Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Voile Social

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 77

 

UCL Université catholique de Louvain  


Faculté de droit et de criminologie  
 
 
 
 
 
 
Aux frontières de la personnalité morale : la levée du voile
 
social
 
   
   
 
 
Mémoire en droit commercial
  et des entreprises
 
 
   
 
 
 
 
M ém oire réalisé par :
 
 

 
                                                                                                         Arnaud Meunier
 
 
 
Prom oteur :
 
 
                                                                                                                         Yves De Cordt
 
 
 
 

M aster en droit, à finalité spécialisée Année académ ique 2012-201


 
Plagiat et erreur m éthodologique grave
 
 
 
Le  plagiat,  fût-­‐il  de  texte  non  soumis  à  droit  d’auteur,  entraîne  l’application  de  la  section  7  des  articles  
87  à  90  du  règlement  général  des  études  et  des  examens.  
 
Le  plagiat  consiste  à  utiliser  des  idées,  un  texte  ou  une  œuvre,  même  partiellement,  sans  en  mentionner  
précisément  le  nom  de  l’auteur  et  la  source  au  moment  et  à  l’endroit  exact  de  chaque  utilisation*.  
 
En  outre,  la  reproduction  littérale  de  passages  d’une  œuvre  sans  les  placer  entre  guillemets,  quand  bien  
même  l’auteur  et  la  source  de  cette  œuvre  seraient  mentionnés,  constitue  une  erreur  méthodologique  
grave  pouvant  entraîner  l’échec.  
 
 
*  A  ce  sujet,  voy.  notamment  http://www.uclouvain.be/plagiat.  

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

  1  
Introduction
 
Un principe fondamental du droit des sociétés est celui en vertu duquel la personne morale
constitue une entité séparée et distincte des personnes physiques qui la composent. Il en
résulte une autonomie totale de cette entité juridique qui empêche les actionnaires et
administrateurs d’appréhender celle-ci comme une chose sur laquelle ils auraient un droit de
propriété et un pouvoir total. La conséquence de cette indépendance de la société est qu’elle
dispose de la capacité juridique, de droits et d’obligations ainsi que d’un patrimoine propre et
bien souvent, de la responsabilité limitée. La règle est donc, en présence d’une société à
responsabilité limitée, que l’actionnaire ne s’expose à aucune responsabilité personnelle pour
les engagements sociaux. Si l’instauration d’un régime de limitation de responsabilité
s’explique par la volonté d’encourager l’investissement et l’esprit d’entreprise, il faut
néanmoins tenir compte des conséquences négatives que semblable limitation peut engendrer,
en particulier dans le chef des créanciers de la société. Si le législateur, bien conscient de la
nécessité de protéger les créanciers sociaux, a introduit dans le Code des sociétés divers
articles tels que ceux relatifs à la protection du capital social, aux procédures de conflit
d’intérêts,… il n’a cependant pas entièrement protégé les créanciers de tous les abus possibles
de la part des personnes ayant le contrôle de la société. Pour cette raison, la jurisprudence et la
doctrine ont développé la technique de la levée du voile social afin de permettre aux
créanciers sociaux, confrontés à un abus évident de la personnalité morale, d’engager la
responsabilité des actionnaires. Par ce mécanisme, il est donc fait exception à la responsabilité
limitée et la frontière de la personnalité juridique distincte est franchie, rendant les
actionnaires responsables du paiement des dettes sociales sur leur patrimoine privé. Cette
technique permet d’éviter des débordements dans le chef des associés qui sont bien souvent
tentés d’utiliser la personne morale à des fins différentes de celles pour lesquelles le
législateur l’a instituée. Dans un premier temps nous donnerons quelques définitions afin de
nous familiariser avec les concepts. Nous aborderons ensuite la question de la responsabilité
limitée ainsi que la problématique des groupes de sociétés afin de planter le décor. Le chapitre
III se consacrera en long et en large à l’analyse du droit américain du « Piercing the Corporate
Veil » afin de connaître l’origine de cette technique et d’en étudier les tenants et aboutissants.
Cette analyse nous permettra d’examiner, ensuite, la manière dont le droit belge aborde la
question et apporte des solutions aux créanciers lésés. Enfin, nous terminerons par l’analyse
de certaines critiques adressées à la matière de la levée du voile corporatif.

  2  
Chapitre Ier. Présentation générale de la levée du voile social

Section 1 – Définition et problématique

La levée du voile social est une théorie qui concerne les personnes morales et dont l’objet
consiste à « faire abstraction de la personnalité morale ou de certains de ses attributs toutes les
fois que son application heurterait l’équité ou les fins poursuivies par le législateur »1. En
d’autres mots, cette théorie, ou plutôt cette technique, permet à celui qui en demande
l’application de surpasser l’obstacle que constitue la personnalité morale, et ce, afin de faire
abstraction de celle-ci pour atteindre le patrimoine personnel des actionnaires (qui peuvent
tout aussi bien être des personnes physiques que des personnes morales) se trouvant derrière
cette façade qu’est la société dotée de la personnalité juridique. La personnalité morale a été
créée par le droit afin d’offrir aux acteurs de la vie économique la possibilité d’affecter une
partie des biens composant leur patrimoine privé à la création d’un être juridique distinct de
leur personne et disposant d’un patrimoine propre, dans le but d’exercer une activité
économique. Cette possibilité de créer une entité juridique distincte de soi permet aux
personnes désirant entreprendre et lancer leur projet de créer un nouveau patrimoine
professionnel d’affectation afin de ne pas subir des conséquences patrimoniales négatives sur
leurs biens privés2, en cas d’échec des affaires3. La personne morale étant une personne
juridique distincte de la personne (physique ou morale) qui la crée, elle est autonome par
rapport à celle-ci et dispose d’un patrimoine propre, de droits et d’obligations, de la capacité
d’ester en justice, ainsi que, dans certains cas, de la responsabilité limitée 4 . On peut
raisonnablement affirmer que, sans rentrer dans le débat confrontant les partisans de la théorie
de la fiction et les partisans de la théorie de la réalité5, si l’attribution de la personnalité
juridique aux personnes physiques découle logiquement de leur existence physique6, il n’en
est pas de même de l’association d’humains qui ne dispose d’aucune existence extérieure
objective qui s’imposerait aux sens. Dès lors, l’attribution de la personnalité juridique à ces
                                                                                                               
1
T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, t. 1, Diegem, Kluwer, 1996, p. 575.
2
Voy. Infra Chapitre 2, section 1 – La responsabilité limitée.
3
A la condition que la forme de société choisie bénéficie de la responsabilité limitée, à défaut de quoi la
personne associée ou actionnaire est indéfiniment responsable du passif social.
4
J-P. BOURS et P. HERMANT, Traité pratique de droit commercial, t. 4, n°12, Diegem, E. Story-Scientia, 1998,
p. 10 ; J. MALHERBE, Y. DE CORDT, P. LAMBRECHT, P. MALHERBE, Droit des sociétés. Précis, Bruxelles,
Bruylant, 2011, pp. 214 et 215.
5
J. VAN COMPERNOLLE, “La personnalité morale : fiction ou réalité?”, in Les présomptions et les fictions en
droit, Bruxelles, Bruylant, 1974, p. 320.
6
Ibid. p. 322 ; X. DIJON, Droit naturel, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 107.  

  3  
groupements d’humains ne s’explique que par une fiction par laquelle le législateur accorde la
personnalité morale à certaines entités pour servir les fins de celles-ci7/8. Le fait que le Code
des sociétés connaisse à la fois des sociétés dotées de la personnalité juridique et des sociétés
qui en sont dépourvues en est la preuve irréfutable car comment expliquer la présence de deux
contraires autrement que par le recours à une fiction ? Si l’attribution de la personnalité
juridique à un groupement d’humains se justifiait logiquement, toutes les formes de sociétés
prévues par le droit bénéficieraient de la personnalité juridique, or ce n’est pas le cas9. Cette
personnalité juridique est un gage de sécurité pour les associés car elle trace la frontière entre
vie professionnelle et vie privée, entre patrimoine professionnel et patrimoine privé. C’est
surtout le cas lorsque la société est à responsabilité limitée puisque dans cette hypothèse le
risque de l’associé se limite au montant de son apport dans le capital social10/11. Dans la
mesure où la personne morale offre de nombreux avantages aux actionnaires, le risque est que
ces derniers utilisent celle-ci dans un but différent de celui pour lequel elle a été créée par le
législateur. Dans ce cas, la théorie qui nous occupe dans le présent travail justifie la levée du
« voile social », c’est-à-dire la levée du voile que constitue la personnalité morale et qui
s’interpose entre la société et ses actionnaires. Ce concept permet ainsi d’atteindre des
personnes qui, sans cette levée du voile, resteraient à l’abri d’éventuelles poursuites en étant
cachées derrière le voile, la façade de la personne morale12.

Pareille technique d’abstraction de la personnalité morale trouve, dans les différents systèmes
juridiques où elle est reconnue, son origine dans la jurisprudence et dans la doctrine13.
Toutefois, le Québec présente la particularité d’avoir codifié dans son Code civil un article
relatif à la levée du voile corporatif. La théorie est également de source jurisprudentielle et
doctrinale mais le législateur a décidé, afin de pallier le défaut de prévisibilité inhérent à la
                                                                                                               
7
J. VAN COMPERNOLLE, op. cit. (Voy. note 5), pp. 327 à 329.
8
Dans la mesure où la personne morale dispose de la même existence et capacité juridique qu’une personne
physique, on ne peut à proprement parler de fiction. Cependant, le fait que cette personne morale agisse par le
truchement des personnes qui la composent justifie pareille qualification. Voy. M.A. PICKERING, « The company
as a separate legal entity », 31 Mod. L. Rev. 481, 1968, p. 489 ; I.M. WORMSER, « Piercing the Veil of Corporate
Entity », 12 Columbia L. Rev. 496, 1912, p. 496.
9
Voy. l’article 2 du Code belge des sociétés qui n’octroie pas la personnalité juridique à la société de droit
commun, la société momentanée et la société interne.
10
C. BRÜLS, « Quelques réflexions juridiques et économiques sur la théorie de la levée du voile social », R.P.S.,
n°6923, 2004, p. 303.
11
Il ne faut pas sous-estimer la société à responsabilité illimitée, qui, bien que rendant les actionnaires
indéfiniment responsables sur leur patrimoine privé des dettes sociales, permet tout de même de séparer le
patrimoine privé du patrimoine professionnel et de faire barrage à l’égard des créanciers personnels des
actionnaires qui ne pourront pas désintéresser leur(s) créance(s) sur les biens sociaux (C. BRÜLS, Quelques
réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 327 et 328).
12
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 307.
13
Ibid., pp. 307 et 308 ; T. TILQUIN et V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 1), p. 575.  

  4  
théorie, de prévoir les conditions de levée du voile dans l’article 317 du Code civil du Québec
qui stipule « La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à
l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour
masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre
public ». Toutefois, cet article n’a pas réussi à solutionner complétement l’inconvénient relatif
à l’imprévisibilité inhérente à la levée du voile social 14 . Il s’agit d’une doctrine
essentiellement d’influence américaine et allemande, et dont le défaut de prévisibilité est
l’une des principales critiques émises comme on aura l’occasion de le voir15.

Section 2 – Terminologie

Différents termes sont utilisés par la doctrine pour désigner la théorie de la levée du voile
social. Ces différentes expressions renvoient à une même réalité. En français on parle
essentiellement de levée ou percée du voile social ou du voile corporatif ou encore
d’abstraction de la personnalité morale. La partie flamande du pays parle de « doorbraak
problematiek ». Le droit allemand connaît bien cette théorie qu’il nomme
« Durchgriffshatung » ou « Durchgriffsproblematik ». Les doctrines anglaises et américaines
parlent essentiellement en des termes de « Piercing the Corporate Veil », « Lifting the
Corporate Veil »16.

Section 3 – Levée amicale et levée hostile

La doctrine fait généralement une distinction entre la levée amicale et la levée hostile du voile
corporatif, la différence entre les deux résidant dans la personne qui l’invoque. On parle de
levée hostile lorsque la levée du voile est sollicitée par des tiers qui cherchent à faire répondre
personnellement les actionnaires des engagements de la société. Il s’agit du cas classique et le
plus observé de levée du voile qui vise à sanctionner l’abus de la personnalité morale par les
associés. Cependant, il est possible d’envisager l’hypothèse inverse, celle où ce sont les
actionnaires eux-mêmes qui demandent à ce qu’il soit fait abstraction de la personnalité

                                                                                                               
14
S. ROUSSEAU, « La levée du voile corporatif sous le Code civil du Québec: des perspectives théoriques et
empiriques à la lumière de dix années de jurisprudence », in Cahier de droit, 2006, pp. 815 à 861.
15
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 307.
16
Pour un inventaire complet des différentes expressions utilisées Voy. V. SIMONART, La personnalité morale
en droit privé comparé, Collection de la Faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant,
1995, pp. 457 à 459.  

  5  
juridique de leur société, lorsque celle-ci constitue un obstacle dans certaines situations17. On
constate une certaine réticence de la part de la doctrine à accorder la levée du voile lorsqu’elle
est demandée par les actionnaires de la société concernée au motif qu’ils ont librement choisi
d’opter pour une des formes de sociétés dotées de la personnalité juridique. En effet, la
personnalité juridique est un tout, avec ses avantages et ses inconvénients, à partir du moment
où les actionnaires ont fait le choix de la personnalité juridique, ils doivent en assumer toutes
les conséquences, aussi bien positives que négatives18.

Il est utile d’attirer l’attention sur la terminologie anglaise utilisée pour désigner la situation
dans laquelle ce sont les actionnaires de la société qui demandent la percée du voile. En effet,
on lit bien souvent que la levée amicale se traduit dans la doctrine anglo-saxonne par
l’expression « reverse piercing ». Il ne faut cependant pas se méprendre, reverse piercing
renvoie davantage à la situation en vertu de laquelle la société est condamnée au paiement des
dettes personnelles des associés, cas inverse de levée du voile de celui plus répandu où ce sont
les associés qui sont responsables des engagements pris par la société. Dans ce dernier cas, on
parle de « forward piercing », c’est-à-dire de levée vers l’avant, de la responsabilité de la
société vers celle des actionnaires, par opposition au « reverse piercing » qui signifie levée à
l’envers, vers l’arrière, en d’autres termes, des actionnaires vers la société. La traduction
anglaise la plus juste de « levée amicale du voile » est « voluntary piercing » qui traduit l’idée
selon laquelle ce sont les actionnaires eux-mêmes qui ont demandé volontairement la mise à
l’écart de la personnalité juridique19.

On peut légitimement se poser la question de savoir quand et pourquoi des actionnaires


seraient amenés à avoir un intérêt à obtenir la levée du voile de leur propre société. S’ils ont
opté pour une société dotée de la personnalité juridique, pourquoi vouloir écarter celle-ci à un
moment donné ? Un exemple permet de mieux comprendre les raisons pouvant motiver une
telle levée amicale. Dans l’affaire Beckett la Court of Appeal20 fait droit à la demande des
actionnaires et aborde le groupe Beckett comme une seule entreprise. Les faits concernent une
clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail conclu entre Becket Investment
                                                                                                               
17
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 309 et 310.
18
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), pp. 463 et 464.
19
T.K. CHENG, « The Corporate Veil Doctrine Revisited : A Comparative Study of the English and the U.S.
Corporate Veil Doctrines », 34 B.C. Int'l & Comp. L. Rev. 329, 2011, p. 372 ; L. BERGKAMP et W-Q. PAK,
« Piercing the Corporate Veil : Shareholder Liability for Corporate Torts », M.J., 2001, p. 180 ; K.
VANDEKERCKHOVE, Piercing the Corporate Veil, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2007, p. 16.
20
Beckett Investment Managment Group Ltd & Ors v. Hall & Ors, EWCA Civ 613, 28 Juin 2007, disponible sur
www.bailii.org.

  6  
Management Group Ltd (BIMG) et deux de ses employés dont la fonction consiste à
conseiller les clients en matière d’investissement et de pension. BIMG est la holding d’un
groupe composé de deux filiales, Beckett Financial Services Ltd (BFS) d’une part et Beckett
Asset Management Ltd (BAM) d’autre part. Le problème en l’espèce est que le contrat de
travail a été conclu avec BIMG dont la seule activité est d’être la holding du groupe.
Effectivement, seules les deux filiales offrent des services financiers aux clients, à l’exclusion
de BIMG qui se contente d’être à la tête du groupe et qui ne dispose d’aucun client en tant
que tel. La conséquence de cet état de fait est que, compte tenu de l’absence de
reconnaissance du groupe de sociétés par le droit comme une seule entité juridique (voy.
infra Chapitre 2, section 2), le contrat, ainsi que la clause de non-concurrence qu’il contient,
n’est valable qu’entre parties, c’est-à-dire entre BIMG et ses employés. BIMG n’ayant aucun
client, cela revient à priver d’effet la clause de non-concurrence étant donné que les employés
tenus par la clause pourront, sans violer celle-ci, solliciter les clients des filiales du groupe, à
savoir BAM et BFS, à l’égard desquelles ils ne sont pas tenus par l’obligation de ne pas faire
concurrence pendant 12 mois21. Afin de donner effet utile à la clause de non-concurrence et
de respecter l’esprit de celle-ci, les actionnaires demandent la levée du voile sur les
différentes personnalités juridiques formant le groupe afin de traiter celui-ci comme une seule
entité. Le juge d’appel, contrairement au juge de première instance, s’est refusé à adopter
« une approche puriste » de la personnalité morale, traitant chacune des sociétés du groupe
comme des entités séparées, pour lui préférer une approche abordant le groupe comme un
ensemble, une seule entité22. La levée du voile a ainsi permis, au bénéfice des actionnaires et
du groupe, d’étendre le périmètre de la clause de non-concurrence aux clients du groupe dans
son ensemble, et non plus à ceux de BIMG uniquement, et ce, afin de rendre son utilité à la
clause qui en était jusque-là dépourvue en raison de l’absence de client dans le chef de la
société mère. On le voit, sans la théorie qui fait l’objet du présent travail, la clause de non-
concurrence aurait concerné uniquement BIMG, privant en même temps la clause de toute
utilité pratique23.

Section 4 – Levée directe et levée indirecte

                                                                                                               
21  Voy.
point 13 de l’arrêt Beckett.
22
Voy. points 17 à 20 de l’arrêt Beckett.
23
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), pp. 391 et 392.

  7  
La doctrine francophone attribue les termes « levée directe » et « levée indirecte » aux
situations que l’on a respectivement qualifié de « forward piercing » et de « reverse
piercing » à la section précédente. Ainsi, la levée directe du voile social permet aux créanciers
de la société de mettre à l’écart la personnalité juridique de celle-ci afin d’atteindre le
patrimoine des actionnaires, alors que la levée indirecte concerne l’hypothèse inverse, c’est-à-
dire celle par laquelle le créancier personnel d’un actionnaire cherche à étendre le gage
commun de sa créance au patrimoine de la société de son débiteur24.

Section 5 – Les personnes morales concernées

La levée du voile social concerne essentiellement les sociétés commerciales privées.


Cependant, il peut également être fait exception à la responsabilité limitée dans toutes les
autres situations de groupement d’individus. Il en va ainsi des sociétés publiques, des
associations et fondations ainsi que des groupements d’intérêt économique25.

Chapitre II. Concepts juridiques concernés par la levée du voile


social

Par l’abstraction de la personnalité juridique à laquelle elle conduit, la levée du voile social
porte directement atteinte à la séparation que l’interposition de différentes personnes
juridiques crée. Cependant, ce qui est réellement atteint par la théorie de la levée du voile
social est moins la séparation qui existe entre une société et son actionnaire que la
responsabilité limitée inhérente à certaines formes de sociétés. En effet, à défaut de cette
responsabilité limitée, les associés sont indéfiniment tenus des dettes sociales nonobstant la
frontière de la personnalité. Par conséquent, on ne saurait traiter du sujet de la levée du voile
corporatif sans s’arrêter un instant sur la question de la responsabilité limitée dont jouissent
certaines sociétés, et ce, en raison du lien étroit unissant ces deux réalités juridiques. De
même, dans la mesure où de nombreux actionnaires de sociétés sont eux-mêmes des
personnes morales, il est opportun d’analyser la problématique du groupe de sociétés.

                                                                                                               
24
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 310 et 311 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note
16), p. 466.
25
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 309 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p.
462.

  8  
Section 1 – La responsabilité limitée

§1er. La levée du voile social en tant qu’exception à la responsabilité limitée

La théorie de la levée du voile doit son existence à la responsabilité limitée car en l’absence
de cette dernière, les créanciers sociaux n’auraient aucunement besoin de lever le voile pour
exercer leurs droits sur les biens privés des actionnaires ou sur le patrimoine de la société
mère, ils le pourraient par le simple effet de la loi. En effet, l’essence même de la
responsabilité limitée est de circonscrire la responsabilité des actionnaires au montant de leur
apport dans la société, or, l’effet de la levée du voile est précisément de déroger à cette
responsabilité limitée en rendant les actionnaires responsables du passif social au-delà du
montant de leur investissement. On peut donc dire que la levée du voile social constitue une
exception au principe de la responsabilité limitée26, visant à remédier aux dérives qu’une telle
protection offerte aux actionnaires peut mener au détriment des créanciers sociaux27/28.

M. Cheng analyse la relation qui existe entre la levée du voile et la responsabilité limitée en
des termes de dichotomie règle/standard29. La différence entre les deux est que la première est
générale tandis que le second est spécifique. Selon M. Cheng, la responsabilité limitée
présente toutes les caractéristiques d’une règle en raison de son application générale à toutes
les formes de sociétés (dans les pays anglo-saxons, la responsabilité limitée est pratiquement
un principe en matière de société, contrairement à notre droit qui prévoit de nombreuses
formes de sociétés à responsabilité illimitée) alors que la levée du voile corporatif, au
contraire, relève davantage du standard car elle ne devrait concerner, en principe, qu’un faible
nombre de personnes morales présentant « un manque d’indépendance et de substance
économique », c’est-à-dire se distinguant mal de ses actionnaires30.

S’il existe bel et bien une relation étroite entre ces deux réalités juridiques que sont la
responsabilité limitée et la levée du voile social, il ne faut cependant pas forcer le trait car la
                                                                                                               
26
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 307 ; T. K. CHENG, « Form and Substance of the
Doctrine of Piercing the Corporate Veil », 80 Mississipi Law Journal 497, 2010, p. 502 ; F.H. EASTERBROOK et
D.R. FISCHEL, « Limited Liability and the Corporation », 52 U. Chi. L. Rev. 89, 1985, p. 89 ; D.W. LEEBRON,
« Limited Liability, Tort Victims, and Creditors », 91 Columbia L. Rev. 1565, 1991, p. 1567.
27
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 499 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), pp. 1565 et
1566.
28
On renvoie à ce sujet à la définition de la levée du voile donnée à la section 1 qui met l’accent sur l’objectif de
la théorie qui est de remédier aux abus de la personnalité morale.
29
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 501.
30
Ibid., p. 510.

  9  
mise à l’écart de la personnalité juridique d’une personne morale peut poursuivre un autre but
que celui d’engager la responsabilité des actionnaires31. Ce sera naturellement le cas dans
l’hypothèse d’une levée amicale du voile32 (voy. à cet égard l’exemple donné supra Chapitre
1er, section 3), mais les tribunaux pourraient également percer le voile à des fins
d’interprétation d’un contrat ou encore pour déterminer la juridiction compétente en cas de
litige33. On sait que, dans la mesure où l’issue d’un litige varie considérablement en fonction
du juge devant lequel elles se trouvent, les entreprises sont de ferventes amatrices de forum
shopping 34 . C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis où chaque Etat dispose de sa
législation propre. Ainsi, dans la décision Cannon Mfg. Co. v. Cudahy Packing Co.35, la Cour
Suprême des Etats-Unis a tenu deux entités pour une seule afin de rendre compétentes les
juridictions de Caroline du Nord. Dans cette affaire, Cudahy Packing Company, société du
Maine, après avoir été citée devant une juridiction de Caroline du Nord par Cannon
Manufacturing Company, soulève un déclinatoire de compétence au motif qu’elle n’a jamais
réalisé d’opérations dans cet Etat, lequel était par conséquent incompétent à son égard. Le
juge a confirmé la compétence au motif que Cudahy détenait une filiale en Alabama, laquelle
disposait d’un bureau en Caroline du Nord et y faisait affaire. Ce qui a été déterminant est le
fait que la filiale était considérée comme un instrument dominé par la société mère, laquelle
disposait d’un contrôle financier et commercial, afin de garantir à cette dernière certains
avantages en matière de législation applicable. Voici un exemple où la levée du voile a été
utilisée pour fonder un facteur de rattachement afin de rendre compétente une juridiction.

§2. La responsabilité limitée en quelques mots

La responsabilité limitée est un principe selon lequel les associés d’une société bénéficiant
d’une telle limitation de responsabilité ne sont responsables du passif social qu’à concurrence
du montant de leur apport dans le capital social. Leur risque se limite au montant de leur
investissement et ils sont à l’abri de toute action des créanciers sociaux sur leur patrimoine
personnel. Par conséquent, seule la responsabilité des actionnaires est limitée, pas celle de la

                                                                                                               
31
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 462.
32
T. K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 398.
33
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), pp. 498 et 502.
34
C. BRÜLS, Les multinationales, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 181.
35
Cannon Mfg. Co. v. Cudahy Packing Co., 267 U.S. 333 (1925), disponible sur www.findlaw.com.

  10  
société qui elle, naturellement, demeure tenue du passif social sur la totalité de ses biens36. On
confond souvent à tort la responsabilité limitée et la personnalité morale. Certes, les deux sont
liées car c’est en raison de la personnalité distincte créée par la personne morale que la
responsabilité éventuellement limitée de celle-ci permet aux associés d’échapper à l’action
des créanciers de la société. Cependant, la création d’une personnalité juridique distincte de
celle des associés n’implique pas nécessairement la responsabilité limitée de ces derniers, la
responsabilité limitée n’étant pas un attribut de la personnalité morale. Pour bénéficier de
pareille limitation de responsabilité, les associés doivent en outre opter pour une des formes
de sociétés à responsabilité limitée offertes par le Code des sociétés37.

§3. Principaux avantages de la responsabilité limitée

La raison principale qui motive un législateur à opter pour la limitation de responsabilité des
actionnaires est d’encourager l’esprit d’entreprise. Grâce à cette limitation de responsabilité,
les acteurs de la vie économique qui jusque-là n’osaient pas se lancer dans une activité,
risquée ou non, pourront désormais le faire avec une plus grande tranquillité d’esprit car ils
savent que le risque se limite au montant de leur investissement38. Un corollaire de ceci est
que la responsabilité limitée encourage l’investissement des actionnaires passifs, favorise le
financement des grandes entreprises et n’est pas un obstacle à la diversification des
investissements39. En effet, une responsabilité illimitée découragerait les investisseurs passifs,
c’est-à-dire ceux qui se contentent d’apporter des fonds sans jouer un rôle dans la gestion,
d’investir et de diversifier leur investissement dans différentes sociétés car, d’une part, ils
n’accepteraient pas de laisser leur patrimoine personnel entre les mains des gestionnaires des
entreprises sans exercer un contrôle poussé sur ceux-ci40, d’autre part, chaque investisseur
préférerait concentrer son investissement sur une seule entreprise plutôt que de le répartir
entre plusieurs. En effet, à montant égal et si la responsabilité est illimitée, l’investisseur court
un plus grand risque en apportant dans différentes entreprises, chacune étant susceptible de le

                                                                                                               
36
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 326 et 327 ; T. K. CHENG, Form and…, op. cit.
(Voy. note 26), p. 501 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic Structure of Corporate Law,
Londres – Cambridge (Massachussets), Harvard University Press, 1996, p. 40.
37
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 327 ; T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy.
note 26), p. 502 ; T.K. CHENG , The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), pp. 403 et 404.
38
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 329 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), pp.
1566 et 1590.
39
 C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 330 à 332.  
40
D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p. 1587.

  11  
rendre personnellement responsable des dettes sociales41. La responsabilité limitée permet
ainsi le financement par le public des grandes entreprises qui requièrent une mobilisation
importante de capital. En effet, de nos jours, la technologie et la compétitivité grandissante
imposent aux firmes de « combiner à la fois les compétences de plusieurs gestionnaires ainsi
qu’un large montant de capital », et donc un nombre important d’investisseurs42. Si elle réduit
les coûts de contrôle des actionnaires sur l’organe de gestion de l’entreprise comme on vient
de le voir, la responsabilité limitée réduit également les coûts de contrôle des autres
actionnaires. En effet, sous un régime de responsabilité illimitée, la solvabilité des autres
actionnaires est importante pour chaque actionnaire car sa responsabilité en est directement
dépendante. Si un seul actionnaire est solvable, ce sera chez lui que les créanciers sociaux se
précipiteront pour désintéresser leur(s) créance(s). Il est donc normal que chaque actionnaire
se soucie de la solvabilité de ses pairs car le risque qu’il assume est d’autant plus grand que
son patrimoine est abondant et celui de ses associés maigre43. Un autre argument qui plaide en
faveur de la responsabilité limitée, et directement lié à cette disparité de richesse entre les
actionnaires, est qu’elle assure une plus grande facilité de transfert des titres de la société.
Ceci provient du fait que, au contraire, sous un régime de responsabilité illimitée, plus
l’actionnaire est riche, plus son risque d’être la cible des créanciers sociaux est grand, il
exigera par conséquent d’avoir en contrepartie de son investissement des avantages afin de
rétablir un certain équilibre entre son risque et son profit, en particulier une réduction du prix
d’achat des actions44. En résulte la présence de parts non fongibles dont la valeur varie en
fonction de l’état de fortune de l’actionnaire qui les détient. La non fongibilité des parts
sociales a un impact direct sur leur acquisition dans la mesure où une personne désirant
acheter un bloc d’actions appartenant à différents actionnaires devra négocier avec chacun
d’eux individuellement, la valeur des actions étant fonction de la richesse de l’actionnaire45.
La responsabilité limitée, en garantissant une égalité de traitement des actionnaires quant au
risque qu’ils courent, assure par conséquent la fongibilité des titres et donc leur négociabilité.
Cette plus grande négociabilité offre en outre une plus grande assurance que la société sera
                                                                                                               
41
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 90 ; F.H. EASTERBROOK et
D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), pp. 43 et 44.
42
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 41.
43
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 330 et 331 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL,
Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), pp. 93 à 95 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic…,
op. cit. (Voy. note 36), pp. 41 et 42.
44
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 332 et 333 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note
26), p. 1570.
45
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 333 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL,
Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), pp. 95 et 96 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic…,
op. cit. (Voy. note 36), p. 42.

  12  
gérée efficacement par ses dirigeants en raison de la pression qui pèse sur leurs épaules. En
effet, une société fonctionnant mal pourra plus facilement être rachetée, compte tenu de la
négociabilité des titres, par un actionnaire nouveau qui pourra décider de remplacer les
dirigeants inefficaces par de nouveaux plus performants46.

§4. Critiques régulièrement émises à l’encontre de la responsabilité limitée

Il est unanimement admis que le principal effet négatif de la responsabilité limitée est
l’externalisation des risques qu’elle entraîne. On parle d’externalisation car in fine ce n’est pas
sur les actionnaires que reposent les risques de l’entreprise (en partie tout de même, à
concurrence de leur apport) mais bien sur les créanciers dont le gage commun s’étend au seul
patrimoine social. Il y’a donc un déplacement du risque qui procède d’une externalisation
puisque celui-ci passe de l’actionnaire au créancier social. Cette externalisation est d’autant
plus injuste lorsqu’il s’agit de créanciers involontaires (on ne s’attarde pas ici sur cette
question, pour plus de développement Voy. infra Chapitre 3, section 3, §3)47. Une autre
critique émise à l’encontre de la responsabilité limitée est le risque accru de « moral hazard ».
Cet aléa moral se traduit par une prise de risque excessive de la part des actionnaires qui, se
sentant protégés par la limitation de responsabilité, n’hésitent pas à s’engager dans des
activités à haut risques (notamment pour la communauté, on songe par exemple à une activité
présentant un danger pour la santé et l’environnement)48/49.

Section 2 – La problématique des groupes de sociétés

Spontanément, lorsque l’on évoque l’actionnariat d’une société, on pense à plusieurs


personnes physiques qui détiennent chacune une partie du capital. Dans la pratique, il est
cependant très fréquent que l’actionnaire d’une société soit une autre personne morale.
Lorsque la participation d’une société dans le capital d’une autre présente une certaine

                                                                                                               
46
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 95 ; F.H. EASTERBROOK et
D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 42.
47
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 335 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The
Economic…, op. cit. (Voy. note 36), pp. 49 et 50.
48
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 336 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The
Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 50.
49
On reviendra sur cette question de « moral hazard » plus tard (Chapitre 3, section 3, §3).

  13  
importance, on dit que ces sociétés constituent un « groupe de sociétés »50. La question que
l’on peut légitimement se poser est celle de savoir si ce groupe constitue une seule entité
juridique, permettant à un créancier ayant contracté avec une des sociétés appartenant au
groupe de réclamer le paiement de sa créance auprès de l’une des autres sociétés de ce même
groupe au choix, ou si, au contraire, chacune des sociétés conserve son individualité propre,
fermant la porte à toute prétention émanant d’un créancier d’une autre société de ce groupe.
Dans ce dernier cas, la levée du voile social serait une solution séduisante pour le créancier.

§1er. La notion de groupe de sociétés

Le groupe de sociétés ne fait pas l’objet d’une définition propre dans le Code des sociétés.
Pour en obtenir une, il faut lire l’article 5 en combinaison avec l’article 6. Selon ce dernier, la
relation entre la société mère et sa filiale se définit en terme de « contrôle », lequel est défini
par l’article 5 comme « le pouvoir de droit ou de fait d’exercer une influence décisive sur la
désignation de la majorité des administrateurs ou gérants de celle-ci [la société contrôlée] ou
sur l’orientation de sa gestion ». Le Code établit en outre une distinction entre contrôle de
droit, présumé de manière irréfragable, et contrôle de fait, présumé de manière réfragable.
Pour l’essentiel, le contrôle sera de droit lorsque la société qui a le contrôle (société mère)
détient la majorité des droits de vote dans la société contrôlée (filiale) ou lorsqu’elle dispose
du droit de nommer ou révoquer la majorité des administrateurs ou gérants. Le contrôle sera
de fait lorsque la société mère disposait, lors des deux dernières assemblées générales de la
filiale, des droits de vote représentant la majorité des voix attachées aux titres représentés à
ces assemblées51. En matière de groupe, on le voit, la société mère est à la tête de la hiérarchie
et dispose d’un pouvoir de contrôle et d’injonction à l’égard des sociétés qui se trouvent sous
sa dépendance, les filiales et sous-filiales52.

§2. L’absence de reconnaissance de la personnalité juridique au groupe

S’il est vrai que le droit reconnaît l’existence du groupe pour des besoins bien précis,
notamment en droit comptable via l’obligation de tenir des comptes consolidés (article 106 de

                                                                                                               
50
F. MAGNUS, Les groupes de sociétés et la protection des intérêts catégoriels : aspects juridiques, Bruxelles,
Larcier, 2011, p. 32.
51
Ibid., p. 31.
52
Ibid., p. 14.

  14  
l’Arrêté Royal portant exécution du Code des sociétés), il n’attribue cependant pas la
personnalité juridique au groupe en tant que tel. Cela a pour conséquence une autonomie
juridique de chacune des sociétés composant le groupe. Ainsi, le groupe n’est pas abordé
comme une seule entreprise au regard du droit53, il n’est que la somme de plusieurs sociétés
individuelles disposant chacune de la personnalité juridique et d’un patrimoine propre54. La
frontière exprimée par la séparation à laquelle conduit la personnalité juridique distincte est
donc fermement réaffirmée en la matière55. Cela implique l’impossibilité pour les créanciers à
obtenir la récupération de leur créance sur le patrimoine d’une autre société du groupe dont la
solvabilité serait supérieure à celle avec laquelle ils ont contracté56. Partant, la seule solution
envisageable pour les créanciers serait de lever le voile sur les différentes personnalités
juridiques afin de faire abstraction de l’obstacle que constitue la personnalité juridique
distincte de chacune des sociétés membres du groupe. Ceci est d’autant plus vrai que par la
reconnaissance de la notion « d’intérêt de groupe » par la jurisprudence (voy. paragraphe
suivant), une société faisant partie d’un groupe peut être amenée à s’appauvrir au bénéfice
d’une autre société membre, lésant en même temps « les parties dont les droits ne peuvent –
en raison de l’obstacle des personnalités juridiques – être exercés qu’à l’égard de la société
appauvrie »57.

§3. La notion d’intérêt de groupe

Consciente de la réalité et du caractère efficace de la structure en groupe du point de vue


organisationnel, la jurisprudence rend licite certaines opérations qui ne le seraient
normalement pas entre des sociétés totalement indépendantes et ce, en ayant recours à la
notion d’intérêt de groupe. Cette reconnaissance jurisprudentielle vient quelque peu tempérer
la stricte application de l’autonomie juridique des différentes sociétés constitutives d’un

                                                                                                               
53
Contrairement à la perception qu’en a la majorité des citoyens ; C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy.
note 34), p. 141.
54
P. VAN OMMESLAGHE, « Rapport général », in Droits et devoirs des sociétés mères et de leurs filiales, Anvers,
Kluwer, 1985, p. 109.
55
Cette position du législateur belge contraste avec celle de certains systèmes juridiques, en particulier le droit
allemand, qui soumettent le groupe à un régime juridique particulier. Pour un développement du
« Konzernrecht » allemand Voy. : F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 44 et s.
56
Sous réserve toutefois des situations dans lesquelles un créancier est en mesure d’engager la responsabilité
contractuelle ou extracontractuelle de la société mère dans des cas bien précis, par exemple lorsque la société
mère garantit le paiement des dettes d’une de ses filiales à l’égard d’un créancier et finalement manque à son
obligation, ou encore, lorsque la société apporte un soutien financier à l’une de ses filiales et crée en même
temps une apparence trompeuse de solvabilité dans le chef de la filiale. Pour un développement complet Voy. F.
MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 90 et s.
57
F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 66.

  15  
groupe 58 . On le sait, au sein d’une société isolée, les décisions doivent se prendre en
conformité avec l’intérêt social59, notion qui recouvre une acceptation plus ou moins large
selon que l’on prend en compte l’intérêt de tous les stakeholders ou celui des actionnaires
uniquement60. Cependant, lorsqu’une société se retrouve au sein d’un groupe, elle perd, dans
les faits, une partie de son autonomie décisionnelle en faveur de la société mère qui fait valoir
une « politique de groupe », entraînant en même temps la prise de certaines décisions
contraires à l’intérêt social de l’une des sociétés au niveau individuel. En effet, au sein d’un
groupe, les sociétés sont amenées à devoir penser collectif et, en conséquence, à devoir faire
certains sacrifices pour le bien du groupe61. C’est cet état de fait qui a amené la jurisprudence,
consciente des synergies qui se créent entre les sociétés d’un groupe, à reconnaître l’intérêt de
groupe comme critère d’appréciation servant à valider ou invalider certaines opérations intra-
groupes. En d’autres termes, on peut dire que l’intérêt de groupe est au groupe ce que l’intérêt
social est à la société isolée. Il s’agit là d’un atout majeur pour les groupes de sociétés car
désormais, certaines décisions qui auraient été invalidées en raison de la contrariété avec
l’intérêt social de la société appauvrie seront maintenant considérées comme conforme à
l’intérêt du groupe dans son ensemble et, dès lors, valides. On le voit, par cette notion, le
groupe, qui jusque-là ne bénéficiait d’aucune reconnaissance légale, fait désormais l’objet
d’une reconnaissance jurisprudentielle qui transcende les personnalités juridiques distinctes et
ce, pour les besoins internes du groupe62. Des limites ont toutefois été apportées par la
jurisprudence afin d’éviter que l’intérêt de groupe soit instrumentalisé dans le but de réaliser
des transferts de patrimoine à patrimoine entre des sociétés sans réel lien les unissant63. Ainsi,
depuis l’arrêt Rozenblum de la Cour de cassation française, il est exigé que trois conditions
soient cumulativement remplies pour que l’opération intragroupe soit valide : il faut (i) qu’il
existe entre les sociétés parties à l’opération un intérêt économique, social ou financier
commun, (ii) apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble du groupe, et (iii) la
présence d’une contrepartie ou, à tout le moins, l’absence de rupture d’équilibre entre les
engagements respectifs des sociétés concernées et il ne faut, en tout état de cause, pas excéder
les capacités financières de la sociétés qui supporte la charge64.

                                                                                                               
58
F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 51.
59
Voy. notamment les articles 281 ; 301 ; 510 et 551 du Code des sociétés qui font référence à l’intérêt social.
60
J. MALHERBE, Y. DE CORDT, P. LAMBRECHT, P. MALHERBE, op. cit. (Voy. note 4), p. 245.
61
E. WYMEERSCH, « Le droit belge des groupes de sociétés », in Liber Amicorum Commission droit et vie des
affaires, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 628 ; F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 55.
62
F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 56.
63
Ibid., p. 57, E. WYMEERSCH, op. cit. (Voy. note 61), p. 637.
64
Cass. fr., 4 février 1985, Rev. soc., 1985, p. 651.

  16  
Dès lors qu’elle autorise, au sein d’un groupe, l’appauvrissement d’une société au profit d’une
autre, la notion d’intérêt de groupe a un fort potentiel préjudiciable vis-à-vis des personnes
liées à la société appauvrie. C’est en particulier le cas des créanciers sociaux qui voient le
gage commun de leur créance diminuer mais aussi le cas des actionnaires de la société
appauvrie car ils doivent subir une diminution de la valeur de leurs actions65. Dans pareille
situation, la levée du voile social est une solution séduisante qui s’offre aux créanciers
sociaux afin d’éviter des conséquences négatives des suites d’une opération par laquelle leur
débiteur s’est appauvri (Voy. infra Chapitre III et IV, au sujet du transfert d’actifs).

Chapitre III. La théorie anglo-saxonne du « Piercing the


Corporate Veil »

Comme il a été dit précédemment, la technique qui consiste à percer le voile de la


personnalité morale dans des situations où celle-ci est utilisée à des fins différentes de celles
pour lesquelles le législateur l’a instaurée, ou, lorsque la stricte application de la séparation
qui existe entre l’associé et la personne morale conduirait à une injustice pour des tiers, est en
grande partie d’origine anglo-saxonne. En Belgique, il n’existe pas de reconnaissance de la
théorie de la levée du voile social à proprement parler. S’il est vrai que les cours et tribunaux
belges arrivent au même résultat dans certaines circonstances spécifiques, ce n’est que par le
truchement de concepts juridiques bien connus (Voy. infra Chapitre 4, section 1). Pour ce
motif, et en raison de l’influence qu’une théorie étrangère peut avoir sur notre droit, le présent
chapitre analyse la théorie du « Piercing the Corporate Veil » 66 afin d’offrir une vue
d’ensemble des différents motifs ainsi que des différents facteurs mobilisés. Etant donné
l’absence de pareille technique en droit belge, on profitera également de ce chapitre pour
expliquer en long et en large la technique d’abstraction de la personnalité morale, notamment
sa raison d’être et ses inconvénients.

                                                                                                               
65
F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), pp. 66 et 75 et s.
66
Il ne s’agit en aucun cas de procéder à une analyse de droit comparé entre les différents pays qui connaissent,
sous une forme ou sous une autre, une technique semblable à celle de la levée du voile. D’autres pays que les
Etats-Unis et l’Angleterre connaissent pareille technique. C’est notamment le cas de l’Allemagne avec sa théorie
du Durchgriff ou encore le cas du Québec qui dispose d’un article qui s’y rapporte dans son Code civil. On se
cantonnera ici à l’approche du droit américain et du droit anglais en raison du rôle important qu’ont joué ces
deux droits dans la genèse de la levée du voile social.  

  17  
Section 1 – Davantage une technique qu’une théorie

Avant toute chose, il convient de préciser que le terme « théorie » n’est pas le plus approprié
pour décrire la levée du voile corporatif. C’est particulièrement le cas en Belgique ainsi que
dans de nombreux autres pays où il n’existe aucune réelle systématisation en la matière, mais
c’est également le cas aux Etats-Unis où pourtant la technique jouit d’une plus grande
reconnaissance. S’il est vrai que les juridictions ainsi que de nombreux auteurs67 ont élaboré
petit-à-petit une théorie sur le sujet, le caractère incertain de l’issue du litige et le manque de
présence d’un cadre général clair et précis68 font que l’on peut difficilement parler de théorie
de la levée du voile. Il est par conséquent préférable de parler de « technique » par laquelle,
dans certaines situations non conformes à la réalité, le juge ne tient pas compte de la
séparation que crée la superposition d’une personne juridique distincte69.

On y reviendra plus tard mais on précise d’ores et déjà que la technique de la levée du voile
est extrêmement obscure pour toute personne qui tente d’y voir plus clair. Non seulement il
n’existe aucune codification en la matière mais en plus de cela les différents critères mis en
œuvre par différents auteurs afin d’orienter l’issue du litige se chevauchent et s’entremêlent
entre eux. M. Thompson prévient d’emblée que « Piercing the corporate veil is the most
litigated issue in corporate law and yet it remains among the least understood »70 et M.
Strasser affirme également que « [Piercing the corporate veil] continues to be one of the most
litigated and most discussed doctrines in all of corporate law »71.

Section 2 – La responsabilité limitée et la personne morale en tant qu’entité distincte

Le principe selon lequel la personne morale est une entité séparée et distincte de ses
actionnaires est fermement rappelé en droit américain72 et anglais73. La responsabilité limitée
dont jouissent les actionnaires est un des piliers du droit économique et commercial dans ces

                                                                                                               
67
Notamment Lord Denning avec sa proposition de « Single Economic Unit Theory » et Frederick J. Powell qui
a énuméré onze facteurs justifiant selon lui la percée du voile corporatif entre une société mère et sa filiale.
68
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 550 ; R.B. THOMPSON, « Piercing the Corporate Veil: An
Empirical Study », 76 Cornell. L. Rev. 1036, 1991, p. 1063.
69
M.A. THOMASON, « Piercing the Corporate Veil », Facts & Findings, novembre/décembre 2011, p. 28.
70
R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1036.
71
K.A. STRASSER, « Piercing the Veil in Corporate Groups », 37 Conn. L. Rev. 637, 2004-2005, p. 637.
72
R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1039 ; K.A. STRASSER, op. cit. (Voy.
note 71), p. 640.
73
M.A. PICKERING, op. cit. (Voy. note 8), pp. 481 à 511 ; L. SEALY et S. WORTHINGTON, Cases and Materials in
Company Law, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 32 et s.

  18  
pays74/75. Par conséquent, la responsabilité des actionnaires se limite à leur apport dans le
capital social et ils sont protégés de tout recours venant des créanciers sociaux sur leurs biens
propres. A cet égard, la décision Salomon v. A Salomon & Co Ltd76 de la House Of Lords est
souvent citée en référence comme étant la source du principe selon lequel la personne morale
est une entité séparée et distincte de ses actionnaires77. Dans cette affaire, monsieur Salomon
est spécialisé dans la construction de chaussures en cuir. Lorsque son fils devient intéressé par
l’idée de travailler avec lui, Mr. Salomon décide de créer une société au travers de laquelle il
exercera désormais son activité. A l’époque, le droit des sociétés anglais conditionnait la
constitution d’une société à responsabilité limitée à la présence de sept associés. A cette fin,
Mr. Salomon constitue une société dotée d’un capital social composé de 20.007 parts dont
20.001 appartiennent à Mr. Salomon tandis que les six autres sont réparties entre son épouse
et ses cinq enfants. Il a été reproché à Mr. Salomon, en première instance ainsi qu’en appel,
d’avoir utilisé la personnalité morale dans le but d’abuser du privilège de la personnalité
juridique distincte et de la responsabilité limitée tout en continuant d’exercer la même
activité. Sa société est alors considérée comme frauduleuse et, en définitive, fictive. Ceci
amène les juges à analyser la relation de Mr. Salomon avec sa société sous l’angle de
l’agence78, le rendant ainsi, en tant que principal, responsable personnellement des dettes
sociales. La House of Lords a infirmé ce raisonnement en considérant qu’il ne revient pas aux
juridictions de modifier la matière de la responsabilité limitée en formulant une exception à
celle-ci. La House of Lords confirme la règle selon laquelle la société constitue une
personnalité juridique distincte de son actionnaire, lequel bénéficie de la limitation de
responsabilité 79 . En réalité, l’affaire Salomon n’est pas à l’origine de la règle de la
responsabilité limitée, elle confirme simplement son application à la société unipersonnelle80.
En effet, si Mr. Salomon a été soupçonné de fraude c’est parce qu’il était en réalité l’unique
associé, les six autres ne détenant qu’une seule part sociale dans le seul but d’être sept
actionnaires au total afin de respecter d’un point de vue formel la législation sociétale en
vigueur à l’époque. C’est précisément en présence d’une « one-man company » que le
                                                                                                               
74
D.R. KAHAN, « Shareholder Liability for Corporate Torts : A Historical Perspective », The Georgetown Law
Journal, avril 2009, p. 1085.
75
Pour une explication des motifs d’une telle limitation de responsabilité, voy. supra Chapitre 2, section 1.
76
Salomon v. A Salomon & Co Ltd. [1897] A.C. 22 (H.L.)
77
I. M. RAMSAY et D. B. NOAKES, « Piercing the Corporate Veil in Australia », 19 C&SLJ 250, 2001, pp. 251 et
252.
78
Pour une explication du concept « agency », voy. infra section 4.
79
M.A. PICKERING, op. cit. (Voy. note 8), pp. 495 et s. ; R.B. THOMPSON, « Piercing the Veil within Corporate
Groups : Corporate Shareholders as Mere Investors », 13 Conn. J. Int’I. L. 379, 1998-1999, p. 381 ; L. SEALY et
S. WORTHINGTON, op. cit. (voy. note 73), pp. 32 à 36.
80
T. K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 335.

  19  
malaise se fait sentir et que la responsabilité limitée devient sujette à critique81. On peut
aisément comprendre que, lorsqu’une personne qui jusque-là exerçait une activité en personne
physique et qui vient à constituer une société pour exercer la même activité, la question de la
motivation d’un tel choix peut se poser. Cela ne veut pour autant pas dire que le motif d’un tel
passage en société est nécessairement répréhensible. En outre ce n’est pas la spécificité propre
de la société unipersonnelle. Une société peut tout aussi bien être constituée par un ensemble
d’individus qui exerçaient déjà une activité en commun et qui un jour décide d’exercer celle-
ci au travers d’un véhicule juridique particulier. La problématique de la « one-man company »
illustre en réalité la difficulté qu’a eu le droit, à un certain moment, à appréhender la personne
morale comme étant un être distinct des membres qui la composent. En effet, si on peut
facilement comprendre que plusieurs personnes peuvent, en s’associant, donner naissance à
un tout qui est plus que la somme des parties82, cela est moins aisé à comprendre dans la
situation d’un seul individu. On constate d’ailleurs que le droit requiert toujours la présence
d’au moins deux associés pour constituer valablement une société, d’où le terme « société ».
Toutefois, dans l’arrêt Salomon, la House of Lords a fermement rappelé la règle selon laquelle
l’associé et la personne morale sont deux êtres distincts séparés l’un de l’autre, et ce,
également dans l’hypothèse d’une société unipersonnelle83. A cet égard, Lord Macnaghten a
énoncé le principe général selon lequel : « The company is at law a different person
altogether from the subscribers to the Memorandum and, although it may be that after
incorporation the business is precisely the same as it was before, and the same persons are
managers, and the same hands receive the profits, the company is not in law the agent of the
subscribers or the trustee for them. Nor are subscribers as members liable, in any shape or
form, except to the extent and in the manner provided by the Act »84/85.

On comprend ici tout l’enjeu de la levée du voile social, il s’agit de ne pas tenir compte de
l’entité distincte toute les fois que cette séparation ne correspond pas à la réalité économique
sous-jacente.

                                                                                                               
81
T. K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), pp. 335 et 336.
82
J. MALHERBE, Y. DE CORDT, P. LAMBRECHT, P. MALHERBE, op. cit. (Voy. note 4), p. 775.
83
La « one-man company » est désormais ancrée dans les « mœurs juridique », en témoigne la SPRL-U belge. Il
en est de même du principe selon lequel l’actionnaire et la personne morale constituent deux entités séparées, ce
qui est confirmé par de nombreux principes légaux, notamment les articles relatifs aux conflits d’intérêts (art.
523 et 524 du Code des sociétés), l’infraction d’abus de biens sociaux ou encore la taxation distincte entre la
société et son actionnaire.
84
Salomon v. A Salomon & Co Ltd. [1897] A.C. 22 (H.L.), p. 51.
85
M.A. PICKERING, op. cit. (Voy. note 8), p. 496.

  20  
Section 3 – Examen de l’application de la technique du « Piercing the Corporate Veil »
par les juridictions américaines

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de garder en tête que, compte tenu de la
spécificité des Etats-Unis (51 Etats ayant chacun son Parlement, ses juridictions et sa
législation propre), il existe une grande disparité entre les Etats en matière de levée du voile86.
Si les différents Etats partagent le cadre général de la théorie, on observe toutefois des
différences entre ceux-ci, en particulier au niveau des juridictions qui sont plus ou moins
restrictives lorsqu’il s’agit de faire abstraction de la personnalité morale87/88. En outre, les
Etats-Unis et l’Angleterre ont tout deux des approches distinctes de la levée du voile, raison
pour laquelle une partie sera consacrée à une comparaison entre ces deux ordres juridiques.

§1er. Objectifs poursuivis par la levée du voile social

On le sait, la levée du voile social est une exception à la responsabilité limitée qui n’est dès
lors plus absolue. Toutefois, on ne saurait procéder à une telle abstraction de la frontière
séparant la personne de l’associé de celle de la personne morale toutes les fois qu’un créancier
social est lésé par la limitation de responsabilité. Pareille solution viderait de sa substance la
responsabilité limitée qui ne présenterait dès lors plus aucun intérêt pour les actionnaires. On
le verra d’ailleurs tout le long de cette partie du travail, un certain équilibre entre l’intérêt des
parties et celui des tiers au contrat de société est cherché par les juges afin de n’être, ni trop
strict ni trop clément89. A cet égard, M. Strasser assimile judicieusement la levée du voile à
une soupape de sécurité qui « prévient tout résultat inacceptable et supervise la responsabilité
limitée »90. Assurément, la levée du voile poursuit un objectif de justice. Il s’agit d’éviter tout
abus de la personnalité morale au détriment des tiers91 en faisant primer le fond sur la forme,
en attachant davantage d’importance à la réalité des choses. L’arrêt Anderson v. Abbott de la
Cour Suprême des Etats-Unis illustre parfaitement cette recherche de l’intention : « the courts
will not permit themselves to be blinded or deceived by mere forms of law but will deal with
                                                                                                               
86
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 78.
87
Voy. à ce sujet l’étude menée par M. Thompson : R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy.
note 68), p. 1050 et s.
88
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, « Piercing the Corporate Veil : Focusing the Inquiry », 55 Denv. L. J. 1, 1978, p.
15.
89
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 503.
90
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 640.
91
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 499 ; T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note
19), pp. 353 et 354 ; N. CLAUSEN, « Use of the American Doctrine of Piercing the Corporate Veil : An
Argument in Danish Business Law », BJIL, vol. 5 issue 1, 2012, p. 52.

  21  
the substance of the transaction involved as if the corporate agency did not exist and as the
justice of the case may require »92. Un arrêt cité par de nombreux auteurs lorsqu’il s’agit de
justifier la percée du voile93 est l’arrêt United States v. Milwaukee Refrigerator Transit Co.
selon lequel « a corporation will be looked upon as a legal entity as a generale rule, and until
sufficient reason to the contrary appears ; but when the notion of legal entity is used to defeat
public convenience, justify wrong, protect fraud, or defend crime, the law will regard the
corporation as an association of persons »94. On peut résumer en disant que le droit offre aux
acteurs de la vie économique la possibilité de créer une entité distincte de leur personne à la
condition que cette entité soit utilisée conformément au but pour lequel elle a été mise en
place, et ce, de manière loyale et de bonne foi95. Ainsi, lorsque la personnalité morale est
utilisée dans le seul but de commettre une fraude, ou pour échapper à une responsabilité, il
s’agit d’un usage de la personne morale qui est contraire au but pour lequel le législateur l’a
instituée et qui est fortement susceptible de léser les droits des tiers, justifiant par conséquent
qu’il ne soit pas tenu compte de l’existence de cette personne morale pour des raisons
d’équité envers les tiers lésés par une apparence de réalité96. On notera que cet objectif de
recherche de la justice que poursuit la levée du voile apparaît dans les différents critères
utilisés par la théorie américaine, on songe notamment à la fraude, plus précisément au cas de
« Misrepresentation »97/98. Un aspect subjectif important est par conséquent à prendre en
compte à ce sujet, ce qui explique en partie les reproches inhérents au caractère imprévisible
de l’issue du litige.

A titre d’exemple, on peut citer le cas du Danemark qui fait face à des abus évidents de la
personne morale à des fins de financement d’une société. Dans ce pays, on observe de plus en
plus la création de filiale par les sociétés danoises afin d’obtenir un financement de la part
d’une banque. La méthode consiste pour une société à créer une filiale dans laquelle elle va
stocker tous ses actifs afin de tenter d’obtenir un prêt auprès d’une banque. En transférant ses

                                                                                                               
92
Anderson v. Abbott, 321 U.S. 349, 363 (1943), disponible sur www.justia.com.
93
D. S. BAKST, « Piercing the Corporate Veil for Environmental Torts in the United States and the European
Union : The Case for the Proposed Civil Liability Directive », 19 Boston College International & Comparative
Law Review 323, 1996, p. 324 ; N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 44 ; R.B. THOMPSON, Piercing the
Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1041.
94
United States v. Milwaukee Refrigerator Transportation Co., 142 F. 247, 255 (7th Cir. 1905).
95
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 508.
96
Ibid., p. 517.
97
Ces différents concepts seront analysés infra dans les parties y afférentes.
98
A cet égard, dans l’étude empirique qu’il a mené, M. Thompson a observé que les juridictions levaient le voile
dans 94% des cas lorsqu’il y a Misrepresentation, soit un taux élevé de pourcentage de réussite. Voy. R.B.
THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1063.

  22  
actifs dans la filiale, la société obtiendra plus facilement un financement car la banque sera
assurée d’être la seule créancière de la filiale, laquelle détient désormais tous les actifs de la
mère. En cas de défaut de paiement, la banque est ainsi privilégiée puisqu’elle est l’unique
créancière de la filiale. Les deux parties y gagnent, la banque en étant privilégiée et la société
en obtenant un financement plus facilement et à un taux d’intérêt plus avantageux. En
revanche, les créanciers sociaux sont les seuls lésés dans l’histoire puisqu’ils se retrouvent
avec une société appauvrie99. A ce titre, la levée du voile social devrait avoir un avenir
prometteur au Danemark100. Cet exemple reflète le cas classique d’abus de la personne morale
qui consiste à créer une société dans le seul but de profiter du bouclier que la responsabilité
limitée dresse devant toute action des créanciers. On localise les actifs dans une autre société
que celle avec laquelle on entre en relation avec les cocontractants101, les personnalités
juridiques distinctes additionnées à la limitation de responsabilité rendant sans espoir toute
tentative d’atteindre un patrimoine solvable dans le chef des créanciers sociaux102.

Il est utile d’attirer l’attention sur le fait que la levée du voile social n’est en aucun cas une
source supplémentaire de responsabilité. Il s’agit uniquement d’étendre la responsabilité déjà
existante de l’actionnaire au-delà du montant de son investissement103. A ce sujet, il serait
erroné de penser que pareille extension de la responsabilité d’un associé poursuit un objectif
répressif. Bien que dans certains cas, des actionnaires ont été condamnés au paiement d’une
somme excédant la différence entre le capital insuffisant et le montant du dommage104, ceci
dans un but de punition pour avoir sous-capitalisé la société, on ne saurait cependant
généraliser ces cas. En effet, hormis les cas de fraude et de « Misrepresentation », où l’aspect
subjectif est prédominant, bien souvent, la levée du voile concerne des pratiques
commerciales tout à fait communes et qui ne sont dès lors pas sujettes à répression105.

                                                                                                               
99
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 47 et s.
100
Ibid., p. 44.
101
Cela peut se faire, par exemple, par la création d’une succursale à laquelle la société mère donne en location
les actifs essentiels à l’exercice de l’activité économique dont il est question. Cela permet de protéger ces actifs
en les isolant dans le patrimoine de la société mère, laquelle n’entre pas en contact direct avec les clients. Voy.
par exemple la décision suivante : Minton v. Cavaney, 56 Cal. 2d 576 (1961), disponible sur www.justia.com.
102
Cela peut aussi consister à rendre la société constamment insolvable par la distribution excessive de
dividendes, l’augmentation des salaires des dirigeants et tout autre moyen destiné à s’assurer que la société ne
dispose que du strict nécessaire à l’exercice de ses activités afin qu’elle ne soit pas sur-capitalisée, et ce, pour
éviter des pertes importantes, en cas de faillite notamment. Voy. T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy.
note 19), pp. 365 et 366 ; N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 55 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL,
Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 111 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p. 1614 et s.
103
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 526.
104
Gallagher v. Reconco Builders, Inc., 415 N.E.2d 560 (Ill. App. Ct. 1980), disponible sur www.leagle.com.
105
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 324 ; T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy.
note 26), pp. 528 et 529.

  23  
§2. Fondements utilisés par les juridictions américaines pour lever le voile social

Les juridictions américaines, ainsi que de nombreux auteurs, ont contribué à la formulation
d’un cadre général au sein duquel opère la levée du voile. Cependant, comme on l’a déjà dit,
on est moins en présence d’une théorie que d’une technique. La levée du voile social est ainsi
un terme général qui désigne toute une série de situations différentes dans lesquelles une
application stricte de la responsabilité limitée et de la séparation entre personnes juridiques
distinctes conduirait à un résultat injuste106. Par conséquent, la présente partie suit la même
logique de présentation que la majorité des ouvrages sur le sujet et se veut la plus
compréhensible possible. Ce paragraphe analyse de la sorte les différents facteurs les plus
reconnus de la levée du voile. Selon les recherches menées par M. Thompson, lorsque l’un de
ces différents facteurs est présent, les chances que le juge lève le voile peuvent aller de 50%
jusqu’à pratiquement 100% de chance de réussite dans certains cas107.

1. La théorie de l’Alter Ego et la règle de l’Instrumentality

Les deux fondements les plus utilisés par les juridictions américaines lorsqu’il doit être fait
abstraction de la personnalité juridique sont les doctrines de l’alter ego et de
l’Instrumentality108. On verra que ces deux théories présentent de fortes similitudes ce qui
explique le fait que de nombreux ouvrages les assimilent109. Toutefois nous procéderons ici à
une analyse séparée des théories en présence afin, précisément, de montrer qu’il s’agit en
réalité de deux appellations différentes pour décrire deux situations identiques.

Selon la doctrine de l’alter ego, la levée du voile est rendue nécessaire lorsque la personne
morale se distingue mal de ses actionnaires, autrement dit, en cas de manque d’indépendance
de la société par rapport aux associés 110 . Dans la décision Hamilton v. Water Whole
International Corp., la District Court rappelle que pour établir le fait que la société est l’alter
ego de ses actionnaires, il faut prouver que la personne morale n’est que l’instrument111

                                                                                                               
106
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 58.
107
R.B. THOMPSON, Piercing the Veil…, op. cit. (Voy. note 79), p. 387.
108
T. K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 379.
109
Voy. notamment M. Strasser qui les considère comme interchangeables au motif qu’elles partagent les mêmes
facteurs principaux : K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 640. Dans le même sens : L. BERGKAMP et W-Q.
PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 175 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 15.
110
T. K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 381.
111
L’utilisation par la Cour du terme « instrument » témoigne de l’assimilation avec la théorie
« Instumentality ».

  24  
servant à effectuer la transaction, qui n’est en réalité accomplie que pour le compte des
actionnaires eux-mêmes et non pour celui de la société. En d’autres termes, la société est
l’alter ego de son actionnaire lorsque celui-ci utilise la société à des fins personnelles et non
dans l’intérêt de la société. Dans une telle hypothèse, il est considéré qu’il y’a une telle unité
d’intérêt que la séparation entre la personne de la société et celle des actionnaires a cessé
d’exister112. En seconde instance, la Court of Appeal113 a énuméré neuf facteurs permettant de
déterminer si la société est l’alter ego de ses actionnaires114.

Convaincu de la nécessité de théoriser la matière, Frederick J. Powell a fourni aux juges


quelques guidelines afin d’orienter la réflexion des juges et d’harmoniser quelque peu la
matière. Cette théorie est plus connue sous le nom « Instrumentality » mais, en réalité,
l’instrumentalité est l’une des trois conditions que sa théorie requiert pour déboucher sur une
levée du voile. Ces trois conditions sont : l’instrumentalité, l’existence d’un but impropre et la
présence d’un lien causal115 entre ces deux premières conditions et le dommage subi par le
plaignant. Il est utile de préciser qu’à l’origine, la théorie de l’Instrumentality était destinée
uniquement aux situations de groupes de sociétés, mais a par la suite été étendue à la situation
de l’actionnaire personne physique116. Cette origine explique l’utilisation des termes « société
mère » et « filiale » dans cette partie mais la théorie est entièrement transposable à la situation
de l’individu actionnaire. La condition relative à l’instrumentalité repose sur onze facteurs117

                                                                                                               
112
Hamilton v. Water Whole International Corp., District Court, 31 août 2006, disponible sur
www.findacase.com.
113
Hamilton v. Water Whole International Corp., Court of Appeal, 10 décembre 2008, disponible sur
www.findacase.com.
114  Ces neuf facteurs sont: (1) whether the dominant corporation owns or subscribes to all the subservient

corporation's stock, (2) whether the dominant and subservient corporations have common directors and officers,
(3) whether the dominant corporation provides financing to the subservient corporation, (4) whether the
subservient corporation is grossly undercapitalized, (5) whether the dominant corporation pays the salaries,
expenses or losses of the subservient corporation, (6) whether most of the subservient corporation's business is
with the dominant corporation or the subservient corporation's assets were conveyed from the dominant
corporation, (7) whether the dominant corporation refers to the subservient corporation as a division or
department, (8) whether the subservient corporation's officers or directors follow the dominant corporation's
directions, and (9) whether the corporations observe the legal formalities for keeping the entities separate.  
115
Dans sa formulation anglaise : Instrumentality, Improper Purpose et Proximate Causation.
116
T. K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 380 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy.
note 88), p. 11.
117
Ces onze facteurs sont : (1) the parent corporation owns all or most of the capital stock of the subsidiary; (2)
the parent and subsidiary corporations have common directors or officers; (3) the parent corporation finances the
subsidiary; (4) the parent corporation subscribes to all of the capital stock of the subsidiary or otherwise causes
its incorporation; (5) the subsidiary has grossly inadequate capital; (6) the parent corporation pays the salaries
and other expenses or losses of the subsidiary; (7) the subsidiary has substantially no business except with the
parent corporation or no assets except the ones conveyed to it by the parent corporation; (8) in the papers of the
parent corporation or in the statements of the officers, the subsidiary is described as a department or division of
the parent corporation, or its business or financial responsibility is referred to as the parent corporation’s own;
(9) the parent corporation uses the property of the subsidiary as its own ; (10) the directors or executives of the

  25  
servant à discerner un éventuel abus de la personnalité morale. Selon cette condition, est
constitutif d’abus le fait d’utiliser la personne morale en tant qu’instrument au service de la
réalisation d’intérêts propres à la société mère 118 . Les facteurs servant à déterminer si
instrumentalisation il y’a ne sont pas cumulatifs, il s’agit davantage d’un faisceau d’indices,
chacun pris individuellement étant insuffisant à prouver un abus de la personnalité morale119.
L’idée est qu’il est normal qu’une filiale soit contrôlée, qu’il y ait un lien de domination de la
part de la société mère. Toute autre solution reviendrait à lever le voile social dans tous les cas
où un actionnaire est majoritaire, ou détient 100% du capital social, ce qui réduirait à néant
l’utilité de la personnalité morale séparée120. Il faut donc plus qu’une simple détention
majoritaire. Il faut toute une série de circonstances additionnelles pour arriver à la conclusion
qu’une société est fictive, qu’il s’agit d’une société écran sans réalité économique derrière. A
cet égard, les onze facteurs de M. Powell jouent le rôle d’indices, la combinaison d’un plus ou
moins grand nombre d’entre eux augmentant la probabilité de manque d’indépendance de la
société par rapport à ses actionnaires, sans pour autant que ce soit réellement le cas, les
facteurs restant de simples guidelines. A ce sujet, le facteur 10 (la dépendance des membres
du conseil d’administration de la filiale à l’égard des administrateurs de la société mère) est
l’un des indices les plus probant de la dépendance de la filiale par rapport à la mère et donc de
l’absence de réelle autonomie de la première121. Aucune certitude absolue n’existe en la
matière mais cette théorie a le mérite de poser des critères clairs et objectifs que les juges
pourront utiliser afin d'établir la réalité122. La deuxième condition concerne le motif pour
lequel la personne morale a été constituée. La condition de l’instrumentalité n’est pas
suffisante à prouver un abus, encore faut-il que la société, ou la filiale dans le cas d’un
groupe, ait été constituée pour commettre une fraude ou pour tout autre motif illégitime123. Le
voile ne saurait être levé en l’absence de but illégal dans le chef des associés. Il faudra par
exemple apporter la preuve que la société a été créée dans le seul but d’exercer une activité à
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
subsidiary do not act independently in the interest of the subsidiary but take their orders from the parent
corporation in the latter’s interest ; (11) the formal legal requirement of the subsidiary are not observed.
118
On peut ici faire un lien avec la notion d’intérêt social connue en droit belge. Dans le cas de l’instrumentalité,
la société sert les intérêts des actionnaires au détriment de son propre intérêt social. Comme on l’a vu en matière
de groupe, la jurisprudence reconnaît la notion d’intérêt de groupe qui justifie, au sien d’un groupe,
l’appauvrissement d’une des sociétés au profit d’une autre. D’où la question délicate de savoir à partir de quand
une société ne devient qu’un pur artifice légal servant d’instrument à une autre ? Ou encore de savoir dans quelle
situation l’organisation d’une entreprise en groupe de sociétés répond à un objectif légitime de stratégie
organisationnelle ?
119
D. S. BAKST, op. cit. (Voy. note 93), p. 334.
120
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 175 ; C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy.
note 34), p. 144 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 16.
121
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 17.
122
Ibid.
123
Ibid., p. 18.

  26  
haut risque et pour laquelle la constitution d’une filiale sous capitalisée permet de réduire
l’impact qu’aurait l’indemnisation d’un dommage dont le montant serait colossal sur les
finances du groupe124. Ici aussi, M. Powell a énuméré une liste de sept cas125 dans lesquels le
but ayant conduit à la création d’une société est impropre126. Enfin la dernière condition est la
présence d’un lien causal entre la domination, le but impropre et le dommage qui est causé au
demandeur. La « leading case » en la matière est la décision Lowendahl v. Baltimore & Ohio
Railroad127 dans laquelle la juridiction reformule les facteurs établis par M. Powell sous un
langage plus théorique. Selon la Cour, il faut établir la réunion de trois éléments
préalablement à la percée du voile ; (1) Control, not mere majority or complete stock control,
but complete domination, not only of finances, but of policy and business practice in respect
to the transaction attacked so that the corporate entity as to this transaction had at the time
no separate mind, will or existence of its own; and (2) Such control must have been used by
the defendant to commit fraud or wrong, to perpetrate the violation of a statutory or other
positive legal duty, or a dishonest and unjust act in contravention of plaintiff’s legal rights;
and (3) The aforesaid control and breach of duty must proximately cause the injury or unjust
loss complained of. On notera que la Cour rappelle à juste titre dans sa première condition que
la simple détention de la totalité ou de la majorité des parts est insuffisante à lever le voile.

Suite à l’analyse de ces deux théories, on constate qu’il s’agit en réalité d’une seule et même
théorie. En effet, chacune met l’accent sur le manque d’indépendance de la société par rapport
à son actionnariat, et ce, aussi bien d’un point de vue strictement formel que du point de vue
de l’activité réellement exercée128. En définitive, les deux termes s’articulent. En effet, on
peut dire que selon cette théorie, lorsque la société sujette à levée du voile n’est que
l’instrument de la société mère ou de ses actionnaires personnes physiques, elle devient leur
alter ego, à tel point que la société en question se distingue mal de son actionnariat. La
formule classique 129 est de dire que l’une des sociétés n’est que l’instrument ou une
succursale de l’autre, conduisant à un manque d’identité et d’existence par rapport à la société
dominante, lequel manque se manifeste par une absence d’autonomie et de volonté dans le

                                                                                                               
124
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 5.
125
Ces sept cas sont les suivants : (1) actual fraud; (2) violation of a statute; (3) stripping the subsidiary of its
assets; (4) misrepresentation; (5) estoppel; (6) torts; and (7) other cases of wrong or injustice.
126
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 505.
127
Lowendahl v. Baltimore & Ohio Railroad R.R., 247 AD2d 144, 157, affd, 272 NY 360.
128
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 640.
129
Voy. Woods v. Commercial Contractors, Inc., 384 So. 2d 1076, 1079 (Ala. 1980), disponible sur
www.justia.com.

  27  
chef de la société dominée130. La seule solution étant alors de traiter deux entités comme une
seule en ne tenant pas compte de la séparation qui existe entre celles-ci, et ce, afin d’éviter un
résultat inéquitable pour les tiers131.

Nous allons voir dans la suite de l’analyse des différents fondements de la levée du voile que
certains facteurs de la théorie de l’alter ego et de l’instrumentalité sont utilisés par le pouvoir
judiciaire américain. Ceci vient corroborer le fait que l’on est davantage en présence d’une
technique que d’une théorie132.

2. Facteurs indépendants au service de la levée du voile corporatif

Comme on vient de le dire, à côté de la théorie de l’alter ego ou de l’instrumentalité, on


constate que les juridictions américaines sont souvent amenées à lever le voile sur la base
d’un seul facteur ou d’une combinaison de plusieurs facteurs qui, à lui ou eux seul(s),
démontre(nt) un abus de la personne morale. On verra que certains de ces facteurs se
retrouvent dans l’énumération faite par M. Powell133. Dans un article consacré au sujet, Cathy
S. Krendl et James R. Krendl ont constaté ce phénomène et ont résumé la démarche adoptée
par les juridictions en plusieurs étapes. Il nous semble utile de reprendre cette
« systématisation » qui permet de comprendre plus aisément l’articulation que l’on peut faire
entre les différents facteurs pris en compte par les juridictions. Selon la démarche constatée
par ces auteurs, le premier facteur nécessaire à la levée du voile est la présence d’une société
dominante (cela peut aussi bien être un actionnaire individu) et d’une société dominée, un
bénéfice retiré par la société dominante et un dommage causé à un tiers. La domination d’une
société sur une autre se manifeste par un contrôle excessif sur la société dominée134. Le
bénéfice retiré par la société dominante consistera en général en un abus de la société
dominée afin de servir son propre intérêt135. Ensuite, la deuxième condition nécessaire est la
présence de l’un des facteurs que l’on va analyser ici136 (on observera à cet égard certains

                                                                                                               
130
D. MILLON, « The Still-Elusive Quest to Make Sense of Veil-Piercing », 89 Texas L. Rev. 15, 2010, p. 20.
131
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 175.
132
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 13.
133
Ibid., pp. 13 et 22.
134
P.I. BLUMBERG, K.A. STRASSER, N.L. GEORGAKOPOULOS, E.J. GOUVIN, Blumberg on Corporate Groups,
New-York, Wolters Kluwer Law & Business, 2009, p. 25-4 ; C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note
34), p. 144.
135
P.I. BLUMBERG, K.A. STRASSER, N.L. GEORGAKOPOULOS, E.J. GOUVIN, op. cit. (Voy. note 134), p. 25-4 ; C.
BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 145.
136
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 23.

  28  
recoupements avec la théorie de l’instrumentalité, notamment le facteur relatif au capital
inadéquat ainsi que celui relatif à la présence d’administrateurs en commun dans les deux
sociétés).

a. Inadequate Capitalization

La sous-capitalisation d’une société est considérée comme un abus manifeste de la personne


morale et constitue dès lors un fondement souvent invoqué pour justifier la levée du voile. On
peut considérer que la capitalisation adéquate par rapport à l’activité exercée est la
contrepartie de la responsabilité limitée. En effet, dans la mesure où ce sont en définitive les
créanciers qui supportent les risques sociaux137, la moindre des choses est que la société soit
capitalisée de façon adéquate par rapport à l’activité projetée138. Toute sous-capitalisation
volontaire consisterait en un abus évident de la responsabilité limitée. Selon ce fondement de
la levée du voile, chaque société doit disposer d’un capital suffisant à la satisfaction de ses
obligations, permettant de parer raisonnablement aux éventuels imprévus139. Deux choses
posent problème en matière de capitalisation adéquate, d’une part, le montant adéquat et,
d’autre part, le moment de la vie de la société à partir duquel il faut se situer pour évaluer ce
montant. En ce qui concerne le montant requis, tout dépendra de l’activité en question mais il
s’agira d’avoir un capital suffisant pour couvrir les risques raisonnablement prévisibles de
l’activité. Il ne s’agit pas d’imposer aux firmes d’être capitalisée suffisamment pour couvrir
les frais d’un dommage hors norme (par exemple en matière de préjudice
environnemental) 140. Il s’agit simplement d’offrir « un certain niveau de protection aux
créanciers »141, aussi bien contractuels qu’extracontractuels. Quant au moment à prendre en
considération pour évaluer le respect de la première exigence, la décision DeWitt Truck
Brothers v. W Ray Flemming Fruit Co.142 estime que la société doit être adéquatement
capitalisée à tout moment. Cela revient à considérer cette obligation comme continue143. On
peut ici établir une distinction avec l’exigence de notre droit belge relatif à l’établissement
                                                                                                               
137
On a vu que la responsabilité limitée procédait d’une externalisation des risques vers les créanciers sociaux.
138
En témoignent les variétés de règles que connaissent les différentes législations sociétales en matière de
protection du capital social. On peut citer notamment la réserve légale imposée par le Code des sociétés ainsi que
la restriction qui existe en matière de bénéfices distribuables. K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp.
184 et 185.
139
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), pp. 518 et 573 ; N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 15.
140
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 573.
141
Ibid., p. 574.
142
DeWitt Truck Brothers v. W Ray Flemming Fruit Co., 540 F.2d 681 (1976), disponible sur
www.justia.com.
143
D. S. BAKST, op. cit. (Voy. note 93), p. 329.

  29  
d’un plan financier qui, lui, se place au moment de la formation de la société et requiert un
capital suffisant pour pouvoir exercer l’activité projetée pendant deux ans au moins144.

Lorsque la levée du voile social fait suite à une insuffisance du capital social, il faut distinguer
le cas où le capital inadéquat est l’unique facteur motivant la levée du voile social de la
situation où, au contraire, d’autres facteurs ont été pris en considération par le juge pour
motiver sa décision de lever le voile. Dans le cas où il s’agit du facteur unique, ou le plus
déterminant, l’actionnaire ciblé par la levée de voile ne devrait être responsable qu’à
concurrence de la différence entre le capital insuffisant et le capital adéquat145/146. Cette
solution est logique car, si le capital avait été adéquat par rapport aux activités de l’entreprise,
le créancier lésé n’aurait pas obtenu la levée du voile et se serait donc contenté du capital de
la société, et ce même si celui-ci, tout en étant adéquat, était insuffisant à réparer l’intégralité
du dommage. La solution contraire reviendrait à préjudicier injustement l’actionnaire, qui,
parce qu’il n’a pas adéquatement capitalisé sa société, doit payer l’intégralité du dommage
alors que dans l’hypothèse inverse, la société n’aurait réparé le dommage qu’à concurrence de
ses actifs. Cela reviendrait également à avantager la personne lésée puisqu’elle obtiendrait
plus que ce qu’elle aurait eu si la société avait été adéquatement capitalisée147. En revanche,
dans le cas où le capital adéquat n’est qu’un facteur à prendre en compte parmi d’autres (par
exemple parce qu’il y’a eu des transfert d’actifs entre sociétés, en cas de chevauchement de
personnel,…), on se trouve alors dans un cas de levée du voile pur et simple et l’actionnaire
sera tenu de la totalité du préjudice occasionné148.

En outre, en présence d’une capitalisation adéquate, la qualité du créancier (créancier


contractuel ou délictuel) est également un élément important à prendre en compte par le juge.
Comme le dit si justement M. Cheng, si la caractéristique qui différencie les créanciers
contractuels des créanciers extracontractuels est le caractère volontaire ou involontaire de la
relation juridique qui les lie à la société, c’est également le cas pour cette dernière. En effet, si
le créancier involontaire n’a pas voulu de la relation qui le lie à la société, cette dernière ne l’a
                                                                                                               
144
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 112.
145
Exemple : admettons qu’une société dispose d’un capital social de 100.000 euros et que le préjudice subi par
la victime est de 200.000 euros. S’il a été estimé que le capital adéquat pour ce type d’activité devait être de
150.000 euros, l’actionnaire ne devrait payer à la victime que 50.000 euros, soit l’équivalent de l’insuffisance de
capital, et non 100.000 euros.
146
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 569.
147
Ibid., p. 570.
148
Ainsi, pour reprendre l’exemple donné (supra note de bas de page 145), l’actionnaire sera dans ce cas tenu de
payer 100.000 euros à la personne préjudiciée.

  30  
pas non plus voulue, ce n’est que par accident qu’elle a causé un dommage au créancier149.
Cela a des conséquences importantes au niveau de l’évaluation du montant de l’insuffisance
du capital car, lorsqu’elle s’engage volontairement dans les liens du contrat, la société le fait
en connaissance de cause et procède à un calcul préalable afin de déterminer si elle sera en
mesure de remplir ses engagements. Par conséquent, le fait qu’une société s’engage dans un
contrat déterminé implique qu’elle a estimé qu’elle était en mesure d’honorer le contrat et de
parer à une éventuelle responsabilité contractuelle. Ainsi, le fait qu’une société assume une
obligation qui excède considérablement sa capacité à la respecter peut être interprété comme
un choix délibéré de la part de la société de se mettre en défaut de capacité à remplir ses
engagements150. Cette possibilité d’évaluer ex ante la capacité de la firme à respecter le
contrat n’existe pas en matière délictuelle, puisque la relation est imprévisible. Par
conséquent, on ne saurait conclure à une sous-capitalisation intentionnelle aussi facilement.
En revanche, lorsqu’une entreprise se lance dans une activité présentant un potentiel
dommageable extrêmement important (par exemple une société pétrolière), les probabilités
qu’elle ait à faire face à une responsabilité extracontractuelle sont plus élevées et sont connues
de l’entreprise. Dans cette situation, la sous-capitalisation peut être considérée comme
volontairement créée dans le but d’éviter une responsabilité future 151 . En résumé, la
capitalisation inadéquate devrait, en tant que facteur à prendre en compte, être retenue plus
facilement par le juge en matière contractuelle ainsi qu’en matière délictuelle lorsque
l’activité présente un risque élevé. Toutefois, le caractère contractuel de l’engagement ne doit
pas à chaque fois conduire le juge à lever plus facilement le voile car il se peut que la société
qui s’engage dans les liens d’un contrat, tout en sachant qu’elle n’est pas encore en mesure de
l’honorer, pense de bonne foi que le produit du contrat lui permettra de respecter sa parole.
Dans l’hypothèse où, par malheur, les affaires ne marchent pas aussi bien que prévu et que la
société se trouve donc dans l’incapacité de rembourser les dettes nées du contrat, s’il s’avère
que les prévisions faites par l’entreprise étaient correctes, on ne saurait alors conclure à une
capitalisation inadéquate volontairement assumée152. En définitive, tout est question de fait.

On l’aura compris, la capitalisation inadéquate est un facteur qui doit être manié avec une
grande prudence par les cours et tribunaux sous peine de préjudicier injustement une partie et
d’en avantager une autre. Il ne s’agit pas de s’arrêter simplement à la nature contractuelle ou
                                                                                                               
149
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 578.
150
Ibid.
151
Ibid.
152
Ibid., p. 579.

  31  
extracontractuelle de l’engagement, il faut pousser la réflexion plus loin en regardant les
circonstances qui entourent chacune de ces situations.

b. Asset Stripping

Une autre situation pour laquelle la levée du voile apparaît comme la solution la plus juste
vis-à-vis des parties lésées est celle dite « Asset Stripping » que l’on peut traduire en français
par « démembrement d’actifs » ou encore « évasion d’actifs ». On vise ici la situation par
laquelle les actionnaires sortent délibérément des actifs de la société jusqu’à diminuer
considérablement la solvabilité de cette dernière de manière à ce qu’elle ne soit plus en
mesure de respecter ses engagements contractuels153. Cette dissipation des actifs peut prendre
la forme d’une distribution excessive de dividendes, d’une augmentation importante du salaire
des dirigeants154, d’un remboursement des dettes contractées par la société mère, d’un prêt
consenti à la mère, d’un nantissement pour garantir le remboursement d’une dette contractée
par la mère, etc155. Lorsque ce type de situation se présente, les tiers créanciers de la société
appauvrie sont directement préjudiciés en raison de la diminution de leur gage commun qu’est
le patrimoine social. Toutefois, pareille évasion d’actif ne constitue pas en soi un abus de la
séparation que crée la personnalité juridique distincte. On se trouve dans une situation
délicate, à la frontière entre l’abus et l’usage normal de la personne morale156. En effet, il
n’existe aucune règle permettant de déterminer le caractère approprié ou non d’un transfert
d’actifs, pratique courante au sein d’un groupe de sociétés, parmi d’autres transferts
d’informations, de technologie, etc157. Pour apporter une réponse parmi d’autres, un lien peut
être fait avec le droit anglais qui connaît un concept fort proche, désigné sous le terme
« Evasion of Existing Legal Obligations », et à l’égard duquel se pose également la question
de savoir à partir de quel moment l’usage de la personne morale à cette fin devient abusif. A
cet égard, une décision de la Cour d’appel de Hong Kong158 pose un critère de temps qui se
trouve objectif et efficace. Selon la Cour, ce qui est décisif pour déterminer si abus il y a est le
moment de la création de la société159. Si la société a été créée après la naissance de

                                                                                                               
153
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 365 ; K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 655.
154
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 365.
155
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 655.
156
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), pp. 365 et 366.
157
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 181.
158
China Ocean Shipping Co. v. Mitrans Shipping Co., 3 H.K.C. 123, 127 (C.A) (1995), disponible sur
www.hklii.hk.
159
Selon la Cour d’appel de Hong Kong : « Using a corporate structure to evade legal obligations is
objectionable. The courts’ power to lift the corporate veil may be exercised to overcome such evasion so as to

  32  
l’obligation assumée, la société sera considérée comme constituée dans le seul but d’éluder
l’obligation existante et le voile sera levé pour faire comme ci cette société n’existait pas. En
revanche, n’est pas considéré comme injuste le fait de créer une société dans le but d’éviter
d’éventuelles obligations futures160. Transposée à l’hypothèse de la dissipation d’actifs, cette
solution conduit à lever le voile lorsque cette évasion prend place après avoir assumé une
obligation légale.

La décision Eagle Air, Inc. v. Coroon Black Dawson & Co.161 permet d’illustrer le propos.
Dans cette affaire, le juge a levé le voile sur un montage composé d’une société mère, d’une
filiale et d’une sous-filiale. Le schéma était simple, le financement de la sous-filiale se faisait
via un prêt d’1 million de dollars auprès de la filiale, laquelle était elle-même financée par un
prêt d’1,5 million de dollars auprès de la société mère. Cette technique de prêt en chaine
permet de protéger le patrimoine de l’entreprise en le stockant dans la société mère, la seule
société entrant en relation avec les tiers étant la sous-filiale162.

c. Commingling of Assets et Self-Dealing

Le terme « Commingling of Assets » sert à désigner le cas où les actifs de différentes


personnes, par exemple la société mère et sa filiale, sont mélangés entre eux à tel point qu’il
devient difficile de savoir qui est propriétaire de quoi163. Le créancier qui contracte avec une
société dont les actifs sont mélangés à ceux d’une autre ne le sait pas au moment de la
formation du contrat et peut, par conséquent, facilement être induit en erreur sur la
consistance des actifs de la société cocontractante. Le principe est que chaque société
constitue une entité séparée et autonome, ce qui se traduit notamment par l’existence d’un
patrimoine composé d’actifs propres à chacune des sociétés. Le raisonnement est que, lorsque
les actifs de deux sociétés sont mélangés entre eux, on ne peut plus parler d’entités séparées.
Les deux sont traitées comme une seule et même personne, l’une étant un département, une
succursale de l’autre (la succursale ne bénéficie pas de la personnalité juridique)164.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
preserve legal obligations. But using a corporate structure to avoid the incurring of any legal obligation in the
first place is not objectionable. And the courts’ power to lift the corporate veil does not exist for the purpose of
reversing such avoidance so as to create legal obligations ».
160
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), pp. 366 et 367.
161
Eagle Air, Inc. v. Coroon Black Dawson & Co.,   648 P.2d 1000 (Alaska 1982), disponible sur
www.findacase.com.
162
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 655.
163
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 62.
164
Ibid.

  33  
Dans la mesure où une filiale et sa société mère sont deux entités distinctes, elles peuvent
légalement être amenées à contracter ensemble. Toutefois, dans le cas où l’une des sociétés
est l’unique contractant de l’autre, les juridictions peuvent être amenées à lever le voile et à
assimiler l’opération à une opération interne. Ce sera également le cas lorsque la filiale a
d’autres contractants que sa société mère mais dont les opérations réalisées avec cette dernière
sont d’une ampleur particulièrement importante165. On parle dans ce cas de « Self-Dealing »
puisque, le voile étant levé, l’opération qui jusque-là s’opérait entre deux personnes distinctes
se réalise désormais au sein d’une seule et même personne166.

d. Shareholder Domination et Overlap in Corporate Personnel

Une autre situation amenant à considérer deux entités pour une seule est celle de la
domination d’une société par son actionnaire de telle manière à ce que la société dominée
agisse in fine dans l’intérêt de la société dominante. La domination va au-delà d’une
participation totale ou majoritaire dans une société. Comme il a déjà été dit dans la partie
consacrée à la théorie de M. Powell (Voy. supra page 26), à elle seule, la détention de la
totalité des parts est insuffisante à lever le voile167. La solution contraire reviendrait à
supprimer l’objectif même de l’entité séparée et de la responsabilité limitée et il deviendrait
en même temps impossible pour une personne de créer une société dont elle serait l’unique
associé (Voy. l’exemple belge de la SPRL-U). La domination dont il est ici question est en
réalité davantage liée à l’administration et à la gestion de la société qu’à son actionnariat. En
effet, dans la mesure où une société est gérée non pas par son assemblée générale mais par
son conseil d’administration, c’est au niveau de ce dernier que la domination d’une société sur
une autre a lieu 168 . Cependant, les membres du conseil d’administration sont élus par
l’assemblée générale, laquelle est composée des actionnaires dont le droit de vote est
proportionnel à leur participation dans le capital social. Cela implique que la société qui
détient la majorité, voire la totalité, des parts d’une filiale a le pouvoir de désigner la totalité
des membres du conseil d’administration, lesquels doivent en principe être choisis pour servir

                                                                                                               
165
A titre d’exemples on peut imaginer le cas d’un prêt sans intérêt ou la vente de biens à un prix nettement
inférieur de celui du marché, etc.
166
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), pp. 62 et 63.
167
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 559 ; N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 64 ; C.
BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 144 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note
88), p. 16.
168
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 561 ; N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 64.

  34  
les intérêts de la société administrée169/170. Cependant, dans cette configuration, les chances
sont grandes de se retrouver en présence des mêmes administrateurs et directeurs au sein des
deux sociétés, situation qualifiée de chevauchement de personnel (traduction française de
« Overlap in Corporate Personnel »). Bien qu’il n’y ait aucune interdiction à ce sujet171, face
à une situation de chevauchement d’administrateurs, il y’a peu de doute que ceux-ci servent
prioritairement les intérêts de la mère par rapport à ceux de la fille. Cet état de fait illustre
parfaitement la raison pour laquelle la détention de la totalité ou de la majorité des actions
d’une société implique un haut degré de contrôle sur cette dernière172. Dans de pareilles
conditions, il est difficile de prétendre que la filiale dispose d’une réelle liberté de décision,
d’une autonomie dans sa gestion, et dès lors de conclure que les deux sociétés sont des entités
distinctes. Dans une décision, la Cour a considéré que par domination, il fallait entendre un
contrôle « not only of finances but of policy and business practice in respect to the transaction
attacked so that the corporate entity . . . had at the time no separate mind, will or existence of
its own »173. On le voit, par la détention de la majorité des titres de la filiale, la société mère,
via le conseil d’administration, joue un rôle déterminant dans la gestion. Toutefois, le simple
fait que les conseils d’administration des deux sociétés soient composés des mêmes membres
est insuffisant à conclure à la levée du voile, il faut davantage y voir un indice174/175. En
définitive, ce qui sera déterminant pour établir la domination d’une société sur l’autre sera le
fait que les décisions sont prises par le conseil d’administration de la société dominante,
privant la société dominée de toute autonomie. Ainsi, dans l’hypothèse d’une composition
identique des deux conseils d’administration, sera décisif le fait que la décision prise sert les
intérêts de la société dominante en lieu et place de ceux de la société dominée. On a vu la
notion d’intérêt de groupe (Voy. supra Chapitre 2, section 2, §3) qui valide les opérations
intragroupes au détriment de l’une des sociétés membres. Par conséquent, le fait qu’une
décision de la filiale serve les intérêts de la mère n’est pas en soi suffisant à lever le voile, on
peut toutefois y voir un indice montrant que les deux ne forment en réalité qu’une seule
entité176.
                                                                                                               
169
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 64.
170
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), pp. 560 et 561.
171
Ibid., p. 561.  
172
Ibid.
173
Craig v. Lake Asbestos of Quebec., Ltd., 843 F.2d 145, 150 (3d. Cir. 1988), disponible sur
www.findacase.com.
174
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 64.
175
Un lien peut être fait ici avec la théorie de F. Powell. Parmi les facteurs qu’il énumère, le dixième concerne la
situation de manque d’indépendance des administrateurs et directeurs de la filiale par rapport aux ordres venant
de la société mère. Voy. C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 17.
176
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 65.

  35  
Un exemple de jurisprudence dans lequel la domination d’un actionnaire et la composition
identique du conseil d’administration constituent deux éléments ayant conduit à lever le voile
social est la décision Luckenbach S.S. Co. v. W.R. Grace & Co.177. La société Luckenbach
était active dans le transport de fret par bateau. Afin de parer à d’éventuelles actions en
responsabilité de la part des cocontractants, Luckenbach avait constitué une filiale
(Luckenback Steamship Company) dans le seul but d’interposer une personne entre elle et ses
clients. Le montage est très simple, les clients ne seront en contact qu’avec la filiale, laquelle
sera donc leur unique contractant et interlocuteur. Quant à Luckenback mère, elle a la
propriété de tous les bateaux et se contente de les louer à sa filiale afin que cette dernière
puisse exécuter ses obligations contractuelles à l’égard des clients. L’interposition d’une
personne juridique ainsi que la responsabilité limitée garantissent à la société mère une
protection maximale contre toute action des créanciers de la filiale. Par ce montage, la firme
protège les actifs essentiels à son activité économique dès lors qu’ils se trouvent dans le
patrimoine de la société mère, laquelle n’entre pas directement en relation avec les clients.
Dans cette décision, le juge, constatant que les deux sociétés étaient dominées par les mêmes
actionnaires et que les administrateurs étaient les mêmes, a levé le voile sur les différentes
personnalités juridiques afin de permettre a un créancier préjudicié d’obtenir réparation de son
dommage sur le patrimoine de la société mère (le patrimoine de la filiale étant insuffisant
pour réparer l’entièreté du dommage). Le motif déterminant pour lequel le juge a procédé à la
levée du voile est le caractère injuste de l’enrichissement de la société mère178. On constate
donc que le chevauchement de personnel et la domination d’un actionnaire ne sont pas en soi
suffisants mais constituent des indices précieux. On ajoutera que cette décision prouve une
fois de plus un renvoi à l’idée de justice et d’équité dans les décisions des juridictions.

e. Observation of formalities

Dès la constitution d’une société et durant sa vie, toute une série de formalités doivent être
accomplies en conformité avec la loi. Dans certains cas, le non respect de formalités peut être
révélateur de l’existence d’une société écran. Toutefois, l’accomplissement ou le défaut
d’accomplissement de certaines formalités n’est pas en soi un indicateur fiable de la présence

                                                                                                               
177
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 563 ; Luckenbach S.S. Co. v. W.R. Grace & Co, 267 F.
676 (4th Cir. 1920).
178
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 563.

  36  
ou non de deux entités séparées179. Il en va particulièrement ainsi du cas de la société
unipersonnelle où les formalités d’approbation par le conseil d’administration ou par
l’assemblée générale de certaines décisions prises par l’un ou l’autre sont sans utilité pratique
dans la mesure où la plupart du temps l’unique associé est à la fois l’unique gérant et dès lors,
ne risque pas d’invalider la décision qu’il vient de prendre sous une autre casquette180. En
revanche, dans la relation mère-fille, la situation est différente. Un bon exemple de non-
respect de formalités, de chevauchement de personnel et de domination d’une société sur une
autre est la décision Chatterley v. Omnico. Omnico est une société d’informatique qui a
racheté 80% des parts d’Interface Computer et a élu six de ses administrateurs au conseil
d’administration de ce dernier, lequel conseil est composé de sept administrateurs au total.
Les conseils d’administration de ces deux sociétés se réunissaient aux mêmes jours et mêmes
heures sans qu’aucune distinction ne soit faite entre les deux sociétés. Lors de ces réunions,
les quinze administrateurs d’Omnico participaient à la prise de décision concernant Interface
Computer de telle sorte que les décisions prises par Interface étaient en réalité celles
d’Omnico. La cour a levé le voile social qui existait entre Omnico et Interface mais elle ne l’a
pas fait sur la seule base du défaut de formalité, elle a également pris en compte le fait que six
des membres du conseil d’administration d’Interface étaient des administrateurs d’Omnico,
ainsi que le fait que la majorité des actions d’Interface appartenaient à Omnico, pour arriver à
la conclusion qu’Interface n’était qu’un instrument au service d’Omnico181/182.

L’exemple Omnico est révélateur du rôle que jouent les différents fondements analysés dans
la présente partie de l’exposé. On voit qu’il s’agit en réalité davantage de facteurs, d’indices,
qui doivent se combiner entre eux pour donner une image suffisamment fidèle de la réalité.
Comme on vient de le voir, le non-respect de formalités n’est pas à lui seul un élément
déterminant pour déboucher sur une levée du voile. Il s’agit d’un facteur à prendre en compte
parmi d’autres, plus révélateurs d’un abus de la personne morale, notamment en cas de
confusion de patrimoine et de chevauchement de personnel où le non-respect de certaines
règles de forme est un indice supplémentaire de l’état de subordination de la filiale vis-à-vis
de la société mère183. En définitive, le défaut de formalité, pour conduire à la levée du voile,
doit s’accompagner d’autres indices d’abus de la personne morale ou poursuivre un but de
                                                                                                               
179
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 552.
180
Ibid.
181
John R. Chatterley et Al v. Omnico, 26 Utah 2d 88, 485 P.2d 667 (Utah 1971), disponible sur
www.findacase.com.
182
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), pp. 57 et 58.
183
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 555 ; N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 58.

  37  
fraude, ou tout autre but injuste tel que par exemple entretenir la confusion dans le chef du
créancier lésé184. A titre d’exemple, il a été décidé que ne constituait pas un élément suffisant
pour lever le voile entre une société mère et sa filiale le fait que deux sociétés partagent un
nom tellement similaire (« Mohawk Oil and Gas, Inc. » et « Mohawk Oil Company, Ltd »)
qu’il peut prêter à confusion dans le chef des tiers185.

f. Misrepresentation

Un fondement efficace186 pour obtenir la levée du voile social est le cas de Misrepresentation,
situation par laquelle le demandeur à l’action a été trompé sur l’identité de son cocontractant.
On vise par ce terme le cas de la société qui induit en erreur son cocontractant en dénaturant
« ses activités, sa capacité à répondre de ses engagements, ou ses conditions financières »187.
Le cas qui nous occupe ici vise exclusivement la situation du créancier cocontractant (par
opposé au créancier involontaire, victime d’un dommage) car il est le seul à pouvoir être sujet
à des comportements positifs ou négatifs visant à l’induire en erreur préalablement à toute
relation avec le principal intéressé. On l’aura compris, on se situe ici au moment de la
formation du contrat, par opposition à d’autres fondements de la levée du voile qui prennent
place en cours d’exécution du contrat, tel que le cas d’évasion d’actifs par exemple188. Parmi
les éléments sur lesquels une personne peut être induite en erreur, on citera notamment
l’identité de son cocontractant, le créancier pensant être en relation avec la société mère alors
qu’en réalité il contracte avec la filiale, laquelle dispose de moins d’actifs que la première et
dès lors, est moins solvable189. Dans pareille situation, il est évident que le plaignant a été
trompé car la société mère, offrant plus de garanties, était plus attractive que la filiale, il est
donc plus que probable que cet élément était déterminant pour le cocontractant lors de la
conclusion du contrat. Un autre exemple est celui du créancier qui est trompé quant à la
consistance des actifs de son cocontractant ou quant à la nature de sa sûreté190. Il n’est pas

                                                                                                               
184
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 520.
185
Harley McKibben v. Mohawk Oil Co., 667 P.2d 1223, 1230 (Alaska 1983), disponible sur
www.findacase.com.
186
Dans l’étude empirique qu’il a mené, M. Thompson a noté que, en présence d’un cas de Misrepresentation, le
taux de réussite de levée du voile est de 94%, tandis qu’en l’absence de celui-ci le taux d’échec est de 92%. Voy.
R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), pp. 1063 à 1065.
187
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 112.
188
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), pp. 652 et 655.
189
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 146 ; K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), pp.
651 et 652.
190
Paumier v. Barge B.T., 395 F. Supp. 1019 (E.D. Va. 1974), disponible sur www.justia.com ; D. S. BAKST,
op. cit. (Voy. note 93), pp. 327 et 328 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), pp. 31 et 32.

  38  
requis que la société visée par la levée du voile ait usé de comportements positifs pour
tromper son cocontractant, une simple abstention ou un silence ayant les mêmes
conséquences sont également susceptibles de conduire à une percée du voile sur la base de
Misrepresentation191, à la condition toutefois que ce silence ou cette abstention traduise une
volonté d’entraîner délibérément la confusion dans le chef du cocontractant192. En effet, on ne
saurait reprocher à une société une confusion résultant d’un manque d’attention de la part du
créancier, qui, s’il avait été moins négligent, ce serait rendu compte qu’il contractait en réalité
avec la filiale par exemple.

Les cas de Misrepresentation sont parfois assimilés à celui de la fraude. Toutefois, s’il est vrai
qu’une fraude peut constituer un cas de Misrepresentation, ce dernier est plus large et ne se
limite pas aux seuls contextes de fraude193. A ce sujet, nous savons que l’objectif conduisant à
l’abstraction de la personnalité morale est la recherche de la justice et de l’équité, cela
n’implique cependant pas pour autant que la fraude est une condition sine qua non à toute
levée du voile et qui devrait, par conséquent, être prouvée en plus des différents facteurs
analysés. Au contraire, s’il est certes plus facile de prouver un cas de Misrepresentation en la
présence de fraude194, cette dernière n’est pour autant pas requise. D’ailleurs, les juridictions
s’accordent de plus en plus à considérer que la présence d’une fraude n’est pas nécessaire195,
et, lorsque certaines d’entre elles évoquent la fraude, elles envisagent en réalité la mauvaise
foi de l’actionnaire196. Ceci vient corroborer le fait que la levée du voile social présente une
forte dominante subjective.

Un bon exemple qui permet de clôturer l’examen des différents fondements utilisés par les
juridictions et qui montre le lien étroit qui existe entre ceux-ci est l’affaire My Bread Baking
Co. v. Cumberland Farms, Inc.197 dans laquelle la Cour Suprême du Massachusetts n’a pas
tenu compte du principe de la séparation des différentes personnes et a déclaré la société mère
responsable des engagements de l’une de ses filiales. La Cour a levé le voile sur la base de

                                                                                                               
191
D. S. BAKST, op. cit. (Voy. note 93), p. 328 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 32.
192
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 146.
193
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 357 ; C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy.
note 88), p. 31.
194
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), p. 31.
195
Pour une énumération de différentes décisions refusant une exigence de fraude, voy. P.N. KERLEY, J. BANKER
HAMES, P.A. SUKYS, Civil Litigation, New-York, Thomson Delmar Learning, 2005, p. 403.
196
N. CLAUSEN, op. cit. (Voy. note 91), p. 65.
197
My Bread Baking Co. v. Cumberland Farms, Inc., 353 Mass. 614, 233 N.E.2d 748 (1968), disponible sur
www.justia.com.

  39  
différents facteurs, en particulier le fait que les différentes sociétés utilisaient le même nom et
les mêmes locaux, le fait qu’elles étaient sous la direction et le contrôle des mêmes personnes
et qu’elles entretenaient l’ambiguïté sur l’identité de la société contractante. Ces différents
facteurs expliquent la confusion dans l’esprit du contractant préjudicié lors des négociations,
et dès lors, justifient qu’il ne soit pas tenu compte de la frontière séparant les différentes
personnes morales198. Ce cas vient confirmer le fait que les différents fondements analysés
dans cette partie ne sont en réalité que des indices dont la présence en plus ou moins grand
nombre rend un éventuel abus de la personne morale plus ou moins vraisemblable. En effet, à
l’analyse de cette affaire, on peut observer la présence : d’actifs partagés entre les différentes
personnes morales, d’un non-respect des formalités, d’un chevauchement de personnel ainsi
que d’un cas de Misrepresentation qui est, en quelque sorte, le résultat de la présence des
différents facteurs qui ont poussé à la confusion dans le chef du tiers préjudicié. Chaque cas
d’espèce est bien souvent un condensé de plusieurs facteurs, qui, mis ensemble, permettent de
détourner la personnalité morale de sa fonction et, corollairement, permettent de conduire le
juge à faire comme si cette personne morale n’existait pas199. Par exemple, si on reprend le
cas de Commigling of Assets, celui-ci s’accompagnera bien souvent d’un non-respect de
certaines formalités, notamment la tenue d’une comptabilité séparée200.

§3. Quelques tendances observées

La technique consistant à lever le voile corporatif se base essentiellement sur des


considérations factuelles pour déterminer s’il est nécessaire de tenir deux entités pour une
seule201. Ce paragraphe traite de l’analyse de différents éléments factuels jouant une influence
décisive sur l’issue du litige.

1. Créancier volontaire contre créancier involontaire

                                                                                                               
198
P.I. BLUMBERG, K.A. STRASSER, N.L. GEORGAKOPOULOS, E.J. GOUVIN, The Law of Corporate Groups :
Jurisdiction, Practice, and Procedure, New-York, Wolters Kluwer Law & Business, 2008, pp. 12-17 et 12-18 ;
C.S. KRENDL et J.R. KRENDL, op. cit. (Voy. note 88), pp. 32 et 33 ; R.W. SOUTHGATE et D.W. GLAZER,
Massachusetts Corporation Law & Practice, New-York, Wolters Kluwer Law & Business, 2013, pp. 4-55 à 4-
59.
199
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 380.
200
Ibid., p. 179.
201
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 509 ; K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 641.

  40  
On peut classer les créanciers sociaux en deux catégories, d’une part, les créanciers qualifiés
de « volontaire » parce qu’ils ont créé volontairement la relation juridique qui les unit à leur
débiteur par le biais du contrat202, d’autre part, les créanciers dit « involontaire » parce que ce
n’est que par le fruit du hasard qu’ils se retrouvent dans les liens du droit des obligations203.
On parle également de créancier contractuel et de créancier délictuel 204 . La qualité du
créancier qui sollicite la levée du voile joue un rôle décisif dans la décision du juge. De
nombreux auteurs plaident pour une plus grande clémence de la part des juridictions à l’égard
des créanciers involontaires lorsqu’elles sont sollicitées par ces derniers pour lever le voile
social de leur débiteur. Ceci est directement lié à la responsabilité limitée dont la levée du
voile social constitue l’exception. On a vu que la responsabilité limitée procédait d’une
externalisation du risque social de l’actionnaire vers le créancier, principal critique émise à
son encontre205. Ce déplacement du risque sur la tête du créancier est plus facilement tolérable
lorsqu’il s’agit d’un créancier volontaire car celui-ci, connaissant son futur cocontractant et la
limitation de responsabilité de ce dernier, pourra négocier ex ante les termes du contrat en
demandant des garanties supplémentaires afin de parer un éventuel cas d’insolvabilité (par
exemple en demandant à l’actionnaire de s’engager personnellement au côté de la personne
morale contractante) 206 . Cette possibilité de négociation préalable n’est pas offerte au
créancier involontaire car celui-ci ne connaît pas encore son débiteur au moment de la
survenance du fait générateur de leur relation (la personne qui subit un dommage ne peut pas
le prévoir à l’avance et ne saurait par conséquent identifier à l’avance le futur responsable)207.
C’est pour cette raison que la responsabilité limitée est plus fortement critiquée lorsque ses
conséquences touchent un créancier involontaire, c’est corollairement la raison pour laquelle
une levée du voile moins stricte est demandée, et ce, afin de corriger les excès de la
responsabilité limitée à leur égard208. On notera toutefois qu’en pratique, c’est la solution

                                                                                                               
202
Ainsi, sont considérés comme des créanciers volontaires : les créanciers commerciaux, les créanciers
financiers, les prêteurs, les consommateurs et les employés. T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note
19), p. 398 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 50.
203
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 398 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p.
1588.
204
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 112 ; D.R. KAHAN, op.
cit. (Voy. note 74), p. 1098.
205
Voy. supra Chapitre 2, section 1, §4.
206
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 183 ; C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy.
note 34), pp. 138 et 139 ; T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), pp. 511 et 512 ; F.H. EASTERBROOK
et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 112.
207
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 183 ; T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note
26), p. 512 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p. 1602.
208
Selon M. Leebron, le caractère extracontractuel ne devrait pas nécessairement conduire à une responsabilité
illimitée, pas plus qu’à une plus grande clémence dans la levée du voile. Il explique son point de vue par le rôle

  41  
contraire qui est appliquée par les juridictions américaines209. En effet, les résultats de l’étude
menée par M. Thompson montrent que le taux de réussite de levée de voile en matière
contractuelle est plus élevé qu’en matière délictuelle210.

Nous avons vu dans la partie relative à la responsabilité limitée que l’un des corollaires de
l’externalisation du risque social est le problème du hasard moral211. En effet, les actionnaires,
ne supportant pas la totalité du risque social, ne sont pas découragés à se lancer dans une
activité à risque puisque, au final, ce ne sera pas à eux d’en supporter toutes les
conséquences 212 . D’ailleurs, la raison qui pousse les législateurs à imposer un capital
minimum (voire même un plan prévisionnel des dépenses nécessaires à l’exercice de l’activité
pendant une période déterminée, comme c’est le cas en Belgique avec l’obligation de rédiger
un plan financier et la responsabilité des fondateurs qui s’y attache) est de protéger toutes les
parties contractantes de la société. En effet, on peut dire qu’au plus le capital est élevé, au
moins il y’a de chances que la société décide d’entreprendre des activités à risques au
préjudice des créanciers sociaux 213. Cette éventualité de hasard moral, autrement dit la
possibilité que l’entreprise prenne de plus gros risques une fois le contrat conclu avec son
cocontractant, justifie le recours à la levée du voile de la part du créancier volontaire ayant été
dupé sur l’ampleur des risques encourus par la société et in fine par lui même. En effet, celui-
ci, même s’il a pu négocier ex ante des garanties supplémentaires, l’a fait sur la base du risque
connu au moment de la conclusion du contrat et non sur la base du risque plus grand qui a été
assumé après la conclusion du contrat214. A cet égard, il est considéré que la règle de la
responsabilité limitée se justifie moins à l’égard des créanciers volontaires lorsqu’il s’agit
d’une société fermée, au motif que les dirigeants seront plus facilement poussés par les

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
important que joue l’assurance dans ce domaine, justifiant le fait que, même en matière délictuelle, le créancier
involontaire reste un meilleur « risk bearer ». Voy. D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p. 1603.
209
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 362 ; R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…,
op. cit. (Voy. note 68), p. 1068.
210
Les cas analysés par M. Thompson révèlent que le taux de réussite en présence d’un créancier volontaire est
de 42% alors qu’il n’est que de 31% dans l’hypothèse inverse. Il faut toutefois relativiser ce résultat car l’analyse
portait sur 779 cas pour la situation du créancier contractuel contre seulement 226 pour la situation délictuelle.
Voy. R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1058.
211
Voy. supra Chapitre 2, section 1, §4.
212
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 184 ; C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy.
note 34), p. 137 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 50 ; D.W.
LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), pp. 1565 et 1586.
213
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 60.
214
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 112.

  42  
actionnaires à prendre des risques importants215. Par conséquent, la levée du voile devrait se
justifier plus facilement dans cette hypothèse.

2. Société fermée contre société ouverte

Le caractère fermé ou ouvert d’une société influence également la décision des juges lorsqu’il
s’agit de lever le voile social. On a vu à cet égard que la levée du voile vis-à-vis d’un
actionnaire s’expliquait davantage pour des raisons de contrôle sur l’orientation de la gestion
que pour des motifs de participation dans le capital de la société. On a toutefois précisé que la
détention de la majorité des actions permettait à son titulaire d’exercer une domination sur la
société (par exemple la société mère qui détient 100% du capital social de sa filiale peut
nommer ses administrateurs au conseil d’administration de la filiale, laquelle, dès lors, ne
bénéficie d’aucune réelle autonomie par rapport à sa mère)216. Nous avons également vu que
la responsabilité limitée permettait la diversification des investissements dans le chef des
investisseurs qui n’ont aucune crainte d’être tenus personnellement du passif social217. Pour
ces raisons, la levée du voile social concerne principalement des sociétés fermées218. Cette
plus grande facilité à percer le voile s’explique logiquement dans la mesure où il s’agit d’une
exception à la responsabilité limitée. En effet, les sociétés fermées se caractérisent par la
présence d’un faible nombre d’actionnaires détenant une importante partie du capital et jouant
un rôle important dans la gestion. Si ces sociétés sont qualifiées de « sociétés fermées », c’est
en raison du faible nombre d’associés ainsi que de la cessibilité réduite des parts219/220. Au
contraire, les sociétés ouvertes ont fait appel au public pour se financer et sont donc
composées d’un nombre important d’actionnaires, dont une faible partie seulement détient
une part importante d’actions. Ces sociétés se caractérisent en outre par une plus grande
négociabilité des titres et donc par un plus grand va-et-vient d’investisseurs. La différence
principale entre ces deux types de sociétés est le degré de séparation qui existe entre
l’actionnariat et le management. Dans les sociétés fermées, la séparation est très mince, voire

                                                                                                               
215
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 138.
216
Voy. supra Chapitre 3, section 3, §2, point 2, d. Shareholder Domination et Overlap in Corporate Personnel
217
Voy. supra Chapitre 2, section 1, §3.
218
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 173 ; F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited
Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 109 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p. 1567 ; R.B. THOMPSON,
Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1047.
219
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 110.
220
En témoigne l’article 249 de notre Code des sociétés qui subordonne la cessibilité des parts à l’agrément de la
moitié au moins des associés possédant les trois quarts au moins du capital.

  43  
inexistante dans certaines sociétés unipersonnelles ou familiales221. En revanche, dans les
sociétés publiques, la plupart des actionnaires se limitent au rôle d’investisseur passif, ne
jouant qu’un rôle très réduit dans la direction de la société. C’est en raison du rôle accru de
l’actionnaire dans la gestion de celle-ci que se justifie le fait que le voile soit levé plus
facilement dans le cas des sociétés fermées. D’ailleurs, la responsabilité limitée est considérée
comme moins légitime dans le cas des sociétés unipersonnelles et des sociétés composées
d’un faible nombre d’actionnaires222, on comprend donc qu’il y soit plus facilement fait
exception. En revanche, on comprend aisément que le voile ne soit pratiquement jamais levé
dans le cas d’une société publique, tant la situation inverse serait injuste pour des actionnaires
passifs, ayant apporté une mise ridicule par rapport au montant total du capital social et ne
jouant aucun rôle dans la gestion de la société. Au contraire, ici, ce sont les administrateurs et
directeurs qui prennent part aux décisions, lesquels, soucieux de conserver leur emploi, gèrent
la société dans le respect de l’intérêt social et d’une manière visant à assurer une certaine
pérennité. Cette gestion dans l’intérêt de la société avant celui des actionnaires réduit l’effet
néfaste qu’a l’externalisation des risques à l’égard des créanciers et explique donc que la
responsabilité limitée est moins critiquable dans le cas d’une société publique223. Lever le
voile dans cette situation reviendrait en outre à vider de sa substance la responsabilité limitée
qui, justement, permet la diversification des investissements et vise la protection des
investisseurs passifs224. Il faut tout de même préciser que, toutefois, la levée du voile social ne
concerne que les actionnaires étant à l’origine du comportement ayant entraîné pareille
demande. Les actionnaires passifs ne seront donc, dans ce cas, jamais tenus des dettes sociales
au-delà de leur apport, même dans le cas d’une société fermée225. Il faut également noter que
le nombre d’actionnaires est un autre facteur qui influence également les juges. Ceci renforce
l’affirmation selon laquelle la levée du voile touche essentiellement des sociétés dont
l’actionnariat est concentré puisqu’au plus il y’a d’actionnaires au moins il y’a de chances que
le voile social soit levé226.

                                                                                                               
221
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 110 ; F.H. EASTERBROOK
et D.R. FISCHEL, The Economic…, op. cit. (Voy. note 36), p. 55 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p.
1587.
222
H. ANDERSON, « Piercing the Veil on Corporate Groups in Australia : the case for reform », Melbourne
University Law Review, Vol. 33, 2009, p. 346 ; D.W. LEEBRON, op. cit. (Voy. note 26), p. 1587.
223
H. ANDERSON, op. cit. (Voy. note 222), pp. 346 et 347 ; C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note
34), pp. 137 et 138.
224
L. BERGKAMP et W-Q. PAK, op. cit. (Voy. note 19), p. 173.
225
T. K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 513.
226
Voy. l’étude empirique menée par M. Thompson qui révèle que le voile est levé dans 50% des cas impliquant
un seul actionnaire, dans 46% des cas impliquant deux ou trois actionnaires et dans moins de 35% des cas

  44  
3. Actionnaire personne physique contre actionnaire personne morale

Un troisième facteur qui joue un rôle déterminant pour la solution du litige en matière d’abus
de la personnalité morale est la qualité de l’actionnaire. Selon M. Easterbrook et M. Fischel,
le voile devrait être levé plus facilement en présence d’un actionnaire personne morale. Leur
raisonnement est que dans une telle hypothèse d’interposition de sociétés, faire exception à la
responsabilité limitée est moins préjudiciable car seront uniquement concernées des personnes
morales et non des personnes physiques. Toujours selon eux, le problème de hasard moral est
plus grand en situation de groupe de sociétés car le recours à une filiale sous-capitalisée pour
se lancer dans une activité présentant un risque important est plus aisé que pour une personne
physique seule227. Cependant, M. Thompson, dans son étude empirique, a remarqué que
c’était la situation inverse qui prévalait en réalité228. Cette solution des juridictions s’explique
sans doute par la logique qui sous-tend l’organisation d’une entreprise en groupe de sociétés.
Comme M. Strasser le rappelle judicieusement, la création d’une filiale par une société
répond à des besoins différents de ceux d’une personne physique qui crée sa société.
Effectivement, l’organisation en groupe, ainsi que le contrôle de la société mère sur ses
filiales, est davantage motivé par des considérations stratégiques que par la séparation qui
existe entre les différentes personnes juridiques229. Lever le voile facilement, pour le seul
motif que deux sociétés forment une seule entreprise, reviendrait à priver de toute utilité
pratique230 l’organisation sous la forme d’un groupe. Cette volonté de préserver la possibilité
d’organisation en groupe de sociétés justifie donc l’attitude des juridictions231. Le critère
utilisé est celui du « rôle normal » ou « ordinaire » d’un actionnaire232. Appliqué à la matière
du groupe de sociétés, cela signifie que la société qui se contente de jouer le rôle de
l’investisseur passif sera évidemment protégée. Cependant, compte tenu de la particularité de
la situation (la relation mère-fille), le rôle de la société mère peut aller plus loin que le simple
rôle d’investisseur, un certain pouvoir de supervision étant toléré à cet effet233. Cela permet à
deux sociétés de partager des administrateurs en commun sans pour autant craindre le risque

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
impliquant plus de trois actionnaires. R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), pp.
1054 et 1055.
227
F.H. EASTERBROOK et D.R. FISCHEL, Limited Liability…, op. cit. (Voy. note 26), p. 111.
228
R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy. note 68), p. 1056 ; R.B. THOMPSON, Piercing the
Veil…, op. cit. (Voy. note 79), pp. 385 et 386.
229
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), pp. 638 et 639.
230
Alors que l’organisation d’une entreprise sous la forme d’un groupe de sociétés peut poursuivre des buts
totalement légitimes et non rechercher à éluder des responsabilités ou commettre une fraude.
231
R.B. THOMPSON, Piercing the Veil…, op. cit. (Voy. note 79), p. 388.
232
Ibid.
233
Ibid., p. 389.

  45  
de levée du voile234. En définitive, le contrôle de la société mère sur sa filiale dépassera le rôle
normal d’un actionnaire lorsque la filiale n’est que l’instrument, un département de la société
mère, ne disposant d’aucune autonomie vis-à-vis de cette dernière235.

Section 4 – Analyse comparative avec l’Angleterre

Si le droit des Etats-Unis et celui de l’Angleterre sont tout deux reconnus comme relevant du
système juridique de la Common Law, ils présentent néanmoins des divergences importantes
au sujet de la levée du voile. Cela est en grande partie dû à l’attitude conservatrice des juristes
anglais qui répugnent à se défaire des concepts bien connus236. La vie de la levée du voile
social en Angleterre est loin d’être celle d’un long fleuve tranquille. Bien au contraire, la
technique a connu de nombreux remous, alternant périodes de calme et de regain d’intérêts237.
Le conservatisme anglais se traduit par l’absence d’un cadre global servant les intérêts de la
levée du voile. A la place d’un cadre global, les juristes anglais préfèrent avoir recours à des
concepts juridiques traditionnels et bien connus pour aboutir à un résultat semblable238. S’il
y’a certes eu des tentatives de systématisation de la matière, celles-ci sont cependant restées
dans l’ombre. Il en est ainsi de l’arrêt Smith, Stone and Knight v. Birmingham239 dans lequel
le juge Atkinson a posé six critères240 permettant de déterminer dans quelles situations la
levée du voile est rendue nécessaire, arrêt auquel aucune suite n’a été donnée par la
jurisprudence ultérieure241. Une autre tentative est celle de Lord Denning qui a tenté une
approche en la matière avec sa « Single Economic Unit Theory » selon laquelle les sociétés
faisant partie d’un même groupe devraient être considérées comme une seule entreprise et dès
lors être responsables les unes des engagements des autres242/243. En dépit de ces tentatives,
les juridictions ont préféré continuer à s’appuyer sur des concepts juridiques connus tels que

                                                                                                               
234
R.B. THOMPSON, Piercing the Veil…, op. cit. (Voy. note 79), p. 389. Ceci recoupe ce qui a été dit concernant
le chevauchement de personnel entre deux sociétés, critère qui a lui seul ne permet pas de lever le voile social.
235
R.B. THOMPSON, Piercing the Veil…, op. cit. (Voy. note 79), p. 390.
236
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 388.
237
Ibid., pp. 334 à 342.
238
Ibid., p. 332.
239
Smith, Stone and Knight v. Birmingham Corporation, [1939] 4 All E.R. 116 (K.B.).
240
Ces six critères sont les suivants : (1) Who was really carrying on the business?; (2) Were the profits treated
as the profits of the parent company?; (3) Was the parent company the head and the brain of the trading
venture?; (4) Did the parent company decide what should be done and how much investment to make in the
business?; (5) Did the parent company make a profit based on its skill and direction?; et (6) Was the parent
company in effectual and constant control?
241
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 337.
242
Ibid., p. 339.
243
Cette théorie connaît par ailleurs un regain d’intérêt dans le cadre du droit européen de la concurrence, voy.
D.S. BAKST, op. cit. (Voy. note 93), p. 339.

  46  
la fraude, mais surtout l’agency ou encore le trust244. On peut raisonnablement résumer
l’agency et le trust à une relation entre deux personnes dont l’une, l’agent ou le trustee,
accomplit un acte pour le compte d’une autre245. Le raisonnement suivi par les juridictions
lorsqu’elles appliquent ces deux concepts dans le cadre d’une levée du voile est que la société
se distingue de ses actionnaires de telle manière qu’il s’agit en réalité de deux personnes
différentes (par opposition à la théorie de l’organe que l’on connaît en droit belge selon
laquelle l’organe s’identifie à la personne morale dans les actes juridiques auxquels il prend
part246), dont l’une est l’actionnaire et l’autre la personne morale. La logique suivie est que la
personne morale est l’agent ou le trustee de l’actionnaire, lequel est le principal et, dès lors,
est le responsable des engagements pris par la personne morale247. Par conséquent, on arrive
par à une situation comparable à celle de la levée du voile (la responsabilité des actionnaires)
mais via un détour par des concepts juridiques du droit anglais.

Chapitre IV. La levée du voile social en Belgique


 

Le droit belge connaît également la levée du voile en vertu de laquelle les actionnaires d’une
société sont tenus au paiement du passif social sur leur patrimoine personnel. Cependant,
notre droit se distingue fortement du droit américain en ce qu’il n’a procédé à aucune
théorisation sur le sujet248. Ainsi, il n’existe aucune théorie comparable à la technique du
Piercing the Corporate Veil qui permettrait au juge de faire abstraction de la personnalité
juridique d’une société, par exemple en appliquant la règle de l’instrumentalité ou les
différents facteurs analysés au chapitre précédent et ce, afin de faire primer la réalité
économique. Il ne faut néanmoins pas conclure trop vite à l’absence totale de levée du voile
en droit belge. Au contraire, celui-ci, dans certaines situations bien précises, arrive au même
résultat, mais ce sera par le truchement de concepts juridiques existants, à l’instar du droit
anglais.

                                                                                                               
244
T.K. CHENG, The corporate…, op. cit. (Voy. note 19), p. 346.
245
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 648.
246
B. DUBUISSON, V. CALLEWAERT, B. DE CONINCK, G. GATHEM, La responsabilité civile : chronique de
jurisprudence 1996-2007, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 496.
247
M.A. PICKERING, op. cit. (Voy. note 8), pp. 489 et 490 ; K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), pp. 648 à
650 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 71 et 72.
248
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 303.

  47  
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de préciser que la législation belge, en
particulier le droit des sociétés, prévoit de nombreuses exceptions à la responsabilité limitée.
Certaines de ces dispositions seront analysées dans la section consacrée aux groupes de
sociétés pour les besoins du propos mais examiner l’ensemble de ces « consécrations légales
de la levée du voile »249 n’entre pas dans le cadre de notre étude qui se consacre à la situation
par laquelle les tribunaux tiennent les associés personnellement responsables des dettes
sociales en dehors des cas prévus par la loi250. Pour cette raison, nous n’analyserons pas
davantage les règles offrant au créancier lésé un moyen d’action lui permettant de préserver
ses droits, telle que l’action paulienne par exemple, ou toute autre règle de droit civil,
commercial, et de la faillite permettant d’aboutir à la responsabilité de l’actionnaire.

Section 1 – Concepts mobilisés par les juridictions pour lever le voile social

Si le droit belge ne dispose d’aucune technique « sur mesure » pour servir les fins de la levée
du voile, les cours et tribunaux ont néanmoins su utiliser les outils juridiques dont ils
disposaient afin de sanctionner les personnes qui instrumentalisent le droit des sociétés pour
leur bénéfice personnel.

§1er. L’extension de la faillite au « maître de l’affaire »

La théorie de l’extension de la faillite au maître de l’affaire a été développée par nos


juridictions à partir des années 1950 sur base du droit français de la faillite251. Comme son
nom le suggère, cette technique consiste à étendre la faillite de la société à son maître
d’affaire252, qui peut tout aussi bien être une personne physique qu’une personne morale253.
Pareille extension procéde d’une levée du voile social dans la mesure où elle rend possible
« l’abolition des frontières entre personnes morales, faisant ainsi échec au principe de leur

                                                                                                               
249
H. BRAECKMANS, « Toerekening van het vennootschapsfaillissement aan de achterman of de uitbreiding van
het faillissement tot de meester van de zaak », R.W., 1978-1979, col. 851 ; F. T’KINT, « L’extension de faillite »,
note sous Cass., 1er juin 1979, R.C.J.B., 1981, p. 56.
250
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 467 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 380.
251
B. GRELON et C. DESSUS-LARRIVÉ, « La confusion des patrimoines au sein d’un groupe », Rev. Soc., 2006,
liv. 2, p. 282 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 384.
252
Qui n’est pas nécessairement un actionnaire. K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 384.
253
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 54 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 384 ; Comm.
Ostende, 11 décembre 1969, Rev. Prat. Soc., 1970, p. 137 ; Comm. Bruxelles, 20 février 1975, Rev. Prat. Soc.,
1975, p. 98.

  48  
autonomie »254. Cette théorie permet ainsi de rallier à la procédure de faillite le patrimoine de
l’actionnaire qui se cache derrière le masque de la société et, de la sorte, de faire primer la
réalité sur l’apparence255.

1. Les fondements légaux

La doctrine a cherché à trouver les fondements légaux à l’extension de la faillite au maître


d’affaire, c’est ainsi que la fictivité du contrat de société et la théorie du prête-nom ont tour à
tour été mobilisées.

a. La société fictive
 
Selon ce premier fondement, la société dominée n’est qu’une fiction créée artificiellement par
son actionnaire, dans le chef duquel la présence d’affectio societatis fait défaut256. En effet, si
l’actionnaire a créé la société, c’est dans l’unique but de l’utiliser pour servir son propre
intérêt. Pareille fiction procède d’une simulation en vertu de laquelle l’acte apparent qu’est le
contrat de société est anéanti par la contre-lettre257. La conséquence est que la société n’a en
réalité jamais existé et que l’activité était depuis le début exercée par le maître de l’affaire. La
personne de la société et de l’actionnaire ne faisant en réalité qu’une seule, le patrimoine de la
société est en réalité celui de l’actionnaire. Il en résulte que la faillite de la société entraîne
automatiquement celle de l’associé qui est dès lors tenu au paiement du passif social258/259.

Si la fiction offrait un fondement séduisant à l’extension de faillite, ce n’est plus vrai depuis la
loi du 6 mars 1973 qui énonce limitativement les conditions de nullité d’une société (art. 227
et 454 du Code des sociétés). Cette insuffisance de la fiction à justifier l’extension de la
faillite s’explique pour deux raisons. D’une part, parmi les causes de nullité ne figure pas le

                                                                                                               
254
B. GRELON et C. DESSUS-LARRIVÉ, op. cit. (Voy. note 251), p. 282.
255
L’extension de faillite n’est pas à confondre avec la faillite automatique des associés d’une société à
responsabilité illimitée, laquelle faillite résulte dans ce cas non pas d’une levée du voile social mais de la qualité
de commerçant de chacun des associés. V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 483.
256
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 57 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 385.
257
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 57.
258
Ibid., p. 58 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 385.
259
Ce qui implique par ailleurs que les conditions de la faillite sont automatiquement constatées dans le chef du
maître de l’affaire : qualité de commerçant, cessation de paiement et ébranlement de crédit (art. 2 de la loi sur les
faillites). F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 58.

  49  
manque d’affectio societatis260. D’autre part, la cause de nullité opère désormais ex nunc (art.
172 du Code des sociétés), ce qui implique que la nullité ne vaut que pour l’avenir et que la
société ainsi que les opérations réalisées demeurent valides pour le passé, consacrant par là
même l’existence de la société. Il n’est donc plus possible, depuis l’introduction de ces
articles dans le Code des sociétés, de soutenir que la société n’avait pas d’existence, privant la
théorie de la fiction de toute utilité par la même occasion261.

b. La société prête-nom
 
 
A partir du moment où la société, bien que fictive, continue à avoir une existence propre, le
recours à la fiction pour fonder l’extension de la faillite n’est plus envisageable. Pour cette
raison, un autre fondement a été trouvé dans la théorie du prête-nom. Cette théorie s’explique
également par une idée de simulation, mais celle-ci se situe à un moment différent de la vie de
la société. En effet, la simulation se situe désormais au niveau de chacun des actes réalisés par
la société et non plus au niveau du contrat de société en tant que tel262. La conséquence est
que l’existence de la société n’est plus remise en cause. Au contraire, on appréhende ici la
société et le maître de l’affaire comme deux personnes distinctes. En effet, le prête-nom est un
contrat par lequel une partie accomplit un ou plusieurs actes juridiques en son nom mais pour
le compte de l’autre partie263. Les tiers contractants n’entrent en contact qu’avec le prête-nom
et non avec le mandant, dont ils ignorent tout simplement l’existence264. Transposée à la
matière du détournement de la société de sa fonction, cette théorie implique que la société
contracte avec les tiers en nom propre mais pour le compte de l’associé dont elle ne révèle pas
l’existence, lequel reste caché derrière la façade de la société. Ce n’est donc pas au niveau de
l’existence de la société que se situe la simulation mais au niveau de chacune des opérations

                                                                                                               
260
Selon M. T’Kint on ne saurait davantage se rabattre sur la cause de nullité selon laquelle il faut au moins un
(SPRL) ou deux (SA) fondateur(s) valablement engagé(s) car le manque d’affection societatis dans le chef d’un
des fondateurs ne l’empêche pas d’être valablement engagé. F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 61.
261
Ibid., pp. 60 à 62 ; H. BRAECKMANS, op. cit. (Voy. note 249), col. 856 ; A. MARIQUE et J. RENARD, « Unité ou
pluralité des masses en cas d’extension de la faillite », J.T., 1981, p. 755 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy.
note 19), p. 385.
262
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 64.
263
C’est d’ailleurs cette autonomie qui existe entre la personne de la société et celle de l’associé qui a servi de
critique à la théorie du prête-nom pour étendre la faillite. En effet, le prête-nom repose sur un contrat par lequel
une partie accepte d’agir pour le compte de l’autre, ce qui suppose donc un échange des consentements. Or, dans
la mesure où, précisément, l’associé domine la société, celle-ci ne dispose d’aucune volonté à proprement parler.
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 487 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 385.
264
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 68.

  50  
réalisées par celle-ci265. La conséquence de tout cela est que la faillite pourra être étendue à
l’actionnaire qui se cache derrière la société car une fois la simulation levée, on découvre que
c’est en réalité lui qui exerce l’activité économique en question. C’est dès lors lui qui est
commerçant et donc tenu des dettes sociales étant donné que, au final, elles ont été
contractées en son nom et pour son compte266.

La théorie du prête-nom étant acceptée par la jurisprudence267 pour étendre la faillite sociale
au maître de l’affaire, cette même théorie pourrait également être utile aux créanciers sociaux
en dehors d’une procédure de faillite. Ceux-ci pourraient très bien se prévaloir de la contre-
lettre, c’est-à-dire de la convention secrète qui existe entre la société et son associé, afin de
tenir ce dernier pour débiteur à la place de la société268.

c. Abus de la personnalité juridique


 
 
Selon un troisième fondement, l’extension de la faillite se justifie par un abus de la personne
morale de la part du maître de l’affaire. L’extension serait la sanction d’un tel abus et fondée
sur l’adage contra factum proprium nemo venire potest en vertu duquel une personne ne peut
à la fois revendiquer le bénéfice de la personnalité juridique distincte (la limitation de
responsabilité) et en même temps nier celle-ci269. Une controverse existe au sujet de savoir si
la théorie de l’abus de droit peut réellement être reconnue en tant que fondement de
l’extension de la faillite270.

2. Evolution de la jurisprudence
 
Si l’arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 1978271 a validé le fondement de l’extension de la
faillite sur la base de la théorie du prête-nom, il en a toutefois limité la portée en décidant que
les conditions de la faillite devaient être constatées dans le chef du maître d’affaire pour que

                                                                                                               
265
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 385 et 386.
266
Ibid., p. 386 ; F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 77.
267
Cass., 26 mai 1978, Pas., 1978, I, p. 1108 ; Bruxelles, 26 juin 1963, J.T., 1964, p. 77.
268
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 69.
269
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 482.
270
Voy. K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 387 qui reconnaît l’abus de droit comme fondement
tandis que M. T’Kint, au contraire, réfute cette affirmation : F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), pp. 55 et 56.
271
Cass., 26 mai 1978, Pas., 1978, I, p. 1108 ; Cass., 1er juin 1979, Pas., 1979, I, p. 1129.

  51  
la faillite puisse lui être étendue272. L’extension de la faillite n’est donc plus automatique, il
faudra donc prouver que le maître de l’affaire est en cessation de paiement et que son crédit
est ébranlé. Il faudra en outre respecter la règle selon laquelle une personne ne peut plus être
déclarée en faillite six mois après la cessation de l’activité en question273.

§2. La théorie de l’apparence

La théorie de l’apparence, bien connue du droit des contrats, peut également servir à réaliser
une levée du voile dans la mesure où elle permet à celui qui s’en prévaut de mettre à charge
de l’actionnaire les obligations contractées par sa société lorsqu’il a entretenu la confusion
dans le chef des tiers au sujet de l’identité de la partie contractante. Ainsi, lorsque le
comportement de l’actionnaire ou de la société mère était tel que les tiers ont raisonnablement
pu croire qu’ils contractaient en réalité avec l’un de ces derniers et non avec la personne de la
société ou de la filiale, les tiers peuvent se prévaloir de la situation apparente afin d’étendre
les engagements sociaux à l’actionnaire ou à la société mère à l’origine de pareille apparence.
Les tiers sont donc autorisés à tenir pour réelle la situation apparente et, ainsi, tenir pour
débiteur l’actionnaire ou la société mère274. L’apparence se fonde sur une série de facteurs
susceptibles d’entraîner la confusion dans le chef des tiers, notamment une composition
identique de l’assemblée générale et du conseil d’administration dans le cas d’un groupe, un
numéro de téléphone et une adresse identique, des factures identiques, un non-respect des
formalités… La situation s’apparente au cas de Misrepresentation analysé au chapitre
précédent car les éléments susceptibles d’entraîner l’erreur sur l’identité du partenaire
contractuel sont similaires. L’apparence s’en distingue cependant par le fait que la présence
d’une faute ou d’une intention de tromper n’est par requise dans le chef de la société mère275.
Une confusion des patrimoines entre deux sociétés ou entre la société et son actionnaire ainsi
que la domination d’un actionnaire sur la société peuvent entraîner la confusion dans le chef
du tiers contractant. Toutefois, il faut rester prudent et veiller à ne pas trop facilement
permettre aux tiers de se prévaloir de la situation apparente sous peine de pardonner trop
facilement une négligence de leur part et au risque de rendre les sociétés d’un groupe

                                                                                                               
272
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 489 ; F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 68.
273
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), p. 85.
274
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 389 et 390 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 548.
275
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 389.

  52  
automatiquement responsables les unes des engagements des autres et ce, au mépris du
principe de l’autonomie des patrimoines276.

§3. L’abus de droit

La levée du voile social peut-être obtenue par les tiers en se fondant sur l’abus de droit dans le
chef de son fondateur. L’abus de droit dont il est ici question est le droit de l’actionnaire à
réclamer le bénéfice de la limitation de responsabilité et non celui de la personnalité juridique
distincte. En effet, l’abus de droit suppose qu’une personne abuse d’un droit subjectif, or, le
droit subjectif de l’actionnaire n’est autre que celui de bénéficier de la responsabilité
limitée277. Selon ce fondement, la personne qui ne respecte pas le principe de l’autonomie des
personnes morales est privée du droit de réclamer le bénéfice de la limitation de
responsabilité. Il s’agit d’une application de l’adage « Contra factum proprium nemo venire
potest »278. Ainsi, commet un abus de droit la personne qui crée une société dans l’unique but
de profiter de la responsabilité limitée sans respecter les obligations que cela impose (règles
de fonctionnement des organes sociaux, séparation des patrimoines, tenue de la
comptabilité,…) et qui, en définitive, exerce personnellement l’activité de la société 279 .
L’abus de droit est toutefois difficile à manipuler car il n’est pas interdit, en soi, de créer une
société pour bénéficier de la protection offerte par la responsabilité limitée. La majorité des
activités économiques peuvent être exercées aussi bien en personne physique qu’en personne
morale, il y’a donc toujours un motif qui justifie la décision d’exercer une activité en société.
Pour qu’un abus soit reconnu, il faut donc une série d’indices qui permettent de s’assurer, au-
delà de tout doute raisonnable, que la société abrite en réalité l’activité de son actionnaire
principal280.

§4. L’adage « Fraus omnia corrumpit »


 
Un dernier fondement pouvant être utilisé pour mettre à l’écart la personne morale est l’adage
fraus omnia corrumpit selon lequel la fraude corrompt tout. La société créée dans le seul but

                                                                                                               
276
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 549 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 390.
277
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 120.
278
Ibid., p. 121 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p. 482.
279
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 121.
280
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), pp. 55 et 56.

  53  
de frauder les droits des tiers empêche son fondateur de s’en prévaloir à l’égard de ceux-ci,
permettant ainsi au juge de faire abstraction de la personne morale281.

Dans sa décision du 29 mars 2001282 la Cour de cassation casse une décision levant le voile
sur une SPRL constituée par un couple de bailleurs pour la seule raison de créer une entité
distincte de leurs personnes afin de pouvoir congédier le preneur d’un bail à ferme. La
législation empêche le bailleur d’un bail à ferme de mettre fin au contrat de bail au motif de
l’exploitation personnelle de l’activité agricole lorsque, précisément, il avait donné le bien en
location après avoir renoncé à pareille exploitation. Afin de contourner cette disposition
légale qui les empêche de notifier le congé au preneur, les bailleurs décident de créer une
SPRL dans laquelle ils apporteront l’ensemble des immeubles de l’exploitation. La SPRL
devient donc propriétaire de l’exploitation agricole. Cette société étant autonome par rapport à
ses fondateurs, elle pourra par conséquent donner congé au preneur sans en être empêchée par
la législation en vigueur. Il paraît évident que les bailleurs ont créé la société dans l’unique
but de contourner la protection offerte au preneur du bail et que, en définitive, ce seront les
bailleurs qui exerceront l’activité sous couvert de la SPRL. C’est d’ailleurs cette raison qui a
conduit le juge de première instance ainsi que celui d’appel à écarter la personnalité juridique
de la société afin de faire éclater au grand jour la réalité économique sous-jacente à cette
construction artificielle. La Cour de cassation a cependant cassé cet arrêt pour défaut de
motivation. En effet, la juridiction d’appel ne s’était fondée que sur l’importance de la
participation des bailleurs dans le capital social pour conclure que, en définitive, ce serait
encore les bailleurs qui allaient reprendre l’exploitation agricole. Or, nous savons que la
détention de la totalité des parts sociales est insuffisante à motiver une levée du voile à elle
seule. De plus, la motivation de la Cour d’appel, en ce qu’elle considérait la société comme
fictive (et par conséquent rétroactivement nulle) était maladroite étant donné que l’on sait
depuis la loi du 6 mars 1973 que la société fictive n’est plus une cause de nullité et que
l’annulation ne vaut que pour l’avenir283. On peut déplorer la cassation de cet arrêt car il ne
fait aucun doute que les bailleurs ont instrumentalisé la société. Cependant, à défaut d’indices
suffisants à conclure à l’instrumentalisation, on comprend que la Cour se soit retenue de
conclure trop facilement à la levée du voile, au risque de tomber dans l’insécurité juridique en
accordant trop facilement des exceptions à la responsabilité limitée.
                                                                                                               
281
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 392.
282
Cass., 29 mars 2001, J.L.M.B., 2001, p. 806.
283
M. COIPEL, « Réalité économique ou juridique ? La question de la société « paravent » ou question du voile »,
note sous Cass. (1re ch.), 29 mars 2001, J.D.S.C., 2002, p. 6.

  54  
Section 2 – Situations de fait

Nous allons analyser les différentes situations susceptibles d’amener les juridictions à lever le
voile de la société afin de tenir compte de la réalité économique qui se cache derrière la
société. Plusieurs de ces situations sont identiques à celles étudiées lors de l’analyse du droit
américain (Voy. supra Chapitre 3, section 3, §2), pour cette raison et afin de ne pas se répéter,
nous irons à l’essentiel et renvoyons à ce qui a déjà été vu pour le surplus.

§1er. Confusion des patrimoines (Commingling of Assets)

En droit belge, la confusion qui existe entre les patrimoines de deux sociétés ou entre celui
d’une société et de son actionnaire principal est également un motif de levée du voile284.
Lorsque les patrimoines sont à ce point mélangés qu’il devient extrêmement difficile de
savoir qui est le propriétaire de quoi, les tiers peuvent être facilement induits en erreur sur la
personne de leur cocontractant285. On vise non seulement la confusion des comptes en
banque, la tenue irrégulière de la comptabilité, l’utilisation d’une même adresse et/ou du
même numéro de téléphone, mais aussi le transfert de contrats, l’utilisation du même
personnel, etc286.

Il est généralement admis que la sanction de la confusion des patrimoines est l’extension de la
faillite au maître de l’affaire car ce dernier, ne respectant pas le principe de l’autonomie de la
personne morale, ne peut réclamer la limitation de responsabilité287. Il s’agit de l’application
de l’adage déjà vu « Contra factum proprium nemo venire potest » en vertu duquel une
personne ne peut à la fois réclamer le bénéfice d’une règle et transgresser celle-ci.

§2. Domination abusive d’une société (Shareholder Domination et Overlap in


Corporate Personnel)
 

                                                                                                               
284
Pour un exemple Voy. : Comm. Liège, 14 novembre 1967, Rev. Prat. Soc., 1968, p. 23.
285
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 311 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p.
477.
286
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 311 et 312 ; Y. DUMON et F. MAUSSION,
« Propos sur la notion d’extension de faillite en droit belge et en droit comparé », J.C.B., 1974, pp. 202 et 203 ;
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), pp. 478 à 481.
287
 C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 312 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p.
483.  

  55  
Cette situation est à ramener à celle analysée et qualifiée « Overlap in corporate personnel »
dans la partie consacrée au droit américain. Puisque la présence, au sein de deux sociétés,
d’actionnaires et d’administrateurs en commun est insuffisante à lever le voile, il faut que la
domination soit « qualifiée » ou constituer un indice de confusion des patrimoines. Une
domination sera qualifiée lorsque la société dominante utilise la société dominée pour la
réalisation d’opérations à son profit exclusif et au détriment de la société dominée288. Il a ainsi
été jugé que, n’était pas admise à réclamer une créance à l’encontre de sa société en faillite,
l’associée majoritaire et seule gérante qui dispose de pouvoirs exorbitants sur sa société,
laquelle n’étant qu’un « bien personnel » aux yeux de cette dernière289.

§3. Sous-capitalisation (Inadequate Capitalization)


 
La sous-capitalisation d’une société par rapport à la nature des activités entreprises est bien
entendu un cas de levée du voile en Belgique, mais ce critère n’est pas suffisant à lui seul. En
effet, la solution inverse viendrait à priver du bénéfice de la responsabilité limitée les sociétés
qui se trouvent en difficulté 290 . On rappelle également qu’il existe en droit belge une
responsabilité des fondateurs en cas d’insuffisance du capital lors de la constitution de la
société ainsi qu’une responsabilité des administrateurs en cas de faute grave et caractérisée
ayant conduit à la faillite (voy. infra section 4 qui traite du sujet).

§4. Fraude
 
L’utilisation d’une personne morale en vue de commettre une fraude aux droits des tiers est
également invoquée à titre de levée du voile social. Les cas de fraude sont classés par la
doctrine belge en quatre catégories291.

1. Le transfert frauduleux de biens (Asset Stripping)


 

                                                                                                               
288
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 313 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p.
492.
289
Liège, 12 avril 1977, Rev. Prat. Soc., 1977, p. 192.
290
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 314 et 315 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note
16), pp. 501 et 502 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 106.
291
Voy. : C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), pp. 316 à 318 ainsi que V. SIMONART, op. cit.
(Voy. note 16), pp. 504 à 509.

  56  
L’hypothèse de transfert d’actifs (analysée supra chapitre 3, section 3, §2) entre deux
sociétés, ou entre une personne physique et sa société, afin de les soustraire aux recours des
créanciers est chose courante. Pour cette raison, et nonobstant l’existence de règles visant à
protéger le capital social292, le transfert d’actifs est une situation pouvant conduire les cours et
tribunaux à faire abstraction de la personne morale en Belgique. Dans une décision du 18
décembre 1972, le Tribunal de commerce de Bruxelles a étendu la faillite d’une société à une
autre société car la seconde utilisait des actifs de la première (utilisation de personnel et de
matériel de la société faillie sans contrepartie) au détriment de celle-ci. Ces manœuvres
tendaient à « assainir la situation financière de la société jugée la plus viable au détriment de
la société condamnée sur laquelle on faisait artificiellement peser une partie importante du
passif de la première »293.

2. Poursuite d’une activité frauduleuse ou déficitaire


 
Lorsqu’une société a continué à exercer une activité alors qu’elle savait qu’elle était dans une
situation conduisant inévitablement à la faillite, et ce, au préjudice des créanciers ou pour un
autre motif frauduleux, le juge peut être amené à lever le voile sur base de l’abus de la
personnalité morale. Encore faut-il un abus manifeste dans le chef de l’associé ou de la
société mère. Pour pouvoir être qualifié de « manifeste », il faudra prouver que la personne
savait que toute tentative de redressement de la société était sans espoir294. Ce critère a pesé
dans la balance lorsque le Tribunal de commerce de Bruxelles du 14 novembre 1967295 a
décidé d’étendre la faillite de la société à son associé principal. En effet, l’associé, également
gérant de sa société, avait continué à conclure des contrats après la mise en faillite de la
société. D’autres éléments étaient révélateurs de la volonté d’exercer l’activité derrière le
masque social : détention de la quasi-totalité des parts sociales (les autres étant entre les mains
de son épouse et d’un tiers, dans le seul but de respecter les formalités légales), tenue
irrégulière des livres comptables, non-fonctionnement des organes sociaux, confusion des
patrimoines, soit un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes.

                                                                                                               
292
Pour une analyse détaillée de ces règles voy. : K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 184 et s.
293
Y. DUMON et F. MAUSSION, op. cit. (Voy. note 286), p. 203.
294
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 326.
295
Comm. Liège, 14 novembre 1967, Rev. Prat. Soc., 1968, p. 23.

  57  
3. Dérobade à des obligations contractuelles (Evasion of Existing Legal
Obligations)

L’exemple classique d’utilisation d’une personne morale dans l’unique but de se soustraire à
une obligation contractuellement assumée est la constitution d’une société par une personne
tenue au respect d’une clause de non-concurrence afin d’exercer l’activité prohibée au nom de
sa société. La société étant une personne distincte de son associé principal, elle n’est pas liée
par la clause de non-concurrence296 et peut donc en toute légalité exercer l’activité297.

4. Fraude à la loi
 
Une illustration de société créée de toute pièce afin de contourner l’application d’une
disposition légale impérative ou d’ordre public est l’exemple des bailleurs qui créent une
personne morale distincte à laquelle ils vendent l’exploitation agricole et ce, afin de
contourner la législation interdisant au bailleur de donner congé au preneur pour motif
d’exploitation personnelle alors qu’il avait renoncé à pareille exploitation avant de donner le
bien en location (voy. supra page 54).

§5. Conclusion de contrats entre une personne et sa société


 
Malgré le principe de séparation, il est admis qu’une personne physique ne peut pas conclure
de contrat de travail avec la société dont il a le contrôle. Pareille interdiction constituerait un
cas de levée du voile social298.

§6. Personne morale fictive


 
On vise ici la situation la plus absolue d’abus de la personne morale, celle d’une société qui,
bien que valablement constituée du point de vue formel, n’a en réalité aucune existence
autonome et distincte de celle de son fondateur. La société est ici une pure construction
artificielle servant les intérêts de l’actionnaire299. Il s’agit en quelque sorte d’une addition de

                                                                                                               
296
Relativité des effets internes du contrat (art. 1165 du C.civ).
297
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 396.
298
C. BRÜLS, Quelques réflexions…, op. cit. (Voy. note 10), p. 318 ; V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), p.
518.
299
Ibid., p. 318 ; Ibid., p. 509.

  58  
toutes les situations pouvant conduire à lever le voile : domination abusive, confusion des
patrimoines, absence d’affectio societatis, etc.

Section 3 – Faisceau d’indices

Nous l’avons compris, afin de pouvoir affirmer que la société n’est en réalité qu’une façade
servant les intérêts propres du fondateur caché derrière, il faudra relever un faisceau d’indices
tels que : une confusion entre la personne de la société de celle de son actionnaire (numéro de
téléphone et adresse identiques, mêmes factures, composition identique des organes sociaux,
etc.), une négligence au niveau du respect des formalités sociétales300 (non-fonctionnement
des organes sociaux, absence de procès-verbaux d’AG, absence de comptabilité séparée, etc.),
une confusion des patrimoines (abus de biens sociaux notamment), une sous-capitalisation,
etc 301. Dès lors, comme nous l’avons vu dans la partie consacrée à l’analyse du droit
américain, la plupart de ces indicateurs sont insuffisants à justifier la percée du voile
lorsqu’ils sont pris isolément. Ainsi, le fait qu’une société ne soit composée que d’un seul
associé ne constituera jamais un facteur unique de levée du voile. En revanche, le fait que la
société ait été constituée de plusieurs associés dans le seul but de respecter la législation
sociétale, mais dont il s’avère qu’il n’y a en réalité qu’un seul vrai associé, les autres étant des
hommes de paille, sera un élément à prendre en compte par le juge302. Ainsi, comme le fait
remarquer M. T’Kint à propos de l’extension de faillite, il faut prouver la « totale maîtrise du
maître de l’affaire », laquelle requiert un pouvoir dans le chef de ce dernier, pouvoir qui est le
résultat de la détention de la quasi-totalité des parts de la société. En effet, même si cet
élément est insuffisant à lui seul à conclure à la levée du voile, on se trouve le plus souvent en
présence d’une filiale détenue à 100% ou face à une société composée d’un associé unique ou
détenant à lui seul pratiquement l’ensemble des parts sociales, car c’est grâce à ce pouvoir que
le maître de l’affaire peut, pour reprendre le terme de M. T’Kint, faire de la société sa
« chose », sur laquelle il a une emprise totale au mépris de l’intérêt social pris dans son
acceptation la plus large303. On peut dire sans se tromper que la participation majoritaire dans

                                                                                                               
300
A apprécier avec souplesse toutefois, car comme on l’a déjà dit (page 36), on ne saurait reprocher à l’associé
unique d’une SPRL-U un laxisme dans la tenue des organes sociaux. Effectivement, dans la mesure où celui-ci
est bien souvent le seul à bord, certaines formalités deviennent sans utilité pratique. Voy. également en ce sens :
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), pp. 79 et 80.
301
H. BRAECKMANS, op. cit. (Voy. note 249), col. 852 à 854 ; F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), pp. 53 et 78 et
s. ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 122 et 388.
302
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 122.
303
F. T’KINT, op. cit. (Voy. note 249), pp. 78 et 79.

  59  
le capital social est une condition nécessaire mais insuffisante, elle devra donc être
accompagnée d’indices supplémentaires d’instrumentalisation de la société.

Section 4 – Responsabilité de la société mère du fait de ses filiales

Bien qu’il ne s’agit pas d’une levée du voile à strictement parler, il semble utile d’analyser
brièvement certains « remèdes » légaux offerts aux créanciers d’une filiale afin de permettre à
ces derniers d’atteindre le patrimoine de la société mère. Ce sera également l’occasion
d’analyser certaines des dispositions légales évoquées dans les sections précédentes.

Nous savons que le groupe de sociétés ne déroge pas à la règle selon laquelle chaque personne
morale constitue une personne autonome et distincte. Le fait qu’une société fasse partie d’un
groupe n’autorise pas la récupération d’une créance sur le patrimoine d’une autre société de
ce groupe. Le principe selon lequel chaque société conserve sa propre individualité est donc
fermement rappelé. On peut déplorer qu’il n’existe toujours pas, dans l’état actuel du droit, un
mécanisme de responsabilité de la société mère du fait de ses filiales304. Ceci est surtout
critiquable en matière extracontractuelle, on pense par exemple en matière de dommage
environnemental. Les personnes préjudiciées se retrouvent devant le fait accompli et sont
dépourvues de tout recours à l’encontre de la société mère lorsque le dommage est le fait
d’une filiale. Ceci est d’autant plus vrai que les entreprises savent se jouer du droit pour
limiter leur responsabilité, en l’occurrence, en organisant leurs activités sous la forme d’un
groupe, lequel est devenu une technique de limitation de responsabilité305. En définitive, le
seul moyen pour les victimes de poursuivre la réparation de leur dommage sur le patrimoine
de la société mère est d’identifier une faute de cette dernière, en lien causal avec le préjudice
subi306/307. Il est toutefois possible d’engager la responsabilité de la société mère308 pour un
fait commis par ses filiales, et ce, en se fondant sur certaines dispositions du Code des
                                                                                                               
304
B. GRIMONPREZ, « Pour une responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales », Revue des Sociétés,
2009, pp. 715 à 718.
305
Ibid., p. 716.
306
Comme cela a été le cas dans l’affaire de l’Amoco Cadiz. Le juge avait tenu pour responsable, non seulement
les filiales, mais également la société mère au motif que celle-ci devait exercer un « duty of care » sur les filiales
et ce, en raison du haut degré de centralisation de la prise de décision entre les mains de la société mère. Voy. C.
BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 148 ; P. MUCHLINSKI, « Limited Liability and
Multinational Enterprises : A Case for Reform ? », Cambridge Journal of Economics, 2010, vol. 34, p. 922 ; K.
VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 87.
307
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 169 ; B. GRIMONPREZ, op. cit. (Voy. note 304), p.
718.
308
Le raisonnement est bien entendu également valable pour l’actionnaire personne physique. K.
VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 116.

  60  
sociétés, sorte de consécration légale de la percée du voile (dans la mesure où il s’agit d’une
exception légale à la responsabilité limitée)309. En effet, la société mère peut avoir différentes
qualités dans ses filiales, elle peut ainsi être, cumulativement ou non, fondatrice, actionnaire
ou administratrice de celles-ci, et à ce titre, voir sa responsabilité engagée.

En sa qualité de fondatrice de la filiale, la société mère peut voir sa responsabilité engagée sur
la base du plan financier310. En vertu des articles 456, 4° et 229, 5° du Code des sociétés, les
fondateurs sont responsables du préjudice subi par la nullité des engagements de la société en
cas de faillite prononcée dans les trois ans de la constitution, si la capital était, lors de la
constitution, manifestement insuffisant pour assurer l’exercice normal de l’activité projetée
pendant une période de deux ans au moins311. Cette action n’est cependant ouverte qu’au
curateur de la faillite et le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation pour fixer la proportion
des engagements dont seront tenus les fondateurs312.

La société mère sera nécessairement actionnaire de sa filiale, elle peut donc, de ce chef, voir
sa responsabilité engagée313. Ainsi, la prise de décision contraire à l’intérêt de la filiale peut
être constitutif d’un abus de majorité et ouvrir la voie à une action en responsabilité donnant
lieu à réparation314. On sera toutefois attentif à l’existence d’un intérêt de groupe (Voy. supra,
Chapitre 2, section 2, §3) qui peut faire échec à pareille demande dans la mesure où cette
notion valide certaines opérations intragroupes. On a cependant vu que la validité d’une
décision portant préjudice aux intérêts d’une société dans l’intérêt du groupe est subordonnée
au respect des conditions posées par la jurisprudence Rozenblum, à défaut de quoi, la décision
constitue bien un abus de majorité ouvrant la voie à des dommages et intérêts.

                                                                                                               
309
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 28 et 29 ; J. RONSE et J. LIEVENS, « De
doorbraakproblematiek », in Rechten en plichten van moeder- en dochter-vennootschappen, Antwerpen, Kluwer
rechtswetenschappen, p. 140.
310
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), pp. 154 et 155 ; J. RONSE et J. LIEVENS, op. cit. (Voy.
note 309), p. 141.
311
J. MALHERBE, Y. DE CORDT, P. LAMBRECHT, P. MALHERBE, op. cit. (Voy. note 4), pp. 482 à 485.
312
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 154 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19),
p. 115.
313
A titre d’exemple d’un cas de levée légale du voile, on peut également mentionner l’article 646 du Code des
sociétés selon lequel la réunion de toutes les actions entre les mains d’une seule personne rend cette dernière
solidairement responsable de tous les engagements de la société nés postérieurement à semblable réunion, et ce,
jusqu’à l’entrée d’un nouvel actionnaire, ou la publication de la transformation en SPRL, ou la dissolution de la
société. K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), p. 30.
314
Ibid., p. 159.

  61  
Dans la mesure où une personne morale peut être administratrice d’une société (art. 517 du
Code des sociétés), la responsabilité qui s’attache à la fonction d’administrateur s’applique
également à celle-ci315. La responsabilité pour faute de gestion commise dans l’exercice du
mandat (art. 527 et 262 du Code des sociétés) est peu utile car, la relation entre la société et
ses administrateurs étant analysée sous l’angle du mandat, cette action n’est ouverte qu’à
l’actionnariat (relativité des conventions), lequel, s’agissant d’une relation mére-fille, est pour
l’essentiel la société mère316. En outre, la théorie de l’organe selon laquelle « les membres ne
contractent aucune responsabilité personnelle relativement aux engagements de la société »
empêche l’action des tiers vis-à-vis des administrateurs qui ne contractent aucune
responsabilité personnelle. La seule hypothèse permettant aux tiers d’attaquer la société mère
administratice sera celle de la faute de gestion qui s’analyse également à un manquement au
devoir général de prudence et de diligence prévu par les articles 1382 et 1383 du Code
civil317. En revanche, d’autres actions sont ouvertes aux tiers, il en va ainsi de : l’action en
réparation des dommages résultants d’une infraction aux dispositions du Code des sociétés ou
des statuts de la société (art. 528 et 263) ; l’action en réparation du dommage causé par
l’absence de convocation de l’assemblée générale dans le délai prévu en cas de réduction de
l’actif net à un montant inférieur à la moitié du capital social (art. 633 et 332) (procédure de
sonnette d’alarme) 318 ainsi qu’en cas de faute grave et caractérisée dans le chef d’un
administrateur ayant contribué à la faillite (art. 530 et 265)319 ; l’action en réparation du
préjudice subi par la société (la filiale en l’espèce) ou les tiers en raison de décisions
approuvées par le conseil, y compris dans le respect des articles relatifs au conflit d’intérêts,
pour autant que ces décisions aient causé à la filiale un préjudice financier abusif au bénéfice
d’une société du groupe (art. 529 et 264)320. Il est important de préciser qu’une société mère
qui s’immisce dans la gestion de sa filiale, sans être investie de la fonction d’administrateur
de cette dernière, risque d’être qualifiée d’administratrice de fait. Une telle qualification aura
pour conséquence une application des dispositions légales relatives à la responsabilité des
administrateurs321. Afin qu’une société mère soit reconnue comme administratrice de fait, il

                                                                                                               
315
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 160 ; J. RONSE et J. LIEVENS, op. cit. (Voy. note
309), p. 151.
316
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 161 ; F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), pp. 96 et
98.
317
Ibid., p. 161 ; Ibid., p. 99.
318
K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 311 et 312.
319
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), pp. 165 à 169 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy.
note 19), pp. 315 et 316.
320
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), pp. 161 et 162.
321 Ibid., p. 163 ; F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 98.  

  62  
faut prouver que celle-ci a accompli des actes de gestion qui relèvent normalement du conseil
d’administration, d’une manière répétée et en toute indépendance, et ce, sans être investie de
pareil pouvoir322.

Compte tenu du lien étroit qui existe entre les sociétés d’un groupe et de l’existence d’un
intérêt propre à celui-ci, il arrive fréquemment que la société mère vient en aide à l’une de ses
filiales dans l’accomplissement des engagements contractuels de cette dernière. Cette
situation peut déboucher sur une responsabilité de la société mère pour avoir créé une
apparence trompeuse de solvabilité dans le chef de la filiale lorsqu’elle devait savoir que la
situation financière de celle-ci ne se redresserait pas. Le créancier ayant contracté en raison de
l’apparente solvabilité pourra ainsi obtenir la réparation de son dommage en engageant la
responsabilité aquilienne de la société mère323.

Chapitre V. Critique de la levée du voile social


 
 
La levée du voile social n’est pas exempte de tout reproche, que du contraire même, elle fait
l’objet de nombreuses critiques de la part de la doctrine. Comme il a déjà été dit, la levée du
voile est considérée par de nombreux auteurs comme l’une des questions parmi les plus
complexes du droit des sociétés324.

Section 1 – Caractère vague et imprécis de la théorie

Le reproche le plus souvent formulé est le haut degré d’abstraction dont la théorie fait preuve
et, corollairement, le fait que la décision de lever le voile relève en définitive du pouvoir
discrétionnaire du juge325. Il en découle une imprévisibilité totale de l’issue du litige qui
conduit à une véritable insécurité juridique326. Cette critique s’explique par l’aspect subjectif
qui domine la problématique. En effet, la matière est traversée par la recherche de la vérité
économique qui se cache derrière le voile de la personnalité juridique et ce, dans un but
                                                                                                               
322
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), p. 164 ; F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 97.
323
F. MAGNUS, op. cit. (Voy. note 50), p. 92 ; K. VANDEKERCKHOVE, op. cit. (Voy. note 19), pp. 324 à 326.
324
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 637 ; R.B. THOMPSON, Piercing the Corporate…, op. cit. (Voy.
note 68), p. 1036.
325
S.M. BRAINBRIDGE, « Abolishing Veil Piercing », 26 The Journal of Corporation Law 479, 2001, p. 481 ;
K.A. STRASSER, op. cit. (Voy. note 71), p. 641.
326
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), pp. 527 et 528.

  63  
d’équité. Recherche de la vérité et équité présentent tout deux une part importante de
subjectivité. Il est d’autant plus dur pour le juge de rechercher la vérité que, en soi, la
constitution d’une société représente toujours une part de fictivité. On pense par exemple au
médécin qui, après avoir exercé son activité en personne physique, décide de passer en société
afin de bénéficier du régime de la limitation de responsabilité. Il n’est pas interdit de
constituer une société pour ce seul motif, l’exercice d’une activité en société plutôt qu’en
personne physique restant toujours un choix motivé par des considérations diverses. Pour
cette raison, la tâche du juge est difficile, il doit rechercher une série d’indices permettant
d’établir que l’usage normal de la personne morale a été dépassé tout en faisant preuve de la
plus grande circonspection afin d’éviter de lever trop facilement le voile social et d’introduire
« dans le droit des sociétés un virus qui peut le détruire par pans entiers »327.

Section 2 – La levée du voile décourage l’investissement

Lors de notre analyse de la responsabilité limitée, nous avons vu que l’une des raisons
motivant le législateur à opter pour la limitation de responsabilité est d’encourager l’esprit
d’entreprise. Par conséquent, on aura tendance à dire que la levée du voile, en ce qu’elle
constitue une exception à la responsabilité limitée, produit l’effet inverse et décourage
l’investissement. A ce propos, on a cité M. Cheng (supra Chapitre 2, section 1, §1er) qui
analyse la relation qui existe entre la responsabilité limitée et la levée du voile en des termes
de règle et de standard. Son raisonnement consiste à dire que la règle agit ex ante parce
qu’elle est générale et connue, créant ainsi de la sécurité juridique et promotionnant
l’investissement, alors que la levée du voile vient ex post et de manière imprévisible,
décourageant l’investissement. Dès lors, une critique qui est adressée consiste à dire que lever
le voile est mauvais pour l’économie car cela dissuade les agents économiques d’entreprendre
une activité, notamment à risque. Toutefois, selon M. Cheng, il ne faut pas forcer le trait car le
but premier n’est pas de rendre l’associé responsable du passif social toutes les fois que le
patrimoine social est insuffisant pour désintéresser l’ensemble des créanciers sociaux. Il n’y
aura levée du voile que lorsqu’un abus de la personne morale est constaté. Seuls les
actionnaires de mauvaise foi devraient dès lors être dissuadés d’entreprendre. Il argumente
son propos, d’une part, en évoquant le fait que les sociétés publiques ne sont jamais
concernées par une levée du voile et, d’autre part, par le fait que la levée du voile n’a lieu

                                                                                                               
327
M. COIPEL, op. cit. (Voy. note 283), p. 7.

  64  
qu’à l’égard des actionnaires fautifs et ne concerne donc pas tous les actionnaires de la
société. Par conséquent, la levée du voile ne devrait pas avoir le même effet néfaste sur
l’investissement qu’un régime de responsabilité illimitée328.

Section 3 – Inutilité ?
 
Dans bien des cas, le résultat visé par la levée du voile peut être atteint par le recours à des
institutions juridiques existantes. Compte tenu des critiques formulées à son égard, la question
se pose alors de savoir s’il est vraiment opportun de disposer dans l’arsenal juridique d’une
exception jurisprudentielle à la responsabilité limitée qui s’applique de façon aléatoire. Selon
M. Simonart, la majorité des situations qualifiées de levée du voile peuvent, en Belgique, être
solutionnées par le recours à des institutions juridiques belges bien connues. Ainsi, la plupart
des cas analysés peuvent constituer une faute, ouvrant la voie au droit de la responsabilité. La
théorie de l’apparence, on l’a vu, permet également de venir au secours des créanciers qui
pourront ainsi mettre des obligations à charge des personnes ayant créé une situation
apparente. Les règles relatives à l’interprétation de la volonté des parties permettent
également d’aboutir à ce que des obligations soient assumées par une autre personne que la
partie contractante. Ainsi, pour reprendre l’exemple de la clause de non-concurrence, il est de
l’intention de la partie qui impose cette clause de se protéger de toute concurrence émanant
non seulement du débiteur de la clause mais également de toute autre personne morale dont il
aurait le contrôle. Toujours au sujet de cette clause de non-concurrence, on peut considérer
que la violation de celle-ci par une personne morale dont le débiteur de la clause est l’associé
majoritaire constitue un cas de tierce complicité dans la mesure où la personne morale pousse,
en connaissance de cause, son associé à violer ses obligations329. On a également mentionné
(et abordé dans le cadre de la responsabilité de la société mère du fait de sa filiale) la présence
de dispositions du droit des sociétés consacrant une exception à la limitation de responsabilité
des actionnaires. En définitive, et à l’instar du droit anglais, le droit belge de la levée du voile
n’est que l’application de concepts juridiques existants et connus qui permettent de mettre une
obligation à charge d’une autre personne que le débiteur lorsque la réalité économique est
cachée derrière un costume juridique.

                                                                                                               
328
T.K. CHENG, Form and…, op. cit. (Voy. note 26), p. 510 et s. ainsi que pp. 526 et 527.
329
V. SIMONART, op. cit. (Voy. note 16), pp. 540 à 560.

  65  
Conclusion
 
 
L’analyse de la levée du voile social étant terminée, on ne peut que se ranger auprès de l’avis
unanime des auteurs ayant contribué au développement de cette technique : la levée du voile
est bien l’une des situations les plus nébuleuses du droit. S’il est vrai que certains juges et
auteurs ont tenté d’y voir plus clair et de fournir aux juridictions un cadre général qu’elles
pourraient appliquer afin d’assurer une prévisibilité et une uniformité des solutions, ces
tentatives sont restées vaines. Si le droit est loin d’être une science exacte, c’est encore plus
vrai pour la levée du voile social dont l’issue du litige dépend essentiellement des
circonstances de fait. Il en résulte une technique fondée sur la recherche de la réalité
économique à partir de conditions floues et de critères à chaque fois insuffisants à eux seuls à
justifier l’abstraction de la personnalité juridique. La décision de lever le voile relève en
définitive de la conviction du juge, ce qui est source d’insécurité juridique. En Belgique, la
levée s’explique la plupart du temps par des institutions juridiques connues telles que
l’apparence ou l’extension de la faillite au maître de l’affaire. Pour cette raison, on ne peut
parler de levée du voile au sens strict, il s’agit davantage d’un résultat obtenu par l’application
d’un concept juridique permettant de mettre une obligation à charge d’une autre personne que
le débiteur. On ne peut que déplorer l’absence de cadre général permettant d’être invoqué et
utilisé par les cours et tribunaux lorsque la personne morale est manifestement détournée de
sa finalité par l’usage qui en est fait et ce, au détriment des créanciers sociaux. En effet, en
présence d’une théorie applicable de façon uniforme, il suffirait au juge de vérifier la réunion
des conditions d’application ainsi que la présence suffisante d’indices révélateurs d’un abus
de la personne morale pour conclure ou non à la levée du voile. A défaut de pareille théorie, la
personne désirant récupérer la créance qu’elle détient envers la société auprès de l’actionnaire
risque de voir sa demande refusée si elle se trompe de fondement ou n’invoque pas les critères
nécessaires pour que la demande soit fondée. Ainsi, le plaignant qui invoque, pour seul motif,
la participation majoritaire de l’actionnaire risque plus que probablement de voir sa demande
refusée. La nécessité de disposer d’une technique claire et précise de levée du voile dans
l’arsenal juridique présente d’autant plus d’intérêt que les multinationales savent se jouer du
droit des sociétés, en particulier de la responsabilité limitée et de la technique d’organisation
sous la forme d’un groupe, pour limiter leur responsabilité, laquelle peut conduire à des
montants astronomiques. Si le droit des nombreux systèmes juridiques en est bien conscient et
intervient ponctuellement, ou est sur le point de le faire, pour apporter des solutions (on pense

  66  
à la responsabilité de la société mère en matière environnemental ou encore en matière de
produits défectueux), l’existence d’une technique d’abstraction de la personnalité morale
garderait néanmoins son utilité pour les autres situations et présenterait l’avantage de ne pas
avoir à basculer dans un régime de responsabilité illimitée. A moins que la solution, face aux
groupes de sociétés, soit d’instaurer une responsabilité de groupe ? La solution est
envisageable car le droit reconnaît le phénomène du groupe et en tient compte dans certaines
hypothèses (le concept « entreprise » du droit de la concurrence est plus large que la notion de
personne morale330, de même que la notion « d’unité technique d’exploitation » en droit du
travail331). Quand bien même cette solution serait retenue, la levée du voile social garde son
utilité pour les autres hypothèses, notamment en matière de société fermée. Pour cette raison,
il nous semble que la théorie de la levée du voile présente une utilité indispensable pour
démasquer les sociétés fictives et autres abus de la part des associés et/ou gérants, on ne peut
donc que déplorer le caractère flou et incertain qui entoure cette théorie qui gagnerait à se
développer davantage. Il faut cependant admettre que la matière se prête difficilement à tout
raisonnement infaillible et objectif compte tenu du fait qu’il y a dans toute personne morale
une part de fiction et que la frontière entre usage normal et usage abusif est difficile à tracer,
au grand dam de la sécurité juridique.

                                                                                                               
330
A. AUTENNE, « La notion d’entreprise en droit européen de la concurrence : retour sur un concept clé pour
déterminer la sphère d’application de l’ordre concurrentiel », Actualité du droit de la concurrence, Bruxelles,
Bruylant, 2007, p. 152 et s.
331
C. BRÜLS, Les multinationales, op. cit. (Voy. note 34), pp. 174 et 175.

  67  
Bibliographie

1) Législation

Loi du 6 mars 1973 modifiant la législation relative aux sociétés commerciales, M.B., 23 juin
1973.

Loi du 8 août 1997 sur les faillites, M.B., 28 octobre 1997.

2) Doctrine

ANDERSON, H., « Piercing the Veil on Corporate Groups in Australia : the case for reform »,
Melbourne University Law Review, Vol. 33, 2009, p. 333 et s.

AUTENNE, A., « La notion d’entreprise en droit européen de la concurrence : retour sur un


concept clé pour déterminer la sphère d’application de l’ordre concurrentiel », Actualité du
droit de la concurrence, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 147 et s.

BAKST, D.S., « Piercing the Corporate Veil for Environmental Torts in the United States and
the European Union : The Case for the Proposed Civil Liability Directive », 19 Boston
College International & Comparative Law Review 323, 1996, p. 323 et s.

BERGKAMP, L. et PAK, W-Q., « Piercing the Corporate Veil : Shareholder Liability for
Corporate Torts », M.J., 2001, p. 167 et s.

BLUMBERG, P.I., STRASSER, K.A., GEORGAKOPOULOS, N.L., GOUVIN, E.J., The Law of
Corporate Groups : Jurisdiction, Practice, and Procedure, New-York, Wolters Kluwer Law
& Business, 2008.

BLUMBERG, P.I., STRASSER, K.A., GEORGAKOPOULOS, N.L., GOUVIN, E.J., Blumberg on


Corporate Groups, New-York, Wolters Kluwer Law & Business, 2009.

BOURS, J-P. et HERMANT, P., Traité pratique de droit commercial, t. 4, n°12, Diegem, E.
Story-Scientia, 1998.

BRAECKMANS, H., « Toerekening van het vennootschapsfaillissement aan de achterman of de


uitbreiding van het faillissement tot de meester van de zaak », R.W., 1978-1979, col. 846 et s.

BRAINBRIDGE, S.M., « Abolishing Veil Piercing », 26 The Journal of Corporation Law 479,
2001, p. 479 et s.

BRÜLS, C., « Quelques réflexions juridiques et économiques sur la théorie de la levée du voile
social », R.P.S., n°6923, 2004, p. 303 et s.

  68  
BRÜLS, C., Les multinationales, Bruxelles, Larcier, 2012.

CHENG, T.K., « Form and Substance of the Doctrine of Piercing the Corporate Veil », 80
Mississipi Law Journal 497, 2010, p. 497 et s.

CHENG, T.K., « The Corporate Veil Doctrine Revisited : A Comparative Study of the English
and the U.S. Corporate Veil Doctrines », 34 B.C. Int'l & Comp. L. Rev. 329, 2011, p. 329 et s.

CLAUSEN, N., « Use of the American Doctrine of Piercing the Corporate Veil : An Argument
in Danish Business Law », BJIL, vol. 5 issue 1, 2012, p. 44 et s.

COIPEL, M., « Réalité économique ou juridique ? La question de la société « paravent » ou


question du voile », note sous Cass. (1re ch.), 29 mars 2001, J.D.S.C., 2002, p. 5 et s.

DIJON, X., Droit naturel, Paris, Presses Universitaires de France, 1998.

DUBUISSON, B., CALLEWAERT, V., DE CONINCK, B., GATHEM, G., La responsabilité civile :
chronique de jurisprudence 1996-2007, Bruxelles, Larcier, 2009.

DUMON, Y. et MAUSSION, F., « Propos sur la notion d’extension de faillite en droit belge et en
droit comparé », J.C.B., 1974, p. 202 et s.

EASTERBROOK, F.H. et FISCHEL, D.R., « Limited Liability and the Corporation », 52 U. Chi.
L. Rev. 89, 1985, p. 89 et s.

EASTERBROOK, F.H. et FISCHEL, D.R., The Economic Structure of Corporate Law, Londres –
Cambridge (Massachussets), Harvard University Press, 1996.

GRELON, B. et DESSUS-LARRIVÉ, C., « La confusion des patrimoines au sein d’un groupe »,


Rev. Soc., 2006, liv. 2, p. 281 et s.

GRIMONPREZ, B., « Pour une responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales »,
Revue des Sociétés, 2009, p. 715 et s.

KAHAN, D.R., « Shareholder Liability for Corporate Torts : A Historical Perspective », The
Georgetown Law Journal, avril 2009, p. 1085 et s.

KERLEY, P.N., BANKER HAMES, J., SUKYS, P.A., Civil Litigation, New-York, Thomson
Delmar Learning, 2005.

KRENDL, C.S. et KRENDL, J.R., « Piercing the Corporate Veil : Focusing the Inquiry », 55
Denv. L. J. 1, 1978, p. 1 et s.

LEEBRON, D.W., « Limited Liability, Tort Victims, and Creditors », 91 Columbia L. Rev.
1565, 1991, p. 1565 et s.

MAGNUS, F., Les groupes de sociétés et la protection des intérêts catégoriels : aspects
juridiques, Bruxelles, Larcier, 2011.
 

  69  
MALHERBE, J., DE CORDT, Y., LAMBRECHT, P., MALHERBE, P., Droit des sociétés. Précis,
Bruxelles, Bruylant, 2011.

MARIQUE, A., et RENARD, J., « Unité ou pluralité des masses en cas d’extension de la
faillite », J.T., 1981, p. 749 et s.

MILLON, D., « The Still-Elusive Quest to Make Sense of Veil-Piercing », 89 Texas L. Rev. 15,
2010, p. 15 et s.

MUCHLINSKI, P., « Limited Liability and Multinational Enterprises : A Case for Reform ? »,
Cambridge Journal of Economics, 2010, vol. 34, p. 915 et s.
 
PICKERING, M.A., « The company as a separate legal entity », 31 Mod. L. Rev. 481, 1968, p.
481 et s.

RAMSAY, I. M. et NOAKES, D. B., « Piercing the Corporate Veil in Australia », 19 C&SLJ 250,
2001, p. 250 et s.

RONSE, J. et LIEVENS, J., « De doorbraakproblematiek », in Rechten en plichten van moeder-


en dochter-vennootschappen, Antwerpen, Kluwer rechtswetenschappen, p. 135 et s.

ROUSSEAU, S., « La levée du voile corporatif sous le Code civil du Québec: des perspectives
théoriques et empiriques à la lumière de dix années de jurisprudence », in Cahier de droit,
2006, p. 815 et s.

SEALY, L. et WORTHINGTON, S., Cases and Materials in Company Law, Oxford, Oxford
University Press, 2008.

SIMONART, V., La personnalité morale en droit privé comparé, Collection de la Faculté de


droit de l’Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 1995.

SOUTHGATE, R.W. et GLAZER, D.W., Massachusetts Corporation Law & Practice, New-
York, Wolters Kluwer Law & Business, 2013.

STRASSER, K.A., « Piercing the Veil in Corporate Groups », 37 Conn. L. Rev. 637, 2004-
2005, p. 637 et s.

T’KINT, F., « L’extension de faillite », note sous Cass., 1er juin 1979, R.C.J.B., 1981, p. 52 et
s.

THOMASON, M.A., « Piercing the Corporate Veil », Facts & Findings, novembre/décembre
2011, p. 28 et s.

THOMPSON, R.B., « Piercing the Corporate Veil: An Empirical Study », 76 Cornell L. Rev.
1036, 1991, p. 1036.

THOMPSON, R.B., « Piercing the Veil within Corporate Groups : Corporate Shareholders as
Mere Investors », 13 Conn. J. Int’I. L. 379, 1998-1999, p. 379 et s.

TILQUIN, T. et SIMONART, V., Traité des sociétés, t. 1, Diegem, Kluwer, 1996.

  70  
VAN COMPERNOLLE, J., “La personnalité morale : fiction ou réalité?”, in Les présomptions et
les fictions en droit, Bruxelles, Bruylant, 1974, p. 318 et s.

VAN OMMESLAGHE, P., « Rapport général », in Droits et devoirs des sociétés mères et de
leurs filiales, Anvers, Kluwer, 1985.

VANDEKERCKHOVE, K., Piercing the Corporate Veil, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law
International, 2007.

WORMSER, I.M., « Piercing the Veil of Corporate Entity », 12 Columbia L. Rev. 496, 1912, p.
496 et s.

WYMEERSCH, E., « Le droit belge des groupes de sociétés », in Liber Amicorum Commission
droit et vie des affaires, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 613 et s.

3) Jurisprudence

Salomon v. A Salomon & Co Ltd. [1897] A.C. 22 (H.L.).

United States v. Milwaukee Refrigerator Transportation Co., 142 F. 247, 255 (7th Cir. 1905).

Luckenbach S.S. Co. v. W.R. Grace & Co, 267 F. 676 (4th Cir. 1920).

Cannon Mfg. Co. v. Cudahy Packing Co., 267 U.S. 333 (1925), disponible sur
www.findlaw.com.

Smith, Stone and Knight v. Birmingham Corporation, [1939] 4 All E.R. 116 (K.B.).

Anderson v. Abbott, 321 U.S. 349 (1943), disponible sur www.justia.com.

Minton v. Cavaney, 56 Cal. 2d 576 (1961), disponible sur www.justia.com.

My Bread Baking Co. v. Cumberland Farms, Inc., 353 Mass. 614, 233 N.E.2d 748 (1968),
disponible sur www.justia.com.

John R. Chatterley et Al v. Omnico, 26 Utah 2d 88, 485 P.2d 667 (Utah 1971), disponible sur
www.findacase.com.

Paumier v. Barge B.T., 395 F. Supp. 1019 (E.D. Va. 1974), disponible sur www.justia.com.

DeWitt Truck Brothers v. W Ray Flemming Fruit Co., 540 F.2d 681 (1976), disponible
sur www.justia.com.

Gallagher v. Reconco Builders, Inc., 415 N.E.2d 560 (Ill. App. Ct. 1980), disponible sur
www.leagle.com.

Woods v. Commercial Contractors, Inc., 384 So. 2d 1076, 1079 (Ala. 1980), disponible sur
www.justia.com.

  71  
Eagle Air, Inc. v. Coroon Black Dawson & Co.,   648 P.2d 1000 (Alaska 1982), disponible sur
www.findacase.com.

Harley McKibben v. Mohawk Oil Co., 667 P.2d 1223, 1230 (Alaska 1983), disponible sur
www.findacase.com.

Lowendahl v. Baltimore & Ohio Railroad R.R., 247 AD2d 144, 157, affd, 272 NY 360.

Craig v. Lake Asbestos of Quebec., Ltd., 843 F.2d 145, 150 (3d. Cir. 1988), disponible sur
www.findacase.com.

China Ocean Shipping Co. v. Mitrans Shipping Co., 3 H.K.C. 123, 127 (C.A) (1995),
disponible sur www.hklii.hk.

Beckett Investment Managment Group Ltd & Ors v. Hall & Ors, EWCA Civ 613, 28 Juin
2007, disponible sur www.bailii.org.

Hamilton v. Water Whole International Corp., District Court, 31 août 2006, disponible sur
www.findacase.com.

Hamilton v. Water Whole International Corp., Court of Appeal, 10 décembre 2008,


disponible sur www.findacase.com.

Cass., 26 mai 1978, Pas., 1978, I, p. 1108.

Cass., 1er juin 1979, Pas., 1979, I, p. 1129.

Cass., 29 mars 2001, J.L.M.B., 2001, p. 806.

Cass. fr., 4 février 1985, Rev. soc., 1985, p. 651.

Bruxelles, 26 juin 1963, J.T., 1964, p. 77.

Liège, 12 avril 1977, Rev. Prat. Soc., 1977, p. 192.

Comm. Liège, 14 novembre 1967, Rev. Prat. Soc., 1968, p. 23.

Comm. Ostende, 11 décembre 1969, Rev. Prat. Soc., 1970, p. 137.

Comm. Bruxelles, 20 février 1975, Rev. Prat. Soc., 1975, p. 98.

  72  
Table des matières

 
Introduction ................................................................................................................................ 2
Chapitre Ier. Présentation générale de la levée du voile social .................................................. 3
Section 1 – Définition et problématique................................................................................. 3
Section 2 – Terminologie ....................................................................................................... 5
Section 3 – Levée amicale et levée hostile ............................................................................. 5
Section 4 – Levée directe et levée indirecte ........................................................................... 7
Section 5 – Les personnes morales concernées ...................................................................... 8
Chapitre II. Concepts juridiques concernés par la levée du voile social .................................... 8
Section 1 – La responsabilité limitée ..................................................................................... 9
§1er. La levée du voile social en tant qu’exception à la responsabilité limitée .................. 9
§2. La responsabilité limitée en quelques mots ................................................................ 10
§3. Principaux avantages de la responsabilité limitée ...................................................... 11
§4. Critiques régulièrement émises à l’encontre de la responsabilité limitée .................. 13
Section 2 – La problématique des groupes de sociétés ........................................................ 13
§1er. La notion de groupe de sociétés .............................................................................. 14
§2. L’absence de reconnaissance de la personnalité juridique au groupe ........................ 14
§3. La notion d’intérêt de groupe ..................................................................................... 15
Chapitre III. La théorie anglo-saxonne du « Piercing the Corporate Veil » ............................ 17
Section 1 – Davantage une technique qu’une théorie .......................................................... 18
Section 2 – La responsabilité limitée et la personne morale en tant qu’entité distincte....... 18
Section 3 – Examen de l’application de la technique du « Piercing the Corporate Veil » par
les juridictions américaines .................................................................................................. 21
§1er. Objectifs poursuivis par la levée du voile social ...................................................... 21
§2. Fondements utilisés par les juridictions américaines pour lever le voile social ......... 24
1. La théorie de l’Alter Ego et la règle de l’Instrumentality ..................................... 24
2. Facteurs indépendants au service de la levée du voile corporatif ......................... 28
a. Inadequate Capitalization .................................................................................. 29
b. Asset Stripping .................................................................................................. 32
c. Commingling of Assets et Self-Dealing ............................................................ 33
d. Shareholder Domination et Overlap in Corporate Personnel ............................ 34
e. Observation of formalities ................................................................................. 36
f. Misrepresentation ............................................................................................... 38
§3. Quelques tendances observées ................................................................................... 40
1. Créancier volontaire contre créancier involontaire ............................................... 40

  73  
2. Société fermée contre société ouverte ................................................................... 43
3. Actionnaire personne physique contre actionnaire personne morale .................... 45
Section 4 – Analyse comparative avec l’Angleterre ............................................................ 46
Chapitre IV. La levée du voile social en Belgique .................................................................. 47
Section 1 – Concepts mobilisés par les juridictions pour lever le voile social .................... 48
§1er. L’extension de la faillite au « maître de l’affaire » .................................................. 48
1. Les fondements légaux .......................................................................................... 49
a. La société fictive ................................................................................................ 49
b. La société prête-nom ......................................................................................... 50
c. Abus de la personnalité juridique ...................................................................... 51
2. Evolution de la jurisprudence ................................................................................ 51
§2. La théorie de l’apparence ........................................................................................... 52
§3. L’abus de droit............................................................................................................ 53
§4. L’adage « Fraus omnia corrumpit » .......................................................................... 53
Section 2 – Situations de fait ................................................................................................ 55
§1er. Confusion des patrimoines (Commingling of Assets) .............................................. 55
§2. Domination abusive d’une société (Shareholder Domination et Overlap in Corporate
Personnel) ........................................................................................................................ 55
§3. Sous-capitalisation (Inadequate Capitalization) ........................................................ 56
§4. Fraude ......................................................................................................................... 56
1. Le transfert frauduleux de biens (Asset Stripping) ............................................... 56
2. Poursuite d’une activité frauduleuse ou déficitaire ............................................... 57
3. Dérobade à des obligations contractuelles (Evasion of Existing Legal Obligations)
58
4. Fraude à la loi ........................................................................................................ 58
§5. Conclusion de contrats entre une personne et sa société ............................................ 58
§6. Personne morale fictive .............................................................................................. 58
Section 3 – Faisceau d’indices ............................................................................................. 59
Section 4 – Responsabilité de la société mère du fait de ses filiales .................................... 60
Chapitre V. Critique de la levée du voile social ....................................................................... 63
Section 1 – Caractère vague et imprécis de la théorie .......................................................... 63
Section 2 – La levée du voile décourage l’investissement ................................................... 64
Section 3 – Inutilité ?............................................................................................................ 65
Conclusion ................................................................................................................................ 66
Bibliographie ............................................................................................................................ 68
1) Législation........................................................................................................................ 68
2) Doctrine............................................................................................................................ 68
3) Jurisprudence ................................................................................................................... 71

  74  
Table des matières .................................................................................................................... 73

  75  

Vous aimerez peut-être aussi