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Philo Terminale 1

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CAHIER DE PHILOSOPHIE

DOMAINE I : LA REFLEXION PHILOSOPHIQUE

INTRODUCTION GENERALE

D’après le dictionnaire Le Robert, définir veut dire déterminer par une formule précise les
caractères de quelque chose ou donner la signification d’un mot. La tâche s’avère difficile lorsqu’il
s’agit de l’appliquer à l’activité philosophique et de répondre à la question simple dans l’apparence :
Qu’est-ce que la philosophie?
En interrogeant l’histoire de la philosophie, nous nous rendons compte, en effet, qu’il existe une
pluralité de réponses liées chacune aux doctrines ou systèmes philosophiques (platonisme, stoïcisme,
cartésianisme, marxisme…), aucune n’ayant pas donné une même définition à la notion de philosophie
ni d’ailleurs de manière générale les mêmes réponses aux questions philosophiques. A titre d’exemple,
Platon considère que « Philosopher c’est apprendre à mourir ». Il s’agit pour le philosophe de libérer
l’âme de l’emprise du corps qui la retient prisonnière dans ce monde illusoire que Platon nomme
« monde sensible » comparé au monde de la vérité ou des essences immuables dit « monde
intelligible ». Par contre, pour Karl Marx qui n’est pas idéaliste mais matérialiste, toutes les idées
philosophiques doivent concourir à changer concrètement ce monde, le seul que nous ayons. Il s’agit
donc pour les marxistes de ramener la philosophie du « ciel vers la terre ». De la même manière, pour
Nietzsche, philosopher c’est plutôt apprendre à vivre parce que les « arrières mondes » n’existent pas.
Chaque doctrine ou système philosophique est ainsi sous-tendu par une vision du monde, qui
détermine souvent ses réponses et l’orientation qu’il donne à l’activité philosophique ; chaque
philosophe a sa propre « Weltanschauung » comme le disent les allemands. La philosophie offre de ce
point de vue l’image d’une discipline conflictuelle à travers ses doctrines ou systèmes qui s’opposent.
Raison pour laquelle la réponse la plus appropriée et la plus philosophique sur la définition de la
philosophie semble être celle de Jules Lachelier à savoir « je ne sais pas ». Toutefois, nous pouvons
nous demander s’il n’existe pas au-delà de la diversité des systèmes philosophiques et de leur thèse
contradictoire des invariants de la pensée philosophique qui pourraient nous permettre de cerner ou de
comprendre son essence ou sa nature.
La philosophie n’est-elle pas essentiellement un discours interrogatif, une entreprise de
réflexion libre, personnelle et libératrice qui admet comme pierre angulaire la critique ? Une entente
minimale n’est-elle pas réalisée sur son sens étymologique ?
Une réflexion sur les origines de la philosophie (historique, intellectuelle et étymologique) nous
permettra d’y répondre et de dégager sa spécificité par rapport aux autres formes humaines de
connaissances.
Si la philosophie se déploie fondamentalement sur le mode interrogatif, nous devrons nous
demander quelles sont ses questions majeures ou ses grandes interrogations ?
Pour celui qui décide de philosopher, qu’est-ce qu’il y’a à gagner ou à perdre ? Quelles sont les
visées ou finalités de la réflexion philosophique ? La philosophie a-t-elle seulement une ambition
théorique ou également une visée pratique ? Dans ce monde dominé par la science et la technique, la
philosophie a-t-elle encore des raisons d’être ? Peut-elle se prévaloir d’une quelconque actualité ? Est-
il possible, par ailleurs, d’admettre l’idée d’une philosophie africaine ou faut-il, au contraire, la récuser
au nom de l’universalité de la philosophie ? Autant de questions qui vont articuler notre étude sur la
réflexion philosophique.
Chapitre I- LES ORIGINES ET LA SPECIFICITE
DE LA REFLEXION PHILOSOPHIQUE.

A/ LES ORIGINES DE LA PHILOSOPHIE

A 1: l’origine historique.

La tradition philosophique retient généralement que la philosophie est née dans l’espace de la
culture grecque antique à Milet en Ionie, 600 ans avant Jésus Christ (VIéme av. J.C.). Ses précurseurs,
comme l’indique Jean Pierre Vernant dans son texte sur Les origines de la philosophie, sont les milésiens
ou ioniens (Thales, Anaximandre, Anaximène). Toutefois, il y a eu entre le VIIème et le Vème av J.C.
d’autres penseurs présocratiques notamment les Ephésiens, les Eléates, les Pythagoriciens et atomistes.
C’est pourquoi, dit-on, la philosophie est née dans les colonies grecques de l’Asie mineure (Ionie) et du
Sud de l’Italie actuelle (Ephèse, Elée, Crotone). Il existe pourtant des voix discordantes notamment celle
de Cheikh Anta Diop qui affirme qu’il n’y a pas eu un « miracle grec » à propos de la naissance de la
philosophie parce que les savants grecs antiques ont appris à philosopher sur une terre africaine qui est
l’Egypte.
Souleymane Bachir Diagne pour sa part indique que des facteurs exogènes ont contribué à cette
éclosion de la philosophie dans les colonies grecques antiques. D’ailleurs, nous pouvons noter que les
cités où les foyers intellectuels où s’étaient installés les présocratiques, étaient des comptoirs
commerciaux, situés sur le pourtour de la méditerranée. Dans cet espace, les hommes venaient d’horizon
divers et chacun avec sa propre culture d’où un brassage culturel. De ce point de vue, Christian
Delacampagne affirme dans La philosophie ailleurs : « L’occident, cet univers issu de la rencontre
entre la culture gréco-romaine et l’héritage judéo-chrétien, n’est pas le seul à avoir inventé la
philosophie. Il a certes apporté une contribution originale à la philosophie universelle mais
d’autres civilisations en ont fait autant, chacune à sa manière »

A2: l’origine intellectuelle.


Les hommes n’ont pas attendu l’avènement de la philosophie pour tenter d’avoir des réponses
aux questions qu’ils se posaient sur les phénomènes. C’est pourquoi le discours mythique et celui
religieux ont précédé la philosophie au sein de l’espace de la culture grecque antique.

Qu’est-ce qui les caractérise ?


Le mythe est, en fait, un récit qui dit comment un phénomène est advenu. Il traite de ce point de
vue, selon Mircéa Eliade de l’origine d’une partie du Cosmos (une institution, une île, un comportement,
une espèce végétale…) ou de son ensemble. Cependant, dans sa narration, le mythe donne une large
place à l’imagination en faisant intervenir des êtres surnaturels, des événements immémoriaux. Ainsi,
le mythe devient invérifiable, anhistorique et souvent figé.
Le discours mythique partage, d’ailleurs, avec la religion cette invocation d’agents surnaturels
pour rendre compte des phénomènes. Ainsi pour rendre compte d’un phénomène tel que le vent, les
grecs de l’antiquité faisaient intervenir Eole, qui est leur Dieu du vent. Comment, dès lors, la philosophie
a-t-elle pu acquérir son propre statut par rapport à ces autres éléments de la culture grecque antique ?
Selon Jean Pierre Vernant, dans son texte sur Les origines de la philosophie, c’est en initiant un
discours posant des problèmes neufs et se caractérisant par une forme rationnelle qui rompt avec l’aspect
surnaturel du mythe et de la religion. En effet, la vue d’un phénomène insolite n’impliquait pas chez les
milésiens « une fascination, une vénération muette », une crainte qui poussait à recouvrir au divin. Le
phénomène inhabituel était désormais posé à l’esprit sous forme de problèmes et l’intelligence sollicitée
pour accéder à des solutions rationnelles.
C’est pourquoi Vernant a repris à son compte le point de vue exprimé par Socrate dans le
Théétète : « S’étonner, déclare le Socrate du Théétète, la philosophie n’a pas d’autre origine ». Ce
point de vue est aussi exprimé par Aristote dans sa Métaphysique : « Ce fut l’étonnement qui poussa
les premiers penseurs aux spéculations philosophiques ». Vernant précise, cependant, que lorsqu’on
est passé des mythes à l’enquête des milésiens, l’étonnement s’est renversé en questionnement
engendrant l’interrogation ou le questionnement qui à son tour entraine la mobilisation des ressources
de l’esprit en vue d’une solution rationnelle.
La philosophie est ainsi apparue comme une investigation de la raison sur le mode d’une remise
en question perpétuelle parce qu’elle se veut un examen critique. C’est pourquoi tout dans le cadre
philosophique doit « se prêter à critique et à controverse ». S’il en est ainsi, c’est parce que la
philosophie a les mêmes principes que la politique dit Jean Pierre Vernant à savoir « la libre discussion,
le débat contradictoire, l’affrontement des argumentations contraires ».
C’est en cela que la vérité philosophique se différencie de celle religieuse et des « foules de
croyances communes », parce qu’elle fonde sa validité sur sa propre force de démonstration. Ce qu’on
appelle justement « le miracle grec », c’est ce souci nouveau d’éclairer les phénomènes par une
justification rationnelle appuyée sur la démonstration et la preuve. D’où l’invention par les milésiens de
la démonstration mathématique, de l’enquête historique et du débat politique. Nous devons cependant
nous demander ce que vise le philosophe à travers son investigation rationnelle et critique ?

A3: l’origine étymologique.


« Le terme de « philosophie » est une création de Pythagore. Le premier, il s’est appelé
philosophe […]. Il alléguait qu’aucun homme n’est sage, que la sagesse est le privilège des dieux. Avant
lui, en effet, cette discipline s’appelait « la sagesse », et celui qui en faisait profession, s’il avait une
âme riche et élevée, s’appelait « sage ». Un philosophe, c’est, au contraire, quelqu’un qui cherche à
atteindre la sagesse. » Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, T1, IIIème
siècle, trad. R. Genaille, éd. GF, 1965
L’étymologie du mot philosophie montre sans équivoque que le philosophe s’il investit sa
pensée ou sa raison de manière critique en remettant en question toute chose, c’est parce qu’il vise la
sagesse, qu’il en est amoureux. Le vocable « Philosophie » est formé à partir de deux termes grecs à
savoir « Philia » qui veut dire Amour et « Sophia » qui désigne la sagesse. D’où la définition de la
philosophie comme « Amour de la Sagesse ». C’est Pythagore, qui en premier emploie la notion, selon
Diogène Laërce, en se présentant comme un « philosophos », c’est-à-dire un amoureux ou un ami de la
sagesse plutôt qu’en « Sophos » c’est-à-dire sage. Il voulait ainsi montrer que le philosophe n’est pas le
possesseur de la sagesse, qu’il n’en est que le pèlerin au sens où il est à sa quête ou à sa recherche. Il est
possible, d’ailleurs, de remarquer en consultant l’histoire de la philosophie, qu’aucun philosophe n’a pu
aboutir à une conclusion faisant l’objet d’un accord de tous les philosophes c’est-à-dire bénéficiant d’un
consensus unanime. Chaque fois qu’un philosophe aboutit à une réponse, celle-ci est remise en question
par d’autres. C’est pourquoi la philosophie se présente comme une remise en question permanente.
La séparation initiée par Pythagore entre le philosophe et le sage est confirmé par Karl Jaspers
qui affirme que « Philosopher, c’est être en route ». Il véhicule ici l’idée d’un cheminement à propos
de la nature de la philosophie pour signifier que le philosophe ne possède pas l’objet de ses désirs, qu’il
n’est pas le possesseur de la sagesse. En philosophie, d’ailleurs, fait-il remarquer, les questions sont plus
essentielles que les réponses parce que chaque réponse devient une nouvelle question. C’est pourquoi la
philosophie n’a pas pour vocation de se présenter comme un dogme c’est-à-dire comme un savoir qui
se veut absolu, complet et par suite irréfutable, indiscutable. Jaspers dit en ce sens : « La philosophie
se trahit elle-même lorsqu’elle dégénère en dogmatisme ». Socrate nous enseigne sous cet élan que
pour philosopher, il faut au préalable reconnaitre son ignorance. Autrement dit, la philosophie
commence par un aveu de pauvreté en matière de connaissance. Il déclarait : « Tout ce que je sais c’est
que je ne sais rien ». C’est pourquoi, dit-il, le philosophe est différent de l’ignorant parce qu’il est au
moins conscient de son ignorance. Ce qui l’amène à opérer une quête du savoir. Cependant, dit Socrate,
il n’est pas non plus un savant au sens où il n’a pas ses certitudes : « Si l’on est savant, on ne philosophe
pas […] ».
C’est pourquoi dans le cadre de sa méthode qui est la Maïeutique (l’art d’accoucher les esprits)
Socrate ne se présentait jamais comme un savant devant enseigner des connaissances à ses
interlocuteurs. Cette méthode consistait plutôt à remettre en question ce que ces derniers croyaient savoir
afin de les pousser à réfléchir par eux-mêmes pour pouvoir distinguer le faux du vrai dans leur propre
pensée. En effet, d’après les platoniciens, nos âmes ayant vécues dans l’Hadès ont connu toutes les
vérités. Il suffit donc de réfléchir, de rechercher pour découvrir la vérité des choses que l’on porte en
soi. C’est ce que Platon appelle la Réminiscence. L’idée que la philosophie est une quête sans relâche
est corroborée par le fait qu’aucun philosophe n’a encore réussi à accéder à la vérité absolue tant
recherchée par tous les philosophes dont c’est l’ambition inavouée. En ce sens, Georges Gusdorf
affirme : « Aucune philosophie n’a pu mettre fin à la philosophie bien que ce soit le vœu secret de
tout philosophe ».
Le désaccord permanent entre les philosophes ou l’opposition de leurs doctrines ne saurait,
cependant, constituer un argument pour récuser la philosophie. En effet, si tous les philosophes étaient
parfaitement d’accord, ce serait la fin de toute discussion, de tout débat, de toute recherche. Ce serait
donc la mort de l’activité philosophique. Hegel nous fait savoir dans sa Phénoménologie de
l’Esprit : « Quelle que soit la diversité des philosophies, elles ont ce trait commun d’être de la
philosophie. ». En d’autres termes, malgré leurs différences toutes les doctrines philosophiques
appartiennent à une même entité qui est la philosophie et partagent donc certains traits.

B- LA SPECIFICITE DE LA PHILOSOPHIE. (Philosophie et autres Formes de connaissance)

L’avènement de la philosophie marque d’abord une rupture avec une vision naïve du monde.
Elle inaugure une véritable révolution. Elle se manifeste par l’émergence d’un « Je » c’est-à-dire d’un
être conscient de lui. Donc avec la philosophie, l’homme réfléchit et interroge le monde d’une manière
rationnelle. Il devient un homme libre et libéré des croyances traditionnelles. Selon Spinoza, le sens de
la démarche philosophique est justement de « libérer l’esprit de tous les préjugés ». La raison humaine
s’affiche, à cet égard, comme le moyen par excellence de toute acquisition de savoir. Dans cette optique,
il combat le dogmatisme et le sacré au nom d’une exigence de vérité rationnelle. Les illusions, les
superstitions et les opinions sont ainsi démasquées. L’illusion vient du latin « ludere » qui désigne « se
jouer de » et signifie souvent tromperie. Elle fonctionne là où règne l’ignorance. Du latin
« superstitio », une superstition veut dire « ce qui se tient au-dessus ». Elle est donc incompréhensible
par nature. Une opinion constitue une déclaration ou un avis sans fondement rationnel.
La philosophie représente ensuite une pensée nouvelle avec un nouveau type de discours.
Philosopher consistera à raisonner, réfléchir, se poser des questions et tenter d’y répondre de manière
individuelle et rationnelle. Ce faisant, elle donne une explication rationnelle des phénomènes de la
nature. L’outil principal de la philosophie en tant qu’activité c’est la rationalité (critique). La raison
philosophique est essentiellement critique, elle examine tout y compris elle-même. En effet, cette
exigence critique est une attitude intellectuelle qui a d’abord pour cible la philosophie elle-même.
Marcien Towa soutient à ce propos qu’ « en philosophie, aucune pensée, aucune idée, si vénérable soit-
elle, n’est recevable avant d’être passée au crible de la raison critique ». Cela veut dire qu’en philosophie,
il n’y a aucune autorité à laquelle il faut se soumettre si ce n’est celle de la raison critique.
Récusant les causes mystérieuses, elle établit des causes naturelles, ce qui démystifie les savoirs en
les rendant profanes. Elle favorise la recherche d’une vérité laïque. Ainsi, le caractère particulier de la
philosophie réside dans la recherche de la vérité désintéressée. C’est ce qui le distingue des autres
hommes d’après Pythagore rapporté par Diogène Laërce dans Vies, doctrines… des philosophes
« Dans la vie, les uns sont nés pour être esclaves de la gloire ou de l’appât du gain, les autres qui
sont des sages ne visent que le savoir ». En ce sens, le philosophe poursuit la vertu. Du latin « vis »
qui désigne force, la vertu se comprend comme une force d’âme qui engendre la richesse intellectuelle
et non celle de l’argent comme forme de bien.
La philosophie enfin se complaît dans l’incertitude et l’ignorance. Chez le philosophe,
l’ignorance est préférable aux fausses connaissances. Pour lui, mieux vaut ne rien connaître que de croire
à des faussetés. En ce sens, il pose toujours des questions pour trouver la vérité. Elle est donc une activité
critique. En effet, les questions constituent la raison d’être et la spécificité de la philosophie. Elle se veut
une activité dynamique de remise en question. A ce titre, la philosophie existe à travers les questions
nécessaires qu’elle soulève. Sous ce rapport, Ortega Y Gasset écrit « la philosophie n’existe ni ne se
justifie par le caractère valable de ses solutions mais par l’aspect inexorable de ses problèmes ».
En clair, elle n’a pas pour objectif de fournir des certitudes ou des solutions mais se résume à des
questions idoines pour découvrir la vérité. Comme l’écrit K. Jaspers « l’essence de la philosophie ce
n’est pas la possession de la connaissance mais la recherche de la connaissance » Introduction ... En
ce sens, la philosophie questionne toutes les connaissances, même celles qui paraissent évidentes. Car
elle est par essence une réflexion critique, une quête sans fin. D’après Emile Bréhier dans Histoire de la
philosophie « il n’y a de philosophie que là où il y a une pensée rationnelle, c’est-à-dire une pensée
capable de se critiquer et de faire un effort pour se justifier par des raisons. ». Autrement dit, être
une pensée capable d’apporter ses propres preuves et accepter de se soumettre à toute analyse ou de
s’auto-évaluer.

B1 : Philosophie et Sens commun


Etude de texte :
« La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même.
Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens
commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont grandi en lui
sans la coopération ni le consentement de la raison. Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini,
fini, évident : les objets ordinaires ne font pas naître des questions et les possibilités peu familières sont
rejetées avec mépris.
Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons,
que les mêmes choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne
trouve que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure de nous
donner avec certitude la réponse au doute qui nous assiège, peut tout de même suggérer des possibilités
qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de l’habitude. Tout en ébranlant
notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance
d’une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui
n’ont jamais parcouru la région du doute libérateur et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement
en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau. »
Bertrand Russell, Problèmes de philosophie.

B. Russell (1872-1978) dans ce texte cherche à déterminer le caractère principal de l’activité


philosophique. Selon lui, l’incertitude caractérise la philosophie. Mais comment l’incertitude peut-elle
être une valeur ? Sa position nous semble paradoxale. Pour se justifier, il compare l’incertitude
philosophique avec la certitude que confère la tradition. Russell s’inscrit donc dans son texte dans le
cadre d’une analyse. Il étudie le comportement du philosophe et celui de l’homme du peuple. Ce faisant,
il cherche à montrer l’importance de l’incertitude philosophique face à la certitude que procure la
tradition. Pour lui, l’homme du peuple croit à la tradition. C’est une personne qui pense détenir des
certitudes. Ainsi, tout est évident pour lui. En ce sens, il entretient un rapport banal avec son
environnement. C’est pourquoi Russell l’assimile à « celui qui n’a aucune teinture de philosophie »
c’est-à-dire celui qui ignore tout de l’expérience philosophique. Un tel individu se complait dans les
vérités que lui présente le sens commun. Les connaissances communes l’installent dans un confort du
savoir. On l’appelle généralement l’homme du sens commun. Il « traverse l’existence » c’est-à-dire il
mène une vie tranquille, sans souci, de sa naissance à sa mort. Une vie sans arrêts synonymes de doute
ou de réflexion. Autrement dit, il existe sans penser son existence. Baignant dans une inconscience
complète de lui-même, il devient un « prisonnier » des habitudes et de l’ordinaire. L’homme du sens
commun refuse l’interrogation et s’éloigne, de ce fait, de la vérité. Confucius, philosophe chinois,
déclarait à cet égard « je ne peux rien faire pour celui-là qui ne se pose pas de questions ». Il semble
être un condamné à mort dans l’obscurantisme et l’ignorance. Son esprit est malade atteint d’une cécité
intellectuelle. Il est incapable de voir au-delà du donné empirique. Il prend comme vérités les
expériences quotidiennes. Cette image nous renvoie aux prisonniers de la célèbre allégorie de la caverne
de Platon dans la République, Livre 7.
Le commun des hommes est donc en prison, emprisonné par les « préjugés » de sa
communauté, les « croyances habituelles » et les « convictions » irrationnelles. L’emploi des
termes « préjugés – croyances- convictions » n’est pas fortuit, il traduit un enlisement dans son état de
cloisonnement réflexif. En effet, le préjugé est un jugement non fondé sur une connaissance véritable.
Il se trouve en moi sans être de moi ; il provient du « sens commun ». La croyance, plus forte que le
préjugé, suppose une adhésion subjective à une idée ou un être. Elle n’est attestée par aucune expérience
donc reste sans fondement rationnel. La conviction, plus intense que la croyance, se traduit par un
sentiment ferme et assuré à propos de quelque chose. Elle est cependant incapable de se démontrer
rationnellement. Telle se décline la sagesse populaire qui vient de la coutume. Elle s’impose sans
interrogation. Elle est acceptée « sans la coopération ni le consentement de la raison ». Elle s’édifie,
dès lors, en dehors de tout raisonnement. L’existence s’affiche sans problèmes « pour un tel
individu », tout se présente clair et précis donc explicite. Le monde est à l’image de son esprit. Il exclut
par conséquent la possibilité d’interroger toute réalité nouvelle. Mais, si la certitude du non-philosophe
est stérile et étroite, l’incertitude de la philosophie peut-elle alors être féconde ?
Selon la philosophie, la réalité cache plus qu’elle ne montre. Il ne faut pas, par conséquent, se
fier à l’évidence. C’est pourquoi, le philosophe interroge les faits pour découvrir la vérité. En
philosophie, la vérité procède par le détour de la raison qui interroge et analyse. Sous ce rapport, le
questionnement distingue le philosophe du non-philosophe. La philosophie se résumerait, dès lors, selon
Husserl (1859-1938) dans Méditations cartésiennes à une « attitude d’un genre nouveau à l’égard du
monde environnant ». Pour le philosophe tout est problématique. Dans ce cadre, la philosophie est un
effort pour débusquer les fausses évidences. Cette attitude consiste à poser des questions sur la totalité
de l’existence, mêmes les faits habituels car tout est considéré potentiellement comme faux.
Ainsi l’incertitude philosophique rend vivace le sens du doute. Philosopher, revient donc à
s’étonner de tout. Comme l’exprime Jankélévitch « philosopher revient à ceci : se comporter à
l’égard du monde comme si rien n’allait de soi ». Elle cherche à nous délivrer de la « tyrannie de
l’habitude » ou de la coutume. Cette libération est rendu possible grâce au doute. Du latin « dubitare »,
il se comprend comme une suspension provisoire du jugement. Le doute désigne le fait de se balancer
entre deux choses et traduit un état d’incertitude de l’esprit. C’est donc par le moyen du doute que le
philosophe va s’affranchir du « dogmatisme ». Le dogmatisme est une attitude conditionnée par une
croyance qui repose sur des dogmes. Un dogme est un savoir absolu et indubitable. Par conséquent, le
dogmatique refuse toute interrogation et s’interdit la critique. Le dogme est, en ce sens, incontestable.
En général, les connaissances traditionnelles se présentent comme des dogmes ; et ainsi acceptées sans
contestation. Or pour le philosophe, le doute est essentiel. Selon Alain « le doute est le sel de l’esprit ».
Il favorise un recul et nous prémunit des opinions. C’est un outil opératoire pour jauger les
connaissances. Donc il devient une arme indispensable en philosophie. Cependant, le doute
philosophique prôné par Descartes est différent du doute vulgaire des sceptiques. Le doute chez
Descartes est une méthode efficace pour accéder à la vérité. Descartes propose dans Méditations
métaphysiques, une méthode pour douter volontairement et temporairement de tout. Il s’agit de prendre
comme base uniquement ce qui est absolument indémontable et de considérer dans un premier temps
que tout le reste est faux pour écarter tout risque d’être abusé dès le départ. Car pour lui « mieux vaut
ne pas chercher que de le faire sans méthode ». A cet égard, le doute cartésien cherche à nous mener
au savoir certain. C’est un outil qui permet de tester valablement les connaissances. Il est donc un
instrument de mesure fiable pour savoir la vérité. Chez les sceptiques, le doute a contrario, fonctionne
comme une négation de l’idée même de vérité. Le Scepticisme est un courant philosophique né au IIIème
siècle av. J.C. Venant du grec scepto qui signifie examiner de près, les sceptiques dont Pyrrhon d’Elis
sont surnommés les examinateurs ou interrogateurs. Mais leur interrogation ne vise pas la vérité. Le
scepticisme fait du doute une fin en soi et non pas un moyen de découvrir la vérité. Fidèles à leur
postulat « Rien n’est digne de certitude », ils défendent une thèse nihiliste. Selon eux, rien ne peut
être affirmé en toute certitude. Le doute sceptique basé sur la négation rend ainsi impossible la
connaissance. On l’appelle un doute pessimiste ou stérile. Ainsi, la philosophie enseigne à douter mais
dans une perspective critique et libératrice non dans une perspective désabusée (douter pour douter). Par
conséquent, le doute doit être provisoire, temporel comme chez Descartes mais jamais continu et infini
comme chez les sceptiques.

B2 : Philosophie et Mythe
Etude de texte :
« « S’étonner, déclare le Socrate du Théétète, la philosophie n’a pas d’autre origine ». S’étonner
se dit Thaumazein, et ce terme, parce qu’il témoigne du renversement qu’effectue par rapport au mythe
l’enquête des Milésiens, les établit au point même où la philosophie s’origine. Dans le mythe, Thauma
c’est le « merveilleux », l’effet de stupeur qu’il provoque est le signe de la présence en lui du surnaturel.
Pour les milésiens l’étrangeté d’un phénomène, au lieu d’imposer le sentiment du divin, le propose à
l’esprit en forme de problème. L’insolite ne fascine plus, il mobilise l’intelligence. De vénération muette,
l’étonnement s’est fait interrogation, questionnement. Lorsqu’au terme de l’enquête le thauma a été
réintégré dans l’ordinaire de la nature, il ne reste de merveilleux que l’ingéniosité de la solution
proposée. Ce changement d’attitude entraîne toute une série de conséquences. Pour atteindre son but,
un discours explicatif doit être exposé : non seulement énoncé sous une forme et en des termes
permettant de bien comprendre, mais encore livré à une publicité entière, placé sous le regard de tous,
de la même façon que, dans la cité, la rédaction des lois en fait pour chaque citoyen un bien commun
également partagé. Arrachée au secret, la théoria du physicien devient ainsi l’objet d’un débat ; elle est
mise en demeure de se justifier ; il lui faut rendre compte de ce qu’elle affirme, se prêter à critique et à
controverse. Les règles du jeu politique - la libre discussion, le débat contradictoire, l’affrontement des
argumentations contraires - s’imposent dès lors comme règles du jeu intellectuel. A côté de la révélation
religieuse qui, dans la forme d’un mystère, reste l’apanage d’un cercle restreint d’initiés, à coté aussi de
la foule des croyances communes que tout le monde partage sans que personne ne s’interroge à leur
sujet, une notion nouvelle de la vérité prend corps et s’affirme : vérité ouverte, accessible à tous et qui
fonde sur sa propre force démonstrative ses critères de validité. »
Jean-Pierre VERNANT, Les origines de la philosophie.

Dans ce texte, Vernant prolonge la question sur l’origine de la philosophie. Celle-ci découlerait
de l’étonnement. Pour justifier sa thèse, il convoque les propos de Socrate « S’étonner, déclare le
Socrate du Théétète, la philosophie n’a pas d’autre origine ». Ici la naissance de la philosophie est
analysée comme un effet de l’étonnement. Plus exactement de l’étonnement philosophique et non celui
ordinaire. Ce qui fait la particularité de l’étonnement philosophique, c’est que tout le monde n’en est
pas capable. Il nécessite, selon le dire de Platon, une initiation. L’étonnement philosophique, pour
reprendre Karl Jaspers, est un effort de pensée méthodique qui englobe à la fois le connu et l’inconnu.
L’étonnement est donc un moment inaugural de la réflexion philosophique. Comment l’étonnement
peut-il être une origine de la philosophie ? La philosophie est-elle fille de l’étonnement ?
L’étonnement survient lorsqu’un événement ou un phénomène inhabituel se produit. Il est alors
lié à l’ignorance. C’est la manifestation d’un fait étrange qui sort de l’ordinaire. Dans l’antiquité grecque,
un tel fait était expliqué par le mythe. En effet, les grecs recouraient au mythe pour appréhender chaque
situation nouvelle. Le mythe, d’après Mircea Eliade (1907-1956) est « un récit fabuleux d’origine
populaire, transmis par la tradition et dans lequel les agents impersonnels ou les forces de la
nature sont représentés ». Il se donne comme objectif de déterminer l’origine ou le commencement
des choses et d’en expliquer le pourquoi. Il se présente comme un discours fictif, séculaire et intemporel.
Avec les milésiens, on va assister à un tournant décisif. Pour eux, tout phénomène nouveau doit être
objet de réflexion. Ils effectuent un passage du mythe à la rationalité réalisant une véritable révolution.
C’est ce qu’on appelle le passage du « muthos » au « logos ». La raison comme faculté de juger sans
faire appel aux puissances du mythe devient le mode opératoire pour comprendre « l’étrangeté d’un
phénomène ». Le principe d’explication des phénomènes s’éloigne de ce fait, de l’univers du mythe et
des dieux pour être rationnel. Les milésiens initient alors une rupture originale face au mythe. Les
personnages divins laissent la place aux causes naturelles. Désormais, le mythe n’est plus suffisant pour
expliquer les choses. Le recours au mythe pour signifier ou fonder le « Thauma », est remplacé par la
réflexion.
Le réveil philosophique marque, à ce titre, un triomphe de l’esprit, de la raison, du rationalisme.
Dès lors, la conscience mythique perd sa place, car l’« insolite » est soumis à la raison. La rationalité
sera une forme de pensée qui tente d’expliquer laïquement le monde sans user de principes théologiques.
En effet, au sein du mythe intervenait le divin ou des êtres surnaturels c’est-à-dire des personnages
vénérés. Cette présence des divinités lui conférait une dimension sacrée et provoquait la vénération. Ce
qui en faisait un discours ésotérique c’est-à-dire réservé à une élite. Mais le questionnement va remplacer
la fascination. La crainte ou la peur suscitait par le mythe est démythifiée par la raison. Par ce nouveau
regard, la raison philosophique se substitue au discours mythique. Ainsi, là où le mythe apportait des
réponses, la philosophie questionne et rationalise. On assiste à un effort de justification et un besoin
d’explication par la raison. Car dira Thalès « si tout est plein de Dieu, si c’est Dieu qui a fait le monde,
il l’a fait d’une certaine manière ; c’est cette manière qu’il faut connaitre ». Il faut donc aller au-
delà de l’apparence. Le merveilleux ne fait plus peur, il interpelle « l’intelligence ». On se démarque
des personnifications, des croyances traditionnelles et des images de légende. C’est l’autonomie de la
pensée qui se libère de la démarche mythique et d’une « vénération muette ». Aussi la science
philosophique adopte les règles du jeu politique en restant critique et contradictoire. A ce niveau,
Vernant montre que la nouvelle pensée philosophique devient un « jeu intellectuel ». Dans le champ
intellectuel la critique et la controverse sont les principales caractéristiques. L’Agora ou la place
publique ruine ainsi le pouvoir monarchique du mythe en tant qu’espace de controverse. Dès lors, toute
vérité est basée essentiellement sur une « libre discussion » loin des « croyances communes » sans
fondement rationnel. La vérité philosophique se veut démonstrative, exotérique c’est-à-dire accessible
à la masse.
Néanmoins, philosophie et mythe poursuivent le même but : rendre compte du monde et des
phénomènes pour apaiser la curiosité et l’angoisse humaine. Dans cette ambition commune, elles ont
une certaine complémentarité que M. Deschoux décline en ces termes dans Les aspects du Mythe « ce
que la raison ne peut expliquer, le mythe permet au moins de le dire ». On peut, grosso modo, retenir
que la pensée philosophique s’est établie en se dégageant de l’univers du mythe. Mais la raison humaine
est-elle hostile à toute croyance ? Là réside la problématique de la foi.

B3 : Philosophie et Religion
Etude de texte :
« La philosophie entre en conflit avec la religion, du fait que celle-ci se veut l’autorité absolue
tant dans le domaine de la vérité que dans celui de la pratique. Mais la vérité de la religion se présente
comme un donné extérieur en présence duquel on s’est trouvé. Cela est particulièrement net dans les
religions dites révélées ; celles dont la vérité a été annoncée par quelque prophète, quelque envoyé de
DIEU. Ainsi dans la religion « le contenu est donné, il est considéré comme au-dessus ou au-delà de la
raison ». La religion conçoit l’esprit humain comme borné, limité et ayant donc besoin que les vérités
essentielles pour l’homme, que sa raison infirme serait incapable de découvrir par elle-même, lui soient
révélées d’une façon surnaturelle et mystérieuse. Mais l’idée d’une vérité au-delà de la raison,
inaccessible naturellement à l’esprit humain, est absolument inconcevable par la philosophie qui repose
sur le principe diamétralement opposé selon lequel la pensée ne doit rien admettre comme vrai qui n’ait
été saisi comme tel par la pensée. L’homme est certes un être borné, fini- sauf du côté où il est
esprit. « Le fini concerne les autres modes de son existence (…) ; mais quand, comme esprit, il est
esprit alors il ne connaît pas de limites. Les bornes de la raison ne sont que les bornes de la raison de ce
sujet-là, mais s’il se comporte raisonnablement l’homme est sans bornes, infini. ». »
Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle.

Ce texte de M. Towa analyse la relation entre la philosophie et la religion. Towa présente le


rapport sous l’angle d’un conflit. Pour soutenir son point de vue, il expose les caractéristiques
respectives de la religion et de la philosophie. En quoi consiste le différend entre la philosophie et la
religion ? Selon l’auteur, la religion se réclame comme une « autorité absolue ». Une autorité
représente un pouvoir, une force. Dès lors, la religion se pose comme une puissance dominatrice. Elle
est absolue car elle se dit totale et suffisante. Elle requiert, par conséquent, une croyance totale à sa
vérité et une soumission à ses recommandations. Sous cet aspect, elle exige l’obéissance et sanction
toute déviance. La religion exige une acceptation sans exigence de preuves. Ainsi, le croyant peut être
défini comme celui qui croit sans savoir, celui qui admet comme vérité ce qui ne peut être prouvé ni
démontré. D’ailleurs, selon Kant croire « c’est tenir comme vrai » même sans preuve, sans
connaissance. D’après Alain « croire désigne toute certitude sans preuve ». Le croyant doit donc
obéir sans interrogation. En ce sens, la religion pourvoit en connaissance le croyant et guide sa conduite.
La religion renvoie à une relation, un lien entre l’homme et un divin ou une chose sacrée. Elle vient du
mot latin « religare » qui signifie ce qui lie ou relie. Elle revêt un caractère sacré c’est-à-dire mystérieux
donc inaccessible à l’homme.
Ainsi, la vérité religieuse est extérieure à l’homme. Elle n’est pas le fruit de sa raison. A ce titre,
le croyant a un rapport de soumission avec la vérité religieuse qu’il reçoit d’une manière passive. Chez
lui, on remarque une fierté de croire, ce qui l’expose au dogmatisme. C’est pourquoi, il tire sa
justification des textes de la révélation, du maître spirituel ou d’une tradition. Sous ce rapport, sa
référence est toujours hors de lui. L’homo religiosus croit donc fermement qu’il existe une réalité
supérieure, transcendante qui échappe à sa compréhension. D’après Towa, ce comportement est visible
chez les croyants des « religions dites révélées ». Ces religions se présentent comme les créations d’un
Dieu unique et transcendant. Elles défendent l’idée d’un Dieu qui transcende ce monde. Ces
créatures comme le monde, la mer entre autres manifestent sa grandeur.
En outre, pour les religions révélées, la raison humaine est infirme. A cet effet, elles interdisent
la remise en cause. La raison ne peut atteindre à elle-seule les « vérités essentielles » nécessaires à la
vie humaine. C’est pourquoi, il a besoin que les vérités religieuses lui soient « révélées ». La révélation
suppose une découverte ou une mise en évidence d’un fait ou acte. Conçu comme supérieur à la volonté
humaine parce que placées « au-dessus ou au-delà de la raison », la religion apporte à l’homme le
savoir. La dimension « surnaturelle et mystérieuse » qui marque « le contenu » renforce cette
conviction. Ainsi, les prophètes ou les messagers sont les intermédiaires entre les vérités divines et les
croyants.
Philosophiquement, une telle position est irrecevable. En effet, l’activité philosophique récuse
une vérité qui dépasse la raison. En philosophie, toute vérité doit être raisonnable c’est-à-dire répondre
au principe de la raison. Dès lors, la religion en présentant des vérités qui transcenderaient l’esprit
humain pose les termes du désaccord. Pour la philosophie, les vérités sont toujours soumises à l’examen
critique de la raison. En d’autres termes, une affirmation est valable que si elle s’appuie sur la raison.
C’est en ce sens que Towa souligne que la raison philosophique recommande de ne « rien admettre
comme vrai qui n’ait été saisi comme tel par la pensée», autrement dit de ne pas croire sans le
consentement de la pensée. Selon Towa, la philosophie n’accepte pas cette infirmité de l’esprit humain.
Elle concède que dans sa dimension physique et individuelle, l’homme reste limité mais par sa
dimension spirituelle et rationnelle, il est « infini ». Autrement dit la rationalité humaine est sans borne.
En ce sens, aucune vérité ne peut lui résister, elle peut tout connaître.

Au demeurant, la religion par l’utilisation des mythes et sa prétention à donner un sens aux
phénomènes et à l’existence, établit un rapport fait de proximité et de distance avec la philosophie. En
effet, religion et philosophie partagent la même ambition à savoir fournir un sens ou une signification à
l’existence humaine ou au monde. Mais leur mode d’approche les différencie. La philosophie réclame
une essence intellectuelle alors que la religion relève de l’expérience émotionnelle et affective.
Philosopher suppose, en effet, un effort de validation rationnelle. La religion, elle, requiert la croyance
et la soumission à Dieu et aux textes sacrés. En ce sens Spinoza (1632-1677) affirme : « entre la foi ou
théologie et la philosophie, il n’y a nul commerce, nulle parenté […]. Le but de la philosophie est
uniquement la vérité et celui de la foi est uniquement l’obéissance et la piété […]. L’une et l’autre
ont leur royaume propre. ».
Pour Blaise Pascal, la raison philosophique et la foi religieuse ne partagent pas les mêmes
compétences. Pour lui, la foi ressort du domaine sentimental et subjectif. Ce qui le pousse à
affirmer « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible
au cœur, non à la raison ». Chez le philosophe apologiste de la religion chrétienne, on sent une certaine
différence entre le cœur et la raison ; ce sont deux modes séparés. Ainsi, dans la pensée
pascalienne « Dieu s’éprouve mais ne se prouve pas » Pensées. Ce qui justifie sa célèbre boutade « le
cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » Pensées. C’est peut être aussi le point de vue de
Kant lorsqu’il déclare « J’ai donc dû supprimer la connaissance pour y substituer la croyance »
Fondement de la Métaphysique des Mœurs. Il partage l’idée que nous ne pouvons pas connaître Dieu
par la raison et qu’il faut faire appel à la croyance pour les vérités religieuses non à la raison.
Mais, il faut prendre conscience de la diversité des croyances. Les croyances religieuses sont
nombreuses et différentes. Dieu est un terme équivoque et s’appréhende selon une religion déterminée :
✓ Le Théisme est une doctrine religieuse au sein duquel on note le monothéisme qui prône
l’existence d’un Dieu unique, transcendant et le polythéisme qui admet plusieurs dieux ;
✓ Le Panthéisme prôné par les stoïciens parmi lesquels Spinoza (1632-1671) pose un Dieu
immanent qui est en tout et partout : Tout est Dieu. Pour eux Dieu est le monde et le monde est
Dieu. Ils identifient donc Dieu à la nature d’où leur postulat fondamentale « Deu sive
natura » qui signifie Dieu ou la Nature ;
✓ L’Athéisme défendu entre autre par Sartre (1905-1980) et Nietzsche nie l’existence de Dieu ;
✓ Le Déisme ou le fait de croire en Dieu, indépendamment d'une religion particulière. Ce Dieu ne
saurait être l'objet d'aucun culte etc.

Toutefois, certains penseurs ont tenté de tenir un discours rationnel sur Dieu. Bien des théories
ont été élaborées par les philosophes, hommes de religion ou tout simplement des penseurs pour
discourir sur Dieu et la manière de l’appréhender. Ils parlent de Dieu, ils le démontrent et le placent au
cœur de leur système sans pour autant s’appuyer sur des dogmes ou des pratiques religieux. Cet effort
de rationaliser la religion apparait chez les Pères de l’Eglise (la philosophie médiévale : 5-15ème siècle),
Descartes, Leibniz (1646-1716), etc.
Le monde arabo-islamique aura aussi ces penseurs au nombre desquels on peut noter Imam
Ghazali, Ibn Rushd (1126-1198) ou Averroès, Ibn Arabi (1165-1241, philosophe et poète, maitre du
soufisme), Ibn Sina connu sous son nom latinisé Avicenne, etc. Selon Averroes, seuls les philosophes,
en usant de la raison peuvent et doivent interpréter le texte révélé.

Chez les Pères de l’Eglise, il y a un souci de réconcilier la foi et la raison. Dans ce cadre, Saint
Augustin (354-430) essaye de réaliser la synthèse du platonisme et du christianisme. A cet effet, dans
La Cité de Dieu, il dénonce la cité terrestre, temporelle et non nécessaire. Pour lui celle-ci est fondée sur
l’amour de soi porté jusqu’au mépris de Dieu. C’est pourquoi il prône une cité divine qui est celle du
Bien. Celle-là est éternelle et symbolise les forces d’amour et de foi. Ce faisant, il recoupe les deux
mondes sensible et intelligible de Platon. D’après l’auteur des Confessions, il faut « Croire pour
comprendre » et professe que la philosophie doit être servante de la théologie. Il soutient alors que la
foi ne ruine pas la raison. Il a découvert avant Descartes, le Cogito ou le « je pense » dans l’erreur. Il
écrit dans La Cité de Dieu « Si je me trompe, je suis, puisque l’on ne peut se tromper si l’on est. ».
A le suivre, l’homme se trompe et perçoit par là même son existence. Influencé par Saint Augustin,
Saint Anselme (1033-1109) cherche à fonder l’existence de Dieu. L’archevêque de Cantorbéry formule
en premier dans son Proslogion « la preuve ontologique » de l’existence de Dieu. Selon lui, tout être
à l’idée d’un Être infiniment grand. Seul l’insensé peut nier une telle existence. Car, il ignore que de
l’idée on peut aller jusqu’à l’existence. Ainsi, l’idée d’être parfait renferme son existence. Abondant
dans le même sens, Saint Thomas d’Aquin relie la métaphysique aristotélicienne et la théologie. L’auteur
des Commentaires sur Aristote et de la Somme théologique emprunte à Aristote la démonstration de
l’existence de Dieu. La théorie du Premier Moteur chez Aristote annonce, pour lui, le Dieu des
monothéistes créateur et organisateur de l’Univers.
Selon Descartes « la raison est une lumière rationnelle qui nous permet d’accéder à Dieu »
Méditations Métaphysiques. Fort de cette conviction, il va chercher à prouver l’existence de Dieu.
L’auteur du Discours de la Méthode construit son entreprise autour de trois preuves. D’abord, la preuve
cosmologique ou par les causes pose que la cause est supérieure à l’effet. Ainsi point d’effet sans cause.
Comme effets, l’homme et le monde ne peuvent être cause d’eux-mêmes. Ils ont donc une cause qui
n’est autre que Dieu. Ensuite, l’idée de perfection en l’homme ne peut venir de lui car il est imparfait.
Par conséquent seul Dieu, en Être parfait, en est l’auteur. Enfin, de cette preuve découle celle
ontologique qui est la plus célèbre. Cette preuve dite aussi cause a priori annonce que la perfection de
Dieu implique son existence. Déjà annoncée par Saint Anselme, elle est reprise par Descartes. Selon lui,
Dieu est un être parfait auquel il ne saurait manquer aucune chose. Ne pas exister serait une imperfection
et compromettrait son caractère d’Être parfait. Dès lors, Dieu existe nécessairement. Dieu est le seul
être dont l’existence est contenue dans son essence.
Mais comment concilier la perfection divine avec l’existence du mal sur la terre ? Si Dieu est
un Être parfait pourquoi laisse-t-il exister le mal ? Est-il l’ouvrier du mal ? Face à ces questions, Leibniz
essayera d’innocenter Dieu du mal dans le monde. Pour lui, toutes les choses dépendent de Dieu. Il les
accomplit suivant sa volonté. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que Dieu a deux types de volonté : une
volonté antécédente et une volonté conséquente. Par sa volonté antécédente, Dieu veut directement le
bien pour le bien et hait le mal, on parle de volonté absolue. Par sa volonté conséquente, il poursuit le
bien mais emprunte le détour du mal. Ainsi, Dieu tolère l’existence du mal, laisse exister le mal pour
obtenir un bien plus grand.

Néanmoins, la religion va enregistrer des attaques au (19) XIX ème siècle. Elle sera considérée
comme l’expression d’une dimension psychologique (Feuerbach 1804-1872), économique (Marx 1818-
1881), physiologique (Nietzsche 1844-1900), psychanalytique (Freud 1856-1939). Pour Feuerbach,
c’est par la conscience de son imperfection que l’homme réalise à travers Dieu son propre rêve de
perfection. Dieu, chez lui, est le produit de l’imagination de l’homme. L’homme a créé Dieu à partir de
lui-même en niant ses propres imperfections ; il a inventé un être parfait. Selon Karl Marx, la religion
est une réalisation fantastique de l’esprit humain qui masque la dure réalité à l’homme, celle de
l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est pourquoi, il pense qu’il faut trouver les fondements de la
croyance religieuse dans le vécu socio-économique. La religion est, pour lui, une création sociale où
Dieu représente l’espérance d’une compensation future purement idéale. Ce faisant, elle détourne
l’homme dominé de la vérité de sa condition sociale et politique. Elle constitue, de ce fait, un frein à la
révolution sociale qui est le projet marxiste. En ce sens, il considère la religion comme un « opium »
parce qu’elle paralyse le peuple. Elle fonctionne comme une drogue adoucissante et assoupissante qui
aliène les forces vives et annihile toute révolte. De la part de Nietzsche, le monde de la religion
chrétienne est considéré comme un univers de pure fiction. D’après lui, la religion est un mensonge né
du « ressentiment des faibles » c’est-à-dire de ceux qui sont incapables d’affirmer leur liberté et de
créer quelque chose. Le thème de la « mort de Dieu » signifie la mort de la croyance au Dieu chrétien
et la chute des valeurs morales et religieuses. Ainsi, s’ouvre, à son avis, un horizon nouveau aux
philosophes et esprits libres. Freud analyse le fait religieux comme un infantilisme et l’assimile à un
désir de protection et de consolation de l’individu. Il voit la religion comme une illusion à travers
laquelle l’homme angoissé se cramponne. Il cherche un père tout puissant, protecteur et bienveillant.
Pour Freud, le croyant serait donc celui qui ne peut supporter que le monde soit laissé à lui-même, sans
créateur, un monde insensé du moins diminué de sens préétabli, sans providence, sans finalité.
Au demeurant, le conflit entre la religion et la philosophie gagnerait à être apaisé pour être
fécond. C’est sans doute ce qu’a voulu suggérer le Pape Jean-Paul II dans sa Lettre Encyclique intitulée
Fides et Ratio en écrivant « la foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit
humain de s’élever vers la contemplation de la Vérité ». Loin donc de voir une opposition radicale
ente les deux disciplines, il faut mieux penser que la raison peut nous aider à fonder ou éclairer notre
foi. Ainsi, il faut considérer, selon les propos de Saint Thomas d’Aquin que « la raison et la foi ne
s’excluent pas ». D’ailleurs affirme Leibniz « exclure la foi au nom de la raison, c’est comme se
crever un œil pour espérer mieux voir ». Autrement dit, les deux lumières peuvent cohabiter ensemble
pour le bien de l’homme. Eliminer l’une au profit de l’autre, c’est compromettre sa visibilité
intellectuelle. Aussi, avertit Pascal, il y a deux excès à éviter « exclure la raison, n’admettre que la
raison » Pensées.

B4 : Philosophie et Science
Le rapport entre la philosophie et la science s’est présenté dès leur naissance dans le cadre d’une union
ou mariage. En effet, la philosophie et la science ne pouvaient pas être dissociées radicalement. A cette
époque philosophie était synonyme de science. La philosophie signifiait « la totalité du savoir » et était
considérée comme la mère de toutes les sciences. Cette vision aristotélicienne faisait de la philosophie
une discipline encyclopédique. Aristote la présente comme « la science universelle ou la science des
sciences » Métaphysique. D’ailleurs, les premiers penseurs ou philosophes étaient surtout des hommes
de science. Ils étaient mathématiciens, physiciens, astronomes, des cartographes etc. Ainsi, de Thalès à
Pythagore et jusqu’au(17) XVIIème siècle avec Descartes et Leibniz, les deux termes (philosophie et
science) avaient des rapports étroits. Platon inscrit même au fronton de son académie « nul n’entre ici
s’il n’est géomètre ». .
Mais la révolution scientifique et technique du (18) XVIIIème siècle va entrainer l’essor de la science qui
sonne le glas de leur union. En effet, le progrès accélère les termes du divorce. Dès le 15 ème siècle,
Copernic (1473-1543) ébranle la thèse longtemps soutenue du géocentrisme défendue par Aristote au
profit de l’héliocentrisme. Francis Bacon (1561-1626) au (17) XVIIème inaugure la méthode
expérimentale en rupture avec la spéculation philosophique. La physique avec Galilée (1564-1642) et
Newton (1642-1727), revendique ensuite son autonomie. L’astronomie avec Kepler (1571-1630) leur
emboite le pas. Au(18) XVIIIème siècle la biologie avec Claude Bernard (1813-1878) s’affranchit par la
médecine expérimentale et enfin les sciences sociales à travers Emile Durkheim (1858-1917) à la fin du
ème
(19) XIX siècle et au début du (20) XXème siècle conclurent définitivement le mouvement de
séparation. Il ne sera désormais laissé à la philosophie que la métaphysique, la morale et la logique.
C’est dans la perspective de souligner les différences entre la philosophie et la science que s’inscrit ce
texte de Karl Jaspers.
« Pour quiconque croit à la science, le pire est que la philosophie ne fournit pas de résultats
apodictiques, un savoir qu’on puisse posséder. Les sciences ont conquis des connaissances certaines,
qui s’imposent à tous ; la philosophie, elle, malgré l’effort des millénaires, n’y a pas réussi. On ne saurait
le contester : en philosophie il n’y a pas d’unanimité établissant un savoir définitif. Dès qu’une
connaissance s’impose à chacun pour des raisons apodictiques, elle devient aussitôt scientifique, elle
cesse d’être philosophique et appartient à un domaine particulier du connaissable.
A l’opposé des sciences, la pensée philosophique ne parait pas non plus progresser. Nous en savons plus
certes, qu’Hippocrate, mais nous ne pouvons guère prétendre avoir dépassé Platon. C’est seulement son
bagage scientifique qui est inférieur au nôtre. Pour ce qui est chez lui, à proprement parler recherche
philosophique, à peine l’avons-nous rattrapé. ».
Karl Jaspers, Introduction à l’étude de la philosophie.
Ce texte de Karl Jaspers étudie la différence entre la philosophie et la science. A son avis,
l’homme de science trouve rebutant la philosophie parce qu’elle ne donne pas de connaissances
certaines. Il trouve qu’avec la philosophie, on est toujours dans l’incertitude ; la discipline
philosophique est incapable de produire « un savoir qu’on puisse posséder ». Par contre, la science
offre des savoirs exacts et vérifiables. En outre, les résultats scientifiques sont applicables et bénéfiques
dans la vie. La science produit des vérités apodictiques qui sont nécessaires et partagées. A l’opposite,
la philosophie, depuis son avènement, n’a pas encore fournit « un savoir définitif » qui puisse satisfaire
tous les esprits. Il est même devenu naturel à la philosophie d’être le domaine des savoirs indéfinis et
relatifs. Dès lors, lorsqu’une connaissance fondée en raison devient certaine et unanime dans le champ
philosophique, elle migre de la philosophie vers la science et devient une connaissance scientifique.
C’est pourquoi le concept de progrès est étranger au domaine philosophique. Si la science
constructiviste enregistre des avancées remarquables dans ses recherches, la philosophie reste
emprisonnée par les mêmes questions. Force est donc de reconnaître que le progrès ne peut être appliqué
à la philosophie. Comme le souligne Antoine-Augustin Cournot dans son Essai sur les fondements de
la connaissance et les caractères de la critique philosophique, la philosophie est « enfermée dans un
cercle de problèmes qui restent au fond toujours les mêmes ». Sous ce rapport, les scientifiques, de
génération en génération, maîtrisent leur objet d’étude alors qu’en philosophie les interrogations des
premiers restent toujours d’actualité. C’est ce que souligne Jaspers, si les jeunes médecins en connaissent
plus qu’Hippocrate (vers 460-vers 377 av. J.-C.), on ne peut en dire autant sur les philosophes
contemporains par rapport à Platon. De son avis, on n’a pas encore proposé des pensées philosophiques
plus pertinentes que celles des initiateurs de la recherche philosophique.
Les sciences se dégagent de la philosophie sur plusieurs plans. Elles se spécialisent en ce sens
que chacune d’elles identifie et délimite un objet propre et adopte une méthode particulière. A cet égard,
la science s’écarte du caractère invérifiable et imprévisible de la philosophie. Elle adopte une méthode
ternaire : d’une hypothèse née de l’observation, elle passe à la vérification grâce à l’expérimentation et
aboutit à l’élaboration de lois universelles en formule mathématique. C’est pourquoi la loi scientifique
est le fruit de la « cité des hommes de preuve » d’après Gaston Bachelard (1884-1962). Ainsi, la
science reste impersonnelle et peut aboutir à un consensus. Cette démarche garantie son objectivité.
Pour être objectif d’après Paul ELUARD (1895-1952) « il ne faut pas voir le réel tel que je suis ». Il
s’agit, par conséquent, de décrire la chose telle qu’elle est. La philosophie, elle, raisonne sur les idées et
tire des conclusions formelles. Elle est personnelle, ses réponses dépendent plus du sujet de la recherche
plutôt que de l’objet. C’est en ce sens, dit-on, qu’elle est plus subjective que la science dont les résultats
sont plus liés à l’objet de la recherche. Leurs méthodes et leurs résultats sont donc différents.
Il y va de même de leur orientation. En effet, la science s’intéresse à la question du Comment
des phénomènes alors que la philosophie cherche le Pourquoi des faits. En ce sens, la science est du
domaine du quantifiable et la philosophie celui du qualifiable. Autrement dit, quand la science cherche
à mesurer l’objet, la philosophie essaie d’évaluer son sens, de préciser son essence. Ainsi, la science
s’attache principalement à dégager des lois permettant de comprendre et de prévoir les phénomènes
naturels ou la matière. Pour cela, elle s’appuie sur le déterminisme ou la loi de la causalité. La
préoccupation de la philosophie, par contre, reste la raison ou le fond des choses. C’est une activité
essentiellement spéculative. C’est pourquoi, Claude Bernard trouve dans son Introduction à la médecine
expérimentale que « la philosophie n’apprend rien et ne peut rien apprendre de nouveau par elle-
même puisqu’elle n’expérimente ni n’observe ». Leur activité se résume à raisonner « sur ce qu’ont
fait les autres ». Aussi, elle est considérée comme une spéculation parasitaire et oiseuse. A son avis,
Kant et Hegel « n’ont pas à eux tous introduit la moindre vérité sur la terre. Il n’y a que les savants
qui le peuvent ». Raison pour laquelle K. Jasper soutient « Les sciences ont conquis des
connaissances certaines, qui s’imposent à tous : la philosophie elle, malgré l’effort des millénaires
n’y a pas réussi ». La philosophie souffre, en résumé, d’un double handicap sur le plan du savoir et du
pouvoir par rapport à la science.
Malgré leur différence, la philosophie et la science partagent des points de convergence. Toutes
les deux sont inventées par l’homme. Elles tentent d’expliquer le réel et de donner un sens au monde.
Science et philosophe permettent de comprendre et de résoudre les difficultés de la vie. Elles partagent
la dimension rationnelle et critique. A cet égard, dans sa genèse et son évolution, la philosophie reste
liée à la science. Les insuffisances de la philosophie ont fait naître la science et les dérives de cette
dernière rendent la pensée philosophique nécessaire.
C’est pourquoi, selon K. Jaspers dans son Introduction à la philosophie « l’homme ne peut se
passer de la philosophie. Aussi est-elle présente partout et toujours ». En ce sens, malgré leur
différence, elles continuent d’entretenir une relation. Dès lors est-on autorisé à renoncer à la philosophie
suite au succès scientifique ? Que non. En réalité, la philosophie est omniprésente dans l’analyse
scientifique. Il existe une relation dialectique entre elles. Louis Althusser (1918-1990), soutient à ce
titre « pour que la philosophie naisse et renaisse, il faut que les sciences soient ». L’essor de la
science assure, à ce titre, la survie de la philosophie. Autrement dit la science donne à la philosophie de
la matière de réflexion. Le développement inquiétant de la science interpelle, en fait, la philosophie. En
effet, souligne G. Gusdorf « la belle assurance des résultats scientifiques marque des incertitudes
fondamentales ». La philosophie essaye donc de fournir une conscience morale aux scientifiques. C’est
sans doute au nom de cette nécessaire prise en compte du destin de l’humanité que Rabelais (v. 1483-
1553) avertit « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Les victoires de la science ont
aussi entrainé des bouleversements incontrôlés. Dès lors, il faut plaider pour un humanisme scientifique
auquel H. Bergson (1859-1941) et Friedmann (1902-1977) font appel en parlant respectivement de
« supplément d’âme » ou « supplément d’humanité ». Car la science n’a aucun souci axiologique ou
moral, elle n’apporte que des réponses pratiques. André Comte-Sponville affirme à ce propos « la
Biologie ne nous dira jamais comment il faut vivre, ni s’il le faut ». Elle ne fournit pas de direction
ni de directive d’emploi.
Ainsi, l’application des résultats scientifiques draine un lot de méfaits et de dangers qui génère
des questions philosophiques. Herbert Marcuse nous donne la raison « la science elle-même n’a aucune
conscience de ce qu’elle est, elle est un instrument ». Le pouvoir scientifique ne s’appuie pas alors
sur la morale. Sous ce rapport, la philosophie fonctionne comme une police des consciences. Car comme
l’admet Jean Rostand (1894-1977) « la science nous a fait des dieux avant que nous méritions d’être
des hommes ». La philosophie se charge des questions d’ordre moral et éthique nées du développement
scientifique. La nécessité de philosopher résulte, par conséquent, des dérives et des lacunes de la
science. Ce faisant, elle permet en fait de répondre à cette invite de Louis De Broglie « dans l’œuvre
de la science, l’homme a su montrer la force de son intelligence, s’il veut survivre à ses propres
succès, il lui faut maintenant montrer la sagesse de sa volonté ». Il revient dès lors à la philosophie
de dresser des garde-fous ou limites aux savants et techniciens afin de préserver le bonheur et le bien-
être de l’homme. Selon les mots de Claude Bernard « les philosophes communiquent à la pensée
scientifique un mouvement qui la vivifie et l’anobli ».
Atteindre cet objectif rend nécessaire la relation de complémentarité entre la science et la
philosophie. Comme le note G. Gusdorf « la philosophie (peut être) située au-dessus ou à côté de la
science parce qu’elle se soucie des conséquences de l’application des découvertes scientifiques ».
Ainsi, l’homme ne peut se permettre de rejeter la philosophie au profit de la science. Elles peuvent être
associées dans l’activité intellectuelle car la philosophie qui s’intéresse aux valeurs aura pour tâche, à
cet égard, de conscientiser l’homme de science en lui dévoilant le sens et la valeur de son pouvoir. Du
reste, la science ne prend en charge qu’une partie de l’être. La science objective et pratique ne transforme
que la réalité matérielle. Ce serait une faute impardonnable de croire que la science peut résoudre toutes
les inquiétudes de l’homme. Jaspers nous met en garde « si quelqu’un prend les informations des
sciences pour la connaissance de l’être dans sa totalité, c’est qu’il s’abandonne à une superstition
scientifique ». Son savoir est partiel et parcellaire donc limité. La science étant immorale et inhumaine
dans son besoin de progrès justifie la radicale actualité de l’interrogation philosophique. Sous cet
angle « les découvertes les plus extraordinaires en appellent toujours à une instance métaphysique
dans la mesure où elles demandent à être chaque fois reclassées dans l’humain » écrit Gusdorf. En
effet, la philosophie nourrit des questions auxquelles la raison scientifique se révèle impuissante. Elles
relèvent du domaine métaphysique, axiologique et anthropologique.
Chapitre II- LES GRANDES INTERROGATIONS PHILOSOPHIQUES
Introduction
D’après, Gabriel Marcel (1889-1973) dans L’homme Problématique, « des questions portant sur
son origine, sa nature et sa destinée » ont toujours préoccupé l’être humain. Ainsi, l’homme s’est
depuis longtemps soucié de sa création, de son être et de sa finalité. L’angoisse a donc très tôt habité
l’humanité. Ebénézer Njoh Mouelle, philosophe camerounais avait donc raison d’écrire dans Jalons «
la philosophie naît (…) d’une conscience angoissée, (…) des situations troubles ». Cette angoisse
s’est traduite dans la question de Leibniz « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Dès
lors, des questions jaillissent de l’esprit humain pour tenter d’embrasser la réalité. L’intellect est
sollicité. L’interrogation surgit. L’homme est donc sommé de trouver un sens à sa genèse, son existence
et son devenir. C’est dans et par la philosophie qu’il va chercher les réponses.
La philosophie devient la discipline qui tentera de lui fournir les remèdes à sa misère. Pour ce
faire, elle va s’attaquer à la question philosophique par excellence : Qu’est-ce que l’Homme ? Cette
connaissance de soi est fondamentale. Socrate en saisit le sens en s’appropriant le « connais-toi toi-
même » gravé sur le sanctuaire d’Apollon. Selon Kant, cette question majeure résume trois grandes
interrogations : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Aussi, l’être
humain est tenaillé par des interrogations métaphysiques, axiologiques et anthropologiques.

A- L’interrogation métaphysique
La métaphysique est un terme grec né après Aristote. Elle signifie ce qui est au-delà de la
physique d’après son étymologie « méta phusika » ou « ta meta ta physica ». C’est Andronicos de
Rhodes au premier siècle avant J-C qui l’attribue aux livres d’Aristote qui traitent des objets en dehors
de la physique. Elle correspond chez Aristote à la « philosophie première » qui désignait la science de
l’être en tant qu’être ou la science des premiers principes, celle des causes premières. La métaphysique
étudie des objets hors du donné, du senti, du perçu, du concret.
Mais Aristote n’est pas le premier penseur à parler des objets abstraits. Toute la pensée
socratique et platonicienne nous entretient des Idées qui sont hors de l’expérience sensible. La
métaphysique est donc un savoir du méta-sensible. C’est le sens de la définition de Schopenhauer (1788-
1860) « Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant
l’expérience c’est-à-dire les phénomènes donnés » Le monde comme volonté et comme
représentation. Chez Descartes, la métaphysique constitue « les racines » de son projet philosophique.
Elle constitue le fondement de la connaissance philosophique. Mais dans les deux stations, la
métaphysique étudie Dieu, l’Ame, le Moi etc. Elle sort du champ de l’expérience et du contrôlable. C’est
à cet égard que les empiristes récusent les propositions métaphysiques.

D’après la thèse empiriste, la connaissance tout entière provient de l’expérience sensible. A ce


titre, John Locke (1632-1704) puis David Hume (1711-1776) considèrent le raisonnement
métaphysique comme du sophisme. L’expérience, voilà le mot clé de ces philosophes anglais, ils
s’attachent aux faits et rien qu’aux faits, source unique du savoir pour eux. Les vérités métaphysiques
étant expérimentalement incontrôlables, ils les qualifient d’illusion de la raison. Le rejet de la
métaphysique effectué par Auguste Comte (1798-1857) s’appuie sensiblement sur les mêmes bases. Il
fonde sa doctrine sur les faits et l’expérience. Pour le père du positivisme, la connaissance ne peut sortir
du domaine scientifique. Aussi, l’échec de la démarche métaphysique l’autorise à déclarer sa mort. Il
expose sa théorie à travers la « loi des trois états ». D’abord l’état théologique où l’homme recherche
des causes surnaturelles ou divines, ensuite l’état métaphysique par les entités, des concepts abstraits,
enfin l’état positif où il s’attache uniquement à comprendre le mécanisme des phénomènes grâce aux
lois scientifiques. La théologie est l’enfance de l’esprit, la métaphysique son adolescence et l’état positif
constitue l’Âge de sa maturité.

Adepte des Lumières, Kant était convaincu du pouvoir de la raison. Mais le scepticisme humien
le pousse à sortir de son optimisme. Il avoue dans les Prolégomènes à toute métaphysique future qui
voudra se présenter comme science. « Hume m’a fait sortir de mon sommeil dogmatique ». Il remet
alors en cause la prétention de la raison à répondre aux questions du suprasensible. Selon le philosophe
de Königsberg, la raison devient le jouet des illusions lorsqu’elle s’aventure loin de l’expérience et
prétend connaître la chose en soi. Dès lors, il soutient qu’il n’y a de connaissance que des phénomènes,
c’est-à-dire des êtres sensibles et non point des noumènes, objets purement intelligibles. Les penseurs
du Cercle de Vienne, autour de R. Carnap (1891-1970) vont analyser les énoncés métaphysiques. Le
positivisme logique élabore la théorie de la vérifiabilité de la signification. Selon les policiers du
langage, un discours doit reposer sur des faits réels donc vérifiables. Ainsi, on pourrait juger sa valeur.
Mais, les énoncés métaphysiques parlent de réalités abstraites. Dès lors, nous ne pouvons dire qu’ils
sont vrais ou faux. Sous ce rapport l’empirisme logique juge que les propos métaphysiques
sont « dépourvus de sens ». C’est suivant un tel point de vue que les penseurs du Cercle de Vienne
disqualifient toutes les propositions métaphysiques. La science métaphysique est une coque vide pour
eux.

On remarque que la métaphysique subie des attaques par son discours abstrait et ses questions sans
réponses définitives. On lui reproche essentiellement de parler des réalités en soi et non des réalités
physiques. Mais force est de reconnaître que l’homme ne peut s’empêcher d’interroger son existence
sur terre. Il est sans cesse porté vers une quête de sens de la vie. C’est pourquoi Schopenhauer (1788-
1860) définit l’homme comme un « animal métaphysique ». Autrement dit, l’homme est hanté par le
pourquoi de sa création en tant qu’il est être pensant. Il est le seul être capable de poser des questions
métaphysiques. A cet égard, Kant dégage le caractère inévitable de la métaphysique. Elle répond à un
besoin fondamental de la raison. En effet, l’interrogation métaphysique reste attachée à la nature de
l’homme comme une sorte de fatalité à laquelle il est impossible d’échapper. En fait, le questionnement
métaphysique est consubstantiel à la rationalité et en même temps hors de portée de la raison humaine.
Donc, Selon lui, la raison peut poser les réalités intelligibles mais ne peut pas les connaître. La
métaphysique est un savoir indispensable mais incertain. Ainsi, d’après Kant, la raison ne peut produire
des certitudes dans le monde nouménal et doit s’appliquer uniquement dans le domaine spatio-temporel,
celui des phénomènes. Voilà sa conclusion, dans Critique de la raison pure, considérée comme une
révolution dite copernicienne. Face à cette difficulté de connaître dans le monde nouménal, l’homme ne
doit pas baisser les bras. Cela ne constitue pas une raison pour rejeter la métaphysique car pour Kant
cela reviendrait à arrêter sa respiration faute d’air pur. Dès lors, contrairement à Comte qui récuse les
questions métaphysiques, Kant préconise une révolution c’est-à-dire un changement d’orientation. Car
les questions qui naissent dans ce champ sont nécessaires. Ainsi, on ne peut renoncer aux objets de la
métaphysique car ils fondent et donnent sens à notre vie. En ce sens, comme l’écrit Sartre dans Situation
II, la métaphysique devient « un effort pour embrasser du dedans la condition humaine dans sa
totalité ». En d’autres termes, la métaphysique nous permet de cogiter sur notre sort existentiel.
Au demeurant, une analyse des sciences modernes et des discours contemporains, montre en
filigrane des préoccupations métaphysiques. Le souci de l’humanité étend ses tentacules dans tous les
domaines d’expression. La destinée humaine est devenue l’affaire de tous et se manifeste partout. Dans
ce cadre, G. Gusdorf remarque à juste raison dans Traité de métaphysique « loin donc d’affirmer la
déchéance de la métaphysique, il faut bien plutôt souligner qu’elle s’est en un certain sens
universalisée, qu’elle a acquis une sorte de suprématie.» En effet, la réflexion métaphysique permet
de cerner tout le sens de ce désarroi pascalien « Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que
le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses ; je ne sais ce que
c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je
dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus que le reste » Pensées.
Ainsi, les questions d’ordre métaphysique demeureront présentent tant que l’homme sera un être malade
de sa propre finitude. Les attaques contre la métaphysique ne suppriment donc pas les interrogations
métaphysiques, même si l’homme reconnaît qu’il ne peut pas les résoudre.

B- L’interrogation Anthropologique
L’anthropologie vient du grec « anthropos » qui veut dire homme et de « logos » qui signifie
discours ou science. L’anthropologie est donc une science qui a pour objectif d’étudier l’homme. Dans
cet élan, elle est très proche de la philosophie. Toutes les deux s’emploient à connaître l’homme. En fait,
la réflexion sur la nature de l’homme date de l’antiquité. Chez les anciens, l’homme était considéré
comme un élément de la nature. Il était soumis aux mêmes influences atmosphériques à l’instar des
autres êtres. Descartes et certains philosophes modernes développeront une thèse contraire. Selon l’avis
cartésien, l’homme est doublement constitué de corps et d’une âme. Mais l’anthropologie n’envisage
pas l’homme comme un pur être. Pour l’anthropologue, l’homme apparaît comme un être concret soumis
à l’expérience, à l’histoire. Son objet est par conséquent l’homme empirique. Il analyse le rapport de
l’homme au monde. A l’opposite, la philosophie a pour objet l’homme abstrait c’est-à-dire comme une
idée. Il cherche à savoir s’il existe une nature humaine au-delà de nos différences culturelles et si
l’homme occupe une place exceptionnelle au sein de la création

Toutefois, l’anthropologie n’est pas la seule science qui prétend étudier l’homme. Elle partage
ce champ avec d’autres sciences telles la sociologie, l’histoire, la psychologie, l’économie, la
linguistique etc. qui se présentent comme des sciences humaines. Mais par rapport à ces dernières,
l’anthropologie veut se démarquer. Elle se déclare la science par excellence de l’homme. Lévi-
Strauss écrit dans Anthropologie Structurale « Elle vise une connaissance globale de l’homme
embrassant son sujet dans toute son extension historique et géographique aspirant à une
connaissance applicable à l’ensemble du développement humain ». Elle prétend s’occuper de
l’homme dans toutes ses attitudes et à travers le temps. En somme, son souci nous dit Topinard est « de
nous montrer l’homme dans toute sa nudité, de nous livrer le secret de ses actes, de ses passions
et de ses besoins dans le passé ou peut être dans l’avenir ».

Mais, l’homme est un être ambigu. Il peut se présenter sous une infinité d’aspects. C’est un vrai
dissimulateur. Il reste donc un objet inassignable. Sa liberté et sa sensibilité rendent son observation
problématique. Le risque de subjectivité chez le scientifique est grand dans la mesure où le savant et
aussi l’objet de la recherche. Pour rester objectif, l’anthropologie va examiner l’homme sur les plans
physiologique et culturel. Sur le plan physiologique, elle explore les variations biologiques nées de sa
cohabitation avec son milieu ambiant. Du point de vue culturel ou social, elle investit l’homme dans sa
diversité sociale. On y souligne les différences entre les cultures et leur origine. Certains scientifiques
tentent de classer les sociétés en se basant sur des travaux anthropologiques. Ce que récuse Lévi-Strauss
qui réfute les termes de sociétés primitives ou civilisées. Selon lui, il faut plutôt penser à une relativité
des cultures car toutes les cultures sont équivalentes.
C- L’interrogation Axiologique
Du grec « axios » qui signifie valeur et « logos » discours ou étude, l’axiologie est une étude des
valeurs. L’axiologie peut être définie comme l’ensemble des théories portant sur les valeurs humaines.
Celles-ci sont diverses et se retrouvent dans le domaine de la morale, de la politique, du droit, de la
religion, de l’art etc. Elle n’est donc pas la morale mais une réflexion sur ses valeurs et celles d’autres
domaines La philosophie se fait axiologie quand elle revendique la coordination de toutes les valeurs.
La valeur édifie ce qui doit être, ce qui mérite d’être et non pas ce qui est. La valeur est comme un idéal,
une croyance que l’individu ou le groupe aspire à réaliser. Une chose a d’autant plus de valeur qu’on la
désire. La question des valeurs est présente dans toute société ou chez tout individu. La valeur désigne
ce qui est important ou cher, elle est d’abord et avant tout un idéal que l’on tente d’atteindre ou de
réaliser. En tous les cas, c’est un ensemble de principes que la société ou l’homme se donne. Parfois, les
valeurs ont un caractère quasi-sacré au point qu’on est prêt à sacrifier sa vie pour les sauvegarder ou les
réaliser. Lorsque l’axiologie prend en charge, à titre d’exemple les valeurs morales, elle mène une
réflexion critique sur les mœurs et prend le nom d’éthique. Elle analyse les manières d’être et de vivre.
Elle étudie de façon normative la valeur des conduites et tente de prescrire les règles qu’il convient de
respecter. Sous ce chapitre, la philosophie donne des règles de vie. Elle cherche à déterminer la nature
et à établir une hiérarchie entre les valeurs. Elle intervient dans notre processus d’humanisation.
Il s’agit là de la philosophie morale qui prend en charge l’action humaine dans la société. C’est
pourquoi la tradition philosophique a toujours compris la sagesse comme synonyme de vertu qui
s’oppose au vice. Le problème, c’est que chaque doctrine philosophique propose sa propre morale. Par
exemple, les stoïciens comme Epictète, suggèrent à l’homme d’être conscient qu’il y a des choses qui
dépendent de lui et d’autres qui ne dépendent pas de lui. S’il veut parvenir à l’ataraxie, il doit vouloir
les choses comme elles arrivent et non comme il voudrait qu’elles arrivent. Pour Epicure et ses acolytes,
le plaisir est le souverain bien. Mais il considère que l’homme ne doit pas être esclave des plaisirs. Il
doit admettre les plaisirs naturels et nécessaires, tolérer les plaisirs naturels et non nécessaires et fuir les
plaisirs ni naturels ni nécessaires s’il veut atteindre l’apathie.

Descartes, devant le doute dévastateur, s’est prémuni d’une morale provisoire pour bien se
conduire. Dans le Discours de la Méthode, il décline quatre maximes qui résument sa morale par
provision. La plus célèbre reste celle qui préconise de changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde.
Kant défend une morale rationnelle et universelle. Selon lui dans Fondement de la métaphysique des
mœurs. « On doit toujours traiter l’autre comme une fin et jamais comme un moyen. » Cette vision
kantienne a certainement influencé les organismes internationaux qui protègent les droits de l’homme.
Seulement, il faut reconnaître que les concepts de mal et bien sont équivoques. Chaque peuple
entend le bien et le mal à sa manière. Ainsi, les valeurs morales varient d’un pays à un autre. Voltaire le
souligne bien « vérité en deçà des pyrénéens, fausseté au-delà ». Toute valeur est donc socialement
orientée et culturellement marquée. Ce qui pousse le sociologue français Emile Durkheim (1858-1917)
à affirmer « chaque peuple a sa morale qui est déterminée par ses conditions de vie. On ne peut
donc lui en inculquer une autre si élevée qu’elle soit sans la désorganiser » Sociologie et philosophie.
Nietzsche va théoriser le perspectivisme moral. Il propose que chaque homme crée sa propre morale. Il
s’agit pour lui d’éviter d’être un suiviste ou un être de la plèbe. En effet, selon lui, l’archéologie des
valeurs morales montrent que celles-ci émanent du ressentiment des faibles. Sartre abonde dans le même
sens en précisant qu’en matière de morale, c’est comme l’art : on est dans un domaine de création et
d’invention.
Chapitre III- ENJEUX, FINALITES ET PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES.
A / les enjeux
Pourquoi philosopher ? Une question légitime. Pour y répondre, quoi de mieux que de montrer
ce qu’on gagne en philosophant ou risque de perdre en rejetant la philosophie. Voilà le sens des enjeux
de la philosophie. Certes, philosopher, c’est poser des questions, raisonner donc critiquer. Mais elle
n’est pas une activité aussi pernicieuse qu’on le pense. L’activité philosophique nous éloigne entre autre
de l’opinion et du dogmatisme. Une opinion est un avis ou une croyance sans un véritable raisonnement.
Un dogme, par contre, est une vérité établie une fois pour toute souvent imposée par conséquent non
discutable. Le manque de rationalité et de liberté en elles pousse la philosophie à devenir leur farouche
ennemi. En ce sens, l’enjeu majeur de la philosophie, c’est de libérer l’esprit ou la raison de l’homme.
Ainsi, renoncer à la philosophie, c’est d’emblée se résoudre à l’esclavage intellectuel et au mimétisme.
Donc, elle est libératrice car comme l’écrit Descartes dans les principes de la philosophie « c’est
proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans
philosopher ». Ainsi, elle encourage le libre exercice de la raison individuelle

La philosophie, en définitive, autorise l’homme à user légitimement de son autonomie


intellectuelle à travers une pensée rationnelle propre. Elle récuse le prêt-à-penser. C’est en cela qu’elle
est différente de l’idéologie. L’idéologie peut se définir comme un système d’idée, un ensemble de
représentations conscientes ou inconscientes vécues ou/et théoriques propre à un groupe donné. Elle est
déterminée, conditionnée par des intérêts communs servant de référence de validation le plus souvent
de justification non seulement des modes de vie mais aussi des actions. Ainsi envisagée, l’idéologie se
comprend comme un ensemble de concepts et de représentations servant d’expression à une collectivité
donnée.

La philosophie, elle, se veut une démarche rationnelle dans un discours critique et autonome.
Toute tentative philosophique véritable est un effort lucide de se démarquer des traditions, des préjugés,
des savoirs préétablis. Dans la philosophie, la finalité obéit à un besoin de rationalité que l’on pourrait
qualifier de scientifique. Dans l’idéologie, on est dans le domaine des visées pratiques en passant par la
persuasion. C’est dans son sens négatif qu’elle est considérée comme tromperie, illusion, mensonge,
pensée hypocrite.
B/ les finalités
La philosophie n’est pas non plus une pure théorie, une réflexion hors de la réalité. Elle
recherche des vérités intellectuelles mais aussi permet le bonheur terrestre. La philosophie admet alors
des finalités pratiques. A cet égard, Feuerbach souligne « pour philosopher ne sépare pas la
philosophie de l’homme, soit seulement un homme qui pense ; ne pense pas en tant que penseur
c’est-à-dire au sein d’une faculté séparée, isolée mais en penseur impliqué dans la réalité ». Elle
est une quête du vrai en théorie et du bien dans la pratique. En ce sens, elle développe une manière
propre de réfléchir et préconise une cohérence dans les actes de la vie (art de vivre) selon des valeurs
partagées. Sous ce rapport André comte-Sponville indique « que le philosophe pense sa vie et met en
pratique sa pensée ». Elle cherche, sous ce rapport, à assurer une vie paisible à l’homme. En le
protégeant des mensonges et illusions, elle contribue à son bonheur individuel.
C/ les perspectives
De nos jours, au moment où la science permet à l’homme de s’approcher du vœu cartésien à
savoir « être maître et possesseur de la nature » (Discours…), la philosophie semble se réduire à des
élucubrations. D’où la question de son statut actuel et son importance. On interroge le devenir de la
philosophie. Mais, face aux développements de la science avec tous les méfaits qui l’accompagnent, la
réflexion philosophique peut-elle être négligée ? La course au profit et les défis titanesques de l’homme
qui ont fini de menacer l’existence humaine ne commande-t-elle pas la pratique philosophique ? En
effet, aidés par la techno-science, les hommes interviennent dans l’alimentation (OGM), la reproduction
humaine (in vitro) et animale (clonage) etc. Il est donc urgent que la philosophie intervienne pour arrêter
ces débordements. La montée de l’intégrisme surtout religieux, du racisme, du nazisme et du
nationalisme sont autant de questions qui recommandent la pratique philosophique. La philosophie
favorise aussi la tolérance. La réflexion philosophique s’avère donc salutaire actuellement si l’on
considère les développements inquiétants de la science et le réveil de la xénophobie et autres formes
d’intolérance.

Chapitre IV- L’IDEE D’UNE PHILOSOPHIE AFRICAINE

« Weltanschauung » ou vision du monde est une définition possible de la philosophie. La


philosophie désignerait donc une conception du monde. N’y aurait-il pas, par conséquent, une autre
conception du monde différente des grecs ? Autrement dit ne peut-on pas concevoir un miracle autre
que celui grec ? Tel peut se poser légitimement l’idée d’une philosophie africaine. Mais l’existence
d’une philosophie africaine logiquement avancée a fait l’objet de plusieurs controverses. La philosophie
africaine est rejetée par d’aucuns et acceptée par d’autres. La présentation de l’Afrique comme une terre
sauvage n’épargnera pas les habitants de cette partie du monde. Ainsi, les copies des occidentaux
dessinent l’africain comme un sous-homme. Sous ce rapport, on le place dans une incapacité congénitale
de connaitre la philosophie. Sur cette question, nous nous intéresserons d’abord sur les repères
historiques avant d’analyser les positions divergentes.
David HUME (1711-1776) juge que le Noir est un être chez qui la raison n’est pas développée.
Il est ainsi analogue à l’animal, frappé d’un manque d’intelligence caractérisé. Les Nègres sont, par
conséquent, naturellement inférieurs aux blancs pour le philosophe écossais car il souligne « Je suspecte
les Nègres et en général les autres espèces humaines d’être naturellement inférieures à la race
blanche. (…) ; on n’a jamais découvert chez eux le moindre signe d’intelligence.». Ces vues portées
sur l’Africain sont largement partagées par le philosophe allemand Hegel (1779-1831). Selon lui dans
La raison dans l’histoire « l’Afrique est un continent anhistorique... où l’idée n’a pas encore
émergé». En ce sens, pour lui « le Nègre ne peut pas accéder à la rationalité». A cet égard, il est à
peine regardé comme un être humain. L’africain baigne dans « le pays de l’enfance » caractérisé par la
barbarie et la sauvagerie et, est, par conséquent, incapable de soutenir une réflexion conclut Hegel.
Ainsi, décriant le noir, il écrit dans Leçons sur la philosophie de l’histoire « On ne peut rien trouver
dans son caractère qui s’accorde à l’humain ». De même Gobineau (1816-1882) écrivain français
qui décèle un déficit mental chez le nègre dans Essais sur l’inégalité des races à travers ces mots « ses
facultés pensantes sont médiocres ou mêmes nulles». Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939) abonde dans
le même sens en ajoutant que les nègres ont une « mentalité prélogique ». Ce qui, en définitive, donne
des ailes à cette assertion de Heidegger (1889-1976) dans Qu’est-ce que la philosophie? « La
philosophie est grecque ». Pour lui, seuls l’occident et l’Europe sont propres à philosopher. Toutefois,
considérant la remarque cartésienne annoncée déjà au 17ème siècle « Il est bon de savoir quelque chose
des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas
que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule, et contre la raison, ainsi qu’ont coutume de faire
ceux qui n’ont rien vu». Nous pouvons taxer ces penseurs de négligence et de manque de rigueur parce
qu’ils ne connaissent pas l’Afrique. Leur jugement repose donc sur des écrits exogènes, des préjugés.

A cette politique de dénégation répond une ère de réhabilitation qui reclasse le noir dans la
chaîne humaine. Frobenius s’inscrit dans ce cadre et affirme dans Histoire de la civilisation
africaine « L’idée du « nègre barbare » est une invention européenne ». En réalité, elle participe à
cette campagne de dénigrement du noir pour le dominer et le soumettre. Aussi, précise-t-il « Les noirs
étaient civilisés jusqu’à la moelle des os » Ibid. Le père Révérend Placide Tempels, un missionnaire
belge publie dans ce sens La Philosophie Bantoue. Dans son ouvrage, il conclut son étude des mythes
et légendes des Bantous par l’affirmation d’une philosophie. Celle-ci repose essentiellement sur le
postulat que l’être est force. Il écrit « leur philosophie qui oriente leurs actes et leurs abstractions et
tout comportement consciemment humain est conditionnée par leur science de l’être comme
force ». Cela ne manque pas d’imposer aux occidentaux une certaine reconversion de mentalité. Ainsi,
d’autres intellectuels européens vont accueillir le livre de Tempels avec bonheur. Il s’agit, entre autres,
de Gaston Bachelard (1884-1962) philosophe et scientifique français. Lavelle (philosophe Français
1883-1951) Gabriel Marcel (philosophe Français 1889-1973) Masson-Oursel, Jean Wahl (philosophe
Français 1888-1974) et Marcel Griaule, tous favorables à l’idée d’une philosophie bantoue en
particulier, et africaine en général.

Le livre de Tempels va engendrer un véritable débat et controverse sur l’existence avérée d’une
philosophie africaine. Son œuvre sera bien reçue par certains intellectuels africains, en l’occurrence
Alexis Kagamé. Ce dernier, Prêtre, philosophe et africain va confirmer la thèse de Tempels dans son
ouvrage La philosophie bantu-rwandaise de l’être. La force vitale de l’être, dit Kagamé, est la
représentation générale et diffuse qui sous-tend toutes les actions et les pensées des bantous. Parmi les
adeptes de cette tendance, il y a aussi les penseurs sénégalais Assane SYLLA et Alassane NDAW. Dans
son ouvrage intitulé La philosophie morale des wolof, partant du constat selon lequel chaque système
de pensée dispose d’une logique qui fonde l’esprit et les principes de sa démarche, monsieur SYLLA
scrute les profondeurs de la pensée wolof. Les proverbes, les contes de cet espace sont interprétés en
vue de montrer qu’ils contiennent une philosophie proprement élaborée par d’authentiques philosophes
de la tradition wolof comme Kocc Barma FALL, Khali madiakhaté KALA. Le projet de Ndaw consiste
à pousser l’africain à « retrouver dans ses propres systèmes de valeurs, des caractéristiques
culturelles qui semblaient jusqu’à maintenant réservées aux civilisations dites développées».
Mais cette volonté d’affirmer la philosophie africaine à travers l’analyse des données de la
tradition va susciter la critique d’autres africains. En effet, cette démarche sera qualifiée
d’ethnophilosophie et non de philosophie en ce qu’elle repose essentiellement sur les cultures. Les
pionniers de cette critique sont le philosophe camerounais Marcien Towa et le béninois Paulin
Hountondji. Selon Towa, dans Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique
actuelle « déterrer une philosophie, ce n’est pas encore philosopher ». C’est pourquoi, pour lui, la
philosophie débute lorsqu’on consent à mettre la tradition sous le feu de la critique. Il précise « La
philosophie ne commence qu’avec la décision de soumettre l’héritage philosophique et culturelle
à une critique sans complaisance.»Ibid. Il ne suffit pas alors de révéler des conceptions anciennes pour
parler de philosophie, pour Towa. D’après Hountondji, l’oralité constitue un handicap à une philosophie
africaine parce que soutient-il, il ne peut y avoir de philosophie sans écriture. Selon lui, la philosophie
ne doit pas être inconsciente, générale, collective et orale. Avec Towa, ils défendent une philosophie
rationnelle, individuelle et écrite.

Ainsi donc deux tendances s’affrontent chez les africains. Les partisans d’une philosophie
africaine décelée à partir des cultures qualifiée d’ethnophilosophie. Les détracteurs qui soutiennent une
philosophie rigoureuse et critique à l’instar des occidentaux. A ce titre, on parle d’europhilosophes.

Selon Mamoussé Diagne les termes du débat doivent être posés d’une autre manière qui ouvre
de nouvelles perspectives. Il note dans De la philosophie et des philosophes en Afrique Noire « Pour
tout dire, le problème n’est plus […] existe-t-il ou non une philosophie africaine- au sens d’une
philosophie traditionnelle ? Mais : quelle tâche ou ensemble de tâches, identifiables selon des
critères à définir, se propose d’affronter, ici et maintenant, quelqu’un qui entreprend de
philosopher dans et sur les sociétés et les cultures africaines à travers leur expression multiple ?».

CONCLUSION GENERALE

La philosophie se caractérise par sa complexité à être enfermée dans un cadre telle une définition
pouvant faire l’unanimité. On s’en tient toujours à son étymologie pour indiquer ce qu’elle est.
Néanmoins, on peut retenir cette volonté commune à tous les philosophes de fonder une pensée basée
sur la démarche critique afin de discerner les fausses certitudes ou les erreurs de la vérité. C’est pourquoi,
dès son origine, la philosophie a remis en question les discours mythique et religieux et disqualifié
l’opinion commune ou la « Doxa ». La philosophie devient donc une pensée qui scrute l’essence ou la
signification cachée des phénomènes et des événements et pour cela, elle s’interroge sur les réalités
immatérielles ou l’au-delà de la nature, analyse l’essence de l’homme et étudie les valeurs
rationnellement afin d’orienter la pensée et l’action de l’homme pour son propre salut.
La philosophie a donc inauguré une nouvelle façon de voir le monde par laquelle peut résulter
un changement dans la pensée et la pratique. Cela est salutaire si l’on considère les développements
inquiétants de la techno-science, l’intégrisme religieux et d’autres formes d’intolérance.
Le discours philosophique part toujours d’un contexte social, culturel et historique déterminé.
Karl Marx note en ce sens que les philosophes sont les fruits de leur époque. Hegel affirme dans le même
sillage : « Chacun est le fils de son temps, de même aussi la philosophie : elle résume son temps
dans la pensée ». Principes de la philosophie du droit. Les philosophes n’oublient pas cependant que
leur discours s’adresse à l’homme et pour cela doit s’élever pour atteindre l’universel. Nietzsche
considère dans cette optique que « le philosophe qui est l’homme de demain et d’après-demain a
toujours eu pour ennemi l’idéal d’aujourd’hui ».
DOMAINE II : LA VIE SOCIALE

Chapitre I - NATURE ET CULTURE


Introduction
La vie sociale est de l’avis de Karl Marx essentiellement pratique. L’homme doit, en effet, pour
satisfaire ses besoins, transformer concrètement par son travail la nature. Dans cet acte de transformation
de la nature, l’homme va subir lui-même des transformations. C’est le résultat de cette double
transformation qu’on nomme la culture. Ainsi, la culture peut se comprendre comme le résultat de
l’action humaine sur la nature physique mais aussi comme les mutations que l’homme lui-même subi
ou bien ce qu’il ajoute à sa nature animale c’est-à-dire à ses caractères biologiques. La culture est-elle
une spécificité humaine ? Constitue-t-elle le moyen d’humaniser l’homme, de le différencier de l’animal
qui a une nature achevée ? Faut-il opposer la nature et la culture chez l’homme ? L’homme est-il
seulement un être culturel, naturel ou bio-culturel ?
Le fait culturel n’étant pas identique dans toutes les sociétés (diversité culturelle) et entrainant des
différences entre les hommes, cela remet-il en cause l’unité de l’humanité ou au contraire en est-il le
véritable fondement ?

Le travail perçu comme une activité consciente de transformation de la nature est-il une spécificité
humaine ? Est-il un moyen d’humanisation ou également, lorsqu’il est dénaturé, un facteur d’aliénation,
de dépersonnalisation ?

Pour communiquer avec ses semblables dans le cadre de la vie sociale, l’homme utilise le langage qui
est le moyen d’apprentissage et de transmission de toutes les formes culturelles. Faut-il dès lors
considérer le langage comme une spécificité humaine ? Ne faut-il pas distinguer le langage de la langue
et de la parole ? Quel rapport le langage entretient-il avec la pensée ? Quels sont les enjeux de la
communication ?

I- Elucidation conceptuelle : Nature/ Culture.

A : Nature.

La nature peut désigner le milieu physique dont l’homme lui-même est un élément. Ici le mot nature
renvoie au cosmos (univers) c’est-à-dire à tout ce qui entoure l’homme et qui n’est pas son œuvre (du
brin d’herbe à l’étoile). C’est la « phusis » des grecs de l’antiquité. Ainsi, au même titre que les animaux
et les végétaux, l’homme lui-même est un élément de la nature. La nature peut aussi désigner les
caractères biologiques de l’homme, son animalité, ce avec quoi il vient au monde, ce qu’il est avant
toute insertion sociale et qu’on nomme l’inné. C’est en ce sens que l’anthropologue Claude Lévi-
Strauss affirme que la nature « est tout ce qui est en nous par hérédité biologique ». On parle ainsi
de nature humaine pour désigner un ensemble de propriétés immuables c’est-à-dire qui ne varient pas
et qui concernent tout homme quelle que soit sa culture. Le mot nature peut tout simplement renvoyer
à ce qui définit toutes choses, tout être c’est-à-dire l’essence. A titre d’exemple dire que la nature de
l’homme c’est la culture revient à dire que c’est la culture qui le définit en tant qu’être humain.

B : Culture

Elle peut être perçue comme le résultat de la mise en valeur de la nature. Dans ce sens il désigne ce qui
résulte de l’exploitation de l’environnement immédiat de l’homme. La culture peut aussi désigner tout
ce que l’homme ajoute à ses caractères biologiques, donc tout ce qu’il apprend ou reçoit dans le cadre
social par la médiation de l’éducation. La culture désigne ici toute acquisition sociale. L’acquis par
opposition à l’innée désigne tout ce que l’homme crée ou invente en transformant le milieu naturel
physique mais aussi les changements qu’il opère par rapport à sa propre nature animale. La culture,
faut-il le rappeler, peut être perçue comme une réalité relative au sens où chaque société en a une qui
lui est propre. Chaque société a, en effet, sa propre culture c’est-à-dire ses propres valeurs, ses
croyances, ses langues, son système social, ses modes de vie… C’est en sens que Claude Lévi-Strauss
considère que la culture désigne « l’ensemble des habitudes ou des aptitudes apprises par
l’hommes en tant que membre d’une société » Les structures élémentaires de la parenté.
Dans la même ligne de pensée Margaret Mead dans Mœurs et sexualité en Océanie affirme que la
culture désigne « l’ensemble des formes acquises de comportement d’un groupe d’individus unis
par une tradition commune transmise par l’éducation ». La culture se transmet non pas
génétiquement (elle ne relève pas de l’hérédité biologique) mais généalogiquement c’est-à-dire de
génération en génération par biais de l’éducation.

II- Nature animale et culture humaine.


A : Nature animale

L’animal peut être défini comme un être vivant ayant des besoins (manger, boire, excréter, dormir), la
capacité de se mouvoir (se déplacer) et des caractères constants (invariables). En effet, chaque animal
du fait de son appartenance à une espèce déterminée possède des caractéristiques qui sont propre à cette
espèce. Les animaux d’une même espèce ont des caractères biologiques identiques qui les amènent à
se comporter de la même manière face à un stimulus venant du monde extérieur. Ce qui définit et fait
l’animal est reçu par hérédité biologique. En d’autres termes, les caractères de l’animal sont transmis
génétiquement par l’espèce. C’est pourquoi le comportement de l’animal est prévisible dans la mesure
où il n’y a pas de variation comportementale chez les animaux d’une même espèce. Dès lors, on peut
dire que la vie de l’animal est programmée génétiquement ou biologiquement. Il a une nature achevée.
La nature lui fournit également tout ce dont il a besoin pour vivre. Il est tout ce qu’il doit être et a tout
ce qu’il lui faut pour s’adapter et survivre dans son milieu naturel. En outre l’animal agira toute sa vie
instinctivement.
B : L’homme : être culturel
Si la nature pourvoit l’animal de tout ce dont qu’il a besoin pour vivre, l’homme lui doit en revanche
pour se nourrir et se protéger transformer le milieu naturel physique. Cette transformation permet
d’adapter la nature à ses besoins, d’aboutir à la production de biens matériels qui constituent un monde
artificiel, relevant de la culture en tant que création humaine. En même tant qu’il effectue cette
transformation du milieu naturel par son travail, l’homme développe ses facultés rationnelles et
morales. Il crée un univers de valeurs, de savoir et de savoir-faire que les différentes générations
perfectionnent et se transmettent par le biais de l’éducation. Le résultat de cette double négation de la
nature en termes de transformation du milieu physique, naturel et de l’animalité de l’homme constitue
la culture qui se construit donc contre la nature (la culture comme négation de la nature). La culture qui
témoigne de la capacité humaine à créer (la créativité) est une caractéristique distinctive de l’homme
par rapport à l’espèce animale. C’est en ce sens que Claude Lévi-Strauss affirme que « la culture est
la ligne de séparation ou de démarcation entre l’humanité et l’animalité ». En d’autres termes, on
peut considérer que l’homme est le seul animal producteur de culture. Il est important toutefois
d’indiquer que l’homme est aussi lui-même le produit de cette même culture. Nous entendons par là
que c’est la culture qui façonne l’homme, autrement dit, nous nous humanisons par le biais de la culture.
C’est en ce sens que l’humaniste hollandais Erasme de Rotterdam affirme « On ne nait pas homme,
on le devient ». En d’autres termes, l’humanité s’acquiert. L’individu ne saurait s’humaniser en dehors
de ses semblables, en dehors de la société, en dehors de toute culture. Le cas des enfants dits sauvages
Kamala et Amala mais aussi Victor de l’Aveyron montrent que le comportement humain ou l’humanité
doit plus à l’action de l’éducation qu’à l’hérédité biologique. Le psychologue social Lucien Malson
considère en s’appuyant sur ses cas qu’il n’y a pas de nature humaine, que chaque homme est tel qu’il
est fait par sa société, que l’homme à la naissance n’est constitué que de virtualités ou de potentialités.
L’homme n’a pas de nature mais est une histoire dit Malson au sens où c’est la société, l’éducation
qu’il reçoit d’elle qui lui permettra d’actualiser ses virtualités ou ses potentialités. Il n’existe donc pas
selon Malson de nature humaine présociale ou pré-culturelle. L’homme est un produit social et plus
particulièrement le produit de sa société. C’est dans le même sens que Luc Ferry et André Comte-
Sponville considèrent que son « humanitas » réside dans sa liberté et « son essence est de ne point
avoir d’essence ». Autrement dit, c’est du fait de sa liberté que l’homme est un être perfectible, un être
à qui, on ne peut attribuer une nature rigide ou figée. Dans le même ordre d’idée, Karl Marx considère
que l’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu mais elle est l’ensemble de
ses rapports sociaux. Dans une telle perspective, il est donc impossible de parler d’humanité en
l’absence de toute éducation (culture).
III- La critique de l’opposition du naturel et du culturel chez l’homme
Il est impossible de démêler (séparer) ce qu’il y a de naturel et ce qui est culturel chez l’homme.
L’homme dispose naturellement de toutes les potentialités pour développer et recevoir la culture. Il est
le seul animal héritier de culture c’est-à-dire apte à recevoir une éducation. Il est naturellement culturel
dit Claude Lévi-Strauss. Il est biologiquement constitué de potentialités pour développer et recevoir
toute culture. François Jacob affirme en ce sens en parlant de l’homme « il est génétiquement
programmé pour apprendre ». Le jeu des possibles. Dans cette perspective la culture peut être perçue
comme un prolongement de la nature. L’homme ne peut pas être compris uniquement à travers sa
dimension culturelle ou seulement à travers sa dimension naturelle. Pour illustrer cela, l’anthropologue
Claude Lévi-Strauss dans Les structures élémentaires de la parenté, nous donne l’exemple de la
prohibition de l’inceste. Celle-ci est une règle sociale, ce qui marque ou exprime sa dimension
culturelle. Cependant, selon lui, elle est également naturelle du fait de son universalité. Cet exemple
révèle clairement l’impossibilité, selon lui, d’opposer le culturel et le naturel chez l’homme. Il n’y a
pas, en fait, un seul acte humain totalement culturel ou totalement naturel. L’homme, dans le cadre du
travail pour transformer la nature, utilise des éléments naturels à savoir son propre corps (cerveau,
bras…) qu’il n’a pas lui-même crée.
Dans les actes considérés comme biologiques (manger, boire…) nous retrouverons également une
dimension culturelle : la façon de manger, les habitudes alimentaires, les heures des repas et toutes les
croyances qui s’y rattachent.
Maurice Merleau-Ponty considère qu’on ne peut même pas dire qu’il y’a une superposition du culturel
sur le naturel parce que chez l’homme « tout est fabriqué et tout est naturel » La phénoménologie de
la perception. Tout cela conduit à penser que l’homme n’est ni entièrement culturel ni entièrement
naturel mais comme l’affirme Edgar Morin qu’il est « bio-culturel »

IV : La diversité culturelle remet-elle en cause l’unité de l’humanité ? (l’identité générique de


l’homme)

Etude de texte :
La diversité culturelle présente une portée philosophique jusqu’ici fort remarquée ; elle montre, non
pas la division de l’homme, mais bien plutôt son identité générique. L’humanité n’est pas
génétiquement identique malgré la diversité culturelle, mais précisément en raison de la multiplicité
des cultures. La prolifération des cultures, des langues, des systèmes sociaux, des religions atteste la
fécondité de la créativité humaine. Une même population, racialement et biologiquement homogène,
peut créer les formes culturelles les plus disparates, parler de multiples langues, pratiquer de multiples
religions, etc. Inversement, une seule et même culture peut être vécue et développée par des groupes
ou des individus racialement hétérogènes. Une langue d’un peuple Noir peut être parlée par des Blancs
et des Jaunes, une religion d’un peuple blanc peut être pratiquée et développée par des Noirs et Jaunes.
Ce qui montre que les différences raciales sont inessentielles et qu’elles ne déterminent pas les
différences culturelles et ne sauraient dresser des barrières infranchissables entre les cultures. Il s’agit
là d’un phénomène remarquable car, en dehors de l’homme aucune autre espèce, aucune autre race
animale ne saurait adopter le comportement d’un autre en restant biologiquement elle-même. »
Marcien TOWA, Identité et transcendance, pp346-347.

Les sociétés sont différentes du point de vue culturel. En effet, chacune d’elle en fonction de ses
conditions d’existence a élaboré une culture qui lui est propre pour l’adapter à ses besoins. D’où la
diversité des cultures et les différences qu’on peut constater entre les hommes du point de vue des
langues, des croyances, des valeurs, des systèmes sociaux etc. C’est en ce sens, qu’on peut percevoir la
culture comme le mode de vie qui est propre à une société déterminée. Ces différences culturelles
peuvent-elles remettre en cause l’unité du genre humain ?
Selon TOWA la multiplicité des cultures indiquent au contraire ou prouvent l’identité générique de
l’humanité c’est-à-dire l’unité du genre humain en ce sens qu’il témoigne de l’aptitude humaine à créer.
Cette aptitude est mise en œuvre par l’homme à travers ses différentes productions culturelles qui le
différencient des animaux. C’est pourquoi Claude Lévi-Strauss considérait que « La culture est la
ligne de démarcation entre l’homme et l’animal. » C’est bien là, selon TOWA, la signification
philosophique de la diversité culturelle. On ne saurait en déduire la supériorité d’une culture sur d’autres
ou celle d’une race par rapport à d’autres. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’en évaluant autrui à partir
de nos références ou de nos valeurs culturelles, nous pouvons être amené à croire qu’il est barbare ou
sauvage du fait des écarts ou des différences qui existent entre les cultures. Cette tendance
ethnocentriste conduit d’ailleurs souvent à la volonté d’imposer à l’autre notre culture, à la volonté de
l’asservir. Cela peut créer des conflits ou des « chocs de civilisation » d’après l’expression de Samuel
Huntington, entre les sociétés. Contre une telle conception, il faut se dire que la culture n’est rien
d’autre pour chaque société qu’une modalité d’adapter son environnement ou son milieu de vie à ses
besoins. Il n’y a pas de culture inférieure ou supérieure. Les valeurs sociales sont relatives. Claude
Lévi-Strauss nous fait remarquer d’ailleurs : « Aucune société n’est foncièrement bonne mais
aucune n’est absolument mauvaise. Toutes offrent certains avantages à leurs membres ». Tristes
Tropiques.
La diversité culturelle constitue même une richesse pour l’humanité parce qu’elle nous permet de nous
bonifier en nous ouvrant aux influences positives des autres. Saint Exupéry disait en ce sens que « Si
vous m’êtes différents, loin de me léser, vous m’enrichissez. ». C’est dans ce cadre que le poète
président L.S.SENGHOR promeut « une civilisation de l’universel » qui doit être un dialogue des
cultures, un rendez-vous du « donner et du recevoir ». Cette démarche s’oppose à la « civilisation
universelle » qui consiste à ériger une civilisation comme modèle de référence à l’échelle mondiale ou
universelle et à la volonté de l’imposer à toutes les sociétés. Nous ne voulons pas signifier pour autant
qu’au nom de la relativité culturelle, tous les comportements sont admissibles. Nous devons combattre
les comportements ou les pratiques qui ne militent pas en faveur du respect de l’humanité elle-même.
C’est dans cette perspective que travaillent les organisations internationales en charge de la protection
des droits de l’homme.

V- Rapport entre travail, langage et culture.

A1 : Travail : humanisation ou aliénation ?

L’homme pour se nourrir, s’habiller, se protéger est obligé à la différence de l’animal de cultiver la
terre, d’élever des animaux, de fabriquer des outils. Par le biais de son travail, il transforme ainsi le
milieu naturel pour produire des objets, c’est-à-dire les biens matériels dont il a besoin. En même tant
qu’il le fait, c’est-à-dire en travaillant, il développe non seulement son corps c’est-à-dire ses
potentialités physiques mais aussi ses facultés rationnelles et morales. En effet, le travail est aussi une
activité productrice de règles et de valeurs. C’est pourquoi Georges Bataille dans l’Erotisme considère
que l’homme tout en travaillant s’éduque. C’est l’éducation qui est concomitante (qui se déroule en
même temps) au travail qui éveille la moralité de l’homme. C’est du fait de sa rationalité et de sa
moralité que l’homme refuse de se comporter comme les autres animaux en donnant libre cours à ses
instincts (son animalité). Ainsi, nous pouvons considérer que le travail ne produit pas seulement l’objet
c’est-à-dire le bien matériel mais également l’homme. En d’autres termes, il humanise aussi l’individu.
C’est pourquoi Karl Marx dans L’idéologie allemande considère que le travail constitue « l’essence de
l’homme ». On peut, dit-il, différencier les hommes des animaux par plusieurs traits ou caractéristiques,
par la religion, la conscience, etc. mais « ils commencent eux-mêmes à se distinguer des animaux,
dès lors qu’ils commencent à produire leurs moyens de subsistance ou d’existence » c’est-à-dire
dès qu’ils commencent à travailler. Le travail pourrait aussi être perçu comme une spécificité humaine.
D’ailleurs l’activité animale ne dépasse pas le cadre stricte de la biologie. En effet, aussi belle que sont
la ruche des abeilles et leur organisation sociale, malgré toute la splendeur de la toile de l’araignée,
celles-ci sont produites à l’identique, parce qu’étant liées à l’instinct. Selon Marx l’architecte, à la
différence de l’abeille, construit ses maisons ou ses cellules dans son esprit avant de les bâtir dans la
matière. Autrement dit, il y a une planification, une réflexion qui précède la mise en œuvre. Si le travail
est perçu comme une spécificité humaine, c’est donc parce que c’est une activité consciente, une
manifestation de l’esprit qui s’accompagne de créations de valeurs, de principes, d’interdits c’est-à-dire
d’éducation. C’est en ce sens que Georges Bataille affirme dans l’Erotisme : « En tant qu’il y a
homme, il y a d’une part travail et de l’autre négation par interdits de l’animalité de l’homme.».

Le travail est d’abord selon Kant une obligation de l’homme vis-à-vis de lui-même parce que c’est le
moyen qui lui permet de satisfaire ses besoins. Il faut comprendre qu’il l’est également vis-à-vis de la
société parce que chacun de nous bénéficie du travail de ses contemporains, de celui des générations
passées et qu’il se doit de rendre la monnaie. L’homme, en travaillant, n’est plus oisif parce qu’il a une
occupation. Du fait de cette occupation, il ne va plus s’ennuyer et ne s’adonnera plus à des vices parce
que le travail requiert une somme d’énergie physique et psychique importante.
E. Kant considère que même si tous ses besoins étaient satisfaits, l’homme continuerait encore à
travailler parce qu’il a besoin d’occupation pour s’oublier.
Le travail a également une fonction libératrice. Hegel l’a théorisé à travers sa dialectique du maître et
de l’esclave. Il ne faut pas toutefois oublier que le travail est une activité pénible, contraignante. Et
c’est pourquoi dit Rousseau, l’homme qui est naturellement paresseux n’aime pas travailler. C’est la
pénurie naturelle et l’accroissement de ses besoins qui ont conduit l’homme à le faire. D’ailleurs
l’origine du mot « tripalium » désigne un instrument de torture. D’où l’idée de souffrance, d’activité
pénible, de contrainte qu’évoque le travail. L’approche religieuse fait du travail une punition que Dieu
fait subir à l’homme qui a osé lui désobéir. De ce point de vue, le travail serait lié au péché originel.
Marx nous fait remarquer que le travail peut être dénaturant et conduire à l’aliénation du travailleur.
Telle est la situation de l’ouvrier dans les sociétés capitalistes. L’aliénation exprime la dépendance de
l’ouvrier vis-à-vis de son travail qui entraine une perte de soi, une dépossession. L’ouvrier est traité par
le patron capitaliste comme une vulgaire marchandise ayant un prix. C’est justement la différence entre
la valeur marchande du travail de l’ouvrier et la valeur réelle que produit son travail (la plus-value) qui
enrichit continuellement le patron capitaliste. Nous remarquons de même qu’il y a une déshumanisation
ou une dépersonnalisation de l’ouvrier transformé en automate dans le cadre de la taylorisation.
L’ouvrier qui répète les mêmes actes n’a plus l’opportunité d’user de son intelligence. En outre, la
dimension sociale du travail a entrainé l’existence de classes sociales admettant des inégalités.
L’analyse marxiste du travail doit cependant être tempérée parce que les luttes syndicales ont permis
d’améliorer sensiblement les conditions de travail des ouvriers. Dans ce cadre, par exemple, la journée
normale de travail ne doit pas excéder huit heures (8h). Cela permet aux ouvriers d’avoir un temps de
repos qu’ils pourront consacrer à des loisirs c’est-à-dire à des activités de divertissement qui sont moins
contraignantes que le travail. Ces activités de loisirs leur permettent de se rééquilibrer physiquement,
psychologiquement et moralement afin de donner de meilleurs rendements au travail. Le loisir n’a
cependant de sens qu’après le travail parce que trop de loisirs produit l’effet inverse en rendant l’homme
de nouveau dépendant.

A2 : Langage et culture

Etude de texte :
Le problème des rapports entre langage et culture est un des plus compliqués qui soient. On peut
d’abord traiter le langage comme produit de la culture : une langue en usage dans une société reflète la
culture générale de la population. Mais en un autre sens, le langage est une partie de la culture, il
constitue un des éléments parmi d’autres. Rappelons-nous la définition célèbre de Taylor, pour qui, la
culture est un ensemble complexe comprenant l’outillage les institutions, les croyances, les coutumes et
aussi bien entendu la langue. Selon le point de vue auquel on se place, les problèmes posés ne sont pas
les mêmes.
Mais ce n’est pas tout. On peut aussi traiter le langage comme condition de la culture, et à un double
titre : diachronique, puisque que c’est surtout au moyen du langage que l’individu acquiert la culture
de son groupe ; on instruit, on éduque l’enfant par la parole ; on le gronde, on le flatte par des mots. En
se plaçant à un point de vue plus théorique, le langage apparait aussi comme condition de la culture,
dans la mesure où cette dernière possède une architecture similaire à celle du langage. L’une et l’autre
s’édifient au moyen d’oppositions et de corrélations, autrement dit, de relations logiques. Si bien qu’on
peut considérer le langage comme une fondation destinée à recevoir les structures les plus complexes
parfois, mais du même type que les siennes, qui correspondent à la culture envisagée sous différents
aspects.
Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, p78, 1958.
Diachronique : selon l’évolution des faits linguistiques dans le temps.
Edward Burnet Taylor, ethnologue anglais (1832-1917)

Le langage joue un rôle déterminant dans le processus de socialisation ou d’humanisation. En effet,


c’est le moyen qui permet d’apprendre et de transmettre tous les éléments culturels. C’est en ce sens
que Lévi-Strauss affirme : « On instruit, on éduque l’enfant par la parole ; on le gronde, on le flatte
par les mots » c’est-à-dire avec le langage. C’est pour cela que Lévi-Strauss considère non seulement
que le langage est produit et partie de la culture, mais qu’il en est même l’élément le plus essentiel
parce qu’étant sa condition. Pour apprendre l’art, le droit, la morale et même les règles de la cuisine, il
faut passer par le langage et les élaborer comme des codes sur modèle de la communication linguistique.
S’il en est ainsi, c’est parce que la culture a une architecture semblable à celle du langage. En effet,
comme le dit Lévi-Strauss : « L’une et l’autre s’édifient au moyen d’oppositions et de corrélations,
autrement dit de relations logiques ». C’est pour toutes ces raisons que Lévi-Strauss considère en
définitive que le langage est le fondement de la culture sous ses différents aspects.
Considérer le langage comme culturel, c’est en faire une spécificité humaine parce que, est culturel ce
qui est créé par l’homme. Pourtant le langage pourrait désigner au sens large un ensemble de signes
permettant de communiquer. C’est en ce sens qu’on peut parler de langage gestuel, artistique, de
langage des fleurs et même de langage animal. Parce que les animaux, à l’image des abeilles, comme
l’a montré Karl Von Frisch dans Vie et mœurs des abeilles, arrivent à communiquer. Cependant, selon
le linguiste français Benveniste, dans Problème de linguistique générale, la danse des abeilles et toutes
les autres formes de communication animale qui sont instinctives et répétitives constituent un « code
de signaux ». En effet, elles ignorent, dit-il, le dialogue. Ces formes de communications sont liées à
l’expression des besoins ou d’un danger et ne dépassent donc pas le cadre de la biologie.
Chez l’homme, en revanche, le langage se réalise dans une langue déterminée qui est apprise et est
inséparable d’une culture donnée qu’elle permet de véhiculer. La langue est un système de signe articulé
(parlé ou écrit), artificiel et conventionnel par l’intermédiaire duquel les membres d’une société
apprennent et se transmettent leur culture. C’est l’acte par lequel un sujet réalise une langue déterminée
qu’on nomme parler.
La parole est intrinsèquement liée à la pensée selon Descartes. Parler c’est articuler un nombre limité
d’unités de sons (phonèmes) et de sens (monèmes) pour former une infinité d’énoncés permettant de
véhiculer ou d’exprimer ses idées. C’est ce qu’André Martinet appelle « la double articulation du
langage humain ». Seul un individu doté de raison en est capable aux yeux de Descartes.
En ce qui concerne la relation que le langage entretient avec la pensée, deux positions se déclinent.
L’une considère que l’homme pense d’abord et c’est dans un second temps qu’il cherche des mots pour
exprimer ses idées. Cette approche s’appuie sur le fait qu’il nous arrive de ne pas trouver les mots justes
pour exprimer les idées que nous pensons. Les mots que nous utilisons peuvent ne pas correspondre
aux pensées que nous voulions exprimer (exemple les cas des malentendus). D’où l’idée que le langage
trahit souvent la pensée.
L’autre approche considère que le langage a également une fonction d’élaboration de la pensée. C’est
pourquoi Hegel faisant référence à l’expérience du médecin Franz Mesmer déclare : « Vouloir penser
sans les mots, c’est une tentative insensée, […] l’intelligence en se remplissant de mots, se remplit
aussi de la nature des choses ». Cette perspective est aussi développée par Platon qui considère que
« penser c’est s’entretenir avec soi-même.». Autrement dit, penser c’est se parler à soi-même. Dans
une telle perspective, on peut considérer que le langage et la pensée sont indissociables. C’est pourquoi
Ferdinand De Saussure considère qu’ils sont comme le « recto et le verso » d’une feuille de papier. Il
faut noter, cependant, comme l’indique Georges Mounin dans Clefs pour la linguistique que la
communication est la fonction première et essentielle du langage. Il en admet d’autres : la fonction
émotive ou expressive qui permet à l’homme à travers le langage, d’exprimer ce qu’il ressent ; la
fonction conative qui permet de susciter chez l’autre des sentiments ou des réactions. Cette fonction
montre le pouvoir que les mots peuvent avoir, en ce qu’ils nous permettent d’agir sur autrui ; la fonction
esthétique qui permet de produire des œuvres de beauté (poésie) ; la fonction pédagogique ou éducative
lorsqu’on se sert du langage pour transmettre des connaissances ou des valeurs etc.
Toutes ses fonctions nous permettent de comprendre que la communication admet des enjeux. On
entend par là, ce que l’auteur qui communique cherche à gagner dans la situation de communication.
L’enjeu peut être informatif c’est-à-dire transmettre une information, identitaire c’est-à-dire exprimer
son identité, l’enjeu peut être d’influencer l’autre en agissant sur lui pour changer ses idées ou ses
comportements, l’enjeu peut être relationnel c’est-à-dire créer ou consolider une relation, etc.

Conclusion
Il convient de retenir que c’est par le biais de la culture c’est-à-dire de l’éducation que nous recevons
de nos semblables que nous nous humanisons. Cependant, l’homme n’est pas uniquement un être
culturel. Il existe en lui des dispositions naturelles qui le rendent apte à produire c’est-à-dire à créer et
à recevoir la culture sous ses différents aspects. Ces prédispositions rendent possible sa perfectibilité
c’est-à-dire sa capacité à se transformer et à s’adapter à toute culture. La preuve en est donnée par la
multiplicité des cultures qui, en dépit de leurs différences, constituent la marque de l’unité de
l’humanité en tant qu’elles représentent la puissance de la créativité de l’homme. Cette créativité
apparait à travers le travail qui n’est pas seulement un moyen de satisfaire des besoins mais aussi un
moyen d’humanisation, de libération qui, lorsqu’il est dénaturé, peut l’aliéner. Le moyen d’apprendre
et de transmettre tous ces éléments culturels demeure la langue qui, en tant que création et expression
de la pensée, constitue une spécificité humaine. Chez l’homme, le langage s’effectue par la médiation
d’une langue qui dit, exprime et élabore en même temps la pensée et jouant une multitude de fonctions
admettant des enjeux.

Chapitre II - INDIVIDU ET SOCIETE

Introduction
La société et l'individu entretiennent des relations complexes. L'homme, comme individu, est
un être qui veut toujours vivre sa liberté et ses désirs, alors que la société suppose des normes sur
lesquelles se règle toute action. Mais à quoi renvoie la notion d'individu ? Si au sein de la société,
l'individu social ou la personne est obligé de respecter un certain nombre de règles, alors que signifient
les notions de personne, de norme et de société ? Quels sont les fondements de la société ? Relève-t- elle
de la nature ou de la convention ? Étant donné que toute société fonctionne selon des normes qui
définissent le permis et l'interdit alors qu'adviendrait-il à celui qui les respecte et à celui qui les viole ?
Quelles incidences le conformisme ou l’anticonformisme ont-ils sur la stabilité et le progrès de la
société ? La déviance s’exprime-t-elle seulement sur un registre négatif pour la société ?

I- Élucidation conceptuelle : Individu, personne, société et norme sociale.

L'individu peut se comprendre comme l'unité élémentaire dans un ensemble (par exemple l'individu du
troupeau ou d'un ensemble d'objets). Par définition, l'individu vient du latin « individuum » qui signifie
ce qui est indivisible, il renvoie aussi à l'anonymat, à l'absence d'identité, de personnalité. L'individu a
donc un sens biologique et peut désigner aussi bien l'homme que l'animal ou la plante. Mais lorsqu’il se
rapporte à l’homme, il le désigne essentiellement en tant que sujet particulier et singulier. C'est un être
indivisible et inséparable, isolé dans son individualité stricte. C'est pourquoi, pour espérer vivre en
société, chaque homme doit dépasser ce statut d'individu en se socialisant. Autrement dit, il doit porter
le masque social, du latin « persona », qui veut dire personne. En effet, la personne est appelée à ravaler
une partie de ses instincts et pulsions pour jouer le rôle d'un personnage ou d'un agent social raisonnable.
La personne désigne donc l’individu socialisé, l’acteur social qui joue le rôle dévolu à son statut dans la
société. Le concept tient compte des effets de la socialisation sur l’individu à savoir le développement
des facultés rationnelles, morales et par suite de la responsabilité. C’est en ce sens que Kant dit dans
Fondement de la métaphysique des mœurs : « la personne est ce sujet dont les actions sont
susceptibles d’imputation »
La société dérive du latin « societas » qui veut dire compagnon. Elle suppose des rapports déterminants
et des services réciproques. Autrement dit, elle est loin d'être un simple regroupement d'individus. C'est
un groupe organisé de personnes vivant en relation intersubjective selon des règles, des lois et des
normes. La norme est une formule abstraite de ce qui doit être. Elle renvoie aussi à un jugement de
valeur. C'est à partir d'elle qu'on évalue les comportements des individus au sein de la société.

II- Fondement du lien social : nature ou convention ?

Dans l’établissement du rapport d’antériorité entre l’individu et la société, Aristote part de l’analyse du
tout et de la partie. Il dit que « le tout existe avant la partie », c’est-à-dire que la société existe avant
l’individu. Pour lui, la société est naturelle et l’homme ne peut vivre que dans la société. Un individu
qui peut vivre en dehors de celle-ci est, selon lui, « soit une bête brute ou un dieu ». Il définit l'homme
comme un « animal politique ». Son acheminement vers la société n'est rien d'autre que l'aboutissement
d'une prédisposition naturelle. Nous sommes faits pour vivre en société. Selon Aristote « toute cité est
un fait de nature ». La société viendrait de deux instincts : l'instinct de procréation ou reproduction et
l'instinct de conservation. La genèse de la société chez lui, va, de proche en proche, de l'individu à la
famille, de la famille au village, du village à la Cité. Marx abonde dans le même sens : « l'homme est
un animal qui ne peut s'isoler que dans la société » Contribution à la critique de l'économie politique.
C'est ce que semble nous dire Montaigne en ces termes : « il n'est rien à quoi il semble que nature
nous ait plus acheminé qu'à la société ».
Toutefois, cette idée d'une sociabilité naturelle en l'homme ne fait pas l'unanimité chez tous les
philosophes. En effet, chez Hobbes, l'homme n'a pas toujours vécu en société. Ce dernier, sauvage par
nature, ne connait que l'instinct de conservation et s'avère égoïste. Ainsi pour lui, l'état de nature qui
préexiste à la société est décrit comme un état de guerre de tous contre tous. A ce stade, « l'homme est
un loup pour l'homme ». Il faut le contenir pour sortir de cet état d'insécurité et de crainte où chacun
peut prétendre à tout mais aussi s’attendre à tout. Ainsi, la conservation de tous et de chacun, revient à
considérer la paix comme le plus grand bien. Pour y accéder, il s'agit de renoncer à tous les droits
individuels au profit du Léviathan, un seul homme ou une seule assemblée, à qui il revient d'instaurer la
paix. D'où la naissance de la société. Cette dernière est ainsi le fruit d'un pacte défini comme : « si
chacun disait à chacun : j'autorise cet homme ou cette assemblée et je lui abandonne mon droit
de me gouverner moi-même [...] ».
Rousseau par contre, partant de la bonté naturelle de l'homme pose dans Discours sur l'origine et les
fondements de l'inégalité parmi les hommes que l'homme à l'état naturel était oisif, indépendant et
solitaire. Il vivait dans la paix et n'avait que les qualités suivantes : le souci de conservation de soi et la
pitié. Mais puisque le caractère le plus essentiel en lui est la perfectibilité qui, au contact des difficultés
extérieures de plus en plus grandes que lui imposait la nature devenue marâtre et ne pouvant plus garantir
l'équilibre, amène les hommes à considérer qu'à certaines occasions, il était utile de se mêler à d'autres.
Alors, « il s'unissait avec eux en troupeau, ou tout au plus par quelque sorte d'association libre
qui n'obligeait personne, et qui ne durait qu'autant que le besoin passager qui l'avait formé ».
Mais plus s'alourdissait les peines plus s'imposait l'institution d'une situation pérenne de vie en commun.
Ils se regroupent d'abord sous forme de famille et commence à penser à la provision. D'où l'apparition
de la propriété que Rousseau considère comme le fondement de la société. Il écrit : « Le premier qui
ayant enclos un terrain et s'avisa de dire que ceci est à moi, et trouva des gens assez simple pour
le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. ». En effet, la propriété a pour corollaire les
usurpations et les brigandages qui entrainent à leur tour un état de guerre. D'où la nécessité d'en sortir et
de se soumettre à la volonté générale stipulant que : « chacun de nous met en commun sa personne
et sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque
membre comme partie indivisible du tout ».
Alain de son côté se trouve à mi-chemin entre ces deux thèses. Pour lui, la société est un « état de
solidarité en partie naturelle, en partie voulue, avec un groupe de nos semblables ». Naturelle parce
que résultant d'une nécessité inhérente à la nature de l'individu, et voulue parce que relevant de la volonté
des individus. Il soutient que « la véritable société est fondée sur la famille, sur l'amitié et sur les
extensions de la famille ». Ainsi, elle se fonde sur la famille qui est le fait du non-choisi, du subi, du
hasard ou de l'imposé, mais aussi elle s'exprime par le choisi, la confirmation ou l'amitié.

III- Les réactions à la socialisation

Toute société édifie des sanctions positives ou négatives par rapport à son fonctionnement.
Celles-ci fonctionnent généralement de manière répressive pour amener ses membres à se conformer
aux normes sociales. Cela est nécessaire, car nous dit Kant, l'homme est écartelé entre deux penchants
qu'il nomme « l'insociable sociabilité ». Autrement dit, l'homme est mu par un penchant qui le pousse
à s'associer avec ses semblables parce qu'il ne peut se passer d'eux, mais de la même manière, il a un
grand penchant à se détacher d'eux voulant « seul tout organiser selon son humeur ». Parce
qu'insociable, il a tendance à vouloir utiliser ses semblables comme de simples moyens. Cependant,
puisque ce sentiment réside en tout homme, alors la résistance devient universelle. D'où le rapport
conflictuel entre l'individu et la société. Freud parle, à cet effet, d’un conflit entre le « principe de
réalité » et le « principe de plaisir ». Il soutient à cet égard : « la civilisation est fondée sur le
refoulement et le bonheur n’est pas une valeur de civilisation » Le malaise dans la civilisation. En
d’autres termes, la société ne permet pas la réalisation entière des désirs en son sein. D’où la question
de Marcuse se demandant : comment l’homme peut-il supporter tous ses refoulements sans exploser ?
En réalité, le processus de socialisation fondé sur la victoire relative du « principe de réalité » sur le
« principe de plaisir » pose parfois des problèmes. En s’opposant à la satisfaction des pulsions, des
désirs par le biais de la contrainte morale, des tabous, des interdits, la société peut engendrer des
réactions de dissidence. Ce qui pose à l’intérieur du champ social le problème des rapports entre le
normal et l’anormal.
Le normal et l’anormal constituent des catégories axiologiques qui sont liées à l’histoire. Ils se
modifient à travers le temps en fonction des mutations qui affectent les mentalités et les valeurs sociales.
D’ailleurs, toutes les sociétés ne leur assignent pas le même contenu, d’où leur relativité. Le normal et
l’anormal varient donc dans le temps et dans l’espace et ne deviennent signifiants que s’ils sont rapportés
à un contexte socio-culturel déterminé à un moment donné de l’histoire d'un peuple.

A- la normalité ou les réactions conformistes.


Le normal dans son acception minimale désigne la conformité des comportements de l’individu
aux valeurs et aux modèles qui sont pratiqués à l’intérieur d’une société. A la différence d’une loi
juridique, la norme et le modèle social ne revêtent pas un caractère d’obligation absolue. La norme et le
modèle définissent seulement un type idéal de comportement et tolèrent en même temps des variances
par rapport au modèle dominant. Le respect de la norme fournit à l'individu un statut qui lui permet de
jouer un rôle social bien déterminé. La société a besoin, pour son équilibre et son fonctionnement, des
normes qui délimitent ce qui est permis, admis et voulu par la société. Ainsi, nous n’avons le droit de
faire que ce que la société nous autorise à faire ; ce qui est conforme aux normes sociales. C’est par biais
de l’éducation que la société inculque ses normes et ses valeurs à ses membres, c’est-à-dire les socialise.
Parmi les agents de la socialisation, nous pouvons citer entre autres la famille, l’école, les médias etc.
Le conformisme est un signe de respect de soi-même. C'est pour cela que la provocation socratique du
Gorgias, selon laquelle « s'il était nécessaire soit de commettre l'injustice soit de la subir, je
choisirais de la subir plutôt que de la commettre » repose sur l'idée que rien ne justifie les actes de
violence sociale.
La norme et le modèle social définissent un type idéal de comportement mais en même temps
tolère une variance par rapport au modèle dominant. Cela veut dire qu’il y a une élasticité de la norme.
Cependant, il y a toujours un seuil au-delà duquel le comportement est qualifié d’anormal et son auteur
s’expose alors à des sanctions négatives c’est-à-dire à des punitions.

B- l'anormalité ou les réactions anticonformistes.


L’anormal désigne toutes les pratiques existentielles dissidentes ou déviantes en rapport aux
normes sociales. L’anormalité désigne ce qui est contraire à l’ordre culturel officiel. Elle est la marque
du déviant. La déviance ou déviation sociale vient du latin « déviasse » qui signifie sortir de la voie.
Dévier signifie chez un individu ou un groupe le fait de ne pas respecter les valeurs sociales. Ce
comportement suscite la désapprobation de l’entourage qui considère l’acte comme une menace à
l’équilibre social.
La déviance peut être à l’origine de changements dans le cadre social parce qu'elle peut être
porteuse d’un programme de vie, d’un projet social alternatif. Chez certains artistes, elle est souvent à
la base de certaines innovations au plan musical, chorégraphique, vestimentaire. Il y a aussi la déviance
des personnages symboliques tels les prophètes, les saints, les révolutionnaires qui est aussi source de
nouvelles tendances. Cependant, les idées novatrices, présentes dans le discours de ces personnages, ne
s’imposent pas facilement. En cas d’échec lié à une forte cohésion du groupe social, le déviant est alors
ignoré ou rejeté. Il est alors marginalisé c’est-à-dire mis en marge de la société. On dit ainsi que c’est
un marginal. Ce mot vient du latin « marginis » qui renvoie à celui qui se situe à coté, au bord. Si le
conformiste est au centre, le marginal est celui qui préfère se placer à la périphérie. Le marginal épouse
d’autres références que celles proposées par la société. Dans tous les cas, la marginalité est toujours le
signe d’une inadaptation sociale qui toutefois ne remet pas en cause la norme dominante contrairement
à la déviance. Ainsi, le marginal est passif alors que le déviant est actif face au mode de vie.

IV- Les conduites pathologiques

L’anormalité peut aussi s’exprimer à travers les comportements pathologiques ou maladifs qu’on
nomme la folie. Le fou est capturé par la raison psychiatrique investie de l’autorité de la raison sociale.
C’est un être coupé de la réalité qui vit dans un monde imaginaire dans lequel il se fait roi. Pour
l’imagerie populaire le fou c’est l’insensé, celui qui a perdu la raison. La folie tire son origine du latin
« follis » qui veut dire ballon et signifie toute espèce de trouble mental sur fond de déraison ou de
démesure. D’après M. Foucault « La folie, c’est ramasser en un point le tout de la déraison » Histoire
de la folie à l’âge classique. Mais du point de vue de la psychanalyse, le fou est seulement un incompris
de sa société. Pour elle, la folie est porteuse de sens qu’on peut comprendre afin d’aider celui qui en est
atteint à guérir et à se réintégrer dans le tissu social.
La folie commence par une indexation des attitudes d’un individu jugées bizarres, ensuite on les
invalide avec l’aval de la société. En d’autres termes, c’est la société qui décrète la folie d’un de ses
membres. La folie apparaît toujours comme une rupture de communication entre l’individu et son groupe
social. En ce sens, le fou est en déphasage avec les règles établies. La folie décrit une situation dans
laquelle les actes et les paroles d’une personne sont disqualifiés par ses semblables. Selon Rolland
Jaccard dans La Folie : « la société définit les normes de pensées et de comportements, c’est elle
aussi qui détermine les modes d’expression de la folie et par conséquent ses limites. Chaque société
a ses propres modèles de déviances ; on est toujours fou par rapport à une société déterminée ».
Cela veut dire que certains comportements jugés pathologiques dans une aire culturelle donnée peuvent
être admis ailleurs et inversement. C'est pourquoi le psychiatre est là pour constater la maladie mentale
ou la folie.
Cette maladie s’exprime sous deux aspects. D'abord la névrose, qui est une maladie mentale
entrainant des troubles permanents de la personnalité. Le névrosé est essentiellement caractérisé par une
modification de l'humeur et un comportement social inadapté. Cette maladie se manifeste par des
troubles anxieux, des troubles phobiques, des troubles obsessionnels compulsifs (T.O.C.) et enfin par
des syndromes de stress post-traumatiques. Ensuite la psychose qui se définit comme une maladie se
manifestant par des troubles dans lesquels le malade perd le contact avec la réalité durant les phases
actives de la maladie. Ainsi, il construit une réalité particulière pour lui-même, différente par rapport
aux autres personnes.
La schizophrénie, par exemple, se manifeste par des hallucinations (visuelles, olfactives,
tactiles...), des délires, la désorganisation (une salade de mots). Au centre de la psychose, il y a une sorte
de perte de la liberté. C'est comme si le mental du sujet est pris en assaut, en otage par les perceptions
aberrantes dues à la maladie. Du coup, la personne atteinte perd la flexibilité, la capacité de s'adapter, la
capacité de voir les choses sous un autre angle. Cependant, les fous n'ont-il pas le droit d'exiger de la
société des commodités ?
La folie constitue le meilleur garant de la norme sociale car elle représente une sorte de référence
entre le normal et l'anormal. De ce fait personne ne veut devenir fou. En plus la folie, à bien des égards,
peut même constituer une valeur. En effet, chez Érasme nous voyons qu'elle représente le « sel de la
vie ». Dans Éloge de la folie, il fait parler la folie en ces termes : « je ne simule pas sur le visage ce
que je ne ressens pas dans mon cœur. Partout je ressemble à ce que je suis ». Pour lui, seul les fous
sont francs et véridiques, les sages par contre ont deux langues l'une pour dire la vérité, l'autre pour dire
ce qui est opportun. De la même bouche, ils savent souffler le froid et le chaud.

Conclusion
L’être humain vit dans le cadre social, milieu dans lequel il parvient à satisfaire ses besoins et à
se réaliser par la médiation de l’éducation qu’il reçoit de ses semblables. Le respect des normes sociales
permet aux membres d’une société de vivre dans l’harmonie et à cette dernière de se pérenniser.
Cependant, dans la société, les individus n’absorbent pas passivement les normes. Etres de raison et
capables de choisir, ils sont difficiles à canaliser et à orienter dans une même direction. C’est pourquoi
il existe des déviants dans la société. Toutefois, toutes les déviances ne sont pas négatives en ce sens
que certaines, dites positives, peuvent amener la majorité conformiste à changer de mentalité et à évoluer
vers de nouvelles normes qui tiendront mieux compte des nouvelles aspirations des membres de la
société.
Chapitre III - CONSCIENCE ET INCONSCIENT

INTRODUCTION
L’histoire de l’individu révèle comme première découverte la conscience c’est-à-dire l’expérience
de soi-même et celle du monde. La conscience est le savoir, immédiat ou réfléchi, que l’homme a de
lui-même et qui fait de lui, à la différence des autres êtres un sujet capable de dire « Je ». Autrement dit,
elle marque la connaissance que l’individu a de son être comme sujet pensant par l’actualisation d’une
raison innée jusque-là en berne. Par la conscience, l’homme peut se reconnaitre comme être situé dans
le monde : c’est la conscience de soi. Cette prise de conscience constitue un moment décisif de la
subjectivité. Selon Feuerbach dans L’essence du christianisme, « c’est un changement qualificatif de
l’être tout entier » qui le distingue de l’animal. Mais l’homme est aussi un ensemble d’organes qui
fonctionnent. En est-on toujours conscient ? Sommes-nous au fait de toutes nos conduites ? Ne faudrait-
il pas accorder à Freud son hypothèse de l’«inconscient » ? Celle-ci insistant sur les lacunes de la vie
psychique de l’homme, la reconnaissance de l’existence de l’inconscient ne ruinerait-elle pas la liberté
et par suite la responsabilité de l’homme ?
I- Elucidation conceptuelle.

Conscience, du latin « conscientia » connaissance, évoque une connaissance partagée avec « cum ».
Son étymologie « cum scientia » signifie « ce qui va avec la savoir, ce qui s’accompagne de
connaissance ». Le Vocabulaire de Lalande définit la conscience sous deux aspects : une connaissance
de sa propre présence dans le monde et celle du monde. En d’autres termes, la conscience permet la
connaissance de soi-même ainsi que du sens de nos actes et états dans le monde. Sous ce rapport la
conscience est d’abord présence de soi, d’une vie intérieure qui rend compte de soi-même comme sujet
pensant. Ensuite, elle est présence au monde et constitue le moyen par lequel on se rapporte à l’extérieur.
Selon Hegel « La conscience, absolument parlant, est la relation du je à un objet, soit intérieur,
soit extérieur » Propédeutique philosophique. Etre conscient, c’est donc opérer une rupture entre soi et
ses pensées mais aussi entre soi et les choses. On parle en ce sens d’une conscience psychologique qui
implique une connaissance de soi et du monde. Cette connaissance s’opère sur deux niveaux : la
conscience spontanée ou intuitive et la conscience réfléchie, rationnelle ou discursive. On parle aussi de
conscience morale désignant ce retour sur soi par lequel l’homme à la fois agit et juge ses actions. Elle
est normative en ce sens qu’elle prend en charge les valeurs établies.
Formé à partir du terme conscient du latin conscire qui signifie avoir conscience de, et du
privatif in, inconscient veut dire ce qui ne possède pas de conscience ou ce qui échappe à la conscience.
Le concept d’ « inconscient » suppose que notre vie psychique est, pour la grande partie, dictée par des
forces à notre insu. Ce qui donne des ailes à l’idée selon laquelle, l’homme est étranger à lui-même.
Depuis Freud, il désigne ce qui en nous n’est pas accessible immédiatement à notre conscience et qui
détermine nos pensées, sentiment et actions.
II- La conception cartésienne de la conscience

Le « Cogito ergo sum » (je pense donc je suis) dans le Discours de la méthode résume la prise de
conscience chez Descartes au détour d’un doute méthodique puis hyperbolique. Il constitue la vérité qui
découle de la radicalité du doute et se pose comme modèle de la vérité. En se posant comme « res
cogitans » (une chose qui pense) dans Méditations, il considère la conscience comme pure intériorité
qui se saisit, en excluant ou en niant toute réalité extérieure y compris le corps. D’où l’affirmation « je
suis une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser » Méditations. La substance
(de sub-stare = ce qui sous-tend) veut dire une réalité en soi se réalisant indépendamment de toute chose
ou être et existe par et à travers la pensée. Dans l’entreprise du doute, l’on est conscient qu’on doute
donc qu’on pense. Chez Descartes, la pensée est liée à la conscience car on ne peut penser sans savoir
qu’on pense.
Sous ce rapport, Merleau-Ponty annonce « le doute obture le doute » Sens et Signification c’est-à-
dire le doute met fin au doute en débouchant sur la vérité. Le Cogito représente ainsi la conscience de
soi du sujet pensant. Des lors, la conscience se confond à la pensée et désigne « tout ce qui se fait en
nous de tel sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes. C’est pourquoi non
seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser » Les
principes. L’auteur des méditations métaphysiques fait de la conscience l’essence de l’homme. Pour lui,
la conscience en étant synonyme de penser est la source de l’humanité. Une position que partage Pascal :
la pensée fait la misère et la grandeur de l’homme. En tant que « roseau pensant » Pensées, il est le
seul être à prendre conscience de sa faiblesse, ce qui le rend fort par rapport à la nature.

III- La conception phénoménologique


Gassendi dans les Doutes et instances, objectait à Descartes « je pense, dit vous ; mais que
pensez-vous ? Car enfin toute pensée est pensée de quelque chose ». En ces termes, il annonce
l’objection des phénoménologues à l’égard de Descartes. En effet, pour Husserl le cogito solipsiste
cartésien manque de rigueur en se séparant du monde. Il préconise l’« épochè » à la place du doute
comme la « mise entre parenthèse » du monde à la recherche du moi. Chez Husserl la conscience est
« intentionnalité » c’est-à-dire tension vers et suppose une relation consubstantielle avec le monde.
C’est tout le sens de son affirmation « toute conscience est conscience de quelque chose » Méditations
cartésiennes. En d’autres termes, « tout cogito a son cogitatum ». Ainsi du cogito insulaire Cartésien,
il propose un cogito qui implique à la fois un sujet et un objet, une « res cogitans » (chose pensante) et
des « cogitata » ou des « cogitanda » (chose pensée ou à penser). Chez Sartre, la conscience comme
connaissance de soi est « intersubjectivité » c’est-à-dire nécessite la présence d’autrui. Selon Sartre
« l’autre c’est le médiateur indispensable entre moi et moi-même » L’être et le néant. C’est par le
regard de l’autre que le sujet se représente et se perçoit. Dès lors, la conscience explique ma manière
« de m’éclater vers le monde ». Elle est « donatrice, fondatrice de sens » dira Bergson dans La pensée
et le mouvant.

IV – Le procès de la conscience par les « Maitres du Soupçon » :


Marx, Nietzsche et Freud
L’importance et le prestige de la conscience vont subir une crise d’autorité par l’entreprise de
l’école du soupçon. Selon elle, la conscience de soi ne correspond pas à la connaissance de soi. La
conscience est loin de détenir les secrets de notre personnalité. Selon Spinoza, la conscience de soi
s’apparente à une « illusion de connaissance ». Autrement dit, l’homme se trompe en pensant être
maitre de ses actes parce qu’il est un mode qui participe d’une substance infini (la nature). D’après
Nietzsche « la conscience est la dernière et la plus tardive évolution de la vie organique, et par
conséquent ce il y a de moins accompli et de plus fragile en elle » Le gai savoir. Il ruine, dès lors, la
primauté de la conscience posée par Descartes et soulève une interrogation : l’homme est-il d’abord un
être conscient ou un être vivant ? Il serait donc illusoire de trouver des motifs conscients à tous nos actes,
ils traduisent plutôt un conflit de nos instincts, ou de nos désirs inavoués. L’homme est autant victime
d’illusion en pensant que la conscience surgit du néant. La conscience est façonnée, crée par la société.
A en croire Marx et Engels dans l’idéologie allemande « la conscience est d’emblée un produit social
et le demeure aussi longtemps qu’il existe des hommes » c’est-à-dire la conscience est toujours
déterminée de l’extérieur par la société. Ils défendent un déterminisme social en montrant que c’est
« l’infrastructure qui détermine la superstructure » Idéologie. Autrement dit tous les actes posés par
l’homme ne traduisent que les valeurs de son milieu, c’est la société qui agit en réalité en lui. Durkheim
n’en dira pas moins jugeant que la réalité sociale forme et est supérieure à la conscience. Il écrit « quand
notre conscience parle, c’est la société qui parle en nous » Sociologie et philosophie.
C’est Freud qui véritablement va anéantir toute la prétention de la conscience. Selon lui celle-ci
n’est pas maitresse de ses motivations. D’après Paul Valery « la conscience règne, mais ne gouverne
pas ». Enfin, la conscience est limitée car elle n’a pas toujours accès aux éléments fondamentaux qui
déterminent la personnalité du sujet et qui gisent dans l’inconscient psychique. Celui-ci est le siège des
souvenirs et des sentiments éprouvés ainsi que des pulsions sexuelles ou de la libido. Freud déclare
« l’inconscient est le psychique lui-même et son essentielle réalité » l’interprétation des rêves. Ainsi,
l’inconscient, chez Freud, n’est pas seulement une partie du psychisme, qui se partagerait avec la
conscience : il en est la partie la plus importante, la partie essentielle. Ainsi « l’homme est plus agit
qu’il n’agit » c’est au moyen de la psychanalyse comme méthode psychothérapeutique fondée sur le
transfert que Freud appréhende les phénomènes inconscients.
V- La Théorie Freudienne
Freud élabore deux topiques de l’inconscient. L’inconscient désigne chez lui l’ensemble des
représentations et des désirs inaccessibles à la conscience ou des désirs refoulés dans l’appareil
psychique (psychisme : ensemble des forces qui agissent en notre esprit). La première topique pose : le
conscient, le préconscient et l’inconscient. Dans Métapsychologie, il écrit « appelons … consciente
la représentation qui est présente en notre conscience et que nous percevons comme telle et posons
que c’est là le seul sens du terme conscient » le préconscient renvoie à ce qui échappe à la conscience
actuelle sans être strictement inconscient. Il s’agit d’après Freud dans Abrégé de psychanalyse : « de la
partie d’inconscient qui tantôt reste inconsciente, tantôt devient consciente, nous dirons qu’elle
est capable de devenir consciente et nous lui donnerons le nom de préconscient ». « Nous réservons
le nom d’inconscient aux faits psychique refoulés, c’est-à-dire dynamiquement inconscient »
précise Freud dans Essais de psychanalyse.
En 1920, il va sentir le besoin d’éclairer sa théorie, d’où l’élaboration d’une deuxième topique
du psychisme composé de trois instances : le surmoi, le moi et le ça. Selon le théoricien de
l’inconscient : « le surmoi est ce qui représente pour nous toutes les limitations morales, l’avocat
de l’aspiration au perfectionnement » Nouvelle conférence sur la psychanalyse. Autrement dit, c’est
le produit de l’intériorisation d’interdits et joue le rôle de censure et de contrôle. Le moi reste dit-il «
l’intermédiaire entre le ça et l’extérieur » Abrégé. C’est la partie du psychisme qui le relie à la réalité.
Il cherche à négocier la réalisation des désirs en tenant compte du principe de réalité. Son rôle est donc
de civiliser et de socialiser les pulsions du ça. Ce dernier et le réservoir des instincts, pulsions et désirs
refoulés. Mu par l’énergie sexuelle c’est-à-dire la libido, le ça est aveugle à toutes normes. Il exige la
satisfaction immédiate du principe de plaisir De sa confrontation avec le principe de réalité peut découler
une trouble mentale de type névrotique ou psychotique chez la personne. Selon Foucault « les psychoses
sont des perturbations de la personnalité globale… Dans les névroses au contraire c’est un secteur
seulement de la personnalité qui est atteint. » Maladie mentale et psychologie
Par sa théorie de la sexualité, Freud explique le processus de formation de la personnalité. La
sexualité adulte traverse différents moments qui connaissent leur début depuis l’enfance. Elle constitue
toute recherche de plaisir dans les zones érogènes. Trois stades permettent de les résumer. Le stade
oral en est et le premier et l’acte sexuel est lié à nutrition (succion du sein). Le deuxième dit sadique
anal se caractérise par la rétention expulsion des fèces. Le troisième et le stade phallique ou
l’expérience du sexe. Il inaugure la phase de latence et annonce le stade génital qui coïncide avec la
puberté. C’est l’émergence du complexe d’œdipe qui se manifeste par une attirance chez l’enfant en
vers son parent de sexe opposé et une haine pour celui du même sexe. Le complexe de castration va
permettre à l’enfant de dépasser ce moment pour une sexualité normale dans le futur. Des troubles issues
de cette sexualité infantile peuvent déterminer les traumatismes dans la formation de la personnalité.
VI- Les critiques de la théorie freudienne
On reprochera à la théorie freudienne de l’inconscient son pansexualisme autrement dit sa
prétention à ramener tout sur le facteur sexuel. Ce « ça » qui parlerait en nous et qui déterminerait notre
personnalité induit des attaques. Sur le plan interne Breuer soutient que la sexualité ne joue aucun rôle
dans la personnalité Adler fera du complexe d’infériorité la base du comportement humain. L’analyse
de ce sentiment permet d’expliquer le caractère introverti ou extraverti de la personne. Les névrosés
compensent souvent ce sentiment par une manifestation agressive. Jung va élargir la notion
d’inconscient en parlant d’inconscient collectif. L’inconscient collectif est une sorte de fond commun
propre à un groupe social et composé de rêves, de comptes et de mythes. Sur le plan externe, Sartre pose
la notion de mauvaise foi pour appréhender les conduites que Freud tente d’expliquer par l’inconscient
psychique. Il y voit une tentative de fuir la liberté radicale à laquelle l’homme est condamné. Popper
relativise l’aspect scientifique de la théorie. Elle ne donne aucune possibilité d’une falsification laquelle
est une condition de la science. C’est dans ce sens qu’il parle de l’inconscient comme une invention de
Freud ou une pseudo- science. Selon Alain et les cartésiens, parler de pensée inconsciente est une
contradiction : « savoir, c’est savoir qu’on sait ».

Conclusion
La conscience est essentiellement cette présence à soi d’une pensée qui réfléchit donc se penche
sur ce qu’elle éprouve spontanément et l’examine. Elle se découvre dans la solitude chez Descartes mais
nécessite un mouvement selon les phénoménologues. D’après eux prendre conscience, c’est revenir à
soi et au monde autrement dit la conscience de soi suppose toujours la médiation du monde. Notre monde
ou société façonne notre conscience, dit Marx. Elle est une résultante de la société. Nietzsche affirme
que les instincts commandent implicitement à la conscience. Mais, la révolution psychanalytique opérée
par Sigmund Freud réintègre l’inconscient dans la vie psychique et permet une descente en profondeur
pour comprendre la personnalité de l’homme. Ce dernier accorde à l’inconscient un rôle qui discrédite
la conscience voire même la liberté de l’homme. Toutefois le caractère complexe de l’homme ne peut
se résoudre à un déterminisme unique.
Chapitre VI- LA LIBERTE

Introduction
Parmi les revendications les plus légitimes chez l’homme figure celle la plus fondamentale à
savoir la liberté. On meurt et on tue pour elle. Mais sait-on pour autant ce qu’est véritablement la liberté ?
Du latin libertas qui renvoie à l’indépendance, au libre pouvoir, elle signifierait l’état d’une personne
hors de l’esclavage. André Lalande définit dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie
la liberté comme : « état de l’être qui n’a pas de contrainte, qui agit conformément à sa volonté, à
sa nature. Mais considérant le déterminisme universel, une véritable liberté peut-elle exister ? N’est-
elle pas une illusion de la conscience ? Etre libre est-ce réellement exercer son libre-arbitre ou accomplir
sa volonté ? Est-il possible d’associer la liberté et le déterminisme ? Peut-on être responsable sans être
libre ? Autant de questions qui méritent une réflexion sur ce concept polysémique éminemment
philosophique dont les peuples et les personnes sont les plus friands. C’est sans doute cette équivocité
qui fait dire à Valery que le mot « liberté » a « plus de valeur que de sens ».

I- Liberté et Libre-arbitre.

A : Le libre-arbitre
Le libre-arbitre repose sur la capacité de l’homme à exercer sa volonté d’une manière totalement
indéterminée. Du latin liber et arbitrium, il signifie un libre jugement de l’arbitre et renvoie à un pouvoir
de décider. Aristote conçoit d’ailleurs la liberté comme un pouvoir concret de choisir, applicable à tout
ce qui n’est pas absolument déterminé (Ethique à Nicomaque). Le libre-arbitre est l’affirmation d’une
volonté non déterminée dans ses choix et dans ses décisions par aucune influence. C’est toute l’essence
métaphysique de la liberté parce qu’elle prend racine au-delà du monde. Même s’il faut considérer
l’impact du milieu sociale sur l’homme, celui-ci demeure néanmoins libre de par cette puissance
mystérieuse en lui appelée volonté. Celle-ci implique trois mouvements dans son processus : la
délibération, la décision et l’exécution. L’acte volontaire fonde le libre-arbitre comme le dit Descartes :
« Entre faire volontairement une chose et la faire librement, il n’y pas de différence ».
La volonté c’est la faculté de se déterminer consciemment et librement à agir ou ne pas agir. C’est
un pouvoir d’autodétermination qui permet à l’homme d’opérer un choix devant chaque situation. Dans
ce cadre, souligne Hume « Par liberté, … nous ne pouvons entendre qu’un pouvoir d’agir ou de ne
pas agir, selon les déterminations de la volonté » dans Enquête sur l’entendement humain. Autrement
dit, être libre c’est jouir de son pouvoir d’accepter ou de refuser volontairement. Cette liberté « consiste
seulement en ce que nous pouvons faire une chose ou ne pas la faire , affirmer ou nier, en telle
sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne. », précise Descartes
dans Méditations IV .
B : Preuves du libre-arbitre
L’expérience de la liberté passe par la décision de faire ou ne pas faire. C’est dans ce sens que
mous pouvons aisément saisir Leibniz qui parle d’ « un sentiment vif interne » comme preuve de la
liberté parce que l’homme ne ressent aucune contrainte dans sa prise de décision. Selon H. Bergson, la
liberté est « une donnée immédiate de la conscience ».
L’argument du moine, philosophe du XIVème siècle, jean Buridan connu sous le nom de « l’âne
de Buridan » qui meurt par indécision devant un saut d’eau et une botte de foin participe à montrer que
la volonté est nécessaire pour éprouver la liberté. C’est une manière de signifier l’inaptitude des animaux
à choisir devant deux besoins « sans raison ». Cet exemple renvoie à la liberté d’indifférence. Elle
consiste à choisir, à agir sans être déterminé, sans être influencé, par aucune raison, par aucun motif.
Descartes le qualifie comme « le plus bas degré de la liberté » parce qu’elle n’est pas basée sur une
connaissance. L’acte gratuit vient consolider le libre-arbitre, c’est un acte conçu comme totalement
immotivé, sans cause autre que la décision autonome de la volonté.il a comme seule cause la volonté
libre en tant que cause première. André Gide dans les Caves du Vatican, illustre cette notion d’acte
gratuit à travers l’assassinat volontaire de Lafcadio, qui est le personnage principal du roman, sur un
passager.
П : Libre arbitre et le déterminisme
A- le déterminisme et le fatalisme

Le libre arbitre comme liberté de choix s’oppose au déterminisme. Le déterminisme, une doctrine qui
s’appuie essentiellement sur la science, pose que tout ce qui existe est le résultat ou l’effet nécessaire de
cause antérieure. Il reprend le principe de la causalité qui postule que tout effet a une cause et les effets
mis dans les conditions deviennent causes d’autres effets. Cela ne laisse aucune place à la liberté
entendue comme autodétermination. En effet, croire que tous les phénomènes de l’univers obéissent à
des lois universelles immuables ou à une volonté transcendante, c’est placer la liberté de la volonté dans
l’ignorance des causes déterminantes. Si ce déterminisme strict est admis, alors la liberté humaine n’est
donc qu’une illusion. Avec le fatalisme, la liberté semble impossible. C’est une doctrine selon laquelle
tout homme a un destin inévitable. Différent du déterminisme, il constitue tout de même une
contradiction au libre arbitre. Dérivé du latin « Fatum » qui signifie destin, le terme implique une
intelligence qui fixe les évènements d’une existence d’une manière inéluctable. La fatalité évoque donc
des évènements imprévisibles devant lesquels l’homme reste impuissant. Cette croyance à une force
extérieure qui dirige notre existence rend compliquée l’exercice du libre arbitre si bien que la liberté
reste illusoire.
B- Les déterminations

Ce que les hommes ignorent, c’est qu’ils sont au carrefour de plusieurs déterminations qui sont à la base
de leurs actions. L’homme et un être empirique, social, biologique, psychologique etc., donc non
dépourvu d’influence Spinoza, justement défend un déterminisme naturel ou physique. Pour le
philosophe Hollandais, tout est déterminé dans le monde, seul dieu est absolument libre parce qu’il obéit
à sa nature. Sur le plan biologique, l’homme répond aux commandes de son corps. Ce dernier est le
siège de différentes pulsions, d’instincts. Selon Nietzsche, le corps est maître de la conscience et lui
dicte ses moindres caprices. Sur le plan social, les comportements humains sont déterminés pas les
processus socio-économiques. Les sciences humaines s’efforcent de montrer que les conduites de
l’homme sont dictées par son milieu ou cadre de vie. En ce sens, la volonté de l’homme est déterminée
par sa société d’après Karl Marx. La langue serait même déterminante dans notre conception du monde
selon les linguistes. Elle constitue le seul moyen de nous exprimer. Du côté de la psychanalyse, le sujet
qui se dit conscient, est profondément déterminé par les mécanismes de son inconscient souligne Freud.
Ainsi, la croyance humaine à la liberté totale serait un mythe rendu possible par le fait que la conscience
n’arrive pas à connaitre les causes véritable de nos actes. Mais, cette situation ruine-t-elle pour autant
toute espérance à la liberté ?
III : Liberté et déterminisme
Certains philosophes vont tenter de concilier la liberté avec le déterminisme qui semble
l’anéantir. En réalité, le déterminisme ne nie pas totalement la possibilité de se libérer. Celle-ci passe
par un effort intellectuel qui va permettre de comprendre les lois universelles et nécessaires qui
gouvernent le monde et d’y conformer sa volonté ou de les maitriser
A – Liberté et déterminisme naturel
Spinoza va essayer de convertir en liberté la nécessité qui pèse sur l’homme s’il accepte que
tout ce qui arrive découle d’une nécessité. Pour lui, l’homme doit laisser parler en lui sa nature
rationnelle. C’est la seule voie pour lui de trouver la liberté. Cela va lui permettre de comprendre que
tout ce qui arrive, arrive nécessairement. Pour sa liberté, il doit apprendre à connaitre les lois de la nature
et à les accepter ; C’est pourquoi il lie l’esclavage à l’ignorance de la nécessité. Comme le souligne Paul
Ricœur « c’est la leçon d Spinoza : on se découvre d’abord esclave, on comprend son esclavage et
on se retrouve libre de cette nécessité comprise ». Nous pouvons alors à partir de cette considération
dégager un autre sens de la liberté : la liberté est l’action fondée sur la connaissance de ce qui nous
détermine. C’est d’ailleurs la conception de la sagesse chez les stoïciens, le sage est celui qui connait
qu’il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous. Sous ce rapport, il
comprend que les choses arrivent comme elles doivent être, non selon sa volonté mais, selon la nécessité.
Ainsi il arrive à les endurer en toute tranquillité et atteindre l’Ataraxie. Bacon affirme : « on ne
commande à la nature qu’en lui obéissant ». En d’autres termes pour amener la nature à le servir,
l’homme doit se conformer à ses lois. C’est en obéissant à la nature qu’il se rend libre.
B : Liberté et déterminisme psychosociologique
Ce principe de la physique classique se trouve dans ce que l’on peut appeler le déterminisme
sociologique. Ce dernier prône l’existence d’un déterminisme propre au fait social. D’ailleurs, pour
Emile Durkheim, le statut de science de la sociologie est lié à un tel postulat. C’est dans ce sens qu’il
écrit « La sociologie ne pouvait naitre que si l’idée déterminisme, fortement établie dans les
sciences physiques et naturelles, était enfin étendue à l’ordre social ». Cette position de Durkheim
s’explique par le fait qu’un déterminisme est à l’œuvre dans les faits sociaux que se propose d’étudier
la sociologie. On peut inscrire dans ce cadre l’affirmation du marxiste Engels : « la liberté n’est pas
dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature mais dans la connaissance de ces lois
et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre de manière méthodique pour des
fins déterminées »
Dès lors, la liberté réside dans la connaissance des lois sociales suivie d’un consentement
rationnel à les respecter. D’ailleurs comme le souligne Rousseau, ces lois émane d’une volonté générale
et s’y conformer revient à faire sa volonté : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
Sur le plan physiologique et sociologique, plus nous réfléchissons moins nous sommes les jouets de nos
passion, de nos habitudes et même de notre inconscient. En ce sens, la liberté serait liée à notre nature
rationnelle qui peut nous permettre de nous affranchir de certaines contraintes. D’où le conseil de Freud
« là où est le ça, le je dois advenir ». Ainsi, la liberté est loin d’être un état donné ou définitivement
acquis, elle est au contraire une œuvre qui se construit indéfiniment. Cette quête doit cependant se faire
en toute responsabilité.
IV : Liberté et Responsabilité
Par responsabilité, il faut entendre la capacité de l’homme à rendre compte de ses choix non par
des déterminations pulsionnelles mais par la raison. La responsabilité morale renvoie au sujet dans son
rapport à lui-même, concernant son discernement du bien et du mal, en tant qu’il doit répondre de ses
actes devant sa propre conscience. Face à son pouvoir de choix doit-on lui imputer les conséquences de
ses actes et le sanctionner ?
A : Déterminé et libre
Face aux déterminismes, la responsabilité de l’homme est un véritable problème. Comment
peut-on attribuer à l’homme la responsabilité de ses actes s’il n’est pas auteur des faits ? Emmanuel
Kant souligne dans Critique de la raison pure qu’il existe chez l’homme une faculté qui permet de
prendre des décisions indépendamment du temps. Cette faculté est la raison comme « faculté de
commencer soi-même une série d’événement ». La raison consacre dans le Kantisme, la liberté de
l’homme. Kant présuppose le double caractère de l’homme. Si, par son caractère sensible, l’homme est
subordonné au déterminisme naturel, par son caractère intelligible il est entièrement libre et imputable
de ses actions. Ainsi, dans la mesure où il exprime sa nature intelligible, il est libre. La raison est, en
effet, ce qui permet à l’homme de se décider à agir pour ou contre les acquis de son éducation. A chaque
déterminisme, l’homme raisonnable peut s’affranchir de leur influence et agir par sa raison. Chez Kant,
l’acte moral suppose dans son application l’affirmation de la liberté. La morale Kantienne « postule
l’existence de la liberté » Critique de la raison pratique. Elle est donc une condition de possibilité et
l’essence de la vie morale de l’homme, comme la vie morale de l’homme est ce par quoi l’homme
connait la réalité de sa liberté.
B- Libre et Responsable
L’homme est un être libre et par conséquent responsable. Tel se présente le point de vue de
J.P.Sartre. Selon lui, l’être humain est doté du libre arbitre et répond de la totalité de ses actes et choix.
Il est toujours libre d’adhérer ou de refuser une détermination et surtout de lui donner tel ou tel sens.
Ainsi, chacun fait des choix qui orientent toutes ses actions et toute sa vie. Chacun est donc responsable
de son existence. Pour Sartre, l’homme doit prendre conscience qu’il est « condamné à être libre » ; il
doit exprimer sa liberté de choix devant toute situation. Et c’est pourquoi, l’homme doit assumer la
responsabilité de ses actes. Dès lors évoquer un déterminisme quelconque, c’est être de « mauvaise foi
». Mais, la responsabilité morale de Sartre va plus loin, l’homme est non seulement responsable pour
lui-même mais aussi pour les autres ? Autrement dit, chacun des choix de l’homme à une valeur
universelle parce qu’engageant l’humanité entière. C’est dans ce sens que Sartre écrit dans
L’existentialisme est un humanisme : « l’homme étant condamné à être libre, porte le poids du
monde tout entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière
d’être ». Dans la perspective sartrienne, l’homme est libre et responsable et sa responsabilité tend vers
l’universel.
Conclusion
Notre réflexion sur la liberté a fini de nous montrer à quel point c’est une notion ambiguë ou
équivoque. Aux yeux de l’opinion, elle est une absence de contraintes mais philosophiquement elle est
soumise à l’exercice de la raison éclairée par la connaissance. Donc loin de signifier faire ce qu’on veut,
la liberté requiert une conformité à la raison. C’est en cela que les partisans du libre-arbitre et ceux du
déterminisme voient une libération de l’homme. Parlant de libération, on voit bien que la liberté n’est
pas une propriété mais une quête ou une conquête éternelle. Ainsi être libre, c’est suivre sa raison. Donc,
« plus on agit suivant la raison, plus on est libre » déclare Leibniz. C’est pourquoi , il faudra
considérer la conception spinoziste de la liberté comme puissance d’être au sein d’un monde entièrement
déterminé et celle sartrienne dans laquelle l’homme est projet d’être et choix d’être , ce qui justifie le
poids de sa responsabilité .
Chapitre V- L’ETAT OU LE POUVOIR POLITIQUE

Introduction
Naturellement social selon Aristote, l'homme est un être qui ne peut vivre et évoluer que dans
la société. Cependant son rapport à celle-ci n'est pas souvent paisible en ce que l'individu veut vivre
pleinement sa liberté, ses passions et son égoïsme s'il n'est pas contraint à se soumettre à des normes,
des règles ou des lois. Ainsi, laissés à eux-mêmes, les hommes s'entredéchireraient mutuellement du fait
de la confrontation de leurs intérêts souvent divergents. C'est pourquoi il faut un pouvoir politique pour
administrer la société : c'est l'État. Le problème fondamental que pose l’existence de l’État est celui de
ses rapports avec les individus. Il arrive que nous ayons à son égard des sentiments qui, d'ordinaire, nous
inspirent la confiance ou la crainte, l'admiration ou le mépris, souvent la haine ; mais aussi un respect
ou une forte adoration de la puissance étatique. Ainsi, réfléchir sur l’État nous pousse à nous interroger
d'abord, sur le fait politique, sur la nature de l'État et sur sa genèse. Ensuite, nous analyserons ses formes,
ses fonctions et les rapports qu’il entretient avec la liberté. Et enfin, nous examinerons si les États sont
toujours souverains dans le contexte de la mondialisation.

I : La genèse et la nature de l’Etat

A : L’origine du pouvoir politique

L'Etat est un phénomène historique qui n'a pas existé de tout temps sous sa forme actuelle. S'il
est toujours possible de dire qu'il y'avait une sorte de fonction publique dans la polis des grecs, la
respublica ou la civitas des romains, ces formes d'organisation politique ne sont pas à proprement parler
des Etats. Le rôle d'administration de la vie commune restait le fait d'un mode d'existence
communautaire et politique spécifique. La notion moderne d'Etat apparue dans la période de la
renaissance ne pouvait se former qu'à partir du moment où l'on a commencé à distinguer nettement les
rapports d'autorités concernant les affaires communes et les rapports privés entre les individus. L'idée
d'Etat suppose au moins un pouvoir et une personnalité juridique qui s'affirment comme étant au-dessus
des volontés particulières de ceux qu’il commande. Mais, quelle est, en définitive, l'origine de l'Etat ?
Est-ce Dieu, les conventions ou la force ?
Les théoriciens de la monarchie défendent l’idée de l’origine divine du pouvoir. Cette position
traduit la position traditionnelle de l’église catholique vis-à-vis du problème politique. Elle n’est en
réalité que le développement de la parole de l’apôtre Saint Paul : « il n’y a de puissance qui ne vienne
de Dieu ». Cette affirmation signifie que le principe du pouvoir est divin. L’autorité que détiennent les
gouvernants vient de Dieu. La sacralité de la personne du roi fait que nul ne saurait attenter à son pouvoir.
Celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi et attire sur lui une condamnation
divine. Pour les tenants de cette thèse, il faut chercher en Dieu la source de légitimation du pouvoir
politique.
Cependant, avec les théoriciens du contrat, la légitimation de l'État sort de la transcendance en devenant
immanente aux cocontractants car aucun pouvoir n'est fondé légitimement s'il ne repose sur un
consentement. Selon Hobbes, l’état de nature est marqué par « la guerre de tous contre tous », c’est
un état où « l’homme est un loup pour l’homme ». Pour mettre fin à cette hostilité qui menaçait la
race humaine d’extinction, les hommes ont décidé de vivre en société pour sauver l’espèce humaine.
Ainsi ont-ils signé un pacte social et accepté de se soumettre à un être transcendant, fort et cruel appelé
le Léviathan, chargé de garantir l’ordre. C'est le Léviathan qui a la charge de régir les lois à suivre
impérativement et par force. La terreur qu’il inspire aux hommes a pour but de les amener à renoncer à
leur haine, désir immodéré et de garantir la paix. Mais sa conception de l’état de nature diffère de celle
de Rousseau et du coup leurs fondements de l'État vont différer en ce que le premier fonde l'Etat sur la
force.
Par contre Rousseau soutient que la force ne fait pas la loi car le fort n'est jamais fort pour être toujours
le plus fort. Il écrit : « que le fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maitre, s'il ne
transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir ». Pour lui, l'Etat découle du « contrat social »
qui dispose chaque homme à vivre en groupe et à respecter les lois instituées. Ainsi, est né l’État qui est,
pour Rousseau, l’incarnation de la volonté générale. Puisque ce sont tous les hommes qui ont élaboré
les lois, obéir aux lois de l’État, c’est obéir à soi-même. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre sa
pensée selon laquelle « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
Aussi bien chez Hobbes que chez Rousseau l’Etat émane de la volonté des individus. C’est plutôt la
conception qu’ils se font du pacte qui institue l’Etat qui est différent.
Pour les marxistes l’Etat ne vient ni de Dieu, ni de la convention mais plutôt de la lutte des classe.
Dénonçant l’idéalisme de Hegel, Marx voit dans l’Etat un fait historique consacrant la domination d’une
classe sur une autre. Si la « fin » de l’histoire coïncide avec la fin de l’exploitation de l’homme, elle
devra se traduire par la disparition de l’Etat. On peut donc dire avec lui que c’est de la force qu’émane
le pouvoir politique.

B : La nature de l’État
L’Etat, dans le cadre politique, est l'ensemble des institutions (politiques, juridiques, militaires,
administratives, économiques) qui organise une société sur un territoire donné. La notion d'Etat suppose
d'abord la permanence du pouvoir. En effet, l'État n'apparait que lorsque le pouvoir s'institutionnalise,
c'est-à-dire lorsqu'il cesse d'être incorporé dans la personne d'un chef. Il suppose aussi la chose publique
: si le pouvoir n'appartient pas à son détenteur, s'il n'est pas sa propriété personnelle, c'est qu'il définit
un espace publique. Dans le cadre sociologique il est composé de trois éléments : un territoire (élément
matériel), une population (élément charnel) et un pouvoir (élément juridique et politique). Selon A.
Lalande, l’État est « une société organisée, ayant un gouvernement autonome et jouant un rôle
d’une personne morale distincte à l’égard des autres société analogue avec lesquelles elle est en
relation ». Cependant, l'État ne renvoie pas forcément à la nation et à la patrie. En effet, si la nation
désigne une communauté humaine vivant sur un même territoire, partageant la même culture, la même
histoire et la même volonté de vivre en commun. La patrie de son côté renvoie à la partie affective de la
nation : elle exprime un sentiment d'appartenance et d'identité des individus à la terre de leur père (pater).
Selon Armand Cuvillier dans son dictionnaire l’idée d’Etat implique une idée d’organisation qui est plus
ou moins artificielle alors que celle de nation implique une idée de spontanéité. Il veut signifier que
l’Etat est une forme d’organisation créée par les hommes tandis que la nation se construit naturellement
au fil de l’histoire. Tous les Etats ne sont pas des Etats-nation. On appelle État-nation un État qui
coïncide avec une nation établie sur un territoire délimité et défini en fonction d'une identité commune
de la population. C'est la rencontre d'une notion d'ordre politique (État) et d'une notion d'ordre identitaire
(nation). Pour l'UNESCO " l'État-nation est un domaine dans lequel les frontières culturelles se
confondent aux frontières politique."

II- Les différents types d’Etat

Une multiplicité de significations a été donnée à l’État. Cela est dû aux différentes formes de régimes
politiques dont les uns ont disparu et les autres toujours en vigueur. L’oligarchie est un régime politique
dans lequel le pouvoir appartient à un petit groupe de personnes ou à une classe privilégiée. La
monarchie est un régime dans lequel l’autorité réside entre les mains d’un seul homme et est exercée
par lui ou par ses délégués. La théocratie est un mode de gouvernement dans lequel l’autorité, censée
émaner directement de la divinité, est exercée par une caste religieuse. Le totalitarisme ou fascisme est
un régime qui n’admet qu’un parti politique, donc aucune opposition. Exemple l’Allemagne nazie sous
Hitler, l’Italie sous Mussolini et l’ex-Urss. La gérontocratie est un régime politique où les plus âgées
sont à la tête de l’État. La ploutocratie est le régime où les plus fortunés sont à la tête du gouvernement.
L’aristocratie est le gouvernement des meilleurs ou des nobles. La démocratie est considérée
aujourd’hui comme le meilleur (ou le moins mauvais) régime politique, car on suppose que le pouvoir
est détenu par le peuple. D’ailleurs, on a l’habitude de dire que c’est le pouvoir du peuple, par le peuple
et pour le peuple. Il existe deux types de démocratie : la démocratie directe où le peuple exerce
directement sa souveraineté et la démocratie représentative où le peuple élit ses représentants.
Cependant, la démocratie peut être mise en question. En effet Platon dans la république soutient que la
démocratie dégénère toujours par excès de liberté, car les hommes ne peuvent pas restreindre l'usage
qu'ils en feront. La liberté qui est le socle de la démocratie la menace rapidement d'anarchie. C'est
pourquoi Tocqueville le définit comme : « cette sorte de servitude réglée, douce et paisible [...] à
l'ombre même de la souveraineté du peuple ». Pour Rousseau, le démocratique ne manque pas
d'inconvénients. Il se pose la question : comment comprendre la soumission de la minorité à la majorité
? Il faut considérer que de même qu'il y a des despotes éclairés, il doit bien y avoir des démocrates en
erreur. Ce problème, Hayek l'identifie à celui de l'arbitraire de façon provocatrice : « si "démocratie"
veut dire gouvernement par la volonté arbitraire de la majorité, je ne suis pas un démocrate ». De
plus, faut-il dire de la démocratie, l'idéal et la réalité ne coïncide pas.

III : Les fonctions de l’Etat


Sur le plan intérieur, l'État peut vouloir chercher à réaliser le bonheur individuel et collectif des
individus. Sur le plan individuel, l'État, en exerçant son autorité, se charge ainsi à garantir les conditions
de possibilité de l'épanouissement de la liberté individuelle. Sa mission essentielle consiste à prendre
toutes les mesures propres à la garantir, ce qui veut dire que la sécurité des biens et des personnes est au
premier rang des obligations que vise l'État. Cette conception est soutenue par l'État libéral dans le but
de réaliser la notion d'égalité de chance. Mais chercher le bonheur individuel n'est-ce pas viser le
bonheur collectif ? Sur ce plan nous voyons que l'État inclut le bonheur individuel dans la réalisation du
bonheur collectif. Ainsi il devient l'État providence, dont on attend tout, qu'il restaure le minimum vital
comme le régime de la protection sociale, médicale...Sur le plan extérieur, l'État a pour fonction de
maintenir l'intégrité territoriale au moyen de l'armée. Bref, on reconnait à l'Etat quatre grandes fonctions
essentielles : faire respecter l'ordre (rôle régalien), unifier le pays par l'éducation des citoyens (fonction
d'instituteur social), redistribuer les revenus dans un cadre solidaire (Etat providence), soutenir
l'économie. Pour parvenir à sa fin, il dispose de moyens contraignants que Louis Althusser appelle
« appareils répressifs de l’État » comme la police, la gendarmerie, l’armée, la douane, etc. Ils sont dits
répressifs parce qu’ils répriment, punissent et rappellent à l’ordre ceux qui violent la loi. Parallèlement,
l’État dispose d’appareils idéologiques d’État comme l’école, les syndicats, les lieux de culte, etc. Étant
donné que l’Etat a la possibilité de sévir par le biais de ses institutions compétentes, il est légitime de
dire qu’il est une source de contrainte sur les individus. Néanmoins, il leur accorde des droits et veille
sur leurs libertés et sécurité, d’où les rapports entre l’Etat et la liberté.

IV- L’état a-t-il pour finalité de garantir ou de contraindre la liberté humaine ?

A : Etat comme garant de la liberté


La liberté n’est pas à comprendre comme l’état de celui qui fait ce qu’il veut. Il est impossible,
en effet, d’être libre sans être déterminé. Au niveau de l’Etat ce qui détermine les individus ce sont les
lois établies par le pouvoir politique. Comment concilier la liberté des citoyens avec l’existence de ces
lois ?
Les penseurs comme Spinoza, Hegel, Rousseau, Hobbes et John Locke pensent que l’Etat garantit les
libertés des individus. Pour Spinoza, la finalité de l’Etat c’est la liberté. L’Etat est donc la condition de
réalisation de celle-ci. C’est ainsi qu’il affirme que « la fin de l’Etat est donc en réalité la liberté ».
Autrement dit, le but ultime de l’Etat est la liberté et non pas pour tenir l’homme par la crainte. Avec
Rousseau, on demandera comment un peuple peut être libre. Il souligne qu’ « être libre politiquement,
ce n’est pas agir selon son bon plaisir mais obéir à la loi, ce à quoi doivent astreindre les
gouvernants ». Dans son Contrat social, il soutient que l’Etat ne menace pas les libertés. A son avis, «
il n’y a point de liberté sans lois ». En d’autres termes, aussi contraignantes qu’elles puissent être, les
lois garantissent néanmoins la liberté des hommes. Un peuple libre est celui qui obéit aux lois. En ce
sens, nous dit Rousseau qu’ « Obéir à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». S’il en est ainsi, c’est
parce que liberté et loi sont inséparables. L’Etat est alors plus qu’un simple instrument au service des
individus : il est ce qui en réalise la destination la plus haute. C’est pourquoi Hegel estime que c’est
pour les individus « le plus haut devoir d’être membre de l’Etat ». Il ajoute que « Tout ce que
l’homme est, il le doit à l’Etat : c’est là que réside son être. Toute sa valeur, toute sa réalité
spirituelle, il ne les a que par l’Etat ».
Toutefois l’abus des lois peut entrainer une perte de liberté. Il faut alors protéger les lois. Etant
donné que l’homme est fait de sorte qu’il ne peut ne pas abuser des lois, il faut que, comme le dit
Montesquieu, « par la force des choses que le pouvoir arrête le pouvoir ». Pour se faire, il faut que
les pouvoirs soient distribués. Pour Montesquieu, une fois que les pouvoirs soient réunis dans la main
d’une seule personne, la liberté cesse et cela marque le début du despotisme. Si le prince a le pouvoir de
faire des lois et de les exécuter par lui-même, les citoyens cesse d’être libres. Si tous ces penseurs ont
une vision positive de l’Etat, d’autres ont, au contraire, adressé à l’Etat de vives critiques : ce sont les
anti-étatistes.
B : État comme aliénation de la liberté
La raison d’être de l’Etat c’est le maintien et la surveillance des principes de la liberté
individuelle et collective, sans quoi l’Etat devient arbitraire et constitue par conséquent une menace pour
l’épanouissement des citoyens. C’est dans cet ordre d’idée qu’il faut comprendre la critique marxiste de
l’Etat comme étant une forme de domination pour la classe bourgeoise sur le prolétariat. En tant
qu’appareil de répression de liberté et d’exploitation des plus faibles, l’Etat doit disparaitre afin que la
justice sociale puisse régner dans une société sans classe : c’est la société le communiste. A ses yeux,
l’Etat et l’esclavage sont inséparables. C’est pourquoi il estime que seul le « dépérissement » de l’Etat
pourra mettre fin à la misère de la classe prolétarienne.

C’est dans cette même perspective que s’inscrivent les propos des anarchistes Proudhon et Bakounine
qui considèrent que « l’Etat, c’est l’ennemi » de la liberté. La critique des anarchistes n'est pas aux
antipodes de la critique marxiste mais conserve quelques nuances particulières. En effet, l'anarchisme
se caractérise par un rejet absolu de toute forme d'Etat et en général de toute forme d'autorité venant du
haut vers le bas. Ils réclament en effet l'abolition immédiate de toute forme d'Etat et c'est en ce point
qu'ils se différencient de la théorie marxiste. L'expression « ni dieu, ni maître » rend parfaitement
compte de ce refus de l'autorité, de même que l'étymologie du mot, « an » qui veut dire sans ou absence
de et « archia » qui veut dire autorité. L'homme, pour eux, est né libre mais cette liberté il l'a perdu dans
l'Etat. C’est pourquoi il faut abolir l'Etat pour le remplacer par des associations libres qui défendront le
mieux les libertés individuelles et collectives car dans la société l'homme doit être capable de mener sa
vie comme il l'entend, d'épanouir totalement son être, de faire ce qu'il veut.
C'est pourquoi Bakounine dira de l'Etat qu'il est « un immense cimetière où viennent s'enterrer toutes
les manifestations de la vie individuelle ». Proudhon, de son coté, dit que « le gouvernement de
l’homme par l’homme, c’est de la servitude ». Même le gouvernement démocratique, pris pour la
meilleure forme des régimes politiques, n’est pas épargné. Les anarchistes aspirent à la disparition de
l’Etat, donc à toute forme de contrainte pour l’émergence d’une liberté totale de l’individu.

Par ailleurs, cette forme de critique sera reprise par Nietzsche. Il dit à ce propos : « Etat, qu’est-ce cela
donc ?(…) Je vais vous parler de la mort des peuples. L’Etat, c’est le plus froid des monstres
froids. Il est froid même quand il ment ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche : moi
l’Etat, je suis le peuple ».

Dans le même ordre d’idée, Nietzsche ajoute que quoi que l’Etat puisse avoir il l’a volé et quoi qu’il
dise il ment, et il ment dans toutes les langues.

V : Etat et Mondialisation

A : La mondialisation en question
Le terme mondialisation désigne le processus d'internationalisation ou de globalisation des
systèmes économiques, informatiques et culturels planétaire, grâce à la suppression des barrières
tarifaires et des frontières pour faciliter la libre circulation des biens des personnes et des capitaux. Ainsi
dans ce processus le monde apparait comme un village planétaire avec la globalisation des marchés et
des échanges mondiaux. Mais il faut noter aussi que la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau.
Avant la 1ère Guerre Mondiale, le monde a déjà connu des échanges internationaux, des investissements
étrangers et de mouvements de populations. Si ce phénomène connaît aujourd'hui une grande ampleur,
c'est parce qu’il y a l’essor des transports aériens et du développement des technologies de l'information
et de la communication. Un événement qui se produit en un lieu de la planète est immédiatement connu
dans le monde entier. L'Internet supprime les frontières douanières, économiques et culturelles entre les
nations. Dans ce contexte de globalisation quel est le véritable statut de l'Etat?
B- Le rôle de l’Etat dans la mondialisation
Dans ce processus de la mondialisation, il existe sans aucun doute une mutation du pouvoir à
l'échelle étatique En ce sens, sa capacité d'intervention s'est amoindrie et s'annule progressivement.
Serions-nous dans ce qu'on pourrait appeler la fin du politique ? Cette question est d’autant plus
pertinente que l'on constate le règne et la puissance démesurée de la sphère économique sur la politique.
Marc Blondel, syndicaliste français dira : « les pouvoirs publics ne sont, au mieux, qu'un sous-
traitant de l'entreprise. Le marché gouverne, le gouvernement gère. ». C'est dire que l'Etat perd de
plus en plus ses prérogatives et son autorité est partagée par des groupes économiques. De ce fait le rôle
de l'Etat, sa place et même sa mission deviennent de plus en plus compromis par l'économie globale.
Ignacio Ramonet dans Géopolitique du chaos, considère que la souveraineté de l'Etat est en train de
s'éroder. S'il en est ainsi, c'est parce que « l'Etat ne contrôle plus les échanges, les flux d'argent,
d'information ou de marchandise [...] ». Autant dire par conséquent que le véritable pouvoir échappe
à l'Etat moderne. A titre d'exemple, l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) est une organisation
qui promet le libre-échange et fixe les règles du commerce international. Dans ce domaine, les enjeux
des négociations de tarifs douaniers à l’OMC sont de taille, car les pays du tiers monde dénoncent
souvent la mise en place de tarifs qui leurs sont défavorables. Ce sont les Européens qui négocient tout,
ce qui signifie que les Etats africains subissent le diktat européen et perdent, du coup, leur souveraineté.
Par définition, trois éléments sont constitutifs de l’Etat : la population, le territoire, et l’autorité
politique. Or, cette définition semble être remise en cause par la définition même de la mondialisation.
Un Etat souverain est un territoire politiquement indépendant possédant ses propres gouvernements,
administration, lois et armée. Ainsi, il s’agit d’un Etat qui n’est soumis à aucune puissance extérieure
ou intérieure. Mais avec le phénomène de la mondialisation, on peut se demander en quoi l’Etat est-il
encore souverain. Ainsi, durant la décennie 1990/2000, les Institutions de Bretton Woods, bras séculiers
de la mondialisation conquérante, ont imposé des programmes d’ajustement structurel à des dizaines de
pays. Ces Institutions ont considérablement réduit la possibilité pour les Etats à définir des stratégies sur
des bases strictement nationales. L’hégémonie des États-Unis menace la souveraineté des Etats. Les
États-Unis d’Amérique s’arrogent le droit d’intervenir même militairement et selon les prétextes qu’ils
auront eux-mêmes choisis. Mais il ne faudrait pas croire que la mondialisation est un phénomène tout à
fait négatif. Même si elle menace la souveraineté des pays, elle ouvre toutes grandes les portes de la
prospérité, de la sécurité, du bien-être et de l’entraide

Conclusion
L'Etat, en tant que pouvoir politique institutionnalisé, n'a pas toujours existé. Si d'aucuns
soutiennent qu'il dérive de Dieu, d'autres pensent que le pouvoir politique trouve son fondement dans la
convention ou dans la force. Dans tous les cas, la fonction de l'Etat est de garantir la liberté et la sécurité
des personnes et des biens surtout dans un contexte de mondialisation marqué par la globalisation de
l'économie planétaire menaçant la souveraineté des Etats. Cependant, il convient de souligner que l'Etat
dans une certaine mesure peut être aussi une entrave à la liberté, d'où la nécessité d'une limitation du
pouvoir par le pouvoir afin que la souveraineté reste au peuple tel dans le principe de la démocratie.
Donc disons avec Paul Valéry que « si l'Etat est fort il nous, écrase ; s'il est faible, nous périssons ».

DOMAINE III- EPISTEMOLOGIE

Introduction
A la question de savoir ce qu’est l’épistémologie, Marie Claude Bartholy et Jean Pierre Despin
répondent qu’elle est « une critique des principes, des méthodes et des conclusions de la science ».
Le mot vient du grec épistèmê («connaissance », «science ») et logos (« discours, étude »). Donc
l'épistémologie est littéralement l’étude de la science. Il s’agit d’un travail de réflexion critique sur la
science. Et selon ces deux acteurs, cette critique de la science s’effectuerait au cours de son élaboration
et lorsque celle-ci est achevée. Sous ce rapport, en décrivant l’histoire de la science et en la critiquant,
l’épistémologie permet à celle-ci d’accroître l’objectivité de ses connaissances. Cette réflexion critique
sur la science peut permettre ainsi de comprendre comment par sa démarche rationnelle et son souci
permanent de la preuve, la science se démarque des autres formes de connaissances. On peut ainsi dire
que l’épistémologie sans l’histoire des sciences serait vide mais l’histoire des sciences sans
l’épistémologie serait aveugle. L’Epistémologie nous permet donc de cerner les exigences et les
spécificités de la science.
La science se présente comme une forme particulière d’approche du réel qui tire son origine des
autres modes de saisie de la réalité. Elle se particularise par le renoncement à la recherche des causes
premières pour ne se consacrer qu’aux observables et à leur liaison constante et mesurable. La science
peut être définie comme une connaissance objective qui établit entre les phénomènes qu’elle
investit des rapports universels nécessaires, autorisant la prévision des résultats (effets) dont on
est capable de maîtriser ou de dégager par l’observation, la cause.
Une telle ambition pose un certain nombre de problèmes découlant d’abord de la résistance
farouche que les autres formes de connaissances opposent à l’esprit rationnel, mais aussi de la difficulté
pour la science à embrasser et à éclairer tout le réel. Ce sont ces obstacles nécessaires pour jauger la
scientificité d’une connaissance qui justifient la naissance et l’évolution de l’épistémologie.
Comme le remarque Robert Blanché « La science elle-même est loin d’être toute entière
scientifique au sens où ce mot qualifie un savoir parfaitement objectif ne laissant plus aucune place
à la contestation ». Ainsi, ce produit tardif de l’histoire est-il une connaissance incontestable,
pleinement objective ou bien simplement un savoir méthodiquement construit dont « la lumière
projette toujours quelques part des zones d’ombres » comme l’indique Gaston Bachelard ? La
science serait-elle le seul savoir certain comme le prétend le positivisme ?
Une telle étude de la science, de ses principes, de ses démarches et de ses résultats qu’est
l’épistémologie est d’autant plus nécessaire qu’elle débouche sur une dénonciation des écarts de la
pratique et des conséquences scientifiques par rapport à l’éthique ou à la morale.
Nous préciserons aussi le fait que la science est un savoir « désintéressé » au sens où elle cherche
d’abord à satisfaire la curiosité de l’intelligence humaine et que sous ce rapport, elle se distingue de la
technique qui se présente sous la forme d’un savoir-faire utilitaire dont la vocation est de satisfaire les
aspirations matérielles de l’homme. Ce qui n’exclue pas leur interdépendance.
I- Les premières approches du réel.
✓ Qu’est-ce que le réel ?

Le réel inclut l’ensemble des êtres et des choses que nous disons exister pour nos sens et nos esprits. Il
désigne donc l’ensemble des choses que l’homme voit, touche, sent, goutte ou pense dans le monde. Il
peut désigner aussi bien le monde matériel que le monde métaphysique. De ce point de vue, une
approche du réel désigne l’ensemble des opérations mentales que les hommes mettent en œuvre pour
expliquer les phénomènes. Il existe, à ce sujet, plusieurs approches du réel : le mythe, la religion, la
magie, la philosophie et la science. Le réel peut aussi désigner le vrai par opposition au faux.
✓ Qu’est-ce qu’une connaissance ?

C’est le processus par lequel l’homme cherche à comprendre les phénomènes qu’il étudie dans la nature
ou dans la société. La connaissance peut aussi être comprise comme la mesure ou l’image dont un
homme dispose au sujet d’une réalité donnée. « Connaître c’est mesurer » disait aussi Léon
Brunschvicg, c’est-à-dire, c’est quantifier.
✓ Qu’est-ce qu’une approche du réel ?

C’est l’ensemble des manières de concevoir les choses de la nature et de la culture. Elle est aussi
l’ensemble des opérations mentales que les hommes (philosophes, non philosophes, savants …) mettent
en avant pour expliquer, rendre intelligibles les phénomènes. Elle traduit une tentative d’explication et
de rationalisation d’un fait. Une approche fait figure d’un bloc de connaissance à défaut d’être une
science. Il existe plusieurs approches du réel : Mythe, Religion, Magie, Science …
• Le Mythe : C’est un récit imaginaire, légendaire, transmis par la tradition et qui à travers les
exploits d’êtres fabuleux (Divinités, Héros …) tente de rendre compte ou d’expliquer des
phénomènes naturels et humains (Origine du monde ou de l’Univers, de l’homme, des
institutions, de la technique etc.). Le mythe donne souvent une image de l’origine des faits,
événements, phénomènes ou réalités de la vie. Mircéa Eliade (Ecrivain et historien roumain)
considère dans Les aspects du mythe : « le mythe raconte une histoire sacrée, il relate un
événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des
commencements ». Autrement dit, il raconte comment grâce aux exploits des êtres surnaturels,
une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos ou seulement un
fragment : une ile, une espèce végétale, un comportement humain, une institution. Le mythe ne
démontre pas ce qu’il dit, il se contente de le dire et il est figé.
• La Religion : C’est un hommage intérieur d’adoration que l’homme rend à Dieu qu’il considère
comme son principe et sa fin. C’est à travers un ensemble de pratiques ou d’actes extérieurs que
l’homme manifeste la relation qu’il entretient avec la divinité. La religion est constituée par un
ensemble de dogmes immuables (invariables). Elle est sensée dire une vérité absolue,
incontestable pour le croyant. La religion nous introduit dans le domaine du sacré, qui en fait,
représente un caractère de puissance mystérieuse qui tantôt attire, tantôt repousse. Le croyant
considère qu’à travers la religion, c’est Dieu qui s’adresse à lui, même si l’on n’ pas de preuves
expérimentales. D’ailleurs, le croyant interprète toute chose comme une confirmation de ce qui
est dit dans la religion ou dans les textes sacrés.
• La Magie : Selon André Lalande dans son Vocabulaire technique et critique de la Philosophie,
la magie est « un art d’agir sur la nature par des procédés occultes et d’y produire ainsi
des effets extraordinaires ». A cet effet, la magie suppose l’existence d’un lien nécessaire entre
ce que dit ou fait le magicien directement ou à distance sur la nature et ce qui s’observe dans
son environnement. Cette pratique, il faut le dire, est ésotérique, c’est-à-dire appartient à des
initiés, à un groupe spécifique et consiste à faire agir des forces invisibles afin de produire des
effets souhaités ou modifier le cours de la nature. A cet effet, la magie se présente comme un
pouvoir crédible, efficace sur le plan individuel et social.

Mythe, Religion, Magie : quels rapports avec la Science ?


Texte :
« La science est un ensemble de connaissances et de recherches ayant un degré suffisant d’unité,
de généralité, susceptible d’amener les hommes qui s’y consacrent à des conclusions concordantes
qui ne résultent ni de conventions arbitraires ni des goûts ou des intérêts individuels qui leur sont
communs, mais de relations objectives qu’on découvre graduellement et que l’on confirme par
des méthodes de vérification définies. »
André Lalande

-Le mythe, dans sa démarche d’explication, s’apparente à la science. Comme la science, il cherche à
répondre aux questions que se pose l’homme au sujet de son existence et l’existence des autres réalités.
Cependant, ils n’ont pas la même valeur ou la même portée explicative. Le mythe tient un discours qui
n’est pas vérifiable, qui est imaginaire même s’il peut avoir des allures rationnelles. La science cherche
à démontrer et à prouver.
-La religion aussi explique le monde ou interprète les phénomènes. Elle est différente de la science. La
première différence, c’est qu’elle prétend tenir ses propositions d’une source extrahumaine (Dieu) alors
que la science est le produit de l’homme. L’autre différence est que la religion n’est pas apodictique
alors que la science se base sur des causes naturelles, non divines qui sont observables. La science
reconnaît aujourd’hui aussi son caractère « faillible » (ses erreurs) et est donc dynamique alors que la
religion revendique la vérité absolue. Cependant, la religion qui a une dimension morale peut aider [la
science ou] ou le scientifique à ne pas sombrer dans le nihilisme moral. A son tour la science peut aider
le religieux à ne pas se figer dans l’irrationalisme et l’obscurantisme (attitude de ceux qui sont contre la
raison ou le progrès).
-La magie et la science sont deux modes de connaissances pratiques. Le magicien est celui qui réussit à
domestiquer les forces surnaturelles et invisibles afin de les faire agir dans le sens souhaité. Ainsi comme
le savant, il parvient à réaliser des résultats satisfaisants. Cependant, la magie est inaccessible au public
non initié, elle est ésotérique alors que la science est rationnelle et accessible à tous (exotérique). La
science porte sur la nature alors que la magie a une dimension essentiellement surnaturelle. Le magicien
fait appel à des forces supérieures, surnaturelles sur lesquelles il se base pour atteindre des résultats
similaires à ceux de la science. Il y a dans le cadre de la magie une différenciation entre l’homme et les
forces de l’univers qu’il utilise. On a ici un rapport de sujet à sujet car tous les êtres sont animés et tous
communiquent avec l’homme (animaux, végétaux, astres …). En science par contre, on distingue le
sujet et l’objet. On étudie l’objet indépendamment de toute sensibilité. En ce sens, le rapport sujet-objet
relatif à la science n’existe pas en magie. La magie dans sa dimension pratique s’apparente aussi à la
technique, même s’il y a une nette rupture pour ainsi dire entre le sacré, le surnaturel, le mystique qui
lui sont intrinsèque et la rationalité, la démonstration, la vérification, l’exotérisme spécifique à la
technique.

II- L’esprit scientifique : Constitution et Progrès de la science.

A : Constitution de la science.
A1/ La connaissance commune (sensible ou empirique)
Les premières connaissances de l’homme découlent de son rapport avec le monde. Elles sont
déduites à partir des informations reçues par les sens ou de l’habitude. Ces conclusions sont considérées
comme des connaissances. Il s’agit des évidences premières ou immédiates que l’homme considère
comme savoir. On les appelle connaissance sensible relative aux différents sens humains ou empirique
qui renvoie au quotidien ou vécu par expérience. La connaissance empirique désigne l’ensemble des
formes de connaissances où le réel est saisi et appréhendé tel qu’il se donne à voir. Nos sens en tant
qu’outils de connaissance sont convoqués ici pour servir de moyens ou d’instruments de connaissance.
Ces connaissances préscientifiques sont subjectives, qualitatives, partielles mais aussi relatives.
Descartes le dit si bien quand il souligne le caractère trompeur de nos sens qui peuvent nous fournir des
informations non fiables sur le réel, donc sources de fausseté ou d’erreur.
Son erreur peut aussi découler de son mode d’inférence. En effet, dans ces sciences c’est
l’induction qui est privilégiée. L’induction est l’opération mentale qui consiste à partir d’une diversité
pour en tirer une généralité. Ces généralisations sont le plus souvent très utiles aux hommes, car elles
les aident à s’adapter au monde, à augmenter leur puissance d’action. Malheureusement, elles peuvent
être un obstacle à la saisie de la réalité profonde des objets. Certaines, nourries par l’imagination, sont
des généralisations abusives et conduisent aux préjugés.

A2/ La connaissance scientifique (intuitive ou déductive)


La connaissance intuitive diffère aussi un peu de celle scientifique. Connaissance intuitive veut
dire une vision directe de l’objet par l’esprit ou la connaissance sans l’intervention d’une réflexion. Ici
la raison saisit de facto la réalité et l’appréhende. On parle de connaissance a priori. L’expérience peut
venir en appoint la confirmer mais peut aussi l’infirmer. C’est ce qui marque sa fragilité. Cette absence
de vérification avant conclusion le différencie d’une connaissance purement scientifique. La
connaissance scientifique, elle, résulte de l’expérience. Elle est une connaissance a posteriori c’est-à-
dire que l’on tire à partir de l’expérience. Pas de l’expérience brute mais celle provoquée donc de
l’expérimentation du scientifique. On parle de connaissance discursive pour montrer le détour par
l’expérimentation ou la réflexion. Ainsi, la science ne part pas du réel, elle y conduit.
B- Progrès de la science.
On peut considérer que la connaissance scientifique est l’objet d’une quête, d’une conquête
progressive. Elle n’est pas donc absolument objective, c’est du certain enveloppé de probable, ce n’est
pas un triomphe définitif de l’esprit. C’est plutôt un succès graduel et momentané de l’objectivité sur
les obstacles épistémologiques qui se dressent sur son chemin. C’est ce que reconnaît Bachelard en
affirmant dans La formation de l’esprit scientifique que : « La connaissance du réel est une lumière
qui projette toujours quelque part des zones d’ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. »
C’est pourquoi le progrès de la science apparaît comme celui d’une révolution permanente dans laquelle
des idées viennent contredire des faits ou des faits des idées. Ce qui permet à Bachelard d’avancer que
les vérités d’aujourd’hui seront les erreurs de demain. En ce sens, la science apparaît comme une
rectification d’idées par les faits et de faits par des idées. Le rapport entre les théories et les faits ou
l’expérience est donc dialectique.
Ainsi, les faits scientifiques sont importants en ce qu’ils permettent d’infirmer ou de corroborer
une théorie. Il faut reconnaître cependant avec Poincaré « qu’on fait la science avec des faits comme
une maison avec des pierres, mais une accumulation de faits n’est pas plus qu’une science qu’un
tas de pierre n’est pas une maison » dans son ouvrage La science et l’hypothèse. Autrement dit, il ne
suffit pas de rassembler un ensemble de faits pour constituer une science, il faut que ces faits soient en
rapport avec une théorie qu’ils cherchent à évaluer.
Dès lors, dans le parcours de la science, s’il y a une révolution scientifique ou un changement
de paradigme comme l’affirme Thomas Kuhn, les scientifiques ne voient plus le monde de la même
manière parce qu’ils n’ont plus accès à lui qu’à travers leur propre paradigme. Kuhn appelle paradigme
une théorie scientifique forte et qui est considérée à un moment donné par la communauté scientifique
comme exprimant la réalité objective. Plus encore à chaque grande découverte il ne s’agit plus d’erreurs
rectifiées mais d’une refonte du système du savoir. Selon Kuhn, même le langage conceptuel peut varier.
C’est pourquoi, il déclare dans Structure de révolutions scientifiques ceci : « L’homme de science qui
adhère à un nouveau paradigme ressemble à l’homme qui portait des lunettes donnant une image
renversée. Placé en face du même ensemble d’objets qu’auparavant et le sachant, il les trouve
néanmoins totalement transformés dans nombre de leur détails […] bien que le monde ne change
pas après un changement de paradigme, l’homme de science travaille désormais dans un monde
différent. ». Avec Kuhn, on est en présence d’une épistémologie rupturaliste.
Karl Raymond Popper montre lui que les théories scientifiques ne sont que des conjectures ou
des hypothèses qui ne peuvent jamais être totalement vérifiées mais seulement corroborées (confirmées
provisoirement). C’est pourquoi Popper considère en parlant métaphoriquement que la science est une
construction sur pilotis qui peut à tout moment être emportée par les flots. Cela veut dire qu’une théorie
scientifique peut à tout moment être falsifiée ou réfutée « toutes les théories sont des hypothèses,
toutes peuvent être ruinées » dans La connaissance objective. Selon l’épistémologue, une théorie, pour
être scientifique, doit admettre la mise en place de protocoles et de tests destinés à la soumettre à
l’épreuve des faits. C’est ce qu’il appelle « la falsifiabilité » des théories scientifiques, par quoi elles
admettent pouvoir être « falsifiées » autrement dit, réfutées par les faits. C’est là qu’il situe la ligne de
démarcation de la rationalité scientifique. Pour Popper, il n’y a pas de vérification d’une théorie par
l’expérience. Celle-ci ne peut que « falsifier » une théorie scientifique. A ce titre, il ne parle pas de
vérité à propos des théories scientifiques, il admet cependant en elles une forme de vérité, qui est relative
et temporelle mais fondée et qu’il appelle « la vérisimilitude ».
Avec la crise du déterminisme, on a même remarqué que l’exactitude de la connaissance
scientifique s’est écroulée.
Le déterminisme encore appelé principe de causalité, a longtemps été considéré comme un
fondement inébranlable de la science. Le déterminisme pose que tout événement de quelque nature qu’il
soit est toujours l’effet d’une cause et cause d’un effet si bien que connaissant l’état d’un système à un
moment donné, on peut en prévoir en toute certitude l’état ultérieur. Ainsi tous les phénomènes qui
constituent l’objet des diverses recherches scientifiques obéissent à des lois ou dépendent de conditions
bien déterminées dont la connaissance permet de prévoir avec exactitude l’évolution future. L’énoncé
le plus satisfaisant en même temps le plus classique de ce principe du déterminisme universel a été
donné par Pierre Simon de Laplace (1749-1827), astronome, disciple et continuateur de Newton « Nous
devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la
cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné connaîtrait toutes les
forces dont la nature est animée et la situation respective des forces qui la composent, si d’ailleurs
elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule
les mouvements des plus grands corps de l’univers comme ceux des plus légers atomes ; rien ne
serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » Essai philosophique
sur les probabilités.
On le voit, Laplace étend la validité de ce principe à l’ensemble des phénomènes de l’univers
sans faire aucune discrimination. Mais cette conception du monde et de la connaissance scientifique a
été remise en cause avec les révélations troublantes du physicien Werner Heisenberg. Il montre qu’il
nous est impossible de confirmer ce déterminisme dès que nous descendons dans le monde de
l’infiniment petit (monde des atomes, électrons, protons, neutrons). Il précise qu’il nous est impossible
de déterminer à la fois la position et la quantité de mouvement d’un électron. C’est ce qu’on appelle le
principe ou les relations d’incertitudes de Heisenberg.
Pour localiser un électron et observer ces déplacements, il nous faut projeter sur lui un faisceau
lumineux et l’impulsion qu’il reçoit de ce choc de lumière a pour effet de modifier sa position et sa
quantité de mouvement (vitesse). Dès lors nous avons une perturbation introduite par l’observation dans
les phénomènes. La microphysique révèle ainsi que tous les phénomènes ne sont pas réglés par un
déterminisme rigoureux, que les seules prévisions que nous pouvons faire à l’égard de ces phénomènes
sont de natures probabilitaires. Ce que nous observons avec une telle découverte, c’est que des notions
qui jusqu’ici avaient été refoulées du champ de la science, comme le hasard, l’aléatoire, la probabilité,
l’imprévisible ou l’incertitude sont réintroduites et acceptées par elle (la science). Le physicien français
Louis de Broglie écrit dans ce sens « tandis que l’ancienne physique avait la prétention de soumettre
les phénomènes à des lois rigoureuses et inexorables, la nouvelle physique ne nous fournit que des
lois de probabilité (…). Il reste donc dans tous les phénomènes physiques une certaine marge
d’incertitude » dans Matière et lumière. C’est cela qu’on a appelé la fin de l’idéal de certitude.

III- La classification des sciences : unité et diversité des sciences.


Sous le vocable de la science se cache une multiplicité de disciplines qui partagent certes le
même esprit mais qui prennent des orientations si diverses qu’il importe d’aller au-delà pour découvrir
ce qui vraiment fait l’unité de ces disciplines. En tout cas selon une classification devenue classique en
épistémologie on distingue :
❖ Les sciences hypothético-déductives ou logico-formelles (sciences formelles : la Logique et
les Mathématiques).

Ces sciences sont dites formelles parce qu’elles recherchent non pas la vérité de l’énoncé c’est-
à-dire sa correspondance avec les faits ou l’expérience mais plutôt sa validité c’est-à-dire sa cohérence
du point de vue de la forme, de la logique. Elles reposent essentiellement sur une démarche déductive
qui est très rigoureuse. La forme, c’est la structure abstraite du raisonnement (Tout B est A, or tout C
est B donc tout C est A). Lorsque le logicien dit d’un raisonnement qu’il est correct ou incorrect, valide
ou invalide, légitime ou illégitime, cohérent ou incohérent, il ne s’intéresse qu’à la forme du
raisonnement. Dans sa conclusion, le raisonnement valide aboutit toujours à des jugements
formellement vrais. On cherche à valider une proposition en jugeant la cohérence, la logique du discours
argumentatif c’est-à-dire en analysant le raisonnement. Le raisonnement est un mode privilégié
d’approche du réel. S’opposant à l’intuition qui est une saisie directe, immédiate du réel, le raisonnement
est comprise comme « une opération discursive de la pensée qui part de données initiales pour
aboutir à une conclusion finale au moyen d’une série de jugements ordonnées de telle sorte que la
Vérité de la conclusion dépende nécessairement de la vérité des données » . Le raisonnement étant
ainsi un détour (dis cursus) de l’esprit se fixant comme fin normale et volontaire la recherche de la
vérité, le problème c’est de poser des règles ou des normes que tout raisonnement doit s’imposer pour
atteindre le « Vrai ». C’est l’objet de la logique qui se définit « science du raisonnement correct »,
chargée de distinguer un discours vrai d’un discours faux ; et qui est à la base de toute science.
La pensée logique s’oppose à la pensée concrète telle qu’elle est à l’œuvre dans les mythes et
les premières approches du réel (magie, connaissance empirique). La logique s’intéresse à la correction
formelle du raisonnement dont les Mathématiques offrent aujourd’hui la forme la plus achevée. Ainsi,
les Mathématiques et la logique sont dites sciences formelles en ce qu’elles ne s’attachent pas au contenu
du raisonnement, mais seulement à sa forme. Elles ne cherchent pas à atteindre à la vérité matérielle qui
est adéquation de la pensée au réel, mais visent la Vérité formelle qui est adéquation du raisonnement
à des normes logiques qui sont la cohérence et la validité interne. C’est ce qui fait qu’en mathématique,
les raisonnements partent toujours de postulats c’est-à-dire de propositions de départ non démontrées
(j’entends par cercle, j’entends par triangle…) à partir desquelles le mathématicien déduit des
conséquences logiques. Un postulat est une proposition ni évidente (sinon empiriquement) ni
démontrable mais qu’on demande d’accorder parce que nécessaires pour continuer ou commencer la
démonstration. Le terme vient de « postulare » qui signifie demander. C’est pourquoi en changeant le
postulat d’Euclide, Riemann et Lobatchevski ont pu aboutir à des géométries toutes aussi cohérentes
que celle d’Euclide.
La géométrie euclidienne repose, on le sait, sur le fameux postulat d’Euclide : « Par un point
pris hors d’une droite on ne peut mener qu’une parallèle et une seule, à cette droite ». Cette
géométrie paraissait absolue parce que adaptée à l’expérience quotidienne de notre espace à trois
dimensions. C’est précisément en essayant de démontrer le postulat d’Euclide, que des mathématiciens
ont abouti à un constat : l’indépendance axiomatique du postulat d’Euclide, c'est-à-dire en quelque sorte
sa nécessité. Ainsi, Lobatchevski et Riemann (XIXème) fondèrent de nouvelles géométries en partant de
postulats opposés à celui d’Euclide. Lobatchevski postule qu’on peut mener une infinité de parallèle.
Riemann postule qu’on ne peut en mener aucune. Tous les deux élaborent des géométries parfaitement
cohérentes. Ce qui faisait dire à Poincaré « une géométrie ne peut être plus ou moins vraie qu’une
autre, mais seulement plus commode ». Op.cit. Ainsi la distinction traditionnelle en mathématique
entre postulat et axiome disparaît. On parle désormais d’axiome ou de proposition première. « Est
axiome toute proposition qui ne se déduit pas d’une autre, mais que l’on pose par un acte décisoire
de l’esprit, au début de la déduction » écrit Lalande. Dès lors, l’axiome n’est ni vrai ni faux. Il est
arbitraire et gratuit. Aristote mettra en évidence l’axiome selon lequel « le tout est plus grand que la
partie ». Cela permet à Russell d’avancer « Les Mathématiques pures sont entièrement composées
d’affirmations construites sur le modèle suivant : si telle proposition est vraie d’une chose
quelconque, telle autre proposition est vraie de cette même chose. Il est inutile de chercher à savoir
si la première proposition est réellement vraie et de spécifier la nature particulière de la chose
dont il s’agit. On peut définir les Mathématiques pures comme une étude ou l’on ignore de quoi
l’on parle et où l’on ne sait pas si ce qu’on dit est vrai ». Ainsi l’axiome se comprend comme une
proposition indémontrable, mais dont la valeur de vérité est évidente à tous et qui sert de fondement à
tous les raisonnements ultérieurs.
Cet exemple peut être illustré dans le cadre de la logique qui partage avec les mathématiques la
dimension formelle. Prenons le syllogisme suivant :
Tous les sénégalais sont des Walo-Walo
Jean est un Sénégal
Donc jean est un Walo-Walo.
Nous sommes en présence d’un syllogisme. Aristote le définit comme « Un discours dans
lequel, certaines choses étant données, quelque chose d’autre que ces données en résulte
nécessairement, en vertu même de ces données. ». Notre proposition de départ est matériellement
fausse mais la logique considère qu’un tel raisonnement est valide parce que la conclusion est déductible
logiquement de la proposition de départ ou prémisse majeure.
La logique, comme discipline scientifique, est née avec Aristote et avec son ambition de mettre
à jour les présupposés qui imposent à notre esprit sa cohérence et qui permettent justement ces
liens « d’évidence » entre deux éléments distincts, qu’il appelle des axiomes. C’est ainsi qu’il met au
jour ce qu’il appelle l’axiome des axiomes, le principe de non-contradiction, qu’il définit de cette
manière « Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps,
au même sujet et sous le même rapport ». Il est impossible par exemple, qu’en même temps Socrate
soit à la fois laid et ne soit pas laid. De ce principe découlent deux autres principes, le principe d’identité
(A est A, A=A) et le principe du tiers exclus (si une proposition est vraie, alors sa contradiction est
fausse). De ces trois principes de base découlent, en outre, tous les types de relations qui peuvent lier
deux éléments entre eux, que ce soit la transitivité, la réflexivité ou la relation symétrique.
Ainsi, certains épistémologues considèrent, notamment les rationalistes et les idéalistes, que les
êtres mathématiques c’est-à-dire les points, les lignes, les cercles etc. ne sont pas empiriques mais
constituent une construction de l’esprit du mathématicien. Les maths constituent dans cette perspective
une abstraction qui loin d’être schématisation de l’expérience est le refus de la réalité perçue (cf. Platon).
L’espace du géomètre ne se trouve pas dans la nature, elle est une « étendue intelligible » et non
l’étendue concrète et réelle. Par contre les empiristes situent l’origine des notions mathématiques dans
l’expérience sensible « les points, les lignes, les cercles que chacun a dans l’esprit sont de simples
copies des points, des lignes et des cercles qu’il a connu dans l’expérience ».
Mais, la Logique et les Mathématiques vont se rapprocher avec d’abord la mathématisation de
la logique avec George Boole et ensuite avec la logicisation des mathématiques avec Gottlob Frege. Par
mathématisation de la logique, on entend le fait que la logique devient un système de signes absolument
univoques qu’elle emprunte à la science des nombres c’est-à-dire les mathématiques. On trouve déjà
l’idée chez Leibniz. Pour ce dernier, il faut trouver une science parfaite du raisonnement qui nous permet
de dire « calculons » chaque fois que nous devons dire « Raisonnons ». C’est avec George Boole qu’un
système de logique mathématique est véritablement mis en place. Le projet de Boole apparaît comme la
volonté de procéder à une mathématisation de la logique afin de rendre possible un traitement algébrique
de la pensée. La logicisation des mathématiques se fonde sur le principe de trouver des bases solides des
mathématiques face à une crise. Pour faire face à ce problème, selon Frege, il faut recourir à la logique.
Seule la logique est capable de fonder les mathématiques en explicitant les principes des mathématiques
et les règles d’inférence qu’elles mettent en œuvre. Avec le logicisme de Frege s’affirme la volonté de
construire un langage logique idéal dans lequel tout énoncé mathématique pourrait être exprimé. Par
logicisme, il faut entendre le fait d’accorder une place prioritaire à la logique et de considérer que les
mathématiques peuvent se ramener à la logique.
❖ Les sciences expérimentales ou sciences de la nature (Physique, Chimie, Médecine, S.V.T).
A la différence des sciences formelles (maths et logique) dont l’objet est l’intelligible, les
sciences dites positives portent sur le monde extérieur connu par l’esprit à travers les sens. On les appelle
sciences expérimentales au regard de leur méthode qui est l’expérience et science de la nature au regard
de leur objet qui est le monde. Ainsi, les sciences expérimentales étudient les faits c’est-à-dire des
réalités dont la connaissance n’est pas obtenue par le seul raisonnement mais par le recours à
l’expérience. Elles essaient à partir de l’étude des faits de dégager des lois et d’élaborer des théories.
Elles arrivent à une synthèse dynamique entre la théorie et l’expérience. Les sciences expérimentales
comprennent la physique qui étudie la matière interne, sa structure, la chimie qui étudie les composants
de la matière, la biologie qui a pour objet la matière vivante et l’astronomie qui s’intéresse au corps
céleste avec leurs variétés, leurs dérivées et certaines de leurs applications.
La notion d’expérience est une notion polysémique. Nous pouvons en retenir trois acceptions :
au sens familier ou vulgaire, l’expérience renvoie au savoir plus empirique que rationnel qui s’acquiert
par l’habitude d’une activité quelconque (avoir l’expérience de cultiver) : c’est le savoir-faire ; au sens
philosophique, l’expérience renvoie à l’exercice des facultés considérées comme fournissant à l’esprit
des connaissances valables qui ne sont pas d’abord dans l’esprit même du sujet connaissant ; au sens
scientifique qui nous intéresse, elle renvoie à la mise en valeur d’une idée, d’une explication et d’une
loi à des fins de vérification par des faits. C’est également l’ensemble des connaissances positives qui
en résultent. En science expérimentale, la validité d’une hypothèse repose sur les confrontations avec
les faits : ici l’exigence de vérification des hypothèses par les faits est de rigueur. C’est cette méthode
qui est le raisonnement à l’aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l’expérience des
faits. La méthode expérimentale qui est en vigueur dans les sciences de la nature suit un processus
ternaire : l’observation, l’hypothèse et la vérification.
1/ L’observation et l’établissement des faits : le premier moment de la démarche
expérimentale consiste dans l’établissement des faits scientifiques. Le fait scientifique est spécifique et
précis. Il renvoie au fait polémique et rectifié c’est pourquoi l’observation scientifique est différente de
l’observation naïve, spontanée et irréfléchie, d’où le rejet de l’intuition première c’est-à-dire les idées
premières que livre la sensation. Alain fait savoir qu’il faut être savant pour saisir un fait scientifique.
Ce que confirme Claude Bernard « l’expérimentateur qui ne comprend pas ce qu’il cherche ne
comprend pas ce qu’il trouve ». Le fait scientifique s’obtient par une élaboration que l’esprit fait subir
aux données naturelles. Ce que la nature nous offre c’est seulement le fait brut, le pur phénomène
inintelligible, dénué de toute signification rationnelle. L’observation des faits s’est opérée dans
l’expérience de Claude Bernard à propos des lapins (urine normale trouble et alcaline pour les herbivores
et urine claire et acide pour les carnivores). Ainsi l’observation exige une certaine culture, un certain
esprit critique. Comme le dit Bachelard l’observation scientifique est polémique. Le fait scientifique est
construit : il est fait. Et en ce sens il est idée.
2/ L’hypothèse : L’observation du fait n’est pas suffisante pour fonder la vérification
expérimentale. Selon Claude Bernard, la découverte réside plutôt dans l’idée qui s’attache aux faits. Il
estime que l’hypothèse joue un double rôle :
a- un rôle théorique : « une idée anticipée est le point de départ nécessaire de tout
raisonnement expérimental ». Le savant passe par le détour de la question pourquoi pas qui
rend compte d’un effort de l’intelligence pour résoudre la contradiction posée par le fait-
problème. L’hypothèse s’élabore graduellement et constitue le label incontournable pour tout
expérimental.
b- Un rôle pratique : l’hypothèse « guide la main » de l’expérimentateur ; c’est « elle qui
provoque l’expérience ». L’hypothèse est l’idée première qui tente d’expliquer le fait
polémique, le fait nouveau. Elle est un outil de travail précieux mais n’a pas de valeur absolue
(ni vrai ni faux). Elle anticipe sur la loi et la théorie et intervient dans le cas où le fait observé
dément l’explication qu’on en donnait. Claude Bernard la définit comme « une interprétation
anticipée et rationnelle des phénomènes de la nature ». Elle est donc pas a priori ni vrai ni
fausse. Il appartient à l’expérimentation de l’infirmer ou de la confirmer.

3/ L’expérimentation ou la vérification : L’hypothèse trouve sa signalisation dans son


caractère variable. La caractéristique essentielle des sciences expérimentales réside dans ce constat
incessant avec les faits. La vérification consiste à contrôler soit par une expérimentation effectuée
en laboratoire ou la répétition de l’observation pour déterminer la valeur d’une hypothèse.
L’hypothèse n’est scientifique que quand elle est vérifiable. Si elle est confirmée par
l’expérimentation, elle devient une loi. Les lois sont unifiées par des théories. La loi est une formule
mathématique censée traduire les phénomènes. Exemple : E=mc2 est un langage universel de divers
phénomènes.

❖ Les sciences sociales ou humaines (histoire, sociologie, linguistique, psychologie, etc.)


Par sciences humaines, on entend une réflexion scientifique sur l’activité humaine considérée
comme un fait, c’est-à-dire que l’accent est mis sur les caractéristiques antérieurement observables de
la manière dont se comportent les hommes soit individuellement soit collectivement en rapport avec les
situations données. Le problème global des sciences est relatif à leur scientificité. Le caractère
scientifique des sciences sociales est mis en doute par la vox populi, les canaux idéologiques et par
certains scientifiques, épistémologues ou philosophes. Les philosophes posent par essence que l’homme
ne peut être objet de science. Si l’homme est défini comme une liberté a priori, irréductible en son
tréfonds à l’approche scientifique, il n’est pas étonnant que jamais les sciences humaines ne puissent
parvenir à remplir le contrat qu’il leur impose. L’homme est un concept qui englobe une multitude
d’individualités contradictoires d’où le problème du statut épistémologique de cet être. Or comme le
montre Michel Foucauld dans Les Mots et les choses « la science ne peut se contenter des généralités
telles que l’homme pense, parle, meurt etc. ». Il n’y a pas de science de l’homme mais des sciences
des phénomènes humains. L’homme est ainsi dans la synthèse des objets divers dont les sciences de
l’homme s’occupent. L’homme est un objet introuvable. C’est dans cette optique que s’inscrivent ces
mots de Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage « nous croyons que le but des sciences humaines
n’est pas de constituer l’homme mais de le dissoudre ». Les sciences humaines se heurtent à un
problème méthodologique qu’ignorent les sciences de la nature : l’homme est à la fois observateur
(sujet) et observé (objet). Le problème de la distanciation entre le scientifique et l’objet est difficile.
C’est l’homme qui s’étudie en quelque sorte : d’où le risque de subjectivité.
Les exigences des empiristes rendent aussi problématique le statut des sciences sociales.
L’empirisme, en effet, celui de Carnap en particulier ou celui de Lazarsfeld exige de toute science qu’elle
calque ses méthodes sur celle de la physique. La scientificité des sciences sociales est hypothéquée par
le fait que ces sciences sont comparées méthodologiquement aux sciences de la nature. Ainsi, les
sciences sociales se donnent l’ambition de l’objectivité absolue et de neutralité axiologique dans
l’investigation de leur objet. Cet objet, par conséquent doit être empirique, concret donc susceptible
d’être quantifié ou mesuré. Les sciences sociales dans cette ligne veulent adopter la démarche de la
description positive et objective de l’homme et ses dérivés. Le courant althussérien (Louis Althusser)
refuse la science des sciences sociales. Pour lui, certaines sciences humaines au moins (disons
principalement l’économie et la sociologie) ne sont que des habillages théoriques de pratiques sociales.
Selon Althusser, les recherches en sciences humaines, excepté la psychanalyse, n’ont dans notre société
qu’une fonction idéologique. Ainsi se pose l’incertitude des sciences de l’homme : elles sont incapables
sous le prisme althussérien, de présenter le moindre théorème, la moindre loi à la validité universelle.
Toutes ces positions défavorables à la scientificité des sciences humaines se fondent sur la valorisation
des méthodes et des résultats des sciences humaines. Cette coupure est celle qui existe entre l’objectivité
(science de la nature) et la subjectivité (sciences humaines).
Nous pouvons accorder des circonstances atténuantes aux sciences de l’homme acceptant leur
scientificité. D’abord la délicatesse de sa méthode est liée à sa jeunesse (XIX ème). M. Foucault a bien
montré dans les mots et les choses que l’homme est une invention récente : les sciences sociales sont les
dernières dans la classification des sciences de Comte dans Cours de Philosophie positive : l’astronomie,
la physique, la chimie, la physiologie (biologie) et la physique sociale (sciences humaines) ; ensuite
aucune science n’étudie l’homme total. Il ne peut pas y exister de science qui ait pur objet l’homme (ce
ne serait alors que la Métaphysique). C’est pourquoi, elles se sont limitées à leur ambition légitime
comme le pense ici Karl Jaspers « les sciences humaines ont apporté toutes sortes de connaissances,
mais non de l’homme dans sa totalité » Introduction à la Philosophie. Il n’a jamais existé une science
qui prétend étudier la nature dans sa totalité. La multiplicité des recherches en science sociales traduisant
la diversité des objets n’est pas la source ici de subjectivité. Enfin, même s’il arrive une opposition entre
approches qui aboutissent à une réalité inter scientifique, cette situation n’est pas propre aux sciences
sociales mais elle est valable dans la physique : car la macro-physique et la microphysique présentent
des explications divergentes des phénomènes de la nature.

II- Statut de la vérité


Le sens du mot vérité n’est pas identique, c’est un terme polysémique. Qu’elle soit
mathématique, expérimentale ou interprétative, la vérité se révèle toujours relative, provisoire,
inachevée et néanmoins vraie. La vérité est relative c’est-à-dire vraie à un individu, sans cesser pour
autant d’être vraie pour les autres. Dans tous les cas, on cherche à justifier sa position par une
démonstration. Démontrer, c’est en effet montrer avec évidence, c’est rendre visible l’invisible et
explicite l’implicite. La vérité se comprend donc différemment selon les domaines où elle intervient.
A/ La vérité logique dans les Mathématiques et les sciences logico-formelles : Dans ces
sciences, la vérité signifie non-contradiction. C’est la vérité formelle qui concerne la cohérence interne
du discours, ce qui fait qu’il est logiquement vrai et que tous les éléments qu’il comprend s’accordent
entre eux. Elle ne juge en rien la conformité avec la réalité ou le monde extérieur. Elle se décrète par
rapport à la cohérence des propos avancés vis-à-vis des conclusions tirées à partir d’eux. On le trouve
dans le raisonnement logique où on cherche la cohérence dans les prémisses et la conclusion qu’on en
infère. C’est le cas du syllogisme, on parle alors de raisonnement valide. C’est le premier type de vérité.
B/ La vérité matérielle dans les sciences expérimentales : Cette vérité va au-delà de la
cohérence des propos, elle cherche à confronter le discours au fait. La vérité matérielle du discours, c’est
l’accord entre le discours et la réalité objective. Elle met à l’épreuve les théories par une
expérimentation. Si l’expérience ne contredit pas les explications apportées par la théorie, celle-ci sera
tenue pour vraie, jusqu’à ce qu’une autre construction théorique vienne la falsifier. C’est pourquoi en
physique par exemple, la théorie d’aujourd’hui est plus vraie que celle d’hier mais sera rectifiée par celle
de demain parce qu’elle a un pouvoir explicatif plus grand. Tel est le deuxième type de vérité, elle est
validée par l’expérimentation. Ici on peut parler proprement de vérité car la vérité peut se définir comme
une conformité entre ce qui est dit d’un objet et ce que l’objet est en réalité. Elle est construite en
soumettant la validité des théories à l’épreuve du réel. Elle est objective, démontrée, confirmée par ces
applications techniques mais reste provisoire.
C/ La vérité interprétative dans les sciences humaines : Nous sommes passés de l’explication
par des preuves physiques à l’interprétation des motivations humaines. Mais il n’y a pas de preuve de
vérité susceptible de trancher entre plusieurs interprétations concurrentes, puisqu’il n’est pas possible
d’expérimenter en ce domaine. On peut seulement estimer que certaines interprétations sont plus
plausibles, plus fécondes, plus éclairantes que d’autres. Dans ce troisième type de vérité, on cherche ce
qui donne sens c’est-à-dire ce qui éclaire, ce qui rend intelligible.

IV- Science-Technique et Ethique.


La science constitue un ensemble de connaissance. Elle offre de grosses possibilités techniques
autrement dit, elle permet des applications sur le plan technique. La technique au sens général est un
ensemble de procédés permettant d’obtenir un résultat jugé utile. En ce sens, la technique artisanale qui
est constituée d’outils et d’instruments mis au point de façon empirique a précédé la science. C’est peut
être à ce titre que Bergson définit l’homme comme un « Homo faber » avant d’être « Sapiens ».
Toutefois, les techniques contemporaines sont bien l’application des connaissances scientifiques. On
peut désormais parler d’une complémentarité ou interdépendance car les techniques sont aussi ce par
quoi la science progresse. Donc bien que leurs orientations soient divergentes parce que la technique
vise l’efficacité, l’utilité alors que la science comme connaissance cherche à satisfaire la curiosité
intellectuelle du savant, elles se soutiennent mutuellement et sont devenues si impliquées qu’on parle
maintenant de techno-science.
Mais les avancées de la techno-science posent des problèmes à l’humanité aussi bien qu’elles
arrivent à en résoudre. D’ailleurs pour Albert Einstein « tout notre progrès technologique, dont on
chante les louanges, le cœur même de notre civilisation est comme une hache dans la main d’un
criminel ». Il devient par conséquent urgent de la contrôler, de lui définir des garde-fous c’est-à-dire
des limites sur le plan éthique, morale ou juridique afin d’éviter que l’homme ne soit prisonnier de ses
propres productions (génétique, clonage, nucléarisation etc.). Car comme l’atteste Jean Rostand « la
science a fait de nous des dieux avant que nous ne méritions d’être des hommes ». La science s’est
approchée du vœu cartésien à savoir faire de l’homme « comme maître et possesseur de la nature ».
Pourtant certains considèrent que la technique ne peut déterminer des fins, que sa bonne ou
mauvaise utilisation dépend de son utilisateur (Einstein). Dans tous les cas, la techno-science a une part
de responsabilité par rapport aux maux de la société. La science a mis à notre disposition un très ou trop
grand pouvoir sans nous dire comment il nous faut l’utiliser, elle ne s’occupe pas d’éthique. Comme du
reste le note Bayet « la science ne fabrique pas une morale, elle est elle-même fabriquée par la
morale ». C’est pourquoi de ce point de vue, les moralistes c’est-à-dire les philosophes et les hommes
religieux ou théologiens peuvent bien apporter quelque chose au savant (supplément d’âmes-
supplément d’humanité).

Conclusion
Les sciences dans leur développement fulgurant suscitent des questions qu’elles même ne
prennent pas en charge. Du point de vue interne, elles n’ont pas les mêmes objets d’étude ni des
démarches parfaitement identiques. Par rapport à leurs conséquences, elles sont devenues débordantes
et font courir beaucoup de risques à l’humanité. Karl R. Popper reconnaît d’ailleurs que « la science
n’est pas le domaine de la sécurité mais de l’insécurité ». Ce constat rend nécessaire l’épistémologie
qui par sa critique des sciences leur permet de mieux comprendre leurs principes et leurs démarches afin
de préserver voire d’augmenter leur objectivité mais au-delà d’éviter que l’homme ne soit prisonnier de
ses propres productions. Sous ce rapport, on peut conclure avec Marie Claude Bartholy et Jean Pierre
Despin que « l’étude critique de la science que constitue l’épistémologie loin d’être purement
négative et de conduire à un plat scepticisme, se présente donc comme une contribution nécessaire
et bienfaisante au travail scientifique ».

Etude de texte :
La science dans son besoin d’achèvement comme dans son principe s’opposa absolument à
l’opinion. S’il arrive, sur un point particulier de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que
celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle
ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance. En désignant les objets par leur utilité, elle
s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le
premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas par exemple, de la rectifier sur des points particuliers
en maintenant comme une sorte de moule provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit
scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des
questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des questions et
quoi qu’on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est
précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit
scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de questions, il ne peut
y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi, rien n’est donné, tout est construit.
Gaston Bachelard, Formation de l’esprit scientifique.
Ce texte de Bachelard qui ouvre le premier chapitre de son livre fait apparaître l’opposition
radicale entre science et opinion. Il énonce que c’est termes d’obstacles qu’il faut poser les problèmes
de la science. Or ces obstacles, à la constitution et au progrès de la science (« obstacles
épistémologiques ») peuvent être exprimés par un seul mot : l’opinion. En quoi consiste l’opinion ? La
science se meut sur le plan de la recherche de la vérité, l’opinion s’établit sur le plan de l’utilité.
L’opinion est une connaissance vulgaire qui est constamment égarée par son pragmatisme. Elle décrète
les choses vraies ou fausses suivant leur utilité, leurs plus ou moins grandes conformités par rapport aux
besoins humains qui peuvent être d’ordre divers (nécessités vitales, besoins biologiques, sociaux,
moraux, politiques …). En procédant ainsi, l’opinion perd la qualité de la connaissance scientifique qui
est l’objectivité. Cette dernière ne peut être atteinte qu’à travers un examen impartial et désintéressé. La
science ne juge pas les faits d’après leur utilité par rapport à l’homme mais elle les étudie d’après leur
caractéristique et les lois auxquelles elles obéissent. Dire que connaissance scientifique est objective,
c’est aussi montrer que la science consiste en énoncés universels (lois) et en systèmes d’énoncés
(théories) qui obéissent à des critères de validités (cohérence logique interne) et à des critères de vérités
(adéquations entre les énoncés et les faits). C’est grâce aux respects stricts de ces critères que la science
prétend échapper à la subjectivité. Ainsi, la science écarte les énoncés qui contiennent une contradiction
interne et les énoncés qui sont infirmés par l’expérience.
L’objectivité de la science se manifeste également dans le fait qu’elle n’utilise que des concepts
univoques, c’est-à-dire des concepts qui n’ont qu’un seul sens, définis pour recouvrir un ensemble
déterminé de phénomène ou de relations. Elle s’oppose encore par là à l’opinion qui se sert de notions
équivoques.
La science s’éloigne aussi de l’opinion commune par son objet. La science étudie des faits mais
ces derniers contrairement à ce qu’on pourrait croire ne coïncide pas avec les faits tels qu’un profane
peut les observer autour de lui. Les faits de la science ne sont jamais des faits bruits. Le réel n’est jamais
appréhendé directement et immédiatement par la science. L’adhésion immédiate aux faits bruts est
facilement source de satisfaction intime mais ne peut jamais être base d’une évidence rationnelle. La
démarche scientifique procède par des détours compliqués. S’il n’y a pas de question, il n’y pas non
plus de connaissances scientifique dit Bachelard. Sur le terrain de la science, la croyance à des faits
bruts, c’est-à-dire non interprétés, est une illusion. Bachelard l’indique clairement dans un passage de
ce livre « il faut pour qu’un fait soit défini et précisé un minimum d’interprétation ». Les faits
scientifiques sont sélectionnés, construits, interprétés. La dernière formule du texte va plus loin « Rien
n‘est donné. Tout est construit ».
DOMAINE IV- ESTHETIQUE

Introduction

Dérivé du mot art qui vient du latin ars et qui signifie métier, art, habileté ; art et technique ont
la même origine grecque. Le mot technique au sens étymologique vient de techné qui désigne habileté,
le savoir-faire, du peintre ou potier. L’art est donc tout ce que l’homme ajoute à la nature, par invention
ou transformation. C’est plus tard qu’on va penser l’art comme production du « beau » dans son sens
restreint. Ainsi pour Lalande, est art « toute production de la beauté par les œuvres d’un être
conscient » Vocabulaire. Cette définition remonte au XVIIIème siècle et est utilisée essentiellement pour
désigner les œuvres qui ont pour seule finalité de représenter le beau. C’est la réflexion philosophique
sur le beau que l’on nomme précisément esthétique. « L’esthétique a pour objet le vaste empire du
beau » dira Hegel dans Esthétique. Nous devons ce néologisme au philosophe allemand Baumgarten :
le terme esthétique vient du grec aisthetike qui signifie sensation ou perception, d’aisthesis comme
« sens ». Donc il faut distinguer l’art au sens large comme ensemble de compétences technique (l’art du
charpentier, navigateur, médecin), et l’art au sens restreint comme création d’œuvres esthétiques appelé
beaux-arts. Distinguer de même l’artisan comme travailleur manuel de l’artiste comme créateur
intellectuel. Aussi, l’art au singulier comprend les beaux-arts ou les arts plastiques comme création de
belles œuvres, au pluriel il renvoie aux métiers ou techniques.
Etymologiquement, l’esthétique renvoie à ce qui relève de la sensibilité. C’est pourquoi selon
l’historien de l’art Panofsky, une œuvre d’art se caractérise par sa demande à être perçue esthétiquement,
par sa forme. Sous ce rapport, l’esthétique correspond au domaine désigné par science du beau ou
critique du goût, et englobe généralement la philosophie de l'art. C’est une discipline philosophique
nouvelle et indépendante se basant initialement sur la distinction platonicienne et aristotélicienne entre
les choses sensibles (aisthêta) et intelligibles (noêta).
Dans sa définition la plus large, l'esthétique a pour objet les perceptions sensorielles, l'essence
et la perception du beau, les émotions et jugements liés aux perceptions, ainsi que l'art sous toutes ses
formes (musique, peinture, gastronomie, etc.) et tous ses aspects (œuvre, créativité, etc.).
Interroger la notion d’Esthétique revient à se poser diverses questions : Qu’est-ce que l’art et
quel est son rapport avec la réalité ? Comment définir et juger le beau ? Quels sont les types d’art et leur
fonction? Telles sont les principales questions que pose ce chapitre et qu’il convient d’examiner.
I : La représentation artistique
A : Qu’est-ce que l’art?
Fidèle à son étymologie latine « ars », l’art est au sens général « un ensemble de procédés
servant à produire un certain résultat ». Selon Aristote « L’art est une disposition, susceptible de
création, accompagnée de règle vraie… » Ethique à Nicomaque. Mais, au sens particulier, l’art
désigne « l’ensemble des activités humaines visant à produire le beau. ». C’est une activité humaine
qui vise l’expression d’un idéal artistique. On peut, dès lors, concevoir l’art comme toute production qui
n’est pas issue directement de la nature, mais qui dépend de l’habileté humaine. Le but de l’art est la
création d’œuvre qui vise un idéal de beauté. On voit ainsi que l’activité artistique est une activité
spécifiquement humaine et que l’œuvre d’art est le reflet de la prise de possession par l’homme d’un
monde extérieur susceptible de transformation et de perfection. Kant, définissant l’art, commence par
montrer ce qui n’est pas art ; il écrit « L’art se distingue de la nature comme faire d’agir […]. L’art,
habileté de l’homme, se distingue aussi de la science (comme pouvoir de savoir) […]. L’art se
distingue aussi du métier. » Critique de la faculté de juger. Kant marque ici une distinction radicale
entre les œuvres artistiques avec celles de la science, de la nature et des métiers. Contrairement à
Aristote qui assimile l’art à la technique, Kant ne conçoit pas de règles dans l’art. Pour lui « L’art n’est
pas la représentation d’une belle chose mais la belle représentation d’une chose ». C.F.J. Autrement
dit, est œuvre d’art, toutes productions vues par un œil d’artiste et traduites par une technique artistique.
Ainsi, on peut dire que la séparation entre l’art et la technique réside bien moins dans les productions
que dans le mode de production des objets ouvragés. Aussi, Kant conclut « Ce que l’on n’a pas
l’habileté d’exécuter de suite, alors même qu’on en possède complètement la science, voilà
seulement ce qui dans cette mesure est de l’art ».
Hegel considère l’art comme l’esprit se prenant lui-même objet. Autrement dit, l’esprit se
déploie dans l’art. C’est pourquoi, chez lui, l’art est un tremplin vers l’Absolu. Chez Nietzsche, l’art est
plénitude c’est-à-dire elle « est essentiellement l’affirmation, la bénédiction, la divinisation de
l’existence » Volonté de Puissance. Il souligne ici l’aspect créatif et positif de l’art car pour lui, l’art,
par essence, est affirmation de l’existence, donateur de sens. Il affirme « L’art a plus de valeur que la
vérité » Le cas Wagner. Schopenhauer reprend l’héritage kantien et montre que l’art consiste à une
connaissance directe des Idées. Selon, lui l’art est « l’épanouissement suprême de tout ce qui existe »
Le Monde comme volonté et comme représentation

B- L’art est-il imitation ou création ?


L’art classique grec résidait dans une reproduction de la réalité. Il s’agissait d’être en harmonie
avec la nature. En effet, chez les grecs, la nature inspirait le travail de l’artiste et constituait le modèle
comme le suggère Cicéron : « il y a plus d’art dans la nature que ce que fait la main de l’homme »
dans Vies des philosophes. Pour les artistes comme Boileau, Léonard de Vinci, Michel Ange, plus
l’œuvre d’art ressemble à la réalité, plus elle est réussie, plus elle est esthétique. Selon Boileau, maître
de l’esthétique classique, il n’est pas « De serpent, ni de monstre odieux / Qui par l’art imité ne
puisse plaire aux yeux » dans Arts Poétiques. Aussi, l’artiste, par son œuvre, peut faire naitre le plaisir
dans la présentation qu’il fait d’un objet répugnant ou affreux. D’ailleurs Léonard de Vinci affirme dans
Trattato della pittura (Traité de la peinture) « l’œil reçoit de la beauté peinte le même plaisir qu’il
reçoit de la beauté réelle ». La beauté artistique émanait donc du réel et se résumait à une parfaite
imitation de la nature. Ainsi dira Albert Dürer « l’art réside dans la nature,…plus ton œuvre sera
conforme à la nature, meilleure elle sera,… ».
L’œuvre d’art parfaite doit, de ce fait, représenter la nature au point de s’y méprendre. L’art était
figuratif. « La peinture est la fille légitime de la nature » disait Léonard de Vinci. L’exemple des
peintres donné par Hegel dans Esthétique illustre bien ces propos. Il montre que le peintre Zeuxis a
peint des raisins que les oiseaux venaient picorer et Praxeas avait reproduit le rideau de sa chambre au
point de se cogner souvent au mur faute de pouvoir distinguer le vrai du rideau peint. Il s’agit
essentiellement d’un art réaliste. Et c’est d’ailleurs cette tradition de pensée qui a donné naissance à ces
deux mouvements littéraires et artistiques que sont le Réalisme et le Naturalisme. Le roman de Zola
Germinal qui dépeint la vie réelle des mineurs au XIX e siècle en est aussi une parfaite illustration. Si
bien que chez eux, ce qui ne représente rien ne ressemble à rien pour dire que l’imitation est la garantie
de la qualité de l’art.
C’est justement cette vision de l’art comme mimesis qui justifie les critiques de Platon. Il
disqualifie le travail de l’artiste comme copie du réel. Pour l’académicien, la reproduction du faux rend
encore difficile l’accès au vrai. C’est au nom de la vérité que Platon milite pour la mort des artistes parce
qu’ils nous plongent dans l’illusion. En reprenant les apparences qu’ils prennent comme modèle, les
artistes nous entraînent dans un double mensonge. Selon Platon, l’art ne nous dit rien sur la réalité.
L’exemple des trois lits permet de comprendre sa position. En effet, d’après Platon, le peintre reproduit
sur sa toile le lit du menuisier qui est une copie imparfaite de l’idée de lit qui se trouve dans le monde
intelligible. Ainsi, l’art est mensonger, illusionniste pour lui parce que non seulement il se contente
d’imiter la nature mais il ne s’arrête que sur l’apparence des choses au lieu d’aller au fond de la réalité.
Hegel est aussi tout à fait à l’opposé de cette conception réaliste de l’art. Pour lui, l’art réside
surtout dans la création. D’ailleurs l’artiste a beau imiter la nature, ses efforts resteront vains
comme « un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant » déclare-t-il. Ainsi, l’art ne peut être
perçu comme mimésis. Une façon de préciser que l’art ne saurait être une imitation du réel. Un tel projet
serait même insensé selon Hegel qui écrit dans Esthétique « quel besoin avons-nous de voir dans des
tableaux ou sur une scène des animaux, des paysages ou des événements humains que nous
connaissons déjà pour les avoir vu dans nos jardins, dans nos intérieurs ». L’œuvre d’art se présente
alors comme un dépassement de la nature, une autre vision du monde. Sa finalité est de « révéler la
vérité (…) et de figurer » concrètement cette vérité ajoute Hegel dans Esthétique. L’art requiert donc
chez lui l’intervention de l’esprit en tant qu’il apporte quelque chose à la nature. Il vise à nous montrer,
dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui échappent à nos sens et à notre
conscience. Aussi, Bergson soutient que l’art est ce qui nous met en « face à face avec la réalité même »
dans Le Rire. L’art ne se propose pas de reproduire l’objet du réel auquel nous sommes confrontés mais
de présenter autrement l’objet de façon artistique afin de le mettre en évidence comme le souligne Paul
Klee « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Il est re-création, transfiguration et présente
le réel comme une œuvre d’art. L’art, sous tous ces aspects, est donc une transposition et non pas un
reflet du réel. Il fait la promotion, l’instauration d’un autre monde. Heidegger dira à ce propos « l’œuvre
d’art dit autre chose que la chose qui n’est que chose (…), l’œuvre d’art est allégorique ». La beauté
de l’œuvre d’art n’est pas la reproduction d’une valeur impliquée dans la nature mais la création d’une
valeur de beauté spécifique et originale. Ce qui permet à Hegel de conclure que l’art n’imite jamais mais
réalise.
Mais l’artiste comme créateur n’est pas aussi aisé à admettre. Rappelons que la création, comme
produire quelque chose à partir de rien ou faire advenir ce qui n’existait pas, est un terme chargé
religieusement. Seul Dieu est créateur, tout le reste n’est que créature. Du latin créatio, qui signifie
inventer du neuf, faire naître du nouveau, la création semble être le propre de Dieu. Ainsi l’artiste se
posant en créateur semble être en concurrence avec Dieu. Ce paradoxe peut être dépassé lorsqu’on
analyse le processus de création. Il est admis que Dieu crée ex nihilo c’est-à-dire à partir de rien,
seulement par le Verbe. Mais la création artistique qui est celle de l’homme se réalise à partir de
matériaux tirés de la nature. L’artiste crée, à cet égard, à partir de quelque chose et reflète son esprit ; ce
qui faisait dire à Nietzsche dans Gai savoir que « la nature est un point de départ, mais un point de
départ intolérable »
Dès lors comment appréhender la création humaine ? Peut-on dire de l’artiste qu’il est maître de son
œuvre ?
Selon Platon, c’est l’inspiration qui anime l’artiste. Il bénéficie d’un statut de privilégié étant le
réceptacle de la divinité qui l’inspire. Il en découle une perte de raison, qui fait dire à Platon dans Ion :
« Le poète crée par l’effet d’un don divin ». Aux yeux de Platon, l’artiste subit une influence divine
dans son travail, il est possédé par les dieux ou muses qui parlent à travers lui. C’est pourquoi, il demande
d’honorer le poète avant de le chasser de la République car il a le privilège de converser avec les Dieux.
La notion de génie permet à Kant d’expliquer l’originalité d’une œuvre d’art. Du latin genius qui peut
désigner talent ou don, le génie, pour Kant, « est une disposition innée de l’esprit par laquelle la
nature fournit des règles à l’art » dans Critique de la faculté de juger. Selon Kant, le génie de l’artiste
renvoie à son « talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée
». Son génie lui permet de réaliser des œuvres exemplaires à travers des règles fournies spontanément.
Ainsi sa création échappe à toute rationalité. C’est pourquoi l’artiste n’est pas en mesure de donner une
explication de son art. Aucun artiste n’a écrit un livre sur ses œuvres. Le génie n’est donc pas une attitude
qui peut être apprise d’après une codification de gestes. Contrairement à Kant qui en fait un « don de
la nature », Nietzsche y voit le résultat d’une activité minutieuse proche de l’activité artisanale. D’après
Nietzsche, l’activité du génie résulte d’un long travail. Pour lui, le génie n’est pas un miracle, il découle
des efforts fournis par l’artiste. Il est donc le fruit d’un labeur, le produit d’une longue expérience dans
l’activité artistique.

Texte n° 01
Le fait d'imiter est inhérent à la nature humaine dès l'enfance; et ce qui fait différer l'homme
d'avec les autres animaux, c'est qu'il est le plus enclin à l'imitation : les premières connaissances
qu'il acquiert, il les doit à l'imitation, et tout le monde goûte les imitations.
La preuve en est dans ce qui arrive à propos des œuvres artistiques; car les mêmes choses que
nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation, telles, par
exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des cadavres.
Cela tient à ce que le fait d'apprendre soit tout ce qu'il y a de plus agréable, non seulement pour
les philosophes, mais encore tout autant pour les autres hommes; seulement ceux-ci ne prennent
qu'une faible part à cette jouissance.
Et en effet, si l'on se plaît à voir des représentations d'objets, c'est qu'il arrive que cette
contemplation nous instruit et nous fait raisonner sur la nature de chaque chose, comme, par
exemple, que tel homme est untel; d'autant plus que si, par aventure, on n'a pas prévu ce qui va
survenir, ce ne sera pas la représentation qui produira le plaisir goûté, mais plutôt l'artifice ou la
couleur, ou quelque autre considération.
Comme le fait d'imiter, ainsi que l'harmonie et le rythme, sont dans notre nature […] les hommes
qui avaient le plus d'aptitude naturelle pour ces choses ont, par une lente progression, donné
naissance à la poésie, en commençant par des improvisations.
ARISTOTE, La Poétique, chapitre IV

Texte n° 02
C'est un vieux précepte que l'art doit imiter la nature ; on le trouve déjà chez Aristote. Quand la réflexion
n'en était encore qu'à ses débuts, on pouvait bien se contenter d'une idée pareille ; elle contient toujours
quelque chose qui se justifie par de bonnes raisons et qui se révélera à nous comme un des moments de
l'idée ayant, dans son développement, sa place comme tant d'autres moments. D'après cette conception,
le but essentiel de l'art consisterait dans l'imitation, autrement dit dans la reproduction habile d'objets
tels qu'ils existent dans la nature, et la nécessité d'une pareille reproduction faite en conformité avec la
nature serait une source de plaisirs. Cette définition assigne à l'art un but purement formel, celui de
refaire une seconde fois, avec les moyens dont l'homme dispose, ce qui existe dans le monde extérieur,
et tel qu'il y existe. Mais cette répétition peut apparaître comme une occupation oiseuse et superflue, car
quel besoin avons-nous de revoir dans des tableaux ou sur la scène, des animaux, des paysages ou des
événements humains que nous connaissons déjà pour les avoir vus ou pour les voir dans nos jardins,
dans nos intérieurs ou, dans certains cas, pour en avoir entendu parler par des personnes de nos
connaissances ? On peut même dire que ces efforts inutiles se réduisent à un jeu présomptueux dont les
résultats restent toujours inférieurs à ce que nous offre la nature. C'est que l'art, limité dans ses moyens
d'expression, ne peut produire que des illusions unilatérales, offrir l'apparence de la réalité à un seul de
nos sens ; et, en fait, lorsqu'il ne va pas au-delà de la simple imitation, il est incapable de nous donner
l'impression d'une réalité vivante ou d'une vie réelle : tout ce qu'il peut nous offrir, c'est une caricature
de la vie (...). C'est ainsi que Zeuxis peignait des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle
que les pigeons s'y trompaient et venaient les picorer, et Praxeas peignit un rideau qui trompa un homme,
le peintre lui-même. On connaît plus d'une de ces histoires d'illusions créées par l'art. On parle dans ces
cas, d'un triomphe de l'art. (...). On peut dire d'une façon générale qu'en voulant rivaliser avec la nature
par l'imitation, l'art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des
efforts pour égaler un éléphant. Il y a des hommes qui savent imiter les trilles du rossignol, et Kant a dit
à ce propos que, dès que nous nous apercevons que c'est un homme qui chante ainsi, et non un rossignol,
nous trouvons ce chant insipide. Nous y voyons un simple artifice, non une libre production de la nature
ou une œuvre d'art. Le chant du rossignol nous réjouit naturellement, parce que nous entendons un
animal, dans son inconscience naturelle, émettre des sons qui ressemblent à l'expression de sentiments
humains. Ce qui nous réjouit donc ici c'est l'imitation de l'humain par la nature.
HEGEL, Esthétique

II : L’expérience esthétique
A : Qu’est-ce que le beau ?
Le beau dérive du latin bellus comme joli ou charmant. Voltaire affirme « Qu’est-ce que le
beau ? Demandez à un crapaud, il vous répondra que c’est sa crapaude ; demandez à un noir de
guinée, il vous parlera d’un nez épaté, d’une grosse bouche et d’une peau huileuse…, demandez à
un philosophe : il vous répondra par un galimatias ! » Dictionnaire philosophique. La définition du
beau semble relative. Ce qui donne raison au sens commun qui admet la diversité des opinions sur le
beau affirmant qu’on ne discute pas des goûts ni des couleurs. Le beau est différent de l’agréable car le
beau procure un plaisir formel et l’agréable un plaisir sensible, empirique. Il s’oppose aussi au sublime
qui désigne ce qui nous dépasse ; le sublime exprime ce qui en comparaison tout est petit.
Selon Kant « le beau est une finalité sans fin ». Autrement dit, le beau au sens esthétique
qualifie ce qui suscite un plaisir sans intérêt. Il précise « Le beau est l’objet d’un plaisir désintéressé ».
Chez Kant, le beau est subjectif, nous nous intéressons à la pure forme non au contenu matériel ou à
l’existence. En ce sens, le beau diffère du bon, de l’agréable et de l’utile. Ces derniers se rapportent
toujours à l’individu, au particulier et suppose un intérêt. Kant souligne en ce sens : « l’agréable
signifie pour chacun ce qui lui fait plaisir ; le beau, ce qui simplement plaît ; le bon, ce qu’il estime,
ce qu’il approuve, c'est-à-dire ce à quoi il attribue une valeur objective » Critique de la faculté de
juger.
De même, le beau n’est pas le vrai parce qu’affaire de goût donc sans preuve ni connaissance
objective car l’art n’est pas une science. Le beau revêt donc une prétention d’universalité même s’il est
difficile d’expliquer son sentiment. Sous ce rapport « le beau est ce qui plaît universellement sans
concept » c’est-à-dire que le beau est l’affaire du goût qui porte une exigence d’un accord universel
subjectif sans preuve ni argument. Kant prône un art désintéressé, et installe une différence entre beauté
libre (aimer la forme) et beauté adhérente (aimer l’utilité).
Hegel définit le beau « comme la manifestation sensible de l’idée » Esthétique. Selon lui,
l’Idée révélant l’esprit et l’art permettant l’expression sensible de cette Idée, lui donne une existence à
la fois vraie que belle. L’Idée, conçue comme une forme supérieure de l’Esprit, s’actualise pleinement
dans l’œuvre d’art et le Beau. Analysant la beauté, il en distingue deux sortes : la beauté naturelle et
la beauté esthétique. Il fait coïncider la beauté naturelle du plaisir né de la reproduction de la nature
marquant une aliénation, d’où son caractère inachevé ; la beauté esthétique inaugure l’investissement de
l’esprit qui purifie le réel. Chez Hegel, la beauté naturelle, c’est avant tout ce qui répond à un sentiment
personnel, ce qui suscite la joie en nous. La beauté esthétique, elle seule relève de l’artistique parce
qu’elle constitue l’expression de la beauté par l’esprit humain.

B : Le jugement de goût
Le goût est la faculté de juger d’un objet ou d’une représentation par une satisfaction dégagée
de tout intérêt. Le goût désigne donc la faculté de juger le Beau. Selon Kant, le relativisme du Beau est
un subterfuge permettant à ceux qui n’ont pas de goûts de se défendre de tous blâmes. En fait, il existe
une faculté capable de juger le beau qu’il appelle le jugement de goût. C’est un jugement esthétique qui
découle du sentiment de plaisir né de la contemplation de l’objet. Dès lors, le jugement de beauté n’est
pas fondé dans l’objet même mais par rapport à sa façon de nous affecter. Ce plaisir esthétique ne
poursuit aucun but ni satisfaction particulière. Le jugement esthétique est formel. Cependant, le
jugement de beau n’est pas valable pour moi mais il l’est pour tous. Affirmer qu’une chose est belle,
c’est parler pour autrui autant que pour soi. En fait, ce n’est pas la raison qui décrète la beauté ni la chose
elle-même qui l’impose. La beauté naît d’une rencontre libre, d’un libre accord de l’imagination et de
l’entendement : la contemplation. Le beau ne relève plus de l’ordre du rationnel mais de l’ordre du
sensible.
La contemplation esthétique, c’est l’invasion d’une réalité obsédante et exclusive, c’est la
présence en soi d’une valeur de beauté qui éclipse tout le reste, une transfiguration radicale en un
sentiment qui me transporte au-dessus de moi-même vers l’extase. Dans la contemplation esthétique je
suis « ravi » c’est-à-dire délivré de soi-même, de la tyrannie de mes désirs. Universelle en droit, la valeur
esthétique est en même temps nécessaire. Universalité et nécessité reconnues « sans concept »
n’impliquant ni démonstration ni raisonnement : elle s’éprouve ne se prouve pas. Le jugement de goût
ne peut se prouver, et pourtant on peut en discuter parce qu’il ne repose pas sur des concepts. Avec Kant,
le sentiment esthétique résout concrètement l’antinomie entre un goût purement subjectif et un jugement
universel. Chez lui, le goût esthétique n’est pas seulement un jugement du sentiment. C’est un sentiment
du jugement autrement dit un universel nécessaire affectif. Cette universalité permet de distinguer
fondamentalement ce qui plaît aux sens dans la sensation et le beau en tant que tel. Pourtant il existe
d’autres approches pour comprendre l’art. Dans la conception freudienne, l’artiste est un inadapté social.
L’expression artistique joue chez lui un rôle d’exutoire et à travers l’œuvre symbolique, il dissimule ses
désirs. L’art lui permet de satisfaire dans la réalité ses rêves et fantasmes que les interdits sociaux
réprimandent. Cette analyse se base notamment sur le concept de sublimation ; la création artistique est
considérée comme la transposition d’une pulsion (désir) : la tentative pour l’artiste de surmonter son
insatisfaction par la création d'un objet socialement valorisé, susceptible de satisfaire son désir.

III- Formes, finalités et fonctions de l’art ?


On accorde à l’art et lui assigne volontiers des manières particulières de se présenter (formes),
on suppose aussi que l’art inclut des vocations (fonctions) et des dimensions téléologiques dans son
déploiement (finalité).
a- Les formes d’art.
L’art peut se présenter sous différentes formes suivant le rapport de l’activité de production des œuvres
avec la matière ou selon l’outil fondamental dans la création. Trois formes peuvent être soulignées ; on
distingue ainsi :
Les « arts libéraux » qui caractérisent le domaine d’expression de l’intelligence, de l’esprit pur
(rhétorique, littérature, astronomie, etc.). A ce niveau, c’est l’utilisation de la raison qui particularise ces
arts. L’outil n’est plus matériel mais immatériel dans le sens où c’est la réflexion pure qui constitue le
support de la création. L’artiste acquiert à ce titre une liberté car c’est sa raison qui est à l’œuvre dans la
création artistique. Il n’est plus aliéné ou dépendant de la matière.
Les « arts mécaniques » où interviennent la main et la machine (menuiserie, maçonnerie, etc.). Dans
ces arts, l’artiste s’appuie sur la technique dans la réalisation de son œuvre. Ils supposent la technicité,
un savoir-faire adossé à l’utilisation des outils dans la production artistique. Le peintre Dubuffet écrit, à
cet égard « L’art doit naître du matériau et de l’outil, il doit garder la trace de la lutte de l’outil avec le
matériau. L’homme doit parler mais l’outil aussi et le matériau aussi. » L’artiste reste alors dépendant
des instruments qui constituent une condition de sa création.
Les « Beaux-arts » qui sont les Arts par excellence appelés aussi « arts plastiques » (la peinture, la
musique, l’architecture, etc.). Ces arts marquent la présence d’une source irrationnelle. La rigueur
rationnelle et naturelle est dépassée car l’œuvre traduit souvent ce qui est hors de l’ordre du réel et du
pensable. L'art pourrait donc servir à reproduire des concepts éternels conçus ou imaginés par la seule
contemplation. C’est dans son imagination, son inventivité ou son génie que l’artiste puise les contours
de son œuvre.
A partir des diverses manifestations des arts libres ou beaux-arts, Alain tente une classification
des arts dont le principe repose sur la distinction des arts de société à savoir la danse et le théâtre, des
arts solitaires comme la sculpture et la parure. A travers les organes sensoriels, on peut essayer une
classification des arts. On peut distinguer d’abord les arts tactilo-musculaires comme le sport et la
danse, ensuite les arts de la vue à l’instar de l’architecture et la peinture, en plus les arts de l’ouïe à
savoir la musique et la littérature et enfin les arts de synthèse visuelle et auditive dans le théâtre et le
cinéma.
b- Les fonctions et les finalités de l’art.
« L’art pour l’art » telle est la devise des parnassiens. Selon eux, l’art ne peut avoir aucune fonction
ou utilité. L’art européen reste donc pour l’essentiel décoratif et esthétique. Mais, l’art africain est un art
fonctionnel comme le montre Senghor. En plus de rechercher le beau qui constitue sa dimension
esthétique, l’art africain s’occupe aussi de l’utilité de l’ouvrage. En Afrique, est beau ce qui sert. C’est
en ce sens qu’il faut comprendre les propos d’Alain selon lesquels « le beau fleurit dans l’utile ». En
ce sens, on pourrait soutenir avec Senghor que « le négro-africain assimile la beauté à la bonté, à
l’efficacité. Encore une fois, il est question d’une beauté fonctionnelle » dans Liberté, tome 1 :
Négritude et humanisme.
Ainsi, à chaque fonction se dissimule une finalité qui la porte et lui confère une importance. A ce titre,
les deux dimensions seront articulées dans une même analyse.
La fonction première et fondamentale de l’art est la fonction esthétique. L’art permet de représenter
ses sentiments ou ses pensées, d’agir ou de se comporter d’une manière esthétique c’est-à-dire dans le
souci de beauté. L’art tend alors vers la manifestation du Beau de façon à plaire par elle-même.
Théophile Gautier disait à ce propos « sculpte, lime, cisèle, uniquement pour produire le beau ». La
rime, dans les déclarations d’amour, les couleurs ou les parures dans l’habillement poursuivent cette
finalité.

L’art a une fonction thérapeutique. Il sert à soigner l’individu ou le soulager de ses maux. Il constitue
un remède contre les affections surtout pathologiques de l’Esprit. Dans la perspective freudienne, la
sublimation permet à l’artiste d’évacuer ses pulsions socialement inadaptées. Au Sénégal, par exemple,
les cérémonies d’exorcisme (ndëpp) sont thérapeutiques. De même, dans les sociétés traditionnelles, les
masques (chez les Dogons) sont utilisés à des fins thérapeutiques. L’art vise donc à délivrer la personne
possédée par des forces obscures ou son inconscient afin de faciliter sa réintégration familiale.
L’art a une fonction subversive ou contestataire lorsqu’il s’inscrit sous le signe de la lutte pour une
cause. Frank Kafka de s’interroger en ces termes : « Si les livres que nous lisons ne nous réveillent
pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon les lire ? ». D’ailleurs, toute l’œuvre d’Aimé Césaire
dénonce la domination étrangère. Il disait : « Ma bouche sera la bouche des malheureux qui n’ont
point de bouche ; ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». Ici, l’art a
pour finalité d’éveiller la conscience des populations pour les amener à prendre leur destin en main. Par
exemple, l’artiste utilise sa plume, sa voix ou son pinceau au service d’une cause.
L’art a une fonction de représentation, historique ou commémorative lorsqu’il immortalise un
événement. L’art est, par conséquent, une façon de lutter contre la mort dans la mesure où, l’homme,
voué à la mort, crée pour donner congé à sa mort. Ce qui fait dire à André Malraux que « l’art est un
antidestin ». Nous avons les scènes de chasse et de guerre que les hommes des cavernes ont représentées
sur les grottes qui sont toujours présentes et nous retracent ou rappellent leur histoire (la peinture
rupestre). Avec cette fonction, l’art vise à lutter contre la mort d’un événement. Il fixe pour l’éternité
une réalité qui est vouée à disparaître. Hegel écrit « il rend durable ce qui à l’état naturel n’est que
fugitif et passager ».
L’art a une fonction expressive ou communicative lorsque l’artiste exprime, dévoile ses sentiments,
ses idées, ses rêves, ses craintes, ses espoirs, ses désespoirs etc. Ainsi, faire de l’art, c’est communiquer,
sortir de soi-même pour aller vers autrui. Baudelaire souligne dans ce sens que « l’art est le bon
conducteur des sentiments les plus forts, et on ne peint que son propre cœur ». Par-là, l’art laisse
transparaître toute l’intériorité de l’artiste. Les chants, danses ou tambours ont longtemps été les moyens
de communication dans les sociétés africaines ancestrales. Les arts rythmiques permettaient alors de
transmettre des messages.
La fonction impressive intervient lorsque l’artiste suscite des sentiments chez autrui : des sentiments
de joie ou de peine, de bonheur ou de dégoût, d’espoir ou de désespoir, de quiétude ou d’inquiétude, etc.
Il cherche à installer ou réveiller chez le spectateur ou le public une sensation. C’est le cas des reportages
sur l’extermination de certaines espèces animales. A travers le cinéma ou la télé, il a pour but de créer
une sympathie et un élan de solidarité. Picasso, horrifié par la guerre civile en Espagne, a peint
« Guernica » qui peut susciter un sentiment de terreur à l’humanité.
L’art a une fonction ludique ou sociale lorsque l’objet divertit et permet d’appréhender les vicissitudes
de la vie ou la cruauté de la réalité dans le rire. L’art a aussi une vocation de célébration dans la
plaisanterie de certains événements. Sous ce rapport, l’art peut cimenter les liens sociaux. En cas de
décès aussi, les petits-fils d’un défunt portent ses habits et miment ses gestes ou tics lors des funérailles.
La finalité est de rendre moins triste voire joviale la perte de l’être.
Il a une fonction pédagogique. A travers les fables et les contes, l’art éduque des générations. Des
séances nocturnes sont organisées dans les villages, donnant l’occasion de raconter des mythes et
légendes visant à transmettre des valeurs. En ce sens, l’art participe à l’éducation du peuple. Il devient
une manière assez subtile d’inculquer aux jeunes les règles du groupe. Les punitions et les récompenses
liées aux normes sont distillées de façon artistique.
La fonction magico-religieuse est manifestée par les objets de culte, des édifices religieux mais aussi
les masques et décorations mystiques. Il raffermit le lien avec le monde invisible ou avec l’Être Suprême.
C’est pourquoi Senghor considère l’art africain dans Liberté, I « comme la religion en acte ». Dans les
cérémonies cultuelles ou rituelles, on se sert de statues et de masques pour convoquer la fécondité ou la
réussite ou pour conjurer le mauvais sort. Il pousse alors à penser à la création du monde, à la mort, etc.
La fonction politique où l’art entre en relation avec les institutions ou le pouvoir politique. Il peut
constituer un pouvoir de coercition pour le respect des lois mais peut avertir de la répression. C’est une
porte pour intervenir dans le cadre politique en fustigeant ou expliquant des décisions politiques. Les
pièces théâtrales, les chansons incitent à voter comme elles peuvent tenter de montrer la portée d’une
politique publique.

Texte n° 01
Les masques constituent le plus souvent des sociétés que les ethnologues qualifient de secrètes parce
que seuls les membres se connaissent entre eux et qu’ils n’apparaissent jamais en public le visage
découvert. Les activités de ces sociétés ne concernent pas que leurs membres, mais le groupe tout entier,
le village. Elles remplissent des fonctions rituelles en rendant un culte à certains esprits au nom de toute
la communauté, en veillant à ce que certains travaux d’utilité publique, comme le nettoyage des lieux
sacrés, soient effectués à temps, en faisant pression sur les récalcitrants pour ce qu’ils se conforment à
certaines règles sociales- ne pas commettre l’adultère, s’acquitter de ses dettes, etc.
A cet égard, la société secrète agit comme la voix de l’opinion publique ou comme instrument de force
là où les sanctions sociales non coercitives ne suffisent pas. Cela pose le problème des relations entre le
pouvoir politique -le chef- et la société secrète : ils pourraient entrer en compétition, voire en lutte pour
le pouvoir effectif sur le groupe. En fait, il semble bien que le chef et les masques représentent les
mêmes forces sociales ou les mêmes intérêts particuliers, car ils paraissent généralement ne pas
s’opposer.
Jacques Maquet, Les civilisations noires, Marabout Université, p. 208

Texte n° 02
Image et rythme, ce sont les deux traits fondamentaux du style négro-africain…L’image négro-africaine
n’est…image-équation, mais image-analogie, image surréaliste. Le Négro-africain a horreur de la ligne
droite et du faux « mot propre ». Deux et deux ne font pas quatre, mais « cinq », comme le dit le poète
Aimé Césaire. L’objet ne signifie pas ce qu’il représente, mais ce qu’il suggère, ce qu’il crée. L’Eléphant
est la Force, l’Araignée, la Prudence ; les cornes sont Lune ; et la Lune est Fécondité. Toute
représentation est image, et l’image, je le répète, n’est pas équation, mais symbole, idéogramme. Non
seulement l’image-figuration, mais la matière,-pierre, terre, cuivre, or, fibre -, mais encore la ligne et la
couleur. Tout langage qui n’est pas fabulation ennuie. Bien mieux, le Négro-africain ne comprend pas
pareil langage. L’étonnement des premiers Blancs en découvrant que les indigènes ne comprennent pas
leurs tableaux, pas même la logique de leurs discours !...Cependant, l’image ne produit pas son effet
chez le Négro-africain si elle n’est pas rythmée. Ici, le rythme est consubstantiel à l’image ; c’est lui qui
l’accomplit, en unissant, dans un tout, le signe et le sens, la chair et l’esprit.
Qu’est-ce que le rythme? C’est l’architecture de l’être, le dynamisme interne qui lui donne forme, le
système d’ondes qu’il émet à l’adresse des Autres, l’expression pure de la Force Vitale. Le rythme, c’est
le choc vibratoire, la force qui, à travers les sens, nous saisit à la racine de l’être. Il s’exprime par les
moyens les plus matériels, les plus sensuels : lignes, surfaces, couleurs, volumes en architecture,
sculpture et peinture ; accents en poésie et musique ; mouvements dans la danse. Mais, ce faisant, il
ordonne tout ce concert vers la lumière de l’Esprit. Chez le Négro-africain, c’est dans la mesure même
où il s’incarne dans la sensualité que le rythme illumine l’Esprit. La danse africaine répugne au contact
des corps. Mais voyez les danseurs. Si leurs membres inférieurs sont agités de la trémulation la plus
sensuelle, leur tête participe de la beauté sereine des masques, des Morts. »
Senghor, Liberté I, Négritude et Humanisme, Seuil pp.210-211-212.

Conclusion
L’art est une forme d’activité humaine. Pour certains, il concilie la recherche de la beauté et
l’utilité. Pour d’autres, il est purement désintéressé et se distingue ainsi de l’artisanat. Il est différent
aussi de la science de par sa subjectivité. La science vise l’objectivité en se présentant comme une œuvre
collective qui inscrit ses résultats dans le temps alors que l’art est en perpétuel recommencement. Claude
Bernard souligne en ce sens : « l’art, c’est moi, la science c’est nous ». Cette dimension subjective qui
la spécifie pose le problème de sa rationalisation par les esthéticiens. D’où une difficulté de trouver un
consensus dans l’appréciation des œuvres artistiques.
METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE EN PHILOSOPHIE

Le commentaire philosophique consiste à expliquer et à discuter un texte de philosophie. Il s’agit


dans la phase explicative de présenter et d’élucider les idées du texte suivant un ordre logique. La
discussion ou parti critique doit conduire à l’évaluation ou à l’examen philosophique de la thèse de
l’auteur.
I) L’introduction :
Elle ne peut être rédigée qu’à la suite de plusieurs lectures et de la saisie exacte du contenu du
texte. Elle ne sert pas à résumer le texte, ni à indiquer tous les ouvrages écrits par l’auteur, ni à présenter
toute sa vie. La fonction minimale de l’introduction est d’indiquer l’objet, le thème ou le cadre théorique
du texte. Il s’agit à ce niveau de se poser la question suivante : De quoi parle le texte? Quelle est la
question qu’il soulève? En rapport avec l’objet du texte, il faut aussi repérer la thèse ou la réponse
apportée à la question soulevée. Cette exigence est prise en charge à travers la question suivante : Que
soutient l’auteur ou quel est le sens que véhicule le texte? Il faut également indiquer la démarche de
l’auteur ou les différents mouvements du texte. Il faut à ce niveau se demander : Comment l’auteur s’y
est-il pris? Comment a-t-il construit son texte? Outre ces indications, l’introduction peut problématiser
la thèse de l’auteur en formulant à partir d’elle une question qui annonce la partie critique du
développement qu’on nomme la discussion.
II) le Développement :
A- la partie explicative
Il comprend une première partie qui consiste à rendre compte des idées du texte, à élucider ou
à rendre compréhensible chacune des idées de l’auteur. Mais plus que cela il s’agit de montrer leur lien
logique, leur articulation ayant permis à l’auteur de justifier sa thèse. Il s’agit donc de faire ressortir la
logique interne du texte. Pour réussir une telle entreprise, il faut s’intéresser aux mots clés utilisés par
l’auteur et faire ressortir leur relation. C’est pourquoi il est aussi nécessaire à travers les différentes
lectures de repérer les mots de liaison ou les connecteurs logiques qui permettent de suivre la progression
de la pensée de l’auteur. Des observations peuvent être faites sur le mode d’argumentation ou sur sa
forme : l’auteur commence-t-il par l’opinion qu’il s’emploie à réfuter par la suite? Part-il d’une
interrogation, d’une hypothèse ou d’un constat? Donne-t-il sa thèse au début du texte pour s’évertuer
après à l’argumenter ou vice-versa? Pour montrer que les idées expliquées sont conformes à la pensée
que l’auteur expose dans le texte, il faut en citer les passages essentiels. Il ne s’agit pas cependant de
citer des pants entiers du texte pour masquer ses lacunes par rapport à l’explication des idées de l’auteur.
Il faudra éviter :
- La paraphrase : qui répète maladroitement avec d’autres mots ce que l’auteur a dit sans
Chercher à en expliquer le contenu.
- Le contre sens : qui conduit à trahir la pensée de l’auteur, à lui prêter des idées contraires à ce qu’il a
dit, qui s’opposent à ce qui se trouve dans le texte.
- Les digressions : c’est à dire les considérations sans rapport avec le texte, avec le problème abordé.
Ne pas chercher à faire la biographie de l’auteur.
- Les appréciations personnelles : (Exemple : l’auteur a raison de…, l’auteur a tort de dire que…..)
sur la valeur des idées développées par l’auteur à travers le texte.
- Ne pas confondre avec le résumé : qui dit en plus court ce que l’explication détaillée dit en plus long
B- la partie discussion ou critique
Alors qu’il s’agit dans la première partie de rendre transparent ou accessible les idées du texte
ou de l’auteur, il s’agira dans la deuxième partie de prendre du recul par rapport à la thèse de l’auteur et
à ses arguments afin de les évaluer. Cette évaluation critique peut mettre l’accent sur le mérite de
l’auteur, sur l’intérêt de ses idées pour l’homme ou pour la pensée philosophique. Elle peut conduire
également à montrer les limites ou les insuffisances des idées de l’auteur ou de sa démonstration. Il est
possible de proposer une solution différente de celle de l’auteur au problème posé, d’adopter une
position contraire à celle de l’auteur. Dans ce cas comme dans l’autre, il faudra justifier et au besoin
illustrer votre point de vue. A ce niveau, il est possible d’user des connaissances acquises en classe pour
montrer que la thèse de l’auteur n’est pas la seule qui existe. Il faudra cependant bien articuler cela aux
propos de l’auteur et au-delà, faire une confrontation de ses différentes thèses en vue d’en tirer votre
propre position.
Objectif de la discussion : Établir votre propre position par rapport à la thèse de l’auteur en
indiquant ses mérites mais aussi ses limites et ses insuffisances possibles.
III- La conclusion
Elle fait le bilan de l’analyse ou partie explicative et celui de la partie critique ou discussion.
Autrement dit il faut rappeler l’objet du texte, la thèse de l’auteur ou le sens qu’il véhicule, l’intérêt
philosophique de l’étude du texte mais également le point de vue personnel qui a résulté de la discussion
de cette thèse. La conclusion consiste donc en deux points saillant : rendre compte de l’engagement de
l’auteur du texte d’une part et de l’engagement du commentateur d’autre part.
METHODOLOGIE DE LA DISSERTATION EN PHILOSOPHIE

INTRODUCTION
La dissertation est un exercice de réflexion. Il s’agit de proposer une réponse à une question
posée. Généralement sous forme de question, le sujet à traiter présente un problème auquel il faut essayer
de dégager des pistes de solution. Elle est un travail personnel et critique. Autrement dit, on doit
exprimer un point de vue. Ce dernier doit se faire néanmoins avec rigueur dans l’analyse d’une
problématique. Il est nécessaire de rechercher dans cet exercice à développer une argumentation
susceptible d’entrainer la conviction du lecteur-correcteur. Il faut donc donner raisons de ses opinions.
La dissertation philosophique révèle ainsi la capacité du candidat à mobiliser sa culture philosophique
personnelle pour le mettre au service de la réflexion sur une question. Disserter, c’est donc réfléchir sur
une question à laquelle, il faut répondre de façon fondée et argumentée.
Toutefois, la dissertation n’est pas une restitution du cours. Il ne s’agit pas de réciter les
connaissances acquises sur une notion du sujet à analyser et traiter. La compétence du candidat sera
évaluée d’après son aptitude à poser et à résoudre par soi-même un problème.
La dissertation comprend trois parties : Introduction, développement et conclusion.
I – L’introduction
L’introduction d’une dissertation en philosophie comporte essentiellement trois étapes

✓ Amener le sujet : on peut le faire de deux manières principalement : soit par la définition
des termes clés du sujet en montrant leur rapport et le sens global du sujet ; soit par la
contextualisation qui consiste à dégager un cadre général où le trouver peut trouver sens.
✓ Poser le problème : c’est l’occasion de rendre explicite la thèse du sujet. Autrement dit, il
faut dégager le problème fondamental que pose le sujet. Cela peut se faire à travers une
problématique.
✓ Présenter le plan : c’est le moment de montrer le chemin à suivre pour prendre en charge la
problématique. La démarche doit être cohérente ; les parties doivent être liées d’une manière
logique.
II – Le développement
Il permet au candidat d’analyser les parties du plan proposées sous forme de questions. Pour ce faire, il
doit d’abord reposer le problème en des termes plus explicites. Ensuite procéder à l’argumentation :
argumenter, c’est tenir un discours qui épouse les contours de la rationalité. Le candidat doit faire l’effort
de présenter une réflexion personnelle et rigoureuse pour justifier un point de vue. Enfin, il est
souhaitable que cet avis soit soutenu par une illustration. L’illustration peut être une citation ou un
exemple. La citation est un propos d’un tiers donc elle ne vient pas du candidat. Il doit en saisir le sens
et la portée pour pouvoir l’utiliser. Si on a des doutes sur l’auteur ou la citation, mieux faut s’abstenir
ou de citer en substance, de façon indirecte. Les exemples doivent aussi avoir une valeur scientifique ou
littéraire c’est-à-dire qu’ils soient susceptibles de rendre votre argumentation crédible.
Phrase de transition : pour passer d’une partie à une autre, il faut établir une phrase qui clôt la réflexion
de la première partie et qui annonce la partie suivante. Elle permet de relier les parties et assure la
cohérence.
III – La conclusion
C’est la partie réservée à la réponse de la question posée dans le sujet. Mais il faut au préalable
revenir la question, souligner la démarche empruntée bref rappeler les étapes de la réflexion (problème
et plan) avant d’exprimer son avis. Si possible, on peut ouvrir une perspective liée directement au sujet.
CONCLUSION
Beaucoup de candidats ont tendance à choisir systématiquement la dissertation jugeant le
commentaire difficile, il est nécessaire de savoir que les deux exercices requièrent les mêmes
compétences et au Baccalauréat ont les mêmes exigences à savoir la conceptualisation, la
problématisation, l’argumentation et la communication.
PROGRAMME DE PHILOSOPHIE

DOMAINE I : LA REFLEXION PHILOSOPHIQUE


Axes majeurs :
A/ Les conditions d’émergence et la spécificité de la réflexion philosophique
B/ Les grandes interrogations philosophiques
C/ Les enjeux, perspectives et finalités de la réflexion philosophique
D/ Idée d’une philosophie africaine

DOMAINE II : LA VIE SOCIALE


Axes majeurs :
A/ Nature et culture
B/ Individu et société
C/ Conscience et inconscient
D/ Liberté
E/ Etat

DOMAINE : EPISTEMOLOGIE
Axes majeurs :
A/ Les conditions d’émergence de la pensée scientifique
B/ Les différents types de science
C/ Science, technique et éthique

DOMAINE IV : ESTHETIQUE

Axes majeurs :
A/ La représentation artistique
B/ Les fonctions et finalités de l’art
ŒUVRES AU PROGRAMME
DU CONTRAT SOCIAL DE JEAN- JACQUES ROUSSEAU (série L seulement/ livres
1&2)
APOLOGIE DE SOCRATE DE PLATON (valable pour la série S et G)

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