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DEMARIS-Conseils en Temps de Persecution

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CONSOLATIONS POUR LES FIDÈLES EN TEMPS DE PERSÉCUTIONS, DE SCHISMES, D’HÉRÉSIES

par M. DEMARIS, PRÊTRE CATHOLIQUE.


Professeur de théologie dans la maison des missionnaires de Saint-Joseph à Lyon,
Exilé vers 1803, et mort pour la Foi de Jésus-Christ.

M. Demaris voyant les fidèles menacés de se trouver sans pasteurs, sa charité, quoique enchaîné, lui fit écrire (à leur
prière) la Règle de conduite qui suit, pour leur consolation.

MES CHERS ENFANTS,

Placés au milieu des vicissitudes humaines et du danger qu’offre le choc des passions, vous adressez vos charités à
votre père et vous demandez une règle de conduite.
Je vais vous la montrer et tâcher de porter dans vos âmes la consolation dont vous avez besoin : Jésus-Christ, le
modèle des chrétiens, nous apprend par Sa conduite ce que nous devons faire dans les moments pénibles où nous nous
trouvons.

Quelques Pharisiens lui dirent un jour : "Retirez-vous d’ici, parce que Hérode veut Vous faire mourir". Il leur répondit :
"Allez dire à ce renard que Je chasse les démons, et que J’achève à faire des guérisons aujourd’hui et demain, et que le
troisième jour Ma fin viendra. Mais Je dois agir encore aujourd’hui et demain et après-demain, parce qu’un prophète ne
doit pas mourir hors de Jérusalem" (Luc, XIII, 31-33).

Vous tremblez, mes chers enfants ; tout, ce que vous voyez, tout ce que vous entendez est effrayant, mais consolez-
vous : c’est la volonté de Dieu qui s’accomplit. Vos jours sont comptés, Sa providence pèse sur vous. Chérissez ces
hommes que l’humanité vous offre comme farouches ; ce sont des instruments que le ciel emploie à Ses desseins et,
comme une mer courroucée, ils ne passeront pas la ligne prescrite contre les flots qui se balancent, s’agitent et se
menacent.

Le tourbillon orageux de la révolution qui frappe à droite et à gauche, et les bruits qui vous alarment, ce sont les
menaces d’Hérode : qu’ils ne vous détournent point de vos bonnes œuvres ; qu’ils n’altèrent point votre confiance et
qu’ils ne flétrissent point l’éclat de vos vertus, qui vous unissent à Jésus-Christ. Il est votre modèle, et les menaces
d’Hérode ne le détournent point de la carrière de Sa destinée.

Je sais que vous pouvez être privés de votre liberté, que l’on peut même chercher à vous faire mourir. Je vous dirais
donc ce que saint Pierre disait aux premiers fidèles :
"Ce qui est agréable à Dieu est que, dans la vue de Lui plaire, nous endurions les maux et les peines qu’on nous fait
souffrir avec injustice : en effet, quel sujet de gloire aurez-vous si c’est par votre faute que vous endurez de mauvais
traitements ? Mais si en faisant bien vous les souffrez avec patience, c’est là ce qui est agréable à Dieu, car c’est à
quoi vous avez été appelés, puisque Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant Son exemple, afin que vous
marchiez sur Ses traces. Lui qui n’avait commis aucun péché, et de la bouche duquel nulle parole trompeuse n’est
jamais sortie, quand on l’a chargé d’injures, Il n’a point répondu par des injures ; quand on L’a maltraité, Il n’a point fait
de menaces, mais Il s’est livré entre les mains de celui qui Le jugeait injustement" (I Pier, II, 19-24).

Les disciples de Jésus-Christ, dans leur fidélité à Dieu, sont fidèles à leur patrie et pleins de soumission et de respect
envers les autorités ; fermes dans leur principes, avec une conscience sans reproche, adorant la volonté de Dieu. Ils ne
doivent point fuir lâchement la persécution : quand on aime la croix, on est hardi à l’embrasser et l’amour même nous
réjouit. Elle est nécessaire à notre union intime avec Jésus-Christ ; elle peut arriver à chaque instant, mais elle n’est pas
toujours si méritoire ni si glorieuse. Si Dieu ne vous appelle pas au martyre, vous serez comme ces illustres confesseurs
dont saint Cyprien dit : Que sans être morts par la main du bourreau, ils ont cueilli le mérite du martyre, parce qu’ils y
étaient préparés.

La conduite de saint Paul, tracée dans les Actes des apôtres (ch. XXI) nous donne ce beau modèle, tiré sur celui de
Jésus-Christ : Allant à Jérusalem, il apprit, à Césarée, qu’il y serait exposé à la persécution ; les fidèles le prièrent de
l’éviter ; mais il se croyait appelé à être crucifié avec Jésus-Christ, si telle était Sa volonté. Pour toute réponse, il leur dit :
"Ah ! Cessez d’attendrir mon cœur par vos larmes ; je vous déclare que je suis prêt à souffrir, à Jérusalem, non
seulement la prison, mais la mort même pour l’amour de Jésus-Christ".

Voilà, mes chers enfants, quelles doivent être vos dispositions : le bouclier de la Foi doit nous armer, l’espérance
doit nous soutenir et la charité doit nous diriger en tout. Si en tout et toujours nous devons être simples comme des
colombes et prudents comme des serpents, nous devons l’être surtout lorsque nous sommes contristés pour Jésus-
Christ. Je vous rappellerai ici une maxime de saint Cyprien qui, dans ces moments, doit être la règle de votre Foi et de
votre piété :
"Ne cherchons pas trop, dit cet illustre martyre, l’occasion du combat et ne la fuyons pas trop : attendons-la de l’ordre
de Dieu et espérons tout de Sa miséricorde. Dieu demande de nous plutôt une humble confession qu’une protestation
trop hardie. L’humilité est toute notre force".
1
Cette maxime nous invite à méditer sur la force, la patience et même la joie avec laquelle les saints ont souffert.

Voyez ce que dit saint Paul, vous serez convaincus que, lorsqu’on est animé de la Foi, les maux ne nous affectent
qu’en dehors et ne sont qu’un instant de combat que la victoire couronne. Cette vérité consolante ne peut être appréciée
que du juste. Aussi ne soyez pas surpris si, de nos jours, nous croyons ce que saint Cyprien 1 vit de son temps, lors de la
première persécution : que la plus grande partie des fidèles couraient au combat avec joie !

Aimer Dieu et ne craindre que Lui seul, tel est l’apanage du petit nombre des élus. C’est cet amour et cette crainte qui
nous font les martyrs, en détachant les fidèles du monde et les attachant à Dieu et à Sa sainte loi.

Pour soutenir cet amour et cette crainte dans vos cœurs, veillez et priez, augmentez vos bonnes œuvres et joignez
à cela des instructions édifiantes dont les premiers fidèles nous ont donné l’exemple.

Entretenez-vous des confesseurs de la Foi et glorifiez ensuite le Seigneur, selon l’usage des premiers chrétiens, que
nous retrace le chapitre des Actes des Apôtres.

Cette pratique vous sera d’autant plus salutaire que vous êtes plus privés des ministres du Seigneur, qui alimentaient
vos âmes du pain de la parole. Vous pleurez ces hommes précieux à votre piété, j’apprécie votre perte : vous paraissez
isolés à vous-mêmes, mais cet isolement, aux yeux de la Foi, ne peut-il pas vous être salutaire ? C’est par la Foi que les
fidèles sont unis. En approfondissant cette vérité, nous croyons que l’absence du corps ne rompt point cette union, parce
qu’elle ne rompt pas les liens de la Foi, mais plutôt qu’elle l’augmente en la dépouillant de toute sensibilité.

Les chrétiens qui ne vivent que de la Foi ne vivent que par la Foi. Si vous fûtes unis par ce lien aux ministres du
Seigneur que vous respectez, consolez-vous : leur absence purifie et avive l’amitié qui nous unit. La Foi nous rend
présents ceux que nous aimons dans les rapports à notre salut, quelles que soient aussi les distances et les chaînes qui
les séparent de nous ; la Foi nous donne des yeux si perçants que nous pouvons les voir quelque part qu’ils soient :
quand ils seraient aux extrémités de la terre, ou même que la mort les sépareraient de nous. Rien n’est éloigné de la Foi ;
elle pénètre au plus profond de la terre, comme au plus haut des cieux. La Foi est au-dessus des sens, et son empire est
au-dessus du pouvoir des hommes. Qui peut nous ôter le souvenir ? Qui peut nous empêcher de nous présenter devant
Dieu avec ceux que nous aimons et de lui demander notre pain quotidien par des prières unies à celles de ceux que nous
aimons ?

Il ne suffit pas, mes enfants, de vous consoler sur l’absence des ministres du Seigneur, d’étancher les larmes que
vous répandez sur leurs chaînes. Cette perte vous privant des sacrements et des consolations spirituelles, votre piété
s’alarme ! Elle se voit isolée. Quelque légitime que soit votre désolation, n’oubliez pas que Dieu est votre Père et que s’Il
permet que vous soyez privés des médiateurs qu’Il avait établis pour dispenser Ses mystères, Il ne ferme pas pour cela
les canaux de Ses grâces et de Ses miséricordes. Je vais vous les offrir comme les seules ressources auxquelles nous
puissions recourir pour nous purifier. Lisez ce que je vais écrire avec les mêmes intentions que j’ai eues en vous les
écrivant : ne cherchons que la vérité et notre salut dans l’abnégation de nous-mêmes, dans notre amour pour Dieu et
une parfaite soumission à Sa volonté.

Vous connaissez l’efficacité des sacrements ; vous savez l’obligation qui nous est imposée de recourir au sacrement
de pénitence pour nous purifier de nos péchés. Mais, pour profiter de ces canaux de miséricorde, il faut des ministres du
Seigneur. Dans la position où nous sommes : sans culte, sans autel, sans sacrifice, sans prêtre, nous ne voyons que le
ciel ! Et nous n’avons plus de médiateur parmi les hommes !... Que cet abandon ne vous abatte point : la Foi nous offre
Jésus-Christ, ce médiateur immortel ; Il voit notre cœur, Il entend nos désirs, Il couronne notre fidélité ; nous sommes,
aux yeux de Sa miséricorde toute-puissante, ce malade de trente-huit ans auquel Il dit, pour le guérir, non de faire venir
quelqu’un qui le jette dans la piscine, mais de prendre son lit et de marcher...

Si les événements de la vie varient la position des fidèles, ils varient de même nos obligations ; autrefois, nous étions
ces serviteurs qui avaient reçu cent talents : nous avions l’exercice paisible de notre religion. Actuellement, nous n’avons
qu’un seul talent, qui est notre cœur : faisons le fructifier et notre récompense sera égale à celle que nous aurions reçue
si nous en avions fait fructifier davantage. Dieu est juste ; Il ne demande pas de nous l’impossible ; mais parce qu’Il est
juste, Il demande de nous la fidélité dans ce qui est possible.

Pleins de respect pour les lois divines et ecclésiastiques, qui nous appellent au sacrement de pénitence, je dois vous
dire qu’il est des circonstances où ces lois n’obligent pas ; il est essentiel pour votre instruction et votre consolation que
vous connaissiez bien ces circonstances afin de ne point prendre votre propre esprit pour celui de Dieu. Les
circonstances où ces lois n’obligent pas sont celles où la volonté de Dieu se manifeste pour opérer notre salut, sans
l’intermédiaire des hommes. Dieu n’a besoin que de Lui pour nous sauver, quand Il le veut. Il est la source de la vie et Il
supplée à tous les moyens ordinaires qu’Il a établis pour opérer notre salut, par des moyens que Sa miséricorde nous

1
Comme on conduisait ce saint au supplice, le peuple, pénétré de douleur et fondant en larmes, s’écria : Allons et
mourons avec lui ! Le saint fit donner 25 écus d’or à son exécuteur.
2
dispense selon nos besoins. C’est un père tendre qui, par des moyens ineffables, secourt ses enfants lorsque, se croyant
abandonnés, ils ne cherchent que Lui et ne soupirent que pour Lui.

Si dans le cours de notre vie nous avions négligé le moindre des moyens que Dieu et Son Eglise ont établis pour nous
sanctifier, nous aurions été des enfants ingrats ; mais si nous allions croire que dans des circonstances extraordinaires
nous ne pouvons nous passer, même des plus grands moyens, nous oublierions et nous insulterions la sagesse divine,
qui nous éprouve et qui, en voulant que nous en soyons privés, y supplée par Son esprit.

Pour vous exposer, mes chers enfants, votre règle de conduite avec exactitude, je vais rapprocher de votre situation,
les principes de la Foi et quelques exemples de l’histoire de la religion, qui en développeront le sens et vous consoleront
dans l’application que vous pourriez en faire.

Il est de Foi que le premier et le plus nécessaire de tous les sacrements est le baptême : il est la porte du salut et de
la vie éternelle ; cependant le désir, le vœu du baptême suffit en certaines occasions : les catéchumènes qui étaient
surpris par la persécution ne le recevaient que dans le sang qu’ils répandaient pour la religion. Ils trouvaient la grâce de
tous les sacrements dans la confession libre de leur Foi et ils étaient incorporés dans l’Eglise par le Saint-Esprit, lien qui
unit tous les membres au chef.

C’est ainsi que se sont sauvés les martyrs ; leur sang leur a servi de baptême : c’est ainsi que se sauveront tous ceux
qui, instruits de nos mystères, désireront (selon leur Foi) de les recevoir. Telle est la Foi de l’Eglise : elle est fondée sur
ce que saint Pierre dit : "Qu’on ne peut refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu le Saint Esprit".

Quant on a l’esprit de Jésus-Christ, quand, par amour pour Lui, nous sommes exposés à la persécution, privés de
tous secours, accablés des chaînes de la captivité, quand on nous conduit à l’échafaud, nous avons alors tous les
sacrements dans la croix. Cet instrument de notre rédemption renferme tout ce qui est nécessaire pour notre salut.

La tradition de l’Eglise, dans ses plus beaux siècles, confirme cette vérité dogmatique. Les fidèles qui ont désiré les
sacrements, les confesseurs et les martyrs ont été sauvés sans le baptême et sans aucun des sacrements, lorsqu’ils ne
pouvaient les recevoir. D’où il est aisé de conclure que nul sacrement n’est nécessaire dès qu’il est impossible de le
recevoir : et cette conclusion est la Foi de l’Eglise.

Saint Ambroise regardait le pieux empereur Valentinien comme un saint, quoiqu’il fût mort sans le baptême, qu’il avait
désiré, mais qu’il n’avait pu recevoir. C’est le désir, c’est la volonté qui nous sauve :
"Dans ce cas, dit ce saint docteur de l’Eglise, celui qui ne reçoit pas le sacrement de la main des hommes, le reçoit de
la main de Dieu. Celui qui n’est pas baptisé par les hommes, l’est par la piété, l’est par Jésus-Christ".

Ce que nous dit du baptême ce grand homme, disons le de tous les sacrements, de toutes les cérémonies et de
toutes les prières dans les moments actuels.

Celui qui ne peut se confesser à un prêtre, mais qui, ayant toutes les dispositions nécessaires au sacrement, le désire
et en forme le vœu ferme et constant, entend Jésus-Christ, qui, touché et témoin de sa Foi, lui dit ce qu’Il dit autrefois à la
femme pécheresse : "Allez, il vous est beaucoup pardonné, parce que vous avez beaucoup aimé".

Saint Léon dit que l’amour de la justice contient en soi toute l’autorité apostolique ; en cela il exprime la Foi de l’Eglise:
l’application de cette maxime a lieu pour tous ceux qui, comme nous, sont privés du ministère apostolique par la
persécution qui éloigne ou incarcère les vrais ministres de Jésus-Christ, dignes de la Foi et de la piété des fidèles. Elle a
lieu surtout si nous sommes frappés par la persécution : la croix de Jésus-Christ ne laisse point de tache quand on
l’embrasse et quand on la porte comme il faut. Ici, au lieu de raisonnements, écoutons le langage des Saints. Les
confesseurs et les martyrs d’Afrique, écrivant à saint Cyprien, disaient hardiment qu’on revenait la conscience pure et
nette des tribunaux où on avait confessé le Nom de Jésus-Christ, ils ne disaient pas qu’on y allait avec une conscience
pure et nette, mais qu’on en revenait avec une conscience pure. Rien ne fait taire les scrupules comme la croix !

Entourés des extrémités qui sont les épreuves des saints, si nous ne pouvions confesser nos péchés aux prêtres,
confessons les à Dieu. Je sens, mes enfants, votre délicatesse et vos scrupules : qu’ils cessent et que votre Foi et votre
amour pour la croix augmentent. Dites-vous à vous-mêmes et par votre conduite, dites à tous ceux qui vous verront ce
que disait saint Paul : "Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ ?" (Rom, VIII, 35)

Saint Paul était alors dans votre position et il ne disait pas que la privation de tout ministre du Seigneur, où il pourrait
se trouver, pouvait le séparer de Jésus-Christ et altérer en lui la charité : il savait que, dépouillé de tout secours humain et
privé de tout intermédiaire entre lui et le ciel, il trouverait dans son amour, dans son zèle pour l’Évangile et dans la croix,
tous les sacrements et les moyens de salut nécessaires pour y parvenir.
De ce que je viens de dire il vous est aisé de voir une grande vérité, bien propre à vous consoler et à vous donner du
courage : c’est que votre conduite est une vraie confession1 devant Dieu et devant les hommes. Si la confession doit

1
Quel bonheur pour les fidèles de pouvoir confesser Jésus-Christ par la voix de leur exemple ! ...
3
précéder l’absolution, ici votre conduite doit précéder les grâces de sainteté ou de justice que Dieu nous dispense, et
c’est une confession publique et continuelle. La confession est nécessaire, dit saint Augustin, parce qu’elle renferme la
condamnation du péché, ici nous le condamnons d’une manière si publique et si solennelle qu’elle est connue de toute la
terre et cette condamnation, qui est cause que nous ne pouvons approcher d’un prêtre, n’est-elle pas plus méritoire
qu’une accusation de péché particulière et faite en secret ? N’est-elle pas plus satisfactoire et plus édifiante ? La
confession secrète de nos péchés au prêtre nous coûtait peu et celle que nous faisons aujourd’hui est soutenue par le
sacrifice général de nos biens, de notre liberté, de notre repos, de notre réputation et peut-être même de notre vie !

La confession que nous faisons au prêtre n’était guère utile qu’à nous, au lieu que celle que nous faisons à présent
est utile à nos frères et peut servir à toute l’Eglise. Dieu nous fait, tout indignes que nous sommes, la grâce de vouloir Se
servir de nous pour montrer que c’est un crime énorme d’offenser la vérité et la justice, et notre voix sera d’autant plus
intelligible que nous souffrirons de plus grands maux avec plus de patience.

Notre exemple dit aux fidèles qu’il y a plus de mal qu’on ne pense à faire ce que l’on exige de nous. Nous ne nous
confessons pas d’un péché, mais nous confessons la vérité, ce qui est la confession la plus noble et la plus nécessaire
dans les circonstances présentes. Nous ne confessons pas nos péchés en secret : nous confessons la vérité en public !
Nous sommes persécutés mais la vérité n’est point captive et nous avons cette consolation, dans l’injustice que nous
souffrons, que nous ne retenons point la vérité de Dieu dans l’injustice, comme dit l’apôtre des nations, et que nous
apprenons à nos frères à ne l’y point retenir. Enfin, si nous ne confessons point nos péchés, l’Eglise les confesse pour
nous.

Telles sont les règles admirables de la Providence, qui permet ces épreuves pour nous faire mériter et nous faire
réfléchir sérieusement sur l’usage que nous avons fait des sacrements. L’habitude et la facilité que nous avions de nous
confesser nous laissait souvent dans la tiédeur, au lieu qu’à présent, privés de confesseur, on se replie sur soi-même et
la ferveur augmente.

Regardons cette privation comme un jeûne pour nos âmes et une préparation à recevoir le baptême de la pénitence
qui, vivement désiré, deviendra une nourriture plus salutaire. Tâchons d’éloigner de notre conduite, qui est notre
confession devant les hommes et notre accusation devant Dieu, tous les défauts qui peuvent s’être glissés dans nos
confessions ordinaires, surtout le peu d’humilité intérieure.

Ce que j’ai dit est plus que suffisant ; cependant, je ne sais si j’aurai réussi à vous tranquilliser sur les anxiétés et les
scrupules que la délicatesse élève dans une âme réduite à se juger elle-même et à se diriger d’après ses propres
mouvements.

Je sens, mes enfants, toute l’importance de votre sollicitude, mais quand on se fie à Dieu, il ne faut pas le faire à
demi, ce serait manquer de confiance que de regarder les moyens, par lesquels Dieu appelle et conserve, incomplets et
laissant quelque chose à désirer dans l’ordre de la grâce. Vous trouviez dans la sagesse, la maturité et l’expérience des
ministres du Seigneur, des conseils et des pratiques efficaces pour éviter le mal, faire le bien et avancer dans la vertu,
tout cela ne tient pas au caractère sacramentel, mais aux lumières particulières ; un ami vertueux, zélé et charitable peut
être en ce point votre juge et votre directeur. Les personnes pieuses n’allaient pas seulement chercher au tribunal des
instructions et des lumières, elles s’ouvraient aux personnes remarquables par leur sainte vie en des entretiens familiers.
Faites de même, mais que la charité la plus directe règne dans ce commerce mutuel de vos âmes et de vos désirs ; Dieu
les bénira, et vous trouverez les lumières dont vous avez besoin. Si ce moyen vous était impossible, reposez-vous sur la
miséricorde de Dieu. Il ne vous abandonnera pas ; Son esprit parlera lui-même à vos coeurs par des aspirations saintes,
qui les enflammeront et les dirigeront vers les objets augustes de vos destinées.

Vous me trouverez concis sur ce sujet. Vos désirs vont bien au-delà ; mais un peu de patience, le reste de ma lettre
répondra entièrement à votre attente ; on ne peut pas tout dire à la fois, surtout dans un sujet aussi délicat et qui exige la
plus grande exactitude. Je vais continuer de vous parler comme je me parle à moi-même :

Éloignés des ressources du sanctuaire et privés de tout exercice du sacerdoce, il ne nous reste de médiateur que
Jésus-Christ : c’est à Lui que nous devons recourir pour nos besoins ; c’est devant Sa majesté suprême que nous devons
déchirer sans ménagement le voile de nos consciences et, dans la recherche du bien et du mal que nous avons fait, Le
remercier de Ses grâces, nous reconnaître coupables de nos offenses... et prier ensuite qu’Il nous pardonne et nous
trace les sentiers de Sa volonté sainte (ayant dans le cœur le désir sincère de le faire à Son ministre quand et sitôt que
nous le pourrons),

Voilà, mes enfants, ce que j’appelle se confesser à Dieu. Dans une telle confession bien faite, Dieu Lui-même vous
absoudra ! C’est l’Évangile qui nous l’apprend en nous proposant l’exemple du publicain qui, humilié devant Dieu, s’en
retourna justifié, puisque la meilleure marque de l’absolution, c’est la justice qui ne peut être liée puisque c’est elle qui
délie. Voilà ce que, dans l’isolement total où nous sommes, nous devons faire. L’Ecriture sainte nous trace, ici, nos
devoirs.

4
Tout ce qui tient à Dieu est saint : quand nous souffrons pour la vérité, nos souffrances sont celles de Jésus-Christ,
qui nous honore d’un caractère particulier de ressemblance avec Lui et avec Sa croix. Cette grâce est le plus grand
bonheur qui puisse arriver à un mortel pendant sa vie.
C’est ainsi que dans toutes les positions pénibles qui nous privent des sacrements, la croix portée chrétiennement est
la source de la rémission de nos fautes ; comme, portée autrefois par Jésus-Christ, elle le fut des fautes de tout le genre
humain. Douter de cette vérité, c’est faire injure à notre Sauveur crucifié, c’est ne reconnaître pas assez la vertu et le
mérite de la croix !...

Dites-moi : serait-il possible que le bon larron ait reçu le pardon de ses fautes et que le fidèle qui abandonne tout pour
son Dieu n’y reçût pas le pardon des siennes ?

Des saints pères observent que le bon larron fut criminel jusqu’à la croix pour montrer aux fidèles ce qu’ils doivent
espérer de cette croix lorsqu’ils l’embrassent et y demeurent attachés pour la justice et pour la vérité. Jésus-Christ,
terminant Ses souffrances, est entré dans le ciel par la croix. Nous sommes Ses disciples, Il est notre modèle ; souffrons
comme Lui et nous entrerons dans l’héritage qu’Il nous a préparé par la croix.

Mais pour être sanctifié par la croix, il ne faut pas être à soi-même, il faut être tout à Dieu ; il faut que notre conduite
retrace les vertus de Jésus-Christ : il ne suffit pas, dans ces moments, qu’animés de Son amour, vous vous reposiez sur
Son sein comme saint Jean ; il faut que vous Le serviez avec fermeté et constance sur le calvaire et sur la croix ; là, en
vous confessant à Dieu, si votre confession à Dieu n’est pas couronnée par l’imposition des mains du prêtre, elle le sera
par l’imposition des mains de Jésus-Christ. Voyez Ses mains adorables qui paraissent si pesantes à la nature et qui sont
si légères à ceux qui L’aiment ! ... Elles sont étendues sur vous depuis le matin jusqu’au soir pour vous combler de toutes
sortes de bénédictions si vous ne les repoussez pas vous-mêmes. Il n’y a point de bénédiction semblable à celle de
Jésus-Christ crucifié quand Il bénit Ses enfants sur la croix.

Le sacrement de pénitence est pour nous, dans ce moment le puits de Jacob, dont l’eau est excellente et salutaire ;
mais le puits est profond ; dénués de tout, nous ne pouvons y puiser et nous désaltérer ; des gardes même en défendent
l’entrée... Voilà la peinture de notre position. Regardons la conduite de nos persécuteurs comme une punition de nos
péchés ! Il est certain que si nous pouvions approcher de ce puits avec Foi nous y trouverions Jésus-Christ parlant à la
Samaritaine. Mais ne perdons pas courage ! Descendons jusque dans la vallée de Béthulie, où nous trouverons plusieurs
sources qui ne sont pas gardées, où nous pourrons étancher tranquillement notre soif. Que Jésus-Christ habite dans nos
cœurs !

Que son Esprit-Saint les enflamme, et nous trouverons en nous cette source d’eau vive qui suppléera au puits de
Jacob. Jésus comme souverain pontife fait Lui-même, d’une manière ineffable, dans la confession que nous faisons à
Dieu, ce qu’Il aurait fait dans tout autre temps par le ministère des prêtres, et cette confession a un avantage que les
hommes ne peuvent nous ravir, c’est pourtant en nous que Jésus-Christ s’occupe de nous continuellement ! Nous
devons la faire dans tous les temps, dans tous les lieux et dans toutes les positions possibles. C’est une chose digne
d’admiration et de reconnaissance de voir que ce que le monde fait pour nous éloigner de Dieu et de Son Église nous en
approche davantage.

La confession ne doit pas être seulement un remède pour tous les péchés passés ; elle doit être un préservatif pour
les péchés à venir. Si nous réfléchissons sérieusement sur cette double efficacité du sacrement de pénitence, nous
pourrons avoir beaucoup à nous humilier et à gémir ! Et nous y serons d’autant plus fondés que notre avancement dans
la vertu aura été plus lent et que nous serons toujours trouvés les mêmes avant et après nos confessions. Nous pouvons
actuellement réparer tous ces défauts, qui venaient d’une trop grande confiance dans l’absolution, et de ce qu’on
n’approfondissait pas assez ses plaies !...

Obligée maintenant de gémir devant Dieu, l’âme fidèle s’occupe à considérer toutes ses difformités ; là, aux pieds du
Sauveur, et pénétrée de la douleur et du repentir, elle y reste dans le silence, ne lui parlant que par ses larmes, comme la
pécheresse de l’Évangile, voyant d’un côté ses misères et de l’autre la bonté de Dieu. Elle s’anéantit devant Sa majesté,
jusqu’à ce qu’Elle dissipe ses maux par un de ses regards. C’est là que la lumière divine éclaire son cœur contrit et
humilié et lui découvre jusqu’aux atomes qui peuvent l’obscurcir. Que cette confession à Dieu soit pour vous une pratique
journalière, courte mais vive, et que de temps en temps vous la fassiez depuis une époque jusqu’à l’autre, comme
chaque jour vous la faites de la journée (à votre examen du soir).

- Le premier fruit que vous en retirerez, outre la rémission de vos péchés, ce sera d’apprendre à vous connaître et à
connaître Dieu.
- Le deuxième, d’être toujours présentés aux prêtres, si vous le pouviez, ornés du caractère des miséricordes du
Seigneur.

Je crois avoir dit ce que je devais, mes enfants, pour votre conduite à l’égard du sacrement de pénitence. Je vais vous
entretenir maintenant de la privation de l’Eucharistie, et, successivement, de tous les objets dont vous me parlez dans
votre lettre.

5
L’Eucharistie, le sacrement d’amour, avait pour vous bien des douceurs et des avantages quand vous pouviez y
participer ; mais maintenant que vous en êtes privés, pour être les défenseurs de la vérité et de la justice, vos avantages
sont les mêmes ; car qui aurait osé approcher de cette table si Jésus-Christ ne vous en eût pas fait un précepte et si
l’Eglise, qui désire que nous nous fortifiions par ce pain de vie, ne nous eût invités à le manger par la voix de ses
ministres qui nous revêtaient de la robe nuptiale ’? Mais si nous comparons l’obéissance avec laquelle nous en sommes
privés à celle qui nous y conduisait, il sera aisé de juger du mérite.

Abraham obéit en immolant son fils et en ne l’immolant pas : mais son obéissance fut bien plus grande quand il mit la
main à l’épée que quand il remit l’épée dans le fourreau. Nous obéissons en nous approchant de l’Eucharistie ; mais en
nous retirant de ce sacrifice, nous nous immolons nous-mêmes. Altérés de la soif de la justice, et nous privant du sang de
l’Agneau, qui seul peut l’étancher, nous sacrifions notre propre vie autant qu’il est en nous. Le sacrifice d’Abraham fut
d’un instant ; un ange arrêta le glaive ; le nôtre est journalier et se renouvelle toutes les fois que nous adorons avec
soumission la main de Dieu qui nous éloigne de Ses autels, et ce sacrifice est volontaire.

C’est être avantageusement privé de l’Eucharistie que d’élever l’étendard de la croix pour la cause de Jésus-Christ et
la gloire de Son Eglise. Observez, mes enfants, que Jésus-Christ, après avoir donné Son corps, ne fit aucune difficulté de
mourir pour nous. Voilà la conduite du chrétien dans ses persécutions : la croix succède à l’Eucharistie. Que l’amour de
l’Eucharistie ne nous éloigne donc pas de la Croix ! C’est montrer et faire un glorieux progrès dans la gloire de l’Évangile
que de sortir du cénacle pour monter au Calvaire. Oui, je ne crains pas de le dire, quand l’orage de la malice des
hommes gronde contre la vérité et la justice, il est plus avantageux aux fidèles de souffrir pour Jésus-Christ que de
participer à Son corps sacré par la communion.

Il me semble entendre le Sauveur nous dire : "Ah ! Ne craignez pas d’être séparés de Ma table pour la confession de
Mon Nom ! C’est une grâce que Je vous fais, qui est un bien rare ; réparez par cette humiliation, privation qui Me glorifie,
toutes les communions qui Me déshonoraient. Sentez cette grâce : vous ne pouvez rien faire sans Moi, et Je mets entre
vos mains un moyen de faire ce que J’ai fait pour vous, et de me rendre avec magnificence ce que Je vous ai donné de
plus grand ! Je vous l’ai donné : lorsque vous vous en êtes séparés pour être fidèles à Mon service, vous rendez à Ma
vérité ce que vous aviez reçu de Ma charité. Je n’ai rien pu vous donner de plus grand, et vous ne pouvez aussi Me
donner rien de plus grand. Votre reconnaissance égale, par la grâce que Je vous ai faite, la grandeur du don que Je vous
ai fait. Consolez-vous, si Je ne vous appelle pas à verser votre sang comme les martyrs : voilà le Mien pour y suppléer ;
toutes les fois qu’on vous empêchera de le boire, Je vous tiendrai le même compte que si vous aviez répandu le vôtre ; et
le Mien est infiniment plus précieux..."

C’est ainsi que nous trouvons l’Eucharistie dans la privation même de l’Eucharistie ; d’un autre côté qui peut nous
séparer de Jésus-Christ et de Son Eglise dans la communion, en nous approchant par la Foi de Ses autels d’une
manière d’autant plus efficace qu’elle est plus spirituelle et plus éloignée des sens ?

C’est ce que j’appelle communier spirituellement, en s’unissant aux fidèles qui peuvent le faire, dans les divers lieux
de la terre.

Cette communion vous était familière dans le temps où vous pouviez approcher de la Sainte Table : vous en
connaissez les avantage et la manière ; c’est pourquoi je ne vous en entretiens pas.

Je vais vous exposer ce que l’Ecriture Sainte et les Annales de l’Eglise m’offrent de réflexions sur la privation de la
messe et la nécessité d’un sacrifice continuel pour les fidèles, dans les temps de persécution, et cela brièvement.
Donnez, mes enfants, une attention particulière aux principes que je vais rappeler ; ils tiennent à votre édification.

Rien n’arrive sans la volonté de Dieu : que nous ayons un culte qui nous permette d’assister à la messe ou que nous
en soyons privés, nous devons être également soumis à Sa volonté sainte et, dans toutes les circonstances, soyons
dignes du Dieu que nous servons !

Le culte que nous devons à Jésus-Christ est fondé sur l’assistance qu’Il nous donne et sur la nécessité que nous
avons de Son secours. Ce culte nous trace des devoirs comme fidèles isolés, ainsi qu’il nous en traçait autrefois dans
l’exercice public de notre sainte religion.

Comme enfants de Dieu, selon le témoignage de saint Pierre et de saint Jean, nous participons au sacerdoce de
Jésus-Christ pour offrir des prières et des vœux ; si nous n’avons pas le caractère de l’ordre pour sacrifier sur les autels
visibles, nous ne sommes pas sans hosties, puisque nous pouvons l’offrir dans le culte de notre amour en sacrifiant nous-
mêmes Jésus-Christ à Son Père sur l’autel visible de nos cœurs. Fidèles à ce principe, nous recueillerons toutes les
grâces que nous aurions pu recueillir si nous eussions assisté au saint sacrifice de la messe. La charité nous unit à tous
les fidèles de l’univers qui offrent ce divin sacrifice ou qui y assistent. Si l’autel matériel ou les espèces sensibles nous
manquent, il n’y en a pas non plus dans le ciel, où Jésus-Christ est offert de la manière la plus parfaite.

Oui, mes enfants, les fidèles qui sont sans prêtres étant eux-mêmes prêtres et rois, selon saint Pierre, offrent leurs
sacrifices sans temple, sans ministres et sans rien de sensible ; il n’est besoin que de Jésus-Christ pour l’offrir, pour le
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sacrifice du cœur, où la victime doit être consumée par le feu de l’amour du Saint-Esprit, c’est être uni à Jésus-Christ, dit
saint Clément d’Alexandrie, par les paroles, par les actions et par le cœur. Nous lui sommes unis par nos paroles quand
elles sont justes et par nos cœurs quand la charité les enflamme. Ainsi, disons la vérité, alors nous rendrons à Dieu la
gloire qui lui est due. Quand nous sommes vrais dans nos paroles, justes dans nos actions, soumis à Dieu dans nos
désirs et nos pensées, en ne parlant que par Lui seul, en Le louant de Ses dons et en nous humiliant de nos infidélités,
nous offrons un sacrifice agréable à Dieu, qui ne peut nous être ôté. "Le sacrifice que Dieu demande est un esprit
pénétré de douleur", dit le saint roi David ; "vous ne mépriserez pas, ô mon Dieu, un cœur contrit et humilié" (Ps. 50).

Il me reste à considérer l’Eucharistie comme viatique : vous pouvez en être privés à la mort ; je dois vous éclairer et
vous prémunir contre une privation si sensible. Dieu, qui nous aime et nous protège, a voulu nous donner Son corps aux
approches de la mort pour nous fortifier dans ce dangereux passage.

Lorsque vous portez vos regards sur l’avenir, que vous vous voyez dans votre agonie, sans victime, sans extrême-
onction et sans aucune assistance de la part des ministres du Seigneur, vous vous regardez comme dans l’abandon le
plus triste et le plus affligeant !

Consolez-vous, mes enfants, dans la confiance que vous devez à Dieu ; ce père tendre répandra sur vous Ses
grâces, Ses bénédictions et Ses miséricordes, dans ces moments terribles que vous redoutez, avec plus d’abondance
que si vous pouviez être assistés par Ses ministres, dont vous n’êtes privés que parce que vous n’avez pas voulu
L’abandonner Lui-même.

L’abandon et le délaissement où nous redoutons de nous trouver ressemble à celui du Sauveur sur la croix, lorsqu’Il
disait à son Père : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?" Ah ! Que ces paroles sont instructives :
vos peines et vos délaissements vous conduisent à vos glorieuses destinées en terminant votre carrière comme Jésus-
Christ termina la Sienne. Jésus, dans les souffrances, dans Son abandon et Sa mort, était dans l’union la plus intime
avec Son Père. Dans vos peines et vos délaissements, soyez-Lui de même unis, et que votre dernier soupir soit comme
le Sien : que la volonté de Dieu s’accomplisse.

Ce que j’ai dit de la privation du viatique à la mort, je le dirai aussi de l’extrême-onction. Si je meurs entre les mains de
personnes qui, non seulement ne m’assistent pas, mais qui m’insultent, je serai d’autant plus heureux que ma mort aura
plus de conformité avec celle de Jésus-Christ, qui fut un spectacle d’opprobres à toute la terre !... Crucifié par les mains
de Ses ennemis, Il est traité comme un voleur et meurt entre les deux larrons ! Il était la sagesse même, Il passe pour un
insensé ; Il était la vérité, et Il passe pour un fourbe et un séducteur ! Les pharisiens et les scribes ont triomphé de Lui et
en Sa présence ! Enfin, ils se sont rassasiés de Son sang ! Jésus-Christ est mort dans l’infamie du supplice le plus
honteux et dans les douleurs les plus sensibles ! Chrétiens, si votre agonie et votre mort sont à vos ennemis une
occasion de vous insulter et de vous traiter avec opprobre, quelle fut celle de Jésus-Christ ? Je ne sais si l’ange qui fut
envoyé pour suppléer à la dureté et à l’insensibilité des hommes ne le fut point pour nous apprendre que dans une telle
rencontre nous recevons la consolation du ciel quand celles de la terre nous manquent. Ce ne fut point sans un dessein
particulier de Dieu que les apôtres, qui eussent dû consoler Jésus-Christ, demeurèrent dans un assoupissement profond.

Que le fidèle ne s’étonne donc pas de se trouver sans prêtre à se dernière heure. Jésus-Christ fait des reproches à
Ses apôtres de ce qu’ils dormaient, mais Il ne leur en fait point de ce qu’ils Le laissent sans consolation, pour nous
apprendre que, si nous entrons dans le Jardin des Oliviers, si nous montons au Calvaire, si nous expirons seuls et sans
secours humains, Dieu veille sur nous, nous console et suffit à tous nos besoins. Fidèles qui craignez les suites du
moment actuel, portez vos regards sur Jésus : fixez-Le, contemplez-Le, Il est votre modèle ; je n’ai rien de plus à vous
dire sur ce sujet.

Après l’avoir contemplé, craindrez-vous encore la privation des prières et des cérémonies que l’Eglise a établies pour
honorer votre agonie, votre mort et votre sépulcre ? Pensez que la cause pour laquelle vous souffrez et mourez rend
cette privation une nouvelle gloire et vous donne le mérite du dernier trait de ressemblance que vous pouvez avoir avec
Jésus-Christ. La Providence a permis et voulu, pour notre instruction, que les pharisiens missent des gardes au sépulcre
pour garder le corps de Jésus crucifié ; elle a voulu qu’après la mort même son corps restât entre les mains de Ses
ennemis pour nous apprendre que, quelque longue que soit la domination de nos ennemis, nous devons la souffrir avec
patience et prier pour eux.

Saint Ignace, martyr, qui avait tant d’ardeur pour être dévoré par les bêtes, ne préféra-t-il pas les avoir pour sépulcre
au plus beau mausolée ? Les premiers chrétiens, que l’on livrait aux bourreaux, se sont-ils jamais mis en peine de leur
agonie et de leur sépulcre ? Tous étaient sans inquiétude de ce qu’on ferait de leur corps. Oui, mes enfants, quand on se
fie à Jésus-Christ pendant la vie, on se fie bien à Lui après sa mort.

Jésus sur la croix et près d’expirer vit les femmes qui L’avaient suivi depuis la Galilée qui se tenaient éloignées ; sa
mère, Marie-Madeleine, et le disciple bien-aimé étaient auprès de la croix dans l’abattement, le silence et la douleur !...
Voilà, mes enfants, l’image de ce que vous verrez : la plupart des chrétiens plaignent ceux d’entre les fidèles qui se
trouvent livrés à la persécution, mais ils se tiennent éloignés ; quelques-uns, comme la mère de Jésus, approchent de la
victime innocente que l’iniquité immole.
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Je remarque, avec saint Ambroise, que la mère de Jésus, au pied de la croix, savait que son fils mourait pour la
rédemption des hommes et que, désirant d’expirer avec Lui pour l’accomplissement de cette grande œuvre, elle ne
craignait point d’irriter les Juifs par sa présence et de mourir avec son divin Fils. Quand vous verrez, mes chers enfants,
mourir quelqu’un dans le délaissement ou sous le glaive de la persécution, imitez la mère de Jésus, et non les femmes
qui l’avaient suivi de Galilée. Soyez pénétrés de cette vérité : que le temps de mourir le plus glorieux et le plus salutaire
est lorsque la vertu est la plus forte dans notre cœur ; on ne doit pas craindre pour le membre de Jésus-Christ quand il
est dans la souffrance ! Assistons-le, ne fût-ce que par nos regards et par nos larmes.

Voilà, mes enfants, ce que j’ai cru devoir vous dire : je le crois suffisant pour répondre à vos demandes et tranquilliser
votre piété ; j’ai posé les principes sans entrer dans aucun détail ; ils me paraissent inutiles. Vos fermes réflexions y
suppléeront aisément et vos conversations, si jamais la Providence le permet, auront de nouveaux désirs. Je dois ajouter,
mes enfants, que vous ne devez point vous affliger du spectacle étonnant dont nous sommes témoins. La Foi ne s’allie
point à ces terreurs ; le nombre des élus est toujours fort petit. Craignez seulement que Dieu ne vous reproche votre peu
de Foi et de n’avoir pu veiller une heure avec Lui. Je vous avouerai cependant que l’humanité peut s’affliger, mais, en
vous faisant cet aveu, je dirai que la Foi doit se réjouir.

Dieu fait bien toutes choses : portez ce jugement, mes enfants, il est le seul qui soit digne de vous. Les fidèles eux-
mêmes le portaient lorsque le Sauveur faisait des guérisons miraculeuses. Ce qu’Il fait à présent est bien plus grand :
dans Sa vie mortelle, Il guérissait les corps ; actuellement, Il guérit les âmes et complète par la tribulation le petit nombre
des élus.

Quels que soient les desseins de Dieu sur nous, adorons la profondeur de Ses jugements et mettons en Lui toute
notre confiance. S’Il veut nous délivrer, le moment est proche. Tous s’élèvent contre nous : nos amis nous oppriment, nos
parents nous traitent en étrangers ! Les fidèles qui participent aux saints mystères avec nous sont détournés par le seul
regard. On craint de dire non seulement que comme nous on est fidèle à sa patrie, soumis à ses lois, mais fidèles à
Dieu : on craint de dire que l’on nous chérit, et même qu’on nous connaît. Si nous sommes sans secours du côté des
hommes, nous voilà du côté de Dieu, qui, selon le prophète-roi, délivrera le pauvre du puissant et le faible qui n’avait
aucun secours. L’univers est l’ouvrage de Dieu ; Il le régit, et tout ce qui arrive est dans les desseins de Sa Providence.
Quand nous croyons que la désertion va être générale, nous oublions qu’il suffit d’un peu de Foi pour rendre la Foi à la
famille de Jésus-Christ, comme un peu de levain fait fermenter toute la pâte.

Ces événements extraordinaires, où la multitude lève la hache pour saper l’ouvrage de Dieu, servent
merveilleusement à manifester Sa toute-puissance.

Dans tous les siècles, on verra ce que vit le peuple de Dieu quand le Seigneur voulut, par Gédéon, manifester Sa
toute-puissance contre les Madianites. Il lui fit renvoyer presque toute son armée. Trois cents hommes seulement furent
conservés, et encore sans armes, afin que la victoire fût visiblement reconnue venir de Dieu. Ce petit nombre des soldats
de Gédéon est la figure du petit nombre des élus vivant dans ce siècle. Vous avez vu, mes enfants, avec l’étonnement le
plus douloureux, que de la multitude de ceux qui était appelés (puisque toute la France était chrétienne), le plus grand
nombre, comme dans l’armée de Gédéon, est demeuré faible, timide, craignant de perdre leur intérêt temporel : Dieu les
renvoie. Dieu ne veut Se servir dans Sa justice que de ceux qui se donnent entièrement à Lui. Ne nous étonnons donc
pas du grand nombre de ceux qui Le quittent ; la vérité triomphe, quelque petit que soit le nombre de ceux qui L’aiment et
Lui restent attachés. Pour moi, je ne forme qu’un vœu : c’est le désir de saint Paul. Comme enfant de l’Église, je souhaite
la paix de l’Eglise ; comme soldat de Jésus-Christ, je souhaite de mourir sous Ses étendards.

Si vous avez les ouvrages de saint Cyprien, lisez-les, mes chers enfants, c’est surtout aux premiers siècles de l’Eglise
qu’il faut remonter pour trouver des exemples dignes de nous servir de modèles. C’est dans les livres saints et dans ceux
des premiers défenseurs de la Foi qu’il faut se former une idée précise de l’objet du martyre et de la confession du Nom
de Jésus-Christ : c’est la vérité et la justice, ce sont les objets augustes, éternels, immuables de la Foi qu’il faut
confesser. C’est l’Évangile, car les instructions humaines, quelles qu’elles soient, sont variables et temporelles ; mais
l’Évangile et la loi de Dieu tiennent à l’éternité. C’est en méditant cette distinction que vous verrez clairement ce qui est à
Dieu et ce qui est à César, car, à l’exemple de Jésus-Christ, vous devez rendre avec respect, à l’un et à l’autre, ce que
vous leur devez.

Toutes les églises et tous les siècles sont d’accord : il ne peut y avoir rien de si saint et de si glorieux que de
confesser le Nom de Jésus-Christ. Mais rappelez-vous, mes enfants, que pour le confesser d’une manière digne de la
couronne que nous désirons, c’est dans le temps où nous souffrons davantage qu’il faut faire paraître une plus grande
sainteté. On ne trouve rien de si beau que ces paroles de saint Cyprien lorsqu’il loue toutes les vertus chrétiennes dans
les confesseurs de Jésus-Christ :
"Vous avez toujours observé, leur dit-il, le commandement du Seigneur avec une vigueur digne de votre fermeté ;
vous avez conservé la simplicité, l’innocence, la charité, la concorde, la modestie et l’humilité ; vous vous êtes
acquittés de votre ministère avec beaucoup de soin et d’exactitude ; vous avez fait paraître de la vigilance pour aider
ceux qui avaient besoin de secours ; de la compassion pour les pauvres ; de la constance pour défendre la vertu, du
courage pour maintenir la sévérité de la discipline, et afin qu’il ne manquât rien à ces grands exemples de vertu que
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vous avez donnés, voilà que par une confession et des souffrances généreuses, vous animez hautement vos frères
au martyre et leur en tracez le chemin".

J’espère, mes chers enfants, quoique Dieu ne vous appelle pas au martyre, ni à aucune confession douloureuse de
Son Nom, pouvoir un jour vous parler comme Il parlait aux confesseurs Célérin et Aurèle, et louer en vous plus votre
humilité que votre constance, et vous glorifier plus de la sainteté de vos mœurs que de vos peines et de vos plaies.

En attendant cet heureux moment, profitez de mes conseils et soutenez-vous vous-mêmes par mon exemple. Dieu
veille sur vous. Notre espérance est fondée ; elle nous montre ou la persécution qui finit ou la persécution qui nous
couronne. Dans l’alternative de l’une ou de l’autre, je vois l’accomplissement de notre destinée.

Que la volonté de Dieu soit faite, puisque de quelque manière qu’Il nous délivre, Ses miséricordes éternelles se
répandent sur nous.

Je finis, mes chers enfants, en vous embrassant et en priant Dieu pour vous ; priez Le pour moi et recevez ma
bénédiction paternelle, comme le gage de ma tendresse envers vous, de ma Foi et de ma résignation sincère à n’avoir
pas d’autre volonté que celle de Dieu.
DEMARIS.

MONSEIGNEUR DE MARBŒUF, ARCHEVÊQUE LÉGITIME DE LYON,


écrivait, du fond de l’exil, aux fidèles de son diocèse, au sujet de la privation des secours religieux :

Basse-Saxe, 6 décembre 1796.

MES TRÈS CHERS FRÈRES,


"Si le malheur des temps vous prive d’assister au Saint-Sacrifice de la messe et de participer aussi souvent que vous
le désirez aux saints mystères, ne craignez point et ne vous découragez point pour cela ; vous n’y perdrez rien.
Dieu verra avec complaisance que, malgré ces privations, vous conservez dans votre cœur la confiance et la fidélité
que vous Lui devez ;
Il entendra vos prières domestiques et les vœux que vous formerez pour le rétablissement de Son culte ;
Il en sera touché et, en attendant les moments marqués par Sa sagesse pour faire luire sur nous des jours plus
sereins, Lui-même vous tiendra lieu de pasteur, de guide, de soutien ;
Il répandra dans vos âmes une mesure abondante de grâces, de force, de constance pour vous mettre en état de
résister à toutes les tentations de l’ennemi, et, dans le temps de la plus grande disette des secours extérieurs de la
religion, Il vous fera recueillir intérieurement des trésors de bénédictions.
Demeurez donc sans inquiétude dans la bergerie d’un si bon maître ; invoquez-Le avec confiance dans toutes vos
nécessités et soyez certains que la nourriture spirituelle dont vous pouvez avoir besoin, en telle situation que vous vous
trouviez, ne vous manquera jamais.
Vous la recevrez immédiatement de la main de Dieu, lorsque le malheur des temps vous privera de l’usage des
moyens qu’Il a établis pour être les canaux de sa grâce".

Sermon de M. Pierre-Marie Remaud, curé de Chavagnes-en-Paillers en février 1791.

Un bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jean, X, 11). Jésus-Christ est mort pour tous les hommes. A Son
exemple, un bon pasteur doit souffrir et mourir même, s’il le faut, pour son peuple. Je déclare que tels sont, plus en ce
jour que jamais, les sentiments de mon cœur pour le troupeau que la divine Providence a daigné confier à mes soins.
Non, mes chers paroissiens, ne craignez pas que les tribulations, que les douleurs, que les peines enfin de toute espèce
puissent nous séparer jamais de Jésus-Christ et par conséquent de vous qui êtes Ses membres. A l’exemple du grand
apôtre, nous saurons tout souffrir mépris, calomnie, misère extrême, pour vous servir en Jésus-Christ jusqu’à la fin.
Qu’un lâche apostat renie sa foi et celle de ses pères, qu’un homme sans mœurs et sans principes porte des coups
sensibles à la religion, qu’un citoyen sans honneur et sans probité se dévoue au mépris, cela peut se comprendre ; mais
qu’un pasteur selon le cœur de Dieu et pénétré de l’amour de ses devoirs devienne un sujet de scandale pour son peuple
et devienne parjure, c’est ce qui ne peut se supposer ni se comprendre ; plus les circonstances seront difficiles, plus nous
montrerons de zèle à vous servir et plus je serai malheureux, plus vous me deviendrez chers.

Ma destinée est bien fâcheuse, mes très chers frères, je ne vous le dissimulerai pas, hélas ! Si vous étiez encore
heureux et tranquilles, nos alarmes seraient moins vivres ou du moins plus faciles à supporter ; mais nous sentons plus
que jamais que c’est en vain qu’on veut, par des subtilités, séparer la cause d’un véritable pasteur de celle de son peuple
; c’est vouloir véritablement séparer la cause d’un bon père de celle de ses enfants. Ah ! nous n’éprouvons que trop qu’il
est impossible de frapper le pasteur sans exposer son troupeau à la dispersion et au ravage : « Je frapperai le pasteur et
le troupeau se dispersera... »

Il est temps de fixer vos incertitudes cruelles, mes chers frères, il faut enfin vous annoncer que c’est pour la dernière
fois que je parais au milieu de vous. L’ordre de cesser toutes nos fonctions publiques ou de prêter un nouveau serment a
été affiché et publié, il y a huit jours, vous le savez, à la porte de ce temple sacré où nous venions les remplir avec
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empressement et, nous pouvons le dire, avec zèle. Huit jours nous ont été accordés, par une espèce de faveur (et ce
terme est de rigueur), pour nous décider et prendre un parti, comme s’il fallait à l’homme qui n’est pas vendu à l’iniquité
du temps pour choisir entre l’obéissance qu’il doit à Dieu et celle qu’il doit aux hommes, pour calculer avec sa conscience
et l’intérêt !

Mes réflexions sont faites depuis longtemps, mes chers paroissiens, elles n’ont pas varié d’un seul instant : je puis
bien dire qu’elles sont aussi anciennes que le jour où parut le décret qui oblige tous les fonctionnaires publics du royaume
à prêter un serment sur la Constitution civile du clergé et je vous en aurais instruit, il y a déjà longtemps, si je n’avais pas
voulu conserver jusqu’à la fin les relations qui nous étaient nécessaires pour vous conduire dans la voie de la vérité. Mais
ne devançons pas les choses, mettons de l’ordre dans les vérités saintes que vous allez entendre : notre dessein est de
vous parler, une dernière fois, de nos devoirs : ils vous rappelleront les vôtres. Je finirai ce discours par vous dire ce que
la religion, ma conscience, l’honneur et la probité me permettent de faire au sujet du serment exigé de moi, comme
fonctionnaire public, par le décret du 27 novembre dernier, sanctionné le 26 décembre de la même année.

Je vous l’ai déjà dit, mes chers frères : jamais vous ne fûtes plus chers à mon cœur qu’en ce moment. Il semble que le
malheur a quelque chose qui attache. Un père infortuné recherche ses enfants, il leur parle avec plus de tendresse à
mesure qu’il voit approcher pour lui le terme fatal où il ne pourra plus leur manifester ses intentions paternelles. C’est
alors qu’il leur rappelle ce qu’il a dû faire pour eux, ce qu’il a réellement fait pour leur bonheur, c’est alors qu’il leur dit ce
qu’il a droit d’en espérer et d’en attendre. Ce père tendre est votre pasteur.

La somme de mes devoirs est plus que jamais toute présente à mes yeux : qu’ils sont grands, qu’ils sont difficiles,
qu’ils sont inquiétants, mais qu’ils sont durables les devoirs d’un vrai pasteur envers son peuple ! Ils ne peuvent finir
qu’à la mort. Je les réduis à deux principaux : au DEVOIR DE L’INSTRUCTION au DEVOIR DE L’EXEMPLE. Daignez
m’écouter.

Et d’abord, j’ai dû et je dois vous instruire : c’est le premier et le plus saint de mes devoirs : « Allez, dit Jésus-Christ à
Ses apôtres, prêchez l’Évangile à toute la terre et baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit». Voilà notre mission, voilà
notre pouvoir. Rappelez-vous toujours que c’est Jésus-Christ qui l’a donné à Ses apôtres et qu’ils ne le tiennent pas de
la puissance humaine ! Les apôtres l’ont donné aux évêques, leurs successeurs ; ce pouvoir, les évêques l’ont
communiqué aux pasteurs ; ainsi s’est perpétué d’âge en âge le pouvoir que nous avons, exclusivement comme
pasteurs, de vous enseigner ; ainsi s’est propagée la foi, de siècle en siècle, au milieu des troubles et des hérésies ; la
religion chrétienne dont elle est la base en a triomphé ; les persécutions ont ajouté à sa gloire, les plus incrédules ont
cru à sa divinité.

Malheur à nous si, dans ce moment surtout, nous ne remplissions pas le plus saint de nos devoirs, si nous ne vous
rompions pas le pain de la parole dont vous avez si grand besoin pour vous prémunir contre les séductions si
dangereuses du siècle où nous vivons ! Sentinelle vigilante préposée à la garde d’Israël, nous sonnons l’alarme depuis
bien longtemps. Placé sur la montagne, nous voyons l’ennemi de loin. Nous avons cherché à vous faire éviter ses
coups mais, par malheur, la Babylone maudite, après nous avoir longtemps préparé son poison, vous offrit en souriant la
coupe de l’impiété ; vous y portâtes avidement les mains, nous vous criâmes alors : Arrêtez ! Qu’allez-vous faire ? Loin
de vos lèvres cette coupe empoisonnée !

Trop souvent et trop longtemps vous avez regardé nos prédictions comme l’exagération d’un zèle outré, mais
bientôt je crains que vous ne soyez instruits par le malheur lui-même. Que je serais coupable si, comme le grand
apôtre au milieu des nations, je ne vous prémunissais pas encore, une dernière fois, contre ces écrits infâmes, la honte
et les délices de notre siècle, proscrits autrefois par toutes les lois, mais toujours subsistants, contre ces ouvrages conçus
dans les ténèbres, jamais avoués, répandus avec art, communiqués sans ménagement et qui, passant de main en main
par une circulation prompte, font de la corruption d’un seul ou de quelques individus les mœurs dominantes d’une infinité
de personnes.

Qu’est-il donc arrivé de ce mélange sacrilège que nous n’avons pu ni prévenir ni empêcher par nos instructions ? Ce
qui est arrivé, mes frères, je vous le dis, le cœur plein de douleur, « je vous le dis avec larmes », c’est un débordement
presque général dans les mœurs. Oui, le mystère d’iniquité absorbe presque le mystère de justice. La religion est encore
sur les autels mais elle n’est plus dans les mœurs. On ne vit jamais tant de chrétiens et si peu de christianisme.

Il est donc essentiellement de notre devoir, dans ce jour plus que jamais, de vous avertir encore de ne pas vous
laisser séduire et tromper. Notre plus grande affliction serait de vous voir malheureux et coupables tout à la fois.
Comme pasteur je dois vous instruire ; Dieu sait et vous me serez les témoins que j’ai toujours rempli ce devoir avec
autant de vérité que de zèle. Combien de fois en effet ne sommes-nous pas venu dans cette chaire vous dire, de la part
de Dieu, comme Moïse aux Israélites : Vous aimerez votre Dieu de tout votre coeur et votre prochain comme vous-
mêmes ; vous ne serez pas parjures ; vous sanctifierez le jour du Seigneur ; vous honorerez votre père et votre mère ;
vous ne nuirez à personne, et le reste.

Qu’est-ce donc qu’on veut punir en moi, mes chers paroissiens, en me séparant de vous d’une manière si
douloureuse ? Ce n’est pas sans doute mon zèle à vous dire la vérité sans feinte et sans déguisement ? Comme
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pasteur je vous la devais, puisque mon premier devoir était de vous enseigner les vérités du salut. J’aurais à rougir si, par
des ménagements cruels et honteux, je vous en avais caché une seule dont l’ignorance aurait pu vous devenir funeste.
Que ma langue s’attache à mon palais si jamais elle doit vous prêcher le mensonge, que ma main sèche à l’instant si
elle doit servir à l’iniquité. Serait-ce un zèle amer et contraire au bonheur de la société qu’on voudrait punir en nous ?
Que reproche-t-on aux pasteurs ? Est-ce une désobéissance à la loi ? Est-ce d’avoir enseigné des vérités contraires à la
prospérité de l’Etat, au maintien de la Constitution nouvelle ? Oui, il paraît que c’est ce crime qu’on nous impute.

Je crois que tout mon troupeau est ici ou, du moins, que la plus saine partie me fait l’honneur de m’entendre. Eh bien !
qui de vous, mes chers paroissiens, a quelques reproches fondés à me faire ? Qu’il parle et qu’il s’explique. Est-il
quelqu’un dans ma paroisse qui puisse m’accuser et me convaincre de lui avoir prêché publiquement ou en secret le
soulèvement ou la désobéissance aux lois de l’Etat ? Ne craignez-pas ! accusez-moi si je suis coupable... Vous gardez le
silence : je suis donc innocent.

Si je suis innocent, pourquoi me poursuivre comme un coupable ? pourquoi me punir en me privant de donner à mon
peuple le secours que je lui dois et qu’il a droit d’attendre de moi ? M’avez-vous entendu quelquefois vous dire : Ne
rendez pas à César ce qui appartient à César ? Vous ai-je jamais dit : Ne payez pas les impôts ? Soulevez-vous ?
Rendez-vous la justice qu’on vous refuse : vous ai-je jamais tenu un pareil langage ? Non ! Je vous devais, comme
pasteur, la vérité et l’exemple. Loin de vous dire donc de ne pas rendre à César ce qui lui appartient, je vous ai mille fois
engagés, exhortés, dans cette chaire, à payer les impôts, quelque fâcheux que fussent les temps. Je vous ai toujours dit :
Obéissez à vos souverains légitimes ; je vous ai toujours conjurés d’être les amis de la paix.

Quelle a été en effet ma conduite, mes chers frères, depuis le commencement de la Révolution jusqu’à ce jour ? Ami
de la paix, je l’ai prêchée au milieu du tumulte et des agitations qui nous environnent ; par un effet de la miséricorde de
Dieu sur nous tous, ma paroisse n’a point été troublée par des séditions ni par aucune émeute ; je vous demande, ô mon
Dieu, qu’elle ne le soit jamais ! Voilà quelles ont été mes instructions pastorales ; cependant, nous n’en sommes pas
moins placé aujourd’hui dans la funeste alternative d’être parjure ou malheureux. Mais, pour moi, il n’est point de choix à
faire : je préfère la misère la plus extrême à l’infamie ou au parjure. Si j’étais assez irréligieux pour penser même à
faire le serment qu’on exige de moi, serais-je digne de votre confiance et de votre estime ? Le souffririez-vous ? Ici les
lois humaines sont impuissantes, ma conscience et mon cœur sont à moi : j’atteste le Ciel que je les écouterai
uniquement dans cette circonstance.

Je renouvelle de bon cœur et dans toute la sincérité de mon âme le sacré engagement que j’ai pris au pied des
saints autels de veiller sur le troupeau que la divine Providence m’a confié ou qu’Elle pourrait me confier dans la suite par
l’organe de l’Église catholique, apostolique et romaine. Je n’avais pas besoin, j’ose le dire, des lois des hommes pour
remplir un devoir si cher à mon cœur ; Jésus-Christ m’en avait imposé la loi en me disant : Paissez Mes agneaux,
paissez Mes brebis.

Me fallait-il de nouvelles lois pour être fidèle à ma nation, à la loi et au roi ? Non encore ! J’ai fait mon serment de
citoyen dans une assemblée de la commune de cette paroisse, vous en êtes les témoins ; j’y serai fidèle aussi longtemps
que ma religion et ma conscience ne s’y opposeront pas. Mais, dès que ma conscience y sera contraire, je déclare
publiquement que je ne consulterai qu’elle et qu’elle sera mon guide parce qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux
hommes.

Mais pourquoi, me dira-t-on peut-être, refuser de prêter un serment qui n’est pas autre chose que le serment civique
que bien des prêtres, même distingués, ont fait sans difficulté ? Je ne disconviens pas, mes frères, qu’il y a des
fonctionnaires publics qui ont prêté le serment. Je sais encore que, parmi eux, il y en avait quelques-uns qui jouissaient
d’une grande réputation. Je ne suis point le censeur de leur conduite. La postérité les jugera. Je me contente de vous dire
que je préfère l’autorité de l’Évangile, la tradition des Pères de l’Eglise, les conciles Œcuméniques, l’autorité
toujours respectable des évêques de France, nos pères dans la foi. Or, je peux vous donner pour certain que, sur
cent quarante évêques, quatre seulement ont prêté le serment jusqu’à ce jour ; cent trente-six par conséquent ont refusé
de le faire. Le pape, chef visible de l’Eglise, Vicaire de Jésus-Christ sur terre, a été consulté : n’est-il pas au moins
prudent d’attendre sa réponse ?

Je n’ignore pas encore, mes chers paroissiens, qu’on cherche à nous rendre odieux à vos yeux, qu’on vous fait
entendre que nous avons des desseins coupables ; on vous dit que ce sont les regrets de perdre nos biens qui nous font
agir ; on vous dit que nous ne voulons pas prêter le serment parce que nous ne voulons pas jurer de ne plus recevoir de
casuel ; on vous fait enfin entendre que c’est, de notre part, une affaire d’opiniâtreté et d’entêtement.

Je réponds à toutes ces calomnies. Et d’abord je dis qu’on ne peut nous accuser d’être conduits par vue d’intérêt : le
clergé a été spolié de tous ses biens, il s’est permis de justes représentations ; n’en auriez-vous pas fait autant si on vous
avait enlevé vos possessions ou si on en avait changé la nature sans votre consentement ? Par quelle fatalité en croiriez-
vous à vos ennemis, de préférence à votre vrai pasteur qui ne cherche pas à vous tromper et qui ne vous trompa jamais?
Quoi ! mes chers paroissiens, on m’accuse d’intérêt ? On n’aurait pas dû au moins prendre ce moment pour le faire ;
vous le savez, ce qui faisait autrefois notre subsistance n’est plus entre nos mains mais entre les vôtres. Si nous en
avons gémi en secret, nous ne nous en sommes pas plaints. Peu m’importe, surtout à moi, mes chers paroissiens,
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d’avoir une subsistance en fonds de terre ou autrement ; si elle m’avait été exactement payée, j’y aurais beaucoup
gagné, vous le savez. Qu’on cesse donc de m’accuser d’intérêt au moment où j’abandonne tout, où je sacrifie tout, où
je me dévoue à l’indigence la plus extrême pour n’être pas un sujet de scandale pour mon peuple.

Qu’on cesse donc de m’accuser d’opiniâtreté et d’entêtement : peut-on bien m’en supposer, mes très chers frères,
quand on me voit, à l’âge de plus de quarante ans, sacrifier mon repos, ma tranquillité, mon existence ? Ah ! que les
méchants sachent qu’on ne se dévoue pas à la misère par le seul plaisir d’être opiniâtre et entêté. Vous m’avez vu naître,
mes chers paroissiens, au sein de l’indigence, je vais donc y rentrer ; mes mains ne seront jamais celles d’un pasteur
mercenaire et, pour vous en convaincre, je viens vous offrir ma vie même pour sauver le troupeau : « Un bon pasteur
donne sa vie pour ses brebis ».

J’ai jeté un regard sur l’avenir : il est effrayant pour moi, sans doute, mais la crainte de la misère et de l’indigence ne
me fera jamais préférer les richesses à l’amour de mes devoirs. Dans cet avenir, il est quelque chose qui afflige
davantage mon cœur. Si vous connaissiez mes sentiments tendres pour vous, si vous saviez rendre justice à
l’attachement de votre pasteur pour vous tous qui formez le troupeau, déjà vous sauriez ce qui va faire mon vrai malheur
: l’idée d’être pasteur, de rester le pasteur et de ne plus paraître à la tête du troupeau.

Oui, je serai votre pasteur et vous ne pourrez plus me voir aux portes de ce temple, vous recevoir, vous faire entrer
dans le bercail, vous inscrire au nombre des enfants de Dieu et de l’Eglise.
Je serai votre pasteur et je ne pourrai plus aller dans ces tribunaux sacrés rappeler au bercail c’est là où j’ai, mille et
mille fois, essuyé vos larmes et j’ai pleuré avec vous sur vos égarements.
Je serai le pasteur et je ne pourrai plus conduire le troupeau à cette table sainte : c’est là où si souvent je vous ai
rassemblés comme une sainte famille pour vous distribuer le Pain des anges, vous présenter cette coupe toute divine.
Je serai le pasteur et je ne pourrai plus, de cette chaire de vérité vous repaître de la divine parole : c’est autour de
cette chaire où je vous ai si souvent appelés, comme Moïse la multitude d’Israël, pour vous dire d’aimer votre Dieu,
comme un second Isaïe, pour vous reprocher vos égarements et vous porter à chérir la vertu.
Je serai votre pasteur et je ne pourrai plus appeler le troupeau autour de ces autels pour y offrir, tous ensemble,
comme autant de sacrificateurs, la Victime pure, sainte et sans tache qui s’immole à Son Père pour le salut du pasteur et
du troupeau. Ah ! c’est là que, comme autant d’Israélites, nous venions tous ensemble nous prosterner devant l’arche de
la nouvelle alliance, tantôt pour rendre des actions de grâces à la Divinité de Ses dons et de Ses bienfaits, tantôt pour
Lui en demander de nouveaux, tantôt pour apaiser Sa colère. Je serai votre pasteur et je ne pourrai plus resserrer ces
liens indissolubles qui faisaient de saintes alliances qui formaient des saints.
Je serai votre pasteur et je ne pourrai plus aller essuyez vos larmes dans vos infirmités, panser les plaies de vos
âmes, vous parler de la mort, du jugement qui la suit, de cette éternité effrayante du pécheur mais consolante pour le
juste. Quelle affliction pour un pasteur tendre pour ses brebis de les voir mourir sans pouvoir leur apporter aucun
soulagement ! En vain, pauvres vieillards, infirmes affligés, appellerez-vous à votre secours votre vrai pasteur : il vous
portera dans son cœur, mais il ne pourra vous visiter dans vos derniers moments. Cette pensée déchire mon cœur ! Un
pasteur voir sa brebis mourir et ne pouvoir lui rendre la sépulture, ce dernier des devoirs !
Rien de plus affligeant pour un pasteur à qui le troupeau est si cher. Vous n’en doutez pas sans doute : si j’avais plus
de droit à votre amitié que tout autre pasteur, vous auriez plus de droit à mes soins et à mon attachement.

La Providence m’avait placé au milieu de mes concitoyens, de mes amis, de mes parents : joindre la qualité de
pasteur à des liens déjà si grands, une triste séparation ne peut que m’être plus sensible !

Ah ! que dis-je ? me séparer de mon troupeau, Dieu me le défend, la mort seule peut m’en séparer. J’obéirai, Dieu me
l’ordonne, à la loi qui me défend toute fonction publique : je vous dois l’exemple de la paix et de la soumission aux lois, il
ne faut pas résister à la force ; soyons unis par la paix, si nous ne le sommes pas par nos opinions religieuses.

Mais ma douleur serait moins grande si tout mon troupeau me restait fidèle, si aucune des brebis ne sortait du bercail,
si je pouvais dire à mon Dieu ce que le premier des pasteurs, Jésus-Christ, disait à Son Père . « J’ai eu soin de tous ceux
que Vous M’avez choisis, Je les ai conservés pour Vous, Je les ai préservés du ravage et de la dent meurtrière du pasteur mercenaire:
aucune de Mes brebis ne s’est perdue ». Ah ! dirais-je encore avec le grand apôtre que je n’ai été qu’un pasteur inutile, que
je n’ai encore rien fait, comme je devais répondre à mon Dieu de toutes vos âmes, au prix même de mon âme.

Votre sensibilité m’annonce vos regrets ; qu’elle m’annonce donc encore votre fidélité. Oui, ô divin Pasteur des âmes,
ne permettez pas qu’une seule s’égare ; Vous avez versé jusqu’à la dernière goutte de Votre sang pour les gagner à
Vous ; s’il Vous faut une victime pour les y conduire, que ce soit le pasteur qui soit immolé et épargnez le troupeau. Oui,
détournez de dessus sa tête l’orage pour le faire tomber sur celle de son guide ; si ce sont mes péchés, si ce sont les
péchés de mon troupeau qui nous attirent tant de malheurs, daignez, Dieu de miséricorde, écouter ma prière : frappez,
ne m’épargnez pas ici-bas, faites retomber sur moi tous les maux dont Votre colère est armée, envoyez-moi la faim, la
soif, la nudité, les chaînes, la mort même, pourvu que Vous réserviez pour l’éternité bienheureuse le troupeau et le
pasteur.

C’est donc après avoir étudié nos devoirs plus que jamais, interrogé notre cœur, consulté notre religion, sondé notre
conscience que je déclare, après avoir manifesté de nouveau mon respect pour la Nation et le serment pour mon roi,
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mon obéissance à la loi dans l’ordre politique, je déclare formellement ne pouvoir prêter le serment exigé de tous les
ecclésiastiques fonctionnaires publics par le décret du 27 novembre dernier, sanctionné le 26 décembre suivant, ma
religion et ma conscience ne me le permettant pas.

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Document réalisé
par les Amis du Christ Roi de France.

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