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Dangerous Games 1 - 9791025740088

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Insolent Bastard
Une nuit de liberté. Une nuit de folie.
Hailey a besoin de tout oublier, et elle succombe au charme d’un inconnu, dont elle
ne connaît que le prénom… pour découvrir le lendemain qu’il est une star !
Shane est tatoué, musclé, irrésistible… et joueur phare de l’équipe de hockey de
New York. Hailey est la nouvelle kiné du groupe, et toute relation entre les deux
jeunes gens est formellement interdite.
De toute façon, elle n’a pas le temps : entre son boulot et sa petite sœur à élever,
Hailey n’a pas besoin de complications supplémentaires !
Mais résister au torse nu de Shane tous les jours, à ses secrets et à ces nuits
torrides… Cap ou pas cap ?
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Retiens-moi
Cecilia est parfaite et irréprochable. Elle est dans le contrôle permanent de sa vie…
jusqu’à cette nuit passée avec un mystérieux inconnu.

Il est beau, sensuel et lui offre des plaisirs inédits. Hors de question pourtant d’aller
plus loin. Cecilia a des règles strictes et s’y tient, craignant de voir ressurgir le
passé qui la hante si elle venait à baisser la garde.

Mais, quand elle doit mettre sa vie entre les mains de son amant, tout bascule. Un
seul faux pas et ils pourraient le payer très cher tous les deux.

Le pari est risqué, l'enjeu énorme et la récompense inestimable.


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Tout mais pas lui


En vacances en France, Marie découvre la liberté, l’indépendance… et la volupté.
Alex Klein est séduisant, charmeur… et disparaît au petit matin !
Blessée, Marie rentre à New York pour commencer un stage dans une maison
d’édition. Sa première mission ? Assurer la promotion du tout nouvel auteur-phare :
Alex Klein !
Impossible de se défiler. Marie doit côtoyer chaque jour celui qui l’attire autant
qu’elle le déteste. Hors de question de retomber dans ses bras !
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Envole-moi
Nickie s’ennuie dans la vie et rêve d’horizons lointains, un comble pour une
hôtesse de l’air ! En répondant à une petite annonce, elle ne s’attendait pas à se
retrouver employée pour une luxueuse compagnie privée, dirigée par Alexis
Cooper, un patron aussi têtu qu’irrésistible ! Ils s’attirent autant qu’ils se
détestent… Mais Nickie n’est pas prête à renoncer à sa liberté ; celui qui lui
coupera les ailes n’est pas encore né !
Jusqu’où ira-t-elle pour se préserver ? Jusqu’à renoncer au grand amour ?
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À jamais – Une vie pour l'Autre


Adehan Ataski a remarqué Chloé au milieu des autres. Son attirance pour elle est
indéniable. Pourtant, il en a conscience, succomber est interdit: les conséquences
seraient trop graves. Mais a-t-il vraiment le choix, peut-il lutter contre le destin ou
est-ce un combat perdu d’avance?
Atteinte d’un cancer, Chloé Messager se sait condamnée et n’attend plus grand-
chose de la vie. Enfin, ça, c’était avant lui. Adehan Ataski. Il est différent des
autres, son côté mystérieux l’intrigue et elle tombe peu à peu sous son charme.
Jusqu’à ce qu’elle comprenne que la question essentielle est: qui est-il vraiment?
Clara Oz

DANGEROUS GAMES
Volume 1
1. Choc collatéral

– Coupez ! résonne la voix grave du célèbre Alan Middle, le dieu du cinéma, le


top du top des réalisateurs. On enchaîne !

À ses ordres, tout le monde s’affaire et s’éparpille telle une volée de papillons.
Les caméras roulent sur leurs rails, le décor est déplacé et changé en moins de temps
qu’il n’en faut pour le dire, les figurants rejoignent leur place, derrière des barrières,
en attendant les acteurs principaux qui ne vont pas tarder à arriver. Je les presse en
souriant, malgré les « j’ai faim, j’ai soif, je suis fatigué » qui parviennent à mes
oreilles. Je meurs de chaud, pourtant les températures ne doivent pas dépasser les
quinze degrés aujourd’hui, dans ce village perdu au fin fond de l’Écosse. À Elgol, plus
exactement, sur l’île de Skye, dans les Highlands. Un petit hameau qui surplombe
l’océan, entouré de hautes montagnes majestueuses qui doit faire le bonheur de tous
les photographes du monde. Aujourd’hui, nous tournons devant une ferme réhabilitée
pour la série, sur un pré qui s’étend à perte de vue. Une nature sauvage et
incroyablement belle. Mais si l’endroit est magnifique, le temps ne l’est pas
toujours…

Et ce n’est pas près de changer, le ciel est chargé de gros nuages noirs menaçants.

– C’est quoi ce bordel ? entends-je soudainement dans mon oreillette.

Le réalisateur est près de moi, et cet écho de sa voix forte et furieuse dans mes
tympans est impressionnant !

– La tenue de Calum a craqué, explique Stuart Berkley, l’assistant-réalisateur,


une grande perche aux cheveux gris qui ne sourit jamais.
– Mais je m’en contrefiche, de ce genre de détail ! hurle Alan, hyper élégant dans
son costume trois-pièces beige.
– Bien sûr, acquiesce Stuart avec un air gêné. La couturière est sur le coup, tout
va rentrer dans l’ordre dans les plus brefs délais.
– Mais j’espère bien ! vocifère Alan. C’est inadmissible !

Je vois le regard d’Alan parcourir Stuart – emmitouflé dans une longue doudoune
kaki et une écharpe jaune – de haut en bas puis chercher quelqu’un dans le pré où
nous nous tenons. Pour finir par se poser sur moi.

Garde-à-vous !

– Amyyyyy ! hurle-t-il à nouveau. Va chercher le cascadeur et son cheval ! On


change la chronologie des scènes !
Je sursaute, mon cœur fait un triple salto dans ma poitrine et, sans prendre le temps
de respirer correctement, je me rapproche de lui.

– Tout de suite, dis-je, toujours avec le sourire.

Mais il ne me regarde déjà plus, trop concentré à – crier – expliquer quelle scène
va être tournée.

Je me dirige au pas de course vers l’enclos situé derrière le gros bâtiment de pierre
et de bois qui nous sert de décor, une vieille ferme réaménagée pour le tournage. Je
décroche mon oreillette, Alan continue à exprimer son mécontentement, ça me vrille
les tympans…

Et ce n’est pas très joli à entendre…

Alan Middle, le plus talentueux des réalisateurs mais l’homme le plus râleur du
monde…

L’enclos, donc… Là où se tiennent des grosses bêtes, aussi impressionnantes que


mon boss. Pas que j’ai peur des chevaux, non. Juste que… Bon OK, j’en ai peur.
Horriblement peur. Depuis toute petite.

Je fourre l’oreillette dans la poche de mon sweat rose à capuche. Alan crie si fort
que même en la mettant là, je l’entends encore – en plus étouffé. Puis, j’enlève mon
pull dans un mouvement rapide. Je tente de le faire tenir autour de ma taille – en
attendant de pouvoir le déposer quelque part – tout en continuant à trottiner, à moitié
emmêlée dans les fils qui relient l’oreillette à mon petit micro, quand un bruit me
fait lever les yeux.

Un cheval.

Non. Un énorme cheval. Plus exactement, une espèce de monstre au pelage noir
luisant, lustré, qui se tient juste devant moi. Et qui se cabre. Deux sabots dressés, un
ventre de deux mètres de largeur – au bas mot –, un hennissement qui me glace le
sang, les pattes de ce cheval qui retombent juste devant moi, dans un bruit sourd. Et
ensuite, je vois un homme voltiger par-dessus ma tête. Et atterrir derrière moi. Enfin,
je crois. Je présume. Je n’ose pas me retourner.

OK, c’est une blague, le tournage a recommencé et – sans me concerter – le


réalisateur a prévu que je serais l’obstacle que le cascadeur devrait franchir…

Sauf que là, ce n’est pas drôle du tout…

Je reste paralysée quelques secondes, sans savoir quoi faire, pendant que le
monstre noir pousse encore un hennissement à faire dresser mes cheveux sur ma tête
et me contourne ensuite en relevant son museau d’un air fier, comme s’il me toisait,
me montrait sa supériorité, me réduisait à un petit objet insignifiant – ce que je suis,
sans aucun doute, comparée à lui. Au ralenti, priant pour que le cavalier qui a volé
par-dessus ma tête ne soit pas blessé, je me retourne.

Parce que le cheval s’est cabré à cause moi…

Et l’homme… est tombé à cause de moi.

Bravo, vraiment…

La personne en question est allongée sur le sol et se tient le tibia en grimaçant.


Je pousse un hoquet de surprise.

– Oh pardon ! m’écrié-je d’une voix suraiguë. Je suis désolée, je ne vous avais


pas vu ! Je ne voulais pas effrayer votre cheval !

Tout en surveillant du coin de l’œil le cheval pour qu’il ne m’écrabouille pas, je


m’accroupis près de son cavalier.

– Pardon, pardon, pardon ! répété-je. Vous allez bien ? Vous n’êtes pas blessé ?
Laissez-moi regarder, j’ai mon diplôme de premier secours. Enfin, non, je ne l’ai pas
eu mais j’ai regardé des vidéos sur Internet, c’est presque pareil !

Je ne vois pas le visage de l’homme, juste son corps moulé dans un costume
d’équitation des années mille huit cent, et des beaux cheveux bruns bouclés jusqu’aux
épaules. Je me rapproche de lui et m’apprête à poser ma main sur son bras pour
lui demander s’il souhaite que j’appelle quelqu’un, le réalisateur, un médecin, les
pompiers, quand un éclat de rire retentit et qu’il tourne son visage vers moi. Un regard
amusé, des yeux marron foncé pétillants, un sourire à se damner sur un visage
d’environ vingt-cinq ans à la beauté stupéfiante.

Sauf que ça ne me fait pas rire, moi...

Ma gêne se transforme en trouble à la vue du cavalier qui se fout visiblement de


moi, aussitôt remplacé par de l’agacement.

L’homme se relève, toujours avec ce sourire craquant qui étire ses lèvres pleines,
et son corps se déroule sous mes yeux. Je ne peux détacher mon visage des muscles
qui roulent sous ses vêtements, des cuisses musclées dans un pantalon seyant couleur
terre, de son torse enveloppé dans une chemise blanche – légèrement tachée,
maintenant – et surtout, surtout, de son visage aussi masculin que juvénile, voire
angélique. Un démon au visage d’ange, voilà tout ce que mon cerveau parvient à
penser…

Lorsque son sourire diminue enfin – probablement à cause de l’air (légèrement


énervé) que j’affiche – j’ai l’impression d’avoir un acteur, un mannequin, une gravure
de mode (au choix) en face de moi. Mais surtout, j’ai cette tenace impression de le
connaître. Bien sûr que je ne le connais pas, je m’en souviendrais ! Mais il y a un
petit truc, difficile à expliquer, qui me hurle que cet homme ne m’est pas inconnu. Je
plonge un peu plus dans son regard, dans les mille étoiles que je vois dans ses yeux,
dans cette couleur marron soutenue, puis je me reprends rapidement, le grésillement
de mon oreillette me rappelant pourquoi je suis ici.

Le tournage…

Et les hurlements du réalisateur qui me parviennent malgré l’épaisseur de mon


sweat.

Et ma place dans cette série, bien sûr…

Malgré tout – la beauté de cet homme, le speed de la journée, l’organe dont je ne


me souviens plus le nom qui tape comme un dingue dans ma poitrine – je ne peux
laisser cet inconnu garder ce petit sourire arrogant.

– C’était une blague, c’est ça ? Vous ne vous êtes pas fait mal ? demandé-je, dans
le doute.

Son rire s’intensifie, répondant à ma question. Il l’a fait exprès !

– Vous trouvez ça drôle, peut-être ? insisté-je d’un ton sec, – un peu – vexée.
– Mais tellement ! s’amuse-t-il, toujours cet éclat incroyable dans les yeux. Je
comptais faire durer le plaisir, mais je n’ai aucune envie que vous ne me blessiez,
m’apprend-il en se relevant. Vous avez regardé des cours sur Internet ? Et vous pensez
que ça suffit si jamais je m’étais vraiment fait mal ? C’est tellement drôle !
– Euh non, ça ne l’est pas ! rétorqué-je, telle une vieille femme faisant la morale
à un adolescent indiscipliné.
– Oh si, ça l’était, je vous assure, affirme-t-il avec un air canaille. Vous m’avez
fait ma journée.
– Pardon ?
– Et vous croyez vraiment que vous auriez pu effrayer mon cheval ? Vous avez
vu sa taille ? Et… la vôtre. Vous êtes un petit oiseau, comparé à lui ! Un tout petit
moineau aux plumes bleues. Un Bluebird, plus exactement…

Un moineau ?

Il est sérieux ?!

Il me compare avec un petit moineau ?!

Je vais lui en donner moi, du moineau !

Je pince les lèvres, serre les poings dans mes poches, en sors l’oreillette, l’agite
sous son nez.

– Vous êtes le cascadeur, j’imagine ?


– Alistair McKay, se présente-t-il en me tendant une main bronzée. Enchanté.

Je regarde sa main – une belle main large – son visage, de nouveau sa main. Puis,
me décide à la saisir. Une chaleur, contrastant avec la température et mon agacement,
se répand dans mon corps. Sous ma peau. Sur ma peau. Partout. Et un frisson remonte
le long de ma colonne vertébrale pour se loger dans le creux de ma nuque. Je lâche
subitement sa main comme si ce contact venait de me brûler.

Ce qui n’est pas tout à fait faux.

Enfin, j’ai du mal à définir ce qu’il vient de se passer exactement

Excepté sa blague super nulle…

– Pas moi, maugréé-je, en tentant de cacher mon trouble – et la rougeur qui a


envahi mes joues.
– Pardon ?
– Je ne suis pas enchantée, moi ! répété-je un ton plus fort.
– Vraiment ? s’étonne-t-il en élargissant son sourire. Vous n’avez pas d’humour ?

Non, mais il est sérieux ?!

– Mais bien sûr que si ! m’offusqué-je. Votre blague n’était franchement pas drôle,
c’est tout ! Vous vous croyez malin peut-être ?! J’ai eu peur pour vous !

Ses traits affichent de la surprise et reviennent à l’amusement prononcé.

Et moi, ils passent de l’agacement à l’énervement. Et j’omets volontairement


l’attirance, parce qu’il est hors de question que je sois attirée – contre ma volonté
– par un homme aussi arrogant !

– Peur pour moi ? C’est intéressant…

Et voilà, il recommence…

– Bon, Monsieur McKay, vous êtes attendu. Prenez votre… canasson et allez sur
le tournage, s’il vous plaît ! ordonné-je d’un ton qui signifie que son humour douteux
a assez duré. L’ordre des scènes a changé, vous devez faire la doublure de Calum
Fraser maintenant.

Toujours l’oreillette dans une main, je m’apprête à tourner les talons quand une
poigne ferme me retient. Le souffle d’Alistair, l’homme-le-moins-drôle-du-monde,
effleure ma joue, des frissons me parcourent à nouveau et une espèce d’électricité se
répand dans mes veines.

– J’ai bien entendu « canasson » ? chuchote-t-il près de mon oreille, en épelant


chaque syllabe, la chaleur de sa paume inondant la moindre parcelle de ma peau.

Je soupire, ferme les yeux une microseconde afin de reprendre mes esprits et de
virer le trouble auquel ce prétentieux me soumet.

– C’est exactement ce que j’ai dit, oui, affirmé-je, fière de ma repartie.


– Retirez !
– Non, dis-je calmement.
– Si, répond-il sur le même ton, sûr de lui.

Je me dégage de son emprise, affiche à mon tour un sourire arrogant.

– Monsieur McKay, vous êtes attendu sur le tournage. Immédiatement.


– Avec le Clydesdale que j’ai dressé et qui s’impatiente à côté de vous.

Oh, ça, je le sais bien, oui. Il n’arrête pas de souffler bruyamment depuis tout à
l’heure ! Comme si on pouvait oublier sa présence…

– Avec le gros truc tout noir qui a failli me provoquer une crise cardiaque à cause
de votre humour débile !

Alistair plisse les yeux, prend le temps de me détailler, de mes Dr Martens


bordeaux à mes cheveux teints en bleu lagon (tirant sur l’argenté, qui a un rendu
magnifique) en passant par mon top liberty.

– Vous ne regardiez pas vraiment où vous alliez, lâche-t-il en plantant son regard
ébène dans le mien, comme s’il voulait s’immiscer dans mes pensées.
– Vous auriez pu aisément m’éviter. Vous l’avez fait exprès, rétorqué-je sans me
démonter.

C’est vrai, je ne regardais pas où j’allais.

Mais quand même…

– Pas faux, avoue-t-il en haussant les épaules. Mais c’était tellement drôle. Ça
et… repart-il dans un éclat de rire.
– Vous vous répétez.
– Parfaitement. Et je le répéterai jusqu’à ce que vous l’admettiez.
– Vous pouvez toujours rêver ! m’écrié-je tout en faisant un pas pour retourner
auprès de l’équipe de tournage et en remettant mon oreillette à sa place.
– Amyyyy ! entends-je à nouveau. Les moutons ont envahi le tournage !

Et merde…

Sans jeter un regard à l’horripilant cascadeur, lui adressant seulement un signe de


la main pour lui signifier que son stupide jeu s’arrête là, je repars au pas de course.

Je fais fi des pas du cheval que j’entends juste derrière moi, ainsi que de
l’insupportable ricanement qui résonne. Je ne me retournerai pas. J’ai eu le dernier
mot, je compte bien savourer cette piètre victoire !

Sur le tournage, en effet, c’est le chaos. Une dizaine de moutons se balade


tranquillement entre les caméras, l’éclairage, le matériel son, les chaises, la table et
le banc en bois qui attendent que l’actrice principale prenne place. Stuart a reculé
jusqu’à la barrière, tout près des figurants, tandis qu’Alan fait de grands gestes –
inutiles – pour chasser les indésirables. Le reste de l’équipe tente, tant bien que mal,
de faire fuir les bestioles, certains crient, d’autres les poussent avec ce qu’ils ont sous
la main. Si ce tournage ne représentait pas la chance de ma vie, j’en rirais. Mais je
suis bien trop stressée pour ça…

J’ai terminé mes études de cinéma il y a peu de temps. J’ai étudié à la NYU Tisch
School of the Arts de New York. C’était génial ! Intensif, mais très épanouissant. J’ai
appris toutes les ficelles du métier, écrit et réalisé des courts-métrages, côtoyé des
cinéastes influents. Enfin, juste quelques jours, jamais très longtemps, leur temps est
précieux mais je me suis gavée de leur enseignement. Je ne me suis pas ennuyée une
seule seconde entre les cours, les stages et le travail personnel.

Et là, j’ai la chance de travailler avec Alan Middle, le plus talentueux des
réalisateurs. Intégrer son équipe est très difficile. Il n’accepte généralement aucun
nouveau. Quelquefois, mais très rarement, il prend un stagiaire. Mais ce n’est pas
arrivé depuis au moins cinq ans, à ce que j’ai entendu dire. J’ai donc bien conscience
d’avoir eu une chance incroyable avec ce désistement de dernière minute. Et s’il aime
mon travail, je sais que les portes du cinéma me seront grandes ouvertes. Parce qu’une
recommandation de sa part vaut tous les diplômes du monde. Ou mieux, il pourrait
me proposer d’intégrer son équipe. Mais je ne fais pas de plans sur la comète, je me
donne à fond et je verrai bien ce que l’avenir me réserve.

En espérant que ça n’inclut pas trop de troupeaux de moutons !

Je me hâte de me joindre au groupe pour faire sortir les moutons, sans plus de
succès que les autres. Si j’en force un à s’éloigner, un autre vient me narguer en
cabriolant comme un enfant. Et ainsi de suite. Si bien qu’au bout d’un moment, je ne
sais plus vers lequel aller pour que ma méthode soit efficace.

OK, je n’ai pas de méthode.

Mais j’essaie.

Désespérément.

Au bout de longues minutes, une voix chaude – et familière – s’élève derrière


moi. Je ne me retourne pas, le petit frisson qui s’est emparé de ma nuque m’indique
très clairement qui se trouve à quelques centimètres de mon corps, si près que je sens
encore son souffle caresser ma joue. Je me fige, contracte tous mes muscles, prête à
trouver une repartie à lui balancer dès qu’il aura – encore – fait étalage de son humour
horripilant au possible.

– Hé, BlueBird, il faut en attraper un, dit-il lentement, sa voix grave résonnant
contre mes cheveux. Un seul et tous les autres suivront. Vous connaissez l’expression
« mouton de panurge », non ?

Mais oui !

Il a raison !
Cependant, il peut toujours courir pour que je le lui dise !

Je me retourne lentement, pose un regard indifférent sur lui, comme s’il ne venait
pas de me donner la solution pour mettre fin à cette situation totalement hallucinante.
C’est vrai, ne pas réussir à mettre des moutons hors d’un endroit est vraiment risible.
Alistair me fixe d’un petit air narquois, amusé, et ses lèvres s’étirent en un large
sourire.

– Laissez faire le pro, se vante-t-il en me gratifiant d’un clin d’œil.

Je lève les yeux au ciel et croise les bras, puis regarde sa haute silhouette se diriger
vers le mouton le plus agité du troupeau. Sa démarche est fluide et assurée, un peu
sauvage, un peu animale, de celle qui appartient à ceux à qui tout réussit. Sans hésiter
une seule seconde, il attrape sa cible par le cou d’une main ferme. Avec un peu
d’imagination, je pourrais entendre toutes les femmes se pâmer autour de moi. Parce
que ce mec est LE mâle incarné. Ouais, le mal, aussi, probablement. Trop beau. Trop
viril. Trop attirant. La prestance qui se dégage de lui est brute, masculine, et me coupe
le souffle.

Il faut que je me ressaisisse. Vraiment. Je ne suis pas ici pour fantasmer sur cet
homme. En plus, il s’est moqué de moi. Je ne suis pas spécialement susceptible,
mais quand même, je trouve ça moyen. Je détourne les yeux – d’accord, presque à
contrecœur – et ordonne aux figurants de reprendre leur place derrière la barrière.
Il ne manquerait plus qu’eux aussi s’éparpillent dans le décor… Sans pouvoir m’en
empêcher, j’observe Alistair emmener tout le troupeau de moutons hors de la scène,
avec cette assurance qui force l’admiration, sans lutter, comme s’il avait fait ça toute
sa vie. Je réprime un grognement tout en me dirigeant vers le réalisateur et son
assistant.

– Alors, la mini rebelle, on a eu besoin d’aide ? me balance Stuart d’une voix


acide.

Je lui fais un sourire hypocrite et me retiens de lui dire que, lui aussi, aurait pu
se bouger plutôt que de se cacher !

Je ne sais pas ce que je lui ai fait, mais il ne m’apprécie pas. Je ne suis ici que
depuis deux jours – comme le reste de l’équipe – et il ne m’a pas une seule fois adressé
la parole correctement. Je sais que certaines personnes dans le monde du cinéma
sont… spéciales, mais lui détient la palme du plus désagréable. Avec ses cheveux
gris toujours attachés en une queue-de-cheval basse, ses fringues dépassées, toujours
collé à Alan – bon OK, c’est son assistant – il me donne l’impression que je suis
une pièce rapportée par erreur. Et je déteste ce sentiment ! Ma place sur ce tournage
est légitime, même si j’ai eu cette opportunité au dernier moment, le responsable des
figurants ayant fait faux bond à l’équipe, et je ne vois pas pourquoi il se croit en droit
de me traiter aussi mal. Ce qui me rassure, c’est qu’il n’est pas non plus très sympa
avec les autres.
Et le surnom mini rebelle, on en parle ?

Parce que s’il veut jouer à ça, je connais plein de termes qui lui iraient à
merveille…
2. Action !

Dès que le troupeau de moutons est hors d’état de nuire au décor, Alan crie ses
ordres, Stuart sur les talons. Alistair revient vers nous, non sans me faire un petit
sourire en coin qui en dit long. Je fais comme si je n’avais rien vu. D’accord, il a été
très intelligent sur ce coup-là. Et il le sait. Et il en joue. Et ça m’énerve. Bref. Alan le
félicite et l’équipe, telle une nuée d’abeilles volant vers la reine mère reprend sa place
tout en évaluant les dégâts. Heureusement, il n’y a rien, excepté quelques crottes ici
et là. J’espère vivement qu’on ne va pas me demander de ramasser, même si je sais
que dans un tournage, nous sommes polyvalents (du moins moi, je le suis de manière
intensive), je n’ai aucune envie de me taper cette corvée. Mais non, une dénommée
Carolyn, petite brune énergique, assistante cameraman, s’en charge. Je la remercie
intérieurement. Une fille que je ne connais pas porte dans ses bras Chouchou, le petit
chihuahua blanc du réalisateur qui ne s’en sépare jamais longtemps. S’il est vraiment
mignon et attachant – j’adore ces petits chiens ! – dès que son maître est à plus d’un
mètre de lui, il couine comme si on lui avait arraché un membre.

– Mon chouchouuu ! s’exclame Alan en le prenant dans ses bras. Tu as eu peur,


n’est-ce pas ? Tout va bien, maintenant.

Je regarde Chouchou lécher le visage du réalisateur à grands coups de langue, et


l’homme le plus influent du monde du cinéma rire comme un enfant.

Fou comme les gens peuvent se transformer en guimauve devant leur animal de
compagnie…

Le jour et la nuit, cet Alan Middle…

Le réalisateur reprend un air sérieux et donne son chien à Stuart, qui l’attrape
comme s’il s’agissait d’une bombe qui va exploser d’un instant à l’autre. Il le tient
du bout des doigts, sans savoir quoi en faire. Quand je vois son regard se poser sur
moi, je devine immédiatement sa pensée.

Et merde.

– Amy, m’appelle-t-il. Tiens !

Je m’avance avec mon plus beau sourire – hypocrite, cela va sans dire puisque je
ne compte pas lui montrer à quel point il m’exaspère – et prends le chihuahua que
Stuart s’empresse de me refourguer. Sans même me demander mon avis, bien sûr.
La petite boule de poil aboie – un petit aboiement aigu qui ne ferait pas frémir une
mouche – et tente de me lécher les doigts. Je force encore mon sourire. Je ne voudrais
pas vexer le réalisateur qui suit la scène d’un œil vigilant.
D’accord, j’ai dit que j’adorais ces petites bêtes.

Mais honnêtement, j’en fais quoi, moi, maintenant ?!

Je cale la crevette, qui bouge dans tous les sens, sous mon bras (il doit faire un kilo
et demi tout mouillé, ce chien) et rejoins une partie de l’équipe sous une des tentes
pour prendre les feuilles de la scène que nous allons tourner. J’ai à peine le temps de
la lire que la voix d’Alan retentit.

– Figurants ! Doublure ! En place !

Je retourne auprès de mon groupe de petits protégés pour leur donner les
directives. Les figurants sont une trentaine, je ne sais pas si tous ont besoin d’être
dans la scène. Avec dextérité – pas facile avec un chihuahua et une liasse de feuilles
dans la main – je saisis mon mini micro pour l’accrocher sur mon top et remets en
place mon oreillette. La plupart des ordres nous sont donnés par ce biais, même si,
généralement, Alan crie bien assez fort pour que nous l’entendions à des kilomètres
à la ronde.

– Combien de figurants ? demandé-je.


– Une dizaine, répond Alan. En arrière-plan du cascadeur, près du bosquet.

Je tourne la tête et aperçois Alistair qui est déjà au bon endroit, appuyé contre
le flanc de son impressionnant cheval. On dirait une gravure de mode. Vraiment.
Décontracté, le regard perdu au loin. Des picotements remontent le long de mon
ventre jusqu’à ma poitrine, et décident de s’installer ici. N’importe quoi ! Comme
si mon corps avait besoin de frémir pour cet homme ! D’accord, je suis célibataire
depuis… hum. Très longtemps. Mais ce n’est pas une raison. Et franchement, si je
devais avoir une relation, je ne la choisirais pas dans mon cercle de travail. Je suis
indépendante jusqu’au bout de mes ongles rongés et peints en rose fluo, et une
aventure amoureuse est le cadet de mes préoccupations. Ma carrière est ma priorité.
Mais, de toute façon, je divague, ce type ne me fait rien du tout. Point.

Je choisis au hasard dix personnes, souris devant les ronchonnements de ceux qui
ne sont pas pris tout de suite, écarte gentiment ceux qui veulent caresser Chouchou,
ne réponds pas aux questions sur son âge, sa race, son prix. D’une, je n’en sais
absolument rien, et de deux, je n’ai pas le temps.

– Les autres figurants, vous ne sortez pas de ce cercle, m’écrié-je d’une voix
ferme. Vous tournerez tout à l’heure, ne vous inquiétez pas !

J’emmène ma petite troupe jusqu’aux arbres qui délimitent le décor, là où se


trouve déjà Alistair qui caresse l’encolure de son gigantesque cheval et lui souffle
des mots à l’oreille. Je tente de calmer Chouchou qui tord sa tête dans tous les sens,
se contorsionne dans mes bras en couinant parce qu’on s’éloigne de son maître.

– C’est Alistair McKay, chuchote une fille derrière moi. Il est trop beau ! Il faut
absolument que je fasse un selfie ! Oh là là, mes copines vont être trop jalouses !
Je lève les yeux au ciel et retiens une grimace. J’ai envie de me retourner et de lui
dire qu’on ne fantasme pas sur un homme pareil, c’est un type arrogant et prétentieux.

– Tu as vu comme il a viré les moutons ? répond une autre. En deux secondes,


alors que tous ont galéré pendant trois heures. Il est trop fort !

Trop fort, ouais…

J’allais le dire.

Me taire. Ne pas soupirer. Faire comme si je n’entendais rien…

– Bon, les groupies, assené-je quand même, mettez-vous là en attendant la prise.


Je ne veux voir personne dépasser le bout d’herbe ici, OK ?

Sans leur laisser le temps de répondre, je m’éloigne.

– Les figurants sont en place, dis-je dans le micro pour prévenir le réalisateur.
J’attends les instructions.
– Merci, enchaîne Alan. Fais avancer la doublure, on cale.

Je réponds par l’affirmative, remonte le chien qui glisse sous mon bras. Je le
filerais bien à quelqu’un parce qu’avoir cet animal avec moi n’est pas du tout pratique.
Mais je sais que son maître y tient comme à la prunelle de ses yeux, alors je ne m’y
amuserais pas. On ne sait jamais…

Le temps que je rejoigne Alistair, quatre filles sont déjà en train de prendre des
photos avec lui. Lui, fier comme un paon, elles, en train de glousser. Mon sang ne
fait qu’un tour dans mes veines. Sans que je ne puisse me l’expliquer, les voir lui
tripoter le bras, poser leur main sur son épaule, lui sourire comme s’il était la huitième
merveille du monde m’irrite au plus haut point.

Je n’ai jamais eu d’idole. Jamais. J’ai apprécié des stars, bien sûr, mais pas au
point de devenir hystérique à leur contact. Peut-être parce que j’en ai côtoyé de près
dès l’enfance, des célébrités. Grâce à ma mère, déjà, puisque Sky Thunder est la
chanteuse préférée des États-Unis depuis plusieurs années (selon les sondages) (et
selon son succès qui augmente chaque année) et pendant mes études de cinéma pour
devenir réalisatrice. Peut-être est-ce parce que j’ai évolué dans ce monde magique
de la musique, ou alors parce que je sais que les chanteurs, acteurs, top models sont
des êtres humains comme les autres. J’ai été impressionnée par des prestations, émue
par des chansons, heureuse de prendre une photo avec certains, mais jamais je n’ai
manqué tomber dans les pommes ou je me suis ridiculisée pour faire un selfie avec
quelqu’un. Enfin, pas que je m’en souvienne.

Tout ça pour dire que le comportement de ces femmes envers Alistair me déplaît
fortement.
Self-control, au revoir…

– Ho, les filles, je ne vous ai pas autorisées à bouger, il me semble ! dis-je en


m’énervant. Retournez à votre place !

Les intéressées grognent puis regagnent l’endroit où elles doivent attendre. Je sais
qu’être figurant sur un tournage demande de la patience, les attentes entre les prises
sont longues, nous les déplaçons souvent jusqu’à ce que le réalisateur soit satisfait
mais s’ils n’écoutent pas les directives, ce sera encore plus compliqué !

Et si elles pouvaient éviter de piailler qu’elles sont trop contentes, qu’il est trop
beau, trop sympa et trop sexy, ce serait vraiment agréable.

Même si c’est vrai.

Enfin, sauf pour le sympa…

Une fois les filles à leur place, je me tourne vers Alistair. Et oublie de respirer.
Le regard qu’il darde sur moi augmente ma nervosité. Dans ses yeux, un mélange
troublant de gravité et de légèreté. D’ombre et de lumière. Et je ne parle pas de la
couleur, non. Je parle d’une lueur que je n’ai jamais vue chez quelqu’un. D’une lueur
qui me donne envie de plonger dans son regard et de ne jamais en sortir. Qui me
pousse à vouloir me rapprocher de lui, à lui poser mille questions, à en savoir plus
sur l’homme qu’il est en dehors du rôle qu’il se donne ici. Et là non plus, je ne parle
pas de la doublure et des cascades qu’il doit effectuer. C’est quelque chose de plus
profond, que je peine à définir, qui m’attire irrémédiablement. Quelque chose qui me
touche en plein cœur et qui me dépasse.

Ridicule.

Pathétique.

Je vais finir aussi bête que ses groupies.

– Monsieur McKay, avancez jusqu’au marquage, s’il vous plaît, dis-je d’un ton
professionnel. Nous allons faire les prises.

Le regard d’Alistair change. L’amusement reprend sa place.

– Monsieur McKay… vraiment ? ironise-t-il en me défiant.


– Pardon ? demandé-je, faisant semblant de ne pas avoir compris ce qu’il sous-
entend.
– Alistair. D’ailleurs, je ne sais même pas votre prénom.
– Amy, lâché-je tout en faisant un geste impatient de la main pour lui signifier
qu’il faut qu’il bouge.

Il attrape la bride de son cheval, avance lentement jusqu’à la marque orange peinte
sur le sol, dans une démarche nonchalante tout à fait naturelle. Nonchalante et
énervante. Je ne comprends pas pourquoi cet homme m’attire autant qu’il m’agace…
Instinctivement, je fais un pas sur le côté, pour mettre de la distance entre l’animal
et moi.

Ou entre Alistair et moi ?

L’équidé croise mon regard, hennit, et je manque encore de faire un arrêt


cardiaque.

– Amy comment ? insiste-t-il d’une voix chaude.


– Amy tout court, coupé-je net la discussion, tremblante.

Mon nom de famille est celui de ma mère. Il y a quatre ans, j’ai appris qui était mon
père. Dix-huit ans sans savoir que j’étais une Stetson, figure mythique de la joaillerie
à New York. J’ai pensé à changer mon nom de famille, tellement heureuse d’avoir
enfin un père, même s’il n’était plus de ce monde depuis longtemps, mais ne l’ai pas
fait, finalement. J’étais habituée à Thunder. Seulement, dès que je dis Thunder, tout
le monde fait le rapprochement avec ma mère. Et sans vouloir me plaindre, être la
fille d’une célébrité est un avantage, mais aussi un inconvénient. Et ici, en Écosse,
sur ce tournage, je ne veux pas qu’on sache qui est ma mère. Je veux évoluer sans
un nom de famille qui changera le regard que l’on porte sur moi et attire les amitiés
intéressées. Je ne veux pas être « la fille de ». Parce que « la fille de » a compris très
tôt que certaines personnes me trouvaient intéressante rien que pour ça. Des places de
concert gratuites, des entrées dans un monde pailleté, des photos avec « la fille de »
-– et avec ma mère – des autographes, des rencontres avec des stars, des privilèges.
Et tout ça m’a marquée. Conditionnée. Rendue méfiante. « La fille de » veut réussir
seule, en indépendante qu’elle est.

J’aurais pu me servir de son nom pour entrer dans le monde du cinéma. J’aurais
pu avoir un passe-droit, un piston, un tapis rouge sous mes pas. Mais c’est hors de
question !

– Original, « Tout Court », continue-t-il.


– Votre humour est au ras des pâquerettes, monsieur McKay.
– Alistair ! tonne-t-il d’une voix forte.

La voix d’Alan dans mon oreillette me donne un prétexte pour ne pas entrer dans
son jeu. Qui se terminera mal, de toute façon. J’adore avoir raison. Et lui aussi, à ce
que je devine. Donc, si nous commençons sur ce terrain-là, ça risque de durer des
heures.

– Monsieur McKay, insisté-je, le regard narquois, c’est bientôt à vous. Tenez-


vous prêt.

Sans lui laisser le temps de répondre, je m’éloigne tout en écoutant les instructions
du réalisateur à propos des figurants, puis m’adresse à eux.

– Vous devez imiter une scène de plusieurs familles. Des petits groupes qui
discutent çà et là.
Je les place tout en leur donnant les consignes. Être naturel, faire semblant de
parler mais seulement en chuchotant, ne pas regarder la caméra, sinon, nous serons
obligés de refaire la prise. Même si nous allons la tourner plusieurs fois de toute
manière, c’est toujours ainsi. Une fois les figurants en place, Alan me sommant de me
dépêcher, je rejoins Alistair. Alistair et son regard brûlant qui me couvre de frissons
des pieds à la tête, son épaule appuyée contre l’encolure de son cheval, une main
dans la poche.

– Vous avez une superbe autorité, pour un format miniature tel que vous, lâche-
t-il d’une voix grave.

Je crois que j’ai mal entendu.

Il y a intérêt, à ce que j’ai mal entendu !

Cela dit, comparé à lui, c’est certain que je ressemble à un Minimoy avec mon
mètre soixante et quelques…

Sans même relever sa remarque – sinon, je risque de m’énerver contre lui – je le


fais reculer d’un mètre.

– Vous connaissez votre scène, n’est-ce pas ? demandé-je, les dents serrées,
l’agacement envahissant mon esprit.
– Sur le bout des ongles, mademoiselle Tout Court, répond-il d’un air mi-grave,
mi-insolent. Mais si vous avez envie de me le rappeler, je suis tout ouïe.
– Montez à cheval. Ensuite, vous partez au galop et sautez l’obstacle là-bas. La
caméra est derrière vous, gardez les yeux sur l’héroïne qui sera assise près de la table,
s’il vous plaît.

Il hoche imperceptiblement la tête et enfourche son cheval avec une aisance


déconcertante. Malgré moi, j’admire encore sa musculature parfaite. Et je peux
entendre d’ici les gloussements des figurantes.

– Anna, l’héroïne principale de cette série, a besoin d’aide, vous volez à son
secours, continué-je. Une fois parvenu près d’elle, vous sautez à terre et courez la
rejoindre près de la table.

Alistair hoche la tête, sans répondre. Je m’attendais à une petite pointe d’humour,
une petite répartie ironique, cinglante, mais non. Je m’éloigne rapidement, tout le
monde est prêt.

– Le son est demandé ! m’écrié-je. Plus personne ne parle ! Et n’oubliez pas,


personne ne regarde la caméra !

J’attends que le top départ soit donné, recule encore.

– Ça tourne ! Monsieur McKay, allez-y !


Alistair donne un coup de talon à son cheval et celui-ci s’élance immédiatement
au galop. Je retiens ma respiration, hypnotisée par la chevelure du cascadeur qui vole
dans le vent, son corps qui se balance en parfaite harmonie avec l’animal imposant,
franchissant l’obstacle avec aisance. Dès qu’il arrive près de la table, sans même
arrêter sa monture, Alistair saute et se précipite vers l’actrice principale. Enfin, sa
doublure, pour le moment, puisque les acteurs ne sont pas encore présents.

– Coupez ! m’écrié-je dès que le réalisateur le dit dans l’oreillette. Reprenez votre
position initiale.

Et c’est là que je me rends compte que j’ai totalement oublié de vérifier que les
figurants jouaient bien le rôle demandé… Parce que mes yeux étaient rivés sur
Alistair. Je me réprimande intérieurement, préoccupée par cette erreur de débutante.

Et jure silencieusement qu’on ne m’y reprendra plus.

Je laisse ce rôle aux groupies.

J’ai une carrière à bâtir, moi…


3. La vie est pleine de surprises...

Après avoir tourné six fois la même scène, déplacé les figurants tout autant, Alan
déclare que c’est OK et qu’on enchaîne sur la suivante. Je souffle, soulagée. C’est
toujours un bonheur quand la prise correspond à ce que souhaite le réalisateur. Mais
surtout, j’espère vraiment qu’on va me délester de ce chien miniature qui s’agite de
plus en plus dans mes bras. Bien qu’il soit léger comme une plume, il est encombrant.
Et il a entendu la voix de son maître, il couine de nouveau…

J’invite donc les figurants à rejoindre les autres en retrait de la scène principale
et je pose quelques secondes Chouchou par terre, qui sautille comme un cabri. Je
conseillerais bien à Alan de l’attacher en laisse longue quelque part pour qu’il puisse
se défouler un peu, mais je n’ose pas vraiment. Dès que la boule de poils a fait ses
besoins – juste à côté de mes Docs – je rejoins l’équipe… Et Alistair avec son éternelle
posture nonchalante, un brin d’herbe entre les dents, tel un parfait Cowboy, son regard
posé sur moi, brûlant, troublant, dérangeant. Dérangeant parce que mon corps ne peut
s’empêcher de bouillir dès que ses yeux effleurent mon corps. Et il ne se gêne pas
pour me regarder intensément.

– Amy, tu places Calum pour qu’il s’élance vers Anna, m’informe Alan. Alistair,
vous pouvez remettre votre cheval où il était, s’il vous plaît ?
– Tout de suite, réponds-je, priant pour que le trouble que je ressens ne se voie pas.

Je cherche Stuart, j’aimerais vraiment lui donner le chien. Au bout de quelques


secondes, je l’aperçois avec les deux acteurs principaux, Calum Fraser, mondialement
connu, qui n’accepte de jouer qu’à condition qu’on garde son vrai prénom à l’écran.
Enfin, entre autres, parce qu’il est très exigeant sur plein de points.

Comme la plupart des acteurs…

Je ne connais pas l’actrice principale. Elle s’appelle Bonnie Linton et c’est son
premier grand rôle dans le cinéma.

Bonnie.

Tout un pan de ma vie…

Je regarde Stuart arriver avec les acteurs. Puis, fronce les sourcils. Plisse les yeux.
Secoue la tête, comme pour m’éclaircir l’esprit.

Ce n’est pas possible…

Une chevelure rousse abondante, un visage mutin, des yeux clairs, des taches de
rousseur, une silhouette frêle. Je dois rêver.
Bonnie.

Ma Bonnie !

Mon cœur se met à battre à cent à l’heure. J’ai du mal à croire ce que je vois : elle,
là, aujourd’hui ! Bonnie, que je n’aurais jamais pensé retrouver ici, sur ce tournage,
parcourt l’assemblée du regard, un peu intimidée par toutes les paires d’yeux posés
sur elle, un léger sourire sur les lèvres. Elle est très jolie dans sa robe vert foncé
d’époque et sa coiffure tressée qui met son visage en valeur. Je devine qu’elle jubile
d’avoir ce premier rôle puisque je sais que tourner des films pour le cinéma était
son rêve le plus cher. Je ne bouge pas d’un pouce, partagée entre la joie de la revoir
enfin, par cet incroyable hasard du destin, et l’appréhension de sa réaction. Six ans de
silence, ça laisse forcément des marques. Je ne sais donc pas si elle va apprécier de
me trouver ici alors qu’elle est sur le point de toucher son étoile du bout des doigts.

Quand son regard se pose sur moi, je perçois un mouvement de recul. Elle s’arrête,
son sourire se fige et ses yeux se plissent.

Surprise.

Amy, six ans plus tard.

Avec des cheveux bleus…

Et j’avais raison, elle n’est pas enchantée…

Stuart pose sa main dans le dos de Bonnie pour l’inciter à avancer. Nous ne
sommes pas en avance sur le planning, je sais que le réalisateur et son assistant sont
très stressés à cause de ça. Bonnie, les lèvres tout à coup pincées et d’une pâleur
fulgurante détourne le regard et va se placer près de la table, puis écoute les directives
de Stuart. Moi, je ne bouge toujours pas, complètement chamboulée par cette
apparition, mon cœur tombant en milliers de petites miettes sur l’herbe si verte de
l’Écosse. Savoir qu’elle n’a rien oublié et qu’elle n’est pas heureuse de me revoir me
donne presque envie de pleurer. Mais je ne peux pas me le permettre. Je ne pensais
pas recroiser son chemin comme ça, par hasard, même si je l’ai espéré des milliers
de fois. Tellement de fois. J’ai prié, négocié, demandé à la revoir, ne serait-ce qu’une
seule fois, pour pouvoir discuter du passé, m’expliquer, lui demander comment elle
va, retrouver notre complicité. Mais je crois bien que c’est la dernière chose qu’elle
espérait, elle. Et je ne peux rien contre ça, malheureusement.

– Le cheval ne va pas se placer tout seul, mini rebelle, retentit la voix aigre de
Stuart.

Je sors de ma bulle, lui fait un sourire crispé et me hâte de rejoindre Alistair qui
est déjà pile là où était le cheval dans la scène précédente.

– C’est parfait ! dis-je à l’intéressé. Vous pouvez attendre juste là-bas, au cas où
il faudrait le déplacer un peu.
Alistair pose sur moi son éternel regard brûlant et un sourire charmeur étire ses
lèvres.

– À vos ordres, mademoiselle Tout Court.

Je ferme les yeux deux secondes, souffle lentement.

– On vous a déjà dit que les blagues les plus courtes étaient les meilleures ?
rétorqué-je, acide.

L’étonnement se lit sur ses traits. OK, je crois que j’ai été un peu trop virulente.
Ou que mon sens de l’humour est vraiment parti se cacher quelque part. Mais avoir
vu Bonnie et me rendre compte que sa réaction n’est pas à la hauteur de la mienne
me fait un mal de chien. Une torpille dans le cœur, un gros poids dans la poitrine,
une boule étouffante dans la gorge.

D’ailleurs, en parlant de chien…

– Vous pouvez me tenir ce petit truc un instant, s’il vous plaît ? demandé-je d’un
ton plus aimable à Alistair. Je dois aller chercher l’acteur.
– Mais avec plaisir, dit Alistair en tendant les bras. Il est parfait pour vous, ce
Toy dog.

Cette fois, je ne réponds rien. Ni que ce n’est pas mon chien, ni que ses blagues
ne m’amusent pas. Il faut que j’assure ce tournage, démons du passé refaisant surface
ou non. Parce que revoir Bonnie me rappelle tous les bons moments que nous avons
passés ensemble, mais aussi tout ce que j’ai mis des années à oublier. À tenter
d’oublier. À calfeutrer sous des questions, des si, des pourquoi et des réponses que je
n’ai jamais eues et que j’ai dû inventer pour ne pas mourir de tristesse. L’amitié est
vraiment une ancre dans la vie. Bonnie était mon ancre dans le monde tumultueux
et décalé de la musique. Mon pilier, mon âme sœur, ma moitié. Nous étions toujours
ensemble. Nous ne faisions rien l’une sans l’autre. Sa famille était devenue la mienne,
et la mienne, la sienne. Jusqu’à ce jour maudit…

– Calum, bonjour, m’adressé-je à l’acteur principal qui porte les cheveux aux
épaules et darde sur moi un regard bleu perçant. Je suis Amy, vous venez avec moi ?
– Enchanté, mademoiselle, répond-il avec un sourire charmeur. Je suis tout à vous.

Je hoche la tête et l’entraîne près du cheval, – enfin, pas trop près non plus – sous
le regard ardent d’Alistair qui ne perd pas une miette de notre échange, Chouchou
dans les mains. Le petit chien semble encore plus minuscule que d’ordinaire dans les
bras de ce géant. Calum et Alistair se saluent d’un hochement de tête typiquement
masculin, un peu empreint de concurrence, je crois, leur regard s’accrochant quelques
secondes. J’ai entendu dire que Calum n’aimait pas que sa doublure soit plus
charismatique que lui. Pas que je compare, non… Enfin si, un peu quand même.

Un peu beaucoup ?
– La scène va débuter alors que la doublure a sauté du cheval, expliqué-je. Vous
devrez courir vers Anna et vous précipitez sur elle, elle s’est tordu la cheville. Ayez
l’air paniqué.
– Bien. Je crie son prénom ?
– Attendez, je demande.

Je saisis mon micro et pose la question au réalisateur. C’est Stuart qui me répond.

– Tu ne sais pas lire une fiche ? tonne sa voix acerbe.

Les fiches. Merde, je ne sais pas où je les ai posées ! Et allez, deuxième erreur ! Je
cherche autour de moi, regarde rapidement là où s’est tournée la dernière scène, puis
me rappelle la poche ventrale de mon sweat, accroché à mes hanches. D’un geste, je
remonte mon vêtement et découvre les fiches enroulées dedans.

En plus de commettre des erreurs, je perds la mémoire !

– Si, si, c’est OK, dis-je à Stuart. Nous sommes prêts !

Bon, pas encore prêts. Mais presque. Je lis la scène, Calum doit en effet crier le
prénom de l’héroïne.

– Vous devez donc avoir l’air affolé, vous précipiter vers Anna en criant son
prénom, indiqué-je à Calum. La scène s’arrêtera une fois que vous serez penché sur
elle, ensuite, la prise sera un plan serré. Tout est OK pour vous ?
– C’est parfait, répond-il en s’échauffant comme s’il allait participer à un combat
de boxe, sautillant et frappant dans ses mains.
– Bien. Je ne suis pas loin, si vous avez besoin de moi.
– Je m’en souviendrai, dit-il avec un clin d’œil et un grand sourire.

Je m’éloigne, amusée. Observe Alistair – et son petit sourire en coin – tendre les
rênes à Calum qui les attrape sans un mot. Je frissonne rien qu’à l’idée de devoir tenir
un jour cet animal. Même par un bout de cuir… L’acteur principal ne semble pas le
moins du monde impressionné, contrairement à moi.

Calum est un homme avec un charme fou, qui séduit comme il respire. Il fait
régulièrement la une des journaux, avec, à son bras, une compagne différente à chaque
soirée. Je comprends pourquoi. Il est beau – incontestablement – et en joue
énormément. Je n’imagine même pas la réaction des figurantes lorsqu’elles seront
amenées à être près de lui.

Et la galère pour les empêcher de faire des selfies à tout va…

– Vous avez d’autres scènes aujourd’hui ? demandé-je à Alistair alors que je me


place à côté de lui, la chaleur émanant de son corps envahissant le mien aussitôt.

Chouchou, jusque-là bien sage dans ses bras, émet un jappement. Le cheval,
pourtant à quelques mètres, réagit et tourne aussitôt la tête vers nous. Je n’ose plus
faire un geste, paniquée à l’idée qu’il pourrait se sentir menacé et nous foncer dessus.
Mais il détourne aussitôt son attention, comme si la microscopique chose que vient
caresser la main d’Alistair ne méritait pas son intérêt. Je souffle, soulagée.

– Non, pas d’autre doublure ou de cascade pour la journée. Mais je suis obligé
d’être sur le qui-vive si jamais je dois remplacer l’acteur au pied levé. Et je gère les
chevaux, également, m’explique-t-il de sa voix grave. Pourquoi, vous avez quelque
chose à me proposer ? Une chute express ? Un autre chihuahua à garder ? Un hamster
à nourrir ?
– Quoi ? m’écrié-je, mes joues s’empourprant aussitôt. Mais non ! Absolument
pas ! Je…

Alistair affiche un grand sourire et ses yeux ébène pétillent d’amusement. OK, je
me suis encore fait avoir. Je le déteste ! Vraiment ! Et sa beauté m’exaspère au plus
haut point. Cet étalage de testostérone est horripilant !

Même s’il ne semble pas le faire exprès…

Je hausse les épaules pendant que le rire discret – mais ô combien agréable –
d’Alistair résonne. Puis, je me concentre sur le tournage. De là où je suis, j’observe
Bonnie s’installer à côté de la table en bois, assise par terre, sa robe formant une
corolle autour d’elle. Une personne place son jupon pour que sa cheville dépasse, et
elle se penche déjà dans la position qu’elle doit avoir, blessée par une chute. Mon
cœur se pince encore plus, puis Alan annonce la prise imminente.

– Le son est demandé. Silence ! m’écrié-je.

D’accord, il n’y a que Calum et Alistair et ils ne vont pas discuter ensemble
puisqu’ils sont éloignés. Mais c’est comme ça que nous fonctionnons, nous
annonçons le son, puis la prise.

– Ça tourne !

Calum se redresse, comme s’il avait réellement sauté du cheval, puis s’élance
vers Bonnie qui grimace en se tenant la cheville. Il crie son prénom, puis s’agenouille
auprès d’elle. Le réalisateur coupe, puis se rend vers Calum pour probablement lui
donner des directives. Je ne suis pas en face de lui, je ne peux donc pas me rendre
compte s’il jouait bien ou non, mais je ne peux que constater qu’il a une présence
remarquable. Une aura d’acteur, indéniablement.

Un magnétisme impressionnant.

Tout comme la doublure qui se tient très près de moi et qui caresse avec douceur
le petit chihuahua qui s’est lové dans ses bras…
4. La réalité est bien plus triste que la fiction...

Après quatre prises, Alan décide que c’est bon. Nous allons enchaîner sur la
suivante. Les figurants ne sont pas requis et, après avoir récupéré Chouchou, je les fais
patienter en leur permettant d’aller boire une boisson chaude sous la tente réservée
pour ça. Ils ne se font pas prier. Enfin, sauf ceux qui approchent Calum et Bonnie
pour leur demander des autographes, des photos, la bise. Je laisse faire tant que l’un
et l’autre ne montrent pas de signes d’agacement.

Et bizarrement, ça me dérange beaucoup moins que lorsqu’il s’agissait d’Alistair.

Vite, une bonne nuit de sommeil !

Ou une averse gelée pour me remettre les idées en place…

Alors qu’Alan explique ce qu’il attend de la prochaine scène, j’observe Alistair


et son cheval qui marchent tranquillement pour rejoindre l’enclos. Sans m’en rendre
compte, je me surprends à avoir froid. Pas le froid que j’espérais de l’averse
torrentielle pour reprendre mes esprits, non, un froid intérieur, un vide, un manque,
comme si on tirait sur un fil au creux de mon ventre.

Comme si Alistair, en s’éloignant, emportait quelque chose que j’ignorais


posséder…

Je remonte Chouchou près de mon cou et le papouille. Il répond instantanément


en me léchant le visage, surexcité. Je ris, grimace, le caresse encore un peu et l’écarte
pour qu’il arrête. Je me rapproche des acteurs, demande aimablement aux figurants de
retourner à leur place, écoute Alan qui explique aux cameramen ce qu’il attend d’eux
pour la prochaine scène. Ce sera la dernière. La nuit va bientôt tomber, le ciel est de
plus en plus sombre, et Calum a décidé qu’il était fatigué et qu’il ne souhaitait pas
attraper froid. Stuart demande à quelqu’un d’aller lui chercher une couverture pour le
couvrir en attendant que l’on tourne, puis se renseigne auprès de Bonnie pour savoir
si elle souhaite également en avoir une. Elle rougit un peu, le remercie, lui dit que ça
va pour elle. Je reconnais sa timidité discrète, sa façon de ne pas vouloir s’imposer,
même si le métier qu’elle a choisi demande une assurance hors norme. Du moins,
pendant le tournage. Mais pour l’avoir vu jouer des centaines de fois dans des pièces
de théâtre avec la compagnie qu’elle avait intégrée alors que nous étions adolescente,
je sais qu’elle se transforme lorsqu’elle doit endosser un rôle. J’ai d’ailleurs toujours
été admirative de ce changement soudain, comme si c’était une autre personne en
face de moi, que je ne connaissais pas, comme si le monde extérieur disparaissait
et qu’il ne restait qu’elle et le rôle qu’elle prenait. J’ai aussi vu ça avec ma mère
lors de ses concerts. Ce n’était plus ma mère, cette personne bienveillante, douce et
attentionnée. C’était Sky Thunder, une rock star au talent incontestable, une femme
que je redécouvrais à chaque concert et qui m’émerveillait.

Alan ordonne à tout le monde de se mettre en place. Chouchou couine en


entendant sa voix et se débat pour le rejoindre. Je le calfeutre plus fermement dans
mes bras, cache son visage de ma main, lui chuchote que dans quelques minutes, il
pourra rejoindre son maître et passer le reste du temps avec lui. Je ne sais pas s’il
me comprend, mais je tente quand même. Je vérifie également autour de moi que
personne ne m’entend. Pas que parler à un chien me ferait passer pour une personne
bizarre… mais presque.

La scène débute, je me poste le plus près possible de l’action. Calum aide Bonnie
à se relever, non sans avoir examiné sa cheville avant. C’est une scène tendre,
empreinte de sensualité, le début du rapprochement entre les deux acteurs. Malgré le
pincement dans mon cœur, toutes les questions que je me pose au sujet de notre amitié
brisée, sa réaction qui m’a blessée, je suis vraiment heureuse pour elle. Et émue. Pour
elle. Pour moi. Parce que si son rêve était de devenir actrice, le mien était de devenir
réalisatrice. Même si je ne le suis pas encore, pas vraiment, pas tout à fait, j’ai les
deux pieds dedans. Et sans l’aide de personne. « La fille de » n’a pas sa place ici, elle
est renvoyée dans mon passé, là où je décide qu’elle y restera désormais.

Je trouve complètement fou que la vie nous ait réunie toutes les deux dans ce
premier pas vers nos désirs les plus chers. C’est hallucinant, non ? Nous ne nous
sommes pas parlé depuis des années, et aujourd’hui, ce film nous rassemble. Alors
que j’ai passé des heures, des jours, des nuits entières à chercher Bonnie sur les
réseaux sociaux, dans les contacts de nos amis communs de l’époque, dans les
annuaires. Mais elle avait complètement disparu. De ma vie et de la planète Terre.
Enfin, virtuellement, du mois. Aucune trace d’elle.

Jusqu’à aujourd’hui…

Et j’espère que ce hasard va nous permettre de nous réconcilier !

Je secoue la tête pour évacuer toutes les pensées qui s’entrechoquent dans mon
cerveau et me concentre sur ce qu’il se passe autour de moi.

Bonnie est nerveuse, mais resplendissante. Je la vois prendre de larges


inspirations avant que le clac de début ne la projette dans le rôle qu’elle doit jouer.
Et elle se débrouille magnifiquement bien. Aussitôt le silence demandé, la caméra en
action, elle entre dans la peau d’Anna, une femme qui se bat pour son indépendance,
contre les hommes, contre les lois, contre les habitudes, contre la morale. Bon, pour
le moment, elle s’est foulé la cheville et c’est l’homme qui lui en fait le plus baver
dans la série qui vient à son secours. Mais elle excelle. On dirait que ce rôle a été
écrit pour elle.

Et je ne doute pas une seule seconde du succès qu’elle va avoir…

Aussitôt la scène terminée, Alan annonce la fin de journée. Les visages tendus se
décrispent, les voix sont haut perchées, plus besoin de garder cette ambiance feutrée
que l’équipe instaure pour ne pas gêner le réalisateur. Cela dit, il crie bien plus fort
que les autres, aucun risque qu’on ne l’entende pas. Enfin, il crie quand tout va bien.
Quand rien ne va, il hurle…

Calum ne demande pas son reste et s’en va. Je rends avec soulagement Chouchou
à son propriétaire, qui s’empresse de l’embrasser. Chouchou est comme un dingue,
on dirait qu’il n’a pas vu son maître depuis des mois ! Il s’agite frénétiquement, lèche
les mains et le visage d’Alan, aboie et couine en même temps. Je souris, masse mes
bras ankylosés et rejoins les figurants pour les remercier de leur implication et leur
demander d’aller signer leur fiche de présence auprès de la personne qui s’en occupe.
Une partie du petit groupe ne bouge pas, leur regard au-dessus de mon épaule.

– Anna ! Une photo, s’il vous plaît ! entends-je.

Je me retourne. Bonnie est à quelques pas, hésitante. Je ne sais pas si c’est à cause
de moi qu’elle ne s’approche pas plus, mais je devine qu’elle est partagée entre son
désir de répondre aux sollicitations des gens et celui de m’éviter. Alors je m’écarte,
le cœur encore plus en lambeaux.

J’ai appris que les histoires d’amour pouvaient faire mal, mais les histoires
d’amitié aussi, incontestablement…

Bonnie s’avance vers les personnes qui se font du coude à coude pour
l’immortaliser avec leur téléphone portable. Début de la gloire ! Elle répond à toutes
les demandes avec bienveillance, sourit, signe quelques autographes, manifestement
heureuse de l’engouement du public pour son premier jour de tournage. Je vérifie
d’où je suis que les personnes qui lui demandent son attention restent sympas, je ne
voudrais pas qu’elle soit choquée par leur fougue, ou bousculée. Et qu’elle puisse
repartir tranquillement dès qu’elle en aura envie.

Tout à coup, la petite foule se détourne de Bonnie.

– Alistair ! Une photo !

Et c’est reparti pour un tour…

Pas que je sois fatiguée d’avoir couru partout aujourd’hui, mais un peu quand
même. Je retiens un bâillement, la bruine tombe sur le paysage qui s’étend à perte
de vue, arrêté par des montagnes majestueuses au loin, et, plus bas, l’océan d’un gris
profond. Je hume l’air froid de l’Écosse en resserrant les bras autour de ma poitrine,
toujours autant reconnaissante de me trouver ici, sous les ordres du célèbre Alan
Middle. D’autant plus que mon premier travail concerne une série romanesque
historique et j’adore cette période des années mille huit cent, tous les changements
qui se sont ancrés petit à petit, et la façon dont certaines femmes ont commencé à
reprendre le pouvoir de leur vie.

Comme moi.
Laisser « la fille de » là où elle est le mieux : dans mon passé.

Et décider de qui je veux être maintenant…

Alistair, grand sourire sur ses lèvres ourlées, me jette un regard énigmatique. Je
n’arrive pas à deviner ce qui se trame dans sa tête, ou même si je suis réellement visée,
car je ne peux nier que je deviens un peu méfiante avec lui. Je m’attends toujours à
une remarque, une blague débile, une provocation de bas étage.

Sans m’adresser un seul mot, il me frôle et va se poster près de Bonnie. Je réprime


le frisson qui remonte le long de ma colonne vertébrale. Et le soupir qui reste bloqué
dans ma poitrine.

Et le sentiment de jalousie – totalement insensé – qui m’envahit alors que les


femmes s’empressent de se coller contre lui…

Je détourne les yeux pour observer les derniers meubles du décor extérieur
disparaître à l’intérieur de la ferme puis les pose de nouveau sur le couple
Bonnie/Alistair formé juste pour le plaisir des figurants qui les harcèlent de questions,
tout en espérant que ce soit bientôt fini.

Juste parce que j’ai froid, hein…

Si Bonnie fait comme si je n’existais pas, comme si je n’avais pas été sa meilleure
amie pendant seize ans, Alistair croise mon regard régulièrement. Je ne peux me
détacher de l’emprise que ses prunelles sombres ont sur moi. Une emprise troublante
et totalement irrationnelle.

– Amy, tu viens avec nous ? me sort de mes pensées Carolyn, l’assistante


cameraman. Nous allons au bar du village boire un verre.

Heureuse d’avoir autre chose à regarder que cet insolent Alistair, je me tourne
vers elle. Je ne la connais pas, mais le peu d’échanges que nous avons eu à propos
du tournage a été très sympathique. Juste quelques mots ici et là mais assez pour me
faire une opinion favorable de sa personnalité.

– Pourquoi pas, oui, merci, dis-je.


– Super ! Rassemble tes figurants, on part d’ici quinze minutes, m’indique-t-elle
avec un clin d’œil, visiblement compatissante.
– Ça marche ! Tous les figurants ! m’écrié-je. C’est l’heure, chacun rentre chez
soi ! Allez signer vos fiches, on ferme !

Heureuse de mettre fin à cette journée, et sans m’arrêter sur les grognements et
les encore cinq minutes ! que j’entends, je les presse de rentrer dans le bâtiment pour
pouvoir enfin souffler un peu. Alistair rejoint Alan et Stuart, un peu en retrait, non
sans m’adresser un petit sourire énigmatique avant de me tourner le dos.
Frissons…

Alors que Bonnie s’apprête à regagner sa loge, je me précipite vers elle. C’est le
moment ou jamais…

– Bonnie, on peut discuter deux minutes ? demandé-je à voix basse tout en lui
attrapant le bras, afin de ne pas attirer l’attention sur nous, la voix un peu tremblante
et le cœur en apesanteur.

Le regard qu’elle darde sur moi me refroidit instantanément.

– Ne me touche pas, Amy, crache-t-elle en se dégageant. Et ne me parle pas !


– Bonnie, continué-je quand même, blessée. Deux minutes. Tu ne peux pas…
– Je peux ce que je veux, énonce-t-elle calmement d’une voix glaciale. Je t’ai
rayée de ma vie il y a six ans, Amy et ce n’est pas parce qu’on est sur le même
tournage que je te dois quelque chose. Tu as ruiné ma vie et celle de ma famille, alors
ne me demande pas de te parler, d’accord ? Tu n’es plus rien pour moi, tu entends ?
Plus rien !
– Mais… balbutié-je, des larmes plein les yeux.
– Si tu me parles encore, je me plains auprès du réalisateur. Et ne t’avises pas de
révéler qui je suis auprès de l’équipe, parce que je te jure que je te le ferais payer.
Tu nous as fait assez de mal, alors maintenant, fous-moi la paix ! Et fais comme si
tu ne me connaissais pas ! C’est clair ?

On ne peut plus clair, oui…


5. Bienvenue en Écosse !

Je me réfugie dans la voiture que m’a louée la production dès que les figurants
sont entre d’autres mains que les miennes. La douleur que je ressens au cœur est si
puissante, si violente, si dévastatrice que ce ne serait pas pire si on m’avait planté un
poignard à l’intérieur.

Je vérifie qu’il n’y ait personne qui approche de ma voiture – au hasard Alistair,
jamais très loin – et laisse les larmes couler sur mes joues sans même les essuyer. Je
suis peinée et en colère. Peinée par sa réaction, et en en colère parce qu’elle refuse
de m’écouter. Elle n’essaie même pas de faire un pas vers moi, comme si tout ce que
nous avons partagé pendant des années n’avait aucun poids. Mes pleurs redoublent
d’intensité, me faisant hoqueter. Avec difficulté, j’insère la clef, mets le contact et
fais démarrer la voiture.

Finalement, je ne suis pas persuadée qu’aller dans un bar soit judicieux.

Ou alors, si. Ça me changera les idées…

Des milliers de fois, j’ai imaginé mes retrouvailles avec Bonnie, si jamais cette
opportunité arrivait. Je l’avais idéalisée, fantasmée, enjolivée, mais jamais ce qui
s’est passé il y a quelques instants ne m’était venu à l’esprit. Que Bonnie ne soit pas
enthousiaste sur le moment, ça, je pouvais le prévoir. Mais qu’elle soit aussi virulente
et glaciale, ça échappe à ma compréhension. Mon cœur ne peut pas le supporter.
L’appréhender. C’est comme si notre amitié se brisait une seconde fois, brutalement,
violemment.

Irrémédiablement…

Je roule lentement, sans même apprécier les derniers rayons du soleil qui percent
la brume pour venir se poser çà et là sur l’herbe mouillée, l’éclairant d’un halo doré,
comme si on avait installé des spots dans le ciel et décidé quelle parcelle on allait
illuminer. Ce pays a indéniablement quelque chose de magique. Chaque paysage
change d’une minute à l’autre, créant une atmosphère enchanteresse. Plus loin, au
bout de la route, un arc-en-ciel magnifiquement dessiné se profile. Je décide de voir
ça comme un signe positif. Un signe qui me murmurerait que rien n’est perdu avec
Bonnie, qu’il faut que je m’arme de patience et nous pourrons enfin nous expliquer.

Je sèche mes larmes, bien décidée à ne pas me laisser abattre. C’est vrai, je suis
ici pour propulser ma carrière et je refuse que des éléments extérieurs – si importants
et personnels soient-ils – ruinent mes chances de me faire un nom dans ce monde si
cloisonné du cinéma.
Je suis la petite route sinueuse qui descend dans le village d’Elgol, laisse mon
regard se perdre sur l’horizon et son océan apaisant, vérifie qu’une horde de moutons
ne traverse pas la chaussée soudainement puis me gare devant le bar, qui fait aussi
hôtel. D’ailleurs, certains membres de l’équipe sont ici, à ce que j’ai compris, dont
qu’Alan.

Je prends le temps d’examiner dans le rétroviseur intérieur que mon mascara n’a
pas coulé, me recoiffe rapidement, me demande si Alistair a été convié à cet apéro
improvisé. Puis, me reprends en me persuadant que ça m’est égal. Complètement
égal. TOTALEMENT égal. Dès que j’entends d’autres voitures arriver, je sors en
espérant que mes yeux rouges n’attireront pas les questions. Cela dit, tout le monde
est fatigué, j’ai une excuse toute trouvée.

Le bar The Cavern porte bien son nom. Une haute bâtisse de vieilles pierres à
l’allure ancestrale digne d’un film historique. J’adore ce côté typique de l’Écosse, le
patrimoine incroyablement bien préservé, l’absence de complexes hôteliers malgré
le tourisme important. Ici, on a l’impression que rien n’a bougé depuis des siècles.

Même si je ne sais pas exactement comment était l’Écosse il y a des centaines


d’années…

Carolyn m’interpelle joyeusement, et toute la bande sort des voitures et des


minivans. Je ne connais pas encore tout le monde par leur prénom, une soirée est une
très bonne idée pour se rapprocher. L’esprit d’équipe est important sur un tournage,
cela ajoute à la bonne réalisation du film. Même si je n’ai perçu aucune discorde
pour le moment – excepté le caractère de Stuart l’éternel mal luné – plus nous serons
proches, mieux ça se passera.

– Alan se joint à nous, m’informe Carolyn discrètement. On va voir si le whisky


le rend plus calme.
– Tant que je ne dois pas m’occuper de Chouchou, je n’y vois pas d’inconvénient,
dis-je en riant de bon cœur. Tu sais si les acteurs viennent ?
– Non, pas que je sache. Calum était fatigué, Bonnie n’a rien dit et les autres
étaient encore dans leur loge. On leur a proposé, ils choisiront.

Et Alistair ?

Non, rien…

Nous sommes accueillis par un grand gaillard en kilt vert et rouge, barbe rousse
jusque sur sa poitrine, longs cheveux ébouriffés. Carolyn lâche un « waouh »
absolument pas discret et les commentaires – gentils – vont bon train. C’est la
première fois – excepté un joueur de cornemuse dans la ville d’Edimbourg – que je
vois une personne avec un costume traditionnel et je suis franchement amusée. Je ne
savais pas que certaines personnes portaient encore le kilt, autre que pour le folklore !

– J’adore les mecs en kilts, me glisse – doucement, cette fois – Carolyn. C’était
mon principal fantasme quand j’ai appris que je venais tourner en Écosse.
Je ris toujours et détaille le barman qui nous invite à nous installer autour d’une
énorme table en bois. On le dirait tout droit sorti d’un roman de highlanders avec son
visage épais et ses larges épaules.

– Il ne lui manque qu’une épée, dis-je à Carolyn.


– Je kiffe, je kiffe, je kiffe ! s’emballe-t-elle. Regarde s’il a une bague. Je veux
savoir s’il est célibataire ! Tu crois que je peux le prendre en photo ?

Je n’ai pas le temps de vérifier s’il est marié, le géant est retourné derrière le bar
servir des clients qui ont levé leur chope en le regardant. Tout en m’installant d’un
côté de la table, j’apprécie la déco très hétéroclite du bar. De vieux tableaux de
paysage en noir et blanc avec seulement un éclat de couleur par endroits,
l’incontournable photo du monstre du Loch Ness, des instruments de musique
accrochés çà et là, des panneaux lumineux, des fanions et des guirlandes multicolores.

– J’ai des copines qui ramènent toujours des magnets de leur voyage, continue
Carolyn, surexcitée. Moi, je veux ramener un highlander. Un vrai ! Comme celui-là !

Je me garde de lui dire que si ça se trouve, il est anglais. Elle a l’air tellement
enthousiasmée ! J’apprécie beaucoup ce changement d’ambiance, mes soucis sont
relégués bien loin dans mes pensées.

Et un certain Alistair aussi.

Enfin, pas tout à fait.

Comme si je pouvais oublier sa présence aussi facilement…

Une personne de l’équipe décide que nous allons goûter le whisky et tout le monde
l’acclame. Je ne suis pas fan des alcools forts, mais étant curieuse, je décide d’en
boire un verre. Après tout, ce serait dommage de ne pas tester les saveurs de l’Écosse.
Le serveur qui revient vers nous acquiesce. Il nous conseille également le Haggis,
spécialité régionale. Je ne connais pas ce plat, mais mon estomac répond pour moi et
j’accepte aussi. Certains refusent catégoriquement, je me tourne vers Carolyn.

– Tu connais ? demandé-je.
– Non. Mais je vais tester, répond-elle avec un clin d’œil. Je ne voudrais pas fâcher
monsieur Muscle à la barbe folle.

Prise d’un fou rire, j’observe de nouveau le highlander version moderne qui
prépare notre commande. C’est vrai que ses muscles apparaissent sous son tee-shirt
blanc moulant. Ce n’est pas du tout mon genre et la broussaille qui lui sert de cheveux
et barbe n’est pas du tout à mon goût.

Mais les goûts et les couleurs…

Alan fait son apparition, Chouchou entre les mains. Il salue tout le monde et
s’installe en bout de table. Il dépose le petit chien à terre, qui s’empresse de faire le
tour des gens présents. Arrivé vers moi, il me lèche les mains, remue la queue, les
oreilles en arrière comme si j’étais son amie depuis toujours et qu’il ne m’avait pas
vue depuis des jours. Il me fait la fête quelques instants puis s’empresse de se faufiler
sous la table, la truffe au ras du sol, probablement en quête de nourriture échouée à
nos pieds par de précédents clients. Je souris, attendrie. Ce chien est vraiment chou !

Je prends le temps de dévisager chaque professionnel du cinéma assis, tentant de


deviner (pour ceux que j’ai l’impression de ne pas avoir encore croisés) dans quelle
branche ils exercent. Parce que prise par les impératifs, je ne fais pas toujours
attention à mes collègues. Et même, je n’ai pas vraiment de mémoire photographique,
les visages s’effacent de ma mémoire aussi vite qu’ils sont apparus, ce qui me vaut
quelquefois des grimaces de la part de ceux qui eux, me reconnaissent. Mais je n’y
peux rien, ça a toujours été comme ça. La discussion tourne bien évidemment autour
du tournage, du jeu des acteurs, et d’un coup, dévie sur Alistair. Malgré moi, je tends
l’oreille, priant pour que Carolyn n’ait pas quelque chose à me dire. Parce que je ne
sais rien sur cet homme et j’ai très envie d’en savoir plus.

Juste par curiosité, hein…

– Ah, c’est vrai qu’il est plutôt sexy, le cascadeur, me glisse Carolyn, mais pas
assez brut de décoffrage, je trouve.

Je ricane sous cape. Je peux lui certifier que si, il est brut de décoffrage. Mais je
ne dis rien, je hoche la tête et continue d’écouter ce qui se dit.

– C’est une chance qu’il ait accepté de tourner, explique quelqu’un. Il refuse
beaucoup de contrats. Il faut vraiment qu’il ait un feeling avec le réalisateur, n’est-
ce pas Alan ?

Alan approuve, fier que cet énigmatique Alistair fasse partie de l’équipe.

Ah oui ? Monsieur est difficile ?

Étonnant, tiens…

– Si son nom apparaît à l’écran, sûr que le film sera un succès, explique une autre
personne. C’est dingue comme il a un public déjà conquis, pourtant, on ne le voit
pas vraiment.
– Il a sauté d’une falaise à 16 ans. Soixante mètres ! Plus de deux fois la distance
de la compétition de plongeon de haut vol la plus extrême. Il a mis la vidéo sur les
réseaux sociaux. Depuis, il est sans cesse demandé. C’est un héros des temps
modernes.
– Un malade, ouais ! lâche une femme en grimaçant. C’était hyper dangereux !
– Il a réussi haut la main ! Et ça a lancé sa carrière de manière phénoménale.
– N’empêche que…

Je repars dans mes pensées. J’ignorais totalement ce pan de sa vie. D’accord,


j’ignore tout de sa vie. Mais tout de même, je ne le pensais pas si… quoi ?
Inconscient ? Accro aux sensations extrêmes ? Complètement fou. Ouais, c’est ça,
complètement fou. La femme a raison, c’est totalement dangereux, de faire ça.

Il va quand même falloir que je trouve cette vidéo…

J’attrape mon portable pour vérifier les informations que j’entends sur ce fameux
Alistair McKay même si ce n’est pas très convivial. Mais ça me démange. J’ai besoin
de savoir si cet homme est réellement une tête brûlée. Malheureusement, je n’en ai
pas le temps, le serveur arrive avec nos verres. Les commentaires sur Alistair cessent
illico, les verres cheminent jusqu’au bout de la table, une forte odeur de whisky se
répand autour de nous.

Finalement, je ne suis pas sûre d’aimer…

Puis les assiettes arrivent. Avec, à l’intérieur, une grosse boule couleur chair
ouverte en son centre, d’où déborde de la viande, le tout posé sur des feuilles de
salade. L’odeur est encore plus forte que celle de l’alcool. Et le mélange des deux
est assez déroutant. Pour ne pas dire écœurant. Je regarde de plus près mon assiette,
remarque que ce qui entoure la viande ressemble à… un gros boyau.

– Carolyn, chuchoté-je, c’est quoi exactement le haggis ?


– De la panse de brebis farcie, évidemment, répond mon voisin de gauche, un
homme qui travaille au décor, je crois.
– Ah. D’accord. Merci.
– Tu vas voir, c’est délicieux ! continue-t-il en enfournant une grosse bouchée
entre ses lèvres. Un régal !

Je l’observe mâcher quelques secondes, puis boire une bonne rasade de whisky.
Peut-être que c’est ça la solution, noyer le goût de la viande avec de l’alcool.
D’accord, je n’ai pas encore goûté, mais je n’aime pas le mouton, je devine que je
ne vais donc pas apprécier la brebis…

Mais pourquoi je ne me suis pas renseignée avant, aussi ?!

– Tu goûtes la première ? murmuré-je à Carolyn ?


– Je vais vomir, m’annonce-t-elle en plissant le nez.
– C’est énorme, en plus, comment on va faire pour cacher ça ?
– Ça pue !
– On devrait commencer par le whisky, non ? proposé-je.
– Tout à fait d’accord !

De concert, nous saisissons nos verres et buvons une gorgée. Je manque de tout
recracher tellement c’est fort ! Je tousse, bave à moitié, m’essuie avec ma serviette
et vérifie que personne n’a remarqué ma réaction.

– C’est pas pour les fillettes, hein ! lance le highlander depuis le bout de la table
en me fixant, fier de lui.
Loupé pour la discrétion…

Tous les regards convergent sur moi, bien sûr, ce qui empourpre mes joues. Pour
donner le change – et le contredire – je m’arme de mon plus beau sourire et refais
une tentative. Lentement, cette fois, je bois un peu. Le liquide me brûle tout autant
la gorge mais je reste digne et ne vomis pas mes tripes sur la table. Il hoche la tête,
visiblement content, et part vaquer à ses occupations.

– Finalement, je te déconseille le barman, dis-je à Carolyn. C’est un gros macho !


– Ouais, je sais, hausse-t-elle les épaules en riant. Mais j’aime les machos !
– Tiens, il te regarde, d’ailleurs, tu devrais manger le truc dégueu dans ton assiette,
sinon, tu vas le vexer ! m’amusé-je.

Carolyn ne vérifie même pas si je dis vrai et se jette sur sa fourchette, qu’elle
plante dans la viande et porte à sa bouche. Presque aussitôt après, elle attrape son
verre et boit une longue gorgée de whisky.

– Fameux, dit-elle d’un ton qu’elle espère sûrement sérieux. Tu devrais essayer.

Je ne suis pas dupe mais décide de goûter quand même. J’ai dit que je voulais
tester toutes les saveurs de l’Écosse, la nourriture – aussi repoussante soit-elle – en
fait partie. Difficilement, je prends une minuscule portion, retiens ma respiration et
la porte à mes lèvres. Le goût aussi fort que je l’imaginais me donne un haut-le-cœur.

Je savais que je n’aimais pas !

Pourquoi je tente quand même ?

L’odeur ne va JAMAIS me quitter…

Comme Carolyn, je saisis mon verre et tente de noyer le tout avec l’alcool. Ça
marche. Un peu…

– Tu n’aimes pas ? me demande mon voisin comme si je venais de bafouer


l’essence même de ce beau pays.
– Je suis végétarienne, dis-je sans réfléchir. J’avais oublié.

Il me regarde bizarrement et tourne la tête. Normal.

– Tu en veux ? lui proposé-je. Je t’en donne volontiers.


– Merci, mais je suis repu, déjà.

Dommage…

– Je ne peux vraiment pas manger ça, déclaré-je à Carolyn en repoussant un peu


mon assiette. Je suis sûre que je vais être malade, sinon.
– Pareil, assure-t-elle.
Et c’est là que j’ai l’idée du siècle. Pile au moment où j’aperçois la petite boule
de poils blanche surexcitée par l’odeur, qui tourne comme un lion en cage entre nos
pieds. Je rapproche mon assiette, en pioche un peu, en laisse tomber sous la table. Et
recommence, discrètement, afin que personne ne découvre la manière dont le haggis
disparaît. Carolyn capte mes gestes et m’imite avec un regard de conspiratrice. Nous
refrénons nos fous rires et nous débarrassons de cette spécialité avec joie. Chouchou
est ravi, il se jette sur cette nourriture imprévue tout en remuant la queue, se gave et
en redemande. Je n’ai jamais vu un chien manger avec autant d’avidité, comme s’il
était affamé ! Jusqu’à ce qu’Alan, sans s’apercevoir de rien, dise :

– Surtout, ne donnez rien à Chouchou, son estomac est très fragile…


6. Bon réveil !

Je mets de longues minutes à comprendre quel est le bruit horripilant qui ose
me déranger à une heure aussi matinale alors que je dormais si bien. J’essaie de me
calfeutrer sous mon oreiller, sous ma couette, de me boucher les oreilles, mais rien n’y
fait… Puis je réagis : mon réveil ! C’est mon réveil qui sonne depuis tout à l’heure !
Je bondis de mon lit, totalement hagarde, puis me rends compte que la sonnerie ne
fait pas ce bruit, généralement. Complètement paumée, je cherche ce qui pourrait être
responsable de ce chaos quand deux coups contre la porte sont frappés.

– Amy ! Tu es là ? demande une voix féminine, urgente.

Toujours sans rien comprendre, je me précipite pour ouvrir. Et tombe sur Carolyn,
cernée et essoufflée.

– Tu ne t’es pas réveillée ! s’écrie-t-elle. Mince ! Amy, on est déjà en retard !

Tentant de rassembler – difficilement – mes neurones, je cours dans la salle de


bains, effectue un mouvement de recul quand j’aperçois les traces de maquillage
autour de mes yeux et sur mes joues – bonjour panda – enduis mes mains de savon
– tant pis, à la guerre comme à la guerre – me frotte vigoureusement le visage, me
brosse les dents tout en changeant de vêtements, grimace parce que mes yeux me
piquent, me passe une crème pour adoucir tout ça, rassemble mes affaires et me rue
dehors. Le tout, en moins de dix minutes. Je suis une héroïne des temps modernes.

Enfin, si j’avais entendu mon réveil, je n’en serais pas là…

Carolyn m’attend en trépignant d’impatience. Il est sept heures quarante, nous


devons être sur le plateau à sept heures trente, normalement. Dans l’idéal, avant, pour
avoir le temps de prendre notre petit déjeuner là-bas. Ce qui me réconforte, c’est que
du café et des viennoiseries nous y attendent, nous ne mourrons pas de faim. Parce
que, quand je suis affamée – et je le suis toujours le matin – je suis d’une humeur
exécrable.

Et le mot est faible !

– Je suis désolée, Caro, dis-je, piteuse. Je n’ai vraiment pas entendu mon réveil.
– Tu m’étonnes. Moi, pareil.
– Mais pourquoi tu es là, au fait ? demandé-je quand je m’aperçois que ma voiture
n’est pas à sa place.

Carolyn part dans un grand éclat de rire, qui envoie aussitôt des vrilles de douleur
dans mon crâne. Beaucoup trop de bruit !

– T’es sérieuse ? s’étonne-t-elle. Tu ne te souviens pas ?


– Non, je me souviens surtout que j’ai super mal à la tête.
– J’ai du paracétamol. Monte, je t’en filerais en route.

Je n’ai pas le temps de monter dans sa voiture, une petite Twingo jaune tournesol,
que la voix de mon logeur, Duncan McKenzie, un vieil homme désagréable au
possible, m’interpelle.

Tiens, je devrais lui demander s’il a un lien de parenté avec Stuart.

Son fils, à tout hasard ?

– Mais c’est quoi ce bordel ? vocifère-t-il. Vous vous croyez où, là ?

Carolyn fige son geste de s’asseoir derrière le volant, ouvre grand les yeux, la
bouche et la referme. Je pivote lentement, affiche un sourire compatissant sur mon
visage pour parler au vieux monsieur en peignoir kaki, chaussons vichy, qui nous
dévisage, le visage furieux, les mains sur les hanches.

– Bonjour monsieur McKenzie, dis-je de ma voix la plus enjouée possible. Nous


sommes vraiment désolées pour le dérangement.
– Mais j’en ai rien à foutre que vous soyez désolées ! s’énerve-t-il. Vous savez
quel âge j’ai ? 85 ans ! Et à mon âge, chaque minute de sommeil est précieuse ! Vous
avez gâché ma matinée. Et ma journée ! J’ai de l’arthrose, moi, j’ai besoin de dormir !
Déjà cette nuit, vous m’avez réveillé avec vos fous rires interminables !
– Oh. Pardon. Je…
– Des hyènes, continue-t-il. Vous aviez un rire de hyènes ! J’ai failli sortir mon
fusil pour vous chasser ! Je vais me plaindre à votre direction ! Déjà, je savais que
louer une chambre à une… une… bafouille-t-il en fixant mes cheveux.

Des hyènes ?

En Écosse ?!

Mais il sort d’où, ce mec ?

Mon sang ne fait qu’un tour dans mes veines.

– Une… quoi ? Monsieur McKenzie ? demandé-je le plus calmement possible.


– Une… rien ! finit-il par dire en balayant ses paroles d’un geste de la main.
Foutez-moi le camp de là ! Et que ce soit la dernière fois, sinon, je vous vire !

Carolyn s’empresse de monter dans sa voiture. Je la suis, vexée. Terriblement


vexée. Et en colère. De quel droit me parle-t-il sur ce ton ?!

– C’était quoi, ça ? chuchote Carolyn, une fois les portes du véhicule refermées.
– Un vieux con, lâché-je, blasée. Un vieil acariâtre, un vieux frustré, un vieux…
putain, je ne supporte pas qu’on me parle comme ça ! Et c’est quoi ces remarques sur
mes cheveux ? Enfin, il ne l’a pas dit ouvertement, mais c’était par rapport à ça, non ?
– T’énerve pas, t’énerve pas, me suggère Carolyn, les vieux schnocks, il y en a
partout. Laisse tomber. Tu veux un cachet ?
– Oui, merci, soupiré-je en me massant les tempes. Et une triple dose de café.
– Dans quelques minutes, le café, sourit-elle en fouillant d’une main dans son sac.
Tiens, il y a une bouteille d’eau, sous tes pieds.
– Merci, dis-je reconnaissante. Dis, tu sais où est ma voiture ? Je ne me souviens
de rien, c’est flippant !
– Devant le bar ! C’est moi qui t’ai ramenée, hier soir. Finalement, tu as bien aimé
le whisky, je crois…
– Oh mon Dieu ! m’exclamé-je après avoir gobé le médicament. Ne prononce
plus ce nom devant moi, s’il te plaît. Rien que d’y penser, j’ai envie de vomir. Je n’ai
pas trop raconté de conneries, j’espère ?
– Non, non, chantonne-t-elle d’une voix étrange. Mais tu as parlé d’une certaine
personne, si je me souviens bien.

Malheur…

Pas lui.

Je l’avais – presque – oublié…

– C’est pas vrai ! Carolyn, qu’est-ce que j’ai dit ?


– Tellement de choses qu’il me faudrait toute la journée pour les énumérer, se
contente de lâcher Carolyn, étouffant un rire. Mais si je dois résumer : cet Alistair
McKay t’a grave tapé dans l’œil !

Et merde…
7. Un petit peu de haggis ?

– Quoi que j’ai dit, c’était faux, me justifié-je pendant que Carolyn se gare devant
le plateau, espérant naïvement qu’elle me croit. Ce mec est super énervant. Je te jure,
une calamité.
– Ah ça, je l’ai bien compris, oui, se marre-t-elle toujours. Mais je crois que ça
ne t’a pas déplu, en réalité.
– Mais non, m’exclamé-je, je t’assure ! Il m’a juste tellement agacée qu’il fallait
sûrement que j’en parle ! Tu sais, exorciser le truc, tout ça…
– Hé, tout va bien, dit Carolyn en posant sa main sur mon bras pour me calmer
tout en riant. Tu m’as seulement raconté ses blagues débiles et combien il t’a agacé,
c’est tout.
– Pitié, dis-moi que je n’ai pas parlé de lui devant tout le monde !

Pitié, pitié, pitié…

– Non, c’était dehors, tu ne te sentais pas très bien.


– Ouf, soufflé-je, – à moitié – rassurée.
– Ah oui, tu m’as aussi répété au moins mille fois à quel point tu le trouvais beau.
Attirant. Et tout et tout…
– Je me déteste, parfois, je te jure. Mais, tu sais pourquoi j’ai dit tout ça ? me
justifié-je. Juste parce que je ne supporte pas l’alcool, c’est tout. Ce mec, je m’en
fous royalement.
– OK, pas de problème, je te crois. Allez, viens, on va tenter de choper un café
avant de bosser.

Hum…

Pas très convaincant, son « je te crois »…

Mais c’est gentil à elle de me le dire !

L’équipe est déjà réunie sous la tente où est disposé le petit déjeuner. Je respire
enfin, notre retard n’a pas l’air d’en être un. J’aurais été très mal à l’aise d’arriver en
pleine action et de devoir, au choix, me justifier, ou supporter des remontrances. J’ai
eu ma dose avec le vieux grincheux de logeur !

Nous nous faufilons près du buffet où un choix incroyable de viennoiseries, de


biscuits, de charcuterie, de saucisses grillées, d’œufs durs, de fruits, de café, thé et jus
nous attend. Un vrai régal pour mes papilles. Sauf que je ne sais pas si mon estomac
est capable d’avaler quoi que ce soit. Le goût du whisky est omniprésent dans ma
bouche, malgré le dentifrice à la menthe que j’ai utilisé. J’opte pour un café, et choisis
de glisser quelques trucs sucrés dans mon sac pour tout à l’heure, je sais très bien que
j’aurai faim à un moment ou à un autre.

Et du sucre ne sera pas de trop pour affronter cette journée qui n’a pas
franchement commencé du bon pied…

J’ai juste le temps d’apprécier la saveur du café qu’Alan crie au débriefing. J’avale
d’un trait le liquide chaud contenu dans mon gobelet, le remplis de nouveau, et suis
le petit groupe jusqu’au centre du plateau pour écouter les directives d’Alan, qui tient
Chouchou dans les bras, tout endormi. Tout en le caressant d’une main distraite, il
nous explique ce qu’il attend de nous, les scènes qu’il prévoit de boucler dans la
matinée et nous distribue les fiches avec les modifications qu’il a effectuées. Tout
à coup, Chouchou commence à s’agiter, à geindre, à tousser comme s’il s’étouffait.
Le visage d’Alan se décompose, l’inquiétude se lit sur ses traits et, au moment où il
décide de le poser par terre, la petite boule de poils vomit tout son soûl. Plus personne
n’émet un seul son, stupéfait, dans l’attente de la réaction du petit chien qui continue
de vomir tout ce qu’il peut. Nous savons tous à quel point le réalisateur aime son
chien, et, si jamais il arrivait malheur à cet animal, l’ambiance sur le tournage
tournerait à la catastrophe. Alan réconforte Chouchou en parole et en caressant
doucement sa tête. Puis sa voix s’élève, menaçante.

– Du haggis ! DU HAGGIS ! s’écrie Alan qui ausculte minutieusement ce que


son chien a vomi. Qui a osé donner de la nourriture à mon chien hier soir ?!

Oh, oh…

Toute l’équipe se regarde, consternée. Les chuchotements résonnent, chacun


accuse l’autre sans le faire ouvertement, cherche à deviner qui est le coupable parmi
notre groupe.

Je dirais plutôt… les coupables.

Parce que c’est à cet instant précis que la mémoire me revient. Le whisky. Le
haggis. Le goût infâme. Mon idée de génie. Enfin, finalement, pas tant que ça. Pas
du tout, même. Et mon épanchement sur Alistair. La façon dont j’ai parlé de lui, en
boucle, en rebattant les oreilles à Carolyn, ressassant des dizaines de fois les mêmes
paroles. La pauvre, je ne lui ai épargné aucun détail. Je me souviens lui avoir raconté
en long, en large et en travers la façon dont je l’ai rencontré. Ou dont lui m’a
rencontrée. Son vol plané, sa chute – même si je ne l’ai pas vue, tout s’est passé
beaucoup trop vite – son immense cheval, ma frousse, sa blague débile, et tout le reste.
Tout le reste qui se résume à sa beauté, mon attirance pour lui, ses yeux, mélange
d’ombre et de lumière, sa voix chaude et envoûtante, sa musculature parfaite. La
honte ! Je n’ai fait que lui parler d’Alistair toute la soirée.

Ah, et boire, aussi…

Mais là n’est pas le sujet. Parce que si finalement j’aurais préféré ne pas me
souvenir de cette soirée, – cela dit, je ne peux que remercier Carolyn de m’avoir si
patiemment écoutée (et d’avoir minimisé la manière dont j’ai parlé de lui) – je sais
désormais que je suis entièrement responsable de l’état de Chouchou ce matin.

Et pitoyable, l’état.

Comme ma conscience…

– Merde, me souffle Carolyn, tellement bas que je l’entends à peine. Ça craint.


– C’est le moins que l’on puisse dire, en effet… me contenté-je de répondre.
– Tu crois qu’il va mourir ?
– Arrête, ne dis pas ce genre de choses !
– Merde, merde, merde !
– Ouais. Pas mieux.

Alan est agenouillé devant Chouchou, encore plus blanc que blanc. Bon, OK, c’est
une image. Mais ça me fend le cœur de voir ce petit bout de chien pris de soubresauts,
tout tremblant, tout malade. À cause de moi. Je suis à deux doigts de me dénoncer
– tant pis pour ma carrière, « la fille de » va devoir trouver autre chose – quand les
acteurs arrivent, suivis de près par Alistair. Je vois précisément son regard parcourir
la foule, pour finir par se poser sur moi. Pas longtemps, juste quelques secondes, mais
qui suffisent à rendre mes jambes aussi molles que du coton, mon cœur aussi mou
que de la guimauve, mes joues aussi rouges que mon legging. Au moins, mon visage
est assorti à mes vêtements…

Je détourne les yeux pour observer Bonnie, qui, elle, ne prend pas la peine de
me regarder. C’est vrai, elle m’a expressément demandé de faire comme si on ne se
connaissait pas, il n’y a donc pas de raison pour qu’elle me salue personnellement.
J’essaie d’évacuer le pincement au cœur que je ressens. Alan se redresse, toujours
aussi paniqué.

– Alistair, vous connaissez un bon vétérinaire ? Mon chien est malade…

Alistair se penche sur l’animal mal en point, caresse son pelage de ses larges
mains, sourit avec compassion.

– C’est une indigestion, affirme-t-il. Il faut juste lui donner beaucoup d’eau et le
surveiller.
– Vous êtes sûr que ce n’est pas plus grave ? insiste le réalisateur, la mine sombre.
– Je pense, oui. Il a juste trop mangé. D’ailleurs, c’est étonnant que son estomac
ait pu contenir tout ça !

Ricanements discrets dans l’équipe. Soulagement du côté de Carolyn et moi.

– Bon, tout le monde, au boulot ! s’écrie Alan d’une voix énervée tout en reprenant
son chihuahua dans ses bras.

Chouchou, comme s’il se sentait coupable d’avoir vomi, se met à lui lécher les
mains avec force, les oreilles en arrière. Tout le monde retient une grimace de dégoût.
– Rappelle-moi de ne jamais plus lui donner quelque chose à manger, me glisse
Carolyn.
– Promis, réponds-je, soulagée du diagnostic d’Alistair.
– Tu savais que ton… euh… énervant ? Soupirant ? Comment je dois l’appeler ?
– Quoi ?
– Non, rien, se défile-t-elle. Tu savais que le cascadeur avait des talents de
vétérinaire, toi ?
– Pff, il fait son malin, c’est tout ! dis-je en haussant les épaules. Ses talents, je
m’en fous royalement !
– Arrête, t’es pas crédible, se marre-t-elle. Franchement, je comprends qu’il te
plaise. Il fait énigmatique à souhait. Genre… Brun ténébreux, mystérieux. Hum…
Intéressant, je crois bien.
– Arrête, Carolyn, rouspété-je. J’étais bourrée !
– Eh bien, justement, affirme-t-elle, l’alcool désinhibe. Tu as dit, enfin, dit n’est
pas le mot exact, non. Tu as répété encore et encore combien il t’attirait. Je crois que
tu ne devrais pas l’ignorer.
– Ignorer Alistair ? froncé-je les sourcils. Mais je ne l’ignore pas, je travaille
avec…
– Ignorer tes sentiments, banane !

Alors là, bien sûr que je vais les ignorer.

Mais de toute façon, je n’éprouve aucun sentiment pour lui.

Au-cun !
8. Attirance incontrôlable...

Une fois toute l’équipe éparpillée, je rejoins Alan et Stuart. Ce dernier, engoncé
dans un pull en laine taupe qui lui gratte le cou, si je décrypte bien ses gestes, n’arrête
pas de tirer frénétiquement sur son col et de passer sa main sous son menton. Il ne
répond même pas à mon bonjour. Alan, si. Alan, qui n’arrête pas de jeter des regards
désespérés à Chouchou et de le câliner.

– Vous voulez que j’aille lui chercher de l’eau ? demandé-je.

C’est le moins que je puisse faire…

C’est pas comme si Chouchou était dans cet état à cause de moi…

Quand j’y repense, le haggis faisait sa taille.

Et ajouté à celui de Carolyn…

– Merci, Amy, mais quelqu’un s’en est chargé, déjà.

Quelqu’un, oui, en effet.

Alistair, le cascadeur/doublure/vétérinaire/soigneur de chihuahua…

What else ?!

Je détourne volontairement les yeux de son allure de celui qui a le monde à ses
pieds (surtout les figurantes, ici) (et sauf avec ses blagues, je tiens à le préciser) parce
que mon cœur s’emballe beaucoup trop vite, et mon corps s’échauffe contre mon gré.
Je me concentre sur les fiches de travail, pour mémoriser les scènes à venir. Nous
avons déjà tous un rapport complet du tournage, mais Alan change régulièrement la
chronologie – ainsi que de nombreux détails – en fonction des impératifs, du temps,
et surtout, de son inspiration…

– Bonjour Amy… souffle Alistair lorsqu’il arrive tout près de moi, d’un ton bas,
d’une voix grave et chaude.

Jamais je n’ai entendu connotation plus sensuelle que mon prénom dans sa
bouche. Ridicule ! Je le salue, recule de quelques pas comme si son aura, en se fondant
avec la mienne, pouvait m’électrocuter. Je saisis bien son regard de celui à qui on
ne la fait pas, comme si son comportement était soigneusement étudié, et qu’il avait
fait exprès de me frôler.

– Amy, commence Alan, alors que Chouchou boit de grandes lampées d’eau
fraîche apportée par Alistair, dans un petit récipient en plastique. Tu navigueras entre
les figurants et Alistair et ses chevaux. Il nous en faut au moins six dans les scènes,
dit-il ensuite en se tournant vers le maître de ces bêtes immenses tout en continuant
à lui expliquer ce qu’on attend de sa prestation aujourd’hui.

Super. Les chevaux.

Le genre d’animal que je maîtrise à la perfection.

Je préfère Chouchou, pour le coup !

– Ah oui, et tiens, occupe-toi de Chouchou. Veille à ce qu’il ait toujours à boire.


S’il vomit encore, viens me voir immédiatement, d’accord ?

Hey ! J’avais dit Chouchou à la place des chevaux, pas en même temps !

– D’accord, dis-je, sans montrer que je n’ai aucune envie de me coltiner le petit
chien encore aujourd’hui.

Mais je ne vais pas rechigner. J’ai rendu ce chien malade, je peux bien m’en
occuper. En espérant qu’il ne vomisse plus, par contre….

Chouchou vient volontiers dans mes bras, non sans me faire une petite léchouille
sur les doigts au passage. Puis, il commence à fureter près de ma poche, là où sont
cachées les viennoiseries. Presque paniquée, je le tiens fermement pour qu’il arrête.
D’une, pas besoin que tout le monde sache que j’ai fait des provisions, de deux,
le sucre sera encore pire que le haggis, pour cette boule de poils ! Après quelques
tentatives pour qu’il reste calme, les paires d’yeux d’Alan, de Stuart avec son sourire
ironique en coin, et ceux, brûlants, d’Alistair, sur moi, Chouchou se laisse tomber
dans mes bras, son menton sur ma main, et ne bouge plus d’un millimètre. Je souffle
discrètement, soulagée.

– Tu as un bon feeling avec les animaux, Amy, commente Alan juste avant de
s’éloigner. Chouchou t’apprécie énormément. J’en suis ravi.

Par contre, pas Stuart, visiblement, vu le regard qu’il me lance…

– Cool, on va voir si tu as le même feeling avec les chevaux, lance Alistair d’une
voix provocante, une fois Alan et Stuart loin devant nous. Six Clydesdale à garder
dans un périmètre précis, tu penses maîtriser ?
– On se tutoie, maintenant ? demandé-je, étonnée, préférant ignorer le sens de
sa phrase.
– On peut, oui, dit-il en haussant les épaules. Alors, prête ?

Pas vraiment, non.

– Je vais d’abord aller donner les directives aux figurants, me défilé-je. Vous
pouvez peut-être déjà amener les chevaux ici, et ensuite, je les surveillerai avec
vous…
– Ah, il n’y a que moi qui use du tutoiement, si j’ai bien compris…
– Question d’habitude, lâché-je sans plus d’explication.

Question de garder mes distances, surtout…

Je vide le reste d’eau, secoue l’écuelle, la glisse sous mon bras et pars prestement,
sans attendre qu’il fasse une autre remarque. Le groupe des figurants est déjà là, dans
un des chapiteaux réservé à leur accueil, avec une autre des responsables. Je leur
explique ce qu’on attend d’eux pour la matinée : une scène champêtre, un pique-
nique, tous seront sollicités et devront garder leur place jusqu’au déjeuner. Pas de
bruit, pas de regard sur la caméra, faire comme si nous n’existions pas, recréer un
moment convivial, assis, en balade, en train de manger. J’admire rapidement tous les
costumes, amenés par les figurants eux-mêmes ou loués pour l’occasion. J’adore ces
tenues d’époques ! La mère de Bonnie nous en cousait régulièrement d’ailleurs, elle
excellait.

Mais ce n’est pas le moment de penser à ça. Bonnie n’est pas encore arrivée,
et j’ai bien du pain sur la planche, pour le moment. Les femmes portent des robes
simples mais élégantes, de classe moyenne, et les hommes des costumes dans les tons
marron ou beige majoritairement avec des chapeaux. Je les préviens que je reviens
les chercher d’ici une petite demi-heure, qu’ils pensent bien à éteindre leur téléphone
portable avant de rejoindre le plateau et surtout ne pas s’éloigner ou sortir de l’espace
qui leur est imparti. Bien que cela soit déjà spécifié dans le contrat qu’ils signent tous
les matins, je préfère insister…

Après avoir été récupéré mon attirail micro/oreillette qui était en charge, je passe
sous la tente aux victuailles pour prendre une bouteille d’eau et aperçoit Carolyn en
train de se goinfrer.

– Ça va ta tête ? me demande-t-elle, la bouche pleine.


– Oui, super, réponds-je. Efficace, médicament + café. D’ailleurs, je vais en
reprendre un.
– Tu es assignée où, aujourd’hui ? Enfin, excepté avec Chouchou, se marre-t-elle
tout en lui offrant une caresse.
– Devine ?

Un grand sourire étire ses lèvres et ses yeux prennent un éclat amusé. Carolyn est
très jolie avec ses cheveux noirs coupés court et ses yeux gris. Son visage est mutin,
ce qui va tout à fait avec son caractère : vive, joyeuse, toujours à plaisanter.

Et j’apprécie son humour, à elle…

– Avec le beau brun ténébreux ! s’exclame-t-elle. Trop chou !


– Pas trop chou, non. Et plus exactement, avec les chevaux. D’ailleurs, j’y vais !
– À plus tard, chantonne-t-elle. Amuse-toi bien !

Je me hâte de rejoindre le pré où doivent rester les Clydesdale pendant le tournage,


sans cesser de grogner. Parce que m’amuser en surveillant des chevaux, un chihuahua
et des figurants, pas certaine que ce soit le cas…
Les bêtes sont en chemin aussi. Elles sont égales à elles-mêmes, c’est-à-dire…
immenses. Encore plus grandes que dans mon souvenir d’hier. Et il n’y en avait qu’un.
Là, c’est un gang. Un gang de chevaux que je vais devoir côtoyer. Tous avec un pelage
luisant, tous sellés. Alistair en tête, en tenant un par la bride, et suivi sagement par les
autres. Le cow-boy est de retour, beau dans son costume d’équitation semblable à la
veille, fier, ses cheveux voletant au rythme de ses pas. Même s’il est loin, je devine
le regard aiguisé qu’il pose sur moi. Je vois déjà l’éclat spécial de ses yeux, cette
teinte, mélange de noirceur et de lumière que je n’ai jamais vu chez quelqu’un, le pli
qui ourle ses lèvres lorsqu’il me parle et se retient de sourire, son visage angélique
qui contraste avec ce que j’ai appris sur lui, la tête brûlée, qui repousse les limites,
toujours un peu plus loin, à ce que j’ai entendu hier soir. Je sens la chaleur de sa
proximité se répandre dans mes veines, m’emprisonner, bloquer ma respiration au
centre de ma poitrine, mon cœur se défendre en battant si violemment que je jurerais
qu’il veut s’échapper.

Je serre Chouchou un peu plus fort dans mes bras, comme un rempart. Contre
quoi ? Ce que je ressens ? Ce que je projette, j’imagine ? Je ne sais rien de lui, rien
de plus que ce que j’ai regardé en boucle sur mon téléphone dans le bar, rien de
plus que ses blagues, sa nonchalance naturelle, son charisme envoutant qui happe
quiconque se trouve à côté de lui. Et je regrette les cours d’équitation que ma mère
tenait absolument à me donner. Et que j’ai refusés catégoriquement. Pourquoi ? Parce
que j’avais déjà une frousse bleue de ces canassons, tout simplement. Mais si je les
avais pris, peut-être que je n’en serais pas là, à trembler sur mes jambes, à redouter
l’instant où je vais devoir diriger ces animaux et peut-être, les toucher…

Évidemment, je ne vais pas afficher ma peur devant Alistair. Il serait trop content
de trouver une faille et s’y glisserait pour me provoquer. Alors, je relève la tête, les
épaules, souffle un bon coup – discrètement – et m’arme de mon plus beau sourire,
en espérant que sourire me fera oublier ma peur. Puis, je dévie mon regard sur le
paysage, pour ne pas montrer à Alistair que sa prestance me provoque des chatouillis
tout au fond du ventre, que l’énergie qu’il dégage, je peux la capter de là où je me
tiens. Non, je ne lui montrerai pas tout ça. Ni le trouble, ni l’agacement qu’il provoque
chez moi, mélange incohérent et irrationnel.

Je préfère me perdre quelques instants dans le ciel d’un bleu parfait, pour une fois,
pas un seul nuage à l’horizon, et du soleil éclatant qui illumine l’herbe grasse du pré.
Dans les montagnes au loin, fierté des Highlands. Avec l’oiseau qui voltige, libre, à
des mètres au-dessus de moi, poussant des cris stridents. Dans l’océan en contrebas,
celui-là même où s’est jeté Alistair quand il avait 16 ans tout en se filmant pour faire
le buzz sur les réseaux sociaux.

Et voilà, tout me ramène à lui…

Conspiration, je dis…

– Alors, BlueBird, on a retrouvé son petit protégé ? résonne une voix chaude.
Je sursaute presque. Puis, me dépêche de sortir l’écuelle de Chouchou et de lui
verser à boire. Il semble tout frêle sur ses pattes, me regarde avec de petits yeux
larmoyants, comme si je venais de le trahir en le posant par terre. Il refuse l’eau, hume
l’air et stoppe tout geste en apercevant les chevaux, qui attendent patiemment derrière
Alistair. Un bruyant hennissement plus tard, les poils de son dos hérissés comme une
crête, il aboie de sa voix à peine audible tout en effectuant des ronds autour de moi.
Alistair se marre, j’essaie de rattraper la bestiole. Mais il est rapide et ne se laisse pas
faire. Au moins, il a retrouvé sa vitalité…

– Merde, les figurants ! pensé-je à voix haute. Chouchou, allez, arrête, il faut que
j’aille les chercher !

Mais Chouchou ne m’écoute pas. Il n’en fait qu’à sa tête. Il continue de japper tout
en tournicotant, cherchant à attirer l’attention des chevaux sans trop s’y frotter non
plus. Et faisant un écart à une vitesse hallucinante dès que j’essaie de l’attraper. Je me
saisis de mon micro, demande si quelqu’un peut m’envoyer les figurants, plusieurs
voix – non identifiées – me répondent par l’affirmative.

Magique, l’esprit d’équipe…

Et puis, je recommence à tenter d’attraper Chouchou, qui zigzague toujours, se


rapprochant un peu des chevaux, toujours en aboyant pour les provoquer. Je n’ose
même pas imaginer la réaction d’Alan, tellement satisfait tout à l’heure que son chien
m’apprécie, s’il me voyait ne pas réussir à le canaliser, mais surtout, si près des
énormes sabots des chevaux.

– Dites, ça ne vous dérangerait pas de m’aider à le choper, plutôt que de vous


marrer ? m’énervé-je contre Alistair.

Son rire s’élève de plus belle. Je m’énerve de plus belle. Marmonne que je vais
aller l’attacher à un piquet, ce sera beaucoup plus simple, et lui donner double ration
de haggis. Puis je me fige, ose un regard à Alistair, qui ne se marre plus, bizarrement.

– C’était toi, le haggis ? demande-t-il, une lueur indéfinissable dans les yeux.
– Non. Oubliez. Je n’ai rien dit.
– Trop tard, insiste-t-il en exagérant le ton de sa voix. Je sais, maintenant. Mais,
merci pour les piquets, ça m’est sorti de la tête.

Je ne comprends pas ce qu’il sous-entend, jusqu’à ce qu’il me tende la bride du


premier cheval, sans plus d’explications, les autres broutant derrière lui.

– Quoi ? Non ! Mais qu’est-ce que vous faites ?


– Déjà, on se dit tu, je n’ai pas 50 ans. Ensuite, tiens, dit-il en attrapant Chouchou
et en me le mettant dans les bras.

Je n’ai pas le temps de réagir qu’il s’en va au pas de course. Et moi, je reste
là, les bras ballants – enfin, c’est une image, j’ai Chouchou d’un côté et une bride
reliée à un monstre à quatre pattes dans l’autre – paralysée, sans savoir que faire. Je
regarde en coin le cheval noir, qui se fiche royalement de ma présence, contrairement
à moi. Jusqu’à ce que Chouchou émette un petit couinement, et que le géant approche
dangereusement sa tête du chihuahua. Je retiens ma respiration, hésite à lâcher la
bride, à hurler, pleurer, partir en courant, réfléchissant à toute vitesse. Si Alistair m’a
donné ce cheval à tenir, c’est bien qu’il y a une raison, non ? Peut-être pas. Mais peut-
être que si. Genre, pour que le cheval ne s’enfuit pas.

Les tentatives de solution fusent dans mon cerveau, je pense à poser le chien dans
l’herbe, pour que le cheval s’écarte, mais me souviens des sabots. Le cacher dans
mon sweat ? Pas le temps. Crier ? Oui, voilà, super idée, un peu dans le même style
que de donner de la viande de brebis hier soir à Chouchou. Alors, je continue à rester
figée, les jambes en coton, priant pour qu’Alistair revienne vite. Malheureusement,
mes prières ne trouvent pas de destinataire, parce que le cheval se rapproche encore
et fourre sa tête dans mes bras. Je vais m’évanouir. Hurler. Je ne peux détourner mon
regard de ses énormes yeux noirs menaçants tandis qu’il me bouscule, comme s’il
voulait embrasser Chouchou qui s’agite et le lèche frénétiquement. Ou comme s’il
voulait l’avaler tout cru. Je fais un pas en arrière pour me rattraper, il se rapproche
encore. La crinière épaisse qui tombe sur son front frotte presque mon visage. Ses
oreilles – qui sont plus grosses que ma main – frémissent de plaisir. Enfin, je crois.
Et s’il décidait de me manger ? De m’écrabouiller ? De me découper en morceaux ?
OK, j’exagère. Mais à peine. J’ai tellement peur que ne peux pas sortir un seul son,
pas demander de l’aide, pas lui ordonner de reculer. L’énorme monstre frotte son
pied par terre, hennit encore, retrousse les babines, laisse au passage un gros filet de
bave sur ma manche.

– Les figurants arrivent, résonne une voix dans mon oreillette.


– Super, merci, parvins-je à articuler, de mon ton le plus zen possible, comme si
tout allait merveilleusement bien dans le meilleur des mondes.

Peut-être qu’un figurant saura comment gérer ce cheval qui accepte volontiers
les léchouilles de Chouchou, pourra le tenir, m’en débarrasser ? Parce que ses pattes
sont vraiment très près de mes pieds, et je tremble de peur, de plus en plus. Sauf que
niveau sécurité, je n’ai pas le droit de refiler ce genre de responsabilité à un figurant.
Alors, je reste crispée, le corps tendu à l’extrême, attendant le retour de mon héros,
celui qui va me délivrer de cet embarras, de ce fardeau, j’ai nommé : l’insupportable
Alistair McKay !

– Hé, on dirait qu’ils s’entendent bien ! ironise Alistair en revenant, des piquets
dans les mains.
– Reprenez-le, s’il vous plaît, parvins-je à articuler.
– Dès que j’aurai planté les piquets, mais il faut que tu places les figurants d’abord.
– Je ne peux pas, j’ai un cheval et un chien collés contre moi. Ou je devrais dire
un chien et un cheval collés ensemble. Mais, il est manque d’affection votre poney
ou quoi ?!

Le rire d’Alistair s’élève, rauque et communicatif. Sauf sur moi. Là, rien ne
pourrait me faire rire. Ni même sourire. Je transpire comme jamais, j’ai chaud, je suis
à deux doigts de m’évanouir tellement cette situation m’oppresse. Je me force à
respirer lentement, calmement, mais ça ne fonctionne pas. La seule chose qui
m’aidera, c’est d’écarter ce cheval de moi !

– Allez, Mister Swing, dit Alistair d’une voix douce, mais ferme. Recule. Laisse
ce petit chien tranquille.

Mais Mister Swing s’en contrefiche. Il continue de fureter dans mes bras, de frotter
son museau sous le ventre de Chouchou qui se laisse faire, aux anges. Et, plus je tente
de l’écarter, en reculant, plus il se colle contre le petit chien et moi. Alistair attrape la
bride d’une main ferme, main qui frôle le morceau de pull couvert de bave, puis mon
bras, déclenchant un milliers de frissons sur ma peau. Dans mon dos. Sur ma nuque.
Ma peur panique est recouverte de cette étrange torpeur que provoque chez moi la
proximité d’Alistair. Je ferme les yeux une micro seconde, juste pour reprendre mes
esprits, en espérant que l’animal sera éloigné quand je les ouvrirai. Mais non, Mister
Swing n’est pas d’accord, il refuse d’obtempérer, manifestement.

– Superbe autorité, lâché-je, les dents serrées.

Alistair plante son regard sombre dans le mien, plisse les yeux, ouvre la bouche,
la referme, pince les lèvres, se retient de faire un commentaire.

Ah, ah ! Mouché !

Puis, il change de stratégie. Il saisit Chouchou fermement, l’extirpe de mes bras,


et, miracle, Mister Swing se détourne enfin de ma personne pour suivre le mini chien
qui couine de plus belle. Je relâche tous mes muscles, enfin, respire de nouveau
correctement. Que ça fait du bien !

– Bon, eh bien gardez-le un petit moment, il semble si bien avec vous, dis-je avec
mon plus beau sourire. Je vais placer les figurants.

Sans lui laisser le temps de répondre, je file rejoindre le groupe qu’on ne peut
ignorer tellement il est bruyant. Mes figurants me demandent d’emblée si on peut
attendre un peu pour tourner, ils aimeraient faire des photos avec les acteurs. Je
soupire, puis regarde là où pointe leur doigt : Calum, Bonnie, et Maxwell, le second
acteur, qui va devenir un rival de Calum dans la série. Je suis à une bonne vingtaine
de mètres de ma meilleure amie (enfin, je ne sais pas si je peux toujours l’appeler
ainsi) et je perçois quand même son trac avant de tourner, le même qu’elle essayait
de cacher avant de monter sur les planches, adolescente.

Elle est costumée d’une longue robe blanche, ombrelle assortie. Elle est belle.
Ses cheveux sont détachés et tombent sur ses épaules en une cascade d’or sombre. Je
refoule la douleur qui pince mon cœur, place les figurants en couple, en groupe de
quatre, six, huit, jusqu’aux derniers, qui, eux, pourront se balader seuls. Le décor a été
mis en place, c’est une fête de village, avec pique-nique et stands, mais je ne m’occupe
pas des stands, c’est la responsable décor qui a déjà pioché dans les figurants pour
les mettre derrière les étals de bois.
Je leur donne de nouveau les consignes – ce n’est jamais de trop – puis retourne
voir Alistair qui doit installer les chevaux, qui seront accrochés aux piquets qu’il est
allé chercher, pour pas qu’il leur prenne l’envie de se balader dans le décor, et par
sécurité. Je lance tout de même un dernier regard vers Bonnie, sans même savoir
pourquoi. Enfin, si, je sais. Je tiens à vérifier si elle est toujours autant indifférente à
ma présence ici, et à ce que je constate, oui. Pas un regard. D’un autre côté, elle va
tourner, elle se concentre, non ? Oui. Mais nous avions un truc, lorsqu’elle faisait ses
spectacles, au théâtre, nous échangions un petit geste de la main juste avant qu’elle
n’entre en scène, comme un rituel, un porte-bonheur, un signe que tout se passerait
bien. Là, rien. Elle m’ignore superbement. Non, pire, je n’existe pas, pour elle. Je
n’existe plus. Mon cœur saigne un peu plus…

Je retourne près d’Alistair, toujours en train de se débattre avec Chouchou dans


les bras, le cheval qui n’écoute pas, qui ne veut pas lâcher le chihuahua d’une semelle.
Sûre que si Alan était là, il en serait blanc de peur. Une si petite bête devant les
naseaux énormes du Clydesdale, franchement, c’est impressionnant.

– Alors, besoin d’aide ? lâché-je comme une idiote, sans même me rendre compte
que je vais – encore – me retrouver dans une situation fâcheuse.
– Emmène ce chien loin d’ici, ordonne Alistair d’une voix lasse. Je ne sais pas ce
qu’ils ont, mais ils ne veulent pas se séparer.
– Ah, l’amour… me marré-je. L’amour a ses raisons que la raison ignore, non ?
C’est beau je trouve. C’est peut-être des âmes jumelles, vous savez ces personnes qui
se retrouvent alors que…

Ouais. Non…

Le regard qu’Alistair porte sur moi me refroidit instantanément et m’empêche de


terminer ma phrase. Plus d’humour. Plus d’éclats de lumière. Plus d’étoiles. Non, à la
place, une noirceur qui me fait regretter mes paroles, comme si j’étais une adolescente
stupide s’extasiant sur une image tout aussi stupide. Un visage fermé, des lèvres
serrées, une attitude à l’opposé de la réaction que j’espérais. Enfin, je n’en attendais
pas vraiment une, je plaisantais…

J’attrape Chouchou, le cale contre moi pendant qu’Alistair fait reculer le monstre.
D’un geste énervé, il prend un piquet, la corde et l’entraîne plus loin. Sauf que je ne
lui ai pas dit où il devait attacher le cheval. De toute façon, je ne le sais pas non plus.
Je hausse les épaules, ignorant sa réaction, même si je comptais me justifier.

Si on doit se justifier quand on fait de l’humour, maintenant…

Je trottine jusqu’à la tente principale, là où Alan et Stuart se tiennent.

– Stuart, vous pouvez garder Chouchou un petit moment ? Il s’est épris du cheval,
Mister Swing, et c’est impossible de lui faire faire quoi que ce soit, dis-je en retenant
mon sourire devant sa stupéfaction. Ah, et il va très bien, il a bu et a retrouvé sa
forme ! ajouté-je à l’intention d’Alan.
– Merci, Amy, réponds Alan, rassuré.
– Où doit-on placer les chevaux ?
– Hum. Deux à droite. Un au centre. Et un à gauche, explique-t-il en me désignant
les endroits du doigt. Amenez celui de Calum ici.
– Tout de suite, réponds-je.

Je repars, sentant le regard acéré de Stuart tout le long du trajet.

Vengeance…

Mais ma satisfaction est de courte durée. Pendant que je refourguais Chouchou, et


qu’Alistair allait déjà en direction d’un endroit, comme s’il savait d’avance où Alan
allait vouloir mettre le cheval, celui qui est assigné à Calum s’est roulé dans la boue.

Sérieux…

Il doit n’y avoir qu’une seule flaque de boue dans tout le pré, et ce cheval a choisi
de se rouler dedans. Et qui doit l’amener près de l’acteur principal ?

Bibi !

Hors de question que je m’approche plus près de ce monstre ! En plus, il est tout
crade, maintenant ! Dans ma tête, lorsqu’Alan m’a dit « amenez le cheval à Calum »,
j’ai tout de suite transformé en « demandez à Alistair d’amener le cheval ». Quoi ?
C’est presque ça, non ? Donc, il faut que je trouve un plan. Et vite ! Parce que le
tournage va bientôt commencer, et j’ai déjà refilé Chouchou à Stuart, il ne va pas me
louper. C’est sa spécialité. Enfin, ça et sa mauvaise humeur.

Je me précipite vers Alistair, pour lui donner les indications, quand mon oreillette
grésille.

– On en est où, avec les chevaux ? s’impatiente Alan.


– On est presque prêts, dis-je alors qu’ils doivent voir que ce n’est pas du tout
le cas.
– Il fait quoi, celui qui se roule par terre ? intervient Stuart.

Et merde…

– On gère ! m’écrié-je.
– Et nous on attend, rétorque Alan, impatient.
– Tout de suite !

Je fonce vers Alistair, paniquée, qui ne relève même pas la tête à mon arrivée,
concentré à planter un piquet.

– Il faut qu’on se dépêche, lui dis-je discrètement pour que les figurants présents
n’entendent pas. Accrochez le cheval ici, il en faut aussi un autre. Le troisième ira là-
bas, lui montré-je. Et encore deux-là. Et le dernier, celui qui doit être avec Calum est
en train de se rouler dans la boue. On fait quoi ?
Alistair finit de planter tranquillement le morceau de bois, enroule la corde, vérifie
qu’elle tient bien, pendant que je trépigne d’impatience.

– Oh, vous êtes sourd, ou quoi ? On doit se dépêcher !


– Va chercher le deuxième cheval, ça ira plus vite, dit-il comme si je n’étais pas
prête à exploser sous la pression.
– Mais… Non ! C’est votre travail, pas le mien ! Merde, je vais me faire jeter,
allez, on active, s’il vous plaît !

Je ne sais pas si cet arrogant perçoit la détresse dans ma voix, ma peur – des
chevaux et de perdre ma place sur ce tournage – mais il accélère ses gestes. Enfin !
Mais même s’il est plus rapide, la force tranquille qu’il dégage est toujours aussi
présente. Et ses biceps se tendent à chaque mouvement.

Je souffle, énervée de m’arrêter à ces détails, énervée de devoir être si stressée,


énervée d’être énervée. Je lui pique son marteau, vais chercher un piquet, le plante
près d’un couple qui discute, non sans manquer de me taper sur les doigts plusieurs
fois. Je vérifie qu’Alistair arrive bien avec les chevaux, vais planter le dernier
morceau de bois dans la terre, puis retourne vers le dernier cheval qui s’est relevé,
fier de lui, alors que sa robe alezane est maculée de boue. Désemparée, je reste figée
devant ce spectacle, sans savoir quoi faire. Et puis un picotement envahit ma nuque,
faisant dresser le moindre petit poil qui recouvre ma peau. Je me retourne, Alistair
est juste derrière moi et contemple avec un petit sourire les frasques de son cheval.

– Ce n’est pas drôle, soufflé-je, exaspérée. On fait quoi ?


– Le mieux serait une bonne douche. Mais je vais opter pour le remplacement. Il
reste un cheval dans l’enclos, il a la même couleur, ça devrait aller.
– Super, allez go ! l’encouragé-je à s’activer.

Je préviens Alan qu’on sera prêts dans deux minutes. Le temps de seller l’autre
cheval.

– C’est bon, on fait la première scène sans. On a assez attendu comme ça !


m’informe le réalisateur.
– Amy, il faudrait être un peu plus réactive, à l’avenir, assène Stuart d’un ton sans
appel. Nous ne sommes pas dans une colonie de vacances !
9. Il ne faut jamais dire jamais...

La journée a été harassante. Peut-être que si j’avais dormi quelques heures de plus
– et moins bu d’alcool, surtout – cela se serait mieux passé. Quoique, j’en doute. Je
n’ai pas eu une minute à moi. J’ai navigué entre les demandes d’Alan, les remarques
désagréables de Stuart, un Chouchou surexcité – et son soupirant d’équidé – le silence
et l’indifférence de Bonnie, la présence entêtante d’Alistair, qui n’a pas fait étalage
de son humour après ma phrase hyper philosophique sur l’amour.

Pas que j’apprécie ses blagues, non, loin de là, mais il s’est fermé quand j’ai fait
cette remarque – censée être drôle – et ne s’est pas rouvert par la suite. Je ne sais pas
ce que j’ai dit de mal, mais j’ai bien senti son changement d’humeur. Je ne devrais
pas m’en inquiéter. Ça ne devrait rien me faire. Pas me perturber. Et pourtant, c’est
bel et bien le cas.

Si tout le monde se met à me faire la gueule, ça va être génial…

Heureusement, les figurants sont – à peu près – restés tranquilles. Et Carolyn, elle,
a été ravie de me voir à chaque fois que l’on s’est croisé. D’ailleurs, je la cherche.
Elle était là il y a une minute, mais je ne la trouve plus. Il faut qu’elle me dépose
au bar afin que je récupère ma voiture. Je ne peux pas y aller à pied, c’est loin, et
je suis fatiguée. J’ai envie d’un bain, d’un livre, ou d’un peu de musique. Voire de
silence. De tranquillité, quoi. Sans un petit chien qu’il faut surveiller comme le lait
sur le feu, parce qu’il s’est épris d’un cheval. N’importe quoi ! On ne craque pas pour
son parfait opposé, c’est totalement stupide, non ?

Je cherche tous les endroits où elle serait susceptible d’être : la tente où est stockée
la nourriture – je crois que c’est son endroit préféré – les loges, la pièce où on pose nos
micros pour les recharger, et même les toilettes ! Mais non, Carolyn est aux abonnées
absentes. J’attrape mon téléphone portable, l’appelle : pas de réponse. Je retourne
donc à l’extérieur, en espérant trouver quelqu’un qui pourrait me ramener. Mais le
plateau est quasi désert, les deux seules personnes qui restent sont : Stuart, à qui je
ne demanderais rien même s’il ne restait que cette personne vivante sur une terre
dévastée par un astéroïde, et… Alistair.

Alistair, en jean brut et tee-shirt noir à manches longues près du corps. Encore
plus sexy que dans sa tenue d’époque. Il est de dos, et regarde un van s’éloigner.
J’hésite quelques secondes – je n’ai pas vraiment envie de lui demander un service
– mais mon corps me rappelle vivement à quel point il a besoin d’aller se reposer.
Alors, je fais un pas vers lui pendant que Stuart lui fait un signe de la main tout en
montant dans une grosse berline noire.

– Amy, se retourne-t-il tout à coup, comme s’il avait perçu ma présence. On fait
des heures sup ?
– Très drôle, marmonné-je. Mon amie devait me ramener au bar d’Elgol, mais je
ne la trouve pas. Ça vous embêterait de me déposer ?

Et là, je vois tout son visage s’illuminer. Bon, ce n’est pas aussi flagrant, j’exagère
un peu, mais je vois clairement quelque chose changer, sur ses traits et dans ses yeux.
L’éclat ensorcelant revient, cette lueur incroyable que je ne pourrais pas définir, et un
petit sourire en coin étire ses lèvres charnues, si sensuelles, qui me fait sourire aussi.
Sauf que c’est louche. Je ne sais pas pourquoi, mais je jurerais qu’il y a anguille sous
roche. Soit il a une idée derrière la tête, soit quelque chose cloche.

– Avec plaisir, me dit-il en élargissant son sourire. Au Cavern, c’est ça ?


– Oui, réponds-je hésitante.
– Bien. Attends-moi deux minutes, j’arrive.

Je ne peux m’empêcher de me ronger les ongles en l’attendant. Et de faire mille


suppositions. Va-t-il me laisser là, à attendre trois plombes ? OK, je suis un peu
parano, ce soir. Ça doit être la fatigue. Est-il venu à vélo ? En tandem ? Compte-t-il
encore me faire une blague ? Je ne sais pas pourquoi je me pose toutes ces questions,
c’est une sensation vague, une intuition, mais son attitude, ou plutôt son changement
d’attitude me paraît vraiment étrange. Comme s’il préparait un mauvais coup.

Puis, j’entends des bruits de sabots résonner sur l’herbe. Un bruit très léger mais
qui ne laisse aucune place au doute.

L’enfoiré…

Il sait ! Il sait que j’ai une trouille bleue des chevaux. Il l’a forcément constaté.
Toute personne aimant bien ces bêtes énormes les a approchées, les a câlinées, s’est
extasiée sur leur beauté. Sauf moi. Moi, je les ai évitées. Enfin, sauf lorsque je n’avais
pas d’autre choix…

Je me retourne, au ralenti, le cœur au galop. Pour voir Alistair-le-traître et sa


monture. La même qui a voulu nous avaler tout à l’heure avec ce pauvre Chouchou…

– Euh… C’est quoi, ça ? demandé-je.


– Notre moyen de locomotion. Les autres sont repartis en van, et je pensais
ramener celui-ci au ranch en faisant une balade. Tu vas venir avec nous !
– Je ne crois pas, non, ricané-je. C’est encore une de vos blagues ?
– Absolument pas, dit-il de sa voix implacable.
– On ne va pas rentrer à cheval ? m’étouffé-je.
– C’est comme tu veux, mademoiselle Tout Court. Si tu préfères rentrer à pied…

Je le déteste ! Vraiment, je le déteste ! De tout mon corps, de tout mon cœur, de


toute mon âme ! Et jamais, jamais, je ne monterai sur ce truc ! Hors de question !

– Oui, merci, ça va aller, je vais y aller à pied. J’ai envie de marcher, finalement,
dis-je en mentant piteusement.
Son rire, plus si enchanteur que ça, retentit. Nos regards s’aimantent un instant,
se défient. Et sa voix chaude et amusée s’élève.

– Cinq kilomètres dans la nuit, tu as raison, c’est vite fait.

Il n’a pas tort. Pour la nuit. Elle est en train de tomber sur le paysage,
l’engloutissant rapidement. Je ne vois déjà plus les montagnes au loin, la brume a
pris une teinte bleutée, magnifique, créant une aura féerique au-dessus de l’océan.

– Mon portable fait lampe de poche, dis-je en le brandissant comme un trophée.

Et en constatant qu’il ne me reste que deux pour cent de batterie !

Je relâche mes épaules, fourre rageusement mon téléphone dans ma poche,


réfléchis à cent à l’heure pour tenter de trouver une autre solution. Mais aucune ne
me vient à l’esprit. Parce qu’à part effectuer le trajet à pied, je ne vois pas comment
faire. Du stop ? La ferme où nous tournons est paumée au sommet d’une colline. Un
taxi ? Mon téléphone va me lâcher avant même avoir pu prononcer un mot. Dormir
ici ? Pitié, je veux mon lit !

– Bien, dit Alistair d’un ton nonchalant. Bonne soirée, Amy, à demain.

Sur ce, il pose une main sur l’encolure de la grosse bête noire, l’autre sur son dos,
s’élance, saute sur son Clydesdale même pas sellé, et s’installe. Tout ça sans effort. À
l’intérieur de moi, c’est la panique. Je n’ai aucune envie de rentrer dans la nuit noire
toute seule. Mais je n’ai aucune envie de monter – à cru, en plus ! – sur ce cheval
qui doit faire deux mètres !

– Non ! Attendez ! Je… euh…

L’arrogant me regarde de toute sa hauteur. Beau, sexy en diable, fier.


Terriblement séduisant. Terriblement énervant. Il hausse un sourcil, sourit encore en
coin.

– Je ne suis jamais montée sur un cheval, avoué-je finalement, vaincue.

L’étonnement se lit sur ses traits. L’agacement augmente sur les miens.

– Vraiment ?
– Oui, bon, ce n’est pas la peine d’en rajouter, réponds-je, blasée. Je ne dois pas
être la seule fille au monde dans ce cas !
– Pas de problème, dit-il en sautant lestement de son cheval. Viens, je vais t’aider.

Ah oui ? Comme ça, sans moquerie ?

Alistair se tient devant moi, la main tendue. Son visage n’exprime aucune ironie.
Il est là, force brute et tranquille, attendant que je fasse un geste pour qu’il me hisse sur
ce satané canasson. Mon pouls s’accélère, mon cœur aussi, ma température corporelle
augmente de quelques degrés. Un geste. Dans sa direction. Ce n’est pas grand-chose.
Presque rien, même. En tout cas, rien d’extraordinaire. Juste poser ma main dans la
sienne, et me laisser guider. Moi, « la fille de », qui se bat pour ne plus l’être, qui se
cache de la célèbre identité de sa mère, qui a vécu des années sans savoir l’identité
de son père, je dois seulement accepter l’aide qu’il me propose. Mon indépendance
sacrée n’est pas mise en jeu. Ma dignité, peut-être un peu. Mais c’est un détail. Alors,
pourquoi j’hésite ? Pourquoi je cherche encore s’il n’y a pas une autre solution ? La
peur ? Foutaise ! Près de lui, je n’ai peur de rien. Et ça non plus, je ne me l’explique
pas. Comme si ce qu’il dégageait, cette prestance à toute épreuve, ce magnétisme rare
des gagnants, de ceux qui ne reculent devant rien, était contagieux.

– Amy ? m’interroge sa voix de velours.


– Oui, oui, j’arrive, murmuré-je.

La nuit est là. Épaisse, sombre, comme un rideau massif sur cette journée de folie.
Et Alistair m’attend. Il ne me presse pas. Il ne m’oblige pas.

– OK, soufflé-je. On y va.

Je glisse ma main dans la sienne. Frissonne. Oublie de respirer. Alistair,


délicatement, pose ma main sur le flanc de la bête pour m’inviter à la caresser. À
l’apprivoiser, peut-être. À me rassurer, en tout cas. Le poil de Mister Swing est doux.
Chaud. Mon cœur cogne intempestivement dans ma poitrine, mais je gère. J’essaie.
Je ne me défile pas, déjà. Quand Alistair estime que je suis un peu plus à l’aise,
il m’attrape par la taille me hisse sur le cheval qui ne bouge pas d’un millimètre.
Sentir la musculature massive de l’animal qui m’effraie tant sous mes jambes est
étrange. Nouveau. Pas si désagréable, finalement. Et la vue d’en haut n’est pas si mal,
même si je n’irais pas jusqu’à dire que j’apprécie. Pas encore… Je ferme les yeux
lorsqu’Alistair grimpe à son tour. Retient un hoquet quand son corps brûlant se colle
contre le mien. Son torse et mon dos, imbriqués. Toutes mes inquiétudes, volatilisées.
Et sa voix s’infiltre dans tous les pores de ma peau.

– Tiens-toi à sa crinière. Ça ne lui fera pas mal, il est habitué. Tes jambes doivent
être fermes mais ne pas trop le serrer non plus. Et évite les coups de talons, sinon il
partira au trot. Laisse ton corps suivre le mouvement. Si ça ne va pas, tu me le dis,
d’accord ? Mais ne t’inquiète pas, tout va bien.

Suis pas aussi sûre que ça, moi…

Je ne saurais dire ce qui est le plus flippant. Le cheval qui avance ou la présence
d’Alistair derrière moi. Le vertige qui me saisit, même s’il n’y a pas vraiment un
gros vide sous moi. Non, le vertige est intérieur. Montagnes russes de sensations. Sa
chaleur, sa voix, son souffle contre mes cheveux, ses bras autour de moi. Son odeur.
Celle qui m’envahit au-delà de celle du cheval, j’entends. Mélange de bois, peut-être,
avec une touche d’acidité. Fruitée ? Je ne saurais dire. Piquante, ça oui, sans hésiter…

Je n’arrive pas à me détendre. D’une, c’est la première fois que je monte sur un
animal pareil. Même un poney, je n’ai jamais essayé. Ma mère en avait loué pour
l’un de mes anniversaires, petite, et j’avais fait un esclandre, parce que j’étais déjà
terrorisée. J’avais ruiné ma fête, alors qu’elle s’était donné du mal pour être originale
et présente dans son emploi du temps surchargé. Mes copines – et leurs mères –
m’avaient sans doute prise pour une enfant gâtée. C’est après qu’elle a voulu me
donner des cours d’équitation. Que j’ai toujours refusés.

La main d’Alistair glisse sur ma hanche. Mon cœur suit le mouvement, en apnée.
Il se loge là où ses doigts posés me brûlent. Je m’accroche comme si ma vie en
dépendait – ce qui n’est pas tout à fait faux – à la crinière. Sous mes fesses, les muscles
de l’équidé roulent tranquillement. Derrière mon dos, le torse ferme d’Alistair,
rassurant, qui me tient et me protège. Je ne risque rien, a priori. Mais je ne me suis
jamais sentie aussi vulnérable qu’aujourd’hui. Prise au piège. À sa merci. À la merci
d’un homme qui joue, rit, comme un adolescent et fuit la minute d’après, se ferme tel
un coquillage sentant le danger. D’un homme qui m’attire autant qu’il m’exaspère.

– Tout va bien, BlueBird ? susurre sa voix douce contre mon cou.


– Arrête de m’appeler comme ça ! riposté-je.
– Tiens, tu me tutoies, maintenant. Rien de tel que la proximité.
– J’ai oublié, dis-je pour justifier pourquoi je ne le vouvoie plus.
– Oublié quoi ?
– Rien.

Oublié de garder la distance que je souhaite mettre entre nous. Parce que je suis
censée le diriger sur les scènes, parce que je ne le connais pas, parce que je n’arrive
pas à le cerner. Parce que cet homme est un mystère à lui tout seul, tête brûlée selon
les rumeurs, talentueux selon les professionnels, énervant selon moi. Mais surtout,
surtout, cet homme fait naître en moi tout un tas d’émotions et de sensations dont
j’ignorais jusqu’à l’existence…

Alistair lâche ma hanche et pose sa main sur les rênes. Ses bras m’entourent,
comme une barrière protectrice. Le vent s’engouffre dans mes cheveux, les fait
virevolter, et mes mèches courtes teintes en bleu se collent devant mes yeux. Je ne
peux pas lâcher la crinière du cheval, malgré la pression du corps masculin qui me
maintient fermement. Alors, j’abaisse mes paupières. Juste quelques instants.
Quelques secondes. Quelques secondes volées à la vie, au temps, à la pression que je
m’inflige afin d’obtenir une place dans le cinéma, au stress qui me motive autant qu’il
m’épuise. Quelques secondes où j’ai l’impression de vivre pleinement, sans chercher
à cacher quelque chose, à me démarquer, à faire oublier qui je suis. Et c’est bon.
Enivrant. Excitant.

Jusqu’à ce qu’Alistair lâche, joueur :

– On peut aller au galop maintenant ?


10. Lâcher prise…

– Euh… je ne suis pas sûre, non.

La quiétude a été de courte durée. J’ai à peine eu le temps de m’habituer à la


marche au pas qu’il veut déjà aller plus vite ! J’ai juste pu savourer de ne plus avoir
peur qu’il veut passer à la vitesse supérieure. Je reconnais bien là le caractère de cet
homme décrit par ses fans, l’homme qui n’en a jamais assez, qui a besoin de tester
ses limites, de défrayer les chroniques, de battre des records. Mais là, on parle de mes
limites à moi. Et je les ai déjà bien dépassées, aujourd’hui, en montant sur ce cheval.

– Tu ne risques rien, m’assure Alistair d’une voix posée.


– Non, vraiment, je ne crois pas que ce soit une bonne idée, dis-je en tremblant
d’avance.
– Tu as toujours peur ? me demande-t-il d’un ton doux, prévenant.
– Là, non. Mais, si on va plus vite…

Alistair ne dit plus rien. Je peux presque l’entendre réfléchir. Sa respiration est
calée à la mienne, comme un seul et même souffle. Sauf que la mienne aurait tendance
à s’accélérer. Je lutte pour la garder lente et profonde.

– Et si je te promets que tu ne risques rien ?

Mouais. Les promesses, je n’y crois pas trop. Avec Bonnie, nous nous étions
promis à la vie, à la mort. Et pourtant…

Je ne réponds donc pas. Je ne peux pas. J’ai l’impression d’être devant un choix
cornélien à faire. Ce qui est stupide. Alistair me demande juste si je veux tenter le
galop, pas si je veux sauter une falaise de soixante mètres avec lui ! Je n’ai qu’à dire
« non ». C’est tellement simple. Un seul mot, trois lettres, une syllabe. Pourtant, c’est
le chaos dans mes pensées.

– Amy, continue-t-il, comme s’il sentait le dilemme qui se joue dans ma tête. Tout
va bien. Je te tiens, tu n’as rien à craindre.

Sur ce dernier mot, sa main gauche se pose sur mon ventre, me calant encore
plus contre lui, tandis que l’autre tient toujours fermement ma hanche. Ses cuisses
musclées encerclent les miennes, ses abdominaux tiennent mes reins, ses épaules
réchauffent mes omoplates. Plus qu’un, c’est tout ce qui me vient. Une seule et même
entité, un seul et même mouvement, synchronisé à celui du cheval, un seul et même
corps. Les frissons refont leur apparition, un étrange chatouillis s’installe au creux de
mon ventre, juste sous ses doigts, semblable à des bulles microscopiques qui éclatent
de joie, des papillons s’ébrouent dans ma poitrine, indisciplinés et nombreux.
– Respire, me chuchote-t-il, tout en donnant un léger coup de talon à notre
monture. Et fais-moi confiance.

Tous mes muscles se tendent quand le cheval passe du pas au trot. Puis, un autre
coup de talon fait galoper l’animal. Alistair me tient fermement, tout en me suggérant
de juste suivre le mouvement, comme il me l’a déjà conseillé auparavant. N’ayant
plus d’autre choix que de l’écouter, je laisse mon corps – et le sien – me diriger. Je
m’accroche bien évidemment à la crinière, mais me rends compte qu’Alistair est un
superbe rempart contre mes craintes. La bête massive a pris de la vitesse, mes cheveux
s’emmêlent de plus belle, le vent me coupe le souffle, mon cœur est un peu malmené,
mais les sensations sont étourdissantes. Je surplombe le paysage, vois de plus haut
l’océan et son eau agitée, me sens proche des oiseaux qui tournoient en criant une
dernière fois avant d’aller se coucher. Les sabots du Clydesdale tapent contre le sol, et
je me sens presque l’âme d’une guerrière, fière d’avoir pu dépasser ma peur panique,
au moins pour une fois. C’est grisant. Inattendu. J’ai vraiment l’impression de faire
corps avec ce cheval, la nature, les éléments tout autour de moi, les arbres qui défilent,
les étoiles qui apparaissent, la lune qui se lève et joue à cache-cache avec les nuages.
Sans parler du corps d’Alistair…

Et il ne mentait pas, je ne risque rien, dans ses bras

Être dans les bras d’Alistair, sentir sa présence rassurante, m’en remettre
entièrement à quelqu’un en ce qui concerne ma sécurité, même le temps de quelques
minutes, même si je ne risque pas ma vie (enfin, je ne crois pas ) et surtout, surtout,
entendre ce mot que j’avais relégué au fin fond de mes souvenirs… confiance… me
remue énormément.

Alistair ralentit quand nous apercevons le Cavern. Je me retourne, prête à lui


demander de revenir au pas maintenant. Mais je n’en ai pas le temps.

– Tu sais comment montaient les femmes à l’époque du tournage de la série ? me


demande-t-il, de l’amusement dans la voix.
– Oui, réponds-je hésitante. Pourquoi ?
– Comme ça… Je ne disais juste que tu pourrais essayer, maintenant que tu es
à l’aise.
– Oh, je n’irai pas jusqu’à dire que je suis à l’aise ! objecté-je très vite.
– Je te tiens, promis.

Et voilà… Encore une fois, il fait ce qu’il veut de moi. Enfin, de ma volonté…

Alistair rit, et son rire enchanteur achève de me convaincre. D’un geste habile,
il me fait pivoter. Assise sur le dos de Mister Swing, mon visage tout près de celui
d’Alistair, je me laisse envahir par son odeur masculine, par la chaleur qui se dégage
de son corps, par la sensation cuisante de sa main sur mon ventre et de son bras
autour de mon épaule. Je suis calée contre son torse. Lovée, même. Nous avançons
tranquillement, au pas. Je sens ses muscles se tendre autant que ceux du cheval qui
roulent sous mes fesses. Cette proximité est aussi troublante que de le sentir derrière
moi. Son souffle effleure ma joue. Frissons. Sa voix caresse mon âme. Exaltation. Je
tourne lentement la tête, je n’ai pas entendu ce qu’il m’a dit. L’atmosphère se charge
d’une étrange électricité. Opaque, épaisse, sensuelle. Ses lèvres sont si proches des
miennes. Si tentantes. Si…

Et puis, tout à coup, je glisse. Littéralement. Je ne comprends pas ce qu’il se passe,


je n’en ai pas le temps mais mes pieds rebondissent sur le sol gravillonné du parking
du bar pendant que je crie de surprise. Alistair saute du cheval tout en lui intimant de
s’arrêter. Je plonge mes yeux dans les siens, rouge de honte, heureusement atténué par
la nuit. Mais je peux quand même y lire une nouvelle teinte. Sombre, flamboyante,
hypnotisante.

Du désir…

Je détourne vite le regard, balbutie une excuse pour ma chute, le remercie de


m’avoir ramenée, lui souhaite une bonne soirée et me rue jusqu’à la voiture, où je
m’enferme sans oser observer sa réaction puis me dépêche de démarrer… Je suis
obligée de m’y reprendre à deux fois. Mon cœur est toujours au galop, ma gorge,
asséchée, moi, totalement troublée…

Et ma dignité, envolée…
11. Envie d'un cocon de douceur...

J’ai déjà des courbatures dans les jambes. Alors que les courbatures, ça n’arrive
que le lendemain, non ? Mais ça, ce n’est rien, comparé à la honte que je me suis
tapée !

Je serre mon volant à m’en décrocher les doigts. Je n’arrête pas de me fustiger
intérieurement. Enfin, et à voix haute, aussi. Je me traite de tous les noms d’oiseaux
possibles et imaginables.

Je me suis tellement sentie mal que je crois que je n’oserai plus jamais le regarder
dans les yeux. Parce qu’il l’a senti, ce truc entre nous. Impossible à ignorer. C’était
tellement fort, tellement palpable, tellement troublant.

Il faut que je dorme ! Que j’oublie cette avalanche d’émotions qui m’a submergée,
aujourd’hui. Mais j’ai envie de parler à quelqu’un de ma famille. D’entendre une
voix familière, de me plonger dans un cocon de douceur, de sérénité. Ma mère est
en tournée, je sais que je ne pourrai pas la joindre si facilement. Et elle devinerait de
suite que quelque chose me tracasse, que mon cœur laisse échapper des battements
qu’il ne connaît pas, et qu’un homme est à l’origine de mes tourments…

Ma vie a été violemment mise à mal il y a quatre ans, suite à la découverte de


l’identité de mon père – surtout à cause de cet énorme secret que ma mère m’a caché
pendant dix-huit ans – cette histoire m’a dévoilé un frère. Un frère beau comme un
dieu (nous avons les mêmes yeux) (comment ça, je me vante ?), doux comme un
ruban satiné, protecteur comme peut l’être un grand frère aimant. Pourtant, nos débuts
ont été houleux. Je suis arrivée dans sa vie avec toute la fougue de mes 18 ans, en
colère. Tellement en colère… Je voulais qu’il me reconnaisse immédiatement, qu’il
m’accepte, qu’il m’aime. Qu’il me dise qu’il m’avait attendue toute sa vie, que même
s’il ne me connaissait pas, ma présence lui avait manquée, parce qu’il savait que
j’étais là, quelque part, et que nous finirions par nous trouver. Je crois que je voulais
tout. Tout et tout de suite. Faire partie de sa vie, de ses pensées, connaître ses amis,
ses goûts, ses habitudes. Rattraper toutes ces années perdues où nous ignorions
l’existence l’un de l’autre. Parce que, si je n’avais manqué de rien, pendant mon
enfance, j’avais toujours chéri l’idée d’avoir un grand frère, en secret…

Bien évidemment, ça n’a pas été aussi simple. Il m’a rejetée. Purement et
simplement. Je ne lui en veux pas, j’aurais sûrement fait pareil. Je souris en repensant
à mon comportement, tout en surveillant du coin de l’œil qu’un troupeau de moutons
ne traverse pas la route. Le tact ne faisait pas partie de mes qualités (je fais des efforts,
maintenant). La discrétion, non plus (sans commentaires) et je n’avais même pas
imaginé qu’il pourrait refuser de me parler (Amy élevée dans un monde de
Bisounours, habituée à être le centre du monde…). Au lieu de lui laisser le temps
d’intégrer cette révélation, faute d’avoir préparé un plan, aussi, j’ai rué dans les
brancards en lui envoyant au visage toute la colère qui me submergeait.

Heureusement, tout s’est rapidement arrangé. Lukas Stetson, mon frère, m’a
ouvert grand les bras. Le cœur. Il m’a laissé entrer dans sa vie.

Je gare la petite Clio blanche devant la cabane de bois que me loue la production,
dont la vue donne sur l’océan, espérant vivement que Duncan, mon logeur acariâtre,
ne sortira pas de sa maison non loin. J’ai eu ma dose de sensations fortes pour la
journée, je refuse qu’il vienne ajouter sa mauvaise humeur (le mot est faible) à cette
fin de journée.

Dès que j’entre dans ma cabane, je lance l’appel vocal avec Lukas.

– Salut petite sœur, retentit la voix de mon frère sur mon écran.

Son visage passe rapidement, suivi de la vue du mur de sa chambre, puis d’un
fauteuil où est déposé un costume gris.

– Tu me fais visiter ton appart ? plaisanté-je.

Son rire résonne, puis son visage réapparaît à nouveau. Ses grands yeux bleu clair,
semblables aux miens, ses traits si adorés, et son grand sourire.

– J’ai un rendez-vous, explique-t-il. Mais je ne voulais avoir de tes nouvelles


quand même.
– Je vais bien, dis-je de mon ton le plus neutre possible. Je te rappellerai, si tu
veux.
– Tout se passe comme tu le souhaites, sur le tournage ? demande-t-il quand même
tout en s’affairant.
– Oui, c’est speed, mais exaltant. Je te raconterai une autre fois. Eva va bien ?
– Oui ! Elle est chez Sahelle. Tu peux la joindre sur son portable, elle attend de te
parler avec impatience ! Elle n’arrête pas de me demander si je t’ai contactée, depuis
que tu es partie.
– Oh, je vais l’appeler de ce pas, alors. On se voit bientôt, de toute façon. Bisous,
Lukas !
– Je t’embrasse, Amy. Prends soin de toi.

Je raccroche, le sourire aux lèvres. Puis, compose aussitôt le numéro d’Eva, sa


femme, qui est devenue mon amie, en plus d’être ma belle-sœur.

– Amyyy ! s’écrie-t-elle dès qu’elle décroche. Alors, raconte-moi tout !

J’entends un brouhaha derrière elle, reconnaît la voix de Sahelle, son ancienne


logeuse – qui a été la mienne pendant une année également.

– Bonsoir Sahelle ! la salué-je quand Eva tourne l’écran.


Sahelle est fidèle à elle-même. Fantasque. Habillée d’une robe pourpre, épaisse,
qui jure presque avec son maquillage. Sauf qu’elle ne dépasse jamais la limite du too
much. Elle joue avec son apparence, pourrait sembler démodée, mélange les genres,
et ça lui réussit. Elle garde le code vestimentaire qui a été son succès lorsqu’elle était
chanteuse d’opéra. Un peu comme si elle ne voulait pas vieillir, pas oublier qui elle
était, préserver un peu de sa maigre célébrité en s’habillant comme si elle allait donner
une représentation. Au début, c’est surprenant. Drôle, même. Bien loin de la mode,
au-dessus du jugement, en décalage avec la façon de se vêtir des femmes de son âge.
Et quand on la connaît, ça lui va à merveille.

– Amy, ça y est, tu es devenue une star ? demande Sahelle en me faisant un coucou


avec sa main.
– Je ne suis pas actrice, Sahelle, je veux être réalisatrice.
– Tu as raison, jeune fille ! s’écrie-t-elle comme si, à travers le téléphone, j’étais
trop loin pour l’entendre. Réalise, réalise, laisse une trace de ton passage sur terre.
Mais tu pourrais aussi être actrice, jolie comme tu es !
– Merci, Sahelle, réponds-je, touchée. Vous jouez aux cartes ?

Le visage d’Eva réapparaît à l’écran. Sa moue m’indique que oui. Je ris, et les
souvenirs des parties de cartes avec Sahelle me reviennent en mémoire. Comment les
oublier ? Sahelle est la pire joueuse qui soit ! Tricheuse, de mauvaise foi, mauvaise
perdante. Si bien qu’il m’est arrivé maintes fois de la laisser gagner. Sauf qu’elle est
observatrice. Alors, elle le remarquait. Et elle se vexait encore plus.

– Raconte, m’encourage Eva. Comment ça se passe ?


– Speed. Motivant. Intéressant. Fatiguant. Je cours partout, mais je m’éclate !
– Ça a l’air vraiment passionnant, Amy ! résonne la voix de Sahelle.

Je souris. Omets volontairement les épisodes « Stuart le mal léché, Bonnie ma


meilleure amie qui ne l’est plus, Alistair l’énigmatique ». Mais Eva n’est pas dupe,
elle doit voir une ombre passer dans mon regard, ses yeux se plissent et je sens la
question arriver. Eva, qui nage dans le bonheur avec mon frère, met un point
d’honneur à caser les personnes qu’elle aime. Pour elle, l’amour est le plus beau des
cadeaux, primordial dans la vie, et elle veut absolument trouver « chaussure à nos
pieds ». Mais je n’ai pas envie de raconter quoi que ce soit ce soir, par téléphone.

Surtout qu’il n’y a rien à raconter…

– Je ne reste pas longtemps, nous avons fait un apéro hier et j’ai des heures de
sommeil à rattraper, dis-je très vite, sans lui laisser le temps de parler. Demain, je
me lève tôt, je voulais juste prendre des nouvelles. J’ai eu Lukas au téléphone, mais
il était pressé.

Son visage prend une teinte tout autre, ses yeux se perdent dans le vague. Ça, c’est
l’effet Lukas Stetson. Dès que je parle de lui, elle se transforme en une petite chose
toute molle. Je pourrais presque voir des cœurs roses dans ses yeux et des licornes
partout autour d’elle.
– Bon, rappelle dès que tu as un moment, on discutera ! dit-elle.
– Promis ! Je vous embrasse !

Je raccroche, le cœur un peu plus léger. J’ai eu ma dose de douceur. Mon cocon
de bien-être. Pile ce dont j’avais besoin. Même s’ils me manquent. J’ai passé
pratiquement quatre ans avec eux, à les voir régulièrement, à rire et échanger autour
d’un verre, d’un repas, d’une balade. Et là, me retrouver seule dans un pays inconnu,
entourée de gens tout aussi inconnus, est un véritable défi.

Mais on ne s’affranchit pas de l’étiquette « la fille de » sans effort.

Ni quelques sacrifices…
12. Il y a des jours où rester au lit aurait été la
meilleure option...

Ma guitare, posée sagement contre le mur de bois, me fait de l’œil à mon réveil. Je
n’ai pas pris le temps de jouer une seule note depuis que je suis ici. Pourtant, l’endroit
s’y prête vraiment. La vue, déjà, avec sa chaîne de montagnes au loin, d’où monte la
brume matinale avant d’aller se perdre dans le ciel nuageux. L’océan, plus bas, qui
balance ses vagues contre les rochers, inlassablement. La décoration de cette cabane,
minimaliste mais très chaleureuse, fait que je me croirais perchée au sommet d’un
arbre. En bois et pierre brute, la maison de Duncan-le-grincheux est construite tout au
bout d’un chemin caillouteux, seule au monde, à la merci du vent qui vient souvent
terminer sa course folle ici. Solitaire, perdue, parfaite pour motiver mon inspiration.

Je regarde ma guitare, m’excusant silencieusement de la délaisser. Parce que, si


j’ai bien envie d’en jouer, les chiffres sur la grosse horloge murale me disent que ce
n’est vraiment pas le moment. Il est l’heure de se lever !

Le soleil n’a pas daigné se lever, lui, par contre. Il est caché derrière sa couverture
de nuages. Je sors, inspire l’air, éternue, retourne chercher une veste plus épaisse et
un foulard. J’aperçois Duncan, en peignoir – comme tous les matins – qui sirote un
café en appréciant le paysage. Enfin, j’imagine. Même si je ne sais pas si cet homme
est capable d’apprécier quoi que ce soit… Je ne lui ai jamais vu un sourire sur le
visage, un air joyeux, entendu une parole positive venant de lui. Je lui fais un petit
signe de la main pour le saluer mais il ne me voit même pas.

Je me dépêche de rejoindre ma voiture, garée au-dessus de ma maisonnette de


bois quand quelque chose me semble bizarre. Je m’arrête, regarde mieux et, en effet,
l’avant de mon véhicule paraît plus bas que l’arrière. Je recule, encore un peu trop
endormie pour comprendre quoi que ce soit quand je me rends compte qu’un pneu est
crevé. Je m’approche, stupéfaite. Et paniquée. Comment vais-je faire pour me rendre
sur le plateau ? Je fouille dans mon sac pour en extirper mon téléphone, appelle
Carolyn, priant pour qu’elle réponde. Mais aucune sonnerie ne retentit, je tombe
directement sur son répondeur.

Mon cerveau mouline à toute vitesse pour trouver une solution. Changer un pneu,
de bon matin ? La bonne blague… Je file tout de même en direction du coffre, l’ouvre,
cherche où pourrait se trouver la roue de secours. Aucune idée. Et l’heure tourne.
Les minutes défilent, comme si quelqu’un s’amusait à faire avancer le temps plus
rapidement. C’est toujours un peu ainsi, lorsqu’on est pressé, non ? Je fais le tour
de la voiture, regarde dessous – on ne sait jamais… – et remarque qu’un deuxième
pneu est crevé. Les deux de devant, en fait. Je vérifie que ceux à l’arrière vont bien.
Des milliers de questions me traversent l’esprit. En même temps. Comment ai-je bien
pu faire pour crever deux pneus ? Pourquoi je ne l’ai pas senti, hier soir ? Je fais
comment, maintenant ? C’est un mauvais rêve et je vais me réveiller, c’est ça ?

Non. C’est la réalité.

Finalement, le cheval, comme moyen de locomotion, est peut-être plus fiable


qu’une voiture…

J’essaie de nouveau de joindre Carolyn, sans succès. Quand j’aperçois la


silhouette de Duncan qui approche, je ne réfléchis pas. Je me rue sur lui. C’est mon
seul espoir.

– Bonjour, dis-je très vite, m’armant de mon plus beau sourire. J’ai un gros
problème, deux pneus de ma voiture sont crevés et je dois absolument être sur le
tournage d’ici quelques minutes. Est-ce que vous pourriez m’emmener, s’il vous
plaît ? Je vous paie le prix d’une course de taxi, si vous voulez. J’ai bien pensé à en
appeler un, mais le temps qu’il arrive, je vais vraiment être en retard.

Duncan me regarde de haut en bas, de ses yeux sans lueur. Je peux deviner ses
pensées. Ma tenue, un peu voyante, avec mon pantalon rouge et ma doudoune
bordeaux. Ou alors mes cheveux, qui doivent dénoter avec les couleurs de mes
vêtements. Mon sac, un sublime Gorjuss qui représente une petite fille sur une pile
de livres, bleu et rose. La barrette argentée qui tient ma frange, peut-être, parce que
je n’ai pas réussi à la discipliner, ce matin ?

Réponds, bordel !

Et oui, de préférence…

S’il me conduit rapidement au travail, je jure que plus jamais, jamais je ne dirai
une parole méchante sur lui. Juré, craché. Plus de critique, plus de jugement, plus
de moquerie.

– Deux pneus, vraiment ? lâche-t-il d’une voix suspicieuse.

Genre, non, non, c’est une plaisanterie, j’adore faire des blagues de bon matin !
(Oups, pardon, j’ai dit que je ne penserais plus du mal de lui…) (Enfin, il n’a pas
encore accepté…)

– Oui. J’ai dû rouler sur un truc pointu, je ne sais pas. Ou alors, les pneus étaient
usés, débité-je sans pouvoir m’arrêter. Enfin, bref, il faut vraiment que vous m’aidiez,
là. S’il vous plaît !

Duncan va vérifier que je dis vrai. Je trépigne, lance encore un appel à Carolyn
mais c’est toujours le répondeur. Je hais les répondeurs ! Je hais les voitures !

– S’il vous plaît, supplié-je presque. Je vais me faire virer si je n’arrive pas à
l’heure ! Le réalisateur déteste les retards ! Et je suis nouvelle, je ne peux pas faire
d’erreurs ! Dites-moi votre prix, et il sera le mien ! Mais j’ai…
– C’est bon, c’est bon, me coupe-t-il, probablement agacé par le ton de ma voix
strident. Attendez-moi là, je vais chercher les clefs !

Je lâche un gros soupir, reconnaissante. Soulagée. Je jette un œil sur l’écran de


mon téléphone, je dois être dans cinq minutes sur le tournage. Ça peut le faire. À
moins que Duncan ne roule comme un escargot. Ou qu’il décide de prendre sa douche
avant de m’emmener. Ou…

Il est là, tenant dans ses mains ridées une clef.

– Allez, dépêchez-vous de monter, à cause de vous, toute mon organisation de la


journée est décalée, dit-il en me faisant signe de le suivre.

Je souris en guise de remerciement, me hâte de lui obéir. Duncan ouvre un garage,


et je découvre un vieux quatre-quatre, datant probablement de l’avant-guerre. Kaki,
ouvert de tous côtés, à l’allure ancestrale. Mais je ne m’arrête pas sur ces détails, je
suis bien trop contente d’avoir trouvé une solution.

Et j’ai dit que je ne le critiquerai plus…

Enfin, là, c’est son véhicule, ce n’est pas pareil, si ?

– Il y a un garage par ici ? demandé-je dès que Duncan s’assied. Il faut que je
fasse dépanner la Clio.

Duncan ne répond pas. Il regarde sa clef, prend le temps de l’insérer dans le


contact. Avec une lenteur presque exagérée, il vérifie que la boîte de vitesse est bien
au point mort. Que son siège est bien réglé. Tire sur sa ceinture de sécurité et l’attache.
Moi, je bous d’impatience, entendant les secondes défiler dans mon esprit comme un
sablier égrène son sable. Le moteur démarre enfin. Je respire de nouveau.

– Comment ai-je pu crever deux pneus en même temps ? marmonné-je presque


pour moi-même.
– Si vous étiez mieux garée, aussi, grogne Duncan, sans quitter la route des yeux.
– Ah bon ? Je suis mal garée ? Vous voulez que je mette la voiture où ? demandé-
je, pour ne pas le froisser.
– Et vous conduisez trop vite… ajoute-t-il, sans daigner répondre à ma question.
Nous sommes en Écosse, ici, pas aux États-Unis.

Je le regarde, surprise. Et suspicieuse. D’une, je n’étais pas mal garée. De deux,


je ne conduis pas vite (et je ne vois pas le rapport avec les États-Unis).

– Les femmes au volant, franchement…retentit encore sa voix…

***

Mon retard – encore – est passé inaperçu. Bon, ce n’était que cinq petites minutes,
finalement, ce qui est aisément dissimulable. Après avoir bu un café, reproché en
plaisantant à Carolyn de ne pas allumer son portable le matin et écouté les directives
d’Alan, je m’isole quelques secondes pour téléphoner à un dépanneur. Duncan, mon
sauveur, n’a pas été jusqu’à me donner le nom du garage le plus proche, mais j’ai
trouvé. Vive Google.

Je décide d’aller à l’arrière de la ferme. Pas très loin de l’enclos, d’ailleurs. Je jette
un œil sur le morceau de pré. Désert. Pas de chevaux. Pas d’Alistair. Tant mieux.

Enfin, je crois…

Je m’assieds sur un vieux banc en bois pour cliquer sur le numéro quand j’entends
une porte grincer. Curieuse, je tourne les yeux… pour découvrir Bonnie, enveloppée
dans une épaisse veste noire sur son costume du jour. Toujours aussi jolie. Mon cœur
s’accélère.

C’est le moment de tenter de lui reparler…

Je me lève d’un bond, essaie de calmer le stress qui m’a envahi depuis que je l’ai
vu, et m’approche d’elle.

– Salut, dis-je, hésitante. Je peux te parler deux minutes ?


– Non.

Le mot tombe comme un couperet. Brutal. Ferme. Blessant.

Note : Ne jamais demander à quelqu’un si on peut lui parler quand on sait


pertinemment que cette personne ne veut pas…

– Bonnie, je suis désolée, insisté-je quand même. Écoute, je comprends que tu


m’en veuilles, mais s’il te plaît, écoute-moi quand même.
– Amy, dégage, je suis là pour me concentrer, crache-t-elle d’une voix glaciale.
– Je sais, je sais, oui, dis-je, me forçant à rire, dans l’espoir qu’elle se remémore
combien nous étions joyeuses, ensemble. Je me souviens bien que tu as besoin de
t’isoler avant de faire une scène. Je voudrais juste que tu m’écoutes. Ça fait des années
maintenant, on peut peut-être…
– Amy, me coupe-t-elle. Tu ne fais plus partie de ma vie. Tu as tout détruit. Tout.
Ma famille, notre amitié, nos souvenirs, et moi avec. Alors dégage d’ici avant que je
ne dise à tout le monde ta nature secrète !
– Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
– Tout ça à cause d’un mec, en plus, s’énerve-t-elle. Tu te rends compte ? Tu te
rends compte du bordel que tu as mis dans ma vie à cause de ta jalousie ? Je m’en
foutais, de ce Chris, moi ! Mais toi, non, hein. Avoir une vie de rêve ne te suffisait
pas, tu étais tellement jalouse, tellement seule qu’il t’a fallu prendre plus ! C’est quoi
ton problème, franchement ? Tu veux ce que les autres ont ? Et si tu n’y arrives pas,
tu ne peux t’empêcher de détruire, alors ? Ou quoi, tu as voulu te venger, c’est ça ?
Parce que tu étais amoureuse de lui, peut-être ? Mais Amy, tu veux que je te dise un
secret ? Tu n’es pas capable d’aimer. Tu ne sais pas ce que ce mot veut dire. Tu as
toujours tout eu. Tout. Et ça ne t’allait jamais ! Oh, la pauvre petite fille malheureuse
entourée de tout ce que les autres tueraient pour posséder.
Ses joues sont rouges, faisant ressortir ses taches de rousseur que je m’étais, un
jour, amusée à compter. Sans y parvenir. Son regard est froid comme jamais, rempli
de haine. Ça me vrille les entrailles. Le cœur. Comme si une main de géant le tenait
entre ses doigts et en faisait un minuscule morceau de papier mâché. La douleur que je
ressens est immense. Intense. Tellement brutale que les larmes me montent aux yeux.

Je m’apprête à répondre quelque chose, à lui demander des explications parce


qu’il y a quelque chose qui m’échappe, là. Mais elle ne m’en laisse pas le temps.

– C’est la dernière fois que je te mets en garde, Amy. Si tu m’approches encore,


je balance tout !

Elle tourne les talons et me laisse seule dans le silence brumeux de cette journée si
triste. Seule avec mes questions, mon incompréhension, la douleur qui me provoque
une migraine. Je me masse les tempes, refoule mes larmes, range le téléphone dans
ma poche, sonnée. Dépassée. Dévastée.
13. Accalmie dans la tempête de mes pensées

Alistair est arrivé en début d’après-midi sur le tournage, assis sur sa monture, tel
un cavalier bravant le froid. OK, j’exagère, il est venu en voiture, j’ai entendu des
figurantes parler de lui.

Et de son gros pick-up…

J’ai bien lu de l’amusement dans son regard, ces petites étincelles qui rendent ses
iris si particuliers, mais une chose de plus était présente, cette fois.

La douceur.

Sa présence m’a réchauffée. A déposé un baume sur les cicatrices qui se sont
rouvertes. Je doute même qu’elles se soient fermées un jour. Quand j’ai pu, j’ai
observé Bonnie jouer et j’ai pu constater qu’elle n’était pas très à l’aise non plus.
Alan l’a reprise de nombreuses fois, et je n’ai pas pu m’empêcher de culpabiliser. Si
elle est aussi déconcentrée, c’est à cause de moi. Ma faute. Comme tout ce qu’elle
me reproche. Je ne comprends toujours pas qu’elle refuse de s’expliquer…

Alors je préfère garder mon attention sur Alistair. Sa scène est plus compliquée
que la dernière fois, il doit sauter un obstacle et rouler sur le sol.

Hum, hum, ça me rappelle drôlement quelque chose…

Scène qu’il effectue remarquablement bien, évidemment. Dès qu’il s’élance dans
le pré, fier sur sa magnifique monture, je retiens ma respiration. Comme tout le
monde, je crois. Le silence règne pour admirer la prestance, le magnétisme fou, la
beauté insolente de cet homme qui fait battre le cœur de toutes les femmes qu’il
croise. Enfin, selon ce que j’en ai entendu, pas que j’ai creusé le sujet, hein… Bref.

Alistair saute par-dessus l’amas de troncs d’arbres qui jonchent le sol, cheveux
au vent, le corps tendu par cette course, puis il chute, les coudes en avant, et effectue
des roulés-boulés sur l’herbe trempée à cause de la petite pluie désagréable qui tombe
depuis une bonne heure. L’ambiance de la scène est encore plus intense avec cette
luminosité pâle, floutée par les gouttes d’eau éparses. Le cascadeur reste quelques
minutes allongé sur le sol, j’entends des murmures, des oh, ah, des commentaires,
des inquiétudes.

Mais Alan sonne le clap et Alistair se relève, époussette ses vêtements, tout
sourire. Puis recommence. En seulement deux prises, le réalisateur est satisfait. Je
laisse un moment mes figurants pour rejoindre l’équipe sous la tente afin de voir
avec eux ce que donne la prestation d’Alistair. À cause du temps, les caméras ont
été positionnées des deux côtés. Une vue d’ensemble avec Alistair de dos, une prise
d’un peu plus près avec sa chute. Les caméras ont bien sûr été posées afin qu’on ne
les voie pas, c’est extrêmement rare que deux prises se fassent ensemble, mais cela
nous permet de gagner de précieuses minutes, la météo est incertaine. Et cela n’a pas
l’air de vouloir s’arranger, la pluie s’intensifie.

– Fais partir les figurants, Amy, me dit Stuart sans même me regarder. Nous
n’avons plus besoin d’eux.

Sur l’un des écrans, le visage d’Alistair apparaît. Presque plus beau qu’en vrai.
Enfin, aussi beau, en tout cas. Son air concentré, le léger sourire qui ourle ses lèvres,
ses yeux plissés, regardant au loin.

– Putain, ce qu’il est canon, me souffle Carolyn, derrière mon dos.

Sa phrase me permet de reprendre mes esprits. Les figurants ! Je m’écarte de la


tente, mais pas assez vite car j’entends la voix d’Alan émettre, comme une vérité :

– Il devrait être acteur, ce type. C’est un gâchis de n’avoir que son dos à l’écran !

Je me hâte d’accompagner les figurants se mettre à l’abri dans une pièce et signer
leur fiche de présence. Au moment où j’en ressors, j’aperçois Alistair faire monter
son cheval dans un van, accompagné d’un vieil homme. Puis un grondement sourd
retentit.

– L’orage arrive ! crie quelqu’un. On range, vite !


– Fin de journée ! ajoute Alan.

Sans réfléchir, la pluie nous trempant lamentablement, nous courons dans tous les
sens pour ranger le matériel qui reste encore à l’extérieur. Les caméras sont déjà en
sécurité mais le reste ne peut pas passer la nuit dehors. Les gouttes épaisses s’infiltrent
sous ma doudoune, coulent le long de mon dos et je n’ose même pas imaginer ma tête.

Ni ma coiffure…

L’équipe ne demande pas son reste. Dès que tout est rangé, tous se dépêchent
de partir. Même Carolyn, qui m’envoie un baiser de la main en me disant qu’elle
m’expliquera. Je fronce les sourcils afin qu’elle ait pitié de moi et me donne des
détails, mais elle est déjà loin.

OK, je repasserai pour les explications…

Mais je me demande si un certain Highlander macho ne serait pas là-dessous ?

Je file me mettre l’abri derrière le bâtiment – c’est le seul endroit où le réseau


capte bien – et appelle le garage pour savoir si ma voiture est prête. Entre deux prises,
j’ai pu avoir le responsable au téléphone et il est allé remorquer ma voiture après
être venu aimablement chercher les clefs sur le plateau… Il m’a assuré que les pneus
seraient changés dans la journée et qu’il me ramènerait la voiture ici. Je suis trempée,
j’ai froid, j’ai hâte de me mettre au chaud, chez moi. Malheureusement, je déchante
vite : il n’avait pas les pneus en stock !

Et je suis là, comme une conne, mouillée de la tête aux pieds.

Et seule…

Je fais le tour du bâtiment, espère trouver une âme généreuse, mais le plateau est
désert.

Impression de déjà-vu.

Encore.

Tout à coup, j’entends une portière claquer. Je me précipite vers le parking, caché
par des bosquets, prête à supplier la personne de me ramener. Même si c’est Stuart.
La pluie tombe en rideau épais, la boue formée par l’eau et la terre colle sous mes
pieds, le terrain est glissant mais je cours quand même – je ne veux pas laisser passer
ma chance – quand je me retrouve nez à nez avec un torse musclé. Littéralement.
Mon visage est pratiquement collé contre le paquet de muscles qui apparaît sous une
chemise blanche transparente, me narguant, là, juste devant mes yeux. Lentement, je
lève mon regard même si je sais déjà qui est en face de moi.

Picotements dans la nuque.

Frisson.

Chaleur.

Tout ça en même temps, oui…

– Amy… m’effleure sa voix de velours.


– Salut, dis-je, gênée. Je… Euh, cherchais quelqu’un pour me raccompagner. Ma
voiture a eu un petit souci, elle est au garage. Elle devait être prête pour ce soir, mais
finalement, non. Et tout le monde est parti. Et il pleut.

Et je ne suis pas obligée de lui raconter ma vie…

Je ne peux m’empêcher de parler vite. De bafouiller. J’essaie d’éviter son regard,


caressant, chaud, troublant, sans succès. Ses yeux m’aimantent, m’hypnotisent,
augmentent ma température corporelle. Lui, semble à l’aise, comme s’il ne s’était
rien passé hier soir, comme si nous n’avions pas failli nous embrasser. Je me dis que
j’ai rêvé, peut-être, fantasmé, imaginé. Puis l’orage reprend de plus belle. Une lueur
zèbre le ciel, un son sec claque aussitôt après, Alistair sursaute, m’attrape par le bras.

– Fais chier, peste-t-il. Viens, allons à l’abri !

Il tremble, je crois. À moins que ce ne soit moi ? Ou les deux ensemble. Je ne


cherche pas à comprendre et le suis à l’intérieur du bâtiment, dans sa loge. Il ne dit
rien, mais son visage est crispé, tout comme son corps. Un deuxième éclair illumine
la pièce, Alistair ferme les yeux, les lèvres serrées, les sourcils froncés. Lorsqu’il les
ouvre, après le claquement flippant, son regard est empreint d’ombres, ses traits sont
tirés et je sens que quelque chose ne va pas.

– On peut courir jusqu’à la voiture ? suggéré-je. On est déjà trempés, de toute


façon.

Pas que j’ai froid. Mais quand même.

Surtout, l’atmosphère dans cette pièce est irrespirable. Être là, seule avec lui dans
cet espace confiné me stresse et me plaît tout autant. L’air est chargé d’électricité –
et pas uniquement à cause de l’orage – le corps d’Alistair est tout près du mien, son
regard, lointain, me donne envie de me coller contre lui et de ramener les étoiles dans
ses yeux. Son odeur est omniprésente, entêtante, comme si elle s’était déjà incrustée
dans les murs.

– Non, affirme-t-il d’une voix sèche. Attendons que ça se calme.

J’ai envie de le questionner, de lui demander pourquoi, et de quoi il a peur, lui,


l’homme sans limites, qui défie l’apesanteur et les éléments, qui dresse des chevaux,
qui fait battre mon cœur – oui, je m’égare, encore – mais je ne dis rien, le ton de sa
voix m’en dissuade. Je m’écarte de lui, me rapproche de la petite fenêtre qui donne
sur le plateau, regarde le temps se déchaîner à l’extérieur.

– J’adore l’orage, dis-je au bout d’un moment pour combler le silence oppressant.
Le vent, la pluie, le tonnerre…

Je stoppe mon débit de paroles, me retourne. Et vois ce que j’ai bien cru
comprendre. Alistair, de dos, est en train de retirer sa chemise trempée. OK. Il faut que
je respire. Que je me détourne. Que mes yeux se posent sur autre chose que son dos
qui apparaît sous mes yeux. Sa peau hâlée. Les muscles qui suivent ses mouvements.
Un tatouage qui se révèle sur son omoplate droite. Quatre oiseaux. Trois oiseaux
en plein vol, ombrés, sombres mais lumineux, et un, plus bas, posé sur une branche
d’arbre qui regarde les autres. Magnifique. Du grand art. Bien sûr, j’ai envie de lui
demander quelle est la signification de ce tatouage, quand il l’a fait, mais à la place,
je retourne à la contemplation du paysage. Beaucoup moins intéressant, maintenant.
J’ai trop chaud. La gorge sèche. Je l’entends finir de se changer. J’attends qu’il soit
convenablement habillé pour parler mais je ne suis pas sûre d’y parvenir maintenant.
Enfin, si, parler c’est facile, je maîtrise à la perfection mais dire quelque chose de
cohérent va être une autre histoire.

– Tu as des vêtements de rechange ? me demande-t-il au bout de quelques minutes


pendant lesquelles je tente – désespérément – de faire taire mon cœur qui bat
beaucoup trop fort.
– Euh… non, réponds-je, les joues rouges.

À cause de la chaleur, hein…


– Viens, on devrait bien trouver quelque chose par ici.

Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée que je me rapproche de lui. Dehors,
l’orage s’est un peu calmé mais la pluie continue de tomber, bruyante, terminant sa
course contre les vitres de la loge, cognant contre les carreaux, amenuisant la lumière
de la pièce, déjà bien faible. Comme mes jambes.

– Ça va aller, dis-je. Je vais attendre d’être rentrée.


– Tu es trempée, Amy, affirme-t-il d’une voix qui ne tolérera aucun refus. Et tu
trembles. Regarde, j’ai un tee-shirt propre déjà.

Il sort un tee-shirt d’un sac à dos, me le montre.

– J’ai une serviette propre aussi. On peut aller voir dans la salle des costumes, il y
aura bien une tenue neuve que tu pourras emprunter, continue-t-il d’une voix chaude,
la lueur amusée de retour dans ses yeux.

Je ne comprends toujours pas pourquoi il ne veut pas rentrer maintenant. J’attrape


le tee-shirt noir avec une inscription jaune fluo dessus « Neither God nor Master »
en souriant.

– Il date de la fin de mon adolescence, se justifie Alistair en voyant l’air étonné


que j’affiche.
– Oh. Oui. Je… C’est très bien, merci.
– Sèche-toi, je vais voir si la salle des costumes est ouverte.

Je me sèche, donc. Sniffe son tee-shirt comme une camée en manque.


Discrètement, mais longuement. Il sent lui. Bois, fruit. Et la lessive, aussi. Je ne peux
pas remettre mon soutien-gorge sinon tout ça n’aura servi à rien alors je le pose avec
mes autres habits trempés sur une petite chaise. Puis j’attends qu’il revienne. Mais
il ne revient pas. Je sors de la pièce et visite le studio intérieur. Nous avons tourné
dehors tous les jours, je n’ai pas encore pris le temps de voir comment était aménagé
le bâtiment pour recréer la maison d’Anna, l’héroïne. Je tourne la poignée d’une
première porte : fermée. Une deuxième : idem.

La visite va être rapide, finalement…

J’appelle Alistair, mais c’est mon écho qui me répond. Il fait de plus en plus nuit.
J’entends fureter un peu plus loin, je m’approche et vois Alistair debout devant la
reconstitution d’une chambre d’époque, très belle. Lit à baldaquin, cheminée,
bougeoirs, tableaux. À mon approche, Alistair se retourne, comme s’il avait perçu
ma présence (ou alors, je ne suis pas vraiment discrète), un jupon rose poudré dans
la main.

– J’ai trouvé ça. Ça devrait t’aller. Quoique peut-être un peu long, finalement,
ajoute-t-il avec un sourire espiègle.
Ses yeux se posent sur le tee-shirt que je porte, le sien (que je ne suis pas certaine
de lui rendre) (ni de laver), et son souffle semble s’accélérer quand il parcourt du
regard ma poitrine libérée de l’entrave de mon soutien-gorge.

Je m’approche de lui pour saisir le bout de tissu quand le son du tonnerre retentit,
bien plus violent que les autres, faisant trembler les murs du bâtiment.

– Putain ! m’exclamé-je, en sursautant.

Et ensuite. Ensuite… Je ne maîtrise plus rien…

Je me retrouve collée contre son torse, ses bras m’entourant, comme une
protection contre la peur que j’ai eue à cause de l’orage. Je me sens bien. Je crois.
Fébrile, mais apaisée. Sereine, mais paniquée. Là, mais pas vraiment. Pas totalement.
Le corps d’Alistair est chaud. Sa respiration, saccadée. La mienne ? Impossible à
gérer.

Je relève les yeux vers son visage, plonge mon regard dans le sien. Ses yeux ont
une nouvelle teinte, que je ne lui ai jamais vue. Ou très peu. Une fois, en fait. Hier.
Hier soir, quand nous avons failli nous embrasser. Une teinte brûlante, enveloppante,
percutante. Remplie de désir. Aussi sombre que la luminosité de la pièce, mais en
mieux. En plus rassurante. Ou pas.

Je ne sais pas si je dois rester ainsi, dans ses bras, ou m’éloigner. Parler ou me
taire. Rire ou pleurer. Je ne devrais pas être ici, en tout cas, ça, je le sais. Il est un
peu sous mes ordres. Il est le genre d’homme que j’aurais tendance à fuir, à éviter.
Mystérieux, insaisissable, agaçant.

Mais surtout, surtout, ce que je ressens pour lui me dépasse. Me fait peur. C’est
inattendu, nouveau, et moi, j’aime maîtriser le cours des événements. Et encore plus
celui de mes sentiments.

Un deuxième coup de tonnerre résonne dans la pièce. L’emprise d’Alistair se


raffermit. Je sens son corps se tendre. Sans même comprendre pourquoi (sans vouloir
comprendre pourquoi) je passe mes mains autour de lui. Me calfeutre dans ses bras,
me noie dans son odeur boisée, ce parfum masculin enivrant, nos yeux toujours
aimantés l’un à l’autre.

Je n’ai pas le temps de me demander si je dois esquisser un geste de recul, prendre


mes distances, sa bouche fond sur la mienne. Presque brutalement. Urgemment, en
tout cas. J’oublie mes questions. Mon pantalon qui me colle à la peau, mes bottes
trempées, l’idée même de me changer et de rentrer chez moi. Les lèvres d’Alistair
sont douces, mais exigeantes. Son baiser – notre baiser – est impérieux. Nos souffles
se mêlent, nos langues se joignent et tout mon corps implose sous cette avalanche de
sensations. Un mot me vient, en filigrane derrière ce que je ressens : enfin ! Comme
si j’attendais ce moment depuis des années.
Ou depuis ma première rencontre avec lui…

Le désir, latent, que je bâillonnais jusque-là, surgit en force et forme un nœud au


creux de mon ventre, comme une liane enroulée sur elle-même, qui n’attendait qu’un
geste de la part d’Alistair pour se délier, et se répandre partout. Sur et sous ma peau,
dans mes veines, dans toutes mes cellules, laissant une délicieuse traînée brûlante sur
son passage. Je réprime un gémissement, et laisse mes mains me guider, animées de
leur volonté propre. Sans attendre, elles glissent sous le tee-shirt d’Alistair, heureuses
de se poser sur sa peau chaude et douce. Fiévreuses, elles parcourent la totalité de ce
qui lui est accessible, effleurant, pétrissant, caressant son ventre ferme, qui se crispe
sous mon contact, ses abdominaux que je sens dessinés à la perfection, puis montent
lentement sur son torse, dévient sur ses omoplates, comme pour s’approprier le dessin
tatoué dessus puis descendent sur ses reins. Alistair grogne, et je sens un sourire se
dessiner sur ses lèvres. Il s’écarte un peu, me dévisage, son regard d’une intensité
renversante me bouleverse.

– Encore, murmuré-je.

Son sourire s’élargit. Ses yeux s’assombrissent encore, pas de cette ombre qui
m’exclut de ses pensées, non, mais de son envie de moi. Où est-ce le mien, de désir,
qui se reflète dans ses iris ? Peu m’importe, en réalité. Nous sommes là, seuls, dans
un décor romantique, et mon cœur est prêt à exploser.

Les doigts d’Alistair se referment sur ma nuque, et ses lèvres reprennent


possession des miennes. Elles me dévorent, me picorent, et je fonds comme une glace
au soleil. Puis, ses mains osent soulever mon tee-shirt, un peu timidement d’abord,
des petites caresses légères, et ma peau devient un brasier. Je veux le sentir partout.
J’ai besoin de le sentir partout.

J’ai envie de lui. Terriblement.

Peut-être le perçoit-il parce qu’ensuite, tout s’accélère. Comme l’orage qui éclate
à l’extérieur, de plus en plus violent. Ses mains courent sur ma peau, sous mon haut,
pendant que les miennes l’imitent. Je ne sais même pas qui ôte le premier vêtement
à l’autre. Mais je sais quand mes lèvres embrassent son torse, que j’aperçois par
intermittence grâce aux éclairs. Je me délecte de cette vue, malgré la fièvre qui dirige
mes gestes. Je me repais de tout ce que je peux voir, de tout ce que je ressens, comme
un précieux trésor que je ne m’attendais pas à trouver. La bouche d’Alistair longe
mon cou, se perd sur ma poitrine, sa langue titille la pointe de mes seins durs et dressés
sous son ardeur et la boule grossit encore. Quand ses doigts effleurent mon ventre,
s’arrêtent à la lisière de ma ceinture, Alistair relève les yeux vers moi, comme pour
s’assurer que je suis toujours d’accord, comme pour me prévenir qu’il n’y aura plus
de retour en arrière possible.

– Mon pantalon n’attend que ça depuis tout à l’heure, que tu le retires, murmuré-
je, tremblante (et pas de froid), essoufflée, terriblement en attente.
Je n’ai jamais ressenti cette urgence. Je l’ai lue, je l’ai vue dans les films, je l’ai
imaginée. Tellement de fois. Mais la vivre, réellement, jamais.

– C’est bien ce qu’il me semblait, répond-il, la voix rauque, la respiration


saccadée.
– Tu n’aurais pas dû te rhabiller, en fait, plaisanté-je, peut-être pour faire baisser
la tension qui obstrue la pièce, pourtant grande.

Peine perdue…

Son rire résonne. Un petit rire discret, un peu étouffé, qui va directement se loger
dans mon cœur. Touchée, je darde sur lui un regard doux, puis pose mes mains sur
son jean.

– Facile de remédier à ça, non ? lancé-je.

Mais je n’ai pas le temps de retirer son bas, Alistair me soulève, m’emporte
comme si je ne pesais pas plus qu’une plume. Avec délicatesse, il me pose sur le
lit impeccablement préparé pour le tournage, recouvert d’un édredon moelleux, puis
son corps vient se plaquer contre le mien, nos poids faisant plier le matelas. Le sentir
ainsi contre moi décuple cent fois mon désir, alors que je pensais déjà en avoir atteint
le pic maximum. Comme si mon corps ne pouvait pas en ressentir plus. Je ne suis plus
qu’un feu ardent, un brasier, un torrent de lave. Je l’enserre de mes bras, empoigne ses
fesses, lui montrant par mes gestes combien je veux le sentir en moi, là, maintenant,
tout de suite. J’ai envie d’explorer son corps, de prendre mon temps mais c’est tout
bonnement mission impossible.

– J’ai envie de toi, Alistair, supplié-je.


– Si tu savais comme moi aussi !

Sans attendre, il défait les boutons de mon pantalon, qui colle un peu contre mes
cuisses, me griffe la peau, fait cambrer mes reins. Mes chaussettes et mes bottes volent
et atterrissent avec un bruit sourd sur le sol. Je me relève, en culotte, enlève son jean,
pendant qu’il se débarrasse de ses chaussures, le balance par-dessus sa tête. Alistair,
en caleçon, éclairé par intermittence est la plus belle photographie que je n’ai jamais
vue. Une image diaboliquement sensuelle, incroyablement érotique, outrageusement
sexy.

– Putain, vite… quémandé-je. Alistair, viens… Viens en moi, s’il te plaît !

Alistair étouffe mes paroles dans un baiser, malmenant mes lèvres avec ses dents,
me mordant, me léchant, et retourne s’amuser avec mes seins. La boule lovée au creux
de mon ventre grossit. Puis, il se redresse et va farfouiller je ne sais où pendant que
je me consume de désir pour lui, que je me languis de sa chaleur, de ses lèvres sur
les miennes, de sa voix feutrée, de sa respiration saccadée. Dès qu’il se repositionne
au-dessus de moi, j’attrape l’élastique de son boxer pour le lui retirer. Son sexe
m’apparaît, bouillant. Alistair grogne, fait glisser ses doigts sur ma culotte encore
humide de la pluie, pourtant, elle aurait pu déjà sécher, vu la température hallucinante
de la pièce. Et de mon corps. Une fois ce petit bout de tissu enfin enlevé, pendant que
je me tortille, j’entends un bruit de plastique qu’on déchire.

– Préservatif ? demandé-je, même si je connais déjà la réponse.


– Préservatif, confirme-t-il.
– Alors viens, ordonné-je, fébrile. Tout de suite.

Les lèvres d’Alistair s’emparent encore des miennes. Je gémis, grogne, plante
mes ongles dans son dos, l’attire contre moi, enfin, encore plus qu’il ne l’est déjà. Je
sens son membre là, si près de mon ventre, si près de l’endroit où toutes mes pensées
sont tournées. Avec une lenteur calculée, il fait glisser son sexe à l’entrée du mien.

– Allez… supplié-je encore.

Nouveau rire. Léger, sincère, enchanteur. Qui va directement attraper mon âme,
cette fois. Puis, Alistair entre en moi. Doucement. Précautionneusement. Je souffle.
Il grogne. J’inspire pour ne pas mourir d’apnée. Il émet un râle. Ses mains attrapent
les miennes, les relèvent et les posent au-dessus de ma tête. Je suis à sa merci.
Entièrement à sa merci. Moi, la fille indépendante, totalement offerte à un inconnu,
un presqu’inconnu, et j’aime ça. J’adore ça. Ça me semble si évident, si naturel, si…
essentiel.

Un premier coup de reins me fait hoqueter, renverser la tête en arrière. Je ne vois


pas grand-chose, mais je sens le regard d’Alistair qui accroche le mien. Je sens mon
cœur palpiter et s’extraire de ma poitrine pour aller s’enrouler autour du sien. Un
même corps, un même cœur. Voilà ce que nous sommes en cet instant précis. Une
seule et même entité, enivrée de ce désir brut, sauvage, primaire. Et c’est parfait. Un
deuxième coup de reins, plus prononcé, et je laisse échapper un cri. Puis, Alistair
augmente sa cadence, la boule dans mon ventre s’épaissit, prend toute la place, me
coupe la respiration, me submerge. Nos peaux moites qui se collent et se décollent,
nos mains qui s’agrippent, nos souffles qui se mélangent, nos râles, nos cris qui
résonnent. Plus d’espace, plus de temps, plus d’orage, plus de limites ou
d’interrogations. Plus rien. Lui. Et moi. Nous. Et l’explosion. Tant attendue. Un
orgasme puissant. Dévastateur. Libérateur. Le premier de ma vie aussi intense. Aussi
bouleversant. Aussi marquant.
14. Douche froide (le mot est faible…)

C’est le son de la pluie, tapant contre une vitre et sur le toit, qui me réveille. La
pièce est complètement plongée dans le noir. J’ai chaud, mais j’ai froid. J’ai chaud
parce que le corps d’Alistair est collé contre le mien, nos jambes emmêlées, sa main
entourant mes hanches mais j’ai froid car il doit faire moins de quinze degrés. La
vue du torse d’Alistair déclenche une volée de papillons dans mon ventre. D’oiseaux,
même. Similaires à ceux que j’ai découverts un peu plus tôt, qui dessinent des ombres
sur sa peau. Je souris, même si je suis un peu perdue. J’ai fait l’amour avec Alistair.
Ce n’était pas prévu. Et je ne sais pas si c’était judicieux. Partagée entre la joie de
ce qu’il s’est passé entre nous, toutes les sensations délicieuses qui m’assaillent et
réveillent mon corps, et la crainte de devoir en payer les conséquences (coucher avec
le cascadeur du film dans lequel je suis payée pour travailler, pas certaine que ce soit
bien vu…), je me dégage de son étreinte, étire mes muscles, baille. J’ignore l’heure,
mais je me doute que nous sommes au milieu de la nuit. Mes mouvements réveillent
Alistair, qui sursaute.

– Merde ! Il est quelle heure ?

Wow ! Je ne m’attendais pas à cette réaction. L’intonation de sa voix déclenche


un système d’alarme dans mon corps.

Il regrette déjà…

N’attendant pas forcément de réponse de ma part, il cherche son téléphone à


tâtons, le trouve, allume l’écran et se lève d’un bond, comme monté sur ressort.

– Bordel ! s’écrie-t-il. Amy, lève-toi, vite, il faut qu’on rentre !

Une fêlure se grave sur mon cœur. Je ne comprends pas ce qu’il se passe, mais je
n’aime pas ça. Pas tout à fait réveillée, je m’exécute. Je me dépêche de trouver mes
vêtements éparpillés sur le sol, enfile mon pantalon trempé, réprimant une grimace.
C’est carrément désagréable ! Idem avec mes chaussettes et mes chaussures. En
revanche, le tee-shirt d’Alistair est un baume sur ma peau. Doux, parfumé de son
odeur craquante, et surtout… sec ! Un pur bonheur ! Je cherche mon sac, me souviens
qu’il est dans la loge d’Alistair, lui demande de m’éclairer pour aller le chercher. Sans
un mot, uniquement le stress d’Alistair comme accompagnateur, nous parvenons
jusqu’à sa loge et récupérons mon sac.

Le trajet dans son quatre-quatre, un énorme pick-up parfaitement bien décrit par
les figurantes hier, se fait aussi dans le silence le plus total. Enfin, presque. Alistair
roule vite et peste tout du long. Je me sens vraiment mal à l’aise. Presque coupable.
De trop, ça, c’est une évidence. Oubliées les belles paroles d’hier soir, les beaux
sentiments, l’orgasme démentiel. Là, il ne reste plus rien que la mauvaise humeur
d’Alistair et le paysage sombre et froid de ce milieu de nuit. Même le ciel n’a pas
daigné éclairer son ciel d’étoiles, la pluie a tout avalé.

Devant ma cabane, Alistair se gare, et en me regardant à peine, balbutie quelques


excuses.

– Désolé, je ne pensais pas m’endormir. Il faut absolument que je rentre.


– Pas de problèmes, dis-je en mentant. Merci de m’avoir ramenée. À demain.

***

Je n’ai pratiquement pas fermé l’œil de la nuit. J’ai pris une longue douche,
réprimant des larmes que je refuse de voir couler et la sensation oppressante au fond
de ma gorge. Je ne m’attarde pas sur les mille questions que je me suis posées tout
au long de cette longue – mais courte – nuit.

La journée a été hyper speed, heureusement. J’ai à peine aperçu Alistair, arrivé
à cheval, seulement pour une prestation en fin d’après-midi. Alan m’a confié
Chouchou, et étant donné que lui et le canasson sont amoureux, ce qui est carrément
ingérable, j’ai été chargée de diriger les figurants loin de lui et de son maître.

Ce qui m’a tout à fait convenu…

J’ai essayé tant bien que mal d’ignorer l’épine dans mon cœur, les souvenirs de
cette nuit étourdissante, le flot des interminables questions qui me harcèlent. Qu’est-
ce qui s’est passé, exactement ? Pourquoi Alistair a été aussi froid, après ? Et aussi
pressé ? Regrette-t-il déjà ? Pire, y a-t-il quelqu’un dans sa vie, en réalité ? Je crois
y être un peu parvenue. Jusqu’à cet instant.

– Amy, tu veux bien me déposer, s’il te plaît ? résonne une voix que je ne désirais
pas entendre. C’est moi qui suis à pied, aujourd’hui.

La main sur la portière de ma Clio – gentiment ramenée par le mécano qui m’a
d’ailleurs dit avoir trouvé deux clous dans les pneus, ce qui m’a semblé vraiment
bizarre… – je stoppe mon geste. Prends le temps de me faire à l’idée qu’Alistair
est là, juste derrière moi. Ravale la colère qui me brûle la gorge. L’envie de lui dire
d’aller se faire voir.

– Mister Swing n’est pas disponible ? ironisé-je.


– Déjà parti, se contente-t-il de répondre.
– OK, aquiescé-je, sans le regarder.

En même temps, comment refuser ? Il m’a ramenée deux fois…

Alistair va prendre place sur le siège passager tout en me remerciant. Je me retiens


de grogner, de lui demander pourquoi ce changement de comportement, hier soir.
Enfin, ce matin. Cette nuit. Je démarre, concentrée comme jamais sur la route. Sa
présence envahit tout l’habitacle. Ses jambes prennent tout l’espace devant le siège
passager, son genou touchant presque le levier de vitesse, là où je laisse toujours
ma main quand je conduis. Je la retire, de peur qu’un frôlement ne me fasse hurler
de frustration. J’ai besoin de savoir ce que signifie ce qu’on a partagé, le temps de
quelques heures. De savoir où on en est, tous les deux. Ou, au moins, s’il y a un tous
les deux ?

Pas que j’attende quelque chose de notre étreinte, non. Mais… bon, je n’en sais
rien, en fait. Tout ce que je sais, c’est que je me sens vraiment mal.

Il m’indique le chemin, d’une voix calme et impassible. Comme si nous étions


des potes et que je n’étais pas en attente d’une explication. Nous arrivons devant un
immense ranch à l’américaine, avec un gros écriteau au-dessus d’un portail de fer
forgé. Daisy Dream, écrit en épaisses lettres blanches. Je stoppe la voiture, attends
qu’il descende, ouvre la fenêtre parce que je n’arrive toujours pas à respirer, que j’ai
trop chaud, trop envie de pleurer, trop envie de m’énerver contre lui. Je sais qu’il le
sent, tout ça, en plus. Il le sait, c’est évident. Juste avant qu’il ne sorte de la voiture,
j’entends :

– Écoute, Amy, pour hier soir, c’était… commence-t-il d’une voix hésitante.
– Oublié, le coupé-je d’une voix – un peu trop – cassante.
– Un très bon moment, rectifie-t-il avec un petit sourire.
– Mais ça ne se reproduira pas, le devancé-je.
– Je ne sais pas pour toi, mais moi, je ne cherche pas une histoire sérieuse, balance-
t-il comme si c’était évident.
– Parfait ! enchaîné-je d’une voix stridente, le cœur à mille à l’heure. Moi non
plus !

Il sort de la voiture nonchalamment, en fait le tour, s’arrête devant ma vitre


ouverte.

– C’est cool que l’on soit sur la même longueur d’onde, alors.

Cool, oui. Tout à fait. Je n’aurais pas dit mieux…

La main sur le bouton pour remonter la vitre, afin de le faire taire, de mettre un
terme à cette discussion, je m’arrête. Dans mon champ de vision, une adorable petite
fille d’environ 5 ans court dans notre direction, suivie par une dame d’un certain âge,
essoufflée.

– Attends-moi, Catriona ! s’écrie-t-elle en souriant.


– Papa ! Papa ! crie la petite tornade blonde, en robe blanche à froufrous. Viens
vite, Tonnerre va avoir son bébé !

Papa ?!

À suivre,
ne manquez pas le prochain épisode.
Également disponible :

Dangerous Games - 2
Un tournage de série en Écosse, et la vie d’Amy bascule !
Gérer les acteurs, la météo et les imprévus, c’est son boulot. Mais elle n’avait pas
envisagé Alistair !
Irrésistible, moqueur et charmeur, le cascadeur la trouble… Sauf qu’il est aussi
absolument insupportable !
Alors, quand en plus le passé s’en mêle, rien ne va plus.
Entre secrets et passion, Amy n’est pas au bout de ses surprises !
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SEXY MISTAKE
Volume 1

ZCOM_001
1. Cœur brisé et liberté retrouvée

Jenny

– Vous voyez, Alexia et moi, c’est comme si… pshiiii ! lance Simon, l’œil
nostalgique, la lèvre tremblante, sa main fourrageant dans ses cheveux blonds en
bataille.

Sa détresse me peine, mais je dois avouer que j’admire ses talents d’imitateur.
Oui, ce pshiiii ressemble farouchement à celui produit par un volcan en éruption. Un
soir d’insomnie, juste après Le Fiasco (comme je nomme ma scandaleuse cérémonie
de mariage), j’ai pleurniché devant un reportage sur Geographic Channel. Des tonnes
et des tonnes de lave coulaient, à l’image de mon cœur qui saignait sans fin, à tel point
que je me suis demandé si une hémorragie était possible. Et c’était ce même pshiiii !
Exactement le même ! Simon est doué. Et ça me peine qu’un garçon si doué soit si
malheureux. Je meurs d’envie de balayer sa tristesse. Je le pourrais, et rapidement.

Surtout pas ! TAIS-TOI !

– Je comprends, murmuré-je doucement, en lui lançant un regard compatissant.

Il lève les yeux au ciel, soupire, baisse la tête, comme vaincu… avant de la relever
dans un geste si brusque que j’entends deux os craquer.

Dieu des muscles, je t’en prie, n’ajoute pas un torticolis à son affliction !

– Non, c’est impossible, poursuit-il avec une grimace douloureuse, la voix brisée.
PERSONNE ne peut saisir ce que nous avions, Alexia et moi. À chaque fois que nous
nous retrouvions sous la couette, c’était si… pshaaaa !

Waouh ! Le pshaaaa est carrément plus efficace que le pshiiii !

– Nous deux, s’emballe-t-il, le visage écarlate, c’était comme un séisme, comme


un tsunami, comme…
– Deux plaques tectoniques qui se rencontrent ? suggéré-je, contente de ma
comparaison.
– Techniquement, pas vraiment, me reprend Simon en m’observant comme si
j’étais une ignare finie. Quand deux plaques entrent en collision, il y a…

Il y a plein de trucs qui se passent, mais j’avoue que je décroche de son discours
savant (quoique contredit par sa voix pâteuse et ses gestes incertains). Je n’ai jamais
rien pigé à tous ces phénomènes et…

Malheur ! Il s’en aperçoit !


Il me dévisage d’un air sévère… puis déconfit… puis désespéré, avant de plonger
le nez dans son quatrième whisky.

– Désolé… Je suis tellement confus de vous pourrir la soirée avec ça. Vous êtes
si jolie, si gentille, si compréhensive. Regardez-vous avec cette petite robe noire qui
souligne vos courbes à la perfection. Et moi, je ne cesse de parler de mon ex…
Alexia… Vous savez que nous nous sommes rendus sur le Krakatoa ? Alexia en a
pleuré de joie. C’est la seule fille au monde qui aimait les volcans autant que moi.
Quelle était la probabilité que je rencontre mon âme sœur ? Et que je fasse tout foirer ?
HEIN ?

Son corps est secoué d’un sanglot déchirant, et je me retiens de toutes mes forces
de ne pas lui dire que la situation s’arrangera.

Ne le prends pas dans tes bras. Ne le rassure pas. Ce n’est pas ton rôle.

– Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi je l’ai quittée ? crie-t-il. Je ne suis qu’un


âne ! Mon cœur n’est plus qu’une coulée de lave solidifiée. Sans elle, je n’ai plus le
feu sacré. MERDE !

Je jette un coup d’œil discret autour de nous. Nous sommes juchés sur de hauts
tabourets, près du comptoir ébène et laqué du Roof : là, à portée de main du ciel,
on peut admirer New York tout entier, Manhattan en premier lieu. À cette heure-ci,
l’ambiance est feutrée et le pauvre Simon dérange les clients qui sortent du bureau et
souhaitent se détendre au son de la musique soul qui insuffle une atmosphère calme
et sensuelle. Ici, tout respire l’harmonie : la vaste piscine et son eau parfaitement
limpide, les confortables canapés en cuir noir et souple, légèrement tannés, les statues
de Bouddha à chaque extrémité de la terrasse… Oui, Simon est bruyant. Il gêne. Et
je ne veux pas ajouter de l’embarras à son malheur. Je lève donc le bras pour appeler
la serveuse qui semble tout droit sortie des pages d’un magazine de mode. Postée à
l’autre bout du comptoir, elle est en pleine préparation de cocktails, mais elle hoche
la tête et je me détends.

– Respirez Simon, lancé-je d’une voix encourageante. Tout n’est peut-être pas
perdu.
– Si, j’en suis sûr ! Elle ne voudra plus jamais de moi. JA-MAIS !
– Ne dites pas cela !

Et ne beuglez pas, par pitié !

OK, il faut qu’on se tire, et vite, avant d’être jetés à la porte. Vivement que la
serveuse s’occupe de nous, que je règle et mette un terme à cette scène.

– Je devrais trouver son sosie, ou au moins une personne qui lui ressemble…
marmonne Simon, alors que son nez commence à couler abondamment, au même
rythme que ses yeux mouillés de larmes.
J’attrape un Kleenex dans mon sac et le lui tends. Il se mouche avec une telle
ardeur qu’on dirait un hydravion lancé à pleine vitesse. Nos voisins, un couple copie
conforme de George Clooney et de sa belle avocate (à moins que ce ne soit eux), nous
adressent une moue écœurée. Je les défie du regard.

Quoi ? Un homme a bien le droit de se vider le nez, tout de même !

Mais Simon a déjà fini, et il se redresse comme s’il avait eu une illumination :

– Vous ! dit-il en me dévisageant avec un espoir étrange. Vous n’aimez pas les
volcans, par hasard ?

Oh non… C’est pas vrai ! Il a touché le fond !

Je secoue la tête, désolée, et hausse les épaules, alors que Simon lâche un
gémissement déchirant.

– Je suis con. Et je suis un goujat avec vous. Vous demander si vous aimez les
volcans pour vous transformer en pâle copie d’Alexia !
– Ce n’est rien, voyons ! le rassuré-je doucement.
– Heu… quand je dis pâle copie, se corrige-t-il, tout rouge, je ne veux pas vous
vexer. Vous êtes très belle, avec votre petite coupe courte qui vous donne l’air d’une
fée, et vos grands yeux bleus. Vous avez vraiment une peau parfaite, en plus… Merde,
je suis TROP CON !

Je ne sais plus quoi répondre, mais la barmaid vient me tirer de ce mauvais pas,
se matérialisant devant nous, poings posés sur les hanches, lèvres pincées.

– Pardon, mais je n’accepterai pas de vous servir, annonce-t-elle avec sévérité.


Il me semble que ce monsieur a déjà trop bu et je ne peux pas vous permettre de
troubler le calme de ce lieu.
– Je comprends, excusez-nous, nous nous en allons, dis-je d’un ton contrit en lui
tendant deux billets.
– Je suis tellement désolééééééé ! s’exclame Simon dont la puissance sonore a
encore augmenté.

La barmaid lève les yeux au ciel, empoche l’argent et s’éloigne alors que j’aide
Simon à descendre de son tabouret. C’est périlleux, il manque de tomber et s’appuie
de tout son poids sur moi. Je tiens bon, en évoquant la force et la ténacité du plus
grand héros de tous les temps.

Rocky Balboa, donne-moi la force !

Couloir, ascenseur, marche laborieuse et… gagné ! Nous voilà au rez-de-


chaussée, puis dehors, sur le trottoir, bousculés par les passants. J’hésite, Simon
titube… Et je cède à mon inclination, même si j’outrepasse clairement mes fonctions :
– Voulez-vous que je vous appelle un taxi ? J’espère que vous ne conduisez pas
dans cet état ?
– Non merci, répond-il, la mine sombre. Je vais rester là, immobile, seul parmi la
foule, inconnu, cherchant son visage dans tous ceux que je croise…
– Ou rentrer chez vous, dormir pour vous requinquer et passer un coup de fil
à votre ex dès la première heure pour lui faire la plus belle déclaration de sa vie ?
suggéré-je en souriant.
– Et pourquoi pas ? rétorque-t-il après un moment d’hésitation, durant lequel une
lueur d’espoir illumine ses traits. Oui ! MAIS OUI ! Franchement, je crois que vous
êtes la providence.

Peut-être pas, mais j’apprécie le compliment… au moins autant que l’instant où


je réussis à le mettre dans un taxi.

– Vous êtes un ange que j’ai croisé par hasard et qui me montre la voie ! lance-
t-il pour me saluer. Merci mon ange !

La dernière phrase est hurlée à travers la fenêtre, alors que le véhicule s’éloigne.
Je ne peux m’empêcher de glousser. Moi, un ange ?

Et pourquoi pas ?

J’attrape aussitôt mon téléphone. Ce pauvre homme était désolé de m’avoir


harcelée pendant une heure à propos de son ex mais s’il savait… J’en suis plus que
ravie ! J’aime tellement lorsque ça se termine ainsi !

Happy end !

J’adore voir ceux des autres à défaut d’avoir eu le mien… Oh, je l’ai touché du
doigt, au moment où je me suis fiancée avec Gus. Quoique… Étais-je vraiment
heureuse ou cédais-je seulement à la pression de folie de mes parents pour qui la vie
n’en est pas une si on n’épouse pas un bon parti ?! Il se trouve que ce n’était pas le
dentiste de mes rêves. Il m’a fait du charme, tel un paon de grande envergure… et
s’est mué en vilain canard pervers juste après la cérémonie de mariage.

Culbuter une serveuse dans l’arrière-cuisine de la salle de réception ! Quand


même ! Il aurait pu se contenir !

Quand je repense au fiasco qui a suivi ! Le Fiasco. La totalité des invités qui prend
parti pour l’un, pour l’autre, et ces gens d’ordinaire si élégants qui ont fini par se
lancer des verres (et même un plat d’écrevisses) au visage ! Heureusement que Lena,
Isabella et Elly étaient là ! Et dire que ces vieilles copines de lycée, perdues de vue
depuis longtemps et invitées par ma mère, sont devenues mes meilleures amies…
Finalement, ce mariage catastrophique a été providentiel. Et puis, si Gus n’avait pas
agi ainsi, notre union aurait tenu et nous aurions été un couple ennuyeux et terne.
Alors qu’aujourd’hui, je suis peut-être seule, mais épanouie et libre.

Enfin… presque libre !


Chassant mon impatience et mon irritation en songeant à ce « presque », je décide
de m’occuper de Simon et de son Alexia, mon couple volcanique du jour. Je
déverrouille mon téléphone, puis compose le numéro pour annoncer la nouvelle tant
attendue.

– Jenny Andrews à l’appareil. Comment allez-vous Alexia ?


– B… bien, balbutie une voix douce dans laquelle perce l’angoisse.
– J’ai rencontré Simon.
– Et ? Je vous en prie, dites-moi vite ! J’ai l’impression d’être un cratère prêt à
exploser !
– Baissez le feu, tout va bien ! répliqué-je en riant. Vous manquez terriblement
à Simon. Il n’a parlé que de vous. Il a trop bu, d’ailleurs, ce qui indiquait clairement
son désespoir. Alexia, j’ai l’immense plaisir de vous annoncer qu’il regrette votre
rupture et que vous devriez vous attendre à un coup de fil dès demain matin.
– Je n’y crois pas, je n’y crois pas, je n’y crois pas ! explose-t-elle. C’est VRAI ?
VRAI de VRAI ?
– Je vous l’assure ! Vous aurez mon rapport dès ce soir par mail.
– Et vous ne lui avez rien dit, n’est-ce pas ?
– Absolument pas. Alexia, je suis votre conseillère et ce sont vos intérêts que
je défends. Vous m’avez donné le nom du rooftop dans lequel il va souvent, je me
suis assise à côté de lui au comptoir et nous avons parlé de tout et de rien. Enfin…
seulement de vous.
– Merci, je vous suis tellement reconnaissante ! Vous m’avez fait tellement de
bien. Votre patience, votre écoute, votre présence juste après cette horrible rupture…
J’étais perdue et désespérée quand Simon m’a quittée et vous m’avez remise debout,
Jenny !
– À cœurs perdus est là pour ça ! rétorqué-je, heureuse d’avoir rabiboché ces
deux-là.
– Et c’est tellement formidable, ce que vous faites ! Au fait, je vous enverrai le
dernier versement ce soir.
– Ne vous en faites pas pour cela.

Et c’est vrai. À cœurs perdus marche d’enfer. J’ai fondé cette société il y a
quelques mois pour aider et conseiller les gens victimes de chagrins d’amour, afin
qu’ils puissent s’exprimer, mais aussi savoir si leur relation a des chances de
reprendre ou s’il faut au contraire qu’ils passent à autre chose. Il y a tellement de
blessures d’amour à panser dans ce monde ! Tellement de gens qui ignorent s’ils
peuvent refaire confiance en ceux qu’ils aiment. Je suis si fière de mon entreprise,
d’être présente pour donner un coup de main à toutes ces personnes brisées, peinées,
incertaines. Ce sentiment de leur permettre d’aller de l’avant ou de les aider à y voir
clair me galvanise.

Mais ce qui te galvanisera moins, c’est la façon dont maman te trucidera si tu


ne te pointes pas à l’heure !

La petite voix de la raison… a raison.


Heureuse de ce dénouement pour ma cliente, je raccroche après l’avoir
chaleureusement saluée et m’active. Je sprinte jusqu’au métro, me jette dans celui
qui est à deux doigts de partir (manquant de finir coupée en deux) et déboule comme
une athlète de haut niveau dans mon quartier. Ce n’est que là que je ralentis et prête
attention à ce qui m’entoure. Le vieux bonhomme du kiosque qui m’adresse un signe
de la main. Des bruits de pas. L’épicier du numéro 10 qui analyse son étal de bananes,
histoire de décider s’il balance les noircies ou tente de les revendre à petit prix. Des
bruits de pas. L’immense vitrine H&M et ses couleurs vives. Des bruits de pas. Ce
n’est qu’en passant devant le 24 que j’ai une vague impression, une sensation
désagréable. Ces pas qui résonnent… ils suivent exactement le rythme des miens.

Le thriller dévoré hier soir te joue des tours, pauvre fille !

Mais je ne peux m’empêcher de me retourner. J’aperçois un jeune homme,


casquette rouge vissée sur le crâne, juste derrière moi. Je stoppe net. Il me dépasse
sans me prêter attention.

Pas de doute : je vire parano.

Peut-être que maman a raison d’affirmer que le célibat monte au cerveau.

Non, non, non ! Je poursuis résolument mon chemin et recroise Casquette Rouge
tout au bout de l’allée, le nez levé vers la plaque dévoilant le nom de la rue. Il fouille
sa poche et en sort un plan froissé.

Un simple touriste perdu et toi, tu le prends pour un harceleur de première !


Bravo !

Il faut dire que j’ai des circonstances atténuantes : il y a deux mois, une cliente
mécontente m’a suivie et m’a jeté une tarte au citron-chantilly en plein visage (j’en
avais même dans les narines). Depuis, je me méfie…

Je secoue la tête, oublie ce souvenir poisseux et sucré, pénètre dans mon immeuble
puis longe l’étroit corridor aux murs crème, caressant au passage la fougère luxuriante
que ma voisine, Mme Stevenson, a placée ici pour « oxygéner l’entrée et tenter
d’attirer des libellules ». J’ouvre ensuite ma boîte aux lettres. Et je la vois. Elle est là.
Juste là. La grande enveloppe brune. Celle que j’attends depuis des mois. Mon cœur
s’accélère comme un lapin Duracell armé de piles neuves.

On y est ! ENFIN !

Je la déchire précipitamment et lis les premières lignes : « À l’attention de


Madame Jenny Andrews. Vous pourrez trouver ci-joint les documents relatifs au
divorce, signés par M. Gus Ferris. Merci de… ». Je lève le poing en l’air et ne peux
m’empêcher de glousser de bonheur. C’est officiel. Je suis célibataire. Je ne suis plus
presque libre ! Non ! Je suis complètement libre ! Encore plus que Kate Winslet qui
hurle qu’elle vole en écartant les bras sur son Titanic de malheur, ou le mec de Prison
break quand il s’enfuit incognito, ou le…

Merde ! Je n’ai plus d’idée, là !

Mais ça n’a aucune importance ! Car Je SUIS LIBRE !


2. Vocation inhabituelle et projets peinture

Jenny

Je pousse la porte de mon appartement, les documents du divorce serrés fort contre
mon cœur. Ces derniers mois à les attendre m’ont paru plus longs que le règne de
la reine Elizabeth.

Un an déjà !

Il faut dire que Gus n’y a pas mis du sien, en refusant de signer les papiers, ce
que je trouve particulièrement gonflé, étant donné que c’est lui qui m’a trompée alors
que j’étais toujours en robe blanche !

À peine ai-je pénétré dans l’immense pièce à vivre très lumineuse que Diego, mon
chat, quitte le canapé à la vitesse de l’éclair et vient se frotter contre mes jambes en
miaulant de contentement.

– Mais oui, je suis heureuse de te voir aussi ! lancé-je en me baissant pour le


caresser.

Mon maine coon savoure notre petit câlin de retrouvailles puis recule pour
effectuer un salto.

Diego est exceptionnel !

Quand je l’ai récupéré au refuge, on m’a raconté qu’il faisait partie d’un cirque.
Malgré d’interminables heures de dressage, ses performances étaient si médiocres
que ses maîtres l’ont abandonné sans état d’âme. « Vous comprenez, au lieu de sauter
dans les cerceaux, il les griffe. Et il ne martyrise pas que les cerceaux, d’ailleurs ! Il a
bondi sur les gradins et a mordu le nez d’une spectatrice » : voilà ce qu’a apparemment
dit le dresseur exaspéré avant de se délester de sa boule de poils et de tourner les
talons.

Ce mec était stupide. Diego est l’animal le plus intelligent, le plus doué, le plus
intéressant et le plus beau du monde, malgré son léger embonpoint. Il exécute des
saltos ! DES SALTOS ! Quand même !

– Et pour la peine, tu mérites une double ration de Sheba Royal, mon grand !
annoncé-je en me redressant pour me diriger vers la cuisine.

Je passe derrière le bar en pin et attrape sa pâtée dans le placard sous l’évier.
Diego ronronne fortement et se frotte contre ma jambe quand je le sers.
Charmeur !

Je jette un œil à l’immense horloge rétro qui orne l’un des murs du salon, juste
en face de mon imposante bibliothèque garnie de romans de tous genres : il est vingt
heures. Il ne me reste que trente minutes avant de rejoindre ma mère. Mais je
m’accorde le loisir de m’asseoir quelques minutes sur le canapé. Je n’ai aucune envie
d’aller au resto. À vrai dire, je préférerais cocooner ici. J’adore cet appartement que
j’ai dégoté, acheté et retapé toute seule peu de temps après Le Fiasco. J’apprécie
qu’il soit situé au cœur d’un quartier sans prétention, dans lequel on trouve encore
de vraies épiceries. J’aime son parquet clair, brut, ses tapis couleur crème, très épais,
jetés sur le sol, ses grandes baies vitrées sans rideaux, qui laissent entrer le soleil à
flots. La cuisine est petite, mais Pizza Minute et Happy Chineuse étant mes meilleurs
amis, ça ne me pose aucun problème. Et…

Et bouge-toi pour te préparer. Tu vas être en retard !

Je me lève en grognant et atteins ma chambre, épurée et lumineuse, à l’image du


salon, puis ouvre mon dressing.

Robe ? Pantalon ?

Je tends résolument la main vers un jean. Rien de trop habillé, parce que je sais de
quoi ma mère est capable et qu’il ne faut donc surtout pas que j’aie l’air séduisante.
J’enfile mon Levi’s le plus délavé et un top très simple, en soie noire, manches
longues. Il couvre mon tatouage qui, je ne l’ignore pas, fait une drôle d’impression
à ma mère. Dès qu’elle aperçoit ce colibri bleu, son regard change, devient lointain,
triste…

On va éviter ça, ce soir !

Coup d’œil dans le miroir placé près de mon lit : pas de retouche maquillage. Je
me contente d’ébouriffer ma coupe à la garçonne. Satisfaite de mon apparence, je
me dirige vers la porte et attrape mes clefs. Diego lève le nez de son repas pour me
lancer un regard accusateur.

– Désolée, mon grand. La reine mère m’a convoquée !

Pour toute réponse, il se tourne et me montre ses fesses. Vexé, le matou.

– Je me rachèterai, lui dis-je avant de filer.

Une demi-heure plus tard, me voilà devant Chez Fabien, le resto français que ma
mère affectionne. Je suis en retard et entre donc sans attendre. Hervé, le majordome
d’un âge vénérable qui m’offrait des sucettes en douce quand j’étais enfant, ouvre
grand les bras.

– Bonsoir, ma petite Jenny !


Il pose ses mains sur mes épaules et me fait une bise 100 % frenchy. Je lui adresse
un sourire chaleureux, je suis heureuse de le voir. Je l’ai toujours beaucoup aimé.

– Comment allez-vous, mon cher Hervé ?


– Moi ? Parfaitement bien ! Mais toi… Ça n’ira pas dans quelques minutes. Ta
maman a recommencé, répond-il, avec un air de conspirateur.
– Encore ? soupiré-je, agacée, même si je m’y étais préparée.
– Elle est têtue !
– Et je tiens d’elle ! Elle ne perd rien pour attendre ! m’exclamé-je farouchement.

Hervé rougit et se tord les mains :

– Pas de scandale, Jenny, n’est-ce pas ?


– Ne vous inquiétez pas, Hervé ! Jamais plus je ne bombarderai quelqu’un de
petits pains.
– Je l’espère ! Elle est installée tout au fond, place habituelle, dans l’alcôve
Fougère.
– Merci, dis-je avant de m’éloigner.

Je longe le bar en marbre, pénètre dans la salle à manger, me faufile entre les
tables jusqu’au coin favori de ma mère et l’aperçois, aux côtés d’un homme d’une
trentaine d’années : costume impeccable, chevelure brune abondante et coiffée au
millimètre près, traits réguliers, yeux bleus à tomber à la renverse.

Maman fait dans le top model maintenant !

Elle varie les plaisirs. Normal. La dernière fois, le dîner avec l’entrepreneur geek
milliardaire macho sur les bords n’a pas été un franc succès. C’est lui qui a fini
bombardé de petits pains.

– Bonsoir, les salué-je en m’efforçant de me montrer aimable.

Ma mère m’adresse un grand sourire qui illumine son visage, juste avant de
prendre une expression sévère, genre « tu as intérêt à te tenir à carreaux ». Ses yeux
bleus, presque transparents, me vrillent, mais je ne suis pas le moins du monde
impressionnée. Sous ses airs rigides, ma mère est douce et aimante, malgré son côté
très envahissant et très irritant. L’homme se lève et me tend la main.

– Ma chérie ! dit ma mère d’un ton enjoué. Je me suis permis d’amener un invité.
Brandon Sillow. Tu te souviens de Brandon Sillow, bien sûr ? Tu étais folle de lui
quand tu étais petite. Tu lui avais fabriqué des cœurs en pâte à sel pour la Saint
Valentin et…
– Et je les avais mangés, en croyant que c’était des gâteaux, complète ce dernier
en me déshabillant du regard. Tu as bien grandi…
– Ah ! Brandon ! Oui, évidemment, répliqué-je, déjà agacée.
Je ne l’avais pas reconnu. Et il omet de raconter la suite : qu’il s’était moqué de
mes créations auprès de tous nos petits copains !

Le coup de l’amoureux d’enfance. Bien tenté, maman. Ça change des hommes


que tu profiles et sélectionnes sur ces sites de rencontre haut de gamme que je ne
fréquenterais pour rien au monde. Mais ça ne marchera pas ! Il n’y aura pas de
happy end à la sauce mariage !

Je serre la main de Brandon. Il la garde un peu trop longtemps dans la sienne…


et…

Non ! Il me chatouille la paume avec son majeur. Si je me souviens bien de la


signification de ce geste démodé, ça veut dire qu’il a envie de moi. Berk ! Quelle
horreur, ce mec !

– Ta mère m’a dit que tu étais jolie, mais elle ne t’a pas rendu justice. Tu es
magnifique !

Je le remercie, me détourne de lui (il a fait passer sa langue sur ses lèvres de
manière tout à fait indécente), me dégage de sa poigne moite et me penche pour
embrasser ma mère qui sent divinement bon. J’ai toujours aimé son parfum. Il est
doux, enveloppant. Comme elle. En fait, j’adore ma mère. Si seulement elle
comprenait que je n’ai pas besoin d’un homme pour être heureuse ! Mais elle est
intenable…

À combien de rendez-vous arrangés en sommes-nous depuis Le Fiasco ? Dix ?


Quinze ?

Vingt ! Au bas mot !

– J’ai pensé que vous auriez plein de choses à vous raconter… et plus si affinités !
s’exclame-t-elle avec un gloussement ravi. D’ailleurs, je ne resterai que pour le hors-
d’œuvre. Je suis au régime, voyez-vous ! Je n’en peux plus de manger du surimi et
je commence à en faire des cauchemars, mais je tiens bon !
– Allons Rayna ! Vous n’avez pas un gramme à perdre ! proteste Brandon.

Ma mère rosit de plaisir et je hoche la tête pour approuver. C’est vrai, elle est
parfaite. De sa chevelure d’un blond très clair à sa paire d’escarpins Gucci, en passant
par ses hanches particulièrement fines.

Si seulement elle me laissait tranquille !

– Rayna m’a raconté que tu es conseillère conjugale, en quelque sorte ? C’est


fascinant, une femme aussi superbe que toi qui réussit si bien ! lance Brandon, alors
que je sens son mollet frotter furieusement le mien.
OK. Il est temps que ça cesse. C’est déjà trop. Je refrène mon envie de lui balancer
un coup de pied là où je pense, et me jette à l’eau.

Allez, hop ! On entre en scène !

– Merci. Oui, je suis conseillère. Enfin, j’étais. J’arrête tout, m’exclamé-je d’un
ton grandiloquent, en reculant ma chaise afin d’échapper aux assauts de Monsieur-
je-te-fais-du-pied-sous-la-table-ni-vu-ni-connu-même-s’il-y-a-ta-mère-à-côté.
– QUOI ? lâche cette dernière d’une voix aiguë.
– Je pensais que nous serions en tête-à-tête et je souhaitais te le dire ce soir…
– QUOI ? répète-t-elle, complètement affolée, tapotant nerveusement sa serviette
de ses ongles manucurés.
– J’ai trouvé ma vocation, annoncé-je de manière solennelle. Ma vraie vocation.
Voilà… J’entre dans les ordres. Je veux consacrer ma vie à Dieu.

Ma mère recrache la gorgée de gin qu’elle vient d’avaler. Brandon émet un


hoquet, mais je poursuis sans faillir, le plus sérieusement du monde, alors que je n’ai
qu’une envie : éclater de rire.

– Oui. J’ai saisi que l’échec de mon mariage avec Gus, mes errances depuis étaient
liées à ça : je n’avais pas mis le doigt sur ma Voie, mon Chemin-avec-un-grand-C. J’ai
rencontré sœur Marguerite dans le métro. Elle a illuminé ma vie, m’a ouvert l’esprit.

Les yeux de ma mère se rétrécissent. Son visage passe de la stupéfaction… à la


méfiance… puis à l’exaspération.

Elle a compris…

– Tu n’as pas le droit de… proteste-t-elle en fronçant les sourcils si fort qu’elle
doit en souffrir.

Brandon, sous le choc, nous regarde tour à tour.

– Je m’éclipse quelques minutes pour vous laisser en tête-à-tête, dit-il en se levant,


blême.

Sûr que ça doit lui faire un drôle d’effet d’avoir tenté de tripoter une future
religieuse !

Une fois qu’il est parti, ma mère se penche vers moi et m’attrape le bras. Elle est
toute rouge. Une grosse, grosse veine bat sur son front. J’en suis presque contrite,
mais après tout… elle l’a un peu cherché !

– ENCORE ? lâche-t-elle en me foudroyant du regard. Ça ne t’a pas suffi


d’éconduire Andrew en lui jetant du pain comme à un vulgaire canard ?
– Il était macho, maman !
– Et John ? John était parfait ! Sur l’appli Tout feu, tout flamme, votre taux de
compatibilité était de 98,8 %. Et tu lui as fait croire que tu étais allée en prison, que
tu y avais rencontré l’amour de ta vie et que tu attendais sa sortie pour te marier.
– John ne me plaisait pas ! Il ressemblait à un hamster !
– Et Matthew ! Tu as prétendu être allergique à… lui ! À LUI ! Et maintenant,
ça ! Tu n’as rien trouvé de mieux que de raconter que tu te fais bonne sœur ?
Sérieusement ? Brandon est gentil, attentionné, PDG de Big NY Watch ! Tu te rends
compte ?
– Je te promets que je me rends au couvent demain ! répliqué-je en riant.
– Ne me prends pas pour une imbécile ! explose-t-elle. Toi dans les ordres, c’est
aussi probable que… que… moi déguisée en Teletubbies !

J’imagine le truc et je pouffe.

– Ce n’est PAS drôle ! Pourquoi tu me fais ça, Jenny ?


– Je te retourne la question !
– Je ne souhaite que ton bonheur, ma chérie. Je refuse que tu sois seule. Mon
unique but est que tu réussisses ta vie, que tu sois choyée. Et j’avoue que je veux
des petits-enfants !

Ses yeux deviennent humides. Malgré mon agacement, je ne peux m’empêcher


d’avoir de la peine pour elle.

Ma petite maman qui ne me comprend pas mais qui m’aime tellement…

Je saisis sa main, la presse dans la mienne et m’adresse à elle d’un ton doux :

– Tu sais, ce n’est pas en cherchant à me caser avec n’importe qui que tu me


rendras heureuse ! Et ce n’est pas nécessaire puisque je le suis déjà ! Et puis, je ne
vis pas recluse ! J’ai mes copines, mon métier et Diego !
– Oui, d’accord. Tes amies en couple et ton chat obèse, ce n’est pas ce que
j’appelle…
– Il n’est PAS obèse ! Il a le poil bouffant, nuance !
– Il n’est rien à côté de Brandon Sillow, le meilleur parti de New York !

Je lâche sa main et hausse les épaules :

– S’il est si parfait, alors prends-le pour amant !

Ma mère manque de s’étouffer.

– Moi ? Mon Dieu, Jenny ! Tu deviens de plus en plus…


– De plus en plus quoi, maman ? Indépendante ? Indifférente à vos attentes, à toi
et papa ? À votre désir de faire de moi une parfaite petite épouse ?

Je lui souris pour atténuer la dureté de mes propos. Elle finit par me rendre mon
sourire.
– J’aurais essayé ! murmure-t-elle en attrapant son verre pour en boire une gorgée.
Et je n’ai pas dit mon dernier mot !
– Je n’en doute pas ! lancé-je avec un clin d’œil, avant de me lever. Je suis désolée,
mais je ne peux pas rester et subir les assauts de Brandon. On mange ensemble dans
la semaine, si tu veux ? Rien que nous deux ? J’ai plein de choses à te raconter : les
papiers du divorce signés, ma cliente qui se remet avec son ex…

Elle acquiesce, pousse un soupir déchirant et finit par hocher la tête.

Échec et mat.

Je me faufile entre les tables et lorsque j’arrive devant le bar, je tombe sur
Brandon.

– Tu t’en vas, Jenny ? demande-t-il, visiblement déçu.

J’acquiesce et me concentre pour avoir l’air d’une sainte.

– Oui. On m’appelle. Il m’appelle. Que Dieu te bénisse, cher ami du passé. Je


prierai pour le salut de ton âme.

Je m’éloigne, mais avant de filer, je me retourne.

– Au fait, Brandon ?
– Quoi ?
– On ne fait plus du pied sous les tables. C’est complètement démodé depuis au
moins 1999 !

Sur ce sage conseil, je m’éclipse et lorsque j’arrive dans la rue, je décide de rentrer
à pied pour profiter de la douceur de cette soirée. Quand je pénètre dans le hall de
mon immeuble, je suis accueillie par Mme Stevenson, ma chère voisine et confidente.

– Bonsoir, ma canette en sucre ! s’exclame-t-elle avec emphase en s’approchant


de moi pour me serrer dans ses bras.

Son parfum de patchouli m’envahit et je savoure son étreinte. J’adore Mme


Stevenson, ses 89 ans, sa modernité, son féminisme, ses cheveux vert pétard, ses
salopettes et ses Stan Smith.

– Qu’est-ce que vous faites, avec ces pots de peinture ? demandé-je, intriguée.
– Je rénove mon salon. En jaune poussin ! J’ai tellement envie d’énergie. Cette
couleur, c’est bon pour les chakras ! répond-elle avant de se baisser pour saisir ses
deux énormes pots.

Je les lui prends des mains pour l’accompagner jusqu’à sa porte.

– Vous ne devriez pas…


Elle s’arrête net et se retourne avec une vivacité stupéfiante.

– Je ne devrais pas quoi ? Repeindre à mon âge parce que je pourrais claquer
d’une minute à l’autre ? Allons…
– Non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! Vous ne devriez pas le faire seule.
Vos plafonds sont hauts et…
– Ça ne me fait pas peur ! J’ai de l’équilibre. Dois-je te rappeler que j’étais
championne de patinage artistique ? Tiens, d’ailleurs, est-ce que je t’ai montré ma
collection de patins ?
– Oui, elle est très belle, lancé-je d’un ton admiratif, déterminée à la faire changer
d’avis.

Elle cherche ses clefs dans son grand sac tressé et les extirpe au bout de quelques
minutes. Je pose ma main sur son bras si fragile et lui dis d’une voix qui ne souffre
pas la contradiction :

– Je viendrai vous aider. Je me charge des hauteurs, vous des plinthes et de la


partie inférieure des murs, ça vous va ? Et puis, j’en ai besoin…

Je laisse planer ma phrase, pour que mon argument ait plus de poids.

– Comment ça ? demande-t-elle en ouvrant la porte.


– Gus continue à m’envoyer de grandes déclarations par texto.
– Quelle buse, cet homme-là ! s’exclame Mme Stevenson en lançant ses clefs sur
la console encombrée dans le petit couloir qui précède son salon.
– Je ne vous le fais pas dire ! Le dernier en date ? « Vivre sans toi, c’est comme
une carie : noir et triste. »
– Mais c’est qu’il devient poète avec le temps ! commente-t-elle en riant.
– Le Poète-Dentiste ! Comme si j’avais envie de ça ! Enfin, au moins, il a signé les
papiers du divorce ! Mais ma mère tente toujours de me refourguer des prétendants
et… j’ai besoin de me défouler, madame Stevenson. La peinture, ça défoule. S’il vous
plaît, laissez-moi colorer vos murs en jaune poussin !

Je prends une mine implorante. Mme Stevenson, qui déteste se faire aider, me fixe
un moment avant qu’un sourire étire ses lèvres.

Elle cède, elle cède…

– D’accord. Mais j’en ferai plus que toi !


– Vendu ! m’écrié-je en lui tendant le poing pour notre check habituel. Bon, je
vous laisse, je suis crevée !
– Repose-toi bien, jeune fille.

Je fais volte-face, mais au moment de sortir, Mme Stevenson me rappelle :


– Au fait Jenny ! Si tu veux que j’aille casser le genou de ce Gus, tu me le dis.
Mes patins ont encore de très belles lames. Et ça, dans une articulation, ça peut causer
des dégâts irréversibles.

Je me retourne et l’observe.

Elle est sérieuse.

J’éclate de rire et secoue la tête.

– Je ne crois pas que ce sera nécessaire, madame Stevenson, mais merci pour
votre offre généreuse !
– De rien, mon chou à la chantilly, rétorque-t-elle en plantant ses poings sur ses
hanches.

Ça, c’est une femme, une vraie ! Quand j’aurai 89 ans, j’espère ressembler à Mme
Stevenson !
3. Fluo-cocktails et effeuillage coquin...

Jenny

Vendredi soir

En retard, en retard…

Complètement essoufflée, j’arrive devant le Starlight pink. C’est Lena qui a tout
orchestré pour ce soir, mais elle nous a donné le programme, à Elly et moi : ça
s’annonce mouvementé, délirant… et ça commence juste ici.

Et dire que nous fêtons l’enterrement de vie de jeune fille d’Isabella !

Un sourire étire mes lèvres et mon cœur s’accélère : je suis tellement ravie que
Le Fiasco ait donné naissance à de belles histoires d’amour : Xander et Isabella…
Ashton et Elly… Sans oublier Oz et Lena !

Ma mère, qui avait planifié mon mariage à Las Vegas jusque dans le moindre
détail, avait convié absolument toutes les personnes que je connaissais, depuis l’école
primaire. Elle avait donc invité Elly, Lena et Isabella, que je n’avais pas revues depuis
le collège. Et le hasard a voulu que, sans le savoir, je me prépare à épouser l’ex
d’Elly… Pour oublier cela, la veille du mariage, les filles ont écumé les bars de la ville
en compagnie de trois hommes rencontrés par hasard : Ashton, Oz et Xander, frères
et amis. Dans les vapeurs de l’alcool, Elly et Ashton se sont mariés. C’est un prêtre
déguisé en Elvis qui a célébré leur union… Et si le lendemain, ils ont regretté leur
monumentale connerie, ils sont finalement tombés amoureux et forment un couple
épanoui et complice. L’explosive Lena a succombé aux charmes d’Oz il y a quelques
mois : leur vie à deux est une succession de chamailleries et de réconciliations
torrides. Enfin, Isabella, la plus douce et la plus discrète de toutes, se marie ce week-
end avec le sage Xander… Je suis si heureuse pour elles !

Mais tu ne les envies pas !

Oh non, être en couple ne me fait pas rêver, pour le moment ! Fraîchement


divorcée, je suis bien décidée à en profiter !

Et ça commence maintenant ! Je pousse la porte du bar et découvre les filles


installées à une grande table en forme de cœur, surélevée et au centre de la salle.

Discrétion absolue ! Du Lena tout craché !

De nombreux verres contenant d’étranges liquides fluorescents sont posés devant


elles. Lena, Elly et Isabella sont en train de rire et ne s’aperçoivent pas tout de suite
de mon arrivée. Je prends donc un instant pour observer ces vagues connaissances
devenues mes amies les plus proches. Isabella, la reine de la soirée, est superbe : elle
porte une robe très fluide, crème, qui dénude ses épaules graciles. Sa chevelure blonde
est ramenée sur le haut de son crâne en un épais chignon. Elle rit discrètement, sa main
fine devant sa bouche, mais c’est évident : elle resplendit de bonheur. Elly rejette sa
tête en arrière en pouffant : ses boucles brunes et folles tourbillonnent autour de son
visage au charme incroyable. Plus petite qu’Isabella, elle est tout aussi irrésistible.
Lena est celle dont le rire puissant résonne dans le bar. Elle attire tous les regards,
avec ses mèches rousses et sa robe rouge très courte, qui épouse chaque courbe de
son corps parfait.

Je m’approche en souriant et c’est elle qui me remarque la première. Aussitôt,


elle se lève et bondit vers moi pour m’enlacer. Elle sent la vanille… et l’alcool !
D’ailleurs, quand elle se tourne en saisissant ma main pour me mener à la table, elle
vacille un peu sur ses talons vertigineux.

Lena, sa fougue, sa beauté, son énergie communicative !

C’est avec enthousiasme que je salue les filles :

– Je suis en retard, je sais, mais bien là, maintenant, et prête pour…


– Une nuit de folie ! complètent-elles en chœur.

Nous éclatons de rire et je les embrasse avant de m’asseoir.

– C’est quoi, ces trucs ? demandé-je en tendant le doigt vers les liquides fluo.
Du formol ?
– Des fluo-cocktails ! Conçus par votre fidèle amie ! rétorque Lena en bombant
fièrement la poitrine. Goûte ! C’est délicieux ! Et toi aussi, Elly ! Tu n’en as toujours
pas pris !
– Heu… je vais éviter et me réserver pour la suite ! lance cette dernière, d’un
air prudent.

J’échange un regard avec Isabella. Elle hoche la tête :

– Tu peux tester, Jenny ! Je valide ! C’est super bon, même si je n’ai aucune idée
de ce que je bois !
– Alors, c’est parti ! conclus-je en attrapant un cocktail bleu phosphorescent.

De la framboise, du rhum, de la cannelle et… plein de trucs que je n’identifie pas.


Mais c’est bon ! Délicieux, même !

– Bravo, Lena ! m’écrié-je après avoir bu quelques gorgées.

Elle esquisse une petite révérence, le regard fier, puis frappe dans ses mains et se
hisse sur la banquette. Debout sur les coussins molletonnés, elle titube un peu, mais
finit par prendre appui sur le dossier pour contempler la salle.

– Hey ! Tout le monde ! Ce soir, c’est l’enterrement de vie de jeune fille de ma


grande amie Isabella ! Un tonnerre d’applaudissements pour elle !
Tous les clients, femmes et hommes, pendus aux lèvres de Lena, s’exécutent avec
un enthousiasme délirant. Lena est soigneuse dans un zoo, mais elle pourrait aussi
bien se reconvertir en gourou.

Le monde entier la suivrait !

Alors qu’elle se met à danser au son de la musique qui reprend de plus belle, je
me penche vers Isabella :

– Alors ? Comment tu te sens ? Heureuse ? Stressée ?


– Gênée, surtout ! rétorque Isabella en pointant du doigt Lena.

J’étire mon bras et attrape son mollet pour la faire chuter. Elle atterrit lourdement
à mes côtés et me tire la langue.

– Jenny chérie ! Je suis contente de te voir ! Je t’ai dit que j’étais contente de
te voir ?
– Lena est bien partie ! lance Elly, dont le regard bleu azur pétille. Elle doit en
être à son cinquième cocktail !
– Je bois pour célébrer cette soirée, s’écrie Lena après avoir déposé un baiser
sur la joue d’Isabella. Pour le mariage de demain, et aussi pour oublier Oz, qui m’a
carrément horripilée ce matin !
– Vous vous êtes encore disputés ? demande Elly en pouffant.
– Oui, confirme Lena, alors qu’un éclair de colère passe sur son beau visage. Et
cette fois, je ne lui pardonnerai pas avant…
– Cette nuit, au moment de vos retrouvailles torrides sous la couette, l’interromps-
je en levant les yeux au ciel.

Lena fronce farouchement les sourcils, prête à me contredire, mais finalement,


ses traits s’éclairent :

– Tu as raison !
– Vous fonctionnez comme ça ! commente Isabella d’un ton calme. Vous êtes un
couple passionnel !
– Comment vous vous débrouillez, vous ? demande Lena, consternée. Toi, Elly,
avec Ashton et toi, Isabella, avec Xander ? Vous êtes si harmonieux, si posés !
– Oh, ça arrive qu’Ashton et moi, nous nous disputions, réplique Elly en haussant
les épaules. On a eu de belles prises de tête !
– Je me souviens ! répond Isabella en gloussant. Par exemple, de celle qui t’a fait
quitter l’école dans laquelle tu enseignais et filer droit en Écosse chez tes parents !

Nous éclatons de rire.

– Ah, oui ! Cette fois-là, c’était épique ! confirme Elly dont le visage reflète la
nostalgie.
– Moi et Xander, nous nous disputons rarement, dit Isabella d’un ton rêveur.
– Normal, ton mec est un développeur informatique ! C’est un geek ! Les geeks
sont une espèce calme. Toi, tu es prof de fitness, tu évacues tes tensions au sport.
Alliance idéale ! conclut Lena d’une voix un peu pâteuse.
– C’est certain que Xander et toi, vous n’aurez jamais besoin de mes services de
conseillère en chagrin d’amour ! Vous êtes si parfaits, tous les deux.
– Oh merci… Il est si beau, si doux, si… murmure Isabella dont les joues rosissent.

Lena lève les yeux au ciel.

– L’amour transforme les gens en benêts ! se moque-t-elle pendant qu’Isabella


lui tire la langue.
– Et toi, Jenny ? Tu en es où ? Ta mère tente encore de te fiancer ? demande Elly
en se tournant vers moi.
– Bien sûr ! lancé-je avec agacement. Elle a essayé pas plus tard qu’hier !
– Et quel a été ton baratin cette fois ?
– Que j’entrais dans les ordres ! rétorqué-je du tac au tac.

Les filles éclatent de rire avant de me féliciter pour mon imagination débordante.

– Et j’ai reçu une bonne nouvelle, poursuis-je. J’ai les papiers du divorce signés
par Gus !

Elles se mettent toutes les trois à crier de joie en même temps, à la manière des
Sioux ayant enfin réussi à scalper leur pire ennemi, et je me joins à elles.

Une fois que nous retrouvons notre calme, Lena prend la parole :

– Allez, les filles, finissez-moi ces fluo-cocktails, car le programme est chargé :
nous filons au Five Inks, puis au Bullet et dans un tas d’autres bars. Prépare-toi,
Isabella. Des défis t’attendent toute la soirée !

Isabella et Elly semblent légèrement effrayées, mais j’échange un regard complice


avec Lena : moi, je suis prête, et jusqu’au bout de la nuit s’il le faut !

Quelques heures plus tard, me voilà agrippée à une barre de pole dance, au
Blueberry, une boîte au centre de Manhattan. OK, j’ai trop bu, mais je m’en sors
admirablement : le cours que je suis chaque semaine avec Lena porte ses fruits. Celle-
ci, juste à côté, a les jambes en l’air et exécute des enchaînements savants et hyper
sensuels. Deux mecs bavent littéralement devant elle, mais lorsqu’elle finit, elle ne
leur accorde pas une seconde d’attention. Nous rejoignons Elly et Isabella qui se sont
écartées de la foule pour s’asseoir en terrasse, à côté d’une immense piscine turquoise,
sous un cocotier.

– Alors, les filles ? Vous ne dansez pas ? demandé-je en m’installant à leur côté.
– Non, on regarde la vidéo qu’Ashton et Oz nous ont envoyée, avoue Isabella,
avec des trémolos dans la voix.
– C’est très mignon, lance Elly, d’un ton attendri, avant de me tendre son
smartphone.
Lena et moi nous penchons au-dessus de l’écran pour voir Xander, passablement
éméché. Incroyable ! Lui, si réservé, se trouve derrière un micro. Jamais Xander,
sobre, ne ferait ça !

Génial !

Je monte le son et Lena et moi profitons du spectacle : « Cette chanson est pour
mon Isabella, que j’épouse demain. Je suis tellement chanceux d’avoir une telle
femme dans ma vie ! Isabella, mon amour, c’est pour toi ! » Et, alors qu’il entonne
« Only you » de façon absolument affreuse, la caméra pivote et nous voyons les
visages d’Ashton et Oz, hilares, qui se coupent la parole. « On vous aime les filles !
Vous nous manquez ! Ne t’inquiète pas Isabella, on gère, on gère ! » La vidéo se
termine brusquement sur leurs éclats de rire. Je lève le nez vers Isabella, qui sourit
béatement. D’un mouvement vif, elle quitte la banquette et l’air décidé, se tourne
vers nous :

– Je crois que je vais retrouver mon fiancé.

Lena se dresse et lui barre le passage avec détermination.

– HORS DE QUESTION ! proteste-t-elle avec véhémence. Il s’agit de ton


enterrement de vie de jeune fille ! Tu es prise en otage, tu restes avec nous !
– Mais il me manque ! supplie Isabella en joignant les mains devant elle dans un
geste de prière. Je lui manque ! Et…
– Et rien du tout ! la contredit Lena, inflexible. Il te passe la bague au doigt demain
et tu le verras à ce moment-là. Nous, on est occupées. D’ailleurs, il est temps de
s’attaquer au défi numéro 3. Il fera drôlement plaisir à Xander, si tu veux mon avis !
– Tu as raison. Je suis avec vous, je dois en profiter ! s’exclame Isabella, intriguée
et enthousiaste.
– Qu’est-ce qui nous attend, après le lancer de fléchettes collantes sur un homme
torse nu et la course de Caddies de luxe sur Regard Street ? chuchote Elly à mon
oreille alors que Lena nous entraîne à l’intérieur, puis vers un immense ascenseur
doré menant à l’espace VIP et aux chambres luxueuses du premier étage.

J’adresse un clin d’œil à Lena. Elle m’a tenue au courant de ce qui nous attend,
et je trépigne d’impatience. Elly semble méfiante, mais Isabella est sensible à
l’argument Xander et en deux temps, trois mouvements, nous voilà devant une porte
rouge. Lena extirpe une carte de son sac et la glisse sur le lecteur.

Nous pénétrons alors dans une suite absolument délicieuse, avec sa décoration
épurée et moderne, prune et noir. Une jeune femme châtain clair, vêtue d’une robe
irisée très sexy, nous salue dès que nous entrons.

– Bienvenue les filles ! s’exclame-t-elle avec un fort accent français. Je suis


Sandra, ex-danseuse de French cancan. Qui est Isabella ?
Cette dernière, paralysée par la timidité, ne bouge pas et je la pousse vers Sandra
en gloussant.

– C’est elle ! lancé-je joyeusement.

Isabella se retourne et me foudroie du regard, ce qui me fait pouffer.

– Enchantée, Isabella et félicitations, dit Sandra. Je suis le professeur de pole


dance de Jenny et Lena, mais ce soir, je vais t’enseigner tout autre chose. L’art de
l’effeuillage ! Ton époux ne s’en remettra pas, crois-moi !
– Je peux essayer moi aussi ? demande Elly avec une précipitation jubilatoire.
– Bien sûr ! Vous suivrez toutes le cours ! acquiesce Sandra.

Isabella pâlit, rosit, rougit et hoche finalement la tête.

Et une heure plus tard, je constate avec plaisir qu’elle, qui est si timide, s’en sort
mieux que nous toutes réunies. Moi, je m’emmêle les pinceaux et j’ai la grâce d’un
éléphant quand j’ôte mon soutien-gorge. Elly a chuté en enlevant ses escarpins (dont
l’un a rebondi sur ma jambe en me l’écorchant royalement). Quant à Lena, elle titube
tellement qu’elle a du mal à tenir debout.

Mais Isabella !

Isabella enlève ses vêtements avec une délicatesse et une sensualité qui nous laisse
admiratives. Et c’est avec un enthousiasme délirant que nous applaudissons notre
chère amie. Notre Isabella qui se mariera demain avec l’homme de sa vie !
4. Décalage horaire et divine apparition

Blaine

Ces trucs vitaminés, c’est vraiment de l’arnaque pure et simple. On te promet une
forme olympique et…

Et je suis une loque. Je termine mon créneau dans une place minuscule, mon SUV
tamponnant joyeusement la voiture de derrière, éteins le contact, pousse un soupir
et me frotte les yeux. J’ai beau être habitué depuis un bail au décalage horaire –
quand j’étais dans l’armée, je passais mon temps en déplacement à l’étranger —, je
ne m’y fais pas, même si aujourd’hui, mon job est bien plus tranquille. Enfin, je dis
tranquille… Il faut composer avec des clients parfois spéciaux, et ces derniers mois
en Europe ont été éprouvants !

Mais ça y est, cette mission est terminée, et je suis de retour à New York ! Et
surtout, auprès d’Ashton, mon frère, que je distingue au loin sur le parvis de l’église.

Mon frère…

Ça me semble à la fois étrange et naturel de l’appeler ainsi. Il faut dire que notre
père m’a mis au courant de son existence il y a un an seulement, alors qu’il était
gravement malade et avait besoin d’un don de moelle osseuse de toute urgence.
Malheureusement, je n’étais pas compatible, et c’est là qu’il m’a avoué le truc. Quand
je pense que j’ai osé me pointer chez Ashton pour lui demander d’aider notre père…
Ce père qui a été formidable avec moi, mais qui ne s’est jamais occupé d’Ashton,
son fils aîné, né d’un précédent mariage. Ce père qui s’est barré sans se retourner
pour fonder un autre foyer à des kilomètres et des kilomètres. Ashton n’a pas eu de
chance. Sa mère est morte quand il était très jeune. Heureusement qu’à ce moment-
là, les Parker, parents d’Oz et de Xander, les meilleurs amis d’Ashton, l’ont gardé
avec eux et considéré comme un membre de la famille.

Je comprends qu’Ashton ait mal pris ma visite, au départ. J’ai eu du bol que la
douce Elly soit là pour arrondir les angles. Et au final, il m’a épaté en acceptant,
malgré sa rancœur, de faire les tests et de sauver notre père. Nous nous sommes
rapprochés et sommes devenus tellement complices que c’est tout naturellement qu’à
la fin de ma carrière militaire, je suis venu m’installer à New York. C’est ainsi que
j’ai connu tous les autres : Isabella, Xander, Oz, Lena, les Parker… et bien sûr, Lady,
le fameux chat persan d’Ashton.

D’ailleurs, plus je m’approche et plus je distingue quelques poils de la petite bête


capricieuse sur la veste d’Ashton… Je retiens un fou rire, lui tape sur l’épaule et il se
retourne brusquement. Quand il me fait face, ses fossettes se creusent et un immense
sourire éclaire son visage. Ses yeux verts pétillent. Mon frère est un homme heureux !
Et super élégant ! Rasé de près, costume noir impeccable, il en impose.

– Mon frère ! s’exclame-t-il avant de me donner une bourrade affectueuse.


Content que tu n’aies pas eu d’imprévus ! Je te préviens, hors de question pour toi
d’accepter une mission de dernière minute. Tu as dit que tu restais sur New York
pour un moment. J’ai programmé une tonne de trucs !
– Il avait hâte que tu rentres ! lance Elly qui nous a rejoints et m’étreint
brièvement. Et moi aussi ! Je suis ravie que tu sois avec nous, Blaine.
– Vous m’avez manqué, répliqué-je d’un ton bourru, un peu gêné de me montrer
si démonstratif.
– Et à Lady, tu n’imagines pas ! s’exclame Elly en jetant des regards moqueurs à
Ashton. Elle n’a pas arrêté de miauler et de gratter la porte en ton absence, comme si
elle attendait que tu nous rendes visite et que tu joues avec elle ! Pas vrai, Ash ? Je
crois que ton fidèle animal de compagnie préfère ton frère à toi !

Ashton lève les yeux au ciel et je m’esclaffe, comme à chaque fois que quelqu’un
le taquine à propos de l’amour inconditionnel qu’il porte à son matou. Mais avant
qu’il ne puisse répliquer, les parents de Xander et d’Oz s’approchent. Pendant que je
les salue, Elly embrasse Ashton et s’excuse auprès de nous :

– Je file rejoindre Isabella. Quand elle descendra l’allée, vous n’en reviendrez
pas : elle est tout bonnement parfaite ! Elle ressemble à un ange !
– Je n’en doute pas. Elle…

Mais je ne peux terminer ma phrase. Une main lourde s’abat sur mon épaule.

– Mon pote ! s’exclame Oz en tapotant mon dos. Content de te revoir !

Je me retourne et salue Oz, qui a l’air en pleine forme. Ses cheveux sont plus en
bataille que jamais, son sourire et ses yeux bleus toujours aussi francs. Je me souviens
l’avoir entendu jurer qu’on ne le forcerait pas à mettre un costume, même pour le
mariage de son frère, mais il a sûrement cédé aux arguments de Lena. Vêtu d’un
smoking gris souris, j’ai du mal à le reconnaître, lui qui affectionne d’habitude les
jeans et les tee-shirts tout simples !

– Mate-moi un peu Xander ! On dirait qu’il a bouffé une fourchette tellement il


se tient droit. À mon avis, il est stressé ! Et je le comprends ! Se faire passer la corde
au cou, comme ça…
– En tout cas, c’est sûr que ça ne t’arrivera pas, à toi ! l’interrompt une voix
féminine reconnaissable entre mille : celle de Lena.

Alors que j’étouffe un rire, Oz se met à bafouiller et pivote lentement vers elle :
elle le fusille du regard, les poings sur les hanches. Elle s’apprête à lâcher une parole
venimeuse, mais se tourne soudain vers moi, m’adresse un sourire affable et saisit
ma main pour la presser dans la sienne quelques instants :

– Coucou, Blaine ! me salue-t-elle avec douceur, même si ses yeux lancent des
éclairs. Tu as fait bon voyage ? Je suis contente que tu aies pu venir !
J’ai à peine le temps de répondre qu’elle fait à nouveau face à Oz en grimaçant.

Docteur Jekyll et Mister Hyde, version sexy.

C’est en riant franchement que je les laisse se disputer et que je m’avance vers
Xander.

C’est vrai qu’il est blanc comme un linge…

Mais il reste au top de l’élégance. Son costume bleu roi est parfaitement coupé et
met en valeur sa silhouette longiligne. Il a les cheveux blonds, comme Oz, mais au
contraire de son frère, il les a coiffés avec soin.

Quand ses yeux noirs se posent sur moi, j’y décèle une angoisse profonde.

– Comment ça va, mon vieux ? lui dis-je avec enthousiasme. C’est le plus beau
jour de ta vie, hein ?
– Oui… enfin, si elle vient ! bredouille-t-il en se passant la main sur son front
moite.
– Mais pourquoi ce ne serait pas le cas ? répliqué-je d’une voix réconfortante.
Isabella t’aime de tout son cœur ! Ça ne fait aucun doute !
– Mais si elle réalise que je ne suis qu’un informaticien… et qu’elle ne veut pas
m’épouser. Franchement, il y a plus sexy que moi, surtout pour une fille aussi belle
et brillante qu’elle !

Touché par son manque d’assurance, je lui attrape le bras, plante mon regard dans
le sien et décide de dédramatiser.

– Écoute-moi Xander, tu es parfait. Sans déconner, si j’étais une femme ou gay,


je te jure que je succomberais à tes charmes ! Vite fait, bien fait, et pour la vie !

Il émet un rire timide et ses traits délicats se détendent.

Cool, ça marche !

Du coin de l’œil, j’aperçois Ashton et Oz qui se sont rapprochés et je continue


sur ma lancée :

– Regarde, tu es carrément plus grand que ce nain d’Ashton et bien plus intelligent
que cet imbécile d’Oz ! lâché-je d’un ton réjoui.

Ces derniers font mine de me tomber dessus et de me bourrer de coups de poing,


et Xander éclate de rire. Quand il reprend son sérieux, il semble plus calme. OK, c’est
gagné. Et lorsqu’il hoche la tête dans ma direction d’un air reconnaissant avant de se
détourner pour entrer dans l’église, je pousse un soupir satisfait.

– Bien joué ! me félicite Ashton. Même si je ne suis PAS petit.


– Ouais ! Mission réussie ! renchérit Oz. Même si tu me paieras le fait de m’avoir
traité de débile !
– Je demanderai à Lena lequel de nous deux a raison ! répliqué-je avec un clin
d’œil.
– Surtout pas ! lance Oz. Ne cherchons pas la Bête Féroce qui vit en elle ! Déjà
qu’elle est partie rejoindre Isabella un peu vexée après ma gaffe…

Nous éclatons de rire et pénétrons dans l’église.

Je me sens un peu con de ne pas avoir de cavalière à retrouver après la cérémonie,


mais il faut dire qu’entre mes missions et mes obligations personnelles très rigides,
je n’ai pas le temps d’avoir une relation suivie. Les filles que je rencontre ne sont que
des histoires d’une nuit et c’est amplement suffisant.

C’est ça, essaie de t’en convaincre !

– Notre Xander est l’élégance incarnée ! remarque Oz avec une admiration


sincère, me tirant de mon petit combat avec mon irritante voix intérieure.

Il a cessé de se moquer et semble particulièrement ému. Nous nous asseyons côte


à côte et j’observe Xander.

– Je valide, murmuré-je.

Tout ici est classe, de toute façon ! La profusion de fleurs turquoise, les voûtes
travaillées de l’église, ses plafonds très hauts, son immensité. Il fallait bien ça pour
accueillir toute cette foule ! Les bancs se sont remplis en une fraction de seconde et
un brouhaha joyeux envahit les lieux.

– La mariée va bientôt arriver. J’espère que Lena sera calmée. Une demoiselle
d’honneur au regard de tueuse, il y a mieux ! murmure Oz qui prend soudain un air
rêveur. Quoique… Elle est trop sexy quand elle est furax.
– Et c’est sûr qu’avec toi, elle l’est souvent ! le taquine Ashton en lui donnant
un coup de coude.
– Les voilà ! les interromps-je.

Le silence se fait. Une musique très douce, aux couleurs du jazz, retentit. Isabella
pénètre dans l’église au bras de son père et la foule pousse des « ho » et des « ha »
d’admiration.

C’est vrai que cette fille est superbe, avec sa robe crème qui souligne sa silhouette
longiligne…

Ashton et Oz tendent le cou et soupirent.

Vrai aussi qu’Elly et Lena sont canon.

Mais… Mais je n’y accorde aucune attention.


Aucune, sérieux.

Le cœur battant la chamade, ma respiration s’accélérant, comme un gros débile


d’adolescent en fleur, je contemple la petite blonde toute fine qui les suit, vêtue de
la même robe que ses compagnes.

Sauf qu’elle éclipse toutes les autres.

Elle n’est plus tout à fait la même. Il y a un an, ses cheveux très clairs étaient longs,
coiffés sagement : ils sont aujourd’hui courts et ébouriffés, lui donnant l’air mutin.
Son maquillage était discret, presque inexistant, il est maintenant plus affirmé : des
traits noirs soulignent ses yeux. Ça lui va divinement bien. Ce qui ne change pas, en
revanche, ce sont ses courbes : toujours divines. Tout en finesse, tout en rondeur.

Cette fille, Jenny, est parfaite.

Je ne l’avais pas revue depuis le mariage d’Ashton et Elly (le deuxième… enfin,
le bon, quoi !) et j’avais senti une réelle alchimie entre nous. Rien ne s’était produit :
elle sortait d’une relation pourrie, et moi, j’étais entre deux missions mais bordel,
j’en avais eu envie. Nous avions dansé, bu. Nous avions ri. Beaucoup. Et nous avions
parlé. Énormément. Nous avions été légers et graves à la fois. Nos mains s’étaient
enlacées, mais nous ne nous étions pas embrassés. Trop tôt pour elle. Trop fragile.
Je ne voulais pas profiter d’une fille qui venait de se séparer de son époux. Je partais
le lendemain en Afghanistan. Mais je pense qu’elle avait eu envie de moi, comme
j’avais eu envie d’elle.

Et puis… le temps a passé, et si elle traversait parfois mes pensées lors de nuits
solitaires, je n’avais plus vraiment songé à elle jusqu’à aujourd’hui. J’avais tort.

Un frisson d’excitation parfaitement inapproprié parcourt mon corps et je ne


souhaite qu’une chose : qu’elle croise mon regard. Que ses formidables yeux bleus
plongent dans les miens. Que le léger sourire qui entrouvre ses lèvres pulpeuses
s’élargisse en m’apercevant. Malheureusement, elle reste concentrée sur Isabella, sur
l’allée, sur la cérémonie.

Et moi…

Moi, je remarque à peine le visage heureux de Xander, les pleurs de joie


d’Isabella, je n’entends que d’une oreille le discours du prêtre et les commentaires
tantôt émus, tantôt moqueurs d’Ashton et Oz. Ouais, je me fous de tout sauf des
courbes de son corps, qu’on devine sous le tissu léger.

Complètement foudroyé.
5. Aveuglement et tentation irrésistible

Blaine

Impossible de la retrouver dans la foule qui entoure le formidable buffet. Des


pyramides colorées, des terrines dont s’échappe un délicieux fumet, des canapés
minuscules recouverts de préparations aussi appétissantes les unes que les autres…
Mais tout ça ne me tente pas. Je n’ai qu’une envie : trouver cette fille. Et dans cette
salle de réception bondée, au dernier étage d’un grand building avec une vue sublime
sur Manhattan, ça s’annonce tendu. Je me tourne vers Ashton qui fait mine d’aller
se servir et le retiens :

– Dis-moi, où sont passées Elly, Lena et Isabella ? demandé-je d’un ton aussi
neutre que possible.
– Les filles ont accompagné Isabella, qui est partie se changer : ça lui paraissait
compliqué de danser en robe de mariée ! Elles sont à l’étage d’en dessous, dans l’une
des chambres louées pour l’occasion.
– OK, réponds-je en hochant la tête, un peu hésitant. Et… heu… Jenny ? Elle
était avec elles ?
– Voilà ! Il arrive enfin à la vraie question ! intervient Oz qui nous a rejoints,
armé d’au moins une dizaine de toasts qu’il empile les uns sur les autres avant de les
engloutir d’un coup. Tu ne croyais pas qu’on n’avait pas remarqué que tu la dévorais
des yeux, hein ?

Il échange un regard complice avec Ashton qui acquiesce et me tapote le dos d’un
geste encourageant.

– Pas du tout, protesté-je en m’écartant, à la fois gêné et amusé par leur


perspicacité. C’est juste que…
– La voilà ! s’exclame Oz, la bouche encore pleine, pointant le doigt derrière moi.

Je fais brusquement volte-face et ils éclatent de rire, pendant que je grogne.

– Je t’ai eu ! s’écrie Oz. Et j’ai la preuve que ce que j’avance est vrai !

Je pivote à nouveau vers eux en haussant les épaules.

– Pensez ce que vous voulez, commencé-je. Mais je…


– En tout cas, je me souviens qu’à mon mariage, vous aviez longtemps discuté,
tous les deux ! ajoute Ashton en plantant son regard dans le mien.
– Pas plus qu’avec une autre, protesté-je, un peu contrarié d’être aussi transparent.
– Elle est juste là ! intervient Oz.
Ouais, tu m’as déjà pris pour un con une fois, ça ne marchera pas la deuxième
fois !

– Mais oui, bien sûr ! rétorqué-je. Elle est pile derrière moi et va me dire : « Salut,
Blaine, c’est Jenny ! Tu te souviens de moi ? »
– Salut, Blaine, c’est Jenny ! Tu te souviens de moi ? répète une voix suave dans
mon dos.

Merde.

Je fais volte-face et me trouve nez à nez avec Jenny, qui m’observe de ses
formidables prunelles bleues. Son regard pétille. Cette fille est parfaite. Son
expression taquine, les taches de rousseur sur son nez droit, ses pommettes qui se
creusent… Et cette bouche…

Bon sang, cette bouche !

Je me gratte la nuque, carrément embarrassé, mais elle m’adresse un immense


sourire et je me détends. Après tout, est-ce que ce serait si grave qu’elle sache qu’elle
me plaît ?

– Coucou, Jenny ! On t’attendait avec impatience ! Enfin, quand je dis « on »…


intervient Oz d’une voix chargée de sous-entendus.

Je lui jette un regard assassin et il s’interrompt, alors que Jenny pointe du doigt
la piste de danse :

– Tu veux danser et t’éloigner de ce lourdaud d’Oz ? demande-t-elle en tirant la


langue à ce dernier.
– Avec plaisir, réponds-je en ignorant les gloussements de mon frère.

On se croirait au bal du lycée, avec eux deux !

J’entraîne donc Jenny sur la piste de danse, pile au moment où l’orchestre entame
un morceau de jazz lent et doux. Je plonge mes yeux dans les siens, doux, pétillants, et
nous restons immobiles un instant, comme si le temps était suspendu, comme si j’étais
hypnotisé par sa beauté et sa proximité. Puis, je saisis ses hanches qui ondulent sous
mes paumes et rapproche son corps frémissant du mien. Elle passe ses bras autour
de mon cou et lève les yeux vers moi, alors que je hume son parfum délicat. J’ignore
si elle ressent la même chose, mais je me sens électrisé. À tel point que l’excitation
me gagne.

C’est dingue, l’effet que produit cette fille sur moi…

Il faut à tout prix que je pense à autre chose qu’à lui arracher sa robe…
– Comment vas-tu, depuis un an ? demandé-je un peu maladroitement, en tentant
de ne pas baisser les yeux sur son décolleté dévoilant la naissance de sa poitrine
ferme, parsemée de grains de beauté.

Raté.

– Extrêmement bien ! répond-elle d’une voix pleine d’enthousiasme. Je trouve ça


fou qu’on ne se soit pas croisé depuis le mariage d’Ashton !
– Je suis souvent à l’étranger. Pour tout t’avouer, j’ai l’impression que mon appart
new-yorkais n’est qu’un lieu de passage.
– Ashton m’a dit que tu es garde du corps, maintenant ?
– Tu as demandé de mes nouvelles à Ashton ? l’interrogé-je, ravi.
– Ou il m’en a donné de lui-même… réplique-t-elle d’un air mystérieux.

Ses yeux pétillent. J’étouffe un soupir.

– J’ai fini mon temps dans l’armée et me suis reconverti dans quelque chose de
plus posé. Quoique… ça dépend vraiment des clients que je protège, du contexte et
du pays dans lequel on se rend. Les hommes politiques se retrouvent parfois dans des
situations très tendues.

Jenny m’observe quelques instants, fronce les sourcils et caresse ma tempe très
légèrement. Je frémis à son contact.

– J’imagine, oui, quand je vois cette cicatrice. Tu ne l’avais pas, l’an dernier…
– C’est vrai, dis-je en passant l’index dessus machinalement, me souvenant des
efforts que j’avais dû déployer pour sortir Gendry, riche armateur, d’un guet-apens
destiné à le dépouiller. Tu es observatrice.

Et je dois avouer que ça me plaît beaucoup…

– C’est l’une de mes nombreuses qualités, réplique-t-elle avec une grimace


comique.
– Je n’en doute pas ! Au fait, cette coupe te va à ravir, tu es superbe.
– C’est le célibat et le boulot qui m’épanouissent, lance-t-elle, l’air de rien.

Précise-t-elle qu’elle est seule dans le but de…

– Célibat ? Au mariage d’Ashton, tu m’avais raconté que ce connard de…


– Gus, complète-t-elle alors que j’hésite.
– Oui, Gus faisait de la résistance concernant le divorce ? continué-je, d’un ton
féroce.
– Il a enfin signé les papiers ! Je suis libre comme l’air.
– C’est génial !

Je n’ai pas pu m’empêcher de le dire. Et je constate que c’est tant mieux,


puisqu’une étincelle de plaisir passe dans ses yeux. Elle sourit. Je l’attire un peu plus
près de moi et nos corps bougent dans une harmonie qui me surprend. Sa peau est si
chaude… Elle doit être si sucrée…

Tu t’égares mon grand…

Le silence se fait, et elle se blottit contre moi un instant, avant de relever le visage
pour m’observer. Son regard est intense, sensuel, et en moi, naît l’espoir qu’elle me
désire autant que moi, je la désire… Il faut que je me calme. Si ça se trouve, ce n’est
qu’une danse à ses yeux. Pas plus.

Je dois parler, sinon, je ne me contrôlerai pas et l’embrasserai là, tout de suite.

– Ashton m’a raconté que tu avais monté ton cabinet et que tu conseillais les gens
qui vivaient un chagrin d’amour ou une rupture difficile. Il m’a aussi confié que ça
marchait du tonnerre.
– Tiens, tiens, commente-t-elle d’un ton taquin. Tu as demandé de mes nouvelles
à Ashton ?
– Ou il m’en a donné de lui-même, dis-je en répétant mot pour mot sa réplique
de tout à l’heure.

Elle éclate de rire et son visage est encore plus pétillant, plus lumineux qu’il y
a un an.

Un an a filé depuis, et pourtant, je ressens la même complicité entre nous… Cette


tension… Et je m’apprête à lui confier que j’aurais aimé l’embrasser, ce soir-là…
quand soudain, son regard se voile. Elle esquisse une grimace de souffrance et cligne
des yeux.

Qu’est-ce qui se passe ?

À peine le temps de lui demander ce qui ne va pas qu’elle se met à pleurer.

Merde… J’ai fait un truc ? Dit quelque chose ?

Je cesse immédiatement de danser et saisis son visage en coupe dans mes paumes,
la forçant à me faire face.

– Jenny ? dis-je avec douceur, flippant comme un dingue qu’elle m’avoue qu’en
fait, elle aime toujours ce connard de Gus. Que se passe-t-il ?
– Ma… Ce sont mes, commence-t-elle en s’essuyant maladroitement les
paupières.
– Ce sont tes ? poursuis-je d’un ton pressant.
– Ce sont mes lentilles !
– Tes lentilles ? répété-je abasourdi, m’attendant à tout, sauf à ce qu’elle me parle
cuisine en un instant pareil.
– Mes lentilles de contact ! J’ai la rétine fragile et ça me fait parfois cet effet !
explique-t-elle en reniflant. Il faut tout de suite que j’ôte celles-ci et que je les
remplace !
– Et tu as ça sous la main ? demandé-je, à la fois soulagé et un peu affolé pour elle.
– Oui, en bas, dans ma suite. Je suis désolée. Je reviens dans un instant.

Elle s’éloigne et je la vois se cogner contre un couple qui la mate d’un air pincé.
Je me précipite derrière elle.

– Attends, Jenny. Je t’accompagne !

Elle hoche la tête avec reconnaissance et je saisis sa main, qui semble minuscule
dans la mienne.

– Viens avec moi, lui dis-je en la guidant parmi la foule.


– Tu es mon chevalier servant ! Mon chevalier à la lentille ! plaisante-t-elle en
me suivant… aveuglément.

Quand nous entrons dans l’ascenseur, nous nous fixons un instant et éclatons de
rire.

– Je ne suis pas la plus sexy des cavalières, n’est-ce pas ? lance-t-elle en fronçant
les sourcils.

Si tu savais… Même avec tes yeux de lapin albinos, tu éclipses toutes les autres…

Mais je me contente d’une légère caresse sur sa joue et de secouer la tête.

– Tu es parfaite ! murmuré-je.

Elle ouvre la bouche pour répliquer, puis la referme, et m’offre un sourire


renversant. Nous nous dévisageons jusqu’au moment d’atteindre le palier. Devant la
porte de sa chambre, elle me tend sa carte. Quand nous entrons, elle se précipite vers
la salle de bains.

– Tu peux m’aider, s’il te plaît ? lance-t-elle au bout de quelques minutes. Je


n’arrive pas à enlever la deuxième. Je suis vraiment désolée. Je suis une calamité et…

Je la rejoins aussitôt. Elle se tourne vers moi, s’adossant au lavabo, le temps que je
me lave les mains. Je me penche ensuite vers elle, si près que j’aperçois un minuscule
grain de beauté sur sa paupière… Puis, je récupère sans aucune difficulté la lentille
que je jette dans la corbeille. Elle soupire de soulagement, lève les yeux vers moi et
chuchote un « merci » un peu embarrassé.

Elle n’a pas à l’être. Elle est si belle…

Je lui souris, m’écarte… mais d’une main ferme, elle agrippe le col de ma chemise
et me plaque contre elle. À la fois surpris et ravi, je glisse mes mains sur ses hanches.
Une seconde, deux secondes s’écoulent. Nous nous fixons avec une intensité que je
n’ai jamais connue. Je savoure cette énergie quelques instants… juste avant de me
pencher vers elle et de faire ce dont j’avais envie il y a un an, déjà : poser mes lèvres
sur les siennes, délicieuses, parfumées, douces.
Divines.

Je savoure la douceur de ses lèvres charnues, qu’elle entrouvre. Ma langue s’y


fraie un chemin et se lie à la sienne d’abord tendrement, puis plus profondément.
Son contact est tellement sensuel qu’en une seconde, je sens ce frisson d’excitation
particulier, celui qui semble se pointer à chaque fois que je suis proche de Jenny,
m’envahir tout entier. Elle passe ses bras autour de mon cou et s’avance de manière à
plaquer son corps contre le mien. Mes mains saisissent sa taille d’un geste ferme. J’ai
l’impression que je ne serai jamais capable de m’écarter. Tout, chez elle, m’enivre :
son parfum, un délicat mélange de rose et de vanille… Ses courbes généreuses que
j’ai devinées sous le fin tissu de sa robe… Ses hanches pulpeuses qui vibrent sous
mes paumes…

J’ai envie d’elle comme je n’ai jamais eu envie de personne.

Mes mains glissent de sa taille à ses fesses, mais à peine ai-je effleuré leur rondeur
parfaite que Jenny s’écarte brusquement et se décale d’un pas sur le côté.

Merde, j’ai l’impression d’être dépossédé.

Et surtout, je me sens con. Suis-je allé trop loin, trop vite ?

Évidemment, débile de base ! Ça fait à peine une heure que vous êtes ensemble
et tu lui sautes dessus…

Je crève d’envie de la reprendre dans mes bras, mais je suis confus. Désemparé,
je frotte ma nuque et bredouille un « pardon » foireux, avant de croiser son regard.
Je pensais y voir du regret, mais… Mais ce que j’y lis est totalement différent de ce
à quoi je m’attendais. Ses prunelles sont voilées par le désir. Elle est si belle, comme
ça. Un peu décoiffée, les joues roses, les lèvres brillantes…

– Ne t’excuse pas, lance-t-elle enfin. Je suis la première à avoir envie de toi…


Mais tu ne crois pas qu’on va un peu trop vite ?

En fait non. Parce qu’étrangement, tout me semble naturel, bien que précipité.

– Si, admets-je en soupirant, en tentant de ne pas laisser errer mon regard sur sa
poitrine ferme, qui se soulève à un rythme rapide.

Ne pas la désirer me paraît plus difficile que de mener une putain de guerre.

– On s’est à peine parlé… poursuit-elle d’un ton peu convaincu. Et nous célébrons
le mariage d’Isabella et Xander… Je crois que nous devrions…
– Redescendre. Tu as raison, c’est malvenu, complété-je, encore moins crédible
qu’elle.

Elle soupire, s’approche à nouveau de moi, se hisse sur la pointe des pieds et
dépose un baiser léger sur ma joue. Puis, elle saisit ma main pour m’entraîner dans
le salon, vers l’entrée, qui me paraît être celle de l’Enfer. Mais avant de sortir, elle
fait volte-face. Ma respiration s’accélère. Le bon vieux frisson refait surface.

– Ce serait malvenu si je t’embrassais une dernière fois ? demande-t-elle, alors


que sa fossette se creuse, lui donnant un air espiègle irrésistible.
– Je dirais même que ce serait inconvenant, répliqué-je avant d’enrouler mon bras
autour de sa taille pour l’attirer contre mon torse.

À nouveau, je m’empare de sa bouche. À nouveau, nos langues s’entremêlent,


tout comme nos respirations qui s’accélèrent en chœur. C’est elle qui se détache la
première, encore une fois.

– On doit partir, murmure-t-elle.


– OK, rétorqué-je d’une voix rauque. Juste une question d’abord : ce serait
malvenu si j’embrassais ta gorge ?

Sa réponse se noie dans son soupir, quand je me penche pour faire courir mes
lèvres sur sa peau fine et veloutée. D’un geste, j’écarte alors le pan de sa robe
portefeuille, qui glisse et dévoile sa poitrine, enfermée dans un ravissant soutien-
gorge rouge. Je n’ai qu’une envie, la débarrasser de ce truc superflu.

Je veux posséder cette fille parfaite, et…

Cette fois, Jenny ne recule plus et sa voix est un peu hachée quand elle reprend
la parole :

– Je me demande si ce serait malvenu si j’ôtais…

Elle laisse sa phrase en suspens et dénoue complètement la ceinture de sa robe.


Voilà, je reste con. Soufflé devant sa beauté. Face à cette peau très pâle, ces millions
de grains de beauté qui recouvrent son corps, ces courbes divines et généreuses. Ce
tatouage original en forme de colibri sur son avant-bras… Ces seins. Ces jambes
interminables.

– Totalement inapproprié, soufflé-je avant de virer ma cravate et ma chemise en


quatrième vitesse.

Elle sourit d’un air complice et je vois son regard s’attarder sur mes propres
tatouages. Elle pose son index sur l’hirondelle sur mon pectoral gauche… puis un
peu plus bas, sur la rose des vents… et enfin, le long de la ligne dentée sur mon
omoplate, mais ne me questionne pas sur leur signification, tout comme je me suis
gardé de le faire à son sujet. Je suis certain que nous savons tous les deux que c’est
personnel. Sa paume glisse jusqu’à ma ceinture, qu’elle détache sans difficulté. Puis,
elle se promène sur le tissu de mon pantalon, effleurant mon sexe durci, qui réagit
à son contact et se tend.

N’y tenant plus, je l’enlace avec ardeur. D’un mouvement souple, je la soulève
et elle passe ses jambes autour de ma taille.
Légère comme une plume.

Alors que j’avance vers le lit, elle parsème mon visage de baisers. C’est doux,
grisant. Diablement excitant. Mais soudain, elle s’interrompt, me mettant au supplice.

– Si j’y pense bien… lance-t-elle d’une voix joyeuse. Ce que nous faisons n’est
pas du tout malvenu si on considère qu’il y a tellement de monde en haut que personne
ne remarquera notre absence… et que nous avons cette chose en attente depuis un an.
– Cette chose ? répété-je, juste pour faire en sorte qu’elle développe.

Elle me contemple en souriant.

– Tu sais… Toi, moi, le désir…

Oh oui, je vois… Parfaitement, même.

Je hoche la tête avec vigueur et me débarrasse de mon pantalon. Quand nous


nous allongeons sur le lit, je me place sur elle et l’embrasse fiévreusement : sa joue,
ses lèvres, d’abord… Je mordille ensuite son oreille… Puis, glisse ma langue sur sa
gorge… sur ses seins d’une incroyable beauté. Je m’empare avidement des mamelons
qui se durcissent sous l’effet du désir, les lèche, les prends dans ma bouche, alors
que les soupirs de plaisir de Jenny font grimper mon excitation, si c’est possible…
Je descends encore, et embrasse son ventre plat, son nombril adorable. Jenny bouge
un peu et je ne sais comment, elle se trouve maintenant sur moi. Je suis allongé. Elle
est assise sur moi, dressée, fière, divine. Elle me contemple avec passion et je lis sur
son visage, dans ses yeux, la même fièvre que la mienne. J’attrape sa taille et elle
se penche vers moi. Nos souffles courts, nos langues liées… Elle qui se déhanche
doucement, qui ondule sur moi, contre moi, nos sexes se frôlant à travers les tissus…

J’ai envie de la dévorer.

J’empoigne ses fesses qui tiennent dans mes mains et accélère le mouvement.

Je la veux…

Soudain, elle se lève, puis se poste devant le pied du lit, sans me lâcher du regard.

Merde, merde, merde, elle se ravise, elle va partir.

Un soupir de frustration m’échappe, même si je comprends. Oui, tout s’enchaîne


trop vite. Oui, on déconne, là. Je me redresse pour me rhabiller, mais elle secoue la
tête, autoritaire.

– Ne bouge pas ! lance-t-elle.


Je m’exécute et m’allonge à nouveau, écoutant ses pas, me préparant à entendre
la porte claquer… Mais rien. Rien ne se produit. Juste un bruit de sac qu’on fouille
et de fermeture éclair.

– Tu peux t’asseoir, maintenant, murmure-t-elle.

Elle est revenue au pied du lit. Je remarque à peine le préservatif qu’elle a posé
sur le matelas. Je n’ai d’yeux que pour Jenny. Jenny qui me fixe d’un regard brûlant
avant de détacher son soutien-gorge, qui tombe par terre silencieusement. Ses doigts
effleurent sa poitrine, puis son ventre et enfin, ses hanches. Elle joue avec sa culotte,
l’abaisse, la relève en se mordant les lèvres. Je suis à deux doigts de lui sauter dessus.
Mon sexe pulse, presque douloureux. Mais je ne bouge pas, fasciné par elle, par le
moindre de ses gestes langoureux. Elle se débarrasse du bout de tissu qui dissimulait
son intimité et je l’admire jusqu’à ce que je ne puisse plus me retenir. D’un bond,
je me lève, vire mon caleçon et la rejoins. Je saisis sa nuque, renverse son visage et
lui offre un baiser profond. Ma main se fraye un chemin jusque sur son sexe, que je
caresse avec douceur. Les hanches de Jenny se mettent à bouger et elle gémit quand
je la pénètre d’un doigt. Mais ce sont des cris de plaisir que mes lents va-et-vient lui
arrachent ensuite.

– J’ai eu envie de toi dès que je t’ai aperçue dans cette église, Jenny. Je ne voyais
que toi, murmuré-je d’une voix rauque.
– Idem, dès que je t’ai rencontré, il y a un an, rétorque-t-elle, haletante.

Un instant, nous nous écartons et nous dévisageons. Puis, elle se penche vers le
matelas, saisit le préservatif et me le tend. Je l’attrape, me débarrasse prestement de
l’enveloppe et l’enfile, avant d’allonger Jenny sur le lit. Elle enroule les jambes autour
de moi et quand j’entre en elle, je soupire de plaisir. Je bouge d’abord très lentement,
attentif à ses réactions. Je dévore sa peau de baisers, mais je prends également le
temps d’observer ses yeux fermés, sa bouche humide… Je me gorge d’elle.

– Oui… chuchote-t-elle, en ouvrant brusquement les paupières.

Ce que je lis sur son visage…

Ce que j’y lis me rend fou. Un désir brut, vrai, puissant.

Mes coups de reins deviennent alors plus amples, plus saccadés. Elle gémit. Et
quand je caresse ses seins, que je la mordille, je laisse moi aussi échapper un cri.
Après… c’est un tourbillon indescriptible. Ses hanches qui ondulent, ces
mouvements désordonnés mais si accordés, tellement naturels… Nos souffles qui
se répondent. Nos peaux humides… Son parfum… Nos doigts qui s’entrelacent et
s’accrochent. Nous lâchons totalement prise, nous perdons pied, et le rythme devient
fou, jusqu’à ce qu’elle hurle son plaisir et que le mien suive de près. J’attends un
instant, juste un instant avant de me retirer et observe son expression de plénitude,
ses joues rosies par l’excitation. Sa respiration saccadée. Puis, je me laisse aller à ses
côtés. Elle pivote et se tourne vers moi et nous nous fixons quelques secondes sans
rien dire. Elle pose alors sa paume sur mon torse et sourit.

– C’était totalement malvenu, souffle-t-elle.


– Absolument, rétorqué-je, étant sûr que mes prunelles démentent ce que
j’affirme.

Elle esquisse une petite grimace :

– OK ! Puisque c’est comme ça ! s’exclame-t-elle en faisant mine de se lever.

Mais en un instant, je la rattrape par la main, la plaque contre moi et l’embrasse


avec fougue.

– Ce n’est pas un baiser d’adieu, précisé-je. Restons encore un peu ici. S’il te plaît.

Elle me lance une œillade pétillante et se blottit contre moi.

– J’attendais que tu me le demandes !


6. Lendemain de fête et visite mystérieuse...

Jenny

Avant même d’ouvrir les yeux et de contempler Blaine, je sens sa peau contre
la mienne, la douce pression de son bras enroulé autour de mes hanches et j’écoute
son souffle léger, qui soulève paisiblement sa poitrine. Un gémissement de bien-
être m’échappe et je reste totalement immobile, repoussant le moment de me lever,
savourant sa chaleur et son parfum musqué. Tout défile à la vitesse de l’éclair dans
mon esprit : l’instant où je l’ai aperçu, à la réception, qui parlait de moi à Oz et
Ashton… Il était de dos et en m’approchant, j’ai admiré sa silhouette harmonieuse
et virile. Celui où nous avons dansé au même rythme, nos corps s’imbriquant
parfaitement. Je frémissais à son contact et ses paumes sur mes hanches me faisaient
vibrer. Et ensuite… je ne peux m’empêcher de sourire en repensant au moment où
ma lentille a enflammé ma rétine. Super glamour…

Et finalement super tout court, vu où ça m’a menée !

Droit dans ses bras… que je dois maintenant quitter à regret. Lorsque Blaine s’est
endormi au petit matin, j’étais trop excitée pour trouver le sommeil. Je me suis levée,
recouchée, j’ai écrit mes messages pour Blaine, sachant que je m’éclipserai avant lui.
Quand j’ai enfin réussi à m’assoupir, le soleil illuminait la chambre. Je suis épuisée, je
ne veux pas partir. Mais j’ai des obligations, et notamment un rendez-vous important
avec une nouvelle cliente dont le couple s’écroule.

Allez, Jenny, tu peux le faire ! Écarte-toi de lui !

C’est plus difficile que de gravir l’Everest en pantoufles, mais j’y parviens
finalement. Blaine soupire et change de position sans se réveiller. Il est maintenant
sur le dos et le drap dissimule à peine son corps parfait… Je résiste à fond contre
l’aimant invisible qui m’enchaîne à lui et me voilà enfin debout. Je trouve mes sous-
vêtements, ma robe et mes chaussures et m’habille avec rapidité. Puis, je me plante
au pied du lit, assaillie par les images de nos étreintes. Je piétine, soupire, hésite à
me dévêtir pour le rejoindre sous la couette. Mon regard s’attarde sur son visage aux
traits réguliers, un peu épais, au charme fou. J’observe ensuite ses larges épaules, son
torse musclé, ses biceps impressionnants et ses tatouages, qui m’intriguent. Hier, j’ai
eu envie de lui demander leur signification, mais me suis abstenue, songeant que si
je ne souhaitais pas parler du mien, ce serait pareil pour lui.

Ma main frôle la bretelle de ma robe.

Juste une heure à ses côtés…

Mais je résiste vaillamment.


Rendez-vous pro, rendez-vous pro, rendez-vous pro !

Je m’écarte à regret, vérifie une dernière fois que mon premier message pour
Blaine est en place.

Parfait.

J’espère qu’il aime jouer. Moi, j’adore. Et si nous sommes sur la même longueur
d’onde, il suivra mon jeu de piste et me retrouvera à Central Park mardi. J’aurais pu
lui laisser tout simplement mon téléphone. Mais ce serait si triste ! Si banal ! Et je
pressens que nous ne sommes pas de ce genre.

Un sourire étire mes lèvres alors que je le contemple une dernière fois. Puis, me
décidant enfin, je quitte la chambre d’hôtel dans laquelle Blaine m’a fait vibrer
comme aucun homme ne l’avait fait auparavant.

Une fois dehors, je marche d’un bon pas, tout en restant plongée dans mes pensées.

Blaine-Blaine-Blaine

On ne peut nier qu’entre nous, c’est trop précipité… mais je le désirais tellement.
Il y a un an, c’était déjà le cas, mais ma situation compliquée rendait impossible toute
relation, même légère. Alors qu’aujourd’hui… Enfin, je n’en sais rien. Je ne rêve
pas de m’engager et je parierais qu’il en est de même pour lui. Mais j’ai envie de le
revoir. Je meurs d’envie de me retrouver dans ses bras à nouveau, après cette nuit
explosive. Mon cœur s’accélère quand je l’imagine en train de se réveiller et de lire
mon message.

Il est à mille lieues des prétendants de ma mère. Il est beau comme un dieu…

Blaine-Blaine-Blaine

Le sexe entre lui et moi, c’est…

Il n’y a pas de mots.

Blaine-Blaine-Blaine

Mais ce que j’aime aussi chez lui, c’est que nous parlons naturellement. Il
semblerait que nous nous comprenons. Quand nous sommes remontés à la réception,
après le fol épisode des lentilles, du baiser et de tout le reste, nous ne nous sommes
pas quittés et nous avons discuté toute la nuit. Nuit que nous avons d’ailleurs finie
ensemble… sous les draps. Son corps chevauchant le mien et…

Et un coup de klaxon furieux me sort de ma rêverie, effaçant mon sourire niais


à souhait.
Merde, je suis passée au vert et j’ai failli me faire écraser. Il faut vraiment que
je reprenne mes esprits !

Je fais un geste de la main pour m’excuser et une fois que j’ai traversé, je sors
mon portable de mon sac.

Back to reality

Il ne cesse de clignoter. Le premier message est vocal : ma cliente me demande


de repousser notre rendez-vous en fin d’après-midi.

Je n’y crois pas !

J’aurais pu rester avec Blaine si je n’avais pas éteint ce foutu téléphone ! J’ai
envie de me double-gifler, mais me retiens et passe aux textos :

Lena.

Évidemment.

[Alors, alors, ALORS ? Tu me rejoins pour le brunch


ou tu t’éternises dans les bras de Blaine ?]

Je pensais que nous avions été discrets… Mais apparemment non. Les messages
d’Elly le confirment :

[Blaine et Jenny. Jenny et Blaine. Ça sonne bien.]


[Est-ce qu’il est aussi doué que son frère ?]
[Merde, ce texto est glauque, efface-le !]
[Mais je suis curieuse quand même !]
[En tout cas, je suis ravie pour toi !]

Il n’y a qu’Isabella qui reste digne :

[Coucou les filles ! Xander et moi


sommes installés dans l’avion.
À nous les Seychelles ! N’oubliez pas
de me donner de vos nouvelles
et de m’envoyer des photos de vous !
Sept jours sans se voir ! Il va s’en passer, des trucs !]

En fait, non, comme le prouve son texto suivant :

[Jenny, texto privé rien que pour toi :


J’EXIGE que tu me racontes tout avec Blaine.
Estime que ce sera mon cadeau de mariage.]
J’hésite entre rire et pleurer, entre taper des réponses frénétiquement, histoire de
tout nier en bloc, ou ne pas donner signe de vie… C’est cette dernière option que je
choisis. Je n’ai aucune envie de parler de Blaine. D’habitude, nous disséquons mes
conquêtes, avec les filles. Là, c’est différent. J’ai envie de garder tout ça pour moi.

C’est inhabituel. La fébrilité que je ressens l’est aussi.

– Blaine, Blaine, Blaine, fredonné-je avant de jeter un œil aux appels en absence.

Je grimace quand je vois que mon père a tenté deux fois de me joindre et comme
d’habitude, l’agacement et la rancœur me gagnent. Aucune envie de lui parler.
J’efface. Ma mère a aussi essayé de me joindre. Je lui envoie un message rapidement
pour lui dire que je la rappellerai plus tard et je range enfin mon téléphone au moment
où j’arrive au bout de ma rue. Et c’est avec surprise que je découvre Casquette Rouge
qui zone encore près de mon immeuble.

Il est encore là ? Qu’est-ce qu’il fabrique ?

Je hausse les épaules et lui adresse un sourire. Probablement un étudiant qui loge
dans le coin. Son regard croise le mien, mais il reste impassible. En temps normal,
son impolitesse m’aurait énervée, mais là…

Blaine-Blaine-Blaine.

Mon air béat et moi entrons dans le hall pour faire face à Mme Stevenson, qui
ouvre sa boîte aux lettres.

– Vide ! lance-t-elle.

Je m’apprête à l’imiter, mais elle me stoppe d’un geste.

– La tienne l’est aussi. J’ai regardé par la fente, avoue-t-elle en rougissant (mais
juste un peu).
– Super ! répliqué-je en lui souriant.

Je passerais tout à Mme Stevenson, même sa curiosité ! Et en parlant de curiosité…

– Ce mariage a été merveilleux pour toi ! Tu es tout ébouriffée, tu as les lèvres


rouges et gercées. Tu as passé une nuit de sexe torride avec un homme ! affirme Mme
Stevenson en me fixant d’un air satisfait.

J’aurais dû m’en douter ! Les talents d’observation… et d’indiscrétion de Mme


Stevenson sont redoutables ! Mais je ne peux lui en vouloir. Je l’adore… et j’adore
la nuit que j’ai passée… Je lève donc les yeux au ciel pour la forme, alors qu’elle
poursuit en plantant ses poings sur les hanches.
– On ne me la fait pas à moi, ma petite ! Outre le fait que j’étais championne de
patinage, j’étais aussi très douée en psycho, à la fac.
– Je vous préviens, je ne vous raconterai pas les détails ! la préviens-je.
– Oh non ! dit-elle en riant. Et de toute façon, tu as autre chose à faire. Il y a
quelqu’un qui t’attend devant ta porte.

Je fronce les sourcils. Elle lève les mains en l’air pour me faire comprendre qu’elle
n’y est pour rien et qu’elle ne sait rien. Curieuse, je monte donc les marches quatre
à quatre, la litanie Blaine-Blaine-Blaine courant toujours dans mon esprit, et mon
sourire niais toujours planté sur mes lèvres.
7. Mimosas allergisants et cappuccino partagé

Jenny

Mme Stevenson avait vu juste : un homme m’attend devant ma porte. Vêtu d’un
jean brut impeccablement coupé et d’une chemise élégante, un bouquet de fleurs à la
main, il m’adresse un sourire lumineux quand il m’aperçoit.

OK, j’ai compris…

Quand je m’approche, je constate qu’il est beau : cheveux bruns en bataille, yeux
verts très pâles, grand, musculature fine et élancée… Zéro faute. Même son air un
peu embarrassé est chouette.

Bien tenté, maman !

Mais il ne me fait aucun effet. Rien. Nada. Pas le moindre frisson ne me traverse.
Même pas un frémissement riquiqui de rien du tout. Je suis tellement en mode Blaine-
Blaine-Blaine que si George Clooney himself se tenait là et me proposait une nuit
torride aux Bahamas suivie d’une carrière de rêve en tant qu’actrice, je refuserais…
Et puis…

Maman…

Je soupire. Elle avait prévenu qu’elle n’avait pas dit son dernier mot, mais elle
n’arrive pas à se mettre dans le crâne que jamais je ne succomberai à l’un de ses
choix, même si elle la joue plus cash que d’habitude, avec sa nouvelle offensive, en
chair et en os, juste devant moi. Normalement, elle me fait le coup du dîner mère-
fille, ou du verre mère-fille, et elle en profite pour trimballer un prétendant…

Voilà que maintenant, elle les envoie directement devant chez moi !

C’est dingue ! Qu’est-ce qu’elle espère ? Que je vais laisser entrer ce type et que,
le lit n’étant pas trop loin, nous nous jetterons dedans directement pour lui faire des
tonnes de petits-enfants et nous marier dans la foulée ? À cette pensée, je glousse et
le sourire de l’homme s’élargit.

Visiblement enhardi, il s’avance pour se présenter :

– Enchanté, Jenny. Je suis Clay Riverdale.

À ces mots, il se plante devant moi et me tend son bouquet, auquel je n’avais pas
trop prêté attention. Mais maintenant que j’y regarde de plus près…

– Non ! dis-je en reculant d’un pas.


Il le serre contre son torse, l’air confus, et se mord les lèvres.

– Je suis désolé, murmure-t-il en rougissant, alors qu’il s’éloigne lui aussi. Je ne


voulais pas…
– Je suis allergique aux mimosas ! précisé-je en me pinçant le nez. Si j’accepte
vos fleurs, j’éternuerai au minimum cent fois dans les trois minutes qui suivent.
– Ah ! Je suis soulagé ! lance-t-il en piétinant.
– Que je sois allergique ? demandé-je en souriant.
– Pas… Euh… non ! Pas du tout ! Ce n’est pas ce que je voulais dire ! proteste-t-
il, à nouveau écarlate. Je pensais que je vous effrayais ! Je suis seulement rassuré de
ne pas vous avoir fait peur. Parce que trouver un homme devant sa porte, ça doit être
un peu flippant ! Je pourrais être un psychopathe qui vous observe depuis des mois,
caché derrière un buisson, et qui réussit enfin à pénétrer dans votre immeuble pour…

Mais il s’interrompt soudain, alors que j’ouvre de grands yeux surpris.

– Pardon, s’excuse-t-il. Je parle toujours trop quand je suis gêné et, là, vous allez
vraiment me prendre pour un fou furieux.

Ce type m’a l’air sympa, avec sa maladresse. Je suis d’excellente humeur. Je ne


le rabrouerai donc pas trop sévèrement.

– Pas du tout ! Je suis certaine que vous avez été soigneusement sélectionné !
répliqué-je en le regardant droit dans les yeux.

Il hausse un sourcil surpris :

– Sélectionné ?
– Laisse-moi deviner, poursuis-je. Tu es inscrit sur un site de rencontres hyper
sélect et nous avons discuté pendant un long, très long moment, jusqu’à se donner
rendez-vous ici ? Je me permets de te tutoyer, car tu dois en savoir, des choses sur
mon compte !
– Heu oui… pourquoi ? Tu en parles comme si ce n’était pas toi qui… lance-t-
il avant de s’arrêter pour réfléchir quelques instants. Ou alors tu cumules et en plus
d’être allergique, tu es amnésique ? Remarque, ça rime et…
– Ma mère ! l’interromps-je en haussant les épaules. Ma mère s’amuse à me créer
des profils et essaye de me mettre en couple. Mais je te préviens, je suis un cas
désespéré et je ne suis pas à la recherche de l’âme sœur. Ni même d’une aventure
d’une nuit.

Enfin… jusqu’à hier soir. Je veux plusieurs nuits avec Blaine, je veux du temps
avec lui, des heures à se parler, à rire, à se blottir l’un contre l’autre…

Mais Clay n’a pas à le savoir.


Je tente de prendre un air un peu désolé, puisque je ne souhaite pas le froisser…
Et c’est avec surprise que je le vois pousser un soupir de soulagement, se redresser
et retrouver de l’assurance.

– Ouf ! J’avoue que moi non plus, je n’en ai aucune envie ! s’exclame-t-il. Enfin,
sans vouloir te vexer ! Ça n’a aucun rapport avec toi !

Nous nous contemplons quelques secondes, aussi ébahis l’un que l’autre, et
éclatons de rire.

– Ne me dis pas que c’est ta mère qui t’a inscrit ? demandé-je une fois que nous
avons repris notre sérieux.
– Absolument pas ! Faire la connaissance d’une personne par le biais d’un site de
rencontres faisait partie de ma TDL.
– Ta TDL ? répété-je en me grattant la tempe d’un air confus.
– Ma To Do List ! m’explique-t-il d’un ton enthousiaste. Ma liste de défis de vie !

Hein ?

Je lui lance un regard intrigué. Il hésite un instant, baisse les yeux. J’ai
l’impression que ses épaules tremblent. Mais ce doit être une illusion parce qu’au
moment où il relève la tête pour éclairer ma lanterne, ses traits s’illuminent et ses
iris pétillent :

– J’ai choisi de profiter de la vie. De vivre dangereusement. Ou de vivre, tout


simplement. Je me donne des épreuves à accomplir, je me pousse à faire des choses
dont je n’aurais jamais été capable avant…
– Avant quoi ? l’interrogé-je spontanément.
– Avant… rien, dit-il, le regard un peu fuyant. C’est une façon de parler. Bref, je
me lance un défi par semaine. Je t’avoue que parfois, il faut que je me mette un coup
de pied aux fesses parce que je suis de nature timide, mais généralement, c’est génial !
– Qu’est-ce que tu as fait, par exemple ?
– Et si on faisait un tour ? propose-t-il en désignant les escaliers du menton. Je te
raconterai et on fera connaissance. Pas que je veuille te draguer, hein ! Mais sinon,
je ne pourrai pas cocher.
– Cocher ?

Décidément ! Il m’intrigue !

– Oui, je nomme mes défis et dès que je parviens à en accomplir un, je le coche.
Si je ne vais pas jusqu’au bout, ça ne compte pas !
– Tu l’as intitulé comment, celui-là ?
– Au départ, rendez-vous avec une inconnue. Mais je le modifierai : blind date
organisé par la mère du blind date. Encore mieux ! Même si ce n’est pas un vrai
de vrai ! de toute façon, c’était foutu d’avance, vu que j’ai failli t’empoisonner avec
mon bouquet vénéneux ! Nous ne sommes pas faits pour être ensemble, grimace-t-
il de manière faussement désespérée.
– Oui, le choix du mimosa a condamné toute relation entre nous ! renchéris-je en
faisant semblant d’essuyer une larme imaginaire. Mais ces fleurs peuvent faire une
heureuse.
– Laisse-moi deviner : la dame aux cheveux émeraude, ancienne championne de
patinage artistique et fine psychologue ?
– Je vois que tu as fait connaissance avec Mme Stevenson ! lancé-je en souriant.
– Je crois que je lui plais, chuchote Clay avec une mine de conspirateur.
– Oh, je n’en doute pas ! m’écrié-je en riant franchement, cette fois. Allez, viens !
On passe chez elle et…
– Je suis toujours dans le hall ! s’exclame une voix féminine aux accents joyeux.
Et je serais enchantée d’accepter ce bouquet, même s’il est évident que je suis un
deuxième choix !

Nous éclatons de rire en chœur.

– Madame Stevenson ! Vos talents d’espionne égalent votre habileté en patinage !


dis-je en descendant l’escalier, suivie de Clay.
– J’aime écouter aux portes ! avoue-t-elle d’un air charmeur quand nous la
rejoignons.

Clay s’incline en lui tendant les fleurs, qu’elle sent avec ravissement.

– C’est délicieux ! Je suis enchantée que ma jeune amie soit allergique !


– Contente de rendre service ! lancé-je en donnant un petit coup de coude à Mme
Stevenson, qui me caresse brièvement les cheveux en retour, avant de s’adresser à
nous d’un ton décidé.
– Allez ! Filez vous promener ! Il fait un temps superbe, il faut en profiter ! Et
Clay, j’espère que vous étiez sincère quand vous avez dit que vous ne comptiez pas
séduire Jenny. Elle a passé une nuit torride avec un homme et elle doit encore avoir
son odeur sur elle. Vous n’avez aucune chance !

Clay éclate de rire et nous échangeons un regard complice.

– Pas de doute, Madame Stevenson. J’étais honnête ! Jenny est très jolie, mais
je n’ai aucune envie d’une histoire d’amour en ce moment, assure-t-il en enfonçant
ses mains dans ses poches.
– Tant mieux ! Allez, je vous laisse ! Il y a un film avec Jackie Chan sur Star
Channel. J’adore cet homme ! À tout à l’heure, Jenny ! Au revoir, Clay !

Un quart d’heure plus tard, nous voilà installés sur un banc, face à l’étang Turtle
Pond, à Central Park, chacun armé d’un cappuccino surmonté d’une tonne de
chantilly.

– Alors, Clay ? demandé-je en suivant des yeux un groupe d’enfants qui jouent à
cache-cache. Depuis combien de temps fais-tu ces défis ?
– Presque un an !
– Sérieusement ?
– Bien sûr ! répond-il en mettant sa main en visière pour se protéger du soleil en
m’observant.
– Donne-moi des exemples de tes exploits ! dis-je avant de boire une gorgée de
mon délicieux breuvage.
– Il y a eu des choses extraordinaires et d’autres plus banales, l’important étant
que je dépasse mes peurs. En Sardaigne, j’ai goûté du casu marzu.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Je n’aurais pas dû commencer par ça, vu que tu savoures ton café ! répond Clay
en gloussant. C’est du fromage corse avec des asticots dedans.
– Quelle horreur ! m’exclamé-je.
– J’ai plus agréable ! dit-il en pouffant. J’ai traversé la Thaïlande à dos de cheval.
– Sympa !
– Pas trop, au départ ! J’avais la phobie de ces bêtes-là !

Je laisse échapper un rire.

– Tu as peur des chevaux ?


– Oui, admet Clay en mimant la terreur. Leurs dents jaunes et longues… leurs
gros sabots… leur crinière toute rêche ! Mais je l’ai fait ! J’ai aussi fait du saut à
l’élastique, mangé des sauterelles grillées, animé un club lecture pour le troisième
âge, fait un stage de cirque, option haute voltige… Et j’en passe !
– Waouh ! m’écrié-je, admirative. Et tu bosses ? Comment trouves-tu le temps
d’accomplir tout ça ?
– Je gère bien mon temps ! Je suis autonome pour ce qui est de mon planning, je
suis PDG de Diamond Sky. Tu connais ?

J’écarquille les yeux et ouvre si grand la bouche que Clay doit avoir une vue
saisissante sur mon œsophage.

Il plaisante ou quoi ?

– Bien sûr que je connais ! Les bijoux de luxe devant lesquels je bave !

Clay sourit modestement, ce qui le rend encore plus appréciable.

– Ravi que ça te plaise. Je détiens cette société et j’y tiens beaucoup. Mais j’ai
décidé depuis quelques années de lever le pied et de m’accorder des moments à moi.
J’alterne donc les périodes de boulot intensif et de temps libre. Mais arrêtons de parler
de moi. Toi, Jenny, tu fais quoi, dans la vie ?
– Ma mère ne t’a pas déjà tout raconté ?
– Bien sûr que si ! lance-t-il en souriant. Mais je veux l’entendre de la bouche
de la principale intéressée !

Je hoche la tête et me jette à l’eau…

Quand Clay me raccompagne chez moi, je réalise que nous avons passé trois
heures ensemble, à discuter de tout et de rien. J’ai finalement changé d’avis et je lui
ai tout raconté de mon histoire avec Blaine. Clay est persuadé à 100 % qu’il viendra
au rendez-vous mardi et qu’il est dans le même état que moi…

– Amis ? dit Clay lorsque nous arrivons en bas de mon immeuble.


– Amis ! affirmé-je avant de me hisser sur la pointe des pieds pour déposer un
baiser sur sa joue. On se revoit bientôt ? Je te rappelle que je veux te suivre dans un
de tes défis !
– Marché conclu !

Et c’est le cœur léger que je le regarde s’éloigner.

Je me réveille aux côtés d’un homme ultra-sexy et poursuis la matinée avec un


nouvel ami.

Cette journée commence bien. Très bien, même !


8. Jeu de piste et rendez-vous

Blaine

Des images torrides se bousculent dans mon esprit. Cette nuit était… Quoi ?
Explosive ? Sensuelle ? Au-delà de tout ce que j’ai pu vivre avant avec une femme ?

Ouais, tout ça à la fois.

Émergeant de mon demi-sommeil, je tends la main vers l’autre côté du lit, pensant
caresser la peau veloutée et savourer les courbes parfaites de Jenny.
Malheureusement, sous mes doigts, il n’y a que la soie des draps. Déçu, je lâche un
grognement, me force à ouvrir les paupières, me redresse et observe la pièce. Aucune
trace d’elle.

Merde.

– Jenny ?

Pas de réponse.

Mon sourire débile se transforme en grimace et un soupir m’échappe. Pas de


doute : elle s’est barrée. Je me laisse aller en arrière en ruminant ma frustration.
Évidemment. C’était trop beau pour être vrai. Une fille sexy comme pas permis,
intelligente, drôle… Pourquoi s’éterniserait-elle avec un mec comme moi ?

Parce que vous avez passé une nuit si torride qu’il n’y a pas de mots pour la
décrire ? me souffle la voix sympa de l’espoir.

Mais bien sûr… Elle ne doit pas avoir la même opinion sur la question, sinon,
elle serait à mes côtés. Morose, je me tourne pour attraper mon téléphone sur la table
de chevet. Quatorze heures, déjà ! Je me souviens avoir sombré au petit matin, Jenny
blottie dans mes bras, ses jambes enroulées autour des miennes, ses petits pieds froids
glissés contre moi. Ça faisait des siècles que je n’avais pas si bien dormi. Dommage
que mon réveil soit solitaire et qu’elle soit partie.

Ça me fait bien chier !

Je secoue la tête et choisis de ne pas ruminer là-dessus. De toute façon, je n’en ai


pas le temps. J’ai des choses à faire, je dois bouger. Je me lève donc, fouille les draps
pour trouver mon caleçon… et tombe sur un petit papier que je déplie.

Une écriture fine, tout en rondeur…


Jenny !

Aussitôt, le sourire débile refait surface et ma bonne humeur se pointe au triple


galop quand je découvre ces lignes :

Blaine, je dois partir, mais sache que cette nuit avec toi a été merveilleuse.
J’aimerais te revoir. J’espère que c’est pareil pour toi. Si c’est le cas, rends-toi dans
la salle de bains et cherche mon deuxième mot. Indice : il adore les hauteurs.

Heureux, mais aussi perplexe, je relis le message et laisse échapper un rire.


Pourquoi est-ce que ça me surprend ? Jenny n’est pas du genre à me filer son numéro
de téléphone, tout bêtement. Elle est originale, unique, et semble considérer la vie
comme un jeu perpétuel.

Et moi, je suis OK pour la suivre là-dedans les yeux fermés ! Je fonce donc dans la
salle de bains et me fige pour observer les lieux. Immense baignoire et haute armoire
à ma droite ; lavabo en pierre juste devant. Sans la moindre hésitation, je me hisse
sur la pointe des pieds et passe la main au sommet du meuble.

Tu vois, Jenny, je suis plutôt doué pour ça !

Je déplie la petite feuille en souriant et lis avidement son message :

Bravo ! Tu sais que j’ai dû monter sur le bord de la baignoire pour déposer cet
indice là-haut et que j’ai failli tomber ? Une fois, je me suis cassé la jambe. J’ai
voulu faire du hors-piste alors que je n’avais skié que deux fois dans ma vie… Mais
parlons sérieusement : mon troisième message est… cultivé. Trouve-le vite ! PS : To
be or not to be ?

Je tâtonne quelques secondes… Un rire satisfait m’échappe.

Facile !

Je ressors de la salle de bains, me dirige droit vers l’immense bibliothèque dans


le salon de la suite. Puis, je passe l’index sur les reliures des nombreux livres qui la
remplissent.

To be or not to be…

Ah ! Voilà !

Je saisis un exemplaire corné de Hamlet et l’ouvre : un papier en tombe.

Félicitations, Blaine ! Tu sais qu’une fois, j’ai joué dans Roméo et Juliette au
collège ? Je tenais le rôle d’un garde super vulgaire ! J’aurais aimé être Juliette, mais
finalement, j’ai bien ri, avec mes répliques grivoises à souhait ! Allez, une dernière
épreuve et ce sera fini. Indice : je suis comme les araignées, j’aime me cacher.
Cette étape-là me prend un peu plus de temps, mais je finis par mettre la main sur
le message placé sous le tapis épais, juste à côté du lit.

Enfin ! Tu m’as trouvé ! File vite enfiler ta veste et découvre notre rendez-vous !

J’éclate de rire.

Tout ça pour ça ! Je me croyais doué, mais cette fille m’a eu comme un bleu !

Si je m’étais habillé tout de suite, j’aurais probablement trouvé le dernier mot


directement. Mais ça aurait été moins drôle…

Impatient, j’attrape ma veste de smoking et fouille sa poche :

Mardi, dix-sept heures, devant la statue d’Alexander Hamilton, à Central Park.


J’ai hâte de t’embrasser…

Et moi donc… Bien plus que ça. Là, je donnerais tout pour poser la main sur ses
hanches et sentir ses lèvres contre les miennes. Jugulant mon excitation, tentant de
me concentrer sur mes obligations de la journée, je m’habille rapidement. Et c’est
le cœur battant que je quitte cette suite dans laquelle j’ai possédé Jenny… et où elle
m’a possédé. Complètement.

Quarante minutes plus tard, me voilà arrivé chez moi.

En jetant mes clefs sur la grande table en chêne de la pièce principale, je songe
qu’il faudrait que j’aménage un peu cet appart. OK, je suis toujours de passage, mais
je vais devoir m’y coller un de ces quatre, parce que là, c’est d’un triste ! Je devrais
sûrement accepter la proposition d’Elly de m’aider ! Je n’y connais rien dans ce genre
de choses, mais elle m’a dit que si je le lui permettais, elle rendrait ce lieu vivant.
C’est vrai que c’est dépouillé, je l’admets : un vaste canapé en L, largué au centre
du salon, face à un écran géant. De hauts tabourets sagement rangés sous le comptoir
séparant la cuisine du reste de la pièce. Trois trucs qui se battent en duel dans les
placards. On ne peut pas dire que je fais dans le chaleureux.

OK, je vais y remédier… mais pas maintenant. Je consulte mon téléphone.

Merde, déjà quinze heures.

Il y a plus urgent que les questions existentielles de déco. Je fonce sous la douche,
m’habille à la hâte, claque la porte en sortant et dévale les escaliers. Heureusement,
je serai rapide, en moto. J’approche de mon bolide, garé dans le souterrain de
l’immeuble – une BM noir métallisé qui file à une vitesse de dingue – et démarre sur
les chapeaux de roue. J’évite les embouteillages, slalome un peu entre les véhicules,
me fais flasher une fois, dix kilomètres au-dessus de la limite autorisée… et me gare
à seize heures pétantes devant Central Park. Soulagé, je retire mon casque et scrute
la foule.
– Capitaine ! Capitaine !

Je descends de ma moto pour adresser un signe de la main enthousiaste au jeune


garçon qui gesticule et bondit dans ma direction, suivi de près par un chiot Husky
magnifique ainsi que par une femme brune à la démarche plus mesurée.

– Capitaine ! Attention ! J’attaque !


– Ah ! Je suis touché ! m’écrié-je en faisant mine de m’écrouler sous le choc
quand enfant et animal me sautent dessus d’un même mouvement.
– On t’a eu !
– Liam ! P’tit Crabe ! Pitié ! Je ne veux pas mourir dans d’atroces souffrances !
Épargnez-moi ! les imploré-je en tombant au sol sous leurs assauts effrénés.
– Jamais, Capitaine ! répond Liam. La guerre entre nous n’a pas de fin !
– Ah oui ? dis-je en l’attrapant par la taille et en me redressant. Même si j’utilise
mon arme fatale ?

J’esquisse ma grimace la plus terrifiante, alors que P’tit Crabe le chiot me lèche
copieusement la main en signe de reddition. Mais ce n’est pas le cas de Liam, qui me
lance un regard de défi, avant d’éclater de rire et de filer comme une flèche.

– Tu ne m’attraperas jamais ! Et je ne crains plus les chatouilles sous les bras !


– C’est ce qu’on va voir ! hurlé-je en me levant pour bondir à sa poursuite.

Alors que je cours dans sa direction, une joie immense emplit mon être tout entier.

Parfaite. C’est une journée parfaite.


9. Rooftop bondé et apparition surprenante

Blaine

Brun, cheveux en bataille, yeux cernés et barbe de trois jours : Lenny Asher en
chair et en os. Je suis arrivé il y a une heure et, après le briefing d’usage avec le reste
de l’équipe – assistants, manager et conseillers –, je suis allé rejoindre mon nouveau
client qui s’enfile à présent sa sixième vodka cul sec.

– C’est pas mal, ici, Grant, lâche-t-il à son manager d’un ton indolent, sans
m’accorder un regard, avant de faire signe à la serveuse qui se précipite pour lui
apporter un autre verre.

Plus que pas mal ! Cet endroit, c’est unique !

Larges fauteuils en osier, jeux de lumière, formidables tables en verre, au centre


desquelles ont été placés de grands aquariums… Et la vue… La vue, bordel ! C’est
top !

Grant, le manager de Lenny, acquiesce avec frénésie avant de s’installer auprès


de lui devant le comptoir coloré, incrusté de carreaux de mosaïque rouges et bleus. Il
se lance ensuite dans un speech hyper enthousiaste, gestes amples à l’appui :

– C’est extraordinaire, oui ! Le Press Lounge a été entièrement privatisé. Tu savais


qu’il avait été élu meilleur rooftop de la ville par le New York Magazine ? Gratte-
ciel de Times Square d’un côté, et Hudson River de l’autre, explique-t-il en pointant
du doigt la vue époustouflante qui s’offre à nous. Tu voulais du grandiose ! Je te l’ai
dégoté ! Le PDG de chez Columbia Records va adorer !

Il en fait trop. Il est nerveux, agité. Ses gestes sont fébriles et vu le regard
méprisant de Lenny, je suis certain que c’est ce dernier qui met le manager dans tous
ses états. Je réprime un soupir, pressentant la mission galère, option client capricieux.

– Ouais, ouais, rétorque Lenny d’une voix blasée, en s’accoudant nonchalamment


sur le bar. Si tu le dis.

Il a l’air de se foutre royalement de l’aspect esthétique du lieu…

Enfin… si la serveuse qui lui lance des œillades admiratives compte pour du
beurre…

Le rock n’étant pas mon genre de musique préféré, je me suis briefé à mort sur
Lenny Asher avant de débuter cette nouvelle mission en tant que garde du corps. Ce
gars-là a démarré sa carrière il y a peu de temps, à l’âge de 29 ans, et son premier
single a connu un succès foudroyant. Il traîne derrière lui une horde de fans en furie,
prête à tout pour assister à l’un de ses concerts ou pour le rencontrer. Il paraît même
qu’une nana a campé dix jours devant chez lui dans l’espoir de l’apercevoir à la
fenêtre ! Un vrai tombeur, doté d’un réel talent…

… Qu’il ne va pas tarder à dissoudre dans l’alcool, vu le rythme auquel il s’enfile


ses verres !

Dommage. Sa carrière est au top, son mariage heureux… Enfin, d’après ce que
disait sa femme dans une interview accordée à Rock Times. Mais tout ceci ne me
regarde pas. Ce qui m’importe, c’est qu’il soit en sécurité et que tout se déroule bien.

– Blaine, tu as les consignes à l’esprit ? me demande Grant, comme s’il avait lu


dans mes pensées.

J’acquiesce fermement, histoire de le rassurer, mais il ne peut s’empêcher de me


faire un rappel :

– La soirée est privée, ce qui signifie qu’il n’y aura pas de débordements. Juste
les proches de Lenny et…
– Quoi ? intervient ce dernier en fronçant les sourcils. Hors de question de me
faire chier toute la nuit avec des têtes connues ! Je veux des belles femmes autour de
moi. On laisse entrer toutes les jolies filles qui se présenteront !
– Mais tu… tente de protester Grant, malgré le ton catégorique de Lenny.
– Arrête de te comporter en papi geignard, je déteste quand tu la joues comme ça,
Grant ! Tu as 40 ans et pourtant, on dirait mon père ! Merde ! Détends-toi, prends
une petite vodka et profite de la soirée !

Grant me jette un bref coup d’œil avant de décliner la proposition de Lenny.

– Non merci. Je préfère aller prévenir les vigiles du changement.

Il s’éloigne d’un pas rapide et me voilà en tête-à-tête avec mon client, qui ne me
prête aucune attention, occupé à discuter à voix basse avec la serveuse qui se penche
à mort pour lui dévoiler les attraits de son décolleté.

Cette fille est charmante, dans son genre. Mais elle n’arrive pas à la cheville de
Jenny…

Des flashs de cette nuit envahissent mon esprit. Jenny qui se hisse sur moi… sa
peau parsemée de grains de beauté… son sourire, quand elle s’est allongée auprès
de moi…

Hâte d’être à mardi…

Je réprime un sourire et me fous une claque mentale, histoire de me concentrer


sur mon job. Pour le moment, tout est calme, mais je pressens que bientôt, ça va
se compliquer, même si je ne transpirerai pas beaucoup ! On est loin des voyages
diplomatiques tendus…
Effectivement, un quart d’heure plus tard, la terrasse se remplit plus rapidement
que je ne l’aurais cru. En à peine trente minutes, elle est bondée et je me demande
comment font les gens pour respirer. Il faut dire que, d’après ce que j’ai compris,
Lenny aime être au contact de son public et il a souhaité commencer la soirée hors
de l’espace VIP.

Il n’y a rien de bien méchant et ma mission est simple : éconduire gentiment les
femmes qui ne plaisent pas à Lenny. Quand elles se pointent, il me jette un coup
d’œil rapide. Hochement de tête : OK, elle peut passer. Grimace : pas question qu’elle
approche. Je n’ai jamais rien vu d’aussi macho, mais je me la ferme et mets du cœur
à l’ouvrage en affrontant les piaillements et l’assiduité de certaines de ces dames.

– Je vous assure que Lenny m’a invitée ! proteste une demoiselle que je tiens à
distance de Lenny, grimace oblige.

Je la contemple avec bienveillance.

Elle est si jeune !

Elle a 18 ans à tout péter, même si sa robe très courte et moulante, son maquillage
généreux, et sa bouche fardée la font paraître plus mature.

– Lenny est occupé, comme tu peux le voir, rétorqué-je d’un ton doux, mais ferme.
– Mais il est avec des copines à moi ! Je veux y aller !

Je jette un coup d’œil sur Lenny, qui lève les yeux au ciel, alors que deux blondes
s’adressent à lui avec vénération. Il a l’air de s’emmerder sévère. D’ailleurs, il me
lance un regard qui en dit long. Je m’approche donc, tout en tenant toujours à distance
la petite jeunette, et me place entre mon client et ses admiratrices.

– Mesdames, veuillez vous écarter, s’il vous plaît. Monsieur Asher aimerait avoir
un peu d’intimité.

Je ne sais si c’est ma mine rigide ou ma haute taille qui les dissuade de protester,
mais elles s’éloignent sans se rebeller, les épaules basses, visiblement déçues.

– Tout se passe bien, Monsieur ? demandé-je à Lenny qui se contente


d’acquiescer, avant de retourner à sa vodka en scrutant la salle, tout comme je le fais.

Des filles qui dansent, des groupes d’amis qui boivent un verre, et…

C’est pas vrai !

Mon pouls s’accélère. J’ai cru apercevoir Jenny se faufiler dans la foule,
absolument divine dans une robe noire épousant chaque forme de son corps, mais
sans une once de vulgarité.
Tu rêves, mon pote. Tu es accro, à la voir partout ou quoi ?

Je soupire et me concentre sur mon job. Et pourtant… mêmes cheveux blonds,


même petite coupe courte, même démarche chaloupée et assurée. Mon oreillette se
met à grésiller avant que j’aie le temps de creuser la question.

– Blaine ? C’est Grant. Dans une demi-heure, dis à Lenny de me rejoindre dans
l’aile VIP, derrière le bar. Le PDG de Columbia est là et souhaite le voir. OK pour toi ?
– Pas de souci, je transmets d’ici trente minutes, répliqué-je, alors que Lenny me
donne une petite tape dans le dos.
– Il n’y en a pas une qui sort du lot, pas vrai, mon pote ! s’exclame-t-il en levant
les yeux vers moi. C’est déprimant…

Tout en restant neutre, je hoche la tête, mais il n’y prête pas attention : ses
paupières se rétrécissent et un lent sourire étire ses lèvres.

– À moins que… dit-il avant de se redresser. Vise-moi ce beau petit paquet !

Je suis son index…

Je n’ai pas rêvé, tout à l’heure !

C’est Jenny. Et la façon dont la décrit Lenny me donne envie de lui bondir dessus.
C’est quoi cette manière de traiter les femmes, bordel ?

Surtout cette femme…

Je sais pertinemment que dans le cadre du boulot, je ne peux l’approcher, et


pourtant, j’ai terriblement envie de foncer droit vers elle, de la prendre dans mes bras
et de l’embrasser… Elle est parfaite. Super sensuelle, aérienne… Waouh !

Retiens-toi. Tu n’es pas là pour ça.

Moi qui avais pensé que cette mission, ce serait de la rigolade ! C’était sans
compter Jenny et sa visite surprise.

Je ne dois rien faire, je ne dois rien faire… Rester pro.

En fait, ça n’a aucune importance, puisqu’elle ne me prête aucune attention :


elle n’a d’yeux que pour Lenny, sur qui elle fonce sans hésiter. Il semble subjugué.
Normal, elle n’a pas du tout la même attitude que les autres femmes, qui s’aplatissent
devant lui. Non, elle est sûre de ses charmes. Dans son regard passe une lueur de défi.
Elle s’installe à côté de lui et lui glisse quelques mots à l’oreille avant d’éclater de
rire, la gorge renversée en arrière. Puis, elle pose une main sur le bras de Lenny et
s’approche si près de lui que j’ai l’impression qu’elle va l’embrasser, ce qui ne serait
pas pour déplaire à ce con de chanteur !
Bordel !

Une colère noire se met à bouillonner en moi, que je tente de juguler.

Elle est seulement fan de lui et souhaite le saluer…

Ouais. En s’asseyant à deux millimètres de lui, prête à lui rouler la pelle de sa


vie ? Bordel, j’ai envie de casser la gueule de Lenny, d’exiger une explication de la
part de Jenny et…

Pas besoin de lui demander des comptes C’est clair, non ? Elle n’en a rien à foutre
de moi. Elle n’a pas à se justifier, de toute façon. Elle est libre. Et je dois l’accepter.

Impossible. Pas après cette nuit…

J’esquisse un pas pour les rejoindre, alors que Lenny joue avec une mèche de
cheveux de Jenny. Puis, je me ravise à grand-peine. Je ne peux pas foutre ma mission
en l’air. Lenny pourrait me griller dans la profession. Mais je dois intervenir. Je le
dois…

C’est pas vrai ! Il pose la main sur sa cuisse, et elle glousse d’un rire qui ne lui
ressemble pas !

Je dois stopper ça. Alors que je ressasse cette idée, une idée germe en moi. Lenny
n’est pas célibataire. Et en tant que garde du corps, je dois protéger son mariage, non ?
Et puis, il a un rendez-vous avec le PDG de je sais plus quoi. OK, il sera en avance
de vingt minutes, mais on s’en tape.

Conscient de ma mauvaise foi, n’en ayant rien à foutre, je m’approche et me


plante devant la table.

– Pardon, mais j’ai l’impression que cette demoiselle vous dérange. De plus, Grant
m’a dit que vous deviez le rejoindre dans l’aile VIP pour une rencontre importante.

Je ne peux m’empêcher de lancer un regard glacial à Jenny, qui a levé la tête vers
moi et est devenue rouge comme une pivoine. Elle semble confuse, agacée, désolée.
Une myriade d’expressions passe sur son visage. Je ne cherche pas à comprendre.
Tout ce que je sais, c’est que si ces deux-là ne se séparent pas, je ne vais plus pouvoir
me contrôler. Et quitter ma mission en collant mon poing dans la gueule de mon
client, ce n’est pas dans mes options.

– Mais, proteste-t-elle, pendant que Lenny se lève en grognant et que je fais signe
à Jenny de partir. Je ne…
– Désolé, ma belle. Ravi de t’avoir rencontrée ! la salue Lenny avant de s’éloigner,
déjà absorbé par autre chose.

Jenny soupire, ramasse son sac et se lève lentement pour se planter devant moi.
Ses joues sont écarlates, ses yeux orageux, sa moue, honteuse. Je ne parviens pas à
lire en elle. Et de toute façon, je ne cherche pas à le faire, trop aveuglé par la colère
et la déception.

– Désolé de t’avoir dérangée. Tu avais l’air de t’amuser, lancé-je froidement,


avant de faire volte-face pour rejoindre Lenny.
– Attends, Blaine ! s’écrie-t-elle.
– Non. Je n’attends pas. Et je ne veux plus jamais te revoir, asséné-je d’un ton
dur, sans même me retourner.

Ouais. C’est ce que je pensais, me dis-je en m’enfonçant dans la foule, le cœur


lourd et sombre. Cette fille-là, c’était trop beau pour être vrai.

À suivre,
ne manquez pas le prochain épisode.
Également disponible :

Sexy Mistake - 2
Pour la première fois de sa vie, Jenny est libre et indépendante. Et elle compte bien
en profiter !
Alors quand elle croise Blaine, ex-militaire tatoué et mystérieux, à un mariage
d’amis communs, elle laisse libre court à ses désirs.
Une seule nuit, aussi torride et exceptionnelle soit-elle, ça ne porte pas à
conséquence ! Si… ?
Entre les secrets, les amis aussi adorables qu’envahissants, ses parents
insupportables et son ex qui est décidé à la reconquérir… Jenny ne sait plus où
donner de la tête !
Si en plus Blaine et ses yeux envoûtants s’y mettent… Jenny ne va pas pouvoir
garder le contrôle de la situation très longtemps !
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« Toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er
de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que
ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants
du Code pénal. »

© EDISOURCE, 100 rue Petit, 75019 Paris

Octobre 2017

ISBN 9791025740088

ZTHU_001

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