DEMOCRATIEbis
DEMOCRATIEbis
DEMOCRATIEbis
INTRODUCTION
Si aujourd’hui plus de la moitié de l’humanité vit sous un régime démocratique, ce régime n’a pas toujours
été le plus répandu. C’est après la Seconde Guerre mondiale que le modèle démocratique s’est imposé et
après 1990 que la démocratie libérale est devenue une référence tout en s’opposant à la démocratie
populaire - concept inventé par les Soviétiques en 1924 pour la Mongolie et étendue aux États d’Europe
centrale après 1948.
L’ancrage démocratique est pourtant ancien. Athènes au Vè siècle invente les premiers codes de la
démocratie mais il faut attendre le XVIIè siècle en Angleterre (1679 Habeas Corpus - 1689 Bill of Rights)
pour reconnaitre les libertés individuelles piliers de la démocratie libérale puis le XVIIIè siècle pour dé nir la
séparation des pouvoirs et imaginer des constitutions.
En 1948, sous la présidence d’Eleanor Roosevelt, un comité de rédaction élabore pour l’ONU une
déclaration universelle des droits de l’Homme inspirée de la charte de l’Atlantique. Le texte adopté par 48
États membres de l’ONU - l’URSS et 7 de ses États satellites s’abstiennent - rappelle ou pose les bases
de la démocratie à savoir la liberté des individus, l’organisation d’élections libres au su rage universel
avec le multipartisme et la séparation des pouvoirs. L’alternance politique paci que est donc posée
comme pilier de la démocratie. La souveraineté du peuple est au coeur de la démocratie. Les intérêts de
l’individu doivent donc passer avant ceux de l’État contrairement à la pratique des démocraties
populaires.
L’État de droit s’impose aussi dans une démocratie et la justice doit être indépendante des autres
pouvoirs notamment l’exécutif.
La démocratie n’est pas obligatoirement liée à la république. Si les États-Unis sont une république depuis
1789, la ségrégation de la communauté afro-américaine a longtemps été un frein à la vie démocratique
faisant de la République une oligarchie de riches blancs. La France - avec ses 5 Républiques - a montré
que le régime républicain démocratique pouvait disparaître (restauration en 1815), ou être détourné dans
un sens autoritaire (Second empire).
Les vieilles monarchies européennes sont devenues avec le temps des démocraties de type
parlementaire. Le Royaume-Uni depuis le XVIIIè est véritablement dirigé par un Premier ministre issu du
vote démocratique au Parlement au point de devenir le modèle de démocratie libérale depuis le XIXè siècle
avec ses orateurs d’Hyde Park (1872) ou lors de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il est le seul État à
résister au totalitarisme. La Belgique, l’Espagne ou encore la Suède sont des monarchies parlementaires
où la démocratie est active avec notamment l’alternance des dirigeants.
Le régime de démocratie libérale s’est imposé non sans résistance dans de nombreux États depuis 1945.
Le Japon - contraint et forcé par l’occupation américaine - adopte une constitution proche de celle du
Royaume-Uni. Dès son indépendance en 1947, l’Inde adopte le même modèle démocratique sans royauté
toutefois. Le déclin du modèle des démocraties populaires d’Europe centrale et de l’est consécutif à la
disparition de l’URSS mène à des transitions démocratiques vers un modèle libéral. Ces transitions sont
toujours précédées d’une mobilisation des sociétés civiles qui manifestent contre le pouvoir non
démocratique (RDA en 1989). Le modèle de démocratie libérale est donc aussi un des enjeux de la guerre
froide.
Cette transition démocratique est passée en Afrique du Sud par l’abolition de l’Apartheid raciste, la
coopération entre un leader Mandela et un président De Klerk sous la pression internationale (prix Nobel
de la paix en 1993) et en n l’élection au su rage universel de Mandela en 1994.
Les contestations du début du XXIè siècle - le printemps arabe - ont mené à l’a rmation du modèle
démocratique en Tunisie ou à la contestation des résultats des urnes en Égypte (Coup d’État d’al Sissi en
2014).
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2- DÉMOCRATIES ET RÉGIMES AUTORITAIRES
Fondée en 1948, la République de Corée du Sud a longtemps été une dictature aux mains de
Park-Chung-hee. Par opposition au voisin nord-coréen, parce que la société civile y aspire en
raison notamment de la hausse du niveau de vie (un des Nouveau Pays Industriel des années
1980), la Corée du sud mène une transition démocratique lors des années 1980 qui se conclut
par la n de la dictature en 1987 et à une reconnaissance internationale (JO de Séoul en 1988).
La crise légale se termine par l’organisation de nouvelles élections présidentielles qui mènent au
pouvoir le démocrate Moon-Jae-in dans une alternance politique accompagnée de la
condamnation à 32 ans de prison de Park Geun-hye et à 4 ans pour les membres des services
secrets qui avaient di amé Moon-Jae-in en 2012, condamnation dans le respect de l’État de
droit.
Fondée la même année que son voisin du sud, la République populaire démocratique de Corée
est un régime totalitaire, une république dictatoriale aux mains de la dynastie des Kim depuis
1948. En 1994, Kim Jong il succède à son père qui a exercé un pouvoir monolithique pendant 46
ans. Le jeune Kim Jong un succède à son père en 2011. Héritier en titre de la dictature, il se sent
obligé de purger l’appareil d’État en raison de sa jeunesse. En 6 ans, il mène de manière
spectaculaire des purges dans le parti unique et dans l’armée qui font 200 victimes et mènent
surtout en prison 80 000 à 120 000 prisonniers politiques.
La Corée du Nord possède un parlement avec 687 sièges. Il n’y a qu’un candidat par
circonscription, candidat toujours issu du Parti du travail. Le taux de participation est de 99,99 %
et le Parti obtient 100 % des voix. Les seules mobilisations de la société sont les parades
militaires en l’honneur du dictateur ou en opposition au voisin du sud.
C- Démocratie/autoritaire : 50-50
Selon l’ONG américaine Freedom House qui produit un rapport annuel sur la démocratie en
agrégeant des données sur des droits politiques, sur les libertés civiles, le pluralisme politique, le
fonctionnement des gouvernements, les diverses libertés, l’indépendance de la justice, la
démocratie n'est respectée que dans les États occidentaux (Amérique du Nord, Europe de
l’ouest) en Amérique du sud, en Océanie et en Inde. Toutefois, une grand partie de l’Afrique, le
Proche et le Moyen-Orient, l’Asie centrale et du sud-est, la Chine et la Russie ont une pratique de
la démocratie qui met en péril les libertés fondamentales.
Des mouvements revendicateurs démocratiques puissants touchent la Chine avec Hong Kong, le
Liban ou encore le Chili. De jeunes démocraties d’Europe centrale pratique la « démocrature »
(Hongrie - Pologne - Slovaquie - République Tchèque) c’est à dire une pratique autoritaire et
populiste du pouvoir après avoir été élu. Le Brésil de Bolsonaro s’approche de cette dé nition.
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LEÇON 1 :
PENSER LA DÉMOCRATIE : DÉMOCRATIE DIRECTE ET DÉMOCRATIE
REPRÉSENTATIVE.
La démocratie athénienne est devenue une référence notamment lors de la Renaissance du XVIè siècle où
elle apparait comme un modèle aux yeux des Humanistes. La démocratie athénienne est pourtant
instantanément perçue comme un régime di érent des autres. Hérodote distingue dès la première moitié
du Vè siècle av J.C la monarchie de l’oligarchie et de la démocratie.
Aristote à la n du Vè siècle av J.C dé nit la démocratie comme la participation du peuple - le démos - à
l’exercice du pouvoir notamment de justice et de magistrature. Il compare alors avec Sparte où une
aristocratie guerrière con sque le pouvoir.
La démocratie s’a rme donc progressivement comme une manière de vivre égalitaire dans tous les
domaines politiques mais aussi dans la vie sociale. L’a rmation de la démocratie athénienne se fait sur un
territoire de 2500 km2, une des plus grandes cités (polis) fondée au VIIIè siècle av J.C.
Le régime démocratique ne s’est pas imposé naturellement à Athènes et il a été constamment contesté au
Vè siècle av J.C au point d’être renversé à deux reprises.
La première réforme qui modi e la cité d’Athènes date de 594 av J.C lorsque Solon invente le tribunal
populaire (Héliée) et le conseil de la Boulê ; deux institutions toutefois réservées aux 3 classes censitaires
les plus riches. Athènes est donc de fait une oligarchie aux mains des pentacosiomédimmes, des Hippeis
parfois des hoplites, régime renversé par une tyrannie de 552 à 509 av J.C
La réforme de Clisthène de 508 av J.C réalise véritablement l’isonimie - tous les citoyens même les thètes
les moins riches sont égaux devant la loi - en mélangeant dans 10 tribus des citoyens issus de groupes
censitaires di érents. La réforme de Clisthène réalise aussi l’isêgoria en donnant le droit de parole à tous
les citoyens dans une assemblée appelée Ecclésia. La réforme de Clisthène assure aussi une base
militaire solide à la cité - tout citoyen devant un service militaire appelé Éphébie.
Les réformes de Périclès au milieu du Vè siècle av J.C vont mener à la réduction du nombre de citoyens -
est citoyen celui dont les deux parents sont issus de citoyens athéniens à partir de 451 av J.C - pour
instaurer et rendre e cace l’indemnité du misthos qui dédommage à partir de 454 av J.C de la
participation aux 40 réunions annuelles de l’Ecclésia a n d’éviter l’abstentionnisme. Le choix d’une
démocratie directe limitée est fait.
Si les guerres médiques contre l’empire perse ont assuré la reconnaissance de l’e cacité de la
démocratie après Marathon en 490 et Salamine en 480 av J.C, la guerre dite du Péloponnèse contre la
ligue menée par Sparte - guerre avec son lot de crises et de défaites et de réduction du nombre de
citoyens - mène au renversement de la démocratie par un coup d’état des oligarques (les 400) en 411 av
J.C puis à nouveau en 403 av J.C par l’oligarchie des 30. La révolte des marins de Samos et le soutien
qu’ils apportent aux partisans de la démocratie - Thrasybule - restaure la démocratie. Les marins de
Samos obtiennent alors - comme de nombreux métèques et esclaves dèles à Athènes - la citoyenneté.
Commence dès lors et jusque 322 av J.C, une période où la démocratie athénienne est à son apogée
dans son fonctionnement. Une indemnité - le théôrikon - est inventée pour permettre aux plus modestes
de se rendre au concours de théâtre. Même après la soumission au royaume de Macédoine en 322 av
J.C, les institutions démocratiques continuent de fonctionner.
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Dans cette démocratie athénienne, il n’y a pas de séparation des pouvoirs. Tout vient de et est
contrôlé par l’Ecclesia. Cette assemblée peut annuellement proposer l’ostracisme de deux
citoyens maximum qui seraient jugés dangereux pour la démocratie (ostraka). Cet ostracisme -
procédure fondée en 482 av J.C - permet d’exiler un citoyen pour une durée de 10 ans. De
même, l’Ecclesia peut lancer une procédure d’eisangelie contre un citoyen ou un magistrat qui
n’auraient pas respecté les règles civiques.
Les citoyens les plus riches - ceux qui deviennent magistrats - doivent donc plaire aux citoyens
notamment en nançant l’entretien des navires ou des concours de théâtre (chorégie) jusqu’en
310 av J.C et la création de la magistrature d’agonothète.
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La démocratie athénienne s’inscrit d’abord dans un monde antique où les femmes n’ont pas les droits des
hommes. L’Athénienne appelée rarement Politis ne possède aucun droit politique si ce n’est celui de
donner par maternité la citoyenneté aux garçons. Mariée jeune - vers 14 ans - elle est sous le statut
perpétuel de mineure soit de son père, de son mari, de son oncle ou même de son ls. Elle ne peut avoir
de propriétés en son nom et ne peut plaider en justice.
Les 40 000 résidents étrangers appelés métèques doivent un impôt supplémentaire, le métoikion. Ils n’ont
pas de droit politique et ont besoin d’un protecteur athénien - le proxéne - pour plaider en justice.
Toutefois, ils doivent participer à la défense de la cité et à ce titre sont souvent des démocrates
convaincus comme le riche Lysias.
En n, la démocratie athénienne s’est accommodée de l’esclavage antique avec 110 000 esclaves
étrangers dont 1000 à 2000 démosios aux services de la cité tels les archers scythes chargés de la police.
Ces esclaves ne possèdent aucun des droits des citoyens et des métèques. Malgré cela,
l’a ranchissement - pour devenir métèque puisque les esclaves sont des étrangers - est rare mais
possible notamment après le rôle joué par les esclaves lors de la bataille des Arginuses en 406 av J.C).
C’est une démocratie très hiérarchisée et inégalitaire qui est présentée sur la frise des Panathénées - fête
civique et religieuse où toute la ville se met en procession vers l’Acropole.
Dans un monde antique où la démocratie est l’exception, où les guerres opposent la démocratie aux
monarchies, oligarchies, aristocraties ou tyrannies, le régime ne fait pas l’unanimité. Il y a d’ailleurs un fort
courant oligarchique - dont Platon est le traducteur dans ses écrits du IVè siècle - qui doute de la capacité
du peuple à diriger correctement.
La pratique de la démocratie montre que le pouvoir est con squé par les plus riches ou les plus
prestigieux des citoyens comme Périclès qui monopolise le pouvoir. Cette « oligarchie » déguisée
dénoncée par les comédies d’Aristophane au IVè siècle av J.C prend appui sur l’art oratoire enseigné dans
les écoles de rhétorique accessibles à la riche jeunesse athénienne. L’art de l’éloquence - très théâtralisée
- y est enseigné pour prendre la parole sur l’agora ou sur la Pnyx.
L’Ecclesia est d’ailleurs contestée par les oligarques qui doutent de l’e cacité et de la légitimité de cette
assemblée. En e et, sur cette colline d’Athènes à peine plus de 6000 à 8000 personnes peuvent être
réunis pour un corps civique de 30 à 40 000 citoyens. L’absentéisme que ne règle pas le misthos de 2
oboles et la dérive démagogique favorisée par l’exiguïté du lieu sont dénoncées par les opposants à la
démocratie.
Les revers militaires de la longue guerre du Péloponnèse qui oppose Athènes et ses alliés de la ligue de
Délos à Sparte et ses alliés du Péloponnèse vont mener à deux reprises au remplacement de la
démocratie par l’oligarchie dans un lourd climat de stasis (discorde).
Toutefois, soutenus notamment par l’argent de Lysias, les partisans de la démocratie souvent issus du
groupe des thètes (marins) vont restaurer le régime qui dès lors s’a rme au IVè siècle av J.C malgré la
prestigieuse opposition de Platon ou de Xenophon.
Malgré la tutelle de la monarchie macédonienne après 321 av J.C, le modèle démocratique athénien reste
prestigieux notamment dans le monde romain.
Le régime démocratique athénien va tomber dans l’oubli jusqu’à la Renaissance. Les références de la
révolution française de la période 1789-1815 sont puisées dans la république et l’empire romain. Il faut
attendre la n du XIXè siècle avec l’installation de la IIIè République et la rivalité tant archéologique que
diplomatique avec l’Allemagne - associée à Sparte - pour que le modèle athénien redevienne une
référence en France.
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Benjamin Constant (1767-1830) est un penseur, écrivain et homme politique qui a traversé la Révolution
française et l’Empire et est devenu député d’opposition sous la Restauration. Il appartient au courant
libéral en plein essor au début du XIXè siècle.
Pour Benjamin Constant, la défense des libertés individuelles est primordiale car elle est source de
bonheur. Ces libertés priment donc sur le reste. C’est ainsi qu’il défend le système représentatif qui
permet à l’individu de se préoccuper de ses a aires privées sans être totalement accaparé par les a aires
publiques, politiques. Ceci justi e la nécessité d’adopter le système représentatif où d’autres sont élus
pour exercer à plein temps les fonctions politiques à la place des citoyens.
Pour justi er cela, Benjamin Constat compare les modèles de démocratie directe antique (ex. Athènes) à
la situation du début du XIXè siècle dans une conférence demeurée célèbre et prononcée au cercle de
l’Athénée « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes » en 1819. Il y montre qu’il existe
deux libertés. Il y a, tout d’abord, la liberté politique (celle des Anciens) où, délivrés des tâches matérielles
par des esclaves, les citoyens peuvent participer totalement à la vie de la cité et mettre en œuvre le
principe de démocratie directe. Mais cette forme de liberté assujettit l’individu « à l’autorité de
l’ensemble ». En clair, l’intérêt collectif prime et les libertés individuelles sont sacri ées. À cette liberté des
Anciens, Benjamin Constant préfère celle des Modernes, c’est-à-dire, l’ensemble des libertés individuelles
(expression, propriété, religion, presse, etc.) proclamées dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen de 1789. Pour garantir ces libertés, il faut que les citoyens délèguent à des représentants leur
pouvoir politique a n qu’ils défendent avec l’aide de l’État ces libertés fondamentales.
Cependant, Benjamin Constant montre aussi les risques inhérents au système représentatif. Tout d’abord,
les représentants peuvent trahir la con ance de leurs électeurs. De plus, ils ne peuvent répondre à toutes
les demandes et convictions de leurs électeurs. De même, Benjamin Constant met en garde contre le
risque d’une totale apathie des citoyens qui délaisseraient totalement leur devoir politique et se
laisseraient contrôler par un État devenu « tyrannique ». C’est pourquoi, il faut selon lui, un contrôle des
représentants et des actions de l’État.
Alexis de Tocqueville (1805-1859) est un magistrat, écrivain et homme politique. Il appartient au courant
libéral et e ectue un voyage aux États-Unis qui le marque au point d’écrire un ouvrage en deux tomes De
la Démocratie en Amérique (1835 et 1840).
L’approche de Tocqueville est originale car il agit en observateur d’un modèle de démocratie libérale
naissante. Il en déduit que le modèle démocratique par sa modernité et la volonté d’égalisation des
conditions est un modèle d’avenir qui devrait s’exporter en Europe au XIXe siècle. Il parle « d’esprit
démocratique ». Il analyse donc les particularités de l’histoire, la société, l’organisation politique et les
mœurs des États-Unis pour comprendre pourquoi la démocratie moderne, représentative, s’y est
implantée.
Mais Alexis de Tocqueville y voit aussi de nombreux risques. Tout d’abord, le risque que le désir d’égalité
ne nuise aux libertés individuelles et qu’au nom d’un bonheur commun, l’État n’en vienne à limiter celles-
ci. Ainsi, il met en évidence le risque d’un « despotisme démocratique » où l’apathie ou le désintérêt des
citoyens pour la chose politique n’aboutisse à la mise en place d’une tyrannie, certes douce, de
représentants ou même d’un État omnipotent qui déciderait du bonheur de chacun. Pour Tocqueville,
l’égalitarisme renforce la centralisation et l’intervention de l’État, ce qui constitue un risque grave pour les
libertés. Par ailleurs, il redoute également « la tyrannie de la majorité » dans laquelle ceux qui ont la
majorité dominent au risque que l’avis des minorités ne soit jamais entendu. En n, Tocqueville prévoit
aussi le risque d’un « gouvernement de l’opinion », un abaissement du langage et de la capacité critique
des citoyens et met en garde contre le triomphe de l’individualisme qui ouvre la voie aux démagogues et
aux populistes.
Pour Tocqueville il doit exister des contre-pouvoirs qui garantissent les libertés individuelles. Il faut aider
au développement d’associations civiques (partis politiques, syndicats, clubs, journaux, etc.) qui peuvent
faire pression sur les représentants et l’État. Par ailleurs, il souhaite une forte décentralisation qui donne à
l’échelle locale la possibilité de s’opposer à un pouvoir tout puissant mais aussi de lutter contre les excès
de l’individualisme.
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F.BRUYERE WALLON 2020
Le XIXè siècle constitue à la fois une continuité et une rupture avec ce mode de pensée.
D’une part, l’idée d’une démocratie directe ou du su rage universel e raie en raison de la mé ance des
élites aristocrates ou bourgeoises envers un peuple non-instruit, facilement manipulable. C’est pourquoi le
su rage censitaire domine par exemple en France jusqu’en 1848. De même, l’utilisation du su rage
indirect permet de sélectionner les citoyens les plus dignes de choisir les élus qui prendront les décisions
comme aux États-Unis avec l’élection du président de la république. La démocratie fait peur aux libéraux
qui y voit un risque de restriction des libertés au nom de l’égalité (cf Constant et Tocqueville), d’une
omnipotence de l’État et de citoyens devenus trop individualistes pour exercer leur devoir politique. La
démocratie libérale est donc forcément représentative et le su rage limité pour garantir le maintien des
libertés fondamentales
D’autre part, le XIXè siècle représente une rupture ou une évolution de ce schéma de pensée. La rupture
vient du développement du courant socialiste qui veut que les prolétaires détiennent le pouvoir et renverse
la démocratie libérale jugée « bourgeoise ». La plus juste répartition des fruits du travail doit conduire
l’ensemble du peuple à prendre les décisions à la fois économiques mais aussi politiques. Cela va même
jusqu’à la « dictature du prolétariat » et l’abolition de la propriété privée (marxisme). Cependant, la
ré exion sur la démocratie libérale s’in échit au fur et à mesure du XIXè siècle avec le développement du
su rage universel et de l’instruction. Petit à petit la démocratie libérale représentative s’impose de même
que le parlementarisme, c’est-à-dire le contrôle de l’action du gouvernement par les représentants de la
nation.
Le XXè interroge l’essence même de la démocratie. Si le XIXè siècle a privilégié (à l’exception du courant
socialiste) la liberté à l’égalité, le XXè voit l’égalité être au centre des revendications dans les régimes de
démocratie libérale. Il voit l’ouverture du vote aux exclus (femmes, anciens esclaves, anciens peuples
colonisés) avec le développement déjà amorcé au siècle précédent de l’égalité des droits entre les
individus. Ce sont ces valeurs qui ont permis l’extension des régimes démocratiques dans le monde.
Mais le XXè siècle a été aussi marqué par le développement de régimes en totale opposition avec la
démocratie libérale. Ce sont les régimes totalitaires qui rejettent les valeurs démocratiques soient en en
refusant certaines (la liberté dans les régimes communistes) soit toutes (fascisme, nazisme). Ils prônent
une totale soumission de l’individu à l’idéologie ou à la religion (Iran, Arabie Saoudite), à la communauté
nationale et donc à l’État et son parti unique. Les libertés fondamentales ont disparu au pro t d’un régime
oppressif qui encadre totalement les populations. Ce régime se représente comme le meilleur défenseur
des intérêts du peuple et de la nation. Ces régimes utilisent la propagande pour se présenter comme des
modèles à suivre.
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LEÇON 2
L’arrivée au pouvoir du socialiste Salvador Allende à la présidence du Chili se déroule dans un contexte de guerre
froide où les États-Unis surévaluent la menace marxiste. Déjà héritier de la doctrine Monroe de 1823 qui fait de
l’Amérique du sud la « chasse-gardée » de la diplomatie états-unienne, Washington va sécuriser la région pour éviter
le basculement dans le camp soviétique des États en signant le traité de Rio en 1947 et en créant l’Organisation des
États Américains (OEA) en 1948 dans une politique mondiale connue sous le nom de « pactomanie » mais aussi en
évinçant les entreprises européennes du continent mieux implantées que les américaines avant 1939.
Malgré ces e orts, en 1959, les révolutionnaires cubains menés par Fidel Castro et l’Argentin Che Guevara prennent
le pouvoir à Cuba. Les piliers des sociétés sud-américaines y sont remis en cause (église, réforme agraire,
privatisation). L’échec des États-Unis (baie des cochons 1961), l’intervention soviétique (crise de Cuba 1962) et le
développement du foquisme - de focos ou foyer qui consiste à créer des foyers révolutionnaires dans toute
l’Amérique du sud avec le Che - mènent les États-Unis à soutenir des dictatures et à apporter une aide nancière qui
passe de 500 millions de $ par an pour le continent en 1961 avec le programme « Alliance pour le Progrès » de JFK à
3 milliards en 1968 avec l’élection du président républicain Nixon. À cette date, les États-Unis sont enlisés dans le
con it vietnamien et ne veulent pas connaître un autre « Vietnam » à leurs portes.
La démocratie est une exception en Amérique latine dans les années 1960. Le Brésil est devenue une dictature aux
mains d’une junte militaire en 1965 avec le soutien de la CIA tout comme la Bolivie de Banzer en 1967. L’Équateur
n’a pas eu besoin du soutien états-unien pour devenir une dictature tout comme les fausses démocraties du
Nicaragua dirigées par la famille Somoza ou le Paraguay de Stroessner qui ont interdit les partis d’opposition.
L’Argentine et l’Uruguay sont toujours tentées par des régimes populistes (péronisme argentin) voire militaires dans
les années 1960. La CIA est toutefois amenée à soutenir les régimes au Venezuela et en Guyana ou à intervenir en
république dominicaine.
Le Chili apparait donc comme une exception démocratique - non sans mal - en Amérique du sud « tapiociste ».
Fondée en 1925, la République fonctionne dans l’après-guerre - le Chili ne rentre en guerre qu’en avril 1945 - avec
une éphémère alliance entre les communistes (3è force politique du pays) et le Président radical Vidala en 1946.
Toutefois la guerre froide rattrape le Chili et le parti communiste est interdit de 1948 à 1958 (ra es, exil de Neruda).
Sur cette période le socialiste Allende perd 3 élections contre des adversaires soutenus par la CIA.
Le Chili des années 1960 vit aussi et surtout sous la contrainte d’une in ation galopante, d’une pression sociale très
forte dans un pays où la moitié des travailleurs sont des ouvriers (1,5 million) mais sans l’intervention d’une armée
qui s’e ace jusque 1970.
La démocratie chilienne permet en 1969 une intense activité politique. L’échec du foquisme en Bolivie amène les
socialistes et les communistes à se rapprocher pour créer une voie paci que d’accès au pouvoir. Une coalition de
gauche se réunie dès lors derrière le socialiste Allende pour conquérir le pouvoir en 1970. La coalition appelée Unité
Populaire compte 5 puis 6 partis dont le Parti Communiste chilien. L’UP et Allende proposent un programme
réformiste « la voie chilienne vers le socialisme » qui prétend mieux redistribuer les richesses en respectant la légalité
et les institutions - dont l’armée.
Les résultats des élections montrent une société chilienne divisée et ne permet pas de dé nir un vainqueur
incontestable. Au congrès national, la coalition de gauche de l’UP compte 80 députés tandis que les chrétiens
démocrates habituellement au pouvoir en ont 75 et la droite conservatrice 45. Pour la présidence, la victoire
d’Allende est très courte et sans majorité absolue avec 36,61 % contre 35,77% à Alessandri soutenu par les États-
Unis et 28,11% à Tomic.
Soutenu par la rue - et l’armée qui reste muette malgré l’assassinat de Schneider général en chef de l’armée - contre
l’avis de Nixon qui entend lui « botter le train », Allende est investi président de la République à l’automne 1970 par
les parlementaires sous le choc de l’assassinat.
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F.BRUYERE WALLON 2020
La cogestion du pays et de l’économie entre l’État et les syndicats est une véritable prise du
pouvoir (empowerment) du monde ouvrier qui constitue la moitié des travailleurs chiliens.
Reprenant les modèles iranien (nationalisation des pétroles en 1951 au détriment des Anglais) ou
égyptien (nationalisation du canal de Suez en 1956 au dépend des Franco-Anglais), Allende
nationalise sans indemnisation en 1971 dans l’allégresse générale l’exploitation minière chilienne
du cuivre qui représente 80 % des exportations du pays au détriment des compagnies
américaines propriétaires des mines - ce qui excède Nixon et son conseiller Kissinger. 300 autres
entreprises en situation de monopole au Chili sont également nationalisées tels le charbon, le
salpêtre, le fer, les télécommunications et les banques.
Allende va mettre en pratique « l’aire de la propriété sociale » dans ces entreprises nationalisées.
Les ouvriers désignent 5 d’entre-eux qui côtoient 5 représentants de l’État dans un conseil de
cogestion de l’entreprise le tout présidé par un homme nommé par Allende.
Dès 1971, le travail législatif est particulièrement intense. Les réformes concernent d’abord les
salaires qui augmentent de 40 à 60 % tandis que les prix sont provisoirement bloqués pour éviter
l’in ation. Les réformes sociales (120 000 logements), sur la santé, sur l’éducation (bourses aux
indiens Mapuches), sur la libéralisation de la société (divorce autorisée) ou encore sur le demi-litre
de lait donné gratuitement aux enfants remportent l’adhésion des classes populaires chiliennes
d’autant que l’année 1971 se solde par une croissance du PIB de 8,5 %.
Toutefois, la réforme agraire avec un projet de redistribution de terres con squées et de
démantèlement des latifundia inquiètent les possédants. Surtout, les États-Unis - expropriés des
mines de cuivre - inquiets du virage socialiste de l’ancien allié - décident de couper les crédits au
Chili et de faire « crier l’économie chilienne » (Nixon).
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Après l’euphorie de l’année 1971, le Chili connait deux années consécutives catastrophiques. La
« macroéconomie populiste » s’e ondre. La croissance du PNB devient négative et la dette internationale
s’envole en 1972-1973 notamment en raison de la n des prêts de la banque mondiale et des États-Unis
de Nixon tandis que l’in ation - malgré le blocage de certains prix - s’envole. Cette in ation mène à la
« marche des casseroles vides » - revendications des femmes de la classe moyenne - et à des tensions
entre Allende « le bourgeois » et les ouvriers qui commencent à contester la légitimité révolutionnaire du
président.
La longue visite du communiste cubain Fidel Castro en novembre 1971 au Chili laisse croire aux États-
Unis à un virage soviétique d’Allende et à un « danger marxiste ». Nixon, Kissinger et la CIA - dans une
logique de sécurité nationale qui va installer jusqu’à 13 dictatures anti-communistes en Amérique latine -
vont favoriser les tensions dans les universités (grémialistes) contre un projet d’uni cation puis surtout une
longue grèves des classes moyennes chiliennes (transporteurs, commerçants, architectes, banquiers). De
plus, la détente engagée en 1972 avec l’URSS replace l’Amérique latine dans la sphère d’in uence
américaine. Le Chili ne peut compter sur le soutien des Soviétiques.
Pour restaurer la con ance dans le pays et l’approvisionnement de base, Allende fait rentrer trois militaires
dans son gouvernement. La position d’Allende est de plus en plus fragile tant à gauche où il est contesté
qu’à droite où l’armée fait une première tentative ratée de putsch en juin 1973. Lors de l’été 1973, l’amiral
Merino et le général Leigh parviennent à convaincre Pinochet - un obscurs o cier qu’Allende vient de
nommer général de l’armée de terre - à se joindre au putsch.
L’armée - sans la participation formelle de la CIA qui n’apprend la date du putsch que la veille mais pour
éviter une « Amérique latine prise dans un sandwich rouge avec Cuba » selon Nixon - prend le contrôle du
pays le 11 septembre 1973. La loi martiale permet aux militaires de tirer sans sommation. Les deux
assemblées sont fermées, les partis de l’UP interdits et les médias contrôlés. Le palais présidentiel de la
Moneda où s’est réfugié Allende est encerclé et pris d’assaut. Lors des combats le Président trouve la
mort les armes à la main.
Une dictature militaire d’une rare sauvagerie s’installe sur la base de la torture et de l’assassinat. La
répression est d’une brutalité sans égale. 45 000 partisans d’Allende sont enfermés dans le stade de
Santiago où les exactions sont le quotidien (viols - exécutions). Les intellectuels sont particulièrement
visés notamment le célèbre guitariste-chanteur Victor Jara à qui sont coupés les doigts avant exécution.
Les décomptes les moins pessimistes a rment que 5 000 à 6 000 personnes ont disparu lors des
premiers jours de la dictature militaire notamment du fait des « caravanes de la mort » qui sillonnent le
pays pour traquer les opposants.
Une fois installé, le pouvoir de la junte va progressivement passer dans les mains uniques de Pinochet
(plébiscite de 1978 - 78 % de oui) sans toutefois créer de parti politique pour le soutenir. Dans la tradition
chilienne dite « El Portalismo », Pinochet va « garantir » l’ordre social en alliant l’autorité politique à
l’aristocratie d’a aires. Si Pinochet n’est pas un homme de paille à la solde des États-Unis, il va mener le
Chili vers une politique économique de choc en faisant appel aux ultra-libéraux de l’école de Chicago
(Chicago Boys) et devenir le laboratoire des politiques libérales anglo-saxonnes des années 1980 qui
limite la quantité de monnaie, favorise le libre marché et la n des retraites par répartition au pro t de la
capitalisation. Milton Friedman - économiste de Chicago - rend d’ailleurs visite à Pinochet en 1975.
Pour écraser les potentiels opposants, la police politique chilienne, DINA, s’associe aux polices politiques
des dictatures voisines d’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay dans une opération Condor
pour traquer où qu’ils soient les partisans d’Allende (ex : le général Carlos Pratt assassiné à Buenos Aires),
politique digne du terrorisme d’État.
La violence de la politique de Pinochet mène la dictature du Chili à être condamnée par l’ONU dès 1974,
par les États-Unis et par les États européens, à l’exception de Juan Carlos d’Espagne qui l’accueille lors
des obsèques du dictateur Franco en 1975.
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II- DEUX TRANSITIONS DÉMOCRATIQUES : ESPAGNE ET PORTUGAL.
Introduction : Dans un contexte international modi é par la détente engagée entre les États-Unis
et l’URSS, par la n de la dictature des colonels en Grèce en 1974 et par les derniers con its
coloniaux, les deux vieilles dictatures vont disparaître en Espagne et au Portugal. Dans les deux
cas, la question de la place du parti communiste, du parlementarisme et donc du pluralisme
politique sont au coeur du processus de démocratisation
Le Portugal - depuis 1910 - et l’Espagne à partir de 1932 sont deux républiques devenues
autoritaires dans les années 1930.
Au Portugal, le président du Conseil des ministres Salazar con sque le pouvoir de 1932 à
1968 et fonde un régime autoritaire anti-communiste en 1933 appelé « Estado novo ». Malade, il
est renversé en 1968 par Caetano qui poursuit malgré-tout la politique autoritaire du guide.
En Espagne, le « caudillo » Franco a con squé pendant 37 ans le pouvoir dans une
dictature nationale-catholique et anti-communiste à la suite d’une guerre civile (1936-1939). En
1969, le dictateur décide d’associer Juan Carlos - le ls du roi déchu Don Juan - et d’en faire son
successeur désigné. Franco décède le 20 novembre 1975. Juan Carlos de Bourbon est sacré roi
d’Espagne deux jours plus tard et apparait comme la créature du franquisme.
Le Portugal est le dernier État européen à mener des con its coloniaux en Angola et au
Mozambique de 1961 à 1974. L’Estado Novo est dans une véritable impasse internationale et il
est isolé diplomatiquement en raison de l’archaïsme du combat colonial malgré son adhésion à
l’OTAN. Les États-Unis éprouvent toutefois du mal à s’opposer à l’archaïsme du combat en
raison de la location de la base des Açores louée au Portugal.
De plus, le Portugal - pourtant aidé par l’armée d’Afrique du sud au nom de
l’anticommunisme - ne parvient plus à tenir les colonies d’Angola et du Mozambique où le
mouvement indépendantiste est soutenu par les communistes de Chine et de Cuba. La dictature
impose le service militaire obligatoire aux jeunes portugais en mobilisant 140 000 soldats. Le
début des années 1970 voit la lassitude se transformer en contestation étudiante qui dénonce les
combats coloniaux. Une forte émigration clandestine des jeunes hommes se développe pour fuir
l’intégration dans l’armée coloniale.
Réintégrée au concert international des nations en 1953 avec la visite du secrétaire d’État
américain Dulles à Madrid sans toutefois adhérer à l’OTAN et ne pas recevoir d’aide nancière
américaine, l’Espagne des années 1960 se modernise rapidement en misant sur l’industrie (SEAT
600 à partir de 1957) et sur le tourisme de masse. Elle dispose d’un soft power non négligeable
notamment avec son « musée à ciel ouvert » et ses clubs de football (Real Madrid).
Ce changement s’accompagne d’une modernisation du pays - une classe moyenne aisée
et urbaine se développe - sous l’in uence contestée de l’Opus Dei catalan. Le mouvement
catholique reste très conservateur sur la vie civile mais modernisateur et libéral sur le plan
économique et il correspond à la nouvelle image que veut se donner l’Espagne de Franco.
Toutefois, cette Espagne franquiste doit faire face aux contestations et à la montée des
nationalismes sécessionnistes notamment les Basques d’ETA qui multiplient les attentats en
1973-1974 avec - notamment - l’assassinat de l’amiral Blanco ou l’attentat du café Rolando.
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2- LE PORTUGAL DE 1974 À 1982 : D’UN RÉGIME AUTORITAIRE À LA DÉMOCRATIE
LIBÉRALE
Le 25 avril 1974, 150 o ciers et plus de 2000 soldats s’insurgent pour mettre n à 48 ans
d’Estado Novo. La radio, la télévision, l’aéroport de Lisbonne sont pris par l’armée. Les
putschistes réunis dans une « junte de salut national » menée par le général Spinola limogé par le
régime quelques mois plus tôt et auteur du livre Le Portugal et l’avenir, proposent un programme
paci ste résumé en 3D : « démocratiser, décoloniser et développer ».
Le dictateur Cateano est d’abord arrêté puis ex ltré au Brésil. Le personnel de la police
politique - la DGS - est arrêté, la censure abolie et les libertés politiques sont proclamées, le 1er
mai - fête ouvrière - devient fête nationale. Le putsch paci ste rentre dans l’histoire sous le nom
de révolution des oeillets en raison de la eur que porte les putschistes, eurs qu’un restaurateur
avait commandées en nombre pour le premier anniversaire de son restaurant et o ertes aux
militaires à l’initiative d’une employée du restaurant (Celeste Martins Caeiro) enthousiaste comme
tous les Portugais. 6 personnes seulement décèdent lors de cette révolution.
Malgré la réussite du putsch, l’armée est divisée entre les conservateurs de Spinola, le
Mouvement des Forces armées (Movimento das forças armadas) au pouvoir et soutenu par le
Parti Communiste portugais.
Les années 1974-1976 sont marquées par une division entre les politiques et l’armée et au
sein même de l’armée tandis que la décolonisation s’accélère.
La société civile trouve dans le socialiste Mario Soares son héros. Arrêté à 12 reprises
sous la dictature, déporté, Soares rentre au Portugal dès le 28 avril 1974 et il accueille le
communiste Cunhal à la veille de la fête du 1er mai. Soares rentre dans le gouvernement du
Président Spinola avec le porte-feuille des a aires étrangères pour régler le con it colonial.
Le MFA au pouvoir propose une politique de nationalisation et de collectivisation de tous
les moyens de production proche du modèle soviétique avec les nationalisations des banques,
des assurances puis des secteurs de l’acier, des transports et de l’énergie avec aussi des
comités de quartiers et 220 entreprises en autogestion.
Le général Spinola - président démissionnaire - voyant la situation lui échapper tente alors
un putsch conservateur à un mois de l’élection d’une assemblée constituante. L’armée est plus
que jamais divisée. Une partie des o ciers se radicalise derrière Carvalho et le SUV (soldats unis
vaincront) d’inspiration castriste (Cuba). Dans une situation proche de la guerre civile, les
militaires conservateurs poussent à l’exclusion des communistes du gouvernement en 1975.
Les élections de 1976 con rment la victoire à la constituante des socialistes de Soares. La
constitution tente d’associer dans un régime semi-présidentiel le général Eanes devenu président
avec le soutien de tous sauf du PCP au premier ministre Soares sur le modèle français.
Le Portugal adopte dès lors des lois qui modernisent le pays (droit de vote aux femmes,
divorce) et créent les conditions d’un État protecteur (allocations chômage, vieillesse, salaire
minimum, congés payés, droit de grève).
L’alternance politique paci que est assurée en 1979 avec la victoire du centre-droit de
Carneiro qui met n aux orientations dirigistes et collectivistes des années précédentes. En 1982
la réforme constitutionnelle supprime l’héritage marxiste de la révolution des oeillets et toute
référence au rôle de l’armée dans la vie politique. À cette date, le Portugal est devenue une
démocratie libérale qui a posé sa candidature pour rentrer dans la CEE.
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3- LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE EN ESPAGNE DE 1975 À 1982
La transition démocratique en Espagne est menée par le roi de 38 ans nommé par Franco
qui dispose toutefois du soutien des États-Unis. En juillet 1976, dans un climat presque
insurrectionnel marqué par les grèves aux usines John Deere et à la poste, Juan Carlos de
Bourbon se débarrasse du vieux président du conseil Navarro et le remplace par le jeune chef du
parti franquiste Adolfo Suarez à la tête du gouvernement le tout sans aucune purge.
Cette transition qui ne doit pas heurter les franquistes provoque toutefois de fortes
résistances de l’armée - qui se sent trahie par la reconnaissance du parti communiste - et de la
Guardia Civile dont le putsch du 23F du lieutenant-colonel Tejero est devenu le symbole.
Le 23 février 1981, les hommes de Tejero prennent en otage les députés du congrès lors
de l’investiture du centriste Calvo-Sotelo. Les chefs des partis politiques - Suarez pour l’Union du
centre démocratique, Gonzalez pour le PSOE socialiste et Carillo pour les communistes - sont
isolés du reste des 350 députés sous les balles des mitraillettes et les cameras de la TVE.
Le soir même, à 1 heure du matin, Juan Carlos habillé en capitaine général de l’armée
prend la parole à la TVE pour dénoncer le putsch et ordonne aux capitaines généraux d’Espagne
et aux régions maritimes et aériennes de lui obéir. Seul le général Milans del Bosch de Valence -
cerveau du putsch - n’obéit pas. Par cette intervention, Juan Carlos trouve une légitimité
populaire pour justi er la transition démocratique et le Juan Carlisme.
Les questions basque et catalane sont trop rapidement écartées dans un vaste plan
d’autonomie des 17 généralités. À cette date, le statut de Guernica assure une large autonomie à
Euskadi sans toutefois satisfaire l’ETA qui provoque la mort de 124 personnes lors d’attentats
perpétrés en 1981.
Toutefois, symboliquement, la dernière communauté autonome - celle de Madrid - est
instaurée en 1983 et installée à la Casa de Coerros là où jadis siégeait la police politique
franquiste.
La transition démocratique se fait donc aussi en rompant avec le centralisme politique de
la dictature franquiste et en accordant des pouvoirs régaliens (impôts - enseignement - douane)
aux peuples allogènes non castillans.
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La majorité des démocraties qui se sont e ondrées l’ont été illégalement par un coup
d’État (ou putsch ou pronunciamiento en Amérique latine). Celui-ci est mené le plus souvent par
l’armée et les forces de l’ordre qui prennent le contrôle des points stratégiques du pays (sièges
politiques, sièges des médias, grands moyens de défense). Les putschistes peuvent s’appuyer
ou non sur des aides extérieures (comme celle des États-Unis ou de l’URSS par exemple).
Les coups d’État ont été très nombreux en Amérique latine entre les années 1950 et 1970
pour éviter l’implantation de régimes communistes, en Afrique ou en Asie depuis les
indépendances des années 1950. Ainsi, on dénombre plus de 200 tentatives de coup d’État en
Afrique (ex. 1961 en République démocratique du Congo, 2019 au Gabon), une vingtaine en Asie
depuis 1945 (ex. Iran en 1979, Thaïlande en 2014 ou Turquie 2016) a n d’installer des junte
militaires, donc des dictatures ou des régimes théocratiques (cf Iran) ou idéologiques (révolution
bolchevique d’octobre 1917).
La démocratie peut aussi s’e ondrer de façon légale. Ainsi, de nombreux régimes
totalitaires se sont implantés par voie légale. Mussolini est appelé au pouvoir le 29 octobre 1922
après avoir organisé la Marche sur Rome, un dé lé des forces fascistes pour impressionner le
pouvoir en place, mais qui aurait eu les moyens d’arrêter les 30 000 fascistes s’il l’avait voulu.
C’est le roi Victor-Emmanuel III qui choisit d’appeler au pouvoir Benito Mussolini.
De même, Hitler devient chancelier en Allemagne le 30 janvier 1933 lorsque le président de
la République Hindenburg le nomme alors que les nazis ont obtenu 33% des voix aux élections
législatives de novembre 1932 et sont le parti le plus représenté au Reichstag malgré le recul du
NSDAP depuis la n de l’année 1932. Une fois au pouvoir, fascistes et nazis détruisent la
démocratie et fondent une dictature totalitaire rapidement (1925-1926 lois fascistissimes en
Italie ; printemps-été 1933, contrôle total de l’Allemagne par les nazis).
De même, le régime de Vichy ou l’État français s’implante de façon « légale ». Le 10 juillet
1940, les députés et les sénateurs de la Troisième République (à l’exception de 80), installés à
Vichy, donnent les pleins-pouvoirs au maréchal Pétain pour faire une nouvelle constitution. Pétain
a donc reçu ses pouvoirs des représentants de la nation. Cependant, certains juristes
considèrent que les règles de révision des lois constitutionnelles de la Troisième République n’ont
pas été respectées puisque les deux assemblées réunies devaient l’être à Versailles. De plus,
pour de Gaulle, le contexte (armistice, exode des Français, panique de la défaite) ne permettait
pas de faire cette révision dans des conditions normales. C’est pourquoi de Gaulle considèrera
Vichy comme illégal.
En n, on peut voir des reculs démocratiques se développer actuellement dans le monde.
De nombreux pays démocratiques voient leurs valeurs évoluer vers un conservatisme antilibéral
reniant sur les fondements de la démocratie. En Russie, en Turquie, en Pologne, en Hongrie et
récemment en Italie, les libertés sont réduites, les médias sous contrôle du pouvoir, les forces
d’opposition muselées et le pouvoir personnel du chef de l’État ou du chef de gouvernement
(premier ministre) renforcé. Cette évolution caractérise une menace réelle pesant sur les principes
démocratiques au pont où on parle aujourd’hui de « démocratures » pour désigner ces pays qui
glissent vers la dictature.
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