Neżâmi ʿAruẓi-ye Samarqandi dans
ses Cahâr maqâle (Quatre discours) composés vers 1155 31. Cet ouvrage consiste en quatre discours
consacrés chacun à l’une des classes d’hommes indispensables aux rois : les secrétaires, les poètes,
les astrologues et les médecins. Chaque discours commence par des considérations générales, qui
sont suivies d’anecdotes souvent vécues par l’auteur. Le deuxième discours est l’un des premiers écrits
sur la poésie persane : il comporte la première notice sur Ferdowsi et la seule référence contemporaine
à ʿOmar Xayyâm. L’anecdote concernant Rudaki, quant à elle, s’y présente comme suit. L’émir Naṣr
avait pris l’habitude de passer la belle saison en d’autres lieux que Boukhara. Une année où il avait pris
ses quartiers d’été à Herat, il décida d’y rester aussi pour l’hiver, puis pour la belle saison suivante, et y
demeura finalement quatre années durant, au grand dam de ses soldats et de sa suite. Certains de ses
gens demandèrent à Rudaki d’user de son pouvoir de persuasion pour le convaincre de retourner à
Boukhara.
« Rûdaki accepta car il avait tâté le pouls de l’émir et connaissait son caractère. Sachant que
la prose le laissait indifférent, il eut recours à la poésie et composa une qasida. Quand l’émir eut bu le
coup du matin, Rûdaki entra et s’assit à sa place habituelle. Puis, lorsque les musiciens se turent,
prenant son luth, il commença ainsi, sur l’air des amoureux »32. Suit le texte du poème ci-dessous, à
l’audition duquel l’émir décida de partir sur le champ pour Boukhara.
30 Rudaki, Divân-e Rudaki Samarqandi, éd. Saʿid Nafisi I. Brâginski, Téhéran, Mo’assase-ye entešârât-e negâh,
1382 (2003), p. 113 ; trad. Nizami Aruzi, Les Quatre discours, introduction, traduction et notes par Isabelle de
Gastines, Paris, Éditions G.-P. Maisonneuve et Larose, 1968, p. 75. Le dernier couplet, celui de la demande de
rétribution, ne figure pas dans le texte de ʿAruẓi.
31 Neẕâmi ʿAruẓi, Cahâr maqâle, éd. ʿAlāma Moḥammad Qazvini, introduction et notes de Saʿid Qare-Baglu et Reẓâ
Anzâbi-Nežâd, 2e éd., Téhéran, Jâmi, 1385 (2006), p. 47-50 (le poème de Rudaki se trouve à la page 49) ; trad.
Nizami Aruzi, Les Quatre discours, p. 71-76. Cette célèbre anecdote concernant Rudaki se rencontre dans presque
toutes les biographies de poètes où il est question de lui.
32 P. 49 ; trad. p. 75.
60
TEXTES
یاد یار مھربان آید ھمی بوی جوی مولیان آید ھمی
زیر پایم پرنیان آید ھمی ریگ آمو و درشتی راہ او
خنگ ما را تا میان آید ھمی آب جیحون از نشاط روی دوست
میر زی تو شادمان آید ھمی ای بخارا شاد باش و دیر زی
ماہ سوی آسمان آید ھمی میرماہ است و بخارا آسمان
سرو سوی بوستان آید ھمی میر سرو است و بخارا بوستان
[گر بہ گنخ اندر زیان آید ھمی ]آفرین و مدح سود آید ھمی
Transcription
bu-ye ju-ye Muliân âyad hami yâd-e yâr-e mehrabân âyad hami
rig-e Amu-vo dorošti-e râh-e u zir-e pâyam parniân âyad hami
âb-e Jeyḥun az nešâṯ-e ru-ye dust xeng-e mâ râ tâ miân âyad hami
ey Boxârâ šâd bâš-o dir zi mir zi to šâdmân âyad hami
mir mâh ast-o Boxârâ âsmân mâh su-ye âsmân âyad hami
mir sarv ast-o Boxârâ bustân sarv su-ye bustân âyad hami
[âfarin-o madḥ sud âyad hami gar be ganj andar ziân âyad hami]
Traduction
Sans cesse, le parfum du fleuve Mouliyân et l’espoir de revoir l’ami cher nous poursuivent.
Le sable de l’Oxus, l’âpreté de la route me semblent toujours doux comme soie sous mon pied.
Dans la joie de revoir la face de l’ami, ses ondes monteront au poitrail des chevaux.
Bukhara ! sois heureuse et subsiste longtemps ! C’est vers toi que l’émir s’achemine, joyeux.
Notre émir est la lune ; et Bukhara, le ciel ; or la lune toujours reparaît dans le ciel.
L’émir est un cyprès ; Bukhara, le jardin ; or le cyprès toujours revient vers le jardin.
[Éloge et louange sont sources de profit, même si le trésor y perd.]
4.2. Le quatrain
Le robâʿi est un poème formé de deux vers (beyt) de chacun deux hémistiches (meṣrâʿ) rimés AABA et
dont le nom vient de l’arabe rubāʿ « composé de quatre parties ». Son vers traditionnel est appelé beyt-
e tarâne, « vers de la chanson », en référence aux tarâne, courtes « chansons » rythmées et rimées du
monde iranien auquel il s’apparente. Il présente des hémistiches de cinq pieds traditionnellement
classés dans le mètre hazaj et dont la métrique de base est la suivante : ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ | ˘ ˉ ˘ | ˉ ˉ | ˉ ˉ . Les
pieds 1 et 4 sont invariables, et le pied 2 ne présente que rarement la forme ˉ ˉ . Le pied 3 quant à lui,
même à l’intérieur d’un quatrain, peut alterner les formes ˘ ˉ ˘ et ˉ ˘ ˘, et semblablement, le cinquième
vers peut être formé de deux longues, ou de deux brèves et une longue.
61
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
L’origine des quatrains de ce type est inconnue : ils ne sont pas attestés en arabe ancien, et
l’on a pu évoquer une origine turque ou encore persane préislamique, certaines pièces anciennes
d’époque islamique relevant apparemment du tarâne.
Si les débuts du robâʿi sont obscurs, la forme, par contre, est déjà bien en vogue au temps de
Rudaki, qui compose dans le genre. Elle est bientôt utilisée par des poètes mystiques, et le restera
ensuite, dans le monde iranien et dans le monde indien. Mais c’est un poète aussi célèbre que
mystérieux qui a attaché à jamais son nom à celui du robâʿi : ʿOmar Xayyâm.
On connaît sous ce nom un grand mathématicien, astronome et philosophe de l’Iran des
Seljoukides, auteur d’une œuvre scientifique considérable en arabe. Originaire de la riche ville de
Nishapur au Khorasan, il fut chef de l’observatoire de Merv et procéda, à la demande du sultan Malek
Šâh (1055-1092, voir ci-dessus à propos de Neẕâm al-Molk), à une réforme du calendrier iranien. Il a
laissé un traité d’algèbre qui est un chef-d’œuvre des mathématiques médiévales.
Les premiers quatrains en persan conservés sous son nom par la tradition apparaissent dans
des anthologies à partir du XIIe siècle. Les citations se multiplient à l’époque mongole, et des recueils
sont constitués du XIIIe au XVe siècle, souvent avec des quatrains tirés d’œuvres d’autres auteurs
célèbres. Le nombre des quatrains attribués à ʿOmar Xayyâm ne cesse de croître jusqu’aux premières
éditions critiques, pour atteindre 250 dans tel manuscrit du XIIIe siècle et jusqu’à 845 dans tel autre du
XIXe. De cette tradition xayyâmienne qui est une composante établie de littérature persane, la critique
savante ne retient guère aujourd’hui qu’une centaine de quatrains, qui sont assurément l’œuvre d’un
très grand poète à la sensibilité étonnamment « moderne ».
Dans l’univers de Xayyâm, l’homme confronté à l’absurdité de sa finitude (ci-dessous quatrain
n° 5) et jouet d’un destin incompréhensible (n° 8) n’a d’autre choix qu’osciller entre méditation sceptique
(n° 9), révolte contenue (n° 6) et recherche de l’infini dans la saveur unique de l’instant qui passe (n° 1
et 11).
L’élaboration du sens des quatrains répond généralement, chez ʿOmar Xayyâm, à leur structure
de rime (AABA) : comme l’a montré le chercheur italien Alessandro Bausani, les deux premiers vers
introduisent à un sujet à travers un petit tableau, dans lequel le troisième introduit un élément inattendu,
le quatrième revenant vers le premier motif par une pointe (Bausani, Alessandro, « ‘La Quartina” », in
Antonino Pagliaro e Alessandro Bausani, Storia della letteratura persiana, Milan, Nuova Accademia
Editrice, 1960, p. 527-78).
À travers diverses traductions et, surtout, avec l’adaptation anglaise d’Edward Fitzgerald (1859),
les quatrains de Xayyâm ont connu en occident une renommée singulière.
1.
دریاب دمی کہ با طرب می گذرد این قافلہ عمر عجیب می گذرد
پیش آر پیالہ را کہ شب می گذرد ساقی غم فردای حریفان چہ خوری
33 Omar Khayyâm, Cent un quatrains de libre pensée, traduits du persan et présentés par Gilbert Lazard, Paris,
Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 2002 (quatrains 1, 12, 15, 27, 29, 34, 41, 50, 58, 97 et 101).
62
TEXTES
2.
قصدی دارد بہ جان پاک من و تو می خور کہ فلک بھر ھالک من و تو
کین سبزہ بسی دمد ز خاک من و تو در سبزہ نشین و می روشن می خور
3.
خشتی دو نھند بر مغاک من و تو از تن چو برفت جان پاک من و تو
در کالبودی کشند خاک من و تو و آن گاہ برای خشت گور دگران
4.
بر درگہ او شھان نھادندی رو آن قصر کہ بر چرخ ھمی زد پھلو
بنشستہ ھمی گفت کہ کو کو کو کو دیدیم کہ بر کنگرہ اش فاختہ ای
5.
با نعمت و با سیم و زر آید کہ منم ھر یک چندی یکی بر آید کہ منم
ناگہ اجل از کمین در آید کہ منم چون کارک او نظام گیرد روزی
6.
بیدادگری شیوہ دیرینہ توست ای چرخ فلک خرابی از کینہ توست
بس گوھر قیمتی کہ در سینہ توست ای خاک اگر سینہ تو بشکافند
7.
در بند سر زلف نگاری بودست این کوزہ چو من عاشق زاری بودست
دستیست کہ بر گردن یاری بودست این دستہ کہ بر گردن او می بینی
8.
ما لعبتکانیم و فلک لعبت باز از روی حقیقت نہ از روی مجاز
رفتیم بہ صندوق عدم یک یک باز بازیچہ ھمی کنیم بر نطع وجود
9.
در جمع کمال شمع اصحاب شدند آنان کہ محیط فضل و آداب شدند
گفتند فسانہ ای و در خواب شدند رہ زین شب تاریک نبردند بہ روز
10.
فاریغ بودن ز کفر و دین دین من است می خوردن و شاد بودن آین من است
خرم تو کابین من است
گفتا دل ّ گفتم بہ عروس دھر کابین تو چیست
11.
باغ طربت بہ سبزہ آراستہ گیر ای دل ھمہ اسباب جھان خواستہ گیر
بنشستہ و بامداد بر خاستہ گیر و آن گاہ بر آن سبزہ شبی چون شبنم
Transcription
1.
in qâfele-ye ʿomr ʿajib mi gożarad daryâb dami ke bâ ṯarab mi gożarad
sâqi ġam-e fardâʾi-e ḥarifân ce xwori piš âr pyâle râ ke šab mi gożarad
2.
mey xwor ke falak bahr-e halâk-e man-o to qaṣdi dârad be jân-e pâk-e man-o to
dar sabze nešin-o mey-e rowšan mi xwor kin sabze basi damad ze xâk-e man-o to
63
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
3.
az tan co beraft jân-e pâk-e man-o to xešti do nehand bar maġâk-e man-o to
vân gâh barâ-ye xešt-e gur-e degarân dar kâlbudi kešand xâk-e man-o to
4.
ân qaṣr ke bar carx hami zad pahlu bar dargah-e u šahân nehâdandi ru
didim ke bar kongere-aš fâxteʾi benešaste hami goft ke « ku, ku ? ku, ku ? »
5.
har yek candi yeki bar âyad ke manam bâ neʿmat-o bâ sim-o zar âyad ke manam
cun kârak-e u neẕâm girad ruzi nâgah ajal az kamin dar âyad ke manam
6.
ey carx-e falak xarâbi az kine-ye tost bidâdgari šive-ye dirine-ye tost
ey xâk agar sine-ye to bešekâfand bas gowhar-e qeymati ke dar sine-ye tost
7.
in kuze co man ʿâšeq-e zâri budast dar band-e sar-e zolf-e negâri budast
in daste ke bar gardan-e u mi bini dastist ke bar gardan-e yâri budast
8.
az ru-ye ḥaqiqat na az ru-ye majâz mâ laʿbatakânim-o falak laʿbat-bâz
bâzice hami konim bar nataʿ-e vojud raftim be ṣanduq-e ʿadam yek yek bâz
9.
ânân ke moḥiṯ-e faẓl-o âdâb šodand dar jamʿ kamâl šamaʿ-e aṣḥâb šodand
rah zin šab-e târik na-bordand be ruz goftand afsâneʾi-o dar xwâb šodand
10.
mey xwordan-o šâd budan âʾin-e man ast fâreġ budan ze kofr-o din din-e man ast
goftam be ʿarus-e dahr « kâbin-e to cist ? » goftâ « del-e xorram-e to kâbin-e man ast »
11.
ey del hame asbâb-e jahân xwâste gir bâġ-e ṯarabat be sabze ârâste gir
vân gâh bar ân sabze šabi cun šabnam benešaste-vo bâmdâd bar xâste gir
64
TEXTES
Traduction
1. incessante : Où ? Où ? Où ? Où ?
La caravane pressée
de nos jours, comme elle passe ! 5.
Ne laisse pas s’effacer De temps à autre se lève
l’instant de plaisir qui passe. un qui clame : Me voici !
Du lendemain des convives Il déploie monts et merveilles :
que te soucies-tu ma belle ? le grand homme que voici !
Vite incline la bouteille Et quand il a réussi
et buvons car la nuit passe. sa petite affaire un jour
La Mort surgit à son tour
2. qui murmure : Me voici !
Buvons car le ciel avide
de ta perte et de la mienne 6.
Nourrit un dessein perfide Ô Roue des cieux, que de haine
contre ta vie et la mienne. à toute ruine acharnée !
Parmi la jeune verdure Ta coutume est ancienne
dégustons le vin ardent : de crime et d’iniquité.
L’herbe poussera longtemps Ô Terre, fendant ton flanc,
sur tes cendres et les miennes. dans ta chair insoucieuse
Que de perles précieuses
3. on trouverait enfermées.
Quand nous aurons déserté
ton âme fine et la mienne, 7.
Une ou deux briques posées Ce pot de terre jadis
cloront ta fosse et la mienne ; fut un amant passionné
Puis pour d’autres sépultures Dont le cœur était captif
les briquetiers un beau jour des boucles d’une beauté,
Enfourneront dans leur moule Et cette anse qu’aujourd’hui
et ta poussière et la mienne. tu vois à son col, c’était
La main dont il caressait
4. le cou de sa bien-aimée.
Ce palais dont l’arrogance
côtoyait le ciel jaloux 8.
Et dont la salle d’audience En vérité très exacte
mettait les rois à genoux et non point par métaphore,
Nous y vîmes un ramier Nous sommes des marionnettes
sur les créneaux de l’enceinte dont le ciel est le montreur :
Qui roucoulait une plainte Sur le théâtre du Temps
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
4.2.2. Une voix féminine : Jahân Malek Xâtun (après 1324 - après 1382)
Comme ceux de tous les poètes accomplis, le divân de la femme exceptionnelle que fut la poétesse de
Shiraz Jahân Malek Xâtun (après 1324 - après 1382) comporte des poèmes écrits dans les principaux
genres de la poésie lyrique persane : ghazal (1413), qaṣide (4), qeṯ'e (12) et robâʿi (357) [voir sa
présentation par Dominic Parviz Brookshaw dans l’Encyclopædia Iranica,
https://www.iranicaonline.org/articles/jahan-malek-katun].
La généalogie de Jahân (« Monde » ; tel est le nom de plume [taxalloṣ] dont elle « signe » ses
poèmes), née et morte à Shiraz, reflète bien le morcellement géopolitique de l’Iran à son époque, qui
est aussi celle de Ḥâfeẕ (voir ci-dessous) : par son père Jalâl al-Din Masʿud Šâh (r. 1336-1339), la
poétesse est une princesse indjouïde (les Injuouïdes régnèrent sur la Perse de 1325 environ à 1353,
d’abord comme administrateurs des Ilkhanides), et par sa mère, elle descend des Chobanides
d’Azerbaïdjan (r. 1337-1357, après avoir été au service des Ilkhanides) et du vizir Ilkhanide Rašid al-
Din Faẓl-Allâh (1247-1318) [les Ilkhanides régnèrent sur la Perse, l’Iraq et l’Anatolie centrale et orientale
de 1256 à 1353]. Dans plusieurs de ses poèmes, Jahân fait l’éloge du Mozaffaride Šâh Šojâʿ qui régna
sur Shiraz et la Perse méridionale et orientale de 1358 à 1364, puis à nouveau de 1366 à 1364, ainsi
plus tard que du Jalaryéride Solṯân bin Šeyx Oveys, qui régna sur Ispahan, mais aussi dut l’Iraq, le
Kurdistan et l’Azerbaïdjan, de 1382 à 1410.
Jahân figure dans la présente anthologie non seulement pour la qualité de sa poésie, mais aussi
parce qu’elle est l’une des rares poétesses de la poésie persane classique, et celle dont le plus grand
nombre de poèmes soient parvenus jusqu’à nous, édités pour la première fois à Téhéran en 1995 par
deux savants iraniens. Signalons à ce propos que le manuscrit le plus complet de ses écrits se trouve
66
TEXTES
à la Bibliothèque nationale de France (MS Supplément persan 763) et pourrait avoir été copié du vivant
de l’auteure. À l’époque de celle-ci, plusieurs femmes indjouïdes étaient actives dans la vie culturelle
de Shiraz, comme en atteste le fameux voyageur marocain Ibn Baṯṯūṯa (1304-1368) qui est en Perse
en 1332, et certaines jouèrent même un rôle politique, comme Xânsolṯân, cousine de Jahân mariée à
Šâh Maḥmud, jeune frère de Šâh Šojâʿ, qui régna de 1364 à 1366 et contre qui elle aida secrètement
son beau-frère à reprendre le pouvoir. Dans l’introduction à son divan, Jahân, tout en déplorant que peu
de femmes iraniennes aient écrit de la poésie, mentionne deux princesses poétesses de la génération
précédente, et une autre d’une époque antérieure.
La poésie de Jahân est influencée par celles de Saʿdi et Ḥâfeẕ, et elle est même assez proche
de celle de ce dernier en termes de choix prosodiques et d’images. Elle l’est d’autant plus que la
poétesse s’exprime dans les canons établis de la poésie masculine, comme l’a souligné Domenico
Ingenito (« Jahān Malik Khātūn: Gender, Canon, and Persona in the Poems of a Premodern Persian
Princess », in The Beloved in Middle Eastern Litteratures. The Culture of Love and Languiishing, ed.
Alireza Korangy, Hanadi Al-Samman and Michael C. Beard, London and New York, I.B. Tauris, 2018,
p. 177-337), même si, comme cela a souvent été souligné, certaines inflexions révèlent une voix parlant
de l’amour vécu par une femme. Une autre différence notable avec la poésie de Ḥâfeẕ tient à ce que la
dimension mystique et le thème du renoncement au monde sont moins présents dans celle de Jahân,
‒ et avec eux la satyre de l’hypocrisie des religieux et des soufis ou encore les allusions à la taverne
(xarâbât) et aux libertins (rend).
Les deux quatrains retenus pour cette anthologie représentent précisément ces deux des traits
qui ne se font entendre qu’en mode mineur chez Jahân. Le premier évoque une rêverie amoureuse d’un
genre d’érotisme qui ne se rencontre pas dans la poésie classique en persan écrite par des hommes, ‒
avec une chute pleine d’humour. Le second traite du retrait du monde, mais là encore, à travers la
métaphore d’une rose pour désigner le moi, avec une touche distinctement fémine.
QUATRAIN 1
« Moi, la nuit dernière34 »
نارنج زنخدان تو در مشتم بود من دوش قضا یار و قدر پشتم بود
از خواب پردیم سر انگشتم بود دیدم که همی گزم لب شیرینت
Transcription
34 Divân-i Jahân Malek Khâtun, éd. Purândokht Kâshâni Râd et Kamâl Aḥmadnežâd, Téhéran, Entešârât-i Zovvâr,
1374sh/1995, p. 532.
67
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Traduction
QUATRAIN 2
« La rose s’en est allée35 »
از خلق جهان مرا نهان باید کرد گل رفت وداع گل ز جان باید کرد
درخور چو چنین است چنان باید کرد کنجی و کتابی و نگار و لب جام
Transcription
Traduction
La rose s’en est allée ; de toute son âme, il faut dire adieu à la rose.
Il me faut me soustraire à la compagnie des hommes.
Un petit coin, un livre, un être aimé et le rebord d’une coupe :
Voilà tout ce qu’il me faut.
Dès les prédécesseurs de Ferdowsi que furent Rudaki (m. 916) et Daqiqi (m. 978), le ghazal se présente
comme une première partie de qaṣide destinée à préparer l’éloge du dédicataire (mamduḥ). Il se
développe moins dans les milieux de cour que dans les cercles littéraires et les cénacles soufis.
Dans sa période de formation, jusqu’au XIIIe siècle, le ghazal est consacré à l’être aimé (maʿšuq),
qui peut être une femme, un homme ou encore, dans certains ghazals purement soufis, Dieu. Mais
d’une manière générale, un fond mystique tend à colorer la poésie amoureuse. C’est avec Saʿdi (voir
plus haut) et Ḥâfeẕ que le ghazal persan atteint son sommet classique. À la perfection poétique s’ajoute
35 Divân-i Jahân Malek Khâtun, éd. Purândokht Kâshâni Râd et Kamâl Aḥmadnežâd, Téhéran, Entešârât-i Zovvâr,
1374sh/1995, p. 529.
68
TEXTES
un caractère polysémique : Gilbert Lazard a montré comment dans le ghazal se mêlent sens littéral,
sens symbolique et langage d’intentionnalité 36.
La vie de Ḥâfeẕ, né et mort à Shiraz, est mal connue. Le poète semble avoir vécu dans
l’entourage des princes Moẓaffarides (r. 1313-1393). À en croire son nom de plume, il aurait su le Coran
par cœur et aurait pu à ce titre être maître d’école. Ayant subi la disgrâce du prince Šâh Šujâʿ (r. 1358-
1385), il aurait vécu un temps à Ispahan et à Yazd. L’un de ses disciples, Moḥammad Golandâm, aurait
recueilli son œuvre après sa mort et l’aurait introduite par une biographie.
Dans la meilleure édition (Xânlari, 1983), le divan de Ḥâfeẕ compte quatre cent quatre-vint-six
ghazals (dans certaines éditions il en a près de mille !) et un petit nombre d’autres pièces. Les
manuscrits les plus anciens datent de la première moitié du XVe siècle, et l’absence d’un texte
parfaitement sûr et d’une chronologie des pièces complique encore leur interprétation. L’une des
grandes questions est celle des niveaux de signification des œuvres : ces dernières ont fait l’objet de
lectures nombreuses et diverses, dont Annemarie Schimmel a écrit l’histoire (« Ḥāfiẕ and His Critics »,
Studies in Islam 16 [1979] : 1-33). La tendance, de la Turquie à l’Inde, est de lire Ḥâfeẕ comme un
mystique, alors qu’en Occident, on s’attache à sa production d’un langage poétique hautement
polysémique, où se mêlent expérience vécue, jeux symboliques, et constructions formelles et
imaginaires nourries d’une riche culture. Dans cette dernière, trois types de poètes occupent une place
de choix : les mystiques antinomiens, qui opposent la Voie (ṯariqe) à la charia et au soufisme modéré,
les poètes contempteurs du monde clérical et les poètes satiriques. Chaque couplet de Ḥâfeẕ est ainsi,
au-delà de sa signification littérale, susceptible d’interprétations qui peuvent varier à chaque lecture.
Pour notre part, nous considérons, avec Charles-Henri de Fouchécour dans les lumineux et
inspirants commentaires qui accompagnent sa traduction du Divân (référence ci-dessous dans les
notes), qu’un grand thème domine le corpus ḥâféẕien : c’est l’Amour, vraie Voie d’accès à la rencontre
de l’Aimé qui est Dieu. De ce fait, le cœur et sa métaphore principale, la coupe, occupent une place
centrale dans les ghazals, et le vin devient symbole d’accès à la connaissance mystique.
Nous avons, dans les pages qui suivent, retenu dix ghazals de Ḥāfeẕ qui nous paraissent
propres à mettre en perspective sa Voie de « poète-amant », comme dit si justement Charles-Henri de
Fouchécour.
36 Gilbert Lazard, « Le langage symbolique du ghazal », Convegno Internazionale sulla poesia di Hafez (Roma, 30-
31 marzo 1976), Roma, Accademia Nazionale dei Lincei, 1978, p. 59-71.
69
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
GHAZAL 1
« Quand s’assoient ceux qui fleurent bon le jasmin, ils font tomber la poussière du chemin 37 »
Mètre hazaj : ̆ | ̆ | ̆ | ̆
Commençons avec un ghazal qui peut être lu comme une évocation de l’effarement du « poète-amant »
alors que celui-ci s’engage dans la quête. Il s’agit d’un poème à la musicalité saisissante, faite
d’assonances, d’allitérations de répétitions et de recours à des paronymes, avec une rime en -ân and
dont la finale -and tinte, presque toujours redoublée, à la fin de chaque hémistiche comme ces
« clochettes indiennes » (hendi darâ) si souvent évoquées par Ferdowsi à propos des sons qui s’élèvent
des armées iraniennes (premier exemple p. 229 du tome I de l’édition de Jules Mohl). Ces résonances
s’accordent à la présence volatile d’entités manifestant le divin qui égarent le quêteur débutant, ce
dernier se sentant tout à la fois appelé et rejeté. Comment dès lors s’approcher de Dieu ? C’est le
poème suivant qui énonce les conditions du cheminement et l’attitude d’ascèse recluse qui doit être
celle du chercheur s’il veut transcender ce qui lui apparaît ici comme un jeu déconcertant. Mais dores-
et-déjà se dessine le modèle du quêteur parfait à travers la figure d’un des personnages essentiels du
divân de Ḥâfeẕ : le grand « martyr mystique » (Massignon38) iranien de Baghdad Manṣūr Ḥallāj crucifié
en 922, accusé qu’il était d’hérésie, de faux miracles et d’intrigues politiques.
پری رویان قرار دل چو بستیزند بستانند سمن بویان غبار غم چونبنشینند بنشانند
ز زلف عنبرین جانھا چو بگشایند بفشانند به فتراک جفا دلھا چو بربندند بربندند
ز رویم راز پنھانی چو می بینند می خوانند ز چشمم لعل ر ّمانی چو می خندند می بارند
نھال شوق در خاطر چو بر خیزند بنشانند به عمری یک نفس با ما چو بنشینند بر خیزند
رخ مھر از سحر خیزان نگردانند اگر دانند سرشک گوشه گیران را چو دَریابند دُر یابند
بدین درگاہ حافظ را چو می خواندند می رانند چو منصور از مراد آنان که بر دارند بردارند
که با این درد اگر در بند در مانند در مانند درین حضرت چو مشتاقان نیاز آرند ناز آرند
Transcription
37 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 394 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 534-536.
38 Louis Massignon, La Passion de Hallâj, martyr mystique de l'islam , 4 vol., rééd. Paris,
Gallimard, 1975.
70
TEXTES
Traduction
Quand s’assoient ceux qui fleurent le jasmin, ils font tomber la poussière du chagrin.
Quand s’emportent ceux qui ont visage de péri, ils ôtent la paix du cœur.
Quand ils sellent leur monture, ils attachent leur cœur aux sangles de l’infidélité.
Quand ils dénouent leur chevelure ambrée, ils dispersent les âmes [attachées].
Quand ils rient, ils font couler de mes yeux des rubis grenat.
Quand ils découvrent de mon visage un secret enfoui, ils le divulguent.
Quand un instant de toute une vie ils s’assoient avec nous, ils se lèvent.
Quand ils se lèvent, ils plantent au cœur le jet du désir ardent.
Quand ils perçoivent les larmes des solitaires, ils découvrent des perles.
Ils ne détournent pas des matineux le visage de l’affection, s’ils le savent.
Ceux qui comme Mansour sont au gibet, jouissent de l’Objet de leur désir.
Quand à cette cour on convoque Ḥâfeẕ, on l’éconduit.
Quand sur ce Seuil les êtres passionnés exposent leur besoin, on y oppose la fierté,
car s’ils sont attachés au remède, ils restent enfoncés avec cette douleur.
GHAZAL 2
« Pour compagnon de voyage, mon cœur, le sort bienveillant te suffit39 »
Mètre mojtaṡṡ : ̆ ̆ / ̆ ̆ | ̆ ̆ / ̆ ̆
Voici donc le ghazal dans lequel le « poète-amant » décline ce que sont les conditions de sa quête.
Cette dernière ne peut se réaliser que dans le cadre d’une vie de dépouillement, de réclusion, de savoir
et de prière, tous traits qui s’opposent à ce qui leur est contraire : les possessions, les voyages, les
39 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 542 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 698-700. ‒ Le vers 9 de l’édition de Xânlari n’a pas semblé devoir être ici retenu, d’une part parce
qu’il vient après celui qui comporte la « signature » (taxalluṣ) du poète, d’autre part parce que tant par son thème
(ne rien devoir à personne) que par l’allusion à la faveur du roi, il n’est pas dans la tonalité générale du ghazal, et
enfin parce qu’après le beyt 8 qui dit l’essentiel, il ne présente aucun caractère de conclusion. En voici la traduction
par Charles-Henri de Fouchécour (ibid.) : « Ne t’habitue pas à devoir aux autres, car dans les deux mondes, / le
bon plaisir de Dieu et la faveur du roi te suffisent ». Le traducteur signale que le dit vers n’est pas retenu non plus
dans son édition par Salim Neysâri (Ġazal-hâ-ye Ḥâfeẕ, Téhéran, à compte d’auteur, 1992).
71
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
vains désirs et l’ignorance. Dans cette quête, le guide est le « Maître des Mages », tenancier de la
Taverne mystique où est servi le vin de la connaissance de Dieu, ‒ un Maître des Mages qui renvoie
d’évidence à l’étincelle divine dans le cœur humain.
!
نسیم روضه شیراز پیک راھت بس دال رفیق سفر بخت نیکخواھت بس
که سیر معنوی و کنج خانقاھت بس دگر ز منزل جانان سفر مکن درویش
و رھروان سفر کردہ عذرخواھت بس ھوای مسکن مالوف و عھد یار قدیم
حریم درگه پیر مغان پناھت بس و گر کمین بگشاید غمی ز گوشه دل
که این قدر و جھان کسب مال و جاھت بس به صدر مصطبه بنشین و ساغری می نوش
که شیشه می لعل و بتی چو ماھت بس زیادتی مطلب کار بر خود آسان کن
تو اھل فضل و دانش ھمین گناھت بس فلک به مردم نادان دھد زمام مراد
دعای نیمشب و درس صبحگاھت بس به ھیچ ورد دگر نیست حاجت ای حافظ
Transcription
delâ rafiq-i safar baxt-e nikxwâh-at bas nasim-i rowẓe-ye Širâz peyk-e râh-at bas
degar ze manzel-e jânân safar ma-kon darviš ke seyr-e maʿnavi-o konj-e xâneqâh-at bas
havâ-ye maskan-e maʾluf-o ahd-e yâr-e qadim ze rah-ravân-e safar karde ʿożr-xwâh-at bas
va gar kamin be-gošâyad ġami za guše-ye del ḥarim-e dargah-e pir-e moġân panâh-at bas
be ṣadr-e maṣṭabe be-nešin-o sâġari-e mey nuš ke in qadar ze jahân kasb-e mâl-o jâh-at bas
zyâdati ma-ṯalab kâr bar xwod âsân kon ke šiše-ye mey-e laʿl-o boti co mâh-at bas
falak be mardom-e nâdân dahad zamâm-e morâd to ahl-e faẓl va dâneš hamin gonâh-at bas
be hic verd-e degar nist ḥâjat-i Ḥâfeẕ doʿâʾi-e nimšab-o dars-e ṣobḥgâh-at bas
Traduction
72
TEXTES
GHAZAL 3
« Qui tient en main la Coupe40 »
Mètre hazaj : ˉ ˉ ˘ | ˘ ˉ ˘ ˉ | ˘ ˉ ˉ
Le cadre étant posé, ce ghazal-ci est un poème de la Coupe, où apparaissent d’autres personnages
essentiels de la poésie de Ḥâfeẕ : le grand saint panislamique Xeẓr, qui découvrit la source de l’Eau de
Vie, et Jamšid, quatrième roi du monde encore indivis dans le Šâhnâme, auquel la tradition attribue la
possession d’une coupe dans laquelle il voyait tout l’univers.41 Dans la poésie de Ḥâfeẕ, la Coupe est
souvent, comme dit plus haut, une métaphore du cœur, en lequel le poète se centre sur l’Amour. Ce
ghazal est aussi l’un des grands textes de Ḥâfeẕ sur le vin comme métaphore de la connaissance
mystique.
Transcription
Traduction
40 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Xwâje Šams al-Din Moḥammad Ḥâfeẕ Širâzi, éd. Moḥammad Qazvini et Qâsem Ġani, Téhéran,
Zavvâr, sans date [1941], n° 148 ; trad. Hâfez de Chiraz, Le Divân, introduction, traduction du persan et
commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris, Verdier, 2006, p. 387 sq.
41 Dans le Šâhnâme, cette coupe est celle de Xosrow, fils de Siyâvuš (voir plus haut les extraits 4 et 5 du Šâhnâme).
73
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
GHAZAL 4
« Zéphyr, du chemin du Compagnon apporte un parfum de poussière 42 »
Mètre ramal : ˉ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˉ
Après le ghazal 3 sur le vin et le goût, ce poème est un grand ghazal spirituel sur le souffle, la brise, le
parfum et l’odorat, où s’entrecroisent des métaphores de ce qui met en communication avec l’Aimé et
de ce qui parvient de Lui à l’amant sous forme de poussière de Son chemin ou de parfum.
ببر اندوہ دل و مژدہ دلدار بیار ای صبا نکھتی از خاک رہ یار بیار
نامہ خوش خبر از عالم اسرار بیار نکتہ روح فراز از دھن دوست بگو
ش ّمہ ای از نفحات نفس یار بیار ّ
معطر کنم از لطف نسیم تو مشام تا
بی غباری کہ پدید آید از اغیار بیار بہ وفای تو کہ خاک رہ آن یار عزیز
بھر آسایش این دیدہ خونبار بیار گردی از رھگذر دوست بہ کوری رقیب
خبری از بر آن دلبر عیّار بیار خامی و سادہ دلی شیوہ جانبازان نیست
بہ اسیران قفس مژدہ گلزار بیار شکر آن را کہ تو در عشرتی ای مرغ چمن
عشوہ ای زان لب شیرین شکربار بیار کام جان تلخ شد از صبر کہ کردم بی دوست
ساقیا آن قدح آینہ کردار بیار روزگاریست کہ دل جھرہ مقصود ندید
وان گھش مست و خراب از سر بازار بیار دلق حافظ بہ چہ ارزد بہ می اش رنگین کن
42 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Xwâje Šams al-Din Moḥammad Ḥâfeẕ Širâzi, éd. Moḥammad Qazvini et Qâsem Ġani, Téhéran,
Zavvâr, sans date [1941], n° 249 ; trad. Hâfez de Chiraz, Le Divân, introduction, traduction du persan et
commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris, Verdier, 2006, p. 652-653.
74
TEXTES
Transcription
ey ṣabâ nakhati az xâk-e rah-e yâr biâr bebar anduh-e del-o možde-ye deldâr biâr
nokte-ye ruḥ-farâz az dahn-e dust begu nâme-ye xwoš-xabar az ʿâlam-e asrâr biâr
tâ moʿaṯṯar konam az loṯf-e nasim-e to mašâm šammeʾi az nafḥât-e nafas-e yâr biâr
be vafâ-ye to ke xâk-e rah-e ân yâr-e ʿaziz bi ġobâri ke padid âyad az aġyâr biâr
gardi az rahgożar-e dust be kuri-e raqib bahr-e âsâyeš-e in dide-ye xunbâr biâr
xâmi-o sâde-deli šive-ye jân-bâzân nist xabari az bar ân delbar-e ʿayyâr biâr
šokr ân râ ke to dar ʿešrati ey morġ-e caman be asirân-e qafas možde-ye golzâr biâr
kâm-e jân talx šod az ṣabr ke kardam bi dust ʿešveʾi zân lab-e širin-e šakarbâr biâr
ruzegârist ke del cehre-ye maqṣud nadid sâqiâ ân qadaḥ-e âʾine-kerdâr biâr
dalq-e Ḥâfeẕ be ce arzad be mey aš rangin kon vân gahaš mast-o xarâb az sar-e bâzâr biâr
Traduction
75
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
GHAZAL 5
« À la taverne des mages43 »
Mètre ramal : ˉ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˉ
Voici maintenant un grand ghazal spirituel sur le thème du regard. Le poète-amant demande à ses amis
de ne pas lui reprocher de jouer du regard pour provoquer, voir et éprouver tout à la fois les signes qui
viennent de l’Aimé et ceux qui mènent à Lui. Ce jeu et la vision qui s’ensuit ne sont possibles qu’à la
Taverne des Mages, qui symbolise le lieu de l’authenticité par opposition à ceux où se tiennent soufis
et exotériques.
این عجب بین کہ چہ نوری ز کجا می بینم در خرابات مغان نور خدا می بینم
خانہ می بینی و من خانہ خدا می بینم جلوہ بر من مفروش ای ملک الحاج کہ تو
فکر دور است ھمانا کہ خطا می بینم خواھم از زلف بتان نافہ گشائی کردن
این ھمہ از نظر لطف شما می بینم سوز دل اشک روان آہ سحر نالہ شب
با کہ گویم کہ درین پردہ چہ ھا می بینم ھر دم از روی تو نقشی زندم راہ خیال
آنچہ من ھر سحر از باد صبا می بینم کس ندیدست ز مشک ختن و نافہ چین
کہ من او را ز محبّان خدا می بینم دوستان عیب نظربازی حافظ مکنید
Transcription
dar xarâbât-e moġân nur-e Xodâ mi-binam in ʿajab bin ke ce nuri ze kojâ mi binam
jelve bar man maforuš ey malek al-ḥâj ke to xâne mi bini va man xâne-xodâ mi binam
xwâham az zolf-e botân nâfe gošâʾi kardan fekr-e dur ast hamânâ ke Xaṯâ mi binam
suz-e del ašk-e ravân âh-e saḥr nâle-ye šab in hame az naẕar-e loṯf-e šomâ mi binam
har dam az ru-ye to naqši zanadam râh-e xayâl bâ ke guyam ke darin parde cehâ mi binam
kas nadidast ze mošk-e Xotan-o nâfe-ye Cin ânce man har saḥr az bâd-e ṣabâ mi binam
dustân ʿeyb-e naẕar-bâzi-e Ḥâfeẕ makonid ke man u râ ze moḥebbân-e Xodâ mi binam
Traduction
43 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 1006 ; trad. Hâfez
de Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 886 sq.
76
TEXTES
GHAZAL 6
« Où est l’annonce de mon union à Toi44 »
Mètre ramal : ˉ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˉ
Ce ghazal est le premier d’une série de cinq dans lesquels Ḥâfeẕ a relaté son parcours spirituel en
faisant du « poète-amant », pour en rendre compte, un double remarquable qui dit « je » dans les textes.
Dans ce poème qui fut gravé sur sa tombe, le poète chante ce qui l’anima, son aspiration à s’élever
hors de son âme vivante et du monde, piège qui le sépare de l’Aimé et entrave sa véritable nature
d’« oiseau de sainteté ».
Transcription
možde-ye vaṣl-e to ku kaz sar-e jân bar xizam ṯâyer-e qodsam-o az dâm-e jahân bar xizam
be valâ-ye to ke gar bande-ye xwišam xwâni az sar-e xwâjegi-e kown-o makân bar xizam
yâ Rabb az abr-e hedâyat beresân bârâni pištar zân ke co gardi ze miân bar xizam
bar sar-e torbat-e man bâ mey-o moṯreb benešin tâ be buyat ze laḥad raqṣ konân bar xizam
xiz-o balâ benemâ ey bot-e širin ḥarakât tâ co Ḥâfeẕ ze sar-e jân-o jahân bar xizam
garce piram to šabi tang dar âġušam keš tâ saḥar-gah ze kenâr-e to javân bar xizam
Traduction
44 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 958 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 841.
77
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
GHAZAL 7
« Dans la prééternité, le rayon de Ta beauté45 »
Mètre ramal : ̆ | ̆ ̆ | ̆ ̆ |
Dans ce deuxième ghazal de la série, Ḥâfeẕ commence par évoquer, dans un condensé saisissant, le
rôle de l’Amour au commencement du monde à partir d’une manifestation de la beauté divine. L’Amour
est déterminant dans l’emportement de Satan, qui ne le connaissait pas, contre l’homme dont il fit se
dresser prétentieusement la raison ; il l’est aussi dans le choix fondamental du « poète-amant » tirant
de sa souffrance ce Livre de Joie d’amour de Dieu dans lequel se confondent sa poésie et sa vie.
عشق پیدا شد و آتش بہ ھمہ عالم زد در ازل پرتو حسنت ز تجلّی دم زد
عین آتش شد ازین غیرت و بر آدم زد جلوہ ای کرد رخت دید ملک عشق نداشت
برق غیرت بدرخشید و جھان برھم زد عقل می خواست کز آن شعلہ چراغ افروزد
دست غیب آمد و بر سینہ نامحرم زد مدّعی خواست کہ آید بہ تماشاگہ راز
دل غمدیدہ ما بود کہ ھم بر غم زد دیگران قرعہ قسمت ھمہ بر عیش زدند
دست در حلقہ آن زلف خم اندر خم زد جان علوی ھوس چاہ زنخدان تو داشت
خرم زد
ّ کہ قلم بر سر اسباب دل حافظ آن روز طربنامہ عشق تو نوشت
Transcription
dar azal partow-e ḥosnat ze tajalli dam zad ʿešq peydâ šod-o âteš be hame ʿâlam zad
jelveʾi kard roxat did malak ʿešq nadâšt ʿeyn-e âteš šod az in ġeyrat-o bar Âdam zad
‛aql mi xwâst kaz ân šo‛le cerâġ afruzad barq-e ġeyrat bederaxšid-o jahân barham zad
modda‛i xwâst ke âyad be tamâšâgah-e râz dast-e ġeyb âmad-o bar sine-ye nâmaḥram zad
digarân qor‛e-ye qesmat hame bar ‛eyš zadand del-e ġamdide-ye mâ bud ke ham bar ġam zad
jân-e ‛olvi havas-e câh-e zanaxdân-e to dâšt dast dar ḥalqe-ye ân zolf-e xam andar xam zad
Hâfeẕ ân ruz Ṯarabnâme-ye ‛ešq-e to nevešt ke qalam bar sar-e asbâb-e del-e xorram zad
45 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 313 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 452 sq.
78
TEXTES
Traduction
GHAZAL 8
« L’âme s’usa à l’œuvre du cœur46 »
Mètre mojtaṡṡ : ̆ ̆ / ̆ ̆ | ̆ ̆ / ̆ ̆
La Voie de l’Amour dans laquelle s’est engagé le « poète-amant » est de la plus haute difficulté et le
vouloir n’y est pas le bon guide : il n’est pas accordé à l’Amour divin et égare le chercheur dans
d’immatures façons d’aimer. Le syntagme à la rime, -o našod (litt. « et rien n’advint »), dit bien l’échec
auquel conduit le désir personnel.
بسوختیم درین آرزوی خام و نشد گداخت جان کہ شود کار دل تمام و نشد
شدم خراب جھانی ز غم تمام و نشد فغان کہ در طلب گنجنامہ مقصود
بسی شدم بہ گدائی بر کرام و نشد دریغ و درد کہ در جست و جوی گنج ھضور
شدم بہ رغبت خویشش کمین غالم و نشد بہ البہ گفت شبی میر مجلس تو شوم
شد بہ رندی و دردی کشیم نام و نشد پیام داد کہ خواھم نشست با رندان
چہ خون کہ در دلم افتاد ھمچو جام و نشد دران ھوس کہ بہ مستی ببوسم آن لب لعل
کہ من بہ خویش نمودم صد اھتمام و نشد بہ کوی عشق منہ بی دلیل راہ قدم
دران ھوس کہ شود آن نگار رام و نشد ھزار حیلہ بر انگیخت حافظ از سر مکر
Transcription
godaxt jân ke šavad kâr-e del tamâm-o našod besuxtim darin ârezu-ye xâm-o našod
faġân ke dar ṯalab-e ganjnâme-ye maqṣud šodam xarâb-e jahâni ze ġam tamâm-o našod
46 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 348 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 487 sq.
79
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
dariġ-o dard ke dar jost-o juy-e ganj-e ḥoẓur basi šodam be gedâʾi bar kerâm-o našod
be lâbe goft šabi mir-e majles-e to šavam šodam be reġbat-e xwišaš kamin ġolâm-o našod
payâm dâd ke xwâham nešast bâ rendân bešod be rendi-o dordikešiʾam nâm-o našod
darân havas ke be masti bebusam ân lab-e laʿl ce xun ke dar delam oftâd hamco jâm-o našod
be ku-ye ʿešq maneh bi dalil-e râh qadam ke man be xwiš namudam ṣad ehtemâm-o našod
hazâr ḥile bar angixt Ḥâfeẕ az sar-e makr darân havas ke šavad ân negâr râm-o našod
Traduction
GHAZAL 9
« Durant des années, le cœur47 »
Mètre ramal : ̆ | ̆ ̆ | ̆ ̆ |
Le « Guide sur la Voie » qu’évoquait le ghazal précédent n’est autre que le cœur lui-même, et le cœur
possède la Coupe de Khosrow attribuée par la tradition à Jamšid, le roi mythique inventeur du vin (voir
plus haut les extraits 3, 5 et 6 du Šâhnâme). Le « poète-amant » pourra y découvrir les secrets qu’il
cherche et qui ne sauraient être révélés sous peine d’un supplice semblable à celui de Manṣūr al-Ḥallāj :
c’est ce que dit à Ḥâfeẕ le Maître des Mages, dont nous avons qu’il désignait l’étincelle divine dans le
cœur humain.
47 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 280 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Dîvân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 428.
80
TEXTES
آنچہ خود داشت ز بیگانہ تمنّا می کرد سالھا دل طلب جام جم از ما می کرد
طلب از گمشدگان رہ دریا می کرد گوھری کز صدف کون و مکان بیرون است
کاو بہ تایید نظر ح ّل مع ّما می کرد مشکل خویش بر پیر مغان بردم دوش
وندران آینہ صد گونہ تماشا می کرد خرم و خوشدل قدح بادہ بہ دستّ دیدمش
گفت آن روز کہ این گنبد مینا می کرد گفتم این جام جھان بین بہ تو کی داد حکیم
جرمش این بود کہ اسرار ھویدا می کرد گفت آن یار کزو گشت سر دار بلند
دیگران ھم بکنند آنچہ مسیحا می کرد فیض روح القدس ار باز مدد فرماید
گفت حافظ گلہ ای از دل شیدا می کرد گفتمش زلف چو زنجیر بتان از پی چیست
Transcription
sâlhâ del ṯalab-e jâm-e jam az mâ mi kard ânce xwod dâšt ze bigâne tamannâ mi kard
gowhari kaz ṣadaf-e kown-o makân birun ast ṯalab az gomšodegân-e rah-e daryâ mi kard
moškel-e xwiš bar pir-e moġân bordam duš ku be taʾyid-e naẕar ḥall-e moʿammâ mi kard
didamaš xorram-o xwošdel qadaḥ-e bâde be dast vandar ân âʾine ṣad gune tamâšâ mi kard
goftam in jâm-e jahân bin be to key dâd ḥakim goft ân ruz ke in gombad-e minâ mi kard
goft ân yâr kazu gašt sar-e dâr boland jormaš in bud ke asrâr hoveydâ mi kard
feyẓ-e ruḥ al-qodos ar bâz madad farmâyad digarân ham bekonand ânce masiḥâ mi kard
goftamaš zolf-e co zanjir-e botân az pey-e cist goft Ḥâfeẕ geleʾi az del-e šeydâ mi kard
Traduction
81
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
GHAZAL 10
« La nuit dernière, au point de l’aube48 »
Mètre ramal : ˉ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˘ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˉ
Ce qui se passa « la nuit dernière », comme il est dit dans le ghazal précédent, c’est dans celui-ci que
le « poète-amant le révèle ». Sa quête, devenue tout intérieure et exempte de « désir immature »
(ghazal 10, ci-dessus), a enfin abouti et il peut écrire ce Livre de joie de l’amour de Toi évoqué dans le
ghazal 7. Ce poème à très haute teneur spirituelle se présente comme le récit d’un rêve au cours duquel
le « je » de l’écriture fait l’expérience mystique de la manifestation (tajalli) de l’un des principaux attributs
qui révèlent quelque chose de l’Essence (żât) divine, celui de Beauté (jamâl), – l’autre attribut
fréquemment invoqué étant celui de Majesté (jalâl). Le « poète-amant » est enfin délivré « des liens du
chagrin des jours » et il peut, devenu « Oiseau de Sainteté », s’élever, dans les mots du ghazal 6, hors
de son âme et du monde.
و اندر آن ظلمت شب آب حیاتم دادند صہ نجاتم دادندّ دوش وقت سحر از غ
بادہ از جام تجلّی صفاتم دادند بیخود از شعشعہ پرتو ذاتم کردند
آن شب قدر کہ این تازہ براتم دادند چہ مبارک سحری بود و چہ فرخندہ شبی
کہ در آن جا خبر از جلوہ ذاتم دادند بعد از این روی من و آئینہ وسف جمال
ّ
مستحق بودم و اینھا بہ زکاتم دادند من اگر کامروا گشتم و خوش دل چہ عجب
کہ بدان جور و جفا صبر و ثباتم دادند ھاتف آن روز بہ من مژدہ دولت داد
کہ ز بند غم ایّام نجاتم دادند ھ ّمت حافظ و انفاس سحر خیزان بود
Transcription
duš vaqt-e saḥar az ġoṣṣe nejâtam dâdand vandar ân ẕolmat-e šab âb-e ḥayâtam dâdand
bixwod az šaʿšaʿe-ye partav-e żâtam kardand bâde az jâm-e tajalli-e ṣefâtam dâdand
ce mobârak saḥari bud-o ce farxonde šabi ân šab-e qadar ke in tâze barâtam dâdand
baʿd az in ru-ye man-o âʾine-ye vaṣf-e jamâl ke dar ân jâ xabar az jelve-ye żâtam dâdand
man agar kâmravâ gaštam-o xwoš-del ce ʿajab mostaḥaqq budam-o inhâ be zakâtam dâdand
hâtef ân ruz be man možde-ye dowlat dâd ke ba-d’ân jowr-o jafâ ṣabr-o ṡabâtam dâdand
hemmat-e Ḥâfeẕ-o anfâs-e saḥar-xizân bud ke ze band-e ġam-e ayyâm nejâtam dâdand
Traduction
48 Ḥâfeẕ, Dîvân-e Ḥâfeẕ, éd. Nâtel Xânlari, 2 vols., 2e éd., Téhéran, Xwârazmi, 1983, vol. 1, p. 670 ; trad. Hâfez de
Chiraz, Le Divân, introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Paris,
Verdier, 2006, p. 509 sq.
82
TEXTES
83
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
84
RUDIMENTS DE PERSAN
1. Les phonèmes du persan
Consonnes
p t c k
b d j g
f s* š x h**
v z*** ž q**** ʿ
m n
w y
_________________
* Sont aussi prononcés s les deux phonèmes arabes notés ṣ et ṡ.
** Est aussi prononcé h le phonème arabe noté ḥ.
*** Sont aussi prononcés z les trois phonèmes arabes notés ż, ẓ et ẕ.
**** Est aussi prononcé /q/ le phonème arabe (et persan ancien) noté ġ (sonore correspondant à la
sourde notée x).
Voyelles
i u
e o
a â
Diphtongues
ey ow
88
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
Ḥasan az Simâ bozorgtar ast « Hasan est plus grand que Sima » ;
• Le superlatif est en -tarin et son complément lié à l’adjectif par eẓâfe :
bozorgtarin-e baccehâ « le plus grand des enfants ».
5. Évitement du hiatus
• Un -y- s’intercale entre les mots en -â, en -u et en -i et les suffixes commençant par -a ou -â. Il n’est
pas notée par l’alphabet arabe après les mots en -i, mais se prononce :
âqâ-y-ân « les messieurs » ;
soxango-y-ân « les porte-parole » ;
širâzi-y-ân « les Shirazis ».
• Les noms en -e qui désignent des êtres rationnels ajoutent un -g- avant le suffixe de pluriel -ân :
baccegân « les enfants ».
• Devant un suffixe commençant par i comme le suffixe d’indéfini, les mots en -â et -u intercalent un
hamza noté ʾ dans la transcription :
âqâʾi « un monsieur » ;
bânâʾi « une dame ».
• Après les mots en -i, le suffixe d’indéfini n’est ni écrit ni prononcé, sauf parfois en poésie, metri gratia
ṣandali « la chaise ; une chaise ».
• Après les mots en -e, le suffixe d’indéfini est noté par un hamza au-dessus du -e ( )ہou par un i ()ای
écrit comme un mot séparé. Dans notre transcription, il est noté ainsi :
bacceʾi « un enfant ».
• Après les mots en -â , -e, -u et –e, l’eẓâfe devient -ye, mais ce -ye n’est pas noté après les mots en -i,
et il est noté par un hamza suscrit pour les mots en -e ( )ہ:
ketâbhâ-ye xub « les bons livres ».
• Les mots en -ey et -ow résolvent leur diphtongue en -ay et -av devant les suffixes à initiale vocalique
et eẓâfe :
peyrow « le disciple » ; peyravi « un disciple » ; peyrav-e Ḥasan « le disciple de Hasan ».
• Quand la préposition be- « à, avec… » est suivie du démonstratif, ân ou in, un -d- s’intercale :
be-d-ân « à celui-là », be-d-in « à celui-ci ».
• Pronoms personnels
Singulier Pluriel
1re personne man mâ
2e personne to šomâ
3e personne u (animés) ; ân (inanimés) išân (animés) ; ânhâ (inanimés)
• Noter : to + ast > tost ; u + ast > ust
89
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
Singulier Pluriel
1re personne -am -emân
2e personne -at -etân
3e personne -aš -ešân
– Quand le mot auquel se joint un suffixe personnel enclitique se termine en voyelle, les règles évoquées
ci-dessus en 5 s’appliquent. Mais si le mot se termine en -e, le suffixe s’écrit comme un mot séparé
commençant par a- :
bacce-at « ton enfant ».
âvâz-e soxanguyešân « la voix de leur porte-parole »
– En parlé et dans la langue ancienne, après -â, -u et –ow, il est fréquent de voir disparaître l’ensemble
–ya- :
ruš (pour ruyaš) « son visage »
– Quand le suffixe porte sur deux mots coordonnés ou sur un groupe de mots (à eẓâfe notamment), il
se suffixe au dernier mot :
padar-o mâdarat « tes père et mère » ;
pesar-e bozorgaš « son fils aîné ».
– En parlé et en poétique, un suffixe personnel enclitique peut être COD ou COI d’un verbe ou d’une
locution verbale (voir § 22 et 23).
7. Pronoms réfléchis
8. Les démonstratifs
Ajectifs Pronoms
Singulier Pluriel
Proches in in inhâ
Éloignés ân ân ânhâ (ânân)
90
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
Animés Inanimés
91
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
• Les parties des cardinaux composés sont liées entre elles par –o, les plus élevées venant en premier :
bist-o yek « 21 » ;
si-o haft hazâr-o davist-o haštâd-o hašt « 37.288 ».
• Conformément à la règle énoncée plus haut, les adjectifs numéraux cadinaux sont suivis de noms au
singulier :
se mard « trois hommes » ;
dah ketâb « dix livres ».
• Les nombres ronds peuvent être utilisés au pluriel, toujours suivis d’un nom au singulier, pour indiquer
des centaines de, des milliers de :
ṣadhâ ketâb « des centaines de livres » ;
hazârân bacce « des milliers d’enfants ».
92
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
• Les adjectifs numéraux sont souvent suivis d’un numérateur intraduisible en français, notamment tâ
pour les inanimés et nafar pour les humains :
se tâ ketâb « trois livres » ;
se nafar mohassel « trois étudiants ».
• La même construction est utilisée pour indiquer quantités, poids, taille, etc.
cahâr kilu seb « quatre kilos de pommes » ;
do livân âb « deux verres d’eau » (mais do livân-e âb « deux verres à eau ») ;
yek dast lebâs « un ensemble » (d’habits ; litt. « une main de vêtements) ;
se joft kafaš « trois paires de chaussures » ;
šeš nowʿ mive « six sortes de fruits ».
• Le français « on » est souvent exprimé par la 3e personne du pluriel du verbe.
• Il y a dix vraies prépositions en persan, qui gouvernent le nom sans l’intermédiaire d’un eẓâfe ou d’une
autre préposition :
az (aussi ze en classique) « de » ; bâ « avec » ;
bar « sur » ; be « à » (aussi : « avec » en classique) ;
bi « sans » ; tâ « jusqu’à » ;
joz « excepté » ; cun « comme » ;
dar « dans » ; magar « excepté » (plus rare que joz).
• be est d’un emploi très fréquent et peut avoir des sens très divers. Quand elle précède les
démonstratifs in et ân, un -d- de liaison est généralement inséré : badin, badân (voir § 5).
• Il existe beaucoup d’expressions prépositionnelles en persan, formées d’un nom ou d’un adverbe
employés seuls ou avec une préposition et reliés au nom par eẓâfe :
ru « visage » → ru-ye miz « sur la table » ;
jâ « place » → jâ-ye man « à ma place » ;
zir « dessous » → zir-e miz « sous la table » ;
dar miân « au milieu » → dar miân-e in do manzel « entre ces deux maisons ».
• Un groupe prépositionnel peut-être utilisé comme complément de nom :
manzel-e bi bâġ « une maison sans jardin ».
12. L’infinitif
93
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
• Elle est souvent « irrégulière ». Quand elle ne l’est pas, elle peut être déduite de la racine du passé :
– les racines du passé en -id perdent cette syllabe :
xaridan / xar- « acheter » ;
– les racines du passé en -nd et -rd perdent le -d final :
mândan / mân- « rester »
âvardan / âvar- « apporter » ;
– les racines du passé en -ud perdent le -d et changent le -u- en -â :
nemudan / nemâ- « montrer » ;
– les racines du passé en -ft et -št perdent le -t :
koštan / koš- « tuer » ;
– les racines du présent en -est, -eft, -oft et -âd perdent cette syllabe :
dânestan / dân- « savoir » ;
oftâdan / oft- « tomber ».
• Elle sert à former le présent de l’indicatif et celui du subjonctif.
• Elle sert à former :
– le participe présent, par adjonction du suffixe –ande, qui s’emploie comme adjectif ou nom d’agent
(pluriel en –egân) :
šekanande « cassant » (šekastan / šekan- « casser ») ; âyande «futur, prochain »
šenavande, plur. šenavandegân « auditeur(s) »
– le gérondif présent, par adjonction de -ân à la racine du présent :
konân « en faisant ».
94
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
Singulier Pluriel
1re personne -am -im
2e personne -i -id
3e personne -ad (seulement à l’imperfectif) -and
• mi- indique l’imperfectif (continuité, répétition, etc.) ; c’est le préfixe du présent et de l’imparfait de
l’indicatif. En classique, il peut avoir la forme hami.
• be- indique un élément de doute, de subjectivité (c’est le préfixe du subjonctif) ; en classique, il indique
une action ponctuelle, par opposition à (ha)mi.
• na- est la négation verbale ; après na-, le préfixe mi- est conservé, mais le préfixe be- tombe (voir plus
bas) :
na-raft « il n’alla pas ».
• Devant les racines commençant en voyelle, pour éviter l’hiatus :
– si la racine commence par une voyelle autre que i-, un -y- s’insère après na ; be- devient bi- ;
– avant les racines commençant par -i, un alef initial (noté ’ dans la transcription) se lie au préverbe
(voir exemples au § 18).
Prétérit Imparfait
1re personne du singulier xaridam mixaridam
2e personne du singulier xaridi mixaridi
3e personne du singulier xarid mixarid
1re personne du pluriel xaridim mixaridim
2e personne du pluriel xaridid mixaridid
3e personne du pluriel xaridand mixaridand
95
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
• L’indicatif présent, comme en français (« je pars demain »), peut exprimer le futur.
• La négationna précède mi- à l’indicatif présent et remplace be- au subjonctif et à l’impératif
na-mi-xaram « je n’achète pas » (prononcé /nemi°) ;
naxaram « que je n’achète pas » ; naxar « n’achète pas ! »
• Euphonie (voir § 15) :
– goftan / gu- « parler » : na-mi-guyam « je ne parle pas » ; mi-gu’i « tu parles » ;
– âvardan / âvar- « apporter » : biâvar « apporte ! » ;
– istâdan « se tenir debout » : be’ist « tiens-toi debout ! ».
• Particularités de dâštan « avoir
Les préfixes mi- et be- ne sont jamais utilisés avec dâštan (racine du présent dâr-) « avoir ». Toutefois,
quand ce verbe est l’élément verbal d’une locution verbale, il peut prendre le préfixe mi- :
nân dâram « j’ai du pain » ;
šahr râ nešân mi-dâram « je montre la ville » (nešân dâštan « montrer »).
96
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
• Après un mot terminé par une voyelle, le a- de ast est généralement élidé :
Ḥasan injâst « Ḥasan est ici ».
97
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
• Les locutions verbales sont très nombreuses et très fréquemment utilisées en persan. Elles sont
formées d’un verbe précédé d’une préposition, d’un adverbe, d’un adjectif ou d’un nom.
– Préposition + verbe :
bar gaštan « retourner » (sur + tourner).
– Adverbe + verbe :
pas dâdan « redonner » (après + donner)
– Adjectif + verbe :
boland kardan « dresser, élever » (haut + faire).
– Nom + verbe :
ḥarf zadan « parler » (mot + frapper).
• Le préfixe be- est généralement omis dans les locutions verbales.
• La locution verbale fonctionne habituellement comme un verbe et peut donc avoir un COD défini
marqué par râ :
kamar-band-e xwod râ tang kard <ceinture de soi râ étroit fit> « il serra sa ceinture ».
• Parfois un suffixe personnel enclitique est attaché à l’élément non verbal comme COD ou complément
d’objet indirect (COI) :
tang-aš kard « il la serra » ;
yâd-at kard <mémoire toi fit> « il t’enseigna ».
• Au lieu d’un COD ou d’un COI, on trouve parfois un complément de l’adjectif ou du nom de la locution
verbale relié à ce nom ou à cet adjectif par eẓâfe ou par une préposition :
ejâze-ye raftan dâd <permission de partir donna> « il donna la permission de partir » ;
98
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
yâd-e vaṯan-e ʿaziz-e xwod râ kard <mémoire de pays eẓâfe cher de lui râ faisait> « il se
souvenait de son cher pays ».
• Principales conjonctions :
-o (enclitique) = va « et » ; vali « mais » ;
yâ « ou » ; yâ… yâ « ou… ou » ;
balke « ou plutôt » ; ham… ham « tout à la fois… et ».
• Omission de la conjonction :
raftam ketâbhâ xaridam <allai livres achetai> « j’allai acheter des livres ».
• Quand une action dépend d’une autre qui indique ou implique un ordre, un souhait, une crainte, une
intention, la subordonnée qui l’exprime est juxtaposée à la principale et son verbe est au subjonctif :
be-šahr mi-ravam ketâbhâ be-xaram <à-ville vais livre que-j’achète> « je vais en ville acheter
des livres ».
• Les impersonnels bâyad « il faut », bâyist « il fallait », mumkin ast / bud = mi-tavân / mitavânist « il est
/ était possible », kâfi ast / bud « il suffit / suffisait », qarâr mi-šavad / šod « il est / était entendu que »,
etc. sont directement suivi d’une subordonnée au subjonctif :
bâyad be-šahr be-ravam « il faut que j’aille en ville ».
– En mettant le verbe de la subordonnée à l’imparfait, on indique une action qui aurait pu, dû, etc. avoir
lieu. kâš « si seulement » est aussi souvent suivi de l’imparfait avec un sens de regret :
bâyad be-šahr mi-raftam « il aurait fallu que j’aille en ville » ;
kâš be-šahr mi-raftam « si seulement j’étais allé en ville ».
– Si la subordonnée n’a pas de sujet, son verbe est la racine du passé nue :
bâyad be-šahr raft « il faut aller en ville ».
• Dans toutes les subordonnées, avec ou sans mot subordonnant, le verbe est au présent si la
subordonnée exprime une action postérieure à celle de la principale :
be-šahr raftam ke ketâbhâ be-xaram « j’allai en ville acheter des livres ».
• ☞ Une construction idiomatique fondée sur la juxtaposition permet d’exprimer le présent et le passé
progressifs. Elle consiste à employer le verbe dâštan « avoir » au temps et à la personne voulus devant
la proposition exprimant l’action :
dâram ketâbhâ mi-xaram « je suis en train d’acheter des livres » ;
dâštam ketâbhâ mi-xaridam « j’étais en train d’acheter des livres ».
99
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
26. La conjonction ke
• À l’exception de celles qui consistent en verbe impersonnel + racine du passé, toutes les tournures
évoquées en 25 sont susceptibles d’avoir leur subordonnée introduite par ke « que »
be-šahr mi-ravam ke ketâbhâ be-xaram « je vais en ville acheter des livres »
• Les subordonnées complétives et de discours indirect dépendant de verbes signifiant savoir, dire,
demander, s’étonner, etc., sont introduites par ke. Au discours indirect, les subordonnées ont
généralement la forme qu’elles auraient au discours direct :
âyâ mi-dânid ke in ṣaḥiḥ ast yâ na « est-ce que vous savez si c’est vrai ou non ? » ;
goft ke be-šahr mi-ravam <dit que à-ville vais> « il dit qu’il allait en ville » ;
porsid ke ce ṯaur be-bâzâr be-ravam « il demanda comment aller au bazar » ;
taʿajjub mi-konam ke Ḥasan miyâyad « je m’étonne que Ḥasan soit venu » ;
Ḥasan âmad ke Simâ injâst « Hasan vint [dire] que Sima était là ».
• ke peut aussi introduire d’autres types de subordonnées, dont le verbe est au subjonctif s’il y a un
élément de doute, de futur, etc.
– Temps :
aṣar bud ke vâred-e šahr šodim « c’était le soir quand nous entrâmes en ville »
– Lieu :
dar Eṣfahân ast ke u râ didam « c’est à Isfahan que je le vis ».
– Conséquence :
conân tambal bud ke u râ exrâj kardand « il était si paresseux qu’on le renvoya ».
• ke joue souvent le même rôle que la locution prépositionnelle française « à savoir que », liant une
subordonnée à un pronom démonstratif (« ceci à savoir que ») ou à un groupe nominal (« cette raison
à savoir que », etc.) :
u râ bedin sabab exrâj kardand ke tambal bud « on le renvoya pour cette raison qu’il était
paresseux » = « on le renvoya parce qu’il était paresseux » ;
meṡl-e in bud ke injâ hargez nayâmad « c’était comme s’il n’était jamais venu ici ».
• ke sert à former de nombreuses locutions prépositionnelles.
– Temps :
vaqti-ke « quand », etc.
– Lieu :
jâ’i-ke « où », etc.
– Cause :
az ânjâ’i-ke « parce que ».
– Concession :
bâvojudi-ke : bien que.
– Comparaison :
hamân-ṯowri-ke « exactement comme ».
– Conséquence :
100
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
• Elles sont beaucoup plus variées qu’en français, et souvent la traduction littérale est impossible. Une
tournure typique consiste à développer un groupe nominal ou adjectival à l’aide de ke, et à reprendre
ensuite ce groupe par un pronom :
kâr-emân ke tamâm šod manzel raftim <travail-de-nous que fini fut, maison partîmes> « quand
nous eûmes fini notre travail, nous rentrâmes à la maison » ;
nazdik ke ʿAli âmad u râ šenâxtam <proche que ʿAli vint lui /râ/ reconnus> « quand ʿAli
s’approcha, je le reconnus ».
• Plus proches des relatives du français, et toujours avec ke :
in mard ke dust-e man ast šomâ râ râhnamâ’i xwâhad kard « cet homme qui est mon ami vous
guidera (<vous /râ/ direction veut-faire>) ;
Ḥasan ʿamu’i dâšt ke do sâl bud zan-aš dar gożašte ast <Ḥasan un oncle avait que deux ans
étaient sa femme dans le passé est> « Ḥasan avait un oncle dont la femme était morte
depuis deux ans ».
• Dans la relative déterminative, elle aussi proche de la tournure française, le relatif est toujours ke et
suit immédiatement l’antécédent marqué par le suffixe -i (seul râ peut s’intercaler) :
mardi ke diruz âmad injâst « l’homme qui est venu hier est ici » ;
mardi râ ke diruz âmad mi-binam « je vois l’homme qui est venu hier » ;
mardi ke diruz (u râ) didid injâst « l’homme que vous avez vu hier est ici » ;
mardi ke be-u hedye dâdid injâst « l’homme à qui vous avez donné un cadeau est ici » ;
mardi râ ke be-u hedye dâdid mi-binam « je vois l’homme à qui vous avez donné un cadeau » ;
mardi râ ke pesar-aš be-Hend raft mi-binam « je vois l’homme dont le fils est parti en Inde ».
101
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
bahtar ast injâ bemânim tâ dar in havâ birun ravim « il vaut mieux que nous restions ici plutôt
que de sortir par ce temps ».
29. La condition
• Potentiel
Verbe subordonné au subjonctif présent (ou au prétérit si l’action est clairement antérieure à celle de la
principale), verbe principal à l’indicatif présent ou futur :
agar ejâze be-dahid, ḥâlâ mi-ravam « si vous me donniez la permission, je partirais tout de
suite ».
• Irréel
Les deux verbes sont à l’imparfait ou au plus-que-parfait :
agar zudtar mi-rasidi, u râ mi-didi « si tu étais arrivé plus tôt, tu l’aurais vu » ;
agar dâniste budam, hargez qabul na-mi-kardam « si j’avais su, je n’aurais jamais accepté ».
• Après agarce « même si, bien que », le verbe est à l’indicatif ou au subjonctif selon le degré de réalité
de l’action de la subordonnée.
30. « Commencer à »
• Les verbes du genre « commencer à » sont suivis de be + infinitif s’ils commandent un verbe sans
complément, et d’une subordonnée au subjonctif sans subordonnant si le verbe subordonné a un
complément :
šoruʿ kard be davidan « il se mit à courir » ;
šoruʿ kard dar râ rang konad <commencement fit porte râ couleur qu’il donne> « il commença
à peindre la porte ».
31. Formes et tours de la langue classique rencontrés dans les textes de l’anthologie
• Place de l’adjectif
L’adjectif épithète peut se trouver avant le nom :
širin mordan-e u « son doux mourir » (Neẕâmi).
• Prépositions
– be apparaît souvent, en classique, comme premier élément de locution prépositive :
be sar bar « sur la tête » (Ferdowsi).
– ze se rencontre au lieu de az :
tâ be buyat ze laḥad raqṣ konân bar xizam « pour qu’à ton parfum je me lève du tombeau en
dansant » (Ḥâfeẕ).
– andar est la forme ancienne de dar :
âteš-e ʿešqast kandar ney fetâd « c’est le feu de l’amour, qui est dans la flûte » (Rumi).
• Postposition râ
102
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
– son emploi comme marque du COD est moins rigoureux qu’en persan contemporain standard ;
– il indique souvent un complément d’attribution ou COI, au sens large :
jegar-gah-e malek râ mohr bar dâšt litt. « elle enleva du (litt. ‘au’) cœur du roi le pansement »
(Neẕâmi) ;
cašm-o guš râ ân nur nist « l’oreille et l’œil ne savent le percevoir » (litt. « cette lumière n’est
pas à l’œil ni à l’oreille ») [Rumi].
• Suffixes personnels enclitiques
En poésie, la voyelle des formes du singulier (-am, at, -aš) peut être omise :
be rasm-e namâz âmadandiš piš « ils venaient devant lui pour lui rendre hommage » (Ferdowsi)
• La particule mi / hami
– La particule mi de la conjugaison en persan contemporain standard se rencontre aussi sous la forme
hami (qui en classique peut ne pas être juste avant le verbe) :
hami goft ke ku ku ku ku « il disait : ‘où, où ? où, où ?’ » (ʿOmar Xayyâm).
– hami / mi indique l’aspect duratif (durée ou continuité d’une action, permanence d’un état, réitération
de l’un ou de l’autre), sans lien intrinsèque avec l’indicatif présent ou imparfait. Elle peut être préposée
à tout verbe personnel (même dâštan « avoir » et budan « être ») ainsi qu’à l’impersonnel bâyestan :
dar sabze neṡin-o mey-e rowšan mi xwor « assieds-toi dans la verdure et bois le vin clair »
(ʿOmar Xayyâm).
– Le présent peut se présenter sans hami / mi :
har dam az ru-ye to naqši zanad-am râh-e xayâl « à chaque instant, de ton visage une image
coupe le cours de mes pensées » (Ḥâfeẕ)
• Le préverbe be
– À la différence de hami / mi, be est un préverbe et ne peut être cumulé avec un autre préverbe (mais
il peut l’être, en classique, avec la négation).
– Comme préverbe aspectuel, il s’oppose à hami / mi, et indique un aspect ponctuel. Il peut être préposé
à un verbe personnel au présent ou au prétérit de l’indicatif, à l’impératif, à l’infinitif et au participe passé :
benešaste hami goft « s’étant posé il disait » (ʿOmar Xayyâm).
‒ En poésie, pour des raisons métriques, la voyelle de la première syllabe après be- peut s’élider :
benšinand pour be-nešinand « ils s’assoient » (Ḥâfeẕ).
– En classique, be est fréquemment absent à l’impératif.
– En poésie, la raison première de l’utilisation de be peut être prosodique. :
xiz-o balâ benemâ « desse-Toi et montre Ta taille » (Ḥâfeẕ).
– En poésie, quand ce préverbe s’ajoute à un verbe commençant par p, b, d, f, n, r ou g, la voyelle qui
suit cette consonne peut disparaître. S’il s’agit d’un o, be devient bo, ex. bobride « coupé » pour
beboride :
az neyestân tâ marâ bobride and « depuis que l’on m’a coupé de la roselière » (Rumi)
• Les autres préverbes
Leur emploi est fréquent en classique. En poésie notamment, ils se trouvent souvent à distance du
verbe. andar est la forme ancienne de dar :
103
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
ce mâye bedu gowhar andar nešâxt « quelle quantité de pierres précieuses il y incrusta ! »
(Ferdowsi).
• La négation ma
En classique, la négation de l’impératif est ma :
kas râ iżâ’ makon « ne fais pas de mal à personne » (Nâṣer al-Din Ṯusi).
• Le suffixe -i
En classique, un suffixe -i peut être ajouté au présent et au prétérit pour marquer, dans le passé,
l’habitude d’une action ou la durée d’un état. Il peut marquer aussi l’irréel dans le passé ou le présent,
le regret, le souhait, le déroulement d’un rêve. Il peut être cumulé avec mi.
bar dargah-e u šahân nehâdandi ru « sur son seuil des rois posaient leur visage » (ʿOmar
Xayyâm).
dotâ mi šodandi bar taxt-e u « tous deux se tenaient devant son trône » (Ferdowsi).
• budan « être »
– La 3e pers. du sg. du prétérit peut se présenter sous une forme abrégée bod, pour des raisons de
prosodie :
pušidani now bod « se vêtir était neuf » (Ferdowsi) ;
– la 3e pers. du sg. du présent peut se présenter sous la forme bovad (à partir d’une racine du présent
bov- utilisée parallèlement à bâš-) :
hasti ke bovad żât-e Xodâvandi ʿaziz « l’Être qui est l’essence du Seigneur bien-aimé » (Jâmi).
• Terminaison de la 3e pers. du sg. du prétérit
On rencontre parfois une terminaison en -â à la 3e pers.du sg. du prétérit, notamment goftâ « il dit »,
pour introduire un discours. Elle peut aussi ajouter une idée de souhait ou d’exhortation, – ou se
présenter comme une licence poétique en fin d’hémistiche :
goftâ « del-e xorram-e to kâbin-e man ast » « elle dit : ‘c’est ton cœur joyeux qui est ma
douaire’ » (ʿOmar Xayyâm).
• Le parfait
Le parfait, notamment à la 3e pers. du sg., peut se rencontrer sous une forme contractée du type budast
pour bude ast :
in kuze co man ʿâšeq-e zâri budast « cette cruche comme moi a été un amant éperdu » (ʿOmar
Xayyâm).
• Le précatif
Ancien subjonctif moyen-perse, il n’existe qu’à la 3e pers. du sg. du présent, avec une désinence -âd
ajoutée à la racine du présent :
be âmorzeš rasâd ân âšnâ’i « que cet amour accède au pardon ! » (Neẕâmi).
• L’adjectif verbal à forme de gérondif et à sens de participe présent est plus fréquent qu’en persan
contemporain standard, où il fossilisé. Il se forme en ajoutant –ân à la racine du présent. Dans
l’anthologie se rencontrent konân, nâlân, ravân et tâbân, participes présents respectifs de kardan / kon-
« faire », nâlidan, raftan / rav- « aller » et tâftan / tâb- « resplendir, illuminer ».
• bâyestan « falloir » peut commander non seulement la racine du passé (ou infinitif apocopé), mais
aussi l’infinitif, ou encore une forme personnelle du passé ou du présent :
104
RUDIMENTS GRAMMATICAUX
be jânân jân conin bâyad sepordan « c’est ainsi que pour l’Être aimé il faut livrer sa vie »
(Neẕâmi).
• La formation Racine du présent + -ân, qui sert à former le gérondif, peut être utilisée en classique
comme adjectif verbal :
tâbân « lumineux »
Dès les panégyriques des premiers poètes d’expression persane, le distique persan se coule dans le
moule du mètre quantitatif arabe : une succession de pieds consistant chacun en un assemblage
identique de syllabes brèves et de syllabes longues. En prosodie persane, on considère comme brève
une syllabe à voyelle brève (a, e, o) non entravée, comme la première syllabe du mot soxan « parole »,
et comme longue une syllabe à voyelle longue (â, i, u) ou à diphtongue (ey, ow), comme la première
syllabe de šâʿer « poète », ainsi qu’une syllabe à voyelle brève entravée, comme la deuxième syllabe
du même mot. Une syllabe à voyelle longue entravée par une ou deux consonnes (sauf par n seul) ou
à voyelle brève suivie de deux consonnes est surlongue et peut valoir une syllabe longue suivie d’une
brève, sauf en finale de vers où elle vaut une simple syllabe longue. Ainsi, dans le premier texte de cette
anthologie, la première syllabe de âftâb « soleil » et l’unique syllabe de goft « dit » dans goft k[e] « dit
que » sont surlongues. Il y a bien des possibilités de licence poétique, mais elles sont rares. Il y aussi
des cas d’indétermination : l’eẓâfe, ce -e placé entre le nom et son déterminant adjectival ou nominal
(grammaire § 4), peut par exemple être compté comme une voyelle brève ou comme une voyelle
longue.
Parmi les textes de la présente anthologie, le Šâhnâme est écrit dans l’une des variantes du
mètre motaqâreb ( ˘ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ | ˘ ˉ), Xosrau va Širin de Neẕâmi dans une variété de mètre hazaj (
˘ ˉ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ ˉ | ˘ ˉ ˉ ) et le maṡnavi de Rumi, tout comme le Manṯeq al-ṯeyr de ʿAṯṯâr, dans une variété de
mètre ramal ( ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ ˉ | ˉ ˘ ˉ ).
105
LEXIQUE
107
Pour des raisons de commodité de tri informatique, les mots sont classés ici dans l’ordre de l’alphabet
latin, comme s’ils étaient sans diacritiques. Dans ce classement, il n’est pas tenu compte de ʿeyn (ʿ) ni
de hamze (‘). Les composés sont donnés sous le premier terme (ex. jahân-tâb sous jahân) avec un
renvoi à partir du second, et les locutions verbales sous le nom ou l’adjectif (ex. pasand âmadan sous
pasand). Par contre, les verbes à préverbe, comme bar âmadan, sont donnés sous le verbe.
ahl : habitant, indigène, originaire ; gens ; A. ʿanbarin : ambré, qui a le parfum de l’ambre.
capable, apte ; qui se prête, qui se anbâštan / anbâr- (prononcé ambâštan) :
comporte convenablement ; docile, remplir ; amasser, accumuler, entasser ;
obéissant ; ahl-e : membre(s) d’une bloquer.
certaine communauté, personne(s) qui ânce : voir ân.
s’adonne(nt) à une certaine activité, qui andâm : corps.
possède(nt) une certaine qualité ou ont un andar : à l’intérieur.
certain défaut, etc. andarâ : variante poétique de andar pour la
ahriman, ârahman, : principe du mal dans la rime.
religion de Zoroastre. andarun : à l’intérieur.
âhu : gazelle. andaru : = andar u (en lui, dedans).
aḥvâl : plur. ar. de ḥâl. andiše : pensée, réflexio, méditation, idée ;
â’in : 1) coutume, pratique, usage, rite ; règle ; souci, doute, crainte, appréhension.
cérémonie, étiquette ; religion, doctrine ; andišidan : penser, réfléchir, méditer ; rar. avoir
procédure (droit) ; 2) décoration ; ornement. des craintes.
â’ine : miroir ; â’ine-kerdâr : qui sert de miroir. anduh : douleur, tristesse, peine, chagrin.
ʿâj : ivoire. anduhgen : triste, affligé (sur anduh).
ʿajab : chose étonnante, surprise. angixtan / angiz- : exciter, inciter, stimuler ;
ajal : mort, trépas ; échéance. soulever, provoquer, susciter ; bar
ʿajib : étrange, bizarre, étonnant, merveilleux ; angikhtan : idem.
étonnamment. angošt : doigt
al- : article défini arabe invariable. anfâs : plur. ar. de nafas.
ʿâlam : monde. ânjâ : là.
ʿâlem : adj. savant, érudit, instruit ; subst. anjoman : société, association ; assemblée,
docteur, savant. réunion.
âmadan / â(y)- : venir ; survenir ; convenir ; ânke : voir ân.
devenir ; se h ; bar âmadan : prospérer ; ʿâqebat : fin.
bâz âmadan : revenir ; birun (ou borun) ʿaql : intellect, intelligence ; raison ; bon sens ;
âmadan : « sortir ». sagesse.
ʿamal : acte. âr- : racine du présent contracte d’âvardan.
amir : émir, prince, chef. ârahman : voir ahriman.
âmorzeš : pardon, absolution. ârâm : tranquille(ment), calme(ment) ;
âmorzidan : pardonner, absoudre (en parlant de paisible(ment) ; silencieux (-eusement) ;
Dieu). tranquillité, quiétude, calme, repos ; del-
Amu : Amou-Daria, Oxus. ârâm : qui apaise le cœur ; charmant.
âmuxtan / âmuz- : tr. apprendre, acquérir la ârâstan / ârâ(y)- : décorer, orner ; mettre en
connaissance (de) ; enseigner (be à) ; dar ordre, arranger, organiser.
âmuxtan : id. ʿâref : gnostique.
ân : ce(tte)… -là ; celui-là, celle-là ; ânke, ârâmidan (ou âramidan) : se reposer.
ânce : ce que ; ân gâh : voir gâh.
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ârezu : souhait, désir, vœu ; espoir ; aspiration ; âvixtan / âviz- : tr. pendre, suspendre ; intr.
idéal. s’accrocher à (be) ; vx. (bar)
ʿarus : nouvelle mariée ; belle-fille, bru ; ʿarus-e s’accrocher, engager la mêlée.
dahr : expression littéraire signifiant litt. « le âxer, âxar : dernier ; (plur. ar. avâxer) fin ;
temps, ma nouvelle épousée »). finalement.
arzidan : valoir, coûter. axtar : étoile, astre ; fortune.
-aš : suffixe personnel enclitique de 3e personne ayyâm : plur. ar. de yowm.
du singulier. ʿayyâr : trompeur, main, astucieux ; soldat de
ʿasâ : canne, bâton. fortune.
âsân : facile, simple. az : de (comme l’anglais from), à cause de, du
âsâyeš : repos, détente ; quiétude. fait de ; par ; depuis, à partir de ; (en
asbâb 1 : plur. ar. de sabab. passant) par ; de (partitif), en fait de ; (au
asbâb 2 : ustensiles, outils, instruments ; sujet) de ; (fait) de, en ; (œuvre) de ;
mobilier ; équipement ; objets personnels ; appartenant à ; que (complément d’un
affaires. comparatif) ; az bar : en haut.
âš(e)nâ’i : connaissance, familiarité, affection, âzâd : libre.
amitié. âzâr- : racine du présent de âzordan.
ʿâšeq : amoureux ; amant ; passionné. ʿaziz : cher, aimé, honoré, estimé.
aṣḥâb : plur. ar. de ṣâḥeb. âzordan / âzâr- : incommoder, gêner, ennuyer,
asir : prisonnier, captif. importuner, tracasser ; tourmenter, affliger ;
ašk : larme. vexer, fâcher.
aṣl : origine, source. azu : az + u.
âsmân, âsemân : ciel azuy : = az + vey, = az + u.
asrâr : pluriel arabe de serr. bâ : avec ; en compagnie de ; associé à ; en
ast : est. relation avec ; contre (lutte) ; entre les
âsudan / âsu(y)- : prendre du repos, se mains de, confié à, revenant à (charge) ;
reposer ; trouver la paix. avec (attitude, manière) ; avec, au moyen
ašyâ’ : pluriel arabe de šey. de ; malgré, en dépit de ; au sens de « avec,
-at : suffixe personnel enclitique de 2e personne pourvu de », bâ suivi d’un nom forme un
du singulier. grand nombre de locutions adjectivales.
âteš : feu. baʿd : après ; ensuite ; baʿd az : après
âvâ : son, bruit. (préposition).
âvardan (racine du présent parfois contractée bad : mauvais ; mal ; méchant ; subst. mal,
en âr-) : apporter, amener ; produire, malheur, malfaisance ; souvent en
causer ; afficher (telle ou telle attitude); composition, ex. bad-ḥâl : qui va mal,
présenter, tirer (une carte, etc.) ; rapporter, malade, mal en point ; bad-kon : qui fait le
relater, citer ; piš âvardan : présenter, offrir ; mal, malfaisant ; bad-ša’n : mauvaise
dast piš âvardan : se procurer. situation, mauvaise position.
âvari : réception. bâd : vent.
âvâz : voix. bâd : contraction de bâšad (voir budan).
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
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bâz 3 : encore, de nouveau ; cependant, verbale) beaucoup, souvent, longtemps ;
néanmoins ; préverbe indiquant un (devant un substantif) beaucoup de,
mouvement en arrière ou à l’écart ; bâz nombreux ; (adjectival) abondant,
âmadan : voir âmadan ; bâz dâštan : voir nombreux.
dâštan ; bâz goftan : voir goftan ; bâz besyâri : (en) abondance, multitude ; (en) grand
istâdan : voir istâdan ; bâz jostan : voir nombre ; longueur de temps ou d’espace.
jostan. bexrad : intelligent, sage.
bâz- 4 : racine du présent de bâxtan ; nom beyt : distique, vers.
d’agent : qui joue (d’où qui manipule, en beẓâʿat : richesse, fortune, moyens.
parlant de marionnettes) ; jân-bâz : voir bi : sans ; employé dans un grand nombre de
jân ; laʿbat-bâz : voir laʿbat. locutions qui fonctionnent comme adjectifs
bâzâr : bazar, marché. ou adverbes, ex. bi-dâd : injuste ; bi-
bâzargân : commerçant, négociant, marchand. dâdgari : injustice ; bi-del : sans courage ;
bâzi : jeu, amusement, divertissement ; naẕar- épris ; triste, mélancolique ; stupéfait ; bi-
bâzi : voir naẕar. jân : sans vie, inanimé ; ébahi ; bi-ṣabr :
bâzice : petit jeu (diminutif de bâzi « jeu » ). impatient ; bi-šomâr : inombrable ; bi-xwod :
bazm : festin, fête, banquet ; funérailles. (litt. qui est « sans ipséité ») hors de soi-
be : 1) à ; en ; par ; avec ; dans ; vers ; be X même, en extase.
andarun : dans X ; be X bar : sur X ; bedân bidâr : éveillé, réveillé, attentif, vigilent,
tâ : voir tâ ; be-joz : voir joz ; besân-e : voir conscient ; lit. : baxt-e bidâr : fortune
sân ; be-nazd : voir nazd ; 2) préverbe propice.
indiquant notamment a) le subjonctif ou bigâne : étranger.
l’impératif ; b) en classique, une action bin- : racine du présent de didan.
unique ou sans durée, par opposition au birun : dehors, extérieur ; birun-e : à l’extérieur
préverbe mi-. En classique, be- peut de ; birun az : en dehors de, hormis, sauf ;
s’employer dans ce deuxième sens avec birun-peyvaste : attaché à l’extérieur, qui
une racine au présent ou au parfait, et aaccès à l’extérieur.
même avec un participe passé. biš : plus ; davantage ; az biš : id.
bedân : be + ân avec -d- euphonique (voir bist : vingt.
grammaire § 5, dernier alinéa). bod : forme brève de bud (voir budan).
bedin : be + in avec -d- euphonique (voir bon : racine, fondement, base, pied, fond.
grammaire § 5, dernier alinéa). bonyâd : fondement, base ; source, origine ;
bedu : be + u, avec -d- euphonique (voir institut, fondation.
grammaire § 5, dernier alinéa). Boxara : Boukhara
beʿeyne : exactement, tout juste. boland : haut.
beh : mieux, meilleur. bordan / bar- : porter, transporter, mener ;
behešt : paradis. emporter, emmener ; épouser (une
behtar : mieux, meilleur. femme) ; gagner, remporter ; be kâr
besyâr : (devant un adj. ou un adv.) très, bordan : utiliser.
beaucoup ; (devant une expression boridan : couper.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
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dâr- : racine du présent de dâštan ; nom ramasser, prendre, jouir de ; soulever,
d’agent : qui a, qui tient ; del-dâr : voir del ; lever ; enlever, prélever, ôter ; destituer ;
nâm-dâr : voir nâm. bâz dâštan : empêcher, retenir.
daraje (plur. ar. darajât) : degré, grade, rang, daste : poignée, anse, manche, hampe ;
échelon, classe, catégorie. manette, manivelle, levier ; guidon ;
darân : = dar + ân. branche (de lunettes) ; trousseau (de clés),
daraxt : arbre. botte (de foin), liasse, bouquet ; classe,
darake (plur. ar. darakât) : abîme, gouffre ; catégorie.
enfer. dastur : ordre, prescription, règle.
dard : peine, mal, souffrance. dav-, dow- : racine du présent de davidan.
dardmand : souffrant ; malade ; affligé ; davâm : durée ; endurance, solidité ; stabilité ;
tourmenté. bar davâm : pour toujours.
dargâh (poét. dargah) : cour (royale). dâvar : juste (subst.) ; juge, arbitre.
daridan : déchirer ; mettre en pièces ; dévorer ; davidan / dav-, dow- : courir ; forû davidan (be) :
se déchirer, se fendre. tomber d’un coup (sur).
darin : = dar in. degar : voir digar.
dariġ : regret ; refus ; hélas ; dariġ-o dard : ô deh- : racine du présent de dâdan ; qui donne
douleur, ô regret ! (en fin de composé).
darmân : traitement, cure ; solution, issue ; dehqân (pl. dahâqin) : paysan ; cultivateur.
remède. del : cœur ; del-bar : qui ravit le cœur,
darrande : féroce, dévorant ; fauve, carnassier. charmant, ravissant ; bien-aimé(e) ; del-
dars : leçon. dâr : qui tient le cœur, bien-aimé(e) ; bi-del :
daru : = dar u. voir bi ; ṣâḥeb-del : voir ṣâḥeb ; xwoš-del :
darun : dedans, intérieur ; darun-e : à l’intérieur voir xowš.
de. deram : drachme.
darviš : derviche. derang : hésitation, pause, retard, délai.
darxwor-e : convenable à, approprié à, digne dexaršidan : luire, briller, scintiller.
de ; darxwor-e gâh : voir gâh ; darxwor-e co did : vue, vision.
conin ast conân bâyad kard : locution didan / bin- : voir ; considérer ; suivre (un
signifiant « c’est ainsi qu’il faut faire, ainsi cours) ; faire (des études) ; acquérir (de
doit-il en aller ». l’expérience) ; éprouver (de la peine, etc.) ;
daryâ : mer, océan ; vx. fleuve. subir (un traitement, etc.).
dašne : poignard. dide : œil.
dast : main ; utilisé dans de très nombreuses digar : autre ; second, suivant, prochain, en
locutions. plus ; digar kasi : quelqu’un d’autre ; digar(-
dâstân : histoire, récit. e in / ân) ke : en outre ; d’ailleurs.
dâštan / dâr- : avoir, tenir ; impliquer, exiger ; din : religion.
être en train de (+ verbe au temps voulu, dir : tard, tardif ; en retard ; longtemps.
voir grammaire § 25, fin) ; employé dans de dirine : ancien, vieux.
nombreuses locutions ; bar-dâštan : div : démon.
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farrâš : laquais, valet (de pied). ġâfel : insouciant, négligent, indifférent.
farre : voir farr. gah : forme abrégée de gâh ; saḥar-gah : voir
farrox : heureux, fortuné ; de bon augure, saḥar ; xwâb-gah : voir xwâb.
propice. gâh, poét. gah : temps, moment, heure ;
farvardin : premier mois de l’année iranienne quelquefois, parfois ; trône, siège d’or ;
(env. 21 mars – 20 avril). aurore ; lit ; gros coussin ; crocodile ; signe
farxonde : heureux, chanceux, fortuné. du capricorne ; rang, emploi public, charge,
faryâd : cri, clameur ; appel à l’aide, à la justice ; fonction ; fiancé, prétendant ; ân gâh(i) :
lamentation, plainte ; faryâd xwâstan : alors ; darxwor-e gâh : digne du trône,
demander justice. prince ; har ân gâhi ke : chaque fois que ;
faryâd-ras, °res : qui porte assistance ; ṣobḥ-gâh : voir ṣobḥ.
secourable. ġam : douleur, peine, souffrance ; ġamdide :
fasâd : corruption, dégénérescence ; sédition, affligé ; triste ; ġam(-e x) xwordan : se faire
trouble(s). du souci, se toumenter (pour, au sujet de).
fašândan / fašân- : voir afšândan. gâm : pas, démarche ; gâm nehâdan : poser le
fasâne : voir afsâne. pied.
fâxte : pigeon ramier, palombe. ganj : trésor ; ganjnâme : carte du trésor (litt.
faẓl : faveur, frâce ; supériorité, mérite ; savoir, « livre du trésor »).
culture. gar : forme brève de agar.
fekan (poét.) : racine du présent de fekandan garân : coûteux, cher ; lourd, pesant ; pénible.
(poét.), = afkandan ; sâye fekan : voir sâye. ġaraẓ : but, intention, dessein ; motif privé,
fekr : pensée ; réflexion ; méditation ; idée ; intention personnelle ; animosité, rancune,
opinion ; souci. partialité.
fekrat : réflexion, méditation. garce : forme brève de agarce.
ferâq : séparation. gard- : racine du présent de gaštan.
fetâd : pour oftâd, voir oftâdan. gardan : cou ; utilisé dans de nombreuses
fetrâk : courroie de selle. locutions.
feyẓ : faveur, bénédiction ; libéralité, profusion ; gardân(i)dan : tr. faire tourner ; détourner (ex. le
fam. profit. visage) ; faire marcher, gérer, diriger (une
fīhi (ar.) : en (fī) lui (hi). affaire) ; promener ; vx. faire devenir,
foru : préverbe signifiant « en bas, vers le rendre, ex. asbâb-e xwiš sâxte g° faire
bas » ; foru-mânde : litt. « resté (mânde, prospérer ses affaires.
participe passé de mândan) en bas », d’où gardeš : rotation, révolution, changement
humble, défavorisé, pauvre ; foru mândan : (gardeš-e ruzegâr : vicissitudes du sort) ;
voir mândan. promenade, excursion
foruxtan / foruš- : vendre ; faire montre de, se gardi : poussière.
vanter de. gardidan : = gaštan.
fosun : = afsun. gardun : sphère céleste, firmament ; fortune,
fuṯa : pièce d’étoffe ; pièce d’étoffe qu’on se destin.
noue à la taille au moment du bain. garm : brûlant.
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gašt : promenade, tour ; rotation, changement, ġeyr (plur. ar. aġyâr) : autre, étranger ; geyr-e :
évolution. autre que ; be ġeyr-e : hormis, sans ; (be)
gaštan / gard- : tourner ; marcher, fonctionner ; ġeyr az : excepté, hormis ; ġeyr-e + adj. =
errer, se promener ; devenir ; bar gaštan : adj. au négatif, ex. ġeyr-e momken :
revenir, retourner, s’en retourner ; se retirer, impossible (sur momken « possible »).
faire retraite. ġeyrat : sens de l’honneur, amour propre ; zèle,
gazand : tort, mal, dommage, dégât, préjudice. ardeur ; émulation ; jalousie.
gazidan : mordre, donner un coup de dent, gir- : racine du présent de gereftan.
mordiller ; piquer. giti : monde.
gedâ : mendiant. ġobâr : poussière.
gedâʾi : mendicité. godâxtan / godâz- : fondre, se liquéfier ; faire
ġeflat : négligence, insouciance, inattention ; fondre, fondre.
omission ; inadvertance. goftan / gu(y)- : dire ; bâz goftan : redire,
gele : plainte ; doléances. répéter, dire à nouveau.
gerâʾidan (be) : incliner, pencher (vers) ; avoir goftâr : paroles, discours ; chapitre (d’un livre) ;
un penchant pour. traité, essai.
gerd : rond, circulaire ; (bar) gerd-e : autour de ; gol : fleur ; lit. rose ; bout de la mèche d’une
gerd-e kasi râ gaštan : entourer qqn., chandelle ; partiede choix, fleur.
tourner autour de qqn. (ou de qqch.), ġolâm (plur. ar. ġelmân) : jeune homme,
rechercher, poursuivre, s’occuper de qqn. garçon ; page ; esclave, serviteur, valet ;
(ou de qqch.). eunuque.
gereftan / gir- : prendre, saisir, capturer, golšan : jardin de fleurs ; roseraie.
conquérir, envahir ; captiver, séduire ; golzâr : jardin ou champ de roses ; roseraie.
impressionner ; enivrer ; mordre, enlever, gom : perdu ; absent, manquant ; invisible ;
couper (les ongles) ; extraire ; recevoir ; errant ; gom kardan : perdre, égarer ; gom
couvrir, voiler, boucher ; reprocher, relever šudan : se perdre, être perdu, disparaître ;
[un défaut] ; admettre ; se boucher, se gomšode : perdu, égaré ; gom yâftan :
couvrir ; prendre (feu), réussir, avoir du perdre, égarer.
succès ; commencer à (+ infinitif) ; bar gombad : dôme.
gereftan : saisir, prendre, recevoir, gonâh : péché, faute.
ramasser ; couvrir, recouvrir ; bar- ġonudan : vx. dormir, reposer.
gereftan (lit.) : tr. saisir, prendre, ramasser ; gorâzidan : vx. marcher gracieusement ou
couvrir, recouvrir. majestueusement.
gereh : nœud ; diffculté, affaire embrouillée ; ġorrân (adjectif verbal de ġorridan) : rugissant,
phalange. grondant, tonnant.
Gergesârân : les Gergesâr (nom d’un peuple). ġorridan : rugir, gronder ; tonner.
ġeyb : choses qui échappent à la connaissance goruh : groupe, troupe ; classe, catégorie.
sensible, invisibles, occultes ; invisible, gošâdan : voir gošudan.
disparu.
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gošâ’i : ouverture (sur la racine du présent de ḥâkem : chef, dirigeant, gouvernant ;
gošudan, gošâ° / goṡâ(y)- : ouvrir) ; nâfe- gouverneur, juge.
gošâ’i : voir nâfe. ḥakim : sage, savant, philosophe, docteur ;
ġoṣṣe : peine, chagrin, tristesse. médecin.
gošudan (gošâdan) / goša(y)- : ouvrir ; ḥâl : état de santé, bon état de santé ;
déboucher ; décacheter ; frayer (un disposition, humeur, envie ; plaisir,
passage) ; épanouir ; inaugurer ; jouissance ; extase (mystique) ; état,
conquérir ; découvrir, révéler ; résoudre, situation ; circonstance ; manière d’être ;
dénouer ; bâz gošudan : ouvrir ; conquérir ; maintenan ; dar ḥâl : vx. sur le champ.
gošâde zabân : voir zabân. halâk : perdition, perte ; mort.
gow, gav : brave, vaillant ; heros. ḥall : dissolution ; solution.
gowhar : gemme, pierre précieuse, perle ; ḥalqe : cercle ; rond ; anneau ; bague, boucle ;
essence, origine ; race. cerceau ; rondelle ; segment ; soc. cercle,
gożaštan / gożar- : passer ; dépasser, société.
traverser ; renoncer ; paser, se passer ham 1 (encl.) : aussi, même ; et ; quant à ; pour
(temps). ma (ta, sa, leur, etc.) part
gożâštan / gożâr- : mettre, poser, placer ; ham 2 : l’un l’autre ; bar-ham : voir bar ham.
abandonner, laisser ; laisser faire ; investir, ḥamal : bélier (signe astrologique).
placer ; passer, traverser, franchir. Forme à hamân : ce ... même ; ce même ... –là.
préfixe be- volontiers abrégée en bogzâ-. hamânâ : assurément, en vérité.
gu(y)- : racine du présent de goftan. hamco : fam. tel
gune : genre, espèce, sorte ; manière, façon ; hame : tout, chaque, tous, l’ensemble de, la
ce gune : comment ? totalité de.
gur 1 : tombe, tombeau, fosse. hami : forme longue du préverbe d’imperfectif
gur 2 : onagre. mi en classique.
guš : oreille ; utilisé dans de très nombreuses hamin : ce même, cet(te)... même.
expressions ; guše-gir : retiré du monde, hamiše : toujours.
reclus, ermite. hâmun : plaine ; steppe, désert ; ce bas monde.
guše : coin, angle ; lieu retiré ; mélodie, modèle ḥaq(q) (plur. ar. ḥoquq) : droit, bon droit ; vérité ;
mélodique. dû ; plur. honoraires, salaire, traitement ;
guyande : qui dit, narrateur, diseur, annonceur. droit (à payer) ; Dieu.
guž : bosse ; guž gašte : bossu ; courbé. ḥaqâyeq : voir ḥaqiqat.
haft : sept. ḥaqiqat (plur. ar. ḥaqâyeq) : vérité, véracité,
hafte : semaine. réalité ; ḥaqiqat-šenâs : qui connaît la
ḥâj : pèlerin (qui a fait le pèlerinage à La vérité.
Mecque) ; malek al-ḥâj : voir malek. ḥaqiqi : vrai, véritable, réel.
ḥâjat : besoin, nécessité, désir, souhait, envie. hamân : ce ... même, ce même ... –là ; celui-là,
ḥâjebe (fém. ar. de ḥâjeb « huissier, celle-là, cela même.
chambellan ») : femme de chambre, hame : tous ; tout le monde ; le tout, la totalité.
chambrière.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
hamin : ce ... même, ce même ... –ci ; celui-ci, ḥile : tour, rfaude, supercherie, ruse.
celle-ci, ceci même. hizom : bois à brûler, fagot.
hamiše : toujours. ḥokm : ordre, instruction, commandement ;
har : chaque ; har ân gâhi ke : voir gâh et jâ(y) ; décret, arrêté, décision, ordonnance ; arrêt,
har ce : toute ce qui, toute ce que, quoi que, sentence, jugement, verdict.
quelque... que ; har kasi : n’importe qui, hormuz : nom du premier jour du mois dans le
quiconque, tout un chacun ; har yek : calendrier iranien.
chacun. ḥosn : beauté, charme ; intérêt, avantage
ḥarakat (plur. ar. ḥarakât) : mouvement ; (d’une chose) ; souvent employé avec un
fonctionnement, marche ; départ ; geste, complément de nom pour indiquer que ce
action, acte ; excitation, agitation. que désigne ledit complément est bon, ex.
harc : = har ce (voir har). ḥosn-e axlâq : bonne conduite, bonnes
ḥarif : rival, adversaire ; partenaire. mœurs.
ḥarim : sanctuaire, enceinte inviolable ; zone hoveydâ : clair, évident ; patent ; indiscutable.
interdite ; limite. ḥozur : présence ; comparution.
hasti : existence. idun, eydun : ainsi, de telle manière.
ḥašr : rassemblement ; (ruz-e) ḥašr : in : ce(tte)… -ci ; celui-ci, celle-ci.
Résurrection. injâ : ici, en ce lieu.
hâtef : héraut céleste, voix angélique. išân : eux, ils, elles.
havâ : air, atmosphère ; temps (qu’il fait), istâdan / ist- : se tenir debout, rester debout ;
climat ; désir, envie. stationner, attendre ; persister ; se lever ;
havas : désir passager, fantaisie, caprice ; s’arrêter, stopper ; bâz istâdan : se ternir à
envie. l’écart de, s’abstenir de.
ḥayât : vie ; âb-e ḥayât : voir âb. iżâ’ : mal, dommage, atteinte.
hazâr : mille. izad : Dieu.
ḥâẓer : prêt, préparé ; disposé,consentant ; izadi : divin.
présent ; plur. ḥâẓerin, ḥâẓẓâr : les jâ(y) : lieu, endroit, place, emplacement ; har-
personnes présentes, l’assistance. jâ(y) : en tout lieu, partout ; n’importe où ;
ḥaẓrat : présence ; seuil ; Excellence, Altesse, partout où.
Seigneurie. jafâ : oppression, violence, injustice.
hazl : parole facétieuse, plaisanterie. jâh : dignité, haut rang ; grandeur,
hedâyat : direction, conduite, guidage. magnificence, pompe, faste.
ḥekâyat : histoire, anecdote. jahân : monde ; jahân-âfarin : créateur du
hemmat (plur.ar. hemam) : noble ambition, monde ; jahân-bin : qui voit le monde ; dans
aspiration élevée ; zèle ; courage ; effort. quoi l’on voit le monde ; jahân-dâr : qui tient
ḥešmat : magnificence, somptuosité ; pompe. le monde, maître du monde ; roi, souverain ;
ḥeyrân : étonné, stupéfait, surpris ; perplexe. jahân-tâb : qui illumine le monde.
hic : rien, aucun, aucunement, du tout (en jâm : coupe.
phrase négative ou interrogative ; voir Jam : forme abrégée du nom du roi Jamšid.
grammaire §10, fin) ; hic kas : personne.
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jamʿ : total, somme ; addition ; rassemblement, jušeš : ébullition, bouillonnement ; excitation,
groupe ; rassemblé, réuni, concentré ; jaʿ ardeur, enthousiasme ; effort.
kardan : réunir, rassembler, regrouper. juyande : chercheur (participe présent de
jamâl : beauté. jostan).
jamiʿ : tout, totalité. juybâr : ruisseau ; lieu abondant en cours d’eau.
jamʿiat : population ; réunion ; société ; joz : sauf, excepté, hormis ; be-joz : id.
association ; attroupement, foule. kâbin : douaire.
jân : âme, vie ; jân-bâz : qui risque ou sacrifie kabutar : pigeon, colombe.
sa vie ; audacieux ; brave ; funambule ;bi- -kade (en fin de composé) : demeure, temple ;
jân : voir bi. mey-kade : voir mey.
jânân : (poét.) bien-aimé. kadxodây : chef, chef de village ; intendant.
jânevar : animal. kaf : paume ; main ; plante ; plancher, sol, seuil.
jang : guerre, bataille, combat ; bagarre, rixe ; kâ’in : pour ke â’in.
dispute, querelle ; lutte. kâ’ine : pour ke â’ine.
jašn : fête. kâlbud : corps, carcasse ; forme, moule.
javân : jeune. kam : en petite quantité, minime, peu abondant,
jây : voir jâ. peu nombreux, rare ; en trop petite quantité,
jazaʿ : lamentation. en moins, ~ az : moins que ; peu, peu de.
jegar : foie, d’où cœur ; jegar-gâh : endroit où kâm 1: palais, bouche gueule ; mortaise.
se trouve le foie, le cœur. kâm 2 : objet de vœu, chose désirée, but ;
jelve : manifestation, apparition ; spendeur, désir ; kâm-ravâ : heureux, fortuné.
magnificence. kamâl : perfection ; suprême degré ; fin de la
jerâḥat : plaie, blessure, ulcère ; abcès, pus. croissance, âge adulte ; formation, bonne
jevâr : voisinage, proximité. éducation.
Jeyḥun : autre nom de l’Oxus ou Amou-Daria. kamin 1 : embuscade.
joft : paire, couple ; compagnon, compagne ; kamin 2 : le plus petit, le moindre ; très humble.
associé, compagnon ; égal, pareil. kamtari : surperlatif de kam : le moins, au
jomle : ensemble, total. minimum.
jorm : délit ; contravention ; crime ; amende. kân : pour ke ân.
jostan / ju(y)- : chercher ; bâz jostan : kandar : pour ke andar.
rechercher. konyat, konye : surnom.
jost-o juy (voir jostan) : recherche, quête. kâr : travail, emploi, occupation, fonction,
jowr : oppression, violence, injustice. fonctionnement ; action, agissement ; effet ;
joz : sauf, excepté, hormis. affaire ; be kâr bordan : voir bordan.
ju(y) 1 : racine du présent de jostan ; nom kârak (diminutif de kâr) : petite affaire, petit
d’agent : qui cherche. commerce, petite entreprise.
ju(y) 2 : ruisseau, cours d’eau ; juy-âb : eau du kardan / kon- : faire (utilisé dans de très
ruisseau. nombreuses locutions ; voir šodan) ; rendre
judâ’i : séparation. (qqn. ou qqch.) tel(le) ou tel(le).
ju’idan : = jostan. karim : généreux, noble.
121
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
karkas : vautour. kešvar : climat (au sens de l’un des sept climats
kaš : = ke + -aš (suffixe personnel enclitique de du monde), pays, État.
3e pers. du sg.). ketâb (plur. kutub) : livre.
kas : personne, compagnon ; = kasi ; hic kas : key 1: quand ? comment ?
voir hic. Key 2 (plur. Kiân, Keyân) : titre des rois
kasb : fait de gagner, de se procurer ; légendaires de la dynastie keyanide.
acquisition. Keyvân : Saturne.
kašf : découverte ; dévoilement, révélation, kiâni : propres aux rois légendaires de l’ancien
détection. Iran dits « Key », keyanide, impérial.
kasi : quelqu’un ; kasi … na : personne ne …. ; kin : = ke + in.
kasi ku : quiconque. kine : rancune, désir de vengeance, haine.
kâštan / kâr- : planter, semer ; cultiver ; placer kodâm : quel ?
(un objet qui sert de but dans un jeu kofr : blasphème.
d’adresse). kojâ : où ?
kaz : = ke + az. kolâh : chapeau, coiffure, bonnet, couvre-chef ;
kazin : = ke + az + in. couronne.
ke : que (très nombreux usages ; voir kon- : racine du présent de kardan ; nom
grammaire § 26) ; car, puisque ; afin que ; d’agent : qui fait.
quand, lorsque ; particule introduisant une konân (adjectif verbal de kardan) : faisant.
subordonnée relative ; divers emplois kongere : créneau ; merlon.
idiomatiques ; qui ?. konj : coin, encoignure ; endroit retiré.
keh : petit. konyat : surnom.
kelahi : = ke elahi. koštan / koš- : tuer, assassiner, abattre ; vx.
kenâr : bord, limite, lisière ; rivage, marge ; éteindre, souffler ; bar koštan : idem.
flanc, côté, giron. kown : existence, monde ; kown-o makân :
kerâm : plur. ar. de karim. univers.
kerdâr : action, agissement ; en fin de ku 1 : où ?
composé : qui sert de ; â’ine-kerdâr : voir ku(y) 2 : rue, quartier.
â’ine. ku 3 : = ke u ; kasi ku : voir kasi.
kešidan, kašidan : tirer ; traîner, entraîner, kuh : montagne.
mener, transporter ; retirer, extraire ; kullu (ar.) : tout (cas direct).
tendre, étirer ; disposer en ligne, enfiler ; kuri : cécité, aveuglement.
servir (mets) ; tirer (trait), tracer, dessiner, kutub : plur. de ketâb.
peindre ; aspirer ; pousser (soupir) ; fumer kuze : cruche, pot, amphore.
(une pipe…) ; boire ; peser ; endurer, subir, l- : forme élidée de l’article défini arabe
éprouver (de la honte, etc.) ; gagner (un invariable al- (ex. dans al-salâm « le
lieu), atteindre ; en venir à ; durer, traîner ; salut » ; voir salâm).
dar-kešidan : vx. tr. tirer, tirer en arrière ; lâ : non ; sans ; lâ-šak : voir šak(k).
retenir ; boire ; extorquer. lab : lèvre ; bord, rebord, lisère, rive.
keštan : voir kâštan.
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laʿbat : marionnette ; laʿbat-bâz : montreur de maḥsus : perceptible, sensible, tangible,
marionnettes. notable, évident.
laʿbatak : petite marionnette. majâz : métaphore, allégorie ; apparence,
lâbe : supplication, imploration, prière ; rar. illusion.
flatterie ; séduction, tromperie. majles (plur. ar. majâles) : assemblée ;
lâbod : probablement, sans doute ; réunion ; partie (de plaisir), réception ;
nécessairement, de toute nécessité ; séance : Assemblée, chambre.
certainement, assurément. makân : lieu, endroit, résidence, demeure ;
laḥad : tombeau. kown-o makân : voir kown.
lahv : jeu, divertissement. makr : ruse, astuce, tour, fourberie, tromperie.
lâ(y)eḥe (plur. ar. lavâ(y)eḥ) : évidence, clarté, mâl : propriété, biens, richesse, fortune ; vx.
splendeur ; preuve ; projet de loi. argent.
laʿl : rubis ; grenat. malak (plur. malâ(y)ek(e)) : ange.
lâle : tulipe. malbus (plur. ar. malbusât) : vêtement.
lâšak : voir lâ et šak(k). malek : roi ; malek al-ḥâj (expression arabe) :
laṯâyef : plur. de laṯife. chef des pèlerins (de la caravane du
laṯife : subtilité ; mot d’esprit. pèlerinage à La Mecque).
lażżat : plaisir. maʾluf : usuel, familier.
lehâżâ : donc, par conséquent. maʿnavi : spirituel ; idéal, immatériel ;
lik, likan, liken : mais, cependant. intellectuel ; moral ; relatif au sens, à la
loṯf (plur. ar. alṯâf) : grâce, faveur, bienveillance, signification.
bonté ; grâce, charme, agrément ; subtilité ; maʿnī : signification, sens ; esprit (par
be (ou az) loṯf-e šomâ : grâce à vous. opposition à la lettre) ; idée, point (d’un
mâ : nous. raisonnement) ; réalité ; plur. : figures de
madad : aide, assistance, secours. style en relation avec le sens, élégance (de
madḥ : louange, panégyrique. style).
maġâk : gouffre, abîme ; fosse, tombe. man : je, moi.
magar : si ce n’est que, à moins que ; si ce mândan / mân- : rester, demeurer ; séjourner ;
n’est, excepté, hormis ; mais, toutefois. rester intact, se conserver (nourriture) ;
mâh : mois ; lune ; poét. personne très belle. rester (après quelque chose), subsister ;
maḥjub : voilé ; modeste, humble, timide. être de reste ; dar mândan : rester dans
maḥv : effacement ; suppression, abolition ; l’embarras, rester impuissant, rester
anéantissement ; maḥv-e … gardidan : enfoncé dans (dar) ; foru mândan : (az)
s’anéantir en … . reter en arrière, à la traîne (de) ; prendre du
mahd : berceau ; cercueil. retard (sur) ; être dépassé (par).
mâhi : poisson. manzel : logement, logis, maison ; étape, lieu
maḥram : assez intime pour avoir accès aux d’étape.
appartements des femmes, proche parent, maqṣud : but, objet ; dessein, intention.
intime ; ami intime, confident ; illégal, mâr : serpent.
interdit ; époux, consort ;
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marâ : = man + râ (voir grammaire, § 22, point mey : vin ; mey-kade : taverne.
3). miân : milieu, centre, intérieur ; ceinture, reins,
maʿraẓ : exposition ; dar (ou be) maʿraẓ-e : taille ; miân (dar) bastan : se ceindre ; se
exposé à. préparer.
mard : homme, mâle. minâ : émail ; bleu clair, azur.
mardi : virilité ; bravoure, courage, vaillance. mir : = amir.
mardom : gens. moʿâmele, moʿâmelat : affaire, opération,
mardomân : = mardom (plur. persan sur un transaction ; manière d’agir, conduite,
collectif arabe). comportement.
marg : mort. moʿaṯṯar : parfumé, aromatique, odoriférant.
marġzâr lit. : prairie. moʾbad, moʾbed, mubad, mubed : prêtre
maṣâ’eb : plur. ar. de moṣibat. zoroastrien.
mašâm : odorat. mobârak : béni, propice, de bon augure ;
mašâyex : voir šeyx. prospère, heureux.
masḥ : fait de toucher de la main son front et modâm : sans cesse, perpétuel(lement),
ses pieds dans les ablutions rituelles. continuel(lement).
mašhur : bien connu, réputé, célèbre. moddaʿi : qui revendique ; plaignant.
masiḥ, lit. masiḥâ : le messie ; Jésus. moġ : mage, adorateur du feu.
maskan : domicile, résidence ; logement. moḥâl, ma° : impossible, absurde.
mast : ivre, saoul ; grisé, ravi, enchanté ; moʿammâ : énigme ; problème.
furieux ; en rut. moḥebb : affectueux, affectionné ; ami.
maṣṭabe : banc de pierre, plateforme ; asile moḥiṯ : périmètre, circonférence, contour ;
pour les pauvres. environnement, entourage ; milieu, sphère,
masti : ivresse ; griserie, ravissement, ambiance ; qui enveloppe, embrasse,
enchantement ; furie ; rut. circonscrit ; qui connaît bien, possède,
mastowli šodan / gaštan : (bar) envahir, domine.
s’mparer de, dominer mohr : sceau, cachet, timbre, empreinte,
mastur : couvert, caché, voilé ; chaste, pudique. marque, pansement.
mâye : ferment, levure, levain ; source, cause ; molk : pays, royaume.
motif, sujet ; fonds, capital ; quantité ; monâdemat : compagnie, intimité.
connaissances, savoir. mondarej : inséré, contenu.
meh : grand ; âgé. monyat : envie, désir.
mehi : grandeur, sublimité ; taxt-mehi : voir taxt. morâd : désir, souhait ; intention, dessein, but.
mehr : amour, affection, tendresse, moraqqaʿ : en lambeaux, en haillons, déchiré ;
bienveillance. vêtement déchiré, rapiécé, ouvrage fait de
mehrabân : bon, affectueux, tendre, pièces rapportées.
bienveillant. mordan / mir- : mourir.
mehtar : plus grand ; plus âgé, aîné ; prince, morde : mort ; défunt.
seigneur, chef, gouverneur ; balayeur, morid : disciple.
éboueur. morġ : oiseau ; poule, volaille.
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moṣibat (plur. ar. masâ[y]eb) : calamité, nâlân (adjectif verbal de nâlidan) : pleurant,
malheur, peine, catastrophe, épreuve. gémissant ; souffrant.
mošk : musc ; mošk-dam : parfum de musc. nâle : gémissement ; plainte.
moškel : difficile, pénible, dur ; (plur. ar. nâlidan : gémir, se lamenter, se plaindre.
moškelât) difficulté. nâm : nom ; réputation, renom ; nâm-dâr,
mošt : poing, poignée. nâmvar : renommé, réputé.
mostaḥaqq : qui à droit (à), qualifié (pour) ; nâmaḥram (nâ + maḥram) : étranger, qui n’est
nécessiteux, indigent. pas admis à entrer dans les appartements
moštâq : qui désire vivement ; épris (de) ; des femmes ; à qui l’on ne fait pas de
passionné. confidence.
moʿtabar(e) : digne de confiance, sûr, namak : sel.
estimable ; exact, authentique ; bien fondé. namâz : prosternation ; prière.
moʿtaqed : qui croit. nâmdâr : voir nâm.
moṯreb : musicien, joueur de musique de nâme : lettre, missive ; livre (souvent en
divertissement, chanteur. composition, ex. ṯarbat-nâme « livre de la
mowjud (plur. ar. mowjudât) : existant ; joie », šâh-nâme « Livre des rois ») ;
disponible ; être, créature. registre ; mod. journal, revue ; certificat,
možde : bonne nouvelle. document, acte.
mu(y) : poil, cheveu ; fissure, fêlure. nâmvar : voir nâm.
mujeb : cause, raison, motif, mobile. naql : transport, transfert, transmission ;
Muliân : nom de la rivière de Boukhara. narration, citation
mur : fourmi. naqš (plur. ar. noquš) : dessin ; figure ;
na : ne … pas. peinture ; gravure ; broderie ; empreinte,
nâ- : préfixe négatif trace ; rôle.
nabi (plur. ar. ambiâ) : prophète. nar : mâle ; abominable.
nabid, nabiẕ : vin de dattes, vin. nârenj : bigarade, orange amère.
nâdân : ignorant. narges : narcisse.
nafas : souffle ; haleine ; brise ; instant ; nârvon : grenadier.
moment. nasab : ascendance, parenté, lignage, origine,
nâfe : poche de musc ; nâfe-gošâ’i : ouverture provenance, affinité.
d’une poche de musc. na-sepâs : ingrat (sur sepâs « remerciements,
nafḥ (plur. ar. nafḥât) : respiration, souffle. gratitude »).
nafir : trompe, trompette, son de trompe ; son naṣiḥat (plur.ar. naṣâyeḥ) : conseil, avis,
d’instrument de musique. admonition.
nahâdan : voir nehâdan. nasim : zéphyr, brise.
Nâhid : Vénus. nataʿ : tapis de cuir sur lequel on exécutait les
nahoftan / nah- : cacher, dissimuler, couvrir. condamnés à mort.
nâgâh, nâgah : soudain, subitement, tout-à- natâyej : plur. ar. de natije.
coup (voir gâh, gah). natije : résultat, effet, conclusion ; arrière-
nakhat : souffle, haleine (agréable). petit(e)-fils ou fille.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
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niz : aussi, de même ; d’ailleurs, en outre. pâk : propre, net, pur ; vertueux, chaste,
nohom : neuvième. innocent.
nokte : point, question ; trait d’esprit, bon mot. palang : panthère.
now : neuf, nouveau. palangine : peau de panthère.
nowbat : tour, main (au jeu) ; fois ; vx. musique panâh : refuge, abri, asile.
jouée régulièrement à certaines heures de panj : cinq.
la journée ; garde, sentinelle. panjâh : cinquante.
nowruz : premier jour de l’année iranienne, parâkandan (parâgandan) / parâkan-
nouvel an. (parâgan) : dispersper, dissiper, éparpiller ;
naxost (noxost) : premier, premièrement. semer, répandre, diffuser.
noxostin, nax° : premier. parde : rideau ; voile ; portière ; écran ; toile.
nur (plur. ar. anvâr) : lumière, clarté, éclat. pâre : morceau, pièce, fragment, partie ; vx.
nuš : boisson salutaire ou agréable ; nectar ; pot-de-vin ; adj. déchiré, en pièces, en
douceur, miel ; action de boire ; racine du loques.
présent de nušidan. paridan : voler, s’envoler ; sauter, bondir ; az
nušidan / nuš- : boire. xwâb paridan : se réveiller en sursaut.
-o (-vo après voyelle autre que i) : et. parniân : soie à motifs, soie peinte ou
oftâdan / oft- : tomber ; se produire, arriver, damassée.
apparaître ; se trouver, se mettre à ; arriver pârsâ : sobre, abstinent, vertueux ; pieux.
à bout de forces, tomber malade, partow : rayon, rayonnement.
succomber, mourir ; être omis. parvareš : éducation, instruction ; culture,
ʿolvi : haut, supérieur ; sublime, céleste. élevage ; développement ; conservation,
om(m)id : espoir, espérance. mise en conserve.
ʿomr : âge, vie. pas : ensuite, après ; alors, donc ; en arrière, en
owlätar : (le) préférable ; (le) meilleur. retour ; utilisé dans diverses locutions
ʿożr : excuse, prétexte ; ʿożr-xwâh : qui verbales ; pas az : après ; dar pas-e :
demande pardon, qui s’excuse. derrière ; pas-o piš : les divers côtés ; az
pâ(y) : pied ; jambe ; patte de derrière ; base, pas : de derrière ; autrefois ; az pas-e : par
pied ; utilisé dans de nombreuses locutions. derrière.
padid : visible, apparent ; ° âmadan : paraître, pasand : choix, agrément ; approbation,
apparaître. admiration ; pasand kardan : choisir,
pâdšâh : = bâdšâh. agréer ; approuver, louer ; aimer bien,
pahlavân : héros, preux ; champion, athlète ; apprécier ; pasand âmadan : être approuvé,
héroïque, brave ; fort, athlétique. accepté ; plaire.
pahlavâni : héroïsme, bravoure, force. paš(š)e : moustique.
pahlavi : pehlevi ; appartenant à la dynastie pây : voir pâ.
pahlavi ; nom d’une monnaie. payâm (peyâm) : message.
pahlu : côté, flanc ; pahlu zadan : côtoyer, pâye : pied, base, fondement ; pile, pilier,
bousculer, rivaliser. support ; socle, piédestal, console, affût ;
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pédoncule, échalas ; porte-greffe ; pâyeʾi avec une racine verbale, ex. : por-gu :
sâxtan : voir sâxtan. loquace, bavard).
pažmordan : se faner, se flétrir ; s’attrister. porsidan : demander, s’informer.
pažuhidan (požudhidan) : chercher, pošt : dos, partie postérieure, envers ; soutien,
rechercher ; faire une investigation sur. appui ; reins (comme organes de la
penhân : caché, secret. génération), génération ; suite, séquelle ;
pesar : fils ; garçon. pošt-e : derrière.
pey : trace de pas ; piste ; suite, conséquence ; pur : vx. fils, d’où aussi jeune homme.
az pey-e : à la suite de, derrière ; en vue de. pušidan : revêtir, mettre (un vêtement) ; couvrir,
peydâ : visible, apparent, évident ; né ; peydâ cacher, dissimuler, garder (un secret).
âmadan : apparaître, être trouvé ; peydâ pušidani : le vêtir.
kardan : inventer, découvrir, déclarer, pust : peau, écorce, fourrure, pelure, coquille,
rendre public, trouver, engendrer, produire. cosse, coque.
peyk : courrier, messager. pyâde : à pied ; vx. ignorant, peu compétent ;
peykar : portrait, image, effigie ; statue, idole ; piéton ; pion (échecs).
les Gémeaux ; corps, formes, stature. pyâle : coupe, tasse.
peykâr : bataille, combat. qabâ : vêtement long, ouvert devant et porté par
peyvastan / peyvand- : unir, joindre, relier ; les hommes.
birun-peyvaste : voir birun. qadaḥ : coupe ; bol.
pil (fil) : éléphant. qadam : pas.
picidan : tourner, virer ; détourner ; se tordre, qadar : prédestination, destin ; voir aussi qadr.
s’enrouler ; résonner ; rouler, envelopper ; qadim : ancien ; subst. temps ancien.
exécuter (une ordonnance) ; préparer (un qadr (qadar) : valeur, prix, mérite ; quantité ; in
médicament). (ou ân) qadr : autant, tellement, à ce point.
pir : vieux, vieillard ; maître spirituel. qafas : cage.
piruze : turquoise. qâfele (plur. ar. qavâfel) : caravane.
piš : avant, auparavant, devant ; piš az : avant ; qalam (plur. aqlâm) : calame, plume ; tout
devant, en avant ; (dar) piš-e : devant, en instrument servant à écrire ; ciseau, burin ;
présence de ; auprès de, chez, en la os long.
possession de, entre les mains de ; aux qaṣd : intention, dessein, but ; objet ; tentative.
yeux de, dans l’opinion de ; utilisé dans qaṣr (plur. ar. qoṣur) : château, palais.
diverses locutions verbales : piš âvardan : qaṯra (plur. ar.qaṯarât) : goutte.
voir âvardan. qaẓâ : destinée, destin, sort, décret divin,
pišaš : piš + suffixe pronominal –aš. hasard ; jugement, décret ; qaẓâ-o qadar :
pišgâh : présence ; portique ; cour ; trône ; destin, prédestination, décret divin.
maître du trône. qīla (forme verbale arabe) : il est dit.
pištar : autrefois, jadis, précédemment ; plus en qesmat : partie, part portion ; section, division ;
avant ; pištar zân ke : avant que. fragment ; destinée, sort, lot.
por : plein (az : de) ; beaucoup, trop ; en qeymat : prix, valeur.
composition : beaucoup, très, trop (aussi qeymati : précieux.
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qods : sainteté. râmešgar : ménestrel, barde, chanteur,
qorʿe : sort, tirage au sort. musicien.
qovi : fort, vigoureux, puissant, solide. ramz : mystère ; symbole, signe conventionnel,
qovvat : force, vigueur, validité. sigle ; allégorie.
qowm (plur. ar. aqvâm) : peuple, tribu ; rândan : conduire, faire aller (une voiture, une
sectateurs ; famille ; personne apparentée. monture) ; réaliser (un désir) ; faire exécuter
râ : marque 1) du COD ; 2) (en classique) du (un ordre) ; chasser, éconduire, expulser.
COI ou complément d’attribution. rang : couleur ; peinture, teinture ; vx. manière.
Rabb : le Seigneur. rangin : coloré ; brillant, pompeux.
râd : libéral, généreux, magnanime ; vaillant. ranj : douleur, souffrance, peine, chagrin.
raḏī Allâhu taʿlä ʿanhu (formule honorifique raqib : rival, adversaire ; concurrent ;
arabe) : puisse Dieu le très haut être antagoniste.
content de lui ! raqṣ : danse ; raqṣ kardan : danser.
rafiq : compagnon, compagne, camarade, rasm : coutume, usage, pratique ; tradition ;
ami(e). règle.
raftan / rav- : aller ; s’en aller, partir ; se coucher râst : droit, direct(ement), dressé, d’aplomb ;
(soleil), s’éteindre (lumière) ; se répandre plan, aplani ; droit (≠ gauche) ; juste,
(sang) ; suinter, fuir (eau, etc.) ; s’écouler, correct ; honnête, moyal ; vrai,
passer (temps) ; ressembler à, tenir de véridique(ment) ; plur. râstân : les justes.
(be) ; se diposer à, se mettre en devoir de. rastan / rah- : être délivré, sauvé ; échapper.
râh : chemin, route ; voie, passage ; parcours, râsti : qualité de ce qui est droit, droiture,
voyage ; méthode, manière, conduite ; fois ; rectitude ; sincérité, vérité.
râh raftan : aller, marcher (d’où râh-ravân : rav- : racine du présent de raftan : qui va, qui
qui va, qui marche [ravân est l’adjectif marche.
verbal de raftan] ; mais voir le suivant) ; râh- ravâ- : racine du présent de ravânidan ; nom
rav : pérégrinant, pèlerin. d’agent : qui fait aller, qui émet ; farmân-
rah : forme abrégée de râh. ravâ : voir farmân ; kâm-ravâ : voir kâm.
rahgożar : passage, chemin. ravân (adjectif verbal de raftan) : qui coule,
raḥmat Allāh taʿlä (formule honorifique arabe) : coulant ; courant ; fluide, coulant (style) ;
(sur lui) la clémence de Dieu le très haut. qui sait bien (une leçon).
rahnemây : guide (litt. « qui montre [voir ravânidan / ravâ(y)- : faire aller, émettre,
nemudan] le chemin [rah]). promulguer.
râhvâr, poét. rahvâr : à l’allure aisée (en parlant raxšidan : briller, resplendir.
d’une monture). raʾy (plur. ar. ârâʾ) : voix, suffrage, vote ; avis,
râm : apprivoisé, dompté, domestiqué ; opinion, jugement ; raʾy al-ʿeyn :
amadoué. connaissance de visu ; be raʾy al-ʿeyn : de
rame : troupeau. (mes, tes, ses, …) propres yeux.
râmeš : repos, tranquillité ; gaîté, rây : conseil, avis, opinion, intention ; az
divertissement ; mélodie, chant. INFINITIF rây : intention d’être ou de faire.
râyat : drapeau, bannière.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
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sâġar : coupe (de vin). samʿ : audition, ouïe.
šâh, šah : shah, roi. saman : poét. jasmin ; saman-bu : qui fleure le
šâhanšâh : roi des rois, empereur. jasmin.
šâhanšâhi, šâhanšahi : royal, impérial. šamme : petite partie, petite quantité, bref
saḥar : moment précédant immédiatement aperçu, un peu.
l’aube ; aube, petit matin ; saḥar-gah : sân 1 : parade, revue.
moment de l’aube, aube ; saḥar-xiz : qui se sân 2 : façon, manière ; (bed-, az) ân ou in sân :
lève à (ou avant) l’aube. de cette manière ; be (ou bar) sân-e :
šahd : miel. comme.
ṣâḥeb (plur. ar. aṣḥâb) : propriétaire, ša’n (plur. ar. šo’un) : dignité, rang ; situation,
possesseur, titulaire ; maître, maître position ; bad-ša’n : voir bad.
spirituel ; pourvu, doué ; ṣâheb-del : pieux, ṣanduq : cassette, coffret, boîte.
animé de sentiments de charité ; homme de sanjidan : mesurer, évaluer ; méditer (sur),
cœur (sens littéral) ; sage ; ṣâḥeb-e réfléchir (à) ; comparer, mettre en balance.
ġarẓân : litt. « maître en (mauvaises) sâqi : échanson.
intentions », personne malintentionnée. sar : tête ; sommet, haut ; début,
sahi : droit, élancé. commencement ; bout ; chef, supérieur ;
ṣâḥeb : possesseur, propriétaire, titulaire ; utilisé dans de nombreuses locutions
pourvu, doué. nominales et verbales ; az sar-e : par ; sar-
šahr : ville, cité. baxt : fortune, chance, sort, destin ; haute
šahreyâr : souverain, roi, prince. fortune ; (sar) be sar : entièrement ; sar-
sâʿid : fortuné (sur saʿd : influence favorable des gašte : errant, vagabond ; désorienté,
astres). perplexe, ne sachant que faire ; sar-rešte :
šak(k) : doute, soupçon, suspicion : lâ-šak(k) : habileté, savoir-faire, compétence ;
sans doute, indubitablement. maîtrise ; numér. ex. panj sar guspand dix
šak(k)ar, šek(k)ar : sucre ; šakar-bâr : qui fait moutons.
pleuvoir le sucre, = dont la parole est douce ṡaraf : honneur, dignité ; avantage, supériorité.
(šakar + racine du présent de bârtidan sarâmad : qui surpasse, éminent.
« pleuvoir ») ; šakar-xwâb : (au) doux sarâsar : d’un bout à l’autre, entièrement ;
sommeil. totalité ; quitte, à égalité.
sâl : an, année ; sâl-xword(e) : âgé, avancé en šarḥ : description, explication ;
âge (litt. « mangé par les ans », voir développement ; exposé ; rapport, compte
xwordan). rendu, récit.
salâm : salut, salutation ; compliments ; šarḥe : tranche, morceau ; šarḥe šarhe : en
bonjour ; au-revoir ; audience royale ; al- morceaux.
salâm (litt. « le salut ») : bonjour ; au- sâri : coulant, fluide ; qui se diffuse, se
revoir ; va l-salâm : et voilà tout. propage ; contagieux.
šamʿ : bougie, chandelle, torche, flambeau, sarmâye : capital, fonds.
lampe. sarv : cyprès ; sarv-bâlâ : voir bâlâ.
šâm : soir ; nuit ; dîner. šaʿšaʿe : éclat, rayonnement.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
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seyr : promenade, voyage, visite (d’un lieu) ; solṯâni : royauté.
course, parcours, mouvement, révolution šomâ : vous.
(d’un astre). šomâr : compte, calcul, nombre.
šeyx (plur. ar. mašâyex) : maître spirituel. šomârdan (šem°) / šomor-, (šem°, šomâr-) :
si : trente. compter, calculer ; compter (pour),
sim : argent (métal). considérer comme.
Simorġ : oiseau fabuleux de la légende šonudan / šenav-, šenow- : lit. = šenidan.
iranienne. Ṡorayyâ : les Pléiades.
sine : poitrine, thorax ; flanc (d’une montagne). sost : faible(ment) ; mou, mollement ; relâché,
šir 1 : lion ; Lion (signe astrologique). détendu ; dénoué, défait (nœud).
šir 2 : face, avers (d’une monnaie). šostan / šu(y)- : laver ; balayer, ravager (en
šir 3 : lait. parlant d’un torrent).
širin : doux, sucré ; agréable, plaisant ; doux, šo’un : plur. ar. de ša’n.
charmant (personne) ; mélodieux ; bien, su(y) : direction, sens, côté ; (be) su-ye : vers.
largement (dans des expressions comme sud : profit, bénéfice, gain ; intérêt, avantage ;
« valoir bien »). sud âmadan : être profitable, avantageux.
siṣad : trois cents. sudmand : utile, profitable.
šiše : verre (matériau ou objet), vitre ; flacon, suxtan / suz- : brûler, se consumer ; souffrir ;
fiole. brûler, faire brûler, consumer.
šive : style, façon, manière, méthode ; ruse, suz- : racine du présent de suxtan.
artifice. suz : vent froid, bise ; brûlure, douleur aigüe,
so’âl (plur. ar. so’âlât) : question, demande, angoisse ; combustible.
sollicitation. tâ : jusqu’à ; jusqu’à ce que, jusqu’au moment
ṣobḥ : matin ; sobḥ-gâh : aurore, point du jour. où ; aussi longtemps que, tant que ; dans le
šodan : devenir ; advenir ; se faire ; être délai que, dans le temps que ; autant que,
possible, réalisable ; auxiliaire du passif dans la mesure où ; depuis que ; dès que ;
(voir grammaire § 21) ; élément de très afin que ; que ; et puis, bien plus, a fortiori ;
nombreuses locutions verbales intransitives encore bien moins (ou bien plus) ; bedân
ou passives qui fonctionnent souvent tâ : pour que.
comme corrélatifs de locutions transitives taʿajjob : surprise, étonnement.
ou actives formées avec kardan « faire » ; tâb- : racine du présent de tâbidan ; jahân-tâb :
bar šodan : s’élever, monter. voir jahân.
ṣoḥbat : conversation, entretien ; paroles. ṯabʿ : nature, tempérament, caractère ;
šoʿle : flamme. dispositions, dons, talent.
šowq : désir ardent, ferveur, ardeur, tâbân (adjectif verbal de tâbidan, tâftan) :
enthousiasme. rayonnant, luisant, resplendissant.
soxan : parole ; soxan sanj : habile dans le tâbidan : voir tâftan.
choix des mots ; qui réfléchit sur le choix tâftan / tâb- 1 : rayonner, luire, resplendir ;
des mots (voir sanjidan). illuminer ; chauffer au rouge.
šokr : reconnaissance, gratitude.
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PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
tâftan / tâb- 2 : tordre, tresser ; ruy tâftan : tarsidan (az) : avoir peur (de), craindre,
tourner le dos (en fuyant ou par redouter.
mécontentement). taṣarrof (plur. ar. taṣarrofât) : prise de
taġayyor : changement ; colère, irritation. possessio, action de s’emparer de qqch. ;
tâj : couronne, diadème ; crête, huppe. conquête ; défloration ; altération,
tajalli : manifestation, apparition éclatante ; déformation.
transfiguration ; épiphanie. tavallod : naissance ; tavallod kardan : faire
ṯalab : demande, réclamation, revendication ; naître.
créance, crédit ; quête, recherche ; rar. tavân- : racine du présent de tavânestan.
rappel, convocation, invitation ; racine du tavânestan / tavân- : pouvoir ; être capable, en
présent de ṯalabidan. état de ; tavân : on peut, il est possible
ṯalabidan / ṯalab- : appeler, inviter, mander, faire (+ racine du passé : tavân kard « on peut
venir ; rechercher. faire », voir grammaire § 13).
talaf (plur. ar. talafât) : perte, gaspillage, taxt : siège ou couche montée sur des pieds ;
destruction ; talaf šodan : être détruit ; talaf banquette ; lit ; trône ; semelle ; taxt-mehi :
kardan : détruire. grandeur du trône.
talx : amer. tâxtan / tâz- : se précipiter, se ruer, faire
tamâm : entier, entièrement ; complet, irruption, courir ; faire galoper, lancer.
complètement ; achevé, terminé, fini, ṯâyer : volant, qui vole ; subst. (plur. ar. ṯoyur)
résolu. oiseau, être qui vole.
tamannâ : désir, vœu ; demande, requête ; taʾyid (plur. ar. taʾiydât) : confirmation ;
sollicitation. assistance, aide, grâce
tamarrod : désobéissance, insoumission, tażakkor (plur. ar. tażakkorât) : rappel,
rébellion. mention ; souvenir ; avertissement,
tamarrodi : désobéissant, insoumis, rebelle. remarque.
tamâšâ : spectacle ; contemplation ; action de tâze : nouveau, neuf, frais, récent ; épanoui,
visiter : tamâšâ-gah : lieu de spectacle, de heureux ; tâze dâštan : renouveler,
contemplation. rafraîchir.
tan : corps ; personne. tâziâne : fouet.
tang : étroit(ement), serré, court ; tout près ; Tir : Mercure.
défilé, gorge. tiz : tranchant, aigu,aiguisé, effilé ; fin, sensible
tanhâ : seul, solitaire(ment) ; seul(ement), (flair, ouïe) ; perçant (regard) ; perspicace ;
unique(ment). aigu, perçant (son, voix) ; piquant, poivré
taqarrob : accès, approche, faveur ; parenté. (saveur, odeur) ; acerbe (langue) ; ardent,
taqvä (pron. taqvâ) : vertu ; dévotion ; piété. brûlant (sentiment) ; rapide(ment).
ṯarab : joie, allégresse, gaieté ; plaisir. to : toi, tu.
ṯaraf : côté, direction, région, quartier. torbat : poussière, terre ; tombe, tombeau.
targ (tark) : casque ; sommet de la tête. torki : turc.
târik : sombre, ténébreux, obscur. u : il, lui, elle.
ṯariqat : règle ; voie ; voie mystique ; confrérie. va : et.
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vâdi : vallée ; désert ; contrée. tombeau ; xâk-dân : poubelle, boîte à
vafâ : fidélité, loyauté. ordures ; ce bas monde.
vafâdâr : fidèle, dévoué ; loyal. xalal, xel° : désordre, dérangement ; dégât,
vajd : extase ; joie. dommage.
vâjeb : indispensable, obligatoire, essentiel : xalq : création ; créature ; gens, peuple.
vâjeb konad : il faut (litt. « on fait xâm : cru, vert, brut ; vain, creux, illusoire ;
obligatoire »). inexpérimenté, immature.
valâ : amitié, affection. xam : courbe, coubure, coude (archit.) ; courbe,
vâm : prêt ; emprut ; dette. coubé, arqué ; xam andar xam : tout
vân : = va + ân. bouclé ; plein de replis.
vânc : = va ânce. xâmi : crudité ; immaturité ; caractère brut ;
vandar = va andar. vanité, illusion ; inexpérience.
vâqeʿe : événement, incident, accident, fait. xândân : famille, bonne famille (ex. zani
vaqt (plur. ar. owqât) : temps, moment, heure, xândân une femme de bonne famille),
époque, durée ; utilisé dans de nombreuses lignée, dynastie.
locution, ex. vaqt-e : au moment de, au xandidan : rire, sourire.
temps de ; vaqti ke : quand. xâne : maison, demeure, logis, logement,
vaṣf : description, qualité. domicile ; chambre, pièce ; xâne-xodâ :
vaṣl : union (avec l’être aimé ou Dieu) ; maître de la demeure, Seigneur du
assemblage, jonction ; attaché, connecté. Sanctuaire (de La Mecque), c’est-à-dire
vazu : = va az u. Dieu.
vedâʿ, vadâʿ : adieu ; vedâʿ-e x kardan : faire xâneqâh : couvent, monastère de derviches.
ses adieux à x, dire adieu à x (de même : xar : âne ; sot, niais, imbécile ; xar-zan : fouette-
kesi râ ou bâ kesi vedâʿ kardan). âne.
verd (plur. ar. owrâd) : prière ou formule xarâb : en ruines, délabré, détruit ; détérioré,
d’incantation répétée ; litanie ; oraison ; cassé, hors d’usage, en panne, avarié,
antienne ; leitmotiv. gâté, vicié ; ruiné, perdu, manqué ; en
vey : = u. mauvais état, qui va mal.
vin : = va in. xarâbi : mal, vice, défaut ; détérioration, ruine.
-vo : forme de –o « et » après voyelle autre que xarâbât : taverne, mauvais lieu.
-i. xarâmân (adjectif verbal de xarâmidan) : qui
vojud : existence ; être. marche avec grâce ou majesté.
xabar : nouvelle, avertissement, information ; xarâmidan : marcher gracieusement ou
xwoš-xabar : voir xwoš. majestueusement.
xâdem (plur. ar. xadam, xadame, xoddâm ; fém. xârej (+ az) : qui sort (de) ; extérieur (à) ; qui
ar. xâdeme) : serviteur, domestique ; fem. : déborde (de).
servante, domestique, femme de chambre. xaridan : acheter ; être amateur de.
xâdeme : fém. ar. de xâdem. xaridâr : acheteur, client, acquéreur ; amateur.
xâk : terre, poussière ; sol, terre ; territoire, xarušidan : crier, clamer, hurler.
pays ; poussière, cendre (d’un mort) ;
135
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
xâstan / xiz- : se lever, être produit ; bar xâstan : xub : bon, bien.
se lever, se dresser ; surgir, survenir ; bar xubi : bonté (de cœur), bienveillance ;
xâstan : se lever, se dresser ; surgir, amabilité ; bonne qualité ; beauté.
survenir, apparaître. xun : sang ; utilisé dans de nombreuses
xaṯâ : péché ; faute, erreur ; tort. locutions ; xunbâr (xun + racine du présent
xaṯâb (xeṯâb) : le fait d’adresser la parole. de bâridan « pleuvoir ») : qui verse du sang,
xâṯer : mémoire, esprit, cœur. des larmes (de sang).
xayâl (plur. ar. xayâlât) : imagination, rêve ; xwâb : sommeil ; rêve, songe ; xwâb-gah :
hallucination, vision ; pensée, idée, chambre à coucher, dortoir ; lit ; az xwâb
supposition ; intention. paridan : se réveiller en sursaut.
xejlat, xejâlat : honte, timidité ; xeljat-zade : xwâbidan : dormir ; se coucher ; rester couché ;
honteux, couvert de honte. rester, demeurer ; couver ; se déposer
xelâf, xal° : infraction mineure ; contravention, (poussière) ; cesser de fonctionner,
péché véniel ; contre-vérité ; divergence ; s’interrompre, rester inactif (capital) ; se
opposé, contraire ; xelâf-e : en contradiction calmer, s’apaiser.
avec, contraire à. xwâh- : racine du présent de xwâstan ; nom
xeng : gris ou blanc (en parlant d’un cheval) ; d’agent : qui veut.
cheval gris ou blanc. xwâjegi : domination, maîtrise.
xerad : raison, intelligence, sagesse ; bâ (ou be) xwânande : chanteur ; lecteur.
xerad : intelligent, sage. xwândan / xwân- : chanter ; réciter ; divulguer ;
xeradmand : sage. lire ; étudier, apprendre ; convoquer,
xešt : brique crue ; lingot (d’or) ; carreau (motif). mander, inviter ; convoquer ; nommer,
xeṯâb (xaṯâb) : le fait d’adresser la parole. appeler ; (bâ) être en accord, en conformité
xeyr : bien ; bienfait ; bonheur, prospérité. (avec).
xiz- : racine du présent de xâstan ; nom xwâr : méprisé, dédaigné, vil, méprisable.
d’agent : qui se lève ; saḥar-xiz : voir saḥar. xwâstan / xwâh- : vouloir ; avoir l’intention ;
Xodâ(y) : Dieu ; xâne-xodâ : voir xâne. demander, réclamer ; désirer ; avoir besoin
Xodâvand : le Seigneur, Dieu ; maître, (de) ; mander, appeler ; aimer ; être sur le
seigneur ; possesseur, pourvu de. point de (+ subjonctif) ; auxiliaire du futur
xoftan / xosb- (xâb-) : = xwâbidan. (voir grammaire § 21, fin).
xojaste : heureux, prospère ; propice, de bon xwâste : voulu, désiré ; accepté ; chose
augure. désirée, demandée ; demande ; bien,
xom : amphore. richesse, possession, marchandise.
xorram : verdoyant, frais, plaisant ; de bonne xwâstâr : demandeur, solliciteur ; qui désire, qui
humeur, gai, joyeux. souhaite ; xwâstâr kardan : demander,
xorušidan : crier, clamer, hurler. requérir, s’enquérir de, être à la recherche
xosrovân : royal (sur le nom de roi Xosrow, de.
devenu nom commun avec le sens de roi). xwiš : (moi, toi, soi…) -même ; peut se
Xotan : Khotan. combiner avec un suffixe pronominal, ex.
xu : habitude ; caractère naturel ; disposition. xwišam : moi-même.
136
xwištan : moi, toi, soi, etc. réfléchi. yek : un.
xwod : mi, toi, soi, etc. réfléchi ; bi-xwod : voir yekâyek : un à un ; l’un après l’autre.
bi. yeki : un (yak + suffixe -i d’indéfini).
xwordan / xor- : manger ; boire ; absorber ; yeki : un ; l’un, quelqu’un ; unique ; un,
avaler (ses mots) ; dissiper ou s’approprier identique, égal, pareil, uni.
(de l’argent) ; recevoir, subir ; s’ajuster, yeksare : sans interruption ; sans escale ;
s’adapter (à) ; heurter ; rencontrer ; vexer, direct(ement).
blesser ; élément verbal de nombreuses yowm (plur. ar. ayyâm) : jour ; ayyâm : jours ;
locutions ; ġam(-e x) xwordan : voir ġam. temps, époque.
xworeš : nourriture (qui se mange avec du zabân (zobân, zofân) : langue ; langue en tant
pain) ; ragoût. qu’organe de la parole ; langue, langage ;
xworšid : soleil. gošâde zabân : à la langue facilke, déliée.
xwoš : agréable, plaisant, doux, bon ; bien ; zabun : vaincu, soumis, réduit à l’impuissance ;
content, heureux, joyeux ; souvent en faible, chétif, misérable.
composition, ex. xwoš-del (litt. « dont le zadan / zan- : frapper, battre ; carder ; heurter,
cœur est content ») : joyeux, gai ; xwoš-ḥâl atteindre, toucher (un but) ; couper, tailler,
(litt. « dont l’état est bon) : heureux, gai, percer ; toucher, jouer de (instrument de
joyeux ; xwoš-xabar : porteur de bonne musique) ; attaquer, blesser ; agiter d’un
nouvelle. mouvement de battement ; porter (la main) ;
yâ : ou. infliger ; asséner ; appliquer ; produire, faire
yâb- : racine du présent de yâftan. surgir ; faire (un mouvement) ; prendre (une
yâd : mémoire, souvenir ; yâd kardan : penser boisson) ; mettre, porter (un vêtement,
à ; savoir par cœur, avoir mémoirisé. etc.) ; placer ; disposer ; mettre, jeter ;
yâdegâr : souvenir, mémoire ; souvenir (objet battre (intransitif, ex. en parlant du cœur) ;
qui sert de °) ; mémorial. retentir ; s’élancer, se jeter ; se mettre
yâftan / yâb- : découvrir, trouver, acquérir, soudainement à ; tendre vers, tirer sur ;
obtenir, se procurer ; bâz yâftan (râ) : intriguer ; élément verbal de très
retrouver, récupérer ; dar yâftan : saisir, nombreuses locutions ; dam zadan : voir
comprendre, s’apercevoir de ; rejoindre, dam ; pahlu zadan : voir pahlu.
atteindre, attraper. zâhed (plur. ar. zohhâd) : ascète, ermite,
yâl : crinière ; cou, encolure ; yâl kešidan : personne pieuse retirée du monde.
grandir. zahi : bravo ! très bien ! quel !
yaqin : certitude ; certain(ement). zâʾidan : intr. naître ; tr. enfanter, mettre au
yâr : ami(e), compagne, compagnon, monde, mettre bas ; produire, créer.
camarade ; qui aide, aide ; bien-aimé(e) ; zakât (plur. ar. zakavât) : aumône légale
l’Ami (Dieu). prescrite par l’islam.
yâri : amitié ; aide, assistance, secours, soutien. zallat : faute.
yâvar : aide, assistant, protecteur. zamâm : rênes, bride.
Yazdân : Dieu ; Yasdân-šenâs : qui connaît zamân : temps, âge, époque ; temps, délai ;
Dieu. temps de vie ; monde temporel.
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TABLE DES FIGURES
PRÉSENTATION 3
Aperçu de la situation historique des auteurs abordés 6
Bibliographie sommaire 7
Transcription 8
Abréviations 9
TEXTES 11
1. L’épopée – Ferdowsi (vers 940-1020), Šâhnâme 13
Comment Ferdowsi entreprit la composition du Šâhnâme 14
Kayumarṡ premier roi du monde 18
Jamšid, quatrième roi du monde 20
La venue du printemps 21
La coupe de Xosrow 22
Giv découvre Xosrow 26
Xosrow voit dans sa coupe Bižan enchaîné au fond du puits 27
2. Le maṡnavi romanesque – Neẕâmi (1141-1209), Xosrow va Širin 29
La mort de Širin 30
3. La littérature didactique 33
3.1. Le soufisme 33
3.1.1. Farid al-Din ʿAtṯâr (vers 1119-1190), Manṯeq al-ṯeyr (Le Langage des
oiseaux) 33
Les paroles du Simorġ 34
3.1.2. Jalâl al-Din Rumi (1207-1273), Maṡnavi-e maʿnavi (Maṡnavi spirituel) 35
La complainte de la flûte 36
La rencontre avec le maître 37
3.1.3 Faxr al-Din Ebrâhim ʿErâqi (c. 1213-1289), Lamaʿāt (Éclats [de lumière 39
divine])
La vision de certitude 39
3.1.4 ʿAbd al-Raḥmân Jâmi (1414-1492) 41
La réalité ontologique de l’Être (extrait des Lavâyeḥ ou « Jaillissements de
lumière ») 41
ʿAlī al-Hojvīrī (m. Lahore, 1073), auteur du Kašf al-maḥjub (Révélation de ce
qui est voilé) (extrait des Nafaḥât al-ons ou « Effluves de la familiarité [avec
Dieu]) » 43
PETITE ANTHOLOGIE BILINGUE DE LA LITTÉRATURE IRANO-PERSANE
RUDIMENTS DE PERSAN 85
1. Les phonèmes du persan 87
142
TABLE DES MATRIÈRES
LEXIQUE 107
143