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LA 11 Les Effarés Bac Oral

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LA n.

11 : Rimbaud, Cahiers de Douai, « Les Effarés »

Noirs dans la neige et dans la brume, 1


Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond

À genoux, cinq petits, — misère ! —


Regardent le boulanger faire 5
Le lourd pain blond…

Ils voient le fort bras blanc qui tourne


La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire. 10


Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge


Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein. 15

Et quand, pendant que minuit sonne,


Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées


Chantent les croûtes parfumées 20
Et les grillons,

Quand ce trou chaud souffle la vie ;


Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre, 25


Les pauvres petits pleins de givre,
— Qu’ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses


Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous, 30

Mais bien bas, — comme une prière…


Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,

— Si fort, qu’ils crèvent leur culotte


— Et que leur lange blanc tremblote
Au vent d’hiver…
Introduction

Écrits quand Arthur Rimbaud était âgé de seulement 16 ans, les Cahiers de Douai regroupent
vingt-deux poèmes, répartis en deux liasses. Alors en fugue à Douai chez son professeur de
rhétorique Georges Izambard puis chez le poète Paul Démeny, Arthur Rimbaud est, en 1870, en
pleine révolte. Le poème intitulé « Les Effarés » appartient au premier cahier de Douai. Il se
compose de 12 strophes composées de deux octosyllabes en rimes suivies et d’un tétrasyllabe
qui rime avec le suivant. Par le choix de cette versification, Rimbaud se dresse
incontestablement contre un ordre classique en poésie.

Problématique

En quoi ce poème, en jouant sur des contrastes, est-il un cri de révolte et de défense des
enfants ?

Annonce de plan linéaire

Dans un premier temps, correspondant aux 5 premières strophes, nous analyserons le contraste
saisissant entre les enfants affamés et transis de froid et le boulanger. Dans un second temps,
correspond aux 7 dernières strophes, nous étudierons l’expression du pathétique dans ce
poème engagé.

I – Le contraste saisissant entre les enfants et le boulanger Les 5 premières strophes Le titre du
poème, « Les effarés », sous forme d’adjectif substantivé, ne trouve son explication qu’au vers 5,
dans l’expression « cinq petits ». L’effet de surprise est donc orchestré par la première strophe
qui n’identifie pas d’emblée ce groupe au pluriel. Le lecteur est intrigué par ces « effarés » dont
il ignore l’identité. Le poème s’ouvre sur un jeu de lumières et de contrastes frappant : la
couleur noire sur la neige, l’obscurité du « soupirail » et l’action qui s’y passe (« s’allume »). En
raison de la couleur noire, le lecteur peut imaginer une meute d’animaux, ce d’autant plus que
ce groupe est caractérisé par un vocabulaire familier « leurs culs en rond ». Le sujet est ainsi
retardé jusqu’au vers 4 : « cinq petits ». Mais ce groupe nominal appartient autant au règne
humain qu’au règne animal : l’ambiguïté prévaut toujours. Ce quatrième vers, composé de mots
d’une ou deux syllabes, est marqué par un rythme haché, comme pour marquer l’horreur de la
situation : « À genoux, cinq petits, – misère ! – » Le cri du poète est exprimé grâce à
l’exclamative : «- misère ! – ». L’utilisation de l’incise entre deux tirets accentue la force de ce
jugement qui semble jaillir du plus profond du Poète. L’attitude des enfants est passive, presque
soumise, comme en témoignent l’expression « à genoux » et les verbes de perception :
« regardent », « voient », « écoutent ». La scène repose sur un contraste entre un boulanger en
action (il est sujet des verbes d’action « tourne« , « enfourne« , « chante« ) et cinq enfants qui
l’observent. La production du boulanger est mise en valeur par l’enjambement entre les vers 5
et 6 qui fait ressortir le verbe « faire » à l’infinitif en fin de vers : « Regardent le boulanger faire /
Le lourd pain blond…« . Le fruit de cette action, le pain, est valorisé car enrichi de deux adjectifs
épithètes : « Le lourd pain blond ». Cette construction est reprise comme en écho au vers
suivant dans la métonymie « le fort bras blanc ». La fascination des enfants se lit à travers cet
effet d’écho et l’omniprésence des couleurs : du pain blond, à la peau blanche du boulanger, en
passant par « La pâte grise » et le four « clair ». L’allitération en [b] restitue également la
rondeur et la gourmandise du pain : « Regardent le Boulanger faire / le lourd pain blond / Ils
voient le fort bras blanc qui tourne » Discrets, les enfants « écoutent le bon pain cuire ». De
cette scène, se dégage un contraste saisissant : les enfants sont tapis dans le froid, à l’extérieur,
pendant que le boulanger est à l’intérieur, au chaud. De plus, les sonorités en gutturales
s’entrechoquent, associant presque le boulanger à un ogre : « Le Boulanger au gras
sourire/Grogne ». Quant à la cinquième strophe, elle joue sur les sonorités que l’on retrouve
dans le mot « boulanger » : « Ils sont blottis, pas un ne bouge, /Au souffle du soupirail rouge ».
Ces jeux de sonorités restituent la fascination des enfants par ce monde auquel ils ne peuvent
accéder. Seul le soupirail leur livre des bribes de chaleur, d’odeur. La comparaison finale « chaud
comme un sein » confirme l’attirance des petits pour la boulangerie tout en soulignant leur très
jeune âge. Ils sont mus par la faim qui les tiraille et par la chaleur dont ils sont dépourvus.

II – De la compassion au cri de révolte Les 7 dernières strophes Le deuxième mouvement est


constitué d’une seule et même phrase complexe, dont le rythme semble suivre l’émotion du
poète. Ainsi, il s’ouvre sur une accumulation de propositions subordonnées circonstancielles de
temps introduites par « quand » qui, là encore, retardent l’arrivée de la proposition principale.
La première strophe rappelle le cadre temporel de la scène (« minuit ») et fait naître une
véritable gourmandise, avec l’énumération « Façonné, pétillant et jaune » dont le rythme
ternaire est envoûtant. La deuxième proposition subordonnée circonstancielle de temps crée un
moment hors du temps et empli d’odeurs (« les poutres enfumées », « les croûtes parfumées »).
La personnification de la croûte du pain qui chante participe à la naissance d’une scène
merveilleuse car qualifiée de « trou chaud » qui « souffle la vie ». Les effets d’écho sonores dans
la 7ème strophe font entendre ce chant hypnotique : « Quand, sous les poutres enfumées
chantent les croûtes parfumées« Mais tout ceci ne reste qu’un spectacle auquel les enfants
n’ont pas accès. Le contraste entre cet intérieur gourmand et l’extérieur fait de misère est
frappant, comme en témoigne le complément circonstanciel « Sous leurs haillons ». Le rythme
s’enchaîne avec de nouvelles propositions subordonnées circonstancielles de conséquence (si…
que), comme si la description ne pouvait s’arrêter. L’innocence de ces enfants est rappelée par
les expressions « leur âme si ravie » et « les pauvres petits pleins de givre », ce qui constitue un
jugement plein de sympathie. Depuis le début du poème, la frontière entre l’humanité et le
monde animal était ténue. Ici encore, dans la dixième strophe, le champ lexical de l’animal est
présent : « collant », « petits museaux roses », « grognant ». Ces enfants vivent dans un tel état
d’indigence qu’ils pourraient être assimilés à des animaux. Le Boulanger grognait « un vieil air »
mais les enfants en sont incapables : ils ne grognent que « des choses » : leurs paroles
indistinctes les animalise encore davantage. La situation de ces cinq enfants suscite donc
l’indignation du poète. Leur condition est d’autant plus révoltante qu’ils restent innocents et
pieux, comme l’indique le champ lexical de la religion : « pauvres petits« , « prière« ,
« lumière« , « ciel rouvert » . La comparaison « comme une prière » les assimile presque à des
pèlerins, mais la religion ne leur est d’aucun secours. Dans la continuité, la dernière strophe
dénonce ces conditions de vie terribles : le froid, l’absence de vêtement décent, au point que
des détails en apparence triviaux clôturent le poème : « ils crèvent leur culotte », « leur chemise
tremblote ». Le substantif « lange« , traditionnellement associé aux nourrissons, souligne le
jeune âge des enfants. Les allitérations en [l] et [r], ainsi que la rime en « otte » restituent les
tremblements des enfants transis de froid : « Si fort, qu’ils crèvent leur culotte – Et que leur
lange blanc tremblotte« Le texte s’achève par une référence « au vent d’hiver« suivie de points
de suspension, comme pour marquer l’effacement des enfants abandonnés à leur sort. Les
points de suspension peuvent aussi suggérer l’indignation du poète face à ce tableau pathétique

Les effarés, Rimbaud, conclusion

Le poème « Les effarés » se construit sur une série de contrastes saisissants : entre le pluriel
(cinq petits) et le singulier (le boulanger), entre le noir des enfants et le jaune du pain, entre le
froid hivernal et la chaleur du four. Loin de fonder son poème sur la seule expression du
pathétique, Arthur Rimbaud parvient finement à dénoncer les conditions sociales des enfants.

Abandonnés dans le froid, tiraillés par la faim, ils ne sont aidés par personne. En effet, le
Boulanger n’a pas un regard pour eux; il ne fait pas don de son pain. Seules restent les prières
pour espérer survivre. Ce poème profondément engagé crie la révolte d’un poète à peine plus
âgé que ces enfants, mais déjà conscient des disparités sociales

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